PRINCETON, N
BR 370 .P82 1868 v.4 Puaux, Fran cois, 1806- Histoire^de la r eformation
C v> A
HISTOIRE
DB LA
RÉFORMATION
FRANÇAISE
L'auteur de l'Histoire de la Réformation française se réserve le droit de traduction et de reproduction dans les pays avec lesquels la France a conclu des traités pour garantir la propriété des auteurs. A cet égard, il s'est conformé aux formalités voulues par les règlements.
Imprimciie L. Toinon et C», à Saiiil-GermaiD.
HISTOIRE (* OCT 241910 *
DE LA
RÉFORMATION
FRANÇAISE
F. vmi
TOME QUATRIÈME
PARIS
AGENCE DES ÉCOLES DU DIMANCHE 16, nuE DE l'abbaye
1870
Droils de traduction et de reproduction réserves.
HISTOIRE
DE LA
LIVRE XXII.
I.
Henri IV, nous l'avons déjàdit, s'était refait une armée, grâce aux iiabiles négociations de Turenne, mais l'arrivée tardive des Allemands l'obligea à employer ces nouveaux auxiliaires pendant l'hiver, qui s'annonçait d'une manière très-rigoureuse. Il décida le siège de Rouen, défendu par Yillars-Brancas, l'un des meilleurs généraux de la ligue. Les difficultés étaient immenses, la ville était bien fournie de munitions de guerre et de bouche , tout faisait présager un siège long et meurtrier. '
Des deux côtés les pertes furent grandes : assiégeants et assiégés se battirent avec une rare intrépidité , la moindre parcelle de terrain fut disputée avec acharnement; les troupes royales, qui avaient à lutter contre le froid, firent l'expérience de cet aphorisme de guerre de Coligny «que les sièges des grandes villes sont le cimetière des armées»; piusieurs des meilleurs capitaines du roi périrent dans Its assauts; les Rouennais n'eurent pas des pertes moins douloureuses à essuyer. La ville courait un danger immi- nent, si Mayenne, dans le sentiment de son impuissance, n'eût pas décidé Farnèse avenir à son secours. Le général de Philippe II se mit en marche le 16 janvier, amenant avec lui six mille chevaux et vingt-quatre mille fantassins. Il ne
I. DavUa, Uv. XII.
6 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
se hâta pas plus que lorsqu'il vint délivrer Paris ; rien nô pouvait le décider aux hardiesses de la guerre, quand il n'en croyait pas l'heure venue.
La nouvelle de l'arrivée du duc de Parme obligea le roi de changer de tactique avec lui. II savait qu'il n'accepterait une bataille que s'il le jugeait utile à ses intérêts; — il laissa le commandement du siège au maréchal de Biron el se porta à la rencontre de Farnèse, dans l'intention d'in- tercepter ses convois, d'arrêter ou ralentir sa marche; il avait avec lui 500 cavaliers, l'élite de sa noblesse, qui brûlait du désir de se signaler par quelque action d'éclat et de laver l'affront que le général espagnol lui avait fait subir sous les remparts de Paris. Mais là où il aurait fallu une manœuvre savante, Henri IV n'apporta qu'une ardeur bouillante, le général s'évanouit dans le soldat. Emporté
ftar son désir de faire preuve de vaillance, et aussi par ce- ui de voir l'ordre de bataille des troupes ennemies , il se plaça à l'avant-garde avec deux cents cavaliers et fit êtour- diment le coup de pistolet avec celle de l'armée espa- gnole. Le lendemain il commit la même imprudence, mais cette fois le danger fut plus imminent: il se trouva en face de toute l'armée de Farnèse; comme la veille, il fit le coup de pistolet avec les soldats de l'avant-garde,
ftuis il battit en retraite, et se vit sur le point d'être enve- oppé par la cavalerie ennemie; dans sa fuite, la mort moissonnait ses braves gentilshommes, les balles sifflaient autour de sa tête devenue un point de mire à cause de son grand panache blanc , l'une d'elles l'atteignit légèrement aux reins. Il était perdu si Farnèse n'eût pas fait des efforts inouis pour modérer l'ardeur de ses soldats , ardents à la poursuite du Béarnais comme une meute de chiens affamés après un cerf. Parme craignait un piège. Quand on lui reprocha une défiance qui lui coûtait la prise d'un prison- nier si important, il répondit: « Ce que j'ai fait je le ferais encore, je croyais avoir affaire à un général d'armée, comment supposer que ce n'était qu'un carabin?» Parole sanglante qui peint Farnèse et Henri IV, l'un calculant tout, l'autre ne calculant rien.
Deux événements affaiblirent successivement le roi. Une sortie meurtrière de Villars qui lui tua beaucoup de monde, et le découragement de ses gentilshommes, qui,
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fatigués d'un siège dont l'issue leur paraissait plus que
douteuse, quittèrent son armée, qui, en quelques jours, de dix mille cavaliers fut réduite à cinq mille; pour surcroît d'infortune , las Allemands , livrés à l'ivrognerie , étaient décimés par la maladie. Une seconde fois il voyait ses plus belles espérances s'évanouir. L'approche du duc de Parme lui fit lever le siège de Rouen le -20 août 159-2' sans avoir pu forcer son tenace adversaire à accepter la bataille; sa position devenait de jour en jour plus critique, sa belle armée se dispersait , ses plus braves gentilshommes avaient été tués , sa caisse était vide. Une balle lui ramena la for- tune. Farnèse , blessé le 25 avril devant Caudcbec , fut con- traint , par suite de ses douleurs intolérables , de remettre à Mayenne le commandement. ■
II.
Mayenne continua le siège de Caudebec qu'il prit bien- tôt après ; mais il ne s'aperçut pas que ses troupes étaient dans une position où le roi pouvait facilement les renfer- mer entre la Seine et la mer. Quand il l'entrevit, c'était trop tard. Henri IV que ses gentilshommes avaient rejoint, honteux de l'avoir abandonné , le tenait resserré comme dans un cercle de fer. Le péril était grand : d'un côté la Seine lui coupait la retraite, de l'autre les troupes royales demandaient avec ardeur la faveur d'une bataille. Il était désespéré, voyant s'approcher le moment où il serait contraint de déposer les armes. Le roi et Farnèse furent ses deux sauveurs; l'un par son imprévoyance, l'autre par l'une de ces tactiques qui révèlent le grand homme de guerre. Le premier, qui voyait les ligueurs arrêtés par la Seine large comme un bras de mer, n'eut pas même l'idée qu'ils pourraient se sauver à travers ses flots. Ce qu'il crut impossible, Farnèse le réalisa sous ses yeux; il fit prépa- rer à Rouen de grandes barques plates couvertes d un plancher sur lequel il se proposait d embarquer sa cavale- rie et son artillerie; il commanda d'autres barques qui
1. De Thou, liv. CHI, p. 65. — Mémoii'es de l'Estoile, année 1592. — Davila, liv. Xn.
2. Bentivoglio , Guerra di Fiandra, p. II, liv. VI, p. 163. — SuUy, Économies royales, t. II, ch. 5.
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HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
devaient servir de remorqueurs; tout s'exécuta avec une grande célérité. A l'insu du roi, le 15 mars io'ôi tout fut prêt; le reflux de la mer amena la flotilie irnnrovisée de kouen à Caudebec, et dans la nuit du 20 au 21 du même mois , l'embarquement eut lieu. Le lendemain, le baron de Biron vit du haut d'une colline des bateaux qui traversaient le fleuve emportant avec eux Farnèse et son armée. Tous les efforts du roi furent vains; l'armée de la ligue était sauvée, grâce à Parme, qui lui avait préparé une retraite que les troupes royales ne purent lui couper. Après avoir couru le plus grand danger, elle arriva à Saint-Cloud.'
III.
Henri IV recevait une nouvelle leçon de tactique mili- taire de cet homme qui, souffrant et à moitié mort, n'avait rien perdu de son génie et justifiait aux yeux de l'Europe répithète insultante de carabin qu'il lui avait donnée. Mayenne n'était pas moins humilié. Parme lui avait repro- ché durement son impéritie qui avait compromis le salut de son armée; il s'était retiré à Rouen découragé et ma- lade, et sentant de plus en plus qu'il manquait de ce qui fait l'homme de parti. Il n'était pas éloigné de se rallier au roi, s'il pouvait le faire sans danger pour la religion, et avant tout, si sa soumission lui était chèrement payée. Il chargea Villeroi d'ouvrir des négociations avec Henri IV qui l'accueillit d'autant plus favorablement qu'il avait chargé Duplessis de foire au général ligueur des ouvertures de conciliation. Mayenne exigeait du roi la promesse de ren- trer dans l'église catholique quand il se serait fait instruire. L'austère négociateur du roi qui ne connaissait en politique que la ligne droite, répondit que si son maître le faisait, il agirait en athéiste; cela cependant n'eût pas arrêté Henri IV si Mayenne n'eût pas fait pour lui et pour les siens des de- mandes trop exorbitantes pour être acceptées. Le résultat de toutes ces négociations n'eut d'autre eifct que de dévoi- ler le prince lorrain et de montrer en lui un homme plus
1. Madiicu, t. Il, p. 105. 110. — Bentivoglio, liv. XVI. — Mé- moires de Mornay, t. V, p. 334. — D'Aubigiié, liv. 111, chap. 15, p. 266. — Davila, liv. XIII. — De Thou, iiv. CIII.
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occupé de ses intérêts qu'un partisan fervent de la religion qu'il était chargé de défendre les armes à la main. '
Les négociations demeurèrent pendant quelque temps secrètes ; mais quand , par le roi qui avait intérêt à ce qu'elles fussent rendues publiques, la nouvelle en parvint à Paris, les prédicateurs se déchaînèrent avec violence contre tous ceux qui parlaient de paix. «Le curé Saint-An- dré-dcs-arcs, raconte l'Estoile, dit qu'il ne croyait pas qu'on vouiût la faire; mais que si tant était et qu'on en découvrît quelque chose, il fallait prendre les armes et faire plutôt une sédition de laquelle il serait des premiers et en tuerait autant qu'il pourrait... Le curé de Saint-Jacques excommu- nia ce jour-là, en son prone, tous ceux qui parlaient de paix ou qui trouveraient bon le commerce (pour l'approvi- sionnement de Paris) ; qu'il les excommuniait avec tous ceux qui les soutenaient, comme aussi tous ceux-là qui parlaient de recevoir ce petit teigneux.... en recourant à la messe et se faisant catholique.... Le curé de Saint-Cosme prêcha ce jour-là , que le Béarnais avait beau faire tout ce qu'il voudrait, qu'il allât à tous les diablesf qu'il allât au prêche, qu'il allât à la messe ou qu'il n'y allât point; c'é- tait tout un.... Rose, Gueilly, Martin, Guarinus, Feu-Ar- dent et tous les autres prêchèrent de même et dirent qu'ils étaient d'avis, si le Saint-Père le trouvait bon, de recevoir à l'Église le Béarnais pour capucin et non pas pour roi. »*
Mayenne se sentant impuissant devant le déchaînement des passions des bourgeois de Paris, se décida à convoquer les Etats généraux dans l'espérance qu'il pourrait déjouer le projet de l'Espagne qui les demandait avec instance, dans le but de faire donner la couronne à la fille aînée de Philippe IL II prit ses mesures, et des élections sortit une assemblée, toute à son image, composée d'hommes mo- dérés , mais sans influence sur la nation , et décriée avant même de se mettre à l'œuvre. '
Pendant que Mayenne agissait dans ses intérêts, le roi n'oubliait pas les siens , quoiqu'il eût dit à ses huguenots qifil ne les abandonnerait jamais ; ses regards étaient tou-
1. Mémoires de Villeroi, p. 79-80. — Davila, liv. XID. — Du- picssis-Momay, t. V, p. 208 et suiv L'Estoile, année 1592. S. Davila. liv. SKU
io HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
jours tournés vers Rome. — Par ses agents il faisait agir auprès du pape pour savoir si, dans le cas où il abjurerait, le pontife lèverait l'excommunication qui pesait sur lui'. Clément VIII dont l'esprit était conciliant, était tri'S-embar- rassé; il sentait sur sa tête la main pesante de Philippe H qu'il craignait de mécontenter, et d'un autre côté il crai- gnait, en refusant l'absolution, d'amener la formation d'une église épiscopale indépendante de son autorité à la tête de laquelle se placerait probablement Renaud de Baume, archevêque ae Bourges, qui s'était attaché avec plusieurs autres prélats à Henri IV*. Le danger étaitgrand; ce que l'Angleterre avait fait, la France pouvait le faire , puis- que le roi était disposé à abjurer. Si le pontife n'eût con- sulté que son propre penchant , il eût promis son absolution ; mais le fougueux Cajetan, son légat à Paris, le retenait, ou le poussait à des mesures violentes. Les papes qui ne semblent relever que de leur propre volonté, à part quel- ques rares exceptions, n'ont guère été que les dociles ins- truments de leur entourage.
Les ligueurs et les royalistes étaient mécontents; les premiers , des hésitations de Mayenne , les seconds de celles de Henri IV. La situation ne pouvait se prolonger plus longtemps sans danger pour leurs intérêts; les combats que les deux partis se livraient sur plusieurs points n'a- vaient d'autres résultats que d'augmenter l'apauvrissement du pays qui tendait, de plus en plus, à devenir un désert. Nous n'entrons pas dans des détails qui ne seraient qu'une fatigante répétition des mêmes scènes dans lesquelles nous verrions les royalistes et les ligueurs tour à (our vaincus et vainqueurs ; mais ne retirant de leurs luttes rien de ce qui décide définitivement du succès d'une cause; nous men- tionnerons seulement les succès d'un homme appelé à jouer un grand rôle dans les événements dont nous ferons le ré- cit On l'appelait Lesdiguières.
IV.
François de Bonne , seigneur de Lesdiguières ou des Diguières, était né à Saint-Bonnet, en Ghampsaur, le
1. DeThou, liv. Cm. t. Davila, liv. XOI.
LIVRE XXII. H
1" avril 1543. Orphelin de bonne heure, le jeune gentil- homme fut destiné au barreau par sa mère ; l'un de ses oncles se chargea de son éducation , car sa famille était très- pauvre, quoique de très-ancienne noblesse. L'enfant fut mis au collège d'Avignon, il s'y fit remarquer par son applica- tion , la surprenante sagacité de son esprit et son goût pour le métier des armes. Quand il eut terminé ses humanités, son oncle l'envoya à Paris pour étudier le droit. Si son pro- tecteur eût vécu, le nom de Lesdiguières se fût probable- ment perdu dans les salles des Pas perdus d'un palais de justice ; sa mort en fit un grand capitaine. Libre de suivre ses goûts, le jeune étudiant abandonna gaîment ses livres de jurisprudence et alla dans le Dauphiné où il s'enrôla comme simple archer dans la compagnie d'ordonnance de Gordes. Ce fut là le premier échelon de sa grande for- tune. L'archer devait ua jour être plus puissant qu'un roi dans cette même province du Dauphiné où il n'était alors qu'un soldat ignoré; mais il était du nombre de ces hommes qui portent, suivant l'expression pittoresque de Louis XVIII, le bâton de maréchal de France dans leur giberne.
Le jeune soldat, sous la direction d'un précepteur qu'on lui avait donné, avait été rendu attentif à la foi des réfor- més; il l'avait embrassée avec ardeur; son zèle avait touché sa mère qui, à son tour, avait abandonné Rome pour la foi des persécutés. Quand la première guerre civile éclata , Lesdiguières se joignit à ceux de ses coreligionnaires qui défendirent si vaillamment leur vie contre les troupes de Charles IX. C'est alors que commença pour lui une séfie de succès et d'actions d'éclat qui ne tardèrent pas aie faire connaître. Au siège de Sisteron il attira sur lui l'attention de Beaujeu : «"Voilà , dit ce chef au célèbre capitaine Fu- meyer en lui montrant le jeune archer, un jeune gentil- homme qui fait des merveilles; s'il vit, il ira loin.» Ces paroles prophétiques reçurent plus tard leur plein accom-
Elissement. A dater de ce moment, l'histoire nous montre esdiguières s'élevant, par son courage et par son génie mihtaire, aux plus hauts grades de l'armée, inscrivant un fait unique dans les annales militaires : celui d'un capi- taine qui , dans sa longue carrière , comptait des succès et presque pas de revers.
12 IIISTOmE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
En 1501, l'archer de la compagnie de Gordes enlevait aux callioliques l'importante ville de Grenoble. Florent Saint-Julien, son secrétaire, fut envoyé par le vainqueur à Henri IV pour lui annoncer cet important succès et lui demander pour son maître le gouvernement de Grenoble. Le conseil du roi s'étonna qu'un huguenot osât aspirer à un poste si considérable ; il repoussa la demande avec des paroles insultantes pour Lesdiguières. «Messieurs, ré- pondit fièrement Florent Saint-Julien aux membres du Conseil, puisque vous ne trouvez pas bon de donnera mon maître le gouvernement de Grenoble, avisez au moyen de le lui enlever.» On laissa à Lesdiguières le gouvernement qu'on se sentait impuissant de lui ôter.
Le général huguenot avait toutes les qualités qui font le grand capitaine, le courage, l'élan, la prudence, la tactique militaire, l'art d'éleclriser les soldats et de leur donner une confiance sans limites dans leur chef. L'homme était au-dessous du soldat : il était plus ambitieux que re- ligieux, intéressé, de mœurs suspectes, huguenot d'abord par imitation, plus tard par habitude, prêt à tous les évé- nements pourvu qu'ils concourussent à sa fortune , la seule divinité qu'il aimât réellement. •
V.
Tous les partis^étaient vivement préoccupés de la pro- chaine tenue des Etats; chacun sentait qu'on touchait à un prochain dénouement et faisait des efforts pour qu'il eût lieu dans ses intérêts. Un grand capitaine qui venait de dis- paraître de la scène du monde ouvrait un libre champ aux ambitions. Farnèse était mort des suites de sa blessure. Depuis le jour où une balle vint relever la fortune de Henri IV, il n'avait fait que languir; il expira le 2 décem- bre 1592, à peine âgé de quarante-cinq ans, dans la plé- nitude de toutes ses facultés; sa mort fut aussi nuisible à Philippe II que le naufrage de l'Armada et porta à sa for- lune un coup irréparable. Mayenne ne s'associa pas aux douleurs des ligueurs; il ne pouvait aimer l'homme qui i'accnbiait de son incontestable supériorité; il sentait d'ail- leurs que Farnèse debout, il risquait d'être écrasé entre
î. Ha^ft , l'iance protestante , article François de Doane, lettre B.
LIVRE XXII.
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l'Espagne et Henri IV'. Délivré de son rival, il concentra toute son attention sur les États qui allaient se réunir. C'est plus de ce côté que de son épée qu'il attendait la récom- pense de son dévouement h la cause de la ligue.
A mesure que les députés arrivaient à Paris la capitale devenait un foyer d'intrigues, un vrai champ de foire ou- vert à toutes les ambitions. Tous les yeux étaient tournés vers celte assemblée qui devait pourvoir à la vacance du trône; les concurrents à la royauté foisonnaient, on en comptait huit au moins, trois Guise, le marquis de Pont, deux princes de Savoie , plus ceux des Bourbons qui n'é- taient pas protestants. Chacun recommandait son candidat et faisait valoir ses droits. La majorité des prédicateurs se prononçait en faveur de l'Espagne.
Le 17 janvier, avant l'ouverture des États, les députés allèrent en procession à Notre-Dame pour implorer le se- cours de l'Esprit saint sur l'assemblée.
Le cortège offrait un spectacle curieux ; on y voyait tous les prédicateurs de Paris... les religieux de tous les ordres... le légat du pape... les Seize... chacun avec son costume of- ficiel... Cette procession serait aujourd'hui oubliée, si un célèbre pamphlet dont nous parlerons plus tard ne l'avait pas immortalisée par le ridicule. "
VI.
L'ouverture des États eut lieu le 26 janvier 1593 , dans la grande salle du Louvre. Le duc de Mayenne , assis au poste d'honneur, ouvrit la séance par un discours, dans lequel, sans se désigner par son noir; , il se présentait, clai- rement, au suffrage des députés, pour occuper le trône vacant. Le cardinal Pellevé prit la parole, parla en pédant, et eut le tort impardonnable, dans une ass.nnblée française, d'ennuyer ses collègues'. — Les deux orateurs qui lui suc- cédèrent, s'exprimèrent avec plus de convenance. Le lende- main de la séance, le légat du pape, d'accord avec l'am- bassadeur do Philippe II, appela à aiie conférence Mayenne et les principaux députés , et leur proposa insidieusement
1. Henri Martin, t. X, p. 298-299.
2. Kote I.
3. De Thon, liv. CV. — Daviiî, liv. X!H.
i4 HISTOmE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
de faire prêter aux États le serment de ne jamais traiter avec le Béarnais , quand même il se ferait catholique. Ca- jetan, fin diplomate, dévoué à l'Espagne, pressentait la fu- ture abjuration de Henri IV, et voyait dans cet acte le coup fatal qui devait dissoudre la ligue et anéantir les pro- jets du roi catholique. Quelques députés entrevirent le piège, et repoussèrent avec énergie la proposition: «faire ce serment, dit adroitement d'Espinac , serait agir contre les droits du souverain pontife.» Le légat n'osa pas insister. Le Béarnais qui croyait que l'assemblée ne se séparerait
fias sans nommer un chef à la France, saisit habilement 'occasion de développer les germes de division que son regard pénétrant y apercevait; en effet, elle était composée de ligueurs ardents qui ne voulaient à aucun prix de lui , abjurât-il; de ligueurs modérés qui, tout en croyant peu à la sincérité d'une conversion, y voyaient cependant la fin des maux sans cesse renaissants du royaume ; de roya- listes qui attendaient, avec impatience, cette abjuration, pour dissoudre la Sainte-Union. L'appui donc de ces der- niers et des ligueurs modérés , qui formaient la majorité de l'assemblée , était acquis au roi s'il se convertissait. Celui-ci disposé déjà à abjurer, mais à ne le faire qu'au moment opportun, envoya le 28 janvier, un trompette qui se présenta aux portes de Paris , et demanda à parler au gouverneur. Conformément à ses instructions, il annonça hautement qu'il était porteur d'une proposition des sei- gneurs royalistes attachés au parti du roi , adressée aux Etats-généraux. Les paroles du messager piquèrent vive- ment la curiosité des masses qui ne cachaient pas leur dé- sir ardent devoir arriver le moment qui mettrait un terme à leurs longues souffrances. Les Seize qui virent dans le trompette un nouveau Sinon, introduisant dans la ville un nouveau cheval de bois, eussent bien voulu l'empêcher d'accomplir son message; ils ne le purent. La lettre des seigneurs royalistes fut lue, elle demandait des confé- rences avec les députés des États, «afin de chercher les moyens d'apporter de prompts remèdes aux maux qui tra- vaillaient le royaume et l'église. » '
1. Mémoires de la ligue, t. V. — Davila, liy. XIII. — De Thou, liv. GV.
LIVRE XXII. • 15
Dans une assemblée particulière des principaux chefs de -, la ligue, la proposition des seigneurs royalistes fut dis- cutée ; plusieurs des membres la trouvèrent raisonnable. Consentons, dirent-ils, à cette conférence, d'où peut sortir un si grand bien pour le royaume : « Quoi ! s'écria Cajetan ; vous tombez dans un piège, vous qui avez signalé par tant de combats votre zèle pour la foi! Oubliez-vous que ces catholiques infidèles ont encouru les analhèmes du souve- rain pontife? Attendez pour communiquer avec eux, qu'ils soient lavés par de longs actes de pénitence des souillures
Su'ils ont reçues dans leur commerce avec les hérétiques, 'h! que la foi est prompte à vaciller! Que sont-ils donc devenus les temps de gloire et de saintes souffrances, oii, consumés de misère, dévorés de faim, vous restiez sourds à toutes propositions de l'hérétique et des fauteurs de l'hé- résie? Quand la protection du ciel, quand des miracles évidents vous ont fait sortir victorieux de cette terrible épreuve, je vous vois prêts à vous asseoir aux tables de l'impie ; à loger avec lui sous des toits que les foudres du ciel peuvent à chaque instant faire écrouler! Est-ce ainsi que vous reconnaissez les soins paternels du vicaire de Dieu? Que n'a-t-il pas fait pour cette cité tout à l'heure si îélée, et si tiède aujourd'hui? Le trésor de l'Église s'est ouvert pour vos besoins, l'armée du saint Pontife a passé les Alpes pour marcher à votre secours. Songez bien qu'un moment de mollesse peut vous faire perdre le prix de trente ans de combats. Quand vous aurez reconnu des frères dans de mauvais catholiques, qui vous empêchera de reconnaître votre roi dans l'hérétique lui-même? Vous croirez à son vain repentir, à ses protestations hypocrites, on plutôt devenus hypocrites vous-mêmes, vous feindrez d'y croire. Eh bien ! je vous déclare, que le saint-siége n'a plus de pardon pour un hérétique relaps. Les sources de la miséricorde divine sont taries pour lui, et craignez qu'elles ne s'arrêtent pour vous. » •
VII.
Quand une idée se fait jour dans les esprits , et surtout quand elle prend racine dans les cœurs, tous les discours
1. CapeCgue, Henri IV et la ligue, t. V.
16
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
du monde n'en peuvent arrêter la marche. Cnjetan dût s'en apercevoir ; tonte son éloquence échoua devant la volonté de la majorité de l'assem.blée, qui décida que la proposi- tion serait soumise aux Etals de Paris. Le Béarnais avait gagné plus qu'une bataille. Il avait amorti l'esprit ligueur et jeté la division dans une assemblée qui avait été réunie pour le déclarer indigne du trône de ses aïeux, en y appe- lant un étranger. Quelques jours après, devant les Étals, la proposition des seigneurs royalistes fut discutée, et, malgré les elîorts des plus forcenés ligueurs, il fut décidé que des conférences s'ouvriraient entre les commissaires des Etats et ceux des seigneurs royalistes.
Cette nouvelle e.xcila dans Paris une fiévreuse ardeur; chaque parti exprima , bruyamment , à sa manière , ses déceptions et ses espérances ; les prédicateurs furent les fidèles échos de ces passions diverses. Il y eut cependant des revirements étranges. On n'entendit pas sans un certain étonneraent Boucher, qui honorait habituellement Mayenne de ses insultes, exalter le lieutenant - général ; le curé Benoît vira aussi de bord, et déserta momentanément, par peur sans doute, le parti du Béarnais et l'appela, du haut de sa chaire, relaps et le déclara indigne de la couronne. Quelques jours plus tard, il changea de langage devant Mayenne même, et tint pour méchants ceux qui s'oppo- seraient à la conversion du roi de Navarre. Témoin de cette conduite ambiguë, Boucher qui n'aimait pas Benoît, disait ironiquement à ses confrères : « Comme les chats , Benoît tombe toujours sur ses pattes. »
C'est une singulière époque que celle dont nous traçons le tableau. Elle a pour l'historien un intérêt tout particu- lier; les hommes lui apparaissent sous leur véritable jour, avec leurs haines et leurs sympathies. Trop petits dans une heure orageuse pour jouer une tragédie, quoiqu'ils soient en plein dans le drame , ils égayaient constamment la scène comme dans les pièces de Shakspeare. Ils y appa- raissaient avec leurs habits et leur langage de tous les jours, tenant à la main, tantôt un poignard, tantôt une marotte, faisant, tour à tour, pleurer et rire; mais plus souvent rire que pleurer; et cependant, au fond de leur jeu tragi-comique, il y a une immense question à résoudre. Au royaume déchiré, il' faut donner un chef; à des guer-
LIVRE XXII.
n
res qui ont apauvri d'Iioinines, d'argent et d'honneur deux générations , il faut faire succéder la paix qui est toujours via fin des guerres... mais que de difiîcultés à surmonter! et combien peu de caractères honorables ! l'un crie : Vive l Espagnol; l'autre, vive Mayenne; celui-ci, vive le Béar- nais; celui-là, vive mes intérêts, ou plutôt le cri de tous, c'est ce dernier cri. Et dans tout cela, la France est ou- li'.iée, et la religion, dont chaque parti croit prendre la dé- fense en main, n'est qu'une pauvi'e délaissée; jamais la robe sans coutures du Christ ne fut plus effrontément dé- chirée. On comprend donc que cette époque nous ait donné Montaigne, comme les premiers jours de la renaissance nous ont donné Rabelais. Le Christ n'a pas de plus terrible ennemi que ceux qui se drapent de son manteau, et fou- lent aux pieds ses commandements.
VIII.
Avant que la conférence fût réunie, ses partisans et ses adversaires se livrèrent un combat de paroles; les églises transformées en clubs et les chaires en tribunes , retenti- rent d'imprécations et d'appels à la concorde et à la paix. Le prieur des carmes Simon Filleul, traita les députés nommés pour assister à la conférence de fauteurs d'héré- sie. Morenne et Benoit n'avaient que le mot paix aux lèvres; on pouvait le même jour entendre le pour et le contre, et parfois aussi, le même prédicateur tonnait contre le parti qu'il avait encensé la veille. Les plus pru- dents des prêcheurs (et le jésuite Commolet était de ce nombre) se tenaient, dans l'incertitude du dénouement, * entre les deux; cependant, la majorité des prédicateurs était contre le Béarnais , et parmi eux , le curé Aubri se distinguait par la violence de son langage. «C'est un loup, c'est un tigre bon à brider » , disait-il de toute la force de ses poumons; il attaquait les partisans de la paix «qui gre- nouillent la paix, comme dans un marais;» et en disant cela, il imitait le chant de la grenouille: a La paix, s'é- criait-il; la paLx, la paix! Hé! pauvre peuple, pensez-y; ne l'endurons pas, mes amis, plutôt mourir; prenons les ar- mes, ce sont les armes de Dieu! Un bon ligueur (je vous déclare que je le suis et que je marcherai le premier)
18 HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
vaincra toujours trois ou quatre politiques; qui frappe le premier a l'avantage.» Ces paroles retenaient le peuple dans ses anciens errements, malgré le désir de voir la paix succéder à la guerre. '
Boucher, qui tenait plus encore qu'Aubri à sa popula- rité, dépassa son confrère en fades plaisanteries; sa chaire n'était pas même une tribune : il l'avait abaissée au niveau d'un tréteau de charlatan ; un jour il prêchait (c'était l'an- niversaire de la journée des barricades), il fit l'éloge de Henri de Guise, et dit que cette journée était la plus belle qui fût au monde.^ Il avait pris pour texte de son discours ces paroles de l'Écriture: Eripe nos de- Mo*. Expliquant son texte, il équivoqua sur le sens de la traduction qu'il donna, et dit : «il est temps de deshourber, de se déhour- bonner; ce n'est pas à tel boueux, bon à jeter au tombe- reau, que le trône appartient, quoiqu'on puissent dire les larrons pillards et boulgres. » Un jacobin royaliste, Bélan- ger, donna à Boucher la réplique du haut de sa chaire à Saint-Denis ; il dit à ses auditeurs ligueurs, en jouant sur le mot de boucher : Je vous conseille de vous déboucher Ces lazzis se colportaient et faisaient rire. En France on rit si facilement, parce qu'on rit de tout; n'a-t-on pas plaisanté sur la guillotine?
Malgré tous les elforls des prédicateurs ligueurs, le cou- rant se déplaçait; l'influence des plus populaires diminuait visiblement. L'idole de la veille, commençait à être un peu l'oublié du lendemain; plus elle avait été encensée, plus le vide se faisait autour d'elle. Boucher devait bientôt en faire la cruelle, mais juste expérience; la foule s'éloigna de lui, son engouement tourna à l'indifférence, et presque au mépris. Un jour, il fut hué sur le Pont-Neuf, où il pas- saiit dans son coche; cet échec lui fut très-sensible; il quitta sa chaire de l'église Saint-Benoît, autour de laquelle il avait vu se presser si souvent une foule avide de l'en- tendre. Il y installa un docteur aveugle, nommé Normandis, tout dévoué aux Seize ; comme Boucher avait perdu un œil, les plaisants de son quartier dirent qu'on avait échangé
1. L'Estoile, année 1593. — Ch. Labitte, chap. III, g 5, p. 172 et suivantes.
2. Arrache-nous du bourbier.
8. Ch. Labitte, chap. UI, g 6, p. 174-175.
UVRE xxn.
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leur cheval borçne contre un aveugle. En France, dit Charles Labitte, les temps de révolution sont aussi des temps de plaisanterie. •
Les efforts des prédicateurs ligueurs, pour empêcher la conférence, furent vains; l'opinion publique s'était pro- noncée , et quand les députés partirent le 29 avril de Paris, pour le village de Surènes , où elle devait avoir lieu, ils entendirent retentir , longtemps derrière eux , le cri : « La paix, la paix»; le peuple leur signifiait bruyamment sa volonté.
^ IX.
Les conférences s'ouvrirent; la ligue y était représentée par douze commissaires : trois pour Mayenne et son con- seil, et trois pour chacun des trois ordres; les seigneurs royalistes ne l'étaient que par huit. Après quelques diffi- cultés qui furent levées, les pourparlers commencèrent; mais ou n'entra dans le vif de la question, que le 5 mai. Les deux principes catholiques et monarchiques furent longtemps discutés. Les commissaires royaux deman- daient par l'organe de l'archevêque de Bourges, qu'on recon- nût dans le Béarnais le successeur immédiat de Henri III, et qu'on le suppliât de rentrer dans le giron de l'Église. Les commissaires ligueurs, par l'organe de l'archevêque de Lyon, soutenaient qu'on ne pouvait reconnaître au préalable un roi hérétique; ils ajoutaient avec beaucoup de raison, que si le Béarnais abjurait, sa conversion manquerait du sérieux qu'on doit apporter à un pareil acte. D'Espinac, qui pratiquait mal la morale évangélique , la comprenait par- faitement; un homme immoral, comme il l'était, eût dû être plus coulant : mais depuis longtemps, comme Judas, il avait trahi le crucifié, et s'était vendu au roi catholique; il n'acceptait pas Henri IV, même avec son abjuration. Au reste, les conférences se tinrent avec une gravité et une décence qui contrastaient avec la turbulence des prédica- teurs. Le parti espagnol, qui les avait vues s'ouvTir avec un grand déplaisir, redoutait une abjuration; il ne se trompait pas: Henri rV' était connu. «Le Navarrois, écrivait l'envoyé de Savoie à son maître, de la religion calviniste, si aucune
1. Ch. Labitte, chap. UI, i 6, p. 175.
20 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
il en a, a grand désir de se maintenir par les calvinistes,
en opinion de grand observateur de religion; toutefois, il a échappé souvent , et croit toutes choses d'une autre fa- çon: pour l'intérêt, il ne changera pas de religion; et s'il le fait, il sera d'accord avec les siens, et feindra. Il est cou- rageux et soldat; mais sans discipline militaire : plutôt comme chef de soudards et bandits, que comme général d'une armée. Il est libéral, agréable, un peu moqueur et gausseur; fait profession de bon François : grand amateur de la noblesse; et encore qu'il montre d'oublier des injures: mais, en efl'et, il en a bien souvenance. Il est adonné sur- tout au plaisir de la chair; mais cela ne l'affectionne pas, et trouve moyen de le conjoindre avec les armes. »
L'homme dont l'envoyé du duc de Savoie avait si bien saisi la physionomie , devait nécessairement inquiéter le duc de Féria. Ce dernier, jugeant le moment favorable pour agir, demanda à faire une communication aux Etats de la part de son maître. Une commission fut nommée pour entendre l'ambassadeur, qui, admis dans son sein, commença par faire l'éloge de Philippe II , en insistant sur les sacrifices qu'il avait faits pour la Saiille-Union, sacri- fices qu'il était prêt à faire encore pour le plus grand bien de la religion , mais il demanda en échange que sa fille Isabelle-Clara-Eugénie fût déclarée reine de France. '
Cette proposition eût pu être acceptée, tant l'esprit de parti avait affaibli le sentiment national chez les ligueurs , si dans ce moment, un fou prenant la parole, n'eût trouvé un moment de lucidité qui sauva peut-èire la France de l'humiliation de tomber entre les mains de l'étranger. Ce fou fut le fameux Rose, évèque de Senlis, l'un des plus fougueux prédicateurs de la ligue. Féria avait à peine achevé de formuler son insolente proposition , que Rose, les yeux étincelants et les lèvres tremblantes de colère, s'écria: «Le ciel nous punit de nos fautes. La proposition de M. l'ambassadeur est le plus grand malheur qui puisse arriver à la ligue ; elle justifie la prédiction des politiques, et nous avertit, nous hommes de bonne foi, qu'en croyant servir la cause de l'Église , nous étions les aveugles instru- ments d'un monarque étranger.'
1. De Thon, liv. CVI. — Davila, Hv. XIII.
2. Recueil des États de 1593, p. 19&. — L'Esloile, année 1593.
LITRE XXH.
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Ces paroles prononcées avec toute l'artîeur d'un ligueur et le patriotisme d'un Français, déconcertèrent Féria, qui s'en étonna d'autant plus qu'il comptait Rose parmi les partisans les plus dévoués de son maître. Mayenne, qui vit son embarras, et auquel la sortie de l'évèque de Senlis n'avait pas déplu , s'approcha de l'ambassadeur: «Excu- sez, lui dit-il assez haut pour être entendu de tous, excu- sez ce bon docteur, chacun convient qu'il déraisonne la moitié de l'année.» Mayenne disait vrai : Rose était luna- tique et avait des accès périodiques de folie; mais cette fois, il était dans toute la plénitude de son bon sens. Nous ne partageons pas l'opinion deLabitte qui prétend qu'il ne faut pas savoir gré à Rose de son opposition. Les belles actions, chez les ligueurs, sont trop rares pour que nous ayons le droit de nous montrer trop sévères , et quand l'Éstoile, racontant le fait, dit laconiquement: «C'était parler fort à propos pour un fol >^ , il nous paraît trop caustique. Si le sage se tait le jour où il faut parler, jete- rons-nous la pierre au pauvre fou qui parle à sa place; nous croyons donc que l'apostrophe de l'évèque de Senlis lui fut dictée au moment même , par un noble mouvement d'indignation.*
X.
Féria ne se tint pas pour battu ; il obtint que sa propo- sition fût soumise aux Etats. Inigo Mendoça, son docteur, parla doctement, longuement et lourdement dans l'assem- blée contre la loi salique ; le légat lui vint en aide, parlant tantôt en latin, tantôt en italien; Féria parla en espagnol. L'assemblée était dans une indécision qui eût été funeste aux intérêts de la France, s'il ne se fût pas trouvé un homme pour défendre, avec autant d'éloquence que de conviction, les droits du royaume. Le procureur-général, Edouard Molé , l'ancêtre de cette noble famille des Molé , qui a donné à la France tant de grands citoyens , indigné des prétentions du parti espagnol, convoqua, de concert avec le premier président Lemaître, zélé ligueur, les chambres du parlement. Après un discours aussi remar-
1. Ch. Labitte, chap. III, g 6, p. 176-177. — Lacretelle, Guerres de religion, t. DI. — LEstcUe, année 1593.
2S HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
quable par l'élévation des pensées que par le courage qu'il y déploya, il fit rendre le 28 juin 1593, un arrêt qui ra- cheta chez les parlementaires bien des ftuites et bien des faiblesses. «Sur la remontrance faite, dit l'arrêt, par Édouard Molé , procureur-général , et la matière mise en délibération, la cour n'ayant, comme elle n'a jamais eu d'autre intention que de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine, en l'État et couronne de France, sous la protection du roi très-chrétien, catholique et Français , a ordonné et ordonne que remontrances seront faites par M. le président Lemaître, assisté d'un bon nombre de ladite cour, à M. le lieutenant-général de l'État et couronne de France , en présence des princes et oflQeiers de la couronne, étant de présent en celte ville, à ce qu'au- cun traité ne se fasse pour transférer la couronne en la main de princes ou princesses étrangers ; que les lois fon- damentales du royaume seront gardées, et qu'il ait à em- ployer l'autorité qui lui est commise pour empêcher que, sous prétexte de la religion, la couronne ne soit transférer en main étrangère , au préjudice des lois du royaume et pour venir le plus promptement que faire se pourra, au repos du peuple, pour l'extrémité duquel il est rendu; la dite cour a néanmoins, dès à-présent, déclaré et déclare tous actes faits et qui se feront ci-après pour l'établisse- ment d'un prince ou princesse étranger, nul et de nul effet et valeur, comme fait au préjudice de la loi salique et au- tres lois fondamentales du royaume. » •
Cette déclaration du parlement étonna et irrita le duc de Féria: dansson arrogante bonne foi, il croyait que son maître ne pensait qu'aux intérêts et à la grandeur de la France , et lui qui n'avait vu jusqu'alors autour de lui que complaisance et servilisme, ne savait pas que chez le Français l'honneur survit même à la perte de la probité politique, que s'il peut dans un moment d'égarement ou d'extrême misère, devenir le pensionnaire de l'étranger, il ne consent jamais volontairement à se laisser gouverner par cet étranger.
^ Les États, n'osant ni blâmer ni approuver la coura-
1. Davila, liv. xm. — Mémoires de la Ugue, t. V. — L'Estoile, année 1593. — De Thou, liv. CVI.
LIVRE XXII.
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geuse déclaration du parlement, attendaient les événe- ments pour se décider. Malheureusement pour sa cause , Philippe II n'avait ni assez de doublons, ni assez de lances espagnoles pour appuyer ses prétentions. La fortune se re- tirait de lui; l'homme, dont le nom seul lui valait une armée: le duc de Parme était mort, et son successeur, le comte de Mansfeld faisait ressortir par sa nullité la gran- deur de sa perte. L'état d'indécision, dans lequel se trou- vaient les députés, s'expUque donc de lui-même.
XL
Le Béarnais, tenu au courant des événements et des in- trigues, était plein d'anxiété; il était convaincu par ce qui se passait à Surènes, que les catholiques ne reconnaîtraient jamais pour roi un prince huguenot. Le jour où il eut cette conviclion, il fut décidé. Arrivé à cette époque solennelle de sa vie , nous sentons le besoin de refouler dans notre cœur de bien légitimes regrets. C'est l'historien, et non le huguenot, qui doit écrire celle grande page d'histoire.
L'horreur de la ligue pour un roi huguenot, n'a rien qui doive nous étonner; les historiens qui se préoccupent, avant tout, de politique, sont de fort mauvais juges, quand parlant des excès de la Sainte-Union, ils la con- damnent sans appel. Dans leur impartialité à l'égard des deux cultes, impartialité qui, au fond, n'est que le résultat de leur scepticisme systématique, ils ne veulent pas com- prendre qu'un roi huguenot n'était pas plus possible à Paris, qu'un roi papiste à Édimbourg. Ce que l'indifférentisme religieux accepte, le zèle religieux ne peut s'en contenter; les lois morales ont leur inflexibilité comme les lois phy- siques. Les ligueurs ne pouvaient accepter un prince pro- testant, et même les plus zélés d'entre eux ne pouvaient vouloir de ce prince au prix d'une abjuration , dans la crainte qu'elle ne fût pas sincère. Le roi de Navarre avait déjà une fois abandonné le catholicisme : le roi de France pouvait l'abandonner encore; condamnons les violences des ligueurs, mais ne les accusons pas de manquer de logique. Quand ils disaient : pas de Béarnais ! vive Phi- lippe II ! Ils étaient dans le vrai de leur rôle.
On comprend donc les ligueurs; mais on comprend moins
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IIISTOinE DE LA nÉFORMATION FRANÇAISE.
les seigneurs royalistes qui, tout en élanl la personniflealion ' de l'indifférentisme religieux , n'acceptaient le Béarnais pour roi, que sous la condition de son retour à l'église ca- tholique; cependant, quand on étudie de près leurs rai- sons, on les voit dans leur intérêt, leur seul Dieu. Il y a, à cet égard, dans Davila, une page d'histoire remarquable: «D'O, nous dit-il, en parlant de l'entourage du Béarnais, protestait qu'il ne voulait pas être plus longtemps trésorier sans trésor; Bellegarde, Saint-Luc, Termes, Sancy, Gril- lon , et tous les anciens serviteurs du roi Henri III, déplo- raient leur mauvaise fortune qui, après un roi d'or, leur envoyait un roi de fer. L'un, en effet, les comblait de ri- chesses; l'autre, étroit de fortune, et non moins étroit d'âme et de naturel, ne leur offrait, pour récompense, que des guerres, des sièges et des batailles. Ils déclaraient ne vouloir pas soutenir plus longtemps la fatigue intolérable des armes, ou rester enfermés dans leurs cuirasses comme des tortues , avec du fer sur la poitrine et du fer sur les épaules. Un roi élevé à la huguenote, courant jour et nuit pour vivre de rapine avec ce qu'il pouvait trouver dans les chaumières des malheureux paysans , se chauffant à l'in- cendie de leurs maisons, et couchant à l'écurie avec leurs chevaux , ou dans la puanteur d'une bergerie , n'était pa.*. leur fait. A la bonne heure, de faire la guerre un pei» Je temps pour obtenir le repos; mais à présent, ils servaient un prince qui ne se souciait pas de mettre jamais un terme au travail des armes , et qui ne cherchait d'autres délices qu'arquebusades, blessures, meurtres et batailles. Souvent le roi pouvait entendre ces propos de son antichambre, quel- quefois entremêlés de jurements et de malédictions , plus souvent assaisonnés, à la manière française, d'épigram- mes et de quolibets. » ' Ces paroles révèlent les causes qur amenèrent peu îi peu
il fallait qu'il abattît la ligue en montant de nouveau à che- val, ou bien qu'il la paralysât en lui ôtant le prétexte qu'elle mettait sans cesse en avant pour ne pas le reconnaître roi.
Henri IV à abi
Il ne pouvait plus se faire illusion.
1. Davila, liv. XUI, p. 870. — D'Aublgné, liv. 111, chap. XXH, "). 289.
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Placé en face de ces deux avenues, Henri IV prit la se- conde, elle lui parut plus courte et plus facile. A l'extré- mité, son œil apercevait une couronne, tandis que dans la première , il n'entrevoyait que la répétition d'une vie pas- sée dans des combats journaliers et dans une gloire stérile. Tout donc le poussait vers l'abjuration; tout, excepté ce qui devant Dieu et devant les hommes, la rend honorable; car jamais son esprit ne fut plus éloigné de la foi romaine, qu'il ne l'était au moment de l'embrasser. Mauvais protes- tant, il eût été plus mauvais catholique encore; il n'aimait pas la morale austère des huguenots, et se riait des prati- ques catholiques: son esprit critique, fin et délié, semait habilement le sarcasme; et la moquerie, sur ses lèvres, se formulait souvent en bons mots qui sont restés ; son bon sens qui lui faisait rarement défaut, quand les passions se taisaient chez lui , lui faisait discerner admirablement les côtés vrais des choses; l'histoire suivante en est une preuve.
XII.
Pendant les conférences de Surênes, l'évêque de Lyon dit à M. de Bourges, qu'il avait une plainte à lui faire, ainsi qu'à tous les ecclésiastiques de son parti, contre un nommé Chauveau qui, au grand scandale de tous les zélés catholi- ques, prêchait l'hérésie. Or, ce Chauveau, ancien curé de Saint-Gervais, à Paris , homme de mœurs irréprochables, bon, charitable , généreux, se disait bon catholique, et ne voulait être ni ligueur ni huguenot. Sa parole piquante et originale attirait autour de sa chaire de nombreux audi- teurs , qui aimaient l'entendre prêcher contre les abus de leur église; or, voici (nous citons L'Estoile) une bonne partie des abus contre lesquels le curé s'élevait, tant er\ public qu'en particulier :
« La vénération des images contre l'exprès commande- ment et défense de Dieu, disant souvent au peuple qu'il regardât , et qu'on lui avait été et retranché le second commandement : Taillées ne te feras images, etc., etc.
« Les ornements qu'on donnait aux saints et saintes des églises qui n'étaient que bois et pierres mortes: et cepen- dant , on laissait là les pierres vives , qui étaient les
1
26 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
pauvres, vrais membres du fils de Dieu, mourir de faim et de froid.
«Contre les bâtonneries et confréries : qui était une pure idolàtrerie, ressentant les bacchanales du paganisme an- cien.
«Contre le Salveregina, lequel, quand il entendait chan- ter, se levait ordinairement, au lieu de se mettre à genoux; disant que cet honneur appartenait à un seul, Jésus-Christ, et non à la Vierge; pour ce qu'il était le roi des rois et le Dieu des miséricordes, et que quand on ouirait chanter Ave rex ou Salve rex, ahrs il se prosternerait à genoux, mais non pas pour Salve regina; sachant que la Vierge ne demandait point cet honneur qui appartenait à Dieu seul, et que par là on la déshonorait, au lieu de l'honorer.
«Contre les chandelles, barbotages, chapelets, pèleri- nages, darpons, heures des femmes en latin; défense très- méchante et pernicieuse, que quelques faux prélats et docteurs de l'antéchrist faisaient au peuple , de lire la Sainte-Écriture , comme s'il n'eût été capable d'entendre son salut.
«Surtout déclamait contre la souveraineté temporelle du pape et sa primauté , et l'usurpation du droit qu il pré- tendait avoir sur les rois et princes de la chrétienté; ne l'honorant d'autre titre, que de l'antéchrist, ayant pris son siège au temple de Dieu. »
Les attaques de Chauveau contre les abus régnants de son église, lui attirèrent beaucoup d'ennemis qui voulu- rent l'empêcher de prêcher. Henri IV, auquel on l'avait dé- noncé, le fit venir dans sa chambre, et lui dit à l'oreille: «Il y en a qui veulent vous empêcher de prêcher; mais, moi, je veux vous faire évêque : continuez»."
' XIII.
Le même homme qui encourageait Chauveau à prêcher contre ce que les huguenots appelaient déjà dédaigneuse- ment «le fond de la boutique du pape,» se préparait à le signer comme étant l'enseignement même du Seigneur. Il y était d'ailleurs poussé fatalement par les circonstances : son âme à laquelle il pensait peu, ses intérêts auxquels il
1. L'Estoile, année 1593.
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pensait beaucoup, son entourage, tout l'entraînait vers les avenues du catholicisme. Sully, ordinairement long et dif- fus, se fait assez bien raconter, par ses secrétaires, les dispositions du Béarnais: «Le dessein du roi, lui disent- ils, de changer de religion, prenant toujours de nouvelles forces, fut cause qu'il s'en retourna dans Mantes, qui était alors son Paris , où toute sorte de gens de qualité et d'affaires s'étant rassemblés ; il s'y trouva quantité de sol- liciteurs pour lui faire changer de religion , dont les principaux, sans entrer dans le secret de sa conscience, duquel lui seul pouvait être le vrai juge, furent l'extrême pitié qu'il avait de voir ainsi tous les peuples de France, qu'il nommait ses enfants, exposés, s'il n'y appliquait ce remède, à de perpétuelles ruines, misères et calamités; sa liberté et sa vie être continuellement aguestes, et mis à discrétion de ceux auxquels (s'il ne voulait faire un chan- gement général des principaux officiers), il était contraint de commettre l'un et l'autre : les puissantes et subtiles raisons théologiques du temps , dont il était rabattu par M. Du Perron; son agréable entretien et douce conver- sation; les connivences pleines d'artifices de quelques ministres et huguenots du cabinet , qui voulaient pro- fiter du temps , à quelque prix et par quelque voie que ce pût être ; l'infidèle ambition de plusieurs des plus puissants, et autorisés parmi ceux de la religion, à la merci desquels il appréhendait de retomber , si les catholiques se résolvaient à se séparer et l'abandon- ner; le dépit où il était entré contre aucuns, faisant les zélés catholiques, pour lui avoir parlé insolemment, et fait des harangues imprudentes et impertinentes pour le Dresser, mêmes avec menace de changer de religion, dont fun des plus hardis avait été le sieur d'O, usant de termes sales de goinfre et de cabaret à sa mode accoutumée : le désir que ce prince avait de se pouvoir passer de telles gens, et leur faire sentir un jour leur témérité; la crainte où il était entré: qu'enfin, les États qui se trouvaient lors assemblés à Paris, quelques malotrus qu'ils pussent être, n'élussent M. le cardinal de Bourbon pour roi , et ne lui procurassent l'infante d'Espagne* pour femme; la lassi-
1. Clara Eugénie, seconde fille de Philippe 0.
28 HISTOIKE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
tude et l'ennui d'avoir toujours eu le halecret sur le dos, depuis l'âge de douze ans, pour disputer sa vie et sa for- tune; la vie dure, âpre et languide qu'il avait écoulée pen- dant ce temps; l'espérance et le désir d'une plus douce et agréable pour l'avenir, et finalement quelques-uns de ses confidents et plus tendres serviteurs, entre lesquels se peut mettre sa maîtresse', y firent apporter l'absolue conclu- sion; les uns par supplications et larmes, les autres par remontrances, et les autres par prudence humaine , lais- sant le cas de conscience à part, pour opérer en lui seul. *
L'abjuration était accomplie dans l'esprit du roi, il fallait seulement traduire la volonté en fait , et surtout procéder avec décence et donner à une conversion intéressée l'ap- parence de la sincérité.
Parmi ses conseillers , Rosny occupait dans sa confiance la première place: il avait un bon sens ferme, beaucoup de netteté dans les idées, une rare application aux affaires et une grande persévérance dans l'exécution de ses projets. Sa religion ne dépassait pas en profondeur celle de son maître: protestant, il n'eût pas voulu se faire catholique; catholique , il ne se fût pas fait protestant. Politique avant tout, la terre le préoccupait plus que le ciel, et quand il faisait un vœu pour le Béarnais, il pensait plutôt à lui mettre sur la tête la couronne du dernier des Valois que celle d'un martyr. Tel était Rosny, ce type achevé du pro- testant indifférent et calculateur. Henri IV avait à son égard une liberté de langage qu'il n'avait pas avec ses autres conseillers huguenots. Rosny ne se constituait pas comme Mornay, son censeur; il le laissait s'abandonner à ses plaisirs , pourvu que les affaires de son royaume n'en souffrissent pas trop. Il pouvait donc comprendre son maître et trouver bon ce que l'austère Mornay aurait tenu pour un acte digne de la perdition éternelle. Dans ses Économies royales , il y a deux chapitres qui jettent un jour bien triste, mais bien intéressant, sur la manière dont le Béarnais fut peu à peu amené à se séparer de ses vieux compagnons d'armes.
1. Gabrielle d'Estrées.
2. Sully, Économies ïoyalea.
LIVRE XXII.
29,
XVI.
C'était au commencement de l'année 1593. Henri IV fit appeler Rosny un soir fort tard. Son jeune conseiller se mil à genoux contre le lit du roi sur un carreau , et dans cette position, il écouta attentivement son maître qui lui fit part de ses embarras et de son désir de mettre tin au.t maux de son royaume ; « de tous côtés, lui dit-il , je reçois des lettres dans lesquelles on me propose de grandes faci- lités et même le rétablissement infaillible des affaires de mon royaume, surtout si je me résous à quelque accommo- dement pour ce qui regarde la religion » ; le grand mot était lâché, Rosny en comprit toute la portée; le roi ne lui demanda pas une réponse immédiate: «Réfléchissez, lui dit-il, à ce que je vous dis et dans quelques jours, je vous enverrai quérir pour me dire ce qu'il vous en aura semblé » ; sur ce , il le licencia par un bonsoir.
Bientôt après , impatient d'avoir la réponse de son con- seiller, il le manda auprès de lui: il était comme la pre- mière fois couché, et comme la première fois, Rosny se mit à genoux contre le lit sur un coussin. Le serviteur qui avait profondément réfléchi aux paroles de son maître , commença par lui faire un triste tableau de son royaume ; il traça habilement le portrait des principaux ligueurs et des personnes attachées à son service et les lui représenta comme des intrigants dont il fallait se défaire , « toute- fois, ajoula-t-il, de leurs divisions et de leurs fractionne- ments à l'infini, il résultera une grande fatigue pour les Français qui se rallieront à vous et ne reconnaîtront que votre seule royauté. »
Jusque-là Rosny n'avait pas abordé le point délicat sur lequel Henri IV désirait avant tout avoir son avis ; il ne lui disait rien qu'il ne sût parfaitement. Le moment de l'aborder arriva , il le toucha délicatement. « Je crois , lui dit-il , qu'une conversion faite dans des formes honorables et agréables, serait de grande utilité et pourrait servir de ciment et liaison indissoluble entre vous et vos sujets ca- tholiques, et même faciliterait tous vos autres grands et magnifiques desseins dont vous m'avez quelquefois parlé.» Mais, comme s'il eût trop dit et pris trop de responsabilité,
30 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
il ajouta avec une grande apparence de bonhomie : « Sur quoi, je vous en dirais davantage si j'étais de profession qui me permît de le faire en bonne conscience , me con- tentant de laisser opérer la vôtre en vous-même sur un sujet si chatouilleux et si délicat.»
A ces paroles, le jeune conseiller en ajouta d'autres ; les interlocuteurs se séparèrent ; quelques jours après, ils étaient de nouveau réunis. Le roi s'appesantit sur les ob- stacles qu'il rencontrait et qui l'empêchaient de faire pour spn royaume tout ce qu'il désirait. Il se plaignit d'être calomnié par les ligueurs ^et entouré d'intrigants qui ne
{•ensaient qu'à l'exploiter* en lui faisant payer chèrement eurs services. Sans le dire expressément , il ne voyait que dans un prompt changement de religion, le moyen de
fiarer les coups qui lui étaient portés; de son côté , Rosny e suivait sur ce terrain. «Vous conseiller d'aller à la messe, lui dit-il, c'est chose que vous ne devez pas at- tendre de moi, étant de la religion.»
Le Béarnais , en entendant ces mots , dut croire que Rosny n'approuvait pas un changement de religion, mais il se rassura bientôt; le conseiller continuant sa phrase, ajouta : «Je vous dirai cependant que c'est le plus promet et plus facile moyen pour renverser tous ces monopoles et laire aller en fumée tous les plus malins projets. »
Le roi et son conseiller étaient d'accord; mais le roi, soit reste de pudeur, soit feinte, dit à Rosny: « Si vous étiez à ma place, que feriez-vous?»
Le serviteur ne répondit ni par oui, ni par non; comme son maître, il voulait une abjuration, mais il la voulait fondée sur des motifs qui la légitimassent. Après des pa- roles louangeuses sur celui qui le consultait, il dit: «Je ne connais pour trouver une nonne issue à vos embarras que deux seuls moyens: par le premier, il vous faudrO user de fortes résolutions, sévérités, rigueurs et vio» lences , qui sont toutes procédures entièrement contraires à votre humeur et inclination , et vous faudra passer par un million de difficultés, fatigues, peines , ennuis , périls et travaux , avoir continuellement le corps sur la selle , le halecret sur le dos ' , le casque en la tète , le pistolet au
t. Corselet de fer qui couvrait la poitrine et les épaules.
UYRE ÎXII.
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poing et l'épée en la main ; mais qui plus est , dire adieu aux repos, plaisirs, passe-temps, amours, maîtresses, jeux, chiens, oiseaux et bâtiments; car vous ne sortirez de telles affaires aue par multiplicité de prises de villes, quantités de comoats, signalées victoires et grande effu- sion de sang. Au lieu que par l'autre voie qui est de vous accommoder, touchnnf la religion, à la volonté du grand nombre de vos sujets, vous ne rencontrerez pas tant d'en- nuis, peines et di/ficultés en ce monde; mais pour l'autre, je ne vous en réponds pas.»
A ces mots, le Béarnais se mit à rire, se leva sur son séant , et s'étant plusieurs fois gratté la fête, dit à Rosny, que s'il prenait la résolution d'abjurer dans l'intérêt de ses sujets , il conserverait toujours une grande affection pour ceux qui pendant si longtemps s'étaient attachés à sa fortune.
Ces derniers mots touchèrent profondément Rosny; des larmes de joie lui en vinrent aux yeux , il baisa la main de son roi : «Je craignais, lui répondit-il, que si vous veniez à changer de religion, on ne vous portât à persécu- ter les protestants, vous soutenant qu'ils sont damnés», et alors Rosny, qui ne se disait pas théologien, se mit à faire le théologien et blâma aigrement quelques ministres protestants qu'il traita d'impertinents, parce qu'ils soute- naient qu'on ne pouvait se sauver dans la religion catho- lique. «Je tiens, dit-il, pour infaillible que les hommes, à quelque religion qu'ils appartiennent, s'ils meurent dans l'observation du Décalogue , aiment Dieu et leur prochain de tout leur cœur, s'ils sont pleins d'espérance dans la miséricorde de Jésus-Christ et croient obtenir le salut par la mort, le mérite et la justice de Jésus-Christ, seront in- failliblement sauvés.»
Rosny disait vrai; la religion dont il, trace le caractère est celle du Christ et non calle de l'Église romaine; le Béarnais le savait bien, mais en matière de foi , il n'était pas difficile , ce qu'il voulait surtout, c'était d'avoir parmi les protestants des hommes assez tolérants pour l'aider à faire le pas avec le plus de décence possible. Il remercia affectueusement Rosny, qui en habile courtisan, lui en facilitait les moyens.'
1. Sully, Économiee royales.
32 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XV.
Cette entrevue explique tout ce que nous avons dit des dispositions du Béarnais , qui trouva chez les autres pro- testants plus de raideur que chez Rosny. Chez eux, la foi religieuse primait la foi politique ; ils ne purent donc voir, sans un grand déchirement de cœur, le roi incliner visi- blement vers le catholicisme. Il allait les abandonner , et solder tant de fatigues, de privations, de sang versé, par une abjuration qui replacerait la France sous le joug de l'antéchrist : ils espéraient cependant encore. Incapables eux-mêmes d'échanger leur foi, ce trésor céleste contre des trésors périssables , ils jugeaient de leur maître par eux-mêmes. Des prières ardentes montaient vers Dieu pour lui demander de détourner de dessus la tête de son peuple fidèle cet épouvantable malheur. Dans une lettre (juin 1593) adressée aux ministres des principales églises, Mornay leur disait : « Il nous faut reconnaître que nos pé- chés nous ont mené là , et adorer la justice de Dieu qui les châtie bien souvent les uns par les autres, les moindres par les plus grands , aussi est-ce notre devoir comme mé- decins, de l'assister (le roi) de ce que Dieu a mis en nous laut que le cœur lui bat. » Théodore de Bèze , non moins aJiligé que Mornay, se hâta d'écrire au roi une lettre dans laquelle l'élève et le successeur de Calvin parle un langage que n'aurait pas désavoué son maître. Ce qui préoccupe le théologien calviniste, ce ne sont point les intérêts poli- tiques de son parti , ce sont ceux de Dieu qui sont en jeu, c'est l'immoralité de l'acte qui va se commettre, et quand il s'adresse à la conscience du roi, sa parole est celle d'un prophète d'Israël. — «Sachez, Sire, lui dit -il, qu'en toutes vos alïaires , il ne vous faut jamais regarder ni à voire État, ni à votre propre personne, autrement tout ce que vous bâtirez sera sans vrai fondement, et si votre con- seil vous mène par un autre chemin, croyez que vous êtes très-mal conduit, considérant donc spécialement ce point, et spécialement, combien de personnes ont l'œil jeté sur vous comme bien étant envoyé de Dieu ; entrez en vous- même à toute heure, et vous représentant la face de celui qui vous a tant honoré jusqu'ici , et qiii vous a destiné à
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faire reluire sa grâce devant par tout !e monde, humiliez- vous profondément jusque au fond de votre cœur, pour lui demander un esprit vraiment froissé et contrit.'
Du fond de leurs vallées , les Vaudois du Piémont sup- pliaient le roi de les reconnaître pour son peuple; dans une lettre, monument de leur amour et de leur courage, ils lui disaient: « C'est Dieu, Sire, qui vous a rendu sei- gneur et maître de la Gaule cisalpine; la transalpine sera aussi vôtre quand il dira mot, ou seulement qu'il le veuille. Le marquisat de Saluées s'en reviendra à vous , et Milan encore. Les vallées de Lucerne, Pérouse et Saint -Martin sont déjà vôtres , et serviront à votre Dauphiné de bastions et murailles que le souverain ouvrier a bâties de ses mains. — Murailles, dis-je, murées jusqu'au ciel! C'est beaucoup, mais n'y a-t-il pas autre chose? Voire, Sire, car avec ces murailles de Dieu, cornues et très-hautes, vous aurez conjointement des murailles et forteresses toutes vives. Ce sont vos peuples. Sire, qui logent les en- trailles de ces vallées, garnisons de nature imprenables, peuples, dis-je, surnommés Vaudois et renommés par l'antiquité, consacrés maintenant et à jamais au service de Votre Majesté. Ils ont déjà fait oblation de leurs biens à Votre Majesté. Ils ont sacrifié au sacrifice d'icelle leurs propres corps et vies; ils ont vécu, eux et leurs enfants, pour vivre et mourir sous votre couronne: en un mot, Sire, ils sont vôtres.»'
Cette lettre, datée du fond des gorges des vallées du Piémont, lui parvint quand tout était accompli. Elle ne l'eût pas sans doute plus touché que celle de ses anciens compagnons d'armes, qui, dans une requête devenue cé- lèbre, le conjuraient de demeurer fidèle à la foi dans
1. Bulletia du protestantisme français, 1. 1", p. 85. — La lettre de Théodore de Bèze est une réponse à quelques écrivains qui ont prétendu que le théologien calviniste avait par des raisons d'État approuvé l'abjuration. — Voir pour les autres lettres écrites à cette occasion par les réformés à Henri IV : Capefigue, Histoire de la réformation et de la ligue , t. V.
2. Lettre au roi des habitants des vallées de Lucerne , Pérouse et Saint-Martin, étant de la religion prétendue réformée, qui se reconnaissaient pour sujets du roL — Biblioth. impériale, mss. Dupuy. — Capefigue, t. VI, p. 310.
34 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
laquelle il avait été élevé. «Nos ennemis, lui disaient-ils, veulent faire servir votre autorité pour instrument de notre ruine; hé! que notre misère et notre mort fussent la borne de leurs mauvais desseins, nous nous exposerions encore au feu de leurs persécutions tyrànniques et à la rage des Saint-Barthélemy sanglantes. Mais quoi ! ils nous frappent pour blesser Jésus-Christ ; ils tentent de dissiper ses églises, de bannir son royaume de votre royaume, de fermer la bouche à tous ceux qui l'invoquent en esprit et en vérité ; les laisserons-nous faire? demeurerons-nous les bras croisés? ne nous opposerons-nous point à eux? Si ferons Sire; car nous fâcherions Dieu en méprisant les moyens qu'il nous a donnés pour conserver la pureté de son Église. Nous vous adjurons, au nom de Dieu, de tra- vailler de votre côté à empêcher l'effet de leurs injustes délibérations, de vous raidir contre leurs mauvais con- seils, de dissiper leurs méchantes pensées, de ruiner leurs nrachinations et entreprises, et nous travaillerons pour vous y aider. Votre douceur, votre modestie les rend audacieux ; notre longue et extrême patience les provoque à entreprendre contre nous. S'ils ne vous obéissent, s'ils ne s'accommodent à la paix que vous désirez , s'ils conti- nuent à affecter l'inégalité, mère de toute confusion, nous tâcherons de faire en sorte que l'appréhension du péril leur apprenne la modestie et l'équité que votre débonnai- reté et notre patience ne leur ont encore pu apprendre. Nous leur ferons pratiquer la loi commune, nous leur de- manderons œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. S'ils bannissent Jésus-Christ de vos villes oïl ils sont les plus forts, nous bannirons leurs idoles de celles où nous sommes en force; s'ils nous proscrivent, nous les proscrirons ; nous leur rendrons en tout la pa- reille ; nous leur ferons ce qu'ils nous feront ; tels moyens sont justes à ceux auxquels ils sont nécessaires, et légi- times à ceux qui n'ont point d'autres ressources et d'autres défenses humaines. En cela, ils ne se pourront plaindre que d'eux, car ils commencent le désordre. Nous oppose- rons au prétexte de votre autorité, qu'ils allégueront contre nous, votre nonne volonté envers nous. S'ils se vantent de vous avoir pour s'être emparés de votre corps , nous nous vanterons d'avoir votre esprit, qui, étant libre, se range
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toujours de notre côté, il est toujours avec nous. Les ro- manisques feront la guerre h l'Évangile, c'est-à-dire la cognée s'élèvera contre celui qui la tient; les hommes s'armeront contré le Dieu des armées, contre le Tout- Puissant : le tout contre le rien, les soldats de l'antéchrist contre ceux de Jésus-Christ. Le combat est sans hasard, la victoire nous est assurée. Nous disons avec le prophète : Si l'Éternel n'eût point été pour nous, lorsque les hommes se sont élevés contre nous, ils nous eussent engloutis tout vivants. Sire, vous pouvez représenter à ceux qui se pro- mettent si bon marché de nous , combien l'expérience de vos prédécesseurs les doit éloigner de leur espérance. La plupart de l'Europe avait conjuré la ruine d'une poignée de fidèles sans dignités, sans retraite, sans argent, sans amis et sans forces, sans aucun moyen pour se défendre. Le pape aiguisait les couteaux des princes, et le roi d'Es- agne leur forgeait des cuirasses de ses doublons; les uisses fournissaient leurs régiments; les ducs de Lor- raine et de Bar, leurs trahisons et leurs oppressions. Qu'en est-il advenu? Dieu a soufflé sur eux comme pous- sière ! Que devons-nous conclure de ces miraculeuses assistances de Dieu? Non, non, il n'en faut pas faire la petite bouche: si nos ennemis recommencent, s'ils veulent encore faire la guerre à Jésus-Christ , il chassera cette fois les ténèbres papales de tout le royaume. Voilà comment nous sommes intimidés des menaces de nos ad- versaires , voilà les issues que nous espérons de la guerre qu'ils nous feront. Partant, nous vous supplions très- humblement de répugner à leur audace, de leur remon- trer leurs vanités et leurs folies, de leur commander de laisser régner Jésus-Christ doucement et paisiblement en votre royaume, de peur qu'il ne se courrouce, que sa colère né s'embrase. Qu'ils n'espèrent plus de patience de nous; si vous ne nous faites justice d'eux, nous aurons recours. à Dieu qui nous la fera immédiatement.» •
1. Requête au roi par ceux de la religion, 1593. — Mss. de Cclbert, vol. XXXI; rel. en parchemin. — Voyez aussi dans le Bulletin de l'histoire du protestantisme, année 1852, la lettre re- marquable d'un sujet du lol
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HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
XIV.
Deux hommes éminents, Lanoue et Otliman, eussent certainement mêlé leurs plaintes à celles de leurs frères, si la mort, en les couchant dans la tombe, ne leur eût épargné cette grande douleur. Quand le Béarnais se dis- posait à abjurer, ils avaient achevé leur carrière orageuse au milieu des agitations de leur siècle, sans avoir la dou- ceur de voir le triomphe de la cause à laquelle ils avaient tout sacrifié. L'histoire de leurs dernières années est pleine de ce puissant intérêt qui s'attache au souvenir des hommes qui, ne courbant la tête que devant Dieu seul, marchent tristes, mais non découragés, dans les âpres sentiers du devoir. ,
Après sa brillante victoire de Senlis sur les ligueurs, Lanoue se distingua dans presque tous les combats que le roi donna pour conquérir son royaume. Malheureusement, ses conseils qui respiraient la sagesse , ne furent pas tou- jours écoutés; lieutenant soumis, il ne dévia jamais de la ligne droite et mérita par sa loyauté le titre du « Bayard huguenot. » Il se fit ainsi sans le rechercher un piédestal oii la postérité l'a maintenu. Dans la guerre de Flandres contre Philippe II, il se couvrit de gloire ; mais le sort trahit son courage , et il devint le prisonnier de Farnèse , «préférant être pris par l'ennemi que lui tourner le dos. y> Le duc de Parme voulut le faire décapiter sous le faux prétexte qu'il avait violé la promesse qu'il avait faite en 1572, au duc d'Albe, de ne point porter les armes contre l'Espagne*. Avant de le faire, il en référa à Philippe II, qui n'y consentit pas, et le château de Lim- bourg devint la prison du brave capitaine huguenot. Far- nèse se déshonora , en traitant avec une cruauté inouïe son prisonnier, qui souffrit du froid et de la faim dans la tour où il était renfermé : brave sur un champ de bataille , Lanoue fut héroïque dans les fers. Il ne se plaignit pas et demanda à son Sauveur de le soutenir dans ses rudes épreuves; le Dieu, qu'il avait servi avec tant de fidélKé, lui fil sentir la vérité de ces douces paroles du Crucifié : « Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés , et je vous
1 . "jclle promesse n'avait été, selon Beutivoglio, que pour un au.
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soulagerai.» Abandonné des hommes , il connut d'une manière plus intime l'union avec Dieu, union qui, em- bellissant tout, fait d'un cachot un sanctuaire, et d'un bûcher une marche pour s'élancer vers les cieux. Il nous apprend lui-même le secret de sa force dans une lettre qu'il écrivit à l'un de ses fils. «Je veux vous parler, lui dit-il, de ma disposition : elle s'améliore , mais ce ne sont pas mes médecins qui en sont cause , c'est une continuelle et ar- dente prière, que je fais à Dieu, qui a eu pitié de moi, selon son ancienne miséricorde, car j'ai au moins cette commodité que je puis toujours lire et écrire, ce qui sont mes conso- lations. Ma principale étude est les écritures auxquelles j'estime profiter de plus en plus; et c'est le précieux trésor que j'ai trouvé, qui me donne un contentement inexpri- mable. Toutes choses au prix ne sont que vanité. Ma pa- tience croît et ma consolation attend l'accomplissement des promesses de Dieu , qu'il fait à ceux qui sont en extrême aflliction. — Je suis ici, dit-il, en terminant, comme dans le taureau de Phalaris plus maltraité qu'un parricide. Dieu veuille que je pardonne à mes ennemis , comme David et Job ont pardonné aux leurs. J'ai été éprouvé jusqu'au der- nier degré, mais j'y ai appris beaucoup. Il y a encore du mal à passer pour le corps dont nous sommes membres, mais le refuge est certain , il ne faut pas penser qu'étant hors d'ici, je sois hors de toutes mes misères, car il faut
Ïarachever la course en souffrant, mais il y a des relâches, e puis dire avec David, encore que je ne sois qu'un ver- misseau,-Dieu m'a plongé jusqu'au fond des fosses noires et terribles, mais la fin sera heureuse ; Dieu prépare un bel œuvre. Nous ne devons pas nous enquérir de ce que sera, mais le supplier de parfaire ce qu'il a commencé, je ne perdrai rien en mon martyre, puisque j'ai trouvé le trésor caché. »
Ce fut pendant les heures de sa longue captivité (elle dura cinq ans) que Lanoue écrivit ses admirables Discours poUliques et miliiaircs qui l'ont placé parmi les meilleurs écrivains du seizième siècle. Juste, impartial, modéré, il rend justice à tout le monde, excepté à lui-même. Il y oublie de parler de ses propres exploits.'
1. Haag, France protestante, ai'ticle Lanoue, 12= partie, page 293. £V. 2
38 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
La haine de Philipjie IT pour le noble prisonnier, était celle d'un tigre altère de sap ' , qui ne laisse vivre sa proie N que dans la crainte de fortes reiirésaiiles; il consentit ce- pendant à un échange, sous la condition que son prison- nier se laisserait crever les yeux. Lanoue y eût consenti, tant sa position était lamentable'. Le jour de la délivrance se leva enfin pour lui au moment où il avait fait ses adieux à la vie et s'était habitué à voir son t«mb%iu dans sa pri- son : il fut échangé contre le comte d'Egmont.
Nous ne suivrons pas le brave gentiliiomme sur les nouveaux champs de bataille où il fit preuve de sa bravoure accoutumée. En 1591 nous le trouvons en Bretagne; de tristes pressentiments l'assiégeaient en entreprenant cette campagne, qui devait être sa dernière. «Je vais, disait-il à ses amis , mourir à mon gîte comme le bon lièvre. Du- rant le siège de Lamballe, il monta sur une échelle pour examiner l'état de la brèche; au moment où il l'observait avec attention , il fut atteint légèrement d'une balle à la tète; il chancela, perdit l'équilibre et tomba.
La blessure fut d'abord jugée peu dangereuse, mais lais- sons à un témoin oculaire le soin de nous raconter les derniers moments de Bras-de-fer. «Le IS'jeur après midi, raconte Monlmarlin, il eut une paralysie sur la langue et avait peine à parler, reposa quelque peu cette nuit; le lendemain de bon matin, ledit sieur de Montmartin l'alla trouver, qui reconnut bien qu i! n'y avait plus d'espérance en sa vie. Il commença à prier Dieu ardemment, et avec les yeux élevés au ciel, sanglots et soupirs, attirait ha miséri- corde de Dieu ; la parole et la connaissance lui continuèrent jusques un bon quart d'heure devant sa mort, bien qu'il y (Sût peine à l'entendre, et peu devant mourir, pleura, et avec le doigt proche du petit essuyait les larmes et du reste de la main les couvrait. Alors lui commencèrent les con- vulsions et les agonies de la mort le prirent, et le dit sieur de Montmartin lui dit en lui tenant la main : Sou- venez-vous, Monsieur, du passage de Job, qui dit: «Je sais que mon rédempteur vit et qu'il se tiendra le dernier sur la terre et que mes os et ma chair verront mon Dieu en sa
1. Correspondance de François de Lauoiie, récemmeut publiée par M. Kcrvyu de Volkaoï-sbckê ; Gand et Paris, 1S54, in-8«.
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face.» et en le pinçant sur la main, lui dit: «Monsieur, vos os et votre chair le verront , ne le croyez-vous pas t Alors il leva la main au ciel et la tint longtemps en l'air, allongeant le maître doigt, et nous regardant du même œil qu'il nous menait à la guerre, et aussitôt rendit l'esprit.»* Lanoue avait accompli sa soixantième année quand, de ee monde de misère, il passa à un monde meilleur. Devant celte noble figure de nos g«erres civiles, ses ennemis ont été obligés de rendre hommage à sa bravoure dans les combats, à sa fidélité en sa parole, à sa sagesse dans les con- seils, à sa constance dans les revers, à sa modestie dans les victoires, à sa foi vive et humble en Celui qu'il aimait comme son Sauveur et qu'il adorait comme son Dieu. '
XVII.
Quatre ans auparavant le grand jurisconsulte Othman terminait ses jours à Bàle, après avoir été mêlé à tous les grands événements de son siècle. Peu d'hommes ont fait plus que lui l'expérience de ces mélancoliques paroles de Job : «L'homme né de femme naît pour souffrir comme l'étin- celle pour voler en haut. » Il eut à lutter contre des enne- mis puissants, la misère et les deuils domestiques, mais rien ne put abattre cet homme de fer; «du jour, dit M. Sayous, oii son nom commença à être prononcé avec applaudisse- ments jusqu'à la fin de sa carrière , il ne cessa d'être ac- cablé d'autant de misère que de renommée. Il supporta l'acharnement de la mauvaise fortune sans que sa foi et sa confiance en Dieu en fussent un instant affaiblies. » *
Caractère ardent, nature impressionnable, il ne sut pas toujours éviter les écarts de la pensée, ces écueils où som- brent quelquefois les grands esprits; le célèbre auteur de la Gaule franque croyait à l'alchimie, et cherchait dans les creusets de son laboratoire la pierre philosophale , afin de n'être plus aux prises avec la misère ; le malheur rend crédule, et quelquefois, hélas, il fait perdre aux natures les plus indépendantes cette noblesse de caractère qui est
1. Haag, France protestante, 12« partie, page 295.
2. Amyrault. Vie de Lanoue.
3. Sayous, Études littéraires sur les écrivains de la Réforme, article OQunau.
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UISTOIRE DE LA RIÎFOnMATION FRANÇAISE.
Je plus noble îleurori de leur couronne. Othman, harcelé par ia pauvreté, mendiait des gratifications et recevait un salaire pour ses épîires dédicatoires ; à part cette tache dans sa vie, et qui oserait lui lancer la pierre, il est l'une des grandes et belles figures de la Réforme. Jusqu'à son dernier soupir il demeura fidèle à la cause à laquelle il sacrifia le plus brillant avenir; tous ceux qui ont parlé de lui sont unanimes à lui décerner une grande place parmi ses contemporains. Bériat Saint-Prix le met à côté du célèbre Cujas, l'homme qui tira le droit de la barbarie, et poussa un cri de liberté quand la France était dans les chaînes, a un droit incontestable à notre admiration et à notre respect. Dieu lui épargna une gi"ande amertume en le retirant à lui avant que le roi de Navarre eOt abandonné ses frères; s'il eût vécu , la littérature protestante aurait quelques belles pages de plus; en présence de cette grande apostasie, Oth- man n'eût pas gardé le silence; son âme, saisie de tristesse et d'indignation, eût trouvé des accents dignes de lui et de la cause dont il fut l'un des plus nobles représentants.
XVIII.
Les plaintes des protestants troublaient cependant le roi ; il savait tout ce qu'il y avait de volonté indomptable chez ces hommes qui depuis si longtemps, ne combattaient que pour la défense de leur foi. Ne pouvaient-ils pas se choisir un autre chef, quand celui qui les avait conduits à tant de batailles, les abandonnait. Pour conjurer une crainte qui pouvait devenir une réalité, il leur fit déclarer ar les seigneurs catholiques «que rien de ce qui se déli- érait dans ses conférences de Suresnes ne serait fait au préjudice de la bonne union et amitié qui est entre les dits catholiques qui reconnaissent Sa Majesté et ceux de la dite religion. » "
Le sort en était jeté. Henri IV était décidé. Il ne voulut pas cependant abjurer sans donner au moins à sa conver- sion les apparences de la sincérité. Il convoqua à cet effet V. Ëciint-Denis des théologiens catholiques pour faire son
1. ï".ipeiigue, t. VI, p. 319. — Foutauieu, l'orlefeuilles, auuée
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instruction. Monseigneur de Bourges présidait la séance: Je néophyte n'était pas disposé à faire une opposition sys- tématique, mais il ne pouvait décemment se déclarer con- vaincu sans faire quelque résistance. Or, dans ce moment, le Henri IV, gausseur et gascon, que nous connaissons, fut lui tout entier, il prit un malin plaisir à riposter en hu- guenot à ses convertisseurs officiels, plus embarrassés qu'émerveillés de sa science. « Il appliquait si bien, dit l'Estoile, les passages de la Sainte-Écriture, qu'ils y de- meuraient étonnés à empêcher de donner solution valable a ses questions, tant qu'un des principaux d'entre eux dit le lendemain à quelqu'un, qu'il n'avait jamais vu hérétique mieux instruit en son erreur, ni qui la défendit mieux et y rendît meilleures raisons. ■» '
Le Béarnais se rappela ce jour-là les leçons de sa pieuse mère.
On passa tout en revue : quand on arriva aux prières pour les morts, ((laissons le Requiem, Messieurs, dit le roi aux docteurs , je ne suis pas encore mort , et n'ai pas envie de mourir. >
On n'insista pas.
Le dogme du purgatoire est l'un de ceux qui exigent une foi aveugle. Il fut cependant proposé à celle du Béar- nais.
Quant à celui-là , leur répondit-il , je le croirai , non comme article de foi, mais comme croyance de l'Église de laquelle je suis fils. Il ajouta « et aussi pour vous faire plaisir, sachant que c'est le pain des prêtres.»
Le trait était mordant... Les catéchistes firent semblant de ne pas comprendre.
La discussion sur l'adoration du sacrement fut plus longue. Le candidat trouvait chose rude à croire que le pain et le vin de la Sainte-Cène fussent changés au corps et au sang de .lésus-Christ; cependant comme il ne pou- vait devenir bon catholique sans croire à la transsubstan- tiation, il leur dit : «Vous ne me contentez pas bien sur ce point et ne me satisfaites pas comme je désirerais. Voici, je mets aujourd'hui mon 5me entre vos mains, je vous prie, prenez y garde; car là où vous rae faites entrer, je n'en
1. L'Estoile, auuée 1593.
42 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
sortirai que par la mort, et de cela je le vous jure et pro- teste'.» Or, comme il pleurait à volonté, quelques larmes jaillirent de ses yeuX.
Ses catéchistes crurent à sa sincérité : un roi qui pleure ne peut être qu'un roi sincère ; cependant, quand on vou- lut lui faire signer une confession de foi dans laquelle on lui faisait admettre toutes les traditions romaines, il refusa.
Le lendemain, il manda le premier président de Paris et celui de Rouen. «Messieurs, leur dit-il , je vous ai fait venir pour vous dire que j'ai fait tout ce qui est possible pour contenter les prêtres par le fait de ma conversion et mon retour à la foi catholique. Mais je ne veux pas qu'on m'astreigne à des serments étranges et à croire des badi- neries que le plus fou d'entre eux ne croirait pas; et vous, Messieurs, ajouta le roi en se tournant vers eux: «Croyez- vous qu'il y ait un purgatoire?»
Les deux magistrats essayèrent d'esquiver la question. Voyant leur embarras, le roi ajouta : «Dites leur, Mes- sieurs, que je veux qu'ils se contentent hardiment, que j'en ai assez fait et que s'ils passent outre, il y pourra advenir pis.»
L'archevêque de Bourges eut peur de tout perdre en voulant tout gagner. Sur ses conseils, on modifia la con- fession de foi , qu'on rendit le plus raisonnable possible , afin que le roi pût y apposer sa signature.
L'instruction du catliécumène était faite: elle ne fut pas longue, elle dura cinq heures, pendant lesquelles le néo- phyte n'eut pas faute de science, mais de conscience.'
XIX.
Le 25 juillet, sur les huit heures du matin, un brillant cortège de gentilhommes et de grands dignitaires réunis à Saint-Denis, attendait le roi à la porte de son logis. Quand il parut, il fut salué par d'immenses et joyeuses
1. L'Estoile, année 1593.
2. Bulletin de l'histoire du protestantisme français, 1. 1", p. 285. Voyez aussi l'Estoile, année 1593. — Sully, Économies royales. — V. Palma-Cayet, Mémoires de la ligue, t. VI.
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acclamations ; il s'était paré de ses plus beaux habits. Le yieux pourpoint de Henri III avait disparu, et avait fait place à un vêtement de Fa plus grande élégance. On n'eût pas dit un péchear repentant, qui va pleurer aux pieds des autels ses fautes passées, et reconnaître, en se frappant la poitrine, le mauvais exemple donné par son apostasie; — on eût dit un prince qui allait promettre à sa jeune et belle fiancée... amour et fidélité. « Sa M;ijesté, disent les ré- cits de l'époque, éta^f revêtue d'un pourpoint et chausses de satin blanc, bas à attaches de soie blanche et souliers blancs, d'un manteau et chapeau noir.» Les rues par les- quelles il passa, pour se rendre à l'église abbatiale, étaient ornées de fleurs et de tapisseries ; le cri de : Vive le roi î re- tentissait sur son passage. Chacun sentait que la fin de la guerre était dans cet acte, dans lequel les seigneurs roya- listes voyaient un acte de haute et habile politique , et les masses l'effet de la puissance du Saint-Esprit, qui prenant en pitié les malheurs du royaume , ouvrait enfin les yeux du descendant de Saint-Louis, sur ses erreurs : ceux des huguenots , qui plaçaient les trésors du ciel bien au-dessus de ceux de la terre, ne parurent pas dans la foule; ils ca- chèrent les uns leur colère, les autres leurs larmes. Ils purent croire un moment que Dieu les abandonnait, puisque le chef qu'ils avaient servi pendant si longtemps avec tant de fidélité, passait sans home, uniquement par ambition, dans le parti de leurs inmiacabies adversaires. Avec le Béarnais , ils avaient eu aes jours Dien durs et bien mau- vais, mais ils ne s'étaieni jamais piaint; et, au moment oÉr ils croyaient au triomphe de leur cause, leur chef, par son abjuration, leur faisait perdre les fruits de vingt ans de combats; quelle amertume! Mais, n'était- elle pas méri- tée? La réforme, dont le but était d'opérer une rénova- tion religieuse, était devenue un parti politique; du sommet de ses glorieux bûchers , d"où elle avait gagné tant de vic- toires, elle était descendue sur des champs de bataille, où elle avait subi tant de défaites. Tant qu'elle fut pauvre, méprisée, et qu'elle n'eut pour chefs que des martyrs |el des inconnus, elle marcha de triomphe en triomphe; mais quand ses chefs furent des capitaines , que l'épée de fer eut remplacé l'épée de l'esprit , et qu'au lieu de verser son sang, elle s'attacha à verser celui de ses persécuteurs;
44 HISTOinE DE LA. KEroRMATION FRANÇAISE.
elle s'affiiiblit. Les Bourbons lui firent plus de mal que les Valois; ces derniers, avec leur armée de prêtres et d'in- quisiteurs, la trouvèrent toujours debout; les premiers, avec leur épée, la compromirent et l'épuisèrent : le Béar- nais la frappa bien près du cœur. Les sociétés religieuses ne sont jamais impunément infidèles aux lois destinées à 'es régir. C'est pour ne pas l'avoir compris et s'être ap-
fiuyés sur les bras de la chair, que les huguenots virent eur chef déserter leurs rangs et tendre la main à leurs oppresseurs. Dieu, en les humiliant, futsévère, mais juste. Il les frappa à l'endroit sensible , ce qu'ils croyaient une colonne, sur laquelle ils s'appuyaient avec orgueil, se changea tout à coup en un roseau fragile; il leur montra que c'est de lui, et non des puissants de la terre, que le chrétien doit attendre sa délivrance. Revenons au Béarnais.
Que se passait-il en lui dans ce moment décisif? L'his- toire ne nous le dit pas; ne pouvons-nous pas cepen- dant, sans nous écarter des limites de la vérité, dire que l'homme qui allait déclarer à la face du monde, qu'il te- nait pour fausse la foi de sa noble et pieuse mère , devait être un peu embarrassé du rôle qu'il jouait, et que le sou- venir de ces fidèles huguenots dut lui donner intérieu- rement cet embarras , que nous appelons vulgairement mauvaise honte, et qui est l'indice certain qu'on va com- mettre une mauvaise action ; peut-être le surmonta-t-il et couvrit-il de la raison d'Etat un acte qui pénétrait de douleur ses braves gentilshommes huguenots, si mal ré- compensés de leur fidélité; peut-être aussi, sa nature vive et impressionnable lui représenta-t-elle son abandon de la foi protestante, comme un acte d'héroïsme, dont Dieu devait lui tenir compte? Quoi qu'il en soit, il avait pris ses plus beaux habits; il ne voulait pas qu'on le crût un pauvre diable, ni qu'on le crût triste. Il avait pris avec lui-même ses précautions, pour qu'on ne l'accusât ni d'hypocrisie, ni d'entraînements; mais certainement, le coup dont il allait frapper la ligue, le préoccupait plus que le soin de son salut, auquel il pensait peu.
Quand il arriva au grand portail de l'église de Saint- Denis, il trouva Monseigneur de Bourges en grand cos- tume, qui l'attendait avec une foule de prélats, revêtus des plus beaux insignes de leur dignité. L'archevêque
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était assis sur une chaise couverte de damas blanc, au dossier de laquelle étaient les armes de France et do Kavarre.
«Qui êtes-vous? dit-il au royal néophyte. — Le roi. — Que demandez-vous? — D'être reçu au giron de l'Église catholique, apostolique et romaine. — Le voulez-vous? — Oui, je le veux et le désire.» — Après avoir prononcé ces mots , le roi se mit à genoux , et dit :
«Je proteste et jure, devant la face du Dieu tout-puis- sant, de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, de la protéger et défendre envers tous, au péril de mon sang et de ma vie, renonçant à toutes hérésies contraires aux enseignements de ladite Église catholique, apostolique et romaine.» — Il remit ensuite à l'archevêque un papier, qui contenait sa profession de foi, signée de sa main; puis, il baisa dévotement l'anneau épiscopal du prélat officiant, qui lui donna l'absolution et la bénédiction, et le releva; puis, le cortège se mit en marche, et le conduisit processionnellement au chœur de l'église; et là, au milieu du vivat d'une foule enthousiaste, il réitéra à genoux devant le grand autel, et les mains po- sées sur les saints évangiles, son serment de vivre et de mourir dans la rehgion romaine : après, il baisa dévote- ment l'autel, sur le derrière duquel il fut conduit par le cardinal de Bourbon. Monseigneur de Bourges reçut sa confession , pendant que les assistants chantaient le Te Deim, et d'une telle harmonie, que les grands et les petits pleuraient de joie.
Après sa confession , qui ne fut pas longue , le roi fut conduit sous un dais d'or et de soie : la messe commença. Il l'écouta avec une grande apparence de componction, qui émerveilla et toucha les assistants. Au moment de l'éléva- tion de l'hostie, il se prosterna par terre, les mains join- tes, en frappant sa poitrine: après le chant de VAgnu» Dei, les vivats recommencèrent, et des poignées de mon- naies furent jetées dans l'église au peuple , qui répondit à cette largesse par de grands applaudissements. La céré- monie était terminée; le roi, accompagné de cinq 'a six cents gentilshommes, fut reconduit à son hôtel, au son des tambours et des clairons , et au bruit de l'artillerie. Les principaux seigneurs et prélats dînèrent ensemble ; avant
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le dîiier, on récila le Benedicite; après, on chanta les Grdce$ en musique; la journée était terminée.
Quelques heures avant la cérémonie, Henri FV écrivait à Gabrielle d'Estrées : «J'arrivai hier soir, et fus iiïH portuné de Dieu jusqu'à mon coucher; nous croyons la trêve, et qu'elle doit se conclure aujourd'hui; pour moi, je suis à l'endroit des ligueurs de l'ordre de Saint-Thomas: je commence à parler ce matin aux évêques, outre ceux que je vous mandais hier. Pour escorte, je vous envoie soixante arquebusiers, qui valent bien des cuirasses. L'es- pérance que j'ai de vous voir demain, relient ma main de vous faire un plus long discours : ce sera demain « que je ferai le saut périlleux.» A l'heure que je vous écris, j'ai cent importuns sur les épaules, qui me feront liaïr Saint- Denis, comme vous faites Mantes. Bonjour, mon cœur; venez demain de bonne heure, car il me semble qu'il y a déjà un an que je ne vous ai vue. Je baise un million de fois les belles mains de mon ange. » •
Voilà, peint par lui-même, l'homme qui, dans la basi- lique de Saint-Denis, se frappait la poitrine comme ua péager, et faisait publiquement devant tout son peuple, la confession de la nouvelle foi qu'il allait embrasser.
Parmi les assistants à la cérémonie , il y avait un évêque, homme droit, qui, témoin de la sacrilège comédie, dit, immédiatement après que le roi eut juré sa nouvelle con- fession de foi :
« Je suis catholique de vie et de profession , et très- fidèle sujet et serviteur du roi ; vivrai et mourrai tel; mais, j'eusse trouvé aussi bon et meilleur, que le roi fût de- meuré dans sa religion, qUe la changer comme il fait; car, en matière de conscience : il y a un Dieu là-haut qui nous juge, le respect duquel seul doit forcer la conscience des rois, non le respect des royaumes à couronnes, et la force des hommes. Je n'en attends que malheur!»'
Un membre du grand Conseil, très-zélé catholique, prononça, à propos de l'abjuration, ces paroles prophéti- ques : « Le roi est perdu ; il est tuable à celte heure : au- paravant, il ne l'était pas »! '
1. Mémoires de L'Estoile, 23 juillet 1593.
2. L'Estoile, année 1593. S. Ibidem,
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XX.
L'abjuration était consommée; le Béarnais, converti au eatholicisme, en 1572, à la vue des cadavres de ses frères assassinés, s'était de nouveau converti à la vue de la cou- ronne de Henri III. Cet acte a été diversement jugé; les uns l'ont loué comme un acte de haute et habile politique, nécessité par les circonstances; les autres l'ont flétri avec une grande amertume ; la question n'a pas encore été ré- solue, quoique tout le monde soit à peu près d'jiccord que l'abjuration révéla , dans le nouveau converti , un poli- tique consommé. Dans cette presque-unanimité de senti- ments , la question se trouve en partie éclaircie; car ce qui est mauvais en soi, ne peut être légitimé par ses consé- quences. La facilité avec laquelle les hommes font bon marché des principes, aveugle leur entendement et leur fait, tour à tour, prendre le bien pour le mal, et le mal pour le bien. Il est cependant bien difficile , en présence des résultats de l'abjuration, qui donnent de suite à la France paix au dedans, grandeur au dehors, de n'être pas un peu ébloui ; mais la sagesse ne nous conseille-t-elle pas aussi de ne pas céder à l'engouement du moment, et d'at- tendre la fin des choses , aim de porter sur elle un juge- ment réfléchi? C'est ce que nous voulons faire, en jugeant l'acte d'abjuration en lui-même et dans ses résultats.
Quant à l'acte, en lui-même, il est jugé; la cérémo- nie du 25 juillet fut une sacrilège comédie, ce qui pré- céda, en fut le digne prologue, et ce qui suivit en fut le dénouement. Le Béarnais n'apporta aucune sincérité dans son abjuration, il se fit catholique par intérêt; il échangea Paris contre une messe ; et pour cette messe il fit le saut périlleux, comme il l'écrivait à sa belle et ambitieuse maîtresse. Sa conversion fut donc un acte mauvais en soi , parce qu'il manqua de ce qui seul pouvait le rendre hono- rable : la droiture et la sincérité. Le roi donc se joua des catholiques, qui ne s'y trompèrent pas, mais qui acceptè- rent les bénéfices de la conversion. Il se joua aussi de Dieu, à l'égard duquel il commit un parjure. Le jour où le fils de la pieuse Jeanne d'Albret résolut de passer au catholi- cisme, son jugement fut troublé; il ne vit devant lui qu'une
48 HISTOIRE DE LA. RÉPORMATION FRANÇAISE.
couronne, plus facile à ramasser sur les marches d'un autel que sur un champ de bataille; et il ne comprit pas que sa position était loin d'être désespérée. Roi chrétien, il eût pu dans une foi sincère puiser tant de forces! Une partie de la France le reconnaissait; les ligueurs et les royalistes étaient divisés: Philippe II, pauvre d'hommes et d'argent, était haï des seigneurs royalistes. La nomination d'un prince étranger, ou de l'infante avec un Lorrain, eût excité de grandes jalousies, au milieu même de la noblesse ligueuse; les Etats protestants étaient prêts à venir en aide au Béar- nais; la République de Venise lui prêtait son appui; les Vaudois des vallées du Piémont ne lui demandaient que le bonheur de mourir à son service; le Sult«n lui promet- tait sa flotte: ses braves huguenots enhn, avaient-ils jamais été avares de leurs sueurs, de leurs biens et de leur sang; que d'éléments de succès! Tout cela lui échappa... Son cœur, amolli par les plaisirs à la cour de Catherine., ne pouvait comprendre ces belles paroles de David: «L'Eter- nel est ma lumière et ma délivrance, de qui aurais-je peur? l'Éternel est la force de ma vie, de qui aurais-je frayeur?» Pour s'appuyer sur Dieu, il faut ce que n'avait pas Henri IV; un cœur honnête et droit... Homme charnel, il agit selon la chair; il préféra la couronne des Valois à celle du ciel; il fut logique; l'arbre ne tombe que du côté où il penche.
Ceux qui ont approuvé l'abjuration , ne l'ont fait que parce que les résultats immédiats leur en ont paru bons. Quant à nous , nous croyons que les résultats , en défini- tive, n'ont été que ce qu'a été l'acte lui-même, c'est-î»-dire, mauvais; parce que, du mal le bien ne peut pas plus éma- ner que d'une fontaine d'eau amère jaillir une eau douce.
Nous ne sommes donc pas plus éblouis de l'état floris- sant de la France, après l'abjuration, que nous le sommes de celui d'un malade sortant des mains d'un empirique. Merveille! merveille! s'écrie le vulgaire ignorant, mer- veille ! la plaie que nul n'avait pu guérir a disparu. Erreur! la plaie est rentrée; et cependant, pendant de longs jours, la France paraît si bien guérie! les forces lui reviennent comme aux vieux aigles. Richelieu poursuit l'œuvre de Henri IV, il abaisse la maison d'Autriche, et préparc les voies à Louis "SW qui impose son nom à son siècle; et
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force le nioncît; à lui donner le nom de grand. Sous son règne, la France se couvre de monuments et de i;rands hommes! Les sciences, les arts, les lettres ont d'admirables représentants... Le théâtre a Racine et Mo- lière; la chaire Bourdaloue, Bossuet, Massillon; la guerre, Turenne, Vauban, Luxembourg, Louvois, Duquesne. Que de grandeurs réunies autour d'un seul homme! Et comme on comprend que dans son enivrement, cet homme se soit cru un demi-dieu , et ait fait peindre et graver sur ses ar- moiries , son nec phiribiis impar. '
La médaille est belle; mais nous n'avons pas encore vu son revers.
L'abjuration apprit à la France à se jouer de ce qu'il y a de plus sacré dans le domaine de la conscience, et fit de Henri IV le premier pervertisseur de son royaume. Après lui, beaucoup de gentilshommes di- rent : une place à la cour vaut bien une messe ; on déserta le prêche pour l'Église, et Rome eut quelques mauvais catholiques de plus. Le libre examen en religion, qui a pour conséquence immédiate le libre examen en po- litique , s'affaiblit avec l'affaiblissement de la réforme. Les caractères se détrempant au contact d'un monarque rail- leur, parjure, vicieux, on fit bon marché des libertés pu- bliques, et dans l'espace de deux siècles, la nation ne fit entendre que deux fois sa voix, en 1614 et en 1789. Elle abdiqua entre les mains de ses rois, et se priva de ce qui fait la vraie grandeur d'un peuple, du droit de se gouver- ner lui-même par ses représentants; l'abdication fut telle, qu'un jour le petit-fils de Henri IV put dire, en entrant dans le parlement de Paris, botté, éperonné, une crava- che à la main : «L'Etat, c'est moi ! » Et pas une seule voix n'osa s'élever contre cette monstrueuse prétention qui im- posait aux descendants des vieux Francs, un gouvernement à la turque, sous le fouet d'un jeune despote de vingt ans. Ce jeune homme fit, il est vrai, de grandes choses; mais il prit à la France son dernier homme et son dernier écu; il lui prit quelque chose de plus précieux que son or et son sang : il lui enleva sa dignité , et corrompit ses mœurs par les mauvais exemples qu'il lui donna. Après une vie de
1. Nul ne le surpasse.
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scandales et de brillantes débauches, Louis XIV se crut re- ligieux, et ne fut qu'un dévot à idées étroites et au cœur sans entrailles; il révoqua l'édit de Nantes, qu'il avait juré d'observer le jour de son sacre , et crut trouver dans ses dragons convertisseurs le pardon de ses nombreux péchés. Dans son aveuglement , il ne s'aperçut pas qu'il souillait son règne d'une tache indélébile, et qu'en faisant prendre aux prolestants le chemin de l'exil, il privait son royaume de leurs vertus et de leur industrie, et l'apauvrissait pour de longues années; son soleil, à son couchant, fut aussi som- bre qu'il avait été brillant et radieux à son matin. Quand il mourut, nul ne le pleura, nul ne le regretta: il laissa son royaume dans un état complet d'épuisement, et la reli- gion catholique, pour le triomphe de laquelle il avait fait tant de sacrifices et rendu tant d'arrêts iniques, s'en allait en lambeaux; en voulant la sauver, il la compromit, et lui porta un coup dont elle ne s'est plus relevée. Montaigne avait appris à la France à douter ; Louis XIV la prépara à ne croire à rien.
Le régent, qui vit de près le vieux roi, ne se sentit que mépris pour une religion dont son oncle lui paraissait la plus parfaite personnification ; il la rejeta comme quelque chose d'odieux et d'incommode, et brisant tout frein, il conduisit la France au dévergondage et à la banqueroute; à la bigotterie, succéda l'impiété; Voltaire parut, il frappa à coups redoublés sur le catholicisme, qu'il eut le malheur de confondre avec la religion du crucifié; il immola le clergé à son impitoyable raillerie, lui reprocha ses mo- meries et ses cruautés, et fit tomber, de ses mains, les instruments de supplice, avec lesquels il avait vaincu la réforme ; et tout cela se passait pendant que quelques àbbés battaient des mains à chacune des hardiesses du phi- losophe, et que l'ignoble Louis XV dînait avec Richelieu, soupait avec la du Barry, et disait avec insouciance: «Cela durera autant que moi»; puis vint Louis XVI, le bouc émissaire de sa race; la Convention le- décapita, lui, sa femme, sa sœur, ses plus fidèles serviteurs; délivrée de ses rois , la Nation fut comme une lave qui sort d'un cra- tère enflammé; mais cette lave, d'où devait sortir son in- dépendance, alla se refroidir aux pieds du vainqueur de Marengo; avec lui, la France gagna des batailles, conquit
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des royaumes , planta son drapeau victorieux au Krem- lin et sur le sommet des pyramides , et tomba , épuisée d'hommes et d'argent, avec son maître à Waterloo, d'où elle se releva avec des libertés, qu'elle ne sut pas con- server; trois fois les descendants du Béarnais prirent avec tristesse le chemin de l'exil ; et aujourd'hui, ce Paris, que leur ancêtre échangea contre une messe , ne con- serve d'eux que ce qu'un peuple conserve de ses anciens maîtres, des statues, des monuments et quelques stériles souvenirs.
Si, doué de la seconde vue, Henri IV eût pu, au mo- ment de son abjuration , voir ce que sa conversion donne- rait à la France et à sa race , il n'eût pas hésité. Il eût demandé à son épée, et non à un parjure, le soin de mettre sur sa tête la couronne de ses aïeux; peut-être eût-il réussi : mais, s'il fût mort en soldat, il eût laissé un nom aussi grand et une réputation plus pure.
XXI.
Immédiatement après la cérémonie de Saint-Denis, le roi se hâta d'écrire à toutes les bonnes villes du royaume, pour leur apprendre la grande nouvelle de sa conversion ; «enfin nous avons, Dieu merci, écrivait-il à leurs magis- trats, conféré avec les prélats des points sur lesquels nous devrions être éclairci, et après la grâce qu'il a plu à Dieu de nous faire par l'inspiration de son Saint-Esprit, que nous avons recherché de tous nos vœux et de^ tout notre cœur pour notre salut, nous avons reconnu l'Église catholique, apostolique et romaine être la vraie Eglise de Dieu , pleine de vérité et laquelle ne peut errer; nous l'avons embrassée et sommes résolu d'y vivre et mourir.» '
Henri IV écrivit en même temps au pape dont l'appui lui était nécessaire pour désarmer les ligueurs qui décla- raient ne vouloir jamais reconnaître pour monarque un hérétique excommunié. «Très-saint Père, disait Henri IV au pontife, je me suis volontiers soumis, le dimanche 25 juillet; j'ai ouï la messe et joint mes prières à celles des
1. Mss. de Béthune, n»9114/91 (25]umet 1593). — Capefigue, Henri IV et la ligue, vol. VI, p. 339.
52 HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
bons catholiques, comme incorporé à ladite église avec ferme intention de persévérer toute ma vie et de rendre l'obéis- sance et le respect dus à Votre Sainteté et au Saint-Siège, ainsi qu'ont fait les rois très-chrétiens mes prédécesseurs.» Il lui annonçait enfin l'envoi d'une ambassade'. Sa conver- sion accomplie, Henri IV était conséquent avec lui-même; sa démarche auprès du pape, que quelques historiens qua- lifient de servile, n'était que la conséquence de son abju- ration et une réponse immédiate faite à la protestation du cardinal de Plaisance contre la cérémonie du 23 juillet. Quand cet orgueilleux prélat déclarait «que le pape seul pouvait connaître de cette affaire»', il était naturel que le roi s'adressât au seul homme qui pût lever l'anathème qui pesait sur lui. Au légat il opposa le pape; c'était de la bonne et habile politique. Il eût atteint facilement son but, si le prêtre qui l'avait excommunié eût été sur le trône pontitical; mais son successeur, le faible Clément XIII, n'était qu'un pâle reflet de l'indomptable Sixte-Quint. La main de Philippe II pesait trop lourdement sur lui , pour qu'il pût, par une prompte absolution, répondre à l'impa- tience du nouveau converti.
XXII.
Les protestants sentirent vivement le coup funeste que l'abjuration portait à leur cause ; ils courbèrent la tête , les uns humiliés, les autres douloureusement impressionnés. Ceux qui étaient plus politiques que religieux, laissaient éclater leur colère et appelaient ingrat le maître qu'ils avaient servi avec tant de fidélité et qui les abandonnait au moment où, plus que jamais, ils étaient décidés h verseï pour lui la dernière goutte de leur sang; ceux qui étaient, avant tout, huguenots et qui comprenaient la haute impor- tance de ces paroles de nos livres saints « que servirait-if à im homme d'avoir le monde entier s'il perdait son âme, » gémissaient de voir leur maître renier la religion du Christ pour celle de l'antéchrist romain, et devenu ainsi le per- vertisseur de ses sujets. « C'est dans l'angoisse et le trouble,
1. Mss. de Jlesmes, in-fol., t. XII, n» 8931/17.
2, Ide/n, n» 8777/3.
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5»
écrivait Théodore de Bèze à GrjTiée , que je songe à la chute de ce prince sur lequel reposaient tant d'espérances et qui vient de contrister si cruellement l'Église de Dieu et ses anges ! Je ne m? console que par la pensée de n'a- voir manqué à aucun de mes devoirs envers le roi ; je lui ai adressé une longue et sérieuse lettre qui devait produire sur lui quelque impression, si le message était arrivé à temps à travers les mille difficultés de la route.» '
La nouvelle de l'abjuration du roi fit une pénible im- pression en Allemagne et en Angleterre. La reine Elisabeth à qui Henri lY apprit sa grande décision laissa éclater sa douleur plus politique que religieuse dans la lettre sui- vante :
«Ah quelles douleurs ! et quels regrets et quels gémis- sements j'ai sentis en mon âme parle son dételles nouvelles que Morlans m'a contées! Mon Dieu, est -il possible qu'aucun mondain respect dût effacer la terreur que la crainte divine menace! Pouvons-nous, par raison même, attendre bonne séquelle d'actes si iniques? Celui qui vous a maintenu et conservé par sa merci, pouvez-vous imaginer qu'il vous permît aller seul au plus grand be- soin? Or, cela est dangereux de mal faire pour en espé- rer du bien; encore espérais-je que plus saine inspiration vous adviendra. — Cependant je ne cesserai de vous mettre au premier rang de mes dévotions pour que les mains d'Ésaû ne gâtent les bénédictions de Jacob. Et où vous me promettez toute amitié et fidélité, je confesse l'avoir chèrement méritée, et ne m'en repentirai, pourvu que ne changiez de père (autrement ne serai pour vous que sœur bâtarde de par le père) ; car j'aimerai toujours plus le naturel que l'adopt; je désire que Dieu vous guide en droit chemin et meilleur sentier. Votre très-assurée sœur, Sire,, à la vieille mode; avec la nouvelle je n'ai que faire. Elisabeth. » '
1 . Cette lettre n'arriva qu'après l'abjuration. — Bulletin de l'his- toire du protestantisme français, année 1552, p. 40.
2. Bibliothèque royale, mss. de Colbert, in-fol. , M. R. D., >ol, eoté 16, fol. S29.
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HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇjI ISE.
XXIIL
Pendant que les réformés laissaient éclater leurs me- naces et leurs douleurs, que faisaient les ligueurs? Ils passaient tour à tour de la consternation à la colère et de la colère à la consternation. Au Heu de voir dans l'abjuration le triomphe de leur cause, ils ne voulurent y voir qu'un leurre. Après avoir vainement tenté de monter sur le trône par les armes, le Béarnais essayait d'y monter par une conversion; c'était évident. La cause du catholicisme pa- raissait plus menacée que jamais; la plus vulgaire prudence faisait donc aux partisans de la Sainte-Union un devoir sa- cré de ne pas déposer les armes et d'être plus vigilants que jamais.
Quelques historiens ont accusé les ligueurs d'avoir man- qué de logique dans cette circonstance; selon eux, ils au- raient dû faire immédiatement acte de soumission , puisque Henri IV, doublement fils de Saint-Louis par le sang et par la foi, satisfaisait aux exigences de la religion et de la politique. Au lieu de voir l'abjuration avec défiance, ajou- tent-ils, ils auraient dû acclamer en elle le triomphe de leur cause, puisqu'ils étaient délivrés de la crainte d'avoir un roi huguenot. Soyons plus justes à leur égard. Dans ce moment difficile ils furent plus que logiques, ils furent prudents; en effet, le roi ne leur inspirait aucune con- fiance, ni par ses mœurs, ni par son passé. Ce prince li- cencieux qui, par intérêt, se convertissait, avait déjà une fois renié le catholicisme, ne pouvait-il pas le renier une seconde fois? Fallait-il donc lui ouvrir les portes de Pa- ris et mettre dans ses mains les clefs de toutes les bonnes villes du royaume? Les ligueurs raisonnaient juste. Quand un homme a une fois manqué à sa parole, il perd le droit d'être cru, et plus tard, quelques droites que soient ses intentions , il efface difficilement les impressions premières. C'était le cas de Henri IV qui s'était fait catholique sans conviction, mais qui, sincèrement, voulait demeurer ca- tholique.
Les ligueurs raisonnaient bien, mais ils agirent mal; d'une cause bonne ils firent une cause détestable; leurs excès gâtèrent tout. Leurs prédicateurs furent d'une vio-
LIVRE xxn.
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lence inouïe. Le curé Boucher, entre tous, se distingua par son audace; neuf fois il monta en chaire et neuf fois il signala le roi à la haine et au poignard de ses audi- teurs; sarcasmes, injures, railleries, moqueries, menson- |S;es , tout devint flèche entre les mains du prêtre. Le but final de tous ces discours était de prouver que le roi n'avait abjuré que pour se frayer une route au trône. « C'est faire lort, disait-il, à la grâce de l'Esprit saint que de la faire si amère qu'elle ne puisse s'avaler qu'avec le sucre d'un royaume. » «Pour caractériser le roi, on dirait, dit Charles Labitte, qu'il s'agit de Caligula ou de Néron. C'est, dit le fougueux curé, un hérétique, un relaps, un sacrilège, un brûleur d'églises, un corrupteur de nonains, un massa- creur de religieux et de prêtres, un qui n'a fait en sa vie autre chose que faire la guerre à l'église, répandre le sang des catholiques, un, enfin, qui, de tout temps, s'est re- bellé contre la patrie.*
Parle-t-il de ses partisans, il s'écrie: «Qui appuie le nouveau converti au parlement, entre les évêques, à la Sorbonne, dans le peuple?
Qui parmi les magistrats? quelque larron de finances, quelque roseau à tous vents , quelque bon valet à vendre ! »
Qui parmi les évêques? Ceux qui sont connus par leur vie épicurienne... des ignorants qui boivent comme tem- pliers en leurs cruels et démesurés verres , qui ont pour gausser à leur table les reliques de Rabelais, et dont le plus beau métier est de danser; ceux, enfin, qui ont à peine vu la pointe des clochers de leurs diocèses et ne disent messe ni matines.
Qui parmi les docteurs, parmi les curés sortis pour l'al- ler convertir? le rebut et ordure de Paris, des mignons apostats, joueurs de cartes reconnus concubinaires, des écrivains brouille-papiers, vieux fondateurs d'hérésie, papes par fantaisie.
Qui, enfin, parmi le peuple? quelque blasphémateur, quelque mignarde fardée ou folle de renom qui aura couru a cette danse.
L'orateur parle-t-il de la cérémonie de l'abjuration? Il la raconte en la caricaturant : « Quelle cendre , dit-il ,
1. Charles Labitte, chap. IV, g 1, p. 195.
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HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
quelle haire? quels jeûnes? quelles larmes? quels sou- pirs? quelle nudité de pieds? quel visage baissé? quelle humilité de prières? quelle prostration par terre en signe de pénitence? Les gens de guerre embâtonnés', les fifres, les tambours sonnants, l'artillerie et escopeterie, les trom- pettes et clairons, la grande suite des gentilshommes , les demoiselles parées; la délicatesse du pénitent appuyé sur le col d'un mignon, pour le grand chemin qu'il y avait à faire, environ cinquante pas, depuis la porte de l'abbaye jusqu'à la porte de l'église ; la risée qu'il fit regardant en haut avec un bouffon qui était à la fenêtre. — «En veux-tu pas être?» Le ders, l'appuy, les oreillers, les tapis semés de fleurs de lys, l'adoration faite par les prélats à celui qui se doit soumettre et humilier devant eux, sont les traits de cette pénitence. »"
Quel contraste entre le langage de Boucher et celui de Saint-Paul qui , vivant dans des temps orageux et difficiles, enseigne aux chrétiens de son temps l'oubli des injures et l'amour pour ses ennemis!... quel contraste même avec celui des huguenots abandonnés du maître qui paie leurs services par la plus grande ingratitude! Ne dirait-on pas qu'une furie s'est incarnée dans ce prêtre qui se proclame le ministre fidèle de la plus fidèle des églises.
Les discours de maître Boucher et de ses collègues nui- sirent au bon effet que le roi attendait de son retour à la foi catholique. Son abjuration eut cependant quelques ré- sultats immédiats: le peuple commença à soupirer après la paix; les ligueurs les plus modérés n'attendaient qu'un mot de Rome pour déposer les armes, ou mieux encore une proposition du roi pour lui vendre leur soumission; la trêve qui avait suspendu les hostilités permettait aux bour- geois de sortir de la ville et d'aller à Saint-Denis se mêler aux troupes royales; le roi les recevait avec une grande affabilité. Il avait toujours aux lèvres quelques bons mots qui se gravaient dans la mémoire et qui, se répétant de bouche en bouche, allaient apprendre aux ligueurs «que ce teigneux de Béarnais n'était pas si abominable que leurs prédicateurs le leur représentaient. » Mayenne redoutant
1. Neuf discours sur la simulée conversion, de la nullité de I» prctendiie conversion de Henri de Bourbon , prince de Béarn.
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le résultat des visites des bourgeois à Saint-Denis, les in- terdit et nul à l'avenir ne put y aller sans autorisation.
Le lieutenant-général qui connaissait les ruses du roi et sa promptitude à exécuter ses projets , mit la ville sur un bon pied de défense. Pendant qu'il le faisait, les États gé- néraux continuaient leurs séances au milieu des intrigues, sans pouvoir arrivera une solution, les uns étant trop espagnols, les autres trop français. En désespoir de cause, ils renouvelèrent le serment de l'union' et ordonnèrent que le concile de Trente serait reçu eî publié en France, «dans sa forme et teneur*.» En haine du roi, ils livraient le royaume au pape. •
1. Serinent prêté par les princes, seigneurs et députés. — Col- lection des États généraux (1593.)
2. Déclaration sur la publication du ÇOftCiJe de Trepte. — Crt* lecttOQ des États généraïuL (1593).
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HISTOIRE CE LA RÉFORMÂTION FRANÇAISE.
LIVRE XXIII.
I.
Les mauvaises maximes comme les mauvaises semences portent tôt ou tard leurs fruits. La doctrine du régicide était enseignée avec tant de force et de clarté dans les (îliaires de Paris , qu'il n'est pas étonnant qu'il se soit trouvé parmi les ligueurs quelques hommes qui , pre- nant la place de Grève pour une place sainte, aient cru monter au ciel par cet étrange chemin. Un nommé Bar- rière fut de ce nomhre. Ce misérable , jeté d'abord dans le désespoir par un chagrin d'amour, fut invité par des prêtres à tuer le roi; «ce sera, lui disaient-ils en secret, une belle œuvre , qui vous rendra agréable à Dieu. » Le curé de Saint-André-des-Arcs, Aubry, loua son cou- rage, et pour l'affermir dans son dessein, le conduisit chez Varade, recteur des Jésuites, qui leva habilement tous ses scrupules , mit sa conscience en règle et le fit confesser et communier par un autre jésuite, qui ignorait toute l'affaire, et qui, fidèle aux lois de son ordre , dut ou- blier tout ce qu'il avait entendu. L'assassin acheta un cou- teau et se mit à l'affût de sa proie. Plusieurs fois il fut sur le point d'accomplir son crime, et toujours il en fut empê- ché, tant il lui semblait qu'on le retirait en arrière comme s'il avait été lié «d'une corde par le milieu du corps.» Il eût fini par succomber à son horrible tentation, si la con- spiration n'eût pas été découverte. Carrière fut arrêté à Melun, où il avait suivi Henri IV. Il nia tout d'abord, puis avoua à ses juges comment il avait été conduit peu à peu a ridée de tuer le roi. Il manifesta un vif repentir de son crime , et maudit ceux qui l'avaient conseillé en lui assu- rant «que s'il mourrait dans l'entreprise, son âme, enlevée par les anges, s'envolerait dans le sein de Dieu, où il joui- rait d'une béatitude éternelle.» Il dit qu'ils l'avaient averti que s'il lui arrivait d'être pris et appliqué à la question , il se gardât bien de nommer aucun de ceux qui lui avaient
UVRE XXIII.
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conseillé cette action, qu'autrement il serait sûr d'être damné éternellement. '
Les juges condamnèrent Barrière à être rompu vif le 31 août 1593. L'arrêt qui le frappa accrut la haine qu'on commençait à avoir contre les jésuites ; on ne vit en eux que des séditieux et des fauteurs de troubles. L'orage qui grondait sur leur société , éclatera plus tard avec une grande violence.
Ces victoires que le roi remportait sur la ligue effrayaient les réformés ; elles avaient lieu à leurs dépens. Les hommes qui étaient infidèles à leur parti, tenaient à être fidèles à leur église et à montrer leur haine pour les huguenots. C'était une indulgence qu'ils s'administraient; le zèle du catholique amnistiait le traître. Chaque gouverneur fit ses conditions; chacun, sans doute, ne se montra pas égale- ment rigoureux, mais tous, sans exception, exigèrent que le culte catholique fût seul célébré dans les villes dont ils étaient gouverneurs.
II.
Les protestants étaient toujours sous le poids de la dou- leur que leur causait l'abjuration du roi. Ils se montraient tristes et défiants; pendant si longtemps ils avaient cru une si grande apostasie impossible , et elle s'était accom- plie sous leurs yeux ! des bruits alarmants venaient les troubler et ajouter à leurs craintes; ils avaient appris que des négociations étaient ouvertes avec Philippe II , dans le but de marier l'infante avec Henri IV; or, de cette alliance avec leur implacable ennemi que pouvait-il résulter, « si ce n'est d'oflrir pour douaire à la princesse les tètes des pré- tendus riiiiistins?»'
1. L'Esloile, année 1693. — Davila, liv. XIV. — D'Aubigné, liv. m, ph. 25, p. 299. — De Tliou, liv. CVII. — Mémoires de la liyiio, t. V, p. 430, — Bref, Discours du procès crimiii'îl fait à l'ierre Barrière, dil f a Earre, natif d'Orléans, accusé de 1 horrible et oxèerable parricide et assassinat, par lui entrepris et attenté conlre la personne du roi.
2. Mémoire de Duplessis-Mornay, t. V, p. 534-535. — Ces né- frccialions eurent lieu, mais elles échouèrent par la faute de !,a Varenne, chargé de suivre celte affaire. — Mémoires de Sully, t. II, ch. 12.
60
HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
Dans l'extrémité où ils se sentaient réduits, les réfor- més avaient des réunions dans lesquelles ils débattaient chaudement leurs intérêts; leurs plaintes contre le roi étaient vives, fréquentes, amères; ils le traitaient de par- jure, d'ingrat; on se posait la question, s'il fallait se choi- sir un autre protecteur, puisque Henri de Bourbon les avait abandonnés. Leurs regards se tournaient alors vers le duc de Bouillon. Les plus puissants de leurs chefs se demandaient s'ils ne devaient pas séparer leur cause de la cause royale «et empêcher, les armes à la main, qu'on n'entreprît rien contre la liberté de conscience. »
Cette dangereuse proposition fut heureusement et vive- ment combattue par les tièdes du parti qui étaient fatigués de guerre et ne soupiraient qu'après le repos et les dignités,
3u'ils espéraient trouver auprès du monarque à la gran- eur duquel ils avaient concouru. Le plus ardent de ces
avis le plus grand nombre, en leur faisant espérer que le roi n'oublierait jamais le service de ses anciens coreligion- naires et en leur montrant que la séparation de leurs in- térêts de ceux du roi aboutirait à leur ruine. On décida donc que les églises enverraient au roi des députés pour lui demander des garanties pour le libre exercice de leur culte et la sûreté de leurs personnes. _
Les députés des églises se dirigèrent vers la ville de Mantes pour exposer leurs pjaintes au roi; celui-ci redoutait de se trouver en présence de ces hommes qui avaient par- tagé ses fatigues et ses périls, et l'avaient soutenu dans ses mauvais jours. Avant de les recevoir, il demanda à Mornay de lui faire connaître ce qu'ils pensaient de son change- ment; celui-ci le fit dans une lettre naïve et longue dans laquelle éclatait toute la douleur de ce fidèle huguenot.
«Voyez, Sire, lui disait Mornay, par quels degrés on vous a mené à la messe; on vous disait: vous désirez la réformalion; nous sommes pleins d'abus; entrez seule- ment dedans , vous les répugnerez. Mais avant d'y entrer, on vous a obligé aux plus grossières et aux moins tenables.
1. Capeflgue, t. VI, p. 302.
tièdes fut Rosny
habileté , sut entraîner à son
IIL
LIVRE xxm.
61
Ceux qui sont crus d'un chacun ne pas croire en Dieu , vous ont fait jurer les images et les reliques , le purga- toire et les indulgences. Vos pauvres sujets , par ce même chemin, vous voient mener plus outre. Ils voient que vous envoyez faire soumission à nome; ils savent que l'absolu- tion ne peut être sans pénitence; ils lisent qu'en pareil cas les papes ont imposé à vos prédécesseurs de passer outre-mer contre les infidèles. Ils se résolvent donc, Sire, que le pape , au premier jour, vous enverra l'épée sacrée; qu'il vous imposera la loi de faire la guerre aux hérétiques, et sous ce nom comprendra les plus chrétiens, les plus loyaux Français , la plus sincère partie de vos sujets. Cet arrêt vous sera dur de prime face; il offensera votre bon naturel. — Faire la guerre à mes serviteurs ! ceux de qui j'ai bu le sang en ma nécessité! — Mais on a prou de moyens pour les vous adoucir, Sire, vous avez tant fait, il faut plus passer outre... Aux soupçons s'iijoutent des effets, indices des mauvais desseins de ceux qui vous possèdent, et précurseurs de plus dangereux à l'avenir. Le prêche déjà exilé de votre cœur, afin de les bannir en conséquence de votre maison; car qui le voudra n'y pourra vivre, ou vous y servir sans servir Dieu , exilé même de vos armées, afin de les reculer de votre service, et conséquemment . des charges et honneurs ; car quel homme de bien y pourra subsister, en danger tous les jours d'être blessé, d'être tué, sans espoir de consolation, sans assurance seulement de sépulture? Qu'on minute d'exclure tous ceux de la re- ligion des principales charges de l'Etat, de la justice, des finances, de la police; de telles faveurs, selon leur mo- destie et patience , ils prennent à témoin Votre Majesté
Su'ils ne l'ont guère importunée; mais vous supplient aussi e juger s'il est raisonnable qu'ils fassent ce tort à leurs enfants, de les eu rendre privés... Vous ne prendriez plai- sir de leur voir un protecteur, vous seriez jaloux s'ils s'a- dressaient ailleurs qu'à vous. Sire, voulez-vous bien leur ôter l'envie d'un protecteur, ôtez-en la nécessité; soyez-le donc vous-même, continuez, dessus eux, ce premier soin, cette première affection; prévenez leurs supplications par un plein mouvement, leurs justes demandes, par un vo- loiilaire octroi des choses nécessaires.»' 1. Mémoires de Duplessis-Mornay, t. Y, p. 534 -535.
Q2 HISTOIRE DE LA RÉFORHATIOM FRANÇAISE.
IV-
La lettre de Duplessis blessa Henri FV sans l'étonner ; il voulut le voir seul, afin de s'accoutumer au visage des réformés et à leurs remontrances. L'entrevue eut lieu à Chartres. Le roi s'efforça de justifier son changement de religion et blâma ceux des protestants qui l'avaient imité , parce qu'ils n'avaient pas les mêmes raisons que lui pour abandonner la foi de leurs pères. «Je me suis, lui dit-il, sacrifié pour mon peuple et le repos de nos églises. » Cette confession toucha peu Mornay, il crut cependant son maî- tre sincère quand il l'assura que son affection pour les protestants était toujours la même.
Les catholiques qui redoutaient de voir le roi et les dé- putés en présence, s'efforçaient de perdre les protestants dans l'esprit du monarque et dans 1 opinion publique; ils faisaient circuler des bruits étranges et calomnieux; ils accusaient même Mornay d'avoir voulu faire à Saumur une Sainte-Barthélémy de catholiques, pour venger les réfor- més de ce qui leur était arrivé vingt et un ans auparavant aux matines de Paris. Ce bruit , que l'honorabilité bien con- nue de Duplessis aurait dû faire rentrer dans l'ombre, prit une telle consistance que l'accusé crut devoir porter plainte au parlement qui, tout en constatant la calomnie, ne donna pas au plaignant la satisfaction qu'il avait droit d'attendre.'
Les menées des catholiques ne purent cependant em- pêcher les députés d'arriver jusqu'au roi; celui-ci eût bien voulu les éviter, mais l'expérience qui lui avait appris tout ce qu'il y avait de fort et d'indomptable chez les hu- guenots quand ils étaient sous le joug d'une injuste op-
ression, craignit de les mécontenter; il les reçut à Mantes.
'entrevue eut le caractère de contrainte et de réserve qu'elle devait naturellement avoir ; les députés forent res- pectueux, mais fermes, et firent entendre au monarque de rudes et austères vérités. Le roi se contint; il sentait que les plaintes étaient justes et que ce n'était pas le moment de rompre. Il les écouta avec une grande bienveillance ,
1. Mémoires de Duplessis-Mornay, t. V.
LIVRE XXIII.
63
reçut leurs cahiers qu'il remit à son chancelier « et leur fit espérer de leur donner contentement. »
Les catholiques, qui n'avaient pu empêcher le roi de re- cevoir les députés , l'invitèrent à les renvoyer sans les sa- tisfaire, avec la promesse seulement d'examiner leurs cahiers, et de leur répondre dans trois mois; Mornay et le maréchal de Bouillon s'y opposèrent énergiquement. «Les protestants , lui dirent-ils en insistant, ne prendront con- seil que de leur désespoir, quand ils verront qu'on les amuse. » Le roi céda et il fut décidé qu'en attendant la publication d'un édit on en dresserait les statuts. Sept commissaires catholiques furent nommés à cet effet, afin d'écarter tout soupçon de partialité. Après plusieurs séances, ils ne savaient ni par où commencer ni par où finir. On leur adjoignit Mornay et le maréchal de Bouillon. Après de longues discussions, les commissaires convinrent de plusieurs articles dont voici les principaux: Rétablissement de l'édit de 1577 avec les interprétations des conférences deNérac et de Fleix; révocation des édits de la ligue; ré- tablissement de la religion catholique dans les lieux où elle avait été interdite par suite de la guerre ; célébration du culte réformé dans les villes de l'obéissance du roi; per- mission à Madame, sœur du roi, de célébrer son culte chez elle à la cour; paiement annuel d'une somme pour l'en- tretien des pasteurs, etc., etc.
Le travail des commissaires terminé, on le communiqua aux députés des églises, qui ne furent pas satisfaits. Les concessions leur parurent insuffisantes ; en effet , elles ne les garantissaient, ni du mauvais vouloir, ni de l'animosité des catholiques. Ils se plaignirent à Henri IV, qui leur donna en compensation la permission de convoquer des assemblées provinciales, afin d'y faire le rapport de tout ce qui s'était passé à Mantes et de se préparer à la tenue d'un synode national.
Avant de quitter Mantes , les députés , sous les yeux et avec l'approbation du roi, renouvelèrent solennellement le serment d'union des églises. En présence des maux qui leur paraissaient imminents, ces hommes intègres et cou- rageux jurèrent de vivre et de mourir pour la défense d'une foi qui leur était plus chère que leur vie. Ce fut un spectacle bien touchant que le serment de ces hommes
r
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64 HISTOIRE DE LA nÉFORMATlON FRANÇAISE.
que trente ans de luttes adiarnées n'avaient pu abnllre et qui, comme Mo'ise, préféraient l'opproijre du Christ aux délices du monde. Ils auraient pu cependant imiter le maî- tre qui les avait abandonnés, et trouver, à sa cour, des fa- veurs, des places, des dignités. Ils ne le voulurent pas.'
Pendant le séjour des députés à Mantes , on essaya d'en détacher quelques-uns de leur parti, en leur présentant pour appât la protection royale et des dignités. Des confé- rences mêmes furent ouvertes entre les ministres et Du Perron qui faisait semblant de croire que le roi s'était con- verti plutôt devant la puissance de ses arguments que de- vant des raisons de haute politique. Rotan, célèbre pasteur protestant, accusé plus tard, quoique à tort, de s'être laissé séduire par les promesses de la cour, chercha des prétextes pour ne pas controverser avec Du Perron sur la question de la suffisance de la Sainte-Ecriture. Le mi- nistre Berault se présenta à sa place ; mais quand le clergé vit que les conférences ne prenaient pas une tour- nure favorable', il eut l'habileté de les faire rompre, sans avoir cependant l'air de battre en retraite. Il proclama bruyamment ses triomphes; les protestants, pour démon- trer le contraire, nommèrent l'année d'après, dans leur synode de Montauban, douze personnes, pour continuer les conférences , si Du Perron voulait les reprendre. Il n'en fut dès lors plus question.
Après le départ des députés, les intrigues continuèrent. Des ordras secrets furent envoyés aux gouverneurs des provinces pour empêcher les ministres de se prononcer avec trop de force contre la conversion du roi; on ne vou- lait pas qu'ils continuassent à l'appeler une révolte. On obligeait également quelques prédicateurs de la ligue à modérer leur langage. On put ainsi présenter la cérémonie de Saint-Denis d'une manière tellement adoucie qu'il y eut parmi les protestants même des hommes qui crurent
fiouvoir imiter le monarque. Il est vrai qu'ils trouvaient eur intérêt particulier à être de la religion du plus grand nombre. Les conciliateurs abondèrent ; la facilité avec
1. Élie Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, t. I", p. 111.
2. Ils croyaient que Rotan s'était laissé séduire , et que, dans la discussion, il se laisserait systématiquement vaincre par Du Perron,
LIVRE xxni.
65
laquelle ils faisaient bon inrrché des principes, entraîna plusieurs de leurs coreligionnaires dans les voies de l'apostasie.
V.
Le spectacle que présentait Paris à cette époque est aussi curieux qu'instructif. Les ligueurs et les royalistes se li- vraient des combats de plume et lançaient les uns contre les autres des pamphlets, dont quelques-uns ont survécu à l'oubli, cette fosse commune des écrivains. Immédiatement après l'exécution de Barrière, les royalistes firent paraître la démonologie de la Sorbonne la nouvelle. Dans cet écrit ils accusaient la faculté d'être possédée du démon , et d'être « un repaire de brigands et d'assassins. » Le jour des ex- piations se levait pour cette corporation, qui, depuis le syndic Bédier, n'avait pas cessé d'éteindre les lumières et de rallumer le feu; mêlée à tous les grands événements de l'époque, la Sorbonne s'était fait remarquer par son esprit intolérant ; tour à tour elle avait proscrit les huguenots et Henri III, les politiques et le Béarnais; tant qu'elle fut forte on s'inclina devant elle comme devant l'autorité la plus vénérée du royaume ; mais quand le procès de Bar- rière eut fait croire à sa complicité , les royalistes se •léchaînèrent contre elle et l'accusèrent hautement d'en- seigner les hérésies suivantes : '
i° Il est permis aux sujets de se rebeller contre leur roi légitime.
2° Il est permis au peuple de désobéir aux magistrats et de les pendre.
3° Qui meurt en faisant la guerre contre son roi est martyr.
4° C'est à la Sorbonne (qu'ils tiennent aujourd'hui comme un empire ou plutôt état tyrannique) à juger si le pape doit recevoir le roi et si, d'aventure, il le faisait, chose qu'ils craignent fort, le déclarer hérétique et ex- communié.
5° Il est impossible que le roi se convertisse. 6° Il n'est pas en la puissance du pape d'absoudre le roi et le remettre en son état.
1. Mémoires de la ligue, t. V, p. 403 et suiT.
mSTOIRE DE LA ni?FORMATION FRANÇAISE.
?• Il est permis de médire des princes et seigneurs , tant spirituels que corporels, soit en public, comme ils font, soit en particulier, comme ils enseignent le peuple à faire.
8° Que la messe qu'on chante devant le roi est une farce. 9° Qu'il est permis au sujet d'assassiner son roi. 10° Que quand Dieu descendrait du ciel et dirait que le roi fût converti, il ne faudrait pas le croire. '
VI.
L'avocat Louis d'Orléans défendit les ligueurs dans son Banquet du Comte d'Arèle. Cet écrit est indigne de l'au- teur de la célèbre adresse d'un Catholique anglais aux Catholiques français. On est même surpris de voir paraître le pamphlétaire dans la lice après sa séparation d'avec les Seize. Cependant sa participation à ces luttes s'explique par son indigence, qui, vraisemblablement, ne sut pas résister aux doublons d'Espagne.
Dans le Banquet du Comte d'Arête des personnages cau- sent entre eux sur l'élal présent des affaires du royaume. Parmi eux se trouve une jeune fdie de dix à douze ans, qui entre en scène en chantant le refrain suivant :
Je suis bien jeune et plus tcndrette Que n'est le bois de la coudrette; Mais je vous dis sans fiction Que celui qui n'aura envie Pour la ligne cspandre sa vie. N'aura pas mon alTection.
-Sans elle le peuple de France Gémissait sous la violence. Et perdions la religion. Celui doue qui n'aura envie Pour la ligue cspandre sa vie. N'aura pas mou affection.
Un des interlocuteurs prend ensuite la parole et énu- mère successivement les raisons qui rendaient suspecte la
1 . La Sorbonue désavoua plus tard ces maximes , et prétendit que la partie la plus saine de ses membres les a toujours désa- vouées. Mais sa bénédiction du couteau de Jacques Clément?
LITRE XXm.
67
foi du nouveau converti, parmi lesquelles il n'oubliait pas de mentionner celles tirées de ses mœurs licencieuses et de ses changements antérieurs de religion. «Ceux de son parti, disait le pamphlétaire, le tiennent pour perfide, pour un écervelé, pour un taquin, pour un faquin, pour un méchant, pour un athée, pour un homme perdu de tous vices , pour un vrai diable, et vous le louez et en faites un saint par-dessus Saint-Louis ! je voudrais bien leur de- mander comment la religion est assurée en sa main, car il y a trente-six ans et plus que toujours il cherche de la dévorer. Il était baptisé catholique, depuis il s'est fait hé- rétique; il redevient catholique à la Sainte-Barthélémy; le voilà aujourd'hui catholique , ne sera-t-il pas demain hé- rétique ? »
De quel étroit lien tiendrons-nous arrêtée l'inconstante façon de ce nouveau protée ! Je ne puis que je vous dise un quatrain qu'on m'a donné »ur ce sujet, et que je ne vous fasse part de la réponse qui est à propos de mon discours, car les politiques disaient:
La couronne appartient à Henri de Bourbon, n n'y a qu'à tenir; il n'est plus hérétique. Qu'en dites-vous ligueurs? Vous n'avez pas du bon; 11 faut ployer sous lui, puisqu'il est catholique.
nÉPONSE.
Si catholique il est, jamais nul de nos Rois Ke le fut tant que lui; non pas S. Louis même: Car ils ne l'ont été chacun d'eux qu'une fois. Et Henri de Bourbon l'est jà pour la troisième.'
Le pamphlétaire n'oublie pas les réformés ; il croit qu'on devrait attacher tous les ministres protestants comme fa- gots depuis le pied jusqu'au sommet de l'arbre du feu de la Saint-Jean et mettre le roi dans le muid où l'on met les chats'. «Ce serait, ajoute-t-il, ua sacrifice agréable au ciel et délectable à toute la terre. »
1. Chalambeit, Histoire de la ligi.e, t H.
2. C ciait ia coutume à Paris, le jour de la Saint-Jeau, de remplir na touneaii de chats et de le jeter dans le feu. — L'Estoile, année 1693.
68
HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAIS*.
VIL
Les ligueurs lancèrent encore contre les royalistes le Dialogue du Maheitslre et du Manant; ce pamphlet eut une importance plus grande que celui du Banquet du comte d'Arête. L'auteur est probablement Rolland, conseiller aux monnaies, l'un des Seize'. L'auteur raconte une conver- sation qui a eu lieu entre un gentilhomme catholique (le Maheuslre) et un bourgeois de la ligue (le Manant) ; le dialogue est vif, serré, parfois éloquent; le Manant défend habilement la prise d'armes de la ligue et son refus de re- connaître pour roi un prince relaps et sous le coup d'une excommunication; les ligueurs, selon lui, ne sont qu'en état de légitime défense; ils usent de la liberté légitime qui, de tout temps, leur a été acquise pour préserver de toute at- teinte leur religion, leurs privilèges et leur liberté'. L'au- teur n'a pas oublié que Mayenne a voulu se substituer aux Seize et a fait pendre quatre de ses membres les plus zélés; il sépare la cause du lieutenant-général de celle de la Sainte-Union et lui porte un coup terrible ainsi qu'aux princes Lorrains, en les montrant plus préoccupés de la grandeur de leur maison que de l'intérêt de la France. L'auteur termine en remettant sa cause à Dieu.
« Le Maheustre : Quel chef avez-vous ?
uLe Manant: Dieu.
«ic Maheustre: Quel secours avez vous, ou espérez- vous en avoir? « Le Manant : Dieu.
« Le Maheustre : En qui avez-vous créance et fiance pour vous délivrer?
«.Le Manant: En Dieu.
«ie Maheustre: Qu'estimez-vous qui vous sauvera des mains et puissance du roi? «Le Manant: Dieu.
1. Quelques-uns l'attribuent à Cromé.
2. C'est le raisonnement habituel des iiltraniontains , qui ré* clament pour eux la liberté de défendre leur cause , et dénient ce droit à leurs adversaires, parce que, disent-ils, la vérité « « droit, qui n'appartient pas à l'erreur.
LIVRE XXIII.
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«Z,e Slaheustre : Comment pensez- vous faire quelque bon établissement, qui le soutiendra? «ie Manant : Dieu.
«ie Maheustre: Comment pensez-vous avoir un roi. vu la contradiction de vos princes? Qui vous le donnera? <iLe Mananl : Dieu.»
Cette fin ne manqua pas de grandeur; mais Dieu pou- vait-il prendre en main la cause des Rose, des Âubry, des Boucher, des Bussy-Leclerc?
Ce pamphlet fut plus utile que nuisible à la cause royale. En attaquant Mayenne, il affaiblit sensiblement l'influence du seul homme qui pût, dans ce moment, s'opposer au roi. Le lieutenant-général irrité de ce qu'on eiit osé s'at- taquer à sa personne , fit saisir le livre, qui fut lu avec plus d avidifé. C'est alors que parut le roi des pamphlets, la sa- tire Ménippée'. Ses auteurs, Leroy, Pierre Pithou, Passe- rat, Nicolas Rapin, Florent Chrétien immolèrent les prin- cipaux ligueurs à leur impitoyable raillerie.
Les auteurs supposent que pendant ,qu'au Louvre on faisait des préparatifs pour la tenue des États, deux char- latans, l'un Espagnol, l'autre Lorrain, vendaient leurs drogues et faisaient à qui mieux mieux des tours de passe- passe; chacun pouvait les voir sans payer. Le charlatan espagnol monté sur son grand tréteau faisait de la musique et vendait un électuaire appelé Fir/uiero d'inferno^ ou ca- tholicon composé. Rien, selon lui, n'égalait la vertu de sa drogue; la pierre philosophale même ne pouvait lui être comparée. A côté de lui, le charlatan lorrain faisait triste figure; il avait beau gesticuler, crier, la foule l'abandon- nait et se pressait autour de son rival.
Les spirituels auteurs de la Ménippée , après un récit burlesque d'une grande procession qui eut lieu avant
1. Elle fut ainsi appelée en souTenir de Ménippe de Gadara, qui a écrit des satires en prose et en vers contre les hommes et les événements de son siècle. La Ménipée parut d'abord en manu- scrit , et fut imprimée en 1 594 arec la date de 1593. Elle a eu un gran^ nombre d'éditions. Charles Nodier en a donné une en 1824, en 2 vol. in-S" , avec des notes de Du Puy et de Le Duchat. Charles Labitte en a publié également en 1842 une très-bonne, avec des notes et ime introduction.
2. Figuier d'enfer. — Voir Note n.
70 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
l'ouverture des États ', font la description des douze tapis- series qui ornent la chambre des députés et lancent de fines railleries sur les principaux chefs de la ligue. Sur la sixième, disent-ils, était dépeint le miracle d'Arqués, où cinq ou six cents déconfortés% prêts de passer la mer à la nage, faisaient la nique et mettaient en déroute, par les charmes du Béarnais, douze ou quinze mille rodomonts, fendeurs de naseaux et mangeurs de charrettes ferrées ; et ce qui en était de plus beau , étaient les dames de Paris aux fenêtres et autres qui avaient retenu place dix jours devant, sur les boutiques et ouvroirs Saint-Antoine, pour voir amener le Béarnais prisonnier, en triomphe, lié et bagué' et comment il leur bailla belle, parce qu'il vint en autre habit, par les faubourgs Saint-Jacques et Saint-Ger- main. ■•
Sur la septième on pouvait lire l'histoire de la bataille d'Ivry. On y voyait Mayenne , monté sur un cheval turc , courir bride abattue vers Mantes pour la prendre par le guichet. Le lieutenant-général criait : «Mes amis, sauvez- moi et mes gens ; tout est perdu , mais le Béarnais est mort. » '
Après ce préambule, les auteurs font tour à tour
ftarler Mayenne, le légat, Rose, Pellevé, les principaux igueurs. La partie capitale de la Ménippée est le discours de D'Aubray aux Élals : «Paris, s'écrie l'orateur, n'est plus Paris; mais une spelonque' de bêtes farouches, une cita- delle d'Espagnols, Wallons et Napolitains; un asyle et sûre retraite de voleurs , meurtriers et assassinateurs ; ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité, et te souvenir que tu as été au prix de ce que tu es '? ne veux-tu jamais te guérir de cette frénésie qui, pour un légitime et gracieux roi, t'a engendré cinquante roitelets et cinquante tyrans? Tu n'as pu supporter ton roi si débonnaire, si facile, si familier,
1 . Note m.
2. Huguenots , allusion au mauvais état de leurs alTaires.
3. Historique.
4. Allusion à la prise des faubourgs.
5. Allusion à ce qui arriva à Mayenne lors de sa défaite à Ivry, et au bruit qu'il fit courir, en entrant à Mantes, de la mort du Béarnais.
6. Caverne.
LIVRE XXIII.
74
qui s'était rendu comme bourgeois et citoyen de la ville qu'il a enrichie, qu'il a embellie de ses somptueux bâti- ments, accrue de forts et superbes remparts, ornée de privilèges et exemptions honorables. Que dis-je , pu sup- porter! c'est bien pis; tu l'as chassé de sa ville , de sa maison, de son lit. Quoi chassé! tu l'as poursuivi; quoi poursuivi ! tu l'as assassiné, canonisé l'assassinateur et fait des feux de joie de sa mort. Et tu vois maintenant combien cette mort t'a profité ; car elle est cause qu'un autre est monté à sa place, bien plus vigilant, bien plus laborieux, bien plus guerrier, et qui saura bien te serrer de plus près, comme tu as à ton dam' déjà expérimenté...
«Mais je ne puis en discourir qu'avec trop de regret, de voir les choses en l'état qu'elles sont, au prix qu'elles étaient alors. Chacun avait encore en ce temps-là du blé en son grenier et du vin en sa cave ; chacun avait sa vais- selle d'argent et sa tapisserie et ses meubles ; les femmes avaient encore leur demi-ceint'; les reliques étaient en- tières; on n'avait point touché aux joyaux de la couronne. Mais maintenant qui peut se vanter d'avoir de quoi vivre pour trois semaines, si ce ne sont les voleurs, qui se sont engraissés de la substance du peuple et qui ont pillé à toutes mains les meubles des présents et des absents? Avons-nous pas consommé peu à peu toutes nos provisions, vendu nos meubles , fondu notre vaisselle, engagé jusqu'à nos habits pour vivoter bien chétivement? Où sont nos salles et nos chambres tant bien garnies, tant diaprées et [.tapissées? Où sont nos festins et tables friandes? Nous ; voilà réduits au lait et au fromage blanccomme les Suisses. ■ Nos banquets sont d'un morceau de vache pour tout mets; I bienheureux qui n'a point mangé de chair de cheval et de i chien, et bienheureux qui a toujours eu du pain d'avoine I et s'est pu passer de bouillie de son, vendue au coin des rues, aux lieux où on vendait jadis les friandises de langues, caillettes et pieds de mouton , et n'a pas tenu à Monsieur le légat et à l'ambassadeur Mendoce que nous n'ayons mangé les os de nos pères comme font les sauvages de la nouvelle Espagne... Où est l'honneur de notre université?
)
1. Préjudice.
2. Parure des FarisieaaeB.
72 HISTOinc DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
OÙ sont les collèges? où sont les écoliers? où sont les le- çons publiques, où l'on accourait de toutes les parties du inonde? où sont les religieux étudiants aux couvents? ils ont pris les armes, les voilà tous soldats débauchés. Où sont nos châsses, où sont nos précieuses reliques? Où est la majesté et la gravité du parlement, jadis tuteur des rois et médiateur entre le peuple et le prince , etc. »
L'orateur, abordant la question du jour, continue et dit: dEnfin nous voulons un roi pour avoir la paix ; mais nous ne voulons pas faire comme les grenouilles qui, s'ennuyant de leur roi paisible, élurent la cigogne qui les dévora toutes. Nous demandons un roi et cheï naturel et non ar- tificiel, un roi déjà fait, non à faire, et n'en voulons pren- dre conseil des Espagnols, nos ennemis invétérés... Le roi que nous demandons est déjà fait par la nature, né au vrai parterre des fleurs de lys de France , rejeton droit et verdoyant de la tige de Saint-Louis. Ceux qui prêchent d'en faire un autre se trompent et ne sauraient en venir à bout; on peut faire des sceptres et des couronnes, mais non pas des rois pour les porter ; on peut faire une maison, mais non pas un arbre ou un rameau vert; il faut que la nature produise, par espace de temps, du suc et de la moelle de la terre, qui entretient la tige en sa séve et vi- gueur. On peut faire une jambe de bois , un bras de fer, un nez d'argent, mais non pas une tête. Aussi pouvons- nous faire des maréchaux à la douzaine, des pairs, des amiraux et des secrétaires et conseillers d'Etat; mais de roi point, il faut que celui seul naisse de lui-môme, pour avoir vie et valeur. »
Enfin l'auteur de cette partie si remarquable du pam- phlet essaya, dans l'excès de son royalisme, une justifica- tion de la vie licencieuse de Henri IV. «Il faut concéder aux princes, dit-il, quelques relâches et récréations d'es- prit , après qu'ils ont travaillé aux affaires sérieuses qui importent à notre repos, et après qu'ils se sont lassés aux grandes actions des sièges et batailles. Les rois, pour être rois, ne laissent pas d'être hommes, sujets aux mêmes
fiassions que leurs sujets; mais il faut confesser que ce- ui-ci en a moins de vicieuses qu'aucun de ceux qui ont passé devant lui ; et s'il a quelque inclination à aimer les choses belles, il n'aime que les parfaites et les e-xcellcntes,
LIVRE xxiir.
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comme il est excellent en jugement et à connaître le prix et la valeur de toutes choses, etc.»
Il eût mieux valu garder le silence que de tenter une défense impossible; les auteurs de la Ménippée manquèrent de tact dans celte partie de leur écrit; ils oublièrent que la loi morale n'a qu'une balance dans laquelle Dieu pèse les rois et leurs sujets, et plus sévèrement encore les pre- miers que les seconds, parce que leur grandeur rend leur responsabilité plus grande.
VIII.
La Ménippée parut d'abord en morceaux détachés, qui furent lus avec une grande avidité. Son succès fut immense; elle indigna et surtout elle fit rire. Or, en France , le parti dont on rit est à moitié vaincu : la ligue, qui s'était mon- trée héroïque devant la famine , se sentit faible devant la raillerie.
Les principaux chefs avaient perdu leur prestige. Les bourgeois, lassés de tant de guerres, qui avaient failli perdre le royaume, commençaient à réfléchir; le doute prenait peu à peu la place de la foi. Le Béarnais n'était plus à leurs yeux aussi abominable qu'on le leur représentait; les défections commençaient. Mais la ligue avait jeté de trop profondes racines dans le royaume pour que ses principaux membres , malgré le ridicule et l'odieux qui s'attachaient à leurs per- sonnes et à leurs œuvres, vinssent volontairement i';iire leur soumission au roi; ils résistaient donc; maîtres à Pa- ris et dans les principales villes du royaume, les plus zélés d'entre eux portaient leurs regards vers le vieux roi d'Es- pagne et rêvaient le mariage de sa fdle Isabelle avec le tils de Henri de Guise. La chaire n'avait pas abdiqué son rôle; les prédicateurs étaient toujours à leurs postes, occupés k réchauffer le zèle de leurs partisans. La situation du roi était toujours diflîcile; les cinq mois qui s'étaient écoulés depuis son abjuration, dont il attendait tant, n'avaient pas sensiblement amélioré ses affaires; ses partisans étaienn plus nombreux, plus dévoués ; mais les villes au pouvoir de.'î ligueurs ne lui avaient pas ouvert leurs portes. L'évèqua de Rome ne $e hâtait pas de lui envoyer son absolution
IV. 3
74 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
demandée avec tant d'instance, et attermoyée avec tant d'habileté. Il se voyait duiis !a dure nécessité de conquérir son royaume ville après \i\\e, château après château comme au lendemain de la mort de Henri 111, et cela, après avoir cru l'ermement que son retour au catholi- cisme jeterait le désordre dans les rangs des ligueurs et les réduirait à l'impuissance. Cette perspective ne lui sou- riait pas, il résolut alors de traiter avec chaque gouver- neur de ville et de province, et, chose honteuse, les mêmes hommes qui auraient reçu le roi à coups de canon, ou- vrirent publiquement un grand marché où chacun se ven- dit. Or, comme chacun se croyait un personnage important, il se tarifait haut. Le gouverneur de Meaux, Vitri, ceux de Bourges, d'Orléans, de Lyon firent leur soumission'. Les Seize et Mayenne étaient terrifiés; le roi, ravi de la tournure que prenaient ses affaires, disait plaisamment qu'on ne lui rendait pas la France, mais qu'on la lui ven- dait. Rome se montrait plus difficile que les chefs de la Sainte-Union; elle ne lui envoyait pas son pardon sur le- quel il avait compté pour abattre la ligue; il résolut alors de se faire sacrer; son but était de témoigner une fois de plus à son peuple qu'il était fervent et sincère catholique.
Une difficulté se présenta dans l'exécution. Reims , où les rois avaient coutume de se faire sacrer et où se trou- vait la Sainte- Ampoule, était au pouvoir des ligueurs. Était-il possible de faire ailleurs la cérémonie? pouvait-on se passer de la vénérable relique? Pendant que la question se débattait, un courtisan se rappela que Louis le Gros avait été sacré à Orléans par un archevêque de Sens , et pensa que la Sainte-Ampoule de Reims pourrait être rem- placée par celle de Saint-Martin, conservée précieusement dans l'abbaye de Noirmoutiers, près de Tours.
La difficulté levée, le roi choisit la ville de Chartres (pour le lieu du sacre et ordonna qu'il fût célébré avec une grande magnificence; il ne voulut pas qu'on le crût un roi pauvre. Habile politique, il savait qu'on gagne les masses mieux par les yeux que par le raisonnement.
Le 27 février 1594, la cérémonie eut lieu au milieu
1. De Thou, liv. CVnT. — Davila, liv. XIV. — D'Aubigné, lir. UI, ch. 29, p. 322. ~ Mémoires de la ligue, t VI.
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d'une grande foule de princes , de prélats et de grands di- gnitaires. L'évèque de Chartres ofïicia. Le roi debout, la main posée sur l'Evangile, fit un serment, dans lequel, entre autres promesses, il fit celle-ci : «Je tâcherai, en outre, en bonne foi, de chasser de ma juridiction et terres de ma sujétion tous hérétiques dénoncés par l'église, pro- mettant par serment de garder tout ce qui a été dit. Ainsi Dieu m'aide et ces saints évangiles de Dieu. » '
Après ces paroles dans lesquelles le fils de l'huguenote Jeanne d'Abret venait de promettre d'exterminer ses an- ciens compagnons de travaux, il reçut, sur son front, l'huile consacrée, récita, à genoux et à haute voix, le confiteor et prit la communion sous les deux espèces du pain et du vin.
La cérémonie terminée, il se retira au palais épiscopal au milieu des acclamations enthousiastes de la foule. Le lendemain il se rendit de nouveau dans la cathédrale oii il reçut des mains de l'évèque de Chartres le collier de l'or- dre du Saint-Esprit institué par Henri III et prêta, comme chef de l'ordre, le serment suivant:
«Nous Henri, roi de France et de Navarre, jurons et vouons solennellement en vos mains, à Dieu le Créateur, de vivre et de mourir en la sainte foi et religion catholique et romaine comme à un bon roi très-chrétien appartient, et plutôt mourir que d'y faillir, de maintenir à jamais l'or- dre du Saint-Esprit. »
Les serments coûtaient peu au roi; dans celui-là il pro- mettait, comme dans celui de la veille, d'extirper l'hérésie de son royaume, l'ordre du Saint-Esprit ayant été en par- tie institué à celte fin.
IX.
Les réformés se plaignirent vivement. Le roi leur fit ré- pondre que ce n'était pas d'eux qu'il s'agissait quand il avait promis d'extirper les hérétiques de son royaume'; le
' 1. Y. Palma-Cayet, année 1594. — Davila, liv. XIV. — De Tliou, Uv. CVIII.
J 2. Élie Benoît, Histoire de fédit de Nantes, 1. 1<=^ liv. m, p. 117. — L'Histoire d'Élie Benoit pour l'exactitude des faits mérite d'avoir une place à côté de celle de De TLou. Nous aurons souvent occa- sion de la citer; comine De Tliou, il a'a puisé qu'à des sources •ûres.
76 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
jésuitisme n'est pas né avec Loyola. C'est avec un profond dégoût qu'on voit un prince qui aspire à être le roi d'un grand peuple, se jouer légèrement de ce qu'il y a de plus sacré au monde, et attirer ainsi sur sa tête et celle de ses sujets la malédiction divine.
Le roi ne pensa guère à ses promesses; Paris à conqué- rir lui importait plus que le ciel à gagner. Or, Paris résis- tait toujours, quoique l'ardeur des ligueurs fût en partie paralysée par les catholiques royalistes qui soupiraient ar- demment après l'heure qui les délivrerait de leur tyrannie. Mayenne sentant qu'une plus longue résistance était diffi- cile, se rapprocha des Seize. Il consentit, sur leur de- mande, à la révocation du comte de Belin, gouverneur de Paris, dont on suspectait la fidélité, et nomma, à sa place, le comte de Brissac, qui s'était distingué le jour des barri- cades et avait, depuis cette mémorable date, donné tant de preuves de fidélité et de dévouement à la cause'. Ce fut cet homme qui livra la ville au roi; il posa préalablement ses conditions; il exigea 200,000 écus une fois payés; la con- servation de son bâton de maréchal de France, le gouverne- ment de Corbeil et de Mantes, et 20,000 livres de pension. Henri IV accepta tout; Brissac fit alors habilement ses dis-
fiositions et profita d'une absence de Mayenne pour ouvrir es portes de la ville au roi qui y pénétra, non sans dé- fiance, mais avec cet entrain qu'il mettait dans ses opéra- tions militaires. Les ligueurs apprirent, avec une surprise mêlée d'effroi , que le roi assistait à un Te Demi à Notre- Dame; ils voulurent prendre les armes, mais le même peuple, qui avait tant souffert pour leur cause, avait, après quelques hésitations , acclamé le roi et fait retentir les airs de ses joyeux hourras. Ils comprirent que Paris leur échappait; les armes leur tombèrent d'elles-mêmes des mains ; les moins fougueux crièrent : Vive le roi ! les plus forcenés dissimulèrent leur rage.
Le Te Deum terminé, Henri IV alla au Louvre; partout sur son passage il l'ut salué par les plus vives acclaniaîions d'une population enthousiaste; il pleurait de joie et recevait /avec une grande bienveillance ceux qui venaient lui pré- senter leurs hommages; mais il avait soin aussi , par des
t. L'Estoile, année 1594. — Économies royales, t. U.
LIVRE XXIII.
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mots piquants , de faire sentir son mécontentement à quel- ques hauts dignitaires, dont il avait à se plaindre. «Je suis bien aise, Monsieur le président, dit-il à M. de Hacque- \ille, de vous voir; je sais les bons olTices que vous avez faits ici, je vous en remercie; toutefois, quand il était question de quelque atTaire qui importait à mon service, vous étiez ordinairement malade , je suis d'avis que vous vous retiriez à votre grand conseil.» Au moment où il finissait sa phrase, il aperçut dans la foule le secrétaire Mcolas : v Qui avez-vous suivi dans les troubles?» lui dit le roi, qui aimait à plaisanter. Celui-ci, honteux et hésitant, répondit: « J'ai quitté le soleil pour suivre la lune.»
«Mais que penses -tu dire de me voir ainsi à Paris comme j'y suis ?
«Je dis. Sire, qu'on a rendu à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu. »
«Ventre Saint-Gris, répliqua vivement le roi en se tour- nant vers Brissac , on ne m'a pas fait comme à César ; car on ne me l'a pas rendu , à moi, on me l'a bien vendu. » '
Dans l'après-midi il alla à la porte Saint-Denis voir dé- filer la garnison espagnole qui sortait avec tous les honneurs de la guerre, suivant une convention signée le matin avec le duc de Féria. Quand celui-ci passa sous la fenêtre de laquelle le roi voyait défiler le cortège, il dit à l'ambassa- deur en le saluant: «Recommandez-moi à votre maître, mais n'y revenez pas.» Au salut courtois et ironique du roi, Féria répondit, en vrai Castillan, par une légère in- clination de tète; mais il n'en sentit pas moins amèrement que son maître avait jeté au vent ses efforts et ses dou- blons, et que la réduction de Paris était pour lui le pen- dant du désastre de l'Armada.'
Après souper le roi alla rendre visite aux duchesses de Nemours et de Montpensier. La conversation fut vive , en- jouée; on eût dit que l'attentat de Saint-Cloud , auquel la duchesse de Montpensier avait pris tant de part, n'était qu'une vieille légende. L'homme qui , sur le cadavre de Henri III, disait en sanglotant: «Les larmes ne pourront nous le rendre», faisait une partie de cartes avec la cora-
1. L'Estoile, année 1-594.
2. Pérèfixe. Histoire de Henri IV. — Y. Palina-Cayet, liv. VI. — Davila, liv. XIV. — Capeflgne; t. vn, p. 148-160.
78 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
plice de Jacques Clément et se laissait galamment gagner son argent par elle.'
Le soir, quand il fut rentré dans le Louvre, il ne pouvait contenir sa joie : «C'est un miracle de Dieu,» disait-il au chancelier Cheverni.
X.
Maître de Paris , le roi fut le maître des volontés ; l'Hôtel-de-Vilie et le parlement firent leur soumission ; la Sorbonne fil aussi la sienne.
Le corps qui avait proclamé la déchéance de Henri III, acclamé son meurtrier, .déclaré le Béarnais indigne de la couronne et qui s'était associé à toutes les fureurs de la ligue, se condamna publiquement et signa entre les mains du roi une formule dans laquelle il le reconnais- sait pour son légitime souverain et déclarait, conformé- ment à la doctrine de Saint-Paul , que les pouvoirs sont institués de Dieu et que toute obéissance leur est due. Il anathématisait ceux de ses membres qui auraient à cet égard des sentiments contraires.'
Cinquante-quatre maîtres et docteurs apposèrent leurs signatures au bas de la formule; cinq ans auparavant soixante-dix membres du même corps déclaraient: 1" que le peuple était délié du serment prêté à Henri III, qu'il pouvait en toute sûreté de conscience s'armer pour la dé- fense de la religion contre les conseils néfastes et les en- treprises dudit roi et de ses adhérents, puisque Henri III avait violé la foi publique, au préjudice de la religion, de ^ l.'édit de la Sainte-Union et de la naturelle liberté des États. Et aujourd'hui ce même corps reconnaissait «que la puissance, comme le dit Saint-Paul, vient de Dieu, et que celui qui résiste à la puissance encourt la damnation. » '
1. L'Estoile, année 1594.
2. L'Esloile, année 1694. — Étals généraux, t. XV. — Mémoires de la ligue, t. VI.
3. Henri Martin, t. X, p. 125. — Économies royales, colleci ion Petitot, série II, 1. 1", p. 109. — Acte public de l'obéissance ren- due, jurée et signée au roi très-chrétien Henri IV, par MM. le recteur, docteurs et suppôts de l'université de Paris (22 avril 1594). — Mémoires de la ligue, t. VI, p. 88 et suiv.
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La faculté de théologie se déshonora par son servilisme; quel que soit le jugement que nous portions sur les li- gueurs, qui, ne vouinnt pas profiter de l'amnistie accordée par Henri IV, s'exilèrent volontairement pour demeurer fidèles à leurs convictions, nous les plaçons bien au-des- sus de ces docteurs qui, par lâcheté, s'inclinent devant le prince pour lequel ils n'auraient pas eu assez de tous leurs anathèmes, s'il eût été malheureux. On hait l'homme vio- lent, implacable, qui laisse après chaque empreinte de ses pas une tache de sang; mais on n'a pas assez de tout son mépris pour celui qui fait litière de ses principes. Au reste, la conduite des Sorbonnistes ne doit pas nous étonner; les hommes violents sont rarement des hommes de courage; ils croient avoir de la foi, ils n'ont que des passions et des préjugés.
Parmi les prédicateurs il y en eut qui, s'inclinant sans rougir devant le fait accompli , cessèrent leurs attaques contre le roi et découvrirent en lui mille vertus qu'ils n'y apercevaient pas la veille de la réduction de Paris. Guin- cestre louait, du haut de sa chaire. Sa Majesté «tellement, dit l'Estoile, qu'on pensait qu'il n'y dût jamais sortir.» Le jour même de la réduction , il vint faire sa soumission au roi qui lui pardonna; mais comme il s'approchait de lui, Henri dit tout haut : « Gare le couteau ' ! » Ce fut sa seule vengeance.
Henri IV se montra cordial, bon, généreux, à l'égard des ligueurs les plus forcenés ; il n'oublia que ses fidèles huguenots; il savait qu'ils ne le tueraient pas.
XL
Les partis sont rarement généreux: forts, ils ne com- prennent pas que les représailles affaiblissent plus qu'elles ne fortifient, et que, si les vaincus sont impuissants, ils demeurent insoumis dans leur impuissance. Les royalistes,
![ui avaient tant soufl'ert pendant le terrorisme de la ligue, irent mettre à mort les assassins de Brisson et quelques- uns des plus forcénés ligueurs. Rose, Louis d'Orléans, Leclerc, Crucé, Pelletier, Hamilton Cromé, Boucher, et
1. L'Estoile, année 1594.
80 HISTOIRE DE LA "RÉFOftMATION FRANÇAISE.
[jîusieurs des Seize ne durent leur salut qu'à la fuite. Le parlement les condamna à mort et leur exécution eut lieu en effigie.'
Les ennemis les plus dangereux des royalistes n'étaient pas ceux qu'on frappait ou qui prenaient le chemin de l'exil : c'étaient les jésuites. Ces religieux avaient refusé de prêter serment au roi , sous le prétexte que le pape n'avait pas levé l'excommunication qui pesait sur lui; à part cela, ils sa conduisaient extérieurement en sujets fidèles et ne demandaient que la permission de régenter paisiblement et obscurément dans leurs collèges. Les royalistes pen- sèrent, et non sans raison, que tant que la société de Loyola demeurerait debout en France, la ligue ne serait pas éteinte. Le dessein de Barrière d'assassiner le roi di- sait mieux que toute parole que la tranquillité de la mo- narchie était incompatible avec son existence. Nous avons raconté au XV' livre de cette histoire son procès avec l'université , qui se termina par un arrêt qui laissa toutes les questions en suspens entre elle et ses adversaires. Comme, jusqu'à cette époque, elle avait été plutôt tolérée que reconnue officiellement en France, il fut décidé dans une réunion des quatre facultés qu'on reprendrait le pro- cès suspendu depuis trente ans. Le 12 mai 15941e recteur de l'université, Jacques d'Amboise, présenta requête au parlement «pour que les jésuites, ministres et espions d'Espagne fussent bannis du royaume. »
Les pères, atteints dans le centre même de leurs inté- rêts, essayèrent de conjurer l'orage en envoyant leur soumission au roi et en cherchant des appuis jusque dans ses conseils. D'O et plusieurs autres personnages influents se déclarèrent ouvertement leurs protecteurs et firent jouer tant de ressorts que le recteur de la Sorbonne fut désavoué. On décida que les jésuites ne seraient pas bannis du royaume , mais qu'ils seraient soumis aux statuts uni- versitaires.
Le recteur, aidé de quelques curés influents de Paris, ne se tint pas pour vaincu , et obtint que la cause serait plaidée. Grâce aux amis puissants des accusés , les débat?
1. V. Palma-Cayet, liv. VI. — Capefigue, t. VII. — Davila, Ut. XIV. — De Thou, liv. CIX. — Henri Martin t. X , p. 368.
LIVRE XXIII.
81
eurent lieu à huis clos. Antoine Arnaud, le père de cet autre Anioine Arnaud qui devait plus tard s'immortaliser dans ses luttes contre les jésuites, plaida pour le recteur: Dollé porta la parole pour les curés de Paris.
Les avocats des demandeurs parlèrent avec une violence inouïe; leurs discours, hérissés de grec, de latin et de citations, ne manquèrent ni d'habileté, ni d'une certaine éloquence. — Cependant , à force de fiel et de haine , ils dépassèrent le but et rendirent presque intéressants ceux sur la tête desquels ils appelaient l'anathème du ciel et l'exécration des hommes. Arnaud surtout méconnut complètement le caractère fondamental de la société de Loyola; pour la rendre plus odieuse, il la montra dévouée à l Espagne.
Les faits articulés étaient vrais; mais l'avocat méconnut étrangement le caractère constitutif du jésuite; — trois siècles ont prouvé qu'il n'est ni Français, ni Italien, ni Espagnol, ni Autrichien, mais nlui;y> sa patrie n'est ni Ma- drid, ni Paris, ni Naples, ni Venise, elle n'est pas même Rome, quoiqu'il se proclame le sujet le plus soumis du pape; le Lut de sa société est de tout embrasser pour tout dominer. Jamais Protée n'eut plus de figures, jamais ca- méléon n'eut plus de couleurs.
Arnaud fut plus dans le vrai quand il accusa la société de tenir école de régicide. «Mais à quoi est-ce que je m'arrête? s'écria-t-il; à des calomnies contre les morts? Hé ! ils ont voulu massacrer les vivants. Ne iut-ce pas dans le collège des jésuites à Lyon , et encore dans celui des jésuites à Paris, que la dernière résolution fut prise d'assassiner le roi au mois d'août mil cinq cent quatre-vingt treize. La déposition de Barrière, exécuté à Melun, n'est- elle pas toute notoire, et n'a-t-elle pas fait trembler et tressaillir tous ceux qui ont le cœur vraiment français, tous ceux qui n'ont point bâti leurs desseins et leurs espé- rances sur la mort du roi? iNe fut-ce pas Varade , principal des jésuites, choisi tel par eux comme le plus homme de bien et le meilleur jésuite, qui exhorta et encouragea ce meurtrier, l'assurant qu'il ne pouvait faire œuvre au monde plus méritoire que de tuer le roi, encore qu'il fût catho- lique et qu'il irait droit en paradis ; et pour le confirmer davantage en cette malheureuse résolution, ne le fit-il pas
82 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
confesser par un autre jésuite duquel on n'a pu savoir le
nom et qui est, par aventure, encore en cette ville, épiant de semblables occasions? Quoi plus, ces impics et exé- crables assassins ne communièrent-ils pas encore ce Bar- rière, employant le plus précieux et le plus sacré mystère de la religion chrétienne pour faire massacrer le premier roi de la chrétienté? »
L'avocat termina en demandant «que dans le délai de quinze jours les jésuites fussent expulsés du royaume, sous peine, pour celui qui n'obtempérerait pas aux ordres de la cour, d'être condamné comme coupable d'avoir attenté sur la vie du roi. »
XII.
Dollé, l'avocat des curés de Paris, déploya, dans son plaidoyer, moins de violence et plus d'habileté qu'Arnaud; comme son collègue , il sacrifia au mauvais goût de l'époque, et c'est de lui qu'on peut dire :
«Qui nous délivrera des Grecs et des Romains?»
Pour prouver qu'on doit chasser du milieu des Français des étrangers qui introduisaient dans le royaume un nouvel ordre de choses, il commença ainsi son discours: «Le sé- nat de Rome, Messieurs, ayant condamné les sacrifices d'Isis et de Sérapis, ordonna que leur temple serait ruiné, afin que les prêtres Isiaques perdissent à jamais l'espérance de s'y habituer. Ceux qui eurent charge de cette exécution furent saisis d'une frayeur superstitieuse et n'y osèrent mettre la main , de peur qu'en violant les autels de ces dieux étrangers ils ne fussent foudroyés comme on les en me- naçait; mais le consul Emilius Paulus, assuré que tout ce qu'un citoyen faisait pour le bien de son pays était agréable à Dieu, dépouilla sa robe de pourpre, prit la hache en main et le premier enfonça la porte pour encourager les autres à faire comme lui. Il est aujourd'hui question de savoir si on doit chasser du milieu de nous des étran- gers qui introduisent un nouvel ordre qui n'est pas ap- prouvé par l'Église gallicane, desquels la vie, les mœurs et la doctrine sont condamnés depuis longtemps on l'esprit de tous les gens de bien; narcaque, sous prétexte de piété et de dévotion, ils sapent peu à peu les fondi ments de l'Etat, débauchent le peuple de l'obéissance naturelle qu'il
LIVRE XXIII,
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doit à son foi ; lui dérobent le cœur de ses sujets pour les donner en proie au plus grand, au plus dangereux des ennemis de la France, qui bâtit de ses ruines, et, comme un cruel Python, cherche à dévorer ses enfants.»
Après la part faite au mauvnis goût, on admire comment Dollé serre de près ses adversaires et dévoile les ruses de leur politique; il cite les articles secrets de leur société, qui sont les plus importants de leur constitution; montre que leur danger n'est pas d'avoir des règles comme les autres corporations; mais de ne pas en avoir du tout, ce qui leur permet de prendre tous les masques et tous les visages; il les montre enfin s'élévant au-dessus des autres ordres , du clergé régulier et même des évéques , prome- nant leur indépendance partout , et partout se rendant redoutables, même à Rome, de laquelle ils tiennent tous leurs privilèges exorbitants. Quand l'orateuraborde la ques- tion du régicide , il presse en rude logicien ses adversaires et atteint la véritable éloquence du barreau; il suit hardi- ment les jésuites sur leur terrain de défense dans l'affaire de Barrière. «Je vous supplie, Messieurs, dit l'avocat en s'adressant à la cour, de les écouter attentivement: ils disent que Varade, ayant ouï Barrière, qui lui demandait avis s'il devait tuerie roi, il le jugea, à son visage, regard, geste et parole égaré de son sens. Comment cette affaire était-elle de si peu d'importance que vous l'ayez examinée si légèrement? Si Varade le jugeait insensé, pourquoi lui indiquait-il un confesseur? pourquoi ne s'enquérait-il depuis à ce confesseur, s'il persévérait en cette résolution par où il est connu jiidiciitm animi faissel Mais voyons le reste. Quand Barrière lui eut déclaré son intention, il lui répondit qu'il ne lui en pouvait donner avis, étant prêtre, et que, s'il lui conseillait, il encourrait la censure d'irré- gularité , et par conséquent ne pourrait dire messe, laquelle, toutefois, il voulait dire incontinent. 0 Dieu! est-il pos- sible qu'un prêtre, étant sur le point de faire un sacrifice de paix, ose proférer telles paroles, qu'il n'a pu faire misé- ricorde, qu'il ne lui a point été permis de dissuader un parricide? Hypocrites que vous êtes, penseriez-vous avoir violé le sabbat en sauvant la vie à un homme? Vos règles vous permettent de faire la médecine et d'exercer la chi- rurgie, qui est interdite aux autres prêtres, et toutefois
84 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION l'RANÇAISE.
VOUS faites conscience d'arracher le couteau des mains de ceiui qui veut meurtrir votre père? Vous avez donc pensé que ce fût mal fait de le divertir de son méchant propos, puisqu'on le faisant vous craignez l'irrégularité? Cette défense vous condamne, car elle est conçue en termes affirmatifs; elle ne porte pas que Varade s'excusât de dé- libérer sur ce fait, mais elle dit (ju'il ne lui pouvait con- seiller de le faire de peur de l'irrégularité ; cela montre de quel côté il inclinait.»
Le but de l'avocat est d'amener la cour à un arrêt de bannissement; il termine par ces paroles: «Comme an- ciennement les pontifes de Rome étaient obligés de donner avis au sénat des prodiges qui se rencontraient, afin de les expier; ainsi les demandeurs qui ont charge des choses sacrées, comme avaient ces pontiies, vous avertissent qu'il y a un grand prodige en cette ville et en plusieurs autres lieux de France, c'est que des hommes qui se disent re- ligieux enseignent à leurs écoliers qu'il est permis de tuer les rois et les princes; c'est la plus monstrueuse doctrine qui fût jamais. »
Les jésuites avaient choisi pour leur défenseur l'avocat Daret , qui fit preuve d'un grand talent ; il s'attacha à nier tout ce qui dans l'attaque était discutable; éluda ha- bilement les points sur lesquels la défense était impossible et tira un grand parti du décret par lequel ses clients, dans leur dernière assemblée générale (1593), s'étaient interdit de se mêler des affaires d'État.
Pendant qu'au milieu de l'agitation générale les avocats défendaient leurs clients, les accusés agissaient en secret par leurs amis sur les conseillers du parlement. La cour rendit un arrêt par lequel l'affaire fut ajournée; oe fut un vrai triomphe pour les jésuites qui se préparaient déjà à prendre le chemin de l'exil; pour eux, gagner du temps, c'était tout gagner. Trente ans auparavant le parlement avait décidé qu'on suspendrait les poursuites dirigées contre eux; cet arrêt leur avait valu trente ans de succès et de triomphe, pendant lesquels des régents de collèges étaient devenus un moment les arbitres de la France. '
1 . Mémoires de la ligue , t. VI. — On trouve dans les Mémokes la procédure suivie contre les jésuites, les plaidoieries d'ArnaiiW * de Dollé et de De Duret.
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Les jésuites seraient probablement sortis complètement vainqueurs de la lutte, sans un événement inattendu qui raviva toutes les défiances en rallumant toutes les haines.
XIII.
Le 27 décembre, vers les six heures du soir, le roi, de retour d'Amiens, était encore tout botté dans une chambre du Louvre, ayant près de lui ses deux cousins, le prince de Conti et le comte de Soissons et trente ou quarante des principaux seigneurs de la cour, lorsque deux gentils- hommes, M}L de Regni et de Montigny, se présentèrent devant lui pour lui présenter leurs hommages ; au moment où il ce baissait pour les embrasser, un jeune garçon, de petite taille, qui s'était glissé dans la foule sans être aperçu, le frappa au visage et le blessa légèrement à la lèvre. Le meurtrier fut immédiatement arrêté.
«Qu'on le relâche, dit le roi, je lui pardonne;» mais quand il entendit que l'assassin avait été élevé chez les jé- suites, il dit, en faisant allusion à leur récent procès : «Fallait-il donc que les jésuites fussent convaincus par ma bouche, yf
Le meurtrier fut conduit au fort l'Evèque, où son in- terrogatoire commença; il déclara qu'il s'appelait Pierre Cliastel, et qu'il était fils d'un marchand drapier de Paris. Voici son histoire telle qu'elle nous est fournie par son interrogatoire: Son père le mit chez les jésuites auxquels il confia son éducation; à l'école de ces pères il apprit entre autres choses «qu'il est permis de tuer les rois, quand ils sont tyrans;» pour perfectionner leur élève et compléter son éducation, ses maîtres l'introduisirent sou- vent dans leur célèbre chambre des méditations dans la- quelle ils enfermaient ceux de leurs disciples qu'ils trou- vaient particulièrement vicieux ou qu'ils voulaient pousser h quelque grande action utile à leur société. '
Entré vicieux chez les jésuites , Chastel en sortit plus vicieux encore; il avait seulement appris auprès d'eux que le moyen le plus sûr d'apaiser la justice divine étai t de faire
1. Ko te IV.
86 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
quelque chose qui fût utile à la religion; comme il avait entendu dire à plusieurs reprises et notamment au père Guignard, l'un de leurs docteurs les plus accrédités, «qu'il était loisible de tuer les rois, mêmemcnt le roi régnant, lequel n'était à l'Église, parce qu'il n'était approuvé par le pape;» il crut avoir trouvé le moyen de faire taire sa conscience et de gagner le ciel. C'est alors qu'il se décida à pratiquer ce que ses maîtres enseignaient si bien. 11 se munit d'un couteau et se retira dans son cabinet pour y méditer ses moyens d'exécution; avant cependant de com- mettre son assassinat, il communiqua à son père son des- sein; celui-ci l'en dissuada sans le persuader, car sa conscience le tourmentait tellement, «à cause des péchés qu'il avait commis et du penchant qu'il avait à en commettre d'autres, qu'il crut ne pouvoir expier qu'en faisant quel- que acte signalé;» c'est alors qu'il se décida à assassiner le roi.
Quand dans Paris on connut que le roi n'avait été que blessé et que le couteau de l'assassin n'était pas empoisonné, le peuple manifesta bruyamment sa joie; un Te Deum fut chanté dans l'Église de Notre-Dame.
Le procès de Chastel ne fut pas long; la preuve maté- rielle du fait existait ; l'accusé ne niait rien. Les jésuites furent compris dans l'instruction dirigée contre lui, et le même an'èt qui condamna à mort le disciple, ordonna l'ex- pulsion des maîtres «comme corrupteurs de la jeunesse, perturbateurs du repos public, ennemis du roi et de l'État.» Dans cette circonstance le parlement voulut prouver au roi l'horreur que lui inspirait le meurtrier par le luxe de la mise en scène de son supplice. Après avoir été soumis à la question, Chastel fut conduit devant la principale porte de l'église de Notre-Dame, nu en chemise; là, à ge- noux, et tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres , il déclara « qu'il avait commis le très-inhumain et très-abominable ; an icide, qu'il y avait été poussé par les leçons el instructions de ses maîtres les jésuites, ce dont il demandait pardon à Dieu, au roi et à la justice.»
De Notre-Dame le funèbre cortège se rendit, à la lueur des flambeaux, à la place de Grève où les bourreaux en grand costume attendaient le patient; ils le tenaillèrent aux bras et aux cuisses, lui coupèrent la main, puis il futécar-
LIVRE XÎIII.
87
telé, tiré par quatre chevaux; ses membres sanglants et palpitants furent jetés au feu et réduits en cendres.'
Le père du régicide fut banni à perpétuité de Paris et pen- dant neuf ans du royaume; ses biens furent contisqués, sa maison rasée; sur l'emplacement on éleva une pyramide aux quatre faces de laquelle on grava sur des tables de marbre noir l'arrêt qui frappait Chastel et les jésuites.'
Le père Guignard fut pendu en place de Grève; l'acte d'accusation porte que ce jésuite avait écrit de sa propre main des propositions excitant au régicide.'
XIV.
L'attentat de Chastel soufeva l'indignation publique ; et quand les jésuites quittèrent Paris , ils n'emportèrent que le mépris de ses bourgeois; le peuple, revenu de sa sangui- naire ivresse , commençait à avoir honte de lui-même , et son passé lui revenait dans l'esprit comme un mauvais rêve. Un prédicateur qui eût osé faire l'apothéose de Chastel, eût été immolé sur sa chaire. Il y eut cependant un homme qui, toujours fidèle à lui-même, se fit l'apologiste du ré- gicide et des jésuites ses complices, cet homme fut maître Boucher, le curé de Saint-Benoît; ce prêtre, qui avait la foi et la férocité d'un Marat, avait quitté la France sans avoir ni rien appris ni rien oublié; quand la nouvelle du crime de Chastel lui parvint à Tournay où il s'était réfu- gié, il n'eut qu'un seul regret, celui que l'assassin n'eût pas tué Henri IV; et pendant que les malédictions de toute la France contre le coupable témoignaient de son indi- gnation et de ses sympathies pour le roi, il prit la défense du régicide et fit hautement son apologie. Dans cet écrit long, diffus, lourd, indigeste, comme tout ce qui sortait
1. Capeûgue, t. VII, p. 255. — D'Aubigné, liv. IV, ch. 4. — Davila, liv. XIV. — L'Estelle, année 1594. — Procès de Chatel aux Mémoires de la ligue, t. VI.
2. Procédure faite contre Jean Chastel , écolier étudiant au col- \ lége des Jésuites, pour le parricide par lui attenté sur la personne V du roi très-ciirétien Henri IV, roi de France et de Navarre, et arrêts donnés contre le parricide et contre les jésuites. — Cette procédure se trouve aux Mémoires de la ligue, t. VI.
3. N'otev.
88 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
de sa plume infatigable, il y a par moment des éclairs d'éloquence. La haine est le trépied sur lequel Boucher s'inspire. Chastel, dit-il, n'a pas voulu tuer un roi. En effet, Henri IV n'est pas roi aux yeux du prêtre; il n'est pas roi très-chrétien, puisqu'il n'est pas chrétien. Il n'est pas fils aîné de l'Église, puisqu'il n'est pas dans l'Église; donc il n'est pas un roi, donc Chastel, en le frappant, n'a pas voulu tuer un roi.
La conversion de Henri IV ne touche pas le prêtre ; à ses yeux il n'est pas converti et il en dit les causes. Il va plus loin; il ne serait pas roi, quand môme le pape lui donnerait l'absolution; il n'est qu'un hérétique, ne peut être qu'un hérétique sur lequel chacun a le droit de courir sus, et il s'appuie sur le concile de Constance, qui fit brû- ler Jean Hus, et sur Calvin, qui fit brûler Servet.
Quant à Chastel, il loue son entreprise. Elle avait un but noble, élevé; le bien du royaume, l'honneur et la gloire delà religion; c'est un Scaevola, un Brutus, un Ahod.
Ceux qui l'ont condamné sont des juges iniques. Bou- cher prend également la défense des jésuites, il en fait de saints martyrs.'
Après cet écrit. Boucher rentra dans l'obscurité. Son châtiment fut de se survivre à lui-même.
XV.
L'université et les curés de Paris triomphaient; leurs rivaux prenaient le chemin de l'exil poursuivis par la haine et le mépris public. Ils supportèrent stoïquement leur in- fortune, et de Douai, où ils se réfugièrent, ils publièrent des écrits dans lesquels ils essayèrent une justification im- possible', leurs enseignements avaient malheureusement porté leurs fruits; leur expulsion n'était qu'une juste ex- piation. La nouvelle de l'attentat de Chastel fit une grande sensation à Rome; le cardinal d'Ossat, fervent catholique,
1. Apologie poiu' .lehaii Gbasiel. — Mémoires de Condé, t. VI. — Avertissement aux cutlioUcjues sur l'ari'èt de la cour du parlement de Paris , en la cause de Jeau Chastel , qualifié élève étudiant au collège des jésuites. — Mémoires de la ligue, t. VI.
2. Avertissement aux catholiques sur l'arrêt du parlement — Mémoires de la ligue, t. YI.
LIVRE XXIII.
89
dans le sentiment de son indignation, dit au neveu du pape «que s'il y avait lieu de commellre un tel assassinat, ce serait aux hérétiques, que le roi a quittés et abandonnés, à le commettre, et qui ont raison de se défier de lui, et cependant ils n'ont rien attenté de tel contre lui , ni contre aucun de nos rois ses prédécesseurs, quelque boucherie que Leurs Majestés aient faites dédits huguenots. » '
L'attentat de Chastel, mieux que les plaintes des réfor- més, rappela au roi que jamais sa vie n'avait couru aucun danger tant qu'il s'était confié à ses huguenots; dans des moments d'épanchement, il disait à ses confidents «qu'il avait plus de confiance dans les réformés qu'il avait aban- donnés que dans les catholiques qu'il avait couverts de son pardon et comblés de ses bienfaits;» ce fut peut-être dans l'un de ces moments que d'Aubigné lui dit: «Sire, Dieu que vous n'avez encore délaissé que des lèvres, s'est contenté de les percer; mais quand le cœur le reniera, il percera le cœur. » '
XVL
Les mêmes hommes , qui s'étaient montrés ardents à demander l'expulsion des jésuites , ne se montraient pas mieux disposés à l'égard des protestants; à leurs yeux ils étaient toujours des intrus et un embarras domestique pour la maison; de là des vexations sans nombre, qui rap-
fielaient les mauvais jours de Henri IIL On leur refusait 'entrée des charges et des emplois qu'on donnait aux chefs des ligueurs qui avaient fait leur soumission. Sous, divers prétextes on leur ôtait leurs villes de sûreté ou on les empêchait de les fortifier. A Paris le lieutenant civil , faisant violence à leur consciente , les contraignait , sous
fieine d'amende, à saluer les images, les croix, les reliques, es châsses , quand ils les rencontraient dans les rues. A Lyon on expulsait de la ville ceux d'entre eux qui ne vou- laient pas embrasser la religion catholique ; le parlement de Rennes interdisait la vente des livres protestants; celui de Lyon faisait déterrer les corps des réformés qui, depuis
1. Lettres du cardinal d Ossat. — Élie Benoit, 1. 1", p. 133.
2. D'Aubigné, part. D, col. .518.
I
90 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Suinze ans , avaient été ensevelis dans les cimetières et ans les églises; celui de Tours ne laissait les avocats et les procureurs exercer leurs fondions qu'à la condition d'une abjuralion. De tous les côtés la fureur des catho- liques se déchaînait contre eux, pendant que le roi comblait de ses faveurs ceux de la ligue qui se ralliaient à la cause royale. Quand les protestants se plaignaientde cette injuste
Partialité, Henri IV leur disait en parodiant la parabole de enfant prodigue: «N'est-il pas juste que je tue le veau gras pour fêler le retour de mon fds prodigue?» A cela les huguenots répondaient: Traitez-nous au moins comme le fds aîné à qui le père dit: «Mon fds, tous mes biens sont à toi'.» Le roi les payait alors de très-belles et bonnes paroles, mais ne faisait rien pour remédier à leurs dé- tresses, qui tendaient d'autant plus à s'aggraver que leurs chefs n'étaient pas unis entre eux, et que parmi eux il n'en était pas un seul qui imposât à ses collègues sa supé- riorité. Lesdiguières eût pu être le premier, car il était grand homme de guerre ; mais il était égoïste , ambitieux , cupide, débauché, ne pensait qu'à ses intérêts, aspirant plutôt à régner en roi dans le Dauphiné qu'à défendre ses coreligionnaires contre leurs oppresseurs. Rosny eût pu être cet homme, si, à ses éminentes qualités de capitaine et d'administrateur, il eût allié l'àme puritaine deMornay; mais l'essentiel lui manquait; et, d'ailleurs, celui qui avait conseillé au roi d'abjurer, était trop préoccupé d'in- térêts terrestres pour avoir la noble ambition de marcher sur les traces de Coligny ou de Lanoue. La Trémouille avait plusieurs des qualités d'un chef de parti; H était hardi, ferme, franc, généreux; une foule de gentilshommes étaient attachés à sa personne; mais il était très-jeune et passait pour entêté. Le plus considérable, de tous était Tu- renne, duc de Bouillon, l'un des plus riches seigneurs de France, par son mariage avec Charlotte de laMarck, l'o- pulente héritière de Sedan. Bouillon avait autant de mérite que d'ambition; intrépide et habile sur le champ de ba- taille, il était sage et avisé dans les conseils; mais quand le parti avait besoin d'un chef qui joignît aux qualités d'un grand capitaine la piété d'un chrétien, il n'avait que
1. Élie Benoit, 1. 1", Uv. III, p. 119-120.
V
s
UVRE XXIU.
91
des hommes qui le servaient plus par ambition que par religion; les réformés eussent certainement séparé leur ^ cause de celle du roi, si Du Plessis-Mornay ne les eût * assurés, en leur faisant espérer des jours meilleurs. Inter- médiaire entre eux et le roi, il s'efforçait de leur expliquer que le refus du monarque était inspiré par son conseil'. Or, comme ils n'avaient pas cessé d'aimer l'homme avec lequel ils avaient vaincu à Coutras, à Arques, à Ivry, ils at- tendaient des jours meilleurs, sans abandonner cependant l'idée de se choisir, s'ils y étaient forcés, un protecteur soit au dehors , soit au dedans du royaume.
Depuis 1583, les réformés, par le malheur des temps, n'avaient pu tenir un synode général. Cette lacune, dans la pratique habituelle de leur organisation ecclésiastique, avait porté une grave atteinte à leurs intérêts. Faible minorité dans le royaume , ils ne résistaient à leurs nom- breux adversaires qu'en demeurant étroitement unis; or, l'unité de foi et de conduite ne pouvait provenir que de l'initiative de l'assemblée qui était la personnification vi- vante de leurs craintes et de leurs espérances. Ils en avaient l'instinct ; de là leur constance à revendiquer un droit qu'ils regardaient, non sans raison, comme la sauve- garde de leur sûreté; de là aussi les efforts de leurs enne- mis pour le leur ravir.
Ce fut à Montauban que s'ouvrit, le i5 juin ioQi, le synode général'. On choisit cette ville parce qu'elle était dévouée à la cause de la Réforme et prêle à toutes les éventualités de l'avenir qui s'annonçait sombre et mena- çant.
Le premier soin du synode fut d'ordonner des prières pour le roi: c'était noble et touchant et contrastait avec la fureur de certains ordres de moines qui refusaient de prier pour lui quoiqu'il fût rentré dans le giron de l'Église catholique'. Cependant le sjnode ne voulut pas qu'on crût qu'il approuvait son abjuration; il ordonna en conséquence que tout en priant Dieu de lui conserver la santé, de bénir ses entreprises, on lui demanderait de l'éclairer et de le
1. Élie Benoit, t. !«', liv. m, p. 122-123.
2. C'était le 13« synode général tenu depuis celui de 1 559. — Drion, Atrég. chron., 1. 1", p. 199.
3. Élie Benoit, Histoire de l'édit de Kantes, 1. 1", liv. m, p. 24.
92 HISTOIRE DE LA RÉFORMÀTION FRANÇAISE.
ramener à la foi qu'il avait abandonnée. On décida en outre qu'on enverrait à sa cour des députés pour lui faire des remontrances à cet égard, et lui raontrer les périls que son changement faisait courir à la cause de l'Évangile.
Le synode s'occupa ensuite d'affaires importantes : il fut surtout profondément préoccupé de la conduite des
ftrotestants des environs de Paris. Le voisinage de la cour, 'exemple du roi et l'ambition avaient refroidi leur premier zèle et en avaient ébranlé plusieurs. L'édit de 1577 leur avait paru suffisant, quand de l'aveu de la grande majorité des réformés , cet édit ne leur donnait que des garanties insuffisantes et les laissait à la merci de leurs adversaires.'
Une lâcheté en amène presque toujours une seconde ; les mêmes hommes qui se montraient satisfaits des con- cessions de Henri III, s'étaient laissé persuader par les catholiques d'entrer avec eux dans une ligue qui avait pour but de défendre les libertés de l'église gallicane contre le pape. Le piège était grossier ; les conciliateurs qui aiment à se laisser tromper, colorent leur lâcheté du beau nom de tolérance, de support mutuel, de charité. Quand donc ils proposèrent au synode d'entrer dans la ligue et de nommer de part et d'autre des commissaires pour déci- der les questions pendantes, ils ne furent pas écoutés. On leur reprocha durement leur lâcheté, en leur faisant sentir que le voisinage de la cour les avait amollis, et quand, plus tard, ils proposèrent, que la tenue des synodes fût de plus en plus rare , leur demande fut rejetée comme attentoire aux droits de la cause.
Les débats, qui eurent lieu, révélèrent un côté fâcheux dans les dispositions de l'assemblée qui , ayant plus que jamais besoin d'être unie, se montra d'abord divisée; les uns sous prétexte de charité, de support, paraissaient dis- posés à passer sous les fourches caudines de la cour ; les autres, pleins d'une foi ardente, ne voulaient rien sacrifier de ce qu'ils appelaient « les droits de la vérité ; » les députés des provinces éloignées de la cour appartenaient à cette dernière catégorie ; leur zèle les fit appeler « des brouil- lons;» mais ce furent ces brouillons qui empêchèrent le protestantisme de se prendre dans les filets artistement
1. Actes des synodes nationaux (1694).
LIVRE XXIII.
93
tressés de la cour... Ils soutinrent le feu de la persécution, et lorsque, plus tard, le protestantisnae s'affaiblit et dis- parut presque du nord de la France , il se maintint éner- giquement dans les provinces éloignées de la capitale.
XVII.
Pendant que le synode continuait ses opérations, les députés des églises se rendaient (juin 1594) dans la petite ville de Sainte-Foi, située sur la rive gauche de la Dordogne, pour y tenir leur assemblée politique'. Henri IV, en l'ap- prenant, fut irrité. Il y vit une atteinte portée à son auto- rité: roi, il eût voulu que ligueurs et protestants s'incli- nassent devant sa volonté , et cependant ces députés pouvaient-ils demeurer à sa merci ? N'avaient-ils pas tout à redouter d'un prince qui les avait trompés dans leurs
tilus chères espérances et qui les récompensait de leur ongue fidélité en faisant moins pour eux que n'avait fait Henri III, l'homme du traité de Nemours. Dans le pre- mier moment de sa colère, Henri IV voulut empêcher les députés de se réunir, mais il comprit bientôt que ce serait le moyen d'irriter les réformés, et de les pousser à quelques moyens extrêmes qui accroîtraient ses embarras déjà si grands. Il laissa donc l'assemblée se réunir ; mais pour sauvegarder ses droits de roi , il lui en envoya l'autorisa- tion. Ce fut un acte de haute sagesse.
Les députés étaient au nombre de trente. Chacun , dit Élie Benoit, y apporta les préjugés de sa province et des mémoires conformes à l'espérance et à la crainte qui y dominaient'. La situation était grave.... La moindre divi- sion dans l'assemblée pouvait avoir des résultats incalcu- lables. Il était nécessaire que chacun fît des sacrifices à l'intérêt commun, que le protestantisme se montrât publi- quement uni, qu'il parût à tous qu'il pensait avec une seule tête, sentait avec un seul cœur, et agirait au be- soin avec un seul bras.
Pendant les débats il se produisit des choses, qui révé- lèrent chez quelques députés la perle de tout sens moral.
1. Mémoires de Madame Duplcssis, 1. 1", p. 268-2G9. — D'Aii- bigné. liv. IV, ch. 10; t. lil, p. 3fi6-367.
2. Èlie Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. III, p. 1 2G.
94 HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
Ainsi l'un d'eux proposa de faire une pension à l'un des secrétaires d'Etat, pour être leur défenseur auprès du roi, ainsi qu'à Gabrieile d'Estrées, sa maîtresse*. Cette honteuse proposition fut rejetée : les députés comprirent dès l'ouver- ture de sa séance que leur mission était de donner à leur cause une base ferme et solide. Ils ne faillirent pas à leur tâche, lis créèrent un conseil général, dans les mains du- quel toutes les affaires de religion furent concentrées. Le pouvoir de ce conseil s'étendait sur toutes les provinces qui devaient recevoir de lui , au moyen d'un rouage admi- nistratif, ses ordres souverains.
Les provinces furent réduites à dix'. Chacune d'elles devait nommer un député : ces dix députés devaient for- mer le conseil général, dans lequel entraient quatre gen- tilshommes, quatre personnes du tiers-état et deux mi- nistres. On pensa , non sans raison , que l'élément laïque devait dominer dans sa composition, à cause de la ten- dance des gens d'église à retirer à eux toute l'autorité.
Chaque province devait, dans un ordre convenu, nommai un député, pris dans l'un des trois corps du protestantisme, et afin que le conseil des Dix se retrempât sans cesse dans 1 opinion publique, il était soumis, tous les six mois, à un renouvellement par moitié ; pour lui donner enfin plus d'au- torité, on arrêta «que les ducs, les lieutenants-î(énéraux et autres personnes qualifiées auraient voix dans rassem- blée, quoiqu'elles ne fussent pas députés, pourvu que le conseil eût confiance en elles. »
1. Élie Benoit, Histoire de l'édit de liantes, f. I", liv. III, p. 126.
2. La France fut d'abord divisée en di^ proviuces ou cercles réduits ensuite à neuf. Les voici :
1" cercle : Bretag-ne, Normandie. 2'= — Picardie, Champagne, Sedan, pays Messin. 3= — lie de France, Orléanais, Berry. -i» — Touraine, Anjou, Maine, Perche, Loudunois, Pain- tonge , Aunis, La Roclielle, Ang:oumois, Bas-Poitou 5' — Ilaut-l'oitou.
G° — Bourgogne, Lyonnais, Dnuphiné, Provence. Y — Bas-Languedoc, Vivarais, Basse- Auvergne. *>• — Haut-Languedoc, Haute-Auvergne, Ilaufe-Guyenne, Quercy, Rouergue, Afmagnac, Comminges, Bigorre
»• — Basse-Guyenne, Gascogne, Bordelais, Agénois Pé- rigord, Limousin.
LIVRE XXIII.
95
A côté du conseil général on créa dans chaque province un conseil provincial composé de cinq ou sept membres du tiers-état, dans lequel devaient entrer au moins un gou- verneur de place et un ministre. Ce conseil devait corres- pondre directement avec l'assemblée générale, et avoir dans son ressort le même pouvoir que le conseil général avait dans le royaume; il élait chargé de recueillir les plaintes, les avis, les mémoires; de veiller à ce que la concorde régnât entre les grands; de s'occuper enfin de tout ce qui intéressait la cause.'
L'assemblée arrêta qu'il était urgent, vu le malheur des temps, de s'organiser au plus vite et de fixer la fin du mois de septembre comme dernier délai; elle s'occupa ensuite à élaborer des règlements touchant la levée des deniers et des tailles, les places fortes, les garnisons, les pasteurs, les écoles, les collèges. A tous ces règlements on ajouta, dit Elle Benoît, huit articles secrets dont le premier portait que pour l'administration de la justice on demanderait des chambres mi-parties dans tous les parlements, excepté ce- lui de Grenoble, où les réformés, qui pouvaient tout sous Lesdiguières, étaient à peu près contents de leur condi- tion; et si on ne pouvait obtenir ces chambres, on prenait la résolution de récuser tous les parlements, les présidiaux et tous autres juges royaux, dans les affaires dont ils peuvent juger en dernier ressort; et qu'on fournirait des causes de récusation contre tous ces tribunaux. Le second portait qu'on rechercherait l'intercession de la reine d'An- gleterre et des États des provinces unies, parce qu'on I trouvait les affaires des églises déplorables. Le troisièm» ! voulait qu'on écrivît aux grands, pour les exhorter à la : piété et à l'union. Le quatrième permettait, pour celte fois seulement, de doubler le nombre des députés que chaque i province enverrait à la prochaine assemblée, à cause de î l'importance des affaires qu'on y traiterait. Le cinquième ordonnait que l'exercice de la religion réformée cessât dans les lieux où il avait été mis par surprise, pourvu que cela se pût faire sans sédition, et qu'on rétablirait la messe idans les lieux où elle était avant la dernière guerre, ce qu'on faisait pour ôter aux catholiques le prétexte qu'ils
1. Actes des assemblées générales (15941V
«6
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
prenaient de n'exécuter pas les édits, sur ce que les rcfur-
inés y contrevenaient eux-mêmes, en ne permettant pas '
qu'on dît la messe dans certaines places dont ils s'étaient '
emparés. Le sixième remettait au retour des députés qu'on '
enverrait en cour à déterminer si on recevrait les catho- '
liques aux charges dans les villes que les réformés avaient '
en garde ; c'est-à-dire qu'il fallait que les catholiques |
sussent qu'on les traiterait à la pareille, et que, s'ils ne '
voulaient pas faire part des charges aux réformés, ceux-ci !
les en excluraient à leur tour dans les lieux où ils seraient '
les plus forts. Le septième désavouait tout ce qu'une pro- '
vince aurait fait au préjudice et sans prendre l'avis des ' autres, ce qui était arrêté pour prévenir des demandes
pareilles à celle de l'Ile-de-France , et le huitième approu- [
vait l'union de plusieurs provinces contiguës dans un seul '
conseil provincial.' '
XVIIl. '
L'assemblée représenta dignement les intérêts de ses i
mandataires par la vigueur qu'elle déploya et surtout par la «
pensée qui présida à la création du conseil général. L'unité il
de vue, de sentiment et d'action lui évita des divisions qui s l'eussent entraînée fatalement à sa ruine. Elle ne voulut
pas d'un grand pour protecteur: elle fit bien. Henri IV lui i
avait fait expier cruellement l'honneur d'avoir eu à sa tête a
un prince du sang royal. f
Le protestantisme put dès lors se présenter à ses enne- i
mis, fort de son unité, et leur faire comprendre qu'il ne p
serait pas facile, ni de le désunir, ni de l'abattre. C'est à t
son conseil général qu'il dut de traverser les plus mauvais s
jours de son histoire, et si plus tard l'édit de Nantes fut l
donné, il l'obtint moins de la volonté royale que de l'ha- il
bileté, de la vigueur et de la persistance de ce conseil. h
Un événement qui aurait pu avoir des résultats funestes fi
pour les réformés eut lieu pendant la tenue de l'assemblée ii
de Sainte-Foi ; une insurrection terrible éclata parmi les !(
paysans du Périgord et des provinces voisines. Quarante ii mille d'entre eux, dont un tiers de réformés, prirent les firmes et répandirent partout la consternation et l'effroi.
1. Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", Uy. Ul, p. 129-130. »
lIVRE xxin.
97
Ils donnaient pour prétexte de leur insurrection la con- duite indigne de la noblesse qui faisait peser sur les paysans un joug cruel et odieux. C'était un avant-coureur des der- niers jours du dix-huitième siècle. Une haine commune avait réuni protestants et catholiques pour travailler « à la réformation de l'Élat. » On ne sait ce qui serait résulté de cette levée de boucliers, si on n'eût suggéré habilement à ces derniers l'idée qu'il ne fallait pas admettre les hu- guenots à l'honneur de travailler avec eux à une si sainte cause. A un signal convenu, les catholiques se séparèrent des protestants qui, réduits à l'impuissance par leur petit nombre , présentèrent leurs services à l'assemblée de Sainte-Foi qui les refusa et leur conseilla secrètement de traiter avec la cour aux meilleures conditions pour eux; ils le firent, .et ainsi finit la guerre des Croquants", qui fut une manifestation de la haine que la noblesse s'était attirée par sa tyrannie.
Avant de se séparer, l'assemblée nomma des députés pour la représenter à la cour et décida que la prochaine réunion aurait lieu à Saumur le 1" décembre 159-i; son œuvre était terminée; elle avait bien mérité de ses man- dataires en plaçant le protestantisme, profondément ébranlé, sur des bases dont le temps a démontré la solidité.
Les députés qu'elle avait envoyés à la cour, réunie alors à Saint-Germain, furent bien accueillis; mais rien de ce qui avait été promis à Mantes ne fut accordé. Ils commen- cèrent à perdre patience; ce qui se passait autour d'eux n'était pas propre à leur en donner. Le duc de Mercœur, puissant dans la Bretagne, avait ouvert des négociations avec le roi, et parmi les conditions, dont il faisait dépendre sa soumission, il demandait l'abohtion du culte réformé dans ses possessions et dans plusieurs provinces voisines où il avait des châteaux. Le pape enfin, qui craignait que le roi, lassé de ses refus , ne formât une Église gallicane avec un patriarche à sa tète, se montrait moins difficile et paraissait disposé à accorder son absolution , qu'il ferait cepeixJant acheter au monarque au détriment des réformés; si h cela on ajoute les lenteurs des parlements qui ajournaient ou
1. Nom douué aux paysans insurgés. — Élie Benoît, t. I", liv. Ul,p. 130-1.3i,
/a.
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HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
refusaient la vérification des édits , on comprend combien étaient légitimes les craintes des députés. C'est dans cet intervalle qu'eut lieu l'attentat de Chastel dont nous avons j i parlé. Le crime de cet assassin avança les affaires des ré- ' ï formés mieux que les instances de leurs députés. Henri IV, i f dans ses moments d'épanchement, était plein de bonnes * dispositions pour eux; mais lorsqu'il raisonnait en poli- il tique, il n'osait s'abandonner aux entraînements de son ■ cœur. Cependant il ne pouvait continuer à bercer d'espé- fl rances illusoires un parti qui, dans son assemblée de 4 Sainte-Foi, s'était fortement constitué, en se donnant, j Ji pour organe oflîciel auprès de la cour, son conseil général, k
Les ennemis des réformés avaient pris occasion de la ] }> formation, de ce conseil , pour les accuser de vouloir for- »i mer un État dans l'État. Le roi, qui n'en croyait rien, 4 jugea cependant prudent de leur faire quelques concessions if afin de rendre inutiles leurs assemblées dans lesquelles fi ils agitaient des questions brûlantes et vitales pour leur cause. Il ordonna la vérification des édits qu'on leur avait accordés, et qui devaient être confirmés par un édit nou- I veau , suivant la promesse faite à leurs députés à Mantes.
Ce ne fut pas sans de grandes difficultés que le conseil consentit aux désirs du roi. Le parlement, devant lequel f l'édit fut porté, l'enregistra après de longues et orageuses discussions; les opinions se firent jour avec une grande f violence; les zélés catholiques de la cour n'admettaient f pas qu'on pût déclarer les réformés capables de remplir concurremment avec eux toutes les charges de l'État. Ils " durent cependant céder; la modération l'emporta sur la violence. Les hommes sages du parlement comprirent que ; le refus d'enregistrement amènerait une nouvelle guerre civile; les sept qui avaient eu lieu en moins de trente- f deux ans, le courage indomptable que les dissidents y avaient déployé, les maux sans nombre qui en étaient ré- sultés pour le royaume furent, auprès du roi, des avocats ?' plus» puissants que les passions ligueuses qui s'agitaient i encore autour de lui.
Les protestants furent "a demi satisfaits de l'édit et très- !' mécontents de la manière dont il avait été rendu. Le pro- cureur général La Guesle ne voulut pas qu'on se servît, dans l'enregiîtrement, delà formule accoutumée: tOuI
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et ce requérant le procureur général » il ne mit que ces mots : « Ouï le procureur général. » C'était grave , con- traire aux précédents, et constituait un antécédent fâcheux qui faisait connaître aux catholiques que l'enregistrement de l'édit avait été forcé , ce qui , dans l'opinion publique , lui ôtait la plus grande partie de sa force.*
Pendant ces négociations, conformément à ce qui avait été arrêté à Sainte-Foi, les réformés étaient sur le point de tenir une assemblée à Saumur. Quand le roi en enten- dit parler, il en éprouva une vive peine ; jaloux de son au- torité plus qu'aucun de ses prédécesseurs, il ne pouvait supporter l'idée de la moindre résistance à sa volonté; mais chez lui l'homme politique était le frein du roi. Il se décida à accorder ce qu'il ne pouvait empêcher sans recou- rir à la force qui eût provoqué une vive résistance de la part des huguenots.
XIX.
Les historiens hostiles au protestantisme ne veulent voir que des rebelles dans ces députés qui, malgré le roi, vont de tous les points de la France se réunir à Saumur'; un peu de réflexion et d'équité devrait leur faire comprendre que les réformés n'exercèrent que le droit de légitime dé- fense et que leur inaclion ou leur insouciance les eût li- vrés à la merci de leurs implacables ennemis; loin de les blâmer, il faut au contraire admirer leur constance dans les épreuves, et la persistance avec laquelle ils ne ces- sèrent de réclamer leurs droits de citoyens et la liberté de servir Dieu selon leur conscience; grands sur les champs de bataille, ils ne le sont pas moins dans les conseils, où ils discutent leurs intérêts, résolus à tout, même au sacrifice de leur vie, plutôt que de trahir la cause de leurs glorieux pères; aussi c'est avec un sentiment de res- pectueuse admiration que la pensée s'arrête sur cette as- semblée de Saumur, qui, dénuée de ressources, revendique énergiquement ses droits et ne veut ni du dernier édit,
1. Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. III, p. 137.
2. Mémoires de Madame Duplessis-Mornay, 1. 1", p. 268-269. — D'Aubigué, liv. IV, ch. 10; t. UI, page 366-367.
400 HISTOIRE DE LA. RÉFORMATION FRANÇAISE.
ni des anciens, parce qu'elle les croit impuissants pour protéger sa cause; elle en demande un nouveau, qui lui Qonne la liberté de culte dans tout le royaume, garantisse un salaire à ses pasteurs, permette aux réformés de dis- poser de leurs biens à leur volonté, leur donne des cours et des tribunaux mi-parties, les rende admissibles à tous les emplois, remette entre leurs mains des places de sû- reté avec des garnisons payées aux frais de l'État. S'il n'y eût eu dans leurs délibérations que des intérêts politiques engagés, ils n'eussent montré ni tant de courage ni tant de persévérance; regardant à la terre plutôt qu'au ciel, ils eussent, comme les ligueurs , dit à Henri IV: «Combien nous donnes-tu et nous te livrerons notre cause.» Ils ne le firent pas, parce que chez eux il y avait des convictions fortes et que le sang de leurs martyrs coulait encore dans leurs veines; il y eut, sans doute, parmi eux des lâches et des ambitieux ; mais au moins la masse résista aux pro- messes et aux séductions et donna au monde un noble exemple en ne sacrifiant pas au veau d'or ; leur mémoire n'y a rien perdu.
XX.
Au milieu de tous ces débats les affaires du roi prenaient une tournure favorable : la ligue allait s'affaiblissant, et cependant elle résistait toujours, couvrant sa rébellion de l'autorité du pape, qui n'avait pas encore levé l'excommu- nication qui pesait sur Henri IV, lequel n'avait pas cessé de négocier auprès du pontife sa réconciliation avec l'Eglise. Deux hommes habiles, insinuants, d'Ossat et Du Perron, l'aidaient dans cette tâche; son insistance auprès du Saint- Siège s'explique par son désir de désarmer la ligue et, plus encore , le bras des assassins. Après tant de combats, de périls et de fatigues, il soupirait après le repos. L'homme brave parmi les braves et qui, dans les rencon- tres les plus périlleuses, ne connut jamais la crainte, «était peureux devant le couteau; » l'absolution papale était à ses yeux un bouclier plus sûr que les arrêts de ses parlements, qui avaient déclaré sa personne inviolable et sacrée. Pour l'obtenir, il ne négligea rien, fit des bassesses et descendit presque au niveau de cet autre Henri qui, la corde au cou,
LIVRE xxni.
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en plein hivêr, vint en chemise se courber devant l'impla- cable el orgueilleux Grégoire VII'. On pardonne quelquefois aux rois d'être cruels, jamais d'être rampants, et quelle que soit la raison d'état dont ils se couvrent, ils sont obli- gés de respecter la dignité royale dans leur personne. Henri IV l'oublia complètement et continua les scènes de l'abjuration et du sacre.
Après de longues et habiles négociations, le pape crai- gnant, par de nouveaux retards , de pousser le roi à quelque résolution désespérée, se décida à lui accorder son absolution à des conditions dures et humiliantes dont voici les principales ••
Le rétablissement du culte catholique dans tout le Béarn ;
> La publication du concile de Trente en France sauf quelques modifications;
La remise du prince de Condé entre les mains des ca- tholiques qui rélèveraient dans leur religion ;
La restitution au clergé romain de tous ses biens ;
L'exclusion des réformés de toutes les charges pu- bliques, etc.*
Indépendamment de ces conditions, le pontife imposait au roi, pour pénitence, l'obligation d'entendre tous les dimanches une messe conventuelle dans la chapelle royale, et la messe privée tous les jours de la semaine, de dire le rosaire tous les dimanches , le chapelet tous les samedis et les litanies tous les mercredis, de jeûner tous les vendre- dis, de se confesser et communier publiquement au moins quatre fois l'année. Le pape oublia de lui ordonner de cesser sa vie -scandaleuse et de se séparer de Gabrielle d'Estrées; cela eût mieux valu.
Là ne se bornèrent pas les humiliations du roi; dans ces jours d'affaiblissement la papauté se croyait encore forte; elle dut le croire quand elle vit un Bourbon victo- rieux de ses ennemis, celui qui naguère l'avait bravée et
1. Henri IV, empereur d'Allemagne, mort de misère en 1106. Son ûls Henri V, qui causa sa mort, fit déterrer son corps, qui,
endant cinq années, demeura sans sépulture aux portes do église de Spii-e.
2. D'Aubigné, liv. XIV. — De Thon, liv. CXIII. — Canefiffue. ^-^'11, p. 29-i. — L'Estoile, année 1595.
iéi ' HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
raillée dans Rome même, mendier son appui. Sans doute, dans ses instances, il y avait plus de politique que d'affec- tion; mais aux yeux de toute l'Europe le roi de France reconnaissait dans le pape la plus haute autorité qui fût au monde; c'était un triomphe pour Rome après les rudes coups que la réforme lui avait portés; elle voulut donc, en cette occasion solennelle , agir comme en plein moyen âge; plus le roi se montra faible, plus elle se montra exi- geante, demeurant fidèle à sa politique. La cérémonie de la réconciliation eut lieu dans Saint-Pierre : ce jour-là la basilique fut ornée avec une pompe extraordinaire. Le pape, vêtu de pourpre et portant la tiare sur la tête, ap- parut aux yeux de toute l'assemblée, assis sur un trône éclatant entouré de cardinaux, de grands dignitaires et de tous les officiers de sa maison. Douze pénitenciers armés de baguettes étaient à droite et à gauche du trône ponti- fical.
Les deux procureurs du roi, d'Ossatet Du Perron, con- duits processionnellement devant le pontife, furent admis à l'honneur de lui baiser les pieds. Immédiatement après. Du Perron lut, à genoux, en latin, la confession de foi par laquelle le roi renonçait aux erreurs de Calvin et de- mandait humblement au Saint-père son absolution.
Le pape accorda cette demande aux conditions qu'il lui avait imposées.
Du Perron et d'Ossat le promirent au nom de leur maître.
Après cette promesse on entonna le miserere; pendant le chant, le pape, armé d'une baguette, frappait alterna- tivement sur l'épaule de d'Ossat et sur celle de Du Perron. Le miserere fini, il prononça quelques oraisons en langue latine, puis il déclara le roi absous du crime d'hérésie, le remit dans le giron de l'Église et lui donna, en le nom- mant, le titre de «roi très-chrétien»; au même instant les voûtes de l'immense cathédrale furent ébranlées par le son des trompettes et des tambours auxquels se mêlèrent les cris d'allégresse des assistants et le bruit des canons du château Saint-Ange, qui tiraient à toute volée.
Le pape descendit de son trône, embrassa affectueusement les procureurs du roi. «Je suis heureux, leur dit-il, d'avoir ouvert à votre maître les portes de l'Église militante.»
LIVRE xnn.
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«J'assure votre béatitude, lui répondit Du Perron, qu'avec la foi et les bonnes œuvres il s'ouvrira à soi- même celle de la triomphante. »
Du Perron promettait beaucoup.'
La grande fête du 15 septembre 1595 fut complétée par le supplice de deux protestants : un Flamand fut brûlé vif au champ de Flore; un Anglais, qui avait renverse un ciboire et traité d'idole l'hostie, eut le même sort. On lui coupa la langue et lé poing, et dans la crainte que sa mort ne fût trop prompte et trop douce, on le brûla contmuelle- raent avec des torches ardentes, depuis sa prison jusqu au lieu de son supplice. '
XXI.
Les protestants, malgré les promesses du roi, n'étaient pas rassurés; des bruits étranges, qui venaient de Rome, les tenaient dans une grande anxiété ; ils pensèrent que le roi avait acheté son absolution à leurs dépens; et cependant ils ne pouvaient se résoudre à croire que l'homme, auquel ils avaient tout prodigué, voulût faire de leur ruine une con- dition de stabilité pour son trône. Dans ses instructions à d'Ossat et à Du Perron n'avait-il pas fait coucher par écrit ces paroles notables destinées à être mises sous les yeux du pape : « Ceux de la religion réformée étant en grand nombre et puissants dans le royaume comme ils sont, servent et fortilient grandement sadile Majesté à défendre son État contre ses ennemis comme ils ont fait ci-devant: de sorte que sadite Majesté serait accusée d'imprudence et d'inçratitude si, après en avoir tiré tant de services qu'elle "a fait, et au besoin qu'elle a encore d'eux, elle leur courait sus et les forçait à prendre les armes contre sa personne, comme ils ont toujours fait quand on a voulu forcer leur conscience; mais Sa Majesté espère d'en avoir meilleur compte par la douceur et l'exemple de sa vie que par la rigueur. » ' En apprenant l'absolution papale, les catholiques mani-
' 1. Palma-Cayet, année 1595. — CapeOgue, liv. Vïï. — L'Estoile, gimée 1595. — Davila, Uv. XiV. — De Thou, Uv. CXm.
2. Histoire de l'cdit de Nantes, liv. d, p. 147.
3. Ëlie Benoit, 1. 1", liv. III, p. 144.
i04 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
restèrent bruyamment leur joie; trente-cinq ans de guerre les avaient lassés; ils soupiraient après la paix, cependant tout ce que le catholicisme comptait d'hommes honorables se sentit abaissé dans l'humiliation que le pape avait in- fligé à la royauté dans la personne du monarque. Ils blâ- mèrent vivement Du Perron et d'Ossat, de s'être soumis à la formalité de la baguette. Quant au roi, il ne partagea pas l'indignation de son entourage; habitué à rire de tout, il rit des coups de baguette, car elles lui venaient en aide contre les ligueurs, sur les épaules desquels le pape avait frappé plutôt que sur les siennes. Après la cérémonie de l'abjuration et celle du sacre il pouvait tout se permettre; il fut fidèle à lui-même.
Le jour où il reçut la nouvelle de sa réhabilitation il envoya des courriers dans toutes les provinces de son royaume pour apprendre aux gouverneurs cet heureux événement ; il disait dans ses lettres « que le plus grand hon- neur que les monarques laissent d'eux a la postérité est de s'être humiliés et d'être enfants de l'Église.»'
I. V Palma-Cayet, année 1595, édit. panth. litt., p. 600.
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LIVRE XXIV.
I.
Pendant que d'Ossat et Du Perron négociaient à Rome auprès du pape la réconciliation du roi avec l'Eglise catho- lique, des protestants qui célébraient leur culte à la Châ- taigneraye furent impitoyablement mis à mort par les soldats de la garnison de Rochefort. Deux cents personnes de tout âge et de tout sexe périrent. Ce fut une femme , la dame de la Châtaigneraye qui prépara cette sanglante expédition, et qui après l'exécution, vint sur le terrain du massacre , gaie, riante , joyeuse, compter les morts et s'informer si ceux des huguenots qu'elle haïssait le plus étaient du nombre. Les soldats se montrèrent impitoyables : un enfant nouveau-né, qu'on avait apporté à l'assemblée pour rece- voir le baptême, fut massacré; un autre qui, à peine âgé de huit ans, présentait auxégorgeurs huit sous en échange de sa vie, ne les toucha ni par son innocence, ni par sa jeunesse, ni par ses cris: le pauvre agneau fut immolé.'
Les protestants, indignés de cet acte de lâche barbarie, commis, en pleine paix, sur des gens inoffensifs, et dans le plein exercice de leurs droits, demandèrent qu'on pour- suivit les auteurs du massacre comme des brigands, et dans la crainte de voir se renouveler de pareilles vio- lences, plusieurs d'entre eux prirent les armes. Quelques- uns même, dans l'e.xcès de leur indignation, voulaient user de représailles sur les catholiques, pour se faire jus- tice de leurs propres mains.
IL
Toutes ces plaintes parvenaient aux oreilles du roi, qui s'efforçait de les oublier. Des choses plus importantes le ■préoccupaient alors; il faisait agir auprès du pape les res-
1. Élie Benoit, t. I", liv. IV, p. J50.
106 HlSTOmE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
sorts de sa diplomatie pour obtenir son absolution; ce fut pendant ces délicates et épineuses négociations qu'il crut être agréable au Saint-Siège, en faisant tous ses efforts pour retirer des mains des protestants le jeune prince de Condé, qu'ils gardaient comme un otage, avec l'arriêre-pensée de s'en faire un protecteur, si on continuait à les molester; leurs craintes n'étaient pas sans fondement: la vérification del'édit, qui devait améliorer leur position, n'avait fait que l'empirer; de là, leur refus de rendre le jeune prince. Henri IV, sans attendre que le pape lui en eût imposé l'obligation, déploya son habileté accoutumée pour les y contraindre, sans en venir à des voies de fait, auxquelles il répugnait; il lit courir le bruit que les réformés ne ren- draient jamais le jeune prince : c'était les signaler comme des rebelles et des factieux; il fitajouter que leur conduite préjudiciait à ses intérêts. C'était jeter la zizanie au milieu de leurs rang^ , à cause de ceux de leurs coreligionnaires qui lui étaient attachés; il fit enfin insinuer, que ce qu'on ne voulait pas lui donner volontairement , il saurait le prendre par la force ; c'était le moyen d'effrayer les ti- mides, qui soupiraient après le repos et tremblaient au moindre bruit de guerre.
Le jeune prince', objet de ces négociations , était le fils aîné de Henri de Bourbon, prince de Condé, mort à Jarnac. Ce prince qui avait plus de courage que de talents mili- taires, et plus d'ambition que de valeur personnelle, était plus aimé des protestants que le roi de Navarre. Après avoir abjuré le lendemain du 24 août 1572, il était rentré dans l'Église réformée, à laquelle il était attaché moins par politique que par conviction. Depuis ce jour il n'avait pas, comme Henri de Béarn, éveillé les soupçons de ses core- ligionnaires par des réticences et des hésitations; aussi les protestants le préféraient à son cousin , malgré la supériorité que ce dernier avait sur lui. Rien ne faisait prévoir la mort de ce prince, quand, tout à coup, il mourut à Saint-Jean- d'Angély, le 5 mars 1588, à la fleur de son âge. On crut à un empoisonnement. L'autopsie confirma les soupçons qui se portèrent sur Brossant, l'un de ses domestiques, et sur son page: le premier fut exécuté; le second, qui parvint à
1. Haag, France protestante, art. Bourbon.
LIVRE XXIV.
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s'échapper, fut condamné à mort et brûlé en effigie. Les soupçons ne s'arrêtèrent pas aux serviteurs du prince, ils atteignirent son épouse , Charlotte de la Trémouille. On crut voir en elle la main invisible qui avait présidé à ce crime ; jetée en prison, son procès commença : en 1595 il n'était pas terminé, et les soupçons continuaient à planer sur elle , quoique , jusqu'à cette époque , les enquêtes n'eussent abouti à aucun résultat positif.'
Deux hommes étaient ses ennemis particuliers : le prince de Conti et le comte de Soissons, frères de son mari. Ces deux princes attendaient d'une condamnation infamante fa perte des droits de son fds , alors premier prince du sang, et né six mois après la mort de son père. En le faisant dé- clarer illégitime*, ils se rapprochaient du trône; ils avaient donc intérêt à faire flétrir leur belle-sœur par un jugement solennel. Ils inquiétaient autant le roi que les huguenots. La Trémouille , frère de la veuve de Condé , souffrait cruellement de voir sa sœur sous le poids d'une accusation infamante. Ce seigneur courageux, habile, entreprenant, avait toute la confiance des protestants, qui repor- taient sur lui leurs espérances. Henri IV craignit qu'il ne voulût pas rendre le jeune prince, sous le nom- duquel il pouvait devenir un jour le chef de ses coreligionnaires. — La situation était très-compliquée, car de quelque ma- nière qu'il en poursuivît l'issue, il allait se heurter contre des difficultés. Il eut alors l'idée d'intéresser La Trémouille à l'honneur de sa sœur, en lui faisant sentir habilement la honte qui rejaillirait sur sa maison, si la princesse, déjà condamnée par les juges de Saint-Jean-d'Angély , portait sa téte sur un échafaud comme complice de la mort de son mari. Ebranlés par ces raisons, les parents de l'accusée présentèrent au roi une requête qu'il accueillit favorablement; les demandeurs y exposaient que les juges qui avaient condamné Charlotte de la Trémouille étaient incompétents; que c'était au parlement de Paris, juge
1. Mémoires de la ligue, t. II. — On trouve dans ces Mémoires les pièces suivantes : Relation de la mort du prince de Condé. — Avertissement sur la mort de Monseigneur le prince de Condé. — Rapport des médecins et chirurgiens sur la mort du prince de Condé, p. 303-304.
i, Rosoy, Éconowies royales, t. n, cb. 22, p. 233.
108 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
naturel des princes du sang, à prononcer. Le marquis de Pisani fut envoyé à Saint-Jean-d'Angély avec la mission d'en ramener la princesse avec son fils'. 11 éprouva d'abord de grandes difficultés : les zélés parmi les protestants craignaient, non sans raison, qu'une fois nanti de la personne du jeune prince, la cour ne fit tous ses efforts pour lui faire oublier la religion de son père ; pour atté- nuer leurs craintes, on promit le contraire, mais dès qu'elle l'eut en sa possession, elle manœuvra si habile- ment que ce prince, sur lequel les protestants faisaient reposer tant d'espérances, après avoir résisté à ses con- vertisseurs par ses cris et par ses larmes', se rangea peu à peu du côté des catholiques, et devint controversiste et convertisseur. Les protestants devaient faire encore une fois l'expérience, qu'en s'appuyant sur les grands de ce monde, ils avaient bâti sur le sable. Ce n'était que jus- tice : la Réforme devait échouer partout où elle n'avait pas été fidèle à son principe.
Charlotte de la Trémouille comparut devant ses juges , qui la relevèrent solennellement de l'arrêt porté contre elle; elle fut rendue à la liberté, et quelque temps après elle abjura la religion protestante à Rouen entre les mains du légat du pape.
Quelle qu'ait été la solennité de l'arrêt qui lui rendit son honneur, des doutes continuèrent à planer sur sa mé- moire'. «Les cours de justice, ditSismondi, avaient si peu de respect pour la vérité, et les preuves, sur lesquelles elles se décidaient , étaient si peu concluantes , que l'opinion publique ne put jamais avec sûreté prendre leurs sentences pour ses règles. »
IIL
Les réformés, témoins de toutes ces nouvelles intrigues, faisaient tous leurs efforts pour qu'on fit droit à leurs de- mandes. Les deux députés de leur assemblée de Saumur
1. L'Estoile, année 1595.
2. Il fut conduit la première fois à la messe le 24 janvier 1696. — Voir l'Estoile, année 1596.
3. Sismondi, t. XXI, p. 330. — De Thou, liv. CXII. p. 560; t. CXVII, p. 20. — Davila, liv. XIV. — Haag, France protestante.
LIVRE XXIV.
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se rendirent à Lyon où était le roi ; il leur fit un «cciieil très-bienveillant et les engagea à l'aider dans sa nouvelle guerre avec l'Espagne. Dans cette circonstance, le con- seil général des églises réformées crut devoir se désister de ses demandes, et fut d'avis qu'il fallait assister énergique- ment le roi. Le duc de Bouillon lui offrit ses services, les Provinces-Unies et l'Angleterre s'allièrent à la France contre l'Espagne, à la grande joie des protestants, qui attendaient de cette union la fm de leurs maux ou tout au moins l'ère d'un meilleur avenir. Dans le traité intervenu entre la France et la Grande-Bretagne , Elisabeth voulait faire insérer un article par lequel le roi s'obligeait de donner un édit favorable aux protestants de son royaume. Le duc de Bouillon, qui avait été envoyé auprès de la reine d'Angle- terre pour arrêter les bases du traité d'alliance, s'y opposa. Ses coreligionnaires lui en firent d'amers reproches, mais furent dès lors assurés d'avoir hors de la France des pro- tecteurs qui pourraient leur venir en aide dans leurs jours de détresse.'
La guerre avec l'Espagne n'ayant pas porté les fruits qu'ils en espéraient, les réformés se virent exposés à de nouveaux retards qui les jetèrent dans de grandes impa- tiences: toujours demander et ne recueillir que de stériles paroles, c'était dur pour ces hommes qui avaient le senti- ment profond de la justice de leurs demandes et de l'ini-
3uité des refus répétés dont elles étaient suivies. Le roi , e son côté, fatigué de leurs requêtes, perdant quelque- fois patience, leur disait des paroles dures, auxquelles ils ripostaient en lui rappelant leurs longs services.
Le pape, qui savait par ses émissaires tout ce qui se pas- sait en France, avait soin de prendre pour prétexte lo moindre acte, la moindre parole du roi en faveur des pro- testants, pour mettre en doute la sincérité de sa conversion. Clément VlII eut voulu l'amener peu à peu à exterminei ses anciens coreligionnaires, comme il l'avait promis lors de son abjuration et de son sacre; «mais le roi n'y voulut jamais consentir; » cependant il essayait de contenter le
f)ape: il prononçait alors quelques paroles rudes contre es réformés, ou bien faisait le convertisseur, et y réus-
1. Histoire de l'édit de Nantes, liv. IV, p. 156. IV. 4
•410 HISTOIRE DE LA RÉFORMATIOM FRANÇAISE.
fiissait quelquefois ; le r!?pe espérait arriver graduellement à «on but. Il se crut nicine s; • le point do l'atteindre, quand, en 1596, on fit courir le L. ^It que le roi avait définitive- ment rompu avec les liuguenols, et leur avait dit en ré- ponse à une requête qu'ils lui avaient présentée, «qu'il se joindrait au roi d'Espagne pour les détruire, et que, s'ils ne se tenaient pas dans le terme des édits, ils n'au- raient pas si bon marché de lui que de ses prédécesseurs. » * Mais pendant qu'il parlait ainsi, il donnait à des hugue- nots laïques des prieurés, des évêchés, des abbayes, dont ces derniers retiraient les revenus, comme cela se pra- tique encore en Angleterre, sous le nom d'un confident ou prête-nom. L'abus à cet égard était tel, que le conseil privé du roi rendit un arrêt qui adjugea un évêché à une femme, Le clergé catholique qui prenait facilement son
fiarli des abus quand ils favorisaient ses intérêts particu-* iers, se plaignit vivement et ce ne fut pas sans peine qu'il parvint à introduire des réformes dans cette partie de la législation ecclésiastique.
IV.
Les plaintes du clergé catholique inquiétèrent le roi qui lui permit de se réunir. Il parut en personne à l'as- semblée; le discours qui lui fut adressé fut modéré de formes. On lui demanda de faire un édit pour ramener les protestants dans la religion catholique, sans lui demander cependant, cette fois, de le faire par la force, mais par des conseils et la persuasion ; il obtempéra à ces de- mandes et rendit en sa faveur un édit à Travercy (1596), qui porta une nouvelle atteinte aux libertés déjà si res- treintes des protestants. 11 les obligea à souffrir la réinté- gration du culte catholique sur tous les points du royaume, et leur enleva le droit de se faire ensevelir dans les ci- metières et autres lieux consacrés , quoiqu'ils eussent des droits de patronage, à moins qu'ils ne mourussent dans la religion romaine; il donna au clergé le droit de reven- diquer les reliques et les ornements des églises des mains
1. Élie Benoit, t. I", liv. IV, p. 160. — Agrippa d'Aubjgné, Histoire universelle.
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111
de leurs détenteurs, et dans le cas où ils ne les représen- teraient pas, celui de leur intenter une action civile. L'ar- ticle de l'édit, auquel tenait le plus le clergé, était la res- titution par ces derniers de tous les biens ecclésiastiques.'
Après cinq ans de demandes, d'instances et de suppli- cations, les réformés n'avaient abouti qu'à l'édit de Tra- Vercy.
Un autre édit, auquel le roi attachait une plus grande importance, fut celui de Folembray (janvier 1596)% qu'il rendit en faveur de Mayenne, qui lui vendit chèrement sa soumission. Ce fut lui qui dicta les termes du contrat: le roi signa. Il renonça même à poursuivre les complices de la mort de Henri III.
«Il est constant, dit de Thou, en parlant des traités faits par le roi avec les ligueurs, que tous ces édits , ces traités, ces conventions, que le roi fut obligé de faire avec les princes, les grands, les villes et les gouverneurs des places rebelles, pour rendre la paix au royaume, coû- tèrent à l'État plus de six millions d'écus, qu'il fallut im- poser sur le malheureux peuple, que la guerre avait réduit à une extrême pauvreté, et qui avait un grand besoin d'être soulagé. Ces sommes, qu'oïl exigea avec une rigueur inouie, jointes aux impôts ordinaires, ruinèrent presque sans ressource, non-seulement le petit peuple, mais les familles les plus honnêtes, dont le fonds et les revenus se trouvèrent anéantis par la misère où le peuple était réduit. Telle fut la fin de cette guerre qu'on n'avait entreprise que pour le maintien de la religion et pour le soulagement du peuple. Au lieu de cela, on peut dire que la religion se vit entièrement détruite, foulée aux pieds, et absolument anéantie par l'impiété des guerres civiles, tandis que les
fieuples, non-seulement de la campagne, mais de toutes es villes du royaume, et les meilleures familles même, furent réduits à la plus grande indigence. A l'égard des princes, des grands et de la noblesse, ils s'accoutumèrent
1. Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. IV, p. 162-163.
2. Cet édit fut, après une vive opposition, enregistré au parle- ment le 9 avril 1596, le 29 mai suivant à la cour des comptes et le 29 du même mois à la cour des aides. — Voir dans De Thou, liv. CXV, le récit de cette grave affaire.
}. Note VI.
iiî HISTOIRE DE IK RÉFORMATION FRANÇAISE.
tellement à vivre sans règle et à faire des dépenses qui passaient leurs forces, qu'aujourd'hui on les voit noyés de dettes et déjà dégoûtés de la paix que Dieu nous a enfin accordée par sa bonté, n'avoir plus de ressources que dans de nouveaux troubles , et soupirer encore après une nouvelle guerre civile, pour remédier au mauvais état de leurs affaires'.» Un seul ligueur, le duc de Mercœur, n'a- vait pas fait sa soumission : la Sainte-Union ne vivait que par lui.
V.
Les défiances des protestants demeuraient les mêmes : chaque jour était marqué par un nouvel acte d'oppression ou de mauvaise foi; on voulait, suivant la confession na'ive d'un conseiller d'État, les pousser « à faire les fous.> Henri IV était étranger à ces lâches menées, qu'il ne pou- vait empêcher. Ceux des chefs de la ligue qu'il avait ache- tés, n'avaient pas abandonné l'idée d'un démembrement de la France; cette idée même avait pris corps, et les principaux auteurs du complot vexaient les protestants \ pour les pousser à prendre les armes, et par la guerre, arriver h leur fin.
Les réformés qui avaient, par leur courage, aidé le roi il conquérir son trône, l'aidèrent, par leur sagesse , à le conserver. Ils se bornèrent à continuer leur assemblée, qui fut transportée à Loudun (1" avril 159G), avec la permis- sion du monarque. Pendant la tenue de l'assemblée, les parlements de Bordeaux, de Toulouse et d'Aix, rendirent des arrêts qui limitaient les libertés des protestants; celui d'Aix interdit même sous peine de mort la religion réfor- mée dans toute l'étendue de son ressort. Sous le ciel ar- dent de cette contrée, les passions ligueuses ne s'étaient pas amorties; d'Oppède revivait dans ses intolérants suc- cesseurs.
L'assemblée qui recevait de toutes les provinces les ca- hiers contenant les plaintes de ses mandataires, élait dans une grande perplexité; elle attendait peu de la bien- veillance du roi : elle lui envoya néanmoins le huguenot
1. DeThou, Bv. CXV, p. 743-741.
LIVRE XXIX.
113
Vulson pour presser l'exécution de ses promesses ; l'en- voyé fut bien accueilli, mais n'obtint rien. Le roi, offensé de la hardiesse des députés qui lui avaient fait dire par leur envoyé que l'assemblée attendait sa réponse à Loudun, et plus encore de sa résolution de ne se séparer qu'après avoir obtenu une conclusion des affaires pour lesquelles elle s'était réunie, lui ordonna de se dissoudre immédia- tement. — «Nous n'avons, se dirent alors les députés, rien à attendre de la cour; c'est en nous-mêmes et dans nos propres forces que nous devons chercher un remède à nos maux. » — L'idée de séparer leur cause de celle du roi germait dans les esprits d'une manière rapide, in- quiétante; elle se légitimait à plusieurs égards. Duplessis- Mornay conjura l'orage en se rendant au sein de l'as- semblée, à laquelle il fit entrevoir les dangers d'une pareille mesure ; il persuada aux députés qu'avec une ré- sistance passive, ils atteindraient mieux leur but qu'en prenant une mesure qui les placerait en état de rébellion ouverte. «Fortifions, leur dit-il, notre assemblée d'un pliTS grand nombre de personnes considérables, et déci- dons que nous ne nous séparerons pas sans avoir obtenu un édit avec des garanties sulfisantes pour son exécution.)) L'assemblée suivit le conseil de Duplessis , et la sagesse , cette fois encore, l'emporta sur le ressentiment.'
L'attitude de l'assemblée inquiétait vivement le roi; dans une lettre que Mornay lui écrivit, ce fidèle serviteur lui ex- posait les raisons que les protestants avaient de se plaindre, plaçait sous ses yeux des faits et l'engageait à envoyer un commissaire pour entendre et recevoir les plaintes des réformés, «Ne croyez pas. Sire, lui disait-il, que la chose n'est pas peu importante ; chacun veut savoir, une bonne
1. Dans une lettre à La Fontaine (19 juin 1596), Du Plessis disait : iJe vous ai écrit de notre assemblée de Loudun; chacun y désire la paix, mais chacun y est las de l'incerlitude de notre condition; en vain leur prêche-t-on la patience; ils répliquent, quils l'ont eue en vain, qu'il y a sept ans que le roi règne, que ( leur condition empire tous les jours , qu'on fait pour la ligue tout ce qu'elle veut, que la cour ni les cours ne lui refusent riea et n'y fait rien l'histoire du prodigue. Au moins, disent-ils, anrès avoir tué le vean gras pour eux . qu'on ne nous laisse pas la corde au cou, poui' salaire de notre lidéUté. »
Hé HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
fois, ce qu'il doit attendre pour sa sûreté.» Pour reinplif cette mission délicate il lui indiqua le président de Thou.* Le roi accueillit favorablement la lettre de Duplessis : il révoqua de suite les ordres de disperser l'assemblée par la force et lui promit de lui envoyer dans un bref délai un commissaire pour traiter avec elle. Le délai expiré, le commissaire n'arriva pas, l'assemblée était impatiente; tant d'années de demandes et de vaine attente l'avaient lassée. Le roi avait contenté tout le monde, excepté les huguenots; bien plus, tout ce qui s'était fait pour l'asseoir sur le trône, avait été fait à leurs dépens; le pape avait vendu chèrement son absolution, et quand les chefs de la ligue avaient à leur tour vendu leur soumission, ils avaient cru éviter la honte de leur marché par la mani- festation de leur haine contre les protestants.
VI.
«Toutes ces réductions, dit Élie Benoît, donnaient de nouveaux ombrages aux réformés, contre les libertés des- quels on insérait toujours quelque clause dans les traités des gouverneurs et des villes. Les articles mêmes, qu'on avait arrêtés à Mantes, se trouvaient presque tous violés par ces nouveaux édits, et les réformés, après ces infrac- tions, se trouvaient à recommencer. Toutes les villes ne montrèrent pas une aversion égale pour eux ; mais elles s'accordèrent toutes à demander qu'on n'exerçât dans leur enceinte nulle autre religion que la catholique. Meaux se contenta d'exclure de ses murailles et de ses faubourgs l'exercice de la religion réformée. D'autres le firent ex- clure de leur banlieue. Plusieurs le firent réduire aux bornes de l'édit de 1577, de peur que les services des réformés ne leur fissent obtenir une liberté plus étendue. Plusieurs demandèrent l'exclusion de l'exercice des réformés dans toute la juridiction de leur bailliage; quelques-uns y ajou- tèrent la peine de la vie pour ceux qui y contreviendraient.
t. Brief discours par lequel chacun peut être éclairci des justes procédures de ceux de la religion réformée , par M. Duplessis. — Dans ce discours, qui se trouve au tome VU des Mémoii'es de l'au- teur, p. 278 , la négociation relative «ux protestants s'y trouve racontée avec de grands détaUs.
uvBs xinr.
paris fit reculer, ft dix lieues à la ronde , l'eiercice que les réformés désiraient. Villars les bannit de Rouen et de toutes les villes et places qu'il remit dans l'obéissance du roi, et fit ajouter qu'il n'y serait reçu ni juge, ni oflicier
3ui ne fût catholique et qui ne vécût selon les constitutions e l'église romaine. Mais pour adoucir cette clause rigou- reuse, on y ajouta que cela durerait jusqu'à ce que le roi en eût autrement ordonné. Poitiers, outre l'exclusion de l'exercice de la ville et des faubourgs et de tous les lieux oii l'édit de 1577 ne le permettait pas, demanda le réta- blissement de la religion catholique en divers lieux du Poi- tou. Agen fit limiter sa banlieue à demi-lieue à la ronde où l'exercice de la religion réformée ne se pouvait faire. Amiens le fit défendre dans la ville et dans tout le bailliage sans réserver l'édit de 1577. Beauvais obtint qu'il ne se pourrait faire qu'à trois lieues à la ronde et dans le^ reste du bailliage qu'aux lieux où il s'était fait du vivant du feu roi. Saint-Ma!o fut traité de même. Les villes et les seigneurs qui revinrent plus tard à leur devoir, suivirent l'exemple des autres et tirèrent tout ce qu'ils purent du roi contre la religion réformée.»'
Les réformés renouvelèrent leurs demandes quand ils apprirent que Clément VIll avait envoyé un légat en France: l'arrivée de ce prélat leur paraissait un présage de mauvais augure; ils ne doutaient pas qu'il ne vînt solliciter le roi de
[(rendre des mesures violentes contre eux ou toijt au moins 'engager à ajourner la réponse à leurs cahiers, qu'ils atten- daient depuis si longtemps. Leurs craintes s'accrurent en voyant diminuer leurs garnisons en Poitou et en Saintonge, et supprimer celle de Thouars. De plus , Rosny, leur co- religionnaire, loin de soutenir leur cause, paraissait la trahir. Ce ministre de Henri IV n'était aimé ni des catho- liques ni des protestants; son caractère hautain, dur, al- lier, lui faisait des ennemis de tous les hommes qui avaient une valeur personnelle. Dans le maréchal deBouillon, Rosny baissait l'homme puissant aux affaires; dans Lesdiguières, le soldat heureux et indépendant ; dans Duplessis-Mornay, l'honnête homme et l'habile politique. Il tenait systémati- quement ce dernier éloigné de la cour dans la crainte qu'il
1. Histoire de l'édit <1e Nantes, 1 1", Ut. m, p. 116-117.
ii6 HISTOIRE DE hk RÉFORHATION FRANÇAISE.
ne le supplantât dans l'esprit du roi. Chez Rosny l'ambi- tion était une maladie incurable; de grands défauts ter- nissaient chez lui d'admirables et d'incomparables quali- tés; il avait beaucoup de ce qui fait le grand minisire et un peu de ce qui rend l'homme petit.'
Dans l'impossibilité de se faire rendre justice, l'assem- blée se décida à se la faire elle-même. Elle ordonna, en quelques lieux du Poitou, la saisie des recettes royales comme une compensation au préjudice qui lui était causé par les diminutions de leurs garnisons, leurs seules ga- ranties contre de nouvelles vexations qui leur paraissaient imminentes. L'attitude de l'assemblée et la réunion d'un synode national qui avait lieu au même moment à Saumur alarmèrent le roi qui craignit que les députés et le synode, en unissant leurs efforts, n'accrussent ses embarras. Il se décida alors à envoyer des commissaires pour traiter avec l'assemblée. Sur le refus de De Thou, il nomma pour cette mission De Vie et Colignon, qui reprochèrent aux membres de l'assemblée de ne pas savoir tenir compte de la position difficile du roi. «Le roi, dirent-ils, se plaint de ce que vous êtes bien éloignés de l'affection et du res- pect que vous avez toujours eus pour lui.» Aux reproches qu'ils leur firent de songer plus à leurs intérêts particu- liers qu'au bien public, les députés demandèrent aux com- missaires s'ils connaissaient pour eux un bien public pré- férable à leur conservation. «Est-ce juste, ajoutèrent-ils, de laisser des milliers des meilleurs sujets de Sa Majesté exposés sans défense à la merci de leurs ennemis , gens exercés à la perlidie , aux injustices et aux massacres?»*
VII.
Henri IV se décida cependant à faire quelques conces- sions aux protestants , quand il vit que l'assemblée était résolue à ne rien céder de ce qui concernait le paiement de ses iTiinistres et l'administration de la justice, pour la sûreté de laquelle elle réclamait des chambres mi-parfics dans les parlements qui leur étaient suspects. Il leur per-
1. Histoire de l'édit de Kantcs, t. l", !iv. 111, p. 121-123. t. Élic Bei;oil, t. Il, ch. 4, p. 177.
LIVRE XXIV.
mit de con-tinuer l'exercice de leur culte dans tous les lieux où ils l'avaient commencé pendant l'année courante, et l'établissement d'un second lieu de culte dans chaque bailliage , de plus il fit enregistrer par le parlement de Rouen l'édit de 1577, comme il l'avait déjà été par celui de Paris.
Ce n'étaient que des palliatifs à une situation qui de- mandait des remèdes énergiques; et cependant ce mini- mum de justice indisposa Rome , qui vit , dans la vérification de l'édit de 1577 par le parlement de Rouen, un recul de Henri IV dans sa foi religieuse. Le pape se plaignit vive- ment à d'Ossat, qui calma le pontife, en lui exposant que le roi avait agi sous l'empire de la nécessité.
Les commissaires royaux se rendirent, au commence- ment de février 1597, à l'assemblée, qui, sur son désir, s'était réunie à Vendôme. Ils lui dirent «que leur maître, malgré tout le bien qu'il voulait aux prolestants , ne pou- vait accorder davantage.» L'assemblée ne fut pas satisfaite. «On nous sacrifie, dirent les députés aux commissaires, on oublie nos services, on nous forcera, par des injus- tices réitérées , à chercher notre soulagement en nous- mêmes. » Les commissaires qui connaissaient les disposi- tions de l'assemblée écrivirent au roi qu'il serait dange- reux de la pousser au désespoir; que ce qu'il y avait de plus urgent à faire, c'était de la dissoudre et de renvoyer les députés dans leurs provinces avec des concessions qui les satisfissent.
Le roi fut mécontent de l'attitude que prenait l'assem- blée; il s'emporta contre Bouillon et La Tremouille, cou- pables, à ses yeux, d'entretenir, parmi ses membres, un esprit d'agitalion contraire à ses intérêts et à ceux des réformés, qui, par leur manque de patience, rendaient sa tâche difficile et l'empêchaient d'exécuter le bien qu'il se proposait de leur faire.
Le roi pensait ce qu'il disait, mais il avait perdu le droit d'êlre cru. Depuis sept ans il promettait et disait aux hu- guenots: «Vous n'êtes pas patients! » Les événements plus forts que sa volonté lui avaient créé cette étrange situation.
Les choses ne tendaient pas vers une situation favorable. Les pourparlers continuaient à Saumur où l'assemblée s'élail trausnortée de Vendôme, guand tout àcoi^ lanou-
118 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
velle de la prise d'Amiens par les Espagnols retentit en France comme un coup de tonnerre qui terrifia le roi et remplit d'espérance les ligueurs.'
VIII.
lia nouvelle surprit Henri IV au milieu des plaisirs aux- quels il se livrait sans retenue. Sa maîtresse en litre était Gabrielle d'Estrées , qu'il avait fait duchesse de Beau- fort, et pour laquelle il dépensait follement des sommes énormes, auxquelles Rosny subvenait avec ses pots de vin.» L'Estoiie , tout en ne prétendant qu'au modeste rôle de nouvelliste, nous a laissé une belle page d'histoire de ces temps si agités. «Le jeudi gras (13 lévrier 1597), le roi, dit-il, soupa et coucha chez Zamet, et le vendredi il en- voya dire aux marchands de la foire qu'ils n'eussent à dé- taler, parce qu'il y voulait aller le lendemain; comme il fit et dîna chez Gondi avec Mad. la marquise, à laquelle il voulut donner sa foire d'une bague de huit cents écus qu'il marchanda pour elle, mais il ne l'acheta pas... Il mar- chanda tout plein d'autres besognes à la foire ; mais de ce que on lui faisait vingt écus il en offrait six et ne gagnèrent guère les marchands à sa vue... Le dimanche gras il dîna et soupa chez Sancy... Le dimanche 23, qui 6; ;it le pre- mier jour du carême, le roi fit une mascarade de sorciers et alla voir les compagnies de Paris. Il fut chez la prési- dente Saint-André, chez Zamet et, en tout plein d'autres lieux, ayant toujours la marquise à son côté. Ballets, mas- carailes, musique de toute sorte, suivirent ces beaux festins... Le mercredi, 12 mars, veille de la m-i-carême, pendant qu'on s'amusait à rire et à baller, arrivèrent les piteuses nouvelles de la surprise d'Amiens par l'Espagnol, qui avait fait des verges de nos balais pour nous fouetter. De laquelle nouvelle Paris, 'a cour, la danse et toute la fête fut fort troublée; et même le roi, duquel la constance et magnanimité ne s'ébranlent aisément, étant comme
1. Surprise d'Amiens. — Mémoires de la ligue, t. VI. — ' V. Palma-Cayet, liv. IX. — Davila, liv. XV.
2. Chaque fois que Sully contractait iiu marché an nom et pour le compte de l'État, il se faisait donner une certaine sojnme à titre de pots de vin. Ces pots de vin étaient les fonds secrets du rci.
tïVRE XXIV.
119
étonné de ce coup et regardant cependant îi Dieu , comme
il fait ordinairement plus en l'adversité qu'en la prospé- rité, dit tout haut ces mois : «Ce coup est du ciel! ces pauvres gens, pour avoir refusé une petite garnison que je leur ai voulu bailler, se sont perdus.» Puis, songeant un peu, dit: « C'est assez fait le roi de France, il est temps de faire le roi de Navarre. » Et se retournant vers la mar- quise qui pleurait, lui dit : «Il faut quitter nos armes et monter à cheval pour faire une autre guerre. » *
IX.
Un grand malheur fondait inopinément sur Henri IV, au milieu de ses plaisirs ; ce n'était pas une simple décla- ration de guerre qui lui était faite, c'était l'existence même de sa couronne qui était en question. Ses alliés et ses en-" nemis le crurent perdu. La nouvelle de la prise de Doul- lens , Cambrai et Calais ébranla la confiance de ses plus fidèles serviteurs. L'Espagne tout entière, aidée du duc de Mercœur, du duc de Savoie et de quelques chefs ca- tholiques, qui n'avaient pas encore fait leur soumission, se lovait contre lui aux acclamations des Parisiens, qui ne pardonnaient pas au roi la suppression de leurs rentes et la perte de leurs libertés municipales. Ils se croyaient déjà vainqueurs, et faisaient circuler contre lui et contre sa maîtresse des lazzis et des satires. *
La reine d'Angleterre, à laquelle Henri IV fit demander des secours, les lui refusa. Il lui offrait cependant Calais en gage. Menacée par une grande flotte espagnole , Elisa- beth réservait ses forces, soit pour repousser cette flotte, soit pour attaquer celle de l'Espagne.
Le danger était imminent, vu les nombreux éléments de dissolution qui existaient dans le royaume. La France, en 1593, fut moins près d'un démembrement qu'à cette époque.
Les sentiments des réformés se firent jour, quand la nouvelle de la prise d'Amiens parvint à l'assemblée réunie
1. Journal de l'Estoile, t. III, p. 189-193.
2. DeThou, liv. CXVm. — Davila, t. XV. — L'Estoile, aniée 1597.
120 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
h Saumur. Les uns proposaient de saisir cette occasion de prendre les armes , afin d'obtenir de la détresse du mo- narque ce qu'ils n'avaient pu retirer de son équité ; les autres, qui aimaient toujours leur ancien maître, dirent que ce serait odieux d'abandonner le roi dans une posi- tion si critique, et que c'était le moment, non de lui faire de nouvelles demandes, mais de se relâcher de leurs pré- tentions. Les ducs de la Trémouille et de Bouillon, qui ju- geaient la position du roi désespérée, se prononçaient pour le parti des armes. Henri IV eût couru de grands dangers , si la proposition des deux maréchaux eût été ac- cueillie favorablement; la plupart des églises, et parmi elles les plus nombreuses , la rejetèrent, ainsi que la meilleure partie de la noblesse. Ce jour-là les protestants sauvèrent la France de la honte d'un démembrement ; leur prise d'armes eût amené infailliblement celle des ligueurs, et Philippe II, avant de mourir, eût vu ses vœux accomplis. Dieu ne le permit pas. Des opprimés devinrent le salut de leur patrie.
Les embarras du roi étaient extrêmes : il n'avait ni ar- gent, ni troupes; entouré de conspirateurs, il ne savait à qui se fier. Dans cette extrémité , il trouva dans Rosny un puissant auxiliaire. Cet homme dur, inflexible, ne recula pas devant des mesures, qui, dans des temps ordinaires, eussent été iniques, mais qui alors étaient justifiées par la grande loi du salut public. Sa main s'appesantit sur tous ceux de la nation qui n'aimaient pas à donner; il pro- posa entre autres choses, de créer et de mettre en vente un certain nombre d'offices , de lever un impôt forcé sur les plus riches des membres des cours souveraines et des grandes villes , et de demander au clergé un décime ou deux. '
Les parlements, auxquels furent adressés les édits bur- saux, tirent des remontrances d'autant plus violentes qu'ils sentaient le gouvernement plus faible. Le roi, qui était parti pour Amiens, accourut en toute hâte à Paris, pour forcer la main au parlement. «Messieurs de la cour, dit l'Estoile, allèrent trouver Sa Majesté qui était au lit; M. de Harlay pLutail la parole, contre lequel le roi, pour ne pas
t. ÉconoraioÈ loyales, t. IIL
LIVRE XXIV.
121
condeecendre à ses demandes , entra en colère jusqu'aux démentis. Il leur dit qu'ils feraient comme ces fols d'A- miens qui, pour lui avoir refusé deux mille écus, en avaient baillé un million à l'ennemi.... Au premier prési- 4enl, qui lui dit que Dieu leur avait baillé la justice en mains, de laquelle ils lui étaient responsables ; relevant cette parole, il lui répartit qu'au contraire c'était à lui qui était roi auquel Dieu l'avait donnée, et lui à eux. A quoi 9n dit que le premier président ne répliqua rien, outré, tomme on le présuppose de colère et de dépit, dont il tomba malade et fut saigné. Ce que le roi ayant entendu, demanda si avec le sang, on lui avait tiré sa gloire'. Le roi plaisantait sur tout, dans la bonne et dans la mauvaise fortune. »
Devant la résistance injuste de la cour, qui mettait l'État en péril, le roi ne faiblit pas : il se rendit au parlement, menaça les conseillers de les chasser ou de les envoyer à la Bastille. Devant cet argument sans réplique les con- seillers enregistrèrent en sa présence, le 12 avril 1597, les édits bursaux. Le roi retourna à Amiens , laissant Paris dans une extrême agilalion, causée par la misère et les passions ligueuses qui se réveillaient à la vue d'un mo- narque dont la chute paraissait imminente.
Les demandes du roi étaient juslitiées par son propre dénuement. «Je veux bien vous dire, écrivait-il d'Amiens à Rosny, l'état où je rae trouve réduit, qui est tel que je suis fort proche des ennemis et n'ai quasi pas un cheval sur lequel je puisse combattre, ni un harnais complet que je puisse endosser. Mes chemises sont toutes déchirées , mes pourpoints troués aux coudes , ma marmite est sou- vent renversée, et depuis deux jours je dine et soupe cliez les uns et les autres ; mes pourvoyeurs disent n'avoir plus moyen de rien fournir pour ma table , d'autant plus qu'il y a plus de six mois qu'ils n'ont reçu d'argent. Partant , jugez si je mérite d'être ainsi traité, et si je dois plus long- temps soull'rir que les financiers et les trésoriers me fassent mourir de faim, ei qu'eux tiennent des table.s friandes et bien servies, que "ma maisor. soit pieiiic do nécessités et la leur de richesses et d'opulence, n *
1. I/Kstoiie, année 1597.
2. tc'uiiumies royales, 1 1".
122
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Dans cette lettre le roi fait allusion à l'état de Paris qui présentait un double spectacle : celui de la misère la plus navrante et du luxe le plus scandaleux. «Pendant qu'on apportait, rapporte l'Estoile, à tas de tous côtés, à l'Hôlel-Dieu, les pauvres membres de Jésus-Christ, si secs et si exténués qu'ils n'y étaient pas plutôt entrés qu'ils y rendaient l'esprit, on dansait, onmommait'; les festins et banquets se faisaient à 45 écus le plat, avec des colla- tions magnifiques à trois services, et la superfluité des habillements, bagues et pierreries était telle , qu'elle s'é- tendait jusqu'aux bouts des souliers et des patins. »'
Et c'étaient ces hommes insensibles aux misères du peuple qui étaient le plus opposés aux édits bursaux, et qui, pendant que la France était sur le point de recom- mencer une nouvelle guerre civile ou de tomber sous le joug de l'Espagne, ne rêvaient que plaisirs et fêtes, au milieu des cris des alîamés et du râle des mourants. Le peuple portait la peine de ses propres excès; plus tard, ce même peuple appesantira sa main sur ceux qui, insen- sibles à sa détresse, ne comprirent pas que les richesses sont un dépôt que Dieu nous confie pour nous entr'aider dans nos souffrances. Il y a plusieurs manières de tuer les hommes: la plus cruelle et la plus criminelle, c'est de les laisser mourir de faim. Revenons au roi.
Dans cette situation périlleuse, Henri IV ne désespéra pas; il redevint le roi de Navarre : hardi, gai, entrepre- nant. Quand sa noblesse le vit sous les murs d'Amiens, elle fit par point d'honneur ce qu'elle n'aurait pas fait par ré- flexion; elle accourut pour vaincre ou mourir avec lui. Le vieux sang gaulois, qui coulait dans ses veines, se réchauffa à l'odeur de la poudre et au son des clairons. Tel qui l'a- vait abandonné, ne pensa qu'au plaisir de se battre et de se distinguer sous ses yeux. Mayenne donna l'exemple de la fidélité aux promesses. On regrette vivement, pour l'honneur des prolo'^lnnts, l'absence de Bouillon et de La Trémouille, qui furent accusés d'avoir voulu profiter du désordre de l'État, pour obtenir par la force les avantages qu'on leur refusait.
1. Ou jouait la comédie.
2. L'Estoile, année 1597.
LIVRE XXIV.
123
Cependant les protestants n'abandonnèrent pas tous le
roi : s'ils ne parurent pas en corps au siège, ils y parurent comme individus; un grand nombre d'entre eux, mêlés aux troupes royales , prirent part aux périls , et versèrent leur sang pour la cause de la patrie; parmi eux se trouvait lui gentilhomme huguenot, le jeune duc Henri de Rohan, appelé à un grand rôle parmi ses coreligionnaires,
X.
Henri de Rohan était le fils aîné de Réné de Rohan et de la célèbre Catherine de Partheuay-Larchévêque. 11 na- quit au château de Blain, le 25 août 1579. A peine âgé de six ans il perdit son père. Sa mère le fit élever avec le plus grand soin , et le prépara, par une éducation virile et forte, pour les temps oiageux qui s'annonçaient. L'enfant mon- tra de bonne heure un goût décidé pour les armes et pour tous les exercices du corps. Sa lecture favorite était Plu- tarque. La vie des hommes illustres, dont le célèbre bio- graphe raconte les faits, enflammait sa jeune imagination, et lui faisait désirer de leur ressembler. En attendant qu'il pût imiter leur vaillance sur les champs de bataille, leur habileté aux sièges des villes , leur sagesse dans les con- seils, il les imitait dans leur vie simple, frugale, austère; et quand plus tard, il fut appelé à vivre au milieu d'une cour vicieuse, il sut s'y conserver pur de toute souillure, et pendant que les jeunes gentilshommes ne rêvaient que plaisirs et fêtes, il étudiait. Ce fut au siège d'Amiens qu'il fit ses premières armes. Ses débuts attirèrent sur lui les regards de Henri IV, bon juge en cette matière ; sous le simple soldat, il devina le héros, qui déjà se sentait né pour les grandes choses.'
XL
Ce qui devait être la ruine de Henri IV fut la cause de sa grandeur; il paralysa, en entrant à Amiens par la brèche , la main du vieux Philippe II, et s'imposa au parti ligueur'. Le duc de Mercœur demanda une trêve de trois
1. Haag, France protestante, lir. XJI, p. 474.
2. Mémoires de la ligue, t. VI. — De TIiou, liv. CXVIII. — Ben- tivoglio, p. m, liv. IV. — Capitulation d'Amiens, p. 524.
124 HISTOIRE DE LA RÉFORMATIOK FRANÇAISE.
mois. Le roi catholique lui-même , courbé moins sous le poids des années que sous celui des infirmités et du dé- couragement, sentit que son rôle était fini en France ; il ne pensa plus qu'à négocier. Des conférences s'ouvrirent, et la paix fut signée entre l'Espagne et la France à Ver- vins, le 2 mai 1598, sur les bases du traité de Càteau- Cambrésis, si funeste à la France', mais le royaume se trouvait alors dans un tel état d'épuisement que le roi dut renoncer à un accroissement de territoire. L'Angleterre et la Hollande refusèrent d'èire comprises dans le traité, ne foulant à aucun prix, faire la paix avec l'Espagne , ce qui n'empêcha pas Henri IV de passer outre, malgré les enga- gements qu'il avait contractés avec ces deux puissances. H sentait que la France avait avant tout besoin de paix et de repos. Pendant les négociations qui aboutirent au traité de Vervins, le roi poursuivait le règlement de deux grandes affaires qui le préoccupaient vivement: la réduction du duc de i\Iercœur, le dernier grand chef de la ligue, et la tran- saction avec les protestants, qui réclamaient instamment un édit qui garantît l'existence de leur culte, leurs vies et leurs propriétés.
Le duc de Mercœur, qui n'avait pas fait sa soumission, même après que Mayenne eut fait la sienne, se montra
filus trailable à la reprise d'Amiens. Sentant qu'une plus ongue résistance entraînerait sa ruine, il ne songea qu'à céder devant un roi victorieux, mais il eut soin de se faire fscheter chèrement sa soumission. Le traité fut signé à Angers le 20 mars 151)8.
XIL
La ligue était morte. Pour porter un jugement sain sur cette grande page d'histoire de nos guerres religieuses, il faut s'élever dans les régions calmes et sereines des principes; alors seulement on pourra avoir l'explication du grand drame au prologue duquel nous trouvons le cardinal de Lorraine, et au dernier acte son neveu le duc (Se Majenne.
1. Traités Je paix, t., II, p. 616. — Mémoires de la ligue, t. VI. — Davila. liv. XV. — Élisabeth et Henri IV, par Prévost Paradol, Paris l»àd.
LIVRE XXIV.
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La ligue a son principe générateur dans l'ultramonta- nisme. Ce qui arriva au seizième siècle se renouvellerait aujourd'hui, si la chose était possible. Il ne faut pas ou- blier que le prêtre n'a qu'un seul chef, le pape , une seule patrie, Rome, un seul but, la grandeur de son église; iS n'est ni Français , ni Anglais, ni Espagnol, ni Allemand; il est lui, ne veut être que lui, ne peut être que lui; c'esê là le secret de sa force. 11 pense avec une seule tète, sent avec un seul cœur, agit avec un seul bras ; tout ce qui le sert a droit à son encens, tout ce qui lui résiste ne mérite que ses anathèmes. Ses principes, qui paraissent immua- bles sont d'une élasticité étonnante ; il sait se faire tout à tous: les mêmes hommes auxquels il serre fraternellement la main sur les bords du lac Léman , il les proscrit à Rome'. En traçant ce portrait, nous ne faisons que de l'histoire ; or, dans ce portrait se trouvent tous les germes de la ligue et ses développements immédiats.
Le clergé est intolérant par principe : les bûchers, dres- sés sous les règnes de François 1" et de ses succes- seurs, furent la conséquence inévitable de cette maxime «qu'il ne faut pas souffrir dans l'Église et à côté de l'É- glise des hérétiques. » Tout disposés qu'étaient les rois à le seconder, le clergé romain ne comprit ni l'inutilité, ni l'odieux des persécutions; il le comprit si peu qu'il at- tribua à son manque de rigueur (lui rigoureux jusqu'à la barbarie) l'accroissement des huguenots. Il y eut cepen- dant un moment où Henri III se fatigua de faire la guerre à des hommes qui semblaient renaître de leurs cendres et se montraient plus diiïïciles à vaincre le lendemain d'une défaite que le lendemain d'une victoire; de là les traités que ce monarque faisait avec eux , de là aussi le commen- cement de son impopularité. On voulait qu'il exterminât les huguenots jusqu'au dernier; il se sentit impuissant pour cette œuvre de destruction ; de plus il commençait à comprendre que l'affaiblissement et l'anéantissement des réformés seraient sa propre ruine; si sa haine de zélé ca- tholique lui faisait désirer la ruine de ses sujets dissidents, ses intérêts de roi lui faisaient une impérieuse nécessité
1. Ce qui se passe à Genève, où le pai'ti ultiamontaiu soutient ks radicaux couire les conservateurs, en e.st la preuve.
426 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
de les laisser subsister. Le clergé, qui ne regardait qu'à ses intérêts de caste, se détacha de Henri III le jour où il vit clairement que ce monarque hésitait à lui offrir son bras pour frapper les réformés; un intérêt commun réunit ses membres; la ligue fut formée, il en fut l'âme, les Guises, la main; ses actes ne doivent pas nous étonner. Lorsqu'il prononça la déchéance de Henri III et acclama son meurtrier, il fut très -conséquent, aussi bien que lorsqu'il refusa de reconnaître pour roi légitime le Béar- nais hérétique et relaps. Ses violences eurent leur cause moins dans les hommes que dans les principes : ceux qui croyaient à la légitimité du régicide, pouvaient sans re- mords faire pendre Brisson.
Les admirateurs de la ligue nous l'ont présentée comme populaire, elle ne le fut jamais; elle fut populacière. Née d'une intrigue de sacristie , elle s'alimenta par l'intrigue, et ne se soutint que par l'appui de l'Espagne. Si elle fût sortie d'un mouvement spontané de la nation, elle aurait rejeté en quelques jours les huguenots du royaume, comme en 1593 la France rejeta les étrangers hors de ses frontières. Les mêmes historiens parlent avec enthou- siasme de son amour pour la liberté ; mais la liberté est- elle compatible avec la dictature? La ligue empêcha tout ce qu'elle put empêcher et ne souffrit que ce qu'elle ne put interdire. Les pensionnaires de Philippe II ne pou- vaient pas aimer la liberté.
Tous les ligueurs n'étaient pas la ligue; la vraie ligue n'était ni Mayenne, ni Brissac, ni d'Aumale, ni même la duchesse de Montpensier; c'était Pelletier, Boucher, Guin- cestre, Garin, Panigarole, Commolet, Rose, le conseil des Dix, les Seize, Cajetan, Bellarmin, toute l'armée des prêtres et leurs séides; c'est là qu'il faut l'étudier, car c'est là que fut son âme.
Elle eut un triste mérite, celui d'arrêter l'essor de la réforme et de forcer Henri IV à abjurer; elle compromit ainsi pour longtemps l'avenir de la France , prépara la ruine de toutes les libertés et sema les germes de la tem- pête qui devait éclater sur elle à la fin du dix-huitième siècle.
On a voulu justifier la ligue en disant que les protes- tants aussi s'étaient ligués ; la différence est notable : les
LIVRE JJIY.
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huguenots s'unirent pour se défendre, les catholiques pour les opprimer. Des deux côtés il y eut des excès; mais ceux des protestants ne furent que des représailles justifiées par le droit de la guerre, tandis que ceux des ligueurs n'eurent d'autre cause qu'une haine que deux siècles et demi n'ont pas éteinte et qui ne mourra qu'avec le dernier ultra- montain.
xin.
Le roi qui avait rallié à sa cause les seigneurs royalistes et les chefs de la ligue , les premiers par son abjuration , les seconds au prix d'énormes sacrifices pécuniaires, avait encore à satisfaire les réformés, dont le mécontentement lui paraissait légitime quoique très-inopportun. Un écrit, publié quelque temps après la surprise d'Amiens, entre- tenait parmi eux une grande agitation, que les ambitieux du parti auraient pu exploiter à leur avantage et au détri- ment de la paix. L'auteur, au nom de ses frères, y expose dans les plus grands détails les maux sous lesquels ils gé- missent. On ne peut lire ces pages trempées de larmes sans se sentir profondément ému pour les opprimés et indigné contre les oppresseurs. Le calme qui règne dans tout ce récit remue plus profondément le cœur que ne le fe- rait la violence ; on sent la vérité palpiter sous chaque ligne, sous chaque parole; celui qui parle au nom de ses frères nous apparaît comme un témoin tidèle et exact diis choses qu'il raconte'. «Nous sommes, dit-il en leur nom, en s'adressant à Henri lY, contraints à regret de nous plaindre, mais nous y sommes forcés par la fureur de nos ennemis. Nous ne sommes ni Espagnols, ni ligueurs; de- uis notre berceau jusqu'à ce jour nous avons com- altu et prodigué notre sang pour la conservation de votre couronne, et cependant depuis huit ans notre con-
1 . L'écrit parut sous le titre de : Plaintes des églises réformées de France, sur les victimes qui leur sont faites en plusieurs en- droits du royaume, et pour lesquelles elles se sont en toute hu- inilité adressées diverses fois à Sa Majesté et à Messieurs de son Conseil. — L'écrit se trouve en entier dans les Mémoires de Du- plessis-Momay.
128 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
dilion est la même ; la trêve qu'on nous accorde nous est plus préjudiciable que ne le serait une guerre civile. Pen- dant que nos ennemis prenaient les armes contre l'État, nous le servions; et pour récompense de notre dévoue- ment à votre personne, on veut' vous persuader, par des raisons de conscience, de travailler à notre destruction. On a commencé d'abord par vous obliger à aller à la messe ; vous l'avez fait en disant que jamais on ne vous contrain- drait à faire du mal à ceux qui vous avaient aidé de leur or, de leur sueur et de leur sang, et cependant on vous a mené peu à peu à croire tout ce qu'il y a de plus grossier dans la religion romaine, et le jour de votre sacre à Chartres vous avez juré d'exterminer l'hérésie et les héré- tiques; et ce serment, on vous l'a fait renouveler quand vous avez pris l'ordre du Saint-Esprit. Ah! permetlez-nous de vous faire entendre nos plaintes , afin que vous con- naissiez, par vous-même, la vérité que vos conseillers vous cachent. Nous nous plaignons, Sire, de tous les Fran- çais; car ceux qui ont de bonnes et droites intentions sont tellement faibles et craintifs, qu'ils font cause commune avec les autres. La noblesse, le peuple, les magistrats, le clergé, les ordres religieux nous oppriment; le clergé surtout nous couvre de ses mépris et nous poursuit de ses railleries. Pendant cinquante ans on nous a poursuivis, massacrés, noyés, pendus, brûlés, massacrés en masse, bannis du royaume ; pendant trente-cinq ans , à sept re- prises, on nous a fait la guerre pour nous détruire, et, après tant de luttes et de traités de paix indignement vio- lés, nous ne pouvons exercer notre culte que là où nous sommes assez forts pour neutraliser la violence de nos ennemis; ailleurs nous ne pouvons aller adorer Dieu dans nos temples, sans rencontrer les huées et quelquefois les mauvais traitements des catholiques. Plusieurs de nos frères ont été battus, blessés, estropiés, laissés pour morts; nos maisons ne nous mettent pas à l'abri de leurs atteintes, nous ne pouvons y faire nos prières, et quand nos minisires y viennent administrer le baptême à nos en- fants, on les saisit et on condamne aux dépens ceux qui y ont assisté. Les parlements, qui devraient être les gardiens dos libertés religieuses, sont les premiers à les violer. Ce- lui de Bordeaux a fait arrêter ceux qui avaient assisté au
tIVRE XXIV.
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prêche dans la maison de Madame'. Les troupes du duc de Guise ont fait du temple de Lourmarin une étable, et jeté sept à huit de nos frères dans l'eau. Dans le Poitou la garnison de Rochechouard a tiré deux coups de canon contre quinze cents réformés assemblés selon l'ordon- nance de l'Hôtel-de-Ville. Partout, Sire, nous trouvons des entraves à l'exercice de notre culte, et nulle part nous ne trouvons le moyen de nous faire jouir de ce que les édits nous ont accordé. A l'armée, nos soldats ne peuvent servir Dieu selon leur conscience. A Rouen, Madame a été obligée de sortir de la ville ; le légat n'a pas voulu qu'elle y prît la cène. On nous enlève nos places de sûreté. Les seigneurs catholiques, qui avaient promis au temps de leur réconciliation le libre exercice de la religion aux réformés dans leurs terres, manquent à leurs serments. On nous ar- rache nos livres, nos psaumes, notre Bible, et quand nous nous plaignons, on nous outrage ou on nous raille. On nous défend de nous assembler pour prier Dieu; si nous y con- trevenons, on nous condamne à l'amende et à la prison. Nous n'avons pas même en quelques provinces le droit de nous plaindre; on nous défend d'imprimer et de vendre; on méconnaît à notre égard le droit le plus sacré de la nature, celui d'apporter des consolations à nos malades et à nos condamnés. Privés des exhortations de leurs frères , ils sont livrés à celles des prêtres et des moines. Les édits, Sire, sont fidèlement observés quand ils restreignent quel-
ues-unes de nos libertés; ils sont foulés aux pieds quand
s nous accordent quelques privilèges. «Non content de nous empêcher d'exercer notre culte, on nous contraint à des pratiques superstitieuses, on nous ordonne de fendre le devant de nos maisons et même d'assister aux proce.ssions de la Fête-Dieu, sous peine de cinquante écus d'amende. Dans certains lieux on jette en prison ceux qui refusent de saluer la croix et de se pros- terner devant l'hostie. On nous force de contribuer à la construction des églises et au service divin à la manière catholique. Nos ouvriers sont punis d'amende et contraints d'assister aux messes des métiers; on baptise nos enfants malgré nous; quand on le peut, on nous les enlève. On
1 . Catherine de Bourbon , sœur du roL
IbO HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
nous oblige d'observer le carême et les fêtes; nos mi- nistres sont chassés des écoles, on leur défend d'ouvrir des collèges; veut-on donc nous contraindre à l'ignorance et à la barbarie? Ainsi en faisait Julien.
«La pauvreté devrait au moins être hors des atteintes de nos ennemis. Hélas! il n'en est rien, et là oii nous con- tribuons le plus aux aumônes, nos nécessiteux n'y ont pas de part, et il y a des lieux de votre royaume où nous ne pouvons pas habiter. A Lyon les juges ont chassé ceux de nos frères qui y étaient rentrés après leur bannisse- ment.
« Quant aux charges publiques, on nous en écarte, et dans les chambres de justice on nous appelle turcs, chiens, hérétiques, hétéroclites, de la nouvelle opinion, dignes d'être poursuivis à feu et à sang et chassés de tout le royaume. Les parlements méconnaissent complètement leurs devoirs et se conduisent en juges prévaricateurs.
«Maltraités dans notre naissance, dans notre vie, dans l'éducation de nos enfants, nous le sommes même dans nos funérailles ; on nous refuse dans quelques endroits l'usage des cimetières , et nous sommes obligés de faire jusqu'à cinq lieues pour donner à nos morts une sépulture honorable; on déterre leurs cadavres, qui restent exposés aux bêtes sauvages et en danger d'être mangés par des chiens.
«Ah, Sire, nous ne sommes ni des jacobins, ni des jé- suites. Comme eux, nous n'en voulons ni à votre vie, ni à votre couronne. Vous connaissez notre lidélité ; nous vous demandons un édit avec nos larmes et non pas comme les ligueurs qui, au lieu de leurs requêtes pour avoir la paix , ne vous ont présenté que la pointe de leurs épées. Six fois, Sire, nous avons renouvelé nos instances à Mantes, à Saint-Germain, à Lyon, au camp de la Fère, à Mon- ceaux, à Rouen, et jusqu'ici on s'est prévalu contre nous de la raison d'Etat , et on nous dit que ce n'est pas encore temps. Oh, bon Dieu! Après trente-cinq ans de cruelles persécutions, dix ans de bannissement par les édits de la ligue, huit ans du règne duroi, quatre de poursuites, nous redoutons de nouvelles proscriptions ; le pape y pousse de toutes ses forces, et cependant les catholiques seuls ne sont pas l'État, nous en faisons partie. Nous demandons
LIVRE XXIV.
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un édit à Votre Majesté, qui nous fasse jouir de fout ce qui est commun à tous vos sujets, c'est-à-dire beaucoup moins que ceque vous avez accordé à vos rebelles ligueurs, un édit qui ne vous contraigne pas à distribuer vos Etats comme il vous plaira, qui ne vous force point à épuiser vos finances et à charger votre peuple'. Ni l'ambition, ni l'avarice ne nous mène; la seule gloire de Dieu , la liberté de nos consciences, le repos de l'Etat, la sûreté de nos biens et de nos vies , c'est le comble de nos souhaits et le but de nos requêtes.»
XIV.
Cet écrit déplut aux protestants de la cour, qui le trou- vèrent intempestif et trop violent dans les formes. Un écri- vain contemporain , qui a fait du règne de Henri IV une étude savante et consciencieuse, porte sur les réformés le jugement suivant :
«Relativement aux vexations et aux injustices de détail, dont ils avaient droit de demander et d'attendre la répres- sion, il y a plusieurs observations à faire. D'abord jus- qu'en 1598, le brigandage fut maître dans loulcs les campagnes et dans toutes les villes de France ; avant ce temps, le roi se trouva complètement hors d'état de les faire respecter dans l'exercice de leur religion, comme il fut impuissant à protéger les trois-quarts de ses sujets. En second lieu, les réformés étaient maîtres dans deux cents villes du midi de la France, entre lesquelles on comptait
Silusieurs grandes villes, La Rochelle, Montauban , Kimes, lontpellier. Ceux d'entre eux auxquels la liberté de con- science et le culte secret ne suffisaient pas, n'avaient-ils pas la ressource de se transporter dans 1 une de ces villes du Midi, où ils auraient complètement échappé à la con- trainte? N'avaienl-ils pas à faire dans l'intérêt de leur re- ligion, ce que tant d'autres s'imposent dans un intérêt de commerce, d'économie ou de simple convenance? Enfin, depuis Î589, qui est-ce qui n'avait pas cruellement souf- fert? qui est-ce qui n'avait pas été obligé, et qui n'était pas contraint encore actuellement de faire des sacrilices
1 . Âlliision aux sommes énormes que la soumissioD des ligueui's ivaiî coûté au roi.
132 HISTOIRE DE LA HÉFORMATION FRANÇAISE.
sans mesure? Le roi, forcé dans ses croyances et abjurant la religion de toute sa vie ; la France prodiguant son ar- gent et ses plus hautes dignités aux chefs de la ligue, à ceux qui l'avaient, peu s'en fallait, perdue et mise sous le joug de l'étranger! Dans cette rançon du pays, les hugue- nots ne devaient-ils pas payer leur part, en souffrant, pour un temps seulement, quelques atteintes et quelques re- tranchements à leur liberté civile et religieuse?
«Malgré les notables améliorations survenues dans leur état, ils pouvaient légitimement désirer mieux. Avant d'être mis sur la même ligne que les catholiques, avant d'arriver à l'entière liberté des citoyens devant la loi, à laquelle ils avaient un droit incontestable, quelques con- quêtes leur restaient à faire. Ils avaient à obtenir, pour l'exercice de leur culte, des facilités, une publicité, une protection constante, qui leur manquaient encore en partie; ils avaient à poursuivre le libre et entier accès aux magis- tratures municipales, aux divers offices, et notamment à ceux de judicature; ils avaient quelques garanties de plus à exiger pour obtenir une justice impartiale ; mais dans la poursuite de ces nouveaux droits, il leur était interdit de recourir à des moyens que n'approuvait pas l'intérêt du pays , et de se montrer plus impatients, plus exigeants que les autres ordres. Jusqu'en 1598, jusqu'à l'enlier désar- mement des ennemis intérieurs et extérieurs, le calvi- nisme n'avait été ni le seul maltraité, ni le plus maltraité. L'ordre public, les finances, l'agriculture, le commerce étaient ruinés ; pour obtenir des réformes indispensables , pour échapper à d'intolérables souffrances, aucune des classes de citoyens n'avait intrigué et comploté contre le gouvernement. Les réformés étaient tenus à la même résignation: l'édit de Mantes, 1591, les articles de Mantes de 1593, le renouvellement solennel de l'édit de Poitiers en 1595, leur donnaient l'assurance et la preuve que Henri serait juste et bienveillant à leur égard. Ils devaient donc s'en remettre au temps, aux promesses et à la justice du roi, pour obtenir le redressement de leurs griefs, l'ex- tension des avantages réels et importants dont ils jouissaient déjà, la plénitude de la liberté religieuse, civile et poli- tiqus. Loin de là, ils employèrent des moyens violents, qui pouvaient perdre leur patrie dans les circonstances prô-
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sentes, et qui lui préparaient un avenir gros de dangers. Ils se firent dans la France une France à part et formèrent dans l'État un État , démembrèrent le royaume, rompirent l'unité nationale et territoriale. Qu'avec des rois tels que Charles IX et Henri III, passant envers eux de la tolérance et des concessions à la guerre, aux proscriptions, aux assassinats , ils recourussent à ces extrémités désastreuses pour le pays, c'est ce dont il gémit; mais c'est ce qu'on excuse quand on songe qu'ils avaient à défendre leur vie et leur religion ; mais les bons citoyens les blâmeront éternellement d'avoir employé les mêmes moyens avec un
qu'à regret, ami de leurs personnes, religieux observa- teur de sa parole, même envers ses plus cruels ennemis. Dans l'exécution de leurs projets, les calvinistes prirent le mot d'ordre de plusieurs chefs, animés de sentiments très-différents; les uns, purs de tout intérêt humain, se laissèrent entraîner par une ardeur religieuse et un pro- sélytisme aveugles : de ce nombre était Duplessis-Mornay, qui, même au milieu de ses erreurs, servit utilement le roi de France, en arrêtant son parti sur la limite des der- niers excès. Les autres, tels queLaTrémouille et Bouillon, perdus d'ambition, aspiraient au rôle et à la puissance des Condé et des Coligny en France, des princes d'Orange en Hollande , et ils ne pouvaient réussir qu'en perpétuant les troubles et en tenant les huguenots constitués en parti armé. Les uns et les autres furent condamnés par les cal- vinistes modérés, restés fidèles aux principes des politiques, qui voyaient la France avant leur secte et leurs pas- sions. La Force se tint à l'écart de son parti , Rosny et Collignon combattirent ces prétentions exagérées. Leur conduite accuse plus les huguenots que les reproches de tous les catholiques réunis.»'
Ces accusations sont graves , car elles émanent d'un écrivain , qui dans son beau livre du règne de Henri IV, a donné une haute idée de son impartialité et de sa sagacité
1. Poirson, Histoire du règue de Henri IV, t. I". — État dei calvinistes de 1589 à 1594, p. 352-344.
prince élevé dans leurs croyances
XV.
4.
Î34 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION nUNÇAISE.
historique. Sont-elles complètement méritées? nous ne le pensons pas : pour prononcer sainement dans ces graves débats, il ne faut pas oublier les malheurs qui depuis plus d'un tiers de siècle étaient le pain quotidien des réformés. Il faut savoir surtout tenir compte de leur amère décep- tion , quand ils virent l'homme , dont ils avaient fait la fortune, passer dans les rangs de leurs implacables enne- mis, au moment où ils croyaient toucher au but. A cette heure solennelle de leur histoire, ils auraient pu l'aban- donner et se choisir parmi leurs chefs un autre protecteur. Ils ne le firent pas , et en continuant à servir sous ses drapeaux, ils l'aidèrent à vaincre la ligue et ne deman- dèrent pour récompense de leurs fidèles services qu'un édit qui les mît à l'abri de la violence des catholiques; celui de Mantes (1591), les articles de Mantes de 1593 et le renouvellement de l'édit de Poitiers de 1595, étaient plutôt un témoignage des bonnes dispositions du roi, que des garanties sérieuses.
Quand les hommes souffrent, il leur est bien difficile d'être patients; cependant ils donnèrent à leur maître sept ans de patience, et s'il y a dans leur histoire quelque chose qui soit digne d'admiration, ce sont ces sept années pendant lesquelles on les berça de vaines promesses. Leur amour pour Henri IV survécut à leur estime pour lui; sans cet amour, ils auraient séparé leur cause de la sienne. Si enfin on examine les choses de près, Henri IV, comme roi, n'était pas digne de leur confiance. Depuis le jour de la mort de Henri III , et même avant cette époque , il avait montré que son attachement à la cause de la Réforme était plus que problématique; ses appels réitérés à un con- cile, quand les protestants savaient qu'il tenait l'église catholique pour une communion hétérodoxe, n'étaient pas de nature à les rassurer; et quand plus tard il abjura, ils comprirent amèrement que leur maître « n'avait faute de science mais de conscience. 5> Quelle confiance pouvaient-ils donc avoir dans un prince qui , le jour de son abjuration, avait juré solennellement d'exterminer ses anciens compa- gnons d'armes , et avait renouvelé ce sacrilège serment le jour de son sacre. En supposant môme qu'ils crussent que ce n'était de sa part qu'une affaire de pure forme , pou- vaient-ils faire dépendre leur sûreté d'un monarque qui
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s'était joué publiquement de ce qu'il y a de plus sacré au monde, surtout quand ce prince, dont l'ambition ne recu- lait pas devant un parjure, menait une vie scandaleuse. Ne pouvait-il pas, comme son père de triste mémoire, deve- nir le persécuteur des huguenots? Henri IV, dit-on, les affectionnait; c'est vrai, mais il les aimait moins que ses intérêts. Après avoir vendu son âme à Rome par ambition, ne pouvait-il pas, si son ambition l'exigeait, lui sacrifier les réformés?
La position du roi était certainement difficile; nul ne songe à le contester; mais celle des protestants ne l'était pas moins. Le passé était pour eux la leçon de l'avenir, ne devaient-ils pas prendre leurs précautions même avec Henri IV? Les hommes passent, les édits restent; que seraient-ils devenus , si la mort du roi , survenant tout à coup , les eût laissés désarmés en présence d'un succes- seur qui, le jour de son sacre, eût juré comme lui leur extermination?
Ils ne voulurent jamais , comme les ligueurs, faire un Etat dans l'État; leur organisation politique ne fut que la conséquence de l'attitude, sans cesse menaçante, de leurs ennemis; et si parmi leurs chefs ils eurent quelques am- bitieux qui essayèrent d'exploiter leurs rossentiments à leur avantage personnel, la masse des réformés demeura fidèle au roi et l'aida dans son triomphe définitif Leur conduite prouva surabondamment qu'ils ne demandaient à la cour qu'une seule chose: «qu'on les laissât se saouler de prêches,» et s'ils continuèrent d'avoir dans l'État une or- ganisation qui, en apparence, était contraire à l'autorité royale, ce n'était pas pour la contrarier, mais pour l'em- pêcher de recommencer sous les Bourbons les iniquités des Valois; le passé leur faisait un impérieux devoir de la défiance. Les factieux sont ceux qui profitent du pouvoir
fiour opprimer et non ceux qui se mettent en garde contre es oppresseurs. On a qualifié de pamphlet l'écrit dans le- quel les réformés exposaient leurs plaintes ; il n'est qu'un éloquent manifeste de leurs douleurs ; et si parmi eux quelques-uns le blâmèrent, c'était parce que la sève huguenote s'était desséchée dans leur cœur au contact de la cour, et que la terre i gagner leur tenait plus à cœur que le ciel à conquérir.
136 HISTOIRB DE LA RÉFÔRMAtlON FRANÇAISE.
L'homme consciencieux ne pourra refuser son admira- tion à ces citoyens qui , pouvant trouver leur avantage terrestre à imiter leur souverain, préférèrent demeurer dans le parti des opprimés. Les opinions consciencieuses, quand elles ont pour représentants des hommes intègres , ont droit à notre respect.
XVI.
Quelque bons que fussent leurs rapports avec la cour, les députés, commençant à croire qu'on voulait les jouer, montrèrent de l'aigreur. Le roi, à son tour, fatigué de leurs instances , laissait paraître du ressentiment, et quel- quefois même il mêlait à ses paroles des menaces: «Je serais fâché, écrivait -il à ses commissaires, d'en venir à des extrémités avec des gens que j'aime plus qu'ils ne s'aiment. »
Ces paroles imprudentes du roi, qui n'étaient que le ré- sumé fidèle de la position difficile que lui faisaient les partis, blessèrent les réformés; Bouillon et La Trémouille étaient les plus irrités; ils savaient que les menaces du roi étaient à leur adresse, parce qu'on les disait les auteurs de tout ce qui s'était proposé dans l'assemblée.
XVIL
Les affaires eussent probablement traîne encore en longueur, si le roi n'eût reçu la soumission du duc de Mercœur, le dernier chef de la ligue. Ce fut alors qu'il se décida à donner aux réformés l'édit dont les articles se discutaient depuis si longtemps entre les députés des as- semblées politiques des protestants et son conseil. Il était alors à Nantes, à la tête de son armée. L'assemblée de Vendôme s'était transportée à Chatellerault, et c'est au moment où il la tenait, comme le dit Élie Benoît, sous son canon', qu'il donna l'édit célèbre, connu sous le nom d'édit de Nantes, du nom de la ville où trente-neuf ans aupara- vant les protestants, sous la direction de La Renaudie, avaient tenu leur première assemblée et forme leur con- juration contre les Guises.
I. Histoire dé l'Mit de Nantes, liv. V, p. 224.
uvRE xn\.
«Entre les grâces infinies, dit le roi dans le préambule de l'édil, qu'il a plu à Dieu de nous départir, celle-ci est bien des plus insignes et remarquables de nous avoir donné la vertu et la force de ne céder aux effroyables troubles, confusions et désordres qui se trouvèrent à notre avène- ment à ce royaume qui était divisé en tant de partis et de factions que la plus légitime en était quasi la moindre, et de nous être néanmoins tellement roidis contre celte tour- mente que nous l'ayons enfin surmontée, .et touchions maintenant le port de salut et repos de cet Etat; de quoi à lui seul en soit la gloire toute entière, et à nous la grâce et obligation qu'il se soit voulu servir de notre la- beur pour parfaire ce bon œuvre, auquel il a été visible à tous, si nous avons porté ce qui était non-seulement de notre devoir et pouvoir, mais quelque chose de plus qui n'eût peut-être pas été en autre temps bien convenable à la dignité que nous tenons , que nous n'avons plus eu crainte d'y exposer, puisque nous y avons tant de fois et si librement exposé notre propre vie. Et en cette grande oc- curence de si grandes et périlleuses affaires ne se pouvant toutes comporter, tout à la fois en même temps, il nous a fallu tenir cet ordre d'entreprendre premièrement ceux qui ne se pouvaient terminer que par la force, et plutôt remettre et suspendre pour quelque temps les autres qui se pouvaient et devaient traiter par la raison et la justice, comme les différents généraux d'entre nos bons sujets et les maux particuliers des plus saines parties de l'État , que nous estimions pouvoir bien plus aisément guérir après en avoir 6té la cause principale qui était en la continuation de la guerre civile. En quoi nous étant (par la grâce de Dieu) bien et heureusement succédé, les armes et hostilités étant de tout cessées en tout le dedans du royaume, nous espérons qu'il nous succédera aussi bien aux autres affaires qui restent à y composer, et que par ce moyen nous par- viendrons à l'établissement d'une bonne paix et tranquille repos, qui a toujours été le but de tous nos vœux et in- tentions et le prix que nous désirons de tant de peines et travaux auxquels nous avons passé ce cours de notre âge. • n
1. Drion, Abrégé chronologique, 1. 1", p. 20S.
488 HISTOIRB DB LA R^PoRMATION FIUNÇAISE.
XVIII.
li'édit accordait entre autres choses aux prétendus ré- formés (c'est ainsi qu'on continua à les appeler depuis): i" le droit d'habiter sur tous les points du royaume, sans qu'on pût les astreindre à faire quelque chose qui fût con- traire à leur foi religieuse ; 2° le libre exercice du culte dans toutes les villes où il se trouvait établi en 1596 et 1597, et dans toutes les villes où il était exercé en vertu de l'édit de 1577 , et de plus dans une ville ou bourg , par bailliage ou sénéchaussée, sans dérogation aux traités faits avpc les catholiques. L'admission des protestants dans les écoles et les collèges, le droit d'en fonder et de publier des livres de leur religion, dans tous les lieux où leur culte était autorisé ; 5° l'admissibilité à tous les emplois , sans être astreints aux cérémonies et aux usages qui pour- raient blesser leur conscience; 6° le droit d'avoir un cime- tière dans chaque lieu où leur culte était célébré ; 8° l'in- terdiction aux catholiques de leur enlever leurs enfants pour les faire changer de religion ; 9° le droit de pourvoir à jeur éducation par testament; 10° l'institution à Paris d'une nouvelle chnmbre «dite de l'édit», chargée déjuger les affaires dans lesquelles les protestants seraient inté- ressés; 11° l'établissement dans le délai de six mois de chambre mi-partie à Bordeaux et à Grenoble; 12° le main- tien de la chambre mi-partie de Castres.
Les réformés étaient obligés par l'édit de respecter les jours fériés et les degrés de parenté prohibés par l'Eglise romaine pour les mariages ; ils devaient en outre payer les dîmes au clergé et se désister de toutes pratiques, né- gQciations et intelligences dedans et dehors le royaume.
Leurs synodes provinciaux et généraux étaient mainte- nus, sous la réserve de l'autorisation du roi. C'était le côlé faible de l'édit, une espèce d'article XIV de la charte nantaise. L'avenir le prouva. Les réformés obtenaient pour leurs pasteurs une somme annuelle et des places de sûreté, qui devaient pendant huit ans demeurer entre leurs mains comme un gage des loyales intentions du roi.'
1. L'édit de Nantes se compose de 92 articles publics et de 56 articles secrets. — Drion, Abrégé chronologique, 1. 1", p. 207 et suiv. — Aymon, Hist. des synodes. — Haag, France protestante. — Pièces justificatives.
UTRE XXVI.
139
XIX.
Cet édit, à la rédaction duquel on n'était parvenu qu'a- près de longues difficultés , suscitées par les exigences quelquefois trop grandes des protestants et par le mauvais vouloir de la cour, ne satisfit pas les exaltés des deux partis ; mais les iiommes modérés admirèrent la haute sagesse du roi, qài, en donnant aux réformés ce qui leur appartenait légitimement, sans rien retrancher des libertés des catholiques , avait mis fin à des guerres qui ruinaient la France au dedans et la couvraient de honte au dehors.
L'édit ne satisfaisait pas complètement les protestants , mais il leur accordait une garantie suffisante pour le libre exercice de leur culte sur toutes les parties du territoire où il leur était permis de le célébrer. Une plus large con- cession eût été le moyen infaillible de rendre leur condi- tion moins bonne, en fournissant aux catholiques des prétextes plausibles de se plaindre ; ils eurent la sagesse de le comprendre. Théodore de Bèze qui, malgré son âge avancé, avait suivi avec toute l'ardeur d'un jeune homme, les longues et difficiles négociations des assemblées poli- tiques des protestants , écrivait ces paroles remarquables à l'assemblée de Châtellerault: «Je loue de tout mon cœur notre grand et vrai Dieu , tout-puissant et tout bon , premièrement de ce qu'il a incliné le cœur de celui qu'il a donné pour roi à la France , à un tel conseil et moyen si convenables pour changer l'horreur des guerres civiles en une vraie tranquillité , conjointe avec le moyen d'honorer celui qui en est proprement l'auteur et le donneur; secon- dement de ce qu'il lui a plu, d'autre part, conduire et bénir une telle assemblée par son Saint-Esprit, non-seu- lement de la grâce et constante union en la profession de sa sainte vérité, mais aussi d'une vraiment chrétienne charité envers la commune pairie et avec tout cela du don de sa sainte prudence acquise à une non moins sage que zélée conclusion de tout. » '
L'assemblée de Châtellerault avait accompli courageuse- mcni a Llche ; c'est à elle, dit un historien moderne, que
1. Biblioihèque de Genève, lettres et pièces diverses coucernaût les églises réformées, n» 4.
140 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
la France doit autant, si ce n'est plus qu'à Henri IV d'a- voir devancé par l'édit de Nantes' les autres peuples chré- tiens dans les voies de la société nouvelle qui sépare l'Église de l'État, le devoir social des choses de la con- science, et le croyant du citoyen.'
L'assemblée demeura encore avec la permission du roi à Châtellerault jusqu'au 11 juin 1598. Elle nomma un abrégé d'assemblée, c'est-à-dire quelques membres qui continuèrent à résider dans cette ville pour veiller à la vérification de l'édit , que le roi ne voulait présenter aux parlements qu'après le départ du légat du pape. Elle ne se sépara pas sans rendre de solennelles actions de grâces à Dieu des faveurs dont il avait comblé son peuple. Après s'être donné le baiser d'adieu , les députés se rendirent chacun dans leurs provinces pour y faire connaître à leurs mandataires le résultat de leurs travaux.
XX.
Ce fut au milieu des agitations produites par l'édit qu'un synode national se réunit le 26 mai 1598 à Montpellier. Toutes les provinces y furent représentées, excepté le Lyonnais, la Bourgogne et le Forez; Béraut, pasteur de Montauban, présida l'assemblée; on s'occupa d'abord de faire le dénombrement des églises qui existaient au mo- ment de l'édit ; on en trouva 763, ainsi réparties: l'Or- léanais 39, l'Anjou 21, le Poitou 60, Dauphiné et Pro- vence 9i , Bourgogne 11 , Bretagne 14, Ile-de-France 88, Normandie 59, Haut-Languedoc 96 , Bas-Languedoc 116, Lyonnais 4, Forez 2, Guienne 83. Un dénombrement fait précédemment par ordre de Henri IV (en mars 1597) avait donné les résultats suivants : 694 églises publiques, 257 églises de fief, 2800 ministres, 400 proposants, 274,000 familles.'
Le synode crut qu'il fallait se contenter de l'édit et s'en
1. Anquez, Histoire des assemblées politiques des réformés de France, p. 70.
2. A. Thierry, Essai sur l'histoire de la formation et du progrès du tiers-état, p. 207.
3. Drion, Histoire chi-onologique, t. I", p. 259-260.
LIVRE XXIV.
141
gervir pour raffermir sa cause, si profondément ébranlée, en reliant par des liens de plus en plus forts, les églises entre elles. Il s'éleva avec beaucoup d'énergie contre les projets de réunion avec les catholiques qui préoccupaient alors tous les esprits. De nombreux écrits circulaient et trouvaient un facile accès auprès des protestants tièdes ou indiirérents. Ce désir de réunion , qui n'avait d'autre cause que la crainte, de voir se renouveller un douloureux passé «devint, dit Élie Benoît, une démangeaison qui dura jus- qu'à la révocation de l'édit.»'
Le synode s'occupa de détails intérieurs relatifs aux églises, auxquelles il recommanda, en se séparant, de res- serrer de plus en plus leur union par une sainte vie.
Parmi les membres de l'assemblée il y avait un ministre, dont le nom était déjà célèbre dans son parti : Daniel Chamier était né en son père', émerveillé de sa
rare aptitude au travail et de sa pénétration surprenante, le confia aux soins d'un habile instituteur, qui lui donna sa première instruction. Le jeune Daniel lit à Orange ses humanités sous Crozier, et à peine âgé de seize ans, il fui appelé à Nimes comme régent de quatiième; deux ans après, il alla à Genève, et eut pour maître Théodore de Bèze , sous lequel il termina ses études avec une grande distinction. De retour dans sa famille, il se présenta devant le synode de sa province; le jeune homme qui était ap- pelé à jeter tant d'éclat sur son parti , fut déclaré inca- pable par ses examinateurs. Un synode du Languedoc se montra plus éclairé; il l'admit au nombre de ses ministres. Bientôt après , l'église des Vans lui fut confiée, et plus tard, celle d'Aubenas. Les persécutions qui suivirent, l'obligèrent de prendre la fuite; plus tard nous le trou- vons pasteur à Montélimart, où il avait succédé à son père. Les églises ne tardèrent pas à apprécier Chamier: dans les conseils il était sage ; dans l'action, énergique; dans sa vie de pasteur, fidèle. Au synode national de Sau- mur et aux assemblées politiques de Vendôme , de Sau- mur et de Châtellerault , il se fit remarquer par un en- semble admirable de qualités, qui le rendirent aussi odieux
1. Histoire de l'édit de Nantes, liv. VI, p. 2Ô9. '
2. Il était pasteur. — Voir une Kofice de ce fidèle serviteur de Dieu dans Ja I rauce protestante , article Charnier.
m HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
au pouvoir que cher aux églises". «On ne vit jamais, dit Bayle, un homme plus raide, plus inflexible, plus intrai- table, par rapport aux artifices que la cour mettait en usage pour affaiblir les protestants. » '
XXI.
Trois affaires de la plus haute importance préoccupaient alors le roi et donnaient de vives inquiétudes aux protes- tants. La première concernait la dissolution de son mariage avec Marguerite de Valois. Nous avons déjà dit la funeste influence qu'eut sur sa vie son union avec cette princesse. Le jour où il se sépara d'elle, sa vie commença à n'être qu'une longue série de scandales; nous ne voulons être ni le Brantôme, ni le Pierre de l'Estoile de son règne; nous ne dirons de sa vie intime que ce que nous ne pou- vons en omettre pour être fidèle à notre tâche d'historien.
A l'époque où nous sommes arrivé, Gabrielle d'Eslrées, sa maîtresse, était morte d'une manière, dit Elle Benoît, qui pouvait faire soupçonner que Rosny et quelques autres savaient bien qu'elle devait mourir ^ Sa fin fut la- mentable. Au moment où elle attendait de Rome la dis- pense qui devait la faire reine de France , la mort la coucha subitement dans un cercueil. Le roi, selon l'usage , s'était retiré à Fontainebleau pour s'y recueillir pendant la quin- zaine de Pâques; Gabrielle, qui l'y avait suivi, le quitta, afin que sa présence ne nuisît pas au bon exemple qu'il voulait donner à son peuple, en pratiquant ses devoirs re- ligieux; leurs adieux furent pleins de douloureux pres- sentiments. Elle arriva à Paris le jeudi saint et alla loger chez le banquier Zamet,^qui s'était enrichi dans le manie- ment des deniers de l'État. L'opulent financier italien la reçut d'une manière fastueuse et lui servit un repas, dans lequel il lui présenta les mets qu'elle préférait. Après le dîner elle se sentit incommodée ; elle alla néanmoins en- tendre les ténèbres au petit Saint-Antoine. A son retour elle éprouva de violentes douleurs; d'affreux pressenti- ments traversèrent son esprit. « Qu'on me retire de cette
1. Hîiag, France protestante, art. Cliamier, p. 317.
2. Bayle, Dictionnaire historique, art. Charnier.
S. Bistoire de l'édit de Nantes, t. I", llv. VI, p. 268.
LIVRE XXIV.
143
maison ! s'écria-t-elle avec terreur. » Un moment de calme succéda à ses souffrances; elle en profita pour écrire au roi. Bientôt après survint un nouvel accès , et elle expira dans d"horribles convulsions.'
Le 10 avril 1599 elle comparut devant son Dieu. Le roi parut d'abord inconsolable ; mais un mois s'était à peine écoulé et déjà Henriette d'Entrague ' avait pris la place de Gabrielle. La nouvelle passion du roi fut vive et forte; il fit à sa nouvelle maîtresse une promesse par écrit dé l'épouser. Honteux cependant de cette démarche, il remii le papier qui la contenait à Rosny, qui le déchira. «Vous êtes fou! s'écria le roi, que prétendez-vous faire?» — «Il est vrai, répondit le ministre, je le suis, et plût i Dieu que je le fusse seul en France.»'
Le roi ne se fâcha pas , mais , de plus en plus aveuglé par sa folle passion , il souscrivit une nouvelle promesse et fit jouer auprès du pape tous les ressorts de sa diplo- matie pour obtenir la dissolution de son mariage. Margue- rite de Valois s'y était opposée, pour ne pas mettre h sa place Gabrielle d'Estrées, qui n'était à ses yeux qu'une fille de basse extraction.*
La seconde négociation était celle du rappel des jésuites. Depuis l'arrêt qui les avait frappés , ils n'avaient cessé d'intriguer pour rentrer en France, où ils avaient de chnuds partisans; ils n'avaient même obéi qu'à demi; forts de la protection des parlement de Bordeaux et de Toulouse, ils bravaient, du fond de la Guyenne, leurs ennemis. Le roi lui-même n'était plus opposé à leur rappel; il craignait ces moines «qui savaient si bien manier le couteau; «il
Eensait qu'ils seraient moins à craindre en France que ors de France, et qu'il valait mieux se les attacher par des bienfaits (jue de les pousser à des mesures violentes par trop de rigueur.
1. L'Estoile, aunée 1599. — Économies royales, t. UI, p. 281- 297. — De Thou , Hv. CXXU.
2. Elle était fille de Fran-;ois de Balzac et de Marie Touchet , fille naturelle de Charles LX.
3. Capefigue, Histoire de la réformation, t. VIII. — Sully, Éco- nomies royales, t. III, p. 31 1.
4. Sully, Économies royales, t. III, p. 233. — Sismoadi, t. XXn âl.IX,p. 31.
m HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XXII.
La troisième négociation avait pour objet le mariage de Madame avec le duc de Bar, fils du duc de Lorraine , le- quel ne pouvait s'accomplir sans une dispense du pape, puisque le futur époux de la princesse était catholique.
Parmi ceux qui virent avec peine le roi abandonner la réforme, il faut placer au premier rang Catherine de Bourbon , sa sœur. Cette princesse, toute inférieure qu'elle fut à sa mère, occupe cependant dans l'histoire une place intéressante. Elle avait à peine quinze ans quand tout à coup elle devint orpheline; la forte éducation, qu'elle avait reçue dans le Béarn , la prépara à traverser des temps difficiles et à se garantir des pièges dans lesquels il était si facile de tomber à la cour des Valois. Elle avait hérité de sa mère et de son aïeule Marguerite de Valois des grâces, de l'esprit et des talents. Elle aimait les arts, jouait bien du luth; sa voix, quand elle chantait, avait une dou- ceur inexprimable. Lorsque, à l'époque du mariage de son fils , Jeanne d'Albret la conduisit à Paris , sa présence fit sensation au milieu même des belles femmes de la cour de Charles IX. «Qu'elle est belle, ma Catherine! » disait la reine de Navarre, qui ne cachait pas son mépris pour l'en- tourage de Catherine de Médicis. Elle ne devait pas voir se développer cette jeune plante, qu'elle avait cultivée avec tant de soins et sur laquelle elle avait répandu le parfum de l'Évangile. Sur son lit de mort il lui fallut la puissance de la grâce pour se résigner à se séparer de sa fille chérie; elle la recommanda à son fils, et plus encore à Dieu.'
Catherine sentit vivement le vide que la mort de sa mère faisait dans sa vie; c'était leur première séparation. Après la Saint-Barthélémy elle abjura avec son frère, et pen- dant près de quatre ans elle pratiqua le culte catholique. Mais lorsque Henri III lui permit de retourner dans le Béarn , elle n'attendit pas même d'être arrivée à Pau pour rejeter le masque hypocrite qu'on l'avait forcé de prendre. A son passage à Ghàteaudun, elle s'empressa d'aller au prêche, et plus tard, à la Rochelle, oii son frère l'avait accompagné, «elle fit avec lui, dit d'Aubigné, pénitence
1. Mole vn.
LIVRE XXIV.
14,')
publique d'avoii élé , par menace , réduite à la religion romaine. »
L'éducation chrétienne qu'elle avait reçue, rafîection
f (refonde qu'elle avait pour le duc de Soissons, son cousin, a garantirent des pièges dans lesquels elle serait proba- blement tombée. Elle se conserva pure et chaste. La médi- sance même la respecta.
Jamais princesse n'eut plus de prétendants. Peu après sa naissance, Henri II la demanda pour celui de ses fils qui fut Henri 111; Philippe II, Charles III, duc de Lorraine, Charles, duc de Savoie, et plusieurs autres se mirent sur les rangs; mais le duc de Soissons fut le seul qu'elle aima.
En 1593, la princesse, alors âgée de quarante ans, n'était pas encore mariée. Elle aimait toujours Soissons, quoiqu'il se fût jeté dans le parti de la ligue et se fût rendu indigne de son affection.
Toutes les instances qui lui furent faites pour changer de religion furent vaines; elle demeura ferme dans sa foi et devint de jour en jour plus chère aux protestants, aux- quels elle rappelait sa mère toujours vivante dans leurs souvenirs. Quand il fut question de son union avec le duc de Bar, les réformés manifestèrent une grande répugnance pour cette alliance avec un prince catholique et zélé pour sa religion jusqu'au fanatisme. Dans le synode national de Montpellier', ils déclarèrent, pour lever les scrupules de la princesse, que ce mariage n'était pas licite; mais Ca- therine donna son consentement ; ce fut une faute qui devint pour elle une source d'amères déceptions.
xxin.
Avant l'accomplissement du mariage , les docteurs ca- tholiques firent de grands efforts pour l'amener à une ab- juration. Des conférences nombreuses eurent lieu en sa présence, entre des théologiens des deux partis; du côté des protestants envoyait un ministre encore jeune, qui se distingua parmi ses confrères; son instruction était solide et variée, son argumentation serrée et semée de traits vifs et piquants. Il prononçait quelquefois des mots qu'un
1. Tenu en 1598, du 26 au 30 mai. IV.
5
14(j HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
n'oubliait plus et qui étaient tous autant de flèches acérées attachées au flanc do ses adversaires. On l'appelait Pierre Du Moulin.
Ce jeune homme, qui allait devenir un grand contro- versiste et l'écrivain le plus original de son parti, était né en 15G8, au château de Buhi. A l'âge de quatre ans, l'une des servantes de son père le sauva des mains des assassins de la Saint-Barthélémy; il fit ses études à Sedan et à Paris , passa quatre ans en Angleterre, et étudia à Cambridge sous les meilleurs professeurs de celte célèbre université. A son retour il fit naufrage , perdit tous ses livres et chanta son malheur dans un poëme ' qui commença sa réputation. '
A l'âge de vingt-quatre ans Du Moulin fut nommé pro- fesseur de philosophie à l'université de Leyde. Son érudi- tion, sa méthode d'enseignement, l'art de présenter dans un style simple, clair, original les idées les plus abstraites, donnèrent à ses leçons un grand éclat. Parmi ses élèves il y avait un Hollandais qui se faisait déjà remarquer \kt une intelligence extraordinaire et promettait d'être un jour la gloire et l'ornement de sa patrie : on l'appelait Grotius.
Après plusieurs années d'un professorat qui laissa à Leyde de longs et honorables souvenirs, Du Moulin fut appelé comme ministre à Cliarenton où ses mérites furent dignement appréciés. Homme de lutte, il eut le rare bon- heur de ne pas vivre dans des temps, médiocres et de pou- voir déployer , au service de son Église , les dons qu'il avait reçus de Dieu. Sa phrase vive, au four gaulois, lui donnait une grande supériorité sur ses adversaires, dans un pays où le ridicule tue plus vite que les raisonnements. On a droit de s'étonner quand, de nos jours, on e.vhume de la poussière de nos bibliothèques tant, d'écrits indi- gestes, qu'on n'ait pas songé à ceu.\ de Du Moulin. Est-ce oubli , ingratitude , ignorance ? Un peu de cela tout en- semble. Le pasteur de Charenton est un maître dans l'art d'écrire, et les vrais amateurs du beau style saluent en lui un précurseur de Pascal, de Molière et de Paul-Louis Courrier.
1. Il était intitulé : VotiDU tabella. \
2. Haag, France protestante, L D, p. 420.
irVRE VXIV.
147
XXIV.
Si le style est l'homme, Du Moulin revit tout entier dans le sien. Dans la belle préface de son livre' contre celui du cardinal Du Perron', on lit les lignes suivantes qui donnent une idée de l'esprit du controversiste et de sa manière d'écrire.
«Reste de donner au lecteur quelque goût, en général, du livre de M. le cardinal Du Perron, afin que par un échantillon il puisse juger de la pièce entière.
« En premier lieu , s'il peut y avoir quelque louange à mal faire, et si défendre l'erreur avec dextérité mérite quel- que recommandation, je ne puis refuser à la mémoire de ce cardinal cette louange que ce livre est bâti avec un grand artifice, et qu'il y a bandé tous ses sens et employé, avec un grand travail, toute la dextérité de son esprit, de laquelle il en avait de reste. Je ne trouve point , entre les adversaires, d'ouvrage tant élaboré. Et même tous les autres livres qu'il a faits sont un peu de chose au prix. On y voit une grande diligence en la recherche de l'antiquité, et une souplesse à plastrer son fait et à décliner les questions qu'il juge non soutenables, et à mettre en vue tout ce qu'il y a de plus spécieux pour la papauté. Il trouve plusieurs nouvelles échappatoires, dont nul ne s'était encore avisé, et où les autres défenseurs de la papauté ne lui satisfont pas, il trouve quelque nouvel expédient et prend un autre chemin. Il décline insensiblement la pointe de nos objec- tions et colore sa faiblesse d'apparence de mépris, et revêt le tout d'un langage honnête et d'un style doux et agréable, si ce n'est ès lieux où il se trouve empêtré et pressé de l'évidence de la vérité; car alors il s'embarrasse exprès de paroles obscures et entasse une pile de distinctions en termes philosophiques, et espend un nuage de poussière avec un style capricieux et importun. Par sa grande lecture des Pères il entasse, plus par ostentation que par nécessité, multitude d'allégations sur choses légères ou non contro- •versées. Mais son peu de savoir en la langue grecque el
1. Ce livre est intitulé : Nouveauté du Papisme.
2. Le livre du cardinal Du Perron est infitulé : Réplique à la fftponsc du screnissime Roy Jaques I. Roy de la Grande-B> gm.
148 HISTOIKIC DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
ès lettres humaines le fait souvent broncher. De passages faisiOés tout en fourmille. Je ne me suis arrêté à les exa- miner tous et me suis contenté d'en produire peu entre plusieurs, sachant combien cet examen est importun au lecteur et de peu d'instruction. Mais à tout prendre, il est certain que nul de ceux qui en France ont brouillé le pa- pier en faveur du pape ne lui peut être comparé; et que ce serait lui faire tort, je ne dis pas d'égaler, mais même de nommer après lui certains menus brouillons et esprits acariâtres, ignorants au dernier degré, comme un père Gontier et un père Véron, auxquels l'impudence et la co- lère injurieuse ont disloqué le cerveau; lesquels, en un autre temps, ne seraient point soufferts, mais sont bons pour ce temps auquel la hardiesse est prise pour savoir et l'orgueil pour zèle et le style injurieux pour la vraie élo-
Îuence. Et peu s'en faut que je ne mette au rang Jehan aubert, évêque de Bazas; mais j'épargne sa mitre et re- çois ses injures de cabaret pour autant de louanges. Tous ces gens sourdent après Monsieur Du Perron, comme quand du corps d'un cheval mort naissent des mouches guêpes. » '
Du Moulin ne combat pas avec moins d'esprit l'abus des indulgences papales.
«Si le pape, dit-il, était obligé de rendre compte de ses actions, et montrer par quelle autorité il fait ce qu'il fait, pourrait-il dire où c'est que Dieu lui a donné le pou- voir de tirer les âmes du purgatoire? Qui lui a commandé de ramasser en son trésor les satisfactions superabon- dantes des saints et des moines, où et quand première- ment Dieu lui a commandé de faire cette distribution? Je crois qu'il se trouverait fort empêché, vu que les pontifes de l'Ancien Testament ne recueillaient point les satisfac- tions superabondantes de Noé , ni d'Abraham, et n'en fai- saient aucune distribution , et ne se sont jamais avisés de tirer aucune âme du purgatoire, ni par puissance de juri- diction , ni par manière de suffrage. Vu aussi que ni Jésus- Christ , ni les apôtres , ni l'ancienne Église , par plusieurs siècles, n'ont parlé de ce trésor, ni distribué par indul-
1. Nouveauté du papisme (préface), Genève, imprimcnc de Pierre Chouet ,, M.DC.XXVII.
LIVRE XXIV.
149
gences le surplus des satisfactions humaines, ni établi des autels privilégiés , ni tiré aucune ame du purgatoire. Et de fait , Gabriel Biel en la 57» leçon sur le canon de la messe et Cajetan, au commencement du livre des indul- gences, reconnaissent que rien ne se trouve des indul- gences dans toute l'antiquité.»
c L'abus y est tout clair en ce que la rémission des pé- chés est attachée à une certaine Église, tellement que celui qui ferait ailleurs trois fois plus de dévotion n'au- rait point le même pardon. Item , en ce que quand le jubilé est à Rome , ceux qui sont proches ont la rémission des péchés à leur aise, mais ceux qui sont à trois cents lieues de là et qui n'ont point d'argent, ni de cheval, ni de bonnes jambes, sont privés de cette libéralité spiri- tuelle. Item, en ce que le pape donne plein pardon de tout péché et le tiers des péchés par- dessus, c'est-à-dire qu'il pardonne tous les péchés et plusieurs autres; Item, en ce que le pape et le clergé en tirent de grands profits, et exercent par là un grand trafic. Le jubilé est la grande moisson de la ville de Rome, alors offrandes et richesses y abondent de tous côtés ; Item, en ce que le pape donne des pardons avec un calcul exact comme ayant secrète- ment supputé avec Dieu, donnant dix-huit mille ans de pardon, et autant de quarantaines de jours et quelques jours par-dessus. Ne restait plus que les heures et minutes; Item, en ce qu'il jette les indulgences au hasard, comme une poignée d'écus sur la foule , comme quand il espard mille ans d'indulgence sur la foule du peuple au jour de son couronnement.» *
Du Moulin ne raille pas avec moins d'esprit le culte superstitieux des reliques.
«Le lecteur équitable, dit-il, considérera quelle peut être cette religion qui cache au peuple les écrits des apôtres et lui montre leurs os ; qui ensevelit leur doctrine et déterre leurs ossements. Comme si un fils gardait soi- gneusement de vieilles bottes ou une pièce du test de son
1. Bmicliev de la foi ou défense de la confession de foi des églises réformées du royaume de France contre tes objections du siem- Arnoiis, jésuite; livre auquel sont décidées toutes les priu- cinales controverses entre les églises réformées et l'église romaine, p. 342-343, Genève, cliez Pierre Ânbert, M DG.XXX.
150 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
père, et supprimait son testament. Les meilleures reliques de saint Pierre et de saint Paul sont leurs écrits divinement inspirés; ce qui seul doit être cliéri et recherché, c'est cela seul qu'on néglige. A l'imitation des Juifs, ils ornent les sépulcres des prophètes et persécutent ceux qui sui- vent leurs doctrines. En quoi notez la ruse; car on re- cherche et adore les os des apôtres, au lieu de rechercher leurs écrits, parce que ces os ne parlent point, mais leurs écrits parlent et disent choses odieuses a ces mes- sieurs; parce que aussi à ces os on en peut suhsiituer d'autres, mais ces Messieurs ne sauraient faire une autre Sainte-Ecriture; parce que_ aussi il n'est pas si aisé de trafiquer de passages de l'Écriture que de morceaux de reliques, desquelles on vend même la vue, et se fait trafic d'une marchandise sans la livrer.» •
XXV.
Un écrivain qui a su jeter sur des matières abstraites tant de sel attique et tant de vie, et qui a écrit mille pages comme celle que nous venons de transcrire, a droit de bourgeoisie dans notre littérature nationale à côté des plus grands maîtres. C'est un devoir de piété filiale de lui donner la place qu'il mérite. Bernard Palissy et Olivier de Serres ont attendu longtemps le jour de la justice. Celui de Du Moulin viendra. Il trouvera so;i historien.
Du Moulin, avec ses qualités solides et brillantes, de- vait se distinguer dans les conférences qui se tenaient en présence de Catherine de Bourbon, qu'il affermit dans sa foi. Il gagna la confiance de la princesse, qui, après son mariage, le choisit pour son chapelain. Les catholiques ne voulurent pas s'avouer vaincus, et imputèrent «à l'en- 1 clément de Madame sa résolution de demeurer dans la religion protestante.»
Le pape s'opposait au mariage et refusait ses dispenses. Henri IV, ennuyé de ces refus, résolut de passer outre et de faire bénir le mariage de sa sœur par un prélat fran- çais, certain que le pape s'inclinerait devant les faits accomplis. Il s'adressa à plusieurs évêques, qui tous refu-
l. Bouclier de la foi, p. 492.
LIVRE XXIV.
151
sèrent de prêter leur ministère à une union pour laquelle le pape refusait ses dispenses. «Il ne se trouva point, dit Sully, d'évèques qui voulussent la marier, de quoi le roi, infiniment en peine, envoya quérir un sien frère bâlard, fait depuis peu archevêque de Rouen , plutôt par faveur que pour son grand savoir, croyant (vu ce qu'il lui était et qu'il avait été autrefois assez bon compagnon, ayant sou- vent fait la débauche au jeu, à faire bonne chère et autres choses encore, surtout avec M. de Roquelaure) qu'il lui ferait faire tout ce que bon lui semblerait; mais lui, en ayant parlé à bon escient et voyant qu'il ne faisait pas moins de difficullés que les autres, voire qu'il usait des mêmes paroles et des mêmes scrupules en alléguant, à tous propos, les saints canons, il lui dit: Voyez, mon frère, et depuis quand, je vous prie, êtes vous devenu si consciencieux sur toute chose où ma volonté vous est ma- nifestée et en laquelle il y va du bien de mon service et de celui de ma sœur, à laquelle vous devez quelque chose aussi bien qu'à moi? je ne sais d'où vous est provenu cette grande suffisance et qui vous en a tant appris. Mais puis- que vous faites ainsi l'entendu, afin de ne me fâcher pas davantage contre vous, j'enverrai vers vous un grand doc- teur pour votre père confesslsur, et qui entend merveil- leusement les cas de conscience, et sur cela s'élant sépa- rés, le roi envoya aussitôt quérir M. de Roquelaure auquel en arrivant il dit: «Vous ne savez pas, Roquelaure, votre archevêque (car ce fut vous qui me parlâtes le premier de lui bailler Rouen) veut faire le prélat et le docteur, me ve- nant alléguer les saints canons, où je crois qu'il entend aussi peu que vous et moi, et cependant, par ses refus, ma sœur demeure à marier. Je vous prie, parlez à lui comme vous avez accoutumé, et faites souvenir du temps passé.»
« Ha pardieu , Sire , cela ne va pas bien , dit M. de Ro- quelaure, car il est temps, au moins selon mon opinion,
a ne notre sœur Catelon commence à goûter les douceurs e cette vie et ne crois pas que dorénavant elle en puisse mourir par trop grande jeunesse; mais, Sire, dites-moi un peu, je vous prie, que dit ce bel évêque pour ses rai- sons; car il en est quelquefois aussi mal garni que je sau- rais être , et m'en vais le trouver, si vous l'avez agréable pour lui apprendre son devoir. »
152 iii'îToinE nr; i,a réformation français::.
Ei s'en étant allé de ce pas en son logis , il lui dit en entrant rlasis la chambre: «Hé quoi, que veut dire ceci, rfion archevêque , l'on m'a dit que vous faites le fat; mais, ardicu, je ne le soud'rirai pas; car il irait trop de mon onneur, puisque chacun dit que je vous gouverne. Ne sa- vez-vous pas bien qu'à votre prière je me rendis votre caution vers le roi lorsque je lui parlai pour vous faire avoir l'archevêché de Rouen Or, ne me faites pas trouver menteur en vous opiniàtrant ainsi à faire la bête; cela se- rait bon entre vous et moi qui nous sommes vus quelque- fois ensemble les dés à la main ; mais il s'en faut bien garder lorsqu'il y va du service du maître et de ses abso- lus commandements. »
« Hé , vrai Dieu, que voulez-vous que je fasse? dit M. de Rouen; quoi! que je me fasse moquer de moi et repro- cher, par tous les autres prélats , une action où chacun dit qu'il y va grandement de la conscience, ni ayant aucun evêque auquel le roi n'en ait parlé et qui ne l'en ait aus- sitôt refusé? »
«Ho, morbleu, ne le prenez pas là, dit M. de Roque- laure, car vous et eux sont bien diverses; car ces gens s'alambiquent tellement le cerveau après le grec et le la- tin , qu'ils en deviennent tous fous; et puis, vous êtes frère du roi, obligé de faire tout ce qu'il commandera, sans op- position, ne vous ayant pas choisi, ni fait archevêque pour le sermoner, ni lui apprendre ou alléguer les canons; mais pour lui obéir en toutes choses où il ira de son ser- vice, que si vous faites plus le fat et l'acariâtre, je man- derai à Jeaneton de Gondom, à Bernarde l'Éveillée et à Alaistre Julien; m'entendez-vous bien? et, partant, ne vous le faites pas dire deux fois, puisque rien ne vous doit être si cher que les bonnes grâces du roi, lesquelles, à mes sollicitations, vous ont plus valu que tout le latin et le grec des autres. Pardieu, c'est bien à vous à faire par- ler des saints canons où vous n'entendez que le haut alle- mand. »
«Vous ne serez jamais las de gausser en parlant à moi , dit M. de Rouen; cela était bon en mes jeunes ans el cii des choses de néant; mais eu choses si sérieuses comme celle-ci où il y va de mon salut, il faut parler de sens ras- sis et sans se moquer, car quoique j'estime l'honneur des
LIVRE XXIV.
153
bonnes gr3ces du roi autant que ma vie , si m'est paradis encore plus cher que l'un ni Tautre.»
«Comment, morbleu, paradis, dit M. de Roquelaure, et êtes-vous si aze' que de parier d'un lieu oii vous ne fûtes jamais; ne savez-vous quel il y fait, ni si vous y serez reçu quand vous y voudrez aller?»
«Oui, j'y serai reçu, dit M. de Rouen, n'en doutez nulle- ment.»
« C'est bien discouru à vous , dit M. de Roquelaure , car, pardieu, je tiens que paradis a été si peu fait pour vous, que le Louvre pour moi. Mais laissons un peu là votre pa- radis, vos canons et votre conscience à une autre fois et vous résolvez à marier Madame; car si vous y manquez, je vous ôterai trois ou quatre méchants mots de latin que vous avez à toute heure à la bouche, et plus n'en sait le- dit déposant, et puis, adieu la crosse et la mître, mais qui pis est, cette nelle maison de Gaillon' et dix mille écus de "ente. » Ils eurent encore d'autres discours trop longs à réciter, lesquels se terminèrent en telle sorte que M. de Rouen se résolut de marier Madame.»'
Le pape, irrité qu'on eût passé outre à la célébration du mariage, refusa ses dispenses et remplit tellement de scrupules l'esprit de l'époux de Catherine qu'il vécut avec elle comme s'ils n'eussent pas été mariés. Ce fut là la première punition de la princesse qui, aimant tendrement son mari, souffrit cruellement d'en être délaissée. Ce ne fut qu'un peu plus tard que le duc de Rar, à son refour de Rome, se rapprocha d'elle. 11 était, dit-on, porteur de dispenses secrètes, le pape n'ayant pas voulu les donner publiquement.
La princesse fut de nouveau assaillie par les docteurs catholiques; mais elle demeura de plus en plus ferme, à la grande joie des réformés, qui lui pardonnèrent son ma- riage , en étant les témoins journaliers de sa constance et de sa foi.
1. Ane.
2. Elle avait appartenu au vieux cardinal de Bourbon. 8. Sully, Économies royales, ch. 89.
164 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
LIVRE XXV
I.
Une affaire plus importante que le mariage de la sœur du roi préoccupait vivement les esprits. Sur tous les points du royaume les catholiques s'élevaient contre la vérifica- tion de l'édit; les parlements ne voulaient pas admettre les protestants dans leur sein; la Sorbonne refusait de leur accorder le diplôme de licencié et de docteur; l'université prétendait leur fermer les portes de ses collèges; la faculté de médecine même se montrait intolérante et demandait avec instance leur exclusion de ses cours; le clergé enfin criait à la trahison'. Dans cette grave circonstance le roi se montra habile et profond politique; il voulait la vérifi- cation de l'édit, parce qu'elle était à ses yeux un acte de justice et de nécessité politique. «Je ne puis, écrivait-il au duc de Luxembourg, reculer sans hasarder le repos de mon État; car la partie de ceux de contraire religion est encore trop enracinée en icelui et trop forte et puissante dedans et dehors pour être mise à nonchaloir'. .J'en ai été trop bien servi et assisté en mes nécessités. Je remettrais des troubles en mon royaume plus dangereux que par le passé. »'
Les plus grandes difficultés provenaient du parlement de Paris, qui opposait au roi une résistance systématique. Mé- content de l'attitude hostile des conseillers, Henri IV résolut d'obtenir par la force ce qu'il croyait avoir le droit d'at- tendre de leur justice. Il les manda au Louvre dans son cabinet. «Vous me voyez, leur dit-il, en mon cabinet où je viens parler à vous non point en habit royal et avec l'épée et la cape, comme mes prédécesseurs, ni comme
1. Élie Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. VI, p. 271.
2. Abandon.
3. Recueil de lettres missives de Henri IV, publié par M. Berger de Xivrey. — Bulletin de l'Histoire du protestaatisma français, année 1853, p. 30.
LIVRE XXV.
155
un prince qui vient parler aux ambassadeurs étrangers, maisvèlu comme un père de famille en pourpoint, pour par- ier familièrement à ses enfants. Ce que je veux dire, c'est que je vous prie de vérifier l'édil que j'ai accordé à ceux de la religion. Ce que j'en ai fait, est pour le bien de la paix; je l'ai faile au dehors, je veux la faire au dedans de mon royaume. Vous me devez obéir, quaad il n'y aurait d'autre considération que de ma qualité, et obligation que m'ont mes sujets et particulièrement vous de mon parlement. J'ai remis les uns en leurs maisons dont ils étaient bannis, les autres en la foi qu'ils n'avaient plus. Si l'obéissance était due à mes prédécesseurs, il m'est dù autant et plus de dé- votion, parce que j'ai rétabli l'État; Dieu m'ayant choisi pour me mettre au royaume qui est mien par héritage et acquisilion. Les gens de mon parlement ne seraient en leur siège sans moi. Je ne veux me vanter; mais je veux bien dire que je n'ai exemple à invoquer que de moi- < même. Je sais bien qu'on fait des brigues au parlement, que l'on a suscité des prédicateurs factieux, mais je don- nerai bien ordre contre ceux-là et ne m'en attendrai à vous. C'est !e chemin que l'on prit pour faire des barricades et ve nir par degrés à l'assassinat du roi. Je me garderai bien de tout cela; je couperai la racine à toutes factions et à toutes prédications séditieuses, faisant accourcir tous ceux qui les suscitent. J'ai sauté sur les murailles de la ville, je sauterai bien sur les barricades. ÎN'e m'alléguez point la religion catholique: je l'aime plus que vous; je suis plus catholique que vous; je suis lils aîné de l'Église, nul de vous ne l'est, ni le peut être. Vous vous abusez si vous pensez être bien avec le pape, j'y suis mieux que vous. Quand je l'entreprendrai, je vous ferai tous déclarer héré- tiques pour ne me vouloir pas obéir. J'ai plus d'intelligence que vous; vous avez beau faire, je saurai ce que chacun de vous dira. Je sais tout ce qu'il y a en vos maisons ; je sais tout ce que vous faites, tout ce que vous dites ; j'ai un petit démon qui me le révèle. Ceux qui ne désirent que' mon édit passe me veulent la gLierre; je la déclarerai de- main à ceux de la religion, mais je ne la leur ferai pas. Vous irez tous avec vos robes, et vous ressemblerez la procession des capucins, qui portaient le mousquet sous leurs habits. Il vous ferait beau voir. Quand 'lous ne vou-
î 55 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
(Irez pnsser l'édit vous me ferez aller au parlement. Vous serez ingrats quand vous m'aurez créé cette envie. J'appelle à témoin ceux de mon conseil qui ont trouvé l'édit bon et nécessaire pour le bien de mes affaires : M. le Connétable, MM. de Bellièvre, de Sancy, de Siliery et de Viilcroy. Je l'ai fait par leur avis et des ducs et pairs de mon royaiime. Il n'y en a pas un qui osât se dire protecteur de la religion catholique, ni qui osât nier qu'il ne m'ait donné cet avis. Je suis protecteur de la religion, je dissiperai bien les bruits que l'on veut faire. L'on s'est plaint à Paris que je voulais faire des levées de Suisses ou autres amas de troupes. Si je le faisais, il en faudrait bien juger, et ce serait pour un bon effet, par la raison de mes déporte- ments passés; témoin ce que j'ai fait pour la reconquête d'Amiens, où j'ai employé l'argent desdits édits que vous n'eussiez passés si je ne fusse allé au parlement. La né- cessité m'a fait faire ces édits pour la même nécessité que j'ai fait celui-ci. J'ai autrefois fait le soldat; on a parlé, et n'en ai pas fait semblant. Je suis roi maintenant et parle en roi; je veux être obéi. A la vérité, les gens de justice sont mon bras droit; mais si la gangrène se met au bras droit, il faut que la gauche le coupe. Quand mes régiments ne me servent pas, je les casse. Que gagnerez-vous quand vous ne me vérifierez pas mon édit? Aussi bien sera -t- il passé.»
A ces paroles vives, mordantes, spirituelles, le roi en ajouta d'autres, dont chacune était un trait acéré à l'adresse des membres du parlement. Sous le père qui gourmande, on sent le roi qui parle en maître : « Donnez à mes prières, leur dit-il en terminant, ce que vous n'auriez pas voulu donner à mes menaces; vous n'en aurez point de moi; faites ce que je vous commande au plus tôt, dont je vous prie, et ne le ferez seulement pour moi, mais aussi pour vous et le bien de la paix.»'
Les conseillers firent au monarque quelques observa- tions et se retirèrent; bientôt après ils (irent présenter au roi un cahier contenant leurs remontrances. Henri IV les manda de nouveau au Louvre et leur fit comprendre, dans
1. L'Esfoile, année 1 590. — Mémoires de Sully, t. X , p. 1 H , année tôOO. — Bulletin de l'Histoire du protestantisme françai.";, amf'C 18:i" 1?8 et r.uiv.
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un langage ferme, qu'il voulait être obéi; il leur prouva que la paix de l'État était la paix de l'Église, et leur re- procha vivement l'outrage dont ils se rendaient coupables à son égard en ne voulant pas croire à sa parole, à laquelle ses ennemis même croyaient. «Je suis, leur dit-il, en accentuant chaque mot, catholique, roi catholique romain, non catholique jésuite ; je ne suis de l'humeur de ces gens-là , ni de leurs semblables qui sont des faiseurs de tueurs de roi. »
Il insista de nouveau sur la nécessité d'assurer le repos de l'État par la paix; leur montra que sans elle la réforme de l'Église était impossible; il déplora la distinction que l'on faisait entre les catholiques et les huguenots et dit que, si les premiers voulaient convertir les seconds, ce n'était pas par la violence , mais par de bons exemples qu'ils y parviendraient. Il reprocha aux conseillers de trou- bler la paix du royaume par leur opposition à sa volonté, qui n'avait d'autre but que le plus grand bien de ses su- jets. C'est à cette opposition qu'il attribua l'attitude hostile des réformés , auxquels il avait été contraint d'accorder la liberté de s'assembler. Il leur rappela que tous les édits faits contre eux sous Henri III, n'avaient pu les anéantir: «Quand j'étais avec eux, ajouta-t-il, à chaque nouvelle d'une nouvelle rigueur, je faisais des cabrioles; je disais, loué soit Dieu, car tantôt nous aurons quatre mille hommes, tantôt six mille hommes, et nous les trouvions enfin ; car ceux qui étaient désespérés auparavant étaient contraints de se réunir. » '
Le roi congédia les conseillers qui se retirèrent avec la conviction qu'il était résolu à les contraindre à vérifier l'édit.
IL
L'édit fut porté au parlement ; plusieurs conseillers s'opposèrent vivement h son enregistrement , et peut-être eût-il fallu que le roi, botté, épéronné, une cravache h la main, vint leur signifier sa volonté souveraine, si La- zare Coqueley ne s'était pas prononcé en sens contraire.
1. Bulletin de l'Histoire du proleslantisme français, année 180.5, D. 128 et suiv.
158 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
L'opinion de ce conseiller ne pouvait être suspecte; il était un ancien ligueur qui, trop homme de sens pour per- sister à servir un parti qui cntraînaitvisiblement la France vers sa ruine, s'était rallié à la cause' royale ; il avait suivi, avec un vif intérêt, les négociations pendantes entre la cour et les réformés; son zèle pour la religion catholique ne l'avait pas aveuglé, et il comprenait ces paroles que le roi avait adressées au parlement en réponse à la présen- tation de ses cahiers: «J'ai désiré faire deux ménages, l'un de ma sœur, je l'ai fait; l'autre de la France avec la paix, ce dernier ne peut être que par la paix et la paix ne sera ferme que mon édit étant vérifié.»'
Coqueley laissa les opinions des opposants se faire jour, puis il prit la parole et dans un discours plein de sens, de force et d'à-propos , il montra les funestes effets de la guerre civile sur le royaume, qui ne pouvait devenir grand que par l'union des partis. Il fit un éloge juste et mérité du roi, qui avait tout sacrifié pour donner à la France le bienfait inestima'ole de la paix : «Suivons, Messieurs, leur dit-il, les vues d'un prince, dont la bonté pour nous égale la sagesse. Craignons de nous laisser conduire par un zèle indiscret qui, dans ces derniers troubles, a aveuglé tant de gens , et d'exposer la religion à un danger évident en voulant la conserver. Que la charité chrétienne anime toutes nos démarches et souffrons que des compatriotes et des concitoyens jouissent des honneurs, des privilèges et des dignités, qu'ils ont droit de partager avec nous.
«Nous ne pourrions, sans ingratitude et sans injustice, nous y opposer; en effet, lorsqu'une puissante faction, appuyée des forces de l'Espagne, attaquait cette monarchie avec tant de fureur, avec quel courage et quelle ardeur les protestants ont-ils concouru à la défense de la patrie? Ne doivent-ils pas recevoir une digne récompense de leurs services, et j cul-on, sans être injuste, la leur refu- ser? Après tant d ; guerres civiles, qui ont enfanté ces cabales, dont on doit craindre encore le funeste poison, après tant de batailles, aussi funestes à l'un qu'à l'autre parti, l'on ne peut douter que le royaume n'ait besoin de
1. Bulletin de l'Histoire du protestantisme français, aimée 1854, p. 134.
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paix; mais comment espérer cette tranquillité, si l'on veut chasser et séparer du corps de l'État ceux qui l'ont défendu avec tant de courage? Animés par un motif si légitime de vengeance, ne pourraient-ils pas tourner contre nous les armes dont ils se sont servis si utilement pour le salut de la nation, et pleins d'indignation, ne pourraient-ils pas détruire ce qu'ils ont pu conserver.
«Mais dira-t-on, c'est offenser Dieu, et il est dange- reux de tolérer de nouvelles opinions. Au contraire. Mes- sieurs, Dieu lui-même a peut être permis ce schisme et ces disputes de religion , afin que la crainte d'une secte ennemie fit rentrer dans leurs devoirs ces catholiques, qui, contents de conserver la foi et fiers de la justice de leur cause, se laissaient corrompre par le faste et sortaient des bornes étroites de la discipline. On peut dire que cette di- vision dans la foi est un mal invét,cré, qui a pénétré dans toutes les parties du corps de l'Éiat et qu'il faut plutôt pallier ce mal incurable que d'en tenter la guérison.
« On a déjà employé tous les remèdes que fournit une guerre juste, si on peut donner ce nom à une guerre ci- vile. Quels carnages affreux dans le temps même de la paix! Quels torrents de sang ont alors coulé ! Tout âge, tout sexe, toute condition, ont fourni des victimes. Il n'é- tait pas alors permis de se plaindre ou de pleurer ses pa- rents et ses amis. Des gardes et des espions semés de tous côtés, examinaient la douleur des malheureux, et les larmes rendaient criminels ceux qu'on ne pouvait accuser comme novateurs. La crainte et la violence avaient brisé les liens les plus sacrés de la société, et une barbarie im- pitoyable avait étouffé l'humanité dans tous les cœurs.
«Quel a été le fruit de toutes ces fureurs? Elles ont re- nouvelé les ressentiments presque éloutîés, et nous ont armé les uns contre les autres. Nos crimes et nos perfidies réciproques ont rendu odieux à toutes les nations de la terre le nom français, qu'elles respectaient autrefois. Que nous serions aveugles et insensés si, à peine sortis de tous ces dangers, nous allions échouer contre le même écueil ! Fuyons ce funeste rocher , c'est le seul moyen d'éviter le naufrage, et quittons pour toujours ces armes, dont les coups ont été jusqu'à présent si malheureux. En- vironnés de maux auxquels la prudence humaine ne peut
160 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
trouver de remèdes, adressons-nous à Dieu et disons avec Josaphat, ce sage roi de Juda : Lorsque nous ignorons, Seigneur, ce qu'il faut faire , notre unique ressource est de tourner les yeux vers vous.»'
Les paroles de l'ex-ligueur rallièrent à son opinion la majorité des conseillers. Le parlement arrêta, le 29 février 1599, que l'édit serait enregistré sans modifications, et qu'on remettrait à la sagesse et à la prudence du roi le soin de veiller à son exécution. •
IIL
Les parlements de province suivirent l'exemple de celui de Pans'. Quelques-uns cependant, et notamment ceux de Bordeaux et de Toulouse, opposèrent une vive résistance.
Ils envoyèrent à Paris leurs députés pour exposer au roi leurs doléances. Le 4 novembre 1599, ceux du parle- ment de Rouen furent introduits dans le château de Saint- Germain-en-Laye , au moment où Henri IV s'amusait avec ses enfants dans l'une des salles du château. A la vue des dépuiés il se leva, laissa ses jeux et s'avança vers eux : «Ne trouvez pas étrange, leur dit-il, de me voir ainsi folâtrer avec ces petits entants; je sais faire le fol et aussi le sage. Je viens de faire le fol avec eux, je m'en vais faire maintenant le sage avec vous et vous donner audience.» Il entra dans une chambre où le suivirent son chancelier, le maréchal d'Ornano, et les députés.
Le président Chessac prit la parole et parla pendant une heure et demie. Le roi, qui l'avait écouté avec une grande attention, lui dit que jamais il n'avait entendu un plus beau parleur que lui; après le compliment vint la critique, elle fut amère: «Je voudrais, lui dit-il, que le corps répondît au vê- tement; car je vois bien que vos maximes et propositions sont les mêmes ou semblables qu'étaient celles que fit jadis le feu cardinal duc de Lorraine au feu roi en la ville de Lyon, retournant en Pologne, tendantes à remuement d'État. Nous avons obtenu la paix tant désirée, Dieu merci, la-
1. De Thou , liv. CXXH, p. 279 et suiv.
2. L'enregistrement ne fut pas pur et simple : cliaque parlement l'accorda avec guelgues iéfières modifications.
LIVRE SXT.
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quelle nous coûte trop pour la commettre en troubles. Je veux continuer et châtier exemplairement ceux qui y vou- draient apporter alléralion. Je suis votre roil ;gitime, votre chef, mon royaume en est le corps. Vous avez cet honneur d'en être membres. C'est affaire du chef de commander, et aux membres d'obéir, et d'y apporter la chair, le sang, les os et tout ce qui en dépend. Vous dites que votre par- lement se trouve seul' qui, en ce royaume, est demeuré en l'obéissance de son roi, et partant que ne devez avoir pire condition que les parlements de Paris et de Rouen qui, durant le débordement et orage de la ligue, se sont dévoyés. Certes ce vous a été beaucoup d'heur; mais après Dieu il en faut rendre louange, non à vous autres', qui n'avez eu faute de mauvaise volonté pour remuer mé- nage contre les autres, mais à feu M. le maréchal de Matignon, qui, vous tenant la bride courte, vous en a em- pêché. Ily a^ longtemps qu'étant seulement roi de Navarre je connaissais dès lors bien avant vos maladies ; mais n'a- vais les remèdes en main pour les y appliquer. Maintenant que je suis roi de France, je les connais encore mieux et ai les moyens en main pour y remédier et en faire repen- tir ceux qui voudront s'opposer à mes commandements. J'ai fait un édit, je veux qu'il soit exécuté, et quoi qu'il en soit, veux être obéi*. Bien vous en prendra, si le faites. Mon chancelier vous dira plus en plein ce qui est de ma volonté. » '
Le même jour le roi donna audience aux députés du parlement de Toulouse. «C'est chose étrange, leur dit-il
1. Floquet, Histoire du parlement de Normandie, 1. 111, p. 414. — Deux parlements seulement surent demeurer purs : celui de Pretagne et celui de Guienne.
2. V. de Thou, liv. XCVII.
3. Jacques Goyon , deuxième de nom , seigneur de Matignon , comte de Torigny, prince de Mortagne; il mourut à Bordeaux au mois de juillet 1597. — Mém. du Journ. de Pierre de l'Estoile, éd. Petitot, p. 208. — Marguerite de Valois l'appelle « un dangereux et fin Normand, un brouillon malicieux. » — Mémoires, p. 150, 153, -année 1578.
4. Voir les extraits des dépêches d'Aerssen , datées de Paris le 22 février, d'Orléans le 6 juillet et de Blois le 15 août 1599.
5. Bulletin de l'Histoire du protestantisme français, année 1853, p. 139.
162
HISTOIHE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
avec colère, que vous ne pouvez cacher vos mauvaises vo- lontés. J'aperçois bien que vous avez encore de l'espagnol dans le ventre'. Et qui donc voudrait croire que ceux qui ont exposé leurs vies, biens, élals et honneurs pour la défense et consin'valion de ce royaume, seront indii^nes des charges honorables et publiques, comme ligueurs per- fides et dignes qu'on leur courre sus, et qu'on les bannisse du royaume. Mais ceux qui ont employé le vert et le sec pour perdre cet Etat, seraient (à votre dire) bons Français dignes et capables de charges! Je ne suis aveugle; j'y vois clair. Je veux que ceux de la religion vivent en paix en mon royaume et soient capables d'entrer aux charges; non pas parce qu'ils sont de la religion, mais d'autant qu'ils ont été fidèles serviteurs à moi et à la couronne de France. Je veux être obéi et que mon édit soit publié et exécuté
Ïiar tout mon royaume. Il est temps que nous tous, saou- és de la guerre, devenions sages à nos dépens.»' Sur ce il les congédia.
Les députés des parlements de Rouen et de Toulouse quittèrent Saint-Germain et rapportèrent à leur compagnie les paroles du roi. Les conseillers, comprenant qu'une plus longue résistance devenait inutile, enregistrèrent l'édit en lui faisant subir quelques modifications.
IV.
En présence des luttes du roi avec les membres des cours souveraines du royaume , on se demande quelle était l'utilité des parlements sous le rapport des aflaires po- litiques; ou bien ils avaient des droits, ou bien ils n'en avaient pas; s'ils en avaient, pourquoi le roi violait-il leurs privilèges? s'ils n'en avaient pas, pourquoi la volonté royale ne se passait-elle pas de leurs concours?
1. Bibliothèque impériale, fonds Fontette, portef. VI, pièce 17. — Bulletin de l'Histoire du protestantisme français, année 1S53, p. 137.
2. Floquet, 1. 111, p. 557. — Des conseillers du parlement de Toulouse, vaincus d'impatience ou mus de je ne sais quelle légè- reté et inconstance, avaient écliaugé la toge contre la cuirasse assez mdireclemcnt (dit La Roche Flavyn, leur collègue); il y en avait eu de blessés aux assauts des villes, et plusieurs même pé- rirent au siège de \illemur.
LIVBB XXI.
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Les corps politiques ne sont grands et utiles que quand ils agissent dans la plénitude de leur souveraineté, car ils perdent de leur dignité quancf ils délibèrent et votent sous une pression étrangère... Le peuple ne voit alors en eux que des instruments d'une puissance plus haute; et là où il devrait voir des hommes il n'aperçoit que des courti- sans ou des valets. Au lieu de respecter il méprise. Ce n'est que justice.
Dans les événements dont nous faisons le récit, les par- lements opposèrent une résistance injuste. Ils avaient pour eux contre la volonté du roi, la légalité; mais le roi avait pour lui contre eux, le droit et la justice. Nous ne nous sentons aucun penchant pour le despotisme sous quelque forme qu'il se présente ; mais nous comprenons comment avec les passions et les haines de l'époque la puissance royale s'est élevée sur les débris des libertés parlemen- taires. Ce n'est jamais impunément que les corps consti- tués violent les lois éternelles de la justice, alors même qu'ils le font avec la lettre de leurs chartes. Ils amassent ainsi sur leurs tètes des trésors de colère et sont, sans s'en douter, les auxiliaires les plus puissants du despotisme qui n'est possible que le jour où ils ont perdu la confiance et l'estime de la nation. Les sénateurs romains qui attendent les Gaulois sur leurs chaises curules, intrépides devant la mort, sont grands. Les parlementaires qui, sur leurs sièges, enregistrent l'édit sous l'œil du maître, sont petits.
V.
Quand le pape reçut la nouvelle de la vérification de l'é- dit, il s' écria: «Cetéditme crucifie"! C'est, disait-il aux cardinaux d'Ossat et de Joyeuse, le plus mauvais qu'on puisse imaginer, puisqu'il permet la liberté de conscience à tout chacun, et ce qui est la pire chose du monde, c'est qu'il permet l'épreuve partout. Cet édit, fait sous mon nez , est un affront qui n'est pas moins injurieux pour moi que si on m'avait fait une balafre. » '
Les cardinaux s'efforcèrent de le calmer, en lui prouvant
1. Letti-es du cardinal d'Ossat.
2. Histoire de l'édit de Nantes, liv. VI, p. 280.
■164 HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
ue le roi avait cédé à une nécessité et non à un penciiant e son cœur, et qu'il n'aurait pu le refuser sans recom- mencer une nouvelle guerre qui eût été plus funeste aux catholiques qu'aux protestants.
La colère (lu pape ne fut pas stérile. Le roi, pour l'a- paiser, donna aux catholiques du Béarn un édit, qui était pour eux ce que celui de Nantes était pour les protes- tants. '
L'abrégé' de l'assemblée de Chatellerault, qui avait con- tinué à siéger pour travailler à la vérification de l'édit de Nantes, s'opposa énergiquement aux changements qu'on voulut y apporter. Elle ne réussit pas toujours, mais elle empêcha au moins qu'on le dénatura; elle nota minutieu- sement toutes les infractions et présenta au roi ses cahiers dans lesquels elle consigna ses observations. '
VL
L'édit de Nantes fut un acte de justice et de bonne po- litique. Il soldait des services rendus et retirait la France des dangers des guerres civiles. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un regard rapide sur l'état de la France avant et après la date mémorable du 13 avril 1598.
Avant l'édit, le royaume présentait un aspect désolant; la campagne était abandonnée aux ronces et aux herbes parasites ; faute de culture, le royaume était visité par des famines et des disettes périodiques; les maisons, les châ- teaux, les villes et les villages n'offraient que traces de ruines; les fossés des villes fortes étaient comblés, leurs remparts renversés, leurs portes brûlées, les monuments publics mutilés, les revenus publics réduits à néant, ceux des particuliers compromis, le commerce anéanti, le clergé même, pour lequel tant de sang huguenot avait été versé, avait vu ses dîmes impayées et ses biens usurpés par l'État. Le roi était le plus pauvre de ses sujets : au siège
1. Élic Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, liv. VI, p. 284-585.
2. C'est-à-diro commission cliargcc de l'cprcsonter l'assemblée, •t. Hi!5toire de l'édit de Nantes, !iv. ^fl, p. 2S5 et suiv. — Élie
Benoit, selon ."in rontinnc, entre dans de grands détail.';.
LIVRE XXV.
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d'Amiens, il n'avait pas assez d'argent pour fournir sa table et s'acheter un pourpoint ; encore quelques années d'un pareil régime, et le royaume tombant en lambeaux, serait devenu la proie de quelques grands seigneurs qui auraient fondé leur grandeur personnelle sur ses débris. Il fallait que la France récelàt dans son sein des forces inusables pour n'avoir pas péri dans ces temps calamiteux oii tous les droits étaient contestés, méconnus , foulés aux pieds, et pendant lesquels, chacun faisait, non ce qui est bon, mais ce qui lui semblait bon, travaillait à l'abaisse- ment de la patrie et à l'agrandissement de la maison d'Au- triche. Jamais l'Espagne ne fut plus près de réaliser le vœu de Charles-Quint, la monarchie universelle, que pen- dant les trente-cinq années de nos guerres civiles.
Mais à peine l'édit de Nantes fut -il signé et vérifié que la France changea de face avec la rapidité d'un change- ment de décoration à vue ; Les champs furent ensemen- cés, les maisons réparées, le commerce, cette seconde mamelle des peuples, reprit vie et force, les transactions firent reparaître l'argent qui avait disparu de la circula- tion, le clergé fut mieux payé, le roi put enfin tenir sa maison comme il convieiil au chef d'un grand royaume; l'étranger enfin qui nous raillait et qui ne cachait pas son mépris pour un peuple qui ne savait pas se gouverner, fut saisi d'admiration et d'eiîroi. La France, reléguée au rang d'un royaume de second ordre, reprit sa place, et quand ou vit à sa tête un roi élevé à la rude et salutaire école de l'adversité, jeune encore, plein d'ardeur et de vie, guerrier, administrateur, politique, on rechercha son al- liance. En présence de tels résultats, plusieurs de ceux qui ne voulaient pas de l'édit furent contraints de reconnaître que le roi avait marché dans les voies d'une politique aussi habile que réparatrice; les zélés ligueurs seuls ne le lui pardonnèrent pas; l'édit, à leurs yeux, n'était qu'un sacrilège.
Quand on examine au flambeau de l'Évangile la question de tolérance , en matière religieuse , elle est des plus simples; l'amour des hommes nous est prescrit comme l'un de nos premiers devoirs envers le prochain ; or, si notre prochain a le malheur, à nos yeux, de ne pas croire comme nous, la force brutale sera-t-elle le sûr moyen de
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HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
l'y contraindre? Non; car lorsque cet homme se verra honni, raillé, haï, jeté en prison, frappé clans ses affec- tions les plus chères, conduit au supplice, pourra-t-il voir dans son persécuteur un disciple de celui qui ne sut que bénir, aimer et mourir; il éprouvera une répulsion pro- fonde pour son convertisseur, et, en présence de la mort, il dira : Je ne serai jamais de la religion de mon bourreau.
L'édit de Nantes était un acte de justice à l'égard des réformés ; ils avaient secouru la royauté , lorsque la Sor- bonne prononça la déchéance de Henri III; ils avaient prêté leur appui au roi légitime, quand il était sans argent, sans troupes, sans prestige. Sans l'attentat de Jacques ClémCfit, ils l'eussent remis sur le pavoi , lui l'auteur de la Saint- Bartliéiemy, lui l'auteur du traité de Némours, lui qui disait aux Etats deBlois, quelques jours avant de faire assassiner Guise, «je voudrais voir en portrait dans ma chambre le dernier huguenot de mon royaume » ; ce furent eux qui, après sa mort combattirent à Arques, à Ivry et empê- chèrent la France de devenir une province espagnole. Déjà ils avaient combattu au Havre et avaient aidé Charles IX à en chasser les Anglais; à part quelques taches dans leur histoire, ils furent les vrais patriotes du royaume; plus tard, aux jours de la Fronde, ils furent les sujets les plus dévoués d'un roi mineur, et leur attache- ment à leur prince leur fit alors donner le sobriquet de royaux qui leur est reste dans le midi de la France. L'édit fut donc, commenous l'avons déjà dit, un acte de justice; s'il ne répara pas tous les maux du passé, il fit au moins lever sur les réformés l'espérance d'un meilleur avenir.
VII.
On s'est demandé si l'édit de Nantes est un acte émané de la seule volonté du roi, ou bien un traité intervenu entre le souverain et ses sujets dissidents; la question est controversée, et quoique aujourd'hui elle paraisse oiseuse, elle a cependant son intérêt; les uUramontains appellent toujours l'édit un acte émané de la volonté royale accor- dant aux protestants ce qu'elle eût dû leur refuser, puis- qu'aux hérétiques on ne doit que ce qui est dû aux
LIVRE XXV.
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niMlfaileurs ; ce fut l'argument qu'on fit valoir plus tard auprès de Louis XIV; mais quand on étudie les prélimi- naires des négociations de l'édit, on est amené forcément à lui donner le nom de traité. Quand il fui rendu, les pro- testants étaient sous les armes et ils avaient plus encore de raisons de ne pas vouloir le Béarnais pour leur roi, que les ligueurs, quand ce prince n'était pas encore passé au ca- tholicisme; par son abjuration leur ancien chef rompait le contrat qu'ils avaient fait sur les champs de bataille et qu'ils avaient signé de leur sang. Ce contrat serait -il moins légitime que ses traités avec les ligueurs? Tout ce qui s'est passé avant l'édit de Nantes éclaire la question; il ne fut pas donné le lendemain de Tabjuration pour rassu- rer les réformés. Plusieurs années s'écoulent , se passent en demandes d'un côté, en refus et en attermoyement de l'autre ; des négociations s'ouvrent , on discute , on de- mande, on refuse, on insiste, on abandonne un point, on se rabat sur un autre. Pendant quatre ans on discute les bases de cette nouvelle charte. Deux autres sulllsent à peine pour les arrêter. «Jamais, dit Elie Benoît, traité de roi à roi ou d'État à État, n'a eu plus de marques et plus de circonstances d'un véritable traité'.» De là l'obligation pour les successeurs de Henri IV de l'observer, puisque l'édit n'est qu'un contrat synallagmalique entre le roi et ses sujets de la religion réformée.
Nous ne nous sommes étendu sur ce point que pour montrer que quelque grande que fût r.mlorité royale, elle avait des limites dans lesquelles elle devait se renfermer et des engagements qu'elle ne pouvait rompre tant que les parties contractantes demeureraient fidèles à l'esprit du traité; mais ce qu'on ne saurait trop admirer, c'est la constance avec laquelle les réformés réclamèrent leurs droits à une époque où toutes les hberlés de la nation al- laient s'engloutir dans la puissance royale. L'édit de Nantes fut donc tout autant leur œuvre que celle de Henri IV. '
!. Élie Benoît, 1. 1", liv. vn, p. 323.
?. Voir Auquez, Assemblées politiques des protestants — Mi- cliciet — Henri ilaitiu — Sismondi.
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HISTOIRE DE LA RÉFOUMATION FRANÇAISE.
VIII.
L'année 1598, célèbre par l'édit de Nantes, vit mourir Philippe II.
La mort ne se jeta pas sur lui comme un oiseau de proie ; elle vint lentement; mais elle vint avec le fouet des ven- geances divines et lui dressa un lit de douleur; «elle l'inonda, dit Antonio Pérès, d'une sale phlhiriasis , accompagnée de toute une armée de poux; elle ne voulait pas, dit l'e.xact narrateur, le détruire sans lui avoir fait sentir que les princes et les monarques de la terre ont d'aussi misérables et honteuses manières de sortir de la vie que ceux qui ont vécu pauvres. » '
Les témoins de cette étrange maladie furent frappés d'épouvante. Les médecins, après avoir vainement essayé d'arrêter cette invasion de poux sur le corps frêle et dé- bile du royal malade, disaient entre eux: eccemanus Dei^. Et cependant, sur ce lit qui fait horreur et pitié, le roi était moins tourmenté de ses souffrances que du jugement à venir., Quand il sentait ce ver qui ne meurt pas, dont parle l'Évangile, attaché à son cœur et le mordre, il poussait alors de grands soupirs et disait: «J'aurais été plus heureux si j'étais né pauvre prêtre que monarque des
Le lit de mort de Philippe II présente une grande leçon pour les souverains qui dans leur orgueil croient que leur puissance n'aura point de fin; il leur crie, par la bouche de l'illustre malade, que tout est vanité et rongement d'esprit, que la force de l'homme n'est que faiblesse, que sa grandeur n'est que néant. Quel prédicateur puissant que Philippe d'Espagne, quand il fait approcher de son lit son fils et lui dit, en lui montrant le cercueil de cuivre qu'il s'était fait préparer: «Vous voyez aujourd'hui, mon fils, comment Dieu m'a déjà dépouillé de la gloire et de la majesté d'un roi pour vous en revêtir vous-même; pour moi, on me vêtira dans quelques heures d'un misérable suaire, et on me ceindra d'une pauvre corde. La couronne
1 Mignet Antonio Ferez et Philippe D, p. 380. 2. Voilà la main de Dieu.
LIVRE XXV.
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de roi me tombe de la tête, et la mort me l'ôte pour vous la donner. Un jonr viendra où cette couronne tombera de votre tête comme de la mienne. Vous êtes jeune comme je l'ai été. Mes jours étaient comptés, et les voilà qui finissent; Dieu sait le compte des vôtres, qui finiront à leur tour. Je vous recommande la guerre avec les infidèles et la paix avec la France. » Après ces paroles il entra dans la sombre vallée de l'ombre de la mort; ses forces s'affaiblirent et il expira en portant ses regards vers le ciel où l'attendait son juge". Il avait soixante-douze ans quand il descendit dans la tombe, laissant une mémoire maudite.
Ce prince a eu des apologistes qui l'ont exalté; mais leurs efforts n'ont pu le réhabiliter aux yeux de la postérité, qui a confirmé le nom de « démon du Midi » qui de son vivant lui fut donné. Il ne fut pas cependant un roi ordinaire, et l'historien qui voudrait trop le rabaisser ne donnerait de lui qu'un portrait incomplet. Il fut patient, laborieux et sut, chose rare, s'entourer d'hommes éminents : Doria, Sanla Cruz, don Juan, le duc d'Albe, Farnèseet plusieurs autres commandèrent ses flottes et ses armées. 11 eut pour ministres Antonio Ferez, Granvelle; pour ambassadeurs Mendoce, Feria, Taxis. La prospérité ne l'enfla pas, l'ad- versité ne l'abattit pas. Courbé sous le poids des années et des souffrances corporelles , il marcha toujours vers son but avec une constance qui ne se démentit jamais. Sur son lit de mort il ne fut pas sans grandeur, et la première fois qu'il baissa la tête , ce fut devant celui qui le ployait comme un roseau et lui faisait sentir que les rois les plus puissants ne sont que comme la feuille que le vent lait tourbillonner devant lui.
Parmi les rois d'Espagne, le fils de Charles-Quint a une grande place dans l'histoire, mais il l'occupe pour son châtiment; car à part quelques apologistes sans pudeur, tous les écrivains de quelque poids le mettent au rang des plus mauvais et des plus méchants rois que les peuples aient jamais eu. Il fut fourbe, cruel, implacable, débauché sous des dehors de di'ivotion; pour lui tous les moyens d'atteindre un but furent bons. Disciple du Vieux de la
1. Sully, Économies royales, année 1598. — V. Palma-Cayet, année 1598. — Brève compendio y elogio de la vida de el rcy Phelipe scgundo de Espana , P. Antonio Ferez.
5.
470 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
montagne, il députa ses assassins vers Elisabeth et vers Escovedo, le secrétaire de don Juan; père sans entrailles, il fit m:'ltre à mort son fils doïi Carlos. Pendant les trop longs jours de son règne, il fut le mauvais génie de la France-, il se crut grand et ne fut qu'opiniâtre. Admira- blement secondé par des hommes éminents, il neutralisa presque toujours leurs services par la manie qu'il eut de vouloir tout ordonner, tout diriger du fond de son triste Escurial. Il travailla immensément et ne fit rien; là où il aurait fallu une tête intelligente il n'y eut qu'un infatigable chef de bureau. A sa place un homme de génie, pénétré des besoins de son siècle, eût continué l'œuvre de Charles- Quint: il la ruina. Avec la plus belle armée du monde, commandée par d'habiles généraux, il n'aboutit qu'ù des défaites; avec les trésors du nouveau monde il n'arriva qu'à la banqueroute; avec les finesses de sa diplomatie il ne recueillit que des échecs; avec ses rêves de monarchie universelle il assista au démembrement de ses vastes états; tout dépérit entre ses mains; la Hollande secoua son joug de fer, et de l'excès de ses douleurs naquit sa glorieuse indépendance. La France ne voulut ni de sa fille pour reine, ni de son tribunal du Saint-Office pour sauvegarder sa foi. La réforme qu'il avait voulu étouffer y était fou- jours debout avec son édit de Nantes, conquis au prix de quarante ans de luîtes. L'Angleterre enfin qu'il avait me- nacée avec son invincible Armada prenait le sceptre des mers, lui interceptait la route des Indes et l'insultait devant Cadix. La seule consolation qu'il eut en mourant ce fut de léguer à son fils la paix de Vervins. 11 avait ap- pris trop tard que les guerres injustes sont la ruine des nations et que l'orgueil marche devant l'écrasement.
Sa mort fut un soulagement pour la chrétienté. Les li- gueurs seuls le pleurèrent. Les protestants dirent que Dieu l'avait frappé comme Hérode, et avait prolongé ses jours pour lui iniliger le supplice de l'édit de Nantes. Les partis sont naturellement crédules et se complaisent à voir dans les événements qui leur sont favorables une favew de la Providence ; et cependant, quand le célèbre édit fut rendu, le roi catholique élait désillusionné. L'âge, les infirmités, les revers l'avaient dompté; il sentait que c'en élait fait de ses espérances, dont il ne lui restait que des amertumes et
LIVRE XXV.
de stériles regrets. Il était trop vieux pour recommencer, et trop pauvre pour lancer à la mer une nouvelle Armada.
IX.
L'édit de Nantes commençait à peine à faire entrer la France dans les voies réparatrices de la pai.x, quand sou- dainement elle fut sous le coup d'une fiévreuse ardeur qui inquiéta le roi et lui fit craindre d'être obligé «de faire encore le roi de Navarre. » Il ne s'agi-ssait cependant
3ue d'une intrigante que ses compères disaient possédée u démon. Cet événement, qui aujourd'hui passerait in- aperçu et ne pourrait être exploité que dans quelques vil- lages reculés de l'empire, agita toute la France, et la cour, quand on vit que le vieux parti ligueur s'en servait pour rallumer les haines et mettre encore une fois le royaume en danger.
Un tisserand de Romorantin , en Sologne, nommé Jacqijes Brossier, avait une fille atteinte d'une maladie étrange. Dé- goûté de son métier, il trouva plus agréable et plus lucratif de courir le monde en conduisant avec lui cette jeune fille. Le peuple, qui est glace pour la vérité et feu pour le men- songe, accourait de tous les côtés pour voir Marthe, la possédée. La fourberie de Brossier fut découverte par les chanoines d'Orléans et de Cléry qui, par leurs actes capi- tulaires des 17 mars, 18 et 15 septembre 1598, firent dé- fense aux prêtres du diocèse de recourir à l'exorcisme.
L'artisan de Romorantin quitta les environs d'Orléans et alla à Angers exercer son industrie. Cette ville avait pour évêque un homme instruit et éclairé'. Le prélat, soupçon- nant une ruse, voulut, avant de procéder à l'exorcisme, s'assurer si par quelque artifice il ne la découvrirait pas, il invita Marthe Brossier à sa table et lui fit à son insu boire de l'eau bénite. Cette eau qui, selon la croyance d'alors, aurait dû la faire tomber dans des convulsions, ne fit aucun effet. Les soupçons de l'évêque s'accrurent; il lui fit bientôt après présenter de l'eau ordinaire, en lui disant que c'était de l'eau bénite. Marthe fut immédiate- naent atteinte de grandes convulsions.
C'est une ruse, se dit le prélat; cependant la voix pu-
1. n s'appelait Miron.
172 HISTOIRE DE LA nÉFORMATION FRANÇAISE.
blique lui avait tellement représenté la fille du tisserand comme possédée qu'il voulut arriver à une conviction plus forte du fait.
Apportez-moi, dit-il tout haut à son sommeiller, le cé- rémonial où se trouvent les exorcismes, et s'élant habile- ment fait donner à la place un Virgile, il se mit à lire.
Marthe, croyant qu'on lui lisait les paroles du cérémonial, tomba en convulsions au premier vers qu'elle entendit lire, criant qu'elle était tourmentée par l'esprit malin.
Convaincu de la tromperie , l'évêque réprimanda sévè- rement cette fille et son père, et leur ordonna de quitter son diocèse et de ne plus abuser le peuple par de pareilles jongleries. Brossier, qui avait pris goût à son rôle de fripon, au lieu de retourner à son métier de tisserand, se dirigea vers Paris, où il espérait trouver des partisans parmi ceux du parti ligueur, sans cesse à l'affût de pré- textes pour inquiéter le gouvernement. Il ne se trompa pas; à peine arrivé, les mille trompettes de la renommée firent de sa fille un personnage considérable; les capucins se constituèrent ses patrons. Les expériences qu'ils firent sur elle eurent un plein succès; le peuple se porta en foule aux séances des moines; — or, comme on faisait dire à Marthe tout ce qu'on voulait, ils se firent de ses
faroles une arme contre le roi et contre les protestants, aris était agité comme si on eût été à la veille de quelque grand événement. L'affaire parut sérieuse au cardinal Gondi, archevêque de Paris, qui crut devoir intervenir officiellement ; il fit venir chez lui cinq des plus célèbres médecins de l'université de Paris: Jean Riolan, Nicolas Ellain, Michel Marescot, Jean Haultin, et Louis Duret.
La possédée fit, en présence des docteurs, des bonds, des sauts, tomba dans des convulsions et tira de sa poi- trine des sons extraordinaires.
Marescot et l'un de ses collègues, lui ayant parlé en grec et en latin, elle leur dit qu'elle n'était pas en lieu propre pour leur répondre.
Les médecins déclarèrent après examen qu'il pourrait bien y avoir dans le cas de Marthe Brossier un peu de maladie, mais qu'il y avait certainement beaucoup de friponnerie.' ï. Relations des médecins de Paria.
LITRE XXV.
173
Le lendemain il y eut une seconde séance dans la cha- pelle de Sainte -Geneviève. La possédée renouvela les scènes de la veille, en présence des docteurs Ellain et Duret. Ce dernier lui enfonça une épingle entre le pouce et l'index de la main droite. Marthe ne manifesta pas le moindre signe de douleur.
Cette expérience frappa les médecins qui convoquèrent leurs collègues pour une nouvelle séance.
Le lendemain, 1" avril 1599, une foule nombreuse était réunie dans l'église Sainte -Geneviève, dans une attente pleine d anxiété. Le père Séraphin commença la cérémonie de l'exorcisme en présence des médecins et d'un grand nombre de docteurs en théologie. Pendant l'opération Marthe roulait des yeux hagards, tirait la langue, son corps frémissait et s'agitait sous d'horribles convulsions. Quand le père capucin prononça ces paroles /iomo faclus est, «le Verbe a été fait chair,» la possédée poussa des hurlements, se rou'a par terre, se releva et se mit à courir avec une célérité surprenante.
Dans l'orgueil de son triomphe l'exorciste s'écria tout haut: «S'il y a quelqu'un qui en doute qu'il essaie, au péril de sa vie, d'arrêter ce démon. »
Les assistants tremblaient de teiTenr, quand tout à coup Marescot se leva et dit d'une voix retentissante: «je l'es- saierai,» et il courut vers la possédée, posa la main sur sa tête et saisit son bras qu'il retint comme dans un étau de fer.
Marthe, se sentant impuissante, cessa de crier et dit tranquillement: «l'esprit s'est retiré.»
«C'est donc moi, dit ironiquement Marescot, qui ai chassé le démon.» Après cela le docteur fit semblant de se retirer. Marthe, qui le crut parti, recommença la scène qui venait de se terminer d'une manière si compromettante pour le père Séraphin ; mais Marescot reparut tout à coup au milieu de l'assemblée, et comme la première fois la jeta à terre et la réduisit à l'impuissance de se mouvoir.
«Levez-vous,» lui crie le père Séraphin avec une voix pleine d'autorité.
dCe démon, lui répondit Marescot en raillant, n'a pas de pieds pour se tenir debout. »
i H niSTOIHE DE LA RÈPORMATION FRANÇAISE.
clairvoyants, ne convainquit qu'à demi l'assemblée qui se sépara au milieu d'une vive agitation. Quatre méde- cins déclarèrent que Marthe n'était qu'une fourbe. Haul- tin fut à demi convaincu et demanda trois mois de réflexion et d'expériences. Duret, celui de tous qui était le plus populaire auprès des masses, déclara que Marthe était possédée du démon. Sa déposition infirma celle de ses collègues, et Paris ne douta plus de la possession de Marthe, surtout quand il sut qu'un procès-verbal, dressé devant l'évêque, constatait le fait.
Marescot ne laissa pas sans réponse le procès -verbal que le père Séraphin faisait circuler. Il prouva une fois de plus que Marthe n'était qu'une aventurière'; mais le peuple ajouta plus de foi au procès-verbal qu'à sa réfutation. Son amour du merveilleux l'agita extrêmement et la cour se crut à la veille d'un soulèvement général. Le roi, qui était alors à Fontainebleau, jugea l'affaire grave et y vit de la part du parti ligueur un prétexte pour fomenter des troubles, le rendre odieux à son peuple et l'empêcher de rendre stable l'édit qu'il venait de donner aux protestants; il ordonna au parlement de s'occuper de cette affaire.
Le peuple fut mécontent de la décision qui mettait Marthe entre les mains du parlement et sous le contrôle de mé- decins les plus distingués de Paris; les prédicateurs mon- trèrent une audace extraordinaire et renouvelèrent par leurs discours incendiaires quelques-uns des excès de la ligue. Le peuple murmurait et criait hautement qu'on n'a- vait déféré Marthe au parlement que pour plaire aux ré- formés, parce qu'ils craignaient de se voir confondus par ce moyen que Dieu fournissait à son église pour mani- fester sa gloire et confondre par un miracle éclatant ses ennemis.
On fut obligé de sévir contre ceux des prédicateurs qui enflammaient le plus le peuple. Le parlement enfin, après avoir examiné l'alfaire, rendit le 24 mars 1599 un arrêt par lequel Marthe et son père furent renvoyés à Piomoran- tin avec injonction formelle à ce dernier de ne pas laisser sortir sa fille de son village sans la permission de Paul Gal- lois, châtelain du lieu. Le père et la fille quittèrent Paris et
1. Livre de Michel Marescot
I
LIVRE XXV.
115
allèrent mourir à Romorantin dans la misère et dans l'ou- bli, après avoir compromis un instant par leur fourberie la tranquillité du royaume.'
X.
Au milieu des préoccupations que donnaient au roi toutes les affaires de son royaume, dont il désirait vivement la pacification, il attendait avec impatience le bref du pape qui lui permettrait de contracter un nouveau mariage. La reine Marguerite, qui avait refusé son consentement à la dissolution de leur union, l'avait accordé dès qu'elle n'eut plus à redouter de voir prendre sa place par une femme de basse extraction. Dans son abjection, cette princesse avait conservé tout l'orgueil de sa race.
Le pape se décida et prononça la dissolution sur les instances du cardinal d'Ossat, qui négocia cette affaire avec son habilelé accoutumée.
Tout se préparait pour l'exécution de l'édit qui com- mençait à porter ses fruits dans le royaume, quand un événement, qui eut un grand éclat, fit croire aux catho- liques à la chute prochaine de la réforme.
XL
Mornay, dans ses heures de loisirs, avait écrit un traité sur l'institution de l'Eucharistie; dans-ce livre il maltraite le pape, et cite plus de quatre mille passages tirés des pères et des scholastiques pour prouver la fausseté du dogme de la transsubtantialion. Le nom de l'auteur, l'homme le plus honorable de son temps, donna à son ouvrage un grand retentissement; le clergé effrayé porta plainte jusqu'aux pieds du trône. Henri IV, qui désirait la fin des luttes théologiques, manifesta son mécontentement à Mornay qui, sur la couverture de son livre, avait ajouté à son nom son titre de conseiller d'Etat, ce qui pouvait faire croire que le roi était de connivence dans cette affaire. Ce fut pour l'auteur te commencement de l'aban-
l. Actes d',1 pa:-!emc:it de Paris. — Ds Thou , t. IX, eb. 23, p. 2&9 et suiv. — L'Estoile, année laOP.
176
HISTOIRE DE LA RÊFORMATION FRANÇAISE.
don immérité dans lequel son maître le laissa. Le clergé ne put faire condamner son livre par le parlement de Bor- deaux; le premier président, homme de sens, pensant avec raison que la liberté du culte emporte avec elle celle de discussion, refusa de se rendre à ses instances et lui dit qu'il était plus honorable pour lui de réfuter l'écrit de Duplessis que de le faire brûler par la main du bourreau. Impuissant de ce côté , le clergé fit insulter lâchement Mornay par ses prédicateurs, qui le signalèrent à la haine des catholiques. Pendant plusieurs jours les amis de l'au- teur, craignant pour sa vie, s'opposèrent à ce qu'il parût en public. La sœur du roi lui oflrit un asile dans son hôtel.
La modération que la cour montra à l'égard de l'insti- tution de l'eucharistie s'explique moins par sa tolérance que par la crainte de mécontenter les réformés. Le clergé, malgré les obstacles que la politique du gouvernement ap- portait à ses désirs, ne cessa pas ses poursuites, il fit condamner l'année suivante le livre de Mornay par un tri- bunal de province. Il eut la joie de le voir brûler .sur une place publique par la main du bourreau; mais pendant qu'il battait des mains il ne s'apercevait pas dans son irré- lif'xion qu'on ne brûle pas les idées, et qu'un bourreau est un mauvais juge des controverses.
Mornay révendiqua ses droits et demanda qu'il lui fût permis d'appeler, du jugement qui avait condamné son livre, à la chambre de l'édit et non au conseil privé, où il ne trouverait que des personnes qui voudraient assoupir l'affaire et le laisser sons le coup de la condamnation. Ses plaintes ne furent pas écoutées. Il était dans les destinées (le l'auteur que ce livre, qui jetait tant de bruit autour de son nom, devint la cause de l'une des plus amères douleurs de sa vie.
Le traité de l'eucharistie, aujourd'hui oublié, dut sa cé- lébrité à la violence de ses adversaires; dans leur aveu- glement ils ne comprirent pas que leurs attaques étaient îe moyen de le faire lire et de soulever un esprit d'examen qu'il était dans leur intérêt d'assoupir. '
1. Le Traité de l'institution de l'Euchavislic fut condamné par la Sorbonne ; il figure dans l'index parmi le? livres hérétiques de première classe.
LIVRE XXT.
Tous ceux qui avaient écrit contre Mornay, et le nombre en était grand, avaient procédé contre lui comme de nos jours on procède contre les controversistes protestants. Au lieu d'attaquer de front son ouvrage, on releva quel- ques citations inexactes, quelques omissions, et volontai- rement on oublia tout le reste. Ce procédé est peu loyal ; mais quand on a pour principe que la fm justifie les moyens, on va en avant sans pudeur et on se donne une victoire plus honteuse qu'une défaite. Tant que les adver- saires de Mornay se contentèrent de le décrier et de l'in- jurier, il garda le silence; mais quand ils l'accusèrent d'avoir sciemment cité dans son ouvrage des textes faux, il fut vivement blessé dans son honneur. Fort de sa droi- ture, il publia, vers la fm de mars (1600), un écrit dans lequel il invitait ses accusateurs à se joindre à lui pour présenter une requête au roi, et lui demander des com- missaires devant lesquels on pût vérifier les passages de son livre ligne après ligne.
Cet écrit tomba entre les mains de Du Perron qui y répondit le 25 mars en acceptant le défi et en offrant de prouver «que le traité de l'eucharistie contenait cinq cents énormes faussetés, de compte fait et sans hyperbole»; il écrivit en même temps au roi pour demander la conférence. Si nous n'avons pas donné quelques détails biographiques sur ce personnage important, c'est que nous nous réservions de le faire à l'un des moments de sa vie où il parut vaincre le protestantisme dans celui qui était son plus docte et son plus brillant représentant.
XII.
Davi Du Perron naquit dans la ville de Saint -Lfl en 1556. Son père, protestant réfugié, habitait Berne. Frappé de l'intelligence remarquable de son fils, il s'appliqua avec un soin particulier à en développer les heureux germes. Le jeune Davi ne les trompa pas; il se fit remarquer entre tous ses condisciples par une rare aptitude au travail, par une merveilleuse compréhension et par une mémoire ex- traordinaire. Il étudia les mathématiques, la philosophie, les langues; il alla à Paris où il donna des leçons pour cagner sa vie. Philippe Desportes, le poète de la cour de
178 HISTOIRE DE LA RÉFORMATfON FRANÇAISE.
Henri III, se déclara son protecteur et lui fit obtenir le brevet de lecteur du roi avec une pension de 1200 écus.
Les manières distinguées de Du Perron, sa belle fi!,'ure, sa parole facile, -élégante, les vers qu'il adressait aux grands et aux dames, le tirent rechercher par la société élégante de Paris et le mirent à la mode. Desportes lui persuada de quitter sa religion et d'entrer dans la prêtrise romaine. Du Perron , qui , à une grande vanité joignait une plus grande ambition, suivit le conseil de son protecteur, abandonna la foi de ses pères et se fit prêtre. C'était une brillante conquête que faisait le catholicisme. Aussi les faveurs et les dignités ne manquèrent pas au transfuge du protestantisme qui, en peu d'années, de simple abbé, de- vint un évèque et un personnage important appelé à jouer un grand rôle dans les discussions théologiques qui alors passionnaient le monde.
Du Perron se distinguait de la plupart des prêtres par une science qui n'avait rien de factice, par des manières de grand seigneur, par un ejand aplomb et par une faci- lité d'élocution où il y avait plus de rhétorique que de vrai talent oratoire.
Il avait cependant quelques taches dans sa vie. Dans un mouvement de colère il avait poignardé un homme; la protection du poëte Desportes le retira des mains de la justice moyennant une somme payée aux parents de la vic- time. On admirait moins la piété du jeune prêtre que son esprit.
Nous avons déjà dit comment Du Perron gagna la con- fiance du cardinal do Bourbon qu'il voulait faire nommer roi de France au détriment de Henri IV '. Le complot fut dé- couvert; on prétendit même qu'il l'avait dévoilé au Béar- nais. Ses manières insinuantes lui gagnèrent la confiance de Gabrielle d'Estrées et celle de Henri IV. Plus tard nous trouvons le prélat occupé à Rome avec d'Ossat à servir auprès du pape les intérêts du roi avec un succès qui le mit de plus en plus en faveur et le rendit l'homme le plus important du clergé.
Un écrivain contemporain a tracé de lui ie portrait suivant :
1. Biographie universelle. —
Art. Du Perron.
in'RK XXV.
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«Toujours flottant entre la passion et l'esprit, Du Perron avait une physionomie douteuse, cynique, impérieuse, fausse, impudente avec distinction. Il visait à l'effet et se jouait de ses auditoires. Son attitude était théâtrale; son geste, tantôt emphatique, tantôt burlesque. Son éloquence, bien plus profane que religieuse, n'était qu'une rhéto- rique. De l'érudition, du pédantisme, une imperturbable assurance, de l'ironie assaisonnée d'outrages, des saillies par moments, jamais un cri d'âme, des cupidités per- aonnelles, une ambition aveugle, jamais l'amour de la vérité, jamais l'enthousiasme des idées divines qui re- muent les masses, parce qu'elles sont générales, désinté- ressées et qu'elles élèvent l'humanité au-dessus d'elle- même; des combinaisons d'intelligence et d'imagination, jamais d'inspirations sincères; des calculs, -jamais des convictions : tel est Du Perron.
«Un mot le peint tout entier, après avoir prouvé bril- lamment l'existence de Dieu , comme un grand prince le complimentait de sa verve de parole: «Voulez -vous, lui dit Du Perron, que je vous prouve le contraire avec une waisemblance égale?»
«Voilà le sophiste pris sur le fait. Ce qui lui a toujours manqué, c'est la chose la plus rare, la plus sainte, la seule nécessaire, car elle donne tout le reste pour sur- croît. Cette chose c'est une foi. Sous les apparences de l'orthodoxie il cache un ardent égoïsme. En sondant ce présomptueux docteur, on est surpris du peu qui re- couvre ses jactances. lia tous les artifices du comédien, toute la désinvolture du courtisan, toute les ressources du prédicateur, toutes les souplesses de l'avocat; mais' a-t-il un cœur? Non. Il y a un rôle dans ce fier prélat, cent rôles; il n'y a pas un homme.»'
Ce portrait est un peu forcé, .mais il nous donne la vraie physionomie de l'évèque d'Évreux.
XIII.
Tel était l'homme qui allait entrer en lutte avec celui que les catholiques appelaient «le pape des protestants.»
1. Dargaud, Histoire de la liberté religieuse eu France et de ■ea fondateurs, t. IV, liv. LV, p. 338-339.
180 HISTOIRE DE LA nËFORMATION FRANÇAISE.
Mornay, ne voulant pas demeurer sous le coup des accu- sations de Du Perron, avait demandé au roi la tenue d'une conférence publique. Le nonce du pape et quelques pré- lats qui avaient souvenir des séances du colloque de Poissy s'y opposèrent dans la crainte que le roi ne sentît se ré- veiller en lui ses velléités de protestantisme; ils savaient de plus qu'en érudition personne ne surpassait Mornay, et malgré les bravades de Du Perron, ils rendaient justice à son adversaire, dont l'honorabilité avait résisté à toutes les calomnies des prédicateurs. Le roi finit par triompher de leurs craintes et les assura que la conférence ne porterait pas sur le fond de la doctrine, mais sur la vérité des pas- sages indiqués par l'auteur; il promit en outre «qu'on prendrait les plus grandes précautions pour que la religion romaine ne perdit rien à cette conférence.»
Les amis de Mornay de leur côté redoutaient une ren- contre; ils ne doutaient ni de sa droiture, ni de sa sincé- rité, mais ils craignaient, et non sans raison, que ses adversaires ne conclussent de quelques passages mal cités ou mal choisis au rejet de tout le livre, comme un tissu de calomnies contre l'Église romaine; ils le dissuadèrent donc d'engager la lutte; mais lui, attaqué dans son hon- neur, ne pouvait supporter d'être l'accusé de faux. Avant la conférence il eut dit : «Que Dieu dessèche ma main, si elle a écrit sciemment une phrase, une ligne, un mot qui soit faux;» il ne voulut rien écouter. 11 manqua de prudence , mais il fit preuve de loyauté ; il faut nous incliner devant sa loyauté ; le controversiste y perdit , l'honnête homme y gagna.
Toutes les difficultés étant levées, il fut décidé que la conférence se tiendrait à Fontainebleau. Ce lieu fut choisi dans le double but d'empêciier la populace de se mêler à cette discussion, et Duplessis- Mornay d'a- voir recours aux bibliothèques de Paris et aux hommes érudits que cette ville renfermait. L'opinion publique, ce- pendant se préoccupait vivement de la conférence; le roi qui la voulait, le nom et la réputation des deux ad- versaires, la matière sur laquelle la controverse devait porter, les conséquences favorables pour le parti qui rem- porterait la victoire, funeste pour celui qui subirait la défaite, tout cela agitait les esprits. A voir l'animation qui
UVUE XXV.
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régnait dans la capitale, on aurait pu se croire à la veille d'un nouveau colloque de Poissy. «Cette dispute, dit l'Es- toile, fait l'entretien de tout Paris; les uns, qui ont admiré l'éloquence et la pureté du style du livre de Duplessis, souhaitent que les témoignages des Pères qu'il cite soient fidèles; d'autres assurent qu'un homme de ce caractère est exempt d'imposer, voire de suspicion; quelques-uns, qu'il n'est pas surprenant que dans un si grand nombre de passages cités dans le livre de V Institution de l'eucharistie on en trouve peut-être quelques-uns mal cités ou allé- gués. Cependant on n'en doit pas conclure que ce livre soit mauvais. Plusieurs qui savent que les occupations du sieur Duplessis ne lui permettent point d'avoir examiné par lui-même tous les passages cités dans son livre, croient véritablement qu'il y en a un grand nombre de défectueux, et qu'il a tort d'avoir fait le défi auparavant de les avoir revus lui-même, et, en ce cas, blâment les mi- nistres et autres qui lui ont fourni ces passages; que la mauvaise foi doit tomber sur eux et non sur lui. »
XIV.
Le 2 avril, le roi accorda la conférence. Le 10 du même mois, les commissaires furent nommés. Du côté dos catholiques, c'étaient le chancelier Bellièvre, de Thou et Pithou : le premier connu par son dévouement au pape, les deux autres par leur timidité; on leur en adjoignit un quatrième, le médecin Jean Martin, catholique zélé jusqu'à la passion. Du côté des protestants, c'étaient Casaubon, homme docte, mais un peu craintif, et Dufresne-Canaye, qui pensait déjà à abjurer. La partie commençait à n'être plus égale; la balance penchait en faveur de Du Perron par le choix des arbitres. Mornay aurait dû insister pour que l'équilibre fût rétabli; mais, fort d'une conscience qui lui rendait un bon témoignage, il alla en avant. Le propre des hommes droits est d'élever les autres à leur niveau. La charité ne soupçonne pas le mal. Le 14 avril Duplessis demanda à son adversaire ses moyens de faux, afin d'avoir le temps d'y répondre. Du Perron répondit que s'il fallait entrer dans la discussion de tous les passages , c'était le sûr moyen de fatiguer le roi; ttla seule chose que je
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HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
puisse faire , lui écriv!' -i' , c'est de remettre à ia com- mission une liste de cinq c nls passages falsifiés.»
Mornay se rendit le 28 du même mois à Fontainebleau où Du Perron était arrivé la veille. Le lendemain, il pré- senta au roi une requête dans laquelle il demanda que les passages cités dans son traité fussent vérifiés les uns après les autres, attendu que Du Perron soutenait publiquement (}u'il n'y avait pas un seul de ces passages qui ne fût inexact ou faux. «Je passerai condamnation, disait-il, sur ceux qui seront tels; mais je demande que ceux contre lesquels on ne pourra formuler les mêmes reproches soient tenus pour authentiques et vrais. »
Du Perron comprit tout ce que l'acceptation de la de- mande de son adversaire contenait de dangers, si à côté de quelques passages faux, inexacts ou mal cités, il fallait admettre ceux qui auraient tous les caractères de la vérité. Que deviendrait alors la messe, si elle étaitbattue en brèche par ces saints-pères que Mornay citait à profusion? Ne faudrait-il pas faire l'humiliant aveu que les Augustin, les Athanase, les Théodoret, les Éoiphane, lesirénée, lesCy- prien, tout ce que l'antiquité chrétienne compte d'hommes instruits, pieux, interprétaient à la manière de Genève les célèbres paroles : Ceci est mon corps , ceci est mon sang? Du Perron ne devait vouloir à aucun prix de la demande de Mornay : elle fut rejetée. Le tort de celui-ci fut de ne pas insister; car sa demande était juste, et si, comme auteur du traité de Ylnslitulion de l'Eucharistie, il était en cause, le protestantisme y était encore plus que lui, quoique à cet égard il eût formellement fait ses réserves. Il n'obtint ni une favorable réponse à sa demande, ni même la liste des cinq cents passages incriminés; «je les remettrai au roi, lui dit Du Perron, chaque jour nous en tirerons cinquante que nous examinerons en présence des commissaires.»
Ici encore apparaît la déloyauté du prélat qui veut ôter à l'accusé tout moyen ae tiereiîse. et le forcer à répondre immédiatement à ses accusations, sans lui donner le temps ni de consulter les auteurs auxquels il a emprunté ses ci- tations, ni de se faire aider par ses amis dans cette tâche ingrate et laborieuse. Mornay comprit la ruse de son adversaire qui lui avait l'ait signifier que les choses devaient se passer ainsi, «puisque telle était la bonne volonté du
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roi. » Il refusa d'y souscrire et représenta à Henri IV que
les choses ne pouvaient se passer selon les désirs de son adversaire, puisqu'il s'agissait de la vérité et de l'honneur de Dieu. Il renouvela sa demande pour obtenir la commu- nication de la liste des cinq cents passages. Le prélat s'y refusa. Mornay déclara qu'il n'assisterait pas à la con- férence.
Le roi ordonna néanmoins qu'on passât outre; puis, il réfléchit que la conférence, sans la présence de l'accusé, n'aurait pas les résultats qu'il en attendait; il ordonna donc qu'une liste de soixante passages fut remise à Mornay qui ne la reçut qu'à minuit et fut obligé de rendre à six heures du matin les livres qu'on lui avait remis pour confronter les citations.
Le i mai, à une heure de l'après-midi, la conférence s'ouvrit dans la salle du bain; trois tables y étaient dressées: l'une, pour le roi, l'évêque d'Évreux etDuplessis; l'autre, pour les commissaires; la troisième, pour les secrélaires; autoui du roi étaient assis les princes, les officiers de la couronne, des évêques, des abbés et quelques protestants.
Après que le roi eut ouvert la séance et que le chance- lier eut exposé le but de la conférence , Du Perron prit la parole et loua le roi de ce qu'il n'avait pas permis que dans cette controverse on touchât à la foi', dont il ne devait pas se mêler, la chose n'étant pas de sa compétence. Il protesta ensuite de son estime pour Duplessis qu'il croyait incapable de faire volontairement des citations à faux; mais il en accusa ceux qui lui avaient fourni des matériaux. En constatant la bonne foi de son adversaire, il l'accusait indirectement de légèreté et d'irréflexion.
Mornay sentit le trait, mais il ne voulut pas que les ré- formés fussent accusés dans sa personne; il protesta et
firit noblement sur lui seul la responsabilité des citations. 1 déclara (il aurait dû le faire plus tôt) que sur plus de quatre mille passages cités, il pouvait peut-être s'en trou- xer quelques-uns où il avait pu faillir comme homme; mais que la mauvaise foi n'y avait pas présidé; c'est ce que désirait son adversaire, qui ne voulait constater que ion inexactitude.
1. Le roi n'avait pas voulu qu'il fût question de l'examen du dogme de la préseace réelle.
184 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XV.
Parmi les passages à examiner sur les soixante , dont on lui avait fourni la liste, Mornay n'avait pu en collationner que dix-neuf pendant les six heures qu'il avait dû prendre sur son sommeil. De ces dix- neuf on n'en vénfia que neuf; voici quel en fut le résultat d'après l'Esloile :
Sur le premier, tiré de Duns Scot: Jean Dtins {ditl'Es- cot), près de cent ans après le concile de Latran, osa bien remettre en question si le corps de Christ est réellement \ compris sous les espèces, et dit que non, et ses fondements \ sont que la qualité ne le peut souffrir, l'évêque d'Evreux soutint que Duplessis avait pris l'objection pour la solution, et que la foi de Scot était conforme à la doctrine catho- lique. Duplessis le nia, et il ne fut rien prononcé.
Sur le deuxième, tiré de Durand: C est témérité de dire que le corps de Christ, par la divine vertu, ne ptiisse être au Sacrement en autre manière que par la conversion du pain en icehii, car cela semble déroger à la toute-puissance divine. Le chanceUer, les deux parties ouïes, prononça que Duplessis avait pris l'objection pour la solution. On le condamna certainement un peu vite, dit à ce sujet l'abbé de Longuerue; Durand combat certainement la trans- i substantiation. C'est ce que Duplessis soutenait, disant (|ue i Durand n'avait pas osé parler plus clairement, mais qu au j fond on voyait bien quel était son sentiment. i
Sur le troisième passage , tiré de Chrysostôme : il ne se | faut point arrêter à la prière des saints, ainsi plutôt ache- ( miner notre salut avec crainte et tremblement, la décision | des commissaires fut que Duplessis avait omis des mots essentiels en supprimant cette phrase incidente : Non que nous niions qu'il ne nous faille prier les saints, phrase jj qu'il avait omise, dit-il, parce qu elle concerne les saints i vivants, et non pas les saints morts. ,
Même décision touchant le quatrième passage , tiré aussi de Chrysostôme : Nous sommes bien plus sûrs par notre j propre suffrage que par celui d' autrui, et Dieu ne donne pas sitôt notre salut aux prières d' autrui qu'aux nôtres. Il fut , ^ décidé que ces paroles de Chrysostôme s'appliquaient aux ! ^ saints vivants. ; n
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Sur le cinquième, pris du commentaire de Saint-Jérôme sur Ézéchiel : S'il y a confiance en quelqu'un, confions-nous en un seul Dieti, car maudit soit l'homme qui a confiance en l'homme, bien qu'ils soient saints ou prophètes. Il ne faut point se confier aux principaux des églises, lesquels {quand bien ils seraient justes) ne délivreraient que leurs âmes et non pas celles de leurs fils, l'évêque reprocha à Duplessis d'avoir supprimé à la fin du passage ces mots : «s'ils sont négligents»; et le chancelier prononça que le passage n'était pas entier.
Sur le sixième: Que diront-ils de Cyrille, patriarche d' Alexandrie, qui répond à l'empereur Julien, longtemps après Constantin, lui reprochant l'honneur rendu à la croix : Que les chrétiens ne rendaient adoration ni révérence au signe de la croix. Du Perron soutint qu'il était faux, et Du- plessis reconnut qu'il ne se trouvait pas textuellement dans Cyrille. C'est ce que la décision des commissaires constata. '
Sur le septième, tiré des lois des empereurs: Parce que nous n'avons rien en plus grande recommandation que le service de Dieu, nous défendons à toute personne de faire le signe de la croix de noire Sauveur Jésus-Christ, en couleur ni en pierre, ni en autre matière, ni le graver, peindre, ni tailler; ainsi voulons qu'en quelque lieu qu'il se trouve il soit ôté, à peine aux contrevenants d'être très-grièvement punis, Du Perron accusa Mornay d'avoir cmi; à dessein quelques mots d'une très-grande importance. Uuplessis rér pondit qu'il avait cité cette loi d'après Petrus Crinitus (auteur catholique), et les commissaires déclarèrent que la citation était exacte, mais que Crinitus s'était abusé.
Sur le huitième, tiré de Saint-Bernard: Elle (la vierge Marie), n'a pas besoin de faux honneurs ou elle est; ce n'est pas l'honorer, mais lui ôter l'honneur, etc.; le chan- celier déclara qu'il aurait été bon de séparer par un etc. les différents textes dont il se compose.
Enfin sur le neuvième , extrait de Théodoret : Dieu fait ce qui lui plaît, mais les images sont faites telles qu'il plaît
1. Au reproche de Julien : «Vous avez quitté les ancOes, et main- tenant vous adorez la croix,» Cyrille répondit : « Quiconque dit cela est ignorant et menteur. » C'est de cette réponse que Duplessis avait tiré la conclusion que les premiers chrétiens n'adoraient pas la croix, — Son induction n'était-elle pas juste ?
186 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
aux hommes; elles ont des domiciles, des sens, mais elles n'ont point de sens; il fut décidé, conformément à l'opi- nion de l'évêque d'Évreux, que ce passage devait s'en- tendre des idoles des païens et non des images des chrétiens.
XVI.
Tel fut le résultat de cette fameuse conférence qui avait tant agité les esprits et qui eut de si minces résultats. Du Perron n'en triompha pas moins ; il voyait , et il ne se trompait pas, à l'extrémité de la lice, un chapeau de car- dinal. Son adversaire se défendit mal; une nuit d'insom- nie et la pensée qu'il pourrait compromettre une cause qui, à ses yeux, était moins la sienne que celle de Dieu, lui ôtèrent cette assurance sans laqueJle les luttes de parole sont impossibles. Rosny, qui d'abord avait voulu empê- cher la conférence, se rangea du côté du plus fort. C'est avec un sentiment de dégoût qu'on lit les lignes suivantes dans ses Économies royales : «Vous trouvâtes (ce sont tou- jours ses secrétaires qui lui parlent) le sieur Duplessis si opiniâtre qu'il n'y eut moyen de s'en divertir, et néan- moins il se défendit si mal qu'il faisait rire les uns, mettait les autres en colère et faisait pitié aux autres; ce que voyant le roi, il vint vous demander: «Eh bien! que vous en semble de votre pape?» «Il me semble. Sire, dites- vous, qu'il est plus pape que vous ne pensez; car ne voyez- vous pas qu'il donne un chapeau rouge à M. D'Evreux? Mais au fond, je ne vis jamais homme si étonné, ni qui se défendit si mal. Si notre religion n'avait un meilleur fon- dement que ses jambes et ses bras en croix (car il les te- nait ainsi) , je la quitterais aujourd'hui plutôt que demain. d •
La conduite du roi ne fut pas moins déloyale que celle de son ministre. «Henri IV, dit M. de Félice, voulut sou-
{»er dans la salle de ce tournoi théologique comme il 'aurait fait sur un champ de bataille; il annonça dans tout le royaume le succès qu'il avait obtenu.» Du Perron triom- phait. «Dites vérité, M. d'Évreux, bon droit a eu bon besoin d'aide.»*
1. Sully, Économies royales, année 1600.
2. De Félice, Histoire des protestants, liv. 111, p. 283. (Paris 1850.)
LIVRE ÏXV.
187
Quelques jours après , Henri écrivit au due d'Épernon la lettre suivante: «Le diocèse d'Évreux a gagné celui de Saumur, et la douceur dont on y a procédé a été occasion à quelque huguenot que ce soit de dire que rien y ait eu force que la vérité. Ce porteur y était, qui vous contera comme j'y ai fait merveille ; c'est un des plus grands coups pour l'Eglise de Dieu qui se soit fait il y a longtemps; suivant ces erres', nous ramènerons plus de séparés de l'Eglise en un an que par une autre voie en cinquante. »'
L'ancien mignon de Henri HI fut indigné de la joie du roi. «Je vous tiens, écrivit-il à Mornay, pour homme d'honneur et pour mon ami.» Au sortir de la conférence Mayenne avait dit : «Je n'ai vu là sinon un ancien et fort fidèle serviteur très-mal payé de ses services. »
Les témoignages d'estime et d'affection que Mornay reçut ne le consolèrent pas de son 'échec. Sa douleur fut si grande qu'il éprouva au sortir de la conférence une op- pression suivie de vomissements; le médecin La Rivière le trouva fort mal et déclara au roi que les conférences ne pourraient continuer.
Henri IV hésita à aller le voir et lui envoya Lomenie, le secrétaire de ses commandements , qui lui assura de sa part que le roi serait toujours son maître et son ami. «Du maître, lui répondit mélancoliquement le malade, je ne m'en suis que trop aperçu; d'ami, il ne m'appartient pas; j'en ai vu qui ont entrepris sur la vie, l'honneur et l'État du roi, sur son lit même; contre ceux-là tous en- semble le roi n'a jamais montré tant de rigueur que contre moi seul, qui lui ai fait toute ma vie service. »
«Le roi, lui répondit Lomenie, se plaint de vos attaques contre le pape; si vous voulez cesser d'écrire, il vous rendra toutes ses bonnes grâces.»
«Jamais,» répondit le malade.
Les adversaires de l'écrivain huguenot profitèrent habile- ment de sa maladie pour rompre les conférences. Contents de leur triomphe d'un jour, ils craignaient de le compro- mettre ; et cependant , quand on se place en face du résultat de ces débats si bruyants, on reconnaît que Du Perron
1. Manière d'agir.
2. Bulletin de l'histoire du protestantisme français, arnée 1858 p. 360.
fH'îi HISTOIRE DE LX riÉPORMATION FRANÇAISE.
se conlenta de bien peu de chose, et que les combattants, en se séparant, laissèrent debout, sans l'avoir résolue, la question de la présence réelle que l'évêque d'Évreux et ses partenaires surent habilement éluder; il leur parut plus facile de signaler quelques erreurs involontaires dans les citations nombreuses du traité de l'eucharistie que de prou- ver que le dogme de la transsubstantiation est en parfait accord avec l'esprit et la lettre des Écritures, et les en- seignements des Pères.
Les conférences étaient closes, mais la lutte n'était pas finie. A peine de retour à Saumur, Mornay, malgré son état souffrant et maladif, voulut prévenir le mauvais effet de la lettre du roi à d'Épernon, répandue à profusion dans le royaume. Aidé du ministre Chandieu et de quelques autres, il écrivit une relation des conférences. Henri IV, qui s'efforçait de s'imaginer qu'il était de plus en plus ca- tholique , fut extrêmement irrité de la hardiesse de Mornay, auquel il ôta la surintendance des mines qu'il lui avait donnée peu de temps auparavant; et si ce n'eût été la crainte de soulever contre lui les huguenots, il l'eût fait traduire, comme un séditieux, devant une cour de justice. 11 n'est de pire ennemi qu'un ami devenu ingrat, surtout quand cet ami est un roi qui se sent débiteur de son sujet.'
XVII.
Dans nos jours d'infortune, la femme est notre ange consolateur. Elle, ordinairement si faible, devient forte quand l'homme ploie, courbé sous l'orage; elle trouve alors des paroles que l'ami le plus tendre ne trouverait pas dans son cœur; ses ressources sont inépuisables, les épreuves qui devraient l'abattre la relèvent; quand l'homme tombe, elle est debout.
Mornay, qui eût été calme devant un bûcher, faiblit
1. Voyez pour tout ce qui a trait à la célèbre conférence — l'Estoile — Sully, Économies royales — Mémoires de Diiplessis- Mornay — Mémoires de Madame Duplessis-Mornay — De Tliou , liv. CXXIII — Bulletin du protestantisme français, année 1858, p. 351 — Haag-, France protestante, art. Duplessis-Mornay — • Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, 1. 1", liv. VII. — Les actes du colloque de Fontainebleau.
LIVRE XXV.
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après son échec de Fontainebleau. Trop humble pour se préoccuper de sa propre gloire, il ne pensait qu'à l'affront que les Églises réformées avaient reçu dans sa personne. Il était inconsolable. «Ne vous désolez pas, lui dit Char- lotte Arbaleste, sa hdèle compagne, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?» Et la pieuse femme, frêle, délicate, à peine relevée de maladie, mais forte de cœur, ranima le courage de son noble époux. «Elle courut de tous côtés, en toutes les librairies de ses amis pour pro- curer à son mari les livres dont il avait besoin pour pré- senter sa défense. » Elle pria Du Moulin de faire , pendant la maladie de Mornay, le récit de ce qui s'était passé à Fontainebleau; elle se multiplia, et, grâce à ses soins et à sa force d'âme, Duplessis put reprendre sa polémique avec Du Perron et reporter sa cause devant le tribunal de l'opinion publique.
Au milieu des scènes humiliantes que nous offre l'his- toire de ces temps agités , on considère avec un vif intéi'èt ces deux époux qui , sous le toit domestique , nous présentent l'un des plus beaux modèles du ménage chrétien. La religion qui a pu former un Duplessis et une Charlotte Arbaleste serait-elle réprouvée de Dieu? L'arbre qui a porté de si beaux fruits aurait-il une sève mauvaise?
Charlotte Arbaleste s'associa constamment aux joies et aux peines de Mornay. Sa vie se passa entre ses devoirs d'épouse et ses occupations de mère; elle ne rechercha pas le rôle disgracieux de la femme politique; sa seule ambition fut de se perdre dans la gloire de son illustre époux, et son bonheur de lui adoucir les rudes et âpres sentiers de la vie. — Elle se consacra à cette dernière tâche avec un dévouement qui ne se démentit jamais. Sa piété fut vivante, et quand nous parcourons les mémoires qu'elle nous a laissés, nous comprenons tout ce qu'il y avait, dans ce cœur de femme, de force, de poésie, de douceur; « moins instruite , moins brillante , moins riche de savoir et d'esprit, dit M. Guizot, que Mistress Hutchinson, Madame de Mornay avait le sens plus droit et le cœur plus simple : pas la moindre teinte de romanesque dans ses sentiments et dans ses désirs, pas la moindre complaisance vaniteuse quand elle parle soit d'elle-même, soit de ce qui k touche ; loin de rien amplifier, de rien étaler « elle
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montre toujours moins qu'elle ne pourrait; elle dit moins qu'elle ne sent. Les événements les plus considérables, quand elle les raconte; les sentiments les plus puissants, quand elle les exprime, se présentent bous une lorme con- tenue, exempts ae tout agrandissement, de tout ornement factice ou prémédité. C'est la vérité pure, réduite à son expression la plus simple, et racontée, en passant, dans la mesure de la stricte nécessité pour l'information ou l'édification du fils à qui elle adresse son récit, sans mé- lange d'aucun autre dessein, sans aucun mouvement ni retour personnel. C'était une femme aussi passionnée que grave , qui suivit son mari dans tous les périls , prit part i tous ses travaux, vécut pour lui seul, reçut de lui toutes ses joies et mourut de douleur de la mort de leur fils. »'
Ce fils, dont parle l'illustre historien, était l'espérance de son père et l'orgueil de sa mère. A vingt-six ans, il trouva la mort au siège de Gueldre. En apprenant celte fatale nouvelle, Mornay s'écria douloureusement: «Je n'ai plus de fils, je n'ai donc plus de femme!»
Madame Duplessis-Mornay, qui depuis longtemps avait commencé ses mémoires pour l'instruction de cet enfant chéri, ploya comme un frêle roseau sous le coup; elle ajouta cependant un chapitre au livre qui devait en avoir plusieurs encore. Dans ce chapitre elle raconîe la mort de son fils; chaque mot est trempé d'une larme; on sent, en le lisant, que le trait qui l'a frappée l'a atteinte à la source même de la vie. En elle il y a deux êtres : l'un qui a soif du ciel pour y revoir l'enfant que la mort lui a ravi; l'autre qui veut demeurer sur la terre, parce qu'elle sent qu'elle y laissera un époux qu'elle aime plus que la vie. «Est-il raisonnable, dit-elle, que ce mien livre finisse par lui, qui ne fut entrepris que pour lui décrire notre pérégrination en cette vie; et puisqu'il a plu à Dieu, il a eu plutôt et plus doucement fini la sienne ; aussi bien si je ne craignais l'affliction de M. Duplessis, il m'ennuierait extrêmement de lui survivre.»
Mornay oublia sa douleur pour ne penser qu'à celle de sa chère compagne; il pleura avec elle, s'efforça de la
1. Études biographiques sur la révolution d'Angleterre, Paris 1851. — Mistress Hutchinson, 1620-1669, p. 251-254.
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consoler et lui écrivit les lettres les plus tendres ; tout fut inutile. A dater de ce moment, sa vie ne fut plus qu'une lente et douloureuse agonie. Femme chrétienne, elle n'avait pas attendu la onzième heure pour se préparer à aller à la rencontre de son Dieu. Depuis longtemps elle était prête; les temps orageux dans lesquels elle avait vécu lui avaient fait envisager la vie par son côté austère et sérieux. En 1583, quand son fils n'était encore qu'un enfant, elle tra- çait dans le silence de son cabinet l'écrit dans lequel elle consignait ses dernières volontés. «Nous savons, dit -elle, que notre vie est fragile, qu'il n'y a rien de plus certain que la mort, et rien de plus incertain que l'heure; nous savons aussi que notre félicité est de servir à Dieu et à notre prochain; que nous devons chercher tous moyens d'instruire notre postérité en la crainte et la connaissance de Dieu, tant par admiration que par bons exemples.»
Elle ne faillit pas à la tâche, la noble femme; et quand l'heure du délogement sonna, elle put dire avec l'apôtre : «J'ai combattu îe bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; la couronne de justice m'est réservée.»
Mornay veilla jour et nuit près de son chevet; fidèle à la promesse qu'il lui avait faite de l'avertir au moment su- prême, il s'acquitta de ce pieux devoir en époux qui pleure, en chrétien qui prie. Au baiser qu'il lui donna, et avant même qu'il eut ouvert la bouche, Charlotte comprit; elle leva ses regards doux et brillants sur lui: «Après la connaissance, lui dit-elle, de mon salut en Jésus-Christ, je n'ai tant remercié Dieu que de m'avoir donné à vous ; que la tristesse de ma mort ne vous rende pas moins utile à l'Église; que Dieu, de plus en plus, veuille vous bénir. Pour moi, je m'en vais à lui, sachant que rien ne pourra me séparer de l'amour que Dieu m'a porté en son Fils. Je sais que mon Rédempteur est vivant; par sa grâce j'ai part à sa victoire. »
Jamais elle n'avait possédé plus complètement la lucidité de son esprit, et jamais plus vivement elle n'avait joui de la plénitude de cette foi «qui est une représentation des choses qu'on espère et une manifestation de celles qu'on ne voit point. »
Flamme vive et brillante, mais près de s'éteindre, la mourante s'occupa de ses filles qui étaient absentes ; elle
i92 HISTOIRE DE LA BÉFORMATION FRANÇAISE.
indiqua le moyen de leur faire savoir, la nouvelle de sa mort; elle eut une parole d'affection et une recomman- dation pour tous ceux qui l'avaient servie.
Le moment suprême avançait à grands pas; elle le pres- sentit à la difficulté qu'elle avait d'entendre; elle demanda qu'on parlât plus haut et pria le pasteur Bouchereau «de lui ramentevoir, approchant sa fin, ces dernières paroles d>5 notre Seigneur en croix : Père, je remets mon âme entre tes mains. » — «Mais, ajoute le pieux et fidèle narra- teur, il n'en fut pas besoin, car elle s'en souvint d'elle- même, et les prononça fermement tendant à sa délivrance toujours avec saintes paroles, tant qu'elle put parler; elle finit en sanglotant à Jésus jusqu'au dernier soupir, et ainsi rendit l'âme à Dieu. »
La douleur de Mornay ne fut pas bruyante; il était trop affligé pour répandre au dehors les douleurs de son âme; Dieu seul fut son consolateur. L'amitié, la sympathie sont des baumes précieux pour nos peines ; mais il est des vides que Dieu seul peut combler par sa grâce; celui que la mort de Charlotte avait creusé dans son cœur était de ce nombre.
La dépouille mortelle de madame Duplessis fut placée dans le mausolée qu'elle avait fait élever à son fils. La mère et l'enfant, en attendant la bienheureuse résurrec- tion, reposent à côté l'un de l'autre; et de ces tombeaux, que le temps n'a pu fermer, sort un parfum d'espérance et de vie.'
XVIII.
La fameuse conférence de Fontainebleau aida Du Perron à obtenir le chapeau de cardinal qu'il ambitionnait. Ce fut le seul fruit que les catholiques en retirèrent, après avoir cru au triomphe de leur cause. Les protestants n'étaient pas moins confiants ; un grand nombre d'entre eux croyaient que lorsque la crainte des supplices n'arrêterait plus les catholiques, ils abandonneraient en masse leur Église; mais le beau temps des conversions était passé. Des guerres sanglantes avaient engendré des haines , sur lesquelles
1. Ilaag-, Fiance protestante. — Ad. SchelTcr. Bulletin de l'Hist du protest. franc., annpe p. 649 et suiv.
LIVRE XXV.
193
des siècles passent quelquefois sans les effacer. Ils n'en tenaient pas compte, et quand les commissaires royaux firent leur tournée dans le royaume pour l'exécution de l'édit, ils négligèrent de se faire adjuger leurs droits, «s'attendant, dit Élie Benoît, à la prochaine décadence de la religion, comme s'ils en eussent eu des révélations expresses. » '
I L'exécution de l'édit fut l'affaire importante de l'an- née 1600. Les commissaires chargés de cette mission délicate s'en acquittèrent d'un manière inégale, en appor- tant cependant à leur mandat un esprit de justice dont il faut savoir leur tenir compte, à cause des difficultés qu'ils rencontraient tant chez les protestants que chez les ca- tholiques. C'est au milieu de leurs opérations difficiles que finit le seizième siècle.
XI3L
Comme un voyageur, qui, après une longue course, atteint le sommet d'une haute montagne et se retourne pour mesurer des yeux le chemin qu'il a parcouru, nous reportons nos regards vers ce seizième siècle qui vient de finir: un horizon immense se déroule devant nous, varié à l'infini. Depuis le temps où le Sauveur foula de son pied sacré une terre maudite par le péché , jamais siècle n'avait creusé une empreinte prus profonde sur le sol de l'hu- manité; c'est à donner le vertige : les yeux s'élèvent sur des pics étincelants de lumière et s'abaissent dans de ténébreux abîmes; rien ne manque au tableau: c'est un drame à la Shakespeare; on y pleure , on y rit, le laid et le beau s'y coudoient; les romanciers les plus inventifs n'ont rien trouvé de pareil; la fiction pâlit ici devant la réalité.
Ce grand siècle attend encore son juge; les questions qu'il a soulevées sont toujours vivaces; les deux principes qui s'y livrèrent une lutte acharnée ne se sont avoués vaincus ni l'un ni l'autre. On connaît nos sympathies: nous ne les cachons pas; mais notre impartialité, comme historien, surnage au milieu des flots Douillonnants des
I. Élie BenoU. Histoire de l'édit de îtotes. !iv VJil. n. 3fil.
194 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
passions. Nous sommes calme, quoique ému, parce que l'esprit de secte et de parti n'a pas de prise sur nous; et quand nous sommes fier et heureux d'appartenir au parti des opprimés, c'est parce que nous sentons que dans les grandes batailles du seizième siècle, les protestants , malgré leurs fautes et leur faiblesse, furent les restaurateurs du christianisme. En effet, qu'était la religion du Christ quand le vieux Lefèvre d'ÉtapIes, et son disciple Guillaume Farel découvrirent, en lisant la Bible, «que le juste vitdela foi?» L'histoire le dit : elle était presque retournée au paganisme. L'homme avait pris dans l'Église la place du Christ; la Bible était enchaînée et avec elle toutes les libertés qui sont le patrimoine naturel de l'homme. Les premiers an- cêtres du protestantisme secouèrent le joug papal et resti- tuèrent au monde la Sainte-Ecriture, phare allumé parla main de Dieu pour éclairer l'humanité dans le désert de ce monde; à ce rude et noble labeur ils se dévouèrent tout entiers, rien ne les arrêta, ni la colère des rois, ni les haines ardentes de la Sorbonne. Comme Pierre devant le Sanhédrin, ils dirent fièrement aux grands de la terre: «Jugez vous-même s'il vaut mieux obéir aux hommes qu'à Dieu.» Leur constance étonna, irrita; on les dévoua à la mort, et joyeux ils s'élancèrent, comme les martyrs des jours apostoliques, sur ces bûchers dont ils firent des chaires, et d'où la vérité descendit comme un fleuve de vie. On les croyait anéantis, et, pareils au phénix, ils renaissaient tou- jours de leurs cendres ; tant qu'ils ne surent que prier et mourii", ils firent des conquêtes ; mais un jour, ils prirent les armes, et le vaisseau de la Réforme, jusques-là invin- cible, alla toucher contre un écueil à Amboise. Ils ou- blièrent que le chrétien, comme le Sauveur, ne doit verser d'autre sang que le sien. Là fut le point d'arrêt. Nous l'avons dit, les promesses faites au martyr ne sont pas faites au soldat. Invincibles sur leurs bûchers, les réformés furent vaincus sur des champs de bataille. Cependant, sur ces champs de bataille, ils sont grands encore; tou- jours vaincus, ils sont toujours à vaincre; ils lassent leurs adversaires, comme leurs martyrs lassèrent leurs bourreaux. Sept guerres civiles , une infinité de massacres , sont im- puissants à les déraciner du sol français. L'enclume est frappée, toujours frappée, et les marteaux seuls sont usés.
LIVRE XXV.
195
Maïs au milieu de ces guerres sans cesse renaissantes , dans lesquelles ils combattent pour le droit inaliénable qu'a tout homme de servir et d'adorer Dieu selon sa conscience, comment ne pas admirer leur courage dans les combats , leur constance dans les revers, leur héroïsme pendant les famines, leur soumission à Dieu dans les plus cruelles épreuves. Ah! ce ne sont pas des hommes vulgaires que ces protestants qui, depuis François I" jusqu'à Henri IV, proclament la liberté d'examen qui grandit l'homme, en présence du principe d'autorité qui l'abaisse et l'avilit.
Un point important à constater, c'est que la plupart des Français célèbres du seizième siècle appartiennent à la Réforme. Que d'hommes remarquables dans tous les genres ! En tête figure le vénérable Lefèvre d'Élaples avec le cortège de ces premiers chrétiens, qui fournirent à la Réforme ses premiers martyrs; près de lui nous voyons Calvin, le plus grand théologien que le monde ait encore produit, entouré de Farel, de Bèze, de Marlorat, de Viret, ses lieutenants et ses amis. Othman représente le droit; Bernard Palissy, les sciences géologiques; les Estienne, l'imprimerie; Ramus, la pensée; Marot et Du Bartas, la poésie; D'Aubigné, l'histoire; Ambroise Paré, la chirurgie; Gondimel, la musique; Olivier de Serre, l'agriculture; Goujon, la statuaire; Turnebe et Scaliger, la science tout entière. Le huguenot c'est la fidélité aux con- victions religieuses, c'est la moralité au foyer domestique. Sur les champs de bataille et dans les conseils nous trou- vons Condé, Coligny, Andelot, Lanoue, Duplessis-Mornay, Sully. Si en face de tous ces hommes on place ceux du parti catholique , dont l'histoire a conservé les noms , quelle distance ! Si par le fruit l'arbre est jugé , qui osera contester à la Réforme la sainteté de son origine?
XX.
Les bienfaits que la Réformation française répandit sur le royaume sont immenses; elle porta une main hardie sur les abus par lesquels le traditionalisme romain avait altéré la religion noble et simple du Crucifié. A des lé- gendes, elle substitua des réalités; au culte de la forme,
196 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FUANÇAISE.
celui de l'esprit; au pape, la Sainte-Écriture; à la morale relâchée des casuistes du moyen âge, celle des temps apostoliques. En restituant la Bible au peuple, elle rendit le peuple moral et donna au monde ce huguenot qui re- pousse par sa physionomie austère les honmies légers et frivoles, mais qu'on ne saurait trop admirer, quand il fait du toit domestique un sanctuaire de piété, impénétrable aux mauvaises mœurs; elle eut même une heureuse in- fluence sur le clergé français; son œil sans cesse ouvert sur lui le força à être, au moins extérieurement, moral, et l'arrêta sur la pente fatale qui l'entraînait vers des abîmes de honte; c'est à cela qu'il doit d'être aujourd'hui le plus moral de tous les clergés romains. Obligé d'être sans cesse en lutte avec les réformés, il fut contraint de demander à la science des armes pour se défendre; il eut des savants.
En revendiquant le droit de servir Dieu selon leur conscience, les protestanls ouvrirent aux idées politiques de nouveaux horizons; ils apprirent aux rois qu'ils étaient indépendanls de Rome, et aux peuples que le pouvoir des princes a des limites , hors desquelles ils ne sont plus leurs pères, mais leurs tyrans. A leurs yeux, le droit divin des rois n'impliquait pas la soumission de l'esclave, mais l'obéissance do l'homme libre. Serviteurs, ils ne furent pas serfs; soumis à César dans tout ce qui appartient à César, ils lui rel'usèrent ce qui appartient à Dieu. Voilà ce qui, mnlgré leurs fautes, les fit grands et les grandira plus encore dans l'avenir. Leur œuvre leur coûta des larmes et des douleurs. Après trois siècles elle est debout, et quoique la France ne soit pas protestante, c'est aux ré- formés qu'elle doit les grands principes de 1789, qui sont demeurés les bases de son droit public, malgré tous les écarts et les défaillances de la liberté.
Les réformés, en inaugurant le règne du libre examen, ouvrirent à la science de nouveaux horizons; avec Rome, elle avait des fers aux pieds; avec le protestantisme, elle eut des ailes ; elle s'éleva sur des hauteurs avec Isaac Kevi'ton, s'enfonça dans des abîmes avec Cuvier; elle put s'égarer, sans doute, être folle par moments, courir après la recherche de la pierre philosophale; mais si elle n'opéra pas dans ses creusets la transmutation des métaux, elle trouva des richesses çui valent mieux que la découverte
LIVRE XXV.
197
du grand œuvre. Que serait-elle devenue sous la tutelle des hommes qui jetèrent dans les prisons du Saint-Office l'illustre Galilée?
Au milieu de ces points de vue si variés sur lesquels s'arrêtent nos regards, il en est un qui excite notre sur- prise et force notre admiration; il a un aspect qui lui est
Farticulier et offre un frappant contraste avec tout ce qui entoure : c'est Genève. Depuis le jour où ses citoyens brisèrent le joug de leur évêque et inscrivirent au-dessus des portes de leur ville ces trois mots: PostTenebras Lttx\ cette cité se développa moralement et intellectuellement d'une manière étonnante. Son existence, au milieu d'en- nemis acharnés à sa perte, n'a son explication raisonnable que dans l'intervention de Dieu qui la garantit de leurs atteintes. Qu'elle est belle, cette ville qui ne baisse la tête ni devant le pape, ni devant les princes de la maison de Savoie, ni devant les menaces des Valois; vingt fois le clerg'; romain la croit près de sa ruine, et toujours, à l'heure du danger, Dieu lui tend une main secourable. On la hait, on la calomnie, on la menace; elle ne rallentit pas son œuvre. Ses portes sont toujours ouvertes aux vic- times des persécutions romaines, et elle se venge de ses ennemis en leur envoyant la vérité chrétienne avec ses presses infatigables et ses missionnaires, qui ne deman- dent pour salaire de leurs travaux que la joie de mourir au service de Jésus-Christ.'
Nous apercevons cependant dans cette cité un point noir, une tache: le bûcher de l'infortuné Servet. Mais ce qui nous console, c'est que ce bûcher a, plus fait pour la tolérance religieuse que tous ceux de l'Église romaine ; il fut la grande inconséquence de la Réforme, et nous dirons avec M. Albert Rilliet : « Son erreur fut de ne pas se confier , pour protéger sa vie , aux mêmes principes qui la lui avaient donnée, et de céder à l'irrésistible tentation de comprimer par la force, dont les pouvoirs politiques lui offraient le secours et lui cachaient l'odieux, ce qu'elle aurait dû combattre par les armes seules de la persuasion. La parole l'avait mise au monde, et pour se défendre, elle
1. Après les ténèbres, la h'tnière,
2. Sûte Vîu.
498 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
préféra l'échafaud à la parole*. Le supplice de Servet fut en même temps le fruit et le remède de cette funeste in- conséquence. La répression n'avait en effet pour terme logique et pour résultat eiïicace que le bûcher. Les flammes du bûcher mirent en lumière, mieux que les arguments les plus habiles, l'iniquité de la répression. Elles ont à elles seules autant éclairé les esprits que tous les auto-da-fé catholiques, car une éclatante contradiction choque plus encore que les résultats d'un système conséquent. »
XXI.'
Genève n'a pas persisté dans ses égarements : à la lueur de son bûcher ses yeux se sont ouverts; elle a compris qu'en matière religieuse Dieu seul est juge, et qu'il n'ap- partient pas à l'homme de se constituer le vengeur du Tout-puissant. Heureux les peuples qui s'instruisent à l'école de leurs fautes et de leurs erreurs; mais malheur à ceux qui, prenant l'immobilité pour la force, persistent dans leurs égarements; comme l'insensé ils se creusent de leurs propres mains une fosse qui devient infaillible- ment leur tombeau.
Nous avons raconté les événements qui se sont accomplis à Genève jusqu'à la mort de son réformateur. Nous re- prenons notre récit, un moment interrompu, pour con- duire nos lecteurs jusqu'au jour où Théodore de Bèze, le successeur de Calvin, termina sa longue et belle carrière.
1. Relation du procès criminel intenté à Genève en 1553 contre Michel Servet, rédigée d'après les documents originaux par Albert Rilliet, page 124; Genève 1844.
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LIVRE XXVI.
L
La mort de Calvin fit un vide immense; Genève sentit, le jour des funérailles de ce grand homme, que sa dis- parition de la scène du monde rapetissait tous ses com- pagnons de travaux. Quand la main ferme et énergique qui tenait le gouvernail se fut glacée sous les étreintes de la mort, on se demanda quel serait celui qui serait appelé à sa succession. Bèze fut désigné'. Quelque inférieur que le disciple fût au maître , il accepta cet héritage avec une grande défiance de lui-même; mais il regarda à celui qui par sa grâce accomplit sa force dans notre infirmité. Il ne chercha pas à innover : le sillon était tracé ; il y marcha d'un pas ferme et résolu, et ne rechercha d'autre gloire que celle d'être l'exécuteur testamentaire de l'homme dont il avait eu l'honneur d'être le disciple et l'ami.
De tous les hommes remarquables que possédait Genève, Bèze était le seul qui fut digne de succéder au réforma- teur. Mûri à l'école de l'expérience, après une vie dissipée, qui rappelle celle de saint Augustin, il s'était donné sans réserve à Dieu, qui avait fait de lui un vase d'élection, en faisant briller dans sa personne toutes les merveilles de sa grâce. Bèze n'avait ni la science universelle de Calvin , ni sa puissante individualité; mais il avait un ensemble de qua- lités qui firent de lui un homme éminent , et lui don- nèrent parmi ses collègues la première place. On voyait réunies en lui une instruction solide, une érudition éten- due , une éloquence vive, entraînante; une austérité de mœurs qui ne se démentait jamais; une fermeté qui ne dégénérait pas en opiniâtreté ; un zèle pour sa cause , que rien ne pouvait attiédir : c'était un grand chrétien, sous les dehors d'un parfait gentilhomme.
1. Second volume de cette histoire, p. 242-243.
200 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Pendant la vie de Calvin, personne ne songea à contester au réformateur la dictature qu'il exerçait, non par usur- pation, mais de par ce droit qu'ont les hommes de génie
3ui, à des moments donnés dans la vie des peuples, sont es nécessités , parce qu'ils font ce que les autres ne sau- raient ou ne pourraient faire. Les Genevois s'étaient si bien accomodés de cette dictature qu'ils la subissaient avec re- connaissance. «Pendant un quart de siècle, dit M. Gaberel, la république avait accepté l'influence presque irrésistible de son directeur religieux : les services du réformateur, la sagesse de ses résolutions, la fermeté de ses projets lui donnaient la plus haute position de l'État. «Allons prendre l'avis de M. Calvin» : telle était la première pensée des ci- toyens et des magistrats, lorsque de graves difficultés se présentaient. Le cabinet de travail du réformateur devenait journellement le théâtre des consultations politiques et civiles les plus familières ou les plus importantes pour Genève. » *
Genève ne décerna pas cependant la dictature à Bèzé. Ce qu'elle avait fait pour Calvin, elle ne voulait ni ne de- vait le faire pour un autre. Elle sentit avec un admirable instinct que les gens d'église sont dominateurs par nature; aussi pour éviter les abus, dans lesquels Rome était tom- bée, la vénérable compagnie arrêta qu'elle élirait, sous le titre de modérateur, un chef annuel, destituable pour cause de mauvaise gestion, «et qui ne serait qu'un collègue parmi ses collègues.» Théodore de Bèze fut ce premier modérateur; pendant plus de quinze ans la compagnie le réélut. Sur les procès-verbaux d'élection on lit ces mots caractéristiques : «la charge est continuée à M. de Bèze, à cause de son aptitude et bons services.»'
1. Gaberel, Histoire de Genève, 2=édit., p. 3-4. Nous voudrions pouvoir exprimer ici convenablement à M. Gaberel toute notre re- connaissance pour ses savants et consciencieux travaiLx, qui nous ont dispensé de recherches longues et difficiles. Quand on lit son siil)staiitiel travail sur Genève, on sent qu'il a épuisé la matière et qu'il n'y a qu'à glaner après lui.
2 Gaberel, Histoire de Genève, 2» édit., t. II, p. 9.
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IL
Au point où nous sommes arrivés de l'histoire de Ge- nève, nous comprenons, en les sentant, toutes les difficultés de notre tâche. Genève est le centre de la Réformation française; c'est de ses murs que part chaque jour le mot d'ordre; c'est là qu'elle se montre dans sa plus vraie ex- pression; tout y bouillonne, tout y a force et vie.
Ce qui frappe à Genève, c'est le cachet que Calvin a im- primé à son œuvre. L'impulsion est si bien donnée qu'après lui tout marche comme avec lui; seulement dans les cas graves, magistrats, professeurs et pasteurs sentent le vide que la mort a fait en le leur prenant. Ils sont obligés de décider eux-mêmes, ne pouvant plus dire : «Allons con- sulter M. Calvin. »
Sous la direction puissante du réformateur, une renais- sance morale s'était opérée dans Genève. La ville épisco-
[)ale de Pierre de la Beaume était devenue une cité modèle, laïe des impies et des débauchés. Les germes de corrup- tion n'étaient pas anéantis; mais au moins depuis la défaite des libertins, le vice n'osait plus lever insolemment la tête, il se cachait; et sous le règne des lois que nous appel- lerions aujourd'hui tyranniques, la ville se développait moralement, intellectuellement et matériellement, d'une manière remarquable; sa fraternelle hospitalité pour les proscrits de France et d'Italie lui avait procuré des citoyens nouveaux, qui devinrent pour elle un moyen puissant de régénération.
Entre tous, les pasteurs se distinguaient par une conduite honorable qui les rendait les modèles du troupeau. La plupart d'entre eux avaient souffert pour la cause de leur Sauveur; l'habitude qu'ils avaient de se censurer mutuelle- ment, les rendait attentifs aux devoirs de leurs charges. L'œil qui veillait sur eux n'avait rien d'inquisitorial, et contribuait puissamment à entourer de vénération et de respect la compagnie qui ne souffrait pas que ses membres déshonorassent leur robe de pasteur. Quand il le fallait , elle frappait; elle retranchait même celui de ses membres qui , infidèle à son mandat, se rendait indigne du minis-
202 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
tère évangélique. Ses rigueurs , conformes à la lettre et à l'esprit de l'Évangile, contribuaient au développement de la vie religieuse.
m.
L'un des traits caractéristiques de la Réformation à Ge- nève , c'était la célébration dii_ culte qui offrait un con- traste frappant avec celui de l'Église romaine : autant l'un était pompeux, autant l'autre était simple; les temples étaient nus, les ministres ofliciants ne se distinguaient des simples fidèles que par leur robe noire; la chaire avait remplacé l'autel; le prêche, la messe; la seule chose qui frappait les yeux, c'était la table sainte sur laquelle étaient exposés le pain et le vin, emblèmes du corps rompu et du sang versé de Jésus-Christ.'
On s'est souvent demandé si les réformateurs, en orga- nisant le culte, ne le détruisirent pas. Cette question ne manque pas d'intérêt en face des reproches de l'Église la- tine, qui accuse la Réforme de manquer de culte et de faire de ses églises de simples auditoires où l'on s'instruit, mais où l'on n'adore pas.
Les reproches de Rome ne sont pas sans valeur, mais ils perdent de leur importance quand on étudie le temps où les réformateurs accomplirent leur œuvre. La chré- tienté était alors en plein paganisme; le dogme avait presque disparu sous la pompe des cérémonies; tout était sacrilié aux sens au détriment de l'âme; l'enseignement était nul. De plus, la plupart des cérémonies étaient une copie, plus ou moins perfectionnée, du culte des prêtres de Cybèle et do Jupiter. (Du Choul a prouvé jusqu'aux der- niers degrés de l'évidence, qu'à part sa terminologie, le culte de Rome païenne revit dans celui de la Rome papale.) Il n'est donc pas élouna;!t que les réformateurs aient porté résolument la hache sur tout ce qui, dans le catho- licisme, rappelait l'idolâtrie romaine. Ils ne voulurent donc ni du vêtement des prêtres, ni de leur tonsure, ni de leurs j)rocessions, ni de leurs fêtes, ni de leurs images taillées; lis rejetèrent leurs litanies qui leur rappelaient les vaines
1. Casaubon, Éphémcrides, de 147 à 181. — Gabcrel, Histoire de Genève, 2« édit., t. II, p. 19-20.
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redites des païens. Quant à l'autel de leur messe, ils le démolirent : il était à leurs yeux l'abomination de ha déso- lation. Quand ils eurent fait table rase et arraché jusqu'à la dernière pierre de l'édifice , ils bâtirent sur ses fonde- ments et remplacèrent le culte du moyen âge par celui de l'Eglise primitive, dont ils essayèrent de se rapprocher autant que les circonstances pouvaient le leur permettre. En le faisant , ils eurent toujours devant les yeux ces pa- roles des livres saints: «Dieu est esprit et vérité, il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité.'» Les réformés eurent donc un culte en esprit et en vérité ; mais eurent-ils le véritable , celui qui répond à toutes les inspirations de l'âme? Nous ne le croyons pas. Tel qu'il est, leur culte l'emporte beaucoup sur celui des catholi- ques, mais il est loin cependant de ce qu'il devrait être. La chaire , qui , dans le temple réformé , a remplacé l'autel sur lequel l'Eglise latine célèbre sa messe , est tout à la fois une grande force et une grande faiblesse : une grande force, quand le ministre oiïiciant a le don d'instruire, de toucher, et le don si précieux de se faire écouler; une grande faiblesse , quand il est froid , long , diffus , fatigant. La partie essentielle du culte étant clîez ies ré- formés la prédication, on conçoit facilement qu'il dépend de l'homme et non d'un ensemble de choses, dont chaque partie doit concourir à l'édification des fidèles. Les prières et les chants sont rélégués dans l'arrière-plan, et cepen- dant c'est par eux que le public pourrait prendre part au service et y dire son Amen.
Aux premiers jours de la Réformation , le sermon fut le bélier avec lequel on battit Rome en brèche ; avec lui , on sapa les erreurs; avec lui, on fonda la vérité; ses services étaient incontestables : mais ce n'était pas une raisoa pour lui donner la place qu'il occupe encore aujourd'hui; là fut l'erreur: le protestantisme en porte la peine, car il a bien un culte, mais il n'a pas le culte. Nous ne blâmons pas, nous constatons des faits; car il ne faut pas demander, même aux hommes les plus forts, ce qu'ils n'ont pu nous donner; il faut surtout ne jamais oublier que les préjugés, les haines , les habitudes ont une puissance devant laquelle
l. Jean, cliap. IfV, v. 24.
204 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
s'inclinent à leur insu les plus grands esprits. Les réfor- mateurs eussent pu éviter l'écueil dans lequel ils sont tombés, s'ils n'avaient pas eu pour principe absolu que tout ce qui venait directement de Rome devait être pros- crit sans pitié, rejeté sans regret. Si, au lieu de tout con- damner en masse, ils eussent fait un intelligent triage, en laissant subsister ce, qui n'avait contre lui, ni le texte, ni l'esprit des saintes Écritures , leur culte eût été moins nu et la lacune que nous déplorons eût été heureusement comblée; il n'en fut pas ainsi , et quelque grands qu'aient été leur dévouement et leur droiture, leur travail, comme toute œuvre d'homme, porte l'empreinte de l'imperfec- tion. Ce qu'ils eussent pu faire avec facilité, devient au- jourd'hui, par l'empire des habitudes, une difficulté de premier ordre. — Quoi qu'il en soit, le culte à Genève se célébrait avec une noble simplicité , qui n'était pas sans grandeur. L'homme s'isolant complètement de tout ce qui est matériel et se mettant en communication directe avec Dieu, s'élevait jusqu'à lui par la prière. Sa piété était celle des forts qui ne cherchent pas le créateur sous des symboles grossiers et visibles ; il trouvait toujours dans son culte une nourriture pour son âme, et à moins qu'il ne portât des pas indifférents dans la maison de prières, il n'en sortait jamais sans avoir trouvé un peu de manne pour sa faim, un peu d'eau vive pour sa soif
Les cultes pompeux ne sont, en définitive, qu'une mise en scène: la première fois ils étonnent, saisissent, re- muent le cœur, enflamment l'imagination; mais quand la scène se répète continuellement, le prestige s'évanouit: c'est an airain qui résonne , une cymoale qui retentit. La ville de Rome , où le culte est resplendissant , et dont les cérémonies sont célèbres dans le monde entier, n'est-elle pas la cité ou il y a le plus d'indifférents et le plus d'athées? '
IV.
Calvin , avec son génie organisateur, avait voulu faire de Genève la Sparte chrétienne. Jusqu'à un certain point il y
I. Le voisinage de Rome, disait Machiavel, a fait de nous des athées et des scélératg. (Comment, sur Tite-Live.)
LIVRE XXVI.
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réussit; et cependant, tout en admirant ce vigoureux gé- nie, nous ne pouvons donner à son œuvre une approba- tion sans restriction. Il fut trop légal , pas assez évangé- lique. Héritier de l'esprit intolérant du moyen âge, il crut marcher dans la voie droite, parce que ses intentions étaient dégagées de tout intérêt personnel, et qu'il ne poursuivait sur la terre que la gloire de Dieu. Homme d'obéissance et de soumission, il crut que les autres pou- vaient pratiquer ce qu'il pratiquait lui-même; de là, ce joug de fer sous lequel il courba Genève, qu'il conduisit, par la dictature des institutions , à la liberté et à la gran- deur. Un historien éminent et dont les paroles font auto- rité , M. Mignet, après avoir étudié la révolution religieuse de Genève, termine son récit par ces paroles remarquables:
«En moins d'un demi-siècle, Genève changea entière- ment de face. Elle passa par trois révolutions consécu- tives. La première de ces révolutions la délivra du duc de Savoie, qui perdit son autorité déléguée, en voulant l'étendre et la trai.sformer en souveraineté absolue. Elle se fit, à l'aide d'une alliance avec les cantons de Fribourg et de Berne, qui défendirent l'indépendance de Genève, et elle eut pour instrument principal Berthelier, qui paya de sa tête ce patriotique service.
«La seconde introduisit dans Genève le culte réformé et y détruisit la souveraineté de l'évêque. Elle s'opéra par l'entremise de Farel , avec l'assistance du canton de Berne , et au profit du parti démocratique qui , vainqueur du duc de Savoie, tendit à l'ester le seul maître de Genève et à ne plus en partager le gouvernement avec son ancien prince ecclésiastique.
«La troisième constitua l'administration protestante dans Genève et lui subordonna l'administration civile. Elle fut accomplie par Calvin , secondée par les émigrés étran- gers et dirigée contre le parti municipal des libertins, comme la seconde l'avait été contre le parti ecclésiastique de l'évêque , et la première, contre le parti étranger du duc de Savoie. Les Savoyards, les épiscopaux, les démocrates succombèrent tour à tour, les uns devant les autres et tous, devant les calvinistes.
«La première de ces révolutions valut à Genève son in- dépendance extérieure; la seconde, sa régénération morale
6.
206 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
ét sa souveraineté politique; la troisième, sa grandeur. Ces trois révolutions ne se suivirent pas seulement, elles s'enchaînèrent. La Suisse marchait à la liberté ; l'esprit humain , à l'émancipation. La liberté de la Suisse fit l'indé- pendance de Genève, et l'émancipation de l'esprit humain fit sa réformalion. Ces changements ne s'accomplirent ni sans difficulté , ni sans guerre. Mais , s'ils troublèrent la paix de la ville, s'ils y agitèrent les âmes, s'ils y divisèrent les familles , s'ils y causèrent des emprisonnements , des exils, s'ils y ensanglantèrent les rues, ils trempèrent les caractères , ils éveillèrent les esprits , ils purifièrent les mœurs, ils formèrent des citoyens et des hommes, et Ge- nève sortit transformée de ses épreuves. Elle était assu- jettie et elle devint indépendante; elle était ignorante et elle devint une des lumières de l'Europe ; elle était une petite ville, elle devint la capitale d'une grande opinion. Sa science, sa constitution, sa grandeur furent l'œuvre de la France, par ces exilés du seizième siècle qui, ne pouvant pas réaliser leurs idées dans leur pays , les portèrent en Suisse, dont ils payèrent l'hospitalité en lui donnant un culte nouveau et le gouvernement spirituel de plusieurs peuples.»'
Ces paroles sont une réponse aux historiens qui pro- clament que l'œuvre de Calvin fut une œuvre d'immoralité et de désordre. Les faits ne leur apprennent rien , parce que la haine les aveugle, et qu'ils ne sauraient rendre justice au grand réformateursans condamnerleur cause. Cependant la lumière se fait peu à peu dans les esprits, et le jour ap- proche où notre siècle saluera, dans les ancêtres de la Ré- forme, les restaurateurs du christianisme et les fondateurs de l'ordre et de la liberté. Si Calvin et ses compagnons d'œuvre eussent été des hommes immoraux, sans valeur personnelle, ils seraient aujourd'hui tout entiers dans leurs tombes ; la critique attaque les forts , elle dédaigne les faibles.
V.
Les pasteurs occupent une grande place dans l'histoire de Genève : ils y remplacèffrkt le prêtre confesseur. Leur
1. Mignet, Mémoires historiques, p. 385-387, édit. Charpent.; Paris 1854.
LIVRE XXVI.
207
ministère y fut béni; et leur influence, ens'étendant sur la famille, y développa des germes précieux de moralité. Ils purent ainsi préparer des membres pour l'Église et des citoyens pour l'État. La Compagnie, épurée par l'éloigne- ment de ceux de ses membres qui étaient entrés sans vocation dans le ministère, acquit un grand ascendant qu'elle dut au zèle qu'elle déploya, et à une piété réelle. Les bons exemples, venant de haut, donnèrent aux pré- dicateurs une grande force; quand on vit les pasteurs marcher d'un pas ferme dans la voie étroite, leurs fidèles trouvèrent moins dur le joug du code ecclésiastique, et plus tard , quand la vie chrétienne eut pénétré dans les cœurs, ils firent l'expérience de ces belles paroles du Sau- veur: «Mon joug est doux, mon fardeau léger, et mes commandements ne sont pas pénibles.»
Leur œuvre cependant était hérissée de difficultés. L'ap- plication du code ecclésiastique donnait lieu à des plaintes qui n'étaient pas toujours sans fondement. Heureusement l'esprit large et conciliant de Théodore de Bèze savait y apporter à propos des adoucissements; là où Calvin eût frappé, le disciple fermait les yeux; aussi, peu à peu, et sans qu'il fût besoin d'une révision, plusieurs des ar- ticles du code ecclésiastique tombèrent en désuétude. Néanmoins les pasteurs se montrèrent rigides. Leur tâche était rude; les libertins avaient été vaincus, mais leurs détestables maximes, n'ayant pu être bannies de la ville, y entretenaient l'esprit de révolte et l'amour de coupables plaisirs. On fut donc obligé de sévir contre les cabaretiefs et les usuriers, et de reprendre les écrivains licencieux, à la tête desquels se trouvait le célèbre Henri Estienne.
VI.
Parmi ceux qui furent censurés, nous trouvons un homme qui, vingt ans auparavant, avait attiré sur lui les regards de la foule et mérité ses sympathies par son élo- quence entraînante et communicative. C'est le maître d'é- cole de la salle du Boitet, l'orateur irrésistible de la place du Molard. Semblable à ces poètes, (jui ne sont vraiment poètes qu'un seul jour dans leur vie , Froment avait eu
208 HISTOIRE DE LX RÉFORMATION FRANÇAISE.
nussi son jour : il avait fait, en quelques heures, ce que tant d'autres ne font pas en de longues années. Il avait aidé Farel à arracher Genève des mains de son évèque. Il n'avait pas, sans doute, fait le plan du siège; mais, sans son au- (iace, il est probable que la ville eût résisté bien long- temps encore, et peut-être serait -elle demeurée sous le joug de Rome?
Après l'abolition solennelle de la messe. Froment fut nommé, en 1537, pasteur de l'église de Saint- Gervais, qu'il aurait quittée, si nous devons en croire Gauthier' ; pour aller desservir celle de Massongi dans le Chalais*: jusqu'en 1552 sa vie n'offre rien de saillant; elle se passe dans l'obscurité. Il n'est pas au nombre de ces confesseurs de Christ qui assiègent la porte de Calvin, et ont soif du martyre. Son nom ne se trouve mêlé à aucune des luttes de cette époque; et cependant cet homme avait, entre tous, fait preuve d'une puissante initiative, et déployé une rare intrépidité. Ce phénomène moral a cependant son explica- tion dans la nature même des dispositions chrétiennes.
Le mouvement religieux de l'époque avait moins agi sur la conscience que sur l'imagination de Froment. Homme d'opposition, il savait mieux manier le marteau qui démolit que la truelle qui édifie. Comme cela arrive dans toutes les révolutions religieuses, la réaction vint, et avec elle, l'impuissance; et celui qui fut un héros au Molard et à Saint-Pierre, ne fut qu'un homme ordinaire, iiuand il fallut s'occuper des devoirsjournaliers du pastoral. En 1552, Froment revint à Genève où l'attendaient des chagrins domestiques. Un mariage irréfléchi lui avait donné une compagne qui ne sut pas respecter en lui l'époux et le pasteur. Peut-être aussi un manque de sagesse et de prudence de s» part précipita son épouse dans de crimi- nels égarements. La compagnie des pasteurs le rendit res- jjonsable de la conduite de sa femme, et lui infligea des réprimandes qui étaient de nature à le déconsidérer aux yeux de son troupeau. La douleur et la honte qu'il en éprouva, le firent renoncer au pastoral. Dans cet intervalle, Bonnivard lui fit la proposition d'être son collaborateur
1. Gauthier, Histoh-e de Genève.
2. Haag, France protestante, lettre F, p. 177.
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dans la rédaction de son histoire de Genève; il accepta cette offre avec empressement, et dans la même année il se fit recevoir notaire.
Genève, qui n'avait pas oublié ses services, se montra reconnaissante; elle lui accorda le droit de bourgeoisie, et le nomma, en 1559, membre du conseil des Deux Cents. 11 eût été facile à Froment de se relever dans l'opinion publique; mais malheureusement, emporté par son carac- tère ardent, impétueux, il sembla s'appliquera justifier la sévérité dont il avait été l'objet de la part du consistoire en marchant dans les mêmes voies que sa femme. En 1562, un arrêt de bannissement fut rendu contre lui. Il quitta la ville, et pendant dix ans, il traîna , à l'étranger, une vie pleine de honte et de remords. Le malheur le ploya, sans cependant le briser. Il se rappela alors ces jours où , soldat intrépide du Crucifié, il lui consacrait ses forces, et où il eût marché au martyre en chantant des cantiques. Comme l'enfant prodigue, il se repentit, et demanda à retourner dans sa patrie. Il y rentra à l'âge de soixante- deux ans. Qu'elle était différente cette entrée, de celle où, quarante ans auparavant, il venait combattre pour l'É- vangile. Ah ! il y a quelque chose qui impressionne vive- ment dans cet homme, un moment placé si haut, et main- tenant tombé si bas. Il peut se relever aux yeux du Dieu qui pardonne parce qu'il aime ; mais il ne le peut plus devant ses semblables, d'autant plus impitoyables, qu'ils ont eux-mêmes plus besoin de grâce et de pardon. Jette- rons-nous aussi la pierre à cette grande infortune? Serons- nous moins miséricordieux que Dieu? Les services passés ne compteront-ils pour rien? Ce serait une ingratitude. Froment a eu une punition grande comme sa faute. Il s'est éteint dans l'obscurité. Après avoir fait tant de bruit, il devait disparaître comme le chêne qui tombe, et il s'en alla'Comme la feuille qui se détache de ses branches. Notre légitime curiosité est ici mise en défaut. Mais quel que soit le jugement qu'on porte sur Froment , on ne pourra mé- connaître en lui l'un des grands ouvriers de la Réforme; il est vrai qu'il ne travailla qu'un jour; mais combien d'hommes, soi-disant importants qui, dans une longue vie, n'ont pas même travaillé une heure. Jetons donc sur la tombe du maître d'école de la grande salle du Boitet une
210 niSTOIUE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
branche de laurier trempée de larmes ; elle dira notre ad- miration et nos regrets. '
VII.
Les pasteurs furent appelés à soutenir des luttes pénibles avec les magistrats, quand ces derniers se trouvèrent en désaccord avec eux sur l'application du code ecclésiastique. C'est dans la savante et consciencieuse histoire de M. Ga- berel qu'il faut lire cette grande page de la vie de la Com- pagnie des pasteurs. Nous y renvoyons nos lecteurs , parce que nous nous écarterions du plan que nous nous sommes tracé, si nous entrions dans des détails qui, tout intéres- sants qu'ils sont, n'appartiennent qu'à l'histoire particulière de la réformation genevoise.
Le dévouement journalier des pasteurs les soutint dans l'opinion publique plus encore que la loi dont ils étaient armés. Une circonstance douloureuse contribua à les gran- dir dans l'esprit des masses, et leur donna un grand ascen- dant sur elles. Une peste terrible désola Genève en 1565, et une plus terrible encore quatre ans après. Les pasteurs ne faillirent pas à leur noble tâche, comme le clergé romain, lors de l'épidémie de 1522. Sans crainte devant la mort qui moissonnait leurs tidèles, ils pénétrèrent dans toutes les maisons atteintes du fléau, pour apporter aux mourants le baume des consolations chrétiennes.
11 y eut une scène bien touchante. La Compagnie était réunie pour élire le chapelain des pestiférés : les circon- stances étaient graves et sérieuses. Avant de procéder au tirage au sort, les assistants implorèrent l'assistance divine: «Seigneur, dirent-ils, toi qui sondes les cœurs des hommes , fais connaître celui que tu as choisi pour ce ministère ! »
On allait commencer les opérations, quand un membre proposa d'exempter Théodore de Bèze, à cause de sa grande utilité au milieu des églises.
De Bèze s'y opposa énergiquement. «C'est mon droit, dit-il, de partager les périls de mes frères.» Plusieurs pas- teurs âgés abondèrent dans son sens, et rappelèrent que, dans des circonstances semblables, Œcolampade à Bâle,
1. Froment n'a produit qu'un seul ouvrage important ayant pour titre : Actes et gestes merveilleux de la cité de Genève.
UVRE XXVI.
Bucer à Strasbourg, Bullinger à Zurich, s'étaient dévoués comme les plus humbles ecclésiastiques, et que Calvin, pendant son séjour à Strasbourg, lors de son exil, avait visité, soigné et consolé les pestiférés.
Pendant la discussion, une députalion du conseil se présenta , et demanda que de Bèze fût exempté ; « sa per- sonne, dirent les magistrats, est trop précieuse, par son puissant crédit auprès des cours protestantes, pour que nous puissions consentir à le voir exposé sans utilité réelle pour la république.»'
Devant la volonté du conseil, Théodore de Bèze dut céder.
Le sort désigna le pasteur Legagneux qui tira de l'urne le billet d'élection sur lequel étaient écrits ces mots : Qtie la volonté de Dieu soit faite.
Il demanda au Seigneur de le soutenir dans la mission que Dieu lui confiait par le sort et alla se loger à la Cou- leuvrenière au milieu des pestiférés. Pendant trois mois il demeura dans le lazaret, calme et intrépide devant la mort. Il ne fut pas le seul pasteur qui alla s'installer au lazaret; d'autres montrèrent le même dévouement, et la Compa- gnie, pendant ces jours de grande détresse, s'honora, aux yeux de ses (idèles , par un courage sans ostentation.
Plus tard, en 1570, le fléau sévit de nouveau avec une grande force; les pasteurs furent fidèles à leur poste. Parmi ceux qui se distinguèrent, l'histoire a conservé les noms de Colladon, de Perrot et de Chausse. La contagion sévissait et décimait la population; les malades n'entraient sur des brancards à l'hôpital que pour en sortir, bientôt après, dans des cercueils. Les bras ne suffisaient plus pour enterrer les morts. L'épouvante était dans la ville menacée de devenir un désert. Le pasteur Chausse , animé de cette paix chrétienne, qui donne le calme au milieu de la tem- pête, devint l'ange consolateur des infortunés atteints par le fléau.
Neuf ans après (1574), la peste reparut, et les Genevois revirent l'intrépide pasteur de nouveau à son poste , se multipliant à force de zèle et se dévouant, comme le bon berger, pour ses brebis. Il quitta sa maison pour vivre au
1. Gaberel, 1. 1", p. 167
212 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
milieu des pestiférés et n'y rentra un moment que pour recevoir le dernier soupir de sa fille aînée, \ictime du fléau.
Cette peste l'atteignit dans la partie la plus sensible de son être; mais loin de ralentir son zèle, elle ne fit que le redoubler. Il retourna au milieu de ses pestiférés, calme, mais frappé au cœur. Il aimait tant sa fille !
Vers le milieu de juin , la peste l'atteignit avec une si grande violence, que dès le premier moment, on déses- péra de ses jours. Les magistrats allèrent le voir et l'assu- rèrent que la république aurait soin de ses enfants et de sa veuve, si Dieu le retirait à lui.
«Je suis bien payé de mes services, leur dit Chausse.
Mais retirez-vous . . . recevez mes adieux Il y a trop de
danger ici pour vous. . . »
Le lendemain, la vénérable compagnie se rendit en corps auprès du mourant, qui fut profondément touché de la marque d'affection que lui donnaient ses collègues ; il tourna vers eux ses regards pleins d'une douceur inex- primable, et d'une voix faible, mais bien accentuée, il les remercia de leur courage : « Je m'en vais en paix, leur dit-il, non point par les souvenances de ce que j'ai fait, mais par l'assurance de la rémission de mes péchés et de mon salut, en la grande miséricorde de notre sauveur Jésus-Christ.»
Dans ce moment suprême, le mourant ne regarda pas à ses œuvres; elles étaient grandes cependant; il avait tout offert à son Dieu, tout jusqu'à sa femme et ses enfants; mais il se sentait encore un serviteur inutile, et ne trou- vait sa paix «que dans celui» qui est notre paix, et nous couvre par la foi en son immortel sacrifice, du manteau de sa justice.
Chausse demanda à ses collègues de lui pardonner, puis il tourna ses regards vers son Dieu , et s'endormit sur la terre pour se réveiller entre les bras de son Sauveur qui lui rendit selon ses œuvres.'
La République, touchée de son dévouement, adopta ses enfants.
Plus tard, la peste désola encore la ville, et Genève f, Registre de la compagnie, 18 juin 1574.
LIVRE XXVI.
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eut dans ses pasteurs ses martyrs de la mort, qui prou- vèrent au monde que le ministre de Jésus-Christ , époux et père, n'a rien à envier, en fait de courage et de dé- vouement, au prêtre catholique.'
VIII.
L'une des gloires de la Réforme est l'impulsion remar- quable qu'elle donna aux études. Elle montra ainsi que la science et le progrès ne sont pas les ennemis de la foi. Sans doute Calvin, avec son esprit absolu, voulut assigner des limites à la science théologique. A part cette erreur, qui provenait chez lui de la nécessité de mettre un frein aux divagations des théologiens, il voulut faire de Genève une cité vraiment savante; ses efforts furent couronnés d'un plein succès, et après lui sa ville d'adoption n'eut rien à envier aux cités les plus célèbres. Son collège compta de nombreux élèves qui y recevaient une instruction classique très-avancée pour l'époque. Son académie eut à sa tète des professeurs, dont plusieurs furent des hommes éminents. J3es élèves y accouraient de toutes les parties des contrées protestantes, et dans l'espace de 73 années (de 1559 à 1632), 2800 étudiants vinrent s'asseoir sur ses bancs. Elle mérita dès lors le nom de la Rome protestante. Elle tint, dit Michelet, haute sa lampe, et fut la grande école des nations. Il fallait qu'elle se fit la fabrique des saints et des martyrs, la sombre forge où se forgeassent les élus de la mort. Missions terribles! Ils étaient attendus, épiés : pris sur le fait d'avoir sur eux un évangile français, ils étaient sûrs d'être brûlés.'
IX.
Ce fut un jour de profonde douleur pour Genève que celui où elle vit se présenter à ses portes des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards, qui venaient lui demander un asile contre la rage de leurs bourreaux. Ja- mais aux époques des plus cruelles persécutions de Fran-
1 . Note rx.
2. Michelet, Guerres de religion. — Au titre l'École du martyiû (de 1555 à 1566), Genève envoya en France 121 pasteura.
214 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
çois I" et de Henri II, elle n'avait vu arriver tant de
réfugiés: c'était Charles IX qui les lui envoyait. Devant celte grande infortune , la charité des Genevois ne faiblit pas. Ce fut à qui d'entre eux sécherait une larme et adou- cirait une douleur : vêtements, vivres, remèdes, ils n'é- pargnèrent rien. '
Pendant qu'on se réjouissait à Paris, î» Madrid et à Rome, Genève prit le deuil, et s'humilia sous la puissante main de Dieu. Théodore de Bèze était navré de douleur; le coup qui frappait si cruellement ses frères de France ne l'étonna pas. En apprenant la funèbre nouvelle, il s'é- cria: «Je l'avais bien dit!»^
Le conseil décida qu'on célébrerait un jour déjeune et d'humiliation pour demander au Seigneur de protéger son peuple contre la fureur de ses ennemis. Le 3 septembre , Saint-Pierre se remplit d'une foule immense; les réchap-
{(és de la Saint-Barthélemy prirent place sur des bancs qui eur étaient réservés : ils étaient graves, recueillis, tristes, mais reconnaissants pour le Dieu qui, dans sa miséricorde infinie , leur donnait une ville de refuge. Tous les regards de l'assemblée étaient dirigés sur eux. Théodore de Bèze monta en chaire; quel texte de prédication que la présence de tant d'infortunés! L'orateur maudira-t-il les bourreaux? demandera-t-il à Dieu de faire descendre sur eux le feu du ciel? Non, il sera chrétien. Perdra-t-il courage? non, il regardera au Dieu des armées. «Combien, dit-il, que la conspiration des ennemis s'étend jusqu'à vouloir racler la mémoire des bons de dessus la terre, afin qu'il n'y ait que le règne des méchants en vogue , néanmoins tout ira au- trement. Les rois de ce monde ont beau se mutiner et s'élever contre le Seigneur pour secouer son joug et ruiner son église ; Celui qui habite les cieux les brisera comme un vase de terre, et détruira toute principauté qui s'oppose au royaume éternel de Jésus-Christ. Partant, ne vous fâchez point des malfaisants que vous voyez, ce semble, prospérer ; car ils seront coupés comme le foin et se fane- ront comme l'herbe verte. Attendez en patience le Sei- gneur ; ayez ferme confiance en lui, et ne portez point
1. Registres du conseil (30 août 1572).
2. Deuxième volume de cette bLsloire, p. S5Î.
\
LIVRE XXVI.
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(l'ennui, n'ayez même aucun regret de celui qui espère en ses lâchetés, car les malins seront exterminés, mais ceux qui ont leur attente au Seigneur seront bénis de lui ; ils ne seront point confus au mauvais temps. La main de Dieu n'est point abrégée, son bras n'est point accourci; le Seigneur est le roi qui seul peut tout ce qu'il veut; il ne permettra point qu'un cheveu de notre tète tombe en terre sans sa volonté. Partant, ne nous effrayons aucunement pour le dessein des hommes qui ont injustement délibéré de nous mettre tous à mort avec nos femmes et nos en- fants; soyons plutôt assurés que si le Seigneur a ordonné de nous délivrer tous ou aucun de nous, nul ne lui pourra résister. S'il lui plaît que nous mourrions tous, ne crai- gnons point , car il a plu à notre père nous donner une autre habitation qui est le royaume céleste , auquel il n'y a point de mutation, pauvreté, misère, larmes, pleurs, deuil ou tristesse , mais félicité et béatitude éternelles. Il vaut beaucoup mieux être logé avec le pauvre Lazare au sein d'Abraham qu'avec le mauvais riche, avec Caïn, avec Saûl , avec Hérode ou avec Judas en enfer. Cepen- dant, il nous faut boire le breuvage que le Seigneur nous a préparé, à chacun selon sa position. Il ne faut pas que nous ayons honte de la croix de Christ, ni regret de boire du fiel duquel il a été le premier abreuvé , sachant que notre tristesse sera tournée en joie et que nous rirons à notre tour quand les méchants pleureront et grinceront les dents.»'
Le discours de Bèze fut écouté avec une émotion pro- I fonde. Les larmes coulaient sur tous les visages; dans ce moment solennel chacun sentait que la ville que Dieu garde est bien gardée.
Parmi les réfugiés , il y avait plusieurs pasteurs et parmi eux le pieux Chandieu. On leur offrit généreusement d'exercer leur ministère, et des fonds pour l'instruction des enfants qui les avaient suivis dans leur exil. « Nous remercions Dieu, dit Chandieu à Théodore de Bèze, qui leur avait fait cette double offre au nom de la congrégation des pasteurs , de la grâce qu'il nous a accordée en nous retirant du glaive des méchants ; nous éprouvons une
1. Uaberel, Histoire de i'église de Geaève, t. H, p. 324-325
21 G HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
profonde reconnaissance de votre olTre pécuniaire, mais nous désirons que cet argent demeure entre les mains d'un ministre de votre compagnie , auquel nous puissions nous adresser selon les besoins les plus pressants de nos frères pauvres.»'
Théodore de Bèze répondit fraternellement à Chandieu, exhorta les pasteurs à mettre de plus en plus leur con- fiance en Dieu, et afin qu'ilsnese crussent pas étrangers à Genève, il leur dit que toutes les chaires de la ville étaient à leur disposition. «Les Genevois, ajouta-t-il, seront heu- reux de vous y voir monter.»
L'hiver de 1572 à 1573, le plus rigoureux dont Genève ait gardé le souvenir, s'annonçait d'une manière alar- mante. De Bèze ne crut pas que ceux qui avaient reçu dans leurs maisons les réfugiés dussent porter seuls une si lourde charge. Il proposa une collecte qui produisit 4000 livres. Les pasteurs s'inscrivirent en tête de la liste et donnèrent un bel exemple de désintéressement, en refu- sant qu'on fit une démarche auprès du conseil pour aug- menter leur modeste traitement. La plupart d'entre eux étaient pauvres et avaient à peine le strict nécessaire pour nourrir leurs familles. «Messieurs du conseil, dirent-ils, savent ce qu'ils ont à faire, et il ne convient pas que, dans ce temps calamiteux, on puisse dire que nous avons solli- cité un accroissement de gages'», noble langage toujours admiré des troupeaux qui comprennent si bien que l'une des gloires du pasteur est une humble résignalion à la pauvreté, et qui cependant oublient quelquefois que si le serviteur de Dieu ne doit convoiter ni or, ni argent, il est cependant digne de son salaire, comme le bœuf qui foule le grain. Pauvre bœuf, trop oublié de ceux pour les- quels il ouvre avec ses sueurs le sillon de la vie éternelle!
L'hiver fut terrible , mais la charité des Genevois ne se! ralentit pas un seul moment. Les réfugiés comprirent toute la grandeur des charges que leur présence imposait à leurs frères. Les ministres français furent surtout admi- rables de résignation et se retranchèrent toute la nourri-, ture qui ne leur était pas absolument nécessaire.
1. fiaberel, Ilistoh-e de l'église de Genève, t. II, p. 325-326. ; " 7. Idem, p. 328-329.
I
LIVRE XXVI.
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Genève brava la colère do Gliarics IX en accordant ou- verlement l'hospitalité à ses victimes. Le roi de France s'indignait qu'une petite ville osât, à la face de l'Europe, recueillir ceux qui étaient échappés à ses bourreaux. Il résolut de compléter sa victoire en détruisant ce qu'il ap- pelait le foyer de l'hérésie. — Dieu qui veillait sur la noble ville, déjoua ses projets. Genève fut encore une fois sauvée. Charles IX descendit prématurément dans la tombe, et la cité qu'il avait voulu détruire ne fit que grandir.
X.
Quatre ans environ après l'arrivée des réfugiés , une scène bien touchante eut lieu à Genèva. Henri III avait rendu l'édit du 8 juin 1576 qui permettait aux protestants de rentrer en Francn'. Quels que soient les torts de notre patrie, nous l'aimons toujours. R y a dans les lieux qui nous ont vu naître tant de souvenirs! nos pas se sont im-
Îirimés si souvent sur son sol en caractères ineffaçables; à, nous avons les cendres de ceux qui nous furent chers, et dont la vie fut notre vie; là, nous avons le toit qui nous a abrité, la maison de prières où nous avons formé alliance avec Dieu, et près d'elle le champ du repos. Ah! rien ne peut remplacer ce petit coin de terre que l'un appelle sa ville, l'autre son village, et quel que soit le lieu où le malheur nous jette, fut-il des plus beaux et des plus riants , il ne vaut pas à nos yeux le lieu où nous versâmes nos premières larmes et où nous eûmes nos premières joies.
Un ministre de la petite ville de Saint- An tonin, située sur les bords de l'Aveyron , à quelques lieues de Montauban, fut obligé de s'expatrier: il vint à Genève où il reçut une hospitalité fraternelle; malgré l'affection dont il fut en- touré, il prit la nostalgie. Quoiqu'il sût qu'en remettant les pieds sur la tet're natale, il encourrait la peine de mort, il voulut encore une fois revoir son cher Saint-An- tonin. Il partit seul , marchant la nuit , se cachant le jour, et après un demi-mois de marche, il arriva au lever de
1. Drion , Histoire chronologique, 1. 1". IV. 7
218
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
l'aurore sur une colline du haut de laquelle il l'aperçut. A
la vue de cette paroi<^se qui îui était si chère, et des ruines du temple dans lequel il av si souvent annoncé le con- seil de Dieu, son cœur ballit avec force. Agité d'impres- sions diverses, ses larmes coulèrent, sa voix éclata en • sanglots. 11 eût voulu, comme Josué, arrêter le soleil afin de pouvoir plonger plus longtemps ses regards sur ces lieux si vivants dans ses souvenirs. Mais la ville se réveilla : : il reprit alors son bâton de voyageur et retourna à Genève ] pour y mourir'. Revenons aux réfugiés. ,
Dès qu'ils apprirent qu'ils pouvaient rentrer dans leur , patrie , ils se réunirent à Saint-Pierre où un service so- , lennel fut célébré. Des milliers de voix entonnèrent le ■ beau cantique 1 La voici l'heureuse journée , Qui répoud à notre désir. J
Le pasteur Chandieu, au nom de ses frères, prit la pa- ^ rôle et s'adressaiit aux divers corps de l'Etat, leur dit: , « Messieurs les conseillers. Messieurs les pasteurs, lorsque ] nous arrivâmes dans ces murs, brisés de fatigue et de , douleur, ignorant le sort de nos plus chers amis , nous j trouvâmes diez vous l'accueil le plus fraternel , des con- ^ solations chrétiennes et des secours qui sont de véritables | sacrifices, vu la rigueur du temps et la difficulté de pour- ' j voir aux besoins de tous les misérables. Votre charité a i ] donné sans compter, ni calculer; elle a considéré les mal- | heureux sans jamais s'effrayer de leur nombre; elle n'a | pas laissé une seule souffrance sans l'adoucir. Nous ne pourrons jamais assez reconnaître ces grâces. Nous consi- , dérerons toujours l'église de Genève comme notre bienfaj- ■ trice et notre mère, et de tous les temples réformés ^ français s'élèveront chaque dimanche, des paroles de béné- j diction, en souvenir de votre admirable bienfaisance à ^ notre égard. »
Quand Chandieu eut achevé de parler, il y eut une scènç qui émut profondément l'assemblée et fit couler d'abon- dantes larmes, moins amères que celles qui coulèrent dans le même temple le 3 septembre 1572. Chandieu et
1. On a montré à l'auteur de cette histoire le lieu d'où le pas- j | teur plongea ses regards sur Saint-Antonin.
2. Registres de la compagnie (8 juin 1676).
tIVRE XXVI.
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les seigneurs français s'avancèrent vers les pasteurs et les conseillers genevois, leur serrèrent fraternellement les mains et les embrassèrent. 11 y eut le soir un banquet où des discours touchants furent prononcés. Pas une seule parole d'amertume , de colère et de récrimination ne se rencontra sur les lèvres des orateurs. «Un grand nombre de citoyens, dit M. Gaberel, accompagnèrent les réfugiés jusqu'à la frontière française. Mais quelle différence avec les jours de l'arrivée! Les protestants rentraient dans leur patrie la joie au cœur; l'espérance et les plans d'avenir occupaient seuls leur pensée. Point de coupables projets, on ne les avait jamais entendu maudire leurs persécuteurs, ils ne connaissaient pas ces farouches rassemblements où l'émigré politique réclame la vengeance comme le plus saint des devoirs. Bannis de la terre natale pour avoir voulu servir Dieu en esprit et en vérité, ils ne s'étaient distingués durant l'exil, que par la qualité de vrais adora- teurs; ils revenaient dans leur pays, ne demandant que la liberté de conscience avec le droit d'élever leurs enfants selon le Seigneur et d'ensevelir leurs parents près de leurs temples. Les misères du passé considérées par eux comme des dispensations providentielles, ne s'étaient pas trans- formées en des sources de haine. Ils avaient souffert le martyre, et comme tous les véritables martyrs chrétiens , le plus beau fleuron de leur couronne était d'avoir prié, à l'exemple de leur divin maître, pour ceux qui les maltrai- taient et les persécutaient.'»
Le lendemain, 19 juin 1576, jour mémorable dans leur vie, ils reprirent ce même chemin de France par lequel ils étaient venus, fuyant le poignard de leurs assassins; leurs cœurs étaient pleins d'espérance; ils ne virent pas que le ciel de France était chargé de tempêtes : la joie est confiante.
XI.
Genève était toujours pour Rome un précieux joyau détaché de sa couronne; aussi le pape, sans cesse convoi- teux de cette belle proie , essaya à plusieurs reprises de se
1. Gaberel, Histoire de l'église de Genève, t. 0, p. 338-339.
220 HISTOIRE DE LA RÉFOIIMATION FRANÇAISE.
le faire rendre, soit par le roi très-chrétien, soit par le roi catholique. La Savoie lui vint constamment en aide; mais ce que la force des armes et les ruses de la diplo- matie n'avaient pu faire, un prêtre, François de Sales, eut la pensée de le tenter par la parole. L'entreprise était audacieuse; mais l'homme qui se mit à cette œuvre était admirablement doué et eût réussi s'il n'eût pas été aux
[trises avec l'impossible; il appartenait par sa naissance à a première noblesse de la Savoie, et il était l'aîné d'une famille nombreuse sur laquelle il devait jeter l'éclat de son nom. Ses parents lui firent donner une éducation dis- tinguée et l'envoyèrent à Paris étudier sous Genébrard el Maldonat. Ses deux maîtres furent moins émerveillés de sa rare intelligence que de sa piété simple et candide et de sa foi soumise qui croyait tout sans examen.'
De Paris il alla à Padoue étudier sous Pencirole qui y pro- fessait la jurisprudence avec un grand éclat. Il fit des progrès rapides dans le droit civil et fut reçu , le 5 septembre 1591 , docteur aux grands applaudissements des quarante -huit maîtres de l'université. Il fit pendant ses études la connais- sance du jésuite Possevino, homme de mœurs douces et d'un commerce agréable. Ce père devint son conducteur spirituel et lui donna des directions qui influèrent considérablement sur sa vie. A la suite d'une grave maladie, il se décida à en- trer dans la vie religieuse vers laquelle ses goûts le portaient. Quoique sa piété, fut sincère, il ne put échapper au sym- bolisme de son Église qui parle plus à l'imagination qu'à l'âme. La vierge Marie devint l'objet de son culte. C'était sa médiatrice auprès de son Fils ; par elle, ses prières montaient vers Dieu. Catholique humble et soumis, il croyait que Rome est la mère et la maîtresse de toutes les Églises et ajoutait foi aux légendes miraculeuses dont se compose son histoire; ainsi, il croyait que la maison de la Vierge avait été transportée par les anges de Nazareth à Lorette. Il voulut visiter ce célèbre sanctuaire; «à peine eut-il fléchi les genoux, dit son biographe, que, comme s'il fût
1. La vie de l'illustrissime François de Sales, de très-henrcuse et glorieuse mémoire cvôque et prince de Genève, et inslitutour de l'ordre des dames de la Visitation p. le R. p. Lovys de la Rivière de l'ordre des miijimes, 3« édition; à Lyon chez Clavde Rigavd, an M.D.CXXVII.
LIVRE XXVI.
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entré dans une fournaise , il se sentit enflammé d'une extraordinaire charité; il contemplait cette chambrette où la Vierge glorieuse habita jadis avec son virginal patron saint Joseph, où l'ange Gabriel descendit pour annoncer le mystère des mystères, où le Saint-Esprit s'écoula d'une manière non accoutumée dans le chaste amarry' de la bien-aimée Vierge pour y dresser les appareils des hy- postatiques noces qui se devaient tôt célébrer entre la personne du Verbe éternel et la nature humaine , où s'est parfaite celte divine union qui n'a encore eu ci-devant et n'aura ci-après sa semblable, où le Verbe s'est fait chair, où la sagesse incréée s'est faite sagesse incarnée, où la divine enfance du divin poupon a été élevée depuis qu'il fut retourné d'Egypte. 0 vrai Dieu! c'est en ce lieu que la Mère d'amour a tant de fois couché, levé et nourri son petit enfant d'amour, le sacré Jésus. C'est en ce lieu que l'amoureux Jésus a si souvent reposé au giron, dormi au sein et embrassé de ses bras mignards le col amoureux de sa digne mère; c'est ici que le bienheureux Joseph a pris une infinité de fois entre ses bras ce céleste garçonnet, le caressant, lui apprenant a marcher, le menant par la main; c'est en ce lieu véritablement que le divin Époux s'est re- posé entre les beaux lys virginaux : Marie et Joseph. Plaise à votre bonté, ô mon doux Sauveur, que le souvenir de ces vôtres actions ne s'efface jamais de ma mémoire. Toutes vos actions sont incomparables, saintes et augustes; ce sont autant de miroirs , autant de bien nets et bien polis cristaux, où nous apercevons clairement et les imperfec- tions qui sont en nous, et les perfections qui n'y sont pas. Mais je ne sais que veut dire que les très-sages actions de votre bénite enfance m'agréent tant, me ravissent tant par leur simplicité, par leur candeur, par leur innocence; chacune en particulier est un aimant.'
De Lorette, François de Sales alla à Rome. Plein de celte charité qui ne soupçonne pas le mal, il se crut encore dans la ville des martyrs; tout lui rappelait ces temps glo- rieux où les chrétiens étaient jetés en pâture aux bêtes féroces et éclairaient les rues et les places publiques de
1. Sein.
2. Histoire de Saint-François de Sales, 1 1",^. 87- W.
222 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
leurs corps transformés en torches ardentes; il ne vit rien de ce qui se passait autour de lui et retourna en Savoie, avec la certitude que le pape était le vicaire de Jésus-Christ, et les protestants des hérétiques qui ravatçeaient la vigne du Seigneur. A peine arrivé, il déclara à ses parents son dé- sir de se faire prêtre; ils y consentirent à regret.
Le jour où il échangea ses habits de gentilhomme contre une soutane, il éprouva une grande joie. On ne saurait exprimer, dit son biographe, l'allégresse d'esprit qui le saisit lorsqu'il se vit paré de la sainte livrée. «Voilà, disait- il en son cœur, une casaque qui m'avertit que je serai bientôt enrôlé à une milice, en laquelle on combat sous l'oriflamme de la croix pour remporter le prix de la gloire éternelle. Heureuse milice, certainement, puisqu'en icelle on consacre son courage, non à la vanité, mais à la vérité; non pour l'ambition , mais pour la dévotion ; non à des évé- nements douteux, mais à des infaillibles lauriers glorieux: heureuse milice, encore un coup, vu que l'on y triomphe plutôt en souffrant qu'en frappant; plutôt en répandant son sang qu'en tirant celui des veines de l'adversaire; plutôt en mourant qu'en tuant. » '
Quelque vive que fut la piété du jeune gentilhomme , elle subit l'influence délétère du milieu dans lequel il vécut. S'il eût été le contemporain deFarel, il est probable que le protestantisme compterait un grand réformateur de plus. François de Sales eût certainement voulu savoir ce
a n'étaient ces premiers martyrs, doux, calmes et sereins evant la mort. Il l'eût su, et comme Othman, Bèze, Mar- lorat et tant d'autres, il eût quitté l'Église des oppresseurs pour celle des opprimés; mais quand il vint au monde, la séparation s'était accomplie; les protestants, moins chré- tiens que politiques , avaient exercé à l'égard des catho- liques la loi du talion; ils avaient incendié les églises et les monastères, déchiré les images, mutilé les statues, jeté au ruisseau des rues les reliques, livré à leurs risées les vêtements sacerdotaux. Ces souvenirs étaient vivants dans le cœur des catholiques qui aimaient à oublier qu'ils avaient été les agresseurs. Il eût été difficile que le jeune François de Sales ne
1. Histoire de François de Sales, liv. U, p. 111.
lIVRE XXVI.
«23
partageât pas les préjugés de son époque contre les ré- formés; son esprit, porté au mysticisme qui se serait fa- cilement accommodé de la théologie de Lefèvre d'Etaples et de Gérard Roussel, n'aurait pas été attiré vers le dogme i;onevois, sévère de forme et de fonds. Le catholicisme, avec sa symbolique , sa hiérarchie ecclésiastique et la pompe de ses cérémonies, répondait mieux à ses instincts reli- gieux. Il se manifeste aux époques das luttes religieuses un esprit de parti qui rend aux hommes les plus réfléchis l'exercice de l'examen très - difficile. Ces considérations expliquent comment le jeune prêtre savoisien, plein de science et de piété, a pu devenir, malgré les grossières erreurs de son Église, son champion le plus brillant et le plus vénéré. L'esprit comme le cœur a ses égarements.
A peine entré dans les ordres, François de Sales se distingua de la plupart de ses confrères par la manière dont il exerça son ministère; il visitait les pauvres, portait le viatique aux mourants, prêchait fréquemment, et se rendait recommandable par sa vie irréprochable. Il était le modèle du prêtre catholique. Tel était l'homme sur lequel Claude Granier, évèque de Genève, jeta les yeux pour faire rentrer dans son Église les habitants du Chablais qui s'en étaient séparés.
XIL
La contrée que Claude de Granier voulait conquérir à la foi romaine devait au protestantisme sa régénération mo- rale et intellectuelle; voici le portrait qu'en fait un histo- rien de François de Sales, quand Farel, aidé de Fabri, alla la soustraire au joug de Rome et la détacher de la Savoie pour la donner à messieurs de Berne :
«Presque tous les monastères, tant d'hommes que de femmes, et les prieurés conventuels de la Savoie et du Genevois sont tellement déchus de la discipline régulière et observance des ordres qu'à peine peut -on distinguer les réguliers des séculiers, parce que les uns vagabondent par le monde, les autres, qui demeurent dans leurs cloîtres, vivent assez dissolûment avec un grand scandale du peuple. C'est une merveille combien la discipline des réguliers e.st dissipée en toutes les abbayes et prieurés de ce diocèse
224 HISTOIUE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
(j'en excepte les chartreux et les mendiaiils). L'argent de tous les autres est réduit en ordures; leur vin est changé en poison; ils font blasphémer les ennemis du Seigneur, qui disent chaque jour : « où est le Dieu de ces gens-là?» Sous le rapport d'argent les choses n'en vont pas mieux; les habitants des montagnes crient que ceux-ci se nour- rissent de leur lait, se couvrent de leur laine et ne prennent aucun soin de leurs âmes. Les abbés et les prieurs, à propos de revenus, ont continuellement entre eux des procès, noises et querelles scandaleuses. Quant aux religieuses, il est nécessaire qu'elles soient mieux assistées spirituellement, et qu'elles ne demeurent pas exposées au désordre de tant de visites vaines et dange- reuses de parents et amis.»'
Sous l'influence régénératrice de la Réforme, le Chablais s'était transformé. A dater de 1536, dit M. Gaberel, la vallée du Léman subit une métamorphose complète. Na- guère, le campagnard, plus esclave que le nègre d'Amé- rique, ne possédait pas un pouce de terrain; le fruit de son travail ne lui appartenait pas; sa femme et ses enfants se trouvaient à la merci du seigneur. Les guerres entre les comtes obligeaient les paysans à revêtir la cuirasse; sans cesse ils devaient sacrifier leur vie pour des intérêts absolument étrangers. Les sujets des moines et des abbés n'étaient pas dans une condition meilleure. La violence et la luxure régnaient dans les monastères aussi bien que dans les châteaux. De leur côté, les marchands soufl"raient, sans espoir de temps meilleurs, les vexations des châte- lains; fréquemment dévalisés ou soumis à de fortes ran- çons par les hommes d'armes, ils étaient obligés de se munir de sommes considérables pour obtenir le passage. Misère, vol, débauche, esclavage, abrutissement: tel était le spectacle que présentait le pays genevois, lorsque les Bernois, pareils au vent de leurs Alpes qui dissipe les vapeurs empoisonnées, détruisirent pour jamais la tyran- nie féodale en ravageant ses forteresses. Dès lors , les agriculteurs, devenus propriétaires, connurent le bonheur de recueillir le fruit de leurs peines sans que la main d'un
1. Histoire du bienheureux François de Sales, par Auguste de Sales, sou neveu (Annecy 1032), p". 216, 361 , 473-474. — Ga- berel, Histoire de l'église de Genève, t. Il, p. T)! 1-542.
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Diaîlre vint le leur ravir; ils savourèrent la joie toute nou- velle de travailler en paix pour nourrir leurs familles; ils purent voir leurs fils grandir, prendre des forces, sans craindre la visite des valets armés chargés du recrutement; ils purent se réjouir de la beauté de leurs filles, sans avoir à redouter les regards du seigneur. A la place du moine collecteur, et des fermages impitoyablemant exigés, les gens du Cliablais recevaient la visite paternelle d'un mi- nistre payé par l'État, et qui ne réclamait ni dime, ni casuel pour son salaire. Les revenus des grandes terres conventuelles ne disparaissaient plus dans les trésors mys- térieux des abbés et des prieurs. Cet argent était employé publiquement au bénéfice des pauvres et servait à payer les instituteurs publics. Les cérémonies d'église ne coû- taient rien ; les familles épuisées par les maladies n'avaient point à craindre la ruine occasionnée par les frais d'ense- velissement et du purgatoire. Le culte d'esprit et de vérité, donné gratuitement par le Sauveur, était célébré sans que l'argent vînt le souiller de sa triste influence. Un bien-être matériel et religieux, auparavant inconnu, se manifestait dans la vallée du Léman. '
XIII.
Ce fut dans cette contrée que François de Sales vint exercer son activité. Il était éminemment propre à cette œuvre; par sa famille, il appartenait aux premières maisons de la Savoie; par sa science, il pouvait lutter avec la plu- part des m.inistres protestants; par son éloquence douce, persuasive, entraînante, il se préparait un accès dans les cœurs; de plus, il allait prêcher la foi catholique aux sujets de son souverain. Le grand obstacle qu'il avait à vaincre, était de leur faire comprendre que leurs pères s'étaient rendus coupables d'hérésie, quand ils avaient rompu avec l'évèque de Rome. Il ne calcula pas les difficultés, alla en avant, et fit son entrée dans le Chablais le 10 septembre 1594. Pour compagnon de travail il avait son parent le chanoine Louis de Sales, pour armes de guerre, une Bible
1. Gaberel, Hist. de Genève, t. II, d. . I, li-aiic ùi Jiyous
226 HISTOIRE DE LA RÉFOnMATlON FRANÇAISE.
et un Bellarmin. Les missionnaires, qui l'avaient précédé dans ce champ de travail, virent en lui un Gédéon, et fêtèrent sa bien- venue en exorcisant, suivant les formules de l'Église latine, les malins esprits qui étaient dans la contrée.
L'intrépide missionnaire résolut d'attaquer le protes- tantisme dans son foyer, à Thonon. Mais il ne tarda pas à comprendre que visites, exhortations, cérémonies pom- peuses, rien ne trouvait l'accès du cœur des hérétiques qui refusaient de l'entendre, et montraient souvent un visage irrité; après deux ans de travaux, quatre [irolestants seulement se décidèrent à abandonner la réforme; quel- que temps après, l'avocat Poncet et le baron d'AvuUy firent leur abjuration; mais ces deux conversions furent sans in- fluence sur la masse des habitants du Chablais.
Dans son désappointement, le missionnaire catholique écrivit au duc de Savoie : «Je vois bien, lui disait -il, ce qu'il faut faire; il faut rétablir, en grand nombre, curés et prédicateurs; car tel est l'état de voire Chablais, que c'est une province ruinée. Quant à moi, j'ai déjà employé vingt-sepl mois à mes propres dépens, en ce misérable pays , alin d'y épancher la parole de Dieu selon votre volonté; mais le dirai -je? j'ai semé entre les épines et sur les pierres: certes, outre la recouverte de M. d'Avully ou de l'avocat Poncet , ce n'est pas trop grand cas des autres. Mais je prie Dieu qu'il nous baille une meilleure fortune, et Votre Altesse, selon sa piété, ne permettra point que tous nos efforts soient vains.»*
François de Sales avait épuisé tous les trésors de son éloquence. Il était fatigué de semer «entre dos épines et sur des pierres.» Il serait cependant demeuré à son poste, si Charles-Emmanuel ne l'eût invite à venir auprès de lui. Le duc le reçut avec une grande distinction, et s'entretint longtemps avec lui , sur les moyens de réduire le Chablais au catholicisme. Pendant son voyage, le prêtre avait réfléchi ; il n'apportait à son maître , pour prix de vingt-sept mois de dévouement, que six conversions dont les causes eussent été peut-être peu honorables à divul- guer. Le mode de procéder était évidemment luauvais, il
1. Gaberel, Hist. de l'Église de Genève, t. II, p. 600.
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fallait le changer. Le doux François de Sales fit au duc,
qui les accepta, les propositions suivantes :
«Il faut établir huit prédicateurs bien payés, qui n'aient d'autre mandai que de prêcher sans cesse dans les villages protestants;
«Les trente cures du Chablais doivent être pourvues de pasteurs payés avec les revenus de l'église;
«La ville de Thonon a besoin de six ecclésiastiques;
«Le ministre Viret, de Thonon, doit être éloigné et empêché d'avoir aucun commerce avec ses ouailles ;
«Il faut bannir le maître d'école protestant de cette ville et mettre un jésuite à sa place, dès que faire se pourra ;
«Des sénateurs devront assembler le conseil général de Thonon, et inviter les bourgeois à écoutée les raisons des missionnaires, de la part de Son Altesse, avec pa- roles qui expriment la charité et l'autorité d'un si grand prince ;
« Il plaira à Votre Altesse de faire aumône et libéralité à quelques vieilles personnes qui ont toujours vécu catho- liques au milieu des hérétiques ;
«Tous les hérétiques doivent être privés de leurs emplois publics, et des catholiques favorisés mis à leur place ;
« On baillera bon avancement dans les armes à la jeunesse catholique du Chablais;
«Il faut semer la terreur parmi les habitants du Chablais par de bons édits;
«Enfin Votre Altesse doit se montrer libérale envers les nouveaux convertis. '
François de Sales était revenu à la manière de procéder de son Eglise. Il retourna à Thonon ; cette fois il ne s'ap- puya ni sur la Bible, ni sur Bellarmin, mais sur les pouvoirs que lui avait conférés le duc.
Convaincu qu'il fallait procéder vigoureusement, il or- donna de faire des préparatifs à Saint-Hippolyte pour y cé- lébrer la messe. Le peuple indigné s'ameuta. Les magistrats effrayés, craignant que les habitants de Thonon ne se
1. Vie de Sales, par Auguste de Sales, p. 117. — Original, Ar- < chives de Turin.
228 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
portassent à quelques excès , reprochèrent vivement au missionnaire sa conduite, et lui dirent que, d'après le traité de Nyons, il ne pouvait s'emparer de l'église qu'avec leur consentement.
Celui que depuis on a appelé un «agneau», déroula à leurs yeux les parchemins contenant ses pleins pouvoirs: «Voici, leur dit-il en les leur montrant, les pouvoirs écrits de mon maître ; prenez garde à lui obéir, si vous voulez conserver vos tètes.»'
L'agneau était devenu loup : le prêtre se retrouvait dans le doux François qui, dès lors, fit plus de conquêtes avec les ordonnances de son souverain qu'avec son Bellarmin, Avec ces parchemins, il se fit ouvrir les portes des églises jusqu'alors fermées à son éloquence que ses biographes nous disent avoir été divine; et il put écrire à son maître lii'S lettres qui le réjouirent. Ce que le zèle du mission- iiaire n'avait pu faire , la main de l'inquisiteur l'accom- plit. Le Chablnis eut ses petites dragonnades; on ouvrit les églises de force, on y rétablit la messe , on chassa les pasteurs et les instituteurs; François de Sales triompha de foules les résistances, mais il blessa au cœur son église. Deux siècles et demi ont constaté que le catholicisme ne |ieut entrer en lutte avec la Réforme qu'avec des armes qui déshonorent le parti qui s'en sert et qui blessent tou- jours la main qui les manient.
La conversion du Chablais donna au missionnaire savoi- «ien une grande célébrité parmi les hommes de son parti; et lui-même, enivré de sa victoire qu'il attribuait à ses prédications multipliées, dut se croire, entre les mains de Dieu, un ministre dévoué de ses miséricordes. Ses coreligionnaires, privés d'hommes zélés, firent de lui, pendant sa vie, un bienheureux, et se le représentèrent comme un apôtre, l'auréole au front. De son vivant même, la légende s'empara de sa vie.
XIV. •
Si François de Sales eût eu le pouvoir de faire des mi- racles, il s'en fût servi certainement, lorsqu'il reçut mis-
1 Gaberel, Hi.^t. de l'église de Genève,. 1. II, p. 603.
LIVRE XXVI.
229
sion du pape de conquérir Genève en ramenant le vieux Tliéodore de Bèze au catholicisme.
Le vieillard huguenot supportait admirablement le far- deau des années. Sa piété forte et vivante lui donnait la jeunesse perpétuelle du chrétien. Les yeux de toute la Réforme française étaient arrêtés sur cet homme qui, de- puis tant d'années, la représentait si dignement; une pa- role de lui était reçue avec un religieux respect , toujours méditée et presque toujours écoutée. On savait que le dis- ciple de Calvin n'avait pour but, comme son maître, que la i;loire de Dieu. Il jouissait donc de cette grande et univer- selle popularité qui est le lot ordinaire des hommes émi- nents, quand ils l'acquièrent sans l'avoir ni désirée, ni recherchée ; aussi les catholiques, pour jeter l'alarme au milieu des protestants, firent courir plusieurs fois le bruit que leur réformateur avait embrassé la religion catholique. De Bèze ne s'en émouvait pas ; mais une fois on propagea partout la nouvelle comme si certaine, qu'il crut devoir démentir ces faux bruits en flétrissant ceux qui les col- portaient. '
François de Sales accepta la mission du pape et partit. Il n'avait avec lui ni sa Bible, ni son Bellarmin, car il ne s'agissait pas de convaincre le vieillard, mais de le tenter; il arriva à Genève et se présenta chez le réformateur qui le reçut avec sa politesse habituelle et le laissa un mo- ment seul dans son cabinet.
Un portrait frappa les yeux du jeune missionnaire : c'é- tait celui de Calvin, au bas duquel étaient ces vers:
Hoc vultu hoc kabitu Calvinum sacra docentem
Geneva fœlix audiit, Ctijus scripta piis tolo celebrantur in orbe
Malis licet ringcalibus.^
François de Sales prit un crayon, et en modifiant trois mots, ht d'un éloge la satire suivante :
1 . n fit à cette occasion un petit pamphlet intitulé : Beza redi-
vicKs (Bèze ressuscité) , semé de traits lins et mordauts.
2. Ceci représente Calvin enseignant des choses saintes, que Genève heureuse, écouta. Les écrits du graùd homme sont adini- i-< s du monde relis.ieus tout eiiUa*.
230 HISTOIIIE DE LA RÉFOHMATION FRANÇAISE.
Hoe vultu hoc hahitu Calvinum insana docentem Geneva démens audiil, Cujus scripla piis lolo damnantur in orbe Malis licel ringenlibus.*
Quand de Bèze rentra . r rsr.ccîs de Sales lui montra le changement qu'il avait fait dans le quatrain; le vieillard, qui aimait la poésie et qui avait excellé dans la satire, en rit de bon cœur.
Après cet incident, qui n'eut pas de suite, la conversa- tion s'engagea sur les questions qui divisaient les protes- tants et les catholiques; les interlocuteurs se comportèrent en vrais gentilshommes, mais comme ils partaient de deux points diamétralement opposés, il était impossible qu'ils pussent arriver à une solution. Bèze admira la facilité d'é- locution du prêtre savoisien; celui-ci, la science et la pré- cision du reformateur. Quand François de Sales vit que son éloquence n'atteignait pas son but, il dit : «Peut- être, Monsieur, craignez-vous que si vous retournez dans l'Église catholique, les commodités de la vie ne vous manquent. »
Le vieillard jeta sur le jeune homme un regard étonné.
Le prêtre prit ce regard pour un commencement d'ad- hésion. Il ajouta : «Oh, Monsieur, s'il ne tient qu'à cela, selon l'assurance que j'en ai do Sa Sainteté, je vous porte parole d'une pension de quatre mille écus d'or tous les ans ; outre cela, tous vos meubles seront payés au double de ce que vous les estimerez.»
En entendant ces paroles , le vieillard jeta sur le jeune homme un regard où une majesté sévère se mêlait au mé- pris... Du doigt il lui montra sa bibliothèque vide :
«Mes livres, lui dit-il, ont été vendus pour subvenir aux besoins de mes frères , les réfugiés français. »
Puis se levant, i! lui montra sa porte : <iVade relro, Sa- tanasD^, lui dil-il.
Le missionnaire sortit désappointé, et sous le double
1. Ceci représente Calvin enseignant des choses vaines, que Genève en démence écoute. Les écrits de Calvin sont damnés du monde religieux tout entier.
2. Eu arrière de moi, satan.
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poids du mépris et de l'indignation de l'homme que les catholiques pouvaient hair, mais qui leur avait ôté, par sa vie intègre, le droit de le mépriser.
Les hommes qui accommodent l'histoire à leurs pas- sions , ont raconté à leur manière l'entrevue du prêtre et du théologien réformé; naturellement ils ont donné au premier le beau rôle, et comme ses tentatives de conver- tisseur n'avaient pas réussi, ils ont dû en dire les causes. Les voici. Nous citons une page de la Société des bons livres.
«Le pape ne croyant rien au-dessus des forces de saint François de Sales, lui donna commission d'aller conférer à Genève avec Théodore de Bèze, presque aussi renommé que Calvin, et de ne rien épargner pour l'engager de ren- trer dans le sein de l'Église où il était né. L'exécution n'é- tait ni sûre, ni facile; mais ces considérations ne furent jamais rien pour François de Sales, quand il s'agissait de la gloire de Dieu. Plein de foi et de courage, il partit pour Genève le plus tôt qu'il lui fut possible : il arriva heureuse- ment chez Bèze, comme ce ministre était seul. On conféra longtemps et toujoursavecbeaucoup d'honnêteté. Après celte entrevue dont François augura bien, de Bèze le pria in- stamment de revenir. Il revint en elTet et jusqu'à trois fois, mais sans avancer beaucoup plus que la première , du moins pour le salut de ce misérable apostat. Dans une quatrième visite que lui fit le saint évèque de Genève, le triomphe de la vraie foi devint plus sensible. Le morne silence que de Bèze garda sur tout ce qu'on lui disait de plus pressa'nt , marqua qu'il reconnaissait la vérité. Mais ses yeux baissés et la rougeur de son front, où se peignait son cœur bourrelé de remords, firent conjecturer en même temps qu'il tenait àl'erreur par des liens dont on n'eût ja- mais soupçonné ce vieillard presque octogénaire ; et le trait suivant montra bientôt la vérité de cette conjecture. Deshaies , gouverneur de Montargis, se trouvant à Genève pour les aiîaires du roi, contracta une étroite amitié avec ce ministre au moyen de la belle humeur dont ils étaient l'un et l'autre. Dans une de ces conversations badines où l'on peut tout hasarder. Deshaies lui demanda ce qui pou- vait attacher un homme tel que lui à la triste Réforme de Calvin. De Bèze ne répondit rien, il se leva, et faisant en-
232 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
trer une jeune fille fort belle: Voilà, dit-il, ce qui nie convainc de la boulé de ma religion!»'
La haine est rarement clairvoyante... Dans son aveugle- ment, elle se frappe de ses mains et devient son propre accusateur. Si le vieillard huguenot eût eu les passions d'un jeune homme , il n'eût pas été une citadelle impre- nable; mieux qu'un autre, il savait que Rome connaît les accommodements avec le ciel. Quel lien eût donc pu le re- tenir dans l'austère ciié de Calvin, où sa vie se passait comme sur la place publique ? On a honte de s'arrêter à de pareilles calomnies.'
Les Genevois avaient dans Charles-Emmanuel un ennemi plus dangereux que François de Sales. Ce prince n'avait jamais, malgré ses insuccès, renoncé au projet de s'em- parer de leur ville. C'était devenu chez lui une idée fixe qui lui fit fouler aux pieds le respect que les peuples se doivent quand leurs rapports internationaux s'exercent sous l'empire des traités écrits ou tacites.
Ce fut sous le double empire du fanatisme et d'une am- bition iijsaliable que ce prince se prépara en pleine paix à s'ciiîuarcr de Genève. 11 lui fallait pour aîleindre son but endormir la vigilance des Genevois; ce n'était pas facile. La connaissance qu'ils avaient de son caractère, leur était !a confiance qu'on donne à un ennemi loyal et généreux; tout ce qui se passait autour d'eux, les tenait en éveil et rendait plus difliciles les projets de leur dangereux voisin. Charles - Emmanuel , informé de leur vigilance, profita d'un jubilé qui se célébrait à Thonon ponr organiser la prise de Genève; il espérait qu'au milieu de cet immense concours de curieux, de pèlerins, il pourrait enrégimen- ter ceux qui devaient concourir à l'expédition. Pendant que le clergé demandait à Dieu de faire descendre sur son
1. Anecdotes chrétiennes ou traits d'histoire clioisis par l'abbé Reyre, l'aris, 1825, în-12, faisant partie delà collection des ou- vrages publiés par le comité des bous livres, comité présidé par vu pair de France sous la restauration. — Voir aussi IjuUctiu de l'histoire du protestantisme français, année 1859, p. 281. —
t. VII, p. 227 et 369.
2. Gabercl, Hist. de l'église de Genève, t. 11, p. 640 et suiv.
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peuple sa bénédiction, l'évêque de Genève, Claude de Granier, prenait exactement le nom de tout arrivant, Lorrain, Suisse, Savoisien, Turinois, Bourguignon, Fran- çais; quand il s'était assuré que la dévotion seule l'avait attiré à Thonon pour y gagner des indulgences attachées au jubilé, il enflammait son imagination en lui parlant de Genève. «C'est cette ville maudite qu'il faut prendre, lui disait-il; de sa chute dépend celle de l'hérésie.» Le prélat lui dévoilait alors le plan de la conjuration qui avait l'ap- probation du souverain pontife ; et après lui avoir fait prêter serment sur l'hostie, il lui disait: «Ange du ciel, porte au royaume clément ceux qui obéiront. Marie, sainte mère de Dieu, tu puniras par le supplice éternel ceux qui trahiront leur serment. » *
Les Genevois ne virent pas sans appréhension la tenue du jubilé; ils se doutèrent que quelque complot se tramait contre leur ville. Plusieurs d'entre eux allèrent à Thonon et se mêlèrent à la foule des étrangers qui aflluaient de toute part. Les catholiques s'attendaient à la prochaine conversion de leurs hérétiques voisins.
Le duc crut avoir fait prendre le change aux Genevois sur le mouvement des troupes sur lesquelles il comptait pour surprendre la ville ; il arrêta en conséquence le 24 août 1600 pour le jour de l'exécution.
Ce jour -là deux artificiers français, gagnés par ses agents, devaient mettre le feu à deux mines creusées par eux : la première, sous la tour du boulevard du Pin, près le collège; la seconde, sous le bastion de la porte Neuve. La charge de poudre devait produire une explosion telle que les habitants, sous le poids de la stupeur, ne pense- raient qu'à abandonner la ville qui, au même instant, vivement attaquée par les soldats de Charles-Emmanuel, serait prise sans résistance'. Ce complot fut découvert : les artificiers ne durent leur salut qu'à la fuite. Cet échec ne découragea pas Charles-Emmanuel. Conseillé par un gentil- homme, nommé d'Albigny, il étudia des plans qu'on lui soumit pour surprendre la ville hérétique; le suivant mé- rite d'être mentionné.
1. De superventu allobrogum in urbem Genevam (1603).
2. Archives de Turin, Genève, 1"= catégorie, paquet 19. — Moyens proposés à Son Altesse pour la prise de Genève.
234 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
On aurait construit un char dont on aurait déguisé la nature en plaçant sur des barils de poudre des volailles et des légumes. Au jour convenu , un paysan l'aurait conduit dans la ville où soixante soldats déguisés en paysans l'au- raient précédé; arrivés à la porte de Rive, cinq hommes auraient mis le feu aux poudres; au bruit de l'explosion, cent arquebusiers savoisiens cachés aux environs se se- raient emparés de la port^ et l'auraient gardée jusqu'au moment ou quatre mille hommes, partis dans la soirée des villes voisines , seraient arrivés pour leur prêter main forte et préparer par la prise de la ville une entrée triomphale à leur souverain.
XVI.
Les Genevois qui , en quelques mois, avaient failli devenir deux fois la proie de leur implacable voisin, redoublèrent de vigilance et lui firent comprendre qu'à l'avenir avec eux la ruse serait impuissante. Le duc ne renonça pas à ses projets, et recourut à la force. Il fit préparer à Turin tous les engins nécessaires pour une escalade. On construisit sous ses yeux des échelles longues et solides garnies à leurs extrémités de drap noir et de crampons; par un mé- canisme simple et ingénieux, elles s'emboîtaient comme dans un étui, en sortaient avec facilité et atteignaient une hauteur calculée sur celle des remparts de Genève. On construisit également des claies portatives qui, posées sur l'eau, servaient de bateaux plats et pouvaient porter cha- cune un certain nombre de personnes. C'était au moyen de ces engins qu'une escalade devait être tentée. Quelque bien gardé que fut le secret, le bruit en vint aux oreilles des Genevois qui plus que jamais se tinrent sur leurs gardes; mais leur vigilance fut endormie par un traître et par un conseiller du duc de Savoie. Le premier était leur syndic, Blondel, qui s'était lâchement vendu à l'en- nemi de sa patrie; il se moqua hautement des craintes de ses concitoyens qu'il traita de chimériques; le second était le président de Rochette qui, par une conduite irrépro- chable, avait conquis la confiance des Genevois. Le duc, par ses promesses, était parvenu à le rendre complice de ses fourceries. L'honnête homme, devenu fripon à l'école
LIVRE XXVI.
235
de son souverain, entra dans Genève comme un nouveau Sinon et parvint à rassurer les Genevois. «Ne craignez rien, leur dit-il, vivez en paix, personne plus que Charles- Emmanuel ne veut la conservation de vos libertés.»
Le conseil auquel il tenait ce langage lui répondit: «Les faits nous annoncent la guerre, vos paroles la paix; votre maître est un traître. »
Alors le président prit Dieu à témoin de la sincérité de ses paroles. « Dieu me damne , dit-il , et que sa colère et celle de tous les saints tombent sur moi et sur toute ma famille, si la paix n'est pas parfaitement sûre.»
L'accent de vérité avec lequel il prononçait ces paroles, sa vie passée, qui en était le plus sûr garant, rassurèrent les Genevois qui commencèrent à croire que les grands préparalifs de guerre n'étaient pas faits contre eux. A des jours de terreur succédèrent des jours de paix, pendant lesquels Charles-Emmanuel se prépara habilement à con- sommer la ruine de la ville huguenote. De nombreuses milices qui ignoraient le but de l'entreprise furent éche- lonnées dans divers quartiers; quand l'heure de les mettre en mouvement fut arrivée, Bernolière, leur chef, se fit administrer en leur présence l'extrême onction sur la place d'armes de Bonne.
Les soldats, frappés du spectacle inaccoutumé d'un homme bien portant qui se fait administrer le viatique des mourants, furent vivement impressionnés; c'est ce que voulait Bernolière qui, après la cérémonie, leur dévoila, dans un langage passionné et éloquent, le but de l'entre- prise. «Amis, leur dit-il en terminant, la victoire dépend d'une heure de courage et de bonne volonté. » '
Electrisés par les paroles de leur commandant, les soldats et les gentilshommes répondirent à la proposi- tion de leur chef par des acclamations; nouveaux croi- sés, ils brûlaient du désir de délivrer Genève des mains des hérétiques; ils se sentaient capables de tout affronter. Pour cette grande œuvre la couronne du ciel devait être la récompense de leurs efforts; ils se mirent en marche.
Charles-Emmanuel, qui les avait précédés en partant
1. Vrai discours sur l'entreprise, Lausanne 1602. — Récit latiu de 1603. — Manuscrit Naville.
236 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
incognito de Turin, attendait ses soldats à Étrembières. Ses insuccès passés lui donnèrent des craintes qui s'éva- , nouirent quand il vit arriver les principaux conjurés qui ne doutaient pas du succès.
XVII.
Les Genevois ne pensaient pas au danger imminent dont ils étaient menacés. Les paroles de paix du président Ro- cheite, la confiance apparente du syndic Blondel leur fai- saient croire au moins à une paix momentanée; et d'ailleurs, qui eût pensé qu'après deux complots découverts , presque coup sur coup, Charles-Emmanuel fût prêt à entrer dans leur ville par le sommet de ses remparts comme un loup dans une bergerie. Ils dormaient donc en paix , sous la foi des traités, quand leur ennemi se préparait à envahir leur ville.
A la faveur des ombres de la nuit, d'Albigny et Berno- lière s'étaient approchés de Genève dans le plus grand silence; ils étaient suivis de trois cents soldats d'élite qui portaient les mystérieuses échelles, les claies et les fascines destinées à combler les fossés. Deux cent cinquante autres soldats armés de piques, de marteaux et de haches les suivaient; ils étaient couverts de cuirasses et de cottes de maille, afin de pouvoir opposer une longue résistance, jusqu'au moment où le gros des troupes arriverait pour les seconder. Leur fanatisme décuplait leurs forces et les rendait capables de tout tenter, même l'impossible. Jamais la ville de refuge des protestants n'avait couru un plus grand danger; ses ennemis la croyaient déjà en leur pou- voir. Dans l'ivresse d'une victoire qu'ils n'avaient pas en- core gagnée, ils avaient apporté avec eux tout l'attirail des cérémonies de leur culte; des chariots en étaient chargés. Des moines et des prêtres n'attendaient que la prise de la ville pour purifier Saint-Pierre des souillures des hugue- nots ; ils avaient imité Philippe II , allant avec sa flotte rendre à la Grande-Bretagne la vieille foi de ses pères. Le même esprit produisait les mômes causes.
Qitnnd Bernolière crut que Genève é'ait plongée dans
LIVRE VXVI.
237
un profond sommeil, il s'avança intrépidement avec sa troupe jusqu'au pied des remparts de la Corraterie , ce qui lui fut rendu facile, h cause de la boue durcie par le froid; il ne voulait pas commencer l'opération de l'es- calade avant d'être certain qu'il pouvait le faire sans être entendu; le moindre signal d'alarme pouvait tout compromettre. Il frappa avec une pierre à coups redoublés sur la muraille, prêta attentivement l'oreille et n'eut d'autre réponse que le silence. Au bruit qu'il faisait, sa main ne tremblait pas, mais son cœur palpitait; il renouvela plu- sieurs fois l'expérience; chaque fois il tendit l'oreille et n'eut d'autre réponse que le silence. «Blondel, se dit-il, a été fidèle; c'est par ici que nous devons entrer dans la ville, ce côté du rempart n'est pas gardé.» Il donne alors le signal, les échelles sortent de leurs étuis et se déboîtent; fixées solidement sur les claies, elles s'élèvent jusque sur le sommet des murs. Au pied de ces échelles un jésuite écossais, le père Alexandre, encourage les soldats. «La mort, leur dit-il, ne peut vous atteindre, vous en avez pour garant ces amulettes que je vous donne. Un gentil- homme, M. de Jannat, monte le premier. Une pierre du rempart détachée par la pression de l'échelle tombe sur lui en faisant un grand bruit.'
Un sentiment d'anxiété se manifeste parmi les Savoi- siens; mais il est bientôt suivi par un moment de grande confiance. Le rempart n'est pas gardé; on se hâte; c'est à qui aura l'honneur de monter le premier. En quelques instants, et au milieu du plus profond silence, deux cents hommes ont atteint le sommet des remparts. Bernolière, qui connaît les lieux, s'avance à pas de loup vers une gué- rite située à cent pas environ de la porte Neuve, se jette sur la sentinelle et l'égorgé avant qu'elle ait le temps do crier au secours.
L'intrépide commandant ne doute plus du succès; il ex- pédie un de ses soldats pour apprendre sa première opé- ration à d'Albigny qui arrivait à Plainpalais avec le gros de sa troupe. Celui-ci croit la ville prise, et dans l'excès de sa joie il envoie à Charles-Emmanuel un courrier pour lui apprendre cette grande nouvelle.
1. Note X,
2^8 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
La confiance est un puissant auxiliaire; Bernoliêre et d'Albigny en manquèrent. Au lieu d'attaquer la ville à l'improviste et de jeter au miii-eu de ses habitants une terreur panique qui eût paralysé leurs forces, ils convin- rent d'attendre le matin pour combiner leurs efforts; cette fausse manœuvre les perdit, et fit échouer leur entreprise si heureusement commencée.
Vers deux heures du matin, une lueur parut au loin sur les remparts; c'était une ronde de nuit. Les conjurés n'hé- sitèrent pas, ils s'avancèrent rapidement et se jetèrent sur les soldats genevois. Un coup de feu partit; le tambour de la ronde s'échappa, battit de sa caisse en courant, et jeta l'alarme dans la ville. Bernoliêre, voyant le complot découvert, donna le signal de l'attaque. Ses soldats, armés de marteaux et de haches, se mirent à enfoncer les portes de la Monnaie, de la Treille et de laTertasse, et pénétrè- rent dans les avenues de la Corraterie. Les Genevois, réveillés au milieu de la nuit, ne consultèrent que leur courage; à demi vêtus, à demi armés, ils disputèrent chaque pouce de terrain; on lutta corps à corps; on se battit à coups d'arquebuse, de marteau, de hache, de pieux, de pierres; tout devint arme sous la main des com- battants; d'un côté, c'était la rage du fanatisme qui faisait faire aux Savoyards des prodiges de valeur; de l'autre, c'était un ardent amour de l'indépendance qui faisait do chaque Genevois un héros; et tout cela se passait au son sinistre du tocsin, à la clarté des lampes qui brillaient à chaque fenêtre de la ville. On allait à la mort sans hé- siter. Un Genevois était à peine hors de combat, qu'un autre prenait sa place; les femmes elles-mêmes se mê- lèrent à la lutte et lancèrent des meubles et des pierres sur les assaillants. L'une d'elles saisit la marmite dans laquelle elle préparait la soupe, la lance de sa fenêtre sur un Savoyard, lui en fait un casque et le tue.
Le Genevois se multiplia; il fit face à tout; pour lui, le danger n'existait pas, quoique tout fut danger pour lui; partout il opposa une résistance vigoureuse, opiniâtre; au milieu du tumulte , sa fureur ne lui ôta pas sa présence d'esprit; l'instinct du péril le rendit tacticien. Un canon, chargé de mitraille jusqu'à la gorge, balaya les échelles et ferma aux assaillants l'une de leurs issues; un soldat vau-
LIVRE XXVI.
239
dois, nommé Mercier, laissa tomber la herse de la porte Neuve, au moment où un pétard allait partir et ouvrir une large brèche aux Savoyards. Tout servait les Genevois, jusqu'à'^la fierté des soldats espagnols que d'Albigny voulait faire entrer dans la ville par les échelles. « Nous sommes trop nobles, répondirent leurs chefs, pour entrer ailleurs que par la porte, d
D'Albigny, qui jusqu'à cette heure avait déployé l'habi- leté d'un conspirateur et le courage d'un soldat, perdit confiance; il tenta un dernier et suprême effort; mais il ne tarda pas à comprendre que tout était perdu ; les Genevois semblaient se multiplier; de chaque fenêtre partaient des coups de fusil, qui mettaient les Savoyards hors de com- bat; des masses de bourgeois se ruaient sur eux, les re- foulaient bravement vers les remparts et ne leur laissaient d'autre ressource que de se précipiter dans les fossés.
Frémissant de rage, d'Albigny se retira lentement; il rencontra, près des fossés, Charles- Emmanuel , qui, ne dout-nnt pas de sa victoire, avait ordonné à sa musique militaire déjouer des fanfares.
« En arrière, Monseigneur, lui dit d'Albigny, en arrière, tout est perdu; l'armée me suit en déroute.»
«Misérable butor! lui dit le duc hors de lui; vous avez fait une belle affaire;» et sans prononcer une autre parole, il tourna le dos à la ville, dans laquelle il croyait entrer en triomphateur.
Quel retour que celui de ce prince déloyal , qui ne ren- contrait sur son passage que les arcs de triomphe qu'on avait élevés pour le fêter! Jamais punition ne lut plus méritée.
XVIII.
Dieu avait encore une fois sauvé Genève. En la délivrant il éparana au monde les horreurs épouvantables dont la prise de cette cité eût été suivie; car Charles -Emmanuel qui, vaincu, inscrivit dans l'histoire, le 12 décembre 1602, la pnse la plus honteuse de son règne, eût, vainqueur, inscrit ce'jour-lk la page la plus sanglante de sa vie. Ses soldats eussent renouve'lé les scènes les plus douloureuses de la sinistre ann^e 1572, et Rome, dans la joie de ce grand
1240 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
événement, eût entonné un solennel TeDeum, et com- mandé à un nouveau Vasari, de lui peindi'e un nouveau massacre d'hérétiques pour faire le pendant du trop cé- lèbre tableau sur lequel on lit encore aujourd'hui ces mots : Hugonotorum strages.'
Le lendemain de cette nuit célèbre, c'était dimanche; les Genevois étaient sous l'empire de sentiments divers : l'étonnement, l'indignation, la douleur, agitaient leurs cœurs; c'étaient des cris de fureur contre Charles-Emma- nuel , dont ils accompagnaient la fuite avec des malé- dictions, et le regret de ne l'avoir pas fait prisonnier; c'étaient des larmes répandues sur les cadavres de leurs généreux frères qui avaient fait échouer, au prix de leur sang, les ruses infâmes du prince savoyard. On contemplait avec respect et émotion le corps ensanglanté de ces nobles victimes du dévouement à la patrie. On se racontait tout ce qu'on savait de cette nuit terrible ; on se disait les noms de ceux qu'on voyait morts, les armes encore dans leurs mains.
Au milieu de ces émotions si légitimes, les cloches, à l'heure accoutumée, appelèrent les citoyens au service divin; ils se précipitèrent en foule dans leurs églises pour rendre grâces à Dieu de leur merveilleuse délivrance. Les pasteurs n'entretinrent les fidèles que de la bonté de Dieu qui avait veillé sur leur ville. A Saint -Pierre, les assistants ne virent pas sans émotion , de Bèze se lever pour prendre la parole. A sa vue , il se fit un silence profond , qui
fiermit à la voix du pieux vieillard de se faire entendre ; tous es yeux étaient arrêtés sur cet homme dont la vie n'était qu'un dévouement journalier à la cause de la République, et qui honorait, dans sa personne , la noble cause à laquelle il avait tout sacrifié ; il était courbé sous le poids des an- nées; mais, chez lui, le cœur n'avait pas vieilli, et ce cœur, dans ce moment, débordait de reconnaissance pour le Dieu , qui avait protégé sa chère patrie. Ses paroles ne furent que l'écho de ses sentiments; elles touchèrent vi- vement l'assemblée dont l'émotion fut au comble quand elle chanta avec le vieillard le psaume 24, approprié aux circonstances :
1. Massacre des huguenoil.
LIVRE XXVI.
241
Des conjurés les rapides torrents Eussent sur nous cent et cent fois passé ; Mais gloire à Dieu qui n'est plus courroucé, Et qui n'a point permis à nos tyrans D'engloutir tout comme ils l'avaient pensé.
Genève fit de belles funérailles aux citoyens morts au service de la patrie; toute la ville y assista et témoigna par sa présence, son recueillement, et ses larmes, le haut prix qu'elle attachait à leur dévouement.
XIX.
Pendant cette lugubre et solennelle cérémonie, les pri- sonniers savoisiens attendaient, dans leur prison, qu'on statuât sur leur sort; ils auraient eu peut-être la vie sauve, si des bruits de nouvelles trahisons n'avaient circulé dans la ville , et si on avait ignoré la promesse que d'Al- bigny avait faite à ses soldats de leur abandonner, pendant deux jours, la ville à discrétion; les magistrats cédè- rent devant la pression du peuple : les prisonniers (ils étaient au nombre de treize, tous gentilshommes) furent condamnés à être pendus; au moment suprême, ils recon- nurent et confessèrent leur faute, et moururent avec cou- rage. Genève se fiit montrée aussi grande qu'elle avait été intrépide, si elle les eut renvoyés avec mépris; cepen- dant leur supplice fut légal. Ils furent pendus, non comme soldats, mais comme brigands et assassins.
La nuit du 12 novembre fit une impression tellement profonde dans les cœurs des Genevois, que son souvenir est devenu un héritage de famille. Chaque année, leur ville célèbre l'anniversaire de cette grande nuit. Cependant les fêtes ne sont réellement fêtes que quand elles ont des rai- sons d'être. Sans doute, Genève serait coupable, aujour- d'hui, si elle perdait le souvenir de sa délivrance; mais fait- elle bien de célébrer encore sa fête de l'Escalade? Si les particuliers doivent pratiquer l'oubli des injures, les peuples ne doivent - ils pas les précéder dans cette noble voie? La Savoie d'aujourd'hui n'est plus la Savoie de Charles -Emmanuel ; elle marche avec son gouvernement libéral h la tète des idées les plus généreuses. Pourquoi Genève coiiîinuerait-elle, le 12 novembre de chaque année,
7.
242 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
à lui rappeler la perfidie de son ancien duc? pourquoi cet outrage public jeté au passé d'un peuple, son plus près voisin et son fidèle allié? Quand les temps changent, les habitudes doivent changer; vouloir conserver ce qui n'a pas de raison d'être, c'est un anachronisme, et un peuple intelligent ne doit pas en commettre. Le Genevois donc, qui proposerait à ses concitoyens l'abolition de la célé- bration bruyante de la fête de i'Escalade, et son remplace- ment par un service religieux, dans lequel les pasteurs rappelleraient les bienfaits de Dieu, en demandant, pour Genève et la Savoie, ses plus précieuses bénédictions, ferait l'acte d'un bon citoyen.
Quand la nouvelle de l'insuccès du guet-apens de Charles- Emmanuel fut connu, les Églises de France envoyèrent leurs félicitations à la ville. Celle de Metz, joignant les actes aux paroles, lui envoya le produit d'une abondante collecte. Henri IV, qui avait cru la ville de Genève déjà au pouvoir du duc de Savoie, ne dissimula pas son indignation, et jura que le duc ne conserverait pas sa conquête. Quand il apprit la déroute du prince , il bondit de joie et dit dans son patois gascon au député qui lui en apporta la nouvelle : Vos y etiasV
— Oui, sire, répondit M. de Chapeaurouge , et tous les traîtres qui sont dans la ville ont péri.
— Va benl ajouta le roi, y sont tos pendus, y è ien fait. '
Les Genevois, forts des promesses de Henri IV, prirent l'offensive et portèrent la guerre jusqu'au cœur de la Savoie. Charles-Emmanuel, couvert de honte aux yeux de l'Europe, accablé de reproches de la part de ceux de ses conseillers contre l'avis desquels l'escalade avait eu lieu, fut contraint de faire un traité de paix avec Genève; il le signa à Saint-Julien le 21 juillet 1603. Sa main tremblait de rage; la joie des Savoisiens, en apprenant cette heu- reuse nouvelle, lui disait mieux que toute parole, que l'écrasement marche devant l'orgueil. La paix était signée, mais Genève demeura défiante : le passé lui en faisait une nécessité et un devoir.
1. Vous y étiez.
2. Cela va bien ... ils sont tous pendus , c'est bien fait.
IIVRE XXVI.
243
XX.
Après l'escalade , Théodore de Bèze vécut encore près de trois ans, attendant, chaque jour, la venue de son maître, et s'y préparant par la prière et la méditation de la parole sainte. 11 ne paraissait renaître aux choses de la terre que pour s'occuper des affaires de sa patrie adoptivé qu'il chérissait de l'affection du proscrit, quand il trouve sur la terre étrangère la liberté et des cœurs pour l'aimer.
Il avait dépassé l'âge où les vieillards descendent ordi- nairement les froides marches de la tombe. Mais ce vieil- lard, qui paraissait inutile à la république, était pour elle comme le palladium de ses libertés. Elle entourait ses der- niers jours de respect et d'admiration, sans que jamais le pieux vieillard ne s'enorgueillit des beaux dons qu'il avait reçus de son Dieu : sa seule joie fut de les consacrer au service du maître qui, comme un tison ardent, l'avait retiré du feu-, et lui, qui avait tant écrit, tant agi, porté si souvent le fardeau de toutes les églises, se regardait comme un serviteur inutile, et ne trouvait sa paix, sa joie et son assurance qu'en Jésus-Christ, mort pour ses péchés, ressuscité pour sa justification.
L'espérance, qu'il avait placée dans le Sauveur seul, ne fut pas trompée; il récolta, à la fin de sa longue journée, ce qu'il avait si souvent semé avec larmes.
Ses nuits étaient extrêmement pénibles à cause de ses fréquentes insomnies; il savait alors accélérer les heures en pensant à son Dieu , et en méditant comme David ses saints commandements; avec le prophète, il répétait ces paroles : «Je bénis l'Éternel! Ses conseils font le sujet de mes pensées durant les veilles de la nuit; mon âme est tranquille; ton souvenir. Seigneur, est présent à mon esprit; je pense à toi; tu as été mon aide; je tres- saillerai de joie à l'ombre de tes ailes.»
Le vieillard se préparait au départ; mais il pensait à la tombe, comme le matelot au port: depuis longtemps il savait, que par de là celte terre de misère, il y a un lieu où la justice habite; c'est là qu'il reverrait Calvin, Farel, Marlorat, Pierre martyr, tous ces nobles compagnons de travail ; c'est là surtout qu'il verrait Jésus , l'agneau de Dieu ,
244 HISTOIRE DE LA RIÎFOKMATION FRANÇAISE,
et alors son âme tressaillait de joie et d'allégresse et la | sombre vallée de l'ombre de la mort, vers laquelle il s'a- | vançait, s'éclairait d'une vive lumière, semblable à celle de Bethléem, la nuit où les anges, au milieu du concert des cieux, annoncèrent aux bergers la venue du Rédempteur. |||
Soutenu par le sentiment de la présence de Dieu , Théo- l|' dore de Bèze attendit dans la prière et le recueillement I l'heure suprême; elle vint enfin; son dernier soleil se leva ' le 13 octobre 1605. Quand les ministres Lafaye et Perrot aperçurent sur ses traits les avant-coureurs de la mort, ils prévinrent la compagnie des pasteurs qui vint une der- (i nière fois saluer le collègue qui, pendant tant d'années, ( l'avait dirigée avec tant d'habileté et de désintéressement. Un suprême entretien eut lieu entre les pasteurs et le mourant, sur l'excellence de la connaissance de Jésus- ; Christ. Il fut très-touché de cette marque d'intérêt, et „ s'humilia comme un petit enfant : «Pardonnez-moi, leur dit-il, les fautes et les erreurs que j'ai commises pendant mon long ministère.»
Des larmes coulaient de tous les yeux; mais ces larmes étaient moins l'expression de leur profonde douleur que celle de leur vive reconnaissance à l'égard de Dieu qui , pendant de si longues années, leur avait prêté dans le ré- formateur un conducteur ferme, habile, prudent, qui les avait aidé à retirer Genève des grands périls qui avaient si souvent menacé son existence ; il leur retirait sans doute l'instrument de ses miséricordes, mais il le faisait, quand leur vaisseau, battu par tant d'orages, avait jeté glorieusement l'ancre dans le port.
La présence de ses compagnons de travaux dans le mi- nistère ranima le mourant, mais ce ne fut qu'un éclair; le lendemain il s'informa selon son habitude, de l'état de la i ville (depuis l'escalade il était devenu craintif). On lui dit que tout y était paisible; «que le Seigneur en soit béni», dit-il , et il prit un léger repas à la suite duquel survint une défaillance. On le coucha; quelques moments après il s'endormit.'
Genève porta le deuil de son réformateur auquel elle fit de splendides funérailles. Les larmes et les regrets de tout
1. Note XI.
LIVRE XXIV.
245
un peuple furent son oraison funèbre, la seule qui fût digne de lui ; ses restes mortels lurent déposés au cloître de Saint-Pierre, quoiqu'il eût demandé d'être enseveli au cimetière de Plain-Palais , près de son maître Calvin. Les Genevois n'exécutèrent pas sa dernière volonté parce que les Savoisiens avaient menacé de détruire son corps et de l'envoyer à Piome.'
XXI.
Comme la tombe de Calvin, celle de Bèze est toujours ouverte. C'est à qui des ultramontains lui jetera la pierre et ramassera la boue jetée à la face du réformateur par les Bolsec, les Claude Sainctes, les Coster; mais le jour de la justice est venu pour l'homme qui fut, pendant un demi- siècle, le directeur pieux, intelligent et dévoué des réfor- més français. Cet homme ne fut pas sans doute irrépro- chable: moins que tout autre il se crut infaillible. Plusieurs fois, dans ses controverses avec ses adversaires, il fut caustique, âpre, mordant; dans l'ardeur de la lutte, il ne sut pas toujours se modérer et souvent il s'abandonna au mauvais goût et aux mauvaises habitudes de son siècle; et cependant, cet homme dont la plume était un fer acéré, était doux, simple, gai, et malgré sa supériorité, se faisait aimer de tous ceux qui l'approchaient, parce que, tout en étant une remarquable personnalité, il n'était pas per- sonnel.
Un écrivain qui ne s'est pas montré bienveillant pour lui, lui rend justice : «Bèze, dit Sénebier, eut des vertus et des talents qui l'auraient rendu célèbre dans tous les temps, mais il ne sut pas se préserver des vices de son siècle'; il se distingua par sa douceur, sa modération et sa fermeté ; il fil admirer son intégrité et son courage contre les vices et les vicieux; il fut comme Calvin, la co- lonne de l'église de Genève, et une lumière pour le con- seil qui le consultait; il était prédicateur éloquent, poëte ingénieux, critique pénétrant, théologien érudit, savant infatigable, négociateur estimé, quand il n'était pas ques-
1 . Kote xii.
2. Par vices l'auteur eutend sans doute les écarts des contre - Tersistes.
2i'6 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
tion de religion ; en général , il fut plus savant qu'original, il avait plus d'imagination que de génie.»'
Ce jugement porté sur de Bèze par un écrivain qui fut, à son égard, moins un historien qu'un critique, est au- jourd'hui celui de tous les hommes honnêtes et conscien- cieux. Si de Bèze n'eût été que l'homme dont les Audin et les Bolsec nous tracent le portrait, depuis longtemps le silence se ferait autour de sa tombe.
XXII.
Quelques années après la mort du réformateur, le prêtre qui, jeune, avait voulu le tenter, achevait à Lyon son pélé- rinage terrestre. Devenu évèque, il n'était pas demeuré oisif: écrivain, orateur, missionnaire, directeur de con- sciences, administrateur, il avait suffi à tout; jusqu'à sa dernière heure il travailla et ne trouva le repos que dans sa tombe. Il était à Lyon, venant d'Avignon et se rendant à Annecy, quand sur le point de partir, il sentit les pre- mières atteintes de la maladie qui devait l'emporter. Elles se mnnifcslèrent par une attaque d'apoplexie qui effraya ses amis.
Le coup qui l'avait subitement frappé, avait amorti ses facultés, sans lui en ôter l'e.xercice. Dans le sentiment du danger qui menaçait sa vie, il élevait son âme à Dieu et s'écriait: «Mon Dieu, lave-moi de mon iniquité, purifie- moi de mon péché.»
«l'.Ionseigneur, lui dit un prêtre, quant à votre con- science, vous y avez mis bon ordre pendant votre vie.» «Ah! non pas cela», répondit-il en poussant un profond soupir. Il faisait l'expérience que l'homme en face de Dieu n'est qu'un frêle roseau, un lumignon que le moindre souffle de vent peut éteindre.
Un autre prêtre le pria de dire à Dieu: «Seigneur, si jé suis encore nécessaire, conserve-moi à mon peuple.»
Il ne le voulut pas. «Je ne suis, dit-il, qu'un serviteur inutile.»
Sur un lit de mort, les grands docteurs ajiprennent plus de vraie théologie que dans leur cabinet. Là, ils deviennent
1. Haag, France protestante, art. Bèze.
LIVRE XXVI.
247
petits enfants, et le Seigneur, en les remplissant de sa plénitude, leur fait comprendre avec tous les saints, la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de l'a- mour que Dieu nous a témoigné en Jésus - Christ; ils sentent alors que leur science a été bien bornée, et ils apprennent, en quelques heures, plus de vraie théologie que durant les années pendant lesquelles ils se sont cour- bés sur leurs livres. Pour la première fois peut-être, François de Sales découvrait qu'au milieu de sa vie labo- rieuse, il n'était qu'un serviteur inutile, et sans doute aussi pour la première fois, il secoua son demi-pelagia- nisme pour ne regarder qu'à Jésus seul. «Je sacrifie, dit-il, tout à Dieu, je sacrifie ma mémoire et mes actions à Dieu le père , mon entendement et mes paroles à Dieu le Fils, ma volonté et mes pensées à Dieu le Saint-Esprit, mon corps, ma langue, mes sentiments et mes souffrances à l'humanité de Jésus-Christ, lequel a livré pour moi son corps aux tourments et à l'arbre de la croix.»
A cette heure de sa vie, l'évêque de Genève proclamait, à son insu, la grande doctrine de l'expiation qui renverse par sa base tout l'édifice de la dogmatique romaine. A ce moment suprême de sa vie, il oublia les médiateurs de son Église, et concentrant ses regards sur la croix, il s'adressa à celui qui donne le pardon et la vie; à lui seul, il voulut tout donner, tout sacrifier, parce qu'il sentait qu'au mo- ment de la calamité, il était sa seule arche de salut.
L'un des prêtres qui le soignait , témoin de ses dispo- sitions, en fut surpris.
«Monseigneur, lui dit-il, que sentez-vous de la foi ca- Ihohque? Ne seriez-vous point devenu huguenot?
A ce mot de huguenot, le malade qui sans s'en douter, ne voyait son salut que là où les Calvin, les Luther, les Farel, les Bèze l'avaient trouvé, s'écria : «0 la lie! je ne le fus jamais.» Il fit un sigiu de croix, et ajouta : «Ce serait une trahison.»
Pendant le cours de sa maladie, il n'eut sur les lèvres que les paroles des livres saints. « Éternel mon Dieu , di- sait-il avec David, je chanterai éternellement ta miséri- corde, mon corps et ma chair exalteront le Dieu vivant.»
Il ne demanda ni confesseur, ni prêtre pour lui ad- ministrer l'extrème-onction ; — son âme était en commu-
248 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
nion avec son Sauveur dans lequel il plaçait toute son espérance; il oubliait les cérémonies de son Église; qu'au- rait-il fait des hommes quand, s'entretenant avec son Dieu, il faisait la douce expérience que le Christ «est le chemin, la vérité et la vie», et que Dieu l'a donné au pécheur afin qu'il fût «sa sagesse, sa justice, sa sanctifi- cation et sa rédemption.»
Après une vie de fatigues et de combats, François de Sales trouvait à sa dernière heure le vrai Jésus , celui qui ne fait acception de personne , et se montre toujours plein de compassion pour ceux qui , comme l'évèque de Genève, dans un zèle aveugle mais sincère, consacrent leurs jours à annoncer un Évangile incomplet. Dieu re- garda à sa droiture, et quand le missionnaire catholique concentra ses regards sur la croix, il sentit une paix di- vine pénétrer son cœur, et comme l'apôtre Paul, il ne voulut savoir autre chose « que Jésus - Christ et Jésus- Christ crucifié. »
Sa douceur, sa patience inaltérable, sa confiance en Dieu firent l'étonnement de tous ceux qui l'entouraient de leurs soins les plus affectueux. « Il semblait , dit le père La Rivière , un agnelet dans son lit, il faisait tout ce qu'on voulait, il souffrait tout ce qu'on voulait sans se plaindre le moins du monde. On le tourmenta tant pour remédier à celte apoplexie, on l'affligea tant, on le martyrisa tant, qu'on n'y saurait penser sans mal de cœur. On lui souffla de la poudre au nez diverses fois, qui le fit éternuer coup sur coup douze ou quinze fois avec une grande vio- lence et ébranlement de tout le corps. On lui déchira les jambes et les épaules à force de les lui frotter, levant l'emplâtre de cantharides qu'on lui avait appliqué sur la tête; on lui arracha la première peau, et comme on lui eut demandé s'il sentait le ma! qu'on lui faisait, il répondil fort doucement : « Oui, que je le sens. » On lui dit que le médecin avait ordonné qu'il prendrait une médecine , il répondit: Faites ce que vous voudrez au malade, et n'ayant su auparavant avaler un bouillon qu'il ne le rendit aussitôt, il s'efforça néanmoins d'obéir, et prit cette médecine à reprises avec une cuillerjusqu'à la dernière goutte. On lui appliqua deux fois le fer chaud sur la nuque, et une fois le bouton ardent sur le haut de la lète jusqu'à l'os qui en
UVRE XXVI.
249
fut brûlé ; jamais pourtant il ne fronça le front, ni fit sem- blant de se douloir'; seulement on lui entendit dire bel- lement: Jésus, Maria, et lui vit-on tomber de grosses larmes des yeux, excité par la véhémence de la douleur., mais son visage resta toujours paisible, content et tran- quille.
Enfin, se sentant défaillir, il tourna la tête du côté de M. Pernet, lui serra la main et lui dit : «Monsieur Pernet, advesperascit , et incUnala est jam dies;y> voulant signi- fier, que le jour de cette misérable vie était presque fini pour lui, et qu'en bref, il s'allait clore tout à lait. De quoi s'apercevant, le révérend père dom Philippe Malabaila, de l'ordre des Feuillants, commença à se mettre à genoux et à dire les litanies des saints avec ceux qui étaient là pré- sents. Et comme il fut à omnes sancti Innocentes orate pro eo*, il se répéta par trois fois, d'autant que c'était le jour des Sacrés Innocents, et à la troisième fois ce bienheureux évêque rendit l'esprit entre les mains de son époux Jésus, si doucement, si suavement qu'à peine s'en aperçut -on, l'an mil six cent vingt -deux (le vingt -huitième de dé- cembre, à huit heures du soir, le cinquante -sixième de son âge et le vingtième de son épiscopat. Ledit père Feuillant lui ferma révéremment les yeux et lui rendit les derniers devoirs.'
Ainsi se termina la vie de cet homme remarquable qui combattit pendant si longtemps et sans relâche, la foi réformée, et qui, à son insu, l'embrassa au moment su- prême. Dieu regarda à sa droiture comme il avait regardé à celle de Corneille, et il se fit trouver à lui comme au pieux centenier. François de Sales avait du sang chrélieu dans les veines,, car sous le chaume et la paille des tradi- tions de son Église, il découvrit le fondement d'or de l'Évangile sur lequel les réformateurs avaient élevé leur édifice religieux. Là se trouve l'explication de sa vie, mé- lange singulier de piété et de puériHtés. 11 mécanisa la religion et crut pouvoir l'enseigner comme on enseigne une science humaine. Ce fut moins un travers de son cœur
1. Plaindre.
2. Vous tous saints innocents priez pour lui.
3. Histoire de Saint-Francois de Sales, par le Père La Rivière, liv. IV, p. 661-G6Î.
250 HISTOIRE DE LA RÉFORMATÏÔN FRANÇAISE.
que le tort de son éducation. Si quelque chose, enfin, doit nous donner une haute idée de sa vie spirituelle, c'est qu'il ait pu saisir tant de rayons de la vérité chrétienne, quand, entre elle et son âme il y avait toutes les ombres du roma- nisme. Il fallait que cette âme soupirât après Dieu comme le cerf altéré après les torrents d'eau, pour avoir trouvé une oasis dans les déserts arides du catholicisme du moyen âge! Tout ce que l'évêque de Genève a écrit de bon, de grand et de beau, il l'a tiré des livres saints et des dogmes qui sont communs aux trois grandes communions de la chrétienté. Quand il aborde les autres sujets, il est faible, souvent ridicule.
XXIII.
Deux siècles et demi nous séparent de l'époque oii François de Sales ramena le Chablais à la foi romaine et s'acquit, dans son diocèse et dans le monde catholique, une réputation que les années n'ont pas affaiblie; mais le Chablais a-t-il beaucoup gagné en abandonnant la Réforme ? Pour décider cette question, il faut comparer Annecy à Genève, c'est-à-dire, le travail de François de Sales à celui des réformateurs; ils ont tous travaillé sur le même sol, respiré le même air, parlé la même langue. Si Rome est l'orthodoxie et Genève l'hérésie, l'arbre doit se faire connaître à ses fruits, le bon n'en portera pas de mauvais, le mauvais n'en produira pas de bons : c'est là une règle infaillible.
Le Christ n'est pas venu apporter au monde les ténèbres, puisqu'il est la lumière, ni la mort, puisqu'il est la vie; comment se fait-il donc que Genève se soit placée, par sa moralité et sa science, à la tête du monde civilisé, et qu'Annecy et son territoire n'aient pas même un nom dans la carte littéraire? A quelle trace reconnaît-on le fruit des œuvres du bienheureux François ? Quels hommes cé- lèbres sa ville épiscopale a -t- elle produits? Par quelle invention savante et ingénieuse s'est -elle fait connaître? Ce qui se voit chez elle, n'est-ce pas ce qui frappe le voya- geur en Suisse, quand il traverse les cantons catholiques.
Genèveades citoyens riches, même opulents; la fortune n'est pas un litre pour aller au ciel , elle est plutôt un
LIVRE XXVI.
251
obstacle pour n'y pas aller; mais la pauvreté des Chablai- siens ne les a rendus ni plus moraux, ni plus instruits: et si les Genevois l'ont toujours emporté sur eux en bien- être matériel, ils l'ont aussi emporté ea instruction et en moralité; ils ont donc tout gagné à recevoir la Réforme, quand leurs voisins ont tout perdu en la proscrivant.
La science a ses périls et ses écueils; mais ne vaut-elle pas mieux qu'une superstition grossière et ignorante? Le culte en esprit et en vérité ne l'emporte-t-il pas sur celui qu'on rend à de vaines reliques, au bois ou à la pierre? Genève a des collèges florissants, des académies renom- mées, des écoles nombreuses; ces institutions ne répon- dent pas toujours pleinement à ce qu'on pourrait attendre d'elles; mais ces centres de lumières ne valent -ils pas mieux que des écoles de frères et des séminaires où Ton en est encore pour l'instruction aux traditions du moyen âge?
L'dumône peut être quelquefois fastueuse et pharisaïque ; mais Genève, où l'on donne largement dans les temps de calamité publique, n'a-t-elle pas une supériorité marq^uée sur Annecy?
D'où proviennent ces différences notables entre le pays de l'hérésie et le pays de l'orthodoxie? Ne serait-ce pas qu'on se trompe sur les mots, et que Genève, en passant à la Réforme, aurait cessé d'être hérétique pour devenir orthodoxe?
Il y a plusieurs manières de faire del'apologétique; l'une des plus simples, parce qu'elle est à la portée des esprits les plus vulgaires, et des plus frappantes, parce qu'elle est sans réplique , c'est de juger l'arbre par ses fruits. — Revenons en France.
252 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
LIVRE XXVÏI.
I.
A la fin de l'année 1600, Marseille présentait un aspect inaccoutumé: une foule immense attendait sur les quais, avec l'impatience particulière aux habitants du Midi, la flottille qui amenait en France la reine Marie de Médicis, fille de feu François, grand-duc de Toscane. A la sortie de son navire qui, par la beauté de ses décorations, rap- pelait celui de Cléopâtre, la princesse italienne fut com- plimentée par les seigneurs et les dames de la cour que le roi avait envoyés à Marseille pour la recevoir. Ils lui for- mèrent un brillant cortège qui l'accompagna jusqu'à l'ap- partement somptueux que la ville lui avait préparé.
La reine séjourna à Marseille jusqu'au 16 novembre. Henri IV, pendant tout ce temps, traita magnifiquement les personnes de sa suite.'
Marie de Médicis quitta Marseille et se dirigea vers Avignon où on lui fit une réception fastueuse. Les jésuites parurent oublier dans cette circonstance l'arrêt qui les avait bannis du royaume; ils se firent les ordonnateurs des fêtes qui attirèrent dans la ville un concours de visi- teurs aussi nombreux qu'à l'époque de la célèbre procession des Battus où Henri III et sa cour assistèrent.
Les révérends pères avaient tiré du nombre sept des effets merveilleux; on l'avait observé partout: dans les présenta- tions, dans les repas, dans les bals, dans les arcs de triomphe; il ne pouvait être que d'un très-bon augure pour la reine. En effet, la ville qui la recevait avec tant de magnificence avait sept portes, sept églises, sept paroisses, sept hos- pices, sept couvents de filles, sept collèges; le roi, son époux, avait sept fois sept ans, il était le neuf fois septième roi depuis Pharamond; il avait gagné la bataille d'Arqués
1. De Thou indique le chiffre de 7000 tant Français qu'étran- gers, liv. CXXV, p. 407.
1
LIVRE XXVII.
253
le trois fois septième jour du mois; à Ivry son armée se composait de sept escadrons, et il avait vaincu Mayenne le deux fois septième jour de mars; il avait donné la bril- lante bataille de Fontaine-Française le mois de juillet qui est le septième de l'année, et le même mois il avait ab- juré à Saint-Denis; le vingt-sept février il avait repris Amiens aux Espagnols, et le trois fois septième jour de juin il avait fait la paix avec l'Espagne. Quant à la reine, elle était aussi sous l'influence bénie du nombre mysté- rieux : Elle avait vingt-sept ans; son aïeul, Ferdinand, avait été le septième empereur d'Autriche; elle avait abordé à Marseille avec une escadrille de dix-sept galères, et la capitane qu'elle avait montée avait vingt-sept pas de lon- gueur et vingt-sept rameurs de chaque côté.'
Les pères ne durent pas sans doute oublier que le ciel avait sept planètes, l'Église romaine sept sacrements et la semaine sept jours. Ces puérilités drolatiques donnent une idée peu élevée du genre d'esprit de cette époque; en tout cela, ce qu'il y avait de plus vrai c'est que la princesse amenait avec elle en France les sept péchés capitaux.
François Suarès' harangua Marie de Médicis au nom du clergé et lui souhaita un Dauphin avant la fin de l'année. La reine lui répondit en italien : Pregate il Dio accio me faccia quesla grazia. ^
Le mardi 21 novembre elle assista à une grande solennité musicale dans la salle du palais de Rouvre; le légat du pape qui avait l'honneur d'être son hôte fit suivre le concert d'un bal, à la fin duquel il lui ménagea une mer- veilleuse surprise. A un signal donné, et avec la rapidité d'un changement de décoration à vue, les tapisseries de la salle disparurent et découvrirent aux yeux émerveillés de la reine trois tables couvertes de toutes sortes d'ani- maux, de poissons et de statues de dieux, de déesses et d'empereurs en sucre. ■*
Après trois jours de séjour, la reine quitta Avignon et se dirigea vers Lyon où elle arriva le 2 décembre. La ré- ception fut digne de la seconde ville du royaume; mais
1. De Thou, liv. CXXY, p. 40S.
2. Célèbre jésuite.
3. Priez Dieu qu'il me fasse cette grâce.
4. L'Estelle, année IGOO. ■
IV.
8
254
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
quel que fut le bon vouloir des échevins, les fêtes ne furent pas aussi sp'ù.idides que celles qui s'étaient faites sous l'influence du nombre o^pt.
Pendant que la reine faisait son entrée triomphale en
France , Henri IV était occupé à terminer la guerre qu'il i
soutenait contre le duc de Savoie. Les Genevois, témoins \ i , des combats qui se livraient à quelques heures de leurs
frontières, étaient inquiets du séjour que certains seigneurs (
catholiques faisaient dans leur ville; leurs noms leur rap- [ t
pelaient les persécutions sanglantes de leurs frères de i s
France. Un jour ils virent arriver Rosny avec une escorte I (
de cent chevaux; sa présence les rassura: «Messieurs, i
leur dit-il, tenez vos cœurs en repos; le roi a trop bonne i
volonté pour vous et a trop autorité parmi les siens pour il
croire que personne osât rien entreprendre à votre pré- (
judice; toutefois, pour vous ôter tout doute, je ne partirai *
pas d'ici que tous ces gens ne soient dehors.»' |f
Le lendemain une députation, en tète de laquelle se trou- ; |t
vait Théodore de Bèze, alla trouver le roi. Rosny la présenta fi
au monarque qui lui fit un accueil bienveillant et gracieux. f
«Sire, lui dit de Bèze d'une voix émue, nulle éloquence l
de paroles humaines n'étant capable d'e.xalter vos louanges p
jusqu'au sommet du mérite de vos œuvres admirables, et it
mon style étant trop bas et ma voix trop faible pour l'émi- )i
nence et magnificence des vertus de Votre Majesté, que »
l'univers publiera sans cesser, tout ainsi qu'elle ne cesse i l'i
jamais de produire des actions dignes de gloire et de l-
louange, je laisserai aux saints anges la célébration des n
éloges qui lui sont dus pour avoir tiré les Églises du > f
Seigneur d'oppression, et avoir acquis aux enfants de Dieu 1 1 une ample liberté pour le servir selon ses divins préceptes, et pour l'invoquer uniquement en trinité de personnes; et partant me contenterai ès choses humaines de dire comme Siméon ès divines :
1. C'étaient Messieurs d'Épernon, Guise, de Biron", d'Elbœuf et de la Guiche.
J
LIVRE XXVII.
255
Or laisse Créateur En pais ton serviteur. Puisque mes yeux ont eu Le crédit d'avoir vu Avant que de mourir
Le Sauveur Et le libérateur.
de nous vos très-humbles serviteurs, des fidèles en géné- ral , voire de toute la France. »
Le roi écouta de Bèze avec une bonté respectueuse. «Mon père , lui répondit-il, ce peu de paroles, grandement signifiantes, étant dignes de la réputation que M. de Bèze s'est acquise au bien dire, je les reçois avec le gré, la grâce et les tendres ressentiments qu'elles méritent, et vous dirai qu'ayant les rois , mes devanciers , toujours tenu votre ville en leur protection, je suis non-seulement résolu de les imiter en cela, et toutes autres choses dignes de la gloire d'un roi de France; mais aussi d'ajouter en sa fa- veur tous autres effets dignes de cordiales affections, que [ je sais que vous avez toujours tous eues pour moi. En quoi je veux que celui que je tiens par la main, qui vous a présenté et qui vous aime tous, serve de solliciteur, et que vous parliez à lui des choses que vous désirerez de moi , lesquelles seront bien difficiles , si vous ne les obtenez pas. Je sais déjà bien, lui dit-il tout bas à l'oreille, ce que vous désirez le plus de moi (car vous lui en aviez déjà parlé) c'est la démolition du fort Sainte-Catherine qui TOUS tient en échec. Force gens me veulent persuader de l'en rien faire, et vois bien que c'est par malice; aussi n'y li-je nul égard. Je vous aime et veux faire pour vous, s'il ta quelque chose qui vous accommode, en ce que j'y con- juêterai près de votre ville; et dès à présent je vous donne na foi et ma parole, que qui en parle le fort Sainte-Ca- lierine sera démoli; et voici un homme (vous tenant par î main) en qui vous vous fiez bien, et avez raison, à qui î le commande dès à présent, et le ferai plus expressé- lent 'jiiand il sera temps. » * De Bèze remercia le roi avec une grande effusion de œur; des larmes de reconnaissance coulaient des yeux u vieillard qui prit congé du roi et alla rapporter à ses
1. Sully, Économies royales, année 1600.
25G
HISTOIRE DE LA RÉFOnMATlON FRANÇAISE.
concitoyens les paroles du monarque. Les Genevois se le- vèrent comme un seul homme et coururent vers le fort qu'ils rasèrent avec tant de promptitude qu'on apprit, dit de Thou, sa démolition avant même qu'on sût que le roi avait le dessein de le détruire.'
III.
Le roi, impatient de voir sa nouvelle épouse, qu'il ne connaissait que par son portrait, se rendit le 9 décembre à Lyon où elle l'attendait. En le voyant, elle se jeta à ses genoux; il la releva avec bonté en s'excusant d'être arrivé si tard. Le lendemain le mariage fut célébré avec une grande pompe dans l'église cathédrale de Saint-Jean. Le* illusions du roi furent courtes. Son regard vif et pénétrant lui révéla de suite que la princesse italienne n'était pas la femme dans laquelle il aurait voulu trouver l'idéal de la reine: Elle n'avait de Catherine de Médicis ni la grâce, ni l'esprit, ni l'intelligence; elle était grosse de taille et de figure; ses yeux étaient grands, mais ronds, fixes, sans vivacité et sans douceur; elle ne parlait pas le français; son entourage acheva de le désillusionner.'
Ce mariage fut une calamité nationale et une condam- nation éclatante des mariages officiels des rois. Les pré- jugés séculaires, quand ils ont pour base l'orgueil, do- minent les princes à leur insu. Henri IV se serait épargné : bien des maux si, rompant ouvertement avec les cou-j tûmes de son époque, il eût placé la couronne royale sur le front pur et chaste de la fille d'une des grandes maisons de France ; il eût pu faire cela pour une maîtresse dans une heure de caprice ou de folle passion; il n'était pas au-dessus des préjugés de son siècle pour le faire en prince sage eU réfléchi. m
IV. i
Au milieu des préoccupations causées par la guerr» avec le duc de Savoie et le mariage du roi, les protestantsi
1. De Thou, liv. CXXV, p. 411. — D'Aubigné, Hist. univers.i liv. V, ch. 9, p. 658. — Spon, Hist. de Genève, t. II, liv. nd p. 352. , I
2. L'Estoile, année 1600. — Sully, Économies royales, t. lu, p. 896.
LIVRE XXVII.
257
avaient les yeux sur les commissaires chargés de l'exécu- tion de l'édit dans les provinces. Leur assemblée de Sau- mur se faisait rendre, jour par jour, compte de la manière dont ils remplissaient leur mandat; elle craignait que les choses se tissent trop vite et trop légèrement; elle se plaignait surtout de ce qu'on n'avait pas fait jurer à tous les officiers publics obéissance à l'édit. Craignant qu'une négligence sur un point si capital ne nuisît considérablement à ses intérêts, elle voulut se transporter à Loudun; le roi ne le lui permit pas, et lui ordonna de se séparer, quoique un synode national, qui se tenait à Gergeau', eût ajouté ses instances aux siennes; devant la volonté royale, les députés durent céder.
Les assemblées politiques des réformés déplaisaient au roi ; il craignait qu'elles ne fussent pour quelques seigneurs protestants un moyen d'exercer une trop grande influence sur leurs coreligionnaires; mais ces derniers les regar- daient comme indispensables à leurs intérêts, parce que dans leurs synodes provinciaux et nationaux ils ne pou- vaient s'occuper que d'a.Taires de dogme ou de discipline ecclésiastique. Il y avait donc antagonisme entre eux et le roi qui autorisa cependant la tenue d'une assemblée à Sainte-Foy.
Cette assemblée se réunit dans cette dernière viilc le 16 octobre 1601. Les députés étaient au nombre de trente- cinq : deux pour le Berry et l'Orléanais ; trois pour La Rochelle; deux pour la Provence; deux pour la Norman- die; trois pour le haut Languedoc et la haute Guyenne; trois pour la Bretagne; deux pour l'Anjou et la Touraine; trois pour la Saintonge; deux pour le IJauphiné et un pour le Vivarais.
L'assemblée dressa des cahiers dans lesquels elle de- mandait le rétablissement de l'édit tel qu'il avait été accordé à Nantes, signala l'inexactitude des commissaires et l'op-
fiosition que son e.xécution rencontrait chez quelques par- ements; elle nomma deux députés: Saint -Germain et Desbordes-Mercier, et les chargea «de poursuivre con- jointement, au nom de toutes les églises, tout ce qui concernait le bien général et particulier de chaque pro-
1. Ce synode se tint du 9 au 21 mai 160S.
258 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
vince, de présenter les cahiers dressés en la compagnie;? d'en solliciter la réponse et de se gouverner en tout, suivant le règlement adopté par l'assemblée et les instruc- tions qui leur seraient baillées.»
Elle dressa ensuite les instructions des députés géné- raux, s'occupa du rétablissement des conseils provinciaux, arrêta les bases de leur organisation et rédigea les cahiers que Saint-Germain et Desbordes-Mercier devaient présen- ter au roi. Ces cahiers étaient au nombre de trois : par le premier, elle demanda le rétablissement de l'édil de INanles dans sa première forme et teneur; dans le second, elle traita des points concernant les articles secrets de l'édit dont le roi s'était réservé la connaissance ; dans le troisième, elle exposa les plaintes des protestants touchant l'inexécu- tion de l'édit et les modifications qu'on lui faisait subir.'
L'assemblée se sépara après avoir pourvu avec un re- marquable dévouement à to\is les besoins de la cause; ses deux représentants se rendirent à Paris où ils furent ac- cueillis gracieusement par le roi , qui reçut leurs cahiers et leur ht des réponses favorables , mais refusa de rendre l'édit à sa première forme, attendu que les changements qui y avaient été apportés ne détruisaient pas sa nature et avaient facilité sa vérification.
V.
Le règne des trois derniers Valois avait rendu la France semblable à une mer qui, battue par la plus violente des tempêtes, est encore agitée quand le vent qui l'a soulevée est tombé. Henri IV avait soumis les partis sans les fondre , Les huguenots étaient toujours sur un pied de défiance ; les ligueurs étaient des sujets peu sûrs; les seigneurs roya- listes enfin, h la tête desquels étaient le maréchal de Biron, se plaignaient que le roi eût soldé plus largement la sou- mission de Mayenne que leur fidélité; ils ne cachaient pas leur mécontentement, Biron surtout. Ses plaintes étaient toujours en rapport avec son état de gène qui n'avait d'autre cause que sa prodigalité, à laquelle la liste civile d'un roi eût à peine suffi.
1. Anquez, Histoire des assemblées politiques des réformés de France, p. 210.
LIVRE XXVH.
259
«Charles-GontautBiron, dit Capefigue, avait un caractère indomptable: il était orgueilleux et fier de son origine, avec un besoin sans cesse renaissant d'éloges, de pouvoir et d'argent; il avait toutes les prodigalités de la vie de gentilhomme; il aimait les chevaux à tout crin et de race; dans ses accès de colère, il eût précipité femme, fille, roi ou prince de la tour du Chàtelet, ou du bourdon de Notre- Dame sur le pavé , et vu sans émotion la cervelle jaillis- sant sur les dalles ensanglantées. Comme Henri IV il eût mis ses terres et ses châteaux sur le sol, le pendu, la mailemort du Tarot ou le roi de coupe et de deniers; il aimait les travaux pénibles, les exercices violents ; il restait à cheval quinze heures de suite : vie aventureuse commen- cée dans les camps et qui ne pouvait s'assouplir aux ré- gularités d'un revenu fixe et d'un gouvernement économe.»'
Ce fut sur ce seigneur ambitieux, prodigue et ruiné que Charles-Emmanuel jeta les yeux quand, en 1598, il vint à Paris pour intriguer. Il présenta de grands appâts à son ambition pour l'engager à trahir son souverain. Il lui pro- mit l'une de ses filles en mariage avec 500,000 écus de dot et l'érection de son gouvernement de Bourgogne en principauté indépendante. Le but du duc de Savoie était de reconstituer la ligue et d'agrandir ses domaines de tout ce que les chances favorables de la guerre lui donne- raient. Sa première proie devait être Genève. Rome et Madrid furent initiées au complot. Le danger était grand. Henri IV devait être attaqué à Timproviste par les Espa- gnols, les Savoisiens et les seigneurs complices de Biron.
Cette entreprise, qui menaçait l'Europe et le protestan- tisme de nouveaux malheurs, fut découverte: ourdie au mois d'août 1601, Lesdiguières en avait connaissance le 14 octobre suivant' par un seigneur romain devenu rotestant. Ce gentilhomme lui déclara que le pape éla- orait un projet qui avait pour but l'extermination des réformés. Quelques mois plus tard, un ami de ce seigneur, devenu aussi protestant, arrivait en poste à Paris pour prévenir Henri IV que les troupes du duc de Savoie et du
1. Capefigue, Hist. de la ligue et du règne de Henri IV, t. VIII, p. 230.
2. Gaberel , Hist. de l'église de Genève , t. H, p. 472. — Registres du Conseil, 14 octobre 1601.
260
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
roi d'Espagne étaient prêtes à l'attaquer. «Votre Majesté très-chrétienne, lui dit-il, est regardée comme un hypo- crite; l'excommunication doit la frapper; ses enfants seront regardés comme illégitimes; et Genève, qu'elle s'obsline à protéger, tombera au pouvoir de Charles-Emmanuel.»'
Le roi ne pouvait croire qu'on eût osé en pleine paix ourdir un projet si criminel; et que Biron, l'homme qu'il avait comblé de ses bienfaits, fût en France le principal chef de la conspiration; mais devant les faits, ses yeux s'ouvrirent. Un gentilhomme, nommé Lafm, confident et complice de Biron, vendit chèrement au roi son secret, qui le lui solda par une grosse somme et le don de sa vie.
Avant de frapper, le roi, qui aimait Biron, essaya à diverses reprises, sans pouvoir réussir, de l'amener b avouer sa faute pour avoir l'occasion de la lui pardonner. Il l'envoya en ambassade auprès d'Elisabeth, dans l'espé- rance qu'elle le ramènerait dans les sentiers du devoir. La vieille reine admira, sans l'approuver, la bonté du roi. Un jour elle montra au maréchal la tète du jeune comte d'Essex qui était, depuis un an, clouée à l'une des portes de la tour. «Si j'étais, lui dit-elle, à la place du roi, mon IVère, il y aurait des têtes aussi bien coupées à Paris qu'à Londres.»'
Biron ne comprit pas; il retourna à Paris, s'enfonça de plus en plus dans ses complots criminels. Quand le roi eut sous les yeux la preuve matérielle de la conspiration, il manda à Fontainebleau le maréchal qui était dans son gouvernement de Bourgogne. Celui-ci, croyant que le roi ignorait le complot, se présenta devant lui, le 13 juin 1602, avec son aisance et son aplomb ordinaire.
Henri IV ne recourait aux mesures violentes qu'à la der- nière extrémité. Rien n'est plus touchant que le récit qui nous a été laissé de tout ce qu'il tenta auprès du maréchal, avant de prendre une suprême décision; il le supplia de 'lui dire s'il avait tramé quelque chose contre la sûreté de son État, que s'il l'avait fait, il pardonnerait tout. A toutes ces ouvertures, où l'ami se montrait plus que le prince, Biron répondit d'une manière hautaine et soldatesque :
1. Registres du Coaseil, 24 mars I6O1:.
2. Bibl mipérialc, mss. Colbert, cet. 9769/3; de Cangé, 37.
LIVRE XXVII.
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«Qu'on me montre mon accusateur, Sire, qu'on me le nomme.»
Le roi revint plusieurs fois à la charge , et toujours il trouva le cœur du maréchal fermé à tous les efforts qu'il faisait pour le sauver. Sa patience atteignit les dernières
limites; il lui fit demander son épée
Le maréchal ouvrit les yeux : c'était trop tard. Henri IV avait prononcé le mot fatal; l'ami avait fait place au roi qui se sent contraint par la nécessité de mettre un terme à des menées coupables en faisant tomber la tôle du plus puissant de ces seigneurs royalistes qui s'étaient ralliés à sa cause après la mort de Henri HL L'acte était hardi, le moyen douloureux; mais il eût été souverainement impo- liti(iue de montrer pour un grand coupable une indulgence qu'on eût prise pour de la faiblesse. Rosny, dans cette grave circonstance, fut au roi d'un merveilleux secours, il partagea avec lui devant l'histoire la responsabilité du g/and procès qui allait s'engager devant le parlement.
L'emprisonnement de Biron causa une profonde sensa- tion; ses amis et ses iinrenis (et ils étaient nombreux) supplièrent le roi de lui p : donner, en souvenir de ses services; il reçut leur requrie, mais il se montra ferme. «Faites tout ce que vous pourrez, leur dit-il, pour éta- blir son innocence. »
La vieille mère de Biron intercéda aussi pour son mal- heureux (ils. Tout fut inutile; il ne restait au maréchal qu'à se montrer, devant ses juges, dans sa prison et sur I échafaud, digne du soldat qui avait tant de fois affronté la mort avec héroïsme , et à racheter ainsi aux yeux des hommes la honte de sa trahison.
Le parlement, à l'unanimité, reconnut la culpabilité du maréchal cl le condamna le 29 juillet à être décapité. La nouvelle de sa condamnation atterra Biron. Dans son désespoir il ne savait ni ce qu'il disait, ni ce qu'il faisait; tantôt il criait à l'injustice du roi, tantôt il faisait un appel suppliant à sa miséricorde; il pleurait, riait, gesticulait, implorait, priait, menaçait. Pour le don de la vie il eût échangé son bâton de maréchal contre une ar- quebuse de soldat; aucune humiliation ne lui eût coûté; il étonnait autant par ses défaillances que par la grandeur ÙB sou wâ-lkt^ur.
262 HISTOIRE DE LA HÉFOKMATION FRANÇAISE.
Le 31 juillet, vers cinq heures du soir, le chancelier se
présenta dans la chapelle où il avait été déposé.
— C'est le moment de partir, lui dit le magistrat. Biron tressaillit d'etlroi: il avait compris, il demanda
un instant pour se recueillir, se dirigea vers l'autel, tomha machinalement à genoux, fit sa prière et se releva; en sortant, il trouva à la porte un inconnu dont l'aspect le frappa.
— Quel est cet homme? dit-il.
— C'est l'exécuteur de l'arrêt, lui répondit-on.
A ce nom, saisi de terreur et de colère, il dit au bour- reau: «Retire-toi, ne me touche pas qu'il ne soit temps!» Il ajouta : «Je ne veux pas être lié, j'irai librement à la mort, je ne veux pas mourir comme un voleur ou un es- clave.»
L'exécuteur s'approcha de lui. «Ne t'approche point, lui cria Biron d'une voix tonnante, ou je t'étrangle.»
11 suivit ceux qui marchaient devant lui.
En franchissant la porte de la chapelle, il jeta sur les soldats préposés à sa garde des regards pleins d'une indi- cible tristesse. «Mes amis, leur dit-il, je vous serais bien obligé de me donner une mousquetade. »
Puis, pensant au genre de mort qui lui était destiné, il s'écria : «Quelle pitié de mourir si misérablement et d'un coup si honteux. »
Quand le funèbre cortège fut arrivé dans la basse cour oii l'échafaud était dressé, on lut au maréchal son arrêt de mort; Biron protesta de son innocence.
— Pensez à votre salut, lui dirent les théologiens qui avaient été chargés de l'assister au moment suprême. Il ne les écouta pas; se banda lui-mênie les yeux. «Je veux, dit-il, selon l'avis de Vespasien, mourir debout.»
— Maréchal, lui dit le bourreau, il faut vous mettre à genou.x.
— Non, répondit-il, si tu ne peux pas m'aballre en un coup, mets en trente, je ne bougerai non plus qu'un hibou.
On le pressa de s'agenouiller, il refusa, puis il obéit.
— Permettez, Monseigneur, lui dit l'exécuteur, qu'on vous coupe les cheveux.
A ces mots le condamné, montrant le bourreau aux Bssistants, s'écria: «Je ne veux pas qu'il me louche tant
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que je serai en vie; si on me met en colère, j'étranglerai la moitié de ce qui est ici et contraindrai l'autre à me tuer. » Le bourreau eut peur.
Trois fois le maréchal se banda les yeux, trois fois il ôta le bandeau, reg,ardant autour de lui, tendant l'oreille, comme si le mot de grâce allait retentir pour lui.
Ce mot si désiré ne se fit pas entendre, et pendant qu'il faisait sa prière, le bourreau fit signe à son valet de lui remettre le glaive; il le prit et trancha la tète du maré- chal si habilement que peu de gens s'en aperçurent.'
VI.
L'exécution de Biron fit sentir aux partis qu'ils avaient un maître dans Henri IV. Ils comprirent que celui qui n'avait pas reculé devant l'exécution de l'homme qui avait reçu à son service trente-sept blessures, et qui apparte- nait à la première noblesse du royaume, n'hésiterait pas à livrer au bourreau quiconque oserait l'imiter.
La mort du maréchal fut une nécessité politique; le roi ne céda ni à la haine, ni à la passion : il frappa , après avoir épuisé tous ies moyens pour amener le coupable à l'aveu et au repentir de son crime. L'échafaud dressé dans la cour de la Bastille soulève naturellement la question de la peine de mort en matière politique. Sur ce grave et délicat sujet, les criminalistes ne sont pas d'accord; les uns veulent abattre cet échafaud sur lequel sont montés tant d'inno- centes victimes, les autres veulent le maintenir dans l'in- térêt de la sécurité des États. Les uns et les autres ne manquent pas d'exemples pour soutenir leur thèse, et quand les premiers nous montrent Robespierre envoyant les Girondins à la mort, on se sent pressé de courir vers l'échafaud pour l'abattre, comme les Français coururent en 1789 vers la Bastille pour la démolir. Mais quand avec les seconds on regarde à Biron, à Babington, à Savage et à ceux qui voulurent faire sauter le parlement anglais, on
1. Conspiration, prison, jugement et mort du duc de Biron, exécuté à Paris, dans la Bastille, dernier jour de juillet 1602. — Bibl. impériale, mss. cet. 9769/3; de Cangé, 97. — Registres de l'Hôtel-de-Ville, XV, fol. 860.
264 HISTOIRE DE LA ÏIÈFORMATION FRANÇAISE.
se demande si en cas d'abolition de la peine de mort, il ne faudrait pas faire une exception pour de pareils coupables.
La question nous paraît insoluble : ici on frappe un in- nocent, là, un grand coupable; à l'un l'échafaud donne la gloire, à l'autre, l'infamie. Aujourd'hui c'est l'homme qui se venge, demain c'est la justice qui réclame une expiation.
Nous sommes étonné que ce soldat intrépide ne se soit pas montré dans la cour de la Bastille ce qu'il avait été sur un champ de bataille; nous sommes tenté de lui reti- rer la pitié qu'on accorde si volontiers aux malheureux; et cependant quand nous réfléchissons , l'étonnement cesse et nous nous prenons à le plaindre.
Quand il se vit face à face avec le bourreau, il avait le sentiment de la justice de sa condamnation, sans avoir la repentance d'un coupable. S'il portait ses regards en ar- rière, il ne les arrêtait que sur une trahison qui elîaçait tous ses services rendus; s'il les portait en avant, il ne voyait qu'une tombe dans laquelle il descendait sans gloire. Où aurait-il trouvé des forces pour surmonter les horreurs du IrépasV lui, si jeune encore, lui, chez lequel il y avait exubérance de vie et toutes les brutales passions de l'honîme de guerre. Sur le nouveau champ de bataille, où il fut appelé à lutter avec la mort, son courage l'abandonna ; il trembla, lui qui n'avait tremblé ni au sifilement des balles ni au bruit du canon. Son orgueil qui était immense fut vaincu. Plaignons-le; mais ne nous étonnons pas de sa terreur; elle fut naturelle. Tremblant, il nous intéresse plus que s'il eût essayé de poser comme Danton sur son échafaud. Autant nous admirons la sérénité dans un martyr, autant nous éprouvons de répulsion pour celui qui , en face de la mort, prend son cynisme pour du courage.
On rapporte que, pendant les heures d'agonie morale de l'infortuné Biron, l'un de ceux qui étaient préposés h sa garde lui dit :
— Quoi! maréchal, vous qui tant de fois avez alTronté la mort sur des champs de bataille, vous tremblez!
— Mon ami, lui répondit Biron, alors je regardais la mort, aujourd'hui elle me regarde.
Ces dernières paroles nous donnent l'explication de ses terreurs.
UVRE XXVII.
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VII.
Plusieurs grands personnages furent impliqués dans la conspiration de Biron, notamment le comte d'Auvergne' elle duc de Roussillon. Lafin, le dénonciateur du maré- chal, avait désigné pour ses complices Lanoue, Constans, d'Aubigné, La Trémouille; Sully même n'avait pas échappé aux délations de ce scélérat. Henri IV fut épouvanté de ces révélations dont il reconnut bientôt la fausseté; cepen- dant ses doutes sur le comte d'Auvergne s'étant traduits en réalité, il le fit arrêter; quant au duc de Bouillon, il se plaisait à le croire coupable, afin d'avoir un prétexte plausible pour s'emparer de sa personne et pour comprimer le parti protestant dont il était l'un des chefs les plus accrédités. Bouillon n'aimait pas Henri IV; il le croyait ingrat et oublieux de ses services.
L'attitude hostile du seigneur protestant le compromit dans l'esprit du roi qui, lors de la guerre de Savoie, le l-aissa à l'écart. Mécontent de ce procédé, qu'il regardait comme une grande ingratitude, Bouillon se retira à Lan- quais oii un émissaire du comte d'Auvergne vint le trouver, et lui fit des ouvertures pour le rattacher au parti de Birou ; il ne les repoussa pas. S'il faut en croire d'Aubigné, il aurait, au mois de février IGOl, réuni dans l'un de ses châteaux du Limousin neuf des protestants les plus influents de la contrée et leur aurait déroulé le plan de la conjura- tion en les engageant à y entrer, sous la promesse qu'on abandonnerait aux protestants le sud-ouest de la France et le Dauphiné et qu'on leur donnerait 200,000 écustant que durerait la guerre.'
D'après d'.\ubigné , ce serait le duc qui aurait fait re- jeter cette proposition absurde. Bouillon néanmoins entre- tint des relations avec Biron, et probablement lui promit son appui contre le roi qui travaillait visiblement à abaisser la noblesse ; mais il n'est pas prouvé qu'il se soit allié avec l'Espagne et la Savoie contre la France : cela même, disent les MM. Haag, est inadîEïssibie.' _
1. Fils naturel de Charles IX et de Marie FoiicbeL
2. liaag, France protestante, lettre L, p. 391. 2- Liùês^
266 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
Quand Bouillon apprit l'arrestation de Biron , il écrivit au roi qu'il se mettait à sa disposition, ce qu'il n'eût pas fait s'il eût trempé de fait dans la conspiration du maréchal; il se disposait à se rendre à la cour, quand un gentilhomme lui dit : «Monseigneur, si vous avez deux têtes, vous ferez bien d'en laisser une chez vous.» Il voulut néanmoins partir, quand une lettre du roi, qui l'invitait à venir se justifier des accusations qui étaient portées contre lui, le décida à rester. Au lieu d'aller à Fontainebleau il se di- rigea vers Castres pour demander à être jugé par la chambre mi-partie qui siégeait dans cette ville. Le roi, qui craignait UH acquittement, défendit à la chambre de prononcer, quoique l'affaire fût de sa compétence'. La chambre pro- testa; mais devant la volonté royale, plus forte que les édits, elle céda. Bouillon se hâta de quitter Castres où il n'était pas en sûreté, traversa le Languedoc et put, grâce à Lesdiguières, gagner Genève à travers le Dauphiné.
A peine arrivé, il publia sa justification. Les églises du Languedoc qui croyaient à son innocence adressèrent une requête au roi et le prièrent «de ne pas confondre le juste avec Barabas. »
Les poursuites dirigées contre Bouillon émurent les princes, protestants qui intercédèrent auprès du roi. La vieille Élisabelh, ne pouvant croire à la trahison du sei- gneur huguenot, ht de vives instances auprès de Henri IV qui insisia pour qu'il vînt se justifier ou implorer son par- don. Le duc ne voulut ni affronter un parlement, qui dé- libérait sous le regard du roi, ni implorer un pardon qui constaterait sa culpabilité. De Sédan, il écrivit au roi une lettre respectueuse ; elle demeura sans réponse.
vnL
Pendant que sous une administration ferme et éclairée la France se relevait de ses ruines, la reine d'Angleterre arrivait au terme de sa longue et glorieuse carrière. Les dernières années de sa vie avaient été semées d'amertumes, et au milieu des grandeurs elle avait traîné une existence
1. Bibliothèque impériale, mss. de Bétlnme, n» 8939, folio 2, verso.
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languissante. Privée des joies de l'épouse et de la mère de famille, son cœur était devenu un désert sur lequel la re- ligion n'avait pas versé son baume consolateur. Trop tière pour étaler au dehors les douleurs de son âme, elle se faisait violence et se livrait à des exercices au-dessus de ses forces. C'est ainsi que dans le courant de septembre 1602 elle allait fréquemment à la chasse et prêtait l'oreille aux spéculateurs de cour qui voulaient donner un succes- seur au comte d'Essex.
Vers le milieu de novembre sa santé fut sérieusement altérée. Sa force de volonté triompha momentanément de sa faiblesse; elle fit célébrer par un tournoi et par des fêles magnifiques l'anniversaire de son avènement au trône. Aux derniers jours de janvier elle donna des ordres pour qu'on la conduisît h Richemond, afin d'y respirer un air plus pur et vivre plus retirée ; son entourage habituel la trouva plus pensive et fit la remarque qu'elle priait plus souvent; et comme si elle eût eu le pressentiment de sa fin prochaine, elle dit au lord-amiral dans le cours d'un en- trelien et comme accidentellement: «Mon trône est un trône de rois, nul autre qu'un roi et mon plus proche parent ne peut me succéder. »
Le 31 janvier elle partit pour Richemond; sa santé s'améliora jusqu'au 20 février, époque à laquelle elle eut une rechute. Pendant dix jours et dix nuits elle demeura étendue sur un tapis, appuyée sur des coussins, refusant tout secours et poussant des gémissements continuels qui indiquaient chez elle moins une souffrance physique qu'une immense douleur morale dont les causes ont vivement préoccupé les historiens. «Elisabeth, dit Hume, n'était plus en étal de goûter la joie d'aucun événement heureux. Elle était tombée dans une mélancolie profonde que tous les avantages, l'éclat et la gloire de son règne ne purent jamais ni soulager, ni guérir. Quelques-uns attribuèrent sa tristesse au regret d'avoir pardonné à Tyrone, qu'elle s'était toujours promis de châtier comme il le méritait; mais il avait si bien intrigué avec les ministres de cette
grincesse qu'ils lui arrachèrent la grâce de ce rebelle, 'autres personnes conjecturèrent avec plus de vraisem- blance que l'abattement de la reine était causé par les inielligences secrètes que sa cour entretenait avec le roi
268 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
d'Ecosse son successeur, et par l'abandon de ses courti- sans que son grand âge et ses infirmités éloignaient d'elle. Mais cette sombre douleur avait dans son âme un principe secret que les historiens ont longtemps rejeté comme ro- manesque, et dont les dernières découvertes semblent avoir confirmé le soupçon'. Il arriva quelques accidents qui ranimèrent sa tendresse pour Essex et l'amertume aflreuse d'avoir consenti à sa mort.
«Le comte d'Essex, après son retaur de l'heureuse ex- pédition de Cadix, remarquant à quel point les sentiments qu'il avait inspirés à la reine étaient augmentés, saisit cette occasion de se plaindre de ce que la nécessité de son service le forçait à se séparer d'elle si souvent. Il montra même une inquiétude délicate sur les mauvais offices que ses ennemis, plus assidus à faire leur cour, pouvaient lui rendre auprès de Sa Majesté. Elisabeth, émue de cette tendre jalousie, donna une bague au comte d'Essex, en lui ordonnant de la garder comme un gage de sa tendresse; c!!e l'assura que dans quelque disgrâce qu'il pût tomber, quelques préventions qu'on eût l'art de lui inspirer contre liii, ie seul aspect de cette bague, s'il la représentait alors il ses yeux, lui retracerait ses premiers sentiments, et q;ie!que fût sa colère , elle consentirait à le voir et à |ji'èLer une oreille favorable à sa jusliOcation. Essex, malgré toutes ses infortunes, conservait ce don précieux pour ne s'en servir qu'à la dernière extrémité; lorsqu'il se vit jugé et condamné , il résolut enfin d'en essayer l'effet. Il confia cet anneau à la comtesse de Nottingham , en la priant de le remellre à la reine. Le comte de Nottingham exigea de sa femme, pour se venger d'Essex, dont il était l'ennemi, qu'elle n'exécutât point la commission dont elle s'était char- gée. Cependant Elisabeth espérait toujours que son favori tâcherait de la fléchir en lui rappelant ses promesses, afin de l'émouvoir en sa faveur par ce dernier moyen. Elle fut , indignée de ce qu'il ne s'en servait pas, et attribua cette | négligence à son indomptable obstination; préoccupée del cette idée, après plusieurs délais et plusieurs combats in-l térieurs, le ressentiment et la politique l'excitèrent à signer» Tordre de l'exécution. La comtesse de Nottingham tombal malade, et, se sentruit approcher de sa fin, les reniordsl d'une si grande infidélité la troublèrent; elle supplia la^|
I
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reine de venir la voir et lui révéla ce fatal secret en im- plorant sa clémence. Elisabeth, également saisie de surprise et de fureur, traita la mourante avec l'emportement le plus extrême; elle s'écria que Dieu pouvait lui pardonner, mais qu'elle ne lui pardonnerait jamais ; elle l'accabla de reproches et sortit avec la rage dans le cœur. Cette mal- heureuse princesse, livrée au désespoir, rejeta toute espèce de consolation et refusa même de prendre les aliments; elle se jeta par terre et y resta immobile à nourrir ses regrets de réflexions les plus cruelles et déclara que la vie n'était plus pour elle qu'un fardeau insupportable. » '
IX.
Le récit de Hume, accepté par Horace Walpole, est contredit par plusieurs historiens et notamment par le continuateur de l'histoire d'Angleterre, d'après Mackin- tosch, qui le taxe d'invraisemblance. Il ne serait, d'après cet écrivain, qu'un on dit sans authenticité, et d'après le docteur Birch qu'une tradition dans la famille de lady Elisabeth Spelmann, petite-fiUe de Robert Carey, comte de Mommouth, auteur de mémoires bien connus dans les- quels il rapporte cette histoire comme un témoin oculaire de la dernière maladie de la reine.
Ce qui jette encore du doute dans le récit de Hume, c'est la manière dont Essex aurait remis l'anneau. D'après cet écrivain ce serait au duc de Notlingham lui-même qu'il l'aurait confié; d'après un autre, il l'aurait remis à un jeune garçon inconnu qu'il aurait vu passer de la fenêtre de la prison où il était renfermé. Ce dernier récit est in- vraisemblable et ne mérite pas même d'être discuté; reste donc celui de Hume qu'il est difficile d'admettre sans pou- voir le rejeter absolument. Pour l'affirmative on peut dire que des faits pareils ne s'inventent guère quand ils se pro- duisent avec des détails et des circonstances qui ont des rapports directs au caractère bien connu des personnages; pour la négative on peut dire qu'il est surprenant que
l. Ilume, Hist. d'Angleterre, t XU, page 276. — Iverdon M.DCC.L\X.\I, trad. franç.
270 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
d'Essex, possesseur de cet anneau précieux, n'en ait fait usage qu'après sa condamnation à mort et l'ait remis à la femme d'un homme qui était son ennemi personnel.'
L'écrivain consciencieux est obligé, par respect pour la vérité, de reléguer au rang des faits douteux tous ceux qui n'ont pas pour eux un caractère d'authenticité. L'histoire ne vit pas d'embellissement ; les réalités sont les seuls orne- ments qui lui conviennent; lui en donner d'autres, c'est la rabaisser au niveau du roman. Dans les cas douteux l'histo- rien ne recule pas devant les explications; mais il les fait sous toutes réserves. Certes c'est un spectacle saisissant que celui que présente cette femme qui, parée de ses plus plus beaux vêtements, se roule sur le tapis de sa chambre, pousse des cris lamentables et ne confie à personne le secret d'une immense douleur. Faut -il en chercher l'explication dans la révélation de la duchesse de Not- tingham? dans ses douleurs physiques? dans le sentiment de sa popularité compromise? dans le cri de l'ambitieux contraint de détacher de ses propres mains sa couronne pour la poser sur la tête d'un successeur mortellement haï? A toutes ces questions il est difficile de faire une ré- ponse précise. Le cœur a des abîmes impénétrables; la seule chose que nous puissions constater, c'est que la vue du lit de mort de la fdie de Henri VIII impressionne vive- ment et offre l'un des tableaux les plus dramatiques de l'histoire.
La douleur eut bientôt usé les forces d'Élisabeth; les avant-coureurs de la mort ne tardèrent pas à paraître sur son visage et à apprendre à ses médecins que sa fin était proche. Son conseil se présenta devant elle; elle comprit. A cette heure suprême elle fut reine: «J'ai, dit-elle, porté le sceptre des rois, je veux qu'un roi me succède.» Elle désigna pour son successeur le fils de Marie Stuart, Jacques VI, roi d'Ecosse; c'était son dernier adieu aux grandeurs de ce monde. A l'archevêque de Cantorbéry, qui l'exhortait à porter ses regards vers Dieu, elle dit: «Je le fais, et mon âme cherche à s'unir à lui;» elle ne dit plus rien; insensible à tout ce qui se passait autour d'elle, elle entra à grands pas dans la sombre vallée de l'ombre
1. Extrait de l'Histoire d'Angleterre, continuée d'après Maki n- tosch, t. IV, p. 140 et ^uiv.
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de la mort et expira doucement à l'âge de soixante-dix ans après un règne de quarante.'
X.
Élisabeth avait terminé sa longue et glorieuse carrière, après avoir vu de son lit de mort ses ennemis fuir devant elle. Son histoire est inséparable de celle de la Réformalion française, et quelque jugement qu'on porte sur l'assistance qu'elle donna aux protestants, ces derniers ne peuvent qu'être reconnaissants envers une princesse qui, fidèle aux lois de sa politique, soutint au dehors le vrai protes- tantisme, qu'elle persécutait dans ses propres États'. De- vant celte grande figure l'historien se recueille pour tracer fidèlement le portrait de la femme qui, aux faiblesses de son sexe, sut allier les qualités les plus brillantes du sou- verain. Dans le grand siècle, qui fut le sien, nul monarque, pas même Charles-Quint, ne la rapetisse de sa présence; elle a une grandeur qui lui est propre, et qui force ses ad- versaires les plus acharnés à s'incliner devant la puissance de son génie. Au milieu des p!<is éminents périls, elle fut toujours à la hauteur de sa fortune. Les Anglais, aujour- d'hui comme autrefois, sont fiers de leur reine et jettent par reconnaissance un voile d'oubli sur la femme qui, chez Élisabeth, est aussi petite que, la souveraine est grande. Nous aimons chez un peuple ce sentiment de piété filiale; et cependant il ne doit jamais faire oublier les droits im- prescriptibles de la vérité; car pour bien admirer, il faut préalablement estimer. Or, notre admiration pour la fille de Henri VU! est loin d'être complète; si nous rendons justice à son génie, nous ne fermons pas les yeux sur les taches de son règne.
La protestante Élisabeth fut très-peu protestante dans le sens de ce mot; elle subit la réforme plutôt qu'elle ne l'accepta. Ce qu'elle fit pour elle fut un effet de la réflexion et non de la sympathie. Comme femme et comme reine elle ne pouvait aimer le protestantisme : femme, elle haïs- sait sa morale austère; reine, son amour de l'indépen- dance ; sous ce rapport elle ressembla à François I".
1. Hume, Hist. d'Angleterre, t. XII, p. 279.
2. Note xin.
272 HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
L'anglicanisme convenait mieux à sa nature. Elle aimait la pompe de son culte, sa hiérarchie ecclésiastique qui permettait d'avoir de hauts dignitaires qui ne le cédaient en rien aux plus grands seigneurs par le luxe de leurs palais et le train princier de leur maison; elle trouvait naturel que Whitgill, primat d'Angleterre, marchât sur les traces de Wolsey, et se fît servir à genoux par ses servi-, leurs; elle fut toujours opposée au mariage des pasteurs, et aurait voulu que le célibat devint une loi fondamentale de la religion réformée. Elle ne fut guère plus protestante que son vicieux père; quand elle frappa durement et trop souvent cruellement les catholiques, elle ne se constitua pas le vengeur de Dieu , mais son propre vengeur; elle eût laissé en paix ,les croyants ; elle frappe sans pitié les conspirateurs. Elisabeth haïssait le catholicisme, non à cause de ses dogmes, mais à cause de son esprit de domi- nation; elle haïssait plus encore les puritains qui, dans leur zèle, gui allait parfois jusqu'au fanatisme, voulaient ramener l'Eglise anglicane à la simplicité de l'Église pri- mitive; elle mêla leur sang à celui des catholiques'. De quelque côté que vint l'opposition, elle était criminelle à ses yeux; elle frappait sans hésiter. Ce fut à cette décision de volonté qu'elle dut le silence qui se lit autour d'elle ; elle prépara ainsi par la dictature l'Angleterre à ses hautes destinées et força tout un peuple asservi à la reconnaissance par la grandeur des services rendus.
Cette princesse, si grande comme reine, avait dans sa vie intérieure des côtés bien obscurs; vieille et ridée, elle avait la prétention d'être toujours jeune; sa vanité crédule lui faisait accepter des flatteries qui n'étaient que des san- glantes railleries. Elle montrait une lettre dans laquelle Raleigh, l'un de ses favoris disgraciés, voulant obtenir son rappel, disait d'elle, en écrivant à un de ses amis: «J'avais la douce habitude de la voir monter à cheval comme Alexandre, chasser comme Diane, marcher comme Vénus, de l'entendre chanter comme un ange, jouer de la lyre comme Orphée'.» Elle avait alors soixante ans; le collier d'or dont elle entourait son cou pour en dissimuler les rides, ies bracelets dentelle chargeait ses bras, lespierre-
1 . Note xtv
LiTOE xxvn.
ries dont elle couvrait ses charmes flétris, les airs de jeune fille qu'elle affectait, en faisaient un personnage éminem- ment ridicule, seule elle ne s'en apercevait pas. Plus tard elle expia cruellement sa vanité crédule, quand elle sentit qu'elle était vieille et laide. Ce fut son châtiment; il fut terrible.
«Ce furent là, dit un écrivain moderne, ses imperfec- tions véritables; sa violence et son avarice ne méritaient
Eoint de lui devenir fatales et ne manquaient pas d'excuses, e temps où elle vivait, et les grandes choses qu'elle a faites, justifient son économie, bien qu'il s'y mêla une avidité peu royale; ses actes de violence furent renfermés dans sa cour. Sa dignité, mais non sa politique, son en- tourage, mais non l'Europe, eurent à souffrir de ce qu'elle ne sut pas toujours dominer le sang de Henri VIII qui s'échaulTait parfois dans ses veines. Si elle interrompait volontiers les ambassadeurs, surtout ceux du roi de France, elle n'en était que mieux informée de ce qu'elle voulait savoir par les explications écrites que ces interruptions mêmes rendaient nécessaires et qu'exigeait son conseil'. Si ses conseillers étaient plus souvent interrompus encore et raillés sur leur sagesse, elle s'en excusait elle-même, non sans grandeur, sur son âge, sur la pratique des affaires d'état commencée dès le berceau', et mettait d'ailleurs à profit les conseils dont elle affectait de se passer. Mais c'était sans avantage, comme sans dignité qu'elle épanchait librement sa mauvaise humeur sur son entourage. Il était des jours où tout l'irritait, où elle ne respectait rien, et ce n'était pas une simple métaphore que ce jeu de mots d'un de ses courtisans : «Je n'affronterai pas aujour- d'hui la colère de Sa Majesté, de peur d'être colleté moi- même. » La coquetterie des autres femmes la blessait et lui arrachait d'amères paroles; elle ne voulait ni être sur- passée, ni égalée dans le luxe de ses parures. Lady Howard vint un jour à la cour avec un vêtement de velours, brodé d'or et de perles qui éclipsait l'éclat de la reine, et attirai tous les yeux. Elisabeth le lui envoya demander, le revêti et, se promenant devant ses femmes, elle les consultai
1. Journal de De Maisse, p. 212.
2. Idem, p. 213.
274 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
sur son nouveau costume. Elle demanda bientôt à lady Howard elle-même s'il n'était pas un peu court, et en effet il convenait mal à la grande taille de la reine, lady Howard l'ayant avoué., « S'il ne me va pas, parce qu'il est trop court, reprit Elisabeth, il ne vous va pas, parce qu'il est trop beau; il n'est donc fait ni pour l'une, m pour l'autre.» Le mauvais goût des courtisans et leurs modes n'étaient pas à l'abri de son contrôle. «Je me souviens, écrit Harrington, qu'elle a craché sur l'habit frangé de sir Matthew; puisse Dieu m'épargner de semblables plaisanteries.» Enfin ses filles d'honneur ne la mécontentaient pas impunément; la belle miss Bridges fut un jour cruellement frappée ; il est vrai qu'elle passait pour être aimée d'Essex'. Mais ces violences n'avaient pas toujours une cause aussi grave. Elle levait volontiers la main sur ce charmant entourage, et, au mois de mai 1597, un courtisan écrivait à Harrington qu'on entendait ces belles jeunes filles crier et supplier d'une façon pitoyable. «En vérité, disait Robert Cecil, elle était plus qu'un homme et parfois moins qu'une femme. »
«Son avarice n'était pas moins célèbre et était mieux justifiée. Les ambassadeurs français qui raillent cette ava- rice oublient qu'ils venaient sans cesse lui emprunter de l'argent, et qu'ils ne le rapportaient pas toujours. Leur réputation de débiteurs insolvables était aussi bien établie en Angleterre que l'avarice incontestée de la reine, et on en faisait un trait de caractère national.»'
Dans Éiisabeth la femme est petite, la reine grande, mais la reine, en excitant notre admiration, ne provoque pa,s notre sympathie. Ses haines sont implacables, son or- gueil immense, son despotisme brûlai; elle fait décapiter ses amants ; et cependant cette reine , qui aujourd'hui serait impossible dans la Grande-Brelagne, fut son salut au seizième siècle. Elle tint d'une main ferme les rênes de l'Éiat avec un instinct merveilleux de ses besoins; son coup d'œil vif et pénétr.mt la trompa rarement, et au milieu des plus violents caprices de la femme ardente et passion- née, elle ne leur sacrifiajamais les intérêts de son peuple;
1. Aikin, p. 394.
2. Prévost-Paradol, Elisabeth et Henri IV, 1695- 1598. — Am- bassade de Hurault de Maisse en Angleterre au sujet de la paix de Vervins, p. 124 et suiv.
LIVRE XXVII.
275
cela seul révèle un grand esprit et couvre bien des fautes.
Philippe II et Elisabeth sont les deux plus grandes ligures politiques de la seconde moitié du seizième siècle; ils furent les représentants, l'un du passé, l'autre de l'avenir. Dans leur lutte opiniAtre et gigantesque la femme vainquit l'homme. Le roi catholique entraîna avec lui dans la tombe la puissance espagnole; la reine protestante fit de la pierre de son sépulcre la pierre angulaire de la puissance bri- tannique.
L'étude de la vie de ces deux souverains offre un attrait irrésistible à l'historien qui cherche à pénétrer les causes de la grandeur et de la décadence des empires; il les suit pas à pas, et à travers la trame si multiple de leur vie, il saisit l'idée qui abaisse l'un et élève l'autre. Cham- pion du passé et de l'immobilité, Philippe II voulut arrêter le siècle dans sa marche, et mourut à la peine. Leur lutte cependant paraissait si inégale ! le fils de Charles-Quint avait hérité de son père l'Espagne, les Flandres, l'or du nouveau monde; la France mendiait son appui; il avait pour ambassadeurs des diplomates habiles, pour généraux des tacticiens consommés, pour armée les meilleurs sol- dats du monde, pour serf le pape, pour flotte l'invincible Armada, pour journalistes les prédicateurs de la ligue. Elisabeth avait pour rempart la mer et l'amour de ses sujets. Elle n'eût pas été sauvée , si la Réforme n'eût jeté au milieu de son peuple le puissant souffle de vie qui le régénéra. Philippe marcha d'échec en échec; du sang qu'il fit couler dans les Flandres et en France se forma un torrent dans lequel sa fortune s'engloutit; en voulant tout conquérir, il perdit tout. Possesseur de richesses immenses, il fit deux fois banqueroute, ruina son peuple, mourut obéré, laissant dans l'histoire un nom maudit, et pendant que de ses immenses possessions, comme de ses flottes, il ne restait que d'impuissants débris, la protestante Angle- terre promenait sur toutes les mers son pavillon victorieux. Depuis cette grande époque l'Espagne n'a fait que descendre, et l'ullramonlanisme, dont elle a été la terre classique, ne lui a légué que des révolutions stériles; tandis que la Ré- forme a donné à la Grande-Bretagne la moralité au foyer domestique, la puissance matérielle, la liberté, l'affection pour ses souverains, le respect des lois, l'amour du sol
276 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
natal el la (in de ces révolutions qui nous aflligeal ssins nous surprendre dans les contrées où la Réforme est pros- crite. Le protestantisme veut des hommes libres, l'ullra- montanisme ne veut que des serfs. Le combat peut être long, opiniâtre; le résultat un moment incertain; mais le triomphe n'est pas douteux : la mort est impuissante contre la vie.
XI.
Élisabeth eut pour successeur Jacques VI, roi d'Ecosse. Le fds de Marie Stuart n'avait ni le génie d'Elisabeth, ni les grâces de sa mère : il était timide, irrésolu, dissimulé, négligent, minutieux. Il avait deux passions : celle de la chasse et celle de la controverse religieuse; la première lui faisait négliger les affaires de son royaume; la seconde le rendait ridicule. Son livre «touchant le pouvoir des rois,» qu'il fit paraître à l'occasion d'un serment qu'il avait exigé de ses sujets catholiques, fut proscrit en Es- pagne, brûlé à Florence, mis à l'index à Rome, interdit en France, et devint un, texte inépuisable d'attaques inju- rieuses et de railleries. Élisabeth avait un successeur, mais elle n'était pas remplacée; un nain avait pris la place d'un géant. Quand Sully alla, de la part de Henri IV, compli- menter Jacques VI, à l'occasion de son avènement au trône, il comprit que son maître aurait dans ce prince un allié peu sûr.
Les protestants de France regrettèrent vivement Éli- sabeth, qui était leur protecteur le plus puissant auprès de Henri IV; et ce protecteur, ils le perdaient au mo- ment oïl le clergé devenait de plus en plus exigeant, le pape plus soupçonneux, et où les jésuites, bannis du royaume, étaient sur le point d'y rentrer. Les passions religieuses devenaient chaque jour plus vives, et les réfor- més, plus zélés que charitables, ne travaillaient pas à les calmer. Leur aversion pour la papauté se révéla dans un synode national qui se réunit à Gap et qui fut l'un des plus célèbres qu'ils eussent encore tenu. Les provinces suivantes y furent représentées par leurs députés : l'Ile de France, la Picardie, la Champagne, la Bretagne, l'Orléanais, le Berry, le Nivernais, l'Anjou, le Blaisois, la Touraine,
LIVRE XXVII.
277
le Maine, le Poitou, la Saintonge, l'Angoumois, l'Aunis, la basse Guyenne, le Périgord, le Limousin, le Vivarais, le Valais, le bas Languedoc, la Bourgogne, le Lyonnais, le Forez, la Provence, le Dauphiné et Orange*. On y dis- cuta, sous la présidence de Charnier, des points de disci- pline et de dogme, et on chercha les moyens d'opérer une réunion entre les luthériens, les zwingliens et les cal- vinistes, touchant l'interprétation des célèbres paroles de la Cène. Le synode pensait que rien n'était plus propre à affaiblir le protestantisme que ces disputes intermina- bles sur des points qu'il eût été sage , vu leur sainte obscurité , de laisser à la libre croyance de chacun ; mais les théologiens ne savent pas toujours comprendre cette belle maxime de saint Augustin qu'il faudrait écrire en lettres d'or en tête de toutes les confessions de foi : in dubiis liberlas\ On discuta beaucoup et on arriva à cette solution qu'il était impossible de s'entendre.
Di' isés sur l'interprétation des paroles de la Cène, les membres du.synode se montrèrent très-unis pour attaquer le pape et l'Église romaine; ils décrétèrent qu'on ajoute- rait à la confession de foi, dont on avait fait lecture, l'ar- ticle suivant :
«Puisque l'évêque de Rome, s'étant dressé une monar- chie dans la chrétienté en s'attribuant une domination sur toutes les églises et les pasteurs, s'est élevé jusqu'à se nommer Dieu; à vouloir être adoré; à se vanter d'avoir toute puissance en ciel et en terre; à disposer de toutes choses ecclésiastiques; à décider des affaires de foi; à au- toriser et interpréter à son plaisir les Écritures; à faire trafic des âmes; à dispenser des vœux et des serments; à ordonner de nouveaux services de Dieu ; et pour le regard de la police, à fouler aux pieds l'autorité légitime des magistrats, en ôtant, donnant, échangeant les royaumes. Nous croyons et maintenons que c'est proprement Va7ité- christ et le fils de perdition prédit par la parole de Dieu, sous l'emblème de la paillarde vêtue d'écarlate.»
1. Drion, Abrégé chron., 1. 1", p. 267.
2. Dans les choses douteuses, liberté.
t
I.
278 HISTOIRE SE hk RÉFORHATION FRANÇAISE.
XII.
Au nombre des membres du synode se trouvait un mi- nistre qui jouissait d'une grande réputation parmi les réformés : on l'appelait Jérémie Ferrier. Il était le fils d'un capitaine huguenot de condition obscure, «mais soldat et homme de fer et l'un des plus renommés de son parti'.» En 1599 Ferrier, après avoir terminé ses études, fut donné à l'église d'Alais; il ne tarda pas à se faire connaître; il avait une intelligence vive , un esprit prompt, un langage facile, entraînant, des gestes expressifs; un besoin im- périeux de faire parler de lui, plus de savoir faire que de savoir; il avait les larmes à sa volonté, et possédait le don de plaire aux masses qu'il gouvernait au gré de sa parole. Malheureusement il avait plus de zèle extérieur que de piété; son vice dominant était l'avarice. «C'était, ditTalle- mont des Reaux, l'homme du monde le plus avare jusque- là, que quand il était député à quelque synode, il vivait si mesquinement et recherchait avec tant de soin les repues franches, qu'il épargnait le demi-tiers de ce qu'on lui donnait pour sa dépense'.» Son avarice, qui devait plus tard en faire un apostat , était comme voilée par les services écla- tants qu'il avaif rendus à son parti. A Nismes il ne craignit pas, pendant qu'il desservait l'église d'Alais, de répondre à une provocation que lui fit le père Cotton; la dispute n'eut pas lieu, parce que le sénéchal s'y opposa.
Les réformés de la ville, émerveillés des talents du jeune ministre, le nommèrent la même année (1601) pas- teur de leur église et professeur de théologie. Dans ces doubles fonctions il se distingua et jeta un vif éclat sur l'académie de Nismes. '
Ce fut sans doute à cette époque que Ferrier publia ses fameuses thèses de l'Antéchrist. Elles soulevèrent un véri- table orage. Le parlement de Toulouse, toujours fidèle aux traditions de son passé, lança sur l'audacieux professeur un mandat d'amener qui ne put être mis à exécution.
1. Haag, France protestante, art. Ferncr.
2. Tallemant des Reaux, Historiettes.
3. Haag, France protestante, art. Ferrier, p. 94. — Borel, His- toire de Féglise réformée de Nimes.
LIVRE XXVII.
279
L'énergie que Ferrier avait déployée le fit choisir pour l'un des députés du synode de Gap qui le nomma son vice-président, et prit ses thèses sous sa protection, en ordonnant que la proposition qu'il avait soutenue que le pape était l'Antéchrist serait insérée dans la confession de foi.
XIII.
Ce nom d'Antéchrist, donné au pape par les réformés, n'était que le résultat forcé de l'attitude que l'évèque de Rome avait prise au milieu de la catholicité, en s'attachant à donner à ses fidèles un enseignement opposé à l'ensei- gnement apostolique. Si le nom A' Antéchrist signifie opposé au Christ, comment les protestants ne le lui auraient-ils pas appliqué, puisque la cause capitale de leur séparation provenait de son abandon des traditions évangéliques; et plus tard, quand ils furent persécutés, parce qu'ils ne voulaient d'autre chef dans l'église que le Christ, comment n'auraient -ils pas vu dans le pape, leur implacable per- sécuteur , un ennemi du Christ ?
Malgré l'opposition énergique du roi , toutes les églises acceptèrent avec une approbation presque générale, le dé- cret du synode. Le pape se plaignit vivement. Son nonce fit à Henri IV des plaintes amères; mais le mot était écrit, accepté, acclamé.'
La cour s'efforça de calmer l'évèque de Rome, en en- gageant quelques réformés influents à désavouer le nou- vel article de la confession de foi. Le désaveu eut peu de poids, car il n'était pas de ceux qui étaient les plus auto- risés dans le parti. Henri IV ne laissa pas prendre à cette affaire de plus grandes proportions; il l'assoupit, et défen- dit à la chambre mi-partie de Castres , devant laquelle Ferrier s'était pourvu contre l'arrêt du parlement de Tou- louse, de continuer ses poursuites contre le pasteur de Nismes.
Le synode s'occupa de plusieurs autres affaires, dont quelques-unes d'une grande importance; il écrivit au roi en faveur du duc de Bouillon, demanda que les protes-
1. Drion, Abrégé chronol., 1. 1", p. 267. — Aymon, Synodes nationaux. — Haag, France protestante, pièces justificatives.
!280 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
tants ne fussent pas obligés à se donner eux-mêmes dans les actes publics, le nom de « prétendus réformés»', fit des règlements pour les écoles et les collèges, décida la fondation de bibliothèques et de séminaires pour former la jeunesse , et se sépara après avoir montré plus de fidé- lité que de charité, plus de zèle que de prudence.'
XIV.
La tenue du synode de Gap fut favorable aux jésuites , qui avaient été rappelés depuis quelque temps en France, et attendaient avec impatience l'enregistrement de l'édit royal.
Depuis leur bannissement, ils n'avaient cessé d'intri- guer et ne s'étaient pas montré difficiles sur le choix des hommes qui pouvaient les servir auprès du roi. Ils eurent pour leur entremetteur, La Varenne, le directeur officiel des plaisirs de son maître ; ce courtisan comprit qu'en ai- dant au rétablissement des disciples de Loyola, il donne- rait de puissants protecteurs à ses enfants qu'il voulait faire entrer dans la prêtrise. Un chapeau de cardinal pour l'un de ses fils n'était pas au-dessus de l'ambition de ce courtisan. Par son entremise , quelques jésuites commen- cèrent «par se couler doucement à la cour» où ils se firent humbles, petits , complaisants. Parmi eux était le père Gotton qui s'insinua si bien dans les bonnes grâces du roi qu'il le disposa à rappeler sa Société.
Avant de prendre une décision, Henri IV voulut consul- ter son conseil sur cette affaire : Rosny, Châteauneuf, Vil- leroy, Jeanin, Sillery et quelques autres se réunirent sous la présidence du chancelier Bellièvre ; La Varenne était présent. La discussion fut longue, embarrassée, les uns étaient pour, les autres contre; personne n'osait formuler nettement son avis, quoique chacun se comprit à demi mot. Sillery qui désirait le rappel, voulut faire expliquer Rosny, le plus influent des membres du conseil, à cause de la confiance que le roi lui accordait; celui-ci s'excusa, prétextant sa religion ; de Thou seul exprima nettement
1. Pour les satisfaire on imagina de les appeler ofllcleilement réformés , aux termes de l'édit.
LIVRE XXVII.
281
l'opinion que le mieux serait de renvoyer cette nCfaire au parlement; c'est ce que ne voulaient pas les partisans du rappel, sachant que le corps qui avait banni les jésuites, maintiendrait son arrêt.
On se sépara sans avoir émis un avis.
Le lendemain, Rosny se rendit chez le roi et lui raconta ce qui s'était passé. «Puisque nous en avons, dit Henri IV, le loisir d'en discourir, dites-moi librement tout ce que vous appréhendez de cette affaire, et puis, je vous dirai aussi ce que j'en espère, afin de voir de quel côté pen- chera la balance.»
Le conseiller, qui n'était pas gêné par la présence de ses collègues, signala au roi sept raisons qui lui parais- saient s'opposer au rétablissement de la Société.
La première: les jésuites étaient trop dévoués à l'Es- pagne et à la maison d'Autriche pour se rallier franchement à la France ;
La seconde: ils étaient trop brouillons, trop intrigants, trop ambitieux, pour ne pas amener avec eux des fçrments de discorde;
La troisième: ils pourraient s'insinuer par leurs flatte- ries dans la confiance du roi et éloigner ainsi de lui ses meilleurs serviteurs;
La quatrième : leur obéissance aveugle au pape était un danger permanent pour le royaume «tant que le roi d'Es- pagne tiendrait le souverain pontife dans ses ceps et dans ses menottes»;
La cinquième: la crainte qu'ils n'entraînassent le roi dans une guerre contre les protestants , et n'épuisassent ainsi la France d'hommes et d'argent;
La sixième : la cramle que la facilité qu'auraient les pères de s'approcher du roi , ne leur donnât le désir de donner au monarque un boucon' ou quelque malheureux coup;
La septième : l'association secrète à la tète de laquelle se trouvait le pape , ayant pour but de lui faire aban- donner ceux de ses amis et de ses alliés , ennemis de la religion catholique. '
Rosny développa chacune de ses raisons avec une
1. Fiole empoisonnée.
282 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
grande netteté. Le roi l'écouta avec attention et lui dit que sur cette matière il n'était pas aussi bien préparé que lui, mais que cependant, contre ces sept raisons, il en avait deux qui lui paraissaient de nature à le faire changer d'opinion.
La première : le père Majus l'avait assuré que la Société avait travaillé à la grandeur des États qui l'avaient reçue , protégée, encouragée; qu'il pouvait être certain que si la France agissait à son égard comme l'Espagne, elle se dé- vouerait sans réserve à sa prospérité, et même au détri- ment de cette dernière puissance ; qu'elle consentirait enfin à être chassée ignominieusement si elle manquait aux promesses, condition de son rappel. « Or, ne douté-je point, ajouta le roi, que vous ne puissiez faire diverses répliques à cette première raison, mais je n'estime pas que vous en voulussiez seulement chercher à celte se- conde, qui est que par nécessité, il me faut à présent, faire de deux choses l'une; à savoir: de les admettre pu- rement et simplement, les décharger des difames et op- prohrcs dosqueisils ont été flétris, et les mettre à l'épreuve de leurs beaux serments et promesses excellentes, ou bien de les rejeter plus absolument que jamais, et leur user de toutes les rigueurs et duretés dont on pourra avi- ser, afin qu'ils n'approchent jamais ni de moi , ni de mes États; auquel il n'y a point de doute que ce ne soit les jeter au dernier désespoir, et, par icclui, dans des des- seins d'attenter à ma vie, ce qui me la rendrait si misé- rable et langoureuse, demeurant toujours ainsi dans les défiances d'être empoisonné ou bien assassiné (car ces gens ont des intelligences et correspondances partout et grande dextérité à disposer les esprits selon qu'il leur plaît) qu'il me vaudrait mieux être déjà mort, étant en cela de l'opinion de César, que la plus douce est la moins prévue et attendue.»
Évidemment Henri IV avait peur du couteau.
Rosny comprit que le rappel des jésuites était décidé dans l'esprit du roi, et sentit que les pères ne lui pardon- nci'aicnt jamais de s'y être opposé, il vira habilement de bord , et cachant sa lâcheté sous le manteau de son affec- tion, i! répondit:
«Vous avez très-bien conjecturé, Sire, en croyant qu'à
LIVRE XXVII.
283
celte dernière raison, ou plutôt inconvénient, je n'aurais rien à répliquer; car plutôt que de vous laisser vivre dans les tourments dételles appréhensions et inquiétudes, je consentirais, non-seulement, le rétablissement des jé- suites, mais aussi celui de quelqu'autre secte que ce pût être; par quoi, sans en discourir davantage, puisque je vois de telles opinions rouler dans l'esprit de Votre Ma- jesté , je me resous de devenir même le solliciteur du ré- tablissement des jésuites, autant ou plus que ne le saurait être La Varenne, comme j'espère que, dès le premier conseil qui se tiendra sur ce sujet, Votre Majesté en aura des preuves.»
«Je ne vous nierai point, dit lors le roi, que ce ne me soit un plaisir fort singulier de vous voir en cette dispo- sition ; et afin de vous y confirmer et fortifier, je vous veux dès nriaintenant, assurer contre deux de vos appréhen- sions où vous avez intérêt, en vous donnant ma foi et ma parole (lesquelles, vous savez bien, que j'aimerais mieux mourir que de les violer, les estimant parties esserttielles de la royauté, et sans lesquelles, par conséquent, tout roi est indigne d'être roi) que jamais jésuite, ni autre, non pas même le pape, n'auront le pouvoir de me jeter à la guerre contre ceux de la religion, si vous-même n'en étiez le solliciteur, ni d'éloigner, ni défavoriser aucuns de ceux de celte profession à cause d'icelle; desquels je me trouve tellement et loyalement servi, et surtout de vous, de qui je dirais volontiers ce que vous me disiez l'autre jour, que disait Darius de son Zopire, et veux même obli- ger tous ceux de cette société à vous aimer et révérer comme vous le connaîtrez avant peu Je jours.»*
XV.
Les jésuites triomphaien!. L'enregistrement par le par- lement des lettres-patentes de leur rappel n'était plus qu'une affaire de pure forme. Le roi savait qu'il rencon- trerait de la résistance chez les conseillers ; mais il savait aussi qu'elle s évanouirait devant sa volonté. Il se sentait maître el savait dire: a Je suis roi"» en accentuant forte-
1. Sully, Économies royales (1604).
284 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
ment chaque mot. Le parlement , par la bouche de son premier président, lui fit des remontrances.
«Je tremble, lui dit de Harlay , au seul nom de Bar- rière, qui enrôlé parla société, armé par La Yarade , muni de l'absolution qu'il avait reçue et du précieux corps de Jésus-Christ, s'engagea par serment à enfoncer le poi- gnard dans le sein de Votre Majesté. Quoique ce scélérat n'ait pas réussi dans son exécrable entreprise , il a du moins par son exemple, ouvert le chemin au second par- ricide que nos yeux ont vu presque consommé.
«Guignard, prêtre de la même société, a composé des livres de sa propre main pour justifier ces détestables at- tentats; il a donné des éloges au meurtre de Henri III, comme à un acte de justice, et a défendu l'opinion con- damnée dans le concile de Constance.
«Dans quelle crainte ne doit pas nous jeter le souvenir de ces actions impies et la faciliter d'imiter ces horribles exemples; forcés de trembler pour la personne du prince, pourrons-nous compter un moment sur sa vie? Ne serait- ce pas une véritable félonie de voir de loin le péril et d'y courir tête baissée. Y a-t-il un Français assez lâche et assez malheureux pour vouloir survivre à sa patrie dont le salut, comme on l'a dit souvent, dépend de celui de Sa Majesté.»
Le roi n'entendait rien qu'il ne sût déjà , il répondit au premier président avec beaucoup de bienveillance, mais en maître qui veut être obéi. Il congédia les conseillers : quelques jours après, les lettres royales autorisant la rentrée des jésuites dans le royaume , furent enregistrées, mais à des conditions humiliantes. Le plaisir de rentrer leur fit tout oublier; leur pouvoir parut si grand le len- demain de leur rétablissement, qu'on eût dit qu'ils étaient les vrais maîtres de la France.'
1. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, liv. VIII, p. 402. — Voir pour tout ce qui concerne le rappel des Jésuites : Chronologie novernaire de Palîna-Cayet — Eisloire universelle de De Thou — Histoire de la compagnie de Jésus par Jouvency et par Bartol — Journal de l'Estoile — Économies royales de Sully — Lettres du cardinal d'Ossat — Ambassades du cardinal Du l'erroa.
UVRE XXVII.
S85
XVI.
Un deuil domestique inattendu, vint affliger le roi au milieu des préoccupations que lui donnaient les exigences des partis. La duchesse de Bar, sa sœur, mourut. Cette princesse demeura fidèle à la foi de son illustre mère; toutes les tentatives pour l'amener à une abjuration, échouèrent devant une conviction qui reposait sur le double fondement de la parole sainte et d'une conscience droite. Pour complaire à son mari, elle consentit cepen- dant à écouter les arguments des docteurs catholiques. Son ministre, Dumoulin, la soutint dans ses luttes péni- bles qui l'affligeaient et faisaient craindre aux protestants qu'elle n'imitât son frère. Plusieurs fois on fit courir le bruit qu'elle était allée à la messe. «Je ne pense pas y aile:-, écrivait-elle à Mornay, jusqu'à ce que vous soyez devenu pape.» Dans une "lettre à Théodore de Bèze, elle disait : «Quant à ma conscience, elle est toujours semblable, faisant profession de la même religion, en la- quelle j'ai été nourrie dès le berceau, si ce n'est avec la même liberté que je faisais à Paris, pour le moins est-ce avec la résolution toute pareille d'y vivre et mourir, moyennant la grâce de Dieu , ce que je vous prie de croire, et en assurer les gens de bien.»'
Sa fermeté faisait la désolation et l'admiration de sa nouvelle famille. «Je suis, disait-elle dans la même lettre, la plus contente et la plus heureuse du monde, de vivre parmi des princes qui m'honorent extrêmement, quelque constance qu'ils voient en moi de persévérer en la reli- gion. En quoi je vous prie m'assister de vos saintes prières, comme de ma part je supplie le créateur qu'il vous donne sainte et longue vie.»
«Madame, lui répondit le réformateur. Votre Excel- lence me fera cet honneur de croire, s'il lui plaît, que se- lon mes devoirs, je la porte en continuelle souvenance devant la face du Seigneur, notre bon Dieu et père, lui rendant grâces de ce qu'il lui plaît faire cette faveur à la France, ou plustôt à toute la vraie Église catholique et
1 . Bulletin de la société de l'Histoire du protest, franc. , année 1853, p. 149.
286 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
près et loin , de voir en votre personne, un si remarquable exemple de piété, témoignée d'un si vrai zèle de sa gloire, avec toute occasion d'espérer qu'il parachèvera son œuvre si heureusement commencée et avancée en vous.»
Théodore de Bèze était pour Catherine l'idéal du chré- tien; elle admirait en lui une piété ferme sans rudesse, douce sans mysticisme , compatissante sans faiblesse ; il était pour elle un père, un ami, un guide. Ces deux nobles cœurs étaient dignes de se comprendre; ils avaient trouvé au pied de la croix le secret de cette aimable fraternité chrétienne qui, sans confondre les rangs, unit les cœurs dans un même amour , et devient pour le disciple de Jésus-Christ une des sources de ses plus pures jouissances. Rien n'est plus touchant que la lecture des lettres échan- gées entre le réformateur et la sœur de Henri IV. Dans l'une de ces lettres, Catherine, en lui envoyant quelques- unes de ses poésies, lui dit: «Parmi mes douleurs je m'é- bats quelquefois à parler à Dieu avec ma plume, non en vers si bien faits comme ceux qui font profession de longue main de bien écrire, mais chrétiennement pour ma consolation , comme vous verrez par ceux que je vous envoyé, pour en être juge et modérateur de ce qui peut s'y trouver à redire, vous priant de toute mon affection d'y passer librement la plume et me tesmoigner en cela ce que j'espère de votre bonne amitié, et croire qu'en tout autre endroit je vous rendrai preuve de la mienne, avec autant de volonté que j'en ai à prier Dieu qu'il veuille, Monsieur de Bèze, vous maintenir sous sa sainte garde.»'
Au nombre des pièces de vers que la princesse envoyait au réformateur se trouvait la suivante :
Pardonne-moi, Seigneur tout saint, tout débonnaire, Si j'ai par trop cédé à de mondains appâts. Hélas ! j'ai fait le mal, lequel je ne veux pas, Et ne fais pas le bien que je désire faire.
Mon esprit trop bouillant, guidé par ma jeunesse.
S'est laissé emporter après la vanité,
Au lieu de s'élever vers la divinité.
Et admirer les faits de ta grande sagesse.
1. Lettre datée de Fontambre (26 janvier 1598). — Bulletin de la société de l'Histoire du protest, franc., année 1853, p. 142.
trV'RE XXVII.
S87
Ma langue, qui devait publier ta puissance El l'honneur que de toi je reçois tous les jours. Est bègue quand il faut entrer en ces discours. Et prompte et babillarde après la médisance.
Mon oreille, Seigneur, n'est-elle pas coupable, Qui devait écouter ta sainte vérité Et y preudi'e plaisir, tant ingrate a été. Tarde à ouïr ta loi, et ouverte à la fable.
Que dirai-je, mon Dieu, de mes yeux inJQdèles, ' Qui, au lieu de jeter leur regard dans les cieux, D"où leur vient leur salut, aveuglés aiment mieux Les arrêter ici sur des beautés mortelles ?
Mes maiDs ne font pas mieux s'amusant à écrire, Au lieu de ta louange un discours inventé, Lorsques jointes devaient prier la magesté D'approcher la pitié et reculer ton ire.
Alors qu'il faut aller écouter ta parole , Mes pieds sont engourdis et vont le petit pas ; Mais s'il faut aller voir quelques mondains esbats, Au heu de cheminer, il semble que je vole.
Mon cœur est endormi en sa vaine pensée. Et ne médite pas aux biens que tu lui fais, n les met en oubU; mais où sont les parfaits De qui ta Magesté n'ait été ofTensée ?
Mais, reçois moi Seigneur d'un oeil doux et propice, Puisque je reconnais mes péchés devant toi. Regarde à ton cher fils, sacrifié pour moi, Qui, prenant mes péchés, me vêt de sa justice.'
Ces vers simples et touchants rappellent les beaux can- tiques que David commençait avec un cri de désespoir et qu'il terminait avec un chant d'espérance. Comme un ro- seau, la princesse ployait; mais comme la branche, elle se relevait toujours. Ame tendre, cœur aimant, elle trouvait ses joies les plus pures dans le creuset de ses plus vio- lentes douleurs.
Un moment elle crut à l'amour de son mari , qu'elle aimait passionnément; c'était après son retour de Rome.
1. Voir l'intéressant article, que M. Jules Bonnet a inséré dans le Bulletin de la société de l'Histoire du protestant, franc. , année 1840. — Cet article est intitulé ; Lettres et poésies de Catherine de Kavarre, duchesse de Bar.
288 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
«J'ai tant importuné mon Dieu , écrivait-elle à Théodore de Bèze, qu'enfin il m'a ramené Monsieur mon mari sain et gaillard, dont je le loue et le remercie de tout mon cœur. Monsieur mon mari me promet tout bon traitement et m'assure fort en sa parole. »
Catherine se faisait illusion ; son mari ne l'aima jamais. Elle écrivit encore à son vieil ami de Genève :
«Je suis ici, Dieu merci, avec tout le repos que je sau- rais désirer, attendant la jouissance d'un bien que les médecins et les apparences, mais plus la bonté de Dieu, me promettent, c'est la venue d'un enfant, dont les mé- decins m'assurent que je suis enceinte. S'il a plu à Dieu me faire cette grâce , j'espère qu'il parachèvera. Je vous ai bien voulu mander cette nouvelle, afin que, comme l'un de mes bons amis, vous participiez à ma joie et m'ai- diez de vos prières. Au demeurant, je vous prie de me recommander à vos confrères et de les assurer de mon affection envers eux et de ma résolution en la profession de la vérité. En cette volonté je finis celle-cy, priant Dieu qu'il lui plaise. Monsieur de Bèze, vous avoir en sa sainte protection et sauvegarde. » '
Cet enfant qu'elle attendait , comblait ses vœux : elle voyait en lui le lien qui désormais devait l'unir à un époux qui ne lui avait montré que de la froideur. Ce ne fut qu'une illusion causée par l'ignorance de ses médecins, qui avaient pris une tumeur pour une grossesse; elle souf- frait cruellement. Son frère lui envoya son médecin André Du Laurent, qui constata de suite la nature de la maladie et voulut en entreprendre la cure. La princesse refusa. «Je ne veux pas nuire, dit-elle, à l'enfant que je porte dans mon sein.»
Elle supporta des souffrances atroces avec une admira- ble patience, et quitta cette terre, où elle avait tant souf- fert, en chrétienne qui espère et en épouse trop heureuse de mourir, si sa mort doit rendre père son époux.
Le roi regretta sa sœur ; les réformés la pleurèrent. Elle fut la dernière des grandes dames du sang royal qui appartinrent à la réforme.
1. Lettre du 6 décembre 1603, datée de Nancy.
LIVUE XXVIl.
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XVIL
Depuis leur rappel, qui datait à peine de quelques jours , les jésuites avaient gagné considérablement du terrain et se trouvaient sur toutes les avenues du pouvoir. Le père Coton exerçait une influence extraordinaire sur l'esprit du roi , qu'il suivait partout. On fit circuler, à cette occasion, le quatrain suivant :
Autant que le roi fait un pas , Le père Coton l'accompagne; Mais le bon roi ne songe pas Que fin Coton vient d'Espagne.'
L'intimité qui régnait entre le jésuite et son royal péni- tent, alarmait les réformés. «Ses oreilles, disaient-ils en parlant du monarque et en faisant allusion au nom du confesseur, sont bouchés de coton.» Les pères faisaient envie, après avoir fait horreur. Ils osaient tout oser; mal- gré les protestations du parlement, ils obtinrent du roi la démolition de la pyramide, sur laquelle était gravé l'arrêt de leur bannissement; cela causa une profonde sensa- tion dans tous les rangs de la société. Les parlementaires, les sorbonnistes, les réformés exhalèrent tour à tour leur colère impuissante dans des écrits plus ou moins violents, que le public lut avec avidité; le plus célèbre de ces pam- phlets, aujourd'hui oubliés, est La Prosopopée de la pyra- mide.^
L'auteur , par une fiction ingénieuse , fait parler le mo- nument qui va tomber sous le coup du marteau de ses démolisseurs. «Taisez -vous, méchants, leur dit-il, puis- que les pierres parlent. Ecoutez , vous bons Français , puisque les autres n'ont point d'oreilles. Je suis, ce qui n'est plus une pyramide qui parle, une pierre muette , qui vous sollicite de m'écouter, une colonne sans ouie et sans sentiment, qui vous en veut faire venir. Je parle n'étant plus, qui étant ne parlai jamais, je me plains de la clé- mence , qui ne me plaignis jamais de la cruauté ; afin de
1. L'Estelle, année 1605.
2. L'écrit est intitulé : Prosopopée de la pyramide dressée de- vant la grande porte du palais de Paris. — Voir Mémoires de Condé, t\n,p. 207.
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290 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
me rehausser par les m^mns moyens qu'on m'a fail abattre et rabattre de la méuioire 0 " hommes, ce que l'on efface de dessus la terre. La justic; .ne fit dresser, la miséricorde me fait défaire, non miséricirde, mais cruaulc, puisqu'il est aussi cruel de pardonner à tous, que de ne faire grâce à aucun. Je naquis d'un parricide, comme les bonnes lois naissent des mauvaises mœurs. Un coup de couteau, porté sur le visage du plus grand roi du monde , me porta sur la plus haute face du monde; mais, voyez un peu l'incer- titude des choses humaines, je devais durer après mille siècles, à peine ai-je vu seulement un lustre.» La pyramide s'adresse ensuite au roi : «Mais par votre foi, Sire, ne voulez-vous pas devenir jésuite, afin que les jésuites demeurent rois? et quand
comme le feu roi , en penseriez-vous être mieux servi que lui? Êtes-vous plus catholique que lui? C'est grand cas que vous n'ouvriez quelquefois les yeux sur les ombres de ce pauvre prince , et que la considéralion de sa mort ne puisse toucher votre vie. Je parle bien haut; mais que me peut-on pis faire que de me ruiner? Sire, les pierres ne parlent point que par une grande merveille ; c'est pourquoi elles doivent d'autant plus être écoutées, qu'elles parlent moins, surtout quand elles parlent des choses que les hommes n'osent pas dire. J'ai souvent ouï plusieurs de vos bons sujets se lamenter de cela, que vous reconnaissiez mieux et favorisiez davantage vos ennemis que vos servi- teurs , à quoi l'occurrence de vos affaires vous pourrait bien quelquefois porter; mais d'en faire une règle générale, Sire, il vaudrait mieux vous avoir offensé que servi, et quel propos y a-t-il de laisser à reconnaître un service, pour rémunérer une offense? N'est-ce pas détourner les bous de bien faire, et acheminer les autres au mal? et cela, Sire, faut-il le pratiquer envers les jésuites, qui ont tant de fois écrit et prècliô qu'il était licite aux sujets de tuer librement leurs rois?
Après ces paroles la pyramide retrace, à grands traits, l'esprit dominateur de la société de Loyola, et la faiblesse incroyable du roi , qui semble leur faire un pont de son dos pour les fnire monter par-dessus la royauté, puis elle teraiinc en s'adrcssaat aux jésuites: «Qu'auriez-vous pu
vous porteriez le sac et vous
LIVRE XXVII.
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faire davantage, si vous eussiez triomphé de la France? Encore César, après avoir battu Pompée, commanda que ses statues demeurassent droites, et par ce moyen, en rendit les siennes plus assurées : mais vous, étant non- seulement vaincus, mais convaincus, bannis et retirés par miséricorde, usez plus outrageusement de votre retour, que si vous aviez opprimé la liberté du pays; et je ne crois pas, Si selon vos inutiles efforts, vous eussiez pu chasser les Français, et introduire les Espagnols en ce royaume, que vous eussiez pu faire davantage, que d'abolir les mar- ques de la justice ; mais vous ne gagnez rien en cela, car, pour une pyramide abattue, qui ne se pouvait voir qu'en un seul endroit, vous susciterez cent mille hommes qui crieront et écriront par tout le monde, que justement vous avez été déclarés, par divers arrêts, corrupteurs de la jeunesse de la France, et même perturbateurs du repos public, traîtres au roi et déserteurs de votre patrie.»'
Les jésuites se consolèrent facilement des attaques de leurs ennemis, par la joie de leur triomphe; comblés des faveurs du roi, ils oublièrent les causes honteuses de leur rappel. De la pyramide il ne reste aujourd'hui qu'un sou- venir; mais ce qu'ils ne purent et ne pourront jamais dé- molir, ce sont ces paroles que Henri IV dit à ses ministres en plein conseil : «Ventre saint-gris, si je ne permets le rétablissement des jésuites, me répondrez-vous de ma )ersonne?»
XVIII.
Le père Coton, aux sollicitations duquel le roi avait iccordé la démolition de la pyramide, se fit de nombreux î-nnemis. Il fut un soir attaqué, lorsqu'il sortait du Louvre. jSs jésuites accusèrent les protestants d'avoir voulu l'as- assiner : ceu.x-ci répondirent qu'ils ne savaient pas comme ux jouer au couteau et qu'ils ne tuaient que sur les hamps de bataille. La blessure que reçut le confesseur u roi était si légère qu'on répandit le bruit qu'il se l'était ute pour se rendre intéressant.
Une attaque bien autrement importante que ce"^ dont oton aurait été l'objet, vint le troubler dans les j ios de
1. Voir sur le même sujet : Complainte au roi sur la pyramide • Mémoires de Coudé, t. VI, p. 212.
i92 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
son triomphe : on fit courir dans tout Paris un pamphlet intitulé le grimoire du père Cotm. Voici à quelle occasion.
Il y avait alors à Paris une seconde Marthe Brossier : on l'appelait Adrienne Dufresnes. Cette intrigante, qui passait pour être possédée du démon, excitait vivement la curio- sité publique.
«èous prétexte de l'exorciser, Coton, dit Élie Benoît, dressa une liste dans laquelle il posait au diable une série de questions, parmi lesquelles plusieurs concernaient les [ réformés. L'une parlait du comte de Laval, petit-fils de Dandelot, qui changea de religion peu après et qui mourut f l'année suivante en Hongrie; une autre parlait de la guerre et s'informait si le roi la ferait aux Espagnols ou aux hé- rétiques; une autre parlait de Chamier et de Ferrier, gens que les jésuites avaient en vue, à cause de leur crédit chez les réformés , et vraisemblablement ce jésuite aurait voulu savoir le moyen de les détruire ou de les gagner ; une autre touchait le roi et Rosny, et apparemment elle devait s'informer des moyens de perdre l'un dans l'esprit de l'autre ; une qui la suivait demandait comme subsi- (liairement, ce qui arriverait touchant la conversion de ce favori; immédiatement après il s'informait qui étaient les liéréliques de la cour les plus faciles à réduire à la foi romaine ; ensuite il voulait savoir ce qui était le plus utile pour la conversion des liéréliques, c'est-à-dire s'il était plus à propos d'en venir avec eux, à la force ouverte, ou de s'en tenir à une tolérance frauduleuse. Il voulait prendre aussi du démon des leçons, de théologie, et le , n forcer à lui dire quel passage de l'Écriture était le plus j clair pour prouver le purgatoire, et pour montrer l'éga- • lité de la puissance du pape à celle de saint Pierre. Il lui i demandait aussi en quel temps Vhérésie de Calvin serait 1 éteinte. Il l'interrogeait sur l'altération des passages de l'Écriture par les hérétiques , et il avait raison de demander |j sur cela les lumières du prince des ténèbres, parce qu'il préparait un ouvrage où il accusait la version de Genève^ d'un grand nombre de falsilicalions. Il passait aux affaires!! étrangères pour savoir comment on pourrait se prendre à,, converlir le roi et la reine d'Angleterre, et tout lef royaume, et pour y réussir avec plus de facilité? Comment jf on' puni rait défaire le (urc et convertir les infidèles; d'où
II
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venait que Genève était si souvent conservée. Puis reve- nant aux affaires du royaume, il demandait quelque chose touchant les places de sûreté , touchant Lesdiguières et sa conversion et touchant la durée de l'hérésie.»'
Ces questions eussent été sottes et impernitentes si sous la sottise, la méchanceté ne se fût pas cachée. Le jésuite, infidèle cette fois à la prudence qui caractérise sa société , écrivit de sa propre main les questions sur une feuille volante et la mit dans un livre que Gillot, conseiller au parlement lui avait prêté en 1C03; il rendit le livre et oublia la feuille qui tomba entre les mains du président de Thou qui la montra au roi; celui-ci trouva la curiosité du jésuite un peu trop grande, mais son crédit n'en fut pas diminué à la cour.
Le public, moins complaisant que le roi, eut connais- sance de l'affiiire , il trouva comique que Colon eût voulu questionner le démon , non-seulement sur les affaires d'Etat, mais encore sur le moyen de convertir les héré- tiques, comme si le prince des ténèbres était intéressé à l'abjuration des protestants. De là , l'apparition du gri- moire du père Coton ^ dans lequel on racontait en détail ce qui s'était passé entre lui et le diable.» '
Le roi ne put empêcher la circulation du pamphlet qui fit rire aux dépens des jésuites, mais qui affligea profon- dément les esprits sérieux. Sous les bouffonneries on dé- couvrait les germes de nouvelles intrigues qui pouvaient ramener la France aux plus mauvais jours de la Ligue.
Les jésuites nièrent le fait; mais leurs dénégations n'ont jusqu'ici constaté que leurs mensonges.
XIX.
Au milieu de tous ces incidents , les réformés se préparaient à tenir une nouvelle assemblée générale. Le roi le voyait avec peine : il craignait qu'elle ne prît la défense du duc de Bouillon qui de suppliant était devenu accusateur, et se présentait aux yeux de l'Europe
1. Élie Benoit, Histoire de l'édit de Nantes, t. \" , liv. VII, p. 402 et suiv.
2. L'Estoile, année 1605. — De Thou, liv. CXXXII, p. 717 et suiv. — Liste des questions dressées par le père Coton pour l'exorcisme d'Adrieune Dufresnes.
294 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
comme une viclime de sa fidélité au protestantisme. Le lieu enfin de la réunion lui déplaisait: Chatellerault n'é- tait pas éloigné des possessions de Duplessis-Mornay et de La Trémouille. Ce dernier lui éîait aussi suspect à cause de la grande influence qu'il exerçaitsur ses coreligionnaires.
Ce seigneur était né en 1566 d'une famille illustre du Poitou. Son père, Louis de la Trémouille', zélé catholique tué en 1577 devant Melle, laissa deux enfants: une fille, Charlotte Catherine; un fils, Claude deThouars, pair de France, prince de Talmont, conseiller du roi et capitaine de cent hommes d'armes.
Le jeune Claude, après avoir servi dans les armées ca- tholiques, se fit protestant et s'attacha à Henri de Condé qui épousa sa sœur. Fidèle à la cause qu'il avait embrassée par conviction, il se distingua dans les combats qui se li- vraient journellement entre les deux partis. Après la mort de son infortuné beau-frère, il suivit Henri IV sur presque tous les champs de bataille, où il conquit la répulation d'un habile capitaine. La seule récompense qu'il obtint de son maître fut l'érection de son duché de Thouars en du- ché-pairie.
Trop fier pour descendre au rôle de courtisan, La Tré- mouille montra toujours une noble indépendance, et pendant que Rosny donnait l'exemple d'une soumission serviie, il se tenait à l'écart, résistant au despotisme royal, chaque fois que l'intérêt de ses coreligionnaires l'exigeait. Ce fut lui qui fit à l'assemblée de Loudua (1596) la proposition de saisir les deniers royaux pour les employer au paiement de la garnison de Thouars'. Avec tous les membres de l'assemblée, il prêta le serment d'u- nion'. En 1597, il assista à l'assemblée politique de Cha- tellerault qu'il présida avec autant de sagesse que d'énergie et repoussa les offres qui lui furent faites par Schomberg et de Thou."
1 . Ilaag , France protestante.
2. Fonds de Brienne, n» 208.
3. Note XV.
4. Ces offres consistaient en dix brevets de maîtres-de-camp et deux de maréchaux de camp pour ses amis, avec une pension annuelle de mille éciis attacliée à cliaciin des premiers et de .3000 à chacun des deux autres; à lui-même on lui offrait le produit du péage de la Charente.
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«Messieurs, leur dil-il, je vous excuse, qui venez de travailler pour éteindre la ligue, et ayant trouvé un parti enflé d'intérêts particuliers, ne l'avez plutôt piqué au lieu plus sensible que vous l'avez réduit à néant. Pour vous montrer qu'il n'y a rien de pareil parmi nous, quand vous me donneriez la moitié du royaume, refusant à ces pauvres gens qui sont à la salle ce qui leur est nécessaire pour servir Dieu librement et sûrement, vous n'auriez rien avancé; mais donnez-leur ces choses justes et nécessaires et que le roi me fasse pendre à la porte de l'assemblée, vous aurez achevé et nul ne s'émouvra.»
Après l'assemblée de Chatellerault que La Trémouille ne présida pas jusqu'à la fin , il alla en Portugal o£i le roi l'envoya pour se débarrasser de lui. A son retour il se re- tira dans son château de Thouars où il se trouvait au mo- ment où une nouvelle assemblée politique allait se réunir. Il y eut probablement joué un rôle très-important, si le 23 octobre 1604, la mort ne l'eût surpris; il n'avait que trente -huit ans. Le bruit courut qu'on l'avait aidé à mourir.
Henri IV apprit avec une joie qu'il ne chercha pas à dissimuler, un événement qui le délivrait d'un homme dont il redoutait le génie, et qui avait su, dans l'abandon où il l'avait laissé , mériter sa haine et conserver son es- time. L'assemblée de Chatellerault lui causa dès lors des craintes moins vives. 11 s'y fit représenter par Rosny.
XX.
L'assemblée s'ouvrit le 26 juillet 1605. Son premier acte fut de renouveler, malgré l'opposition de Rosny, le serment d'union des églises. Chaque député promit de remplir fidèlement le mandat qui lui était confié.
Ce début parut de mauvais augure au ministre de Henri IV, qui dans les premières séances, se montra peu conciliant. En parlant des places de sûreté que l'édit de Hantes avait accordé à ses coreligionnaires, il dit «que les réformés devaient plus compter sur la bienveillance du roi que sur la multitude des bicoques qu'ils occupaient à titre d'otage, et dont pas une n'était en état de soutenir un siège régulier. Puis il leur communiqua les ordres
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HISTOIRE DE LA nÉFOIWlATION FRANÇAISE.
royaux: «Si quelqu'un, dit-il eu (erminanl, soit député, soil seigneur, cherche à s'émanciper, j'userai de mon au- torifé de gouverneur pour le réduire au devoir'.» Le ton hautain et menaçant avec lequel il parla , blessa vivement les députés. Il le comprit, et changeant tout à coup de langage, il chercha à obtenir par la diplomatie ce qu'on refuserait à ses menaces. Il obtint de l'assemblée qu'elle ne nommerait pas directement elle-même les deu.x députés généraux qui devaient la représenter à la cour, mais qu'ils seraient choisis par le roi sur une liste de six candidats nommés par elle. Il demanda de plus qu'il n'y eût plus à l'avenir d'assemblées politiques: «Elles seront inutiles, dit-il, puisque les églises ont leurs synodes provinciaux et nationaux pour s'occuper des questions de discipline et qu'elles auront leurs députés généraux à la cour pour dé- tendre leurs intérêts politiques.»
L'assemblée refusa d'accéder aux demandes de Rosny qui parvint cependant à obtenir «que les assemblées po- litiques n'auraient lieu que sous la condition expresse de rendre compte des raisons qui feraient juger leurs réu- nions nécessaires, et de solliciter du roi la permission de se réunir'.» C'était une abdication à peu près complète de leurs droits, puisque le gouvernement demeurait à l'avenir le maître de l'époque de la convocation des assemblées et de la direction de leurs délibérations. Cette décision qui investissait la couronne d'un droit aussi grand, renfer- mait des germes do divisions, puisque chaque refus de la royauté devait provoquer l'esprit de résistance. Mieux eût valu renoncer à la tonue de ces réunions que de s'exposer à ces luttes dans lesquelles un parti se retranche derrière la justice et l'autre derrière la légalité; en elîet, un droit dont l'exercice dépend de la volonté d'autrui, n'est pas plus un droit que la tolérance n'est la liberté.
L'assemblée, qui céda sur une grande question de poli- tique, se montra inflexible sur une question de dogme. Sully demandait que le mot Antéchrist, appliqué au pape, fût retranché de la confession de foi des églises réformées;
1. Anquez, Assemblées politiques, p. 118. — Sully, Économies royales.
2. Sully, Économies royales. — Élie Benoit, Actes des assem- blées t'ciiérales. — Anquez, Assemblées politiques.
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l'assemblée répondit: Ce qui est écrit est écrit: les hugue- nots étaient plus religieux que politiques. Ils eussent tout cédé au roi: assemblées, places fortes, s'ils eussent été assurés qu'à l'avenir ils ne seraient plus inquiétés dans l'exercice de leur culte. Leur résistance n'avait d'autre cause que leur défiance.
L'assemblée se sépara le 9 août. Les deux députés gé- néraux, Lanoue et Ducros, nommés par le roi sur la liste des six candidats qui lui avaient été présentés, se rendirent à la cour. Henri IV les accueillit avec bienveillance et promit de faire droit au cahier de plaintes qu'ils lui pré- sentèrent de la part de leurs coreligionnaires, auxquels il accorda par un brevet du 10 août le droit de garder leurs places de sûreté pendant huit ans, à dater du jour de la vérification de l'édit dans les parlements.
Le maréchal de Bouillon qui avait espéré d'être sou- tenu par l'assemblée, fut trompé dans son attente. Les députés qui crurent voir dans sa conduite plus de politique et d'intérêt personnel que de religion, refusèrent de s'in- téresser à sa cause. Se voyant délaissé, il n'attendit pas que le roi lui prît par la force ce qu'il lui était impossible de garder; il ordonna à ses gens de lui rendre ses places fortes. Quelques temps après, il fit sa paix avec le roi qui, satisfait d'avoir humilié le maréchal, le réintégra dans toutes ses possessions. Rosny reçut la récompense de l'ha- bileté qu'il avait déployée dans ses négociations avec les réformés; il fut élevé à la dignité de duc et pair et prit le nom de Sully.
XXL
Le clergé tint une assemblée à Paris dans la même année oij les réformés en avaient tenu une à Chatellerault. L'ar- chevêque de Vienne harangua le roi et fit dans son discours plusieurs allusions qui regardaient les protestants qu'il accusa formellement de contrevenir à l'édit de Nantes. Le prélat, au nom de ses collègues, demanda entre autres choses la publication du concile de Trente. Le roi répondit a l'archevêque d'une manière évasive, que chaque parti pouvait entendre dans"un sens favorable à sa cause.
Médiâteur entre les deux cultes, Henri IV ne pouvait
298 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
pas toujours réussir à les faire vivre en paix. Plusieurs fois il dut intervenir pour empêcher ou prévenir des colli- sions, dont les causes éfaient ridicules et les résultats sanglants. Le samedi 10 de ce mois (septembn; 1G05) dit l'Estoile, on trompetta des défenses par la ville de Paris, de ne plus chanter par les rues la chanson de Colas, et ce SUT peine de la hart', à cause des grandes querelles, scandales et mouvements qui en arrivaient tous les jours, même des meurtres.»'
Les protestants qui s'étaient montré si grands sur les bûchers et sur les champs de bataille , se montraient petits (levant la raillerie. Une mauvaise chanson les mit hors d'eux-mêmes; au lieu d'en rire les premiers, ils eurent la faiblesse de montrer d'abord de la mauvaise humeur, puis de l'irritalion. Ce trait de leur histoire, tout insigniliant qu'il nous apparaisse, n'est pas sans quelque intérêt au point de vue de l'étude du cœur humain qui se révèle à nous, moins dans les grands que dans les petits événe- ments de la vie.
XXIL
Au mois do septembre 4605, un vigneron d'Orléans, nommé Claude Pannier Colas perdit sa vache ^ La bête égarée se dirigea vers le hameau de Bionne, situé sur la route qui prolonge le faubourg de Bourgogne et entra dans un temple prolestant au moment du service. Le^ assistants crurent que c'était un mauvais tour des catholiques , qui montraient ainsi le mépris qu'ils professaient pour leur culte. Dans leur irréflexion, ils se ruèrent sur le pauvre animal, le tuèrent, le dépécèrent et s'en partagèrent les morceaux.*
Lorsque Colas apprit le sort de sa bête , il porta plainte au bailli d'Orléans qui condamna les protestants à lui en payer le prix, ce qu'ils firent au moyen d'une quête.
1. De la pendaison.
2. L'Estoile, année 1605.
3. Bulletin de la société de l'histoire du protestantisme français; 7« année, p. 91, 215, 3G4.
4. Due autre version dit qu'ils distribuèrent les morceaux aux passants.
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L'affaire eut un grand retentissement: la moquerie s'en empara et rendit tous les protestants du royaume soli- daires de la colère ridicule de leurs coreligionnaires; un grand nombre de chansons circulèrent. Celle qui eut le plus de succès fut celle intitulée : Complainte du pauvre Colas touchant l'ingratitude de sa vache\ «On la chanta partout à Paris, dit l'Estoile, par toutes les villes et les villages de France, on n'avait la tête roftipue que de cette chanson , laquelle grands et petits chantaient à l'envi l'un de l'autre, en dépit des huguenots devant la porte desquels pour les agacer, cette sotte populace la chantait ordinai- rement, et était déjà passé en proverbe de dire quand on voulait désigner un huguenot : « C'est la vache à Colas ou // est de la vache à Colas.y>
Plus les protestants se montraient vexés, plus les catho- liques se montraient ardents à chanter la chanson ; de là, des querelles et des rixes. Près du couvent des Cordeliers, un catholique qui la chantait fut tué d'un coup d'épée par un protestant, archer des gardes de M. de la Force. Té- moin de ces scènes, le roi défendit de chanter la chanson et la fit brûler en place de Grève par la main du bour- reau : on la chanta davantage.
Le roi étant un jour au Louvre, dit M. Edouard Four- nier', environné de ses courtisans, le duc de la Force, alors capitaine des gardes, arrivant précipitamment dans la salle, s'approcha du roi, lorsque le comte de Gram- mont son ennemi capital, dit d'un ton moqueur:
Voici venir La Force, Qui vient à grande force ■Voir la vache à Colas.
Le roi que cette raillerie égaya , l'ayant fait répéter h Grammont qui passait à la cour pour l'un des chefs de la grande confrérie, La Force répliqua sur-le-champ en achevant le couplet de la manière suivante:
Les cornes de la vache Serviront de panache A Grammont que voilà.
1. L'Estoile, année 1605.
î. Édouard Fournier, Variétés historiques et littérsdre», t H, sax notes.
300 HISTOUIE UK LA RÉFOUMATIO.N FRANÇAISE.
iSur quoi , Sa Majesté le roi s'écria: «Ventre saint gris! mon cher Grammoiit, te voilà bien payé! Et cette apos- trophe piqua , dit-on , tellement ce dernier, qu'il quitta brusquement la cour et n'y retourna jamais.»'
La chanson se chanta longtemps, et longtemps encore on dit en parlant des huguenots : Ils sont de la vache à • Colas. Ceux-ci quand ils le pouvaient, rendaient la pa- -reille aux catholiques, ne laissant échapper aucune occa- sion de les mortifier; c'est ainsi que dans les églises du midi de la France, les membres des consistoires avaient la coutume de suspendre dans la salle de leurs séances ou dans la sacristie , les ornements sacerdotaux des prêtres qui embrassaient la réforme. C'étaient des tro- phées qu'ils montraient avec orgueil. Le clergé romain s'en ofl'ensait et portait ses plaintes jusqu'au roi, qui s'im- patientait de ces mesquines tracasseries dans lesquelles les deux partis manquaient également de charité et de support.'
Ces soutanes de prêtres suspendues à la voûte de la •salle des séances des consistoires et des sacristies avaient cependant une haute signification qui n'échappa pas à Fœil vigilant du clergé. Elles étaient les fruits de l'édit de Nantes qui permettait à tout Français sans exception de quitter sa religion, sans courir le danger d'être inquiété dans ses biens et dans sa vie. Les prêtres qui étaient fatigués de la tyrannie épiscopale ou qui étaient éclairés sur les erreurs de leur église, embrassaient la réforme. L'exemple pouvait devenir contagieux. Le clergé ob- tint par ses importunités un édit qui ouvrit la série de ces restrictions qui devaient annuler de fait celui de Nantes avant le trop célèbre jour de sa révocation ofTi- cielle. L'un de ces articles portait que comme les ecclé- siastiques romains ne pourraient se ranger au parti des réformés que pour éviter les punitions canoniques de leurs crimes et de leurs dérèglements, on devait leur faire leur procès avant qu'ils pussent faire profession de la re- ligion réformée. D'autres articles portaient que les protes- tants ne pourraient avoir leurs sépultures dans les églises,
1 . Kote XVI.
?. Élio Eenoît, lîist. de redit de Kantes, t. l", liv. IX, p. 432.
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30!
ni crans les monastères, ni dans les cimetières des catho* liques, SOUS rfii texte même de fondation ou de patronage; qu'on ne bâtirait point de temple si près des églises que les ecclésiastiques faisant le service, en reçussent de l'em- pêchement ou du scandale; que les régents, précepteurs ou maîtres d'école des villages seraient approuvés par les curés sans préjudice à l'édit de Nantes.'
1. Élie Benoit, Hist. de rédit de Nantes, 1. 1", liv. IX, p. 430 et iZI. — Drion, Airégé chronologique, 1. 1", p. 271.
302
HISTOIRE DE LA HÈFORMATlON FRANÇAIS!.
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1.
Les concessions que le roi faisait aux catholiques aux dépens des protestants, aigrissaient ces derniers, sans contenter les prêtres, dont plusieurs ne voulaient pas faire de prières pour sa personne dans les services publics. Il fallut recourir aux parlements pour les y contraindre. — L'esprit ligueur, entretenu avec habileté par les jésuites, était un obstacle permanent aux bonnes et loyales inten- tions de Henri IV, qui désirait apprendre aux deux cultes à vivre en paix à côté l'un de l'autre. Il n'y réussissait qu'à demi; et ce qu'il obtenait, il le devait à la seule crainte qu'il inspirait. Un événement qui eut lieu à cette époque révéla au monde épouvanté tout ce qu'un zèle aveugle peut entreprendre pour le triomphe de Rome et la ruine du protestantisme. La société de Loyola, depuis le jour où son fondateur avait entrepris de rasseoir le catholicisme ébranlé sur ses antiques bases, n'avait cessé d'être, pour la chrétienté, une cause de discordes et d'assassinats. Elle avait brouillé toute l'Europe par ses intrigues; la Suède, la Pologne, la Prusse, la Hongrie, la Moscovie avaient été le théâtre de ses sanglantes tragédies'. Nous avons raconté au dix-huitième livre de cette histoire le complot de Savage, de B.illard et de Babington, son insuccès ne découragea pas les jésuites, qui, ne compre- nant pas que Dieu se déclar iif contre eux, quand il don- nait à l'Angleterre contre l'E^^pagne, ses orages et ses tempêtes pour détruire lailniii; le Philippe II, cherchèrent des tueurs, pour assassiner Elisabeth : ils en trouvèrent. En 1592, Patrice Cullen s'offrit. Deux ans après, deux ' autres tueurs, William et Yorck, se dévouèrent et reçu- rent des mains du jésuite Holte, le pain de la Cène; en
1. Guettée, Histoire des jésuites, 1. 1". — Élie Benoit, Hist. de redit de Nantes, 1. 1", p. 438.
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1597, Sqiiirre vint du fond de l'Espagne à Londres, pour essayer du poison : un disciple de Loyola, Walpole, lui promit le ciel et lui fit jurer de garder le secret.
Dieu déjoua toîss ces complots. Les assassins furent découverts et avouèrent tout avant de mourir. « Nous avons, dit un auteur contemporain de ces événements , leurs aveux signés de la main propre de chacun d'eux, en sorte que nous pouvons procéder dans cette affaire, comme l'on dit, papier sur tabie.»'
Après la mort d'Elisabeth, les jésuites crurent que son successeur, Jacques VI, le fils de Marie Sluart, abandon- nerait la foi des réformés dans laquelle il avait été élevé; leur espoir fut encore déçu; Garnet, le principal meneur de toutes les inlrigues, était sur le point de quitter l'An- gleterre, quand deux catholiques de haute naissance, Catesby et Percy, lui demandèrent, s'il était permis, pour soutenir la cause de Rome contre la Réforme, de faire périr, en une fois, plusieurs coupables, tout en envelop- pant dans leur ruine quelques innocents. ■ — Il est permis de le faire, répondit Garnet sans hésiter.
Catesby et Percy furent rassurés; l'homme qu'ils con- sultaient jouissait parmi les membres de son ordre, dont il était le supérieur, de la réputation d'un profond et sage docteur. Ils s'adjoignirent des complices qui , tous Jurè- rent sur les saints Évangiles, de persévérer dans leurs desseins, et d'en garder inviolabiement le secret. Le jé- suite Gérard leur donna l'absolution.
Leur projet était de faire périr, d'un seul coup, le roi, la famille royale, le parlement et les personnages les plus considérables de la ville de Londres. Le il décembre, ils se mirent à l'œuvre, et commencèrent à creuser une mine qui devait conduire d'une maison qu'ils avaient louée, jusques sous la voûte de la grande salle du parle- ment. Quand elle fut achevée, ils y entassèrent des barils de poudre auxquels on devait mettre le feu, le jour où Is roi, accompagné de toute sa famille et des principaux dignitaires de son royaume, en ferait l'ouverture solen- nelle. Pendant que les conjurés perçaient leur souterrain,
1. Procès contre Henri Garnet, supérieur de la société jésuiti- que en Angleterre et autres , etc. ; à Londres de l'imprimerie de Jean Norton, imprimeur du roi (1607).
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HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Catesby les encourageait. «, Dans le moment, leur disait- il, en faisant allusion au jour de l'ouverture du parlement , oii les ennemis de notre sainte religion méditeront, peut- être, quelques nouvelles mesures, nous les ferortS passer des flammes de ce monde à celles qui doivent les consu- mer pour toujours.» Le père Garnet ne demeurait pas oisif : il administrait le sacrement de la pénitence et de la sainte Cène aux conspirateurs, et demandait à Dieu, dans des prières ferventes, de faire réussir cette entreprise pour la plus grande gloire de son église.
Quand le passage eut été pratiqué, les conspirateurs .entassèrent des barils de poudre sous la chambre du par- lement, et attendirent avec anxiété l'ouverture de la séance royale.
Heureusement un des complices de Catesby avait un ami dans le parlement. A défaut de la conscience, qui, chez lui, était muette, la pitié fit entendre sa voix. Il lui écrivit, eu dissimulant son écriture, une lettre dans laquelle il l'avertissait de ne pas se rendre au parlement le jour de l'ouverture. Le style de cette lettre, son obscu- rité , lui firent croire au eiie orovenait d'un cerveau malade, ou d'un mystiiicaleur. it la communiqua cepen- dant au secrétaire d'Etat Salisbury, qui n'y attacha au- cune importance, mais qui eut l'idée d'en faire immédia- tement part au roi. Celui-ci lut la lettre avec une grande attention, fut frappé de quelques expressions, et devina, sous l'ambiguïlé des termes, le projet des conspirateurs. 11 ordonna de visiter les caves du parlement ; on y trouva GuyFawkes, domestique de Percy. On l'arrêta; la poudre, cachée sous des fagots, fut découverte; elle était con- tenue dans trente-six barils. Fawkes déclara tout. Catesby et ses complices prirent la fuite. On se mit vivement à leur poursuite; les deux chefs de la conspiration périrent les armes à la main, ainsi que plusieurs de leurs com- pagnons de crime. Les autres furent arrêtés, jugés et condaioiiés à mcrL
'îl
Le jésuite Garnet fut arrêté. Dans le cours de l'instruc- tion de son jorocès , il ne put , malgré ses restrictions
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mentales, décliner la responsabilité du crime qui avait épouvanté TAngleterre. Il fut condamné à mort.
Le 3 mai 1605. il fut conduit au lieu de son supplice. \ la vue de l'échafaud. il se troubla et se mit à trembler de tous ses membres. L'angoisse et la terreur se peignaient sur sa figure blafarde. Pour la première fois, peut-être, la conscience lui faisait entendre sa voix sévère, et com- prendre que ce qu'il regardait comme une œuvre méritoire de la vie éternelle, n'était qu'un crime abominable. D'un pas chancelant, il monta sur l'échafaud, et d'une vois émue il dit aux assistants : «Le crime qu'on a voulu com- mettre est énorme, et s'il eût été consommé, il eût été impossible de n'en pas avoir horreur; mais je n'ai su la chose de Catesby qu'en général ; je suis cependant cou- pable de l'avoir célée et d'avoir négligé de l'empêcher; ce que j'ai su en particulier, ajouta-t-il, je ne l'ai appris que sous le sceau de la confession. »
A ces mots, le magistrat chargé de présider "a son exé- cution lui dit : «Rappelez- vous les quatre articles signés de votre main, qui sont entre les mains du roi'; ils prou- vent que vous avez eu connaissance du crime autrement que par la confession.»
Garnet baissa la tète : «Ce que j'ai signé est vrai, dit- il; ma condamnation est juste; j'aurais dû tout découvrir h Sa Majesté. »
Un moment après, la justice humaine était satisfaite.
La société de Loyola ne se montra pas ingrate pour l'homme qui s'était dévoué pour elle, et dont le seul tort, à ses yeux, avait été d'avouer son crime.
Sans tenir compte du procès-verbal de sa mort, elle en dressa un, dans lequel elle dénatura audacieusement les faits, et d'un criminel fit un saint martyr. «.Il monta, dit le père Jouvency,à l'échelle du gibet avec une incroyable sérénité, qu'il conserva même étant suspendu à la potence, et jusqu'à sa mort, quand on lui eut coupé la tète, en sorte que plusieurs y accoururent pour le voir de plus près.
«Le peuple en gémit, et comme le bourreau se mettait en devoir de couper la corde , avant qu'il eût rendu l'es- prit, le peuple l'en empêcha par ses cris. Ensuite le mêina
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exécuteur montrant, comme on le fait ordinairement, dans ses mains ensanglantées, le Cœur qu'il avait arraché, personne ne poussa les cris accoutumés de vive le roi! mais chacun rendit témoignage par un silence aussi élo- quent que luguhre, h l'innocence de cet excellent prêtre ; ou, si l'on entendit quelques paroles, ce fut de la part de ceux qui disaient qu'assurément ce n'était pas la mort d'un traître.
«Il y eut un combat religieux entre les catholiques pour enlever ses dépouilles, ou pour recevoir son sang dans des linges, tandis qu'on lui déchirait le corps.» '
Le père Jouvency, en se faisant le panégyriste de Car- net, dut se rappeler la maxime pratique de sa société: «que tout mauvais cas est niable.» Il fallait que cet écri- vain fût bien aveugle, ou bien hardi, pour oser justifier un crime abominable, dont elle n'a pas su se laver , malgré tous les efforts de ses défenseurs.
Lorsque plus tard, sous Charles I", les catholiques furent accusés d'une nouvelle conspiration, le comte de Sfaffort, le principal accusé, parlant dans sa défense de la conspi- ration des poudres, prononça ces paroles remarquables : «Je fis une recherche exacte de cette affaire et plus par- ticulière qu'aucune autre personne, je m'en enquisàmon père, à mon oncle et à plusieurs autres; je suis convaincu et crois fortement par les preuves que j'en ai reçues que cette trahison était un horrible et détestable dessein de quelques jésuites, avec quelques autres gens, et je la con- sidère comme une action si exécrable, que je ne crois pas que la malice des jésuites^ ni l'esprit de l'homme veuille ou puisse l'excuser. » '
1. Souvenirs liistoriques de la compagnie de Jésus , 5« partie, t. n, commençant à l'année 1591 jusqu'à 1616, imprimé à Rome en 1710 avec permission. — Voir pour tout ce qui concerne la Icélèbre conspiration des poudres : Procès contre Henri Garnet, supérieur de la société jésuitique en Angleterre; Londres, impri- merie de Jean Norton, imprimeur du roi (1607). — Extraits des assertions dangereuses et pernicieuses en tous genres, que les soi-disant jésuites ont dans tous les temps et persévéremmcnt soutenues, etc., pages 460 et suivantes; Paris, chez Pierre-Guil- laume Simon, imprimeur du parlement, rue de la Harpe, à i Her- cule (M.DCC.LXII).
2. Guettée, Histoire des jésuites, 1. 1", p. 282-28*.
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Le noble accusé qui porta sa tête sur l'échafaud, victime de sa fidélité à Charles I", se trompait : les jésuites n'ont pu justifier la conspiration des poudres, mais, ils l'ont essayé, comme ils ont essayé de faire un saint de Chatel, et un bienheureux du père Guignard. Soyons justes, et, dans cette triste et honteuse page du catholicisme romain, ne confondons pas les catholiques anglais avec les Catesby, les Percy, les Fawkes, les Oldercorne et les Garnet; ils ne trempèrent pas dans cet attentat, dont tout l'odieux retombe sur la société de Loyola, sur Catesby et ses complices.
Le complot qui avait pour but d'anéantir la Réforme, la raffermit; les protestants anglais manifestèrent leur in- dignation contre les coupables, et leur dégoût pour une religion qui em.ployait de semblables moyens pour parve- nir à ses fins. Le jour à jamais mémorable, où Dieu les avait délivrés de la main de leurs implacables ennemis, a pris rang parmi leurs fêtes nationales. Chaque année, ils célèbrent un anniversaire qui leur rappelle l'un des crimes les plus audacieux dont les jésuites, la personnification vivante du catholicisme ultramontain, se soient rendus coupables : Guy Fawkes et le père Garnet gardèrent mieux l'Angleterre des atteintes du papisme que la plume des Du Perron et des Bellarmin.
in.
Henri IV tressaillit d'horreur en apprenant la conspira- tion des poudres. C'eût été le moment de proscrire ces moines assassins qui exerçaient le meurtre en grand. De- puis le jour où la lame du couteau de Jean Cliàtel avait brillé à ses yeux , il avait peur et cherchait dans la diplo- matie ce qu'il aurait dû demander à un acte énergique qui eût mis au ban de la chrétienté ces hommes, dont les en- seignements préparaient en silence le fer qui devait lui percer le sein. 11 agit à leur égard comme si la grande conspiration des poudres eût été une invention de leurs ennemis. 11 les combla de grâces et porta leur société au plus haut degré de prospérité, mais toujours fidèle à son système de juste milieu, il accorda aux protestants le droit de célébrer leur culte à Charenton, quoique l'édit
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HISTOIRE DE LA UÉFORMATION FRANÇAISE.
de Nantes portât qu'ils ne pourraient le faire qu'à cinq lieues de la capitale. Jusqu'à ce moment, ils se réunis- saient à Ablon, mais le trajet, surtout pendant les jours d'hiver, était si diflicile, qu'il en résultait de graves in- convénients : plusieurs enfants qu'on avait apportés au temple pour y être baptisés étaient moris, et les seigneurs protestants qui étaient attachés à la cour par leurs chnryes, se plaignaient d'un éloignemcnt qui les empêchait dé rendre, le même jour, leurs devoirs à Dieu et au roi.
Quoique cette dérogation à l'édit fut insignifiante, les catholiques manifestèrent leur mécontentement. La popu- lace de Paris s'ameuta; le roi revint en toute liate de Fon- tainebleau pour la comprimer. Nous reviendrons plus tard sur l'établissement du culte protestant à Charenton qui devint l'un des quartiers généraux de la Réforme.
Les jésuites, jaloux de la moindre faveur que le roi ac- cordait à ses anciens coreligionnaires, faisaient des efforts incessants pour établir leur influence partout, mais ils rencontraient quelquefois une vive opposition de la part de certains évêques qui haïssaient cette secte turbulente et ambitieuse ; tous ceux des prêtres de l'Église romaine qui avaient un cœur vraiment français, s'affligeaient de sa prospérité croissante et blâmaient hautement le roi de sa condescendance pour des hommes dont les actes étaient trop d'accord avec leurs pernicieuses doctrines. Quand l'occasion se présentait de les humilier, ils ne la laissaient pas échapper. Un jour une vive contestation s'éleva entre quelques jésuites et les chanoines du chapitre de Notre- Dame de Paris. Les premiers demandaient au roi, par l'intermédiaire de Coton, de leur accorder son cœur pour le déposer après sa mort, dans leur église de la Flèche. Les seconds s'y opposaient, parce que leur chapitre jouis- sait depuis longtemps du privilège d'avoir en dépôt le cœur des rois; la discussion s'échauffant, un chanoine faisant allusion au nom de la ville pour laquelle les jésuites briguaient cet honneur, leur demanda ce qu'ils désiraient le plus ardemment, ou de mettre le cœur du roi dans La Flèche ou la fièche dans le cœur du roi? '
Le trait était cruel, il allait droit à son adresse. Les
1. Élie Benoit, Kisl. de l'édit de Nantes, liv. IX, p. UO.
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jésuites triomphèrent, le roi leur légua son cœur. Il le fit à sa manière, en plaisantant: «Prenez patience, Mes- sieurs , leur dit-il, je n'ai pas envie de mourir.»
Dans la même année où ces choses se passaient (1607), les jésuites éprouvèrent à La Rochelle un échec qui leur fut très- sensible. Cette ville huguenotte troublait leur sommeil; ils résolurent de s'y installer et d'y faire prédo- miner leur influence; l'entreprise était difficile à cause de la haine instinctive que la population protestante portait au clergé et surtout aux jésuites; ils n'osèrent pas deman- der au roi la permission de laisser prêcher l'un des membres de la société dans l'église affectée au culte catho- lique, sachant qu'il l'aurait refusée. Ils s'adressèrent donc par l'intermédiaire de La Varenne, leur protecteur, à Beaulieu et à de Fresnes, qui accordèrent sous le nom du roi, au père Séguiran, la permission de se rendre à La Rochelle pour y prêcher. Ce prédicateur célèbre, muni de son faux passe-port, partit de Paris et se présenta hardi- ment aux portes de La Rochelle.
Les soldats qui étaient de garde lui demandèrent qui il était.
— Je suis, répondit-il, de la compagnie de Jésus, et je viens remplir au milieu de vous le ministère évangé- îique.
— Retirez -vous, lui répondirent les factionnaires; Jésus n'a point de compagnons et vous n'avez point de lelire du roi.
Le jésuite insista, menaça: les factionnaires furent in- flexibles. Séguiran fut contraint de retourner à Paris.
Le renvoi ignominieux du jésuite irrita la cour. Le roi fit semblant de participer à l'indignation générale et dit en public à Sully : «Vos gens de La Rochelle ont bien fait des leurs; est-ce là le respect qu'ils me rendent pour l'amitié que je leur porte et les gratifications qu'ils reçoi- vent de moi comme vous savez? Et alors il raconta avec une grande animation, tout ce qui s'était passé, déclarant qu'il saurait apprendre à ces audacieux Rochelois à res- pecter ses ordres.»
Sully l'écoutait avec stupéfaction, prêta partager sa co- lère contre ses coreligionnaires , quand le roi le prenant en particulier, lui dit: «J'ai fait ainsi le fâché pour fermer
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HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
la bouche à ceux qui ne cherchont qu'à blâmer mes ac- tions; mais à vous je dis qu'il n'ont pas tout le tort du monde, car je n'ai ni commandé, ni été informé de telles dépèches, lesquelles j'eusse bien empêché si j'en eusse été averti. Néanmoins, il y faut pourvojr par une autre voie que par désaveu des secrétaires d'État, d'autant que cela serait tiré à conséquence jtour toutes leurs autres dépêches. Avisez quel moyen il y aura. Il me semble que le meilleur serait de leur écrire qu'ils vous envoyassent deux ou trois personnes de qualité et de créance pour traiter d'une alfaire qui leur touche inlinimcnt, afin de leur en faire les ouvertures telles que la satisfaction pu- blique me serait rendue et qu'ils demeurent assurés qué je ne veux rien innover en leur liberté, ni sûreté.»
Sully s'associant à l'idée du roi manda aux magistrats de La Rochelle de lui envoyer des députés avec lesquels il put s'entendre sur une alîaire d'une grande importance qui les concernait. Les députés étant arrivés, «Sully, dit le père Acère, dévoila tout le mystère. Il leur dit que la chose s'était passée sans la participation du roi et qu'elle n'arri- verait plus; mais qu'il fallait une réparation publique à l'autorité royale qu'on n'avait pas assez respectée; qu'ainsi le père Séguiran serait reçu dans leur ville , mais qu'au bout de quelques jours il aurait ordre de se retirer. Les députés ne parurent pas mécontents du tour que prenait le ministre d'État pour les tirer d'embarras.»'
Les députés , de retour à La Rochelle , remirent aux magistrats une lettre de Sully dans laquelle il les enga- geait à se soumettre aux désirs du roi; les conseils du mi- nistre furent suivis. Séguiran reprit le chemin de la cité huguenote d'où il fut rappelé quelques jours après. La société comprit alors qu'elle avait été mystifiée.
Il n'y eut rien d'important dans le courant de l'année 1607 que le synode qui se tint à La Rochelle-. L'ouverture en fut retardée jusqu'au l" mars, parce que le roi ne voulait pas scandaliser le légat du pape qui venait assister au baptême du dauphin , en permettant une réunion dans laquelle on devait traiter la question de TAntéclirist.
1. Sully, Économies royales. — Arien, Hist. de La Rochelle, liv. VI, t. II. p, I |Ç)-1?0.
2. Il fut le dix-huitième synode national des églises réformées.
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311
IV.
Immédiatement après la formation de son bureau, le
synode députa au roi quelques-uns de ses membres char- gés d'obtenir de lui trois choses : la première, qu'on pro- cédât à la nomination de deux députés généraux à la place de ceux qui avaient été nommés par l'assemblée générale de Chàtellerault; la seconde, que le terme de leur mandat fût limité à un an; la troisième, que le synode ne lût tenu qu'à lui désigner deux personnes pour remplir cette charge auprès de lui.
Le roi reçut les députés avec bienveillance. Sully s'en- tretint souvent avec eux, leur parla avec abandon cïe l'af- fection que son maître portait aux protestants, et ne les laissa partir que lorsqu'il les vit disposés à seconder les Tues de la cour. 11 leur remit des lettres pour'le synode;^' dans l'une d'elles, il recommandait expressément qu'on rayât de la confession de foi le mot Antéchrist, «le pontife leur disait-il, qui occupe aujourd'hui le siège romain , ne Teut gagner les consciences que parla voie de la douceur.» Le témoignage de Sully ne persuada pas les députés; ils savaient que depuis l'édit de Kantes le pape n'avait pas re- noncé au projet de les exterminer; — ils n'étaient donc pas touchés par les raisons de ceux vivant à la cour, insis- taient sur la nécessité de ne pas offenser le roi et prê- chaient la soumission sous toutes les formes. «Ce sont, disaient-ils en les raillant, les clairvoyants de l'Égiise, leur prévoyance leur montre des inconvénients qui nous échappent.» Ceux-ci, à leur tour, disaient de quelques membres de l'assemblée : «Ce sont les fous du synode»; nais ce furent ces fous qui maintinrent vigoureusement Burs droits; à leur tète était Charnier, dont Henri IV iisait : « S'il y a un chat à fouetter, il faut qu'il le fasse.»' Le parti de la cour à la tète duquel était Montmariin, sbtinl cependant une demi-victoire sur la question irri- ante de l'Antéchrist. Le roi s'était expliqué si catégori- juement sur ce point, qu'il eût été impplilique de passer vatre. Sous prétexte de surséance, dit Élie Benoit, le sy-
1. Bulletin de la soc. de l'hist. du protestant, franç (1S63). — or.rr.al inédit de Charnier, publié par Cbarlcs Read.
312 HISTOIRE DE LA RÉFORMATiON FRANÇAISE.
iiodii abandonna l'affaire et se contenta de promettre la protection des églises à ceux qui seraient inquiétés pour avoir prêché, ou confessé, ou dit, ou écrit quelque chose de celte matière, c'est-à-dire, en un mot, que la doctrine fût retenue, et qu'on tînt la question pour décidée; mais que l'intérêt de l'Etat ne permit pas qu'on l'insérât comme un article de foi parmi les autres.'
Le synode voulant montrer plus clairement qu'il ne désavouait pas la doctrine, chargea le ministre Vignier de traiter amplement la question.
Les fous du synode qui avaient cédé à demi sur la ques- tion de l'Antéchrist , refusèrent de présenter au roi une liste de six candidats sur laquelle il devait choisir les deux députés qui devaient représenter à la cour les intérêts de la cause. Ils en nommèrent seulement deux, Mirande et Yillarnoul gendre de Mornay, et supplièrent Henri IV de convoquer, dans le plus bref délai, une assemblée dans laquelle on délibérerait sur le mode à suivre pour la nomination de la députation générale.'
Le synode envoya Chamier à la cour pour présenter au roi la nomination de ses deux députés. Après six mois d'attente, il n'avait pas eu l'honneur d'être présenté au roi, «parce qu'il était de ces fous du synode qu'il n'aimait pas , de ces tètes dures que rien ne fléchit , de ces cœurs inaccessibles aux craintes et aux espérances qui sont les plus fortes machines de la cour^» Mais tout échoua devant la patience indomptable du ministre de Montélimart.
Les affaires dont il était chargé étaient moins agréables encore que sa personne ; le roi ne pouvait, après son re- fus, sans faire preuve de faiblesse, sanctionner la nomi- nation de Mirande et de Villarnoul , faite contrairement à sa volonté; mais en se refusant à la sanctionner, il lui était bien diflicile de ne pas accorder la permission de tenir une nouvelle assemblée générale. Placé entre ces deux alternatives, il se décida pour la seconde , mais en y
!. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, 1. 1", llv. IX, p. 443. —
Actes des synodes nationaux.
2. Anquèz , Assemblées politicpies des réformés de France , p. 222. — Elle se tint en 1608; ses membres étaient au uornljif de 38,
i. Élie Benoît, Hist. de l'édit de Nantes, liv. IX, p. 447.
i
LIVRE XXVltt,
S13
apportant tant de restrictions que les réformés ne pou- vaient en retirer de biens grands avantages. On leur indi- qua Jargeau pour le lieu de la réunion, parce que cette ville était voisine du duché de Sully, dont Sully était devenu titulaire en 1606.
L'assemblée s'occupa d'abord de la vérification des pou- voirs de ses membres et entendit le rapport de La Noue et Ducros, et dressa ensuite ses cahiers dans lesquels, entre autres choses, elle demanda que la députation générale fût limitée à deux années, et que le roi répondît à plusieurs demandes particulières qu'elle lui avait faites par l'inter- médiaire de Sully.'
Sully était présent à l'assemblée. De jour en jour il de- venait plus suspect à son parti qui le croyait sur le point de changer de religion. Le roi, pour s'y disposer, lui avait offert pour son fils une de ses filles bâtardes, sous la con- dition qu'ils se fissent tous deux catholiques J e père Cotton, qui partageait avec Du Perron le titre d-^ convertisse'ir de la cour, avait essayé d'ébranler le favori de Henri IV dans ses croyances, il échoua; Sully permit cependant à son fils de changer de religion ; on crut assez généralement parmi les protestants, h une intrigue entre le roi et son ministre, afin de réhabiliter ce dernier dans l'esprit de ses coreligionnaires qui n'oseraient plus s l'avenir mettre en doute son attachement à son parti, en lui voyant pré- férer sa foi religieuse à une alliance que des maisons prin- cières n'eussent pas dédai^ée. La réception que lui fit l'assemblée fut froide, elle lui fit sentir qu'elle voyait en lui moins un coreligionnaire qu'un négociateur du roi. ^éanmoins, à force d'habileté et d'insistance . il parvint à la ranger à la volonté royale ; elle abandonna plusieurs de ses places de sûreté et renonça à la nomination directe des deux députés chargés de la représenter à la cour; elle dressa une liste de six candidats au nombr^ desquels étaient Mirande et Villarnoul. Le roi les choisit pour dé- putés, montrant ainsi que ce qui lui avait déplu dans leur précédente nomination, ce n'était pas leurs personnes, mais les formalités de leui élection.'
1. Anqiiez, Assemblées politiques des réformés, p. 224.
2. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, liv. IX, p. 450.
9.
314 HISTOIRE DE LA RÉFORHATION FRANÇAISE.
?.
Le cîerçé s'assembla dans le courant de l'année 1608, à Paris. Cinq cardinaux et un nombre considérable d'évèques étaient présents, tous revêtus de leurs plus éclatants cos- tumes. Malgré cet appareil pompeux, qui accusait un état ' de grande prospérité, Fremiot, archevêque de Bourges, portant la parole au nom de l'assemblée, fit au roi un tableau piteux et lamentable de la situation misérable dans laquelle l'Église était tombée, et lui demanda pour cica- triser ses plaies, la publication du concile de Trente qu'il avait promise au pape par ses procureurs, lors de son abso- lution.
Le roi désavoua hautement ses procureurs et déclara nettement qu'il ne ferait pas ce que François I", Henri H, Charles IX, qui n'avaient pas comme lui des engagements solennels avec les réformés, s'élaient refusés de faire. «Je ne veux pas, leur dit-il, renouveler les troubles du royaume.»
Le fermeté du roi fut une espèce de consolation pour les réformés , du déplaisir qu'ils avaient de voir l'éduca- tion du dauphin confiée au père Coton.'
Il y eut une autre affaire, dit Élie Benoît, dans laquelle le roi donna agréablement le change au clergé. Ce corps immensément riche, suppliait depuis longtemps le roi d'établir un fonds pour des pensions en faveur des pas- teurs protestants qu'on solliciterait à changer de religion; > or, comme jusqu'à cette époque, les gages qu'il donnait aux apostats étaient très-minimes, les conversions étaient rares; il pensa donc qu'un moyen infaillible de les attirer vers Rome, ce serait de leur présenter l'appât d'une bonne pension. Il lui eût été facile de le faire, disposant de res- sources immenses ; mais plus habitué à recevoir qu'à don- 1 ner, il s'adressa au roi qui n'y fit aucune objection, et eut l'idée de lui imposer cette charge II s'adressa au pape qui, répondant à ses désirs, fit un bref par lequel il exhorta ce corps à faire ce fonds lui-même. Le cardinal de Joyeuse présenta le bref à l'assemblée du clergé qui fut contrainte oc l'accueillir et vota une somme annuelle de trente mille
a. Élie Benoit, Hist. de fédit de Naates, liv. IX, p. 4âl.
LIVRE xxvm.
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livres. Toute minime qu'elle fut pour l'important objet au- quel elle était destinée, elle ne fut jomais épuisée. Plus tard, le.? sommes accumulées demeurant sans emploi, on s'en servit pour solder des missionnaires qui allaient de îieu en lieu molester les réformés, et des agents subalternes chargés de les solliciter à changer de religion.'
VI.
Pendant ce temps-là, la cour d'Espagne persécutait cruellement les Morisques; dans leur douleur ces infor- tunés regardèrent à Henri IV : « Nous nous donnons à vous, lui dirent-ils, si vous voulez nous prendre sous votre protection. » Avant de leur faire une réponse , le roi envoya sur les lieux Panissant, gentilhomme Gascon et réformé, afin de conférer avec eux. Revêtu d'un habit de cordelier, il pénétra en Espagne et sut habilement gagner leur confiance ; mais les bigots de la cour représentèrent vivement au roi que Panissant voulait les gagner à la ré- forme; ils le firent rappeler et remplacer par Ciavérie dont la négociation fut sans succès. Les Morisques auraient pu embrasser la réforme, jamais le catholicisme romain, à cause de l'aversion qu'ils avaient pour son culte; les bigots donc trouvèrent plus raisonnable qu'ils demeurassent mahométans que de devenir protestants et bons Français.'
Les jésuites, qui durant ces jours de paix brouillaient tout en Europe , soufDaient en France un esprit de désordre ; le père Coton , le complaisant et le confesseur du roi, di- vulgua les secrets que le monarque lui avait confiés, il n'eut pas la punition qu'il méritait; la cour taxa ses accu- sations de calomnies. Le père Gonthier rappelait dans ses discours quelques-uns des plus ardents prédicateurs de la ligue; le père Ignace Armand, souple, insinuant, cachait ses intrigues sous les dehors d'une grande humiUté. Le roi témoin de toutes ces roueries, qui neutralisaient ses bonnes intentions, en avait souvent le cœur plein d'amertume, et ne savait comment les réprimer; et lui, si courageux, si intrépide devant des fronts de bataille, se sentait désarmé devant ces sourdes menées. Il crut à tort qu'il apprivoi-
1. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, liv. IX, p. 45i.
2. Idem, t. i", p. 452.
316 HISTOIRE m LA RÉFORMATION FRANÇAISE
serait les jésuites en les comblant de biens; ceux-ci, forts de ses craintes, lui faisaient chaque jour de nouvelles demandes; c'est ainsi que dans le courant de l'année 1608 il les établit dans le Béarn, malgré l'opposition des États et des députés de cette province qui lui représentèrent que ce serait un fléau pour le pays, et firent valoir, mais en vain, un arrêt du parlement de Pau qui défendait de les rece- voir. La même année ils établirent un noviciat à Paris et jetèrent les fondements de leur célèbre collège de Clermont.
Le roi cependant n'oubliait pas les huguenots, il les savait fidèles à sa cause et à sa personne, il ordonna qu'on examinât les cahiers de leur dernière assemblée; quelques- unes de leurs demandes furent répondues favorablement; on abolit certaines solennités que les catholiques avaient établies en souvenir des succès qu'ils avaient remportés sur les réformés, et dont la célébration était de nature à raviver les haines que le roi s'efforçait d'éteindre.
VII.
Il se tint peu à peu un synode national' dans la petite ville de St. Maixent (Poitou)' on n'y traita que des afîfaires de discipline; le seul fait qui mérite d'être mentionné, c'est la présentation aux membres de l'assemblée du livre que Vignier avait composé sur la question de l'Antéchrist soulevée au synode de Gap. Après examen, on décida que l'académie de Saumur veillerait suf son impression; le livre parut sous le ,titre de Théâtre de l'Antéchrist. Il le dédiait à la saincte Église réformée, séparée de la Babylone spirituelle pour embrasser l'Évangile.
«Je te présente, lui disait l'auteur, ce mien labeur (chère espouse de nostre Seigneur Jésus-Christ) comme t'estant consacré de tout droict selon la vocation que j'ai en toi et pour toi. Tu y verras le portraict de cette paillarde qui t'a si longtemps persécutée, chassée au désert, foulée aux pieds et s'est enyvrée de ton sang. Laquelle te poursuit cncor et ne peut souffrir que tu te pares pour les nopces de ton Espoux. Tu y verras aussi sa condamnation et ruine
1. Il fut le 19" synode national.
2. Drion, Abrégé des conciles, t. I", p. 273.
LIVRE XXV u:.
317
prochaine prédite par l'Esprit de Dieu, reconnue par plusieurs grands personnages des siècles passés.
«Dieu veuille que cela porte aux yeux et au cœur de ceux qu'elle tient enlacés en ses liens, et qu'elle empoisonne de la coupe de ses paillardises. Pour le moins certes m'as- surerai-je que ceux qui liront cet écrit sans préjugé dépravé, reconnoistront combien tu as eu raison d'obéir à ce com- mandement céleste : Sortez d'icelle mon peuple : combien sainctement tu as quitté les hauts lieux de Beth-Âven, où on te convoquait sous le nom de Béthel : combien pru- demment tu es sortie d'Egypte d'entre le peuple d'un lan- gage étranger, pour ouïr la voix de ton espoux et servir à l'Eternel ton Dien. Voici je ne doute point que tes adver- saires mesmes, s'ils ne regardent ce que tu as faict, et les causes pourquoi tu l'as faict d'un œil plus sinistre que les magiciens d'Egypte ne considéraient les miracles deMoyse, quelques Jannès et Jambrès qui te résistent, ne soient enfin conlraincts de prononcer cette vérité : C'est ici le doigt de Dieu.
«Je ne déduirai point les causes qui t'ont forcée à cette * séparation, lesquelles ont esté amplement et dignement traitées par plusieurs de tes serviteurs. Mais si nous prou- vons que le Pape est l'Antéchrist, qu'avons-nous besoin de plus grande dispute?» Le livre de Vignier fut accueilli avec des cris de joie
fiar les réformés, avec des cris de colère par les caiho- iques; les jésuites, surtout, l'atlaquèrent avec violence. Le père Gonthier, prêchant devant le roi, s'exprima sur ce sujet d'une manière séditieuse et violente. Le monarque lui fit de sévères réprimandes; mais craignant qu'on ne l'ac- cusât de partialité envers les protestants, il défendit le débit du théâtre de l'Antéchrist.
VIIL
Un fait digne de remarque se passait à cette époque en Hollande : le président Jeannin , autrefois passionné ligueur, mais homme de sens, plaidait en Hollande la cause de la liberté religieuse. Le roi l'avait envoyé auprès des États pour confirmer, au nom de la France, le traité signé au nom du roi d'Espagne et des Archiducs, après avoir signé
318 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
le traité avec l'ambassadeur du roi d'Angleterre , Jeannin parla de la religion et dit que le désir aident de sonmaitre était qu'on accordât aux catholiques dans les Provinces- Unies la même liberté qu'on accordait aux protestants dans ses étals; qu'il faisait cette proposition, après la signature du traité, afin que cette concession fût censée accordée librement et sans contrainte : Le président fit valoir les services que les catholiques avaient rendus à la cause de leur patrie en combattant dans les mêmes rangs que les protestants, il insista sur le devoir de leur rendre justice en leur accordant la liberté de servir Dieu selon leur conscience, 11 montra la France sortant de ses ruines sous l'influence d'un gouvernement sage et modéré, lit un tableau saisissant des malheurs dans lesquels l'intolérance religieuse avait jeté les peuples, qui, au lieu de s'aimer, s'étaient entr'égorgés, et conclut en demandant la liberté de conscience pour les catholiques.
«Si leur attente était trompée, leur dit-il, il en arrive- rait, ou qu'emportés par un zèle indiscret ils auraient recours à la force pour tirer raison de la violence qu'on exerçait à leur égard, ou qu'ils abandonneraient peu à peu leur religion, mettraient Dieu en oubli et se plongeraient dans l'impiété, plus pernicieuse à la république que toute sorte de superstitions; car le superstitieux est toujours dans la crainte, et après s'être mis à couvert des châti- ments des hommes, il croit toujours ne pouvoir se sous- traire à la vengeance divine qui lui cause de plus grandes frayeurs. Pénétré de cette crainte salutaire, il obéit aux lois, et ne se livre pas si aisément au crime qu'un scélérat, qui, sans crainte et sans espérance après la mort, ne regarde comme criminel et honteux que ce qu'il ne peut dérober aux yeux de la justice humaine, ou ce qui peut lui attirer des châtiments.»
« Ces raisons, poursuivit-il , doivent suffire aux Etats pour les engager à contenter les catholiques. Le roi, ayant nien prévu que sa demande trouverait de l'opposition, n'a pas Toulu mettre le trouble dans la république; c'est pour cela qu'il a jugé à propos de restreindre sa prière en faveur des catholiques. Sa Majesté ne demande pas qu'on leur accorde la liberté de professer publiquement leur religion, mais qu'on leur permette seulement de le faire en parti-
LIVRE XXVITI.
319
euHer dans leurs maisons, sans le? inquiéter sur ce sujet. Si les États jugent cette tolérance préjudiciable à la répu- blique, le roi consent qu'on prenne de justes mesures, pour obvier à tous les inconvénients qui pourraient arriver à cette occasion. »
IX.
Les États prêtèrent une sérieuse attention aux paroles si sages de Jeannin; mais ils ne donnèrent pas aux catho- liques hollandais la même liberté que Henri IV avait accor- dée en France aux protestants; ils les tolérèrent, et sous l'empire de la tolérance, les catholiques hollandais eurent plus de vraie liberté que n'en eurent les réformés sous un édit qui leur garantissait le plein exercice de leur culte. En Hollande les catholiques furent protégés par l'esprit public contre les lois rendues contre eux. En France les réformés lurent poursuivis par l'esprit public , malgré l'édit rendu pour eux.
Nous croyons toute intolérance, en matière de liberté religieuse, mauvaise, la protestante plus encore que la catholique ; mais les plaintes des catholiques contre les protestants, lorsque ces derniers leur refusent la liberté du culte, perdent beaucoup de leur valeur, quand les pro- testants leur disent • «c'est vous-mêmes qui nous forcez à être intolérants , parce que nous savons que vous ne vous servirez de la liberté que vous nous demandez que pour opprimer la nôtre.» C'est ainsi que l'intolérance romaine produit l'intolérance protestante. La première émane d'un principe, la seconde d'un fait; aussi pendant que la cause de la liberté religieuse- n'a pas fait un seul pas dans les contrées où le prêtre romain domine, elle enfonce chaque jour ses racines sur le sol des nations protestantes, qui commencent à comprendre que lorsque un principe est bon , il ne faut pas regarder au mal prochain et appa- rent que son application peut faire. Voltaire réclama la tolérance au nom de l'indilierentisme religieux; Henri IV la voulut dans l intérêt de sa politique; le protestant doit la vouloir dans celui de la vérité, parce que l'erreur qui germe et se développe à l'abri du despotisme n'a pas d'a- venir sous un gouvernement de liberté.
320 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Quels que soient les mobiles qui ont poussé Henri IV à vouloir la libérlé religieuse , l'édit de Nantes sera aux yeux de la postérité son plus beau titre de gloire. Il mon- trera en lui un prince qui apprit à la grande et rude école de l'expérience qu'en matière de religion la force brutale atteint moins encore l'opprimé que l'oppresseur; et cependant ce prince qui donnait au monde un exemple que ses successeurs ne surent pas imiter, inoculait à la France le poison de ses vices. Sa cour était un lieu de débauches et de grossières dissipations; on y jouait, on s'y enivrait, on s'y prostituait' comme à Sodome et à Go- morrhe, et du milieu de ces prélats et prédicateurs, qui ne cessaient de demander des restrictions à l'édit de Nantes, il ne s'élevait pas une seule voix contre des dé- bordements qui eussent arraché à Jérémie des lamen- tations plus douloureuses que celles qu'il laissait échapper de ses lèvres, à la vue de la déchéance morale des entants de Jacob. Le roi avait par moment le sentiment qu'il s'avi- lissait aux yeux de son peuple; dans une lettre qu'il écrivit a Sully, il nous laisse pénétrer dans les replis les plus secrets de son cœur.
«Mon ami, je vous écris cette lettre, non de ma main , mais de celle de Loménie, tant à cause qu'elle est un peu bien longue et que je me suis blessé à un pouce, que pour ce qu'elle a été ramassée de plusieurs et divers discours de mes familiers serviteurs de votre premier temps, lors- que à mon lever et à mon coucher, je leur demandais des nouvelles de ce que disent de moi, par la cour et par la ville, les langues médisantes et les^vieuses de mes pros- pérités. Cette lettre que j'ai commtindé à Loménie de vous écrire comme de ma main, vous dira une partie de mes sentiments là-dessus, afin que vous me disiez les vôtres lorsque je vous verrai.
« En tous lesquels discours, je ne nierai pas qu'il ne puisse y avoir quelque chose de vrai. Mais aussi dois-je dire que, ne passant pas mesure, il me devait plutôt être dit en louange qu'en blâme, et en tout cas me devrait-on excuser la licence en tels divertissements qui n'apportent ni dommage, ni incommodités à mes peuples, par forme
1. L'Esfoile, année 1609.
LIVRE XXVIII.
321
de compensation de tant d'amertumes que j'ai goûtées et de tant d'ennuis, déplaisirs, fatigues, périls et dangers par lesquels j'ai passé depuis mon enfance jusqu'à cin- quante ans.
«J'ai su que quelques-unes des dépendances de ceux qui se plaisent à me décrier, vous ayant fiiit tous ces beaux contes, vous les en avez grandement blâmés, et dit que ces petits défauts et pécadilles, trouveraient facile- ment toutes leurs excuses et défenses légitimes, moyen- nant qu'ils ne m'ôtassent pas la souvenance d'une infinité de beaux, hauts et magnifiques projets et desseins que vous saviez que j'avais eus de longue main, ne me fissent pas perdre le désir de les continuer, ne m'empêchassent pas d'avoir le souci, ni de prendre le temps, les occa- sions et opportunités, de les entamer et poursuivre jus- qu'à 'eur perfection.
«Desquels discours ayant eu avis, j'ai bien voulu vous écrire cette lettre pour faire souvenir de ce que fort sou- vent je vous ai ouï dire, lorsque quelques-uns blâmaient quelques-unes de vos actions, à savoir que l'Écriture n'or- donne pas absolument de n'avoir pas de péchés, ni défauts, d'autant que telles infirmités sont attachées à l'impétuosité et promptitude de la nature humaine , mais bien de n'en être pas dominés , ni les laisser régner sur nos volontés , qui est ce à quoi je me suis étudié, ne pouvant faire mieux.
« Et vous savez beaucoup de choses qui se sont passées touchant mes maîtresses , qui ont été les passions que tout le monde a cru les plus puissantes sur moi , si je n'ai pas souvent maintenu vos opinions contre leurs fantaisies, jusqu'à leur avoir dit, lorsqu'elles faisaient les acariâtres, que j'aimerais mieux avoir perdu dix maîtresses comme elles qu'un serviteur comme vous , qui m'étiez nécessaire pour les choses honorables et utiles. C'est ce que vous verrez encore faire, et je vous en donne ma foi et parole lorsque les occasions et opportunités me seront présentées pour entamer, poursuivre, mettre à exécution quelques- uns des honorables et glorieux desseins que vous savez que j'ai dès longtemps en l'esprit, et sur lesquels vous m'avez écrit tant de lettres et avons tant discouru ensemble. «Car alors ferai-je voir que je quitterai plutôt maîtresses,
322
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
amours, chiens, oiseaux , jeux et brelans, bâtiments, fes- tins et banquets, et toutes autres dépenses , plaisirs et pasbc-lemps, que de perdre la moindre occasion et op- portunité pour acquérir honneur et gloire, dont les prin- cipales, après mon devoir entre Dieu, ma femme, mes enfants , mes fidèles serviteurs et mes peuples que j'aime comme mes enfants , sont de me faire tenir pour prince loyal, de foi et de parole et de faire des actions sur la tin de mes jours, qui les perpétuent et couronnent de gloire et d'honneur comme j'espère que feront les heureux suc- cès des desseins que vous savez, auxquels vous ne devez douter que je ne pense plus souvent qu'à tous mes diver- tissements cy dessus.»'
X.
Cette lettre révèle chez Henri IV un respect pour l'opi- nion publique que n'avait pas son prédécesseur. Il sent le besoin de compter avec elle et il essaye une justifica- tion qui deviendra de plus en plus impossible, à mesure que les générations comprendront mieux que le souverain qui remporte des victoires sur son propre cœur, est plus fort que celui qui prend des villes. Et cependant ce mo- narque qui s'avilit comme homme, se montre grand comme roi quand, avec Sully son fidèle ministre, il s'occupe des intérêts de son royaume. Grâce à leurs elforts réunis, les plaies profondes que la ligue avait faites , sont pansées, cicatrisées, guéries; l'agriculture protégée, encouragée, a ramené partout l'abondance; le commerce et l'industrie créent de nouvelles sources de richesses ; pour les favoriser i on trace des routes, on creuse des canaux, des ports, on lui ouvre à l'étranger de nombreux débouchés; plus positive que la maison de Valois, mais non moins amie des arts, celle des Bourbons marche sur leurs traces et à côté de Chambord et d'Anet, de beaux monuments s'élèvent, moins délicats de forme, mais plus solides, correspondant mieux au génie du maître. Quelques années ont sufll pour établir une métamorphose complète. La France, qui se débattait sous l'influence honteuse et funeste de l'Espagne, a recon-
S. Sully, Économies royales, c. 171, t. Il, p. 200-201.
à
LIVRE XXVIII.
323
quis son auiûuomie; elle est elle, c'esl-à-dire puissante, influente dans les conseils de l'Europe. Son roi en est devenu l'arbitre; l'Allemagne l'aime et l'admire, la maison d'Autriche le craint.
Les peuples ont, comme les individus, des procès à vider; les luttes, un moment suspendues par les traités et les trêves sont repris et ne se vident sur les champs de bataille qu'avec du sang humain. Henri IV qui avait à un haut degré le sentiment de la dignité nationale vit d.ins la paix de Vervins une trêve qui lui permettait de refaire son peuple par le repos ; mais \a pensée constante de son règne fut de faire expier à l'Espagne ses intrigues et les humi- liations qu'elle avait fait subir à la France pendant de si longues années. Aidé de Sully, il commença ses prépara- tifs dès 1603; six ans après il était prêt. c< Jamais on n'a- vait vu, dit Elle Benoit, en France de si beaux préparalifs. Les guerres civiles avaient fait de bons soldats de pres- que tous les Français. Il y avait un nombre incroyable de vieux officiers , signalés par une longue expérience. On ne manquait point des généraux expérimentés, et le roi était reconnu par toute l'Europe pour le plus hardi et le plus grand capitaine de son temps. Le sang bouillait dans les veines des réformés qui s'assuraient de voir finir leurs terreurs avec la grandeur de la maison d'Autriche; et qui ne demandaient que l'occasion de se venger, par une légi- time guerre , des massacres, des violences qu'ils croyaient que le conseil d'Espagne avaient inspirées contre eux, à celui de France. Les catholiques espéraient s'avancer et se faire valoir par la guerre. L'économie et la vigilance de Sully avaient mis un ordre aux affaires, qu'on ne se sou- venait pas d'y avoir jamais vu. Jamais il n'y avait eu tant d'armes à l'arsenal, et ce qui était le plus extraordinaire pour la France, jamais tant d'argent comptant, ni tant de ressources pour plusieurs années. Les alliances étaient belles et puissantes ; outre celles des Provinces-Unies qu'on avait renouvelées, il y en avait une conclue , depuis peu à Hall en Souabe, malgré les oppositions de l'empereur, avec une quinzaine des princes protestants. » •
1. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Kantes, 1. 1", liv. IX, p. 462. — Sully, Économies royales.
324 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XI.
On ne savait sur qui allait fondre ce noir nuage, Rome craignait, l'Espagne tremblait. Le vieux parti ligueur qui pressentait que l'orage allait éclater sur lui, disait à la vue de ces grands préparatifs, qu'il vaudrait mieux les tourner contre les hérétiques du dedans que contre les catholiques du dehors-, ces hérétiques , ajoutait-il, sont une poignée de gens aisés à exterminer, si chacun voulait balayer le devant de sa maison. L'un de ses prédicateurs ne craignit pas de dire en présence du roi et de sa cour, «que cette guerre pour des hérétiques contre des catholiques était illicite; que ce seraient autant de coups donnés dans le cœur de Jésus-Christ.» En terminant son discours, il voua aux enfers tous ceux qui y prendraient part.'
Des bruits sinistres circulaient partout. On annonçait la mort prochaine du roi : «ce serait grande merveille, dit Mornay à M. de Lucques, si ses ennemis ne se défont pas de sa personne. «Au milieu de tous ces préparatifs qui annon- çaient à la France qu'elle était à la veille d'une grande guerre, sans que rien d'officiel lui eût appris quel en- nemi elle allait attaquer, le roi devint subitement amou- reux de Charlotte de Montmorency , la jeune épouse du prince de Condé. Dans sa folle et criminelle passion, il se montra odieux et ridicule: odieux, en voulant ravir au prince sa compagne ; ridicule , en donnant à la cour le spectacle d'un amoureux de cinquante-sept ans, laid, dé- goûtant'. Le prince de Condé était pauvre, avare; Char- lotte de Montmorency, coquette. Il eût peut-être vendu sa femme qui se serait prêtée par ambition à cet infâme marché, s'il n'eût cru utile à ses intérêts de l'enlever et de se rendre intéressant en remplissant l'Europe du bruit de ses malheurs. A la nouvelle de sa fuite, Henri IV fu- rieux, ne pensa qu'aux moyens de ravoir la princesse, et se disposa à aller la chercher lui-même à Bruxelles, et rompit des négociations entamées à l'occasion de l'ouver- ture de la succession des duchés de Juliers et de Giève.s,
1. Les Elzeviers, liv. II, p. 340.
2. L'Estoile, aimée IGIO.
LIVRE XXVIII.
325
ouverte par le décès de Jean-Guillaume, mort sans posté- rité le 25 mars 1609. Il demanda à l'archiduc passage pour ses troupes sur son territoire; sur son refus, il lui déclara la guerre. Les hostilités devaient commencer au milieu du mois de mai.'
XII.
Soit que Marie de Médicis entrevît un divorce dans fa passion de son mari pour la princesse de Coudé , soit qu'elle eut le pressentiment que la guerre qui allait éclater mettrait en danger les jours du roi, elle insista vivement au- près de lui pour qu'il la fit sacrer. Henri IV résista d'abord ; puis il céda, mais avec une répugnance visible. «Ile! mon ami, disait-il à Sully, que ce sacre me déplaît! .Je ne sais ce que c'est; mais le cœur me dit qu'il m'arrivera quelque malheur ; puis, s'asseyant sur une chaise basse faite exprès pour lui (à l'arsenal), rêvant et battant des doigts sur l'étui de sos lunettes, il se relevait tout à coup, et frappant des deux mains sur ses deux cuisses, il disait: Pardieu, je mourrai en cette ville et n'en sortirai jamais. Ils me tueront, car je vois bien qu'ils n'ont d'autre re- mède à leur danger que ma mort. Ah! maudit sacre, tu
seras cause de ma mort Car pour ne vous rien céler,
l'on m'a dit que je devais être tué à la première grande magnificence que je ferais, et que je mourrais dans uu carrosse, et c'est ce qui me rend si peureux.» — ^«Yous ne m'aviez, ce me semble, jamais dit cela, Sire, répondit Sully; aussi me suis-je étonné de vous voir crier dans im carrosse comme si vous aviez appréhendé ce petit péril , après vous avoir vu tant de fois parmi les coups de canon, les mousquetades , les coups de lances, de piques et d'é- pées, sans rien craindre. Mais puisque vous avez celte opinion et que votre esprit en est tant travaillé, si j'étais que de vous, je partirais dès demain , je laisserais faire le sacre sans vous, ou le remettrais l\ une autre fois, et je n'entrerais de longtemps à Paris, ni en carrosse. »-
1. Suite de De Thou, t. X, liv. III. — Mémoires de Fontenay. — Mareuil, liv. I", p. 36-40. — Sully, Économies royales, année IGIO.
2. Sully, Économies royales, t. VllI, 364-3G6. — Cassompierre, Mémoires. — Journal de L'Estoile , année 1 G 1 0.
IV. 10
326 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Henri IV ne suivit pn?; If^ conseil de son fidèle ministre. Il fit sacrer la reine ; la cén lonie eut lieu le 13 mai 1610 dans l'église de Saiiil-Deiiis ;.vec une grande pompe.
Le roi parut gai, enjoué, mais sa joie était mêlée d'im- patience ; il ramena le soir la reine à Paris où elle devait
l'aire son entrée solennelle trois jours après Vers onze
heures du soir, il se retira dans son appartement. Les ténè- bres , le silence , les vagues appréhensions qu'il avait depuis quelques jours le troublèrent; il se mit sur ses deux ge- noux dans la posture d'un suppliant, et éleva machinale- ment ses regards vers Dieu qu'il avait tant offensé et dans lequel il voyait moins un père qu'un juge. Puis il se leva, et alla dans son cabinet afin de s'y mieux recueillir.
Ses serviteurs voyant qu'il demeurait plus longtemps gu'il n'avait accoutumé, l'interrompirent. «Ces gens-là , dit- il avec impatience, empêcheront-ils toujours mon bien.»
Le lendemain il était triste et abattu. Il alla aux Feuil- lants entendre la Bresse. Un homme à figure sinistre l'y suivit.
Après dîner, il se retira dans sa chambre et se mit au lit, essaya mais en vain, de dormir; il se leva, embrassa la reine et monta dans son carrosse, sans trop savoir où il irait. Il occupait le fond de la voiture : à sa droite il avait le duc d'Épernon; à la portière de son côté, le duc de Montbazon. Le marquis de La Force , le maréchal de La- vardin, le comte de Roquelaure, le marquis de Mirabeau et le premier écuyer, de Liancourt, occupaient les autres places de la voiture.
Au moment où le carross'e allait partir, Vitry, capi- taine de ses gardes, lui demanda s'il lui plaisait qu'il l'ac- compagnât.
— Non, lui dit-il.
— Permettez-moi, Sire, répondit Vitry, que je vous laisse mes gardes.
— Non, dit Henri IV, je ne veux ni de vous, ni de vos gardes; je ne veux personne autour de moi.
— Quel est le quantième du mois, dit-il à un des sei- gneurs qui l'accompagnaient.
— C'est le 13 mai, Sire.
— Non , Sire , ajouta un autre , c'est le 14.
— Tu sais mieux ton almanach que ne fais pas l'autre,
LIVRE XXVIII,
327
répondil, le roi en se prenant à rire. Entre le 13 et le 14, dit-il , «et sur ces mots , dit l'Estoile, il fit aller son carrosse.»
Il ne savait pas où il voulait aller; après avoir à plu- sieurs reprises hésité , il donna l'ordre qu'on le conduisît à l'Arsenal' pour y visiter Sully qui était malade. Le car- rosse se dirigea vers la rue Saint-Denis: le même homme qui avait suivi le roi à l'église des Feuillants, suivait la voiture qui, arrivée dans la rue de la Ferronnerie, s'ar- rêta à cause de deux charrettes qui rétrécissaient la voie.
Cet homme, sans être vu, se glissa entre les boutiques et les roues de la voiture, et frappa le roi de deux coups de couteau.
Henri IV poussa un cri et tomba dans les bras du duc d'Epernon: il était mort.
L'assassin aurait pu s'échapper, il ne le voulut pas. Son couteau sanglant à la main, il attendit tranquillement, qu'on le saisît ou qu'on le tuât.
L'un des gentilshommes qui accompagnaient le roi vou- lut se jeter sur l'assassin et le percer de son épée.
Le duc d'Epernon s'y opposa, et ordonna qu'on arrêtât le meurtrier.
Dans ce moment critique, l'ancien mignon de Henri IV montra une présence d'esprit extraordinaire. «Le roi n'est que blessé,» dit-il aux personnes qui s'étaient attroupées autour de la voiture et qui le croyant mort , poussaient des cris de douleur. Il fit abaisser les portières du carrosse et ramena un cadavre au Louvre.
Quand on connut la fatale nouvelle, une foule immense se pressa aux abords du palais. L'immense douleur du peuple constata l'immensité du malheur. — A part quel- ques seigneurs incorrigibles , chacun sentait qu'il avait perdu dans le roi un père , dont la main ferme avait clos l'ère des révolutions sanglantes qui depuis plus d'un demi-siècle affligeaient le royaume. On demandait quel était son meurtrier. On accusait tout haut les jésuites.
Le père Coton, à la nouvelle de l'assassinat, courut au Louvre.... Qui est, s'écria-t-il, le méchant qui a tué ce bon prince, ce saint roi, ce grand roi? N'est-ce pas un huguenot?
Ah! quelle pitié, dit le jésuite, s'il en est ainsi; et il fit itrois grands signes de croix.
J. Kotc xym.
328 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Un (les assislanls qui avait cntoiulu rcxclamalion de Co- lon, dit assez haut pour être entendu: Les huguenots ne font pas de ces coups-là.
Le jésuite alla visiter le meurtrier dans sa prison. «Mon ami, lui dit-il, gardez-vous bien à ne mettre pas en peine les gens de bien. Dans sa sollicitude , il lui promit de faire tous les jours mention de lui au sacrifice de la messe.»'
Le duc d'Epernon qui sentait tout le péri! de la situa- lion, déploya une rare énergie. « Madame, dit-il à la reine qui se lamentait et s'écriait en sanglotant : Hélas ! le roi est mort; vous vous trompez , Madame, le roi ne meurt pas en France » , et pendant que Paris était dans une ex- trême agitation, le conseil du roi défunt signa un acte qui confiait le royaume à sa veuve. D'Épernon, botté, épe- ronné, la main sur la garde de son épée , porta cet acte au parlement qui, séance tenante, rendit d'urgence un arrêt «par lequel il déclarait la reine, mère du roi, régente de France, pour avoir l'administration des affaires pendant le bas âge du roi avec toute-puissance et autorité.»
A quatre heures de l'après-midi, le roi avait été frappé; trois heures après, sa veuve prenait les rênes de l'État. Le lendemain, le jeune roi tenait un lit de justice et dé- clarait sa mère régente de France, «pour avoir soin de l'éducation et nourriture de sa personne» et l'administra- tion de ses affaires pendant son bas âge. »
XIII.
Pendant que la cour, sous le coup d'impressions di- verses, s'agitait et intriguait autour du cadavre du roi, un cburrier parti de Paris le jour même de l'attentat, arrivait le lendemain aux portes de Saumur au moment où les lu- mières commençaient à s'éteindre.
«J'ai besoin, dit-il à la sentinelle, de parler au gouver- neur.»
Malgré l'heure avancée do la nuit, il fut conduit vers Mornay.
«Monseigneur, lui dit-il lout bas à l'oreille, le roi a été tué.»
1. L'Estoilc, année IGIO.
LIVRE XXVIII.
329
Mornay pâlit : plus navré qu'étonné d'un attentat qui jetait la France sur le bord de l'abîme, il sentit que ce n'était pas le moment de pleurer, mais d'agir; plus tard il pleurera le maître ingrat qui a si cruellement déchiré son cœur, mais l'heure présente sera employée à assu- rer à son jeune successeur la fidélité de tous ceux qui vivent sous son gouvernement. Il n'a pas même l'idée de profiter de la faiblesse de la royauté pour faire rendre à ses coreligionnaires ce que les infractions à l'édit de Nantes leur ont ravi. Il ouvre son tiroir d'où il tire un pa- pier sur lequel, en prévision de quelque grande catas- trophe, il avait écrit depuis longtemps ces mots : Ordre au tcsoin.
11 s'assied à son bureau, toute la nuit il écrit; des courriers partent dans toutes les directions pour annoncer la fatale nouvelle , et porter des ordres aux commandants de place pour maintenir l'ordre et la tranquillité.
Le jour qui suivit cette nuit, qui lui laissa de longs et douloureux souvenirs, il assembla à l'hôtel de ville les magistrats et les principaux habitants de Saumur: «Vous savez tous, leur dit-il, que nous avons perdu notre roi et tel roi, que plusieurs siècles auparavant n'en avaient point vu de pareil. Mais les rois de France ne meurent point; que chacun se retire en sa maison, assuré, autant qu'en cet esclandre il se peut que le mal est trop grand pour empirer.»
A Saumur comme à Paris, la douleur fut profonde ; on oublia les torts du roi et on ne pensa qu'aux côtés de sa vie par lesiquels il était digne d'être aimé. Chacun sentait que le gouvernail de l'État tenu par une main ferme, était tombé dans celle d'un enfant sous la tutelle d'une prin- cesse étrangère. Si Mornay, avec l'autorité que lui donnait son nom et ses actes, eût été un ambitieux comme Bouil- lon, il eût appelé les réformés aux armes ; il ne le fit pas. Avant d'être homme politique , il était chrétien et com- prenait admirablement ces paroles des livres saints adres- sées aux fidèles de l'Eglise primitive: «Soyez soumis aux puissances supérieures.» L'expérience lui avait déjJi révélé avec une grande amertume que chaque fois que son parti avait eu recours au bras de la chair, il avait subi plus d'é- checs qu'obtenu de triomphes. La France qui devait tant
330 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
à Mornay , lui dut encore sa tranquillité à une époque ofi elle aurait pu être si facilement troublée; son courage , sa sagesse, son désintéressement, sa haute capacité, avaient fait de lui le premier homme de la Réforme; aussi quand la,mort du roi fit croire à de nouveaux revirements dans l'État, tous les regards se tournèrent vers lui.
La cour qui connaissait l'influence qu'il avait sur les réformés, lui fit écrire deux lettres par le jeune roi dans lesquelles il aflirmait vouloir maintenir les édits et annon- çait que sa mère avait été nommée régente.'
«Sire, répondit Mornay au roi, c'est un vieux serviteur qui ose écrire à Votre Majesté sur une si douloureuse oc- casion. Le poids de cette couronne vous vient par la vo- lonté de Dieu en vos jeunes années; mais celui qui dès votre naissance vous la destinait , saura la maintenir sur votre tête par sa puissante main. Votre Majesté ne man- quera pas d'une infinité de fidèles serviteurs qui courront à la vengeance d'un acte aussi horrible. Entre ceux-là, Sire, ayant eu l'honneur de servir le feu roi, d'immor- telle mémoire en ses plus grandes adversités, je tâcherai de témoigner à Votre Majesté, Sire, en celle-ci qui les surpasse toutes, que je ne me propose plus autre bonheur que de mourir votre serviteur.'
La confiance que le roi et son conseil avaient en Mor- nay, ne fut pas trompée. Le seigneur huguenot réunit le lendemain du jour où il avait écrit au jeune Louis XIII , les magistrats, la garnison, les bourgeois de Saumur et les députations des campagnes de son gouvernement. L'assemblée était nombreuse , sérieuse , recueillie. 11 prit la parole au milieu du plus profond silence, et dit:
« Messieurs , notre roi, le plus grand que la chrétienté ait eu depuis cinq cents ans, qui avait survécu à tant d'ad- versités, de périls, de sièges, de batailles, d'assassinats même attentés en sa personne, tombe sous les coups d'un misérable.
«....Ils nous ont donc tué notre roi, et j'en vois vos yeux mouillés de larmes et vos cœurs désolés , mais si ,\e faut-il pas perdre courage. Notre courage doit redoubler
1. Lettres des 14 et 15 mai 1610.
2. Lettre du 18 mai 1610.
LIVRE XXVIII.
331
au contraire par la nécessité et notre juste douleur. Nous avons de la grâce de Dieu ce privilège en ce royaume , que les rois n'y meurent point. Il nous en a laissé un en qui, dès ce bas âge , renaissent les vertus de son père. La reine sa mère, princesse magnanime, est déclarée régente. Tournons-nous donc vers eux dès aujourd'hui , et faisons vœu d'obéissance et fidèle service.»
Mornay prononça ces paroles d'un ton solennel; son regard, sa voix, son geste, tout était parlant chez lui. Il leva la main droite, et s'écria :
« Je fais serment devant mon Dieu , je vous en donne l'exemple, qu'on ne parle plus entre nous, d'huguenots ni de papistes. Si nous sommes Français, si nous aimons notre patrie, si nos familles, si nous-mêmes, ils doivent désormais être effacés de nos âmes. Il ne faut plus qu'une écharpe entre nous. Qui sera bon Français, me sera citoyen ♦ me sera frère. Je vous conjure donc, Messieurs, de vous embrasser tous, de n'avoir qu'un cœur et qu'une âme. Nous sommes petits, et notre ville peut être de considé- ration ; mais ayons l'ambition de donner à nos voisins le bon exemple de fidélité à nos rois, d'amour à notre patrie.»
Après ces paroles, Mornay ordonna qu'on fît la lecture des lettres officielles du roi et de la régente. Quand elle fut terminée, on procéda à leur enregistrement. Plusieurs des assistants prononcèrent des discours qui furent écoutés avec un religieux silence ; Mornay reprit la parole et dit :
«Eh bien donc, Messieurs, officiers et peuple, promet- tez-vous pas ici, devant Dieu et sur le salut de vos âmes, d'être et demeurer fidèles sujets et serviteurs de notre roi Louis , par la grâce de Dieu, treizième de nom, et de la reine sa mère, déclarée régente; de vous comporter fra- ternellement les uns envers les autres?
«Oui», s'écria toute l'assemblée, et toutes les mains S?^ levèrent aux cris mille fois répétés de Vive le roi !
Ainsi parla le seigneur huguenot; ce jour-là, il se ven- gea en chrétien de l'homme qui sans pitié pour ses souf- frances, après l'avoir raillé à Fontainebleau, avait soldé ses services par le retrait de plusieurs de ses charges , et avait oublié de lui payer les sommes qu'il avait dépensées à son service. Tant que son maître fut puissant et fort, il $e tint à l'écart; le rôle de suppliant éi.nit trop pelit pour
^32 HISTOIUE DE LA RÉFORMATION FHANÇAISE.
sa digiiilé d'homme; celui de courtisan trop bas pour son caractère de chrétien. Mornay ne pouvait offrir ses services qu'à la faiblesse et au malheur.
XIV.
A la nouvelle de l'attentat , Sully se dirigea vers le Louvre; dans son trajet, il rencontra quelques seigneurs auxquels il recommanda de servir fidèlement le jeune roi et sa mère. «Cette recommandation est inutile, lui répon- dirent-ils avec hauteur; c'est nous qui sommes chargés de le faire promettre aux autres.»
Sully comprit qu'il n'avait plus de maître; éperdu et tremblont de frayeur, il rebroussa chemin et alla s'enfer- mer dans la Bastille, où il fil apporter tout le pain qu'il trouva chez les boulangers. Ministre tout-puissant, il n'a- vait pas su, aux jours de sa grandeur, se faire des amis; suspect aux protestants, il était haï des seigneurs de la cour qui enviaient, les uns les honneurs dont il était com- blé, les autres les richesses immenses qu'il avait amassées dans le maniement des deniers de l'Etat. Des avis secrets qui lui parvinrent de se tenir sur ses gardes, augmentèrent ses alarmes; il se barricada dans le château de la Bastille comme s'il eût dû soutenir un siège, et expédia des cour- riers à son gendre, le duc de Rohan pour l'engager à se rapproclier sans relard de Paris avec les 6000 Suisses qu'il comniaiidait.
Cependant la ville était calme; tous les corps de l'État faisaient leur soumission au nouveau gouvernement, et Marie de Médicis, acclamée partout comme régente , exer- çait le souverain pouvoir «ans contestation: princes et sei- gneurs se courbaient à l'envi devant ce pouvoir d'un jour, faisant assaut de bassesses et de flatteries. Sully, après vingt-quatre heures de douloureuses réflexions, jugea lui- même qu'il était prudent de faire sa soumission; une plus longue absence pouvait être interprétée contre lui. La cour, qui sentait le besoin de rallier tous les partis autour du pouvoir naissant de la régente, lui avait fait porter de bonnes paroles par d'ICpcnion. Il se décidadonc à se rendre au Louvre. Quelques cavaliers seulement l'accompagnaient. La reine l'accueillit comme l'aurait fait le roi défunt; tous
LIVRE xxvm.
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deux versèrent des larmes. « Mon fils, dit la reine au jeune Louis XIII, c'est M. de Sully; il vous le faut aimer, car c'est un des meilleurs et des plus utiles serviteurs du roi votre père, et le prier qu'il continue à vous servir de même.»
Sully ne comprit pas ou ne voulut pas comprendre que l'accueil qui lui était fait, n'avait d'autre cause que la crainte qu'il inspirait ou l'espérance d'avoir les millions qu'il avait entassés dans la Bastille. Moins ambitieux ou moins cupide, il eût senti que l'heure de la retraite avait sonné pour lui. Mais soit qu'il songeât à sauver son im- mense fortune, soit que l'amour qu'il avait pour Henri IV se fût reporté sur son jeune successeur, il reprit sa place au conseil.
Le duc de Bouillon imita Sully , mais plus prompt que lui, il n'attendit pas qu'on lui demandât ses services, il les offrit : la reine les accepta avec empressement. En s'assurant du général des réformés, elle conjurait le dan- ger d'un soulèvement qui eût été facile sous un gouver- nement qui par sa composition, inspirait une défiance légitime. Aussi la cour se liàtn de rassurer les protestants, et le 22 mai le roi fit une déclaration par laquelle il ratifia l'édit de Nantes dans sa forme et teneur « le tenant pour perpétuel et irrévocable.» Cette déclaration fut immédia- tement suivie d'un brevet qui confirmait aux protestants le droit, accordé par Henri IV, de faire leurs exercices à Charenton. — Ils crurent à la sincérité de la cour et ne mirent pas en doute qu'un roi ne peut manquer à sa parole publiquement donnée sur le cercueil de son pré- décesseur. Après avoir eu un moment de grand effroi , ils se rassurèrent.
Pleuré par les protestants, par le peuple et par le§ sei- gneurs catholiques qui s'étaient associés à ses grands projets, le roi ne l'était ni par les jésuites, ni par le parti de la cour vendu à l'Espagne. Sa mort était arrivée au moment où à la tête d'une puissante armée , il allait abaisser l'orgueilleuse maison d'Autriche et rétablir l'équi- libre européen, si longtemps dérangé par elle. Quelques heures avaient sufiî pour abaisser ceux qui étaient éle- vés et élever ceux qui étaient abaissés. Le pouvoir était tombé dc3 laains d'un ;^vand homme dans celle d'intri-
334 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE. . '
gants qui se réjouissaient sans contrainte de sa mort, et se préparaient à rendre à ses restes les honneurs qui lui étaient dus. Ils l'avaient déposé, revêtu de ses habits royaux, dans une des salles du Louvre, transformée en chapelle ardente, et pendant que la foule venait les larmes aux yeux, baiser son suaire et jeter sur lui un regard d'adieu, il y avait au-dessus de la salle où il reposait, des joies indécentes, sataniques. Les valets étaient devenus maîtres, et ces valets se disposaient à faire de la France, un marchepied pour le successeur de Philippe IL
XV.
Arrôtons-nous près de ce lit de parade sur lequel repose le corps de l'homme qui vit si souvent la mort en face et la trouva sous le fer d'un misérable assassin. Jugeons-le comme les Égyptiens jugeaient leurs rois, sans passion, avec justice.
Henri IV est un être multiple qu'on ne peut peindre de face que lorsqu'on a étudié ses nombreux profils. 11 y a en lui le soldat, le politique, l'écrivain , le roi, l'homme.
Le soldat est parfait: il rit, plaisante au roulement des tambours, au sifflement des balles, au bruit du canon; calme avec un éclair dans les yeux. Dans un pays où le courage militaire est si commun que la lâcheté y est in- connue, le Béarnais se distingua parmi les plus braves, mais le soldat est plus grand que le capitaine, parce que là où il aurait fallu être capitaine, il ne fut trop souvent que soldat. Il s'inspirait moins de ses réflexions passées que du moment présent ; mais il avait alors le coup d'œil ra- pide, juste; c'était un improvisateur de victoires et ce- pendant Farnèse le domine de toute sa hauteur; devant ce froid italien, il se rabaisse à la taille d'un brillant colonel, mais ce colonel conquit mieux l'admiration de sa valeu- reuse gentilhommerie avec ses étourderies qu'il ne l'eût fait s'il eût été un Cincinnatus. Il fut l'homme de son époque, mais de son époque il n'eut pas la cruauté ; sa nature chevaleresque ne pouvait le faire descendre au rôle terrible d'un baron des Adrets ou à la froide cruauté d'un Biaise de Montluc, Il fit la guerre en adversaire loyal et
LIVRE XXVIII.
335
généreux ; c'est là l'un des plus beaux côtés de sa physio- nomie.
Il est rare qu'un soldat soit un habile politique ; Henri IV cependant le fut : mûri de bonne heure à la rude et salu- taire école des adversités, il étudia les hommes et les évé- nements avec une sagacité qui paraît étonnante chez un prince qui ne rêvait que combats et plaisirs. Sa position au milieu des partis fut toujours difficile , et toujours il sut, comme un habile pilote, éviter les écueils ; il ne se précipita pas au-devant des événements , il les attendit; mais les moyens qu'il employa pour arriver à ses fins ne furent pas toujours bons; au moment même où il disait à ses braves huguenots: «avec vous c'est à la vie et à la mort», il se courbait devant le pape. Il priait comme un simple huguenot devant un front de bataille ; après le combat il allait porter aux pieds d'une maîtresse les drnpeau.x con- quis à l'ennemi, jetant ainsi au vent et à l'amour les fruits d'une grande victoire. Il trompait si bien qu'on aimait à se laisser tromper par lui ; quand on le lui reprochait, il disait: « Que voulez-vous que j'y fasse, j'y suis obligé.» Ses manœuvres diplomatiques, avant, pendant ou après la ligue, nous font admirer le négociateur et un peu méses- timer l'homme. Ses apologistes disent à sa décharge que sa conduite fut dictée par les circonstances, mais la mo- rale qu'il foula aux pieds n'a ni deux poids, ni deux me- sures. Quand il eut conquis ou plutôt acheté son royaume, sa politique fut grande, et si le coup de poignard d'un assassin ne l'eût pas arrêté dans ses projets, il eût épargné à la France et au monde de grands malheurs et de grandes hontes. La guerre de trente ans n'aurait pas eu lieu.
Henri IV a obtenu une gloire à laquelle il ne pensa ja- mais : celle d'écrivain. Si le style estriiomme, le Béar- nais est tout entier dans le sien. Quelle verve, quelle rondeur dans ses lettres, dans ses proclamations, dans ses discours! Tout y révèle un improvisateur, et cependant tout y est pensé, mûri, arrêté, exprimé d'une manière nette, originale, piquante; c'est le bon sens qui se revêt de toutes les grâces de l'esprit gaulois, et qui assoupHt sous son génie une langue que devait parler plus tard Mo- lière et Mad. de Sévigné. On ne peut le comparer qu'à lui- même, on peut d'autant plus l'admirer qu'il n'eut ja
o3G HISTOIRE DE LA RÈFORMATION FRANÇAISE.
l'amour-propre indomptable de la plupart des auteurs, et que, comme Lafontaine , il écrivit des chefs-d'œuvre sans s'en douter.
Comme roi, Henri IV fut grand, si nous établissons un point de comparaison entre lui et les souverains qui ont régné sur la France; il n'eut ni le génie militaire de Na- poléon, ni la majesté fastueuse de Louis XIV, ni l'esprit j organisateur de Cliarlemagne , mais il dépassa de toute la tète la plupart des autres monarques français. Il eut un instinct admirable des besoins de la France et sut s'ad- i:'oindre un homme à la grandeur duquel il contribua et qui contribua à la sienne. Aidé de Sully , il encouragea puis- samment l'agriculture, et malgré Sully, il fonda le com- merce et l'industrie.
Quelques années de règne lui suffirent pour réparer les désastres de quarante ans de guerre ; il replaça la France ai; rang qu'elle avait perdu, et ce roi si pauvre, qu'il ne pouvait quelquefois payer les fournisseurs de sa table, élait craint et respecté. Quand il mourut, toute l'Europe avait les yeux sur lui, il en était l'arbilre. On s'est trompé cependant, quand on a salué le Béarnais du nom de Henri le Grand; mais on ne se trompe pas quand on l'appelle un grand roi. Il le fut par son courage, sa politique et sa rare inielligence des besoins de son royaume.
Quand les historiens jugent les princes, ils sont pour la plupart aussi indulgents pour l'homme privé qu'ils sont sévères pour l'homme public. Cependant ces deux hommes sont inséparables et s'expliquent mutuellement. Henri IV nous paraît grand, mais comme il le serait davantage si l'homme privé n'eût compromis l'homme public. Nous déplorons les nombreuses taches qui nous frappent dans sa vie, vie admirable par tant de côtés, méprisable par tant d'autres: son cgoïsme l'empêcha de se préoccuper des intérêts des autres; son orgueil lui fit haïr toute supério- rité ; son ingratitude lui fit oublier les services de ses meilleurs amis; sa fureur du jeu l'endetta; son amour des femmes fit de sa cour un séjour permanent de scandale; à tous ces défauts, nous devrions dire ces vices, il joignit le mensonge cl le parjure ; les vices de l'homme privé se retrouvent dans presque tous les actes de sa vie publique; il écoiiîa ses passions plus encore que sc^ iulérOls. ra-
Livr.E xxvni.
337
rement sa conscience. Supposons Henri IV simple genlil- liomme, il nous apparaîtra comme un Roquelaure de cour, et il descendra au-dessous de notre mépris. Nous ne com- prenons pas les historiens qui glissent légèrement sur le caractère de l'homme privé , et lui ouvrent le trésor de leurs indulgences; ils ne refléchissent pas au mal immense que cet homme a fait à la France par les exemples qu'il lui a donnés. Quand le souverain s'avilit, les sujets sont portés à l'imiter, et si la moralité est la pierre angulaire de l'édifice social, qui osera soutenir que Henri IV ne l'ait fortement ébranlée? On admire l'homme qui a gagné des batailles sur les ligueurs et on ne flétrit pas celui qui ne sut presque jamais remporter une victoire sur son propre cœur. On le loue d'avoir fondé en France l'industrie et le commerce, ne mériterait-il pas plus de louanges s'il eût inauguré le règne des bonnes mœurs? On l'admire quand il déjouait les partis par l'habilété de sa politique, ne mé- riterait-il pas plus d'admiration si sa politique eût été droite. Il abandonna les huguenots : s'il l'eût fait par con- viction, nous pourrions le plaindre sans le mésestimer. De quel côté donc que nous envisagions l'homme privé, nous sommes désillusionnes; il fut spirituel , brave, aimable, séduisant et fit de grandes choses, mais ces grandes choses ne peuvent forcer ni le respect, ni l'eslime de la posté- rité; nous sommes sévère, mais juste, et notre jugement n'est ni un caprice d'historien, ni une vengeance de hu- guenot : il est dicté par les faits.
Une mauvaise chanson a fait de Henri IV un roi popu- laire , mais il faudrait désespérer d'un peuple qui trouve- rait dans ce monarque l'idéal de son souverain. Quand les Français comprendront que la vraie grandeur des rois n'est pas seulement dans le génie politique, mais encore dans la droiture et la pureté des mœurs, Henri IV perdra beaucoup de son prestige. Le temps fait attendre ses ar- rêts, mais quand il les rend, ils sont irrévocables. Cepen- dant malgré la sévérité de nos jugements, nous nous sentons à moitié désarnsés devant cette graiidc figure de nos guerres civiles et religieuses; et comme ces braves huguenots qu'il abandonna, nous ne pouvons nous cmpè- chiT de l'admirer; il est si courageux ! de l'aimer un peu; il est «juclqucfois si bon!
338
HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
XVI.
L'homme qui avait asassiné le roi était né à Angoulême, et s'appelait François Ravaillac, il avait trente-deux ans; jeune il entra dans un couvent de Feuillants, d'où il fut renvoyé ; il se fit alors solliciteur d'affaires , perdit un procès important et fut accusé de meurtre; mais faute de preuves suffisantes, il fut absous; il s'établit alors à An- goulème, «oîi pour gagner sa vie il montrait aux enfants à prier Dieu en la religion catholique , apostolique et romaine. »
Cet homme qui appartenait à la famille des Jacques Clément et des Chatel crut rendre à son Église un service signalé en la délivrant d'un roi dont il ne croyait pas la conversion sincère ; avant de le faire il voulut l'engager à détruire des hérétiques et à cesser ses préparatifs de guerre qui, disait il, étaient dirigés contre les princes catholiques et contre le Saint-Père; or, plusieurs fois il fit le voyage de Paris afin de parler au roi ; il ne put parvenir jusqu'à lui , il crut alors que Dieu voulait sa mort. Une dernière fois il quitta Angoulème aux environs de Pâques avec l'in- tention formelle d'accomplir son crime. Pour s'y aguerrir il portait dans un sachet sur son cœur un peu de coton qu'il croyait être un morceau de la vraie croix et des amulettes sur lesquelles étaient écrits ces vers :
Qne toujours dans mon cœur Jésus soit vainqueur.
Arrivé à Paris le cœur lui, manqua ... il reprit le chemin de sa ville natale; arrivé à Étampes, ses regards tombèrent sufr un bas-relief représentant Vecce honio, il retourna aussitôt sur ses pas. «C'est, dit-il, la volonté de Dieu que j'accomplisse mon dessein.» On connaît le reste. Pendant les deux jours qui suivirent son crime il fut gardé dans l'hôtel de Pvetz. C'est là que le père Colon et un grand nombre de personnes furent le voir et lui parler. Son procès dura dix jours, il avoua son crime et fut condamné à mort.
LIVRE SXVIII.
339
XVII.
•
Ravaillac fut amené devant Messieurs du parlement; pendant qu'il était à genoux, le greffier lut l'arrêt qui le condamnait à mort, et ordonnait qu'il serait préalablement appliqué à la question, à moins qu'il ne déclarât avec serment ce qui l'avait incité à commettre son crime, et quels étaient ceux qui l'y avaient poussé.
«Par la damnation de mon âme, dit Ravaillac, il n'y a eu homme, femme, ni autre que moi qui l'ai su.»
Les bourreaux le firent asseoir sur un fauteuil; l'opéra- tion des brodequins commença. On enfonça le premier coin; le patient poussa un grand cri. «Mon Dieu, s'écria-t- il, ayez pitié de mon âme, pardonnez-moi ma faute.»
— Déclarez vos complices , lui dit le greffier.
— Je n'en ai point, répondit le patient. Le bourreau enfonça le second coin. Nouveau cri plus perçant que le premier.
Somn;é de nouveau de nommer ses complices , il ré- pondit: «Je ne peux dire que ce que j"ai dit.»
Le bourreau continua à enfoncer le deuxième coin.
Les douleurs du condamné étaient affreuses ; il poussait des cris déchirants : «Reçois, mon Dieu, criait-il, reçois cette peine pour la satisfaction de mes péchés!»
Le bourreau mit le troisième coin.
Ravaillac se mit à trembler de tous ses membres. Son corps se couvrit de sueur, il balbutia quelques paroles et tomba en défaillance ; on relira ses pieds des brodequins; on lui jeta de l'eau sur la figure pour l'aider à reprendre ses sens ; on lui fit avaler un peu de vin et on le coucha sur un matelas, où il resta jusqu'au moment où l'exécuteur vint le prendre: c'était midi. Avant de le conduire à la place de Grève, on le supplia de dire toute la vérité.
« C'est le diable qui m'a porté à cette abominable ac- tion, répondit-il; je prie le roi, la reine et tout le monde de me pardonner.» On ne put lui arracher une autre con- fession.
Quand on vit qu'une plus longue insistance était inutile, on lui fit signer sa déposition et on se prépara à sortir de la Conciergerie.
340 HISTOIRE DE LA RÈFORMATIOK FRANÇAISE.
Au moment du départ, du milieu des prisonniers s'éleva un cri terrible qui fil tressaillir de terreur le meurtrier. Ses compagnons de prison l'accablèiient d'injures et l'eus- sent mis en pièces sans l'intervention des archers A la sortie de la prison , le cortège rencontra une foule tellement compacte qu'il fallut forcer le passage pour faire avancer le tombereau ; en apercevant Ravaillnc, le peuple l'accueillit par des imprécations: les uns lui criaient m^c/iani, les au- tres traître, ceux-ci meurtrier, ceu\-\h parricide. L'infor- tuné comprit alors toute l'atrocité de son crime, et maudit les docteurs qui lui avaient enseigné dans leurs livres que de son couteau il se ferait une clef pour ouvrir le ciel ; de quelque côté qu'il portât les yeux, il ne trouvait pas un regard ami. Le même peuple qui avait fait un saint du meurtrier de Henri III, ne voyait qu'un damné dans celui de Henri IV; il avait soif de son sang; le supplice le plus atroce lui paraissait une douce punition. Rien ne manqua à celui du maître d'école d'Angoulème.
On essaya encore une fois de lui arracher une confes- sion plus ample que cr-llcs qu'il avait déjà faites ; ce fut en vain; une foule immense , compacte, haletante, impa- tiente, entourait réchafaud sur lequel le palicnt était assis, tenant dans sa main droite le couteau avec lequel il avait frappé le roi.
On commença par mettre le feu à son bras; l'excès de la douleur lui arracha un cri perçant, plusieurs fois il prononça les mots Jésus, y]/«r/«. Les assistants tressaillirent de joie quand le bourreau, saisissant les tenailles, com- mença à lui enlever des lambeaux de chair.
Ils craignaient cependant qu'il n'allât trop vite et ne hâtât sa fm.
Ils furent satisfaits. Après le mal vint le remède plus terrible que le mal : avec du plomb fondu et de l'huile on cicatrisa ses plaies.
Rnvaillac poussait des cris affreux. Les docteurs lui de- mandèrent encore une fois de dire tout ce qu'il savait: «Rien de plus que ce que je vous ai dit», répondit-il. Ils voulurent alors , sur l'invitation du greffier, faire des prières pour lui; ils firent signe à la foule de faire silence. «Non, non, s'écrièrent les. -'^lîislanfs, pas de prières pour ce misérable, pour ce damné.))
LIVRE XXVIII.
341
«Votre plus terrible jugement, lui dit le greffier, est l'indignation de celte foule, déclarez donc quels sont ceux qui vous ont poussé à commettre ce crime.
« Il n'y a que moi, dit Ravaillac qui l'ai fait.»
On fit approcher des chevaux qui commencèrent l'éear- tèlement au milieu des imprécations sans cesse crois- santes du peuple, plusieurs se mirent à tirer les cordes; enfin après une heure d'atroces douleurs, le meurtrier avait fini de souffrir. Il avait à peine cessé de vivre, que les assistants se ruèrent sur son cadavre et le frappèrent , les uns à coups de couteaux, les autres à coups de bâtons. On l'arracha des mains de l'exécuteur, on le déchira en morceaux qu'on traîna tout palpitants dans les rues, et qu'on brûla ensuite.
En retraçant ces scènes d'horreur, le cœur est saisi d'un profond dégoût, à la vue de ce peuple qui témoigne d'une manière si cruelle l'amour qu'il a pour son roi. L'as- sassin mérita la mort, mais fallait-il tout ce terrible appa- reil de supplice pour l'expiation de son crime? Ce peuple n'eût-il pas été plus digne , plus grand , s'il eût assisté si- lencieux au supplice du coupable; et quand on demanda pour lui les dernières prières, n'eût-il pas dû se rappeler les dernières paroles du Sauveur pardonnant à ses insul- teurs et à ses bourreaux? Dans ces scènes déchirantes , le meurtrier, malgré l'horreur que nous inspire son crime, nous touche par sa constance et nous émeut par ses dou- leurs; nous le retranchons violemment de la société, n'est-ce pas assez? Faut-il encore, comme des sauvages, prendre un barbare plaisir à le voir mutilé, tenaillé, écar- telé?
XVIII.
Est-ce Ravaillac seul qu'il faut rendre responsable de l'assassinat de Henri IV ? Nous serions heureux de le croire; mais malheureusement, derrière le maître d'école d'Angoulème, nous voyons la main mystérieuse qui l'a poussé h commettre son crime : cette main est celle de celui qui a semé dans son cœur la fatale idée qu'il ferait de son couteau une clef pour s'ouvrir le ciel. S'il n'eût pas entendu professer la doctrine de la légitimité du régi- cide, eût-il jamais eu l'idée de son parricide?
342 HISTOIRE DE LA RÉFORMATION FRANÇAISE.
Dans ce monde, où le superficiel est si commun, on ne s'arrête qu'aux faits, quand c'est aux causes qu'il faut remonter, puisque c'est là seulement que se trouve l'ex- plication des événements qui nous étonnent d'abord, mais qui cessent de nous surprendre quand nous en saisissons les premiers germes. Nous trouvons donc logique l'attentat de Ravaillac; il avait si souvent entendu dire que celui qui tue un tyran fait une action méritoire de la vie éternelle, qu'il tint a commettre cette action : S'il ne l'eût pas fait d'autres l'eussent tenté. Philippe II ennoblissant la famille de l'assassin du prince d'Orange, Sixte-Quint approuvant le meurtre de Henri III, les prédicateurs de la ligue, prê- chant ouvertement le régicide, avaient suspendu un glaive sur la tète de tout prince qui oserait se déclarer indépen- dant de l'église.
Il se rencontra donc un homme dans le cœur duquel cette semence tomba, elle s'y développa avec force.... On connaît le reste. La société voulut une expiation, elle eut lieu : elle fut horrible et cependant le bourreau n'at- teignit pas les grands coupables. On ne frappa qu'un homme, mais les maximes qui avaient armé cet homme ne furent pas exécutées en place de grève; elles demeurèrent dans le sol de la nation comme une plante vénéneuse. Ah! c'est moins contre Ravaillac que contre elles qu'il faut pousser un cri d'indignation afin de les faire rentrer dans les abîmes de l'enfer d'où elles sont montées.
Ravaillac eut-il des complipes? Plusieurs historiens le croient, les uns nomment d'Epernon, les autres la Reine, et cependant lorsqu'on lit avec attention les pièces de son procès, qu'on assiste à tous ses interrogatoires, qu'on recueille les paroles que lui arracha la torture, on arrive à cette conclusion qu'il n'eut d'autre complice que les maximes jésuitiques. Ravaillac ne fut donc que la main qui frappa le prince qui eut l'idée d'inaugurer en f^jance le règne de la tolérance : cette idée était grande, géné- reuse, il en fut le premier et le plus célèbre martyr.
FIN DU QUATRIÈME VOLUME.
NOTES
taAIRCISSEMENTS ET CURIOSITÉS HISTORIQUES
DU QUATRIÈME VOLUME.
Note I, page 13.
La procession fut telle : le recteur Roze quitta sa capeluche rec- torale, prit sa robe de maitre-ès-arts avec le camail et le roquet, et un hausse-col dessous ; la barbe et la tête rasées toutes de frais, l'épée au côté et une pertuisane sur l'épaule. Les curés Amilton, Bouclier et Guincestre', un petit plus bizarrement armés, faisaient le premier rang , et devant eux marchaient trois petits moinetons et novices, leurs robes troussées, ayant chacun le casque en tête dessous leurs capuchons, et unerondache pendue au col où étaient peintes les armoiries et devises desdits seigneurs. Maître Jacques Pelletier, curé de Saint-Jacques- marchait à côté, tantôt devant, tantôt derrière, habillé de violet, en gendarme scholastique, la couronne et la barbe faite de frais, une brigandine' sur le dos, avec l'épée et le poignard et une hallebarde sur l'épaule gauche, en forme de sergent de bande, qui suait, poussait et haletait, pour mettre chacun en rang et ordonnance. Puis suivaient de trois en trois cinquante ou soixante religieux, tant cordeliers que jacobins, carmes, capucins, minimes, bons hommes, feuillants et autres,
1. Jean Harailton, Écossais, cuiô de Saint-CiJme ; Jean Boucher, curé de Saint- Benoit; Jean Guincestre , Vineestre ou Lincestre, curé de Saint-Gervais ; tous trois fameux ligueurs.
2. Curé de Saint -Jacques -la -Boucherie. Il fut obligé de sortir de Paris, après la reddition de cette ville à l'obéissance de Henri IV. Au reste il se nommait Julien Pelletier, et il était frère de Jean et Jacques Pelletier, connus par leurs ouvrages, « Voyez la bibliothèque française du sieur De la Croix du Maine,
3. Brigandine, sorte de cotte de maille.
344
NOTES.
tous couverts avec leurs capuchons et habits agrafés, armés à
l'antique calholiquc : entre autres y avait six capucins, ayant cha- cun un morion en tête et au-dessus une plume de coq, revêtus de cottes de mailles, l'épée ceinte au coté par dessus leurs habits, l'un portant une lance , l'autre une croix, l'un unépieu, l'autre une arqiicliuse et l'autre une arbalette, le tout rouillé, par humi- lité catholique; les autres presque tous avaient des piques, qu'ils branlaient souvent faute de meilleur passe-temps, hormis un feuil- lant boiteux', qui, armé tout à crud, se faisait faire place avec une épée à deux mains et une hache d'armes à la ceinture, sou bréviaire pendu par derrière, et le faisait bon voir sur un pied faisant le mouhnet devant les dames -. A la queue y avait trois minimes, tous d'une parure : savoir est, ayant sur leurs habits chacun un plastron à courroies, et le derrière découvert, la salade en tête, l'épée et pistolet à la ceinture, et chacun une arquebuse à croq sans fourchette. Derrière était le prieur des jacobins' en fort bon point, traînant une hallebarde de gauchère, et armé à la légère en morte-paie. Je n'y vis ni chartreux ni célestins qui s'é- taient excusés sur le commerce; mais tout cela marchait eu moult et belle ordonnance catholique romaine et semblaient les anciens Cranequiniers'' de France. Ils voulurent en passant faire une salve, ou escopeterie; mais le légat leur défendit de peur qu'il ne lui malavint ou à quelqu'un des siens comme au cardinal Cajctan'. Après ces beaux pères marchaient les quatre mendiants qui avaient multipliés en plusieurs ordres, tant ecclésiastiques que séculiers, puis les paroisses; puis les seize, quatre à quatre, depuis réduits à douze' et habillés de même , comme on les joue à la féte des torches en plein jour. Après eux marchaient les prévôts des mar- chands et échevins , bigarrés de diverses couleurs', puis la cour de parlement telle quelle, les gardes italiennes, espagnoles et val- lonnés de Monsieur le Lieutenant; puis les gentilshommes, de frais gravés par la Sainte -Union, et après eux quelques vétérinaires» de la confrérie de Saint-Éloy. Suivait après. Monsieur, tout douce- ment, le cardinal de Pellevé, tout bassement; et après eux Mon- sieur le légat, vrai miroir de parfaite beauté S et devant lui mar-
1. Bernard do MontgaîUard , dit le petit Feuillant , qui se relira depuis en Flandre , où i! a vécu longtemps ; il eut l'abbaye d'Orval , dans le comté de Cbini , h deux lieuel de Montniédy. Voyez les remarques sur la satire Méuipée, in-8°, p. 53 et suiv.
2. Ce fait, transporté iei , était arrivé au siège de Paris en lo90.
3. Ce prieur était mort au temps dont on parle ici.
4. C'est-à-dire arbalétriers. Cranequin signifie un bandage en fer «Tec lequel ob bandait les arbalétres.
b. C'est qu'il y eut un homme tué à la portière de son carrosse.
6. Parce que le duc de Mayenne en avait fait pendre quatre.
7. A cause de leurs robes. 11 y en avait plusieurs qui étaient serviteurs du roi.
8. Marécbaux de ligne vétrrinairc . art de ferrer les chevaux ; mais ici par équivoque au mot v^in-an. I.es maréchaux de la confrérie de Saint-Kloy sont les maréchaux fer- rant les chevaux.
9. Ou jn-étend qu'il était fart laid.
NOTE?,
chait le doyen de Sorbonne avec la croix où pendaient les bulles du pouvoir. Item venait Madame de Nemours représentant la reine- mère' ou grand-mère (in dubio) du roi futur et lui portait la queue, Mademoiselle de la Rue, lille de noble et discrète personne Monsieur de la Rue-, cy devant tailleur d habits sur le pont Saint- Mi; bel, et maintenant un des cent gentilhonimes et conseillers d'État de l'Union, et la suivaient Madame la donaii'ière de Mont- pensier avec son écharpe verte fort sale d'usage et Madame la Lieutenante de l'État et couronne de France' suivie de Mesdames de Belin et de Bussy-le-Clerc. Alors s'avançait et faisait voir Mon- sieur le Lieutenant et devant lui deux massiers , fourres d'her- mines, et à ses flancs deux Wallons portant hoquetons noirs, tous parsemés de croix de Lorraine rouges, ayant devant et derrière une devise en broderie, dont le corps représentait l'histoire de Pbaëton, et était le mot : la magnis voluisse sai est. Arrivés qu'ils furent tous en cet équipage à la chapeUe de Bourbon, Monsieur le docteur Rose, quittant son hausse-col, son épée et pertuisane, monta en chaire, où ayant prouvé par bons et valides arguments que c'était à ce coup que tout irait bien, proposa un bel expédient, pour mettre fin à la gueiTe dans six mois pour le plus tard, ratio- cinant ainsi : En France il y a dix-sept cent mille clochers \ dont Paris n'est compté que pour un. Qu'on prenne de chacun clocher un homme catholique soldoié aux dépens de la paroisse, et que les deniers soient maniés par des docteurs en théologie ou, pour le moins gradués, nommés; nous ferons douze cents mille com- battants et 500,000 pioniers. Alors tous les assistants furent vus tressaillir de joie et s écrier : ô coup du ciel ! puis exborta vivement à la guerre et à mourrir pour les princes lorrains, et si besoin était pour le roi très-cathoUque, avec telle véhémence, qu'à peine put-on tenir son régiment de moines et pedans , qu'ils ne s'en- courusseut de ce pas attaquer les forts de Gournay et Saint-Denis; mais on les retint avec un peu d'eau bénite, comme on apaise les mouches et freslons avec un peu de poussière. Le sermon flni , la messe fut chantée en haute note par M. le révérendissime cardinal de Pellevé, à la fin de laquelle les chantres entonnèrent un motet commençant : Bos brevitas sensits, hos brevitas sensus , fecit conjungere simul. Lors tous ceux qui devaient être de l'assemblée accompagnèrent Monsieur le Lieutenant au Louvre, le reste se re- tira en confusion qui çà qui là, chacun chez soi.
(Extrait de La Satyre Ménipée. — Mémoires de la ligue, t. VU.)
1. A rause que io (!iic ùe Mayenne, son fils, el le duc de Guise , son petît-fils , prélendaicnt à la couruune.
2. Jean de la Rue, taiUeur d'habils, émissaire des Seize.
3. Henri de Savoie , duchesse de Lorraine.
4. L'avis des dix -sept cent millt' L-luthers fut proposé par Jacques Cœur an roi Ctarles VII, el c'Cit Je cela que l'auleur se inoijue iti.
346
NOTES.
Note n,page G9. I.
Ce que ce pauvre malheureux Charlcs-Quint n'a pu faire avec toutes les forces unies et tous les canons de l'Europe, son brave fils Dom Pliilippe, moyennant cette drogue, l'a su faire en se jouant, avec un simple lieutenant de douze ou quinze mille hommes.
n.
Que ce lieutenant ait du catholicon en ses enseignes et cor- nettes, il entrera, sans coup férir, dans un royaume ennemi; et lui ira-t-on au devant avec croix et bannières, légats et primats', et bien "qu'il ruine , ravage , usurpe , massacre et saccage tout , qu'il emporte, ravisse, brûle et mette tout en désert, le peuple du pays dira : ce sont nos gens, ce sont bons catholiques. Us le sont pour la paix et pour notre mère sainte Église ; qu'un roi ca- sanier' s'amuse à afliner cette drogue en son escurial, qu'il écrive en un mot en Flandre au père Ignace cacheté de caOïolUon, il trouvera homme lequel [salvà conscieti(id) assassinera son enne- mi', qu'il n'avait pu vaincre par armes en vingt ans.
III.
Si le roi se propose d'assurer ses états à ses enfants après sa mort, et d'envaliir le royaume d.' autrui à petits frais, qu'il en écrive un mot à Mciidoze son ambassadeur, ou au père Commolet"' et qu'au bas de sa lettre il écrive avec dell Uiguiero <lel inj'erno, Yo el Rey. ils lui fourniront d'un moine apostat', qui s'en ira sous beau semblant , comme un Judas assassiner de sang froid un grand roi de France, son beau-frère, au milieu de son camp, sans craindre Dieu ni les hommes; ils feront plus, ils canonise- ront le meurtrier, et mettront ce Judas au-dessus de saint Pierre, et baptiseront ce prodigieux et horrible forfait du nom de coup du ciel, dont les parains seront cardinaux, légats et pnmats.'
IV. i
Qu'une grande puissance armée de preux et terribles français^
1. Le cardinal de PeUevé, archevêque de Reims el Pierre d'Espinac , arclicvèqael de Lyon.
2. L'anlGiir entend parler de Pliilippe II, roi d'Espagne.
3. 11 est ici question de l'assasinat commis en la personne du jirinco d'Orange à Delfl en Hollande.
4. Le p^re Jacques Commolet, jésuite. On assure que dès l'année l'iSO il excita dans Paris le peuple à la rébellion , au sujet de la mort de Guise. — Voyez les re marques sur la satyre Jlénipée, p. 27 el 28.
5. L'auteur désigne l'assassinat du roi Henri Ifl j.ar Jacques Clément, jacobin, tenu pour saint par les ligueurs.
6. Les cardinaux Gaétan ou Cajetan et de Plaisance , légats ; le cardinal da Petlevé •I Pierre d'Espiguac , archevêque de LyoD.
NOTES.
347
soit prête à bien faii'e pour la défense de la couronne et patrie, et pour venger un si épouvantable assassinat, qu'on jette au mi- lieu de cette armée un demi-dragme de celte drogue, elle engour- dira tous les bras de ces braves et généreux guerriers.
V.
Servez d'espion* au camp, aux tranchées, au canon, à la cham- bre du roi et en ses conseils, bien qu'on vous connaisse pour tel, pourvu qu'aïez pris dès le matin un grain de Bigidero, qui- conque vous taxera, sera estimé huguenot ou fauteur d'hérétique.
VI.
Tranchez des deux côtés , soiez perfide , et bien que vous tou- chiez l'argent du roi pour faire la guerre , n'aigrissez rien , pra- tiquez avec les ennemis ; si vous collez votre épée dedans votre fourreau avec du catholicon, vous serez estimé trop homme de bien.
VU.
Voulez-vous êti'e un honorable rieur et neutre , faites peindi-e à l'entour de votre maison non du feu de saint Antoine-, mais des croix de Eiguiero, vous voUà exempt du hoqueton et de l'arrière-ban.
YIll.
Aïez sur vous le poids d'un demi-écu de catholicon, U ne vous faut point de plus valable passe-port pour être aussi bien venu à Tours qu'à Mantes', à Orléans qu'à Chartres, à Compiègne qu'à Paria
IX.
Soïez reconnu pour pensionnau'e d'Espagne, monopolez, tra- hissez, changez, vendez, troquez, désunissez les princes, pourvu qu'ayez un grain de catholicon à la bouche, on vous emljrassera et entrera-t-on en défiance des plus fidèles et anciens serviteurs comme d'infidèles et huguenots, quelques francs catholiques qu'ils aient toujours été.
X.
Que tout aUle de mal en pis, que l'ennemi avance ses desseins, et ne se recule de la paix, que pour mieux sauter, voyant le beau jeu qu'on lui fait, que l'Église romaine même courre risque, qu'il y ait pervertissement de tout ordre ecclésiastique ou séculier, à faute de parler bon français, semez finement un petit de Eiguiero par le monde, personne ne s'en souciera, et n'en osera parler, craignant d'être réputé huguenot.
1. On croil que Tauleur veut désigner M. de Villeroi.
2. On peignait de ce feu la poile des hôpitaux où l'on metttit ceux qui iuiest affligés de la maladie, dite le feu de saint Antoine.
3. Au lieu de Mantes on dit Troyes dans d'autres éditioni.
348
NOTEiî.
XI.
Cantonncz-voiis et tous installez tyrankiiicmcnt dans les villca du roi, depuis le Havre jusqu'à Mezicrres, et depuis Nantes jus- qu'à Cambrai'. Soyez vilain, renégat ou perfide, n'ol)cïssez ni à Dieu, ni à roi, ni à loi; aïez là-dessus en main un petit de catho- licon, et le laites prêcher en votre canton, vous serez grand et catholique homme.
Xll.
Aïez la face honnie' et le front ulcéré, comme les infidèles co!i- cierges du ponteau de mer' et de Viennes frottez-vous un peu les yeux de ce divin électuaire , il vous sera avis que vous serez prudhomme et riche.
XIII.
Si un pape comme Sixe V« fait quelque chose contre vous, il vous sera permis illœsd consientiû de l'exccrer, maudire, tonner, blasphémer contre lui , pourvu que dedans votre encre il y ait tant soit peu de Uiguiero.
XIV.
N'aïez point de religion , moquez-vous à gogo des prêtres , il ne vous faudra autre absolution, ni d'autre chardonncrette* qu'une demi-dragme de catholicon.
XV.
Voulez-vous bientôt être cardinal? frottez une des cornes de votre bonnet de Higuiero , il deviendra rouge , et serez fait cardi- nal, fussiez-vous le plus incestueux et ambitieux primat du monde.'
XVI.
Soïez aussi criminel que la Mothe-Serrant», soïez convaincu de
1. Cps pays étaient tenus par la ligue.
2. Déslionorée.
3. ViUe de Normandie,
4. Ville du Daupbiné. Cette ville fut perGderaent livrée par Scipion de Maugiron au duc de Nemours en 1592.
5. Sixte V était fort haï des Espagnols; il y a quelques historiens qui ont écrit qu'il fut empoisonné. Il mourut le 27 août ; la nouvelle fui sue à Paris le 5 septembre 1 590. JLe curé de Saint-André, Aubri , prêcha qu'il était mort, que ce miracle s'était fait entre les deux Noire-Dames, et se servit de ces mots si peu religieux : «Dieu vous a délivré d'un méchant pape, et politique.
6. Assaisonnement fait avec le cardon d'Espagne.
7. Pierre d'Espinac , déjà nommé.
8. Guillaume de Brie, sieur de la Mothe-Serrant, gentilhomme angevin. — Voyez t) sommaire de la généalogie de la maison de Brie, dans les remarques de Pabbé Mé- ciage sur la vie de Guillaume Ménage, iu-4°, p. 307 et suiv, Guillaume de Brie fui oupplicié ù Tours pour ses crimes.
NOTES.
3-i9
fausse monnoie comme Mandreville", Sodomlste comme Secault*, scélérat comme Bussy', athéiste et ingrat comme le poëte de l'ami- rauté', lavez-vous d'eau de Higuiero, vous voilà sans taches et pilier de la foi.
XVII.
Que quelque sage prélat ou conseOler d'état , vrai catholique françois, s'ingère de s'opposer aux vulpines entreprises des en- nemis de l'état, pourvu qu'ayez un grain de cutholicon sur la langue , il vous sera permis de les accuser de vouloir' laisser per- dre la religion.
xvra.
.Que quelques bons prédicateurs, non pedans, soient sortis des villes rebelles, pour aider à desensorceler le simple peuple, s'ils n'ont un brin de Higuiero dans leur bonnet, ils s'en peuvent bien retourner.
XIX.
Que l'Espagne mette le pied sur la gorge de l'honneur de la France , que les Lorrains s'elforceut de voler le légitime héritage aux priuces du sang royal, qu'ils leur débattent non moins furieu- sement que cauteleusement , qu'ils leur disputent la couronne, servez-vous là-dessus de catholicon, vous verrez qu'on s'amusera plustot à voir hors de saison quelque dispute de la chape à l'évê- queS qu'à travailler à rames et à voiles, pour faire lâcher prise aux tyrans matois , qui tremblent de peur. C'est à peu près la moitié des articles que contenait la pancarte du charlatan espa- gnol, le temps vous fera voir les autres.
(Extrait de La Satyre Ménippde. — Mémoires de la ligue, t. VI.)
Noie m, page 70.
On publia un nombre considérable de parapMets contre la ligue. «Dans le pourparler du Maheustre et du Manant, dit Capeflgue, on voyait la hgue sous les traits d'une pauvre femme, un bâton à la
1. Guillaume ou Martin (3a Bosc, sieur d'Esmamdreville. l\ était gouverneur de Sainte-Menehould pour la ligue en 15S8. Ue lui et de sa femme Isabeau le Aloiiie •ont descendus les autres seigneurs d'Esmandreville.
2. Pierre Senault , un des principaux de la faction des Seize, père de Jean-François Senault, qui a été général de la congrégation de l'Oratoire, et aussi fidèle au roi et & l'État que son père leur avait été infidèle. Pierre avait été clerc au greffe de ta cour du parlement, et il fut greffier du conseil de la ligue; il fut chassé de Paris la 30 mars 159i.
3. Bussy Leclerc, procureur de la cour, l'uB des seize qui emprisonna le parlement et fui depuis gouverneur de la Bastille.
4. Ce poL-te était Pîiilippe Desportes, abbédeTiron, parce qu'il s'était retiré au- près de î'auiital de Villars, cousin germain d'Anne de Joyeuse, li avait eu aussi j'obbaye do Bon-Port.
5. On apjielle ainsi la dispute du droit d'un tiers.
10.
350
NOTES.
main, s'aclierainant hors de Paris. — Quelle femme est cela? s'é- cria le Malieustre. — C'est la ligue, répondait le Manant; elle va hors de Paris pour prendre Soissons. — Vient-elle des enfers pour nous ensorceler? Que dénotent ces chiens dont elle est suivie? — C'est qu'eUe est pleine d'envie et qu'elle s'eflbrce de mordre alors même qu'elle rit. — «Il n'y eut pas assez d'odes, de somiets, de quatrains, de stances et couplets à l'éloge du Béarnais, — pro- ductions latines ou françaises dans lesqueUes se complaisaient les parlementaires. 11 existe encore des gravures contemporaines où Henri IV est reproduit sous les traits de tous les héros de la fablè. Jean Leclerc, rue Saint-Jean-de-Latran , à la Salamandre, vendait une grande image démontrant la délivrance de la France par le Persée français ; comme Andromède , la France avait été sacrifiée , mais le monstre qui la gardait entre ses dents avait senti comljien le bras de Persée était fort : «France, demeure Adèle et ne crois plus à ceux qui ont rogné l'or de ton diadème. »
(Capeflgue, Histoire de la Réforme, de la Ligue et de HenrilV, t. VU, p. 184, 185, 18C.)
Note rv, page 85.
Quand les jésuites veulent réformer un novice ou le préparer pour quelque action utile à leur compagnie, Os l'enferment pen- dant plusieurs jours dans une chambre, sous le prétexte d'une plus grande liberté pour lui, de se livrer à la méditation des choses saintes.
L'imagination du novice s'exalte naturellement dans la solitude; les voix my.slôrieuses qu'on lui fait entendre, les apparitions dont on frappe ses yeux, lui font croii'e qu'il est favorisé d'une révéla- tion du ciel. Dès ce moment il ne s'appartient plus. 11 réalise les célèbres paroles de Loyola : Perinde ac cadaver. On peut dès lors, comme à Jacques Clément, lui remettre un poignard; sa main ne tremble pas plus que sa conscience n'est troublée ; il ne se croit pas assassin, mais ange exterminateur.
Note V, page 87.
Dans les papiers du père Guignard, on découvrit les maximes suivantes écrites de sa propre main :
(c 1° Si, en l'an 1572, on eût saigné la vaine basihque, nous ne fussions tombés de fièvre en chaud mal, comme nous expérimen- tons. Pour asoiî pardonné au sang, ils ont mis la France à feu et à sang;
« 2» Que le Néron cruel (Henri III ) a été tué par un Clément, et le moine simulé despeché par la main d'un vrai moine ;
«3° Appellerons-nous un Néron, un Sardanapale.un renard de Béarn, roi de France? un hon, roi de Portugal i" une louve, reine
NOTES.
351
d'Angleterre? un griffon, roi de Suède? un pourceau, roi de Saxe?
« 4° Pensez qu'il faisait beau voir trois rois, si rois se doivent nommer! Le feu tyi'aa (Hcuri Ili), le Béarnais, et ce prétendu monarque de Portugal , dom Antiiouio (ennemi du roi d'Espagne)!
« 5° Que le plus bel anagramme , qu'on ti'ouva jamais sous le nom du tyran défunt, était celui par lequel on disait : 0 le vilain Bérodes !
« 6° Que l'acte héro'ique fait par Jacques Clément, comme don du Saint-Esprit, appelé de ce nom par nos théologiens, a été jus- tement loué par le feu prieur des Jacobins, Bourgoing, confes- seur et martjT, par plusieurs raisons, tant à Paris, que j'ai ouï de mes propres oreilles lorsqu'il enseignait sa iudilh, que de- vant ce beau parlement de Tours; ce que ledit Bourgoing, qui plus est, a signé de son propre sang et sacré de sa propre mort; et ne fallait croire ce que les ennemis rapportaient; que, par ces derniers propos, il avait improuvé cet acte comme détestable;
« 7° Que la couronne de France pouvait et devait être transférée à une autre famille que celle de Bom'bon;
« 8° Que le Béarnais, ores que converti à la foi catholique, se- rait traité plus doucement qu'il ne méritait, si on lui donnait la couronne monacale en quelque couvent bien réformé, pour iUec faire pénitence de tant de maux qu'il a faits à la France, et re- mercier Dieu de ce qu'il lui avait fait la grâce de se reconnaître avant la mort ;
« 9«Que, si on ne le peut déposer sans guerre, qu'on guerroyé; si on ne peut faire la guerre, qu'on le fasse mourir!»
(Extrait de la Procédure contre Jehan Châtel, Mémoires de la
Suit le mémoire des sommes payées par le roi pour traités faits, réduction de pays, villes, places et seigneuries particulières, en l'obéissance du roi pour pacifler le royaume. A M. de Lorraine et autres particuliers, suivant
A M. de Mayeime et autres particuliers, suivant son traité, compris les dettes de deux régimens de suisses, que le roi s'est chargé de payer. . . . 3,580,000 A M. de Guise, prince de Joinville, et autres.
Ligue.)
Note vi, page 111.
Prix de la ligue.
son traité et promesses secrètes,
3,766,825 llv.
suivant son traité
A M. de Nemours et autres.
3,888,830 378,000
A reporter.
11,613,655 Ut.
352
NOTES.
Report 11,613,655 liv.
Pour M. de Mercœiir, Blavct, M. de Vendôme et autres, suivant leur traité pour la province de
Brettagne 4,295,350
Plus pour M. d'Elbœuf , Poitiers et divers parti- culiers 970,824
A M. de Villars, le chevalier d'Oise son frère, les villes de Rouen, Le Havre et autres places, et pour les récompenses qu'il a fallu donner à Mes- sieurs de Montpensier, maréchal de Biron, chan- celier do Chiverni, et autres 3,477,800
A M. d'Espernon 496,000
Pour la réduction de Marseille 406,000
Pour M. de Brissac, la ville de Paris et autres
particuliers 1,695,400
A M. de Joyeuse , pour lui , Toulouse et autres
voies 1,470,000
A M. de la Chastre, pour lui, Orléans, Bourges,
et autres particuliers 898,900
A M. de Villeroi, pour lui, son fils, Ponto-ise, etc. 470,594
A M. de Bois-Dauphin 670,800
A M. de Balagny, pour lui, Cambrai et autres
particuliers 828,930
A MM. de Vitry et Medarid 380,000
Plus pour les sieurs Vidâmes d'Amiens, Abbe-
ville, Peronne et autres places 1,261,880
Pour les sieurs de Belan, Joffreville et autres, Troyes , Nogent , Vitry, Rocroy, Chaumont, et
autres places 830,048
Pour Vezelay , Macou , Mailly et divers particu- liers en Bourgogne 457,000
Pour les sieurs de Canillac, Monfan et autres,
la vUle Du Puy et autres villes 547,000
Pour diverses villes en Guyenne, les sieurs de
Montpezat, Montespan et autres 390,000
Pour les traités de Lyon, Vienne, Valence et autres villes, et divers particuliers en Lyonais et
Dauphiné 636,800
Pour la ville de Dinan et quelques autres. . . . 180,000 Plus pour les sieurs Leviston, Baudoin et Be-
villiers, suivant les promesses à eux faites .... 1 00,000
Total du prix de la ligue 32, 1 42,9.s i liv.
(Extrait des Lettres de Heiiri IV.)
NOTES.
353
Note \a, page 144.
Dans la nuit de samedi , Jeanne d'Àlbret fit approcher la baronne de ThigiionTille, à qiii elle avait confié l'éducation de sa fîlle; elle Tentrelint durant deux heures , â voix basse ; après quoi elle ajouta, assez haut pour être entendue, qu'elle remettait entre ses mains sa fiUe chérie, ne doutant point qu'elle ne pût la conserver digne d'eUe, et des soins qu'elle lui avait coûtés depuis son enfance; elle l'exhorta à lui répéter souvent ses dernières volontés : " Dites « lui que sa mère mourante lui commande de se montrer dès son s bas âge, ferme et constante au service de Dieu, qu'elle le prie , " qu'elle le serve ; qu'elle soit soumise à son frère , aux femmes «vertueuses qui vont diriger ses pas au milieu de tant d'écueUs; «qu'elle se dise sans cesse à elle-même, qu'en écoutant leurs 'I sages avis, c'est moi-même qu'elle écoute; rappelez -lui le passé, «nos entretiens, les exemples de vertus et de constance dont elle « a été témoin. Enfin, dites -lui que je la remets en la garde et «protection de Dieu, qui la gardera et protégera si elle le sert. »
(Extrait de l'Histoire de Jeanne dAlbret, par M"' de Vauviliiers, t. n, p. 426-427.)
Noie vm, page 197.
îjetfrcs de François de Sale§ au dnc de Shtoîc qnî
ie consiiîtaîî sur la conîlnite à tenir à l'égard de Genève.
« n n'y a nul doute que l'hérésie de l'Europe ne vint à être grandement débilitée, si cette cité était domptée et réduite, parce que c'est le siège de Satan, d'oii il épanche l'hérésie sur tout le reste du monde , ce qui est évident par ces points : Genève est la capitale du calvinisme; car Calvin et de Bèze y ont choisi leur domicile. Toutes les églises prétendues réformées de France se rapportent aux minish'es de Genève quant aux points de doctrine et aux autres affaires de police ecclésiastique. Toutes les villes des hérétiques respectent Genève comme l'asile de leur religion : cette année même, un homme du Languedoc est venu la visiter, comme un cathoUque visiterait Rome. U n'y a point de ville en Europe qui ait plus de commodités pom- entretenir l'hérésie , puis- qu'elle est la porte de France , d'ItaMe et d'Allemagne ; de sorte qu'il s'y trouve des habitants de toutes les nations : Italiens , Français, Allemands, Polonais, Espagnols^ Anglais, et des pro- vinces les plus éloignées. D'ailleurs chacun sait le grand nombre de ministres qui y est. L'aimée passée elle en a fourni vingt à la France; l'Angleterre même fait venir des ministres de Genève. Que dirai-je des belles et magnifiques imprimeries, par lesquelles cette viUe remplit toute la terre de ses méchants livres , jusqu'à
NOTES.
les faire distribuer aux dépens du public ! Cette arniôe , le livre de la Roche Cliandieu a été imprimé à eu donuer gratuilemeut pour 700 écus d'or. A ceci se rapporlcut les écoles où l'on voit une quantité de jeunes gentilshoninics de France et d'Allemagne, Il ne faut point oublier les exercices continuels de prédications , leçons, conférences, disputes, composition de livres et autres semblables qui enti'etiennent merveilleusement l'hérésie. Toutes les entreprises qui se font contre le Saint-Siège apostolique et les princes catho- liques ont leur commencement à Genève. Aucune ville de l'Europe ne reçoit autant d'apostats de tous grades séculiers et réguliers. De là je conclus que Genève étant abattue, il est nécessaire que l'hérésie se dissipe. Pour en venir à ces fins , il faut établir les jésuites à Thonou^ une imprimerie à Annecy pour mettre en lumière les écrits que les doctes font contre l'hérésie , et ainsi pousser un clou avec un autre clou. Les autres choses qui regar- dent proprement la destruction de la ville de Genève ne sont point de mon gibier ni de mon humeur ; Votre Altesse a en main plus d'expédients que je n'en saurais penser. » (Extrait de la Vie de saint François de Sales , 'par son neyeu Auguste de Sales, p. 120 à 121;' Lyon, 1633).
Imprimeurs genevois à la fin dn 16° siècle, d'après ud travail de M. le professeur GauUieur.
1. Les Estienne. — 2. Jean Crespiii, d'Arras. — 3. Jean Durand, de Cliàtillon-siir-Seine. — 4. Michelic Kicot. — 5. Jean Chouct. — 6. Thomas Courtaud. — 7. Conrad Badius. — 8. Gabriel Carties. — 9. rierre de Saint- André. — 10. Charles Pernot. — 11. Jacques Planchant. — 12. Antoine Leymarie. — 13. Antoine Reboul. — 14. Perrin à Cologny. — 15. Barbier. — IG. Pinereul. — 17. Bon- nefoy. — 18. Gymnicus. — 19. François Le Preux. — 20. Guillaume Maurice. — 21. RiverL — 22. Berthêt.— 23. Commeliu. — 24. Es- tienne , Anastase. — 25. Jean de Laon. — 26. Jean Georges. — 27. Hamelin. — 28. Chauvin, Antoine. — 29. Mathieu Berjon. — 30. Olivier Jordriu. — 31. Jean Mirard. — 32. Vincent Brôs. — 33. Pyramus de Candole. — 34. Les De Tournes.
(Gaberel, Histoire de Genève, t. II, aux pièces justificatives, p. 267.)
Note IX, page 213.
Dans un discours prononcé au Havre dans l'église Saint-Fran- çois , le R. P. Carboy s'exprimait sur le protestantisme de la manière suivante :
«Eu dehors du catholicisme apostolique et romain, dans les sectes et les Églises qui ont rejeté lo dogme eucharistique, vous Le rencontrerez que des hommes ùnpuissants à produire le bien et des œuvres frappées à leur naissance de stérDité et de mort.
NOTES.
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«En face de l'Apostolat catholique disséminé à tous les Tenfs du ciel, l'histoire impartiale et véridique ne présente dans les Églises dissidentes que des révérends Pasteurs qui courent le monde à tant de revenus fixes- par mois et par année. Dans une seule année , le catholicisme compte en Chine soixante martyrs dans ses prêti-es : les annales du méthodisme n'en ofTrent pas un seul sur tous les points du globe en ti'ois siècles; elles ne nous montrent que des traflqueurs qui escomptent les âmes en cher- chant le bonheur.
« L'Eucharistie fait germer la charité pure dans les âmes qu'elle ennoblit et transforme. Venez plutôt, comparez et jugez. En 1562 mie peste cruelle désole Genève et décime sa population ; il n'y avait plus alors à Genève d'évèque, de prêtres, ni de moines : le calvinisme avait jeté son niveau destructem* sur toutes les insti- tutions que le catholicisme avait fondées dans les siècles. Le con- seil d'État s'assemble pour délibérer sur les mesures à prendre dans une aussi grande perplexité des esprits : le chef du consis- toire protestant se présente dans l'assemblée , et déclai'e que ses pasteurs et lui se retù:ent, alléguant l'insuffisance de leur courage et l'inefficacité de leur mission dans une aussi terrible calamité. Tout le monde peut Mre cette déclaration sur les registres conser- vés au conseil d'État de la répubMque genevoise, à la date de 1562. Voilà le dévouement, l'esprit de sacrifice et les œuvres dr la Réformation , qui a rejeté l'Eucharistie et qui n'a plus le foyer de l'amour.
«Comparez encore le zèle apostoUque et l'inetTable charité d'Hyacinthe-Louis de Quélen, de gracieuse et douce mémoire, lors de l'invasion du choléra asiatique de 1832, avec la conduite iDdigne et souverainement blâmable de l'archevêque protestant de Dubhn , qui conseilla à ses collaborateurs , dans un mandement de la même époque, de prendre toutes leurs mesures pour éviter la contagion, de fuir les malades, et de laisser aux catholiques leurs superstitions sacramentelles et leurs téméraii-es assiduités auprès des cholériques. C'est de l'histoire contemporaine; elle est irréfutable : les témoins vivent encore. »
A l'occasion de cette attaque dii-ecte, reproduite par le Courrier du Havre, Jl. le pasteur Poullain a reçu de M. le pastem- Gaberel, l'historien de l'église de Genève, la letti'e suivante :
«Genève, le 26 février 1854.
« Cher frère,
« L'affirmation du Révérend Père Carboy n'a qu'une apparence de vérité. Voici les faits :
Avant l'établissement de la Réformation à Genève , nos registres contiennent des plaintes amères contre les prêtres catholiques qui refusent de soigner les pestiférés. Aucun d'eux n'est victime
356
NOTES.
du fléau, et les magistrats parlent de leur lâcheté en fermes très- durs. — Ainsi, le 2 mai 1494, les seigneurs syndics font des instances auprès des sept curés de la ville pour trouver un cha- pelain, vu qu'aucun prêtre ne veut aller à l'hôpital. Celui qu'on y envoie en est honteusement chassé le 2 septembre. — Le 18 no- vembre 1494, on y conduit de force un religieux nommé le Frère Pierre. — Le 30 décembre 1513, on se plaint du très-court séjour que les prêtres font auprès des pestiférés.
«Enfin le 30 avril 1530, après un effroyable procès, le prêtre de l'hôpital des pestiférés fut roué avec ses serviteurs pour avoir propagé le fléau afin de profiter des dépouilles et des biens des victimes.
« Vous voyez qu'avant de jeter la pierre à ses adversaires il est bon d'examiner si sa propre maison est bien nette.
« C'est en 153.'), connue on le sait, que la Réforme s'est établie à Genève. Que s'est-il passé depuis lors? La vUle fut désolée par la peste à plusieurs reprises : en 1543, — 1560, — 1570, — 1574, — 1615 , — 1617. C'est sans doute à l'année 1543 que se rapporte le fait dont on a voulu faire sortir une si grave accusa- tion contre le protestantisme. Voici quelques extraits du registre (nous conservons le langage du temps) :
"Du 1" mai 1543. — La peste sévissant cruellement, sur les sept pasteurs se présentent spontanément MM. Jehan Calvin, Chastillon et Pierre Blanchct , qui demandent à tirer au sort pour consoler les malades. Le conseil déclare que M. Calvin ayant fait ses preuves deux ans auparavant en la peste à Strasbourg, où il a soigné et consolé les pestes, il ne sera pas employé, étant trop iilile à l'Élat. Le sort tombe sur le pasteur Pierre Blanchet, qui s'enferme avec les pestiférés et meurt au bout d'un mois, victime de son zèle.
« Du 5 juin 1543. — Le conseil demande un pasteur pour rem- placer M. Pierre Blanchet qin est allé à Dieu en faisant son devoir. Sur ce, quatre pasteurs, Louis et Aime Champereaux, Philippe de Ecclesia et Abel Poupin déclarent qu'ils ne se sentent pas le courage d'aller vers les pestés. MM. Calvin, de Gencston et Chastillon s'offrent de nouveau. De Gencston, étant dé.signé par le sort, s'enferme à l'hôpital avec sa femme, qui se dévoue aussi au service des malades, et, au bout de six semaines, tous deux meurent de la peste.
"Les quatre pasteurs susnommés claiciit des moines reçus au saint ministère, mais qui n'étaient nullement propres à cette vo- cation, car trois ans plus tard les deux Champereaux étaient bannis pour mauvaises mœurs, Ecclesia poiu- usure çt Poupin pour ;;ihéisme. «
Ils furent remplacés par des pasteurs sincères venus de France, au nombre desquels se trouve Jean Macard. de Laon, qui, en
NOTES.
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1560, accepte la charge de consolateur des pestiférés et, après deux mois de service, meurt de la fièvre peslileniiellc , confes- sant jusqu'à son dernier sanglot la sainte foi qu'il avait pro- fessée.
En 15G8, le registre porte : «M. Perrot, pasteur et professeur de théologie, fut nomme consolateur à l'hôpital des pestes. La maladie était terrible ; des files entières de malades changeaient journellement. La terreur empêchant de trouver des infirmiers en nombre sulTisant, M. Perrot aidait de ses mains à tous les soins des malades. Durant deux mois il ne quitta pas les salles et Dieu lui fit la grâce de le conserver à travers le danger.
«En 1574, le pasteur Chausse est atteint de la peste après avoir soigné les malades durant ti'ois mois. Ses collègues allant lui faire les derniers adieux, il leur dit : Finalement , je suis frappé à mort et je remercie Dieu dem'avoir retiré à lui. Les temps sont si misérables que souvent la foi dcf aille devant l'œuvre. Je m'en vais tranquille, non point par la souvenance de ce que j'ai essarté de faire, viais par l'assurance de la rémission de mes péchés en Jésus-Christ notre Sauveur.
« En 1 6 1 5 , le pasteur Gauthier, riche et dans une brillante posi- tion, s'enferme à l'hôpital avec sa femme qui ne veut pas le quitter. Ils se multiphent en aumônes, dit le registre, voulant que les plus pauvres fussent aussi bien soignés que les riches. Ils furent atteints et moururent à trois heures de distance. Gauthier, disait un collègue, vous mourez victime de votre dévouement. Au nom de Dieu, répondit le pasteur mourant, parlez-moi de Jésus et ne venez pas gâter par une louange le moment qui me rapproche de mon Sauveur.
«En 1617, Antoine La Faye, chef de l'Église, successeur de Théodore de Bèze, était choisi par le sort pour consoler les pesti- férés; sa compagne ne voulut pas se séparer de lui. Au bout de trois mois, leur tâche était finie; ils rentrèrent chez eux et reçu- rent les félicitations de leurs amis. Mais le lendemain les symptômes mortels se déclarent; leur maladie est courte; et comme les amis de La Faye se lamentaient de voir sa carrière si misérablement tranchée: — Remercions Dieu, àil-il, qui 7ious juge dignes d'être appelés à un travail difficile en ce monde.
«Voilà, cher Frère, de quoi répondre, etc.
« Signé Gaberel, pasteur. »
(Cette note est extraite d'une brochure intitulée : Réponse aux accusations du R. P. Carboij contre le protestantisme . par H. Poulain, pasteur de FégUse protestante du Havre; l'-sris, Joèl Cherbuliez, 1854.)
358
NOTES.
Note X, page 237.
Un jésuite écossais, au moment de l'escalade, remit aux Sa- voyai-d.s des papiers magifpies, qui devaient les préserver des atteintes de l'eau, du fer et du feu.
Ces amulettes portaient les paroles suivantes en latin :
«Cette lettre est écrite par le Sauveur lui-même;
Le pape Léon l'a envoyée à GliarJes-Quint.
Celui qui la portera ou la lira, dans ce jour, ne périra ni par le fer, ni par l'eau, ni par le feu; aucun homme ne pourra lui faire aucun mal.
S'il vient à mourir, le porteur est garanti des peines de l'enfer. Christ, ma vie^ je t'adore !
Christ, mon sauveur, brise les glaives, romps les liens 1 Que ton signe devienne le rachat de ma vie ! Donne-moi la vie éternelle et mets en fuite mes ennemis ! » (Gaberel, Histoire de l'église de Genève, t. Il, p. 488.)
Dangers <te â^enèvc. — Entreprise de Saïut-C'barles» Boroméc et du pape contre ftenève.
N" 1. — Bref de Paul IV à François II pour conquérir Genève, 11 juin 1560.
Nous avons appris que Votre Majesté a promis à notre cher CIs Emmanuel -Philibert des troupes et de l'argent pour remettre Genève sous sa domination. Nous approuvons beaucoup ce projet. Rien de plus digne ne pouvait être entrepris par vous. En eifet, cette ville, comme tous le savent, est l'asile de tous les hérétiques de France et d'Italie. Elle est la source empoisonnée d'où naguère sont sortis les troubles et les séditions cpii ont bouleversé votre royaume. Jamais, pendant que cette ville sera au pouvoir des hérétiques, les ennemis de la foi catholique ne manqueront d'un refuge assuré. Aussi nous vous exhortons de tout notre cœur avec le zèle qui nous dévore; bien plus, nous vous demandons d'aider le duc de Savoie à récupérer cette ville. Envoyez -lui des cavaliers, des fantassins, de l'argent en abondance. En faisant cela, vous accomplirez une chose très-agréable à Dieu et utile par-dessus tout à la paix de votre royaume. Car une fois cet asile, ce réceptacle enlevé aux hérétiques de France, ceux qui dans leur cœur machinent des complots, seront brisés pour jamais. Nous envoyons les présentes par notre vénérable frère le nonce, qui vous les confirmera verbalement. — A Rome, le 11 juin 1560.
N" 2. — Le pape Paul IV au roi d'Espagne Philippe II, le 13 juin 1560.
Noti-e bien-aimé Hls Emmanuel- Philibert nous affirme qu'il a le plus grand désii- de récupérer Genève. Nous avons appris que notre très-cher fils en Christ .François II, R. T. C,, lui a promis de
NOTES.
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la cavalerie et de l'infanterie, pour rcdnirc cette ville. Votre Majesté sait que dès longtemps eclte ville est l'asile des hérétiques, que les ennemis de l'Eglise affluent chez elle de France et d'Kalie. Nous sommes donc persuadés que vous aiderez Emmanuel -Phili- bert dans la proportion de votre zèle religieux, et que vous com- prendrez la grandeur et l'importance de cette œuvre. Mais comme nulle entreprise ne nous tient plus au cœur que le renversement de ce réceptacle d'hérésie, nous vous adi-essons à ce sujet les plus pressantes sollicitations. Nulle œuvre n'est plus digne de Dieu et de la sainte Éghse cathoUque. Suivez notre exemple et celui du roi de France, qui, de la Bourgogne et nous d'Italie, enverrons contre Genève les pins puissantes troupes, et joignez à nos soldats vos redoutables cohortes, afin que le succès soit assuré. — Dat. Romœ apitd S. P. clic ///juin an P.
N° 3. — Salât- Charles-Borromée contre Genève, 18 jain 1S60.
Lettre à il. de Colleyno sur le subside à donner au duc de Savoie pour reprendre Genève. {Archives de Turin, p. 49, n" 2 , l" catég. , affaires de Genève.)
Kous avertissons M. de Collegno que Sa Sainteté a déposé 20,000 écus en mains de Thomas de Marini , à Milan. Cette so.mme doit servir aux cantons catholiques contre les hérétiques qui veu- lent attaquer les fidèles. Les cantons protestants sont irrités des projets des cathoHques contre Claris. Grâce à ces 20,000 écus, les cantons hérétiques étant empêchés , ne pourront aller au secours de Genève quand Son Altesse lui donnera l'assaut.
2° Quand Son Altesse marchera sur Genève, elle rece^Ta éga- lement 20,000 écus comptant pour payer, durant trois mois, cette entreprise.
3» Le pape enverra sa cavalerie à ses frais pour chasser les fugitifs genevois; car cette guerre doit être com-te, vu que les Turcs pourraient bien nous inquiéter.
4° Sa Sainteté trouve à propos de ne pas appeler cette guerre luthérienne , mais seulement guerre contre des rebelles et une cité qui est la propriété du duc Emmanuel-Philibert.
5" Sa Sainteté s'arrangera avec les Français pour qu'As fassent partir des détachements des cinq garnisons qu'ils ont en Piémont, afin que Son Altesse voie bien que le pape désire son bien-être et son contentement.
Fait à Rome, le 13 juin 1560.
Charles, cardinal Bon-omée, P. P.
La mort de François n, arrivée peu après l'expédition de ces missives, fît échouer cette entreprise, et Genève échappa à l'un des plus grands dangers que son indépendance ait courus.
(Archives de Turin, 1" catégorie, paquet 14.)
360
NOTES.
Noie XI, page 214. Testament de Théodore de Bèze.
Au nom de Dieu qui a fait le ciel et la terre, Amen.
Je, Théodore de Besze, fils de feu noble Pierre de Besze, baiiiyde Vezelay, ministre de la parole de Dieu en l'Église de Genève, et fait bourgeois dudit Genève, par la grâce de mes très -honorés seigneurs; sain de corps et d'esprit par la grâce de Dieu, prévoyant toutefois l'incertitude de cette vie, surtout entre l'âge de 77 ans auquel je me trouve, j'ai avisé et résolu de faire mon dernier testament solemnel et par écrit en la forme et manière qui s'en suit : Premièrement, je recommande à Dieu Père, Fils et Saint- Esprit, mon âme et mon corps; m'assurant par sa sainte et seule grâce qu'en la séparation de l'âme d'avec le corps, mon âme sera reçue en ce degré de félicité, à raison de laquelle il est dit que bien heureux sont ceux qui meurent au Seigneur. Et quant à mon corps , il ressuscitera par la grande puissance de mon Créateur en la dernière et bienheureuse journée promise pour la résurrec- tion des morts; atin de jouir à jamais de ce qu'il m'a fait connaître, croire et espérer dès les temps de cette pauvre vie. Je lui rends grâce infinie de ce qu'il lui a plu dès mon âge de seize ans me faire connaître cette vérité; et plus encore, que j'ai été enveloppé, et me suis en mille sortes égaré aux labyrinthes de jeunesse, n'ayant faute de tentateurs; toutefois, par une très-sainte grâce et faveur de mon Dieu, au lieu que je méritais par trop que toute cette connaissance étant abolie en moi , je périsse malheureuse- ment, il a tellement opéré, que, postposaut toutes choses, à sa gloire et au repos de ma conscience, il m'a retiré au port de son Église en cette ville de Genève; mais je bénis son nom encore davantage, en ce que, multipliant ses miséricordes sur moi, pauvre pécheur, depuis l'an 1548 que j'arrivai en celte ville, le 23 octobre, quoique je fusse indigne d'être des moindres brebis du troupeau du Seigneur, il lui a plu, toutefois, dès l'an 1549, m'honorer de plusieurs charges en son église, ayant exercé dix ans en l'église de Lausanne la profession de la langue grecque, et été employé par les Églises françaises envers les princes protes- tants d'Allemagne. Durant lequel temps il m'a préservé en la maladie de peste, et en plusieurs épreuves de maladies et que- relles il lui a plu m'assister à son honneur et gloire, jusqu'à ce que, prenant congé volontaire et gracieux des magniliqucs sei- gneurs de Berne, je fus appelé premièrement à la profession de langue grecque, au commencement que celte école de Genève fut dressée, et linaleraent au saint ministère de la parole de Dieu, et adjoint à feu mon très-honoré père au Seigneur, M. Jean Calvin, de très-heureuse mémoire en la profession de théologie, à savoir
NOTES.
361
l'an 1559. Depuis lequel temps, en deux voyages, l'un de trois
mois en Guieune, vers le feu roi Antoine de Navarre : l'autre au coUoqpie de Poissy l'an 1 5 6 1 , qui fut de vingt mois , y étant com- pris le temps de toute la première guerre civile, durant tout lequel espace il me serait impossible de réciter les grandes assistances que j'ai senties du Seigneur en toutes sortes de charges, non- seulement par ti'op pesantes, mais aussi par trop périlleuses, jus- qu'à ce qu'étant de retour en ce lieu, il m'a fait cette grâce jus- qu'à présent de n'avoir été sans édification tant de bouche que par écrit, selon qu'il a plu à Dieu m'y conduire. Mais hélas 1 fai- sant comparaison de mon devoir avec ce peu d'effet, je baisse ma tète devant mon Dieu, lui demandant grâce et miséricorde. Je supplie mes très-honorés seigneurs de me pardonner mes infir- mités , acceptant pour effet la pure et sincère volonté que j'ai toujours eue da leur faire service à mon possible. A quoi, outre mes gages ordinaires, je reconnais qu'ils ont usé de très-grandes gratuités envers moi, dont je les remercie très-humblement. Quant à la sainte compagnie de mes très-honorés frères et compagnons en l'œuvre du Seigneur, comme ils ont supporté beaucoup de mes infirmités, j'espère qu'ils me rendront toujours témoignage que je me suis sincèrement porté avec eux en ma charge, sans jamais avoir eu débat ni contention. Dieu leur veuille accroître ces grandes grâces de plus en plus , pour être bien ouïs , tant en la doctrine reçue en ladite Eglise, qu'en la discipline d'icelle : se souvenant, non-seulement, de ce que eux et moi ont reçu, mais de ces grands personnages desquels nous l'avons reçu, et singu- lièrement de ce grand serviteur de Dieu feu M. Jean Calvin ; de la sagesse, piété, érudition et prudence duquel, ce sera bien assez s'Os peuvent être bons imitateurs; fermant les oreiUes à ces esprits frétillants qui commencent à s'élever, aussi pleins d'opinion de leur suffisance en eux-mêmes , qu'ils sont vides de bon et ferme jugement. Que si ce qui a été bien ordonné se peut faire encore meilleur, je dis quant à l'ordre, que cela se considère très-milre- ment, et s'exécute d'un esprit sage et paisible par moyens éloignés de zèle étourdi et d'ambition. Que s'il s'en trouve d'autre humeur en la compagnie, eux premièrement, et, si besoin est, le magis- trat n'y saurait trop tôt pourvoir. Quant à moi, je prétends vivre et mourir en ce que j'ai appris par les susdits grands personnages que je reconnais prins de la pure parole de Dieu. Dieu me faisant la grâce de mourir en cette Église, je prie que mon pauvre corps soit enterré au lieu et en la sépulture accoutumée, parmi tant d'excellents personnages, et de mes bons frères et amis, pour ressusciter ensemble, s'il plait à Dieu, en cette bienheureuse journée et apparition de Jésus-Christ, notre Sauveur, etc.
Et combien que je ne fasse aucune distinction du heu quant à la conscience, toutefois je désire i si faii'c se peut commodément,
IV. 41
362
NOTES.
d'être enterré au plus près de feu ma bien-aimée première femme Claude Desnoze, qui m'a laut d'nnnées accompagné et fidèlement assisté, et fait tout devoir de i. . une vraiment chrétienne. L'en- droit est assez près de l'entrée de l'iaiupalais , tournant à main droite, auprès du coin qui fait un détour, ou à un jardin.
Quant aux biens (jue Dieu m'a prêtés en cette vie^ je déclare : (Suit le dispositif.)
Et ayant tout ce que dessus bien tu, lu et considéré, d'autant que c'est ma dernière disposition faite de ma franche volonté , et sans induction quelconque, n'y voulant ajouter ou diminuer, pour le présent, aucune chose, je l'ai signé de ma propre main et cacheté de mon cachet accoutumé, et fait signer audit Jouenon, notaire, et pour plus grande confirmation de ma dite disposition et dernière volonté, à Genève, le 18 du mois d'octobre 1595. — Théodore de Besze.
Cy est la fin du susdit testament, à savoir, ime ratification du- dit testament par ledit sieur de Bcsze , le 1 6 de novembre 1 59 9 , en présence des témoins soussignés, outre ledit sieur Théodore de Besze et le notaire Jouenon, les sieurs Dulac, de Tournes, Eslienne Lemelays, François Lefeure, Gabriel Cartier, Kéhémie Carat, Anastase-Jean Martin. Je, Théodore de Besze, atteste par cet écrit de ma main, que le contenu dans les feuilles de papier ici encloses , est mon testament et ma dernière volonté, que moi-même ait minuté el diclé à Egrege-Jeau Jouenon, notaire juré de cette cité de Genève, l'ayant prié de l'écrire, et avec lequel moi-même ai collationné le tout sur ma dite minute, de mot à mot, et finalement signé de ma main, avec quelques apostilles aussi ajoutées et dic- tées par moi, en certains endroits, et finalement j'ai apposé le sceau des armes de la famille dont je suis né, ce que je certifie à fous ceux qu'il appartiendra être véritable ; suppliant mes très- honorés seigneurs de vouloir approuver, nonobstant les solem- nités ordinaires non observées; fait, écrit et signé de ma main. Ce 25 octobre, l'an de notre salut, 1595. Théodore de Besze. Et au-dessous : Et moi, Jean Jouenon, bourgeois et notaire jiu'é de Genève, me suis soussigné, requis par ledit sieur de Besze pour plus grande confirmation de sa dite dernière volonté. Jouenon.
(Tiré des pièces justificatives deV Histoire de l'Église de Genève, par Gaberel, t. II, Genève 1558, p. 261 et suiv.)
Note XII , page 245.
Hort de Théodore de Bèze.
Séance de la compagnie des pasteurs et du conseil, le 14 octebrei605.
« Nous venons, dit le Modérateur, nous affliger ensemble de la perte que l'Église a faite. Vous êtes comme nous. Messieurs, sai- sis d'un profond regret, en songeant à tous les services que M. de
NOTES.
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Besze a rendus à la ville. Il n'était pas seulement un brillant flam- beau en la maison de Dieu ; mais un rempart pour la sûreté de Genève, et personne n'oubliera que si nous trouvons secours et faveurs auprès des princes étrangers , c'est à l'enti-eprise de M. de Besze que nous le devons. H nous sera difficile de trouver son égal pour faire régner la bienveillance et adoucir les discordes. Mais nous rendrons honneur à sa mémoire, en nous eucom'ageant tous dans une bonne et sainte intelligence au bien de l'État et de l'Église. De notre part, nous protestons d'une afTection sincère et chrétienne envers les magistrats , comme le défunt nous en a tou- jours donné l'exemple. »
Le syndic Lect répondit: «Messieurs, nous sommes vraiment touchés de deuil et de tristesse par la mort de notre fi'ère de Besze. Kotre grand désir est de réparer sa perte en conservant son esprit de paix et de conciliation entre nous. Kous espérons que toujours l'union et la bonne correspondance seront entre l'Eglise et l'État, pour le bien du pays. A cet elTet, suivons les traces de ces deux grands personnages qui ont si heureusement servi en cette ville. »
Kote xm,page 250.
De ce qui se pa§§a en sa maladie et l'heareox trépaa
de François de !Sales.
Donc le 27 du mois de décembre, jour dédié à l'honneur de saint Jean l'évangéliste, après avoir diné, son valet de chambre rin\"itant à prendre de la botte, parce qu'il fallait partir avec le sérénissime prince de Piémont : «Prenons-la (lui tit-il), puisque vous le voulez, je ne pense pas pourtant que nous allions guère loin. » Cela étant fait, il se sentit tout engourdi et demeura assez longtemps appuyé contre la table sans sonner mot; puis, repre- nant un peu ses esprits, U écrivit deux lettres, l'une pour les révérends pères récollets qui lui demandèrent certaines recom- mandations, l'autre à madame l'abbesse du monastère de la Déserte de Lyon, qui l'avait supplié instamment de 1 accepter en qualité de sa très-obéissante fille. Environ sur le midi, coup sur coup, il fut visité de plusieurs reUgieux et ecclésiastiques, les- quels vinrent humblement recevok sa bénédiction. Ses domestiques ayant remarqué que ni à leur arri'vée, ni à leur sortie, il ne s'était point levé de sa chaise pour les saluer, contre son ordinaire, jugèrent incontinent qu'il se trouvait mal. C'est pourquoi M. Ro- land, surintendant de sa maison , lui dit : « Monseigneur, l'heure se fait haute, il me semble qu il sera bon d'attendre de partir jusqu'à demain;» à quoi il répondit; « Vous croyez possible que je sois malade. » Peu de temps après il lui survint un grand manquement de cœur, et dans demi-heure l'apoplexie le saisit, laquelle, quoi- que elle l'assoupit extrêmement, si est-ce qu'elle ne l'empêcha
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NOTES.
pas de proférer de temps en temps des paroles et des sentences dignes de lui, selon que nous verrons tout maintenant. On lui voulait apporter le très-auguste sacrement , par manière de via- ti(jue, toutefois on s'en départit à cause de son continuel vomisse- ment, joint qu'il avait célébré la messe ce jour-là. Comme le bruit fut divulgué par Lyon qu'il s'en allait mourant, grand nombre de personnes s'émeut et accourut , tant pour le consoler qu'afln de recevoir la consolation; car il n'est pas croyable com- bien la seule vue de ce bienheureux prélat édiUait et touchait les consciences.
Monseigneur le révérendissime Robert Bertelot , évôque de Damas et sufTragant en l'archevêché de Lyon, se transporta des premiers à son logis, et, entrant dans sa chambre, lui cria, modérément néanmoins : « Francisce, quœ mutatio dexterœ excelsi ? Vous me Tintes dire adieu la veille de Noël, à présent je suis contraint de vous venir dire adieu. » Alors notre pauvre agonisant le regarda attentivement et lui tendit la main en signe de bienveillance. Ledit seigneur évêque de Damas reprenant la parole lui témoigna qu'il était venu pour l'assister et usa de ce qui est écrit aux Proverbes de Salomon : «Frater qui admiralur a fratre quasi civitas mu- nita; » à quoi répondit le malade : « et dominus salvabit virnm- gue.» Quelques minutes s'ctant écoulées, le susdit révérendissime évêque de Damas lui dit ce beau verset de David : « Jacta cogita- tum tuum in Domine ; » et notre patient poursuivit et ipse te enutriet, ajoutant sans beaucoup de délai : « Meus cibus est ut faciam voluntatem patris mei. «
Le révérend monsieur Ménard, vicaire général, substitué à l'archevêché de Lyon, le vint pareillement exhorter. Il lui de- manda s'il n'agréait pas qu'il instituât en l'éghse de Sainte-Marie l'oraison des quarante heures , à ce qu'il plut à Notre Seigneur de lui rendre sa santé? Le saint évêque lui répondit : "Je ne le mérite pas. » «Eh quoi, répliqua le sieur Ménard, ne voidez-vous pas qu'on prie pour vous?» «Ahl de cela, oui, répartit-il. » «Ou- bliez-vous point de prier la sainte vierge Marie? lui fit-il. » « Je l'ai priée tous les jours de ma vie, répondit-il. » Ce dévot ecclé- siastique, qui J« chérissait tendrement, ayant envit- de lui ouvrir le sujet de quetnme pieux discours, comme ausst rie le réveiller davantage, l'exci'ta par tels propos: «Monseigneur, que sentez- vous de la foi catholique? seriez-vous point devenu huguenot?» « 0 la lie, ne le fus jamais ; « et faisant un grand signe de croix : « Ce serait une étrange trahison, dit-il. » Le même lui représentant que les plus signalés en sainteté avaient appréhendé la mort, il répliqua : « Ils avaient bien raison. » Et comme on lui mit en avant cette sentence du sage : 0 mors quam amai-a est mcmnria tua; il poursuivit : « Bomini pacem habenti in substanliis sîds.»
Les révérends pères de la compagnie de Jésus l'assistèrent jour
NOTES.
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et nuit, tour à tour, dès le commencement de sa maladie, jusqu'à ce qu'il eut rendu l'esprit, avec une affection très -intelligente et une cordialité non pareille, notamment le révérend père Jean Fourier, provincial, le révérend père Louis Jlichaelis, recteur du collège de Lyon, le révérend père Pierre Bernaud, recteur de la maison de la troisième probation de Saint-Joseph, le révérend père Gaspard Marguilier, le révérend père Reymond Sauvian, le révérend père Amerez, et le vénérable frère coadjuteur Guillaume Armand; qui lui rendait service d'une façon, qui d'une autre, qui le soutenait, qui le faisait promener par la chambre, qui s'essayait du mieux qu'il pouvait, en le frottant, de divertir l'apoplexie; ils allaient à l'envie, ces charitables serviteurs du roi Jésus, à qui plus apporterait de soulagement au pamTe patient, que la pesan- teur du mal allait, petit à petit, accablant. Ils lui firent produire, de temps en temps, à force actes de foi, d'espérance et de charité, de patience, d'humilité, de résignation, de contrition; Us raoyen- nèrent qu'on lui donna l'extrême onction; ils firent iaiie pour lui de particulières oraisons chez eux, et en somme se monti-èrent fidèles amants de celui qui les avait toujours tant aimé et chérL L'un d'eux lui ayant ouï réciter ce verset de David : Amplius lava vie ab iyiiquitate med et peccato meo munda me, lui dit: n 0 Monseigneur, quant à votre conscience, grâce à notre bon Dieu, vous y avez mis l'ordre qu'il fallait durant votre vie ; » il répon- dit : « Ah 1 non pas cela. » Un autre le conviant de présenter à notre Seigneur, la prière de saint Martin, Domine si adhuc populo tuo sum necessarius non récusa laborem, U n'y voulut jamais acquiescer, assurant qu'iï était servus inutilis. Quelque autre l'invitant à dire le sacré Trisagion; Sanctus, sanctus, sanctiis Dominus Deus Sabaoth , il poursuivit : Pleni sunt cœli et terra majestatis g/oriœ tuœ , continua le reste du Te Deum lavdamus et fit une action de grâces de tous les bénéfices qu'il avait reçus de la divine bonté. Une autre fois, lui remémoriant le psaume: Miserere mei Deus, il le poursuivit jusqu'à la fin. Le susdit révé- rend père Marguilier l'exhorta à proférer ces paroles que l'amou- reux Sauveur poussa hors de sa poitrine angoissée au jardin des Olives ; Paler si possibile est transeat à me calix iste. Ce dé- bonnaire prélat ne le voulut pas prononcer, seulement il se con- tenta de dire ce qui suit : «iN'ow mea sed tua vohmtas fiât. « Le même père l'anima doucement à sacrifier son âme à la très-glo- rieuse Trinité. Alors le saint évèque, redoublant ses forces, jeta d'un grand cœur ses embrasés élans : « Je sacrifie tout à Dieu : je sacrifie ma mémoire et mes actions à Dieu le Père; mon entende- ment et mes paroles à Dieu le Fils; ma volonté et mes pensées à Dieu le Saint-Esprit; mon corps, mon cœur, ma langue, mes eentiments et mes soulfrances à l'humanité de Jésus-Christ, lequel a livré pour moi son corps aux tourments en l'arbre de la croii. »
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NOTES.
Le rérérend père FûUrier, provincial, son ancien ami, qui avait ouï sa confession générale lorsqu'il se préparait pour se faire sacrer évêqué et qxii lui avait jadis servi de directeur spirituel, S'approchant de lui, cria bellement : « Monseigneur, vous ne vous souvenez plus de moi?» «Si fait, bien, mon père, répondit-il fort gracieusement, je ne vous oublierai jamais. » Et voyant que le zélé frère coadjuteur Guillaume Ai-mand ne se pouvait souler de le servir, il lui dit amiablement : « Mon frère, vous prenez beau- coup de peine avec moi, que ferai-je pour vous? » « Vous prierez s'il vous plaît pour moi. Monseigneur, lui répondit-il, quand vous serez arrivé au ciel. »
Le révérend monsieur Pernet, docteur en théologie, demeura pendant sa maladie presque toujours attaché au chevet de son lit et mâiutefois U lui entendit répéter ces trois excellents versets du prophète royal David. Le premier : Misericordias Domini in œter- num ccmlaho; le second : Cor meum et caro mea exuUaverunt in Dêum Vivian ; le troisième : Renuit consolari anima mea, memor fui et Dei delectatus sum. Et il proférait ces versets tacitement, ainsi qu'une personne qui récite ses heures en oyant la messe.
Ce bienheureux prélat apercevant ses serviteurs pleurant amère- ment et fondant en larmes, il leur dit : « Ne faut pas pleurer, il se faut conformer à la volonté de Dieu. » Le pauvre M. Roland, prêtre et smintèndant de sa maison, était plus mort que vif; il ne savait quelle contenance tenir; enfin se violentant, il s'approcha de -son bon maître avec ce peu de paroles: «Monseigneur, parlez -nous un petit, dites quelques paroles. « «Vivez en paix, lui fit-il, et en la crainte de Dieu, »
Le révérend père Charles de Saint-Laurent, feuillant, lui dit: « Courage, Monseigneur, peut-être que Dieu vous réserve encore pour vous faii'e asseoir sur votre trône à Genève." «Je n'ai ja- mais désiré le trône, répondit-il, je n'ai souhaité que leur salut. »
Un certain, pensant le réjouir, lui A'int faire fête de l'arrivée du révérendissime Jean-François de Sales, évêque de Calcédoine, son frère , mais U le tança doucement en lui répUquant : « U ne faut jamais mentir. « On lui demanda s'il voulait laisser les filles de Sainte-Marie orphelines, U répartit: « qui cœpitopus ipseperficiet, perficiet , pei-ficiet ; » continuant à perte d'haleine ce prophétique perficiet jusques à trois fois.
Le ti-ès- illustre prince et duc de Nemours le vint visiter et se mit à genoux la larme à l'œil pour recevoir sa bénédiction, il la lui donna par deux fois, sur quoi il lui dit: « U y en am'a donc une pour moi, et une pour le duc de Genevois, mon fils.» Et comme on se fut enquis de lui voir s'il reconnaissait quel était ce seignem', il répondit: «Oui, c'est Monseignem- le duc de Nemours.» (Extrait de La vie de François de Sales, par le révéread pèra De la Rivière, p. 665 et suiv.)
NOTES.
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Note xrv, page 272.
L'impopularité d'un parti toujours occupé de cette œuvre san- glante et qui ne semblait respirer que poiu- l'assassinat d'une fenune, ne pouvait que s'accroître. Le mariage, réputé quelque temps iné- vitable d'Elisabeth avec le duc d'Anjou, fit éclater la défiance universelle qu'excitaient les catholiques, et ne servit qu'à donner la mesure de cette impopularité. Une lettre de Philippe Sidney, rendue pubUque, excita contre ce mariage les senlijnents de la nation avec assez de fermeté pour obtenir l'approbation générale, avec assez de mesm-e pour ne point ii-riter Elisabeth. Les puri- tains furent plus hardis et moins heureux; leur Mvre, intitulé L'abîme où le mariage français eyitraine l'Angleterre , parut à la reine un appel à la révolte, digne de la répression la plus sévère. Il lui importait peu qu'elle y fût appelée la fille de Dieu. Le duc d'Anjou, flétri du nom du fils de l'Antéchrist, ses con- seillers accusés d'avoir ^alii la religion nationale devaient être à ses yeux recouverts de sa propre inviolabilité, et la dignité de la couronne était intéressée à leur défense. Le respectable John Stuhb, auteur du livre, le libraire Wilham Page, qui l'avait propagé, eurent la main droite coupée par le bourreau sur la place de Westminster. Le véridique historien de ce règne (Camdeu) fut témoin de leur supplice, du silence désapprobateur de la foule, plus inquiète du mariage catbohque que de l'offense reçue et vengée par Elisabeth, de l'admiration pleine de piété avec la- quelle on vit John Stubb mutilé élever son chapeau de la main gauche en criant : Vive la reine!
(Extrait de l'ouvrage de M. Prévost -Paradol, intitulé : Elisabeth c^ffenri /F [15«5-1 598], p. 97-98.)
Note XV, page 294.
Serment fait par les dépotés présents à liouduu (20 Juin 1S96).
Nous soussignés, promettons et jurons garder, inviolablement, l'union des Églises de France faite à Mantes le 9 décembre 1593 , et, en conséquence d'iceUe, nous soumettre à toutes les résolu- tions des assemblées générales , et notamment de celle tenue à Loudun, en la présente année, observer les règlements y dressés pour l'ordre de notre conservation, pour à laquelle parvenir, nous promettons de maintenir de tout notre pouvon- ce que nous avons délibéré de conscience , ne permettant pas que l'exercice de la reUgion soit ôté d'aucuns lieux où il est maintenant, ni la messe reçue ès lieux où elle n'est point de présent, de garder nos sûre- tés, ne relâcher aucune des places que nous tenons , saisir les deniers pour les payements des garnisons, selon qu'il a été déjà
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NOTES.
ordonné par ladite assemblée, employer vie et biens pour la dé- fense de celui, ou ceux, qui seront recherchés pour cet effet, garder lidèlemeut les places pour la manutention des éghses, n'en transporter aucune pour quelque cause que ce soit, ès mains d'un autre, sans le consentement et expresse permission du conseil de la province; bref, exécuter, fidèlement, et de point en point tout ce qui est, et sera ordonné pour Tentretenement du ministère, récusation des parlements, qu'autres choses concernant le bien général ou particulier de toutes les Églises réformées de France, le tout jusqu'à ce que par lesdites Églises en ait été autrement avisé.
(Extrait des Actes des assemblées générales.)
Note XVI, page 300. lia Tache à Colas.
Au mois de janvier (1615), le sieur de la Force se trouvant à la cour, arriva la quereUe du marquis de la Force et du comte de Grammont, laquelle se passa de cette sorte:
« Le marquis de la Force était de quartier auprès du roi comme capitaine des gardes; un jour qu'il accompagnait Sa Majesté dans la forêt de Saint-Germain; voilà que tout à coup un taureau fu- rieux court par un sentier droit à la personne du roi; la Force se jette aussitôt entre Sa Majesté et le taureau, lequel il fit tomber raide mort d'un coup d'épée. Le roi se divertissait fort à faire battre des taureaux contre des dogues d'Angleterre ; il avait même un homme exprés pour en faire venir des pays étrangers et les dresser à ce genre de combat; un de ces animaux, échappé du heu où il était renfermé, avait mis en péril la vie du roi. On loua extraordinairement l'action du marquis de la Force, et tous ceux qui étaient présents en parlèrent beaucoup le soir, au retour de la chasse.
«Ayant entendu ce récit, le comte de Grammont, impatienté des louanges qu'on donnait au marquis de la Force , qu'il n'ai- mait pas, jaloux du mérite qu'on lui attribuait, et railleur de son naturel , comme tous ceux de sa maison , se plut à tourner la chose en ridicule, et même fit, sur un air alors en vogue, le cou- plet suivant :
Le marquis de la Force A tué par sa force La grand' vache à Colas, La la, deri dera.
f II voulait dire par là qu'on faisait grand bruit de peu de chose, et se moquait, en même temps, de ceux de la religion que les raiholiques désignaient sous le nom de vache à Colas , fle qui était re^ 'a'dé comme une injure.
NOTES.
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« Cette boutade fut racontée, le jour même, au marquis de la Force, qui, trouvant le sieur de Grammont dans l'antichambre du roi, lui dit : «Je viens d'apprendre que vous êtes poète; eh tient moi , je le suis aussi. Vous avez fait ce couplet :
Le marquis de la Force, <it&
«Moi, j'ai composé celui-ci sur le même ait i
Des cornes de la vache Je fais faire un panache Pour Grammont que voilà, La la , deri dora.
«Et puis le marquis de la Force lui faisait les cornes avec ses doigts, et finit par lui relever le bout du nez. D'abord Grammont ne dit que : pourpoint bas ! qui était le terme dont on se servait quand on voulait se battre. Cette querelle, se passant si proche du roi, fut aussitôt rapportée à Sa Majesté, qui envoya, à chacun d'eux, un exempt des gardes du corps, avec ordre de les garder en leur maison jusqu'à ce que cette affaire fût accom- modée.
« La précaution fut inutCe, car les deux adversaires s'étaient échappés; le duel eut lieu au Pré aux Clercs, et le marquis de la Force ayant blessé le comte de Grammont, le força de rendi'e les armes et de demander la vie. La reine dut ensuite travailler à une réconciliation plus apparente que réelle. «
{Mémoires de la Force, publiés par M. le marquis de la Grange, en 1843. — Voy. aussi Bulletin de la société de l'histoire du. protestantisme , 7« année, p. 365, 366.)
Note xvii , page 305.
£xécation du jésuite Ciarnet. — Ses déclarations sur l'échafand»
Le trois mai, Henri Garnet subit le dernier supplice. . . Lorsqu'il fut sur Féchafaud, il s'arrêta comme étonné, laissant voir, sur Bon visage sa crainte et ses remords — Il dit aux assistants que ça avait été une entreprise horrible, que le crime qu'on avait voulu commettre était énorme , et de telle nature que s'il efit été achevé, il lui eût été impossible de ne pas en avoù* horreur. D ajouta qu'il n'avait su la chose de Catesby qu'en général; qu'il était cependant coupable de l'avoir célé et d'avoir négligé de l'empêcher , parce qu'il avait su en particulier, il ne Favait appris que sous le sceau de la confession. Le Magistrat chargé d'assister à l'exécution l'avertit de se ressouvenir de ces quatre articles, que le roi, entre plusieurs autres, avait entre les mains signés de la propre main
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NOTES.
!• Que Greenwell lui avait déclaré le fait non comme un péché, mais cômmé une chose dont il avait déjà ouï parler, et cela pour le consulter.
2" Que Catesby et Greenwell l'étaient venu trouver, atin qu'il les confirmât dans le dessein d'exécuter le crime qu'ils avaient entrepris.
3» Que Tesmond lui-même avait eu avec lui, dans îe comtâ d'Essex un entretien assez long sur les particularités de cette con- juration des poudres.
4" Que Greenwell avait demandé à Carnet, gui est-ce qui serait protecteur du royaume? et que Garnet avait répondu: qu'il ne fallut pas s'embarrasser de celà, jusqu'à ce que la chose fût faite et consommée:
Toutes ces choses prouvent que vous avez eu connaissance de ces crUnes autrement que par la confession, et elles sont signées de votre propre main.
Garnet répondit que tout ce qu'il avait signé était vrai, et qu'on l'avait condamné tiès-justement à mort, pour n'avoii' pas décou- vert à Sa Majesté ce qu'U avait su.
(Extrait du procès de Henri Garnet de la Société jésuitique ea Angleterre, et autres, — traduit de l'anglais en latin par G. Camden. — Londres, imprimerie de Jean Morton, hnprimeur du roi, l'an 1607.' — Voir aussi àlapage 46G-467. — Extraits des assertions dangereuses et pernicieuses en tout genre que les soi-disant jésuites ont, dans tous les temps et perséve- rammeut soutenues, enseignées et pubhées dans leurs livres avec l'approbation de leurs supérieurs et généraux. — Véri- fiées et coUationnées par les commissaires du parlement ea exécution de l'arrêté de la cour du 31 août 1761. — Paris, chez Pierre-Guillaume Simon, imprimeur du parlement, rue dé la Harpe, à l'Hercule. An M.DCC.LXn.)
Note xvra, page 327.
Assassinat du roi.
Le Roi sortit peu après pour s'en aller à l'Ai'senal. 11 délibéra longtemps s'il sortirait, et plusieurs fois dit à la reine : « 5!a mie, irai-je , n'h-ai-je pas? » Il sortit même deux ou ti'ois fois , et puis, tout d'un coup, retourna en disant à la reine : «Ma mie, irai-je encore ? « et faisait de nouveau doute d'aller ou demeurer. Enfin il se résolut d'y aller , et ayant plusieurs fois baisé la reine , lui dit adieu , et entre autres choses que l'on a remarqué , il lui dit : n Je ne ferai qu'aller et venii'^ et serai ici tout à cette heure même. » Comme il fut en bas de la montée où son carrosse l'attendait , M. de Praslin, son capitame des gardes, le voulut suivi-e, iTlui dit: «Allcz-voi.is-ça, je ne veux personne, aliez à vos affaires. »
NOTES.
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Ainsi n'ayant autour de lui que quelques gentilshommes et des valets de pied, il monta en carrosse, se mit au fond à sa main gauche, et fit mettre M. d'Espernoii à la droite; auprès de lui, à portière, étaient M. de Montbazon, M. de la Force; à la portière, du côté de M. d'Espernon, étaient M. le maréchal de Lavardin , M. de Créqui; au-devant M. le marquis de Mirabeau et M. le pre- mier écuyer. Comme il fut à la Croix du Tiroir, on lui demanda oii il voulait aller; il commanda qu'on alla vers Saiut-Innocent. Étant arrivé à la rue de la Ferronnerie, qui est à la fin de celle de Saint- Honoré pour aller à celle de Saint-Denis, devant la Salamandre, il se rencontra une charrette qui obligea le carrosse du roi à s'ap- procher plus près des boutiques de qiiincaillers qui sont du côté de Saint- Innocent, et même d'aller un peu plus bellement sans s'arrêter toutefois, combien qu'un qui s'est hâté de faire im- primer le discours, l'ait écrit de cette façon. Ce fut là qu'un abo- minable assassin, qui s'était rangé contre la prochaine boutique, qui est celle du Cœur couronne percé d'une flèche, se jeta sur le roi et lui donna, coup sur coup, deux coups de couteau dans le Côté gauche; l'un prenant entre l'aisselle et le tétin, va en mon- tant sans faire autre chose que glisser; l'autre prend la cinquième et sixième côte, et en descendant en bas, coupe une grosse artère de ceUes qu'ils appellent fezneî^ei. Leroi^ parmaHieur, et comme pour tenter davantage ce monstre, avait la main gauche sur l'é- paule de M. de Montbazon, et de l'autre s'appuyait sur M. d'Esper- non, auquel il parlait. Il jeta quelque petit cri et lit quelques mouvements. M. de Montbazon lui ayant demandé : «Qu'est-ce, Sire? » Il répondit : « Ce n'est rien I ce n'est rien! » par deux fois; mais la dernière, il le dit si bas qu'on ne put l'entendre. Voilà les seules paroles qu'U dit depuis qu'il fut blessé.
Tout aussitôt le carrosse retourna vers le Louvre. Comme il fut au pied de la montée, où il était monté en carrosse, qui est celle de la chambre de la reine, on lui donna du vin. Pensez que quel- qu'un était déjà couru devant porter cette nouvelle. Le sieur de Cérisy, Ueutenant de la compagnie de M. dePraslin, lui ayant soulevé la tête , il fit quelque mouvements des yeux, puis les re- ferma aussitôt sans les plus rouvrir. 11 fut porté en haut par M. de Montbazon, le comte de Curson en Quercy, etmis sur le lit de sou cabinet, et, sur les deux heures, porté sur le ht de sa chambre, où il fut tout le lendemain et le dimanche, un chacun allait lui donner de l'eau bénite. Je ne vous dis rien des pleurs de la reine, cela se doit imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois qu'U ne pleura jamais tant qu'à cette occasion.
(Extrait des Lettres de Malherbe, p, 142-144. Paris, Biaise, 1822, in-8«.)
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NOTES.
Stanees de HUe Anne de Rohan sot la mort dn roi. — Lyon, François Yvra, 1610.
Jadis pour ses beaux-fatcts nous élevions nos testes ,
L'ombre de ses lauriers nous gardait des tempestes,
La fin de nos combats finissait notre effroi,
Nous nous prisions tous seuls, nous méprisions les autres
Estant plus glorieux d'être sujets du roi
Que si les autres rois eussent été les nogtres.
Maiûtenant notre gloire est à jamais ternie. Maintenant notre joie est à jamais finie , Les lys sont attérés et nous sommes avec eux ; Daphné baisse, chétive, en terre son visage. Et semble par ce geste humble autant que piteux, Ou couronner sa tombe ou bien lui faire hommage.
France, pleure ton roi, qu'un noir cachot enserre. Roi florissant en paix, victorieux en guerre. Qui conservait des tiens les biens, les libertés; Jettes saus fin des cris et des larmes non feintes; Jusques au bout du monde , aux heux plus escartés Où resonnaient ses faicts, fais résonner tes plaintes.
Regrettons, soupirons; ceste sage prudence, Geste extrême bonté, ceste rare vaillance, Ce cœur qui se pouvait fléchir et non dompter, Vertus de qui la perte est à nous tant amère. Et que je puis plustôt admirer que chanter, Paisqu'à ce grand Achille il faudi'ait un Homère.
Ua NOUS ou OVATRlilU T0l(7tUi
TABLE DES MATIÈRES.
I. Siège de Rouen. — Ardeur des assiégeants. — Intrépidité des assiégés. — Farnèse se prépare à faire lever le siège. — Henri IV se porte à sa rencontre. — Sa fausse bravoure. — Il court un grand danger. — Mot sanglant de Farnèse contre lui. — Levée du siège de Rouen. — Farnèse blessé devant Caudebec , remet le commandement à Mayenne. — II. Mayenne continue le siège de Caudebec. — Son imprévoyance le" jette dans un extrême péril. — Farnèse. par une habile manœuvre, délivre Mayenne. — III. Mayenne humilié et découragé, se re- tire à Rouen. — Des négociations sont ouvertes entre lui et Henri IV. — Les exigences de Mayenne les font échouer. — Discours incendiaires des prédicateurs de Paris. — Mayenne ne pouvant lutter contre le déchaînement des passions, des bourgeois ligueurs de Paris, se décide à convoquer les États généraux. — Henri IV essaie de savoir par ses agents, si dans le cas d'une abjuration , le pape lèverait l'excommunication qui pesait sur lui. — Mécontentement des ligueurs et des pro- testants. — IV. Lesdiguières. — Détails biographiques sur ce chef huguenot. — Son portrait. — V. Mort de Farnèse. — Ou- verture des États. — VI. Mayenne. Ses prétentions à la cou- ronne. — Intrigues au sein des États. — Craintes de Henri IV. — Il essaie de jeter la division parmi les députés. — Sur son conseil, les seigneurs royalistes proposent une conférence aux principaux chefs de la ligue. — Vive opposition de la part des Seize et du légat du pape. — VII. La conférence est acceptée. ' — VIII. Opposition violente des prédicateurs. — Jeu de mot de Boucher. — IX. Les commissaires des deux parties se réu- nissent à Sùresnes. — Crainte des Espagnols.. — Le duc de Féria fait la proposition à une commission des États de donner le trône de France à l'infante Isabelle Clara-Eugénie. — Indi-
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TABLE DES MATIÈRES.
gnation patriotique de Rose, évêque de Senlis. — La proposi- tion est écartée. — X. Féria fait de nouveau ses propositions.
— Belle conduite du procureur général Molé. — Heniarquable arrêt du parlement qui déclare nulle toute nomination au trône de France d'uii priticé étranger. — Désappointéiiient et co- lère de Féria. — XI. Les alarmes de Henri IV redoublent. — Dans la crainte que les États ne nomment un successeur à Henri III, il se décide à abjurer. — Page curieuse de Davila sur l'entourage du roi. — ScéplicîStne du roi. — XII. Chauveau, ancien curé de Saint-Gervais. — Ses attaques contre les tra- ditions de son église. — Le roi le protège contre ses dénon- ciateurs. —XIII. Préliminaires de la conversion. — Le protes- tant Rosny. —XIV. Curieux entretien entre Henri IV et Rosny.
— Causes de la conversion. — XV. DOiileur des réformés en apprenant le dessein du roi d'abjurer. — Théodore de Bèze.— Sa lettre au roi. — Les Vaudois des vallées du Piémont. — Leur belle supplique. — XVI. Lanoue. Sa mort.— XVII. Othman. Sa mort. — XVIII. Le roi ne veut pas abjurer sans se îàirè instruire. — Sa cathéchisation. — Curieux détails. — XIX. Cérémonie de l'abjuration à Saint-Denis. — XX. Jugement porté sur l'abjuration. — XXI. Le roi écrit à toutes les bonnes vdles du royaume pour leur apprendre la nouvelle de son ab- juration. — Sa lettre au pape. — XXII. Abattement et douleur des réformés. — Leurs plaintes. — Indignation de la reine d'Angleterre. — Sa lettre au roi. — XXIII. Désappointement et fureur des ligueurs. — Fameux sermons de IV^ Boucher sur la simulée conversion de Henri de Bourbon, prince de Béarn. — Mayenne fait ses préparatifs de défense. . . Page o.
I. Barrière veut attenter à la vie du roi. — Procès de Bar- rière. — Sa condamnation. — Son exécution. — Les chefs li- gueurs continuent à se vendre. — II. Nouvelles alarmes des protestants. — Bruit d'un projet de mariage entre Henri IV et l'infante, fdle de Philippe II. — Les protestants pensent à se chercher un protecteur et à séparer leur cause de celle du roi. — Ils envoient des députés à Sîantes pour exposer leurs plaintes. — III. LettredeDuplesois-Mornayauroi. — IV.L'ntre- vue de Mornay et du roi à Chartres. — Embarras du roi. — Les catholiques font courir le bruit que Jlornay veut faire une Saint-Barthélemy de catholiques à Sauraur. — Indignation de Mornay qui porte plainte au parlement. — Efforts des catho- liques pour empêcher le roi de recevoir les députés protestants. ~ ils échouent. — Henri IV les reçoit à Mantes, et leur fait
TABLE DES MATIÈRES.
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dès concessions. — Difficultés pour la rédaction dé ces con- cessions qui ne satisfont pas les protestants. — Les députés renouvellent à Mantes le serment d'union des églises. — In- trigues des catholiques pour séduire les députés. —Le ministre Rotan accusé de s'être laissé séduire. — Conférences théolo- giques commencées avec Du Perron. — Elles sont interrom- pues. — L'évêque d'Évreux se proclame vainqueur. Des com- missaires sont envoyés dans les provinces pour défendre aux ministres de se prononcer avec trop de force contre la conver- sion du roi. — On obtient de quelques prédicateurs ligueurs de modérer leur langage. — Plusieurs protestants passent à la religion catholique. — V. Célèbre guerre de plume entre les catholiques royalistes et les ligueurs. — La aémonologie de la Sorbonne l'a nouvelle. — Accusations portées contre la Sorbonne. — \I. Dans le banquet du comte [d'Arête Louis d'Orléans défend les ligueurs et attaque les protestants. " VII. Dialogue du Maheustre et du Manant. Nouveau pamphlet des ligueurs contre les royalistes. — Les royalistes iépondent aux ttgueurs. — La satyre Ménippée. — Détails et citations. — Inlluence considérable de ce pamphlet pour la cause de Henri IV. — VIII. Situation difficile du roi. — Il se décide à acheter les chefs ligueurs. — Les gouverneurs de Meaux, de Bourges et d'Orléans font leur soumission. — Le roi se fait sacrer a Chartres. — La sainte Ampoule. — Le roi jure d'exterminer les hérétiques. — IX. Les réformés se plaignent. — Réponse jésuitique du roi. — Il achète Paris de Brissac. — Réduction de Paris. ■ — Stupéfaction des ligueurs. Te Deum chanté à Notre-Dame. — Bons mots du roi. — Le roi et la duchesse de Montpensier. — X. Le parlement et la Sorbonne font leur soumission. — Revirement subit dans les opinions de la Sorbonne. — Guincestre et Henri IV. — XI. L'université attaque les jésuites. — Plaidoiries célèbres. — Discours d'Arnaud, avocat de l'université. — XII. Discours de Dollé, avocat des curés de Paris. — Réponse de Duret, défen- seur des jésuites. — Arrêt du parlement qui suspend les pour- suites. — XIIL Attentat de Châtel contre le roi. — Détails biographiques! — Condamnation et exécution de Châtel. — Les jésuites impliqués dans le procès de Châtel sont bannis du rovaume. — Le père Guignard est pendu en place de Grève. — XIV. Indignation générale contre Châtel et les jésuites. — M' Bouchè'r fait l'apologie de Châtel et des jésuites. — XV. Les disciples de Lovola supportent stoïquement leur malheur. — XVI. Les adversaires des jésuites vexent les protestants. — Ils organisent un système de persécution.— Mauvaise plaisanterie de^Henri IV en réponse aux plaintes des protestants. — Princi- paux chefs protestants. — Lesdiguières. — Bouillon.— La Tré-
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mouille. — Leurdésunion.— LaRéformemanqued'unchef.— Du- plessyMornayessaie de calmer leurs craintes. — Synode général de Montauban. — Députés du nord et du midi. — Influence funeste delacoursurlesdéputésdunord. — Les sages etlesbrouillons. —
XVII. Assemblée politique de Sainte-Foy. — Physionomie de l'assemblée.' — Abaissement moral de quelques députés. — Résolution énergique de l'assemblée. — Création d'un conseil général. — Formation de ce conseil. — Règlement général. —
XVIII. Grande utilité du conseil général. — La guerre des croquants. — L'assemblée de Sainte-Foi nomme deux députés pour la représenter à la cour et décide la tenue d'une nouvelle assemblée à Saumur pour le 1" décembre 1594. — Les députés se rendent à la cour. — On les accueille bien, mais on ne leur accorde rien. — Ils perdent patience. — On se décide cepen- dant à faire vérifier les édits rendus précédemment en leur fa- veur. — Les protestants sont à demi satisfaits. — Le roi qui avait refusé la tenue d'une assemblée politique à Saumur, se décide à donner son autorisation. — XIX. Les catholiques ne voient que des rebelles dans les réformés. — Courage des dé- putés de Saumur. — XX. Affaiblissement de la ligue. — Le pape se décide à donner son absolution au roi. — Conditions honteuses auxquelles elle est promise. — Le roi les accepte.— Cérémonie de l'absolution à Saint-Pierre. — Formalités de la bnguefte. — Deux protestants mis à mort le jour de la cérémo- nie. — XXI. Inquiétudes des protestants. — Indignation des sei- gneurs catholiques en apprenant les humiliations auxquelles Duperron et d'Ossat s'étaient soumis au nom du roi. — Le roi en rit Page 58.
I. Massacre horrible des protestants à la Châtaigneraie. — Froide cruauté de la dame de la Châtaigneraie. — Les réformés demandent la punition des coupables. On les satisfait à demi. — II. Négociations du roi pour retirer lejeune prince de Condé des mains des huguenots. — Difficultés applanics. — Char- lotte de la Trémouille, veuve du prince de Condé, fait réviser son procès. — Elle est déclarée innocente. — Elle et son fils abjurent le protestantisme. — III. Les réformés soutiennent Henri IV dans sa guerre avec l'Espagne. — Le pape essaie , mais vainement de l'engager dans la voie des persécutions. — Embarras du roi. — Son système de bascule. — IV. Plaintes du clergé. — Édit de Travercy. — Mayenne vend sa soumis- sion. — Édit de Folembray. — V. On veut pousser les protes- tants à commettre des imprudences. — Leur sagesse et leui
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inodéralion. — Leur assemblée est transportée à Loudun. — Vulson député au roi pour lui présenter le cahier de leurs plaintes. — La cour ne répond pas favorablement le cahier. — Mécontentement des protestants. — L'idée de se chercher un protecteur, germe de nouveau dans quelques esprits. — Sagesse de Mornay. — Sa lettre au roi.— Le roi révoque l'ordre de dis- perser l'assemblée par la force. — VL Justes griefs des réformés.
— Leurs alarmes en apprenant l'arrivée d'un légat du pape en France. — On diminue leurs garnisons en Poitou. — Rosny paraît irahir leur cause. — Dans l'impossibilité de se faire rendre justice, l'assemblée de Loudun fait saisir les recettes royales du Poitou. — VIL Le roi se décide à leur faire quel- ques concessions. — Le pape se plaint. — Le cardinal d'Ossat le calme. — L'assemblée est transporté à Vendôme. — Puis à Saumur. ■ — Plaintes et récriminations des deux côtés. — Prise d'Amiens par les Espagnols. — VIIL Stupéfaction du roi. — Une pa;ie de sa vie domestique. — IX. Dangers du roi. — Son impopularité. — Bouillon et La Trémouille proposent une prise d'armes aux protestants. — Elle est repoussée. — DifiS- eultés du roi. Caisses vides. — Opulence et misère. — Lettre de Henri IV à Rosny. — Énergie de ce dernier. — Le roi de France au jour du danger, redevient le roi de Navarre.
— Son courage. — Son habileté au siège d'Amiens. — Les protestants y assistent non comme corps, mais comme indivi- dus. — X. Henri de Rohan se distingue au siège d'Amiens. — Détails biographiques sur ce gentilhomme huguenot. — XI. Reprise d'Amiens. — Traité de Vervins. — Le duc de Mer- cœur fait sa soumission. —XII. Mort de la ligue. — Jugement porté sur elle. — XIII. Célèbre écrit contenant les plaintes des protestants. — XIV. L'écrit désapprouvé par les protestants de la cour. — Jugement sévère sur cet écrit. — XV. Justifica- tion de l'écrit. — XVI. Découragement des protestants. —
XVII. Assemblée de Chàtellerault. — Édit de Nantes. —
XVIII. Contenu de l'édit. — XIX. Sagesse de l'édit. — Les hommes modérés le reçoivent avec une grande reconnaissance. Lettre de Théodore de Bèze. — L'assemblée de Chàtellerault se sépare après avoir nommé un abrégé d'assemblée. — XX. Synode national de Montpellier. — Il s'élève contre les projets de réunion avec les catholiques. — Daniel Charnier. — Détails biographiques. — XXI. Grandes préoccupations du roi.
— Dissolution de son mariage avec Marguerite de Valois. — Mort de Gabrielle d'Estrées. — Henriette d'Entragues devenue la maîtresse en titre. — Rappel des jésuites. — XXII. Cathe- rine de Bourbon, sœur du roi. — Détails biographiques. — XXIII. Efforts du clergé pour la ramener à la religion romaine.
— Le ministre Du Moulin. — Détails biographiques. —
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XXrV. Du Moulin considéré comme écrivain. — Morceaux dé- tacliés de ses nombreux ouvrages. — XXV. Du Moulin aflermit la sœur du roi dans la foi protestante. — Le pape s'oppose au mariage de Catherine avec lè due de Bar. — Le roi se décide malgré l'opposition pontificale à passer outre. — ■ Roquelaure force l'archevêque de Rouen à bénir le mariage de la princesse. ^ Préliminaires curieux Page 4 05.
I. Vive opposition du clergé et des parlements à la vérifica- tion de l'édit. — Henri IV mande au Louvre les membres du parlement. — Allocution remarquable qu'il leur adresse. — Les conseillers persistent dans leur opposition. — Le roi les mande de nouveau au Louvre. — II. L'édit est porté au parle- ment. — Discours remarquable de l'ex-ligueur Coquefey — Coqueley rallie à son opinion la majorité de l'assemblée. — L'édit est vérifié. — III. Les parlements de province imitent l'exemple de celui de Paris. — Résistance de ceux de Rouen et de Toulouse. — Le roi reçoit leurs députés. — Discours qu'il leur adresse. — Les parlements de Rouen et de Toulouse sen- tant qu'une plus longue résistance est inutile, vérifient l'édit.
— IV. Puissance du roi et autorité des parlements. — Antago- nisme. — V. Douleur du pape en apprenant la nouvelle de la vé- rification de l'édit. — Le roi apaise le pontife en donnant un édit en faveur des catholiques du Béarn. — VL La France avant et après l'édit. — VIL L'édit est-il une charte octroyée ou un traité entre le roi et les protestants? — YIII. Mort de Philippe II. — Jugement porté sur ce prince. — IX. La paix apportée à Is France par l'édit esttrouolée. — Marthe Brossier, la possédée.
— Le vieux parti ligueur se sert de cette intrigante pour trou-- hier le royaume. — Le père Séraphin. — Le médecin Marescot et ses collègues. — Expériences faites sur la possédée. — Prédications séditieuses. — Fanatisme du peuple. — La Cour fait intervenir le parlement. — Marthe Brossier et son père renvoyés à Romorantin. — X. Marguerite de Valois consent à la dissolution de son mariage avec Henri IV. — Le pape en prononce la dissolution. — XI. Le royaume est de nouveau agité. — Duplessis-Mornay. — Son traité sur Vinstitution de l'Eucharistie. — Colère du clergé. — Il fait condamner le livre de Mornay par un tribunal de province. — Mornay appelle de la sentence. — Accusé d'avoir inséré des citations fausses dans son livre, il demande au roi de nommer des commissaires pour vérifier les citations. — Du Perron accepte le défi et se charge de prouver oue le traité de l'institution de l'Eucharistie contient
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plus de cinq cpnts passages faux ou inexacts. — XII. Détails biographiques sur Du Perron. — XIII. Yive préoccupation des esprits. — Les uns redoutent une conférence, les autres l'ap- pellent de tous leurs vœux. — Fontainebleau est choisi pour le lieu de la conférence. — XIV. ÏNomination des commissaires. — Ouverture de la conférence. — Mauvaise foi et habileté de Du Perron. — La conférence est près de se rompre. — Aveu tardif de Mornay qu'il aurait pu se tromper. — XV. Examen des passages incriminés. — XVI. Mornay pris au dépourvu ne sait pas se défendre. — Vanité de Du Perron satisfaite. — Joie indécente du roi. — Sa lettre à d'Épernon. — Mornay tombe malade. — Ingratitude du roi. — La conférence est ronipue. — Mornay retourne à Saumur. — XVII. Chai'lotte Arbaleste. — Elle relève le courage de son époux et l'aide à se défendre devant le tribunal de l'opinion publique. — Portrait de madame Duplessis-Mornay. — Détails intimes sur sa vie. — La mort de son fils. — La douleur qu'elle en éprouve. — Ses derniers jours. — Sa mort. — Elle fait un vide immense dans la vie de Mornay. — XVIII. La conférence de Fontainebleau. — Ses résul- tats. — Fin du seizième siècle. — XIX. Jugement porté sur ce siècle. — XX. Bienfaits de la Réformation. — XXI. Genève à la fin du seizième siècle. — Lue tache dans son histoire. Page 1 54.
I. Vide immense que la mort de Calvin fait à Genève. — Bèze succède à Calvin. — Caractère du réformateur. — II. Genève et le code ecclésiastique. — III. LecuIteàGenève. — Sasimplicité.
— Ses lacunes. — Place qu'occupe le sermon dans le culte. — Réflexions à ce sujet. — IV. Grandeur de Genève. — V. Dévoue- ment des pasteurs. — Difficultés de leur tâche. — Leur sévérité. —VI. Froment. — Sa chute. — Le consistoire le censure. — II s'exile. — Son retour à Genève. — Sa mort. — VII. La peste désole Genève. — Courage des pasteurs. — Théodore de Bèze se présente pour secourir les malades.— Le conseil s'y oppose.
— Le pasteur Legagneux. — Son dévouement. — Le pasteur Chausse atteint de la peste. — Il meurt au milieu des pesti- férés. — Reconnaissance de Genève pour la famille de Chausse.
— VIII. Influence de Genève sur la Réforme par ses martyrs et son académie. — IX. Arrivée à Genève des Français fuyant les bourreaux de la Saint-Barthélemy. — Hospitalité des Ge- nevois. — Célébration d'un jour de jeûne. — Discours de Théodore de Bèze à Saint-Pierre. — Reconnaissance, désin- téressement et dévouement des réfugiés. — Noble exejuple qu'ils donnent pendant le rude hiver de 1573. — Colère de
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Charles IX en apprenant la généreuse hospitalité des Géne- vois envers les réfugiés. — Il menace Genève. — Genève ré- siste noblement. — X. Retour des réfugiés en France. — Ban- quet d'adieux. — L'amour du sol natal. — XI. Rome rêve sans cesse la conquête de Genève. — François de Sales. — Détails biographiques sur François de Saies. — François de Sales à Paris , à Rome, à Notre-Dame de Lorette. — Il entre dans les ordres. — Sa joie en échangeant ses habits de gen- tilhomme contre une soutane de prêtre. — XII. Claude de Granier, évêque de Genève, se dispose à envoyer François de Sales dans le Chablais. — Le Chablais sous la domination ro- maine. — Transformation morale sous l'influence de la Ré- forme. — XIII. Courage et habileté de François de Sales. — Insuccès de sa mission. — Son découragement. — Ne pou- vant réussir avec la parole, il recourt au bras de la chair. — Indignation des Chablaisiens. — Ils s'ameutent. — L'agneau devient loup. — François de Sales conquiert le Chablais à la foi romaine. — XIV. François de Sales à Genève. — Son en- trevue avec Théodore de Bèze. — Le portrait de Calvin. — Tentation de Théodore de Bèze par François de Sales. — Noble indignation du réformateur. — Désappointement du tentateur. — Manière des ultramontains d'écrire l'histoire. —
XV. Charles-Emmanuel, duc de Savoie. — Son ambition insa- tiable. — Ses diverses tentatives sur Genève. — Ses insuccès.
XVI. Préparatifs de l'escalade. — XVII. Vigilance des Gene- vois endormie. — Leur fausse sécurité. — Les Savoisiens escaladent les remparts. — Cri d'alarme. — Les Genevois réveillés au milieu du bruit, courent aux armes. — Combat sanglant dans les rues. — Défaite des Savoyards. — Fuite honteuse de Charles-Emmanuel. — XVIII. Genève est sauvée. — Joie de ses habitants. — Ils font remonter à Dieu la cause de leur délivrance. — Le vieux Théodore de Bèze rend grâces à Dieu dans Saint-Pierre. — Genève fait des funérailles solen- nelles aux citoyens morts en défendant leur patrie. — XIX. Exécution des prisonniers savoisiens. — Fête de l'escalade. — Elle n'a plus de sens aujourd'hui. — Joie de Henri IV en ap- prenant l'insuccès de Charles-Emmanuel. — XX. Derniers jours de Théodore de Bèze. — Sa mort. — Deuil des Gene- vois. — XXI. Jugement porté sur le réformateur. — Témoi- gnage de Sénebier. — XXII. François de Sales. — Ses der- niers moments. — Il meurt dans le sein de l'Église romaine, et ne cherche son salut que là où les réformateurs ont cherché le leur. — XXIII. François de Sales et les réformateurs jugés par leurs œuvres: Genève et le Chablais Page ■199.
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I. Marseille à la fin de l'année 1600. — Elle fait une récep- tion fastueuse à Marie de Médicis, l'épouse de Henri IV. — Marie de Médicis à Avignon. — Les jésuites se constituent les ordonnateurs des fêtes destinées à célébrer sa bienvenue.
— UôFe que joue le nombre 7 dans les fêtes. — Banquet et danses. — Arrivée de la reine à Lyon. — II. Le roi termine sa guerre avec , le duc de Savoie. — Crainte des Genevois en voyant arriver dans les murs de leur ville les descendants des égorgeurs de la Saint-Barthélemy. — Rosny les rassure. — Théodore de Bèze va à la tête d'une députation trouver le roi.
— Sa harangue. — Réponse affectueuse du roi. — Il permet aux Genevois de démolir le fort Sainte-Catherine. — III. Le roi va rejoindre Marie de Médicis à Lyon. — Son désappointe- ment. — IV. Crainte des réformés. — L'édit est mal exécuté dans les provinces. — Plaintes de l'assemblée de Sauraur. — Les assemblées politiques des réformés déplaisent au roi. — Assemblée de Sainte-Foy. — Elle nomme deux députés géné- raux près de la cour et les charge de présenter au conseil leurs cahiers. — Elle se sépare après avoir pourvu aux inté- rêts de la cause. — V. Conspiration du maréchal de Biron. — Dangers qu'eût couru la réforme si elle eût réussi. — Efforts du roi pour sauver Biron. — Obstination de Biron. — Son ar- restation. — Son jugement. — Ses défaillances devant la mort. — VI. L'exécution de Biron épouvante les seigneurs royalistes et raffermit Henri IV sur son trône. — De la peine de mort en matière politique. — VII. Grands personnages im- pliqués dans la conspiration de Biron. — Le duc de Bouillon , soupçonné d'être complice du maréchal, est mandé à la cour.
— 11 hésite, puis il refuse de s'y rendre. — Il publie une jus- tification et demande d'être jugé par la chambre mi-partie de Castres. — Le roi s'y oppose. — VIII. Élisabeth, reine d'An- gleterre. — Sa maladie. — Ses angoisses. — IX. Les causes en sont peu connues. — Ses dernières paroles. — Sa mort. — X. Jugement porté sur Elisabeth. — Les grandeurs de la reine , la petitesse de la femme. — Parallèle entre Elisabeth et Philij)pe II. — Supériorité d'Elisabeth. — XL Jacques VI , roi d'Ecosse, succède à Elisabeth. — Les protestants fran- çais regrettent Elisabeth. — Synode national à Gap. — Les membres du synode décrètent que dans leur confession de foi , le pape sera appelé l'Antéchrist. — XII. Ferrier. — Dé- tails biographiques sur ce célèbre ministre. — Ses thèses sur l'Antéchrist. — XIII. Irritation du pape contre les membres du synode. — Il se plaint au roi qui essaie de le calmer, ap-
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paise l'affaire et défend à la chambre mi-partie de Castres de poursuivre Ferrier. — XIV. Les Jésuites. — Ils profitent ha- bilement de l'irritation soulevée parla question de l'Antéchrist et demandent au roi de faire enregistrer l'édit de leur rappel.
— Entretien du roi et de Sully sur ce sujet. — Raisons de Sully pour faire repousser leur demande. — Raisons du roi pour la leur accorder. — XV. Opposition du parlement au rappel des Jésuites. — Discours de Ilarlay. — Le parlement enregistre l'édit. — XVI. Mort de la duchesse de Bar, sœur du roi. — Détails biographiques sur cette princesse. — Les ré- formés la regrettent vivement. — XVII. Coton. — Son crédit auprès du roi. — Épigramme contre Coton. — Démolition de la pyramide. — Prosopopée de la pyramide. — Causes hon- teuses de l'influence des jésuites. — XVIII. Coton se fait de nombreux ennemis. — Tentation d'assassinat sur Coton, — Adrienne Dufresne ou le Grimoire du père Coton. — Questions théologiques et autres posées au diable. — Imprudence du père Coton, qui oublie dans les feuillets d'un livre la liste des questions posées au diable. — Le roi mécontent de Coton. — XIX. Nouvelle assemblée politique des protestants à Châtelle- rault. — La Trémouille. — Détails biographiques sur ce sei- gneur huguenot. — Sa mort. — XX. Le roi se fait représenter à l'assemblée de Châtellerault par Rosny. — Défiance de l'as- semblée. — Elle cède sur plusieurs points. — Elle résiste sur celui de l'Antéchrist. — Le duc de Bouillon, qui avait compté sur l'appui de l'assemblée, qui lui fait défaut, se décide à faire sa soumission. — XXI. Assemblée du clergé à Paris. — Il de- mande la publication du concile de Trente en France. — Refus du roi. — Le roi médiateur entre les deux partis. — La chan- son de Colas. — XXII. Origine de la chanson de Colas. — Irritation ridicule des protestants. — La Force et Grammont.
— Représailles des protestants. — Trophées suspendues à la voûte des sacristies de Paris. — Une première restriction apportée à l'édit de Nantes Page 25i!. j
L Les jésuites. — Agents d'assassinats en Angleterre. — Conspiration des poudres. — Elle est découverte. — Coupables exécutés. — II. Le jésuite Garnet est arrêté. — Instruction de son procès. — Ses aveux. — Son effroi sur l'échafaud. — Sa compagnie en fait un saint. — Remarquables paroles du comte de Stafford touchant la conspiration des poudres. — Affermis- sement du protestantisme en Angleterre. — Anniversaire de la conspiration des poudres. — III. Horreur de Henri IV en ap- prenant la découverte de la conspiration des poudres. — Sa
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fatale condescendance à l'égard des jésuites. — Il accorde aux protestants le droit de célébrer leur culte à Charenton. — Les jésuites et les chanoines de Notre-Dame de Paris se disputent le cœur de Henri IV. — Les jésuites l'emportent. — Bon mot du roi. — Le jésuite Séguiran se présente aux portes de La Rochelle. — On lui en refuse l'entrée. — Feinte colère du roi.
— Les jésuites sont mystifiés. — IV. IS» synode national à La Rochelle. — Sully y est député par la cour. — Sa présence excite la défiance des membres de l'assemblée. — Les clair- voyants de l'église et les fous du synode. — Chamier. — No- mination de Mirande et de Villarnoul à la députatlon générale.
— Chamier à la cour. — Sa persévérance indomptable. — Sully amène peu à peu les membres du synode à se soumettre aux volontés du roi. — V. Assemblée du clergé. — Ses plaintes.
— Il demande la publication du concile de Trente en France.
— Refus du roi. — Le roi lutte de finesse avec le clergé. — VI. Persécution des Morisques. — Ils veulent se donner à Henri IV, qui leur envoie Panissant, gentilhomme réformé. — Le clergé fait remplacer Panissant par un envoyé catholique, dans la crainte que les Morisques ne passent à la réforme. — Insuccès de l'envoyé catholique. — Les jésuites de plus en plus puissants à la cour. — Ils obtiennent la permission de s'établir en Béarn. — VII. 19" synode national tenu à Saint- Maixent. — L'assemblée décrète que le Théâtre de l'Anté- christ de Vignier sera imprimé à ses frais. — Grand succès du Théâtre de l'antéchrist. — Irritation des jésuites. — Le roi défend le débit du livre. — VIII. L'ex-ligueur Jeannin demande aux Provinces-Unies des Pays-Bas la liberté de culte pour les catholiques. — Son discours aux États. — IX. Résultats ob- tenus. — Raisons sur lesquelles les protestants se fondent pour refuser aux catholiques la liberté de culte. — Henri IV et sa cour. — Inconduite du roi. — Sa lettre à Sully. — X. La lettre du roi est un hommage à l'opinion publique. — Prospé- rité matérielle de la France. — Grands préparatifs de guerre.
— XI. Anxiété générale. — Audace des prédicateurs. — Bruits sinistres touchant la mort prochaine du roi. — Le roi amou- reux de la princesse de Condé. — Le prince de Condé enlève sa femme. — Colère du roi. — II déclare la guerre à l'arcliiduc.
— XII. Alarmes de Marie de Médicis — Elle demande au roi de la faire sacrer. — Terreur secrète que ce sacre inspire au roi. — Ses confidences â Sully. — Conseils de Sully. — Sacre de la reine. — Gaîté et abattement du roi. — Une nuit d'in- somnie. — Le roi se dispose à aller rendre visite à Sully à l'arsenal. — Assassinat du roi. — Sa mort instantanée. — Présence d'esprit du duc d'Épernon. — Douleur du peuple en apprenant la mort du roi. — Le père Coton et l'assassin du roi.
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— Énergie du duc d'Épernon. — 11 fait nommer Marie de Mé- dicis régente du royaume. — Faiblesse du parlement. — XIII. Douleur de Duplessis-Mornay en apprenant la mort du roi. — Conduite admirable du seigneur huguenot. — XIV. Ter- reurs de Sully. — Il se barricade à la Bastille. — Il se décide à aller à la cour. — Son entrevue avec la régente. — Il con- tinue à rester au pouvoir. — Le duc de Bouillon offre ses ser- vices. — Le roi pleuré par le peuple. — Joie des jésuites et du parti espagnol. — Les valets deviennent les maîtres. — XV. Henri IV. — Jugement porté sur ce prince. — XVI. Détails sur Ravaillac. — Sa condamnation à mort. — XVII. Ravaillao subit la question. — Sa patience. — Ravaillac en place de Grève. — Fureur du peuple. — XVIII. Ravaillac eut -il des complices? Page 302.
Notes, éclaircissements et curiosités historiques. Page 343.
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Histoire de la Reformation française
Princeton Theological Seminary-Speer Library
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