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JOHN M. KELLY LIBDARY

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Donated by The Redemptorists of the Toronto Province

from the Library Collection of Holy Redeemer College, Windsor

University of St. Michael's College, Toronto

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HI8TOIIIS

DE LA \jy'j.

" RÉFORME " PROTESTANTE ,

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ANGLETERRE ET EN IRLANDE:

Dans laquelle on démontre que cet événement a appauvn et dégradé la masse du peuple dans ces deux pays 3

DANS UNE SÉRIE DE LETTRES ,

Adressées à tous les Anglais sensés et équitables.

PAR WILLIAM COBBETT.

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isr OUVRAGE POUR lSl6.

I.« Série. Prix : F/ 0-90.

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LOÛVAIN," ^ CHEZ VANLINTHOUT ET VANDENZANDE. Et chez les Libraires désignés ci-après.

HOIY REDEEMER LIBRARV^SÛR

Imprimatur

Mechliniœ, Fehruarii 1826. /. FORGEUR, Fie. gen.

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oiutemcîiti-

à ùc ^owCiûweciiie C/Ciwoiiaiie Se ia 9)Seiqicuie.

Lés Abonnés reçoivent un exemplaire de chaque Ouvrage qui est publié pour l'année. Ceux qui habitent la campagne doivent indiquer une maison en ville leurs Ouvrages puis- sent être remis.

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Kenaix

Rotterdam , Thompson frères. Ronlers , David Van Hce. S. Nicolas, Rukaert-Vanbeeken. Soignies , A. F. Robyns. Spa , la veuve Badou. Termonde, J. Ducaju , tils.

Thielt

Tirlemont, Merckx. Tournay , Casterman aîné.

Turnhout

Verviers , M'' Th. Oger.

Virion

Wavre.f. ....

A Aix-la-Chapelle, M. Nelessen, cure de St. Nicolas. A Munster, M. George Kellermann, doyen et curé de Saint- Ludger.

Outrages distribués jusqu'aujourd'hui aux .Abonnés de 1826 y pour les onze francs 5o cejiL de r Abonnement j et qui se trouvent chez les susdits Libraires :

Fr. C.

1°. Histoire de la " Réforme " Protestante, en Angleterre et en Irlande ; dans laquelle on démon- tre que cet événement a appauvri et dégrade la masse du peuple dans ces deux pays ; dans une série de IcUrcs, adressées à tous les Anglais sensés et équitables. Par William Cobbclt 0-90

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Depuis quelques anne'cs plusieurs princes souverains de l'Allemagne sont retournés à la loi de leurs prédécesseurs. Ces événcmens sont aussi consolans que remarquables , et nous pensons qu'on verra avec plaisir à la tête d'un ouvi'age sur la réforme la

CONVERSION ET PROCLAMATION

DU DUC d'aNHALT-COETHEN.

« Par la grâce de Dieu , nous Frédéric Ferdinand, due régnant et souverain d'Anhalt, duc de Saxe, d'Engern et de Westphalie, comte d'Ascanie, s,eigneui' de Berenbourg et de Cerviste, etc., etc., énonçant à chacun et à tous de nos vassaux, seigneurSj magistrats, maires, communes de villes et de villages, et à tous nos sujets de l'ordre ecclésiastique et séculier, notre salut, leur faisons part que le 24 octobre de l'année passée, nous et notre épouse bien-aimée S. A. S. Julie , duchesse d'Anhalt, sommes retournés dans le sein de l'Eglise catholique, apostolique et romaine.

)i Nous y joignons la déclaration que nous conserverons et protégerons, comme nous l'avons fait jusqu'ici, les droits et les libertés de nos sujets protestans, et que nous ne cesserons pas de porter tous nos soins à faire prospérer le bonheur et le salut de noire pays.

» Nous voulons aussi, par ces présentes, et par nos fer- Tentes prières quotidiennes , recommander très-humblement , nous et nos sujets fidèles à la giàcc de Dieu, le guide et le protecteur des princes et des peuples.

» Donné dans notre résidence à Coelhen , le i3 janvier de l'an 1826, après la naissance de Jésus-Christ, notre Seigneur, et de notre règne le huitième.

Signé, Feruinand. »

L'abjuration de L. A. S. se fit entre les mains de Mon- seigneur l'archevêque de Paris.

S. A. se propose de faire construire une église catholique et de fonder un établissement pour le curé. La petite paioisse catholique, qui existe déjà à Coethen, est remplie de joie.

M^ de Haza-Radliz, secrétaire du cabinet et conseiller de légation du duc, avait également fait son abjuration à Paris, au mois de juillet de la même année. Il fut un des principaux instrumens des divines miséricordes à l'égard de L. A vS. ; et lui-même s'en était rendu digne par une recherche si sincère de la vérité , que pendant plusieurs années il ne s'occupa d'autre chose. Il publia même avant sa conversion une lëai- tation très-estimée d'un livre dirigé contre la religion catholique.

La perte d'une charge qu'il remplissait en Prusse fut la vengeance que la haine de la vraie foi tira de cette démarche d'une conscience droite et franche; on ne pouvait cependant lui reprocher rien d'illégal ni d'illégitime ; mais c'est pour cela précisément qu'il importait d'intimider par une mesure arbitraire ceux qui auraient été tentés de l'imiter. On voulait en outre essayer si peut-être on ne détournerait pas M'' de Haza d'une détermination à laquelle cette démarche semblait assez conduire.

Il en arriva tout autrement. Le duc d'Anhalt accueillit et attacha à sa personne cet homme aussi instruit et capable que vertueux , et voilà comment se prépara un événement dont la religion éprouvera des elïets trcs-heurcux; résultat bien autrement contrariant pour les persécuteurs de M*", de Haza que celui qu'ils avaient en vue de prévenir.

Il n'appartient qu'au Roi des Rois de déjouer ainsi les ennemis de son culte. Lui seul a la puissance d'exécuter toujours sa volonté malgré la résistance des hommes , et, remarquons cet attribut distinctif, au moyen de cette résistance. Le Dieu en qui nous espérons a seul la puissance de régner sur ses ennemis et par ses ennemis.

Que nos gémissemens , h la vue des entreprises de l'impiété , soient donc toujours mêlés d'espérance et de confiance. Ou ces entreprises échouent, ou elles ne réussissent que pour un tcms, ou si elles semblent s'affermir, ce n'est que pour servii les desseins de l'Éternel d'une autre manière. Le règne de notre Dieu, le règne de la vérité , notre règne n'aura point de fin, £!t regni ejwi non erit finis.

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Plus de 4o;00o exemplaires débités en Angleterre ,

des milliers en Amérique ,

une traduction italienne à Rome ,

une traduction française publiée à Londres et faite par W. Cobbett,

une réimpression à Paris ,

une réimpression à Alost ,

Voilà le succès que cet ouvrage a obtenu en quelques mois ; il ne doit pas laisser de doute sur l'accueil qu'il recevra de nos abonnés.

Nous avons suivi, pour l'exécution typographique, l'édition de Londres , afin de conserver à cet auteur si original toute son originalité. Chaque fois qu'il emploie des mots qu'd ne veut cependant point adopter , comme par exemple , celui de réforme , il les mets entre guillemets \ c'est une protestation contre le langage protestant.

A peu d'exceptions près , il n'a rien été changé aux ex- pressions de l'auteur , quoiqu'elles ne soient pas toujours dans la mesuie qu'on désirerait , et telle est entre autres la der- nière phrase du n". i34.

Si Dieu, pour récompenser le service que M''. Cobbett rend à la vérité , lui fait un jour la grâce de le réunir à la société qui la professe , il développera sûrement davantage en lui cette délicatesse exquise de scntimens , qui est accordée à ceux-là seulement qui accomplissent dans toute sa pureté et dans toute sa vivacité la loi d'aimer.

N.o I.

Histoire

DE LA

'''réformé" protestante.

LETTRE 1. INTRODUCTION.

Mes Ajîis. Kensington j le 29 novembre iS^^i

I. Il a paru tout récemment un rescrit du roi aux évêques, tendant à inviter leur clergé à faire des quêtes dans les diverses paroisses de l'Angle- terre , à l'effet d'encourager V éducation reli- gieuse du peuple. En communiquant à leurs sub- ordonnés les instructions relatives à cet objet , les évêques les engagent à ■verser le produit ces quêtes entre les mains d'un certain M*". JosHùAr Watson , de Londres, qui, à ce qu'il paraît,^ est le trésorier de ce nouveau moyen cV éducatioii religieuse , et qui est , ou du moins était n'a- guère , marchand de vin et d'eau-de-vie , dans Mincing-lane y F encliurch- Street. Ce même M»".- Watson est également le chef d'une société ap- pelée , " Société pour V encouragement de V in- struction Chrétienne^ Dans sa première injonc- tion au clergé de son diocèse , l'évêque actuel de Winchester dit que cette société est " Vin-^

2 Réforme Protestante.

terprète fidèle des vérités évangéliques , et le ferme appui de F Eglise udnglicane y " en con- séquence , il recommande fortement , de mettre entre les mains des élèves de ses écoles les ouvra- ges que cette société publie, et à l'encouragement desquels sont destinés les produits des quêtes or- données par autorité du roi.

2. Nous aurons , plus tard , occasion de de- mander quel est ce clergé qui ayant à dépenser, tant en Angleterre qu'en Irlande , huit millions (sterling) par an, fait un appel à la bourse de ses paroissiens , et les invite à envoyer de l'argent à un marchand de vin , afin de le mettre à même de faire donner une " éducation religieuse''' aux enfans. Sans m'arrêter maintenant sur cet objet, veuillez bien remarquer , mes Amis , que cette société pour l'encouragement de l'instruction chré- tienne , ne cesse de mettre au jour des ouvrages dont le but réel est de faire croire au peuple Anglais que la religion Catholique est idolâtre et damnable ; par conséquent qu'un tiers de nos compatriotes sont idolâtres , voués à \dL perdition éternelle , et par suite incapables de jouir des mêmes droits dont nous , Protestans , jouissons. Ces calomniateurs savent très-bien , que cette même religion Catholique fut , pendant neuf siè- cles, la seule religion connue de nos pères. C'est un fait qu'ils ne peuvent cacher aux gens éclai- rés , et voilà pourquoi eux , aussi bien que le clergé Protestant, ne cessent d'approuver le chan-

Lettre I , Introduction. 3

gement qui eut lieu , il y a environ deux cents ans, et qui est connu sous le nom de "Réforme." 3. Avant d'aller plus avant , entendons-nous bien sur la véritable signification des mots Ca- tholique, Protestant et Réforme. Catho- lique signifie universel et la religion qui prend cette épitbète , était appelée universelle , parce que tous les peuples cbrétiens de la terre la re- cormaissaient pour la seule vraie religion , et ne reconnaissaient tous qu'un seul et même clief de r Eglise j or ce chef était le Pape, qui, bien qu'il siégeât ordinairement à Rome , n'en était pas moins le chef de l'Eglise en Angleterre , en France , en Espagne , en un mot , dans toutes les parties du monde la religion Chrétienne était professée. IMais il vint vin temps quelques nations , ou plutôt des fractions de quelques na- tions rejetèrent l'autorité du Pape ; et par suite cessèrent de le reconnaître comme cJief de l'É- glise chrétienne. Ces nations, ou fractions de na- tions , se déclarèrent , ou , si l'on veut , pj'otes- tèrent , contre l'autorité de leur chef primitif, ainsi que contre les doctrines de cette Église qui, jusqu'alors , avait été la seule Église chrétienne , et voilà la raison pour laquelle ils prirent le nom de protestors , ou Protestans, dénomination devenue depuis générique pour tous ceux qui ne sont pas Catholiques. Quant au mot " Ré- forme," il signifie changement y:)oz/^r le mieux ; et certes , il eut été bien maladroit à ceux qui

4 Réforme Protestante.

ont opéré ce grand changement s'ils n'avaient pu lui trouver vin beau nom,

4. Cependant , mes Amis , un examen franc et sincère nous convaincra facilement que ce chaDgement fut pour le pis , et que ce qu'on appelle " Réforme " fut enfanté par une incon- tinence brutale, nourri par l'hypocrisie et la per- fidie, et cimenté par le pillage, par la dévastation et par des torrens de sang Anglais et Irlandais ; et que , quant aux suites plus éloignées , nous en voyons une partie aujourd'hui, dans cette mi- sère , cette mendicité , ce dénuement , cette fa- mine , ces querelles et cette haine éternelles , qui maintenant nous frappent les yeux et nous as- sourdissent , à chaque pas que nous fesons ; et qvie la " Réforme " nous a donnés , au lieu de l'abondance , du bonheur , de l'harmonie et de la charité Chrétienne dont jouirent si pleinement, et durant tant de siècles , nos pères Catholiques.

5. N'y eût-il pour faire cet examen d'autre motif que le pur amour de la justice , il serait, je crois, plus que suffisant pour la majorité des Anglais. Mais, abstraction faite de ce motif, il en est un d'une importance pratique , non moins grande que pressante. Un bon tiers de nos com- patriotes sont encore aujourd'hui Catholiques; et si nous considérons que les principes de la " Ré- forme " sont mis en avant comme un motif prin- cipal pour les exclure des droits civils , et un prétexte pour les traiter de la manière la plus

Lettre I , Introduction. 5

dédaigneuse , la plus cruelle et la plus rancu- nière ; si nous considérons qu'il n'est pas dans la nature de l'homme de supporter un pareil trai- tement , sans désirer et sans chercher une oc- casion de s'en venger; si nous considérons l'at- titude formidable des nations étrangères , nos ennemis naturels, et la nécessité d'être tous unis de cœur , afin de conserver l'indépendance de notre pays : si nous considérons combien une pareille union est impossible , tant que ce tierà de nos compatriotes seront tiaités en exilés, par cela seul que, en dépit de deux cents ans d'une persécution inouie, ils sont restés fermes dans la religion de leurs pères et des nôtres; si nous pe- sons , disons-nous , toutes ces considérations, un examen franc et loyal auquel le seul amour de la justice devrait nous porter, devient pour nous un devoir sacré enveis nous-mêmes, envers nos enfans , envers notre patrie.

6. Si vous voulez me prêter votre attention, je vous démontrerai, dans le cours de cet exa- men, comment cette chose qu'on appelle " Ré- forme " commença , et la source d'où elle pro- vint. Je vous prouverai ensuite comment, dans sa marche progressive, elle alla pillant, dévas- tant, infligeant les tourmens les plus cruels au peuple , et répandant son sang innocent. Je re- tracerai tout le cours de ses progrès jusqu'à ce que je parvienne à vous faire voir son résultat naturel dans les projets du ministre Malthus ,

6 Réforme Protestante.

dans le " Oundle-Plan , " recommandé par Lord Russell, dans la misère inexprimable, qui, dans ce moment , règne parmi les classes ouvrières d'Angleterre et d'Irlande , et dans ce système , aussi odieux que détestable, qui a mis les Juifs et les feseurs de papier-monnaie en possession de la plus grande partie des domaines de ce royaume. -y. Mais avant d'entamer cette série de faits et de résultats, je dois vous soumettre quelques observations d'une nature plus générale, et pro- pres à nous faire , tout-au-moins , douter que toutes les déclamations qu'on s'est permises con- tre la religion Catholique soient bien fondées. Nos oreilles sont si accoutumées à l'entendre ba- fouer, que nous avons d'abord de la peine à prê- ter notre attention à tout ce qui peut tendre à sa défense ou à son apologie. Ceux que vous allez voir bientôt en possession des dépouilles de l'Église Catholique , de celles des nobles , des bourgeois et même des pauvres Catholiques, eu- rent toujours le plus grand intérêt, un intérêt réel à faire croire au peuple que la religion Ca- tholique était ou plutôt est, encore aujourd'hui, un objet fait pour inspirer la plus grande hor- reur. Dès notre plus tendre enfance, sur les ge- noux mêmes de nos mères , on nous a appris à considérer un Catholique comme un être per- vers, faux, méprisable, cruel et avide de sang. Les mots Papisme et Esclavage nous ont tel- lement étourdi les oreilles que , soit que nous

Lettre I , Introduction. n

considérions les vertus publiques ou privées d'un Catholique , il ne nous est permis de voir en lui qu'un composé de tout ce qu'il y a de vil et de vicieux.

8. Mais , direz-vous , pourquoi quelques indi- vidus, et surtout nos compatriotes, se donneraient- ils tant de peine pour nous tromper? Pourquoi, depuis tant d'années se seraient-ils donné le soin d'écrire et de publier tant de livres , grands et petits , depuis Vin-folio jusqu'au pamphlet qui se vend pour un sou , pour nous apprendre à nous former une mauvaise opinion de cette re- ligion Catholique ? Mes Amis , voici un exemple qui va résoudre ces questions. Les propriétés im- menses de l'Eglise Catholique d'Irlande, dans les- quelles remarquez bien que les pauvres avaient une part , furent enlevées aux Catholiques , et distribuées parmi les évéques et les ministres Protestans. Ceux-ci n'ont jamais pu parvenir à changer la religion de la grande masse du peuple Irlandais, et les évéques et les ministres y jouis- sent d'immenses revenus, ayant à peine des trou- peaux à soigner. Il en faudrait moins pour pro- duire un grand mécontentement parmi ce peuple, pour tenir le pays dans un état de fermentation continuel , pour causer des dépenses énormes à l'Angleterre , enfin pour exposer le royaume en- tier à un danger imminent en cas de guerre. Maintenant , je vous le demande; si les individus qui jouissent de ces revenus immenses et ceux

8 Réforme Protestaï«te.

qui tiennent à eux par des liens intimes dans pe pays-ci , ne nous avaient pas fait accroire qu'il y a quelque chose de méchant , de pervers , et d'horrible dans la religion Catholique, n'aurions- nous pas eu raison de leur demander , depuis long-temps , pourquoi ils nous exposent à des dépenses si considérables à l'effet d'avilir cette religion ? Us ne nous ont jamais dit , et ne nous disent jamais , que cette religion Catholique était la seule qui fût connue de nos propres aïeux pendant l'espace de neuf cents ans. S'ils nous l'avaient dit , nous aurions pu leur répondre , que cette religion ne pouvait pas être si mau- vaise , et qu'il vaudrait , par conséquent , beau- coup mieux laisser le peuple Irlandais en jouir paisiblement ; que puisqu'il n'y a que très-peu d'ouailles Protestantes, il vaudrait beaucoup mieuî pour nous tous, que les revenus de F Eglise fus- sent rendus à leurs propriétaires pj'imitifs.

9, Voilà , mes bons Amis , 2)oilà le vrai mo- tif, la source réelle, de ces invectives sanglantes, de ces calomnies atroces dont on s'est plu à ac- cabler et la religion Catholique et ce nombre considérable de nos compatriotes qui restent at- tachés à cette ancienne croyance. Si vous réflé- chissez à la puissance de ce motif, vous cesserez d'être surpris des soins et des peines qu'on s'est donnés pour nous tromper. L'Écriture sainte elle- même a été pervertie pour mieux noircir les Ca- tholiqiies. Dans des livres de toutes les formes,

Lettre I , Introduction. g

du haut de la chaire même , on nous a appris à croire, dès nos plus jeunes ans, que la grande bête , Vhomnie du péché et la prostituée vêtue de pourpre et à^écarlate , mentionnés dans l'A- pocalypse , furent des noms que Dieu lui-même donna au Pape; on nous a, dis-je, appris à con- sidérer le culte de l'Eglise Catholique comme idolâtre , et ses doctrines comme damnahles.

lo. Maintenant fesons-nous à nous-mêmes une ou deux questions , ou plutôt adressons-les à ces grands docteurs ; et nous apprécierons bientôt à leur juste valeur la modestie , la sincérité et la stabilité de ces détracteurs de la religion Catholi- que. Ils n'essayei'ont sans doute pas de nier que cette religion fut la seule et unique religion répandue dans le monde pendant quinze cents ans après la mort de Jésus-Christ. Ils avance- ront peut-être que , durant les trois premiers siècles y il n'y eut pas de siège papal à Rome ; mais il avait existé pendant douze cents ans ,• et , durant cet espace de temps toutes les nations de l'Europe et une partie de l'Amérique avaient embrassé le Christianisme _, et reconnaissaient le Pape pour leur chef dans toutes les matières religieuses ; en un mot , il n'existait à\iutre Éghse Chrétienne sur la surface de l'univers , disons mieux , on n'avait pas même songé à au- Gvine autre. Pourrions-nous donc croire que le Christ , qui mourut pour sauver les pécheurs , qui propagea son évangile comme un moyen

lo Réforme Protestante.

de salut , eût souffert que les hommes ne con- nussent , durant un si long espace de temps , d'autre religion (iu\\ne fai^sse religion Chrétien- ne ? Ces modestes aggresseurs de la foi de nos ancêtres et des leurs oseront-ils affirmer que , pendant l'espace de douze cents ans, au moins, il n'existât aucun vrai Chrétien dans le monde ? Nous diront-ils que Jésus-Christ, qui avait promis d'être avec les Apôtres de sa doctrine jusqu'à la fin des siècles , les aurait abandonnés entièrement et aurait souffert que des centaines de millions d'hommes fussent conduits à leur perdition éter- nelle par celui que ses disciples inspirés avaient nommé l'homme du pécher et la prostituée vê- tue de pourpre et d'écarlate ? Oseront-ils nous dire que, pendant douze siècles, le Christ avait entièrement abandonné les hommes à V^nté- christ ? Cependant ils le doivent ; oui , ils doi- vent maintenir hardiment ce blasphème impu- dent, ou s'avouer coupables de la plus noire ca- lomnie contre la religion Catholique.

II. Mais parlons maintenant xle ce qui s'est passé chez nous et nous touche de près. Nos an- cêtres devinrent Chrétiens environ six cents ans après la mort de Jésus-Chiist. Et comment le devinrent-ils? Quel fut le premier homme qui, parmi nous , prononça le nom de Christ ? Qui convertit les Anglais de païens en Chrétiens? Quel- que Saint Protestant, sans doute, brûlant d'en- thousiasme , inspiré par une victoire telle que

Lettre I , Introduction. i i

celle de Skibbereen? Ah, non! Cette œuvre fut commencée, continuée, et accomplie par les Papes; un desquels envoya dans ce pays des moines ( dont nous aurons à parler plus bas ) qui s'établiient à Cantorbury , et par les ellbrts de ceux-ci la religion Chrétienne se répandit aussi rapidement que la graine de moutarde dans toute l'étendue de notie île. Quelles que fussent, donc, les notions que les autres parties de l'univers pouvaient avoir du Christianisme , avant que le Pape ne devînt le chef établi et reconnu de rEglise , V Angle- terre y du moins , n'avait jamais connu d'autre religion Chrétienne que celle dont le Pape était le chef; et cette religion, avec le Pape à sa tète , prédomina exclusivement en Angleterre pendant neuf cents ans.

12. Quoi, donc : nos doux précepteurs nous diront-ils encore que ce fût la prostituée vêtue cïécarlate et V Antéchrist qui introduisirent les bienfaits de l'Evangile en Angleterre ? Diront- ils aussi que les millions et les centaines de mil- lions d'iVnglais qui moururent pendant ies neuf cents ans, expirèrent sans avoir la moindre chance de salut ? Nous diront-ils , que tous nos aïeux auxquels nous devons l'érection de nos églises , et dont la chair et les os forment la terre de nos cimetières, à plusieurs pieds de profondeur, pous- sent maintenant des hurlemens dans les régions infernales ? La nature frémit à cette idée aussi impie qu'horrible! Tel doit être, néanmoins, le

12 Réforme Protestante.

langage de ces hommes présomptueux , s'ils ne \eulent se reconnaître pour de vils calomniateurs, lorsqu'ils traitent le Pape d' ^4ntéchrist , lors- qu'ils appellent le culte Catholique idolâtre et ses doctrines damnahles.

i3. Venant maintenant à l'époque nous vi- vons nous-mêmes et jetant les yeux autour de nous , nous verrons que , de nos jours , aujour- d'hui même , à-peu-près les neuf dixièmes de ceux qui professent le Christianisme sont Catho- liques. Jésus-Christ aurait-il donc souffert que l'Antéchrist régnât paisihlement jusqu'à ce jour? Jesus-Christ a-t-il formé l'église Protestante? A-t-il suggéré la " Réforme " ? Souffre-t-il donc , après lout, que les disciples de l'Antéchrist dépassent le iiomhre de ses propres disciples dans la proportion de neuf à un? Combien, sous ce point de vue, le clergé de notre église Protestante établie par la loi, ne doit-il pas s'estimer heureux ! Son trou- peau , d'après un calcul raisonnable , ne com- porte pas la cinq-centième partie des Catholi- ques, tandis que, remarquez bien ceci, son clergé perçoit plus de revenus , à lui seul , non-seu- lement que le clergé de toutes les nations Ca- tlioliques ; mais même que les clergés de tout les peuples Chrétiens de la terre, Protestans ou Catholiques. L'Eglise prend le titre d'établie par la loi , et elle n'oublie jamais cette formule. Elle s'appelle " sainte y " " divine ; " elle traite ses ministres de " répérends j " et son culte et ses

Lettre I , Introduction. i3

doctrines sont réputés évangéliques. Elle parle beaucoup de sa confiance en l'appui de son ^^fon- dateur " ( c'est ainsi qu'elle nomme Jésus-Glirist ), mais, en déduisant ses titres et ses qualités, elle n'oublie jamais la conclusion , " établie par la loi. " Cependant cette même " loi " est par fois forcée de recourir aux baïonnettes pour être mise en vigueur; et il n'est pas rare de voir les mi- nistres de la religion, devenus juges-de-paix ^ en vertu de la loi, se mettre à la têle dC un pi- quet de soldats , pour pouvoir recueillir la dixme, i4- Pour revenir à notre sujet, devons-nous donc croire que le Christ a jusqu'à ce jour en- tièrement livré les neuf dixièmes des nations de l'Europe au pouvoir de " l'Antéchrist ? " De- vons-nous croire , que si cette religion , " éta- blie par la loi ^ " a été celle du Cliiist , et la Catholique celle de 1' " Antéchrist : " si cette religion, établie par la loi, notre " sainte re- ligion, " comme George Rose l'appelait au mo nient même oii il mettait ses griffes au fond de nos poches ; si cette rehgion établie par la loi , cette " sainte religion " de Jolm Bowles , le com- missaire Hollandais-, si les choses avaient été ainsi, devons-nous croire, que cette religion établie par la loi, cette " sainte religion " ( dont nous voyons les fruits dans ces dignes rejetons de l'Eglise, La Chrétienté Vitale et Jocelyn Roden ) ne compterait, au bout de deux cents ans qu'z/TZ seul membre contre environ cinq cents ( en y com-

1 4 Réforme Protestante.

prenant tout le monde chrétien ) de celte église contre laquelle l'église " légale " a protesté , et proteste encore aujourd'hui ?

1 5. Méprisons donc, mes Amis, ces injures grossières contre la religion Catholique qui , après tout , est la religion de près des neuf dixièmes des Chrétiens qui existent ! Méprisons ces viles calomnies dont le but est, et a toujours été de s'assurer la paisible possession des dépouilles de l'Église Catholique, ainsi que de celles des -pau- vres ; car nous allons voir bientôt , de la ma- ]iière la plus claire, comment les pauvres fu- rent dépouillés en même temps que l'Église.

i6. Il nous reste maintenant à citer un ou deux exemples de l'invariabilité de ces détrac- leurs de l'Église et de la croyance Catholiques, Nous verrons par la suite comment les Protestans, dès le principe de leur réforme, se divisèrent en un nombre infini de sectes , dont chacune d'elles condamnait l'autre aux flammes éternelles. Je ne ])arlerai ici que de VEglise anglicane , vul- gairement appelée, établie par la loi. Nous qui fesons partie de cette Église Protestante , nous croyons , ou , du moins nous fesons profession de croire, que le Nouveau Testament, tel qu'il est imprimé et distribué parmi nous , contient la vraie parole de Dieu : qu'il contient les pa- roles de la vie éternelle, qu'il nous indique le moyen , l'unique moyen de nous sauver de la damnation éternelle. Voilà ce que nous croyons.

Lettre I, Introduction. i5

Mais qui nous a procuré ce Nouveau Testament? Qui nous a fourni cette vraie parole de Dieu? De qui tenons-nous ces paroles de la vie éter- nelle? Allons, Joshua Watson, marchand de vin et d'eau-de-vie, professeur de religion pour le peuple Anglais : allons, donc, Joshua, ap- prochez et tâchez de résoudre ces questions? Ce sont des questions d'une grande importance, parce que si c'est le livre , le seul livre qui con- tienne les instructions nécessaires au salut de no- tre âme, il est évident que nous sommes vive- ment intéressés à savoir de qui il nous vient , par l'entremise de qui nous l'avons reçu, et quelle preuve nous avons de son authenticité.

17. 0! Joshua Watson! marchand de vin et d'eau-de-vie! toi qui es à la tête d'une Société pour V encouragement de Vinstruction Chré- tienne , que l'évêque de Winchester appelle le " fidèle interprète de la vérité évangélique , et le ferme appui de l'église établie par la loi. '* O ! Joshua, professeur de religion pour le peu- ple d'Angleterre , qui paie six ou huit millions sterling par an aux ministres qui t'emploient pour enseigner le peuple. O! Joshua, qu'il est ré- voltant pour nous , Protestans , d'avoir reçu ce Nouveau Testament, cette vraie -parole de Dieu, ces paroles de la vie éternelle , ce livre qui nous indique le moyen , le seul moyen de salut; qu'il est révoltant, dis-je , d'avoir reçu ce livre du Pape et de l'Eglise Catholique , tandis

1 6 RÉFOR3IE PROTESTANTE.

que vous, Joshua, et votre société pour l'en-' eouragement de l'instruction Chrétienne vous vous occupez à imprimer et à répandre au moins dix- sept-traités différens dans le but de prouver que le Pape est la prostituée de Bahylone et que le culte de l'Eglise Catholique est idolâtre et ses doctrines damnables !

i8. Après la mort de Jésus-Christ il s'écoula un long espace de temps, avant que l'Evangile fut mis sous la forme qu'il a maintenant. On le prêcha dans plusieurs pays , et l'on bâtit des éghses dans ces mêmes pays, long-temps avant (jue l'Evangile écrit fût bien connu, ou, du moins, longtemps avant qu'il servît de guide aux églises Chrétiennes. Au bout de cjuaire cejits ans j les Evangiles écrits furent soumis à un concile de l'Eglise Catholique dont le Pape était le chef. Mais il existait plusieurs Evangiles outre ceux de St. Matthieu, de St. Marc, de St. Luc et de St. JeakÎ Plusieurs autres avaient écrit des Evangiles. Tous ces Evangiles furent, comme je l'ai dit , soumis à un concile Catholique long- temps après la mort de leurs auteurs; et ce con- cile décida entre ceux qui étaient légitimes, et ceux qui ne l'étaient pas. Il préserva ceux des quatre Evangélistes ci- dessus mentionnés et dé- cida que ceux-là seuls méritaient d'être conser- vés , et qu'il fallait rejeter tous les autres.

ig. D'après cela, la Société de Joshua JJ^atson se trouve sans évangile j sans aucune autre pa-

Lettre I , Introduction.

role de Dieu ; sans aucun guide à la vie élei - uelle 5 ou , du moins , sans aucun autre que celui que cette Société , ainsi que nous tous , avons reçu d'une Eglise que cette même Société ap- pelle " idolâtre '^ et dont le chef est traité de *' bête j d'homme du jjéché , de prostituée aux habits de couleur écarlate , et d' ^dntéchrist.'''* Nous nous réduisons donc à un joli état en ajou- tant foi à ces viles calomnies contre l'Eglise Catho- lique ; nous nous réduisons à un joli état , si nous sommes assez simples et assez stupides , pour prêter l'oreille à ceux qui noircissent cette même Église, parce qu'ils se repaissent de ses dépouilles. Nous tombons dans une jolie situation, si en écou- tant ceux qui calomnient l'Église Catholique , nous proclamons à la face de l'univers que notre seul espoir de salut gît dans les promesses con- tenues dans un livre, que nous avons reçu " de la Prostituée aux habits d' écarlate , " et dont Tauthenticité ne nous est garantie que par cette " Prostituée aux habits d' écarlate ^'' et par cette Église , dont le culte est " idolâtre " et dont les doctrines sont " damnables " !

20. Ceci paraît assez complet , et cependant ceci , qui s'applique à tous les proteslans , n'est pas assez d'inconséquence , pour satisfaire l'Église anglicane, établie par la loi. Cette Église a une lithurgie prise en grande partie du service Catho- lique ; mais il y a deux credos y celui de Nicée et celui d'^éihanase. Le premier fut composé

1 8 Réforme Protestante.

et promvilgué par un concile de l'Église Callio- lique et par le Pape ; et le second fat adopté et ordonné pour l'usage des fidèles par un autre concile de la même Église auquel présidait le Pape. N'y a-t-il donc pas de l'impudeur dans un ministre de cette Eglise , établie par la loi , à traiter le Pape '■^ d'Antéchrist ^'' et d'appe- ler l'Eglise Catholique " idolâtre " î Sans doute , la plus grande ; mais nous ne voyons pas même encore l'inconséquence la plus manifeste de tout ceci.

21. Un Calendrier est annexé au Livre de PRIÈRES de notre Église établie par la loi\ et, dans ce Calendrier , on voit certains noms de Saints et de Saintes accolés à divers jours de l'année , pour rappeler leurs anniversaires , et inviter le peuple à les chômer très-religieusement. Or quels sont ces Saijits et ces Saintes ? Des Saints Protestans , sans doute ? Non , certai- nement , pas un. Ce n'est ni St. Luther , ni St. Cranmer , ni St. Edouard six , ni même " la Vierge" Ste. Elisabeth. Pas un d'eux. C'est une longue liste de Papes , d'Évêques Catholiques , d'hommes et de femmes canonisés par l'Eglise Catholique. Plusieurs vierges, mais ni " la Vier- GE-reine ," ni un seul individu de la race Pro- testante. Ceci paraît singulier, au premier abord, puisque ce Calendrier fut sanctionné par Acte du Parlement; mais la vérité est que, pour em- pêcher le peuple de se mutiner , et pour intro-

Lettre I, Intuoduction. 19

duire par degrés la nouvelle religion dans sou sein, il fallut conserver quelques-uns des noms pour lesquels il avait toujours eu la plus grande vénération. Quoiqu'il en soit , voilà notre Livre de Prières qui offre à notre respect et à notre vénération une série de Papes et d'autres indi- vidus appartenans à l'Eglise Catholique , tandis que ceux qui nous apprennent à lire et à répéter le contenu de ce môme Livre de Prières, ne cessent de nous représenter tous les Papes comme des ^^ ^ntéchrists ,''^ et de nous affirmer que leur Eglise était , et est encore " idolâtre " dans son culte , et " damnable " dans ses doctrines !

22. J'ai entendu dire que M*". Bayley, l'un des douze grands-juges actuels, a fait un Corn- mentaire sur notre Livre Ordinaire de Prières, J'aimerais bien à savoir ce que ce juge dit en voyant ces saints Catholiques portés exclusive- ment sur le Calendrier Protestant. Nous ferons voir , lorsqu'il en sera temps , de quelle singu- lière manière ce Livre de Prières fut d'abord fait, et comment il a été refondu à différentes époques. En attendant, il existe, encore aujourd'hui, avec la nomenclature des Saints Catholiques, annexée au Calendrier, ce qui prouve, que jusqu'à Charles II, sous le règne duquel le dernier chan- gement fut fait, aucun Saint Protestant n'avait .encore pris la place des Saints Catholiques.

23. Mais il est encore un dilemme à opposer à ces détracteurs de la religion Catholique. Nous

2*

20 Reforme Protestante,

jurons sur le livre des quatre Evangelistes , et faites bien attention que nous tenons ce livre du Pape et d'un concile de l'Eglise Catholique ; en sorte que si le Pape est réellement " ^nté christ,^' c'est-à-dire, si ceux qui nous ont appris à injurier et à abhorrer les Catholiques , ne sont pas les êtres les plus faux , les plus pervers qui aient ja- mais existé , nous jurons sur un livre qui nous a été transmis par V " ^4ntéchristP Et , comme si l'inconséquence et l'absurdité qui résultent de cette calomnie Protestante ne devaient pas avoir de fin, nous jurons que la Chrétienté i\m.^ suivant les juges eux-mêmes , est " une partie et une fraction de la loi du pays " n'est autre chose que ce que nous apprend ce même Nouveau Testament; donc , si vous mettez de côté ce INouveau Testament , il ne reste plus vestige de cette partie et de cette fraction de la loi. Quelle devient alors notre situation? Quel rôle joueront ceUe partie et cette fraction de la loi du pays à l'égard d'une douzaine d'individus incarcérés pour l'avoir enfreinte? Quel rôle joueront cette partie et cette fraction si nous applaudissons les inju- res et les mensonges des détracteurs de l'Eghse Catholique ? Quel rôle joueront cette " partie et cette fraction j " si nous adoptons les maximes de nos maîtres , ou bien celles de la Société de Joshua Watson , ou bien enfin , si nous écou- tons tous les braillards du pays , et si nous di- sons avec eux que le Pape ( de qui nous tenons

Lettre I , Introduction. 21

cette partie et cette fraction ) est " V ^nté- . christ et la Prostituée vêtue de pourpre et (Fé- carlate ? "

34. En voilà sûrement assez , ou plutôt plus qu'il n'en faut , pour nous faire "vivement re- gretter d'avoir été si long-temps les dupes de ces rusés et avides détracteurs de la religion de nos pères. Vit-on jamais en effet des êtres plus pré- somptueux, plus faux, plusinconséquens, et plus déhontés que ceux dont nous venons de tracer l'esquisse? Si nous ouvrons les yeux, et si nous approfondissons ce sujet, nous serons étonnés et honteux de notre crédulité, surtout en songeant que la plus grande partie d'entre nous se sont laissé égarer par des êtres qui ne possédaient pas la dixième partie de notre intelligence; par un tas d'hommes vils et ambitieux , mais infatiga- bles y qui ne perdent jamais de vue leur butin, et qui, chaque jour, chaque année, cornent sans cesse leurs mensonges aux oreilles du peuple , dès sa plus tendre jeunesse , jusqu'à ce qu'il s'habitue à les avaler comme des paroles d'E- vangile. Encore si ces mensonges n'avaient pas eu de suites y on aurait pu en rire, comme tout homme de bon sens rit du vieux conte que le dernier roi a rendu les juges indépendans de la couronne. Malheureusement, les résultats de ces impostures ont été terribles. Au moyen de ces grands mensonges Protestans , les Catho- liques et les Protestans ont été maintenus dans

22 Réfoume Protestante.

un état continuel d'ijostilité ; et les uns et les autres, surtout les premiers, ont été, sous un prétexte ou autre, impunément opprimés et sac- cagés pendant plusieurs siècles.

25. Après avoir démontré que la censure ré- pandue sur la religion de nos ancêtres est, non- seulement injuste, mais absurde et monstrueuse; après avoir prouvé qu'il n'y avait aucun motif fondé y pour convertir la religion d'Angleterre de Catholique en Protestante; après avoir exposé enfin toutes les calomnies d'une poignée d'hommes aussi vils que cupides , et préparé l'esprit de tout homme sensé et impartial pour l'examen franc et loyal dont j'ai parlé dans le paragraphe 4 > je vais aborder cet examen et prouver, en pre- mier lieu, comment la " Réforme , " ainsi qu'on l'appelle , fut engendrée par une incontinence brutale. 11 me reste néanmoins encore un sujet à traiter dans ce premier numéro de mou opus- cule.

sG. La vérité a , sous le rapport dont il s'a- git fait de grands progrès en Angleterre, depuis une douzaine d'années. Les hommes ne se lais- sent plus entraîner par le cri de '^ ^ bas le Pa- pisme, '' et celui de ^^ rEglise est en danger. " Le Ministre Hày , de Manchester , le Ministre Dent, de Northallerton , et plusieurs autres de la même trempe répandus dans tout le pays , ont beaucoup fait pour nous éclairer. Le Minis- tre MoRRiTT, de Skibbereen, a aussi beaucoup

Lettre I , Introduction. 23

coiilribuc à celle œuvre de lumières. Il ne tàut pas non plus oublier le Très-Révérend Père en Dieu , Protestant , qui nous a cerlainenient plus ouvert les yeux qu'aucun autre évêque que je sache ; ensorte qu'il n'est lien moins que rare aujourd'hui d'entendre des Protestans déclarer hautement que, quant à ce qui concerne la fol y la morale et le salut, la religion Calhoii({ue est suffisamment bonne. Il existe même parmi le peuple Anglais une foule d'individus qui ne se font pas scrupule de déclarer ouvertement que les Catholiques ont été cruellement maltraités , et qu'il est tenjps enfin qu'on leur rende jus- tice.

27. Malgré ces notions exactes , il ne règne pas moins parmi les Protestans, en général, une opinion que la religion Catholique est peu fa- vorable à la liberté civile , ainsi qu'à l'exercice des talens et aux progrès du génie. A l'égard du premier point, j'aurai occasion de prouver y dans le cours de cet ouvrage , par l'expérience affligeante de ce pays , qu'un manque total de liberté civile fut inconnu en Angleterre , tant que la religion Catholique y prédomina. Je prou- verai en outre ({uc , du moment elle perdit la protection du Pape , ses rois et ses nobles devinrent d'horribles tyrans, et le peuple le plus abject, le plus maltraité des esclaves. C'est, en- core une fois, ce que ]e prouverai , en temps et lieu , et je vous prie de vous souvenir, mes

^4 Réforme Protestante.

amis, que j'en prends l'engagement envers vous. 28. Passons maintenant au second reproche qu'on fait à la religion Catholique ; savoir , qu'elle est peu favorable à l' exercice des talens et aux progrès du génie. Non-seulement je vais prou- ver que ce reproche est mal fondé , mais même absurde et ridicule. Je vous ferai seulement re- marquer auparavant qu'il provient de la même source que tous ceux qu'on a faits aux Catho^ liques. " Ignorance et superstition des moines '' sont des mots que vous trouvez dans tous les his- toriens Protestans, depuis le règne de la "Vierge" Elisabeth jusqu'à ce jour. Ils sont devenus avec le temps une espèce de diction vulgaire^ comme le sont les mots " glorieuse révolution /^ " heu-^ reuse constitution ^ '' " bon vieux roi , " " V en- vie des nations voisines , '^ et autres semblables. Mais toute fausse que puisse être cette notion^ comme je le prouverai bientôt, il a toujoua's existé un motif suffisant pour l'inculquer danè l'esprit du peuple. Blackstone , par exemple , dans ses Commentaires sur les Lois d'Angleterre, ne laisse jamais échapper une occasion de se mo- quer " de V ignorance , et de la superstition des moines. ^' Blackstone n'était pas bête. En écri- vant ses Commentaires , et en les lisant aux étu- dians d'Oxford , il savait qu'il vivait des dépouil- les de l'Eglise Catholique , des dépouilles des nobles , et même des dépouilles des pauvres Ca- tholiques. C'est ce qu'il n'ignorait pas. Il n'i-

Lettre I , Introduction. aS

gnorait pas aussi que si chacun eût eu son y, il ne se serait pas engraissé il était. Il savait fort bien aussi que ceux qui assistaient à ses leçons, connaissaient aussi bien que lui la nature des dé- pouilles dont il faisait son profit. Toutes ces consi- dérations suffisaient, pour l'engager à vomir des invectives contre l'Eglise Catholique, et à afibcter de voir avec mépris le règne passé du Catholicisme. 29. Aucun peuple de la terre n'a surpassé les hommes influens ( gentry ) de la " Réforme'^ en impudeur froide , calme et tranquille. Blacks- TONE, lui-même, semble avoir hérité, en ligne directe , de cette qualité précieuse de quelque pillard des autels du règne de ce doux , de ce jeune Saint Protestant, Edouard-six. Si Blacks- tone n'avait réellement pas eu les dépouilles des Catholiques sur la conscience , il n'aurait pas ou- blié que toutes les institutions dont il fait un si bel éloge, la grande charte , le jury , les she- riffs, Xo.'à juges de paix , les constables y et tant d'autres prirent naissance dans les jours "de l'i- giiorance et de la superstition des moines. ^' Si les dépouilles de l'Eglise Catholique n'avaient pas tourné la tète à Blackstone, ce grand com- mentateur n'aurait pas oublié que Fortescue et Lyttleton, le plus célèbre de nos avocats, naquirent, furent élevés et moururent dans les jours " de la superstition et de \ignorance des moines. '' Mais ce même Blackstone pouvait-il ignorer que la maison qu'il habitait, au moment

26 Rkforme Protestante.

même qu'il traçait ses invectives contre nos an- cêtres Catholiques , avait été construite par ces mêmes ancêtres? En jetant les yeux sur ces no- bles édifices qui, en dépit du temps, qui détruit tout, attestent encore aujourd'hui ce que furent nos aïeux , ne sentait-il pas qu'il n'était qu'un pigmée auprès de ceux dont il avait l'impudeur de ravaler le mérite?

3o. Lorsque nous entendons un Juif, un Oran- giste , un ministre juge-de-paix , ou Jocelyn le Saint , parler " de l'ignorance et de la supers- tition des moines, " nous détournons la tête avec mépris; mais Blackstone doit être traité d'une tout autre manière. Ce fut à Oxford qu'il com- posa ses Commentaires , et qu'il en fit la lec- ture à ses élèves. Or il savait bien que les fonde- niens des principaux collèges et de l'université elle-même avaient été jetés et perfectionnés, non- seulement dans le temps des 77ioines _, mais en grande partie par les moines eux-mêmes. 11 sa- vait bien que les Abbayes étaient des écoles pu- bhques dans chacune desquelles se trouvaient une ou plusieurs personnes , uniquement occupées " de Véducation de la jeunesse du voisinage , sans aucuns frais quelconques pour les pa- rens. '' Il savait que " chacun des grands mo- *' nastêres avait une résidence particulière dans " les universités , et tandis qu'à l'époque des " moines, il y avait près de trois cents col- " LÉGES et écoles particulières à Oxford ,

Lettre t , Introduction. S'j

" il n'en restait pas plus de huit Vers le mi- " lieu du i7<= siècle, " ( \. la vie du Cardinal Pole par Philipps, Part. I, p. 220 ) c'est-à-dire, environ 100 ans après que la " Réforme " eut commencé. Cette année, 1824, il reste, dit-on, CINQ collèges seulement, ei pas une seule école. 3i. J'aurai ailleurs occasion de démontrer plus amplement la folie , ou plutôt la bassesse de tour- ner en ridicule les institutions monastiques en général ; je me bornerai seulement , pour le mo- ment , à repousser le reprocbe qu'on fait à la religion Catholique d'être peu favorable au gé- nie y aux talens y en un mot , à \ exercice des facultés intellectuelles. C'est une notion bien étrange , et l'on ne peut en entendre parler sans soupçonner qu'il y a d'une manière ou d'autre , quelque idée de pillage dans ce qui ne paraît d'abord que stupide. Ceux qui ont l'insigne im- pudeur de lui faire ce reproche ne nous font pas la grâce de nous donner des raisons pour croire que la religion Catholique a réellement une tendance semblable. Ils se contentent de le mettre en avant , ne supposant pas même qu'il y ait le moindre moyen de le réfuter. Ils le con- sidèrent comme une assertion opposée à une as- sertion ; et , dans une discussion la victoire reste à celui qui erre le plus fort , ils se croient parfaitement certains de triompher. Cependant c'est une question qui admet une preuve , et même une preuve assez forte. La " Réforme "

^8 Réforme Protestante.

fat à-peu-près terminée en Angleterre , vers l'an 1600. A cette époque " V ignorance et la su- perstition des moines " avaient entièrement dis- paru. Les monastères étaient déjà à-peu-près abat- tus ; les sujets du jeune Saint-Edouard avaient dépouillé les autels, et la " Vierge "-reine avait mis le comble au pillage ; ensorte que , en l'an 1600 , tout était devenu Protestant à souhait. Fort bien. IjC royaume de France , au contraire, était resté enseveli dans " la superstition et l'igno- rance des moines^'' jusqu'à l'année 1787; c'est- à-dire, 187 ans après que V heureuse Albion eut vu la lumière éclatante du Protestantisme. Main- tenant, si nous examinons attentivement quel fut le nombre d'hommes remarquables par leur gé- nie , leurs talens et leur science ; si nous com- parons avec soin le nombre des hommes de ce genre produits par la France dans ces 1 87 ans et le nombre produit par l'Angleterre j l'Ecosse , et V Irlande , durant le même espace de temps , nous aurons , à coup sûr , d'assez bonnes raisons pour apprécier les effets des deux religions par rapport à leur influence sur l'instruction, le génie et ce qu'on appelle les sciences en général.

32. " Oh ! non , " s'écrient les fauteurs de " la " Réforme ", " ( fire-shovels ) la France est *' beaucoup plus gi^ande et plus peuplée que " nos trois royaumes réunis ; ainsi la partie n'est " pas égale. " Ne vous alarmez pas , Messieurs les ( fire-shovels. ) D'après votre propre compte ,

Lettre I , Introduction. 29

notre royaume-uni contient vingt-et-un millions d'iiabitans, et la France en compte trente. Je vous passe donc un tiers pour la différence ; et si , après cette déduction , la France ne compte pas trois hommes célèbres contre nous deux , alors je serai forcé d'avouer que l'Eglise établie par la loi a\ec sa famille de Muggletoniens , de Caméroniens, de Sauteurs, de Trembleurs, de Quakers et de tout le reste de la clique Protestante, est plus favorable à la science et au génie que l'Eglise Catholique. 33. Mais comment constater le nombre des uns et des autres ? A merveille. Je me référerai à un ouvrage qui se trouve dans toutes les bon- nes bibliothèques du royaume; je veux dire, le "Dictionnaire Universel, Historique, Cri- tique, ET Bibliographique. " Ce livre qui est considéré partout comme fesant autorité, quant aux faits , contient des listes d'individus de tou- tes les nations, célèbres par les ouvrages qu'ils ont publiés j et tout le monde sait que pour fi- gurer sur ces listes, il a fallu avoir réellement un mérite distingué , et que leurs ouvrages doi- vent avoir été dignes de l'attention publique. C'est donc d'après ces listes que j'établirai mon calcul, ainsi que je l'ai déjà proposé. Il ne sera pas même nécessaire de parcourir tous les genres de scien- ces et d'arts. Huit ou neuf suffiront. Peut-être même ferai-je bien d'y comprendre les Italiens aussi bien que les Français ; car nous savons tous qu'ils vivaient dans un état dégoûtant " ^ignorance

3o Réforme Protestante.

et de superstition monacales ; " que dis-je? Que les pauvres malheureux y vivent, encore aujour- d'hui, sans avoir été dépouillés de leurs biens. 34- Voici donc cet état. Remarquez seulement que les chiffres représentent le nombre d'hom- mes ou femmes qui se sont distingués dans le genre de science ou d'art qui est mentionné en face de ces chiffres. Cet état date de l'an 1600 et va jusqu'à 1787*, il embrasse par conséquent un espace de 187 ans, durant lequel ( pour me servir de l'expression du jeune George Rosi: ) la pauvre France gémit sous ^' le despotisme obscur de r Eglise Catholique^ ^' que B lacks- tone, de son côté appelle " Ignorance et su- perstition monacales , '' et pendant lequel temps les lies Britanniques furent éclairées par \q foyer des lumières, émanées du cerveau de Luther, de Cranmer, de Knox et de leurs sectateurs. Voici cet état.

Angleterre , Irlande, Ecosse. France. Ilulic.

Publicistcs 6 5i 9

Mathématiciens 17 52 , 1 5

Médecins et Chirurgiens . . i3 72 21

Naturalistes 6 33 11

Historiens 21 1 39 22

Auteurs Dramatiques 19 6(3 6

Grammairiens 7 4^ ^

Poètes 38 157 34

Peintres , , 5 64 44

i32 676 \C)[

Lettre I , Introduction. 3i

35. Celte échelle est la même qu'un modeste écrivain Ecossais citait dernièrement , lorsqu'il disait que, dans toute l'Europe, les Protestans sont placés plus haut que les Catholiques dans V Echelle de V entendement , et que les Catho- liques qui avoisinent les Protestans , sont beau- coup plus intelligens que ceux qui en sont à quelque distance. Voilà vraiment un échantillon de l'insolence de cette secte parvenue. Pour la confondre , il sullit de jeter les yeux sur Vétat qui jirécède. Défalquez un tiers du nombre des Français à cause de leur population supérieure, et il leur restera encore 4^1 hommes ou fem- mes célèbres contre 182 des nôtres; en sorte que, individu pour individu , ils ont eu trois fois et demie plus d'intelligence et d'esprit que nous , bien qu'ils aient été ensevelis, pendant tout ce temps-là , dans " Vignorance et la superstition des moines , '' et qu'ils n'aient pas eu de voi- sins Protestans pour leur communiquer \intelli- gence. Les Italiens , eux-mêmes , nous ont sur- passés sous le rapport de V intelligence ; car leur population est inférieure à celle dont nous nous enorgueillissons, et cependant le nombre de leurs hommes de génie excède de beaucoup le nôtie. Mais, ne me trompé-je pas? Peut-être que par le mot intelligence, notre Ecossais entend l'art de faire , non pas des livres et des tableaux , mais des mandats , des lettres-de-change y des obli- gations, des billets de F Echiquier , des bank-

32 Réforme Protestante.

notes inimiiahles y et autres choses semblables. Ne voudrait-il pas dire par hasard, \ait de spé- culer sur les emprunts, F agiotage , les polices d'assurance, les annuités à lo pour cent ( Jcite- Jljing ) et tant d'autres transactions intellec- tuelles du Change-udlley ', sans oublier surtout les efforts surnaturels d'esprit , tels que ceux des Aslett et des. Fauntleroy. Alors , certes , je suis forcé d'avouer qu'il a raison. Les Protestans en effet occupent un rang distingué d'après cette Echelle. Je serais même porté à croire qu'il est presque impossible pour un Catholique de vi- vre dans leur voisinage , sans devenir plus in- tellectuel ; je veux dire, plus fripon, plus ju- daïque que s'il en était très-éloigué.

36. Voilà, mes Amis, voilà. Anglais justes et sensés , la fin de cette lettre introductoire. Je vous ai ouvert les yeux sur la manière grossière dont nous avons été trompés , dès noire plus tendre jeunesse. Je vous ai démontré non-seulement l'in- justice, mais même l'absurdité des invectives que des hommes intéressés à nous tromper ont en- tassées sur la religion de nos pères qui étaient aussi les leurs. Je vous en ai dit assez, pour vous convaincre qu'il n'y avait évidemment aucun mo- tif juste et plausible pour changer la religion de notre pays. J'aurai probablement fait naître en vous le désir de savoir de quelle manière cet étrange changement s'est opéré , et je ferai tous mes efforts pour le satisfaire dans mes let-

Lettre I , Introduction. 33

très subséquentes. Remarquez seulement que mon objet principal est de vous prouver que ce cban- gement a appaupri et dégradé la masse du peu- ple comparativement à l'état elle se trouvait avant qu'il n'eût lieu ; qu'il a entièrement banni de notre sol cette vieille hospitalité anglaise, qu'on n'y connaît plus que de nom ; et qu'en place de cette hospitalité, il nous a plongé dans un état de misère et de pauvreté, dont le nom même avait été jusqu'alors inconnu en Angle- terre.

34 Réforme Protestante-.

N.o IL

LETTRE n.

Origine de l'Eglise Catholique.

Histoire de l'Eglise , en Angleterre , jusqu'à

l'époque de la " Réforme. " Commencement de la " Réforme" par Henri VIIL

Mes Amis, Kensington, le 3o décembre i8r?4-

S'y. Ce ne fut pas une réforme qu'on opéra ; mais une dévastation complète de l'Angleterre : à l'époque cet événement eut lieu, ce pays était le plus heureux que le monde eût encore vu ; et mon objet principal est de prouver que cette dévastation a appauvri et dégradé la masse du peuple. Mais, pour vous présenter cette dé- vastation sous le vrai point de vue qui la carac- térise , et vous inspirer contre les dévastateurs et leurs apologistes le juste degré d'indignation qu'ils méritent , il faut d'abord vous mettre sous les yeux le tableau fidèle des objets sur lesquels ils exercèrent leurs fureurs dévastatrices.

38. La majeure partie de ces livres qu'on pu- blie , sous le titre d^ Histoire d' Angleterre , ne valent guère mieux que ceux qu'on appelle Ro- mans, Ils traitent de batailles , de négociations ,

Lettre II. 35

d'intrigues de cour, des amours des rois, des rei- nes et des nobles. Ils contiennent les commérages et le scandale des anciens temps , et se bornent à-peu-près à cela. Il y a des histoires d'Angleterre, telles que celle du Dr. Goldsmith, à Vusage de la jeunesse ; mais après les avoir lues , les jeunes gens n'en sont guère plus instruits qu'au- paravant. Pour être d'une utilité grande et réelle, l'histoire doit nous apprendre comment les lois , les usages et les institutions se formèrent , les causes qui les firent naître , ^ effet qu'ils pro- duisirent sur le peuple ^ de quelle manière enfin ils contribuèrent au bonheur public y or , voilà précisément ce à quoi la plupart de ces hommes , qui prennent le titre d'historiens , n'ajoutent au- cune espèce d'importance.

39. Nous ne comprenons jamais si bien la na- ture et les parties constituantes d'une chose , que lorsque nous l'avons faite nous-mêmes ; si nous ne l'avons pas faite , il faut l'avoir vu faire ; mais si nous ne pouvons nous procurer aucun de ces deux avantages, nous devons, du moins, s'il est possible, chercher à en connaître la description et l'origine. Je vous entretiendrai d'abord de l'Église Catho- lique en général ; ensuite de l'Église en Angle- terre; et, sous ce chef, je comprendrai les parois- ses, les monastères, les dixmes et autres revenus de l'Église. Il est donc essentiel que je vous expli- que comment l'Église Catholique prit naissance , et comment les Églises, les monastères, les dixmes

3*

36 Réfor:vîe Protestante.

et les autres revenus de l'Église furent établis en Angleterre. Lorsque vous serez imbus de ces notions , vous concevrez parfaitement bien quels furent les objets sur lesquels se porta la dévasta- tîon d'Henri VIII , et des hommes de la " Ré- forme." Je suis même persuadé que , après avoir lu ce Numéro de mon opuscule , vous en saurez plus toucliant votre pays que vous n'en avez jamais appris , ou que vous n'en apprendrez jamais par la lecture de quelques centaines de ces livres volumineux qu'on appelle " Histoire d'Angle- terre."

40. L'Église Catholique tire son origine de Jésus-Christ lui-même. Il mit Pierre à la téie de son Eglise. Le nom de cet Apôtre était Simon; mais son ]\Iaître l'appela Pierre , qui signifie un rocher j \\r\e pierre , et il dit : " sur cette pier- re , je bâtirai mon Eglise " ( Voy. l'Evangile de St. Matthieu XVI. i8, 19, et celui de St. Jean XXI. 1 5 et suivans. ) Vous y verrez qu'il faut ou nier la vérité des Saintes Ecritures, ou avouer que Jésus-Christ lui-même promit un chef de l'E- glise à toutes les générations à venir.

41. St. Pierre mourut martyr à Rome, environ 60 ans après la naissance de Jésus-Christ ; mais il fut remplacé par un autre , et il est de la der- nière évidence que la chaîne de succession n'a pas été rompue , depuis cette époque jusqu'à ce jour. Lorsque dans le paragraphe 10 , j'ai dit qu'on pouvait m'ol^jecter qu'il n'y eut pas de

Lettre U. 37

Pape sur le siège de Rome pendant les trois pre- miers siècles , je n'ai jamais entendu admettre ce fait-, j'ai seulement voulu aller au devant d'un prétexte qui , dans tous les cas , ne saurait s'ap- pliquer à l'Angleterre , car ce roya.ume fut con- verti ou rendu Chrétien par des missionnaires envoyés par un Pape , successeurs d'autres Pa- pes, qui avaient déjà siégé à Rome pendant plu- sieurs siècles. La vérité est que, d'après les per- sécutions , que l'Eglise eut à souffrir pendant les trois premiers siècles , les Chefs-Évêques , suc- cesseurs de St. Pierre , n'eurent pes toujours les moyens de maintenir ouvertement leur supré- matie ; mais ils n'en existèrent pas moins sans interruption. Il y eut constamment un Chef- Èvêque y et sa suprématie fut toujours reconnue par l'Église , c'est-à-dire par tous les Chrétiens qui existaient alors dans le monde.

42. Plus tard , le Chef-Évêque a été appelé dans notre langue Pope, et en français Pape. En Latin, il est appelé Papa, qui est une union al)régée des deux mots Latins Pater Patrum ^ ce qui signifie Père des Pères. De est dérivé le nom de Papa , que les enfans de toutes les nations Chrétiennes donnent à leurs pères , et qui dénote le plus haut respect et l'affection la plus tendre , la plus sincère. Jâîinsi donc , chaque Pape, en montant successivement sur le siège, devint le chef de l'Église , et son pouvoir et son autorité suprêmes furent reconnus , ainsi que je

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l'ai remarqué dans le paragraphe 3 , par tous les évêques , et par tous les prédicateurs chrétiens de toutes les nations chez lesquelles cette religion existait. Le Pape était, et est encore assisté par un corps , dont les membres prennent le titre de Cardinaux ou Grands Conseillers; et, à diverses et nombreuses époques , il a été tenu des Conciles de l'Église, à l'effet de discuter et régler des affaires du plus haut intérêt pour l'unité et le bien-être de l'Église. Il a été tenu de ees Conciles dans tous les pays de la Chré- tienté; plusieurs même en Angleterre. Les Papes eux-mêmes ont été indifféremment élus parmi des hommes de toutes les nations Chrétiennes. Le Pape Adrien IV était Anglais , et le fils d'un pauvre laboureur. Il fut d'abord servant dans un monastère ; on l'y éleva , et il devint moine. Par la suite , il se rendit célèbre par sa science , ses talens et sa piété , et finit par devenir le Chef de l'Église.

43. La Papauté ou dignité du Pape, ne cessa pas d'exister à travers les grandes et nombreuses révolutions des royaumes et des empires. L'Em- pire Romain qui , au commencement de l'ère Chrétienne , était au faite de la gloire , et s'é- tendait sur presque toute l'Europe et une partie de l'Asie et de l'Afrique , tomba en lambeaux , mais la Papauté resta ferme et inébranlable ; et à l'époque la dévastation , communément ap- pelée la " Réforme " d'Angleterre commença ,

Lettre II, So

il avait déjà existé , pendant quinze siècles , en- viron deux cent soixante Papes, qui se succé- dèrent sans la moindre interruption.

44» L'histoire de l'Église cV^4ngleterre jus- qu'au temps de la " Réforme " , est un sujet de la plus haute importance pour nous. Un coup d'oeil, la seule esquisse des principaux faits sullira pour démontrer la fausseté , l'injustice et l'in- gratitude de ceux qui ont cherché à avihr l'É- glise Catholique , ses Papes , ses Moines et ses Prêtres. Quelques écrivains , appuyés par de bon- nes autorités, ont présumé que la Religion Chré- tienne fut introduite partiellement en Angleterre dès le second siècle après la naissance de Jésus- Christ. Mais ce qu'il y a de certain , c'est qu'elle y fut introduite avec le plus grand succès , en 596, c'est-à-dire, 928 ans avant que Henri VIII eût commencé à la détruire.

45. A l'époque cette religion y fut intro- duite , l'Angleterre était sous la domination de sept rois, et cet état était appelé Heptarchie. Tous les habitans étaient PAÏENS. Oui, mes Amis, nos ancêtres étaient PAÏENS. Ils adoraient des dieux faits de leurs propres mains, et sacrifiaient des enfans sur les autels de leurs idoles. L'An- gleterre se trouvait dans cet état, lorsque le Pape d'alors, Grégoire I, y envoya quarante moi- nes , avec le moine Austin ou Augustin à leur tête , prêcher l'Evangile aux Anglais. Jetez les yeux sur le Calendrier de notre Livre Ordinaire

4o Réforme Protestante.

de Prières , et vous y verrez le nom de Gré- goire LE Grand, sous la date du 12 mars, et celui d'AuGusTiN , sous celle du 26 Mai. Il est probable que c'est à la première de ces époques que le Pape donna ses ordres à Augustin, et que c'est à la dernière qu'Augustin débarqua dans le Comté de Kent; peut-être aussi ces deux jours- sont-ils les anniversaires de la naissance de ces deux grands bienfaiteurs de l'Angleterre.

j^6. Maintenant veuillez bien vous rappeler que ce grand événement eut lieu en 596. Les au- teurs Protestans ont été étrangement embarras- sés pour prouver f\yxe, jusqu'à cette époque, ou à-peu-près, l'Église Catholique ïwijmre , et mar- cha sur les traces des Apôtres ; mais que , de- puis lors, cette même Église devint corrompue. Ils louent le caractère , ils approuvent les actes du Pape Grégoire ; ils en font de même à l'é- gard d'Augustin; ils n'ont pu, par honte, omet- tre leurs noms dans le Calendrier, et cependant ils s'efforcent de prouver qu'il n'y eut pas de Religion Chrétienne 7;///-^^ du moment le Pape en devint le chef visible et reconnu , et fut en possession de l'autorité suprême. On a de la peine à en trouver deux qui soient d'accord sur ce point. Quelques-uns disent que ce fut 3oo, d'au- tres 400 , d'autres 5oo , d'autres enfin 600 ans auparavant, que l'Église Catholique cessa d'être la vraie Église du Christ. Toutefois aucun d'eux ne nie, ou plutôt n'essaie de nier, que ce fut

Lettre II. 4*

la religion Catholique , telle qu'on la professait* à Rome i que ce fut réellement la religion Ca- tholique Romaine qui fut introduite en Angle- terre, en 596, avec tous ses dogmes, ses rites, ses cérémonies et ses pratiques religieuses, tels qu'ils continuèrent d'exister j usqu'à l'époque de la " Ré- forme " et qu'ils existent dans cette Église même au jour nous sommes. Il suit évidemment de que si l'Eglise Catholique était corrompue à l'époque de la " Réforme ", ou est corrompue aujourd'hui ; si elle est radicalement mauvaise aujourd'hui , elle devait nécessairement l'être en 596; vient ensuite la conséquence, non moins horrihle qu'impie , mentionnée dans le paragra- phe 12 que " Tous nos pères qui construisirent d'abord nos églises, et dont la chair et les os ,, forment la terre, à plusieurs pieds de profon- deur dans nos cimetières, poussent maintenant des hurlemens affreux dans les régions des damnés. "

47. " On connaît l'arbre par son fruit. ^^ Ne perdez pas de vue que ce fut la foi Catholique telle qu'on la professe aujourd'hui , qui fut in- troduite en Angleterre par Grégoire le Grand; et bien pénétrés de ces faits , examinons quels furent les ejjets de cette introduction ; voyons comment cette croyance prit racine en dépit des guerres, des invasions, des tyrannies et des ré- volutions qui eurent lieu.

48. A son arrivée en Angleterre, St. Aug us-

42 Réforme Protestante.

tin s'adressa au roi Saxon , dans les États du- quel le Comté actuel de Kent était situé. Il obtint la permission de prêclier au peuple , et son succès fut aussi grand qu'immédiat. Il con- vertit le roi lui-même qui le prit en grande fa- veur , ainsi que ses frères , et leur fournit des habitations et tout ce dont ils avaient besoin , à Cantorbery. St. Augustin et ses frères , étant moines, vivaient en commun; et, de cette ha- bitation commune, ils se répandaient dans l'inté- rieur du pays, pour y prêcher l'Évangile. Comme leur communauté diminuait par le décès des mem- bres , on en ordonna de nouveaux pour les rem- placer, et, par la suite même, leur nombre aug- menta considérablement. On bâtit une Église à Cantorbery, et St. Augustin en devint naturelle- ment l'Éveque ou Chef-Prêtre. D'autres Évêques lui succédèrent. A mesure que le Christianisme fe- sait des progrès dans l'île, d'autres communautés, semblables à celle de Cantorbery , se formèrent dans d'autres villes, telles que Londres, Winches- ter, Excester, Worcester, Norvsdch, York, et plu- sieurs autres il existe maintenant des Cathé- drales ou des Évêchés. De provinrent dans la suite ces édifices nobles et majestueux , dont nous nous enorgueillissons , comme étant l'ou- vrage de Jios aïeux ^ tandis que, d'une part , nous sommes assez fous , assez injustes et assez inconséquens , pour flétrir la mémoire de ces mê- mes aïeux et de les taxer d'ignorance , de su-

Lettre II. 4^

perstition et d'idolâtrie, et que, de l'autre, nous déployons notre petitesse d'esprit , en défigurant et en dégradant ces nobles édifices par cette mul- tiplicité de monumens puérils qui , neuf fois sur dix , ne sont que le produit de la vanité et de la corruption.

49. A cette époque , le clergé subsistait au nioyen des offrandes ou dons volontaires, et quel- quefois par la dixjne que les propriétaires des terres payaient eux-mêmes, ou fesaient payer par leurs tenanciers, bien qu'il n'y eût aucune obli- gation générale de payer la dixme que long-temps après l'arrivée de St. Augustin. Le Clergé vécut pendant bien des années dans cet état de com- munauté. Par la suite , à mesure que les pro- priétaires des terres embrassaient le Christianis- nie , ils voulurent avoir des prêtres établis près (Feux , et toujours sur les lieux , prêts à célé- brer les saints mystères de leur religion. Les pro- priétaires des terres étaient alors en petit nond^re; c'est pourquoi , ils firent construire des églises sur leurs domaines , et , en général , tout près de leurs babilations, pour leur bien et celui de leurs vassaux et de leurs tenancieis. Voilà pour- quoi nous voyons aujourd'bui même, en beau- coup d'endroits , des églises de campagne qui tien- nent à la maison du seigneur ( gentleman ). En construisant une église ils bâtissaient aussi une maison pour le prêtre , c'est ce qu'on appelle aujourd'hui la maisoji près bjtéralc {i^av&onn^e )>

44 Réforme Protestante.

Quelquefois même on y joignait un champ , ou un pré, ou tous les deux, à l'usage du prêtre; c'est ce qu'on nommait sa glèbe ^ mot qui, dans son sens littéral , signifie la terre de dessus qui est tournée par la charrue. Conformément à l'u- sage établi dans les autres pays chrétiens , les propriétaires des terres fesaient donation aux égli- ses du dixième du produit de leurs domaines.

5o. Telle est l'origine des paroisses. Paroisse signifie juridiction du clergé , de même que le territoire d'une ville signifie la juridiction de cette ville; de sorte que le domaine du seigneur devint alors paroisse. Il se réserva le droit de nommer le pasteur, ou curé, lorsque son poste devenait vacant; mais il ne pouvait le déplacer, après qu'il avait été nommé; la dotation entière devenait la propriété de l'Eglise, et était indé- pendante de son autorité. Ce ne fut que long- temps après , deux siècles , et peut être plus , que cette coutume devint une loi permanence dans toute l'étendue du royaume; mais elle fi- nit par le devenir. Ce ne fut pourtant pas sans être soumise à certaines conditions importantes, que l'Église fut mise en possession de ces pro- priétés considérables ; or , c'est précisément sur ces conditions qu'il nous convient à nous , au- jourd'hui, de porter une attention particulière; car nous sentons , maintenant plus que jamais, le manque d'exécution de ces conditions.

5i. Il n'a jamais pu exister un état de société.

Lettre IL ^5

c'est-à-dire un état de choses sous lequel un mo- nopole de propriétés foncières fut reconnu et sanc- tionné par la loi. Un tel état n'a jamais pu exis- ter, sans que les propriétaires des terres fussent obligés àe preiidre soin des indigens et les empê- cher de mourir de faim. Les propriétaires des ter- res en Angleterre prenaient soin de leurs vassaux et des individus qui étaient sous leur dépendance. Mais lorsque le Christianisme, dont la base prin- cipale est la charité, fut établi dans le royaume, le clergé fut spécialement chargé de prendre soin des indigens. Au premier abord , il paraît mons- trueux , qu'on eût donné une maison , une petite métairie , et la dixième partie du produit d'un domaine considérable à un prêtre qui ne pouvait avoir de femme et , par conséquent , point d' en- fans. Mais le fait est que les dotations avaient un autre but, outre celui de l'entretien du clergé. Le produit du bénéfice devait être employé de la manière suivante : " Les prêtres recevront la " dixme du peuple, et tiendront un compte exact " de toutes les sommes qui seront versées dans " leurs mains ; ensuite ils en feront la distribu- " tion en présence de tels individus qui crain- " dront Dieu, conformément à l'autorité cano- " nique. Ils consacreront la première partie aux " réparations et aux ornemens de l'église ; ils " distribueront la seconde de leurs propres mains, " avec miséricorde et humilité , parmi les pau- " vres et les étrangers , et ils réserveront la

^6 Réforme Protestante.

" troisième pour leurs propres besoins. " Tels furent les ordres d'un évêque d'York dans un mandement qu'il publia. On adopta des régle- mens un peu dillérens , à diverses époques et sous divers évêques -, mais il y eut constamment deux quarts , au moins , du produit annuel du bénéfice réservé pour les indigens et pour les réparations , ainsi que pour les ornemens de l'é- glise.

52. Ainsi le soulagement des pauvres devint un des grands devoirs et des premières coutume3 de l'Eglise. Avant son établissement, les proprié- taires des terres étaient chargés de remplir ce devoir. Ils devaient nécessairement l'être ; car , ainsi que Blakstone l'observe , " l'indigent a le " droit de demander à la partie la plus opulente ** de la communauté de quoi fournir à ses be- *' soins j c'est un droit dicté par les principes " de la société. " Cette tâche ne pouvait être confiée à des hommes plus convenables que le clergé ; car , en remplissant ses devoirs envers Dieu , il accomplissait l'œuvre de charité , il don- nait à manger à ceux qui avaient faim , et des "vêtemens à ceux qui étaient nuds ; il soignait ceux qui n'étaient pas en santé, consolait la veuve et était l'appui de l'orphelin. De cette manière, la main sûre, charitable et impartiale d'un homme dont la résidence était fixe , d'un célibataire qui était chargé d'administrer des secours corporels et spirituels aux pauvres , aux malheureux et

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aux étrangers , fut substituée à la disposition in- ceitaiiie , à la charité précaire et capricieuse des riches.

53. Nous verrons bientôt dans quelle condition les pauvres étaient placés; nous verrons comment toutes les classes ouvrières lurent appauvries et dégradées , du moment la dixme et les autres revenus de l'Eglise furent transférés à un clergé Protestant et marié ; et nous aurons en même temps occasion de voir , dans tout son jour , la barbarie inouie avec laquelle le peuple Irlandais fut traité à cette époque \ mais je n'ai pas en- core parlé d'une grande branche ou partie con- stituante de l'Eglise Catholique , je veux dire , des monastères , qui présentent un sujet plein d'intérêt et digne de notre plus grande atten- tion. Les traits les plus malins, les plus empoi- sonnés, distillés par la malice des écrivains pro- testans sont toujours choisis, lorsqu'ils entrepren- nent de tourner en ridicule les Moines, les Re- ligieux mendians et les Nonnes. Nous avons vu Blackstone parler de " Vignorance et de la superstition des moines^ '' et nous entendons, tous les jours, des ministres et des évêques Pro- testans tourner en ridicule ce qu'ils appellent la Moinerie, parler de bourdons dans les monas- tères , avilir enfin toutes ces anciennes institu- tions , comme faites pour dégrader la nature hu- maine-, et à toutes ces invectives se joignent celles de trente ou quarante sectes métisses dont les

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trompettes bruyantes sont placées à chaque coin du royaume.

54- Lorsque j'aurai à parler des moyens dont on se servit pour voler , dévaster , et détruire les monastères en Angleterre, je ferai voir com- bien sont injustes , viles et déloyales , j'ajouterai même sottes , les railleries qu'on se permet con- tre les moines. Je ferai voir sous combien de rap- ports différens ils furent très-utiles à la com- munauté ; je démontrerai même combien ils ont opéré en faveur des classes ouvrières et pauvres du peuple. Mais, ici, je me contenterai de tracer, aussi succinctement qu'il me sera possible , l'ori- gine et la nature de ces institutions , de faire voir à quel point elles s'étendirent en Angleterre. 55. Monastère signifie un lieu résident des Moines , et le mot moine vient d'un mot grec qui signifie une personne isolée ou une personne qui vit dans la solitude. Il y avait des moines , des religieux mendians , et des nonnes. Le mot frère vient du mot \diûv\ frater , en Anglais bro- ther , et le mot nonne , en Français , signifie une sœur en religion , une vierge séparée du monde. Les hommes ou femmes qui composaient une de ces communautés religieuses, s'appelaient couinent ; quelquefois même on donnait ce nom aux bâtimens et aux enclos dans lesquels rési- dait la communauté. La résidence des moines s'ap- pelait monastère ; celle des nonnes un couvent de religieuses. Gomme , néanmoins , nous n'a-

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Lettre IL 49

vons pas à traiter ici de la différence qui pou- vait exister dans les rcglemens , les ordres et les coutumes des personnes qui appartenaient à ces institutions, je les comprendrai tous sous le nom de monastères.

56. Quelques-unes de ces maisons étaient ap- pelées ahhayes ^ d'autres , des prieurés. Il suf- fira de dire qu'il n'y avait d'autre différence entre elles, si non que les premières étaient d'un j^aiig supérieur aux dernières et qu'elles jouissaient de privilèges d'un grand prix. Une abbaye avait à sa tète un abbé ^ ou une abhesse ^ un prieuré, un prieur , ou une prieure. Il y avait aussi plu- sieurs ORDRES de moines , de religieux y et de nonnes ; et ces ORDRES avaient différens régie- mens pour leur gouvernement intérieur et leur genre de vie \ ils étaient aussi distingués par leur habillement. Au reste , nous n'avons guère que faire ici de ces distinctions; car nous verrons bien- tôt tous ces corps enveloppés dans une dévastation commune.

57. Les individus attachés à un monastère vi- vaient en commun ,♦ ils vivaient sous un seul et même toit. Ils ne pouvaient posséder aucune propriété individuellement. En entrant dans les murs du monastère , ils renonçaient entièrement au monde et faisaient un vœu solennel de célibat; ils ne pouvaient rien léguer par testament ; cha- cun d'eux n'avait qu'une simple jouissance via- gère , et rien de plus , dans les revenus qui ap-

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5o Réforme Protestante.

partenaient à la communauté. Quelques-uns des moines et des religieux étaient en même temps prêtres ; mais pas tous ; et la principale occu- pation de la communauté était de dire des mes- ses , de réciter des prières , et de faire des actes d' hospitalité et de charité.

58. Des individus s'isolèrent entièrement du monde et commencèrent par adopter ce genre de vie; ils vivaient dans une solitude complète, passaient les jours entiers à prier , et se vouaient entièrement au service de Dieu. On donnait à ceux-ci le nom d'hermites ; et leur conduite leur attirait le plus grand respect. Par la suite , ces liermites , ou d'autres hommes qui avaient la même vocation , se formèrent en sociétés , con- vinrent de vivre sous le même toit et de tout posséder en commun. Les femmes en firent au- tant \ et de provinrent ces lieux appelés mo- nastères. La piété, l'austérité et surtout les oeu- vres de bienveillance et de charité exercées par ces individus les rendaient des objets d'une grande vénération ; et , par la suite , ils devinrent les intermédiaires de la bienfesance des riches en- vers les pauvres. Des rois, des reines, des princes, des princesses , des nobles et des seigneurs fon- dèrent des monastères; c'est-à-dire qu'ils bâtirent des édifices et leur assignèrent des terres pour leur entretien. D'autres , soit pour expier leurs péchés , soit par quelque autre mouvement de piété , donnèrent , pendant leur vie , ou à leur

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lit de mort, des terres, des maisons, ou de l'ar- gent aux monastères déjà érigés. De telle manière que, par la suite du temps, les monastères devin- rent propriétaires de domaines considérables. Ils étaient seigneurs d'innombrables fiefs et avaient des tenemens d'une étendue prodigieuse , sur- tout en Angleterre , oii les ordres monastiques furent toujours en grande vénération , parce que ce fut une communauté de moines qui introduisit le Christianisme dans le royaume.

59. Pour vous donner l'idée la plus exacte que je pourrai de ce qu'était un monastère, je vais vous faire une description , aussi fidèle que ma mémoire le permettra , d'un édifice de ce genre que je vis en France, en 1792, immédiatement après que les moines en fuient expulsés , et au moment il allait être mis en vente. Sa cir- conférence close d'un mur de 20 pieds de haut, était d'environ huit acres anglais. C'était un carré oblong. A l'extrémité d'un des côtés, était un grand portail avec un passage pour les voitures et des portes-cochères aussi élevées que les murs, au milieu desquelles était une petite porte pour l'entrée et la sortie des piétons. Le grand portail donnait entrée à une cour spacieuse , proprement pavée. D'un côté, et à l'extrémité de cette cour, étaient la cuisine , les logemens pour les domes- tiques , un réfectoire pour eux , pour les étran- gers et pour les pauvres, des écuries, des remi- ses et divers autres bàtimens. De l'autre côté de

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52 Réforme Protestante.

la cour 5 se trouvait une porte qui nous con- duisit dans les logemens des moines. Il y avait ici un terrain carré d'environ un demi-arpent qui servait de cimetière. Sur les quatre côtés de ce carré était un cloître , dont le toit , du côté du cimetière , était supporté par des piliers , et sur le derrière, par un bâtiment peu élevé, qui fesait le tour des quatre façades. Dans ce bâtiment se trouvaient les dortoirs ou chambres à coucher des moines. Chaque moine avait deux pièces , une qui lui servait de chambre à coucher , et l'autre de cabinet. Dans la chambre de derrière était une porte qui donnait dans un petit jardin d'environ 3o pieds de largeur sur 4o de longueur. A l'un des côtés du cloître , on voyait une seconde porte qui donnait entrée au réfectoire se trou- vait un pupitre , du haut duquel un moine fe- sait la lecture pendant que les autres mangeaient en silence , conformément aux réglemens des CHARTREUX auxquels ce couvent appartenait. De l'autre côté du cloître , une porte donnait dans un jardin potager parfaitement bien tenu , et dans lequel on voyait une quantité d'arbres fruitiers. Enfin dans le quatrième côté du cloître était une autre porte qui conduisait à l'église , laquelle, quoique petite, était une des plus jolies que j'aie jamais vues. Je crois que, d'après leurs statuts , les moines ne pouvaient jamais sortir de leur couvent. Les gens de la campagne parlaient de ces moines avec le plus grand respect , et

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regrettaient vivement leur peile. Ils avaient des propriétés considérables , et fournissaient entiè- rement aux besoins des pauvres, à plusieurs mil- les à la ronde.

60. L'Angleterre était peut-être le pays de l'Eu- rope où de semblables institutions étaient les plus communes , et plus ricliement dotées que par- tout ailleurs. L'un dans l'autre , il y avait plus de vingt établissemens de ce genre dans chaque comté. Nous en verrons bientôt le nombre exact. C'était donc une riche proie pour un tyran cruel et injuste , et à laquelle les Messieurs de la " Réforme " pouvaient espérer d'avoir une bonne part. Il y avait de quoi engager les vo- leurs en grand à jeter les hauts cris contre " r ig- norance et la superstitioji des moines. " Il ne faut donc pas s'étonner si le cœur des Granmer, des Knox et de toute leur clique métisse, était mu de compassion en jetant leurs chastes yeux sur toutes les fermes , sur tous les fiefs et sur tous les ornemens d'or et d'argent qui apparte- naient à ces communautés. Nous verrons bien- tôt avec quelle joie ils les renversèrent, les pil- lèrent et les détruisirent. Nous verrons comment ils saccagèrent , sous les plus vils prétextes , jus- qu'aux autels des églises paroissiales, jusqu'aux plus insignifiantes de ces églises, que dis-je? jus- qu'à la valeur de cinq schellings. Mais nous devons d'abord peser les motifs qui engagèrent le tyran Henri VIII à mettre en mouvement leurs moyens dévastateurs.

54 Réforme Protestante.

6 1 . Ce roi succéda à son père , Henri Vil , en l'an i Sog. Il eut en partage un royaume grand et prospère, des trésors considérables, un peu- ple heureux et satisfait , qui s'attendait à trou- ver en lui la sagesse de son j^ère , exempte de l'avarice qui semblait avoir été le seul défaut de l'auteur de ses jours. Henri était âgé de i8 ans lorsque son père mourut. Henri VIII avait eu un frère aîné, nommé Arthur qui, dès l'âge de douze ans , avait été fiancé à Catherine , qua- trième fille de Ferdinand, roi de Castille et d'A- ragon. Lorsque Arthur eut atteint l'âge de qua^ iorze ans , la Princesse vint en Angleterre , et l'on célébra le mariage; mais Arthur, étant très- jeune, faible et maladif, mourut avant la fin de l'année; et le mariage ne fut jamais consommé. Et , en effet , qui pourrait croire qu'il le fût ? Henri voulut épouser Catherine, et les parens respectifs donnèrent leur consentement à ce jnariage ; mais il n'eut pas lieu avant la mort de Henri VU. Aussitôt que le jeune roi fut monté sur le trône , il prit des mesures pour se marier. Catherine étant, bien que nominalement, la veuve de son frère, il fallut obtenir du Pape, comme chef de l'Église , une dispense qui rendit le mariage valide aux yeux de la loi canonique. Comme il n'y avait aucun obstacle légal à la dispense , on l'obtint facilement et le mariage fut célébré, à la grande joie de la nation entière, dans le mois de Juin 1609, c'est-à-dire, moins

Lettre II. 55

de deux mois après l'avènement du roi au trône.

62. Henri vécut dix-sept ans avec cette prin- cesse qui était belle dans sa jeunesse, et qui possé- dait des vertus supérieures de tous les genres ; il en eut trois fds et deux filles. Un seul de ces cinq enfans survécut. Ce fut Marie , qui devint ensuite reine d'Angleterre. Au bout de 17 ans de mariage , le roi n'en ayant que 35 et la reine 43 , ce monarque jeta son dévolu sur une dame d'honneur de son épouse, appelée Anne Boylen, et feignit de croire tout-à-coup qu'il vivait dans le péché y parce qu'il avait épousé la veuve de son frère , bien que, comme on l'a déjà vu, le mariage n'eût jamais été consommé ; que les pa- rens des deux parties eussent donné leur con- sentement à ce mariage ; que le conseil du roi lui-même l'eût approuvé d'une voix unanime ; que le Pape, comme chef de l'Église, l'eût sanc- tionné , et qu'enfin les cérémonies et les prati- ques religieuses , dont Henri lui-même avait été le zélé défenseur depuis son mariage , eussent été régulièrement observées.

63. Mais les passions du tyran avaient été sou- levées , et il résolut de satisfaire son inconti- nence brutale y au prix de sa réputation, et quoi- qu'il en pût coûter d'or ou de sang. Il adressa d'abord au Pape sa demande en divorce. Le Pape l'aimait beaucoup, il était très-puissant et il ap- puya sa demande de plusieurs autres motifs éga- lement forts y mais cette demande était pleine

56 Réforme Protestante.

d'injustice; et il eut été si cruel envers une reine si vertueuse de l'accorder , que le Pape ne put et ne voulut jamais y consentir. Dans l'espoir néanmoins que le tyran se relâcherait avec le temps , le chef de l'Eglise ordonna que son légat et Wolsey tinssent une Cour en Angleterre, pour y entendre et résoudre la question. La reine no voulut pas s'abaisser au point de paraître devant cette Cour ; et le légat l'ayant dissoute , renvoya la décision de la question au Pape , qui refusa de nouveau son consentement au divorce. Le tyran devint alors furieux; il résolut d'abbattre la puis- sance du Pape en Angleterre , de se constituer , lui-même , chef de l'Eglise , et de faire tout ce qui d'adleurs pourrait être nécessaire pour se livrer sans frein à sa concupiscence brutale , et assouvir sa vengeance.

64. En se faisant chef suprême de l'Église , Henri VllI se rendit maître de tous les biens qu'elle possédait , sans en excepter ceux des monastères , parce qu'il avait à ses ordres l'é- pée et la potence. Ses conseillers et ses courtisans en pressentirent les suites ; et comme on découvrit bientôt qu'une confiscation en masse allait avoir lieu , le parlement ne fut pas en arrière pour seconder ses desseins , parce que chacun de ses membres espérait participer au pillage. Le pre- mier pas fut de faire des actes tendans à ôter au Pape tout pouvoir et toute autorité sur l'É- glise , et à donner au roi toute autorité quel-

Lettre II. 5n

conque en malières ecclésiastiques. Son conseil- ler et son instigateur principal fut Thomas Cran MER, homme digne d'une exécration éter- nelle, et dont nous ne saurions prononcer le nom sans douter, pour ainsi dire, de la justice divine, si nous ne savions pour certain que ce scélérat, aussi perfide qu'impie, expira au milieu des flam- mes qu'il avait tant contribué à allumer.

65. Le tyran étant maintenant devenu Pape et Roi, nomma Cran mer à Y .Archevêché de Can- torhery qui venait d'être vacant; et ce vil ins- trument de la volonté royale dévint par conséquent chef-juge dans toutes les aflaires ecclésiastiques. Mais il se présenta un obstacle. Le tyran pro- fessait encore la religion Catholique; et, le nou- vel archevêque devant être consacré d'après les formes pontificales , se voyait forcé par cela même de jurer obéissance au Pape. Ceci donna lieu à un arrangement qui nous fera voir , d'un seul trait, de quelle trempe étaient Messieurs les fau- teurs de la " Réforme. " Avant de se présen- ter à l'autel pour être consacré, Cranmer passa dans une chapelle qI jura sur l'autel que, par le serment qu'il allait prêter et qu'il était en effet obligé de prêter pour la forme y il n'avait réellement pas l'intention de s'obliger à faire quoi- que ce fut qui pût tendre à empêcher le roi de faire telles '^'^ réformes '' qu'il jugerait utiles à l'Église d'Angleterre. J'ai connu jadis un fri- pon du pays de Galles , qui ayant prêté sciem-

58 Réforjvie Protestante.

ment un faux serment ( ainsi qu'il Vapoua en particulier , devant un comité d'élection de la chambre des Communes ) fut interrogé sur le motif qui avait pu le décider à rendre un pa- reil témoignage? Il donna pour raison " qu'avant de sortir de chez lui dans la matinée , il avait fait serment de se parjurer dans le courant du jour. " Il est probable que cet honnête homme était imbu des principes de ce même Archevê- que , qui aujourd'hui occupe le plus haut rang dans le livre mensonger du menteur Fox sur les Martyrs Protestans.

ÇiÇ). Le monarque , s'étant pourvu d'un juge si célèbre en matières ecclésiastiques , ne perdit pas de temps à lui soumettre la position pénible il se trouvait et à lui demander justice. Il était dur et pénible en effet d'être forcé de vivre avec une épouse de quarante-trois ans , quant pour la peine seulement de le demander , il pouvait en avoir une de dix-huit à vingt. Le cas était vraiment dur et il était naturel que le roi cherchât du soulagement y avec tout l'empressement possi- ble maintenant qu'il avait un juge si droit eiû im- partial. Ce que je vais rapporter maintenant de la conduite de cet Archevêque etdes autres individus impli([ués dans cette affaire, suffirait pour nous faire frémir d'horreur , pour nous soulever le cœur de dégoût , pour nous faire tomber ce papier des mains et nous détourner d'aller plus loin. Il ne faut pourtant pas céder à ces sentimens, si nous

Lettre IL 59

désirons connaître la vraie historié de la " Ré- forme " Protestante. Nous devons conserver notre sang-froid ; nous devons raisonner d'après l'im- pulsion ordinaire ; nous devons, en un mot, im- poser silence à la nature pour un moment ; car , du commencement jusqu'à la fin , nous ne ver- rons rien qui ne soit fait pour nous remplir d'hor- reur et de dégoût.

67. Il y avait déjà quatre ou cinq ans que le roi et Cran MER ruminaient le projet du dii^orce ; mais, en attendant, le monarque avait entretenu Anne Boylen, ou, pour me servir d'une locution moderne , elle avait été " sous sa protection " pen- dant environ trois ans. Maintenant permettez que je vous fasse remarquer que le Dr. Bayley, dans sa vie de l'Evêque Fisher, assure en termes précis qu'ANNE Boylen était la propre tille de Henri VIII , et que Lady Boylen, sa mère , dit au roi , au moment il était sur le point de l'é- pouser. " Sire , pour l'amour de Dieu , prenez " garde à ce que vous faites en épousant ma " iille ; car , si vous faites un retour sur votre " conscience , vous vous souviendrez qu'elle est " aussi bien votre propice fille que la mienne." A quoi le roi répondit , " N'importe de qui elle soit la fille, elle n'en sera pas moins ma femme." Pour ce qui me concerne , je déclare que \'a~ joute foi à ce fait, mais je ne le donne pas comme une vérité incontestable. Lorsque je le trouve consigné dans les écrits d'un homme qui était,

6o Réforme Protestante.

avec raison , le panégyriste de l'excellent évêque FiSHER , lequel se voua à la mort pour défen- dre courageusement la cause de la Reine Ca- therine, j'ai lieu de le croire; mais, encore une fois , je ne le donne pas , comme les autres faits que je rapporte , pour une vérité incon- testable. Dieu sait , d'ailleurs , combien il est inutile de rendre ces hommes plus noirs qu'ils ne sont dépeints par les historiens protestans eux- mêmes, lors même qu'ils nous rappellent dans des termes favorables leurs horribles actions.

68. Il y avait trois ans que le roi avait Anne '■'■ sous sa protection, " lorsqu'elle devint enceinte pour la première fois. Il était donc pleinement temps " d'en faire une honnête femme. ^' Un mariage secret eut lieu en i533. Comme sa gros- sesse ne pouvait plus être cachée , il fallut aussi avouer le mariage. C'est pourquoi on pressa le •procès du divorce -, car il aurait paru singulier y même aux hommes de la " Réforme " de voir le roi vivre dans la bigamie. Ce fut donc alors que le fameux juge ecclésiastique, Cranmer, eut à commencer à jouer son rôle ; et , si son hypocrisie ne fit pas rougir le diable , c'est que le diable n'était par doué de la faculté de rougir ( blushing faculties ). Dans le mois d'avril i533 , Cranmer écrivit une lettre au roi, le suppliant au nom de la Nation et pour le salut de son âme , de lui accorder la permission de juger la ques- tion du divorce , en lui représentant le danger

Lettre IL Qi

de vivre plus long-temps dans un " état d'f/z- ceste. ^^ Incomparable , étonnante hypocrisie ! Cranmer savait , et le roi savait que Cranmer savait ; et Cranmer savait que le roi savait que Cranmer savait, que Henri VIII, avait épousé Anne, trois mois auparavant y et qu'elle était enceinte à l'époque il l'avait épousée.

69. Le roi condescendit , açec grâce , a sui- vre cet avis spirituel de son pieux primat , et fut si inquiet du salut de son ame royale que, en sa qualité de chef de l'Eglise, il accorda, sans délai , au père spirituel CRANJMER qui , contre le vœu qu'il avait fait en entrant dans les ordres ecclésiastiques , avait en particulier une femme à lui ^ le roi, dis-je , accorda à ce père spirituel la permission de tenir une Cour ecclé- siastique, pour y décider la question du divorce. La Reine Catherine, qui avait reçu ordre de ne plus paraître à la cour, résidait à cette épo- que à Ampthill, dans le Bedfordshire, à peu de distance de Dunstable. C'est dans ce der- nier lieu que Cranmer ouvrit sa cour , d'où il somma la Reine de paraî-re devant lui , mais elle traita sa sommation avec le mépiis qu'elle méritait. Lorsque sa Cour eut resté ouverte le nombre de jours requis par la loi , il prononça sa sentence contre la Reine , par laquelle il dé- clara son mariage avec le roi nul dès le prin- cipe. Après avoir prononcé cette sentence , il ferma sa cour burlesque. Nous le verrons faire

62 Réforme Protestakte.

d'autres petits traits de ce genre , mais c'est ainsi qu'il termina son premier coup d'essai.

•yo. Le résultat de ce procès , d'après la dé- cision de cet incomparable juge , fut communi- qué au Roi par cet étrange hypocrite qui le supplia , gravement , de se soumettre at^ec 7'é- signation à la volonté de Dieu que lui avait fait connaître la décision de la cour spirituelle , après avoir agi conformément aux lois de la sainte Église. Ce monarque pieux et soumis se rési- gna, en effet, et alors Granmer tint une au- tre cour à Lambeth, dans laquelle il déclara que le Roi avait été légalement marié à Anne BoYLEN, et qu'il confirmait le mariage, en verlu de son autorité pastorale et juridique qu'il te- nait des successeurs des apôtres. Nous verrons bientôt ce même Archevêque exercer la même autorité , pour déclarer ce second mariage nul et comme non avenu dès le principe , et prêter son assistance pour en rendre le fruit illégitime. Nous suivrons maintenant M"^®. Anne Boylen, que les écrivains Protestans s'efforcent de blan- chir , jusqu'à ce que nous soyons parvenus à la fin de sa carrière.

-y I . Elle mit au monde une fille , ( qui fut ensuite la Reine Elisabeth ) huit mois après son mariage. Le roi n'en fut point satisfait, parce qu'il désirait un fils , et il fut assez dénaturé pour lui en témoigner son mécontentement. Les époux continuèrent à vivre ensemble pendant

Lettre îL 63

tî'ois ans , sans se quereller , du moins osten- siblement , ce qui est assez remarquable , si nous considérons le grand nombre d'obstacles que le vice oppose au repos et au bonbeur. Le mari , toutefois , ne resta pas oisif. Se trouvant mainte- nant Chef de l'Église ^ il avait assez de besogne sur les bras. Il s'était imposé , le pauvre bomme , la tacbe pénible de faire une nouvelle religion , de composer de nouveaux articles de foi, de nou- veaux réglemens de discipline, il avait enfin mille autres cboses de tous les genres à disposer. Il était occupé , en outre , comme nous le verrons dans le procbain numéro , à faire décapiter , pendre , mettre en pièces ou écarteler , quel- ques-uns des plus dignes bommes de son royaume, ou qui eussent jamais existé dans tout autre royaume ou pays quelconques. Il avait aussi , comme nous le verrons , commencé la grande œu- vre de confiscation, de pillage et de dévastation ; ensorte qu'il n'avait guère de temps à perdre en querelles de famille.

72. Si, cependant, il n'avait pas le temps de se cbamailler avec Anne, il n'en avait pas non plus assez pour la surveiller , ce qui n'est pour- tant pas à négliger, lorsqu'un bomme épouse une femme plus jeune que lui de moitié ; et nous allons voir que cette " grande réformatrice " ( c'est le nom que les écrivains Protestans lui donnent ) avait un peu besoin de vigilance ma- ritale. Ses maiiières libres, pour ne pas dire dis-

64 Réforme Protestante.

solues , si différentes de celles de la vertueuse Reine que la Cour et la Nation Anglaise avaient eue pour modèle, pendant tant d'années, scan- dalisèrent les personnes les plus sensées , et ex- citèrent les railleries , ou plutôt donnèrent lieu a jaser à celles d'un caractère opposé. En Janvier i53G, la Reine Catherine mourut. Elle avait été bannie de la Cour. Elle avait vu son mariage annullé par Cranmer , et sa fdle , son unique enfant survivant , rendue illégitime par acte du Parlement. Le roi , dont elle avait eu cinq en- fans^ ce mari de la " Réforme " avait eu la bar- barie de la tenir éloignée de sa 'fille , et de ne jamais souffrir , après son bannissement , qu'elle jetât les yeux sur cette enfant. Cette Reine mou- rut , comme elle avait vécu , chérie et révérée de tout ce qu'il y avait de bon et d'honnête dans le royaume , et fat enterrée au milieu des san- glots et des larmes d'un immense concours de peuple , dans l'Église de l'Abbaye de Peterbo- rough.

73. Le roi , dont le cœur d'airain , à ce qu'il paraît , fut attendri , pendant quelques instans , par la lettre très-affectueuse qu'elle lui adressa de son lit de mort , ordonna aux personnes qui l'entouraient de porter le deuil , le jour de son enterrement. Mais notre fameuse " Réforma- trice " , loin de prendre le deuil , affecta de se parer de ses habits les plus élégans et les plus somptueux , exprima sa joie excessive , et s'écria

Lettre II. 65

qu'enfin elle était réellement devenue Reine. Hé- las ! Celle " grande Réformatrice " ne survécut elle-même que trois mois et seize jours à sa joie. Elle mourut aussi , non pas comme la vraie Reine était morte , dans son lit , vivement re- grettée de toutes les âmes droites et sans qu'homme vivant pût lui imputer un seul vice ; mais sur un échafaud y par un arrêt de mort signé de la main de son propre mari, et accusée de tra- hison, ^adultère et ^inceste.

74. Dans le mois de Mai 1 536, assistant avec le Roi à un tournoi , à Greenwich , Anne lâcha par mégarde un signe d'affection à un des com- battans , qui était aussi son amant, et ce signe suffit pour confirmer dans l'esprit du Roi des soupçons qu'il avait déjà entretenus à ce sujet. Il revint sur-le-champ à Westminster, donna ordre de l'enfermer , ce soir-là même , à Green- v^ich , et de la ramener, par eau, le lendemain à Westminster. Chemin fesant , un nouvel ordre survint pour qu'on la conduisît à la Tour; et, comme si l'on avait voulu lui rappeler l'injustice dont elle s'était rendue coupable en contribuant , de tout son pouvoir , à l'emprisonnement de la vertueuse Reine décédée , comme si l'on avait voulu lui dire : " Voyez , après tout , Dieu est juste " ; elle fut enfermée dans l'appartement

même elle avait passé la nuit qui précéda son couronnement.

75. Du moment elle fut incarcérée, sa con-

66 FiÉFOR.ME PROTESTANTE.

duite ne fut nullement celle d'une femme qui n'a rien à se reprocher. Elle fut accusée d'a- dultère avec quatre seigneurs de la maison du roi, et àHnceste avec son frère, lord Rochford; par conséquent de trahison , puisque ces cri- mes étaient réputés tels par la loi. Ils furent tous atteints et convaincus , et mis à mort. Mais avant l'exécution d'AwNE, notre ami, Thomas Cranmer, eut une autre rude corvée à rem- plir. Le roi , qui ne fesait jamais les choses à demi , en sa qualité de " Chef de FÉglise " ordonna à l'Archevêque de tenir " sa Cour spi- rituelle " à l'effet de prononcer son divoj^ce avec Anne. On aurait de la peine à croire que cet homme, ou un être qui portait le nom d'homme, eût pu consentir , ou plutôt ne fut pas mort à petit feu, plutôt que de consentir à prononcer une pareille sentence. Quoi! Nous avons vu, dans le paragraphe 70 , qu'il avait déclaré que le ma- riage du Roi avec Anne était légal ^ et par son autorité juridique et pastorale qu'il tenait des successeurs des apôtres _, il l'avait confirmé tel , et maintenant nous le voyons annuller ce même mariage? Gomment allait-il le déclarer illégal? 76. 11 somma le Roi et la Reine à paraître de- vant sa " Cour. " Oh ! quelle Cour ! Sa somma- tion portait que leur mariage avait été illégal , qu'ils vivaient dans un état d'AouLTÈRE et que pour le salut de leurs âmes ils eussent à pa- raître et dire pourquoi ils ne seraient pas séparés.

Lettre II. 67

Us allaient en effet être séparés \ car ceci se passa le 17 mai, et Anne, qui avait été condamnée à mort le i5 , devait être, et fut réellement exécutée le 19. Us obéirent à la citation , et s'y firent représenter l'un et l'autre , par procura- tion. Après les avoir entendus, Cranmer, le même homme , remarquez bien , qui par la suite mit en ordre le Livre Ordijiaire de Prièi^es , couronna cette scène d'impiété , en déclarant , " au nom du Christ et pour Vhon?ieur de Dieu'''' que le mariage était et avait toujours été nul et comme non avenu. Bon Dieu! Mais cessons nos ex- clamations , si nous ne voulons être interrompus à chaque pas. Ainsi la fille de Henri VIII, et de Anne Boylen, fut déclarée illégitime par le même homme qui , non-seulement avait prononcé la validité du mariage de sa mère, mais qui en avait même été le fauteur. Et cependant Burnet a l'impudence de dire que Cranmer paraît avoir agi dans toute cette affaire en bonne conscience. Oui , avec la même conscience que Burnet lui- même déploya dans les actes qui lui valurent l'Evèché de Salisbury , dans le temps de " Glo- rieuse Mémoire y " qui , ainsi que nous allons le voir , n'était pas sans rapport avec la " Ré- forme."

77. Le 19, Anne fut décapitée dans la Tour, mise dans un cercueil d'orme , et enterrée dans le même endroit. Au moment de l'exécution , elle ne prétendit pas être innocente j, il y a

5*

68 Réforme Protestante.

même tout lieu de croire qu'elle était coupable de quelques-uns des délits qu'on lui attribua ; mais si son mariage avec le roi avait toujours été nul et comme non avenu y c'est-à-dire , si elle n'avait jamais été son épouse , comment , en s'adonnant à d'autres hommes, avait-elle pu se rendre coupable de trahison? Le i5, elle est condamnée comme épouse du Roi ; le 17 , on déclare qu'elle ?i'a jamais été son épouse ; et le 19, elle est exécutée pour lui avoir été in- fidèle. Du reste , à l'égard de l'effet que cet événement produisit sur le caractère de la " Ré- forme ," il importe peu ou point qu'elle fût cou- pable ou non des crimes dont on l'accuse main- tenant, car si elle était innocente, quel nom donnerons-nous aux monstres qui portèrent sa lête sur le billot? Quel nom donner à ce " chef de l'Eglise " et à cet Archevêque qui eurent dès- lors le maniement des affaires religieuses en Angleterre ? On assure que , la veille de son exécution , elle pria la femme du lieutenant de la Tour d'aller auprès de la Princesse Marie, et de la supplier, en son nom , de lui pardonner tous les torts qu'elle avait eus envers elle. Elle en avait eu aussi de bien grands envers beau- coup d'autres. Elle avait été la cause, et la cause volontaire que la Reine était morte de chagrin. Elle avait fait répandre le sang de More et de Fisher; elle avait été la Protectrice de Cranmer, son aide et son instigatrice dans tous les conseils

Lettre IL 69

adroits et pernicieux d'après lesquels un roi obstiné et cruel avait plongé le royaume dans le désordre et dans le sang. Le roi, soit pour montrer le peu de cas qu'il fesait d'elle , soit pour reconnaître en quelque sorte la manière , dont elle s'était conduite , le jour de l'enterre- ment de Catherine, s'habilla en blanc y le jour de son exécution-, et le lendemain, il célébra son mariage avec Jane Seymour dans le châ- teau de Marevell, dans le Hampshire.

78. Ainsi, mes Amis, nous avons vu, com- ment ce qu'on appelle la " Réforme " fut en- gendré par une incontinence brutale , et accom- pli par Vhjjjocrisie et la perfidie. Nous verrons, plus tard, comment elle procéda dans ces dé- vastations , et dans la destruction de plusieurs innocentes victimes.

'JO Réforme Protestante.

N.o m.

LETTRE in.

Résistance aux mesures du roi. Effets de l'abolition de la suprématie du Pape. ]\IoRT de Sir Thomas More et de l'Evèque Fisiier. JNIassacres horjubles des Catholiques. Luther et la nouvelle Religion. Catholiques et Protestans brûlés dajjs le même

BUCHER.

Conduite exécrable de Cranmer. Titre de Défenseur de la foi.

Mes Amis , Kensington ,leZ\ janvier 1 8 2 5 .

79. Aucun Anglais, cligne de ce nom , digne d'un nom qui porte avec lui la sincérité et l'a- mour de la justice ; aucun vrai Anglais n'a pu voir, sans rougir pour son pays, les actes infâ- mes, la vile hypocrisie et l'injustice criante que je vous ai fait connaître dans la lettre précé- dente. Quel homme, en effet, doué de sentimens d'Iionneur, n'aimerait pas mieux, pour ainsi dire, être étranger y que le compatriote d'un Cranmer et d'un Henri VIII ? Et si telles sont déjà les sensations que nous avons éprouvées , que sera- ce , lorsque nous aurons parcouru les scènes de

Lettre III, 71

tyrannie , de meurtres et de pillage , dont les crimes que nous venons de voir n'étaient que les précurseurs ?

80. Quelque avilie que fut la nation par les membres du parlement qui espéraient de par- ticiper, et qui en effet participèrent par la suite au pillage de l'Église et des pauvres ; quelque vile et intéressée que fût la conduite des cour- tisans , des conseillers du roi et des représen- tans du peuple , il se trouva néanmoins des hommes qui osèrent élever la voix contre l'il- légalité et la cruauté du divorce de Catherine, ainsi que contre cette grande mesure prépara- toire du pillage, je veux dire le dépouillement de la suprématie du Pape, pour en revêtir le roi. Tous les évêques , à l'exception ai un seul que nous allons voir tout-à-Flieure périr sur l'échafaud , plutôt que de cesser d'être intègre, furent contraints par la crainte à adhérer , ou du moins à se taire. Il y eut toutefois beaucoup de membres du clergé séculier et une grande partie des moines et des religieux du royaume qui ne voulurent ni acquiescer, ni se taire. Ceux-ci se chargèrent de faire connaître la vé- rité au peuple , tant dans la chaire que dans leurs entretiens particuliers ; et , s'ils ne par- vinrent pas à prévenir les malheuis qu'ils voyaient près de fondre sur la nation, ils la sauvèrent du moins de l'infamie de s'être soumise en silence.

81. De tous les devoirs d'un historien , le plu»

72 Réforme Protestante.

sacré sans doute est celui de faire connaître la conduite de ceux qui ont eu le courage de dé- fendre l'innocence contre les attaques des mé- chans revêtus du pouvoir. C'est donc. un devoir pour moi de faire une mention particulière de la conduite des deux religieux , Peyto etELS- Tow. Le premier , prêchant devant le roi , à Greenwich , quelque temps avant son mariage avec Anne , et prenant pour texte le passage du premier livre des Rois, dans lequel Michée pro- phétise contre Achab, qui était entouré de flat- teurs et de prophètes imposteurs, dit : " Je suis " Michée que vous délesterez , parce que je " suis forcé de déclarer que ce mariage est il- " légal; je sais que je mangerai le pain de l'afïlic- " lion et que je hoirai l'eau de la douleur; néan- " moins, puisque le Seigneur m'a rais cette vérité " dans la bouche, il faut que je la dise. Vos flat- " leurs sont les quatre cents prophètes qui, dans " leur esprit mensonger, cherchent à vous trom- " per. Mais , en vous laissant séduire , prenez " garde de ne pas subir le châtiment d'AcHAB " dont les chiens léchèrent le sang. C'est un des " plus grands malheurs des Princes que d'être " continuellement trompés par les flatteurs qui " les entourent. Le roi parut ne faire aucune attention à ce reproche; mais, le dimanche sui- vant , le Dr. CuRWiN prêcha dans le même en- droit devant le roi, et traita Peylo de chien , de calomniateur j de vil moine mendiant, de re-

Lettre IÎI. 78

belle et de traître , ajoutant qu'il s'était enfui de peur et de honte. Alors Elstow , qui était présent et appartenait à la même congrégation que Peyto , apostropha hautement Curwin et lui dit : " Mon bon Monsieur, vous savez bien " que le Père Peyto est allé assister à un con- " cile provincial à Canto rbery, et qu'il ne s'est " pas enfui de peur , soit de vous , soit de tout " autre, car il sera de retour demain. En atten- " dant me voici, comme un autre Michée, prêt " à sacrifier ma vie pour confirmer la vérité de " tout ce qu'il a avancé à l'appui des saintes " Écritures; et vous êtes le premier que je dé- " fie , pour soutenir ce combat devant Dieu et " devant tous les juges impartiaux. Oui c'est sur- ^' tout à toi, Curwin, que je m'adresse; à toi, qui " es un des quatre cents faux prophètes dont l'es- " prit mensonger s'est emparé, et qui, au moyen " d'un adultère , cherches à établir une succession *' qui conduise le roi à la perdition éternelle. 82, Stow^e, qui rapporte ce fait dans sa Chro- nique , dit que Elstow s'échauffa à tel point qu'on ne parvint à lui imposer silence , qu'après que le roi lui-même lui eût ordonné de se taire. Le jour suivant , les deux Religieux furent sommés devant le conseil du roi , qui les ré- primanda , et leur dit qu'ils méritaient d'être mis dans un sac et jetés dans la Tamise. " Réser- " vez ces menaces, s'écria Elstow, en souriant, " pour les riches et les friands qui sont revê-

-^4 Réforme Protestante.

'* tus de pourpre , font bonne chère et mettent " leur espoir dans ce bas monde. Pour nous , " loin d'en faire cas, nous nous réjouissons d'ê- " tre chassés d'ici pour avoir fait notre devoir; " et grâces à Dieu, nous savons que le ciel nous " est ouvert , soit que nous y allions par terre " ou par eau.

83. On ne saurait trop admirer la conduite de ces deux hommes. Dix mille victoires , ga- gnées sur terre ou sur mer, ne couvriraient pas le vainqueur d'une plus grande gloire que la vertu héroïque de ces deux religieux. Si les évê- ques , ou le quart d'entre eux seulement, avaient montré autant de courage, le tyran se serait trouvé arrêté au milieu d'une carrière qui allait l'en- traîner dans les actions les plus horribles. La résis- tance ferme et ouverte de ces deux pauvres re- ligieux fut la seule que le tyran éprouva, jusqu'à ce qu'il se fût plongé dans le meurtre et le pil- lage ; et si l'on considère qu'il n'y a jamais eu d'écrivain , même Protestant , excepté l'infâme BuRNET, qui se soit présenté pour faire l'apologie des actions de ce tyran , on croira aisément que la vertu héroïque de Peyto et d'ELSTOw doitsulîire pour nous faire hésiter, avant que de parler " de l'ignorance et de la superstition des moines. " Rap- pelez-vous bien qu'il n'y avait pas de fanatisme dans la conduite de ces hommes; qu'ils n'étaient que les défenseurs de la morale, et d'un indi- vidu qu'ils n'avaient jamais connu personnelle-

Lettre III. jjS

inent; qu'ils étaient certains d'encourir les châ- timens les plus sévères, peut-être même la mort. Combien l'héroïsme des Hampdens et des Rus- sells s'éclipse devant une conduite aussi noble et aussi généreuse !

S/^. Nous arrivons maintenant à la suppres- sion de la Suprématie du Pape, qui devint une source intarissable de sang. On déclara haute trahison le refus de reconnaître la suprématie du roi, et c'était refuser de la recoimaître que de ne pas prêter serment à cet effet. Sir Tho- mas More , qui était Lord Chancelier , et Jean Fisher , évêque de Rochester , furent mis à mort pour avoir refusé de prêter ce serment. C'était les deux hommes d'Angleterre les plus célè- bres par leur savoir, leur intégrité et leur pié- té, ainsi que par les longs et importans servi- ces qu'ils avaient rendus à Henri VIII et à son père. Ce n'est pas une faible présomption en la- veur de la suprématie du Pape que de voir ces deux hommes, qui avaient fait tous leurs eflbrts et employé tous leurs talens pour s'opposer à sa suppression, porter leur tête sur l'échafaud, plutôt que de la sanctionner. Mais sachant que c'est le refus des Catholiques de prêter ce même serment, et que More et Fisher préférèrent mourir que de le prononcer; sachant que c'est la source de tous les mauvais traitemens (|ue la Nation Irlandaise endure depuis si long-temps, et contre lesquels elle se débat maintenant avec

761 Réforme Protestante.

tant de courage et de persévérance; sachant que c'est sur ce point même que repose le sort de l'Angleterre, si une nouvelle guerre vient à écla- ter \ connaissant enfin toutes ces circonstances , il est de notre devoir d'approfondir avec soin la nature et les effets de cette suprématie du Pape , afin de bien nous assurer , si elle est favorable ou contraire à la vraie religion et à la liberté civile.

85. Les saintes Écritures nous disent que l'Église de Jésus-Christ doit être UNE. En ré- pétant le Credo des Apôtres , nous disons : " Je crois en la sainte Eglise Catholique." Catholi- que y comme nous l'avons vu dans le paragra- phe 3, signifie unii^ersel. Et comment pouvons- nous croire en une église universelle , sans croire que cette Église est une, et sous la di- rection d'w/z seul chef. Dans l'Evangile de St. Jean, chap. 10. 3^. 16. Jésus-Christ dit : " Je suis le bon pasteur et il y aura un seul trou- peau et un seul berger. " Ensuite il députe Pierre pour être berger à sa place. Dans le même Évangile, chap. 17. 3^. 10 et 11. Jésus- Christ dit : " Et tout ce qui est mien est tien , " et ce qui est tien est mien , et je suis glo- " rifié en eux. Et maintenant je ne suis plus " au monde ; mais ceux-ci sont au monde et "je viens à toi , Père Saint ; garde-les en ton " nom ceux que tu m'as donnés , afin qu'ils " soient UN , comme nous le sommes. " Saint

Lettre III. «i^'j

Paul , dans la seconde Épître aux Corinthiens, dit : " Au reste , mes Frères , réjouissez-vous ; " tendez à vous rendre parfaits ; soyez consolés, " soyez tous d'z/^z consentement. " Le même Apô- tre , dans son épître aux Ephésiens , chap. 4. '^. 3. dit : " Étant soigneux de garder V unité de " l'Esprit par le lien de la paix. Il y a un seul " corps et un seul esprit , comme aussi vous " êtes appelés à une seule espérance de votre " vocation , un seul Seigneur, UNE FOI , UN "BAPTEME, un seul Dieu et père de tous." Puis, dans sa première épître aux Corinthiens, chap. I. ^. 10 : "Or je vous prie, mes Frères, " par le nom de Jésus-Christ , que vous parliez " tous un même langage , et qu'il n'y dài point " de particularités parmi vous j mais que vous " soyez bien unis en un même sens, et en un " même avis. "

86. Outre cette autorité palpable des Écritu- res , outre notre propre credo , que nous disons tenir des apôtres , nous pouvons nous étayer de Véquité de la chose. Il est vraiment mon- strueux de supposer qu'il puisse y avoir Deux véritables Fois. Cela ne saurait être; il faut nécessairement que l'une des deux soit fausse. Et quel homme oserait dire que nous devons approuver une mesure, qui doit de toute né- cessité produire un nombre indéfini de Fois ? Si notre salut éternel est fondé sur notre croya/ice de la vérité i est-il raisoiuiable de forcer les

78 Réforme Protestante.

gens à avoir plusieurs croyances? Et n'est-ce pas les y forcer que de leur enlever le chef de rÉirlise ? Comment la foi de toutes les nations peut-elle continuer à être UNE, s'il y a dans cliaque nation un chef de l'Église , auquel on devra recourir, en dernier ressort , pour la dé- cision de toutes les questions et de tous les sujets de contestation qui pourront s'élever? Comment , dans ce cas-là , peut-il n'y avoir qu' " un seul troupeau et un seul berger " ? Comment peut-il n'y avoir qu' " une seule foi, et un seul baptême"? Comment préserver Vu- nité de l'esprit par le lien de paix ? Nous ver- rous bientôt quelle unité et quelle paix régnè- rent en Angleterre , du moment le roi devint le chef de l'Eglise.

87. Donner , chez nous , la suprématie au roi , c'est la donner par fois à une femme y et plus souvent encore à un enfant, et même à un poupard. Nous la verrons bientôt passer sur un garçon âgé de neuf ans seulement, et nous verrons de plus les efïets monstrueux qui en résultèrent. Mais supposant , pour un instant , que le roi régnant et deux de ses augustes frères vinssent à mourir demain (et ils sont tous mor- tels) nous la verrions passer, cette suprématie, sur une petite fille âgée d'environ cinq ans. Elle serait par conséquent " le berger unique^'' et, d'après notre propre credo ^ que nous répé- tons chaque dimanche , elle deviendrait le chef

Lettre I!L ^q

de la " Sainte Église Catholique''' ! Elle aurait un conseil de régence; mais alors il y aurait toute une troupe de bergers , et par conséquent une belle " Unité d'esprit " et un beau " lien de paix."

88. Quant à \ intervention du Pape dans l'au- torité du Koi ou de l'État , le prétexte , aussi faux que grossier, était, et est encore aujour- d'hui, qu'il partageait le Gouvernement avec le roi, auquel appartient la Suprématie entière sur tout ce qui concerne l'intérieur de son royaume. Cette doctrine, poussée un peu loin, exclurait Jésus-Christ lui-même et ferait du roi un objet d'adoration. L'autorité spirituelle est très-distincte de l'autorité temporelle, et elles doivent rester telles dans leur exercice, non pas seulement pour le bien de la religion , mais même pour le bien de la liberté civile. Il est assez curieux de voir que les Sectaires Protestans , tout en se réunis- sant de cœur au Clergé Anglican, pour déclamer contre le Pape de ce qu'il " usurpe " l'autorité du Roi , et contre les Catholiques de ce qu'ils encouragent cette " usurpation , " ont un soin particulier de nier que ce même Roi ait une suprématie spirituelle sur eux-mêmes. Les Pres- bytériens ont leur synode , les Méthodistes leur conférence , et tous les autres métis bigarrés, un chef ou autre de leur choix. Il n'est pas jus- qu'aux " doucereux " et cupides sectateurs de George Fox , qui n'aient leurs pendens et des

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assemblées annuelles. Tous ces chefs exercent un pouvoir absolu sur leurs membres. Ils don- nent ou refusent leur sanction à la nomination des clabaudeurs , ils les déplacent , ou les cas- sent à volonté. Nous avons tout récemment vu le Synode d'Ecosse ordonner à un prédicateur , nommé Fletcher, de cesser de prêcher à Lon- dres. Il paraît qu'il n'a pas obéi ; mais il paraît aussi que toute la congrégation a été mise en confusion par suite de cette désobéissance. Il est assez étrange , ou plutôt assez impudent , que ces Sectes refusent de reconnaître toute supré- matie spirituelle dans la personne du Roi, tandis qu'elles déclament contre les Catholiques de ce qu'ils ne veulent pas prêter un serment par le- quel ils en reconnaîtraient une. N'est-ce donc pas une chose monstrueuse de voir que les mem- bres de ces diverses sectes soient aptes à siéger au Parlement et dans le conseil du Roi , à de- venir généraux , amiraux ou juges , tandis que les Catholiques sont exclus de ces emplois et de beaucoup d'autres ; et cela , par la seule raison que leurs consciences , leur honorable adhésion à la religion de leurs pères , ne leur permet pas de reconnaître cette suprématie, ou plutôt qu'elle leur ordonne de se réunir dans " un seul trou- peau et un seul pasteur y " et de ne reconnaître qu' " un Seigneur , une foi et un baptême " ? 89. Mais le Pape était un Étranger qui exer- çait le pouvoir spirituel en Angleterre 5 ce qui ,

Lettre III. 8i

(lisent les hypocrites , était une vraie dégrada- tion pour le Roi et le pays. C'était , en quelque sorte, prendre John Bull (i) par son faible, car il a, et, selon toute apparence, a toujours eu une aversion instinctive contre les étrangers. Mais , d'abord , le Pape pourrait bien être an- glais y puisque nous en avons déjà vu un dans le paragraphe ^2. Comment donc une chose qui subsistait à l'égard de toutes les autres nations, pouvait-elle être dégradante pour la nôtre. Le roi Alfred et toute la longue série de rois , qui existèrent pendant 900 ans, furent-ils des êtres dégradés ? Ceux qui conquirent réellement la France , non pas par le moyen des subsides et de la coiTuption _, mais par la force des armes , n'eurent-ils pas assez de bon sens pour distin- guer ce qui était dégradant d'avec ce qui ne l'était pas ? Le roi actuel de France et la na- tion Française elle-même ne sont-ils pas à même d'en juger? La souveraineté de ce monarque et la liberté de son peuple sont-elles moins par- faites , parce qu'elles reconnaissent la supréma- tie du Pape et qu'elle est en pleine vigueur chez eux? Et si le Synode d'Ecosse peut exercer sa suprématie en Angleterre , en Irlande et dans les Colonies, sans dégrader le roi ou le peuple, comment présumer que l'exercice de la supré-

(i) John Bull, c'est ainsi qu'on désigne le peuple Anglais.

82 Réforme Protestante.

matie du Pape puisse produire un tel effet sur l'un ou sur l'autre ?

go. Oui , mais il s'agissait àH argent ; l'argent d'Angleterre passait chez le Pape. Les Papes , pas plus que les autres hommes ne peuvent vivre, maintenir une cour, des ambassadeurs et un grand État sans argent. Une partie de l'argent d'An- gleterre passait chez le Pape il est vrai , mais une partie de l'argent des autres nations chrétiennes prenait la même direction. Cet argent, d'ailleurs, n'était pas sans emploi. Il servait à préserver l'unité de la foi , à maintenir la paix , à répan- dre la charité , à cultiver les mœurs. Nous ver- rons bientôt par les troubles qui s'ensuivirent , par les subsides et les moyens de corruption qu'il fallut employer auprès des étrangers , que l'ar- gent qui passait au Pape était parfaitement bien employé. Mais nous autres , Protestans , nous crai- gnons d'avaler un moucheron ; tandis que nous engloutissons des caravanes entières de chameaux. M^ Perceval a plus donné d'argent à des étran- gers y dans l'espace d'un an , que les Papes n'en ont jamais reçu de nos ancêtres durant quatre siècles. Nous nous sommes prosternés , pendant maintes années, devant un Hollandais, qui n'avait pas plus de droits légitimes à la couronne qu'un vagabond de nos hôpitaux , et qui n'avait pas une goutte de sang anglais dans ses veines -. et , de nos jours même , nous envoyons annuel- lement à des Hanovriens ou autres étrangers ,

Lettre III. 83

sous le titre de demi-solde , plus d'argent qu'on n'en a jamais envoyé au Pape , dans l'espace de vingt ans. Depuis l'époque de notre " Glorieuse Révolution " nous n'avons cessé de payer deux mille livres sterling par an aux héritiers du " Maréchal Schomberg, " qui, pour me servir de la phrase élégante , pleine de justesse et très- philosophique du grand Poète " de la Réforme " existera, je n'hésite pas de le dire, " à jamais, plus un jour. " Avons- nous oublié aussi les Bentinck et toute la séquelle Hollandaise , sur la tête desquels on accumula des domaines de la Couronne ? et nous oserions parler encore de la dégradation et de la perte d'argent occa- sionnées par la suprématie du Pape ! C'est un fait notoire que ce royaume n'aurait pas eu le moindre besoin d'un soldat allemand, durant la dernière guerre, sans les troubles qui plongèrent l'Irlande dans un danger si imminent , et ces mêmes troupes allemandes eurent beaucoup à faire. Nous avons payé pendant long-temps , et nous payons maintenant, et nous aurons proba- blement à payer pendant long-temps encore plus de cent mille livres sterling , par an , aux of- ficiers de ces troupes qui sont à la demi-solde, et dont nous n'aurions pas un sou à payer au- jourd'hui , si nous n'avions exigé le serment de suprématie de la part des Catholiques. Chacun a son goût ; pour moi , si j'avais à payer des étrangers, pour maintenir l'ordre dans mon mé-

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84 Réforme Protestante.

nage, j'aimerais mieux payer des " deniers [pence) à Pierre , " que des livres aux Grenadiers do Hesse. Des prieurés étrangers qui furent établis dans le but d'engager des savans à venir résider en Angleterre ont été, pendant long-temps, une -source abondante de plaintes et de déclamations. Mais , sans parler de leur utilité , pour ce qui me concerne , je préfère des Prieurés étrangers à des armées étrangères , dont notre pays n'a été parfaitement libre , que par intervalles , de- puis le jour oil les premiers furent supprimés. Je ne veux pas m'ériger en dictateur pour ce qui concerne le goût , mais qu'il me soit per- mis de déclarer que je préfère les cloîtres aux casernes , le chant des matines au réveil du tambour , le capuchon au casque à poil , orné de cuivre , la tonsure à la moustache, le rosaire avec la croix pendante , au ceinturon avec sa boëte de balles; et, par dessus tout, je préfère la pénitence à la pointe de la baïonnette. Il paraît que nous sommes condamnés à avoir l'une de ces deux choses ; car , avant la " Réforme " l'An- gleterre ne connaissait , ou plutôt n'avait jamais songé à ce qu'on appelle un soldat régulier ; tandis que, depuis cette époque, elle n'a jamais su , au fait , ce que c'était que de ne pas avoir de pareils soldats , jusqu'à ce qu'enfin une ar- mée foudroyante régulière , même en temps de paix , est publiquement reconnue comme néces- saire au " maintien de notre henreuse consti- " tution DANS I'Église et dans I'État. "

Lettre III. 85

9 1. Pour ce qui regarde le Pape, il n'est plus «|Licstion maijitenant d'argent dans cette affaire. Personne n'a l'intention de lui en donner pour ([uelque motif que ce puisse être. Les Catholi- ques croient que l'unité de leur église serait dé- truite, disons mieux, ils croient qu'ils cesseraient cFétre Catholiques ^ s'ils abjuraient la suprématie du Pontife •, voilà pourquoi ils se refusent à l'ab- jurer et prétendent que leurs instituteurs rece- vront leur autorité de lui; or, en quoi leurs prétentions , à l'égard du Pape , diffèrent-elles des prétentions des Presbitériens à l'égard de leur Synode ?

92. Enfin , quel fut l'effet de la suprématie du Pape sur la liberté civile ; c'est-à-dire , sur la sécurité et la jouissance légitime de la vie et de la fortune ? Nous verrons bientôt cette liberté civile étouffée par les mêmes mains tyran- niques qui supprimèrent la suprématie du Pape. Mais d'où nous est venue la liberté civile? D'où nous sont venues ces lois d'Angleterre , que Lord Coke appelle le " droit de naissance " des Anglais , et que chacun des Etats-Unis d'Amé- rique déclare, dans sa constitution, être le droit de naissance du peuple qui l'habite? D'où nous sont venues ces lois? Sont-elles d'origine Fro- testanlc ? Cette seule question devrait faire rou- gir de honte les détracteurs des Catholiques. Sont-ee les Protestans qui instituèrent les trois cours et les douze Juges , auxquels FAugie-

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terre doit une grande portion de sa renom- mée et de sa grandeur, bien que, comme tou- tes les autres institutions humaines , celles-ci aient fait par fois bien du mal. Oh , non ! Cette institution fut créée , lorsque la suprématie du Pape était en pleine vigueur. Ce ne fut pas un don des Ecossais , des Hollandais ou des Hessois , pas même des Luthériens, des Calvinistes et des Huguenots ; ce fut l'ouvrage de nos braves , de nos sages ancêtres Catholiques Anglais j et le Chef DE Justice Abbott est l'héritier, dans une li- gne non interrompue de succession, de ce Bench (cour), qui fut érigé par Alfred, lequel fut en même temps un zélé fondateur d'églises et de monastères.

93. Si, cependant, nous persistons à croire que la suprématie du Pape et les circonstances qui l'accompagnaient , aient produit l'ignorance , la superstition et l'esclavage, agissons du moins en hommes sincères, conséquens et honnêtes. Abat- tons ou fesons sauter en l'air les cathédrales, les collèges et les vieilles églises; fesons disparaître les trois cours , les douze juges , les tournées et les jurys ; bouleversons tout cela , dis-je , et il nous restera alois , ce qui nous appartient en propre y c'est-à-dire, dévastes prisons et des pé- nitenceries , des manufactures de coton propres à gonfler le genou et la cheville du pied , et à détruire les poumons ; il nous restera l'armée régulière à grandes moustaches et de magnifiques

Lettre HI. 87

casernes , des capitaines-ministres ( parson-cap- tains ) , des lieutenans-ministres , des enseignes- ministres, et des justiciers-ministres 5 il nous res- tera des pauvres et les maisons des vagabonds , sans oublier ce bienfait , qui est singulièrement et glorieusement Protestant, la Dette natio- nale. Hélas ! pauvre peuple Anglais , comme tu as été déçu !

94. Mais, comptant pour rien l'expérience de nos ancêtres , demandons-nous , ne fut-ce que pour argumenter , quelle chance nous aurons de jouir de la liberté civile , si tout le pouvoir spirituel et temporel est concentré dans les mains d'un même individu. Il faut ou qu'il soit despote^ ou que son pouvoir soit détruit par T Oligarchie ou par une autre cause quelconque. Si le Pré- sident ou le Congrès des Etats-Unis avaient une suprématie spirituelle , s'ils nommaient des Evê- ques et des ministres, leur gouvernement ne tar- derait pas à devenir tyrannique , quoiqu'il n'ait pas de bénéfices à donner ou de dîmes et pré- mices à recevoir. Montesquieu remarque que les peuples d'Espagne et de Portugal deviendraient bientôt de véritables esclaves sans le pouvoir de l'Eglise qui esl , dans ce cas , le seul " Jreiii opposé au pouvoir arbitraire, " Cependant, de- puis combien de temps ne nous étourdit-on pas les oreilles avec ces mots " usurpation et tyrannie du Pape " ? Cette accusation contre le succes- seur de St. Pierre est difficile à comprendre. Com-

88 Réforme Protestante.

ment le Souverain Pontife pouvait-il usurper les droits du roi ou devenir le tyran de l'Angleterre? Il n'avait ni flottes, ni armée, ni juge, ni scherif, ni juge de paix, pas même un constable ou un bedau à ses ordres. On nous a tant parlé des foudres du Vatican qu'on a presque fini par croire que le siège du Pape était dans les airs j si nous l'avions cru tout-à-fait , nous ne nous serions pas montrés plus insensés et plus fous qu'en ajoutant foi à un si grand nombre d'autres contes que les Messieurs de la " Réforme " nous ont débités. Le fait est que le Pape n'avait d'autre pouvoir que celui qu'il tenait de la volonté libre du peu- ple. Le peuple se rangeait souvent de son côté , dans ses contestations avec les rois ; et , par ce moyen, ils préservèrent, en maintes circonstan- ces, ses droits contre les empiétemens des tyrans. Si le Pape n'avait pas eu de pouvoir , il se serait élevé une Oligarchie , ou quelque autre puis- sance qui aurait mis un frein au pouvoir royal ; sans cela, cbaque roi eût pu devenir un Néron, s'il l'eût voulu. Nous en verrons un pire que Néron dans la personne de Henri VIII; car nous le verrons bientôt fouler les lois aux pieds, piller son peuple, dépouiller jusqu'aux pauvres de leur patrimoine. Mais la raison nous dit que cela doit être ainsi ; et , bien que ce pouvoir spirituel soit placé , de nos jours , nominalement dans les mains du roi , à combien de ruses et de super- cheries n'avons-nous pas recourir , parmi les-

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quelles même il y en avait qui étaient aussi fu- nestes que déshonorantes 5 pour empêcher le roi de s'emparer en effet de ce pouvoir? Nous som- mes forcés d'effectuer par \ influence et la fac- tion , c'est-à-dire , par des moyens indirects , trompeurs et trop souvent immoraux , pour ne pas dire séditieux , ce qui auparavant s'effectuait par des moyens directs , francs , ouverts , hon- nêtes et loyaux. Il est assez étrange de voir tous les ministres Protestans ne cesser de parler de \ usurpation et de la tyrannie du Pape , tan- dis que chacun d'eux , en particulier , à l'ex- ception de ceux qui retirent quelque profit du nouvel ordre de choses , parle tout aussi ouver- tement de ce qu'il ne se fait aucun scrupule d'ap- peler le monstre à deux têtes , c'est-à-dire VÉ- glise et rÉitat. Combien donc ce monstre n'eût-il pas été encore plus hideux , si les Catholiques se fussent soumis au " Veto " ; c'est-à-dire , s'ils eussent donné au roi \di faculté de rejeter la no- mination des Évèques Catholiques, et de rendre par celui qui est déjà " le Défenseur de la Poi , " contre laquelle il proteste , le confédéré du Souverain Pontife dans le maniement des af- faires de cette église , à laquelle la loi lui dé- fend expressément d'appartenir. . 95. Ainsi donc, cette suprématie du Pape, si dé- criée, était une chose très-salutaire. Elle était, à cette époque, le seul frein qu'on pût opposer au pouvoir despotique, et de plus tout-à-fait indispen-

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sable au maintien de cette unité àe foi, sans laquelle il ne pouvait exister rien de digne du nom d'Église Catholique, abjurer cette suprématie était , au fait , un vrai acte d'apostasie , un vil acte d'aban- don des droits du peuple. L'exiger d'un individu quelconque, c'était violer ouvertement la Grande- Charte ainsi que les lois du pays ; et mettre à mort ceux qui refusaient d'y adhérer , c'était sans con- tredit commettre un meurtre que rien ne pouvait justifier. Cependant il était impossible d'atteindre le but qu'on se proposait sans commettre des meurtres , sans répandre le sang de l'innocent. 11 fallait nécessairement du sang. Parmi les vic- times de cette tyrannie atroce , on distingue Sir Thomas More, et I'Évêque Fisher. Le pre- mier avait été Lord Grand Chancelier d'An- gleterre pendant plusieurs années. Ses con- temporains , et tous les écrivains jusqu'à ce jour, l'ont dépeint comme un homme aussi parfait qu'il fut possible à un mortel de l'être , tant sous le rapport de la science , que de la rec- titude et de la piété. Il fut le plus grand juriste de son siècle , un serviteur fidèle et éprouvé du roi et de son père; et de plus, si éminemment distingué par l'aménité de son caractère, par ses talens et sa modestie , que sa mort fut un vrai coup de foudre pour l'Europe entière. Fisher était tout aussi eminent par son savoir, sa piété et son intégrité. Il était le seul con- seiller-privé survivant du feu roi. La mère de

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Lettre III. gi

ce monarque ( grand'-mère de Henri VHï ) , qui survécut à son lils et à sa fille, le conjura , à sou lit de mort, de prêter une attention particulière aux avis de ce vénérable prélat, aussi savant que pieux ; et , jusqu'au moment , par ses avis , il eut contrecarré ses passions déréglées , il avait coutume de dire qu'aucun prince ne pouvait se vanter d'avoir un sujet comparable à Fisher. Souvent dans le Conseil on voyait le roi le pren- dre par la main et l'appeler son père. Le bon prélat reconnaissait cette faveur et cette affection insignes par un zèle et un dévouement qui ne connaissaient d'autres bornes que celle de son devoir envers Dieu, envers son roi, envers sa patrie. Mais ce devoir sacré lui commanda de s'opposer au divorce et à la suprématie du roi , et dès-lors le tyran, oubliant tout-à-coup ses ser- vices , son dévouement et son attachement sans exemple , l'envoya à l'écliafaud , après un em- prisonnement de quinze mois , durant lesquels il fut traité pis qu'un vil scélérat , croupissant dans l'ordure et manquant, pour ainsi dire, de nourriture. Oui, le tyran fit périr par le fer celui dont il était naguères si orgueilleux , et auquel il avait donné le titre de père. Pouvant à peine se soutenir sur ses jambes, sa vénérable iigure et ses cheveux blancs noircis par la fange , sa nudité à peine couverte par les haillons qui lui restaient sur le corps , il le fit traîner à l'écha- faud, et après lui avoir arraché la vie, il y resta

f)2 Réforme Protestante.

exposé comme un cliien mort. Monstre exécra- ble ! L'indignation refoule le torrent de nos lar- mes ; elle nous éloigne de cette scène d'horreur.

g6. Et cependant le cupide , le cruel , l'ef- fronté BuRNET a l'audace de nous dire qu'un " homme , tel que Henri VIII , était nécessaire pour opérer la Réforme. " Il veut dire sans doute que les mesures que ce roi prit pour y parvenir furent nécessaires ; et si elles furent nécessaires , quelle doit être la nature et la tendance de cette " Réforme " ?

97. C'est à cette époque que l'œuvre de sang commença, et elle continua d'un pas ferme. Tous ceux qui refusèrent de prêter le serment de la suprématie; ou, en d'autres mots, tous ceux qui refusèrent de devenir apostats , furent considé- rés comme coupables de trahison et traités comme tels ; on les mit à mort avec une cruauté inouie. Pour ne citer qu'un exemple des œuvres du ré- formateur nécessaire , suivant Burnet , conten- tons-nous de parler du traitement qu'éprouva Jean Houghton, prieur de la Chartreuse ( Char- ter-huuse ) de Londres , c'est-à-dire d'un cou- vent de Chartreux. Ce malheureux Prieur, ayant refusé de prêter le serment , ce qu'il ne pou- vait faire sans se parjurer, fut traîné à Tyburn (i). A peine fut-il pendu, qu'on coupa la corde, et il tomba par terre tout vivant. On le dépouilla ,

(i) Lieu l'on exécutait les criminels à celte époque.

Lettre IIT. c)3

on lui arracha du corps les intestins, le cœur et les entrailles, et on les jeta au feu. On sé- para la tête du corps , on divisa le tronc par quartiers, et on les bouillit à demi; ensuite on le coupa par morceaux et on suspendit les mem- bres dans différentes parties de la ville. Un de ses bras fut cloué au mur , au-dessus de l'en- trée principale de son monastère.

98. Tels furent les moyens qui, suivant Bur- net, étaient nécessaires pour introduire la re- ligion Protestante en Angleterre. Hélas ! Com- bien ils différaient , ces moyens , de ceux que le Pape Grégoire et St, ^jigustin employè- rent pour y introduire la religion Catholique l Ces horribles massacres eurent lieu à l'époque, remarquez bien , le Grand Martyr de Fox , Cranmer , était primat , et sous l'active sur- veillance d'un autre assassin, nommé Thomas Cromwell, qui était son agent, et que nous verrons bientôt partager le butin avec son di- gne chef, et, plus tard, sa fin ignominieuse.

99. Avant d'entamer le grand cliapitre du pil- lage ^ qui fut la cheville- ouvrière de la " Ré- forme ", nous aurons à suivre le Roi et son pri- mat à travers les meurtres des Protestans aussi bien que des Catholiques. Mais, d'abord, il faut voir à^ où. provint la religion Protestante, et dans quel état elle se trouvait à l'époque dont il s'a- git. Nous avons déjà vu ( parag. 3. ) l'étymo- logie du mot Protestant. Ce fut le nom qu'on

g4 Réforme Protestante.

donna à ceux qui se déclarèrent , ou qui pro- testèrent contre l'église Catholique ou univer- selle. Cette manie de protester prit naissance en Allemagne, en l'an iSiy. Elle fut mise en vo- gue par un moine , nommé Martin Luther , qui appartenait à un couvent d'Augustins, situé dans rÉlectorat de Saxe. A cette même époque, le Pape avait ordonné qu'on annonçât en chaire certaines indulgences , et S. S. ayant confié ce soin à l'ordre des JJoniinicains , et non à celui dont Luther fesait partie, ainsi qu'il l'avait tou- joui's fait auparavant; l'hérétique, piqué de cette préférence , résolut de s'en venger par son op- position au Pape. Il communiqua son projet à son Souverain , l'Electeur de Saxe , qui le pro- tégea , parce qu'il avait , à ce qu'il paraît , le même penchant au pillage que celui qui, quel- ques années après, s'empara de notre tyran An- glais , de ses courtisans et de son parlement.

loo. Tous les auteurs s'accordent à représen- ter Luther comme un homme perdu de débau- che. Sa conscience aurait pu lui suggérer l'idée de changer de religion ; mais sa conscience , à- coup-sûr, ne put jamais lui suggérer les actions abominables dont il est reconnu coupable , d'a- près ses propres confessions , desquelles je par- lerai plus amplement, lorsque je viendrai à don- ner des détails sur les sectes sans nombre qui se formèrent parmi les Protestans, ainsi que sur le changement funeste que cette innovation dans

Lettre III. g5

la religion produisit sur les moeurs du peuple et sur la société en général, d'après l'aveu des chefs de ces mêmes sectes. Contentons-nous de remarquer, pour le moment, qu'à l'époque dont nous parlons, les sectes Protestantes s'étaient ré- pandues en Allemagne, avaient pénétré en Suisse et dans quelques États du Continent; et, avant d'entrer dans de plus grands détails touchant Lu- ther et les sectes auxquelles il donna naissance , voyons de quelle manière le Roi d'Angleterre traita ceux de ses sujets qui avaient souscrit à cette hérésie.

loi. Dès le principe, les Protestans ne furent pas d'accord entre eux ; cependant ils mainte- naient tous que la foi seule suftisait pour assu- rer le salut j tandis que les Catholiques croyaient qu'il fallait aussi de bonnes œuvres. Le plus atroce des hommes, le plus brutal, le plus sanguinaire des tyrans peut être un zélé croyant ; car les diables eux-mêmes croient j c'est pourquoi, nous trouvons étrange , au premier abord , qu'Henri VIII ne soit pas devenu de suite un zélé Pro- testant, c'est-à-dire un des disciples les plus dé- voués de Luther. Nui doute qu'il ne le fût de- venu; mais Luther commença sa " Réforme " quelques années trop tôt pour le roi. Lors- qu'en i5i7 Luther se mit à l'ouvrage, le roi n'était marié que depuis huit ans avec sa pre- mière femme, et il n'avait conçu jusqu'alors au- cun projet de divorce. Si Luther eût commencé

g6 Réforme Protestante.

douze ans plus tard , le roi serait devenu Pro- testant tout de suite , surtout en voyant que celte nouvelle religion permettait à Luther et à sept autres de ses frères, fauteurs de la " Réforme, " d'accorder, de leur propre autorité, une licence au Langrave de Hesse pour avoir deux fem- mes à la fois ! Une religion si douce , si tolé- rante , aurait été et fut probablement très-fort du goût du roi à l'époque du divorce ; c'était précisément ce qu'il lui fallait ; mais, ainsi que je l'ai déjà remarqué, elle vint douze ans trop tôt pour lui; car, non-seulement il n'adopta pas cette religion, mais même il la combattit comme souverain; et, ce qui devenait plus sérieux en- core, il la combattit comme AUTEUR. En i52i , il avait publié un OUVRAGE contre elle. Son amour-propre, son orgueil étaient engagés dans la querelle; à quoi on peut ajouter que Luther , en répondant à son livre, l'avait traité de " co- " chon , d'âne et de fumier ; il l'avait appelé " semence de couleuvre, basilic, imposteur, bouf- " fon habillé en roi, fou enragé, avec une bouche " pleine d'écume et une figure de prostituée. " A une autre époque, il lui avait dit : " tu mens , roi stupide et sacrilège. "

I02. C'est pourquoi , bien que le tyran fût porté à détruire l'Église Catholique, il n'en avait pas moins résolu d'extirper tous les partisans de Luther et toute la clique des nouvelles sectes. Agissant constamment par quelque vil motif ou

Lettre III. g'j

autre , il fut poussé par la vengeance à sévir contre les Protestans, comme il l'avait été contre Jes Calholiqiies , par l'incontinence , peut-être même par une incontinence incestueuse. Le sui- vre , pas à pas , et en détail , dans ses carnages et dans ses massacres , serait familiariser notre esprit avec une boucherie d'hommes et une cui- sine de cannibales. Je me contenterai donc de signaler ses œuvres principales , dans ce genre. io3. Son livre contre Luther lui avait acquis le titre de Défenseur de la Foi. Nous en par- lerons plus au long. Il ne pouvait donc devenir Protestant , sans se dédire ; que dis-je ? Son or- gueil ne lui aurait pas permis de se montrer le prosélyte d'un homme qui avait eu l'audace de le traiter publiquement de cochon , d'ane , de fou et de menteur. Cependant il ne pouvait pré- tendre au Catholicisme. Il fut donc contraint de se faire une religion à 6a manière ,• mais il ne pouvait y parvenir , sans forcer son peuple de l'adopter au moyen de ce qu'il appelait M loi. Il fit donc , avec le secours de son servile par- lement , des lois qui déclaraient hérétiques et condamnaient aux flammes , ceux qui ne se con- formeraient pas strictement , par des actes aussi bien que par des professions, à la foi et au culte qu'il avait inventés et mis en vigueur en sa qualité de chef de l'Église. Parmi ses dogmes il y en avait que ni les Catholiques, ni les Protestans ne pou-^ valent adopter sans enfreindre les principes de

g8 Réforme Protestante.

leurs croyances. Il les envoya donc les uns et les autres à la mort , et , quelquefois , pour leur torturer l'esprit aussi bien que le corps , il les fesait traîner au bûcher sur la même claie , liés par couples , dos à dos , c'est-^à-dire un Catho- lique avec un Protestant. Ce n'est pas de cette manière que Saint Augustin et Saint Patrice pro- pagèrent leur religion. Cependant telle est la mahgnité de Burnet et de plusieurs autres, ap- pelés Théologiens Protestans , qu'ils défendent , si même ils n'approuvent entièrement, les actions de cet exécrable tyran , en même temps qu'ils sont forcés d'avouer qu'il abreuva la terre de sang Protestant , et qu'il remplit l'atmosphère de la fumée de leurs corps réduits en cendres.

io4- Durant toute cette œuvre de sang, Cran- mer, qui était primat de la religion du roi, fa- vorisait, sanctionnait, assistait et encourageait les massacres des Protestans et des Catholiques, tan- dis que ( je vous prie de bien remarquer ceci ) Hume, Tillotson, Burnet et toute la longue liste de ses apologistes disaient qu'il était, ou plu- tôt lui fesoient un mérite d'être lui-même un Protestant sincère dans son cœur. Il y a plus , nous allons voir bientôt le primat reconnaître publiquement ces mêmes dogmes , pour le main- lien desquels il avait puissamment contribué à faire périr les autres dans les flammes, sans égard ni à l'âge , ni au sexe. Les progrès de cet homme dans la carrière de l'infamie furent tels, qu'il

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faut vraiment des preuves incontestables pour se résoudre à y ajouter foi. Avant de recevoir la prêtrise , il s'était marié ; après avoir reçu la prêtrise et avoir fait serment de vivre dans le célibat 3 se trouvant alors en Allemagne, et étant devenu Protestant , il épousa une seconde fem- me , tandis que sa première était encore en vie. Étant primat de l'Eglise de Henri , qui inter- disait le mariage au clergé , et qui les obligeait sl faire serment de vivre dans le célibat, il fit transporter sa femme allemande en Angleterre dans une caisse , percée de trous , afin qu'elle piît respirer l'air. La caisse étant destinée pour Cantorbéry , on la débarqua à Gravesend , et les matelots ignorant ce qu'elle contenait, la posèrent à terre sens dessus dessous , et la malheureuse faillit avoir le cou rompu. Quelle scène ! Une Allemande avec une suite de marmots , moitié Anglais et moitié allemands vivant clandestinement dans le même endroit qui avait été le berceau de la Chrétienté Anglaise ; dans ce même en- droit où Saint-Augustin avait résidé , et Thomas a Becket avait scellé de son sang son opposition à un tyran qui visait à la destruction de l'Église et à la spoliation du peuple. En voilà déjà assez pour exciter le dégoût ; mais si nous considérons que ce même primat, tout en vivant sous le même toit avec sa femme allemande et ses marmots , favorisait le massacre des Protes- tans, parce qu'ils s'opposaient à un dogme qui'

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lOo RéEORME Protestante.

défendait au Clergé d'avoir deux femmes , nous serons pleins d'indignation, non pas contre Cran- mer, dont la mesure des forfaits est déjà comble; bien que nous ne soyons pas encore au bout , ni contre Hume , car il ne tenait compte d'au- cune religion ; mais contre tous ceux qui prennent le titre de Théologiens et sont les apologistes de Granmer-, contre Burnet, qui dit que Cran- mer " fit tout en bonne conscience " et contre le Dr. Sturges, ou plutôt le Doyen et le cha- pitre de Winchester , qui mirent en commun leurs " talens " pour composer " des Réflexions sur le Papisme , " qui parlent du " respecta- ble Crakmer, " et qui, sous le rapport de l'in- tégrité , ont l'audace de le mettre en parallèle avec Sir Thomas More. Ainsi que le Dr. Milner le remarque , dans sa réponse à Sturges , ils se ressemblaient , il est vrai , en ce qu'ils s'appe- laient l'un et l'autre Thomas; mais, sous tous les autres rapports , la disparate est aussi grande que l'imagination la plus vive peut l'imaginer entre le ciel et l'enfer.

io5. L'infamie de Cran mer en aidant à en- voyer des hommes aux flammes , pour avoir les mêmes principes qu'il avoua plus tard avoir pro- fessés lui-même, au moment il les y envoyait, ne saurait être surpassée par aucune espèce de dépravation dont l'espèce humaine soit suscepti- ble; elle ne peut même être égalée que par celle du roi , qui tandis qu'il espérait et croyait met-

Lettre IIL ioi

tre la hache à la racine de la croyance Catho- lique, continuait à prendre le titro de son Dé- fenseur, ïl n'était pas , rappelez-vous bien ceci , le défenseur de ce qu'il aurait pu appeler la Foi Chrétienne , comme d'autres le firent de son temps et l'ont fait depuis. Il reçut ce titre du Pape y en récompense de ce qu'il avait écrit pour la défense de la foi Catholique contre Luther. Le Pape lui conféra ce titre , qui devait descen- dre à sa postérité. Ce fut le Pape Léon X qui le lui donna dans une bulle ou édit qui com- mence par ces mots. " Léon , serviteur des ser- " viteurs du Seigneur, à son très-cher Fils, Henri, " Roi d'Angleterre , Défenseur de la Foi , salut " et bonheur. " La bulle s'étend ensuite sur la défense de la foi de l'Église Catholique , que le Roi a prise dans un livre écrit contre Martin Luther , et en considération de laquelle S. S. et son conseil ont résolu de lui conférer, ainsi qu'à ses successeurs , le titre de Défenseur de la Foi. " Nous , " dit la Bulle , " Séant sur le saint '^ siège, avons, après une mûre délibération avec " nos frères, résolu, d'un accord unanime, d'ac- " corder à votre Majesté , vos héritiers et suc- " cesseurs , le titre de Défenseur de la Foi , " ce que nous confirmons par ces présentes, avec " ordre à tous les Fidèles de donner ce titre à " votre Majesté. "

1 06. Que devons-nous donc penser d'un homme qui continuait à porter ce titre , tandis qu'il fai-

102 Reforme Protestante.

sait jouer eu sa présence une farce dans laquelle le Pape et son Conseil étaient tournés en ridi- cule , et qui fesait brûler ou éventrer , par vingtaines, des hommes, par cela seul qu'ils res- taient fidèles à cette foi dont il avait encore l'o- dieuse effronterie de se dire le Défenseur ? La Justice , les lois , tout sentiment moral durent s'évanouir avant de souffrir une pareille mons- truosité- Oui , on les avait bannis du siège du pouvoir. Nous verrons dans le numéro prochain qu'un despotisme de fer avait pris la place de la suprématie du Pape. La liberté civile avait en- tièrement disparu ; aucun homme ne pouvait se vanter d'avoir quelque chose en propre , aucun homme ne pouvait se croire sûr de sa vie pen- dant vingt-quatre heures.

107. Il nous reste encore quelque chose à dire sur ce titre de Défenseur de la Foi auquel , pour un motif ou autre qu'on a de la peine à deviner, on a paru attacher un grand prix, de- puis cette époque jusqu'à ce jour. Edouard VI continua à porter ce titre jusqu'à la fin de son règne , quoique ses deux " régens , " ( qui se succédèrent en cette qualité et que nous verrons bientôt porter , l'un après l'autre , leur tête sur l'échafaud ), abolirent la foi Catholique en vertu de la loi y quoique la foi Protestante fût établie à sa place avec le secours des troupes étrangè- res, et quoique les cupides pillards de son temps dépouillassent les autels mêmes , afin d'extirper

Letike 11 J. io3

cette même foi dont il était appelé le défenseur dans ses titres. Elisabeth continua à porter ce titre durant son long règne " de crimes et de misère , " ainsi que Witaker l'appelle avec rai- son, quoique, pendant tout le cours de ce règne, elle mît beaucoup d'activité à persécuter, à rui- ner , à éventrer ceux qui professaient cette foi , dont elle prenait le titre de Défenseur , dans la- quelle elle était née elle-même , dans laquelle elle avait vécu pendant plusieurs années , et à laquelle elle resta attachée , ouvertement et en particulier, jusqu'à ce que son propre intérêt eût exigé qu'elle l'abandonnât. Elle continua à por- ter ce titre, tandis qu'elle fesait éventrer ceux de ses sujets qui entendaient la messe; tandis qu'elle refusait les dernières consolations de la religion Catholique à sa cousine, Marie, Reine d'Ecosse, qu'elle fit mettre à mort , sous le masque de la loi et de la justice , après avoir vainement fait chercher parmi ses sujets , un homme assez vil et assez sanguinaire pour se débarrasser de sa victime par un assassinat , ainsi que Witaker l'a évidemment prouvé. Ce titre fut porté par cette chétive créature , Jacques ï , qui eut pour con- seiller en chef le très-digne fds de ce père , qui avait été l'ordonnateur principal de l'assassinat de son innocente mère , et dont le règne ne fut qu'une série constante de vils complots et de cruelles persécutions contre tous ceux qui pro- fessaient la foi Catholique. Mais , sans pénétrer

104 Réforme Protestante.

plus avant dans un sujet qui trouvera plus tard une place plus convenable , remarquons que , parmi tous nos souverains , les seuls vrais Dé- fenseurs de la Foi _, depuis le règne de Marie , ont été le feu Roi et son fils , notre souverain actuel. Le premier , en consentant à abolir une partie du code pénal, et en nommant une com- mission spéciale pour juger , condamner et exé- cuter les chefs de cette féroce populace qui, en i-jSo , mit le feu à la ville de Londres, et cher- cha à la saccager , au cri de " A BAS LE PA- PISivIE , " et sous un zèle apparent pour la re- ligion Protestante ; le second , en envoyant , en 1 8 1 4 ? un corps de troupes Anglaises , pour ser- vir de garde d'honneur à la réinstallation du Pape. Espérons que sa défense de la foi ne s'arrêtera pas ; espérons qu'à lui est réservée la vérita- ble gloire d'être le Défenseur de la Foi de tous ses sujets, et de cicatriser à jamais ces plaies pro- fondes et sans cesse saignantes qui , depuis plus de deux cents ans , affligent une si grande et si lovai e partie de son peuple.

io8. Personne ne peut prévoir ce qu'on doit attendre de la clique des sectaires; mais en sup- posant même les écrivains de l'Eglise établie sourds à la voix de la justice , on croirait qu'en réflé- chissant à l'origine de ce titre de leur souverain , la décence, du moins, les engagerait à supprimer leurs invectives. Il est hors de doute que le roi tient ce titre du Pape , et de nul autre indi-

Lettre III. io5

vidu. On lui dispute toUwS les jours son droit divin à la couronne y et il l'a lui-même désavoué; mais ({uant au titre de Défenseur de la Foi _, il le doit entièrement au Pape. Nos Théologiens Pro- testans nous affirmeront-ils donc encore que leur souverain et le nôtre porte un titre qui , remar- quez-le bien, est introduit, non-seulement dans chaque traité, mais même dans chaque acte, dans chaque contrat , dans chaque rescrit municipal ? Nous diront-ils encore qu'il tient ce titre de " l'Homme du Péché, de l'Antéchrist, de !a Pros- tituée vêtue d'écarlate " ? Dégraderont-ils à ce point ce souverain* qu'ils nous invitent en même- temps à respecter, auquel ils nous disent d'obéir? Oui , ils le doivent , ou bien ils doivent avouer que leur vile calomnie et leurs invectives con- tre l'Église Catholique ont été aussi fausses que détestables.

109. Les prédécesseurs du roi portaient un outre titre. On les appelait roi de France , qui était un titre de bien plus ancienne date que celui de Défenseur de la Foi. Ce titre três-glo- rieux dont nous nous enorgueillissons beaucoup ne fut acquis ni par les Luthériens, ni par les Presbitériens, ni par les Nouveaux Eclairés, avec Saint Noël ou St. Butterworth à leur tête. Ce fu- rent nos braves ancêtres Catholiques, au panache à Trois Plumes , que le roi porta pendant si long-temps. Ils le conquirent durant la supré- matie du Pape , tandis que la confession , l'ab-

io6 Réforme Protestante.

solution, les indulgences, les messes et les mo- nastères existaient en Angleterre. Il fut acquis j)ar des Cathoiicfues dans les siècles " obscurs de Vignorance et de la superstition des moines*," et ce fut un Protestant '^ dans le ciel •'"' et un Ministre infidèle aux traités, qui le per- dirent. Il fut acquis par la valeur , et on l'a- bandonna par crainte; disons même par la crainte de ceux que, pendant maintes années, on nous avait appris à considérer comme les plus vils , ( et bien sûrement ils avaient été les plus san- guinaires ) de tous les hommes.

I lo. Après avoir donné une'faible esquisse des progrès du tyran dans la destruction de la li- berté de son peuple , et de la manière dont il se défit de ses femmes, il serait temps d'entrer dans la grande scène de pillage , et de rendre compte des malheurs qui s'ensuivirent immédia- tement. Ce sera le sujet de la lettre suivante.

I

Lettre IV. Ï07

No. IV.

LETTRE IV.

TïflANNlE HORRIBLE. MASSACRE DE LA CoMTESSE DE

Salisbury. Célibat du Clergé. Evêque de Win- chester. Accusations de Hume , et réponse de l' Evêque Tanner.

Mes Amis, Kensington y le 2S féuriei' 1825.

III. Nous avons déjà vu que la " Réforme " tut engendrée par une incontinence brutale , et élevée dans l'hypocrisie et la perfidie. 11 nous reste aussi quelques modèles des actes, en vertu desquels elle fit couler le sang innocent. Dans cette lettre et dans la prochaine , nous verrons comment elle ravagea et saccagea le pays, quelle indigence et quelle misère elle y produisit , et de quelle manière elle devint la source de cet état de pauvreté , de ce dérèglement honteux de mœurs, de cette affluence effrayaute de cri- mes de tous les genres , qui pèse de nos jours avec tant de force sur le caractère de cette na- tion , jadis si vertueuse et si opulente. . Il 2, Lorsque, au paragraphe 97 , nous avons laissé le Roi et Cran mer occupés de leurs san-

io8 Réforme Protestante.

glantes œuvres, nous en étions à l'an i536, et le 27^ du règne de Henri VIlï. En i528, il fut rendu une loi , en vertu de laquelle le Roi était dispensé de payer les dettes qu'il avait contrac- tées ; plus tard , il en fut rendu une seconde au même effet , et par ce moyen , des milliers de ses sujets furent complètement ruinés. En 153^ , la nouvelle reine, Jeanne de Seymour, donna à Henri un fils , qui , par la suite régna sous le nom d'EoouARo VI. La mère perdit la vie en lui donnant le jour; et, s'il faut en croire Sir Richard Baker, on eut recours à l'opéra- \ lion Césarienne pour sauver l'enfant. Dans cette 1 grande " Réforme, " l'homme ne se démentit jamais; ses actions furent toujours en harmonie 1 avec ses sentimens; jamais on ne le vit compatir 1 aux souffrances d'autrui , et c'est un trait ca- \ ractéristique que Whitaker donne à sa fille ! Elisabeth.

1 13. Se voyant un fils pour successeur, Henri fit , à l'aide de son parlement , passer une loi qui déclarait d'abord ses deux filles Marie et Elisabeth illégitimes, et ensuite que, dans le cas il n'aurait pas de postérité légitime , le roi posséderait, en vertu de lettres patentes, ou d'un simple testament , la faculté de disposer de la couronne en faveur de cjui bon lui semblerait. Pour couronner l'œuvre, et pour former une série complète d'actes de tyrannie inouis jusqu'alors , en l'an iSSy, et le 28^ de son règne, il fit rendre

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Lettre IV. ion

une loi qui déclarait que , dans tous les cas , sauf ceux de droit privé , les Ordonnances du Roi auraient la même force que les ^ctes du Par- lement. Ainsi donc , les lois et la justice étaient à la merci d'un seul homme , et d'un homme qui se jouait des lois , d'un homme pour qui la justice n'était qu'un vain nom, et dont le cœur ne fut jamais accessible à la compassion.

114. Il est aisé de concevoir que la fortune et la vie des particuliers ne pouvaient être en sûreté , tandis qu'un pouvoir semblable était concentré dans les mains d'un tel homme. La Grande Charte avait été foulée aux pieds, du moment l'on eût attaqué la suprématie du Pape. Le fameux acte d'ÉDOUARD Trois tendant à protéger le peuple contre toute accusation non-fondée de haute-tra- hison, fut entièrement mis de côté. Beaucoup de cas qu'on n'avait pas jusqu'alors considérés comme criminels, furent traités comme de haute trahison. Pendant long-temps les jugemens furent dérisoi- res; ils furent enfin mis tout-à-fait de côté, et les prévenus condamnés à mort , non-seulement sans être appelés et entendus dans leurs moyens de défense ; mais même, dans beaucoup de circonstan- ces, sans être informés des crimes , ou du moins prétendus tels, pour lesquels on les conduisait au supplice. Ce que nous avons lu des Deys d'Alger et des Beys de Tunis, même dans les rapports les plus exagérés relatifs à leurs actions, ne peut, sous le rapport de la barbarie et de l'iniquité , se com-

1 1 o Réforme Protestante.

parer à celles de cet homme , que Burnett appelle " le fils Je la Réforme " Anglaise. Les victimes de sa cruauté sanguinaire étaient ordi- nairement choisies parmi les plus vertueux de ses sujets -, et cela par une conséquence naturelle , car un homme de son caractère avait plus à crain- dre d'eux que de tout autre. Des familles en- tières et des cercles d'amis tombaient sous le poids de sa hache ; il n'épargnait ni âge ni sexe , si ceux qu'on lui désignait possédaient, ou étaient soupçonnés de posséder assez d'intégrité pour ne pas approuver ses actions. Un regard douteux éveillait ses soupçons , et il n'en fallait pas da- vantage pour être envoyé à l'échafaud. L'Angle- terre, avant son règne sanglant, si heureuse, si libre, si peu habituée au crime que la liste des assises présentait à peine trois criminels à juger, par an, dans un comté, vit alors plus de soixante mille personnes enfermées dans ses cachots à la fois et à la même époque. La cour de " ce fils aîné de la Kéforme'''' était une boucherie de chair humaine. Ses peuples , abandonnés par ses pro- tecteurs naturels qui étaient corrompus d'avance par le pillage, ou par l'espoir de piller, formaient le troupeau tremblant et terrifié, tandis que S. M., semblable à un maître-boucher, gras et joyeux, assis dans son palais , donnait les ordres pour le massacre: et que son Grand-Prêtre Granmer se montrait toujours prêt à sanctionner et à sanc- tifier ses actes.

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1 15. Les détails de ces massacres ne pourraient que dégoûter et fatiguer le lecteur. Un exem- ple, néanmoins, ne saurait être passé sous silence; c'est le meurtre des parens, et entre autres, de la mère du Cardinal Pole. Le Cardinal qui, dans sa jeunesse, et avant qu'il fût question du divorce du Roi, avait été en grande faveur au- près du monarque , et avait fait ses études et voyagé sur le continent aux frais du trésor royal , désapprouva le divorce et tous les actes qui s'en^ suivirent; et, quoique rappelé par le roi , il re- fusa d'obéir. C'était un homme eminent par son érudition , par ses talens et ses vertus , et ses opinions avaient un grand poids en Angleterre. Sa mère, la Comtesse de Salisbury, était des- cendante des Plantagenets , et la dernière de cette longue dynastie des rois d'Angleterre ; en sorte que le Cardinal, que le Pape avait élevé à cette dignité, à cause de son grand savoir et de ses vertus éminentes , était proche parent du Roi du côté de sa mère , mais il s'opposa forte- ment aux mesures de Henri , et il n'en fallut pas davantage pour exciter sa vengeance contre ce prélat. Après avoir mis en œuvre toute es- pèce de ruses et d'artifices , après avoir employé des sommes considérables pour s'emparer de sa personne , n'ayant pu y parvenir, il résolut d'exer- cer son horrible vengeance sur les siens et sur sa vénérable mère. Elle fut accusée par l'infâme Thomas Cromwell, dont nous parlerons bien-

112 Réforme Protestante.

tôt plus amplement , d'avoir engagé ses tenan- ciers à ne pas lire la nouvelle traduction de la Bible , et d'avoir reçu des bulles de Rome, que le dénonciateur prétendit avoir trouvées à sa maison de campagne, dans le comté de Sussex. Cromwell produisit aussi une bannière , qui avait , disait-il , servi à des bandes de rebelles dans le Nord , et qu'il aflirma avoir trouvée dans sa maison. Toutes ses accusations étaient si ab- surdes et si peu fondées, qu'il fut même impos- sible de faire le procès à la Comtesse. On de- manda alors aux juges , si le parlement ne pourrait pas la convaincre , c'est-à-dire la condamner sans l'entendre ? et ils déclarèrent que cette mesure ne serait pas sans danger ; que , quant à eux , ils ne pouvaient en agir ainsi dans leurs cours, et qu'ils étaient d'avis que le parle- ment lui-même n'y consentirait jamais. On leur demanda alors si , dans le cas le parlement ^ Y prêterait j cette action serait valide aux jeux de la loi ? et ils répondirent affirmativement. Il n'en fallut pas davantage. On proposa un bill, en vertu duquel la Comtesse de Salisbury , la Marquise d'Exeter et deux autres Seigneurs, pa- rens du Cardinal , furent condamnés à mort. Ces deux derniers furent exécutés ; la Marquise obtint sa grâce , et la Comtesse fut renfermée dans une prison, comme une espèce d'otage pour la conduite de son fils. Quelques mois après néan- moins , les actes tyranniques du roi causèrent

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une insurrection ; le Cardinal Pole fut soupçonné de l'avoir suscitée , et sa pauvre mère fut traî- née à l'échafaud. Bien qu'âgée de plus de soix- ante-dix ans, et affaissée sous le poids des souf- frances encore plus que sous celui des années, elle maintint jusqu'au dernier instant la noblesse de sa naissance et de son caractère. Lorsque l'exécuteur lui ordonna de pencher la tête sur le billot : "Non, dit-elle, ma tête ne se courbera " jamais devant la tyrannie ; je ne fus jamais " coupable de trahison , et si tu veux ma tête , " tâche de l'abattre de telle manière que tu pour- " ras. " Alors le bourreau lui lâcha un coup de hache sur le cou, et comme elle se mit à cou- rir autour de l'échafaud, avec ses cheveux blancs qui flottaient sur son sein et sur ses épaules, il la poursuivit et lui fit sauter la tête, après lui avoir donné plusieurs coups de hache.

II 6. Est-ce en Turquie ou à Tripoli qu'une pareille scène se passa ? Non , c'était en ^dn- gleterre; en Angleterre la Grande Chjirte venait d'être mise tout récemment en vigueur ; l'on n'aurait du par conséquent faire aucun acte contraire à la loi ; mais le pouvoir ec- clésiastique et civil se trouvant concentrés dans les mains d'un seul homme , des massacres de cette nature qui auraient révolté une populace turque, pouvaient y être commis sans le moin- dre danger pour l'auteur. Hume, dans ses ob- servations sur la situation morale du peuple ,

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1 1 4 Réforme Protestante.

durant le règne de Henri , prétend que ce roi ne î\xt jamais haï du peuple, " qu'il paraît, au " contraire , avoir joui , en quelque sorte , de " son estime et de son affection, jusqu'aux der- " niers instans de sa vie. " Il ajoute, qu'on peut dire , avec vérité, " que les anglais de ce temps- " étaient tellement soumis que, semblables " aux esclaves de l'Orient , ils étaient disposés " à admirer jusqu'aux actes de tyrannie et d'op- " pression qu'on exerçait envers eux et à leurs " dépens. " Cet historien mensonger ne laisse ja- mais échapper une occasion de colorer les actions de ceux qui détruisirent l'Église Catholique en Angleterre et en Ecosse. Trop adroit, néanmoins, pour approuver la conduite sanguinaire de Henri , il voudrait nous faire croire que , après tout , il y avait quelque chose d'aimable dans son ca- ractère*, et il cherche à le prouver en nous persua- dant qu'il fut chéri de son peuple jusqu'aux der- niers instans de sa vie.

ii-j. Rien n'est plus faux que cette assertion, à moins qu'on ne prenne pour l'amour popu- laire des insurrections sans cesse renaissantes , accompagnées de plaintes et des reproches les plus amers. Quant à cette observation que les Anglais de ce temps-là étaient entièrement sou- mis, outre qu'elle semble réfuter l'assertion de Vamour du peuple pour le tyran, c'est une pure calomnie que les écrivains Ecossais, pleins d'en- vie, se plaisent à répéter d'un commun accord.

Lettre IV . 1 1 5

L'objet constant et principal de Hume est, par dessus tout, de jeter de la défaveur sur la Re- ligion Catholique ; voilà la raison pour laquelle il ne s'est pas aperçu que si l'on ne fit aucune résistance à ce tyran sanguinaire, comme on l'a- vait faite auparavant au Roi Jean et à plusieurs autres mauvais Rois , c'était parce que ce ty- ran avait les moyens de corrompre les protec- teurs naturels du peuple , de les engager à agir contre le peuple ; ou , tout au moins , de paralyser leurs efforts. Cet historien a oublié de nous dire que Henri VIII trouva le peuple Anglais aussi brave et aussi juste que ses an- cêtres l'avaient trouvé ; mais qu'étant parvenu à le diviser , et à assurer aux grands une masse énorme de pillage pour les récompenser d'avoir abandonné les droits du peuple ; ce peuple de- vint ce que tout peuple sans protecteurs et sans chefs doit nécessairement devenir, un pur trou- peau de brebis qu'on peut traiter suivant son bon plaisir. La malignité et l'envie de l'écrivain Ecossais , l'aveuglèrent sur ce point , et l'enga- gèrent à attribuer à \ admiration du peuple An- glais pour la tyrannie cette soumission à laquelle il fut réduit, après maintes tentatives pour échap- per au joug , parcequ'il se vit privé , pour la première fois, des protecteurs qu'il avait toujours trouvés jusqu'alors. Eh quoi ! n'avons-nous ja- mais vu de nation , composée de plusieurs mil- lions d'individus , opprimée et avilie , pendant

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ii6 Réforme Protestante.

des siècles entiers , par une poignée ^liommes ? Et faut-il en conclure que c'était par admiration des tyrans qui l'opprimaient que cette nation s'é- tait soumise ? Etait-ce par admiration de la ty- rannie que les Anglais se soumirent à Cromwell, et les Français à Robespierre? Ce dernier re- çut le cliatiment à ses crimes, mais Cromwell y échappa : comme Henri , il mourut dans son lit ; mais quel homme , s'il n'est aussi méchant que pervers , pourra présumer que l'impunité de Cromwell provint de la soumission du peu- ple et de son admiration du tyran ?

11 8. Nous allons maintenant porter notre at- tention sur les moyens qu'on employa pour sé- duire les protecteurs naturels du peuple , ainsi que sur l'espèce et le montant du pillage. J'ai dit dans le paragraphe 4 5 qne la " Réforme " fut fomentée et alimentée par la dévastation et le pillage , et dans le paragraphe 87 , que ce ne fut pas une Réforme ; mais bien une dévas- tation complète de l'Angleterre ; et que cette dévastation appauvrit et dégrada la masse du peuple. Je vais maintenant prouver la vérité de ces faits.

119. Nous avons vu dans les paragraphes 55 jusqu'à 60 inclusivement, de quelle manière les monastères furent érigés , et quelle espèce d'in- stitution c'était. A l'époque dont nous parlons , il y en avait 645 en Angleterre , outre 90 col- lèges, II 0 hôpitaux, et 2874 chapelles libres.

Lettre IV. 117

Ils furent tous coniisqués, depuis le premier jus- qu'au dernier , et on les adjugea au roi , qui les distribua parmi tous les individus qui l'avaient aidé et assisté dans cette œuvre de pillage.

120. Veuillez bien remarquer, mes Amis, vous tous Anglais sensés et équitables , que toutes ces institutions se composaient d'une grande masse de propriétés territoriales y que ces propriétés n'étaient nullement destinées au seul maintien des moines , des corporations religieuses et des nonnes ; mais que la plus grande partie des re- venus refluait directement sur la niasse du peu- ple ; et que si ces propriétés ne fussent jamais devenues un objet de pillage, l'Angleterre n'au- rait jamais entendu , ou pour mieux dire n'au- rait jamais pu entendre les mots bideux Aq pauvre et de taxe des pauvres. Vous avez vu dans le paragraphe 62 , d'où provenaient les dixmes , et de quelle manière on en disposait , et vous allez bientôt voir de quelle manière on distribua les revenus des monastères.

121. Vous avez , sans doute , encore présens à l'esprit la censure , les sarcasmes et le ridicule que nous n'avons cessé d'entendre contre la vie monastique , dès notre plus tendre jeunesse. On nous a dit , sans cesse , que les moines , les re- ligieux et les nonnes n'étaient que des fainéans , qu'ils menaient une vie inutile, et qu'ils étaient à^une forte dépense , sans produire aucun bien; vous avez surtout entendu dire combien il était

ii8 Réforme Protestante.

ridicule et même cruel de forcer des hommes et des femmes à vivre dans le célibat ^ et de les exposer à rompre leur vœu de chasteté , et à devenir parjures en même temps.

122. Cet objet est très-important. C'est une grande question morale ; nous devons par con- séquent faire tous nos efforts pour la résoudre, afin de bien fixer notre opinion sur ce sujet , avant d'aller plus avant. Sans doute, l'état mo- nastique était accompagné de vœux de célibat ; il faut donc avant de donner les détails de l'a- bolition des monastères en Angleterre , dire quel- que chose de leur tendance , et par suite des suites naturelles et inévitables de ces vœux.

123. On a représenté comme une chose " con- ire nature " de forcer des hommes et des fem- mes à vivre dans le célibat , et comme tendant à produire des penchans qu'il ne serait même pas décent de désigner. Je le demande mainte- nant ; n'avons-nous pas tout récemment entendu parler de penchans de ce genre ? N'ont-ils pas fait leur odieuse apparition parmi des ecclésias- tiques et des évêques ? Si cela est , je deman- derai ensuite si ces ecclésiastiques et ces évêques étaient Catholiques ou Protestans ? La réponse que tout Anglais ou Irlandais peut donner , sans hésiter, à ces diverses questions, suffit pour faire disparaître toute objection aux vœux de célibat. De plus , l'Eglise Catholique Jie force personne à faire de semblables vœux. Elle dit seulement

Lettre IV.

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qu'elle n'admettra aucun individu au sacerdoce ou dans les monastères qui refuserait de faire ce vœu. Saint Paul recommande fortement le célibat à tous les instituteurs chrétiens. L'Eglise établit une règle sur cette recommandation, et cela par le même motif qui l'a produite *, c'est- à-dire, que ceux qui ont des troupeaux, à soigner, ou pour me servir des expressions de l'Eglise Protestante , que ceux à qui on a confié le soin des aines , devraient , autant que possible , être libres de tous soins quelconques , et plus parti- culièrement de ceux que la surveillance constante d'un ménage exige , et qui trop souvent causent autant de désagrémens que de tourmens. Quel prêtre, qui a une femme et des enfans , ne tour- nera pas plutôt son attention sur eux que sur son troupeau ? Sera-t-il aussi empressé à faire des aumônes , ou à donner aux pauvres des se- cours de tous les genres avec la même cordialité qu'il le ferait , s'il n'avait pas de famille à sou- tenir ? Ne sera-t-il jamais tenté de s'écarter de son devoir , pour procurer des protecteurs à ses fils et à ses gendres? Repoussera-t-il avec la même hardiesse et le même courage l'oppression ou les vices du seigneur , de l'écuyer de son village , qu'il le ferait, s'il n'espérait de sa protection un bénéfice , un grade dans l'armée ou une sinécure pour quelqu'un de ses enfans ? Les penchans , le babil , ou même les querelles de sa femme avec quelqu'un de ses paroissiens, ne l'engage-

I20 Réforme Protestante.

ront-ils jamais à agir avec partialité envers eux, ou d'uue manière contraire à son devoir ? Et , sans parler de cent, de raille autres motifs, éga- lement puissans, que je pourrais mettre en avant, le prêtre, qui est marié, sera-t-il aussi empressé de se rendre auprès d'un malade atteint d'une maladie contagieuse que celui qui ne l'est pas? C'est , dans cette circonstance surtout , que le devoir du prêtre devient plus impératif, et c'est précisément dans cette circonstance, que le prê- tre marié , cédant à la voix de la nature , sera sourd à celle de son devoir. Je n'en citerai qu'un exemple sur mille. Pendant la guerre de 1776, le château royal de Winchester servit de prison aux Français que le sort des armes avait mis en notre pouvoir. Une fièvre épidémique terrible se manifesta parmi eux. Un grand nombre en mou- rut. Us étaient presque tous Catholiques, et deux ou trois prêtres de leur croyance , qui résidaient dans la ville , les assistèrent dans leurs derniers momens. Mais il y avait des Protestans sur le nom- bre , qui réclamèrent l'assistance de leurs minis- tres. C'était les curés et les vicaires des paroisses de Winchester. Il y avait aussi le Diacre et tous les Prébendiers du chapitre ; mais pas un d'eux n'alla consoler les Protestans agonisans , et par suite de cette coupable indiflérence, plusieurs de ces malheureux s'adressèrent aux prêtres et mou- rurent Catholiques. Le Docteur M ilner, dans ses lettres au Docteur Sturges, page 56, fait

Lettre IV. 121

mention de cette circonstance , et dit : " Voici ce qu'ils ( les ministres Prolestans) répondirent : " " Comme individus , nous ne craignons pas plus la mort que les prêtres Catholiques : mais nous ne pouvons pas porter le poison de la contagion dans le sein de nos familles. " Non, sans doute; mais alors , pour ne pas appeler cette conduite la soutane qui se cache sous le jupon, dans quel dilemme le Diacre et le Chapitre ne se trouvè- rent-ils pas placés ? Ou ils négligèrent leurs de- voirs les plus sacrés , et laissèrent les Protestans se jeter, à leurs derniers momens, dans les bras des prêtres Catholiques j ou bien le célibat au- quel ceux-ci se soumettent, et contre lequel leurs adversaires ont déclamé toute leur vie , et ne cessent de déclamer encore aujourd'hui , est , après tout , une chose nécessaire au soin des âmes dont ils se disent chargés , et pour lequel ils reçoivent des honoraires considérables.

124. Quelque sufTisaales que soient ces rai- sons, quelque concluans que soient ces argumens, nous remplirions mal la tache que nous nous sommes imposée , si nous nous arrêtions à ce que nous avons déjà dit; car, pour ce qui con- cerne le clergé séculier ne voyons-nous pas, ou pour mieux dire, ne sentons-nous pas que s'il a une famille, ou s'il s'attend à en avoir une, il lui reste alors peu de chose à offrir aux pau- vres de son troupeau ? En un mot, ne savons- nous pas que les prêtres maries , la pauçreté et

122 Réforîme Protestante.

la taxe des pauvres furent introduits dans ce pays au seul et même instant ? Quel efl'et le célibat du clergé produisit-il sur les premiers or- dres de ce corps? Un évêque, par exemple, qui n'avait ni femme, ni enfant, dépensait naturel- lement ses revenus parmi les individus de son diocèse. Il en employait une partie dans sa Ca- thédrale, et d'une manière ou d'autre, ses re- venus refluaient toujours sur le peuple. Si G u il- LAUME de Wykh A M eût été marié, les minisires Protestans n'auraient pas eu de collège à Win- chester. Il en eût été de même d'Eton , de Westminster, d'Oxford et de Cambridge, si les évêques de ce temps-là eussent été mariés. D'ailleurs, est-il dans l'ordre de la nature hu- maine qu'un évêque, qui a femme et enfans, ne consulte que l'intérêt de la religion dans la dis- tribution des bénéfices de l'Église ? Nous ne de- vons pas attendre d'un homme plus que ce dont nous savons par expérience qu'un homme quel- conque est capable. Il est du devoir du législateur d'intervenir , et de veiller à ce que la commu- nauté ne souffre pas de la nature faible des in- dividus , dont les vertus privées elles-mêmes peuvent dans quelques circonstances , et même assez fréquemment, ne pas tendre au bien public. Je ne dis pas que la conduite des évêques mariés soit toujours reprehensible , parce que je ne les connais pas assez pour avouer ce fait ; mais, en parlant du diocèse je suis et dont j'ai une

Lettre IV. I23

connaissance plus parfaite , je n'hésite pas d'af- lirmer , que si le dernier épéque de Winchester eût vécu du temps des Catholiques , il n'aurait d'abord pas eu àe femme lui-même; ensuite une belle-sœur y qui épousa M"", Edmond Poulter; et , dans ce cas , il m'est permis de croire que M'". Poulter n'aurait pas quitté le barreau pour 2a chaire , et par suite qu'il n'aurait pas eu deux cures de Meon-stoke et Soberton , outre une Prébende y que son fils Brownlow Poul- ter n'aurait pas eu les deux cures de Buriton et Petersfield ; que son fils Charles Poulter n'aurait pas eu les trois cures d'Alton, de Bin- stead et Kingsley; que son gendre Ogle n'aurait pas eu la cure de Bishop's Waltham ; et que son gendre Hajgarth n'aurait pas eu les deux cures d'Upham et Durley. Si cet évéque eût vécu dans le temps des Catholiques , il n'aurait pas eu un fils , Charles Auguste North, qui jouirait des deux cures d'Alverstoke et Havant , outre une Prébende ', il n'aurait pas eu un second fils, François North, qui jouirait des quatre cures de Old Alresford, Medstead , New Alresford et Southampton de S^^. Marie , outre une Pré- bende et la Maîtrise de Sainte-Croix ; il n'au- rait pas eu une fille à donner en mariage à M*". Guillaume Garnier, qui posséderait les deux cures de Droxford et Brightwell Baldwin , et serait en outre Prébendier et Chancelier ; il n'aurait pas été allié avec M. Thomas Garnier, frère de

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son gendre : le premier n'aurait pas joui alors des deux cures d'Aldingbourn et de Bishop's -stoke j il n'aurait pas eu une seconde fille à donner en mariage à M"". Thomas de Grey, qui posséde- rait les quatre cures de Calbourne , Fawley , IMerton et Rounton , et de plus une Préhende et un ^rchidiaconat. Enfin, si le dernier évê- que eût vécu dans le temps des Catholiques, il est difficile de croire que ces vingt-quatre cu- res, cinq Prébendes y une Chancelerie , un ^r- chidiaconat et une Maîtrise , produisant ensem- ble un revenu annuel de plus de vingt mille livres sterling ( 5oo mille francs ), eussent été concentrés dans les dix individus susmentionnés. Et n'est-il pas raisonnable de supposer que cet évêque , au lieu de laisser une succession , comme les journaux l'ont assuré , d'environ trois cent mille livres sterling ( sept millions et demi de francs ) en argent , s'il n'avait eu ni fils ni pe- tit-fils, aurait employé une partie de cet argent à réparer l'ancienne et magnifique Cathédrale de sa métropole, dont la voûte a été, ces jours derniers, sur le point de s'écrouler, ou bien qu'il aurait érigé quelque monument pour le bien pu- blic ou pour l'honneur de la nation , ou enfin qu'il aurait été un protecteur puissant et libé- ral des pauvres, et que, dans aucun cas, il n'au- rait pas du moins souffert qu'on vendît de petite bière dans son palais episcopal de Faunham, et cela même avec une licence de

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l'excise? A Dieu ne plaise que je dise, ou que je veuille donner à entendre qu'il se faisait un trafic illégal dans le Palais ; ou même que je prétende censurer ce qui s'y passait ; non , un homme , qui a une grande famille à soutenir et à pourvoir , doit connaître mieux que tout autre les moyens qu'il doit employer pour at- teindre ce but ; ainsi , si le prélat avait en effet une plus grande provision de petite bière qu'il ne lui en fallait , il était naturel qu'il la ven- dît, pour acheter de la viande, du pain et au- tres provisions nécessaires pour l'entretien de sa famille. Ce que je dis seulement, c'est que je ne crois pas que Guillaume de W y k ham ait jamais vendu de petite bière, en gros ou en détail; et j'affirme , dans les termes les plus précis , que tout ce que je viens d'annoncer s'est passé dans le Palais Episcopal de Farnliam, durant tout le temps que le dernier évêque a occupé le siège de Winchester. Guillaume de Wykham , qui prit ce surnom d'un petit village de Hampshire, ne fut pas évêque de Winchester la moitié au- tant de temps que le dernier , et cependant il trouva moyen de prendre sur ces revenus de quoi construire et doter un des Collèges d'Oxford, ainsi que celui de Winchester , et de faire en outre un grand nombre d'autres actes de la plus grande munificence , qui n'étaient pas néanmoins sans exemple parmi ses prédécesseurs, et qui ne fu- rent pas sans imitateurs parmi ses successeurs ,

120 Réforme Protestante.

tant que la religion Catholique subsista ; mais aus- sitôt que le clergé marié eût paru, toute mu- nificence cessa de la part des évêques de cette métropole , jadis si célèbre.

125. Il est impossible de parler de petite bière et du Maître de Sainte Croix sans penser au changement déplorable que la " Réforme " a produit dans cet ancien établissement. Sainte Croix, situé dans un pré , à environ demi-mille de Winchester, est un hospice, ou maison de refu- ge y fondé et doté par un Evêque de cette ville , il y a environ sept cents ans. Depuis lors, des Évê- ques du même diocèse ajoutèrent successivement à ses dotations jusqu'à ce qu'enfin il eût les moyens de loger et d'entretenir d'une manière conve- liable quarante-huit vieillards , avec des prê- tres, des garde-malades et un nombre suflisant de domestiques; outre un dîner préparé, chaque jour, pour cent des plus pauvres habitans de la ville. Ils se rassemblaient , tous les jours , dans une salle, appelée la salle des cent hommes , on leur donnait un pain , trois pots de petite bière et " deux plats " pour diner , avec la permis- sion d'emporter chez eux ce qu'ils ne pouvaient manger à table. Que voit-on maintenant à l'hos- pice de Sainte Croix? Hélas! dix pauvres créatu- res se traîner de long et en large dans l'intérieur de ce noble édifice \ et trois pensionnaires ex- ternes ; et c'est un procureur de Winchester qui leur apporte ou leur envoie , chaque semaine ,

Lettre IV. 127

quelques deniers ( pence ) qu'on leur alloue ; mais cela n'empêche pas que la place de Maître de Sainte-Croix ne rapporte un très-bon revenu. Je n'en connais précisément pas le montant; mais puisque cette charge a été donnée à un des Jils de l'Evêque , le lecteur supposera naturellement que ce n'est pas une bagatelle. Il y existe encore néanmoins un usage qui, suivant la remarque du Dr, MiLNER, est probablement le dernier vestige de la " vieille hospitalité anglaise ; " car tout voyageur qui y va et frappe à la porte , pour y demander du secours , reçoit gratis une pinte de bonne bière et un gros morceau de bon pain. Le feu Lord Henri Stuart m'assura qu'il s'y était présenté un jour , et qu'il avait reçu l'une et l'autre.

126. Mais j'allais presque oublier de dire qu'il y a encore aujourd'hui un évêque à Winches- ter. Et que fait-il ? Je n'ai pas entendu dire qu'il ait fondé , ou qu'il ait envie de fonder des col- lèges ou des hospices. Tout ce que j'ai appris de lui, pour ce qui a rapport à I'Education, est que 5 dans son premier mandement au clergé de son diocèse, il les a engagés fortement à faire cir- culer parmi leurs paroissiens les pamphlets d'une Société établie à Londres , à la tête de laquelle se trouve Mr. Joshua Watson, marchand de vin et d'eau-de-vie , dans Mincing-lane ; et toutes les œuvres de Charité que j'ai entendu dire qu'il ait faites, c'est qu'il est le Vice-Président d'une

128 Réforme Protestante.

Société qui s'est formée de sa propre autorité , et sous le nom de Société Philantropique de Hampshire , ayant pour but d'établir des sous- criptions parmi les pauvres pour leur soulage- ment et leur entretien réciproques ; ou, en d'au- tres mots , pour engager les pauvres ouvriers à économiser sur le produit de leur travail de quoi se soulager , lorsqu'ils deviennent malades ou vieux , sans avoir recours à la taxe des pauvres. Grand Dieu! Mais Guillaume de Wykham, TEve- que Fox , l'Évèque Wynefleet , le Cardinal Beaufort , Henri de Blois , et en comptant tous les évêques de Winchester jusqu'à Saint SwiTHiN lui-même, n'eurent jamais recours à un pareil moyen pour soulager les pauvres ; celui qu'ils employaient pour répandre l'enseignement, était de fonder et de doter des collèges et des écoles; celui qu'ils employaient pour faire fleurir la religion était de bâtir et de doter des églises et des chapelles; enfin celui qu'ils mettaient en usage pour soulager la misère et les souffrances des indigens était de fonder et de doter des hospi- ces ; et cela , à leurs propres frais et du pro- duit de leurs propres revenus. Pour expliquer la " vérité Évangélique " à leurs ouailles , ja- mais aucun d'eux ne songea à référer son Clergé à une Société ayant à sa tête un marchand de vin et d'eau-de-vie. Jamais aucun d'eux ne conçut la sublime pensée d'avoir recours aux pauvres pour leur soulagement mutuel. Ah ! oui ; mais

Lettre IV. 129

il est vrai que ces prélats vivaient dans " les siècles obscurs de V ignorance et de la super- sliiion des moines. " Il n'est pas étonnant, dès lors , qu'ils ne pussent pas comprendre que les pauvres sont les êtres les plus propres à soulager les pauvres. Ils n'avaient d'ailleurs ni femmes ni enfans qui pussent leur sourire et attendrir leur cœur. S'ils en eussent eu, leurs sentimens con- jugaux et paternels leur auraient appris que charité bien ovàounée commence par soi-même , })ar conséquent qu'il vaut mieux vendre la petite bière que de la donner.

127. En voilà assez touchant le célibat du clergé ; mais il est impossible d'abandonner ce su- jet , sans adresser un mot au Ministre Maltiius. Cet homme est non-seulement Protestant ; mais encore ministre de notre Église ; et croirait-on qu'il désirerait voir forcer une grande partie de la classe ouvrière à s'abstenir du mariage. Il y a pjus. M^. Scarlett lui-même proposa un bill au parlement, tendant visiblement vers ce but, et cela, afin, disent-ils, de parvenir à une diminution de la taxe des pauvres. Le Ministre Malthus n'ap- pelle pas ceci recommander le célibat; mais seule- ment une " restreinte morale. " Et, qu'est-ce que le célibat , sinon une restreinte morale ? En- sorte que voilà des hommes qui vilipendent l'E- gUse Catholique , parcequ'elle exige de ceux qui veulent devenir prêtres ou nonnes des vœux de célibat , et qui , d'un autre côté , proposent de

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i3o Réforme Protestante.

forcer les classes ouvrières à vivre dans le céli- bat , ou de courir le risque manifeste de périr de faim , eux et leurs enfans. Doit-on traiter cette contradiction d'impudence ou de folie? C'est l'une et l'autre , et au degré le plus haut qui soit jamais sorti de la bouche d'un mortel. Ils affectent de croire que le vœu du célibat exigé du clergé est ridicule , parcequ'il est contraire à la nature. C'est, du moins ce que le D»". Sturges lui-même affirme-, mais, s'il en est ainsi à l'égard d'une classe d'hommes qui ont reçu de l'éduca- tion, auxquels la religion ordonne l'abstinence, le jeûne et des prières pour ainsi dire continuel- les et un nombre infini d'austérités; s'il en est ainsi à l'égard de ces hommes , liés par un vœu soleimel, dont la violation les expose à l'infamie; s'il en est ainsi, dis-je , avec de tels hommes, et qu'il y ait par conséquent de la cruauté , lion pas à les forcer , remarquez bien, à faire de semblables vœux, mais seulement à souffrir qu'ils les fassent volontairement ,• que sera-ce si l'on force de jeunes hommes et de jeunes femmes de la classe ouvrière à vivre dans le célibat, ou de s'exposer à mourir absolument de faim ? La réponse est claire ; c'est une contra-' diction des plus manifestes , ou une méchanceté préméditée et qui, de même que les autres pro- jets relatifs aux pauvres , non moins cruels que mal conçus, doivent être entièrement imputés à la " Réforme " ; cette grande , cette vraie source

Lettrk IV, i3i

de la pauvreté, de la misère et de la dégradation qui , depuis lors, ont pesé sur la grande niasse du peuple du royaume. La " Réforme " a dé- pouillé la classe ouvrière de son patrimoine ; elle lui a enlevé ce que la nature et la raison lui avaient assigné ; elle l'a privée d'un secours qui lui appartenait par un droit imprescriptible que les lois divines et humaines lui avaient confirmé. Elle a établi à la place de ce droit un système correctif intolérable et contre nature ; un système qui tend à créer une haine conti- nuelle entre les pauvres et les riches, au lieu de les unir, ainsi que le faisait le système Ca- tliolique par les liens de la charité chrétienne. Mais de toutes les suites les plus pernicieuses de la " Réforme ", celle du mariage du clergé est sans contredit la plus funeste. Elle a établi parmi nous un ordre qui procrée journellement plusieurs milliers de pauvres créatures à la charge de l'Etat ; car n'ayant par elles-mêmes aucune espèce de moyen de subsister, il faut que, d'une manière ou d'autre, elles soient entretenues aux dépens du peuple. Il faut absolument leur pro- curer des places , civiles ou militaires , des si- nécures ou des pensions , quelque moyen enfin de vivre sur les revenus des riches, ou du fruit du travail des pauvres. Si l'on ne peut trouver de prétexte , si l'on n'a aucun service public à faire valoir , ou si enfin la liste des pensions se trouve épuisée, alors elles deviennent une charge

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1 32 Réforme Protestante.

directe pour le peuple j et c'est de cette manière que , depuis environ vingt ans , nous avons vu le parlement voler seize-cent mille livres ster- ling ( 4o5000)000 francs ) sur les taxes , pour venir au secours du pauvre clergé de l'Église Anglicane. Et , en même temps qu'on accordait cette prime annuelle pour la procréation de quel- ([ues milliers de fainéans _, le parlement était assommé de projets tendant à forcer la classe ouvrière de la communauté à se vouer au cé- libat. Exisle-t-il quelque chose de mauvais ou de monstrueux que cette " Réforme " protes- tante n'ait produit ?

128. Ainsi, donc, mes Amis, nous avons, je crois , résolu cette grande question ; et , après tout ce que nous n'avons cessé d'entendre , du- rant le cours de notre vie , contre cette règle de l'Église Catholique , qui imposait le vœu du célibat à tous ceux qui se vouaient , de plein gré 3 à la vie ecclésiastique ou monaslique , nous trouvons , soit que nous considérions cette règle sous un point de vvie religieux , moral , civil ou politique , qu'elle était fondée sur la prudence et la sagesse , qu'elle produisait le plus grand bien sur la masse du peuple , et qu'on ne saurait assez regretter qu'elle ait été abolie.

129. En voilà donc assez sur ce sujet de rail- lerie continuelle contre l'Eglise Catholique. Avant de rendre compte des actions de ce scélérat, de Thomas Cromwell qui dirigea le pillage, il

Lettre iV. i33

faut que nous disions quelque chose en réponse à Vaccusation générale que les écrivains Pro- testans, et surtout les malveillans historiens Écos- sais ont portée contre les monastères ; car , si ce qu'ils ont dit était vrai , nous serions disposés à croire , comme on a toujours cherché à nous le peisuader , qu'il n'y avait pas grand mal à commettre les vols dont il va être rendu compte. Nous allons citer à ce sujet Hume qui , ( vol. 4, page i6o, ) en parlant des rapports faits par Thomas Cromwell et ses myrmidons, dit : " Il " vaut mieux croire que les vices étaient na- " turellement inhérens à Vinstitution de la vie " monastique; par conséquent ajouter foi aux " rapports faits par les commissaires sur l'exis- " tence àQs factions et des querelles y aussi cruel- " les qu'invétérées , entre des hommes qui , se " trouvant claquemurés ensemble , ne peuvent " jamais oublier leurs animosités mutuelles , et " qui , étrangers aux liens les plus doux de la " nature , ont en général, le cœur plus dur^ le " caractère plus hargneux , plus inflexible que la " plupart des autres hommes. Les œuvres frau- " duleuses de piété, auxquelles ils ont recours " pour exciter la dévotion et les libéralités du " peuple peuvent être considérées comme avé- " RÉES , dans un ordre fondé sur \ illusion , sur " le mensonge et sur la superstition. D'un autre " côté, la LACHETE et la PARESSE, accompagnées •' de FiGNORANCE PROFONDE qu'on reprochait

i34 Réforme Protestante.

*' aux moines nVdmettent aucune espèce de " doute. Quelle science utile ou. agréable ^o\x- " vait-on, eu effet, attendre d'une classe d'honi- " mes, qui, condamnés à une vie ennuyeuse et *' monotone, et privés de toute émulation , étaient " entièrement insensibles à tout ce qui peut éle- " ver l'esprit ou cultiver le génie. "

i3o. Je doute fort si jamais moine a écrit des phrases plus incorrectes que celles-ci \ mais , quant aux faits, ces très-croyables y ces certains , ces indubitables faits sont évidemment, pour la plu- part, un tissu de mensonges perfides. Sur quoi en effet , des hommes qui menaient une vie si oisive , qui n'avaient aucune espèce d'amhitioi. , pouvaient-ils fonder " leurs factions ou leurs que- relles " ? Dans le contraste que nous avons étabU entre la charité des évèques Catholiques et Pro- testans, on a pu voir combien le cœur des ecclé- siastiques non-mariés est bien plus dur que celui des ecclésiastiques mariés. Il est " très-croya- ble '' que des hommes perdus dans une " 0/6-/- veté passive , '' commissent des fraudes pour se procurer un argent que leur position même les empêchait de garder ou de léguer , et qui étaient absolument dépourvus ai émulation. La méchanceté de ce menteur a surpassé son arti- fice, et ne lui a pas permis de s'apercevoir que, dans une phrase, il fournissait de fortes présomp- tions contre la vérité de la phrase suivante. Ce- pendant comme son livre a été et est encore beau-

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coup lu i et comme son contenu m'a induit en erreur, ainsi que des milliers d'autres, je vais en appeler à diverses autorités^ toutes Protes- tantes^ remarquez bien, en contradiction à ses assertions , aussi fausses que viles , observant , en passant, qu'il n'eut jamais lui-même m femme ni enfans ; que, de son vivant, il était grand, gros, gras et nourri, en grande partie, aux frais du public y sans l'avoir mérité par aucun ser- vice réel.

i3i. Dans son Histoire d'Angleterre il ne cite pas moins de deux cents fois Tanner , qui était Evêque de St. Asaph sous le règne de George IL Voyons donc ce que I'Evêque Tanner, voyons ce que cet Evêque Protestant dit du caractère et des effets des monastères que les sauvages dé- truisirent sous le règne de Henri VIII. Voyons comment cette grande autorité de Hume s'ac- corde avec lui sur un des points les plus in- téressans et les plus importaus de notre iùàtoire. Nous allons voir l'acte de pillage le plus con- sommé , le mépris des lois , de la justice et de l'humanité le plus audacieux que jamais homme ait vu, en toute autre circonstance, sur toute la surface du globe. Nous allons voir des milliers d'individus dépouillés , dans un instant , de tous leurs biens, arrachés de leurs foyers, réduits à la mendicité ou condamnés à mourir de faim ; et tout cela en violation , non-seulement de la justice naturelle ; mais même de toutes les lois

1 36 Réforme Protestante.

écrites ou non-écrites. Examinons donc le ca- ractère des hommes qu'on traitait de la sorte , et les institutions auxquelles ils appartenaient. Examinons-les , non pas d'après le tableau que nous en a fait un ennemi déclaré de la reli- gion Catholique et de toute religion chrétienne ; mais bien d'après celui que nous en a laissé un Euéque Protestant^ et dans un livre écrit ex- pressément pour rendre compte des abbajes _, des prieurés et des couve ns ciui existaient ja- dis en Angleterre et dans la principauté de Galles j ne perdant pas de vue , à mesure que nous avancerons dans la lecture, que, dans son Histoire d'Angleterre, Hume a cité plus de deux cents fois cet ouvrage , se donnant , toutefois , bien de garde de dire un seul mot qui ait rap- port à la question importante dont il s'agit.

i32. Avant de rendre compte de ses pénibles recherches sur la nature et le nombre de ces diverses institutions, I'Évêqite Tanner donne, pages 19, 20 et 21 de sa préface, les détails snivans sur le caractère, en général, et les oc- cupations des monastères, ainsi que sur les ef- fets produits par leur établissement. En lisant les détails donnés par I'Evêque Tanner , veuil- lez bien, je vous en conjure, mes Amis, ne pas perdre un instant de vue ceux de Hume sur le même sujet. Rappelez-vous , ou plutôt reli- sez par fois le reproche qu'il leur fait " d'iw- dolence passive; " " ^ignorance profonde, " de

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manque total " à^ émulation et de science utile ou agréable'^ Rappelez-vous, par dessus tout, le reproche " d'égoïsme " et celui de " frau- des pieuses " pour obtenir de l'argent du peu- ple. Voici maintenant ce que l'Évêque dit sur le même sujet.

i33. îl y avait dans chaque grande Abbaye une grande salle, désignée par le nom de Scrip- ioriuniy dans laquelle plusieurs écrivains étaient exclusivement occupés à transcrire des Hures à l'usage de la. bibliothèque. Quelquefois , il est vrai , ils tenaient les livres relatifs aux dé- penses de la maison et copiaient des missels et autres livres qui servaient à V office divin ,• mais, en général, c'était d'autres ouvrages, tels que les Pères de F Eglise , les Classiques , les Historiens , etc. etc. Jean Whethamsted , abbé de Saint-Alban , fit transcrire plus de quatre- vingts livres de cette manière ( on ne connais- sait pas encore Vart de V imprimerie ), pendant qu'il fut abbé. Un Abbé de Glastonbury en fit transcrire cinquante-huit autres , et tel était le zèle des moines poiir ce genre d'occupation, que souvent on leur assigna des terres et des églises qu'on appropriait pour la confection de ce travail. Dans les abbayes les plus considéra- bles il y avait également des personnes chargées de noter les événemens les plus remarquables qui survenaient dans le royaume , et , à la fin de chaque année , de les rédiger en annales.

1 38 Réforme Protestante.

Ils conservaient soigneusement dans leurs registres tout ce qui avait rapport à leurs fondateurs , ainsi qu'à leurs bienfaiteurs , Fan et le jour de leur naissance , de leur mort , de leur mariage , de leurs enfans et de leurs successeurs \ de manière que souvent on y avait recours pour constater l'âge des individus et les généalogies des familles. Il y a néanmoins sujet d'appréhender que quel- ques-unes de ses généalogies n'aient été tracées que par pure tradition ; et que , dans plusieurs circonstances , les moines ne se soient montrés aussi favorables à leurs amis , que sévères envers leurs ennemis. On faisait enregistrer dans les abbayes les constitutions du clergé dans leurs synodes nationaux et provinciaux j et , après la conquête , les actes mêmes du parlement , ce qui me conduit à rappeler l'utilité et les avan- tages de ces maisons religieuses ; car, d'abord, on y conservait les annales et les documens les plus précieux du royaume. On envoya dans une abbaye de chaque comté une copie de la charte des libertés accordées par Henri I, ( Magna Chart A ). On déposa dans le Prieuré de Bod- min des chartes et des enquêtes relatives au comté de Cornwall ; et l'on conserva dans l'abbaye de Leicester et dans le prieuré de Kenilwortli un grand nombre de documens jusqu'à l'époque où. Henri HI les en fit retirer. Le roi Edouard I fit faire des recherches dans toutes les maisons religieuses , et feuilleter tous leurs registres ^

Lettre ïV. i3c)

et toutes leurs chroniques , à l'effet de décou- vrir ses titres à la couronne d'Ecosse _, et les moyens de les constater de la manière la plus authentique. Lorsqu'il fut reconnu roi d'Ecosse , il envoya des lettres pour être insérées dans les chroniques de V abbaye de Jf^inchconih , dans le Prieuré de Noni^ich , et vraisemblablement dans plusieurs autres endroits semblables. Et lors- qu'il eut fait décider la dispute relative à la cou- ronne d'Ecosse qui existait entre Robert .Brus et Jean Baliol, il écrivit au doyen du chapitre de St. Paul , à Londres , pour lui enjoindre d'en- registrer dans leurs chroniques la copie qu'il leur envoyait de cette décision. C'est des registres mo- nastiques que le savant M^". Selden a tiré les preuves les plus authentiques des droits de sou- veraineté de la Grande-Bretagne sur les pe- tites mei^s. Souvent on envoyait dans ces maisons les titres et Vargent des familles pour y être mis en sûreté. A la mort des nobles _, on y dé- posait leurs sceaux _, et la cassette même du roi fut plus d'une fois confiée à leurs soins. En Second lieu , il y avait chez eux des écoles d'enseignement et d'éducation ; car chaque cou vent avait une ou plusieurs personnes désignées pour cet objet ; et tous les habitans des alen- tours qui le désiraient , pouvaient y envoyer leurs enfans ^ pour apprendre la grammaire et le plain-chant , sans la moindre rétribution. Bans les couvens des nonnes, les jeunes personnes

i4o - Réforme Protestante.

apprenaient également à travailler à V aiguille , à lire l'anglais , et quelquefois Latin. De telle sorte que, non-seulement les filles de la basse classe dont les parens étaient trop pauvres pour fournir aux frais de leur éducation, mais même celles des nobles et des gentilshommes étaient élevées dans ces maisons. Troisièmement, tous les monastères étaient , dans le fait , de grands hospices , dont la plupart étaient obligés d'en- tretenir tous les jours un certain nombre de pauvres. Il y avait également des maisons qui donnaient Vhospitalité à presque tous les voya- geurs. La noblesse elle-même , lorsqu'elle était en voyage allait dîner dans un couvent , loger dans un autre, et ne s'arrêtait jamais, ou bien rarement , dans les auberges. En un mot , leur hospitalité était telle que dans le Prieuré de Norwich , on consumait , tous les ans , plus de quinze cents quarts ( quaters ) de drèche , plus de huit cents quarts de blé, et tout le reste dans la même proportion. QuATRiÈMEMENt, au moyen des bourses , les nobles et les bourgeois trou- vaient un asile dans ces maisons, non-seulement pour leurs vieux serviteurs , mais même pour leurs jeunes enfans, ou pour des amis tombés dans l'indigence , en les fesant moines ou nonnes d'abord, et en devenant par la suite prieurs ou prieures, abbés ou abbesses. Cinquièmement, ces maisons étaient d'un avantage réel pour la Couronne elle-même, i*'. En ce qu'à la mort

Lettre iV. i,^i

d'un Abbé ou d'un Prieur, elle retirait un grand profit de l'élection , ou plutôt de la confirma- tion de son successeur. 2°. Par les fortes sommes qu'elles payaient pour la confirmation de leurs libertés. 3<>. Par le grand nombre de bourses qu'elles accordaient aux vieux serviteurs de la couronne , ainsi que des pensions aux clercs cl aux aumôniers du roi, jusqu'à ce qu'ils eussent de l'avancement. Sixièmement, ces maisons étaient d'un grand avantage pour les villes et les villages dans le voisinage desquels elles éîaicnt situées, i**. Parcequ'elles y attiraient beaucoup de monde , et parce qu'elles leur accordaient le privilège de tenir des foires et des marchés. 2". En les affranchissant des lois forestières. 3". En affermant leurs terres à has prix. Enfin, elles étaient autant d'ornemens pour le pays 5 car la majeure partie étaient des édifices magnifiques; et bien qu'ils ne fussent ni si grands ni si élé- gans que les hôpitaux de Chelsea et de Green- wich , ils n'en étaient ni moins admirables ni moins admirés de leur temps. Plusieuis églises des abbayes étaient égales , si jion supérieures à nos cathédrales actuelles j et leur aspect, ainsi que les frais de construction et de réparations qu'elles exigeaient , étaient tout au moins aussi favorables au pays que peuvent l'être aujourd'hui les châteaux et les maisons de campagne des grands seigneurs et des gentilshommes.

134. Maintenant, envieux Hume, approchez,

i/|2 Réfoume Protestante,

et venez répondre à cet évêque Protestant , de l'autorité duquel vous vous êtes appuyé plus de deux cents fois, et qui, vous le voyez, donne un démenti formel à toutes , ou plutôt à chaque partie de votre tableau. Au lieu de votre " indo- lence passive " nous voyons l'amour le plus con- stant et le plus prononcé pour le travail ; au lieu de votre " ignorance profonde , " nous trou- vons dans chaque couvent une école la jeu- nesse reçoit toute espèce d'instruction gratuite- ment : au lieu de ce manque de toute " science utile ou agréable y " nous voyons qu'on étudie , ([u'on enseigne , qu'on copie , qu'on conserve tous les auteurs classiques ; au lieu de " Yégo'is- me " et des " fraudes pieuses " que vous leur reprochez , nous trouvons des hospices pour les malades, des médecins, des garde-malades pour les soigner , et Vhospilalité la plus noble , la plus généreuse , et surtout la plus désintéres- sée; au lieu de cet " esclavage, " que dans cin- quante parties de votre histoire d'Angleterre, vous affirmez avoir été entretenu par les moines, nous les voyons affranchir le peuple des lois fores- tières , et préserver avec un soin religieux la Grande- Charte de la liberté anglaise j et vous savez, aussi bien que moi, qu'à l'époque cette Charte fut renouvelée par le Pioi Jean, on dut ce renouvellement aux soins et à la persévérance de 1' Archevêque Langton, qui excita les Ba- rons à le demander , après avoir trouvé , ainsi

Lettre IV. 1^3

que Tanner , le remarque , ce document pré- cieux déposé dans une ahhaye. A bas donc-, à bas ! menteur plein de malice ! descends dans l'enfer, et dis au diable que c'est I'Évèque Pro- testant Tanner qui t'y envoie !

i35. Le défaut d'espace me force à m'arrê- ter ; mais ici même , appuyés d'une seule auto- rité , nous en avons mille fois plus qu'il n'en faut pour répondre aux mensonges atroces de Hume, et à tous les détracteurs de la vie mo- nastique qu'il était urgent de réduire au silence , avant que d'exposer dans ma prochaine lettre , par quels moyens infâmes , sanglans et cruels , on parvint à dévas.ter et à détruire ces institu- tions.

\

HISTOIRE

DE LA

" RÉFORME " PROTESTANTE ;

EN

ANGLETERRE ET EN IRLANDE;

Dans laquelle on de'monlre que cet événement a appauvri et dégradé la masse du peuple dans ces deux pays ;

DANS UNE SÉRIE DE LETTRES ,

Adressées à tous les Anglais sensés et équitables.

PAR WILLIAM COBBETT,

3^ OUVRAGE POUR 1826.

II.c Série. Prix : F.^ o - 9a

LOUVAIN ,

CHEZ VANLINTHOUT ET VANDENZANDE.

Et chez les Libraires désignés ci-après. 1826.

Imprimatur

Mechliniœ, Maji 1826. /. FORGEUR, Fie. gen.

GCbon

itciiieiiî-

de loo '^octcjiaue.

Les Abonnés reçoiA^cnt un exemplaire de cliaquc Ouvrage qui est publié pour l'année. Ceux qui habitent la campagne doivent indiquer une maison en viUe oil leurs Ouvrages puis- sent être remis.

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Diesl

Dixmiide

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Gand . De Corte.

Grammont, J. Van den Eycken,

liai , De Prins.

Hassell

H"y

Ipres, Jacq Van der Meersch. Jodoigne, Allard. Lessines , Deltenre. Liège , Lemarié.

Lokeren, . . . .

Loiivain , Vanlinlhout et

Vandenzande. Luxembourg. . . . Maestricht , Koymans. Malines, Van Velsen-Van der

Elst.

Marche

Mons, Jevenois.

Namnr, Dieudonne' Ge'rard.

Nivelles, M"' Dujardin.

Peruwelz

Poperingue, Diiflour.

Renaix

Rotterdam , Thompson frères, Roiilers, David Van Hèe. S. Nicolas, Rukaert-Vanbeesen. Soignies, A. F. Robyns. Spa, la veuve Bndosi.

Termonde

Thielt

Tirleraont, Merckx. Tournay , Casterman aîné.

Tiirnhout

Verviers, M''. Th. Oger.

Virton

Wavre

A Aix-la Chapelle , M. Nèlessen, cure de St. Nicolas. A Munster, M. George Kellermann , doyen et cure' de Saint- g^"»i Jtludger.

Ouvrages distribués jusqu'au] ourd'liui aux u4bonnés de 1S26 , pour les onze francs 5o cent, de r abonnement j et qui se trouvent chez les susdits Libraires :

Fr. C.

1°. Histoire de la " Re'forme " Protestante, en Angleterre et en Irlande ; dans laquelle on démon- tre que cet événement a appauvri et dégradé la masse du peuple dans ces deux pays ; dans une série de lettres, adressées à tous les Anglais sensés el équitables. Par William Cobbett. I" Série, i56pag. o - qo

Mélanges par M'", l'abbé F. De la Mennais. 456 pages 2 - ^5

3°. Histoire de la " Réforme " Protestante, en Angleterre et en Irlande ; par William Cobbett. II* Série , 164 pages 0-90

Lettre V. i45

LETTRE V.

AUTORITIÉS RELATIVES AUX EfFETS DES INSTITUTIO^"S

Monastiques. Leur grapïde Utilité. Sagesse Po- litique QUI PRÉSIDA A LEUR FONDATION. NOMINA- TION DU SCÉLÉRAT ThOMAS CrOMWELL. SeS OEu-

VRES DE Pillage et de Dévastation. Premier Acte du Parlement qui autorisa le Pillage.

]Mes Amis, Kensington , le 3i 31ars , 1825.

i36. Lorsqu'à la fin de la lettre précédente, j'ai paru me contenter de l'autorité de l'Évêque Protestant, Tanner, comme défenseur des in- stitutions monastiques contre les attaques et les mensonges atroces de Hume, j'avais en réserve beaucoup d'autres autorités que j'aurais pu citer alors , si j'eusse eu de la place. Sans doute l'É- vêque Tanner le confond sur tous les points ; mais le sujet est d'une telle importance, au mo- ment où nous allons passer en revue la destruction de ces institutions que , sur cinquante autorités que je pourrais citer, j'en choisirai encore quatre ou cinq. Je prendrai un écrivain étranger et qua- tre Anglais; mais ne perdez pas de vue que toutes sont des autorités Protestantes.

10

1 46 Réforme Protestante.

iSy. Mallet. Histoire de la Suisse , yd. \. jpag. ic5. " Les moines , /)<2r leurs instruc- " lions , adoucissaient les mœurs féroces du peu- *^ pie et opposaient leur crédit à la tyrannie " des nobles, qui ne connaissaient d'autre occu- " pation que la guerre , et opprimaient leurs " voisins de la manière la plus cruelle. C'est pour " cette raison que le gouvernement des moines " était préféré à celui de la noblesse. Le peuple " les prenait pour arbitres , et il était passé " en proverbe , cbez lui , qu'iV valait mieux " être gouverné par la crosse d'un évêque que " par le sceptre d'un roi. "

i38. Drake. Heures Littéraires , J^ol. II. pag. 435. " Les moines de Gassins , dit Whar- " TON, se faisaient remarquer f autant par leur " érudition profonde et leur application aux " belles-lettres que par leur connaissance fami- " Hère des auteurs classiques. Leur savant Abbé '^ Désidérius a fait la collection la plus com- " plète des écrivains Grecs et Latins , et leur " congrégation a non-seulement composé de sa- " vans traités de Musique , de Logique , à'^s- " tronomie et à' ^architecture yitruvienne / " mais encore elle a employé une partie de ses " loisirs à copier Tacite et plusieurs autres au- " teurs anciens. Cet exemple, si digne de louange " dans les ii.« et i2.e siècles, fut suivi, avec au- " tant d'ardeur que (^émulation , dans plusieurs " monastères de l'Angleterre. "

Lettre V. 147

1 39. Turner. Histoire cV ^4nglelerre y J^oL. II. pag. 332 et 36 1. " Jamais tyrannie ne fut " créée avec un empressement plus marque ni " maintenue avec plus de persévérance de la part " du peuple : dans aucune circonstance, on ne " vit Vintérét individuel et le bien public se " confondre avec autant d,e cordialité , que dans " l'encouragement donné aux monastères. "

\l\o. Bates. Philosophie Rurale ^ jja g. 322. " 11 est à regretter que, tandis que les Papis- " tes mettent tous leurs soins à établir des cou- " vens de femmes et autres sociétés religieuses '• dans toute l'étendue du royaume , quelques " zélés Protestans ne cherclient pas à suivre " leur exemple en formant des établissemens " pour l'éducation et l'entretien des jeunes per- " sonnes disposées à la retraite , ou qui man- " quent d'ailleurs de moyens d'existence ; elles " pourraient du moins y jouir d'une retraite tem- " poraire, y être instruites dans les principes de *' la religion et dans tous les arts d'une utilité " domestique ; de manière à mettre celles qui " seraient disposées à rentrer dans le monde à " portée de remplir , d'une manière convena- " ble , tous les devoirs de la société. On assu- " rerait par ce moyen la subsistance et le bien- " être de beaucoup d'individus , tout en faisant " le bien de la société en général, et, en per- " feclionnant ce qui nous vient du Catbolicisme, " nous parviendrions plus facilement à contre- " carrer ses intérêts. '^ 10*

1 48 Réforme Protestante.

i4t. Quarterly Review, Décembre i8it. *' Le monde n'a jamais eu autant d'obligation " à une société quelconque qu'à l'illustre corps " des Bénédictins ^ malheureusement, en rap- " portant le mal qu'ils ont causé, les historiens " ouhlient trop souvent le bien qu'ils ont fait. " Il n'est pas de lecteur , même le plus com- *' mun , qui ne connaisse St. Dunstan y l'ar- *' chi-faiseur de miracles ; tandis que nos com- " patriotes les plus instruits se rappellent à peine " les noms de ces hommes admirables qui aban- " donnèrent l'Angleterre, pour aller devenir les " apôtres du Nord. Tinian et Juan Fernandez (i) " ne font pas plus belle figure sur l'océan Pacifi- ^' que, que Malmesbury, Lindisfarne et Jarrow " dans les siècles de notre heptarchie. Une com- *' raunauté d'hommes pieux, également adonnés ^' à la littérature , aux beaux-arts et à la re- *' ligion , se montre, dans ce temps-là, comme '■'' un Oasis en fleurs au milieu du désert. Sem- " blables aux étoiles , dans une nuit privée de '^ la clarté de la lune , ils répandent sur nous " une lumière douce et agréable. Si jamais il " y eût homme vraiment digne du titre de vé- " nérable , c'est sans contredit Bede au nom " duquel ce titre est constamment lié, pour avoir " passé sa vie à instruire ses contemporains et " à préparer des annales pour la postérité. A cette

(i) Deux. îles de l'Occan Pacifique.

Lettre V. i49

** époque , l'Église était le seul refuge contre " les fléaux auxquels toutes les nations étaient " exposées. Au milieu des guerres continuelles, " l'Église jouissait de la paix ; elle était consi- " dérée comme un empire sacré par des hom- " mes qui , tout en se haïssant mutuellement , " croyaient en un même Dieu et le craignaient. " Toute vilipendée qu'elle était par les honi- " mes du monde et les ambitieux , toute des- " honorée par les artifices des mal-intentionnés " et les folies des fanatiques, elle n'en offrait pas " moins un asile à ceux qui valaient mieux que " le monde dans leur jeunesse, ou qui en étaient " las dans leur vieillesse. Les hommes sages, ti- " mides et pacifiques se réfugiaient dans ce ber- " cail de Dieu, ils jouissaient d'une lumière " pure et d'un calme profond, au milieu des tem- " pètes et des ténèbres. "

142. Ce passage est très-élégant, mais de même que l'esprit de Protestantisme qui animait Tur- ner l'avait poussé à employer le mot " tyrannie^^ pour exprimer une chose qu'un sentiment de pu- deur le forçait à dire qu'elle était " l'ouvrage " du peuple , et qu'elle avait été produite et " maintenue par une réuniori cordiale ^intérêt " personnel et de bien public '' j de même l'es- prit de Protestantisme y qui a animé les auteurs de la Revue, les a conduits à parler des ^' maux '' occasionnés par un ordre auquel le monde a plus d'obligation qu'à toute autre société y et à ré-

i5o Réi-or:\ie Protestante.

péter l'accusation triviale portée contre St. Dun- STAN, oubliant, probablement, que ce même saint figure sur le Calendrier de notre Église Pro- testante. Mais en voilà plus qu'il n'en faut, pour servir de réplique à cette horde d'écrivains, qui ont cliercbé à vomir leur fiel contre les ordres monastiques.

143. Pouvons-nous citer ces autorités, pou- vons-nous voir toutes ces preuves incontestables de cette charité et de cette bienfaisance vraiment chrétiennes qui étaient essentiellement liées à la religion de nos pères, sans éprouver de l'indi- gnation contre ceux qui , depuis l'enfance jus- qu'à notre virilité , n'ont cessé de chercher à nous persuader que l'Église Catholique ne produisit que l'égoïsme , la dureté de cœur , l'avarice dans le clergé , et , par dessus tout , une grande in- sensibilité envers les pauvres ? Quelque incon- testable qu'il soit que la " Réforme " a dépouillé les pauvres de leur patrimoine ; quelque claires, comme nous allons le voir bientôt , que soient les preuves de son influence sur la production des mendians , et sur la dureté des grands en- vers la basse classe du peuple , que de soins , que de peines , que de ruses n'a-t-on pas em- ployés, pour nous faire croire précisément tout le contraire ! Si le salut de leur âme eût dé- pendu de l'objet qu'ils avaient en vue, les four- bes ne se seraient certainement pas donné plus de peine et de soins pour l'atteindre. Ils se sont

Lettre V. i5i

particulièrement attachés à inculquer leurs men- songes dans l'esprit des enfans. La presse a vomi, pendant plus de deux siècles , des livres , à bas prix , afin de parvenir plus facilement à leur but. Je ne puis m'empêcher d'en citer un , parmi tant d'autres y je veux parler d'une fable insérée, par \m certain Fenning , dans un alphabet dont on se sert en Angleterre, depuis plus de cinquante ans. Cette fable a pour titre : " le " prêtre et le bouffon , " et est ainsi conçue : " Un homme se présenta un jour devant un Prê- " tre Cathohque et lui demanda la charité. Il " commença par lui demander une guinée; puis, " il diminua la somme jusqu'à ce qu il en vint « enfin à un Hard , et néanmoins le prêtre per- « sista dans son refus. Alors le mendiant lui de- <' manda sa bénédiction que le prêtre s'empressa " de lui offrir. " " Non , je n'en veux pas, « dit le mendiant , car si elle valait un Hard " seulement vous ne me la donneriez certai- «- nement pas. " On peut juger, par cet échan- tillon , combien ces imposteurs se donnaient de peine pour tromper le peuple. Quel mensonge , aussi vil que pervers, ce seul livre n'a-t-il pas gravé dans l'esprit d'un nombre infini d'enfans et de plusieurs millions d'Iiommes !

144. Procédant maintenant à l'examen des effets produits par les institutions monastiques , il est bon d'observer qu'il fallait s'appuyer d'au- torités avant de le commencer. Les mensonges

1 52 Réforme Protestante.

datent de loin. L'égoïsine et l'hypocrisie , soute- nus par la -violence, la tyrannie et la cruauté sont en mouvement , depuis des siècles , pour tromper le peuple Anglais. Ceux qui s'étaient engraissés des dépouilles de l'Église et des pau- vres , et qui désiraient continuer d'en jouir tran- quillement , s'efforçaient naturellement de per- suader au peuple que ceux qui avaient été dé- pouillés étaient des gens sans mérite ; que les institutions , dont ils s'étaient approprié les belles propriétés , étaient , tout au moins , inutiles ; que ceux qui les possédaient auparavant étaient des êtres sans énergie , ignorans et vils , propres à abrutir le peuple , au lieu de l'éclairer , dévo- rant tout ce qui était destiné à la subsistance et à l'entretien des honnêtes gens. Lorsque toutes les presses et toutes les chaires d'un empire se coalisent pour atteindre le même but , et que l'Etat lui-même seconde leurs efforts , afin de mieux y parvenir \ lorsque le parti vilipendé est réduit au silence par des moyens de terreur dif- ficiles à dépeindre, nul doute alors que les as- saillans ne l'emportent facilement. La masse du peuple doit nécessairement ajouter foi à ce qu'on lui dit. Dans cet état de choses, il ne s'agit plus de la raison. Mais la vérité survit toujours ; et bien que momentanément réduite au silence, il survient toujours, à la fm, un moyen quelconque de la faire rentrer dans ses droits et de triompher du menson£je.

Lettre V- i53

145. Le moment est arrivé nous allons faire beau jeu à la raison. Nous voyons enfin notre pays couvert de pauvres, en proie au fanatisme et aux crimes de tous les genres. On considère comme une calamité V accroissement de la population , et l'on parle de divers projets pour l'arrêter. On parle de philosophes Écossais qui parcourent le pays , donnant des cours aux manufacturiers et aux artisans sur les moyens de prévenir l'accrois- sement des familles. Enfin nous en sommes venus au point d'être forcés à approfondir la cause d'un état de choses si monstrueux. Pour nous , nous en trouvons la cause immédiate dans la pauvreté et dans la dégradation de la masse du peuple ; et ces deux maux nous les traçons, par gradation, jusqu'à la " Réforme , " dont l'un des princi- paux effets fut de détruire les institutions monas- tiques, qui, comme nous allons le voir, retenaient le produit du travail dans des mains convenables, et le distribuaient de manière à répandre l'ai- sance et le bonheur parmi le peuple.

146. Les autorités que je viens de citer doi- vent être d'un grand poids dans la question dont il s'agit ; mais supposant même que nous man- quassions d'autorités à l'appui de ces institutions , que leur faut-il de plus pour en démontrer l'a- vantage , que l'exercice libre de notre raison ? La Raison , en pareil cas , vaut mieux que les autorités ; mais qui pourrait résister à la réunion de l'une avec les autres ? Je le demande donc :

1 54 Réforme Protestante.

la raison ne repousse-t-elle pas , avec dédain , les calomnies qu'on a vomies contre les institu- tions monastiques? Elles fleurirent en Angleterre pendant neuf siècles -, le peuple les chérissait j et elles furent détruites par la violence , par la rapacité des pillards , et par le poignard des as- sassins. Y eut-il jamais rien de vicieux en soi ou de pernicieux dans ses effets , qui fut estimé et vénéré par tout un peuple pendant un si long espace de temps? De nos jours mêmes , nous voyons la nation Espagnole prendre à cœur la défense des moines; et nous voyons \qs philosophes Ecos- sais les accabler d'injures, parce qu'ils ne veu- lent pas consentir à laisser passer les propriétés de leurs monastères dans les mains des juifs Aii- ë^ais.

147. Si les monastères avaient produit du mal, auraient-ils été si soigneusement protégés par tant de rois sages et vertueux , par les légis- lateurs et par les magistrats? Alfred fut peut-être le plus grand homme qui ait jamais existé. Quel écrivain célèbre, soit poëte, publiciste, ou histo- rien n'en a pas fait le sujet de ses plus grands élo- ges? Comme roi, comme soldat, comme patriote ou législateur , tous , sans exception , nous le représentent comme le plus grand , le plus sage et le plus vertueux des hommes. Et peut-on raisonnablement supposer qu'un homme , dont l'esprit était constamment occupé des moyens de rendre son peuple hbre , honnête , vertueux et

Lettre V. i55

heureux , aurait été , comme il le fut , en effet , Tun des plus zélés fondateurs de monastères , s'il eût considéré ces établissemens comme vicieux en eux-mêmes , ou tendant à produire le mal ? Nous n'avons plus ces institutions sous les yeux ; nous ne pouvons plus juger de leurs effets im-' médiats-, mais nous savons d'abord, à n'en pou- voir pas douter , que le roi Alfred et son con- seiller intime , St. Sv^illiin , en faisaient le plus grand cas et leur portaient la plus grande affec- tion; nous savons de plus qu'elles furent détruites par le tyran sanguinaire, Henri VIII et le scélé- rat, non moins sanguinaire, Thomas Cromw^ell. Ces deux faits avérés suivraient pour constater le mérite de ces institutions.

148. Et quelle réplique fait-on ordinairement

à cet argument? M^'. Mervyn Archdall, dans

sa préface à l'Histoire des Monastères Irlandais ,

dit : " Quand on réflécliit à l'universalité de ce

" zèle religieux qui portait des milliers d'indi-

*' vidus à se séquestrer de la société , à renoncer

*' aux plaisirs et aux jouissances de la vie, pour

" s'enfoncer dans la solitude et se livrer à la

" pratique austère de la macération ; quand nous

" voyons les hommes les plus prudens , les plus

" sages, devenir les dupes d'une fatale eî'reur,

" et r avare lui-même répandre ses trésors pour

*' participer à la félicité de ces mortifications ;

" quand le flot de l'enthousiasme est disparu et

*^ que la saine raison , revenue de son délire ,

1 56 Réforme Protestante.

" s'efforce , pour ainsi dire de détruire jusqu'au " moindre vestige de sa frénésie passée , nous " avons une bonne esquisse de l'hisloire du 3Io~ " nachisme y et un exemple peu ordinaire de " cette faiblesse d'esprit et de cette versatilité " qui caractérisent l'instabilité de l'espèce hu- *' maine. Nous considérons ces phénomènes dans " le monde moral avec cet orgueil qu'inspirent *' la supériorité reconnue de nos facultés intel- " lectuelles et les progrès de notre civilisation , " et notre amour-propre est flatté par une com- " paraison si évidemment favorable aux temps " modernes. " Vraiment, M^ Archdall, vous raisonnez parfaitement bien; mais devons-nous chercher les preuves , ou les indices de cette " supériorité reconnue , de cette comparaison si évidemment favorable aux temps modernes? '' Les trouverons-nous dans les ruines de ces no- bles édifices, du pillage et de la démolition des- quels vous nous rendez compte? Les trouverons- nous dans l'absence totale, ou même dans une tentative de les remplacer par des édifices d'un autre genre , qui les égalent en grandeur , en noblesse et en goût ? Chercherons-nous cette " su- périorité " dans les nombreux combats l'on exige les dîmes , le pistolet à la main , comme dans celui de Skibbereen ? Est-il prouvé que les temps modernes sont évidemment supérieurs aux anciens , parce qu'une loi renferme les Ir- landais dans leurs maisons, depuis le coucher jus-

Lettre V. 1^7

qu'au lever du soleil ? Fondez-vous votre com- paraison , si décidennnc.nt en faveur des temps modernes, sur ce que le peuple se nourrit comme des pourceaux , sur sa nudité , ou bien sur ce qu'il meurt de faim , par centaines , tandis que leurs ports sont encombrés de batimens qui em- portent leurs provisions , tandis qu'z/wc armée est nourrie et entretenue dans le pays , afin de tenir le peuple affamé en respect? Peut-être avez- vous vu, avec ORGUEIL, le bal de l'opéra, au profit des pauvres Irlandais à demi-morts d'ina- nition , et dans lequel la salle de bal était ORNEE d'un transparent qui représentait un Irlandais, de grandeur naturelle , et EXPIRANT DE FAIM? Et vous osez encore traiter de " dupes " les plus grands et les plus sages des liommes? Vous osez dire qu'ils étaient les dupes d'une fatale erreur, lorsqu'ils fondaient des institutions faites pour ôter toute idée d'avoir recours à un bal d'opéra, afin de venir au secours des pauvres? Jetez les yeux sur l'état de misère et d'iiorreur se trouve maintenant votre pays ; tournez-les ensuite sur votre catalogue des ruines ; et puis , ( car vous êtes, à ce que je vois, ministre de l'Eglise An- glicane ), vous direz, j'en suis certain, qu'à la vérité cet état de misère provient évidemment de ces ruines; mais que ce fut, d'une part, la " saine raison " et non la soif du pillage qui pro- duisit ces ruines -, et que ce furent de l'autre , la " frénésie et la faiblesse mentale '' dans les

1 58 Réforme Protestante.

^' plus grands et les plus sages des hommes," qui jetèrent les foudemens des édifices dont ces mêmes ruines retracent le douloureux souvenir. i49- Ne perdons pas de vue V hospitalité et tous les autres avantages produits par les mo- nastères dont parle l'Evêque Protestant Tanner; et , pour rendre justice pleine et entière à ces institutions si vilipendées, entrons plus avant dans le sujet. 11 est de notre devoir de démontrer qu'el- les furent fondées dans des vues d'une sage po~ lïtique , autant 'que d'une piété réelle et dune cliarité bien entendue. Prouvons qu'elles ne fu- rent pas, comme le méchant, l'envieux Hume les a faussement représentées , de vrais mendians sans pain 3 sans viande et sans bière; mais qu'elles répandaient dans la généralité du peuple l'abondance, le bonheur et le contentement, et que l'un de leurs effets naturels était de préve- nir cet état de choses, l'on ne voit que deux classes dans la nation , des maîtres et des escla- ves, dont la plus petite partie s'abandonne à tous les excès du luxe , tandis que des millions suc- combent sous le poids de la misère.

i5o. Tout ce que nous avons de bon , nous vient de la terre. Quelqu'un doit la posséder ; et ceux qui la possèdent doivent en répartir les revenus. Si une partie de ces revenus est ré- partie parmi le peuple , du travail duquel ils pro- viennent , et si cette répartition est faite de ma- nière à lui procurer une certaine aisance , nul

Lettre V. iSq

doute que le bonheur ne règne dans la com- niunauté; mais si la plus grande partie se trouve dilapidée , si on la transporte au loin , pour la dépenser au milieu de ceux qui n'ont pris au- cune part au travail, alors la majorité de la com- munauté doit nécessairement être mallieureuse; les hospices y les pj'isojis et les caser/zc^ doivent en être les suites naturelles. Or un des avanta- ges les plus grands , les plus réels des monas- tères , c'est que la plus grande partie des revenus des terres qu'ils possédaient , était consumée sur les lieux mêmes qui les produisaient. Les hôpi- taux et tous les établissemens de ce genre avaient la même tendance. 11 n'y avait des uns et des autres , grands ou petits , guère moins de cin- quante dans chaque comté ; de telle sorte que les revenus des terres se répandaient en grande partie , et d'une manière immédiate , parmi la masse du peuple. Nous connaissons tous le chan- gement en pis que produit maintenant dans une paroisse l'éloignement du seigneur, ou d'un grand propriétaire de terres, de son château ou de sa résidence. Tout le monde connaît l'effet que leur absence produit sur la taxe des pauvres de la paroisse. Il est notoire que la non-résidence du clergé, des nobles et des propriétaires dans leurs paroisses ou sur leurs terres, est la cause prin- cipale des maux qui se font sentir dans les cam- pagnes. Un des plus forts argumens en faveur des lois sévères sur la chasse , est que la chasse

i6o Réforme Protestante.

engage les nobles et les propriétaires des terres à résider à la campagne. Quel devait donc être l'effet de vingt riches monastères, dans chaque comté , dépensant constamment une grande par- lie de leurs revenus sur les lieux ? La grande cause de la misère qui règne , dans ce moment , en Irlande , est , sans contredit , \ absence des grands propriétaires de terres , qui enlèvent les revenus du pays , pour aller les dépenser à l'é- tranger. Si l'Irlande possédait encore dans son sein sept à huit cents établissemens monasti- ques , petits ou grands , comme autrefois , elle serait , comme elle l'était autrefois , dans un état d'aisance et de prospérité. Elle ne serait pas en proie , comme elle l'est , à des famines périodi- ques , à des fièvres putrides ; elle n'éprouverait pas le besoin de lois relatives au coucher et au lever du soleil ; elle n'aurait pas de capitaine Rock j on n'y formerait pas de projet pour ar- rêter les progrès de la population , encore moins ])our se débarrasser du surplus ; enfin elle serait" lout-à-fait étrangère à cette misère et à cette dégradation , qui la menacent de devenir un dé- sert , ou de causer la ruine de l'Angleterre elle- mêm.e.

i5i. Quelqu'un doit posséder les terres-, reste à savoir maintenant s'il vaut mieux qu'elles soient entre les mains de ceux qui résident et doivent constamment résider à la campagne et sur leurs domaines, ou bien de ceux qui peuvent et veu-

1

Lettrf. v. 16 1

lent , le plus souvent , vivre éloignés de leurs propriétés , et ne font qu'en retirer les revenus pour les dépenser ailleurs. On a souvent dit que les moines n'étaient que des bourdons; mais FÉ- vêque Tanner nous a démontré la fausseté de cette assertion : car , admettant qu'ils le fussent , un bourdon en capuchon ne serait-il pas aussi bon qu'un bourdon en chapeau ou en bottes à revers? Par bourdons on entend ceux qui ne tra- vaillent pas ; mais les propriétaires , en général , labourent-ils leurs terres? Le propriétaire-laïque et sa famille dépensent une moindre partie de leurs revenus d'une manière utile pour le peu- ple, que ne le fesaient les moines. Outre cela , outre l'hospitalité et la charité exercées par les moines; outre le droit, le droit légal que la masse du peuple avait, dans beaucoup de cas, d'une manière directe ou indirecte , à une portion des revenus des monastères, nous devons considérer les moines et les religieuses sous le rapport im- portant de grands propriétaires de terres. Tous les historiens , quelque protestans ou envieux qu'ils soient , s'accordent à dire que les com- munautés des Religieux étaient des " proprié- taires humains , " qu'ils affermaient leurs terres à bas prix , qu'ils fesaient des baux à longs ter- mes ? Les moines ne pouvaient posséder aucune propriété individuelle, ils ne pouvaient ni mettre de l'argent de côté, ni rien léguer. Ils n'avaient qu'un intérêt viager dans leurs propriétés ; ils

II

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Réforme Protestante.

vivaient, ils percevaient leurs revenus et les dé- pensaient en commun. Les historiens n'avaient pas besoin de nous dire que c'étaient des pro- priétaires humains. Ils devaient l'être , à moins que la nature humaine n'eût fait un pas retro- grade , tout exprès en les formant. Et n'était-ce pas une chose heureuse pour la nation qu'il y eût une pareille classe de propriétaires ? Les fer- miers d'Angleterre sauteraient de joie , si , au- jourd'hui pour demain , de pareils propriétaires venaient les arracher des mains d'un seigneur prodigue et nécessiteux.

i52. Considérons ensuite les moines comme imprimant aux affaires humaines les plus impor- tantes cette fixité qui sympathise si bien avec les bonnes mœurs , et influe si puissamment sur la prospérité publique et privée. Un monastère était un immeuble dont le propriétaire ne mou- rait jamais. Ses fermiers avaient affaire à un sei- cjneur qui ne cessait jamais de vivre; ses domaines et ses maisons ne changeaient jamais de maîtres; ses tenanciers n'avaient pas à craindre les mêmes vicissitudes que les autres ; ses forêts n'avaient ]>as à redouter la hache d'un dissipateur; ses ma- noirs ne changeaient jamais de propriétaire; ses villageois étaient tous nés et avaient tous été éle- vés sous ses yeux et par ses soins. Ils attachaient le plus grand prix à leur réputation , et veil- laient avec le plus grand soin à ce qu'elle fût intacte. Un monastère était dans un pays le centre

Lettre V. iG3

d'un cercle se portaient naturellement tous ceux qui avaient besoin de secours , de conseils ou de protection. 11 renfermait un corps d'hom- mes ou de femmes cjui, libres de soins personnels, avaient assez de sagesse pour guider ceux qui manquaient d'expérience , et assez de fortune pour soulager ceux qui se trouvaient dans la dé- tresse. Etait-il donc à désirer qu'on pillât , et qu'on dévastât ces établissemens ? Etait-ce une réforme que de donner, avec profusion, des do- maines, si bien employés, à des laïques qui ne voulaient et ne pouvaient faire aucun des actes de bienfaisance ou d'utilité publique qui prove- naient naturellement des institutions monas- tiques ?

i53. Enfin considérons les monastères comme une ressource pour les cadets et les cadettes des familles nobles _, et connue un moyen de mettre le gouvernement à l'abri des eiïets per- nicieux de leurs besoins pressans. Il ne peut exis- ter à^ aristocratie , ou de corps de noblesse y sans que le gouvernement ait à sa disposition de quoi l'empêcher de tomber dans ce mépris qui est , et doit toujours être inséparable d'une noblesse indigente. Mais, dira-t-on, peut-être : " Qu'avons nous besoin d'un tel corps ? " C'est tout une autre question ; car il existe et a existé , pendant plus de dix siècles , à l'exception d'un très-court espace de temps , au bout duquel nos ancêtres s'empressèrent de le rétablir. Toutefois, bien que

i64 Réformp Protestante.

ceci n'ait rien de commun avec la question dont il s'agit , il faut que je répète l'opinion que j'ai déjà souvent émise, que nous perdrions peut-être plus que nous ne gagnerions à nous débarrasser, de notre aristocratie. Je ne suis donc nullement partisan du gouvernement républicain ; d'où il suit que je le suis de Varislocratie ; car , sans elle, le gouvernement monarcbique n'aurait pas de bornes.

i54- Quoiqu'il en soit, ceci n'a rien de com- mun avec la question dont il s'agit. Nous avons une aristocratie et , d'une manière ou d'autre , il faut que le public pourvoie à la subsistance des branches cadettes, afin de l'empêcher de tom- ber dans la dégradation inséparable de la pau- vreté. A l'époque dont nous parlons , les monas- tères y suppléaient en partie , en admettant dans leur sein un grand nombre d'individus nobles de l'un et de l'autre sexe -, en sorte qu'on n'avait pas besoin de recourir aux pensions et aux si- nécures y si odieuses et si onéreuses pour le peu- ple ; il était alors moins chargé d'impôts. C'était une ressource qui ne dégradait nullement ceux qui y avaient recours , et elle ne causait ni mur- mure, ni mécontentement parmi le peuple à qui elle ne coûtait rien. Elle tendait à rendre les nobles eux-mêmes moins dépendans de la cou- ronne , puisqu'on trouvait moyen de pourvoir à la subsistance de leurs parens nécessiteux, sans le secours de la couronne ; enfin , elle tendait

Lettue v. iG5

à rendre le peuple moins dépendant des nobles, qu'il ne Teiit été sans le secours de ces mêmes institutions. Les monastères donnaient Vexemple , comme maîtres, et comme seigneurs- fonciers; et tous les autres étaient en quelque sorte forcés de le suivre. De cette manière , tous les rangs et toutes les classes de la société retiraient un bénéfice , direct ou indirect , de ces institutions que des bistoriens de mauvaise foi ont eu la bassesse de vilipender , et dont ils ne cessent de représenter la destruction comme un des traits les plus brillans de la " Réforme. "

i55. Ce n'est pas seulement sous le rapport politique que les efi'els de ces institutions doi- vent être considérés. Celui-là serait vraiment doué d'une ame bien vile et bien basse , qui n'éprouverait pas une espèce d'orgueil à la vue de ces vastes et nobles édifices qui font l'orne- ment du pays qui le vit naître. L'amour de la patrie , cette variété de senlimens qui , réunis dans le même individu , forme ce qu'on appelle \e pairiolisnie f consiste, en grande partie, dans l'admiration et le respect que nous devons na- turellement porter à ces signes , aussi antiques qu'irrécusables , de science et de splendeur. Les édifices et les écrits des moines visaient à la pos- térité. La nature , toujours vivifiante de leurs institutions, imprimait à tout ce quils fesaieJit, une durée qui ne calculait ni les temps ni les siècles. Dans leurs constructions , comme dans

66 Réforme Protestainte.

lOO

leurs plantations , ils avaient constamment eu vue les jouissances, l'honneur, la prospérité, la grandeur des générations futures. Tout ce qui sortait de leurs mains était aussi parfait qu'ils pouvaient le faire. Dans leurs jardins, dans leurs viviers , dans leurs champs , dans tout , en un mot , ce qui constituait la partie économique de leurs travaux , ils donnaient l'exemple du bon goût , ils embellissaient le pays , ils en fesaient un objet d'orgueil pour le peuple , et donnaient à la nation un éclat , non moins grand que per- manent. Allez dans un comté quelconque , con- templez , aujourd'hui même , les ruines éparses de vingt abbayes ou prieurés , et demandez-vous ensuite , " qu'avons-nous en échange de ces no- jjles débris ? " Parcourez le site de quelque cou- vent jadis opulent ; voyez son cloître devenu , entre les mains d'un sous-fermier , le dépôt de son fumier , de son fourrage ou de ses fagots ; voyez ce beau réfectoire , pendant des siè- cles , la veuve , l'orphelin et l'étranger trouvaient constamment une table prête à les recevoir ; voyez ces débris de leurs murs contre lesquels est ap- puyé maintenant un mauvais hangard , après avoir consacré le reste à des ateliers ( work- house ). Pieconnaissez dans cette chétive grange une partie d'une chapelle jadis magnifique, et, si attaché à ces lieux par vos rêveries mélan- coli(jues , vous êtes averti de l'approche de la nuit par les cris perçans d'une fresaie , sortis de

Lettre V. i6-

ces voûtes que fesaient jadis reteutir , à la même heure , le chant des moines à la louange du Sei- gneur , et qui , durant sept siècles , avaient ré- sisté aux tempêtes et aux orages les plus affreux ; si , dis-je , réveillé par le besoin de nourriture et de repos , vous jetez les yeux sur cette vieille masure badigeonnée , située sur la hauteur , et appelée " château du seigneur , " un poteau vous avertira des pièges et des fusils à ressorts qui en défendent l'approche. Quittant alois celle scène de dévastation , l'esprit plein de " la vieille hospitalité Anglaise " vous dirigerez vos pas vers la première auberge , dans une salle , à demi échauffée et éclairée , on mesurera les égards et les atlentions à la longueur de votre bourse , et l'on vous rendra compte des prétextes hypo- crites , des motifs infâmes , des moyens tyran- niques et sanguinaires , auxquels on eut recours pour effectuer cette dévastation , et pour ban- nir à jamais l'hospitalité tant vantée de nos bons aïeux.

i56. Nous avons déjà vu en partie quels étaient ces prétextes, ces motifs, ces actes de tyrannie et de cruauté ; nous avons vu que l'incontinence brutale du tyran en chef fut la cause première de ce qu'on appelle " la Réforme "; nous avons vu qu'il n'aurait pu l'opérer sans le concours du Parlement , et que , pour obtenir son consen- tement, il promit aux membres des deux cham- bres de partager avec eux les dépouilles des mo-

iG8 llÉFOR>iE Protestante.

nastères ; et , si nous réflécliissons à l'élendue de leurs possessions, à la beauté et à la fertilité de la plupart de leurs sites, si nous songeons à l'envie que dut produire dans le cœur de la plus grande partie de la noblesse l'affection que le peuple leur portait , nous ne serons plus sur- pris de les voir désirer si ardemment une " Ré- forme " qui mettait en leur pouvoir de si bel- les propriétés.

15-. Lorsque des hommes peuvent et veulent commettre des actes d'injustice, ils ne manquent pas de prétextes \ or nous allons voir quels fu- lent ceux auxquels on eut recours pour cora- ineucer à dévaster l'Angleterre; mais, pour faire ce travail, il fallait un ouvrier, de même que pour tuer un bœuf, il faut un boucher. Pour déposséder les vrais propriétaires d'une grande partie de ces biens, pour renverser des établisse- iiiens que le peuple avait appris à vénérer dès Venfance , pour défier toutes les lois divines et humaines, pour violer tous les principes sur les- quels reposent les droits de propriété, pour pri- ver les pauvres et les orphelins de leurs moyens d'existence, pour dégrader entièrement le pays, et en faire, à la lettre, un tas de ruines; pour commettre enfm tous ces actes d'iniquité , il fal- lait un agent convenable, et cet agent le tyran le trouva dans Thomas Cromwell, dont le nom, ainsi que celui de son digne associé, Crakmeu, doivent être à jamais prononcés avec horreur par

Lettre V. 160

la postérité la plus reculée. Ce Cromwell était le Ills d'un serrurier de Putney, dans le comté de Surrey. Il avait été dans sa jeunesse une es* pèce d'agent subalterne dans la famille du Car- dinal WoLSEY, et s'était insinué dans les bon- nes grâces du roi par sa flatterie basse et servile, et par sa trahison infiime envers son bienfaiteur et son ancien maître. Le roi se fit, à cette époque, chef de l'Église. Pour exercer la suprématie , il avait eu le bon sens de se pourvoir d'un Cran- mer pour primat, et il lui avait associé un Crom- well, qui ne le cédait en rien à Cranmer en impiété et en bassesse, qui le surpassait en lâ- cheté , et qui lui était infiniment supérieur en scélératesse. La nature entière n'aurait peut-être pas pu lui fournir un homme plus propre à être le Vice-Régent Royal et le Vicaire Géné- ral du nouveau chef de l'Église d'Angleterre. i58. Tel fut le caractère dont ce serrurier bru- tal fut revêtu. Il devait exercer " toute l'auto- " rite spirituelle du roi pour l'administration de " la justice, dans tous les cas relatifs à la ju- " ridiction ecclésiastique , à la divine reforme " et à l'abolition des erreurs , des hérésies et " des abus de ladite église. " Nous allons bien- tôt avoir des preuves suffisantes de la bassesse de cet homme , pour qui l'épithète de scélérat est trop douce. Quelle chance pouvaient, en eilet, courir les monastères, lorsque leur sort était con- fié à un monstre de cette espèce? Cromwell

1 70 Réforme Protestante.

fut créé pair. Il siégeait au-dessus du primat dans le parlement, et au-dessus de tous les évêques dans les assemblées du clergé ; il avait la pré- séance sur tous les nobles, qu'il fût ou non en fonction; enfin, en caractère, comme en place , il ne le cédait qu'au tyran-en-chef personnel- lement.

iSg. Pour commencer la " divine réforme, "c'est-à-dire, l'œuvre du pillage, le serrurier, " Vice-régent , " se proposa de faire la visite des Monastères ; visite désastreuse ! mais tout ac- tive qu'était sa perversité, il ne put tout faire par lui-même. Il s'adjoignit donc plusieurs dé- putés pour faire cette visite. A cet effet , on divisa le royaume en plusieurs districts , et l'on envoya deux députés pour faire la visite de chaque dis- trict. L'objet principal de ces visites était de se procurer des chefs d'accusation contre les moines et les religieuses. Si nous considérons donc quel fut l'objet de ces visites et le caractère de l'homme auquel ce soin fut confié , nous concevrons fa- cilement quelle espèce d'hommes ces députés de- vaient être. C'étaient , en effet , des subalternes dignes d'un tel chef; les hommes les plus pervers de toute l'Angleterre , d'un caractère notoirement infâme ; des hommes convaincus des crimes les plus hideux , dont la plupart avaient été déjà Jlétris j et dont chacun d'eux avait , selon toute apparence , mérité plus d'une fois la corde. Re- présentez-vous une famille respectable, pai«ble.

LkTTRE V^ I n I

iijrjocente et pieuse , assaillie à l'impro^iste par tl( u\ voleurs de grand chemin, portant le meur- tic peint sur leur front refrogné , et exigeant impérieusement les titres, l'argent et les joyaux; représentez-vous cette scène de scandale et d'hor- reur , et vous aurez une faible idée des visites de ces monstres à figure humaine , qui se pré- sentaient, munis des ordres terribles du îyran , qui menaçaient les victimes d'une accusation de haute trahison, et qui inséraient dans leurs rap- ports, non pas ce qui se passait réellement; mais ce qu'on leur avait enjoint d'écrire.

i6o. Les moines et les religieuses , qui ne se seraient jamais attendus à de semblables procé- dés , qui n'auraient jamais pu croire à une vio- lation si subite de la Grande-Charte et de toutes les lois du pays , et dont la vie tranquille et so- litaire , les rendait peu propres à résister à une attaque, aussi furibonde que soudaine, tombèrent aux pieds de ces scélérats comme des poulets de- vant l'oiseau de proie. Les rapports faits par ces hommes pervers et médians n'éprouvèrent au- cune espèce de contradiction; les accusés n'avaient aucun moyen de défense , aucun tribunal ils pussent recourir ; en eussent-ils même eu les moyens , ils n'auraient osé ni se plaindre , ni se défendre , car ils avaient déjà eu sous les yeux les tourmens et les supplices qu'on avait infligés à ceux de leurs frères qui avaient osé souffler le moindre mot contre les dogmes et les ordon-

i^î Réforme Protestante.

nances du tyran. On les dépouillait de leurs pro- priétés, et ils n'avaient ni tribunal pour défendre leur cause, ni aucun autre moyen de se plaindre, sans compromettre leur existence même. On les dépouillait , eux et tous ceux qui dépendaient d'eux de cette immense masse de propriétés sans autre motif, sans autre fondement que des rap- ports faits par des hommes envoyés , de l'aveu même de Hume, avec le dessein prémédité de trouver des prétextes pour détruire les monas- tères , et pour transférer au roi des biens aux- quels ni lui, ni ses prédécesseurs n'avaient jamais eu le moindre droit.

16 1. Avec une foule de faits qui prouvent le contraire, Hume se donne bien de garde d'afîirmer que ces rapports fussent fidèles; mais il ne néglige rien pour leur donner une couleur favorable , comme nous l'avons déjà vu dans le paragra- phe 129. Il peut se faire, donne-t-il à entendre, parce qu'il n'ose l'aifirmer , que " la soumis- " sion aveugle du peuple , à cette époque, rendît " les moines et les religieuses moins réservés et " plus débauchés qu'ils ne le sont de nos jours " dans les pays Catholiques Rotnains. " Vrai- ment ! et pourquoi plus aveugle alors qu'il ne l'est aujourd'hui ? C'est la même religion , les mêmes réglemens , les mêmes piincipes , et si le peuple était aveugle alors , il doit nécessai- rement l'être aujourd'hui. 11 serait vraiment sin- gulier que la débauche et le libertinage étant

Lettre V. 1-^3

devenus incontestablement plus communs , les *> moines et les religieuses " fussent devenus plus réservés. Toutefois, il avoue l'innocence des ordres monastiques de nos jours , et c'est déjà pi us qu'on ne pouvait peut-être attendre d'un écri- vain de si mauvaise foi. Mais comment se per- suader que les religieux du i6«. siècle fussent moins réservés ou plus débauchés que ceux d'au- jourd'hui , à moins de croire que la piété pro- fonde ( que Hume appelle superstition ) du peuple ne fût point partagée par les communautés re- ligieuses ? Avant d'ajouter quelque foi aux in- sinuations de riiistorien Écossais en faveur de ces rapports, il faut croire que les religieux qui fe- saient partie de ces communautés , étaient des bandes d'imposteurs qui professaient une religion à laquelle ils ne donnaient aucune croyance , et nous devons en dire autant de ces nombreuses communautés de femmes qui avaient le courage de consacrer leur vie entière au soulagement des malades indigens.

162. Quoiqu'il en soit, d'après ces rapports, ainsi obtenus, au mois de Mars, i536, c'est- à-dire dans la même année de la mort de Anne BoYLEN, il parut un acte du Parlement qui sup- primait , ou plutôt qui confisquait trois cent soixante- seize monastères , et transférait leurs biens , réels et personnels , au roi et à ses des- cendans légitimes. Vases sacrés , joyaux , images et ornemens d'or et d'argent, tout fut saisi. Tout

I'j^ Réforme Protestante.

vil et tout servile que fût le Parlement , tout enflammés de l'esprit de rapine que fussent la plupart de ses membres, cet acte de monstrueuse tyrannie ne laissa pas que d'éprouver une forte opposition dans son sein. Hume dit , " qu'il ne parait pas que cette loi importante ait éprouvé la moindre opposition. " Il cite souvent Spelman comme une autorité historique; mais il se donne bien de garde de citer " l'Histoire du Sacrilège " de ce même Spelman , dans laquelle cet his- torien Protestant affirme que le bill étant resté long-temps dans la chambre des communes, sans pouvoir passer , le roi somma les membres de se rendre , de bonne heure , dans sa galerie il les fit attendre jusqu'au soir ; ensuite , sortant de son appartement et faisant un tour ou deux au milieu d'eux , il lança un regard foudroyant tantôt d'un côté , tantôt de l'autre , et finit par leur dire : " J'appj'ends que mon bill ne pas- *' sera pas ; mais je vous en préviens , ou il " passera , ou bien je ferai tomber la tête à " plusieurs cV entre vous "; et, sans autre fleur de réthorique , il rentra dans son appartement. Il n'en fallut pas davantage ; le bill passa , et tout alla au gré de ses désirs.

i63. Ce ne fut donc qu'un acte de pure ty- rannie , un vrai procédé Algérien. Les prétextes ne servaient de rien , on n'ajoutait aucune foi aux rapports des mirmidons de Cromwell , tous les artifices devenaient superflus ; on eut recours

Lettre V. in5

à la corde et à la hache pour opérer cette " Ré- forme " dont le tyran a été appelé le fils aîné par l'historien Ecossais, Burnet. " Un tel homme, dit-il , était indispensable pour accomplir cet acte grand et glorieux. " Mais l'atrocité et la méchanceté produisirent- elles jamais quelque bien? Aucun autre homme que ce Burnet et son compatriote Hume aflectèrent-ils jamais de croire que des actes de tyrannie et d'iniquité , aussi déhontés , puissent être justifiés , sous le prétexte spécieux d'un heureux résultat ?

164. Je rendrai compte, dans mon prochain numéro , des suites funestes de ces scènes de dévastation et de pillage , dont nous n'avons vu jusqu'ici que le commencement, non-seulement pour ce qui a rapport aux moines et aux reli- gieuses; mais au peuple, en j^énéral; et je prou- verai comment ce même acte du parlement a été la pierre fondamentale de cette pauvreté , de cette misère , de cette dégradation , de cette profusion de crimes , qu'on tâche maintenant de réprimer en rendant les femmes stériles _, ou en envoyant une partie de la population dans des terres étrangères.

1^6 Réforme Protestante.

VI.

LETTRE VI.

Confiscation des monastères. Moyens bas et cruels employés pour parvenir a ce résultat. Dévastation et bouleversement du pays. Vio- lation DU tombeau d'Alfred. Le roi divorce

DE nouveau et fait ENCORE PÉRIR SA FEMME.

Mort du scélérat Cromwell. Mort du tyran lui-même.

Mes Amis, Kensington , le 3o ^vril iSsS.

i65. En terminant ma précédente lettre, je ne vous avais encore montré que le commencement des horribles ravages que l'Angleterre eut à souf- frir à cette époque. Dans celle-ci , vous pourrez suivre les progrès efFrayans que fit le système de dévastation générale pendant le règne de Henri VIII, ce tyran incapable de remords et que votre indignation a déjà flétri. Je vous ai fait voir com- ment on obtint le premier acte législatif pres- crivant l'abolition des couvens, ou plutôt couvrant de l'égide des lois les brigands qui dépouillaient à la fois de leurs biens légitimes , le propriétaire , le pauvre et l'étranger. Avant d'entrer dans le détail des faits qui furent la conséquence natu-

Lettre VI. inn

relie et nécessaire de cette mesure tyranniqiie, je crois devoir appeler votre attention sur l'acte mêiue du parlement qui la consacra.

i6G. Il fut passé en i536, dans la vingt-sep- tième année du règne de Henri. Dans le préam- bule de tout acte législatif, on expose, vous le savez , les motifs et les considérations qui y ont donné lieu. Or , comme c'est l'acte dont je parle auquel il faut réellement attribuer la ruine et la dégradation de classe moyenne du peuple en Angleterre et en Irlande , que l'on doit le re- garder comme la première sanction légale don- née au vol et au pillage des biens du peuple , sous prétexte de réformer sa religion , que ce fut l'antécédent sur lequel s'appuyèrent dans la suite les voleurs publics, jusqu'à ce qu'ils eus- sent entièrement appauvri le pays, que ce fut le premier des moyens à l'aide desquels on parvint à réduire un peuple, naguère bien vêtu et bien nourri , à ne plus porter que des baillons et à se nourrir d'une misérable nourriture, il m'a sem- blé important d'insérer ici en entier le tissu de mensonges et de calomnies qui lui sert de préam- bule. La plupart de nos compatriotes s'imagi- nent qu'il y eut toujours des pauvres en An- gleterre , et que la législation spéciale , qui régit ces malheureux, a toujours existé. Qu'ils appren- nent que pendant les neuf cents ans que notre nation professa la religion catholique , ces deux fléaux lui furent inconnus. Quand un gros et gras

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i7<S Réforme Protestante.

pasteur viendra leur crier aux oreilles : " point de papisme ! " qu'ils lui répondent : " point de mejidicité! " Qu'ils sachent surtout comment il arriva que ce pays régnaient l'abondance et l'aisance , se changea tout à coup en un pays cil la misère et la famine se firent partout sentir; et qu'ils réfléchissent ensuite à la bassesse et à l'hypocrisie des vains prétextes qu'ils vont lire dans le préambule de l'acte atroce d'une légis- lature qui ne rougissait point d'ériger en système le vol et le pillage.

167. " Le genre de vie vicieux , déréglé, char- *' nel et abominable , journellement mené et " commis dans tels prieurés, abbayes et autres " maisons religieuses de moines, de chanoines " et de nonnes rassemblés en iceux et en icelles " au nombre de douze personnes , Vincon- " duite et le dérèglement des chefs de ces éta- *■'- blissemens religieux , qui gaspillent , dé- " tériorent , détruisent et ruinent aussi-bien " leurs églises , monasteries ^ prieurés, fermes, " granges, terres, tenemens et bestiaux, que " les ornemens de leurs églises , leurs meu- " blés et immeubles , et cela au grand déplai- *' sir de Dieu tout-puissant , au gi-and scan- ** dale de la religion et à la honte du roi et " de son royaume, ont fait songer à prendre *' des mesures propres à réprimer des abus " aussi crians. Depuis deux cents ans on s'est *' efforcé d'apporter quelques réformes henné-

Lettre VI. i-^q

" tes et charitables à une vie aussi inconve- " nante 3 aussi chamelle et aussi abominable , " et cependant les améliorations que l'on a " obtenues se réduisent à rieji ou peu de chose. *' ^u contraire j vos vices qu'entraîne une pa- " reille vie se sont encore augmentés ^ et par " une coutume aussi profondément vicieuse " qu^ atroce, un grand nombre de religieux de *' l'un et de l'autre sexe , formant ainsi de " petites communautés , ont préféré apostasier " que de se conformer aux préceptes de la re- *' ligion. De sorte que , si on ne supprime point *' ces petites communautés ^ et si on n'a pas " soin de transférer les religieux de l'un et " de Vautre sexe qui les composent dans quel- *^ ques-uns des grands et honorables monastè- " res de ce royaume, et de les forcer à y vi- " vre suivant les préceptes de la religion et *' à travailler à la réforme de leur vie , on *' ne doit espérer aucune repression ni aucune " réforme de ce côté, ^près avoir pesé atten- " tivement ces différentes considérations , sa " majesté très-royale le roi, chef suprême sur " terre, après Dieu , de l'Eglise d'Angleterre, " étudiant journellement et considérant les pro- " grès que la vraie doctrine et la vertu font " dans ladite Église ^ à la seule gloire de Dieu " et à son honneur , ainsi que pour extirper " et détruire totalement les vices et les péchés, " ayant connaissance de ces vérités , et s'é-

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i8o Réforme Protestante.

" tant bien informée de Vétat des choses lors " des dernières visites qu'elle fit dans ces mo- " nastères y et considérant aussi que plusieurs '' des grands monastères du royaume ( grâces *^ en soient rendues à Dieu, ) on suit d'une ma- " nière exemplaire les préceptes de la religion, " manquent du nombre de religieux qu'ils de- " vraient avoir , a cru bon de faire aux pairs " laies et ecclésiastiques , ainsi qu'à ses bien " amés et féaux sujets , les membres de la " chambre des communes du parlement actuel ^ " un exposé des avantages qui ne peuvent man- " quer d'en résulter. Sur quoi lesdits pairs et " lesdits membres des communes , après mure " délibération f déclarent que Dieu ne pourra *' voir qu'avec plaisir que les propriétés de *' ces petits établissemens religieux , dont les " revenus sont maintenant dépensés et gas- " pillés sans autre but que le soutien du pé- " ché f soient appropriés à d'autres usages plus *' convenables , et que ces religieux de l'un et " Vautre sexe y dont la conduite est si abo~ " minable , soient forcés à changer leur ma- " nière de vivre. "

i68. Viennent après ce préambule les dispo- sitions de Tacte législatif qui concède au roi et à ses héritiers la propriété de ces biens " pour en faire ce que bon leur semblerait ; '^ ce qui, ajoute-t-on , ne pouvait manquer " d'être agréa- ble à Dieu '^ et de tourner à l'avantage et à

Lettre VI.

i«i

l'honneur du royaume. Cet acte tyrannique don- nait au roi , outre les terres et les maisons de ces couvens, les meubles de toute espèce, Tor, Faigeiit et les joyaux qui s'y trouvaient. Il est facile de voir qu'il y avait dans cette occasion , violation manifeste de la grande Charte; vol commis sur les moines et les religieuses; 3"^ vol commis au détriment du pauvre, de l'orplielin, de la veuve et de l'étranger. La défense fut in- terdite aux parties lésées et même aux indivi- dus possesseurs des propriétés attaquées. Il n'y eut aucun acte d'accusation spéciale dirigé en par- ticulier contre un couvent quelconque; au con- traire , l'accusation était générale et pesait indis- tinctement sur tous les couvens dont les revenus ne dépassaient pas une certaine somme. Cela ne prouve-t-il pas suffisamment que les charges al- léguées dans l'accusation étaient fausses ? Qui pourrait croire en effet qu'elles fussent commu- nes à tous les couvens dont les revejius n'at- teignaient point une certaine somme, et qu'elles disparussent dès que ces revenus dépassaient la somme fixée ? N'est-il pas évident que le mo- tif secret de cette distinction était le besoin que l'on éprouvait de ménager la grande et petite noblesse , avant de tenter avec quelques chan- ces de succès la spoliation des grands monastè- res ? On commença donc par attaquer les Jai- bleSy et dans la suite on ne fut pas embarrassé pour trouver des moyens à l'aide desquels on put se jeter sur les autres.

1 82 Réforme Protestante.

169. Dès que le tyran entra en possession de cette partie des biens de l'Église , il commença à les distribuer à ses créatures , ou , comme dit fort naïvement l'acte en question , ses ay ans- cause. On avait promis hautement qu'une fois que le roi serait en possession de ces biens , " il ne ^prélèverait plus aucune espèce de taxes sur le peuple ; " il est possible même qu'il crut un moment pouvoir s'en passer ; mais il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il lui serait impossible " de garder tout le butin pour lui seul j " qu'il ris- querait même de le perdre en entier , s'il n'a- vait pas la précaution de le partager avec tous ceux qui ne cessaient de réclamer publiquement leur part et ne lui laissaient pas un moment de repos. Ces gens-là savaient fort bien que le roi avait attrappé du bon dans cette affaire ; aussi- tôt résolurent-ils , dès le principe , de ne point lui donner de relâche qu'il ne les eût fait ses ayans-cause , pour le '-^plaisir du Tout-Puissant et pour Vhonneur et l'avantage du royaume. " 170. Quatre ans s'étaient à peine écoulés, que déjà Henri était tout aussi pauvre que s'il n'a- vait jamais confisqué de couvent \ tant étaient vo- races ces pieux réformateurs , et tant ils étaient durs pour faire plaisir au Tout-Puissant ! Se plai- gnant un jour à Cromvv ell de la rapacité de ceux qui sollicitaient ses grâces et ses faveurs : '' Par Notre-Dame , s'écria-t-il , je crois que lors- que les cormorans auront mangé la tripaille ,

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ils avaleront aussi le plat. " Cromwell lui re- présenta alors que tous n'étaient pas encore ve- nus chercher leur part. '^ Foi d'honnèle homme, reprit le roi , tout mon royaume ne suffirait point pour étancher leur soif. " Néanmoins il essaya bientôt après de le faire , en confisquant les mo- nastères plus considérables.

171. Nous avons vu paragraphe 167 le par- lement , tout en autorisant le roi à confisquer les petits monastères , déclarer que , ( grâces à Dieu ! ) on observait , clans les grands monas- tères , les saints préceptes de la religion avec une scrupuleuse exactitude. Il ne laissait donc pas d'être assez difficile de trouver des motifs ( après une déclaration aussi solennelle et encore si ré- cente ) pour confisquer les grands monastères. Mais qu'importent les raisons à la tyrannie? On ne s'amusa pas même à en chercher. Cromwell et ses satellites s'assurèrent de la personne des chefs de ces établissemens et prodiguèrent les menaces, les outrages, les promesses et les men- songes. A l'aide de moyens d'une bassesse et d'une infamie telles que l'on a peine à imaginer , ils obtinrent de quelques-uns d'entr'eux " une ces- sion volontaire. " Mais partout ces scélérats rencontrèrent quelque opposition sérieuse , ils eurent aussitôt recours aux accusations les plus fausses et les plus atroces, et massacrèrent, sous prétexte de " haute trahison , " ceux qui eu- rent le courage de leur résister. Ce fut sous cet

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infâme prétexte que le tyran fit pendre et écar- teler l'abbé de la célèbre abbaye de Glastonbury, dont le corps fut bacbé en mille pièces par le bourreau et dont le cadavre fut exposé au lieu nommé le torre , et situé \is-a-vis de l'abbaye. De sorte que toutes ces prétendues cessions vo- lontaires furent , comme l'on voit , du genre de celles qui ont lieu sur les grandes routes lors- qu'un individu vous met le pistolet sous la gorge, et vous invite , le poignard levé sur vous , à lui donner votre bourse.

172. Cependant Cromwell et ses complices trouvèrent qu'il était par trop ennuyeux de s'oc- cuper à chercher des prétextes , et que cela ne faisait que retarder inutilement le pillage. On rendit donc sans plus de cérémonies un acte lé- gislatif qui adjugea au roi , à ses héritiers ou ay ans-cause , les monastères " cédés volontai- rement y " ainsi que tous les autres monastè- res , voire même les hôpitaux et les collèges par-dessus le marché. 11 serait superflu , comme on le pense bien , de perdre ici notre temps en vaines exclamations , ou de chercher des expres- sions pour flétrir la mémoire des monstres dont la postérité a déjà fait justice, et qui ravagè- rent et bouleversèrent totalement un pays qui jusqu'alors, c'est-à-dire pendant une période de 900 ans , avait été le plus heureux et le plus puissant état de l'Europe.

1^3. Une fois que l'on fut parvenu à renverser

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ce corps antique et majestvieux , les vautours affa- més (jui avaient coatribué à sa perte , se préci- pitèrent sur lui et s'en disputèrent les débris. Le peuple ne larda pas alors à s'insurger dans diflerens endroits contre les satellites du tyran ; mais privé de l'appui de ses chefs naturels qui , pour la plupart , s'étaient rangés du côte de la tyrannie et du brigandage , et abandonné à ses propres forces, que pouvait-il faire ? Hume af- fecte une compassion vraiment risible ( comme font aujourd'hui nos jongleurs écrivassiers à l'é- gard du peuple espagnol ) pour l'ignorance dont le peuple anglais faisait preuve par son attache- ment aux moines. En effet, quelle preuve d^ig- norance crasse que de regretter des pi'opiié- taires humains et charitables , que de regretter \ abondance et toutes les commodités de la vie ! Quelle crasse, ignorance, dis-je, de ne pas pré- férer des propriétaii-es durs et impitoyables , ainsi que l'admirable système qui tolère la vente en détail de petite bière dans le palais d'un évêque , et qui a introduit parmi nous la misère et le paupérisme ! Bientôt nous allons voir l'ef- froyable misère qui résulta de ces actes tyranni- ques; mais il nous reste encore à suivre Crom- well et les scélérats qui l'entouraient dans leurs brigandages, leurs spoliations et leurs dévastations. 174. On n'a vu que trop souvent des tyrans voler et dépouiller leurs sujets; mais partout, ou du moins en Angleterre jusqu'alors , on avait

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toujours eu soin d'observer au moins quelques formes juridiques. Dans cette circonstance , on ne s'en donna même pas la peine. Le parlement vil et corrompu qui espérait avoir une bonne part au pillage et qui l'eut en effet , avait non- seulement concédé au tyran les terres et les mai- sons , ou plutôt se les était adjugées à lui-même , mais avait encore disposé de la même manière de tous les biens , meubles , revenus et fermes ; et , ce qui valait encore mieux , de l'or, de l'ar- gent et des joyaux. Le lecteur pourra sans doute se faire une idée de Taffreux pillage qui eut lieu alors. Les plus pauvres couvens possédaient quel- ques images ou vases en or ou argent ; et ceux qui étaient plus riches en avaient en grande quantité. En général les autels de leurs églises étaient enrichis de métaux précieux , et souvent même de joyaux de grand prix. Et , pour le dire en passant , il est bon d'observer qu'alors il y avait parmi le peuple assez de moralité pour que ces trésors restassent continuellement exposés aux yeux de toute le monde , sans qu'on eût besoin d'une armée permanente et de nuées cVagens de police.

inS. Depuis le commencement du monde on ne vit probablement jamais un pareil pillage. Les satellites de Cromwell enfoncèrent les portes des couvens , démolirent les autels pour en ar- racher l'or et les joyaux qui les ornaient, pillèrent les coffres et les armoires des moines et des reli-

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gieuses , et poussèrent le vandalisme jusqu'à ar- racher les couvertures des livres enrichies de métaux précieux. Tous ces livres étaient manus- crits. Tels d'entr'eux avaient demandé un temps infini à composer , à copier , ou à embellir. Des bibhothèques entières que pendant des siècles l'a- mour des sciences s'était plu à former à grands frais , furent dispersées et jetées au vent par ces monstres , lorsqu'ils eurent volé les riches cou- vertures des livres qui les composaient, ils s'em- parèrent en outre de tout l'argent monnayé qui se trouvait dans les couvens. Jamais, en un mot, une soldatesque abrutie à qui on a permis le pillage d'une ville, ne commit de crimes assez honteux et assez abominables pour qu'on puisse les comparer à ceux des héros de la " réforme''^ protestante. Et ne perdons point de vue que les personnes que l'on traitait ainsi n'étaient coupables d'aucun crime , qu'on ne leur reprochait rien ; et qu'un an auparavant la même législature avait déclaré que la plupart d'entr'elles menaient une vie aussi sainte qu'utile. Rappelons-nous que la grande Charte leur garantissait leurs propriétés aussi-bien qu'elle garantissait au roi la couronne , et que les biens qui leur appartenaient servaient autant à assurer leur existence que celle du pauvre et du nécessiteux.

176. On peut dire sans crainte d'être contre- dit que le tyran était lui-même le plus grand voleur de touîs. C'était à lui que Cromwell en-

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voyait tantôt vingt onces d'or d'une fois, et tan-- tôt cinquante d'une autre ; tantôt des pierres précieuses d'une espèce , et tantôt des pierres précieuses d'une autre sorte. Hume, dont le prin- cipal objet est de noircir la religion catholique, saisit toutes les occasioi^.s pour faire d'une manière ou d'autre l'apologie de ceux qui la détruisirent. Mais il ne pouvait pas louer la justice ou l'iiu- manitè d'un monstre dont le nom même rappelle à l'esprit l'idée d'iniquité et de cruauté ; et il était d'ailleurs trop adroit pour le faire. Aussi ne parle-t-il que de X élévation de son esprit , de sa magnificence et de sa générosité. Quel roi noble y magnanime et généreux que celui qui , dans son palais de Londres, receviait de ses pro- pres mains l'or , l'argent et les joyaux volés à ses sujets par des scélérats chargés par lui-même de celte atroce mission ! Un des nombreux item que l'on lit dans les pièces du temps , était ainsi conçu : " Item j délivré le même jour entre les mains de sa majesté royale, quatre calices cV or avec quatre patènes de la même matière , ainsi qu'un cuiller d'or , le tout pesant ensemble cent six onces. Reçu Henri roi. "

177. IN'est-ce point en vérité de la noblesse, de la magnificence et de la gérférosité? Parmi les objets (jui composaient la royale boutique de ce prince généreux , ou plutôt son magasin d'ob- jets volés , se trouvaient des images de toute es- pèce : force chandeliers , bobèches , burettes ,

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coupes , ciboires , gobelets , cuillers , diamnns , saphirs , perles , bagues et pendaus d'oreilles , des pièces de monnaie de toute valeur, j jusqu'à des shillings mêmes, des plaques d'or et d'argent arrachées des couvertures des livres , ou enle- vées des autels des églises. Souvent lorsque le bois des autels, des croix ou des images, était enrichi de quelque métal précieux , on brûlait le bois pour avoir le métal. Les juifs , même de nos jours , ne font point leur commerce avec autant d'habileté que les satellites de Cromwei.t.. Et je le demande, à présent que ces faits sont connus et appréciés et que personne ne peut les nier, ne faudrait-il pas que nous fussions les plus vils hypocrites, précisément le contraire de ce que l'on a toujours regardé comme le trait distinctif de notre nation , pour croire que des motifs de conscience ont été la véritable cause de la destruction du vénérable culte de nos an- cêtres ?

178. Une des parcelles du pillage qui, comme nous venons de le voir dans le paragraphe pré- cédent, vint alimenter le trésor du bandit cou- lionne , valait à elle seule une somme qui re- présente aujourd'hui plus de huit mille livres -sterlings 'y et ce ne fut certainement pas la cen- tième partie des valeurs qui vinrent s'engloutir dans les caisses royales. D'ailleurs, qui pourrait croire que les pillards aient été assez simples pour ne pas se réserver Une partie du butin? Ensuite,

I go Réforme Protestakte.

les pillards subalternes tinrent -ils toujours un compte fort exact de leurs hauts faits ? Ceci nous démontre évidemment que la valeur totale des biens dont les couvens furent spoliés à cette époque dut être énorme. La noblesse " réfor- mairice " saccagea et pilla de son côté les églises cathédrales, aussi-bien que les couvens et leurs églises. C'étaient surtout les bâtimens qui ren- fermaient en plus grande quantité les objets por- tés au registre précité sous la dénomination de même matière , qui semblaient être l'objet de leur insatiable rapacité. Il n'est donc pas éton- nant que , dès les commencemens de leur noble et glorieuse entreprise , ces pillards se soient diri- gés en toute bâte vers Cantorbéry , ville depuis long-temps reconnue éminemment coupable de posséder de riches autels , des tombeaux , des images d'or et d'argent , ainsi que des diamans et autres pierres précieuses , tous objets évidem- ment criminels. Tout était précieux dans cette ville , célèbre pour avoir été le berceau du chris- tianisme en Angleterre. Aussi la tourbe des " ré- jormateurs " s'y porta-t-elle en masse, et pous- sa-t-elle en y entrant un cri de joie anticipée , semblable au bruit que font entendre les essaims de bourdons qui se précipitent vers l'endroit un cheval ou un bœuf ont trouvé la mort.

1-79. Il y avait à Cantorbéry deux objets vers lesquels les oiseaux de proie de la " réformation '* se sentaient particulièrement attirés , savoir le

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monastère de Saint-^Augustin et le tombeau de Thomas Becket. Le premier de ces hommes célèbres était regardé comme l'apôtre de l'An- gleterre. C'était à ses prédications et à ses tra- vaux désintéressés qu'elle était redevable de l'in- troduction du christianisme dans son sein. Sa châsse était conservée dans l'église qui lui était dédiée, et comme c'était, sous tous les rapports, un ouvrage d'une grande magnificence, elle of- frait un magnifique butin aux pillards , qui , au reste, s'ils avaient rencontré le tombeau de Jé- sus-Christ lui-même, et aussi richement orné, ne se seraient fait aucun scrupule de le mettre en pièces. Néanmoins , quelque riche que fût cette châsse, celle de Thomas Becket, dépo- sée dans l'église cathédrale, l'était encore davan- tage. Becket , archevêque de Cantoibéry sous le règne de Henri II, s'était opposé aux volontés de ce prince qui manifestait l'intention de ravir à l'Eglise ses biens , et de dépouiller son peuple de ses richesses et de sa liberté. Il y avait plus de trois cents ans que son nom jouissait par toute la chrétienté de la plus haute considération , lors- que les bandits de la " réforme " assaillirent sa tombe. Mais c'était surtout en Angleterre que sa mémoire était vénérée. Le peuple en effet le re- gardait comme un martyr de sa religion et de ses libertés , car il avait été massacré de la ma- mère la plus atroce par des scélérats envoyés par. le roi , et sans autre motif que la résistance qu'il

192 Réforme Protestante.

avait sans cesse opposée aux tentatives du mo- narque pour violer la Grande Charte. Chaque jour on venait en pèlerinage à son tombeau ; chaque jour il était couvert des offrandes de la piété. Des églises , des hôpitaux et d'autres éta- blissemens de piété et de charité lui étaient dé- diés. Par exemple , l'église de Saint-Thomas à Londres , le monastère de Sende dans le comté de Surrey , l'hôpital de Saint-Thomas dans le bourg de Southwark , et encore une foule d'au- tres dans les différentes provinces d'Anglelerre. Les offrandes faites à sa chasse l'avaient rendue extrêmement riche et d'une prodigieuse magni- ficence. Un Roi de France lui avait fait présent d'un diamant qui élait le plus précieux que l'on oonnùt alors en Europe. Hume, ne perdant ja- mais de vue le double objet qu'il s'est proposé en écrivant son histoire , d'abord de rendre ri- dicule la religion catholique , et ensuite de dé- grader la nation anglaise , attribue cette espèce d'adoration dont Becket était l'objet, à " l^hj- pocrisie des prêtres et à la folie et à la super- stition du peuple. " Il éprouve un cliagrin et -un mécontentement visibles d'être obligé de rap- porter qu'il y avait souvent à la fois à Cantor- béry plus de cent cinquante mille personnes ve- nues en pèlerinage à la châsse de Becket. Est-ce bien possible!... Convenez donc alors que dans ces vieux temps de '' barbarie et d'ignorance, " il y avait encore en Angleterre beaucoup de gens

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qui ne '^ mouraient pas de faim, '' et qui même devaient avoir quelques ressources pour vivre. Et cependant dans ce livre mensonger que l'E- cossais a l'impudence d'appeler notre histoire , il s'eflbrce sans cesse de représenter notre pays, à l'époque dont il s'agit , comme presque inha- bité et ne présentant que le hideux aspect de la misère et de la mendicité! Aujourd'hui Can- torbéry compte à peine douze mille âmes, hom- mes, femmes et enfans. Pauvres gens! Que fe- raient-ils aujourd'hui pour loger cent mille per- sonnes de plus? Et remarquez bien, je vous prie, mes amis, que cette ville est située à l'une des extrémités de l'île, et que ce ne pouvait être que des personnes aisées qui entreprenaient alors un tel voyage. Ce fait seul doit nous suffire pour nous engager à réfléchir et nous elîbrcer de trou- ver la vérité , avant d'ajouter foi aux philosophes écossais, quand ils viennent nous parler de " la richesse et de la population nationales. " Quant à '■«^ l'hypocrisie et à la superstition -'■' produi- tes, suivant Hume, par ces pèlerinages, je bor- nerai ma réponse à ce peu de mots : Y avait- il donc de la superstition ou de l'hypocrisie à témoigner de la vénération pour un homme qui avait sacrifié sa vie de la manière la plus écla- tante pour la religion, les droits et les libertés de son pays? Et n'était-ce pas plutôt faire preuve de sagesse et de reconnaissance? Le tyran sanguinai- re, qui avait envoyé Thomas More et Fisher à

194 Réforme Protestaiste.

l'échafaud, devait nécessairement détester la mé- moire de Becket; aussi ordonna -t-il de jeter ses cendres au vent , et ne permit-il pas que son nom fût inséré dans le calendrier. Voilà pour-* quoi on ne le trouve pas non plus dans le /i- VJ'e de prières fabriqué par Cranmer. Cepen- dant, ce qu'il y a d'assez curieux, c'est qu'il se trouve dans V alnianach de Moore et même dans celui de l'année 1825. C'est ainsi qu'en dépit des ordres du tyran et des calomnies des '^ ré- formateurs j '^ le peuple anglais est toujours resté juste et reconnaissant envers la mémoire de cet homme célèbre.

I (So. Mais , pour en revenir aux brigands de la " réforme y " nous disions qu'un objet d'une valeur immense s'offrait à leur cupidité. Le tom- beau de Becket était de bois, d'un travail exquis, presque entièrement recouvert d'or , d'argent et de pierres précieuses. Que cet objet était digne d'attirer les regards de la " piété réformatrice! " Si l'on voyait encore aujourd'hui dans une de nos églises une pareille châsse , comme tous nos voleurs et filous demanderaient à grands cris une nouvelle " réformel " L'or, l'argent et les pier- res précieuses, que l'on en retira, remplirent deux coffres , pour transporter chacun desquels on eut besoin de dix hommes. Combien à cet aspect , les yeux de Henri VIII, de ce prince " noble , généreux et magnanime , ^' pour nous servir des expressions de Hume, durent-ils être agréa-

Lettre VL ic)5

Llement surpris ! Aucun des brigands fameux dont nous aj^ons encore entendu parler jusqu'ici, n'égala ceux-ci en rapacité , en insolence et en débauches. Mais pourquoi nous en étonner ? Les proclamations du tyran avaient alors force de loi; il avait gagné les chefs naturels du peuple ; sa volonté servait de loi , et cette volonté deman- dait sans cesse du sang et du pillage !

i8i. On avait pillé, saccagé et confisqué les monastères. Pour vous encourager à supporter le récit de toutes ces atrocités , je crois devoir vous prévenir ici, mes amis, que vous en verrez bien- tôt l'infâme auteur, l'odieux Cromwell, porter sa tête criminelle sur l'échafaud. La confiscation des biens des monastères et le pillage des églises n'étaient pas assez pour assouvir ces monstres. On résolut donc de détruire de fond en comble tous ces nobles édifices , bâtis pour durer des siècles , ainsi que les jardins magnifiques qui en dépendaient. Ils eussent été comme autant de monumens qui auraient continuellement rappelé au peuple les cruautés et la rapacité du tyran. Nous verrons bientôt de quelle manière on dis- posa des propriétés immobiliaires des couvens ; mais comme il était dit expressément que tous les édifices devaient être détruits , et c'eût été un travail immense si on avait employé dans ce dessein la manière de détruire ordinaire , on eut le plus souvent recours à la poudre à canon pour abréger les travaux. C'est ainsi que de magni-

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fiques et imposantes constructions , qui avaient coûté des siècles à élever , se cliangèrent suLi- tement en un amas de ruines , et ne présentè- rent plus dès-lorsque l'aspect attristant qu'on leur voit encore de nos jours. Souvent les ac- quéreurs de ces biens étaient tenus de détruire les batimens, ou du moins de les abattre en partie, afin d'ôter au peuple toute espérance de voir re- vivre l'ordre de choses que l'on venait de détruire, et l'engager à passer des baux avec les nouveaux propriétaires.

182. C'est ainsi que notre pays perdit en peu de temps sa physionomie particulière. On eût dit une contrée récemment envahie par des hor- des barbares ; et pour peu que nous voulions re- fijarder avec attention , nous verrons qu'il a con- servé jusqu'aujourd'hui cet attristant aspect. On n'a rien fait encore pour remplacer ce qui avait été détruit. Voilà désormais, mes amis, le point de vue sous lequel il nous faut envisager la ques- tion. Il ne s'agit pas seulement de religion ^ mais de nos droits, de nos libertés, de nos véritables richesses , du bonheur et de la gloire de notre nation. Lors même que la " réforme '' en eût augmenté la somme , il nous serait encore im- possible d'approuver les horribles moyens qu'elle aurait employés pour y parvenir. Mais si, tout au contraire , cette prétendue " réforme " n'avait abouti qu'à les diminuer et à les affaiblir , quel abus révoltant n'y aurait-il pas à appeler de ce

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nom ce cruel événement? Mes amis, si je ne réussis pas à prouver que ma dernière liypo- ihèse est la seule véritable; si je ne vous prouve pomt de la manière la plus convaincante , qu'a^ vant cette prétendue " réforme , " l'Angleterre était et plus puissante , et jjlus riche j et plus morale , et plus heureuse qu'elle n'a jamais été depuis ; si , dis-je , je ne vous le démontre pas clairement , je consens à passer pendant le reste de ma vie pour un vil calomniateur.

i83. Lorsqu'il m'arrive de jeter les yeux sur le comté de Surrey , dans lequel je suis , à l'aspect de la dévastation ellrayante qu'il me pré- sente, je sens mon cœur se remplir d'une gé- néreuse indignation contre les brigands qui le saccagèrent. Le comté de Surrey n'a que très- peu et même n'a point de richesses physiques. Des landes sans fin en occupent la majeure par- tie. L'opulence que l'on y remarque aujourd'hui n'est que factice ; elle n'est que le résultat d'un système de déception. Cependant dans les an- ciens temps ce comté était sur tous les points orné et fécondé par des établissemens formés par l'Eglise catholique. Il y avait une abbaye à Ber- mondej ; il y avait un prieuré à Sainte-Marie Overy, et de plus, ce même hôpital de Saint- Thomas qui existe encore aujourd'hui à South- wark. Les bandits " réformateurs " n'avaient pas manqué non plus de le confisquer ; mais dans la suite , on en donna les bâtimens à la ville

198 Réforme Protestante.

de Londres. Il y avait à Newington un hôpital, dont le chef obtint la 'permission de mendier lorsqu'on en eut saisi et confisqué les revenus. Il y avait encore des prieurés à Morton y à Kei- gate y à Shene , à Chertsey , à Tandridge , à Sende près de Guilford. Il y avait aussi une ab- baye à M^averley , dans la paroisse de Jarn- ham. De tous ces monastères dépendaient des cellules et des chapelles situées à quelque dis- tance des couvens ; de sorte que , dans ce comté pauvre et couvert de bruyères , il était impos- sible qu'on se trouvât jamais à six milles de dis- tance d'un lieu la porte de l'hospitalité ne fût pas toujours ouverte pour accueillir le pau- vre, le vieillard, l'orphelin, la veuve et l'étran- ger. Aujourd'hui en pourrait-on dire autant? Non, et il en est de même dans tous les autres com- tés. Tout est changé maintenant, et malheureu- sement ce n'est pas pour le mieux. Il n'existe plus di^ hospitalité en Angleterre. Le sens des mots y a complètement changé. Nous n'accordons au- jourd'hui l'hospitalité qu'à ceux qui sont en état de nous la donner à notre tour ; nous la leur donnons parce qu'ils sont de nos connaissances , et rarement parce qu'ils sont dans le besoin. Hô- pital autrefois voulait dire un lieu l'on pou- vait librement entrer, et recevoir des secours de toute espèce , et non pas comme aujourd'hui un lieu uniquement consacré au soulagement du ma- lade , du boiteux et de l'aveugle. Tout protes-

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tant devrait rougir à ces mots : " Vieille hos- pitalité anglaise. '' Mais outre cette hospitalité exercée si généreusement dans les monastères , l'exemple des religieux influait sur toutes les clas- ses aisées de la société. La générosité et la bien- faisance formaient alors le caractère distinctif de notre nation. La vile passion de l'argent ne pou- vait pas être à la mode , à une époque des institutions, objet du respect général, donnaient des exemples qui en eussent été la meilleure condamnation.

184. Que si on me demande pourquoi main- tenant , par exemple , les treize moines de Wa- verley jouissaient d'un revenu annuel de 169,13 sh. II d. , ce qui équivaut à quatre mille livres sterlings de notre monnaie d'aujourd'hui , je ne répondrai à cette question que par celle-ci : Pour- quoi auraient-ils ne pas l'avoir ? J'irai encore plus loin , et je demanderai si personne ne de- vrait donc avoir de propriétés. Mais , m'objecte- ra-t-on , ils ne travaillaient point et ne faisaient rien pour contribuer au bien-être général de la nation. C'est ce que nous allons examiner. Ils possédaient les terres de fVaverley , d'une con- tenance de quelques centaines d'arpens, d'un sol fort ingrat , se trouvait un moulin , et peut- être vingt arpens en prés d'une médiocre fertilité, et au milieu desquels se trouvait leur abbaye environnée presque de toutes parts par des mon- tagnes sablonneuses. La rivière TVey , large de

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vingt pieds environ , coulait aux pieds du mur extérieur de leur couvent. Ils étaient en outre en possession des dîmes de la paroisse de Jarnham et d'un ou deux étangs situés dans les commu- nes voisines. Leur ancien bien-fonds appartient aujourd'hui à un M. Thompson qui y demeure, et les dimes sont recueillies par un certain M. Halsey qui demeure à quelque distance de la paroisse. Maintenant, je demande, sans vouloir offenser en aucune manière ces messieurs , si les moines ne travaillaient pas tout autant qu'eux? Leurs revenus ne contribuaient-ils pas à augmen- ter le bien-être général aussi-bien que peuvent le faire ceux de MM. Thompson et Halsey? Je n'ajouterai plus qu'une seule considération, la- quelle me paraît bien plus importante encore. Les indigens de la paroisse de Jarnham ne pou- vaient-ils pas alors s'adresser au couvent de Wa- verley pour obtenir tout ce qui leur manquait, et n'avaient-ils pas pour voisin un évêque de M^'inchester , qui ne vendait pas de petite bière à la porte de son palais , qui n'avait pas be- soin pour les soulager de la '^ taxe des pau- vres y " et auquel cet horrible mot était même inconnu? O mes concitoyens de Jarnham, vous qui, dans votre enfance, grimpiez avec moi sur les ruines couvertes de lierre de cette vénéra- ble abbaye ( elle était la première de son or- dre en Angleterre ) , vous qui alors contempliez avec moi ces murs imposans qui ont survécu aux

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dévastateurs de la " réforme , " mais non à la méchanceté de ceux qui ont recueilli les fruits de la dévastation et en goûtent les douceurs , vous- que le seul mot à' abbaye surprenait alors si étrangement et qui ne compreniez point comment il avait pu se faire qu'on l'eût détruite , c'est vous que j'établis juges dans cette affaire. Vous savez tous, n'est-ce pas? ce que c'est la taxe des panures,. la taxe des églises. Eh bien ! rappelez-vous que ces deux fléaux furent inconnus à notre patrie tant qu'exista l'abbaye de Waverley et tant que les évéques n'eurent point de femmes. C'est un fait irrécusable , que dans ce temps on n'avait besoin ni de l'une ni de l'autre. L'Église partageait alors ses biens avec l'indigent et l'étranger , et ne disputait point au peuple ses modiques gains. Quant à la foi et au culte , jetez les yeux sur cette abbaye : reposent depuis douze cents ans vos pères et les miens. Rappelez-vous que pendant les trois quarts de cette période , nos pères eurent la même foi et le même culte que les moines, de Waverley, et dites, si vous l'osez, que les moines à l'hospitalité et à la bienfaisance desquels vos ancêtres et les miens furent rede- vables de ne point porter le nom ignominieux de mendians , enseignaient une religion idolâtre et damnable.

i85. Il en était de même dans les autres par- ties du ro'yaume que dans le comté de Surrey , à cette différence près que la proportion des in-

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nombrables bienfaits, que répandaient les moines, était dans quelques provinces beaucoup plus con- sidérable relativement aux richesses et à l'impor- tance locales, La physionomie particulière à l'An- gleterre ne tarda pas à être changée à la suite des confiscations et du pillage de la " réforme. " S'il avait été possible d'assassiner des édifices muets et insensibles , le tyran et ses sanguinaires satel- lites s'en seraient bientôt débarrassés. Mais ils ne laissèrent pas cependant de faire ce qui dépen- dait encore d'eux. Ils démolirent , firent sauter avec de la poudie à canon et anéantirent tout ce qu'ils purent. On devait, il est vrai, s'atten- dre à toutes les méchancetés diaboliques possi- bles de la part de tels êtres ; et cependant on espérait que deux abbajes trouveraient grâce à leurs yeux. L'une renfermait le tombeau de saint Augustin; elle avait été fondée par Alfred qui y était enterré. Nous avons vu déjà de quelle manière abominable ces monstres pillèrent le tom- beau de saint Augustin à Cantorbéry. Ils démo- lirent l'abbaye et l'église, et avec les matériaux qui en provinrent ils construisirent une *^' mé- nagerie pour les bétes féroces et un palais pour le tyran. '* Le tombeau d'ALFRED se trouvait à Winchester dans une abbaye qu'il avait fondée lui-même. Cette abbaye et toutes ses dépendan- ces furent données par le tyran à Wriotesley, qui depuis fut créé comte de Southampton , et qui eut une fort bonne part dans les confisca-

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lions faites dans le Hampshire. On devient pres- que malade à la seule pensée qu'un homme puisse être coupable d'un crime aussi atroce que celui de la destruction de cette abbaye. Quel est l'homme ayant reçu un peu d'éducation, à qui la gloire et le renom de notre grand roi Alfred soient inconnus? Quel est le livre, même parmi ceux que l'on met entre les mains de l'enfance , l'on ne lise point son éloge? Poètes, moralistes, théologiens, historiens, philosophes, jurisconsul- tes, législateurs, tous l'ont cité et le citent en- core à l'envi , non-seulement dans notre pays , mais encore dans le reste de l'Europe , comme un modèle de vertu , de piété , de sagesse , de talens et de patriotisme ; comme ayant possédé les qualités les plus belles, sans s'être jamais rendu coupable d'une seule faute. Malgré des difficul- tés telles que n'en éprouva jamais un autre hom- me, il parvint à débarrasser son pays, presque tombé dans la barbarie, des hordes cruelles et sauvages qui l'avaient envahi et subjugué en en- tier, et par lesquelles lui-même s'était vu forcé de se cacher sous l'habit de berger pour échap- per à la mort. De cet état de misère et d'ab- jection , il réussit à élever son peuple au plus haut degré de gloire et de prospérité , bien que son règne ne fut pas de longue durée. Il livra avec ses armées et ses flottes plus de cinquante ba- tailles aux ennemis de l'Angleterre. Il apprit à son peuple, et par ses préceptes et par son exem-

J2o4 Réforme Protestatsteî

pie , à être sobre , industrieux , brave et j usle. Il hâta le développement de toutes les sciences et fonda l'université d'Oxford. C'est à lui, et non à un certain avocat écossais, que l'on est redeva- ble de l'établissement du Jury. Blacstone l'ap- pelle le fondateur de la Loi Commune. L'établis- sement des comtés y des centenlers et des cours de justice y est l'ouvrage d'ÀLFRED. En un mot, c'est à lui que nous devons nos lois, nos droits €t nos libertés, et toutes ces institutions qui ont créé la gloire et la prospérité de cet empire, et à qui l'on doit attribuer la glorieuse prééminence dont il jouit parmi les autres nations. S'il est un nom devant lequel les anglais doivent se cour- ber avec un respect qui approche de l'adoration, certes c'est celui d'ALFRED. Aussi ne sommes- nous pas injustes envers sa mémoire , et ne crains- je point d'avancer qu'il n'en est pas un seul parmi nous , catholique ow. protestant ^ qui ne fit de bon cœur un pèlerinage de cent milles au tombeau de ce grand prince pour venir saluer son ombre généreuse. Mais hélas ! ce tombeau n'existe plus : les monstres de la " réforme " n'ont pas craint de le profaner. Il se trouvait, comme je l'ai dit plus haut , dans une abbaye appelée Hyde-^b-^ bey j c'était Alfred lui-même qui l'avait fon- dée et qui l'avait choisie pour y être enterré. Outre les précieux restes d'ALFRED , cette ab- baye renfermait encore ceux de saint Grim- BALD, moine bénédictin, qu'ALFRED avait attiré

Lettre VI.

20J

en Angleterre pour occuper la première chaire cV enseignement ouverte à Oxford. Mais qu'im- portaient aux brigands de la réforme les restes des bienfaiteurs du peuple? On démolit l'aljbaye et on la fit même sauter en partie à l'aide de la poudre à canon. Les tombeaux furent pro- fanés et détruits; on vendit jusqu'au plomb des cercueils, et ce qui doit encore le plus indigner un cœur anglais et généreux, c'est que les ter- res qui dépendaient de l'abbaye, passant de mains en mains , se trouvent aujourd'hui dans la pos- session des ^J^TimGS, ces faiseurs d'emprunts, devenus de la sorte les successeurs du grand Alfred.

i86. Wriothesley obtint ensuite les manoirs de Micheldever et de Stratton , qui par la suite tombèrent par mariage dans la famille de Russel. C'est de cette famille que les Barings les acbe^ tèrent, il y a une trentaine d'années. Aujourd'hui ils sont la propriété de sir Thomas Baring, baronnet. Il faut , en vérité , convenir que rien n'est plus curieux que d'observer et d'étudier la marche de la prétendue " réforme. " Si elle n'a- vait point eu lieu, il n'aurait pas existé de men- dians à Micheldeuer et à Stratton; mais en re- vanche, les Ru s SELS n'auraient pas pu avoir ces terres, et les vendre ensuite aux nobles Barings. Il est vrai aussi que, d'un autre côté, il n'y aurait pas eu de dette nationale, et qu'il n'y aurait pas eu àii faiseurs d'emprunts pour acheter ces

!2o6 Réforme PROTESTA^TE.

biens aux Russels. En outre, il n'y aurait pas eu de maison de correction construite sur les ruines mêmes de l'abbaye , et l'on n'aurait peut- être jamais eu de tread-mill reposaient les cendres d'ALFREo; bien plus, il est probable qu'on n'aurait eu besoin ni de mcdson de correction ni de tread-mill. On rapporte qu'ÀLFRED avait réussi à rendre ses sujets tellement probes , qu'il pouvait suspendre des bracelets de grand prix sur la voie publique, sans craindre qu'on y touchât. Hélas ! comment est-il arrivé que les descendans de ce même peuple aient aujourd'hui besoin de tread-ndlls et de maisons de correction ? Ah ! du temps de ce bon roi , on ignorait en Angle- terre ce que c'était qu'un mendiant ; de mal- heureuses créatures n'étaient pas obligées de tra- vailler pendant des mois entiers sans jamais manger de viande; et la faim, cet horrible besoin, qui ne reconnaît aucune loi divine ou humaine , jie contraignait pas des milliers d'individus à se faire voleurs !

187. J'ai présenté une rapide esquisse des dé- vastations et des pillages que notre pays eut à souffrir à cette calamiteuse époque. Je vais main- tenant commencer à entrer dans quelques détails au sujet de cette misère et de cette dégradation que j'ai dit avoir été la conséquence de ces dé- vastations ; je le prouverai , non à l'aide d'asser- tions vagues et gratuites, ou en citant des livres qu'on appelle Histoire d' Angleterre ; mais en

Lettre VI. 207

rapportant des actes du parlement et d'autres do- cumens encore que tout le monde peut consulter, et de l'exactitude desquels personne ne saurait douter. Cependant avant d'entamer cet impor- tant sujet , je crois devoir vous montrer la fin du " monstre vice gérant , " ainsi que celle du tyran lui-même qui, pendant le cours des événe- mens que je viens de rapporter, avait continué à se " marier, à divorcer et à tuer ses femmes; " mais dont au reste la criminelle carrière ne fut pas de longue durée.

188. Apiès la mort de Jeanne Seymour , qui fut mère d'Edouard VI , et qui , de toutes les femmes du tyran, fut la seule qui eût assez d'es- prit et de bonheur pour mourir reine et pour expirer clans son lii-y après sa mort, dis- je, qui arriva en i537 , Henri resta deux années en- tières à se chercher une autre femme. Ce ne pou- vait être qu'une femme grossière et tout-à-fait dénuée de sentimens qui consentit à avoir quel- que chose de commun avec un homme qui plon- geait sans cesse ses mains dans le sang. Néanmoins, en 1539, il parvint à trouver Anne, sœur de l'électeur de Clèves. Lorsque cette princesse ar- riva en Angleterre, le roi ne se gêna point pour dire combien elle lui déplaisait ; mais en atten- dant il crut toujours prudent de l'épouser. En i54o, après six ou sept mois de mariage, il di- vorça d'avec elle , sans cependant oser l'envoyer à l'échafaud. Il n'y avait d'ailleurs aucun pré-

2o8 Réforme Protestante.

texte légitime pour ce divorce. Le roi n'aimait point sa femme, c'était tout : et l'on se borna aussi à alléguer ce singulier motif. Cranmer, qui l'avait déjà aidé à divorcer avec deux femmes , ne se refusa pas non plus cette fois à briser de nouveau ses chaînes. Le roi et la reine redevin- rent donc libres j mais le monarque avait déjà en vue une très-jolie femme. Le nom de cette dame était Catherine Howard ; elle était la nièce du duc de Norfolk. Comme la plupart des membres de l'ancienne noblesse , le duc haïssait mortellement Cromwell; aussi saisit-il avide- ment l'occasion qui se présentait à lui pour s'en venger. C'était Cromwell qui avait été la prin- cipale cause du mariage du roi avec Anne de Clèves; d'ailleurs, comme ses talens pour le pillage et le brigandage n'étaient plus nécessai- res, le tyran trouvait assez commode de s'en dé- barrasser.

189. Cromwell avait amassé d'immenses ri- chesses , tant par ses emplois nombreux et lu- cratifs , que par le pillage des églises et la spoliatioîi du bien des panures. Il s'était adjugé une trentaine de terres magnifiques appartenant autrefois aux monastères. Sa maison , ou pour mieux dire , son palais regorgeait des fruits de ses vols et de ses brigandages. Il avait été créé comte d'Essex et avait obtenu la prééminence à la cour sur tous les autres courtisans. Souvent même il représentait le roi au parlement , au-

Lettre VI. 209

quel il présentait ses lois attentatoires et spolia- trices, et devant lequel il les défendait. Sa cruauté et sa barbarie envers des moines et d'innocentes religieuses avaient été sans exemple; jamais, sans un tel ministre , on ne serait parvenu à con- naître tant de crimes et tant de brigandages. Mais on n'avait plus besoin de lui, et le scélérat n'avait déjà que trop vécu. Les ruines des couvens sem- blaient appeler elles-mêmes sur sa tête criminelle la vindicte publique. Le 10 juin i54o, au matin, son pouvoir était encore sans bornes , et dans la soirée du même jour, il languissait au fond d'un cachot sous le poids d'une accusation de trahison. Sa captivité ne dura que peu de jours, et il put éprouver par lui-même ce que sa manière d'ex- pédier les affaires de justice avait de bienfaisant et de consolant. Nous avons vu , dans la lettre précédente , qu'il était l'inventeur d'un mode d'envoyer les gens à l'échafaud ou à la potence, sans aucune forme de procès y et simplement en vertu d'un acte législatif qui les condamnait à mort. C'était ce mode de jugement dont s'é- tait servi cet odieux scélérat dans l'affaire de la comtesse de Salisbury; il était destiné à le voir employé envers lui-même. Il ne survécut que quarante-huit jours à son arrestation ; ce n'était pas la moitié assez de temps pour énumérer en détail tous les vols et les assassinats commis par ses ordres. Il ne paraît cependant pas avoir em- ployé ce temps à prier Dieu de lui pardonner

14

\2io Réforme PROxESTiiNTE.

ses vols et ses crimes , mais à supplier lâchement le tyran d'épargner sa vie. Peut-être de tous les scélérats qui aient reçu le digne châtiment de leur crime , fut-il le plus vil et le plus mépri- sable. Lui , qui au temps de sa puissance , était l'homme le plus insolent et le plus cruel , fut ^ dans sa disgrâce , le plus bas et le plus abject. Au reste, il n'était coupable envers le roi d'au- cun crime. Quoique accusé d'hérésie et de tra- hison, il n'était pas plus hérétique que le tyran lui-même ne l'avait été ; et quant à l'accusation de trahison , elle n'avait pas même une ombre de fondement. Il en était tout aussi coupable que ces abbés de Headings de Coichester et de Glas- hury , et de tant d'autres encore qu'il avait en- voyés au supplice. C'était pour s'emparer de leurs terres qu'il les avait fait mettre à mort ; et je ne crains pas de dire qu'on ne le fit monter à l'échafaud que pour s'approprier ses richesses et tous les objets précieux qu'il avait pillés. C'é- tait lui qui avait fait profaner le tombeau de Tho- mas Becket et fait jeter ses cendres au vent. Le même peuple, qui avait été témoin des excès de ce monstre , devait maintenant voir son sang criminel inonder le pavé et y être léché par des pourceaux et par des chiens. Le lâche scélérat semble n'avoir eu , dès le premier moment de son arrestation, d'autre pensée que celle de sau- ver sa vie. Il écrivit plusieurs fois au roi , dans l'espoir d'en obtenir sa grâce, mais toujours en

Lettre VI. an

vain. Il avait accompli sa mission ; Fœuvre de pillage et de dévaslalioii touchait à sa liu. D'ail- leurs il s'clait fait dans le butin une part trop grosse, et il était par conséquent, selon les vrais principes de la " réforme , " de les lui arracher avec la vie. Dans ses lettres au roi , il protesta avec force de son innocence. Eh ! personne au monde n'en doutait, i.îalheureusement il n'était pas plus Innocent que tous ces abbés et ces moi- nes qu'il avait massacrés , pas plus innocent que ces milliers d'individus de tout â^e et de tout sexe qu'il avait fait écarteler , pendre , brûler ou voler. Et certes , parmi toutes ces victimes , il n'y en eut jamais de plus coupable que lui. Dans ses lettres au tyran , il le cajole et le flagorne de la manière la plus dégoûtante -, il compare " son sourire enchanteur et son front radieux à celui de la Divinité ; " il le supplie de lui permettre de baiser encore une fois sa main balsamiqu-e y persuadé que le baume que ses lèvres y aspireront suilira pour feimer les plaies de sun cœur. L'odieux et bas scélérat au- rait mérité la mort , quand même il ne se se- rait rendu coupable que d'avoir écrit des letties aussi dégoûtantes. Fox, le martyrologiste du protestantisme, appelle ce Cromwell, le vail- lant soldat de la *^ réfo?yne. '^ Il est de fait que vous avez avoir peu de soldats qui s'en- tendissent mieux que lui à piller et à dévaster. C'était un homme plein de valeur quand il s'a-

i4^

212 Réforme Protestante.

gissait de détrousser des passans , ou de mas- sacrer des religieuses aux pieds même de l'autel , et de les tramer sur une claie pour leur tirer l'aveu de prétendues trahisons et conspirations. Nous n'en disconvenons pas; mais convenez aussi , qu'en face de la mort , ce valeureux champion de la " réforme '^ se conduisit comme le lâche le plus consommé. Il est presque inutile d'ajouter que ce même homme est un grand favori de Hume, qui déplore amèrement le sort de Crom- WELL , quoiqu'il n'ait jamais trouvé une seule expression de pitié pour les innombrables vic- times de ce scélérat. Gomme tous les autres his- toriens, il a grand soin de retrancher ces expres- sions abjectes qui se trouvent à la fin d'une lettre qu'il écrivait à son digne maître. " Infortuné " captif, je suis prêt à mourir quand il plaira à " Dieu et à votre majesté de commander ma mort. *' Cependant la fragilité de la chair m'engage à " implorer mon pardon et ma grâce, ainsi que *' l'oubli de mes offenses. Ecrit à la Tour , avec " un cœur surchargé et d'une main tremblante , " par le très-misérable captif et très-infortuné es- " clave de votre altesse. Miséricorde, miséri- " corde, miséricorde, très-grâcieux prince ! " Voilà le langage de celui que l'on appelle un vaillant soldat ! Sans doute que Fox n'a pas entendu dire par-là qu'il fût courageux en présence de l'ennemi ou sur l'échafaud, mais seulement qu'il était brave dès qu'il s'agissait d'arracher des ba-

Lettre XL 2i3

gnes des doigts d'une femme et de l'or et des pierres précieuses de la couverture d'un livre. Ce fut en effet en quoi consista toujours la valeur de la '^ réforme. " Hume dit de Crom- well qu'il méritait un meilleur sort. Cependant jamais sort fut-il plus juste ? Quel zèle ardent et oflicieux n'avait-il pas déployé à exécuter tous les forfaits commandés par son maître? N'était-ce pas lui qui le premier avait imaginé de condam- ner et exécuter les gens sans aucune forme de procès ? Que pouvait-on donc faire de plus que de le faire périr de la même manière? On ne vit point verser de larmes lors de sa mort ; elle ne produisit sur les spectateurs d'autre effet que celui que l'on éprouve en voyant un grand scé- lérat expier ses crimes à la potence.

190. Pendant les sept années que le tyran survécut à son cruel et odieux ministre , il ee vit accablé de tourmens et de vexations de toute espèce. Au bout de quelques mois , il s'aperçut qu'il avait retrouvé dans sa nouvelle épouse luie autre Anne Boylen , et l'envoya sans plus de cérémonies à l'échafaud , avec ses propres parens et ses amans. Il se livra ensuite , comme une véritable bête féroce, à tous les excès de la rage la plus déréglée, établissant les lois les plus san- guinaires, pour se protéger à l'avenir contre l'im- pudicité et l'infidélité de ses femmes , et se ren- dant un objet de ridicule pour son peuple et pour le reste de l'iiurope. Enfin , il se résolut

21 4 Réforme Protesta?,'te.

à prendre une femme encore une fois; il ne trouva qu'une veuve qui consentît à affronter la rigueur de ses lois , et encore celle-ci n'échappa-t-elle qu'avec la plus grande peine au sort des autres. Dans les dernières années de sa vie , ses débau- ches et sa gloutonnerie Pavaient rendu d'une telle corpulence , qu'il ne pouvait se mouvoir qu'à l'aide de mécaniques qu'on inventait pour son propre usage ; et cependant , il avait toujours conservé son ancienne férocité et sa passion pour le sang. Il était étendu sur son lit de mort , et personne n'osait l'informer de son état, car la mort la plus prompte n'eût pas manqué de suivre cet avertissement. 11 mourut donc avant d'avoir su qu'il était près du terme de sa vie , et lais- sant une foule de condamnations capitales qu'il n'avait pas encore eu le temps de signer.

if)i. Ainsi expira en i5'j7, à l'âge de cinquan- te-six ans, et dans la trente-huitième année de son règne , le plus injuste _, le plus vil et le plus sanguinaire des tyrans qui eussent encore désolé l'Angleterre. Ce pa>'s, qu'à son avènement au trône , il avait trouvé paisible , uni et heu- reux , il le laissa déchiré par les factions et les schismes , et ses habitons en proie à la misère et à la mendicité. Ce fut lui qui y introduisit cette immoralité , ces crimes , ces vices et cette misère qui produisirent de si horribles fruits sous le règne de ses enfans , aussi ignorans que mé- chans, et avec qui s'éteignirent quelques années

Lettre VI. 2i5

après son nom et sa maison Je me propose de démontrer , dans la prochaine lettre , comment il érigea en système le pillage des églises et les spoliations du bien des pauvres ,• comment ses successeurs réussirent à perfectionner encore le système de confiscation qu'il avait déjà poussé si loin ; comment on vit disparaître peu à peu les traits distinctifs de notre caractère national , et s'épuiser les sources de notre prospérité j com- ment germèrent les principes de cet horrible sys- tème dont nous voyons aujourd'hui les désastreux effets , dans l'appauvrissement et la dégradation de la masse du peuple d'Angleterre et d'Irlande; et je me flatte de prouver d'une manière con- vaincante que de tous les désastres qui aient en- core affligé notre pays , le plus grand fut sans contredit la " réforme protestante. "

3i6 Réforme Protestante.

vn.

LETTRE VIL

Commencement d'Edouard VI. Parjure des exécu- teurs TESTAMENTAIRES DE IIeNRI VIII. NoUVELI.K ÉGLISE ÉTABLIE PAR LA LOL SPOLIATION DES ÉGLI- SES. Insurrection du peuple. Trahison de Cran- mer ET de ses complices. MorT DU ROI.

Mes Amis, Kensington , le Zi Mai i825-

192. Après vous avoir démontré dans mes pré- crdentes lettres que ce que l'on a eu l'impu- dence d'appeler la '^ Téfonne , ^^ a été produit par les monstrueux excès d'une impudicité ef- frénée, que l'hypocrisie et la perfidie en ont été les fauteurs , et qu'on l'a propagée à l'aide du meurtre et du brigandage , et en répandant des flots de sang innocent en Angleterre et en Ir- lande j je m'étais proposé de vous faire voir dans celle-ci combien ce désastreux événement avait jusqu'à ce jour contribué à appauvrir et à dé- t;rader la classe moyenne du peuple, c'est-à-dire, de dérouler à vos yeux l'effrayant tableau de la misère et de la dégradation qui ont pesé sur notre nation jusqu'à la fin du règne de Henri VIII.

Lettre VII. 21 '7

^lais en méditant plus attentivement sur l'objet qui nous occupe , j'ai été porté à penser qu'il valait mieux terminer le récit que j'avais com- mencé des spoliations , des persécutions et des massacres sans nombre commis par les préten- dus ^' réformateurs. " Quand vous aurez vu toutes les cruautés et toutes les infamies exer- cées sous l'bypocrite prétexte d'un zèle religieux , ou pour mieux dire , quand je vous aurai fait connaître ce que les bornes de mon cadre me permettent de vous présenter à ce sujet, je ter- minerai par vous démontrer quelles pertes énor- mes la nation a éprouvées par ce calamiteux cbangement , et combien il a appauvri et dégradé la masse du peuple anglais. C'est en suivant ce plan que je pourrais donner , ou du moins que je pourrais m'elForcer de donner plus tard une histoire claire et raisonnée de cet appauvrisse- ment successif de notre pays. Mettant en scène le journalier protestant d'aujourd'hui , dont l'exis- tence animale n'est soutenue que par de misé- rables pommes de terre , j'opposerais à cet at- tristant tableau le genre de vie que menaient ses ancêtres catholiques. Et si cette misérable nourriture , pire peut-être que celle des pour- ceaux , n'a pas ôté à cet homme toutes les qua- lités naturelles du sang anglais , je le forcerai à avoir en exécration les barbares assassins et les infâmes hypocrites qui , en opérant cette révo- lution , ont réussi à conduire notre pays

2iS Réforme Protestante.

il se trouve aujourd'hui , et nous ont légué celte masse épouvantable de crimes et de corruption qui de nos jours sapent la société jusque dans ses londemens.

193. En suivant ce plan et me conformant à ma promesse de terminer mon petit ouvrage en dix lettres , je distribuerai mes matières comme il suit : dans celle-ci j'exposerai les événemens et les faits principaux du règne d'EDOUARD VI; dans la lettre suivante, ceux du règne de la reine Marie ; dans la neuvième , ceux du règne de la reine Elisabeth; enfin, dans la dixième, je rapporterai les faits et les argumens qui me serviront à justifier ce que j'ai avancé , quand j'ai dit que ce qu'on a eu l'impudence d'appe- ler la " réforme'''' appauvrit et dégrada la masse du peuple. Je ne m'en occuperai aujourd'hui qu'ac- cidentellement , me réservant de traiter à fond ce sujet dans ma dernière lettre , lorsqu'après TOUS avoir dévoilé les exécrables moyens dont on se servit pour parvenir à ce but, je revien- drai sur mes pas pour jeter un coup d'œil gé- néral sur cet événement et en suivre les con- séquences jusqu'à nos jours.

194. Nous avons vu paragraphe 190 l'odieux tyran mourir à la suite de ses débauches , l'âme tourmentée par ses basses et viles passions , et dans une vieillesse prématurée. Un des derniers actes de son pouvoir fut un testament par le- quel il désignait son fils encore enfant pour son

Lettre VIT. 219

successeur immédiat , et en cas que celui-ci mou- rût sans postérité, transférait la couronne à Ma- rie sa fille , et si celle-ci mourait aussi sans en- fans , à Elisabeth sa seconde fille, bien que, comme nous l'avons déjà vu , il les eiit fait dé- clarer illégitimes par un acte de son parlement; et quoique cette dernière fût née d'AN^'E de BovLEN , et du vivant même de sa première femme, mère de Marie.

195. On nomma pour exécuter ce testament et pour gouverner le royaume jusqu'à ce que Edouard, qui avait alors dix ans, eût atteint l'âge de dix-huit ans , seize exécuteurs testa- mentaires, parmi lesquels se trouvaient Sey- mour, comte de Hertford, ainsi que Vlionnête Cran:wer. Ces seize dignes personnages com- mencèrent par jurer de la manière la plus so- ! lennelle qu'ils exécuteraient scrupuleusement les dernières volontés de leur maître. Leur se- cond acte d'autorité fut de retracter leur serment en nommant tuteur du roi , Hertford , frère de Jeanne Seymour, mère du jeune prince; et cela , quoique le testament eût accordé un pouvoir égal à chacun des exécuteurs testamen- taires. Ils s'occupèrent ensuite à créer de nou- velles Pairies pour quelques-uns d'entre eux. Leur quatrième acte politique fat de faire à ces nouveaux pairs des largesses avec l'argent du peu- ple. Le cinquième fut d'omettre lors du couron- nement un ancien usage des sacres des rois d'An-

220 Réforme Protestante.

f;leterre , qui consistait à demander au peuple s il acceptait le roi pour maître et s'il promet- lait de lui obéir. Le sixième fut d'assister à une grand'messe solennelle; et le septième, de prendre une série de mesures propres à assurer l'anéan- tissement total de ce qui restait encore en An- gleterre de la religion catholique, et achever ce que le vieil Henri n'avait pu obtenir à l'aide de ses massacres.

196. Les monastères n'existaient plus. Il n'y avait plus de crème y mais restait encore \çi petit lait, ou, pour m'exprimer plus clairement, les ornemens et les vases sacrés des églises et des chapelles. Le vieil Henri n'aurait sans doute pas manqué de faire main basse sur tout cela, pour peu qu'il evit vécu davantage. Mais il ne l'avait pas encore fait ; et il n'aurait même pas pu le faire sans se déclarer ouvertement " protestant," ce qui lui était impossible , comme on a pu s'en convaincre , par les raisons que j'ai rapportées plus haut paragraphe loi. Mais Hertford et ses dignes collègues n'avaient pas à redouter les obstacles qu'avait rencontrés le scélérat couronné. Les églises et les chapelles renfermaient des ri- chesses qu'ils devaient naturellement convoiter. On s'était débarrassé du pouvoir du Pape ; la malheureuse Angleterre avait été saccagée dans tous les sens; et cependant il restait encore quel- que chose à piller. Quelque petites qu'elles fus- sent , les églises possédaient toutes des vases et

Lettre VII. 021

des ornemens d'or ou d'argent. Dans les égli- ses paroissiales et en général dans les cathédra- les , on s'était jusque abstenu de profaner et de piller les autels. Quoique le royal assassin Henri VIII ne reconnvit point l'autorité du Pape, qu'il s'était pourtant arrogée , il n'avait point cessé de professer la foi catholique , et défen- dait encore avec des bûchers la messe , les sa- cremens et tous les dogmes de VEglise catho- lique. Il avait donc jusque laissé les autels intacts; mais l'or, l'argent et les autres matiè- res précieuses qui les ornaient ne pouvaient pas manquer d'exciter la cupidité des dignes per- sonnages chargés d'exécuter ses dernières volontés. 197. Il leur fallait cependant ww prétexte pour s'en emparer. Pouvaient-ils en trouver un plus commode et plus expéditif que de déclarer de prime abord que la religion catholique ^\^\\, fausse et pernicieuse , que par conséquent il ne de- vait point y avoir d'autels , et qu'il n'y avait besoin ni d'or , ni d'argent pour les orner ? Les seize tuteurs du roi, avec Hertford à leur tête et le digne Cranmer parmi eux, firent couronner Edouard VI suivant le rit catho- lique. Le jeune prince et eux-mêmes prêtè- rent serment comme catholiques , et jurèrent de maintenir la religion de leurs pères. Après ie couronnement, ils le firent même assister à la célébration d'une grand'messe ; mais les autels étaient encore richement ornés, et il restait de

222 Réforme Protestante.

quoi piller. Or , pour pouvoir piller ce reste y il n'y avait plus d autre moyen que de détruire la religion catholique. Je ne nie cependant au- cunement qu'il n'y eût alors quelques fanatiques, quelques personnes intimement convaincues qu'il était bon de changer une religion qui existait de- puis plus de neuf cents ans ; j'accorde qu'il y avait quelques individus dont le pillage et la ra- pine n'étaient pas le seul but ; mais je crois qu'il est impossible à un homme de bon sens et dont l'esprit n'est point corrompu de réfléchir sur This- toire de ces événemens , sur cette déclaration si franche de ^^ protestantisme " sur ce change-r ment d'une religion existant depuis des siècles en Angleterre , pour en adopter une autre née depuis peu dans une certaine partie de l'Alle-r- magne , sans acquérir la conviction que le pil-r lage et rien que le pillage fut le motif des ac- teurs de ce grand drame politique.

198. Le vieux tyran était mprt en i547, ^^ vers la lin de i549, Granmer , qui naguères avait fait périr tant de protestans parce qu'ils n'étaient pas catholiques , avait déjà presque com- plété un système entier de culte protestant. Pouc préparer les voies , il publia d'abord un livre d'homélies et un catéchisme. Vint ensuite un livre qui permettait aux mendjres du clergé d'avoir des femmes. Enlin, quand il crut tout préparé pour ses desseins , arriva le livre de prières el^ l'administration des sacremens. Gardiker , qui

Lettre Vil. 223

était alors évêque de Winchester , reprocha à £!ranîvier sa duphcité , lui rappela le zèle qu'il avait mis à soutenir le culte catholique sous le feu roi , et l'aurait contraint à se pendre lui- même, s'il lui avait été le moins du monde pos- sible d'éprouver de la honte.

19g. Cependant ce nouveau système ne satis- faisait point encore les fanatiques; et il ne tarda pas à éprouver de leur part une si vive oppo- sition que Cranmer , malgré son audace, put s'apercevoir qu'il avait touché une corde bien deli- cate. Les proclamations faites à ce sujet étaient d'un ridicule dégoûtant , pour peu qu'on réflé- chît qu'elles étaient faites au nom d'un roi dire de dix ans seulement ; elles étaient d'ailleurs composées dans les termes les plus pompeux et pleines d'arrogance. Néanmoins, comme dans tout cela on n'avait qu'un but, qui était le pillage , on n'épargna rien pour y parvenir. Il restait en- ,core un nombre infini d'objets à piller et à vo- ler; mais je me bornerai ici à parler des autels et des églises. Le \é\'\idib\e règne de la " reforme" était eniin arrivé; ce n'était partout que vols, brigandage et hypocrisie , et il serait dillicile de rien trouver de semblable dans l'histoire d'aucun autre pays et d'aucun autre siècle, La religion et la conscience étaient, il est vrai, les prétextes que Ton mettait en avant , mais au fond l'on n'avait d'autre but que le vol et le pillage. Le .peuple Anglais, naguères encore si uni et si heu-

2 24 Réforme Protestante.

reux j fut tout à coup divisé en d'innombrables factions. On ne savait plus ce que l'on devait croire ou ne pas croire , ce qui pouvait être permis de dire , et il devint bientôt impossible au commun de la nation de distinguer ce qui était hérésie de ce qui ne l'était point.

200. Cramuer, cet infâme hypocrite qui, pen- dant le règne de Henri VIII, condamnait im- pitoyablement aux flammes ceux qui ne croyaient pas à la transsubstantiation , conadiVLinait main- tenant au même supplice ceux qui croyaient à ce mystère. Luther, comme nous l'avons vu, fut le premier qui commença le grand oeuvre de la *' réforme ; ^^ mais il ne tarda pas à être singé , sur le continent, par un grand nombre de ré- formateurs. Ces nouveaux docteurs avaient fait plusieurs tentatives pour introduire leurs opi- nions en Angleterre , mais le vieil Henri s'était toujours opposé au succès de leur entreprise. Maintenant qu'il s'agissait de voler aux églises ce qui leur restait encore , et que pour avoir un prétexte assez plausible de brigandage, il était nécessaire d'opérer un changement complet dans la forme du culte , tous ces sectaires accouru- rent par bandes en Angleterre , pays qui devint alors le théâtre des discussions religieuses les plus animées. Les uns soutenaient le livre de priè- res de Cranmer, les autres proposaient d'y faire quelques changemens , d'autres , enfin , en de- mandaient à grands cris la suppression. C'est

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Lettre VIL 225

alors que prirent naissance cette division et cette multiplicité infinie d'opinions religieuses , toutes ennemies les unes des autres, que l'on observe malheureusement encore aujourd'hui parmi nous. Granmer employa une partie des ressources du pays à nourrir et à engraisser ceux de ces aven- turiers religieux , ou plutôt impies qui , en se rangeant de son côté , prouvaient leur tact à choisir le marché ils pouvaient débiter leur doctrine avec le plus d'avantage. L'Angleterre était alors inondée de ces étrangers faisant de la religion métier et marchandise, et vendant leur conscience au plus offrant ; cette nation , si ja- louse de toute influence étrangère , était obligée de courber sa tête altière devant des étrangers du caractère le plus vil et le plus infâme. 11 eût été impossible à Cran mer de trouver des Anglais assez souples et assez dociles pour en faire les instrumeus du grand œuvre qu'il méditait. Le protecteur Herford , que nous appellerons dé- sormais Somerset ( le roi enfant l'ayant créé duc de ce nom ) , était à coup sûr le plus grand " réformateur " que l'on eût encore vu ; et nous le verrons bientôt le -plus grand et le plus déterminé pillard que cette prétendue " réforme " eût encore produit , si l'on excepte pourtant le vieil Henri. L'abolition totale du culte catholi- que était nécessaire à ses projets de brigandage ; aussi se montra-t-il le protecteur déclaré de tous les étrangers insatiables et déboutés. Jamais peut-

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226 Réforme Protestante.

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être le monde ne vit dans un même siècle une collection de misérables et de scélérats tels que Luther, Zwingle , Calvin, Bèze el les au- tres célèbres " réformateurs " de la religion ca- tholique. Tous , de l'aveu même de leurs propres sectaires , étaient diffamés par les vices les plus honteux. Le seul point de doctrine sur lequel ils fussent d'accord entr'eux était l'inutilité des bonnes oeuvres. Leur vie sert à prouver com- bien ils étaient sincères dans leurs principes , et il n'en est pas un seul parmi eux dont les ac- tions n'aient pas mérité toutes les rigueurs de la justice humaine.

201. L'influence de ces circonstances sur les mœurs du peuple fut telle qu'on devait l'atten- dre. Tous les histonens s'accordent à dire que jamais les vices et les crimes de tout genre ne furent plus communs qu'à cette époque : les doc- teurs de la secte en firent eux-mêmes l'aveu. Et cependant les " protestans " exaltent tous les jours ce règne comme celui de la conscience et de la religion ! Il était si évident que ce chan- gement n'avait rien de bon en lui-même qu'il était impossible que quelqu'un l'adoptât par aveuglement. Les malheurs sans nombre qu'il devait nécessairement entraîner à sa suite s'étaient déjà fait sentir dans toutes les classes de la société avant la mort du vieux tyran. La mort du despote avait fourni l'occasion de rentrer dans le bon diemin ; mais malheureusement il

Lettre VII. 227

restait encore de quoi piller , et les brigands persévérèrent dans leur système de spoliation et de dévastation. La " réforme " ne fut l'œuvre ni de la vertu, ni du fanatisme , ni de l'erreur ou de l'ambition , mais bien du penchant au vol et au pillage. Ce fut le seul principe qui l'anima et la fit agir , et l'unique but qu'elle se proposa. 202. Souvent le vieux tyran avait permis à ses mignons de piller partiellement des évêcliés ; mais le pillage devint dès-lors général. Le protecteur se mit à la tète du mouvement , et son exemple fut bientôt suivi par d'autres. On volait tant dans un évéché tant dans un autre ; quelquefois même on les supprimait tout- à-fait, comme celui de Westminster. Il existait encore un grand nombre de chanteries ( propriétés particulières s'il en fût jamais), de chapelles libres et par conséquent pro- priétés particulières, d'hôpitaux, de corps de mé- tiers ou confréries, dont les biens étaient tout aussi- bien propriétés particulières que peuvent l'être au- jourd'hui ceux d'une société philanthropique quel- conque ; et cependant on en légitima le pillage par un acte législatif! Et puis, qu'on vienne nous dire maintenant que les biens de l'Eglise " établie par la loi " sont de nature si sacrée qu'un acte du parlement ne saurait les atteindre ! Tel fut donc ce règne glorieux d'où date l'Eglise " établie aujourd'hui j!7«r la loij " car, bien que Marie, pendant son règne , ait ensuite renversé l'édifice , Elisabeth le rétablit de nouveau. Ce fut alors

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228 Réforme PROTESTA^'TE.

qu'elle fut légalement établie , ainsi que le nou- veau culte , par un acte du parlement. N'est-il pas grand temps de la détruire aujourd'hui par le même moyen ? Elle prit naissance dans la di- vision , la désunion et la discorde ; et sa vie a été en tout point digne de sa naissance. Les biens dont elle jouit furent enlevés à l'Eglise catho- lique, ou plutôt, on en dépouilla la veuve, l'or- phelin, l'indigent et l'étranger. Le prétexte dont on se servit pour colorer cette usurpation fut que cette mesure était un moyen de faire revivre ru- 771071 parmi le peuple et de détruire toutes les causes de dissentions. On reconnut et l'on pro- clama hautement comme une vérité essentielle , qu'il ne peut y avoir qu'une seule m'aie reli- gion ; et cependant on en comptait dès-lors au moins vingt. Les docteurs de chacune d'elles s'a- Tiathématisaient déjà mutuellement et déclaraient que toutes les autres étaient fausses. Ne s'ensui- vait-il pas que toutes ne valaient pas mieux les unes que les autres ? Tel est le langage du sens commun , quoiqu'il soit aujourd'hui si fort à la mode de se déchaîner contre cette doctrine exclu- sive de salut. Je demande , par exemple , au prêtre unitaire y pourquoi il se charge de ses fonc- tions, pourquoi il n'exerce pas plutôt un métier quelconque, ou ne travaille pas plutôt à labourer la terre. Il me répond qu'il est plus utilement employé à enseigner. Si je lui demande à quoi sert cet enseignement , il me dit , il est même

Lettre Y il. 229

obligé de me dire que cet enseignement est né- cessaire au salut des âmes. « Eh ! bien alors , pourquoi ne pas laisser ce soin à l'Eglise " ëLablie par la loi y " qui reçoit toutes les dîmes? Je ne le peux pas ; car l'Eglise établie par la loi n'enseigne point la véritable religion. Qu'im- porte qu'elle soit fausse ou véritable, si elle sert à nous sauver ? » Je tiens alors mon homme au pied du mur ; et il est foicé de m'avouer qu'il ne lait tout cela que pour mener une vie agréa- ble et aisée en flattant les passions ou les con- ceptions bizarres de quelques orgueilleux ou de quel({ues ignorans , ou du moins de me soutenir que sa croyance et sa doctrine sont absolu- ment nécessaires à notre salut. Comme il est loin d'avouer la première proposition du syllo- gisme , il est forcé d'en soutenir la seconde ; et le voilà , après mille invectives contre l'intolé- rance des catholiqvies , obligé de soutenir la doc- trine du salut exclusif.

2o3. Deux croyances véritables , deux reli- gions véritables , différant l'une de l'autre et se contredisant mutuellement, nous présentent une iinpossibiliLé morale. Que penser en effet de trente ou quarante croyances toutes différant en- tre elles ? Si le déisme ou l'athéisme sont en eux-mêmes quelque chose de si désolant , et en même temps de si exécrable par leurs efîéts, que lorsqu'on ose en faire profession publique , on soit passible d'un emprisonnement de plusieurs

2'do Réforme Protestante.

années ; si , dis-je , il en est ainsi , que penser d'une législation qui, tout en infligeant une peine aussi forte , tolère néanmoins et encourage même une multitude de croyances diverses , qui tou- tes , à l'exception d'une seule , doivent néces- sairement être fausses ? Une législation qui ne reconnaît et ne tolère (\u!une seule religion est conséquente avec elle-même en punissant le déiste et l'athée. Que si elle en reconnaît ou to- lère plus d'une , il suit naturellement qu'elle en reconnaît ou tolère une fausse. Maintenant c'est aux théologiens à décider si une fausse re- ligion n'est pas tout aussi pernicieuse que le déis- me ou l'athéisme. D'ailleurs, y a-t-il de la jus- tice à punir le déiste ou l'athée de leur manque de foi en la religion chrétienne , quand , sous ses yeux , les lois de son pays protègent un si grand nombre de religions différentes qui toutes, je le répète , à l'exception d'une seule , doivent né- cessairement être fausses ? Que doit penser un homme qui a constamment devant les yeux le singulier spectacle de vingt religions différentes, prétendant toutes être chrétiennes , toutes pro- tégées également par les lois , et déclarant cha- cune de leur côté que leurs rivales sont <3ans l'erreur ? Le résultat naturel et même néces- saire de celte étrange contradiction ne doit-il pas être que cet homme croira qu'aucune de ces re- ligions n'a la vérité de son côté , que toutes sont également fausses , et qu'elles n'ont toutes été

Lettre VIL 231

inventées qu'au profit de ceux qui les enseignent? 2o4- Ou la loi civile ne devrait reconnaître et tolérer qu'une seule rellgio?i , ou les matiè- res de religion ne devraient point être de sa compétence. La loi catholique est conséquente avec elle-même : elle ne reconnaît qu'une seule vraie religion , et elle réprime , par des peines correctives , la hardiesse de ceux qui oseraient professer toute opinion contraire. Il ne s'agit pas encore ici de rechercher si elle est ou non la véritable religion ; il suffit de remarquer que son antique existence parmi nous et parmi d'autres peuples est une forte preuve des heureux effets qu'elle produit sur les mœurs générales d'une nation, tandis que les divisions sans nombre, qui ont toujours régné et régnent encore parmi les protestans, sont une preuve non moins forte de sa vérité. Supposons , comme je l'ai déjà fait dans une autre occasion, quarante individus dont les ancêtres et leur postérité ont toujours jus- qu'à ce jour professé une certaine croyance j si sur les quarante individus , il s'en trouve trente- neuf qui finissent par dire que cette croyance était fausse et erronée , il nous sera permis de croire, ou du moins il sera assez naturel de no- tre part de supposer que la vérité y après avoir été long- temps cachée, a été enfin livrée au grand jour , quoiqu'un peu tard peut-être. Mais si ces trente-neuf individus commencent aussitôt à avoir trente-neuf croyances toutes différentes

232 Réforme Protesta iste.

les unes des autres à la place de ï ancienne , le sens commun ne nous porte-t-il pas à pen- ser que Vancienne croyance doit être la seule véritable ? Pourrions-nous raisonnablement en- tendre ces trente-neuf individus protester tous ensemble contre Vancienne foi , et ensuite pro- tester chacun de leur côté contre la croyance adoptée par les trente-huit autres ; pourrions- nous, dis-je, penser que leurs protestations con- tre l'ancienne loi étaient justes? Il faut néces- sairement qu'il y en ait trente-huit d'entr'eux qui soient dans l'erreur : comment donc croire après cela à l'exactitude de leur première déci- sion sur une matière identiquement la même ? Si en justice , au sujet d'une pièce de terre que l'on aurait prouvé avoir été , de temps immé- morial , d'une étendue de vingt arpens ^ il y eût un arpenteur qui jurât qu'elle contient vé- ritablement vingt arpens et qu'il s'en présentât aussi quarante autres qui vinssent jurer , l'un qu'elle n'a qu'w/z arpent y l'autre qu'elle en a deux y et ainsi de suite jusqu'à quarante , quels sont les juges et les jurés qui hésiteraient un seul instant à croire l'arpenteur qui affirme que la pièce de terre contient vingt arpens _, et à re- jeter le témoignage de tous les autres ?

2o5. En supposant, relativement à l'objet qui nous occupe , que les trente-neuf quarantièmes de la chrétienté eussent protesté , on réfuterait difficilement l'argimient que je viens de poser.

Lettue Vil. 233

Mais ne perdez point de vue que jusqu'à présent il n'y a encore tout au plus que deux clnciucui- iièmes de la chrétienté qui se trouvent dans ce cas ; de sorte qu'au lieu de trente-neuf sur qua- rante , il se trouve au contraire que ce sont trente-neuf sur deux mille qui owl protesté con- tre la foi jusqu'alors commune et que leurs pè- res avaient toujours professée. N'oubliez pas non plus que chacun de ces trente-neuf individus -protestent énergiquement que les trente-huit au- tres n'ont protesté que sur de faux motifs. Com- ment croire ensuite que la protestation de ces trente-neuf personnes contre la foi des deux mille autres , appuyée sur une longue suite de siè- cles , ait en elle-même quelque chose de juste et de raisonnable ? Devrions -nous , en d'autres circonstances , décider de la sorte ? Des hommes honnêtes et que la passion ou quelque motif vil et bas n'aveuglent pas le pourraient-ils ? D'ail- leurs s'il était vrai que la religion catholique fût aussi fausse qu'on le prétend , d'où vient qu'a- vant cette époque on n'ait jamais songé à \ ex- tirper? Je m'attends à ce que l'on me réponde que, lorsque les Papes avaient un très-grand pou- voir temporel , lorsque les rois eux-mêmes étaient obligés de courber leur orgueil devant le Saint- Siège , personne n'eût osé employer les armes du raisonnement pour ébranler la foi catholique. Mais nous avons vu naguères le Pape prisonnier sur une terre étrangère, nous l'avons vu man-

234 Réforme Protestante.

quant presque du nécessaire ; nous avons vu la presse jouissant, dans la moitié du monde, d'une liberté illimitée pour l'attaquer , ainsi que l'Eglise dont il est le chef. En outre il y a déjà plus de ti'ois cents ans que toutes les sectes protestantes travaillent de concert à détruire la foi catholique ; et cependant ne voyons-nous pas qu'au bout de ces trois cents ans cette croyance est encore do- minante dans la chrétienté? Ne voyons-nous pas bien plus qu'elle fait chaque jour de nouveaux progrès, et même dans ce royaume un clergé protestant reçoit huit millions sterling de traite- ment annuel , et les catholiques sont sévère- ment exclus de tout rang, de tout honneur, et quelquefois même privés de tous les droits po- litiques garantis aux autres citoyens , et cela sous l'empire d'une constitution établie par leurs an- cêtres catholiques comme eux ? Se pourrait-il donc que cette religion fût fausse ? Un tel culte pourrait-il être idolâtre ? Y a-t-il jamais pu y avoir nécessité de le détruire en Angleterre , au- tant du moins que les lois le permettaient ? No- tre honneur et notre bien-être ont-ils jamais pu être intéressés à violer tous les droits sacrés de la propriété, à saccager notre pays, et à l'inon- der de sang afin de parvenir à changer notre religion ?

206. Mais pour revenir aux œuvres des bri- gands de la '' réforme, " remarquons que dans des discussions de ce genre , c'est une erreur com-

Lettre VIL 235

mime et grave en même temps, de ne considérer la question que sous le point de vue purement religieux. L'Église catholique ne bornait pas son influence à l'enseignement de la religion , à la célébration du culte et à l'administration des sacremens ; elle s'étendait encore aux intérêts temporels du peuple. Elle pourvoyait de la ma- nière la plus généreuse et la plus abondante aux besoins des pauvres et des malheureux. Souvent, en retour de ses bienfaits multipliés , l'avarice et l'usure lui abandonnaient les trésors qu'elles avaient honteusement accumulés, et elle les em- ployait à des œuvres de bienfaisance. Elle ren- fermait un corps nombreux de propriétaires ter- riers dont les revenus étaient toujours distribués au peuple de la manière la plus avantageuse pour lui. Les propriétaires formaient un état puissant, indépendant de l'aristocratie et de la couronne, et dont les intérêts étaient presque toujours les mêmes que ceux du peuple. Mais, disons-le encore une fois, cette Église s'était surtout toujours mon- trée l'amie et la consolatrice du pauvre et n'a- vait jamais cessé d'exercer l'hospitalité la plus généreuse. La charité et la bienveillance avec la- quelle elle traitait ses fermiers et tous ceux qui dépendaient d'elle , adoucissaient la rigueur du droit de propriété ; et elle contenait la société dans ses devoirs plutôt par les liens <le la reli- gion que par la crainte des lois. L'Église catho- lique déclare contraire à l'Evangile le prêt d'ar-

236 Réforme Protestaiste.

gent à intérêt; elle considère comme usuraires, et par conséquent comme criminels , les gaiiis que l'on en retire. Sa doctrine enseigne à prê- ter sans intérêt , et elle combat ainsi cette dé- testable passion d'amasser des richesses , par le moyen le plus prompt et le plus facile à la fois. Les L'hréliens avaient ignoré ce (|ue c'était que l'usure jusqu'à ce que le tyran Henri VIII, as- sassin de sa femme, se fût jeté comme un loup vorace sur les propriétés de l'Église et sur cel- les des pauvres. Les principes de l'Eglise catho- lique ont tous leur source dans la générosité et la bienfaisance : c'est son caractère distinc- tif, comme Végoïsme est celui de notre Église *' établie par la loi, ''

207. Ce qui restait encore à piller après la spoliation des couvens était peu de chose en com- paraison de ce que l'on avait déjà volé. Cepen- dant ce que le vieux tyran avait oublié de prendre, ce qui restait encore à glaner après lui, ne lais- sait pas d'avoir une certaine valeur. Le pillage des églises paroissiales et autres fut précédé de profations de tout genre, et de farces dégoûtan- tes jouées dans les églises mêmes. Calvin exer- çait une influence opposée à celle de Cran mer; de sorte qu'il y eut presque guerre ouverte en- tre leurs partisans respectifs, pour savoir lequel des deux systèmes on adopterait pour l'instruc- tion publique. Quand tout fut préparé , on mit la main à l'œuvre , et l'on suivit un ordre ad-

Lettre VII. 237

mirable dans le pillage. Les autels de toutes les églises étaient , comme je l'ai déjà rapporté , ornés d'or et d'argent. Une partie de leurs ri- chesses consistait en images , en encensoirs et chandeliers ; l'autre , en objets nécessaires à la célébration de la messe. Quoi de plus simple donc que à'abolir la messe , et de décréter que dorénavant on n'aurait plus qu'une ^' table en guise à^ autel ? '' Le parli fanatique des '^ ré- formateurs '' s'amusa pendant long-temps à dis- puter pour savoir dans quelle partie de l'église on placerait cette table ; quand on ("ut convenu de la place qu'elle devait occuper , on discuta gravement sur la forme qu'elle devait avoir ; si elle devait plutôt regarder le nord que l'ouest , l'est ou le sud ; enfin , si le peuple devait se tenir debout, s'agenouiller ou s'asseoir devant ce morceau de bois. Pendant tous ces débats , les brigands pensaient à toute autre chose , et ne perdaient point de vue les images , encen- soirs et autres ustensiles nécessaires au culte.

208. Pour engager le peuple à adopter tou- tes ces innovations , les réformateurs eurent soin de fabriquer une Bible qui offrait de perfides interprétations du texte original , toutes les fois qu'ils le croyaient utile à leurs desseins. De tous les actes de cette époque de meurtre et d'hy- pocrisie, ce fut peut-être le plus vil et le plus odieux : il sert admirablement à nous faire ap- précier à leur juste valeur les héros de la ^'^ ré-

238 Réforme PROTESTA^'TE.

forme. '^ Aujourd'hui encore, les souffrances du malheureux artisan anglais , qui n'a pour sou- tenir sa chétive existence que des pommes de terre et de l'eau , sont la conséquence naturelle des horribles faits que je suis condamné à rap- porter. Lorsque tout eut été bien préparé à l'a- vance , un acte parlementaire , sanctionné par l'autorité royale , ordonna de commencer le pil- lage général. Les voleurs enlevèrent tout ce qu'ils trouvèrent de précieux , jusqu'aux vêtemens mê- mes des prêtres. On n'avait encore jamais eu d'exemple d'une semblable rapacité ; espérons , pour l'honneur de l'humanité , qu'il ne se re- nouvellera pas. On eut dit que l'Angleterre était devenue un vaste repaire de brigands.

209. Le protecteur Somerset ne s'oublia point dans tout cela. Après avoir pillé quatre ou cinq évêchés , il lui prit envie d'avoir un palais à Londres. Pour bâtir ce palais, qui fut construit dans le Strand , et que l'on appela Somerset- House , nom qu'il a conservé jusqu'à ce jour, il s'empara des maisons de ville de trois évê- ques , et les fit abattre en même temps qu'une église paroissiale , pour avoir l'emplacement né- cessaire au plan qu'il avait adopté. Les maté- riaux provenant de la démolition de ces édifices étant insufiisans pour la construction de son pa- lais , il fit démolir une partie des bâtimens ap- partenant à la cathédrale de Saint-Paul y l'église Saint-Jean , près de Smithfield, BarMng-Cha-

Lettre VIL 289

pel, près la Tour, l'église collégiale de Saint- Martin- le - Grand , l'église de Saint- Ewen , ainsi que les églises paroissiales de Saint-Ni- colas et de Sainte- 31ar guérite , à Westminster; mais, rapporte le docteur IIeylyn, " à peine les ouvriers eurent-ils établi leurs échafauda- ges, qu'on vit accourir sur eux un grand nom- bre d'habitans de ces différentes paroisses , les uns armés d'arcs et de flèches, et les autres de bâtons et de fourches, ce qui répandit tellement l'effroi parmi les ouvriers, qu'ils se sauvèrent fort surpris , et qu'on ne pût jamais les engager à reprendre leurs travaux. " Ainsi s'éleva Somer- set-House, qui de nos jours sert de temple au dieu du fisc. Ce palais fut construit , dans l'o- rigine , avec les décombres des églises; il a tou- jours conservé le même nom, et c'est de au- jourd'hui que partent ces ordres qui nous forcent à nous priver du fruit de nos travaux pour ac- quitter les intérêts d'une dette publique qui fut la conséquence naturelle et immédiate de la " ré- forme. ''

210. Je me réserve de faire , dans ma der- nière lettre , l'histoire de l'appauvrissement et de la dégradation qui résultèrent pour le peu- ple anglais de toutes les atrocités commises par les " protestans " de cette époque et leurs di- gnes successeurs, dans des temps plus rappro- chés de nous. Je me bornerai ici à faire observer que la grande masse du peuple haïssait aussi pro-

n^o Réforme Protestante.

fondement les tyrans " réformateurs " que les actes de leur pouvoir , et qu'il régnait à cette époque en Anc^leterre un mécontentement géné- ral dont les explosions amenèrent dans diverses circonstances des insurrections armées. La ma- nière dont Hume , en faisant l'histoire de ces temps de désolation , cherche à excuser les bj^i- gandages de la " réforme , " ne laisse pas de piquer la curiosité. Son but constant, comme l'on sait , est de noircir les institutions catholiques , et surtout le caractère et la conduite du clergé catholique. Il lui était cependant impossible de taire ce mécontentement du peuple , et les soulè- vemens auxquels il donna lieu ; et comme il fal- lait nécessairement (jue cette disposition des esprits eût une cause quelconque , il était forcé ou de l'attribuer à ce que ce changement renfermait de pernicieux , ou à quelque autre cause. Que fait alors notre historien? il s'efforce, d'une ma- nière étudiée, de faire croire à ses lecteurs que le peuple se trompait alors sur la tendance de cette révolution. Il a soin d'ajouter qu'on aurait peine à imaginer une institution moins favorable aux intérêts de l'humanité que la religion catho- lique-, et cependant il ajoute que, comme cette religion ne laissait pas de présenter au peuple quelques avantages qui cessèrent lors de la sup- pression des couvens, le peuple regretta vivement cette suppression. Il décrit ensuite les bienfaisans résultats des institutions monastiques, et ajoute

Lettre VII, 2^^

que comme les moines résidaient sans cesse dans leurs Liens , ils répandaient autour d'eux une grande sonune de bienfaits : que n'ajant aucun des motifs qui jmt les pousser comme les au- tres Jiommes vers V avarice, ils étaient en même temps les meilleurs maîtres et les propriétaires es plus humains ; jniis il fait voir que lorsque les biens du clergé devinrent propriétés parti- culières, les fermages augmentèrent de prix, et qu'en même temps on alla dépenser au loin le revenu de ces mêmes propriétés : d'où il résulta que les fermiers se trouvèrent exposés à la la- pacité d'un intendant impitoyable , que de vas- tes éten<1ues de terre restèrent sans culture, que les fermiers furent expulsés de leurs fermes, et que les paysans furent dépouillés des commu- nes où ils avaient le droit de faire paître leurs troupeaux; que la population du royaume di- minua sur tous les poinls , que son ancienne prospérité déchut sensiblement , que les mon- naies, après avoir déjà subi de fortes altérations sous le règne de Henri VIÎJ, furent altérées en- core davantage par ses successeurs, que tout l'ar- gent au litre légal fut ou accapare ou exporté a Vétranger ; que la grande masse du peuple perdit par-là une partie de ce qu'elle avait ac- quis par son travail et son industrie, et que l'ex- plosion des murmures et des plaintes fut géné- rale sur tous les points du royaume.

21 1. A présent je le demande encore une fois,

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2^1 Réforme Protestante.

cette résolution était-elle avanlageuse ? Quelles peuvent donc être les excuses alléguées par cet odieux calomniateur des institutions catholiques? Les voici : il dit d'abord que la charité et Vhos- pitalité exercées par les moines encourageaient la fainéantise et s'opposaient au développement et à l'accroissement des richesses publiques , et ajoute que le peuple , ne pouvant subsister que par une augmentation de travail y que celte augmentation d'industrie finit par être la consé- quence de la situation actuelle y d'où résultent *' d'imineU'Ses avantages pour la sociétés " J'i- gnore ce qu'il a voulu dire par situation actuel- le; je suppose que ce soit sans doute la situation du pays au temps il écrivait ; et quoique la ^' réforme " n'eût pas encore produit autant de mendicité , de misère , de dette publique et d'impôts que de nos jours , elle était en bon chemin pour y parvenir. Mais qu'entendait-il par richesses publiques? Les institutions cathohques, comme il est forcé de l'avouer , empêchaient la grande masse du peuple d'éprouver les besoins qu'entraîne la misère ; mais , ajoute-t-il , s'op- posait au développement et à l'accroissement de la richesse publique. Encore un coup, que signi- fient ces mots ricliesse publique ? Quel est , ou quel doit être le but de tout gouvernement et de toute institution politique ou religieuse? n'est-ce pas le bonheur du peuple? Mais notre historien, comme Adam Smith et tous les autres écrivains

Lettre VII. 2q3

écossais ses compatriotes, semjjle croire qu'il peut exister une grande somme de lichesse publique avec une extrême misère individuelle. On di- rait que ces hommes regardent le peuple comme un vil troupeau travaillant pour un être abstrait qu'ils appellent le bien public. Avec de pareilles gens, il ne s'agit pas de savoir si le peuple, pour le bonheur duquel a été institué tout gouver- nement , est heureux ou malheureux ; mais bien si l'état gagne ou perd de l'argent ou la valeur de l'argent. Je me fais fort de démontrer par la suite qu'avant la " réforme " l'Angleterre était positivement et relativement plus puissante qu'elle ne l'a été depuis , et qu'elle possédait beaucoup plus de ricJiesses réelles. INIais qu'il nous suffise , pour le moment , de remarquer que la réforme n'avait encore produit , à l'époque dont nous parlons , qu'une misère générale dans les basses classes du peuple , et qu'en conséquence les plaintes retentissaient d'un bout du royaume à l'autre.

212. Le livre de prières de Cranmer avait été annoncé comme devant mettre fin à toutes les dissentions ; mais à peine fut-il promulgué, et la spoliation des églises , qui en était la consé- quence nécessaire , eut-elle commencé , qu'il se déclara une insurrection ouverte dans plusieurs comtés, l'on livra des batailles, et se firent un grand nombre d'exécutions suivant les lois militaires. Le royaume entier ressentit cette com-

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^44 Réforme Protestante.

motion , mais surtout les comtés de DevonsLire et de Norfolk. Dans le premier , les insurgt's , supérieurs en nombre aux troupes envoyées pour les combattre , mirent le siège devant Exeter. On envoya contre eux lord Russel, qui les délit après avoir reçu un renfort de troupes alleman- des. Les insurgés furent alors exécutés en masse, selon les lois militaires. Le brave général se dis- tingua sur-tout en faisant pendre un vénérable prêtre au haut du clocher de son église ! C'est sans doute un de ces services éminens ren- dus par la famille des Russels, que l'Angle- terre , à ce que nous a appris M. Brougham, ne saurait jamais trop récompenser. L'insurrec- tion présentait un caractère plus alarmant dans le comté de Norfolk ; mais le secours des trou- pes étrangères ne tarda pas à la comprimer, et elle fut suivie des supplices les plus barbares. Le peuple du Devonshire se plaignait qu'on eût altéré la religion , que comme le rapporte le docteur IIeylyn , théologien protestant , " le " tiers état, /i7>r<? et indépendant, fût néan- " moins opprimé par quelques membres de la pe- " tite noblesse , qui s'adonnaient à tous les plai- " sirs, tandis que le pauvre tiers état, épuisé de " fatigues et de travaux, vivait dans l'esclavage le " plus abject; que l'on eût aboli la sainte lithur- " gie adoptée par leurs pères; que la force et la " violence l'eussent remplacée par un nouveau '^ culte étranger à leurs moeurs. " Ils demandaient

Lettue vu. 245

qu'on rétablît la messe et les couvens _, et qu'on interdît le mariage aux prêtres comme aupara- vant. Partout de semblables plaintes et de pa- reilles demandes se faisaient entendre. Cependant le livre de prières de Cranmer et " l'Église établie par loi " unirent par triompher à l'aide des baïonnettes étrangères.

3 [3. Telle fut l'origine de l'église protestante '^ établie par la loi ; '' tels furent ses premiers pas dans la carrière qu'elle a fournie depuis. Hé- las ! combien ne différaient point les commen- cemens de cette Eglise d'Angleterre, fondée par Saint Augustin à Cantorbéry , objet des affec- tions du grand Alfred, et sous les auspices de laquelle le peuple anglais s'était vu pendant neuf cents années consécutives le plus puissant du monde , et avait vécu dans une abondance et une liberté supérieures à celles dont jouissaient les autres peuples.

31 4- SOiTiERSET , qui 671 iS/\<^ avait enpojé son propre frère à Véchafaud, parce qu'il s'é- tait opposé à ses usurpations ( bien que l'un et l'autre fussent des brigands), ne tarda pas, après avoir commis sur le peuple toutes les cruau- tés dont je viens de parler , à porter sa tête sur le même écbafaud. Dudley, comte de War- wick, qui l'égalait en bassesse et en injustice, mais lui était supérieur en talent, ayant soulevé le conseil contre lui, lui fit éprouver le sort qu'il avait si bien mérité. Il serait tout-à-fait sans in?-

2^6 Réforme Protestante.

térêt pour nous de chercher à savoir sous quels prétextes ou le fit périr. Il faisait partie d'une réunion d'hommes atroces qui s'épiaient mutuel- lement et s'entre-détruisaient quand ils en trou- vaient l'occasion. Il est bon néanmoins de remar- quer que parmi les crimes, dont on accusait ce grand coupable, se trouvait celui d'avoir intro- duit des troupes étrangères dans le royaume. Quelle ingratitude profonde de la part de ces pieux " réformateurs ! " n'étaient-ce point ces troupes qui les avaient aidés à établir leur nou- velle religion ? Mais il était de leur intérêt de mettre à mort un chef qui avait été la cause prin- cipale de leurs succès ; et il ne s'agissait en défi- nitif que au pillage et du partage qu'on en devait faire. Somerset s'en était adjugé une part plus forte que celle de ses confrères ; il se faisait con- struire un palais. S'il avait été possible à chacun des brigands d'en faire autant , la paix et la con- corde auraient régné entre eux ; mais comme cela ne pouvait être , on le déclara traître pour s'en débarrasser. Le roi Saint Edoiard, ce prince que le protestantisme a canonisé , à peine âgé alors de quinze ans, avait déjà signé la condam- nation à mort d'un de ses oncles, à l'instigation d'un autre oncle. Le saint roi ne fit donc au- cune difficulté de signer pour la seconde fois l'ar- rêt de mort d'un de ses oncles.

2i5. Warwick, qui àevint aXoTS protecteur , fut créé duc de Northumberlajîd, et se fit don-

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Lettre VIT. 2^-j

ner les biens immenses qui avalent appartenu à l'antique maison dont il portait le nom , et qui étaient tombés dans le domaine de la couronne. Cet homme était un protestant peut-être encore plus zélé que son prédécesseur, c'est-à-dire qu'il était encore plus débauché , plus rapace et plus cruel. Tant qu'il resta quelque chose à voler , on continua à piller et dévaster les églises. Sur beaucoup de points du royaume , on réunit plu- sieurs paroisses en une seule que l'on fit desservir par un seul prêtre. Mais , à dire vrai , on ne laissa dans le clergé presque aucun homme digne d'en faire partie. Tout ce qu'il y avait de vertueux et de savant parmi les prêtres avait été massacré ou réduit à périr de faim, ou bien condamné à s'expatrier; et on avait tellement diminué, pen- dant le règne de la terreur , les revenus de ceux qui étaient restés, qu'ils étaient souvent obligés, pour subvenir à leurs besoins, de travailler comme charpentiers, serruriers, maçons, etc., et même d'entrer comme domestiques au service des gen- tilshommes, de sorte que cette " Eglise d'\An- gleterre établie par la loi '' ( et surtout par les troupes allemandes ) devint l'objet du mé- pris général , non-seulement de la nation , mais encore de tous les peuples d'Europe.

3i6. Le roi qui n'était qu'un enfant de la plus faible santé , semble n'avoir eu d'autre trait dis- tinctif dans le caractère que la haine qu'il portait aux catholiques et à leur religion, haine nourrie

248 RÉFOFxME Protesta^'te.

par les leçons de Cranmer et autres. Sa vie ne paraissait pas devoir être de longue durée ; aussi Northumberland, qui lui servait alors de tu- teur, conçut-il le projet de faire passer la cou- ronne dans sa famille _, projet à coup sûr digne d'un héros de la '^ réforme. " Dans ce dessein, il maria l'un de ses fils, lord Guilford Dudley à lady Jane Grey, qui, après Marie et Elisa- beth, était l'héritière immédiate du trône. Quand ce mariage fut conclu, il engagea Edouard à faire un testament par lequel il instituait cette même Jane Grey héritière de sa couronne, à l'exclusion de ses deux sœurs. Les écrivains qui ont pris à tâche de pallier les crimes et les désordres de la " réforme , " et par conséquent portent aux nues l'enfant- roi, sous le règne duquel l'Eglise actuellement existante fut " établie par la loi, '' nous racontent, sur la manière dont se prit Nor- thumberland pour engager Saint Edouard à commettre cet acte d'injustice , de longues his- toires dans lesquelles il ne se trouve probable- ment pas un seul mot de vrai. Néanmoins ce qu'ils rapportent se réduit à ceci : " Lady Jane était " sincèrement attachée aux doctrines des protes- " tans; le jeune roi le savait-, c'est à son vif désir " de voir se consolider la nouvelle religion qu'il *' faut attribuer son consentement à la propo- " sition de Northumberland. 217. Cette manière de disposer de la couronne éprouva >de grandes dillicultés quand on en pré-

Lettre VII. 249

senta l'acte étrange aux avocats, espèce de gens qui n'ont jamais rien de plus à cœur que de se mettre à l'abri de tout danger. Les juges du vieil Henri eux-mêmes , lorsqu'ils étaient pressés de donner leur avis sur quelque violation de la loi, ne manquaient jamais de renvoyer la question au parlement. Dans cette occasion, les juges, le loi-d chancelier, les secrétaires d'état, les mem- bres du conseil privé , hésitèrent tous à mettre leurs noms au bas d'un acte qui changeait ainsi Tordre de succession. On parvint néanmoins à le- ver peu à peu tous les scrupules, surtout quand Cranmer eut apposé sa signature, lui qui, en sa qualité d'exécuteur testamentaire du feu roi , avait juré de la manière la plus solennelle d'exé- cuter ses dernières volontés, en vertu desquel- les les deux sœurs devaient succéder au trône en cas que le jeune roi vînt à mourir sans pos- térité. C'est ainsi que le ''pieux et saint " auteur du livre de prières y outre quatre parjures an- térieurs d'une notoriété incontestable, se rendit encore coupable du crime de haute trahison. Mal- gré toute sa duplicité , il avait fini par se lais- ser prendre à ses propres pièges , sans doute dans la vue de conserver son évèclié. La princesse Marie était bien l'héritière naturelle et légitime du trône; mais c'était Granmer qui avait ré- digé l'acte de divorce de sa mère avec le feu roi et qui en avait poursuivi la déclaration. Il n'igaorait pas d'ailleurs que Marie était inébrau-

25o Réforme Protestante.

lablement attachée à la religion calholique , et il prévoyait bien que son avènement au trône porterait un coup mortel à son pouvoir et à son Eglise. Aussi ne balança-t-il point à commettre le plus grand crime reconnu par notre législation. 218. Comme le roi se trouvait toujours entre les mains de Northumberland, qui l'avait en- touré de ses créatures , on prévit bien , quand il eut signé cet acte , que suivant les bruits sourds qui circulaient dans le public , il ne lui res- tait pas long-temps à vivre. Il mourut en effet le six juillet i553, à l'âge de seize ans, dans la septième année de son règne, le jour même , quelques années auparavant , son barbare père avail envoyé sir Thomas More à l'écha- faud. Ces sept années furent la période la plus fertile en malheurs et en calamités dont l'his- toire d'Angleterre ait conservé le souvenir. On eut dit que le fanatisme et la friponnerie, l'hy- pocrisie et l'esprit de pillage s'étaient partagé le l'oyaume pour l'exploiter. Les souffrances du peu- ple à cette époque dépassent tout ce que l'on peut imaginer. A l'abondance dans laquelle il avait toujours vécu du temps de la religion catholique, avait succédé une mi&èie générale; et afin de ré- primer la mendicité qui en était la conséquence naturelle, on fit les lois les plus barbares et les plus sévères pour empêcher les malheureux, fussent-ils même sur le point de mourir de faim , d'implo- rer la pitié publique. La nation perdit bientôt

Lettre VII. 25 1

toute considération à ses propres yeux et à ceux des peuples étrangers. Ainsi la ville de Boulo- gne en France avait été conquise par ]vi valeur des anglais catholiques ; et l'on vit alors de la- dies ministres " protestans " ne pas rougir de la restituer au gouvernement Français. Aussi , d'un bout à l'autre de l'Europe , n'entendit-on plus que de sanglans sarcasmes lancés contre une nation naguère si grande et si puissante. Hume, qui trouve toujours quelque chose à louer dans ceux qui ont partagé sa haine contre la religion catholique , prétend que tous les historiens an- glais s'étendent avec plaisir sur les excellentes qualités de ce jeune prince, sur les belles es- pérances qu'il faisait concevoir , et qui lui avaient mérité Rattachement le plus tendre et le plus sincère de la part de ses sujets. " Il avait, dit-il, " une douceur angélique dans le caractère , et un " attachement décidé aux règles de la justice et de " l'équité. " Nous avons déjà eu lieu d'apprécier cette douceur angélique , quand nous l'avons vu donner l'ordre de brûler vifs un grand nombre de protestans qui ne protestaient point comme il l'entendait , et signer l'arrêt de mort de deux de ses oncles. Nous nous confirmerons dans notre persuasion , en nous rappelant qu'il voulut in- tenter un procès à sa sœur Marie parce qu'elle n'adoptait point des croyances qu'elle regardait comme blaspliématoires, dessein dont les mena- ces de l'empereur, cousin de la princesse, pu-

252 Réforme Protestante.

rent seules le détourner. Quant à son attache- ment inviolable aux règles de la justice et de \ équité ^ il me semble que personne ne peut en douter, pour peu qu'il veuille réfléchir à ce testa- ment qui déshéritait ses deux sœurs, après même que les juges eussent déclaré qu'une telle me- sure était contraire à la loi fondamentale du royaume. Les nombreuses insurrections qui écla- tèrent sur tous les points du royaume pour s'op- poser à ses ordres, les demandes énergiques qu'on lui adressa pour rétablir cette religion vénéra- ble , à la destruction de laquelle tendaient tous les actes de son administration, sont à coup sûr une preuve suffisante de ce tendre et sincère at- tachement que lui portaient ses sujets. IMais , outre les preuves évidentes de la fausseté des récits de Hume, nous allons invoquer le témoi- gnage du docteur Heylyn, qu'on ne pourra pas nier être au moins un des historiens anglais sur l'autorité desquels Hume s'appuie plus de vingt fois dans la partie de son histoire qui a rapport au règne de ce prince. Le docteur Heylyn est loin de s'étendre avec plaisir sur les excellentes Jj qualités d'EoouARD. Voice ce qu'il en dit au quatrième paragraphe de sa préface : Je ne puis " considérer la mort du roi Edouard comme un " malheur pour l'Église d'Angleterre. Ce jeune " prince avait reçu de la nature le germe de '■" tous les vices ^ il était sajis principes , et eût ^ été porté à mettre à exécution les mauvais

Lettre VIT. 253

" conseils qu'on aurait pu lui donner. Il n'y a " rien d'étonnant, s'il avait vécu plus loni^-temps, " que les autres évèchés ( quoique déjà assez " appauvris ) eussent tous eu le sort de celui " de Durham ; et que notre pauvre église fût " devenue aussi pauvre que lorsqu'elle parut au " monde pour la première fois et dans toute sa " nudité. " Eh ! mais c'est justement ce qui fait son mérite aux yeux de Hume. Que ne le disait-il d'abord ; et pourquoi venir nous par- ler du caractère aimable et vertueux du jeune tyran? Pourquoi ajoulail-il que ions les histo- riens anglais s'étendent avec plaisir sur les bon- nes qualités de ce jeune Saint de la " réforme ? " 219. La manière dont on avait disposé de la couronne avait été cachée au peuple, et la moit du roi le fut aussi pendant trois jours entiers. NoRTHUMBEPxLAND , voyaut s'approclicr la mort du jeune Saint, avait eu soin de faire venir, conjointement avec Cranmer et les autres mem- bres du conseil , les deux princesses dans les en- virons de Londres , sous prétexte d'être par-là plus à portée de vejiir au secours de leur frère. Mais leur but réel était de pouvoir s'emparer de leurs personnes , et les jeter en prison aus- sitôt que le roi aurait rendu le dernier soupir. Les traîtres , les conspirateurs , les scélérats de toute espèce , ont cela de commun entre eux , que , lorsque leur intérêt personnel l'exige , ils sont toujours prêts à se trahir les uns les au-

254 Réforme Protestante.

ties. C'est aussi ce qui arriva dans cette occasion. Le comte cI'Arundel, l'un des membres du con- seil, et qui, comme Dudley et ses autres col- lègues , s'était rendu chez lady Jane , le lo juillet, pour être admis à lui présenter ses hom- mages comme à la Reine, avait eu la précau- tion d'expédier , dans la nuit même du 6 , un exprès à Marie , qui déjà était arrivée à Hod- desden , pour la prévenir de la mort de son frère et lui dévoiler en entier le complot tramé contre elle. Sur cet avis , la princesse monta à cheval , accompagnée d'un petit nombre de ser- viteurs , et se dirigea vers Konninghall , dans le comté de Norfolk et de sur Hamliugham , dans le comté de Suffolk. Quand elle y fut ar- rivée , elle envoya aux membres du conseil l'or- dre de proclamer son avènement au trône comme reine légitime d'Angleterre , leur donnant à en- tendre qu'elle connaissait leurs perfides desseins, sans cependant les en accuser ouvertement. Ceux- ci avaient fait , le même jour , proclamer reine lady Jane. Ils avaient en outre pris toutes les précautions possibles pour assurer le succès de leur entreprise : l'armée , la flotte , le trésor et toute la force administrative étaient entre leurs mains ^ ils lui firent donc une réponse hautaine, et lui ordonnèrent de se soumettre à la reine légitime en loyale et fidèle sujette. Le nom de Cran MER était le premier de ceux qui se trou- Taient au bas de cet ordre.

' Lettre VIL ^55

220. Quand on a le cœur droit et qu'on aime la jusiice, on éprouve un véritable plaisir à exa- miner l'embarras fut réduite quelques heures après cette bande de scélérats sans pareils. La noblesse et la bourgeoisie étaient spontanément accourues se ranger sous les étendarts de ÎvIaîiie ; et dans Londres même, le peuple, quoique in- fecté des doctrines pestiférées apportées en An- gleterre par des scélérats étrangers , venus du continent pour propager la nouvelle religion , eût cependant encore assez d'honneur pour dés- approuver hautement une injustice et une spo- liation aussi criantes. Ridley, évêque protestant de Londres , prononça dans l'église de Saint- Faul , en présence du lord-maire et d'une nom- breuse assemblée , un sermon dans lequel il en- gageait vivement les auditeurs à prendre fait et cause pour Marie; malheureusement ce fut sans aucun effet. Le i3 juillet, Northumberland sortit lui-même de Londres pour aller attaquer la reine 5 mais quelques jours après , elle était déjà entourée par plus de vingt mille hommes, tous volontaires et refusant toute solde quel- conque. Northumberland n'était pas arrivé à Bury -Saint -Edouard que déjà il désespérait du succès. Il se dirigea alors sur Cambridge , et écrivit aux conspirateurs ses complices pour leur demander du renfort. L'épouvante d'abord , et ensuite la trahison, ne tardèrent pas à se mon- trer parmi les siens. Peu de jours après, les

^56 Réforme Protestante.

mêmes hommes qui avaient juré solennellement (le défendre la cause de la reine Jane, envoyè- rent à Northumberland l'ordre de licencier ses troupes, et proclamèrent, au milieu des applau- dissemens et de l'alégresse de lout un peuple , Marie reine d'Angleterre.

22 1. Le chef de la conspiration avait licencié son armée, ou plutôt ses soldats l'avaient aban- donné avant qu'il n'en eût reçu l'ordre. C'était alors , comme on se le rappelle , le siècle de la " réforme " ou de la bassesse. On ne doit pas être étonné de le voir suivre le conseil du doc- teur Sands, vice-chancelier de l'Université, qui, quatre jours auparavant, prêchait contre Marie de le voir s'avancer sur la place publique de Cambridge , et , annoncer l'avènement de INIarie au trône, en agitant, à ce que rapporte Stowe, son chapeau dans l'air, en signe de sa joie et de sa satisfaction. Néanmoins il fut ar- rêté quelques heures plus tard sur un ordre de la reine , et par son complice , ce même comte d'ARUNDEL, qui avait été ini des premiers à saluer reine lady Jane. Non ! jamais dans au- cun pays et sous aucun règne on ne vit une rapacité , une hypocrisie , une bassesse et une perfidie semblables à tout ce dont l'Angleterre eut à souffrir de ceux qui détruisirent dans son sein la religion catholique et y fondèrent l'Eglise protestante! Ce môme Dudley, qui, pendant tant d'années , avait fait métier de piller les égli-

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Lettre VU. 267

ses , qui avait été un des instigateurs de toutes les mesures atroces prises contre ceux qui per- sistaient dans la foi de leurs pères , qui avait essayé d'intervertir l'ordre de succession au trône, parce que, disait-il, l'avènement de Marie au pou- voir pouvait mettre la religion protestante en pé- ril, ce même homme enfin, quand il vint recevoir le digne châtiment de ses crimes sur l'échafaud, se confessa dans la foi catholique ^ et même exhorta le peuple à rentrer dans le sein de l'Église catho- lique. Suivant le docteur Heylyn ( n'ouhliez pas que c'est un protestant qui parle), " il exhorta " les Anglais à conserver la foi de leurs ancê- " très , et à rejeter la nouvelle , qui avait été " la cause de toutes les calamités qu'ils avaient " eu à souffrir pendant les trente dernières an- " nées. " Il ajouta que " s'ils voulaient se pré- " senter purs et sans tache devant Dieu , s'ils " étaient véritablement désireux du bien de leur " pays , ils devaient cliasser ceux qui venaient " leur prêcher la religion ^^ réformée. '' " Quant " à lui, dit-il ensuite, sa conscience était char- " gée, et sa sentence juste. " Fox, le marty- rologiste de la " réforme , " dont nous aurons souvent l'occasion d'apercevoir la fausseté et les mensonges, rapporte que Dudley ne fit cette profession de foi que parce qu'o?^ lui avait pro- mis sa grâce. Mais en marchant à l'échafaud , ne devait-il pas bien voir qu'il n'y avait plus de pardon à espérer pour lui ? D'ailleurs n'a-

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258 Réforme Protestante.

t-il pas lui-même déclaré le contraire au mo- ment de son supplice ? n'a-t-il pas dit expres- sément que personne ne l'y avait engagé, et qu'il ne le faisait dans aucun espoir d'obtenir par-là sa s race ? Mais nous allons bientôt voir Cran- MER lui-même renoncer à son apostasie et ren- trer dans le sein de l'Église primitive, et la bande entière des pillards " réformateurs " se pros- terner devant le légat du Pape , confesser leur hérésie et leurs sacrilèges, et recevoir l'abso- lution de leurs crimes.

222. Ainsi finit ce règne de ^^ réforme , ^' de pillage , de misère et de calamités. Le nouveau culte avait été changé à trois reprises différen- tes ; et cependant on avait infligé les peines les plus sévères à ceux qui avaient persisté dans leur ancienne croyance. La nation était devenue da- vantage, de jour en jour, l'objet des mépris de l'étranger; ses malheurs et ses divisions intesti- nes n'avaient aussi fait que s'accroître. L'église *^ établie par la loi " naquit dans ces circons- tances ; elle grandit en influence sous l'admi- nistration de deux protecteurs ou premiers mi- nistres, qui périrent tous deux du supplice des traîtres. Son principal fondateur fut un homme qui avait attaché au pilori des protestans et des catholiques , selon les circonstances ; qui avait fait brûler vifs des gens qui refusaient de re- connaître l'autorité du Pape, d'autres parce qu'ils ne croyaient pas à la transsubstantiation, d'autres

IjEttre vil 25c)

parce qu'ils y croyaient, d'autres enfin parce qu'ils avaient quelques opinions difFérentes des sien- nes ; un liomme qui ensuite se vanta publique- ment d'avoir renoncé à des principes pour les- quels il avait condamné au dernier supplice tant de milliers de ses semblables , et qui ensuite pro- testa, de la manière la plus solennelle, que ses opinions étaient celles des malheureux qu'il avait fait assassiner! A mesure que cette église '^ éta- blie par la loi '' fit des progrès, on vit dispa- raître tout-à-fait ce qui restait encore de l'an- tique charité de nos pères. Les indigens , que l'Eglise catholique avait si tendrement placés sous sa protection , furent dès-lors flétris avec des fers rouges et condamnés à l'esclavage , seu- lement pour avoir demandé l'aumône, quoiqu'on n'eût pris en même temps aucune mesure pour les empêcher de périr de faim et de froid. L'An- gleterre , si long-temps célèbre par son hospi- talité, par la générosité, l'aisance et le bonheur de ses habitans, devint, sous l'influence du " pro- testantisme , " le pays par excellence de l'é- goïsme , de la misère , de la détresse et de la tyrannie.

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200 RÉFORIVTE PROTESTA^TE.

No VÎII.

LETTRE VIII.

Marie monte sur le trône. Lois douces et bien- faisantes qu'elle établit. Reconciliation de

LA NATION avec l'ÉglISE. GrANDE PIÉTÉ DE LA reine; GÉNÉROSITÉ DONT ELLE FAIT PREUVE. ElLE

EPOUSE Philippe. Martyrologe de Fox.

Mes Amis, Kensington , le 3o Juin 1825.

223. Je vais maintenant vous faire l'iiistorique tl'un règne pendant lequel une double réaction politique et religieuse eut pour inévitable con- séquence des peines et des supplices qui jusqu'à ce jour ont fourni un vaste sujet de déclamation aux calomniateurs de l'Église catholique. On a tout fait d'abord pour les exagérer , et ensuite pour les attribuer à la religion catholique ; et l'on s'est surtout bien gardé dans ce but de dire un seul mot des cruautés et des atrocités bien plus grandes et mille fois plus nombreuses com- mises dans le royaume par des protestans. Mes amis, loin de moi l'idée de faire l'apologie d'aucune espèce de cruauté , ou de chercher à l'atténuer. Je désapprouve hautement toute peine corpo-

Let J RE VIIL 261

relie ou pécuniaire, infligée pour cause de religion. Qu'on ne m'accuse donc point d'entreprendre ici la défense des peines et des supplices infli- gés pour ce motif pendant le règne de Marie, si j'ai cru de mon devoir de prouver : qu'ils ont été monstrueusement exagérés ; qu'il est bien plus facile de les excuser en raison des cir- constances dilïiciles dans lesquelles on se trou- vait alors, qu'il ne le serait d'atténuer en faveur du même motif l'atrocité et la cruauté des suppli- ces infligés par les protestans pour cause de re- ligion; S^* que, comparés à la niasse épouvantable de supplices infligés par les partisans et les mi- nistres de l'Eglise " établie par la loi, '' ils sont à peine dans la proportion d'un à mille ; enfin , que les attribuer aux principes de la re- ligion catholique , est un abus révoltant du rai- sonnement , et que la reine était d'ailleurs l'une des personnes les plus vertueuses de son temps; que ce ne sont point ses propres erreurs en poli- tique qui l'ont rendue malheureuse , mais bien les désastres et les désordres sans nombre que lui avaient légués ses deux prédécesseurs en sa- pant les institutions fondamentales du pays et en remplissant par le royaume de confusion ; eii un mot, qu'ils n'avaient laissé à leur successeui d'autje parti à prendre que d'user d'une grande sévérité , ou bien d'encourager l'hérésie , le pil- lage et le sacrilège , et même d'y prendre part. Les hommes qui font métier de nous tromper

262 Réforme Protestante.

nous ont appris à ne désigner son règne que comme celui de la sanguinaire Marie, et celui de sa sœur que par ces mots emphatiques : i.'age d'or de la bonne reine Elisabeth; mais ils ont eu grand soin de nous taire que pour cha- que goutte de sang répandue par Marie , la bonne Elisabeth en répandit des flots j que Marte ahandoniia généreusement tous les biens provenant du pillage que lui transmirent ses pré- décesseurs, tandis qu'ÉLisABETH s'en réempara et arracha aux pauvres le peu qu'on leur avait laissé par inadvertance ; que la première resta toujours inébranlablement attachée à sa religion, tandis que la seconde, de catholique qu'elle était d'abord , devint ensuite protestante , pour revenir encore à la religion catholique et rabjurer de nouveau j que l'une punit ceux qui avaient aban- donné la religion dans laquelle eux et leurs an- cêtres avaient été élevés, et à laquelle elle-même était toujours restée fidèle , tandis que l'autre envoyait au supplice ceux ([ui refusaient d'aban- donner la religion de leurs pères , une religion qu'elle-même avait professée et dont elle faisait encore profession à l'époque de son sacre. Et ce- pendant on nous a appris à n'appeler l'une que la sanguinaire Marie et l'autre que la bonne Elisabeth! Combien n'avons-nous pas été trom- pés ! Le temps n'est-il pas arrivé cette dé- ception , si préjudiciable à nos compatriotes ca- tholiques et si injurieuse pour nous-mêmes, doit

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Lettre VIII. 263

cesser? Peut-êlre présumé-je trop de mes forces, en espérant parvenir à la détruire entièrement; mais j'aurai du moins fait quelque chose pour parvenir à un si noble but, en publiant un récit simple et véridique des principaux évéïiemens du rècne de Marie.

22^. La reine qui, comme nous l'avons déjà vu au paragraphe 219, était à Hamlingham , dans le comté de Suffolk, se mit immédiatement en route pour Londres elle arriva le 3i juillet i553, après avoir reçu sur tout son passage les démonstrations les plus vives de la joie que cau- sait son avènement au trône. A mesure qu'elle approchait de Londres , la foule des personnes , qui allaient au-devant d'elle , devenait plus con- sidérable. Elisabeth qui, tant que les événe- mens étaient restés incertains , avait observé un profond silence , vint elle-même à sa rencontre , et les deux sœurs firent à cheval leur entrée dans la cité dont les maisons étaient décorées et les rues parsemées de fleurs. Marie fut ensuite sacrée de la manière la plus solennelle et selon le rituel catholique, par Gardiner qui, comme nous l'avons vu, s'était opposé à l'établissement de la nouvelle Eglise de Cranmer, et que la reine avait trouvé languissant dans les cachots de la tour de Londres , après avoir été dépouillé de son évêché de fP'inçhester , mais que nous verrons bientôt devenir un des principaux ac- teurs de la réaction qui rétablit la religion c^-

264 Réforme Protestante.

tholique. La joie du peuple était sans bornes ; jamais on n'avait encore vu un couronnement aussi magnifique ni une joie plus universelle et plus sincère. Tous les auteurs sont d'accord sur ce point , et ce fait dément complètement les assertions de Hume, qui cherche à nous faire croire que le peuple n'aimait point les princi- pes de la reine. Ce fait est d'ailleurs corroboré par la raison et par le témoignage de l'histoire. N'était-il pas naturel en effet qu'un peuple qui , trois ans auparavant , s'était soulevé sur plusieurs points du royaume contre la nouvelle Eglise et ses partisans , fût au comble de la joie à l'a- vénement au trône d'une reine qu'il savait bien avoir l'intention de renverser cette même Eglise et de comprimer l'insolence de ceux qui avaient étouffé ses murmures et ses plaintes à l'aide de troupes allemandes ?

225. Marie commença son règne par des actes qui prouvèrent à la fois et sa justice et sa bienfaisan- ce. Un généreux oubli d'elle-même, et même de ce qui lui était nécessaire pour vivre avec splendeur, l'engagea à retirer de la circulation les monnaies falsifiées par son père et plus encore par son frère. Elle acquitta ensuite les dettes de la couronne et fit en même temps subir aux impôts une forte réduction. Mais ce qu'elle avait le plus à cœur , c'était de rétablir cette religion sous l'influence de laquelle l'Angleterre avait été si heureuse et si grande pendant tant de siècles, et dont la des-

Lettre VllI. 265

truction n'avait eu pour résultat que la discorde , l'infamie et une misère générale. Elle avait de puissans obstacles à renverser; car bien que les pernicieux principes des réformateurs allemands, suisses et hollandais n'eussent point encore fait de grands progrès parmi le peuple, excepté à Londres qui était le centre d'opérations de ces aventuriers fanatiques et affamés, elle avait affaire dM\ pillards^ et ces pillards étaient puissans. Il est aisé de con- cevoir que le peuple anglais qui , dans toutes les parties du royaume, s'était soulevé contre la nou- velle Eglise de Cran mer, qui avait demandé hau- tement le rétablissement de la messe et d'une par- tie au moins des monastères, et auquel on n'avait pu imposer silence qu'à l'aide des soldats alle- mands, des potences et de la loi martiale; il est aisé , dis- je , de concevoir que trois ans plus tard ce même peuple accueillerait avec un empresse- ment qu'on ne saurait décrire , l'espérance de voir renverser la nouvelle Eglise et rétablir l'an- cienne par une reine dont la constance , la piété et l'intégrité lui offraient les garanties les plus fermes. Malheureusement le pillage avait été im- mense, les pillards étaient si nombreux et si puis- sans , il y avait si peu de membres des familles distinguées qui n'eussent point participé à la spo- liation des églises catholiques , que l'entreprise de la reine était hérissée de difficultés. Quant à l'Église de Cran mer, ou autrement dite, " éta- blie par la loi , '' il n'était rien moins que dif-

266 Réforme Protestante.

ficile de s'en débarrasser. L'or, l'argent, la vais- selle et les autres objets de valeur dont les pillards d'autels avaient spolié les églises pendant le règne du jeune Saint Edouard , ne pouvaient être restitués ; mais on pouvait du moins rendre les autels et ils le furent effectivement. Les tables qu'on leur avait substituées et les prêtres mariés n'offusquèrent pas long-temps les yeux du pu- blic. Il est assez curieux de remarquer combien Hume se sent attendri au souvenir de ce qui eut lieu alors. " Si domine la superstition , *' Ton pouvait, dit-il, écouter ce que demandent " la loi , la justice et la raison , on n'aurait ja- *' mais expulsé de leurs places des prêtres dont " le crime était d'avoir contracté mariage , en *' vertu de la loi rendue alors. " Je m'étonne en vérité comment il ne lui est jamais revenu à l'esprit de faire remarquer que les mowcs et les religieuses n'eussent également jamais être expulsés de leurs propriétés , puisque leurs in- stitutions jouissaient également de la garantie des lois du royaume , qui pendant neuf cents ans les avaient sanctionnées. Hume applaudit à la des- truction de ces respectables institutions; mais s'a- git-il de cette noupelle Eglise dont l'existence ne datait encore que de trois ans , qui avait été établie sous le règne d'un enfant-roi, soumis aux volontés de deux régens qui, dans la suite, eu- rent la tête tranchée à bien juste titre, et à l'in- fluence d'un conseil composé d'hommes qui tous

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avaient conspiré contre leur légitime souverain ; s'agit-il de ces prêtres mariés, dont la plupart, à l'exemple des Luther, des Cranmer, des Knox et des Hooper, et autres grands réfor- mateurs de la même force , avaient manqué à leur vœu de chasteté , et s'étaient par consé- quent rendus coupables de parjure , l'iiistorieu philosophe pense qu'il ne fallait abroger aucune loi , telle contraire qu'elle fût au bien public , si cette abrogation pouvait léser les intérêts d'iioiu- mes pareils à ceux que nous venons de citer. La reine était trop juste pour penser ainsi , et ces apostats furent honteusement expulsés , à la grande satisfaction du peuple qui se rappelait avoir été impitoyablement sabré par des tioupes allemandes, pour avoir demandé entr'autres cho- ses que le mariage fût interdit aux prêtres. Les évêques catholiques, qui avaient été dépossédés par Cranmer , furent rétablis dans leurs sièges; Cranmer lui-même fut peu de temps après chassé du siège auquel il était parvenu par des moyens si honteux ; on ne tarda même pas à le jeter en prison, comme coupable de trahison. 11 méri- tait bien son sort. On célébra de nouveau la messe sur tous les points du royaume; on cessa de mar- quer avec des fers rouges des gens prévenus d'avoir demandé l'aumône, et on ne les condamna plus à r esclavage ; en un mot, chacun espéra voir l'Angleterre redevenir ce qu'elle avait été , la terre par excellence de l'hospitalité et de la charité.

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226. Restait maintenant à s'arranger avec les pillards. Nous allons être témoins d'une scène qui , si elle n'était pas avérée , passerait pour la fiction la plus romanesque et la plus étrange. Ce même parlement qui avait reconnu légal le divorce de Catherine prononcé par Cranmer, qui avait déclaré Marie illégitime, la reconnut comme la légitime héritière du trône ! Ce par- lement qui avait aboli le culte catholique pour étabhr le culte protestant , sous prétexte que le premier était damnable et idolâtre , et le der- nier conforme à la volonté de Dieu, abolit main- tenant le protestantisme pour remettre en hon- neur la religion catholique I Quoi! me direz-vous, le j>arrcment put agir ainsi et sans y être forcé par aucun motif pressant ? Ne vous y trompez pas , mes amis , il avait alors tout à craindre du peuple, dont la grande majorité se prononçait sur cette importante matière d'iuie manière décidée et conforme aux intentions de la reine. Au reste , rien de plus admirable que la promptitude et la célérité que l'on déploya dans cette affaire. Le feu roi était mort dans le courant de juil- let, et avant la fin de novembre suivant, tout ce qu'avait fait Cranmer pour le divorce du roi Henri et le culte imposé à la nation était com- plètement détruit , et remarquez-le bien , en vertu d'actes rendus par ce même parlement (jui avait confirmé l'un et établi l'autre. Le premier de ces actes déclarait que le mariage de Henri et

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de Catherine avait été légitime, et déversait tout le blâme de l'affaire du divorce sur Cran- mer que l'acte désignait personnellement. Le se- cond déclarait VEglise ^' établie par la loi " une nouveauté produite par quelques opinions bizarres et individuelles , bien que quelques an- nées auparavant le parlement eût assuré qu'elle provenait directement du Saint-Esprit. Le par- lement cette fois avait raison , mais il aurait ajouter que cette innovation avait en outre été établie à l'aide de troupes allemandes. Le grand et sublime inventeur de cette Eglise , V illustre Cranmer, qui allait enfin recevoir la juste ré- compense de ses nombreux forfaits , ne vit pour- tant pas par lui-même renverser son ouvrage ; car tout aussi coupable que Dudley, il n'avait encore jusqu'à présent été condamné qu'à une simple réclusion dans son palais de Lambeth. Lorsqu'il apprit que la messe avait été célébiée dans son église catbédrale , il fit paraître une déclaration incendiaire et pleine d'injures ( sa- chez au reste qu'il la rétracta dans la suite ). Cette déclaration et ses nombreuses trahisons an- técédentes furent cause qu'on l'envoya à la tour, il se trouvait encore au moment les lois dont nous venons de parler furent adoptées. Quant à la nouvelle Eglise , il n'était pas besoin d'acte législatif pour la détruire ; l'opinion générale l'abolit par un consentement tacite ; tanrlis qu'il fallut des torrens de sang pour la rétablii- sous

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Elisabeth, Hume, guidé par Fox, auteur du jnartjrologe protestant , se plaint amèrement du inépris que la cour montra pour les lois , en faisant célébrer à l'ouverture du parlement la messe en latin et selon l'ancien rit , quoiqu'il eût été aboli par un acte du parlement. Il avait été aboli en effet-, mais Cromvs^ell et sa cli- que fanatique avaient aussi aboli le gouvernement rojal en vertu d'un acte du parlement et sur- tout par la force des baïonnettes ^ et cependant Charles n'attendit pas pour reprendre le titre de roi que cet acte eût été rapporté ; et ceux qui nous ont amené le //^e'Va^cz/r Guillaume n'ont pas attendu pour l'introduire en Angleterre qu'un acte du parlement les y eût autorisés. Uinnoua- tion connue sous la dénomination d'Eglise " éta- blie par la loi, " tomba d'elle-même : on l'avait imposée à la nation , la nation la repoussa.

2 2'y. Les pillards virent leur proie prête à leur écbapper , lorsque vint la question de sa- voir si l'on rétablirait la suprématie du Pape y en effet , comme s'emparer des biens de l'Eglise était commettre un sacrilège j si le Pape ressai- sissait son ancien pouvoir dans le royaume , il était possible qu'il en exigeât la restitution. Il y avait alors dix-huit ans que la plus grande par- lie de ces biens avait été enlevée à leurs légi- times propriétaires ; depuis , ou ils avaient été divisés et subdivisés à l'infini , ou bien les pre- miers acquéreurs étaient morts; ensuite la classe

II

Lettre VIII.

-;

commune Ju peuple était devenue en beaucoup <retidroits dépendante des nouveaux propriétaires. D'ailleurs elle ne concevait pas aussi aisément la liaison qui existait entre sa foi et la supré- matie du Pape, que celle qui l'unissait à la messe et aux sacremens. Ainsi la reine , quelque vif que fût son désir d'éviter toute occasion de don- ner directement ou indirectement sa sanction aux brigandages de la " réforme, " se trouvait ré- duite à la nécessité , ou de risquer une guerre civile pour soutenir la suprématie du Pape , ou de ne point réconcilier son royaume avec le Saint- Siège , et de garder le titre de chef de l'Église qui lui était si odieux, ou bien d'entrer en arran- gement avec les pillards. Elle préféra cette der- nière alternative , quoiqu'il ne soit nullement certain que la guerre civile n'eût pas été plus avantageuse pour le royaume, quand bien même elle se serait terminée à l'avantage des pil- lards , ce qui n'était pas probable. Mais que mes lecteurs fassent attention à la triste situation dans laquelle se trouvait la reine à l'égard de cette affaire. Il y avait à peine dans le royaume un noble ou un propriétaire de quelque distinc- tion qui n'eût pas pris part au pillage des biens de l'Eglise. A l'exception de Fis her, tous les évê- ques catholiques avaient donné leur assentiment a l'abolition de la suprématie du Pape en Angle- terre. Gardiner, grand chancelier de la reine, avait été de ce nombre , bien que dans la suite

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il eut été - dépouillé de son évêché et enfermé dans la tour pour s'être opposé aux autres pro- jets de Cranmer. Il était naturel que les évê- ques catholiques, et surtout Gardiner, fussent disposés à se tirer de cette affaire avec le moins de bruit possible : comment, en effet, auraient- ils pu conseiller à la reine de s'exposer à une guerre civile pour rétablir ce qu'eux-mêmes avaient aboli; d'un autre côté la reine pouvait- elle agir sans prendre l'avis de conseillers quel- conques ?

228. Néanmoins la reine, dont le zèle égalait la sincérité, était résolue de rétablir la religion, et en conséquence V arrangement proposé avec les pillards fut adopté. Le monde entier put alors se convaincre, et la nation pillée et réduite à la dernière misère par ce qu'on avait eu l'impu- dence d'appeler la " réforme , " vit aussi clair que le jour , que tous ceux qui avaient été les fauteurs de cette prétendue " réforme, " n'avaient eu d'autre mobile que la soif du pillage, que tou- tes leurs criailleries contre le Pape, toutes leurs accusations contre les moines et les religieuses et les prétendus abus de l'ÉgHse catholique, tou- tes leurs confiscations et tous leurs massacres , que tous leurs crimes en un mot n'avaient eu d'autre motif que le pillage. On vit alors en ef- fet ce même parlement qui, trois ou quatre ans auparavant, avait établi l'Eglise de Cranmer et avait déclaré qu'elle était l'œuvre du Saint-Es-

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prit; on vit, dis-je, ces pieux " réformateurs, " après avoir fait un inarché en vertu duquel ils conservaient ce qu'ils avaient volé, avouer ( pour jious servir des expressions de Hume lui-même ) " qu'ils s'étaient rendus coupables envers la véri- " table Eglise d'une horrible défection, professer " un sincère repentir de leurs fautes passées , et ^' se déclarer résolus à rapporter toutes les lois " rendues par eux au préjudice du Pape ! " Le peuple anglais connaît- il ces détails? Non, il est à peine un individu sur cinquante mille qui en soit instruit. Rappelez-vous cependant , mes amis, que ce sont les hommes qui établirent la religion " protestante " en Angleterre !

229. Cet événement est d'une trop grande im- portance pour que nous n'entrions pas ici dans quelques détails à ce sujet. Il n'y avait pas alors auprès de la reine un seul personnage eminent qui , pendant l'un ou l'autre des deux règnes précédens, n'eût plus ou moins dévié du droit chemin. Il n'en était cependant pas ainsi du car- dinal Pole dont nous avons déjà parlé ( para- graphe ii5 ), lorsque nous avons raconté l'as- sassinat de sa mère dont le grand âge n'avait en aucune façon affaibli le caractère. Il se trouvait encore sur le continent ; mais il pouvait désor- mais revenir en toute sûreté dans la patrie qu'ho- noraient tellement ses vertus et ses talens. Le Pape le nomma son légat ou représentant en Angleterre. Le 25 juillet i554 , la reine avait

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épousé Philippe, roi d'Espagne ^ fils et héritier de l'empereur Charles-Quint. J'aurai dans la suite occasion de parler plus au long de ce ma- riage.

23o. Convoqué pour le mois de novembre de la même année , le parlement s'ouvrit par une procession solennelle des deux chambres , que le roi suivit à cheval et la reine en litière, tous deux vêtus de pourpre. La session législative com- mença par l'abrogation de la loi de proscription portée contre le cardinal Pole sous le cruel Henri VIII. Pendant que cela se passait ainsi, un grand nombre de nobles s'étaient rendus à Bruxelles au-devant du cardinal pour le rame- ner en Angleterre ; et il est à remarquer que parmi ces gentilshommes, se trouvait sir Wil- liam Cecil, qui, dans la suite, sous le règne d'ELisABETH, se moutra l'ennemi le plus acharné des catholiques et de leur religion. Pole fut reçu à Douvres avec toutes sortes de démonstrations de joie ; et avant qu'il ne fut arrivé à Grave- send , oil il s'embarqua pour se rendre à West- minster , les gentilshommes des contrées voisines étaient venus au nombre de plus de deux mille cavaliers grossir son cortège. Ce fait, entre mille autres , est une preuve sulïisante de l'opulence (\iù régnait alors en Angleterre et de sa nom- breuse population.

23 1. Le 29 novembre, les deux chambres du parlement présentèrent au roi et à la reine une

Lettre VIII. 37 5

adresse dans laquelle elles exprimaient la sin- cérité et la vivacité des regrets qu'elles éprou- vaient des torts qu'elles avaient eus envers l'E- glise catholique, et suppliaient leurs majestés, qui n'avaient point participé à ce péché , d'in- tercéder pour elles auprès du Saint-Père le Pape, afin d'obtenir leur pardon et leur rentrée dans le bercail de Jésus-Christ. Le jour suivant , l'é- véque Gardiner, grand chancelier, lut cette adresse devant la reine qui était assise sur son trône , ayant le roi à sa gauche et le cardinal Pole à sa droite. Le roi et la reine s'adressèrent alors au cardinal légat, qui, après avoir prononcé un long discours, donna pour le Pape, aux deux chambres et à toute la nation, l'absolution au nom du Père , et du Fils , et du Saint-Esprit. A ces mots , les membres du parlement , res- pectueusement agenouillés , firent retentir la salle de cette réponse : Amen.

282. C'est ainsi que l'Angleterre redevint un pays catholique f et qu'elle fut rétablie dans le bercail du Christ. Mais on avait pillé les moyens d'hospitalité et de charité que possédait ce ber- cail , et les pillards avaient eu soin de faire en sorte que les objets volés ne fussent jamais ren- dus. Le Pape avait hésité à y consentir ; le car- dinal Pole, homme plein de droiture et de justice, avait encore hésité bien davantage; mais, comme nous l'avons vu précédemment, Gardi- ner, qui était alors premier ministre de la reine,

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276 Réforme Protestante.

et tout le conseil , étaient disposés à transiger. Aussi ces gens à amen, en même temps qu'ils avouaient avoir péché par cette défection , en vertu de laquelle ils se trouvaient en possession des propriétés de l'Église et des pauvres; en même temps qu'ils adressaient de vives prières au ciel pour obtenir V absolution de ce péché , qu'ils se joignaient à la reine pour chanter des Te DEini solennels en actions de grâces , décrétaient que tous ceux qui se trouvaient en possession des biens de l'Eglise, les garderaient, et que quicon- que chercherait à les molester ou à les troubler dans cette possession , serait puni conformément aux lois.

233. Il ne vint sans doute jamais à l'esprit de la reine de donner son assentiment à cet acte, qui fut le plus horrible de tout son règne, sans excep- ter les feux de Smithfield si monstrueusement exagérés. Nous avons vu quelle était sa position vis- à-vis de ses conseillers, et en paticulier vis-à-vis de Gardiner qui était un ministre rempli de zèle et d'activité, et de plus un homme de beaucoup de talent. J'ai fait voir dans mes précédentes lettres qu'il y avait à peine quelque homme de distinc- tion qui n'eût pas pris une part plus ou moins active au pillage , soit au commencement , soit à la fin ; mais quelque grandes que fussent les difficultés qu'elle avait à surmonter, certes elle eiit mieux agi en suivant les conseils de son propre coeur, qui lui dictait de faire d'abord ce qui était

Lettre VIIL

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juste y et ensuite d'en abandonner à Dieu les conséquences possibles, comme elle l'avait si no- blement fait, lorsque Cranmer et les autres mé- prisables membres du conseil d'ÉDOUARD VI lui avaient défendu d'entendre la messe davantage et lui avaient si cruellement enlevé ses cliapelains. 234- Quoi qu'il en soit , elle était résolue à ne rien garder du jjillage pour elle-même. Le vieil Henri, en sa qualité de cbef de l'Église, s'en était réservé les dixièmes et les premiers fruits, c'est-à-dire la dixième partie du revenu annuel de tous les bénéfices ecclésiastiques , et le total du revenu de la première année. Le roi Edouard en avait naturellement fait autant. Il y avait encore alors quelques biens ecclésiastiques, quelques autres ayant appartenu aux hospices, ainsi que d'autres propriétés montant à de très- grandes sommes, qui faisaient partie du domaine de la couronne , et dont par conséquent la reine était propriétaire. Au mois de novembre i555 , elle rendit à l'Eglise ces dixièmes et ces pj^e- miers fruits , qui avec les dîmes que ses pré- décesseurs avaient également saisis et gardés, s'é- levaient annuellement à environ 63, 000 livres sterling , monnaie d'alors , et représenteraient aujourd'hui un million de notre monnaie. A-t-on jamais entendu parler d'un souverain qui eût fait quelque chose jle semblable ? Nous verrons bientôt la glorieuse reine Elisabeth les repren- dre pour elle, la reine Anne les rendie de nou-

Q'-8 Réforme Protestante.

veau à l'Église ; mais nous ne perdrons pas de vue en même temps que du temps de la reine Marie, la couronne et ses officiers, tels qu'am- bassadeurs , juges , pensionnaires et autres em- ployés, étaient entretenus par le revenu des biens de la couronne elle-même ,\Àens dont nous voyons aujourd'hui les pitoyables restes dans ce que l'on appelle le domaine de la couronne. Jamais dans ce temps-là on ne prélevait de taxes pour la guerre et pour d'autres objets nationaux , et Marie régna deux ans et demi avant de prélever sur son peuple un seul liard en taxes quelcon- ques ! De sorte que cette reddition à l'Église des dixièmes et des premiers fruits de ses biens, fut uniquement l'effet de la générosité et de la piété de cette princesse ; car cet acte de justice fut fait contre les remontrances du conseil , et ce ne fut pas sans une vive opposition que le bill qui le sanctionnait passa dans le parlement. On crai- gnait naturellement qu'il ne réveillât la haine et l'indignation du peuple contre les brigands de la " réforme. " Mais la reine usa de persé- vérance, et déclara qu'elle voulait être en réa- lité le défenseur de la foi , et que ce ne fût pas simplement un vain titre. Voilà pourtant , mes amis , quelle était la femme qu'on nous a appris à appeler la sanguinaire Marie.

235. La reine ne s'arrêta pas ; elle rendit bientôt après aux églises et aux abbayes toutes celles de leurs terres qui se trouvaient en sa pos-

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session , fermement résolue , quelles qu'en pus- sent être les conséquences , à ne rien garder de ce qui provenait du pillage. Après avoir réuni quelques-uns des membres de son conseil , elle leur fit connaître sa résolution , et leur ordonna de préparer les comptes de ces biens et de ces possessions , alin de connaître les mesures qu'il convenait de prendre pour exécuter ses volontés. Son intention était de rendre autant que possi- ble ces revenus à leur ancienne destination. Elle commença par rabbaje de PP^estminster , qui dès Fan 6io avait été le siège d'une église, nn- médialement après l'introduction du christianisme en Angleterre par saint Augustin. Cette église avait été dans la suite détruite par les Danois, mais elle avait été reconstruite plus tard , en Fan 908, par le roi Edouard et par saint Duns- TAN , qui y établit douze moines bénédictins. Sous Edouard-le-Gonfesseur , en 1049, ^^^^ ^^^ vint une noble et riche abbaye , dont les reve- nus , lorsqu'elle fut supprimée et spoliée par Henri VIlï , montaient à 3,977 livres sterling en monnaie d'alors, représentant par conséquent environ quatre-vingt mille Hures sterling de notre monnaie d'aujourd'hui. Néanmoins il est fort probable qu'il n'en restait que fort peu de chose à la reine , parce que la plus grande par- tie des biens avaient été morcelés et partagés entre les pillards des deux règnes précédens. Mais elle n'en rendit pas moins tout ce qui lui res-

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tait y et Vahhaye de Tf^estminster reçut encore une fois dans ses murs une communauté de moi- nes bénédictins. Elle rétablit ensuite le couvent de Greenwich auquel avaient appartenu les moi- nes Peyto et Elstow que nous avons vus ( pa- ragraphes 8 1 et 82 ) plaider si noblement à la face du tyran , la cause de sa mère outragée , et auxquels cette action courageuse valut toute la colère et toute l'indignation de ce sanguinaire tyran. Elle rétablit ensuite les moines noirs de Londres, le couvent de femmes de Sion près de Brentford , à l'endroit même se trouve au- jourd'hui Mansion-House. Elle rétablit encore et dota richement l'hôpital de Saint-Jean de Smithfieldf celui de Savoj destiné au soulage- ment des pauvres , et lui alloua sur sa propre cassette un revenu annuel fort considérable. Comme l'exemple de la reine aurait naturelle- ment produit un grand effet , il serait difiicile de dire ( ainsi que l'observe le docteur Heylyis , écrivain protestant et ennemi déclaré de la mé- moire de cette princesse ) " jusqu'à quel point la noblesse l'aurait imitée , si Marie avait vécu quelques années de plus. "

236. Ces actes étaient si dignes de louanges , W est tellement manifeste qu'ils étaient de la part de la reine le résultat de la justice , de la gé- nérosité et de la charité, que se présentant à nous avec un zèle actif pour la religion catholique , nous sommes naturellement curieux de connaître

Lettre VIII. a8i

les remarques qu'elles font faire au méchant et froid historien Hume. De son propre mouvement, et même contre les désirs d'hommes très-puis- sans, nous la voyons se dépouiller d'un revenu qui montait à un million et demi de livres ster- hng de notre monnaie d'aujourd'hui. Et pour- quoi? Parce qu'elle le tenait injustement; parce qu'il avait été volé ; parce qu'il avait été pris et donné à la couronne en violation de la Grande Charte , de toutes les lois et de tous les usages du royaume ; parce qu'elle espérait pouvoir com- mencer par-là à rétablir cette antique hospitalité et cette charité que ses prédécesseurs avaient réussi à bannir d'Angleterre ; enfin parce que sa conscience , ainsi qu'elle le déclara elle-même , lui ordonnait de restituer des propriétés injus- tement acquises, et qu'elle mettait, comme elle le dit dans son conseil , plus de prix à sa con- science qu'à dix royaumes. Y eut-il jamais un acte plus louable et plus méritoire ? Eh bien ! Hume qui témoigne une joie si vive en rappor- tant l'acte par le lequel les pillards s'assurèrent la libre jouissance de leur butin , traite d' im- pudent ce noble acte de la reine Marie et l'at- tiibue entièrement à l'influence du nouveau Pape, qui , à ce qu'il rapporte , déclara à l'ambassa- deur anglais à Rome , que les portes du paradis ne seraient jamais ouvertes aux Anglais tant que les biens de l'Église ne seraient pas rendus à leurs légitimes propriétaires. Combien tout cela ne pa-

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raît-il pas d'une évidente fausseté , en dépit des autorités invoquées par Hume ; et surtout quand on se rappelle cette circonstance qu'il lui est im- possible de nier , c'est-à-dire , qu'elle rendit les dixièmes et les premiers fruits aux évêques et aux prêtres de l'Église d'Angleterre , et non au Pape à qui on les avait payés auparavant ! On "voit qu'il est difficile de présenter les faits sous un jour plus faux. Il ajoute plus loin que les représentations du Pape ne produisirent qu'une faible impression sur la nation. Il a sans doute voulu dire par-là les brigands de la ^' réforme , " car nous l'avons vu, quelques pages plus haut, obligé d'avouer que pendant le règne d'Eoou ard, le peuple sur tous les jjoijits du royaume de- mandait le rétablissement d'une partie des mo- nastères. N'est-il pas évident alors qu'il doit être vivement satisfait de voir la souveraine commen- cer cette restauration , objet de ses vœux ? Mais Hume n'avait d'autre but que de noircir autant qu'il dépendait de lui le mérite et les actes de générosité et de piété d'une reine si bassement calomniée.

237. Les événemens prouvèrent bientôt à cette reine juste et bonne, mais singulièrement infor- tunée , qu'elle aurait mieux fait de risquer une i^uerre civile contre les pillards , que de donner son assentiment à l'acte du parlement qui leur assurait la libre et paisible assurance de leurs vols. Son généreux exemple ne produisit sur eux

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aucun effet ; au contraire , il ne servit qu'à lui attirer leur haine , parce qu'en présentant un contraste qui leur était désavantageux, il les fai- sait détester par le peuple. C'est à cette cause , plutôt qu'à toute autre , qu'il faut attribuer les troubles qui la tourmentèrent pendant le reste de son règne.

238. Il y avait à peine quelques mois qu'elle était sur le trône , qu'une révolte s'éleva contre son autorité , à l'instigation de ceux des réfor- mateurs qui avaient d'abord salué reine lady Jane Gray, et qui ensuite avaient découvert, entre autres choses nouvelles , que le gouvernement d'une femme était contraire à la parole de Dieu. Les rebelles furent défaits dans une bataille; leurs chefs furent exécutés, ainsi que lady Jane elle- même , qui avait été convaincue du crime de haute trahision , et détenue jusqu'alors en pri- son, et dont la vie aurait certainement été épar- gnée ainsi ({u'elle l'avait été jusque là, s'il n'avait pas été évident qu'elle servait à animer sans cesse les espérances des traîtres et des rebelles. Puis- que l'on n'a pas craint de donner à cette princesse le surnom historique de sanguinaire ^ je deman- derai à toutes les personnes de bonne foi s'il est possible de citer un exemple d'une aussi longue magnanimité envers une personne qui avait poussé la trahison envers son souverain jusqu'à usurper ses titres et à se faire proclamer à sa place ? Il y eut ensuite une seconde rébellion étouffée de

2S/[ Réforme Protestante.

la même manière , et qui fut suivie du supplice des principaux traîtres. Ils avaient été appuyés dans leur téméraire entreprise par la faction pro- testante de France , peut-être même par le gou- vernement de ce pays, que le mariage de la reine avec Philippe, prince d'Espagne, avait indisposé contre elle. Ce mariage devint par la suite un vaste sujet d'invectives et d'accusations calom- nieuses pour les protestans et pour les mécon- tens de toute espèce.

289. Le parlement, presque aussitôt après l'ac- cession de Marie au trône, l'engagea à se marier, et surtout à ne pas épouser un étranger. Comme le goût de notre nation s'est étrangement changé! Les Anglais ont toujours eu de grands préjugés contre les étrangers, jusqu'à ce que, par pur zèle pour la religion protestante , ils en aient cherché et trouvé un qui jetât les premiers fon- demens de l'édifice imposant connu sous le nom de dette nationale. Néanmoins la reine , après de longues et mûres délibérations, épousa Phi- lippe, fils aîné et héritier de l'empereur Char- les-Quint, qui, bien que veuf déjà, et ayant même des enfans de sa première femme , était encore beaucoup plus jeune que la reine. Marie était alors ( juillet i554 ) âgée de trente-neuf ans, tandis que Philippe n'en avait encore que vingt-sept. 11 arriva à Southampton au mois de juillet 1554, après avoir été escorté par les flot- tes combinées d'Espagne, d'Angleterre et de

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Hollande. Le aj du même mois , le mariage fut célébré dans la cathédrale de Winchester, par (tardiner, évêque titulaire de ce siège; nii grand nombre de nobles de toutes les parties de la chrétienté y assistèrent. Pour montrer combien peu on doit ajouter foi à ce que rapporte Hume, je ferai remarquer ici qu'il dit que le mariage fut célébré à Westminster, et qu'il ajoute plu- sieurs circonstances également fausses. Le récit qu'il fait de toute celte transaction est un ro- man écrit d'après des écrivains protestans, dont il tronque honteusement le témoignage, dans l'in- tention de porter préjudice aux vues et au ca- ractère de la reine.

2/[o. Dans l'état les choses se trouvaient alors, ce fut évidemment un grand bien pour l'An- gleterre que ce mariage. Après Elisabeth, le plus prochain héritier de la couronne était Ma- rie , reine d'Ecosse, mariée au dauphin de Fran- ce; en sorte que l'Angleterre aurait pu tomber en partage au roi de France. Quant à Elisa- beth , en supposant même qu'elle survécût à la reine, elle avait été bâtardisée par deux ac- tes du parlement. En effet , l'acte législatif qui venait de déclarer Catherine femme légitime de son père , rendait sa naissance adultérine de- vant la loi , comme elle l'était en fait. D'ailleurs il semblait plus que probable que la France et l'Ecosse devinssent le patrimoine d'un seul et même prince ; il était donc nécessaire que l'An-

286 Réforme Protestante.

gleterre prît des mesures efficaces pour augmen- ter sa puissance dans la même proportion. Telle fut la politique qui dicta ce mariage si fameux, que des historiens, calomniateurs de Marie, ont attribué aux motifs les plus vils et les plus odieux. Il est juste de dire cependant qu'en cela ils n'ont fait autre chose que se rendre les échos des misé- rables traîtres de l'époque dont nous parlons. Nous regrettons toutefois qu'ils n'aient pas vécu pour partager leur sort.

2^1. Il n'y eut et ne put jamais y avoir rien de plus honorable pour l'xiDgleterre que cette trans- action. Elle servit néanmoins de prétexte aux traîtres de cette époque , qui , par les raisons manifestes que nous venons de relater plus haut, étaient constamment excités et salariés par la France , en même temps qu'ils étaient poussés par les disciples de Granmer et par sa légion de prêcheurs allemands et hollandais. Lorsqu'a- vant le mariage de Marie, les rebelles s'étaient avancés jusqu'auprès de Londres, elle se rendit à Gurdhall, elle déclara aux citoyens assem- blés que si elle savait que son mariage fût ou- trageant pour le peuple anglais ou pour l'hon- neur de la couronne , elle ne le contracterait point -, et qu'elle ne se marierait même pas du tout , si le parlement le jugeait convenable au bien de l'état. " C'est pourquoi , leur dit-elle, " restez fermes contre ces rebelles, qui sont aussi " bien vos ennemis que les miens. Ne les re-

Lettre VITI. 28'j

" doutez point, car je suis absolument sans crain- " te. " Elle se retira à ces mois , et la salle retentit du bruit des applaudissemens.

242. Lorsqu'on porta les articles du mariage à la connaissance du public, on vit que la reine avait religieusement tenu sa parole dans cette occasion comme dans toutes les autres. Hume lui- même est obligé d'avouer que ces articles étaient aussi favorables que possible aux intérêts , à la sûreté^ et même à la grandeur de l'Angleterre. Que fallait-il donc de plus? Si, comme le rap- porte Hume, ces articles ne satisfirent pourtant pas la nation , tout ce que nous pouvons dire , c'est que la nation faisait preuve de fort peu de bon sens et de beaucoup d'ingratitude. Mais c'est encore un mensonge évident; car ce que Hume rapporte à la nation entière, il aurait le bor- ner aux pillards et aux fanatiques , qu'au reste dans son roman il nomme toujours la nation. Ces articles, que Hume lui-même a extraits de Ry- MER, portaient que, bien que Philippe dût avoir le titre de roi, l'administration du royaume se- rait entièrement entre les mains de la reine ; qu'aucun étranger ne serait admissible aux char- ges et emplois du royaume ; qu'on n'opérerait aucun changement dans les lois , les coutumes et les privilèges du peuple anglais; qu'un pré- ciput de soixante mille livres sterling ( un mil- lion sterling de notre monnaie d'aujourd'hui ) serait constitué par l'Espagne, en cas qu'elle sur-

2SS Réforme PROTESTA^TE.

Tecût à son mari; que l'enfant mâle issu de ce mariage hériterait avec l'Angleterre du duché de Bourgogne et des Pays-Bas, et que si don Car- los, fils de Philippe et d'un précédent ma- riage, mourait sans postérité, celle de la reine, de quelque sexe qu'elle fût, hériterait de l'Es- pagne, de la Sicile, du Milanais, et de toutes les autres possessions de Philippe. Quelque temps avant la célébration du mariage, un envoyé de l'empereur, père de Philippe, remit au chan- celier d'Angleterre un acte par lequel il cédait à son fils le royaume de Naples et le Milanais. L'empereur pensait qu'il était au-dessous de la dignité d'une reine d'Angleterre d'épouser un autre qu'un roi.

243. Quelle transaction fut jamais plus hono- rable pour une nation , que celle-ci pour l'An- gleterre? Quelle reine, quel souverain , prirent jamais plus de soin de la gloire de leurs peuples? Il paraît néanmoins certain qu'il y eut quelque jalousie de la part de la masse de la nation , par rapport à cette alliance étrangère ; loin de moi l'idée de la blâmer. Mais ma conscience peut- elle me commander de m'abstenir de blâmer cette jalousie dans nos ancêtres catholiques , sans que j'éprouve comme />roif(?5/a7î/ une honte profonde en songeant à ce qui s'est passé à une époque notre nation professait le protestantisme , et même de notre temps. Quand une autre Marie, | une Marie protestante parvint au trône, le par-

Lettre VIII. 289

lenient eut-il soin de lui réserver exclusivement l'administration du royaume et de ne conférer à son époux que le simple titre de roi? Eut-il soin alors de stipuler que les étrangers ne se- raient point admissibles aux emplois publics ? Non, certes; cet époux étranger, cet Hollandais prit en mains la direction des affaires , il nous amena avec lui des bandes d'étrangers auxquels il conféra les charges les plus importantes , les plus hautes dignités, et auxquels il distribua les biens de la couronne, dont la plus grande par- tie provenait d'ALFRED-LE- grand. Voilà pour- tant ce que les mêmes hommes, qui nous parlent du règne de Marie comme d'un règne ignomi- nieux y appellent une glorieuse transaction ! Le bon sens et la vérité ne régneront donc jamais en Angleterre ? sommes-nous donc condamnés à rester toujours dupes ?

244* En descendant maintenant à notre époque si glorieusement protestante, nous trouverons que le prince deSAXE-GoBOURG fat l'héritier de vas- tes dominations. Apporta-t-il dans notre pays , comme Philippe, trente-neuf caisses d'argent en lingots que conduisirent à la tour quatre- vingt-dix-neuf chevaux attelés à vingt -deux charrettes? Constitua-t-il pour sa femme en pré- ciput de grands états et de grands royaumes 7 Son père le fit-il roi , avant son mariage , parce qu'une personne d'un titre inférieur eût été au- dessous d'une reine d' ^dngletcrre ? Apporta-t-il

19

290 Réforme Protestante.

à sa fiancée un cadeau de noces d'un demi-mil- lion sterling ? Constitua-t-il pour la princesse Charlotte un douaire d'un millioji sterling par an, en cas qu'elle lui survécût? Non, cer- tes ; ( et Tenez maintenant vous en vanter , mé- prisables calomniateurs de la reine Marie ) au contraire nous voyons le parlement lui donner cinquante mille livres sterling de rentes prove- nant de taxes levées sur nous , dans le cas qu'il lui survivrait : somme que nous lui payons au- jourd'hui avec une exactitude exemplaire, et que nous continuerons suivant toute probabilité à lui payer encore pendant une quarantaine d'années. Combien ne devons-nous pas nous trouver déchus de notre ancienne dignité , en comparant notre conduite à celle de nos ancêtres catholiques?

245. Je n'ai pas suivi exactement dans ma re- lation l'ordre chronologique , parce qu'il aurait trop rompu mon sujet ; mais je ferai observer ici à mes lecteurs , que ce mariage fut antérieur à la réconciliation de la reine avec le Pape, et à son généreux abandon des biens de l'Eglise et des pauvres qu'elle tenait d'une source injuste. Il fut également antérieur aux horribles châti- mens qu'elle infligea aux hérétiques , et dont je vais maintenant parler. Quoiqu'ils aient été mons- trueusement exagérés par le menteur Fox et ses pareils , ils ne sont à comparer en rien aux cbâtimens infligés ensuite aux catholiques par Elisabeth; et on a même de la peine à les

Lettre VIII. 291

appeler cruels , lorsqu'on les rapproche des flots de sang catholi{[ae qui ont inondé l'Irlande. Néan- moins chacun de nous doit les déplorer d'au-^ tant j^lus vivement qu'ils ont servi de prétexte d'accusation contre les catholiques et contre leur religion , quoiqu'elle fût étrangère aux principes qui les ordonnèrent.

246. Nous avons vu ( paragraphes 200 et 20t ) le nombre effrayant de religions et d'opinions dif- férentes qu'introduisirent en Angleterre Cran- mer et consorts , l'immoralité et les vices de toute espèce, les haines et les discordes toujours croissantes , qui en furent la conséquence né- cessaire. Il était d'ailleurs si naturel que la reine devait mettre fin à toutes ces dissentions reli- gieuses , et que ce résultat dût être l'objet de toute sa sollicitude , que nous ne sommes nulle^ ment surpris de voir qu'ayant éprouvé l'inutilité de tous les autres moyens , elle ait eu recours à toute la sévérité que les lois du pays lui per- mettaient d'employer pour parvenir à ce but. Les traîtres et les meneurs des rebelles étaient ou du moins affectaient de faire partie des sectes nou- velles. Quoique leur nombre fût très-circonscrit, ils suppléaient à ce désavantage par leur infati- gable malice et par leurs continuels efforts pour troubler l'état, et même pour faire périr la reine. Mais loin de moi toute idée de faire l'apologie de sa conduite à l'aide des provocations qu'elle pou- vait avoir reçues, des dispositions et de Vinjluence

292

Réforme Protestante.

de ses conseillers -, car si elle s'était opposée à et qu'on brûlât les hérétiques , ils ne l'eussent à coup siir jamais été. C'est la reine seule que nous devons rendre responsable de ces rigueurs; mais puisque Hume lui-même est obligé de con- venir qu'elle était sincère j n'est-il pas juste d'en conclure que son motif était de mettre un terme à la propagation, parmi ses sujets, d'erreurs qui lui semblaient devoir perdre leurs âmes, et qu'elle eût cru perdre la sienne propre en ne s'oppo- sanl point a cette propagation ? Et s'il s'agissait de défendre ici ses motifs, on pourrait alléguer une raison qui me paraît de grand poids , c'est <|ue toutes ces prétendues nouvelles lumières , quelque dissidentes qu'elles fussent , se réunis- saient toutes pour enseigner l'abominable doc- trine , que pour le salut il suffit de la foi , sans avoir égard aux œuvres.

ily]. Au mois de décembre i554 ( nn an et demi après l'avènement au trône de Marie) le parlement rendit un acte qui remit en vigueur les anciens statuts relatifs à l'hérésie , qui servit comme de -préliminaire aux châtimens infligés aux hérétiques. Ces statuts avaient été établis contre les Lollards, du tenips de Richard II et de Henri IV ; ils portaient que les héréti- ques , qui montreraient de l'obstination , seraient condamnés au feu. Ils avaient été altérés pendant le règne de Henri VIII, de manière à le met- tre à même d'entrer en possession des biens des

Lettre Vlll. 293

licrctiques ; et ils avaient été révoqués sous le jègoe cVEdouard, non par un sentiment d'im- nianité , mais bien parce que suivant ces sta- tuts riiérésie consistait à exprimer et à répan- dre des opinions contraires à la foi catholique. D'où il suivait naturellement qu'ils étaient in- compatibles avec le nouvel état de choses et avec la nouvelle Église ^' établie par la loi. '^ On déclara donc alors que l'hérésie était punissa- ble suivant la loi commune , et qu'en cas d'obs- tination, les hérétiques pourraient être condam- nés au feu. On en punit donc un grand nombie pendant ce règne; il y en eut même quelques- uns de brûlés vifs après des procès instruits sui- vant la loi commune \ et ces hérétiques étaient àes protestans dissidens de l'Eglise de Cran mer qui les condamna lui-même aux flammes. Or la religion catholique étant dans ce temps-là re- devenue la religion du pays, on crut nécessaire d'avoir recours aux anciens statuts et on les ré- tablit en conséquence. Ce qui avait été la loi , pendant sept règnes consécutifs, embrassant une période de près de deux siècles, et dont quel- ques-uns avaient été les plus glorieux et les plus heureux de l'histoire d'Angleterre, puisqu'un des rois de cette époque gagna le titre de roi de prance; et qu'un autre fut même couronné à Paris, ce qui, dis-je , avait été la loi pendant une aussi longue période , fut alors remis en vigueur ; de sorte qu'il n'y avait d'innovations

294 PiÉFORivrE Protestante.

d'aucune espèce. Remarquez Lien d'ailleurs, mes amis, que quoique ces statuts aient été ensuite révoqués, lorsque la politique cI'Élisabeth l'en- gagea à se faire " protestante, " elle en fit d'autres à leur place, et qu'elle et son successeur Jac- ques I^i" firent périr des hérétiques par \e feuj quoiqu'ils eussent, comme nous le verrons, une manière beaucoup plus expéditive et bien moins bruyante de délivrer la terre de ceux qui avaient encore assez de constance pour croire à la même religion que leurs pères.

248. Une fois que ces lois eurent été promul- guées, elles reçurent leur application, et furent surtout mises à exécution en conséquence de con- damnations rendues à la cour spirituelle par Bou- NER , évoque de Londres. Le supplice qu'elles ordonnaient était infligé en la manière accoutu- mée. On traînait le condamné au lieu de l'exé- cution , on le brûlait vif après l'avoir atta- ché à un poteau entouré de fagots. Des écrivains protestans ont rejeté l'odieux de cette mesure sur l'évèque Gardiner , grand chancelier du royaume. Cette accusation ne me semble appuyée par aucun motif plausible; tandis que tous s'ac- cordent à rapporter que Pole, qui venait d'être élevé au siège archiépiscopal de Gantorbéry , en remplacement de Cranmer, la désapprouva hau- tement. C'est encore un fait irrécusable , qu'un moine espcignol , confesseur de Philippe, prê- chant un jour devant la reine , blâma énergi-

Lettre VllI. 295

quement sa conduite. Or , comme il est vrai- semblable que la reine était plutôt influencée par Pole et surtout par Philippe, que par Gar- diner, si tant est qu'elle fût capable de l'être du tout , il est à présumer que ces mesures lui appartiennent entièrement. Quant à Bouner, sur lequel on a déversé tant de blâme à ce sujet, il n'est pas inutile de se rappeler qu'il avait été traité avec la plus grande cruauté par Cranmer et ses satellites. D'ailleurs le conseil accusait con- tinuellement les évêques ( et lui en particulier ) du peu de diligence qu'ils apportaient dans l'exé- cution de cette partie de leurs devoirs ; et sous ce rapport il n'était que l'éclio de l'opinion géné- rale du public ; car , bien que le gouvernement français ne cessât point de fomenter des révoltes contre la reine , on n'entendit jamais alors les rebelles mettre les cliâtiniens qu'elle infligeait aux hérétiques au nombre des motifs de leur mécon- tentement. Toutes leurs plaintes n'avaient d'au- tre objet que ses relations trop intimes avec l'Espagne, et les JI amine s de Smithfield n'y en- trèrent jamais pour rien ; quoique dans ces der- niers temps on ait réussi à nous faire croire que les insurrections de cette époque n'eurent point d'autre cause. Il est de fait au contraire que la plupart des personnes condamnées à mort étaient des gens du caractère le plus infâme , que plu- sieurs d'entre eux étaient des étrangers _, que presque tous résidaient à Londres et que le peu-

296 Réforme Protestante.

pie les appelait par dérision : les évangélistes de Londres. On ne saurait nier que sur deux cent soixante-dix-sept individus , ( c'est le nombre que rapporte Hume d'après l'autorité de Fox ) il ne se soit trouvé quelques véritables martyrs de leurs opinions, hommes sincères et vertueux; mais sur ce nombre , la plupart furent convaincus de félonie et de trahison, comme Cranmer et Brid- LEY. Commençons d'abord par défalquer ces hom- mes sincèrement vertueux sur ce nombre de deux cent soixante-dix-sept , et ensuite tous ceux qui vivaient encore à l'époque Fox écrivait son livre , et qui protestèrent expressément contre l'honneur qu'il voulait bien leur faire de les en- rôler dans son ]\lartyrologe. Pour donner à mes lecteurs une preuve du manque absolu de vé- racité qui distingue Fox, je rapporterai le trait qu'on va lire et que j'emprunte à Antoine Wood , écrivain protestant. Pendant le règne suivant , il y eut un ministre protestant qui , sur l'autorité de Fox, rapporta dans un de ses sermons^ qu'un catholique nommé Grim wood, ennemi acharné des évangélistes, avait été puni par un jugement de Dieu, ses entrailles étant spontanément sorties de son corps. Or , non- seulement ce Grimwood vivait encore alors, mais il arriva par hasard qu'il se trouvait lui- même dans l'église lorsque le sermon y fut pro- noncé. Aussi ne balança-t-il point à attaquer le prédicateur en calomnie. La mort de l'évêque

Lettke Vlil. 29'y

Gardiner fournit encore à Fox l'occasion de signaler son peu de bonne foi. Fox et Burinet, ainsi que d'autres plats calomniateurs des actes de Marie et de ses ministres , rapportent que le jour de l'exécution de Latimer et de Ridley, Gardiner retarda son dîner jusqu'à l'arrivée de la nouvelle de leur supplice , et que le duc de 'Norfolk, qu'il avait invité à dîner, lui exprima le grand chagrin qu'il éprouvait de ce délai ; mais qu'aussitôt que la nouvelle officielle leur fut parvenue , transportés de joie , ils se mirent à table, Gardiner fut soudainement atteint de dysurie et qu'il mourut quinze jours après au milieu des souffrances les plus horribles. Or remarquez que Latimer et Ridley furent mis à mort le 16 octobre. Collier, dans son his- toire ecclésiastique, rapporte que Gardiner ou- vrit le parlement le 2 1 octobre , qu'il se rendit encore deux fois au parlement , qu'il mourut le 12 novembre d'une attaque de goutte et non de dysurie. Quant au duc de Norfolk, il y avait déjà , à l'époque l'on prétend que ceci se passait , une année qu'il était mort. Quelle ne doit pas être après cela l'hypocrisie de celui qui affecterait d'ajouter foi aux récits de Foxl Et cependant, grâces au soin des pillards et des dé- vastateurs de l'époque et à ceux de leurs descen- dans, son infâme livre a circulé parmi toutes les classes du peuple anglais , à qui l'on a ainsi appris à regarder les voleurs , les félons et les traîtres ,

2g8 Réforme Protestante.

dont les noms ornent la légende de Fox, comme des martyrs d'un mérite égal à celui des Saint Etienne, des Saint Pierre et des Saint Paul. 249. Quant à ces prétendus martyrs , la vé- rité est que ce n'était pour le plus grand nom- bre que d'atroces scélérats , dont tous les efforts tendaient à faire périr la reine et à détruire son gouvernement , et qui sous le spécieux prétexte de conscience et de piété supérieure , ne cher- chaient qu'à piller de nouveau la nation. Les moyens de la douceur étaient insuflisans pour les ramener à l'ordre ; on les avait vainement essayés ; il ne restait donc plus d'autre parti à la reine que d'avoir recours à la sévérité , ou bien de se résigner à ce que son peuple con- tinuât à être déchiré par les factions religieuses qu'avaient fait naître ses deux prédécesseurs im- médiats sur le trône , aidés en cela par la plu- part des scélérats qu'elle punissait maintenant et qui auraient mérité chacun dix mille morts. C'étaient tous , sans exception, ou des apostats , ou des parjures , ou des voleurs y la plupart s'étaient rendus coupables de haute trahison en- vers Marie elle-même , qui jusque-là avait épargné leurs vies , mais dont la longanimité n'avait abouti qu'à les exciter encore davantage à employer tous les moyens en leur pouvoir pour détruire son autorité et son gouvernement. Faire une mention particulière de tous les scélérats qui périrent dans cette occasion, serait une tâche

Lettre VIII. r>f)C)

aussi fastidieuse qu'inutile ; mais il n'est pas sans intérêt de savoir qu'il y avait parmi eux deux éi^éques de la façon de Cranmér, et Cranmer LUI-MÊME? L'iieure de la justice était donc ar- rivée pour cet odieux scélérat , et il allait enfin être attaché au même poteau auquel il avait fait lier tant de personnes condamnées par lui injus- tement. Les trois autres personnages marquans étaient Hooper, Latimer et Ridley, qui le cé- daient tous, il est vrai, en scélératesse à Cranmer mais qui le cèdent à bien peu d'autres.

aSo. Ce Hooper était un moine qui avait rompu son vœu de célibat et avait épousé une Flamande. Instrument aveugle et fanatique du protecteur Somerset , son dévoùment à l'aider dans le pillage des églises lui valut deux évê- chés , quoiqu'il eût écrit lui-même contre la cumulation des bénéfices. Il prit une part active à toutes les cruautés dont le peuple fut victime sous le règne d'EnouARD , et se distingua particuliè- rement par son ardeur à recommander l'emploi de troupes allemandes pour faire courber les têtes anglaises sous le joug du protestantisme. Lati- mer avait commencé sa carrière, non-seulement comme prêtre catholique , mais encore comme l'un des plus rudes adversaires de la prétendue religion " réformée. " Son zèle à défendre la foi apostolique et romaine lui valut de Henri VJJI l'évêclié de Worcester. 11 ne tarda pas ensuite à changer d'opinion , se gardant bien toutefois

3oo Réforme 'Protestante.

de résigner son évêché. Au contraire il le con- serva pendant vingt années consécutives, en même temps qu'il réprouvait intérieurement les prin- cipes de l'Eglise , et en vertu d'un serment (^u'il avait prêté de s'opposer de tout son pouvoir aux dissidens de l'Eglise catholique. Pendant les rè- gnes de Henri et d'EoouARD, il lit brûler vifs des catholiques et des protestans dont le crime était d'avoir des opinions qu'il avait partagées, et qu'il partageait secrètement alors même qu'il les envoyait au bûcher. Enfin il fut l'instrument principal dont se servit le protecteur Somerset pour consommer ce crime odieux d'envoyer son propre père, lord Thomas Somerset, à l'é- chafaud. Quant à Ridley , il avait été évêque catholique pendant le règne de Henri VHl,à l'époque ce monarque envoyait indistinctement à l'échataud les catholiques qui refusaient de croire à la transsubstantiation. Sous Edouard, il s'était fait évêque protestant et avait renié lui-même le dogme de la transsubstantiation , envoyant au bûcher les protestans qui différaient de croyance avec Cranmer. Il obtint sous ce règne l'évêché de Londres, en souscrivant à l'a- bominable condition qu'on lui imposa , d'aban- donner la majeure partie des biens de cet évêché aux ministres et aux courtisans rapaces de cette époque. Enfin il se rendit coupable de haute tra- hison envers la reine, en exhortant publiquement et du haut de la chaire, ainsi que nous l'avons

\

Lettue Vlll. 3oi

vu plus haut ( paragraphe 220 ), le peuple à se ranger du côté Je l'usurpatrice lady Jane : cher- chant par-là à exciter la guerre civile et à causer la mort de sa légitime souveraine, afin de pou- voir par-là rester en possession d'un évéché qu'il n'avait obtenu que par la simonie et le parjure. 25 1. Voilà en vérité un joli trio de Saints Protest ANS , tout-à-fait dignes de Saint-Martin Luther , qui rapporte lui-même dans un de ses écrits , que ce fut à l'instigation du démon ( qui , à ce qu'il ajoute , mangeait , buvait et dormait souvent avec lui ) qu'il se fit protes- tant; trois dignes sectateurs de ce Luther, que son disciple Melanchton appelle un homme brutal , tout-à-fait dénué de piété et d'huma- nité, plutôt juif que chrétien, de ce fameux fon- dateur du " protestantisme, " cette religion pci^- fcctionnée qui a divisé l'univers en mille sectes différentes , toutes acharnées les unes contre les autres ! Et néanmoins , quelque scélérats qu'ils aient été, Granmer les éclipsa aussitôt qu'on les mit en comparaison avec lui. ma plume et ma laneue trouveront-elles les couleurs et les expressions nécessaires pour le peindre î Sur les soixante-cinq années de son existence, vingt-neuf furent employées à commettre une série de crimes auxquels on ne saurait rien trouver de compara- ble dans les annales de l'infamie humaine Lors- qu'il n'était encore qu'agrégé d'un collège de Cambridge , et ayant par suite fait en celle qua-

3o2 PvÉFORME PROTESTANTE.

lite serment de ne point se marier ( comme le font encore de nos jours les agrégés ), il se maria secrètement et continua à jouir de son agrégat. Il reçut bientôt après l'ordre de la prêtrise, quoi- que déjà jnarié y et fit vœu de célibat perpétuel. Il alla ensuite en Allemagne, il épousa une seconde ïemme^XdL fdle d'un saint protestant; de sorte qu'il eut deux femmes à la fois, bien que ses vœux lui interdissent d'en avoir du tout. Devenu archevêque de Cantorbéry, il tint la main à l'exécution rigoureuse de la loi concernant le célibat des prêtres , pendant que lui-même gar- dait secrètement sa femme allemande dans son palais archiépiscopal, nous l'avons vu ( para- graphe io4 ) l'introduire dans une caisse. En qua- lité de juge ecclésiastique , il prononça ensuite successivement le divorce de Henri VIII avec trois femmes, appuyant dans deux de ces affaires sa décision sur des motifs directement contraires à ceux qu'il avait lui-même mis en avant pour légitimer ces mariages ^ dans l'affaire d'AwNE DE BoYLEN, il déclara en cette qualité de juge ecclésiastique, qu'ÂNNE n'avait jamais été la femme du roi , et vota sa mort à la chambre des pairs , comme ayant été adultère et s'étant par-là rendue coupable de trahison envers son mari. Elevé à la dignité d'archevêque par Henri ( dignité qu'il reçut en prêtant de dessein pré- maturé un faux serment ), il envoya au bûcher des hommes et des femmes dont le crime était

Lettre VîII. 2o3

de ne pas être calJioliqiies , et des cailioliques qui refusaient de reconnaître la suprématie du roi et d'imiter son parjure et son apostasie. De- venu ouvertement protestant sous le règne d'E- DOUARD , il se mit à professer ouvertement les mêmes principes pour lesquels il avait fait brûler tant de ses semblables, et se mit ensuite à brûler ceux de ses coreligionnaires protesians , dont les motifs de protester différaient des siens. Institué par son vieux maître Henri exécuteur du tes- tament par lequel il léguait sa couronne à ses lilies Marie et Elisabeth ( en cas que son fils Edouard mourût sans postérité ) , il se réunit à d'autres scélérats pour conspirer contre les droits légitimes de ces princesses , et donner la cou- ronne à lady Jane, cette reine de neuf jours, qu'il lit proclamer à l'aide de ses complices. Relé- gué pour toute punition, malgré l'énormité de ses crimes, dans le palais de Lambeth, il paya la ma- gnanimité de la reine en conspirant avec les traî- tres soudoyés par la France pour renverser son gouvernement. Jugé enfin et condamné comme hé- rétique , il déclara vouloir se rétracter. On lui donna six semaines de répit, pendant lesquelles il signa six rétractations dijfér entes, toutes plus ab- solues les unes que les autres. Ainsi il déclara que la religion protestante était fausse , que la re- ligion catholique était la seule vraie, qu'il croyait maintenant tous les dogmes qu'elle enseignait, qu'il avait horriblement blasphémé contre les sa-

3o4 Réforme Protestante.

cremens , qu'il était indigne de pardon , qu'il priait le peuple , la reine et le Pape d'avoir pitié de lui et de prier pour sa malheureuse âme ; ajoutant qu'il avait fait et signé cette déclaration sans crainte et sans aucun espoir de pardon , uni- quement pour soulager sa conscience et donner un bon exemple à son prochain On mit en ques- tion au conseil , si on lui ferait grâce comme on l'avait déjà fait à d'autres individus qui s'é- taient rétractés; mais on décida qu'il serait in- juste de le soustraire au châtiment que méritaient ses crimes monstrueux. Condamné à faire la lec- ture publique de sa rétractation pendant qu'on le conduisait au supplice , et voyant que le bû- cher était préparé et qu'il ne lui restait plus qu'à mourir, il retrouva encore assez de force dans sa scélératesse pour rétracter sa rétractation, pour étendre lui-même au milieu des flammes la main qui l'avait signée , et pour expirer de la sorte en protestant de nouveau contre cette religion à laquelle quelques heures auparavant il s'était encore déclaré fermement attaché, prenant Dieu à témoin de la si?icérité de ses sermens. 252. Qui osera maintenant appeler sangui- naire la reine qui fit mettre à mort de pareils monstres d'iniquité ? Il est temps de rendre jus- tice à la mémoire de cette princesse tant calom- niée ; et pour ne le point faire à demi , je me propose d'employer une partie de ma prochaine lettre à continuer le récit de son histoire.

HISTOIRE

DE LA

'' RÉFORME " PROTESTANTE , ANGLETERRE ET EN IRLANDE;

Dans laquelle on démontre que cet e'vénemcnt a appauvri et dégradé la masse du peuple dans ces deux paysj

DANS UNE SÉkIE DE LETTRES,

Adressées à tous les Anglais .sensés et équitables.

PAR WILLIAM COBBETT.

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IIL« et IV.« Série. Prix : Fj i - 80,

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CHEZ VANLINTHOUT ET VANDENZANDE.

Et chez les Libraires désignés ci -après. 1826.

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Thielt

Tirlemont, Merckx. Tournay , Casterman aine.

Turnhout

Verviers, M''. Th. Oger.

Virton

Wayre

A Aix-la-Chapelle, M, Ne'Iessen, curé de St. Nicolas. A Munster, M. George Kellermann, doyen et curé de Saint- Ludger.

Ouvrages distribués jusqu'aujourd'hui aux ^4 bonnes de iS26,pour les onze francs 5o cent, de l'abonnement , et qui se trouvent chez les susdits Libraires :

Fr. C.

1°. Histoire de la " Réforme " Protestante, en Angleterre et en Irlande j dans laquelle on démon- tre que cet événement a appauvri et dégradé la maise du peuple dans ces deux, pays ; dans une série de lettres, adressées à tous les Anglais sensés et équitables. Par William Cobbett. I" Série, i56pag. 0-90

Mélanges par M'', l'abbé F. De la Mennais. 4 5G pages 2 - 75

3". Histoire de la " Réforme '■" Protestante, en Angleterre et en Irlande; par William Cobbett. Série , 1 64 pages < o - 90

4°. Lettres Vendéennes , ou Correspondance de trois Amis , en 1823, dédiées au Roi par le Vicomte WaLh. Deuxième édition, revue, corrigée, augmentée de plusieurs lettres. Tome I.*"' 328 pages. 2-00

Même ouvrage. Tome II, 352 pages 2-00

Histoire de la " Réforme " Protestante , en Angleterre et eu Irlande; par William Cobbett. et IV' Série, 292 pages 1-80

Les Mélanges par M. l'ahbé F. De la Mennais sont épuisés.

Lettre IX. 3o5

IX.

LETTRE IX.

Guerre de Marie avec la France. Prise de Calais PAR LES Français. Mort de la reine Marie. Elisabeth monte sur le trône. Elle fait des LOIS cruelles et sanguinaires sur la religion. Sa perfidie envers la France. Honte qu'elle attire, par cette perfidie, sur son gouverne- ment et sur l'Angleterre. Elle abandonne lâ- chement, et pour toujours, Calais a la France,

Mes Amis, Kensington , le 3i juillet iSsS.

253. Avant de commencer à rapporter les œu- vres de la réforme sous le règne d'ELisABETH, je dois terminer le récit de ce qui se passa sous celui de Marie. Les jours de son pouvoir fu- rent courts et remplis d'afïliction. Elle eut à com- battre des difficultés sans nombre. Les complots que formait sans cesse contre elle une faction impie et invétérée , ainsi que l'état fâcheux de sa santé , qui était et à la faiblesse de sa constitution et aux inquiétudes qui l'avaient tou- jours tourmentée , faisaient craindre si souvent pour ses jours que les pillards sans principes ,

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qui cependant étaient redevenus callioliques, ne cessaient de porter leurs regards vers celle qui devait lui succéder : en effet, quoique Elisa- beth fût pour le moment catholique, elle était bien assurée de devenir protestante en montant . sur le trône , parce qu'il était impossible que le Pape voulût jamais reconnaître sa légitimité. 254- En i557 , la reine fut en guerre avec la France qui cherchait toujours à exciter les sujets de Marie à la révolte. Son mari Phi- lippe , dont le père ( l'Empereur ) venait de se retirer dans un couvent en laissant à son (ils ses vastes possessions, était aussi en guerre avec la France. Le théâtre de la guerre était dans le nord de ce royaume et dans les Pays-Bas. Une armée anglaise se joignit à Philippe qui péné- tra en France et y remporta une victoire im- portante. Mais une armée française commandée par le duc de Guise profita du moment Ca- lais était sans défense pour s'emparer de cette ville qui était restée au pouvoir des Anglais pen- dant plus de deux cents ans. Ce n'était pas seu- lement la ville de Calais que possédaient les Anglais , mais encore tout le pays ci rcon voisin à plusieurs milles à la ronde, et qui renfermait Guisnes, Fanim, Ardres et d'autres places avec jj tout le territoire que l'on nommait le comté d'Oye. *• Edouard III ne s'était rendu maître de Calais qu'après un siège d'un an. On avait toujours regardé cette ville comme d'une grande impor-

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tance pour le commerce , et comme un monu- ment glorieux pour la nation anglaise, en même temps qu'elle rappelait sans cesse aux Français un souvenir cruel et déchirant. Le docteur Ha y- LiN rapporte que monsieur De Cordes, per- sonnage noble qui vivait sous le règne de Louis XI, avait coutume de dire , qu'il consentirait volon- tiers à rester sept ans en enfer pour que cette ville ne fût plus au pouvoir des Anglais.

255. La reine fut vivement frappée à cette nouvelle qui abrégea encore ses jours : elle mou- rut quelques mois après j et comme sa lin ap- prochait , elle dit à ceux qui l'entouraient que s'ils ouvraient son corps ils trouveraient Calais au fond de son coeur. On doit attribuer ce grand malheur à la négligence, sinon à la perfidie de ses conseillers , et à la crainte qu'avait Phi- lippe de voir Calais et ses dépendances ap- partenir au successeur de Marie. Le docteur Haylin ( rappelons-nous que c'est un protes- tant ) dit que Philippe voyant à quels dangers Calais était exposée en avertit la reine et lui offrit même son assistance pour la défendre, mais que le conseil anglais redoutant Philippe négligea et son avis et son offre. On ne laissa dans la place que cinq cents hommes et l'on peut à peine s'em- pêcher de croire que cela ne fût pas fait sans intention. Si cependant la reine eût vécu plus long-temps, Calais eût été reprise. La guerre continuait encore. Des négociations furent en-

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tamées pour la paix entre le roi de France et Philippe; et l'une des conditions de ce dernier ( qui était le plus puissant et avait battu les Français ) fut que Calais serait rendue à l'An- gleterre ; et Philippe aurait tenu certainement à cette condition si Marie ne fût morte pen- dant les négociations.

256. Ainsi nous devons à la " Réforme " , qui avait été, sous le règne de sa dévastation et de poltronnerie d' Edouard VI, la cause de la perte de Boulogne , les regrets que nous fait encore éprouver de nos jours la perte de Calais , qui fut enfin perdue irréparablement par la vanité et la perfidie d'ELisABETH. Tandis que tous les historiens s'accordent à dire que la perte de Ca- lais frappa vivement la reine et hâta sa mort ^ tandis que tous font ce grand honneur à sa mé- moire , il n'est aucun d'eux qui ait tenté de dire que la perte de Boulogne eût eu le moin- dre effet sur son frère ^' le réformateur ! '' Il était trop occupé lorsqu'il renversait les autels et confisquait les propriétés des communautés et des confréries pour pouvoir penser même à l'honneur national. Ou peut-être , quoiqu'il se donnât encore le titre de ^^ défenseur de la foi '' lorsqu'il détruisait les autels , croyait-il que la gloire et le territoire gagnés par les ca- tholiques ne devaient pas être conservés par des protestans. Quoi qu'il en soit , nous avons vu une perte bien plus considérable pour l'Angleterre que

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celle de Calais : nous avons vu la moitié d'un continent retranchée de la couronne d'Angleterre devenir bientôt une nation rivale très-formida- ble sur la mer , et nous n'avons jamais entendu dire que cette perte affligeât beaucoup le souve- rain sous le règne duquel elle arriva.

257. Marie ne pouvant surmonter le chagrin que lui causait la perte de Calais , et craignant avec raison que son successeur ne détruisît tout ce qu'elle avait fait pour la religion , expira le 19 de novembre i558, âgée de quarante-deux ans , dont elle en avait régné six , et laissant à sa sœur , qui lui succédait , l'exemple de la fidélité , de la sincérité , de la patience , de la résignation , de la générosité , de la reconnais- sance et de la pureté dans les pensées, les paroles et les actions : exemple cependant que sa sœur eut soin d'éviter de suivre en tout point. Quant à ces cbâtimens dont on s'est toujours servi pour flétrir la mémoire de cette reine , que sont-ils autre chose que les punitions de ceux qui of- fensaient la religion du pays ? On crie beau- coup contre les feux de Smiififield ^ mais pour ne pas parler de ceux qu'allumèrent Edouard VI, Elisabeth, Jacques I^% est-il plus agréable de se voir arracher les entrailles du ventre tandis que l'on est encore en vie ( ce qui était le sup- plice favori d'ELisADETH ) que de subir le sup- plice du feu ? Les protestans ont été plus loin que les catholiques dans les punitions des offenses

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de ce genre ^ quoiqu'ils eussent bien moins de raison de leur côté pour le faire. Les catholi- ques n'ont qu'une seule croyance , les protes- tans en ont cinquante ; et chaque fois que l'une de ces nombreuses sectes l'emporte sur les au- tres , elle les punit d'une manière ou de l'autre comme délinquans : et même dans ce moment , d'après un rapport présenté depuis peu à la cham- bre des communes , il n'y a pas moins de cin- quante-sept personnes qui , depuis quelques an- nées , ont été condamnées à l'emprisonnement et à d'autres châtimens pour s'être rendues cou- pables d'offenses envers la religion. Et quand est- ce que cela a eu lieu ? quand chacun peut nier ouvertement la divinité de J.-G. , et lorsque d'au- tres peuvent prêcher dans leurs synagogues qu'i/ n'y a jamais eu de Christ. Un homme voit les lois tolérer vingt sortes de chrétiens, ( puisqu'ils se donnent tous ce nom ) dont chaque secte con- damne toutes les autres aux flammes éternelles. Si d'après cela il croit pouvoir exprimer sa croyance et dire que tous ont tort et que ce qui fait le sujet de leurs discussions n'existe pas réelle- ment , il sera peut-être condamné à six ans de prison ou même à passer toute sa vie dans un cachot dégoûtant! N'oublions pas toutes ces cho- ses quand nous parlons de la sanguinaire Marie. Les châtimens que l'on impose aujourd'hui sont fondés sur la maxime que le christianisme est une partie de la loi du royaume : mais quand

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a-l-il commencé, est-ce depuis ou avant la " ré- l'urme " ? et de laquelle d'entre toutes les sectes qui sont tolérées par la loi apprendrons-nous ce qu'est le christianisme ?

258. Quant au nombre de ceux qui furent pu- nis , supposons que les deux cent soixante-dix- sept personnes qui furent punies sous le règne de Marie ne le fussent que pour cause de re- ligion, et non comme Cranmer et Ridley pour leur trahison et leur félonie , aussi-bien que pour leurs offenses envers la religion ; eh bien ! en faisant cette supposition , trouverons-nous que la masse des punitions imposées pendant le règne de Marie surpasse celle du règne d'EoouARD VI? et à moins que Smithfield et ses bûchers ne fissent éprouver une agonie particulière pire que la mort , vit-on jamais à Smithfield une aussi grande masse de soulTrances qu'à Old-Bailey , pour cause d'offense contre les bank-notes , in- vention purement protestante. Et peut-être cette invention, qui n'eut d'autre but que d'empêcher le retour du ^' papisme , ^^ a coûté dix fois pour ne pas dire cent fois plus de sang qu'il n'en fut répandu sous le règne de celle que nous avons encore aujourd'hui l'injustice ou la folie d'appeler la sanguinaire Marie, cette reine dont nous devons oublier toutes les excellentes qualités , les éclatantes vertus , la piété , la cha- rité , la générosité , l'attachement à sa parole , la reconnaissance et même ces sentimens d'in-

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quiétude pour la grandeur et l'honneur de l'An- gleterre qui la précipitèrent dans le tombeau j toutes ces vertus , qui ne trouvèrent point d'é- gales chez aucun des rois ses prédécesseurs , si ce n'est chez le grand Alfred dont elle voulut rétablir la religion ; elles doivent toutes , dls-je , être comptées pour rien , et nous devons l'ap- peler la sanguinaire Marie, parce que cela entre dans les vues de ceux qui s'engraissent des dépouilles de cette église qui ne souffrit ja- mais qu'un Anglais pût recevoir le nom odieux et avilissant de pauvre.

aSg. Nous arrivons au règne de pauvreté et de désordre. C'est le règne de la bonne reine Bess. Nous verrons bientôt comment elle était bonne. L'acte du parlement qui subsiste encore, relatif aux pauvres et à la taxe des pauvres , fut adopté dans la 43^ année de son règne ; ce ne fut cependant pas le seul acte de cette es- pèce. Onze autres furent adoptés avant celui-ci pour remédier à la pauvreté et à la misère dans laquelle la réforme avait plongé le peuple. Mais comme c'est dans la dernière lettre de mon ou- vrage que je dois donner l'histoire de la naissance et de la marche de la pauvreté en Angleterre , de- puis le commencement de la réforme jusqu'à notre époque , je ne dois donc m'occuper à présent que de ce qui regarde les affaires de la religion.

260. Elisabeth fut protestante pendant le règne de son frère , et catholique pendant celui

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de Marie. Dans le temps mourut sa sœur, non-seulement elle allait publiquement à la mes- se, mais elle avait aussi dans son intérieur une chapelle et un confesseur. Ces apparences n'a- vaient cependant pas trompé sa sœur qui, jus- qu'au dernier moment , douta de sa sincérité. Sur son lit de mort, la bonne et sincère Marie lui ayant demandé un aveu franc de ses opinions sur la religion, Elisabeth pour réponse pria Dieu que la terre s'ouvrît et l'ensevelit aussitôt si elle n'était pas une vraie catholique romaine. Elle fit la même déclaration au duc de Feria, dé- puté espagnol , qu'elle trompa si complètement qu'il écrivit à Philippe qu'ELisABETH, en mon- tant sur le trône , n'apporterait aucun chan- gement dans les affaires de la religion en An- gleterre. Mais, malgré toutes ces promesses, elle ne tarda pas à arracher les entrailles de ses in- fortunés sujets parce qu'ils étaient catholiques romains.

261. Elisabeth, d'après la loi, était bâtarde. Le mariage de sa mère avait été déclaré nul et invalide depuis le commencement par une loi qui n'avait pas encore été abrogée. Son avène- ment ayant été signifié aux puissances étrangères d'après la formule ordinaire qui était , « qu'elle » avait succédé à sa sœur par le droit liérédi- » taire et le consentement de la nation » , le Pape répondit qu'il ne comprenait pas quel était le droit héréditaire d'une personne qui n'était

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pas née d'un mariage légilime , et que dès-lors il ne pouvait reconnaître son droit héréditaire. Cette réponse était déjà elle-même une raison assez forte pour une dame qui avait une con- science aussi facile que l'était la sienne pour la déterminer à se faire ^^ protestante. '^ Mais il y avait encore un autre motif plus puissant. Marie, reine d'Ecosse, qui avait épousé le dau- phin de France, réclamait la couronne d'Angle- terre comme étant le descendant légitime le plus proche de Henri VIL Ainsi Elisabeth était ex- posée à perdre la couronne si elle ne se faisait pas protestante , et si elle ne forçait pas les peu- ples à adopter la croyance de Cranmer. Si elle restait catholique , elle devait se soumettre aux décrets de Piome , et le Pape eût pu lui donner beaucoup d'embarras. Enfin elle vit clairement que si son peuple restait catholique , elle ne pou- rait jamais régner en sûreté. Elle savait qu'elle n'avait pas de droit héréditaire ) que la loi at- tribuait sa naissance à un adultère. Elle ne croyait pas qu'elle pût jamais régner tranquillement sur ce peuple, quand le Chef de l'Église refusait de reconnaître son droit à la couronne; mais, comme elle voulait porter cette couronne , elle prit la résolution , quoiqu'il en pût coûter , de forcer son peuple à abandonner cette même religion , sa propre croyance à elle-même , comme elle l'avait déclaré quelques mois avant , en priant Dieu que la terre s'ouvrît et l'ensevelît vivante

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si elle n'était pas une vraie catlwlique romaine. 2G2. La réponse du Pape était juste, mais impolitique ; elle fut surtout bien funeste pour les peuples anglais et irlandais, qui durent alors se préparer à des souffrances qu'ils n'avaient point encore connues. L'état des affaires était extrê- mement favorable aux protestans. Marie, reine d'Ecosse , l'héritière légitime du trône , avait , comme nous l'avons vu , épousé le dauphin de France. D'après cette union I'Angleterre de- venait une dépendance de la France si Elisa- betfi était exclue du trône, ou si elle mourait sans enfans avant Marie. Déjà la perte de Ca- lais et de Boulogne avait assez mortifié la na- tion ; mais que l'Angleterre elle-même tombât au pouvoir de la France, c'était une idée qu'au- cun Anglais ne pouvait supporter. Ainsi elle fut surtout affermie sur le trône par la crainte qu'a- vait le peuple de ce qui pouvait arriver si elle en était expulsée. Ce furent les fiançailles de Marie, reine d'Ecosse, avec le dauphin, qui engagèrent Marie, reine d'Angleterre, à épou- ser Philippe, afin d'assurer par ce moyen un allié à l'Angleterre, dans le cas l'Ecosse vien- drait à être réunie à la Fiance. Mais combien le danger était plus pressant alors que la reine d'Ecosse était mariée au dauphin ( l'héritier pré- somptif de la couronne de Fiance ), et que l'Ati- gleterre , si elle venait à la posséder et qu'elle eût un fils, devait devenir une province de France!

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263. Cet état des affaires était dès-lors très- fàcheux pour les catholiques : un très-grand nom- bre d'entre eux ne s'opposèrent que froidement au changement de religion de la nouvelle reine. Car quelque fidèles qu'ils fussent à leur reli- gion, ils n'en étaient pas moins Anglais, et l'idée de se voir soumis aux Français les révoltait. L'a- postasie et la tyrannie de la reine pouvaient lui attirer leur haine , mais ils ne pouvaient s'em- j)êcher de désirer que l'Angleterre restât un état indépendant , et pour cela il leur semblait ab- solument nécessaire de laisser Elisabeth sur le trône. Ceux qui louent Henri IV, roi de France, de s'être fait catholique afin d'obtenir et de con- server le trône , ne peuvent pas blâmer Eli- sabeth de s'être fait protestante pour la même raison. Je ne veux les justifier ni l'un ni l'au- tre, mais j'avoue que s'il y avait quelque rai- son qui pût porter à soutenir Elisabeth, c'est que, d'après les faibles lumières de l'intelligence humaine, on devait la regarder comme un instru- ment nécessaire pour empêcher que l'Angleterre ne fût soumise à la France. Et l'on doit croire que ce fut cette raison qui engagea dans son parti un si grand nombre d'hommes distingués et puis- sans de cette époque.

264. Mais si nous admettons qu'elle ait pu être justifiée par la nécessité de se conserver la royauté et de maintenir l'indépendance de la nation aux dépens de la religion j si nous admettons qu'elle

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eut le droit de donner la préférence aux pro- testans et d'employer tous les moyens loyaux de faire changer complètement de religion à son peu- ple; si nous faisons ces concessions, ce qui est beaucoup plus que la justice ne peut exiger de nous , qui pourra ne pas être frappé d'horreur à la vue des cruautés affreuses qu'elle exerça avec tant de profusion pour arriver au but qu'elle se proposait ?

265. L'intention qu'elle avait de changer la religion du pays devint si manifeste en peu de temps que tous les évêques se refusèrent à la couronner ; à la fin elle en trouva un qui voulut bien s'en charger, mais il n'y consentit qu'à la condition qu'elle se conformerait au rit catholi- que. Bientôt cependant parurent successivement plusieurs actes qui rabaissèrent par degrés le culte catholique et relevèrent les protestans. Elle trouva les pillards et les possesseurs des choses pillées aussi disposés à se conformer à son autorité ecclé- siastique qu'ils avaient montré d'ardeur à rece- voir l'absolution du cardinal Pole, sous le dernier règne. Le livre de prières de Cran mer, que le parlement avait dit avoir été inspiré par le Saint- Esprit , avait été changé et corrigé dès le règne d'EDOUARD. On le fit alors reparaître, il fut changé et corrigé de nouveau , sans cesser ce- pendant d'être attribué à l'inspiration de l'Es- prit-Saint.

2^^. Si ces actes du parlement n'avaient pas

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él«3 plus loin, déjà ils auraient été regardés comme assez mauvais et assez honteux ; mais un tel chan- gement ne pouvait se faire sans effusion de sang, La reine avait résolu de régner, elle croyait le sang de son peuple nécessaire à sa propre sûreté ; et jamais elle ne craignit de le faire couler. Elle regardait la religion catholique comme son enne- mie mortelle , et voulait à tout prix la détruire si elle le pouvait , employant tous les moyens qui lui semblaient les plus favorables à son des- sein.

267. Les lois les plus sanguinaires furent donc faites pour cet objet. Chacun fut obligé sous peine de mort, de faire le serment de la suprématie ^ par le serment de la suprématie l'on reconnais- sait la suprématie de la reine en matières spi- rituelles, on renonçait au Pape et à la religion catholique, ou en d'autres mots on apostasiait. C'est ainsi qu'une grande partie de son peuple fut condamnée à la fois à mort pour son atta- chement à la religion de ses ancêtres , et bien plus pour son attachement à cette même reli- gion qu'elle avait suivie jusqu'à l'époque elle monta sur le trône , et à laquelle elle n'avait pas craint de donner ses sermens lors de son couronnement.

268. Ce ne fut pas le seul acte d'une barbarie monstrueuse. On déclara coupable de haute- trahison tout prêtre qui disait la messe y tout prêtre qui venant de l'extérieur entrait dans le

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royaume; c'était un crime de haute -trahison , que de recueillir ou de soulager un prêtre. Ce fut d'après ce principe et d'autres de la même nature que l'on égorgea un nombre inlini de personnes. D'abord on les pendait \ plus tard on leur fendait le ventre , on leur arrachait les en- trailles et on les coupait par quartiers. Et tous ces supplices , je vous prie de nouveau de le remarquer , justes et sensibles Anglais , parce que ces infortunés étaient trop vertueux et trop sincères pour renoncer à cette foi que la reine elle-même à son couronnement , dans son ser- ment du couronnement, jura solennellement de conserver et de défendre.

269. Après avoir renversé les autels et élevé des tables dans les églises j après avoir chassé les prêtres catholiques et les avoir remplacés par des gens afl'amés , des mendians , le rebut de toute la terre , avec le livre de prières de Cran- mer corrigé dans leurs mains; après avoir fait tous ces exploits , elle força ses sujets catholi- ques à fréquenter les églises , sous peine d'é- normes châlimens qui s'élevèrent jusqu'à la peine de mort dans le cas ils persévéreraient à re- fuser î C'est ainsi que tout ce qu'il y avait d'hom- mes bons, sincères, conscientieux dans le royaume, étaient continuellement tourmentés , ruinés par de très-fortes amendes , envoyés à la potence ou forcés de fuir loin de leur pays natal. C'est ainsi que la religion " protestante " fut arrosée

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des larmes et du sang du peuple anglais. Osez parler de la persécution et des cruautés des ca- tholiques ; trouverez-vous de telles cruautés et une persécution semblable à celle-ci exercées par des princes catholiques? Elisabeth mit à mort d'une manière ou de l'autre en une an- née plus de catholiques , parce qu'ils ne vou- laient pas apostasier la religion qu'elle avait juré être la sienne et la seule vraie , que Marie n'en avait fait mourir pendant tout son règne pour avoir renoncé à sa religion qui avait été celle de leurs pères et qu'elle avait toujours obser- vée. Et cependant c'est la première que l'on nomme ou que l'on a nommée '' la bonne reine '^ Bess , et la dernière a été appelée la '^ san- guinaire '' Marie. L'horrible massacre de la Saint-Barthélemi lui-même ne fut rien si on le compare aux massacres et aux autres cruautés de cette reine proteslante. Oui, il ne fut rien, et cependant elle prit le deuil à l'occasion de cet événement , et elle porta l'hypocrisie jus- qu'à feindre d'être remplie d'horreur au récit des cruautés qu'avait commises le roi de France. 270. Ce massacre arriva à Paris en l'an 1572 dans la i4"^e année du règne d'ÉLisABETH; mais comme il appartient à l'histoire de l'époque dont nous nous occupons , qu'il fut en partie le fruit des intrigues pernicieuses d'ÉLisABETH, et que l'on n'a cessé de s'en servir , même jusqu'à ce jour , pour calomnier les catholiques , je crois

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devoir en faire un récit exact , et remonter aux guerres civiles qu'elle fit naître en France , aux- quelles elle prit tant de part , et qui finirent par faire perdre à l'Angleterre Calais et tout son territoire. La " réforme " , que Luther dit avoir apprise du diable , s'était introduite en France dès l'an i53o ou à peu près. Les réformateurs y reçurent le nom de huguenots. Pendant long- temps ils ne furent d'aucune importance ; mais à la fin ils devinrent formidables sous le règne de Charles XI, lorsqu'ils eurent à leur tête deux rebelles ambitieux , Condé et Coligni. La faction dont ces deux hommes devinrent les chefs fut sur le point d'obtenir le gouvernement de la France pendant la minorité de Charles qui monta sur le trône en i56i à l'âge de lO ans. Sa mère , la reine douairière , préféra le duc de Guise et son parti. Il ne fallut pas d'au- tre motif à GoNDÉ et à Coligni, qui venaient d'être trompés dans leur attente, pour devenir des protestans très-zélés , les Guises ayant em- brassé avec chaleur le parti des catholiques. Aus- sitôt de la part des premiers rebellion ouverte fomentée par la reine cT Angleterre qui croyait ne pouvoir être en sûreté tant qu'il existerait sur la terre quelque prince, quelque prêtre ou un peuple catholique, et qui ne recula jamais devant aucun moyen , quand il lui parut propre à aider l'accomplissement de son dessein. Comme elle avait apostasie elle-même , elle voulut faire dis-

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paraître la religion qu'elle avait abandonnée , et dans ses efforts pour arriver à ce but elle fit couler sans relâche le sang de ses sujets , et ne se fit jamais aucun scrupule dans aucune oc- casion de sacrifier l'honneur national.

271. Lorsqu'elle monta sur le trône, elle trouva le royaume en guerre avec la France , et Ca- lais au pouvoir de celte dernière, cette forteresse et son territoire ayant été pris, comme nous l'a- vons vu ( parag. 254), par une armée française que commandait le duc de Guise. Elle fit presque aussitôt la paix avec la France , et même sans exiger la remise de Calais , comme elle aurait pu le faire si elle n'eut préféré son intérêt par- ticulier à l'intérêt et à l'honneur de l'Angleterre. Les négociations pour la paix entre l'Angleterre, l'Espagne et la France furent entamées à Caleau- Cambresis en France. Ce qui regardait la France et l'Espagne fut bientôt décidé; mais Philippe ( époux de Marie ) fidèle à ses engagemens refusa de signer le traité jusqu'à ce que la nouvelle reine eût été satisfaite pour Calais j et même il s'offrit de continuer la guerre pendant six ans si l'on ne rendait pas Calais , pourvu qu'ÉLiSA- BETH s'engageât à ne point faire de paix séparée pendant ce temps. Elle refusa cette offre géné- reuse -, elle avait commencé à tourmenter ses sujets et elle redoutait la guerre. Elle entra donc secrètement en négociation avec la France et l'on arrêta que cette dernière garderait Calais, pen-

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dant huit ans, ou paierait à l'Angleterre 5oo,ooo couronnes ! On ne vit jamais d'acte plus vil que ce traité , du côté de l'Angleterre. Mais ce ne fut pas tout : il avait encore été stipulé dans le traité que, si la France commettait quelqu'acte d'agression contre l'Angleterre pendant ces huit ans , ou si l'Angleterre commettait quelqu'acte d'agression contre la France pendant ce temps , le traité serait nul, et que la première perdrait le droit de retenir , et la seconde celui de ré- clamer cette place importante avec son territoire.

272. Ce traité fut conclu en iSSg, et ce fut un traité non-seulement d'amitié mais encore d'al- liance entre les deux partis. Mais trois ans ne s'étaient pas encore écoulés sur les huit que la bonne reine Bess en haine et par la crainte des catholiques , par le désir d'affermir son autorité tyrannique, et voulant encore punir librement, emprisonner et égorger ses malheureux sujets , renonça à tous ses droits sur Calais , en man- quant au traité par la violation la plus vile et la plus honteuse que l'on eût encore vue.

273. CoNDÉ et CoLiGNi, avec leurs hugue- nots, avaient excité en France une guerre ci- vile formidable. L'ambassadeur de la bonne reine Bess dans ce royaume stimulait et assistait les rebelles de tout son pouvoir. A la fin, Vidame, agent de Condé et de Coligni, vint secrète- ment en Angleterre pour demander des secours en hommes, en argent et en vaisseaux. Ils réus-

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sirent complètement avec la bonne BesS , c(tii, sans aucun égard pour les traités solennels qu'elle avait conclus avec le roi de France , en fit uri avec les rebelles français , dans lequel elle con- vint de leur envoyer une armée et de l'argent pour les aider à faire la guerre à leur souverain dont elle était V alliée _, et avec lequel elle s'é- tait liée comme telle par un serment solennel juré sur les évangiles. Elle s'engagea donc à leur fournir des troupes , des vaisseaux et de l'argent \ et les rebelles , de leur côté , s'enga- gèrent à lui remettre le Hâvre-de-Grace , qu'elle retiendrait comme un gage de la remise , non- seulement de l'argent qu'elle devait avancer , mais encore de la ville de Calais elle-même. Cet infâme traité méritait bien les résultats qui le suivirent.

274- L'ambassadeur français à Londres voyant une négociation entre la reine et les agens deô rebelles, vint chez Cecil, le secrétaire-d'état, tenant en main le traité de Cateau-Cambresis , et demanda que d'après les clauses du traité on lui remît les rebelles comme étant traîtres en- vers leur souverain ; et il avertit le gouverne- ment anglais que tout acte d'agression de sa part lui ferait perdre tous ses droits pour la remise de Calais après les huit années convenues. Mais la bonne Be s s avait fomenté les guerres civiles en France ; elles les avait excitées en secret par des présens et d'autres moyens cachés, et elle

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croyait que du succès des rebelles français dé- pendait sa sûreté sur un trône d'un droit dou- teux ; et comme elle espérait recouvrer Calais par ce moyen perfide , elle ne voyait que du gain dans sa perfidie. /

275. Les rebelles étaient en possession de Rouen , de Dieppe , du Havre - de - Grace , et avaient étendu leur pouvoir sur une grande par- tie de la Normandie. Ils remirent en même temps Je Havre et Dieppe entre les mains des Anglais. Une manière d'agir aussi infâme et aussi perfide souleva les catholiques de France qui furent hon- teux alors de leur inactivité pendant laquelle une secte , qui faisait à peine la centième partie de la population, avait vendu leur pays sous le prétexte impie de ''^ Famour de Véuangile. '* La bonne Bess , avec son hypocrisie et son ef- fronterie ordinaires , fit répandre en Normandie ses proclamations , dans lesquelles elle déclarait qu'elle n'avait aucune intention hostile contre îson bon frère le roi de France , qu'elle voulait simplement protéger ses sujets protestans contre la tyrannie de la maison de Guise , et que son bon frère devait lui être reconnaissant des se- cours qu'elle lui envoyait. Cette froide et hy- pocrite insolence ne fit qu'augmenter la fureur des partis. Toute la France se rappelait facile- ment que c'était l'habile, le vaillant, le patriote duc de Guise qui , cinq années seulement au- paravant, avait chassé les Anglais de Calais, leur

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dernière retraite en France \ et on voyait les fils de r évangile , comme ils avaient l'audace de se nommer eux-mêmes , ramener ces mêmes Anglais sur le sol de la France, et leur remettre à la fois entre les mains deux ports de mer français. Devons-nous nous étonner de la haine implacable du peuple français contre cette secte perfide ? Devons-nous être surpris que ce même peuple ait eu le désir de faire disparaître entièrement une race aussi infâme qui avait déjà vendu de la France tout ce qui était en son pouvoir ?

276. La noblesse française accourut de toutes les provinces et de toutes les parties de la France au secours de son souverain dont l'armée était commandée par le connétable de Montmorenci, qui avait le duc de Guise sous ses ordres. Con était à la tête de l'armée ennemie avec Coligni qui semblait partager avec lui le soin des affai- res, et il fut joint par les troupes anglaises que commandait le duc de Warwick, neveu de l'amant de la bonne Bess, et Dudley que le clergé protestant, Heylin et Whitaker nous feront assez connaître. Le premier mouvement que firent les Français contre cette masse qu'a- vaient réunie l'hypocrisie , l'audace , la perfi- die et la trahison fut le siège de Rouen , sir Edouard Poinings, qui avait précédé le duc de Warwick , avait jeté un renfort d'Anglais pour soutenir les fidèles enfans de l'évangile. Afin d'encourager les Français, la reine -mère

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Lettre IX. 337

( Catherine de Médicis ), son fils, le jeune roi Charles ( âgé alors de douze ans ), et le roi de Navarre étaient présens à ce siège. Le dernier y reçut une blessure mortelle ; mais les catholiques finirent par prendre la ville d'assaut et passèrent au fil de 1 epée toute la garnison avec les renforts anglais envoyés par la bonne reine Bess.

277. Pendant ce temps, le frère de Coligni avait réuni, avec l'argent de la bonne Bess, un corps d'évangélistes allemands mercenaires , et les avait amenés à Orléans , qui était alors le point d'appui des huguenots 5 et en même temps la bonne Bess , afin d'agir en tout avec bonne foi , ordonna des prières publiques pendant trois jours, pour implorer la bénédiction de Dieu sur sa cause et sur celle de V évangile. x\insi renforcés par un nouveau corps d'étrangers amené dans leur patrie, les infâmes traîtres Condé et Coligni feignirent de se diriger sur Paris ; puis se trou- vant trop faibles sur ce point , ils passèrent en Normandie où. ils espéraient trouver le secours des forces anglaises. Mais les catholiques com- mandés par Montmorenci et le duc de Guise suivirent les traîtres, les mirent en déroute près de Dreux et firent Condé lui-même prisonnier. Bien que Montmorenci fût tombé entre les mains des rebelles , le duc de Guise prit le commandement en chef et chassa devant lui le rebelle Colegni et son armée ; et tout cela

328 Réforme Protestante.

malgré les trois jours de prières de la bonne Bess.

278. CoLiGNi tint néanmoins la campagne et pilla cruellement la Normandie. La bonne Bess lui envoya un peu d'argent, et elle offrit de lui en faire remettre davantage s'il pouvait trouver quelques marchands ( c'est-à-dire, quelques juifs ) qui voulussent lui en prêter. Riais elle ne lui envoya point de troupes, celles du duc de War- wick étant en sûreté dans les forts du Hàvre- de-Grâce que la juste et bonne Bess avait bien l'intention de garder pour elle, de quelque ma- nière que se terminassent les affaires. Mais à la fin , cette honnête intention ne put être rem- plie, comme nous le verrons plus tard. Coli- GNi , avec tous les scélérats qui l'accompagnaient et les évangélistes allemands, pillèrent sans pitié les Normands partout ils purent porter leurs armes. Les catholiques, sous la conduite du duc de Guise j assiégeaient alors Orléans. Ce fut pen- dant ce siège qu'un nommé Poltrot, hugue- not, à la solde de Coligni, quitta comme dé- serteur ce chef rebelle et prit du service dans l'armée du duc de Guise. Au bout de peu de temps, il trouva le moyen d'assassiner ce vail- lant chevalier, cet excellent patriote, encouragé et réellement employé pour cela par Coligni, mais surtout excité par Beza le fameux pré- dicateur , car Hume l'appelle ainsi , mais réel- lement l'un des plus infâmes de tous les pré-

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Lettre IX. 329

dicateurs de la " réforme , " et qui , sous ce rapport , ne le cédait peut-être qu'à Luther lui-même. Cette action atroce fut bientôt ven- gée par le massacre de la Saint -Barthélémy. PoLTROT avait été payé par Coligki, qui, lui- même , avait reçu l'argent de la bonne reine Bess, que nous verrons bientôt accusée par Whi- TAKER ( ministre de l'église d'xingleterre ) d'a- voir tramé l'assassinat de son propre cousin, mais qui ne put pas trouver dans son royaume un bomme assez vil pour se charger de ce crime.

279. Cette action atroce semble avoir fait rou- gir CoNDÉ de l'infamie de ses partisans. L'am- bition en avait fait un rebelle , mais il lui res- tait assez d'honneur pour frissonner à l'idée qu'il n'était qu'un chef d'assassins , et il ne pouvait penser sans horreur qu'un bomme , comme le duc de Guise, qui avait rendu des services d'un si grand prix à la France, eût été privé de l'exis- tence par un être aussi vil que celui qui avait eXé payé pour cela par son collègue Cqligni. Si le fils du duc de Guise eiit pu détruire Co- i.iGNi 3vec toute sa bande, il n'aurait pu être blâmé pour cette action; et cependant le monde a retenti des cris d'horreur des protestans à la mort de ce même Cqligni et d'un petit nom- bre de ses partisans !

280. CoNDÉ chercha alors à se débarrasser de ces horribles compagnons , en proposant dans le mois de février de i5ô3 une paix générale, et

33 o Réforme Puotestante.

en ofîiant de se soumettre à son légitime sou- verain , à condition qu'il accorderait l'oubli de tout ce qui était arrivé. Coligni fut compris dans l'amnistie. Le roi accorda aux huguenots le droit de pratiquer leur culte dans une ville de cha- que bailliage , et c'est ainsi que furent termi- nés tous les différends qui existaient entre le roi et ses sujets rebelles. Mais ces nouvelles étaient loin de plaire à la bonne reine Bess qui, comme le fait observer Wiiitaker , ne trouvait sa sû- reté que dans les divisions et la misère des au- tres. GoNDÉ, dans son traité avec elle, était con- venu de ne pas conclure de paix sans son con- sentement; mais avait-elle le droit de se plaindre de cette infraction d'un traité, elle qui avait violé son traité et sou serment avec Charles IX et qui en même temps s'était ligué par un traité avec les rebelles armés contre leur roi ?

281. Le roi de France désirait lui faire reti- rer ses troupes du Hàvre-de-Grace sans effu- sion de sang , et voyant qu'elle voulait retenir cette place comme un gage de la reddition de Calais après les huit années écoulées; il lui of- frit de renouveler le traité de Cateau-Cam- brésis , d'après lequel Calais devait être rendue à l'Angleterre en 1567 ; mais elle rejeta bien loin cette proposition avantageuse : elle avait le Havre en sa possession, peu importait comment, et elle dit qu'un oiseau dans la main vaut mieux que deux dans le buisson, faisant claquer en

Lettre IX. 331

même temps ses doigts , et comme elle avait cou- tume de le faire dans de semblables occasions, prou- vant la fermeté de sa résolution par un serment terrible qui convenait bien à une " reine vierge. " Mais lorsqu'elle sut que tous les partis qui divi- saient la France se réunissaient pour l'expulsion des Anglais , elle se relâcha malgré elle. Elle au- torisa ses ambassadeurs à présenter un nouveau projet de traité. Mais déjà l'armée française , conduite par Montmorenci et Condé, qui était naguère l'ami et l'allié de la bonne Bess, et aujourd'hui se trouvait à la tête de ses ennemis, s'était mise en marche pour reprendre le Havre par la force des armes , le roi étant bien con- vaincu qu'avec la bonne Betsy les traités étaient tout-à-fait inutiles.

282. Ce n'était cependant pas une petite en- treprise que de vouloir reprendre le Havre sur les Anglais. On leva de grands impôts sur la na- tion ( sans parler des prières ) pour défendre cette place. Le duc de Warwick qui, au lieu d'envoyer ses troupes au secours des alliés de Bess, les avait tenues renfermées au Havre, à l'aide de six mille soldats et de six cents prisonniers , en avait fait une place imprenable. Il avait chassé de la ville tous les Français, à leur grand détriment, et contre les traités faits avec Condé et GoLiGNi, aussitôt qu'il eut appris les revers des rebelles. Mais tout cela n'empêcha pas que Montmorenci, au bout de très-peu de temps,

33^ RÉFORnîE PrOTîISTANTE,

eut tellement avancé ses travaux qu'il pouvait facilement se rendre maître de la place. La reincy mère et le roi étaient dans les camps , et ils eu- rent le plaisir indicible de voir le général de la bonne reine Bess proposer Ijumbleraent de re- piettre la place à son légitime souverain, sans au- cune mention de Calais et de son territoire, et sans autre condition que la liberté de retourner en Angleterre avec les restes raisérçibles de son ar- mée ; et l'Angleterre, après tant d'or et tant de sang répandus pour satisfaire la mécbanceté de la bonue Bess , et après s'être entendu repro- cher tant de fois et avec de justes raisons , la perGdie de cette reine, vit arriver ces tristes res- tes, cette preuve irrécusable d'un malheur plus grand qu'aucun de ceux qu'elle eût éprouvés (îenuis le jour glorieux Alfred chassa en- ti?rement les Danois -, et cependant c'est cette i'emme que l'on appelle , ou que l'on a appe- lée la bonne reine Bess, c'est celle dont le règne, plein de perfidies et de massacres , a été appelé ^' glorieux ! ''

283. Quelles que fussent les mortifications que venait d'éprouver la bonne Bess, quels que fus- fiçnt les malheurs qu'avaient attirés sur le royau- îne son hypocrisie et une mauvaise foi sans exem- ple jusqu'alors, ils n'étaient cependant pas arrivés encore à leur terme. La " glorieuse " et bonne Bess fut obligée alors de supplier, pour avoir la paix , ce roi dont ellç avait si récemment soutenu

Lettre IX. 333

les sujets révoltés. Ses ambassadeurs , quoique munis de bons passeports, furent arrêtés et mis en prison. Elle s'emporta , et même d'une ma- nière peu digne d'une reine , mais elle fut obligée de supporter patiemment cet affront, et elle suivit la marche ordinaire pour les faire recevoir à la cour de France , où. d'ailleurs on traitait ses pres- santes sollicitations avec un dédain offensant, et on laissa plusieurs mois s'écouler avant qu'on Voulût recevoir aucune proposition de paix. L'un de ses envoyés était Smith et l'autre était ce même Throckmorton que déjà elle avait envoyé en ambassade à Paris et qu'elle avait employé pour soutenir le prince de G onde et Côr.iGNi dans leur révolte. Le premier fut renfermé à Melun , le second à Saint- Germain. Smith fut renvoyé sur la demande de la reine ; on retint Throckmorton, et l'on s'en servit pour un objet aussi plaisant qu'il était humiliant pour la bonne Bess. Le traité de Câteau-Gambrésis , d'après lequel les Français devaient rendre Galais au bout de huit ans , ou payer 5oo,ooo couronnes , or- donnait que quatre Français nobles seraient remis à la bonne Bess et serviraient d'otages jusqu'à l'entier accomplissement du traité par la France. La bonne Bess qui, en donnant des secours aux rebelles, avait rompu ce traité et avait perdu tout droit de réclamer Galais , aurait con- séquemment renvoyer les otages ; mais la bonne Bess qui avait coutume de ne pas faire ce qu'elle

334 Réforme Protestante.

devait faire , qui aurait pu cliaque jour de sa vie criminelle répéter, sans crainte de se tromper, ce passage du livre de prières ainsi corrigé " Nous avons fait tout ce que nous devions éviter, et nous avons négligé tout ce que nous devions faire '^ avait gardé les otages, quoiqu'elle n'eût plus aucun droit pour réclamer l'accomplissement du traité d'après lequel ils avaient été remis entre ses mains. Mais les Français avaient aussi alors un oiseau dans la main; ils avaient Throck- morton , leur ancien ennemi, le dépositaire des horribles secrets de la bonne Bess. Après de longues discussions, pendant lesquelles Throck- morton donna des signes peu douteux de la ré- solution qu'il avait prise de ne pas terminer ses jours en prison , sans se venger d'une manière quelconque de celle qui l'y maintenait si long- temps et sans pitié, la bonne reine consentit à échanger les quatre nobles français pour lui , et reçut 1 25,ooo couronnes pour la cession défi- nitive de Calais à la France.

284. Ce fut donc la bonne reine Bess, cette reine si "illustre et si attachée à sa nouvelle reli- gion ", qui arracha ce joyau de la couronne d'An- gleterre î mais les suites funestes de la profana- lion des traités et des intrigues entretenues avec les rebelles ne se bornèrent pas à cette perte : la peste qui avait gagné la garnison du Havre et qui 'l'avait réduite de sept mille bommes à deux raille , avait été transportée par les misé-

Lettre IX. 335

rabies restes de ces êtres infectés en Angleterre , où, au rapport de Hume lui-même, elle en- leva de grandes multitudes, surtout à Londres qui vit périr, en une seule année, vingt mille personnes de cette affreuse maladie ! Ainsi la nation était donc en même temps accablée d'im- pôts , ruinée par la guerre, affaiblie par la peste- ainsi nous voyons un nombre infini d'anglais IVappés de la mort , ruinés ou devenus miséra- bles pour satisfaire seulement cette orgueilleuse et méchante femme, qui croyait ne jamais être en sûreté tant qu'elle n'aurait pas entraîné le monde entier dans sa honteuse apostasie. Ainsi la même raison suffit pour faire abandonner Ca- lais pour toujours; Calais, la possession la plus glorieuse qu'eût l'Angleterre ; Calais, l'une des deux clefs des mers du nord; Calais conquise deux cents ans auparavant par nos ancêtres catholi- ques; Calais, qu'ils n'auraient pas plus songé à rendre à la France qu'ils n'auraient consenti à céder Douvres, et dont la bonne, la vertueuse et la patriotique Marie, si souvent calomniée, sentait tellement l'importance que la seule idée de pouvoir perdre cette place la conduisit au tombeau !

284. On ne peut concevoir quelle bassesse de- voile Hume lorsqu'il rapporte cette série impor- tante de transactions; comment il interprète toutes les violations de foi de la part de la bonne reine Bess; comment il passe, sans la censurer, sur

336 Réforme Protestante.

l'infâme trahison des rebelles, et cherche même à l'excuser ; avec quel art il évite de parler de la rare fidélité de Philippe à ses engagemens; combien il loue l'infâme Coligni, tandis qu'il blâme presque Condé d'avoir demandé la paix après l'assassinat du duc de Guise 5 de quelle manière il tait complètement les grandes hu- miliations qu'eut à supporter l'Angleterre dans l'affaire de Smith et de Trockmorton ; com- ment il fait monter le prix du rachat à 200,000 couronnes au lieu du quart de 5 00,000 et parle ^ à peine de la perte de Calais pour toujours sous ' le règne de la bonne Bess, tandis qu'il appuie si fortement sur la perte temporaire de cette même ville sous celui de Marie ; mais surtout avec quel soin il dirige tous ses traits contre l'ha- bile, le brave, le fidèle et le patriotique seigneur, le duc de Guise , tandis qu'il ne cesse de louer Condé tant qu'il fut un rebelle, un traître qui avait vendu sa patrie , et qu'il comble d'éloges le perfide Coligni jusqu'à la dernière heure de sa vie pleine de trahisons.

285. Est-il un seul homme qui ne comprenne de quelle importance est Calais avec son terri- toire? est-il un seul homme qui ne voie com- ■% bien il serait à désirer que nous en fussions en possession aujourd'hui ? Quel est l'Anglais qui ne regrette pas cette perte , et peut-on se refuser à reconnaître que ce qui nous le fit perdre ce fut la perfidie que commit la bonne Bess lors-.

Lettre IX. 337

qu'elle se réunit aux rebelles de la France ? Si au moment ces rebelles pouvaient être re- doutables pour leur souverain , elle eût pressé ce dernier de lui remettre définitivement Ca- lais y et qu'elle lui eût donné un équivalent pour cette remise anticipée , n'est-il pas évident qu'il y aurait consenti plutôt que de lui déplaire dans un tel moment ? Mais de quelle manière Hume excuse-t-il la reine, de s'être réunie aux rebelles? Elisabeth, dit-il, outre l'intérêt gé- néral qu'elle portait à la cause des prolestans , et la nécessité de s'opposer aux rapides progrès de son ennemi le duc de Guise , ( comment élait-il devenu son ennemi ? ) avait encore d'au- tres motifs pour accepter cette proposition. Lors- qu'elle signa le traité de Cateau-Cambrésis elle devait croire que la France n' exécuter ait jamais volontairement l'article qui concernait la res- titution de Calais _, et ce soupçon fut confirmé par ce qui arriva dans la suite : on dépensa des sommes considérables pour rétablir les fortifica- tions : les terres furent données à de longs baux , et l'on encouragea les babitans à bâtir et à s'é- tablir dans cette ville en leur assurant que l'on ne remettrait jamais Calais aux anglais. Dès- lors la reine en conclut que si elle pouvait s'em- parer du Havre , place qui commandait l'em- boucbure de la Seine et était d'une bien plus grande importance que Calais , elle forcerait fa- cilement les Français à exécuter le traité, et

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338 Réforme Protestainte.

aurait la gloire de rendre à la couronne celte ancienne possession à laquelle la nation était si attachée.

286. Ainsi disparaissent donc toutes ces belles protestations de ne vouloir défendre que la cause de l'évangile : elle n'est qu'une hypocrite , et des plus consommées. Elle viole la foi qu'elle avait donnée au roi de France et plus tard celle qu'elle avait donnée aux rebelles ; mais si elle a réellement prévu que les Français n'exécu- teraient pas volontairement le traité de Cateau- Carabrésis , pourquoi l'a-t-elle conclu lorsque Philippe lui offrait ses secours pour forcer la France à lui rendre Calais? Et quant à ce qui arriva par la suite et qui confirma ses soupçons, pourquoi le gouvernement français n'aurait-il pas réparé les fortifications de Calais , et pourquoi n'aurait-il pas assuré que le territoire ne serait jamais rendu aux Anglais, puisqu'elle avait fait la cession de la possession à perpétuité pour 5oo,ooo couronnes ? Les Français avaient sans doute l'intention de payer cette somme au bout des huit années , et ils ne pensèrent jamais k abandonner Calais après qu'elle eut rejeté l'of- fre de Philippe : tout le monde le savait, et personne mieux que la bonne Bess , elle n'a- vait reçu des otages que pour le paiement de la somme , et elle conserva ces otages après que les rebelles lui eurent remis le Havre comme une garantie du paiement de la somme ! Elle

LiîTTr.E IX, 339

croyait avoir deux oiseaux dans la mairie mais quoiqu'elle ait terminé sagement , les deux oi- seaux s'échappèrent ; elle se trompa elle-même , et la nation a encore aujourd'hui à regretter les conséquences de son intérêt personnel, de sa mau- vaise foi et de son atroce perfidie.

287. Je devrais à présent continuer l'histoire de la bonne Bess et de son digne ami Coligni, jusqu'à l'époque du massacre de la Saint-Bar- thélemi qui ne fut que l'exécution en gros de ce qu'avait fait la bonne Bess, de son côté en détail ; mais cette lettre touche à sa tin , et je vois qu'il me sera impossible de traiter mon sujet comme il le mérite sans étendre mon petit ou- vrage au-delà de ce que je m'étais proposé.

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34o Réforme Protestante.

LETTRE X.

Massacre de la Saint- Barthéi.emi. Ses suites. Bess fait couper la main a un homme qui avait traversé ses amours. Ses favoris et ses ministres. Histoire et meurtre de Marie, reine d'Ecosse.

Mes Amis, Kensington , 3i août 1825.

288. Quoique le massacre de la Saint-Barthé- lemi ait eu lieu en France , il a fourni vine source trop abondante de calomnies contre la religion de nos aïeux , il a trop souvent servi aux his- toriens protestans pour justifier ou pallier toutes les atrocités commises par leurs différentes sec- tes, et la reine d'Angleterre, ainsi que les mi- nistres , a trop contribué à le hâter, et ensuite a trop souvent puni les catholiques , sous le pré- texte de le venger , pour que je ne me croie point obligé de le faire connaître ici.

289. Nous avons vu dans les paragraphes de zk'jZ à 281 les menées perfides de Coligni; nous l'avons vu dans le paragraphe 278 faisant assas- siner lâchement le vaillant et patriotique duc de

Lettre X. 34 1

Guise; mais en assassinant ce seigneur, le mi- sérable n'enleva pas en même temps toute sa fiimille. Il restait un fils qui devait venger son père, et le perfide Goligni n'avait point encore éprouvé la vengeance de ce fils. Nous avons vu que la paix s'était rétablie entre le roi de France et ses sujets révoltés; mais Goligni avait toujours laissé entrevoir que ses horribles desseins n'étaient qu'ensevelis. Quatre ans environ après la conclu- sion de la paix, lorsque le roi faisait un voyage dans son royaume, Goligni et ses partisans for- mèrent le projet de s'emparer de sa personne , ou de le tuer , et il ne leur échappa qu'en cou- lant pendant quatorze heures sans descendre de cheval, et sans prendre aucune nourriture jus- qu'à ce qu'il fût arrivé à Paris. Aussitôt commença une nouvelle guerre civile qui fut suivie d'une autre paix ; mais les cruautés commises de cha- que côté étaient telles qu'il ne pouvait y avoir et qu'il n'y avait réellement pas un pardon complet. Les protestans avaient été aussi sanguinaires que les catholiques ; et , ce que leurs historiens eux- mêmes ont remarqué , leur conduite était souvent, pour ne pas dire toujours, caractérisée par un va- gabondage, une hypocrisie et une perfidie incon- nus à leurs ennemis.

290. Ce fut pendant cette paix que Goligni? par la plus profonde dissimulation , chercha à se ménager la faveur du jeune roi. A l'occasion d'un mariage entre la sœur du roi et le jeune

342 Réfoe.iie Protestante.

roi de Navarre ( depuis le fameux Henri IV ) , CoLiGNi qui, depuis la mort de Gondé était de- venu le chef de la secte , se rendit à Paris sur l'invitation du roi avec une compagnie de ses partisans pour assister à la cérémonie. Il y avait deux ou trois jours qu'il était arrivé lorsque quelqu'un lui tira dans la rue un coup de mous- queton qui le blessa en deux ou trois endroits, mais non dangereusement. Ses partisans en accusèrent le jeune duc de Guise, mais on n'a jamais donné une preuve qui pût soutenir cette assertion. I!s se rassemblèrent autour de leur chef, et menacè- rent de le venger, comme cela était très-naturel. La cour s'appuya sur cette raison pour sa justi- fication, et elle résolut de prévenir le coup. En ell'et, le dimanclie, 24 Août 1572, le jour de la fête de Saint-Bartliélemi , ce dessein fut mis à exécution. On eut beaucoup de difficulté à ob- tenir le consentement du jeune prince , mais à la fui il fut gagné par les représentations et les prières de sa mère, du duc d'ANJOu fon frère, et du duc de Guise. Les ordres terribles sont en- voyés, le signal e=t donné au moment convenu; le duc de Guise accourt vers la maison de Coli- GKi , suivi d'une troupe des siens; il enfonce les portes et fait jeter par la fenêtre le corps mort de son ennemi dans la rue. Le peuple de Paris qui haïssait à mort les protestans, qui ne pou- vait pas avoir oublié que Coligm avait livré Dieppe et le Havre aux Anglais, que, tandis que

Lettre X. 343

ce peuple de tout temps ennemi de la France élail liunené par Coligni et ses prolestans, ce même traître avait, avec sa secte, assassiné lâ- chement le feu duc de Guise, ce vaillant sei- t^tieur qui avait chassé les Anglais de leurs der- nières retraites et qui , au moment il per- dit la vie, pensait à les chasser aussi du Havre ils avaient été introduits par Coligni et les siens; le peuple de Paris, dis-je , ne pouvait s'empêcher de se rappeler toutes ces choses , et de tels souvenirs lui inspiraient une haine im- ])!acahle contre Coligni et sa secte. D'ailleurs on eût trouvé avec peine un seul habitant de Palis dont les parens n'eussent péri ou n'eussent souilert d'une manière quelconque dans les pil- lages et dans les massacres de ces infâmes cal- vinistes dont un de leurs dogmes leur enseignait que les bonnes œuvres étaient inutiles et que leurs mauvaises actions, quelque infâmes et quel- que sanglantes qu'elles fussent , ne leur empê- cheraient point d'être sauvés. Ces protestans, car on les appelait ainsi , ne ressemblaient pas plus aux protestans de nos jours qu'une guêpe ne ressemble à une abeille. Ce nom était alors , et bien justement, synonyme de bandit y c'est-à- dire voleur et meurtrier , et ceux qui le por- taient étaient pour la France un fléau plus terri- ble que la guerre avec l'étranger, la peste et la famine réunies : parce qu'ils furent toujours prêts à devenir l'instrument actif du premier rebelle ambitieux.

344 Réforme Protestante.

291. Si nous examinons ces choses avec atten- tion , et si nous nous rappelons que le peuple, toujours disposé à passer dans ses soupçons les bornes de la raison , entendit répéter de tous côtés le cri de trahison , devons-nous être sur- pris de le voir tomber sur les partisans de Go- LiGNi et n'épargner aucun de ceux de cette secte qui s'ofiVirent à ses coups. Si nous considérons ce meurtre sous ce rapport, et surtout si nous re- marquons que c'est le fils du duc de Guise assas- siné par GoLiGNi qui entraîna les autres, n'est- ce pas mentir à la vérité, et d'une manière mons- trueuse, que d'attribuer ce massacre aux principes de la religion catholique? Nous pourrions avec autant de justice attribuer l'acte de Belling- HAM ( qui envoya chercher son livre de prières quand il fut arrivé à Newgate ) aux principes de l'église d'Angleterre. C'est ce que personne n'a jamais eu la bassesse ni l'impudence de faire ; mais pourquoi donc y a-t-il des hommes qui por- tent la bassesse et l'impudence jusqu'à attribuer ce massacre aux principes de la religion catho- lique ?

292. Le massacre surpassa de beaucoup à Paris les désirs de la cour , et l'on dépêcha aussitôt des ordres dans les grandes villes de province pour prévenir des scènes semblables. Ce mas- sacre cependant fut répété dans plusieurs en- droits ; mais quoique quelques écrivains protes- tans aient fait monter le nombre des personnes

Lettiœ X. 345

tuées dans cette occasion à cent mille, un compte publié en i582 , et établi d'après les comptes recueillis par les ministres dans les diliérentes villes , ne fait monter ce nombre pour toute la France qu'à sept cent quatre-vingt-six person- nes ! Le docteur Lingard (note T. vol. V) dit à ce sujet avec sa sincérité ordinaire : « Si nous » doublons ce nombre , nous ne nous éloigne- j) rons pas beaucoup de la vérité. » Les écri- vains protestans firent d'abord monter ce nombre à cent mille : plus tard il tomba à soixante-dix mille ^ ensuite à trente mille; puis à vingt mille, à quinze mille et enfin à dix mille; mais tou- jours en nombres ronds. L'un d'eux dans un mo- ment d'indiscrétion voulut avoir des ministres eux-mêmes les noms des personnes qui y avaient péri; et ce fut alors que leur nombre ne se trouva pas dépasser sept cent quatre-vingt-six !

293. On ne peut penser à ce nombre sans fré- mir; et cependant il n'égalait pas même la moi- tié des Anglais catholiques que la bonne reine Bess avait, à cette époque (la i4^ année de son reloue) ^ fait éventrer, torturer , jusqu'à ce que les os sortissent de leurs articulations ^ et fait expédier ou mourir d'une manière quelconque, en prison ou en exil, quoiqu'ils ne fussent cou- pables ni de révoltes, ni de trahisons, ni de pil- lages, ni d'assassinats comme Coligni et ses par- tisans, mais seulement et simplement parce qu'ils étaient attachés à la religion de leurs ancêtres

346 Réforme PROTESTA^TE.

et des siens, à la religion qu'elle avait pratiquée elle-même publiquement pendant plusieurs an- nées, et à laquelle elle avait juré solennellement être sincèrement attachée! Les annales de l'hy- pocrisie jointe à l'impudence ne présentent rien qui puisse être comparé à la conduite qu'elle tint à l'occasion de la Saint-Barthélemi. Tous les jours elle faisait torturer, presque jusqu'à la mort, quelques-uns de ses sujets pour en tirer de pré- tendus secrets -, tous les jours elle faisait arra- cher les entrailles à des femmes aussi-bien qu'à des hommes , parce qu'ils avaient assisté à la messe, quoique les églises de l'Angleterre n'eus- sent été élevées que pour la célébration de cette cérémonie ; tous les jours elle mutilait , tortu- rait et égorgeait ses sujets innocens et religieux, et elle ne craignit pas , lorsque l'ambassadeur français vint lui remettre , de la part du roi de France, l'explication de la cause du massa- cre , de le recevoir en grand deuil avec toutes les femmes de sa cour , et de lui donner tou- tes sortes de signes de mécontentement. Mais son bvpocrisie la porta un peu trop loin lorsqu'a- ])rès avoir fait quelques représentations à son bon frère le roi de France , elle ajouta qu'elle at- tendait de lui quelque i/idulgence pour ses pro- pres sujets protestans , car la reine-mère, dans fca réponse à la bonne Bess, lui fit observer que quant à ce point , son fds ne pourrait suivre un guide plus sCa- que sa lionne sœur d'Angle-

Lettre X. 347

terre ; que si , comme elle , il ne voulait for- cer la conscience de personne , comme elle aussi il était résolu à ne pas laisser pratiquer d'au- tie religion que celle qu'il pratiquait. La reine- mère était pourtant encore bien loin derrière la bonne Betsy ; car non-seulement elle punissait la pratique de toute religion qui n'était pas la sienne, mais elle punissait encore ceux qui ne pratiquaient pas sa propre religion , quoiqu'elle eut apostasie publiquement, et même d'api es des motifs évideuiment intéressés.

294. Mais il y a un fait qui fait bien con- naître la sincérité de la bonne Betsy dans cette occasion mémorable, ainsi que la même qualité qui la porta à professer qu'elle \oulait vivre et mourir reine-vierge. Le parlemeiit et ses mi- nistres redoutant celle qui devait lui succéder, et désirant éloigner du trône la branche écos- saise de la famille royale , ]a pressèrent plu- sieurs fois de se marier. Elle rejeta toujours leurs avis. Son amour pour la virgi?iitc lui fit toujours préférer avec les hommes ce genre do' commerce que je n'ai pas besoin d'indiquer d une manière plus spéciale. Ses amours avec Leices- ter, dont nous aurons souvent occasion de par- ler , furent connus de tout le monde , et même ils ont été rapportés avec beaucoup de détails par plusieurs historiens protestans dont quelques- uns ont appartenu au clergé de l'église d'An- gleterre j il est encore bien connu que ses amours

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furent le sujet d'une pièce que l'on joua sous le règne de Charles IL A l'époque de la Saint- Barthélemi , elle était dans sa trente-neuvième année, et depuis long-temps elle entretenait avec Leicester le commerce dont je viens de parler. Dix ans plus tard , soit à cause de l'âge avancé i du comte de Leicester, soit pour toute autre raison , son amour pour la vii'ginité sembla aban- donner tout à coup la bonne Betsy. Elle pencha pour le mariage , et comme elle était alors âgée de quarante-neuf ans , elle n'avait eertainement pas de temps à perdre pour avoir un héritier qui lui succédât sur le trône. Dans la treizième année de son règne , elle avait approuvé un acte qui assurait la couronne à ses eiifans naturels , d'après lequel tout bâtard qu'elle aurait eu , peu importe de qui , devait hériter du trône; et d'a- près le même acte , celui qui niait que cette lignée pût en hériter était coupable de haute- trahison. Cet acte, qui existe encore dans le livre des statuts, i3 Eliz. chap, i , S. 2, est une preuve de la débauche la plus déboutée que l'on ait jamais vue chez une femme, et il est bien éton- nant qu'un acte aussi infâme et aussi honteux pour la nation soit resté jusqu'à ce jour écrit au milieu des autres actes. La bonne Betsy se résolut cependant à embrasser le mariage à qua- rante-neuf ans , et comme son brutal père était toujours occupé à chercher une jeune femme , ainsi la vierge Betsy se mit à chercher un jeune

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mari. Et pour convaincre le monde de la sin- cérité de l'horreur que lui avait fait éprouver le massacre de la Saint-Barthélemi , sur qui de- vait-elle jeter son choix pour partager ses des- tinées, si ce n'est sur le duc d^ANJOU, frère de Charles IX, qui avait pai^ticipé à ces ac- tes sanglans pour lesquels elle avait pris le deuil avec ses clames de coiir^ toutes bien di- gnes d'elle ! Le duc n'était pas beau , mais il avait ce que les Français appellent la beauté du Diable : il était jeune, n'avait que vingt-huit ans, et son vieil amoureux Leicester en avait alors cinquante. Betsy, quoique déjà pourvue elle-même d'un bon nombre d'années, avait encore une dent de lait. Ses ministres et la nation , qui virent tous les dangers auxquels cette union exposait l'indépendance de leur pays, s'y opposèrent avec force et finirent par l'en détourner. Mais elle fit poursuivre un écri- vain de Lincoln's-inn qui avait publié un pam- phlet contre ce mariage. Il eut la main coupée pour avoir voulu , inspiré par le bien public , contribuer à sauver l'Angleterre de la ruine elle allait être entraînée par les désirs insatia- bles d'une vieille femme sans mœurs et sans honte dans ses débauches. Ce qu'on avait dit de son monstre de père , qu'il n'épargnait aucun homme dans sa colère ni aucune femme dans sa passion, on eût pu le dire, en ne changeant que quelques expressions , de son infâme fille

35ô Réforme Protestante.

qui aclieva cette " Réforme ; " et c'est à peu près ce que l'on pourrait dire de presque tous ceux qui , dans des postes éminens , contribuè- rent à hâter pour l'Angleterre cet événement qui l'a appauvrie et dégradée.

295. ISous devons , avant d'arriver aux trois grands actes du long règne de cette méchante femme, savoir, le meurtre de Marie Stuart, reine d'Ecosse , sa guerre contre l'Espagne , et sa punition de l'Irlande , malheureux pays qui conserve encore des marques de ses fureurs, nous devons, dis-je, faire connaissance avec les noms et les caractères de quelques-uns de ses prin- cipaux conseillers et coopérateurs : car sans cela, nous ne comprendrions qu'avec peine beaucoup de choses que nous devons cependant concevoir bien clairement.

296. Leicester servait de favori à la reine dans toutes les occasions : le docteur Hayliint ( histoire de la Réforme ) le fait connaître en ces mots : Aussitôt qu'ELisABETH fut montée sur le trône elle fit Sir Robert Dudley ( se- cond fils du duc de Northumberland, le traître qui avait été exécuté pendant le dernier règne ) lord Denbeigh et duc de Leicester , chancelier de l'université d'Oxford et chevalier de la Jar- retière , après l'avoir nommé son écuyer ; elle lui donna alors le beau manoir de Denbeigh d'où relevaient plus de seigneurs que d'aucun autre en Angleterre qui appartînt à un sujet ,

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et y ajoiila encore le joli chateau de Kenilworlli. Arrivé à ce haut point de faveur , il s'empara de la nomination à toutes les places , soit de la cour , soit de l'état , et de tous les avancemens dans l'église ; enfin son implacable méchanceté , ses passions insatiables , ses rapines sacrilèges , sa fausseté et sa perfidie furent telles , il disposa avec tant d'injustice de la vie et des propriétés des individus , que son petit doigt pesa plus sur les Anglais que tous les favoris ensemble des deux derniers rois. ( Et rappelez-vous que ces deux rois furent Henri ^Ul qui savait si bien pil- ler et confisquer, et Edouard VI ! ) Et afin de faire tolérer ces vices monstrueux , ou d'em- pêcher toutes plaintes , il les couvrit d'un zèle apparent pour la vraie religion , et se mit à la tête de la faction des puritains qui ne s'é- pargnèrent aucune peine pour le combler de louanges ; il ne manquait pas lui-même de les flatter de la manière qui paraissait la plus agréa- ble à ces saints hypocrites, n'employant dans ses discours et dans ses lettres que des phrases ti- rées de l'Écriture, et en cela il était aussi ha- bile que s'il eût été inspiré comme les écrivains sacrés. Nous ne devons point oublier que ce ca- ractère est tracé par uu docteur de l'église d'An- gleterre (de l'église de Betsj), dans un ouvrage dédié au roi Charles II. Elle voulait certaine- ment épouser Leicester, qui, comme tout le monde le croyait , avait fait mourir sa propre

352 Réforme Protestante.

femme afin de faciliter son mariage. Elle en fut empêchée par les rapports que lui firent ses am- bassadeurs de ce que l'on disait dans les cours étrangères sur cette affaire odieuse , et par les remontrances de ses autres ministres. Higgons, historien d'un grand talent et d'une véracité rare, rapporte expressément que Leicester fit mourir sa première femme afin d'épouser la reine. Il épousa plus tard en secret une seconde femme qu'il empoisonna parce qu'elle refusait de di- vorcer , lorsqu'il en voulait prendre une troi- sième : c'est au moins ce que l'on trouve dans un ouvrage appelé Leicester's republic , qui pa- rut en i568. Malgré toufi ces crimes, cet homme, ou plutôt ce monstre , conserva tout son pou- voir, ses richesses, sa faveur auprès de la vierge- reine jusqu'au dernier jour de sa vie qui finit en i588, après trente années de pillage et de tyrannie exercés sur le peuple anglais. Il fut un réformateur de rehgion bien digne d'être en- rôlé avec les Henri VIII, Cranmer, Thomas Cromwell et la bonne reine Bess.

297. Sir William Cecil occupait le premier rang après Leicester. Il était le secrétaire d'état de la reine ; mais ensuite elle le fit lord avec le titre de Burleigh , et le fit aussi lord- tréso- rier, il avait été protestant sous le règne d'E- DOUARD VI, lorsqu'il était secrétaire d'abord sous le protecteur Sommerset , qu'il abandonna pour s'attacher à Dudley lorsque celui-ci l'emporta

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sur Sommerset : ce fut lui qui dressa l'instru- ment de trahison par lequel Edouard, au lit de la mort , deshérita ses sœurs Marie et Eli- sabeth. Marie lui ayant pardonné sa trahison , il devint un catholique très-fervent , et s'enga- gea comme volontaire avec les autres , pour aller jusqu'à Bruxelles au-devant du cardinal Pole; mais le vent ayant changé , il redevint protes- tant de nouveau, et secrétaire d'état de la bonne Betsy, qui ne s'inquiétait jamais du caractère ni des principes de ceux qu'elle employait, pourvu qu'ils fussent propres à ce qu'elle se proposait d'eux. Ce Cecil qui avait de grands moyens , et encore plus de prudence et de fmesse , fut le principal appui de son trône pendant les qua- rante-trois ans qu'elle régna. Il mourut en iSgS, âgé de soixante- dix-sept ans. Si l'on ne consi- dère que le succès , la facilité à trouver des ex- pédiens -, s'il suffit d'arriver à son but sans exa- miner les moyens, si encore l'on doit fouler aux pieds la sincérité, la vérité, les lois, la justice et la piété ; si l'apostasie , le parjure , la faus- seté , l'effusion du sang innocent ne méritent pas la moindre attention , ce Cecil fut certai- nement le plus '' grand homme d'état ^' qui ait jamais vécu. Il eut plus qu'aucun autre la confiance de la reine qui, lorsqu'il devint vieux et que ses membres pouvaient à peine le sup- porter , avait coutume de le faire asseoir devant elle en lui disant dans le style mâle et empha-

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354 Réforme Protestante.

tique qui lui était ordinaire : Je vous fais ve- nir ici non pour vos faibles jambes , mais pour votre forte tête.

098. Francis Walsingham devint secrétaire d'état après Cecil 5 mais la reine l'avait presque toujours employé depuis le commencement de son règne , elle l'avait chargé de plusieurs am- bassades auprès de différentes cours; il avait né- gocié plusieurs traités; il était excessivement pru- dent et très-rusé , mais ne s'occupait nullement des moyens pourvu qu'il arrivât à son but. On dit de lui qu'il entretenait cinquante -trois agens et dix-huit espions dans les cours étrangères ; il persécuta avec acharnement les catholiques , mais avant de mourir, en iSgo, il éprouva lui- même un peu de cette tyrannie , de cette in- gratitude et de cette dureté qu'il avait pendant si long-temps contribué à faire peser sur tant d'innocens.

29g. Paulet Saint- Je an, marquis de Win- chester. Celui-ci ne fut pas un homme d'état comme beaucoup d'autres , il n'était qu'en se- conde ligne, il présida des tribunaux et fut em- ployé à d'autres œuvres semblables. Je ne parle ici de Paulet que pour donner un échantillon des moeurs et de la conduite de ceux qui firent et soutinrent la fameuse " Piéforme. " Ce Paulet ( le premier noble de sa famille ) commença par être maître d'hôtel de l'évêque de Winchester, dans le temps de l'évêque Fox , sous le règne

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de Henri VII. Le brutal Henri VIII le fit tré- sorier de la maison du roi, et comme il entrait avec ardeur dans toutes les vues de ce "défenseur de la foi " , il devint lord Saint- Jean. Il fut l'un des fameux exécuteurs qui devaient faire accomplir la volonté de Henri VIII, quoique ce- lui-ci eût enjoint à ces hommes de conserver avec soin sa religion à jnoitié catholique. Paulet devint sous le règne d'Edouard un protestant zélé , et il conserva ses places et ses revenus , outre ce qu'il se procurait de temps en temps sur les dépouilles des églises et des pauvres. Lors- qu'il vit que Dudley était sur le point de supplanter Sommerset, ce qui arriva en effet, Paulet se joignit à Dudley; il présida le jugement et prononça la sentence de mort contre Sommerset, dont le seul nom, deux années plus tôt, dit Milner, l'au- rait fait trembler : Dudley le fit d'abord duc de Tf^iltschire et ensuite marquis de T^inchester, et lui donna le palais de l'évêque de Winchester, comme évêque de Waltham avec d'autres dé- pouilles de cet évêché. Lorsque Marie monta sur le trône , il devint encore une fois catho- lique , et continua de jouir de ses places et de ses revenus. Non-seulement il redevint catholi- que , mais un catholique furieux , et il fut le plus actif, le plus ardent de tous les persécu- teurs de ces mêmes protestans, à la communion desquels il s'était fait une gloire d'appartenir, deux années seulement auparavant. On nous a

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356 Réforme Protestante.

souvent entretenus des cruautés du sanguinaire évêque Bonker; mais on ne nous a pas dit que ce marquis de Winchester, comme président du conseil , réprimandait souvent Bonner dans des termes très-durs, parce qu'il ne mettait pas assez de zèle et cV activité à envoyer les protestans à la potence ! Fox dit que parmi les membres du conseil le marquis de Pf^inchester fut celui qui mit le plus d'ardeur à ces persécutions. Mais quand Marie fut morte, Elisabeth ayant résolu d'exterminer les catholiques, Pau let re- devint aussitôt protestant et le plus cruel per- sécuteur de ces derniers; il fut nommé président de plusieurs commissions pour les condamner à mort , et il jouissait d'une telle faveur auprès de la bonne Bess , qu'elle disait que s'il n'é- tait pas aussi vieux elle le préférerait comme mari à tout autre de ses sujets. Il mourut dans la treizième année de son règne, âgé de quatre- vingt-dix-sept ans, étant resté en place sous le règne de cinq souverains, et ayant changé quatre fois de religion pour se conformer aux cliange- raens faits par quatre d'entre eux. Un historien français rapporte que quelqu'un ayant demandé à Paulet comment il avait pu en traversant tant de tempêtes , non-seulement ne pas être ren- versé mais même aller toujours en s'élevant, il répondit : « en étant un saule, et non un chêne. » Notre premier ministre actuel, qui, en 1822, au moment l'on faisait une collecte pour les

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Irlandais qui mouraient de faim , attribua la dé- tresse de ce pays à une surabondance de nour- riture , paraît aussi appartenir à cette espèce de saules; car, à quinze mois près, il a toujours été en place depuis qu'il est homme. Il com- mença d'abord sous Pitt; Pitt sortit , et il s'attacha à Addington; après Addington , il s'attacha de nouveau à Pitt. Il fut complètement chassé par les JP^higs , mais il revint encore avec le duc de Pop^tland, s'attacha à Perceval, et à la fin arriva lui-même au sommet il se maintiendra le restant de ses jours, à moins que Forage qui gronde sur le papier monnaie n'ar- rache même les saules par la racine. Quant à ce qu'eût fait ce saint homme , s'il y avait eu un changement de religion à chaque changement de ministère, je ne prétends pas le dire.

3oo. Tels étaient les instrumens dont la bonne Bess devait se servir. Nous allons voir à présent comment ils se comportèrent envers Marie Stuart, cette fameuse et infortunée reine d'E- cosse. Il est impossible , si l'on ne remonte pas à son histoire , de faire comprendre clairement comment Betsy put établir la rehgion protes- tante en Angleterre malgré le peuple anglais : car ce fut malgré la masse presqu'entière du peu- ple de tout rang et de tout ordre. Elle égorgea , c'est-à-dire , elle éventra plusieurs centaines d'en- tre eux , elle en fit mettre un grand nombre à la torture ; elle en fit mourir plusieurs milliers

358 Réforme Protestante.

de différentes manières et elle en réduisit à la mendicité un nombre égal à la population de l'un des petits comtés de l'Angleterre , pour ne rien dire en ce moment de la grande boucherie d'Irlande. Nous ne pouvons comprendre com- ment elle fut capable de faire tout cela ; com- ment elle vint à bout de faire faire au parle- ment tant de choses monstrueuses ; comment elle put le faire consentir à un acte d'après lequel , si elle avait un bâtard , le trône lui appartien- drait, et qui déclarait coupable de haute-trahison ceux qui niaient qu'un bâtard pût être le légi- time héritier du trône , on ne peut s'expliquer comment elle put rester en Angleterre après cet acte d'une infamie ineffaçable , le meurtre de Marie Stuart j il nous est impossible de com- prendre les causes de ces événemens si nous ne connaissons pas l'histoire de Marie , et si nous ne voyons pas ce qui a influencé les Anglais à cette époque intéressante dont les actes ont été si dé- cisifs pour la destinée de la religion catholique en Angleterre.

3oi. Marie Stuart, née en i543 , ( neuf ans après la naissance d'Elisabeth ) , était fille de Jacques V, roi d'Ecosse, et de Marie de Lorraine, sœur de ce brave et patriotique seigneur le duc de Guise qui , comme nous l'a- vons vu, avait été si lâchement assassiné par le perfide Coligni. Marie Stuart n'était âgée que de huit jours lorsqu'elle perdit son père , de sorte

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iju'elle était encore au berceau lorsqu'elle de- vint reine d'Ecosse. Son père ( Jacques V ) était iils de Jacques IV, et de IMarguerite, sœur aînée du vieux sauvage Henri YIII. Le " défenseur de la foi " voulait faire épouser Marie Stuart à son fils Edouard, et réunir par ce moyen l'E- cosse à l'Angleterre. La famille des Guise ne pouvait se laisser surprendre par le vieux dé- fenseur. On établit une régence en Ecosse , et Marie Stuart fut amenée en France elle reçut son éducation , et elle parut toujours avoir placé ses affections. Les Français voulant s'assurer l'Ecosse comme une alliée fidèle contre les Anglais, fiancèrent Marie Stuart à François, dauphin de Fiance, fils et successeur de Henri II, roi de France. Elle l'épousa en i558, âgée de dix-sept ans, quoiqu'il eût deux ans de moins qu'elle, l'année même Elisabeth monta sur le trône d'Angleterre.

3o2. Ce que le vieux Henri avait tant re- douté , ce qui avait causé tant d'elïVoi à ses con- seillers et à son peuple venait précisément d'ar- river. Edouard était mort, la reine Marie était morte , et comme Elisabeth était bâtarde de fait et de droit, Marie Stuart était l'hé- ritière du trône d' Angleterre , et elle était actuellement la femme de l'héritier immédiat du roi de France. Rien ne pouvait arriver plus à propos pour Elisabeth. La nation n'avait qu'un choix à faire : il fallait la prendre et la sou-

36o Réforme Protestante.

tenir, ou se déterminer à devenir une grande province de la France. Si Elisabeth était morte à cette époque , ou même avant sa sœur Marie, l'Angleterre aurait été obligée de se voir ainsi abaissée, ou de créer une nouvelle dynas- tie ou de se former en république. Telle fut la raison pour laquelle tous s'entendirent, catho- liques et protestans , pour placer et soutenir Elisabeth sur le trône et pour s'opposer à Marie Stuart, quoi qu'elle fût sans aucun doute la légitime héritière de la couronne d'An- gleterre.

3o3. Et comme pour ajouter un nouveau poids à ce motif qui était déjà assez important par lui- même , Henri II, roi de France, vint à mourir huit mois après qu'ELisABETH fut montée sur le trône, de sorte que Marie Stuart était en iSSg reine épouse de France, reine d'Ecosse et se disait reine d'Angleterre; elle portait ainsi que son mari les armes d'Angleterre avec celles de France et d'Ecosse; et le Pape avait refusé de reconnaître le droit d'ELisAsETH au trône. Ainsi, comme l'avait prévu le vieux Henri , lorsque dans son testament il avait laissé de côté la bran- che écossaise de sa famille , l'Angleterre allait passer au pouvoir de la France si la nation ne s'opposait à la décision du Pape et ne soutenait Elisabeth.

804. Telle fut la vraie cause des succès d'E- lisabeth dans la destruction de la religion ca-

Lettre X. 36 1

tholique en Angleterre. D'après la décision du Chef de l'Eglise catholique , Elisabeth était une usurpatrice j si elle était une usurpatrice , elle devait se retirer; si elle se retirait, Marie Stuart et le roi de France devenaient reine et roi d'An- gleterre ; s'ils devenaient reine et roi d'Angle- terre, l'Angletrre n'était plus qu'une simple pro- vince gouvernée par des Ecossais et des Français : idée qui seule suffisait pour faire faire au peuple anglais les plus grands sacrifices. Tous les hom- mes dès-lors de quelque rang qu'ils fussent, ca- tholiques ou protestans , s'attachèrent à Elisa- beth. La conservation de sa vie devint un objet cher à tout son peuple; et quoique ses cruautés dans un ou deux cas aient armé les catholiques contre le roi , ils agirent toujours envers elle aussi loyalement que ses sujets protestans ; et même lorsqu'elle enfonçait son instrument meur- trier dans leurs entrailles , ils déclaraient tous , sans exception , qu'elle était leur reine légitime. La décision du Pape, en elle-même très-juste, se trouvait , par une combinaison de malheu- reuses circonstances , si opposée dans ses con- séquences évidentes et inévitables à la grandeur, aux lois, aux libertés , à l'honneur national des Anglais , qu'ils furent réduits à la nécessité ab- solue de se refuser à cette décision ou de voir rayer leurs noms d'entre celui des nations. Mais observez que cet embarras et tous les dangers et les malheurs qu'il produisit , furent entière-

36i Réforme Puo

TESTANTE.

ment dus à la " réforme. " Si le vieux saauage Henri eût écouté sir Thomas More et l'évê- que FiSHER , il n'y aurait eu aucun obstacle au mariage de son tils avec Marie Stuart, et en outre il n'aurait point eu d'enfans dont la légitimité eût pu être contestée , et même , d'a- près les calculs de la probabilité humaine, peut- être eùt-il eu plusieurs enfans qui auraient été les légitimes héritiers du trône d'Angleterre.

oo5. C'est ici que nous trouvons la grande et en effet la seule cause des succès qu'eut Eli- sabeth lorsqu'elle voulut renverser la religion catholique. Tout son peuple était catholique , comme il l'avait montré clairement lorsque Marie était montée sur le trône. Elisabeth ne le céda en tyrannie ù aucun autre, elle fut la plus cruelle des femmes j ses dégoûtantes amours étaient pu- bliques , et cependant elle fut le souverain le plus populaire qui eut jamais existé depuis le temps d'ALFRED ; et nous avons beaucoup de preuves du grand intérêt que prenaient tous ses sujets de quelque rang qu'ils fussent à tout ce qui concernait sa vie ou sa santé. Des eflets comme ceux-ci ne tiennent pas à des causes or- dinaires. Les cruautés , presque sans exemple , qu'elle exerça envers un grand nombre de ses sujets, ses infâmes perfidies, sa hauteur, son in- solence et sa vie débauchée devaient la faire dé- tester et faire désirer à son peuple tout ce qui pourrait l'en débarrasser. Mais ils ne voyaient

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qu'elle entre eux et une domination étrangère, ce qui leur avait toujours inspiré la plus grande horreur. Telle fut aussi la cause pour laquelle le parlement qui n'avait pu obtenir d'elle qu'elle se mariât fit cet acte par lequel ses enfans na- turels étaient déclarés héritiers légitimes de sa couronne. Witaker ( ministre de l'Eglise d'Angle- terre ) appelle cet acte infâme. Considéré en lui- même il méritait bien ce nom , mais cette honte dont , au premier abord , il semble couvrir la nation, disparaît lorsqu'on est pénétré de ce que j'ai dit plus haut. Le grand objet de l'inquié- tude de la nation anglaise à cette époque était de se soustraire à Marie Stuart et à la do- rnination des Ecossais et des Français. Hume , qui toujours médite quelque hostilité contre la religion catholique , attribue la popularité dont jouit Elisabeth au dégoût qu'avait le peuple pour ce qu'il appelle la superstition romaine, Wita- ker attribue la destruction de la religion catho- lique au choix du peuple et non à la reine. Les écrivains catholiques l'attribuent à ses cruau- tés, et en cela ils ont bien raison ; mais ils n'ex- pliquent pas, comme j'ai tâché de le faire, com- ment elle a pu commettre impunément des cruau- tés si honteuses et si inouies. Enfin pour la nation la question se réduisait à ces deux propositions : la rehgion Protestante , Elisabeth et l'indé- pendance ; ou la religion cathohque , Marée Stuart et l'asservissement aux étran'iurs. Ils se

364 Réforme Protestakte.

décidèrent pour la première, et de toutes les calamités et la fin tragique de la reine d'Ecosse. 3o6. Marie Stuart était en i559( comme nous l'avons vu paragraphe 3o3 ) arrivée au plus haut point de gloire dont on puisse jouir sur la terre , elle était en même temps reine- épouse de France, reine régnante d'Ecosse, reine légi- time d'Angleterre, et elle était en outre regar- dée comme l'une des plus belles femmes du monde. Jamais chute ne fut semblable à celle de cette reine. Son mari François II mourut dix-neuf mois après son avènement au trône et eut pour successeur Charles IX, âgé alors seulement de trois ans. La mère de son mari la convainquit bientôt que pour être quelque chose il lui fal- lait retourner en Ecosse. Elle partit pour l'E- cosse, accablée de tristesse, espérant bien peu de repos dans un pays qui était plongé dans toutes les horreurs de la " Réforme " et plus profondément encore que l'Angleterre elle-même. Pendant sa longue minorité et son absence de ses états, il s'était formé plusieurs factions de nobles qui triom- phaient alternativement l'une de l'autre et qui entrenaient dans l'état une guerre civile pres- que continuelle accompagnée d'actes de perfidie et de férocité, et dont on trouverait difficilement un exemple dans l'histoire ancienne ou moderne j ajoutez-y l'œuvre des nouveaux saints qui avaient porté la " réforme " beaucoup plus loin qu'en An- gleterre. Le fameux John Knox, moine apos-

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tat, que Johnson appelle le scélérat de la " Ré- forme y ^' était à la tête des saints hyprocrites de l'Ecosse ( c'est ainsi que le docteur Heylin les appelle ). Marie qui avait été élevée dans le culte catholique , et qui avait été adorée à la cour de France , pouvait-elle mener une vie heureuse chez un peuple comme celui-ci?

Scy. Cependant Elisabeth, ses ministres et le peuple Anglais ( car nous ne devons rien dé- guiser ) virent ces malheurs avec une grande et peu généreuse satisfaction. Pour le présent au moins ils n'avaient plus à redouter les dan- gers de l'union de l'Ecosse avec la France. Mais Marie Stuart pouvait contracter un nouveau mariage. Elle était toujours unie à la puissante famille des Guise, et elle était encore une per- sonne redoutable, surtout pour Elisabeth. Si Marie eût été un homme, Betsy l'aurait épou- sée; mais c'était une difficulté que Cecil lui- même ne pouvait surmonter. La reine d'Angle- terre commença bientôt à susciter contre sa cousine des factions et des révoltes ; par ses intriejues avec les factions religieuses et avec les nobles ambitieux , elle devint en peu de temps , et à l'aide de son argent ( moyen qui réussissait in- failliblement avec les " réformateurs " écossais ) plus puissante en Ecosse que la pauvre Marie elle-même. Elle entretint à la cour pendant la plus grande partie de son règne une bande de l'une ou de l'autre de ces factions : son but était

366 Réforme Protestante.

d'empêcher Marie de posséder la moindre au- torité et de la faire périr , si cela était possi- ble , d'une manière quelconque , pourvu que le crime restât caché.

3o8. En i565 , trois ans environ après son retour en Ecosse, Marie épousa Henri Stuart duc de Darnley, son cousin. En cela elle trompa la reine d'Angleterre qui , craignant de voir naître de ce mariage un héritier pour son propre trône ( ce qui arriva réellement ) prit des mesures désespérées pour l'empêcher ; mais ces mesures arrivèrent trop tard. Darnley, quoique jeune et beau, se comporta comme un mari indiscret , et devint désagréable. Au fond il était Protes- tant ; Marie le traita bientôt avec mépris , ne lui laissa aucune autorité réelle, et enfin le ban- nit de sa cour et le désavoua. Darnley voulut se venger. Il attribua les mauvais trailemens qu'il éprouvait aux avis et à l'influence des favoris catholiques, et surtout à Rizio, étranger, se- crétaire privé de JNÏarie. Plusieurs nobles qui avaient lieu d'être mécontens se joignirent à Darn- ley, et convinrent à l'aider à assassiner Rizio, ayant soin de se faire donner de lui un billet qui devait les garantir contre toutes les consé- quences fâcheuses de ce crime. Marie était à souper avec quelques dames de sa cour , Rizio et d'autres serviteurs attendant qu'on eut besoin d'eux, lorsque les conspirateurs arrivèrent. Darn- ley se plaça derrière la chaise de la reine : Ri-

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zio qui avait deviné leur dessein accourt pour se mettre sous la protection de la reine. Elle était alors enceinte de sept mois, et elle cher- cha à lui sauver la vie par ses prières et par ses cris ; mais les assassins le poignardèrent à ses pieds, et l'ayant entraîné ils couvrirent son corps de blessures.

Sog. Cet acte affreux et sanglant, pour lequel aucun des complices de Darnley ne fut jamais puni , fut sans doute la cause et la principale cause de la mort juste quoiqu'iilégale de Darn- ley lui-même. L'année qui suivit le meurtre de Rizio ( iSôy ) Marie ayant dans l'intervalle rais au monde un fds ( qui fut notre Jacques I, à moitié catholique et à moitié puritain ), Darnley fut malade à Glasgow. La reine vint le voir , le traita avec beaucoup de bonté , et lorsqu'il fut rétabli , elle le ramena à Edimbourg ; pour le faire jouir d'un air plus pur , elle le plaça dans une maison séparée, à quelque distance des autres maisons , et hors de la ville , elle le visitait tous les jours , et elle couchait cha- que nuit dans une chambre qui était immédiate- ment au-dessous de la sienne. Mais le lo février au soir , elle lui dit qu'elle coucherait dans son palais parce qu'elle avait promis d'assister au mariage de deux personnes de la cour. Ce ma- riage eut lieu en effet et la reine y assista. Ce fut dans cette nuit même que la maison était le roi sauta par une explosion de poudre ; son

368 Réforme Protestante.

corps fut lancé dans un champ voisin : si la poudre avait laissé à cet homme vil et sangui- naire le temps de réfléchir, peut-être eût-il pensé aux coups de poignard dont il avait accablé Rizio, malgré les cris d'une femme enceinte et dé- faillante.

3io. Ce fut alors que commencèrent les gran- des et longues calamités de cette infortunée reine. Elle avait été plusieurs fois insultée et même emprisonnée par les différentes factions qui, ani- mées et secourues par la reine d'Angleterre, l'ac- cablaient alternativement elle et son peuple; mais à présent elle doit mener la vie et subir la mort d'un malfaiteur. On a prouvé sans réplique que le duc de Both WELL lié avec d'autres complices par un pacte sanguinaire avait fait périr Darn- ley. Ceci fut dit publiquement et affiché dans les rues : on dit aussi que Marie avait parti- cipé au complot. On ne put jamais en avancer une preuve bien évidente , mais la conduite que tint ensuite la reine était peu propre à chasser les soupçons. Je ne vais rapporter ici que les faits qui sont admis par tous les écrivains. Both- well, avant la mort de Darnley, avait joui d'une grande faveur auprès de la reine, et il en avait reçu un pouvoir auquel ni ses talens , ni ses mœurs ne lui donnaient le droit de prétendre : après le meurtre , il en fut acquitté par un faux jugement qu'elle aurait pu prévenir. Le 2 3 avril (environ deux mois après le meurtre), lorsqu'elle

Lettre X. 869

revenait de voir son petit enfant , elle fut en- levée par Bothwell à la tête de trois mille ca- valiers , et emmenée dans son cliâteau de Dun- bar ; avant de quitter le château , le 3 de mai , elle consentit à l'épouser. Dans ce moment il avait sa femme , mais il s'en sépara par un di- vorce protestant et catholique^ dans l'espace de six jours, et qui fut accordé dans une cour pour cause d'adultère , et dans l'autre pour cause de parenté. Le 12 mai Bothwell conduisit la reine devant un tribunal , et , en présence des ju- ges , elle lui pardonna la violence qu'il avait commise sur sa personne ; le i5 mai elle l'é- pousa publiquement : l'ambassadeur de France ne voulut point assister à la cérémonie , et dans ce cas Marie refusa d'écouter les avis de la fa- mille des Guises.

3 1 1 . Un grand nombre de volumes ont été écrits sur ce sujet , les uns pour prouver que Marie avait consenti au meurtre de son mari, les autres pour soutenir la proposition opposée. Ses ennemis citèrent des lettres et des sonnets qu'ils disaient avoir été adressés par Marie à Bothwell avant la mort de son mari. Ses amis nient l'authenticité de ces lettres , et je crois leurs rai- sons assez fondées. Witaker, Anglais, recteur de l'Église d'Angleterre , qui a beaucoup écrit con- tre la religion catholique, défend Maire de la charge d'avoir été complice ou d'avoir eu an- térieurement connaissance du meurtre de son

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370 Reforme Protestante.

mari. Mais personne ne peut nier les faits que je viens de citer ; personne ne peut nier qu'elle fut enlevée par Bothv^ell ; qu'après avoir recou- vré la liberté, elle lui pardonna, et qu'elle Vé- pousa aussitôt , quoique cette action remplît d'horreur la famille des Guises qu'elle avait tou- jours écoutée jusqu'alors avec la docilité d'une fille obéissante.

3 12. Cette conduite choquante, qui était bien aussi capable que le meurtre d'un coquin tel que Darnley d'exciter contre elle une haine uni- verselle, fut suivie promptement d'une punition effrayante. Une partie de ses sujets s'armèrent contre elle , défirent Botliwell qui fut obligé de quitter le pays, et qui peu d'années après mou- rut en prison dans le Danemarck. Elle se trouva elle-même prisonnière de ses propres sujets , et elle ne sortit de la prison ils l'avaient ren- fermée que pour venir perdre la vie dans celle d'ÉLisABETH, sa ruséc et mortelle ennemie.

3i3. Les rebelles étaient commandés par le duc de Murray, fils naturel du père de Marie, et qui fut pour elle un frère cruel et dénaturé. Il avait fait emprisonner et déposer la reine , avait fait couronner son fils, âgé de treize mois, et s'était fait nommer lui-même régent du royau- me. Murray avait commencé par être non-seu- lement catholique , mais même ecclésiastique ; il était prieur de saint André ; mais croyant pouvoir gagner quelque chose par l'apostasie , il

Lettre X. 3^i

apostasia, comme Knox, et dès-lors viola son serment ; Witaker dit de lui " que bien qu'il " se fût rendu coupable des crimes les plus " monstrueux , les réformés de celte époque l'ap- " pelaient encore un bon homme. " Le but de tous ses désirs était de détruire la religion ca- tholique, c'était ce qu'il regardait comme le meil- leur moyen de conserver son pouvoir; et comme il était un hardi menteur et qu'il ne reculait devant aucune perfidie, devant aucun parjure, devant aucun acte sanglant quand il le menait à ses fins , c'était un homme selon le cœur de la bonne reine Bess.

3r4. Elle affecta cependant au commencement de désapprouver sa conduite, elle le menaça de faire marcher contre lui une armée pour le for- cer à rétablir la reine , donna à celle-ci des assu- rances positives de ses secours, et elle l'engageait, en cas de besoin , à prendre abri et à recevoir protection en Angleterre. Dans un moment fu- neste, Marie se confiant en ses promesses et ces invitations , prit cette fatale résolution , malgré les prières de ses fidèles amis qui la conjurèrent à genoux de ne pas se jeter dans les serres de celle qui depuis si long-temps était altérée de son sang. Au bout de trois jours , elle trouva qu'elle s'était sauvée dans une prison. Sa prison fut, il est vrai, changée deux ou trois fois; mais elle resta prisonnière pendant dix-neuf années entières , et fut à la fin mise à mort de la ma-

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372 Réforme Protestante.

nière la plus barbare pour un crime qu'on lui reprochait et qu'elle n'avait pas même pu com- mettre-

3i5. Pendant ces dix-neuf ans Elisabeth fut toujours occupée à intriguer avec les sujets révoltés de Marie, déchirant sans cesse l'Ecosse au moyen de la corruption qu'elle répandait parmi les différentes bandes de traîtres , et fai- sant supporter à des gens qui ne l'avaient ja- mais ofiénsée les maux de toute espèce qu'une nation peut endurer.

3 16. Si nous voulions compter simplement tous les actes ou la moitié des actes de perfidie , d'hy- pocrisie, de bassesse et de barbarie que la bonne Bess employa contre cette infortunée reine qui avait à peine vingt-cinq ans lorsqu'elle se jeta entre les griffes de cette harpie, cette lettre tout entière ne serait pas suffisante. Tandis qu'elle affectait de désapprouver Murray, elle l'excitait en secret à accuser sa reine et sa sœur. Tandis qu'elle prétendait soutenir l'inviolabilité des sou- verains, elle chargeait une commission de juger Marie pour sa conduite en Ecosse. Tandis qu'elle appelait, par ses vœux, la vengeance surlestrai- tres écossais qui s'étaient révoltés contre sa cou- sine, elle recevait d'eux, en présent, une grande partie des bijoux que Marie avait reçus de son premier mari, le roi de France-, et lorsqu'enfin elle fut forcée de déclarer Marie innocente du meurtre de son marij elle refusa non-seulement

Lettre X. 373

de la rétablir d'après la promesse solennelle qu'elle lui avait répétée plusieurs fois, mais elle refusa aussi de lui rendre la liberté, et même elle rendit sa prison plus étroite , plus rigoureuse et plus douloureuse que jamais. Murray, son associé en perfidie, fut tué en 1670 par un homme dont il avait confisqué injustement les biens. Mais de nouveaux traitres lui succédèrent qui tous furent soudoyés par Elisabeth; et pendant ce temps, l'Ecosse était abreuvée de sang de tous côtés , parce que la cruelle politique de la reine lui avait appris que c'était nécessaire pour sa propre sûreté. Witaker cite une foule d'autorités pour prouver qu'elle voulait se faire remettre le fils de Marie , et que , n'ayant pu réussir , elle fit tous ses efforts pour le faire empoisonner.

317. Enfin , en 1587, la tigresse amena sur l'échafaud la victime qu'elle avait si long-temps tourmentée. On commençait à employer contre elle ces moyens de désunion et de destruction qu'elle avait employés pendant toute sa vie contre les autres , et elle voyait à chaque instant ses jours en danger. Elle crut , et peut-être avec raison , que ces complots qui se tramaient contre elle venaient du désir qu'avaient les catholiques ( et ce désir était naturel ) de débarrasser le monde de sa personne et de ses cruautés affreuses, et de faire arriver au trône Marie qui était ca- tholique et sa légitime héritière , et elle crut n'avoir d'autre moyen pour mettre sa vie en su-

374 Réforme Protestaîste.

reté que de faire mourir cette reine. Lorsqu'elle y fut résolue , pour faciliter l'exécution de ce projet, elle fit passer au parlement un acte qui punissait de mort toute personne qui étant dans le royaume conspirait avec d'autres pour s'en emparer , ou pour faire mourir la reine. On saisit les papiers de Marie. Ce que l'on n'y put pas trouver, comme le prouve Witaker, la per- fidie sut bien y suppléer : " crime qui, dit-il, nous devons l'avouer avec honte, fut commis par les protestans. " Mais de quel droit Bess aurait- elle pu se plaindre des intentions hostiles de Marie? elle était reine aussi-bien qu'elle. Elle avait été tenue de force en prison , non point après avoir été fait prisonnière dans la guerre, mais après avoir été trompée avec perfidie et retenue par la force. Elle avait éprouvé tous les mauvais traitemens possibles -, il ne restait plus qu'à répandre son sang, et dès-lors n'avait-elle pas évidemment le droit de combattre et de dé- truire son ennemi implacable par tous les moyens qui étaient en son pouvoir ? Et quant au juge- ment, quelle loi, quel usage autorisait une reine à en inviter une autre à venir dans son royaume, à l'emprisonner et ensuite à la faire juger pour de prétendues ofîénses contre elle ?

3i8. Lorsqu'on débattit dans le conseil de la bonne Bess la manière dont elle devait se dé- barrasser de Marie j Leicester opina pour le poison ; d'autres voulaient qu'on resserrât son

Lettre X. 3'jj

emprisonnement et qu'on la fît mourir de cette manière; mais Walsingham dit qu'elle devait être condamnée par un tribunal, parce qu'une marche régulière était le seul moyen de faire taire les langues du monde. On nomma donc une commission et Marie fut jugée et condam- née ; elle le fut d'après des papiers dont une partie au moins étaient évidemment supposés , qui tous n'étaient que des copies , et dont on ne put fournir l'original même d'un seul ! La sentence de mort fut prononcée en octobre ; car , pendant quatre mois , l'implacable bonne reine Bess employa tous les moyens possibles pour faire assassiner sa victime , afin de s'épargner la honte d'avoir été elle-même son meurtrier. Witaker le prouve de manière à ce qu'il n'est pas possible d'élever le moindre doute à ce su- jet. jMais quoiqu'elle eût confié la garde de Marie à deux hommes ennemis mortels des catholiques, ceux-ci refusèrent constamment de se prêter à ses vues, quel qu'instance qu'elle employât pour cela. Ayant ordonné à son secrétaire Davison de leur écrire à ce sujet, sir Amias-Paulet l'un des gardiens , répondit " qu'il était peiné " de la proposition qu'on lui avait faite ; qu'il " mettait à la disposition de Sa Majesté sa vie " et ses biens , mais qu'il refusait absolument " de prendre part à l'assassinat de Marie. " L'autre gardien, sir Drue-Druky, fit la même réponse. Lorsqu'elle l'eut lue , elle éclata en

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376 Réforme Protestante. <}

reproches contre eux , se plaignit de la délicatesse | de leurs consciences, parla avec mépris de l^ex" actitucle de serviteurs aussi scrupuleux j et jura qu'elle le ferait faire sans leur secours. Au bout de quatre mois cependant d'efforts inutiles pour trouver des hommes assez bas et assez criminels pour commettre ce meurtre , elle eut recours à sa dernière ressource, F assassinat légal y qui fut commis sur sa malheureuse victime le 8 de février iSSy, jour qui tache d'une infamie éter- nelle la mémoire de la reine d'Angleterre, " rei- " ne, dit Witaker, qui n'avait aucun sentiment " de tendresse ni de générosité ; qui ne pensa " pas à la vengeance terrible de l'histoire , et " que ne lit pas trembler la sentence infiniment " plus terrible d'un Dieu juste et vengeur. Je " rougis . comme Anglais , de penser que ces " crimes furent commis par une reine d'Angle- " terre, et A.on\.j'ai appris , dès mes premières " années , à regarder le nom comme l'honneur " de son sexe et la gloire de notre île. "

3ig. Oui! et c'est aussi ce que l'on m'avait appris , c'est ce que l'on nous avait appris à tous. Ah ! sans doute , il est bien de notre devoir au- jourd'hui d'enseigner à nos enfans à connaître la vérité. Parlez-moi de réponses en effet! Qu'ils nient s'ils le peuvent que celle qui fut le chef de l'église j qui l'établit, fut un meurtrier, et qu'elle désira de sang froid commettre un as- sassinat.

Lettre XI. 677

XL

LETTRE XL

Hypocrisie de Bess a la mort dr Marie Stuart. Armée d'Espagne. Lois des pauvres. Traite- ment BARBARE DE l'IrlANDE. InQUISITION DE BeSS.

Horrible persécution des catholiques. Tour-

MENS et tortures Qu'eLLE EMPLOIE. Sa MORT.

Mes Amis, Kensington y le Zo sept. 1825.

320. Quelque basse qu'ait été la conduite de la bonne reine Bess dans le meurtre de son in- fortunée cousine, l'hypocrisie qu'elle montra en- suite fut encore plus détestable. Elle affecta d'en éprouver le plus profond chagrin , prétendit que tout avait été fait contre sa volonté , et porta l'injustice et l'infamie jusqu'à faire emprisonner son secrétaire Davison, pour avoir expédié l'or- dre de l'exécution , quoiqu' elle-même eût signé cet ordre, et qu'elle eût injurié Davison, comme Witaker l'a bien prouvé , pour ne l'avoir pas expédié, après qu'elle eut en vain essayé de tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour le porter à employer des assassins. Elle avait , par une série de cruautés et de perfidies sans ex-

378 Réforme Protestante.

emple , amené sa malheureuse victime à l'écha- faud , dans le pays même elle l'avait invitée à chercher un refuge. Elle avait eu , dans les derniers et terribles momens de cette victime , la barbarie de lui réfuser les consolations d'un prêtre de sa propre communion. Elle l'avait pour- suivie avec une haine et une malice que n'avait pu satisfaire la vue de cette infortunée renversée par le bourreau et de son sang ruisselant, aus- sitôt de toutes parts. La destruction de son corps ne lui sullisait pas ; comme Satan , elle voulait perdre son âme pour toujours. Et encore , lors- que le crime fut consommé , elle eut , de plus que Satan , l'hypocrisie de pleurer la mort pré- maturée de sa chère cousine ^ et , ce qui était encore plus diabolique , de se servir de son pou- voir despotique pour punir son secrétaire , sous le prétexte qu'il avait été la cause de cette hor- rible catastrophe ! Ici toutes les expressions d'exé- cration et d'horreur ne suffisent plus pour rendre nos sentimens , et la seule consolation que nous ayons , c'est que nous la verrons redouter dix mille fois plus sa propre fin que ne l'avait fait sa victime.

321. Telles étaient les circonstances particu- lières de cette époque, que cette femme affieuse écliappa, non-seulement alors, mais pendant tout son règne , à la haine générale de ses sujets , et que lui avaient si bien méritée ses mœurs et ses crimes. Malheureusement, aussitôt après ce meur-

Lettre XI. 379

tie horrible , il arriva un événement qui rallia tous ses sujets autour d'elle , et qui lit de sa vie encore plus que jamais l'objet de leurs in- quiétudes.

322. Philippe II, roi d'Espagne, qui était aussi souverain des Pays-Bas , s'était déterminé à faire une invasion en Angleterre avec une flotte d'Espagne et une armée de Flandres. Elle avait assez long-temps provoqué ce monarque ; elle avait fomenté des révoltes contre lui , conmie f'Ue l'avait fait en France contre le roi de cet état, Philippe était le monarque le plus puis- sant de l'Europe. Ses flottes et ses armées étaient bien supérieures à celles d'ELisABETii. Le dan- ger que courait l'Angleterre était très-grand , et quoiqu'il n'eût été amené que par lu mécîian- ceté , la mauvaise foi et la perfidie de la reine , l'Angleterre était toujours l'Angleterre pour ses sujets , et tous se rallièrent unanimement autour d'Elisabeth. Dans cette occasion et dans toutes celles au reste l'amour de la patrie fut mis à l'épreuve, les catholiques ont prouvé qu'aucun degré d'oppression ne pouvait leur faire oublier leur devoir comme citoyens ou comme sujets. iluME lui-même est obligé de dire que les ri-^ ches catholiques auxquels les lois " n'accor- ^' daient aucun crédit , aucune autorilé , entrè- ^' rent comme simples volontaires dans l'armée ^^ ou dans la flotte. Quelques-uns équipèrent des '' vaisseaux à leurs frais et en donnèi ent le corn-

38o Réforme Protestante.

" mandement à des protestans. D'autres exci- " taient avec empressement leurs fermiers, leurs " vassaux , leurs voisins à voler à la défense de " leur patrie. Tous les rangs , oubliant pour le " présent les distinctions de partis , semblèrent " se préparer avec autant d'ordre que de vi- " gueur à s'opposer à cette invasion. " Char- les I, Jacques II, Georges I, Georges II, et même Georges III, ont tous vu des époques ils pouvaient se plaindre de ne pas rencon- trer la même loyauté chez les protestans. Le pre- mier perdit la vie , le second le trône , le troi- sième et le quatrième se virent prêts d'éprouver le même sort , le cinquième perdit l'Amérique , et tous purent s'en prendre aux " protestans. " 323. L'invasion projetée ne put avoir lieu. Une tempête épouvantable dispersa et détruisit la moitié de la flotte espagnole que l'on appe- lait armada , et il est bien probable que , lors même qu'il n'y aurait pas eu de tempête , l'in- vasion n'aurait pas réussi. Mais on peut dire que le danger était grand , et personne ne pouvait être certain du résultat. Les catholiques , s'ils eussent écouté leur juste ressentiment , auraient pu ajouter beaucoup au danger , et leur con- duite généreuse méritait bien quelqu'allégement au cruel traitement que leur avait fait éprou- ver jusqu'alors son sceptre de fer. Cependant leur sort n'éprouva aucun adoucissement. Ils furent encore traités avec la plus grande barbarie , sou-

Lettre XI. 38 1

nais à une inquisition infiniment plus sévère que n'a jamais été celle d'Espagne , et au moindre soupçon ils étaient emprisonnés , torturés et sou- vent mis à mort.

324. Quant à l'Irlande les propriétés des couvens et celles de l'église avaient été confis- quées de la même manière qu'en Angleterre , et le peuple étant plus éloigné du foyer du pouvoir , de l'apostasie et du fanatisme , il avait été plus difficile de le convertir à la pointe de la baïonnette ou avec la corde et la torture , son règne dans cette partie de ses domaines ne fut qu'une suite non interrompue de pillages et de massacres. D'avides et impitoyables favoris fu- rent imposés les uns après les autres à ce mal- heureux peuple pour l'entraîner à des actes de désespoir j et Von n'en cachait pas le motif , on voulait avoir des raisons pour faire de nou- velles confiscations. Depuis son origine , la " ré- forme " portait écrit sur le front ; ^^ Pillage -y *' mais pour l'Irlande le pillage était universel , ou n'épargnait aucune partie. Cette horrible femme, plus féroce qu'un tigre , ne pouvait surveiller tous les mouvemens du peuple dans ce pays , comme en Angleterre ; ainsi elle ne pouvait les harrasser en détail; elle ne pouvait pas non plus y établir son effrayante police , et dès-lors elle les massacrait en masse. Elle y envoya ces mi- nistres dont les successeurs y sont encore au- jourd'hui. Le glaive toujours sanglant leur assure

382 Réforme Protestante.

les dimes et les terres de V église. INÏais ce glaive toujours sanglant , lors même qu'il fut entre les mains du féroce Cromwell, ce protestant raf- finé , ne put jamais leur donner des congréga- tions (paroissiens); ce fut elle qui planta, ar- rosa des fleuves de sang et vit pendant son long règne prendre promptement racine dans cette terre l'arbre dont les infortunés Irlandais re- cueillent aujourd'hui le fruit amer, et qui, si l'on n'emploie pas des mesures plus sages et plus justes que celles auxquelles on a eu re- créa rs jusqu'ici finira par renverser l'Angleterre elle-même.

323. Je vais parler des immoralités affreuses produites en Angleterre par la " Réforme, " de la pauvreté et de la misère qui en fut le résul- tat , et ensuite je suivrai cet appauvrissement et cette misère ( au moyen des actes du parle- ment ) jusqu'à la "Réforme;" j'indiquerai de la manière la plus claire la cause qui a réduit l'An- glais au pain et à l'eau et l'Irlandais aux pom- mes de terre , et même je montrerai pourquoi la pauvreté et la dégradation se sont appesanties plus spécialement sur le peuple irlandais. De- puis long-temps ce peuple maltraité présente un contraste choquant avec le peuple anglais pour les vêtemens et la nourriture. Le docteur Frank- lin parlant de l'Irlande, dit que les vieux ha- bits usés des ouvriers de l'Angleterre semblent avoir été envoyés en Irlande pou^r y être por- tés par les ouvriers de ce pays.

Lettre XL 383

326. Pourquoi ce contraste existe-t-il depuis si long-temps ? Le terrain et le climat de l'Ir- lande ne le cèdent point en bonté à l'Angle- terre. Ces deux îles ne sont éloignées l'une de l'autre que de quelques milles , la même mer les entoure. Les habitans de la première sont aussi capables ei aussi désireux de travailler que ceux de la seconde; et ils en ont donné des preu- ves dans toutes les parties du monde ils ont émigré, non pour y porter des ballots trompeurs, afin de soutirer l'argent des ignorans; non pour s'y armer du fouet qui doit faire travailler les autres, mais pour partager eux-mêmes et par- tager avec gaîté les travaux les plus rudes de ceux parmi lesquels ils ont cherché un abri contre l'oppression sous laquelle ils gémissaient. Pour- quoi donc ce contraste si funeste à l'Irlande existe- t-il depuis si long-temps? Nous trouverons facile- ment la réponse à cette question si nous examinons les différentes mesures qui ont été prises pour ces deux peuples pendant le long et cruel règne que nous rapportons à présent. Et cette recher- che nous fera suivre en même temps toutes les misères de l'Irlande jusqu'à cette " Réforme " dont on fait retentir depuis si long-temps dans nos oreilles les bienfaits avec tant d'hypocrisie et d'obstination.

327. Nous avons vu dans la lettre II de ce petit ouvrage, paragraphes 5o , 5i et 5^ , que l'éghse catholique n'était pas une affaire de fol

384 Réforme Protestante.

purement abstraite ; que sa spiritualité ne lui faisait point mépriser les soins que les individus doivent à leurs corps ; qu'un de ses points les plus importans était de faire des actes de charité; que cette charité n'était pas d'une nature si spirituelle qu'elle ne fut accessible aux sens extérieurs ; qu'elle se montrait dans les bonnes œuvres faites pour l'indigent et le souffrant; que les dimes ^ les offrandes et les revenus des propriétés réelles de l'église catholique étaient destinés en grande partie à nourrir celui qui ne pouvait se procu- rer d'alimens, à vêtir celui qui était nu, à loger et à nourrir l'étranger, à soutenir la veuve et l'or- phelin, et à soigner le blessé et le malade; enfin qu'une partie, et l'une des principales parties de l'occupation de cette église était de prendre soin qu'aucun individu, quelque rang qu'il occupât dans la société , ne souffrît faute de fourniture ou de soins; et afin que les prêtres de cette église eussent moins d'intérêts personnels qui pussent leur faire négliger cette partie importante de leur devoir, il leur était défendu de se marier. Aussi, tant que cette église fut l'église nationale en An- gleterre, on y trouva l'hospitalité et la charité, et jamais l'horrible mot de pauvre ne s'était aussi souvent présenté à l'idée.

328. Mais lorsque la religion " protestante " eut été établie, et avec elle le mariage des prê- tres , les classes les plus pauvres furent privées de ce qui était leur droit de naissance, et obli-

Lettre XI. 385

gées de se traîner de tous côtés pour ramasser ce qu'on leur donnait ou ce qu'elles dérobaient. Luther et ses sectateurs rejetèrent complète- ment la doctrine que les bonnes œuvres fussent nécessaires au salut ; ils soutinrent que la foi , la foi seule était nécessaire. Ils rejetèrent de leur bible l'épître de saint Jacques parce qu'elle insiste sur la nécessité des bonnes œuvres. C'est cette épître que Luther appelait épitre de paille. Les réformateurs qui, sur tous les autres points, différaient autant entre eux que les couleurs de l'arc-en-ciel, s'accordaient tous sur celui-ci, que les bonnes oeuvres étaient inutiles pour le sa- lut , et que les saints ( car ils avaient la mo- destie de se donner eux-mêmes ce nom ) ne pou- vaient perdre parleurs péchés, quelque nombreux et quelque énormes qu'ils fussent , leurs droits au bonheur éternel. Ces hommes auxquels le pillage , le sacrilège , l'adultère , la polygamie , l'inceste, le parjure et le meurtre étaient aussi habituels que le sommeil et la veille , ces hom- mes qui enseignaient qu'aucun de ces crimes ou que tous ces crimes réunis ensemble ne pou- vaient leur fermer la route de la gloire céleste; ces hommes, dis-je, devaient laisser tout-à-fait de côté la charité , comme une chose indiffé- rente , et qui d'ailleurs n'était , comme on le savait si bien , qu'un avantage catholique. 329. Aussi voyons-nous qu'elle est nécessaire-

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386 Réforme Protestante,

ment exclue par sa nature de tous les établis- semens proteslans, c'est-à-dire en réalité ^ car quelques-uns de ces établissemens conservent bien le nom de charité, mais la chose n'existe elle-- même nulle part. L'esprit de l'Eglise catholique unit la charité constante et réelle à la foi elle- même j il les rend inséparables. Le catéchisme de Douay, dont les ministres protestans abusent tant , dit que le premier fruit de l'Esprit-saint est la charité. Et ensuite il nous dit ce qu'est la charité qui consiste à nourrir celui qui a faim , donner à boire à celui qui a soif, vêtir celui qui est nu, visiter et racheter les captifs, loger celui qui est sans gîte, visiter le malade, ensevelir les morts. Pouvez-vous deviner d'après cela , mes frères, pourquoi ces ministres protestans gros et gras s'élèvent avec tant de force contre le mau- vais catéchisme de Douay ? Il est dans la nature de l'homme d'aimer tout cela. C'est contre quoi les portes de l'enfer ne prévaudront jamais. C'est ce que nos pères ont cru et ce qu'ils ont ob- servé : et c'est ce qui a produit en eux cette disposition bienveillante qui , Dieu merci , n'a pas encore été extirpée entièrement des cœurs de leurs descendans.

33o. Si nous revenons maintenant aux para- graphes 5o, 5 1 et 52 dont nous venons de parler , on y voit que l'Eglise catholique rendait entiè- rement inutiles toutes les lois municipales sur les pauvres. Lorsque les avides " réformateurs " eu-

Lettre XI. 887

rent saccagé les couvens et les églises ; lorsque ces grands biens qui appartenaient de droit aux classes les plus pauvres leur eurent été enlevés, lorsque les presbytères eurent d'abord été bien pillés et qu'ensuite on eut donné le reste de leurs revenus à des hommes mariés , alors les pauvres ( car il y aura et il doit toujours y avoir des pauvres dans la société ) se trouvèrent sans moyens d'existence. Ils furent réduits à vivre de leurs quêtes, de leurs larcins et de leurs vols. Aussi quand la bonne reine Bess eut mis la dernière main au pillage des biens de l'Eglise et des pau- vres, l'Angleterre autrefois heureuse, libre et hos- pitalière devint un repaire de voleurs et d'es- claves affamés. Strype, protestant, dont Hume invoque très-souvent l'autorité, nous rapporte une lettre d'un juge de paix du Sommersetshire au chef de la justice, dans laquelle il dit : " Je puis assurer que les hommes qui errent de tous côtés, ne cherchant que le pillage et la confusion sont capables, s'ils étaient soumis à une bonne dis- cipline, de livrer un rude combat au plus grand ennemi de Sa Majesté, tandis qu'aujourd'hui ils ne sont qu'un renfort pour l'ennemi. En outre, la génération qui leur succède chaque jour doit probablement être encore plus méchante. Ils n'é- pargnent ni riche ni pauvre ; tout ce qui leur tombe sous la main est bon à prendre , que le gain soit grand ou petit. Et cependant je le ré- pète , la corde ne perd pas de temps avec eux

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388 Réforme Protestante.

comme avec les autres. " Le même juge dit : " Faute de justiciers , beaucoup de ces coquins se sauvent j car très-souvent les plus simples paysans et les femmes ne s'occupant que de la perte de leurs propres biens, ne voudraient pas faire mourir un bomme pour tous les biens de ce monde. " Et tandis que la bonne Bess se plaint amèrement que les lois ne soient pas exé- cutées , le même bistorien protestant nous ap- prend " qu'elle faisait exécuter plus de cinq cents criminels par an _, et qu'elle était si peu satisfaite de ce nombre qu'elle menaça d'envoyer plusieurs personnes voir exécuter ses lois pénales à leurs propres dépens. " Il paraît que cette menace ne fut pas vaine , car on se plaignit peu, après dans le parlement de ce que le magistrat mercenaire de cette époque était un être qui , pour une douzaine de poulets , aurait accordé douze condamnations à mort. Elle ne s'en tint cependant pas à cet usage libéral de la potence. Le vagabondage et le brigandage étaient arrivés à un tel point qu elle fut obligée d'avoir recours à la loi martiale. Ce fait est une preuve si ir- récusable des horribles effets de la " réforme " sur l'état moral des peuples, et il caractérise si bien le gouvernement auquel le peuple anglais, avili par la " réforme , " eut la bassesse de se soumettre, que je vais citer ce passage tel qu'on le trouve dans Hume qui rapporte les propres paroles qu'adressa dans cette occasion la bonne

Lettre XI. 889

et glorieuse Bess à son meurtrier en chef. " Les rues de Londres étaient remplies de vagabonds sans aveu et de libertins. Le lord-maire avait essayé de réprimer ce désordre : la chambre étoi- lée avait interposé son autorité et infligé des puni- tions à ces mutins, mais la reine trouvant ces remèdes inefficaces fit revivre ( fit revivre! que veut-il dire par ce mot ? ) la loi martiale , et nomma sir Thomas Wilson grand prévôt, lui donnant le pouvoir et lui commandant, d'après ce qu'avaient dit les juges de paix de Londres et des contrées voisines de ces malfaiteurs dignes d'être promptement exécutés par la loi martiale^ de les prendre, et selon l'usage de la loi mar- tiale, de les pendre à la potence ou à des gibets. " Et cependant c'est elle que l'on nous a appris à appeler la bonne reine Bess. C'est elle dont des hommes instruits, mais avilis, osent encore de nos jours vanter le règne glorieux.

33 1. Telles furent les suites nécessaires delà destruction de l'Eglise catholique et du pillage des biens des pauvres qui accompagna cette destruction et surtout de la réunion des pou- voirs civil et ecclésiastique dans les mêmes mains. Mais quoique ce terrible tyran n'épargnât ni tortures , ni échafauds , quoiqu'elle reprît con- tinuellement les exécuteurs de ses lois sangui- naires pour leur lenteur , tandis qu'ils jon- chaient le pays des carcasses de malfaiteurs ou de prétendus malfaiteurs , tout cela ne pouvait

390 Réforme Protestante.

suffire. La faim que ne peuvent arrêter les mu- railles les plus épaisses défia ses terreurs et ses tourmens ; à la fin on vit qu'il était absolument nécessaire d'établir pour les pauvres une res- source générale permanente et solide ; et ce fut dans la quarante-troisième année de son règne que passa cet acte qui subsiste encore aujour- d'hui , et qui établit une taxe pour les indigens : taxe qui doit être payée par la terre , recueillie par des inspecteurs , et dont le paiement doit être exigé par les moyens les plus efficaces et les plus prompts. C'est ici que nous avons le résultat le plus alTreux de la " réforme " , la pauvreté établie par la loi.

332. Et cependant cela était nécessaire : les dévastateurs n'avaient plus à choisir en Angleterre qu'entre la pauvreté légale ou l' extermination. Et ils n'auraient même pas pu obtenir cette der- nière ; et s'ils l'avaient pu elle ne leur aurait pas convenu. Ils n'avaient pas de forces suffi- santes pour obtenir du peuple qu'il se contentât des trois quarts de la nourriture dont il avait besoin; ils établirent donc dès-lors un secours lé- gal pour les pauvres. Mais ce ne fut qu'après avoir tenté en vain tous les moyens pour trou- ver quelque chose qui put remplacer la charité catholique j ils essayèrent d'abord de l'obtenir par des dons volontaires faits dans les églises ; mais hélas ! tous ceux qui entraient dans ces églises considéraient Luther comme le grand prédi-

Lettre XI. Sgt

caleur, et celui-ci regardait l'épitre de Saint Jacques comme une épitre de paille. Aucun des moyens de ce genre n'ayant réussi , comme cela devait nécessairement être , puisque les mi- nistres eux-mêmes, dont le devoir était d'exhor- ter les autres à la charité, avaient déjà assez à faire pour leurs femmes et leurs enfans ; aucun des actes ( et on en fit plusieurs ) autres qu'une taxe forcée soutenue de la saisie des biens et de r emprisonnement des personnes n'ayant réussi à la glorieuse Bess et à la " Réforme ", le par- lement s'en mêla à la fin. C'est cet acte que nous avons encore aujourd'hui , qui remplit le pays de querelles et de procès sans fin , qui élève pa- roisse contre paroisse, le serviteur contre le maî- tre , le riche contre le pauvre , et qui produit , d'après le désir qu'a le riche de soustraire une partie de ses récoltes , une masse d'hypocrisie , de paresse, de fraude, d'oppression et de cruauté dont le monde n'a jamais offert d'exemple ex- cepté dans les actions des premiers " réforma- teurs. "

333. Cet acte n'était cependant réellement qu'un acte de justice. On prenait sur la terre pour donner aux pauvres une partie au moins de ce qui leur avait été volé par la ''' Réforme. " On faisait par un moyen dur et odieux une par- tie de ce qui avait été fait de la manière la plus douce et la plus agréable par l'Église de nos an- cêtres : c'était , en eliet , nourrir les pauvres

392 Réforme Protestante.

comme des chiens au lieu de les nourrir comme des enfans ; cependant au moins on les nour- rissait. Mais c'eût été trop faire , selon la bonne Bess et ses horribles favoris , pour le peuple Ir- landais traité avec tant de cruauté , que de lui accorder ce secours : et c'est ici que nous arrivons à la cause réelle de ce contraste dont j'ai parlé dans le paragraphe 325. Ici nous arrivons à ce qui a fait supposer au docteur Franklin, ou dire que l'on pourrait supposer naturellement que les vieux habits des classes ouvrières de l'An- gleterre avaient été envoyés aux mêmes classes en Irlande pour y être portés.

334. Nous avons vu comment une nécessité absolue força la bonne Bess et ses pillards à éta- blir un secours légal pour les indigens en An- gleterre. Nous avons vu que par cet acte on n'avait fait que leur rendre une partie de ce qui leur avait été volé. Et sur quel principe s'ap- puyèrent-ils pour ne pas faire la même chose pour le peuple de l'Irlande? ceux-ci avaient été pillés de la même manière que les autres; ils avaient été plongés dans la misère précisément par les mêmes moyens , employés sous les mêmes pré- textes hypocrites ; pourquoi ne soulageait-on pas leurs misères par le même moyen ; pourquoi n'é- tendit-on pas la loi des pauvres à' l'Irlande?

335. Vils et cruels dévastateurs ! ils regrettè- rent le secours qu'ils accordèrent à l'Angleterre; mais ils n'avaient aucun moyen de le refuser ;

Lettre XI. SgS

et ils virent qu'il était impossible d'obtenir des Anglais qu'ils se forçassent mutuellement à vivre des trois quarts d'une ration. Mais ils pouvaient lever en Angleterre des armées qu'ils enverraient «n Irlande pour forcer les habitans de ce pays à vivre dans cet état famélique, surtout quand ces armées anglaises étaient excitées par la pro- messe du pillage , et étaient stimulées ( puis- qu'elles étaient toutes composées de protestans ) par des motifs aussi puissans ou à peu près que l'amour du pillage lui-même. C'est ainsi que jus- qu'à ce jour ils ont été comme des étrangers dans leur propre pays , dépouillés de tous les biens terrestres dont Dieu et la nature les ont comblés , et n'ayant pu obtenir en retour la moindre de choses. Nous parlons des outrages faits en Irlande ; nous paraissons choqués des violences qui y sont commises ; et ce sage , ce profond , ce naïf et modeste M. Adolpuus en plaidant l'autre jour dans un des bureaux de po- lice de Londres ( sphère à laquelle ses talens con- viennent très-bien ), sortit même de son sujet pour trouver l'occasion de remercier Dieu de ce que, de ce côté du canal Saint-Georges nous ne con- naissons rien de ces outrages que les Irlandais, lorsqu'on les leur rapporte , attribuent à la con- fusion des temps. Ce serait peut-être un peu trop exiger que de demander une réponse quel- conque à un avocat aussi distingué que ce plai- deur d'un bureau de police. îilais je demanderai

394 Réfop.me Protestante.

au premier gentleman ou au premier Anglais de quelque rang qu'il soit, excepté M. Adolphus, ce qui arriverait ici si l'on abolissait demain la loi des pauvres? M. Adolphus peut à peine igno- rer que le ministre JSÎalthus et sa secte ont prê- ché l'abolition de cette loi. Il peut se rappeler aussi ( car l'exemple fut épouvantable ) que M. Scar- lett fut si bien battu pour avoir eu la folie de rédiger cette proposition de Malthus sous forme de bill; mais peut-être M. Adolphus ignore-t-il qu'à ce moment on préparait plusieurs pétitions contre le bill , et de la part même de ceux qui paient la taxe des pauvres; parce que, disaient- ils, si ce bill passe , nos propriétés et nos jours ne seront plus en sûreté. Soyons donc au moins un peu justes et surtout n'allons pas , ajoutant le blasphème à l'ignorance , à l'insolence et à une basse et odieuse flatterie , remercier Dieu de l'absence d'outrages parmi nous, comme fait le loup dans la fable , lorsqu'il remercie Dieu de ne pas être féroce.

336. Sans doute il y a eu en Irlande des temps de confusion, et ces temps ont été fréquens, ou il faudrait dire que les propriétaires d'Angle- terre ont été très-injustement taxés à ces épo- ques. Mais ils reconnaissent tous , ou au moins presque tous , qu'un secours pour les indigens , certain et légal, venant de la terre, est un droit qu'ont les indigens, pour me servir des expres- sions de Bla.ckstone, d'après la nature même

Lettre XI. 3gS

de la société civile. Tout homme qui réfléchit doit savoir que les travaux qui sont absolument nécessaires à la société ne peuvent être faits que par des personnes qui travaillent pour gagner leur vie ; il doit comprendre qu'un très-grand nombre de ces personnes ne fera d'ouvrages que ce qu'il faut pour subvenir aux premiers be- soins , et dès-lors il voit qu'il devra toujours y avoir dans chaque communauté un grand nom- bre d'individus que la maladie, la vieillesse, la perte de leurs parens, de leurs maris, ou d'au- tres causes laisseront sans ressource. C'est ce lot qui appartient à la société civile ; et il faudra une plus forte tête que celle qui est sur les épau- les de M. Scarlett pour prouver que cet état l'on a besoin de secours , tous peuvent tomber , n'est pas une partie nécessaire de la société civile. Les États-Unis d'Amérique sont un pays très-heureux ; le monde n'a pas vu de peuple plus fortuné; mais quoique les Américains aient cessé d'obéir à notre roi , quoiqu'ils aient aboli la royauté , quoiqu'ils aient rejeté l'aristocratie de l'Angleterre , quoiqu'ils se soient affranchis de l'église d'Angleterre , ils n'ont point rejeté les lois des pauvres de l'Angleterre et cet acte qui fut arraché à l'impétueuse Bess par leurs ancêtres anglais est aussi complètement en force à New- York que dans le vieil York , à New- London que dans le vieux Londres, dans le New- Hampshire que dans le vieux Hampshire et dans

3g6 RéfoPlME Protestante.

tout ce pays, depuis une extrémité jusqu'à l'au- tre , que dans la vieille Angleterre elle-même. 337. N'a-ce pas été dès-lors une confusion des temps en Irlande ? Ce peuple n'a-t-il pas été traité de la manière la plus barbare par l'An- gleterre ? L'Irlandais qui mille fois a été sur le point de mourir de faim sur sa terre natale, que l'on a chassé pour avoir dérobé des plantes mari- times afin d'échapper à la mort , va en Amé- rique \ il y éprouve la faim sans avoir aucun moyen de la satisfaire ; et , dans ce pays étran- ger, il trouve aussitôt, en quelque lieu qu'il soit, un inspecteur des pauvres qui est prêt à le secou- rir ! Et on laisse subsister une injustice aussi mons- trueuse , aussi criante, ha folie surpasse ici , s'il est possible, l'injustice et la cruauté. Les propriétai- res anglais font les lois ; nous le savons tous : ils soumettent , et avec raison , leurs propres biens à des taxes pour le soulagement des pauvres de l'Angleterre, et en même temps ils n'assujétis- sent point les biens des propriétaires irlandais à la même taxej bien mieux, ils préfèrent se taxer eux-mêmes , nous taxer et taxer en outre les Irlandais afin de payer une armée qui empêche ce peuple affamé d'obtenir du secours par la force! Lord Liverpool, lorsque les lords écos- sais et d'autres s'adressèrent à lui en 18 19 afin d'obtenir un secours extraordinaire pour soula- ger les ouvriers qui mouraient de faim en Ecosse, répondit avec autant de sagesse que de justice :

Lettre XI. 897

Non : ajez des lois pour les pauvres comme les nôtres _, et vos pampres ne manqueront pas de secours. Pourquoi ne pas faire la même ré- ponse aux propriétaires irlandais ? pourquoi ne pas les forcer à donner au peuple ce qui lui appartient ? Pourquoi l'Irlande est-elle le seul pays civilisé sur la terre il n'existe pas de secours fixe et légal pour les indigens , et les pasteurs sont tout-à-fait étrangers à leur trou- peau, excepté dans la saison de la tonte? Ayons au moins, tant que l'on souffrira cet état de cho- ses , la décence de ne pas crier contre les ou- trages des Irlandais.

338. Je dois maintenant laisser cette digres- sion dans laquelle m'a entraîné le traitement bar- bare que la bonne Bess fit éprouver à l'Irlan- de, pour en revenir à ses projets de réforme. Betsy était un grand docteur en théologie ; elle était très-jalouse de ses prérogatives et de ses pouvoirs, mais particulièrement pour tout ce qui concernait son autorité suprême dans l'église. Elle aurait voulu que tous ses sujets eussent été de sa religion , quoiqu'elle eut solennellement juré à son couronnement qu'elle était catholique, et quoiqu'en devenant " protestante " elle eût fait des changemens au livre de prières de Cran- mer et à ses articles de foi. Voulant forcer la conscience de ses peuples à suivre sa volonté tyrannique, ce qui était très-injuste puisqu'elle- même avait changé de religion et même .avait

398 Réforme Protestante.

changé plusieurs articles protestans , elle établit une " inquisition , " la plus horrible dont on eût jamais parlé : elle donna ce qu'elle appe- lait une comtnission à certains évéques et à quel- ques autres personnes : leur autorité s'étendait sur tout le royaume et sur tous les ordres et tous les rangs du peuple. Ils reçurent le droit de contrôler les opinions de tous les hommes et de les punir selon leur volonté , mais non de mort. Ils pouvaient agir selon les voies ordinaires de la justice , s'ils le voulaient , pour prouver les crimes de leurs accusés ; mais s'ils l'aimaient mieux , ils pouvaient employer pour cela l'em- prisonnement, la torture, les tourmens de toute sorte. Si leurs soupçons se portaient sur quel- qu'homme , peu importe à quelle occasion , et qu'ils n'eussent aucune preuve , pas même de ouï- dire à lui opposer , ils lui lançaient un ser- ment appelé ex officio , par lequel il était forcé, si on l'appelait, à révéler ses pensées et à s'ac- cuser lui-même , son ami , son frère ou son père , sous peine de mort. Ces monstres subalternes in- fligeaient les amendes qu'il leur plaisait ; ils te- naient les hommes emprisonnés pendant autant de temps qu'ils le voulaient. Ils faisaient autant de nouveaux articles de foi qu'il leur convenait, et enfin cette commission exerçait sous le nom et dans les vues de la bonne reine Bess un con- trôle absolu sur les corps et les esprits de ce peuple que les vils " réformateurs. " hypocrites

Lettre XI. 3g9

pillards , prétendaient ;aoir délivré de l'escla- vage du Pape , mais qu'ils avaient bien , sans aucune raison, délivré réellement de la liberté, de la charité et de l'hospitalité.

339. Quand on examine les actes de ce cruel tyran , quand on voit à quel vil esclavage elle avait réduit la nation , et surtout lorsqu'on pense à cette commission, il nous est impossible de ne pas rougir de honte en réfléchissant à ce que nous avons dit pendant si long-temps contre Vin- quisition d'Espagne qui ne s'est pas rendue cou- pable depuis son établissement jusqu'à ce jour d'autant de cruautés que cette reine féroce, pro- testante et apostat en commit en une seule des quarante-trois années qu'elle resta sur le trône; mais surtout remarquez et n'oubliez pas que les catholiques n'infligèrent de punitions qu'à ceux qui avaient quitté la foi dans laquelle ils avaient été élevés et qu'ils avaient professée , tandis que ks châtimens des protestans n'étaient exercés que contre les hommes qui refusaient de renoncer à la foi dans laquelle ils avaient été élevés et qu'ils avaient professée toute leur vie ; et quant à ceux qui furent punis par cette cruelle hy- pocrite , ils le furent de la manière la plus bar- bare , parce qu'ils restaient fidèles à cette même religion dans laquelle elle avait vécu une grande partie de sa vie et qu'elle avait juré être la sienne à son couronnement.

340. Il serait difficile de vouloir rapporter les

4oo Réforme Protestante.

souffrances que les catholiques eurent à endurer pendant ce règne de meurtres. Il n'est pas de langue , il n'est aucune plume qui pût remplir cette tâche. Entendre la messe , donner l'hospi- talité à un prêtre , admettre la suprématie du Pape , refuser la suprématie spirituelle à cet hor- rible virago , et beaucoup d'autres choses qu'un catholique zélé ne pouvait éviter, le conduisaient sur l'échafaud, ou sous le couteau de celui qu'elle avait chargé d'arracher les entrailles. Mais le plus cruel de ses actes , celui qui fut plus cruel même que les boucheries , parce qu'il s'étendit beau- coup plus loin , et qu'en résultat il produisit une bien plus grande masse de souffrances , ce furent ces lois pénales qui établissaient des amen- des pour le refus y c'est-à-dire contre ceux qui n'allaient pas à son église " protestante " de nouvelle invention. Les hommes étaient punis , non-seulement lorsqu'ils ne confessaient pas que la nouvelle religion fût la seule vraie, non-seule- ment lorsqu'ils continuaient à pratiquer la re- ligion dans laquelle eux , leurs pères et leurs enfans étaient nés et avaient été nourris, mais ils l'étaient encore , parce qu'ils n'allaient pas aux nouvelles assemblées pour y faire ce qu'ils devaient croire , s'ils étaient sincères , un acte public d'apostasie et un blasphème ! Jamais dans le monde on n'avait encore vu une tyrannie sem- blable à celle-ci.

341. Les amendes étaient si considérables, el-

Lettre XT. /\o^

les étaient exigées avec tant de rigueur , et les sommes imposées pour FolTense de refus seule étaient si énormes , que tous les catholiques con- sciencieux étaient menacés d'une ruine com- plète. Ceux des prêtres qui n'étaient jamais sor- tis de l'Angleterre , et qui avaient été consacrés avant le règne de cette horrible femme, n'étaient plus , dans la vingtième année de ce règne , qu'en très-petit nombre j car les lois défendaient sous peine de mort d'en faire de nouveaux ,- et en effet aucun ne pouvait être ordonné par l'autorité ecclésiastique, puisque les évèques ca- tholiques qui vivaient encore en avaient reçu la défense sous peine de mort. Elle harassa donc tel- lement les vieux prêtres que vers la vingtième année de son règne ils étaient presque tous ex- terminés ; et , comme il y avait peine de mort pour tout prêtre qui venait du dehors , peine de mort pour celui qui lui donnait l'hospilalité, peine de mort lorsqu'il remplissait ses fonctions en Angleterre , peine de mort pour ceux qui se confessaient à lui ; il paraissait impossible de l'empêcher de détruire complètement en Angle- terre cette religion à l'abri de laquelle la nation anglaise avait joui de tant de bonheur et de tant de gloire pendant un si grand nombre d'âges; cette religion d'hospitalité et de charité, cette religion sous le règne de laquelle on n'avait pas connu le nom de pauvre; celle religion qui avait élevé les églises et les cathédrales ; qui avait planté

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/^03 RÉFOiiMË Protestante.

et fertilisé ces universités dont les professeurs avaient fait la grande charte et rédigé le droit coutumier 'y cette religion enfin à laquelle avaient appartenu tous ces actes glorieux dans la légis- lation comme dans les armes qui avaient rendu l'Angleterre l'envie des nations voisines et l'ad- miration du monde; il paraissait impossible sur- tout si ce tyran virago vivait encore pendant vingt autres années ( ce qui arriva ) de l'em- pêcher d'opérer complètement cette destruction. Elle fut cependant arrêtée dans l'exécution de son projet par le zèle et les talens de William Allen, gentilhoniine anglais qui était alors prê- tre , et avait auparavant appartenu à l'univer- sité d'Oxford. Voulant arrêter le projet de cette reine impie de détruire la religion catholique , il forma à Douay , en Flandres, un séminaire pour l'éducation des prêtres anglais. Il fut aidé per plusieurs autres hommes instruits, et c'est de ce dépôt que les prêtres venaient en Angleter- re, quoiqu'en exposant manifestement leurs jours. Ce fut ce qui mit un frein à la méchanceté de cet apostat inexorable. La mer se trouvait en- tre elle et Allen; mais s'il pouvait défier en sûreté ses tortures et ses tourmens elle ne pouvait de son côté défier ainsi ses moyens , car il lui était impossible d'élever une muraille autour de l'île pour empêcher aux prêtres d'y pénétrer ; et malgré ses cent espions et ses mille poursui- vans ( c'est ainsi qu'on noaimait les mirmidons

Lettre XL 4*J^>

qui exécutaient ses ordres sanguinaires ) , le clergé anglais ne cessa point d'exister et avec lui la religion de ses pères. Brûlant du désir de dé- truire le séminaire à' ^ lien , qui fut fait en- suite cardinal , et dont on ne peut prononcer le nom sans éprouver un sentiment d'admiration , elle eut recours à toutes sortes de projets , et elle finit par fermer perfidement ses ports à la Hotte des insurgés hollandais et flamands aux- quels elle avait promis sa protection pour ob- tenir du gouverneur espagnol la dissolution du collège à.' ^ lien. Mais il trouva un refuge en France auprès de la maison de Guise, qui, mai- gré les remontrances les plus vives de la part de la bonne Bess au roi de France, l'établit à Reims avec son séminaire.

342. Ainsi trompée dans tous ses projets pour détruire le tronc qui fournissait les mission- naires , elle tomba avec plus de furie que ja- mais sur les branches et sur le fruit. Dire la messe ou V entendre , faire une confession ou l'écouter , enseigner la religion catholique ou l'étudier , ne pas assister aux offices de son église y c'était autant de grands crimes que l'on punissait tous avec plus ou moins de sévérité ; de sorte que les potences , les gibets et les tor- tures n'avaient aucun relâche , et les piisons , ainsi que les donjons , regorgeaient de victi- mes. La peine de ceux qui ne fréquentaient pas son église était de 20 iiv. par mois lunaire ^

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4o4 PiÉFORME Protestante.

ce qui , en monnaie d'aujourd'hui , équivaut à aSo iiv. Des milliers de catlioliques refusèrent successivement d'aller à son église, ce qui fit au- tant de biens qu'elle put piller à "volonté. Car observez qu'ils étaient tenus à payer par an une amende équivalente à Ssoo Iiv. en monnaie ac- tuelle. C'est ici, juste et sensible lecteur, qu'il faut remarquer la barbarie de cette " Pvéforme " protestante. Voyez un homme bien né, âgé peut- être de soixante ans ou même plus : il est et a été élevé dans la religion catholique, et on le force à se faire mendiant avec ses enfans, à devenir mendiant, ou à commettre ce qu'il re- garde comme un acte d'apostasie et de blasphème. Figurez-vous , si vous le pouvez , une barbarie égale à celle-là ; et encore on ne la voit dans son jour le plus horrible que quand on se rap- pelle que le tyran qui la commit avait , pen- dant plusieurs années, professé ouvertement la religion catholique et avait juré à son sacre qu'elle croyait fermement en cette religion.

343. Pour donner plus de force à ces horri- bles edits , on eut constamment recours à tou- tes les insultes que des esprits oisifs pouvaient inventer. Celui qui était catholique ou regardé comme tel n'avait pas un moment de sûreté ni de repos. A toutes les heures , mais surtout pen- dant la nuit les brigands entraient dans sa mai- son en en brisant les portes; ils s'élançaient, en se séparant par bandes, dans les apparlemens,

Lettre XJ. 4^5

forçaient les cabinets, les coffres et les tiroirs; ils examinaient les lits et les poches ; enfin il n'était pas de lieu ils ne cherchassent des prêtres , des livres, dus ornemens, des croix ou d'autres objets qui appartinssent au culte ca- tholique. On en força plusieurs à vendre leurs propriétés, morceau par morceau, afin de payer les amendes; lorsqu'ils étaient en arrière, le tyran était autorisé par la loi à se saisir de leur personne et à s'emparer des deux tiers de leurs propriétés tous les six mois. Quelquefois on leur permettait , et c'était une grande grâce , de payer tous les ans une somme dont on convenait pour pouvoir s'abstenir de ce qu'ils regardaient comme une apostasie et un blasphème. Mais toutes les fois qu'elle soupçonnait que sa vie était en danger , pour quelque cause que ce fût , et elle avait toujours assez de justes causes, les amendes ou les arrangemens ne lui donnaient aucune con- sidération pour eux. Elle les enfermait , soit dans les prisons, soit dans les maisons des protestans, et les tenait éloignés de chez eux pendant des années. Le catholique ne jouissait d'aucune sé- curité, même dans sa propre maison; il avait à redouter l'indiscrétion des enfans ou des amis , la malice des ennemis, la vengeance des fermiers ou des serviteurs , les conclusions hasardées du faux soupçon , l'infamie de ces hommes qui , pour de l'argent, sont toujours prêts à commettre un parjure, l'avidité et la corruption des constables,

4o6 PiÉFORME Protestante.

des shériiTs, des magistrats, et la prévention vi- rulente du fanatisme. Le catholique anglais con- sciencieux et riche vivait continuellement exposé à toutes les passions ennemies de la justice , du bonheur et de la paix, à tous les maux contre lesquels les lois, d'après leuroLjet, doivent pro- téger l'homme. Et tout cela se passait sur cette terre qui avait acquis dans le monde entier une si grande renommée par les actions de valeur et les lois sages de nos ancêtres catholiques.

344- Quant aux pauvres catholiques qui refu- fiaient ^ c'est-à-dire qui ne fréquentaient point l'église du tyran, ceux qui n'avaient pas de quoi payer les amendes étaient jetés dans les prisons jusqu'à ce que celles-ci (ce qui arrivait souvent) n'en pussent plus contenir, et jusqu'à ce que les comtés demandassent à être soulagés du soin de les entretenir. Alors on les relâchait, mais après les apoir fouettés publiquement ou leur avoir percé les oreilles avec un fer chaud. Cette me- sure même ne suffisant pas , on fit passer un acte qui forçait tous ceux qui refusaient et n'avaient pas un revenu de vingt marcs par an à quitter le pays trois mois après leur jugement, et or- donnait de les punir de mort dans le cas ils reviendraient. La bonne vieille Bess se trompa elle-même dans cette circonstance , car on vit qu'il était impossible de faire exécuter cette loi , malgré les menaces dont on cherchait à effrayer les jnges et les sheriffs que l'on ne put porter

Lettre XI. 4^7

à imiter sa sévérité ; et dès-lors pour pnnir les pauvres calholiques , ils levèrent sur eux des sommes à leur bon plaisir , comme composition pour le crime qu'ils commettaient en s'abstenant de l'apostasie et de la profanation.

345. Les catholiques eurent penJant quelque temps l'espoir que, par une déclaration de leur loyauté , ils obtiendraient de la reine quelque allégement au moins de leurs peines. Ils rédigè- rent donc une pétition très-respectueuse dans laquelle ils exposèrent leurs principes, leurs souf- frances et leurs prières. Mais à qui s'adressaient- ils ? A celle à laquelle la vérité , la justice et la pitié avaient toujours été également inconnues. Lorsque la pétition fut rédigée, tous tremblèrent à la pensée du danger de la lui présenter. En- fin Richard ScHELLE Y de Michael Grove, comté de Sussex , se chargea de cette commission péril- leuse. Elle eut la bassesse incomparable (comme elle l'eut fait pour tout autre qui la lui aurait offerte) de ne lui faire répondre que par les som- bres échos d'une prison empestée , il expira victime de son courage et de la cruauté de cette femme implacable.

346. Venez nous parler des tyrans catholi- ques ! dites que c'est par des actes de force et de cruauté que les catholiques ont propagé leur foi. .le ne conçois pas comment un Anglais qui remit son pain delà dépouille des cathoiitjues, peut avoir assez peu de pudeur pour s'exprimer de cette

4o8 Réforme Protestante.

manière. Nos historiens "protestans" ne craignent pas de nous dire que les vaisseaux de l'armée espagnole étaient chargés de tortures que l'on devait employer contre les Anglais qui n'en fu- rent préservés que par la sagesse et la valeur de la bonne et glorieuse reine Bess. On peut ré- pondre d'abord que ce ne fut pas l'illustre Bess, mais bien la tempête qui empêcha l'invasion de s'effectuer , et ensuite que les Espagnols pou- vaient très-bien s'épargner la peine de trans- porter des tortures, puisque la bonne Betsy en avait toujours un grand nombre qu'elle te- nait en bon ordre et dont elle faisait un usage très-fiéquent. Je sens que ces recherches doi- vent faire éprouver aux protestans des sentimens pénibles, mais la justice veut que je décrive ici un ou deux de ces instrumens : nous y ver- rons quelques-uns des plus puissans de ces moyens dont elle se servit pour établir son " église pro- testante. " Et ici je remercie le docteur Lin- GARD de m'avoir mis ù même , par la note V du 5^ volume de son histoire , de donner cette description. " Une espèce de torture que l'on nommait la fille de Scavenger était un large cer- ceau de fer formé de deux parties réunies par une charnière. Le prisonnier devait se mettre à genoux sur le pavé et se resserrer dans un aussi petit espace que possible; ensuite le bour- reau appuyant ses genoux sur les épaules du patient et lui passant le cerceau sous les jam-

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bes sériait la victime jusqu'à ce qu'il pût lier les pieds et les mains sur le défaut des côtes. La durée de cette torture était à' une heure et demie, et pendant ce temps le sang ruisselait des narines, souvent même des pieds et des mains. " TJ aimable Betsy avait encore d'autres argu- mens de conversion dont elle se servait pour détruire les erreurs damnahles du papisme; mais son argument le plus irrésistible était la torture proprement dite. Cet instrument était une large machine de bois de cliène , haute de trois pieds; on étendait au-dessous le prisonnier couché sur le dos. A ses poignets et à ses chevilles on attachait des cordes qui venaient se rouler sur deux axes placés aux extrémités de la machine ; ceux-ci étaient mis en mouvement , à l'aide de leviers , dans des directions opposées, jusqu'à ce que le corps se trouvât de niveau avec la machine. Celait alors que l'on adressait des questions au patient, et si les réponses ne satisfaisaient pas, on ser- rait de plus en plus jusqu'à ce que les os fus- sent déboîtés.

347. Voyez " protestans " voyez , vous qui cherchez à rabaisser la religion catholique , voyez quelques-uns des moyens que la bonne Bess a mis en usage pour étendre son église " établie par la loi. " Comparez , oui , comparez , s'il vous reste encore quelque justice , ces moyens avec les moyens qu'employèrent ceux qui intro- duisirent et établirent l'église catholique !

4io Réfor?,ie Protestante.

348. Les autres événemens du règne de celte femme féroce ne sont plus que d'un faible in- térêt , et ils n'appartiennent point à mon sujet ; mais puisque le Yioète pensionné JA'yi^jY-Tnomso's nous a parlé dans cette chédve pièce qu'aucun homme de sens ne peut plus supporter lorsqu'il est arrivé à l'âge de vingt ans , de la " gloire du règne de la vierge , " il ne me sera pas inutile , avant de prendre congé de cette bonne reine, de faire observer que ses hauts faits fu- rent d'avoir violé un grand nombre de traités et de pactes solennels \ d'avoir continuellement excité des sujets rebelles contre leur souverain; d'avoir eu une flotte de pirates , une armée de pillards , d'avoir troqué pour une légère somme d'argent la ville importante de Calais , et de n'a- voir pas même ajouté une seule feuille de lau- rier aux nombreux rameaux qui , depuis des siècles, ornaient le front de l'Angleterre. Quant à ses vertus " virginales ^'' Witaker ( u'ou- l)lions pas qu'il était ministre protestant) dit que .sa vie fui souillée par une licence sans bor- nes ^ qu'elle eut plusieurs amans, tandis qu'elle .s'appelait la reine vierge. Sa vie, comme il le dit , ne fat qu'une suite de méchancetés et de malheurs; et à sa mort ( qui arriva l'an i6o3 dans sa soixante-dixième année et la quarante- cinquième de son règne ) elle fit tout le mal qu'il lui fut encore possible de faire, en refu- sant oh.'^liiiément de nommer son successeur et

Lettre XL 4 ^ *

en laissant à un peuple qu'elle avait pillé et tourmenté pendant quarante-cinq ans l'attente d'une guerre civile comme un legs de méchan- ceté après sa mort. Les historiens ne sont pas d'accord sur celui que l'on doit regarder comme l'homme le plus détestable que l'Angleterre ait produit , de son père eu de Cranmer , mais tout le monde doit s'accorder à dire qu'elle fut la plus épouvantable femme qui ait existé en An- gleterre on dans le monde entier, sans en ex- cepter même Jézabel.

4i2 Réforme Protestante.

XII.

LETTRE Xn. Avènement de Jacques I". Persécution horrible

DES CATHOLIQUES. CoMPLOT DES POUDRES. CHAR- LES I^"^ MIS AU NOMBRE DES MARTYRS. SeCONDE RÉFORME , OU RÉFORME VRAIMENT PURE. ChARLES IL

Complots et ingratitude qui signalent son RÈGNE. Jacques IL II cherche a introduire une tolérance générale. Aurore de la glorieuse révolution.

Mes Amis, Kensington, le Zi octob. 1825.

349- J'ai prouvé sans réplique, dans les numéros précédens , que ce qu'on appelle la " réforme " fat enfanté par une incontinence brutale, nourri par l'hypocrisie et la perfidie, et cimenté par des torrens de sang anglais et irlandais. On a pu- blié ce qu'on nomme des réponses à mes lettres ; mais ces réponses ( sur lesquelles je reviendrai avant de teirmner ) évitent le sujet principal de la question : elles s'appesantissent sur ce que leurs auteurs disent être des erreurs de la reli- gion catholique et sans chercher même à nous expliquer comment cette religion " protestante "

Lettre XÎI. 4 '3

qui renferme environ quarante sectes différen- tes, toutes en guerre les unes contre les autres peut être exempte d'erreurs ^ mais elles ne nient pas que cette nouvelle religion dut son origine à une incontinence brutale et fut le résultat de l'hypocrisie et de la perfidie. Nient-ils qu'elle fut établie par le pillage, la tyrannie, les ha- ches , les potences , les gibets et les tortures ? Leurs auteurs répondent-ils d'une manière né- gative et directe à une seule de ces importan- tes propositions? Non : les faits sont devant eux, l'histoire est , et , ce qu'il leur est impossi- ble de nier , les actes du parlement écrits en lettres de sang , dont quelques-uns ont encore force de loi aujourd'hui , tourmentent le peu- ple et mettent l'état en danger , existent en- core pour les confondre. Mais que répondit- on donc ? Soutiennent-ils hardiment que l'inconti- nence brutale, l'hypocrisie, la perfidie, le pil- lage, les haches, les potences, les gibets et les tortures sont des choses bonnes et des signes ex- térieurs de la pureté et de la grâce évangéli- que intérieure ? Non : ils se taisent sur ces su- jets; mais leurs critiques se portent sur les mœurs particulières des prêtres , des cardinaux et des Papes, sur les rites, les cérémonies, les articles de foi et les règles de discipline : questions dont je ne me suis point occupé et qui sont tout-à- fait étrangères à mon sujet , puisque , comme l'indique le titre de mon ouvrage , je ne me suis

4i4 Réforme Protestante.

proposé que de prouver que la " Réforme " a appauvri et dégradé la masse du peuple d'An- gleterre et d'Irlande. J'ai fait voir que ce chan- gement de religion fut amené par quelques-uns des plus infâmes, sinon les plus infâmes des hom- mes qui aient jamais vécu ; j'ai montré que les moyens qui furent mis en usage étaient de ceux qui révoltent la nature humaine. Jusqu'ici je ne puis recevoir aucune téponse de ceux qui ne sont pas décidés à nier l'authenticité des lois, il me reste encore à prouver, d'après les mêmes sour- ces, que l'appauvrissement et la dégradation fu- rent les suites de ce changement de religion, et cela aussi-bien pour la nation considérée dans son ensemble que pour le peuple en particu- lier.

35o. Quoique nous ayons vu que la religion *' protestante " ait été complètement établie par les gibets, les tortures, etc., je dois avant d'en venir à l'appauvrissement et à la dégradation qui en furent les résultats ( ce dont je donnerai les preuves les plus incontestables ), je dois, dis-je, donner quelques détails sur ce que devinrent les réformateurs après qu'ils eurent établi leur sys- tème. Ce numéro va nous montrer la " Réforme " en produisant une seconde; et très-certainement avec de grandes améliorations ( car chaque gé- nération est toujours plus sage que celle qui l'a précédée.) La première n'avait été (\\i!\kue'-'- pieuse Reforms y " maia nous verrons que la seconde

Lettre XII. 4 ^ ^^

fut beaucoup plus pure. La lettre suivante ( ou la treizième ) nous conduira à une troisième Ré- forme, appelée ordinairement Réforme glorieuse ou révolulion. La quatorzième nous fera con- naître des événemens encore plus grands, les Ré- formes ou révolutions d'Amérique et de France. Nous suivrons aussi facilement les traces de ces dernières jusqu'à la première " Réforme, " qu'on peut suivre les branches d'un arbre jusqu'à sa racine. Et ensuite dans l'autre ou les autres let- tres nous en ferons reconnaître le fruit dans l'im- moralité , les crimes , la pauvreté et la dégra- dation de la masse du peuple. Ce ne sera pas sans intérêt que nous verrons les Réformes ou révolutions d'Amérique et de France reprenant les principes du peuple anglais " réforméj " et, ce qui ne seia pas moins curieux, et beaucoup plus important, forçant le peuple "réformé " à cesser de tourmenter les catholiques qui avaient été harcelés sans pitié depuis plus de deux siècles. 35 1. La bonne et illustre Betsy, qui parmi ses autres pieuses actions distribua à ses favoris, auxquels elle ne pouvait plus donner d'églises à piller, le monopole de presque toutes les cho- ses de première nécessité , comme le sel qui se vendait ordinaiiement 2 deniers le boisseau et s'éleva à i5 schelliiigs ou environ sept livres de la monnaie actuelle ( 173 francs); la viergeBETSY^ qui, comme le dit Witaker , avait en expirant gardé un profond silence sur son successeur et

4i6 Réforme I^rotestante.

avait laissé la probabilité d'une guerre civile comme un legs de sa méchanceté , fut cepen- dant remplacée par Jacques I. Cet enfant que la pauvre Marie Stuart portait dans son sein lors- que son mari Henri Stuart , comte de Darnlej et ses complices massacrèrent Piizio en sa pré- sence, comme nous l'avons vu dans le paragra- phe 3o8. Arrivé à l'âge viril il se fit presbyté- rien , fat entretenu par Bess et abandonna sa mère à la fureur de cette femme implacable. Un de ses premiers actes en Angleterre fut d'élever ce Cecil, fils de l'ancien Cecil, qui avait à la y évité hérité des grands taiens de son père, mais qui, comme tout le monde le savait, avait été l'ennemi mortel de la mère infortunée du nou- veau roi.

352. Jacques, comme tous les Stuarts, à l'ex- ception du dernier , était à la fois prodigue et intéressé, fantasque et crédule, faible et tyran- nique ; mais le principal trait de son caractère était le manque de bonne foi. Il nous serait inutile de donner des détails sur les actes de ce règne méprisable, dont les prodigalités, les dé- bauches et la sottise préparèrent cette révolu- lion qui arriva ensuite lorsque les réformateurs *' épurés " firent enfin un martyr dont le nom put être inscrit sur les pages encore blanches du calendrier " protestant. " Je passerais ce règne sous le silence , d'après le but que je me pro- pose, si je n'étais arrêté par le complot des pou-

Lettre XII. 4 ' 7

(Ires qui seul se rattache au souvenir de ce Sluart et dont je vais m'occuper plus qu'il ne mérite parce qu'il a été et qu'il est encore une source fréquente et générale d'erreurs.

353. Qu'il y ait eu un complot l'an i6o5 ( la seconde année du règne de Jacques ) , dont le but était de faire sauter en même temps le roi et les deux chambres du parlement le premier jour de la session 5 que des catholiques seuls y étaient engagés; que les conspirateurs étaient prêts à le mettre à exécution , et qu'ils l'avouèrent tous à la fin , ce sont autant de faits que per- sonne n'a cherché à nier , pas plus que per- sonne n'a cherché à nier qu'il eût été tramé dans le Cato-Street un complot qui avait pour but de faire trancher la tête à Sidmoutii et à Castlereagh; intention qu'avouèrent les com- plices jusqu'à la fin , d'abord aux ofiîciers qui les prirent, au juge qui les condamna, et enfin au peuple qui vit tomber leurs têtes.

354- Mais de même qu'on a reproché avec autant de bassesse que de fausseté aux réfqr- mateiirs du parlement d'avoir eux-mêmes pré- paré ce dernier acte , de même on a faussement et bassement accusé les catholiques en général d'avoir participé au complot de i6o5. Mais quant aux conspirateurs eux-mêmes , si nous voulons connaître l'étendue de leur crime , devons-nous négliger de prendre en considération la provo- cation qu'ils avaient reçue ? Frapper un homme

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4i8 Réforme Protestante.

c'est l'atlaquer-, tuer un homme c'est commettre un meurtre : mais attaque-t-on ou commet-on un meurtre toutes les fois que l'on frappe ou que l'on tue ? non : car nous pouvons en toute justice frapper et tuer un voleur. Les écrivains protestans ont avancé deux choses également fausses : la première c'est que les calholiquea en général encouragèrent ou approuvèrent le complot des poudres , et la seconde c'est que ee complot fournit une preuve des principes san- guinaires de leur religion. Quant à la première, le contraire fut complètement et juridiquement prouvé par le fait j et quant à la seconde , en supposant que les conspirateurs n'ont point été provoqués, ceux de Cato- Street n'étaient certai- nement pas catholiques, et dira-ton que ceux-là étaient calholi(jues qui firent mériter à Charles I une place dans le calendrier, et, remarquez-le bien , après qu'il eut reconnu ses erreurs et qu'il les eut réparées autant qu'il fut en lui.

355. Mais ces conspirateurs avaient été pro- voqués. Le roi , avant de monter sur le trône , avait promis d'adoucir les lois pénales , qui , comme nous l'avons vu, rendaient la vie à charge aux catholiques. Loin de , au contraire , ces lois devinrent encore plus rigoureuses qu'elles ne l'avaient été sous le règne précédent. Toutes les espèces d'insultes et d'injures que les catho- liques avaient été obligés de supporter pendant les persécutions de l'EgUse rétablie étaient en-

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core outrées par ce levain de méchanceté et de férocité presbytérienne que l'Angleterre avait im- porté du nord , et qui avait répandu sur ce pays sacrilié des hordes innombrables des plus grands coquins et des pillards les plus insolens que Dieu eut jamais envoyés sur la terre pour la dévaster et la punir. Nous avons vu dans les paragraphes v34o, 341, 342, 343, comment les maisons des catholiques riches, quirestaient fidèles, étaient pil- lées, nous avons vu la manière dont elles étaient visitées ; dans quelle frayeur constante étaient ces hommes infortunés ; comment enfin on leur enlevait leurs biens pour les punir du refus et des autres choses que l'on traitait de crimes. Nous avons vu l'ancienne noblesse de l'Angle- terre dont les familles habitaient les mêmes de- meures depuis des siècles et s'étaient toujours fait aimer et vénérer par leur hospitalité et leur charité , nous l'avons vue , dis- je , réduite gra- duellement à la mendicité par ces amendes in- justes et ces extorsions exorbitantes. Mais quelle était leur position alors! On avait laissé, comme cela s'était déjà fait, accumuler les amendes sans les exiger , afin de mettre ceux qui devaient de si grosses sommes à la disposition de la cou- ronne ; et Jacques, auquel sa prodigafité ne permettait pas de satisfaire sur ses propres fi- nances l'avidité de ses favoris écossais , aban- donna la noblesse anglaise catholique à ces favoris rapaces , qui, forts de l'autorité royale,

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420 Kéforme Protestante.

tombèrent avec toute leur barbarie ordinaire sur ces victimes qu'on leur sacrifiait, comme le milan fond avec rapidité sur la colombe sans défense. Us entrèrent dans leurs demeures, visitèrent les cabinets , les tiroirs , les lits , s'emparèrent de l'état de leurs revenus , dans beaucoup de cas chassèrent leurs femmes et leurs enfans, et, avec toute l'insolence de gueux devenus riches , se firent une risée de la ruine et de la misère des personnes innocentes qu'ils avaient dépouillées. 356. La nature humaine ne pouvait pas sup- porter une obéissance passive plus longue ; et à la fm un des gentilshommes anglais qui avaient été opprimés et insultés, Piobert Catesby du Northamptonshire , résolut d'essayer de se dé- livrer avec ses frères de ce fléau presqu'infer- nal. Mais quels moyens pouvait-il employer dans l'état actuel des affaires ? Il n'avait aucun se- cours à espérer du dehors ; il ne pouvait éga- lement pas compter sur une insurrection dans l'intérieur , tant que l'autorité resterait entre les mains de ceux qui faisaient et exécutaient ces loi barbares. Il en conclut donc que s'il res- tait quelqu'espoir de délivrance ce ne pouvait être que dans la destruction de tous ces hommes à la fois, et pour exécuter ce projet il ne trouva pas d'autre moyen que de faire sauter le palais du parlement tous seraient réunis le premier jour de la session. Il trouva bientôt quelques associés y mais leur nombre ne monta pas au-

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deid de treize ; si Ion en excepte trois ou qua- tre , ils appartenaient à des rangs peu élevés de la société : c'est parmi ceux-ci qu'était Guy Fawkes du Yorkshire qui avait servi dans les guerres de Flandres avec le grade d'officier. Ce fut lui qui se chargea de mettre le feu à la masse de poudre qui consistait en trente-six ba- rils ; ce fut lui qui avait résolu , s'il ne pouvait le faire autrement , de se faire sauter lui-même avec les persécuteurs de ses fières : ce fut lui qui, le 5 novembre i6o5, peu d'heures seule- ment avant que le parlement se rassemblât, fut pris sous la voûte , ayant deux mèches dans sa poche et une lanterne sourde à son côté , prêt à exécuter son projet effroyable. Ce fut lui qui, amené devant le roi et son conseil , répondit avec fierté à toutes leurs questions. Ce fut lui qui répondit à un lord écossais du conseil , qui lui avait demandé pourquoi il avait réuni tant de barils de poudre, '' pour vous faire sauter , mendians écossais , au-delà de vos montarrncs natales , '' et qui , par cette réponse , fit con- naître la vraie cause de cette conspiration mé- morable. Réponse que l'on devrait écrire devant la bouche des images de cet homme , que d'a- droits coquins font brûler tous les ans, le 5 no- vembre , par d'imbécilles enfaris. Jacques (que ses pensées simples ont élevé au rang d'auteur ) lui rendit justice , au moins sous un rapport. Dans ses ouvrages il appelle Fawkes le Scé-

i!{22 Réforme Protestante.

vola anglais. L'histoire nous apprend que ce fameux Romain ayant manqué son coup lors- qu'il voulait tuer le tyran qui avait asservi sa patrie , mit sur un brasier ardent la main qui s'était trompée et l'y laissa brûler tandis que ses regards défiaient le tyran.

357. On poursuivit Catesby et les autres conspirateurs : le premier mourut avec trois de ses associés , les armes à la main , en combat- tant contre ceux qui les poursuivaient. Les au- tres ( excepté Tresham qui fut empoisonné en prison ) furent exécutés , ainsi que le fameux Jésuite Garnet qui n'avait à se reprocher au- cun crime qui eût rapport à la conspiration : il n'en avait eu connaissance que par la confes- sion , et au contraire il avait fait tout ce qu'il avait pu pour l'empêcher d'avoir lieu. Il fut sa- crifié à ce fanatisme inflexible qui , encouragé d'abord par ce succès et d'autres semblables , finit, comme nous le verrons bientôt, par faire tomber la tète du fds et du successeur de ce même roi. Le roi et le parlement n'éprouvèrent aucun sentiment d'humanité pour les conspirateurs. Parmi les injustices faites aux catholiques ils n'a- vaient pas encore été exclus du parlement , et ils ne le furent que sous le règne de Charles II; de sorte que si le palais eût sauté , tous les ca- tholiques présens , pairs ou membres , auraient partagé la destinée des protestans. Les conspi- lateurs pe pouvaient avertir les catholiques sans

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exciter quelques soupçons. Ils donnèient quel- ques avertissemens lorsqu'ils le purent, et ce fut ce qui les fit découvrir à temps. Sans cela , tous les membres des deux chambres et le roi auraient été réduits en poudre; car, quoique Cecil connut le complot long-temps avant le temps il devait être exécuté , quoiqu'il prît soin de l'entretenir jusqu'au moment il con- viendrait de le découvrir , quoiqu'il fut très- probablement l'auteur d'une lettre d'avertisse- ment qui , envoyée sous l'anonyme à un noble catholique et communiquée par celui-ci au gou- vernement, devint la cause ostensible^ de cette découverte; malgré ces faits certains, il ne pa- raît pas qu'il soit lui-même l'auteur de ce com- plot, ni qu'on puisse l'attribuer à tout autre qu'à Ca.tesby, dont les hommes jugeront différem- ment la conduite , d'après leur différence d'opi- nions sur l'obéissance passive et la non-résistance. 358. Je devrais m'en tenir sur le fameux complot des poudres , mais puisqu'on l'a attri- l)ué à une manie sanguinaire que l'on dit être le fruit naturel de la religion catholique, puis- que dans notre livre de prières on nous apprend, en nous adressant à Dieu , à appeler indifférem- ment tous les catholiques nos cruels et sangui- naires ennemis _, voyons un peu ce que les pro- testans peuvent avoir tenté ou fait dans le même genre. Le roi Jacques , comme il l'assura lui- même , fut sur le point d'être assassiné par ees

^^4 Réforme Protestante.

sujets écossais protestans , le comte Gowry et ses complices; et peu de temps après, il ne s'en fallut pas de beaucoup que les bourgeois pro- testans de Perth , pleins de fureur , le fissent sauter avec toute sa suite ( Voy. Collier , His- toire de l'Église , vol. II ). Plus tard , les pro- testans des Pays-Bas firent un complot pour faire sauter leur gouverneur , le prince de Parme , avec toute la noblesse et les magistrats de ces pays rassemblés dans la ville d'Anvers. Mais les protestans ne furent pas toujours malheureux dans leurs complots, et ceux qui s'y engagèrent ne furent pas toujours des individus d'une nais- sance obscure. Le père du roi Jacques, roi d'Ecosse , ne mourut-il pas de cette manière ? Ici l'on ne donna d'avertissement à personne , et tous les serviteurs , toutes les personnes de sa suite, quelle que fût leur religion et leur sexe , furent massacrés sans remords avec leur maître , à l'exception seulement de ceux qui se sauvè- rent par hasard. Et qui conamit ce crime ? les catholiques altérés de sang ? non : mais les fils de \ évangile ( c'est le nom qu'ils se donnaient ) les sectateurs de ce Knox auquel on vient d'-éle- ver ou auquel on élève maintenant à Glasgow un monument. Les conspirateurs dans ce cas n'étaient pas treize hommes obscurs, et les pro- vocations qu'ils avaie^it reçues n'avaient point été capables de troubler leur raison ; mais bien un corps de nobles et de gentilshommes qui n'avaient

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été nullement provoqués par Marie Stuart , et dont les coups étaient plutôt destinés à cette reine qu'à son mari. C'est dans les propres ex- pressions de WiTAKER que nous devons cher- cher à connaître ces conspirateurs : mais le lec- teur ne doit pas oublier que Witaker , qui publia son ouvrage en 1790, était ministre de l'église d'Angleterre , recteur de Ruhan-Lany- horne , dans le comté de Cornouailles , et qu'il appartenait à cette partie du clergé qui s'oppo- sait avec le plus de force aux coutumes , aux cérémonies et aux dogmes de l'église catholique; c'était un homme vraiment horméte, aimant au- tant la vérité qu'il détestait l'injustice. Écoutez donc ce savant ministre parler du complot pro- testant des poudres sur lequel il avait fait les plus vastes recherches et répandu les plus gran- des lumières ( Voyez apologie de Marie , reine d'Ecosse , vol. Ill ). " 11 est impossible de ne pas reconnaître le crime de cette méchante fem- me, Elisabeth et celui de cet homme infâme, Cecil : car autant qu'il nous est possible d'en juger , voici quelle était la disposition de ce drame sanglant. Le plan en fut d'abord dressé entre Elisabeth , Cecil , Morton et Murray , et l'on eu confia l'exécution à Lethington, à BoTHWELLCt à Belfour. Ce fut, nous n'en pou- vons pas douter, pour défendre les conspirateurs eux-mêmes , Morton et Murray , que Elisabeth jit retomber leur propre meurtre sur V innocente

426 Réforme Protestante.

Marie, " L'enfer lui-même, le diable qui, comme le dit Luther, fut si long-temps le compagnon et si souvent le camarade de lit de ce premier réformateur , a-t-il jamais rien fait qui fût aussi noir que ce complot protestant? Qu'on ne vienne donc plus nous parler de cette soif de sang de la religion catholique ; et si nous devons avoir encore notre 5 novembre , que les sages dis- ciples de K N 0 X , les habitans de la moderne Athènes aient aussi leur \o féuiier. Qu'ils aient aussi ( car ce haut fait appartient aux protes- tans ) leur Zo janvier, l'anniversaire du meurtre du fils de ce même roi Jacques. Personne ne connaissait mieux que Jacques l'histoire de la fin de son père et de sa mère. Il savait que tous les deux ils avaient été massacrés par les pro- teslans , et surtout avec des circonstances d'a- trocité dont les annales de l'infamie humaine ne présentent pas d'exemple. Aussi n'était-il pas disposé de lui-même à employer à l'occasion de ce complot des mesures violentes contre les ca- llioliques ; mais il fut bientôt entraîné par l'a- mour du pillage de ses favoris. C'est alors que commença à briller avec une nouvelle fureur cet esprit de " réforme " protestante qui finit par 1 rancher les jours à son fils et son successeur , comme il avait abrégé ceux de son père et de sa mère.

35g. Charles I, qui monta sur le trône à la mort de son père en 1625 , n'ayant pas plus

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de bon sens , mais paraissant plus haut et plus deposte que son père , semblait vouloir retour- ner en affaire de religion vers le culte et les céré- monies catholiques , tandis que ses parleraens et son peuple devenaient chaque jour de plus en plus puritains. Il s'éleva entre eux plusieurs su- jets de querelles ; mais le principal était la re- ligion. Les catholiques souffraient pendant tout ce temps, et surtout ceux d'Irlande qui étaient pil- lés et massacrés par districts entiers , particu- lièrement sous Went WORTH qui commit plus d'injustices qu'il n'en avait jamais été commis jusqu'alors dans cette malheureuse contrée; mais tout cela ne sullisait pas pour satisfaire les pu- ritains, et Laud, primat de l'église établie, ayant beaucoup travaillé à élever cette église en pou- voir et en dignité , les protestans les plus purs demandèrent une autre réforme et ce qu'ils ap- pelèrent une " réforme vraiment pieuse. "

36o. Ainsi cette église protestante et ce roi protestant apprenaient donc alors que les réfor- mes, comme les comètes, ont aussi leurs queues. Cette politique de fer de la vieille Be s s qui surveillait et écrasait tous les opposans n'exis- tait plus alors. Les puritains réunissaient arti- ficieuseraentles fautes politiques qui étaient réelles et nombreuses avec les cérémonies et les princi- pes religieux ; et comme ils avaient pour eux sur le premier point la masse du peuple , oui du reste était devenu fort indiS-érent sur le se-

^28 Réforme Protestante.

cond, à cause des changemeris sans fin de croyan- ce , ils devinrent bientôt , sous le nom de par- lement, les seuls maîtres du pays ; ils abolirent l'église et la cliambre des lords, et enfin mirent en 1649 pf^iidant les progrès de leur réforme vraiment pieuse leur infortuné roi en jugement, et le menèrent de à Téchafaud !

36 1. Choses épouvantables, certainement, mais bien naturelles, d'après ce qui avait précédé. S'il fallait, comme le dit Burnet, un homme feZ que Henri VIIÏ pour commencer la réforme, pour- quoi n'en fallait-il pas un tel que Cromwell pour y mettre la dernière main ? S'il fut néces- saire de faire périr More, Fisher et tant de mil- liers d'autres, sans oublier l'aïeule de Charles, accusée de trahison, pourquoi la tête de Char- les eût- elle été si sacrée? Si ce fut d'après la justice que l'on confisqua les biens des monastères et que l'on chassa ou que l'on mit à mort les abbés, les prieurs, les moines et les nonnes, après avoir enlevé à ces dernières jusqu'à leurs bou- cles d'oreilles et leurs dés à coudre en argent, commit-on donc une si grande injustice en pri- vant simplement de leurs titres ceux qui pos- sédaient la propriété dont ils s'étaient emparés? Et quant à 1' "■' église protestante , '' si l'on eut le droit de l'établir sur les ruines de l'ancienne église, à l'aide des baïonnettes allemandes, des amendes , des potences et des tortures , fut-on bien injuste en en rétablissant une nouvelle sur

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les ruines de celle-ci par des moyens beaucoup plus doux? Si au temps dont nous parlons, un des ministres de la bonne Bess qui avait chassé un prêtre de la reine Marie, eût été encore vivant , et eût été obligé d'abandonner son pres- bytère, non poursuivi par les baïonnettes de Bess, mais en suivant les pas d'un pieux soldat de Cromwell lisant la bible, ce ministre aurait- il pu raisonnablement se plaindre ?

362. Ainsi Cromwell ( dont nous devons con- sidérer le règne comme ayant duré depuis 1649 jusqu'en i65g) qui bientôt réduisit le parlement à n'être qu'un instrument dans ses mains , qui fut despote et sanguinaire , qui gouverna avec un sceptre de fer , qui fut enfin un vrai tyran , n'était rien autre chose qu'un fils naturel , comme l'aurait appelé la vierge Betsy, du corps de la réforme. Il fut cruel envers les Irlandais; il les fit massacrer sans compassion ; mais à l'excep- tion de l'acte par lequel il en vendit vingt mille aux Grandes-Indes comme esclaves , en quoi les traita- t-il plus mal que Charles pour lequel et pour les descendans duquel ils furent toujours des sujets loyaux? Cette vente n'était point aussi atroce que plusieurs des actes commis contre eux pendant les trois derniers règnes protestans ; et certainement elle était loin d'être aussi odieuse et aussi horrible que l'ingratitude de l'église établie. 363. Mais la justice nous défend de passer aussi

43o Réforme Protestante.

brièvement sur le règne de Cromwell-, car nous allons voir la seconde réforme que ses auteurs ont appelée " réforme " toute pieuse , soutenir que la première réforme n'était qu'une chose à moitié faite , et que l'église d'Angleterre , telle que l'avait établie la loi , n'était que la fille de la vieille femme impure de Babylone. Cette ré- forme suivit la même marche que la première. Son objet principal était le pillage. Tout ce qui restait des propriétés de l'église fut alors , au- tant que le temps et les autres circonstances le permirent , confisqué et partagé entre les réfor- mateurs, qui, s'ils en avaient eu le temps, au- raient repris tout ce qui avait été pillé d'abord ( comme ils le firent pour une partie ) et se le seraient 'partagé de nouveau ! C'était vraiment une chose curieuse de voir ces pieuses personnes chassant des terres des abbayes les descendans de ceux qui s'en étaient emparés dans la pre- mière réforme : mais ce qui était surtout cu- rieux c'était d'entendre les évêques et les mi- nistres crier au sacrilège lorsqu'on les chassait de leurs palais et de leurs presbytères , eux dont les prédécesseurs avaient pendant toute leur vie cherché à justifier l'expulsion des évêques et des prêtres catholiques qui avaient sur ces biens le droit de prescription et surtout celui qui leur était assuré par la grande charte.

364- Comme si l'on eut voulu faire la seconde " réforme " en tout semblable à la première ,

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il y eut alors un cliangement de religion qui ne fut opéré que par des laïques. Le clergé de l'Eglise rétablie fat calomnié , comme l'avait été celui de l'Eglise catholique ; les évêques furent chassés du parlement , comme l'avaient été les abbés et les évêques catholiques. Les cathédrales furent pillées de nouveau; ces tables de Cran- mer (mises à la place des autels) furent aussi brisées ; il se fit une croisade générale contre les croix , les portraits du Christ , les tableaux religieux , les peintures sur les fenêtres des égli- ses , les images placées au dehors des cathédia- les, et les tombes qu'elles renfermaient ainsi que les églises. Comme dans la première réforme on avait détruit les livres de messe , on détruisit les livres d'église dans la seconde réforme et l'on ordonna de se servir en place d'un nouveau livre appelé le Directeur , et qui n'était rien autre chose qu'une imitation de V Homme chrétien de Henri VIII et du Livre de Prières de Cran- mer. Et pourquoi ce Directeur ne le rempla- cerait-il pas ? si le livre de messe , après avoir servi pendant neuf cents ans et après avoir été approuvé par tous les peuples a pu être détruit, certainement le livre de prières n'ayant que cent ans d'existence et n'ayant jamais été approuvé par la moitié du peuple , a bien pu l'être égale- ment. Si l'on a pu renverser le premier, et même, comme nous l'avons vu paragraphe 2 1 2 , à l'aide du glaive porté par des soldats allemands j on

432 Réforme Protestante.

doit croire que l'on n'aura pas fait plus de mal en renversant le dernier à l'aide du glaive porté par des soldats anglais y à moins qu'il n'y ait, ce que l'on n'a pas encore dit , un attrait par- ticulier pour les Anglais dans les coups du fer des Allemands.

365. Ces deux " réformes " se ressemblaient autant que peuvent le faire une mère et sa fille. La mère eut un Cromwell, ( voy. paragraphe 167) qui fat l'un des principaux agens de son œuvre, et la fille eut aussi un Cromwell; la seule différence qui existait entre eux était que l'un se nommait Thomas et l'autre Olivier. Le premier Cromwell fut chargé de faire une pieuse réforme des erreurs , des hérésies et des abus qui existaient dans l'Eglise ; et le second fut chargé de faire une réforme vraiment pieuse dans l'Eglise. Le premier Cromwell confisqua, pilla' et saccagea les biens de l'Eglise , et le der- nier Cromwell fit absolument la même chose, avec cette différence cependant que le dernier ne vola pas en même temps le bien des pau- vres comme avait fait le premier ; et , ce qui paraît une distinction bien juste, le dernier mou- rut dans son lit , tandis que le premier , lors- que le tyran n'eut plus besoin de ses services , périt sur l'échafaud.

366. Les héros de la seconde " Réforme " étaient de grands lecteurs de la bible , et pres- que chaque homme devint en même temps un

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predicant. Les soldats avaient rarement ce don; aussi réclamèrent-ils le droit de prêcher comme l'une des conditions auxquelles ils consentaient à porter les armes contre le roi. Chacun inter- prétait la bible à sa manière*, ils rejetaient toutes les bibles avec notes ou commentaires. Roger North ( protestant ) fait connaître dans son exa- men les blasphèmes et les horreurs de toutes sortes commises par ces hommes qui avaient em- poisonné les esprits de presque toute la multi- tude. De mille espèces de crimes monstrueux : à Douvres une femme coupa la tête à son en- fant, disant que, comme Abraham, elle en avait reçu un ordre spécial de Dieu. On exécuta à Yorck une femme qui avait crucifié sa mère^ elle avait en même temps sacrifié un veau et un coq ^ et ce n'est qu'un échantillon de cette réforme toute pure. Mais pourquoi ces horreurs n'au- raient-elles pas été commises? Nous voyons des meurtres dans la bible ; si chaque homme doit être son propre interprète de ce livre, qui pourra dire qu'il n'agit pas d'après son interprétation ? Pourquoi toutes ces nouvelles et monstrueuses sectes n'existeraient- elles pas? Si l'on peut faire une seule nouvelle religion, admettre une seule nouvelle croyance , pourquoi pas mille ? Quel droit avait Luther de faire une nouvelle reli- gion , Calvin une nouvelle aussi, Cranmer d'en faire une qui différait de celles de ces deux hommes, et ensuite la bonne Bess d'améliorer

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434 Ré-forme Protestante.

celle de Cranmer. Pouvaient-ils tous avoir le droit de faire une nouvelle religion et les sol- dats éclairés de l'armée de Cromwell être pri- vés de ce droit? Les premiers avançaient tous , comme leur autorité, l'inspiration du St. esprit. Pourquoi Cromwell et ses soldats devaient -ils être privés de l'avantage de pouvoir alléguer la même raison? Ces pauvres hommes pieux étaient- ils de tous les peuples de la terre les seuls qui n'eussent pas le droit de choisir une religion pour eux-mêmes et pour ceux qu'ils avaient sous leurs baïonnettes ? North rapporte qu'un des pieux soldats de Cromwell vint à Edalton par la Ta- mise y ayant une lanterne et cinq lumières , et disant à ceux qu'il rencontrait que Dieu l'avait chargé d'un message pour eux, et qu'ils seraient damnés s'ils ne l'écoutaient pas. Il sortit une des lumières , comme le signe de l'abolition du sab- bat ; une seconde, comme le signe de l'abolition des dîmes et des revenus de l'Eglise; une troi- sième comme le signe de l'abolition de tous les ministres et de tous les magistrats; et enfin, avec la cinquième , il mit le feu à la bible , décla- rant qu'elle était aussi abolie ! C'étaient vrai- ment là de beaux tours à jouer; mais c'était la conséquence naturelle et inévitable de la pre- mière " réforme. ''

367. Sous un rapport cependant ces nouveaux réformateurs différaient des anciens. Ils firent bien une nouvelle religion , commandèrent au

Lettre XIL 435

peuple de la suivre , et infligèrent des peines à ceux qui s'y refusèrent. Mais ces peines étaient comme des lits de plume comparés à des plan- ches de cliéne , par rapport à celles qu'impo- saient la bonne Bess et son église. Ils défendirent l'usage du livre de prières dans toutes les églises et dans l'intérieur des familles j ils punirent la désobéissance à cet ordre d'une amende de cinq livres pour la première offense , de dix livres pour la seconde et de trois ans d'emprisonne- ment pour la troisième ; mais ils ne les pen- daient pas , ils ne leur arrachaient pas les en- trailles comme l'avait fait l'église des souverains d'Angleterre à ceux qui disaient ou entendaient la messe. Quelque méchans que fussent ces fa-^ natiques, quelque mauvaises et injurieuses que fussent leurs actions , ils n'exercèrent jamais et ne tentèrent même jamais d'exercer dans leurs persécutions la centième partie des cruautés qu'a- vait employées l'église d'Angleterre ; et c'est ce qu'elle fit encore aussitôt qu'elle eut recouvré son autorité après le rétablissement de Char- les Il 5 car elle devint plus cruelle pour les ca- tholiques qu'elle ne l'avait été sous le règne de la bonne Bess, et cela quoique des catholiques de toutes les classes se fussent signalés autant qu'il leur fut possible , en faveur de la cause royale , pendant les guerres civiles.

368. Cela semble d'abord n'être pas naturel , mais si nous considérons que cette église d'An-

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436 Réforme Protestante.

gleterre savait bien que ses possessions avaient autrefois appartenu aux catholiques ; que les ca- thédrales , les églises et les collèges éfeaient tous l'œuvre de la piété , du savoir et du désintéres- sement des catholiques , pouvons-nous être surpris que ces nouveaux possesseurs qui s'en étaient rendus maîtres par des moyens que nous con- naissons bien , fissent tout ce qui dépendait d'eux pour empêcher le peuple de voir , d'entendre et de respecter ceux que ces nouveaux posses- seurs avaient remplacés ? C'est ici la vraie et uni- que cause : faites disparaître les biens et l'hos- tilité tombera aussitôt, quoiqu'il y ait, en outre, une grande , et de leur côté , une désavanta- geuse différence entre un clergé marié et un clergé non marié. Le premier n'occupera jamais sur le peuple l'influence qu'obtiendra le dernier. Il y a aussi la supériorité , trop bien connue , d'instruction du côté du clergé catholique; à quoi il faut encore ajouter ( ce qui n'est pas moins notoire ) qu'en fait de controverse les catholi- ques ont toujours eu le dessus ; de l'hostilité profondément enracinée, inflexible, persévérante et implacable de Véglise établie contre les ca- tholiques , non comme hommes _, mais comme catholiques. N'est-ce pas la cause pour laquelle aujourd'hui même on empêche les catholiques d'avoir des clochers et des cloches pour leurs cha- pelles , eux dont la religion nous a donné nos clocherg et nos chapelles? Quelle pourrait être

Lettre XII. 4^7

l'autre cause pour laquelle les prêtres ne peu- vent pas , même de nos jours , se montrer dans les rues ou dans des maisons particulières , a vec leurs habits ecclésiastiques , lors même qu ils doivent remplir leurs fonctions à des funérail- les ? Pourquoi toutes ces peines pour empêcher la religion catholique de se montrer 7 Les hom- mes peuvent prétendre ce qui leur plait ; mais les peines qu'ils se donnent prouvent tout , ex- cepté la conscience de leur droit de la part de ceux qui se donnent ces peines. Pourquoi, lors- que les religieuses anglaises se réfugièrent eu An- gleterre pendant la révolution française , faire passer un bill au parlement | ( comme le fit le clergé anglais ) pour les empêcher de recevoir des élèves protestantes , et ne leur délivrer ce bill qu'après leur avoir fait promettre qu'elles n'en prendraient pas ? Pourrait-on conclure de que les ministres de Winchester étaient per- suadés de la vérité de la religion de l'évJîque de North et de la fausseté de celle de William DE WiCKLAM? Les ministrcs de l'église angli- cane sont assez tolérans envers les sectes de tou- tes les sortes. Ils aiment volontiers le quaker qui rejette le baptême et le sacrement; ils donnent la main à l'unitaire , et lui permettent ouver- tement de combattre ce qu'ils nous disent dans le livre de prières , qu'un homme ne peut pas être sauvé sans la foi; ils leur permettent à tous, et même aux juifs , de présenter aux bénéfices

438 Réforme Protestante.

de l'Église , et ils refusent ce droit aux catho- liques 5 à ceux dont la religion avait fondé tous ces bénéfices.

369. Et qui peut donc douter du motif de cette haine implacable , de cette vigilance per- pétuelle , de cette jalousie invétérée qui ne se repose jamais ? Lorsque l'ennemi commun eut été renversé par le rétablissement de Charles II, l'église ( anglicane ) retomba de nouveau sur les catholiques avec plus de fureur que ja- mais. Ce roi qui revint d'exil pour monter sur le trône en 1660 , avec plus de prodigalité en- core que son père et son grand-père , eut aussi beaucoup plus de sens que tous les deux à la fois , et malgré ses débauches bien connues , ses manières populaires en iirent un favori du peu- ple, îslais on le soupçonnait fortement d'être ca- tholique au fond du cœur, et son frère plus hon- nête , son héritier présomptif, Jacques était ouvertement catholique; aussi le règne de Char- les ne fut qu'une suite de complots réels ou supposés, et présenta une série non interrompue d'injustices, de fraudes et de faux sermens. Tous ces complots sont attribués aux catholiques, tan- dis que réellement ils étaient dirigés contre eux : on leur attiibua même jusqu'« V incendie de Londres qui arriva pendant ce règne , et l'on en lit encore aujourd'hui l'accusation écrite au- tour de la base du monument que Pope a in- diqué dans ces deux vers :

Lettre XII. 4^9

jyiicre London's column , pointing to the skies Like a tall bully lifts its head and lies.

Voici l'inscription. " Ce monument a été élevé en mémoire de l'incendie de cette ville protes- tante par la faction papiste , en sept. , A. D. 1666 , qui voulait détruire la religion protes- tante, V antique liberté anglaise , et introduire le papisme et Y esclavage ; mais la fureur des papistes n'est pas encore satisfaite. "

Il est assez singulier que cette inscription ait été faite par ordre de sir Patience Ward qui, comme le prouve Echard , fut plus tard con- vaincu ào. parjure. Burnet rapporte que Hubert, papiste français , avoua qu'il avait commencé le feu; mais liiggons ( rappelez- vous qu'il était protestant ) prouve que Hubert était protestant, et Rapin est d'accord avec Higgons. Personne ne connaissait mieux que le roi l'horreur de ce men- songe ; mais Charles II était un fainéant et vivait dans la débauche. Ces hommes ont tou- jours été insensibles et ingrats ; et cet homme qui deux fois avait la vie à des prêtres ca- tholiques , qui dans cinquante- deux circonstan- ces avait confié sa vie à la merci des catholi- ques ( dont quelques-uns étaient très-pauvres ) lorsqu'il se cachait dans sa fuite , qu'on offrait des récompenses immenses à ceux qui le pren- draient, et que l'on menaçait de châtimens af- freux ceux qui le cacheraient , ce roi débau-

44o Réforme Protestante.

ché , dont l'ingratitude envers ses fidèles sujets irlandais ne trouve rien de semblable dans les annales de ce vice affreux , eut la bassesse et l'injustice de laisser subsister cette inscription. Elle fut effacée par son frère qui lui succéda ; mais on la rétablit après l'arrivée du Hollan- dais el\di glorieuse réi^olution ; et elle existe en- core, quoique tout le monde sache bien, à l'excep- tion de la dernière canaille , qu'elle ne renferme qu'un mensonge affreux.

370. En se conduisant ainsi, en encourageant les desseins pervers de la partie fanatique de ses sujets, Charles II prépara de loin ces événe- mens qui chassèrent pour toujours sa famille du trône. Leur grand objet était de faire rejeter son fjère qui était ouvertement catholique. C'était bien un projet monstrueux ; mais dans le fait , ce n'était autre chose que préférer l'illégitime Elisabeth à la légitime Marie Stuart. C'é- tait déclarer par un acte que tout enfant na- turel du premier hériterait de son trône : de quel droit l'église protestante s'en serait -elle plainte, puisque son grand fondateur, Cran mer, avait travaillé de tout son pouvoir à faire priver de leurs droits les deux filles de Henri VIII , et à placer sur le trône lady Jane Gray? enfin lorsqu'il s'agissait d'annuler les droits d'héritage, de s'élever contre la prescription , de mépriser la sûreté des propriétés et des personnes , de violer les lois fondamentales du royaume, il n'é-

Lettre XU. 44 ^

tait pas d'antécédens que ne put fouroir abondam- ment l'histoire de la " réforme, " et l'on peut regarder cette entreprise hardie de faire déshé- riter Jacques à cause de sa religion, comme un principe protestant j ce fut ce principe que quel- ques années plus tard on sut si bien faire valoir. S^i. Jacques 11 était sobre, frugal dans ses dépenses , économe dans les affaires publiques , ménageant les bourses de ses sujets , pieux et sincère ; mais il était faible , obstiné et catho- lique, sa piété et sa sincérité ne lui permettaient pas de combattre à armes égales avec ses arti- ficieux ennemis qui étaient en grand nombre et il es- intéressés. Si la présence dans le pays de quelques missionnaires , cachés sous l'habit sé- culier , avait obligé à faire venir quatre mille hommes d'armes afm de protéger l'église pro- testante , si entendre la messe dans une maison particulière avait été regardé comme incompa- tible avec la sûreté de cette église , quelle de- vait être la destinée de cette église si le trône continuait à être occupé par un roi catholique? Il était aisé de voir que le ministère, l'armée, la flotte et toutes les places qui dépendaient du gouvernement ne seraient bientôt occupés que par des catholiques. 11 était encore aisé de voir que les catholiques rentreraient peu à peu dans les presbytères et les palais épiscopaux , surtout le roi étant aussi zélé que sincèie. La " Réforme " avait donné aux consciences une telle élasticité;

442 Réforme Protestante.

sous elles les hommes avaient vu tant de clian- gempns s'opérer , que ce dernier ( le rempla- cement de prêtres anglicans par les prêtres et les évêques catholiques ) n'aurait causé que peu d'alarmes dans le peuple en général, et surtout dans les classes les plus élevées. Mais il n'en était pas de même du clergé; il vit aussitôt son dan- ger, et quoique inactif en apparence, il ne per- dit pas de temps pour se préparer à le détourner. 372. Jacques se comporta , autant que la loi le lui permit , et que sa prérogative le mit à même de dépasser la loi , d'après les principes d'une tolérance générale. Par cette conduite il obtint l'appui des sectaires; mais l'Église s'était emparée de ce qu'il y avait de bon, et elle était résolue à le conserver si elle le pouvait. D'ail- leurs quoique les terres des abbayes et les au- tres propriétés foncières de l'église et des pauvres fussent depuis long-temps restées paisiblement entre les mains de ceux qui les possédaient ac- tuellement et de leurs prédécesseurs, cette épo- que n'était pas encore si éloignée que d'habiles légistes appuyés par une armée bien organisée ne pussent trouver quelque cause de nullité çà et dans une concession de Henri VIII, d'E- DOUARD VI et de la vieille Betsy. Qu'ils aient pensé ce qu'ils ont voulu , il est toujours cer- tain que les plus zélés, les plus puissans, les plus remarquables des chefs de la glorieuse ré- volution qui arriva aussitôt après, et tjui chassa

Lettre XÏI. 41^

(lu trône Jacques avec ses héritiers et sa fa- mille, étaient du nombre de ceux dont les an- cêtres ne s'étaient pas oubliés à l'époque se lit le partage des terres des abbayes.

3^3. Avec d'aussi puissans motifs contre lui, le roi aurait être excessivement prudent et très-sage. Précisément il fut tout le contraire. Il se montra très-sévère contre ceux qui s'oppo- sèrent à ses vues , quelque puissans qu'ils fus- sent. Il envoya à la tour quelques évèques qui lui présentèrent une pétition insolente, mais ar- tificieuse ; il les fit poursuivre pour un libelle , et eut la mortification de les voir acquitter. Quant à la conduite des catholiques, on ne pouvait en attendre ni prudence ni modération. Rappelez- vous les amendes , les fers rougis au feu , les tortures , les gibets et les couteaux à fendre le ventre des derniers règnes , et voyez s'il n'était pas naturel que leur joie et leur allégresse fut sans bornes! Hélas! cette joie ne fut que de courte durée ; car on avait fait le plan ( nous ne de- vons pas l'appeler un complot) de forcer le roi à renoncer à ses projets de tolérance , et afin de consolider le royaume, c'est ainsi qu'ils s'ex- primaient, les faiseurs de plan, sans aucun acte du parlement, et sans consulter le peuple d'une manière quelconque, invitèrent Guillauivte, prince d'Orange, qui était le sladhouder de Mol- lande à venir avec une armée de Hollandais pour leur aider à consolider le royaume. Lois-

444 Réforme Protestante.

que tout fut préparé, les soldats hollandais ( que par perfidie on avait laissé venir de Torbay à Londres dans l'armée anglaise ) se rendirent au palais du roi et en chassèrent sa garde -, mais le roi qui avait vu consolider un souverain sous le règne de son frère , et qui n'était point tenté de se faire consolider de la même manière, s'en- fuit de son palais et de son royaume, et se re- tira en France , au lieu de fuir dans quelque ville anglaise éloignée , et d'y rallier son peu- ple autour de lui. S'il eût agi ainsi , les affaires (comme le prouve la conduite ultérieure du peu- ple ) auraient eu un autre résultat.

374. Alors arriva la glorieuse résolution ou la troisième " Réforme " j et lorsque nous l'au- rons examinée dans sa marche et son accomplis- sement , nous verrons comment , par ses suites naturelles , elle arracha pour les catholiques si long-temps opprimés ce soulagement qu'ils n'a- vaient cessé de demander en vain pendant plus de deux cents ans , par des appels à la justice et à l'humanité de leurs persécuteurs.

Lettre XïII. 445

xin.

LETTRE XIIL

Glorieuse révolution , ou troisième " réforme. " Le roi hollandais et son armée libératrice. Crimes de Jacques II, avec des éclaircissemens. Pureté du parlement. L'évêque protestant Jo- CELYN. Sydney et autres patriotes protestans. L'acte habeas corpus. Fondation des colonies d'Amérique.

Mes Amis, Kensington , le Zi octob. 1825.

375. A la fin de la dernière lettre nous avons vu un Hollandais invité à venir avec une armée consolider le royaume. Nous avons vu les gar- des hollandaises venir à Londres et chasser les gardes anglaises. Nous avons vu le roi d'Angle- terre fuir pour sauver sa vie , et se réfugier en France après avoir été abandonné de sa propre armée que l'on avait séduite. Le champ se trou- vant ainsi libre pour ceux qui jouaient un rôle actif dans cette affaire , nous allons voir à pré- sent comment ils commencèrent leurs travaux , et nous trouverons qu'ils le firent aussi prorap- tement et avec aussi peu de cérémonie que le

44^ Réfoiime Protestante.

cœur le plus cordial , quoique proteslant , eût pu le désirer.

376. Lorsque le roi fut parti , le lord-maire et les échev'ms de Londres, avec un petit nom- bre de conseillers ordinaires, et ceux des lords et des autres membres du dernier parlement du roi Charles qui voulurent se joindre à eux, se réunirent en février 1G88 sans en avoir reçu l'ordre ni du parlement, ni du roi, ni du peuple, et se constituant en convention ^ ils donnèrent pour toujours la couronne à G \]iL.t.kvmY. {^Hollandais ) et à sa femme ( sœur de Jacques , mais qui avait encore un frère vivant); ils firent ensuite prêter au peuple un nouveau serment de fidélité, donnèrent au roi le droit d'emprisonner ceux qu'il soupçonnerait y bannirent à dix milles de Londres tous les papistes ou ceux qui étaient ré- putés tels et les désarmèrent par tout le royaume, ris accordèrent à leurs nouvelles majestés les droits d'assise, les impôts fonciers et la taxe par tête, afin de pouvoir défendre le royaume y ils dé- clarèrent former les deux cbambres du parle- ment , aussi légalement que s'ils eussent été convoqués selon l'usage ordinaire ; c'est ce qu'ils appelèrent une glorieuse " révolution , " nom que nous autres protestans lui donnons encore aujourd'hui. Après la seconde " Réforme " , h. l'époque de la réforme de Charles, on ren- dit les palais , les bénéfices et autres biens im- meubles volés à ceux auxquels les très pieux

Lettre XIII. 44l

les avaient pris , excepté cependant aux catho- liques irlandais qui avaient combattu pour ie père du roi , qui avaient cruellement souffert pour ce roi lui-même , et qu'on laissa encore piller par les très-purs : ingratitude dont l'his- toire du monde n'avait pas encore fourni d'exem- ple. Qtioi qu'il en soit , après la restauration , on prélendit ([ue les palais épiscopaux et les au- tres propriétés confisquées à leur profit pour les vraiment purs devaient rester entre leurs mains : on alléguait pour raison que si l'on révoquait ces donations on^ depait révoquer aussi celles de Henri VIII. Cela paraît fort juste; et voici un raisonnement que l'on put faire au clergé anglican et 2iwx possesseurs des abbayes. Si neuf cents ans d'une possession paisible , appuyée sur la grande charte, a pu être, annulée afin de faire une " Réforme " pure , pourquoi n'aurait-on pas annulé de même une possession de cent ans et non paisible pour se procurer une " Réforme " toute pure? Comment le clergé anglican répondit-il à cet argument ? Pourquoi le docteur H e y l i n qui fut recteur d'Abresford dans le Hamsphire et ensuite doyen de Westminster, qui était un grand ennemi des tout purs , quoiqu'il ne le fût pas moins des catholiques , y répond-il de cette manière dans l'épître dédicatoire qui est en tête de l'iiistoire de la première " réforme " il est dit " qu'il doit y avoir une grande diiïërence entre les acquisitions qui furent fon-

44^ Réforme Protestante.

dées sur des actes du parlement revêtus lêga- rfient de l'autorité du roi, et avec le consente- ment et approbation des trois états , et celles au contraire qui n'ont été faites que d'après un sim- ple vote et les ordres des deux chambres seu- lement. " En raisonnant de cette manière on pou- vait prétendre aussi que les deux chambres seules avaient le droit de déposer un roi.

377. Ce docteur mourut un peu trop tôt, car plus tard il aurait vu , non les deux chambres du parlement, mais un lord-maire de Londres, un petit nombre des conseillers ordinaires , et telles autres personnes qui voulurent bien se join- dre à eux , déposséder un roi et en mettre un autre sur le trône, et cela sans avoir reçu au- cune autorité ni du roi , ni du parlement , ni du peuple ; il aurait entendu qualifier cet acte de chose glorieuse; et, s'il eût vécu jusqu'à nos jours, il aurait vu d'autres choses également glo- rieuses en être le résultat direct ; et quoique Black STONE eût dit aux Américains qu'une glo- rieuse révolution ne peut pas se- j aire deux fois, le docteur Heylin leur aurait entendu répéter, presque mot pour mot, en les appliquant à Geor- ges III, tous les reproches que le glorieux peu- ple avait faits à Jacques II, quoique ces mé- dians Yankees sussent bien que depuis la glo- rieuse révolution le roi d'Angleterre ( étant pro- testant ) ne jDeut pas se tromper. L'ouvrage du docteur , écrit pour justifier la " Réforme " ,

Lettre XllI. 449

convertit , comme Pierre Orléans nous le dit, Jacques II et sa femme à la religion catholique : mais sa préface, dont nous venons de parler, ne réussit pas aussi-bien avec les protestans.

378. Nous verrons , quand il en sera temps , ce que coûta au peuple cette glorieuse révolu- tion ; mais puisque cette révolution et les actes d'exclusion qui la suivirent ne furent fondés que sur ce que la religion catholique était incom- patible avec la liberté publique et la justice , passons d'abord en revue les actes de ce roi catholique, et voyons jusqu'à quel point ces actes furent pires que ceux qui ont été faits sous les rois Protestans. Puisque Guillaume et son ar- mées hollandaise ont reçu le nom de libérateurs, voyons aussitôt ce dont, après tout, ils délivrèrent le peuple. Et ici , heureusement , nous devons consulter le livres des ^ctes se trouve en- core la liste des charges intentées contre ce roi catholique. Mais avant d'examiner ces charges , la justice nous oblige à noter certaines choses que Jacques ne fit pas. Il ne fit pas venir ( comme l'avait fait le protestant Edouard VI) des troupes allemandes dans le pays pour forcer son peuple à changer de religion 5 on ne le vit point, comme ce jeune sainte marquer avec un fer rouge ses sujets affamés, sur le front ou sur la poitrine, leur faire porter des chaînes comme à des es- claves, pour les punir d'avoir voulu soulager leur faim en mendiant. Il ne fit pas usage (comme

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/^.jO PiÉioRME Protestante.

la protestante Betsy) de fouets, de perforateurs de fer, de tortures, de gibets et de couteaux à fendre le ventre, pour convertir le peuple à sa croyance; il n'imposa même pas d'amendes dans ce but : mais au contraire il fit cesser, autant qu'il fut en lui , toutes les persécutions pour cause de religion. Ah ! mais je m'oublie : car nous verrons que c'est un des crimes catho- liques qu'on lui reprocha : oui , c'est une des preuves qu'il fut un tyran papiste, déterminé et intolérant! Il ne distribua pas (comme l'avait fait la protestante Betsy) diiïérens monopoles à ses favoris, de manière à faire monter le sel, qui, de son temps valait à peu près quatre pences (3 sous) le boisseau à quatorze livres (35o fr.) le boisseau, et ainsi de suite, au point que le parlement craignit , ce qui arriva cependant sous la bonne Bess, qu'on n'établît aussi un mono- pole du pain. Ce sont de ces choses que Jac- ques, sans doute par une '^ bigoterie vraiment catholique '', ne voulut pas faire , parcequ'elles étaient d'origine tout-à-fait protestante. Mais maintenant arrivons aux choses qu'il fit réelle- ment , ou au moins qu'on l'accusa d'avoir faites. 379. Il n'est pas commun de voir le jugement et l'exécution précéder l'accusation -, mais , soit pour une cause , soit pour l'autre , on remit à l'année suivante l'accusation de Jacques, et en attendant on donna la couronne au Hollandais et à sa femme. Peu importe : à la fin ces charges

Lettre XIII. /^5i

furent connues : elles sont au nombre de douze et on les trouve dans l'acte de la deuxième session de Guillaume et de Marie, chap. 2. Nous allons les examiner les lunes après les aulres , ayant bien soin de ne pas oublier qu'elles ren- fermèrent tout ce que l'on pouvait dire contre ce roi papiste.

i*'^ Charge. "Il prit et exerça sans le con- sentement du parlement le pouvoir de dispenser de l'observation des lois, de suspendre les lois elles- mêmes et leur exécution sans le consentement du parlement. " C'est-à-dire qu'il ne contraignit pas ses sujets à l'observation de ces lois cruelles qui avaient été faites contre les catholiques conscien- cieux pendant les règnes précédens ; mais Betsy et son successeur Jacques I ne dispensèrent- ils pas de l'observation des lois, lorsqu'ils admirent une composition pour les refnsans? Et nous-mê- mes n'aurions -nous encore vu îa suspension ou la dispense d'aucune loi sans le consentement du parlement ? n'y a-t-il pas eu et n'y a-t-il pas encore d'exception à la loi sur V admission d'of- ficiers étrangers dans l'armée Anglaise, et la con- cession de pensions aux étrangers par la cou- ronne ? ne suspendit-on pas de loi , lorsque la banque cessa ses paiemens en 1797 ? le parlement consentit-il à l'acte qui les fit cesser? et a-t-il jamais donné son consentement à ce qu'on mît des étraii- ^é"/',9dans des places importantes ou dans le civil ou dans le militaire, ou à ce qu'on leur accordât des

452 Réforme Protestante.

pensions de la couronne? Jacques suspendit-il jamais Fade de Vhaheas corpus ? ses secrétaires d'état pouvaient-ils mettre en prison qui il leur plaisait , dans le cachot ou dans le donjon qu'ils choisissaient , et faisaient-ils sortir les captifs lois- qu'ils le voulaient? mais, dira-t-on , tous les actes de cette sorte qu'il fit lui-même ou par ses mi- nistres (s'ils en firent jamais aucun) furent fails sans le consentement du parlement ; et qui est assez dépourvu de sens pour ne pas voir la dif- férence immense qui existe entre un donjon avec le consentement du parlement, et un donjon sans son consentement ?

2™e Charge. " Il renvoya et fit poursuivre plu- sieurs dignes prélats pour avoir demandé hum- blement à être excusés de ne pas concourir à ses pouvoirs usurpés. " Il les poursuivit comme des libellistes et ils furent acquittés, mais il les renvoya devant un tribunal ^ et pourquoi? parce qu'ils refusèrent de donner caution, et ils pré- tendirent que c'était une tyrannie de sa part d'exiger une telle caution ! 0 ciel ! combien d'in- dividus ont été emprisonnés pendant les huit dernières années pour le même refus, ou pour n'avoir pu donner caution pour un libelle ! Ces jours derniers encore M. Clément n'aurait-il pas été mis en prison s'il eût refusé de fournir cau- tion , et pour un libelle écrit non contre un roi sur son trône , mais contre un professeur d'hu- manités protestant ! et n'y a-t-il pas six actes ,

Lettre Xlll. 4^^

adoptés par un parlement , d'où les catholiques sont exclus avec tant de soin , qui nous décla- rent à nous protestans libres que telle a toujours été la loi ! Et est-ce tout ? Oh non : car on peut nous bannir à perpétuité , non-seulement pour un libelle écrit contre le roi régnant , mais encore pour le moindre mot qui aurait tendance à déverser du mépris sur l'une ou sur l'autre chambre du parlement.

3^ Charge. " Il nomma une commission char- gée d'ériger une cour , appelée la cour des com- missaires pour les affaires ecclésiastiques. '^ Mais quoi! était-ce pire que l'inquisition réelle de la bonne Betsy établie sous le même nom? et , grand Dieu I n'avons-nous pas une cour sem- blable encore aujourd'hui? Sarrah Wallis (femme d'un laboureur de Hargrave , comté de Norfolk) ne fut- elle pas condamnée ( il n'y a que neuf mois ) par cette cour à payer 24. 1. o s. 5 d. ( 600 1. 5o c. ) pour s'être querellée dans un ci- metière ; et ne l'envoya-t-on pas en prison parce qu'elle ne payait pas 5 et n'y aurait-elle pas fini ses jours , puisqu'elle ne possédait pas un liard au monde , si des personnes humaines ne s'é- taient mises en avant pour la faire sortir par V insolvent acte 7 et cette cour ne pourrait- elle pas, d'après les actes de Saint Edouard, ce jeune protestant, sur lesquels fut fondée la sen- tence dont nous venons de parier , condamner celui qui engage un combat dans un cimetière

J^5/i Réforme Protestante.

à avoir une oreille coupée , et si le coupable n'a pas d'oreilles ( ce qui nous en dit plus que bien des volumes sur l'état du peuple sous le protestant Edouard), à être hrùlé à la joue avec au fer rouge , cl en outre à être excom- munié. Et n'est-ce pas pour notre avantage que les proteslans de la révolution, qui dressèrent ces cbarsjes contre Jacoues, ont laissé celte loi en j)leine force ?

4^ Charge. " Il leva des impôts pour l'usage de la couronne , sous prétexte de prérogative , à des époques et par des voies différentes de celles qu'avait fixées le parlement. " On ne prétend pas qu'il leva plus d'argent qu'on ne lui en avait accordé ; mais qu'il ne fut pas exact pour le temps et la manière de le lever. Le parlement avait-il donné à Betsy le droit de lever de l'ar- gent par la vente des monopoles , par des com- positions avec les coupables et par divers autres moyens ? jMais depuis quelque temps n'a-t-on pas changé d'année en année Icc taxe du droit du houblon ? Certainement , et avec sagesse ; mais je doute fort que Jacques se soit jamais écarté beaucoup de ce que prescrivait la loi , puisque tout son revenu n'excédait pas ( en te- nant compte de la différence de la valeur de la monnaie ) au-delà de seize fois le montant du droit d'une bonne année de houblon.

5^ Charge. " Il tint en temps de paix une armée sur pied sans le consentement du parle-

Lettiie XIIT. /p5

ment. " x\b ! sans le conaeiilenient da jmrle- ment ? bien sur ? c'était fort mal. Il n'y avait que sept ou huit mille hommes , et on n'avait jamais entendu parler auparavant d'niie Larra- que. Mais sans le consentement du parlement ! pensez à la vaste dislance qu'il y a entre une baïonnette qui vient avec le consentement du parlement et celle qui vient sans ce consente- ment. Rappelez-vous cependant que le nère de ce roi avait été détrôné et avait eu la tète tran- chée par une armée entretenue apec le con- sentement du parlement. L'histoire ne nous dit pas si du temps de Jacques il y eut quelqu'af- faire semblable à celle qui arriva à Manchester le i6 août 1819. Elle ne nous dit pas si quel- qu'un des prêtres de Jacques touchait la demi- solde militaire. Elle ne nous dit pas s'il accor- dait la demi-paie ou la retenait à son bon plaisir et sans le consentement du parlement ; de sorte que sur ce point nous n'avons aucun moyen d'é- tablir une comparaison. Nous sommes dans le même cas pour ce qui regarde les armées étran- !jçères , car nous ne voyons reprocher nulle part à Jacques d'en avoir amené en Angleterre, ni surtout d'avoir donné à des généraux étrangers le commandement des troupes anglaises et de la milice dans des districts entiers de l'Angleterre, (S^ Charge. " Il fit désarmer plusieurs bons sujets protestans en même temps que des pa- pistes étaient armés et employés contre les lois. "

456 Réforme Protestante.

Six actes désarmèrent assez des sujets du roi ; mais alors ceux-là n'étaient pas des bons. Ils avaient besoin d'une réforme de la chambre des communes. Et s'il est des gens qui ne compren- nent pas quelle différence immense il y a en- tre être désarmé par la loi et désarmé par une proclamation , il est bien inutile de se fatiguer pour eux.

Charge. " Il viola la liberté des élections des membres du parlement. " O monstruosité î quoi ! aussi évidente que le soleil en plein midi. Levez-vous, ombres sacrées de Perceval et de Castlereagh ; venez , électeurs de Larum et de Gallon ; assemblez- vous tous , chastes enfans de la pureté des élections , morts ou vivans , et venez condamner ce méchant roi pour avoir violé la liberté des élections. Mais venez, car nous ne devons pas laisser passer ceci impunément. Proleâtans qui me lisez, croyez-vous que cette violation de la liberté des élections pour se pro- curer des membres qui le servissent fut un crime pour le roi Jacques? On ne l'accuse pas d'a- voir fait tout cela lui-même, par ses discours, ses propres écrits ; mais de l'avoir fait avec le se- cours de plusieurs médians ministres et conseil- lers. Bien : mais croyez-vous , mes lecteurs pro- testans , que cette violation de la liberté des élections fut une mauvaise chose et une preuve des médians principes du papisme ? Si vous le croyez, écoutez les faits que je vais vous rap-

Lettre XIII. 4^7

porter , ils doivent trouver leur place dans un ouvrage comme celui-ci ; la vérité , l'honneur et la justice veulent que je les cite ici et je le ferai aussi brièvement que possible. Sachez donc et retenez-le pour toujours, que les catholiques sont exclus du trône depuis plus de cent ans ; qu'ils ont été chassés du parlement anglais de- puis le règne de Charles II, et du parlement irlandais depuis la vingt-deuxième année du rè- gne de Georges III; que dès-lors le parlement n'était rempli que de protestans en 1809; que, en 1779, long-temps après que les catholiques eurent été chassés du parlem.ent anglais, la mai- son des communes prononça que tout ministre ou ministres ou autres personnes attachées à la couronne dans la Grande-Bretagne , qui se sert directement ou indirectement du pouvoir de sa charge pour influencer V élection des membres du parlement se rexïàtrès-CYixnmeXj et que cher- cher à exercer cette influence c'est attaquer la dignité , l'honneur et l'indépendance du par- lement , c'est enfreindre les droits et les libertés du peuple , c'est saper la base de notre libre et heureuse constitution. Que, en 1809, ^*^*'^ Gastlereagh, ministre et conseiller privé, ayant été accusé devant la chambre d'avoir voulu ache- ter un siège dans la chambre, celle-ci décida le 25 avril de celte année que bien que la cham- bre fut obligée à veiller en tout temps avec le plus grand soin sur tout ce qui peut conipro-

4^8 Réforme Protestante.

mettre sa pureté j et à ne rien laisser passer qui pût être contraire à ses privilèges, dans ce cas, Il tentative ( celle de lord Castlereagh et de M. Redikg ) n'ayant pas réussi _, la chambre ne croyait pas qu'il fût nécessaire de prendre aucun mo3'en rigoureux. Que le ii mai 1809 ( seize jours seulement après cette dernière ré- solution), Guillaume Madocks, député de Bor- ton, prononça ce qui suit : " J'affirme que M. Dick a acheté un siège dans la chambre des commu- nes, pour le bourg de Gashel, par le moyen de l'honorable IIekri Wellesley, qui agissait pour le trésor \ que , dans une queslion récente et de la plus liaule importance, M. Dick ayant ré- solu de voter selon sa conscience, le noble lord Castlereagh intima à ce gentleman la nécessité ou de voter pour le gouverneinent , ou de cé- der son siège dans la cliambre -, que M. Dick ])lutôt que de voter contre sa conscience préféra prendre le dernier parti, et conséquemment laissa sa place vacante. J'accuse l'honorable gentleman ]M. Perceval , comme étant complice, et ayant participé à cette transaction. C'est ce que je m'en- gage à prouver par des témoins amenés devant votre harre , si la chambre daigne me permet- tre de les faire venir; " rappelez-vous que, après cette accusation , M. Madocks fit une motion pour que l'on fît des recherches sur cette affaire-, que, après des débats , la question fut mise aux voix -, qu'il y avait dans la chambre trois cent quatre-

Lettre XIIL 45^

vingt-quinze membres , tous protestans ( venez tous et écoutez , vous qui accusez Jacques et la religion catholique); qu'il y eût qualre-vingl- huit voix pour les recherches, et trois cent dix contre; que ce même parlement protestant, d'a- près la motion de ce même lord Castlereagh , fit une loi par laquelle chacun de nous peut être banni à perpétuité s'il publie quelque chose qui ait tendance à attirer du mépris sur cette même chambre ; que ce lord Castlereagh était secrétaire d'état pour les affaires étrangères ; qu'il conti- nua d'être le premier ministre dans la chambre des communes ( entièrement protestante ) jus- qu'à la fin de la session de 1822 , qui arriva le 6 août de la même année; que le 12 du même mois il se coupa la gorge et se tua à Nort-Gray dans le Kent ; qu'un jury nommé par la cou- ronne déclara qu'il avait été fou; qu'il était évident qu'il avait été aliéné depuis plusieurs semaines, quoiqu'il eût dirigé la chambre jusqu'au 6 août, et quoiqu'il fût , au moment il se tua , secré- taire d'état pour les alFaires étrangères et aussi secrétaire temporaire du département de l'in- térieur et de celui des colonies ; que son corps fut enseveli dans l'abbaye de Westminster , que ses collègues le pleurèrent , et qu'au moment on le descendait de la voiture , une grande masse de peuple qui était réunie poussa de grands cris de joie qui furent long-temps continués. 8*^ Charge. " Il fit poursuivre devant la cour

46o Réforme Protestante.

du banc du roi des causes qui n'étaient du res- sort que du parlement , et il fit plusieurs au- tres actes arbitraires et illégaux. " C'est-à-dire, qu'il appela devant un jury j des causes que le parlement voulait garder pour lui-même ! à roi méchant et arbitraire, appeler devant un jury les hommes du parlement , au lieu de les laisser les juger eux-mêmes ! Quant aux difîe- rentes autres choses arbitraires, comme elles ne sont pas spécifiées, je ne puis dire ce que c'était. 9*^ Charge. " Il fit composer les jurys d'hom- mes partiaux, corrompus, qui n'avaient pas le droit d'en faire partie, et qui n'étaient pas pro- priétaires. " C'est très mal si c'est vrai, maison ne cherche à en donner aucune preuve, ni au- cun exemple. Au moins il n'y avait pas dejurjs spéciaux j car ces derniers ne furent établis qu'a- près l'expulsion des rois catholiques. Sans par- ler de cette protestante Betsy, qui se dispensait de toute espèce de jury quand elle le voulait, qui faisait juger et punir même les vagabonds et les mutins par la loi martiale y ne voyons- nous pas à une époque aussi éclairée et aussi li- bérale que la nôtre, transporter beaucoup d'hom- mes pour sept ans sans V intervention d'aucun jury 7 et même dans un très-grand nombre de cas ; ainsi pour être restés plus de quinze mi- nutes de suite hors de leurs maisons ( que la loi appelle leurs châteaux ) , entre le coucher du soleil et son lever ; eh ! mais c'est avec le

Lettre XIII. 4^i

consentement du parlement I oh ! je l'avais ou- blié, c'est une réponse.

lo^ Charge. " Il a été exigé des cautions excessives ( c'est donc par les juges ) de per- sonnes impliquées dans des affaires criminelles, afin d'éluder le bienfait des lois établies pour la liberté des sujets. "

ii« Charge. "Il a été imposé des amendes considérables , et l'on a infligé des châtimens illégaux et cruels.

i2« Charge. " Il promit et accorda des amen- des avant la conviction et le jugement de la partie. "

38o. Je réunis ces trois charges. Quant aux amendes et aux cautions, il suffit de se rappor- ter aux règnes de la protestante Betsy et du protestant Jacques I*^'". Mais si nous en venons à notre propre époque , moi-même , pour avoir exprimé l'indignation que je ressentais en voyant fouetter des milices anglaises dans le centre de l'Angleterre, sous la garde des troupes alleman- des, je fus renfermé pendant deux ans dans une prison destinée aux criminels , et à l'expiration de la peine j'eus à payer une amende de mille livres (25,000 francs), et deux sûretés de deux mille livres chacune ( 5 0,000 ). La convention qui nous a donné le libérateur protestant ne cite aucun cas, mais nous ne pouvons nous em- pêcher de reconnaître la douceur de la légis- lation des cautions dans l'affaire du révérend père

462 Réforme Protestante.

en Dieu, Percy Jocelyn , évêque protestant de Cloglier , frère du feu et oncle du présent duc de RoDEN, auquel on ne demanda que 5oo livres de caution. Cet évêque prolestant était ac- cusé (conjointement avec John JVLovelly , soldat dans la garde à pied de Londres ) , sur les ser- mens de sept témoins , d'un crime contre na- ture y et se déroba au jugement en prenant la fuite. Quoique notre législation protestante des amendes paraisse si douce et si aimable dans ce cas , puisqu'elle n'exigea qu'une caution de 5oo livres avec deux sûretés de chacune 200 livres ^ d'un évêque protestant , ( accusé , sur les ser- mens de sept témoins, d'un crime aussi épou- vantable ), dont le revenu avait été depuis bien des années de 12 ou i5 mille livres par an ( 3 ou 400,000 fr. ) -, quoique , disons-nous , notre législation protestante des amendes ait paru si aimable et si douce envers cet évêque et envers le soldat (complice de l'évêque), dont on n'exigea que 200 livres, avec deux sûretés de chacune 100 livres. Ce soldat ayant été aussitôt relâché n'atten- dit point le jugement, et comme l'évêque, il prit la fuite, bien qu'il fût porté sur les contrôles de l'armée j et que son régiment fût à Londres. En- fin , quoique nous ne puissions nous empêcher d'avouer que notre législation protestante des amendes ait montré une grande douceur dans ces cas mémorables , rappelons-nous cependant qu'elle ne fut pas toujours aussi bonne et aussi

Lettre XIII. 463

compatissante j qiven 1811 Jacques Bjrne ca- tliolique , (jui avait été cocher dans la famille Jocelyn, ayant assuré que ce même évêque pro- testant avait voulu commettre sur lui un crime contre nature, ce Jacques Byrne fut aussitôt em- prisonné avant l'accusation y et fut mené de sa prison au tribunal comme un criminel; que, devant le tribunal cet évèque protestant déclara avec serment que Byrne l'avait accusé fausse- ment; que Byrne fut condamné sur les sermens de cet évèque protestant , à être renfermé dans une prison criminelle pendant deux ans, à être fouetté trois fois en public et à donner une caution pour la vie de 5 00 1. avec deux sûre- tés de 200 1. chacune ; que Jacques Byrne fut mené en prison après avoir été fouetté presque jusqu'à mort; que au bout des deux ans Byrne resta encore plusieurs mois en prison parce qu'il ne pouvait trouver de caution; que cet évêque protestant était alors évêque de Ferne, et qu'il fut ensuite promu à Févêché de Clogher et nommé membre du conseil cF éducation. Ainsi nous voyons que notre législation protestante n'a pas toujours été aussi douce. Et même si nous vou- lions en ce moment porter nos regards dans nos prisons, nous y verrons un homme qui ne pos- sède pas la valeur d'un liard au monde, et qui a une caution de 5oo 1. à payer avec deux sûretés pour la vie, et qui, je ne dirai pas peut-être, mais probablement doit terminer sa vie dans celte

464 Réforme Protestante.

prison par l'impossibilité il est de payer son amende et de trouver les sûretés qu'on lui de- mande. Nous devons donc jusqu'à ce que quel- qu'admirateur de la glorieuse révolution veuille bien nous fournir des renseignemens positifs sur les amendes et les cautions du règne de Jac- ques, nous devons, dis-je , nous abstenir, par prudence , même de citer cette charge contre l'infortuné monarque , car si on les censurait avec trop de liberté , on serait peut-être inter- prété d'une manière qui ne serait rien moins que charitable. Mais , nous dit-on , sous son règne on infligea des punitions cruelles et contraires aux lois. Quelles punitions? vit-on des bûchers, vit-on des tortures, comme on en avait tant vu sous les règnes protestans de Betsy et de Jac- ques I? Pourquoi sir John Cox Hippesley sou- tint-il dans une pétition adressée au parlement, il y a un ou deux ans , que la marche du moulin est un châtiment cruel et contraire à la loi, et cependant on l'ordonne pour les fautes les plus légères. Sir John peut s'être trompé ; mais ceci nous prouve qu'il pourrait y avoir aussi deux opinions sur les chàtimens du temps de Jac- ques. Nous regrettons cependant que ceux qui ont amené le libérateur ne se soient pas donné la peine de spécifier quelques-uns de ces cas qui nous auraient mis à même d'établir, sur ce point une comparaison entre un roi catholique et un roi protestant. Mais il accordait les amen-

Lettre XIII. 4^5

des avant la condamnation de la partie. Réelle- ment? mais quoi ! à notre époque fortunée, sous un roi protestant, n'accorda-t-on pas d'avance les amendes aux délateurs de toute sorte ? Ah ! mais c'est avec le consentement du parlement ! Je l'avais encore oublié. Je suis réduit au silence. 38i. Telles furent les fautes du roi Jacques; telles furent les raisons rapportées dans le livre des statuts de la glorieuse révolution pour les- quelles selon l'expression du même acte, on dé- livra ce royaume du papisme et du pouvoir ar- bitraire y et l'on empêcha la religion protestante d'être entièrement renversée. Et puisqu'elle fut aussitôt suivie de l'exclusion perpétuelle du trône pour les catholiques et ceux qui épouseraient des catholiques , il est évident que cette révolution fut complètement protestante , et que cet évé- nement fut un résultat direct de la "Réforme." Puisqu'il en est ainsi , je devrais actuellement examiner quelles furent les conséquences de ce grand changement qui fut la troisième réforme, et surtout de ce qu'il nous coûta. Mais il est encore quelques points que de faux rapports et des préjugés vulgaires reprochent à ce malheu- reux roi catholique qu'il me faut examiner. On dit que ce fut lui qui conseilla à son frère tous les actes de son règne qui ont été regardés comme mauvais, et surtout la mort de lord Rus sel et de Alyernon Sidney pour cause de haute trahison.

3o

4GG Réforme Protestante.

382. Comment avons-nous pu être trompés sur ce point ? Pendant long-temps je regardai ces deux hommes comme deux victimes inno- centes. Mais la recherche de la vérité et l'aban- don de tout ce qui sent le roman m'a bien ap- pris le contraire. Les protestans sous le règne de Charles II ne cessèrent de tramer des com- plots papistes et de faire arriver à l'échafaud et au gibet d'innocens catholiques par les ma- chinations les plus diaboliques ; ayant toujours soin de refuser au roi la prérogative de pardon- ner à leurs victimes ou d'adoucir leur châtiment. Mais à la fin le roi acquit les preuves irrécu- sables d'un complot protestant. Pendant qu'il était malade , un complot avait été fait pour dé- poser son frère par la force des armes si le roi venait à mourir. Le roi recouvra la santé ; mais les conspirateurs ne s'en tinrent pas là. Ils firent le projet de se soulever contre le gouvernement, de faire venir une armée de protestans écossais, et enfin d'efîectuer alors cette troisième " Ré- forme " qui n'arriva, comme nous l'avons vu, que quelques années plus tard. Russel et Sidney étaient deux des principaux chefs de ce com- plot protestant. Russel ne voulut pas nier qu'il eut pris part à la conspiration ; le seul objet de sa plainte fut que la condamnation n'était pas conforme à la loi ; mais on lui dit , ce qui était vrai, qu'elle était parfaitement d'accord avec de nombreux antécédens pris des jugemens des

Lettre Xiil. 4^7

conspirateurs papistes ! Arrivé au lieu de l'exé- cution , Russel lie nia point sa faute , mais il ne l'avoua pas expUcilement. La partie de soû jugement qui ordonnait qu'on lui arracherait les entrailles tandis qu'il serait encore vivant , et qu'il serait écartelé , fut reniise à l'intercession de sa famille par le roi , qui , en consentant à leurs prières, dit finement " milord Russel verra que j'ai la prérogative qu'il jugeait à propos de me refuser pour lord Strafford. "

383. Quant à Sidney , il avait été l'un des plus influens dans l'œuvre de la purification sous le dernier règne , et il avait fait partie de la commission qui jugea Charles I'^'' et le conduisit à l'échafaud , quoique au rapport de ses amis, il n'eut pas pris part à ce jugement. Lors de la restauration de Charles II, il s'était retiré à l'étranger -, mais comme il confessa les erreurs de ses premières années , et qu'il promit d'être loyal à l'avenir , ce roi entraîné par un frère papiste lui pardonna , quelque grandes que fus- sent ses fautes, et cependant il conspira de nou- veau contre le gouvernement de ce roi, ou tout au moins, pour priver du trône ce même frère, et cela par la force des armes , par une révolte contre le roi qui lui avait pardonné , et sans craindre de plonger de nouveau dans toutes les horreurs d'une guerre civile ce même pays qu'au- paravant il avait contribué à ravager. Si jamais mort ignominieuse fut méritée, ce fut certainement

3o^

468 Réforme Protestante.

celle de Sidney. Il ne nia pas et il ne pouvait pas] nier que la conspiration eût existé, et qu'il en fût un des principaux chefs. Il ne se plai- gnit que d'une chose , de V évidence employée contre lui. Il n'y avait dans ses actes qu'w/r seul témoignage verbal , et la loi de l'Angleterre en veut deux dans le cas de haute trahison. Mais c'est ici qu'un reste de pudeur ( si cela est pos- sible ) devrait rougir le front de ceux qui inju- rient les papistes : car cette même loi , cette loi qui a sauvé la vie à tant d'innocens , cette loi qui mérite de la part de chaque Anglais la plus vive reconnaissance pour son auteur, cette loi était due à la reine Marie , cette papiste que d'adroits fripons ont habitué des générations à appeler la sanguinaire et qui fut l'épouse de ce Philippe II que nos fourbes ont voulu aussi nous faire regarder comme un papiste sanguinaire. 384- Comme Sidney avait tant d'attachement pour cette loi papiste , et qu'il n'y avait réel- lement qu'un seul témoignage contre lui; comme il ne pouvait pas supporter l'idée de mourir sans avoir deux témoignages contre lui , les avocats du roi ( qui étaient protestans, faites-y atten- tion , et qui avaient tous abjuré les détestables erreurs du papisme ) imaginèrent de lui en pro- curer une couple, en cherchant dans son secré- taire , et en trouvant un second témoignage contre lui dans ses propres papiers ! ce fut en vain que dans son procès il s'arrêta toujours sur

Lettre XIII. 469

ce défaut. Personne n'ignorait que des centaines de catholiques avaient souffert la mort avec bien moins de raison que l'on n'en avait contre lui. Ce misérable subterfuge ne pouvait être approuvé de personne ; et l'opinion générale de tous les hommes de sens et de justice fut qu'il avait reçu ce qui lui était , mais rien de plus.

385. Nous nous sommes occupés de la bonne vieille cause pour laquelle Hampden mourut sur le champ de bataille et Sidney sur Fécha- faud. Combien avons-nous été crédules, et surtout combien l'ai-je été moi-même! mais, dira-t-on, ces protestans n'avaient en vue que l'insurrec- tion et l'introduction des armées étrangères. Et quel autre crime reprocha-t-on à O'Quigly il y a environ vingt-sept ans? Quels autres reproches fit-on à Shearses et à lord Edward Fitzgerald et à Pf^att ^ et à Downic _, et à Despard et à tant d'autres? Que reprocha-t-on de plus à Thist- liwood , à Ings , à Brunt et à Tidd ? rien de plus , et même beaucoup moins. Et s'ils furent condamnés , ce ne fut pas pour avoir attenté à la vie du roi , mais à celles de ses ministres : crime qui n'est devenu de haute trahison que depuis le règne du protestantisme et sous un par- lement d'où les despotiques papistes ont été com- plètement exclus. Il y eut un nommé Keyling^ qui , de conspirateur protestant se lit dénoncia- teur, et qui , afin de donner plus de force à son témoignage , fit entrer son propre beau -frère

^no Réforme Protestante.

parmi les conspirateurs pour les trahir et les dé- noncer à la justice. Bon : mais n'avons-nous pas eu aussi nos Castlese, nos Olivier et nos Edoiia?'dy et M. Brougham n'a-t-il pas dit dans la cham- bre des communes que tant qu'il y aura dans le monde des hommes tels que Ings , on y trou- vera des Edouard ? Il n'est cependant aucun historien , quelque protestant , quelque ennemi qu'il soit de la mémoire de Charles et de Jac- ques, qui ait jamais eu l'impudence de les ac- cuser l'un ou l'autre d'avoir employé et récom- pensé des gens qui en excitassent d'autres à commettre des crimes de haute tiahison , et les amenassent à l'échafaud,

386. On a dit , et je crois avec vérité , que Charles II avait , à une époque, fait un traité pécuniaire avec le roi de France pour rétablir l'église catholique en Angleterre. Mais n'avait-il pas autant le droit d'en agir ainsi, qu'EoouARD VI de faire venir des troupes allemandes pour dé- truire l'ancienne Église qui avait duré pendant 900 ans , et qui était consacrée par la grande charte ? Et si Charles a eu l'intention d'ob- tenir ce changement à l'aide de troupes fran- çaises, quel droit ont de s'en plaindre ceux qui trouvent bon que l'on ait fait venir des trou- pes hollandaises pour consolider le royaume ? Mais «près tout , si c'était un si grand crime de la part d'un roi papiste d'Angleterre de faire un traité pécuniaire avec le roi de France, traité

Leïïrk XllI. 471

sur lequel le roi ni les catholiques ne se sont jamais appuyés, quel nom donnerons-nous donc au protestant et atiti-catholique Sidney, à Hamp- den le jeune , à Armstrong et à plusieurs au- tres qui étaient vraiment pensionnaires de bonne foi et payés de ce même roi de France? fait qui est devenu irrécusable d'après les mémoires de Dalrymple , page 3 1 5 de l'appendice.

387. Mais si l'on fait retomber sur Jacques tout ce que l'on appelle les médians actes du règne de son frère, nous ne pouvons, en toute justice , lui réfuser le mérite des bonnes actions de ce même règne. C'est de ce règne que nous tenons l'acte de Vhabeas coi'pus que Blackstone appelle la seconde grande charte de la liberté anglaise. Ce règne nous offre encore beaucoup d'actes qui tendent à assurer les libertés et tous les droits du peuple 5 et quand cet acte eût été le seul , n'eût-il pas suffi pour prouver que le peuple n'avait rien à craindre d'un roi incliné vers le papisme. Ainsi ces tyrans papistes Charles et Jacques ont cédé d'un seul trait de plume, par une seule signature de Charles , toutes les prérogatives qui leur donnaient le droit qu'avaient eu leurs prédécesseurs , de faire mettre leurs sujets en prison et de les y faire rester par un ordre seulement du ministre. Etait-ce donc une preuve de cette disposition à l'arbitraire dont nous les entendons accuser tous les jours? Nous nous vantons sans cesse de ce fameux acte de

^-ji Réforme Protestante.

V habeas corpus ; mais avons -nous jamais été assez reconnaissans pour observer qu'il nous vient de ceux contre lesquels Russel et Sidney con- spirèrent , et dont le dernier fut enfin chassé de son palais par les gardes hollandaises en 1688? 388. Cet acte fut-il jamais suspendu pendant les règnes de ces rois papistes? jamais; pas même un seul jour : mais aussitôt que la glorieuse résolution ou troisème *' réforme ^' arriva , le libérateur hollandais fut autorisé par la conven- tion protestante , qui ne travaillait qu'à renverser ce pouvoir arbitraire, à mettre et à tenir en pri- son tout anglais que lui ou ses ministres pour- raient soupçonner. Mais pourquoi chercher des exemples si loin ? N'avons-nous pas vu nous- mêmes la seconde grande charte de la liberté anglaise suspendue pendant sept ans de suite ; et en outre n'avons- nous pas vu le roi et ses ministres autorisés à emprisonner qui il leur plai- rait , dans le cachot ou dans le donjon qu'ils désigneraient , à priver les prisonniers de toute communication avec leurs amis , leurs femmes , leurs maris , leurs pères , leurs mères et leurs en fans ; à leur refuser l'usage des plumes , de l'encre , du papier et des livres , à leur refuser le droit d'être confrontés avec leurs accusateurs, la spécification de leurs crimes et le nom de leurs accusateurs ; à les faire sortir de prison lorsqu'ils voudraient sans aucun jugement , et enfin à exiger d'eux une caution pour leur

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Lettre XIII. ^'j^

bonne conduite , et tout cela, remarquez-le bien, sans leur donner le nom des témoins qui dé- posaient contre eux , ni sans leur faire connaî- tre la nature de leurs fautes ? C'est ce que nous avons vu dans nos temps chéris du pro- testantisme, tandis que les tribunes de nos cham- bres et les chaires de nos églises retentissent des louanges de la glorieuse révolution qui nous a délivrés du papisme et de l'esclavage.

389- Un des mémorables événemens des rè- gnes de ces rois papistes , ce fut l'établissement des provinces (aujourd'hui étals) de l'Amérique. 80US le règne de la bonne Bess sir Tf^alter Raleigh y ce favori si dissolu , qui sous le règne suivant perdit sur l'échafaud une vie qu'il au- rait dû y perdre trente ans plus tôt , avait tenté de faire un établissement en J^irginie ; mais il avait complètement échoué. Ces élablissemens ne firent que peu et même très-peu de progrès : ce ne fut que sous celui de Charles II que l'on accorda des chartes et des lettres-patentes , que la propriété devint réelle , et que la po- pulation et la prospérité augmentèrent. Ce fut un grand événement, grand en lui-même , mais plus grand encore par ses conséquences dont plu- sieurs se sont déjà fait sentir , dont nous en éprouvons quelques autres en ce moment , et dont il en reste pour l'avenir d'une bien plus grande importance.

3go. Toutes ces belles colonies furent fondées

474 Réforme Protestante.

par ce roi incliné vers le papisme et par son frère vrai papiste. Deux d'entre elles , les Ca- rolines , ont reçu leur nom du roi lui-même ; une autre , et c'est aujourd'hui la plus consi- dérable de toutes , New- York , fut ainsi appe- lée du nom du frère du roi , qui était duc de la ville qui porte ce nom dans la vieille Angle- terre. Tels furent les hommes qui fondèrent ces colonies , les plus belles et les plus heureuses que le soleil ait jamais éclairées et échauffées sur la terre. Elles furent fondées par les papis- tes, qui donnèrent d'eux-mêmes, de leur propre mouvement , selon l'expression de la loi , ces char- tes et ces lettres-patentes , sans lesquelles ces contrées ne seraient peut-être encore aujourd'hui que de vastes déserts. C'est donc de ces rois pa- pistes que nous tenions nos colonies ; mais qui nous les a. fait perdre ? on ne dira pas au moins que ce furent ces rois papistes tant de fois in- juriés et calomniés. Nos ancêtres catholiques avaient à différentes époques conquis à l'Angle- terre plusieurs parties de la France. Le protes- tant Edouard VI perdit Boulogne et la protes- tante Betsy troqua Calais et le comté d'Oye pour 100,000 couronnes, et ainsi mit son sceau protestant à l'expulsion définitive de l'Angleterre hors du continent européen. Après un autre rè- gne protestant , le plus honteux que l'on puisse citer , vinrent ces deux rois papistes auxquels nous devons les colonies qui étaient plus que la

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compensation des pertes faites en FAirope. Alors arriva cette glorieuse révolution qui fournit tous les principes à l'aide desquels au bout de soixante- dix ans cette compensation nous fut arrachée , et , bien plus , devint un état , un puissant état maritime, dont le nom seul fait pâlir aujour- d'hui ces mêmes Anglais ( qu'ils en disent ce qu'ils voudront) autrefois si liers et si audacieux. 391. Dans la prochaine lettre, après avoir jeté nos regards sur les tourmens infligés aux catho- liques ( irlandais et anglais ) sous les règnes de Guillaume , d'ANNE et des Georges , nous suivrons les traces de cette troisième réforme jus- qu'à la quatrième; nous montrerons que malgré les beaux raisonnemens de Blackstone , les actes de la réforme pouvaient très-bien être imités ; nous verrons que la liste des charges contre Jacques , dressée par le lord-maire de Lon- dres , les échevins , les conseillers et d'autres , pouvait aussi bien servir en 1776 qu'en 1688. Nous verrons cette troisième réforme produisant dans sa marche ce monstre en législation, cette nouvelle espèce de tyrannie inconnue jusqu'a- lors appelée les hils des châtimens et des amen- des (]ui sont d'origine purement protestante et nous verrons enfin que cette fameuse et glo- rieuse révolution, toute protestante qu'elle était amena , quoiqu'elle eût traversé l'Atlantique pour l'aller chercher, cette aurore de la liberté que les catholiques coraînencèrent à apercevoir à la

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fin d'une longue nuit du plus cruel esclavage qui avait duré plus de deux cents ans. Mais, de peur de l'oublier plus tard, je dois faire remar- quer ici, et prier le lecteur de remarquer avec soin que , de ces colonies , les seules qui s'abs- tinrent complètement de toutes persécutions religieuses , les seules qui , dès le moment de leur établissement, proclamèrent la liberté reli- gieuse , furent celles qui avaient été accordées par des lettres-patentes du duc d'Yorck ( de- puis le catholique Jacques II), à lord Balti- more , seigneur catholique , et à Guillaume Penn qui souffrit un long emprisonnement pour son attachement à ce roi papiste. Nous verrons encore toutes les colonies déclarer unanime- ment qu'elles trouvaient dans la conduite d'un roi protestant tous les actes qui peuvent ap- partenir à un tyran. Mais nous devons surtout retenir que les colonies fondées par les catho- liques et par Penn y partisan de Jacques, fu- rent les seules qui , depuis le commencement jusqu'à la fin , proclamèrent et maintinrent stric- tement la liberté complète en fait de rehgionj et quand ? lorsque les protestans de la mère- patrie persécutaient cruellement et sans relâche les catholiques depuis plus de cent ans.

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No. XIV.

LETTRE XIV.

Triomphe de Guillaume sur Jacques et les ca- tholiques. Besoin d'argent pour faire une guerre contre le papisme. Projet d'emprunt de fonds publics de Burnet. Origine des ban- ques et des bank-notes. Énormes impôts , droit

d'eXCIRE 5 BILL septennal. On VEUT TAXER LES

Américains. Ils se révoltent malgré la doc- trine de Blackstone. Reproches qu'ils font a Georges III.

Mes Amis, Kensington , le 28 dec. 182 5.

392. Nous avons vu dans la lettre précédente que la troisième " Réforme " appelée ordinai- rement glorieuse répolution vint directement de la seconde " Réforme " ; actuellement nous allons voir que la quatrième " Réforme " ap- pelée j^évolution d'Amérique fut produite di- rectement par la troisième " Réforme. " Dans cette lettre nous nous attacherons à montrer com- bien le peuple anglais a déjà été châtié ; com- bien plus sévèrement encore il doit l'être par la suite : résultat funeste de ces différentes ré-

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formes qui ont toutes été produites par la pre- mière réforme aussi naturellement que la tige et les branches de l'arbre sont produites par les racines.

393. Pxappelons-nous que le roi Jacques et ses descendans furent privés du trône parce qu'ils étaient catholiques , et n'oublions pas en même temps qu'ALFRED-LE-GRAND était catholique ; que ces rois d'Angleterre qui firent la conquête de la France et gagnèrent le titre de roi de France que Georges III a abandonné , étaient aussi catholiques. Mais ce qui doit surtout ici fixer notre attention, c'est que Jacques, Anglais, fut mis de côté , qu'on éleva sur le trône à sa place Guillaume, Hollandais, et que les héritiers de Jacques furent aussi privés de leur droit au trône , parce qu'ils étaient catholiques aussi bien que lui. Ayant toujours ces faits présens à l'esprit , nous verrons ce qui arriva ensuite ; la marche que suivit la " réforme " protestante jusqu'à l'époque elle produisit la dette , les banques , les acheteurs de rentes et la révolu- tien d'Amérique.

3g4- Jacques trouva des partisans fidèles dans ses sujets irlandais qui combattirent pour sa cause avec cette bravoure et ce mépris de la vie dont tant dïrlandais ont donné des preuves. Mais avec le secours des armées hollandaises et allemandes, le libérateur finit par triompher de Jacques et des Irlandais , et tout le royaume se soumit à

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son gouvernement. Il n'est pas nécessaire de dire ici que dès ce moment les catholiques furent con- damnés à souffrir des chàtiœens jusqu'alors in- connus , et que si leur croyance n'a pas cessé d'exister dans le royaume, on ne peut s'empê- cher de l'attribuer à un soin particulier de la Providence. L'oppression sous laquelle ils avaient gémi pendant les règnes précédens avait cepen- dant déjà été assez terrible : mais alors commença contre eux une série d'actes tels que le monde n'avait encore rien vu de semblable. Plus tard je donnerai un léger aperçu de ces actes que nous verrons aller toujours en augmentant pour le nombre comme pour la sévérité, et nous pré- senter à la lin une telle masse de châtimens que l'idée seule en fait frémir , quand tout à coup , dans la iS*^ année du règne de Georges III, arriva la révolution américaine , fille de la ré- volution anglaise , et qui ( voyez la justice de Dieu ) fut le premier relâche de cette législa-

tion sangumaue.

SgS. Mais comment la révolution américaine a-t-elle été amenée par la révolution glorieuse du libérateur hollandais ? Question très à pro- pos et de la plus grande importance, mes ami;^, à laquelle mon devoir m'oblige de répondre de la manière la plus complète et la plus satisfai- sante \ car elle appartient entièrement à mon sujet. Nous verrons la révolution d'Amérique avoir les résultats les plus élonnans ; nous de-

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vons donc rechercher avec le plus grand soin sa véritable origine 5 ce qui est d'autant plus im- portant que d'après le calcul des probabilités hu- maines , l'Angleterre doit encore recevoir de ces pays des coups bien plus terribles qu'aucun de ceux qu'elle a déjà eu à supporter.

396. Le libérateur protestant avait amené avec lui une armée hollandaise pour soutenir la na- tion anglaise : ensuite il fallut supporter les dé- penses et massacres d'une guerre civile pour être déliprés du papisme ; mais tous les maux qui en résultèrent ne furent rien si on les compare à ce qui arriva ensuite : tels étaient les châti- mens qui avaient été destinés à la nation pour bien des âges, dont plusieurs sont encore à venir, et doivent avoir des effets que l'esprit humain ne peut calculer de sang froid.

397. Le roi Jacques avait été reçu en France, comme nous l'avons vu. Louis XIV le traitait comme roi d'Angleterre , d'Ecosse et d'Irlande. Guillaume en avait conçu une violente haine contre Louis, et c'était l'Angleterre qui devait payer cette haine. Tous ceux qui avaient con- tribué d'une manière remarquable à amener le libérateur se trouvaient alors exposés aux mê- mes chances que lui. Ils étaient forcés de se con- former à ses désirs et de lui céder en tout. Ils n'avaient voulu , disent les historiens , donner la couronne qu'à sa femme, parce que, comme elle était fille de Jacques, ce changement res-

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semblait moins à une révolution qu'en donnant la couronne à un homme tout-à-fait étranger : mais Guillaume leur dit en propres termes qu'il ne voulait pas tenir son pouvoir par les cor- dons cVun tablier. Lorsque ce débat eut duré pendant quelque temps , il trancha court avec eux en leur déclarant que s'ils ne lui donnaient pas la couronne , il s'en retournerait en Hol- lande et les laisserait à leur ancien souverain. Il n'en fallait pas davantage \ ils lui accordèrent la couronne sans hésiter , et trouvèrent bientôt qu'ils s'étaient donnés, non-seulement un libé- rateur , mais aussi un maître.

398. Les mêmes raisons qui les avaient forcés à se soumettre ainsi au libérateur les engagèrent encore avec lui dans sa guerre contre la France. Jacques était en France, une grande partie de son peuple était encore pour lui ; si la France restait en paix avec l'Angleterre, on ne pouvait empêcher les communications. Dès-lors la guerre avec la France était donc absolument nécessaire pour que Guillaume conservât le trône; et si ce trône lui était arraché , que deviendraient ceux qui avaient obtenu de lui , pour prix de leurs services , des concessions immenses de terres de la couronne et difFérens autres émo- lumens énormes dont ils ne pouvaient pas es- pérer de garder la moindre des choses si Jacques était rétabli? Et même, dans ce cas, leurs pro- pres biens et leur vie couraient un grand danger

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et un très-grand danger , car ce que l'on avait appelé une glorieuse révolution aurait reçu un nom bien différent ; et ce nom n'eût pas été un simple nom : il est à croire qu'il aurait servi à appuyer la conduite qu'on aurait tenue , et probablement il n'y aurait eu qu'un très-petit nombre des principaux acteurs qui seraient ve- nus à bout de se sauver. Il ne faut pas oublier non plus les possesseurs des immenses propriétés de l'Église fondée et dotée par nos pères. La confiscation de ces biens ne remontait pas à une époque si éloignée qu'elle eût été complètement oubliée. Les traditions se conservent long-temps, personne n'ignorait ce qui s'était passé : tous avaient entendu dire à leurs aïeux que l'Église catholique entretenait tous les pauvres , que le peuple s'en trouvait mieux ; et tous sentaient aussi que l'Angleterre avait perdu au change. Dès-lors si Jacques était rétabli, les possesseurs de biens d'églises , clercs ou laïques , pouvaient avoir des craintes assez fondées.

399. Ainsi toutes ces personnes si fort inté- ressées au maintien d'un tel état de choses , et qui étaient aussi les plus puissantes dans le royaume , penchèrent pour la guerre avec la France qu'elles regardèrent avec raison comme absolument nécessaire pour que Guillaume conservât le trône et qu'elles pussent jouir tran- quillement de leurs grandes propriétés , sans qu'elles eussent rien à craindre pour leurs pro-

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près vies. Dès-lors cette guerre aurait être appelée guerre entreprise pour conserver les pro- priétés de l'Eglise , les biens de la couronne et d'autres grands gains à leurs possesseurs actuels. Mais ceux qui font les guerres , comme ceux qui confisquent les propriétés de l'Église et des pauvres , savent ordinairement trouver un heau nom : aussi ils ne manquèrent pas de dire et de proclamer que cette guerre n'avait pour but que de conserver la religion protestante, et d'em- pêcher le retour du papisme et de V esclavage. C'était vraiment une guerre contre le papisme , et quoiqu'elle ait été suivie de résultats terri- bles pour la nation y elle eut tous les effets qu'en attendaient ceux qui l'avaient excitée. L'histoire de cette guerre sous le rapport militaire est de peu d'importance pour nous. Elle fut en effet sous ce rapport assez honteuse , mais elle rem- plissait le grand objet que s'étaient proposé ses auteurs : elle ne fit aucun tort à la France , elle ne débarrassa pas Guillaume de Jacques et de son fils , mais elle identifia dans l'esprit du peuple anglais leur ancien roi et son fils avec les ennemis extérieurs de l'Angleterre j c'était ce que voulaient les fauteurs de cette guerre , ce fut ce qu'ils obtinrent complètement. En vain le roi Jacques protesta qu'il ne voulait aucun mal à V Angleterre _,• en vain il voulut rappeler au peuple qu'il avait été forcé de se retirer en France \ en vain il déclara que les Français n'a-

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valent d'autre but que de le rétablir dans ses droits. Ils le virent en France ; ils virent les Français combattre pour lui et contre l'Angle- terre ; c'en fut assez : les hommes ne raisonnent pas dans une telle position , et c'est ce que sa- vaient très-bien les auteurs de la guerre.

4oo. Mais quoique la passion aveugle facile- ment les hommes , quoique même un honnête sentiment puisse faire taire la raison , il est rare que l'on vienne à bout de réduire ainsi la bourse au silence : et cette guerre entreprise pour dé- fendre la religion protestante et empêcher la rentrée du papisme et de Vesclaçage commença bientôt à faire sentir ses funestes effets sur des objets qui sont devenus pour ainsi dire une partie essentielle de l'organisation humaine. Les dépen- ses de cette fameuse guerre , point cle papisme Grand Dieu ! quels maux ce cri plein d'horreur et d'hypocrisie n'a-t-il pas causés à notre pa- trie ! . . . les dépenses de cette fameuse guerre , point de papisme , furent énormes. Les impôts durent donc être en rapport avec ces dépenses : le peuple qui déjà payait quatre fois plus d'im- pôts que sous le gouvernement de Jacques com- mença non-seulement à murmurer, mais même à donner des preuves non douteuses du regret qu'il avait d'avoir été délivré. La France était puissante , le roi de France était généreux et zélé, et l'état des affaires n'était rien moins que rassurant. Ou usa d'abord assez amplement de la

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force autant que la loi et la suspension de la loi put le permettre. A la fin on trouva un moyen de se procurer de l'argent , et qui avait l'avan- tage de pai'aitre ne pas prendre de force , cet objet si précieux, la bourse.

401. Le parlement lit en 1694, la cinquième année du règne de Guillaume et de Marie, un acte ( chap. 20) dont le titre est conçu dans les mots suivans ; mots que tout homme devrait graver dans sa mémoire , mots qui furent fu- nestes à la paix et au bonheur de l'Angleterre ; mots qui annonçaient le plus grand fléau dont aucune partie de la création de Dieu eût jamais été affligée. " Cet acte a pour but d'accorder à Leurs Majestés plusieurs taxes et droits sur le tonnage des vaisseaux et des navires , sur la bière y l'aile et les autres liqueurs , et d'as- surer des récompenses et des avantages spécifiés dans ledit acte , à ceux qui avanceront volon- tairement la somme de quinze cent mille livres destinée aux frais de la guerre contre les Fran- çais ,• " cet acte désigne ensuite certains droits qui seront consacrés au paiement de l'intérêt de cette somme de quinze cent mille livres j il indique la manière dont on doit souscrire , le mode que l'on suivra pour le paiement des in- térêts et des annuités , et enfin il promet que si toute la somme est souscrite avant le temps, on donnera aux souscripteurs une charte sous le titre de gou[^erneur et compagnie de la ban- que d'Angleterre.

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4o2. C'est de que vinrent les emprunts , les fonds , les banques , les banquiers , les m banh-notes et la dette nationale , toutes cho- ses inconnues à l'Angleterre avant cette guerre ^, faite pour défendre la religion protestante étor- ^ blie par la loi ; sous lesquelles elle avait par- couru avec gloire un grand nombre de siècles , et avait été le pays le plus célèbre et le plus heureux du monde ; chose dont elle n'aurait même jamais pu entendre parler sans ce que l'on nomma audacieusement la " réforme ; " puisque de tous temps, prêter de l'argent à in- térêt , c'est-à-dire pour en retirer du profit, ce qui veut dire recevoir de l'argent pour l'usage de l'argent , avait été et est encore une action contraire aux principes de V église catholique ,• et jamais , parmi les chrétiens , on n'entendit parler d'une semblable spéculation avant ce que l'on nomme impudemment la " réforme. " ]M. O' Callaghan a montré dans son excellent petit ouvrage que j'ai eu l'honneur de republier l'hiver dernier , et qui devrait être entre les mains de tous les hommes et surtout des jeunes gens , que les anciens philosophes , les pères de l'église , les deux testamens , les canons de l'église , les décisions du Pape et des conciles , sont tous d'accord sur ce point et déclarent que c'est pécher que de prendre de l'argent pour l'usage de l'argent : en effet on ne songea point à ce genre de commerce avant que le brutal

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Henri VIII, eût rejeté la suprématie du Pape; les juifs le faisaient, mais alors les juifs n'avaient aucun droit civil ; on ne les laissait exister que par une simple tolérance ; ils pouvaient être renfermés ou bannis , ou même vendus au bon plaisir du roi ; on les regardait comme une es- pèce de monstres qui se vantaient de descendre en droite ligne et de conserver les opinions de ceux qui avaient mis à mort le fils de Dieu et le Sauveur des hommes ; on ne leur per- mettait pas de pratiquer ouvertement leurs blasphèmes ; s'ils avaient des synagogues elles étaient inconnues au peuple , et ces êtres horribles étaient obligés de se cacher eux-mêmes les dimanches et les jours de fête. On ne leur permettait pas de souiller par leur présence les rues ou les routes , les jours consacrés à la dé- votion publique. Chez des hommes aussi dégradés on tolérait l'usure _, qui consiste à recevoir de l'argent pour l'usage de l'argent , précisément comme on tolère pour la même cause l'inceste entre les chiens.

4o3. Je ne sais pas jusqu'à quel point l'esprit de l'usure a pu se répandre parmi les catholi- ques eux-mêmes , et ce fait n'est d'aucune im- portance pour ce qui m'occupe dans ce moment. Il est certain qu'avant la " réforme " on ne sa- vait pas ce que c'était parmi les chrétiens que de recevoir de l'argent, ou un gain quelconque, simplement pour l'usage de l'argent. Il serait

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facile de montrer que cette méthode entraîne nécessairement de très-grands malheurs , mais nous verrons assez de ces malheurs à la fm; qu'il nous suffise dans ce moment de remarquer que cette usure nationale , qui fut inventée alors pour la première fois, est venue de la " réforme."

404. Non- seulement cette horrible invention, l'usure, ou système d'emprunt public, fut une invention protestante ; non-seulement elle vint de la " réforme, ^^ non-seulement elle fut éta- blie dans le but spécial de fournir aux dépen- ses d'une guerre entreprise pour la conservation de cette église anglicane contre 'les ejforts du papisme y mais son inventeur Burnet fut l'avo- cat le plus infatigable qu'ait jamais eu la " ré- forme. " Ainsi non-seulement ce projet fut une invention des proteslans pour nuire aux catho- liques , que Dieu adopta dans sa sagesse comme un fléau , et qui devait être le plus terrible des fléaux pour les protestans eux-mêmes j non-seu- lement il devait à la fm inspirer à l'église " établie par la loi " des craintes très-vives , mais ce qu'il y a de plus remarquable c'est que , pour rem- plir ç^s différcns buts , c'était l'instrument le plus propre que l'on put trouver au monde.

405. Burnet, doait le premier nom était Gil- bert y fut d'abord ministre politique. Il devint bientôt historien , mais des plus infidèles ; il se fit Écossais et reçut à la fin les remercîmens du parlement pour son histoire de la " réforme ,''''

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c'est-à-dire pour la masse la plus honteuse de mensonges et d'absurdités dont on ait jamais souillé le papier; en sorte que \ instrument était le plus propre que l'on eût jamais pu trouver sur la terre à l'avènement de Jacques II. Cet homme se retira en Hollande il devint secré- taire de Guillaume (plus tard libérateur) et il se lia de correspondance et de projets avec les glorieux révolutionnaires de l'Angleterre. En i68g, l'année qui suivit la délivrance, le libéra- teur le fit évêque de Salisbury pour le récompen- ser de ses services dans la glorieuse révolution. 406. C'était l'homme du monde le plus pro- pre à inventer ce qui pouvait être un fléau pour l'Angleterre. Quoiqu'il fût devenu évêque il n'en était que plus ardent à la politique; et lorsque, au moment de commencer la guerre point de papisme y on fut arrêté par le besoin d'argent, et que les craintes, que j'ai exposées dans le pa- ragraphe 400 5 devinrent très-sérieuses, ce fut cet évêque de l'église " établie par la loi " qui inventa , qui conseilla et qui, poussé par le libé- rateur, fit adopter le projet d'emprunter , d'hy- pothéquer les taxes y et d' engager la propriété et le travail des générations futures. Belle dé- livrance! Mais ce projet, outre les grands avanta- ges de ménager la bourse du peuple et d'apaiser son mécontentement pour l'énormité des impôts, avait encore un autre but et bien plus impor- tant , car il forçait tous ceux qui avait de l'ar-

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gent à prêter , à désirer de voir se maintenir le nouveau roi, la nouvelle dynastie, et toutes les concessions et les gains de la glorieuse répo- lution. Tel fut le but permanent de ce projet , point de papisme.

407. Voilà précisément ce qu'il faut bien com- prendre, car c'est la vraie cause de nos crain- tes actuelles, de nos dangers et de nos misères. Jacques II et son fils avaient été écartés du trône parce qu'ils étaient catholiques : une glorieuse révolution avait été opérée ; et les principaux auteurs de cette révolution avaient des posses- sions immenses qui avaient appartenu au public ou à l'Église. Si Jacques remontait sur le trônej tous ces biens leur seraient indubitablement en- levés avec tous leurs titres de noblesse, tous leurs évêchés , et enfin tout ce que le libérateur leur avait accordé ; et comme le libérateur pouvait venir à mourir , il fallait que ces grands pos- sesseurs , ces fauteurs glorieux prissent soin , si c'était possible, que Jacques ou son fils ne pus- sent pas être les successeurs de Guillaume. Le parlement fit plusieurs actes pour remédier à ce danger; mais l'expérience avait montré que, dans quelques cas, les actes du parlement n'é- taient que d'un fajble secours, lorsque la masse du peuple leur était opposée ; dès-lors il fallait quelque chose qui liât la multitude à la nou- velle dynastie : le en, point de papisme y avait bien quelque force, mais il n'en avait point as-

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sez pour contrebalancer ce que, dans des temps pins modernes, Castelereagh eut l'insolence d'appeler l'ignorante impatience des impôts : impatience par laquelle les Anglais de toutes les époques se sont toujours fait remarquer.

408. Le libérateur, tous ceux qui avaient con- tribué à le faire venir, et tous ceux qu'il avait engraissés ou élevés, étaient, comme je l'ai déjà dit , embarqués sur le même navire ,- mais la masse du peuple n'était pas encore ainsi em- barquée, et en effet il n'y en avait encore qu'une petite partie. Mais si tous ceux , ou une grande partie de ceux qui avaient de l'argent à prêter pouvaient , par l'espoir d'un grand gain , être amenés à prêter leur argent à intérêt au gou- vernement , il était facile de voir que si on pou- vait les amener , toutes ces personnes seraient aussi embarquées sur le même navire ; et que toutes appartenant nécessairement à une classe qui jouissait d'une grande influence dans la com- munauté , elles seraient les partisans les plus zélés du libérateur , et deviendraient les sou- tiens , les complices de la révolution qui venait d'avoir ïieu.

409. Ce fat dans cette vue que l'on inventa le système ai emprunt public : il présentait deux avantages : il fournissait de l'argent pour la guer- re , point de papisme , et il attachait au gou- vernement , point de papisme , toutes ces per- sonnes qui désiraient placer leur argent à un

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taux très-élevé ; et comme cela est ordinaire- ment, ces personnes appartenaient à la classe du peuple qui est la plus avide , la plus intéressée , la plus vile et la moins patriotique. Le projet, qui du reste était bien digne de l'esprit de l'é- vêque protestant Burnet, réussit complètement : il mit le libérateur à même de faire la guerre, point de papisme ; il attacha au parti du li- bérateur et de ceux qui l'avaient amené ces hom- mes intéressés et insensibles qui avaient de l'ar- gent. Le projet accomplit bien ce qu'on s'était proposé : mais grand Dieu ! quel fléau ne pré- para-t-il pas aux générations futures ! que de troubles, que de commotions, que de souffran- ces il préparait à un peuple dont les chefs, dans un moment d'embarras, eurent recours à de tels moyens pour faire fouler aux pieds ceux qui n'a- vaient pas commis d'autre crime que de rester fermement attaches à la foi de leurs pères !

4 10. La somme que l'on emprunta d'abord n'était qu'une bagatelle. Elle trompait par son apparente modicité : mais il s'en fallait de beau- coup qu'ils voulussent s'arrêter à cette niaiserie. Les inventeurs savaient bien ils en voulaient venir ; leur désir était d'hypothéquer graduel- lement l'Angleterre tout entière , toutes les ter- res , toutes les maisons , enfin toutes les autres propriétés et même tous les genres d'industrie, à ceux qui prêteraient de l'argent à l'état : bientôt la somme se trouva considérablement augmen-

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tee ; et avant la fin de la glorieuse ^nerre, poi?it de papisme , l'intérêt seul de la dette , r inté- rêt annuel montait à i ,3oo,ooo 1. par an ; ce qui déjà était une somme beaucoup plus considé- rable que les impôts que l'on payait sous le règne du catholique Jacques II ! Ainsi on venait d'é- tablir/?owr toujours un nouvel impôt; ainsi seu- lement pour cette glorieuse révolution que l'on n'avait faite que pour se débarrasser d'un roi ca- tholique, on établit, et pour toujours, de nou- veaux impôts qui seuls étaient plus considérables que tous ceux levés par ce roi catholique! telle est la justice de Dieu ! Le traitement qu'éprou- vaient les catholiques à cette époque était hor- rible : la masse du peuple anglais ou l'approuvait, ou n'y faisait aucune attention. Quoique ce projet financier n'eut été inventé par un épêque protes- tant que pour chasser entièrement du royaume la religion catholique , cette religion y subsiste cependant encore : bien plus , les catholiques y sont plus nombreux que les sectateurs d'aucune autre religion. Et cependant ce projet si plein de ruse , si profond y a dès son origine fait pa- raître des essaims de juifs, de quakers, d'usu- riers de toute sorte , et les a engraissés des ri- chesses de l'Angleterre , jusqu'à ce qu'enfin il ait produit, ce que le monde n'avait pas encore vu, la famine au milieu de V abondance \ Oui, certainement c'est le tableau que nous pré- sentons au monde! Les ministres de l'Église " éta-

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blie " font à Dieu, dans tous les temples, des re- mercimens pour r abondance des récoltes, tan- dis que le peuple à qui nous les devons est plus mal nourri et plus mal habillé que ne le sont les criminels dans les prisons î

4ii. Mais n'anticipons pas sur l'avenir : nous verrons plus tard les derniers effets probables de cet affreux projet. Actuellement il nous reste à voir comment ce projet , avec la glorieuse ré- volution dont il était le fruit , a amené la ré- volution d'Amérique , ou la quatrième reforme qui a eu deux grands résultats. Le premier fut la séparation d'une vaste et importante par- tie des possessions de l' Angleterre ; le second , la création d'une nouvelle puissance maritime et marchande , capable de lui disputer cet em- pire de la mer , qui depuis tant d'années lui a procuré une si grande gloire, et sans lequel elle doit devenir en Europe une puissance du second ordre. Tels furent les résultats de la révolu- tion d'Amérique. Voyons donc à présent ce qui a produit cette révolution, ou plutôt voyons com- ment elle est venue directement de la glorieuse révolution , des ses guerres et de son emprunt, point de papisme.

4 12. L'invention de Burnet réussit très-bien dans le premier moment : elle empêcha la na- tion d'écouter les avertissemens de ceux qui an- nonçaient les malheurs qu'il devait entraîner j tous ceux qui étaient intéressés dans les fonds

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devinrent les défenseurs des impôts; le riche se trouvait vivre aux dépens du pauvre sans éprou- ver aucun sentiment d'humanité pour ceux qui supportaient tout le poids des taxes. Enfin la na- tion se trouva divisée en deux classes, ceux qui payaient les taxes et ceux qui les mangeaient y mais ces derniers étaient soutenus par le gou- vernement. Un des droits les plus précieux du peuple anglais avait toujours été qu'on ne pour- rait lui imposer aucune taxe sans son propre consentement. Tel fut toujours , dans les temps catholiques, le grand principe du gouvernement anglais ; on le trouve expressément et très-ex- plicitement exprimé dans la grande charte que l'on devait surtout aux soins d'un archevêque catholique de Gantorbéry ; mais comment pou- vait-on espérer que ce grand principe serait ob- servé , lorsqu'une grande partie des riches vi- vaient eux-mêmes sur les taxes ; quand les uns recevaient ce que donnaient les autres ; quand enfin la communauté était complètement divisée en deux parties dont l'une avait un puissant in térêt à garder ce qui était ruineux pour l'autre? 4i3. Les impôts furent donc toujours en aug- mentant , et la dette suivit la même marche. L'intérêt du protestantisme demandait d'autres guerres , et produisit d'autres guerres civiles. Les impôts augmentaient rapidement , et c'est ce que le peuple ne pouvait aimer. A l'époque de la glorieuse révolution on avait décidé que

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l'on convoquerait le parlement une fois au moins tous les trois ans , et l'on avait regardé cette concession comme l'une des grandes conquêtes de la glorieuse révolution. Une autre grande conquête était qu'aucun pensionnaire de l'état , du gouvernement , ne pourrait siéger dans la chambre des communes. Ces deux points furent arrêtés et mis au nombre des lois ; on les pré- senta au peuple comme de grandes conquêtes faites par la révolution glorieuse. Mais le der- nier de ces actes fut bientôt révoqué, et depuis, les pensionnaires et les fonctionnaires n'ont cessé de siéger dans la chambre des communes. Quant à l'autre acte , celui qui assurait au peuple un nouveau choix tous les trois ans au moins , c'é- tait une loi de la plus grande importance. Dans le nouvel état de choses , au milieu des impôts et des dettes , dans une position chaque an- née l'on avait besoin de nouveaux impôts , il fal- lait absolument de nouveaux parlemens , de nou- veaux choix à de courts intervalles pour donner au peuple une chance d'éviter les impôts acca- blans , et en effet toutes sortes d'oppressions ; enfin ce fut le seul moyen de défense que con- serva le peuple.

4i4- Mais pour soutenir ce nouveau système, il fallait encore abattre jusqu'à cette barrière de la liberté et de la propriété ; et ce fut la pre- mière année du règne de Georges, en 17 15, que cette loi , cette loi de vie , ce pacte solen-

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nel entre la dynastie protestante et le peuple fut annulé et aboli pour toujours. Les trois ans furent changés en sept, et cela par les hommes mêmes que le peuple avait choisis pour ne sié- ger que trois ans ! Ainsi des hommes nommés par le peuple pour siéger pendant trois ans dé- cidèrent qu'ils siégeraient pendant sept 5 qu'eux- mêmes resteraient sept années , et que ceux qui les avaient nommés ne pourraient plus choisir que ceux qui d'après le bon plaisir du roi sié- geraient pendant sept ans !

41 5. Nous ne devons pas ici donner un libre cours à notre indignation et à notre juste colère , cela nous serait inutile : nous devons conserver notre calme. Mais rappelons-nous bien que ce n'est pas des catholiques que nous tenons cet acte qui nous a châtié d'une manière si terri- ble ; ils n'y contribuèrent en aucune manière ; et outre qu'il passa sous la nouvelle dynastie protestante y cet acte , dont on ne trouve rien de semblable dans l'histoire du monde , il fut encore dirigé spécialement contre la religion de nos pères ! Grand Dieu ! que n'a pas souffert la nation ! que n'a-t-elle pas encore à souffrir de cette hostilité ! A peine trouverait-on une seule grande calamité parmi celles qui ont ac- cablé le peuple anglais pendant les trois der- niers siècles dont on ne pût facilement trouver la cause dans cette source fatale.

416. Mais cette loi de la septennalité , cette

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2^c)3 Réforme Protestante.

mesure qui est sans analogue , et qui a produit des effets si désastreux , nous devons en con- naître Foriginal même , n'en pas perdre un seul mot-, car ici nous trouvons vraiment une loi anti- papiste , et aujourd'hui même nous en ressen- tons les funestes effets, et probablement les res- sentirons-nous encore pendant long-temps. Voici les propres expressions de cet acte mémorable. 417. " Vu que dans et par un acte du par- lement passé dans la sixième année du règne de leurs feues majestés le roi Guillaume, et la reine Marie ( d'heureuse mémoire ) et qui est intitulé , Acte pour la réunion fréquente et la convocation du parlement , il fut décidé , en- tre autres choses , que pour l'avenir tout par- lement qui aurait été convoqué , assemblé ou tenu, ne pourrait exister pendant plus de trois ans au plus, et que l'on compterait du jour pour lequel le parlement serait convoqué ; vu que l'expérience a prouvé que cette clause avait paru très-nuisible et très-gênante en occasionnant de beaucoup plus grandes et plus fréquentes dépen- ses pour l'élection des membres du parlement , et des animosités plus longues , plus violentes que tout ce qui était arrivé avant cet acte , vu que si les choses restaient en cet état , surtout lorsqu'une faction inquiète et papiste ne cherche que les moyens d'exciter la révolte au dedans , et d'attirer une invasion du deliors , la paix et la sécurité du gouvernement seraient gravement

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compromises ; le roi par et avec l'avis et le con- sentement des lords laïques et ecclésiastiques , et des communes rassemblées dans le parlement, a résolu que ce présent parlement et que tous les parlemens qui par la suite seront convoqués, assemblés ou tenus , siégeront pendant sept an- nées , mais non plus long-temps , et à dater du jour ce présent parlement ou tout autre par- lement sera convoqué par les voies ordinaires , à moins que Sa Majesté , ses héritiers ou ses successeurs ne jugent à propos de dissoudre ce présent parlement ou tout autre parlement à venir. "

4i8. Nous la retrouvons donc encore ici cette turbulente faction papiste ; ainsi c'est à cause des desseins et des projets d'une faction papiste que l'on enlève au peuple tout entier ses droits les plus précieux ! Quel désordre pouvait causer une simple faction dans une élection ? fausses imputations 1 mensonges ! Le peuple , la masse du peuple , gémissant sous le poids énorme des impôts, avait perdu toute affection pour le nou- vel ordre de choses. Ils étaient fortement dis- posés à retourner à leur ancien état ; on soup- çonnait, et en effet on savait bien qu'à la première élection ils auraient choisi de tous côtés des membres dont les sentimens fussent en rapport avec les leurs; on se résolut donc à ne pas leur en laisser le pouvoir. On vint à bout d'exécuter le projet que l'on avait conçu , projet dont nous

5oo Réforme Protestante. ,

avons ressenti les effets jusqu'à n<js jours ; mais rappelons-nous surtout que nous devons cet acte destructeur de la liberté anglaise à la haine contre la religion de nos pères : cette religion pendant le règne de laquelle le parlement ne fut ja- mais rassemblé sans qu'il y eût une nouvelle chambre des communes ; cette religion à la- quelle se rattachaient tous les droits civils et politiques du peuple, cette religion sous laquelle, tant qu'elle fut dominante , ceux qui la prati- quaient n'entendirent jamais parler de parlement pour sept ans _, pour trois ans ou même pour un an ; mais virent , toutes les fois que le par- lement était convoqué, élire une nouvelle cham- bre des communes pour cette session , mais non plus long-temps.

419. Après l'adoption de l'acte de la septen- nalité le peuple perdit presque tous les droits qu'il avait eus sur la levée des impôts et sur l'emploi des deniers publics \ aussi les taxes augmentèrent- elles prodigieusement, l'excise qui avait commencé à se montrer sous les derniers règnes protestans et dont on ignorait jusqu'au nom dans les temps catholiques , prit alors la forme sous laquelle nous la voyons ; alors les châteaux des Anglais furent soumis à la visite des employés de l'excise. Les choses suivirent cette marche jusqu'au règne de Georges III, époque à laquelle, au moyen des guerres , />o//z^ de -papisme j et d'autres mesures pour conser-

Lettfe XIV. 5oi

ver la religion protestante " établie par la loi, " la dette s'était élevée de i,5oo,ooo livres à 145,682,844 livres; l'intérêt annuel qui montait à 4)84o,82i livres équivalait à peu près à qua- tre fois le montant annuel des impôts sous le règne du papiste Jacques IL En même temps la somme des taxes annuelles s'était élevée à 8,744)682 livres , c'est-à-dire à environ huit l'ois ce que Jacques levait chaque année sur ce même peuple !

420. Aujourd'hui quoique beaucoup d'Anglais montrent assez d'ardeur dans leurs discours con- tre le papisme , ou contre beaucoup d'autres sujets , ils montrent cependant bien moins de zélé et d'activité quand on s'adresse à leur bourse. La nation sentit vivement le poids de ces far- deaux \ mais elle ne reçut aucun soulagement , parce qu'elle avait bien mérité d'être ainsi trai- tée. Le peuple porta avec amertume ses regards vers les heureux temps qui n'étaient plus \ la noblesse s'aperçut bientôt , non sans honte et sans crainte , que ses biens commençaient à pas- ser tranquillement ( comme Swift le leur avait prédit), dans les mains des juifs, des quakers et autres changeurs d'argent créés par la guerre, point de papisme _, et par le projet de l'Ecos- sais Burnet i mais il était trop tard pour regar- der en arrière; et d'ailleurs n'était- il pas affreux surtout pour des hommes d'anciennes familles et qui ne manquaient pas d'orgueil de prévoir

5o3 Réforme Protestante.

cette ruine certaine et non éloignée? Ils auraient alors consenti volontiers à prendre des mesures pour réparer les maux causés par les projets de Burnet, mais ces désirs furent toujours contre- balancés avec efficacité par le même motif qui avait fait créer la dette , la nécessité d'embar- quer et de tenir embarqués de grandes masses de capitalistes dans le même navire que le gou- vernement.

42 1 . Dans cet embarras , d'une part le danger de diminuer l'intérêt de la dette, et de l'autre le danger de continuer de payer cet intérêt , on eut recours à un nouveau projet que l'on espéra devoir obvier en même temps à ces deux dangers : c'était d'établir de nouveaux impôts sur les colonies américaines , et de leur faire supporter une partie et peut-être à la fin la somme entière de la dette , point de papisme. Alors arriva la quatrième " réforme " qui fut la suite des mesures qu'avait nécessitées l'ac- complissement de la glorieuse révolution , dont elle suivit les principes et la conduite avec exac- titude : commençant par une convention assem- blée sans l'autorité du roi , du parlement ou du peuple , élevant des chefs d'accusation contre le roi, déclarant coupables de haute-trahison ceux qui lui restaient attachés, et finissant par rejeter son au- torité; annulant même pour toujours ses droits et ceux de sa famille, et, ce qui est le plus remarqua- ble , faisant paraître la première aurore de sou-

I

Lettre XIV. 5o3

lagement aux yeux des catholiques d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande , qui avaient souffert si long- temps. Je laisse à exposer plus tard ce que ces hommes , nos compatriotes , eurent à éprouver pour le crime d'être restés fidèles à la religion de leurs aïeux et des nôtres ; maintenant je vais donner le commencement et les suites de cette quatrième ^^ Réforme. '^

422. Les gentlemen septennaux n'avancèrent d'abord que lentement dans le projet qu'ils avaient formé de faire passer la dette de dessus leurs épaules sur celles des Américains. Ils imposèrent une taxe sur le thé et un droit de marque sur plusieurs choses qui étaient en usage aux colo- nies ; mais ils avaient affaire à un peuple adroit et clairvoyant et qui n'avait pas moins de sang froid que de bravoure et de résolution. Les Amé- ricains avaient vu les dettes , les fonds , les im- pôts et une soumission abjecte envahir par degrés le peuple anglais , et ils résolurent de s'opposer en même temps à tous ces désastres. Les capi- talistes n'y étaient pas comme en Angleterre des possesseurs d'actions et de rentes sur l'état. Ils n'étaient pas, comme les capitalistes d'Angleterre, embarqués sur le même jiapire que le gouver- nement. S'ils l'avaient été , il y aurait eu plus d'hésitation de leur part au moment de la ré- sistance. S'ils s'étaient laissés surprendre dans les fdets trompeurs de Burnet, les Américains au- jourd'hui seraient à peine connus dans le monde;

5o4 Réforme Protestante.

ils ne seraient que des bandes de pauvres dia- bles condamnés au travail par des maîtres fiers et insolens. Heureusement pour eux , ils n'a- vaient point été entraînés dans les pièges funes- tes de l'évèque écossais , et dès-lors ils prirent la résolution définitive de ne plus se soumettre aux ordres du parlement septennal.

423. Il est assez curieux qu'ils se soient don- né aussi-bien que le glorieux peuple le nom de whigs ; mais les partisans de la septennalité étaient aussi des whigs; en sorte qu'à cette épo- que on vit des whigs opposés à des wbigs. En Angleterre ou entend par whig celui qui ap- prouve l'expulsion de Jacques et de ses héri- tiers. En Amérique un whig est celui qui est opposé à Georges et à ses héritiers. Les whigs anglais se formèrent une convention ; ceux d'Amé- rique firent de même. Les whigs d'xVugleterre publièrent une déclaration qui contenait, comme nous l'avons vu , paragraphe 879, les chefs d'ac- cusation reprochés à Jacques. Ceux d'Amérique en firent autant contre Georges. Ces chefs d'ac- cusation étaient au nombre de douze : ce nom- bre est, à ce qu'il paraît, agréable aux whigs, car les whigs d'Amérique eurent aussi douze chefs d'accusation contre Georges. Nous avons vu dans le paragraphe 879 ce que les protes- tans reprochaient à un roi papiste j il ne sera pas moins beau pour nous de voir ce que les protestans et les catholiques reprochaient à un

Lettre XIV. 5o5

t:6\ protestant. Blacks tone en justifiant la glo- rieuse révolution eut bien soin de dire que la même chose ne pourrait plus jamais arriver , et les septennaux déclarèrent, et même je crois par un acte « que le roi , pour l'avenir ( étant dès-lors protestant ) ne pourrait ^d& faillir. Alors les Américains trouvèrent fort dur qu'on les em- pêchât de faire ce qui avait été si glorieux pour les Anglais. Blackstone leur avait dit que pour justifier une autre révolution , il fallait absolu- ment que toutes les mêmes circonstances s'y ren- contrassent , non une partie seulement , mais toutes. Il faut non-seulement que le roi désire renverser les lois, non-seulement qu'il commette des actes de tyrannie , mais il doit être catho- lique y il doit avoir le dessein de renverser la religion protestante , et enfin avoir abdiqué son autorité en se retirant hors du royaume ; en sorte que , d'après ce légiste , il était impossible qu'il y eût jamais une nouvelle révolution glo- rieuse , puisque deux de ces circonstances de- vaient nécessairement ne plus se trouver à l'ave- nir : car il ne pouvait plus y avoir de roi ca- tholique, et d'ailleurs le roi ne pouvait plus faillir.

424. Malheureusement hélas! ces whigs pro- testans n'écoutaient pas Blackstone quoiqu'il eût parlé avec tant de pitié des écoles régnaient " l'ignorance et la superstition des moines. " Ils pensèrent , et bien plus , ils dirent qu'un roi

5o6 Réforme Protestante.

protestant -couNaSX. faillir et même avait failli. Ils pensèrent, ou au moins ils dirent qu'un roi n'ab- dique pas seulement son autorité lorsqu'il sort de son royaume , mais aussi lorsqu'il n'y est jamais allé ,• enfin ils dressèrent à la glorieuse leurs chefs d'accusation contre leur roi protes- tant, le feu roi Georges 111; et comme les chefs d'accusation contre Jacques II étaient consignés dans un acte du parlement , ceux contre le roi Georges III le furent aussi dans un acte du congrès qui passa le jour mémorable du 4 juil- let 1776. Voici ces différentes charges :

425. " L'histoire du roi actuel de la Grande- Bretagne n'est qu'un tissu d'injustices et d'usur- pations répétées qui ont toutes pour objet direct l'établissement d'une tyrannie absolue sur ces états. Pour le prouver il nous suflira d'exposer les faits à un monde impartial.

lo " Il a refusé des lois nécessaires pour l'or- ganisation de vastes districts , à moins que les liabitans de ces districts ne consentissent à aban- donner le droit de représentation dans la lé- gislature j droit inestimable pour eux, et qui n'est formidable qu'aux tyrans.

1^ " Il a convoqué les assemblées législatives dans des lieux inusités , incommodes et éloignés de ceux sont déposés leurs actes dans le but seul de forcer les membres par la fatigue à ac- céder à ses mesures.

3^ " 11 a dissous plusieurs fois les chambres

Lettre XIV. ^oj

représentatives pour s'être opposées avec fer- meté à ses empiétemens sur les droits du peuple. " Il a entravé l'administration de la justice eu refusant son assentiment à des lois qui éta- blissaient des pouvoirs judiciaires.

50 " 11 a fait dépendre les juges de sa pro- pre volonté pour les titres de leurs places, le montant et le paiement de leur salaire.

" Il a créé une multitude de nouvelles places , et envoyé des essaims d'officiers pour harasser notre peuple et dévorer sa substance, no « Il à maintenu parmi nous , en temps de paix , des armées sur pied , sans le consen- tement de nos représentans.

" Il a affecté de rendre le pouvoir mi- litaire indépendant, et même de le mettre au- dessus du pouvoir civil.

90 " Il s'est entendu avec d'autres pour nous soumettre à une juridiction étrangère à notre constitution , et non reconnue par nos lois , donnant son assentiment à leurs prétendus actes de législation.

10" " Il nous a imposé des taxes sans notre consentement.

Il» " Il nous a privés dans beaucoup de cas de r avantage d'être jugés par un jury , et il a abdiqué son autorité sur ces états en nous dé- clarant privés de protection et en nous faisant la guerre. A chaque nouvelle oppression nous avons demandé par des pétitions et dans les

5o8 Réforme Protestante.

termes les plus humbles le rétablissement de nos droits : mais on ne répondait à nos, fréquentes pétitions que par des injustices plus fréquen- tes encore. Le prince dont le caractère ne se fait connaître que par tous les actes qui appar- tiennent à un tyran , ne peut être le chef d'un peuple libre. "

426. Maintenant la justice due à la mémoire du feu roi veut que nous affirmions qu'ici il y a plusieurs exagérations monstrueuses et surtout à la fin : mais la même justice ne veut- elle pas aussi que nous examinions avec soin les re- proches faits à Jacques II ? Cependant notre but dans ce moment est de rechercher non si les principes de l'une de ces révolutions étaient mieux fondés que ceux de l'autre , mais si la dernière révolution vint directement de la première j et je crois qu'après la lecture de cette lettre il n'est personne qui pût balancer un instant à se pro- noncer pour l'affirmative.

427. Je devrais à présent montrer que la résolution française ^ ou la cinquième " ré~ forme " fut le résultat immédiat de la révolu- tion américaine, et ensuite j'aurais à récapituler les conséquences de ces diverses réformes; mais je me trouve arrivé à la fm de cette lettre.

Lettre XV. 5oc)

XV.

LETTRE XV.

La révolution d'Amérique procure du soulage- ment AUX CATHOLIQUES. PERSÉCUTION JUSQU'aTT

RÈGNE DE Jacques IL L'église anglicane s'op- pose a la LIBERTÉ DE CONSCIENCE. CoDE PÉNAL HORRIBLE, QUE LA CRAINTE FORCE ENFIN A ADOU- CIR. La RÉVOLUTION FRANÇAISE FAIT MODIFIER IF, CODE DE NOUVEAU. CoDE PÉNAL TEL QU'iL EXISTE MAINTENANT. RÉSULTAT DE LA RÉFORME POUR CE QUI REGARDE LA RELIGION.

Mes Amis, Kensington , le 3i Janp. 182G.

428. Nous avons passé en revue les actes de la " réforme " depuis son origine sous le règne de Henri VIII jusqu'à la révolution cV Améri- que. Il ne nous reste plus qu'à la suivre jus- qu'à nos jours , époque qui renferme la révo- lution française. C'est ce que je me propose de faire dans cette lettre ; et dans la suivante je prouverai la proposition que j'ai avancée, sa- voir qu'avant ce qu'on a appelé " la réforme y " l'Angleterre était plus puissante et plus riche , et que le peuple était plus libre , mieux nourri

5 10 Réforme Protestante.

et mieux habillé et avait plus de mœurs qu'à aucune époque depuis cet événement. Je ter- minerai cette lettre par une liste de toutes les abbayes , des prieurés et des autres propriétés qui , d'après la grande cliarte, appartenaient à V Eglise et aux pauvres , et furent prises par les réformateurs. Je les diviserai par comtés et donnerai les noms de ceux auxquels on les accorda.

429. La révolution d'Amérique qui , comme nous l'avons vu, fut la suite directe des mesures que l'on avait adoptées en Angleterre afia d'e- craser les catholiques et de faire disparaître pour toujours leur religion, finit, en dernier résul- tat , par faire du bien aux catholiques , en dé- terminant le peuple anglais à adoucir, pour sa propre sûreté , ce code pénal qui pendant si long-temps les avait châtiés j mais avant de par- ler de la cause immédiate , des moyens et du degré de cet allégement, jetons d'abord un coup d'œil sur cet horrible code : ce monstre en lé- gislation , qui surpassa par la manière dont il viola les préceptes de l'humanité et de la jus- tice tout ce qui a pu dans le monde recevoir le nom de loi.

430. Nous savons avec quelle cruauté les ca- tholiques furent traités sous les règnes de la bonne reine Bess et de Jacques I. Nous connaissons les amendes, les pillages , les voleries et les pu- nitions corporelles auxquels ils étaient exposés j

Lettre XV. 5 1 1

mais quoique dès cette époque le code pénal rédigé contre eux fût capable de faire frisson- ner riiomme le plus intrépide, nous sommes ce- pendant obligés de le regarder comme une dou- ceur quand nous voyons la férocité qu'il développa plus tard. Nous avons vu que les catholiques fu- rent misa l'amende, tourmentés, chassés, volés, pillés sous le règne de la bonne Bess. Nous avons vu les mêmes horreurs se continuer sous son suc- cesseur immédiat , avec cette différence toute- fois qu'on donna alors les Anglais à piller aux Écossais. Nous avons vu que Charles I , pour lequel ils combattirent vaillamment contre Crom- well, les traita aussi cruellement que les deux premiers. Nous avons vu que Charles II les abandonna avec l'ingratitude la plus noire aux persécutions de l'église " établie par la loi. " Nous avons vu que les protestans eurent la bas- sesse et le roi l'indignité de souffrir que l'on pla- çât une inscription mensongère sur le monu- ment de Fisch-Street-Hill, dans la ville de Lon- dres , quoique lord Clarendon ( dont l'église anglicane tient le nom en si grand honneur ) dise expressément dans l'ouvrage que l'université d'Ox- ford publie à \imprimerie de Clarendon ( pag. 348 , continuation ) , " qu'un comité de la cham- " bre des communes qui désirait vivement en " reconnaître la preuve ne put jamais rien trou- " ver qui appuyât ce soupçon , et que cet in- " cendie déplorable n'eut pas d'autre cause que

5i2 PvÉFORME Protestante. "

" la colère du Tout-Puissant. " Quelle infamie donc de l'attribuer aux catholiques I quelle in- famie de tracer l'inscription mensongère sur la colonne ! Quel acte de justice dès-lors quand Jacques II la fit effacer ! Quelle honte pour Guillaume de l'avoir laissé rétablir, et combien ne sommes-nous pas coupables nous qui la lais- sons ainsi sans demander par pétition qu'elle soit effacée !

43 1. Mais ce fut après l'expulsion de Jac- ques II que le code pénal devint réellement hor- rible; et ici il est de la plus haute importance pour la cause de la liberté que nous remontions jusqu'aux vrais auteurs de ce code pénal, je veux dire jusqu'au clergé de l'église établie. C'est ce qui est assez évident par l'histoire tout en- tière de cette église. Jusqu'au règne de Jac- ques II, il est vrai, le souverain était de la religion établie y en sorte que les persécutions paraissaient venir de lui ou d'elle ^ mais quand le roi ne chercha qu'à adoucir le code penal , quand le roi fut pour la tolérance , alors le monde vit clairement quels étaient les vérita- bles persécuteurs ^ et c'est un sujet qui mé- rite toute notre attention avant que nous en ve- nions à un examen plus détaillé du code et aux causes qui en amenèrent à la fm l'abolition pres- que complète.

432. Jacques n voulut abohr le code pénal : il désirait établir une tolérance générale. Il fit une

Lettre XV. 5i3

proclamation par laquelle il suspendait toutes les lois pénales qui avaient rapport à la religion et accordait une liberté générale de conscience à tous ses sujets j ce fut son crime. Ce fut pour cela qu'il fut privé pour toujours de ses droits au trône avec ses héritiers! C'est ce qu'au- cun homme ne peut nier. Le clergé anglican s'éleva contre lui ; six évêques lui présentèrent une pétition insolente contre l'exercice de la pré- rogative dont avaient joui et usé tous ses pré- décesseurs. Ils amenèrent cet opposition qui fit la glorieuse répolution , et ils furent les plus actifs comme les plus acharnés des ennemis de cet infortuné roi , dont le crime fut d'avoir voulu accorder la liberté de conscience à tous ses su- jets, et dont les dépouilles mortelles , qui avaient été déplacées par les révolutionnaires français, furent traitées avec respect par notre roi actuel qui par se fit le plus grand honneur.

433. Nous allons voir maintenant un aperçu de ce terrible codej mais ce ne doit être qu'un aperçu : car deux cents lettres comme celles-ci ne sufïiraient pas pour le rapporter en entier. 11 fut toujours en augmentant en cruauté comme en volume, depuis le couronnement d' Elisa- beth jusqu'à environ vingt ans après celui de Georges III, époque des événemens, comme nous le verrons , le firent abandonner. Enfin il comprenait plus de cent actes du parlement qui avaient tous pour objet spécial de punir ceux

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5i4 PiÉFOR^iE Protestante.

seulement qui restaient fidèlement attacliés à la religion dans laquelle leurs pères aussi-bien que les nôtres avaient vécu et étaient morts pendant une période de neuf cents ans ! Le code difté- rait en quelques points dans son application par rapport à l'Angleterre et à l'Irlande.

434. En Angleterre ce code privait les pairs de siéger au parlement; 1^ il privait les gent-* lemens du droit d'être choisis membres de la chambre des communes; il enlevait à tous le droit de voter aux élections ; quoique la grande charte dise qu'aucun homme ne sera taxé sans son consentement , il doublait les imposifion.f de tous ceux qui refusèrent d^abjurer leur religion et de devenir apostats ; '^ ^^"'^ refusait l'accès de toutes les places , même les plus insignifiantes ; il les déclarait inhabiles à présenter aux bénéfices de l'église , quoiqu'on eût accordé ce droit aux quakers et aux juifs ; 6'^ il les condamnait à une amende de 20 liv. par mois , s'ils n'entraient pas dans les églises , ce qu'ils regardaient comme une apostasie ; 7* il leur défendait d'avoir des armes dans leurs maisons pour leur défense, de plaider des cau- ses en justice, d'être tuteurs ou exécuteurs, d'ê- tre médecins ou avocats , de s'éloigner de plus de cinq milles de leurs maisons ; et toutes ces défenses , sous peine de graves châtimens dans le cas de désobéissance ; 8^ si une femme ma- riée n'allait pas à l'église , elle perdait les deui

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tiers de sa dot ; elle n'était plus apte à être exé- cutrice testamentaire de son mari et pouvait , pendant la vie de ce dernier, être emprisonnée, à moins qu'il ne payât lo liv. par mois pour elle ; 9" il donnait le droit à quatre juges de paix y dans le cas un homme serait convaincu de ne pas fréquenter l'église , de le faire venir devant eux, de le forcer à abjurer sa religion , ou , s'il s'y refusait , à le condamner au ban- nissement perpétuel ( sans juges ni jurés ) , et s'il revenait , il devait être puni de mort ; i il donnait le droit à deux juges de paix d'ap- peler devant eux, sans aucune information, tout homme quelconque, pourvu qu'il fût âgé de plus de seize ans, et si cet homme refusait d'abjurer la religion catholique et continuait dans son çe- fus pendant six mois , il devenait incapable de posséder des terres , et toutes les terres qui pou- vaient lui appartenir revenaient à son plus pro- che héritier protestant qui ne devait ensuite aucun compte de leur revenu ; 1 1 <* il rendait cet homme inhabile à acheter des terres; et tout acte ou tout contrat qui était fait par lui ou pour lui était nul ; 12° il imposait une amende de 10 liv. par mois à ceux qui employaient dans leur famille un précepteur catholique , et de 2 liv. par jour au précepteur lui-même ; i3° il punissait d'une amende de 100 liv. ceux qui envoyaient un enfant dans une école catholique étrangère , et l'enfant devenait inhabile à héri-

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5i6 Réforme Protestante.

ter , acheter ou posséder des terres , des reve- nus , des biens , des dettes , des legs ou des som- mes d'argent; i4° il punissait d'une amende de 120 liv. celui qui disait la messe, et d'une de 60 liv. celui qui l'entendait ; tout prêtre catho- lique qui revenait d'au-delà des mers et qui n'abjurait pas sa religion dans les trois premiers jours , ou toute personne qui revenait à la foi catholique ou en faisait revenir une autre était condamnée par ce code sanguinaire à èire pen- due j éi^entrée et écartelée.

435. En Irlande , le code était encore plus féroce, plus hideux et plus sanguinaire ; car toutes les cruautés que contenait le code An- glais avaient été réunies , comme l'ouvrage de quelques heures seulement , dans un seul acte et infligées à ce malheureux pays. Mais en outre, le code Irlandais contenait , parmi beaucoup d'autres infractions à toutes les lois de la jus- tice et de l'humanité, les vingt châtimens af- freux qui suivent : Tout précepteur catholique, public ou particulier , celui même qui n'était que sous-maître d'un protestant était puni de prison , de bannissement , et enfin comme un félon. Les membres du clergé catholique ne pouvaient rester dans le pays sans se faire en- registrer ; on les gardait comme des prisonniers, et on donnait (du revenu levé sur les catholiques) des récompenses à ceux qui les découvraient : 5o liv. pour un archevêque ou pour un évêque,

Lkttre X.V. 5 1 7

20 liv. pour mi piètre et lo liv. pour un maître d'école ou un sous-maître. Deux juges de paix pouvaient mander devant eux tout catho- lique , lui ordonner de déclarer avec serment et quand il avait entendu la messe, qui v était présent, le nom et la résidence des prêtres ou des maîtres d'école qu'il pouvait connaître, et s'il refusait d'obéir à cet ordre inhumain, ils avaient le pouvoir de le condamner (sans juges ni jurés) à une année à^ emprisonnement dans une prison d'état ou à une amende de 20 liv. 4** Aucun catholique ne pouvait acheter de fief ni même passer de bail pour plus de trente-un ans. 5<* Tout protestant qui en soupçonnait un autre de tenir en fidéi-commis une propriété pour un catholique, ou d'être engagé dans quel- que marché , bail ou autre contrat pour un catholique , pouvait dresser un bill contre le dépositaire , et lui enlever le bien ou la pro- priété. 6° Tout protestant qui voyait un catho- lique tenir une ferme dont le produit excédait de plus d'un tiers le montant de la rente qu'il avait à payer, pouvait en déposséder le catho- lique et prendre le bail à sa place. 7" Tout protestant qui voyait entre les mains d'un catho- lique un cheval de plus de cinq livres , pou- vait s'emparer de ce cheval en lui comptant les cinq livres. Afin de n'avoir pas à craindre que la justice pût être rendue dans ces cas et d'autres semblables, on n'admettait au jugement

5i8 Réforme Protestante.

pour jurés que des protestaiis connus, On pouvait prendre les chevaux des catholiques pour le service de la milice, et en outre les cathohques payaient double taxe pour la milice. io°. Les marchands dont les vaisseaux et les biens pou- vaient être pris par des armateurs pendant une guerre avec un prince catholique devaient être compensés de leurs pertes par mn impôt levé sur les biens et les terres des callioliques seulement y quoique ces mêmes catholiques , remarquez-le bien , fussent aussi forcés à servir l'état en même i^uips et à verser leur sang dans la guerre contre ce même prince catholique. 1 1^* La succes- sion d'un protestant dont les héritiers, selon la loi, étaient catholiques, devait passer à son plus proche parent protestant , comme si les héritiers catho- liques étaient morts, quoique les propriétés leur eussent été peut-être léguées. 12** S'il n'y avait pas ai héritier protestant , alors pour séparer tou- tes les familles catholiques , on ne faisait aucun droit à la substitution ni à la succession, et l'on divisait la propriété en autant de parts qu'il y avait d'héritiers catholiques. i3*^ Le protestant qui avait une propriété en Irlande ne pouvait épou- ser une catholique , ni en Irlande , ni hors de ce royaume. i4° Tout mariage entre protestans et catholiques était annulé , quoiqu'il en fût souvent plusieurs enfans. iS» Tout prêtre qui célébrait un mariage entre un catholique et un protestant ou entre deux proteslL.ns, était cou-

Lettre XV. Sfq

çlaniné à être pendu. iG» Un père catholique ne pouvait garder lui-même son fils si l'enfant , quelque jeune qu'il fût, prétendait être protes- tant j mais on enleu'ait l'enfant d'auprès de son père , et on le mettait sous la garde d'un pa- rent protestant. ly» Si l'enfant d'un catholique se faisait protestant , on devait aussitôt faire com- paraître le père , et on lui faisait déclarer sur serment , la valeur de tout ce qu'il possédait , et alors la chancellerie distribuait cette propriété comme elle le jugeait à propos. iS*' Femmjes obéissez à vos maris, dit le grand Apôtre; fem- mes , désobéissez , leur dit cet horrible code : car si la femme d'un catholique voulait se faire protestante , il la rendait indépendante de la vo- lonté de son mari , et la faisait participer à tous ses biens malgré lui , quelqu'immorale et mau- vaise femme ou quelque mauvaise mère qu'elle eût été. 19° Honore ton père et ta mère afin que tu jouisses d'une longue vie dans la terre que le Seigneur ion Dieu t'a donnée ; dés- honore-le , dit ce code affreux , car si quelqu'un des fils d'un père catholique venait à se faire protestant , ce lils devait posséder tout ce qu'a- vait le père , qui ne pouvait ni vendre ni en- gager , lii léguer une partie quelconque de ses biens , à quelque titre qu'il les possédât , lors même qu'ils étaient le fruit de son travail. 20** Enfin " l'église établie par la loi " voulait bien dans sa grande indulgence, non-seiilement ou-

520 Réforme Protestante.

vrir ses portes , mais encore assurer ( sur les taxes ) une pension de trente livres pour la vie à tout prêtre catholique qui abjurerait sa re- ligion et déclarerait adopter les dogmes de Véglise anglicane.

436. Anglais , y a-t-il un seul homme dont la langue ne se glace à ce récit ? Y en a-t-il un seul qui, en se rappelant que ces barbaries ne furent exercées que contre ceux qui restaient fidèlement attachés à la foi de leurs pères et des nôtres, à la foi d'ALFRED, le fondateur de no- tre nation , à la foi des auteurs de la grande charte , et de toutes ces vénérables institutions dont nous nous glorifions avec tant de raison j qui étant , comme moi , protestant de l'église d'Angleterre , et pensant que toutes ces cruau- tés ne furent exercées que pour donner et con- server la prédominance à cette église, n'éprouve non-seulement avec moi un profond chagrin et une grande honte pour le passé , mais aussi le désir de voir rendre à l'avenir justice à ceux qui ont tant souffert.

437. Pour ce qui est de l'injustice, de la bar- barie , de l'immoralité épouvantable de ce code , elles n'ont pas besoin de commentaires , elles sont assez condamnées par la voix de la nature elle-même. Mais au milieu de ce choquant as- semblage il y a deux choses qui me portent à demander si l'amour de la vérité ou le désir de déraciner une erreur religieuse ont pu entrer

Lettre XV. 621

pour une part, quelque petite qu'on le suppose, dans les motifs de ces barbares? Ces deux cho- ses sont : la récompense offerte aux prêtres catho- liques pour les porter à embrasser notre croyance et les terribles moyens pour empêcher le ma- riage entre catholiques et protestans. Ces me- sures se seraient- elles jamais présentées d'elles- mêmes à l'esprit d'hommes sincèremej;ît persuadés que la foi de l'église était soutenue par des preuves plus irrésistibles que celles sur lesquelles reposait la religion catholique? L'éghse anglicane avait pour elle tout le pouvoir, tous les honneurs^ tous les émoi um ens , enfin tous les agrémens qui peu- vent plaire dans ce monde : elle les distribuait continuellement à ceux qui entraient dans l'or- dre ecclésiastique, et si, outre tous ce^ avantages, elle s'était cru aussi-bien soutenue par le rai- sonnement, aurait-elle cru nécessaire d'offrir di- rectement et avec bassesse une somme d'argent déterminée à celui qui se joindrait à elle , et lorsqu'elle savait bien que le converti payé ne pouvait toucher son argent que quand il aurait violé son vœu solennel ? Quant aux mariages , pourquoi ne pas les permettre, pourquoi les pu- nir si sévèrement, pourquoi les annuler si l'Église était persuadée de la force et de V évidence de ses preuves ? Qui a plus de pouvoir sur l'esprit de la femme que son mari? sur celui du mari que la femme? est-ce que l'un des deux entraî- nerait l'autre à changer de religion? très-pro-

522 Réforme Protestante.

bablement : l'un des deux convertirait l'autre dans dix-neuf cas sur vingt ; la passion qui a subjugué les préjugés religieux aurait dans pres- que tous les cas amené les deux partis à la même religion. Mais que pouvait objecter à ceci l'église anglicane si elle était sûre d'avoir de son côté la vraie foi , si elle était sure que ses preuves étaient plus claires que celles de la religion op- posée ; si elle était sûre qu'une personne qui en aimait réellement une autre, qui en était éga- lement aimée , et qui appartenait à sa commu- nion persuaderait facilement à l'autre d'embras- ser cette communion? Qu'avait-elle enfin à crain- dre de ces mariages si elle était assurée de tous ces points? et si elle n'en était pas assurée, je vous le demande , justes et sensibles Anglais , que peut-elle apporter pour justifier son inhu- main code pénal ?

438. Parlez des feux de Smitbfield ! feux qui en effet ne purent être justifiés , et que tous les catholiques condamnent sévèrement. IMais quoi! grand Dieu ! peut- on opposer la mort d'environ deux cent soixante-dix-sept personnes , quelque cruelle et quelqu'injuste qu'elle ait été , aux tourmens dont nous venons de parler , qui fu- rent exercés pendant plus de deux cents ans sur tant de millions d'individus j sans tenir compte des milliers de cal!, liques qui, pendant ce long espace de temps , périrent au milieu des tortu- res, dans les prisons et qui furent pendus, even-

Lettre XV. 523

très et écartelés ! Mais en outre n'oublions pas <{ue les châtiraens de Smithfield avaient pour but de tirer vengeance et de faire des exemples d'un petit nombre d'individus qui prétendaient renverser la religion de leurs pères et celle dans laquelle ils avaient eux-mêmes été élevés. Et si ces châtiraens furent cruels et injustes , comme tous conviennent qu'ils le furent , quels t/erraes emploierons-nous pour exprimer l'horreur de ce code pénal qui était destiné à châtier non un petit nombre mais des millions dindividus, ou pour punir non ceux qui avaient apostasie et renoncé à la religion de leurs pères , mais ceux qui , au détriment de tous leurs biens de ce monde , restaient fidèles à cette religion ? Si nous ne trouvons rien qui puisse justifier les châtimens du règne de Marie infligés, comme tout le monde le sait , à un très-petit nombre d'in- dividus qui avaient non- seulement apostasie et renoncé à la foi de leurs pères , mais qui , pour la plupart étaient connus comme traîtres ou comme criminels, ou qui au moins avaient cons- piré contre l'autorité de la reine et sa personne, et l'avaient injuriée avec audace ; si nous con- venons que l'on ne peut rien trouver , et qu'en eifet il n'y a rien qui puisse justifier ces pu- nitions infligées, comme tout le monde le sait, pendant quel<[ues mois seulement d'un zèle fu- rieux et irréfléchi , aussitôt après la répression d'uae rébellion dangereuse qui avait prouvé très-

524 Réforme Protestante.

clairement qu'apostat et conspirateur étaient sy- nonymes, et avaient fait conclure précipitamment qu'il fallait extirper l'apostasie pour l'empêcher de renverser le trône ; si même au milieu de telles circonstances nous ne trouvons rien qui puisse justifier ces châtimens , devons-nous porter nos regards pour trouver , je ne dis pas une justification, mais le moyen d'exprimer l'hor- reur que nous inspirent les cruautés de ce code barbare , exercées pendant plus de deux cents ans sur tant de millions d'individus. Cruautés préméditées dans l'absence de toute provocation, discutées et adoptées dans tout le calme d'une délibération législative , exécutées de sang froid et pendant deux siècles , malgré les remords de la conscience ; eruautés infligées non à des apos- tats , mais à ceux qui refusaient d'apostasier ; non à des félons , à des conspirateurs , à des rebelles , mais à des innocens ; à ceux qui , dans toutes les circonstances, lors même qu'ils étaient sous le fouet cruel de la persécution , restèrent toujours aussi fidèles à leur roi qu'à leur Dieu; et , comme si ces atrocités n'étaient pas déjà sufiisantes , tout cela _, au moins pour ce qui regarde l'Irlande contre la foi d'un traité so- lennel fait avec le roi cV^4ngleterre.

439. Est-ce cette église " établie par la loi , " si tolérante j si douce , si bonne ? Avons- nous ici une preuve de la foi des protestans et de leurs bonnes œuvres? Est-ce ainsi que saint

Lettre XV. 525

Augustin et saint Patrick introduisirent et que saint Swithin, Alfred et William de WiCKHAM inculquèrent la religion du Christ? Est-ce à ces institutions que nous devons nos cathédrales , nos palais et nos universités , nos lois et nos tribunaux ? Quoi ! punir des hommes de ce qu'ils restent fidèles à la foi de leurs pères ; les accabler de toutes sortes d'insultes et de cruautés parce qu'ils ne se sont pas faits apostats ; les priver , parce qu'ils étaient catholiques , de la protection de toutes les lois que nos ancêtres catholiques et les leurs avaient faites pour la sécurité de leurs enfans ; appeler leur rehgion idolâtre et damnable , les traiter comme des idolâtres obstinés tandis que tous les Saints du calendrier de votre église appartiennent à cette même religion ; vous glorifier de vos vénérables institutions , toutes d'origine catholique , tandis que vous insultez , que vous pillez , que vous châtiez , que vous chassez de la face de la terre ceux qui sont seuls restés attachés à la foi des auteurs de ces institutions! Mais les persécuteurs semblent me répondre , oui nous les chasserons. Pourquoi donc , si la religion est votre motif , si votre barbarie vient du désir d'arracher les hommes de l'erreur , pourquoi être si doux en- vers les quakers et les juifs ? Pourquoi non- seulement ne pas les punir, mais leur permettre de présenter des ministres pour vos églises ? Ah ! sans doute , mes amis , l'église anglicane

520 RÉroRME Protestante.

n'avait enlevé ni dimes , ni terres , et les au- tres n'avaient pris ni abbayes , ni autres biens aux quakers et aux juifs. C'est la vraie cause de toute cette haine insatiable qui dura depuis i558 jusqu'en 1778, accumulant sur des mil- lions d'innocens les tourmens les plus affreux , et qui , à la fin de cette période , semblait ne pouvoir se satisfaire qu'au prix de l'extermina- tion complète de toutes ses victimes.

44o- Mais en 1778 la face des affaires com- mença tout d'un coup à changer : on crut aussitôt que l'église " établie par la loi " pouvait exis- ter en sûreté quoiqu'on diminuât de beaucoup les rigueurs du code pénal j et les catholiques, qui ne le demandaient même pas, virent le code pénal adouci subitement par divers actes du par- lement , dans les deux royaumes et surtout en Irlande. Cette humanité et cette générosité aura de quoi nous surprendre; nous ne saurons à quoi l'attribuer , nous serons disposés à croire qu'il a fallu une espèce de miracle pour adoucir ces âmes jusqu'alors si cruelles , tant que nous ne nous reporterons pas aux paragraphes 4^4 et 425 : c'est que nous trouvons la vraie cause de cette humanité et de cette générosité surprenantes ; c'est que nous voyons les Américains déployer Vétendart de V indépendance , et soutenus par la France , sortir libres de la lutte , donnant ainsi un grand exemple à tous les peuples op- primés, malheureux, foulés aux pieds, dans quel-

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Lettre XV. 52-^

que partie du monde qu'iis soient sans en ex- cepter même l'Irlande! Avant la fin de la guerre on avait aussi à redouter une invasion de la part de la France , à laquelle s'étaient ralliées l'Es- pagne et la Hollande; de sorte qu'avant la lin des débats les catholiques avaient obtenu le droit de respirer en sûreté l'air de leur pays natal, et quoi- que comme Anglais, je regrette beaucoup les sa- crilices que cette catastrophe a imposés à l'An- gleterre , je me réjouis cependant sincèrement en voyant déjà cet heureux résultat. Ainsi la crainte fit accorder en un moment , à la pre- mière demande , ce que depuis deux siècles on refusait à la voix de la justice et de l'humanité. Ainsi ce fut la révolution d'Amérique qui, comme nous l'avons vu, était le résultat direct de la glo- rieuse révolution d'Angleterre, laquelle, comme nous n'en pouvons plus douter, n'avait eu d'au- tre but que Vextinction complète de la reli- gion catJiolique en Angleterre ; ce fut, dis-je, cet événement qui commença à faire cesser les horribles persécutions que l'on faisait souffrir à ceux qui étaient restés attachés à cette religion avec une fidélité sans égale.

44 1- Ce grand événement fut bientôt suivi d'un autre encore plus grand , je veux dire la révo- lution française ou la cinquième réforme. 11 est dilTicile de concevoir une humiliation plus grande que celle qu'eut à supporter le gouver- nement anglais dans l'événement dont nous ve-

528 Réforme Protestante.

nons de parler ; mais la révolution française a appris au monde ce que les '^ réformes '' peu- vent faire lorsqu'elles sont abandonnées à toute leur fouge naturelle. En Angleterre la " réforme " s'était contentée d'enlever aux couvens et aux pau- vres tous leurs biens , et au clergé séculier une partie des siens , mais en France ils prirent tout. Nous ne devons cependant pas oublier cette dif- férence : c'est qu'en France on consacra tous ces biens à Vutilité publique : peut-être en fit-on un mauvais usage, mais ils consacrèrent tout le produit du pillage à l'utilité publique , tandis qu'en Angleterre il fut partagé entre les indi- vidus.

. 44^* ^ï^is ^^ moins ce fut un grand triom- phe pour le clergé de Féglise établie par la loi ? Ils doivent avoir salué avec plus de plai- sir que personne les actes de la réforme fran- çaise? Non, au contraire ils furent des plus ar- dens à demander la guerre contre cette réforme. Quoi! ne pas aimer cette réforme! et pourquoi? on avait renversé les couvens, dispersé les moi- nes et les nonnes, confisqué les abbayes, aboli la religion catholique, chassé et mis à mort pres- que avec autant de cruauté qu'en Angleterre les prêtres catholiques •, on aurait dit qu'ils avaient copié de notre code les lois contre ceux qui di- raient ou qui entendaient la messe , contre les prêtres qui rentraient dans le royaume. On avait complètement détruit ( autant au moins que cela

Lettre XV. 629

se pouvait faire par les lois) ce que nos minis- tres qualifiaient iV idolâtre et de damnable; il y avait aussi une nouvelle religion établie par la loi, et pour que la ressemblance fût complète , une glorieuse révolution avait déclaré par une loi une famille royale déchue pour toujours de ses droits , et enfin on aurait vu un roi abdi- quer , si , par un simple accident , il ne se fût arrêté dans sa fuite, n'eût été ramené et mis à mort , dernier trait enfin que nous retrouvons également dans les oeuvres de nos " réformateurs protestans purifiés. "

443. Quoi ! est-il vrai que notre clergé n'a pas aimé la révolution française , et qu'ils ex- citèrent à prendre les armes ceux qui s'étaient élevés contre le roi Jacques , parcequ'il vou- lait accorder aux catholiques la liberté de con- science ? Peut-il être vrai que ce même clergé qui fit exécuter l'horrible code pénal , afin de détruire la religion catholique en Angleterre et en Irlande , demandait la guerre pour ren- verser ceux qui avaient aussi détruit cette même religion en France? Oh! mais ces hommes avaient aussi aboli toutes les dimes , tous les épéchés , les doyennés , les canonicats , et si on leur per- mettait de le faire impunément , à' autres ne pourraient-ils pas tenter de le faire de même ailleurs î soit , mais dites-nous , gentlemen de l'église " établie par la loi, " quoiqu'ils eussent grand tort d'en venir jusque , cependant ne

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53o Réforme Protestante.

valait-il pas mieux souffrir cet excès que de res- ter dans cet état, que vous nous avez toujours dit être idolâtre et damnable j il est vrai que ces hommes établirent par la loi l'athéisme , et non le christianisme de l'église d'Angleterre. Us avaient vu d'abord quarante espèces de religions protestantes , ils savaient que trente-neuf d'entre elles devaient être fausses, ils avaient vu nos réformateurs faire par la loi l'église qui leur convenaient ; ils les avaient vus ensuite la chan- ger par la loi , et s'il n'y avait pas de règle de foi y d'autorité généralement reconnue , si les légistes anglais pouvaient changer leur reli- gion à volonté y pourquoi donc les légistes fran- çais n'auraient-ils pas pu faire de même? si les légistes anglais pouvaient enlever au Pape sa su- prématie spirituelle et la donner à Henri ( le tueur de femmes ) , pourquoi les Français n'au- raient-ils pas pu l'accorder à Lepeau? en ou- tre , quant au choix de la religion , quoique l'athéisme soit fort mauvais par lui-même, peut- il être pire que ce que vous nous avez dit être idolâtre et damnable ? Il peut faire damner , mais que pourrait-il faire de plus? il ne vous reste donc d'objection sérieuse à la cinquième réforme que l'abolition des dîmes et des hautes dignités du clergé \ je prie ici la nation de se rappeler que la guerre que nous avons faite con- tre cette réforme nous a laissé à payer pour tou- jours l'intérêt d'une dette de sept cent millions

Lettre XV. 53 1

de livres sterling, guerre que nous n'aurions ja- mais vue si nous n'avions pas eu ce que l'on a appelé la '^ réforme "

444. La révolution française quoique souillée par un grand nombre de crimes horribles, a pro- curé dans son cours et dans sa fin un grand triomphe aux catholiques; elle a mis à répreuve la fidélité des prêtres catholiques et des minis- tres proteslans ; et tandis qu'on n'a pas vu un seul des premiers abandonner la foi pour se sau- ver la vie , il n'est aucun des derniers qui ait hésité à le faire -, elle a fourni à la lin l'exem- ple d'un grand peuple revenant de lui-même au culte catholique -, tandis qu'ils avaient pu et peuvent encore se faire protestans sans rien per- dre de leurs droits, de leurs immunités, de leurs avantages civils ou militaires. Mais le plus grand bien qu'elle produisit fut pour cette pauvre Ir- lande si maltraitée. Les révolutionnaires français étaient puissans , ils ne manquaient pas de har- diesse , et en 1798 \\s portèrent leurs regards vers r Irlande : alors pour la seconde fois, le code pénal fut encore adouci ^ on fit des clian- gemens qu'aucun homme n'eût pu espérer de voir ! Ceux que l'on avait abaissés au-dessous de la condition des chiens, furent alors déclarés ha- biles à devenir magistrats -, alors , parmi beau- coup d'autres actes de générosité, nous vîmes étabhr aux dépens du pubUc un collège destine exclusivement à l'éducation des catholiques;

34*

532 Réforme Protestante.

on établit aussi par la loi ce que les légistes avaient auparavant déclaré être un crime de haute-trahison y mais les Français étaient avec une armée de quatre cent mille hommes, ainsi que les Irlandais qui auraient été quelque chose de plus ou de moins que des hommes , si leur cœur n'avait pas été dévoré par le ressentiment. Hélas ! pourquoi faut-il dire de l'Angleterre que jamais les Irlandais ne se sont adressés avec suc- cès qu'à ses craintes ?

445. Et en dira-t-on toujours autant? Faudra- t-il le répéter encore? Ne nous réconcilierons-nous donc pas avec nos frères si long-temps maltrai- tés et avec nos propres consciences , en effaçant pour toujours jusqu'au dernier vestige de cet hor- rible code ? Le code est encore un code pénal : il renferme encore de justes sujets de plaintes, il contient encore des incapacités qui sont vrai- ment injurieuses , et des distinctions qui sont odieuses et insultantes.

Il refuse encore aux pairs catholiques l'ac- cès des sièges dans la chambre des lords, qui sont leur droit héréditaire , et aux gentlemen catho- liques l'entrée de la chambre des communes.

Comme si le caprice ne devait céder en rien à l'injustice , ce code qui permet aux pro- priétaires catholiques en Irlande de voter aux élections des membres du parlement du royaume- uni , refuse ce même droit aux catholiques d'An- gleterre î

Lettre XV, 533

3^ Il exclut les catholiques de toutes les com- munautés.

Il les exclut de toutes les places du gou- vernement en Angleterre , il ne les admet que dans les places inférieures en Irlande.

5** Il les prive du droit de présenter à un bé- néfice ecclésiastique , quoique les quakers et les juifs possèdent ce droit !

Il leur défend de fonder des écoles ou col- lèges pour l'éducation des en fans dans la reli- gion catholique , quoiqu'il existe maintenant un collège pour cet objet spécial , établi par la loi , et soutenu aux frais de l'état ! quelle liaison ! quelle sincérité ! quoi î maintenir aux frais de l'état un collège pour enseigner exclusivemerit cette religion que vous appelez idolâtre et dam- nable !

Ce code défend encore aux prêtres catho- liques de se montrer avec leurs habits ecclésias- tiques ailleurs que dans leurs chapelles et les maisons particulières , et il défend d'exercer le culte catholique dans un bâtiment qui a un clo- cher ou une cloche! quoi! défendre l'usage des clochers et des cloches à cette religion à laquelle nous devons tous nos clochers et toutes nos clo- ches; qui a bâti et fondé toutes les églises, tou- tes nos magnifiques cathédrales et nos deux uni- versités ! Pourquoi cette défense injurieuse et incommode ? Pourquoi cacher avec tant de soin aux yeux du peuple les symboles de ce culte?

534 Réforme Protestante.

Pourquoi , belle église " établie par la loi , " si vos traits sont aussi aimables que vous le dites, et si ceux de votre rivale ne présentent, comme vous le dites encore , qu'une masse d'une dif- formité dégoûtante , pourquoi , si vraiment vous êtes la plus jolie , la plus aimable et la plus belle église que la loi ait jamais établie , pour- quoi, vous dis-je , prenez -vous donc tant de soin pour empécber votre rivale cVêlre vue , et bien plus même, d'être entendue l Quoi! belle, entraînante, seule véritable église établie par la loi , vous dont les ministres et les évêques sont de si babiles prédicateurs , et par-dessus tout , presque tous mariés , qu'avez-vous donc à re- gretter des clocbes et des clocliers qu'employaient les catboliques ? On croirait que plus il y aurait de témoins de ces productions idolâtres , plus vous devriez être satisfaite ; mais belle et aima- ble église , il y a aujourd'hui en Angleterre peu d'hommes assez ignora ns pour ne pas voir les motifs réels de cette défense.

Il défend à un prêtre catholique en Irlande d'être le tuteur d'un enfant.

g" Il défend à tout laïque catholique en Ir- lande d'être tuteur des enfans ou de l'enfant d'un protestant.

10° Il défend à tout catholique en Irlande d'avoir des armes dans sa maison , à moins qu'il n'ait un fief de 10 1. par an , ou une propriété personnelle de 000 I.

Lettre XV. 535

II» Il prive les catholiques du droit de voler duns les sacristies sur les questions qui ont rap- port aux réparations de l'église , quoiqu'ils doi- vent payer pour ces réparations.

12° En Irlande ce code punit encore de mort, ou, au moins, d'une amende de 5oo 1. le prêtre catholique qui célèbre un mariage entre deux prolesians, ou entre un protestant et un catholi- que. Quelques juges se sont prononcés pour la mort y d'autres pour \ amende. Que ce soit la mort ou l'amende , les journaux nous ont appris der- nièrement qu'un tel mariage venait d'être cé- lébré publiquement à Dublin entre le lord lieu- tenant d'Irlande actuel (qui doit être protestant) et une lady catholique des états d'Amérique ré- voltés ; de sorte qu'en somme, Dublin présente en ce moment un spectacle assez curieux : un collège établi par la loi pour l'enseignement de cette religion que notre église regarde comme idolâtre et damnable , et que l'on ne pouvait enseigner il n'y a que quelques années sans se rendre coupable de haute trahison. Un lord lieutenant d'Irlande qui doit appartenir à notre église , et avoir protesté par serment contre la suprématie de l'Église catholique, épousant une femme catholique , qui doit admettre cette su- prématie ! vient ensuite un prêtre catholique qui marie ce pair en face de deux lois non abro- gées , dont l'une le condamne à mort pour cet acte , et l'autre à payer une amende de 5oo

536 Réforme Protestante.

livres ! et enfin arrive , comme le rapporte l'é- crivain public , une lettre de felicitation à l'oc- casion de ce mariage , de la part et de l'écri- ture même du J'oi !

446. Bon, mais ce code, ou quelque fragment de ce code restera-t-il plus long-temps en vi- gueur ? Doit-il être conservé plus long-temps , aujourd'hui que toute idée de conversion au protestantisme est décidément abandonnée , et qu'il est notoire que la religion catholique a , malgré les deux siècles de persécution, fait plus que de conserver son terrain. Privera-t-on plus long-temps les pairs de leurs droits et de leurs honneurs héréditaires ? Refusera- 1- on toujours aux gentlemen le droit de siéger dans la cham- bre des communes? Les avocats seront-ils encore arrêtés dans leur carrière ? Les possesseurs de fiefs, les hommes libres seront- ils privés de leurs franchises ? Conserveront-ils tous une marque d'infamie , qui ne pourrait manquer de leur inspirer du ressentiment? et toujours parce qu'ils restent attachés à la religion de leurs pères et des nôtres. Religion qui aujourd'hui doit être enseignée exclusivement dans un collège entre- tenu pour cet objet spécial aux frais du gou- vernement. Cette grande masse d'hommes qui forme un tiers de la population de ce royaume, qui renferme des hommes de tout rang , depuis le pair jusqu'au laboureur , doit-elle continuer ainsi à être insultée , injuriée , constamment ir-

Lettre XV. 587

ritée , toujours forcée à désirer le malheur , le danger , la défaite , la disgrace de son pays na- tal, comme le seul moyen d'obtenir justice? Et devons-nous simplement pour faire plaisir à l'é- glise " établie par la loi " en soutenant sa su- prématie, entretenir pendant la paix une grande et dispendieuse armée ? Devons-nous encore être exposés pendant la guerre au danger de voir une concession arriver trop tard , et à toutes ces conséquences dont la nature et l'étendue suffisent pour glacer d'effioi celui qui y réfléchit. 447. Nous sommes donc arrivés à la fin des trois siècles qus se sont écoulés depuis le jour Henri VIIÏ commença l'œuvre de la réforme. Voici donc nous en sommes après avoir tra- versé des scènes de pillage et de sang inconnues jusqu'ici au monde. Nous voici donc encore avec ces grandes questions à résoudre ; et nous voici également avec quarante espèces de religions protestantes au lieu d'une seule dans laquelle nos ancêtres vivaient depuis plus de neuf cents ans. Nous voici divisés et séparés par sectes , chacun de nous condamnant tous les autres aux flammes éternelles-, nous voici, troupeau bizarre d'anglicans , de méthodistes , de calvinistes , de quakers et de juifs , changeant à tout vent , tandis que la foi de saint Augustin et de saint Patrice est encore aujourd'hui celle qui inspira le cœur et sanctifia le trône d'ALtREo.

448. Tels ont été les effets, pour ce qui con-

538 Réforme Protestante.

cerne la religion , de ce que l'on a appelé la " réforme. " Nous verrons dans la prochaine lettre comment cette réforme a affaibli et ap- pauvri la nation ; comment elle a corrompu et avili le peuple , et comment elle nous a amené les barraques, les maisons des pauvres, les mai- sons des fous et les prisons pour remplacer les couvens, les hôpitaux et les maisons de charité •, et alors nous connaîtrons tous les malheurs qui ont été la suite de ce grand , de ce mémorable et de ce fatal événement.

Lettre XVI. 539

XVI.

LETTRE XVI.

Ancienne population de l'Angleterre et de l'Ir- lande; ANCIENNE richesse; ANCIENNE PUISSANCE j ANCIENNE LIBERTÉ J ANCIENNE ABONDANCE ET AN- CIENNE FÉLICITÉ.

Mes Amis, K.ensingtojiy le Zo avril iSaS.

449- Je vais dans cette lettre terminer la tâ- che que je m'étais imposée, et qui consistait à prouver cette assertion , que l'événement , ap- pelé la réforme , avait appauvri et dégradé la masse du peuple d'Angleterre et d'Irlande. Dans le paragraphe 4^ 3^ vous ai dit qu'un examen fianc et sincère nous prouverait que dans ce cas le mot " réforme " a été mal appliqué ; qu'il y a eu un changement , mais un changement en pis ; que " ce que l'on appelait la " réforme " *' avait été enfanté par une incontinence bru- " taie , amené par l'hypocrisie et la perfidie , " consolidé et nourri par le pillage, par la dé- " vastation et par des torrens de sang anglais et " irlandais; et quant aux suites plus éloignées , " nous en voyons une partie aujourd'hui dans cette *' misère, cette mendicité, ce dénùment, cette

54o RiiFORME Protestante.

*' famine, ces querelles et cette haine éternelle " qui maintenant frappent nos yeux et assour- " dissent nos oreilles à chaque pas , et que la " réforme nous a donnés au lieu de l'abondance, " du bonheur , de l'harmonie et de la charité " chrétienne dont jouirent si pleinement et pen- " dant tant de siècles nos pères catholiques. "

450. Tout ceci a été sulFisamment prouvé dans les quinze lettres précédentes : il me reste en- core à donner des détails sur la manière dont vivaient nos ancêtres catholiques , sur l'espèce et la quantité de nourriture et de vêtement qu'ils avaient , comparées avec ce que nous avons au- jourd'hui : c'est ce que je vais faire. Je crois m'être assez étendu sur l'incontinence brutale , l'hypocrisie , la perfidie , le pillage , la dévasta- lion et l'effusion du sang ; il me reste à expo- ser de même la misère , la mendicité , le dé- nûment et la faim qui en ont été la suite.

45 1. Mais comme je veux fournir plus que je n'avais promis d'abord , quoique je ne me fusse pas engagé à parler de la population y de la ri- chesse y de la force et de la liberté de la na- tion y je prouverai néanmoins que non -seule- ment le peuple était mieux nourri et habillé avant la " réforme " qu'il ne l'a jamais été depuis , mais que la nation était plus nombreuse , plus riche, plus puissante et plus libre avant qu'elle ne l'ait été depuis cet événement. Lisez les ro- manciers modernes, qu'on appelle des historiens.

Lettre XVI, 54 1

dont chacun a écrit pour une place ou pour une pension ; lisez ce qu'ils disent de la supériorité du temps présent sur les temps anciens, sur l'aug- mentation prodigieuse de notre population , de notre richesse, de notre puissance, et surtout de notre liberté suipéneure; lisez les mensonges mon- strueux de Hume qui (vol. V, pag. 5o2) assure sans rougir qu'un bon comté d'Angleterre " est *' capable d'en faire plus aujourd'hui que le royau- " me tout entier sous le règne de Henri V, époque " à laquelle l'entretien de la garnison de la petite " ville de Calais exigeait plus d'un tiers de re- " venus ordinaires " c'est ainsi que raisonnent les Écossais : ils jugent toujours de la richesse d'une nation d'après les impôts que le gouver- nement en retire; ils oublient que sous un gou- vernement pauvre le peuple est riche. D'après cet argument de Hume, l'Amérique devrait être au- jourd'hui un gouvernement horriblement pauvre. Le même Henri V put conquérir réellement la France, et cela sans ruiner l'Angleterre en pre- nant à sa solde un million de Prussiens, d'Autri- chiens, de Cosaques et autres sortes de mercenai- res ; mais les écrivains sont depuis si long-temps sous la dépendance du gouvernement et de l'a- ristocratie, et le peuple a lu et cru avec tant de bonne foi tout ce qu'ils ont écrit, surtout en faveur de la réforme et de ses effets, qu'on ne doit pas être étonné qu'ils aient cru que , dans les temps catholiques , l'Angleterre n'était qu'un pauvre

543 Réforme Protestante.

et misérable pays , ne renfermant qu'un petit nombre d'habitans, et que la réforme, la mai- son de Brunswick et les wliigs nous ont donné tout ce que nous possédons de richesses, de puis- sance , de liberté et nous ont presque créés , ou au moins , s'ils ne nous ont pas engendrés . réellement , sont cause que les neuf dixièmes de nous sont nés. Ce sont autant de men- songes monstrueux qui cependant ont été admis pendant des siècles. Peu d'hommes osaient ten- ter de les réfuter , et si quelqu'un le tentait , il ne trouvait qu'un petit nombre d'auditeurs j et la ruine , sous une forme ou sous l'autre , devait être la seule récompense de ses vertueux efforts. Mais aujoiircThui que nous avons de grandes calamités à supporter , que chacun dit que jamais les affaires ne furent dans un si mauvais état , aujourd'hui les hommes sont dis- posés à entendre la vérité; je vais donc la leur exposer.

/p2. La grande population est une chose qu'il n'est pas facile de prouver par des faits positifs , vu qu'il ne nous reste aucun acte sur le nom- bre des liabitans dans les anciens temps , et que ceux mêmes que nous avons de nos jours sur ce sujet sont évidemment faux ; car s'ils ne le sont pas , la population de la nation anglaise a été augmentée (ïun tiers depuis vingt ans j en- fin j'ai prouvé plusieurs fois, surtout dans mon register , numéro 2 , vol. 4^ ? *î^® ^^^ dénom-

Lettre XVI. 5^3

bremens de nos temps modernes sont fEjux. Nous sommes obligés de croire que l'Angleterre était plus peuplée à l'époque elle était calboIi(|ue qu'elle ne l'est actuellement , puisque nous sa- vons que sous les trois premiers règnes protes- tans on renversa des milliers d'églises paroissiales; puisque l'on réunit plusieurs paroisses entre elles dans plus de deux mille cas, et puisque les états qui sont aujourd'hui devant le parlement noua apprennent que sur 11,761 paroisses en Angle- terre et dans le pays de Galles, il y en a mille qui ne contiennent pas chacune cent personnes , en y comprenant hommes , femmes et enfans. La grandeur des églises nous fournit une autre preuve. On voit évidemment qu'en général elles furent construites pour contenir trois , quatre , cinq ou dix fois le nombre des paroissiens ac- tuels , en y comprenant ceux de toutes les sec- tes. Pourquoi donc les hommes auraient-ils con- struit des églises aussi vastes? on nous parle de leur piété et de leur zèle ; c'est bien , mais faut-il au moins des hommes pour élever des bâtimens : le Seigneur pouvait favoriser l'ou- vrage , mais toujours fallait-il des mains aussi bien que des prières. Quel motif eût pu les por- ter à réunir d'aussi grandes masses de pierres et de mortier , et à élever des murailles de quatre pieds d'épaisseur , des tours et des clo- chers , s'il n'y avait pas assez de peuple pour remplir ces bâtimens? Et comment aurait- on l\iit

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ces travaux ? il a bien fallu des hommes pour les exécuter ; et qui pourrait croire que l'on aurait exécuté ce travail sans aucune nécessité? Nous voyons aujourd'hui de vastes et dispendieu- ses églises qui appartiennent aux temps anciens et ne sont entourées que de quelques huttes de terre qu'habitent une trentaine ou une centaine de paroissiens. Nos ancêtres bâtissaient jtjowr tou- jours , ne pensant pas à la dévastation que nous devions voir ! Viennent ensuite les terres qu'ils cultivaient , que nous avons abandonnées et qui montent à des millions d'acres. C'est ce que chacun peut vérifier en parcourant le Sussex , le Hampshire , le Dorsetshire , le Devonshire et le pays de Cornouailles. Ils récoltaient du blé sur des coteaux que nous n'essayons plus de re- muer-, ils donnaient à la montagne la forme d'un escalier , afin de pouvoir labourer et ensemen- cer les parties plates. Ces espèces de gradins sub- sistent encore et sont encore cultivés dans quelques endroits ; mais le plus souvent ils ne le sont pas. Pourquoi auraient-ils fait ces travaux prodigieux s'il n'y avait pas eu une population capable de consommer leurs produits ? Comment seraient- ils venus à bout de les exécuter sans des masses d'ouvriers? On voit encore dans les montagnes du Hampshire et du Dorsetshire des espaces de mille acres qui portent la trace ineffaçable du pas- sage de la charrue, et qui aujourd'hui sont tout- à-fait incultes. Les ouvrages que l'on a écrits sur

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l'ancienne population ne sont que des romans ; les auteurs de presque tous n'avaient d'autre but que de faire la cour au gouvernement du jour. Georges C /la^l m e?-, qui a une place, une pension et qui est Ecossais , est un de ceux qui s'est le plus fait remarquer dans celte espèce de déception. Il avance , dans ce qu'il appelle une estimation, que la population de l'Angleterre et du pays de Galles en 1877 n'était que 2,092,978. Mais examinons cette assertion : il en faut ôler la moitié pour les femmes; il reste donc i,o4G,486 hommes. Il faut bien encore en ôter la moitié pour les enfans , les vieillards , les infirmes , les malades ; de sorte qu'il n'y avait dans tout le royaume que 523,343 hommes ! Mais les églises et les maisons religieuses étaient à cette époque au nombre de 16,000; il y avait un prêtre dans chaque église , et ces prêtres réunis aux moines et aux religieux devaient former au moins 40,000 hommes, ce qui ne nous laisse plus que 484)243 hommes en état de porter les armes. Ainsi, comme il y avait plus de 14,000 paroisses, il n'y avait pas douze hommes par chaque paroisse ! Hume rapporte, vol. III, pag. 9, que Wat-Tyler avait en 1 38 1 (quatre ans après l'époque dont parle Chal- mer) rassemblé cent mille hommes à Blackeath; de sorte que, sans parler des corps nombreux de révoltés qui étaient rassemblés en même temps dans les comtés de Hertford , Essex , Suffolk , Norfolk et Lincoln ; sans parler de l'armée du

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roi qui était de 40)000 hommes ( Hume , vol. m, pag, 8 ), et sans parler de la haute Dohlesse, de la petite noblesse et des gens riches, Wat- Tyler avait rassemblé à Blackeath plus d'un cin- quième de tous les hommes de l'Angleterre et du pays de Galles capables de porter les armes , et il les avait réunis dans l'espace d'environ six jours ! Avons-nous besoin d'une autre réponse pour réfuter ces écrivains ? Remarquons encore qu'à cette époque il y avait , comme Hume le rapporte souvent ainsi que ses autorités, 100,000 pèlerins réunis à la fois à Cantorbéry pour faire pénitence ou faire leurs offrandes à la châsse de Thomas Becket. Il devait donc y avoir 5ojOOO hommes ; de sorte que , si nous en croyons cet Ecossais salarié , on voyait fréquemment se réu- nir dans une ville, située à une des extrémités de l'île, le dixième de tous les hommes de l'Ar- gleterre et du pays de Galles pour s'humilier devant la tombe d'un seul Saint. Mensonge mons- trueux ! qui a cependant été adopté par les pro- testans éclairés avec autant d'avidité que si c'était une partie de l'Évangile. M^is si Cantorbéry pou- vait recevoir à la fois 100,000 étrangers , que devait donc être cette ville elle- même? Elle était alors une grande , noble et célèbre cité, véné- rée et même visitée par presque tous les rois , princes et nobles de l'Europe, et aujourd'hui elle est une chétive et obscure ville, renfermant en- viron 12,000 habitans, parmi lesquels il y a (disent

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Lettre XVI. 547

les rapports publiés ) 3, 000 pauvres. Une partie de l'emplacement qu'occupaient autrefois les an- ciennes et splendides églises, les couvens et les rues, est couverte aujourd'hui de mauvaises mai- sons ; et il ne reste que la cathédrale qui sem- ble destinée à rappeler sans cesse aux habitans la hauteur d'où, ils sont déchus. Mais c'est le nombre et la grandeur des églises ainsi que des maisons religieuses qui nous fournit la meil- leure preuve de cette grande population. Dans tout le royaume on comptait une église parois- siale par chaque quatre milles carrés , et une maison religieuse ( d'une espèce quelconque ) par chaque trente milles carrés , c'est-à-dire que chaque étendue de terre de deux milles dans les deux se?2s possédait une église paroissiale , et qu'il y avait une maison religieuse dans cha- que terrain de ci?iq milles de longueur et six milles de largeur. Ce sont des faits que per- sonne ne peut nier : la géographie nous fait con- naître le nombre de milles carrés que contient le royaume , et le nombre des paroisses et des maisons religieuses est trop bien connu pour qu'on puisse faire aucune réclamation, puisque ce nom- bre se trouve dans tous les ouvrages. Ainsi le père du mensonge viendrait lui-même pour nous persuader que l'Angleterre n'était pas plus peu- plée avant la réforme qu'elle ne l'est aujour- d'hui , qu'il ne pourrait plus être cru que de ceux qui sont absolument privés de raison. On

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peut en dire autant de l'Irlande , il y avait selon ^rchdall y sept cent quarante-deux mai- sons religieuses sous le règne de Henri VIII, et dès-lors , une pour chaque étendue de ter- rain de six milles dans chaque sens et il y avait une église paroissiale par chaque éten- due de terrain d'un peu plus de deux milles et demi dans chaque sens ? Pourquoi donc toutes ces constructions? par qui avaient-elles été éle- vées ? comment se soutenaient donc toutes ces maisons religieuses ? Hélas î l'Irlande , à cette époque , était un pays riche et peuplé ! ses habi- tans n'étaient pas nus et mourant de faim comme aujourd'hui. On n'avait pas besoin de faire des projets pour secourir les Irlandais en leur en- voyant des secours du deliors.

453. ancienne richesse. C'est une ques- tion qui sera facilement décidée. Sous le règne de Henri VIII, immédiatement avant la " ré- forme, " toutes les terres de l'Angleterre et du pays de Galles avaient été estimées, selon Hume, et on avait trouvé que le revenu annuel était de 3 millions : Hume cite sur ce point des au- torités que l'on ne peut contester. Pour connaî- tre quelle serait la valeur actuelle de ces trois millions , il nous faut lire un acte du parlement de la 24* année du règne d'HENRi VIII qui dit : *' Personne ne payera le mouton ou le porc plus d'un demi penny ( un sol ) et le mouton ou le veau plus de 3 farthings ( trois liards ) la

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livre , et moins dans les endroits ces objets se vendent aujourd'hui moins cher. " Mais, faites- y attention , ceci est pour le détail , c'est le prix de la viande prise dans l'étal du boucher ; de sorte que pour le comparer au montant actuel du revenu du royaume , nous devons voir d'a- bord quel est à présent le revenu annuel de l'An- gleterre et du pays de Galles , et ensuite quel est aujourcVhui le prix de la viande : je ne veux citer ici que les renseignemens qui seront ap- puyés sur une autorité incontestable , et c'est ce que je n'ai pas pour le montant du revenu en ce moment ; mais je suis sûr de ce qu'était le revenu en 1804. On trouve dans un rapport imprimé par l'ordre de la chambre des com- munes, et daté du 10 juillet i8o4 que " d'après les rapports du bureau des taxes ( impôts fon- ciers ) le revenu de l'Angleterre se trouvait être de trente-huit millions par an. " Nous sommes donc bien certains d'avoir ici le montant exact du revenu : car qu'est-ce qui pouvait échapper à l'œil perçant de Pitt et de ses agens? L'inex- périence du vieil Henri comparée à l'habileté de Pitt pour découvrir tout ce que pouvaient produire les terres a du nuire encore au relevé de son époque. Le rapport de Pitt renfermait le revenu des mines , des canaux et de toute es- pèce de propriété foncière ; et le revenu tout entier montait à trente-huit millions. Remar- quez que ceci était à l'époque de la modifi-

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cation de la banque, à une époque tous les prix étaient très- hauts , les rentes surtout étaient très -élevées et la viande était très- chère. Dans la même année je payais vingt livres de porc gras 1 8 schellings , mais en y compre- nant la tête, les pieds et tous les débris; et pen- dant plusieurs années avant et après 1804, le porc, le bœuf, le mouton et le veau se vendaient plus de dix pences en détail. Or , comme l'acte du vieil Henri défend de payer la viande dans quelques endroits moins d'un demi-penny et trois farthings, nous pouvons, je crois, présumer que le prix général était d'un demi-penny. Ainsi un demi-penny, valeur de l'époque du vieil Henri, équivalait à dix pences , valeur de l'époque de Pitt , et dès lors les trois millions de revenu du temps de Henri devaient représenter soixante millions en i8o4- Et cependant ce revenu ne s'éleva qu'à trente-huit millions. En 1822 M. Curwen dit que le revenu était tombé à vingt millions ; mais alors le prix de la viande avait aussi baissé. Il vaut mieux prendre i8o4, puis- que nous pouvons nous appuyer sur une auto- rité incontestable : cette preuve est de nature à défier toute chicane , personne ne peut dis- puter les faits , et cependant ils conduisent né- cessairement à cette conséquence , que la nation était plus riche avant la " réforme" qu'elle ne l'est aujourd'hui. Je vais encore citer deux actes du parlement qui prouvent d'une manière frappante

Lettre XVI. 55 1

la supériorité de l'opulence générale des temps catholiques. Le premier acte qui est de la iS'^ année de Henri VI, cli. XI, après avoir exposé les causes qui nécessitent celte loi , dit qu'au- cun homme ne pourra, sans encourir une grande peine , être reçu juge de paix , s'il ne possède en propriétés un revenu clair de vingl liçres. Cet acte est de 14^9 , environ cent ans avant celui du vieil Henri VIII sur le prix de la viande. L'argent était d'une valeur encore plus élevée sous le règne de Henri VI , mais en le prenant au même prix que cent ans plus tard, et en le ramenant à sa valeur actuelle en la multipliant par vingt ) un juge de paix devait avoir quatre cents livres de notre monnaie de revenu, et nous savons tous que nous avons des jnges de paix qui n'en ont que cent. Cet acte de lleini VI nous montre que le pays était rempli de riches pro- priétaires. Et en eil'et l'acte lui-même dit que le peuple n'aimait pas voir élever au-dessus de lui des hommes d'un rang peu distingué. Un millier de ces individus qui se dorment le titre d'historiens ne pourrait pas détruire cette preuve de la supérioi ité , de l'opulence générale et du bonheur du royaume. Le second de ces deux actes dont j'ai parlé est de la première année de Ri- chard 111 ( chap. IV ) : il lixe à vitigt schellings le revenu que doit posséder un juré ; mais ce revenu doit être libre de toute charge, c'est-à- dire qu'à cette époque il fallait avoir un revenu

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en propriétés foncières d'au moins vingt livres, valeur actuelle , pour être juré ; et cependant les historiens écossais voudraient nous faire croire que nos ancêtres n'étaient que de pauvres men- dians ! tous ces faits ne nous prouvent -ils pas au contraire que l'Angleterre , dans les siècles catholiques, était un pays réellement riche; que la richesse était généralement répandue; que cha- que partie du pays offrait un grand nombre de riches propriétaires, et que dès-lors on avait tou- jours de grandes ressources toutes prêtes quand on en avait besoin ? Si nous nous avisions de nous lasser d'être conduits par des hommes d'une faible capacité^ s'il nous prenait l'envie de de- mander qu'on ne pût être juge de paix à moins d'avoir quatre cents livres, et juré, vingt livres de revenu; si nous disions, comme du temps du bon Henri, que nous ne voulons pas être gou- vernés par des hommes d'une faible capacité^ nous ne tarderions pas à voir Botany Bay. Quand le cardinal Pole débarqua à Douvres, sous le règne de la bonne Marie , il fut accompagné et escorté sur sa route par deux mille gentle- men de la province tous à cheval. Quoi ! deux mille gentlemen dans un pays que Chalraer re- présente comme si pauvre ! Mais bien plus , ils appartenaient tous aux comtés de Kent et de Surrey. Pourrions-nous aujourd'hui trouver un pareil nombre de gentlemen dans ce pays? En- fin tout nous démontre qu'à cette époque l'An-

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gleterre possédait un grand nombre d'hommes riches en propriétés, et si nous en cherchons la cause , nous la trouverons dans la faiblesse des retenus du roi. C'est cependant ce que Hume et les autres historiens écossais citent comme une preuve de la pauvreté de la nation ! ils croient qu'un peuple ne vaut que ce qu'on arrache de lui , et rien de plus j et c'est sur cette doc- trine que l'on s'est toujours fondé depuis la " ré- forme, " ce qui à la fin nous a amené au triste état nous en sommes.

454. ^4nciénne puissance. Pour comparer exactement ce que nous sommes avec ce que nous avons été sous ce rapport , ne suHit-il pas de ce fait, que, pendant plusieurs siècles avant la réforme, l'Angleterre posséda une partie consi- dérable de la France j que la " réforme " lui enleva les deux villes de Calais et de Boulogne , en ne lui laissant que les deux ilôts de Gersey et Guernsey, que faut-il de plus? Jamais, jus- qu'à la réforme , la France ne se crut en état de faire tête à l'Angleterre ; depuis la réforme , non-seulement elle a cru pouvoir le faire , mais elle a montré au monde entier que ses préten- tions étaient bien fondées. N'est-elle pas dans ce moment et malgré nous maîtresse de l'Espagne, tandis que la " réforme " nous a enlevé par ses conséquences une grande partie de nos posses- sions, et en a fait un état plus formidable qu'aucun de ceux que nous avons encore vus? Nous avons

554 Réforme Protestante.

il est vrai , de grandes armées sur pied , des ar- senaux et des casernes qui étaient inconnus à nos pères j et cependant ils étaient toujours prêts à faire la guerre \ ils avaient des ressources pour l'instant du besoin ; ils avaient des armes et des hommes, et ces hommes savaient, avant de pren- dre les armes, pourquoi ils auraient à combattre. Il est impossible de nous reporter aux temps pas- sés , de voir la puissance dont jouit l'Angleterre pendant tant de siècles, et la déférence avec la- quelle elle était traitée par toutes les autres na- tions, sans rougir de notre état actuel. Les plus grands potentats étaient les seuls qui pensassent à contracter des mariages avec l'Angleterre ; les rois et les reines ne comptaient que des rois et des princes dans leurs familles. Il n'y eut ja- mais rien de petit qui songeât à s'en approcher. Elle était si honorée , son pouvoir était si uni- versellement reconnu , qu'elle eut rarement l'oc- casion de le soutenir par la guerre. Et qu'a- t-elle été depuis cent cinquante ans ? plus de la moitié du temps en guerre , et avec une dette, fruit de cette guerre, qu'elle ne pourra jamais payer, il ne lui reste plus d'autre espoir de salut que de persuader à ses ennemis bien connus qu'il n'est pas de leur intérêt de l'attaquer. Ses ex- ploits militaires ont été l'eflet, non de ses res- sources , mais de l'anticipation sur ces mêmes ressources. Elle a engagé , elle a dépensé d'a- vance les ressources dont elle aura besoin à l'a-

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venir pour sa défense. Aujourd'hui elle est ex- posée par sa faiblesse bien connue à être insultée et injuriée , et dans le cas elle serait atta- quée , elle n'a plus à choisir qu'entre succom- ber sous les coups de ses ennemis ou être dé- chirée par les convulsions internes. La puissance n'est que relative : vous pouvez avoir plus de force que vous n'en aviez -, mais si la force de vos voisins s'est augmentée dans une plus grande proportion , n'êtes- vous pas réellement plus fai- ble que vous ne l'étiez? Pouvons-nous jeter les yeux sur la France et l'Amérique, pouvons-nous contempler les conséquences inévitables de la guerre sans voir nous marchons et sans re- connaître que bientôt nous ne serons plus qu'une petite et faible nation ? Pouvons-nous au con- traire nous reporter vers les jours de nos ancêtres catholiques , et penser à leur haute puissance et à la soumission qu'obtenaient aussitôt leurs me- naces , sans dire en gémissant : " Ces jours ne reviendront plus ! "

455. ancienne liberté. Pourrait-on me citer un seul avantage que nous ait procuré la " ré- forme , " autre que la liberté d'avoir quarante croyances religieuses au lieu d'une ? La liberté n'est pas un vain nom , ce n'est pas une idée abstraite , ce n'est pas une chose que persoime ne puisse sentir. Elle signifie et ne signifie rien de plus que la jouissajice entière et tranquille de votre propre propriété. Si vous ne possédez

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pas cette dernière, si elle ne vous est pas bien assurée , vous pourrez vous donner le nom qui vous fera plaisir, mais vous n'êtes qu'un esclave. Or c'était sur ce point important que se tour- nait toute l'attention de nos pères catholiques : ils ne permettaient ni aux rois, ni aux parle- mens de toucher à leurs propriétés, s'ils ne leur en avaient montré clairement la nécessité. Ils ne lisaient pas de journaux , ils ne parlaient pas de débats , ils n'avaient aucun goût pour les jouis- sances intellectuelles ; mais ils regardaient la faim et la soif comme de grands maux , et ils ne souf- fraient pas que personne les réduisît à ne vivre que de pommes de terre et d'eau. Selon eux la maigreur et les haillons étaient des signes indu- bitables de l'esclavage, et ils ne manquaient ja- mais de résister à ceux qui voulaient les réduire à cet état. Vous pouvez répéter le mot liberté autant de fois qu'il vous plaira , mais s'il ne finit pas par vous procurer la jouissance tranquille de votre propriété , il ne sert à rien. Pourquoi les hommes ont- ils besoin de ce que Pou a ap- pelé des droits politiques et des privilèges ? Pourquoi ont-ils besoin par exemple de voter aux élections des membres du parlement? Sans doute parce qu'ils espèrent avoir de l'influence sur la conduite de ses membres. Et quel usage en feront-ils ? Ils empêcheront les membres de faire du mal. Quel mal ? Mais impo- ser des taxes que l'on ne devrait pas payer.

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C'est l'usage et le seul usage des droits que les hommes en général puissent avoir. Or en sommes-nous aujourd'hui si nous nous compa- rons sous ce rapport à nos ancêtres catholiques? Peut-être ne volaient-ils pas tous aux élec- tions ? Mais y votons-nous tous? Y a-t-il même un cinquième d'entre nous qui y votent? La grande masse du peuple de nos jours a-t-elle même la plus petite influence sur l'adoption des lois et sur l'imposition des taxes ? Dans les siècles catholiques il avait l'église qui le protégeait : l'église était naturellement la pro- tectrice du bas peuple ; il n'y avait ni rois ni parlemens qui pussent défier sa puissance. Toute notre histoire nous prouve que l'église fut tou- jours pour le peuple , et que tous ces triomphes si vantés et avec tant de raison que nos pères obtinrent sur leurs rois et les nobles furent dus à l'église. Elle le fit parce qu'elle ne dépendait ni des rois ni des grands ; parce que , et c'est la seule cause , elle reconnaissait un autre pou- voir ; mais nous avons perdu la protection de l'é- glise sans avoir rien qui en puisse tenir la place. Ce qu'elle a conservé de son pouvoir s'est joint aux autres ou plutôt a été accaparé par les autres pouvoirs de l'état , et a laissé la masse du peuple à la merci de ces autres pouvoirs. Les libertés de l'Angleterre : c'est une phrase que tout le monde répète ; mais que sont ces li- bertés ? Les lois qui assurent les titres et la pos-

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session de la propriété , qui défendent toute ar- restation , si ce n'est d'après le mode prescrit , et toute punition qui n'est pas précédée d'un jugement devant des juges et des magistrats bien connus et délégués par la loi. Elles nous assu- rent le jugement par jury , les précautions pri- ses pour les ordres et les assignations, la publicité des jugemens, l'impartialité dans les procédures : telles sont les libertés de l'Angleterre. Nos an- cêtres catholiques en possédaient-ils donc moins que nous ? N'est-ce pas à eux que nous les de- vons toutes ? avons-nous une seule loi qui as- sure la propriété ou la vie des individus et que nous n'ayons pas reçue d'eux ? La marche du moulin , la loi qui défend aux hommes de sor- tir de chez eux entre le coucher du soleil et son lever ; la loi qui bannit à perpétuité celui qui prononcerait le moindre mot ayant tendance à déverser du mépris sur nos représentans , ces lois ne nous viennent pas d'eux ; nous pouvons nous en vanter comme de notre propre ouvrage, ainsi que de beaucoup d'autres qui portent à peu près le même caractère et qui sont indubitable- ment d'origine purement " protestante. "

456. ancienne pauvreté. La pauvreté est après tout le vrai signe , le signe incontestable de l'esclavage. Les figures décharnées et les hail- lons sont la marque de l'esclavage. Quel est l'ob- jet d'un gouvernement? de faire vivre les hommes heureux -, mais peuvent-ils être heureux s'ils ne

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sont ni assez nourris ni assez vêtus? Un bon gouvernement cherche un état de choses dans lequel la masse du peuple soit bien nourrie el bien velue. Le principal objet d'un gouverne- ment est d'avoir soin qu'une partie du peuple ne force pas l'autre à mener une vie misérable. On ne peut espérer de trouver ni morahté, ni vertus, ni sincérité, ni honnêteté chez un peu- ple qui est toujours tourmenté par de cruels besoins; et il est de la dernière barbarie de punir les hommes pour presque tous les crimes , qui après tout ne partent pas de leur cœur et qu'ils n'ont commis qu'entraînés par des besoins tout'- puissans.

457. Nous ne savons que trop combien la masse du peuple est aujourd'hui pauvre et misérable; combien les hommes de cette classe sont avilis. Voyons donc ce qu'ils étaient avant cette " ré- forme " si vantée. Je vais citer ici mes autoii- tés avec le plus grand soin. Je ne donnerai ni conséquences , ni approximations ; mais je cite- rai des autorités que personne ne pourra récu- ser, des autorités que l'on sera obligé de regar- der comme des preuves plus certaines que si elles étaient fondées sur les sermens de témoins dignes de foi reçus devant un tribunal. Je vais rapporter d'abord ce que dit Fortescue de l'é- tat et de la manière de vivre des Anglais sous le règne de Henri VI, c'est-à-dire dans le i5« siècle, lorsque l'Église catholique était dans toute

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sa gloire. Fortescue fut lord -chef d'iVngleterre pendant environ vingt ans; Henri VI le fit lord- grand-chancelier. Ayant été exilé en France à cause des guerres qui existaient entre les mai- sons d'York et de Lancastre , et le fils du roi , le prince Edouard , étant en exil avec lui , il écrivit une suite de lettres adressées à ce prince, dans lesquelles il cherchait à lui expliquer la nature et les effets des lois d'Angleterre, et l'en- gageait à les étudier et à les maintenir. Cet ou- vrage qui a été écrit en latin , a pour titre : De laudibus legum ^ngliœ , ou Eloge des lois d'Angleterre. Cet ouvrage fut traduit il y a bien long-temps en anglais , il jouit d'une grande auto- rité, et on le cite souvent dans nos cours. Personne ne peut douter de la véracité des faits rapportés dans un tel ouvrage : il fut écrit par un législateur célèbre et destiné à un prince; l'auteur savait qu'il serait lu par les autres légistes ses contemporains et par tous les légistes futurs. Le passage que je vais citer et qui a rapport à l'état des Anglais ne s'y trouve qu'accidentellement : il n'avait au- cun but spécial et doit dès-lors être vrai.

458. Le chancelier , après avoir parlé d'une manière générale de la nature des lois de l'An- gleterre et de la différence qui existe entre ces lois et celles de la France , prouve cette diffé- rence par leurs résultats et décrit dès-lors l'é- tat du peuple français et l'état du peuple an- glais. Voici ses expressions que je ne puis trans-

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crire sans éprouver le plus vif sentiment de hon- te. " Les liabitans de la France donnent cha- que année à leur roi la quatrième partie de tous leurs vins; chaque vigneron donne le quart du prix qu'il retire de son vin. Les villes et les bourgs paient au roi tous les ans de grandes som- mes d'argent que l'on lève pour les dépenses de ses hommes d'armes , de sorte que les troupes du roi qui sont toujours très -nombreuses , sont entretenues et payées annuellement par la classe moyenne qui habite les villages , les bourgs et les villes. Une autre charge , c'est que chaque village est obligé de fournir et d'entretenir deux arbalétriers au moins, quelques-uns même plus, équipés de toutes pièces, pour servir le roi dans ses guerres aussi souvent qu'il lui plaît de les appeler , ce qui lui arrive souvent ; mais en ou- tre chaque village a encore de très-gros impôts à payer tous les ans pour le service du roi, et jamais les impôts n'j éprouvent la moindre diminution : aussi le paysan, exposé à ces ca- lamités et à beaucoup d'autres encore, y vit dans la misère. Sa boisson constante est l'eau _, sans qu'il boive jamais aucune autre liqueur pendant toute l'année , excepté dans quelques occasions extraordinaires et les jours de fête. L'habille- ment de ces hommes est un froc fait de canevas, et qui ressemble beaucoup à un sac ; s'ils por- tent de la laine ce n'est que de la plus gros- sière , et encore sous leur froc. Leurs culottes

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502 Réforme Protestante.

ne leur descendent que jusqu'aux genoux , le reste de leur jambe restant à découvert. Les femmes marchent pieds nus , excepté le diman- che. Ils ne mangent pas d'autre viande que le lard j et encore ils n'en emploient qu'une très- petite quantité avec laquelle ils font la soupe. Quant aux autres espèces de viandes, soit rôties, soit bouillies, ils ne les goûtent jamais, à moins que ce ne soit la cure des moutons , des veaux et autres animaux que l'on tue pour les gens d'une condition plus relevée, et pour les mar- chands , auxquels ils sont obligés de conserver les cailles y les perdrix et les lièvres , sous peine d'être envoyés aux galères. Quant à la volaille, les soldats s'en emparent ^ et à peine leur laissé-t-on les œufs comme une espèce de frian- dise. Si on voit un homme réussir dans ses tra- vaux et s'enrichir , il est aussitôt soumis à la taxe du roi qui est d'autant plus forte que ses voisins sont plus pauvres , et qui le réduit bien- tôt au même état que les autres. " Il donne ensuite l'état des Anglais à cette époque , ces Anglais bigots que Chalmer, Hume et les au- tres historiens de la même secte voudraient nous représenter comme une bande de misérables meu- dians. " Le roi d'Angleterre ne peut changer les lois ni en faire de nouvelles sans le consentement exprès de tout le royaume représenté par le parlement. Chaque habitant a la liberté de se servir et de jouir du produit de ses biens , des

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fruits de la terre , de l'accroissement de son trou- peau et de tout ce qu'il possède ; toutes les améliorations qu'il peut faire , soit par sa propre industrie , soit par celle des gens qu'il tient à son service, lui appartiennent; il en jouit sans aucun obstacle , empêchement ou refus de per- sonne-, s'il est injurié ou opprimé d'une manière quelconque , il pourra toujours obtenir satisfac- tion de celui qui l'aura offensé. Aussi les habi- tans de l'Angleterre sont-ils riches en or et en argent et ils possèdent toutes les nécessités et tous les agrémens de la vie. Ils ne boivent point d'eau , excepté à de certaines époques, pour un motif religieux et par esprit de pénitence. Ils se nourrissent abondamment de toutes sortes de viandes et de poissojis , dont ils trouvent une grande quantité partout ^ ils sont vêtus de bons habits de laine. Leurs lits , leurs couvertures et autres objets sont en laine et ils en sont bien fournis. Us possèdent aussi tout ce qui est né- cessaire dans un ménage ; chacun a , selon son rang , tout ce qui peut rendre la vie heureuse et agréable. "

459. Allez maintenant lire ceci à ces pauvres diables qui dans ce moment ne se nourrissent que de plantes marines en Irlande , qui dans l'Yorkshire disputent aux pourceaux la nourri- ture dégoûtante que contiennent leurs auges , qui dévorent dans le Lancashire et le Cheshire la chair des chevaux morts, qu'on voit dans le

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564 Réforme Protestante.

Hampshire et le Sussex attelés comme des chevaux et traînant du gravier , auxquels les magistrals allouent 3 den. par jour dans le Norfolk , qui enfin par toute l'Angleterre sont plus mal nour- ris que les criminels dans les prisons. Allez, et dites-leur, au moment ils retirent leurs mains de l'auge des pourceaux, la langue encore salie des immondices qui leur servent de nourriture , dites-leur de crier : Point de papisme ; allez lire aux misérables que vous avez trompés et avilis ce récit de l'état de leurs ancêtres catho- liques qui vivaient sous ce que l'on a appelé impudemment la " superstition et la tyrannie du Pape, " et dans ces temps que nous avons l'audace d'appeler " des siècles d'ignorance. " 460. Regardez ensuite la peinture de la mi- sère des Français, et vous, protestans anglais, si vous êtes encore capables de rougir , rougissez en pensant combien cette peinture convient aux Anglais de nos jours. Considérez-en bien toutes les parties , la nourriture , Vhabillement et le gibier ! Grand Dieu ! si quelqu'un eut dit au vieux chancelier qu'un jour viendrait cette peinture et même un état encore plus avilissant pour la nature humaine serait le partage de ce pays dont il se vantait tant , quel sentiment au- rait-il éprouvé ? Qu'eût-il répondu si on lui avait dit qu'il viendrait une époque le sol- dat en Angleterre recevrait deux fois et même trois fois plus que le journalier; que les pommes

Lettre XVL 565

de terre seraient la seule nourriture du labou- reur ; que l'on ferait des distributions de soupe pour nourrir les Anglais ; que des juges , assis sur le banc , qu'il avait occupé lui - même pendant vingt ans , déclareraient ( comme on l'a fait l'année dernière dans la plainte contre les magistrats de Norlithellerton ) que le pain et l'eau sont généralement la nourriture des ou- vriers anglais ? Qu'aurait-il répondu si on lui avait dit qu'il devait y avoir une " réforme '^ suivie de la dévastation complète des biens de l'église et des pauvres , soutenue par des guer- res, créant une dette immense et des taxes énor- mes , et nécessitant l'entretien constant d'une nombreuse armée. Si on lui eût annoncé tout cela , à la vue des maux que nous éprouvons au- jourd'hui il aurait pleuré sur sa malheureuse pa- trie. Mais si on lui avait ajouté qu'au, milieu même de toutes ces souffrances nous aurions encore l'in- gratitude et la bassesse de crier , ^' Point de papisme y '*'' l'injustice et la cruauté de persécu- ter ceux des Anglais et des Irlandais qui reste- raient fidèles à la foi de leurs pieux , de leurs braves et de leurs libres ancêtres , alors il au- rait dit : Que la volonté de Dieu soit faite; qu'ils souffrent.

461. Peut-être dira-t-on qu'alors le bonheur de l'Angleterre ne dépendait pas de V église ca- tholique, mais des lois , car les Français avaient cette église aussi-bien que les Anglais. Oui, sans

566 Réforme Protestante.

doute ; mais en Angleterre l'église était la vi'aie base des lois. La première clause de la grande charte établissait la stabilité de sa propriété et de ses droits. Les lois qui concernaient l'église et ses propriétés avaient fait une réserpe pour l'indigent , mais une réserve efficace : il n'en était pas de même en France , et au reste cela n'existait nulle part ailleurs ; en sorte que le peu- ple anglais a beaucoup plus perdu par la *' ré- forme " que ne pourrait avoir fait tout autre peuple.

462. L'autorité de Fortescue serait suffisante d'elle-même , mais je ne veux pas m'en tenir là. White, recteur de Selbourne dans le Hamps- hire , rapporte dans son histoire de ce village , autrefois fameux , un extrait d'un registre dans lequel il est dit qu'on punissait les hommes dont la conduite était reprehensible en les forçant à passer quinze jours au pain et à la bière! Cela se passait vers l'an i38o, sous le règne de Richard II. Misérables temps! siècle d'obscurité ! Ce fait doit être vrai, White n'avait aucune raison parti- culière pour l'inventer : ce n'est que par hasard qu'il a cité ce fait , ou plutôt qu'il l'a transcrit de dessus le registre ; et quelque peu important que soit le fait en lui-même , il nous fait au moins connaître la manière dont on vivait gé- néralemeat dans ces temps heureux. Allez vers ces hommes que Tavarice a attelés dans le Hamps- hire pour leur faire tirer du gravier j dites-leur

Lettre XVI- 567

qu'ils ne manquent pas de crier : \A bas le papisme _, car si le Pape n'est pas renversé , il pourra un jour les forcer à jeûner au pain et à la bière , au lieu de soulIVir qu'ils continuent à se régaler de bonnes pommes de terre et d'eau pure.

463. Mais venons-en aux actes du parlement , et d'abord à l'acte indiqué ci-dessus, paragraphe 453 , qui fixe le prix de la viande. Après avoir nommé quatre espèces de viandes , le bœuf, le porc , le mouton et le veauj le préambule ajoute ces mots : ces viandes étant la nourriture des classes les plus pauvres. Ceci est concluant : c'est une mention accidentelle d'un fuit , c'est un acte du pailement , il doit être vrai ; et il est un autre fait dont nous ne sommes pas moins certains, c'est que les juges ont prononcé qu'au- jourd'hui le pain est la nourriture des classes les plus pauvres. Qu'avons-nous besoin d'autres preuves pour être convaincus que la " réforme " a appauvri la masse du peuple ?

464. Je veux cependant prouver par d'autres actes du parlement que le fait attesté dans cet acte est vrai. Les actes dont je parle fixent les gages que l'on doit donner aux ouvriers; il existe plusieurs de ces actes , mais un ou deux suiii- ront : l'un, de la vingt-troisième année du règne d'EDOUARD III, détermine les prix suivans sans la nourriture ; on y trouve de bien plus giands détails , mais ce qui suit sullit pour l'objet que nous nous proposons.

568 Réforme Pp.otestante.

s. d. Une femme, pour faner, ou sarcler

le blé, par jour. o i

Un homme conduisant un tombereau o 3 '/2

Un moissonneur. o 4

Pour faucher un acre de pré. o G

Pour battre un quartier de froment, o 4

Voici le prix des souliers , des habits et des provisions pendant tout le temps que cette loi resta en vigueur ;

Une paire de souliers. Large drap brun , la verge. Bœuf nourri à l'étable. Bœuf nourri à l'herbe. Mouton gras , non tondu. Mouton gras , tondu. Porc gras de deux ans. Une oie grasse. Aile , le gallon ( par édit. ) Blé , le quarter. Vin blanc , le gallon. Vin rouge , le gallon.

Ces derniers prix sont tirés du pretiosum de l'évéque Fleetwood qui les a trouvés dans des registres tenus par des économes de couvens. Tout le monde sait que l'ouvrage de Fleetwood est d'une autorité incontestable.

465. Nous comprenons facilement que le bœuf,

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Lettre XVI. SOq

le porc, le mouton et le veau étaient la nour- riture des classes les plus pauvres : lorsqu'un con- ducteur de tombereau gagnait plus que le prix d'une oie et demie dans sa journée, et lorsqu'une femme recevait pour une journée de sarclage le prix d'un quarter de vin rouge ! Il fallait pour faire un habit de berger deux verges de drap, et comme il coûtait 2 s. 2 d., le moissonneur pou- vait en gagner un en six jours , et le conduc- teur de tombereau pouvait gaguer presque une paire de souliers chaque jour ; ce dernier ou- vriei' pouvait gagner un mouton gras tondu en quatre jours j il pouvait gagner un cochon gras de deux ans en douze jours; un bœuf engraissé à l'é table en vingt jours ; de manière que nous concevons facilement comment le bœuf , le mouton, le porc, étaient la nourriture des plus pauvres gens : mais rappelons-nous que c'était un peuple bigot , enseveli dans " les superstitions du papisme. » Dans nos jours de lumière protes- tante et de jouissance intellectuelle y les ma- gistrats de Norfolk ont décidé que les plus pau- vres devaient recevoir 3 d. par jour, pour chaque homme capable de travailler; c'est-à-dire un demi penny de moins que le conducteur de tombe- reau. Avec ces 3 d. les gentlemen point de pa- pisme, auront à peine six onces de vieille bre- bis, tandis que le journalier papiste gagnait par jour plus du quart d'un mouton gras.

466. Mais les papistes pouvaient travailler da-

670 Réforme Protestante.

vantage que les protestans éclairés , ils pou- vaient faire plus d'ouvrage en un jour. Ceci e&t contraire à toutes les assertions des filosofes , car ils soutiennent que la religion catholique ren- dait les hommes paresseux ; mais pour termi- ner cette question, examinons le prix du tra- vail, ce que l'on donnait pour faucher un acre de pré et pour battre un quarter de blé ; et voyons quels sont aujourd'hui les prix des ga- ges comparés aux prix de la nourriture. Je puis citer l'autorité du parlement depuis 1821 , épo- que à laquelle on imprima par l'ordre de la cham- bre des communes un rapport qui contenait la déposition de M. EUman de Sussex sur les ga- ges , et celle de M. George de Norfolk sur le prix du froment. Le rapport est daté du 18 juin 1821 ; le calcul est basé sur vingt années dont on a pris le terme moyen , depuis 1 808 inclu- sivement. Nous allons voir à présent comment l'Anglais dévot soutient la comparaison avec l'An- glais point de papisme.

Le catholique pour faucher un acre de pré. o 6

Pour battre un quarter de blé. o 4 Le protestant pour faucher un acre

de pré. 3 7^4

Pour battre un quarter de blé. 4 o Voici certes une bien grande améhoration; mais

examinons maintenant le prix relatif du froment que l'ouvrier a du acheter avec ses gages. Nous

Lettre XVI. 671

avons vu que le superstitieux papiste payait son boisseau de blé cincj pences, et le rapport de M. George nous apprend que le protestant éclairé devait le payer 10 sliellings , c'est-à- dire 24 fois autant que le sot papiste qui se lais- sait tromper par des prêtres. De sorte que l'homme éclairé , pour se trouver aussi bien traité que celui des siècles d'ignorance , aurait rece- voir 12 shellings au lieu de 3 s. 7 Yj d. pour faucher un acre de pré ; et de même il aurait recevoir pour battre un quarter de blé , 8 shellings au lieu de 4 qu'il reçoit. Si nous avions les pièces nécessaires, nous trouverions sans doute que l'Irlande était dans le même état.

467. Voilà , je crois , qui est prouvé : et si la société biblique j si celles dites d'éducation et de la connaissance du christianisme voulaient , comme elles le pourraient , mettre ce petit li- vre dans les mains de leurs millions d'élèves , la question de la religion serait décidée pour jamais , au moins quant à ce qui regarde ce royaume. J'ai prouvé maintenant que la descrip- tion que nous fait Fortescue de la vie heu- reuse de nos ancêtres catholiques était exacte. Les preuves étaient inutiles, mais j'ai voulu les don- ner : je pourrais rapporter plusieurs autres actes du parlement appartenant à des siècles différens, et qui confirment tous la vérité du récit de For- tescue. On trouve beaucoup de preuves dans l'ou- vrage de l'évêque Fleetwood que les ouvriers

5'j2 Réforme Protestante.

étaient traités avec beaucoup de bonté par leurs supérieurs et surtout par le clergé. Par exem- ple , on trouve dans une fourniture de couvent cet article : 3o paires de gants d'automne pour les domestiques. C'était une cruelle supersti- tion. Dans notre siècle éclairé , parmi nos lec- teurs de bible , qui pense à donner des gants aux ouvriers? Nous avons des prêtres comme les bommes des siècles d'ignorance en avaient ; les nôtres se tiennent aussi bien à cheval que les leurs , mais ces derniers se servaient plus souvent des rênes et employaient moins l'épe- ron. Il est intéressant d'observer que le salaire des personnes qui occupaient de grandes pla- ces était, par rapport à ce qu'il est aujourd'hui, bien faible si on le compare avec le salaire des classes ouvrières. Si vous calculez le revenu annuel du conducteur de tombereau , vous trou- verez en le multipliant par vingt pour l'éle- ver à la valeur actuelle , qu'il ne monte qu'à 91 1. par an, tandis que les émolumens des juges ne passaient pas 60 1. par an (valeur de ce temps), et dès-lors n'excédaient pas 1,200 1. de notre monnaie. Ainsi un juge n'avait pas les émolu- mens de quatorze terrassiers. Nous devons croire que les juges dans ces siècles d'ignorance vi- vaient et écrivaient Littleton et Fortescue, avaient de quoi vivre honorablement : car Fortescue dit qu'ils menaient une vie de repos et de contem- plation, qu'ils ne restaient jamais plus de trois

Lettre XVI. SjZ

heures au tribunal , depuis huit jusqu'à onze ! s'ils avaient vécu dans ce siècle éclairé , il leur serait resté peu de temps pour leur contempla- tion ! ils n'auraient pas manqué d'ouvrage , ils auraient trouvé que leur charge n'était pas une sinécure et que dix revenus comme le leur n'eus- sent pas suffi pour compenser leur énorme tra- vail. Ceci nous fournit en outre une autre preuve indubitable de la félicité générale , de l'honnê- teté et de l'innocence qui régnaient à cette épo- que. Les juges menaient une vie de loisir; ce fait cité accidentellement par un homme qui avait été pendant vingt ans lord-chef de la justice nous fournit un vrai caractère de la religion de nos pères si long-temps calomniée.

468. Quant à ce fait important, que la masse du peuple a été avilie et appauvrie depuis l'é- poque de la " réforme; " quant à ce fait im- portant , dis-je , il ne peut plus rester aucun doute dans l'esprit de quiconque a lu jusqu'ici ce petit ouvrage ; et je crois que de même per- sonne ne peut plus douter que cet appauvris- sement et cet avilissement ne soient dus à V événement que Von a appelé la '•^ réforme , " puisque dans les lettres précédentes , et surtout dans la i5«^ j'ai fait voir dans cet événement l'origine de nos dettes et de nos énormes impôts. Mais je ne puis terminer avant d'avoir tracé les progrès horribles de cet appauvrissement. Le fait bien connu que dans les temps catholiques on

574 Réforme Protestante.

n'entendait parler ni de collectes forcées pour les pauvres, ni même du nom avilissant de pau- vre, et que ces nouveautés furent dues à la " ré- forme," ce simple fait pourrait suffire et suffit bien en effet; mais voyons les progrès de cet appauvrissement protestant.

469. On trouve le commencement des lois des pauvres dans un acte de la 27^ année du règne de Henri VIII ( chap. 25). Les monas- tères ne furent détruits que l'année suivante ; mais déjà Faction de l'Église catholique était arrêtée de fait , et aussitôt on vit de tous côtés des indigens et des mendians , que le gouver- nement avait toujours eu en grande horreur et qui commencèrent à déshonorer ce pays naguère encore si heureux. Pour y mettre un frein, cet acte autorisait les schériffs , les magistrats et les marguilliers, à faire lever des aumônes volon- taires, et en même temps il punissait les men- dians qui persévéraient dans leur état en leur faisant couper une partie de l'oreille , et en les mettant à mort comme des criminels , s'ils y retombaient de nouveau ! telle était l'aurore de cette " réforme " qu'on veut nous forcer à louer et à admirer !

470. he Jeune saint Edouard, comme Fox l'appelle avec impiété, le martyr commença son règne protestant par un acte ( i^^ année d'E- douard, chap. 3 ) qui pour punir les mendians les faisait marquer avec un fer rouge et les

Lettre XVI. 67 5

faisait réduire à V esclavage pendant deux ans , donnant à leurs maîtres le droit de leur faire porter un collier de fer , de les nourrir au pain et à l'eau et de les priver de viande j car à cette époque il y avait encore de la viande pour ceux qui travaillaient ; les jours des pommes de terre et du pain et de l'eau n'étaient pas en- core arrivés : ils étaient réservés pour nos jours de lumières y nos jours de jouissances intellec- tuelles ^ nos jours l'on lit tant la bible, dans ces temps heureux l'on ne paraît même pas avoir pensé à la chair de clieval; si l'esclave cherchait à se sauver ou désobéissait , cet acte le condam- nait à l'esclavage pour la vie. Au reste cet acte n'était que le précurseur de ceux qui devaient établir l'église d'Angleterre ! horrible tyrannie ! on avait enlevé au peuple une ressource que la grande charte , la justice , la raison , la loi naturelle lui avaient donnée ; on ne la rempla- çait d'aucune manière , et on voulait les ré- duire à l'esclavage, les marquer d'un fer rouge, les enchaîner parce qu'ils cherchaient à soula- ger par leurs prières les tourmens de la faim, 471. Vint ensuite la bonne reine Bess qui après avoir tenté en vain huit fois de faire sou- lager les pauvres par des aumônes , fit l'acte obligatoire qui est encore en vigueur aujourd'hui. On avait eu recours à toutes sortes de moyens afin d'éviter d'en venir à cet acte. Pendant ce règne et les deux précédens, on avait accordé

5']6 Rée'orme Protestante.

des licences pour mendier ; maâs à la fin l'acte obligatoire arriva , cette marque indélébile de l'église protestante " établie par la loi. " On remit aussi long -temps qu'on le put cette co- tisation , et même elle ne fut jamais goûtée de ceux qui avaient entre les mains les dépouilles de l'église et des pauvres , mais c'était une me- sure d'une nécessité absolue. Toutes les tortures ^ toutes les lois martiales de ce règne cruel n'au- raient pu maintenir le peuple sans cet acte , dont les auteurs semblent avoir eu honte de donner les raisons , car il n'a pas de préam- bule. Le peuple , si heureux dans les anciens temps, ce peuple que Fortescue nous a fait con- naître , était devenu une nation de misérables. Defoe , dans l'un de ses traités dit que la bonne Be s s traversant son royaume, et voyant l'aspect misérable des bandes qui accouraient pour la voir , s'écriait souvent : pauper ubique jacet , c'est-à-dire la terre est couverte de mendians. Cette contrée était celle dans laquelle Fortescue avait laissé un peuple jouissant de tout ce qui peut rendre la vie heureuse et agréable !

472. Les choses ne prirent pas un meilleur aspect sous les règnes des Stuarts , si on en ex- cepte cependant ce qui était l'effet des lois des pauvres. Ainsi les cruautés que l'on avait exer- cées jusqu'alors étaient devenues inutiles depuis cet acte , et tant que les impôtg furent légers , on ne vit réellement qu'un petit nombre de pau-

Lettre XVL 677

vres ; mais aussitôt que les taxes commencèrent à s'élever , les faiseurs de projets se mirent à chercher les moyens de détruire la pauvreté. Parmi eux fut un certain Child, marchand et banquier , et qui avait aussi été chevalier ou baronet , car on l'appelait sir Josiah. Son pro- jet, qui était bien digne de lui, supposait une comniission d'hommes désignés exprès et qui por- teraient le nom de pères des pauvres. Un au- tre article de ce projet portait que ces pères auraient le droit d'envoyer autant de pauvres qu'ils le jugei^aient à propos dans quelqu'une des plantations de sa majesté ( c'est-à-dire de les déporter et de les faire esclaves ). Eh ! grand Dieu! c'est le pays que nous a dépeint For- tescue ! c'est ce pays de la grande charte ! et ce monstre a osé publier son projet ! et nous n'apprenons pas que personne ait eu l'humanité de condamner la conduite d'un misérable aussi barbare ;

473. Quand le libérateur fut venu , quand la révolution glorieuse fut consommée , quand on eut fait une guerre , créé une dette et une banque, et tout cela pour renverser pour tou- jours le papisme , le nombre des pauvres aug- menta dans une telle proportion que le parlement renvoya devant le bureau du commerce pour chercher et indiquer un remède. Locke était un des membres de la commission , et voici un passage du rapport du bureau qui est vraiment

37

578 Réforme Protestante.

curieux : " La multiplicité des pauvres et la né- cessité de raugmeiitation de la taxe pour leur soutien est tellement avouée de tout le monde qu'il ne peut plus y avoir aucun doute à ce su- jet ; et ce n'est que depuis la dernière guerre que ce mal nous entoure de tous côtés ; il est devenu un fardeau très-lourd depuis bien des années, et déjà sous les deux règnes précédens, il allait en croissant comme il le fait aujourd'hui. Si l'on veut en chercher les causes, nous croyons qu'on trouvera qu'il vient, non de la rareté des vivres ni du défaut de travaux pour les pau- vres y puisque la bonté de Dieu n'a pas accordé une moindre abondance à nos temps qu'aux temps anciens , et qu'une longue paix durant trois rè- gnes a fait fleurir notre commerce autant que jamais. L'augmentation du nombre des pauvres doit dès-lors avoir une autre cause , et on ne peut l'attribuer qu'au relâchement de la dis- cipline et à la corruption , la vertu et V industrie étant aussi nécessairement les compagnes de la première , que le vice et la paresse le sont de la dernière. "

474- Ainsi la faute était du côté des pauvres eux-mêmes, et M. Locke ne parait pas avoir pensé qu'il fallait une cause pour cette cause elle-même. Il savait bien qu'à une certaine épo- que il n'y avait pas du tout de pauvres en An- gleterre -, mais jouissant d'une bonne place sous le libérateur _, il ne pouvait même penser à faire

Lettre XVI. 579

allusion à ce fait important , relâchement de la discipline, quelle discipline! Qu'entendait-il par discipline ? La spoliation des biens de l'église et des pauvres , l'augmentation des impôts, la fai- blesse des gages comparés aux prix de la nour- riture et de l'habillement ; le vol des gains du pauvre pour les donner aux marchands de ren- tes et autres mangeurs d'impôts. C'étaient les causes de ce mal honteux ; il le savait tiès- bien , et dès-lors il n'est pas étonnant que son rapport n'ait présenté aucun remède.

475. Après Locke vint, sous le règne de la reine Anne, Defoé qui semble avoir été le père des faiseurs de projets de nos jours; car Malihus et l'avocat Scarlett n'ont fait que suivre ses tra- ces. Il voulait que l'on n'accordât aucun secours aux pauvres : il attribuait leur pauvreté à leurs crimes et non leurs crimes à leur pauvreté , et il attribuait leurs crimes à leurs excès, à leur orgueil et à leur paresse. Il dit que les ouvriers anglais mangent et boivent trois fois autant que ceux des autres nations ! Combien étaient dif- férentes les notions de cet insolent protestant français de celles du chancelier Fortescue,, qui regardait la bonne nourriture du peuple comme la meilleure preuve possible de la bonté des lois, et semblait prendre plaisir à dire que les An- glais étaient nourris abondamment de toute es- pèce de viande et de poisson,

476. Si Defoé avait vécu dans notre siècle de

58o Réforme Protestante.

lumières , il n'aurait au moins vu aucun excès parmi les pauvres , à moins qu'il n'eût regretté même la chair de cheval , les plantes marines , les immondices contenues dans l'auge des pour- ceaux. Depuis lui, on a bien présenté cent pro- jets, et fait plus de cinquante lois pour régler les affaires des pauvres -, mais la pauvreté est en- core là pour compléter le parallèle entre l'église catholique et l'église anglicane. ^' Voilà , pour- ^' rait dire la première à la dernière , voilà le '• résultat de vos efforts pour me détruire. S'il *' m'était permis de désirer une vengeance, je " vous dirais : Je suis plus que vengée par ce ^' seul mal, ce mal honteux et qui ne cesse ja- '- mais. Forcez ces malheureux que vous tron;- " pez et que vous bourrez de pommes de terre j " forcez-les encore de crier : Point de papisme , " et lorsqu'ils se retirent sous leur chaumière , " évitez surtout de leur rappeler la cause de " leur pauvreté et de leur avihssement. "

477. Hume, en parlant des souffrances du peuple , dit qu'à la fin ces souffrances eurent un bon ejfct puisqu'elles amenèrent notre état présent. Croyait-il donc cet état présent préfé- rable à celui du temps de Fortescue ? Hume écrivait il y a cinquante ans , mais il écrivait long-temps après Child y IjOcJce et Defoé. Il n'est que trop vrai que c'est la " réforme " qui nous a amenés à notre état présent ; c'est elle qui a produit ce fruit amer que nous goûtons

Lettre XVI. 58i

aujourd'hui. Dans un rapport d'un prêtre angli- can , publié par la chambre des communes en 1824, on voit que les ouvriers du SuiFolk sont tous des voleurs , trop profondément corrompus même pour être rais à la raison. Dans un autre rapport d'un sheriff de Wiltshire (en 1821 ), on voit que la nourriture habituelle des labou- reurs dans la campagne est la pomme de terre. Les juges de la cour du banc du roi ( 1825 ) ont déclaré que la nourriture générale des ou- vriers était le pain et l'eau 5 un rapport des co- mités du nord ( 1826 ) publié sur les lieux, dit qu'un grand nombre d'individus meurent pres- que de faim , que quelques-uns mangent de la chair de cheval et de mauvais grains , tandis qu'on sait bien que le pays fournit abondamment des vivres, et tandis que le clergé a récemment prononcé du haut de la chaire les remercîmens à'usage pour les temps d'abondance. Une loi passée depuis peu qui déclare félon celui qui cueille une pomme d'un arbre, apprend au monde entier quel peu de cas on fait de nos mœurs et de nos jours; et que la nation , autrefois la plus grande et la plus morale du monde, est aujour- d'hui une nation de voleurs incorrigibles, et très- certainement la plus appauvrie, la plus déchue, la plus dégradée qui ait jamais existé,

478. J'ai maintenant rempli ma tâche , j'ai prouvé ce que je m'étais proposé : et élevé

582 Réforme Protestante.

dans le sein de l'Église anglicane , ayant une épouse et une nombreuse famille qui professent la même foi, ayant dans un cimetière protestant les dépouilles mortelles des plus chéris des pa- rens, auprès desquels j'espère qu'un jour la piété conjugale ou filiale me mettra reposer , je n'ai pu avoir dans cette entreprise d'autre motif qu'un amour sincère et désintéressé de la vérité et de la justice. Ce n'est pas pour les riches et les puissans d'entre mes compatriotes que j'ai écrit, mais pour les pauvres , pour ceux qui sont per- sécutés , qui sont proscrits. Je n'avais point ou- blié que cette entreprise ne pouvait jouir d'une grande popularité ; mais lorsque je vis le long triomphe de la calomnie sur la religion de ceux auxquels nous devons tout ce que nous avons de grand et de renommé , quand je fus con- vaincu que je pouvais faire beaucoup pour con- trebalancer cette calomnie , quand un droit si sacré m'ordonnait de parler, c'eût été une bas- sesse de ma part si j'avais gardé le silence , et cette bassesse eût encore été plus affreuse, lors- que j'avais la volonté aussi-bien que le pouvoir de le faire, si j'avais été retenu par la crainte des traits du mensonge et de la folie. Une des plus grandes consolations sur la terre c'est de n'avoir aucun reproche à se faire; et maintenant, au milieu des dangers affreux que l'événement dont je me suis occupé a accumulés autour de

Lettre XVI. 583

ma patrie, je puis, en priant Dieu de lui épar- gner une nouvelle ruine et de plus grands mal- heurs , je puis dire en toute sûreté que je ne suis coupable ni tacitement ni expressément d'au- cune des causes de sa ruine.

FIN DE LA l6^ ET DERNIÈRE LETTRE.

584

^xvvvA^^x^^^v\^^v>X'^v'v^^^^vxv'\^A^x^x^xv^x^^^v'v^svvv^s^^s\iv\

TABLE

DES MATIÈRES DES QUATRE SÉRIES.

Pag.

Lettre I. Jntj'oduction. i

Lettre IL Origine de l'Eglise Catholique.

Histoire de l'Eglise en Angleterre ,

jusqu'à l'époque de la ^' Réforme. ''

Commencement de la ^' Réforme " par

Henri Vlll. 34

Lettre III. Résistance aux mesures du roi. Effets de l'abolition de la suprématie du Pape. JHort de Sir Thomas More et de l'Evêque Fisher. Massacres hor- ribles des Catholiques. Luther et la nouvelle Religion. Catholiques et Pro- testans brûlés dans le même bûcher. Conduite exécrable de Cranmer. Titre de Défenseur de la foi. 70

Lettre IV. Tyrannie horrible. Massacre de la Comtesse de Salisbury. Célibat du Clergé. Evêque de Tf^inchester. Ac- cusations de Hume , et réponse de l'E- vêque Tanner. 107

TABLE DE MATIÈRES. 585

Pag.

Lettre V. autorités relatives aux Ef- fets des Institutions Monastiques. Leur grande Utilité. Sagesse politique qui présida à leur fondation. Nomination du scélérat Thomas Cromwell. Ses OEu- vres de Pillage et de Dévastation, Pre- mier ^cte du Parlement qui autorisa le Pillage. i45

Lettre VI. Confiscation des monastères. Moyens bas et cruels employés pour parvenir à ce résultai. Dévastation et bouleversement du pays. J^iolation du tombeau d'Alfred, he roi divorce de nouveau et fait encore périr sa femme. Mort du scélérat Cromwell. Mort du tyran lui-même. i-yG

Lettre VIL Commencement d^ Edouard T^l. Parjure des exécuteurs testamentaires de Henri T^III. Nouvelle église éta- blie par la loi. Spoliation des églises. Insurrection du peuple. Trahison de Cranmer et de ses complices. Mort du Roi. 216

Lettre VIIL Marie monte sur le trône. Lois douces et bienfzisantes qu'elle éta- blit. Réconciliation de la nation avec r Eglise. Grande piété de la reine ^ gé- nérosité dont elle fait preuve. Elle épouse Philippe. Martyrologe de Fox. 260

38

586 TABLE DES MATIÈRES.

Pag,

Lettre IX. Guerre de Marie avec la Fran- ce. Prise de Calais par les Français. JMort de la reine Marie. Elisabeth monte sur le trône. Elle fait des lois cruelles et sanguinaires sur la religion. Sa per- fidie envers la France. Honte qu'elle attire., par cette perfidie , sur son gou- vernement et sur l'Angleterre. Elle abandonne lâchement y et pour toujours , Calais à la France. 3o5

Lettre X. Massacre de la Saint-Barthé- lemi. Ses suites. Bess fait couper la main à un homme qui avait traversé ses a?nours. Ses favoris et ses minis- tres. Histoire et meurtre de Marie , reine d'Ecosse, 34o

Lettre XI. Hypocrisie de Bess à la Mort de Marie Stuart. Armée d'Espagne. Lois des pauvres. Traitement barbare de l'Irlande. Inquisition de Bess. Hor- rible persécution des catholiques. Tour- mens et tortures qu'elle emploie. Sa mort. Syy

Lettre XII. Avènement de Jacques /''" Persécution horrible des catholiques. Complot des poudres. Charles P^ mis au nombre des martyrs.. Seconde réforme , ou réforme vraiment pure. Charles II. Complots et ingratitude qui signalent son règne, Jacques II. Il cherche à in-

TABLE DES MATIÈRES. 687

Pag. troduire une tolérance générale, au- rore de la glorieuse révolution. 4 "^2

Lettre XÏII. Glorieuse révolution , ou troi- sième ^^ réforme. ^^ Le roi hollandais et son armée libératrice. Crimes de Jac- ques II y avec des éclaircissemens. Pu- reté du parlement. Uévêque protestant Jocelyn. Sydney et autres patriotes pro- testans. Uacte habeas corpus. Fonda- tion des colonies d'Amérique. 44^

Lettre XIV. Triomphe de Guillaume sur Jacques et les catholiques. Besoin d'ar- gent pour faire une guerre contre le papisme. Projet d'emprunt de fonds pu- blics de Burnet. Origine des banques et des bank-notes. Enormes impôts , droit d'excisé y bill septennal. On veut taxer les Américains. Ils se révoltent malgré la doctrine de Blachstone. Re- proches qu'ils font à Georges III. 477

Lettre XV, La révolution d' Amérique pro- cure du soulagement aux catholiques. Persécution jusqu! au règne de Jacques II. L'église anglicane s'oppose à la liberté de conscience. Code pénal hor- rible, que la crainte force enfin à adou- cir. La révolution française fait modifier le code de nouveau. Code pénal tel qu'il existe maintenant. Résultat de la ré- forme pour ce qui regarde la religion. Sog

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588 TABLE DES MATIÈRES.

Pag.

Lettre XVI. ancienne population de V An- gleterre et de V Irlande ; ancienne ri- chesse ; ancienne puissance ; ancienne liberté i ancienne abondance et ancienne félicité. 539

riN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

BR 375 .C614 1826 SMC

■^J Cobbett, William, "^""l 1763-1835.

Histoire de la reforme I protestante en

AWP-1950 (mcsk)

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