™ PRINCETON, N. J. ^
BX 1530 .M47 1895 v.2 M eric, Elie, 1838-1905. Histoire de M. Emery et de 1' église de France pendanj
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HISTOIRE
DE M. ÉMERY
ET DE
L'ÉGLISE DE FRANCE
li
PROPRIÉTÉ DE
ŒUVRES DE M GR MÉRIG
La Vie dans l'esprit et dans la matière. In-12, ¥ edit. . 3 50
La Morale et l'Athéisme contemporain. In-12, edit. . à ou
Du droit et du devoir. In-12, ¥ édit * ?"
L'autre Vie. 2 vol. in -8°, 3* édit ' ou
-Le même. 2 vol. in-12, 4* édit • • • ° »
La Chute originelle et la responsabilité humaine , 8* edit. 2 »
Les Erreurs sociales du temps présent. In-12, /• edit. . . à »
Les Élus se reconnaîtront au ciel. Opuscule , 27* edit. . . 1 ou
Le Clergé sous l'ancien régime, 2* édit. ^ ou
Le Clergé et les temps nouveaux, 2e édit «
Le Livre des espérances. In-12
Le Merveilleux et la Science, 8« édition • • • 0 °"
Histoire de M. Émery et de l'Eglise de France pendant la
révolution. 2 vol. in-12, 5e édition. {Ouvrage couronné par V Académie française.)
OPUSCULES
Les Universités allemandes et les séminaires français. Le Clergé et la Science à l'exposition de Turin. In -8" Du Beau et de l'Art. In-8°. La Sorbonne et son fondateur. In -8°.
HISTOIRE
DE M. EMERY
ET DE
L'ÉGLISE DE FRANCE
PENDANT L'EMPIRE
PAR MGR MÉRIC
DOCTEUR EN" PHILOSOPHIE ET LETTRES DOCTEUR EN THÉOLOGIE ET DROIT CANON PROFESSEUR A LA SORBONNE
CINQUIÈME ÉDITION
AUGMENTÉE DE DOCfUENTS INÉDITS
PARIS
LIBRAIRIE CH. POUSSIELGUE
RUE CASSETTE, 15 1895
Droits de reproduction et de traduction réservés.
M. ÉMERV
ET L'ÉGLISE DE FRANGE
SECONDE PARTIE (4800-4811)
CHAPITRE PREMIER
LE DERNIER SERMENT ET LA RENAISSANCE DU SÉMINAIRE
I. — L'Italie avait ressenti le contre -coup de la persé- cution religieuse qui déshonorait la France : le Direc- toire avait visé et frappé le chef de l'Eglise. Le 20 fé- vrier 1798, Pie VI est chassé de Rome par les troupes françaises, qui proclament la république au bruit du canon , et se flattent d'avoir anéanti la papauté en détrui- sant la monarchie pontificale. Des bandes de pillards et de misérables, exaltés par le succès, encouragés par le silence bienveillant et par la complicité tacite de leurs généraux, se ruent dans les églises, les palais, les monas- tères, les chapelles, les oratoires de la ville éternelle, partout ofi ils ont l'espérance de détruire un emblème religieux : c'est le sac et le pillage , avec le plus odieux caractère de brutalité. Les ciboires, les ostensoirs, les chandeliers, les encensoirs des chapelles pontificales, les objets du culte et les ornements des autels sont enle- vés pour être détruits ou vendus. Les bibliothèques sont II 1
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envahies; les livres, ou déchirés, ou volés, ou cédés à vil prix. L'or, l'argent, les tissus précieux , les magni- ficences qui formaient les trésors des chapelles , expres- sion sacrée de la foi et de la reconnaissance des rois et des peuples, sont profanées, partagées comme un butin vulgaire. Les pierres tombales elles-mêmes sont sou- levées , les cercueils de plomb brisés et fondus : on ne respecte pas la dépouille des morts dans le silence reli- gieux de leur dernière demeure ; toutes les convoitises sont déchaînées et assouvies.
Les objets d'art ne sont pas traités autrement que les monuments de la science et de la piété. Le vandalisme sauvage des soldats de la Révolution excite enfin l'indi- gnation des officiers : ils adressent une protestation , au nom de l'art, au nom de la science, au nom de la civili- sation, au général Berthier, qui commandait l'armée française et laissait agir les pillards.
Pie VI s'éloigne de Rome : il cherche une retraite pour assurer l'indépendance de sa parole et la sécurité de ses derniers jours. Il se retire à Sienne : il est obligé de fuir. Il se réfugie à la chartreuse de Florence : il en est chassé par les Français. Il traverse le Piémont, franchit le montCenis dans les plus cruelles souffrances, s'arrête à Grenoble , et arrive enfin à Valence , entouré d'une escorte qui ne respecte pas la grandeur du vieil- lard exilé. Le Directoire déclare publiquement que le pape est prisonnier d'Etat.
La détention cruelle du pontife dans la citadelle de Valence ne dura pas longtemps. Le Directoire voulait faire subir au pape un nouveau déplacement et de plus cruelles épreuves; mais les forces du vieillard étaient épuisées. Le 27 août 1799, on lui donna les derniers sacrements. Après avoir reçu "le saint viatique, il ouvrit les yeux , et fit d'une voix élevée cette dernière prière sur la terre d'exil :
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« Seigneur Jésus- Christ, voici en votre présence votre vicaire et le pasteur du troupeau catholique, exilé, captif et mourant pour ses ouailles. Dans cette extrémité, je vous demande deux grâces, comme à mon père et à mon maître: la première, c'est que vous accordiez à tous mes ennemis, et à chacun d'eux en particulier, le pardon le plus entier; la seconde, c'est que vous rendiez à Home la chaire de Pierre et le trône pontifical ; à l'Europe, la paix ; à la 'France surtout, qui m'est très chère et qui a bien mérité de l'Eglise, votre religion dans sa pléni- tude 1 . »
Pendant dix ans, et sur tous les points de la France où régnait l'esprit sectaire des hommes de la Révolution, on avait vu des religieux, des prêtres, des milliers de victimes entassées dans l'infection fétide des cachots; pendant dix ans, le sang des chrétiens outragés pour la cause de la justice avait coulé sans arrêt, montant vers Dieu comme une satisfaction et une prière. En mourant exilé sur la terre étrangère, Pie VI donnait une valeur inestimable et une consécration particulière aux larmes, aux souffrances, au martyre de ces victimes obscures dont il venait de partager le sort.
II. — La France était à la veille d'un profond chan- gement politique, social et religieux.
Les peuples se fatiguent de la révolte, mais ils ne rentrent pas facilement et par les moyens ordinaires dans le cours tranquille de leur histoire : aux orages de la démocratie révolutionnaire succède l'autorité mena- çante de la dictature ; un homme se lève qui répond à l'espérance, aux angoisses, au dégoût de la nation aspi- rant à changer de maître et à sortir du sang ; il a pour sceptre une épée; il en frappe les malfaiteurs qui, au
1 Artaud, Histoire des Papes, t. VIII, p. 387.
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nom de la liberté, ont tenu le pays dans le plus odieux esclavage. Bonaparte était l'homme du moment : bril- lant capitaine , il avait révélé de grandes qualités mili- taires et servi au début la cause criminelle des hommes de la Révolution; ceux-ci ne voyaient encore en lui ni un rival ni un maître.
Au siège de Toulon , il décide la victoire à suivre son drapeau ; le 13 vendémiaire, il écrase dans les rues de Paris, et sur les marches de l'église Saint -Roch, la sec- tion de Lepelletier, commandée par le général Donican et par le brave Lafont de Soulé , ancien garde du corps de Louis XVI ; il fusille et mitraille les gardes natio- naux fatigués des saturnales de la Convention. Vers la fin de mars 1796, c'est lui qui, vainqueur des Autrichiens à la bataille de Lodi et maître du Piémont , menace les Etats pontificaux , excite ses soldats par cette proclama- tion révolutionnaire : « Rétablir le Capitole , réveiller le peuple romain engourdi par plusieurs siècles d'es- clavage, tel sera le fruit de vos victoires. Elles feront époque dans la postérité. Vous aurez la gloire immor- telle de changer la face de la plus belle partie de l'Eu- rope. ))
Le général qui faisait entendre de telles paroles ne pouvait donc ni provoquer ni mériter encore les défiances jalouses d'un gouvernement si profondément hostile au catholicisme en France.
D'ailleurs, le gouvernement était lui-même troublé et divisé. Les patriotes exaltés demandaient la levée en masse, le retour aux massacres et au règne de la Ter- reur; les modérés cherchaient une épée glorieuse et ferme pour échapper aux jacobins; le peuple, effrayé, altéré de paix, voulait sortir à tout prix, même par la violence et par la dictature, d'une situation pleine de hontes, de dangers et de crimes. Bonaparte, vainqueur dans la brillante campagne d'Egypte, débarque à Fréjus,
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traverse la France aux acclamations de la foule enivrée de l'éclat de sa gloire naissante, arrive à Paris, et se prépare enfin à prendre en main, par un coup de force, le gouvernement du pays.
Bonaparte avait un profond mépris pour le Directoire et une invincible confiance en la grandeur de ses propres destinées. Il avait déjà goûté les premiers enivrements de la gloire. En regardant autour de lui, il rencontrait Gohier, Roger Ducos, Moulins, Sieyès, le prêtre apos- tat, Barras, des hommes qu'il accablait de son dédain, et qui étaient cependant un obstacle à l'accomplissement de ses vastes desseins pour la pacification religieuse et le relèvement militaire de la France. Il comptait sur la for- tune et sur les généraux fascinés par l'ascendant incon- testé de son génie ; il était sur de la réalisation prochaine de ses espérances.
Après le banquet du 15 brumaire offert au général Bonaparte, avec un éclat inaccoutumé, dans l'église Saint-Sulpice transformée en temple de la Victoire, l'heure était favorable a une réaction dont les esprits avaient depuis longtemps le pressentiment et le secret désir.
Effrayer le pays par le bruit d'un soulèvement des jacobins contre la représentation nationale, se présenter aux républicains comme le défenseur dévoué d'un gou- vernement compromis et menacé par l'anarchie, flatter les généraux en leur promettant de les débarrasser des avocats politiciens toujours contraires à la grandeur militaire de la France, obtenir enfin, à cette heure de trouble et de confusion, le commandement général de la force armée : tel fut le plan de bataille conçu par Bona- parte, approuvé par Sieyès et favorisé par la complicité facile de Fouché, qui devait être un jour le serviteur le plus obséquieux de sa fortune souveraine.
Le 18 brumaire, à 7 heures, le conseil des Anciens
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se réunit en séance. Régnier propose de transférer le Corps législatif à Saint-Cloud , pour échapper à la conju- ration des jacobins en révolte , et de confier à Bonaparte le commandement de la force armée. La proposition est votée. Bonaparte, entouré de ses généraux Berthier, Lefebvre, Macdonald, Murât, et d'un brillant état-major, se rendit au conseil des Anciens pour entendre la com- munication officielle du décret.
Les Cinq -Cents et les Anciens étaient réunis à Saint- Cloud, troublés par une panique dont ils ne connais- saient pas la cause , et dans une profonde ignorance des desseins de Bonaparte. Ils avaient entendu parler du péril de la république , d'un changement dans le Direc- toire; ils ne savaient pas que le jeune général appelé à la tête de l'armée pour défendre la République était déjà le maître qui rêvait de l'écraser et de régner.
Le Directoire était dissous par la démission involon- taire de quatre de ses membres ; le conseil des Anciens n'avait pas opposé une résistance sérieuse à Bonaparte ; il était plus difficile de triompher du conseil des Cinq- Cents.
Les membres de cette assemblée pressentaient le dan- ger; ils faisaient entendre des cris de fureur contre les ennemis de la république et de la constitution.
Lucien Bonaparte , qui présidait, ne dominait plus cette assemblée houleuse; il était débordé. Lorsque son frère se présenta escorté de ses grenadiers et de quelques officiers généraux fidèles à sa fortune et inquiets de sa tentative, on entendit une clameur formidable et des imprécations violentes contre la force qui osait pénétrer ainsi dans la salle des représentants de la nation. Ce n'était plus une assemblée humaine, le tumulte était indescriptible. Des menaces, des cris sauvages, des imprécations, des provocations à la mort, des hurle- ments de fureur, retentissent dans cette salle où se
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livrait le combat .suprême de la dictature et de l'anarchie.
Les députés cernent Bonaparte, qui veut parler; ils essayent de l'enlever et de le chasser de l'assemblée ; d'autres députés se précipitent au siège occupé par le président et l'accablent d'outrages.
Cependant un peloton de grenadiers, l'arme au bras, pénètre dans la salle, enveloppe le général, le dégage, se répand des deux côtés de la chambre, sous la con- duite de Murât, et chasse les députés effarés, qui dis- paraissaient dans toutes les directions.
C'était la fin de la période révolutionnaire et violente, la dernière heure du règne des jacobins. Le pays avait un immense besoin de paix. Celui qui prenait ainsi le pouvoir par un coup de force, comme on prend une ville assiégée, tenait dans ses mains les destinées poli- tiques et religieuses de la France.
III. — La première pensée de Bonaparte, en arrivant au pouvoir, fut d'arrêter la persécution qui avait sévi trop longtemps contre l'Église, et, par conviction ou peut-être par un calcul dont l'habileté n'est pas contes- table, il essaya de rassurer les consciences; il défendit d'exiger les serments antérieurs, qui fermaient encore à un grand nombre d'ecclésiastiques timorés l'accès des fonctions publiques de leur ministère. Un arrêté du 28 décembre 1799, interprété par le Moniteur univer- sel, rendit obligatoire une simple promesse de fidélité à la constitution.
a On a dû remarquer, disait le Moniteur, dans un arrêté des consuls du 7 nivôse, que les ministres des cultes , assujettis par les lois antérieures à un serment ou à une déclaration quelconque, y satisferont par la déclaration suivante : Je promet* fidélité à la consti- tution.
« Cette formule est à elle seule une garantie parfaite
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de la liberté des opinions religieuses, car elle respecte toutes les délicatesses et jusqu'aux scrupules de la piété la plus craintive. Ce n'est pas un serment, une pro- messe faite à Dieu ; c'est un engagement purement civil. Celle de toutes les religions qui défendrait avec le plus de sévérité la fréquence des serments , ne peut donc apporter ici aucun obstacle. On ne promet pas, comme par le passé, de maintenir la constitution : il y avait dans ce mot maintenir, ou du moins il parais- sait y avoir une promesse d'action directe et positive pour soutenir, pour défendre un code qu'après tout on ne pouvait être tenu d'approuver. On conçoit qu'un tel engagement pouvait jeter une sorte d'inquiétude dans quelques âmes, qu'il était bien cruel de tourmenter pour une formule.
(( Aujourd'hui on promet uniquement d'être fidèle, c'est-à-dire de se soumettre, de ne point s'opposer.
« Or une pareille déclaration est d'abord très suffi- sante, et de plus elle offre l'inappréciable avantage de ne pouvoir rencontrer de résistance. Quelle est, en effet, la religion qui ne recommande la soumission aux lois du pays où l'on est ? et quel est l'homme , fût - il prêtre, qui, par le seul fait de son habitation dans un pays, ne se croit pas tenu de respecter ses engage- ments ? »
M. Émery usa de son influence et de son autorité pour décider les ecclésiastiques de Par is, et les prêtres de la province qui venaient le consulter, à faire cette promesse de fidélité à la constitution française. Le con- seil archiépiscopal dont il faisait partie accepta sans difficulté son avis, et un grand nombre de prêtres qui dépuis longtemps avaient cessé d'exercer les fonctions de leur ministère, en refusant de prêter le serment de haine à la royauté, saisirent avec empressement cette heureuse occasion de travailler de nouveau au salut des
ET L'ÉGLISE DE FRANCK 0 âmes qu'ils avaient délaissées. L'archevêque de l'uiïs, M. de Juigné, réserva d'abord son avis, tout en conti- nuant de donner à ses grands vicaires les témoignages les plus affectueux de sa confiance; il se rangea plus tard à leur sentiment.
Si la formule nouvelle était acceptée avec faveur en France, il n'en était pas de même à l'étranger. Les évèques émigrés, dont les hautes vertus commandent le respect, restaient inébranlables dans leur attache- ment à l'ancien régime et à la monarchie traditionnelle; ils voyaient avec impatience M. Emery et une grande partie du clergé français se soumettre à l'ordre social nouveau sorti du sein de la Révolution.
Ils prétendaient qu'une soumission, même passive, à la nouvelle constitution était contraire à la conscience et à la justice, parce qu'elle impliquait une approbation implicite de la confiscation des biens du clergé et la négation formelle des droits légitimes de Louis XVIII à la couronne de France. On vit même, à cette occasion, l'évéque du Puy interdire l'exercice du culte public à ceux qui prêteraient le serment de soumission, quelles que fussent d'ailleurs leurs réserves et leurs restrictions sur le fond de la question.
Ces résistances inintelligentes, ces sévères défenses, inspirées d'ailleurs par les sentiments les plus respec- tables, pouvaient compromettre inutilement le réveil religieux de la France, et changer en déclaration de guerre les dispositions favorables du premier consul. La loi des otages avait été rapportée : les émigrés ren- traient dans leurs foyers avec l'assentiment tacite des agents du gouvernement; les prêtres détenus dans les îles de Ré et d'OIéron étaient délivrés ; le clergé exerçait enfin publiquement le culte catholique dans les édifices religieux qu'on n'avait pas encore aliénés; l'avenir de ÇËglise dépendait de la volonté souveraine du premier
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consul , investi par la constitution du 24 décembre 1799 des pouvoirs les plus étendus.
Il n'était ni prudent ni conforme aux intérêts de l'Église de. provoquer à cette heure d'apaisement la colère de celui qui rouvrait les temples et rendait les prêtres à la liberté. Aucun principe dogmatique, aucune raison sérieuse ne justifiait la résistance dangereuse de quelques ecclésiastiques trop zélés, hostiles à l'obliga- tion du serment.
(( Il n'y a rien de plus misérable, écrivait M. Émery à l'abbé Romeuf , que ce qu'on oppose à la promesse de fidélité ; mais il est inutile de raisonner, parce qu'il y a , dans certaines personnes qui donnent le ton , un parti pris de n'accorder aucune espèce d'acte de soumission au gouvernement. On s'imagine par là ramener l'ancien régime ; on se trompe , et on sacrifie à des illusions la religion. Ne parlons plus de cela »
Le cardinal Maury, animé sans doute d'excellentes intentions, intervint dans le débat, comme il avait déjà fait à l'occasion des serments antérieurs. Entraîné par l'élan irréfléchi de son ardente imagination , il continua d'une tri.ste manière à troubler encore une fois les con- sciences et à diviser les esprits : il écrivit de Rome, à quelques amis établis en France, que le pape était opposé à cette formule de serment, condamnée d'ailleurs à l'unanimité par la congrégation des cardinaux chargée des affaires ecclésiastiques de France. Il n'en était rien.
11 ne fut pris à Rome aucune décision avant le Concor- dat, qui mit fin à toutes les difficultés.
M. de Bausset, évêque d'Alais, gémissait de ces conflits qui retardaient le triomphe de la foi dans les âmes et la renaissance pacifique de l'Église; il sentait cependant la délicatesse de ces questions, il comprenait
1 Leltre du 20 septembre 1800.
HT L'ÉGLISE DE FRANCE II
les scrupules des consciences timorées partagées entre la crainte de faire une promesse coupable et le désir de ne pas retarder le progrès des idées religieuses. « Vos observations sont très judicieuses, répondait M. Émery; je viens d'écrire a l'évèque de Limoges que, s'il a cru qu'il y eut la pins petite faute à faire la promesse, et qu'il l'ait cru après l'examen le plus approfondi , il a bien fait de la défendre, mais qu'il a dû signer cette défense avec des larmes de sang, puisqu'il signait la ruine de la religion dans son diocèse. Bonaparte a tenu à son retour des propos très favorables à la religion. Il a rendu aux conseillers d'État assemblés chez lui la conversation qu'il avait eue avec le clergé de Milan sur ce sujet. Vous serez étonné d'apprendre ce qu'il a dit, et ce que je ne peux vous rendre avec assez de préci- sion. Je viens de recevoir une lettre de M. l'archevêque d'Auch, qui persévère dans son sentiment, qui a vu le Mémoire des évèques de Munich, et qui me dit, sur leur difficulté principale relativement à l'obligation de faire restituer les biens du clergé et des émigrés, des choses très sages. Il a écrit au pape pour lui rendre compte de sa conduite f. »
Tandis que M. Émery cherchait à éclairer et a paci- fier les esprits par de savants articles insérés dans les Annales philosopliiqties de l'abbé de Boulogne, l'il- lustre évêque de Langres, Guillaume de la Luzerne, intervint dans la discussion, et réduisit à néant, dans une étude magistrale, les objections des adversaires de la promesse de fidélité.
Ces adversaires se fondaient sur cet argument : 11 n'est pas permis de s'engager par promesse à faire ce que Dieu défend ou à ne pas faire ce qu'il commande. Or, en promettant fidélité à la constitution, chaque article
' Lettre du 8 janvier 1800.
12 M. ÉMERY
de cette constitution devient l'objet d'une promesse par- ticulière, et parmi ces articles il y en a qui sont mani- festement injustes et que nous devons repousser.
« Je distingue deux sortes de lois, répond M. de la Luzerne , et deux sortes de soumission : il y a des lois qui ordonnent ou qui défendent à tout citoyen de faire quelque chose; il y en a d'autres qui, seulement, auto- risent les citoyens à des actes quelconques, mais sans leur en imposer l'obligation. J'appelle les premières lois obligatoires, et les secondes lois permissives. Il est dû aux lois obligatoires (on sait que je parle ici des lois justes) une soumission active, c'est-à-dire on est stric- tement tenu à faire ce qu'elles prescrivent, à s'abstenir de ce qu'elles interdisent.
ce Aux lois permissives on ne doit qu'une soumission passive, c'est-à-dire on n'est pas obligé de faire ce qu'elles permettent, puisqu'elles n'en imposent pas l'obligation ; mais on est tenu de ne pas s'opposer à leur exécution.
« La soumission passive est -elle contraire à la loi de Dieu? Ceux qui le pensent croient -ils que tout citoyen soit obligé , en conscience , de s'opposer aux lois de son pays qui consacrent des crimes; d'y coopérer et d'y par- ticiper de manière ou d'autre , quand elles permettent de n'y prendre aucune part et de rester purement passif sur cet objet?
(( Je ne crois pas qu'il y ait un seul casuiste qui imposât cette obligation rigoureuse. Sous les premiers empereurs chrétiens, il était encore resté du paganisme plusieurs lois civiles contraires aux saintes règles de la religion chrétienne : ainsi , la permission du divorce existait encore du temps de saint Jean Chrysostome. Dira -t- on que tous les chrétiens se rendaient coupables quand ils ne s'opposaient pas au divorce que voulait faire un païen? Évidemment non.
« On peut donc être soumis à une constitution, sans
ET L'ÉGLISE DE FRANCK 13 coopérer à ce quelle permet de contraire à ta loi de Dieu. La soumission n'est pas l'approbation. Ce n'est point s'associer au crime que «le ne point s'y opposer, quand on n'a pas d'autorité sur la personne qui le com- met. La promesse de fidélité n'est pas plus en 1800 une adhésion aux injustices exprimées dans la consti- tution, que ne l'avait été en 1790 le serment de main- tenir la constitution, prêté par les évéques et les prêtres de l'Assemblée.
a On objecte encore qu'on ne peut pas promettre obéissance à un usurpateur : ceci est contraire à toute la tradition. Je demande, par exemple, si du temps des trente tyrans qui se soulevèrent contre Gallien les chrétiens qui habitaient les pays usurpés, et ceux qui composaient les armées rebelles, croyaient se soumettre et prêter serment à des souverains légitimes. Ils savaient bien, dans leur conscience, que ces maîtres nouveaux étaient des usurpateurs; et cependant leur conscience ne leur interdisait pas la soumission et le serment. Certes, les chrétiens de ce temps- là, qui étaient tous les jours à la veille du martyre, avaient la conscience aussi délicate que ceux de ce temps -ci.
« Je demande si deux des plus grands et des plus courageux évéques que Dieu ait donnés à son Eglise, saint Ambroise et saint Martin, n'étaient pas entière- ment convaincus que Maxime, à la cour duquel ils n'hésitaient pas à se rendre, était un tyran couvert du sang de Valentinien, l'un de ses empereurs, et rebelle contre l'autre qui était Théodose. On peut donc légi- timement se soumettre à la puissance que l'on sait parfaitement et que l'on croit pleinement être illégi- time.
« N'y a- 1- il pas eu, dans beaucoup de pays où la suc- cession était très bien réglée, des usurpateurs qui en ont interverti l'ordre? et quel est celui où les bons
14 M. ÉMERY
catholiques aient hésité à se soumettre à eux? Prenons l'exemple le plus récent , le plus voisin de nous. En Angleterre, l'ordre de la succession était très constant. Ce Cromwell , qui le troubla , était évidemment , aux yeux de tout le monde, un usurpateur. Voit -on que les catholiques répandus dans les trois royaumes aient refusé de se soumettre à sa domination , que ceux qui ont été dans le cas de lui prêter serment l'aient rejeté ?
(( L'Église, dont l'esprit est la permanence dans les mêmes principes , a vu la soumission et le serment de fidélité aux usurpateurs universellement pratiqués , et jamais ne les a condamnés : elle ne les regarde donc pas comme condamnables. »
D'autres évêques, et des plus illustres, soutenaient courageusement et avec le même souci des intérêts de l'Église le sentiment de M. Émery.
Écoutons l'archevêque de Reims : « Jésus-Christ a dit : Rendez à César ce qui est à César. Les apôtres ont dit : Obéissez à vos supérieurs , même durs et sévères. L'Église enseignait la même doctrine sous le glaive de la persécution et des bourreaux ; l'Église l'enseigne encore aujourd'hui. La religion, dont nous sommes les ministres, s'accommode de toutes les institutions so- ciales. »
L'évêque de Boulogne, dont l'instruction pastorale fut adoptée par le plus grand nombre de ses collègues , disait: « Jésus-Christ déclare que son royaume n'est pas de ce monde ; il fait le commandement le plus exprès de rendre à César ce qui est à César, et donne lui-même l'exemple de la fidélité à accomplir ce pré- cepte, en faisant un miracle pour payer le tribut. »
« Dans tout ce qui est civil et politique , nulle soumis- sion ne l'emportera sur la nôtre, » disait l'évêque de Cler- mont, au nom des évêques députés aux états généraux.
(( Fidélité à la loi de Dieu , écrivait l'évêque d'Uzès ,
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 15
obéissance aux lois temporelles et civiles, patience et résignation dans nos peines personnelles. » — « Quand Jésus -Christ disait : Rendez à César ce qui est à César, il n'examinait pas, comme le faisait observer l'évéque d'Àcqs, comment la puissance de César avait été établie, il suffisait qu'il la trouvât établie; il voulait qu'on res- pectât en elle l'ordre de Dieu et le fondement de l'ordre public. »
L'évéque de Saint-Papoul en donnait cette explication :
(( Le pouvoir de l'Église est étranger a tous les intérêts qui unissent ou divisent les hommes sur la terre; il n'a pour objet que les intérêts du ciel. Jésus-Christ refusa de prononcer sur l'héritage de deux frères. Il répondit à celui qui lui demandait d'interposer son autorité en sa faveur : « 0 homme, qui est-ce qui m'a établi pour « juger entre vous et pour faire vos partages ? » . Les évèques de Soissons et de Sisteron tenaient le même langage, et le pieux évèque de Blois s'écriait :
(( Laissez-nous les âmes , et prenez tout le reste. »
C'est enfin en 1700 et 1791 , quand nos institutions séculaires étaient brisées, quand la nation était esclave de ses mandataires, esclaves eux-mêmes d'une poignée de sectaires, quand le pouvoir royal semblait irrévoca- blement anéanti, quand la fortune individuelle et la fortune publique étaient devenues la proie des agioteurs et des voleurs, c'est alors que les évêques exhortaient les fidèles à la soumission , à la patience, à la tranquillité ; c'est alors que l'Église gallicane tout entière s'exprimait ainsi dans la célèbre Exposition des principes :
« La religion chrétienne est la loi que le Père de tous les hommes leur a donnée pour les conduire dans la voie de l'éternité; il faut quelle convienne à tous les hommes; elle ne peut pas être vraie pour un peuple et fausse pour un autre... ; elle enseigne des vérités surna- turelles qui n'ont point de rapport avec l'administration
16 M. ÉMERY
des empires...; ce n'est point selon les intérêts poli- tiques et les différences locales qu'on peut changer les principes d'une religion dont les dogmes sont les objets d'une foi surnaturelle et dont la morale est universelle. »
Les partisans de la promesse de soumission à la consti- tution se plaisaient à rappeler ce grand effort de l'épis- copat pour dégager la religion des étreintes de la poli- tique, à un moment où la France était cependant la proie de misérables aventuriers, et ils n'avaient pas de peine à établir que , si la soumission était un devoir quand le pays se débattait dans le sang et les ruines, ce devoir était plus impérieux encore quand le gouverne- ment promettait la paix et relevait la France.
(( Peut-on comparer les temps d'alors, écrivait un évêque , avec ceux d'aujourd'hui ? les Césars qui ont précipité de son trône le plus légitime , le plus pur, le plus bienfaisant des souverains, avec celui qui, dix ans après, a délivré la France du joug de cinq tyrans mon- strueux, et préservé le monde des fléaux du jacobi- nisme 1 ? »
IV. — Ni la savante argumentation de l'évêque de Langres, qui réfutait les objections et rétablissait dans l'éclat de la vérité les principes théologiques confirmés par la pratique de l'Église, ni les observations desévèques les plus illustres ne firent cesser la division qui troublait de nouveau la France. Le cardinal Maury persistait à se couvrir, par une illusion peu charitable, de l'autorité même du souverain pontife pour accuser M. Émery et ses partisans de complaisance coupable, d'aveuglement dangereux et de lâcheté. Il bravait la colère des consuls français, avec la sécurité d'un homme que leurs coups ne pouvaient atteindre sur la terre étrangère , et il accu- sait les prêtres restés en France pour défendre l'Église
1 Quatrième lettre au Courrier de Londres. Londres, 1801,
ET L'ÉGLTSE DE FRANCE 17
au péril de leur vie de tout accepter, parce qu'il était décidé lui-même à tout refuser.
Le décret du gouvernement, expliqué par le Moniteur, marquait un pas vers l'apaisement religieux. Le gouver- nement ne prétendait plus s'immiscer dans les affaires ecclésiastiques, dans les détails du culte; il ne voulait pas imposer une profession de foi ou un système de morale ; il s'engageait à protéger le libre exercice de la (religion chrétienne, et il exigeait seulement du clergé, en échange de cette protection et de cette liberté, une soumission sans laquelle une société ne peut ni vivre ni s'organiser.
L'évéqùe d'Angers était bien inspiré lorsqu'il écrivait plus tard, dans nue lettre pastorale du 20 juillet 1801, ces sages paroles :
ce Guidés par une charité douce et compatissante , bannissons les querelles, étouffons tous les ressenti- ments, soyons soumis aux puissances qui nous gou- vernent, car il n'y en a pas, dit saint Paul, qui ne vienne de Dieu; et donnons-leur, par notre soumission et notre fidélité à la constitution de l'an VIII, la garantie qu'elles exigent, et que tout citoyen doit au gouvernement qui le protège et sous lequel il vit.
« 11 est entré dans le plan de Jésus- Christ que la religion ne dérangerait rien dans les institutions poli- tiques ; qu'elle se plierait absolument, comme dit saint Clirysostome, à toutes les formes de gouvernement. Immuable dans ses principes, amie de l'ordre, magis- trat de la conscience, elle consacre tous les biens de la sociabilité; elle répand partout ses salutaires influences; elle abhorre et proscrit les séditions, les révoltes, et tout ce qui peut troubler l'ordre établi. »
« Je regarde comme un grand point, écrivait le pieux archevêque de Toulouse, la réduction de tous les ser- ments à Tunique promesse de fidélité à La constitution.
18 M- ÉMERY
Je crois qu'il n'y a rien là dont les consciences les plus délicates puissent s'alarmer, et si on avait besoin d'une autorité, la formule prescrite par Pie VI au clergé romain suffirait pour calmer tous les scrupules. Cette formule est ainsi conçue : « Je jure que je ne prendrai part à aucun « complot... Je jure haine à l'anarchie, fidélité et atta- « chement à la république et à la constitution , sauf (( d'ailleurs la religion catholique. » — C'est le serment que, par un bref du 14 janvier 1799, il a ordonné d'offrir, au lieu de celui de haine à la royauté. Je n'ai pas hésité à autoriser la promesse, et je pense qu'à présent à Tou- louse on a suivi l'exemple du clergé de Paris. »
Le clergé de Toulouse suivit, en effet, l'exemple du clergé de Paris.
(( Nous avons ici et ailleurs, écrit un témoin, une grande consolation : le culte est libre. La promesse a été faite à la presque unanimité. M. Pigeon, théologien, rempli de lumières et de vertus, a été un des premiers. Les curés de Saint- Etienne, de Saint- Saturnin et autres l'ont suivi. Il y a trois semaines qu'on a ouvert l'église Saint -Pierre, très belle et très grande, celle de Sainte- Anne, de Saint- Jacques , etc. L'ancienne paroisse de Saint - Etienne , qui est en même temps l'église métro- politaine, est très vaste. M. le curé de Saint - Etienne , depuis le grand matin jusqu'au soir, ne l'a pas quittée, ainsi que ses vicaires et un grand nombre de prêtres. Le soir, il a prêché et donné la bénédiction du saint Sacrement, qui a été suivie d'un Te Deum solennel. L'affluence du peuple était immense. Depuis cinq heures du matin jusqu'à midi, on a constamment célé- bré la sainte messe. On doit ouvrir dimanche l'église des Grands-Carmes. Rien n'est plus édifiant que le zèle et la piété des fidèles '. »
1 Annales philos., polit, et littèr., XIIe cahier, p. 133.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 10 y. _ Quoiqu'il fût préoccupé des affaires générales de l'Église de France et de ces polémiques retentissantes , M. Émery n'oubliait pas l'œuvre chère à M. Olier : il essaya de rassembler les élèves dispersés et d'organiser, grâce a la tolérance que l'on semblait accorder au clergé, une maison d'études pour les jeunes ecclésiastiques. Les débuts furent modestes. Pour éviter de les compromettre en prenant lui-même, d'une manière publique, la direc- tion de la maison, M. Émery resta dans son modeste appartement de la rue d'Enfer; il confia le berceau du nouveau séminaire à la sagesse de M. Duclaux.
Quelques élèves se réunirent timidement dans un hôtel situé en face du monastère des dames de Saint- Michel, dans la rue Saint- Jacques , h l'enseigne de la Vache noire; ils étaient animés d'une grande ferveur, d'un excellent esprit. On voyait dans leurs rangs des âmes d'élite que la Providence avait comblées de ses dons, et qui devaient répondre à ces libéralités en jetant un jour une vive lumière dans l'Église de France.
Il y avait Là le jeune de Quélen , depuis archevêque de Paris, dont M. Émery avait prédit ainsi l'avenir: « Il sera un jour un grand prélat dans l'Église de Dieu ; » de la Croix d'Azolette, archevêque d'Audi ; Feutrier, évéque de Béarnais; Le Tourneur, évoque de Verdun; Liautard, premier supérieur du collège Stanislas; d'Es- pinassous , doyen de Saint-Denis; l'abbé Gobbe, ancien médecin d'un rare mérite, l'un des premiers élèves du nouvel établissement.
Il est facile de comprendre quelles devaient être la piété, la foi, l'ardeur généreuse de ces jeunes élèves qui avaient assisté au drame de la Révolution , à la persécu- tion de l'Église, à la déportation et à la mort héroïque d'un si grand nombre d'ecclésiastiques. Dieu avait placé dans le sang des martyrs le berceau de leur vocation sacerdotale ; et, si incertaine que fût encore la situation
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religieuse de la France, les directeurs chargés de la formation de ces âmes déjà bénies de Dieu goûtaient au milieu d'elles, dans l'accomplissement de leur devoir de chaque jour, une joie qui était leur meilleure récom- pense.
Les directeurs , par leurs grandes qualités , étaient bien dignes de ces élèves. M. Labrunie, arrivé d'Irlande, un des théologiens les plus remarquables de la compa- gnie, était chargé des conférences sur l'Écriture sainte; M. Frayssinous, dont le nom et les savants travaux honorent l'Eglise de France, enseignait la théologie dog- matique; M. Boyer, le célèbre prédicateur des retraites ecclésiastiques, faisait la classe de philosophie; M. Du- claux présidait les exercices, dirigeait les retraites, et donnait la glose à la lecture spirituelle; M. Emery pro- fessait l'histoire ecclésiastique et le droit canonique.
On ne se rappelle pas sans émotion cette seconde ori- gine du séminaire de Saint-Sulpice. Ces hommes, dont la science égalait la foi profonde et le dévouement iné- branlable au saint-siège réunissaient ainsi, au lendemain de la Révolution , dans des jours encore incertains pour la paix des consciences, quelques élèves choisis de Dieu, pour continuer avec eux les glorieuses traditions de l'Église de France. Que de privations, que de craintes et de dangers dans cette humble famille! mais aussi quelle ferveur et quel dévouement aux âmes î
Les séminaristes étaient logés dans trois ou quatre maisons voisines, car Y hôtel de la Vache noire était devenu insuffisant. Le premier étage était occupé par un éleveur de bestiaux, propriétaire de la maison; le second étage servait de logement à M. Duclaux, de cha- pelle, de réfectoire et de salle pour les exercices de la communauté. Les séminaristes, vêtus d'habits laïques, distribués en petits groupes, prenaient leurs récréa- tions après dîner, en se promenant sur le boulevard
ET L'ÉGLISE DE FRANGE 21 Montparnasse; ils n'étaient jamais plus de trois en- semble, ils évitaient avec soin d'appeler sur eux l'at- tention.
VI. — M. Émery désirait vivement s'établir avec ses jeunes élèves dans le séminaire Saint- Sulpice, encore occupé par des femmes de militaires; il fit des démarebes pressantes pour obtenir cette consolation. Le premier consul se montra favorable aux premières ouvertures faites en faveur de M. Émery par le cardinal deBelloy, arebevèque de Paris ; mais quelques membres du conseil d'État firent observer que l'on devait démolir le séminaire et dégager la magnifique façade de l'église Saint- Sul- pice. Il est vrai que ce projet d'embellissement n'était pas nouveau.
Déjà , sous Louis XV, on avait eu la pensée de faire disparaître le séminaire, et d'offrir en compensation aux prêtres de Saint-Sulpice la maison du noviciat des Pères jésuites, qui venaient d'être expulsés. Quoique cette mai- son eût une valeur supérieure à celle du séminaire, ce projet déplut à M. Couturier, supérieur de la compagnie, qui disait en souriant : « J'ai peur des revenants. » 11 écrivit donc à Louis XV, avec lequel il entretenait une correspondance suivie, et lui représenta qu'étant vieux, il suppliait Sa Majesté de ne pas l'obliger à changer de domicile avant sa mort.
Louis XV se rendit à son désir, et déclara à son conseil qu'il ne voulait plus entendre parler de cette affaire; qu'il fallait laisser en paix M. Couturier dans la maison qu'il habitait depuis tant d'années.
Le premier consul n'avait pas les complaisances faciles de Louis XV pour la compagnie: la démolition du sémi- naire fut décidée. M. Émery l'apprit avec douleur; il descendit une dernière fois près de ces tombes oubliées où il était venu demander si souvent à ses prédécesseurs
22 M. ÉMERY
dans la charge de supérieur général leur foi , leur esprit , leur courage inébranlable pour l'accomplissement hé- roïque du devoir.
Les hommes de la Révolution, qui cherchaient du plomb et des balles, s'étaient emparés des cercueils de MM. Olier et de Bretonvilliers : les restes vénérés de ces hommes illustres, si chers aux prêtres de Saint-Sulpice et à l'Église, avaient été dispersés sans qu'il fût possible à la piété filiale de M. Émery de les retrouver. Il recueillit cepen- dant quelques débris du corps et des vêtements de M. Tron- son, les enferma avec respect dans une boite, et les con- serva précieusement, après avoir pris les précautions nécessaires pour en établir l'authenticité.
Les corps des autres prêtres de la compagnie restèrent dans leurs cercueils ; les caveaux furent fermés et laissés sous les ruines de l'ancien séminaire, où ils reposent en- core aujourd'hui dans la paix du Seigneur. M. Émery aimait à rappeler aux élèves qu'en traversant cette place Saint-Sulpice, sous laquelle ont été ensevelis de pieux élèves et de fervents directeurs, ils devaient prier poul- ies morts et se rappeler eux-mêmes leur berceau.
Le 23 novembre 1803, M. Émery écrivait à M. de Bausset, en voyant tomber avec tristesse les pierres du séminaire qu'il avait espéré conserver :
(( Vous êtes bien bon de désirer savoir comment va notre établissement, rue des Champs. Il va aussi bien que le local peut nous le permettre. Nos jeunes gens sont presque tous fervents dans la force du terme. Pour accréditer la maison, je fais enseigner l'hébreu par un professeur qui nous vient d'Amérique. Le jour de la Pré- sentation, nous avons fait la rénovation des promesses cléricales entre les mains de M. le cardinal de Belloy. Notre local ne nous permettant pas les évolutions néces- saires à la cérémonie ni l'admission des étrangers, nous avons emprunté la galerie de l'hôtel de Fleury, ci-devant
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 23
la galerie de l'abbé Terray. Vous comprenez, Monseigneur, que nous avons employé la veille force eau bénite. Notre archevêque a été fort édifié et a beaucoup parlé.
(( Ce jour-là même, le curé de Saint-Sulpice, dînant avec nous, apprit que la place laissée libre par la démoli- tion du séminaire allait servir de place de Grève , et que les exécutions y commenceraient dans trois jours. Le préfet du département va loger à l'hôtel de ville : il ne veut point que les exécutions se fassent devant sa maison, et l'on veut qu'elles se fassent devant la maison de Dieu! Aurait- on cru que le portail bâti par les curés pour l'ornement de leur église aboutirait à écraser le sémi- naire et à transformer le devant de l'église en place de Grève? Le curé, qui a clans sa fabrique deux ou trois sénateurs, les met en mouvement pour faire révoquer l'arrêté. »
Obligé de renoncer à l'espérance de s'installer dans les bâtiments de l'ancien séminaire et ne pouvant pas demeu- rer plus longtemps dans l'hôtel insuffisant de la rue d'Enfer, M. Emery avait loué pour une année, dans la rue Notre-Dame-des-Champs, une maison plus vaste, qui devint l'année suivante, sous la direction de l'abbé Liautard, le collège Stanislas. Il installa dans ce nouveau local ses élèves et les directeurs ; il appela de la mission de Baltimore M. Garnier, qu'il voulait associer d'une manière plus intime à ses travaux. Ce digne prêtre, attiré par un simple désir de son supérieur, brisa tous les liens qui attachaient profondément son cœur à l'Amérique, repassa les mers, et vint partager la sollicitude et les épreuves de la renaissance du séminaire. En le voyant, M. Émery le reçut avec tendresse, et lui dit en le pre- nant dans ses bras : « Je n'oublierai jamais le service que vous m'avez rendu en revenant si promptement, et je ne manquerai pas d'alléguer votre exemple à ceux d'entre nous qui, très voisins des séminaires où je veux les en-
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voyer, opposent toujours des difficultés à mes plus vives instances. »
Cet accueil si affectueux n'empêcha pas M. Garnier de sentir douloureusement le sacrifice qu'il venait de faire ; son cœur lui rappelait souvent Baltimore. Il ne fut pas difficile à M. Emery de s'apercevoir du grand chagrin de son ami. Voulant le distraire et détourner son attention de ces amers souvenirs, il l'obligea à suivre un cours d'arabe; il lui confia dans son nouvel établissement l'en- seignement de l'hébreu, de l'Écriture sainte, des sciences physiques et mathématiques. Il l'accablait de travail et ne cessait de lui témoigner sa confiance et son amitié paternelle.
VII. — Après cette nouvelle installation provisoire d'une année dans les bâtiments de la rue Notre-Dame- des-Champs, M. Émery, fatigué de ces changements, qui d'ailleurs pouvaient nuire à la conservation de l'esprit ecclésiastique dans le séminaire, acheta, sous le nom de M. de Carvoisin, un grand établissement, avec cour, cha- pelle et jardin, rue du Pot-de-Fer. Le 17 décembre 1803, il annonça cette nouvelle à M. de Bausset, en lui témoi- gnant la joie qu'il éprouvait de son installation définitive dans une maison voisine de l'église Saint-Sulpice. Après lui avoir parlé du conseil épiscopal et des affaires du dio- cèse de Paris, il ajoutait :
« M. de Carvoisin a acheté la maison 80,000 francs, et, avec les frais d'acquisition, 100,000 francs, dans la pensée d'y loger le séminaire. Mais cette maison , il la loue à des conditions très favorables, et il est prêt à la céder quand on aura des fonds à lui donner. Je crois bien qu'il n'exigerait pas tout ce qu'elle lui a coûté. Nous n'irons occuper cette maison que dans le mois de sep- tembre, après que nous aurons passé les vacances à Issy. Nous sommes obligés par un bail de conserver notre
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 25 maison actuelle jusqu'à vendémiaire. Le temps des va- cances sera favorable pour le déménagement.
« Assurément rien ne remplacera le séminaire Saint- Sulpice , je ne dis pas pour la beauté, mais pour la com- modité et l'aptitude aux exercices du séminaire. Nous trouverons une cbapelle ornée et à peu près aussi grande que la nôtre. Une partie de la maison est divisée en cor- ridors; mais il y en a une autre où ne sont que des appar- tements. Dans les circonstances, rien ne pouvait mieux nous convenir. En ouvrant une muraille, nous pourrons communiquer, par la rue Férou, avec Saint- Sulpice. Nous conserverons le nom de Saint -Sulpice, ce que je regarde comme très important. Si Dieu veut bien me conserver encore pendant cinq ou six ans, je pourrai donner quelque staï)ilité à la réorganisation du séminaire et de la compagnie, et mourir avec quelque espoir qu'elle ne périra pas. Mais dans ce moment j'ai bien des craintes. Je continue cependant de marcher, et je me fortifie par la pensée que nous avons un maître qui tient compte de la bonne volonté. »
Les jeunes séminaristes, installés après tant d'épreuves dans une maison où ils trouvaient un asile plus sûr, obéissaient à l'impulsion paternelle et vigoureuse et à l'exemple de leur vénéré supérieur. M. Emery avait rétabli l'article du règlement qui prescrivait une heure entière d'oraison. Il attachait un grand prix au respect de cet usage, qu'il estimait nécessaire à la conservation de l'esprit intérieur, à l'éducation surnaturelle des âmes qui veulent être à Dieu sans réserve. Il imposa aux élèves l'obligation de porter la soutane, organisa la bibliothèque, rétablit les anciens rapports du séminaire avec la paroisse Saint-Sulpice, fonda des cours et des conférences doctri- nales, devenues nécessaires pour la formation intellectuelle des séminaristes depuis la suppression des facultés de théologie et des vieilles universités.
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Il cherchait aussi à former ses élèves au ministère si efficace de la prédication apostolique, et par des confé- rences pratiques, élevées, tour à tour graves et fami- lières , il leur apprenait à s'engager sûrement dans le chemin des cœurs qu'une longue vie d'indifférence cou- pable avait éloignés de la pratique de la vertu. Il citait de longs passages de Cicéron et de Quintilien, développait les sages préceptes contenus dans la rhétorique sacrée du P. de Grenade, rappelait les maximes du P. Gueschiez, et les conseils nouveaux présentés par Fénelon dans ses remarquables Dialogues sur l'éloquence. Les lettres de saint François de Sales sur la prédication, les avis de saint François de Borgia et de saint Vincent Ferrier rele- vaient encore l'intérêt de ses belles conférences, et après avoir exposé ainsi les principes et les sources de l'élo- quence chrétienne, il captivait l'attention charmée des séminaristes en lisant avec un art consommé les plus beaux passages des oraisons funèbres de Bossuet.
Dieu bénissait le zèle et la prudence de son vaillant serviteur. Il appelait au séminaire des âmes prédestinées qui dédommageaient leur supérieur de ses fatigues par la régularité pieuse de leur conduite et l'ardeur intelli- gente de leur travail.
M. Emery eut la consolation et la joie de recevoir dans la maison le jeune Teysserre, brillant élève de l'École polytechnique et de l'École des ponts et chaussées , plus tard répétiteur lui-même à l'École polytechnique et auxi- liaire, dans l'enseignement des sciences, du célèbre M. de Prony? que Bonaparte aimait à consulter et qu'il appelait le premier ingénieur de son temps.
Le nom de M. Teysserre est cher aux prêtres de Saint- Sulpice : il ne rappelle pas seulement l'élève brillant , modeste , aimable dans sa piété profonde , qui édifia le séminaire et consola par l'exemple d'une belle âme le cœur de M. Émery ; il rappelle encore la fondation labo-
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rieuse de cette petite communauté des clercs de Saint- Sulpice, si cruellement éprouvée à son origine , et qui donna à l'Église de France, dans l'espace de seize ans, six évêqueSj entre lesquels Msr Dupanloup, un grand nombre de vicaires généraux et plus de deux cents prêtres, dont quelques-uns vivent encore et sont l'hon- neur du clergé.
Lorsque le jeune Teysserre entra à Saint- Sulpice , il frappa M. Émery. Le regard pénétrant du supérieur devina promptement que Dieu préparait cet élève à un rôle important dans l'œuvre de la formation du clergé. Il lui prodigua ses soins, et écrivit un jour à la mère pleine d'anxiété de Teysserre cette lettre où il laisse voir sa connaissance du cœur humain et les trésors de sa bonté 1 :
ce Madame,
« Monsieur votre fils est entré au séminaire depuis deux jours; il était porteurd'une lettre pour moi, qu'il ignorait être de vous. C'est la lettre d'une mère, d'une excellente mère, qui doit tout naturellement être effrayée de voir son fils entrer au séminaire. Je vous prie cependant de calmer vos alarmes. Nous aurons le plus grand soin de la santé de votre (ils chéri et si digne «le4 l'être. Je vous remplacerai, s'il est possible, pour les petits soins. Il dor- mira tant qu'il voudra, et même je prévois que nous serons quelquefois obligés de lui ordonner de rester au lit. Nous avons deux jeunes médecins au séminaire qui sont ses amis , et que nous chargerons de veiller particulièrement sur sa santé. En un mot, j'en aurai tant de soins , soit pour la nourriture, soit pour les autres articles, que je
Vie de M. Teysserre,, par M. l'abbé Pagucllc de Follenay.
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crains que vous ne me reprochiez dans la suite de l'avoir un peu gâté.
a Je vous félicite, Madame, d'avoir un enfant si ai- mable et si méritant; je félicite monsieur votre fils d'avoir une si excellente mère.
(( J'ai l'honneur d'être avec respect, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur,
ce Émery. ))
VIII. — Mais cette douceur paternelle, cette vigilance affectueuse de M. Émery, ne lui laissaient oublier ni les difficultés qui attendaient ces jeunes élèves après les jours paisibles de leur préparation sacerdotale, ni les sacrifices que Dieu pouvait leur demander.
Il insistait, dans ses instructions et ses avis, sur la néces- sité d'être fidèles à l'oraison du matin ; il leur apprenait à goûter cette vie chrétienne, ces entretiens intimes, répétés et prolongés avec Dieu, où le prêtre trouve toujours la consolation dans les amertumes inévitables de la vie, la lumière dans les situations difficiles, la force à l'heure du danger et cette gravité sereine qui est l'expression du recueillement de l'àme.
Il aimait aussi à préparer les séminaristes aux grandes luttes qu'ils auraient à soutenir pour la défense de l'Église. Sa parole avait un accent particulier quand il leur rappelait l'impérieuse nécessité d'être des hommes de caractère, quand il leur présentait la vie dans sa réa- lité sévère, avec ses périls, ses difficultés, ses ennuis.
(( Pourquoi , disait-il dans une instruction sur les con- tradictions dans la vie, pourquoi Notre-Seigneur aurait- il donc pris tant de soin de nous prévenir sur les contra- dictions auxquelles nous serions exposés dans le cours de notre ministère ; pourquoi les apôtres, remplis de la doctrine et de l'esprit de leur divin Maître, nous tien-
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liraient- il< si fréquemment le même langage s'ils avaient cru qu'on doit céder facilement aux contradictions, et qu'il était inutile de nous raidir contre elles, s'ils n'avaient pas prétendu par là affermir notre courage et préparer notre résistance , s'ils n'avaient voulu en même temps écarter du sanctuaire ces âmes molles et lâches qui sacri- fient tout à leur repos, ces âmes faibles et pusillanimes que toutes les difficultés étonnent, que toutes les opposi- tions arrêtent? En même temps que les ministres de l'Évanidle voient dans l'exemple de leur divin Maître les contradictions auxquelles ils doivent s'attendre eux- mêmes, ils y voient la manière dont ils doivent les sou- tenir. Ni les pièges que lui tendent ses ennemis, ni les calomnies qu'ils inventent, ni les supplices qu'ils lui préparent, n'affaiblissent son zèle et ne le détournent de la voie qui lui a été tracée par son Père...
« Tous les avertissements qu'il nous donne sur les con- tradictions, et les exemples qu'il nous en montre en sa personne, sont donc autant d'exhortations manifestes à la fermeté, autant de leçons évidentes qui nous apprennent que, sans la fermeté, nous serons des disciples infidèles et des ministres prévaricateurs. »
Et dans un commentaire éloquent d'un texte de saint Cyprien , il s'écrie : « Ne sommes-nous pas environnés d'hérétiques, d'incrédules, de mauvais chrétiens, enne- mis de la doctrine et de la discipline de l'Eglise, qui élèvent de toute part leurs voix et leurs mains contre elle? Soyons au milieu d'eux comme un rocher contre lequel les flots grondent , se lèvent et se brisent. Qu'im- porte au fidèle ministre de Dieu de quelle part lui vien- nent les menaces et les périls , lui dont l'état est d'être exposé aux périls, <-t qui tire de là même sa principale gloire ? »
C'est par ces appels généreux au courage, autant que par ses propres exemples, que M. Émery, dont la force
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de caractère était la vertu dominante, excitait et dirigeait ses élèves timides , et les préparait à devenir des prêtres à la hauteur des dangers qu'ils devaient affronter. Il vivait au milieu d'eux dans une intimité touchante, heu- reux d'avoir enfin retrouvé cette vie du séminaire qu'il préférait à tout, et de se cacher dans l'obscurité d'un dévouement qui a tout son mérite devant Dieu, parce qu'il est sans gloire devant les hommes.
L'œuvre ainsi rétablie devait essuyer encore de nou- velles tempêtes. Mais Dieu veillait sur elle, et, malgré la violence de ses ennemis, elle ne devait pas périr.
CHAPITRE II
FIN DE LA PERSÉCUTION, EXIL DE If. FOURRIER
I. — Quelque temps avant de mourir sur la terre étrangère, Pie VI, frappé des dangers qui menaçaient l'Église et des difficultés redoutables que le sacré col- lège aurait à braver pour obtenir la liberté de l'élection de son successeur, avait pris les plus sages dispositions. La mort, qu'il voyait approcher comme une heureuse délivrance dans l'épreuve cruelle de sa captivité ; le bou- leversement de la ville de Rome, abandonnée aux fac- tieux et à de nouveaux barbares ; la persécution habile et puissante du gouvernement français, décidé à tenter de nouvelles aventures pour frapper le clergé déjà ébranlé et semer dans ses rangs la discorde en supprimant son chef visible : ces graves pensées venaient assombrir les dernières heures du vieillard qui tenait encore dans ses mains les rênes de l'Église, et elles justifiaient la pru- dence légitime de ses résolutions.
Mais Dieu manifesta d'une manière sensible et surna- turelle la protection qu'il ne refuse jamais à l'Église à l'heure du danger, il rendit inutiles les dernières précau- tions du pontife mourant. La Russie, l'Allemagne et la Turquie, des armées étrangères, hostiles même par leurs croyances contraires à l'Église catholique, deviennent subitement les défenseurs d'une cause abandonnée par les peuples chrétiens, avancent leurs rangs, se précipitent sur l'Italie pour arrêter les projets ambitieux du Directoire ,
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servi par un capitaine de génie, et dégagent la ville de Venise. Leurs soldats montent la garde pendant que le conclave, après avoir appelé sur ses délibérations les lumières de l'Esprit- Saint, se réunit dans le monastère de Saint-Georges-le-Majeur, et donne un pape à l'Église catholique dans la personne de Pie VII, de la famille illustre des Chiaramonti.
C'était un fardeau redoutable et bien lourd que le con- clave imposait aux épaules du successeur de Pierre. Sur tous les points de l'Eglise catholique où s'arrêtaient ses yeux voilés de tristesse , Pie VII rencontrait des sujets d'alarmes, des épreuves, des révoltes, d'effrayantes menaces. Jamais le secours de Dieu ne lui fut plus néces- saire qu'à cette heure, où le présent et l'avenir n'avaient plus ni consolation ni espérance.
En apprenant cette heureuse élection, quelques évêques sollicités par M. de Bausset résolurent d'adresser au nouveau pontife un mémoire sur la situation des affaires ecclésiastiques en France , et de demander à Celui qui est le centre de l'Église catholique ses conseils, ses lu- mières et une direction.
M. Émery fut chargé par M. de Bausset et par ses col- lègues dans l'épiscopat de rédiger en leur nom ce mé- moire , auquel ils donnèrent la sanction et l'autorité de leur signature *.
II. — Après avoir exprimé ses regrets de la mort de Pie VI et offert ses félicitations respectueuses à son suc- cesseur, M. Émery fait un tableau fidèle de l'état lamen- table de l'Église de France : il rappelle l'impiété s'affir- mant sans pudeur, les temples fermés, les prêtres exilés, déportés, égorgés, les évêques schisniatiques installés après le serment criminel de fidélité à la constitution
1 On conserve au séminaire Saint -Sulpiçe ce mémoire, écrit tout entier de la main de M. Émery, le 15 mai 1800.
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civile à la place des évêques légitimes; il parle des faux évèques qui égarent les fidèles en les retenant dans l'er- reur et dans la révolte contre la chaire de Pierre, des prêtres qui les suivent, et qui se sont emparés, par une complicité coupable , des cathédrales et des paroisses ; il ne cache pas non plus les tristes contestations qui se sont élevées entre les évèques fidèles à l'occasion des serments Demandés, malentendus déplorables, qui contribuent à diviser encore aujourd'hui des cœurs également dévoués à l'Église et soumis au vicaire de Jésus-Christ.
« Il est un autre mal, écrit M. Émery, dans le même genre, que Votre Sainteté ne connaît peut-être pas et fei'il est heureusement en son pouvoir de faire cesser. Nous avons tous cru, et plusieurs de nos collègues qui sont dehors l'ont pensé avec nous, qu'on pouvait évi- demment remplir les conditions qui ont été successive- ment prescrites aux prêtres , pour qu'il leur fût loisible d'exercer publiquement leur ministère, en différentes formules, dépendantes ordinairement pour le sens de ceux qui en étaient les auteurs. Nous avons été plus à portée que nos collègues, exilés dans des pays lointains, de savoir quelles étaient ces intentions, et de reconnaître qu'on pouvait souscrire ces formules sans blesser aucune règle de la foi ou de la morale. Un grand nombre de nos collègues, au dehors, ont été d'une opinion contraire; et il n'est pas jusqu'à la simple déclaration de soumission aux lois de la république, qu'ils n'aient jugée illicite et qu'ils n'aient défendu de faire dans leurs diocèses, jusqu'à obliger à la rétractation et priver de toute fonc- tion ceux qui l'auraient faite... Conséquemment , il n'y a point eu de culte dans une grande partie de la France; le peuple est demeuré sans instruction et sans secours spirituels. Et Votre Sainteté voit facilement quels incon- vénients entraine une semblable cessation.
« Il est indubitable que tous ceux qui ont fait ces ser-
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ments et ces déclarations dans la vue de ne point laisser les fidèles sans culte, n'ont rien à changer dans leurs sentiments intérieurs; qu'ils sont parfaitement d'accord, pour le fond, avec ceux qui les ont refusés, et que les uns et les autres ne diffèrent que dans la manière d'in- terpréter les formules. Oh ! qu'il était facile de s'en- tendre, et combien il aurait été sage de suivre l'esprit et la méthode de saint Athanase , dans le concile qu'il tint à Alexandrie , au retour de son exil ! Il trouva entre les chrétiens, qui d'ailleurs s'étaient tous prononcés contre l'arianisme, une multitude de divisions sur des points d'une haute importance : toute l'Église en était troublée. Il conféra avec les divers partis, les fit s'expliquer les uns en présence des autres, les réconcilia, et rendit ainsi à l'Église un service que saint Grégoire de Nazianze met au-dessus de tous les jeûnes, de toutes les mortifi- cations, de tous les écrits et de tous les travaux de ce grand évêque1.
« Les différentes formules qui ont donné lieu aux con- testations sont aujourd'hui abolies. On leur en a substitué une, qui est la promesse de fidélité à la constitution. Nous avons cru qu'on pouvait la permettre. Avant de prendre un parti, nous aurions bien désiré qu'il fût pos- sible de consulter le saint-siège et d'attendre sa réponse, mais le délai dans une affaire qui nous a paru souffrir peu ou point de difficulté entraînait de trop grands in- convénients; car c'en est un sans doute très grand que de laisser pendant un temps notable tout un peuple sans culte, sans instruction, sans sacrements. De plus, il aurait résulté de la cessation du culte public, dans les lieux où il était auparavant exercé, que les schismatiques se seraient emparés des églises vacantes. »
M. Émery ériumère ensuite les arguments qui justi-
1 Oratio xxi.
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fient la conduite de ceux qui ont cru, en conscience, pouvoir prêter et conseiller les serments, et il termine le mémoire par ces paroles d'un fils soumis de l'Eglise :
(( Au reste, très Saint-Père, prononcez dans votre sagesse, et faites connaître votre jugement. Nous ne céderons en docilité et en soumission à aucun de nos col- lègues. Nous sommes disposés à dire hautement que Pierre a parlé par votre bouche , ainsi que le disait le quatrième concile œcuménique dans ses acclamations à la lettre de saint Léon. »
Ce mémoire, rédigé avec une grande modération et dans le dessein de faire connaître au chef de l'Église les sentiments de l'épiscopat à son égard et la situation reli- gieuse de la France, ne fut pas envoyé à Pie VII ; un grand événement le rendit inutile.
Par un bref adressé à tous les évèques de France, le K) septembre 1800, Pie VII leur apprenait que le premier consul Bonaparte avait chargé le cardinal Martiniana de lui faire des ouvertures et d'entrer avec lui en négocia- tions pour aplanir les difficultés religieuses de l'Église de France et rendre au culte catholique son ancien éclat. Il sollicitait le secours de leurs prières, et les invitait à demander à Dieu l'appui de sa grâce afin de mener cette laborieuse entreprise selon ses espérances et selon l'inté- rêt de l'Église.
Le 20 septembre de cette même année, M. Émery exprimait à M. de Bausset, évèque d'Alais, sa confiance dans les intentions conciliantes du premier consul, sa joie à la pensée de la liberté rendue enfin, après tant d'orages, à L'Église catholique; il le pressait humble- ment de ne pas entraver, par une opposition inutile et dangereuse, les bonnes dispositions de celui qui tenait déjà dans ses mains la fortune du pays.
III. — Le discours que Bonaparte avait adressé aux
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curés de Milan , quelques jours avant la bataille de Ma- rengo , et dont il avait répété avec autorité et fermeté les pensées principales dans une allocution prononcée devant ses conseillers d'État, à Paris, avait attiré tout particu- lièrement l'attention de M. Emery. Il avait été frappé des vues élevées, des sentiments religieux, des intentions pacifiques, du style ferme et clair de ce discours, vraiment remarquable dans quelques-unes de ses parties. Il le fit imprimer à Paris, en répandit un grand nombre d'exem- plaires et invita M. Vernet, prêtre de la compagnie de Saint-Sulpice , à le propager dans les provinces du Midi.
« J'ai désiré de vous voir tous rassemblés ici, disait Bonaparte aux curés de Milan, afin d'avoir la satisfaction de vous faire connaître par moi-même les sentiments qui m'animent au sujet de la religion catholique, apostolique et romaine. Persuadé que cette religion est la seule qui puisse procurer un bonheur véritable à une société bien ordonnée et affermir les bases d'un bon gouvernement, je vous assure que je m'appliquerai à la protéger et à la défendre dans tous les temps et par tous les moyens.
ce Vous , les ministres de cette religion , qui certes est aussi la mienne, je vous regarde comme mes plus chers amis, je vous déclare que j'envisagerai comme perturba- teur du repos public et ennemi du bien commun, et que je saurai punir comme tel, de la manière la plus rigou- reuse et la plus éclatante , et même , s'il le faut , de la peine de mort, quiconque fera la moindre insulte à notre commune religion, ou qui osera se permettre le plus léger outrage envers vos personnes sacrées.
ce Mon intention formelle est que la religion chré- tienne, catholique et romaine, soit conservée dans son entier, qu'elle soit publiquement exercée et qu'elle jouisse de cet exercice public avec une liberté aussi pleine, aussi étendue, aussi inviolable qu'à l'époque où j'entrai pour la première fois dans ces heureuses con-
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trées. Tous les changements qui arrivèrent alors, princi- palement dans la discipline, se firent contre mon incli- nation et ma manière de penser. Simple agent d'un gouvernement qui ne se souciait en aucune sorte de la religion catholique , je ne pus alors empêcher tous les désordres qu'il voulait excitera tout prix, à dessein de la renverser. Actuellement que je suis muni d'un plein i pouvoir, je suis décidé à mettre en œuvre tous les moyens ; que je croirai les plus convenables pour assurer et garan- tir cette religion.
« Les philosophes modernes se sont efforcés de per- suader à la France que la religion catholique était l'im- I placable ennemie de tout système démocratique et de tout gouvernement républicain : de là cette cruelle per- sécution que la république française exerça contre la religion et contre ses ministres; de là toutes les horreurs auxquelles fut livré cet infortuné peuple. La diversité des opinions qui, à l'époque de la révolution, régnaient en France au sujet de la religion, n'a pas été une des moindres sources de ces désordres. L'expérience a dé- trompé les Français et les a convaincus que, de toutes les religions , il n'y en a pas qui s'adapte comme la catho- lique aux diverses formes de gouvernement, qui favorise davantage, en particulier, le gouvernement démocra- tique , républicain, en établisse mieux les droits, et jette plus de jour sur ses principes.
« Moi aussi, je suis philosophe, et je sais que, dans une société quelconque, nul homme ne saurait passer pour vertueux et juste, s'il ne sait d'où il vient et où il va.
(( La simple raison ne peut nous fournir là -dessus aucune lumière ; sans la religion on marche continuel- lement dans les ténèbres , et la religion catholique est la seule qui donne à l'homme des lumières certaines et in- faillibles sur son principe et sur sa fin dernière.
« Nulle société ne peut exister sans morale, et il n'y Il 2
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a pas de bonne morale sans religion ; il n'y a donc que la religion qui donne à l'Etat un appui ferme et durable. Une société sans religion est comme un vaisseau sans S boussole : un vaisseau dans cet état ne peut ni s'assurer | de sa route, ni espérer d'entrer au port; une société sans religion, toujours agitée, perpétuellement ébranlée par le choc des passions les plus violentes , éprouve en elle-même toutes les fureurs d'une guerre intestine, qui la précipite dans un abîme de maux , et qui tôt ou tard entraîne infailliblement sa ruine.
(( La France, instruite par ses malheurs, a ouvert enfin les yeux ; elle a reconnu que la religion catholique était comme une ancre qui pouvait seule la fixer dans ses agitations et la sauver des efforts de la tempête : elle l'a, en conséquence, rappelée dans son sein. Je ne puis pas disconvenir que je n'aie beaucoup contribué à cette belle œuvre. Je vous certifie qu'on a rouvert les églises en France, que la religion catholique y reprend son ancien éclat, et que le peuple voit avec respect ses pas- teurs sacrés , qui reviennent pleins de zèle au milieu de leurs troupeaux abandonnés.
« Que la manière dont a été traité le pape défunt ne vous inspire aucune crainte : Pie VI a dû en partie ses malheurs aux intrigues de ceux à qui il avait donné sa confiance, et en partie à la cruelle politique du Direc- toire. Quand je pourrai m'aboucher avec le nouveau pape j'espère que j'aurai le bonheur de lever tous les obstacles qui pourraient s'opposer encore à l'entière réconciliation delà France avec le suprême pasteur de l'Église. »
En donnant une publicité considérable à ce discours où l'on sent déjà, sous les habiletés d'un langage favo rable à la religion , la parole impérieuse d'un maître absolu, l'expression d'une volonté qui veut être obéie sans discussion , M. Émery servait les intérêts de l'Église catholique; il ne savait pas que, malgré son empresse-
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ment à seconder les intentions pacifiques de Bonaparte , il allait être encore une fois frappé, condamné, incar- céré.
IV. — Il y avait à cette époque, dans la compagnie de Saint- Sulpice, un prêtre, parent et compatriote de M. Émery, qui devint plus tard évêque de Montpellier : c'étaitM. Fournier1. Orateur abondant, d'une voix sonore, doué d'une imagination trop riche, il entraînait les foules par ses qualités populaires et par l'intérêt piquant qu'il savait donner à ses prédications, en multipliant les allusions frappantes aux événements de la révolution. Ce succès retentissant, à un moment où le silence était si nécessaire, appela sur lui l'attention ombrageuse et la sévérité du gouvernement.
Gomme il prêchait le vendredi saint, dans l'église Saint- Roch, un sermon véhément sur la passion de Notre-Sei- gneur, il consacra la première partie de son discours à reproduire exactement et avec simplicité le récit des saints Évangiles; il se livra ensuite à des considéra- tions violentes sur la Passion de Notre -Seigneur renou- velée par les hommes de la révolution. 11 s'écria :
(L Les Apôtres, c'était nous: ordonnés comme eux, nous avions abandonné lâchement Jésus - Christ ; — les
1 Fournier, né à Gex, le 27 décembre 17G0. Il commença ses études au séminaire du Saint-Esprit, à Paris, les continua à Saint- Sulpice; il fut premier de licence en 1784-1785. Vicaire général d'Auch, sous l'épiscopat de Mt»r de la Tour du Pin, au sortir du séminaire, il entra bientôt dans la compagnie de Saint -Sulpice, sous la direction de M. Émery. Il était professeur de théologie morale au grand séminaire d'Orléans, en 1789. Il passa les mau- vais jours de la révolution caché chez un riche Orléanais, De- loynes d'Auteroche. En 1803, l'ancien archevêque d'Auch, devenu évèque de Troyes, le nomma vicaire général. Le cardinal Feseh le lil nommer chapelain, puis aumônier de l'empereur, et évèijue de Montpellier en 1805. Il fut secrétaire du concile en 1811, et mourut au mois de décembre 183 î .
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princes du peuple, c'étaient les princes et les nobles, conjurés contre la religion; — les scribes, c'étaient les magistrats et les parlements; — les pharisiens, c'étaient les jansénistes ; — La populace, c'était le peuple français. »
Puis, regardant en face, dans l'auditoire, Talleyrand, qui était déjà l'homme de Bonaparte après avoir été le courtisan de la révolution , il ajouta :
« Nous avons vu dans la révolution un traître se tourner contre Jésus -Christ; et dans le camp des évêques , successeurs des apôtres , il y a eu un Judas ! »
M. Fournier eut cependant l'habileté et la précaution de finir son discours par un éloge de Bonaparte; il le comparait au brave centurion, il le félicitait d'avoir rou- vert les églises fermées par la violence et d'avoir relevé les autels.
M. de Dampierre , vicaire général de Paris, et M. Mar- duel, curé de Saint-Roch, se trouvaient au banc d'oeuvre, où ils tremblaient de la témérité vaine et dangereuse de l'orateur intempérant. Quand il rentra dans la sacristie, ces messieurs lui exprimèrent leur mécontentement et leur frayeur, le priant avec insistance de modérer désor- mais l'ardeur de ses homélies, et d'éviter les allusions transparentes qui faisaient son succès.
A. la suite d'un nouveau discours prononcé, le jour de la Pentecôte , dans l'église Saint - Germain - l'Auxerrois , M. Fournier fut arrêté sans jugement, sur un ordre émané de Fouché, préfet de police et ami de Talleyrand ; il fut déclaré atteint de folie, enfermé dans l'hospice national de Bicètre.
Voici l'ordre d'arrêt :
ce Marie -Nicolas Fournier, ministre du culte catho- lique, se disant vicaire général d'Auch et d'Orléans, et ancien doctor de Sorbonne , inscrit sur la liste des émi- grés. Ayant quitté cette commune sans autorisation, il
ET L'ÉGLTSE DE FRANCE 41 était venu à Paris, et y débitait depuis quelques jours des sermons plutôt remplis d'outrages aux principes du gouvernement et à la tranquillité intérieure que des prin- cipes évangéliques. Cette conduite, qui prouvait une espèce de folie, fixa l'attention du préfet de police, qui fit arrêter l'individu. On a trouvé dans ses papiers un grand nombre de sermons, dont plusieurs offrent le sens politique le plus dangereux, un traité où l'on réduit en crime l'acquisition de toute espèce de biens nationaux , et un autre où, en colorant de raisons religieuses l'esprit de parti le plus fanatique , on déclare coupable tout mi- nistre des cultes qui ferait la promesse de fidélité à la constitution. Lui-même cependant avait fait cettte pro- messe. Cette versatilité de conduite, l'incohérence des idées de ce prédicateur, son exaltation et la manie d'amalgamer publiquement des principes aussi étranges avec des paroles de religion, n'ont point permis de dou- ter qu'il n'eût l'esprit aliéné au point de compromettre l'ordre public.
« En conséquence , le préfet de police , aux termes du paragraphe 6 de l'article 2C2, de l'arrêté des consuls du 13 messidor an VIII, l'a fait arrêter et conduire à l'hos- pice des fous, à Bicètre. »
A peine arrivé à Bicètre, M. Fournier fut enfermé dans une loge ; on le dépouilla de ses habits ecclésias- tiques et de ses souliers, on lui donna des sabots, et, après lui avoir rasé la tète, on le revêtit d'une robe de fou. Par un jeu singulier du hasard, les vrais malades de l'établissement accouraient se prosterner à ses pieds ; dans leur folie, ils l'appelaient monseigneur et implo- raient sa bénédiction.
A la nouvelle de cette arrestation arbitraire et odieuse, M. de la Tour du Pin, évêque de Troyes, ancien arche- vêque d'Auch, fit parvenir secrètement cette lettre à M. Fournier:
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(( Je me réjouissais , mon cher insensé, de vos succès, non pas pour vous voir placé au rang des prédicateurs distingués, — vous aviez une ambition plus noble, — mais parce qu'ils étaient tout à la fois une preuve de votre zèle et de votre courage, et une preuve aussi que les Parisiens avaient conservé de la religion , et que le gouvernement était de bonne foi dans sa promesse de maintenir la liberté de conscience. Votre renommée vous a été funeste, si toutefois on peut regarder comme funeste la privation de la liberté, quand on la perd pour avoir prêché l'Évangile. Loin de vous affliger d'un traitement si peu mérité, vous avez remercié Dieu de vous avoir rendu digne de souffrir un affront pour le nom de Jésus- Christ.
« Vous voilà déclaré fou pour lui ; et en effet, aux yeux de bien des gens, c'est une grande folie que de prêcher la folie de la croix. Elle a été et sera toujours le scandale de beaucoup de monde. Il était donc juste que celui qui renouvellerait avec plus d'éclat ce scandale, et entre- prendrait de faire triompher cette folie après douze ans de silence , fût pris comme un scandaleux et traité comme un fou. Vous avez été ce sage insensé et ce scandaleux précieux aux yeux de la foi , et je vous en félicite. Votre ignominie glorieuse vous rend plus cher aux yeux de la religion, et vous prépare, je l'espère, des succès que l'éloquence toute seule n'opère pas; succès les seuls dignes de votre ambition , qui n'a pour objet que le salut des âmes. J'espère aussi que le gouvernement désavouera l'injure qui vous a été faite en son nom, et qui en devien- drait une pour lui , s'il ne la faisait pas cesser prompte- ment. »
V. — Ce procédé violent, qui permettait de se défaire ainsi d'un homme en le traitant de fou, devait soulever cependant des protestations de la part des auditeurs pleins
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d'enthousiasme du malheureux prisonnier. Deux pam- phlets sans signature, dirigés avec habileté contre la dic- tature anonyme du ministre de la police, furent mis en circulation. On soupçonna M. Émery d'en être l'auteur : il fut immédiatement arrêté et conduit à la préfecture de police, où il subit trois interrogatoires, dans les pre- miers jours de juillet de l'an 1801.
Pendant ce temps, les agents du ministre de la police faisaient chez lui des perquisitions; ils saisirent sa cor- respondance avec des prêtres et des évèques émigrés, une lettre compromettante du cardinal Maury, des exem- plaires du pamphlet pour la défense de M. Fournier. Le préfet de police Dubois, ému de la correspondance de M. Émery, disait dans son rapport à M. Fouché : ce II parait qu'Émery est l'oracle du clergé et l'homme dans lequel tous les évèques insurgés ou insoumis ont placé leur entière confiance. On le consulte de toute part, soit sur la promesse de fidélité à la constitution, soit sur la rentrée en France et la possibilité de l'obtenir. »
Accusé de n'avoir pas prêté le serment de fidélité à la constitution, d'être l'agent des prêtres et des évèques étrangers, d'entretenir le fanatisme et l'esprit de rébel- lion dans le clergé, M. Émery pouvait être condamné à la déportation, en vertu des anciennes lois encore exis- tantes; mais un agent supérieur de la préfecture de police proposa de l'enfermer dans une maison particulière et de le tenir au secret, pour couper ses relations avec les membres du clergé et l'empêcher d'exercer une influence qu'il ne perdrait pas si l'on se contentait de le déporter.
Enfermé au petit dépôt de la préfecture de police, à côté de malfaiteurs et de filles de mauvaise vie, M. Émery se livra de nouveau à cet apostolat des prisonniers qu'il avait exercé avec un zèle béni de Dieu et récompensé par des succès inespérés dans les cachots de la Concier- gerie.
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Heureux de souffrir pour la cause de la justice, confiné dans une chambre étroite, insuffisante et sans air, où l'on avait entassé soixante personnes , il s'occupa d'amé- liorer la nourriture de ses compagnons, se contentant pour lui-même d'un peu de pain et d'une cruche d'eau, édifiant les prisonniers par son esprit de pénitence et par sa piété profonde , expliquant aux plus jeunes les vérités fondamentales de la religion chrétienne. Sa dignité, l'austérité de sa vie sacerdotale, confondaient les prêtres apostats, mariés, qui remplissaient les bureaux de sa prison.
Si les évêques et les prêtres intrus se réjouissaient de la détention de M. Emery, considéré comme le défenseur le plus dangereux des droits de l'Eglise , il n'en était pas de même de ses amis, qui cherchaient par des influences puissantes à obtenir du gouvernement son élargissement immédiat.
Mllc Jouen, sainte fille dévouée au supérieur de Saint- Su lpice ; le général de Prez- Crassier, parent de M. Émery, ami de Fouché et de l'ancien évèque constitutionnel de Nancy, multiplièrent leurs démarches et obtinrent enfin, le 22 juillet, la délivrance du prisonnier, sous la condi- tion qu'il prêterait le serment de fidélité à la constitu- tion, et qu'il serait soumis à une surveillance spéciale pendant un temps déterminé. M. Émery apprit son élar- gissement avec une profonde indifférence et un grand sang -froid. Quand on lui dit qu'il avait été question de l'envoyer en Italie, il répondit tranquillement: « J'au- rais été charmé de faire un voyage aussi agréable , et je serai sans doute privé longtemps de ce plaisir. »
Le lendemain de son élargissement, il écrivit à M. de Bausset :
ce Vous avez su certainement que j'ai été arrêté et dé- tenu à la préfecture pendant dix-huit jours. Au bout de trois jours, c'est-à-dire après l'examen des papiers et
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imprimés trouvés chez moi, je devais sortir; mais la décision finale devait partir du ministre de la police, qui avait promis de me laisser promptement en liberté. Cependant l'expédition, qu'il a fallu forcer pour ainsi dire, n'a été faite qu'après quinze jours, tantje suis aimé dans les bureaux de ce ministère !
« Je crois qu'ils me regardaient comme l'auteur de deux écrits qui ont été produits dans l'affaire de M. Fournier, dont le premier a singulièrement piqué le ministre, et qui était fait pour cela. Mais je n'avais absolument aucune part à cet écrit, non plus qu'à l'autre. Les constitution- nels ne se sont pas épargnés dans cette circonstance.
« Je dois regarder cet événement comme une faveur du Ciel, puisque Dieu ne promet rien de plus en ce inonde à ceux qui serviront son Eglise avec plus de zèle. »
A peine sorti de prison, M. Ernery s'occupa de la déli- vrance de M. Fournier. Il fit appel au dévouement dont il venait de recevoir lui-même un témoignage de la part de ceux qui avaient obtenu son élargissement ; il multi- plia les démarches, avec la discrétion commandée par la surveillance sévère dont il était l'objet, et écrivit lui- même à son ami, le 28 juillet 1801, pour lui donner, dans lepreuve cruelle de sa persécution, les avis d'un père et les consolations élevées de la religion.
a Quand nous avons reçu , mon cher Fournier, le billet qui nous a instruit que vous suiviez la route de Dijon , nous étions informés qu'on vous conduisait à Turin , et que vous deviez être enfermé dans une espèce de séminaire, devenu le lieu de votre réclusion. J'ai écrit à Lyon de chercher un négociant honnête qui vous ferait tenir par son correspondant à Turin l'argent dont vous auriez besoin, en m'engageant à le rembourser.
a M. et Mme d'Auteroche sont repartis le lendemain de votre départ. On le leur a conseillé. M. d'Auteroche a
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réclamé vos papiers. On lui a tout rendu, excepté les sermons et les lettres , dont on a fait un paquet cacheté , qu'on garde au dépôt.
(( Il est inutile de vous dire la désolation de Mlle Jouen, de M. de Crouseille et de sa tante, etc. La désolation est générale.
(( L'auteur du fameux roman à'Atala a dit qu'il vous trouvait bien heureux, et qu'il voudrait être à votre place. Effectivement, aux yeux de la foi, rien de plus digne d'envie que votre sort.
(( Tout le Nouveau Testament est plein de vérités qui le prouvent : vous en trouverez un grand nombre clans la première épître de saint Pierre. L'ouvrage imprimé sous le règne de François Ier et dédié à ce prince, qui vous a été envoyé, semble fait pour vous. Lisez encore, à la fin du Paradisus, le Psautier d'Horstius. Le capital pour vous est de ne pas laisser échapper cette grâce.
« Je crois que Dieu vous appelle au ministère de la chaire : suivez donc cette vocation, et dirigez vos études de ce côté. Si vous êtes portée de lire quelques saints Pères, lisez les discours de saint Basile et ceux de saint Grégoire de Nazianze : ce sont deux mines que l'on n'a point encore assez exploitées ; et notez toutes les sen- tences et tous les traits qui pourraient vous servir dans la suite. S'ils sont trop longs, contentez-vous d'en noter la substance et l'endroit du livre. Composez même dans votre retraite, mettez par écrit votre discours projeté sur la Trinité. Après tout, si vous manquez de livres, vous aurez toujours une Bible : lisez-la attentivement et d'un bout à l'autre ; peut-être que cela ne vous est jamais arrivé.
« Disposez tellement votre temps , qu'il vous en reste la plus grande partie pour la prière et pour l'étude. Si vous pouvez débuter par une.retraite, ce serait le mieux; car le point auquel vous devez vous attacher davantage ,
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 47 c'est à former votre intérieur, à purifier vos intentions, et à n'avoir point d'autres vues que la gloire de Dieu : Ne forte, cum aliis prxdicaveyim, ipse reprobus effi- ciar.
(( Rien n'est plus dangereux pour un prédicateur que les applaudissements; et, s'il n'est pas un homme intérieur, un homme d'oraison, il est fort exposé à périr. Quand nous voyons dans l'Évangile qu'au jour du juge- ment des hommes diront à Notre -Seigneur : « N'avons- « nous pas chassé les démons et fait des prodiges en votre « nom ?» et que Notre-Seigneur leur répondra : « Je ne (( vous connais pas; retirez- vous, ouvriers d'iniquité! » j'ai toujours cru que cela devait s'entendre des grands prédicateurs.
(( Faites donc votre capital de la piété. Vous n'en prê- cherez que mieux et avec plus de succès.
ce Je vous emhrasse et je vous recommande à la grâce de Dieu. »
VI. — Cinq ans plus tard, lorsque la Providence appela M. Fournier à l'épiscopat, M. Emery, qui portait le plus grand intérêt à l'àme de son ami, lui renouvela ses conseils paternels, et lui écrivit cette lettre, où se ré- vèlent encore les sentiments si chrétiens et les fortes leçons que nous venons de rappeler:
« Je ne vous verrai peut-être pas demain , mon cher Fournier, et je ne veux pas tarder à vous donner quelques conseils. Le premier et le plus important est de vous pénétrer dès à présent de la grandeur de votre état, des obligations qu'il vous impose, d'en faire l'objet de votre méditation de tous les jours, de toutes les heures, et de vous rappeler sans cesse cette parole de saint Paul : Oportet episcopum irreprehensïbUem esse..., sobrium, prudentem^ omatum, pudicum. Souvenez-vous que dès à présent vous allez être en spectacle , et par consé-
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quent que n'ayant rien , par la miséricorde de Dieu , à réformer dans le fond de votre conduite, vous devez réformer dans l'extérieur tout ce qui pourrait donner des impressions moins favorables. Votre gaieté, surtout à table, paraît trop. Vous voulez plaisanter sans cesse, vous dissertez trop sur les mets qu'on sert à table. Ceux qui ne vous connaissent pas croiraient que vous êtes un homme de bonne chère. Ce n'est de votre part que plai- santerie et bonne humeur. Mais je sais qu'on ne pense pas toujours de même, et qu'à Lyon le prédicateur per- dit beaucoup dans ses repas et dans ses sociétés particu- lières.
« Je crois ne devoir pas perdre un moment pour vous donner cet avis , puisque vous allez être invité chez les ministres. Vous ne tarderez pas à l'être chez M. Camba- cérès, qui est de Montpellier, et vous serez très observé. L'Apôtre disait à Tite ce que je vous répète : In ow)> Unis teipsum prœbe exemplum bonorum opemim, in do- ctrina in integritate, in gravitate , verbum sanum, irreprehensibile.
ce Vous savez de quel esprit et de quel cœur part ce qui précède. »
C'est avec cette délicatesse et cette autorité, fortifiée par la parole divine , que M. Emery faisait accepter ses con- seils et dirigeait les âmes sans les offenser.
Après de longues démarches, toujours infructueuses, M. Émery sut intéresser à la cause de M. Fournier un homme qui avait un grand ascendant sur l'esprit du pre- mier consul : c'était M. Fesch, archevêque de Lyon. Le 1er janvier 1803, M. Fournier apprenait à Turin, où il avait été envoyé en captivité en sortant de Bicêtre, qu'il était relevé de la surveillance de la police et mis à la disposi- tion de l'archevêque de Lyon. En lui communiquant lui- même cette nouvelle, M. Fesch l'invitait à prêcher le
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carême dans son église métropolitaine, lui exprimait sa joie d'une délivrance attendue et demandée depuis long- temps partons ses amis, et lui envoyait avec une délica- tesse touchante les fonds nécessaires pour régler ses comptes, faire son voyage et s'installer à Lyon.
« J'ai à vous apprendre, Monsieur, écrit le cardinal Fesch, une nouvelle aussi agréable pour moi que pour vous : c'est celle de votre mise en liberté, que je tiens de main sûre. Recevez mes félicitations et le témoignage de la joie que j'en éprouve. Ainsi, Monsieur, vous pour- rez rentrer bientôt dans la carrière ouverte à vos talents el à votre zèle, que je réclame pour mon compte, car j'espère que nous aurons le plaisir de vous entendre dans l'église métropolitaine de Lyon, au carême prochain. A moi, je m'en réjouis, appartiendra l'avantage de vos succès évangéliques. Rendez- vous ici dès que vous le pourrez , rien ne sera plus facile que de vous procurer de Paris vos papiers et tout ce qui vous est nécessaire. Je pourvoirai à tout, et je m'estimerai heureux de vous donner des preuves de mes sentiments pour vous. C'est le premier consul qui m'écrit d'avoir à ordonner de vous relever de la surveillance et de vous mettre à ma dispo- sition. Venez donc, Monsieur, à Lyon; je serai enchanté de faire votre connaissance. Si vous manquez d'argent, tâchez d'en trouver à Turin , et je m'en charge. Autre- ment, tirez sur moi directement et écrivez-moi.
« f Joseph Fescii , archev. de Lyon. « Lyon, 11 nivôse an XI (1er janvier 1803). »
CHAPITRE III
LE CONCORDAT ET LES ARTICLES ORGANIQUES
I. — Pie VII avait répondu avec empressement à l'in- vitation du premier consul , qui voulait régler d'une manière définitive la situation de l'Église catholique en France et fermer l'ère des persécutions. Un grand nombre d'évêques, injustement dépossédés de leur siège et sous le coup des plus graves menaces, attendaient encore dans l'exil le jour de leur délivrance. Un plus grand nombre de prêtres, malheureuses victimes de la fureur révolu- tionnaire, expiaient dans des cachots, sur des pontons ou sur une terre cruelle , dans des îles lointaines , leur fidélité héroïque à la cause de la foi. Les églises étaient ou ruinées ou fermées. Des schismatiques et des intrus, qui portaient à leur front le stigmate de leur révolte obs- tinée , cherchaient à égarer les fidèles et à les entretenir dans le schisme : l'exil de la religion, chassée des écoles, des églises, des monastères, du gouvernement, de la nation elle-même, avait permis à l'ignorance et à l'in- crédulité brutale de s'emparer des places abandonnées.
Bonaparte, maître de la France et dominé par une pensée politique , obéissait encore à ses tendances auto- ritaires et à son antipathie pour la révolution , quand il entreprit de relever, avec le concours du chef de l'Église et des évêques légitimes, la religion vaincue et chassée. Les perfides le pressaient de se soustraire à cette
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influence étrangère , et de travailler, à l'exemple de Henri VIII, roi d'Angleterre, à la fondation d'une Eglise nationale, indépendante, dont il aurait la direction sou- veraine. Ce réve pouvait flatter l'ambition du premier consul, mais sa haute raison dissipait le rêve; il savait bien que les temps étaient changés, que la nation fran- çaise avait un tempérament profondément catholique, et qu'une entreprise qui aurait pour but de réaliser la pensée de Henri VIII ou le réve ambitieux des empe- reurs de Russie échouerait misérablement dans l'im- puissance : elle ferait des martyrs sans donner la victoire aux bourreaux.
Il fut donc sagement inspiré en s'adressant au repré- sentant de Jésus-Christ sur la terre. Le 5 octobre de l'an 1800, Msr Spinaet le P. Caselli, servite, théologien consommé, arrivaient à Paris, envoyés par Sa Sainteté Pie VII, et ouvraient les négociations laborieuses qui devaient aboutir, après de longs débats, au Concordat de 4801.
II. — Les négociations furent menées dans un pro- fond secret : ni M. Emery ni les vicaires généraux de Paris ne furent avertis ou consultés sur les dispositions qui étaient l'objet du débat. M. Emery le déclare formel- lement dans cette lettre qu'il adressait en 1801 à son ami M. de Bausset, évèque d'Alais :
ce Le cardinal Consalvi est parti. J'ignore les condi- tions du nouveau Concordat. Le cœur me bat, et je crains d'apprendre en même temps que je le désire. On attend vers le milieu du mois le cardinal légat. On le recevra avec des honneurs extraordinaires. Le jour de son arrivée, il couchera chez M*1* Spina; mais le lende- main il occupera l'hôtel qu'on lui prépare. »
Bonaparte avait donné sa confiance à Talleyrand , ancien évèque d'Autun, et à l'abbé Bernier, élève autre-
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fois de M. Émery au séminaire d'Angers. Ils reçurent l'ordre d'entrer en conférence avec M»r Spina.
Bernier était un homme habile, dévoré d'ambition, peu scrupuleux dans le choix des moyens , plus jaloux de plaire au premier consul que de défendre les droits imprescriptibles de l'Église , ondoyant et souple , abon- dant et vide, habile à dissimuler sa pensée sous des formes équivoques de langage, et convaincu d'ailleurs, malgré son caractère sacerdotal , que la conscience d'un diplomate est toute différente de la conscience d'un chrétien.
Prêtre, il convoite l'archevêché de Paris et le cha- peau de cardinal. Son plan de campagne était habile. Trop jeune encore pour occuper le siège le plus impor- tant de France , il proposa au premier consul de nom- mer à l'archevêché de Paris M. de Belloy, évêque de Marseille, âgé de quatre-vingt-treize ans, avec l'obli- gation de le prendre lui-même pour coadjuteur. Mais, en montant sur le siège de Paris , M. de Belloy déclara que son grand âge lui laissait encore assez de forces pour gouverner son diocèse sans le concours d'un coad- juteur.
Trompé dans ses premières espérances, Bernier de- manda l'évêché de Versailles. Mais le troisième consul Lebrun déjoua ses projets, et fit nommer à sa place un ancien membre de l'Assemblée constituante, son ami, Charrier de la Roche. Bernier n'avait pas renoncé au chapeau de cardinal , qu'on lui avait réservé in petto ; mais il trompa grossièrement le cardinal Caprara, en lui certifiant, contre la vérité, que les évêques constitu- tionnels nommés à différents sièges avaient fait en sa présence une déclaration de soumission après laquelle le pape leur envoya des bulles d'institution canonique. Pie VII, indigné de cette supercherie, refusa de donner le chapeau convoité. Bernier était le disciple et l'ami de
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Talleyrand, qui lui avait ouvert les portes de la cour.
Au début de sa carrière sacerdotale, simple curé de Saint -Laud d'Angers, il sert et il trahit successivement les chefs vendéens. Sa parole ardente et pieuse soulève les paysans du Bocage, qui ont conservé un respect filial pour l'autorité religieuse et une fidélité inébranlable à leurs traditions monarchiques. En 1795, pendant qu'il sollicite et obtient les faveurs des chefs de la résistance vendéenne et des émigrés, il flatte le général Hoche et se ménage, quatre ans plus tard, la protection du pre- mier consul , qu'il présente à ses amis de la Vendée comme un général favorable au retour des Bourbons et au rétablissement de la religion dans le pays.
Dans une lettre du mois de décembre 1795, le général Hoche, qui avait reçu les offres de service de cet intri- gant à la poursuite de la fortune, décrivait ainsi son caractère : « L'abbé Bernier est un prêtre comme il nous en faudrait vingt ici : il n'a pas l'air de tenir beau- coup au parti royaliste qui s'en va... Dans une circon- stance difficile, je pense que le gouvernement pourrait compter sur son ambition encore plus que sur son zèle. ))
Lorsque les évèques et les prêtres constitutionnels apprirent l'arrivée à Paris deMsr Spina et l'ouverture des négociations diplomatiques avec le saint-siège, ils éprou- vèrent de vives alarmes, et, encouragés par Fouché, qui se servait de leur résistance schismatique et de leurs menaces de révolte pour contrarier les résolutions de l'envoyé de Rome, ils s'efTorcèrent d'organiser sur une base nouvelle et plus solide une Eglise gallicane : ils voulaient défendre et conserver à tout prix les titres épiscopaux dont ils s'étaient emparés à la faveur du trouble et du désordre des plus mauvais jours de la révolution. Ils craignaient un blâme sévère et reten- tissant du chef de l'Église contre leur conduite et leur
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obstination criminelle dans l'orgueil et dans la révolte; ils prévoyaient avec une inquiétude jalouse et malveil- lante le retour en France des évèques , fidèles à la foi chrétienne et aux promesses de leur sacerdoce, qui avaient préféré l'incertitude et les douleurs de l'exil à la trahison récompensée par des faveurs politiques.
Ils sentaient bien que la présence de ces témoins de la foi deviendrait une protestation contre leur lâcheté ambitieuse : ils s'empressèrent de nommer de nouveaux évèques schismatiques dans le Calvados, dans l'Eure, dans la Seine -Inférieure, dans les Hautes -Alpes, la Meurthe et le Nord; ils organisèrent des conférences ecclésiastiques, des synodes ruraux et diocésains, des conciles provinciaux, et ils s'occupèrent de la convoca- tion d'un concile national.
Irrités de l'influence incontestée et de la résistance courageuse de M. Émery, ils croyaient reconnaître son action secrète dans les conférences diplomatiques de Bernier, son ancien élève , avec Msr Spina , et ils l'atta- quaient avec une extrême violence dans les Annales de la religion. Un constitutionnel terminait un long article contre M. Émery en disant « qu'il fallait que le gouver- nement fût bien indulgent pour ne pas forcer dans leurs derniers retranchements ces hommes réfractaires, qui étaient ses ennemis les plus implacables1 ».
Dans un autre article, Morissot, ancien intendant des îles, proposait de déporter dans l'État romain l'évèque de Saint -Papoul, les grands vicaires de Paris, de Mala- ret, de Dampierre, Émery, et antres dévoués embau- choirs pour le jjape.
Cependant, si M. Émery était inébranlable dans la fidélité de son attachement à la chaire de Pierre, il ne manquait ni de charité ni de condescendance à l'égard
1 Annales, t. X, p._45i.
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des constitutionnels ; il accueillait même avec une joie i touchante les témoignages de la miséricorde du saint- père envers ses frères séparés.
(( Ce que vous ne savez pas encore, écrivait-il à M. de Bausset, c'est que le pape a écrit à Msr Spina un bref que celui-ci a fait imprimer très secrètement, et que j'ai lu , dans lequel il lui enjoint de faire connaître aux évèques constitutionnels qu'il est très bien disposé à les admettre à la réconciliation , et il les y engage par les ! motifs les plus touchants. Il ne propose d'autre condition que la déclaration de soumission aux jugements et brefs de Pie VI sur les affaires ecclésiastiques de France et l'abandon de leurs sièges. Il n'est question là ni de délais ni de pénitence. Aussi vous voyez que le conseil j de Paris a donc parfaitement deviné et rempli les inten- i tions du saint-sièore dans sa facilité à réconcilier les constitutionnels 1 . »
III. — Le premier projet de Concordat élaboré par Bernier et proposé à Msr Spina fut envoyé à Rome, soumis à l'examen d'une commission nommée par Pie VII, corrigé, modifié sur des points fondamentaux, et renvoyé à Msr Spina , avec l'autorisation de le signer, s'il était accepté par le gouvernement français.
Le 29 mai 1801, le pape était informé officiellement que toutes ses prépositions étaient rejetées, et que si le projet envoyé de Paris n'était pas intégralement accepté, I les négociations seraient rompues, et l'envoyé français auprès du saint-siège, M. Cacault, rappelé auprès du général Murât, commandant en chef de l'armée d'Italie.
En présence de ces menaces, Pie VII prit l'avis d'une congrégation générale de cardinaux réunis dans ses appartements, et envoya à Paris le cardinal Consalvi,
1 Lettre du 3 octobre 1801.
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secrétaire d'État, avec la mission de défendre les droits du saint-siège, et d'obtenir de la sagesse de Bonaparte un Concordat plus conforme aux principes immuables de la religion catholique.
Le 20 juin 1801 , Consalvi arriva à Paris, et descendit à Yauberge de Rome, rue Saint-Dominique, où il ren- contra M8'r Spina et l'ancien supérieur général des servites, le théologien Caselli. Le 22 juin, il eut une audience de Bonaparte aux Tuileries , et le 23 , Berniei reprenait officiellement, avec le plénipotentiaire du pape, les négociations suspendues.
« Après vingt -cinq jours d'indicibles fatigues et d'an- goisses de tout genre , écrit Consalvi 1 , toutes les diffi- cultés paraissaient levées : le rendez -vous pour la signa- ture fut pris chez Joseph Bonaparte (le 13 juillet 1801).
(( Quelle fut ma surprise, quand je vis l'abbé Berniei m'offrir la copie qu'il avait tirée de son rouleau, comme pour me la faire signer sans examen, et qu'en y jetanl les yeux afin de m'assurer de son exactitude, je m'aper- çus que ce traité ecclésiastique n'était pas celui dont les commissaires respectifs étaient convenus entre eux, donl était convenu le premier consul lui-même, mais untoul autre ! La différence des premières lignes me fit exami- ner tout le reste avec le soin le plus scrupuleux , et j< m'assurai que cet exemplaire non seulement contenail le projet que le pape avait refusé d'accepter sans ses corrections, et dont le refus avait été cause de l'ordre intimé à l'agent français de quitter Borne, mais en outre qu'il le modifiait en plusieurs endroits : car on y avait inséré certains points rejetés comme inadmis sibles avant que le projet eût été envoyé à Borne. »
Bernier avait suivi les ordres de Bonaparte, et pré- senté à la signature du plénipotentiaire du pape ui
1 Consalvi, Mémoires, t. Ier, p. 3G3.
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concordat dont il n'avait pas été question. Le fait essen- tiel affirmé par Consalvi est contredit par ce témoignage de Theiner : « On rédigea dans la secrétairerie d'Etat, en toute hâte , dans la journée du 12 au 13, un nouveau projet de Concordat, et ou obligea en quelque sorte le premier consul de le présenter comme ultimatum de la république aux commissaires du saint -siège pour la signature, sous la menace, ou de l'accepter tel qu'il était, ou de renoncer pour toujours à toute négociation sur ce sujet. Bernier, le confident de Bonaparte, et évi- demment sous son inspiration, avait de bon matin, avant la réunion du congrès de la signature, informé Consalvi de ce changement inattendu, en lui faisant pourtant espérer que l'affaire réussirait tout de morne malgré ce fâcheux incident, et que le Concordat serait confirmé *. »
Ce n'était pas sous la pression du Corps législatif que
1 Theinor, les Deux Concordats, t. Ier, p. 232. L'impartialité nous fait un devoir de reproduire ici une observation du R, P. Des- jardins :
« Il est difficile de concilier les Mémoires de Consalvi avec les dépêches officielles. Cependant les faits, tels qu'ils sont racontés dans les Mémoires, sont de telle nature qu'il est impossible de supposer un oubli de la part du cardinal, même après un inter- valle de douze ans. D'autant que dans son récit le cardinal insiste très fortement et à plusieurs reprises sur l'odieux de ce procédé. Il faut donc, ou que les Mémoires soient fabriqués ou interpolés, ce que Theiner insinue plus d'une fois, ou que les dépêches ofli- cielles, par prudence, aient adouci cet épisode, ou que ces mêmes dépèches aient subi des altérations. Cette dernière hypothèse est- elle absolument invraisemblable? Il faut remarquer que tous les papiers relatifs au Concordat, qui étaient conservés à Rome, furent enlevés, transportés à Paris, et déposés aux archives du ministère des affaires étrangères, lors de l'invasion de Rome en 1809; que ces archives sont soigneusement fermées; que seul le P. Theiner a eu communication de ces pièces par ordre de ceux qui étaient intéressés à couvrir d'un voile impénétrable les agissements de l'empereur; enfin que le P. Theiner est loin de mériter la confiance aveugle de ses lecteurs. »
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Bonaparte avait retiré le projet de Concordat reconnu par Consalvi : sa nature impérieuse était rebelle à toute pression comme à toute influence ; il faisait ce qu'il vou- lait, et il imposait sa volonté.
La convention présentée par Bernier n'avait pas été rédigée à la hâte et sans réflexion ; c'était le projet de convention qui avait été déjà envoyé au pape par M?r Spina, et refusé comme contraire aux lois de l'Église. Bonaparte avait une pensée arrêtée depuis longtemps ; déjoué par la prudence de Consalvi, dans cette mémo- rable conférence du 13 juillet, il maintint ses préten- tions, et imposa à l'Eglise de France, sous le nom d'Articles organiques , les dispositions qui avaient provoqué le refus et les protestations de Consalvi et de Pie VII.
Bonaparte, irrité de la résistance de Consalvi , déchira le projet de Concordat qu'il avait remis à Bernier, menaça le représentant du pape de détacher la France du siège de Pierre, et de fonder, à l'exemple de Henri VIII, une Eglise indépendante et nationale.
Une troisième fois cependant, les commissaires de Pie VII et du premier consul essayèrent de s'entendre. Après une discussion qui dura onze heures et prit fin à minuit, le 16 juillet 1801, Consalvi, Joseph Bona- parte, Spina, Crétet, Caselli et Bernier signèrent enfin l'instrument du traité.
IV. — Le Concordat fut un acte de justice etde haute sagesse: il rendit au clergé la liberté, à la religion les temples dévastés. A ce moment douloureux de notre histoire, les évêques étaient encore exilés, les prêtres déportés; les fidèles qui n'avaient pas été séduits et entraînés par l'impiété sauvage de la France étaient privés de secours religieux ou menacés de mort dans l'expression téméraire de leurs regrets; les églises étaient
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fermées ou livrées aux schématiques; quelques prêtres courageux, oubliés par la persécution , cachés clans des caves, dans des greniers, dans des souterrains, bra- vaient la mort et célébraient secrètement les saints mys- tères, tandis que les fidèles montaient le guet et obser- vaient avec terreur les mouvements du dehors ; les enfants, comme le témoignent les rapports des conseils généraux en l'année 1800, « n'avaient plus la notion du juste et de l'injuste, et trahissaient déjà des mœurs sau- vages et farouches. » Tel était l'état de ('Église de France, nous n'avons pas le droit de l'oublier.
Après le 18 brumaire, il y eut sans doute un temps d'arrêt dans la persécution, un mouvement prononcé vers le rétablissement du culte religieux. Les fidèles furent témoins de la réouverture des églises, de la rétrac- tation d'un certain nombre de prêtres constitutionnels, de la fondation de plus de deux cents oratoires parti- culiers, du retour en France et dans leurs diocèses de quelques évèques émigrés , de la célébration publique des offices religieux, d'une manifestation éclatante et soudaine de la vie catholique longtemps étouffée. Mais ce réveil religieux dépendait de la volonté du premier consul et de son bon plaisir. Il pouvait invoquer les lois de la révolution, s'armer des décrets qui n'avaient pas été rapportés, renouveler la persécution religieuse, et continuer, avec l'appui résolu des hommes les plus exaltés, l'œuvre impie de la Convention et du Direc- toire.
Le Concordat ne laissait plus de place à l'arbitraire; il était la consécration officielle, la reconnaissance pu- blique des droits imprescriptibles de la religion catho- lique, et tout fidèle doit répéter cette parole de M*? Pie, évêque de Poitiers :
ce Qui de nous ne bénirait ce précieux Concordât, qui a été, pour tout un demi-siècle déjà, le point de départ
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de tout ce travail , de tout ce mouvement religieux dont s'étonnera la postérité 1 ! »
Après le Concordat , les évêques honorés rentrent dans leurs diocèses, les prêtres sortent des périls et des privations cruelles de leurs retraites aussi dures que îa prison; les églises s'ouvrent à la pompe joyeuse des cérémonies chrétiennes, les enfants et les fidèles re- prennent le chemin du sanctuaire, et retrouvent, avec la liberté de témoigner hautement leur foi, la paix et la sécurité que dix années de persécution leur avaient rendues plus chères.
On a prétendu de nos jours , en s'autorisant d'un témoignage de M. Le Goz , évêque de Rennes en 1797 , et d'un passage des Annales catholiques, du 3 juin 1797, qu'antérieurement au Concordat et sous l'impulsion cou- rageuse de la foi , quarante mille communes avaient repris l'exercice du culte, et certains historiens en ont conclu que le Concordat n'avait pas eu l'importance reli- gieuse, les résultats considérables et consolants dont on lui fait honneur.
Mais ces allégations gratuites tombent devant les faits.
M. Le Coz, évêque de Rennes, appartenait à l'Eglise constitutionnelle; il avait prêté serment de fidélité à la constitution civile du clergé, et les Annales catholiques, dont on invoque le témoignage, recevaient ses commu- nications officielles et ses affirmations intéressées.
Qu'il y ait eu, à cette époque, des églises schisma- tiques ouvertes aux fidèles et protégées par le pouvoir révolutionnaire, c'est possible; mais les prêtres et les évêques assermentés n'étaient pas catholiques, la tolé- rance facile dont ils étaient l'objet n'est pas une preuve en faveur de la liberté de la foi.
D'ailleurs, en 1797, à l'époque rappelée par M. Le Coz
1 Œuvres de 3/u> Pie, t. !•«•, p. 210.
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[et par les Annales catholique* , la réaction thermido- rienne avait suspendu un instant les rigueurs révolu- tionnaires contre le clergé catholique. Mais la trêve ne fut pas de longue durée. Après le coup d'État du 18 fruc- tidor, la persécution recommença plus violente et plus I sauvage; elle devint horrible, et dans la Belgique seu- lement, plus de neuf mille prêtres furent déportés. Elle [continua jusqu'au moment où le Concordat releva les ruines amoncelées par la tempête de la révolution.
(( On comptait en France, avant la révolution, de [! quarante -quatre à quarante -cinq mille curés, écrit l'au- teur des Lettres de Londres ; il y avait aussi des vicaires, des prêtres habitués de paroisses, des églises collégiales, des ordres religieux, qui tous assistaient les pasteurs: les ordinations étaient annuelles dans chaque diocèse , et dans plusieurs se renouvelaient cinq fois l'an ; et même alors, dans beaucoup de cantons, le même prêtre était obligé de desservir deux paroisses, et avait la per- mission de dire le même jour deux messes dans deux endroits différents.
« Aujourd'hui, en 1801, les deux tiers de ce clergé ont été martyrisés ou exilés; les chapitres, les ordres religieux sont détruits, les ordinations sont nulles dans la presque totalité de la France. Ce qui reste d'ouvriers évangéliques est divisé par le schisme ; une partie est réduite à l'inactivité par le refus de la promesse : tous les jours il meurt des prêtres et il nait des hommes. Finissons ce tableau, Monsieur, et demandons -nous ce que devient la religion 1 . »
V. — Le 5 avril 1802, Portalis, chargé des affaires du culte, présentaau Corps législatif, en séance publique, la convention faite entre le saint-siège et le gouverne-
1 Troisième lettre au rédacteur du Courrier de Londres. Mer- credi, 30 septembre 1801.
2*
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ment français. Il connaissait cette assemblée composée d'incrédules, d'impies, d'ennemis implacables de toute religion ; il savait qu'elle voyait avec amertume et colère Bonaparte engager des négociations avec le saint- siège. Voulant, par une précaution oratoire, apaiser son ressen- timent et gagner sa confiance, il prononça un discours peu conforme à la foi et aux droits imprescriptibles de l'Église catholique ; il lut ensuite à haute voix le Con- cordat, dont il avait eu soin de traduire en français , sur l'ordre de Bonaparte , les articles plus favorables à l'autorité civile qu'à la puissance pontificale, et il finit sa lecture en proposant au vote de l'assemblée comme une pièce agréée par les deux contractants, et dans son intégrité, le Concordat, avec les soixante -dix- sept articles organiques , que le pape n'avait ni ratifiés ni connus.
Un jeune prêtre d'un rare mérite, l'abbé Le Sure, nommé plus tard vicaire général de Rouen, fut choisi à cette époque par son ancien supérieur M. Émery, et accepté sous son patronage et avec sa recommandation, en qualité de commissaire français, par le cardinal Ca- prara, légat a latere du saint -siège, chargé d'assurer l'exécution du Concordat. M. Lesure était l'élève de pré- dilection de M. Émery; il suivit ses conseils avec une docilité filiale dans l'accomplissement de fonctions qui commandaient une grande délicatesse et une rare dis- crétion. Il informait M. Émery des nouvelles importantes qui arrivaient de Rome à Paris, et il communiquait à Son Éminence le cardinal Caprara les nouvelles ecclé- siastiques de France, que M. Émery se faisait un devoir de lui signaler.
M. Le Sure était dans son cabinet de travail, lorsqu'un libraire de Paris, Adrien Leclère, lui apporta un exem- plaire imprimé du Concordat, suivi des articles orga- niques. A cette lecture il fut consterné. Il se rendit
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immédiatement chez le cardinal Caprara, et demanda à Son Érninence si elle était informée de l'impression et de la publication officielle de ce document.
c C'est la première fois que j'en entends parler, répond le cardinal, je ne peux pas y croire, b
M. Le Sure fit observer que le gouvernement voulait tromper l'Église de France en lui faisant accroire que ces articles organiques avaient été ratifiés par le saint- siège; que déjà même un évèque, victime de cette ma- nœuvre, avait exigé l'adhésion de son clergé à cette pièce apocryphe, et qu'il était peut-être nécessaire d'avi- ser. 11 éclairait les évèques et déjouait les calculs du gouvernement, servi dans cette circonstance avec une complaisance inqualifiable par l'abbé Dernier.
Les faits confirmaient les appréhensions de M. Le Sure. Ainsi, le 18 germinal, Lucien Bonaparte, orateur du Tribunat, disait en présence du Corps législatif, dans une séance publique :
a Le gouvernement doit tous ses soins au rétablisse- ment de la religion. Cette vérité reconnue nous impose le devoir d'organiser publiquement le culte catholique et les cultes protestants ; le projet de loi atteint ce double but.
« Il est composé d'un Concordat fait avec le chef de l'Église romaine et d'articles réglementaires sur les diverses communions protestantes. »
Et, le 18 avril 180-2, Bonaparte terminait ainsi une proclamation à la France :
a. II fallait rasseoir la religion sur sa base, et on ne pouvait le faire que par des mesures adoptées par la religion même.
« C'était au souverain pontife que l'exemple des siècles et la raison même commandaient de recourir pour rapprocher les opinions et réconcilier les cœurs.
« Le chef de l'Église a pesé dans sa sagesse, et dans
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l'intérêt de l'Eglise, les propositions que l'intérêt de l'État avait dictées ; sa voix s'est fait entendre aux pas- teurs; ce qu'il approuve, le gouvernement la consenti, et ses législateurs en ont fait une loi de la république. »
L'opinion publique en France et en Allemagne fut trompée par ces paroles de Bonaparte, qui plaçait le Concordat et les articles organiques sous l'autorité même du souverain pontife ; trompée aussi par le conseiller d'État Portalis, qui avait déclaré publiquement et avec insistance que ces articles, inséparables du Concordat, avaient été également soumis à l'approbation du Corps législatif. Il était urgent de signaler et de combattre une erreur qui compromettait d'une manière si grave les droits essentiels du saint- siège et l'indépendance même de l'Église catliolique dans le pays.
Des protestations ne pouvaient manquer de se faire entendre : elles étaient commandées par la dignité de l'Église et par les principes naturels de la bonne foi.
Le 12 mai 1802, M. Cacault, ministre de France à Rome , écrit officiellement à Portalis :
(( Le saint-père m'a parlé des articles organiques ; il est très affecté de voir que leur publication, coïncidant avec celle du Concordat , a fait croire au public que Rome avait concouru à cet autre travail. »
Le 24 mai de la même année , six semaines après la promulgation des articles organiques, Pie VII renou- velle publiquement et avec douleur sa protestation '.
Le 9 avril 1.802 , Bonaparte se préparait à recevoir en audience solennelle le légat et toute sa suite, pour la prestation d'un serment qui était la consécration ou la reconnaissance officielle des articles organiques annexés au Concordat. Les carrosses de la cour, dit l'abbé LeSure, entourés d'une brillante escorte, attendaient le légat au
1 Allocution Quam luctuosam.
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bas de l'escalier, lorsque Portalis entra dans le salon ioù le cardinal et sa suite étaient réunis, et pria Son Éminence de prononcer devant le consul la formule du serment dont il lui donna copie.
Le cardinal, après en avoir pris connaissance, déclara nettement qu'il s'en tiendrait à la formule ordinaire. Portalis insista, mais inutilement. Fatigué enfin de la persévérance du légat, il se retira en lui disant :
« Dites votre Pater, si vous le voulez. »
Arrivé aux Tuileries, le légat prêta le serment ordi- naire comme il l'avait annoncé, et le Moniteur, n'en tenant aucun compte, déclara que Son Eminence avait prêté le serment tel que le voulait Portalis.
Les protestations continuent. Le 25 mai 1802, Consalvi, cardinal secrétaire d'Etat, qui avait négocié le Concordat, adresse officiellement au gouvernement français, par l'intermédiaire de M. Cacault, une protestation qui se terminait par ces mots :
« Le soussigné entend parler, et toujours par ordre de Sa Sainteté, des articles organiques qui, inconnus à Sa Sainteté, ont été publiés avec les dix -sept articles du Concordat, comme s'ils en faisaient partie, ce que l'on croit d'après la date et le mode de publication. »
Le 7 juin 1802, le légat disait au premier consul :
« Je pleure quand je songe à ces lois : elles foulent complètement aux pieds les principes et les maximes canoniques; elles tendent à réduire l'Eglise et ses mi- nistres à un véritable esclavage. »
Il proteste encore officiellement en 1803 1 ; et le 18 août de cette même année, par ordre du saint-père, le cardinal légat adresse à Talleyrand une réclamation officielle, dans laquelle nous lisons cette affirmation décisive :
1 Cette protestation fut publiée pour la première fois, en 1S40, dans Y Ami de la religion, t. CVI, p. 33-65.
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(( Je suis chargé de réclamer contre cette partie de la loi du 18 germinal, que l'on a désignée sous le nom d'articles organiques. La qualification que l'on donne à ces articles paraîtrait d'abord supposer qu'ils ne sont que la suite naturelle et l'explication du Concordat religieux ; cependant il est de fait qu'ils n'ont point été concertés avec le saint -siège, qu'ils ont une extension plus grande que le Concordat, et qu'ils établissent en France un code ecclésiastique sans le concours du saint- siège. Comment Sa Sainteté pourrait-elle l'admettre, n'ayant pas même été invitée à l'examiner? »
Le 10 juin 1809, dans la bulle d'excommunication Quum memorandœ, Pie VII se plaint de nouveau « qu'en proclamant le Concordat , on y ait ajouté plusieurs articles dont nous n'avons pas eu connaissance, et que nous avons sur-le-champ désapprouvés. En effet, ces articles non seulement ôtent au culte catholique dans l'exercice de ses principales et plus importantes fonc- tions une liberté qui , dès le commencement des négo- ciations, avait été déclarée et solennellement jurée comme la base et le fondement de ce Concordat, mais encore quelques-uns attaquent de front la doctrine même de l'Évangile. »
Et quand il fut question, en 1817, d'un nouveau traité entre Pie VII et Louis XVIII, les négociateurs rédi- gèrent un article en ces termes , cà la demande expresse du saint - siège :
« Les articles organiques qui furent faits à l'insu de Sa Sainteté, et publiés sans son aveu le 18 avril 1802, en même temps que le Concordat du 15 juillet 1801, sont abrogés en ce qu'ils ont de contraire à la discipline et aux lois de l'Église. »
Il est donc impossible de se tromper sur la pensée du saint-siège et sur l'origine des articles annexés fraudu- leusement au Concordat.
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Un historien que Ton n'accusera pas de flatterie à l'égard du pontife romain, M. d'Haussonville , résume ainsi cette lamentable histoire :
t C'était bien de propos délibéré, parce que cela ser- vait à leur assurer le respect du clergé et des fidèles, que le premier consul avait présenté les articles orga- niques comme ayant été combinés d'accord avec le saint- siège. Aucune précaution n'avait été oubliée pour accré- diter cette opinion. Ces lois avaient été secrètement déli- bérées en conseil d'État longtemps avant la conclusion du Concordat. Elles avaient pour but de tenir lieu d'un certain article relatif aux conditions de l'exercice du culte, article que le cardinal Consalvi n'avait jamais voulu signer ; article dont la discussion , comme nous l'avons précédemment raconté , avait failli amener la rupture des négociations, et sur lequel on n'avait pu s'entendre qu'en le supprimant. Cependant ces dispo- sitions législatives élaborées exclusivement par le gou- vernement français, tout à fait inconnues à la cour de Rome , qui n'en apprit l'existence que par la promulga- tion, furent livrées au public dans un gros volume offi- ciel ayant pour titre: Concordat, avec la même date que la convention synallagmatique conclue avec le saint- ■ége. La signature de Consalvi seule y manquait. Afin d'égarer davantage les esprits superficiels , dans l'exposé des motifs du projet de loi présenté au Corps législatif et portant approbation du Concordat, ils étaient appe- lé* : Articles organiques de ladite convention . et M. Purtalis ne manqua point, insistant sur le tout, d'expliquer comment la convention et les articles orga- niques étant un contrat passé avec une puissance étran- gère, ils devaient, d'après la constitution, être également soumis au Corps législatif1. »
1 D'Haussonville, l'Église romaine et le premier Empire, X. I*'. p. 2*7.
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VI. — M. Émery éprouva un douloureux étonnement à la lecture de ces articles frauduleux si contraires à la discipline et aux droits de l'Église. Il avait attendu avec anxiété la fin des négociations secrètes qui avaient pré- cédé la promulgation de cette convention , exprimant seulement à ses amis, dans des lettres intimes, la crainte que lui inspiraient les dispositions suspectes de l'abbé Bernier et le silence des plénipotentiaires. Il redoutait une surprise. Ses pressentiments ne le trompaient pas. Des amis venus de la Malmaison lui faisaient connaître la pensée de l'empereur, confirmaient ses inquiétudes et lui répétaient les paroles qu'ils avaient entendues.
M. Emery connut enfin la vérité ; il fut même le premier cà dévoiler au cardinal Caprara, par l'intermé- diaire de l'abbé Le Sure, l'existence des articles qui devaient provoquer dans l'Eglise de si légitimes protes- tations.
Il rédigea aussitôt un long mémoire où, laissant de côté le point de vue politique et la question d'origine , il se contentait d'examiner le document au point de vue théologique et disciplinaire, afin de signaler respec- tueusement au cardinal Caprara les -points sur lesquels Son Éminence pourrait insister dans ses réclamations diplomatiques auprès de l'empereur.
« L'article premier, dit M. Émery, qui défend de recevoir et de publier, sans l'autorisation du gouverne- ment, même les bulles concernant la foi et la morale, est contraire au droit donné par Jésus -Christ à son vicaire dans la personne de Pierre, par ces paroles : Pais mes. agneaux, pais mes brebis.
« Il est contraire même aux maximes de l'Église gal- licane, puisque, d'après ces maximes, une définition dogmatique du saint -siège devient alors seulement règle de foi, quand elle est reconnue et approuvée par le corps des évêques.
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« Or comment les évéques pourraient-ils reconnaître, si le gouvernement arrête la définition dogmatique? et (•(mi ment alors combattre les hérésies?
« Il est même contraire aux coutumes de France, puisque d'IIéricourt enseigne , dans son grand ouvrage sur les Lois ecclésiastiques de France, tome Ier, page 105, « qu'à l'égard des provisions de bénéfices, des brefs de « pénitencerie et des autres expéditions qui s'obtiennent I à Rome pour les affaires ordinaires, suivant la juris- « prudence du royaume , on les exécute sans qu'il soit « besoin ni de lettres patentes ni d'arrêt du parle- « ment.... »
(( Or cet article premier ne permet pas même aux particuliers de recevoir ou de publier un bref de Rome sans l'autorisation du gouvernement.
(( L'article 2 complète le premier. Après avoir enlevé au chef de l'Église le libre pouvoir de faire entendre immédiatement sa voix aux fidèles par bulle ou par bref, on lui enlève même le pouvoir de leur parler médiatement, par un nonce, un légat, un vicaire, sans l'autorisation du gouvernement.
« C'est la négation de la puissance de gouverner l'Église, reconnue au pape, même par les conciles géné- raux.
(( L'article 3 interdit ta publication en France des décrets des conciles même généraux , avant l'examen et l'assentiment du gouvernement.
(( On y oublie que l'Église est indépendante de la puissance laïque dans sa doctrine. Comment donc un pouvoir séculier peut -il s'arroger le droit d'examiner les décrets même dogmatiques de l'Église assemblée dans un concile général ?
(( Et comment peut-on répéter, dans de telles cir- constances, que l'exercice de la religion catholique est libre en France?
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(( L'article 6 défère au conseil d'État, appel d'abus, toute personne ecclésiastique coupable d'un excès de pouvoir.
(( Mais c'est un principe de foi que les pasteurs de l'Église ont reçu immédiatement de Dieu un pouvoir propre et particulier dans toutes les matières qui ont rapport à la religion, lesquelles sont la foi, la morale, la discipline.
« Comment donc peut-on accepter une loi qui consti- tue les magistrats laïques juges des matières spiri- tuelles, et, sous prétexte d'abus, attribuer au gouver- nement civil, et dans les affaires ecclésiastiques, une autorité que Dieu ne lui a pas communiquée i ? »
VU. — Dans la suite de la discussion théologique engagée, M. Émery s'efforce de mettre ainsi en lumière les points qui, dans ces articles organiques, sont en opposition manifeste avec les droits du saint-siège, les traditions de l'Église de France et les paroles mêmes de Jésus -Christ.
Le 1er mars 1807, il écrivait à M. de Fontange, évêque d'Autun :
« Il y a plusieurs articles dans les lois organiques auxquels on ne donne ici aucune importance , qu'il' convient de laisser tomber en désuétude , et par consé- quent dont il faut parler le moins qu'on peut.
(( Le premier consul lui-même n'est point fort pré- venu en faveur de cette partie de la législation. Il a trouvé fort mauvais que le dernier évêque de Nam™ en eût exigé la souscription ; et je tiens du nouvel; évêque que le clergé ou de Namur ou de Bruges s'étant présenté à lui avec l'habit à la française , et ayant allé- gué, pour se justifier, les articles organiques, le premier,
1 Mémoire inédit.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 71
consul a répondu : « Je ne connais que le Concordat. »
C'est ainsi que, sur soixante-dix-septarticles, quelques- uns seulement reçurent avec le temps, et malgré les observations de la cour de Rome , leur complète exécu- tion. Le recours au conseil d'Etat; la résidence des curés; la défense faite aux curés d'ordonner des prières dans leurs paroisses sans la permission del'évèque; la nomination des desservants; la détermination du nombre et de l'étendue des cures et des succursales ; l'établisse- ment des fabriques; les règlements qui concernent les
j édifices du culte, la célébration des mariages, les re- gistres paroissiaux ; le repos du dimancbe pour les fonc- tionnaires publics: tous ces points ont été réglés, et le sont encore aujourd'hui, par la stricte application des articles annexés au Concordat.
Tous les autres articles sont tombés en désuétude ; et , le 10 juillet 1868, M. Emile Ollivier pouvait dire à la tribune du Corps législatif, après avoir signalé ce qu'il
i appelait l'œuvre néfaste des articles organiques :
a Je tiens dans les mains les articles organiques. Croyez -vous que, pour énumérer ceux de ces articles
I encore en vigueur, il faille procéder en écartant ceux qui sont abrogés par désuétude ?
« Nullement : ce serait un travail trop long et trop fastidieux ; il suffit de rechercher quels sont les articles conservés. Or on en pourrait citer à peine un ou deux.
d Et encore ils ne sont pas exécutés tous les jours; on ne les tire de leur néant et de leur obscurité que dans les occasions importantes, quand on veut se donner l'apparence de faire quelque chose en ne faisant rien. »
Mais ces articles , tombés en désuétude et oubliés, [ restent cependant comme une menace permanente contre TÉglisc, comme une arme toujours à la disposition des gouvernements qui ont la prétention de s'immiscer dans
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les affaires ecclésiastiques et de persécuter l'Église quand ils ne peuvent pas l'asservir.
Ce danger préoccupait M. Emery, lorsqu'il écrivait la réfutation détaillée, modérée et puissante des règle- ments en contradiction avec le fond même du Concordat.
VIII. — L'Eglise de France devait être soumise à de nouvelles épreuves. Après avoir signalé l'injustice odieuse des articles organiques et défendu les droits du saint- siège, M. Emery fut appelé à seconder le repré- sentant du pape dans l'application des articles les plus délicats du Concordat.
Les articles 2 et 3 de la convention conclue entre Sa Sainteté Pie VII et le gouvernement français étaient ainsi conçus :
« Art. 2. Il sera fait par le saint-siège, de concert avec le gouvernement, une nouvelle circonscription des diocèses français.
(( Art. 3. Sa Sainteté déclarera aux titulaires des évêchés français qu'Elle attend d'eux avec une ferme confiance, pour le bien de la paix et de l'unité, toute espèce de sacrifices, même la résignation de leurs sièges. D'après cette exhortation, s'ils se refusaient à ce sacrifice commandé par le bien de l'Église (refus néan- moins auquel Sa Sainteté ne s'attend pas), il sera pourvu par de nouveaux titulaires au gouvernement des évêchés de la circonscription nouvelle. »
Dans ces graves conjonctures, qui commandaient une si grande bienveillance aux uns , un si généreux sacri- fice aux autres, il fallait d'abord, dans l'intérêt de l'Église, obtenir par la persuasion la démission volontaire de tous les évêques de France, sans courir les dangers d'un schisme ; il fallait ensuite déjouer les intrigues redou- tables des constitutionnels et des intrus, qui convoi - aient les sièges épiscopaux les plus importants dans la
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nouvelle organisation de la hiérarchie ; il était enfin nécessaire de vaincre les scrupules et les répugnances légitimes des anciens évèques, et de les décidera accep- ter, après avoir fait le sacrifice de leurs sièges , les charges plus modestes qui leur étaient réservées.
M. Emery comprit la gravité delà situation : il essaya, avec une sagesse pleine de clairvoyance, d'humilité et d'abnégation, de servir encore une fois les intérêts de l'Église de France , menacée dès la première heure de sa renaissance.
3
CHAPITRE IV
LES ÉVÊQUES CONSTITUTIONNELS
I. — Exiger la démission de tous les évêques, c'était une mesure pénible mais nécessaire, commandée par la situa- tion particulière et lamentable de l'Église de France. Cependant ces pasteurs , dont les uns avaient tenu tête à. la persécution , affronté vingt fois la mort au milieu de' leur troupeau , pendant la tyrannie de la révolution, et dont les autres avaient traîné une existence pénible et pleine d'angoisses sur la terre étrangère, étaient loin de s'attendre à ce coup légitime d'autorité.
Ils avaient caressé l'espoir de se retrouver enfin, après un long exil, au sein de leur Eglise, entourés de leurs fidèles, dans une situation honorée, à l'abri des sollici- tudes matérielles de la vie. La démission était pour eux la rupture du lien qui unissait leur âme à leur diocèse r le sacrifice d'une dignité relevée par leur courage dans la persécution , l'épreuve de l'indigence avec ses priva- tions les plus pénibles.
« Quant à ce qui regarde ma subsistance , écrivait au saint-père le saint évêque de la Rochelle, exilé dans le diocèse de Tolède, j'ai trop de confiance dans la divine Providence, qui m'a soutenu jusqu'à présent, pour craindre la misère; et si Dieu voulait m'envoyer cette épreuve , la religion sainte m'a appris que personne n'est jamais tenté au-dessus de ses forces, et je lui dois la grâce
M. ÉMERY ET L'ÉGLISE DE FRANCE ~5
d'attendre avec autant de résignation que de tranquillité ce qu'il lui plaira de me faire souffrir pour expier les fautes démon épiscopat, et faire pénitence pour moi et ma malheureuse patrie. »
Le savant évêque de Langres, Guillaume delà Luzerne, pxplique et justifie en théologien les motifs de sa réponse affirmative à l'invitation pressante de Pie VIL On retrouve o'ans sa lettre un esprit de foi et de sacrifice, qui nous fait connaître les sentiments de l'ancien clergé de France pour le siège de Pierre.
« Ayant reçu , dit la Luzerne, de notre saint-père le pape un bref en date du 15 août 1801 , par lequel Sa Sainteté nous fait connaître que l'unique moyen de con- server à la France la religion catholique est que nous remettions entre ses mains la démission de notre siège ; après avoir imploré l'assistance de l'Esprit-Saint et con- juré le Père des lumières de nous éclairer dans les con- jonctures importantes et délicates où nous nous trouvons, et de nous inspirer ce qui sera le plus salutaire pour notre conscience et le bien du troupeau dont il nous a confié la garde ;
« Considérant que les circonstances actuelles, dont l'histoire des siècles chrétiens ne présente aucun exemple, ont réduit le souverain pontife à l'impossibilité absolue de suivre les règles prescrites par les saints canons, et que la loi supérieure de la nécessité Ta contraint de pas- ser par- dessus les lois faites pour les conjonctures ordi- naires, spécialement qu'il lui a été impossible de con- sulter, sur les changements à faire dans l'Église de France, tous les évèques de cette Église et d'avoir leur consente- ment, ce qui eût été nécessaire , puisqu'ils sont, d'après les saintes règles et même par l'institution de Jésus-Christ, juges avec lui du bien de leurs Églises ; assuré que Sa
1 Lettre inédite.
76 M. ÉMERY
Sainteté a fait dans sa sagesse tout ce qui était en soit pouvoir pour concilier ce qu'exigeait le rétablissement de l'unité catholique en France avec les principes antiques qui sont depuis dix-huit siècles la loi de l'Église univer- selle ;
(( Considérant de plus les grands exemples que nous présentent et les siècles anciens et les temps modernes de l'Église, l'offre généreuse faite en 1791 au pape Pie VI, de glorieuse mémoire , par les évêques siégeant aux états généraux , et la proposition des célèbres évêques qui , en 411 , composaient l'Église d'Afrique, nous avons cru devoir acquiescer à la proposition qui nous est faite pour le bien de l'Église par son chef. Reconnaissant l'ordre de Jésus-Christ dans la demande de son vicaire terrestre, après avoir sacrifié au maintien de l'unité tout ce que nous possédions dans le monde, il ne nous reste plus qu'un sacrifice à faire ; et nous nous y déterminons sans hésitation , puisqu'il peut contribuer au retour de cette précieuse unité : c'est celui de nous-même. Et nous le disons du fond du cœur avec saint Grégoire de Nazianze, c'est pour nous un bonheur d'être jeté à la mer, si par là doit cesser la tempête et le vaisseau sacré de notre Église être conservé.
ce Nous résignons volontairement et librement, entre les mains de notre saint-père le pape Pie VII, l'évêchéde Langres, dont nous avons été légitimement et canonique- ment pourvu.
« A Wels, en Haute -Autriche, 10 février 1802 »
1 Lettre inédite.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 77
« Très Saint- Père, écrivait le pieux archevêque (le Tou- louse, Msr deFontanges,en recevant dans l'île de Mayorque jle bref de Sa Sainteté , je fais à l'instant même la démis- ision de mon archevêché de Toulouse entre vos mains. Je l'avais déjà remise dans celles de votre illustre prédéces- seur, de concert avec tous mes confrères, membres comme moi de la première assemblée, appelée Consti- tuante, afin, disions-nous à ce grand pape, que rien ne jpuisse s'opposer à toutes les voies que Votre Sainteté pourrait prendre dans sa sagesse pour rétablir la paix .dans l'Église de France. Je n'ai pas cessé un seul instant idepuis d'être dans les mêmes dispositions, et, puisque Votre Sainteté daigne me dire que ma démission contri- buera à présent à rétablir la religion et l'unité en France, je croirais manquer à mon devoir et à mes engagements si j'hésitais un seul instant à obéir à cet oracle du chef de l'Église.
(( Qui mieux que vous, très Saint-Père, qui êtes en même temps la sentinelle de la maison d'Israël et le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre, et qui, par l'éclat de vos vertus et par votre profonde sagesse, êtes fait pour mous inspirer la plus profonde confiance; qui mieux que vous connaît les maux de l'Église et le remède qu'il faut y apporter?
| « Sans doute, il en coûte à mon cœur d'abandonner à lun autre le soin du troupeau auquel j'avais consacré mes
plus tendres affections. J'éprouve avec amertume que i c'est le plus douloureux des sacrifices que j'aie faits. Ma i seule consolation sera d'avoir fait mon devoir en vous
obéissant.
« Daignez, très Saint- Père, écouter le dernier et le plus cher de mes vœux. Donnez à Toulouse un pasteur selon le cœur de Dieu, qui par sa piété, ses lumières et sa sagesse, puisse réparer les maux que lui a faits l'hor- rible tempête à laquelle votre prudence va arracher
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l'Eglise de France, et y faire le bien que les circonstances et mon insuffisance ne m'ont pas permis d'y faire.
« A Palma, île de Mayorque, le 5 novembre 1801. »
II. — Le concile du Vatican a déterminé d'une ma- nière précise et explicite les droits réciproques du saint- siège et des évèques en matière de juridiction spirituelle. Mais à cette époque, au commencement de ce siècle, il y avait encore en France des évêques , des théologiens et des canonistes qui ne reconnaissaient pas au souverain pontife le droit de briser, sans le consentement tacite ou formel de la partie intéressée, le lien qui unit un évêque à son diocèse. L'opposition que l'on croyait dé- couvrir entre le bref pontifical et les prétendues libertés de l'Eglise gallicane éveillait aussi des susceptibilités inquiètes et provoquait des résistances d'un effet déplo- rable dans les rangs mêmes du clergé.
La situation devenait difficile et pleine de dangers. Le premier consul était l'ennemi des ultramontains, le dé- fenseur opiniâtre des disciples de Bossuet et des théories gallicanes. Ces théories flattaient son humeur indépen- dante et sa volonté de diminuer jusqu'à la dernière limite l'autorité pontificale. Il exprima souvent très hau- tement cette opinion. Nous le verrons attaquer M. Emery, dont l'ultramontanisme, très mitigé sans doute, le choque, l'irrite, et la compagnie de Saint-Sulpice, qu'il considère comme un foyer d'opposition aux droits essentiels de l'autorité civile. Il était d'ailleurs encouragé à la résis- tance par les constitutionnels, ennemis du pape et cour- tisans de césar.
Et c'était lui qui, sacrifiant et foulant aux pieds ces" libertés gallicanes, ces principes des canonistes, ces doc- trines des anciens théologiens de France, prenait ea main aujourd'hui, et pour le besoin de sa cause , la dé-
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fense des principes les plus favorables à la puissance des papes, en exigeant la démission des évêques légitimes, jen priant le pape d'user, par un coup d'éclat qui chan- igeait brusquement la situation générale de l'Église de ! France, de la plénitude de sa puissance et de son autorité.
III . — M&r Spina connaissait les senti ments de M . Émery et son autorité dans l'Église de France : il le pria de le .seconder et de faire tenir lui-même à ses amis dans l'épis- copat le bref par lequel Sa Sainteté demandait leur démis- sion. Les évêques émigrés en Angleterre, soutenus par des princes français royalistes, qui voyaient avec peine le rétablissement de l'Église dans notre pays, hésitèrent et répondirent d'abord par un refus ; ils déclarèrent au saint -père qu'ils tenaient immédiatement de Jésus- Christ, non seulement leur pouvoir d'ordre et leur carac- tère , mais encore leur pouvoir de juridiction, et qu'ils n'avaient pas le droit d'y renoncer.
« Le devoir de nos fonctions nous oblige impérieuse- ment de ne pas souffrir que le lien sacré qui nous unit aux Églises immédiatement confiées à nos soins par la Pro- vidence, soit brisé sans aucune résistance de notre part. »
M. Émery fut contrarié d'apprendre qu'on avait envoyé trop tôt le bref pontifical en Angleterre, où l'on devait rencontrer de la résistance , au lieu de provoquer d'abord l'adhésion facile des évêques que l'on savait être favo- rables à la volonté du pape, et de s'autoriser ensuite de cette adhésion pour faire cesser toute résistance de la part des opposants, sans recourir aux moyens de rigueur.
Le 19 novembre 1801, il exprimait à M. de Fontanges, ancien archevêque de Toulouse, réfugié en Espagne, ses appréhensions à ce sujet, ses espérances, et lui révélait l'état des esprits au moment où le saint -père attendait la démission des évêques français.
« Le 21 octobre, écrit M. Émery, votre grand ami a
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reçu le bref du pape. Vous l'avez reçu quelques jours après. Ainsi , votre démission est faite et envoyée. J'ai toujours supposé et déclaré que vous étiez disposé à la donner, et l'on n'a eu sur ce point aucun doute. J'aurais désiré que vous en eussiez donné aussitôt une connaissance directe à Paris, parce que la voie du nonce de Madrid est un peu longue.
« Je ne sais si on a reçu des nouvelles de MM. les évèques de Castres et de Tarbes. Ce sont les deux seuls évêques en Espagne dont les sentiments soient igno- rés. Mais, puisque MM. de Blois et de la Rochelle ont acquiescé à la demande du saint-père, on ne peut guère élever de doute sur les sentiments de ces prélats.
ce Vous savez que treize évêques , en Angleterre , ont refusé. Vous serez étonné que nous n'ayons aucune nou- velle d'Allemagne, du moins de bien positives, excepté de M. l'évêque de Luçon , qui a reçu seulement le 25 oc- tobre la lettre du pape, quoiqu'il soit assez près de Vienne.
« Le 30 octobre, l'évêque de Pamiers, qui est auprès de Hambourg, n'avait pas reçu la sienne, ni M. l'arche- vêque de Paris, le 5 novembre. Vous voyez qu'on a pris de très fausses mesures dans l'envoi de ces lettres. C'est en Angleterre qu'on les a fait parvenir plus tôt qu'ailleurs, et c'est là qu'elles devaient être envoyées plus tard. Il y avait là un rassemblement qui devait être fortement in- fluencé. Les deux tiers de ceux qui ont refusé , placés ailleurs, auraient acquiescé sans difficulté.
(( Il y aura certainement des opposants en Allemagne, et dans le nombre il y en aura qui auraient infaillible- ment donné leur démission , qui avaient même déjà fait connaître leurs sentiments à cet égard , s'ils n'avaient pas été influencés par des évêques d'Angleterre, qui cer- tainement n'auront rien négligé pour amener à leur partiv le plus qu'ils auront pu de leurs collègues.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 81
(( Vous pouvez compter parmi les opposante en Alle- magne les évèques qui sont à Munster. Cette ville a tou- jours été un foyer, cà cause de quelques ecclésiastiques intrigants qui s'y trouvent. Il résulte de cet exposé que beaucoup d'évêques ont refusé ou refuseront, mais que la grande majorité acceptera.
« De là il résulte que le Concordat n'est pas publié; que toutes nos affaires, qui devaient être terminées avant ['assemblée du Corps législatif, sont dans le même état; que les évèques constitutionnels, qui ont fait cependant leur renonciation , lèvent la tète , parce que le consul veut tout faire à la fois, et qu'il n'a pu nommer aux évè- chés avant que les lettres du pape aient été reçues et qu'on ait pu recevoir les réponses.
n D'ailleurs, comment disposer de tant d'évèchés dont 'es titulaires vivent encore et ne se sont point démis? Votre lettre , Monseigneur, était pleine de sagesse ; je /ousen ai gardé un profond respect.
a Je crois que vous feriez sagement de repasser la mer ît de vous disposer au retour. On a permis aux évèques Lui sont en Angleterre de rentrer en France, on les "xhorte même à le faire. Ils y font des diflicultés, parce pi'ils craignent que leurs adversaires, qui ne gardent )lus de mesure, ne prétendent qu'ils rentrent pour sol- iciter des places.
« On s'occupe, en ce moment, d'une mesure générale >our le retour des prêtres et des évèques, j'entends les i émissionnaires. Les résistants se font beaucoup de tort
eux-mêmes, et ils en font encore plus à la religion; ils nt contre eux tous les gens de bien. Leur conduite rctuelle discrédite totalement le zèle qu'ils ont montré isqu'à présent1. »
} ! 1 Lettre inédite.
82 M. ÉMERY
IV. — La pensée de M. Émery, et l'on peut dire aussi son espérance, était de voir le gouvernement rétablir dans leurs sièges, d'accord avec le saint -père, lesévêques qui auraient donné un grand exemple de désintéresse- ment en envoyant leur démission. Aucune raison cano- nique ou théologique ne s'opposait à cet acte de justice et de haute convenance de la part du gouvernement. Ainsi M. Émery écrivait à M. de Fontanges et le pressait déjà de reprendre son siège de Toulouse, si l'on consen- tait à le lui rendre.
(( Votre détermination de n'accepter aucune place serait très fâcheuse , parce qu'il est très intéressant que vous en acceptiez une, non pour vous, Monseigneur, mais* pour l'avantage de l'Eglise. Il est absolument nécessaire d'accréditer les changements qui vont avoir lieu, puis- qu'ils sont inévitables. Il est pour cela très important que l'on nomme le plus qu'on pourra d'anciens évêques aux nouvelles places, et le public honnête et religieux compte entièrement sur vous. Vous êtes généralement regardé comme un des principaux ornements de l'Eglise gallicane, et votre refus d'accepter aucune place accrédi- terait les plaintes et les mécontentements qui ne manque- ront pas d'avoir lieu dans ces circonstances. J'ai écrit à M. Bernier qu'on pouvait compter que vous accepteriez le siège de Toulouse, s'il vous était rendu. Ils font croire que vous serez nommé à ce même siège, je n'en ai point pourtant de certitude extrême. Je ferai insinuer, par les alentours des faiseurs, qu'il est absolument nécessaire qu'il en soit ainsi. Cependant, si Fou vous offrait un autre évêché, Je crois que le bien de l'Église demande- rait que vous l'acceptassiez. »
Mais les vues de M. Émery n'étaient pas conformes aux desseins de Bernier et aux intentions du gouverne- ment. L'archevêché de Toulouse fut donné à un ancien apostat, évêque constitutionnel, M. Primat; on offrit à
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 83
I M. de Fontanges, dépossédé de son siège archiépiscopal, l'évèché d'Autun.
M. de Fontanges avait déjà pris depuis longtemps la résolution de vivre dans la retraite et de décharger ses
\ épaules du fardeau de l'épiscopat, il persistait dans sa résolution : il voulait répondre par un refus aux nou-
| velles avances qui lui étaient faites de la part du gouver- nement. M. Émery avait une autre idée des devoirs d'un évèque dans les difficultés où se trouvait l'Eglise de France. Ennemi de l'inaction quand la cause de la reli- gion avait hesoin de tous les courages, pénétré de cette pensée que la vie est un long combat et qu'il n'est pas permis de déserter le champ de bataille pour se reposer dans les joies faciles d'une retraite sans responsabilité, il fît agir et il agit lui-même avec insistance auprès de M. de Fontanges, afin de le décider à changer de résolu- tion. Il lui écrivit de nouveau , à la date du 5 juin 1802 : « M*r de la Tour du Pin, archevêque d'Auch, m'a écrit de Perpignan, le c20 mai, qu'il comptait partir dans deux jours, et s'arrêter, non à Toulouse, mais à Mon-
. tauban.
« Hier, une lettre du 29 mai nous apprit qu'il était à ■ Toulouse, où il nous dit que la consternation est géné- t raie, à cause du successeur qu'on vous a donné... Nous
lui écrivons de se rendre promptement à Paris; en voici
la raison :
j (( Il a témoigné dans une lettre que, si le bien de 1 l'Église le demandait, il consentirait à prendre un évèché. . Je me suis contenté de faire insinuer que telle pourrait ^être sa disposition. Sur cela on a agi , et l'on a proposé de lui donner l'évêché de Bayonne, comme un évêché qui renferme presque toutes les parties de sa métro- jjpole, et dans lequel il était fort aimé et respecté. Le ministro a acquiescé.
« D'autres personnes ont agi pour le faire nommer à
84 M. ÉMERY
Cahors, qu'on prétend être plus important. Quoi qu'il en soit , il est fort convenable qu'il arrive à Paris pour faire déterminer tout ce qui le concerne à cet égard et pour qu'il prenne un parti. J'ai l'honneur de vous raconter tout cela parce que, indépendamment de l'intérêt que vous portez à M. l'archevêque d'Auch, il y a dans cette affaire un contre-coup pour vous.
« Si l'on voit que M. l'archevêque d'Auch consente à accepter un simple évêché, on pourra vous proposer d'en accepter un aussi. On voit bien qu'il y aurait quelque inconvénient à vous en proposer un qui fût dépendant de votre ancienne métropole. Tous les anciens évêques désirent beaucoup vous voir rentrer dans le corps épis- copal, non seulement pour des considérations person- nelles, mais encore pour le bien de la religion. C'est précisément parce que les circonstances sont fort difficiles qu'il serait bon de souhaiter que des évêques comme vous occupassent des sièges.
« M. l'archevêque d'Aix partira lundi pour Tours. J'en suis bien fâché. Bernier n'est point à Paris, et je crains bien qu'il ne se trouve dans de grands embarras à l'occa- sion de la réconciliation des évêques constitutionnels.
« J'aurai l'honneur de vous écrire bientôt plus au long ; mais je désirerais bien que vous vinssiez promptement à Paris , non pas seulement pour le désir que j'ai de vous voir et de vous renouveler l'assurance de mon tendre et profond dévouement, mais encore et surtout pour que vous pussiez prendre, de concert avec vos amis les plus sages et les plus désintéressés, le parti qui vous convient le mieux. Je sais combien celui de la retraite et du repos a d'avantage ; mais aussi , dans l'ordre spirituel et temporel, il a ses inconvénients. »
V. — Le cardinal Fesch, qui avait du crédit auprès du premier consul et une grande confiance dans la prudence
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lhabile de M. Emery, appréciait lui aussi les qualités de M. de Fontanges : il désirait, avec un grand nombre de ses collègues, le voir encore à la tète d'un diocèse important, où il pourrait continuer avec succès la carrière de l'aposto- lat. M. Émery .réussit enfin dans ses négociations, grâce à ^Intervention puissante et décisive d'une femme chrétienne idont il fit cet éloge au cardinal Fesch, le 21 mars 1805 :
« M. de Crouzeilles m'a appris hier que Votre Émi- nence avait donné pour dame d'honneur à madame sa sœur M,ne de Fontanges.
« Je prie Votre Éminence de trouver bon que je lui fasse mon compliment de ce choix. Je vis Mme de Fontanges, à son retour d'Angleterre, il y a quelques années. Elle i avait vécu avec tous les évêques , parce que son beau- frère , M. l'archevêque de Toulouse , était alors à Londres.
« Cette dame raisonna sur tous les évêques, sur toutes les affaires ecclésiastiques du temps avec une intelligence et une sagesse qui me charmèrent. Nous apprîmes d'elle beaucoup de choses importantes qui nous servirent dans la conduite du diocèse de Paris.
(( Je lui ai dit quelquefois qu'elle avait l'âme épisco- pale, et qu'elle aurait aussi bien conduit un diocèse que son beau-frère, M. l'évèque d'Autun ; ce qui est beau- coup dire. Elle parle toujours d'un ton simple et sans afiectation , sans prétention. Il semble que c'est le bon sens qui parle par sa bouche. Quand Votre Eminence eut la bonne pensée d'engager M. l'archevêque de Tou- louse à accepter un évêché, j'étais assuré que l'affaire réussirait en employant auprès de lui la raison deMmode Fontanges. »
M. Emery seconda les intentions du saint -siège et de son représentant à Paris, en pressant avec la même sa- gesse et le même zèle éclairé et prudent les évêques de Rennes, d'Agen, de Quimper et de Nantes, de ne pas
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abandonner aux constitutionnels les sièges que le gou- vernement venait de leur proposer. Il suit avec inquié- tude et anxiété la marche des affaires; il craint et il espère, il presse et il supplie : on voit bien par sa correspondance de cette époque la profondeur de son amour pour l'Église, l'ardent désir qui le consume de voir le schisme constitutionnel s'éteindre, et la pacifica- tion religieuse se faire enfin dans tout le pays.
VI. — Après avoir obtenu la démission volontaire des évêques légitimes, il fallait pourvoir aux sièges vacants. L'agitation des constitutionnels, les intrigues qui se nouaient autour du premier consul, l'influence, l'hosti- lité même de Fouché, qui avait pris ouvertement, dans différentes circonstances, la défense obstinée des schis- matiques, inspiraient à' M. Émery de grandes inquié- tudes ; il s'effrayait à la pensée que Bonaparte, égaré par de mauvais conseillers ou emporté par son impatience et par les caprices de son humeur violente, offrirait à des ennemis de l'Eglise, à des hommes indignes ou inca- pables , le ministère sacré de l'épiscopat. Ses craintes étaient fondées.
M. Émery fit savoir à l'abbé Le Sure, secrétaire du cardinal légat en résidence à Paris , que Bonaparte avait l'intention de nommer douze évêques constitutionnels à des sièges vacants. Malgré les menaces et les anathèmes du saint-siège, ces malheureux avaient juré fidélité à la constitution civile du clergé; ils avaient usurpé par un sacrilège odieux les sièges des évêques légitimes, fomenté et entretenu la révolte et le schisme dans les rangs des fidèles, et quelques-uns même avaient commis publique- ment, avec l'éclat d'un défi scandaleux, le crime d'apos- tasie. Aujourd'hui ils bravaient une dernière fois l'auto- rité du saint-siège, en s'appuyant sur l'autorité civile; ils prétendaient conserver, malgré tout, l'administration
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 87 épiscopale et les honneurs qui avaient été le prix de leur trahison.
L'abbé Le Sure s'empressa d'informer le cardinal des dispositions du premier consul.
(( Impossible! impossible! s'écria le cardinal; le pre- mier consul a promis formellement de ne pas recourir à ces sortes de gens. »
M. Émery avait remis à l'abbé Le Sure la liste authen- tique et encore secrète des sujets dont la nomination fttait décidée. Consterné, indigné à la lecture de cette liste, le cardinal légat se leva, et marcha rapidement dans sa chambre en répétant :
(( Voilà donc la France perdue! voilà l'Église de France dans la boue ! »
iVprès avoir reçu la communication officielle de la nomi- nation des constitutionnels à quelques sièges vacants, le cardinal s'informa de leur caractère, de leur vie, de leurs mœurs, et, muni de ces renseignements, il se rendit chez Bonaparte pour demander la radiation de certains noms, qui étaient à la fois une provocation et un scandale.
Bonaparte persista dans sa résolution , et s'écria avec vivacité :
« Eh quoi! vous ne voulez pas de l'évêque Primai pour archevêque de Toulouse parce qu'il a porté le bon- net rouge et abjuré sa foi? Mais saint Pierre n'a-t-il pas renié Jésus-Christ, et obtenu ensuite la primauté de l'Église? »
La situation du cardinal était critique. Il voulait attendre la réponse de Rome avant de prendre une décision. Ces lenteurs irritaient Bonaparte, qui s'en plaignit un jour à M. de Boisgelin.
(( Ces messieurs, répondit le prélat, ne peuvent rece- voir l'institution canonique qu'après s'être mis en règle avec Rome.
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— Je les ai nommés, répliqua vivement Bonaparte, qu'ils s'arrangent avec la cour de Rome. »
Instruit de cette parole par M. Émery, le cardinal légat rédigea une formule de rétractation et de soumission à l'autorité du saint -siège, qu'il résolut d'imposer à tous les sujets que le gouvernement lui présentait pour l'épis- copat. Il exigeait en particulier de chacun des évêques constitutionnels « qu'il détestât la part qu'il avait prise au prétendu concile national tenu l'année dernière dans l'église cathédrale de Paris ». Les constitutionnels avaient organisé ce simulacre de concile à l'instigation de Bona- parte lui-même, qui cherchait alors à intimider le pape.
Dans l'espérance d'obtenir un Concordat plus conforme à ses rêves de domination, il agitait le fantôme d'un schisme ou d'une Eglise nationale indépendante de la papauté.
La formule rédigée par le cardinal déplut aux consti- tutionnels , qui exposèrent à Portalis les causes de leur mécontentement et de leur refus.
VII. — Portalis, irrité de la démarche si légitime du cardinal légat , prit en main la défense des contitution- nels ; dans une dépêche officielle, il accusa le repré- sentant du pape d'avoir insulté le gouvernement en reprochant aux évêques de s'être réunis par ses ordres pour traiter des affaires de l'Église ; il ajoutait que la nation ne souffrirait pas cet affront.
Bernier, nommé à l'évèché d'Orléans , était l'homme de confiance de Portalis; il joua dans cette affaire un rôle en harmonie avec son caractère malheureux.
Le 15 avril 1802, Portalis écrivit à Bernier :
« J'ai eu , citoyen évèque , plusieurs conférences avec les évêques constitutionnels. Nous sommes convenus de la formule que j'ai l'honneur de vous adresser. Dans
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 80
cette formule, on renonce formellement, de cœur et d'esprit , à la constitution civile du clergé , et on promet une véritable obéissance au pape. Rien de plus positif que cette renonciation; vous jugerez vous-même qu'on ne peut aller au delà sans avilir la nation elle-même. La déclaration que la formule renferme doit rassurer entiè- rement le saint-siège. Je vous invite à faire agréer cette Formule à Son Éminence M. le cardinal légat. Il importe au bien de la religion et au succès des opérations si heu- reusement commencées que cette affaire soit terminée dans le jour.
a J'ai l'honneur de vous saluer,
(( Portalis. ))
Bernier envoya cette pièce au cardinal légat avec cette invitation :
(( Éminence,
« Je viens de recevoir de M. Portalis la lettre ci-jointe. Je supplie , je conjure Votre Eminence de la prendre en considération et de se souvenir que, notre institution n'étant que provisoire, Sa Sainteté sera juge définitif, et qu'ainsi il peut, par une indulgence provisoire, nous tirer d'un pas si difficile. Il faut en finir et ne pas irriter. |Ie vois qu'on est monté, et très sûrement on ne paraît pas vouloir fléchir au delà de ce que cette lettre contient. Je recommande avec larmes à Votre Éminence de sauver l'Église de France par sa bonté.
« -{- Ét., évêque d'Orléans.
« Paris , 15 avril 1802. »
Mais il n'était plus question, comme Bernier le pré- tendait, d'une institution provisoire , qui aurait rendu
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plus facile l'acquiescement du saint -siège. Le cardinal Caprara s'empressa de signaler cette erreur dans une réponse brève et pleine de dignité.
(( Le cardinal Caprara fera toujours tout ce qui est en lui pour contribuer au bien de la religion et au succès des heureuses opérations déjà commencées; mais il dé- clare à M. l'évêque .d'Orléans que, quelques dispositions de condescendance qui soient dans son cœur et qu'il a déjà manifestées, il lui est impossible d'aller au delà des conditions qui lui sont impérieusement prescrites par le saint-siège.
« Il observe, en second lieu, que le principe avancé par M. l'évêque d'Orléans, ce que l'institution canonique (( donnée par le légat n'est que provisoire et que Sa Sain- ce teté est juge définitif, » est un principe sans fondement, puisque les évèques institués jouissent d'une juridiction pleine et entière sur leurs diocèses.
« Cardinal Caprara.
« 15 avril 1802. »
Consulté par des évêques qui attendaient une proroga- tion des facultés extraordinaires dont ils avaient besoin dans leurs diocèses, et une formule authentique de rétrac- tation pour réconcilier les constitutionnels avec l'Eglise, le cardinal Caprara avait cru pouvoir répondre en s'adres- sant directement à ces prélats. Portalis, informé de cette intervention du cardinal et se croyant offensé parce qu'il n'avait pas été consulté, écrivit une lettre dont la raideur injuste exprime les intentions du gouvernement et son attitude en présence de la cour romaine.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE
01
« Paris, 19 prairial, an X de la République (juin 1802).
« Il circule, monsieur le cardinal, dans le diocèse de Nancy et dans d'autres diocèses, une formule de rétrac- tation par vous remise aux évêques, et que ceux-ci sont I chargés d'exiger des prêtres constitutionnels. Vous savez que, d'après l'arrêté des consuls portant vérification des pouvoirs, aucun acte émané de vous ou de Rome ne peut être envoyé dans les diocèses, ni autrement circuler en France, par voie directe ou indirecte, sans l'annexe du gouvernement.
c La circulation de la formule dont il s'agit est une infraction manifeste aux conditions sous lesquelles vous avez été reçu, et dont vous avez solennellement promis ! l'obéissance par un serment de cœur. Une telle infraction tend à compromettre et à égarer les évêques et les autres ecclésiastiques qui connaîtraient assez peu leur devoir pour exécuter des brefs ou bulles venant de Rome ou de votre légation, sans avoir préalablement été admis ou sanctionnés par la puissance publique.
oc Je sais que si quelques évêques vous ont demandé ! une formule de réconciliation , vous les y avez induits par l'envoi que vous leur avez fait de votre décret du 10 mai dernier, portant exécution des brefs de Pie VI sur les affaires ecclésiastiques de France. Comment avez-vous r pu faire l'envoi d'un décret qui ordonne l'exécution de ' jugements qui n'ont jamais été présentés au gouverne- ment, qui sont intervenus dans des formes contraires à ' nos lois, et dont les dispositions foncières sont inconci- liables avec la dignité nationale et avec les droits du gou- vernement?
« Nos lois particulières, les principes du droit des gens
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et ceux de la religion exigent de vous, dans une aussi grave occurrence, que vous retiriez tout de suite votre décret et tout ce qui l'a suivi.
(( Les évêques et ecclésiastiques qui obtempéreraient à ce décret seraient criminels d'État, et vous auriez la terrible responsabilité des maux qui en seraient la suite, et qui auraient pour principe la violation formelle que vous auriez faite des conditions sous la foi desquelles on a reconnu vos pouvoirs.
(( Portalis. »
Le cardinal Caprara se rendit aux observations du con- seiller d'Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes, et retira le décret de prorogation des pouvoirs et la formule de soumission qu'il avait envoyés.
VIII. — M. Émery connaissait les détails de cette affaire; il était bien renseigné sur les agissements des constitutionnels et sur les projets du gouvernement : il communiqua des avis confidentiels à l'abbé Le Sure, en le priant de les faire tenir au cardinal légat ; il lui apprit ainsi que le gouvernement avait promis aux constitution- nels de n'exiger d'eux aucune rétractation et de se con- tenter d'une adhésion très explicite au Concordat.
Lorsque le cardinal Caprara eut connaissance de la nomination de douze évêques constitutionnels aux sièges vacants , il déclara qu'il ne pouvait passer outre et que les négociations, commencées resteraient sans résultat. Bernier, qui voulait à tout prix les faire réussir confor- mément aux vues du premier consul, mit tout en jeu pour fléchir le légat. Portalis le pressa aussi de son côté sans avancer davantage; il crut d'abord que le Concordat n'aurait pas lieu.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 93 Dernier, cependant, se rendit à la Malmaison pour informer le premier consul. Celui-ci, qui avait fait inter- cepter des lettres du pape au légat et en avait retenu la copie, les communiqua à Dernier, qui repartit aussitôt pour Paris, et se présenta, à minuit, chez le légat. Il le pressa de nouveau en lui disant, cette fois avec assu- rante, que si le Concordat n'avait pas lieu, ce serait Son Éminence seule qui répondrait des suites funestes de cette rupture. Le légat insista en disant que ses instruc- tions ne l'autorisaient pas à admettre comme évêquès des futurs sièges aucun des constitutionnels. Bernier repartit :
« Mais les instructions secrètes , et très secrètes, que vous avez reçues vous y autorisent, puisqu'il y est porté ! que, 'pourvu que la foi soit sauvée, le saint-siège con- Sent à abandonner tout le reste, s'il le faut, pour le bien de la religion. Si vous n'agissez pas conformément à vos instructions très secrètes, vous prendrez donc sur vous seul la responsabilité de toutes les conséquences de cette rupture. »
Aces mots d'instructions très secrètes, le cardinal, devinant qu'une indélicatesse avait été commise et que sa correspondance avait été ouverte, fut saisi d'étonne- ment et changea de couleur. Il s'embarrassa , balbutia , et dit enfin à Bernier :
a Voulez-vous que je nomme des évêques condamnés par Pie VI, qui n'ont jamais fait aucun désaveu de leur schisme?
— Vous avez confiance en moi , répondit Bernier, je me charge d'obtenir leur rétractation. » On connaît la suite.
Portalis ne savait rien de ces instructions très secrètes, dont le premier consul ne lui avait pas dit un mot. Aussi lorsqu'il entendit sonner le bourdon de Notre-Dame, qui annonçait à la capitale la signature du Concordat, il en
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fut tout surpris et ne comprit pas la cause de cette mani- festation !.
Bernier eut alors avec les évêques constitutionnels ré- unis chez lui une longue conférence, à la suite de laquelle il fit savoir au cardinal légat qu'il avait pleinement réussi dans sa mission , que chacun des huit évêques constitu- tionnels avait signé la formule de rétractation exigée par la cour de Rome, reçu l'ahsolution des censures encourues, promis obéissance au saint-siège et reconnu l'autorité de ses jugements dans les affaires ecclésias- tiques de France. Après cette attestation, munie de la signature de M. de Pancemont, ancien curé de Saint- Sulpice, trompé lui-même par Bernier, l'institution canonique fut accordée aux évêques constitutionnels. Cette lamentable affaire paraissait enfin terminée.
Les douze évêques constitutionnels étaient Charrier, Le Coz, Beaulieu, Lacombe, Perrier, Bécherel, Montault, Saurine , Reymond, Berdollet, Belmas et Primat, ancien oratorien , apostat et archevêque de Toulouse , qui mou- rut, en 1816, des suites rapides d'une congestion céré- brale , après avoir écrit au pape et obtenu sa réconcilia- tion tardive.
Bernier avait-il encore une fois altéré la vérité et trompé le cardinal légat, pour extorquer au prix d'un mensonge l'institution canonique attendue par les huit constitu- tionnels? Dominique Lacombe, nommé à l'évêché d'An- goulême, déclara publiquement, dans une lettre adressée à un prêtre constitutionnel de son diocèse, Binos, ancien chanoine de Saint-Bernard, qu'il n'y avait pas eu de rétractation; que l'on s'était contenté d'une simple adhé- sion au Concordat; que Bernier et Portalis pouvaient
1 Ces détails authentiques et inédits ont été communiqués à M. Faillon par Mar Ginouilhac, évêque de Grenoble, le 25 juin 1866. Il les avait appris de M. Portalis tils, qui les tenail de la propre bouche de son père, dont il était alors secrétaire.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 95
affirmer ce fait. Cet indigne prélat ajouta ces paroles , qui restent comme une flétrissure à sa mémoire :
« Vous désirez savoir si Son Eminence le cardinal Caprara nous a demandé la rétractation du serment de la constitution civile du clergé, et si les évéques constitu- tionnels réélus ont fait cette rétractation. Je vous réponds oui , je vous réponds non. Il est très vrai que M. le légat sa voulu une rétractation ; il est très vrai qu'il ne l'a pas 'obtenue. Nous nous présentâmes à lui le jeudi saint, pour lui demander l'institution prescrite par le nouveau Con- cordat. Il nous proposa de signer une lettre à Sa Sain- teté, lettre tout à fait propre à nous révolter. Nous refu- sâmes de la signer. Par qui ce refus fut-il fait? d'abord par les évéques constitutionnels de Rennes, de Dax et de Clermont; ensuite par les évéques constitutionnels de Rouen, de Carcassonne et de Bordeaux. Nous allâmes ensuite chez le citoyen Portalis , chargé de toutes les affaires ecclésiastiques; nous l'instruisîmes de ce qui venait de se passer. Il parut improuver les prétentions de M. le légat; il dit qu'il y apporterait remède dans la journée; que le gouvernement ne voulait point de rétrac- tation ; qu'il ne serait exigé qu'une pure et simple adhé- sion au Concordat. Il demanda que sur-le-champ fussent réunis chez lui tous les évéques constitutionnels. Il lit appeler en même temps l'évèque Bernier; il le chargea de parler à M. le légat , et de lui dire que l'affaire des évéques constitutionnels devait finir dans la journée. Celui-ci consentit à la commission : il proposa et rédigea une lettre bien différente de la première. Nous l'adop- tâmes. Maintenant, si quelqu'un ose vous dire que nous nous sommes rétractés, ne craignez pas de lui dire: Mentiris impudentissime. On vous dira peut-être que M. le légat nous a donné l'absolution ; que la preuve en 3st dans les registres de sa légation ; qu'on y a vu , au rapport du nouvel évèque de Versailles et de quelques
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autres, plusieurs exemplaires d'un décret d'absolution humblement demandé par plusieurs de nous et charita- blement accordé à plusieurs de nous. Vous direz avec moi que M. le légat a donné une absolution qui n'était ni voulue ni demandée; que, lorsque le décret en fut] remis par l'évêque Bernier à quelques-uns d'entre nous, ils en ont fait justice en le jetant au feu sous les yeux du citoyen Porlalis. »
Nous avons découvert aux archives nationales ce rap- port officiel et précis de Portalis , qui présente les faits d'une manière plus exacte et sous un jour différent. Il est adressé à l'empereur :
cl Sire,
(( J'allais ce matin rendre compte à Votre Majesté de ce qui s'était passé hier entre le pape et les évèques dits constitutionnels. Après quelque temps, on m'a assuré que les grandes occupations de Votre Majesté ne lui per- mettaient pas de me recevoir aujourd'hui. Je viens, en conséquence, vous exposer par écrit ce que je n'ai pu dire de vive voix.
« Mercredi soir, M. le ministre de la police ne put obtenir la signature, au bas de la formule présentée au nom du pape , des évêques que l'on voulait déterminer à la souscrire. Ils en signèrent une autre qui ne plaisait pas.
(( Le jeudi matin fut encore perdu. L'évêque de Vannes étant venu m'en instruire, je pris le parti de me rendre chez le cardinal légat, en témoignant le désir d'y trouver tous les autres cardinaux. Je m'y rendis le jeudi à huit heures du soir.
ce Après une conférence qui dura jusqu'à minuit, il fut arrêté que les évèques dits constitutionnels seraient reçus le lendemain dans la matinée chez le pape ; que Sa Sain-
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 97
teté leur parlerait avec affection , et qu'elle se contente- rait de toute déclaration raisonnable, sans vétiller sur les termes. J'obtins cette résolution en parlant avec fer- meté et avec sentiment.
(( Le lendemain vendredi, c'est-à-dire hier, le car- dinal légat et les autres cardinaux se rendirent de bonne heure chez le pape pour le prévenir de ce qui s'était passé la veille. Les évêques constitutionnels parurent à l'heure indiquée. Le pape leur parla comme un père, et la récon- ciliation fut consommée avec attendrissement de part et d'autre. Il n'y eut que M. Le Coz, archevêque de Besan- çon , qui se perdit en dissertations froides et théologiques, et qui sortit en refusant tout.
« L'évèque de Vannes avait été présent à la conférence chez" le pape, il m'instruisit du résultat. Je m'empressai d'en donner connaissance à M. le ministre de la police, ,en le priant de vouloir bien agir de nouveau auprès de jce prélat pour le ramener à des sentiments de paix.
« Aujourd'hui, sur les cinq heures et demie du soir, M. le ministre de la police m'a envoyé la déclaration bien simple qui avait été signée hier chez le pape par les autres évêques constitutionnels, et à laquelle M. Le Coz a enfin donné sa signature sur les instances de ce mi- nistre.
(( M. l'évèque de Vannes se trouvait chez moi; il s'est tout de suite porté chez le pape. Il lui a présenté la décla- ration signée par M. Le Coz, et il vient de me dire que Sa Sainteté recevra demain, à huit heures du matin, M. Le Coz, qui a promis de son côté de ne plus entamer aucune question théologique, et qui n'a plus besoin que de se taire.
a Ainsi toute l'affaire est consommée, et la paix est rétablie définitivement et sans retour.
« La déclaration signée ne consiste plus que dans une simple phrase de soumission mue jmjement* (ht saint-
r
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siège et de l'Église catholique, apostolique et romaine, sur les affaires ecclésiastiques de France.
(( Le janséniste le plus outré ne répugnerait point à signer une telle déclaration. Votre Majesté ne sera donc plus importunée d'une affaire qui ne tenait qu'à l'amour- propre et à de petites passions.
(( L'évêque de Vannes m'a attesté que les cardinaux, chez le pape , avaient été fidèles à tout ce qu'ils avaient promis dans leurs conférences avec moi; et c'est une jus- tice que je dois leur rendre auprès de Votre Majesté. Le pape s'est conduit avec une douceur et une charité admi- rables.
« Je suis, avec un très profond respect , Sire , de Votre Majesté ,
« Le très humble, très obéissant et très dévoué serviteur,
« Portalis 1 . « Paris, ce 7 nivôse an XIII, à neuf heures du soir. »
Ainsi finit, par la mansuétude paternelle du pape, le schisme qui divisa si profondément l'Église de France pendant la Révolution.
Le 8 juin 1802, Portalis écrit aux nouveaux évêques que, pour répondre aux intentions du premier consul, ils doivent prendre un grand vicaire dans les rangs des prêtres constitutionnels, et que ceux-ci doivent entrer dans la proportion du tiers au quart sur la liste des curés, chanoines, etc. 11 ajoute que le mariage des prêtres est licite; qu'il ne faut pas refuser la bénédiction nuptiale à ceux qui contractent un second mariage après le divorce;
1 Archives nationales, AF, IV, 1045.
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qu'il appartient au gouvernement de statuer sur les cha- pelles domestiques, les oratoires particuliers, le refus public des sacrements. C'est ainsi que ce conseiller d'Etat, trop étranger à la théologie pour comprendre l'inconvenance maladroite et les erreurs grossières de ses prescriptions, prétendait assurer le libre exercice du culte catholique et se conformer à la lettre aussi bien qu'à l'esprit du Concordat.
CHAPITRE V
LES PREMIÈRES DIFFICULTÉS DE M. ÉMERY AVEC LE GOUVERNEMENT
I. — Bernier redoutait l'influence considérable et mé- ritée de son ancien directeur, M. Émery, sur le clergé de France et sur les membres les plus importants de l'épis- copat. Il voyait grandir tous les jours cette influence qui pouvait, à une heure peut-être prochaine, s'exercer dans les conseils du gouvernement et devenir un obstacle à l'accomplissement de ses propres desseins. Il avait reconnu déjà l'opposition secrète et puissante de l'ancien supé- rieur du grand séminaire d'Angers dans les difficultés si graves que l'Église de France venait de traverser. Bernier venait de jouer un triste rôle dans l'affaire des consti- tutionnels, il fuyait la présence d'un prêtre dont la dignité vivante était un reproche infligé à sa politique tortueuse. Il conçut le dessein d'éloigner de Paris M. Émery, et de se soustraire à son influence gênante. Aidé de Talleyrand, il décida le premier consul à nommer M. Émery à l'évèché d'Arras. Le décret fut signé le 40 avril 4802.
M. Émery était trop dévoué à la compagnie de Saint- Sulpice et à l'œuvre des séminaires pour accepter l'hon- neur redoutable de l'épiscopat. Il n'avait jamais eu qu'une pensée : servir l'Église , et rester fidèle à l'esprit comme aux enseignements de M. Olier. Après avoir prié, médité, pris l'avis des messieurs de Saint-Sulpice,
M. ÉMERY ET L'ÉGLISE DE FRANGE 101
il écrivit à Portalis, chargé des affaires des cultes, une lettre dont nous avons le projet sous les yeux :
a J'ai reçu , dit M. Émery, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je suis on ne peut plus touché fie la marque d'estime et de confiance que daigne me idonner le premier consul en me nommant à l'évèché l'Arras. Ces! à vous, sans doute, que je suis redevable de l'opinion qui l'engage à me croire propre à l'épis- copat.
« Je vous prie de lui présenter mes très humbles actions de grâces; mais je vous supplie en même temps Je lui faire trouver bon que je n'accepte pas. Je me dé- termine à cette démarche, après y avoir bien réfléchi et avoir invoqué les lumières de l'Esprit-Saint. Une multi- tude de raisons m'en font un devoir; je ne vous en exprimerai qu'une.
ce J'étais supérieur du séminaire de Saint-Sulpice et de la congrégation qui porte ce nom , chargé par conséquent le former les jeunes gens qu'on y élevait aux vertus de leur état, et particulièrement à l'éloignement pour les lignités ecclésiastiques; car vous savez que l'ambition Hait un vice trop commun dans le clergé des derniers emps, et contre lequel il était nécessaire de prémunir 'esprit et le cœur des jeunes gens. Dans cette vue, il allait que les supérieurs , qui donnaient des leçons sur a crainte et la fuite des dignités, en fournissent eux- mêmes l'exemple.
« En conséquence , mes prédécesseurs ont toujours efusé les évèchés qui leur ont été offerts. tléritier de eur office, j'ai dû l'être aussi de leurs sentiments, et non éloignement pour l'épiscopat est arrivé au plus haut ,i)oint. Très certainement, si on m'avait, sous l'ancien égime, nommé à un évèché, je ne l'aurais pas accepté. Comment pourrais- je, à l'âge de soixante-dix ans, ne pouvant donc prudemment compter que sur trois ou
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quatre ans de vie, et ayant à peine le temps de connaître seulement de vue le troupeau immense qui me serait confié; comment, dis-je, pourrais-je réussira arracher de mon cœur un sentiment si ancien et si profondément enraciné? Les violences qu'il faudrait me faire ne pour- raient que compromettre ma santé et ma vie.
(( Mais, de plus, que penseraient de moi tant d'ecclé- siastiques devant qui j'ai fait pendant si longtemps une haute profession à cet égard? Ne soupçonneraient- ils pas que cette profession n'était de ma part qu'un acte d'hypocrisie; qu'au fond j'avais autant d'ambition qu'un autre ; que , dans les disputes agitées entre les catho- liques en France , au sujet des formules exigées pour le libre exercice du culte , je n'ai embrassé les sentiments favorables à ces formules que dans le dessein de plaire au gouvernement et de favoriser mon ambition ?
« Et, de là, les leçons que je leur ai données sur les devoirs de leur état ne seraient -elles pas discréditées, et ne perdraient -elles pas dans leur esprit tout le poids qu'elles avaient reçu de mon autorité? Quel avantage surtout ne tireraient pas de mon acceptation tant d'ecclé- siastiques, soit au dedans, soit au dehors de la France, opposés à la soumission, et qui, parce que je lui étais favorable , m'ont traduit partout comme un homme infi- dèle à ses anciens principes, et qui était dévoré d'ambi- tion? Loin d'être étonné qu'un supérieur de Saint -SuL pice, nommé à un évèché, le refuse, on devrait plutôt être étonné de son acceptation.
(( Ce serait bien injustement qu'on regarderait mon refus comme une marque d'opposition au nouvel ordre de choses , et comme pouvant servir de motif à d'autres refus. Aucun autre ne se trouve dans le même cas que moi , et je ne crains pas de dire que je servirai mieux cet ordre de choses en n'acceptant pas. Il y aura sûre- ment, dans les diocèses où l'on place des constitution-
ET LÉHLÏSE DE FRANCE 103
fiels, et dans ceux dont les évêques n'ont pas donné eur démission, de nombreux opposants. Si j'accepte, et n ensuite on me consulte, mes conseils ne seront comptés bour rien, comme n'étant point ceux d'une personne rlésintéressée ; au lieu que, dans la supposition con- raire , j'aurai quelque poids pour les déterminer à 'obéissance et lever leurs scrupules, et sûrement je serai consulté de différents endroits.
i « Je dis plus, je servirai mieux la religion et l'Église |?n persévérant dans ma première vocation. Le plus '•;rand et le plus pressant besoin de la religion aujour- i'hui est de former des prêtres, et de bons prêtres. Il * a au moins une lacune de douze années à remplir. Les ••uvriers propres à cette œuvre, et qui voudraient s'y •onsacrer, seront pour les évêques assez difficiles à trou- er. J'étais chef d'une compagnie exclusivement dévouée | l'éducation ecclésiastique; plusieurs membres de cette ;ompagnie vivent encore, ou en France ou dans les )ays étrangers; je connais les lieux de leur demeure, et *e conserve assez d'ascendant sur eux pour les engager . reprendre leurs premières fonctions, si ingrates et si )énibles qu'elles puissent être. Je puis les indiquer aux ■vèques, et concourir à l'établissement de leurs sémi- naires. »
> Portalis, accoutumé à l'empressement obséquieux des institutionnels, qui sollicitaient avec tant d'ardeur et iu prix des marchés les moins honorables pour leur
onscience, la dignité épiscopale, s'étonna de cette pa- role fière et désintéressée. Il n'avait pas encore rencontré
in homme qui lui parlât, avec cette autorité et cet iccent convaincu, de l'amour de l'Église, du prix des
mes, de la fragilité des honneurs humains, des res- ponsabilités redoutables de l'épiscopat. Il ne désespérait
>as cependant de vaincre cette résistance inattendue et île triompher de cet excès d'humilité.
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IL — Bernier devint l'auxiliaire de PorLalis : il essaya de faire comprendre à M. Émery que son refus aurait pour effet d'appeler la colère du premier consul sur la compagnie de Saint- Sulpice, de priver des ressources de son intelligence et de son caractère un diocèse dont l'ad- ministration pourrait être confiée à un homme incapable et sans vertus.
L'archevêque de Bourges, l'évêque de Vannes et d'autres prélats , qui avaient écouté autrefois avec défé- rence, dans des circonstances difficiles, les sages conseils de M. Emery, secondaient par leur influence et leur con- cours les sollicitations pressantes de Bernier. Mais M. Emery avait longtemps réfléchi avant d'envoyer à Portalis son refus motivé. Le 15 avril, il répondit à Bernier, qui se flattait d'avoir été inspiré par des senti- ments d'amitié en présentant son nom au premier consul :
(( Je persiste, disait M. Émery, à refuser l'évèché auquel j'ai été nommé. Je crois mes raisons légitimes et canoniques. Elles n'ont absolument rien qui puisse offen- ser le gouvernement, puisqu'il est très notoire qu'elles ne sont fondées sur aucune espèce d'opposition à l'ordre de choses qui s'établit, et que je favoriserai de tout mon pouvoir. Ma répugnance pour l'épiscopat est telle, que les violences que je me ferais pour accepter et en exercer les fonctions auraient bientôt terminé ma vie. La seule perspective de cet état pour moi a déjà notablement altéré ma santé.
(( Depuis quand donc le refus d'un évêché serait-il un scandale et un crime ? Il ne peut l'être certainement aux yeux d'un ecclésiastique aussi instruit que vous; il ne peut même l'être aux yeux du premier consul, que ce refus honore, puisqu'il prouve qu'il a jeté les yeux, pour remplir les places, sur des sujets qui ne les avaient pas briguées.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 105
|| « Vous dites que je vous ai fait des reproches ; mais bus avez du sentir que c'étaient les reproches de l'amitié. ! est très vrai que, si je me trouve dans une situation rissi pénihle, c'est votre amitié pour moi qui en a été . cause , puisque c'est elle qui vous a engagé à me pro- pser pour un évêché. Mais je n'en sens pas moins le •ix de votre procédé, et je ne m'en crois pas moins pligé à la reconnaissance.
« Vous me faites redouter les suites de mon refus , pur moi et pour les membres de ma compagnie. Il 'est aucune suite que je redoute pour ma personne, arce qu'elle est exercée et préparée à tout. Mais je ne pis pas comment des prêtres, qui n'ont absolument ricune part à la détermination que j'ai prise , pour- lien t être l'objet de quelque animad version. — Cette nimadversion porterait au fond sur l'Eglise et sur les œques, à qui on rendrait inutiles les services que ces rètres seraient disposés à leur rendre gratuitement. , « Mais il me serait fort aisé de prévenir toutes les îites (pie vous appréhendez pour eux. Puisque je serais, n ce cas, le Jonas qui exciterait cette tempête, il ne agirait pour moi que de me jeter à la mer, ou, pour arler sans figure, que de quitter Paris, de remettre ■ion autorité entre les mains d'un autre et de vivre ans une retraite éloignée; ce qui depuis longtemps ,st l'objet de mes vœux. »
L'abbé Rousseau, futur évèque d'Orléans, était le brviteur empressé, obséquieux, importun de Bernier 4ns la campagne engagée pour triompher des scrupules B M. Emery *. Le vénérable supérieur de Saint-Sulpice
1 Claude-Louis Rousseau fut sacré le 25 avril 1802, à Paris. Il l évèque de Coûtâmes de 180*2 à 1807. En 1807, il fut nommé jêque d'Orléans. Mor Rousseau eut à subir, à Coutances, les peasseries de l'administration civile. Dans ses embarras, il avait cours à son ami le ministre Porlalis, ce qui le forçait de
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nous a laissé le portrait sévère mais fidèle de ce can- didat bruyant à la haute dignité de l'épiscopat. Nommé enfin évêque d'Orléans, M. Rousseau se plaisait à célé- brer, dans un langage dont l'emphase égalait le ridicule, les victoires de l'empereur : il envoyait avec empresse* ment ces panégyriques peu dignes de la gravité épisco- pale à M. Émery, sans dissimuler son désir de recevoir des félicitations encourageantes ; il se plaignait dans ses lettres de son silence , et ne comprenait pas que le supé- rieur de Saint -Sulpice, affligé de ces lamentables exagé- rations de langage, était plutôt disposé à le blâmer qu'à lui décerner des louanges.
« J'ai reçu hier, écrit M. Émery à M. de Bausset , la nouvelle officielle de ma nomination. Dans le moment, plusieurs personnes , entre autres l'abbé Rousseau , accourent pour me faire compliment. Je témoignai sans déguisement mon opposition. Je fus accablé de remon- trances, et même on me fit craindre la colère du pre- mier consul. J'accusai réception, et je remis la réponse au lendemain. Je m'en occupe; je ne balance pas pour le refus, quoi qu'il arrive. Cependant je vais assembler nos messieurs. Saint-Sulpice est perdu si j'accepte, et si je n'accepte pas, on me dit que j'attirerai sur ma com- pagnie l'indignation du premier consul \ »
Il refusa, peu de temps après, avec la même persis- tance et pour les mêmes raisons, les évèchés de Troyes et d'Autun , qui lui furent offerts à la suite des dé- marches de l'oncle maternel du premier consul , le car- dinal Fesch, protecteur et ami de M. Emery. Il vou- lait vivre au milieu des siens, reposer un jour dans la tombe auprès des Bretonvilliers, des Tronson , de ces
séjourner aussi longtemps à Paris qu'à Coutances, où il ne se plaisait point. Il mourut d'une attaque d'apoplexie à Blois, le 7 octobre 1810.
* Lettre du 11 avril 1802.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 107
maîtres pieux dont il avait l'esprit intérieur et les vertus solides. D'ailleurs, pendant les mauvais jours de la révo- lution , il avait vu la mort de près ; il lui restait de cette longue vision une impression profonde du néant des dignités humaines, de la fragilité de la vie et de la grandeur des choses éternelles.
III. — Après avoir ainsi organisé sur de nouvelles hases l'Eglise de France relevée de ses ruines, Bona- parte résolut de frapper l'imagination de la foule par le spectacle d'une grande cérémonie; il caressa l'espérance d'attirer le pape à Paris, et de recevoir de ses mains, pour lui et pour sa race, la reconnaissance et la consé- cration religieuse de ses droits, dans l'église métropoli- taine de Notre-Dame.
Le cardinal Fesch fut chargé, sur les indications de Bernier, de pressentir les dispositions d'esprit de la cour romaine , et de savoir si le pape , après avoir reconnu les services que Bonaparte avait rendus à l'Église, con- sentirait à faire le voyage de Paris, à venir présider la cérémonie de son couronnement et de son sacre. [ Les désirs de l'empereur étaient des ordres : il était ; dangereux de lui résister. Cependant les négociations ! du cardinal Fesch avec Talleyrand, ministre des affaires [étrangères de France, et avec le cardinal Consalvi, qui défendait les prérogatives du saint- siège et les droits de | l'Église, furent longues, difficiles. Elles exigeaient un tact tout particulier : il ne fallait hlesser ni la dignité du pape, ni l'amour- propre irascihle et redoutable de l'empereur.
La cour de Rome aurait désiré que le témoignage tout i particulier de haute bienveillance donné par le pape, : dans cette circonstance, fût reconnu et récompensé par ! la promesse formelle d'une faveur qui aurait été accordée par l'empereur à l'Église de France; cette Église était
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blessée dans son indépendance par les articles organiques ajoutés subrepticement au Concordat, et désavoués avec éclat par la cour romaine.
Il semblait au cardinal Fesch qu'une promesse expli- cite n'était pas nécessaire , et qu'il était plus sage de ne pas contrarier l'empereur par des exigences superflues. Aux cardinaux qui lui demandaient un engagement sé- rieux il répondait que, dans une dépêche adressée au cardinal Gaprara , le 29 messidor, Talleyrand avait dé- claré que le voyage du pape à Paris n'aurait pas seule- ment pour objet le couronnement de Sa Majesté, mais que les grands intérêts de la religion en formeraient la partie principale , et seraient agités dans les conseils mutuels de l'empereur et du souverain pontife; que le résultat de leurs délibérations ne pourrait qu'être infi- niment utile aux progrès de la religion et au bien de l'État.
La crainte des conséquences d'un refus détermina Pie VII à se prêter au désir de l'empereur.
Portalis s'empressa d'en informer l'empereur par la lettre suivante :
ce Sire,
a M. le cardinal Fesch mande que le voyage du saint- père en France est arrêté, et que le départ est fixé au 15 octobre.
« Cet événement , qui fera époque dans l'histoire moderne, et qui se joindra à tant d'autres choses aussi extraordinaires que glorieuses qui caractérisent le règne de Votre Majesté, exige que je prenne vos ordres sur les cérémonies et sur les objets qui peuvent entrer dans mes attributions.
« Déjà Votre Majesté aura réglé dans sa sagesse la manière dont le pape doit être reçu ; toutes les ques-
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tions relatives à ce point sont plutôt diplomatiques que canoniques et religieuses, et sous ce rapport elles sont étrangères à mon ministère. Je ne puis y avoir d'autre part que celle dont Votre Majesté voudra bien se reposer sur mon zèle.
(( Mais y aura- 1- il des évêques qui iront au-devant de Sa Sainteté? Jusqu'où iront-ils? C'est à Votre Majesté à prononcer.
« M. le cardinal Fesch observe qu'il serait sage que quelques évêques fussent attendre Sa Sainteté à Lyon ; et si Votre Majesté le pensait aussi , le choix de ces évêques ne serait pas indifférent. Il est essentiel que le pape, en entrant en France, puisse voir les choses comme elles sont , et qu'il ne soit pas circonvenu par des exa- gérés et des fous.
« Comme l'office naturel d'un pape est de jeter un coup d'oeil sur les affaires ecclésiastiques, le bien exige que l'Eglise de France lui soit présentée, dès son arrivée sur notre territoire, telle qu'elle est par les bienfaits et par la 'puissante protection de Votre Majesté. Les pre- mières impressions à donner au pape doivent lui être données, non par des hommes de parti, mais par des hommes instruits et dévoués à l'État. M. le cardinal Fesch me dit qu'il importe de ne pas négliger cette pré- caution. Il présume que le pape se reposera à Lyon, et il désirerait que là il pût être fidèlement éclairé sur tout ce qui peut intéresser la religion en France.
a Pour moi, Sire, Votre Majesté peut disposer de ma personne; je me rendrai partout où vos ordres m'appelle- ront; mon zèle ne peut avoir d'autres bornes que celles qui lui seraient prescrites par votre volonté. Et, pour le bien même de votre service, peut-être ne serait- il pas indifférent que je puisse observer ce qui se passera, et connaître les alentours de Sa Sainteté dès qu'elle mettra le pied en France.
II 4
HO M. ÉMERY
(( Je hasarde cette idée parce que je suis comptable de toutes mes pensées à Votre Majesté. Ma raison peut se tromper, mais alors mes erreurs mêmes n'auraient leur source que dans mon zèle.
(( Le deuxième objet est la cérémonie du sacre. Cet objet ne sera pas de difficile négociation. On retran- chera les cérémonies qui ne vont pas à nos mœurs. On ne fera que celles qui sont aussi dignes d'un grand prince que de la religion même. En prenant en partie dans le Pontifical romain, et en partie dans l'ancien cérémonial français, tout ce qu'il y a dans l'un et dans l'autre de majestueux et de raisonnable, on peut, avec avantage, remplir l'objet auguste que l'on se propose.
(( M. le cardinal Fesch souhaiterait qu'avant l'arrivée du pape la métropole de Lyon fût mise dans un état décent; il sollicite à cet égard, de Votre Majesté, un secours qui puisse pourvoir aux réparations les plus urgentes et dont l'effet serait le plus apparent.
« Je soumets toutes ces observations à Votre Majesté. Je me conformerai en tout aux intentions qu'elle voudra bien me manifester.
(( Je supplie Votre Majesté d'agréer, etc., (( Portalis. « Paris, 2e complémentaire an XII 1. »
Informé de ces dispositions favorables , Napoléon , qui se trouvait alors à Cologne , adressa cette demande res- pectueuse à Pie VII :
<c Très Saint -Père,
ce L'heureux effet qu'éprouvent la morale et le carac- tère de mon peuple par le rétablissement de la religion
1 Archives nationales, AF, iv, 1045. Le manuscrit conservé contient une erreur de pagination.
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chrétienne me porte à prier Votre Sainteté de me donner une nouvelle preuve de l'intérêt qu'Elle prend à ma destinée et à celle de cette grande nation , dans une des circonstances les plus importantes qu'offrent les annales du monde. Je la prie de venir donner, au plus éminent degré, le caractère de la religion à la cérémonie du sacre et du couronnement du premier empereur des Français. Cette cérémonie acquerra un nouveau lustre lorsqu'elle sera faite par Votre Sainteté elle-même. Elle attirera sur nous et nos peuples la bénédiction de Dieu, dont les décrets règlent à sa volonté le sort des empires et des familles.
« Votre Sainteté connaît les sentiments affectueux que je lui porte depuis longtemps, et par là elle doit juger du plaisir que m'offrira cette occasion de lui en donner de nouvelles preuves.
a Sur ce, Nous prions Dieu qu'il vous conserve, très Saint- Père, longues années au régime et au gouverne- ment de notre mère la sainte Eglise. « Votre dévot fils,
« Napoléon. »
Pie VII partit le 2 novembre. Pressé par les courriers successifs que Napoléon avait envoyés, il lit le trajet de Rome à Paris avec une précipitation qui ne convenait guère à la majesté du vicaire de Jésus-Christ, et qui paraissait encore trop lente à l'impatience hautaine de l'empereur.
La réception oflicielle et solennelle du pape eut lieu au palais de Fontainebleau. L'impératrice Joséphine, la famille impériale, la cour, les grands dignitaires, réunis là l'entrée principale du vieux château, saluèrent l'arri- vée de celui qui venait donner à la puissance de l'empe- reur la consécration et la majesté de l'autorité divine.
Les archevêques et les évèques convoqués de tous les
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départements pour la cérémonie du sacre arrivaient déjà à Paris. L'animation inaccoutumée de la capitale , les visites des princes de l'Église , les préparatifs du sacre , l'empressement des curieux, réveillaient dans l'esprit de M. Émery le regret de ne pas vivre loin de ce bruit et dans l'oubli.
« Mes embarras sont extrêmes, écrit M. Émery à son ami l'évèque d'Alais, et j'espère bien ne plus déménager que pour aller habiter la maison où il n'y a plus un clou à mettre. Vous avez vu la lettre du cardinal Maury, du 12 août 1804, imprimée dans les journaux. Le voilà sur la scène de plus belle, et dans la bouche de tout le monde.
«'Dans quelques jours nous quitterons la campagne pour venir nous établir à Paris. Combien je redoute la cohue qui va avoir lieu ! Oh ! que vous êtes heureux dans votre campagne! Malgré mes démonstrations et mes accès de gaieté, je meurs d'ennui et de chagrin de ne pouvoir , en conscience , rompre les liens qui me retiennent ici *. »
Quelques jours après, M. Émery annonce en ces termes à M. de Bausset la mort de l'archevêque de Rennes et l'arrivée des évêques convoqués pour le sacre de l'empereur :
(( M. l'évèque de Rennes a terminé sa carrière, hier, à six heures du soir. Il s'était confessé à moi , et m'avait fait une confession générale. Il a reçu le viatique et l'extrême- onction. Je suis le seul qui ai eu le courage de lui faire connaître son état, et j'ai eu la consolation d'acquitter la reconnaissance que je lui devais pour l'amitié constante qu'il a eue pour Saint-Sulpice et pour tous les services qu'il a rendus à l'Église de France pen- dant les années de la Terreur. Il est mort dans de grands sentiments de foi et de piété.
* Du 13 octobre 1804.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE H 3
« Les évêques arrivent en foule à Paris. Vous avez raison de regarder ce temps comme étant pour moi un temps de recueillement , de travail et d'embarras.
« Je vous estime fort heureux d'être à la campagne. Je ne crois pas qu'aucun devoir de bienséance vous appelle à Paris dans ce temps; mais l'amitié peut vous y appeler. Il me semble que le cardinal de P>ayanne est votre ami. Il logera chez M. Portalis, car les ministres mêmes sont obligés de loger. On le dit très sourd »
IV. — La veille du sacre , il se produisit un fait inat- tendu , qui devait plus tard créer des embarras à M. Émery, lorsqu'il fut consulté par l'officialité diocé- saine de Paris sur la légitimité du divorce de l'empereur avec l'impératrice Joséphine.
Le public ignorait qu'une simple cérémonie civile , > dépouillée de tout caractère religieux, avait uni José- ; phine à Bonaparte. Au moment de s'incliner sous les : mains du souverain pontife, accablée de remords, trou- blée et pleine de larmes, Joséphine perdit le courage du • silence et révéla son état. La cérémonie du sacre deve- nait impossible.
A cette nouvelle, l'empereur se livra à toute sa colère; mais il comprit que sa vaine résistance allait se heurter . contre une volonté inébranlable, plus forte que la mort I elle-même, et qu'il fallait céder. Persécuter le pape, : c'était faire un martyr sans échapper au scandale;
essayer de le gagner, c'était peine inutile : il fallait à I tout prix , et dans quelques heures, consentir au mariage f religieux.
Mcr Fesch, grand aumônier de l'empereur, fut chargé de faire la cérémonie, après-midi, dans la chapelle des i Tuileries , avec le plus profond secret.
1 Du 28 novembre 1804.
H4 M. ÉMERY
Avant la cérémonie, Msr Fesch se présenta au pape, et lui dit avec un profond respect :
« Très Saint- Père, je peux me trouver dans un tel cas où j'aurai besoin de tous les pouvoirs de Votre Sainteté.
— Eh bien! répondit le pape, je vous les donne tous. »
Le curé de la paroisse n'assista pas , il est vrai , à la célébration du mariage dans la chapelle des Tuileries; mais cet empêchement n'était -il pas levé par les pou- voirs extraordinaires et sans condition que le pape avait accordés au grand aumônier pour valider le mariage de l'empereur?
Est -il vraisemblable que Msr Fesch, décidé à répondre au désir du saint- père et aux desseins de l'empereur en bénissant l'union légitime de l'impératrice Joséphine avec Napoléon , ait oublié cependant de remplir une con- dition essentielle à la validité du sacrement?
Ces questions furent agitées plus tard , lorsque l'em- pereur, trompé dans ses espérances et douloureusement surpris de n'avoir pas d'héritier, demanda au tribunal ecclésiastique, dont M. Émery faisait partie, de pro- noncer la nullité du mariage contracté , en présence du grand aumônier, dans le mystère de la chapelle des Tuileries.
La cérémonie du sacre eut la solennité et l'éclat que l'on pouvait attendre; mais jusqu'au pied de l'autel, dans la pompe d'une fête qui devait avoir un caractère exclusivement religieux , Napoléon ne craignit pas d'af- firmer son indépendance à l'égard du vicaire de Jésus- Christ.
L'histoire de l'Église nous apprend que , depuis l'ori- gine des siècles chrétiens, les empereurs de France et d'Allemagne sacrés par le pape ont reçu des mains du souverain pontife la couronne, symbole de leur puis-
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 115
sance bénie de Dieu. Le cardinal Consalvi n'avait pas manqué, au cours des négociations, de rappeler cette tradition chrétienne au cardinal Caprara. Dans une note diplomatique, datée du 7 août, il l'avait invité à ne pas la négliger, en réglant, avec l'agrément de Sa Sainteté, les détails de la cérémonie du couronnement de l'em- pereur.
Mais Napoléon trompa l'attente et les desseins de Consalvi. D'une main décidée il prit lui-même la cou- ronne et la posa sur sa tête, au grand étonnement de Pie VII, dont les ordres étaient méconnus.
Une protestation était inutile : elle aurait irrité l'em- pereur, sans lui causer des regrets. Le doux pontife garda le silence; il se contenta d'exiger que l'acte incon- venant de Napoléon , infidèle à sa promesse , ne fût pas mentionné au Moniteur.
V. — Pendant son séjour à Paris, Pie VII reçut les hommages du clergé, visita les églises, et prodigua aux fidèles accourus pour le vénérer les témoignages tou- chants de sa tendresse paternelle. Une lettre de M. Émery à l'évèque d'Alais nous apprend avec quelle faveur il fut reçu lui-même par le souverain pontife.
« Vous êtes bien bon , écrit M. Émery, de prendre intérêt à ma santé et à mon existence dans ce monde. Cette dernière m'est bien pénible; elle ne le serait pas, si j'avais comme vous le bonheur de vivre dans la solitude.
« Le service de M. Saint- Papoul s'est très bien fait. Il y avait une trentaine d'évèques. Aucun des constitution- nels n'y a manqué. Je m'informerai des anciens évèques. Je sais déjà un fait : c'est que, lundi dernier, étant à l'archevêché, M. de Juigné y vint en soutane violette et avec sa croix, et nous dit qu'il venait de voir Sa Sainteté.
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ce J'ai rendu mes devoirs au saint -père avec le clergé de Paris. Quand mon tour vint d'aller au baisement des pieds, — et il vint fort tard, parce que je n'avais pas été averti assez à temps, — M. le cardinal de Belloy me nomma. Alors le pape me sourit très gracieusement et me dit des choses très aimables, à ce qu'on m'a rap- porté, car je ne distinguai point ce qu'il daigna me dire. M. le cardinal Fesch lui avait parlé de moi la veille, et de Saint- Sulpice, et m'a dit qu'il voulait me présenter. Mais il me suffit d'avoir reçu la bénédiction du saint- père.
(( Le curé de Saint- Sulpice se présenta un quart d'heure après moi, et , à ce nom de Saint-Sulpice, il fut accueilli très gracieusement. Les marguilliers de Saint- Sulpice, au nombre desquels se trouvent des sénateurs et le premier président Séguier, ont prié le pape d'ho- norer Saint-Sulpice de sa présence. Il a promis d'y venir dire la messe le dernier dimanche de l'Avent1. ))
Le pape sortit de France et rentra dans sa ville éter- nelle , avec le regret de n'avoir rien obtenu de l'em- pereur, en reconnaissance du témoignage éclatant de haute bienveillance qu'il venait de lui accorder, malgré les murmures des vieilles cours de l'Europe, et malgré l'opposition respectueuse de quelques membres du sacré Collège. Il ne savait pas encore qu'il verrait un jour son palais envahi par les troupes impériales, et que, pri- sonnier de celui que sa main venait de sacrer, il franchi- rait encore une fois la frontière de France , pour expie! dans une détention rigoureuse son dévouement héroïque à la cause de l'Église et de la justice.
1 Lettre du 15 décembre 1804.
CHAPITRE VI
M. ÉMERY ET LE CARDINAL F E S C II
L — La liberté rendue à l'Église par le premier con- sul , la fin du schisme qui avait divisé les catholiques et ouvert aux intrus les portes du sanctuaire, permettaient enfin à M. Émery de s'occuper avec tout son zèle de l'œuvre principale de sa vie , la formation du clergé.
La Providence appela sur son chemin un homme qui sut apprécier ses grandes qualités et répondre à son dé- vouement par une affection inébranlable et un courage plus fort que les difficultés : c'était le cardinal Fesch, oncle maternel de l'empereur. Son amitié puissante servit i d'une manière efficace les intérêts de M. Emery et de sa compagnie. Né à Ajaccio, le 3 janvier 1763, Fesch obtint, sur la présentation des états de Corse, une bourse au grand séminaire d'Aix , où il entra après avoir achevé i ses études littéraires au petit séminaire de la même ville. Il se lia, dès son enfance, d'une étroite amitié avec Xavier dlsoard et avec M. Jauffret, nommé plus tard évèque de Metz. Après cinq ans d'études théologiques, il fut ordonné prêtre, en 1787, par Msr de Doria, évèque d' Ajaccio. 11 obtint un bénéfice dans son pays natal, à la prière de son oncle, Lucien Bonaparte, archidiacre et prévôt du chapitre d' Ajaccio. Nommé archidiacre lui- 1 même à la mort de son oncle, il s'éleva contre le décret j de la constitution civile du clergé qui supprimait tous les ! chapitres, et vécut ainsi dans le devoir et dans la paix ,
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jusqu'au moment où le vertige de la révolution troubla les plus fermes esprits.
En juin 1793, il fuit la Corse avec sa famille. Privé de tout moyen d'existence , il obtint un emploi de four- nisseur à l'armée des Alpes, où il persévéra dans l'honnê- teté de sa vie. Après le siège de Toulon, en décembre 1793, son neveu Bonaparte le fit entrer, avec le grade de com- missaire des guerres, dans l'état- major de son armée. Il avait trouvé dans son neveu la condition de sa fortune et le plus ferme appui de sa carrière. Il accompagna Bona- parte , en conservant ses attributions militaires , pendant la campagne d'Italie, et resta ensuite à Paris, dans sa famille, pendant que Bonaparte se couvrait de gloire en Égypte, et acquérait déjà le prestige qui attirait sur lui l'attention de l'Europe étonnée.
Le 18 brumaire réalisa les espérances et les prédic- tions des amis du jeune et vaillant capitaine appelé à de si hautes destinées. Fesch avait conservé, avec l'intégrité de ses mœurs, une foi profonde, héréditaire dans les vieilles familles de la Corse. Il attendait le moment favo- rable pour reprendre avec honneur sa place et ses fonc- tions dans la hiérarchie sacerdotale. Au moment où le Concordat régla d'une manière définitive les rapports ecclésiastiques de la France avec le saint -siège, il fut nommé par le premier consul à l'archevêché de Lyon.
Fesch hésita d'abord : il voulait refuser un honneur dont il ne se croyait pas digne, des fonctions auxquelles il n'était guère préparé par ses occupations antérieures et ses fonctions civiles dans l'état- major de l'armée. Il vint frapper à la porte de M. Emery, caché encore dans une maison du faubourg Saint- Jacques, lui confia ses scrupules, le choisit pour le directeur de sa conscience et le conseiller de sa vie.
M. Émery répondit à cette confiance par un attache- ment respectueux, inébranlable. Jamais les vicissitudes
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 119 contraires de la vie ne brisèrent le lien qui unissait ces deux âmes. Dans ses tribulations, dans les épreuves dou- loureuses qu'il eut à subir de la part de l'empereur, dans l'angoisse des menaces qui pouvaient détruire et dis- perser les débris de sa compagnie, M. Émery s'empressa de recourir au cardinal Fesch ; il trouva toujours en lui un protecteur, dont l'affection et le dévouement l'accom- pagnèrent jusqu'à sa dernière heure.
IL — Sacré le jour de l'Assomption de l'an 1802, dans l'église métropolitaine de Paris, M. Fesch prit posses- sion du siège archiépiscopal de Lyon, et se rendit ensuite à Rome, avec le titre d'ambassadeur. Sa première pensée fut pour M. Émery, qui le remercia en ces termes de ce témoignage d'amitié 1 :
(( J'ai été on ne peut plus vivement touché de la bonté qu'a eue Votre Éminence de prendre elle-même la peine de me donner des nouvelles de son arrivée. Il est vrai que je me flatte qu'Elle est bien convaincue du tendre et vif intérêt que je prends à sa personne. Je ne doute pas , Monseigneur, que vous n'ayez été très bien accueilli à Rome, et on sent bien que cela devait être ainsi ; mais ceux qui ont comme moi l'honneur de vous connaître savent de plus que la considération et, ce qui vaut mieux encore, l'attachement pour vous, vont toujours en augmentant, à mesure qu'on vous connaît davantage.
(( Je voudrais bien , Monseigneur, que Dieu fit un miracle de reproduction, et que vous soyez en même temps à Rome, à Lyon et à Paris : à Rome, pour les intérêts de l'Église universelle; à Lyon, pour les intérêts de votre diocèse; à Paris, pour ceux de l'Église gallicane. Je ne doute pas que le petit séjour que vous avez fait
1 1803.
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à Lyon en allant à Rome ne vous ait gagné tous les cœurs.
« Votre procession de la Fête-Dieu, et les suites qu'elle a eues pour la publicité du culte, ont fait un effet mer- veilleux. La sagesse et la fermeté que vous avez montrées dans cette circonstance ont éclaté bien loin de Lyon et vous ont fait beaucoup d'honneur. Je prie Dieu de tout mon cœur qu'il bénisse toutes vos démarches, et qu'il fasse descendre sur vous le Saint-Esprit, avec les dons de piété, de conseil et de force.
cr Vous êtes, pour ainsi dire, à la source de toutes les grâces spirituelles, puisque vous pouvez si souvent visiter le tombeau des saints Apôtres et ceux de tant d'autres saints pontifes. Sûrement vous ne vous occuperez pas tellement des objets de votre légation, que vous ne donniez un temps notable à vos propres affaires.
ce Ce serait pour vous le moment de lire le Traité de la Considération, et de vous appliquer une bonne partie de ce que saint Bernard dit au pape Eugène, et, dans sa personne, à tous les prélats qui sont chargés de beaucoup d'affaires, vos affaires fussent-elles les plus importantes de toutes pour le bien de la religion; parce qu'après tout, il n'y en a point de plus importante pour nous que celle que Dieu nous a confiée avant toutes les autres. »
La restauration du grand séminaire de Lyon, qui avait subi tant d'épreuves, était l'objet particulier des préoccu- pations du cardinal Fesch. Relever les études dans le séminaire, attirer des jeunes gens pieux et intelligents, rétablir les anciens usages , combler dans les rangs du clergé les vides nombreux faits par la Révolution, c'était l'œuvre essentielle du moment. Pour la mener à bonne fin, le cardinal Fesch comptait sur M. Émery.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE
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« Mon très cher monsieur Émery ,
(( Depuis dix -huit mois j'écrivais à Lyon de tenir la main ferme à faire porter la soutane ; les plus revêches étaient les personnes à leur aise, même les plus riches. J'ai dû me fâcher, et même l'ordonner. J'apprends que la généralité s'y conforme en approuvant; les autres Obéissent en protestant.
« On travaille, mon cher monsieur Émery, avec beau- coup d'activité à la réparation de Saint -Irénée. J'ose espérer que le séminaire sera en état d'être habité avant la fin d'octobre. J'ai tenu ma parole, tenez vos pro-
; messes. C'est à vous à y envoyer les sujets convenus.
! L'archevêque d'Aix, tout en refusant, me laissait une porte ouverte pour me permettre de prendre ou pour me donner vos messieurs. Voyez d'organiser mon séminaire le plus tôt possible. Vous serez le seul responsable devant Dieu. N'ayez point de regret de me donner plu- sieurs de vos bons sujets. L'an prochain, il faudra bien m'en donner autant. Je suis au moment d'obtenir les Colinettes, au-dessus et auprès de Saint-Irénée. C'est là que j'établirai mon séminaire diocésain. Ces deux maisons pourront contenir quatre cents théologiens, dont j'aurais besoin pour couvrir le déficit actuel de deux cent cin- quante prêtres et de soixante autres qui meurent dans l'année. Le supérieur de Saint-Irénée pourrait l'être ainsi des deux maisons.
« Prenez donc vos mesures, veuillez bien m'en écrire, et sachez que je n'aurai de repos et que je ne vous lais- serai tranquille que lorsque vous m'aurez mis en état d'être content de cette partie de mon ministère. Si vous voulez bien me contenter, pensez à me donner des hommes qui vous ressemblant un peu. Je suis un très
122 M. ÉMERY
grand ambitieux , je l'avoue, et je le suis au point que vous devez craindre mon ambition.
ce Comment alimenter, me direz- vous, cette quantité de sujets? Où trouver quatre cents théologiens? Je n'ai pas de secret pour vous. J'ai déclaré la guerre aux curés qui n'établissaient pas une pédagogie dans leurs pa- roisses. J'ai déjà obtenu la promesse de plusieurs curés. Dans un an, j'espère faire la visite de mon diocèse, et sans doute j'établirai des écoles. Je trouverai des sujets que les curés fourniront jusqu'au moment de leur admis- sion dans les petits séminaires.
« Pour les fonds, en établissant un don à donner pour plus de neuf cents fabriques, avec les aumônes et les revenus du secrétariat, je pourrai les trouver. En réalité, l'archevêque et les grands vicaires marcheront avec des besaces. Du reste, comptons- nous pour rien la Provi- dence ?
ce Vous avez donc juré la mort de mon cher Fournier? Ce pauvre poitrinaire est fatigué par le carême ; vous le mettez au grand air prêcher dans le désert. Vous êtes un saint confesseur qui faites des martyrs. Profitez bien de mon éloignement. Si j'arrive à Paris, je ne vous l'abandonne plus1. »
III. — M. Emery ne partageait pas l'inquiétude du cardinal Fesch au sujet de M. Fournier, délivré de sa captivité et très mortifié encore de sa détention à la maison des fous de Bicètre. Dans sa réponse, il dit avec enjouement au cardinal que la santé du prédicateur est excellente, et qu'il doit s'estimer heureux de res- sembler à Notre -Seigneur, en prêchant comme lui, en*, plein air, dans les bourgades et dans les rues.
La réorganisation générale des séminaires, selon les
1 Lettre du 1er juin 1805.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 123
idées du cardinal Fesch, paraissait difficile cà M. Émery; il opposait des difficultés pratiques au plan qui avait été élaboré sous l'inspiration de l'archevêque de Lyon. D'après ce plan, on devait ouvrir des séminaires diocé- sains, avec les cours ordinaires de théologie et la prépa- ration directe au sacerdoce, et des séminaires métropo- litains ou supérieurs, dont les professeurs recevraient un traitement de l'Etat.
Les élèves les plus distingués, admis dans les sémi- naires métropolitains, devaient se livrer à des études théologiques et scientifiques plus étendues, s'exercer à la discussion, à la polémique, à la soutenance des thèses, !et couronner leurs études en prenant leurs grades aux : Facultés reconnues par l'État. Ces sujets d'élite, ainsi préparés et munis de leurs titres, seraient seuls appelés | ensuite à occuper les principales cures, les places de grands vicaires et les canonicats.
Ce plan, si conforme d'ailleurs à l'esprit et aux tra- ditions de l'Eglise, qui n'exige pas seulement la piété, mais qui attend aussi la science de ceux qu'elle appelle à défendre la vérité chrétienne dans les hautes situa- tions ecclésiastiques, indique bien la largeur de vues et 'l'élévation de pensées du cardinal Fesch. Il avait l'intel- ligence des besoins particuliers de l'Eglise dans les con- jditions nouvelles de la société française.
M. Émery était favorable en principe à la pensée fon- damentale du projet; mais l'intervention de l'État, qui avait perdu son caractère ouvertement et entièrement chrétien, ou qui pouvait le perdre, effrayait sa clair- voyance; il prévoyait les abus redoutables de cette ingé- rence de l'autorité civile dans le domaine des choses religieuses.
Il exprimait ses craintes dans cette lettre adressée au (cardinal Fesch, le 3 septembre 1805 :
« Ce qu'il y a de plus intéressant dans l'établissement
124 M. ÉMERY
des séminaires métropolitains, c'est le traitement du supérieur et des directeurs, dont vous seriez déchargé. Mais combien de réflexions n'aurais -je pas à faire à Votre Eminence sur les séminaires tels qu'ils ont été réglés !
(( Plus j'en étudie le plan et la forme, plus je les trouve imparfaits, vicieux, désastreux même pour l'au- torité spirituelle des évèques. C'est M. Jauffret qui a conçu le premier plan très à la hâte. Il le communiqua à M. de Crouzeilles ; ils me le communiquèrent l'un et l'autre. En général il me déplut; je fis des observations importantes, auxquelles on eut égard.
« Je prédis que le gouvernement s'emparerait de la nomination des professeurs ; on prétendit que non. M. Portalis est bien convaincu que cette nomination appartient aux évêques. Mais le plan porté au conseil reçut des modifications et des additions capitales.
ce II est vrai que le gouvernement ne doit nommer que des sujets présentés par le métropolitain et ses suf- fragants; mais ces sujets, nommés par le gouvernement, ne peuvent être destitués que par lui. Ainsi, qu'un supé- rieur, que des professeurs, que des directeurs deviennent ou se manifestent mauvais sujets, soit pour les mœurs, soit pour la doctrine, il ne dépend pas de l'archevêque ni de ses suffragants de les renvoyer.
« Je sais bien que, pendant que vous gouvernerez le diocèse, vous serez le maître; mais les règlements sont perpétuels, et ni vous, Monseigneur, ni le ministre actuel , ni le gouvernement ne le sont; et si un empereur était insouciant, et le ministre impie ou hérétique, voilà donc pourtant tout l'enseignement de l'Église gallicane entre ses mains !
« Mais j'aurais bien d'autres observations à faire à Votre Éminence, d'après lesquelles Elle jugerait que la loi des séminaires métropolitains ne peut plus subsister
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 125
telle qu'elle est, et que les évêques, loin d'avoir intérêt à la conservation de ces séminaires, en auraient au con- raire à leur suppression. »
IV. — Il était impossible de trancher par une mesure sommaire ces graves et délicates questions sur les rap- ports du saint-siège et du gouvernement, questions dont quelques-unes sont encore pendantes et attendent une solution. 11 ne fallait pas espérer exclure l'État et obtenir une indépendance absolue dans le domaine des îffaires spirituelles, sans se mettre en opposition avec 'esprit du Concordat et avec les conditions nouvelles de la société. Tout le problème consistait à savoir dans quelle mesure et à quel prix on pouvait reconnaître, approuver l'intervention de l'Etat dans l'administration Ides grands séminaires, qui avaient besoin de ses libé- Iralités pour vivre et se perpétuer. La sagesse comman- dait d'éviter les extrêmes et de chercher un terrain de conciliation, sans faire le sacrifice coupable des droits spirituels de l'Église. Il semblait d'ailleurs qu'en accep- tant même le projet élaboré par M. JaulTret, futur lévèque de Metz, d'après lequel l'État se réservait le droit i|de destitution, tous les périls signalés n'étaient pas à craindre. Un directeur, imposé par le gouvernement, |mais flétri et condamné par l'Église, qui conserve le ^pouvoir de le suspendre, l'interdire, l'excommunier, i (tomberait nécessairement sous le mépris des élèves : loin 'fd'ètre un péril, il deviendrait un objet d'épouvante pour hes séminaristes et pour les directeurs. Le courant de l'opinion devait l'emporter loin de la maison dont il jserait le scandale. Aussi le cardinal Fesch ne pouvait pas i irenoncer encore, et pour les raisons que M. Émery venait •d'exposer, au projet défendu par l'abbé JaulTret.
L'empereur songeait alors à rappeler en France le cardinal Fesch, dont il avait à se plaindre, et à le rem-
126 M. ÉMEKY
placer dans ses fonctions d'ambassadeur auprès du saint- siège. Ce prélat, qui se croyait nécessaire à Rome pour y défendre les intérêts de la France et déjouer les calculs de Gonsalvi, s'alarma de ce rappel. Il écrivit à l'empereur une lettre d'un grand intérêt, où il exprime cependant avec trop de franchise le sentiment peut-être exagéré qu'il avait de sa valeur' et de son influence; on y voit aussi l'idée qu'il se faisait du rôle d'un diplomate français à Rome.
ce Sire,
(( L'intention que Votre Majesté me manifeste, de me rappeler et de me faire remplacer par un séculier, m'oblige à lui représenter l'effet que cette nouvelle a produit sur le secrétaire d'Etat et les considérations qu'elle m'a présentées.
(( Celui-ci arrivait chez moi- au moment où le courrier m'apportait la lettre de Votre Majesté, je lui remis celle pour le saint-père; nous nous retirâmes pour conférer, et dès lors je lui dis en partie les intentions de Votre Majesté.
((En le bien observant, je lui annonçai mon rappel; ce fut un antidote qui le remit au calme. J'aurais pu lui donner toutes les nouvelles les plus affligeantes , la dou- leur n'aurait eu aucun accès dans son âme enivrée, qui calculait déjà les avantages immenses qu'il retirerait de ce rappel. « Faute heureuse de cette lettre du 13 no- « vembre, devait-il dire, qui nous débarrasse du cardinal « Fesch! Un nouveau ministre, un protestant même, (( pourrait- il résister à toutes les séductions, femmes, « petits présents, protestations de dévouement, humilia- (( tions même?
(( Ce protestant saura- 1- il établir une police qui dé- (( couvre mes pensées à peine écloses? Aura-t-il les
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 127
moyens du cardinal Fesch, de qui on espère tout s'il devenait pape? Aura-t-il les mêmes intérêts que le cardinal Fesch à me surveiller, à m'influencer ? D'ailleurs, il n'est plus possible d'en imposer à celui- ci. Un homme, le plus prévenu, aura peut-être besoin de se ménager la protection de cette cour, et il pourra bien se laisser séduire par les apparences. Enfin , le cardinal Fesch est d'autant plus dangereux qu'il est inattaquable envers le monde, envers ses pairs et envers le gouvernement du saint -siège. (( 1° Il ne donne pas lieu à la médisance, il s'est même retiré de toutes les sociétés. Il ne reçoit chez lui qu'en grande étiquette, et il nous censure par sa manière de vivre. 2° On ne peut pas même se plaindre de lui, parce qu'il n'affiche que les prétentions d'un simple cardinal. 3° Le saint -siège lui est même redevable, parce qu'il tache de lui rendre les services compatibles avec les intérêts de son souverain. Il est même très indulgent, parce qu'il se laisse persuader que ce n'est pas par persécution, mais par justice, que nous persé- cutons ceux qui ont été amis des Français, que nous déplaçons celui qui, un mois auparavant, a été l'accu- sateur de ceux que nous avons été obligés de punir malgré nous.
(( Ce cardinal Fesch qui, malgré que nous le détestions, : nous oblige de taire dire au pape, dans sa réponse à : Sa Majesté, qu'il le verra partir avec molto dispia- [ cerc. Aussi nous n'avons pas pu dissimuler nos dis- i positions envers lui, en en parlant avec beaucoup de ( froideur, quoique nous nous soyons eflbrcés de lui persuader que le pape n'a pas voulu en faire un grand éloge, crainte que Sa Majesté impériale et royale ne le soupçonnât d'être trop partisan du saint- siège. » (L Oui, Sire, il ne fut jamais plus content que cette irée-là. Je lisais dans son cœur.
428 M. ÉMERY
(( Il est incontestable, Sire, qu'il est de l'intérêt de Consalvi que vous me rappeliez , et du vôtre de me laisser la porte ouverte, de retourner à Rome quand bon vous semblera. Consalvi ne me trompera pas, il trompera tout autre.
((Je ne dois point entrer, Sire, dans vos combinaisons; mais si elles pouvaient se concilier avec ma demeure par intervalles à Rome, mon établissement ici énormé- ment dispendieux, où j'ai tout mis, croyant d'y vivre longtemps et même toute ma vie, le traitement de mi- nistre qui cesserait, étant remplacé à Rome, sont des raisons suffisantes pour faire des représentations à Votre Majesté afin qu'elle daigne me conserver en cette qualité, et qu'elle me permette seulement de retourner en France au moins la moitié de l'année , lorsque des affaires essen- tielles n'exigeraient pas ma demeure à Rome1.
« Rome , le 3 février 1805. »
Ces graves préoccupations n'empêchaient pas le car- dinal Fesch de s'occuper avec zèle de son diocèse de Lyon et de la restauration des études dans les séminaires de France. Pour atteindre plus sûrement ce but, le cardinal Fesch, dans son désir de contribuer à la renais- sance intellectuelle du clergé, résolut, avec l'assenti- ment de l'empereur, de réorganiser la chapelle de Saint- Denis , et de créer enfin cette haute école de sciences ecclésiastiques dont il exposait ainsi le programme à M. Émery, le 2 avril 1806 :
« J'ai bien désiré d'être à Paris pour vous consulter sur un projet que j'ai envoyé au gouvernement sur le chapitre de Saint -Denis. Je voudrais en faire une école
1 Archives nationales, AF, iv.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 129
de perfectionnement des études ecclésiastiques, en y établissant une communauté de prêtres, qui seraient en nombre égal des départements de la France, qui officie- raient journellement à l'église et s'occuperaient des sciences ecclésiastiques. Etant à portée de voir souvent et de traiter avec des hommes vieillis dans les fonctions épiscopales, ils apprendraient facilement l'art d'admi- nistrer un diocèse. Il sortirait de là des grands vicaires, des orateurs, et il s'y formerait d'habiles canonistes, de savants théologiens : ce serait le corps de réserve pour la défense de la foi, des mœurs, et pour le renouvelle- ment de l'esprit ecclésiastique. Il y aurait en outre une autre communauté, en forme de petit séminaire, pour les prêtres desservants et les enfants de chœur. »
Ce brillant projet intéressait M. Émery sans le séduire ; il lui trouvait même une certaine ressemblance avec la république de Platon. C'est ainsi qu'il s'exprime dans sa réponse à la communication bienveillante du zélé car- dinal. Il multiplie les objections, expose les inconvénients et les difficultés d'un tel établissement, et provoque de la part de son ami cette réponse émue :
« En répondant à votre lettre du 20 avril , je com- mence par l'article qui concerne le chapitre de Saint- Denis, où vous me dites que mon projet est d'une exécu- tion trop délicate, faute d'ecclésiastiques et d'émulation.
d Faudra- 1- il donc renoncer à l'espérance de voir bien organiser l'Église de France? et dans dix ans les séminaires ne seront-il pas organisés? D'ailleurs n'est-ce pas encourager à prendre l'état ecclésiastique que de pré- parer des places honorables aux jeunes ecclésiastiques qui se sont distingués dans le séminaire?
« Pour l'émulation, je craindrais qu'il y en eût trop, et qu'elle ne dégénérât en prétention orgueilleuse aux premières places de l'Église. Ces jeunes prêtres qui auraient fait quatre ans de séminaire; qui, avant d'être
130 M. ÉMERY
élus prêtres du chapitre, passeraient quatre examens publics et très rigoureux ; qui seraient là à la disposition du grand aumônier, pour être appelés aux emplois de* grands vicaires, et pour être chargés, dans les cas extraordinaires, des missions importantes, sous la main du gouvernement qui les encouragerait par des faveurs ou par des expectatives, ces jeunes prêtres n'auraient pas d'émulation ?
(( Si j'avais pu vous détailler l'esprit des statuts que j'ai proposés au gouvernement, je suis convaincu que vous conviendriez que ce ne serait pas faute d'émulation que cette communauté ne marcherait pas.
(( Quant au voisinage de Paris, il dépendra de l'exac- titude des prêtres, directeurs de la maison, d'en éviter les inconvénients, et ce ne sera pas la faute de l'institu- tion s'il se glissait des abus, ou il faudrait abandonner tout espoir de voir rétablir des maisons où la régularité serait observée. D'ailleurs, il faut donner quelque chose à l'assistance du Ciel. »
Le cardinal Fesch voyait bien que, si l'on voulait con- vaincre les esprits égarés par les sophismes philoso- phiques du dernier siècle, par les paradoxes des réfor- mateurs de la société , par les affirmations retentissantes que l'on avait coutume de présenter comme l'expression authentique de la science, la piété ne suffisait pas. Il fallait un clergé instruit des données certaines de toutes les sciences, des objections nouvelles élevées par l'erreur et au courant des arguments qui permettaient de les réfuter avec compétence et autorité. De là cette légitime pensée de fonder l'école supérieure des sciences pour le clergé.
V. — Les préoccupations du chapitre de Saint- Denis, l'institution des écoles métropolitaines, des affaires dont il était accablé dans l'accomplissement de ses devoirs
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 131 politiques d'ambassadeur, n'empêchaient pas M»r Fesch [de surveiller le séminaire et le clergé de Lyon.
Il y avait alors à Clermont un vénérable directeur de la compagnie, M. Bouillaud, aimé, écouté de tout le clergé du diocèse. Le cardinal Fesch, appréciant les hautes qualités de ce prêtre, résolut de l'établir à la tète du séminaire de Lyon. 11 fit part de son projet à M. Emery, et le mit dans un grand embarras.
Celui-ci ne voulait pas déplaire au cardinal Fesch , ami et protecteur de la compagnie ; il hésitait aussi à contrarier l'évèque de Clermont; il lui répugnait de déplacer un vieillard, attaché par le fond du cœur au diocèse où, depuis des années, il faisait un bien consi- dérable en conservant un grand ascendant sur l'esprit du clergé. Les supérieurs de la compagnie connaissent ces difficultés pénibles; elles démontrent avec la plus grande évidence que trop souvent l'obéissance est plus facile que le commandement. C'est un art laborieux de manier les esprits, de diriger des volontés libres, sans compro- mettre les intérêts que l'on doit défendre , sans offenser des hommes que l'on ne cesse jamais d'estimer.
M. Emery exposa la situation au cardinal Fesch, en le priant de renoncer à son projet. Mais l'archevêque de Lyon n'avait pas l'humeur changeante : il persista dans son dessein.
Cependant M. Émery s'adressa directement à M^ de Clermont, dont la réponse augmenta son incertitude et son chagrin.
« J'ai reçu , Monsieur et cher ancien confrère, répond l'évèque de Clermont la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire; M. Bouillaud l'a reçue le même jour. Vous comprenez qu'elle m'a causé infiniment de peine, et elle a profondément affligé M. Bouillaud.
1 Lettre du -20 janvier iSUô.
132 M. ÉMERY
(( Il n'est pas d'abord possible de calculer le tort immense que cette perte cause à mon diocèse. C'est, comme vous le savez , un pays très difficile à conduire. M. Bouillaud , qui y demeure depuis vingt-cinq ans, a la confiance générale , y est très aimé , très respecté , et sa présence a beaucoup contribué à rétablir le calme et la tranquillité dans mon diocèse, qui, comme vous savez, a été à mon arrivée très orageux et m'a donné beaucoup de peine.
« J'ai bien obtenu du ministre de la guerre l'échange de mon séminaire avec un autre bâtiment; mais j'ai besoin , d'abord , de la confiance qu'on a en M. Bouillaud pour me procurer les secours nécessaires à mon éta- blissement. M. Bouillaud est chargé des ecclésiastiques répandus dans tout mon diocèse. C'est lui qui les exa- mine , qui les dirige ; je ne peux pas le faire par moi- même.
ce Des deux grands vicaires qui sont approuvés par le gouvernement, il n'y en a qu'un qui peut me rendre service; le deuxième, que j'ai été obligé de prendre parmi les constitutionnels, est bien un savant homme, revenu de ses Erreurs , très édifiant , mais perclus de gouttes depuis deux ans , ne pouvant sortir de la chambre, et dans l'impossibilité de me rendre aucun service.
« Ma santé est depuis quelque temps extrêmement fatiguée, mes forces diminuent beaucoup; ma maladie de Paris, celle que je viens d'essuyer, trente ans de tra- vail continu dans le grand vicariat , vingt de ces années dans celui de Paris , et treize de persécution , de souf- frances pendant la révolution , tout cela a profondément ébranlé ma complexion, et depuis quelque temps je le sens d'une manière plus frappante. Vous jugerez com- bien la perte d'un appui comme M. Bouillaud me fera du mal, en faisant à mon diocèse un tort irréparable.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 133
(( D'ailleurs, il faut observer que ce changement ne fera qu'avancer mes jours et ceux de M. Bouillaud. Il approche de soixante-dix ans; partout ailleurs qu'à Cler- mont, il s'est toujours mal porté. Il peut en résulter qu'il faudra peut-être bientôt un nouvel évèque à Cler- mont et un nouveau supérieur à Lyon.
(( Voilà mes observations, que vous pouvez même, si vous le voulez, faire passer à Son Éminence. Si l'au- torité m'enlève M. Bouillaud, je sais souffrir; il y a assez de temps que j'ai fait l'apprentissage des souf- frances, j'apprendrai à mourir. Je croyais quêtant d'an- jnées de travail, tant de services rendus à la religion, auxquels j'ai pu contribuer pour ma part , l'étendue et l'importance de mon diocèse, pourraient mériter quelques égards. »
VI. — M. Émery savait qu'il pouvait demander un grand sacrifice à M. Bouillaud, et que ce vieillard aimé, respecté, animé d'un grand esprit de foi, consentirait à exposer sa vie, à renoncer à la tranquillité heureuse le sa situation dans le diocèse de Clermont pour obéir au [vœu de son supérieur. La tritesse de l'évèque de Clermont I le bien du clergé compromis par ce départ douloureux le touchaient davantage. Il fit part de ses impressions et tnyoya la lettre de l'évèque de Clermont au cardinal Fesch , qui répondit en faisant appel à l'autorité du supé- rieur de la compagnie. Il oubliait que M. Émery n'aimait ' pas à procéder par coup d'autorité ni à faire entendre I les menaces, parce que l'esprit de Saint- Sulpice est contraire à ces rigueurs autoritaires du commandement. « Je ferai une observation à Votre Éminence , écrit |) M. Émery dans une lettre du 1er juillet 1803 : c'est que \ es sujets de ma compagnie, qui continuent de me re- onnaitre pour leur supérieur, ne tiennent à ma com- )agnie et à moi par aucun vœu et aucune promesse.
134 M. ÉMERY
Tout est affaire d'estime et de confiance , et Votre Émi- nence sait parfaitement qu'aucun motif pris dans la conscience ne les oblige de m'obéir.
« J'ai été souverainement étonné et édifié qu'après la Révolution ils aient continué de le faire, et rien ne m'a confirmé davantage dans l'opinion que j'avais du bon esprit de la compagnie. Mais il résulte toujours de là que je ne dois exercer ma supériorité qu'avec des ména- gements infinis , et en prenant le ton de l'amitié et de la persuasion. Jamais je n'ai donné d'ordre ; je témoigne seulement qu'une telle chose me fait plaisir, et ils le font , parce qu'ils croient sur mon autorité ou sur mes raisons qu'elle est juste et convenable. »
C'est avec ce respect profond des traditions de Saint- Sulpice que M. Emery se plaisait à gouverner. Autant il était facile et bienveillant dans ses rapports avec les directeurs qu'il était obligé de déplacer pour répondre aux désirs des évêques et à l'intérêt du clergé , autant il était ferme quand il fallait proscrire tout ce qui semblait une atteinte au véritable esprit de la compagnie. Dans ses lettres, dans ses instructions, il insiste sur ce point, et ses avis prennent un caractère particulier d'autorité quand il défend aux prêtres de Saint-Sulpice toute fonc- tion , tout ministère extérieur et spirituel , tout apostolat qui détournerait leur attention de cette œuvre capitale et exclusive, la direction des élèves dans les séminaires.
(( C'est un point fondamental à Saint-Sulpice, écri- vait-il à l'évêque de Limoges, et son caractère distinctif, que les directeurs se renferment dans les fonctions propres à leur état et n'exercent aucune partie du minis- tère extérieur. On a cru que le travail pour la formation des bons prêtres était assez important pour occuper un homme tout entier.
a Le temps employé à confesser et à catéchiser les fidèles est très bien employé, sans doute; mais il l'esl.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 135 incomparablement mieux à former de bons prêtres, et j'ai ce point de notre règle tellement à cœur, j'en sens tellement l'importance, que si j'avais cru qu'il ne dût point subsister, je ne me serais donné aucun mouvement pour le rétablissement de la compagnie.
« Si vous vous trouvez, Monseigneur, dans des cir- constances où le service de nos deux directeurs on dehors du séminaire vous paraisse nécessaire, donnez-leur des ordres, auxquels ils se conformeront. Mais j'ai l'honneur de vous prévenir que s'ils devaient, dans la suite, être appliqués à la moindre partie du ministère extérieur, je
. les retirerais et je vous prierais de pourvoir comme vous jugeriez à propos à la conduite de votre séminaire.
(( Si ces messieurs croyaient pouvoir faire plus de bien dans l'exercice du ministère que dans la conduite du séminaire, je serais le premier à leur conseiller de suivie leur attrait ; car je neveux, par la miséricorde
i de Dieu, que sa plus grande gloire. C'est ainsi que M. Fournier ayant montré un talent extraordinaire pour la chaire, et ayant cru qu'il ferait beaucoup plus de bien
i dans cette partie que dans le séminaire , j'ai trouvé très bon qu'il la suivit. »
Le cardinal Fesch semblait ignorer cette résolution inébranlable de son vénérable ami. Devenu grand aumô- nier, il voulut faire entrer M. Émery dans le conseil privé de Mmc Lœtitia, mère de l'empereur, qui venait d'accepter le titre de protectrice des sœurs de la Charité et des principaux établissements de bienfaisance chré- tienne. Il savait que la discrétion, la sagesse, la haute intelligence de M. Émery seraient d'un grand secours pour la connaissance des besoins temporels de tant de malheureux, et pour la répartition équitable des lar- gesses impériales. M. Émery ne pouvait pas se prêter à ce pieux dessein; il déclina la proposition qui lui était
i faite, en rappelant encore une fois à son illustre ami
136 M. ÉMERY
qu'il mettait au-dessus de tout le respect scrupuleux des traditions et de l'esprit de sa compagnie.
ce L'esprit propre de la petite compagnie dont je ras- semble les débris, et que je désirerais rendre perma- nente 1 , répond M. Émery, est que les membres se renferment entièrement dans les fonctions de directeurs de séminaires et qu'ils s'abstiennent de tout ce qui serait étranger à l'éducation ecclésiastique. Cette petite com- pagnie deviendrait bientôt inutile pour son objet, si elle changeait son esprit, et mon occupation actuelle est d'engager tous ceux qui reprennent leurs premières fonc- tions à se débarrasser de toutes celles qui leur sont étrangères; mais il m'est impossible d'y réussir, si je ne donne moi-même l'exemple de n'accepter aucun emploi qui soit étranger à l'œuvre d'un supérieur de sémi- naire. »
VII. — Quelques mois après avoir donné cette réponse au cardinal Fesch, M. Émery consentit, au nom du même principe, et pour conserver dans son intégrité l'esprit de M. Olier, à se séparer d'un prêtre de sa com- pagnie, son auxiliaire de la première heure au moment de la réorganisation du séminaire, M. Frayssinous.
Écrivain distingué, orateur de mérite, éloquent sans déclamation, précis sans sécheresse et sans raideur, versé dans la connaissance des erreurs du temps et dans l'art de les réfuter, Frayssinous se sentait appelé de Dieu au ministère de la parole apostolique. Ses modestes débuts dans la chapelle des Carmes faisaient prévoir ses succès prochains et plus éclatants dans la chapelle des Allemands de l'église Saint-Sulpice. Il avait au plus haut degré le sentiment des besoins nouveaux des intelli- gences troublées par les sophismes du dernier siècle. Il
i Lettre du 6 avril 1805.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 137
n'avait ni les entraînements, ni l'éloquence populaire , ni les saisissantes images de son ancien confrère M. Four- nier. Nature supérieure et observateur judicieux des consciences, il avait compris que le discours chrétien ne devait plus être un simple commentaire intéressant, pieux, d'un texte emprunté aux Pères des siècles passés, ou le développement littéraire des canons d'un concile œcuménique accepté sans discussion ; il savait que les jeunes gens avaient besoin d'écarter les objections philo- sophiques élevées sur leur passage par l'incrédulité con- temporaine, d'entendre une parole actuelle et vivante et de reconnaître la divinité de l'Eglise, qui impose sa parole avec autorité avant d'interpréter les détails de son enseignement.
Le dogme catholique est immuable, il domine les vicis- situdes de la pensée humaine; mais l'art de le défendre et de le présenter aux foules participe aux modifications et au changement des mœurs, des goûts, de l'esprit, de l'opinion même d'un pays.
Frayssinous était un de ces hommes que Dieu suscite B ses heures de miséricorde, au lendemain des catas- trophes sociales, pour répondre aux besoins nouveaux i|ie ses contemporains. Une telle vocation était incompa- ible avec les devoirs modestes du prêtre de Saint-Sulpice ; kussi, le 11 septembre 1806, il fit connaître sa voca- \ ion nouvelle à M. Émery, par cette lettre datée de son ays natal :
« Monsieur et très honoré Supérieur,
« Il y a longtemps que j'ai dans l'esprit un projet que • ne peux pas exécuter sans vous en faire part. Il pourra )us paraître singulier ; mais aussi rien de plus singu- er que les circonstances où la Providence nous a placés, ous avez pu apercevoir, ou du moins soupçonner plus
438 M. ÉMERY
d'une fois, que j'avais un goût très décidé pour les confé- rences de Saint - Sulpice , et que mon penchant naturel m'entraînait plus vers ce genre d'occupation que vers tout autre. Jusqu'ici , resserré par le local ou livré à des fonctions très importantes, je n'ai pu donner à cette œuvre qu'un degré d'intérêt et d'utilité assez borné. Je croirais que le moment est venu de lui donner le déve- loppement dont elle est susceptible. Il est aisé d'en faire une œuvre d'une utilité majeure et universelle.
« Si la chose était à créer, on pourrait hésiter à cause de la grande incertitude du succès; mais la chose existe, elle a été en croissant tous les ans : il ne s'agit plus que de la pousser plus loin. Voici à ce sujet toutes mes idées :
(( Il me semble que, dans le temps où nous sommes, un des plus grands services que l'on puisse rendre à la religion , c'est de la remettre en honneur aux yeux de la classe élevée de la société. En vain on ouvrira des sémi- naires : s'ils ne se remplissent de sujets , même s'ils manquent de sujets d'une Certaine condition, il en résultera un très grand mal pour l'Église. Si les classes élevées n'ont aucune considération pour la religion et pour ses ministres , tout ira en dépérissant. Je crois donc que c'est aller directement au but que de travailler à rendre la religion vénérable et chère à la jeunesse faite par son éducation et par sa naissance pour occuper les premiers rangs de la société.
« Or tel est l'objet des conférences de Saint -Sulpice. On y voit des jeunes gens de toutes les provinces, qui ne peuvent qu'en rapporter des impressions salutaires. C'est une chose digne d'être conservée , très appropriée aux circonstances, et dont les résultats peuvent être heu- reux , qu'une suite d'instructions raisonnées sur la reli- gion , écoutées avec intérêt par une foule de jeunes gens destinés à être un jour des pères de famille , et qui
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 139
peuvent avoir sur l'esprit et sur l'opinion du peuple une si grande influence.
(( Je sais qu'à parler en général , l'œuvre des sémi- jnaire est la première de toutes; mais il ne s'agit ici que [d'un individu, qu'il est aisé de remplacer dans l'ensei- ignement de la théologie. La Providence a voulu que je fusse l'homme propre aux conférences dont je parle. Si je les continue dans un local vaste et commode, l'utilité jen sera heaucoup plus étendue. Je ferais un cours d'ins- truction qui durerait deux ans, huit mois chaque année; je traiterais une suite de sujets analogues au temps où • nous sommes et aux hesoins de la jeunesse.
« Je sens bien que mon projet est incompatible avec les fonctions que j'ai remplies jusqu'à ce jour, et même Lavec mon séjour au séminaire. Dans tout cela je ne •trouve aucun avantage temporel; il est même assez clair s que c'est le contraire. Je n'ai l'espoir fondé d'aucune place quelconque. Pourvu que je puisse subsister, c'est [itout ce qu'il me faut. Si vous goûtez mes idées, je crois que vous n'aurez pas lieu de vous en repentir. Quoi qu'il arrive, je ne serai pas moins pénétré du plus profond sentiment de respect, d'estime et d'attachement pour vous et tout ce qui compose votre compagnie.
« Frayssinous , prêtre 1 .
v A Saint-Cosme, par Espalion (Avcyron). »
i VIII. — M. Émery cherchait avant tout la gloire de Dieu ; il avait le sentiment des services considérables que Frayssinous pouvait rendre à l'Église en suivant son attrait pour la prédication. Si grand que fut son attache- ment pour les membres de la compagnie, et en particu-
1 Lettre inédite.
140 M. ÉMERY
lier pour un sujet d'un si rare mérite, il fit taire les exigences de son cœur. Dans une réponse affirmative, il rappela à son enfant, avec l'autorité d'un père, la néces- sité de conserver l'esprit intérieur dans le monde et de pratiquer les vertus chrétiennes au milieu des périls re- doutables de sa nouvelle vie.
Le 24 novembre 1806, Frayssinous répondit aux sages avis de M. Émery en faisant connaître à son ancien maître l'état de son âme et les luttes qu'il avait eu à soutenir avant de s'arrêter à la pensée d'une séparation si douloureuse.
(( Je n'ai pu qu'être touché , écrit Frayssinous 1 , de la bonté avec laquelle vous me parlez dans votre lettre. J'y ai bien reconnu l'esprit de votre gouverne- ment tout paternel. Je dois vous parler ici à cœur ouvert.
« Vous croirez bien, je l'espère, à ma sincérité, lorsque je vous dirai que je suis plein de vénération pour Saint -Sulpice, et que chez moi au respect se joint ici la reconnaissance. Je serais bien coupable, si j'étais capable d'éprouver d'autres sentiments. On se tromperait bien, si l'on croyait qu'il entre dans mon projet quelque mécontentement secret.
a Tout ce que j'ai vu et connu à Saint -Sulpice est bien loin d'inspirer rien de semblable. Je n'ai jamais eu qu'à me louer infiniment des personnes, et, touché de leurs vertus, j'ai bien souvent éprouvé au milieu d'elles le sentiment de mon indignité.
« Mais je dois dire que le genre de travail , le train ordinaire de vie, la contrainte perpétuelle d'un directeur de séminaire , me fatiguent la tête. Il me semble que je n'ai pas grâce pour élever, des ecclésiastiques et leur parler de leurs devoirs. Je ne le faisais qu'avec répu-
1 Lettre inédite.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 141
ïnance, et dans un état do gène qui me glaçait et me rendait comme immobile. Dans le cours de mes occupa- tions, je me sentais sans cesse détourné par des idées malogues à mes goûts et à la trempe de mon esprit. ! « De là, pour moi, un fond de dégoût et de lassitude îabituelle. Les conférences de Saint -Sulpice me révé- lant toujours à l'esprit, je les trouvais utiles; elles étaient «rvenues insensiblement au point où elles sont , et la Providence me semblait ouvrir devant moi cette autre ".arrière, qui a d'ailleurs des rapports avec la première.
a Je n'ai pas dû vous proposer de trouver bon que je n'y livre exclusivement, en continuant de vivre au sémi- naire. Dans votre maison , il n'est pas reçu de faire de )areilles demandes et d'avoir de telles prétentions. On loit être dans vos mains comme un enfant. Cela a été It cela doit être : sans cela l'esprit de Saint-Sulpice erait bientôt altéré. Il faut ou le suivre entièrement, >u vivre ailleurs. Il me répugne d'être comme un être I part; ce serait là un personnage équivoque et très insignifiant.
(( Hors du séminaire, il y a plus de dangers à courir; nais, en retranchant la confession des personnes du exe et les repas, on coupe court à la plupart des dan- gers. Avec les exercices ordinaires de piété, l'étude, la \ ionfession des jeunes gens, on peut bien employer utile- ment ses jours.
| c Je puis me faire illusion, mais il me semble qu'il ludrait au milieu de Paris, dans les circonstances ctuelles, une chaire destinée à la défense de la religion. « M. Fournier, qui la défendait avec tant d'éclat, et qui '.ait là comme un géant armé pour repousser ses enne- Uis, sera comme perdu pour les chaires de Paris. L'abbé le Boulogne prêche peu, et pourra être appelé à l'épis- >pat. Il ne reste plus personne pour le genre de minis- ire dont je parle. D'après toutes ces idées, j'ai cru
142 M. ÉMERY
devoir faire un essai et exécuter le plan que je vous ai communiqué.
(( J'espère de la bonté de Dieu ; si je me trompe, il me remettra dans ses voies. Je compte sur vos prières, et vous supplie d'agréer les assurances de mon respectueux attachement.
(( FRAYSSINOUS *. ))
Ce n'était pas une triste pensée d'ambition vulgaire ou l'amour de la vaine gloire qui déterminaient le brillant conférencier de Saint - Sulpice , le précurseur de Lacor- daire, à se séparer des membres d'une compagnie qui avait eu les prémices de son courage et de son apostolat. M. Frayssinous, si grand et si simple à la fois dans ses manières et dans sa vie, était, lui aussi, de la race des saints. A l'exemple de M. Emery, il cherchait avant tout le royaume de Dieu et sa justice , le triomphe de l'Église et le salut des âmes.
Le saint évèque de Versailles, M. Borderies, disait de M. Frayssinous : « C'est le prêtre que je vénère le plus. Il serait un martyr. Je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers. Je baiserais ses pieds. »
Lorsqu'il eut la douleur de sortir de la compagnie, pauvre des biens de la terre , plein d'abandon à la volonté de Dieu, attiré vers cette jeunesse de Paris qu'il vou- lait ramener au bien au prix d'un dévouement sans limites, il fit un sacrifice pénible à la nature. L'avenir lui apparaissait comme un inconnu redoutable; il ne connaissait pas encore les faveurs même temporelles que la Providence réservait à sa piété désintéressée et à son I courage. Il devint plus tard évèque d'Hermopolis, grand I maître de l'Université, ministre des affaires ecclésias- I
1 On conserve ces deux lettres de Frayssinous au séminaire j Saint- Sulpice.
I
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 143 tiques, pair de France, membre de l'Académie fran- çaise; puis, quand il sentit, après une vie consacrée sans relâche et sans défaillance à la défense des droits de l'Église et de la vérité chrétienne, que la fin de sa car- lin, > était proche, il sortit modestement de Paris, sans regret et sans bruit , se retira dans la paix solitaire de ?on pays natal , au pied de ces hautes montagnes du Rouergue, que son cœur n'oublia jamais. C'est là qu'il s'endormit dans le Seigneur, avec la piété profonde et la foi pleine d'espérance des prédestinés.
I IX. — Ces séparations étaient toujours pénibles au sœur de M. Emery; il aimait à témoigner une affection paternelle à tous les membres de sa compagnie. Mais aucune considération humaine, aucun sentiment ne pou- vait le détourner de l'œuvre capitale de sa vie : il tra- vaillait avec un courage béni de Dieu, au prix des plus grands sacrifices , à relever les séminaires abattus par la lempète révolutionnaire, à réveiller dans le cœur des prêtres devenus ses auxiliaires le dévouement aux sémi- naristes et réloignement du ministère extérieur.
Il avait de la peine à suffire aux demandes qui lui étaient faites, de tous les points de la France, par des jîvêques empressés à donner à leur séminaire une base bolide. Lyon reprend son ancien éclat; le vénérable abbé JSleilloc est placé à la tète du séminaire d'Angers. |Vf. Levadoux, arrivé de Baltimore, est envoyé au sémi- naire de Saint-Flour; celui d'Aix est confié à M. Roux, ^ncien supérieur d'Avignon; celui de Toulouse, à M. de Saint-Félix, émigré en Espagne pendant la Révolution; •elui d'Autun , à M. Saulnier, réfugié en Italie. Le énérable M. Chanut, successeur de M. Bouillaud, relève e séminaire de Clermont dans l'ancien couvent desUrsu- ines de Montferrand , et l'anime de son esprit. A Vi- iers c'est M. Yernet, qui s'entoure de quelques prêtres
144 M. ÉMERY ET L'ÉGLISE DE FRANGE
du diocèse , réunit vingt élèves et reprend , au prix des difficultés les plus pénibles , l'œuvre capitale de la for- mation du clergé. A Nantes, M. Dorin, secondé par MM. Joubert et Chevalier et protégé par M. Duvoisin, évêque d'un rare mérite, s'installe avec ses nouveaux élèves dans l'ancienne maison Saint -Charles, autrefois habitée par des religieuses. M. Emery envoie à Limoges M. Chudeau , qui était directeur dans le séminaire de ce diocèse avant la Révolution, et le vaillant M. Dilhet, dont il fît cet éloge : « M. Dilhet a de l'expérience, du zèle, de l'activité. Il a travaillé dans le centre de l'Amé- rique. Puisqu'il a réussi auprès des sauvages, il n'aura pas de peine à réussir auprès des Limousins. »
Tous ces prêtres, dont la plupart avaient souffert mille épreuves pendant les jours sombres de la Révolu- tion , d'une foi inébranlable , d'une piété éminente , d'un zèle et d'une perfection sacerdotale dont le souvenir effraye notre faiblesse, obéissent à l'impulsion du supé- rieur de Saint -Sulpice. Ils affrontent de nouveaux dan- gers , bravent la misère et les privations les plus dou- loureuses, résistent aux dégoûts et aux déboires. Rien ne peut ralentir l'ardeur de leur courage, inspiré par l'amour le plus généreux de l'Église ; et , sur tous les points de la France ouverts à leur activité surnaturelle , ils préparent de nouveaux ouvriers évangéliques , ré- veillent l'esprit sacerdotal, relèvent les ruines amonce- lées par l'impiété révolutionnaire. Quels hommes! et quel spectacle ! Il fallait de nouveaux apôtres au pays ravagé par une invasion de nouveaux barbares. Les fils de M. Olier répondent à ce besoin.
La compagnie, échappée au naufrage de la Révolu- tion , reconstituée par son second fondateur M. Emery, retrouve ainsi dans le culte des traditions qui ont fait sa grandeur dans le passé le secret de sa force nouvelle et de la fécondité de son apostolat.
CHAPITRE VII
M. H ME 11 Y ET LE CARDINAL DE BAUSSET
I. — M. Émery, accompagné de M. Garnier, l'un dos irètres les plus distingués de la compagnie, se rendait, souvent chez les libraires de Paris; il p;iss;ii( des soirées ►ntières à examiner les ouvrages, à dépouiller les papiers, t remuer les débris des grandes bibliothèques enlevées .ux monastères etaux maisons religieuses, trésors cachés el intassés quelquefois sans discernement dans des réduits bscurs, au lendemain de la révolution. Il y avait là .es trésors ignorés, oubliés par la rapacité grossière des ecéleurs, des éditions rares, des collections précieuses, es livres de prix, de grands ouvrages, condamnés à isparaitre, vendus au poids, après avoir été volés aux » Jus illustres représentants de la science ecclésiastique | jans notre pays.
; ! M. Emery profita de cette situation pour former à peu • frais les deux grandes bibliothèques du séminaire, Paris et à la campagne, et le fonds principal de la bliothèque du séminaire de Baltimore. ! ce Il faut bien, disait -il souvent, nous procurer des ras, puisque la Révolution nous a dépouillés de tous ux qui nous restaient : une bibliothèque est indispen- I ble au séminaire. » [Il acheta à des prix insignifiants les œuvres des n1- de l'Église les plus célèbres, des commentaires | \r l'Écriture sainte, les traités des canonistes et des ! 11 5
146 M. ÉMERY
théologiens les plus renommés, et une grande quantité d'exemplaires de la Bible et du Nouveau Testament.
« Comme il était très bon connaisseur, raconte M. Gnr- nier avec une simplicité touchante l, il ne manquait point de découvrir les livres les plus utiles. Un jour, ayant trouvé un livre qu'il ne connaissait pas, il s'assit sur un tas de vieux papiers pour l'examiner à loisir. Après l'avoir lu attentivement , il me dit :
« — Voilà un ouvrage plein de recherches, à la com- position duquel l'auteur a consacré toute sa vie ; il faut empêcher qu'il soit détruit, je veux l'acheter. »
(( Une autre fois nous bouquinions ensemble ; il démolit par mégarde une haute pile de livres pour reti- rer un ouvrage qui était à la base. La pile tomba sur lui, un livre relié lui blessa la tête jusqu'au sang, on fut obligé d'appliquer une compresse d'eau froide sur la blessure. M. Émery, qui ne perdait jamais sa gaieté, mé- dit en souriant :
« — Où est le livre qui m'a blessé? Je veux l'acheter; s'il est bon, je lui fais grâce; s'il est mauvais, je le jette au feu. »
M. Émery était heureux dans ses recherches : il eut ainsi la fortune de découvrir un jour des manuscrits iné- dits de Fénelon ; il en fit l'acquisition, avec la pensée d'encourager plus tard un écrivain de mérite à publier la Vie et une édition complète des Œuvres du célèbre archevêque de Cambrai.
Il confia son projet à un homme qui avait un rare talent, de longs loisirs, un esprit sage et le culte des classiques du grand siècle : c'était M. de Bausset, évêque d'Alais, élevé plus tard, par la bienveillance du saint- père, à la dignité de cardinal.
1 Notice inédite.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 147
II. — Né à Pondichéry le 14 décembre 1748, d'un père qui occupait une haute situation civile au service du gouvernement, de Bausset revint en France tout jeune encore, embrassa l'état ecclésiastique, et fut ordonné prêtre à l'âge de vingt-cinq ans. La distinction de son esprit et de ses manières, l'aménité de son caractère, ses rares dispositions pour les lettres, appelèrent sur lui l'attention de M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, qui lui donna des lettres de grand vicaire et le retint dans son palais.
Député de la Provence à l'assemblée générale du clergé, administrateur du diocèse de Digne, il fut promu à l'épiscopat en 1784. Nous le retrouvons, en 1789, aux états généraux, déjà lié avec M. Emery, dont il écoute les conseils dans ses attaques courtoises mais vigou- •euses contre la constitution civile du clergé. Prisonnier t la maison de la Bourbe pendant la Révolution, il en >ort la vie sauve, et se retire, avec la pensée de renoncer i l'exercice de ses fonctions épiscopales, dans une mai- ion de campagne aux environs de Paris.
Il fut le confident et le meilleur ami de M. Emery. tons ses épreuves et ses tristesses, dans ses ennuis et ses léboires, dans ses joies comme dans ses espérance.^, le œur de M. Émery cherchait toujours le cœur de M. de lausset, qui lui resta fidèle jusqu'à sa dernière heure. : 1 n'eut jamais pour lui ni réticence ni secret. Sa cor- espondance avec M. de Bausset, écrite au courant de la lume, est un long épanchement de sou âme; on y re- ouve les principales actions de sa vie. Le célèbre car- inal, qui eut la douleur de survivre à son illustre ami, ima ses enfants comme il avait aimé leur père : il ne h ?ssa jamais de donner à la compagnie de Saint-Sulpice I s témoignages les plus touchants de son affection. Le cardinal de llausset, libre de la sollicitude épisco- de, avait tous les loisirs nécessaires pour répondre au
148 M. ÉMERY
désir de M. Emery et préparer sous sa direction la publi- cation des Œuvres complètes de Fénelon.
Il ne fut pas facile à M. Emery de se procurer les manuscrits de l'archevêque de Cambrai. Ces papiers étaient entre les mains d'un huissier intelligent et inté- ressé, qui ne voulait pas laisser passer sans en profiter cette heureuse occasion de réaliser peut-être un bénéfice considérable. Rassurait même, sans y croire, que l'État voulait les acquérir à tout prix, mais qu'il craignait de n'être pas payé. M. Emery mena l'affaire avec prudence, et devint par adjudication publique acquéreur de ces manuscrits.
Il eut à souffrir quelques ennuis, dans cette circon- stance, de la part d'une personne qui appartenait à la famille de Fénelon, Mmc de Campigny1. Cette femme aimait les vieux livres, et regrettait beaucoup d'avoir laissé vendre à un étranger des papiers qui avaient pour elle une grande valeur. M. Émery consentit néanmoins à lui céder quelques manuscrits, qu'il apporta lui-même à la maison de Mme de Campigny. En recevant son paquet, la domestique lui répondit avec colère :
« Voilà encore des pourritures pour madame! »
D'où je conclus, disait avec esprit M. Émery, que cette domestique n'aime pas les vieux papiers , ce qui
1 M. Girardin, commissairc-priseur à Paris, prévint M. Émery que les manuscrits de Fénelon allaient être vendus. Ils furent d'abord achetés au nom de M. de Bausset, et celui-ci les céda ensuite à M. Émery. 11 est certain, par la correspondance de M. Émery, que Mme de Campigny savait bien qu'on allait vendre ces manuscrits, et qu'il dépendait d'elle de les acheter ou de les revendiquer. Nous avons l'acte d'achat des manuscrits de Féne- 1 loti. M. Girardin, comme fondé de pouvoirs de M. Louis-François- ' Charles de Salfgnac-Fénelon, aîné de la famille, dont la procura- tion est jointe à l'acte, les vendit pour 2 400 francs. A la suite d( l'acte est la reconnaissante de M. de Bausset, constatant qu'il- ont été payés des deniers de M. Émery. L'acte est du 24 bru- maire an IX , qui correspond au 15 novembre 1800.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 149
est très naturel, et que Mmc de Campigny les aime beau- coup.
« L'affaire des manuscrits est enfin terminée, écrit Et. Émery à l'évêque d'Alais, le 1G novembre 1800: Us manuscrits sont chez moi, le payement est fait, et je crois que la cession est en bonne forme. J'ai trouvé les manuscrits dans l'état où ils étaient lorsque je les ai examinés; mais ils étaient dans un état déplorable. Il s'agit maintenant de vous les faire parvenir. Si vous devez venir à Paris dans quelque temps, mon avis est de vous attendre, afin que vous puissiez jeter un coup d'œil sur l'ensemble, car ce n'est qu'après cet aperçu général que vous pourrez commencer par former un système. Si je trouve l'abbé Galard, chargé autrefois du dépôt des manuscrits et de l'érudition, je désirerais lui mon- trer les manuscrits, afin d'avoir ses conseils et le plan qu'il avait conçu. Il peut donner sur le détail des manuscrits des renseignements très utiles, et il serait très à propos que vous le voyiez une ou deux fois, a Voilà donc les manuscrits sauvés. « Il me semble que toute espérance de reprendre vos fonctions est fort éloignée , et en même temps que le moment des vexations n'est plus tant à craindre. D'où je conclus que vous pourriez bien entreprendre un tra- vail qui demanderait du temps et de la suite. Je ne sais pas si ce ne serait pas une œuvre digne de vous de vous :harger de revoir les manuscrits de M. de Fénelon, et le publier ce qui vous paraîtrait digne de l'être. Vous nez beaucoup de goût et une très grande facilité d'écrire : a première qualité assure que le choix serait bien fait, it la deuxième, qu'il vous faudrait peu de temps pour es préfaces, les notes et les éclaircissements qui seraient onvenables. »
111. — M. de Uausset répondit à cette invitation gra-
150 M. ÉMERY
cieuse de M. Emery par un témoignage d'humilité et de confiance , en le priant de lui donner, sans réticence et sans flatterie, des conseils sur le plan, la forme et le mouvement du travail qu'il s'estimait heureux d'entre- prendre dans sa paisihle et verdoyante solitude de Ville- moisson !.
(( Je vous prie, écrivait l'évêque d'Alais, le 28 jan- vier 1801 , de décider l'ohjet dont je dois d'abord m'oc- cuper. Lorsque je vous fais cette prière, je vous supplie de bien vous persuader que ce n'est point une formule de politesse ni un simple témoignage de confiance, mais une détermination positive et certaine, sans laquelle je ne puis entreprendre le travail que vous me proposez.
« Je vous déclare très affirmativement que, s'agissant d'une entreprise très importante sous tous les rapports et qui peut donner lieu dans la suite à beaucoup de dis- cussions, je ne me sens pas assez fort pour oser prendre sur moi-même d'admettre ou de rejeter telle ou telle pièce, d'y joindre telle ou telle note, de commencer par telle ou telle partie, sans avoir l'appui de votre autorité. Mais aussi je vous déclare avec la même fran- chise que votre opinion réglera absolument ma marche
« Ainsi vous pourrez toujours me parler très simple- ment et très clairement : nous n'avons absolument affaire à aucune autre personne pour ce travail ; nous sommes absolument indépendants de toute considération étran- gère, et nous n'avons à consulter que le témoignage de notre conscience, les lumières de notre raison et le sen- timent des convenances sur ce qui pourrait blesser trop vivement certaines opinions. »
Inspiré par M. Émery , dont il appréciait les rares qualités d'esprit, M. de Bausset fit un long examen cri-
1 Au château de Mme de Bussompierre, à Yillcmoisson , par Longjuincau ( Scine-ct-Oise).
ET L'ÉGLISE DÉ FRANCE 151
tique des manuscrits qui lui étaient confiés, et résolut d'écrire la Vie de Fénclon. L'exposition large et litté- ral iv des faits qui composent la vie de l'archevêque de Cambrai convenait mieux à sa nature d'esprit et à ses goûts qu'un travail aride et délicat d'érudition théolo- gique et de discussion détaillée de ces manuscrits fati- gués par le temps.
Dés ce moment M. Kmery accepte le rôle de conseil- ler et laisse voir, dans sa correspondance avec l'évèque d A lais, sa prudence dans les avis, son goût délicat, son esprit critique et la sagesse de ses jugements.
« J'ai lu avec bien de l'intérêt, écrivait M. Emery au mois de mai 1804, le morceau de la Vie de Fénclon que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je vais, puisque vous l'ordonnez, vous dire ce que j'en pense. Vos réflexions sont toujours vraies et justes, mais je les crois trop abondantes. Vous n'avez pas de traits parti- culiers à raconter; vous voudriez cependant donner quelque étendue à cette partie de la Vie de Fénelon, et vous remplissez la lacune par des réflexions, des (observations sur la manière de convertir employée ou à employer. Je crois que vous vous étendez trop.
« Tout ce qui tient à la conversion des protestants peut bien être très intéressant pour des ecclésiastiques; mais votre Vie est autant destinée aux gens du monde qu'aux ecclésiastiques, et les premiers mettent peu d'intérêt à ce qui n'est point (pour me servir d'un terme à la mode) à l'ordre du jour.
« Quand il sera question de religion, de christia- nisme, c'est tout autre chose. Tout, en ce genre, est bien accueilli et bien intéressant. Je sais que vous ne devez pas faire une Vie de Fénelon pour le moment présent seulement, mais aussi pour la postérité : il faut avoir égard à l'un et à l'autre.
« On a reproché à la vie faite par M. de Querbeuf
152 M. ÉMEUY
d'être trop longue. Je craindrais, à la manière dont vous commencez, que la vôtre ne le fût davantage. Il est vrai qu'il y a du bon cà répandre d'abord toutes ses idées! parce qu'on retrancbe ensuite ce qu'on juge à propos. »
IV. — M. Emery aidait avec délicatesse Févêqul d'Alais dans le choix des parties qu'il était bon de sup- primer pour ne pas arrêter le mouvement des idées, le récit des événements, et pour ne pas s'exposer à fati- guer le lecteur par des considérations trop générales ou par des discussions arides; il retranchait impitoyable- ment les hors -d'oeuvre où se complaisait l'esprit, légè- rement prolixe dans son abondance, du savant évèque d'Alais.
Il lui demande la suppression : ici, d'un long morceau sur le jansénisme, qu'il faut renvoyer aux notes expli- catives ; là, d'un récit traînant de la vie du marquis de Féneîon, oncîe de l'archevêque de Cambrai; plus loin, d'une discussion dogmatique inutile et aride sur le quié. tisme et la grâce. Il s'étonne et s'alarme ailleurs d'un rapprochement injuste entre les jansénistes et les jésuites, d'un passage trop favorable aux disciples de Jansénius, qui pourraient, dans leurs polémiques, se prévaloir de l'autorité et des éloges d'un si docte prélat.
Avec quelle sagesse il juge la conduite de Bossuet et de Fénelon dans la controverse théologique sur le quiétisme !
« Je persévère dans mon sentiment, écrit M. Emery, le 20 mai 1808. Il ne faut pas que vous tombiez en con- tradiction avec vous-même, et que vous ayez l'air de chanter la palinodie, en prenant la défense de Bossuet contre Fénelon. Je. persiste à croire que, sur l'article .les procédés, Bossuet est plus répréhensible que FéneloûS qu'il a mis de la raideur, qu'il a manqué de condesi cendance. C'était lui qui poursuivait, et il y avait mille
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 153
moyens de terminer l'affaire sans la pousser jusqu'au bout. »
Leur correspondance n'avait pas toujours pour objet la préparation de la Vie de l'illustre évêque de Cambrai ; elle prenait souvent un caractère plus touchant et révé- lait Fàme sacerdotale de M. Emery, qui subordonnait toujours les choses de la terre aux intérêts éternels.
« Je suis enchanté , Monseigneur, des désirs que vous témoignez d'être entièrement à Dieu. Les infirmités con- tinuelles qui vous assiègent ne peuvent qu'affaiblir sen- siblement votre corps, et vous avertir que votre carrière te sera pas aussi longue que vous aviez lieu de vous le promettre dans les premiers temps de votre vie. C'est lans les exercices de piété que vous trouverez la force it la consolation dont vous avez besoin.
« Vivant comme vous faites, à la campagne et très éloigné du monde, vous avez une facilité de vivre en )ieu et avec Dieu que vous n'auriez point eue dans toute mtre situation. Je suis pour cet objet à votre disposition ;t à vos ordres, encore plus que pour tout autre.
« Vous verrez de votre campagne, comme du haut l'un rocher, les tempêtes et les orages qui agitent et qui oui mentent ceux qui sont embarqués sur la mer de ce aonde. Toutes les vagues de cette mer, qui est encore tien courroucée, viendront se brisera vos pieds. Vous l'en ressentirez que le bruit.
« Vos collègues remplissent leurs lettres de gémisse- nents et de plaintes. L'archevêque de Lyon est arrive ; eue l'ai poirt vu encore. Je l'engagerai, pendant son
ijour, à faire, s'il le peut, quelques représentations sur i ps objets les plus importants. L'abbé D*** m'écrit que le
irdinal de Kohan vient de mourir, après deux jours de i îaladie »
1 Lettre inédite du 2G février 1803.
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M. ÉMEftY
Le cardinal Maury, de retour à Paris, avait repris ses anciennes relations avec M. Émery. Le vénérable supé- rieur de Saint -Sulpice oublia les mauvais procédés de son ami pendant son séjour à Rome, à l'occasion des serments exigés par le gouvernement révolutionnaire; il le combla des témoignages de sa bonté paternelle. Il le reçut souvent chez lui , s'occupa de sa chapelle privée et des objets de piété dont il pouvait avoir besoin , et lui donna une chambre à Issy , où il vint préparer dans le silence et la retraite son discours de réception à l'Aca- démie française.
V. — M. Émery estimait que l'historien de Fénelon avait des titres plus sérieux que le cardinal Maury à un siège académique, et non seulement il fit part à son ami de ses espérances, mais il fit agir des hommes influents pour les réaliser.
L'évèque d'Alais opposa d'abord des difficultés , des scrupules : il exprima ses répugnances délicates, dans une lettre du 22 janvier 1808, à une dame bienveillante qui s'occupait de sa candidature avec un zèle assuré du succès. On y trouve des réflexions judicieuses et l'expres- sion fidèle, dans un langage élégant, du caractère du savant évêque d'Alais.
(( Vous me demandez , Madame , de vous parler avec une entière franchise sur le dessein dont M. Suard a eu quelquefois l'idée de vous entretenir. Je vais répondre au vœu de votre amitié avec toute la sincérité que vous avez le droit d'attendre de moi.
(( Je vous dirai d'abord, dans toute la vérité de mon cœur, que je suis profondément touché du sentiment d'estime qui a inspiré à M. Suard une pensée aussi flat- teuse pour moi. Quelque dénué qu'on pût être d'amour- propre, il serait difficile de se détendre d'une satisfaction sccrè'e lorsqu'on reçoit un témoignage aussi marque
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 153 de la part d'un homme d'autant de goût et d'esprit que M. Suard. J'aurai certainement moi-même le plaisir d'aller lui montrer toute la sensibilité de ma reconnais- sance, lorsque je serai à Paris.
« Mais je ne puis profiter de sa bonne volonté, quelque touché que j'en sois. Je vais vous exposer avec candeur mes motifs, du moins en partie, en me réservant de vous confier les autres lorsque j'aurai l'honneur de vous entretenir.
« J'ai toujours pensé, avant même la Révolution, que les places de l'Académie française auraient dù être presque exclusivement réservées aux véritables gens de lettres, et qu'on y avait donné trop facilement entrée à beaucoup de gens de la cour. J'y trouvais surtout dépla- cés- ce grand nombre devéques qui, sans avoir les lettres et les fonctions de Bossuet et de Fénelon, venaient y occuper leur fauteuil pour y jouer un rôle quelquefois très embarrassant.
« Vous savez mieux que personne que l'état habituel de ma santé et mes longues et douloureuses infirmités ne m'ont pas permis, dans le nouvel ordre de choses, d'accepter les premières places de mon état, que l'ami- , tié et une prévention beaucoup trop favorable m'offraient avec l'empressement le plus flatteur, sans attendre que je parusse les désirer ni les rechercher. Il y aurait une inconséquence sensible de ma part, après avoir refusé des places qu'une sorte de devoir religieux me forçait d'accepter, si je n'avais pas été dans l'impossibilité absolue d'en remplir les devoirs et les fonctions, de consentir à présent à faire partie d'un corps quel- conque.
t Je sais que les devoirs que j'aurais à remplir dans celui-ci ne seraient ni aussi habituels ni aussi pénibles que ceux du ministère auxquels je m'étais dévoué; mais enfin il y en aurait de plus d'un genre auxquels je ne
Iu6 M. ÉMERY
pourrais me refuser sans manquer à la reconnaissance et aux bienséances.
(( Le genre de vie que j'ai adopté depuis tant d'années est le seul qui convienne à mes goûts, à ma santé, aux circonstances où je me suis trouvé, à la tranquillité du ma vie, à mon véritable bonheur. Le plus léger chan- gement altérerait essentiellement toute la douceur de mon existence. Aussi rien au monde ne pourrait m'en- gager à compromettre ces avantages si précieux pour quelques vains succès d'amour- propre.
(( J'ai eu le bonheur inappréciable de conserver l'es- time et l'amitié de tous ceux qui m'ont marqué de l'in- térêt et de la bienveillance dès mes premières années. Au milieu même des orages de la Révolution et du choc des partis, je n'ai rencontré aucun ennemi personnel , ni même aucun détracteur. N'ai-je pas assez d'obligation à la Providence de m'avoir ménagé un sort aussi dési- rable, dans un temps où toutes les passions ont été mises en mouvement et ont exercé tant d'injustices 1 ? »
VI. — M. Émery ne partagea pas dans cette circons- tance les sentiments de M. de Bausset. Il ne pouvait pas se laisser toucher par la pensée de laisser son ami mener une vie facile, agréable, à l'abri des orages, dans une maison pleine d'attraits et de cbarmes. Ces considérations n'avaient aucun poids pour ce vaillant serviteur de Dieu5 dont la vie laborieuse s'écoulait dans la lutte et qui ne demandait à Dieu que le repos de l'éternité.
Ce n'étaient pas davantage des considérations humaines ou la pensée de satisfaire un moment l'amour- propre de son ami qui décidait M. Emery à persévérer dans ses espérances, et à presser instamment l'évoque d'Alais de solliciter les suffrages de l'Académie. Ses lettres à M. de
LclLi'e inédite.
ET L'EGLISE DÉ FRANCE 157 fausset nous apprennent à quel point il était Inspiré par des pensées plus élevées: il voyait des impies lettrés et intrigants occuper les sièges de Fénelon et de Bossuet; il craignait l'influence extérieuredece scandale, et il estimait avec raison qu'il ne fallait pas livrer la place à l'ennemi,
11 pensait aussi que l'aménité de caractère de M. de Hausse!, sa distinction, sa bienveillance, ses manières courtoises, lui gagneraient le cœur de ses collègues de l'Académie, et lui permettraient de contribuer d'une manière efficace à faire aimer la religion1.
« Si les honnêtes gens refusent d'entrer dans ce corps, écrivait M. Émery, il sera perpétuellement composé d'impies, et c'est un malheur pour la religion. Puis il y a des gens bien pensants qui, par leur dureté, sont plus propres à aigrir les mécréants qu'à les ramener. Le cardinal Maury prétend que quand il acquiesça aux sol- licitations qui lui furent faites pour entrer à l'Académie, il y mit pour condition qu'on y ferait entrer des évèques et des ecclésiastiques, comme autrefois; il en indiqua quelques-uns; je ne me souviens pas si vous étiez du nombre. Mais après que votre Vie de Fénelon aura paru, vous serez, sans difficulté, l'évèque le mieux titré pour occuper une place à l'Institut. Je ne vois guère d'évèques qui aient écrit, sinon M. de Langres et M. de Nantes; mais ils n'ont point le titre de littérateurs 2. »
VII. — Le bonheur humain est d'ailleurs fragile. Dieu rappela cette vérité d'une manière saisissante à M. de Bausset, en lui ravissant M"10 de Basso ni pierre, qui était l'âme, l'honneur et la joie sereine de ce château de Ville-
I 1 Après les Cent -Jouis , M. de Bausset fut nommé suecessive- Iment pair do France, cardinal, membre de l'Académie française, 'lue, ministre d Etat et commandeur de l'ordre du S^int- Esprit, ill mourut le 21 juin 1824.
* Lettre à M. de JJaustel, 28 décembre: 18D7.
158 M. ÉMERY
moisson, près Longjumeau, où M. de Bausset goûtait une paix sans orage.
Cette mort frappa cruellement l'évêque d'Alais : ses lettres à M. Émery et à M. Courtade, prêtre de Saint- Sulpice, expriment douloureusement le vide immense creusé dans son cœur par la mort de cette femme chré- tienne.
M. Emery ne laissa pas passer cette circonstance sans essayer, dans un langage plein de tendresse, de consoler son ami , d'élever ses pensées vers Dieu et de lui rappe- ler le néant des amitiés humaines.
« Votre lettre , écrit M. Émery, vient de me jeter dans une grande affliction. Je ne m'attendais pas à apprendre la mort de Mme de Bassompierre. Je croyais bien qu'elle ne recouvrerait pas la santé, mais je croyais aussi qu'elle languirait encore longtemps. La volonté de Dieu soit faite!
(( C'est ainsi qu'en vivant nous-mêmes plus longtemps, nous voyons partir successivement les personnes qui nous sont les plus chères ; mais elles ne font que nous précé- der, et nous allons bientôt les rejoindre.
« Je suis affligé pour Mme de Bassompierre et pour vous : pour Mmc de Bassompierre, quoique après un mo- ment de réflexion on doive plutôt la féliciter d'avoir quitté cette malheureuse vie, surtout en la quittant sous d'aussi favorables auspices; pour vous, Monseigneur, parce que cela va changer notablement votre manière d'exister, et que vous aurez peine à en trouver une aussi favorable à vos goûts et à vos études.
(( Mais que la volonté de Dieu soit faite!
« C'est maintenant que vous sentez tout l'avantage de vous être tourné entièrement vers Dieu. La religion seule peut vous consoler : elle ne me paraît jamais plus conso- lante que dans sa doctrine sur les morts. Nous savons par elle que nous demeurons en communion avec les
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 159
défunts que nous regrettons; que nous pouvons leur être encore plus sensiblement utiles par nos prières que lors- qu'ils étaient sur la terre; qu'ils sont instruits par les anges du souvenir que nous en conservons, que cette pensée nous console , que nous adoucissons leurs souf- frances, et que nous abrégeons le temps de leur durée, et que nous contribuons à rapproclier le moment où ils jouiront pleinement de Dieu.
« Tous les jours vous prierez pour elle, et vous com- munierez ou vous célébrerez plus souvent le saint sacri- fice, dans le dessein de lui témoigner plus efficacement votre amitié.
« Pour moi , ma plus grande consolation aujourd'hui est de prier pour les personnes que j'ai connues dans le monde. J'imagine que par là je me fais des amis et je me prépare une réception plus favorable dans les cieux1. »
VIII. — M. Émery ne cherchait pas seulement à con- soler son ami désolé d'une mort qui brisait une amitié de quarante ans : il voulait aussi ranimer son ardeur, réveiller son courage, lui rappeler d'une manière déli- cate qu'il devait consacrer son talent et les dernières années de sa vie, déjà si pleine, au service de la vérité. Heureux du grand succès de Y Histoire de Fénelon, dont la première édition , publiée en 1808, avait été promp- inent épuisée, M. Emery eut la pensée de demander à l'évêque d'Alais une Histoire de Bossuet. Ce travail ne devait pas seulement le distraire de son chagrin; il devait contribuer encore à la gloire de Bossuet et à la défense de la religion.
M. de Bausset se mit à l'œuvre; il laissa M. Émery recueillir avec patience les matériaux, les classer avec
1 Lettre inédite du oO janvier 1810.
100 M. ÉMERY
méthode, les distribuer selon l'ordre logique, et faire ainsi la partie la plus ingrate de sa tâche ; il s'enferma ensuite de nouveau dans le silence de sa douloureuse retraite , et rédigea les premiers livres de la Vie de Bos- suet.
« Me voici de retour dans ma solitude , écrit l'évêque d'Alais, et je n'ai rien eu de plus pressé que de reprendre mon travail sur Bossuet. C'est la seule chose qui puisse m'attacher et me distraire fortement du passé, du présent et de l'avenir.
(( Mais je prévois qu'il sera nécessairement très long, et je ne m'en plains pas , puisque j'y trouve de l'intérêt, de la douceur et de la consolation. Je ne sais pas si ce travail pourra jamais être d'une grande utilité pour les autres; mais enfin il aura été un grand agrément pour moi, et il est d'un genre convenable à mon état, à mon âge et à mes goûts; il aura, jusqu'à un certain point, rempli le vide de ma vie, suppléé à la parfaite nullité à laquelle mes infirmités m'ont condamné, et nourri mon esprit de pensées et d'études utiles. De pareils résultats sont assez précieux pour les faire rentrer dans les calculs d'un homme raisonnable. Donnez-moi de vos nouvelles: vous savez que je n'aime pas à être longtemps sans en recevoir »
M. Émery lit avec soin les premiers cahiers de l'His- toire de Bossuet. Il s'inquiète encore de l'abondance prolixe de son illustre ami; il lui signale, sous le voile des félicitations les plus délicates, l'inconvénient des longueurs qu'il ne sait pas encore éviter.
(( J'ai reçu le troisième cahier, répond M. Emery, et je vous en fais mon compliment, parce que vous débutez fort bien , et aussi parce qu'Horace a dit :
Dimidium facti qui cœpit habct. Lcllre inédite du "27 mai 1S1U.
ET L'EGLISE DE FRANCE 101
« J'ai tout lu, et j'ai fait quelques petites observations. Faut-il que je vous renvoie les cahiers avec mes notes? autrement, je vous les communiquerai de vive voix. Dès à présent je crains une trop grande abondance.
i Si le prélude de la vie de Bossuet a donné un grand livre, vous courez risque d'être surchargé et obligé de vous resserrer dans des endroits où il aurait été conve- uable de s'étendre. Il ne faudrait pas que la Vie de Jîos- suet comportât plus de trois volumes; tout au plus pour- riez-vous en donner un quatrième. C'est beaucoup que le public vous ait passé trois volumes pour Fénelon ; peut- être ne vous en passerait-il pas davantage pour Bossuet, qui est moins aimé et moins aimable que Fénelon.
« Je vois que vous avez déjà peint Bossuet par des traits assez longs, que vous serez obligé de reprendre dans le coure de sa vie théologique et oratoire. Je dési- rerais qu'à mesure que vous composez et que vous jetez vos idées, vous marquiez tout de suite, et par un signe qui fût à vous, ce qui pourrait être retranché, si vous êtes forcé à la lin défaire des retranchements.
« Nous sommes pleins des préparatifs pour le mariage de l'empereur. Rien dans tout ce spectacle ne me tente le moins du monde. Je ferai ce jour- là mon oraison sur la cité céleste, vers laquelle je m'approche.
« Cette lettre serait partie hier si , dans le moment où j'allais la fermer, il n'était venu dans ma chambre un juge de paix, de la part du ministre de la police, pour saisir ce qui se trouverait chez moi des corrections et tddi lions aux Nouveaux Opuscules de Fleury . Je lui en u donné douze. Voilà les gentillesses auxquelles je suis *xposé. Je crois que c'est en haine du nom de Saint- Milpice qu'on veut transférer le séminaire à Saint-Nico- is 1 . »
Du 2i mars IS10.
162 M. ÉMERY
L'évêque d'Alais, toujours plein de déférence et de soumission aux avis de M. Émery, conservait cependant son indépendance et son sentiment dans les appréciations diverses des principaux événements de la vie de Bossuet. Sur quelques points il maintint son jugement, malgré les sages observations que nous retrouvons dans les lettres de M. Émery.
M. Émery n'approuvait pas la faveur avec laquelle l'évêque d'Alais parlait des services littéraires des jansé- nistes, de la sympathie de Bossuet pour le Nouveau Tes- tament de Mons, condamné à Rome, et des déclarations de l'assemblée de 1082.
Malgré ces légers dissentiments, M. Émery pressait M. de Bausset de faire taire son chagrin et de travailler sans relâche, au nom de la religion, à V Histoire de Bos- suet.
« Je pense souvent à vous et à vos embarras, et j'y suis fort sensible. Vous devez avoir de la peine à vous accou- tumer à la privation de M,ne de Bassompierre ; vous devez nécessairement entrer comme conseil dans tous les arrangements et les discussions qu'entraîne son décès.
« Gela vous prend beaucoup de temps, et il est difficile que Bossuet ne soit pas oublié. Cependant c'est une tache que vous ne devez pas perdre de vue et que vous repren- drez aussitôt que vous pourrez. La Vie de M. de Bos- suet, comme celle de M. de Fénelon, sert encore mieux la religion que ne le ferait un traité exprès de la religion; vous y établirez tous les grands points de la doctrine et du gouvernement ecclésiastique.
(( J'ai fini mon petit travail sur le cardinal Dubois. Quand j'aurai donné un coup d'œil sur les Mémoires de la Régence, je le donnerai à M. Picot.
« Je voudrais publier sous forme de supplément tout ce que j'ai recueilli des pensées de Leibniz relatives à
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 163 la religion. Ce bon M. Sigorgne croyait que c'était une manière indirecte, mais plus efficace dans ce temps-ci, de défendre la religion.
« Je dois me presser de faire le bien que je peux faire, P parce que le temps va me manquer. Dum tempus habe- \tnus, opcremur bonum.
a Oh ! combien vos prières pour Mme de Bassompierre doivent vous donner de consolation! Je ne connais rien de plus efficace pour faire cesser la tristesse 1. »
IX. — La pensée du travail touchant le cardinal Du- bois, auquel M. Émery fait allusion dans sa lettre à M. de Bausset, lui avait été inspirée par une lettre de Fénelon à Mmc Roujault 2, favorable à la mémoire de ce fameux cardinal. 11 n'était pas possible de laver cette mémoire de toutes les attaques , de lui rendre cette beauté sacerdo- tale et ce charme surnaturels qui sont l'expression de la 'vertu. La vie de Dubois, légère et trop souvent compro- •misedansde tristes aventures, ne comportait pas une telle réparation ; mais il était permis du moins de faire 'la part de l'injustice et de la calomnie dans les accusa- tions violentes dont il avait été l'objet et de rétablir la vérité. Il commença ce travail historique ; il fut complété et achevé par Picot, dans Y Ami de la religion et dans ses Mémoires 3.
M. de Bausset s'intéressait à cette réhabilitation histo- rique d'un prince de l'Église ; il communiqua à M. Émery, le 14 mars 1810, une note intéressante, recueillie dans un ouvrage que le vénérable supérieur de Saint -Sul- pice n'aurait jamais eu la curiosité indiscrète de con- sulter.
1 Du 7 janvier 1810.
2 Correspondance de Fénelon, t. III, p. III.
a Ami de la religion, t. XXXII, p. *2bMJ. — Picot, Mémoires, à» edit., p. 109.
164 M. ÉMERY
(( Je viens de trouver, écrit M. de Bausset, un fait bien plus honorable pour la mémoire du cardinal Dubois que toutes les harangues et tous les compliments académiques, et je l'ai trouvé où certainement vous n'auriez pas été tenté d'aller le chercher : c'est dans les Lettres de Ninon de Lenclos et de Saint-Évremont.
« En 1698, vous voyez que c'est bien longtemps avant la Régence, et il fallait que Louis XIV eût conçu une grande idée des talents de l'abbé Dubois , le roi envoya à Londres le maréchal de Tallard , en qualité d'ambassa- deur, pour la négociation la plus importante peut-être qui pût alors occuper tous les cabinets de l'Europe, puisqu'il s'agissait de négocier avec Guillaume III et la Hollande un traité de partage de tous les États de la monarchie espagnole, dont la santé languissante de Charles II laissait prévoir la succession très prochaine.
« Devinez qui Louis XIV choisit pour donner au ma- réchal de Tallard toutes les instructions et tous les secours que l'on ne pouvait transmettre sûrement ni convenable- ment par écrit et pa/ des dépèches diplomatiques? Ce fut l'abbé Dubois.
«La goutte, qui tracassait mes mains depuis plusieurs jours, vient de descendre aux pieds, et me tient cloué sur mon fauteuil, Dieu seul sait pour combien de temps. Je me console en m'occupant de Bossuet Je n'attends, pour vous envoyer le premier livre de son Histoire, que les détails que je vous ai demandés au sujet de quelques difficultés sur l'une de ses thèses. Mandez -moi si je pourrai vous envoyer ce premier livre par les voitures1. ))
D'Alembert, Saint-Simon, Voltaire et les ennemis les plus ardents de l'Église catholique n'avaient pas laissé passer une occasion si favorable d'attaquer la religion , en frappant de leurs calomnies un de ses ministres les
1 Lettre inédite.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 16;i
plus renommés. Ils ne pardonnaient pas au cardinal Dubois d'être arrivé, lui, sorti des derniers rangs de la société, aux honneurs les plus enviés, à une époque où les préjugés de sang et de race faisaient peser quelque- fois sur le pauvre le mépris des puissants, et ils avaient suivi avec dépit ses démarches officielles auprès des sou- verains de l'Europe, qu'il intéressait à la cause du roi.
Ce n'est pas la personne du cardinal Dubois, c'est l'Église que M. Émery veut défendre. Il énumère avec douleur les insultes et les calomnies des philosophes, les discute et les réfute. Homme sans talent, arrivé au pou- voir par de basses intrigues, prêtre libertin, corrupteur du régent, dont l'éducation lui avait été confiée, scep- tique, mort volontairement sans les secours de la reli- gion : voilà les traits sous lesquels Voltaire a représenté le cardinal Dubois.
tes qualités littéraires des discours de Dubois et de son célèbre Mémoire au régent sur le projet dangereux de convoquer les états généraux, l'éloge de son talent par Fontenelle le jour de sa réception à l'Académie fran- çaise, répondent, aussi bien queses succèsdiplomatiques, I aux détracteurs de son esprit. Fontenelle, cité par M. Emery, pouvait rappeler encore que la pourpre ro- maine fut accordée à Dubois à la recommandation de tous les souverains de l'Europe, reconnaissants de la paix qu'il leur avait ménagée.
Mais l'homme de talent importait peu à M. Emery ; il voulait connaître le prêtre et flétrir la calomnie.
Le cardinal Dubois travailla autant que le cardinal de Rohan à pacifier les esprits en 1720, à éteindre le jansé- nisme; il pressa les évoques de France assemblés chez lui de rédiger le corp* de doctrine, et de se soumettre I ouvertement, sans réserve, à la bulle Unigenitus. C'est lui <pie les évèques choisissent, enl723, pour président de l'assemblée générale du clergé, par voie de postula"
166 M. ÉMEltY
tion, quoiqu'il ne fût pas membre de l'assemblée ; c'est Massillon , l'évêque de Clermont, qui répond de sa foi et de ses mœurs dans les informations canoniques prélimi- naires, au moment de sa nomination à l'archevêché de Cambrai , et c'est le cardinal de Rohan qui présida la cérémonie de son sacre.
Voilà donc des hommes éminents par la science et par la vertu , des hommes qui certes ne peuvent pas igno- rer les faits publics et la conduite extérieure de Dubois , des évêques du plus grand mérite : le cardinal de Rohan, le cardinal de Gesvres, M. de Tressan , évèque de Nantes et plus tard archevêque de Rouen, Massillon, évêque de Glermont, qui rendent hommage à l'honnêteté de Dubois et condamnent ainsi les calomnies intéressées des impies qui ont outragé sa mémoire. Il mourut des suites de l'opération de la pierre, après avoir fait dévotement une confession générale au P. Germain , de l'ordre des Ré- collets. Voltaire, qui ne recula jamais devant le men- songe, le fait mourir d'une maladie honteuse et sans sacrement 1 .
M. Émery rétablit la vérité sur tous ces points avec une grande précision dans sa défense impartiale de Du- bois, et il confirme encore l'autorité déjà considérable de ces témoignages par cette lettre de Fénelon à Mmc Rou- jault, dont le mari avait été intendant à Maubeuge, dio- cèse de Cambrai. La lettre est datée du 14 octobre 1711 2.
ce II me semble , Madame, que je reconnaîtrais mal vos
1 Journal de l'abbé Dorsanne.
2 Cette lettre a été reproduite par le savant et pieux abbé Gos- selin, dans les œuvres complètes de Fénelon, avec la note sui- vante : « Cet abbé (Dubois) est le même qui devint en 1720 archevêque de Cambrai, cardinal en 1721, et qui joua un si grand rôle sous la régence du duc d'Orléans. On sait combien ce prélat a été maltraité par certains historiens; mais il paraît bien prouve que, sans être entièrement irréprochable, il ne méritait pas à beaucoup près les traits odieux dont on a flétri sa mémoire. Le
ET L'ÉGLISE DE FRANCE t67
bontés pour moi si j'en doutais après tant d'expériences. Souffrez donc, s'il vous plait, que je montre une pleine confiance pour une grâce que je dois vous demander. M. l'abln? Dubois, autrefois précepteur de Monseigneur le duc d'Orléans, est mon ami depuis un grand nombre d'années. J'en ai reçu des marques solides et touchantes dans les occasions. Ses intérêts me sont sincèrement chers. Je compterai, Madame, comme des grâces faites à moi-même toutes celles que vous lui ferez. S'il était connu de vous, il n'aurait aucun besoin de recomman- dation , et son mérite ferait bien plus que mes paroles. 11 a une a flaire importante, où vous et M. Roujault pou- vez lui être très utiles. J'espère que vous ne me refuserez pas de lui faire sentir ce bon cœur, qui m'a fait une si forte impression pendant que vous étiez dans ce pays. Vous êtes fort heureuse de n'y être plus. Nous ne voyons que ravage et misère. Dieu veuille nous donner une bonne paix. »
M. Émery conclut avec raison de cette lettre, posté- rieure à l'éducation du régent , que pendant son précep- torat Dubois n'avait pas trahi la conliance qu'on lui avait accordée, et que les violentes attaques des philosophes incrédules du dernier siècle contre ce personnage, prince de l'Église, cachaient une manœuvre qui avait pour but d'inspirer le mépris de la religion servie, d'après leurs calomnies, par d'indignes ministres qu'elle comblait de ses faveurs.
X. — La correspondance continue ainsi, intime, savante, variée, sur tous les sujets et sur les aflaires du temps
témoignage que lui rend ici Fénelon, qui avait dû le connaître particulièrement à la cour, est sans doute un dos plus imposants que l'on puisse opposer à tant de reproches et de calomnies aux- quels l'abbé Dubois a été en butte. Voyez, à ce sujot, l'Ami de la religion, t. XXXII, p. 289 et suiv.
\Q8 M. ÉMERY ET LÉGLISE DE FRANCE
entre M. Érnery et l'évêque d'Alais. M. de Bausset ne cesse pas d'écrire, sens la direction de son vénérable ami, la vie de Bossnet. M. Émery n'eut pas la consolation de lire cette histoire, à laquelle il s'intéressait avec son esprit et avec son cœur. Frappé par la maladie qui devait l'emporter, à la veille de quitter la terre , le supérieur de Saint-Sulpice s'oubliait encore lui-môme, et toujours occupé de la défense de l'Église et de la gloire de la reli- gion, il envoyait d'une main tremblante à M. de Baus- set ses derniers conseils et l'expression touchante de ses espérances.
L'évêque d'Alais offrit plus tard à M. Garnier le pre- mier exemplaire de l'histoire de Bossuet, en expri- mant ainsi ses regrets et le chagrin dont son cœur était rempli :
« Voilà, Monsieur, cette histoire de Bossuet, dont le bon M. Émery n'a guère vu que les premiers livres , et que je n'ai pris la détermination d'écrire qu'à sa sollici- tation. C'est à lui que je dois l'idée d'avoir osé essayer de rendre hommage aux deux plus grands évèques qui ont honoré l'Église de France dans le plus beau siècle de la monarchie.
« Il ne se passe pas un jour de ma vie où je ne bénisse la mémoire de cet excellent homme , dont les sages et utiles instances m'ont ainsi forcé de donner cette esti- mable direction à mes études et à mes travaux.
(( En pensant aux services immenses que M. Émery a rendus à la religion et à l'Église, on ne peut s'empêcher de regretter que de tels hommes ne soient pas immortels, car il n'est aucune époque critique, il n'est aucune affaire importante où l'on ne s'aperçoive du vide que de pareils hommes laissent toujours après eux. »
CHAPITRE VIII
APOSTOLAT EXTÉRIEUR DE M. É ME RY
I. — Inspiré par son zèle pour le salut des âmes et la gloire de la religion, M. Emery aimait à se rapprocher les hommes qui , par le prestige du talent et le retentis- sament de leurs travaux, pouvaient contribuer d'une manière plus efficace à la défense delà vérité chrétienne. Sa correspondance et ses relations fréquentes avec Charles [ionnet, le naturaliste le plus célèbre de la Suisse, l'avaient pas d'autre objet; il continua, pendant son >éj à Paris, au lendemain delà Révolution, à recher- cher le commerce des savants égarés qu'il voulait rame- îer à Dieu .
Il voyait souvent son compatriote, le célèbre astronome glande, qui avait été le compagnon des premiers jeux le s'Ui enfance au pays de Gex , et que l'on considérait Paris comme un des chefs les plus ardents du parti de 'incrédulité arrivée à l'athéisme le plus absolu. Élève des jésuites au collège de Lyon, Lalande eut : >our professeur de sciences, pendant sa jeunesse, un lathématicien célèbre, le P. Bereaud, à qui il exprima lusieurs fois avec insistance le désir d'entrer comme ovice dans la compagnie de Jésus. Jeune encore, après voir fini ses études classiques, il se sentit attiré vers I |étude des sciences physiques et de l'astronomie. Invité I la cour de Frédéric II, roi de Prusse, il y devint l'ami ' ees philosophes impies dont le roi sceptique aimait
170 M. ÉMERY
à s'entourer : Maupertuis , Lameltrie , Dargens. Ses succès précoces, l'orgueil et des fréquentations suspectes étouffèrent la foi dans son âme, sans lui faire perdre son amitié d'enfance pour M. Émery.
Esprit faux , gonflé d'ambition , très versé dans les sciences expérimentales, mais d'une profonde ignorance en matière de philosophie et de religion, Lalande avait encore le défaut singulier d'être un fanfaron d'incrédu- lité, et d'étaler à tout propos, avec une audace imper tua bable, son dédain pour les pratiques religieuses. Il disait un jour à M. Garnier, qui d'ailleurs n'avait pas de peine à le réfuter :
« Je ne vois dans le magnifique spectacle du firma- ment et des lois admirables des corps célestes que des forces et du mouvement; mon intelligence n'a aucune idée de la cause première qui a fait ces mondes et déter- miné les lois éternelles de leur évolution. »
M. Emery ne l'évitait pas, malgré son impiété publi- que; il le recevait à la campagne d'Issy, les jours de pro- menade, et il aimait à répondre aux craintes exprimées par M. Garnier avec une tristesse respectueuse :
« M. de Lalande n'est pas plus athée que vous et moi. Il se dit athée par une vanité ridicule, et pour faire parler de lui. »
L'orgueil fit perdre à Lalande jusqu'au sentiment des convenances; il commettait souvent des maladresses éclatantes sans conscience et sans regret. Son Diction- naire des athées était son œuvre de prédilection; il le considérait comme l'expression la plus heureuse et la plus complète de ses pensées à l'égard de la religion. Pour donner plus d'autorité et de longueur à la liste des athées célèbres qu'il avait dressée, il eut l'imper- tinence d'affirmer dans son dictionnaire que le cardi- nal archevêque de Tours ne croyait pas à l'existence de Dieu. Le vénérable cardinal se plaignit avec douleur
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 171
de la calomnie de Lalande à sa parente, l'impératrice Joséphine, qui en informa Honaparte, la veille de la glorieuse bataille de Marengo.
Bonaparte adressa aussitôt à l'Académie des sciences de Paris une lettre énergique et pressante qui devait être lue publiquement, en présence de Lalande et de tous les membres de la compagnie. Il y disait qu'il était étrangement surpris que, dans un temps où la Provi- dence se manifestait avec tant d'éclat en faveur des armées françaises , il y eût alors au sein même de l'Aca- démie des hommes assez absurdes pour soutenir qu'il n'y a point de Dieu; qu'il espérait que l'Académie ferait son devoir à l'égard de M. de Lalande, et qu'au reste, si elle négligeait de le faire, que M. de Lalande n'ou- bliât pas qu'il irait lui-même le mettre à la raison.
Lalande, humilié, confus, abattu dans son orgueil immense par cette correction publique, éclatante, qui le ((•livrait de honte aux yeux de toute la France, exprima quelques jours après son chagrin dans cette lettre à un de ses amis :
« Cette semaine il m'est arrivé trois avanies dont cha- cune aurait suffi autrefois pour me faire mourir; mais aujourd'hui je n'ai plus de nerf; je suis comme insen- sible, n'étant pas mort de chagrin. La première, c'est l'affront que j'ai reçu de l'empereur lui-même, en pré- sence de l'Académie. La seconde, c'est que, quoique président du bureau des longitudes, je n'ai pas pu faire recevoir mon neveu, que les examinateurs ont refusé malgré ma protection et mon crédit. La troisième enfin, que le même neveu m'a donné un soufflet. »
II. — Ces avertissements sévères et ces leçons de l'expérience ne suffisaient pas cependant à redresser son esprit, et, en 1805, il fit hommage à M. Emery de son second supplément au Dictionnaire des alliées, sans
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paraître même soupçonner l'inconvenance d'un tel envoi fait à un prêtre dont il oubliait le caractère sacré et les convictions inébranlables. M. Émery lui exprima sou étonnement, et fit part ensuite de sa tristesse à Mmc de Lalande, nièce du savant astronome, qui vivait avec son oncle et gémissait des aberrations de son esprit.
« M. de Lalande, écrit M. Émery, a eu la complai- sance de m'envoyer son deuxième supplément. J'ai cru, Madame, devoir le remercier et lui témoigner en même temps la profonde affliction que m'avait causée sa lec- ture.
« Il m'a répondu et m'a dit que vous partagiez mon mécontentement. Je vous avoue que cela m'a fait grand plaisir. Dans le vrai, M. de Lalande se fait le plus grand tort possible. Votre bon esprit vous le fait sentir, et votre excellent cœur s'en afflige.
« On voit avec douleur que sa manie de vouloir passer pour athée est incurable. Il vise sans cesse à la célébrité, et il y arrive, mais par une voie qui le couvre de confu- sion et de ridicule auprès de la généralité des hommes. Il va plus loin dans ce dernier écrit que dans tous les autres. Il soulèvera contre lui tous les savants, parce qu'il veut abaisser Newton et affaiblir par là le poids de son autorité. Il proclame et déclare athées beaucoup de personnes vivantes. Je crains qu'il ne s'en trouve quelqu'une qui l'attaque au criminel, et il est certain qu'après la déclaration qu'il a faite il n'est presque point de pays dans le monde d'où il ne fût chassé.
a Comment, quand on connaît M. de Lalande, n'être pas affligé de voir un homme si estimable, si bon, si bienfaisant, attaqué d'une manie, — car on ne peut pas s'exprimer autrement, — si dangereuse pour la société, si préjudiciable à son honneur et à son repos? )>
M. Émery cherchait dans ses conversations intimes et fréquentes avec Lalande à le ramener à de meilleurs
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sentiments, pour le délivrer d'une manie qui ne reposait pas sur une conviction sincère.
Les sectaires qui avaient juré, sous le règne de Vol- tain-, L'anéantissement de la religion chrétienne, et qui étaient organisés, disciplinés, dirigés dans leur abomi- nable campagne, avaient un grand empire sur l'esprit deLalande; ils ne voulaient pas lâcher leur proie.
Un jour cependant, après une longue et sérieuse con- pœrsation dans les jardins d'Issy, Lalande révéla le fond le sa nature et de ses convictions ; il prit un engagement formel avec M. Emery.
« Mon cher cousin, lui dit M. Emery, nous sommes tous mortels, et vous ne voulez pas sans doute sortir de ce monde sans remplir des devoirs dont vous no pouvez ignorer l'importance?
— C'est bien mon intention, répond Lalande; si je vous faisais appeler, consentiriez -vous à me procurer le secours de votre ministère?
— Vous pouvez y compter, dit M. Emery; comme prêtre, je dois être disposé à me rendre auprès de tout homme qui réclame les secours de la religion; à plus forte raison s'il s'agissait d'un homme comme vous, qui êtes mon compatriote, mon ami et mon parent. Mais si j'apprenais que vous èles malade, et que vous
I oubliez cette promesse, me permettriez-vous d'aller vous i rappeler les sentiments que vous me témoignez aujour- d'hui?
— Oh! si le cas arrivait, répond Lalande, vous me feriez plaisir d'en user de la sorte. »
Quelques jours après cette conversation , Lalande fut frappé d'une maladie grave. M. Emery accourut, il [essaya d'entrer; mais les philosophes sectaires veillaient sur leur proie. Ils répondirent que l'état du malade I n'était pas alarmant, et qu'on recevrait le prêtre le len- ; demain. Pendant la nuit, la mort emporta Lalande dans
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l'éternité. Dieu n'accorde pas toujours aux mourants la grâce suprême du pardon refusée pendant toute la vie.
M. Emery, consterné , rencontra le lendemain la do- mestique qui avait soigné Lalande pendant ses dernières heures.
« Oh! Monsieur, s'écria- 1 -elle en le voyant, que mon cher maître vous a donc demandé, pendant la nuit de sa mort ! Il a prié et conjuré ces messieurs qui étaient là de permettre qu'on vous envoyât chercher , et il s'est mis en colère contre eux parce qu'ils lui refusaient cette consolation.
« Oh î que de fois ce pauvre défunt vous a réclamé ! t> Les voies de Dieu sont impénétrables.
III. — M. Émery avait encore une grande estime pour Deluc, savant naturaliste, membre de l'Institut, qui appartenait à la religion réformée : il fit imprimer ses Lettres sur l'histoire physique de la terre et son Précis de la philosophie de Bacon. Deluc s'estimait heureux de consacrer son talent, ses vastes connaissances et sa vie même , à la défense de la révélation chrélienne méconnue par les partisans trop nombreux de la reli- gion naturelle et du vague déisme des philosophes du dernier siècle.
En favorisant le succès de ce savant géologue, M. Emery avait sans cesse devant les yeux le salut des âmes, et il était soutenu par l'espérance de voir enfin cet homme de bien et de science, élevé dans l'erreur, ouvrir les yeux et confesser la vérité catholique dans son intégrité.
Le 28 octobre 4803, M. Émery faisait connaître au cardinal Fesch, dans une lettre sur la situation géné- rale de l'Eglise, son opinion sur le caractère et la valeur de Deluc :
« Il est d'abord très étonnant que le saint-père trouve sa principale consolation dans l'Eglise de France. Gepen-
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<];mt, en réfléchissant sur ce qui se passe en Allemagne, je suis moins étonné.
« Je suis en correspondance avec un savant génevois, nommé Deluc, à l'occasion des ouvrages qu'il compose en laveur de la religion chrétienne, et de plusieurs com- plots contre cette religion qu'il a déjoués à Berlin et ailleurs, jusque-là qu'un impie, dans une réponse qu'il lui a faite , lui a reproché d'être l'agent du pape à Lon- dres ; — ce même Génevois a la qualité de lecteur de la reine à Londres; — il m'a appris ce qui se passait en Bavière, et il en était vraiment indigné. Il m'écrivait de Brunswick, le 7 septemhre :
« L'impiété se montrait, il est vrai, plus ouvertement « dans notre communion protestante; mais aujourd'hui « la secte antichrétienne qui travaille sous le manteau du u christianisme a prévalu en Bavière, et se sert d'un sou- < verain aveugle pour avancer son ouvrage. On lui a fait i publier des règlements pour l'éducation, qui livrent i la jeunesse à ses instituteurs. On lui a fait adresser aux ( magistrats d'Augsbourg une lettre de reproches de ce ( qu'on y permet l'impression et la distribution des livres [ qui traversent le progrès de l'esprit de lumière, livres [ dont il a défendu l'entrée dans ses États, et de ce qu'on a reçu de jeunes Bavarois dans l'institut des jésuites, dont ces magistrats ont ordonné le retour dans des écoles de perversion... Il a établi des inspecteurs de librairie avec pouvoir de saisir et de confisquer toutes les images des saints et tous les livres de théologie qui ne sont pas conformesà la religion épurée. Ces gens-là ont étendu leur influence dans la communion grecque. Ils ont en- gagé l'empereur de Russie à établir une université à Dorpats , et à se réserver la nomination des professeurs. On v voit aller de tout pays des hommes appartenant I à la secte, de sorte qu'on va aussi empoisonner l'esprit des jeunes Busses, puisque cette université servira à
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(( former des instituteurs. Ainsi le torrent nous embrasse (( de toute part. Et moi directement, ici, j'y résiste avéj « une force et un courage dont je suis quelquefois étonné « moi-même. On ne m'empêchera pas de planter des « colonnes qui s'élèveront au-dessus de l'inondation, et ce serviront de points de ralliement. J'ai réussi , grâce à (( Dieu et par l'ordre du duc de B..., à publier une édi- « tion allemande de mes deux derniers ouvrages contre (( Tellet, — c'est le nom du principal ministre pro- « testant de Berlin, — et je vais mettre sous presse un « petit ouvrage contre le premier des ecclésiastiques (( d'ici, avec l'approbation du duc, qui voit bien le mal, (( mais qui n'a pas de bras pour agir, tout se trouvant « entraîné dans le torrent. »
« N'est-ce pas une chose étonnante, Monseigneur, ajoute M. Émery, de voir un protestant si zélé pour la défense de la révélation? Il disait à M. Barruel qu'il serait bien fâché qu'il y eût un quart d'heure dans sa vie qui ne fût pas employé à la défense de la révélation chrétienne.
« Il a quitté sa famille à Londres, et est demeuré six ans en Allemagne , pour faire une espèce de mission auprès des académies de ce pays , toutes perverties. Comme il est un physicien du premier ordre, et qu'il est très versé dans la géologie et la paléontologie , il a voulu leur démontrer que cette histoire qu'on préten- dait être contraire au récit de Moïse sur l'origine et l'antiquité du monde confirmait au contraire pleinement cette narration.
« Mais j'en conclus, et c'est là que j'en voulais venir, que la religion est dans un état beaucoup plus triste en Allemagne qu'en France, sans excepter les pays catho- liques, au moins ceux qui ne sont pas sous la domination de l'empereur1. »
1 Lettre inédite.
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IV. — 1)01110 était douloureusement frappé de l'état lamentable de la religion chrétienne en Europe; il con- sidérait la diffusion de la science comme un apostolat d'un ordre supérieur, et après avoir longtemps étudié la tactique de ses adversaires, après avoir reconnu qu'ils se retranchaient derrière les fantômes d'une fausse science pour flatter l'orgueil de la raison et ameuter les foules contre l'Église, devenue à leurs yeux le dernier refuge de la superstition et de l'ignorance, il entra réso- ument dans sa voie. Il mit à nu les erreurs, les hypô- I îùsrs, les contradictions de la vaine science au service les révoltes de la raison; il établit sur une base expé- ÏDienlale inébranlable, sur des faits précis, l'histoire scientifique de l'organisation et de la formation du globe errestre ; il montra par sa vie , par son apostolat et par es œuvres, qu'il n'est pas impossible d'être chrétien et avant, et que la foi n'exige pas l'abdication coupable Le la raison.
L'étude attentive des variations et de la décadence du iroteslantisme, entraîné vers le déisme et l'incrédulité, rappait aussi son esprit observateur. Il suivait avec tris- esse les étapes de la chute rapide de sa religion en Allemagne, où le déisme était déjà triomphant, et il lissa un jour tomber de sa plume cet aveu désinté- essé :
« Je suis persuadé qu'on ne peut conserver la révé- ttion que dans l'Eglise catholique, que toutes les Églises >rotestantes tendent au déisme, et si je convertissais un lisérable, je lui conseillerais d'embrasser la religion atholique. »
M. Émery suivait avec une sympathie inquiète les .îouvements de cette àme droite et chrétienne, et il nvoya même un exemplaire des ouvrages de Deluc au élèbre cardinal Gerdil, l'une des gloires de l'Église au )mmencement de ce siècle et l'adversaire le plus re-
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douté, le plus savant de l'incrédulité moderne. L'illustre cardinal répondit à l'envoi de M. Émery par celle lettre où sa piété et sa modestie se révèlent avec un charme incomparable :
V. — « J'ai reçu, peu après l'arrivée du très respeej table archevêque de Corinthe, votre obligeante lettre du 30 novembre.
« Les gracieux témoignages que vous m'y donnez de vos sentiments à mon égard me pénètrent de la plus vive reconnaissance , et augmentent mon regret de n'avoir eu la satisfaction de recevoir ni la précédente, dont l'un des gens de M. de Labrador avait eu la complaisance de se charger, ni l'exemplaire des Lettres géologiques du célèbre M. Deluc, ni la lettre dont Msr d'Àlais avait eu la bonté de m 'honorer, et qui en contenait d'autres, adressées au saint -père par des évèques résidant en France.
(( Quant à l'ouvrage de M. Deluc, je vous suis tics obligé du soin que vous avez pris de me le procurer. Il y a bien des années que, dans un court passage qu'il fit à Turin, j'eus lieu de reconnaître et d'admirer en lui un caractère de modestie digne d'un vrai savant, dont j'ai toujours conservé le souvenir.
« Vous me le présentez comme un protestant très voisin du catholicisme. Plaise au Seigneur d'achever en lui son ouvrage, et nous donner la consolation qu'en l'admirant comme naturaliste , nous puissions l'em- brasser comme un vrai frère en Jésus -Christ.
« C'est une œuvre digne d'exercer votre zèle bien connu pour le salut des âmes. Porro unum est neces^tr rium. Qu'est-ce que la plus haute réputation à tous autres égards, si on a le malheur de se perdre pour tou- jours?
«. J'attends avec empressement l'intéressant Précis de
ET L'ÉGLISE DE FRANCE i/9
la philosophie de Bacon que vous m'annoncez. Dans mon introduction à l'étude de la religion, dédiée à Benoit XIV, j'ai cité celle parole comme de Bacon, que l'élude approfondie de la philosophie rapproche de la religion ceux qu'une étude superficielle en éloigne.
« J'aurais été surpris du projet de faire passer Bacon pour U7i mécréant très prononcé , si l'on ne devait s'attendre à tout de la part de ces mécréants du siècle. Je ne sais comment j'ai pu être cité par un M. delà Salle, prétendu auteur de la traduction française des œuvres de Bacon, ne me souvenant pas d'avoir jamais eu de eprrespondance ni de relation avec aucun littérateur de ce nom, beaucoup moins de l'avoir aidé de mes conseils et de mon secoure.
(( J'ajoute que dans le grand nombre de productions que j'ai livrées à la presse durant le cours de plus d'un demi -siècle, depuis ma première jeunesse jusqu'à ce jour, où je traîne mes quatre-vingt-quatre ans, j'ai tou- jours été assez indifférent à tout ce qu'on aurait pu dire pour ou contre le mérite et les talents de l'écrivain.
« Mais j'aurais été navré de douleur s'il m'était revenu (pi on y eût relevé la moindre expression ou même quel- que ambiguité moins conforme aux saines maximes de notre sainte religion et aux décisions du saint-siège, centre de l'unité.
« Tel a été constamment l'objet de ma plus sévère et scrupuleuse attention. — Permettez - moi , Monsieur, qu'en adressant au ciel nos vœux les plus sincères pour votre longue et précieuse conservation, je recommande 'la caducité de mon âge à la charité de vos saintes prières 1 . »
VI. — C'est au courant de cette même année 1802 I 1 A Home, le 11 mars 1802. {Lettre inédite.)
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que M. Émery entra en relations avec ChaleaubrianJ Le brillant écrivain n'était plus ce jeune incrédule que nous avons entrevu sur le navire qui emportait vers /Amérique les disciples de M. Olier. Sceptique, enivré de sa jeunesse et de son talent, il saluait devant lui, à cette époque éloignée, le long avenir qu'il espérait remplir du bruit de son nom et de l'éclat de ses œuvres. Revenu à Dieu et à la foi de son enfance, Chateaubriand voulait réaliser avec sa plume ce que Bonaparte avait fait avec son épée : relever les autels et servir la reli- gion oubliée dans les entrainemenls de sa jeunesse. Sur les inslances de M. Émery, Chateaubriand consentit à la publication d'une édition abrégée du Génie du christia- nisme, et renonça même à ses droits d'auteur. Fray.ssi- nous fit le choix des chapitres qu'il fallait conserver, Clausel deGoussergues ajouta quelques notes, et M. Émery revit et corrigea avec attention toutes les épreuves de ce travail.
M. Émery devait profiter de son ascendant sur le grand écrivain dans une circonstance plus grave : (( Bo- naparte pensa à moi, écrit Chateaubriand, pour un poste de premier secrétaire d'ambassade à Rome, en 180!]. Fontanes et Mmc Bacciochi me pressèrent de profiler de la fortune. Je refusai net. Alors on fit parler une autorité à laquelle il m'était difficile de résister. L'abbé Émery, supérieur du séminaire de Saint -Sulpice, vint me conjurer, au nom du clergé, d'accepter pour le bien de la religion la place de premier secrétaire d'ambassade que Bonaparte destinait à son oncle, le cardinal Fesch.
« Un hasard singulier m'avait mis en rapport avec l'abbé Émery. J'avais passé aux États-Unis avec l'abbé Nagot et divers séminaristes, vous le savez. Ce souvenir de mon obscurité, de ma jeunesse, de ma vie de voyageur, qui se réfléchissait dans ma vie publique, me prenait par l'imagination et le cœur.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 181
o L'abbé Émery, estimé de Bonaparte, était fin par sa nature, par sa robe et par la Révolution. Mais cette (inesse ne lui servait qu'au profit du vrai mérite. Am- bitieux seulement de faire le bien , il n'agissait que dans le cercle de la plus grande prospérité du séminaire. Circonspect dans ses actions et dans ses paroles, il eût Hé superflu de violenter l'abbé Émery, car il tenait tou- ours sa vie à votre disposition, en échange de sa volonté, ju'il ne cédait jamais ; sa force était de vous attendre issis sur une tombe. Il échoua dans sa première tenta- ive. Il revint à la charge, et sa patience me détermina, 'acceptai la place qu'il avait mission de me pro- poser 1 . »
M. Emery fit encore les plus grands efforts pour ra- mener à de meilleurs sentiments, au lendemain de la dévolution, l'abbé Grégoire, dont la dernière heure est estée enveloppée de mystères. Ayant obtenu de l'arche- vêque de Paris l'autorisation de célébrer les saints offices, [près avoir fait une promesse extérieure de soumission omplète au Concordat, cet évèque schismatique per- stait secrètement dans la révolte contre l'Eglise. Il iclara un jour à M. Émery qu'il avait écrit au pape ne lettre explicite, dans laquelle il prétendait justifier 11 conduite pendant la Révolution, et qu'il attendait avec «patience la réponse de Sa Sainteté. 'I a Détrompez-vous, lui répondit le vénérable supérieur le Saint -Sulpice , vous ne recevrez pas de réponse; le ,ipe ne peut pas vous reconnaître pour évêque; allez lus jeter à ses pieds, faites -lui l'aveu sincère de vos ■ arements publics, vous serez accueilli à bras ouverts r sa miséricorde paternelle. »
,Mais Grégoire n'était pas disposé à reconnaître la :prématie spirituelle du saint-siège ; il était resté le
Chateaubriand, Mémoires d'outre- tombe , t. II, p. 308. 11 6
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défenseur obstiné de la constitution civile du clergé. « Le pape seul a condamné cette constitution , et je récuse son autorité séparée de celle de l'Eglise. » Telle était sa défense.
M. Émery lui rappelait avec charité que presque tous les évèques catholiques avaient envoyé leur adhésion for- melle à la bulle de Pie VI, que toutes ces adhésions étaient conservées dans les archives romaines, qu'il était facile de s'en assurer, et il ajoutait avec une douce ironie : « Vous qui aimez tant les voyages, allez donc à Rome vous assurer par les témoignages les plus cer- tains du sentiment de l'Église en cette matière. »
L'obstination de Grégoire était plus forte que les solli- citations pressantes du vénérable prêtre qui avait souffert persécution pour la justice, dans les cachots de la Con- ciergerie, pendant qu'il était lui-même comblé d'hon- neurs par les ennemis les plus implacables de l'Eglise catholique. Mais la charité de M. Émery ne se lassait pas.
Peu de temps après ce dernier entretien , Grégoire publia une Histoire des sectes religieuses. Les grandes et sévères leçons de la Révolution avaient déjà éclairt des esprits trop longtemps égarés par les séductions d< la nouveauté, et provoqué dans la classe intelligente ui retour généreux au christianisme ; mais les prévention de l'abbé Grégoire résistaient à ce courant, et, d l'aveuglement de sa passion qui ne désarmait pas, il craignit pas de ranger parmi des sectaires , sous le no ridicule de cordicoles, les partisans de la dévotion sacré Cœur.
ce Comment! lui dit avec émotion M. Émery, voi osez qualifier de sectaires tous les partisans du culte qi l'on rend au sacré Cœur! Il faut donc traiter de sectair tous les évèques de France, une multitude d'évêques pays étrangers, le sacré Collège et celui qui est le ch
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de toute l'Église , le centre même de la communion catholique. Est- il permis à un catholique, à un prêtre, de soutenir un tel sentiment? »
L'abbé Grégoire ne répondit pas. Devenu sénateur, il continua ses rapports théologiques et littéraires avec M. Émery, dont il estimait, malgré tout, la dignité sacerdotale, le courage et l'élévation d'esprit. 11 lui pro- curait les ouvrages de la bibliothèque de l'Institut dont M avait besoin pour ses travaux théologiques, écoutant tivec respect les affectueux reproches, les invitations pressantes, les avis répétés de son illustre ami. M. Émery n'eut pas la consolation , avant de mourir, d'obtenir de le prêtre égaré, qui devait lui survivre, un désaveu jublic et sincère de ses erreurs coupables ; nous savons •seulement que l'abbé Grégoire mourut après avoir reçu i'un prêtre légitime l'absolution de son passé; nous l'essayerons pas de pénétrer le secret mystérieux de sa lernière heure.
: VIL — M. Émery fut aussi le directeur et le père l'une àme prédestinée qui a rempli Paris du charme ncomparable de sa douceur, du rayonnement de sa vertu ;t des œuvres d'une charité courageuse, d'une femme (ui, dans un jour d'émeute, arrêtait les vainqueurs par •'ascendant pacifique de sa bonté et sauvait la vie des tisonniers. Elle est restée célèbre parmi nous sous le 10m de sœur Rosalie.
Sœur Rosalie était née au pays de Gex; elle avait rrandi dans les vallées où s'écoulèrent la jeunesse et 'enfance de M. Émery, et comme lui elle avait entendu le bonne heure la voix miséricordieuse du Seigneur, qui appelait, malgré sa modestie, à de hautes destinées. |f. Emery avait été son parrain par procureur. Ravi par î charme surnaturel de cette àme dont le monde n'était •as digne , il l'appela à Paris, lui fit ouvrir les portes du
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noviciat des sœurs de Saint -Vincent -de -Paul, veilla sur I elle avec l'affection d'un père et le respect plein de solli- I citude d'un homme de Dieu. Touché de la générosité I ardente de son caractère , il aida de ses conseils et de sa I longue expérience ses premiers pas dans le chemin de la perfection. Quand il apprit qu'elle avait été envoyée 1 au faubourg Saint -Marceau, dans le quartier le plus 1 pauvre et le plus dangereux de Paris , il lui dit avec 1 satisfaction :
(( C'est bien là ce qu'il vous faut, vous serez la ser- 1 vante de tous ces pauvres. »
Quand M. Emery installa son séminaire dans la rue du Pot-de-Fer, sœur Rosalie se mit à sa disposition pour faire, avec une de ses compagnes, les achats indispen- sables à une première installation. Chassé du séminaire i par un ordre de l'empereur, un an avant sa mort, il prit en location un modeste appartement à l'angle de la rue Vaugirard. Sœur Rosalie organisa son petit ménage, et lui exprimait un jour son chagrin des épreuves qu'il était condamné à subir :
« Cette tristesse, répond gravement M. Emery, n'es! pas digne d'une fille de Saint -Vincent- de -Paul, qui fu toujours si soumise aux ordres de la Providence, et qu regardait les croix et les tribulations comme les solide biens de cette vie. Vous n'avez donc pas de foi ? Ceci n'es qu'une tempête qui se dissipera. Il est vrai que nou avons de puissants adversaires, mais ils passeront, e nous resterons après eux. »
Cette sainte fille a exprimé son admiration respec tueuse pour le père de son âme dans une lettre d'un simplicité touchante, qui donne un relief puissant au grandes vertus de son héros :
« L'ameublement de M. Émery, écrit sœur Rosalie était la simplicité même : son lit avait tout l'air d'u triste grabat. Comme nous savions, Mllc Jouen et moi
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u'il était sujet à avoir froid aux pieds, nous voulûmes ni procurer une bouteille de grès pour l'en garantir; oais ce ne fut pas chose aisée de la lui faire accepter, il allut soutenir avec lui une sorte de combat. « Il ne faut pas, disait -il , être le serviteur de noire carcasse, ni nous assujettir à tous ses besoins. » c Voulant se dédommager de n'être plus en commu- iauté, après son expulsion du séminaire par le gouvern- ement, et rendre au prochain quelques services, il sllait, avec M. de Saint-Félix, servir les infirmes des 'otites- Maisons. Il catéchisait les vieillards, et leur ?ndait les services les plus abjects. Quelle simplicité, uelle pauvreté dans toute sa personne! Ses soutanes t'étaient point de drap, mais d'une espèce de serge ou .'escot. Il ne porta jamais de douillette. Il se servait seu- ment d'un vieux manteau, avec lequel on le voyait îiver dans les rues ou sur le chemin de Vaugirard. i « Lorsqu'il écrivait à des femmes, ses lettres étaient, )ur ainsi dire, écrites avec une plume de fer ; non qu'il t jamais manqué à aucun des devoirs de bienséance ou •politesse, mais ses expressions étaient si graves et si en mesurées, que tout s'y ressentait de la dignité d'un être rempli de l'esprit de son état. Il n'écrivait jamais «m qui put lui donner quelque sujet de peine, s'il venait être rendu public. Aussi jamais ses ennemis ne l'ont ^lomnié sur l'article des mœurs. » Quand elle apprit la douloureuse nouvelle de la ma-
> Uie de celui qui l'avait portée par procureur aux fonts iptismaux, et qui n'avait jamais cessé de lui servir de
• ire, elle implora la faveur de le voir une dernière fois, < s'incliner sous sa main, de recevoir sa bénédiction. Ris le vaillant serviteur de Dieu ne voulait pas dé-
► ttrner son âme des pensées éternelles, et s'imposant un orifice infiniment pénible, il répondit :
i Allez dire à sœur Rosalie qu'il faut faire des sacri-
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fices pour les offrir à Dieu, et que je lui envoie ma béné- diction comme ami, comme parrain et comme père. »
L'humble fille de Saint -Vincent -de -Paul survécut à celui qui avait pris devant Dieu la responsabilité de son âme; mais M. Émery, plus près de Dieu après sa mort, continua de veiller sur elle, et elle dut à son intercession le mâle courage et les grandes vertus dont elle donna le spectacle à Paris, le jour où l'émeute grondait aux portes mêmes du couvent des Filles de la Charité.
C'est que l'amour des âmes rachetées par le sang de Jésus -Christ égalait dans le cœur de M. Émery son zèle ardent pour la défense de la religion et le triomphe de l'Eglise. A la Conciergerie, il se fait apôtre et transforme les victimes désignées pour l'échafaud en prédestinées que Dieu attend pour leur manifester sa gloire. Après sa prison, il ramène à Dieu, dans des circonstances tou- chantes, l'abbé de Saint-Léger, dont la conduite frivok avait été un long et douloureux scandale ; Larcher, 1( savant helléniste de l'Académie française , qui avait pri: part à la conjuration des philosophes contre la religion et Mlle Jouen, si respectueuse et si fidèle dans sa recon naissance envers celui dont la parole avait su captive son cœur généreux. Il continue son apostolat, réveill les courages, stimule les lâches. Dédaigneux du repc que cherchent les âmes faibles, il ne connaît ni défai lance ni ralentissement dans son zèle , et il poursu particulièrement avec passion la conversion des homm< célèbres, dont le talent promettait un concours si pr cieux pour cette cause à laquelle il avait voué sa vie : cause de Jésus -Christ.
CHAPITRE IX
PUBLICATION DES OPUSCULES DE FLEURY ET DÉMÊLÉS AYEC I. EMPEREUR
I. — Fouché, ministre de la police, et dévoué, malgré ,les derniers événements qui avaient changé la situation ide l'Église de France, au parti des constitutionnels, con- ,servait les mêmes sentiments d'aigreur à l'égard de [M. Émery. Il voyait dans le vénérable supérieur de ÎSaint-Sulpice une puissance dont il craignait l'ascendant, [l'adversaire souvent heureux et toujours redoutable des constitutionnels, le défenseur des droits du saint -siège iet des traditions de l'Église catholique contre les ambi- tieuses menées des nouveaux courtisans du pouvoir civil. Il avait atteint et frappé une première fois M. Émery , quand il fit enfermer à Bicètre son parent, le malheureux 'M. Fournier, et il saisit avec empressement une nouvelle Dccasion de satisfaire avec succès son long ressentiment.
M. Émery, qui avait eu la fortune de publier les .manuscrits inédits de Fénelon, avait aussi découvert, dans ses explorations avec M. Garnier chez les libraires île Paris, des papiers de Fleury, dont quelques-uns l'avaient jamais été publiés; les autres avaient été altérés )ar la mauvaise foi intéressée des jansénistes et des ennemis de la papauté. En parcourant ces manuscrits du jélèbre théologien, il admira la droiture et la correction le ses sentiments sur la doctrine condamnée de Jansé- jiius, sa modération et sa réserve pleine de sagesse dans
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l'appréciation de la déclaration de l'assemblée du clergé de France en 4682, sa sévérité légitime à l'égard des actes injustes des parlementaires qui couvraient du masque de la liberté leurs violentes attaques contre les droits de l'Église et du saint-siège; de ces hommes « qui ne s'opposent à la nouveauté, disait Fleury, que quand elle est favorable au pape ou aux ecclésiastiques, et font peu de cas de l'antiquité, quand elle choque les intérêts du roi ou des particuliers laïques 1 ».
Il fut également frappé d'apprendre, en lisant les Anecdotes sur l'assemblée de 1682, recueillies par Fleury, que Bossuet, l'ami de ce grand historien, aurait désiré que l'on s'abstînt de traiter dans cette assemblée la question de l'autorité du pape; qu'il fît écarter par son heureuse intervention un projet de déclaration de l'évêque de Tournay contraire à l'infaillibilité et à l'in- défectibilité même du saint -siège, et que le quatrième article de la déclaration, voté par le clergé, était suscep- tible d'une interprétation favorable à la puissance du Vicaire de Jésus- Christ.
Publier une édition authentique des Opuscules de Fleury, c'était donc rendre justice à l'historien, venger sa mémoire des flatteries intéressées des jansénistes, affirmer les droits du saint-siège, et rétablir la vérité sur un point intéressant de notre histoire ecclésiastique. Mais une telle publication devait exciter la colère des jansénistes, qui vénéraient Fleury comme un ancêtre, et irriter les constitutionnels, restés les courtisans de la puissance civile, contre la puissance légitime du Vicaire de Jésus -Christ.
Avant de publier ce travail, M. Emery consulta l'ar- chevêque d'Aix et plusieurs évêques, dont il aimait à suivre les conseils en vénérant leur sagesse; leur ré-
1 Nouveaux opuscules, f° 185.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 189
ponse ayant été affirmative et même pressante, comme m le voit dans sa correspondance, il s'inclina devant leur décision.
II. — En France, en Belgique, en Italie, des théolo- giens modérés, et des plus distingués, applaudirent à 'œuvre de M. Emery. A Rome, on lut avec étonnement a belle dissertation de Fénelon sur l'autorité du pape, lont M. Emery avait envoyé un exemplaire au souve- rain pontife, et qu'il avait fait imprimer à la suite des •puscules de Fleury. Le cardinal Antonelli lui répondit, e 5 mai 1807, par cette lettre qui était la récompense e son courage à braver l'impopularité, et de ses eflbrts our rattacher le jeune clergé à la chaire de Pierre par ne obéissance éclairée :
' « On ne peut assez louer ni remercier l'éditeur des Nouveaux opuscules d'avoir lavé autant qu'il était pos- ble l'abbé Fleury d'une tache imprimée à sa mémoire, t d'avoir fortement réprimé, sinon entièrement réduit, •s ennemis de l'Église romaine, qui abusaient du nom et ? l'autorité de ce grand homme... J'ai lu la dissertation ! l'archevêque de Cambrai sur l'autorité du pape avec ute l'attention que m'ont permise mes grandes et con- nuelles occupations, jointes à une santé assez chance- nte. Il serait à souhaiter que cette dissertation fût îprimée , mais non pas à Rome , car on ajouterait foi en difficilement à l'authenticité de cet écrit, eu égard peu de preuves que l'on en a, et qu'il serait néces- 'ire de compléter.
« C'est à Paris qu'il conviendrait de la publier, mais i et égard je m'en rapporte à vous.
« J'ai parlé au saint-père de ces deux objets. Il a r î-uavec beaucoup de joie les Opuscules de Fleury, et il ; «la chargé d'offrir ses remerciements à l'éditeur, dont le & Vouement envers le saint-siège apostolique se mani-
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feste si évidemment dans cet ouvrage. Il m'a recom- mandé de déposer aux archives du Vatican la disserta- tion de Fénelon, avec les lettres que vous m'avez écrites sur ce sujet. »
Le cardinal Fesch, qui était à Rome, accueillit au contraire avec inquiétude et mécontentement cette publi- cation; elle lui paraissait inopportune; il craignait la colère de l'empereur, et il entrevoyait les dangers qui menaceraient bientôt le séminaire et la compagnie. Il lui semblait que M. Emery donnait à ses plus cruels ennemis, à une heure incertaine, des armes puissantes contre ses propres intérêts. Le cardinal exprima en des termes très vifs la surprise et le mécontentement qu'il venait d'éprouver à la lecture des Opuscules de Fleuri/. Ses alarmes naissaient de sa grande affection pour la compagnie de Saint -Sulpice et pour son supérieur.
L'orage se formait à l'horizon.
M. Emery s'empressa d'écrire au cardinal Fesch, le 18 avril 1807, pour lui faire connaître ses sentiments et la pensée à laquelle il avait obéi en publiant les opus- cules de Fleury.
Sa lettre, d'une fierté respectueuse, exprime bien les grandes qualités de cette âme sacerdotale et l'inébran- lable attachement de sa volonté à la chaire de Pierre, menacée par des timides et des révoltés. Il ne mentionru pas même les constitutionnels qui le poursuivent, mai: il réprouve avec une sévérité courageuse les liberté civiles qui sont les chaînes de l'Église, et les complai sances des courtisans, dont la bassesse à l'égard di pouvoir civil égale l'audace dans la révolte contre l'auto rité du Vicaire de Jésus-Christ.
« C'est dans leurs rapports avec le pape que ces Opus cules de Fleury paraissent vous avoir déplu. Voici cepen dant tout ce qui résulte de cette publication :
« Qu'on avait supprimé dans le discours de Fleur
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I sur les libertés de l'Eglise gallicane quelques traits i favorables au pape et aux évèques , et que ces traits ont été rétablis; que M. Fleury a cru que les parlements avaient mis quelquefois au rang de nos libertés de véri- i tables abus ; que le parlement de Paris semblait être en guerre avec le pape; que dans les démêlés mêmes qu'on , avait avec le pape, il ne fallait pas oublier qu'il est le Père commun.
(( Or quel est le jurisconsulte honnête qui osât aujourd'hui être d'un autre avis? Encore une fois j'en suis à chercher ce qui a pu donner lieu de croire à Votre Éminence que le gouvernement pourrait être choqué de l'impression de quelques opuscules de Fleury.
« A Dieu ne plaise que j'imagine que le gouverne- ment est l'ennemi du saint- siège, et qu'il trouve mau- vais qu'on dise quelque chose qui serait à l'avantage de son autorité spirituelle , telle qu'elle a été établie par Jésus-Christ. Ce n'est pas assurément vous, Monsei- gneur, qui le trouveriez mauvais, et comme cardinal et comme évêque du premier siège des Gaules.
« Et que deviendrait l'autorité des évêques, si celle du chef tombe dans le mépris?
ce La seule conséquence que l'on puisse tirer des Opus- cules de Fleury, et cette conséquence, je l'avoue, c'est i que M. Fleury lui-même, quoique défenseur zélé de nos libertés, a cru que les parlements avaient souvent i abusé souvent de ce nom pour gêner et opprimer la juri- i diction spirituelle des évêques. Vous avez vu M. Bossuet dire dans l'oraison funèbre de M. le chancelier Le Tellier, en présence de tous les magistrats du parlement, que les libertés de l'Église gallicane avaient toujours été employées contre, elle.
« Et encore à présent, Monseigneur, n'avez-vous pas vu, n'avez-vous pas expérimenté que dans les conseils, « dans les tribunaux, les plus grands adversaires de l'Église
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et des évêques étaient d'anciens avocats, tout imbus encore des principes de l'ancienne jurisprudence?
(( J'avais pendant la Révolution recueilli les petits opuscules manuscrits de M. Fleur y, et surtout son dis- cours sur l'Église gallicane. J'en avais parlé par occasion à quelques évêques , et particulièrement à Mgr l'arche- vêque d' Aix , qui n'a cessé de m'écrire pour me presser de le rendre public, et, en le rendant public, je n'ai fait que déférer à ses instances.
ce Je n'ai vu encore aucun évêque qui , après avoir lu ces opuscules, ne m'ait dit que j'avais rendu un grand service à l'Eglise et à la religion, et je suis persuadé que si vous voulez bien prendre la peine de lire encore cet ouvrage, ou de vous en faire rendre compte, vous en porterez le même jugement.
« Je ne mets à cela pour mon compte aucune impor- tance. Tout mon travail, ou presque tout, fut fait pen- dant les grandes vacances que m'a données la Révolu- tion. Je n'ai pas le temps aujourd'hui de faire des ouvrages; nous redoutons même à Saint- Sulpice le nom d'auteur.
(( Je voulais éviter de paraître l'éditeur des opuscules, mais cela ne m'a pas été possible, et alors je me suis trouvé dans la nécessité d'en donner quelques exem- plaires. J'en ai donné un au cardinal Maury. Je "ne sais s'il a tout lu , mais je sais qu'il a lu au moins les avis spirituels, et, pour votre édification, Monseigneur, je dirai à Votre Éminence qu'il en a été satisfait. »
III. — Les informations du cardinal Fesch étaient trop exactes : les craintes qu'il exprimait confidentiellement à M. Émery étaient fondées sur une longue expérience de la vie, et sur la connaissance qu'il avait acquise du caractère de l'empereur et des menées actives des adver- saires de la papauté. Il jugeait sainement la situation.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 193
Fouché considéra l'ouvrage de M. Fleury comme un lommage excessif rendu au saint-siège , et comme une entative d'émancipation du clergé à l'égard de cette utorité civile et politique que le gouvernement était écidé à défendre avec énergie contre tous ses ennemis. I appela donc chez lui M. Émery, et lui demanda des xplications.
On ne peut se défendre d'un étonnement pénible en sant cet interrogatoire où un laïque, ministre de la olice, étranger par ses fonctions, par son caractère et ar son éducation antérieure aux questions théologiques, îterroge un vieillard qui a fait de l'étude de la science icrée l'objet essentiel de ses travaux, et lui fait subir n examen sur les points les plus délicats de la religion.
M. -Emery insista dans ses réponses sur une distinc- on capitale, qui était la justification de sa conduite et le son travail.
« Il est de foi , dit M. Émery, que le pape est le .'litre de l'unité catholique, le chef visible de l'Église,
qui tous les chrétiens doivent obéissance; qu'il a de .oit divin la primauté d'honneur et de juridiction.
« On peut lire l'expression solennelle de cette doc- ine catholique clans le discours de Bossuet sur l'unité î l'Eglise, et dans le préambule de la déclaration e 1682. On ne peut méconnaître ce dogme catholique
ns cesser d'être catholique et sans tomber dans l'hé- '•sie. »
Dans sa réponse à Fouché, M. Émery affirma haute- ent ce point de la doctrine révélée.
Interpellé sur les prérogatives pontificales qui étaient |icore à cette époque un su jet de contestation entre les
éologiens, M. Émery déclara qu'il n'avait pas de doc- jine particulière sur ce point, et que les membres de sa [mpagnie étant les délégués des évéques pour l'en-
igoement de la théologie dans les séminaires, il suffi-
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sait de connaître l'opinion des évèques pour connaîtra l'enseignement des directeurs.
Accusé de n'avoir pas été favorable aux libertés d< l'Église gallicane dans la publication des opuscules d< Fleury, M. Emery n'essaya pas de se justifier. Son àm< droite et vraiment sacerdotale s'indignait à la vue dei constitutionnels obstinés , qui cherchaient sans cess< dans ces prétendues libertés des armes déloyales contr< l'autorité du saint -siège; et malgré sa modération habi tuelle, malgré la largeur de ses idées et son respect biei connu pour l'autorité civile, il gémissait d'entendr< parler sans cesse de ces libertés.
(( Il est vrai , répondit M. Emery à Fouché, que Fleur; parle de nos libertés avec sagesse et sans emportement mais les ennemis les plus dangereux d'une doctrine son ceux qui l'exagèrent et ne mettent aucune modératioi dans sa défense. Il paraît manifestement, par les opus cules, que Fleury n'était pas un adulateur du parle- ment de Paris; car il soutient expressément que 1( parlement a mis quelquefois au rang de nos libertés des usages qui étaient de véritables abus; il blâme ouver- tement certains points de sa jurisprudence et ses procédés à l'égard de la puissance ecclésiastique; il dit deux fois, en propres termes, qu'on pourrait faire un traité des servitudes de l'Eglise gallicane , comme on en a fait un de ses libertés. »
IV. — Mais Fouché était principalement choqué de la maxime suivante de Fleury, répétée par M. Émery : « Lorsqu'il s'agit de faire observer les canons et de main- tenir les règles, la puissance du pape est souveraine el s'élève au-dessus de tout. »
Cette maxime nouvelle et inconsidérée n'était -elle pas, disait Fouché, l'expression la plus éclatante des doctrines ultramontaines, réprouvées tant de fois pai
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nos assemblées et par le clergé de France, dans la per- sonne de ses plus illustres représentants? If. Émery répondit ainsi :
« M. Fleury dit, dans son Discours, que l'autorité du pape est souveraine, et qu'elle s'élève au-dessus de tout quand il s'agit de maintenir les règles et de faire obser- ver les canons. Et par conséquent , on doit dire qu'elle s'élève aussi au-dessus de tout quand il s'agit de la con- servation d'une partie notable de l'Eglise, puisque ce n'est que pour le salut et la conservation de l'Eglise que les règles et les canons ont été faits.
ce Or nous avons absolument besoin de ce principe de Fleury quand il s'agit de défendre le Concordat et tous les changements qui, dans ces derniers temps, ont été faits dans l'Église de France ; car il est très vrai que ce qu'on appelle nos libertés y répugnait absolument , qu'il a fallu en faire taire la plus grande et la plus notable partie.
« Par un seul acte, tous les évèchés ont été suppri- més, ceux même qui subsistaient depuis l'établissement du christianisme; d'autres ont été créés, sans aucun égard aux anciennes limites; tous les évèques français, au nombre de plus de cent, ont été destitués sans forme de procès; tous les chapitres, abbayes et bénéfices ont été anéantis; tous les biens ecclésiastiques, irrévocable- ment cédés, etc.
(( J'ose dire que tous les papes, ceux même qui ont porté plus loin leur autorité, n'ont jamais fait, dans la suite de plusieurs siècles, des changements ou des coups d'autorité aussi grands que ceux qui ont été faits en un moment par Pie VIL
a Je crois cette opération du pape très légitime, et il faut bien le reconnaître; autrement il n'y aurait plus en France que des évèques sans titre valable. Mais cette opération ne peut être légitime qu'autant que le pape
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a eu le droit et l'autorité de la faire. Et pour établir qu'il a cette autorité, il faut donc dire que dans certaines cir- constances son autorité est souveraine et s'élève au-dessus de tout. »
Si habile que fût la défense , elle ne pouvait pas dé- sarmer Fouché; il parvint à éveiller les susceptibilités de l'empereur, à donner à son ressentiment un commence- ment de satisfaction. La compagnie de Jésus avait repris en France, sous le nom de congrégation des Pères de la Foi, la direction de quelques collèges, déjà très floris- sants ; son installation dans le pays était signalée au gou- vernement comme une victoire des ultramontains. Le 1er novembre 1807, un décret supprima la congrégation. Quelque temps après, obéissant encore à l'influence de Fouché, Napoléon donna l'ordre de préparer le décret de suppression de la compagnie des Sulpiciens.
V. — Ému du danger qui menaçait sa compagnie , M. Émery chercha des protecteurs. Il rédigea deux mé- moires; il en envoya un exemplaire à M. Bigot de Préa- meneu , le successeur de Portalis dans la direction des affaires du culte, et un autre au cardinal Fesch. Le cardinal avait annoncé l'orage à ses amis : il voulait bien encore dans ces circonstances difficiles , malgré son mé- contentement profond, donner un nouveau témoignage de son dévouement désintéressé à M. Émery et à sa maison.
Le 5 février 1808, le ministre présenta au conseil d'État le rapport suivant sur l'origine et la compagnie de Saint-Sulpice :
« Le nom de Sulpiciens donné aux prêtres qui dirigent le séminaire de Saint-Sulpice est un nom de localité emprunté de la paroisse même où ils exercent leur minis- tère , quoique ce nom ne soit pas la dénomination d'une société, et que ceux qui le portent n'aient jamais formé
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 197 ni voulu former une congrégation proprement dite , obtenu ni sollicité à cet effet aucune approbation de la cour de Rome; il existe pourtant entre eux les liens les plus forts , ceux qui sont formés par la cohabitation , la profession des mômes principes dès les plus tendres années, et la destination au même but.
a Ce but est, pour les Sulpiciens, la direction et l'en- seignement des études ecclésiastiques dans les sémi- naires, comme la direction de toute espèce d'enseigne- ment public était le but des Pères de la Foi. L'une et l'autre fin tendent à donner une grande influence à l'asso- ciation dont elles dirigent invariablement la marche. « Il y a cette différence entre les Sulpiciens et les ; Pères de la Foi et même les anciens jésuites, que les I Sulpiciens se consacrent exclusivement à l'éducation des I prêtres, obtiennent et conservent parmi le clergé une | influence beaucoup plus durable, et qui n'est affaiblie j par aucune distraction étrangère. Aussi M. Émery, directeur actuel du séminaire du Saint -Sulpice, a-t-il traversé la Révolution et lui a-t-il survécu , sans cesser d'être la boussole du clergé dans les temps malheureux, comme il l'est encore depuis le rétablissement de la prospérité publique.
(( Un autre rapport sous lequel les Pères de la Foi ne sont pas à comparer avec les Sulpiciens, c'est que les premiers , nés en pays étrangers et du sein des orages , ne s'étaient transplantés en France qu'à la faveur du mystère et n'y jouissaient que d'une existence ré- prouvée.
« Les Sulpiciens, au contraire, datent du xvnc siècle. Leur fondateur fut M. Olier, curé de Saint-Sulpice, né dans les premières classes de la société. Ils reçurent leurs statuts de M. le cardinal de Noailles, en 1708; et leur confirmation au parlement et au grand Conseil eut lieu dans la même année.
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« On peut remarquer que ces statuts leurs prescrivent de se renfermer uniquement dans les soins de l'enseigne- ment ecclésiastique. Pour n'être point distraits, ils doivent s'abstenir de tout autre ministère.
ce L'intention du fondateur avait été de se borner à une petite compagnie ; mais l'établissement passa ses espé- rances, et les Sulpiciens, avant la Révolution, étaient encore au nombre de quarante.
ce II en reste encore la moitié, la plupart employés dans le saint ministère , ou dirigeant les séminaires éta- blis par les soins des évêques, ou hors de service.
« Leur supérieur n'a jamais voulu accepter d'autres fonctions ecclésiastiques que celle du séminaire de Saint- Sulpice, qu'il dirige encore aujourd'hui. Ce séminaire est considéré comme séminaire diocésain de Paris. Comme tel, il est dans la même catégorie que tous les séminaires diocésains de l'empire qui attendent une organisation définitive.
« Cette organisation fixera le nombre des personnes employées à l'enseignement ecclésiastique, leurs attri- butions, leurs rapports hiérarchiques et leurs exercices. Ce ne sera qu'alors que les ecclésiastiques encore exis- tants sous la dénomination de Sulpiciens , rentreront dans la classe des ecclésiastiques ordinaires et des profes- seurs de séminaire. »
VI. — La tactique du ministre , favorable à la com- pagnie des prêtres de Saint- Sulpice , consistait à séparer leur cause de celle des Pères de la Foi, en indiquant leur différence d'origine, de nature et d'objet, et à les présenter comme les délégués particuliers des évêques dans la direction spirituelle et l'enseignement de la théologie.
Ils cessaient ainsi , aux yeux du gouvernement , de relever d'un supérieur général; ils rentraient dans les
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cadres ordinaires du clergé soumis à la surveillance et à l'autorité des évèques diocésains.
La défense était heureuse. Le cardinal Fesch, que Ton retrouve toujours, avec son cœur dévoué, aux heures difficiles de la compagnie , essaya même de donner plus de poids à la défense par son intervention personnelle. Il représenta à l'empereur que les Sulpi- ciens avaient été toujours animés d'un excellent esprit; qu'ils ne formaient pas une congrégation religieuse à la manière des autres congrégations approuvées à Rome et organisées sur des bases différentes, et que si l'on était malheureusement et injustement encore effrayé de leur modeste influence, il était facile d'en prévenir les effets, en limitant le nombre des sujets qu'ils pourraient recevoir et le nombre de séminaires dont ils pourraient accepter la direction. Il ajouta que si l'intention de l'empereur était de briser leur association , il lui deman- dait comme une dernière grâce de ne pas leur infliger l'humiliation d'une dissolution éclatante par décret, et qu'il le priait de charger simplement le ministre des cultes de manifester sa volonté à M. Émery.
Le péril semblait conjuré par ces hautes influences , et M. Emery caressait déjà l'espérance de vivre tranquille et en silence au milieu des siens. Cependant ses adver- saires, irrités de ce premier échec, essayèrent de rani- mer le zèle de Fouché , et de faire comprendre à l'em- pereur, déjà mécontent de la cour de Rome et ouverte- ment en guerre avec le saint -siège, que le supérieur de Saint- Sulpice entretenait en France un esprit mau- vais , et que les prêtres de sa compagnie étaient les défenseurs les plus dangereux des doctrines ultramon- taines.
VII. — Dans les circonstances difficiles où se trouvait alors l'Eglise de France, il était également dangereux de
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rappeler les droits de l'Église romaine et d'affirmer les prérogatives spirituelles du souverain pontife. Aveuglé par le prodigieux succès de ses armes à travers l'Europe soumise, Napoléon souffrait avec peine le voisinage d'un pape qui , non content de tenir dans ses mains les clefs du royaume des cieux, ne craignait pas encore de dé- fendre contre les menaces de ses ennemis sa royauté temporelle. Un vertige de domination absolue et uni- verselle troublait l'intelligence de l'empereur. Il pensait alors à dépouiller le pape de son pouvoir temporel , et il devait bientôt attaquer même sa puissance spirituelle , en lui contestant le droit de refuser l'institution cano- nique aux évêques présentés par son gouvernement. Il voulait régner seul sur l'Europe vaincue ; mais si la for- tune prodigieuse de son épée brisait toutes les résis- tances, il avait cependant un vague sentiment que la puissance temporelle et spirituelle du Vicaire de Jésus- Christ échapperait aux coups violents de la force : il cherchait un moyen nouveau d'en triompher.
Le doux pontife qui occupait le siège de Rome avait multiplié les témoignages de sa paternelle sollicitude envers l'empereur. Il avait signé le Concordat et accordé à l'autorité civile une autorité considérable dans l'admi- nistration des affaires ecclésiastiques de France ; il avait mécontenté les rois des cours étrangères , en venant couronner dans la métropole de Paris, avec toute la pompe d'une fête religieuse , le nouveau souverain ; il était prêt encore à faire les sacrifices Les plus douloureux pour conserver la paix à l'Église et donner à l'empereur de nouveaux témoignages de son amitié.
Mais ces gages de conciliation ne suffisaient pas : l'em- pereur demandait à Pie VII de manquer à ses engage- ments sacrés envers l'Église, par l'abandon volontaire de son pouvoir temporel. Le 43 février 1806, Napoléon avait écrit au saint -père une lettre dans laquelle il
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déclarail impérieusement qu'il attendait de lui, dans l'ordre temporel, la déférence et les égards qu'il voulait bien lui rendre en échange dans l'ordre spirituel; que les ennemis du pape étaient les ennemis de la France, parce que si Pic Yll riait le souverain de Homo, Xajioléon en était V empereur.
Cette dernière parole exprimait bien la pensée mena- çante de celui qui se préparait déjà à envahir les Etats pontificaux. Il se détournait de temps en temps de Rome pour frapper ailleurs de grands coups, avec une rapidité foudroyante. Excité par ses triomphes, dominé par l'idée implacable qui s'est emparée de son esprit, il revient sans cesse à Rome et au pontife dont il veut obtenir la déchéance volontaire. Il saura recourir à la ruse, à l'intimidation, à la diplomatie, à la violence. C'est un spectacle singulier que celui de ce capitaine de génie qui fait trembler l'Europe, toute retentissante du pas de ses hommes d'armes et du bruit de ses victoires, irrité et impuissant en face d'un vieillard désarmé!
Au mois d'octobre 1805, Gouvion Saint- Cyr entre dans Ancône et s'y établit en maître. Au mois de mars 180G, Joseph Bonaparte monte sur le trône de Xaples. Le vainqueur d'Austerlitz signe la paix de Presbourg, et, au mois de mai 1806, il fait savoir au pape, par le représentant de la France h Rome, qu'il va s'emparer du duché dTrbin , de la marche d' Ancône, de Civita-Vecchia. Au mois de juillet 1807, au lende- main des sanglantes victoires d'Iéna et de Friedland , l'empereur signe la paix glorieuse de Tilsitt, et renou- velle ses menaces contre le vieillard inébranlable qui défie doucement sa colère. Celui qui s'appelait avec em- phase le nouveau Charlemagne estime que la recon- naissance du pape n'est pas à la hauteur des services qu'il a rendus à l'Église, au lendemain des profanations révolutionnaires; il le presse par la diplomatie et par la
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violence de marcher dans le système de la France, de contracter avec lui une ligue offensive et défensive , d'épouser ses querelles et de partager ses périls sur les champs de bataille. A la fin, fatigué de l'inébranlable et pacifique résistance du vieillard , qui ne se laisse pas même émouvoir à la menace d'un concile général con- voqué par l'autorité civile et de l'annulation publique- ment annoncée de la donation de Charlemagne, impa- tient, il précipite les événements. Le général Miollis reçoit l'ordre de marcher sur Rome, en ayant l'air de se diriger vers Naples. Le 2 février 1808, les bataillons de Miollis s'emparent sans combat de la Ville éternelle , et le pape prisonnier au Quirinal , entouré de ses cardi- naux , attend la fin de la tempête qui commence à gronder.
Nouveau Charlemagne, Napoléon prétendait avoir le droit de défaire ce que son illustre prédécesseur avait fait, et de s'emparer des États pontificaux. Il prétendait encore , en ajoutant l'outrage aux violences de la spolia- tion, que le pouvoir temporel n'avait pas été donné pour l'avantage particulier d'un pape , mais qu'il avait été cédé dans l'intérêt de la religion trahie par Pie VII.
Cependant le pape désarmé rappelait à l'empereur les leçons de l'histoire et le respect que l'on doit au chef de l'Eglise. Une note énergique du cardinal Gabrielli, en date du 16 mai 1808, apprenait à Napoléon que le pou- voir temporel du pape était justifié par mille années de possession; que Charlemagne avait simplement confirmé la libéralité de son père à l'égard de l'Eglise , et que la donation de Pépin n'avait été que la restitution de l'exar- chat de Ravenne et de la Pentapole usurpés par les Lombards.
Accusé de trahir les intérêts de l'Église, le pape se redresse, et, avec l'autorité divine de son caractère mé- connu, il dicte cette fière réponse au cardinal Gabrielli :
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c Sa Sainteté veut et ordonne , au nom de cette foi qui ne se contente pas seulement des expressions de la langue, mais qui «demande les expressions du cœur, au nom de Dieu qui abhorre la simulation et la duplicité, enfin au nom de l'unité catholique, que Sa Majesté fasse une fois, devant l'univers, ce témoin et juge véri- dique et impartial, la déclaration d'être catholique ou qu'il renonce à une religion qu'il professe par ses paroles et nullement par ses actions. »
Dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809, Radet, ce misé- rable qui avait toutes les audaces insolentes du parvenu, toutes les obséquiositésdu valet ; tour à tour aplati et lâche, vantard et violent; aujourd'hui général et baron de l'em- pire, demain lieutenant -général des armées du roi; aujourd'hui impudent jusqu'au cynisme en face du pape; demain prosterné dévotement au pied du trône de Pie VII, le général Radet, suivi de ses hommes, pénètre par surprise et par violence dans le palais du Quirinal livré au pillage, et quand il se trouve en présence du pape, après avoir enfoncé les portes , fait sauter les ser- rures et brisé brutalement toutes les barrières, dans l'intérieur des appartements pontificaux, il ose réitérer au saint-père, au nom de son souverain, la proposition d'abdiquer son pouvoir temporel.
Le pape, debout, l'écrase de son regard et lui répond avec fermeté :
a Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas , nous ne voulons pas. Nous n'avons agi qu'après avoir invoqué les lumières de l'Esprit- Saint ; et vous nous taillerez en morceaux plutôt que de nous faire rétracter. Si vous avez cru devoir exécuter des ordres semblables, à cause du serment que vous avez prêté , pensez-vous que nous puissions abandonner les droits du saint - siège, auxquels nous sommes liés par tant de serments? Nous ne pou- vons renoncer à ce qui ne nous appartient pas; le do-
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maine temporel est à l'Église romaine, et nous n'en sommes que les administrateurs. L'empereur pourra nous mettre en pièces , mais il n'obtiendra jamais cela de nous. Après tout ce que nous avions fait pour lui, nous ne devions pas nous attendre à ce traitement. »
Pendant que l'empereur, dans l'éclat de sa gloire, entraînait son armée victorieuse vers les hauteurs de Wagram, le général Radet, aux ordres de Miollis, ache- vait son vaillant exploit. Le pape prisonnier était enfermé dans une voiture solidement verrouillée et em- porté loin de Rome. Pie VII avait prévu cette épreuve. Avant de partir il laissa ces adieux touchants à sa ville bien -aimée :
« Dans les douloureuses extrémités .où nous nous trouvons , nous versons des larmes d'attendrissement, en bénissant Dieu , le Père éternel de notre Seigneur Jésus- Christ, le Père des miséricordes, le Dieu de toute conso- lation , qui nous donne ce doux soulagement de voir sè renouveler en notre personne ce que son divin Fils, notre rédempteur, annonça à saint Pierre, prince des apôtres, dont nous sommes le successeur, sans mérite de notre part, quand il lui dit : « Dans votre vieillesse « vous étendrez les mains, et un autre vous liera et vous « conduira où vous ne voulez pas. »
ce Nous savons néanmoins et nous déclarons que, sans un acte de violence (étant en paix avec tout le monde, priant même continuellement pour tous les princes), nous ne pouvons être arraché de la ville de Rome , qui est notre légitime et pacifique résidence, comme capitale de nos Etats, comme siège spécial de la sainte Eglise romaine et comme centre universel de l'unité catho- lique , dont nous sommes sur la terre , par une disposi- tion divine , le chef suprême et le modérateur.
(( Nous étendons cependant , avec résignation , nos mains sacerdotales à la force, qui les lie pour nous traîner
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 205 ailleurs. En même temps que nous déclarons respon- sables envers Dieu, de toutes les conséquences de cet attentat, ceux qui en sont les auteurs, nous n'avons, pour notre part, qu'un désir, nous ne donnons qu'un conseil et qu'un ordre à nos fidèles sujets, à notre trou- peau particulier, à l'Église catholique, c'est qu'ils imitent avec ardeur les fidèles du premier siècle , alors que saint Pierre était renfermé dans une prison et que « l'Église « ne cessait de prier Dieu pour lui ».
« Successeur quoique indigne de ce glorieux apôtre, nous avons la confiance que tous nos fils bien-aimés ren- du mi 1 ce pieux devoir, peut-être le dernier, à leur fatdre et commun père; et nous, en récompense, nous leur donnons avec la plus grande effusion de cœur la bénédiction apostolique »
A cinq heures du matin le doux pontife , malade, sans suite, sans provisions, sans autre habit que ceux qu'il irait sur lui, gardé à vue comme un prisonnier dange- reux , prenait la route de Florence.
Après une halte à Radicofani, et malgré les intolé- rables souffrances du captif, le cortège reprend sa marche violente, traverse la Toscane, fend la foule accourue pour saluer sur son passage le prisonnier, qui Répond aux témoignages répétés de leur douleur et de leur tendresse par son regard et ses bénédictions, et arrive enfin sur le Monte- Acuto , à la célèbre chartreuse de Florence. Pie VII se repose un instant dans la chambre où son prédécesseur sur le siège de Pierre, victime des fureurs du Directoire , avait enduré pendant neuf mois les douleurs de la captivité.
Le 9 juillet, à quatre heures du matin, Pie VII se I lève et reprend le chemin de l'exil. Il traverse rapide- ment Gênes, Alexandrie, fait une halte à l'hospice du
1 Proclamation de Pie VII, du 6 juillet 1809.
6*
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Mont-Cenis, entre à Grenoble, où la population chré- tienne lui fait une réception triomphale. Le chef d'esca- dron Gaillot s'empare du cardinal Pacca, et l'enferme à Fénestrelles , pendant que le colonel Boisard conduit Pie VII par Valence , Avignon , Aix et Nice , jusqu'à Savone, où il est constitué prisonnier d'État et séparé de ses ministres, de ses conseillers et de ses amis.
L'empereur isolait le pape pour le soustraire à des influences contraires à ses projets de domination univer- selle, il espérait ainsi obtenir plus facilement de son pri- sonnier livré à lui-même et affaibli par de cruelles souf- frances des concessions qui auraient livré à son ambition insatiable les intérêts temporels et spirituels de l'Eglise de France.
La situation religieuse du pays était donc entièrement changée. Aux espérances que les chrétiens fidèles avaient conçues en apprenant la signature du Concordat, le réta- blissement du culte , le sacre et le couronnement de l'empereur, la fin du schisme constitutionnel, le retour des évêques et des prêtres légitimes dans leurs églises dévastées et trop longtemps abandonnées, avait succédé une frayeur profonde. La captivité du pape et les desseins nouveaux de l'empereur inspiraient les plus graves inquiétudes. Les hommes du gouvernement, empressés à faire la cour à l'empereur, les libertins incrédules élevés dans les principes de la Révolution, les constitu- tionnels, se réjouissaient déjà des malheurs de l'Eglise et s'empressaient de signaler au ministre de la police, avec une joie mal déguisée, les démarches et les paroles des prêtres fidèles qui osaient exprimer avec trop de sin- cérité leur dévouement au souverain pontife et leurs préférences pour les doctrines romaines.
Ils espéraient ainsi gagner les faveurs impériales.
Les créatures de Fouché connaissaient bien la situa- tion, et en dénonçant M. Émery comme un partisan des
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doctrines ultramontaines, ils espéraient appeler sur lui et sur sa compagnie la colère de l'empereur, en guerre ouverte avec la papauté.
VIII. — M. de Fontanes appréciait la sagesse et les hautes qualités de M. Emery, il essaya de détourner l'orage. Il soumit à l'empereur l'idée d'appeler à Fontai- nebleau le vénérable supérieur et de l'interroger direc- tement lui-même, pour connaître enfin sa pensée et ses moyens de défense.
L'empereur se rendit aux observations respectueuses de son ministre et pria le cardinal Fesch de mander M. Émery à Fontainebleau.
Napoléon connaissait M. Emery. Il l'avait reçu pour la première fois le 15 janvier 1801 , quand il se présenta au palais avec les vicaires généraux de M. de Juigné, arcbevèque de Paris, pour lui offrir les bommages du clergé et lui faire connaître ses dispositions favorables au serment de fidélité. Talleyrand et Dernier lui avaient parlé souvent de leur ancien maître à Angers et à Paris; (ils lui avaient signalé dans M. Émery un bomme de caractère qui pouvait ou contrarier ou servir efficacement, par son influence puissante sur le clergé, ses desseins à l'égard du chef de la catholicité.
Malgré ses préventions autoritaires et par un caprice de sa nature pleine de contrastes, le souverain redouté de la France ne pouvait se défendre d'estimer et d'ad- mirer ce vieillard capable de tout braver pour rester fidèle au devoir ; il savait par expérience qu'il ne se I rendrait maître de M. Emery ni par la force brutale ni par la flatterie. Il ne voulait pas le tenter par la promesse jjdes dignités humaines : ce prêtre désintéressé avait lj refusé, au péril de l'existence même de sa compagnie, les évèchés d'Arras, d'Autun et de Troyes. Il ne pouvait |pas espérer d'intimider par des menaces le vieillard qui
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avait regardé la mort en face, pendant les longues heures de sa captivité dans la prison de la Conciergerie.
L'empereur savait que cet homme, détaché de tout, était une force et ne ressemblait pas aux courtisans de toute livrée aplatis devant sa puissance. Sa résistance l'irritait, ses qualités supérieures l'attiraient; sollicité en sens contraire par son oncle maternel, qui aimait M. Émery, et par le ministre Fouché, qui le détestait, Napoléon ne suivit jamais à l'égard du supérieur de Saint-Sulpice une ligne de conduite invariable et claire- ment déterminée.
« Sire, disait un jour à l'empereur M. Émery dans une conversation sur des questions théologiques, vous êtes dans l'erreur.
— Comment, je suis dans l'erreur !
— Sire, vous me demandez de vous dire la vérité; il ne conviendrait ni à mon âge, ni à mon caractère, de faire ici le courtisan : je dois donc dire à Votre Majesté qu'elle est dans l'erreur sur ce point. En cela je ne crois pas manquer au respect que je lui dois. Autrefois, en Sorbonne, on se servait du même langage, on disait même : Cela est absurde, et personne ne s'en offensait, pas même un fils de prince s'il soutenait une proposition qui pût y donner lieu. »
Et comme l'empereur lui reprochait, avec un fin sou- rire, de régenter les évêques , M. Émery lui répondit avec une gravité respectueuse :
« Sire , les évêques ont grâce pour se conduire eux- mêmes ; mais si quelques-uns croient devoir me demander avis, il me semble que mon âge et mon expérience me mettent en état de leur donner conseil. »
Le comte Molé avait fait la première communion des mains de M. Émery; il avait conservé pour lui un sou- venir mêlé de tendresse et de reconnaissance, et son image ornait sa chambre à coucher de Champlatreux.
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Sa haute situation sous l'empire, et ses relations intimes avec le vénérable supérieur de Saint-Sulpice, lui avaient permis d'entretenir l'empereur des grandes qualités de son ami et de connaître son sentiment à son égard. Il trouva plus tard une occasion solennelle de le rap- peler.
a. Napoléon , écrivait le comte Molé dans son discours de réception à l'Académie française, en 4840, ne pouvait se lasser d'admirer dans ce saint prêtre je ne sais quel mélange de simplicité presque primitive et de sagacité pénétrante, de sérénité et de force, j'ai presque dit de grâce et d'austère ascendant.
« Voilà, me dit-il un jour, la première fois que je (( rencontre un homme doué d'un véritable pouvoir sur « les hommes, et auquel je ne demande aucun compte « de l'usage qu'il en fera. Loin de là, je voudrais qu'il « me fût possible de lui confier toute notre jeunesse : je a mourrais plus rassuré sur l'avenir. »
IX. — M. Émery redoutait cependant les emporte- ments de Napoléon, et quand il reçut l'ordre inattendu de se rendre immédiatement à Fontainebleau, il craignit un nouveau malheur pour la compagnie ; il fit une xmrte prière à la chapelle, monta dans la voiture du cardinal Fesch, et se recueillit devant Dieu, en cherchant es réponses qu'il pourrait faire à l'interrogatoire de son souverain.
La voiture arriva à Fontainebleau. Le cardinal Fesch ttendait M. Emery. Il lui annonça que l'empereur l'avait pas l'intention de s'entretenir avec lui des affaires énérales de l'Eglise et de la situation du saint-siège, îais que Fouché avait dénoncé les opuscules de Fleury, ue la compagnie de Saint-Sulpice avait été signalée omme un foyer d'ultramontanisme et d'opposition au ouvernement, et que l'empereur voulait connaître la
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vérité sur ces accusations persistantes , avant de prendre une décision dont il connaissait la gravité.
M. Émery prépara sa défense, et attendit avec un filial abandon à la volonté de Dieu le moment où il plairait à l'empereur de le recevoir et de l'entendre. Il voyait souvent le cardinal Fesch, pendant les heures monotones et longues de son séjour au château, et se recueillait ensuite dans des méditations solitaires, et, détournant sa pensée tranquille de l'interrogatoire qu'il allait bientôt subir, il priait à genoux pour les princes de Valois dont le souvenir était gravé sur les pierres mêmes de la cha- pelle du château, bâtie par leur munificence royale.
Il prévoyait bien que l'empereur élargirait le cadre de l'interrogatoire et qu'il ne pourrait pas se défendre de lui parler de ses démêlés avec le saint -siège.
Trois jours après son arrivée, il fut enfin introduit dans le cabinet de l'empereur.
(( J'ai lu votre livre, dit Napoléon en lui montrant un exemplaire des Opuscules de Fleury ; il y a dans la préface quelque point qui n'est pas franc du collier; mais, en somme, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. »
Puis, changeant subitement de ton et de conversation, l'empereur parla • avec emportement et rapidité de la conduite de Pie VII.
« Je ne sais ce que le pape peut me reprocher. N'ai-je pas nommé de bons évêques? Il est vrai que plusieurs ont refusé, comme vous avez fait vous-même; mais je ne suis pas cause de leur refus. Du reste, je respecte la puissance spirituelle du pape; mais sa puissance tem- porelle ne vient pas de Jésus -Christ : elle vient de Char- lemagne ; je puis et je veux la lui ôter, parce qu'il m sait pas l'exercer, et qu'étant déchargé de l'administra- tion temporelle, il pourra vaquer plus librement à siv fonctions spirituelles.
— Sire, répondit M. Émery, longtemps avant Char-
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lemagne la foi et la piété des fidèles avaient assuré aux papes des possessions temporelles, et si Votre Majesté croyait avoir le droit de reprendre la donation de Char» lemagne, elle devrait respecter les donations antérieures faites par les chrétiens.
— Le pape est un brave homme; si je le voyais un quart d'heure, il me serait facile de m'entendre avec lui, mais il est entouré de cardinaux encroûtés d'ultramon- tanisme qui le dominent et le font agir à leur gré.
— Sire, si Votre Majesté croit pouvoir s'arranger si facilement avec le pape, elle pourrait le faire venir à Fontainebleau.
— C'est aussi ce que j'ai l'intention de faire.
— Mais dans quel état Votre Majesté le fera -t- elle venir? S'il traverse la France en prisonnier, un pareil voyage fera beaucoup de tort à Votre Majesté, car le pape sera partout environné de la vénération des fidèles.
— Ce n'est pas ainsi que je l'entends , répliqua l'em- pereur; si le pape vient ici, je veux qu'on lui rende les mêmes honneurs que lorsqu'il est venu me sacrer. D'ailleurs, il est étonnant que vous, qui avez étudié la théologie toute votre vie, vous ne puissiez, pas plus que les évèques de France, trouver un moyen canonique pour m'arranger avec le pape. Quant à moi, si j'avais étudié la théologie seulement pendant six mois, j'aurais bientôt débrouillé cette affaire, parce que, dit- il en portant le doigt sur son front, Dieu m'a donné l'intelli- gence. Je ne parlerais pas latin aussi bien que vous; mon latin serait un latin de cuisine, mais j'aurais bientôt éclairé toutes les difficultés.
— Sire, vous êtes bien heureux d'être en état d'ap- prendre toute la théologie en six mois; pour moi, il y a plus de cinquante ans que je l'étudié et même que je l'enseigne, et je ne crois pas encore la savoir. »
A ce moment l'huissier de service annonça à haute
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voix et avec emphase le roi de Hollande, le roi de Bavière et le roi de Wurtemberg.
« Qu'ils attendent! » répondit sèchement l'empereur.
Il continua pendant près d'une demi -heure à causer avec M. Émery de la situation de l'Église et de ses projets.
Avant de se retirer de l'audience, M. Émery dit à l'empereur :
(( Sire, puisque Votre Majesté a daigné lire les Opus- cules de Fleury , elle me permettra sans doute de lui offrir quelques additions que j'y ai faites et qui sont le complément de l'ouvrage. »
L'empereur déposa le livre sur sa table de travail , et promit d'en prendre connaissance.
M. Emery revint à Paris avec la consolation de n'avoir pas sacrifié les droits du saint-siège, et d'avoir parlé avec courage et prudence. Il avait su concilier son obéissance filiale à l'Église avec les devoirs que tout sujet doit à son souverain.
Les projets menaçants de l'empereur attristaient l'âme de M. Emery, profondément attaché à la personne du souverain pontife; il prévoyait les conséquences lamen- tables de la persécution religieuse ouverte par l'ambition sans mesure de l'empereur ; il gémissait de la violence inqualifiable faite au pape, dont on ne respectait ni l'au- torité spirituelle ni l'autorité temporelle. Après tant d'efforts pour assurer la pacification religieuse de la France , on était de nouveau à la veille de graves événe- ments qui pouvaient compromettre d'une manière désas- treuse la paix des consciences et le progrès de la religion.
(( C'est maintenant le bon temps pour mourir, » disait avec tristesse M. Émery.
Il ne pouvait pas manquer de rendre compte à son ami, l'évèque d'Alais, de son entrevue avec l'empereur et de ses appréhensions :
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 213
« Vous avez dû, lui écrivait-il, être étonné de mon silence. Je suis parti mardi, 7 novembre, mandé pour Fontainebleau par le cardinal Fesch. Le motif de mon voyage, c'est qu'on était revenu auprès de l'empereur contre moi et les Sulpiciens, à l'occasion des Nouveaux Opuscules de Fleury. On prétendait que nous étions ultramontains. J'ai trouvé, en arrivant, que l'empereur les avait lus et avait dit que ce n'était pas ce qu'on lui avait donné à entendre. M. le cardinal voulait qu'il me vit, espérant qu'il ne me trouverait pas aussi noir qu'on m'avait représenté. Je l'ai vu, seul avec le cardinal, pen- dant près d'une heure. Il a été peu question de ma per- sonne et de mon ouvrage ; mais l'empereur a parlé con- tinuellement de ses affaires avec le pape. J'ai intercalé de temps en temps quelques observations ; je l'ai fait comme un bon catholique et un ami de la concorde entre le sacerdoce et l'empire. Ma conscience ne me reproche auçune flagornerie. »
X. — Le ministre de la police ne connaissait pas sans doute le résultat de cette entrevue de M. Emery avec l'empereur, et voulant témoigner son zèle en faveur du gouvernement, il fit saisir au séminaire tous les exem- plaires des additions et des Opuscules de Fleur)/.
M. Emery se flattait d'avoir trouvé enfin le repos qu'il désirait depuis longtemps, quand il apprit cette nouvelle tracasserie du préfet de police. Il écrivit aussitôt , le 24 mars 1810, la lettre suivante à Fouché :
« Monseigneur, il sort de chez moi un commissaire qui s'est présenté de votre part pour saisir les exem- plaires que j'aurais des corrections et additions aux Nou- veaux Opuscules de Fleur;/.
« J'eus l'honneur de voir Votre Excellence, il y a deux ans, au sujet du livre, et je crois qu'elle fut satisfaite de mes explications. Je fus donc très étonné, les vacances
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dernières, quand j'appris qu'on avait fait une nouvelle dénonciation des Opuscules de Fleury. L'empereur voulut voir l'ouvrage, et M. le cardinal Fesch jugea à propos de m'appeler à Fontainebleau et de me présenter à l'empereur, qui voulut bien me donner, dans son cabinet, une audience d'une heure.
(( Il me parla d'abord de mes Nouveaux Opuscules de Fleury, me dit qu'il les avait lus, ne s'en plaignit point, et se contenta d'observer, en souriant, qu'il y avait quel- que petite chose à reprendre dans la préface, et passa à un autre sujet.
(( Voilà donc cet ouvrage, dont on a voulu deux fois me faire un crime auprès du prince, justifié par le prince lui-même. J'avais avec moi un exemplaire des corrections et additions. En quittant l'empereur, je le lui offris, et le priai d'y jeter un coup d'œil. Il l'accepta avec bonté.
« Ces additions et corrections étaient imprimées de- puis quelque temps ; je ne les avais point envoyées chez le libraire, quelque innocentes et irréprochables qu'elles fussent, pour ne point donner lieu à mes ennemis de vous faire une nouvelle dénonciation. Mais, quelque temps après mon retour de Fontainebleau, ayant tout lieu de croire que l'empereur avait été satisfait de ce petit supplément, je l'ai envoyé au libraire.
(( Quel a été donc mon étonnement, quand j'ai vu arriver chez moi un commissaire! Cet étonnement a été d'autant plus grand , qu'il y a environ deux mois on avait fait agir le préfet de police pour le même objet , et que ce magistrat, après avoir pris connaissance de cet ouvrage, avait laissé tomber la dénonciation.
(( J'ose prier Votre Excellence de vouloir bien se faire rendre compte de l'ouvrage par une personne autre que celle qui le lui a déféré. Si je ne connaissais pas ses occupations immenses, je la prierais de vouloir bien être
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elle-même le juge, et je ne doute pas qu'alors elle voulut bien ordonner que les exemplaires saisis me fussent rendus.
((11 est écrit que ma vie, quoique je l'aie consacrée tout entière, ainsi que ma fortune, au service de l'Église et de l'État, sera une suite continuelle de traverses et de dégoûts. Heureusement mon âge, soixante-dix-huit ans, m'avertit que cette suite aura incessamment un terme. »
Cette lettre fit connaître au ministre de la police les sentiments de l'empereur qu'il paraissait ignorer, et rendit la paix au vénérable supérieur de Saint- Sulpice. Fouché arrêta les poursuites et laissa tomber dans le silence cette affaire désagréable, où la justice et la modération étaient certainement du côté du per- sécuté.
XI. — On fut très satisfait à Rome, dans la cour pon- tificale, de la sagesse et du courage de M. Émery. La publication des Opuscules de Fleuri/ fut considérée comme le gage d'un rapprochement longtemps désiré entre le clergé français et le saint-siège Les félicitations adressées à M. Emery par les prélats les plus renommés d'Italie, par un grand nombre d'évèques français, ennemis des doctrines exagérées, mais jaloux de recon- naître les droits de l'Eglise, sans oublier leurs devoirs envers l'État , lui firent oublier les tristesses de ses der- nières épreuves.
M Lambruschini , nonce en France sous Charles X, conservait religieusement un exemplaire des Opuscules de Fleury, qu'il emportait toujours avec lui dans ses voyages.
Quand il vint pour la première fois à Issy, il entra dans le modeste cimetière dos prêtres de Saint - Sulpice , s'agenouilla sur la tombe de M. Émery, et après avoir
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fait une courte prière , il dit en se relevant aux prêtres
qui l'accompagnaient dans son pèlerinage :
« Voilà un homme qui a beaucoup aimé l'Eglise. »
XII. — M. Emery supportait avec résignation sans se plaindre ses épreuves personnelles , son caractère était l'ait à la lutte; sa vie entière s'écoula d'ailleurs dans les dures fatigues d'une persécution qui semblait raffermir son âme en élevant ses pensées dans les régions d'une sérénité inaltérable. Il souffrait davantage des maux qui affligeaient l'Église ; le triste spectacle auquel il assistait, après les vaines espérances que l'avènement de Bona- parte et la conclusion du Concordat avaient fait naître dans tous les esprits, le plongeaient dans une immense tristesse qui se révélait quelquefois par des paroles dé- couragées.
La ville de Rome , veuve du pape , était aux mains de l'étranger. M. Emery aimait à faire naître dans les âmes le sentiment délicat de la fidélité sans réserve au chef su- prême de l'Église comme une compensation à la violence qu'il subissait dans une prison française. Les causes justes compromises sont toujours les plus belles, elles ont des séductions puissantes pour les âmes généreuses. Il voyait avec peine que des évêques semblaient oublier les de- voirs de l'obéissance chrétienne et s'arrogeaient sans nécessité des pouvoirs extraordinaires, dont la validité pouvait être contestée :
(( Personne n'a reçu de réponse du pape, écrivait-il, le 5 janvier 1809, à M. Rousseau, évêque d'Orléans; mais on sait qu'il a nommé une commission pour examiner les demandes qui lui sont faites par les évêques de France. Aussi il faut attendre.
ce Je crois que ce serait une grande imprudence à des évêques de s'arroger en attendant un droit qui ne leur appartient pas, d'autant plus qu'ils ne sont pas dans
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le cas où le recours à Rome est impossible, puisqu'on peut y recourir comme avant l'arrivée du cardinal Ca- prara, et que des chrétiens qui ne veulent pas prendre la peine d'attendre une réponse de Rome et qui sont dans la volonté de se passer de dispense et de rompre avec l'Église ne méritent pas le nom de chrétien.
« Il vaut mieux laisser les chrétiens de cette espèce aller accroître le nombre des prévaricateurs et des dis- sidents que de porter atteinte à l'autorité du saint -siège, où consiste, écrivait Rossuet, le salut de la catholicité et de l'Eglise. Les évêques doivent être très persuadés que les atteintes portées à l'autorité du saint -siège frappent leur propre autorité; que si le gouvernement (ce qu'à Dieu ne plaise) envahissait l'autorité du saint- siège, il envahirait bientôt et bien plus facilement celle des évêques, et que les mômes raisons qui feraient secouer aux évêques l'autorité du pape feraient bientôt secouer aux curés l'autorité des évêques. »
M. Émery cherchait ainsi à maintenir les volontés et les esprits en communion avec le saint-siège, à diminuer ( les calamités déjà si considérables qui affligeaient l'Église. Il voyait aussi avec dégoût les philosophes et les démocrates qui avaient défendu pendant les mauvais jours de la révolution la liberté sans frein, les droits de ■tomme, les maximes républicaines les plus audacieuses, se traîner comme des courtisans, des valets, aux pieds de l'empereur, qui les accablait de son dédain, flatter ses tendances autoritaires par les bassesses les plus igno- minieuses et devenir les panégyristes de l'arbitraire après avoir été les coryphées de la licence. Sa dignité d'homme était offensée de ce spectacle; son âme droite s'indignait du rôle abaissé et volontaire de ces plats courtisans.
« J'ai vu M. Gavard, écrit M. Emery, le 8 février 1809, à l'un de ses cousins qui résidait à Genève; son nom II 7
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m'a réjoui parce qu'il m'a rappelé la Gavarde, cette excellente femme qui faisait si bien les tourtes et qui avait de si bons raisins dans sa vigne.
(( C'est la révolution qui a fait perdre au papa ses principes, qui étaient fort bons. Rendu à lui-même, il les retrouvera. Vous avez aussi perdu quelque chose de ce côté -là, mon cher cousin; vous le retrouverez aussi.
ce Si vous voyiez de près, comme je les vois à présent, tous ces malheureux philosophes qui ont tant travaillé à abolir les anciens principes, à établir les droits de la raison de l'homme et les droits du peuple ; si vous voyiez combien ces hommes sont aujourd'hui bas, rampants, flagor- neurs ! Vous savez ce qu'ils ont été pour la démocratie, et ils sont aujourd'hui les plus ardents défenseurs de l'autorité arbitraire. C'est qu'au fond, tous ces gens à beaux principes ne sont que des esclaves de la vanité et de la cupidité. Ils trouvent leur profit aujourd'hui à flatter l'autorité arbitraire, ils la flattent sans pudeur. »
A tous les moments de l'histoire on a vu se renou- veler ce même spectacle. Après l'anarchie la dictature, et les courtisans les plus bas de cette dictature ont tou- jours été ceux qui la veille, aux jours d'anarchie, oubliaient déjà leur dignité humaine et faisaient litière des protestations les plus légitimes de la justice, de la conscience.
CHAPITRE X
RÉORGANISATION DE LA SORBONNE ET DE L'UNIVERSITÉ
I. — Les professeurs de la Sorbonne avaient déclaré publiquement à M. de Juigné, archevêque légitime de Paris, qu'ils ne reconnaîtraient jamais l'évèque intrus, créature du pouvoir civil, qui usurpait sa place et trahis- sait tous ses serments. Ils affirmaient avec courage, dans une protestation restée comme l'expression de la fidélité de 'leur foi, qu'au pape seul appartient le droit d'instituer canoniquement les évèques, qu'il n'était pas permis de prêter serment à la constitution civile du clergé , et qu'ils étaient décidés à donner à leurs élèves et au clergé de France, au prix des plus grands sacrifices, l'exemple de la soumission au Vicaire de Jésus-Christ.
Cette fermeté doctrinale des professeurs de la Sorbonne, héritiers des traditions des théologiens les plus renommés des siècles passés, avait irrité le gouvernement, qui cher- chait des complices dans l'épiscopat et dans les rangs du clergé, où il avait déjà trouvé des serviteurs empressés et déshonorés de ses rancunes contre le Vicaire de Jésus- Christ.
Lorsque le gouvernement, engagé dans la voie des persécutions, exigea du clergé le serment de fidélité à la constitution civile, tous les professeurs de Sorbonne et de Navarre, à l'unanimité, déclarèrent qu'ils ne prête- raient pas ce serment, et qu'ils réprouvaient la constitu-
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tion1. Mais si l'Assemblée constituante avait été tolé- rante quand elle avait décrété que les maisons d'édu- cation continueraient à recevoir des élèves et à donner l'instruction, le Directoire de Paris était animé des sentiments les plus hostiles. Irrité de la résistance légitime et honorable de la Sorbonne, qui avait été pendant des siècles, au témoignage même de souve- rains pontifes , la lumière et la gloire de l'Église de France, il décréta sa suppression par un arrêté du 47 octobre 1790.
Les professeurs de la maison de Sorbonne rédigèrent une déclaration dans laquelle ils réprouvaient la consti- tution civile, et lui donnèrent ces qualifications sévères mais justes : hérétique, schismatique, opposée à l'esprit du christianisme. On voit au bas de cette déclaration la signature de tous les professeurs de la maison de Sor- bonne et de la maison de Navarre.
c< La Sorbonne tomba, écrit M. Picot, parce qu'elle était une école catholique. C'est à ce titre qu'elle fut odieuse à la fois aux jansénistes, aux philosophes et aux révolutionnaires. Elle vengea par des censures motivées que nous avons eu souvent occasion de mentionner les doctrines de l'Église contre les attaques de l'université ; elle mérita les éloges de plusieurs papes, et, principale- ment dans la seconde partie du xvne siècle, tous ses actes
1 « Si donc, disaient les professeurs dans une éloquente pro- testation, déserteurs tout à la fois de la doctrine pure que nous avons puisée dans son sein et de notre propre enseignement dans ses écoles, nous avions la coupable faiblesse de prêter ser- ment, c'est dans ses Annales (de la Faculté) et jusque dans nos leçons mêmes que nous pourrions lire l'arrêt flétrissant de notre condamnation. Une si lâche désertion ne nous eut-elle pas rendus indignes, et des fonctions honorables que nous exerçons en son nom, et de notre propre estime? » (Protestation de la faculté de théologie de la Sorbonne contre la constitution civile du clergé de France. )
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 221 ont prouvé son attachement à l'Église et au saint-siège'. »
Dans un bref adressé, le 13 avril 1791 , à M. de Bois- gelin , archevêque d'Aix , et aux évèques de France res- tés fidèles au saint-siège, Pie VI rappelait avec honneur cette conduite de la célèbre Sorbonne à une heure où la fidélité était un grand acte de courage, et il rendait hom- mage au talent, à la vertu, à la foi inébranlable de ses professeurs.
II. — La main qui relevait l'Église de ses ruines, en rétablissant les séminaires, en donnant une organisation nouvelle au chapitre de Saint-Denis et une plus grande autorité à l'épiscopat sorti des négociations du Concordat, essaya de relever aussi la Sorbonne et de lui rendre la splendeur des siècles passés.
Ce n'était pas cependant une pensée de réparation envers la religion chrétienne qui pouvait inspirer la conduite du geôlier du pape. Tandis que les esprits sages regret- taient les vieilles universités de France, où l'on retrou- vait les mœurs, l'esprit, la vie des anciennes provinces, l'empereur, dominé par la pensée d'une centralisation absolue, ennemi des libertés provinciales, jaloux détenir dans ses mains puissantes la direction de l'enseignement à tous les degrés, créa l'université de France. Il l'édifia sur les ruines des universités ravagées par la tempête de la révolution. Cette centralisation était un grave danger pour le progrès scientifique des études, pour l'indépen- dance même légitime des esprits dans le choix des mé- thodes, et pour les droits de l'Église, à qui seule appar- tient la mission divine d'enseigner à ses ministres les principes immuables de la science sacrée; elle pouvait un jour exposer l'Église au schisme et aux rigueurs de la persécution.
1 Picot, Mémoire pour servir à l'histoire de l'Église, etc., t. YI, ! p. 151.
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Portalis était mort ; Fourcroy, très versé dans les ma- tières d'enseignement, d'une rare intelligence et à la hauteur des plus difficiles problèmes, fut chargé par l'empereur, au commencement de l'année 1808, de rédi- ger un décret de réorganisation de toutes les facultés réunies sous la dénomination commune d'université de France. La tâche était délicate, elle était vaste ; elle n'exi- geait pas seulement des connaissances variées sur les différents objets de l'enseignement de la théologie, du droit, de la médecine, des lettres et des sciences, elle exigeait encore un grand jugement, un esprit sage et pratique, disposé à tenir compte des conditions nouvelles de la société française, sans rompre brutalement avec les traditions et les enseignements du passé.
Fourcroy était l'ami du cardinal Fesch , il sentit le besoin de recourir à ses lumières dans l'accomplisse- ment de sa tâche, et d'user de son crédit auprès de l'em- pereur. Le cardinal Fesch avait donné depuis longtemps sa confiance à M. Émery ; il ne voyait pas en France un homme aussi expérimenté que lui dans la connaissance des séminaires, des matières de la théologie, des usages de l'ancienne Sorbonne; il ne connaissait pas un esprit aussi modéré dans la recherche pratique du possible, aussi contraire à la poursuite capricieuse de l'idéal, pour- suite qui expose trop souvent à une ruine irréparable ce qu'il faudrait sauver.
Dès les premiers jours, M. Émery se trouva donc investi de la confiance du ministre et chargé de relever de ses ruines la Sorbonne.
D'un coup d'œil prompt et sûr, M. Émery jugea la situation. Après avoir pris connaissance d'un projet de décret qui lui fut présenté par le cardinal Fesch, il vit bien qu'on devait s'arrêter à deux idées : reconnaître aux évêques, avec les ménagements commandés par les cir- constances, le droit de nomination aux chaires de la
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faculté de théologie, et rattacher la nouvelle Sorbonne à l'ancienne, en rendant les chaires vacantes aux profes- seurs qui les avaient occupées avant leur dispersion bru- tale par le Directoire du département. C'était ainsi la Sorbonne avec le prestige et l'éclat de son passé, avec ses mêmes professeurs, ses mêmes élèves, qui se préparait à ouvrir de ^nouveau ses cours suspendus pendant les mauvais jours de la Terreur.
Ce plan, il le réalisa avec une sagesse pleine de fer- meté. Personne, en France ou à l'étranger, dans le clergé ou dans l'épiscopat, n'eut alors la pensée vaine de deman- der une institution canonique nouvelle en faveur d'une faculté qui reprenait simplement les cours interrompus, après avoir été arrêtée dans son existence par des hommes violents, irrités de son dévouement à l'Église catholique et à la chaire de Pierre.
Les professeurs de la nouvelle Sorbonne se présentaient donc à la France avec l'institution canonique dont ils n'avaient jamais été dépouillés, avec les privilèges qu'ils n'avaient jamais perdus, avec l'ambition légitime de suivre l'exemple de leurs pères dans leur dévouement sans mesure au jeune clergé.
III. — Le cardinal Fesch fit tenir le projet deFourcroy concernant le rétablissement des facultés de théologie au vénérable supérieur du séminaire Saint -Sulpice, qui le renvoya à Son Eminence avec les observations sui- vantes :
« Les professeurs de théologie en Sorbonne n'étaient point nommés ordinairement par les évèques, mais par la faculté de théologie elle-même, qui choisissait un de ses membres à l'élection.
« En vertu d'un privilège attaché à la faculté de Paris, le roi et un prince de la maison d'Orléans, qui avaient fondé chacun une chaire de professeur dans cette faculté,
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conservaient le droit de nommer chacun directement un
professeur.
(( Il serait inconvenant que le grand maître de l'uni- versité, qui peut être un homme du monde, étranger ou même hostile à la religion , fit le choix des professeurs de théologie. Mais au moins faudrait-il qu'il n'en nom- mât définitivement aucun qui ne fût approuvé par le mé- tropolitain. Sans cette précaution, son choix pourrait tomher sur un ignorant ou sur un homme de doctrine suspecte, ou même sur un homme qui n'aurait pas de religion.
(( Les places de professeurs seront dans la suite don- nées au concours. Mais quels seront les juges de ces concours? des laïques ou des ecclésiastiques? Gomhien peu de personnes se présenteront à ces concours ! Il vau- drait autant que la nomination fût faite par le grand maître avec l'approhation de l'évêque.
(( Toutes les facultés de théologie et leurs formes inté- resseraient moins les évèques, si l'on ne devait pas exiger dans la suite que , pour posséder certaines places dans l'Église , il faudrait avoir obtenu des degrés.
« Il n'est pas question de séminaire métropolitain , et peut-être n'y a-t-il pas là un grand mal. Mais, sur les représentations qui ont été faites par Son Éminence à M. Portalis, ce ministre avait changé entièrement le plan des séminaires métropolitains. Il serait assez intéressant que Son Eminence le demandât au fils Portalis, parce qu'il y a des vues dont elle pourrait profiter dans les cir- constances présentes. Bien peu d'ecclésiastiques pourront venir dans la métropole profiter de l'avantage des degrés. M. Portalis proposait que tous les ecclésiastiques qui auraient étudié dans un séminaire pourraient obtenir des grades dans les universités, en subissant les mêmes épreuves que ceux qui ont suivi les écoles des universités. Mais il n'est peut-être pas temps de faire ces observations.
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I Quand il est dit, titre Ier, article 2 , a qu'aucun éta- « blissement quelconque d'instruction ne peut être formé « hors de l'université, sans l'autorisation de son chef, » a-t-on prétendu y comprendre les séminaires? Serait -il possible que les évèques ne fussent pas pleinement maîtres de l'éducation de leurs ecclésiastiques, qu'ils ne puissent nommer et destituer à leur gré les supérieurs, directeurs et professeurs de leurs séminaires? Ce serait le coup le plus funeste que l'on pût porter à l'autorité spirituelle de l'Église et à celle des évèques. J'ai peine à croire que cela puisse entrer dans les vues du gouverne- ment. L'Église de France aurait alors à envier le sort des Eglises qui existent sous la domination des Turcs, car elles sont pleinement maîtresses de leur enseigne- ment.
« Ce qui donnerait à craindre que telle est l'inten- tion de l'auteur du projet, c'est qu'il est dit, au n° 53, « que le grand maître déterminera le nombre de « sujets qui devront être élevés dans les séminaires. » Cet article seul mettrait tout le ministère et toute la succession des ministres dans la main de ce grand maître, puisqu'il pourrait vouloir ne laisser entrer dans les sémi- naires qu'un nombre insuffisant de sujets. Que pense- t-on des évèques, puisqu'ils ne sont pas même les maîtres de recevoir dans leurs séminaires les sujets qui s'y pré- sentent, et qu'on ne leur laisse pas le jugement du nombre de sujets nécessaires pour leurs diocèses?
« Si les supérieurs et les professeurs sont ou doivent être membres de l'université, ils sont obligés à un ser- ment qui mérite beaucoup de considération, parce qu'il leur fait contracter toutes les obligations spéciales, civiles | et temporelles, qui doivent les lier au corps enseignant. Mais quelles sont toutes ces obligations? Faut-il mettre à | ce rang tout ce qui est matière du paragraphe 38? Com- j bien de personnes attachées aux maximes et libertés de
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l'Église gallicane, qui répugneraient à se lier par ser- ment! Mais surtout qui pourrait prudemment s'attacher à soutenir les maximes sur lesquelles reposent les lois organiques des cultes, puisqu'on n'explique point quelles sont ces maximes, puisque parmi ces lois organiques il en est qui respirent l'hérésie , puisque le rédacteur de ces lois est convenu plusieurs fois qu'il en est un très grand nombre qui n'étaient ni exécutées ni exécu- tables ? »
IY. — Les observations fondamentales de M. Émery furent accueillies avec déférence. Le cardinal Fesch^vou- lait relever, en France et dans le clergé , le niveau des études ecclésiastiques , sans rompre entièrement avec un passé trop favorable peut-être aux prétentions changeantes de l'autorité civile. Le décret impérial du 17 mars 1808, appliqué à toutes les facultés de théologie de notre pays, contenait cette reconnaissance officielle de l'autorité épis- copale en matière d'enseignement religieux :
« Art. 7. — L'évèque ou l'archevêque du chef-lieu de l'académie présentera au grand maître de l'université les docteurs en théologie parmi lesquels les professeurs seront nommés. Chaque présentation sera de trois sujets au moins, entre lesquels sera établi un concours sur lequel il sera prononcé par les membres de la faculté de théologie. »
L'article 3 du décret impérial faisait droit aux légi- times observations de M. Emery sur l'indépendance né- cessaire de l'enseignement théologique dans les sémi- naires. Il était ainsi conçu :
« Art. 3. — L'instruction dans les séminaires dépond des archevêques et évêques, chacun dans son diocèse. Ils en nomment et révoquent les directeurs et profes- seurs. »
Cette organisation nouvelle de l'enseignement théolo-
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gique dans nos facultés était loin de répondre aux espé- rances de M. Emery. Jaloux, avec raison, d'assurer la liberté de l'Église dans le domaine des choses spiri- tuelles, effrayé de l'état des esprits, des dispositions du gouvernement, de l'avenir de la religion, il aurait voulu soustraire à la surveillance dangereuse de l'autorité civile et attribuer exclusivement à l'Eglise la direction de l'enseignement théologique. Il ne dépendait pas de lui d'obtenir ce résultat, il devait essayer de faire le plus grand bien possible avec des moyens défectueux. Il révéla dans ces circonstances cet esprit pratique, ennemi des vaines chimères, qui était le caractère distinctif de sa nature.
Le 4 mai 1808, il écrivait à Ms* d'Aviau, archevêque de Bordeaux :
« Vous êtes bien bon de me demander mon avis sur la nomination des trois professeurs de la faculté de théolo- gie'. Il serait avantageux, sous un rapport, que ces pro- fesseurs fussent en même temps les professeurs du sémi- naire, ou du moins qu'ils y enseignassent, afin que les élèves du séminaire ne fussent point obligés de sortir . pour entendre leurs leçons. Mais j'y vois bien des incon- , vénients, d'un autre côté : inconvénients du côté des i évèques, inconvénients du côté des directeurs du sémi- i naire.
« Si les professeurs du séminaire sont en même temps I professeurs de l'université, l'école sera censée l'école de ( l'université , et dès lors elle est soumise à l'inspection de l'université; celle-ci enverra tous les ans des inspecteurs i pour lui rendre compte; elle voudra, ou du moins elle i pourra , régler la forme et le fond des études. Cette uni- [ versité sera composée en très grande partiedelaïques. Dans ce moment, le grand maître est un fort honnête homme et bien intentionné; mais peu s'en est fallu qu'elle n'eût eu dès ce moment à sa tète un personnage tout di fièrent.
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Il ne faut pas voir seulement la composition actuelle, mais ce qu'elle peut être dans la suite.
ce Je croirais donc qu'il est du plus grand intérêt des évêques et de leur autorité de demeurer entièrement les maîtres de l'enseignement dans leurs séminaires, en ce sens qu'ils puissent destituer à leur gré les professeurs et régler seuls les objets de l'enseignement. Un évèque est le docteur aussi bien que le pasteur de son diocèse ; l'école du séminaire est proprement son école, c'est en son nom , pour lui et à sa place qu'on y enseigne.
(( Avez -vous fait attention, Monseigneur, que le pro- fesseur, une fois nommé, ne peut plus être destitué que par le grand maître, et même que les pouvoirs du grand maître à cet égard sont limités, mais surtout qu'après les premières nominations les places seront données au concours ?
ce Rien ne marche encore, les trente conseillers ne sont pas encore nommés. Il parait certain que M. Fontanes a proposé pour conseillers à vie deux évèques, celui de Nantes et celui d'Alais; et je crois savoir que ce dernier ayant déclaré qu'il ne voulait faire aucune résidence à Paris, on lui a dit qu'on avait besoin de son nom, qu'il ne résiderait pas s'il voulait, et qu'il suffirait qu'il don- nât son avis quand on le demanderait. Ces deux choix seraient fort bons. Le chancelier, évèque de Casai, est arrivé depuis quelques jours; c'est encore un bon choix. Je dirai en passant que nous avons aussi l'archevêque de Malines, qui a réellement donné sa démission et reçu un canonicat de Saint-Denis.
« Je ne sais point encore quels seront les privilèges de ceux qui auront pris des degrés dans cette université ; ce sera peut-être de pouvoir seuls être chanoines , curés de première classe, grands vicaires. Il ne peut y avoir rien de plus. Je crains que tout cela ne serve qu'à gêner les
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évéques dans la distribution des places et que les épreuves ne se réduisent à bien peu de chose. Personne n'aurait été plus propre que vous à rédiger ce plan d'études. Dieu veuille tourner tout à sa plus grande gloire ! »
If. Émery, nommé vice- recteur de la nouvelle Sor- bonne, qui lui doit ainsi son organisation, s'occupa du choix des professeurs. La lettre suivante, qu'il adressa au savant abbé Guillon, auteur de travaux très estimés sur les Pères de l'Église, nous apprend que sa première pen- sée fut d'accomplir un acte de justice envers les anciens professeurs qui avaient survécu à l'épreuve de la révolu- tion et de les rétablir dans leurs fonctions.
« Je vous prie de croire, écrit M. Emery, le4 juillet 1809, que j'ai pensé à vous dans la circonstance. On a nommé pour de bonnes misons les anciens professeurs de la Sorbonne. Je sais que vous êtes, plus que personne, en état d'enseigner l'histoire ecclésiastique; mais un des anciens professeurs de Sorbonne avait cette partie. S'il n'avait dépendu que de moi, vous auriez été nommé à la chaire d'éloquence sacrée, dont les fonctions princi- pales seront de faire connaître les plus beaux morceaux des Pères latins et des Pères grecs. J'entends les plus beaux morceaux de leurs homélies et de leurs discours moraux. Mais il a fallu consulter, et j'ai trouvé des obs- tacles dont nous parlerons. Avez -vous une connaissance étendue de l'hébreu? Je l'ignorais; apprenez-le-moi. Croyez, Monsieur, que je vous suis bien sincèrement attaché, et que personne n'apprécie plus que moi vos talents. »
La réorganisation de la faculté de théologie était faite à peu près selon les vœux de M. Emery, et à l'avantage de l'Eglise et du jeune clergé. Pendant plusieurs jours, le vénérable supérieur de Saint-Sulpiee, heureux de cette renaissance inespérée, entretint les élèves, rassemblés dans la salle commune, de l'ancienne Sorbonne, dont il
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avait apprécié les glorieux services et les grands tra- vaux; il fit aussi l'éloge de M. de Fontanes, dont il goû- tait la finesse d'esprit et la modération de caractère, et des nouveaux professeurs qu'il avait lui-même choisis. A partir de ce jour, dit un élève de M. Émery, les sémi- naristes de Saint- Sulpice reprirent les anciens usages et se rendirent à la Sorbonne, trois fois la semaine, pour assister aux conférences théologiques et rédiger les cahiers sous la dictée des professeurs.
V. — Napoléon se préoccupait de l'organisation du conseil supérieur de l'université. Dans une conversation avec M. de Fontanes, appelé à Saint-Cloud, le lundi 49 septembre 1808, il exposa ainsi ses projets:
ce II faut attendre que l'université soit organisée comme elle doit l'être. Trente conseillers dans une première formation ne produiraient que désordre et qu'anarchie. On a voulu que cette tête opposât une force d'inertie et de résistance aux fausses doctrines et aux systèmes dan- gereux i il ne faut donc composer successivement cette tète que d'hommes qui aient parcouru toute la carrière, et qui soient au fait de beaucoup de choses. Les premiers choix sont, en quelque sorte, faits comme l'on prend des numéros à la loterie. Il ne faut pas s'exposer aux chances du hasard ; dans les premières séances d'un conseil ainsi nommé, je le répète, tous les esprits dif- fèrent : chacun apport0 sa théorie et non son expé- rience. On ne peut être bon conseiller qu'après une carrière faite.
(( C'est pourquoi j'ai fait moi-même voyager mes con- seillers d'État avant de les fixer auprès de moi. Je leur ai fait amasser beaucoup d'observations diverses avant d'écouter les leurs. Les inspecteurs sont donc, en ce moment, vos ouvriers les plus essentiels; c'est par eux que vous pourrez voir et toucher toute votre machine, ils
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apporteront au conseil beaucoup de faits et d'expérience, et c'est là notre grand besoin.
« Il faut donc les faire courir à franc étrier dans toute la France, et leur recommander de séjourner au moins quinze jours dans les grandes villes. Les bons jugements ne sont que la suite d'examens répétés.
« Souvenez-vous que tous les hommes demandent des places. On ne calcule que ses besoins, et jamais son talent. Peut-être môme vingt conseillers ordinaires, c'est beaucoup ; cela compose la tête du corps d'éléments hétérogènes. Le véritable esprit de l'université doit être d'abord dans le petit nombre. Il ne peut se propager que peu à peu , que par beaucoup de prudence, de discrétion et d'efforts persévérants.
(( Fontanes, savez-vous ce que j'admire le plus dans le monde? c'est l'impuissance de la force pour organiser quelque chose.
« Il n'y a que deux puissances dans le monde : le sabre et l'esprit. J'entends par l'esprit les institutions civile- et religieuses. A la longue, le sabre est toujours battu par l'esprit1. »
M. Émery avait pris une part trop active à l'organisa- tion de l'université de France pour échapper à l'attention du gouvernement et rester plus longtemps étranger à la direction de l'instruction publique. Au mois de sep- tembre 1808 , M. de Fontanes, grand maître de l'univer- sité, présenta à la signature de l'empereur une liste de trente membres qui devaient composer le conseil supé- rieur de l'université, vingt en qualité de conseillers ordi- naires, dix avec le titre de conseillers à vie.
« Deux noms manquent sur cette liste, » dit l'empe- reur; et, prenant la plume, il écrivit les noms de M. de Bausset et de M. Emery.
1 Papiers communiqués par M. Eugène Rendu.
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Le décret impérial était ainsi conçu : (( Article premier. — Sont nommés pour remplir les fonctions de conseillers titutaires de l'université :
« Les sieurs : de Bausset, ancien évèqued'Alais; Emery, ancien directeur du séminaire Saint-Sulpice ; Nouga- rède , questeur du Corps législatif ; de la Malle, avo- cat; de Bonald; des Renaudes, ex-tribun ; Cuvier, Jussieu, Legendre, membres de l'Institut ; Guéroult, proviseur du lycée Charlemagne.
« Art. 2. — Ils recevront un brevet de conseiller à vie, lorsque pendant cinq années ils auront rempli leurs fonctions à notre satisfaction.
(( Art. 3. — La nomination du sieur Arnaud aux fonctions de conseiller ordinaire et de secrétaire général du conseil de l'université est approuvée.
(( NAPOLÉON.
(( Pour expédition :
(( FONTANES. ))
M. deVillaret, évèque de Casai, chancelier de l'uni- versité, s'empressa de communiquer officiellement à M. Emery, en villégiature à Issy, la nouvelle de sa nomi- nation.
Il était également difficile à M. Émery d'accepter et de refuser. Lorsque le cardinal Fesch lui proposa d'en- trer dans le conseil de Mme Laetitia, mère de l'empereur, nommée protectrice des établissements de bienfaisance de Paris, il opposa un refus respectueux, en rappelant que toute fonction extérieure était incompatible avec son caractère de prêtre de Saint-Sulpice et la charge déjà si lourde de supérieur général de la compagnie. Il avait également justifié par les mêmes raisons son refus de
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faire partie d'un conseil chargé de l'administration des missions étrangères ; aussi , en apprenant sa nomination de conseiller titulaire de l'université, il résolut de re- mercier l'empereur et de rester dans l'obscurité de son ministère.
Il écrivit donc la lettre suivante à M. de Fontanes :
(( M*r l'évèque de Casai1 a pris la peine de venir hier, à la campagne, pour m'apprendre que j'étais placé sur l'état des conseillers à vie de l'université , et il s'est annoncé comme venant me l'apprendre de votre part.
(( Je commence par vous remercier de votre attention à me faire donner promptement cette nouvelle, mais je dois surtout vous remercier de la nomination elle-même, qui, sans doute, est au moins en partie votre ouvrage, quoiqu'on m'ait fait entendre qu'elle venait du propre mouvement de l'empereur.
« Quelque honorable que soit pour moi le choix de ! l'empereur, quelque avantageuse que soit en elle-même la place de conseiller à vie, trouvez bon que j'hésite et i que je délibère pendant quelques moments sur l'accep- t tation.
« J'ai toujours vécu jusqu'à présent, par goût et par principe , dans un état de retraite et d'obscurité ; j'ai , refusé, en conséquence, les évèchés que Sa Majesté a : bien voulu m'offrir. Je persiste plus que jamais dans ■ mon goût et dans mes principes ; je touche à la fin de ; ma carrière, puisque j'ai soixante-dix-sept ans; et voilà que la place à laquelle j'ai été nommé me produit dans le monde et me tire de mon heureuse obscurité.
(( Il y a plus : la place que je remplis m'occupe tout entier, et la preuve en est que, depuis qu'il m'a été pos- | sible de la reprendre, c'est-à-dire depuis cinq ou six
! Villaret, né à Rodez en 1739, évêque d'Amiens en 1802, trans- féré en 180i à l'évêché d'Alexandrie (Piémont), dont le siège épiscopal fut porté à Casai.
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ans, je n'ai pas trouvé le temps de finir un travail com- mencé sur Descartes , semblable à celui que j'ai fait sur Leibniz et sur Bacon, quoique quinze jours fussent suffi- sants pour y mettre la dernière main.
« J'ignore quelles sont les occupations attachées à la place en question, et par conséquent si elles peuvent se concilier avec celles de mon état actuel, état que je suis dans le dessein de continuer jusqu'à la mort. A ces con- sidérations qui me mettent dans la nécessité de déli- bérer, je pourrais en joindre quelques autres.
« Au reste, Monsieur, je vous prie de croire que je n'aurais pas hésité à refuser la place, si vous n'étiez pas à la tête de l'université, et, puisqu'elle devait avoir pour chef un homme du monde, j'ai regardé comme un trait particulier de la providence de Dieu sur cet empire que le choix de l'empereur tombât sur votre personne. »
VI. — M. de Fontanes persista dans sa résolution, et, en adressant à M. Émery une expédition de sa nomi- nation de conseiller titulaire, il lui exprima gracieu- sement l'espérance de voir ses dernières incertitudes tomber en présence de l'intérêt de la religion, de la morale et du bien public.
M. Emery pouvait rendre, en effet, dans sa situation nouvelle, les plus grands services à la cause de la reli- gion. Le conseil supérieur de l'université, chargé d'exa- miner toutes les affaires concernant l'instruction publique à tous les degrés, de trancher les difficultés qui pou- vaient s'élever dans les collèges et au sein des facultés, de régler les conditions d'existence des séminaires et l'enseignement supérieur de la théologie , de choisir les auteurs, les méthodes, d'assumer ainsi la responsabilité de la formation intellectuelle et morale de plusieurs générations, avait une importance considérable au point de vue social et religieux : l'étendue du bien que l'on
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 235 pouvait espérer de faire tentait l'âme généreuse de M. Emery.
Le cardinal Fesch , de concert avec plusieurs évêques également dévoués aux intérêts de la compagnie, pressait M. Émery de donner son consentement et de ne pas s'exposer par une humilité qui semblait excessive à mé- contenter l'empereur. Le vénérable supérieur assembla son conseil , fit un exposé impartial de la situation , en témoignant cependant des répugnances déjà très an- ciennes pour les fonctions publiques, et déclara qu'il se soumettrait à sa décision. Après avoir délibéré, pesé les inconvénients et les avantages, le conseil émit l'avis que M. Emery devait accepter.
Cette nomination fut accueillie avec une faveur mar- quée dans l'épiscopat et dans le clergé ; des félicitations parties de tous les points de la France vinrent troubler M. Emery dans la tranquillité de sa retraite, au sémi- naire de Paris. Ces félicitations le laissaient néanmoins indifférent; ce fut avec un détachement profond des honneurs qu'il n'avait jamais convoités , et avec un sen- timent très vif des ennuis qui lui étaient réservés, qu'il prit possession de son titre de conseiller.
Nous retrouvons l'expression de ces sentiments dans une lettre familière, pleine d'abandon, qu'il écrivait à l'un de ses parents.
« J'ai reçu le compliment que vous m'avez adressé, Monsieur et cher cousin, avant votre départ. Avouez que vous avez été étonné de me voir conseiller à vie ; mais je l'ai été encore plus que vous , et vous serez étonné peut- être quand je vous dirai que j'ai recliigné et qu'il m'a fallu deux jours pour prendre mon parti. Mais enfin ie l'ai pris : force a été, car on tombait sur moi de tout côté.
« Je ne sais pas trop ce que c'est qu'un conseiller à vie. Est-ce un conseiller qui conseille de vivre, ou un
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conseiller à qui on conseille de vivre longtemps'.' Quoi qu'il en soit, j'ai reçu ma patente ; mais il y a un grand article qui m'a déconcerté, c'est que je n'aurai mon brevet de conseiller à vie qu'après cinq ans, et que mon noviciat durera cinq ans. C'est un peu long pour un noviciat, et dans cinq ans je ne serai plus en vie.
« Quoi qu'il en soit, ma place jusqu'ici ne m'a valu que des compliments et des demandes très inutiles et très ennuyeuses, et, outre la perte de temps, la perte d'argent, car les poissardes et les tambours ne sont-ils pas venus, et n'ai -je pu m'en défaire autrement qu'en leur donnant de l'argent de ma bourse légère '?
ce Mais venons à quelque chose de plus sérieux; je vous souhaite une bonne et longue vie. Je la souhaite aux frères et aux sœurs, et surtout je souhaite à la chère maman la cessation ou du moins l'adoucissement dans ses souffrances, et la continuation de sa patience et de son courage.
(( Dites-lui que je prie bien tous les jours Dieu pour elle, et croyez que je ne vous oublie pas 4. »
VII. — Quelque temps après, le conseil supérieur de l'université fut présenté solennellement à l'empereur. La pompe et l'éclat de cette cérémonie, où les dépu- tations officielles s'étaient présentées revêtues de leurs insignes universitaires, inspiraient à M. Émery des ré- flexions qu'il communiquait ainsi dans une lettre intime à son grand ami, le cardinal de Bausset :
« Il faut vous remercier de l'usage que j'ai fait hier de votre robe et de votre toque, car j'ai conservé ma soutane, ma ceinture et mon rabat. Le conseil a été présenté à l'empereur, il a paru immédiatement après la Chambre des comptes ; un décret lui assigne cette
1 Lettre du 27 septembre 1808 à M. Girard, procureur général
de la cour criminelle, à Genève.
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place parmi les cours souveraines. Dans toutes les céré- monies publiques il sera appelé et conservera ce rang. Les seuls conseillers titulaires avec les trois grands offi- ciers auront droit de paraître.
« Je sais que vous devez être tout glorieux de cette distinction. J'ai paru, parce que l'empereur, m'ayant vu quelques jours auparavant , se serait aperçu de mon ; absence. J'ai reconnu qu'il vous était impossible de prendre part à de pareilles cérémonies.
et Le compliment de M. de Fontanes aura, sans doute, été le meilleur. Il était tiré ex visceribus rei, je veux dire de l'établissement de l'université. Les autres ora- I teurs ont été réduits aux lieux communs. Nous avons i attendu quelque temps; j'ai dit une partie de mon cha- pelet, j'ai fait quelques élévations d'esprit jusqu'au ciel i pour comparer la cour de là -haut à celle d'ici -bas.
c Je vous avoue que cette dernière me paraissait bien j misérable; elle était toute renfermée dans deux salles, et je pensais que dans quelques années et le courtisé et , les courtisans seraient tous réduits en poussière.
« Mais une grande raison de vous écrire, c'est pour avoir une réponse qui me donne de vos nouvelles. »
Les occupations de conseiller de l'université laissaient | peu de loisirs à M. Emery et l'exposaient à tous les : ennuis qu'il avait prévus, qu'il aurait voulu détourner. Le conseil se réunissait plusieurs fois la semaine, et lorsque, fatigué de ces longues séances, M. Emery rega- gnait lentement le séminaire pour y goûter un moment ! de repos, il était accablé de visites, de recommandations, j de sollicitations de la part des candidats aux chaires vacantes dans les collèges de l'université. Sa correspon- 1 dance, déjà très étendue, prit de plus grandes propor- 1 tions : après avoir satisfait aux réceptions et à sa corres- pondance, il ne trouvait plus les loisirs nécessaires pour vaquer à ses propres travaux.
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ce Ma tranquillité et mon bonheur, écrit M.Émery, ne gagneront point à cette place de conseiller. Depuis le moment de ma nomination, j'ai été accablé de visites de personnes qui demandent des places à l'université, et, quand je leur dis que ces places ne dépendent pas de moi , elles se rabattent à demander des lettres de recommandation. . . On m'a fait un devoir d'accepter cette place. J'ai baissé la tête et je porte le joug, car nous tenons déjà des conseils. On les tient deux fois la se- maine ; ces conseils, joints à celui de l'archevêché, me prennent trois jours de la semaine. Tout cela n'est en- core rien auprès des visites , des lettres , des sollicita* tions que cela m'attire. Dieu soit loué! je ne me console que par l'espérance d'être de quelque utilité pour la reli- gion et pour l'Église... Hier, je ne perdis point le temps au conseil ; je fis adopter un article très important sur l'éducation religieuse dans les lycées. On est convenu que le grand maître enverrait à tous les lycées et col- lèges un plan ou ordre d'exercices religieux à suivre, dressé sur ce qui se pratiquait dans les collèges de l'uni- versité de Paris. Je serai encore de quelque utilité quand il s'agira d'organiser la faculté de théologie. Après cela, je croirai pouvoir m'absenter impunément de temps en temps1. »
Dieu le récompensa de ses sacrifices en lui donnant une grande influence sur ses savants collègues : ils ad- miraient son esprit conciliant, sa haute intelligence, sa courtoisie aimable, la sagesse profonde de ses avis.
VIII. — M. Émery, qui avait donné tous ses soins à la réorganisation de l'enseignement ecclésiastique supérieur dans les facultés de théologie , ne pouvait pas rester in- différent à l'œuvre capitale de l'organisation des petits
1 Lettres aux évêques de Vannes, de Mende et d'Àlais.
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séminaires, qui sont l'espérance de l'Eglise. Ici encore M. Émery se trouvait en présence de Napoléon, qui avait sur ce point des idées arrêtées. Voici les ordres que l'em- pereur avait donnés au grand maître de l'université :
c( Indépendamment des séminaires métropolitains, il y aura un séminaire par diocèse. Ces séminaires seront des écoles spéciales de théologie. On ne pourra y admet- tre que des élèves ayant dans la faculté des lettres les grades qui garantissent que les personnes qui en sont pourvues savent parfaitement le latin. On pourra ad- mettre dans les séminaires des jeunes gens qui n'auront pas été élevés dans l'université. Cette disposition aurait pour objet de faciliter l'admission des neveux des curés.
ce Tout évêque ou homme charitable qui voudra fonder des bourses dans les lycées ou dans les écoles secondaires, pour des jeunes gens destinés à l'état ecclésiastique, en sera le maître. On pourra même, par une sorte de contrat 1 avec les parents, régler une espèce de remboursement \ dans le cas où l'élève renoncerait à l'état ecclésiastique : I ce genre de convention est assez commun pour les jeunes [ gens qui entrent en apprentissage. L'université peut facilement établir son autorité sur les petits séminaires 1 actuellement existants, en les constituant en écoles secon- I daires. Il semble qu'on ne devrait pas trouver tant de difficultés dans une question qui présente un moyen de solution si simple.
« En effet, si les prêtres ne veulent de petits sémi- naires que pour les jeunes gens qui se destinent à l'Église , en apprenant les humanités , et pour qu'ils soient élevés dans les principes religieux avec un peu plus de sévérité, ce but est parfaitement rempli en consti- tuant en écoles secondaires les petits séminaires, à l'exis- tence desquels le principe de l'université ne s'oppose pas. Mais si l'on considère l'université comme incompatible | avec les idées de religion, et que ce soit en conséquence
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qu'on veuille l'indépendance des petits séminaires, c'est déceler des vues qu'il faut bien se garder de favoriser.
ce En constituant les petits séminaires en écoles secon- daires, on ne change rien à leur existence réelle, et ceux qui veulent qu'ils existent doivent être satisfaits. On satisfait également ceux qui croient l'existence indépen- dante des petits séminaires contraire aux principes de l'organisation de l'université. Le règlement doit être rédigé de manière à ne pas donner l'idée d'une précau- tion contre le clergé. Il faut au contraire lui donner une couleur de protection, et rendre très apparente l'intention où l'on est réellement de faire ce qui convient pour apu- rer au culte un nombre suffisant de ministres des autels.
(( Tous les évêques qui voudront conserver les établis- sements fondés par eux sous le nom de séminaires, s'adresseront au grand maître pour obtenir l'autorisation. Je dirai à mon ministre des cultes de ne me présenter personne pour être curé sans qu'il ait le grade de bache- lier. Un séminaire est une école de théologie. On n'y entre qu'autant qu'on est bachelier en belles-lettres. Les petits séminaires seront écoles secondaires. Je n'empêche pas les évêques d'établir ces écoles C'est une bonne garantie que celle des évêques ; je les laisse administrer, mais je veux que le directeur et les professeurs soient dans l'université, et qu'ils aient prêté serment. Si les évêques ne veulent qu'envahir, ils seront déjoués ; s'ils veulent seulement favoriser l'instruction, ils seront satis- faits. Les instituteurs suivront la direction de T univer- sité, feront cause commune; le grand maître pourra surveiller1. ))
IX. — Le grand maître de l'université, s'inspirant des ordres qu'il venait de recevoir de l'empereur, envoya aux évêques de France des instructions qui mettaient en
1 Papiers de M. Rendu.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 241
péril le recrutement et la formation des clercs dans les petits séminaires.
Alarmé, M. Emery s'empressa d'envoyer des obser- vations au grand maître de l'université. Il lui adressa la lettre suivante :
« J'ai sous les yeux la lettre que vous avez jugé à propos d'écrire aux évéques sur les séminaires, et voici ce que je lis sur la fin : « A l'égard des petits séminaires, t la loi ne reconnaît aucune école théologique (j'imagine « que vous avez voulu dire ecclésiastique), et ces éta- c blissements ne peuvent différer aux yeux de l'université « de tout autre établissement d'instruction publique. »
« Sur quoi j'ai l'honneur de vous faire les observa- tions suivantes : les séminaires sont des maisons où se forment à la science et à la piété, sous l'autorité des évéques, les jeunes gens qui se destinent à l'état ecclé- siastique. Un évêque peut, avec raison, juger conve- nable de réunir dans une ou plusieurs maisons ceux de ces jeunes gens qui sont moins âgés et qui étudient les humanités, et de réunir dans une autre ceux qui sont plus âgés , qui se disposent plus prochainement à la réception des saints ordres, et qui s'occupent de l'étude de la théologie. Ces différentes maisons, d'après la défi- nition donnée , sont des séminaires proprement dits , et celles où l'on enseigne seulement les humanités aussi bien que celles où l'on enseigne seulement la théologie.
« Le saint concile de Trente, qui a institué les sémi- naires, a supposé qu'on y enseignerait les humanités à ceux des jeunes gens qui les ignorent , en même temps qu'on les formerait à la piété et à l'esprit ecclésiastique. L'usage veut qu'on appelle petits séminaires les maisons où les plus jeunes élèves du sanctuaire apprennent les humanités, et grands séminaires celles où l'on enseigne à ceux qui sont plus avancés en âge les hautes sciences ecclésiastiques. Mais, encore une fois, les unes et les
7*
242 M. ÉMERY
autres sont des séminaires proprement dits , et par con- séquent, puisque les séminaires sont mis par la loi sous la surveillance immédiate des évèques, les maisons qu'on appelle petits séminaires sont sous cette surveillance. Aussi les supérieurs de ces maisons ne sont pas assu- jettis à faire la déclaration prescrite par l'article 13 du 17 septembre.
(( Vous dites, Monsieur, dans la lettre aux évèques, que la loi ne reconnaît aucune école théologique sous la dénomination de petits séminaires ; je désirerais bien que vous voulussiez vous faire représenter le volume de la collection des procès-verbaux des assemblées du clergé où se trouve le procès-verbal de l'assemblée de 1786. Lisez, page 1100, si vos occupations vous le permettent, un rapport très intéressant sur les petits séminaires, et vous vous convaincrez que les lois civiles aussi bien que les lois ecclésiastiques reconnaissent et ont reconnu, de tout temps, les petits séminaires sous le nom d'écoles chrétiennes ecclésiastiques.
« Les petits séminaires, dit le rapporteur, page 1105, ont été de tout temps l'objet des vœux communs de la puissance ecclésiastique et de la puissance séculière ; nous pourrions ici remettre sous vos yeux une longue suite de conciles, d'édits et d'ordonnances de nos rois. Ces monu- ments respectables formeraient une chaîne qui prend son origine dans les premiers temps de notre monarchie.
« Le rapporteur observe, à la page 1107, que Louis XIV, dans des lettres patentes données l'an 1650, attribue le malheur des temps et les ravages de l'hérésie à l'inobser- vation des décrets des conciles et des ordonnances des rois ses devanciers sur l'établissement d'écoles chrétiennes pour l'instruction des jeunes élèves. (( Nous désirons, « dit ce prince , à l'exemple des rois nos prédéces- « seurs, exciter les évèques à de si louables entreprises. » Ce vœu si souvent énoncé dans diverses lettres patentes
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 243 particulières, Louis XIV crut devoir l'exprimer avec plus de solennité et lui donner une efficacité plus générale par sa déclaration du 13 octobre 1698. « Rien n'étant « plus important pour le bien de la religion , dit « Louis XIV, que d'avoir des ecclésiastiques capables par « leurs mœurs et doctrine de remplir les saintes fonc- ée tions auxquelles ils sont destinés,... nous exhortons « et enjoignons aux archevêques et évêques d'établir, « dans les diocèses où il y a des séminaires pour les clercs « plus âgés, des maisons particulières pour l'éducation « des jeunes clercs pauvres, depuis l'âge de douze ans, m qui paraîtront avoir de bonnes dispositions pour l'état « ecclésiastique, et de pourvoir à la subsistance des uns « et des autres par union des bénéfices. »
(( Il est aisé de voir, conclut le rapporteur, que ces écoles chrétiennes pour les jeunes enfants destinés au ministère des autels dont l'établissement est ordonné d'âge en âge par un si grand nombre de conciles, de capitulaires , édits et ordonnances de nos rois, sont en tout conformes aux petits séminaires qui existent déjà dans quelques diocèses.
(( La conséquence ultérieure des observations précé- dentes est que la loi a reconnu de tout temps les écoles ifcclésiastiques que nous appelons petits séminaires; et les écoles formées et conduites sous l'autorité des évoques étant des séminaires suivant l'acception rigoureuse des termes, elles doivent être sous la surveillance immédiate des évoques, d'après la disposition de la dernière loi.
« Nous arriverions au même résultat en suivant la notion que M. le ministre des cultes s'est formée des grands et petits séminaires : il les regarde comme ne formant tous qu'un seul séminaire ou un seul corps; mais les élèves, à raison de leur multitude et de la diver- sité de leurs études, sont distribués en différentes mai- sons. Les petits séminaires ne sciaient donc que des
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sections du séminaire du diocèse et en auraient donc toutes les prérogatives.
(( Quelques évêques proposaient d'avoir avec vous et avec le ministre des cultes une conférence pour le redres- sement du grief dont ils se plaignent, en rendant en même temps une pleine justice à vos excellentes dispo- sitions pour le clergé. Puisque vous m'avez ordonné, Monsieur, de vous dire ce que je pense sur cette affaire, je vais le faire avec liberté.
« Je pense donc, sur plusieurs raisons que j'aurai l'honneur de vous déduire une autre fois, qu'il est beaucoup plus expédient que vous terminiez cette affaire vous seul; et j'oserais vous proposer d'écrire une lettre circulaire aux évêques, où vous leur diriez qu'il vous a été fait quelques observations sur les dispositions con- tenues dans votre dernière lettre relativement aux petits séminaires, que vous aviez jugé à propos d'en conférer avec les évêques qui sont à Paris, et que, d'après les éclaircissements qui vous ont été donnés sur la fin et la composition de ces maisons, vous pensez que toute mai- son où l'on élève des jeunes gens pour l'état ecclésias- tique, — si l'évêque du diocèse déclare qu'il regarde cette maison et qu'il l'autorise comme petit séminaire, s'il témoigne en même temps que son intention est qu'on n'y reçoive et qu'il veillera pour qu'il n'y soit reçu en effet que des jeunes gens qui se destinent à l'état ecclé- siastique, conformément aux dispositions du concile de Trente, sess. 23, ch. xvm; — vous pensez, dis-je, que cette maison doit être réputée séminaire, et que, par conséquent, ceux qui la dirigent ne sont point assujettis à faire la déclaration prescrite par l'article 13 du 17 sep- tembre. Il serait bon de prévenir en même temps les évêques que vous donnerez en conséquence des ins- tructions aux inspecteurs généraux envoyés dans leurs diocèses.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 245
« J'ai l'honneur d'être avec un profond respect et un bien sincère dévouement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
« Émery.
« 12 février. »
Le cardinal Fesch s'était chargé de présenter lui-même à l'empereur les sages observations de M. Emery, et de lui faire connaître les craintes de l'épiscopat touchant la nouvelle loi sur l'organisation des petits séminaires. L'empereur l'écouta avec bienveillance et se rendit a ses raisons. M. Émery écrivit aussitôt une nouvelle lettre au grand maître de l'université :
« Depuis ma lettre écrite, j'ai vu quelqu'un qui m'a dit que M. le cardinal avait parlé des petits séminaires à l'empereur, et que l'empereur avait été de son avis.
.(( Une autre personne est venue qui m'a dit qu'il y avait une contérenee assignée pour une heure lundi, et que M. le cardinal ainsi que M. le ministre des cultes voulaient que je m'y trouvasse. C'est M. l'évèque de Quimper qui vient de me le dire. Je suis très fâché de cette conférence, qui n'était point du tout nécessaire; car je suis très assuré que, de votre propre mouvement et sans sollicitation , vous auriez fait droit à la demande des évèques.
« Puisque vous me donnez la liberté de vous dire ce que je pense, je dirai encore que mon avis est que vous proposiez vous-même d'écrire sur-le-champ et d'inter- préter votre lettre sans que le ministre des cultes s'en mêle : aous pourriez dire encore que vous écrirez aux inspecteurs généraux de ne point comprendre dans leurs attributions les maisons que les évèques déclarent être leurs petits séminaires.
« J';ii l'honneur de vous prévenir que j'ai envoyé à M. le cardinal Fesch copie de la lettre que j'ai l'honneur
246 M. ÉMERY ET L'ÉGLISE DE FRANCE
de vous écrire en même temps que je lui ai envoyé la lettre que vous avez écrite aux évêques, et que je lui avais demandé parce que j'avais besoin, avant de vous écrire, d'en connaître le contenu précis. Je l'ai relue" avant de la renvoyer, et, à l'exception de l'article en question, je la trouve pleine d'égards et de ménagements pour les évêques 1 . »
C'est avec ce zèle infatigable que M. Émery défendait pied à pied les intérêts de l'Église et qu'il s'occupait de la réorganisation de l'enseignement dans les facultés, les collèges et les séminaires. Entouré de savants que l'igno- rance religieuse ou une défiance excessive éloignaient de l'Église et exposaient trop souvent à prendre des me- sures préjudiciables pour la religion, il réussit à se faire écouter, à conquérir l'estime et le respect de ses collègues, dans le conseil de l'université, à faire adopter ses projets. On aimait à voir en lui le prêtre intelligent et tolérant qui triomphe, sans oublier jamais de ménager l'amour- propre de ses contradicteurs.
Il défendit les droits et prérogatives des facultés de théologie ; il fit accepter son projet d'organisation de l'enseignement religieux dans les lycées, il vengea les frères des Écoles chrétiennes et leur constitution, dénon- cée comme contraire aux droits de l'État et trop favo- rable aux prérogatives du saint -siège; et il contribua d'une manière efficace à faire nommer aux emplois su- périeurs de l'enseignement universitaire des hommes modérés.
Là, aussi bien qu'au séminaire, à la cour et dans le conseil de l'archevêché , il ne cesse jamais d'être un prêtre intérieur et modeste ; il cherche Dieu à travers les choses humaines, et il met au-dessus de tout le salut des âmes, la gloire de Dieu.
1 Papiers communiqués par M. E. Rendu.
CHAPITRE XI
ADMINISTRATION DU DIOCÈSE DE PARIS
L — M. de Belloy, évêque de Marseille, devenu par l'influence intéressée de Bernier archevêque de Paris, avait connu M. Émery pendant les mauvais jours de la révolution. 11 estimait sa modération, sa droiture, la sagesse de ses décisions, son zèle prudent et terme; il l'avait encouragé plusieurs fois, avec une grande affec- tion, à persévérer dans sa voie, à l'époque où les ser- ments exigés par le gouvernement semaient la division dans les rangs du clergé.
En prenant possession du siège de Paris cà un âge très avancé, le cardinal de Belloy se sentait encore assez d'énergie pour remplir, sans le secours d'un coadjuteur, les devoirs de la charge épiscopale. Il appela auprès de lui M. Émery, lui donna des lettres de grand vicaire, et
I le plaça, par la confiance qu'il ne cessa jamais de lui témoigner, au premier rang de son conseil.
Le nouveau conseil se trouvait en présence d'une situation remplie de difficultés; il fallait du tact pour apprécier les besoins des âmes et les concessions que
I Ton pouvait leur faire sans compromettre la dignité de
| l'Église. M. Émery fut l'âme du conseil dans ces con- jonctures pénibles; il mit au service de son archevêque sa prudence et les connaissances très étendues qu'il avait acquises dans l'étude approfondie de l'histoire
; ecclésiastique, des canonistès et de la théologie.
248 M. ÉMERY
On avait sous les yeux une Église bouleversée par la révolution la plus profonde dont l'histoire ait conservé le souvenir. Des évèques avaient usurpé les fonctions épiscopales, des prêtres s'étaient mariés; des religieux, dans le fol entraînement qui précipitait la France à sa ruine, avaient commis, avec le bruyant éclat d'un scan- dale, le crime d'apostasie; des religieuses avaient con- tracté des mariages sacrilèges, des femmes mariées n'avaient pas attendu le décès de leur époux légitime pour contracter un nouveau mariage , des fidèles avaient encouru volontairement et sans remords la peine de l'excommunication; il fallait porter remède à ces maux, régulariser des situations fausses, compromises, et cher- cher avant tout à sauver les âmes.
II. — M. Emery rédigea une savante dissertation his- torique et théologique sur la conduite tenue par l'Eglise aux siècles passés, dans des circonstances analogues; il en dégagea les principes qui devaient guider le clergé à travers les difficultés de la situation présente. Il exa- mina les brefs pontificaux, les faits historiques, les déci- sions des conciles pendant les premiers siècles de l'Eglise et aux époques lamentables de relâchement dans la dis- cipline et la morale; il en fit sortir des enseignements précis sur la conduite à tenir à l'égard des personnes mariées sans témoins et sans bénédiction du prêtre , des apostats , des sacrilèges, des divorcés , disposés à obtenir de l'autorité légitime leur réconciliation avec Dieu.
Cette savante dissertation de M. Emery, remarquable par l'érudition ecclésiastique et la richesse des docu- ments, frappa le conseil archiépiscopal ; elle faisait péné- trer la lumière dans une situation pleine de ténèbres, elle permettait aux prêtres chargés de la direction des âmes de s'orienter, de trouver leur voie.
Déjà sous l'épiscopat de M. de Juigné, avant que le
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 249 Concordat eût réglé d'une manière définitive les nou- veaux rappports de l'Église et de l'État, M. Émery avait tracé avec une rare sagesse les règles à suivre dans les conjonctures laborieuses où se trouvait l'Eglise, et rien ne fait connaître mieux que ces règles le triste état des âmes au lendemain de la révolution.
« Tous les prêtres qui ont encouru le schisme en communiquant in sacris avec les intrus et les jureurs, écrit M. Émery, quoique n'ayant pas fait eux-mêmes le serment, seront obligés de rétracter leur faiblesse et leur erreur en présence de deux témoins au moins; alors ils seront réconciliés et admis à dire la messe. Pour évi- ter tout scandale aux fidèles, ils ne devront exercer leur ministère qu'après une rétractation notoire.
« Les jureurs qui n'ont pas communiqué avec Pévêque intrus en publiant leurs lettres pastorales ou en se ser- vant des dispenses accordées par eux, et qui n'auront pas exercé des pouvoirs hors des limites de leur juridic- tion, seront obligés de se rétracter devant plusieurs témoins. Suivant l'avis de plusieurs, ils ne doivent pas être tenus à signer de registres ; mais je pense avec beau- coup d'autres qu'il est plus convenable qu'ils signent sur un registre, en tète duquel sera inscrite une formule de rétractation du serment civique l. Ils seront remis dans leurs fonctions après avoir donné une entière publi- cité à leur rétractation et après un mois d'épreuve. Si néanmoins , avant cette dernière épreuve, ils avaient donné des marques de repentir, et s'ils étaient instam- ment réclamés de leur commune, on pourrait les en dispenser, surtout si la commune est privée de secours religieux. Dans ce cas, le scandale n'est pas à craindre.
1 « Ego infrascriptus ejuro sermentum civicum quod praestiti, anno 17t>l. quoad spiritualia et regimen Ecclesiae, illosque errores qui civili constilutione continentur, et jurejurando promitto me Sedi apost. et episc. obtemperaturuin. »
250 M. ÉMERY
(( Ceux qui, après avoir fait le serment, auront encore communiqué avec l'évêque intrus, en publiant les lettres pastorales et en se servant de leurs dispenses, seront tenus de se rétracter et de signer devant plusieurs té- moins le registre où sera inscrite la formule de rétrac- tation *.
« Après avoir été réconciliés par ceux à qui nous en donnons le pouvoir, ils seront réintégrés dans leurs fonctions; mais ils ne les exerceront qu'après avoir donné à leurs paroissiens une ample connaissance de leur rétractation.
ce Ils seront tenus, pendant six mois, à prévenir de leur faiblesse et de leur rétractation ceux qui s'adresse- ront à eux pour la confession. On doit leur conseiller de changer de résidence. Ils resteront un mois à la communion laïque. On pourra abréger ce temps, si toute crainte de scandale cesse par l'empressement des paroissiens à les demander, et par des besoins urgents.
(( Les intrus et ceux qui ont été ordonnés par eux , s'ils se repentent, signeront aussi une rétractation. Après avoir suivi les règles canoniques , nous pouvons les absoudre et les employer dans le ministère. Le bref du pape nous en donne le pouvoir, mais je ne pense pas qu'on puisse'leur donner des pouvoirs dans la paroisse qu'ils ont occupée. Ceux qui travaillent dans le ministère peuvent seuls connaître les dangers de leur séjour dans le même endroit.
(( Il convient, d'après l'opinion de beaucoup d'admi- nistrations, de laisser à la communion laïque les intrus pendant six mois, et pendant ce temps ils seront tenus
1 « ... Declaroque speciatim sacrilegas esse ordinationes ab intrusis, sive peractas, sive receptas, irritam esse collatam ab eis auctoritalem, injustamque et nullam esse intrusionem una cum aetibus inde consecutis : denique parochiam vel parochiœ partem quam injuste occupavi, reapse abdico. »
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 251
d'assister, trois fois la semaine, aux conférences qui leur seront faites par des personnes désignées par nous. Ils s'instruiront et se formeront à l'esprit de leur état. Après ce temps d'épreuve, on leur donnera de l'emploi dans les endroits les plus éloignés de l'endroit où ils ont donné sujet de scandale.
ce Ceux qui auront été ordonnés par les intrus avant l'âge requis et hors des époques fixées subiront les épreuves suivantes : ceux qui étaient déjà dans les ordres sacrés resteront à la communion laïque jusqu'à ce qu'ils aient rempli les mois d'interstices entre chaque ordre ; ceux qui n'auraient reçu aucun ordre avant leur intru- sion seront examinés pour savoir quelle espérance on peut avoir dans leurs lumières et leurs dispositions. Ensuite ils observeront, au prorata , les mêmes inters- tices.
« Cette dernière classe paraîtra d'abord traitée avec rigueur; mais on sait positivement que plusieurs, et même le grand nombre, savent à peine lire, n'ont aucun principe du latin, que d'autres étaient mariés et, en général, qu'ils étaient des sujets entièrement taré*.
« Quelques administrateurs reçoivent des lettres de leurs coopérateurs , qui annoncent qu'une conduite plus indulgente ferait beaucoup de mal. Ces administrateurs n'avaient pas manqué cependant d'exhorter à la clémence, et avaient rapporté dans ce dessein les exemples et les conseils de miséricorde qu'ils avaient extraits de l'Écri- ture sainte, des saints Pères, des conciles, et princi- palement du concile de Florence. On a fait observer, il est vrai , que les Pères de ce dernier concile étaient chargés de réunir à l'Eglise romaine des personnes nées et entretenues dans le schisme depuis bien des années.
oc Entre les prêtres qui ont affligé l'Eglise par de scandaleux mariages, les uns sont plus coupables parce
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qu'ils ont choisi des veuves, des femmes divorcées, des religieuses, des filles de mauvaise vie. Ils ont ainsi ajouté le crime au crime. Les autres ont épousé des personnes libres. Ils sont tous très criminels. Nous ne pouvons leur rien dire sinon qu'ils se séparent, qu'ils réparent leur scandale par une sincère pénitence, et qu'ils attendent avec soumission le jugement de l'Eglise.
« Nous distinguons en quatre classes les malheureux qui ont renoncé à leurs lettres d'ordination. l°Ceux qui, en les remettant, ont déclaré publiquement par des dis- cours impies qu'ils abdiquaient un état qu'ils n'avaient exercé que pour tromper le peuple, par hypocrisie et par ambition ; vrais apostats, il faut les exhorter à la péni- tence pour réparer l'abominable scandale qu'ils ont donné ; ils attendront le jugement de l'Église. 2° Ceux qui, sans discours préliminaire, ont rendu leurs lettres d'ordination et ont signé un registre où était énoncée la déclaration qu'ils renonçaient à leur état et qu'ils se dépr élisaient ; dans plusieurs départements cela a été ainsi pratiqué. Leur position, moins grave que celle des premiers, les soumet aux mêmes peines. Le temps de leur pénitence sera plus court. 3° Ceux qui, victimes de la peur ou gagnés par un sordide intérêt, sans péro- rer, sans signer de registre , ont remis leurs lettres et renoncé à leurs fonctions, seront réintégrés dans leur état primitif après quelques mois de pénitence et quand ils auront fait cesser le péril de scandale, par un aveu notoire de leur faiblesse et de leur repentir.
(( Ceux qui, sans discours, sans signature, mais égarés par la crainte du danger, ont remis leurs lettres, en protestant qu'ils n'entendaient pas renoncer à leur état, il faut les plaindre de n'avoir pas eu le courage de con- quérir les palmes des martyrs et les réintégrer dans leurs fonctions. Ils seront certainement pleins de zèle pour mériter et gagner la confiance des fidèles.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 253
« Un grand nombre de personnes ont divorcé; les unes par inconduite, avec la volonté de rompre leurs liens et d'en contracter de nouveaux : elles sont jugées. Plusieurs femmes, trompées par la frayeur et dans le désir de conserver leurs biens temporels , ont signé un acte civil de divorce, en sachant bien qu'elles ne pou- vaient pas rompre leurs liens, et sans la volonté inté- rieure de contracter un nouveau mariage : les unes autorisées par des personnes graves, les autres sans avoir pris conseil. Il faut les réconcilier et les admettre à la communion, après leur avoir fait sentir toute l'hor- reur de l'Eglise à l'égard de tout ce qui peut porter atteinte à la sainteté du mariage. Mais il faut aussi leur faire signer une déclaration, en présence de plusieurs témoins1.
(( Ceux qui par des vœux solennels se sont consacrés j à l'état religieux ont contracté deux engagements , l'un envers la religion, l'autre envers la société. En les déga- geant du dernier engagement fondé sur les lois civiles, en les déclarant habiles à succéder, et en diminuant dans cette éventualité leurs revenus et leur traitement, on doit les autoriser à prendre ce qui leur est nécessaire pour vivre et se couvrir, avec le consentement de leurs j supérieurs, qui leur rappelleront leur vœu de pauvreté. I Ne pouvant rien avoir* en propre, ils donneront le sur- plus à leur famille, qui a fait les frais de leur éducation et de leur entrée en religion.
« Tous ceux qui ont contracté mariage à la munici- palité sans recevoir, avant ou après , la bénédiction
1 Voici le modèle de déclaration : « Je soussigné déclare que, quoique j'aie signé un acte civil de divorce, je n'ai jamais pensé que mon mariage pùt être dissous par cet acte. Je n'ai pas eu I l'intention d'en contracter un autre pendant la vie de mon épouse. Si ma conduite a pu causer quelque scandale dans l'Église catho- jlique, apostolique et romaine, dans laquelle je veux vivre et , mourir, j'en demande humblement pardon. •
II 8
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nuptiale , doivent s'empresser de se présenter à l'église, pour y renouveler leur promesse et recevoir la bénédic- tion en présence de quatre témoins. Si cependant ils répugnent trop à le faire dans l'église , on peut le faire dans la sacristie, et même dans une chambre. On sup- pose qu'il existe des raisons pour éviter la trop grande publicité. Mais il faut, dans tous les cas, quatre témoins. On doit tenir la même conduite à l'égard des bénis par les intrus, après les avoir absous du schisme qu'ils peuvent avoir encouru.
(( Plusieurs de ceux qui ont contracté mariage à la municipalité sans être bénis, ni avant ni après, sont persuadés qu'ils peuvent divorcer et contracter de nou- veaux liens. Aucun ministre ne peut bénir ces nouveaux mariages. ))
III. — Telles étaient les sages prescriptions dictées par M. Émery; elles ne révèlent pas seulement la pru- dence du vicaire général de Paris, elles forment une page éloquente d'histoire ecclésiastique , elles nous font connaître avec une simplicité douloureuse et poignante l'état lamentable de l'Église de France. A la fin de la révolution et dans les premiers jours de l'empire, la famille, le clergé, la société tout entière, avaient été pro- fondément bouleversés. Quelques années avaient donc suffi pour faire ces ravages , creuser ces abîmes , où le passé vint s'engloutir avec les institutions religieuses les plus saintes , en laissant le pays en présence d'un avenir inconnu, plein de menaces.
Le Concordat fut un remède nécessaire , mais insuffi- sant, au mal qui dévorait les âmes. L'esprit public avait perdu sa voie , et le pouvoir n'avait pas le sentiment du relèvement du pays par l'influence religieuse trop long- temps combattue. Le divorce même restait dans nos lois, comme un héritage funeste de la révolution. Le
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 2o5 8 juin 1802, Portalis n'avait pas craint d'envoyer aux évéques de France une circulaire dans laquelle il leur demandait de choisir des vicaires généraux dans les rangs des prêtres constitutionnels ou jureurs, de leur donner les meilleures places , d'autoriser le mariage des prêtres, de ne pas refuser la bénédiction nuptiale aux personnes divorcées qui contracteraient un second mariage sous la protection de la loi. 11 caressait ainsi la pensée chimérique et coupable de faire l'ordre avec le désordre , de relever la France en employant à cette œuvre les moyens qui avaient précipité sa ruine,
IV. — Le vénérable archevêque, Mffr de Belloy , décli- nait sensiblement; ses forces trahissaient son ardeur. M. Émery, témoin de cet affaiblissement rapide, s'ef- frayait à la pensée des intrigues qui pourraient livrer bientôt le siège archiépiscopal de Paris à un homme indigne des honneurs et des périls de cette haute situa- tion.
Le 8 mars 1806, il écrivit au cardinal Fesch :
« M. le cardinal a été indisposé, et il l'est encore. Son indisposition est de même nature que celle qui a été presque générale à Paris, mais il n'est point fait aux indispositions; il a quatre-vingt-dix-sept ans, et dans quelques mois quatre-vingt-dix-huit; par consé- quent, une maladie qui n'est point alarmante pour un homme d'un âge ordinaire est très alarmante dans M. le cardinal de Belloy.
(L Le public a donc raisonné sur son successeur. Ce public n'a pas hésité à penser et à dire que vous seriez archevêque de Paris si vous vouliez.
« Mais on a raisonné dans la supposition que vous ne voudriez pas, et alors on a dit assez généralement que le nouvel archevêque serait M. de Fontanges, si la mort ne l'avait pas enlevé, et, pour le dire en passant, Votre
236 M. ÉMEKY
Éminence voit quel présent elle avait fait à l'Église de France en faisant donner l'évêché d'Autun à ce prélat, et en l'engageant a l'accepter, puisqu'on le regardait comme le prélat le plus propre à occuper le siège de Paris, dans la supposition que vous ne jugeriez pas à propos de le remplir vous-même.
(( Je persévère à croire que le bien de l'Eglise gallicane vous demande à cette place. Si Votre Eminence n'en veut point, et si elle me demandait ce que pensent et ce que désirent les gens de Lien, je lui répondrais que Ton désire M. l'évêque de Troyes. On n'objecte rien, sinon qu'il a eu une attaque d'apoplexie; mais il se porte fort bien, et il peut vivre encore plusieurs années.
(( M. de la Tour du Pin a peut-être moins d'activité et d'habileté pour les affaires que M. de Fontanges; mais, outre qu'il les entend très bien, et quoique M. de Fon- tanges soit un prélat très vertueux, M. de la Tour du Pin est bien supérieur en cette partie. Et voilà qui vous honore encore infiniment : c'est que les deux plus illustres prélats de l'Église gallicane, ceux que l'on a jugés plus dignes d'occuper le siège de la capitale, sont vos créatures. ))
Les pressentiments de M. Émery ne tardèrent pas à se réaliser: le 10 juin 1808, le siège de Paris devint vacant par la mort de M. de Belloy. La vacance dura deux longues années. M. Émery, nommé vicaire capi- tulaire par le choix du chapitre métropolitain, s'occupa, avec une responsabilité dont il sentait le poids, de l'ad- ministration religieuse de ce grand diocèse.
V. — Des difficultés, prévues depuis longtemps parles esprits sages, retardèrent la nomination du successeur de M. de Belloy.
Le 31 janvier 1809, l'empereur nomma son oncle maternel à l'archevêché de Paris, réalisant ainsi les plus
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 257
chères espérances de M. Emery; mais le cardinal Fesch était profondément attaché au diocèse de Lyon, qu'il administrait avec une sagesse à la hauteur de toutes les difficultés : il ne voulait ni interrompre son apos- tolat, ni confier à F intelligence et à la bonne volonté d'un successeur les œuvres considérables nées de son inspiration, fécondées par l'influence qu'il tenait de sa parenté avec le chef de l'Etat.
« Vous avez raison, écrivait M. Emery à M. de Bausset, le 7 février 1809, de féliciter l'Eglise de la nomination de M. le cardinal Fesch à l'archevêché de Paris; mais il y a une circonstance bien fâcheuse : il se heurte à vouloir garder l'archevêché de Lyon.
1 (( Ce serait le premier exemple donné en France de la pluralité des évêchés depuis le concile de Trente. Ses aisons sont louables et marquent de très bonnes inten- tions, mais elles sont insuffisantes. C'est donner sans t;ause un très mauvais exemple, et je crains que cela, en portant un coup mortel à sa régularité ou a la réputation , le sa régularité, ne soit un grand obstacle au bien qu'il ,iurait pu faire.
i « C'est lui qui veut cette pluralité, ce n'est pas l'em- )ereur. 11 m'avait demandé ce que j'en pensais, je le lui
! i dit avec franchise, et j'ai motivé puissamment mes
i pinions; mais il y a si peu de personnes qui nous iment sincèrement et qui ne craignent de nous déplaire
l[n nous disant la vérité, que les évèques eux-mêmes,
• ui blâment fortement les choses et qui sont liés avec
I on Eminence, n'osent rien lui dire. » ! La lettre suivante nous apprend cependant que le car- inal Fesch obéit à des raisons respectables quand il
infusa définitivement l'archevêché de Paris, et qu'il était
[mimé d'un grand esprit de foi :
258
M. ÉMERY
« 14 septembre 1810.
« Monsieur le ministre ,
ce Par mes réponses à vos lettres du 20 août et di 1er septembre, vous avez dû connaître ma constante ré- solution de ne point abandonner mon arcbevêché de Lyon, et Sa Majesté, qui veut bien me laisser toute liberté dans l'option de l'arcbevêché de Lyon ou de Paris, se rappelle sans doute que cette résolution ne date pas seulement de l'époque où je fus nommé au siège de Paris, mais qu'elle remonte même au temps où il étail question de me faire accepter la coadjutorerie de Pvatis- bonne, puisque dans mon acte d'acceptation j'ai signifie pour condition unique la conservation de mon premiei siège.
a Pourrais -je me décider à l'abandonner, aujourd'hui qu'il me donne de vraies consolations et que les résultats de mon administration m'assurent que j'y ai fait quelque bien? Quelles raisons pourraient me convaincre que h divine Providence veut que je l'abandonne pour le dio- cèse de Paris? Quelle est l'autorité qui commande c< sacrifice et qui exige ma docilité?
(( Le temps que j'ai mis à répondre à vos différente lettres, entre autres à votre dernière du 6 septembre sur cette importante affaire, a dû faire juger à Votre Ex cellence que je ne me suis pas décidé légèrement et san avoir pesé toutes les raisons pour ou contre. Il s'agissai de l'œuvre de Dieu, et je l'ai prié de n'avoir point égar à mes inclinations, de les contrarier même, et dans s miséricorde de ne pas permettre que des vues humaine et personnelles eussent quelque influence sur mon choi) Oui, monsieur le ministre, je veux rester archevêque c Lyon, parce que je crois que telle est la volonté de Diei
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 2o0
« Du reste, je prie Son Excellence, en agréant les sentiments de ma haute considération, de recevoir mes sincères remerciements pour ce qu'elle veut bien me dire de flatteur. Mais les vœux du clergé de Paris pour- raient-ils étouffer les cris de mes coopérateurs, de mes amis et de mes enfants du diocèse de Lyon *? »
Napoléon , mécontent de la résolution du cardinal Fesch, de son refus persistant de prendre au moins l'ad- ministration du diocèse, avec le titre de grand vicaire capitulaire, changea brusquement d'avis et nomma, le 4 octobre 1810, le cardinal Maury archevêque de Paris.
Cette nomination subite n'était pas régulière : elle inspira, pour de hautes raisons indépendantes de toute considération personnelle, de vives appréhensions à M. Emery.
Déjà, le 26 août 1809, Pie VII, prisonnier à Savone, avait adressé au cardinal Caprara, résidant à Paris, une lettre très ferme, dans laquelle il déclarait qu'il avait pris la résolution de ne plus reconnaître les nominations faites par l'empereur aux sièges vacants de France et d'Italie, s'il n'obtenait pas certaines satisfactions com- mandées par l'honneur de l'Église et l'inviolable dignité de son chef.
Le saint -père rappelait avec douleur les nouveautés déjà introduites contre sa volonté formelle, les violences exercées injustement contre un grand nombre d'ecclé- siastiques, la déportation de quelques évèques et car- dinaux, l'envahissement et l'occupation du patrimoine de saint Pierre par les troupes françaises, les mauvais traitements qu'il avait eu lui-même à subir en se voyant traîner de ville en ville à travers l'Italie, comme un vil prisonnier, par la volonté capricieuse de l'empereur, les
1 Archives nationales, XV. iv, 1047.
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sacrilèges attentats commis sous ses yeux dans les églises de Rome, au moment de son arrestation. Après cette longue énumération des violences commises par des soldats sacrilèges et de ses propres souffrances, Pie VII ajoutait que si l'empereur voulait sincèrement la paix de l'Église, il devait avant tout se réconcilier avec son chef, lui rendre la liberté, lui permettre au moins de communiquer avec ses secrétaires, ses cardinaux, les évêques; il rappelait, en finissant, que, prisonnier, séparé de tous ses conseillers, il ne pouvait pas exercer les fonctions de sa charge pontificale, ni s'occuper de nommer aux évêchés vacants les sujets présentés par le gouvernement.
Cette lettre était un cri de douleur en même temps qu'une protestation contre la violence du persécuteur.
Le cardinal Maury, que nous avons vu si empressé à couvrir de l'autorité pontificale, pendant la révolution, ses anathèmes contre les serments imposés aux ecclé- siastiques, avait perdu beaucoup de son ardeur pieuse des anciens jours, de son dévouement retentissant au saint-siège et à la cause de nos rois. La fidélité n'était pas le caractère de son âme versatile. Il était devenu l'ami de l'empereur, qui flattait son ambition secrète et le considérait déjà comme un instrument docile de ses projets.
En présence de l'opposition légitime du saint -siège, qui refusait l'institution canonique aux candidats pré- sentés par le gouvernement, Maury, dont l'esprit était fertile en expédients de toute sorte, suggéra à l'empereur le moyen de se passer du saint -siège, en faisant admi- nistrer les diocèses vacants par des vicaires généraux capitulaires, qui tiendraient du gouvernement le titre d'évêques et les honneurs qui leur appartenaient en vertu du Concordat.
L'idée était habile : le ministre des cultes reçut l'ordre
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 201
d'inviter les chapitres des diocèses dont le siège épis- copal était vacant à choisir, pour vicaires généraux capi- tulaires, les évoques désignés par l'empereur. Le car- dinal Maury fut récompensé du service qu'il venait de rendre au gouvernement : un décret impérial le nom- mait de cette manière archevêque de Paris.
Le 16 octobre 1810, le comte Bigot de Préameneu , ministre des cultes, écrivait à l'empereur :
« Sire,
a Hier, 15 du mois, j'ai transmis aux vicaires géné- raux de Paris le décret du 14, qui nomme le cardinal Maury à l'archevêché de Paris, vacant par la mort du cardinal Belloy.
(( Aujourd'hui, les vicaires généraux sont venus en {personne m'informer que le chapitre a conféré les pou- voirs spirituels de sa compétence au cardinal arche- vêque.
« J'irai demain, avec ces prélats, visiter et faire meubler la partie du palais archiépiscopal destinée à son habi- tation personnelle, afin qu'il puisse l'occuper sur-le- ! champ.
« Le nouvel archevêque de Paris se trouvera ainsi Entièrement installé le plus promptement qu'il soit pos- sible.
I « Je suis, avec un profond respect, Sire, de Votre Vlajesté ,
« Le très soumis, très dévoué et très fidèle serviteur fj't sujet,
« Le comte Bigot de Préameneu.
« Paris, 16 octobre 1810 ». » Archives nationales.
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VI. — Le saint -père apprit avec douleur cette résolu- tion du gouvernement qui séparait les évêques du saint- siège, en rendant illusoire l'institution canonique; i' exprima dans ce bref, daté du 5 novembre 1810, er termes affectueux mais pleins de tristesse, l'étonnemeni que lui causait l'ingratitude et la témérité coupable di cardinal Maury :
(( Vénérable Frère, salut et bénédiction apostolique.
« Il y a cinq jours que nous avons reçu la lettre pai laquelle vous nous apprenez votre nomination à l'arche- vêché de Paris et votre installation dans le gouvernemenl de ce diocèse.
(( Cette nouvelle a mis le comble à nos autres afflictions et nous pénètre d'un sentiment de douleur que nous avons peine à contenir, et qu'il est impossible de vous exprimer,
« Vous étiez parfaitement instruit de notre lettre ai cardinal Gaprara , alors archevêque de Milan , dam laquelle nous avons exposé les motifs puissants qui nous faisaient un devoir, dans l'état présent des choses, d< refuser l'institution canonique aux évèques nommés pai l'empereur.
« Vous n'ignoriez pas que non seulement les circons- stances sont les mêmes , mais qu'elles sont devenues e deviennent de jour en jour plus alarmantes, par 1 souverain mépris qu'on affecte pour l'autorité de l'Eglise puisqu'en Italie on a porté l'audace et la témérité jus qu'à détruire généralement toutes les communautés reli gieuses de l'un et de l'autre sexe, supprimer des paroisses des évêchés, les réunir, les amalgamer, leur donner d nouvelles démarcations, sans excepter les sièges subui bicaires, et cela s'est fait en vertu de la seule autorit impériale et civile. Car nous ne parlons pas de ce qu éprouvé le clergé de l'Église romaine, la mère et la ma tresse des autres Églises, ni de tant d'autres attentats.
ï
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 263
« Vous n'ignoriez pas, avons -nous dit, et vous con- naissiez dans les plus grands détails tous ces événe- nements, et, d'après cela, nous n'aurions jamais cru que vous eussiez pu recevoir de l'empereur la nomination dont nous avons parlé, et que votre joie, en nous l'an- nonçant, fût telle que si c'était la chose la plus agréable pour vous et la plus conforme à nos vœux.
a Est-ce donc ainsi qu'après avoir si courageusement et si éloquemment plaidé la cause de l'Eglise dans les temps les plus orageux de la Révolution française-, vous abandonnez cette même Eglise , aujourd'hui que vous êtes comblé de ses dignités et de ses bienfaits, et lié si étroitement à elle par la religion du serment?
(( Vous ne rougissez pas de prendre part contre nous, dans un procès que nous ne soutenons que pour dé- fendre la dignité de l'Eglise! Est-ce ainsi que vous faites si peu de cas de notre autorité pour [oser en quelque sorte, par cet acte public, prononcer sentence contre nous, à qui vous deviez obéissance et fidélité ?
« Mais ce qui nous afflige encore davantage, c'est de voir qu'après avoir mendié près d'un chapitre l'adminis- tration d'un archevêché, vous vous soyez, de votre propre autorité et sans nous consulter, chargé du gouvernement d'une autre église, bien loin d'imiter le bel exemple du cardinal Joseph Fesch, archevêquede Lyon, lequel, ayant été nommé avant vous au même archevêché de Paris, I cru si sagement devoir s'interdire absolument toute administration spirituelle de cette église, malgré l'invi- tation du chapitre.
« Nous ne rappelons pas qu'il esl inouï dans les annales ecclésiastiques qu'un prêtre nommé à un évèché quelconque ait été engagé, par les vœux du chapitre, à prendre le gouvernement du diocèse avant d'avoir reçu l'institution canonique. Nous n'examinons pas, et personne ne sait mieux que vous ce qu'il en est, si le
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vicaire capitulaire a donné librement et de plein gré la démission de ses fonctions et s'il n'a pas cédé aux pro- messes, à la crainte ou aux menaces, et par conséquent si votre élection a été libre , unanime et régulière ; nous ne voulons pas non plus nous informer s'il y avait dans le sein du chapitre quelqu'un en état de remplir des fonctions si importantes; car, enfin, où veut -on en venir ?
(( On veut introduire dans l'Eglise un usage aussi nou- veau que dangereux, au moyen duquel la puissance civile parviendrait insensiblement à n'établir, pour l'ad- ministration des sièges vacants, que des personnes qui lui seraient entièrement vendues. Qui ne voit évidem- ment que c'est non seulement nuire à la liberté de l'Église, mais encore ouvrir la porte au schisme et aux élections invalides ?
« Mais, d'ailleurs, qui vous a dégagé de ce lien qui vous unit à Monte -Fiascone? Qui vous a donné des dis- penses pour être élu membre d'un chapitre et vous charger de l'administration d'un autre diocèse? Quittez donc sur-le-champ cette administration. Non seulement nous vous l'ordonnons, mais nous vous en prions, nous vous en conjurons, pressé par la charité paternelle que nous avons pour vous , afin que nous ne soyons pas forcé de procéder malgré nous, et avec le plus grand regret, conformément aux statuts des saints canons ; et per- sonne n'ignore les peines qu'ils prononcent contre ceux qui, préposés à une église, prennent en main le gouver- nement d'une autre église, avant d'être dégagés des premiers liens.
« Nous espérons que vous vous rendrez volontiers à nos vœux, si vous faites bien attention au tort qu'un tel exemple de votre part ferait à l'Église et à la dignité dont vous êtes revêtu. Nous vous écrivons avec toute la liberté qu'exige notre ministère; et si vous recevez notre
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lettre avec les mêmes sentiments qui l'ont dictée, vous verrez qu'elle est un témoignage éclatant de notre ten- dresse pour vous.
« En attendant, nous ne cesserons d'adresser au Dieu bon, au Dieu tout- puissant , de ferventes prières pour qu'il daigne apaiser, par une seule parole, les vents et les tempêtes déchaînés avec fureur contre la barque de Pierre, et qu'il nous conduise enfin à ce rivage si désiré où nous pourrons librement exercer les fonctions de notre ministère. »
VII. — Ce bref, daté de Savone, ne rappelait pas seu- lement au cardinal Maury les bienfaits qu'il avait reçus du saint -siège, les honneurs dont il avait été comblé, l'ingratitude dont il se rendait coupable, mais il con- tenait encore, exprimée avec une grande clarté, la con- damnation sévère et attristée de la théorie du cardinal Maury sur les prétendus droits des yicaires capitulaires, transformés en évèques par une manœuvre habile et par une subtilité d'argumentation au service de l'esprit de révolte.
L'empereur, irrité de cette condamnation éclatante de ses projets, lit enfermer à Vincennes les hommes qu'il soupçonnait coupables d'avoir inspiré le pape dans cette circonstance. Parmi eux se trouvaient, avec plusieurs cardinaux, Me* de Gregorio et le père Fontana, général des Barnabites, plus tard cardinal. Napoléon redoubla de sévérité à l'égard du pape prisonnier, lui fit inter- dire toute communication avec les fidèles de France et d'Italie.
Ce n'était plus seulement le pouvoir temporel des papes qui était en question, c'était l'antique et redoutable querelle de l'investiture qui renaissait sous .une forme particulière à ce siècle, avec les prétentions ambitieuses d'un souverain devenu maître de l'Europe.
266 M. ÉMERY
Le cardinal Maury rédigea une adresse qui devait être présentée à l'empereur au nom du chapitre métropo- litain, pour lui faire connaître d'une manière solennelle, dans ces conjonctures difficiles, les sentiments du clergé à son égard.
Les grands vicaires de Paris et les chanoines de la métropole, réunis en séance extraordinaire, reçurent préalahlement communication de cette adresse, et furent invités à faire leurs observations.
M. Émery assistait à cette réunion. Il avait reçu avec amitié le cardinal Maury, à son retour de Rome ; il lui avait rendu de fréquents services, le recevait à la cam- pagne avec une bienveillance paternelle , se plaisait même à lui donner, avec une autorité ferme et discrète, les conseils les plus sages, les plus conformes aux intérêts de sa conscience. Ils avaient renoué les liens qui les unissaient dans les premiers jours de la Révolution , quand ils défendaient ensemble , avec un égal courage et un retentissement inégal, la cause de l'Église.
Il n'y avait donc aucune amertume, aucun ressenti- ment personnel dans le cœur de M. Émery à l'égard du cardinal Maury ; mais il ne pouvait pas partager l'opinion de son ami sur les pouvoirs du chapitre et sur la nomi- nation des vicaires généraux. Dans les mémoires inédits qu'il composa sur cette matière délicate que nous avons sous les yeux, il refusait nettement aux chapitres le droit de révoquer les grands vicaires pour donner tous les pouvoirs spirituels à l'évèque nommé en dehors du sou- verain Pontife; il s'élevait aussi fortement, comme il l'avait fait déjà à l'occasion de la constitution civile du clergé, contre la prétention du gouvernement de s'im- miscer dans les affaires ecclésiastiques, d'appeler un évêque titulaire, de le transférer, sans consulter le pape, d'un siège à un autre, par un acte capricieux de son autorité.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 267
Sur tous ces points, M. Emery ne pouvait pas tran- siger; sa pensée était irrévocablement arrêtée.
Aussi, lorsqu'il entendit la lecture de l'adresse rédigée par le cardinal Maury qui flattait d'une manière cou- pable l'autorité de Napoléon, en bravant contre toute justice et toute convenance les prières et les menaces de Pie VII, il se leva, signala avec dignité les erreurs exprimées, et demanda hautement un changement dans la rédaction.
Le cardinal Maury prétendait :
« 1° Que l'usage constant de toutes les églises de France était et avait toujours été depuis plusieurs siècles que les chapitres déférassent aux évèques nommés par le souverain toute la juridiction épiscopale ; 2° qu'en con- séquence de ce droit ecclésiastique, ce fut par le sage conseil de Bossuet à Louis XIV que tous les archevêques et évèques nommés depuis 4682 jusqu'à Tannée 1693 allèrent gouverner paisiblement, en vertu des pouvoirs qui leur furent donnés par les chapitres, les églises mé- tropolitaines ou les cathédrales dont ils étaient destinés à remplir les sièges vacants , sans qu'on leur opposât ni le moindre empêchement ni la moindre réclamation. »
Le cardinal Maury avait émis une assertion téméraire, en attribuant à Bossuet une parole qu'il n'avait jamais prononcée, une opinion qu'il n'avait jamais défendue. M. Émery le fît observer publiquement en quelques mots. Après une courte délibération , l'adresse fut mo- difiée et présentée à la signature des membres de la réunion. M. Émery craignait avec raison une surprise : il opposa un refus et se retira.
Nous verrons bientôt la réalisation des craintes du vénérable supérieur de Saint-Sulpice.
CHAPITRE XII
LE COMITÉ ECCLÉSIASTIQUE ET LE SECOND MARIAGE DE L'EMPEREUR
I. — Tandis que les troupes françaises enlevaient du fort Saint-Ange le drapeau pontifical et s'emparaient par force de la ville de Rome, Pie VII signait une protes- tation indignée et la bulle solennelle d'excommunica- tion contre l'empereur. Par cet acte de courage il s'ex- posait au martyre, mais depuis longtemps il était prêt à mourir ; il avait offert à Dieu , pour la défense de l'Église, sa vie pleine de déboires et du dégoût infini des choses humaines.
Enfermé à Savone, traité comme un prisonnier, il se dressait encore dans sa captivité, il résistait sans fai- blesse à celui devant qui tremblaient tous les souverains ; il refusait avec énergie de seconder ses projets schisma- tiques, de ratifier ses choix pour l'épiscopat.
Irrité de cette résistance, l'empereur sentait bien qu'il avait déjà fait un abus coupable de sa puissance en con- damnant à l'exil le chef de l'Eglise; malgré ses emporte- ments calculés, il ne s'arrêta pas à la pensée défaire un martyr en immolant le pape , il conçut un autre des- sein.
Il y avait malheureusement dans le clergé français de hauts dignitaires tremblants devant sa puissance et liés envers lui par les honneurs dont il les avait comblés. Il leur avait prodigué les décorations, les places au sénat, les titres de comte et de baron , et, tout en méprisant lui-
M. ÉMERY ET L'ÉGLISE DE FRANCE 260 même ces vains hochets de la faihlesse humaine, il avait su en faire un usage heureux pour s'assurer des servi- teurs empressés à seconder ses desseins, à réaliser les espérances de son ambition sans limite.
En présence des difficultés soulevées par l'opposition courageuse de Pie VII, Napoléon institua une commis- sion ecclésiastique dans laquelle il fit entrer quelques- unes de ses créatures, et avec eux des hommes d'une dignité irréprochable; il les invita à répondre à un questionnaire dont il avait préparé les éléments.
Cette commission était composée du cardinal Fesch, président; du cardinal Maury, de l'archevêque de Tours, des évèques de Nantes , de Trêves , d'Evreux et de Ver- ceil , de M. Emery et du P. Fontana, supérieur général des Barnabites. Le comité choisit pour secrétaires l'abbé Frayssinous et l'abbé Rauzan.
'II. — M. Emery prévoyait la gravité des affaires sur lesquelles il serait appelé à délibérer, et la difficulté de parler avec l'indépendance essentielle au prêtre dans ces circonstances , où la dignité de l'Église et du saint-siège était en question ; aussi il essaya de se dérober et de res- ter dans le silence de sa retraite. Il était fatigué de la responsabilité du pouvoir, des consultations pressantes dont il était accablé depuis tant d'années. Il souhaitait intérieurement que la Providence vint à son aide et détournât de lui ce calice; il écrivait à son confident, l'évêque d'Alais :
(( Oh ! que je bénirais une maladie qui m'arriverait dans ces circonstances, dût-elle m'emporter! Aussi bien je commence à nr ennuyer de la vie ! »
Ce comité devait s'occuper des droits de l'empereur sur les Etats pontificaux, dont il s'était emparé par un coup de force; du moyen de rendre inutile l'institution canonique des évèques; de la bulle d'excommunication
270 M. ÉMERY
lancée contre lui ; du droit de convoquer un concile natio- nal chargé de traiter en dehors du saint-siège , en vertu de sa propre autorité, les questions qui intéresseraient l'Église de France et les prérogatives de l'État.
Les questions posées par l'empereur étaient claires, elles ne pouvaient laisser aucun doute sur les desseins dont il préparait l'accomplissement.
ce Supposé, disait l'empereur, que l'on reconnaisse qu'il n'y a pas de nécessité de faire de changement dans la constitution actuelle du saint-siège, l'empereur ne réu- nit-il pas en sa personne les droits qu'avaient par le passé les rois de France , les ducs de Brabant , les rois de Sardaigne, les ducs de Toscane, etc., dans la nomi- nation des cardinaux et dans toutes les autres préroga- tives?
(( La bulle d'excommunication du 10 juin 1809 n'étant pas seulement contraire à la charité chrétienne, mais encore à l'honneur du trône, quel parti doit -on prendre pour empêcher les papes d'en venir dans la suite, pen- dant les temps de trouble et de calamité , à un tel excès de pouvoir ?
« Le gouvernement français n'ayant pas manqué à l'observance du Concordat, si le pape refuse d'en exécu- ter les articles et les intentions de l'empereur, il doit être considéré comme aboli; et dans ce cas, que conviendrait- il de faire pour le bien de la religion ? »
La commission répondit qu'on ne pouvait pas convo- quer un concile œcuménique sans le pape; qu'il n'était pas utile de convoquer un concile national ; que l'empe- reur pouvait exiger du pape la nomination des chapelains du cardinalat et les prérogatives dont jouissaient les souverains des pays réunis à l'empire ; qu'en présence de la résistance du pape, qui refusait d'accorder l'institu- tion canonique aux évèques nommés, il serait légitime, opportun, de convoquer un concile national chargé d'at-
ET L'ÉGLISE DE FRANCE '2'\ tribuer au métropolitain le droit de confirmer canonique- ment la nomination de ses sufiragants, et de reconnaître au plus ancien évèque de la province ecclésiastique le droit d'instituer canoniquement le métropolitain. Enfin, par un dernier oubli des principes fondamentaux de la théologie et de la discipline ecclésiastique, la commis- sion déclarait que la bulle d'excommunication fulminée par Pie YII était nulle, de nul effet, et elle rappelait, avec une complaisance servile , dans la réponse aux con- sultations qui lui étaient adressées, les honneurs tempo- rels accordés par l'empereur a quelques membres de Pépiscopat, trop heureux de lui exprimer dans cette circonstance leur reconnaissance et leur fidélité.
III. — La tristesse et le découragement profond de M. Émery, obligé d'assister aux séances de cette commis- sion , se révèlent dans ses lettres intimes de cette époque à ses amis, l'évèque d'Alais, l'évèque de Limoges, M. Xagot. Son cœur si droit, si délicat dans la fidélité de son dévouement inébranlable à l Église, est rempli d'amertume et de dégoût; il conjure ses amis de deman- der à Dieu de lui donner la force, la mesure dont il a besoin pour défendre les droits de l'Eglise, avec la sincé-' rité d'un confesseur de la foi, sans blesser inutilement des prélats dont il honorait avec un profond respect le caractère épiscopal.
Cette grâce du courage ne lui fut pas refusée. x\u cours des délibérations de ce comité, dominé malheureusement par la crainte de l'empereur et par le désir de dégager Pie VII des liens de sa captivité au prix des concevions condamnées par la conscience, M. Émery resta toujours debout; il défendit les droits de l'Église avec une fermeté inébranlable dans son respect , et força l'hommage de ses contradicteurs étonnés, troublés déjà par les premiers reproches de leur conscience.
272 M. ÉMERY
M. Frayssinous, secrétaire du comité, assistait aux délibérations; il parla plus tard avec admiration à son ancien confrère, M. Garnier, de la conduite de M. Émery dans ces conjonctures difficiles. Ce vieillard, que l'on avait arraché à la solitude paisible du séminaire Saint-Sulpice pour le faire entrer malgré lui dans un conseil composé des plus hauts dignitaires de l'Église, était encore le plus grand de cette assemblée par son détachement des dignités humaines , par les combats qu'il avait livrés pour la foi, dans les jours sombres de la Terreur, et par son dévouement infatigable aux intérêts de la religion , intérêts que ne craignaient pas de compromettre, à cette heure douloureuse, des hommes qui avaient juré de les défendre jusqu'à la mort, au jour de leur consécration épiscopale.
Il se leva , et s'autorisant des paroles mêmes de Bos- suet, que le cardinal Maury avait eu l'imprudence de citer encore une fois avant de l'avoir lu , déclara que le pape devait être maître dans ses États temporels pour- être libre partout; que cette liberté était la condition essentielle de l'exercice complet de sa juridiction spiri- tuelle. Il protesta avec force contre la prétention cou- pable des membres de la commission de refuser au pape le droit de défendre, par l'excommunication, ses intérêts temporels ; droit qui était confirmé cependant , depuis des siècles, par la pratique constante de l'Église, par le concile de Trente et par les conciles généraux. Il éclairait les questions débattues, en rappelant les faits principaux de l'histoire ecclésiastique, les règles du droit canon, les principes les plus certains de la théologie, exprimant avec une fermeté émue et presque indignée, qui se tra- hissait de temps en temps par des réponses brèves, sai- sissantes, son étonnement douloureux de l'oubli ou de la complaisance servile des membres de la commission. M. de Barrai, archevêque de Tours, essayait de le gagner;
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 273 mais un jour M. Émery lui répéta jusqu'à dix fois d'un ton saccadé : Non, Monseigneur, cela n'est pas!
Que pouvait craindre ce vieillard courageux? Il deman- dait sans cesse à Dieu la grâce de quitter ce monde et d'aller à lui.
« Qu'il laisse donc l'Église tranquille, disait-il en par- lant de l'empereur; qu'il rende à leurs fonctions le pape, les cardinaux , les évêques; qu'il renonce à des préten- tions extravagantes; tout le reste sera bientôt arrangé! Et ces évêques, qui regardent comme des améliorations, comme des bienfaits pour l'Église, les décorations ou |ee litres qu'ils ont obtenus! Où allons-nous donc, mon Dieu 1 ! »
M. Émery refusa de signer les réponses de la commis- sion. Il ne pouvait pas approuver un acte que sa cons- cience condamnait et contre lequel il avait protesté avec une si noble fermeté.
a Les titres de religieux, de juste, de zélé pour le culte catholique, adressés, écrit le cardinal Pacca en parlant de ces réponses, à un souverain qui venait d'usurper le patrimoine de l'Église, et qui tenait en prison son chef suprême; l'accusation calomnieuse que l'on faisait peser sur ce vénérable pontife, comme si, pour des intérêts temporels, il eût trahi son devoir dans le gouvernement des choses sacrées; la censure peu respectueuse, souve- rainement injuste et mensongère des maximes de l'Église romaine et de la conduite des papes ; enfin les malignes insinuations suggérées à Napoléon pour favoriser ses desseins, tout cela fait désirer aux bons Français que ces monuments peu honorables soient retranchés des archives de cette illustre Église "2. »
1 Vie de M. Coustou, p. 232.
2 Le texte des réponses de la commission n'a jamais été publié d'une manière complète. Le cardinal Pacca écrit au tome II de
274 M. ÉMERt
IV. — A peine la commission ecclésiastique eût -elle terminé ses travaux sur les difficultés pendantes, qu'elle fut saisie d'une grave question de morale et de discipline ecclésiastique. L'empereur voulait faire annuler son pre- mier mariage, contracté en 1796, avec Joséphine, veuve de Beauharnais , et prendre pour seconde femme une princesse d'Autriche. Le sénat, toujours docile aux ordres de Napoléon , avait déjà prononcé l'annulation du premier mariage, en justifiant sa décision par l'impossi- bilité où se trouvait Joséphine de donner à l'empereur un héritier de la couronne. La décision du sénat était con- traire , il est vrai , au décret du 30 mars 1806 , décret qui interdisait formellement le divorce (( aux membres de la famille impériale de tout âge et de tout sexe » ; mais de tels décrets ne troublaient pas la conscience de l'empe- reur et n'étaient pas de nature à changer ses résolutions.
L'annulation du mariage civil prononcé par la puis- sance séculière était insuffisante, l'archevêque de Vienne refusait de procéder à la célébration du second mariage de l'empereur avec une princesse d'Autriche avant l'an- nulation canonique régulière du premier.
Depuis longtemps Napoléon pressentait cet obstacle; il essayait de le tourner.
Au mois d'avril 1808, au retour de Bayonne, Napoléon, ayant accordé une audience à l'archevêque et au clergé de Bordeaux, laissa volontairement paraître, dans une conversation préparée avec art , l'objet inattendu de ses préoccupations. Improvisé canoniste, il essaya d'argu- menter sur la convenance et l'utilité du divorce dans des cas déterminés.
ses Mémoires : « Si cette réponse fut telle qu'elle a été imprimée, elle sera une preuve humiliante de la grande inlluenee que l'esprit d'ambition et de ilatterie exerce sur les personnes même les plus distinguées par l'élévation de leur dignité et par le mérite de leur doctrine. »
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 27b Un vieux docteur de Sorbonne, l'abbé Thierry, qui se
trouvait là, prit la parole et rappela ce texte si ferme et
si clair du Nouveau Testament :
(( 11 n'appartient pas à l'homme de séparer ce que Dieu
a uni.
— Oui, cela est bon, reprit l'empereur, dans les cas ordinaires de la vie, sans quoi il n'y aurait plus rien de stable dans l'institution du mariage; mais lorsque des causes majeures interviennent, lorsque le bien de l'État l'exige, cela ne peut être.
— Cependant , Sire, le précepte de l'Évangile n'admet pas d'exception.
— Eh quoi ! monsieur l'abbé, êtes-vous protestant?
— Protestant ! pourquoi ?
— Parce que vous ne reconnaissez pas l'autorité de la tradition.
— Mais la tradition est unanime, comme l'Écriture, sur l'indissolubilité du lien conjugal.
— Non, s'écrie vivement l'empereur, la tradition est pour moi. Ne l'ai -je pas vu dans la Pologne, dans le grand duché de Posen, dans les États de Hongrie et autres pays du Nord , où j'étais il y a si peu de temps? »
Interpellé directement, le supérieur du grand sémi- naire, qui jusque-là avait gardé un silence prudent, appuya le sentiment du docteur de Sorbonne sur l'impos- sibilité du divorce ; il essaya de faire comprendre à l'em- pereur que l'Église s'était contentée de constater et de prononcer que, dans certains cas, le mariage n'existait pas, par défaut d'une condition essentielle à son accom- plissement, mais qu'elle n'avait jamais donné son con- seil tement à l'annulation d'un mariage légitime.
Le vénérable et pieux archevêque de Bordeaux , Msr d'Aviau, assistait en silence à cette discussion théo- logique. L'empereur, irrité de l'opposition qu'il venait de rencontrer, s'écria :
276 M. ÉMERY
(( De quels hommes s'entoure donc cet archevêque de Bordeaux ? Il n'y a pas un seul théologien parmi eux ; mais du moins les ai-je bien mis au sac »
Puis, voulant se venger de la leçon qu'il venait de recevoir, il chargea M. Bigot de Préameneu,dèsson retour à Paris, d'ordonner à M. l'archevêque de Bordeaux de congédier sans délai son grand vicaire, son secrétaire général et le supérieur de son grand séminaire.
Napoléon avait donc une idée arrêtée : son dessein était d'obtenir de l'Eglise, ou par la diplomatie ou par la vio- lence , le consentement qu'il avait obtenu sans résistance de la docilité facile du sénat.
V. — Le cardinal Fesch, informé de la résolution de l'empereur, ne pouvait pas oublier ce qui s'était passé dans la chapelle des Tuileries, la veille du sacre et du couronnement ; il se rappelait que, muni de pleins pou- voirs accordés par le Vicaire de Jésus -Christ, pasteur de l'Eglise universelle, il avait béni secrètement le mariage de Bonaparte avec Joséphine, veuve de Beauharnais; que l'acte de célébration , dressé et signé par lui , avait été remis à l'impératrice Joséphine , et qu'il avait eu mani- festement la pensée de répondre à l'ordre formel de Pie VII en remplissant scrupuleusement toutes les con- ditions canoniques requises pour l'union religieuse des deux époux.
Quelle était donc la pensée du pieux cardinal à ce moment difficile où , pressé d'un côté par sa conscience et sollicité dans un sens différent par la volonté formelle de l'empereur, il lui semblait impossible de s'enfermer dans un silence coupable ? Nous l'ignorons.
Gambacérès réunit chez lui, le 22 décembre 1809, les
1 Histoire de M»r d'Aviau du Bois de Sanzay, archevêque de Vienne et de Bordeaux, par Mtn- Lyonnet, archevêque d'Albi, t. II. p. 561.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 277
officiaux et les promoteurs du diocèse de Paris, et leur dit:
« Par un article inséré au sénatus-consulte du 16 de ce mois, je suis mis en demeure de poursuivre devant qui de droit l'effet tles volontés de Sa Majesté. L'empereur ne peut espérer d'enfants de l'impératrice Joséphine ; cependant il ne saurait, en fondant une nouvelle dynas- tie, renoncer à l'espoir de laisser un héritier direct qui assure l'intégrité, la tranquillité et la gloire de l'empire. Il est dans l'intention de se marier et d'épouser une catholique; mais son mariage avec l'impératrice José- phine doit être auparavant annulé, et son intention est de le soumettre à l'examen et à la décision de l'officia- lité1. »
Camhacérès n'était ni théologien ni canoniste , son allocution suffirait à le démontrer. Encore qu'il adressât la parole à des ministres de l'Eglise sur une affaire qui intéressait au plus haut point la puissance spiri- tuelle , il n'invoquait pour demander la dissolution du premier mariage de l'empereur que la nécessité d'État et l'espérance, d'ailleurs légitime, de confier un jour les destinées de la France à un descendant de la famille impériale.
Le curé de la paroisse et les témoins, dont la présence est exigée par le concile de Trente sous peine de nullité, n'avaient pas assisté au mariage. Voilà l'argument le plus spécieux que des théologiens essayaient de présen- ter en faveur des projets de l'empereur a.
' D'Haussonville , l'Eglise romaine et le premier empire, tome III, p. 321.
2 Consulter sur la question théologique : 1° Conférences de Paris sur le mariage, t. Ier, p. 64; t. II, pp. 22 et 82. — 2° Fleury, Histoire ecclésiastique , t. XV, pp. 532-587, etc. — 3° Longueval, Histoire de l'Église gallicane, t X, p. 115, etc. — 4° Dom Cel- lier, Histoire des auteurs ecclésiast., t. XXIII, p. 337. — 5° Ba- ronius, anno 771, n° 3. in fine. — 6° Fleury, t. IX, liv. 43, n° 59.
8*
278 M. ÉMERY
Mais des faits graves détruisaient malheureusement d'une manière décisive la valeur de cet argument. Sur le désir exprimé par le pape, sur la demande formulée avec une vive insistance par l'impératrice Joséphine elle-même avant la cérémonie du sacre en 1804, le premier mariage de l'empereur avait été validé secrè- tement dans la chapelle des Tuileries, vers quatre heures de l'après-midi, par le cardinal Fesch, qui, sans rien spécifier dans cette circonstance et pour donner à l'acte qu'il allait faire toute son efficacité , avait obtenu de Pie VII les pouvoirs de dispense les plus étendus.
Après avoir acquis la certitude que Joséphine de Beauharnais était la femme légitime de l'empereur, mais alors seulement, Pie VII avait consenti à faire avec la solennité accoutumée la cérémonie du sacre dans la métropole de Paris.
Le pape annonça quelque temps après à toute la chré- tienté, dans une allocution consistoriale du 26 juin 1805, (( qu'il avait procédé avec toute la pompe des cérémonies prescrites par l'Église à la consécration et au couronne- ment de l'empereur et de sa très chère fille en Jésus- Christ, excellente épouse de ce prince, » déclarant ainsi d'une manière solennelle la validité du mariage de l'empereur.
M. Garnier rapporte, après le cardinal délia Somaglia, que Pie VII, en apprenant le projet caressé par Napo- léon, s'écria :
« Comment l'empereur peut-il penser à faire annuler son mariage, puisque j'avais donné au cardinal Fesch toutes les dispenses nécessaires? »
Ces considérations formaient au moins une grave pré- somption contre la rupture humiliante et douloureuse
-— Longueval, t. IV, p. 460. Ces trois derniers auteurs étudient le droit de Charlemagne, qui se maria avec Hildegarde, après avoir quille Hermengarde , fille du roi des Lombards.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 279
pour l'impératrice Joséphine, que l'on voulait obtenir du Vicaire de Jésus-Christ '.
• D'ailleurs il était difficile, au moment où le pape était prisonnier à Savone, de trouver un tribunal compétent, investi du droit légitime de se prononcer sur une cause qui soulevait de si graves difficultés canoniques. Cepen- dant l'usage, expliqué et justifié par de graves raisons, avait toujours été de réserver la solution de ces diffi- cultés majeures à l'autorité suprême du vicaire de Jésus- Christ.
Mais ces considérations n'étaient pas de nature à ébranler les résolutions de l'empereur. Il fit établir, en se concertant avec l'autorité diocésaine, trois tribunaux ecclésiastiques: diocésain, métropolitain et primatial , et leur intima l'ordre de se prononcer promptement sur la question qui l'intéressait , sans recourir aux lumières et à l'autorité du saint-siège.
VI. — La commission ecclésiastique supérieure dont nous avons déjà parlé n'avait pas cessé de tenir ses séances depuis la discussion de l'adresse à l'empereur, elle s'attribuait une autorité particulière excessive dans les affaires religieuses de l'Église de France ; elle leva les scrupules des membres de l'officialité diocésaine , embarrassés de la mission périlleuse dont ils étaient chargés, et leur conféra, sans autorité, le droit de se prononcer sur la question en litige. M. Emery se sépara encore une fois de ses collègues et réserva son opinion.
Le 9 janvier 1810, le tribunal diocésain, après avoir
1 a 11 paraîtrait qu'il y avait une cause réelle de nullité, mais dont on ne voulut pas faire mention : l'impuissance relative entre les deux époux, empêchement dont Napoléon lui-même parla un jour au Conseil d'État, et que l'on connaissait à la cour de Vienne.» ( Rohrbacher, Histoire universelle de l'Église catho- lique, t. XII, livre XII, p. 45.)
280 M. ÉMERÏ
examiné et discuté les raisons invoquées en faveur des prétentions de l'empereur, déclara officiellement, par une sentence publique, « que le mariage entre Leurs Majestés l'empereur et roi Napoléon et l'impératrice et reine Joséphine avait été nul et non valablement con- * tracté, et qu'il était comme tel nul et de nul effet, faute de la présence du propre pasteur et de celle des témoins voulus par le concile de Trente et les ordonnances. »
La raison prise du défaut de consentement de l'un des conjoints était écartée *.
Un seul homme pouvait encore, dans ces conjonc- tures difficiles , éclairer la situation par une parole nette et courageuse, c'était le cardinal Fesch. Seul il pouvait dire encore une fois, avec autorité, qu'il avait eu la volonté d'user des pouvoir illimités reçus de Pie VII et de lever tous les empêchements , quand il célébra sans témoins, dans la chapelle des Tuileries, le mariage de l'empereur.
Le cardinal Fesch signa et remit à l'offîcial du dio- cèse la déclaration suivante, en l'absence de l'acte de célébration de ce mariage :
« Plusieurs fois Sa Majesté l'impératrice m'avait engagé à m'intéresser auprès de Sa Majesté l'empereur pour obtenir la bénédiction de leur mariage; mais ce ne fut que la veille du couronnement que l'empereur, me faisant appeler vers une ou deux heures de l'après-midi, me dit que l'impératrice voulait absolument recevoir la bénédiction nuptiale, et que, pour la tranquilliser, il s'était décidé à m'appeler. Mais il me protesta qu'il ne voulait pus de témoins , et qu'il exigeait sur toute cette affaire un secret aussi absolu que celui de la confession. Je dus lui répondre : « Point de témoins, point de mariage. »
« Mais voyant qu'il persistait à ne vouloir point de
1 Cf. Welschingor, le Divorce de Napoléon. — Paris, Pion.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 2M
témoins , je lui dis que je n'avais point d'autres moyens que de me servir de dispenses, et, montant aussitôt chez le pape, je lui représentai que très souvent j'aurais besoin d'avoir recours à lui pour des dispenses, et que je le priais de m'accorder toutes celles qui me devenaient quelquefois indispensables [tour remplir les devoirs de grand aumônier. Le saint-père adhérant à ma demande, je me rendis à l'instant chez Sa Majesté l'empereur, avec un rituel pour donner la bénédiction nuptiale à Leurs Majestés, ce qui fut fait vers quatre heures de l'après-midi.
« Deux jours après environ, l'impératrice me demanda un certificat de cette bénédiction nuptiale, mais elle- même ne doutait pas qu'elle lui avait été accordée pour calmer sa conscience, et que cet acte devait rester sous le plus inviolable secret ; je lui fis connaître l'impossibi- lité où j'étais de lui accorder ce qu'elle me demandait.
ce Néanmoins, m 'ayant assuré que l'empereur consen- tait à ce que ce certificat lui fût donné, je crus devoir acquiescer à sa demande; mais quelle fut ma surprise lorsqu'ayant dit ce que j'avais fait à l'empereur, j'en reçus de très sévères reproches, et qu'il me dévoila que tout ce qu'il avait fait n'avait d'autre but que de tran- quilliser l'impératrice et de céder aux circonstances! Il me déclara qu'au moment où il fondait un empire, il ne pouvait pas renoncer à une descendance en lip:ne directe.
et En foi de quoi, j'ai donné la présente déclaration pour valoir ce que de droit.
« Paris, 6 janvier 1810.
u 7 Cardinal Fesch. »
Plusieurs journaux , et des personnes aussi mal infor- mées qu'empressées à mettre en circulation des nou- velles sans fondement , prétendirent que M. Émery
282 M. ÉMERY
avait été l'inspirateur des décisions du tribunal diocé- sain, et qu'il avait ainsi assumé devant l'Église et devant l'histoire, par une influence occulte et puissante, la responsabilité de l'annulation du premier mariage de l'empereur.
Cette assertion est fausse; M. Emery n'est solidaire à aucun degré de la sentence officielle qui fut rendue, et qu'il n'a pas signée.
Le 14 février 1810, il écrivait à M. Girod, de l'Ain : « Vous avez vu mon nom au bas d'une pièce à laquelle je n'ai aucune 'part. L'affaire a été discutée en mon absence, et il n'a été question dans la commission que de la compétence. Ces messieurs disent que la sentence et les motifs n'ont point été soumis à leurs délibéra- tions. J'incline cependant à croire que, du côté du tri- bunal ecclésiastique , tout a été régulier. »
Un élève du séminaire , qui fut plus tard grand vicaire de Limoges, M. Hervy, a raconté le fait suivant :
(( Au moment du divorce de l'empereur, des journaux annoncèrent que M. Emery avait pris part au jugement prononcé par l'officialité diocésaine, que l'on accusait de bassesse envers l'empereur. Je dis à M. Montagne qu'il me semblait que M. Émery devait démentir cette impu- tation calomnieuse.
(( M. Montagne répondit :
(( — Quel bien pourrait-il en résulter? Cette protesta- tion serait arrêtée par la police , et vous et vos confrères seriez renvoyés dans vos familles. »
(( Peu de temps après, un jour de grande promenade, un séminariste, qui avait un peu la police du réfectoire, me dit :
« — Allez à la table de M. le supérieur. »
« Je m'en excusai, en lui faisant observer que les anciens n'avaient pas encore mangé avec M. le supé- rieur; mais il insista, et j'obéis.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 283 a M. Émery attaqua aussitôt la question du divorce le l'empereur. Il parla du tribunal de l'officialité diocé- wiine, érigé brusquement et détruit aussitôt après qu'il cul rendu la décision qu'on lui demandait. Il exposa fort longuement les raisons qui avaient été alléguées pour l'aire prononcer la nullité du mariage de Joséphine. 11 en rejeta plusieurs comme nulles, ainsi le défaut de consentement de l'empereur.
« Il parla ensuite de la présence du propre prêtre ; il observa que, si l'on avait soutenu théoriquement que le grand aumônier était le prêtre de nos rois, on n'avait jamais suivi ce sentiment dans la pratique, et que tou- jours le curé de Saint- Germain assistait, en étole, à la bénédiction nuptiale qui était donnée par le grand aumô- nier; et il en conclut que le mariage célébré par le cardi- nal Fesch, en l'absence du curé de la paroisse, était nul.
« Il insista ensuite sur l'incompétence de l'official pour juger les causes matrimoniales des souverains; il dit qu'il n'était pas assez indépendant pour être juge, et que son jugement serait suspect, même dans le cas où la force de caractère le rendrait inaccessible à la crainte et à l'ambition; que la morale publique était intéressée à ne pas laisser au peuple des prétextes pour accuser ses rois d'adultère , et que ces prétextes étaient inévitables, quand les causes de divorce étaient livrées au jugement des simples sujets des souverains. Il ajouta qu'il n'y avait que le pape, libre dans ses Etats, qui eût assez S'indépendance pour prononcer des jugements autorisés, et qu'il avait protesté lui-même contre la compétence de l'officialité de Paris, sans donner son avis sur le fond de la question !. »
1 Lettre inédite. M. Émery ne parle pas des pouvoirs illimités accordés par Pie VII dans celte circonstance à S. E. le cardinal Fesch.
284 M. EMERY
Le cardinal Fesch ne partageait pas les inquiétudes si légitimes de M. Émery touchant l'incompétence de l'offi- cialité diocésaine dans l'affaire dont il était saisi. Il n'avait pas la notion exacte des droits réservés au saint- siège dans les causes majeures ; il était disposé à se passer du concours du pape, dont il contestait l'autorité.
Au mois de juillet 1805 , sur les ordres de l'empereur, il avait essayé officiellement de faire annuler le mariage de Jérôme. Ambassadeur à Rome , investi d'une grande puissance, habile et souple dans ses supplications et dans ses menaces, il se flattait d'y réussir. Irrité des résistances qu'il rencontra, il écrivit à l'empereur une lettre où il révélait sa pensée erronée sur le droit de résistance au chef de l'Église. Il semblait indiquer déjà à l'empereur la ligne de conduite qu'il devait suivre plus tard pour tenter d'obtenir l'annulation de son pre- mier et légitime mariage.
« Sire,
« Par la lettre que j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Majesté, le 14 messidor courant, elle aura vu que Sa Sainteté s'était décidée à renvoyer le courrier avec la réponse négative sur l'affaire du mariage J... Mais ma lettre d'étonnement que j'écrivis au secrétaire d'État suspendit le départ de ce courrier, pour me donner le temps de répondre au mémoire qu'il m'avait envoyé pour appuyer leur délibération. Je ne perdis pas un instant, et quatre jours après j'ai été assez heureux d'adresser au secrétaire d'État celui que j'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté, et je suis fondé à croire qu'ils ne pour- ront pas se refuser à rendre une justice si bien fondée en raisons et en autorité.
« Oserais -je prier Votre Majesté de lire entièrement ce mémoire, qui la mettra bien au fait de l'état de la
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 285
question, et que si l'on s'entête ici à persister dans un refus, ce procès sera gagné victorieusement en France par-devant l'archevêque de Paris?
« Je suis avec respect, Sire, « De Votre Majesté Impériale et Royale , « Le très obéissant serviteur,
« Le cardinal Fesgh K
a Rome, le 21 messidor 13« (10 juillet 1805). »
Le cardinal se proposait donc d'en appeler de Rome à l'archevêque de Paris , dans une affaire dont la solu- tion appartenait essentiellement au saint-siège. M. Émery ne pouvait pas approuver cet oubli des principes les plus certains de la théologie et des droits du Vicaire de Jésus- Christ.
VIL — L'empereur avait réuni de force à Paris tous les cardinaux valides qui résidaient à Rome au moment de l'enlèvement de Pie VII, avec l'espérance de les dominer soit par la crainte , soit par des promesses qui flatteraient leur amour -propre, et de s'assurer un rôle prépondérant dans le prochain conclave, si le pape suc- combait aux épreuves prolongées de la captivité. Il dota ces princes de l'Église d'une pension de trente mille francs, les attira aux fêtes, aux soirées de la cour, et leur donna des places d'honneur aux offices du dimanche, dans la chapelle impériale des Tuileries.
Les cardinaux qui résidaient à Paris résolurent, par un sentiment de haute convenance autant que pour détourner l'orage d'une terrible persécution, d'assister à la cérémonie civile du mariage de l'empereur avec
1 Archives nationales, AF. iv, 1694. Cette lettre n'a jamais été publiée.
286 M. ÉMERY
Marie- Louise, archiduchesse d'Autriche. Ils hésitaient seulement sur la conduite à tenir à l'égard du mariage religieux; ils craignaient de consacrer, par leur présence à l'église, un acte dont ils contestaient la validité.
M. Émery, consulté par le cardinal délia Somaglia, lui répondit que cette assistance au mariage religieux lui paraissait licite, prudente , et que son absence, en infli- geant un blâme implicite, une humiliation publique à l'empereur, appellerait sur l'Eglise de France en particulier, peut-être même sur le saint- père, d'inévi- tables malheurs. Puis, prenant le langage du théolo- gien , il ajouta qu'il n'était pas permis cependant d'agir contre sa conscience, et que, si Son Eminence ne croyait pas en conscience avoir le droit d'assister à la cérémonie religieuse, elle devait s'en abstenir.
Des rapports infidèles dénaturèrent les sages paroles de M. Emery ; ils prétendirent qu'il avait donné aux cardinaux, réunis à Paris, le conseil imprudent de pro- tester contre le mariage religieux de l'empereur, en refusant de paraître à la cérémonie. Une telle interpré- tation de la pensée de M. Emery était contraire à toute sa conduite dans cette affaire , à toutes ses paroles ; elle exposait le supérieur et les membres de la compagnie de Saint-Sulpice à de grands dangers. Le cardinal Fesch, affligé et ému de cette nouvelle si peu conforme à ses espérances et aux déclarations de M. Emery, s'empressa de lui écrire pour avoir une explication de sa conduite, et le justifier quand le bruit fâcheux de sa résistance arriverait aux oreilles de l'empereur.
(( Hier au soir, disait le cardinal Fesch, une personne digne de foi, et dont le témoignage est au-dessus de tout soupçon , m'a assuré avoir entendu le matin , de ses propres oreilles, d'un cardinal parlant à elle-même, que M. Emery avait confirmé ce cardinal dans son opinion qu'il ne pouvait pas, en conscience, assister au mariage
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 287
de l'empereur. J'ai eu beau assurer à cette personne que, hier même, à trois heures après midi, M. Émery, pour la seconde ou troisième fois, m'avait protesté qu'il était d'une opinion toute contraire, et qu'il pensait que les cardinaux pouvaient assister à la cérémonie, cette personne a persisté à soutenir que vous aviez tenu à ce cardinal un langage entièrement opposé à celui que j'ai dit avoir entendu de vous. Cette affaire est trop grave pour qu'elle ne soit pas éclaircie, afin de faire revenir des personnes qu'on a voulu tromper. Je vous demande une réponse catégorique et qui ne puisse laisser aucun doute sur votre manière de penser à cet égard, et sur les propos qu'on vous attribue d'avoir tenu à ce cardinal. J'ai besoin de votre réponse aujourd'hui , avant six heures du soir. »
M. Émery écrivit aussitôt au cardinal délia Somaglia, qui n'avait pas répété fidèlement ses paroles, la lettre suivante :
VIII. — (( Votre Eminence voudra bien me permettre de lui adresser avec simplicité quelques plaintes respec- tueuses. M*r le cardinal Fesch m'a témoigné savoir, d'une personne au-dessus de tout soupçon, que j'avais décidé (jiie MM. les cardinaux ne pouvaient en conscience assister à la cérémonie du mariage de l'empereur, et c'est par écrit qu'il me l'a témoigné, et avec un vrai ton de mécontentement.
(( Un évèque qui est venu me voir m'a assuré que c'était, vous, Monseigneur, qui aviez instruit M. le car- dinal Fesch de cette décision, comme l'ayant entendu de ma bouche.
(( 1° Quand il serait vrai que j'aurais donné cette déci- I sion, indépendamment de ce que mon avis serait de la plu-; mince autorité vis-à-vis des cardinaux, Votre Emi- nence n'a donc pas vu qu'elle m'exposait au plus grand
288 M. ÉMEKY
danger, puisque la colère de l'empereur qui éclaterait contre les cardinaux refusant d'assister au mariage re- tomberait ensuite et plus rudement encore sur moi , s'il venait à connaître que moi, sans mission et sans ca- ractère, j'ai influé sur ce refus? Quel avantage n€ donnerais -je pas contre moi à mes ennemis, qui m'ob- servent jour et nuit, dans le dessein de me perdre?
« 2° Ou l'on vous a donc bien mal entendu, ou vous m'avez bien mal entendu vous-même, quand j'ai eu l'honneur de répondre à Votre Éminence sur les ques- tions qu'elle m'a faites à ce sujet. Vous m'avez dit qu'après avoir fait les recherches les plus exactes, vous étiez convaincu que vous ne pouviez pas aller au mariage sans blesser votre conscience.
(( J'ai dû vous dire et je vous ai dit que, dans cette supposition, vous ne deviez point y assister, parce que j'étais persuadé comme vous qu'on ne pouvait, qu'on ne devait jamais agir contre sa conscience, même erronée. Je suis convenu encore avec Votre Éminence , sui diverses raisons, qu'il y aurait moins de difficultés à assister à Pacte civil qu'à l'acte religieux ; il est inutile d'entrer à ce sujet dans aucun détail.
ce Mais vous ai -je jamais dit que vous ne pouviez er conscience assister au mariage? Ne vous ai -je pas fait remarquer les inconvénients sans nombre qui étaien attachés à votre refus d'assister? Non que les inconvé- nients soient une raison d'autoriser l'assistance qu serait , d'ailleurs , illicite ; mais ces inconvénients son une raison très forte d'examiner le plus attentivemen qu'il est possible si réellement l'assistance est illicite et si la conscience qu'on s'est formée à ce sujet n'es point une conscience erronée. »
M. Emery envoya au cardinal Fesch une copie de si lettre et la réponse du cardinal délia Somaglia, qui réta blissait la vérité sur les sentiments qu'il avait exprimés
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 289
IX. — Treize cardinaux refusèrent d'assister au ma- riage religieux de Napoléon avec l'archiduchesse d'Au- triche; ils expliquèrent leur absence dans cette adresse respectueuse à l'empereur :
« Les cardinaux soussignés, frappés de l'indignation de Votre Majesté impériale et royale , qui leur a été exprimée par son ministre dans les termes les plus forts, parce qu'on les a crus coupables de rébellion pour n'être pas intervenus à la cérémonie religieuse du mariage, déposent au pied de votre trône cette humble déclara- tion , par laquelle ils font connaître avec vérité et fran- chise leurs sentiments infiniment éloignés de cette incul- pation qu'ils ont tant en horreur.
« Ainsi, ils protestent qu'il n'y a eu ni intrigues, ni coalition, ni complot d'aucune espèce; que leur opinion a été le résultat de quelques communications confiden- tielles et fortuites , qu'ils n'ont jamais eu pour objet les graves conséquences qui leur ont été manifestées par le ministre. Ils n'ont point assisté à la susdite cérémonie, par le seul motif que le pape n'était point intervenu dans la dissolution du premier mariage.
« Ils déclarent, en outre, qu'ils n'ont jamais eu dans la pensée, ni de se faire juges, ni de vouloir douter de la validité delà dissolution du premier mariage, ni delà légitimité du second, ni de jeter de l'incertitude sur les droits des enfants qui en naîtront à la succession du trône.
« Enfin, ils supplient Votre Majesté d'agréer leur humble et sincère déclaration unie aux sentiments du profond respect, de l'obéissance et de la soumission qu'ils ont l'honneur de lui vouer.
« Paris, le 5 avril 1810 1 . »
1 Au tome Ier de ses Mémoires, le cardinal Consalvi explique autrement son abstention et celle des autres cardinaux qui parta-
II 9
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Cette déclaration respectueuse des treize cardinaux, qui ne tranchait pas la question capitale de la validité du second mariage, ne pouvait pas désarmer la colère de l'empereur ; il voyait dans leur conduite à son égard un blâme téméraire et une protestation indirecte d'une publicité scandaleuse; il leur défendit de porter les insignes du cardinalat, et les dispersa aux environs de Paris.
Le cardinal Pacca jugea sévèrement les cardinaux comblés des faveurs impériales qui , après avoir donné à Paris, pendant que le pape était captif, le spectacle d'une vie mondaine, se permirent encore d'assister à la cérémonie religieuse du mariage de Napoléon. Après avoir rappelé, avec la grave autorité d'un témoin, les faits que nous avons racontés et les solennelles paroles de Pie VII déclarant que Joséphine était l'épouse légitime du prince, il s'exprime ainsi dans ses Mémoires :
« D'après une déclaration si solennelle de la part d'un pontife religieux comme l'était Pie VII, comment les cardinaux pouvaient -ils prendre part à une affaire d'une si haute importance sans une nouvelle déclaration du même pontife? Ils ne pouvaient trouver aucun motif de sécurité , ni dans le procès mystérieux qui avait été fait secrètement, ni dans la décision d'un petit nombre
gesrient son sentiment. « On prétendait, écrit Consnlvi , que le mariage précédent avec Joséphine avait été dissous, quant au lien sacramentel, par une sentence de l'ofticialité de Paris, confirmée par l'officialité métropolitaine, déclarant nulle la première union. Treize cardinaux, au nombre desquels j'étais, trouvèrent cette procédure illégale et illégitime. Il ne voulait pas même, écrit-il, assister au mariage civil, « parce que cet acte donnait lieu de « regarder comme brisé légitimement le lien précédent... Ne pas « assister à la célébration de son mariage, c'était protester ofti- « ciellement et canoniquement. »
Or, dans la déclaration que nous venons de citer, Consalvi déclare qu'il n'a jamais eu la pensée de douter de la validité de la dissolution du premier mariage, ni de la légitimité du second.
ET L'EGLISE DE FRANCE 291
de piètres, sujets de l'empereur, qui composaient le tri- bunal de la soi-disant officialité de Paris; parce que cette décision ne pouvait être opposée à ce que les cardinaux avaient entendu de la bouche même du chef suprême de l'Église. »
Quelques séminaristes demandés par le cardinal Fesch assistèrent à la cérémonie. Avant leur départ, M. Émery les réunit , leur donna des conseils appropriés à la cir- constance, et leur cita cette parole de saint Fulgence, à l'entrée triomphale de Théodoric, roi d'Italie :
« Si la splendeur de Rome terrestre est si grande, quelle doit donc être la beauté de la Jérasalem céleste î Si, dans cette vie périssable, Dieu environne d'un si grand éclat les partisans et les amateurs de la vanité , quelle gloire et quelle félicité prépare- t-il donc aux saints dans le ciel ! »
Libre de tout engagement, M. Emery s'abstint d'as- sister au mariage de l'empereur ; il resta dans la paix solitaire de sa cellule, méditant sur la fragilité des honneurs de la terre, sur les épreuves qu'il venait de subir, se rapprochant tous les jours davantage , par les progrès de son àme mortifiée , de cette cité céleste dont le nom revient souvent dans ses lettres, comme un pres- sentiment de sa fin prochaine et de sa délivrance.
CHAPITRE XIII
NOUVELLES MENACES CONTRE LA COMPAGNIE
I. — Dans le courant de l'année 4804, M. Émer} ayant reçu de M. de Gourgues, bienfaiteur de la com- pagnie, un don généreux, avait racheté le parterre et la maison de l'ancienne propriété d'Issy. Il aimait à revoir ces lieux; ils lui rappelaient les plus touchants souve- nirs de sa jeunesse sacerdotale et les traditions de l'an- cien séminaire frappé avec tant de violence par la tyrannie de la Révolution ; tout son désir était depuis longtemps d'installer encore une fois ses confrères et les jeunes séminaristes dans la maison et dans les jardins, animés autrefois , sanctifiés par la présence et par les exemples des premiers directeurs de la compagnie.
Il s'était empressé de faire part de son bonheur à son ami, l'évèque d'Alais , dans une lettre du 8 février 1804 :
(( Vous paraissez , par suite de votre amitié poui Saint -Sulpice, mettre quelque intérêt au recouvremenl de la maison d'Issy. Je crois donc vous faire plaisir er vous apprenant que l'acquisition de cette maison esl consommée. Cette acquisition ne comprend que la mai- son et le parterre. Le parc et la chapelle de Lorett( n'en font point partie. Nos moyens ne nous ont poin permis de joindre l'un à l'autre. La Providence nou! fournira peut-être ce qui nous manque aujourd'hui Ma transplantation, et l'établissement de notre nouvelli
M. ÉMERY ET L'ÉGLISE DE FRANCE 293
maison tant au spirituel qu'au temporel, absorbent tout mon temps et me font oublier Descartes et Newton.
« Je viens de faire une retraite dans la maison d'Issy. J'occupais l'appartement de mes prédécesseurs, que j'ai rétabli dans son premier état. J'ai dit la messe tous les jours dans la chapelle de Saint- Sauveur, quoiqu'elle ne soit pas encore entièrement rétablie. J'allais dans le clos, avec l'agrément du propriétaire, dire mon chapelet auprès de la chapelle de Lorette, à la porte qu'on appelait des Lions.
« Ces réminiscences m'ont donné beaucoup de conso- lations. Mais les réparations à faire dans la maison sont en très grand nombre , quoique chacune ne soit pas considérable. Le parterre avait disparu, et n'offrait plus qu'un jardin potager; la plupart des arbres étaient abattus. J'ai, fait rétablir toutes les allées telles qu'elles étaient, replanter les charmilles et le même nombre d'arbres. J'ai fait placer dans la bibliothèque autant de livres qu'elle en contenait auparavant. »
Privé encore de la consolation de prier dans la cha- pelle de Lorette , dont le prix d'achat dépassait de beau- coup ses modestes ressources, M. Emery voulait cepen- dant réveiller, entretenir dans le cœur des séminaristes une dévotion filiale à la sainte Vierge. Il se souvint que saint François de Paule avait fait honorer la sainte Vierge sous le vocable de Notre-Dame de Toutes-Grâces, et que MM. Olier et Bretonvilliers aimaient à donner ce nom dans leurs prières à la mère de Jésus- Christ.
Secondé par des séminaristes animés d'un excellent esprit et d'un grand désir de témoigner leurs sentiments de religion envers la sainte Vierge, il fit construire une
i humble chapelle provisoire dans le jardin où il venait de s'installer, et la plaça sous la protection de Notre- Dame de Toutes- Grâces; il attendait sans impatience
I le jour qui lui semblait, hélas! bien éloigné, où la Pro-
294 M. ÉMERY
vidence lui permettrait d'entrer en possession de la cha- pelle de Lorette.
(( Nous sommes donc à Issy, écrivait M. Émery au père Grivel, le 31 avril 1808, point encore de chapelle de Lorette ; mais nous avons dans le jardin de M. Pvégnier une chapelle dédiée à la sainte Vierge, sous le nom de Notre-Dame de Toutes -Grâces. Saint François de Paule avait fait honorer la sainte Vierge sous ce nom dans l'église des Bons - Hommes de Chaillot. J'ai vu, dans les vies de MM. Olier et de Bretonvilliers , qu'ils avaient su gré à saint François d'avoir eu cette pensée, et qu'ils allaient fréquemment visiter cette église des Bons- Hommes. On a pillé, on a détruit l'église; mais le titre de Notre-Dame de Toutes -Grâces était tombé par terre; je l'ai ramassé et je l'ai pris. N'ai -je pas bien fait? Et croyez -vous que la nation me prendra pour un voleur? »
Il vint là, dans cet oratoire improvisé en 1808, quand il fut nommé membre du conseil supérieur de l'Univer- sité; et après avoir longtemps prié la sainte Vierge, il prit l'engagement secret de réserver tous les ans son traitement de conseiller pour le rachat de la maison où M. Olier avait placé le berceau de la compagnie. En sortant des longues séances du conseil supérieur de l'Université, il rentrait lentement au séminaire, comp- tait ses jetons de présence , et disait à son vieil ami , M. Garnier :
« Voilà tant de gagné aujourd'hui pour la sainte
Vierge. »
Il put réaliser une partie de ses espérances vers la fin de l'année 1809, et faire déjà l'acquisition du jardin potager d'Issy , du cabinet où Bossuet et Fénelon avaient tenu leurs célèbres conférences sur le quiétisme, et enfin de la maison de M. Olier.
ET L*È61#ISfi DE FRANCE 295
II. — Son dernier vœu était de recouvrer la chapelle tde Lorette, afin de laisser en mourant ce pieux sou- venir de ses pères à la reconnaissance de ses succes- seurs :
«. Nos messieurs, écrivait M. Émery à l'évoque d'Alais le <) février 1811, consentent qu'en emploie trente mille livres à l'acquisition; mais ils ne croient pas que l'on doive aller au delà. Il m'est possible, tant de mon patri- ■■• moine que de mes revenus de conseiller, d'ajouter qua- torze mille livres. Je désirerais l'acquisition, principale- ment pour rétablir la chapelle de Lorette, et je la désire 1° par respect pour la mémoire de mes prédécesseurs à qui cette chapelle était si chère; 2° pour témoigner à la sainte Vierge notre reconnaissance de ce qu'elle a fait, car ce n'est qu'à sa protection singulière que nou^ devons notre existence, qui, quoique telle quelle, me parait miraculeuse : 3° pour mériter la continuation de •cette protection.
n II est singulièrement désagréable pour moi d'être la dupe et la victime de la grossièreté et de l'avidité d'un mercenaire : je passerais sur cette considération ; mais on me fait entendre que ce n'est pas le plus grand bien ; qu'avec quatorze mille francs je peux faire un plus grand bien que ne sera le rétablissement de cette chapelle, dont peut-être moi et Saint- Sulpice profiteront fort peu.
« Mon cœur va à l'acquisition ; mais la considération précédente me retient. Cependant, dans quatre ou cinq jours il faut que cela soit décidé. Vous êtes sape, vous êtes désintéressé, vous connaissez les avantages et |éfl désavantages. Décidez- moi pour la plus grande gloire de Dieu, pour le plus grand bien de Saint -Sulpice. »
M. Emery craignait de voir cette maison de Lorette, devenue la propriété d'un plombier enrichi, tenace et très intéressé, démolie ou affectée à d'autres usages; il
290 M. ÉMERY
voulait à tout prix la sauver de la destruction sacrilège et la conserver avec les souvenirs de M. Olier. Le conseil de la compagnie hésitait devant la dépense, et tout en craignant de déplaire à M. Émery, qui avait à un si haut degré l'esprit de ses pères, l'amour le plus tendre pour les souvenirs aimés de ses prédécesseurs , il n'osait pas encourager son pieux dessein. M. de Bausset estimait qu'il serait téméraire, compromettant, d'assumer la res- ponsabilité d'un avis touchant l'avenir de Lorette ; néan- moins , après de longues tergiversations , il conseilla hardiment à son ami de réaliser son pieux projet.
« In verbo tuo laxabo rete, lui répond joyeusement M. Émery le 3 mars 1811 ; puisque vous pensez que je dois le faire j'achèterai le clos. Ce clos valant trente mille francs, si j'en donne quarante-quatre mille, ce sera quatorze mille francs que j'aurai donnés pour la conservation de Lorette. Ce sera un sacrifice fait à la sainte Vierge et à la mémoire de mes prédécesseurs. Ces quatorze mille francs , je les aurais employés à une bonne œuvre. J'étais sulement inquiet de savoir si la première devait l'emporter sur toute autre. Vous an- noncez, en me parlant du manuscrit de Bossuet, que vous ferez bientôt un petit voyage à Paris. Oh ! que nous avons de choses à dire qui ne se disent qu'en conver- sation ! »
Heureux de rentrer enfin dans la maison de ses pères, M. Émery signa le contrat de vente, remit la somme convenue à M. Blin, le propriétaire intéressé de la maison de Lorette, qui réalisait une bonne affaire, et s'occupa aussitôt, avec un empressement plein de can^ deur, de réparer la maison et ses dépendances. Il refit le parc, installa des jeux de balle, rétablit les anciennes allées, restaura la chapelle avec le secours de la Provi- dence et de ses propres économies.
ET L'ÉGLISE DE Fit ANCE 297
III. — Cependant la colère capricieuse de l'empereur menaçait encore une fois la compagnie. Les jansénistes et les constitutionnels, ayant appris que M. Emery avait refusé de signer les conclusions de la commission ecclé- siastique et de l'officialité diocésaine touchant le mariage le Napoléon et la nomination illégitime de Maury à l'ar- chevêché de Paris, s'empressèrent de réveiller de nou- veau l'inimitié dangereuse de Fouché.
« Je vois avec peine, disait Bonaparte au cardinal Fesch dans un moment de mauvaise humeur, que vous écrasez les constitutionnels ; vous ne les traitez pas de la même manière que les anticonstitutionnels. Cependant les uns sont bien plus nos amis et ceux de l'Etat qu'une partie des autres. Méfiez -vous beaucoup des sulpiciens ; je vous le répète , ces hommes ne sont attachés ni à l'État ni à la religion ; ce sont des intrigants. »
M. Emery fit part de ses craintes au cardinal Fesch, qu'il n'avait jamais cessé de considérer comme le pro- tecteur désintéressé de la compagnie et du séminaire auprès de l'empereur ; il lui démasqua le dessein, formé par ses ennemis, de faire transférer le séminaire Saint- Sulpice de la rue du Pot-de-Fer, où il était à peine ins- tallé après de longs sacrifices, de longs ennuis, soit au collège d'Harcourt, soit dans l'abbaye de Sainte -Gene- viève, soit enfin à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Il discutait ces hypothèses, démontrait l'impossibilité ma- térielle de s'établir dans ces vieux bâtiments ; ils avaient eu des destinations différentes sous les règnes précé- dents, et ils ne se prêtaient pas facilement aux exi- gences d'une maison consacrée à la formation des jeunes clercs. Il suppliait enfin le cardinal de considérer son grand âge, ses infirmités, d'écouter son affection long- temps éprouvée pour Saint- Sulpice, et de détourner l'empereur d'un projet qui troublait cruellement sa vieillesse en compromettant les plus graves intérêts.
298 M. ÉMERY
M. Émery cherchait le repos et ne le trouvait pas. Lorsqu'il fut obligé de passer de la rue Notre-Dame-des- Ghamps à la rue du Pot -de -Fer, il se croyait enfin à la dernière étape de son voyage.
(( J'espère bien, disait-il, ne sortir d'ici que pour entrer dans la maison étemelle, où il n'y aura pas un clou à planter. »
Mais la Providence ne voulait pas lui donner sur la terre le repos si longtemps attendu, et le 27 mars 4810 il recevait du ministre des cultes la lettre suivante, qui faisait évanouir d'une manière cruelle ses dernières espérances.
IV. — (( Monsieur, toutes les associations ecclésiastiques d'hommes , non autorisées depuis la Révolution , ont été déclarées dissoutes par le décret du 3 messidor an XII. Dans ce nombre se trouvait comprise l'association des sulpiciens, ayant pour fondateur M. Olier.
(( Quoique les membres de cette association, sous le simple titre de séminaire, ne fassent point de vœux, quoiqu'ils n'aient point de costume particulier, cepen- dant il est de fait qu'ils se reconnaissent et qu'ils corres- pondent entre eux comme formant une société, qu'ils ont des règlements communs.
ce Sa Majesté m'a donné les ordres les plus formels pour que la loi ait, à l'égard de cette société, son effet comme pour toutes les autres. Je dois donc prendre le même mode d'exécution pour que la dissolution soit opérée et constatée. Je vous demande en conséquence , comme supérieur de cette association , de m'envoyer : 1° un état nominatif des membres de l'association des sulpiciens; 2° le lieu de leur résidence; 3° le lieu de leur naissance; 4° leur âge, au moins par approxima- tion ; 5° les noms de ceux qui , ayant annoncé la vocation pour entrer dans cette société, ont été admis aux tra-
ET I/Ér.LlSE DE FRANCE 299
vaux ou aux épreuves préparatoires; (>° l'état des mai- sons ou biens-fonds , s'il en est, qui appartiennent à la société, quoiqu'ils puissent être sous des noms particu- liers.
« Je vous invite à m'envoyer ces états le plus tôt pos- sible, et je dois en même temps vous notifier que les rapports qui caractérisent votre association mettraient, s'ils étaient continués, les membres qui la composent en état de désobéissance formelle à la loi. »
M. Émery se trouvait ainsi sous le coup de deux menaces: l'une visait le séminaire, l'autre compromet- tait l'existence même de la compagnie. Si profonde que fût la tristesse de ce vaillant serviteur de Dieu en se voyant condamné à être encore une fois le témoin impuissant de la ruine des œuvres qu'il avait tant aimées, il ne perdit ni son sang-froid ni son courage; après avoir mis sa confiance dans la Providence, qui n'avait jamais cessé de le protéger aux moments les plus difficiles de sa vie, il prépara son plan de défense avec la sagacité et la prudence chrétienne qui marquent toutes ses actions.
Gagner du temps, laisser au cardinal Fesch le soin de le défendre au moment opportun , tel était le parti le plus sage. M. Émery s'empressa de l'adopter.
Il adressa au cardinal Fesch un mémoire détaillé sur l'organisation , l'état et l'objet précis de la compa- gnie, en insistant sur les arguments susceptibles de mériter l'attention bienveillante de l'empereur el de l'éclairer.
oc On ne saurait trop répéter, écrit M. Emery, que l'association de Saint- Sulpice, surtout dans les circons- tances, ne forme pas une congrégation proprement dite, ni même un corps en vigueur; que les anciens membres de l'association ont bien voulu, pour rendre service aux évêques, reprendre leurs premières fonctions; qu'ils
300 M. ÉMERY
n'ont aucun engagement entre eux , ni avec l'ancien supérieur ; que le supérieur ne s'est servi de son ancienne qualité que pour leur être un point de ralliement, pour les indiquer aux évéques qui les demanderaient; qu'il ne fait à leur égard que l'office de conseiller et d'ami ; que si quelques ecclésiastiques ont témoigné du goût pour remplir les fonctions de directeurs de séminaire, et qu'il les ait crus propres, tout a consisté de sa part à les instruire sur la manière dont ils devaient remplir leur vocation; que les sujets qui sont en très petit nombre se retirent quand ils veulent; que, quand les membres de l'association travaillent dans un séminaire, c'est l'évêque du diocèse qui est leur supérieur proprement dit, et que leurs relations avec le chef de l'association consiste à recevoir des encouragements , des consolations et des conseils.
« Il ne vaut pas la peine de faire aucun éclat pour dissoudre cette petite association. Les ressources qui ont aidé à la faire subsister s'épuisent ; son chef a soixante- dix -huit ans, il y a tout lieu de craindre qu'à sa mort elle ne se dissipe d'elle-même. La moitié des archevêques et des évèques de France ont été élevés dans des sémi- naires de Saint -Sulpice; ils en connaissent bien la doc- trine, l'empereur peut s'en informer, et puisqu'il est très content de ces évèques , sa satisfaction doit s'étendre à ceux qui les ont formés, dans le sens que la doctrine de ces derniers ne doit pas lui être suspecte. »
Après avoir développé ces arguments, M. Émery signalait au cardinal Fesch les ennemis secrets de la compagnie, ces jansénistes qui n'avaient jamais par- donné à Saint-Sulpice sa fidélité inébranlable à la doc- trine catholique, sa soumission constante aux évèques, son respect pour les traditions séculaires de l'Église de France.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 301
V. — Les jours s'écoulaient sans amener dans la vie de la compagnie les changements redoutés ; mais, comme il était question d'installer le séminaire dans les anciens bâtiments de l'école normale, M. Émery en visita l'in- térieur et les détails avec un soin minutieux. Le direc- teur de l'école n'avait pas reçu l'ordre de changer de maison ; il ignorait les intentions du gouvernement à cet égard. M. Émery en informa le cardinal Fesch , et lui communiqua ses tristes impressions par cette lettre du 23 février 1810 :
oc Je me suis informé auprès du chef de l'école nor- male où devait être placée cette école après que nous y serions installés, puisqu'elle ne devait pas l'être au collège d'Harcourt, que le gouvernement avait acheté pour elle. Il m'a répondu qu'il n'en savait rien. J'ai été ce matin voir le collège, qui renferme deux grands corps de logis et une assez grande cour. Une partie considé- rable a été abattue , ainsi que la chapelle et la biblio- thèque. Tout me parait très peu disposé pour un sémi- naire : de petits escaliers, point de corridors. Il faudrait nécessairement y faire de très grands changements. L'architecte a évalué à six ou sept cent mille francs la dépense qu'il fallait faire pour y loger l'École normale.
« J'ignore pour quelle cause on a abandonné le des- sein qu'on avait de l'y loger. Votre Altesse m'a dit, je crois, que l'empereur voulait que le séminaire y fiit établi dans six semaines. Cela est parfaitement impossible, à moins qu'on ne veuille loger les séminaristes comme on loge dans un hôtel garni. Un déplacement au milieu d'une année entraînerait une dissipation et une perte de temps qui devraient faire regarder l'année comme perdue. 11 en a beaucoup coûté à ces jeunes gens pour s'arranger dans leurs chambres. Un nouvel arrangement leurdevien- draitfort à charge, et je prévois qu'un très grand nombre se retirerait.
302 M. ÉMERY
(( Je vous avoue qu'une transmigration serait pour moi une véritable calamité. J'ai tout fait et tout sacrifié pour former l'établissement qui existe. Depuis que la maison a été achetée, il n'y a point d'années où je n'aie fait beaucoup pour l'adapter aux usages d'un séminaire : elle l'est parfaitement aujourd'hui; elle est établie sous le nom de séminaire de Saint- Sulpice , nom qu'il n'est point possible de conserver ailleurs. C'est à ce nom qu'elle doit tout ce qu'elle est; car, sans cela, il n'y aurait pas quinze séminaristes.
(( Indépendamment de cette considération, je ne sais si j'aurais assez de force et de courage pour suffire à tous les embarras d'un nouvel établissement. Je suis sur la fin de ma carrière, où j'aurais besoin d'un peu de repos.
(( Mais Votre Altesse fera ce qu'elle jugera plus utile au diocèse de Paris; je me prêterai avec les miens autant que je pourrai. Il est vraiment désagréable, au souverain degré, de se donner des peines et des embarras extrêmes pour former un établissement qu'on est menacé d'abandonner d'un moment à l'autre.
« Vous savez, Monseigneur, que nous ne tenons qu'à un fil , que sans les bontés et la protection de Votre Al- tesse nous serions déjà détruits. Le parti dominant ne peut pas nous souffrir, et il prévaudra tôt ou tard. L'em- pereur s'est expliqué, il n'y a pas .longtemps, d'une manière très peu favorable sur notre compte à une per- sonne de qui je le tiens. »
L'affection et l'autorité du cardinal Fesch triomphèrent encore une fois de la malveillance persistante des jansé- ûites, si nombreux dans les bureaux du ministère de la police. M. Émery commençait à croire que Dieu avait exaucé ses prières et qu'il pourrait continuer, en se faisant oublier des hommes, l'œuvre toujours ébranlée de M. Olier. Mais la police de Fouché veillait. On avait
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 303
saisi et fait passer sous les yeux de l'empereur une lettre de M. lïmery à l'abbé de Lacoste -Beau fort, chanoine théologal de Cahors, dans laquelle il racontait les épreuves qu'il avait subies , les dangers qui avaient me- nacé la compagnie, et ses craintes trop légitimes sur l'avenir de sa maison.
« II est très sérieusement question, écrivait M. Emery, de transporter le séminaire de Saint- Sulpice dans les bâtiments de Saint -Nicolas, qu'on commence à rétablir dans ce dessein. Un arrêté voulait que la translation eut lieu le 1er mai, mais l'impossibilité a opposé un autre arrêté auquel on obéit toujours. Il est même très difficile que cette translation puisse s'exécuter au commencement de l'année prochaine. On suppose une translation entière, ce qui entraine celle du maître aussi bien que celle des élèves , et c'est encore beaucoup , car on en veut au nom et aux personnes. Celles-ci essuient une attaque directe, en tant qu'on soupçonne qu'elle forme corps, et vous voyez par les nouvelles que la haine du corps et des corporations se conserve dans toute sa force. J'espère cependant encore du bénéfice du temps et surtout de la protection des saints patrons et supérieurs. J'espère que nous pourrons procurer une niche à votre statue de Notre-Dame du Mont-Carmel sans vous mettre à contri- bution. Quoique vous ayez trois ans de plus que moi, je peux fort bien vous précéder; mais, comme le contraire est possible, si vous faites quelques dispositions pieuses, destinez- moi quelques cent livres que j'emploierai en œuvres pies dans l'établissement d'Issy, le seul monu- ment à Paris qui, avec la maison de Yaugirard , rappelle l'ancien Saint- Sulpice. Je prends des mesures pour être conservé dans le cas même où nous n'aurions plus de séminaire ; mais l'état des choses ne peut pas durer avec violence; le gouvernement peut changer, et le bras de Dieu n'est pas raccourci. »
304 M. ÉMERY
M. Émery soulageait ainsi librement son âme dans une conversation écrite, pleine d'abandon familier, avec un vieil ami, sans arrière -pensée d'opposition politique au gouvernement, dont il n'avait pas cependant à faire l'éloge. La police ne fut pas de cet avis.
Le ministre des cultes fit un rapport à l'empereur sur la lettre de M. Émery, qui venait d'être interceptée; il en discutait tous les points, et qualifiait très sévèrement ce passage : Le gouvernement 'peut changer, et le bras de Dieu n'est pas raccourci, et il concluait ainsi :
« M. Émery est réellement à la tête des études ecclé- siastiques. La plupart des évèques, et même les plus recommandables, ont été élevés à Saint -Sulpice ; ils ont en lui une très grande confiance, il a refusé d'être évêque, ce qui le met à cet égard sur leur ligne, mais il est au-dessus de chacun d'eux par sa grande influence sur le clergé. Il s'est rendu utile et s'est montré avec de bons principes dans le temps du rétablissement du culte, ce qui a encore ajouté beaucoup à sa considéra- tion. Il est d'ailleurs très propre à maintenir les mœurs et le meilleur ordre pour les études d'un séminaire et la préparation aux fonctions sacerdotales.
« Votre Majesté a reconnu qu'il pouvait être utile et lui a donné dans l'université un grade élevé.
« Son Altesse M?r le cardinal Fesch a cru également utile au bien de votre service de le ménager beaucoup , pour joindre cette influence à la sienne propre et multi- plier ainsi les moyens de mieux seconder Votre Majesté.
« Mais je ne puis dissimuler que M. Émery n'avait pas, avant les affaires de Rome, des idées ultramontaines. Je crois qu'il est fort opposé au nouvel ordre de choses , que cela tient aux principes qu'il s'est formés, et qu'il en reviendrait d'autant moins qu'il craindrait de compro- mettre son ascendant.
« Le plan que je me proposais de présenter à Votre
ET L'ÉGLISE DE FRANCE SOS
Majesté à son égard était d'exiger de lui une déclaration par écrit de sa soumission pleine et entière au décret qui supprime sa société, et de détendre en même temps aux membres connus de sa société toute correspondance entre eux sous peine d'être déclarés incapables d'enseigner, d'être renvoyés dans leurs diocèses et privés de toutes pensions.
« Depuis la lettre, je ne peux plus rien proposer, M. Émery a besoin de toute l'indulgence de Votre Ma- jesté.
« Le comte Bigot de Préameneu. « Paris, 31 mai 1810.
(( Je joins l'état nominatif que M. Émery m'a en- voyé »
1 Archives nationales . AF, rv.
État nominatif demandé par Mgr le ministre des cultes des anciens membres de l'association ( Sulpice qui sont actuellement employés à la direction des séminaires, et de ceux qui, ayant an la vocation pour entrer dans cette société, ont été admis aux travaux des premiers, avec l'âge, 1 la résidence et de la naissance des premiers, demandé aussi par Son Excellence.
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ET L'ÉGLISE DE FRANGE 307
Cette première lettre avait indisposé l'empereur à l'égard de Saint -Sulpice. Une seconde lettre écrite par un séminariste sans défiance et d'une imagination trop vive, interceptée par ia police, à ce moment critique de [.'existence du séminaire, provoqua de la part de l'em- pereur une explosion de colère et d'irritation violente qui se termina par un ordre d'expulsion immédiate de M. Émery.
VI. — Le jeune élève qui faisait naître involontai- rement cette tempête, emporté par son imagination sans mesure et par des craintes exagérées, oubliait ce que Bonaparte avait fait pour relever la religion et rendre à la France ses ministres et ses autels. Il traçait un tableau lamentable des ravages de l'impiété en France, en Espagne, en Allemagne, en Italie; il décrivait la frayeur, le découragement des fidèles, la torpeur des évoques, la captivité du pape , la terreur des séminaristes qui n'osaient pas persévérer dans l'épreuve d'une voca- tion pleine de tant de périls , la conspiration des princes et des peuples contre la religion de Jésus-Christ; il ter- minait sa lettre en déclarant qu'il était impossible au plus habile politique de trouver un moyen humain de sauver le pays, tombé dans un état désespéré.
(( Vous me dites, écrivait ce jeune séminariste, (pie votre pays ne fournit aucune nouvelle ; il n'en est pas de même du nôtre, qui nous en fournit continuellement, et de bien mauvaises. La ruine de la religion et de ses ministres, on n'entend pas parler d'autre chose. On ne bêul plus se dissimuler cette terrible vérité; partout le découragement et la terreur. Ce n'est pas seulement en France que l'impiété fait ses ravages; elle les étend sur l'Espagne, sur l'Italie et sur l'Allemagne. C'est une conspiration générale en Europe de proscrire la religion de Jésus-Christ. Si Dieu ne nous regarde en sa miséri-
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corde, avant qu'il soit deux ans il n'y aura plus aucune trace du culte public, et les peuples seront ce qu'ils voudront être ; tout semble tendre à ce but déplorable. On ne fait plus mystère des plans concertés et suivis avec méthode : on les apprend dans les conversations , on les lit dans les ouvrages périodiques. Le zèle des premiers pasteurs , ou refroidi ou enchaîné , n'oppose aucune digue à ce torrent qui va bientôt tout engloutir. Il faut que nos crimes soient bien grands pour nous avoir attiré de si épouvantables fléaux. Il y a apparence qu'on nous laissera finir l'année dans notre maison. On travaille à toute force à réparer le séminaire de Saint- Nicolas, dont on avait d'abord suspendu les travaux. On ne croit pas que nos messieurs soient appelés à diriger ce nouveau séminaire. Leur compagnie est détruite en haine des bons principes qu'elle a toujours professés. Qui mettra- t-on à leur place? Vraisemblablement des hommes d'une doctrine moderne, et qui soient propres à égarer : car on ne cherche pas autre chose... On ne voit aucun moyen humain de rétablir tant soit peu les affaires de l'Eglise. Il faut un prodige du ciel : sans contredit, nous ne Je méritons pas. Aucun des évêques nommés n'a l'espoir d'aller dans son siège, à moins qu'il ne veuille y aller contre l'autorité légitime, ce qu'il ne faut pas présumer. Le saint -père ne fera pas de pacte au détriment de la religion dont il est le chef auguste, et qu'il console par sa patience inaltérable au milieu des maux sans nombre dont il est accablé , et par sa résignation dont il y a peu d'exemples. On s'attendait à ce que cette ordination fût nombreuse, on s'est trompé. Tous nos jeunes gens ont la terreur dans l'âme; ils redoutent les malheurs atta- chés à l'état ecclésiastique. D'ailleurs leurs parents, dont le consentement est nécessaire , et cela d'après de nou- veaux ordres, les en détournent. »
Cette lettre servait trop bien les desseins perfides des
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constitutionnels et des jansénistes, pour passer inaperçue. Ces malheureux avaient des intelligences dans la police, ils ne se faisaient pas scrupule d'intercepter les lettres , d'épier les démarches du supérieur de Saint- Sulpice, de chercher par des moyens, souvent les moins honnêtes, l'occasion de prendre en défaut ses élèves , et de signaler au ministre de la police, avec un empressement qui trahissait leurs espérances, les paroles, les actions les plus propres à provoquer la colère de l'empereur contre la compagnie.
Sous un gouvernement libéral, le ministre de la police n'aurait attaché aucune importance à l'imprudence naïve d'un jeune élève, et jamais il n'aurait eu la pensée injuste de rendre le supérieur de la maison responsable des vivacités et des alarmes pieuses d'un subordonné. Mais le gouvernement était loin d'être favorable à la liberté.
Désolé de cette imprudence , effrayé des suites qu'elle pouvait avoir pour le séminaire et la compagnie, M. Emery écrivit au cardinal Fesch, qui était lui- même occupé en ce moment de la cérémonie du mariage de l'empereur ; c'était dans les premiers mois de l'année 1810.
« Monseigneur, je ne crois pas devoir différer davan- tage d'envoyer à Votre Altesse une copie de la lettre que m'a écrite le ministre des cultes. Je n'en ai encore donné connaissance, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, qu'à quelques directeurs. J'y joins la copie du décret concernant la translation du séminaire. Ces deux objets exigeraient bien quelques éclaircissements. Aussi- tôt que mon indisposition me permettra de sortir, j'irai chez Votre Altesse pour avoir son avis et connaître ses intentions.
(( Il me vient une pensée que je veux communiquer à Votre Altesse. Je sens parfaitement que dans ces jours
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il est très difficile, sans être cependant impossible, de parler à l'empereur d'autre chose que de ce qui a rapport à son mariage. Si la Providence vous donnait un mo- ment, Votre Altesse ne pourrait-elle pas représenter à l'empereur qu'il est contre ses intentions que, dans le temps où l'on ne distribue que des grâces dans tout l'empire, je sois le seul qu'on ait ordre de tourmenter ; que, s'il le voulait bien , Votre Altesse dirait de sa part au ministre des cultes que votre intention est qu'il soit sursis jusqu'à nouvel ordre à ce qui concerne le sémi- naire.
« Le ministre me dit que ce qui avait aigri l'empe- reur, c'était les lettres de quelques séminaristes. J'ai fait des perquisitions, et je crois que le séminariste qui avait écrit imprudemment, était un homme de vingt-cinq à trente ans, qu'il n'était pas au séminaire depuis deux mois, et qu'il était membre d'une petite société pieuse que la police a inquiétée.
« Ne serait- il pas injuste d'imputer au séminaire un délit auquel il n'a aucune part? Je le dirai plus ample- ment à Votre Altesse quand j'aurai l'honneur de la voir. Mais je ne crois pas qu'il y ait dans tout l'empire une maison où l'on parle moins de nouvelles qu'au sémi- naire. Aucun journal n'y entre, si l'on excepte le Jour- nal des curés, que l'on m'envoie gratis, et qui n'est lu que de moi et de deux ou trois prêtres.
« On recommande dans les instructions la subordi- nation et l'obéissance au souverain; mais jamais on ne parle aux jeunes gens d'affaires publiques, politiques ou ecclésiastiques. Il leur est même prescrit de ne point s'en occuper pendant la récréation, et ils ne le font jamais. »
Mais aucune considération ne pouvait agir en ce mo- ment sur l'esprit de l'empereur, ni modifier sa détermi- nation. Le 13 juin 1810, le ministre des cultes envoyait
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iiux vicaires généraux de Paris l'ordre formel de faire sortir du séminaire de Saint-Supiee, transformé en séminaire diocésain , M. Emery et tous les membres de la compagnie; d'appeler des directeurs et un supérieur séculiers, et de s'emparer de la maison, sous la réserve d'une indemnité qui serait allouée aux personnes inté- ressées , en attendant le moment où le séminaire pour- rait être transféré dans d'autres bâtiments choisis, dési- gnés par le gouvernement.
L'empereur avait dit brusquement, le II juin 1810, après avoir pris connaissance de la lettre imprudente écrite par le séminariste :
« Il faut qu'au mois de juillet cette congrégation soit dissoute et le séminaire détruit. »
L'ordre d'expulsion transmis par le ministre des cultes aux vicaires généraux de Paris était conçu dans des termes qui ne permettaient aucune explication :
« Il convient que le séminaire de Saint-Sulpice change tout à fait de main et de nature; à dater d'après-demain, il faut qu'il ne soit autre chose qu'un séminaire du dio- cèse de Paris; qu'il soit organisé en conséquence; qu'on lui donne un directeur et tous les administrateurs dont il a besoin ; qu'on n'y emploie aucun sulpicien , et que M. Emery cesse sur-le-champ d'y remplir aucune fonc- tion. On doit s'emparer immédiatement de la maison, qui pourrait être une propriété du domaine, et que du moins dans le cas on pourrait considérer comme une propriété publique, puisqu'elle appartient à une congré- gation. S'il est reconnu qu'elle est une propriété parti- culière de M. Emery ou de tout autre, on pourra en payer d'abord les loyers, et la requérir ensuite, sauf indemnité, comme utile à un service public. Le ministre des cultes fera connaître dans la journée de demain les intentions de l'empereur aux grands vicaires de Paris et à M. Émery. Lorsque le séminaire qu'on prépare sera
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établi, le séminaire de Saint- Sulpice subsistera comme petit séminaire.
« Pour copie conforme :
« Le ministre des cultes ,
(( Comte Bigot de Préameneu. »
Le 46 juin 1810, le ministre des cultes informait ainsi l'empereur de l'application des mesures qui avaient été prises à l'égard du séminaire de Saint- Sulpice :
« Sire,
oc J'ai l'honneur de rendre compte à Votre Majesté de l'exécution donnée jusqu'à ce moment à ses ordres con- cernant le séminaire de Saint- Sulpice.
(( Ces ordres sont du 13; le 14, je le i ai notifiés aux grands vicaires en leur prescrivant de se réunir sur-le- champ pour prendre les mesures d'exécution et m'en informer le lendemain.
(( De mon côté, j'ai été à ce séminaire, ainsi que Votre Majesté me l'avait prescrit; j'ai témoigné à M. Émery à quel point Votre Majesté était mécontente du mauvais esprit qui régnait dans sa maison, au point que les élèves osaient dans leur correspondance se mêler d'affaires publiques.
« J'ai reçu hier au soir, des vicaires généraux, une lettre dont je joins ici la copie. Suivant cette lettre, un des points principaux est rempli, celui de la sortie de M. Émery du séminaire. Il lui a été notifié que désor- mais le séminaire de Saint -Sulpice- n'était autre chose que le séminaire du diocèse.
« Les grands vicaires demandent le temps absolument nécessaire pour changer les professeurs. Je veillerai à ce que ce ne soit pas un moyen dilatoire , et si , contre les
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ordres que j'ai répétés, ce changement est différé, j'en rendrai compte à Votre Majesté.
« M. Émery m'a déclaré que la maison où est le sémi- naire lui appartient. Je lui ai dit que j'en examinerais les titres; que si sa propriété était justifiée, l'intention de Votre Majesté était de lui donner une indemnité, Biais que, dans tous les cas, la propriété devait rester au diocèse pour cause d'utilité publique.
« Paris, 16 juin 1810.
(( Le comte Bigot de Préameneu. »
Voici la lettre des vicaires généraux à Son Excellence le ministre des cultes :
« Nous avons communiqué à M. Émery la lettre de Votre Excellence et les ordres de Sa Majesté relatifs au séminaire. Il va cesser ses fonctions et s'absenter du séminaire. Nous étions d'avance persuadés, Monsei- gneur, de son obéissance, nécessairement mêlée cette fois d'une affliction que son grand âge et ses longs ser- vices ne pouvaient que lui rendre très amère.
(( Le séminaire de Paris n'est plus autre chose, Mon- seigneur, selon le vœu de Sa Majesté, que le séminaire du diocèse.
« Puisque les volontés prononcées de l'empereur éloignent de cette maison les anciens membres de la compagnie de Saint -Sulpice , nous ne les compterons pas, Monseigneur, dans la nouvelle organisation; mais nous pensons que la sagesse et la bonté de Sa Majesté nous autorisent à prendre, après la retraite de M. Emery, le temps absolument nécessaire pour remplacer les sul- piciens par d'autres ecclésiastiques qui, au talent de l'enseignement, joignent le goût de la vie sérieuse et assidue d'un séminaire, et à qui nous puissions confier
9*
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sagement , utilement et honorablement pour nous- mêmes, le séminaire de la capitale, centre des jeunes élèves de talent de tous les diocèses.
« Paris, 15 juin 1810.
« Les vicaires généra%ix dit diocèse de Paris : Legeas , d'Astros, Jalabert1. »
M. Émery perdit sa dernière espérance ; invité à tran- cher la question de propriété de la maison occupée par le séminaire de la rue du Pot-de-Fer, il fit cette réponse :
VIL — c( Votre Excellence désire savoir le prix de la maison qu'occupe le séminaire. Elle a pu voir, par le contrat de vente qui a été sous ses yeux, que le prix est de cent mille francs. Les réparations et les construc- tions qui ont été nécessaires pour la rendre propre à l'usage auquel elle était destinée ont coûté au moins vingt mille francs. Je ne parle pas des frais de contrat et d'enregistrement.
(( Votre Excellence me demande si l'argent employé à l'acquisition ne provient point en tout ou en partie de la pieuse libéralité des fidèles qui auraient voulu ainsi , et sous mon nom , coopérer à une œuvre dont l'objet était de fournir des ministres pour la religion.
(( Je réponds nettement, et dans toute la sincérité de mon cœur, qu'il n'en est rien. Vous pouvez vous rappe- ler ce que j'ai dit à ce sujet dans une lettre précédente, et je suis prêt à entrer avec vous, si vous le désirez, dans les détails les plus satisfaisants.
(( J'ai reçu de temps en temps quelque argent pour payer la pension de pauvres ecclésiastiques ; mais tout a été employé à cet usage.
1 Archives nationales, AF, ivf 1047.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 315
(( Votre Excellence désire encore savoir les condi- tions auxquelles je consentirais à la vente, et si je veux traiter de gré à gré ou attendre la réquisition qui me serait faite. J'ai l'honneur de répondre à Votre Excellence que je désire traiter avec elle de gré à gré, I et qu'elle sera maîtresse des conditions.
(( Il me suffit de savoir que l'intention de l'empereur [ est que je renonce à la propriété de la maison. Sa Majesté me trouvera toujours disposé à faire ce qui est en mon pouvoir, et que je croirai lui être agréable. Elle m'a comblé de bonté dans tous les temps. Je ne peux pas oublier qu'elle m'a offert successivement les trois évêchés d'Arras, de Troyes et d'Autun, et que, quand il a été question de nommer des conseillers de l'Université, elle a daigné, de son propre mouvement, jeter les yeux sur moi.
ce Elle me traita encore avec beaucoup d'affabilité Tannée dernière, dans l'audience qu'elle voulut bien m'accorder à Fontainebleau. Je lui dois une grande reconnaissance, et je ne peux qu'être douloureusement affecté de ce que, depuis cette époque, on a travaillé à me perdre dans son esprit. C'est apparemment en me i faisant passer comme un ultramontain forcené... »
M. Emery était trop sage et trop chrétien pour faire une opposition systématique au gouvernement, et oublier les témoignages de confiance particulière, d'estime, de respect, qu'il avait reçus de l'empereur.
L'heure de la séparation était venue. M. Émery ras- sembla la communauté, déjà profondément émue par I les premiers bruits de la douloureuse nouvelle, dans la salle des exercices à l'heure de la lecture spirituelle; il exposa et commenta avec une émotion profonde, et d'une voix tremblante, les paroles d'adieu suprême de saint Paul aux premiers chrétiens qu'il avait engen- drés à la foi , et qui avaient reçu les premières ten-
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dresses de son àme. Il parla longuement de son dévoue- ment à l'Eglise romaine, de la fidélité à la règle, du soin qu'il aurait de leur donner des professeurs soumis sans réserve à l'autorité de l'Église, malgré les difficultés élevées par la haine des méchants, de la nécessité de rester inébranlables dans la fidélité d'une obéissance absolue et filiale à tous les enseignements émanés du saint -siège, et leur promit que sa pensée serait toujours au milieu d'eux.
Rien de plus touchant que cette scène. Ce grand vieil- lard qui avait blanchi dans les combats pour la défense de l'Église et la conservation de l'œuvre immortelle de ses pères, le cœur déchiré, les yeux pleins de larmes, interrompu dans ses adieux par les sanglots de ses enfants, à la veille de paraître devant Dieu, donnait à tous les siens, d'une voix émue, les derniers accents de sa tendresse et les suprêmes conseils d'un cœur rempli de l'esprit d'en haut.
Mais laissons parler un témoin , l'abbé de Mazenod , qui fut plus tard évêque de Marseille.
ce Nous étions tous émus jusqu'aux larmes. L'avant- quart sonna pendant qu'il parlait encore. Gosselin , exact comme il l'avait toujours été dans ses diverses fonctions, se levait pour aller sonner. M. Émery s'en aperçut et l'arrêta en disant ces paroles mémorables pour un supérieur, qui avait présidé depuis tant d'an- nées à un si grand nombre d'exercices de la commu- nauté : « C'est la première fois que je passe l'heure et « que j'interromps l'ordre du règlement, et ce sera la ce dernière. » Il acheva ce qu'il avait à nous dire, et on l'écoutait encore. L'émotion était à son comble. On était dans une sorte de perplexité. Chacun sentait qu'il manquait quelque chose à cette scène attendrissante. Ceux qui étaient à mes côtés me pressaient de prendre la parole. Teysserre , entre autres , me disait : « Parlez
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 317
« donc au nom de nous tous. » J'en sentais moi-même le besoin.
« C'est alors que, me levant, je lui exprimai vivement les sentiments que tous les cœurs me dictaient. Je luj donnai le doux nom de père, et je lui protestai, inter- prète de tous mes condisciples, que tous ses enfants seraient dignes de leur père dans les temps difficiles où nous nous trouvions.
« Je finis en le suppliant de nous bénir tous avant de nous quitter. La scène fut courte, mais excessivement touchante. A ces derniers mots, toute la communauté, directeurs et élèves, se prosterne, et le saint vieillard, ému jusqu'au fond de l'àme et presque troublé, car il fut sur le point de se mettre à genoux comme nous , leva les mains au ciel et nous bénit, d
La douleur de ces adieux, exprimés avec cette simpli- cité touchante par un des fils les plus aimés de M. Emery, nous fait connaître l'esprit paternel du séminaire et la tendresse filiale des élèves pour leur supérieur.
M. Émery se retira à Issy. En arrivant dans cette maison tranquille, il s'agenouilla aux pieds de Notre- Dame de Toutes -Grâces, et confia à la bonne Vierge, qui n'avait jamais cessé de le protéger, ses douleurs, ses épreuves et ses espérances.
(( Dans la tempête que nous éprouvons, disait cet homme de Dieu , toute ma confiance est dans la sainte Vierge, la mère Agnès, M. Olier, ses successeurs et tous les patrons du séminaire. »
Son âme, éprouvée par de si grandes tristesses, trou- vait un refuge assuré et plein de consolations spiri- tuelles dans un commerce plus intime avec les saints protecteurs de l'œuvre persécutée de M. Olier : il atten- dait sans découragement des jours meilleurs.
CHAPITRE XIV
LE DERNIER COMBAT
I. — Malgré son départ de Paris et son exil passager dans la maison d'Issy, M. Émery n'avait pas cessé d'as- sister régulièrement aux séances du conseil de l'arche- vêché et du conseil supérieur de l'université de France. Souvent, à l'occasion de ses fréquents voyages à Paris, après la disgrâce de Fouché, dont il n'avait plus à craindre le ressentiment implacable, il faisait de courtes apparitions au séminaire Saint -Sulpice et bénissait ses enfants.
Au 1er janvier 1811 , M. Émery se présenta chez l'em- pereur avec tous les membres du conseil supérieur de l'université, convoqués pour offrir au chef de l'État l'ex- pression de leurs sentiments de fidélité et leurs hom- mages. Les délégués de l'archevêché de Paris et des grands corps de la nation assistaient à cette cérémonie.
Dans cette imposante assemblée, deux hommes appe- laient principalement l'attention de l'empereur, qui avait tout préparé pour l'éclat d'une manifestation : c'étaient l'abbé d'Astros et M. Émery.
L'abbé d'Astros, vicaire général de Paris, neveu de Portalis, l'ancien ministre des cultes, n'était pas un homme hostile au gouvernement de l'empereur; il avait les idées sages de conciliation et de prudence commandées par la gravité exceptionnelle des circonstances dans lesquelles se trouvait alors l'Église de France, et encore
M. ÉMERY ET L'ÉGLISE DE FRANCE 319
qu'il fut attaché aux anciennes maximes de l'Église gallicane, il avait voué un respect profond , un dévoue- ment sans bornes au successeur de Pierre. Il n'était pas seulement un homme de foi, d'une doctrine irréprochable et d'une piété touchante, il était aussi avant tout un caractère inébranlable. Là était le secret de sa force et de son autorité.
Obligé par ses fonctions de haranguer le cardinal Maury, le jour où, malgré la défense du saint -siège, ce prince de l'Église avait pris en vertu d'une simple délé- gation capitulaire le gouvernement de l'église de Paris, l'abbé d'Astros évita la banalité des éloges de circon- stances, et rappelant à M. Maury les jours lointains où il avait mérité les faveurs du saint-siège par son dévoue- ment courageux à la cause de l'Église, il lui fit cette brève harangue :
• (( Il n'est personne, Monseigneur, qui ne se rappelle en ce moment avec quelle éloquence et quel courage vous avez défendu, dans Je temps, la cause de la religion et du clergé. »
Un autre jour, le cardinal Maury présenta l'abbé d'Astros et ses collègues à quelques amis, en disant :
«. Voici mes grands vicaires.
— Votre Epiinence se trompe, répondit froidement M. d'Astros; ce sont les grands vicaires du chapitre, et non les siens. »
L'empereur connaissait ces dispositions d'esprit de l'abbé d'Astros, son opposition incessante au cardinal Maury, devenu sa créature, et l'imprudence provocante dont il s'était rendu coupable à ses yeux en publiant un bref pontifical , daté du 18 décembre 1810, contre l'ad- ministration illicite du cardinal Maury.
L'empereur voulait témoigner hautement son irritation contre l'abbé d'Astros. La scène était prévue, et le mo- ment était choisi.
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Il passe rapidement devant les sénateurs , les généraux, les officiers, les délégués des grands corps de l'État, et va droit au cardinal Maury :
« Où sont vos grands vicaires?
— Sire, voilà mon frère, voilà M. Jalabert, voilà M. d'Astros.
— Avant tout, Monsieur, dit vivement l'empereur en interpellant M. d'Astros, il faut être Français; c'est le moyen d'être en même temps bon chrétien. La doctrine de Bossuet, voilà le seul guide qu'on doive suivre; avec lui on est sûr de ne pas s'égarer. J'entends que l'on professe les libertés de l'Église gallicane. Il y a autant de distance de la religion de Bossuet à celle de Gré- goire VII, que du ciel à l'enfer. Je sais, Monsieur, que vous êtes en opposition avec les mesures que ma politique prescrit. Vous êtes l'homme de mon empire qui m'êtes le plus suspect.
(( Du reste (mettant la main sur la garde de son épée), j'ai le glaive à mes côtés, et prenez garde à vous ! »
Ce même jour, l'empereur, qui avait d'abord résolu de se débarrasser de l'abbé d'Astros en le faisant fusiller, se rendit à une sage observation de M. Begnault de Saint- Jean -d'Angély, et se contenta de le faire enfermer au donjon de Vincennes, où il resta jusqu'à la fin de l'empire.
Le duc de Bovigo, chargé d'exécuter les ordres de l'empereur, dit à l'abbé d'Astros d'un ton railleur :
a Ah ! ah ! vous voudriez bien être martyr, mais vous ne le serez pas. »
Après avoir soulagé sa colère et joué son rôle, l'em- pereur continua de parcourir les rangs de l'assemblée , en gardant le silence. Il cherchait M. Émery. Il aimait les contrastes violents, et il voulait opposer à son indi- gnation contre l'abbé d'Astros sa sympathie éphémère
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 32!
et de circonstance pour le vénérable supérieur de Saint- Sulpice. Il s'approcha de lui et lui dit en souriant : a Avez-vous quatre-vingts ans?
— Sire, j'en approche de près, car j'en ai soixante- dix-neuf.
— Eh bien, je vous souhaite dix ans de plus. »
M. Émery, qui n'attachait pas grande importance à ce témoignage inattendu d'une bienveillance capricieuse, s'inclina, et de retour dans sa chère maison de Saint- Sulpice il dit en riant à son vieil ami M. Garnier :
ce L'empereur m'a fait une civilité qu'il n'a faite au- jourd'hui à personne ; il m'a souhaité non pas une bonne année, mais dix bonnes années; je crains bien que ses souhaits ne me soient pas heureux et ne me portent malheur. »
« Le premier jour de l'an, écrit M. Emery à M. de Bausset, à la faveur de votre accoutrement, j'ai paru à l'audience. L'empereur a parlé très vivement à M. d'As- tros. Ce jour-là même, il a été arrêté. Ses papiers ont été saisis, et il a été enfermé à Vincennes. J'arrête beau- coup de circonstances. Le chapitre a eu ordre de s'as- sembler hier, et de le destituer. Mais croiriez- vous que, dans cette même audience, le meilleur de vos serviteurs a été gracieuse, et qu'on lui a souhaité encore dix ans de vie?
(( L'on m'a dit que ce qui retarde la distribution des prix décennaux, c'est que l'empereur a trouvé mauvais qu'on n'eût point parlé du Génie du christianisme. La classe première a répondu qu'on ne savait pas à quelle classe rapporter cet ouvrage. L'empereur n'a point été satisfait de cette réponse, et la classe est occupée de faire un rapport sur l'ouvrage *. »
Le châtiment et l'exil de l'abbé d'Astros n'étaient pas
i Du 4 janvier 1811.
322 M É.MERY
une leçon suffisante aux yeux de l'empereur; il attendait une réparation plus éclatante. Le cardinal Maury, tou- jours empressé à flatter le souverain, se proposait d'ap- prouver et de justifier publiquement par une adresse capitulaire la conduite impérieuse et les exigences cou- pables de l'empereur dans ses derniers démêlés avec l'auguste prisonnier de Savone.
Ni l'empereur ni M. Émery n'estimaient le caractère versatile du cardinal Maury.
Il avait l'ambition d'écarter le cardinal Fesch, en se prévalant du titre usurpé d'archevêque de Paris, et de baptiser lui-même le jeune roi de Rome.
« C'est mon droit, disait-ii un jour à M. Emery.
— Si vous étiez vraiment archevêque de Paris, ré- pondit le supérieur de Saint- Sulpice, je n'aurais rien à dire; mais vous, qui ne tenez votre nomination que de l'empereur, qui peut la révoquer quand il lui plaira, vous croyez l'emporter sur le cardinal Fesch, oncle de cet enfant, et sur l'empereur lui-même, qui ne veut pas que ce soit vous ! »
Le cardinal Maury persista dans sa résolution; mais, congédié par l'empereur, il laissa paraître sa mauvaise humeur, et déclara que sa dignité offensée ne lui per- mettait pas d'assister au baptême.
(( Eh bien! répondit l'empereur, n'y assistez pas; nous pouvons bien nous passer de vous. »
II. — Le cardinal Maury avait invité ses chanoines à exprimer, dans une adresse qui devait être lue en séance publique, leur opinion sur la conduite du saint- siège contraire aux prétentions schismatiques du nouvel arche- vêque de Paris, et leurs sentiments à l'égard du sou- verain. Le projet d'adresse, rédigé par M. Maury lui- même, contenait des assertions contraires aux maximes fondamentales de l'Église et aux prérogatives essentielles
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 323
du saint-siège. Elle avait été écartée, après un débat prolongé où le chapitre avait entendu la protestation indignée et savante de M. Émery.
Le cardinal Maury avait semblé d'abord s'incliner devant la volonté du chapitre , et accepter l'adresse mo- difiée dans un sens orthodoxe.
Mais il avait une autre pensée.
Trois jours après cette réunion préparatoire, le 6 jan- vier, le chapitre métropolitain réuni aux Tuileries se présentait devant l'empereur pour lui exprimer haute- ment l'hommage de sa fidélité. A ce moment, le cardinal Maury, substituant vivement l'adresse dont il était l'au- teur à l'adresse corrigée par le chapitre, s'approcha de M. Jalabert, vicaire général de Paris, et lui remit en présence de l'empereur, du grand aumônier, du ministre des cultes et de tous ses confrères, la pièce qu'il devait lire immédiatement à haute voix au nom du chapitre métropolitain. M. Jalabert n'eut pas le temps d'examiner l'adresse qu'on lui présentait, et qui aurait dû être cor- rigée conformément au dernier vote capitulaire. Il était trop tard pour éviter le piège. Il fit cette lecture et dissi- mula le trouble qu'il éprouvait, en se voyant obligé d'exprimer des sentiments qu'il avait réprouvés, con- damnés l.
« Messieurs, répondit l'empereur, je suis satisfait de l'exposition des principes du chapitre de Paris. Il est dans les miens de maintenir les droits de ma couronne. Je veux que la dignité de mon trône et l'indépendance de la nation ne puissent être compromises dans mes
i Ce fait, contredit par M. Poujoulal dans son Histoire du cardi* nal Maury, a été établi parles témoignages les plus respectables. Il est affirmé par M. Émery, par If. Gantier, qui connaissait tous les détails de cette séance, et par le vénéré M. Gosselin, qui avait entendu le récit de cette triste affaire, des lèvres mêmes de If. Jalabert.
324 M. ÉMERY
relations avec le pape. Après la cérémonie du sacre, Pie VII s'en est allé avec un vif ressentiment contre moi ; j'en connais les motifs. Le premier était relatif aux pro- positions du clergé en 4682. Le pape, se trouvant avec moi, me montra une lettre de Louis XIV qui promettait de ne point ordonner l'exécution de sa déclaration sur les quatre articles. Le pape voulait que je lui en donnasse une semblable, promettant qu'elle serait secrète. La seconde cause du ressentiment du pape vient de ce qu'il n'a pu obtenir la concession de la Romagne.
« Cependant un tel état de choses ne saurait durer. Le pape me prend -il donc pour un des rois fainéants ou imbéciles que subjugua Grégoire VII? Je veux savoir où j'en suis, où l'on prétend me mener, et à quel point l'on veut s'arrêter. Si le pape fait la promesse solennelle de ne rien faire contre les quatre articles de 1682, qu'il retourne à Rome, qu'il vienne à Paris, qu'il choisisse un autre point de l'empire ; cette liberté lui est donnée par le sénatus- consulte.
ce Si saint Pierre revenait au monde, ce n'est pas à Rome qu'il irait. Il a quitté Antioche, il a préféré Rome à Jérusalem, parce que Rome était la première des capi- tales et le séjour des empereurs, comme l'est aujourd'hui Paris. Qu'il fasse d'ailleurs ce qu'il voudra avec les puis- sances étrangères, je ne m'en mêle pas. Il trouvera en Autriche les mêmes principes de liberté, ou même de plus étendus. Mais chaque puissance fait ce qui paraît le mieux lui convenir... »
Rappelant ensuite ses derniers démêlés avec le pape , à l'occasion de l'institution canonique des évêques, l'em- pereur exprimait ainsi ses résolutions :
« A l'égard des institutions canoniques, puisque le pape s'est obstiné à ne pas exécuter le Concordat, je peux et je dois dans les circonstances actuelles y renoncer. Voilà, Messieurs du chapi+re, quels sont mes principes;
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 325
faites-les connaître à vos curés. Ils sont tous à l'avantage de la religion , et je ne m'en écarterai jamais *. »
III. — Si pénible que fut l'étonnement de M. Jalabert, le M. Émery et des membres du chapitre métropolitain de Paris, en entendant la lecture de l'adresse substituée secrètement à la dernière heure par la ruse du cardinal Maury à l'expression vraie de leurs sentiments, il leur fut impossible d'élever une protestation publique.
La réponse brève, saccadée, autoritaire de Napoléon à l'adresse dont il avait inspiré les idées principales ne permettait d'ailleurs que le silence et la douleur de la résignation.
M. Émery se félicita d'avoir protesté hautement dans la commission, et d'avoir refusé de donner sa signature à une déclaration qui devait affliger profondément Pie VII dans les épreuves déjà si douloureuses de sa captivité.
Quelques jours après avoir fait cet accueil gracieux à M. Émery, l'empereur lui donna de nouveau un témoi- gnage inattendu de l'estime qu'il faisait de son autorité sur le clergé de France et de la valeur de ses décisions en matière de droit canon et de théologie.
Napoléon n'était pas encore satisfait des réponses de la dernière commission ecclésiastique; il cherchait avec anxiété, dans sa pensée inquiète, troublée, le moyen de 8'aflïanchir de l'intervention du saint-siège, dans la nomination des évèques de son choix.
Il forma une nouvelle commission composée des arche- vêques et évèques de Lyon, de Paris, de Tours, de Ma- tines, d'Évreux, de Nantes, de Trêves, et de M. Emery, conseiller de l'Université.
M. Émery connaissait la gravité des questions que ce
1 Audience du dimanche G janvier 1811. 11
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conseil serait appelé à résoudre, la responsabilité qu'il devrait assumer aux yeux de l'Église et de la France, et les desseins souvent manifestés de l'empereur. Il écrivit au ministre des cultes pour le remercier de l'honneur qu'il voulait bien lui faire, en l'appelant à siéirer dans une assemblée composée des plus grands dignitaires ecclésiastiques de l'empire. Il le priait, au nom de la dignité des évéques membres du conseil, au nom des traditions de l'ancien clergé, de ne pas permettre qu'un simple prêtre fût appelé à se prononcer dans les affaires si graves soumises à la haute sagesse des membres les plus illustres de l'épiscopat.
(( Si Votre Excellence, écrivait M. Émery, avait le temps d'écouter mes raisons, je crois qu'elle ne les dé- sapprouverait pas ; mais, dans ie moment présent, je lui en exposerai une : c'est que je crois qu'un simple prêtre, tel que je suis, est déplacé dans une assemblée d'évèques , et qu'il est contre tous les anciens usages de l'y appeler. Je viens de vérifier, dans les procès- verbaux du clergé, que dans toutes les assemblées extraordinaires où l'on convoquait les évèques qui étaient dans la capitale pour délibérer sur des matières de religion, on n'appelait que des évéques et on ne leur associait aucun théologien. Quelle figure un prêtre seul ferait-il dans ces assemblées? Si Votre Excellence juge dans sa sagesse que je ne peux me dispenser d'assister à l'assemblée, elle trouvera bon que, par respect pour les évèques, je m'abstienne de toute voix délibérative et que je n'aie que la voix consul- tative, c'est-à-dire que je fournisse sur les matières qui seraient mises en délibération les lumières et les docu- ments que mes études et mon expérience peuvent im mettre dans le cas de donner, quand je serai requis de 1( faire. »
Mais sa demande ne fut pas exaucée.
« Demain jeudi, écrit M. Émery à M. de Bausset, st
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réuniront les membres de la commission présidée par M. le cardinal Fesch, chez le ministre des cultes, pour Intendre une communication. Ils se rassembleront dans la suite chez le cardinal. J'ai reçu l'invitation. J'ai fait ce que j'ai pu pour décliner. Indépendamment d'une autre considération, mon travail sur Descaries et Leibniz ta prodigieusement souffrir, et eu vérité je crois que je sers mieux la religion par ce travail que je ne la servirai dans cette commission qu'on appelle aujourd'hui le Conseil du clergé.
« Je crains d'accepter, je crains de refuser. Mais j'ai fait une observation singulière : c'est que dans toutes les assemblées d'évèques tenues extraordinairement pour cause de religion, on n'y a jamais appelé de théo- logiens. »
IV. — Les instructions données à la commission par le ministre des cultes rappelaient les griefs de l'empereur contre le pape prisonnier et désarmé. Napoléon n'avait pas réuni ses évêques pour connaître leur sentiment sui- des questions dogmatiques discutées librement par des théologiens indépendants ; il leur demandait la confirma- tion solennelle et la justification de sa conduite à l'égard de Pie VII. C'est bien ce qui ressort de la lecture de ce document qui leur fut présenté :
INTRODUCTION
a 1° Son Altesse éminentissime le cardinal Fesch , grand aumônier de l'empire, archevêque de Lyon; Son Éminence le cardinal Maury, archevêque de Paris ; Son Éminence le cardinal Caselli, évoque de Parme; M. le comte de Barrai , archevêque de Tours ; M. le comte de Pradt, archevêque de Malines; M. le baron Bourlier,
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évêque d'Évreux; M. le baron Duvoisin, évèque de Nantes; M. le baron de Manny, évêque de Trêves, et le sieur Émery, conseiller de l'Université impériale, ont été convoqués par ordre de Sa Majesté pour lui servir de conseil. C'est comme attachés à sa personne et aux intérêts de son peuple, dont ils sont les principaux pasteurs, qu'elle les a réunis dans sa capitale, afin que, dans les circonstances actuelles , ils lui tracent la marche la plus conforme aux conciles et aux usages de l'Église.
(( Le pape a fait un acte d évêque universel à l'époque du rétablissement des cultes en France. Il a été autorisé à cet acte par les circonstances extraordinaires où se trouvait l'Église gallicane, et par l'autorisation formelle de l'empereur. L'autorisation même de l'empereur n'au- rait pas rendu suffisant le pouvoir du pape pour ren- verser la juridiction épiscopale' de toute une contrée, si on ne s'était pas trouvé dans des circonstances uniques ; sans quoi ce serait poser en principe que le pape, in- fluençant un prince faible, pourrait culbuter l'épiscopat de tout un empire.
(( Les prétentions du pape d'être reconnu comme évêque universel ont donc été constamment rejetées par l'empereur ; mais le pape, s'autorisant de ce cas extraor- dinaire et unique dans l'Église, a, depuis le Concordat, agi comme s'il avait un pouvoir absolu sur l'épiscopat. Il devient donc indispensable de poser de nouvelles limites entre les prétentions du pape et l'indépendance de toutes les nations. Ces limites sont toutes posées par les conciles et par les quatre propositions du clergé de l'Église gallicane.
« Le pape les ayant constamment méconnues depuis le Concordat, Sa Majesté a pris le parti d'interrompre toute communication avec le pape, jusqu'à ce qu'il ait prêté serment de ne jamais rien faire contre les quatre propositions de l'Église gallicane , arrêtées dans l'assem-
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blée de 1682. En effet, le pape avait agi contre ces prin- cipes lorsque, communiquant le Concordat au consis- toire des cardinaux , il a été mis des réticences qui sont autant de germes de troubles, et les évèques de France ont reconnu qu'elles étaient contraires à leurs principes.
« Depuis, le pape a lancé des bulles d'excommunica- tion pour des affaires temporelles, et en cela il a été contre les premiers principes de la religion, et notam- ment contre ceux de l'Église gallicane, qui ne reconnaît point le droit d'excommunier les souverains.
ce Lors du Concordat , l'esprit de la cour de Rome se fit voir : au lieu d'établir dès lors les chapitres comme nécessaires pour l'ordre hiérarchique, il n'y en est fait mention que comme d'une institution dont on pourrait se passer, et qui ne serait point dotée. On présuma que les évèques resteraient sans chapitre , qu'ils en seraient d'autant plus faibles, et que, pendant les vacances, le pape gouvernerait les diocèses par ses délégués.
(( Cette doctrine est pareillement démontrée par le bref du pape aux chapitres de Florence, de Paris, d'Asti, brefs qui interdisent aux chapitres l'exercice de leur autorité, en leur défendant de la déléguer. Les chapitres ont repoussé de si étranges prétentions.
« Le chapitre de Milan lui-même, quoique ne faisant pas partie de l'Église gallicane, aussitôt que le bruit a commencé à se répandre de la conduite du pape contre les chapitres, comme il a vu que la vacance du siège métropolitain depuis plus d'un an faisait le plus grand tort au temporel et au spirituel de ce diocèse, a été au- devant de la tentative de pareilles entreprises, en s'adres- sant à Sa Majesté pour l'assurer que les prétentions du pape seraient universellement rejetées comme contraires aux prérogatives des chapitres et au droit de l'épiscopat institué par Jésus -Christ.
ce Le pape a institué par son bref du 30 novembre 1810
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le cardinal di Pietro, son fondé de pouvoirs en France, en lui donnant tous ceux à l'effet de pourvoir aux besoins de l'Eglise. Il a ainsi voulu introduire une juri- diction contraire aux principes qui régissent cette Eglise. Les principes du pape et sa conduite prouvent qu'il veut faire de la France ce qu'il a fait de l'Allemagne , la gou- verner par un vicaire apostolique, à peu près comme en Hollande et dans les pays où la religion n'est pas tolérée, et où les princes n'auraient pas voulu tolérer l'épiscopat.
(( Le droit d'institution des évêques a été accordé aux papes par François Ier et par l'empereur, à condition qu'ils institueraient les personnes nommées par les sou- verains. Le pape ayant violé ce Concordat synallagma- tique, l'empereur a bien voulu imiter Louis XIV dans sa longanimité; mais le pape s'y étant opposé, ce que n'avait pas fait Innocent XII , a rendu vain et inutile ce moyen ; dès lors il n'est plus suffisant pour assurer la paix de l'Église. C'est ce qui a déterminé l'empereur à déclarer qu'il ne souffrirait plus que, dans l'empire, l'in- stitution des évêques fût donnée par le pape.
« Indépendamment du fait même de la vacance des principaux sièges de l'empire et du royaume d'Italie, vacance occasionnée par la conduite du pape à l'égard des bulles, il a par le même bref, adressé au cardinal di Pietro, déclaré qu'il ne donnera jamais de bulle aux évêques nommés. Il ne s'est donc pas borné à annuler le Concordat; de fait, il a voulu décidément et formel- lement l'annuler. Aussi deux déterminations ont été prises par Sa Majesté :
« 1° Aucune communication n'aura lieu, entre ses sujets et le pape, que celui-ci n'ait posé les limites de son autorité en reconnaissant celles qui ont été posées par Jésus -Christ lui-même, c'est-à-dire qu'aux termes du sénatus-consulte il n'ait juré de ne rien faire en
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France contre les quatre propositions de l'Église galli- cane, arrêtées dans rassemblée du clergé en 1682 ;
« 2° De ne plus faire dépendre l'existence de l'épis- copat en France de l'institution canonique du pape, qui serait ainsi le maître de l'épiscopat.
a Quant aux mesures à prendre pour que l'Eglise ne soutire pas de cette interruption de communication, et que les évèques ayant le caractère requis puissent exer- cer leur juridiction épiscopale, l'empereur s'en rapporte aux évèques pour lui faire connaître ce qui convient le mieux, soit qu'on revienne à la Pragmatique de saint Louis tant regrettée , soit à tout autre usage. »
V. — Consterné» à la lecture de cette déclaration de guerre au saint-siège, et de cet appel au schisme au nom de l'indépendance de l'autorité civile, M. Émery s'empressa d'exprimer au cardinal Fesch son impression douloureuse, ses craintes pour l'avenir de l'Eglise de France, et les conséquences lamentables, désastreuses, des prétentions exprimées par l'empereur.
Le cardinal Fesch, ému des observations judicieuses de M. Émery, se rendit chez le souverain, lui parla du danger de faire inutilement des martyrs et de s'engager dans une persécution sans gloire et sans nécessité. Il le pressa respectueusement de renoncer à son projet bles- sant pour les consciences catholiques, et il obtint des modifications qui laissaient cependant, dans toute sa hardiesse, la prétention absolue de pourvoir en dehors du saint-siège aux évéchés vacants.
La pensée de l'empereur était bien , en effet, d'ètiv le chef de l'Eglise de France, de tenir dans sa main puis- sante un épiscopat qu'il aurait choisi lui-même, et qui serait l'instrument docile, toujours soumis, de ses vo- lontés. Les jansénistes formaient encore en France une secte intrigante ; elle avait un épiscopat schismatique
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indépendant de l'autorité du pape, elle encourageait les prétentions de l'empereur et flattait son désir secret de domination universelle.
Ils oubliaient qu'il n'appartient pas à quelques évêques convoqués par un souverain dans l'ordre politique , étranger à l'Église, de changer, sans le consentement et l'avis du successeur de Pierre , un point quelconque de la discipline générale de l'Eglise, affirmé, établi par l'usage, les conciles et la tradition.
Ils oubliaient que le successeur de Pierre est revêtu de la primauté d'honneur et de juridiction sur les évêques, sur les ministres inférieurs, sur tous les fidèles, princes et sujets, et qu'il n'est au pouvoir d'aucune autorité civile sur la terre , quelle que soit d'ailleurs sa puissance, de s'opposer à l'exercice de cette juridic- tion et de séparer, par un acte dont la violence éga- lerait l'injustice, les évêques du pape, de qui ils tiennent par délégation leur propre juridiction.
Ils oubliaient que le ministère sacré ne peut être exercé qu'en vertu d'une mission et d'une juridiction légitime, qu'il n'y a de mission et de juridiction légitime que celle qui vient de Jésus -Christ et que l'Église con- fère , et qu'elle seule , à l'exclusion de toute puissance séculière , a le droit de régler la manière de la conférer. « Si quelqu'un dit que ceux qui ne sont ni ordonnés ni envoyés par la puissance ecclésiastique et canonique, mais viennent d'ailleurs, sont des ministres légitimes de la parole et des sacrements, qu'il soit anathème. »
Telle est la doctrine du concile de Trente. Les Pères de ce concile, expliquant ce qu'il faut entendre par puis- sance canonique, déclarent que le pape seul a le droit, suivant la discipline établie, de donner aux évêques leur mission i.
1 Sess. 28, ch. vu. — Sess. 24, de reform., cap. i.
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Aussi, dans un bref célèbre adressé à If. de Loménie, Pie VI, témoin attristé d'une grande persécution, disait :
« Nous vous recommandons surtout de ne pas avoir la témérité de conférer l'institution canonique aux nou- veaux évoques, sous quelque prétexte que ce soit, et de ne pas affliger l'Église, en lui donnant des ministres rebelles. C'est au Siège apostolique que ce droit appar- tient uniquement , d'après les décisions du concile de Trente. Si quelque évèque , quelque métropolitain se l'attribue , alors nous serons forcés , en vertu des fonc- tions apostoliques qui nous sont confiées, de déclarer schismatiques et ceux qui institueront et ceux qui seront institués. »
Ce n'était donc pas le vain désir de faire opposition sans justice, sans raison à l'empereur, en exagérant d'une manière coupable les droits de la puissance spi- rituelle, qui inspirait Pie VII, quand il déclarait à Napoléon que l'institution des évèques n'appartient qu'au Vicaire de Jésus-Christ. Il défendait la doctrine théolo- gique, les droits de l'Église, la dignité du sacerdoce, Tindépendance des âmes , dont la protection lui était confiée.
VI. — Les cardinaux et les prélats de la commission ecclésiastique étaient embarrassés. Ils ne voulaient pas déplaire à l'empereur ; ils craignaient aussi sans doute de compromettre ou de trahir, par des concessions que leur conscience réprouvait énergiquement , les droits de cette Église qu'ils avaient juré de défendre au péril même de leur vie, le jour de leur consécration.
Ils cherchèrent des moyens détournés et des com- promis. Ils répondirent qu'ils voyaient dans les brefs I adressés par Pie VII aux chapitres de Paris, de Florence ,et d'Asti, une preuve affligeante des fausses idées ins- pirées au pape par des personnes mal instruites des
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usages et de l'état de l'Église de France ; que ce serail une sage prévoyance de faire ajouter au Concordat de l'année 1801 cette clause, que Sa Sainteté donnerait, dans un temps déterminé , l'institution canonique aïo évêques nommés par l'empereur; que, ce temps une fois passé, l'institution canonique serait dévolue au concile de la province ; que, si le pape ne consentait pas à l'addi- tion de cette clause, son refus justifierait à la face de toute l'Église l'abolition du Concordat ; qu'il était de la plus haute importance de ne pas heurter de front l'opi- nion publique, qui n'a pas coutume d'être favorable aux changements et aux innovations; qu'il fallait y préparei peu à peu les esprits ; que l'Église de France était auto- risée, en cas de nécessité, à pourvoir elle-même à sa propre conservation.
Au nombre des évêques membres de la commission qui signèrent cette réponse si offensante pour le cœui et la dignité du souverain pontife, nous voyons le car- dinal Maury.
On aurait pu rappeler à ce prélat , installé à l'arche- vêché de Paris par la volonté seule de l'empereur, qu< le 17 novembre 1790, député à l'Assemblée nationale il avait prononcé en face des révolutionnaires déchaîné un discours éloquent pour repousser, condamner, flétri l'acte même qu'il venait de confirmer aujourd'hui d< sa signature de cardinal.
On devine les souffrances morales de M. Émery à 1 vue de ces lâchetés , et sa tristesse en voyant cet anciei compagnon d'armes passer à l'ennemi. Tous les dégoût de la terre devaient remplir son âme et le détacher de 1 vie pour le préparer à mourir.
VII. — Le 17 mars 1811, l'empereur convoqua le membres de la commission ecclésiastique et les réunit en audience solennelle , dans une grande salle du palai
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des Tuileries. Il avait le goût de ces manifestations écla- tantes, il aimait à s'entourer de majesté pour donner plus d'ampleur et d'étendue à l'expression impérieuse et aux défis de sa pensée.
M, ÉïWery, emmené presque de force aux Tuileries par les évèques de Boulogne et de Troyes , que le car- dinal Fesch avait envoyés au séminaire avant l'audience pour triompher de s#s résistances, se trouvait là, perdu au milieu des évéques, des archevêques, des cardinaux, des conseillers et des grands dignitaires de l'empire. Leurs vêtements éclatants , parés des décorations et des insignes fastueux , rappelaient les faveurs impériales et al tiraient l'attention. Je ne sais si le regard deTalleyrand, prince de Bénévent, s'arrêta sur M. Émery. Il était là, lui aussi ; il devait le craindre. S'il était capahle encore de remords, il devait éviter la vue vengeresse de ce pauvre vieillard blanchi dans dcglorieux combats, courbé sous le poids des années et des épreuves, inébranlable dans la fidélité courageuse de sa foi. Ce prêtre lui repro- chait, par sa simplicité austère, sa livrée d'aujourd'hui et sa fortune insolente.
Après une longue attente de deux heures, l'empereur fît son entrée. Un grand silence succéda aux acclama- tions retentissantes qui saluèrent son arrivée. Il ouvrit la séance par un discours violent contre le pape, qu'il accusa de résister injustement à ses projets. Il énuméra ses griefs, en les soulignant par des menaces, et il an- nonça son dessein de convoquer un concile national pour soustraire Tôpiscopat aux envahissements de l'au- torité pontificale. Il voulait apprendre enfin à l'Église de France à se gouverner elle-même, sans recourir à une puissance étrangère.
Cette puissance osait se permettre encore aujourd'hui d'excommunier le souverain, qui avait ouvert les portes des églises et signé le Concordat. Il parla de l'institution
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canonique refusée aux sujets désignés pour occuper des sièges vacants en France et dans le royaume d'Italie.
La parole de l'empereur était saccadée , elle trahissait l'amertume et la violence de sa colère ; il semblait pro- voquer impunément ceux qui pâlissaient en écoutant sa harangue et défier un contradicteur d'oser se lever pour défendre en sa présence l'autorité du pontife qui expiait à cette heure même son courage apostolique dans les cruelles douleurs d'une longue captivité.
Les prélats, les évèques et les cardinaux comblés des faveurs impériales gardaient le silence. Ils n'étaient pas de la race choisie des confesseurs de la foi. Les grands dignitaires de l'empire , sceptiques , élevés au pied de l'échafaud pendant les derniers jours de la Révolution ou dans le tumulte des camps et des bivouacs, assistaient à cette scène émouvante et jouissaient en secret de l'hu- miliation infligée à l'Eglise dans la personne de ses représentants. Cambacérès et Talleyrand cherchaient un homme dans les rangs de la commission ecclésiastique, ils y rencontraient des courtisans.
(c Monsieur Emery, s'écrie l'empereur en interpellant le supérieur de Saint -Sulpice, que pensez -vous de tout cela? »
A cette brève interrogation , le silence devint plus profond , et un frisson de crainte passa sur le front de tous les assistants.
ce Sire, je ne puis avoir d'autre sentiment sur ce point que celui qui est contenu dans le catéchisme enseigné par vos ordres dans toutes les églises de l'empire. On lit dans plusieurs endroits de ce catéchisme que le pape est le chef visible de l'Église, à qui tous les fidèles doivent l'obéissance comme au successeur de saint Pierre, d'après l'institution même de Jésus- Christ. Or un corps peut-il se passer de son chef, de celui à qui, de droit divin , il doit l'obéissance ?
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— Continuez, dit l'empereur.
— On nous oblige en France à soutenir les quatre articles de la déclaration de 1G82, mais il faut en rece- voir la doctrine dans son entier; or il est dit aussi, dans le préambule de cette déclaration , que la primauté de saint Pierre et des pontifes romains est instituée par Jésus - Christ , et que tous les chrétiens lui doivent obéissance.
« De plus , on ajoute que les quatre articles ont été décrétés pour empêcher que, sous prétexte des libertés de l'Église gallicane, on ne porte atteinte à cette pri- mauté.
— Eh bien, répond l'empereur, je ne conteste pas La puissance spirituelle du pape, puisqu'il l'a reçue de Jesus-Christ. Mais Jésus-Christ ne lui a pas donné la puissance temporelle, c'est Charlemagne qui la lui a donnée ; et moi , comme successeur de Charlemagne, je veux la lui ôter, parce qu'il ne sait pas en user, et qu'elle L'empêche d'exercer ses fonctions spirituelles. Monsieur Émery, qu'avez-vous à dire à cela? »
M. Émery connaissait l'objection. Il l'avait déjà enten- due à l'audience de Fontainebleau , et il avait répondu qu'avant Charlemagne le pape avait déjà des Etats tem- porels.
« Sire, je ne puis avoir là-dessus d'autre sentiment que celui de Bossuet , dont Votre Majesté respecte avec raison la grande autorité et qu'elle se plaît à citer sou- vent. Or ce grand prélat, dans sa défense de la déclara- tion du clergé de France, soutient expressément que l'indépendance et la pleine liberté du chef de la religion sont nécessaires pour le libre exercice de sa suprématie spirituelle dans l'ordre où se trouvent maintenant éta- blis les royaumes et les empires, « Nous félicitons, dit «. l'évèque de Meaux, de sa souveraineté temporelle non « seulement le Siège apostolique, mais encore l'Église
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« universelle , et nous souhaitons de toute l'ardeur de ce nos vœux que cette principauté sacrée demeure saine « et sauve en toutes manières. »
— Je ne récuse pas l'autorité de Bossuet, réplique l'empereur ; tout cela était vrai de son temps , où , l'Eu- rope reconnaissant plusieurs maîtres, il n'était pas con- venable que le pape fût assujetti à un souverain particu- lier. Mais quel inconvénient y a-t-il que le pape me soit assujetti à moi, maintenant que l'Europe ne connaît que moi seul?
— Sire, Votre Majesté connaît aussi bien que moi l'histoire des révolutions ; ce qui existe maintenant peut ne pas toujours exister, et dans ce cas tous les inconvé- nients prévus par Bossuet pourraient reparaître. Sire, ajouta M. Émery d'un ton plus grave qui saisit l'assem- blée, vous allez souvent à la guerre, vous en connaissez les hasards. Si vous laissez votre fils en bas âge, on voudra le dépouiller; et le pape, qui a toujours été le protecteur des faibles, sera peut-être alors son seul appui.
— Et n'ai -je pas le droit, réplique l'empereur en passant à un autre sujet , de déclarer au pape que s'il ne donne pas l'institution canonique aux évèques, dans un délai déterminé, je passerai outre et je me servirai d'un concile provincial?
— Jamais , Sire , le pape ne fera cette concession, qui rendrait illusoire son droit d'institution.
— Vous vouliez donc me faire faire un pas de clerc? » s'écrie l'empereur en jetant un regard sévère et mépri- sant sur les membres de la commission.
Puis il lève brusquement la séance et se retire.
Les membres de la commission , effrayés du noble langage tenu par M. Émery, se pressent auprès de l'em- pereur; ils lui prodiguent des excuses, des témoignages d'obéissance, avec le regret profond des paroles témé-
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raires de ce vieillard , inconscient de l'inconvenance hardie de ses réponses.
Ils achevaient la faute de leur silence par une der- nière lâcheté.
ce Taisez -vous, Messieurs, répliqua l'empereur. Vous vous trompez, je ne suis pas fâché contre l'abbé Emery. Il a parlé comme un homme qui connaît et qui possède bien son sujet. C'est ainsi que je veux que l'on me parle. »
VU. — Le bruit de cette séance mémorable se répandit dans toute la France et à l'étranger. Ceux qui avaient autrefois accusé M. Emery d'avoir autorisé par une basse complaisance des serments défendus , et ceux qui le trouvaient téméraire quand il affirmait les vérités fon- damentales sur l'autorité du successeur de Pierre, lui prodiguèrent leurs félicitations et les témoignages de leur admiration. Le cardinal Maury était avec eux.
<l Je savais bien que M. Émery avait beaucoup d'es- prit, disait Talleyrand en sortant de la séance, mais je ne croyais pas qu'il en eût autant. Il a l'adresse de dire franchement la vérité à l'empereur sans lui déplaire, 9
Indifférent à l'éloge et au blâme, toujours sensible aux avertissements de sa conscience, M. Emery, qui avait prié la sainte Vierge et invoqué pieusement M. Olier par une courte prière avant de se rendre à cette séance, rentra dans sa chambre du séminaire avec le calme serein d'un homme qui voit de trop près la fin de toute chose pour s'intéresser encore à la gloire et aux félicita- tions de ce monde.
(( Voilà donc ce même homme, écrivait M. Émery en faisant allusion au passé, qui, comme vous savez, a été suspect et accusé de pusillanimité par tant de personnes au dedans et au dehors pendant la révolution, le voilà loué pour son courage par les mêmes personnes qui, pour
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la plupart, auraient besoin qu'on leur en inspirât1. »
Sa vie publique s'était ainsi écoulée entre deux actes glorieux pour sa mémoire, qui témoignent avec éclat de l'ardeur courageuse de sa foi et de son dévouement iné- branlable à l'Eglise et à la papauté. Supérieur du sémi- naire Saint- Sulpice , aux premiers jours de la Révolu- tion , non seulement il avait été l'inspirateur de l'abbé Maury, mais il avait écrit lui-même des lettres éloquentes contre la constitution civile du clergé. A la fin de sa vie il retrouva, sous une autre forme , les mêmes ennemis, et son dernier acte est encore une parole ferme et une fîère protestation en faveur du droit sacré du Vicaire de Jésus- Christ.
Il pouvait désormais fermer les yeux et s'endormir dans la paix du Seigneur. Sa mémoire était vengée, même ici -bas et pendant sa vie, d'un injuste soupçon de fai- blesse complaisante envers les princes de la terre.
(( Peu de temps après, écrit le cardinal Consalvi , M. Emery tomba malade, peut-être par l'effort qu'il avait fait sur lui-même, car il était plus qu'octogénaire, et bientôt il mourut, heureux de n'avoir pas terminé sa carrière avant d'arriver à un point si glorieux aux yeux du monde, et si méritoire pour le ciel 2. »
1 Lettre à M. Nagot du 2 avril 1811.
2 Mémoires du cardinal Consalvi.
CHAPITRE XV
l'heure suprême
I. — L'empereur n'était pas encore satisfait; il avait pris la résolution de soumettre à un concile national ses difficultés avec le pape , et d'obtenir enfin du clergé de France une réponse définitive , conforme à sa volonté de faire lui-même , en dehors du saint -siège , un épiscopat dévoué à sa personne et à ses idées.
II. de Bausset soutirait de la goutte dans sa maison de campagne ; il échappait par son infirmité aux embarras de ses collègues , appelés par l'empereur à se prononcer dans les commissions.
Le 15 mars 1811 , M. Emery apprit à M. l'évèque d'Alais le dessein de l'empereur, et le félicita de l'in- disposition qui lui permettait d'échapper aux périls des délibérations.
« Je n'ai qu'un mot à vous dire. Hier, le ministre des cultes invita tous les membres de la commission à se rendre chez lui pour entendre une volonté de l'empe- reur. Cette volonté est d'assembler tous les évèques de l'empire, du royaume d'Italie et de la confédération, pour délibérer sur les sujets qui seront proposés par la com- mission. L'empereur aurait voulu que l'assemblée eût lieu aussitôt après Pâques. On s'est accordé à dire qu'elle ne pouvait avoir lieu avant le mois de juin. Savez- vous qu'il était question d'appeler les chanoines de Saint- Denis? 0 bienheureuse goutte, vous mériteriez, encore
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plus que la folie , que quelque Érasme fit votre éloge ! »
A partir de ce moment , M. Émery sentit ses forces décliner; il se prépara doucement à mourir. Jamais la vie ne m'a été plus à charge, disait- il à l'évêque d'Alais.
Il répétait aussi souvent cette parole : C'est un beau temps pour mourir! Il cherchait et lisait avec plus d'at- tention, de goût, de recueillement, les ouvrages et les livres de piété qui traitaient de la mort ; il avait même le désir de donner sa démission de supérieur général, afin de ne s'occuper que de son âme et de l'éternité.
Nous retrouvons l'expression de ses pressentiments dans la lettre paternelle qu'il écrivait, à cette époque, à un de ses anciens élèves , l'abbé Dorion :
« Oh ! que votre lettre m'a fait de plaisir, mon cher Dorion! Vous priez, me dites -vous, tous les jours Dieu pour moi. C'est pour moi une grande consolation. Je puis donc espérer et croire que vous prierez après ma mort pour le repos de mon âme, en même temps que vous lirez ces paroles dites au fond de votre cœur : Oui, je prierai pour lui , je le promets à Dieu.
« Je vous écris d'Issy , où je fais ma retraite pendant la semaine sainte suivant mon usage, et je m'y prépare à la mort. Je me porte assez bien , il est vrai ; mais mon âge m'avertit que cette mort ne peut pas être éloignée. Venez donc, mon cher Dorion, si vous voulez me voir avant ma mort, je vous attends. Vous me dites que vous pensez sans cesse au séminaire , j'aime à croire que c'est au séminaire Saint- Sulpice. Il est probable qu'il subsis- tera encore l'année prochaine. Je viens d'acquérir le clos de Lorette. On travaille à rétablir la chapelle où vous aurez la consolation de prier Dieu. Quoiqu'il n'y ait que les quatre murailles, je commence à y prier Dieu , et je le prierai dès aujourd'hui pour vous.
« Adieu, mon cher Dorion, je vous embrasse in
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 343
osculo sancto, et je vous renouvelle les assurances de ma sincère et bien tendre amitié. »
La pensée du concile national que l'empereur voulait convoquer se présentait sans cesse à son esprit déjà fatigué. Il avait perdu le sommeil ; il travaillait nuit et jour à préparer des matériaux pour défendre encore une fois les droits de l'Église et donner les conseils de sa longue expérience et de son érudition théologique aux prélats qui viennent le consulter.
Ce travail excessif précipita sa mort. On était alors au 25 avril 1811.
II. — Il eut souvent, pendant les combats dont sa vie était faite, le dégoût amer des choses de la terre, et depuis longtemps son âme, détachée des joies humaines, s'arrêtait avec amour dans la contemplation des mer- veilles consolantes du ciel. Il se préparait au départ suprême, avec la ferme confiance filiale et la joie de l'exilé qui va revoir sa patrie ; son âme haletante, bles- sée par l'infini, trouvait des paroles dont l'accent ému attendrit encore ceux qui ne les ont pas entendues , et qui peuvent les lire à l'heure de la tentation :
a Est- il donc vrai, disait-il en terminant un discours de retraite1, que je sois si près du royaume des cieux? Est- il donc vrai que je n'aie plus qu'un pas à faire, à tendre la main pour saisir et m'assurer à jamais la cou- ronne de gloire? Mille grâces vous soient rendues, ô mon Dieu! C'en est fait, je ne balance plus, le peu que vous exigez encore de moi je vous l'accorde, je vous le pro- mets. La pensée du paradis que j'entretiendrai dans mon cœur sera le garant de ma promesse.
« 0 royaume des cieux ! vous serez donc mon partage ; ô cité céleste! je serai donc, un jour un de vos citoyen?;
1 Sermon inédit.
344 M. ÉMERY
ô maison de mon Dieu ! séjour des anges et des saints où mon Dieu se montre à découvert et face à face, vous serez donc mon habitation éternelle !
a Que mon âme et tout ce qui est en moi bénisse le Seigneur : Benedic, anima mea, Domino, et omnia quse intra me sunt , nomini sancto ejus.
« Oh ! mon âme, ne perdez jamais de vue un si grand bonheur, et répandez -vous en sentiments de joie et de reconnaissance !
« Que je puisse dire avec le prophète : Hœc recor- datus sum , et cffudi in me animam meam, quoniam transibo inlocum tabernaculi admirabilis, usque ad domum Del.
« Mon âme a soif du Dieu fort, du Dieu vivant; quand irai -je? quand me présenterai -je devant la face de Dieu?
(( Mes larmes furent mon pain et le jour et la nuit, et pendant ce temps on me disait chaque jour : Où est ton Dieu ?
« Je me suis souvenu , et mon cœur en défaillait, je me suis souvenu que j'irai au lieu où est l'admirable sanctuaire, jusque dans la maison de Dieu.
(( Oh ! que la promesse du ciel soit toujours présente à mon esprit et à mon cœur! qu'elle soit jusqu'à la fin le principe et la source de ma joie! que je puisse ajouter avec le prophète , oui , j'ajoute avec lui :
« 0 Jérusalem, si je t'oublie, que ma main droite devienne inutile.
ce Que ma langue s'attache à mon palais, si je ne me souviens plus de toi ,
« Si je ne place pas toujours Jérusalem la première entre mes sujets de joie. »
Ces touchantes paroles qu'il adressait aux prêtres pour les consoler et les fortifier dans les dures épreuves, les fatigues , les déboires de leur ministère , il les disait
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 345
souvent à son àme , à mesure qu'il approchait du terme de la vie.
Sa bonté, qu'il avait su concilier avec une fermeté inébranlable dans l'accomplissement des devoirs de son ministère, prenait un caractère particulier de tendresse paternelle ; elle se révélait de mille manières dans ses lettres, dans ses entretiens, dans les plus petits détails de sa vie.
Un jour, pendant qu'il faisait la lecture spirituelle , un petit papillon se mit à voltiger et à tournoyer auprès de la chandelle. M. Émery Péearta doucement, le ramena sur la table et le couvrit de sa main jusqu'au moment où il lui rendit la liberté, à la fin de l'exercice. Il n'ai- mait pas que l'on fit souffrir les animaux. La bonté modeste avait aussi pour lui un attrait puissant ; il se plaisait à répéter à ses élèves cette touchante parole : «Je ferais volontiers cinquante lieues pour m'entretenir avec un bon cœur. »
Son humilité grandissait avec le détachement profond et le mépris de la gloire humaine. Un éditeur de Mar- seille, préoccupé de réaliser quelques bénéfices, eut la mauvaise pensée d'aiouter au frontispice d'une nouvelle édition des Examens particuliers de Tronson ces mots : revu et corrigé par M. Émery. Tout fier de sa combinaison, il s'empressa d'en envoyer un exemplaire au supérieur de Saint - Su 1 pi ce. Troublé , indigné même de la maladresse de l'éditeur, M. Emery se laissa aller à un violent mouvement de mécontentement.
« Quoi! s'écria-t-il , revu et corrigé par Emery ! Quel est le sot qui a pu imprimer pareille chose! Emery corri- ger Tronson ! Et qui est donc ce M. Emery pour oser corriger Tronson ? »
Il appela M. de Mazenod , et lui donna l'ordre de se rendre immédiatement chez M. de Portalis avec une lettre de sa part , pour le prier de faire saisir tous les
340 M. ÉMERY
exemplaires de cette nouvelle édition et d'en défendre la vente.
Il se préparait ainsi tous les jours davantage , par une pratique plus sévère de toutes les vertus sacerdo- tales , à la mort qu'il voyait approcher sans murmures.
La mort le frappa promptement , mais elle ne pouvait pas le surprendre.
(( Le lundi de la semaine de Quasimodo, écrit M. Gar- nier il vint le matin dans ma chambre pour me re- mettre des lettres destinées au séminaire de Baltimore. Le changement qui paraissait dans ses yeux et dans tout son visage me fit peur.
(( — Monsieur, m'écriai -je, quels yeux vous avez! Vous êtes certainement malade. »
(( Ce fut alors qu'il m'avoua que depuis trois mois il ne dormait plus, et que ce malheureux concile lui donne- rait la mort. Il sortit néanmoins, ce jour-là, pour aller au conseil de l'archevêché, fit plusieurs courses à pied dans Paris, et rentra au séminaire vers quatre heures du soir, n'ayant encore pris aucune nourriture.
(( Il se mit à table pour dîner; mais, selon sa coutume, il avait un livre à la main et lisait en mangeant. La nuit suivante il eut une indigestion, ce qui ne l'empêcha pas de se lever le matin et de dire la messe à son ordinaire ; mais, s'étant retiré dans sa chambre après son action de grâces, il se trouva très mal sans en rien dire à per- sonne. »
III. — Il y avait en ce moment au séminaire Saint- Sulpice deux élèves pénétrés, plus que les autres, d'une affection filiale et d'une vénération profonde pour M. Émery.
L'un était M. Tournefort, il fut plus tard évêque de
1 Garnier, Notice sur M. Émery.
ET L'ÉGLISE DE FRANCE &47 Limoges; l'autre, M. de Mazenod, qui a laisse à Mar- seille, avec des œuvres impérissables, le souvenir aimé d'un évèque selon le cœur de Dieu.
Un jour, après avoir dit quelques paroles en passant à son ami et condisciple l'abbé de Mazenod, Tournefort se retira pour entrer dans la chambre de M. Émery et lui demander une permission.
Il en sortit précipitamment, tout ému, profondément troublé, et dit à M. de Mazenod d'une voix entrecou- pée :
« Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre supérieur, mais je l'ai trouvé accablé , la tête sur la poitrine , il semble dormir, il n'a pas môme répondu à mon salut; je crains qu'il ne soit gravement indisposé. »
L'abbé de Mazenod se leva aussitôt , prit un reliquaire et entra chez M. Emery, sous prétexte de lui demander un certificat d'authenticité.
M. Émery, affaissé sur sa chaise, répondit à peine en balbutiant à la prière de l'abbé de Mazenod. Il prit la plume cependant sans relever la tête, et griffonna d'une manière illisible la signature qu'on lui demandait. L'abbé de Mazenod crut reconnaître les premiers symptômes d'une attaque d'apoplexie. Il courut chez l'économe, M. Giraud, le pressa de se rendre auprès de M. Émery, et lui proposa d'aller lui-même sans délai chercher son médecin.
« Un médecin! dit M. Giraud, M. Émery n'a jamais voulu voir un médecin, il n'a jamais pu leur donner sa confiance, et ce sera une grande misère de le faire changer d'avis, malgré la gravité de son état. B
M. Émery, se trouvant un peu mieux, attribua son état pénible de somnolence passagère à un excès de fatigue, et exprima le désir de se rendre à Issy, où il espérait se reposer en respirant un air plus frais. Comme il descendait l'escalier pour monter en voiture, il ren-
348 M. ËMERY
contra le docteur Laënnec, que l'abbé de Mazenod avait appelé et prévenu des répugnances du supérieur. Le médecin s'approcha de lui, lui tendit la main et essaya, d'un air indifférent, de lui tâter le pouls.
« Ne voilà-t-il pas qu'il me tâte le pouls! dit en sou- riant M. Émery.
— C'est une habitude chez ces messieurs, » répondit l'abbé de Mazenod.
A peine M. Émery fut -il parti pour la campagne, que M. Giraud et M. de Mazenod , inquiets de l'état de leur supérieur et ne voulant pas le quitter dans la crainte d'une catastrophe immédiate, se rendirent secrètement à Issy.
M. Emery s'arrêta rue Vaugirard, entra dans la cha- pelle de M. Olier, où il fit une longue prière, — il ne savait pas qu'il disait un adieu suprême à des souvenirs qu'il aimait; — puis il continua son chemin vers les ombrages de la paisible maison de campagne.
Le lendemain mercredi, il se leva malgré son extrême faiblesse, malgré les observations et les prières pres- santes de ces messieurs; il dit son office avec peine et marcha jusqu'à l'autel pour y célébrer une dernière fois le sacrifice de la messe. Cet homme avait une énergie plus forte que la maladie, il semblait même défier la mort. Il disait souvent pendant sa vie : « C'est à l'autel qu'un prêtre doit mourir. »
Après la messe, excédé d'un si grand effort, il retomba dans une prostration profonde, et rejeta les dernières ablutions.
On le ramena à Paris.
Quatre médecins d'un grand mérite, réunis en consul- tation, reconnurent que le malade était perdu. Pendant la nuit, M. de Mazenod et ceux qui veillaient avec lui essayèrent de lui faire avaler des boissons rafraîchis- santes. Mais le moribond, toujours préoccupé de la
ET L'ÉGLISE DE FRANGE 349 sainte messe qu'il voulait célébrer le lendemain matin , craignait de n'être pas à jeun, et ne sachant pas s'il était minuit sonné, refusait tout aliment, toute boisson. Il fermait ta bouche et serrait les dents quand on essayait de faire violence à ses refus.
Le lendemain matin il voulut se lever encore une fois et se traîner jusqu'à la chapelle pour y célébrer le sacrifice de la messe. Il n'était pas en état de le faire, et l'on craignait avec raison un accident. Ni les prières , ni les sollicitations pressantes, ni les avis de ceux qui le veillaient et qui cachaient même ses vêtements pour l'empêcher de sortir de sa chambre, ne pouvaient triom- pher de cette volonté, qui s'affirmait encore avec auto- rité.
Il se leva malgré tout, s'appuya sur les bras de ceux qui l'assistaient, et se dirigea en chancelant, pâle, défait, frappé des premiers coups de la mort, vers la porte de sa chambre. Il voulait avancer encore. Le vénérable M. Duclaux, prévenu du danger, accourut, et s'armant d'un courage qu'il n'avait jamais eu en présence de son supérieur vénéré, il dit avec énergie :
a Cela ne se peut pas.
— Et pourquoi ?
— Parce que je défendrai qu'on vous serve la messe. » A ces mots M. Emery, stupéfait d'entendre cette
parole sévère, regarda Mb Duclaux d'un air étonné et affligé; il garda le silence et rebroussa chemin.
Rentré dans sa chambre, il se coucha, reçut l'absolu- tion, le saint viatique et l'extrême- onction.
M. Fournier, évéque de Montpellier, vint le voir, lui promit de réparer la chapelle de Lorette et de déposer son corps, si Dieu l'appelait à lui, auprès de la sainte Vierge, qu'il avait tant aimée. Et comme il demandait au malade s'il entendait bien ses dernières paroles , il ré- pondit : a Oui ! oui ! »
10*
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Les directeurs et les élèves du séminaire s'agenouil- lèrent aux pieds de son lit ; ils versaient des larmes et recommandaient à Dieu cette âme, dans l'épreuve de ses derniers combats.
(c Notre bon père, dit M. Duclaux, donnez votre bénédiction à tous vos enfants qui sont ici présents. ))
M. Emery les bénit et dit à voix basse, avec de grands efforts, ces paroles suprêmes qui résumaient sa vie :
« Je n'ai vécu que pour le séminaire et pour l'Église ; ils seront l'objet de mes prières et de mes vœux jusqu'à mon dernier soupir. Je vous donne à tous ma bénédic- tion. »
Il retomba aussitôt dans un profond assoupissement. De temps en temps, du geste et du regard, qui avait conservé son intelligence, il témoignait encore aux assistants que la dernière heure n'était pas venue, et qu'il n'était pas séparé de ses enfants bien -aimés.
Puis il cessa toute communication extérieure avec ce monde et se renferma dans un grand silence, interrompu par le bruit saccadé de sa respiration pénible, étouffée. L'agonie commençait. On eut dit qu'il gravissait péni- blement une pente rapide , et que son corps et son âme faisaient un grand effort pour atteindre un sommet mys- térieux. Les assistants étaient muets, consternés, en présence de ce spectacle austère d'une âme qui cherche à briser ses derniers liens et à s'envoler, pendant que la maison branlante du corps tombe en ruines. Les direc- teurs et les élèves se mirent à genoux , ils commen- cèrent les prières des agonisants. M. Pignier se tenait debout dans la ruelle du lit, penché sur le moribond; il humectait de temps en temps les lèvres desséchées et ardentes de M. Émery, et soulevait les rideaux de serge verte pour donner de l'air à sa poitrine haletante et de la lumière à ses yeux, qui se fermaient aux faibles clar- tés de ce monde. L'agonie continuait dans les douleurs
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 351
et les mystères. Puis M. Figuier, qui suivait tous les mouvements, appuya son oreille sur la poitrine du mou- rant, écouta avec angoisse pendant quelques secondes, et se releva en disant aux assistants d'une voix émue :
« Messieurs, c'est fini; nous pouvons réciter le De profundis. »
Il était deux heures trois quarts de l'après-midi du second dimanche après Pâques, 28 avril 1811. L'Église chaulait le joyeux Alléluia par lequel les anges célèbrent le triomphe remporté sur la mort par le Christ ressus- cité. Les assistants , résignés , oubliant le corps livré aux destructions de la maladie, bénissaient l'âme du grand serviteur de l'Eglise, et l'accompagnaient en priant dans les magnificences de la gloire réservée aux élus.
On apporta un verre d'eau bénite et une branche de buis. Les assistants se levèrent. A ce moment le cardi- nal Fesch entra dans la chambre mortuaire.
ce Monseigneur, lui dit M. Fournier, c'est fini; il est mort ! »
Le cardinal Fesch, profondément troublé, fit une courte prière et se rendit immédiatement à Saint-Gloud pour annoncer cette triste nouvelle à l'empereur.
(( J'en suis fâché, répondit vivement Napoléon ; j'en suis très fâché, c'était un homme sage, un homme de grand mérite. Il faut lui faire des obsèques extraordi- naires; je veux qu'il soit enterré au Panthéon. »
Un mois à peine avant la mort de M. Émery , le 3 avril 1811, Dieu avait rappelé à lui M. de Juigné, l'an- cien archevêque de Paris.
Dans le mandement de carême de l'année 1812, le car- dinal Maury rappelait au clergé de Paris ces pertes si douloureuses, et louait ainsi la mémoire de ces deux serviteurs de Dieu :
« M. Émery, ce noble vétéran du clergé de Paris, possédait spécialement la science ecclésiastique, les plans
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des grandes études, les méthodes d'instruction et d'in- stitution les plus propres à perpétuer la connaissance, les principes et la gloire de l'Église de France. S'il est triste pour nous d'avoir à déplorer en même temps pour l'Église de Paris la mort d'un si digne archevêque qui l'avait gouvernée avec tant d'édification et la perte d'un de ses plus illustres collaborateurs , il est juste du moins, comme il est beau, de pouvoir décerner le même jour, dans tous les temples de ce diocèse , un hommage si mérité à deux éminents hommes de bien, dont les noms occuperont une place honorable dans les dyptiques de cette métropole , et qui , après avoir été tendrement unis pendant leur vie, ont terminé ensemble leur car- rière , sans que la mort même ait pu les séparer. »
IV. — M. Garnier prit le reliquaire et la petite croix d'argent que M. Émery portait sur sa poitrine pendant la vie. M. de Mazenod et M. de Janson conseillèrent alors à M. Duclaux de conserver le cœur du défunt; ils assistèrent à l'autopsie, qui fut faite pendant la nuit par le docteur Laënnec, assisté du directeur de la maison des jeunes aveugles de Paris. Le cœur de M. Émery , en- fermé dans un reliquaire en vermeil, fut placé dans un petit tabernacle, au-dessous du cœur de M. Olier.
Aucun autre ne surpassa jamais ces deux grands carac- tères dans l'amour de l'Église et le dévouement à la compagnie.
Le corps, revêtu des habits sacerdotaux, fut déposé dans un cercueil en bois et descendu le 30 avril, à six heures et demie du matin, dans le vestibule de la mai- son qui conduit au jardin. Son Éminence le cardinal Dugnani, les directeurs, les élèves du séminaire, le curé de la paroisse et tout son clergé, les vicaires géné- raux de Paris, des évèques de la commission ecclésias- tique et les conseillers de l'université, des amis et des
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 353
anciens élèves de Saint - Sulpice , réunis pour rendre au défunt un dernier hommage, se rangèrent derrière le cercueil , formèrent le cortège et entrèrent dans la cha- pelle où devait avoir lieu la cérémonie.
M. Duclaux récita les prières de la levée du corps, d'une voix entrecoupée par les sanglots. En entrant dans la chapelle, trop étroite pour une si grande attluence, les séminaristes se rangèrent sous la tribune, le clergé sur les côtés, et le cercueil, posé sur deux tré- teaux, entouré de quelques cierges, fut placé aux pieds de l'autel.
Après la messe chantée par M. Fournier, évêque de Montpellier, le cortège prit le chemin d'Issy. A la bar- rière Vaugirard, les élèves du séminaire et les direc- teurs revêtirent leurs surplis de cérémonie ; la croix processionnelle prit la tête du défilé , et l'on entonna le chant des psaumes de la pénitence, en laissant un inter- valle de quelques minutes entre chaque verset.
Après une courte halte à la porte de l'église de Vaugi- rard, le curé , suivi de son clergé , récita les prières de l'absoute, jeta de l'eau bénite sur le cercueil, et récita le psaume des morts : on arriva ainsi à l'entrée du vil- lage d'Issy. Le curé de la paroisse et les douze prêtres qui formaient son clergé prirent rang dans la proces- sion, tandis que les officiers civils de la commune se plaçaient derrière le cercueil.
Lorsque le cortège fut en vue , on ouvrit la porte cochère de la maison de campagne ; des sentinelles main- tenaient l'ordre et ne laissaient entrer que les personnes invitées. M. Fournier prit l'étole noire, fit les prières de la levée du corps et de l'absoute, et suivit le clergé, qui défila dans l'enclos de Lorette, longea le bassin, et passa sous la voûte, au delà de laquelle six directeurs, MM. Du- claux, de Saint-Félix, Montaigne, Giraud, Boyer et de Baudry , prirent le cercueil des mains des séminaristes ,
354 M. ÉMERY
et le portèrent eux-mêmes jusqu'auprès de la tombe où il fut déposé.
Après les prières d'usage , on descendit le corps dans le caveau, qui fut fermé à neuf heures du soir; M. Four- nier prononça quelques paroles émues, et salua dans le défunt un ange de paix, de lumière et de consolation.
(( Le cardinal Dugnani, écrit M. Garnier, dont nous suivons le pieux récit, les évêques, et après eux tous les assistants, répondirent : Amen.
tt Le cardinal avait connu M. Émery avant la Révo- lution, pendant sa nonciature en France. Depuis qu'il était revenu à Paris par les ordres de Napoléon , il avait renoué avec lui son ancienne amitié et ne se conduisait que par ses avis. Il avait manifesté le désir d'être enterré auprès de lui , dans le cas où il viendrait à mourir à Paris , et il m'avait laissé pour cela une certaine somme destinée à lui faire ériger un tombeau convenable à sa dignité. »
Quelques jours après ces funérailles, on grava sur la pierre tumulaire qui couvrait les restes de M. Émery l'inscription suivante ; elle résume sa vie de sacrifice et
ses rares mérites :
Hic jacet Jacobus Andréas Émery Seminarii sancti Sulpitii superior nonus, Universitatis imperialis consiliarius perpetuus, vlr optimi ingenu insignisque virtutis In vultu benignitas, In ore sermo ad flectendos animos appositus, In scriptis doctrina sponte fluens, exquisitumque judicium , prisci moris et avit.e disciplinee tenacissimus , In conciliis sagax et prudens ,
In intricatïs solers, In regiminis arte pr^cipuus ,
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In adversis fortis et invictus, i Integer in omnirus, Episcopalibus infulis pluries repulsis, Elegit arjectus esse in domo Dei sui ; Beat/e Marle Virginis famulus addictissimus, Spons.eque Ghristi Ecclesle , CUI totus yixit , Miles indefessus, Bonum gertamen certans oriit, 28 aprilis 1811, /et ati s 79.
Le portrait de M. Émery, que nous avons reproduit pour la première fois en tète de cette nouvelle édition, a été fait d'après le tableau original conservé au séminaire Saint -Sulpice. Le pieux et savant M. Garnier raconte ainsi l'histoire de ce portrait :
(( Un jour qu'après avoir dit la messe, il déjeunait avec les dames Jouen 4, elles le supplièrent de vouloir bien permettre qu'on tirât son portrait. Elles lui annoncèrent en même temps qu'elles avaient fait venir un bon peintre qui était déjà dans la maison. Là-dessus M. Émery prend feu j et dit qu'il ne le permettra jamais, qu'aucun de ses prédécesseurs ne s'est laissé peindre de son vivant, qu'il ne veut point donner cet exemple, et qu'en lui faisant une pareille proposition on prend le moyen de le faire aller un jour en purgatoire. En disant ces mots, il se lève et se dirige vers la porte.
(( Mais ces dames lui déclarent qu'il ne peut sortir, que la porte de la maison est fermée, qu'elles en ont la clef, et qu'elles sont bien décidées à ne la lui pas remettre. Enfin elles tombent toutes deux à ses genoux, et le sup- plient avec larmes de ne pas leur refuser la faveur qu'elles lui demandent. M. Emery crut qu'il y aurait de la du-
1 M. Émery avait converti Mlle Jouen en 1799; il fut le direc- teur de la lille et de sa mère. Avant de mourir, il dit à M. lîar- nier : « N'oubliez pas Mlle Jouen; elle m'a rendu, ainsi qu'à Saint- Sulpice, les plus grands services. »
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reté et même une sorte d'ingratitude à leur résister da- vantage, ce Je vois bien, dit-il, qu'on ne peut s'empêcher « de faire ce que les femmes se sont une fois mis dans « la tête. Je consens à faire ce que vous désirez, mais « sous trois conditions qui vous sembleront probable- ce ment difficiles à remplir : la première est que vous ne « montrerez mon portrait à personne avant ma mort; ce la seconde, que vous n'en parlerez non plus à personne; ce la troisième , que vous vous confesserez de la violence ce que vous venez de me faire, et moi, qui suis votre (( confesseur, je pourrai bien vous donner pour péni- ce tence de brûler ce portrait quand il sera fait. »
« On souscrivit à ces conditions, et le peintre fut in- troduit. M. Emery dit alors qu'il ne pouvait consentir à se laisser représenter avec des habits laïques, mais en soutane et en surplis, comme tous ses prédécesseurs. Il fallut donc envoyer chercher à son logis un costume ecclésiastique, dont il se revêtit à l'instant. Le peintre voulait le représenter assis dans un fauteuil; mais il voulut absolument que ce fût dans une chaise semblable à celle dont il se servait habituellement, n'ayant jamais usé de fauteuils. Il voulut aussi qu'on lui mît une plume à la main, comme l'instrument qui lui avait le plus servi pendant sa vie. Le portrait achevé, les deux dames furent très fidèles aux conditions que M. Emery leur avait im- posées ; elles cachèrent le tableau dans leur appartement et n'en parlèrent à personne du vivant de M. Émery, pas même aux ecclésiastiques du séminaire. Ce ne fut qu'après sa mort qu'elles le montrèrent et le portèrent au séminaire, où il est conservé 1 . »
V. — Nous ne voulons pas, en écrivant les dernières pages de cette histoire, jeter un coup d'œil sur le long chemin que nous avons suivi , résumer cette noble vie
1 Garnier, Notice sur M. Émery.
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consacrée sans réserve à la cause du Seigneur et chercher dans les faits considérables qui l'ont remplie un exemple pour le présent, une espérance pour l'avenir. Nous préférons laisser à l'illustre cardinal de Bausset le soin de nous faire entendre encore une fois sa parole, avec la douceur d'un ami qui pleure un ami , et nous dire ce que la modestie d'un prêtre de Saint- Sulpice ne leur avait pas permis de nous faire connaître.
(( J'ai lu, écrit M. de Bausset à M. Duclaux, avec autant d'attendrissement que de reconnaissance tout ce que vous avez la bonté de me mander sur un événement qui affecte bien douloureusement tous les amis de la re- ligion et de l'Eglise.
a Ce n'est pas à une société particulière que M. Émery appartenait exclusivement : il a été dans tous les temps la gloire et la lumière de l'Eglise de France, il en a été le modérateur pendant vingt ans des plus violentes tem- pêtes. On a eu raison de dire que son opinion seule a été une autorité.
(( Dieu seul peut savoir combien il a prévenu de malheurs et combien peut-être il en aurait prévenu. Tous ceux qui aimaient sincèrement la paix et le salut de l'Église s'appuyaient avec confiance de son suffrage et de ses avis. Ceux même qui étaient peut-être importunés de sa renommée n'osaient braver l'autorité que son nom seul imprimait à ses opinions. Du sein de l'obscurité où il aimait à se renfermer, il avait jeté un tel éclat, qu'il était devenu le centre où venaient aboutir les sollicitudes, les consultations et les déterminations convenables à chaque circonstance.
« Par un décret redoutable de la Providence, il manque à l'Église de France dans le moment même où il lui était le plus utile et le plus nécessaire, à l'époque d'un concile dont tous les membres auraient recouru avec empressement à ses lumières et à ses conseils. Toute
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notre confiance ne doit être et ne peut être qu'en la Pro- vidence. M. Émery semble en avoir été l'organe et l'in- terprète pendant vingt ans.
« Par sa sagesse et sa fermeté , il a su se rendre supé- rieur aux événements ; il n'a jamais considéré que l'intérêt de la religion, et, fidèle invariablement à cette grande pensée, il s'est attaché à séparer ce grand intérêt de toutes les considérations humaines et de toutes les vicissitudes politiques. Nous venons de voir, Monsieur, par le concert unanime de regrets et d'éloges qui l'a suivi au tombeau, qu'il a forcé tous les partis à être justes envers lui. Il n'a jamais pensé qu'à Dieu et à la religion, et cependant il n'a pas échappé à cette gloire et à cette renommée humaine qu'il dédaignait.
((Vous savez, Monsieur, tout ce que M. Emery était pour moi et tout ce que j'étais pour lui. Je l'ai déjà dit, et je ne cesserai jamais de le dire, l'affection et la bonté constante dont il m'a honoré seront les titres qui pourront le plus me recommander à l'estime publique. C'est à ces titres que j'ose vous supplier, Monsieur, ainsi que vos respectables coopérateurs, de me conserver les sentiments qu'il m'accordait. Croyez que j'en suis digne par la tendre reconnaissance et le respect filial que j'ai voué à mes premiers instituteurs.
a C'est là que j'ai toujours vu les plus hautes vertus s'unir à la plus modeste simplicité, une charité indul- gente avec le zèle le plus pur pour la religion , et une profonde soumission aux autorités religieuses, s'allier au plus noble détachement des hommes et des biens de la terre. Je pense et j'ai toujours pensé que si toutes les sociétés quelconques eussent été animées de l'esprit de celle de Saint-Sulpice , de cet esprit de paix, de sou- mission et de charité dont elle ne s'est jamais écartée , jamais on n'aurait vu de troubles et de divisions ni dans l'Église ni dans l'État.
ET L ÉGLISE DE FRANCE 359 (( C'est à moi, Monsieur, à vous demander comme une grâce la permission de recourir à vos lumières, et d'aller quelquefois à Issy prier sur le tombeau de cet homme vénérable qui a été de nos jours l'honneur du sacerdoce et dont notre siècle n'était pas digne. — M. Émery, debout au milieu des ruines et des destructions qui ont marqué les vingt dernières années de son passage sur la terre, me parait encore plus grand que saint Vincent de Paul, qui a fait de si grandes choses dans un siècle où tous les moyens de création étaient à sa disposition.
(( Le moment n'est pas venu de rendre à sa mémoire un hommage digne de lui ; mais le temps viendra sans doute où on pourra le montrer tel qu'il était. La pru- dence commande de couvrir, pour ainsi dire, d'un voile l'éclat de tant de vertus *.
ce f L.-Fr. de BAUSSET, évêque d'Alais. »
1 Quand nous publiâmes la première édition de cette histoire , Son Excellence le nonce apostolique à Paris, M*' di Rende, au- jourd'hui cardinal archevêque de Bénévent, rendit ce bel hom- mage à M. Émery dans une lettre qu'il voulut bien nous adres- ser :
« l'ai puisé dans la lecture de cet ouvrage très remarquable une instruction utile, surtout en ces temps-ci.
« J'ai admiré les éminents services que M. Émery a rendus à l'Église dans les temps difficiles qu'elle traversait, grâce à celle direction sûre qu'il a su imprimer autour de lui, direclion d'au- tant plus ferme qu'elle était appuyée exclusivement sur la science théologique et sur le désir efficace de sauver les âmes, indépen- damment de toute préoccupation mondaine et de toute passion politique.
« Sa conduite, sage, prudente et droite, lui coûta beaucoup de contradictions; mais enfin elle fut couronnée par l'approbation du pontife romain, qui loua celui qu'on appelait le gallican et qui fut le seul â défendre le pape en face de Napoléon.
« Quant â moi , je suis de l'avis du cardinal Lambruscbini, qui, visitant la tombe de M. Émery, dit : « Voilà un grand serviteur « de l'Église. »
GHAPIfTRE XVI
LES ŒUVRES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES DE M. ÉMERY
I. — M. Émery ne cherchait pas dans l'étude des grands philosophes la démonstration d'une théorie méta- physique ou d'un système particulier. Esprit pratique et toujours préoccupé de la défense de l'Église, placé au premier poste, en présence des attaques violentes et persistantes des orgueilleux incrédules du dernier siècle, il entreprit de venger l'honneur de la foi chrétienne et de confondre ses adversaires par l'argument d'autorité.
Opposer la foi religieuse des savants les plus illustres des siècles passés aux négations et aux railleries hau- taines des impies qui ont la prétention de parler au nom de la raison et de la science, tel est le hut qu'il veut atteindre, et c'est au prix des plus grandes fatigues, par un travail sans cesse interrompu , au milieu du torrent d'affaires qui l'emportait loin de sa chère solitude, que M. Émery, déjà avancé en âge, eut la consolation de réaliser son dessein.
Son grand ouvrage d'apologétique chrétienne est né de celle pensée et d'une lecture attentive, la plume à la main, des écrits les plus remarquables de Bacon, de Descartes, de Newton et de Leibniz. Il oppose l'autorité de la raison aux incrédules qui prétendaient se servir exclusivement de la raison pour combattre toute affir- mation religieuse de l'immortalité de l'âme et de l'exis- tence de Dieu.
M. ÉMEKY ET L'ÉGLISE DE FRANCE 361
11 était bien préparé, par ses études antérieures et par le sentiment très vif des conditions nouvelles de la lutte entre l'Église et ses ennemis, au travail considérable qu'il avait entrepris. Versé dans la connaissance de la littérature ancienne et moderne, familier avec l'histoire ecclésiastique dont il avait étudié les détails en remon- tant aux sources; en pleine possession de la vérité théo- logique, morale et canonique, il aimait encore par devoir autant que par attrait à suivre les progrès des sciences naturelles, dont il parlait la langue technique avec la sûreté d'un homme qui en a fait une étude approfondie. Sa correspondance variée avec l'abbé Si- gorgne, le P. Boscowich, l'abbé Haùy, Cuvier, Deluc, sur les matières scientifiques agitées de son temps, lui permettait d'apprécier la haute valeur des grands esprits dont il invoquait le témoignage en faveur de la reli- gion.
• Son œuvre apologétique est le développement sévère de cette pensée qui devait frapper tous les esprits par sa simplicité :
Bacon, Descartes et Leibniz sont les philosophes les plus célèbres et les savants les plus illustres des temps modernes. Dans ce siècle incrédule et railleur, leur nom fait autorité, leurs écrits sont consultés, leur enseigne- ment est considéré par les philosophes même les plus hostiles à l'Eglise et à toute religion comme l'expression incontestable de la vérité scientifique. Gassendi , Baillet, les rédacteurs du Journal de Trévoux, par la plume du célèbre Bertier, Addison , parlent souvent de ces grands hommes avec l'admiration que commande l'autorité du génie. Les incrédules les plus connus par leur hostilité contre toute vérité révélée, Hume, Voltaire, d'Alembert, Diderot, appellent Bacon, dans un langage pompeux, le père de la philosophie expérimentale, le plus illustre des philosophes du dernier siècle, « un personnage univer- II 11
362 M. ÉMERY
selleraient estimé par la grandeur extraordinaire de son génie. »
Les mêmes juges parlent avec un grand enthousiasme de Descartes et de Leibniz.
Voilà le fait constaté par M. Émery, qui recueille et reproduit avec un soin scrupuleux les dépositions des adversaires de toute religion. Il ne discute pas ces éloges pompeux; il ne fait pas la critique philosophique du système, de la méthode et des opinions de ces auteurs célèbres ; un tel travail ne convient pas à son objet. Il accepte le jugement des incrédules sur l'incomparable valeur de ces hommes qui ont honoré la raison en l'élevant à une si grande hauteur.
Or, ajoute M. Emery, Bacon, Descartes et Leibniz ont cru à l'existence de Dieu , à l'immortalité de l'âme, à la divinité de Jésus-Christ, à la vérité de la révélation chrétienne. Ils ont exprimé hautement leur croyance religieuse dans leurs savants écrits ; ils n'ont pas craint de la défendre et de répondre aux attaques de l'incrédu- lité de leur temps ; ils ont parlé avec une foi respectueuse et une tendre charité de leurs sentiments chrétiens.
Deux conclusions découlent de ce fait.
La première, c'est qu'on peut être à la fois un homme de génie et un parfait chrétien , et qu'il n'y a pas oppo- sition entre la science et la révélation, comme les incré- dules déistes modernes se plaisent à le dire, sans essayer de le démontrer.
La seconde, c'est que les chrétiens attachés à l'Évan- gile peuvent se glorifier de voir les hommes les plus célèbres partager leurs croyances, et qu'on ne peut les accuser de superstition , d'ignorance ou de crédulité naïve et grossière, sans faire peser la même accusation sur ces grands hommes devant lesquels l'incrédulité baisse la tête avec respect. L'objection perd ainsi jus- qu'aux apparences d'autorité qui pouvaient la justifier.
ET L'ÉGLISE DE FRANGE 363 (( Quel plaisir, écrit La Bruyère (au chapitre des esprits forts), d'aimer la religion et de la voir crue et soutenue par de si beaux génies et de si solides esprits! »
« Ainsi, ajoute encore M. Émery en tète de son ouvrage sur le Christianisme de Bacon, les quatre plus grands génies du dernier siècle, Bacon, Descartes, Leibniz et Newton, les quatre hommes qui tiennent le sceptre de toutes les hautes sciences, et à la suite desquels marchent tous les géomètres et tous les physiciens des derniers temps; tous, remarquons -le avec soin, tous, profondé- ment instruits dans la science des saintes Ecritures, dans l'antiquité ecclésiastique et profane, dans la con- naissance de la doctrine chrétienne, et par conséquent ayant jugé la religion avec une pleine connaissance de cause , tous ont été chrétiens , tous ont vécu et sont morts dans la profession la plus haute et la plus sincère du christianisme. »
II. — M. Émery démontre la vérité de son argument par les ouvrages de ces savants illustres, dans lesquels il choisit avec art les fragments et les traités qui se rap- : portent à la religion. Il expose avec méthode, complète i par des notes concises, toujours claires et décisives, leur I opinion sur les questions douteuses, leur ferme croyance dans les choses certaines, et fait passer sous les yeux du lecteur les prières, les pieuses considérations, les démon- strations savantes qui concourent à établir, non seule- ment la foi chrétienne , mais encore la piété profonde de ces auteurs illustres.
Il fut ainsi amené à publier successivement le Chris- tianisme de Bacon, les Pensées de Descartes sur la religion, et les Pensées de Leibniz sur l<< religion et la morale. Il avait le dessein de compléter cette démon- stration de la vérité chrétienne par l'argument d'autorité scientifique, en publiant encore les pensées de Newton
364 M. ÉMERY
et d'Euler sur la vérité et la divinité de la révélation. Mais Dieu ne laissait pas des loisirs à son serviteur; les nécessités douloureuses de la lutte venaient sans cesse l'arracher au silence de sa retraite laborieuse.
Il parvint avec peine à donner une édition complète des pensées de Descartes et de Leibniz :
« Mes enfants, disait- il aux ouvriers qui travaillaient à l'impression de Descartes , il faut vous dépêcher ; c'est l'enfant de ma vieillesse, et la mort peut me surprendre.»
Entre tous ces esprits auxquels il emprunte cet argu- ment populaire et décisif en faveur de la nécessité de la foi chrétienne, c'est principalement Leibniz qui est l'ob- jet de son admiration.
Ce qui frappe dans l'œuvre apologétique de M. Émery, c'est la pénétration de son esprit, son habileté et sa promptitude à dégager d'une parole des grands philo- sophes toutes les conséquences qu'elle renferme, pour les présenter au lecteur avec un relief saisissant.
Dans un article qu'il publia en 1795 au Journal géné- ral de France, n° 23, il cite cette belle page de. Leibniz :
« On a raison de prendre des précautions contre les mauvaises doctrines, qui ont de l'influence dans les mœurs et dans la pratique de la piété... Si l'équité veut qu'on épargne les personnes, la piété ordonne de repré- senter, partout où il appartient, le mauvais effet de leurs dogmes quand ils sont nuisibles : comme sont ceux qui vont contre la Providence d'un Dieu parfaitement sage, bon et juste, et contre cette immortalité des âmes qui les rend susceptibles des effets de la justice, sans parler d'autres opinions dangereuses par rapport à la morale et à la police.
« Je sais que d'excellents hommes et bien inten- tionnés soutiennent que les opinions théoriques ont bien moins d'influence dans la pratique qu'on ne le pense; et je sais aussi qu'il y a des personnes d'un excellent naturel à qui ces opinions ne feront jamais rien faire
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 365
d'indigne d'elles; d'ailleurs, ceux qui sont venu? à ces erreurs par la spéculation ont coutume d'être naturel- lement plus éloignés des vices dont le commun des hommes est susceptible. Mais ces raisons cessent le plus souvent dans leurs disciples ou leurs imitateurs, qui se croient déchargés de l'importune crainte d'une Provi- dence surveillante et d'un avenir menaçant, qui lâchent la bride à leurs passions brutales, et tournent leur esprit à séduire et à corrompre les autres. Ils seront capables, pour leur plaisir ou pour leur avancement, de mettre le feu aux quatre coins de la terre; et j'en ai connu de cette trempe que la mort a enlevés. »
Voici le commentaire de M. Emery : « Arrêtons- nous un moment : que de choses précieuses renferme ce préambule î que de réflexions et quels sentiments ne fait-il pas naître r quand on voit d'un côté quelle est la futilité parfaite et la profonde ignorance de tous ou presque tous ceux qui affectent aujourd'hui tant de mé- pris pour la religion, et osent dire, contre le sentiment unanime de tous les siècles, qu'elle est inutile et même dangereuse cà l'ordre de la société, et que, d'un autre côté, on se rappelle que l'auteur qu'on vient d'entendre est cet homme qui , semblable, dit Fontenelle, à ces an- ciens oc qui avaient l'adresse de mener jusqu'à huit « chevaux attelés de front, a mené de front toutes les a sciences » ; que cet écrivain était à la fois un grand métaphysicien, un grand jurisconsulte, un grand poli- tique, un grand théologien, un grand homme de lettres, un érudit profond, un physicien et un mathématicien du premier ordre; en un mot, pour me servir des termes de Charles Bonnet, une encyclopédie vivante, et un des plus profonds génies qui aient paru sur la terre. »
M. Emery avait trouvé ainsi un moyen facile et lumi- neux de venger la religion des attaques de l'incrédulité moderne et d'en relever la dignité dans l'opinion publique,
366
M. ÉMERY
en la présentant sous les auspices des hommes dont la science n'est pas contestée *.
1 Voici la liste des ouvrages de M. Émery :
1. Esprit de Leibniz, 2. vol. in-12 (1772), I, 121, réimprimé en 1803 sous le titre de Pensées de Leibniz sur la religion et la morale, 2 vol. in-8°.
2. Esprit de sainte Thérèse, 1 vol. in-8° (1775 et 1779).
3. Lettres au P. Lalande, de l'Oratoire, 52 pages et 27 pages in-8° (1791).
4. Principes de Bossuet et de Fénelon sur la souveraineté, 1 vol. in-8° (1791).
5. Observations sur une lettre d'un vicaire général de Toulouse, relative au serment de liberté et d'égalité, 20 pages in -8° (1795).
6. Entretien en forme de dialogue sur les préjugés du temps contre la religion, 83 pages in-8° (1796).
7. Mémoire sur cette question : Les religieuses peuvent- elles aujourd'hui, sans blesser leur conscience, recueillir des suc- cessions et disposer par testament ? Leurs supérieurs peuvent- ils, doivent-ils même leur en accorder la permission? 27 pages in-8o (1797).
8. Préface de V Histoire physique de la terre, par André Deluc, (1798).
9. Christianisme de Bacon, 2. vol. in-12 (1799).
10. Articles insérés dans les Annales catholiques, littéraires, philosophiques, etc., de 1800 à 1810.
11. Conduite de V Église dans la réception des ministres qui reviennent de V hérésie ou du schisyyie , 1. vol. in-8° (1800), et in-12 (1801).
12. Lettres à un évêque, par M. dePompignan, avec un Discours préliminaire, 2 vol. in 8° (1802).
13. Défense de la Bévélation par Euler, 72 pages in-8° (1805).
14. Défense de l'Essai sur la tolérance, de M. Duvoisin, 71 pages in-8° (1805).
15. Nouveaux opuscules de Fleury, 1 vol. in-12 (1807).
16. Corrections et additions pour les Nouveaux Opuscules de Fleury, 72 pages in-12 (1809).
17. Nouvelle édition de la Vie de la mère Agnès, par M. de Lan- tages, 1 vol. in-12 (1808).
18. Essai de défense du cardinal Dubois, 27 pages in-8° (1810).
19. Pensées de Descartes sur la religion et la morale, 1 vol. in-8° (1811).
20. Supplément aux Pensées de Leibniz, — Dissertation sur la mitiyation de la peine des damnés, Système théologique de Leibniz (non publiés du vivant de M. Émery).
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 367
III. — Il eut un jour une conversation, à l'occasion de ses dernières publications, avec un ministre protes- tant venu d'Allemagne à Paris, qui lui révéla l'existence d'un manuscrit de Leibniz, dans lequel les témoignages de ce savant en faveur de la religion catholique étaient plus explicites que dans ses Pensées; c'était le System a theologicum.
On conserve à la bibliothèque de la maison de Saint- Sulpice , à Baltimore , une copie de ce manuscrit de Leibniz, écrite de la main de M. Emery, avec la note suivante de M. Brûlé :
a On connaissait bien l'existence du Système théo- logique de Leibniz, conservé dans la bibliothèque de Hanovre, mais toute communication en avait été refu- sée. Sur les premières instances de M. Émery, on lui en envoya un autre bien moins important ; il n'en fut pas dupe et fît de nouvelles démarches, par le cardinal Fesch , qui obtint un ordre favorable du roi de West- phalie. Alors ce manuscrit-ci fut livré, et le roi l'envoya au cardinal avec une lettre, dont II. Garnier conserve l'original. M. Emery le copia lui-même, en laissant les blancs aux endroits douteux qu'on remarque dans le manuscrit ci -joint. Il le collationna ensuite avec M. Pa- rage , bibliothécaire du séminaire , en corrigeant les méprises et complétant ce qu'il n'avait d'abord pu lire. M. Hemey, ancien grand vicaire, actuellement occupé de l'édition de Bossuet qui s'imprime à Versailles, en tira une seconde copie plus au net, qui reste à Paris entre ses mains.
« Celle-ci m 'ayant été confiée à lire, pendant mon dernier séjour à Issy, le jour de mon départ , je la remis à M. Garnier, en lui exprimant combien un pareil écrit, plein des aveux motivés les plus décisifs de l'homme de génie qui traita avec Bossuet de la réunion des protes- tants aux catholiques, serait précieux dans nos missions
368 M. ÉMERY
protestantes des États-Unis ; il me le donna. M. Hemey conserva l'autre plus au net. Il me le donna le 20 sep- tembre, et j'écris aujourd'hui, 30, à Bordeaux, avec la mémoire la plus fraîche, et le plus exactement qu'il m'est possible, la présente notice sur cet inestimable manuscrit.
(( Au séminaire de Bordeaux, 30 septembre 1815.
« Brûlé, prêtre de Saint- Sulpice , sur le point de retourner à Baltimore *. »
Cette note établit l'authenticité du manuscrit recueilli par M. Émery, authenticité contestée par des écrivains modernes, qui s'étonnent de rencontrer sous le nom d'un protestant célèbre les aveux et les affirmations les plus favorables à la doctrine catholique.
Cependant le célèbre antiquaire Murr, dont le témoi- gnage a été ratifié par la Revue de Dublin , a fait la déposition suivante :
IV. — « J'ai lu le système théologique de Leibniz. Il paraît avoir été écrit en 1671 et 1680, ou peu après. L'autographe en est conservé dans la bibliothèque royale de Hanovre, mais sans titre ni préface. M. Iung, mem- bre du conseil aulique et bibliothécaire, a transcrit en 150 pages in-folio ce singulier ouvrage, qui est de nature h faire une plus grande sensation que tous les autres écrits de Leibniz. Il y détend la religion catho- lique, même sur les points qui ont été le plus vigou- reusement contestés entre les catholiques et les protes- tants, avec tant de zèle que l'on douterait qu'il en fût l'auteur, si son écriture n'était bien connue par une foule de documents. Il règne dans tout l'ouvrage une noble simplicité, sans emphase et sans animosité , et
1 Inédit.
ET L' ÉGLISE DE FRANCE 369
partout l'auteur y déploie une sagacité remarquable1. »
Dans cet ouvrage qu'il composa après ses longues et savantes controverses avec Bossuet, quand il eut appro- fondi avec la sûreté puissante de son esprit tous les détails de la doctrine catholique , Leibniz nous fait sou- vent entendre l'enseignement le plus précis de la théo- logie catholique , et la condamnation la plus sévère et la mieux justifiée des erreurs cachées dans la religion de Luther.
Au début de son système théologique , il expose et démontre clairement l'existence et les attributs de Dieu, la chute du premier homme et ses funestes effets sur la race humaine, la possibilité et la nécessité d'une révé- lation, les caractères qui la justifient et les mystères qu'elle impose à notre foi.
Sur tous ces points l'accord est complet entre Leibniz èt l'Église catholique.
Il entre ensuite au cœur de l'enseignement révélé, et quand on lit ses pages sur la grâce, le libre arbitre, la justification, son principe, sa nature, ses effets, son amissibilité ; quand on le voit rejeter la doctrine des calvinistes et des luthériens et reproduire, en l'acceptant avec une sûreté théologique irréprochable, la doctrine catholique sur la nécessité de la tradition, l'autorité in- faillible de l'Église, le nombre et l'efficacité des sacre- ments, la suffisance et l'utilité de la communion sous une seule espèce, le sacrifice de la messe, la vénération des reliques et des images des saints, le purgatoire et toutes les conséquences que l'Église déduit de ce dogme, on ne comprend pas l'hésitation de ce grand homme qui n'est plus protestant, qui n'ose pas se déclarer catho- lique ; mais on voit bien aussi la force considérable que
1 Journal Zur Kunst-geschichte und zur algemeinen Lilte- ratur.
370 M. ÉMERY
l'autorité de cet esprit si vaste apporte à la défense de la. vérité chrétienne l.
V. — Une réflexion de Leibniz sur l'éternité et la mitigation des peines des damnés fit naître dans l'esprit de M. Émery la pensée d'approfondir cette matière, et de présenter avec précision , mais sans se prononcer, les opinions contraires des canonistes et des théologiens sur cette grave question.
M. Émery connaissait et respectait jusqu'aux déli- catesses même de la foi, il n'aurait jamais consenti à s'écarter du grand chemin de la tradition chrétienne pour soutenir une opinion qui aurait eu contre elle l'au- torité des plus graves théologiens.
Sa dissertation sur la mitigation des peines des damnés, louée récemment par le P. Ventura, dont l'au- torité théologique a une valeur considérable dans l'Église, admirée par des archevêques et des évêques qui étaient depuis longtemps les amis de M. Émery, n'était pas faite pour le public. L'auteur refusait de se prononcer sur le fonds de la question, et se contentait du rôle impartial de rapporteur. Cette intéressante dissertation témoigne d'une grande modération d'esprit et d'une vaste connaissance des Pères de l'Église , des conciles , du droit canon et de la théologie.
1 Garnier, héritier des papiers de M. Émery et son successeur dans la charge de supérieur général de la compagnie, publia le manuscrit de Leibniz, avec la traduction française, par M. Molle- vaut. MM. Ràss et Weiss en publièrent aussitôt une traduction allemande, accompagnée du texte latin et d'une excellente préface par le docteur Doller.
Une discussion sur la controverse soulevée par M. Foucher de Careil , à l'occasion du manuscrit de Leibniz, n'entre pas dans le cadre de notre sujet.
On peut consulter sur ce point un excellent article de la revue de Dublin, intitulé: Protestant Evidence of Catholicité , — Leibniz (n° 10, mai 1841).
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 371
Une lettre de M. Emery à M. l'abbé de Yaricourt, vers la fin de Tannée 1808, nous apprend des détails pleins d'intérêt sur ce nouveau travail, qui devait susciter plus tard de vives controverses.
ce Je vous envoie, lui dit-il, une brochure qui est, peut-être, ce que j'ai fait de mieux et avec plus de soin.
ce C'est une dissertation qui devait accompagner l'édi- tion des Pensées de Leibniz qui est faite, par consé- quent, depuis cinq ou six ans, et que j'ai cru devoir supprimer par prudence. Je l'ai examinée et perfec- tionnée depuis, je l'ai fait examiner; et enfin, dans la crainte qu'un travail que je crois curieux et utile ne fût entièrement perdu après ma mort, je l'ai fait imprimer, mais j'en ai retiré jusqu'ici tous les exemplaires ; je n'en ai donné qu'un très petit nombre à quelques savants évèques, qui l'ont tous approuvée. J'en ai envoyé trois exemplaires à Rome: un au P. Fontana, théologien du pape, aujourd'hui général des Barnabites, à qui je l'avais communiquée manuscrite lorsqu'il accompagna le sou- verain pontife à Paris, les autres aux cardinaux Anto- nelli et di Pietro , qui m'en ont remercié.
ce Le P. Fontana m'a proposé d'en envoyer deux exem- plaires au pape , qu'il se chargerait de lui présenter, persuadé que le saint- père la lirait avec plaisir. C'est cette dissertation que je vous envoie, et que vous ne jugerez qu'après l'avoir lue une deuxième fois. »
Nous voyons dans une note' écrite de la main de M. Emery que le saint- père fit remercier M. Emery de son envoi, et que les cardinaux Antonelli et di Pietro, et les théologiens les plus estimés de Rome qui avaient reçu du P. Fontana communication de cette disserta- tion sur la mitigation des peines des damnés, n'y avaient trouvé aucun principe , aucune affirmation repréhen- sible ou contraire à la foi.
Le vénérable archevêque d'Aix ne se contenta pas de
372 M. ÊMERY
lui témoigner sa satisfaction, il lui signala même un argument nouveau en faveur de sa thèse :
(( J'ai lu avec une extrême satisfaction votre disser- tation. On ne peut rien voir de plus exact, de plus im- partial , de plus complet. Je suis tout à fait dans votre sentiment, et je crois que les temps présents et les esprits d'aujourd'hui demandent que ce sentiment soit généralement adopté. Je n'y vois rien que de très ménagé pour les adversaires.
a Je trouve que quand vous vous objectez quelques décisions qui défendent les prières pour les réprouvés, vous pourriez dire que les défenses même , en désignant l'espèce des réprouvés pour lesquels on défend de prier (comme les péchés contre le "Saint-Esprit), supposent qu'on peut prier pour les autres. »
Cette note contient encore ces paroles flatteuses du P. Fontana, chargé d'exprimer la pensée de Sa Sainteté :
Summus Pontifex, cum doctissimx dissertationis tuse exemplar ei oblatum fuit, summopere et nomine et munere tuo delectari visus est. Itaque amantissimis verbis tibi salutem dicere et gratias agere a Saricti- tate Sua jussus s uni.
VI. — Mais c'est principalement dans les controverses philosophiques et religieuses que M. Emery révèle des qualités éminentes. Il expose avec clarté l'objection de son adversaire, la dépouille de son enveloppe, la met à nu, et la détruit avec une vigueur particulière. Son style est naturel, sans recherche, sans qualificatifs inu- tiles, mais ému et rapide dans l'exposition, élevé et souvent éloquent dans la discussion , précis , sans aridité et moulé sur la pensée dont il dessine les formes et les détails.
Dans un dialogue écrit pendant la Révolution, sur quelques préjugés du temps, il met en scène un prieur
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 373 et un ancien fermier. Le fermier répète les objections courantes sur l'inutilité de la religion , les mauvais prêtres, l'athéisme et les superstitions. M. Émery reprend une à une toutes ces objections, si arides qu'elles puis- sent être, et, avec une étonnante vigueur de discussion et de pensée, il les réfute et démontre ensuite la vérité ; il sépare la cause de la religion de la mauvaise conduite de quelques prêtres qui ont affligé l'Eglise par le spec- tacle de leur défection; il établit l'antiquité, l'univer- salité, la perpétuité de la foi religieuse dans le monde; il démontre l'existence de l'âme et sa distinction du corps par les facultés qui n'appartiennent qu'à elle, et l'existence de Dieu par l'argument de causalité, et ter- mine, après avoir fait la description de l'audace igno- rante des fanatiques de l'impiété, en pressant le fermier de conserver la foi de ses pères et ses sentiments reli- gieux.
Quelle vérité dans ce tableau des abus et des excès de la Révolution :
« Je sais et je me rappelle avec horreur qu'on a pro- fané les vases sacrés, traîné avec ignorance les ornements sacerdotaux et tout ce qui avait été jusqu'alors l'objet de la vénération publique; je sais qu'à Paris, par ordre de la municipalité et du département , et dans toute l'étendue de la France , par ordre des représentants en mission, on a renversé les autels, brûlé les livres d'église, mutilé les statues des saints, déchiré leurs images, dis- persé leurs reliques, détruit dans des lieux publics et, autant qu'on a pu, dans les maisons particulières tous les monuments et tous les signes de la religion, réduit tous les temples à l'état d'édifices profanes, et abattu même dans quelques départements tous les clochers.
« Enfin, pour renfermer tout en deux mots, on peut dire, je le sais, que toute la France, pendant quelques
374 M. ÉMERY
mois , a paru faire une profession de foi d'athéisme ou d'idolâtrie, ou, si vous l'aimez mieux, d'un monstrueux mélange de l'un et de l'autre; qu'elle a offert et offre encore aujourd'hui dans toutes ses villes et dans tous ses villages un tel spectacle de dévastation et de spoliation, qu'on peut dire avec vérité que si les Turcs ou les Tar- tares s'étaient rendus maîtres de la France, ils ne se seraient pas portés à de si grands excès. »
Ailleurs, dans ce même dialogue, il regarde l'avenir avec tristesse, et explique ainsi le silence de Dieu en présence du triomphe des méchants :
ce Dieu ne peut -il pas vouloir traiter la religion en France comme il l'a traitée dans d'autres contrées bien plus illustres, telles que l'Afrique? Ne peut -il pas per- mettre qu'elle y soit anéantie et qu'elle disparaisse? Jésus -Christ, qui a promis à l'Église qu'elle ne périrait jamais, n'a rien promis aux églises particulières : l'Église de France n'a pas plus de titres à ses yeux pour obtenir une durée perpétuelle que n'en avait autrefois l'Église d'Afrique.
(( Dans cette supposition douloureuse, il est vrai, mais qui n'a rien d'incroyable, n'est- il pas conséquent que Dieu n'arrête point les dévastations de l'impiété par des prodiges éclatants, et qu'il leur laisse un libre cours, comme il fit autrefois au temps où les Sarrasins envahi- rent l'Afrique?
(( Sans doute , il en coûte pour faire une supposition semblable , et nous espérons bien qu'elle ne se réalisera jamais. Mais cela suffit pour justifier à nos yeux la divi- nité sur l'inaction apparente de sa justice et pour faire cesser nos doutes sur la Providence , si cela ne suffît pas pour faire cesser nos pleurs. »
Tous les écrits de M. Émery révèlent la même hauteur de vues, la même correction de style et cette sobriété, dédaigneuse des amplifications oratoires, qui dégage et
ET L'ÉGLISE DE FRANCE 375 traduit fidèlement et fortement la pensée. Soit qu'il défende son sentiment sur les serments imposés par le gouvernement révolutionnaire , soit qu'il attaque les aveugles partisans de la constitution civile du clergé , dans ses lettres, dans ses discours, dans ses mémoires, il est avant tout homme d'action ; il s'empare de l'his- toire, qu'il ne cesse jamais de méditer, des textes de l'Écriture et des conciles, des témoignages sacrés et pro- fanes , les fond dans une trame puissante et réfute l'erreur ou démontre la vérité avec toutes les ressources de la science et l'énergie d'une conviction qui prend sa source dans l'amour des âmes et le dévouement le plus pur à la cause de l'Eglise !.
1 En dehors de ses ouvrages, M. Émery avait encore publié les études suivantes. Fidèle aux traditions de modestie qui sont l'hon- neur de sa compagnie, M. Émery ne signa jamais ni ses livres ni ses mémoires et ses dissertations :
année 1800
Sur la promesse de fidélité àla constitution de Van VIII. (Annales philosophiques , t. I, p. 91.)
Sur le bref de Pie VI du 16 janvier 1796. {Ibid., p. 155.)
Sur la réunion de l'Église russe à l'Église romaine. ( Ibid., p. 155).
Lettre à l'auteur des Annales sur l'exercice de plusieurs cultes dans une même église. (Ibid., p. 285.)
Sur les mariages décadaires. (Ibid., 464.)
Anecdotes sur l'assemblée de 1682. ( Ibid., p. 503.)
Sur la maxime attribuée à saint Augustin: in necessariis uni- tas, etc. (T. II, p. 13.)
Lettres sur l'histoire physique de la terre, par Deluc. (Ibid., pp. 337, 385, 474.)
Sur le droit des chapitres pendant la vacance des sièges épis- copaux. ( Ibid., p. 506. )
année 1801
Lettre inédite de l'abbé Fleunj. (T. III, p. 227.) Du sentiment de Bossuetsur l'autorité et la réception du concile de Trente en France. (T. III, p. 239.)
376 M. ÉA1ERY ET L'ÉGLISE DE FRANCE
Tel fut l'écrivain , tel aussi fut l'homme ; ses écrits comme sa parole forcèrent l'estime même de ses adver- saires, qui ne pouvaient se défendre de reconnaître en lui un grand caractère et un prêtre selon le cœur de Dieu.
ANNÉE 4804
Des nouveaux chapitres cathédraux. (Annales littéraires, t. II, p. 231.)
ANNÉE 1805
Sur l'édition des lettres d'Euler, publiée par Condorcet. (T. 111, p. 465.)
Défense de l'Essai sur la tolérance. (T. IV, p. 193.) Un second article sur le même sujet, contenu dans le même volume, n'est pas de M. Émery.
année 1806
Remarques sur le caractère d'Arnauldpar Leibniz. (Ibid., p. 505.) Défense des premières vérités, par l'abbé Sigorgne. (Mélanges, t. I^r, p. 1.)
Anecdotes sur le procès de Fouquet. (Ibid., p. 30.) Nous n'ose- rions assurer absolument que cet article soit de M. Émery.
année 1810
Sur le cardinal Dubois. (Ibid., t. VIII , p. 176.)
FIN
APPENDICE
Lettre au pape Pie VI des Évèques français qui n'ont pas consenti à donner leur démission.
Londres, 27 septembre 1801.
Très Saint -Père,
Nous ne dissimulons pas à Votre Béatitude la grave dou- leur qui affecta nos âmes aussitôt que nous reçûmes les lettres de Votre Sainteté, en date du 15 août 1801 , l'an se- cond de son pontificat. Cette douleur est si profonde, que, bien qu'il n'y ait pour nous aucun devoir plus cher et plus élevé que d'écouter autant qu'il est en notre puissance, avec une déférence entière, les conseils de Votre Paternité, cepen- dant cette même douleur nous laisse non seulement incer- tains et flottants, mais encore nous contraint, malgré nous, à tempérer notre obéissance.
La force de ces lettres est telle, que, si elles obtiennent jamais ce qu'elles prescrivent, en un seul instant toutes les Églises épiscopales (jui existent en France deviendront veuves. Votre Sainteté ne nous apprend pas, et, pour avouer libre- ment la vérité, nous-mêmes nous ne concevons pus comment la viduité subite de toutes les Églises de ce vaste empire pro- duira l'etfet salutaire de la conservation de l'unité et du réta- blissement en France de la religion catholique.
Certainement l'expérience de toutes les calamités qui depuis beaucoup d'années déchirent la patrie, montre assez tout ce que nous devons craindre des maux et des malheurs qui résulteront, pour la religion catholique , de cette viduité
378
APPENDICE
simultanément universelle : la voie à suivre pour éviter ces maux ne peut être ouverte à Votre Sainteté que par une assemblée de tous les évêques de l'Église gallicane.
Nous ne voulons pas parler ainsi pour faire entendre qu'il nous est pénible et désagréable de faire un pas en arrière à travers ces temps de douleur et de deuil; au con- traire, dans notre faiblesse, nous éprouverions une conso- lation pour chacun de nous, et un bonheur ineffable pour tous, en nous voyant déchargés d'un si grand fardeau (si toutefois il était permis de penser à quelque consolation et à quelque bonheur, après que nos esprits ont été brisés sous le poids de tant de maux).
Mais le droit de notre ministère semble nous demander de ne pas souffrir que l'on rompe jamais facilement ce lien qui nous a unis aux Églises immédiatement confiées à notre sollicitude, parla providence de Dieu très bon et très haut.
Nous conjurons ardemment Votre Sainteté de consentir à ce que, dans un écrit qui lui sera transmis incessamment, il nous soit permis d'expliquer et de développer plus au long les arguments sur lesquels nous appuyons notre sentiment. Cependant, remplis de confiance dans l'affection véritable- ment paternelle de Votre Sainteté à notre égard , nous espé- rons qu'elle ne déterminera rien de plus sur cette affaire jusqu'à ce qu'elle ait pesé, avec toute l'équité dont Elle est capable , les motifs que les fils allégueront devant un Père si pieux.
Prosternés aux genoux de Votre Béatitude, nous implo- rons de toute la force de notre âme la bénédiction aposto- lique, et nous sommes les très dévots et très obéissants fils de Votre Sainteté.
Cette lettre était signée parles prélats dont les noms suivent :
Arthur Richard, archevêque et primat de Narbonne; Louis, évêque d'Arras; François, évêque de Montpellier; Louis-Antoine de Grimaldi, évêque et comte de Noyon; .T.- François, évêque de Saint- Pol- de -Léon; H.- Louis, évêque de Périgueux; Pierre-Auguste, évêque d'Avranches; Sérastien- Michel, évêque de Vannes; Henri, évêque d'Uzès; Seignelay, évêque de. Rodez ; Charles-Eutrope , évêque de Nantes; Philippe-François, évêque d'Angou- lême; Alexandre-Henri , évêque de Lombez; J.-B. Louis, évêque nommé de Moulins.
LE CONCORDAT
Convention entre le gouvernement français et Sa Sainteté Pie VII.
Le gouvernement de la République française reconnaît que la religion catholique, apostolique, romaine, est la reli- gion de la très grande majorité des citoyens français.
Sa Sainteté reconnaît également que cette religion a retiré et attend encore en ce moment le plus grand bien et le plus grand éclat de l'établissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu'en font les consuls de la République.
En conséquence, d'après cette reconnaissance mutuelle, tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure, ils sont convenus de ce qui suit :
Article premier. — La religion catholique , apostolique, romaine, sera librement exercée en France, son culte sera public en se conformant aux règlements de police que le gouvernement jugera nécessaire pour la tranquillité pu- blique.
Art. 2. — Il sera fait par le Saint-Siège, de concert avec le gouvernement , une nouvelle circonscription des diocèses français.
Art. 3. — Sa Sainteté déclarera aux titulaires des évêchés français qu'elle attend d'eux avec une ferme confiance, pour le bien de la paix et de L'unité, toute espèce de sacrifices, même celui de leur siège.
D'après cette exhortation, s'ils se refusaient à ce sacrifice commandé par le bien de l'Église ( refus néanmoins auquel Sa Sainteté ne s'attend pas i, il sera pourvu par de nouveaux
380
APPENDICE
titulaires au gouvernement des évêchés de la circonscription nouvelle, delà manière suivante:
Art. 4. — Le premier consul de la République nommera, dans les trois mois qui suivront la publication de la bulle de Sa Sainteté, aux archevêchés et évêchés de la circonscription nouvelle. Sa Sainteté conférera l'institution canonique suivant les formes établies par rapport à la France avant le change- ment de gouvernement.
Art. 5. — Les nominations aux évêchés qui vaqueront dans la suite seront également faites par le premier consul, et l'institution canonique sera donnée par le Saint-Siège, en conformité de l'article précédent.
Art. 6. — Les évêques, avant d'entrer en fonction, prête- ront directement, entre les mains du premier consul, le ser- ment de fidélité qui était en usage avant le changement de gouvernement, exprimé dans les termes suivants :
« Je jure et promets à Dieu, sur les saints Évangiles, de garder obéissance et fidélité au gouvernement établi par la constitution de la République française. Je promets aussi de n'avoir aucune intelligence, de n'assister à aucun conseil, de n'entretenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique; et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose au préjudice de l'État, je le ferai savoir au gouvernement. »
Art. 7. — Les ecclésiastiques du second ordre prêteront le même serment entre les mains des autorités civiles dési- gnées par le gouvernement.
Art. 8. — La formule de prière suivante sera récitée à la fin de l'office divin, dans toutes les églises de France :
Domine, salvam fac Rempublicam. Domine, salvos fac Consules.
Art. 9. — Les évêques feront une nouvelle circonscription des paroisses de leurs diocèses, qui n'aura d'autre effet que d'après le consentement du gouvernement.
Art. 10. — Les évêques nommeront aux cures. Leur choix ne pourra tomber que sur des personnes agréées par le gou- vernement.
Art. 11. — Les évêques pourront avoir un chapitre dans leur cathédrale et un séminaire pour leur diocèse, sans que le gouvernement s'oblige à les doter.
Art. 12. — Toutes les églises métropolitaines, cathédrales,
APPENDICE
3S1
paroisstales et autres, non aliénées, nécessaires au culte, seront mises à la disposition des évêques.
Art. 13. — Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l'heu- reux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni Elle ni ses successeurs ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés, et qu'en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés, demeureront incommutables entre leurs mains et celles de leur ayants- cause.
Art. 14. — Le gouvernement assurera un traitement con- venable aux évêques et aux curés dont les diocèses et les cures seront compris dans la circonscription nouvelle.
Art. 15. — Le gouvernement prendra également des me- sures pour que les catholiques français puissent, s'ils le veulent, faire en faveur des églises des fondations.
Art. 16. — Sa Sainteté reconnaît, dans le premier consul de la République française, les mêmes droits et prérogatives dont jouissait près d'elle l'ancien gouvernement.
Art. 17. — Il est convenu entre les parties contractantes que, dans le cas où quelqu'un des successeurs du premier consul actuel ne serait pas catholique, les droits et préroga- tives mentionnés dans l'article ci-dessus et la nomination aux évêchés seront réglés, par rapport à lui, par une nou- velle convention.
Les ratifications seront échangées à Paris, dans l'espace de quarante jours.
Fait à Paris, le 26 messidor de l'an IX de la République /Van- nai*? (15 juillet 1801).
Signé : Joseph Bonaparte.
Herculus card 'uialis Consalvi , Cretet. Joseph archiep. Coriathi , Bermer. F. Garolus Caselli.
ARTICLES ORGANIQUES DE LA CONVENTION
DU 26 MESSIDOR AN IX Et loi du 18 germinal an X
TITRE PREMIER. — Du régime de l'église catholique dans ses rapports généraux avec les droits de la police de l'état.
I. Aucune bulle, bref, rescrit, décret, mandat, provision, signature servant de provision, ni autres expéditions de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers, ne pourront être reçus, publiés, imprimés, ni autrement mis à exécution, sans l'autorisation du gouvernement.
II. Aucun individu se disant nonce, légat, vicaire ou com- missaire apostolique, ou se prévalant de tout autre dénomi- nation, ne pourra, sans la même autorisation, exercer sur le sol français aucune fonction relative aux affaires de l'Église gallicane.
III. Les décrets de synodes étrangers, même ceux des conciles généraux, ne pourront être publiés en France avant que le gouvernement en ait examiné la forme, leur confor- mité avec les lois , droits et franchises de la République fran- çaise, et tout ce qui, dans leur publication, pourrait altérer ou intéresser la tranquillité publique.
IV. Aucun concile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, aucune assemblée délibérante n'aura lieu sans la permission expresse du gouvernement.
V. Toutes les fonctions ecclésiastiques seront gratuites, sauf les oblations qui seraient autorisées et fixées par les gouvernements.
APPENDICE
383
VI. Il y aura recours au conseil d'État, dans tous les cas d'abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclé- siastiques.
Les cas d'abus sont : l'usurpation ou l'excès de pouvoir, la contravention aux lois et règlements de la République, l'infraction des règles consacrées par les canons reçus en France, l'attentat aux libertés, franchises et coutumes de l'Église gallicane, et toute entreprise ou tout procédé qui, dans l'exercice du culte, peut compromettre l'honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression, ou en injure, ou en scandale public.
VII. Il y aura pareillement recours au conseil d'État s'il est porté atteinte à l'exercice public du culte et à la liberté que les lois et les règlements garantissent à ses ministres.
VIII. Le recours compétera à toute personne intéressée. A défaut de plainte particulière, il sera exercé d'ofhce par .les préfets.
Le fonctionnaire public, l'ecclésiastique ou la personne qui voudra exercer ce recours, adressera un mémoire détaillé et signé au conseil d'État chargé de toutes les affaires con- cernant les cultes, lequel sera tenu de prendre, dans le plus court délai, tous les renseignements convenables, et, sur son rapport, l'affaire sera suivie et définitivement terminée dans la forme administrative, ou renvoyée, selon l'exigence des cas, aux autorités compétentes.
TITRE II. — Des ministres Section première. — Dispositions générales.
IX. Le culte catholique sera exercé sous la direction des archevêques et évèques dans leurs diocèses, et sous celle des curés dans leurs paroisses.
X. Tout privilège portant exemption ou attribution de la juridiction épiscopale est aboli.
XI. Les archevêques et évêques pourront, avec l'autorisa- tion du gouvernement, établir dans leurs diocèses des cha- pitres cathédraux et des séminaires. Tous les autres établis- sements ecclésiastiques sont supprimés.
XII. Il sera libre aux archevêques et évêques d'ajouter à leur nom le titre de Citoyen ou celui de Monsieur. Toutes autres qualifications sont interdites.
384
APPENDICE
Section IL — Des archevêques ou métropolitains.
XIII. Les archevêques consacreront ou installeront leurs suffragants. En cas d'empêchement ou de refus de leur part, ils seront suppléés par le plus ancien évêque de l'arrondisse- ment métropolitain.
XIV. Ils veilleront au maintien de la foi et de la discipline dans les diocèses dépendants de la métropole.
XV. Ils connaîtront des réclamations et des plaintes por- tées contre la conduite et les décisions des évêques suffra- gants.
Section III. — Des évêques, des vicawes généraux et des séminaires.
XVI. On ne pourra être nommé évêque avant l'âge de trente ans, et si on n'est originaire Français.
XVII. Avant l'expédition de l'arrêté de nomination, celui ou ceux qui seront proposés seront tenus de rapporter une attestation de bonne vie et mœurs, expédiée par l'évêque dans le diocèse duquel ils auront exercé les fonctions du ministère ecclésiastique ; et ils seront examinés sur leur doc- trine par un évêque et deux prêtres, qui seront commis par le premier consul, lesquels adresseront le résultat de leur examen au conseil d'État chargé de toutes les affaires concer- nant les cultes.
XVIII. Le prêtre nommé par le premier consul fera les diligences pour rapporter l'institution du pape.
Il ne pourra exercer aucune fonction avant que la bulle portant son institution ait reçu l'attache du gouvernement, et qu'il ait prêté en personne le serment prescrit par la convention passée entre le gouvernement et le saint- siège.
Ce serment sera prêté au premier consul ; il en sera dressé procès -verbal par le secrétaire d'État.
XIX. Les évêques nommeront et institueront les curés; néanmoins ils ne manifesteront leur nomination et ils ne donneront l'institution canonique qu'après que cette nomi- nation aura été agréée par le premier consul.
XX. Ils seront tenus de résider dans leurs diocèses; ils ne pourront en sortir qu'avec la permission du premier consul.
XXI. Chaque évêque pourra nommer deux vicaires géné- raux , et chaque archevêque pourra en nommer trois : ils les
APPENDICE
choisiront parmi les prêtres ayant les qualités requises pour être évêques.
XXII. Ils visiteront annuellement et en personne une partie de leur diocèse, et dans l'espace de cinq ans le diocèse entier.
En cas d'empêchement légitime, la visite sera faite par un vicaire général.
XXXIII. Les évêques seront chargés de l'organisation de leurs séminaires, et les règlements de cette organisation seront soumis à l'approbation du premier consul.
XXIV. Ceux qui seront choisis pour l'enseignement dans les séminaires souscriront la déclaration faite par le clergé de France en 1682, et publiée par un édit de la même année; ils se soumettront à y enseigner la doctrine qui y est conte- nue, et les évêques adresseront une expédition en forme de cette soumission au conseiller d'État chargé de toutes les affaires concernant les cultes.
XXV. Les évêques enverront, toutes les années, à ce con- seiller d'État, le nom des personnes qui étudieront dans les séminaires et qui se destineront à l'état ecclésiastique.
• XXVI. Ils ne pourront ordonner aucun ecclésiastique, s'il ne justifie d'une propriété produisant au moins un revenu annuel de trois cents francs, s'il n'a atteint l'âge de vingt- cinq ans, et s'il ne réunit les qualités requises par les canons reçus en France.
Les évêques ne feront aucune ordination avant que le nombre des personnes à ordonner ait été soumis au gouver- nement, et par lui agréé.
Section IV. — Des curés.
XXVII. Les curés ne pourront entrer en fonctions qu'après avoir prêté, entre les mains du préfet, le serment prescrit par la convention passée entre le gouvernement et le saint- siège. Il sera dressé procès-verbal de cette prestation par le secrétaire général de la préfecture, et copie collationnée leur en sera délivrée.
XXVIII. Ils seront mis en possession par le curé ou le prêtre que l'évêque désignera.
XXIX. Ils seront tenus de résider dans leurs paroisses.
XXX. Les curés seront immédiatement soumis aux évêques dans l'exercice de leurs fonctions.
11*
386
APPENDICE
XXXI. Les vicaires et les desservants exerceront leur mini- stère sous la surveillance et la direction des curés.
Ils seront approuvés par l'évêque, et révocables par lui.
XXXII. Aucun étranger ne pourra être employé dans les fonctions du ministère ecclésiastique , sans la permission du gouvernement.
XXXIII. Toute fonction est interdite à tout ecclésias- tique, même Français, qui n'appartient à aucun diocèse.
XXXIV. Un prêtre ne pourra quitter son diocèse , pour aller desservir dans un autre, sans la permission de son évêque.
Section V. — Des chapitres cathédraux , et du gouverne- ment des diocèses pendant la vacance du siège.
XXXV. Les archevêques et évêques qui voudront user de la faculté qui leur est donnée d'établir des chapitres ne pourront le faire sans avoir rapporté l'autorisation du gou- vernement, tant pour l'établissement lui-même que pour le nombre et le choix des ecclésiastiques destinés à les former.
XXXVI. Pendant la vacance des sièges, il sera pourvu par Je métropolitain, et à son défaut par le plus ancien des évêques suffragants, au gouvernement des diocèses.
Les vicaires généraux de ces diocèses continueront leurs fonctions , même après la mort de l'évêque , jusqu'à rempla- cement.
XXXVII. Les métropolitains, les chapitres cathédraux, seront tenus, sans délai, de donner avis au gouvernement de la vacance des sièges, et des mesures qui auront été prises pour le gouvernement des diocèses vacants.
XXXVIII. Les vicaires généraux qui gouverneront pendant la vacance, ainsi que les métropolitains ou capitulaires, ne se permettront aucune innovation dans les usages et cou- tumes du diocèse.
TITRE III. — Du culte
XXXIX. Il n'y aura qu'une liturgie et un catéchisme pour toutes les églises catholiques de France.
XL. Aucun curé ne pourra ordonner des prières publiques extraordinaires dans sa paroisse, sans la permission spéciale de l'évêque.
APPENDICE
387
XLI. Aucifne fête, à l'exception du dimanche, ne pourra être établie sans la permission du gouvernement.
XLII. Les ecclésiastiques useront, dans les cérémonies religieuses, des habits et ornements convenables à leur titre; ils ne pourront, dans aucun cas ni sous aucun prétexte, prendre la couleur et les marques réservées aux évêques.
XLIII. Tous les ecclésiastiques seront habillés à la fran- çaise et en noir.
Les évêques pourront joindre à ce costume la croix pasto- rale et les bas violets.
XLIV. Les chapelles domestiques, les oratoires particu- liers, ne pourront être établis sans une permission expresse du gouvernement, accordée sur la demande de l'évêque.
XLV. Aucune cérémonie religieuse n'aura lieu hors des édifices consacrés au culte catholique, dans les villes où il y a des temples destinés à différents cultes.
XLVI. Le même temple ne pourra être consacré qu'à un même culte.
XLVII. Il y aura dans les cathédrales et paroisses une place distinguée pour les individus catholiques qui remplissent des fonctions civiles ou militaires.
XLYIII. L'évêque se concertera avec le préfet pour régler la manière d'appeler les fidèles au service divin par le son des cloches. On ne pourra les sonner pour toute autre cause sans la permission de la police locale.
XLIX. Lorsque le gouvernement ordonnera des prières publiques, les évêques se concerteront avec le préfet et le commandant militaire du lieu pour le jour, l'heure et le mode d'exécution de ces ordonnances.
L. Les prédications solennelles appelées sermons, et celles connues sous le nom de stations de l'Avent et du Carême , ne seront faites que par des prêtres qui en auront obtenu une autorisation spéciale de l'évêque.
LI. Les curés, aux prônes des messes paroissiales, prie- ront et feront prier pour la prospérité delà République fran- çaise et pour les consuls.
LU. Ils ne se permettront , dans leurs instructions, aucune inculpation directe ou indirecte, soit contre les personnes, soit contre les autres cultes autorisés dans l'État.
LUI. Ils ne feront au prône aucune publication étrangère à l'exercice du culte, à moins qu'ils n'y soient autorisés par le gouvernement.
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APPENDICE
LIV. Ils ne donneront la bénédiction nuptiale qu'à ceux qui justifieront, en bonne et due forme, avoir contracté ma- riage devant l'officier civil.
LV. Les registres tenus par les ministres du culte n'étant et ne pouvant être relatifs qu'à l'administration des sacre- ments ne pourront, dans aucun cas, suppléer les registres ordonnés par la loi pour constater l'état civil des Français.
LVI. Dans tous les actes ecclésiastiques et religieux, on sera obligé de se servir du calendrier d'équinoxe établi par les lois de la République; on désignera les jours par les noms qu'ils avaient dans le calendrier des solstices.
LYII. Le repos des fonctionnaires publics sera fixé au dimanche.
TITRE IV. — De la circonscription des archevêchés et
DES PAROISSES; DES ÉDIFICES DESTINÉS AU CULTE ET DU TRAITEMENT DES MINISTRES.
Section première. — De la circonscription des archevê- chés et des évêchés.
LV1II. Il y aura en France dix archevêchés ou métropoles et cinquante évêchés.
LIX. La circonscription des métropoles et des diocèses sera faite conformément au tableau ci -joint.
Section II. — Da la circonscription des paroisses.
LX. Il y aura au moins une paroisse par justice de paix.
Il sera en outre établi autant de succursales que le besoin pourra l'exiger.
LXI. Chaque évêque, de concert avec le préfet, réglera le nombre et l'étendue de ces succursales. Les plans arrêtés seront soumis au gouvernement, et ne pourront être mis à exécution sans son autorisation.
LXII. Aucune partie du territoire français ne pourra être érigée en cure ou en succursale sans l'autorisation expresse du gouvernement.
LXIII. Les prêtres desservant les succursales sont nom- més par les évêques.
APPENDICE
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Section III. — Du traitement des ministres.
LXIY. Le traitement des archevêques sera de 15 (XX) fir.
LXV. Le traitement des évêques sera de 10000 fr.
LXVL Les curés seront distribués en deux classes.
Le traitement des curés de la première classe sera porté à 1500 fr.; celui des curés de la seconde classe, à 1000 fr.
LXVII. Les pensions dont ils jouissent, en exécution des lois de l'Assemblée constituante, seront précomptées sur leur traitement.
Les conseils municipaux des grandes communes pourront, sur leurs biens ruraux ou sur leurs octrois, leur accorder une augmentation de traitement, si les circonstances l'exigent.
LXVIII. Les vicaires et desservants seront choisis parmi les ecclésiastiques pensionnés en exécution des lois de l'As- semblée constituante.
Le montant de ces pensions et le produit des oblations formeront leur traitement.
LXIX. Les évêques rédigeront les projets de règlements relatifs aux oblations que les ministres du culte sont autori- sés à recevoir pour l'administration des sacrements. Les projets de règlements rédigés par les évêques ne pourront être publiés, ni autrement mis à exécution, qu'après avoir été approuvés par le gouvernement.
LXX. Tout ecclésiastique pensionnaire de l'État sera privé de pension s'il refuse, sans cause légitime , les fonctions qui pourront lui être confiées.
LXXL Les conseils généraux de département sont autori- sés a procurer aux archevêques et évêques un logement con- venable.
LXXII. Les presbytères et les jardins attenants, non alié- nés, seront rendus aux curés et aux desservants des succur- sales. A défaut de ces presbytères, les conseils généraux des communes sont autorisés «à leur procurer un logement et un jardin.
LXXIIL Les fondations qui ont pour objet l'entretien des ministres et l'exercice du culte ne pourront consister qu'en rentes constituées sur l'État. Elles seront acceptées par l'évêque diocésain, et ne pourront être exécutées qu'avec l'autorisation du gouvernement.
LXXIV. Les immeubles autres que les édifices destinés
390
APPENDICE
au logement et les jardins attenants, ne pourront être affec- tés à des titres ecclésiastiques, ni possédés par les ministres du culte à raison de leurs fonctions.
Section IV. — Des édifices destinés au culte.
LXXV. Les édifices anciennement destinés au culte catho- lique, actuellement dans les mains de la nation, à raison d'un édifice par cure et par succursale , seront mis à la dis- position des évêques par arrêté du préfet du département. Une expédition de ces arrêtés sera adressée au conseiller d'État chargé de toutes les affaires concernant les cultes.
LXXVI. Il sera établi des fabriques pour veiller à l'en- tretien et à la conservation des temples, à l'administration des aumônes.
LXXVII. Dans les paroisses où il n'y aura point d'édifice disponible pour le culte , l'évêque se concertera avec le préfet pour la désignation d'un édifice convenable.
RECLAMATION
CONTRE LES ARTICLES ORGANIQUES
FAITE AU NOM DU SIÈGE APOSTOLIQUE
Par le cardinal Caprara, le 18 août 1803, et adressée au ministre de France Talleyrand
Monseigneur,
Je suis chargé de réclamer contre cette partie de Ja loi du 18 germinal (8 avril 1802) que l'on a désignée sous le nom d'articles organiques. Je remplis ce devoir avec d'autant plus de confiance, que je compte davantage sur la bienveil- lance du gouvernement et sur son attachement sincère aux vrais principes de la religion.
La qualification qu'on donne à ces articles paraîtrait
1 S. S. le pape Pie VII a protesté personnellement contre la publication des articles organiques , notamment en 1802 et en 1800. Voici en quels termes il le fit dans son allocution Quam luctuo- sam, prononcée dans le consistoire du 24 mai 1802 : « ... Ani- madvertimus una cum prailata conventione Nostra nonnullos alios arliculos ignotos Nobis, promulgatos esse; quos , vestigiis prœdecessorum Nostrorum inhaerentes , haud possumus non expetere ut oppovtunas ac necessarias modijicationes ac muta- tiones accipiant. — Nous avons remarqué qu'à la suite de Notre convention ont été promulgués quelques articles à Nous entière- ment inconnus. Marchant sur les traces de Nos prédécesseurs, c'est pour Nous un devoir de demander que ces articles reçoivent des modifications convenables et subissent des changements né- cessaires. »
Dans la bulle Quam memoranda, du 10 juin 1809, Sa Sainteté sexprime ainsi : « Quam sane amaritudinem non dissimulavi-
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d'abord supposer qu'ils ne sont que la suite naturelle et l'explication du Concordat religieux; cependant il est de fait qu'ils n'ont point été concertés avec le saint- siège, qu'ils ont une extension plus grande que le Concordat , et qu'ils établissent en France un code ecclésiastique sans le concours du saint-siège. Comment Sa Sainteté pourrait-elle l'admettre, n'ayant pas même été invitée à l'examiner ? Ce code a pour objet la doctrine, les mœurs, la discipline du clergé, les devoirs des évêques, ceux des ministres inférieurs, leurs relations avec le saint -siège et le mode d'exercice de leur juridiction. Or tout cela tient aux droits imprescriptibles de l'Église : elle a reçu de Dieu seul l'autorisation de décider les questions de la doctrine sur la foi ou sur les règles des mœurs, et de faire des canons ou des règles de discipline.
M. d'Héricourt, l'historien Fleury, les plus célèbres avo- cats généraux et M. de Gastillon lui-même, avouaient ces vérités. Ce dernier reconnaît dans l'Église « le pouvoir qu'elle a reçu de Dieu pour conserver, par l'autorité de la prédica- tion, des lois et des jugements, la règle de la foi et des mœurs , la discipline nécessaire à l'économie de son gouver- nement, la succession et la perpétuité de son ministère1 ».
Sa Sainteté n'a donc pu voir qu'avec une extrême douleur qu'en négligeant de suivre ces principes, la puissance civile ait voulu régler, décider, transformer en lois des articles qui intéressent essentiellement les mœurs, la discipline, les droits de l'instruction et la juridiction ecclésiastique. N'est- il pas à craindre que cette innovation n'engendre les défiances, qu'elle ne fasse croire que l'Église de France est asservie,
mus, ipsisque Fratribus Nostris sanctœ Romanae Ecclesia? cardi- nalibus, in allocutione ad ipsos habita in consistorio diei 24 maii anni 1802 : significantes scilicet, ea promulgatione nonnullos initae conventioni adjectos fuisse articulos, ignotos Nobis , quos statim improbavirnus. — Cette douleur amère. Nous ne l'avons pas cachée à Nos frères les cardinaux de la sainte Église ro- maine, dans une allocution prononcée dans le consistoire du 24 mai 1802, leur faisant savoir qu'il a été ajouté à la promul- gation de la convention conclue quelques articles qui Nous étaient tout à fait inconnus, et que Nous avons aussitôt désap- prouvés. »
De leur côté, les évêques de France protestèrent contre ces mêmes articles en 1826 et en 1829. 1 Réquisitoire contre les actes de rassemblée du clergé, en 1765.
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même dans les objets purement spirituels, au pouvoir tem- porel, et qu'elle ne détourne de l'acceptation des places beau- coup d'ecclésiastiques méritants? Que sera-ce si nous envi- sageons chacun de ces articles en particulier?
Le premier veut « qu'aucune bulle, bref, etc., émanés du Saint-siège, ne puissent être mis à exécution, ni même pu- bliés, sans l'autorisation du gouvernement ».
Cette disposition prise dans toute cette étendue ne blesse- t-elle pas évidemment la liberté de renseignement ecclésias- tique? Ne soumet-elle pas la publication des vérités chré- tiennes à des formalités gênantes? Ne met-elle pas les décisions concernant la foi et la discipline sous la dépen- dance absolue du pouvoir temporel? Ne donne -t-elle pas à la puissance qui serait tentée d'en abuser les droits et les facilités d'arrêter, de suspendre, d'étouffer même le langage de la vérité, qu'un pontife fidèle à ses devoirs voudrait adres- ser aux peuples confiés à sa sollicitude?
Telle ne fut jamais la dépendance de l'Église, même dans les premiers siècles du christianisme. Nulle puissance n'exi- 'geait alors la vérification de ses décrets. Cependant elle n'a pas perdu de ses prérogatives en recevant des empereurs dans son sein. Elle 0 oit jouir de la même juridiction dont elle jouissait sous les empereurs païens. Il n'est jamais per- mis d'y donner atteinte, parce qu'elle la tient de Jesus- Christ[. Avec quelle peine le saint-siègp ne doit-il pas voir les entraves qu'on veut mettre à ses droits ?
Le clergé de France reconnaît lui-même que les jugements du saint-siège, et auxquels adhère le corps épiscopal, sont irréfragables: pourquoi auraient -ils donc besoin de l'auto- risation du gouvernement, puisque, suivant les principes gallicans, ils tirent toute leur force de l'autorité qui les pro- nonce et de celle qui les admet? Le successeur de Pierre doit confirmer ses frères dans la foi, suivant les expres- sions de l'Écriture; or comment pourra-t-il le faire si, sur chaque article qu'il enseignera, il peut être à chaque instant arrêté par le relus ou le défaut de vérification de la part du gouvernement temporel? Ne suit -il pas évidemment de ces dispositions que l'Église ne pourra plus savoir et croire que ce qu'il plaira au gouvernement de laisser publier?
Cet article blesse la délicatesse et le secret constamment
1 D'Héricourt, Lois ecclésiastiques.
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observés dans les affaires de la Pénitencerie. Tout particulier peut s'y présenter avec confiance et sans crainte de voir ses faiblesses dévoilées. Cependant cet article, qui n'excepte rien, veut que les brefs, même personnels, émanés de la Pénitencerie, soient vérifiés. Il faudra donc que les secrets de famille et la suite malheureuse des faiblesses humaines soient mis au grand jour, pour obtenir la permission d'user de ces brefs? Quelle gêne! quelles entraves ! Le parlement lui-même ne les admettait pas, car il exceptait de la vérifi- cation les provisions, les brefs de la Pénitencerie et autres expéditions concernant les affaires des 'particuliers.
Le second article déclare « qu'aucun légat, nonce ou délé- gué du saint-siège ne pourra exercer ses pouvoirs en France sans la même autorisation ». Je ne puis que répéter ici les justes observations que je viens de faire sur le premier article : l'un frappe la liberté de l'enseignement dans sa source , l'autre l'atteint dans ses agents ; le premier met des entraves à la publication de la vérité, le second à l'apostolat de ceux qui sont chargés de l'annoncer. Cependant Jésus- Christ a voulu que sa divine parole fût constamment libre, qu'on pût la prêcher sur les toits, dans toutes les nations et auprès de tous les gouvernements. Comment allier ce dogme catholique avec l'indispensable formalité d'une vérifi- cation de pouvoirs et d'une permission civile de les exercer? Les apôtres et les premiers pasteurs de l'Église naissante eussent -ils pu prêcher l'Évangile, si les gouvernements eussent exercé sur eux un pareil droit ?
Le troisième article étend cette mesure aux canons des conciles même généraux. Ces assemblées si célèbres n'ont eu nulle part plus qu'en France de respect et de vénération, comment se fait-il donc que chez cette même nation elles éprouvent tant d'obstacles, et qu'une formalité civile donne le droit d'en éluder, d'en rejeter même les décisions?
On veut, dit-on, les examiner. Mais la voie d'examen, en matière religieuse, est proscrite dans le sein de l'Église catholique : il n'y a que les communions protestantes qui l'admettent , et de là est venue cette étonnante variété qui rè<xne dans leurs croyances.
Quel serait d'ailleurs le but de ces examens? celui de reconnaître si les canons des conciles sont conformes aux lois françaises? Mais si plusieurs de ces lois, telles que celles sur le divorce, sont en opposition avec le dogme catho-
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lique, il faudra donc rejeter les canons et préférer les lois, quelque injuste ou erroné qu'en soit l'objet? Qui pourra adopter une pareille conclusion? Ne serait-ce pas sacrifier la religion , ouvrage de Dieu même , aux ouvrages toujours im- parfaits et souvent injustes des hommes?
Je sais que notre obéissance doit être raisonnable ; mais n'obéir qu'avec des motifs suffisants n'est pas avoir le droit, non seulement d'examiner, mais de rejeter arbitrairement tout ce qui nous déplaît.
Dieu n'a promis cette infaillibilité qu'à son Église : les sociétés humaines peuvent se tromper; les plus sages légis- lateurs en ont été la preuve. Pourquoi donc comparer les décisions d'une autorité irréfragable avec celle d'une puis- sance qui peut errer, et faire, dans cette comparaison, pen- cher la balance en faveur de cette dernière? Chaque puissance a d'ailleurs les mêmes droits; ce que la France ordonne, l'Espagne et l'Empire peuvent l'exiger; et comme les lois sont partout différentes, il s'ensuivra que l'enseignement de TÉglise devra varier suivant les peuples pour se trouver d'accord avec les lois.
Dira-t-on que le parlement français en agissait ainsi ? Je le sais ; mais il n'examinait, suivantsa déclaration du!24 mai 4766, que ce qui pouvait, dans la publication des canons et des bulles, altérer ou intéresser la tranquillité publique, et non leur conformité avec des lois qui pouvaient changer dès le lendemain.
Cet abus d'ailleurs ne pourrait être légitimé par l'usage, et le gouvernement en sentait si bien les inconvénients, qu'il disait au parlement de Paris, le 6 avril 1757, par l'or- gane de M. d'Aguesseau : « Il semble qu'on cherche à affai- blir le pouvoir qu'a l'Église de faire des décrets, en le fai- sant tellement dépendre de la puissance civile de son con- cours, que, sans ce concours, les plus saints décrets de l'Église ne puissent obliger les sujets du roi. »
Enfin ces maximes n'avaient lieu dans les parlements, suivant la déclaration de 1766, que pour rendre les décrets de l'Église lois de l'État, et en ordonnner l'exécution avec défense, sous les peines temporelles, d'y contrevenir. Or ces motifs ne sont plus ceux qui dirigent aujourd'hui le gou- vernement, puisque la religion n'est plus la religion de l'État, mais uniquement celle de la majorité des Français.
L'article 5 déclare qu'il y aura recours au conseil d'État
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pour tous les cas d'abus. Mais quels sont- ils? L'article ne les spécifie que d'une manière générique et indéterminée.
On dit, par exemple, qu'un des cas d'abus est l'usurpa- tion et l'excès de pouvoir. Mais, en matière de juridiction spirituelle, l'Église en est le seul juge; il n'appartient qu'à elle de déclarer « en quoi l'on a excédé ou abusé des pou- voirs qu'elle seule peut conférer » ; la puissance temporelle ne peut connaître l'abus excessif d'une chose qu'elle n'ac- corde pas.
Un second cas d'abus est la « contravention aux lois et règlements de la République » ; mais si ces lois, si ces règlements sont en opposition avec la doctrine chrétienne , faudra-t-il que le prêtre les observe de préférence à la foi de Jésus-Christ? Telle ne fut jamais l'intention du gouvernement.
On range dans la classe des abus « l'infraction des règles consacrées en France par les saints canons ». Mais ces règles ont dû émaner de l'Église ; c'est donc à elle seule de pro- noncer sur leur infraction, car elle seule en connaît l'esprit et les dispositions.
On dit enfin qu'il y a lieu à Y appel comme d'abus pour toute entreprise qui tend à compromettre l'honneur des citoyens, à troubler leur conscience, ou qui dégénère contre eux en oppression, injure ou scandale public d'après la loi.
Mais si un divorcé , si un hérétique connu en public se présente pour recevoir les sacrements , et qu'on les lui refuse, il prétendra qu'on lui a fait injure, il criera au scandale, il portera sa plainte, on l'admettra d'après la loi; et cependant le prêtre inculpé n'aura fait que son devoir, puisque les sacrements ne doivent jamais être conférés à des personnes notoirement indignes.
En vain s'appuierait-on sur l'usage constant des appels comme d'abus. Cet usage ne remonte pas au delà du règne de Philippe de Valois, mort en 1350; il n'a jamais été con- stant et uniforme : il a varié suivant les temps; les parle- ments avaient un intérêt particulier à l'accréditer : ils aug- mentaient leurs pouvoirs et leurs attributions; mais ce qui flatte n'est pas toujours juste. Ainsi Louis XIV, par Pédit de 1695, art 34, 36, 37, n'attribuait-il aux magistrats sécu- liers que Y examen des formes, en leur prescrivant de ren- voyer le fond an supérieur ecclésiastique. Or cette restriction n'existe nullement dans les articles oryaniques. Ils attribuent
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indistinctement au conseil d'État le jugement de la forme et celui du fond.
D'ailleurs les magistrats qui prononçaient alors sur ces cas d'abus étaient nécessairement catholiques; ils étaient obligés de l'affirmer sous la foi du serment, tandis qu'au- jourd'hui ils peuvent appartenir à des sectes séparées de l'Église catholique et avoir à prononcer sur des objets qui l'intéressent essentiellement.
L'article 9 veut que le culte soit exercé sous la direction des archevêques, des évêques et des curés. Mais le mot direction ne rend pas ici les droits des archevêques et évêques : ils ont, de droit divin, non seulement le droit de diriger, mais encore celui de définir, d'ordonner et de juger. Les pouvoirs des curés dans les paroisses ne sont pas les mêmes que ceux des évêques dans les diocèses; on n'aurait donc pas dû les exprimer de la même manière et dans les mêmes articles , pour ne pas supposer une identité qui n'existe pas.
Pourquoi d'ailleurs ne pas faire ici mention des droits de •Sa Sainteté? A-t-on voulu lui ravir un droit général qui lui appartient essentiellement?
L'article 10, en abolissant toute exemption ou attribution de la juridiction épiscopale, prononce évidemment sur une matière purement spirituelle ; car si les territoires exempts sont aujourd'hui soumis à l'ordinaire, ils ne le sont qu'en vertu d'un règlement du saint-siège; lui seul donne à l'ordi- naire une juridiction qu'il n'avait pas. Ainsi , en dernière analyse, la puissance temporelle aura conféré des pouvoirs qui n'appartiennent qu'à l'Église. Les exemptions, d'ailleurs, ne sont pas aussi abusives qu'on l'a imaginé. Saint Grégoire lui-même les avait admises, et les puissances temporelles ont eu souvent le soin d'y recourir.
L'article 11 supprime tous les établissements religieux, à l'exception des séminaires ecclésiastiques et des chapitres. A-t-on bien réfléchi sur cette suppression? Plusieurs de ces établissements étaient d'une utilité reconnue ; le peuple les aimait; ils le secouraient dans ses besoins; la piété les avait fondés; l'Église les avait solennellement approuvés, sur la demande même des souverains : « elle seule pouvait donc en prononcer la suppression. »
L'article 14 ordonne aux archevêques de veiller au main- tien de la foi et de la discipline dans les diocèses de leurs suffragants. Nul devoir n'est plus indispensable ni plus sacré, II 12
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mais il est aussi le devoir du saint-siège pour toute l'Eglise. Pourquoi donc n'avoir pas fait mention dans l'article de cette surveillance générale? Est-ce un oubli? est-ce une ex- clusion ?
L'article 15 autorise les archevêques à connaître des récla- mations et des plaintes portées contre la conduite et les décisions des évêques sufï'ragants. Mais que feront les évêques si les métropolitains ne leur rendent pas justice? A qui s'adresseront -ils donc pour l'obtenir? A quel tribunal en appelleront-ils de la conduite des archevêques à leur égard? C'est une difficulté d'une importance majeure et dont on ne parle pas. Pourquoi ne pas ajouter que le souverain pontife fait alors connaître de ces différends par voie d'appellation , et prononcer définitivement suivant ce qui est enseigné par les saints canons?
L'article 17 paraît établir le gouvernement juge de la foi, des mœurs et de la capacité des évêques nommés ; c'est lui qui les fait examiner, et qui prononce d'après les résultats de l'examen. Cependant le souverain pontife a seul le droit de faire, par lui ou par ses délégués, parce que lui seul doit instituer canoniquement, et que cette institution canonique suppose évidemment, dans celui qui accorde, une connais- sance acquise de la capacité de celui qui la reçoit. Le gou- vernement a-t-il prétendu nommer tout à la fois et se cons- tituer juge de l'idonéité? ce serait contraire à tous les droits et usages reçus ; ou veut-il seulement s'assurer par cet exa- men que son choix n'est pas tombé sur un sujet indigne de l'épiscopat ? C'est ce qu'il importe d'expliquer.
Je sais que l'ordonnance de Blois prescrivait un pareil examen ; mais le gouvernement consentit lui-même à y déro- ger. Il fut statué, par une convention secrète, que les nonces de Sa Sainteté feraient seuls ces informations. On doit donc suivre aujourd'hui cette même marche, parce que l'article 4 du Concordat veut que Y institution canonique soit conférée aux évêques dans les formes établies avant le chan- gement de gouvernement.
L'article 22 ordonne aux évêques de visiter leurs diocèses dans l'espace de cinq années. La discipline ecclésiastique restreignait davantage le temps de ces visites ; l'Église l'avait ainsi ordonné pour de graves et solides raisons ; il semble , d'après cela, qu'il n'appartient qu'à elle seule de changer cette disposition.
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On exige, par l'article 24, que les directeurs des séminaires souscrivent à la déclaration de 1 082 et enseignent la doctrine qui y est contenue. Pourquoi jeter de nouveau au milieu des Français ce germe de discorde? Ne sait-on pas que les auteurs de celte déclaration l'ont eux-mêmes désavouée J Sa Sainteté peut-elle admettre ce que ses prédécesseurs les plus immé- diats ont eux-mêmes rejeté? Ne doit -elle pas s'en tenir à ce qu'ils ont prononcé? Pourquoi souffrirait-elle que l'orga- nisation d'une Église qu'elle relève au prix de tant de sacri- fices consacrât des principes qu'elle ne peut avouer? Ne vaut-il pas mieux que les directeurs des séminaires s'engagent à enseigner une morale saine, plutôt qu'une déclaration qui fut et sera toujours une source de division entre la France et le saint-siège?
On veut, article 25, que les évêques envoient tous les ans l'état des ecclésiastiques étudiant dans leurs séminaires; pourquoi leur imposer cette nouvelle gêne? Elle a été incon- nue et inusitée dans tous les siècles précédents.
L'article 26 veut qu'ils ne puissent ordonner que des hommes de vingt-cinq ans; mais l'Église a fixé l'âge de vingt et un ans pour le sous-diaconat, et celui de vingt-quatre ans accomplis pour le sacerdoce. Qui pourrait abolir ces usages, sinon l'Église elle-même? Prétend-on n'ordonner, même des sous-diacres, qu'à vingt-cinq ans? Ce serait prononcer l'ex- tinction de l'Église de France par le défaut des ministres; car il est certain que plus on éloigne le moment de recevoir les ordres, et moins ils sont conférés. Cependant tous les dio- cèses se plaignent de la disette de prêtres; peut-on espérer qu'ils en obtiennent, quand on exige pour les ordinands un titre clérical de 300 francs de revenu ? Il est indubitable que cette clause fera déserter partout les ordinations et les sémi- naires. Il en sera de même de la clause qui oblige l'évèque à demander la permission du gouvernement pour ordonner ; cette clause est évidemment opposée à la liberté du culte, garantie à la France par l'article 1" du dernier Concordat. Sa Sainteté désire, et le bien de la religion exige, que le gouvernement adoucisse les rigueurs de ces dispositions sur ces trois objets.
L'article 35 exige que les évêques soient autorisés par le gouvernement pour l'établissement des chapitres. Cependant cette autorisation leur était accordée par l'article 11 du Con- cordat. Pourquoi donc en exiger une nouvelle, quand une
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convention solennelle a déjà permis ces établissements? La même obligation est imposée par l'article 23 pour les sémi- naires , quoiqu'ils aient été , comme les chapitres , spéciale- ment autorisés par le gouvernement. Sa Sainteté voit avec douleur qu'on multiplie de cette manière les entraves et les difficultés pour les évêques. L'édit de mai 4763 exemptait formellement les séminaires de prendre des lettres patentes1, et la déclaration du 16 juin 1659, qui paraissait les y assu- jettir, ne fut enregistrée qu'avec cette clause : sans préju- dice des séminaires , qui seront établis par les évêques pour l'institution des prêtres seulement. Telles étaient aussi les dispositions de l'ordonnance de Blois , article 25 , et de l'édit de Melun, article 1er. Pourquoi ne pas adopter ces principes? A qui appartient-il de régler l'instruction dogma- tique et morale d'un séminaire, sinon à l'évêque? De pa- reilles matières peuvent -elles intéresser le gouvernement temporel?
Il est de principe que le vicaire général et l'évêque sont une seule personne, et que la mort de celui-ci entraîne la cessa- tion des pouvoirs de l'autre ; cependant , au mépris de ce principe, l'article 36 proroge aux vicaires généraux leurs pouvoirs après la mort de l'évêque. Cette prorogation n'est- elle pas évidemment une concession de pouvoirs spirituels faite par le gouvernement sans l'aveu et même contre l'usage reçu de l'Église?
Ce même article veut que les diocèses, pendant la vacance du siège, soient gouvernés par le métropolitain ou par le plus ancien évêque.
Mais ce gouvernement consiste dans une juridiction spiri- tuelle. Gomment le pouvoir temporel pourrait-il l'accorder? Les chapitres seuls en sont en possession. Pourquoi le leur enlever, puisque l'article 11 du Concordat autorise les évêques à les établir ?
Les pasteurs appelés par les époux pour bénir leur union ne peuvent le faire, d'après l'article 54, qu'après les forma- lités remplies devant l'officier civil; cette clause rectrictive el grnanteaété jusqu'ici inconnue dans l'Église. Il en résulte deux espèces d'inconvénients :
L'un affecte les contractants, l'autre blesse l'autorité de l'Église et gêne ses pasteurs. Il peut arriver que les contrac-
1 Mémowes du clergé, tome II.
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tants se contentent de remplir les formalités civiles, et qu'en négligeant d'observer les lois de l'Église, ils se croient légi- timement unis, non seulement aux yeux de la loi, quant aux effets purement civils, mais encore devant Dieu et devant l'Église.
Le deuxième inconvénient blesse l'autorité de l'Église et gêne les pasteurs en ce que les contractants, après avoir rempli les formalités légales, croient avoir acquis le droit de forcer les curés à consacrer leur mariage par leur présence, lors môme que les lois de l'Église s'y opposeraient.
Une telle prétention contrarie ouvertement l'autorité que Jésus-Christ a accordée à son Église, et fait à la conscience des fidèles une dangereuse violence. Sa Sainteté, conformé- ment à l'enseignement et aux principes qu'a établis pour la Hollande un de ses prédécesseurs, ne pourrait voir qu'avec peine un tel ordre de choses; elle est dans l'intime confiance que les choses se rétabliront à cet égard , en France , sur le même pied sur lequel elles étaient d'abord et telles qu'elles se pratiquent dans les autres pays catholiques. Les fidèles, •dans tous les cas, seront obligés à observer les lois de l'Église, et les pasteurs doivent avoir la liberté de les prendre pour règle de conduite, sans qu'on puisse, sur un sujet aussi important, violenter leurs consciences. Le culte public de la religion catholique, qui est celle du consul et de l'immense majorité de la nation, attend ces actes de justice de la sagesse du gouvernement.
Sa Sainteté voit aussi avec peine que les registres soient enlevés aux ecclésiastiques et n'aient plus , pour ainsi dire, d'autre objet que de rendre les hommes étrangers à la reli- gion dans les trois instants les plus importants de la vie : la naissance, le mariage et la mort; elle espère que le gouver- nement rendra aux registres tenus par les ecclésiastiques la consistance légale dont ils jouissaient précédemment ; le bien de l'État l'exige presque aussi impérieusement que celui de la religion.
Article 61. Il n'est pas moins affligeant de voir les évêques obligés de se concerter avec les préfets pour l'érection des succursales; eux seuls doivent être juges des besoins spiri- tuels des fidèles. Il est impossible qu'un travail ainsi com- biné par deux hommes trop souvent divisés de principes offre un résultat heureux ; les projets de l'évêque seront con- trariés, et, par contre-coup, le bien des fidèles en souffrira.
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L'article 74 veut que les immeubles autres que les édifices affectés aux logements et les jardins attenants ne puissent être affectés à des titres ecclésiastiques , ni possédés par les ministres du culte à raison de leurs fonctions. Quel con- traste frappant entre cet article et l'article 7 concernant les ministres protestants ! Ceux-ci non seulement jouissent d'un traitement qui leur est assuré , mais ils conservent tout à la fois les biens que leur Église possède et les oblations qui leur sont offertes. Avec quelle amertume l'Église ne doit- elle pas voir cette énorme différence ! Il n'y a qu'elle qui ne puisse posséder des immeubles ; les sociétés séparées d'elle peuvent en jouir librement : on les leur conserve, quoique leur religion ne soit professée que par une minorité bien faible, tandis que l'immense majorité des Français et les consuls eux-mêmes professent la religion que l'on prive léga- lement du droit de posséder des immeubles.
Telles sont les réflexions que j'ai dû présenter au gouver- nement français par votre organe. J'attends tout de l'équité, du discernement et du sentiment de religion qui anime le premier consul. La France lui doit son retour à la foi ; il ne laissera pas son ouvrage imparfait, et il en retranchera tout ce qui ne sera pas d'accord avec les usages adoptés par l'Église. Vous seconderez par votre zèle ses intentions bien- veillantes et ses efforts. La France bénira de nouveau le pre- mier consul; et ceux qui calomnieraient le rétablissement de la religion catholique en France, ou qui murmureraient contre les moyens adoptés pour l'exécution, seront pour tou- jours réduits au silence.
Paris , 18 août 1803.
J.-A. cardinal Càprara.
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME SECOND CHAPITRE I
LE DERNIER SERMENT ET LA RENAISSANCE DU SÉMINAIRE
Triomphe do la révolution à Rome. — Captivité et mort de Pie VII.
— État nouveau des esprits en France. — La journée du 18 brumaire. — Promesses de fidélité à la constitution. — Fausse interprétation et opposition de Maury. — Réponse et réfutation par M. Emery. — Eclaircissements dans le Journal officiel. — Lettres des évêques de Langres , Reims, Saint- Papoul, Soissons, Blois, Angers et Toulouse. — Le séminaire est transféré successivement rue Saint-Jacques, rue Notre-Dame- des-Champs et rue du Pot -de -Fer. — Démolition de l'ancien séminaire. — M. Émery visite une dernière fois les tombes des anciens sulpiciens. — Projet d'une place de Grève. — Lettre de M. Émery à M. de Rausset. — Entrée de Teyssere au sémi- naire. — M. Émery écrit à la mère du nouveau séminariste. — Conférences et instructions de M. Émery 1
CHAPITRE II
LA FIN DE LA PERSÉCUTION ET L'EXIL DE M. FOURNIER
M. Émery rédige un mémoire à Pie VII au nom de quelques évêques de France. — Discours de Bonaparte au clergé catho- lique de Milan. — Les espérances des catholiques. — Prédica- tion retentissante de M. Fournier sur la Passion. — Allusions dangereuses. — M. Fournier est arrêté et enfermé dans une maison de fous. — Lettre de l'évêque de Troyes au prisonnier.
— Une apologie de M. Fournier. — M. Émery est accusé d'en être l'auteur. — Ses papiers sont saisis. — Interrogatoire. — Il est enfermé au petit dépôt de la préfecture de police. — Apos- tolat des prisonniers. — Sa délivrance. — Il adresse des con- seils à M. Fournier. — Il obtient son élargissement par l'inter- vention du cardinal Fesch. — Lettre du cardinal 31
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE III
LE CONCORDAT ET LES ARTICLES ORGANIQUES
Bonaparte et le projet de Concordat. — Mor Spina et le P. Caselli arrivent à Paris. — Premières négociations. — Les intrigues de Bernier. — Les jansénistes et les constitutionnels agissent contre M. Émery. — Sentiments du pape à l'égard des constitution- nels. — Nouvelles intrigues de Bernier. — Rapports de M. Émery avec l'abbé Le Sure et le cardinal Caprara. — Le Concordat est signé. — Opportunité de ce traité. — Les articles organiques.
— Étonnement du cardinal. — Protestations réitérées de la cour de Rome. — Difficultés entre le nonce et Portalis. — M. Émery écrit une réfutation des articles organiques. — La démission des anciens évoques est exigée. — Périls et diffi- cultés 50
CHAPITRE IV
LES ÉVÈQUES CONSTITUTIONNELS
Sentiments des évêques touchant la démission demandée. — Obser- vations des évêques de la Rochelle, Langres, Toulouse. — Pro- testation des évêques réfugiés en Angleterre. — Intervention de M. Émery. — Ses rapports avec M. de Foulanges. — L'empereur veut remplacer les anciens évêques par des évêques constitu- tionnels. — Étonnement et douleur du nonce. — Lettres de Portalis et de Bernier. — Bernier veut tromper le nonce. — Irritation de Portalis contre le cardinal Caprara. — Ses lettres au pape sont interceptées. — Nomination de douze évêques constitutionnels. — Triste déclaration de l'évêque d'Angoulème.
— Rapport de Portalis sur l'affaire des constitutionnels. . Il
CHAPITRE V
PREMIÈRES DIFFICULTÉS DE M. ÉMERY AVEC LE GOUVERNEMENT
M. Émery est nommé à l'évêché d'Arras. — Refus motivé et lettre à Portalis. — Nouvelle lettre à Bernier. — M. Émery refuse encore les évêchés d'Autun et de Troyes. — Son dévouement à la compagnie de Saint -Sulpice. — Négociations du cardinal Fesch avec Rome à l'occasion du sacre de Napoléon. — Pie VII consent à venir à Paris. — Lettre de Portalis à l'empereur. — Voyage de Pie VII à Paris. — M. Émery annonce au cardinal
TABLE DES MATIÈRES
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Rausset la mort de l'archevêque de Rennes et l'arrivée des évêques à Paris. — Le mariage secret de l'empereur. — Le pape accorde au cardinal Fesch tous les pouvoirs nécessaires pour faire un mariage valide et licite. — La cérémonie du sacre. — Déception du pape. — M. Émery obtient une audience de Pie VII. — H écrit à l'évêque d'Alais 100
CHAPITRE VI
M. ÉMERY ET LE CARDINAL FESCH
Le cardinal Fesch, sa jeunesse, sa vocation, sa nomination à î'épiscopat. — Premiers rapports avec M. Émery. — Il est nommé ambassadeur à Rome. — Mi Émery lui donne des conseils et une direction spirituelle. — Réorganisation du séminaire de Lyon. — Les séminaires métropolitains. — L'empereur veut rappeler de Rome le cardinal. — Réponse et observations du cardinal. — Réorganisation du chapitre de Saint -Denis. — M. Émery élève des objections contre ce projet. — Insistance du cardinal Fesch. — M. Bouillaud et le séminaire de Cler- mont. — Deux lettres de Frayssinous à M. Émery. — Il sort de la compagnie. — M. Émery consent à ce départ. — M. Émery relève les séminaires d'Angers, de Saint-Flour, d'Aix, de Tou- louse , d'Autun , de Clermont , Viviers , Nantes et Limoges. 1 17
CHAPITRE VII
M. ÉMERY ET LE CARDINAL DE BAUSSET
M. Émery et M. Garnier chez les bouquinistes. — Il découvre les manuscrits de Fénelon. — Il se propose de publier la vie et les œuvres de Fénelon. — 11 invite M. de Rausset à se charger de ce travail. — Lettres de M. Émery à M. de Bausset. — Intimité de cette correspondance. — M. de Bausset soumet son travail à M. Émery. — Observations critiques de M. Émery. — Mort de Mm8 de Bassompierre et découragement de M. de Bausset. — M. Émery lui rappelle les consolations de la religion. — 11 l'exhorte à se présenter à l'Académie. — M. de Bausset pré- sente ses objections à M. Émery et à M. Suard. — Opinion de M. Émery touchant la querelle du quiétisme. — Il engage M. de Bausset à écrire l'histoire de Bossuet. — M. Émery écrit une notice sur le cardinal Dubois. — Fidélité de l'affection et de la reconnaissance de M. de Bausset pour M. Émery 145
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE VIII
APOSTOLAT EXTÉRIEUR DE M. ÉMERY
Rapports de M. Émery avec M. de Lalande. — Il ne croit pas à ses forfanteries d'athéisme. — Il essaye de vaincre son orgueil.
— Lettre de M. Émery à Mrae de Lalande. — Ronaparte flétrit publiquement l'orgueil de M. de Lalande. — Lalande promet à M. Émery de l'appeler à ses derniers moments. — Les voltai- riens empêchent M. Émery d'arriver à M. de Lalande, mou- rant. — Correspondance de M. Émery avec le géologue Deluc.
— M. Émery apprécie ce savant dans une lettre au cardinal Fesch. — Correspondance avec le cardinal Gerdil. — M. Émery et Chateaubriand. — L'abbé Grégoire. — Efforts de M. Émery pour le ramener à Dieu. — La sœur Rosalie. — Son dévoue- ment à M. Émery 169
CHAPITRE IX
PUBLICATION DES OPUSCULES DE FLEURY ET DÉMÊLÉS DE M. ÉMERY AVEC L'EMPEREUR
M. Émery publie une nouvelle édition des opuscules de Fleury.
— Il reçoit des encouragements de quelques évêques. — Appro- bation du cardinal Antonelli. — Observations sévères du car- dinal Fesch. — Réponse de M. Émery. — Il est poursuivi par les constitutionnels et par Fouché. — Il donne des explications à Fouché. — 11 expose son opinion sur l'autorité du pape. —
— M. Bigot de Préameneu et le cardinal Fesch prennent la dé- fense de Saint-Sulpice. — Triste état de l'Église. — Envahisse- ments des États pontificaux. — Enlèvement du pape. — Exil et captivité à Savone. — Douloureux état de l'Église de Rome. — La compagnie de Saint-Sulpice est menacée de suppression. — Napoléon fait appeler M. Émery à Fontainebleau. — Longues entrevues. — Hommages du cardinal Lambruschini à M. Émery.
— Nouvelles tracasseries de Fouché. — Réponse de M. Émery.
— Lettre à M. Rousseau, évêque d'Orléans. — Les révolution- naires devenus les courtisans de la dictature 187
CHAPITRE X
M. ÉMERY, LA SORBONNE ET L'UNIVERSITÉ
Suppression de la Sorhonne par le directoire de Paris. — Noble déclaration des derniers professeurs. — Projet de réorganisa- tion de Fourcroy et du cardinal Fêsch. — Décret impérial. —
TABLE DES MATIÈRES
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Observations de M. Émery sur ta création des facultés de théo- logie. — Il fait part de ses craintes à l'archevêque de Bordeaux. — Les anciens professeurs sont rétablis dans leurs chaires. — M. Émcry est nommé vice -recteur. — Les élèves du séminaire suivent les cours de la Sorbonne. — Lettre de M. Émery à M. l'abbé Guillon. — Entretien de Napoléon et de M. de Fon- tanes, à Saint -Cloud, sur la création d'un conseil supérieur de l'Université. — M. Émery est nommé conseiller titulaire de 1 Université. — Hésitations, refus. — Instances de Fontanes, du cardinal Fesch et de quelques évêques. — M. Émery accepte sa nomination. — Il rend compte à M. de Bausset de la première séance du conseil. — Réorganisation des petits séminaires. — Ordres de Napoléon au grand maître de l'Université. — M. Émery écrit un mémoire sur la question. — Il a recours au cardinal Fesch 219
CHAPITRE XI
ADMINISTRATION DU DIOCÈSE DE PARIS
• M. de Belloy est nommé archevêque de Paris. — Il donne sa con- fiance à M. Émery. — Dissertation de M. Émery sur la réor- ganisation de l'Église de Paris. — Maladie de M. de Belloy. — Inquiétudes de M. Émery sur le choix du successeur. — Il a recours au cardinal Fesch. — Difficultés intérieures. — Le car- dinal Fesch est nommé archevêque de Paris. — Il refuse et explique son refus au ministre. — Intrigues et nomination du cardinal Maury. — Le ministre des cultes écrit à Napoléon au sujet de cette nomination. — Indignation et protestation de Pie VII en apprenant cette nomination illégitime. — Repré- sailles de Napoléon. — Flatteries de Maurv. — Protestation de M. Émery " 247
CHAPITRE XII
LE COMITÉ ECCLÉSIASTIQUE ET LE SECOND MARIAGE DE L'EMPEREUR
Organisation du comité ecclésiastique. — M. Émery est obligé d'en faire partie. — Il exprime son anxiété à l'évèque d'Alais. — L'empereur impose un programme à la commision. — M. Émery se sépare de ses collègues sur des points fondamentaux. — Té- moignage de Frayssinous. — Il réfute le cardinal Maury. — 11 blâme l'archevêque de Tours. — Il refuse de signer les conclu- sions du comité. — Jugement du cardinal Pacca sur les tra-
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TABLE DES MATIÈRES
vaux de cette commission. — Affaire du divorce de l'empereur. — Napoléon et l'archevêque de Bordeaux. — Difficultés théôlo- giques. — Le cardinal Fesch avait reçu de Pie VII tous les pou- voirs nécessaires pour valider le premier mariage. — Déclaration du cardinal Fesch à l'Officiel du diocèse, le 6 janvier 4810. — M. Émery n'eut aucune part à la sentence rendue par l'officia- lité. — Sentiment de M. Émery sur l'incompétence de l'officia- lité et le devoir de réserver au pape les causes majeures. — Une lettre du cardinal Fesch sur la question. — Les cardinaux et le second mariage de Napoléon. — M. Fesch fait des obser- vations à M. Émery. — Une explication avec le cardinal délia Somaglia. — Les noirs et les rouges. — Explication des oppo- sants. — Les séminaristes à la cérémonie du mariage. . 268
CHAPITRE XIII
NOUVELLES MENACES CONTRE LA COMPAGNIE
M. Émery rachète la maison d'Issy et la maison de M. Olier. — Lettre à M. de Bausset. — M. Émery fait l'acquisition de la chapelle de Lorette. — Nouvelles intrigues des constitutionnels. Napoléon dénonce encore les sulpiciens au cardinal Fesch. — Ordre de dissolution de la compagnie. — Il reçoit le décret du ministre des cultes. — Tristesse de M. Émery. — Il a recours au cardinal Fesch. — La police intercepte une lettre de M. Émery à M. Lacoste -Beaufort. — Le ministre des cultes fait un rap- port à l'empereur sur cette lettre, — Imprudence d'un sémina- riste. — Ordre d'expulsion immédiate. — État nominatif de la compagnie. — Le ministre des cultes transmet le décret d'ex- pulsion aux vicaires généraux. — Réponse des vicaires géné- raux. — Rapport du ministre à l'empereur. — M. Émery tranche la question de propriété du séminaire. — Adieux de M. Émery à la communauté. — Récit de M. de Mazenod. — M. Émery se retire à Issy 292
CHAPITRE XIV
LE DERNIER COMRAT
M. Émery recouvre l'amitié de l'empereur. — M. d'Astros et le cardinal Maury. — Noble attitude de M. d'Astros. — Irritation de l'empereur contre lui. — Audience du 1er janvier 1811. — Menaces de l'empereur à M. d'Astros. — Gracieuseté envers M. Émery. — Manœuvres déloyales du cardinal Maury. — Exposition de principes du chapitre. — Réponse de l'empereur.
TABLE DES MATIÈRES
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M. Émery est nommé membre de la commission ecclésiastique de 1811. — Ses refus et ses ennuis. — Instructions formelles de l'empereur à cette commission. — Angoisses de M. Émery.
— Un projet de concile national. — Le point principal du débat. — Un épiscopat séparé du pape. — Séance extraordi- naire du 7 mars aux Tuileries. — L'empereur et M. Émery. — Dialogue. — Réllexions de Talleyrand. — Le cardinal Consalvi rend hommage au courage de M. Émery 318
CHAPITRE XV l'heure suprême
Le projet d'un concile national. — M. Émery fait connaître son anxiété à M. de Bausset. — M. Émery a le pressentiment de sa fin prochaine. — Une lettre à l'abbé Dorion. — La pensée du ciel et le dégoût de la terre. — Sa bonté et son humilité. — Les examens particuliers de M. Tronson. — Premières atteintes de la mort. — Récit de M. Garnier. — Une nouvelle attaque. — L'abbé de Mazenod. — Suprême effort de M. Emery. — Il revient à Pans. — 11 veut encore monter à l'autel. — Intervention de M. Duclaux. — Les derniers sacrements, l'agonie et la mort.
— Visite de M. Fournier. — Hommage du cardinal Maury. — Autopsie de M. Émery. — Le cœur est conservé. — M. Duclaux fait la levée du corps. — Le cortège s'achemine vers le cime- tière d'Issy. — Épitaphe de M. Émery. — Suprêmes adieux de Tévèque d'Alais 341
CHAPITRE XVI
LES ŒUVRES THÉOLOGIQUES ET PHILOSOPHIQUES DE M. ÉMERY
Pensées de Leibniz sur la religion et la morale. — Le Christia- nisme de Bacon, — Défense de la révélation par Eu 1er. — Pen- sées de Descartes sur la religion et la morale. — De la miti- gation des peines. — Système théologique de Leibniz. . 3G0
Appendice 377
Le Concordat et les articles organiques 379
réclamation contre les articles organiques 391
25240. — Tours, inipr. Marne.
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