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SAINT IGNACE DE LOY.OLA.

D'après un portrait fait sur les indications du P. Pierre Ribadeneira, par Coello, peintre de Philippe II.

iilSTOIRE

DE

gimre ûe opola

d'après les documents originaux

par le P. DANIEL BARTOLI^

de la Compagnie de Jésus.

TRADUCTION

REVUE, COMPLÉTÉE, ANNOTÉE et enrichie de documents inédits

par le P. L. MICHEL, S. J.

Tome second.

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Société ne Saint^Hugustin,

DESCLEE, DE BROUWER et C^. 1893.

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SOSTON COLLEGE LîBRARV , CHSSTIMUT Hli,U MASS,

CUM opus cui litulus est : Histoire de saint Ignace, par le F. Bartoli, etc., a P. L. Michel, nostrre Societatis sacerdote, ex italica lingua gallice expressuni, notis variisque documentis illustratuni, aliqui ejusdem Societatis revisores, quibus id commissum fuit, recognoverint et in hicem edi posse probaverint, facultateni concedimus, ut typis mandetur, si ita iis, ad quos pertinet, videbiiur.

In quorum fidem bas litteras, manu nostra subscriptas et sigillo Societatis nostrœ munitas, dedimus.

Tolosoe, die a-"* mensis Februarii, ann. 1891.

L. S. A. CALVET, S. J.

Prœp. Prov. Provincice Tolosame.

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Jli\}vt quatrième.— Ci) apitre premier.

Accord de vues entre saint Ignace, saint François Xavier et Simon Rodriguès, sur l'expulsion des sujets. Forme monar- chique et oligarchique tout à la fois donnée à la Compagnie. L'obéissance est la marque distinctive de la Société de Jésus.

RANÇOIS Xavier s'entendait si parfaite- |gp ment avec Ignace, que sans se concerter, mais dirigés l'un et l'autre par l'esprit de ^/â Dieu qui avait fondé la Compagnie et la soutenait par leur ministère, l'un faisait en É Occident ce que l'autre exécutait en Orient. ^^-wIH' Js riG puis mieux faire connaître les senti- ments de saint François Xavier, sur le point important de l'admission des sujets, qu'en rapportant quelques lettres de lui. J'en trouve une écrite de Cochin à saint Ignace, dans laquelle il s'exprime ainsi : « Je suis d'avis qu'on ne doit exercer « aucune autre influence que celle de la charité pour retenir « quelqu'un dans la Compagnie contre son désir ; et j'ajoute « que quiconque n'en a pas l'esprit, doit en être éloigné même « contre sa propre volonté ('). »

Dans une autre lettre écrite de Sancian, il dit au P. Gaspard Barzée, recteur du collège de Goa : « Je vous le recommande «encore : n'admettez dans la Compagnie qu'un petit nombre de « sujets ; choisissez-les capables de s'adonner aux études littérai- « res ou de vaquer aux offices de la maison. Je vous le déclare : « il serait plus avantageux, c'est mon opinion très sincère, « d'acheter des esclaves pour être employés dans les fonctions « domestiques, que de choisir, pour être de la Compagnie, des « sujets indignes d'elle. »

Si quelques-uns de ceux que j'ai renvoyés se trouvent à « Goa, gardez-vous de les recevoir de nouveau, sous aucun pré- « texte ; car ils ne conviennent point à notre Institut. S' il arri-

Histoire de S. Ignace de Loyola. 11.

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« vait que l'un d'entre eux, s'étant complètement réformé, et « l'ayant suffisamment prouvé par des pénitences publiques, «acceptées volontairement et continuées durant longtemps, ait, d'après votre jugement, fait une entière satisfaction, v^ous pour- « rez l'envoyer en Portugal au supérieur de la Compagnie, avec <i une recommandation de votre part ; car j' ai vérifié qu'aucun « de ces sujets n'était fait pour être employé dans les Indes.»

« S' il arrivait aussi qu'un membre de la Compagnie, prêtre « ou non, commit quelque faute grave, avec scandale pour le « public, renvoyez-le sur l'heure même ; ne vous laissez fléchir « par les prières de personne, afin de le recevoir de nouveau, «à moins que le sentiment de son péché, que son repentir et sa « pénitence volontaire n'aient été tels qu'ils lui aient mérité sa « grâce. Autrement vous ne devez plus le recevoir, non pas « même si le Vice-roi et si l'Inde entière vous en sollicitaient (^). »

Enfin la dernière recommandation de François, écrite de l'île il mourut, et trois semaines seulement avant sa fin, porte encore sur cette nécessité d'éloigner de la Compagnie tous ceux qu'on reconnaît indignes d'en être membres.

Voici ses paroles au même recteur de Goa : «Je vous conjure «encore d'observer scrupuleusement tous les ordres que je vous « ai laissés, celui surtout de n'admettre dans la Compagnie qu'un « petit nombre de sujets capables.d'examiner et d'éprouver long- « temps ceux que vous aurez admis, de faire une fréquente et « délicate expérience de leurs vertus. Je crains, en effet, qu'on « n'ait admis déjà, et que tous les jours on n'admette un grand « nombre de sujets, qu'il serait préférable de renvoyer et d'ex- « dure. Je désire donc que vous soyez à l'égard des sujets de « ce genre, ainsi que moi-même, à Goa, je me suis montré envers « plusieurs, et même envers un de mes compagnons, que j'ai «jugé ne point convenir à la Compagnie et que j'en ai retranché « et exclu. Vous devez observer cette conduite avec zèle et avec « constance, et ne vous laisser dominer par aucune considéra- « tion, lors même que vous devriez demeurer seul (^). »

Cependant quiconque lira les lettres de ce grand apôtre, soit à saint Ignace, soit à Simon Rodriguès, verra avec quelles instan- ces il les conjurait de lui envoyer d'Europe des collabora- teurs. Il décrit ces immenses contrées peuplées de pauvres idolâ-

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE I.

très, qui n'entrent pas dans le sein de l'Kglise, moins à cause de la dureté de leurs cœurs, que parce que les ouvriers manquent pour travailler à leur conversion. Mais la Société était alors trop peu nombreuse, et ses travaux en Europe trop multipliés ; on ne pouvait accorder à Xavier qu'un bien petit nombre d'auxi- liaires. Or, si au milieu de cette disette d'ouvriers évangéliques pour une entreprise dont la gloire de Dieu était le but, François ne craignait pas de se priver d'hommes, aptes par certains côtés à travailler à la conversion des infidèles, mais manquant de la vertu si nécessaire d'obéissance, on peut comprendre quelle importance il faut attacher au maintien de notre esprit. Aujuge- ment d'un homme si zélé, mieux valait, pour atteindre ce but, renoncer à des fruits plus abondants de conversion parmi ces nations païennes. On peut juger d'après la conduite de Xavier,s'il serait sage de faire, pour des motifs moins importants et avec un espoir de succès incertain, ce qu'il repoussait, sans égard pour les grands biens qui en devaient résulter sûrement.

Parmi ceux qu'il ne voulut pas conserver dans la Compagnie, on peut citer le portugais François Mansilla. Il l'avait emmené avec lui aux Indes, il l'employait soit à la conversion des infi- dèles, soit à cultiver les nouvelles chrétientés sur la côte de la Pêcherie et au cap Comorin. Mais l'attachement à son propre esprit qui rendait Mansilla rebelle à l'obéissance, fut la cause de son expulsion. Le regret de laisser cet homme dans un pays barbare, si éloigné de l'Europe, avec les plus faibles ressources pour subsister, ne put déterminer Xavier à le garder dans la Compagnie.

Un homme plus distingué encore par ses talents, était An- toine Gomez, noble Portugais, habile canoniste, qui, avant d'entrer dans la Compagnie, avait abandonné aux pauvres un riche patrimoine. Gomez avait travaillé dans les missions du Portugal avec un si grand succès, que des populations entières accouraient pour l'entendre et lui demander l'absolution de leurs péchés. Le P. Simon Rodriguès crut qu'un tel homme serait très propre aux travaux apostoliques dans les Indes. Connais- sant son zèle pour le salut de ces peuples, il l'envoya donc à Goa en qualité de supérieur.

Malheureusement Gomez avait plus de ferveur que de pru-

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

dence. A peine arrivé, il voulut introduire de nouveaux usages et, comme si l'Inde et l'Europe étaient un même pays, réformer ou pour mieux dire transformer le collège de Goa en collège de Coïmbre. Une nouveauté en amène une autre: bref il eut bientôt tout mis en désordre. Il ne laissait pas cependant de travailler avec ardeur, et souvent avec beaucoup de fruit, parmi les gen- tils et les chrétiens, attaquant et confondant les Brahmes, instrui- sant le roi de Tanor, et fondant un collège à Cochin. Mais d'un autre côté, il commettait d'étranges indiscrétions, qui donnaient lieu à beaucoup de mécontentements. Il ôta au P. Paul Came- rino le gouvernement du collège de Goa ; puis, d'un séminaire, établi pour élever dans la foi et instruire dans les lettres humai- nes un grand nombre de jeunes Indiens, il renvoya tous les Indiens qu'il y trouva, et les remplaça par des Portugais.

Telle était la situation quand Xavier revint à Goa. Inquiet de l'esprit entreprenant de cet homme et du trouble qu' il occa- sionnait, il voulut l'envoyer ailleurs. Mais se sentant appuyé par le Vice-roi des Indes, avec qui il s'était lié plus étroitement qu'il ne l'aurait dû, se confiant d'ailleurs en la bienveillance des Por- tugais.dont il avait accueilli les enfants au détriment des Indiens, Gomez éludait les ordres de Xavier. Il alla jusqu'à recourir aux instances et même à l'autorité du Vice-roi et de ses amis. Toutes ces démarches, au lieu de détourner Xavier de sa résolution, l'y affermirent. Lors même que Gomez n'eût été coupable que d'avoir recouru à l'autorité séculière pour se soustraire à l'obéis- sance religieuse, cela seul aurait mérité une expulsion.

Gomez, en effet, reçut l'ordre de quitter la Compagnie. Xavier qu'on n'intimidait pas, quand il s'agissait du service de Dieu, fut inflexible à toutes les prières. La perte d'Antoine Gomez entraî- na celle de deux autres sujets, de Michel Nobrega et d'André Montero, qui s'appuyaient sur lui ; mais bientôt le châtiment les atteignit tous. Les deux derniers tombèrent entre les mains des Turcs ; Nobrega fut décapité (") et Montero fut privé de sa liberté pendant de longues années. Ayant enfin appris par sa propre expérience que les chaînes de l'esclavage chez les Turcs sont plus pesantes que celles de la discipline et de l'obéissance religieuse, il obtint, par son repentir et son entier changement, de rentrer dans la Compagnie. Gomez, revenant en Espagne

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE I.

pour solliciter la compassion de saint Ignace, fit naufrage et se noya (=).

Il semblerait que ces exemples dussent suffire; ils montrent jusqu'à l'évidence de quelle façon nos illustres chefs, Ignace et Xavier,entendaient la direction de la Compagnie,et quels moyens ils jugeaient les plus sûrs pour la maintenir dans sa pureté pri- mitive. Leur conduite peut nous servir de modèle ; à la vue de ce qu'ils ont fait, nous comprendrons ce que nous devons faire. Néanmoins je crois utile de rapporter encore deux événements, arrivés en Portugal, sous le gouvernement de Simon Rodriguès, un des premiers compagnons de saint Ignace; car non seulement ces faits confirment ce que nous avons dit jusqu'ici, mais ils ren- ferment aussi de précieux enseignements spirituels.

On bâtissait le collège de Coïmbre, et les Nôtres se fati- guaient à y travailler. Les uns détrempaient le sable, ou trans- portaient les pierres ; les autres aidaient à différents travaux avec autant d'ardeur et d'oubli d'eux-mêmes, que si la nécessité et non la vertu eût fait d'eux de simples manœuvres. C'était un spectacle tout à la gloire de Dieu et d'une grande édification. Aussi s'empressait-on de venir voir tant de jeunes gens des meilleures familles travailler avec une modestie et une gaîté qui arrachaient des larmes d'attendrissement et de dévotion. L'enfer s'indignait d'une si belle œuvre ; il s'efforça par ses perfidies ordinaires de la traverser, et y réussit en partie.

L'esprit des ténèbres s'attaqua d'abord à ceux dont le carac- tère était moins fortement trempé.Ces travaux, leur suggérait-il, étaient plutôt une œuvre basse qu'un acte de mortification ; le public ignorant les prenait pour ce qu'ils paraissaient au dehors, des gens de peine faits pour de vils travaux. Ils en conçurent une telle humiliation, que bientôt ils cherchèrent à s'esquiver ; enfin ils déclarèrent hautement qu' ils travailleraient volontiers dans l'intérieur de la maison, mais non au dehors, parce que cela ne convenait réellement pas à des gens de leur condition.

Le P. Recteur, Louis Gonçalvès, s'en affligea, et essaya de dissiper leur erreur; mais voyant qu'il ne pouvait les déterminer à se vaincre eux-mêmes et à mépriser le monde, il en donna avis au P. Rodriguès, provincial de Portugal ; il en reçut la réponse suivante : « Essayez de nouveau ; voyez si ces jeunes

6 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« gens sont prêts à reprendre leurs travaux : s' ils continuent à « refuser, que Dieu les conduise, mais qu'ils s'en aillent! Je m'of- « frirais bien volontiers pour travailler à leur place, et je préfé- « rerais cette occupation à ma charge de gouverneur du prince. « La Compagnie n'a pas besoin de gens gouvernés par le respect « humain; qu'ils se retirent, et que le monde s'en aille avec eux. « Ne marchons pas sous la bannière de la vanité ; Jésus a porté « sa croix, non pas seulement dans sa propre maison, mais à « travers la ville de Jérusalem et hors de ses murailles. Celui «qui n'aime pas Jésus crucifié est anathème ; celui qui n'aime «pas les humiliations de la croix n'appartient pas à Jésus. Je « vous l'ai dit bien des fois, j'aimerais mieux nous voir réduits « au plus petit nombre, à quatre, à un seul, s'il le fallait. Que « celui qui ne veut pas suivre le Christ s'éloigne de nous, qu'il « parte, qu' il aille chercher un autre chef: le nôtre est le Christ « crucifié. »

Dans le même collège, et sous le même recteur, se passa un autre fait mémorable. Trois sujets, dont l'un était prêtre, furent, pour une faute que j'ignore, condamnés à une pénitence. Au lieu de se repentir et de pleurer leur faute, ils regardèrent le supé- rieur de mauvais œil, comme s' il eût trop appesanti sa main sur eux et les eût traités indiscrètement. Bientôt ils se livrèrent au mécontentement. L'esprit de malice les trouvant au bord du précipice, il lui fut facile de les y pousser, en leur suggérant la pensée de rentrer dans le monde.

Pendant qu' ils tenaient conseil, ils se rappelèrent qu'ils avaient un ami au collège de Lisbonne, et résolurent de l'enga- ger à partir avec eux. Ils lui écrivirent en conséquence une let- tre remplie de plaintes amères, visant moins encore le supérieur que la Compagnie. Ils ajoutaient que s' il était tout à la fois homme sage et fidèle ami, il la quitterait à temps comme ils étaient eux-mêmes disposés à le faire. Les trois amis confièrent secrètement cette lettre à un serviteur du collège qui allait pour affaires de la maison de Coïmbre à celle de Lisbonne ; ils lui promirent même une bonne récompense, s'il remettait la lettre en main propre. Il le fit. Mais le destinataire reconnut la tenta- tion. Ne regardant plus comme amis des traîtres qui, tombés eux-mêmes, voulaient l'entraîner dans leur chute, il alla aussitôt

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE I.

porter la lettre au P. Provincial, Simon Rodriguès. Celui-ci ren- voya le messager à Coïmbre, et ordonna au recteur de lire publiquement la lettre des trois mécontents, puis de les expulser, et avec eux le domestique acheté pour une si fâcheuse commis- sion. Le P. Louis Gonçalvès rassembla donc tous les Pères et Frères dans la chapelle, lut avec des larmes de douleur la lettre de ces religieux inquiets, puis, leur faisant quitter un habit dont ils ne comprenaient pas l'esprit, les renvoya dans le siècle. Les paroles dont se servit Rodriguès pour intimer cet ordre méritent d'être rapportées :

« Le Christ l'a dit, celui qui n'est pas avec moi est contre « moi. Ils ne sont pas avec lui, ceux qui, enrôlés à son service, ne « suivent pas la bannière sous laquelle tous ne doivent avoir « qu'un cœur et qu'un esprit ; et puisque quelques-uns ont cher- « ché à séparer leurs compagnons des supérieurs, par un juste «jugement de Dieu, ils doivent eux-mêmes être séparés de nous. « Dites-leur donc qu'ils s'éloignent promptement ; car, après « avoir voulu mettre la discorde entre les chefs et les membres, « ils ne sont plus propres à demeurer dans notre Société. La «cognée est à la racine de l'arbre : que celui qui veut suivre le « Christ se renonce soi-même et porte la croix avec lui. Si «j'apprends, déclarez-le publiquement à tous, si j'apprends, que « quelqu'un se permet d'écrire sans montrer sa lettre au supé- « rieur, il sera aussitôt expulsé de la Compagnie ; car ce n'est ni « par notre grand nombre, ni par les forces naturelles, ni par un (i esprit curieux que nous pouvons plaire à Dieu. Quiconque « n'est pas déterminé à porter en toute humilité la croix du Sau- «veur n'est pas fait pour nous, ni nous pour lui. S'il vous semble «que le châtiment soit plus grave que le délit, songez qu'il est « indispensable d'agir ainsi, quand les fautes, même légères, peu- «vent nuire au bien commun; autrement les lois deviennent « illusoires ; et de peuvent naître de grands maux pour tout «un Ordre. Faites, pour l'amour du Seigneur, que tous les nôtres « comprennent combien il importe que nous soyons tels que « nous devons être. Si vous n'y parvenez, je devrai, pour en «finir au plus vite, retourner à Coïmbre et y former de nouveau « un collège. Je place Jésus condamné et crucifié entre tous nos « frères, et moi, et je veux que vous leur répétiez, qu'il est le

8 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« maître, que nous avons à le suivre à la lettre et sans tergiver- « ser. Qu'eux à leur tour me déclarent s'ils veulent se dévouera « lui, par l'exacte obéissance aux Constitutions delà Compagnie, « et lui garder une entière et loyale fidélité, ainsi qu'aux supé- « rieurs qui gouvernent en son nom. Si j'étais allé dans les « Indes, suivant l'intention que j'en avais en venant dans ce « pays, je ne m'étonnerais pas d'y trouver des infidèles à qui « répugne la perfection de Jésus-Christ ; mais, si un jour il ne «s'en rencontre plus parmi nous, je pourrai me flatter d'avoir « bien employé mon temps, depuis mon arrivée en Portugal. « Vous direz au porteur de cette lettre, serviteur de la maison, « que l'ayant portée sans votre permission et l'ayant remise sans <J la montrer à qui de droit, il ne peut rester avec nous et vous « ne l'emploierez désormais à aucun service du collège C^). »

Nous allons maintenant faire connaître les autres moyens par lesquels saint Ignace a établi l'esprit propre de la Compagnie et assuré la conservation de cet esprit.

Un des moyens principaux par lesquels saint Ignace a établi l'esprit propre à la Compagnie et assuré la conservation, est l'union entre les membres et leur chef. En vue de cette entière dé- pendance, résultat d'une obéissance parfaite, Ignace établit dans la Société un gouvernement monarchique. Il réunit entre les mains du Général toute l'administration de l'Ordre et lui donna une autorité absolue, indépendante de tous, excepté du Pape. Le Gé- néral prononce donc, soit sur le choix des supérieurs, soit sur toute disposition concernant les membres de la Compagnie. Cependant le Saint ne voulut pas priver le pouvoir suprême des avantages du gouvernement aristocratique, c'est-à-dire des con- seils des hommes les plus capables et les plus expérimentés. C'est pourquoi, il donna au Général quatre assù^cuits, pour l'Italie et la Sicile, l'Allemagne et la P>ance, l'Espagne et le Portugal, et enfin pour les Indes. En 1608, la sixième congrégation générale créa une cinquième assistance, en séparant la France de l'Allemagne. L'office des assistants est de veiller avec un soin particulier sur les provinces confiées à leurs soins ; d'étudier et de discuter les intérêts de l'Ordre, afin que d'après leurs conseils bien mûris, il soit plus facile au Général de prendre devant Dieu le parti le plus convenable.

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE I.

Ignace établit encore des congrégatims générales composées des hommes les plus distingués de tout l'Ordre, élus par les différentes provinces. Le Général ne peut ni annuler, ni modifier les décisions de ces assemblées. Il est même tellement subor- donné à leur autorité que s'il avait forfait à son devoir, il pour- rait être jugé par elles, réprimandé, déposé, et même expulsé de la Compagnie.

Le Général a de plus un admonitettr, élu par tous les membres de la congrégation générale, homme versé dans les affaires de l'Ordre, d'une grande sagesse, qui, sous les yeux de Dieu, doit surveiller la conduite du Général, et l'avertir avec autant de modestie que de liberté, s'il remarque quelque chose à reprendre, soit dans sa conduite, soit dans son gouvernement.

Ignace a aussi pourvu de consulteurs et ^ adniointeurs tous les autres supérieurs des collèges, maisons et provinces. Ni recteurs, ni provinciaux ne peuvent prendre une détermination importante sur les affaires, ou sur les inférieurs, avant d'avoir pris l'avis de ces conseillers.

Cette forme de gouvernement, qui unit si bien tous les mem- bres au chef et les inférieurs entre eux pour former un tout compact et durable, ne pouvait manquer de déplaire à des esprits turbulents et rebelles. Par diverses machinations , et même en recourant à l'appui des princes séculiers ils ont suscité contre elle de violentes oppositions. On les a vus pousser l'au- dace jusqu'à soumettre au Souverain-Pontife des mémoires mensongers, qu'ils présentaient au nom de l'Ordre entier; tandis qu'en réalité ce n'était que l'œuvre d'une poignée d'intrigants. Désireux de se dérober eux-mêmes, et avec eux de soustraire certaines provinces à l'obéissance du Général, pour vivre sous l'autorité d'un Commissaire ou Visiteur perpétuel, ils n'ont pas craint, par ces menées, de diviser la Compagnie, et de rompre ainsi la concorde nécessaire, non seulement à la gloire, comme le dit Paul V, mais au maintien de l'Institut.

C'est bien la marche ordinaire de l'ambition trompée. Quand elle échoue dans ses projets, elle traite de préjugés les lumières d'autrui, « Dans le cas actuel, on blâmait le gouvernement d'un « seul chef perpétuel, résidant à Rome, qui ne pouvait rien juger « par lui-même, mais dispensait les emplois arbitrairement et

10 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« non pas en raison du mérite. Plusieurs, disaient ces brouillons, « verraient mieux qu'un seul, devant qui les objets ne se réflé- « chissent pas d'après des miroirs bien fidèles. On remédierait « à tout, si celui qui, par son isolement même, ne peut tout «savoir, partageait avec d'autres l'obligation de reconnaître, et «l'autorité pour résoudre. Ainsi, on rendait à l'Ordre entier ce « que l'on ôterait à un seul, et il serait bien juste que celui-là ne « pût toujours suivre sa propre volonté qui n'a pas les moyens « de l'éclairer, etc. ; tels étaient les propos de ces ambitieux « mécontents (^)».

Ajoutez aux prétentions personnelles de ces hommes l'amour excessif et l'estime intolérable de soi-même, qui ne leur per- mettait pas de vivre en communauté d'intérêts avec les autres. La cinquième Congrégation générale traite ces novateurs, d'en- fants prévaricateurs et dégénérés (^) ; elle les accuse de troubler la paix commune, en condamnant ce que tout l'Ordre a reçu, et, audace plus intolérable encore, d'oser soumettre à leur blâme et à leur réforme ce que le saint Fondateur, inspiré par Dieu même, avait déterminé et prescrit ; ce que le Saint-Siège, après des examens multipliés, avait approuvé tant de fois ; ce que les Papes avaient voulu rendre immuable, en punissant par l'excom- munication, et par d'autres peines très graves, quiconque, sous prétexte de zèle ou pour tout autre motif, élèverait sur ce sujet des doutes ou des disputes.

Enfin ces mécontents furent excommuniés. Ainsi, après avoir cherché à diviser, ils subirent eux-mêmes la séparation qu'ils avaient voulu produire. Ils furent chassés de l'Ordre, pour la plupart. Ceux qu'on y garda furent déclarés inhabiles à tout emploi et servirent d'e>;emple à ceux qui auraient pu, un jour, concevoir de semblables pensées.

Peu de temps après, Paul Vdans une Bulle spéciale approuva l'Institut de saint Ignace tel qu'il s'était maintenu jusqu'alors (^) : la perpétuité du Général, sa résidence à Rome, et la dépendance entière de la Société envers lui dans quelque lieu que pussent se trouver, à quelque nation qu'appartinssent les membres dont elle se composait. Le même Pontife adresse encore aux géné- raux et aux autres supérieurs, de graves conseils, pour que jamais ils ne se laissent influencer, ni par les prières, ni par les

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE I. 11

menaces des grands, lorsqu'elles ont pour objet des choses préjudiciables à l'entière observance de l'Institut. Que si quel- ques-uns des Nôtres étaient assez hardis pour vouloir introduire de nouveaux usages, fussent-ils soutenus par les prières ou par l'autorité des rois eux-mêmes, il veut qu'on les punisse comme perturbateurs de l'Ordre et fauteurs de scandales.

En voilà assez sur ce point pour le moment : plus tard, je le traiterai plus au long et avec plus de clarté. J'ajouterai seule- ment qu'ici-bas, l'on doit traiter non avec des anges mais avec des hommes, et souvent avec des hommes à intelligence courte, il n'y a pas de forme de gouvernement assez parfaite qui puisse pourvoir en tout temps et sûrement aux besoins de chaque sujet. En outre, ce serait une injuste prétention que de vouloir, pour un désagrément personnel ou sous prétexte de porter remède à un désordre passager, fermer les yeux à d'innom- brables avantages qui résultent d'un gouvernement établi; en introduisant un nouveau système de gouvernement pour re- médier à quelques inconvénients, on ouvrirait la porte à des embarras non moindres et même plus grands. Ajoutez que d'autres esprits entreprendraient, à leur tour, pour des motifs analogues d'opérer de nouveaux changements, et ainsi l'on serait sans cesse occupé à défaire ce qui a été fait, au grand détriment de l'Ordre livré à ces incessantes innovations.

Certain d'avoir été éclairé par les lumières d'en haut, en constituant le gouvernement de la Compagnie, le saint Fon- dateur voulut prescrire à ses membres des règles exactes sur l'obéissance. Or, sur aucun point, pour l'exemple et dans les intérêts de ses successeurs, il n'exigea plus d'épreuves et ne punit les transgressions avec une plus notable sévérité. Il déclara que l'obéissance était le fondement de la Compagnie, et qu'elle y trouverait sa force d'action et de durée. Il voulut faire de cette vertu la marque distinctive de notre Société, laissant d'autres Ordres nous surpasser, pour la multiplicité des jeûnes, pour les austérités corporelles ou pour la retraite ('°).

Entre toutes les règles que saint Ignace faisait observer à nos frères de Rome, tandis qu'il travaillait aux Constitutions, et dans lesquelles le P. Éverard Mercurian, quatrième général de la Compagnie, a puisé en grande partie nos règles dites Com-

12 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

inunes, et les règles propres à certains emplois particuliers, il en est une plus remarquable. Il ordonnait aux supérieurs dans les exhortations générales qu'ils doivent faire pour nous exciter à la perfection religieuse, de prendre, une fois par mois, comme sujet, l'obéissance ("). Il attachait une si haute importance à cette vertu, que lorsqu'il sentit sa fin approcher, il voulut pour dernier souvenir, nous en faire une recommandation publique.

Il fit donc appeler le P. Jean-Philippe Viti, avec le P. Secré- taire, et leur dit : « Ecrivez ce que je pense au sujet de l'obéis- sance »; puis il dicta les paroles suivantes ('") :

« I- Je dois, dès mon entrée en religion, et dans la suite, « me remettre entièrement entre les mains de Dieu et de celui « qui en tient la place par son autorité. »

« 2. Je dois désirer que mon supérieur m'oblige à renoncer « à mon propre jugement et à dompter mon propre esprit. »

« 3. Dans tout ce qui n'est pas péché, je dois agir d'après « la volonté du supérieur, et non d'après la mienne. »

«4. Il y a trois différentes manières d'obéir: d'abord, « quand l'obéissance est de précepte, et celle-là est bonne ; eii- « suite, quand, pouvant choisir entre deux actions, je préfère « celle qu'on me conseille : celle-là est meilleure. La plus parfaite <( de toutes, est la troisième, qui consiste à agir, lors même que « le supérieur n'a pas donné d'ordre précis, suivant ce que je « suppose être sa volonté. »

« 5. Je ne dois établir aucune différence entre un supérieur « et un autre, ni examiner si c'est le premier ou le second, ou le « moins élevé qui commande, mais je dois les reconnaître tous « égaux devant Dieu dont ils tiennent la place ; car si je fais ac- « ception de personnes, j'affaiblis l'esprit d'obéissance. »

^ 6- Quand je crois que le supérieur ordonne une chose « contraire à la conscience et il y a péché s'il en juge autre- « ment et qu'il n'y ait pas évidence ^je dois m'en rapporter à lui. « Si je demeure troublé, je dois me dépouiller de mon propre « jugement, soumettre mes doutes à une, deux ou trois pcrson- « nés, et m'en rapporter à ce qu'elles décideront; si tout cela ne « me satisfiiit point, je suis loin de la perfection que demande « l'état religieux. »

« 7. Je ne dois plus m'appartenir à moi-même, mais je dois

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE I. 13

« appartenir à mon créateur et à celui qui gouverne en son « nom. Entre les mains de mon supérieur, je dois être une cire « molle, quelque chose qu'il lui plaise d'exiger, soit qu'il s'agisse « d'écrire ou de recevoir des lettres, de parler ou non à telle ou « telle personne, et autres choses semblables, et je dois mettre « toute ma ferveur à exécuter avec zèle et exactitude ce qui est « commandé. »

« 8. Je dois me considérer comme un cadavre qui n'a plus « ni intelligence, ni volonté ; comme une chose matérielle qui, « sans jamais résister, se laisse placer l'on veut ; comme un « bâton dans la main du vieillard, qui s'en sert selon le besoin, « et le place cela lui convient le mieux. Ainsi dois-je être « sous la main de l'Ordre, pour le servir de la manière que « celui-ci jugera plus utile. »

« 9. Je ne dois jamais demander au supérieur à être « envoyé dans tel lieu, employé à tel office; je pourrai seulement « laisser connaître mon désir, en m'en remettant absolument à la « volonté du supérieur, prêt à reconnaître comme le meilleur « ce qu'il jugera devoir ordonner. »

« 10. Pour les choses peu importantes, mais bonnes, comme « des visites, des stations, la demande à Dieu de quelque grâce, « et autres choses de cette nature, on en demandera la permis- « sion, mais toujours avec la disposition, en cas de refus, de « penser que supérieur a fait ce qui était le mieux. »

« II. Dans la pratique de la pauvreté, je dois dépendre « du supérieur ; ne rien regarder comme m'appartenant en « propre, et me considérer pour les choses dont je fais usage, « comme une statue qui se laisse dépouiller, et n'oppose jamais « de résistance. »

Saint Ignace n'avait pas attendu jusqu'à la fin de sa vie, époque à laquelle il dicta ces onze aphorismes, pour mettre par écrit toute sa pensée sur l'obéissance ; mais il fit alors de nouveau pour l'enseignement général de la Compagnie, ce qu'il avait fait peu d'années auparavant pour l'utilité particulière de quelques collèges.

Il avait voulu donner une règle et mettre un frein à la ferveur immodérée de quelques-uns de nos religieux, en Espagne et en Portugal. Ceux-ci se croyaient permis de se gouverner eux-

14 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

mômes dans les choses spirituelles, et se conduisaient avec plus de courage que de prudence. De résultaient de graves incon- vénients. Les uns s'abandonnaient à des austérités nuisibles à leurs forces, et les autres, enivrés des douceurs de la contempla- tion, pour vivre seuls avec Dieu, devenaient ermites et soli- taires, oubliant tous également le but de leur vocation. Ignace leur écrivit des lettres pleines de sages et solides raisons, pour leur prouver qu'en se soustrayant ainsi à l'obéissance et en suivant leur propre sens, ils s'écartaient de la route droite. C'était reprendre la meilleure partie de l'holocauste qu'ils avaient offert à Dieu, c'est-à-dire leur propre volonté ; de sorte que tout ce qu'ils donnaient à sa place n'avait presque aucune valeur.

Ce qui a été écrit de plus parfait sur l'obéissance, se trouve dans une lettre admirable qu'Ignace adressa à toute la Province de Portugal, le 26 mars 1553 ('^). Cette lettre indique, dans tous ses degrés, la perfection à laquelle la vertu d'obéissance peut atteindre. Aussi saint François de Borgia, devenu Général, et voulant développer ce point important dans une lettre parti- culière, ne trouva rien à ajouter à ce qu'avait déjà dit saint Ignace. « Quant à la vertu d'obéissance, dit-il, à laquelle tout « doit se réduire dans la Compagnie, vertu qui est comme son « point de mire et la bannière sous laquelle on y combat, bien « que j'eusse le désir de vous en parler encore, notre saint Père « Ignace nous a laissé sur ce sujet une lettre digne d'admiration, « à laquelle on ne peut ni retrancher, ni ajouter, et je vous y « renvoie avec cette seule parole des divines Écritures : Hoc <i fac et vives! Si nous sommes fidèles à ses enseignements « nous pourrons justement nous nommer les enfants de l'obéis- T^ sance ('"). »

Dans cette lettre, le Saint établit, sur les autorités les plus claires de l'Ecriture et des Pères et sur des motifs irréfragables, les trois degrés d'obéissance dont nous avons parlé plus haut. Exécuter les ordres, c'est le premier degré et le moindre ; non seulement obéir, mais conformer sa propre volonté à celle du supérieur, c'est le second, et il est déjà plus élevé. Juger qu'une chose doit être ainsi, parce que le supérieur l'ordonne, voilà le dernier degré et le plus parfait. On ne peut y arriver qu'en re- connaissant dans celui qui gouverne, i]on un homme sage ou

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE I. 15

imprudent, saint ou imparfait, mais la personne même de Jésus- Christ qu'il représente.

Cette obéissance n'est autre que celle que désignent les saints et les plus anciens Pères, ces maîtres de la perfection religieuse, par des noms en apparence contradictoires, tels que \2l folie des sages, F ignorance des savants, rinipj-udence des pî'udeiits, la cécité des claii'voyants. Il est comme aveugle, en effet, celui qui, tête baissée, court toujours au devant de l'obéissance ; mais il est pourtant éclairé de vives lumières, puisqu'il voit dans la per- sonne de l'homme qui commande, Dieu lui-même dont cet homme tient la place.

Si l'on observe les effets de cette obéissance aveugle, on verra qu'elle a formé dans la Compagnie, comme dans les anciens monastères, des hommes d'une vertu absolument parfaite ; et cela, depuis la fondation jusqu'à nos jours. Comment donc un Julien Vincent d'Angers, un homme de la Compagnie, a-t-il pu entasser tant d'extravagances, fruit d'un cerveau malade, pour en former une accusation portée contre l'Ordre entier devant le tribunal suprême } 11 a prétendu que s'étant mis en quête de la source des doctrines erronées et des fausses observances de la Société, il l'avait enfin découverte dans la lettre sur l'obéissance. C'est là, dit-il, que l'on enseigne des choses singulières. C'est de qu'on tire des conséquences préjudiciables à la foi. Sur ce fon- dement, il composa un libelle qu'il présenta au Souverain-Pon- tife. Chose étrange, il renouvelait contre l'obéissance de la Compagnie, les attaques publiées dans des livres écrits par des hérétiques, ennemis déclarés de cette Eglise qui avait condamné leurs œuvres. Et, comme s'il apportait du ciel une nouvelle révélation, il obtint assez de crédit pour faire soumettre à l'exa- men cette doctrine, doctrine tenue pour indubitable depuis que dans le monde on connaissait l'obéissance parfaite, ainsi que le prouva solidement, dans trois écrits le P. Robert Bellarmin ('"). Tant il est vrai que pour nuire à son Ordre, un religieux trouve plus d'écho que des étrangers animés d'une haine manifeste. Mais Dieu prit cette cause en main, et Julien Vincent reçut dans une prison de Rome, le digne châtiment de ses injustes accusations.

Saint Ignace était toujours d'accord avec lui-même, soit qu'il

16 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

dictât les règles d'une parfaite obéissance, soit qu'il en exigeât la pratique. Il avait pour coutume invariable de renvoyer de la Compagnie les hommes d'un esprit opiniâtre et attachés à leur propre jugement, quels que fussent leur rang et leur talent. S'il eût trouvé des collèges remplis de tels religieux, il était résolu à faire maison vide, et à ne laisser de ce collège que les mu- railles. Comme les étudiants du collège de Gandie semblaient se laisser envahir par l'esprit d'indépendance, saint Ignace leur écrivit une longue et énergique lettre qu'il terminait par ces fermes paroles : « Si parmi ceux qui font partie maintenant de « votre réunion, ou parmi ceux qui vous remplaceront dans le « collège de Gandie, il se rencontrait quelqu'un qui ne fût pas « dans la disposition intérieure et la ferme volonté de demeurer « sous cette loi de l'obéissance et d'y conformer sa conduite, « sous un recteur quelconque délégué par le Général de la « Compagnie, que celui-là s'empresse d'embrasser un autre « o-enre de vie; qu'il abandonne votre société; il ne convient « point d'y recevoir un candidat qui ne veut pas, ou qui ne peut « pas embrasser la règle d'obéissance que nous venons d'en- « seigner ('^). ï> Pour y accoutumer les siens, il lui arrivait quel- quefois de commander des choses tantôt complètement inutiles, tantôt intempestives, ou en apparence même impossibles, comme d'être en même temps prédicateur et chargé d'affaires, profes- seur de philosophie et de grammaire. Il voulait que celui qui remplissait l'office de cuisinier fût prêt à enseigner la théologie, comme le théologien à quitter sa chaire pour la cuisine. Il fai- sait appeler des prêtres déjà revêtus de leurs habits sacerdotaux, et, quand ils étaient dépouillés de leurs ornements, il les en- voyait à l'autel, sans leur demander autre chose que cette promptitude d'obéissance.

Ceux qui avaient trop différé l'exécution de certains ordres, par une interprétation arbitraire de la volonté des supérieurs, étaient quelquefois mandés par lui, à l'improviste, même tandis qu'ils étaient occupés à confesser ('^). L'un d'eux, n'étant pas arrivé immédiatement, fut soumis à une pénitence.

Il ne permettait pas qu'aucun séculier s'immisçât en rien dans ce qui concernait les emplois ou la résidence d'aucun des nôtres. 11 imposa un jour comme punition quelques œuvres de morti-

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fication à un prêtre, qui lui demandait avec trop d'instances la permission de faire un pèlerinage, non que la demande lui parût une faute, mais parce que le solliciteur lui paraissait plus enclin à se satisfaire qu'à obéir. Cela explique l'étrange pénitence qu'il imposa pour une très légère désobéissance au P. Emerich de Bonis, alors tout jeune et à peine novice dans la Compagnie. Une femme peu estimable, qui habitait, à Rome, en face de notre église, avait pris l'habitude de jeter, devant la porte, toutes les immondices de sa maison. Ignace, après avoir souffert pen- dant quelque temps cette négligence incommode, enjoignit au Frère de Bonis, alors sacristain, d'aller trouver cette femme et de la prier de faire transporter ces balayures en un lieu plus convenable. Ce jeune homme, qui était fort modeste, pour éviter de lui parler, chargea un autre frère de l'avertir. Ignace apprit le fait et, quoiqu'il en approuvât l'intention, il crut devoir punir la désobéissance. Le châtiment dura six mois, pendant lesquels il obligea le coupable à se tenir dans le réfectoire, une sonnette au cou, et à dire, chaque jour, à haute voix, ces paroles : « Je veux et je ne veux pas n'habitent point dans cette maison. » Volo et nolo non habitant in hac domo ('^).

Si quelqu'un se jetait à ses pieds pour lui demander pardon, et, après avoir entendu ces mots, levez-vons, ne se relevait pas aussitôt, il le laissait à genoux et s'en allait, non sans lui faire observer que l'humilité n'a aucun mérite, quand elle est contraire à l'obéissance. Un jour, il fit signe à' un frère coadju- teur de s'asseoir. Celui-ci, par respect pour Ignace et pour un seigneur qui était présent, n'ayant pas obéi, Ignace lui fit porter son escabeau sur la tête, tout le temps que dura la conversation.

Un prêtre flamand, dévoré de scrupules, passait une grande partie de la journée à réciter l'office divin, qu'il recommençait plu- sieurs fois, sans que les conseils d'hommes savants et conscien- cieux eussent jamais pu le guérir. Ignace appliqua à un mal devenu extrême un remède qui ne l'était pas moins. Il lui défen- dit expressément d'employer plus d'une heure à réciter son office, et lui fit donner un sablier pour qu'il pût mesurer le temps. L'heure écoulée, quelle que fût la partie de l'office encore à réciter, ce prêtre devait y renoncer. L'obligation personnelle d'obéir, et le devoir commun de réciter en entier son office, le

Histoire de S. Ignace de Loyola. U. '2

18 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

pressaient tellement, que, dès le premier jour, il eut fini avant que l'heure ne fût écoulée ; il n'avait pas eu le loisir de plaider contre ses scrupules, ni de perdre l'équilibre des idées à cette discus- sion sans fin. Cette volonté absolue qu'avait saint Ignace de trouver dans ses enfants une parfaite obéissance, les avait telle- ment détachés de leurs sentiments propres, que s'ils venaient à être appelés par lui au milieu des œuvres les plus utiles à la gloire de Dieu, pour être appliqués à tout autre ministère, ils se montraient aussitôt prêts à abandonner les fruits de leurs fati- gues, comme si, dans la voix d'Ignace, ils avaient reconnu celle de Dieu même.

Nous en avons un bel exemple dans la conduite du P. An- toine Araoz. Araoz travaillait à Barcelone, avec un immense succès, quand il reçut l'ordre de partir pour l'intérieur de l'Espagne. Citons la lettre qu'il écrivit alors à saint Ignace : « Quant à l'ordre que vous m'envoyez de me rendre ail- « leurs, vers le commencement de septembre, je vous obéirai « par la grâce de notre bon Maître, avec une grande allégresse de « cœur, quoiqu'on murniure ici à cause du bien que j'y faisais. « Mais je suis bien convaincu que votre voix est pour moi celle de « Jésus-Christ, qu'entendent toujours ceux qui sont de sa ber- « gerie. Il est certain que j'ai tant à faire dans ces lieux, que, « voulant vaquer à tout, il ne me reste pas de temps pour m'oc- « cuper de moi-même, et je suis obligé de prendre un peu sur « les nuits, parce que je n'ai aucune liberté pendant le jour. En- « tendre des confessions dont la plupart sont générales, donner « les Exercices spirituels, travailler à des réconciliations impor- « tantes entre certains nobles, tout cela m'occupe tellement, que « souvent, et je vous le dis pour que vous preniez compas- « sion de ma pauvre âme, je ne trouve pas le temps de célé- « brer la sainte messe ("').»

Mais en ce qui concerne la promptitude à laisser au pre- mier signe les œuvres les plus chères et les plus importantes pour le service de Dieu, nul ne peut être comparé au saint apôtre François Xavier. Si on le lui avait ordonné, il était prêt à quitter l'Orient et toutes les espérances de le conquérir à la foi, pour revenir en Europe : «Vous exprimez le désir, écrivait-il « à saint Ignace, de me revoir avant de sortir de ce monde. Le

LIVRE QUATRIEME.

CHAPITRE I.

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« Seigneur sait l'impression qu'ont faite sur mon cœur des « paroles si affectueuses, et combien de larmes elles me font ré- « pandre chaque fois qu'elles reviennent à mon esprit. Je me « console en pensant que cela n'est pas impossible, puisque rien « ne l'est à l'obéissance (^°). »

Dans une autre lettre, écrite la même année et qui fut la der- nière de sa vie, il disait : « Dieu veuille, que nous nous retrou- « vions en paradis ! Si c'est pour sa gloire, peut-être nous réu- « nira-t-il aussi dans ce monde, car l'obéissance me le rendra « facile, si vous me le commandez ('''). » Si Xavier avait vécu plus longtemps, saint Ignace aurait vu ce fîls si cher revenir de l'extrémité des Indes, au plus fort de ses travaux et au moment il espérait pénétrer en Chine pour convertir cet immense empire. En effet, le Saint l'avait rappelé, en vertu de son vœu d'obéissance, comme il l'avait déjà fait à l'égard de ses plus chers enfants, pour accroître leurs mérites. Il voulait lui conférer l'administration de toute la Compagnie, et, par là, le préparer à lui succéder comme Général ; mais, quand la lettre qui portait cet ordre arriva, le saint apôtre ne vivait plus.

«sCijiSSB»

:•:— Gl)apitre tieu;cième.

Union fraternelle entre les membres de la Compagnie. Saint Ignace défend à son Ordre d'accepter les dignités. Sa fermeté à maintenir la règle à cet égard. Motifs qui ont fait adopter cette règle. Vœu simple des profès appelés à occuper une prélature. Explication et justification de ce vœu.

PRÈS avoir vu comment les supérieurs entre eux, selon leur degré, et les inférieurs avec les supérieurs sont enchaînés, dans la Com- pagnie, par les lois d'une sainte obéissance, il nous reste à voir comment, à son tour, la charité unissait indissolublement tous les membres. Ici, l'admiration redouble, car la distance des lieux, la différence des emplois, la diversité naturelle des esprits dans une Société composée de tant de nations di- verses, n'apportaient pas la moindre cause de division.

L'efficacité des moyens, dont saint Ignace se servit, pour arriver à ce but, se comprendra mieux par la vue des effets que par un exposé purement théorique. « Certainement, écrivait le « P. Louis Strada, moine Bernardin, c'est une chose merveil- « leuse et surnaturelle que celle dont j'ai été témoin en plu- « sieurs maisons de cette sainte Société. Non seulement des « gens de naissance diverse, mais encore de nation et de langage « différents, les uns jeunes et étudiants, les autres professeurs et « avancés en âge, deviennent en peu de temps tellement unis « d'esprit, tellement liés les uns aux autres par une charité mu- « tuelle qu'ils n'ont véritablement qu'un cœur et qu'une âme; « on les dirait tous nés d'une même mère, et doués des mêmes « dispositions naturelles ("). »

Ce témoignage d'un étranger, témoin oculaire de l'union qu'il admirait, ne laisse aucun doute sur la vérité de ce qu'écri- vait dans le même temps un de nos Pères. « Je ne connais pas,

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA. 21

« disait-il, de consolation comparable à celle de voir dans la « Compagnie une si grande diversité d'individus réunis par « une si entière conformité de volonté ; dans des emplois si « différents une égalité si parfaite, et parmi des nations si di- « verses une union si affectueuse. Là, on ne saurait distinguer « ni le supérieur, ni le savant, ni l'homme qui dans le monde « était noble et riche, de celui qui était pauvre et ignorant. « Dire tin tel est mon ami, et je suis le sien, serait parler « un langage inconnu et rejeté comme mondain. On serait « d'ailleurs étonné de l'entendre tenir, car lorsque tous s'aiment, « on n'est entouré que d'amis. Lorsque nous nous quittons, « parce que l'obéissance nous sépare ; lorsque nous revenons « des lieux les plus lointains, quelles démonstrations de la plus « cordiale bienveillance ! Quel joyeux accueil au retour, dans « chacune de nos maisons ! Celui qui arrive est chez lui et y « trouve autant de frères. Réjouissons-nous de ce que, jusqu'à « ce jour, cette douce charité s'est maintenue dans la Compagnie, « et espérons qu'elle s'y maintiendra toujours (^^). »

Aussi ne craignait-on pas de composer des collèges entiers de prédicateurs, de professeurs, de supérieurs et d'ouvriers évangéliques, tous par naissance sujets de souverains différents et même ennemis. Réunir ainsi des hommes de tous les pays, était pour Ignace une de ses plus grandes consolations et un des plus sages calculs de sa prudence; car, par là, toute la Compagnie se trouvait rassemblée comme en abrégé dans chaque lieu; aussi entendait-on parler dans chaque collège les diverses langues, l'espagnol, l'italien, le français, l'allemand et d'autres encore (^^).

On voyait ainsi se renouveler en quelque sorte les prodiges de l'Église naissante, où, au milieu de tant d'idiomes divers, un seul cœur semblait parler, et, dans la confusion de tant de langages barbares, celui de la charité était également entendu de tous.

C'est ainsi que le collège de Messine se forma, en 1548, de douze Pères, dont deux seulement étaient compatriotes et tous les autres différaient d'origine et de langue. La ville en fut dans l'admiration. On voyait réalisé ce que saint Augustin dit de la lyre : chaque corde a un son propre, mais qui s'accorde si bien avec celui des autres, qu'on peut les faire résonner toutes ensemble, sans nuire à l'harmonie. Il en résulte un doux con-

22 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

cert de sons qui diffèrent, il est vrai, mais ne forment point de dissonance ('5).

Le dépouillement de toute affection particulière, à l'égard de compatriotes ('^), n'avait pas seulement pour effet un amour réciproque et universel, il devait encore se manifester au dehors par de bienveillantes dispositions envers le prochain, quelle que fût la nationalité des individus. Aussi, dès l'origine, venait-on trouver nos Pères et se mettre sous leur conduite, sans penser à s'enquérir de quelle nation ils étaient. On tenait pour certain qu'une fois membres de la Compagnie, ils regardaient chaque ville comme la leur. Ainsi, Jean III, roi de Portugal, répondait au P. Jacques Miron qui s'excusait d'accepter auprès de lui l'office de confesseur, sur sa qualité d'étranger : /e ne regarde comme étranger aucun membre de la Compagnie.

Quant aux moyens d'établir cette union des cœurs, si rare, mais si nécessaire entre les sujets d'un môme Ordre, il suffira d'en indiquer quelques-uns tracés par le saint Fondateur dans ses Constitutions. Je choisis ceux qui me semblent les plus puis- sants. Tout d'abord, en hommes qui ont renoncé au monde, nous devons arracher de nos cœurs toute attache particulière à notre pays. Cela ne suffit pas. Saint Ignace veut encore que notre charité recherche de préférence les étrangers.

Les paroles du P. Everard Mercurian, adressées à la troisième Congrégation générale de l'Ordre, au moment elle se sépa- rait, me paraissent dignes d'être à jamais conservées. Elles ont pour objet cette mutuelle union des cœurs, dégagée de toute affection propre et nationale. « Veillez le plus possible, je vous « en conjure par la miséricorde du Seigneur, à ce que vous vous «jugiez favorablement et que vous vous aimiez bien les uns les « autres. Tous, en effet, vous êtes et frères et fils de la même fa- « mille. Donc, je vous en supplie, parmi nous point de société « sarmate, espagnole, italienne, allemande ou française, mais une « seule société, ainsi qu'il n'y a qu'un seul Dieu pour tous, un « seul jÉsus-CiiRiST, dont nous sommes les membres ('^). »

Comme les récits de guerres entre les princes ennemis, de leurs victoires et de leurs défaites, pourraient causer des émo- tions différentes dans les cœurs des nationaux si divers, saint Ignace interdit absolument ces sujets de con\crsations dans

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nos maisons ('^). Il obligea aussi chaque religieux à apprendre la langue du pays qu'il habitait ('^). Il renouvela même cet ordre, la dernière année de sa vie; parce que, dit son secrétaire, la charité ne saurait se maintenir sans la mutuelle communication des cœurs par la parole ; car, ou l'on se tait quand les autres parlent, et alors on est comme absent ; ou l'on parle sans être compris, et on est comme un étranger. Or il ne saurait se trouver d'étranger là, tous ne doivent avoir qu'un cœur et qu'une âme.

Pour faciliter l'exécution d'une si sage disposition, notre saint Fondateur avait ordonné qu'à Rome fût donnée, chaque jour, une leçon d'italien, à laquelle tous les Pères étrangers devaient assister. Aussi, le P. Jacques Miron signalait-il comme un fait digne de remarque, que dans notre Collège Romain, où, parmi les professeurs et les étudiants, seize langues diverses auraient pu être parlées, la seule langue italienne s'y faisait entendre, comme si toutes les autres eussent été oubliées ('").

Ignace voulait encore que nous ne vissions les uns dans les autres que Jésus-Christ, dont nous devons être la vivante image. Dès lors, pensait-il, l'œil, charmé d'un objet si digne d'admira- tion, ne serait plus frappé ni des défauts naturels, ni de la diversité des inclinations, et moins encore des fautes de nos frères. Toutes ces choses, lorsqu'on y arrête sa pensée, cau- sent dans l'âme une sorte de répulsion, ou au moins diminuent l'affection mutuelle qu'on se doit. Autre obstacle à surmonter : la diversité d'opinions, qui amène la division dans les volontés, aussi naturellement que les vents divisent les vagues de la mer. De plus, comme l'intérêt personnel a pour première loi de retirer tout aux autres pour attirer tout à soi ; et, comme aussi les pré- tentions font naître parmi les concurrents de secrètes divisions, et quelquefois même des contestations et des jalousies ouvertes, Ignace remit à la seule disposition des supérieurs tout ce qui concerne les membres de l'Ordre pour les ministères, les emplois et la résidence. Par cette entière dépendance des inférieurs à l'égard des chefs, il détruit toute prétention à posséder ou à commander. S'il se manifestait quelque antipathie naissante parmi les Frères, ou seulement si quelque parole peu charita- ble se faisait entendre, la punition qui suivait servait tout à la fois, à corriger le coupable, et à donner aux autres un salutaire

24 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

exemple. Ainsi, un jour, le Saint infligea une sévère pénitence à un Père, homme de grand mérite, pour avoir inconsidéré- ment raconté à quelques personnes du dehors les divagations d'un malade en délire. Quel châtiment ne lui eût-il pas imposé, s'il eût fait des révélations nuisibles à son honneur?

Quant à ces semeurs de division, qui rapportent des uns aux autres les propos blessants et détruisent ainsi toute concorde, il ne les souffrait pas une demi-journée dans la maison (^'). Il arriva un jour que de douze Pères réunis en conseil pour délibérer sur l'expulsion d'un de ces fauteurs de discorde, dix opinèrent pour le garder, et pour essayer encore de le réformer, dans la crainte du scandale que pouvait produire ce renvoi. Ignace, contre sa coutume (car il adoptait en général l'avis de la majorité), suivit l'opinion des deux autres Pères. Puisqu'on craignait un scandale, disait-il, le plus énorme serait de laisser répandre le bruit dans Rome que la division s'était introduite dans leur maison, et qu'une imprudente tolérance en conservait l'auteur.

Un compagnon de voyage du P. Simon Rodriguès fut traité avec la même rigueur. Arrivé à Rome, ce Père se mita raconter des choses indignes de la vertu de ce saint religieux. Saint Ignace en fut instruit et voulut connaître toute la vérité ; mais il ne découvrit que des chimères, des inventions fondées sur des actes mal interprétés (3^). Il obligea le détracteur à se dédire, et, quoique ce fût un religieux de grand savoir et d'un rare talent pour la prédication, il le renvoya de la Compagnie.

Outre ces deux moyens de conserver la paix parmi nous, savoir l'obéissance et la charité, j'en trouve un troisième qui se rapporte plus directement à Dieu. Saint Ignace le regardait comme essentiel à l'existence même de la Compagnie. Je veux parler de la pureté d'intention, qui ne donne à toutes nos actions d'autre but que celui de plaire à Dieu et de contribuer à l'ac- croissement de sa gloire. Nous ne devons donc jamais attendre de récompense ni du prochain, ni de la Compagnie, quels que puissent être les services rendus. Parla, nos travaux seront plus saints en eux-mêmes, plus utiles aux autres, et aussi plus conti- nuels ; car celui qui ne travaille que pour Dieu peut toujours dire avec vérité qu'il n'a encore rien fait.

C'est principalement à l'égard des dignités, que toute ambi-

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE II. 25

tion est absolument proscrite, puisqu'il ne nous est pas plus permis d'aspirer à celles de l'Ordre, qu'aux honneurs de l'Église et du monde. Quant aux dignités séculières, non seulement nous ne pouvons jamais les rechercher, mais il nous est interdit d'en accepter aucune, môme du Souverain-Pontife, à moins qu'il ne l'exige formellement et en vertu de notre vœu d'obéissance {^^). Les profès prennent cet engagement par un vœu particulier, selon la formule tracée par saint Ignace lui-même, dans la dixième partie de ses Constitutions.

Dès les premiers temps de la Compagnie, plusieurs de ses membres furent désignés au Pape, les uns pour l'épiscopat, les autres pour le cardinalat. Mais le saint Fondateur, voulant abso- lument repousser toutes les avances des princes temporels, eut recours à Dieu, non moins qu'aux hommes, persuadé que si les dignités entraient dans la Compagnie par une porte, on verrait l'ambition chasser l'humilité par l'autre. Il laissa donc à ses suc- cesseurs dans la charge de Général, l'exemple à suivre en pa- reille circonstance.

Les nouvelles espérances que l'empereur d'Abyssinie faisait concevoir de sa réunion à l'Eglise romaine avaient porté le pape Jules III à accorder au roi de Portugal, pour cette entreprise apostolique, un patriarche et des évêques choisis dans la Com- pagnie. Mais le saint Fondateur fit constater bien haut que l'espérance du bien à accomplir ne l'avait nullement décidé à consentir à leur élection.

Il déclara subir une nécessité que, malgré ses efforts, il n'avait pu écarter (^*). Aussi, dans l'explication de la dixième partie des Constitutions, consigne-t-il par écrit qu'il n'a pu empêcher que le choix du patriarche et des évêq^ies d Ethiopie, fïlt fait parmi nos Pères (^5) ; et il ajoute peu après : // 7ty a pas eu moyen de résister. Le P. Jérôme Natal commentant ces dernières paro- les, dans ses explications sur l'Institut, dit aussi : // ny eut pas moyen de résister à la volonté et aux ordres du Souverain- Pontife qui seul peut contraindre la Société (^^).

Définissant ensuite la mesure de la résistance que la Société doit apporter à l'acceptation de toute dignité, suivant l'esprit de son Institut et l'exemple de son Fondateur, il ajoute immédia- tement ces paroles : « Il faut mettre tout en œuvre, recourir à

26 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« tous les moyens, remuer ciel et terre, comme l'on dit, pour « écarter de nous toute dignité. Il ne faut s'arrêter ni se décou- « rager jamais, tant qu'il reste une espérance de succès. Il ne « faut céder que lorsque manifestement le Saint-Siège oblige à « la soumission sous peine de péché mortel ; quand le Pape ne « veut admettre absolument aucune excuse. »

Dans plusieurs circonstances, saint Ignace a lui-même fait cette résistance. Lorsque Ferdinand, roi des Romains, demanda le P. Le Jay pour évêque de Trieste, le Fondateur engagea celui-ci à présenter au Souverain-Pontife, Paul III, une pressante supplique pour se soustraire à cette dignité ; il y joignit les instances de toute la Compagnie, dont Sa Sainteté était le Père, puisqu'elle lui avait véritablement donné la vie, en l'érigeant en Ordre religieux. Ignace conjura le Pontife de ne pas lui ôter cette vie, en détruisant l'esprit qui seul pouvait la conserver. Cependant, sachant que la résolution définitive serait prise dans un consistoire qui devait se tenir trois jours plus tard, Ignace alla trouver les cardinaux, et leur donna de si puissantes rai- sons, pour ne point laisser introduire les dignités dans son Or- dre, qu'il les amena presque tous à son avis. Mais comme quel- ques-uns d'entre eux considéraient plutôt dans cette affaire l'intérêt général de l'Église que le dommage éventuel de la Compagnie, et refusaient leur concours, il travailla d'abord à obtenir un délai, et en profita pour exprimer si fortement à Ferdinand les motifs de son refus et sa douleur, que ce prince renonça à sa demande, délivrant ainsi le P. Le Jay d'un grand sujet de crainte, et la Compagnie d'un grand danger.

Quelques années après, le même roi Ferdinand s'adressa au Pape Jules III, et lui demanda le P. Pierre Canisius pour évê- que de Vienne. Saint Ignace dressa de nouvelles batteries pour empêcher cette nomination. Il exposa ses raisons au Saint-Père, et le convainquit si bien qu'il en obtint la promesse de ne rien faire à ce sujet sans son consentement. Don Diego Lasso, am- bassadeur de Ferdinand, désespérant de réussir,conjura le Pape, avec les plus vives instances, d'ordonner à Canisius d'accepter l'évêché, malgré la répugnance de saint Ignace. Jules III s'y refusa absolument par ces remarquables paroles : Oh ! cela jamais ! Nous avons besoin d'eux. C'est-à-dire, ainsi qu'il l'ex-

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pliqua depuis au cardinal de Sainte- Croix, un Ordre si utile à l'Église serait détruit, si avec les dignités, l'ambition y pénétrait ; or, cela fût arrivé inévitablement. Saint Ignace qui le prévoyait, fit sagement de s'y opposer, en tenant plus compte du mal qui en résulterait dans l'avenir, que du bien actuel qu'on en espérait.

Saint Ignace s'employa avec non moins d'énergie à écarter de saint François de Borgia, la dignité cardinalice que Charles- Quint avait demandée pour lui, au même Souverain- Pontife. Voici comment s'exprime à ce sujet le secrétaire du Saint, en écrivant à Borgia : « Mon très cher Père en Jésus-Christ, nous « savions déjà combien Votre Révérence se rend agréable à « Dieu par son esprit d'humilité et de simplicité, et nous le « le reconnaissons plus clairement encore, maintenant qu'il « vient de vous délivrer d'un chapeau, dont le poids est tout « autrement lourd que celui des chapeaux qu'Antoine Rion a « coutume de faire pour le réfectoire (^^).

« 11 y a dix ou douze jours que le cardinal de la Cueva, au « sortir du Consistoire, avertit notre P. Ignace qu'on avait ab- « solument résolu de vous faire cardinal ; et le cardinal Maffei « me fit, le même jour, beaucoup de compliments de congratula- « tion à ce sujet. Comme je lui témoignai ma douleur d'une «chose si éloignée de l'esprit de notre Compagnie : Je vou- « drais, me dit-il, que votre Compagnie fût un séminaire d'évê- « ques et de cardinaux. C'est pourquoi notre Père voulut « avoir une entrevue avec le cardinal de la Cueva; et, ayant appris « de lui les raisons qui avaient porté Sa Sainteté et le Sacré- « Collège à cette résolution, il prit le parti de s'adresser au Pape «lui-même pour l'en détourner. Il plaida si bien sa cause auprès « de Sa Sainteté, que le Pape lui déclara en termes explicites « qu'il était convaincu que votre genre de vie actuel était plus « avantageux à la gloire de Dieu que la dignité de cardinal. II «alla même jusqu'à dire qu'il préférerait votre genre de vie ou « celui de tout autre religieux de la Compagnie, à la dignité « pontificale: Car, ajouta-t-il, vous n'avez d'autre désir, ni d'au- « très soins que de servir Dieu, et nous, nous sommes impliqués «en beaucoup d'affaires qui partagent notre esprit. Enfin, il « fut convenu, entre Sa Sainteté et notre Père, qu'elle ne vous « enverrait point le chapeau malgré vous et sans être assurée

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de votre consentement. C'est donc à vous maintenant de voir si vous voulez l'accepter. Notre Père a déjà dit bien positive- ment à Sa Sainteté que vous n'en voudriez nullement, et que la seule crainte de cette dignité vous avait obligé de sortir de Rome dans une saison très rude et très incommode : de sorte que votre résolution avait déjà fait changer une fois celle du Souverain-Pontife. Il a eu, de plus, des entretiens avec les principaux membres du Sacré-Collège pour leur ôter cette pensée, et il emploie ses amis pour en parler dans le même sens à tous les autres cardinaux et à l'ambassadeur de l'Empereur, don Diego de Mendoza. On leur a fait entendre à tous que le Pape ne prétendait point vous contraindre de recevoir cet honneur ; et, quoique il n'y en ait aucun qui n'ait fait paraître un désir sincère et ardent de vous voir revêtu de la pourpre et qui n'ait justifié ce désir par plusieurs belles rai- sons, tous enfin se sont rendus à des raisons plus fortes qui leur ont fait avouer qu'il ne fallait point vous faire de violence là-dessus. Toute la cour et toute la ville tiennent cette affaire pour rompue, maintenant qu'on sait que vous en êtes le maître ; et il n'y a personne qui ne juge que vous aimeriez mieux aller toute votre vie, tête nue, à la pluie et au soleil, que de l'avoir couverte de ce chapeau. Je vous demande qu'en récom- pense d'une si bonne nouvelle, vous disiez pour nous la messe du Saint-Esprit, afin d'obtenir de Dieu qu'il me fasse la grâce de mieux suivre ses inspirations que je n'ai fait jusqu'à présent.

« Par ordre de notre P. Ignace, « Votre très humble serviteur en Jésus-Christ, « Jean Polanco. « De Rome, le i" juin 1552. »

Avant d'entamer cette négociation, Ignace avait, pendant trois jours, consulté le Seigneur. Il avait également ordonné à tous ses prêtres d'offrir le saint sacrifice, et aux autres d'offrir leurs prières pour obtenir que Dieu lui fit connaître ce qui con- tribuerait le plus à sa gloire (^^). Il vit si clairement la volonté divine à cet égard, qu'il résolut de n'épargner aucune peine pour éloigner le cardinalat de la Compagnie, quand même le monde entier le supplierait de ne pas s'y opposer. Telles étaient

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ses pensées, lorsque le pape Paul IV, qui aimait particulièrement le P. Jacques Laynez, songea à conférer à ce grand homme, le rang et le titre d'Eminence, Ignace dit à cette occasion ces propres paroles : « Nous aurons peut-être dans peu de jours un cardinal « Laynez; mais, si cela arrive, je ferai tant de bruit que le monde « entier saura comment la Compagnie accueille les dignités. »

Oui, tel a été véritablement l'esprit de notre Société. Parmi ses membres, ceux qui ont refusé l'épiscopat et la pourpre romaine, sont plus nombreux que ceux qui ont accepté cette dignité par les ordres exprès du Souverain-Pontife ; comme aussi ceux qui ont revêtu la pourpre sont moins nombreux que les cardinaux qui ont demandé à la déposer, pour prendre l'humble habit de la Compagnie. Étranges accusations que celles d'Arnould, et de tant d'hérétiques venus avant et après lui ! Si nous ambi- tionnions, non pas seulement de simples prélatures, mais encore les hautes dignités, combien parmi les nombreux Jésuites, con- fesseurs de rois et d'empereurs, seraient parvenus à les obtenir. 11 ne s'est pas rencontré un seul de ces ambitieux. Non pas, sans doute, qu'il n'y ait eu parmi nous des hommes d'un mérite émi-. nent, dignes de toutes les récompenses et chéris des princes ; mais ils avaient pris envers Dieu d'autres engagements, et la pratique d'une vie volontairement humble et soumise leur avait fait concevoir d'autres pensées.

Ce renoncement absolu aux dignités parut toujours aux hommes vraiment sages et saints, ce qu'il est en effet, c'est-à- dire, un des moyens les plus efficaces que la Compagnie puisse employer, non seulement pour se maintenir comme Ordre reli- gieux, mais pour conserver l'esprit propre de son Institut ; l'ambition nous serait à la fois si facile et si dangereuse. Outre, les deux Pontifes que j'ai cités plus haut , plusieurs autres qui la connaissaient bien, et professaient pour elle un attache- ment vraiment paternel, n'ont jamais voulu choisir des Pasteurs dans son sein, ni de leur propre mouvement, ni à la requête des princes les plus puissants. Grégoire XIII, qui affectionnait tant la Compagnie, et qui l'employa si souvent au service de l'Eglise, s'entretenant un jour sur ce sujet avec le cardinal Cornaro, dit ces paroles mémorables : « Tous deux nous passerons à une « meilleure vie : mais vous êtes plus jeune que moi ; vous vivrez

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« plus longtemps. Souvenez-vous de ne jamais consentir à ce qu'un « membre de la Compagnie soit élevé à aucune dignité ; car, si un «jour cette porte s'ouvrait, ce serait pour y faire entrer la ruine. »

Aussi lui conseillait-il toujours de repousser toute proposition de cette nature, à moins que parmi les prêtres séculiers, il ne s'en trouvât pas un seul, capable de gouverner une église ; ce qui était supposer l'impossible.

Le cardinal de Sainte-Croix, qui était étroitement uni d'amitié avec saint Ignace, pensait, il est vrai, bien différemment. Pour réformer le clergé, disait-il, le moyen le plus efficace serait de pourvoir l'Eglise de savants et saints Pasteurs. Or, si l'on voulait créer un Ordre dont l'Institut eût pour but de faire fleurir, parmi ses membres, la piété, la science et le zèle pour le salut des âmes, ces trois dons si propres aux évêques, que manquerait-il à la Compagnie pour être précisément cet Ordre ? Ses enfants ne sont-ils pas formés à l'étude, au soin de leur propre perfection, et à cette ardente charité, qui leur fait embrasser tant de divers ministères pour la sanctification du prochain ! On faisait donc tort à l'Eglise en la privant de ceux qui, plus que d'autres, se- raient capables de la servir. Un jour que le Cardinal parlait longuement sur ce chapitre avec le P. Martin Olave, celui-ci, malgré tous ses raisonnements, ne parvenait point à le convain- cre : pour dernière ressource, il s'en référa à l'autorité de saint Ignace, qui ayant voulu former une Société toute dévouée aux besoins et au service de rEglise,pensait pourtant si différemment sur ce point. Ce fut un trait de lumière qui éclaira l'esprit du pieux Cardinal. Il conclut aussitôt, sans en bien saisir le motif, qu'il était sans doute plus sage de suivre la pensée du saint Fondateur, « Je me rends à cet argument, dit-il, et me reconnais « vaincu; car le seul nom d'Ignace a pour moi plus de poids que « tous les raisonnements. Il n'est pas probable, en effet, que nous « connaissions mieux la volonté de Dieu que celui que Dieu a lui- « même choisi et aidé, par tant de secours, à fonder votre Ordre, « dans des temps si désastreux pour son Eglise. Après lui avoir « donné la grâce et les lumières nécessaires pour former le plan de « cet Institut, et apprendre à le gouverner, pourrait-on croire « que le Seigneur l'ait laissé dans l'erreur sur les plus sûrs moyens « de l'employer à son service, sans danger pour sa conservation.'*»

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Saint Ignace, dont l'esprit fut évidemment éclairé d'en haut, sur des choses moins importantes que l'acceptation ou le refus des dignités ecclésiastiques, aurait-il pu manquer ici des lumiè- res indispensables ? Ceux même qui ne pénètrent pas aussi avant que lui, comprennent néanmoins que sur ce point il a suivi, dans ses Constitutions, les plus exactes règles de la piété et de la prudence {'^). Et d'abord, si le zèle, qui dans la Com- pagnie pourrait seul ouvrir l'entrée aux dignités, en tenait tou- jours les clefs, et ne l'ouvrait jamais qu'aux plus méritants, les dangers seraient sans doute moins imminents; mais ils demeure- raient toujours graves. Car priver un Ordre des hommes les plus propres à remplir le but de son Institut n'est-ce pas, en quelque sorte, enlever à un corps destiné au travail ces esprits vifs et subtils qui lui donnent et lui conservent sa vigueur ? Aussi fut- elle bien digne d'un homme vraiment sage, cette réponse d'un général d'Ordre, à qui on demandait quel Institut était le mieux pourvu des moyens de conserver le premier esprit de sa voca- tion. «Celui de la Compagnie de Jésus, répondit-il, parce qu'elle « garde tous les bons sujets que les dignités ne peuvent lui « enlever, et qu'elle renvoie tous les mauvais. »

Lors même que le danger de perdre ses membres les plus précieux, ne devrait pas naître de l'acceptation des dignités, il en résulterait un autre plus redoutable encore. Ce qu'on devrait d'abord accorder au zèle, on ne pourrait peut-être pas le refuser ensuite à l'ambition : abus assurément facile à prévoir. Comment réserver au seul mérite la nomination des évêchés ? Ceux qui les rechercheraient n'en seraient assurément pas les plus dignes, et les plus méritants les fuiraient comme des postes dangereux.

D'ailleurs, dans un Ordre voué uniquement au salut des âmes, ce ne pourrait être par zèle et par ferveur qu'on se mettrait en quête des dignités pastorales. Un tel Ordre, en effet, renferme dans son sein tant de moyens d'y travailler, qu'on ne peut guère aller au delà de ce qu'il permet ou exige. Ce serait donc la fatigue de l'observance, l'amour de la liberté, des désirs ambitieux, l'intérêt des parents, ou l'éloignement pour les supérieurs qui porterait la plupart des candidats à convoiter les honneurs de la prélature. Et si le petit nombre seulement y parvenait, le nombre des prétendants ne serait pas petit. L'espérance qui est une

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jouisssance lointaine de l'objet poursuivi, est chose très douce ; elle ne coûte jrien. On le voit tous les jours dans les cours : pour un qui arrive à bon port, alors même que mille fassent naufrage , mille affronteront les dangers de la mer. Si une fois la Compagnie, dont plusieurs sujets, aussi distingués parla naissance que par les talents, sont souvent chargés de minis- tères importants ; si, dis-je, la Compagnie ouvrait la porte à l'ambition, ne subirait-elle pas les conséquences naturelles d'un principe si désastreux ?

Ne voudrait-on pas alors être employé aux grandes et brillan- tes affaires, qui donnent du crédit et gagnent l'estime ? Or ce n'est point ce que procurent l'enseignement de la doctrine chrétienne ou delà grammaire aux enfants, l'assistance des pauvres et des prisonniers, les courses apostoliques dans les villages et les montagnes, les missions lointaines parmi les peuples barbares. On nous verrait peut-être nous introduire dans les cours, en venir à des dissensions ouvertes avec des rivaux, rechercher la faveur des grands en secondant leurs inclinations, en défen- dant leurs intérêts ou même en dirigeant leur conscience d'une manière plus utile pour nous que conforme à nos devoirs; puis intrio-uer auprès des princes ou dans leurs familles ; employer enfin, à obtenir des avantages temporels, ces moyens qui devaient n'être consacrés qu'au service de Dieu.

Je passe rapidement sur la nécessité qui dès lors s'impose- rait de oraener la bienveillance des g^rands, sur les bassesses auxquelles on s'exposerait pour y parvenir, sur l'égoïsme qui pénétrerait dans l'âme, sur une infinité de choses qui porteraient le religieux courtisan à rougir de ses frères. N'eût-on à redouter que les graves inconvénients d'une présence trop habituelle à la cour fréquenter la cour le plus possible est chose indispen- sable pour quiconque veut y réussir, on ne saurait croire tout le détriment que peut en recevoir un religieux. Celui donc qui fréquente les cours, dans un autre but que le pur service de Dieu, devient bientôt un courtisan dans le cloître.

L'humilité, l'amour de la retraite, la pauvreté, la mortification, la simplicité des manières, toutes les observances enfin de la vie religieuse, vues d'un œil accoutumé à contempler les pompes et les grandeurs, la mollesse et les honneurs, ne paraissent plus

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que bassesse ou même avilissement : on s'y soumet avec regret, on s'en délivrerait avec joie.

S'agit-il de s'assurer les bonnes grâces et l'appui des grands? Les grands! il n'est personne de moins tolérant, ni personne qu'il faille plus souvent tolérer. Ils cherchent leurs intérêts dans. les désirs, comme dans les déplaisirs de leurs maîtres ; ils ne crai- gnent rien et se font craindre de tout le monde. Malheur, comme l'on dit, à la pierre qui touche leur pied ! Ils prétendent que les manquements aux règles sont devenus pour eux une nécessité, et vouloir les réprimer, c'est faire injure à leurs maîtres plus encore qu'à eux-mêmes. Au besoin, ils ont recours à la menace pour fermer la bouche aux témoins de leur vie libre et facile. Tourner leurs discours contre leur propre mère, se faire passer pour désintéressés et fidèles, rapporter sans discrétion tout ce qu'ils savent, manifester tout ce qui leur déplaît dans la commu- nauté ou dans les individus, soutenir tous ceux qui, ne sachant se conduire eux-mêmes, sont en quête d'une direction, se faire des partisans et se procurer des adhésions : tout cela est, avec bien d'autres misères, le fruit ordinaire de cette pernicieuse dis- position. J'ai fait connaître en général la nature et les effets de ce mal, et j'ai montré par là, ce que deviendrait la Compagnie, s'il y était permis de rechercher les dignités, et s'il devenait, par suite, nécessaire de paraître à la cour, plus que cela ne con- vient à un religieux.

J'ajouterai seulement, en dernier lieu, ce que l'expérience nous a appris sur la vocation dont le Seigneur nous a favorisés. Elle porte en elle-même, d'une façon innée et intrinsèque, une telle répugnance pour les dignités, que ceux d'entre nous qui, par les ordres exprès des Souverains-Pontifes, ont été élevés à ces hon- neurs, n'y ont jamais vécu aussi heureux qu'ils l'étaient aupara- vant, et se sont toujours efforcés de s'en dépouiller. J'en citerai pour exemple, le premier patriarche et le premier cardinal tirés de la Compagnie, le P. Jean Nuîiès Barreto et le P. François Tolet.

Le premier était un religieux d'une grande vertu, et, par cela même, très cher à saint Ignace (*°). Il partit d'Europe pour aller à Goa, et se rendre ensuite, par cette voie, dans son diocèse. Là, il trouva un certain Jean Belmudès, qui à tort ou à raison (il ne m'appartient pas de l'examiner), se disait être le patriarche.

Histoire de s. Ignace de Loyola. II. 3

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Voyant arriver Nuiiès, il se disposa à plaider contre lui. L'Ethio- pie, disait-il, lui était confiée depuis plusieurs années ; le pape Paul 1 1 1 l'en avait chargé. S'il ne montrait pas ses Bulles, l'habit qu'il portait était au moins une pœuve de sa véracité, et il ne manquait pas de témoins qui, en Ethiopie comme en Portugal, l'avaient vu agir en patriarche. Mais Belmudès n'avait besoin, pour l'emporter, ni de bonnes raisons, ni de plaidoyers ; car le P. Nunès, à qui cette dignité était d'un poids insupportable, regardait comme un grand bonheur d'avoir trouvé quelqu'un qui l'en délivrât. Il écrivit aussitôt à Ignace des lettres pleines d'une sainte joie, le priant instamment d'employer tout son cré- dit auprès du Souverain-Pontife pour qu'une fois déchargé de ce fardeau, il n'en reçût pas d'autre sur ses épaules. Si Ignace se refusait à sa demande, il était prêt à traverser de nouveau les mers pour se rendre à Rome, et là, prosterné aux pieds du Souverain-Pontife, il l'en supplierait si ardemment, qu'il espé- rait bien obtenir de n'être plus, au péril de sa propre âme.chargé du salut de tant d'autres.

Comme de fait, il se trouvait le légitime patriarche, il fut bien contraint de courber la tête sous le joug de l'obéissance. Mais il ne put pénétrer en Ethiopie, car l'Empereur, ayant trompé l'espoir qu'on avait conçu de voir ces peuples se rapprocher de l'Eglise romaine, lui en avait interdit l'entrée. Cependant N unes était resté au collège de Goa, et ne s'y distinguait qu'en se montrant le plus humble, le plus soumis et le plus pauvre de tous les religieux.

Après la mort d'Ignace, il écrivit encore au P. Laynez, suc- cesseur du Saint dans la charge de Général, des lettres pres- santes,le priant de lui obtenir du Souverain-Pontife la permission de renoncer à sa dignité. Il s'offrait à échanger les honneurs du patriarchat contre l'emploi de cuisinier dans le dernier col- lège de la Compagnie.

Le premier cardinal de la Compagnie fut le P. François Tolet, également distingué par ses vertus et par sa science (■♦'). Ses écrits feront mieux juger que ce que j'en pourrais dire, de son éloignement pour cette éminente dignité, et de tout ce qu'il tenta pour s'y soustraire.

Les moyens ne lui manquèrent pas de s'employer au service de l'Église, car les affaires les plus importantes de son gouverne-

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE II. 35

ment lui étaient confiées. Néanmoins, sa première vocation, es- sentiellement opposée aux honneurs, lui fit toujours éprouver un vif déplaisir d'être placé, comme par force, dans un poste si élevé, et un ardent désir de revenir à la tranquillité, à la sûreté de son premier état. La première année de son cardinalat n'était pas encore écoulée qu'il écrivit au Pape la lettre suivante. Je la cite d'après l'original.

« Très-Saint- Père,

« Je supplie Votre Sainteté de n'attribuer ni à la légèreté, ni « à la précipitation, les humbles représentations que je viens « maintenant mettre à ses pieds ; car il y a plusieurs mois que «j'en mûris la pensée, après l'avoir souvent recommandée à « Dieu et à la sainte Vierge, par mes prières et par celles de ses « plus fidèles serviteurs.

« Après de longues réflexions, je suis résolu à remettre à « Votre Sainteté le chapeau de cardinal et à me retirer dans la « solitude, pour y passer le peu de temps qui me reste à vivre. « Quatre raisons principales ont fixé ma détermination : la pre- « mière, est le peu de progrès que je fais dans les voies spiri- « tuelles, depuis que je suis revêtu de cette dignité ; loin d'y « avancer, il me semble que je retourne en arrière ; la seconde, « c'est que je rencontre beaucoup d'empêchements, de troubles « et d'occasions de me refroidir dans l'amour de mon Dieu, que «je préfère à toutes les choses de ce monde ; la troisième, est « le désir que je ressens, aidé de la grâce, d'abandonner pour lui « tout ce que je possède, et dans ce but unique, je voudrais « posséder davantage, pour avoir plus à lui sacrifier. Ces trois « premières raisons si brèves à exposer, sont, clans la pratique, « si étendues que leurs détails pourraient remplir un livre tout « entier ; et je puis dire ici, je parle en la présence de Dieu, « qu'elles me tiennent dans un déplaisir continuel et me causent « avec une tristesse de cœur que je ne parviens pas toujours à « dissimuler, un violent dégoût pour toutes les choses de la vie. « La quatrième raison, secondaire, il est vrai, et moins impor- « tante, c'est ma faiblesse corporelle ; mes forces s'épuisent ab- « solument par l'assistance, soit aux consistoires, soit aux congré- « gâtions et autres réunions publiques dans lesquelles je souffre

36 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« extrêmement ; et je suis bien peu utile au service de Dieu. Je « ne trouve point de paroles pour exprimer pleinement mes sen- « timents sur ce sujet ; mais on peut en juger par les effets et « par mon ardent désir d'abandonner ce que tant d'autres sou- « haitent et recherchent.

« Je conjure Votre Sainteté, aussi instamment que possible,

« par son amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a

« tant fait pour nous, et qui, possédant tout, a vécu pauvre ;

« par sa sainte Mère, à laquelle Votre Sainteté est si dé-

« vouée, et pour l'amour desquels j'agis en ce moment ; je la

« conjure, dis-je, de me permettre de renoncer à la dignité de

« cardinal, au revenu qui y est attaché, à tout ce que j'ai, et

« de me retirer du monde, pour mourir tranquille, comme je le

« souhaite depuis longtemps. Votre Sainteté ne perdra que peu,

« ou plutôt rien à ma retraite. J'espère donc qu'elle ne me refu-

« sera pas la grâce que je sollicite, après avoir demandé à Dieu

« et à sa glorieuse Mère de l'éclairer et de lui faire connaître

« sa très sainte volonté. C'est dans cet espoir que je lui ai pré-

« sente par écrit mon humble requête : qu'elle daigne la consi-

« dérer comme n'ayant d'autre but devant Dieu que son divin

« service et le salut de mon âme, auquel je voudrais désormais

« travailler avec la perfection due à Dieu et à sa sainte Mère.

« Je supplie donc de nouveau Votre Sainteté de me montrer, « dans cette occasion, la paternelle bonté qu'elle m'accorde de- « puis tant d'années et qu'elle m'a témoignée de tant de maniè- « res. Qu'elle ne voie point surtout dans mes humbles instances « une marque d'ingratitude envers elle, car Dieu, qui nous ju- « géra, sait que je suis bien éloigné d'une telle disposition. Quand « je ne devrais à ses bontés que le bonheur de pouvoir faire à « Dieu le sacrifice des faveurs dont elle m'a comblé, je serais « pénétré pour Votre Sainteté de la plus tendre reconnais- « sance, puisque ses bienfaits en eux-mêmes, et la manière dont « elle me les a accordés, sont de nature à la mériter tout entière. « Que le Seigneur soit toujours avec Votre Sainteté et la com- « ble de ses grâces! En attendant ses ordres, je demeure son « très humble, très obligé et très dévoué serviteur. Le 3 sep- « tembre 1 594.

« Le cardinal Tolet. »

LIVRK QUATRIEME. CHAPITRE II. 37

Cette lettre servit à accroître les mérites du Cardinal, mais non à le délivrer de la dignité qui l'importunait. Tandis qu'il se persuadait que Dieu et le Souverain-Pontife l'avaient exaucé, et qu'il délibérait en lui-même sur le lieu il se retirerait, loin des embarras du siècle, il fut m^ndé par le Pape, au bout de quatre jours, et reçut de lui la réponse suivante, dont il a depuis consigné les paroles textuelles. « Nous vous commandons, par « toute notre autorité, de ne plus penser désormais à renoncer « au chapeau de cardinal. Ce ne sont pas nos paroles propres, « mais celles que Dieu lui-même nous a suggérées. Vous nous « avez demandé de le consulter sur cette affaire ; nous l'avons « fait, et nous pouvons vous dire, en toute vérité, qu'aussitôt « que nous nous sommes recueilli devant Dieu, une voix inté- « rieure nous a ordonné d'user de notre autorité pour vous faire « renoncer à votre désir. Ainsi donc, l'ordre que nous vous en « donnons émane de celui qui l'a placé sur nos lèvres. » Le Saint-Père l'entretint ensuite de quelques affaires, puis il se leva, l'embrassa en souriant, et lui dit: Ce sera ensemble que nous irons au désert.

Tous ces faits nous semblent être moins encore le fruit ordi- naire d'une grande humilité, que la conséquence immédiate de la première vocation de ces deux prélats.

Du reste, on ne peut s'étonner que des hommes auxquels l'es- prit même de leur Institut inspire un entier détachement pour les honneurs, s'ils sont contraints d'accepter des dignités, n'y trouvent point cette paix et cette sorte de satisfaction dont peu- vent jouir ceux qu'un devoir rigoureux n'obligeait pas à s'y renoncer ; car l'aversion produite par un vœu qui engage si étroitement envers Dieu, surpasse infiniment celle que la seule humilité pourrait faire naître. Et cependant l'histoire de l'Église offre beaucoup d'exemples de saints qui, pour se soustraire à la mitre dont on voulait les honorer, s'enfonçaient dans des caver- nes ou dans le désert ; tandis que d'autres, forcés d'abord par la respectueuse violence des peuples d'accepter l'épiscopat, après en avoir porté le fardeau aussi longtemps qu'ils purent résister à leurs répugnances intimes , saisirent ensuite la première occasion favorable de se retirer dans un monastère ou dans la solitude.

38 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Après en avoir obtenu l'autorisation, saint Grégoire de Na- zianze quitte son siège, aussi envié que plein de dangers, et, devant cent cinquante évêques réunis en concile, il adresse d'émouvants adieux à la ville de Constantinople, à son église cathédrale, à l'empereur, au clergé, aux vierges consacrées à Dieu, au peuple qui accourait à ses prédications, aux familles qui l'aidaient dans ses besoins, à tout le monde enfin. Ils ne perdent rien, ajoutait-il, ceux qui rêno7icent à leurs sièges, car ils auront au ciel im trône et plus élevé et plus silr.

Ainsi donc notre P. Ignace avait pourvu tout à la fois au bien de son Ordre, en éloignant l'ambition, et à celui de l'Église, en la préservant des ambitieux. Mais dans le cas les Vicai- res de Jésus-Christ, qui seuls en avaient le droit, obligeraient quelque sujet de la Compagnie à accepter un évêché, il avait encore établi avec une admirable prudence des mesures de gou- vernement intérieur, destinées à rassurer la conscience du nou- veau prélat, et à procurer le bien de tous. Pour arriver à ce double but, chaque profès s'engageait par un vœu spécial, une fois élu aune prélature, à prendre l'avis du Général ou de tout autre que le Général se substituerait. Il promettait de se conformer à tout ce qui lui paraîtrait être le plus conforme au service et à la gloire de Dieu. Nous avons à faire sur ce vœu quelques observations particulières.

Deux ans avant sa mort, saint Ignace plaça ce vœu dans ses Constitutions et, non content d'avoir pris cette détermination devant Dieu, il la soumit, suivant sa coutume, au jugement des Pères et voulut connaître leur opinion. On conserve dans nos archives, à Rome, l'original de cette proposition, examinée par dix-neuf théologiens ; leur jugement est muni de leurs signa- tures. Le voici textuellement : « En présence de tous les Pères « assemblés, il a été convenu à l'unanimité ce qui suit : i*^ Il est « permis de s'engager par un vœu simple, dans le cas un « membre de la Compagnie serait élevé à la prélature, à écouter « et même à suivre l'avis du Général de la Société, ou d'un « commissaire par lui nommé à cet effet. Cependant il faudra « que le prélat juge lui-même que ce conseil est le meilleur à « suivre. De plus, il ne paraîtrait pas convenable de promettre « au Général une obéissance telle que celui-ci fût de fait constitué

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« le supérieur de l'évêque ; le vœu dont il s'agit est conve- « nable ; il est permis, et même il convient de donner à cette « disposition la forme d'une Constitution, mais avec des expli- « cations suffisantes pour ne blesser personne ; il ne faut « point y parler de scrupules, ou d'autres choses semblables. « Arrêté à Rome, dans la maison de la Compagnie de Jésus, « le 17 septembre 1554 (*'). »

En tête des signatures figure celle de Jacques Laynez qui à elle seule en valait mille; suivent celles d'André d'Oviedo, plus tard patriarche d'Ethiopie (^^); de Melchior Carneyro, (^*) évêque de Nicée; de Martin Olave, docteur de Sorbonne; de Christophe Madrid, de Benoît Palmio, de Pierre Ribadeneira, et d'autres hommes de grande science et d'une extrême prudence. Le décret fut donc porté et inséré dans les Constitutions. On sait que Paul IV fit rigoureusement examiner nos Constitutions par les quatre cardinaux : Alexandrino, dominicain, plus tard Pape sous le nom de Pie V, Moniliano, franciscain de VAra-Cœli, Scoto, théatin, et Suavio, évêque ; et que ces grands théolo- giens n'y trouvèrent rien à modifier.

De plus ces Constitutions ont été approuvées et confirmées par plusieursPapes qui les ont citées presque en totalité dans diverses Bulles, menaçant de censures et d'autres peines, quiconque serait assez téméraire pour contredire ou examiner ces Constitutions, même sous prétexte de rechercher la vérité. Tout cela fait voir de quel esprit s'inspirait, et de quelle science a fait preuve, celui qui a tenté de prouver que ce vœu était invalide, suspect et pré- judiciable à la hiérarchie ecclésiastique comme mettant les évêques sous la dépendance des religieux. Il faudra alors affirmer que ni Paul V, ni Grégoire XIII, ni Grégoire XIV, ni Paul III n'ont compris, pas plus que les quatre cardinaux ci-dessus nom- més, les vrais intérêts de l'Église, quand de science certaine, (ex certa scientia), et avec leur pleine autorité apostolique, ils ont confirmé les décrets et tous les règlements de l'Institut de saint Ignace.

Autre absurdité : un Ordre entier, dont les membres ne sont pourtant ni sans conscience, ni sans lumières, aurait donc été ou assez ignorant pour ne pas distinguer un vœu d'un sacrilège, ou assez impie pour le prononcer, tout en le reconnaissant pour tel.

40 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Concluons donc qu'un tel vœu reste parfaitement licite, et ne saurait préjudicier à la sublime dignité de levêque. Prendre des conseils n'abaisse pas au rang de sujet, pas plus qu'en donner ne constitue une supériorité. De même, s'obliger à recevoir des conseils, ce qui est moins encore que de s'engager à les deman- der, ne peut avoir pour effet de conférer à un homme sur un autre une véritable juridiction, effet qui ne peut naître que de la volonté personnelle du dernier. En outre, s'engager à faire ce que l'on reconnaîtra le plus conforme au service de Dieu, im- plique moins encore la soumission, et oblige plutôt envers soi- même et son propre jugement, qu'envers celui qui reste dans les termes du simple conseil. Que ce soit l'unique intention du saint Fondateur, c'est ce qu'on trouve positivement exprimé dans ce 6^ paragraphe de la lo^ partie des Constitutions : « Celui qui « a été élevé à une prélature ne trouve pas, dans un membre de « la Société, un supérieur; il s'oblige uniquement, en la présence « de Dieu, à faire de bonne grâce ce qui lui paraîtra le mieux pour « le service divin. Il devra, en effet, trouver agréable que quel- « qu'un lui propose un parti avec une charité et une liberté toute « chrétienne, pour la gloire de Dieu et de Notre-Seigneur (*^). »

Il résulte de ces paroles que celui qui enfreindrait ce vœu offenserait Dieu seul, et qu'on ne pourrait le contraindre à l'ob- server, ni directement, ni indirectement, par voie coercitive.

Enfin, imposer une obligation dont l'exécution ne peut avoir lieu qu'après rupture des liens d'obéissance envers l'Ordre, ce n'est point excéder les limites de cette obéissance, de même qu'on n'en sort point non plus en faisant jurer aux cardinaux, s'ils deviennent Papes, de ne jamais aliéner les biens de l'Eglise, ainsi que le veut la Constitution de saint Pie V.

L'accomplissement du vœu qu'un évêque avait fait tandis qu'il était membre de la Compagnie, n'a pas lieu en vertu d'une autorité que l'Ordre conserverait sur lui, mais en vertu du vœu lui-même. Il avait bien pu être obligé à ce vœu quand, religieux, il était assujetti à un supérieur qui avait juridiction sur lui par autorité apostolique. De môme que faint un vœu et l'accomplir, sont deux actes fort distincts, ainsi on a très bien pu prononcer les vœux par obéissance, comme on peut le faire en dehors de l'obéissance.

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Dira-t-on que Grégoire XIII, après avoir parlé dans sa Bulle Asceiidente des quatre vœux des profès, n'a pas fait mention du cinquième, et que dès lors, en vertu du principe : r exception confirme la règle ; exceptio firmat régulant in contrarium, il a désapprouvé ce cinquième vœu. Ce serait faire preuve d'une rare et inexcusable légèreté. Pour s'en convaincre, il suffit, en effet, de lire les premières lignes de la Bulle Ascendente. Grégoire XIII s'est proposé de confirmer dans son état primitif, l'Institut de saint Ignace, et de rendre par suite impossible, dans l'avenir, toute téméraire entreprise contre son existence. Or, se peut-il que, contre toute loi et tout devoir, ce qui a été préparé pour une fin empêche de l'atteindre ; et que ce qui a été fait pour affermir l'Institut de saint Ignace, dans son ensemble et dans toutes ses parties, serve au contraire à l'ébranler et à le détruire ? Le Pontife n'hésita pas à déclarer la pensée qui avait fait agir sa paternelle bienveillance. Qu'on lise la Bulle il parle des vœux en question ('*^). Il n'y a point d'exception pour les quatre vœux simples que l'on fait après la profession, et le principe allégué pour l'exclusion du cinquième n'a pas d'application dans le cas présent. Le Pape raconte simplement ce que nous faisons d'après notre Institut déjà approuvé et confirmé ; or, de l'avis des hommes de loi, les termes d'un récit excluent tout caractère de décret. De plus, où, dans la même Bulle,le Souverain-Pon- tife expose les diverses parties de l'Institut, non seulement il n'en exclut aucune, mais il les confirme de nouveau toutes en particulier, en se servant des mêmes termes qui avaient été em- ployés, une première et une seconde fois, pour les approuver et les confirmer. Mais les termes mêmes de la Bulle dont se sert Grégoire XIII, en parlant des quatre vœux, suffisent à montrer qu'il n'a pas eu l'intention de désapprouver le cinquième (^"). En disant que les profès, pour pratiquerplus parfaitement la pauvreté, s'engagent par vœu à choisir, en cas de modifications à y apporter, la décision la plus rigoureuse ; et qu'en outre, pour fermer la porte à toute pensée d'ambition, ils font vœu de ne rechercher les dignités ni dans la Société, ni hors de l'Ordre, et même de dénoncer au P. Général quiconque tenterait de les briguer ; pouvait-on s'arrêter, avec quelque apparence de raison, à la pensée qu'il n'est pas convenable qu'un religieux, devenu prélat,

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HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

suive, en faisant ce qu'il croit être le mieux, le conseil du P. Gé- néral ? Mais nous en avons dit assez plutôt pour faire connaître que pour défendre cette Constitution, qui est comme toutes les autres de saint Ignace, sage, sainte, et approuvée par l'autorité apostolique.

-:{:— Cïjapttre troisième. :{:—

"^^m^^^^m^^^^^^m-

Saint Ignace modèle dans l'art du gouvernement. Prudence admirable et entier abandon à Dieu tout à la fois. Empire de saint Ignace sur tous les mouvements de son âme. Sa conduite à l'égard des novices. Sa circonspection dans le choix des personnes qu'il voulait employer. Estime et ten- dresse qu'il témoignait à ses disciples.

!^3A Compagnie avait donc reçu de son saint Fondateur le plan, d'après lequel devait s'élever l'édifice d'une vie également parfaite à l'égard du prochain et de soi-même. Mais comme dès ces commencements, dont le souvenir et les résultats devaient durer si ^^^^^^^g" longtemps, il eût été trop nuisible de ne pouvoir apprendre de saint Ignace lui-même l'art le plus difficile et le plus important de tous, celui du gouvernement, il plut à Dieu de nous donner, dans ses exemples, une règle vivante de ses enseignements. Je regarde comme une marque de la protec- tion divine envers nous, de n'avoir jamais permis que les efforts renouvelés d'Ignace aient réussi à détourner ses frères de le choisir pour Général.

Dieu eut moins d'égard dans cette circonstance à l'humi- lité de son serviteur, qu'à l'intérêt public et à notre avan- tage. Il voulut qu'après avoir été le Père de la Compagnie, Ignace en devînt non moins heureusement le chef.

Il est certain que dans les Ordres religieux, sociétés l'ad- ministration du temporel est le moindre des intérêts, on reconnaît aisément la vérité de ce que disait saint Grégoire de Nazianze, que bien diriger les esprits est l'art des arts, la science des sciences, et qu'elle est bien autrement difficile que celle de guérir les corps. Car, lorsqu'elle considère l'état du malade qu'elle veut rétablir, la médecine le voit tel qu'il est réellement; la nature ne combat point contre elle-même et ne cherche

44 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

point à lutter contre les enseignements de l'art. Mais au con- traire nous portons au dedans de nous, avec l'intelligence, cet amour-propre, cette ignorance, cet éloignement de la soumission, qui sont de grands obstacles à la vertu, et nous mettent en guerre avec ceux qui veulent nous instruire à la pratiquer.

« Toute la vigilance, dit saint Grégoire de Nazianze, que « nous devrions mettre à découvrir les plaies de notre âme à « ceux qui pourraient les guérir, nous l'employons à fuir les re- « mèdes et nous devenons des hommes vaillants contre nous- « mêmes et habiles à nous nuire (''^). »

Au jugement des hommes les plus sages qui ont vécu avec lui, saint Ignace fut sans égal pour concevoir spéculativement ridée d'un gouvernement parfait, ainsi que le prouvent ses Con- stitutions, capables, disait le P. Laynez, de réformer prompte- ment la face du monde ; il fut aussi sans rival pour réduire cette idée en pratique. Il sera donc utile de m'étendre un peu sur ce sujet, pour aider les hommes de gouvernement à se former sur cet admirable modèle.

Le P. Olivier Manare, plusieurs fois recteur, commissaire et provincial, disait au sujet du gouvernement, qu'il tâchait de s'inspirer de l'esprit de saint Ignace, de se demander ce que le Saint aurait fait à sa place ; après quoi il marchait avec con- fiance (^5). Tous les autres supérieurs suivaient cet exemple ; il en résulta que ceux même qui n'avaient pas vécu avec Ignace et n'avaient pu observer sa conduite de leurs propres yeux, con- servaient et son esprit, renfermé tout entier dans ses Constitu- tions, et son gouvernement pratique. On cherchait donc à deviner si dans tel cas il eût fermé les yeux et dissimulé, ce qui peut devenir une première cause de relâchement ; ou si, au contraire, il eût exigé strictement l'observance de ses Statuts. On consul- tait encore son esprit pour savoir s'il fallait céder à certains obstacles qui se rencontrent au maintien de la discipline reli- gieuse, soit en vue de conserver la paix avec les inférieurs, soit afin de s'attirer l'estime comme supérieur discret et prudent. Comme on s'appuierait vainement, dit saint Grégoire, sur celui qui, constitué pour corriger les fautes des autres, s'en rendrait lui-même coupable {'"') ; de même se confierait-on inutilement en un homme rebelle aux règles de cette prudence que saint

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE III. 45

Ignace exigeait peut-être plus encore que la sainteté dans les hommes de gouvernement. Mais la prudence est véritablement un don rare ; aussi en imitant celui qui la possédait à un degré si éminent, espérait-on suppléer en partie à ce qui pouvait man- quer de ce côté. Nous verrons dans la suite de ce livre jusqu'où Ignace avait porté cette excellente vertu.

La prudence de saint Ignace éclatait partout : dans son ex- trême attention, dans ses longues réflexions, dans sa prévoyance, dans ses examens, dans les avis dont il s'entourait, enfin dans ses soins multipliés.

Il approfondissait sérieusement et la nature des affaires et le genre d'esprit des personnes avec qui il avait à les traiter, puis l'opportunité du moment, les moyens propres à la réussite, enfin tout ce qui pouvait traverser ou renverser ses projets. Tous les soirs, il écrivait exactement ce qui devait s'exécuter le lende- main. Il indiquait à ceux qu'il chargeait d'une affaire, et la marche à suivre et les moyens à employer. Pour les choses importantes, après les avoir méditées, il les soumettait à la délibération d'un conseil, mais à ce conseil, il n'admettait point ces gens prompts à prononcer, qui, sur un simple exposé, se décident résolument pour un parti, que l'exécution soit facile ou dangereuse. C'était la fin de l'entreprise qui occupait Ignace, bien plus que les commencements. Avant de prendre une détermination, il en calculait les effets fâcheux ou salutaires ; et même, après sa ré- solution, il examinait quelles contradictions l'attendaient, d'où elles partiraient, et par on pourrait les surmonter. Il prévoyait tout cela de si loin, qu'il y avait, entre lui et les hommes émi- nemment sages dont il prenait conseil, la même diversité d'aper- çus, qu'entre celui qui découvre un pays du haut d'une montagne, et celui qui dans la plaine ne peut porter bien loin ses regards.

C'est pourquoi le P. Laynez désirait si ardemment de voir Ignace au nombre des Pères qui devaient assister au concile de Trente ; car, sans compter ce que l'on pouvait attendre de l'effi- cacité de ses prières, il aurait pu, par ses lumières, être d'une incomparable utilité dans cette auguste assemblée, chargée de veiller sur les plus hauts intérêts de l'Eglise.

Saint Ignace n'assista pas, il est vrai, au concile de Trente, mais il contribua au succès du concile par le ministère de trois

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de ses compagnons qui en firent partie, et à qui il donna lors de leur départ les instructions suivantes:

« Je désire ardemment que dans l'exercice de votre emploi vous ne perdiez jamais de vue trois points principaux :

« lO Dans le concile, la plus grande gloire de Dieu et le bien « de l'Église universelle ;

« Hors du concile, votre ancienne règle et méthode d'aider « les âmes, fin que je me suis principalement proposé de voir atteinte par votre départ ;

« Le soin particulier de votre âme, afin que vous ne veniez « pas à vous négliger et à vous abandonner vous-mêmes, mais « que vous vous efforciez, au contraire, par une application et « une attention assidues, de vous rendre de jour en jour plus « dignes de soutenir votre emploi.

« Dans le concile, il faut que vous soyez plutôt lents que « prompts à prendre la parole, réfléchis et charitables dans vos « avis sur les choses qui se font ou se doivent faire, attentifs « et calmes en écoutant, vous appliquant à saisir l'esprit, l'in- « tention et les désirs de ceux qui parlent, afin que vous sachiez « plus à propos vous taire ou parler. Dans les discussions qui « s'élèveront, il faudra apporter les raisons des deux sentiments, « afin que vous ne paraissiez pas attachés à votre propre ju- « gement. Vous devez toujours, selon votre pouvoir, faire en « sorte que personne ne se retire, après vos discours, moins « disposé à la paix qu'il ne l'était au commencement. Si les « choses qui seront controversées sont de nature à vous obliger « à prendre la parole, exprimez votre sentiment avec modestie « et sérénité. Terminez toujours par ces mots : Sauf meilleur « avis, ou tout autre équivalent. Enfin soyez bien persuadés « d'une chose : c'est que, pour traiter convenablement les ques- « tions importantes des sciences divines et humaines, il sert « beaucoup d'en discourir assis et avec calme, et non à la hâte « et comme en passant. Il ne faudra donc pas régler l'ordre et « le temps de la discussion d'après votre loisir et votre commo- « dite, mais prendre l'heure de celui qui voudra conférer avec « vous, afin qu'il puisse plus facilement aller jusqu'où Dieu veut « le conduire.

« Hors du concile, ne négligez aucun moyen de bien mériter

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE III. 47

« du prochain. Cherchez de préférence les occasions d'entendre « les confessions, de prêcher, de donner les Exercices, d'instruire « les enfants et de visiter les pauvres dans les hôpitaux, afin « que la grâce de l'Esprit-Saint descende avec d'autant plus « d'abondance sur les Pères du concile, que vous l'attirerez avec « plus de ferveur par ces œuvres d'humilité et de charité (5'). « Dans vos sermons, ne touchez pas les points mis en contro- « verse par les hérétiques, mais tendez toujours à la réforme « des mœurs, et à inculquer fortement l'obéissance à l'Eglise « catholique. Il vous faudra néanmoins parler souvent du con- « cile et exhorter le peuple à adresser à Dieu des prières pour « son heureuse issue. En entendant les confessions, pensez que « tout ce que vous dites à vos pénitents peut être publié sur les <J toits. Pour pénitence imposez-leur des prières pour le concile; « en donnant les Exercices, et toujours, parlez comme vous le « feriez en public. Vous visiterez les hôpitaux tour à tour tous « les quatre jours, c'est-à-dire, chacun une fois par semaine, à « des heures qui ne soient pas gênantes pour les malades. Vous « consolerez leurs douleurs, non seulement par vos paroles, mais « en leur apportant, autant que vous pourrez, quelques petits « présents. Enfin, si, pour résoudre les questions, il faut que les « paroles soient brèves et bien pesées, au contraire, pour exciter « à la piété, on doit parler avec une certaine abondance et d'une « manière bienveillante.

« Reste le troisième point, qui concerne le soin de vous « garder vous-mêmes, et de vous prémunir contre les écueils « auxquels vous serez exposés. Et quoique vous ne deviez ja- « mais oublier ce qui est le propre de notre Institut, il faut « néanmoins vous souvenir avant tout de conserver entre vous « l'union la plus étroite et le plus parfait accord de pensées et « de jugements. Qu'aucun de vous ne se fie à sa seule prudence, « et comme sous peu de jours, Claude Le Jay, que le Cardinal « d'Augsbourg envoie au concile en qualité de procureur, se « réunira à vous, vous vous fixerez un temps chaque soir pour « conférer sur ce que vous aurez fait durant le jour et sur ce « que vous devrez faire le lendemain. Vous arrêterez vos dé- « libérations, soit en prenant les voix, soit de toute autre manière. « Le matin, vous délibérerez en commun sur la manière d'agir

48 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« pendant la journée. En outre, vous examinerez votre conscience « deux fois par jour. Vous mettrez ces points à exécution au « plus tard le cinquième jour après votre arrivée à Trente (^^). » Dans les affaires importantes, sa coutume était de ne jamais mettre immédiatement à exécution ce qu'il avait résolu. Il lais- sait son esprit se reposer quelques jours sur cet objet ; puis il le soumettait à une nouvelle discussion dans son conseil ; et comme la première fois il avait examiné à loisir le fond de la question, il concentrait alors son attention sur l'exécution même. Pour s'assurer qu'il n'était guidé ni par la passion, ni par aucun inté- rêt personnel, il considérait l'affaire comme une chose étrangère, simplement soumise à son examen. Les lettres qu'il fallait en- suite écrire à ce sujet, repassaient trois ou quatre fois sous sa plume (").

Grâce à une extraordinaire perspicacité, qui lui faisait décou- vrir de loin les conséquences de ses démarches, il prenait quel- quefois des résolutions en apparence étranges, des résolutions peut-être opposées à celles qu'aurait prises un homme moins prévoyant. Ou bien on le voyait choisir, pour assurer le succès, des moyens qu'on eût regardés au premier abord comme insuffi- sants ; mais les résultats ne tardaient pas à démontrer la sagesse des plans ainsi conçus.

A cette prudence consommée, Ignace joignait une grande défiance de lui-même, et une confiance en Dieu tellement absolue, qu'en agissant d'un côté comme si les choses eussent dépendu de lui seul, de l'autre il les abandonnait à Dieu, comme si ses soins eussent été superflus. Une fois arrivé avec ses conseillers à une conclusion, et avant d'en venir à l'exécution, il la recom- mandait longtemps au Seigneur, répétant: Maintenant, il faut dormir là-dessus ! c'est-à-dire en traiter avec notre Père cé- leste dans l'oraison. Quant aux moyens, quelqu'infaillibles qu'ils lui parussent, il ne les mettait en œuvre que lorsqu'il se croyait sûr de l'approbation du Seigneur. C'est pourquoi il n'attribuait qu'à Dieu seul ses heureux succès. Mais aussi quand il entre- prenait pour le service divin des œuvres vraiment importantes, bien loin de se régler sur les conseils d'une sagesse toute hu- maine, il disait que, dans de semblables circonstances, on ne navigue jamais mieux que lorsqu'on marche contre le vent.

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE III. 49

C'est ainsi qu'il commença et conduisit à bon terme de grandes œuvres, entreprises non seulement sans les secours ordinaires, mais malgré les plus violentes contradictions.

Une autre vertu non moins digne d'admiration, c'était son empire absolu sur ses passions, surtout sur l'indignation et la sensibilité. Il en dispensait les témoignages ou rigoureux ou consolants, avec une telle liberté d'esprit, qu'il les adaptait mer- veilleusement aux circonstances de lieux, de temps, ou de personnes.

Plus d'une fois, conversant avec quelques Pères, le visage et l'âme parfaitement calmes comme à l'ordinaire, il lui ar- riva de mander auprès de lui un coupable dont le manquement exigeait une répression sévère. Au moment celui-ci paraissait en sa présence, Ignace se transformait en un autre homme. La grave expression de sa figure, l'énergie de ses paroles, au- raient fait croire que son âme était entièrement bouleversée par son horreur pour la faute qu'il condamnait. Une fois le cou- pable parti, il reprenait à l'instant sa sérénité première, et con- tinuait la conversation avec le même calme que si ce mouvement de courroux n'eût été qu'un masque posé sur son visage, et retiré à volonté. Il en résultait que ses paroles, quelquefois si véhé- mentes, au dire d'un témoin, que les murs de la chambre en tremblaient {^*), étaient pourtant si sages, si mesurées qu'on n'y aurait pas trouvé une syllabe échappée à la colère; elles devaient leur efficacité à la seule raison. Jamais on ne l'entendit dire même aux plus déréglés : l^ozcs êtes îlu religieux sajts tenue, un immo- deste, U7i homme sans mémoire, ou se servir de toute autre parole injurieuse ou méprisante. Toute la force de sa réprimande consistait à faire ressortir l'odieux de la faute commise, et tout ce qui pouvait l'aggraver à l'égard du coupable, de ses frères et de Dieu. Il ne voulait pas que le courroux, dans un certain sens du moins, fût éteint chez un supérieur, mais seulement mortifié ; car, dans une maison qui n'est gouvernée qu'avec une imperturbable douceur, effet de l'art ou de la nature, les vices trouvent bientôt un asile.

A une époque, le P. Olivier Manare voulait abandonner le Collège Romain, dont il était recteur. Il avait cru, étant novice, que tout mouvement violent avait disparu chez lui, et il en

Histoire de s. Ignace de Loyola. II. 4

50 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ressentait quelquefois depuis qu'il était supérieur. Ignace lui disait alors qu'il ne fallait pas détruire cette disposition, mais la gouverner, de sorte que sans dominer le supérieur, elle main- tînt les inférieurs dans le devoir. Le Saint ne reprenait jamais, il est vrai, avec l'énergie dont j'ai parlé, que ceux en qui il recon- naissait ou de graves défauts, ou de grandes vertus. Il avait grand soin de répéter aux supérieurs qu'on ne doit user de rigueur que dans les cas importants, pour un exemple public, nécessaire. Car il se trouve des religieux dont la vertu timide ou facile à effaroucher pourrait ne voir, dans une certaine sévé- rité à leur égard, qu'un éloignement pour leurs personnes. Par on les porterait à se défier de leur supérieur ; or, les maux qui résulteraient de dépasseraient de beaucoup le bien qu'on se promettait de la correction. Il arrive encore que, si les répri- mandes sévères sont trop fréquentes, elles paraissent dictées moins par le zèle de la discipline que par l'impatience naturelle.

J'ai dit qu'Ignace traitait ordinairement avec rigueur ceux en qui il reconnaissait ou de grandes vertus ou de grands défauts.

Les hommes d'un esprit solide et d'une mâle vertu, que pour cela même il aimait particulièrement, il les reprenait en général avec une grande sévérité pour des fautes légères. A cet égard, deux religieux d'une haute sainteté, les Pères Jérôme Natal et Jean Polanco (") semblent avoir été favorisés: aussi le Saint les affectionnait-il beaucoup. Il avait un double but en agissant ainsi : d'abord de purifier de plus en plus des âmes qu'il voyait capables d'une grande perfection, qui y aspiraient, et chez lesquelles il était bon d'éveiller une vigilante attention sur les moindres fautes (^^) ; puis de donner aux plus faibles des exemples d'humilité et de patience en les reprenant avec douceur de fautes plus graves. Il usait, il est vrai, de cette dureté apparente envers les hommes d'une vertu élevée, avec tant de prudence, qu'elle ne pouvait affaiblir l'estime due à leur mérite. En leur absence, il avait soin de louer, devant tous leurs frères, la solidité de leur vertu et leur avancement dans les voies de Dieu. Il excitait par une grande admiration pour les personnes qui s'affermissaient d'autant plus dans la pratique de la perfection, qu'elles étaient plus souvent éprouvées par des mortifications publiques et privées.

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE III. 51

.On observait encore dans Ignace, comme l'effet d'une sagesse éminente, l'adresse avec laquelle il savait se plier au caractère et au genre d'esprit de chacun (^'') ; de sorte qu'il paraissait plu- tôt le supérieur propre de chaque religieux, que de tout l'Ordre. Son extrême prudence lui servait d'abord à faire, pour ainsi dire , l'anatomie de chaque âme , en observant les disposi- tions habituelles, les inclinations de l'esprit, les mouvements des passions ; et il arrivait à une plus exacte connaissance d'une personne, que celle-ci n'en avait elle-même. Aussi savait-il don- ner aux novices, à leur insu, l'occasion de découvrir par leurs paroles ou par des mouvements subits, et la trempe de leur caractère et leur passion dominante. De encore, sa manière de les traiter, grave ou affable, sévère ou douce, confiante ou réservée, suivant qu'il la jugeait plus appropriée à chacun, et il l'employait avec tant de naturel qu'il semblait n'en avoir pas d'autre. Les esprits superficiels s'étonnaient de le voir se com- porter si diversement, non pas seulement selon les divers indi- vidus, mais à l'égard du même, et d'après les différentes dispositions qu'il remarquait en lui. On pouvait cependant juger par les résultats, que la douceur, ou la sévérité dont Ignace avait usé, étaient précisément ce qui convenait le mieux. La connaissance exacte des hommes qu'on est appelé à diriger importe par dessus tout à un bon gouvernement ; aussi, quand Ignace envoyait de Rome dans un autre pays l'un de ses enfants, il ne manquait jamais d'adresser à son futur supé- rieur une minutieuse information de ses qualités ou de ses dé- fauts. Il n'agissait pas avec moins de prudence dans la conduite des âmes. Sa vie avait été semée de toutes les grandes épreuves qui conduisent à la sainteté, telles que les austérités rigoureuses, les longues oraisons, les pèlerinages, les persécutions, les aridi- tés, les consolations spirituelles, les tentations, les scrupules, les visions, les fatigues pour le bien des âmes ; et cette expérience qu'il avait acquise lui servit admirablement à rédiger ses Con- stitutions, à établir dans la Compagnie une manière de vie et d'agir parfaite. Néanmoins, il ne mesura jamais, si l'on peut parler ainsi, les autres sur lui-même. Au contraire, il reprenait sévèrement ceux qui veulent donner comme règles infaillibles ce qui leur convient le mieux à eux-mêmes, et regardent comme

52 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

hors de la voie quiconque ne marche pas dans le chemin qui les a conduits à la vertu. Dans les choses 'ïnatérielles, disait- il, il faut s accommoder aux affaires, et non pas vouloir quelles s accommodent à nous. Or, Ignace suivait précisément cette ligne de conduite pour faire avancer les âmes vers la perfec- tion (^^). Il se faisait tellement tout à tous, qu'il semblait s'inocu- ler le propre esprit de chacun, en tout ce qui n'était pas contraire à l'Institut. Par là, il gagnait aisément la confiance, et tous lui découvraient leurs plus intimes sentiments. Ils étaient sûrs de le voir cultiver ce qu'il trouverait de bon dans leurs cœurs, au lieu de l'arracher pour y implanter ce qu'il pouvait y avoir de meil- leur dans le sien, mais que Dieu ne leur demandait pas.

Cependant, tout en dirigeant ses enfants par des voies diffé- rentes, jamais Ignace n'encouragea ni la lâcheté, ni la tiédeur dans aucun d'eux ; jamais il ne les laissa se contenter d'une vie simplement chrétienne, qui n'aurait pas répondu à la sublimité de leur vocation. Il les stimulait chaque jour par les conseils, les mortifications, les examens particuliers, les exercices spirituels ; enfin il ne négligeait rien de ce qui pouvait accroître leur vertu et les conduire à la sainteté.

Néanmoins ces efforts étaient dirigés par une parfaite dis- crétion. Il n'exigeait de chacun que ce qu'il pouvait donner, et savait toujours distinguer les enfants, des géants, dans le combat de la vertu. Il exposait les hommes d'un grand courage, aux difficultés de laborieuses entreprises, aux souffrances de longs et pénibles voyages, aux fatigues des travaux apostoliques, aux privations extrêmes, ou aux persécutions. Jamais il ne les épar- gnait. A des gens faibles encore, et surtout à de nouveaux venus, il demandait des actes au-dessous même de leurs forces, voulant par cette indulgence, les exciter à mériter d'être asso- ciés aux épreuves des plus parfaits.

C'est ainsi, par exemple, qu'envers le frère Bernard, Japonais envoyé en Europe par saint François Xavier, il usa de la mo- dération due à un novice dans la foi. Quoiqu'il l'eût reçu dans la Compagnie, il ne lui confia, malgré ses instances, des emplois difficiles et fatigants, qu'après lui avoir fait promettre d'avertir, sitôt qu'il éprouverait trop d'ennui ou trop de lassitude. Il en usait de même pour les corrections ; il avait grand soin de les

l

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE III. 53

proportionner aux forces et à la capacité des sujets ; et, comme ses yeux exprimaient tout ce qu'il voulait dire, plus d'une fois il lui arriva de reprendre seulement du regard les plus timides (5^) : En lui parlant par son regard, comme saint Jean Chrysostome le dit du Sauveur, quand il regarda Pierre, Jésus fit couler des yeux de son apôtre un torrent de larmes.

Quelquefois aussi, le Saint reprenait ces esprits encore faibles, par des paroles qui tenaient plus de l'éloge que du reproche. Ainsi il corrigea un novice dont les regards étaient trop animés, en lui disant d'un ton de voix doux et affectueux : Frère fean Domi- nique, pourquoi n essayez-vous pas de faire lire dans vos yeux la modestie do7it Dieu a orné votre âme ? Mais il en agit bien autrement envers le P. Olivier Manare, homme déjà éprouvé dans la Compagnie, et d'une vertu consommée (^°). Celui-ci chérissait Ignace comme un père et le révérait comme un saint. Nommé recteur du nouveau collège deLorette et obligé de quit- ter Rome, il alla prendre congé de lui et recevoir sa bénédiction. Craignant de ne jamais le revoir, ses yeux demeurèrent fixés sur lui tant qu'il lui parla. Ignace parut ne pas s'en apercevoir, mais au moment Manare allait sortir de la maison, le P. Polanco le rappela, et par ordre du Saint lui dit que la manière dont il l'avait fixé lui avait déplu, comme peu modeste, et qu'il devait travailler à s'en corriger. Pour cela, il lui enjoignait de faire, chaque jour, sur ce sujet un examen particulier, et de réciter un certain nom- bre de prières vocales ; il devait encore, chaque semaine, rendre compte à Ignace de l'accomplissement de cette pénitence, ce qu'il fit, en effet, pendant plus de quinze mois, après lesquels on lui permit enfin de cesser.

Quant aux très jeunes novices, tendres plantes encore qui portent mêlée à leurs racines, cette terre du monde d'où elles ont été arrachées, Ignace les traitait avec autant de douceur que d'adresse C^'), Il imitait envers eux la conduite de Notre-Seigneur. Pour achever de les détacher des jouissances terrestres, Dieu ne leur fait-il pas goûter le miel des consolations spirituelles ? Et lorsqu'ils sont devenus plus robustes, ne les en sèvre-t-il pas graduellement } De même Ignace ne leur montrait d'abord que compassion, qu'indulgence, en recueillant le peu de fruits qu'ils pouvaient dès lors porter, et ne s'inquiétait point de la rareté de

54 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ces fruits, quand il découvrait pour l'avenir l'espérance d'abon- dantes récoltes.

Un jeune homme, qui avait été riche dans le monde, entra au noviciat comme frère coadjuteur. Il apportait un crucifix pré- cieux au pied duquel était fixée une petite statue de la sainte Vierge. Le novice s'était fort attaché à cet objet de piété, par un sentiment de dévotion d'abord, et aussi parce qu'il y admirait le fini du travail. Ignace ne parut pas trouver mauvais qu'il gardât ce crucifix ; il ne lui laissa même pas soupçonner qu'il dût y re- noncer un jour. Cependant le jeune novice croissait rapidement en vertu et surtout en esprit de mortification. Quand le Saint le vit bien détaché, non seulement des choses de la terre, mais encore de lui-même : Maintenant, dit-il, que ce jeune frère a le crucifix dans le cœur, il est temps de le retirer de ses mains. En effet, il se le fit apporter, et le novice n'en éprouva pas plus de regret que si ce crucifix ne lui eût jamais appartenu.

On pourrait s'étonner davantage de la longanimité avec laquelle Ignace souffrit si longtemps les légèretés du P. Ribade- neira. Pierre était très jeune et d'un naturel si vif qu'il s'astrei- gnait difficilement aux diverses règles de l'observance. Aussi les Pères faisaient-ils souvent des instances auprès du Fondateur pour qu'il ne le gardât pas ; mais, jugeant que l'ardeur de la jeu- nesse, et non le vice du caractère était la cause de tous ces man- quements, et qu'avec le temps, un noble édifice surgirait de ces fondements, Ignace le soutenait contre tous et continuait à le traiter comme un enfant. Lorsque Pierre, fatigué de cette vie trop monotone pour son caractère ardent, ou mécontent de quelque punition, voulait se retirer, il était retenu par la bonté toute paternelle d'Ignace. On sait comment le Saint finit par transfor- mer Ribadeneira en un religieux éminent, à l'avantage de l'Ordre et pour le bien de ce grand homme {^^).

Quant aux hommes distingués qui entraient dans la Com- pagnie, Ignace les traitait quelque temps avec des égards parti- culiers. Il leur conservait même les titres de seigneur, de docteur et d'autres semblables tant qu'il croyait nécessaire de se prêter à leur faiblesse. Mais eux-mêmes rougissaient bientôt de la diffé- rence qu'on établissait entre eux et leurs frères, et ils venaient supplier leur supérieur de renoncer à ces marques de déférence

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE III. 55

Toutefois, quand les vertus solides avaient poussé dans leur cœur de profondes racines, quand on pouvait compter sur leur courage, on les formait à la mortification par des épreuves d'une rigueur peu commune. Les plus savants et les plus nobles étaient aussi les plus humiliés ; jusqu'à ce qu'enfin les uns et les autres eussent absolument oublié et leur noblesse et leur science. Ignace agissait ainsi pour plusieurs raisons.

Il était d'abord important d'établir que dans la Compagnie on n'estime nullement les choses du siècle, mais seulement celles de Dieu; qu'on n'y est pas grand pour l'avoir été dans le monde, mais au contraire, parce qu'on s'est fait petit par amour du Sauveur, en foulant aux pieds le monde et ses vanités. En outre, la conduite des hommes haut placés par leur naissance ou par leurs talents n'est pas chose si indifférente. Une expérience jour- nalière l'a prouvé : dans un Ordre religieux, ces hommes sont ou plus utiles, ou plus nuisibles que les autres.

Ignace n'ignorait pas non plus cet autre danger: quand des hommes importants ne conviennent point à l'état religieux, et quand on est forcé de les rendre au monde, ils deviennent d'autant plus préjudiciables à un Ordre, qu'ils avaient plus de crédit dans le siècle. De même donc qu'on a user d'une grande circonspection avant de les recevoir, de même après leur admis- sion aucune épreuve ne doit leur être épargnée.

Parmi ceux dont la vertu fut le plus particulièrement exercée, nous citerons le P. Gaspard Loarte, prédicateur et docteur en théologie, très célèbre en Espagne. Il avait été envoyé dans la Compagnie avec quelques autres personnages par un saint homme, nommé Jean d'Avila. Quand Ignace jugea qu'il était temps de l'affermir dans la vertu, il le mit sous la conduite du P. Louis Gonçalvès, ministre de la maison. Ignace chargea Gonçalvès de faire subir au novice de grandes épreuves, et de lui rendre compte, chaque soir, de la manière dont il les aurait soutenues. Puis, comme s'il eût ignoré ce qui se passait, il usait lui-même envers Loarte d'une extrême douceur ; c'était un des moyens que lui suggérait son incomparable prudence à l'égard de ceux dont on éprouvait la vertu. Pour ne pas les rebuter, il voulait que, des deux supérieurs qui sont dans chaque maison, quand l'un usait de rigueur, l'autre encourageât par la douceur de ses manières.

56 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOI.A.

Avant de les confier spécialement au Père Gonçalvès (^^) il avait soin de louer devant eux son esprit intérieur, sa justice et le zèle qui, pour l'avancement de chacun, le portait à surveiller la conduite et à réformer les défauts de ceux dont il était chargé; double motif de reconnaissance de leur part. Ces voies diffé- rentes d'épreuves et de consolations réussirent fort bien à l'égard de Gaspard Loarte. Un jour, le Ministre lui demanda ce qu'il pensait du Père Ignace : Je pense, répondit-il, qtiil est vérita- blement tine source d'huile, c'est-à-dire tout onction. Et moi, reprit le P. Ministre } Votis, répliqua Gaspard en toute franchise, votre source est de vinaigre.

Cette réponse rapportée au Saint lui plut, et il conseilla au Ministre de se départir un peu de sa rigueur. Celui-ci avait exercé la patience de Gaspard par de si sévères épreuves, que l'esprit le plus ferme avait pu seul les supporter. 11 semble que Dieu lui-même voulut concourir à épurer cette âme par autant de peines intérieures, qu'il lui en était venu du dehors. Dans le monde, il goûtait de grandes consolations spirituelles ; dans la Compagnie et au temps de l'épreuve, il se trouva livré à la plus pénible aridité.

Aussi, un homme moins versé dans les choses spirituelles, aurait-il trouvé une dangereuse tentation, dans la pensée que Dieu ne le voulait pas en un lieu il semblait se retirer de lui.

Le P. Gonçalvès, comme s'il n'eût pas suffi lui seul à l'éprou- ver, l'avait placé sous la direction d'un novice peu intelligent, qui, par des manières ou des paroles piquantes, l'humiliait fré- quemment devant les autres, au point de le faire pleurer comme un enfant. C'était une grande leçon bien propre à donner la connaissance de soi-même à un homme qui, au sortir du siècle, se croyait déjà avancé dans les voies spirituelles. Sans doute, ces larmes n'étaient qu'un tribut payé par la nature en souffrance, mais elles lui prouvaient du moins combien il était encore éloigné d'aimer l'humiliation et les mépris, puisqu'il en ressentait un tel trouble. Il est vrai que, semblable à un médecin habile, Ignace, dans ces moments de découragement, appelait Loarte auprès de lui pour lui parler avec tant d'onction, tant de mansuétude, des choses de Dieu, lui adresser des exhortations si appropriées à l'état de son âme, qu'il le ranimait entièrement, et le novice,

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE III. 57

perdant le souvenir de ce qui l'avait ému, se sentait plein de cou- rage et prêt à supporter tout ce qui pouvait lui rester à souffrir.

« Quant à moi, raconte Gonçalvès, je lui parlais sans cesse « de mortification intérieure, de l'abandon de toute volonté, de « la parfaite obéissance qu'on exige dans la Compagnie, et sou- « vent je lui répétais ces paroles : // faut toticher le btit. Un «jour, il me demanda de lui expliquer plus clairement ma pen- « sée, et je le fis par cette comparaison. Si un homme se sus- « pendait à une corde de manière à toucher terre de ses pieds, « il ne pourrait juger si elle est assez forte pour le soutenir. « Mais, si la terre vient à lui manquer, il connaîtra bientôt si la « corde peut supporter son poids sans se rompre. Il en est de « même de notre P. Ignace et de la Compagnie. Encore que « ses membres, par leur libre volonté, se soient dévoués au ser- « vice de Dieu et s'y soient liés avec force, si néanmoins leurs « pieds touchent encore la terre, c'est-à-dire si leurs affections « y demeurent attachées, les choses de l'esprit ne peuvent seules « les soutenir. Mais, si on leur retire tout ce qui a séduit leur « âme, et que, ne touchant plus terre, ils se soutiennent néan- « moins ; alors, évidemment, l'esprit les soulève, et on peut en « toute sûreté prendre confiance en eux. Voilà, lui dis-je, ce que «j'appelle toucher le but. J'avais tâché de lui expliquer tout « cela d'une manière si saisissante, que les larmes lui en vinrent «aux yeux. Oh! malheureux que je suis! s'écria-t-il, c'est me « dire de me préparer au supplice ! »

Mais le succès fut tel que l'attendait Ignace : Loarte avait redouté une vie qui lui paraissait si dure ; or, il se trouva peu de mois après dans un parfait repos d'esprit, et finit par rechercher les mortifications et les mépris. Ignace le jugea bientôt tellement digne de confiance, tellement capable d'enseigner aux autres les voies spirituelles, qu'il l'envoya à Gênes comme recteur de ce nouveau collège (^^).

Conserver quelque attache à son amour-propre, vouloir ou ne pas vouloir travailler à la réussite d'une œuvre commandée, c'était aux yeux d'Ignace prendre tacitement congé de la Société. On se retirait par même qu'on se soustrayait à l'obéissance (°^).

Il voulait trouver chez tous un tel oubli de soi-même, un tel abandon aux mains du supérieur, que ses enfants fussent

58 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

également prêts à être théologiens ou portiers, à se transporter au delà des mers, ou à ne jamais sortir de la maison, comme une masse inerte d'argile se laisse pétrir par le potier et prend sous ses doigts la forme voulue. Au contraire, ne pas conformer son jugement à celui du supérieur, c'était n'avoir qu'un pied dans la Compagnie, suivant son expression ordinaire. Aussi, en rece- vant des novices, leur assurait-il que ce premier pas ne les mè- nerait à rien de stable, si leur volonté et leur jugement n'étaient pas disposés à prendre pour seul arbitre de leur conduite le supérieur qui tenait la place de Jésus-Christ pour les gouverner.

Et pourtant, malgré cet avertissement formel, son commande- ment semblait plutôt une prière qu'un ordre ; c'était l'exercice d'une autorité toute paternelle, accompagnée des témoignages de confiance et d'affection. Souvent même, lorsqu'il exigeait des choses importantes, mais imprévues et difficiles, il allait jusqu'à donner les raisons de ses ordres ; raisons fondées non seulement sur la prudence humaine, mais plus encore sur le ser- vice de Dieu et sur sa plus grande gloire.

Dans l'emploi qu'Ignace faisait de ses religieux pour les di- verses fonctions de l'Ordre, il avait un égard extrême aux incli- nations naturelles de chacun, pour tirer le meilleur parti possible de leurs talents, et aussi pour leur propre satisfaction (^^). Il n'ignorait pas qu'une chose forcée ne saurait être durable, et que les succès s'attachent ordinairement aux œuvres que la volonté dirige, moins par l'empire qu'on exerce sur elle, que par la pente naturelle de l'esprit. Aussi avait-il l'habitude, quand il s'agissait d'un emploi à donner, de présenter à ceux qu'il avait en vue ces trois points à examiner devant Dieu, avant qu'il fixât sa détermination. Étaient-ils prêts à obéir, quelque fonction qu'on voulût leur imposer ? se sentaient-ils portés vers un emploi plutôt que vers un autre ? enfin, dans telles ou telles circonstances données, auquel donneraient-ils la préférence ?

Quand il rencontrait un tel détachement de toute volonté propre, qu'après avoir mûrement réfléchi, on venait seulement manifester le désir d'obéir, il ressentait une grande joie d'avoir trouvé des hommes selon son cœur. Tel fut le P. Olivier Ma- nare, qui ne consentit jamais à indiquer à laquelle des trois résidences offertes à son choix il donnait la préférence, et ré-

I

LIVRE QUATRIÈME. - CHAPITRE III. 59

pondit seulement qu'il était prêt à mourir, si sa mort devait résulter de l'obéissance. Dans une circonstance semblable, le P. Jérôme Natal se contenta de répondre que sa seule inclina- tion était de n'en avoir aucune (^^).

L'empire que saint Ignace exerçait sur ses propres affections était prodigieux, nous l'avons vu ; la connaissance qu'il avait des caractères, des esprits, des talents, avaient je ne sais quoi de surhumain ; ce qui précède le prouve assez. Il montrait en- core dans son gouvernement deux qualités précieuses pour ses enfants : c'étaient une tendresse et une estime ineffables pour eux (^^). Ces sentiments ne se bornaient pas chez lui à des dé- monstrations purement extérieures ; ils partaient d'un cœur sincère. On a observé avec admiration que chacun pouvait se croire en possession de la première place dans son cœur tant il savait, sans préjudicier à l'attachement qu'il portait à tous, se montrer pour chacun en particulier un ami fidèle et désintéressé. Quant à l'estime de ses inférieurs, on ne l'entendait jamais parler de tous les siens que comme d'hommes déjà parfaits, ou mar- chant à grands pas vers la perfection, et c'était véritablement son opinion à leur sujet. Pour la conserver, il n'avait garde de se livrer aux soupçons ; il fermait l'oreille aux rapports téméraires.

La fausse prudence du monde conseille au contraire de se méfier toujours, et de toujours écouter quiconque parle mal d'autrui. Si cette méthode favorise des vues toutes mondaines, elle serait extrêmement nuisible parmi des religieux, surtout dans ceux qui doivent les gouverner paternellement. Elle don- nerait libre carrière aux passions, avec le danger évident de faire entendre plus de calomnies que d'accusations véridiques. De plus, il serait impossible que des soupçons éveillés, et des délations même non justifiées, ne produisissent pas leur effet naturel, qui est de suspendre au moins pour un temps les sen- timents d'estime et d'affection envers les accusés. Il en résul- terait que continuer à ceux-ci les mêmes témoignages de bien- veillance qu'auparavant, ne serait plus qu'un artifice trop dépourvu des couleurs de la vérité pour abuser des hommes toujours clairvoyants dans leur propre cause. Les tristes effets de cette conduite seraient la méfiance et peut-être l'aversion pour les supérieurs, dispositions si fatales chez les inférieurs.

60 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Le P. Louis Gonçalvès, auquel j'emprunte tout ce que je viens d'écrire sur la conduite de notre Saint, ajouta qu'Ignace ne s'en rapportait même pas, pour admettre une accusation, au P. Po- lanco, son secrétaire, homme dont l'équité égalait le jugement.

Voulant faire apprécier la haute sagesse d'une telle con- duite, Gonçalvès cite à cette occasion un passage tiré du second livre des Considérations, envoyées par saint Bernard au pape Eugène. Le voici : « Il y a encore un défaut que je dois « nommer, et si vous ne vous en sentez pas coupable, alors, « vous êtes, en vérité, le seul dans ce cas de tous ceux que j'ai « connus élevés à une haute position. J'entends parler de la « crédulité, de la facilité à tout admettre. Je n'ai pas encore « trouvé un seul grand personnage assez en garde contre les « ruses de ce renard trois fois malin. C'est à lui qu'on doit attri- « buer tant de colères sans fondement, tant d'accusations contre « les innocents, tant de torts faits aux absents (^5). »

Cependant comme il pourrait être aussi nuisible pour le su- périeur de ne jamais prêter l'oreille aux accusations, que de les accueillir toutes indifféremment, saint Ignace exigeait ordinai- rement de celui qui croyait devoir lui révéler les fautes d'autrui, de formuler par écrit son accusation. Il exigeait surtout cette précaution de ceux qui, par la chaleur de leurs paroles, ma- nifestaient ou la passion ou un zèle trop ardent. « Les paroles, « disait-il, tombent plus mesurées de la plume que de la langue : « on voit ce qu'on écrit et non ce que l'on dit. » Il était encore plus lent à se former un jugement sur les absents, qui, ignorant ce dont on les accuse, ne peuvent se justifier.

Dans une circonstance, pour s'assurer de la conduite d'un Père, dont les travaux, en Corse, étaient couronnés de succès, et que des gens secrètement hérétiques lui dénonçaient comme un homme turbulent et dangereux, il envoya sous un déguise- ment un autre Père d'une sagesse et d'une prudence éprou- vées, avec mission de juger par lui-même de l'opinion générale, et de lui envoyer un rapport certifié par les principaux habitants du pays.-

Quand Ignace se voyait forcé de révéler les fautes de ses enfants, afin qu'on décidât en conseil les mesures à prendre pour les corriger ou les punir, il mettait la plus grande circon-

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spection à ne les faire connaître qu'aux Pères auxquels incom- bait cette charge.

Il se reprocha un jour, comme une faute, d'avoir découvert un léger manquement d'un Frère, à deux de nos Pères, alors qu'il aurait suffi, comme il le remarqua plus tard, qu'un seul en fût instruit.

Sachant trop d'ailleurs que les préférences marquées excitent l'envie, parce que chacun croit y voir l'indice d'un mépris per- sonnel, il évitait avec soin toute parole ou toute action d'où l'on pût inférer qu'il avait des prédilections particulières. Cependant il avait voué secrètement au P. Le Fèvre, son premier en Notre-Seigneur, une affection des plus profondes; car il trouvait en lui cette sagesse et ces vertus solides, si nécessaires au Su- périeur général de la Compagnie. Mais, quand le moment fut venu d'élire le Général, il ne voulut désigner personne. Avec sa prudence accoutumée, il donna sa voix, comme nous l'avons déjà raconté, à celui qui en réunirait le plus, lui seul excepté. De même, lorsque le pape Marcel II lui demanda deux Pères de la Compagnie pour résider auprès de lui et pour l'aider de leurs conseils dans la réforme du clergé, il ne voulut point les choisir, mais il s'en remit au jugement du plus grand nombre.

Pour ne pas refuser, il est vrai, l'aide puissante de ses conseils, il avait coutume de tracer les conditions que devait remplir le religieux en question; et, par là, il mettait, sous les yeux de ses conseillers, la personne même qui les possédait. Ainsi, sans être directement de lui, les choix étaient réellement son œuvre ; il évitait seulement les murmures et les mécon- tentements que peut exciter un supérieur, lorsque parmi ses enfants, presque tous égaux en vertu, il en désigne un, comme plus sage et plus digne de son estime que les autres. Le fait est que le Saint sentait pour tous cet attachement et cette estime si nécessaires au gouvernement de tout Ordre reli- gieux, mais indispensables dans la Compagnie de Jésus.

« Celle-ci, dit saint François Xavier, dans une de ses lettres, « est fondée sur la charité et la concorde, qui excluent et la <L rigueur et toute crainte servile. Ainsi donc, un supérieur qui « se ferait plus craindre qu'aimer, qui montrerait la sévérité et « l'autorité d'un maître, plutôt que la douceur et la tendresse

62 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« d'un père, verrait entrer peu de sujets dans la Compagnie, et « beaucoup en sortir (^"), »

Pour bien comprendre ce qu'était sur ce point le gouverne- ment d'Ignace, il suffirait de rappeler les paroles de nos pre- miers Pères. Il était envers les siens tout charité, tout tendresse: en rencontrait-il quelqu'un inopinément, il l'accueillait avec un visage si ouvert, lui parlait avec une si affectueuse charité, qu'il semblait vouloir le faire entrer dans son cœur. Aussi n'y eut-il jamais de Père plus tendrement aimé de la Société entière.

A l'exception d'un seul, dont le nom m'est inconnu, tous avaient pour lui le cœur le plus dévoué, et leur peine la plus vive était de s'éloigner de lui. Les démonstrations affectueuses d'Ignace ne se portaient pas seulement sur ceux qui vivaient avec lui ; mais, les plus éloignés, comme les plus proches avaient part à ses tendresses. Il ressentait très vivement leurs souf- frances, leurs persécutions, leurs fatigues. Toujours occupé d'eux dans ses prières, il versait souvent bien des larmes de- vant le Seigneur, en l'invoquant pour leurs nécessités spirituelles. Souvent aussi, il les consolait par des lettres, où, avec de sa- lutaires souvenirs, il leur exprimait une satisfaction qui était le plus sûr adoucissement à leurs peines. Il le fît spécialement lorsqu'en 1555, plusieurs de ses enfants, sous le coup d'une violente tourmente, en France, se trouvaient menacés par une puissante faction d'ecclésiastiques. Ses lettres relevèrent telle- ment leur courage, qu'ils se déclarèrent prêts à mourir, plutôt que de renoncer à travailler au salut des âmes ; or, leur zèle seul leur attirait cette persécution. Il consola encore le P. Al- phonse Salmeron qui, accablé de fatigues, était tombé malade à Padoue. Sa lettre lui apporta une si douce consolation, que revenu à la santé, Salmeron lui répondit en ces termes : « La « lettre de Votre Révérence m'a fait comprendre ses sentiments « sur mes souffrances : je connais, en effet, sa tendresse si pa- « ternelle, et je ne doute point que ses prières n'aient obtenu « du ciel ce que l'art de la médecine n'aurait jamais pu faire « pour ma guérison. Que le Dieu toujours miséricordieux m'ac- « corde de nouvelles forces pour correspondre à la charité par « laquelle Votre Révérence nous console en véritable Père. »

Soins d'Ignace pour tous les siens et surtout pour les malades. Divers exemples de son habileté et de son adresse pour aider ses enfants dans leurs besoins spirituels, et pour les soutenir dans leurs tentations.

L ne faut pas croire que saint Ignace bornât les témoignages de son affection, à un accueil bienveillant ou à des consolations écrites ou verbales. Quand, par son activité et par ses efforts, il pouvait être utile à ses enfants, il ne négligeait aucun moyen d'y parvenir(^');

mm^^^im^ ^^^^ ^^^^^> il ne permettait a aucun deux, qu'il fût malade ou bien portant, de s'occuper de lui-même, pour se procurer ou le nécessaire ou du soulagement. Sa sollicitude toujours éveillée y suffisait pleinement. Il n'attendait pas un(; demande pour pourvoir aux nécessités des siens ; il devinait leurs besoins et les prévenait ; pour que la mémoire ne lui fît pas défaut, il prenait note de tout avec soin. On avait remar- qué que lorsque les nombreuses préoccupations de sa charge de Général l'obligeaient à confier à d'autres le soin de régler di- verses affaires, il était toujours le premier à signaler les besoins de ses inférieurs et à veiller à ce qu'on y pourvût. Nul n'entre- prenait un voyage sans s'être présenté devant lui. Il examinait minutieusement si rien ne lui manquait de ce qui était indispen- sable à un voyageur pauvre ; nul ne se trouvait en péril, près ou loin de lui, qu'il ne s'en occupât avec l'anxiété et l'affection d'un père (j^). Un Français, nommé Jean Guttan, homme de grande science et de haute vertu, venant de Gandie, oii il avait professé la philosophie, se rendait à Rome sur un ordre d'Ignace.

Le vaisseau, assailli pendant le voyage par une affreuse tempête, fut jeté sur les côtes de la Sicile des corsaires

64 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

l'attaquèrent, le prirent et l'emmenèrent en Afrique. Ignace en ressentit une amère douleur; il se serait de grand cœur vendu lui-même pour racheter Guttan. Il écrivit les lettres les plus pressantes au Vice-roi de Sicile, son ami particulier, et ordonna à tous les Pères de la Compagnie, établis dans ce royaume, de n'épargner ni soins ni dépenses pour obtenir la délivrance du captif. Voulant s'assurer que les Pères déployaient l'activité né- cessaire, il obligea, en vertu de l'obéissance, les recteurs de Messine et de Palerme à lui rendre compte, chaque semaine, des démarches faites à ce sujet. Il plut au Seigneur de couron- ner la résignation du P. Guttan et de consoler la charité de notre Père ; car avant qu'on eût pu racheter le captif. Dieu l'avait délivré de l'esclavage et des liens du corps.

La tendre charité d'Ignace ne se montrait jamais avec plus de sollicitude qu'envers les malades. Il demandait plusieurs fois par jour de leurs nouvelles, et le médecin n'ordonnait jamais un remède de quelque importance, qu'il ne s'informât, auprès des infirmiers, s'il avait été exactement administré. Ceux- ci venaient-ils à omettre ce soin ou par négligence ou par oubli, il les punissait sévèrement.

Une fois entre autres, que le P. Ministre et le F. Infirmier avaient oublié de faire venir le médecin pour un frère malade, il les envoya tous deux, au milieu de la nuit, en chercher un, avec ordre de ne pas revenir sans l'amener. Comme l'heure trop avancée leur rendait la chose impossible, ils furent obligés de se réfugier jusqu'à la pointe du jour dans un hôpital.

Aucune dépense n'était épargnée pour le soulagement des malades ("). Deux novices coadjuteurs, l'un français, l'autre espagnol, étaient tombés malades, dès leur entrée en commu- nauté. Il y avait alors dans la maison un grand nombre d'in- firmes ; on manquait de chambres, et on éprouvait une grande difficulté à pourvoir aux besoins de tous. Aussi, quelques Pères proposèrent-ils de faire transporter les deux frères à l'hôpital jus- qu'à leur guérison. « Oh ! cela, jamais ! dit Ignace. Celui qui a « quitté le monde pour servir Dieu, ne trouvera-t-il pas un asile « dans cette maison ? Qu'on leur procure d'abord le plus néces- « saire ; Dieu saura bien ensuite nous envoyer ce qu'il nous « faudra. »

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE IV. 65

Une autre fois, le médecin ordonna, pour un frère coadjuteur, un genre d'aliment fort substantiel qu'il jugeait nécessaire à son rétablissement. L'économe, chargé de le faire acheter, dit à Ignace qu'il ne lui restait que trois pièces de monnaie, à peine suffisantes aux besoins de la maison pendant cette journée. Eh bien ! lui répondit-il, il faut les dépenser pour le malade^ et nous qui sommes bien portants, nous potirrojis bien 7ious conten- ter de pain. Dans une circonstance semblable, il lui arriva de faire vendre des plats d'étain, et quelques pauvres meubles de la maison, pour procurer du soulagement à un infirme.

Voyait-il un malade attristé par la souffrance, il faisait venir des novices qui savaient la musique, uniquement pour le dis- traire, en lui chantant des cantiques. L'infirmier avait pour règle d'aller chercher dans la maison et de conduire l'un après l'autre, auprès du malade, tous ceux qui sembleraient pouvoir le conso- ler. Outre cette paternelle charité, qui procurait autant de consolations à l'âme des infirmes que de soulagement à leur corps, il ne manquait jamais de les assister et de les soutenir lui-même par des entretiens spirituels pleins de douceur. Si la maladie empirait, ou seulement si l'on avait pratiqué une saignée, il se levait deux ou trois fois pendant la nuit, pour s'assurer par lui-même que le bandage n'était pas dérangé, et prévenir ainsi tout accident. Quand, vers la fin de sa vie, l'affai- blissement de ses forces l'obligea de renoncer au généralat et à tous ses soins extérieurs, il ne se réserva que celui des malades. Il disait souvent qu'il devait une grande reconnaissance à Dieu, pour l'avoir éprouvé par de longues infirmités, et lui avoir ainsi fait juger par lui-même de tout ce qui peut les soulager.

Mais, s'il exigeait pour les malades une charité affectueuse et attentive, il voulait aussi trouver en eux une grande patience et une entière résignation entre les mains de Dieu. S'il en voyait, qu'une trop grande préoccupation d'eux-mêmes et trop de déli- catesse rendissent mécontents du médecin ou des soins qu'ils recevaient, il les supportait avec douceur, et, soit par des conseils paternels, soit en s'accommodant à leur faiblesse, il relevait leur courage ; mais une fois rétablis, il les reprenait sévèrement, et, suivant la grièveté de leur faute, leur imposait quelque pénitence. Parfois, quand il avait affaire à un de ces hommes, dont les pas- Histoire de s. Ignaced» Loyola. H. 5

66 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

siens encore trop vives devenaient, même en bonne santé, un lourd fardeau pour ses frères, et que Dieu semblait vouloir dompter par la souffrance, comme ces animaux féroces qu'on maîtrise par de rudes traitements, il n'étendait pas sur lui cette main paternelle, toujours prête à secourir les autres ; mais comprenant l'utilité de la douleur physique pour le bien de cette âme, il se conten- tait d'adresser pour elle au Seigneur ces paroles de David : Broyez le bras du pécheur (^•').

Nous venons de faire connaître les soins paternels qu'Ignace prenait de ses enfants dans leurs maladies corporelles. Voyons maintenant les soins qu'il donnait à leurs besoins spirituels, et quels moyens une industrieuse charité lui suggérait, soit pour amener leur amendement, soit pour les soutenir dans le bien. Jamais, cependant, son attachement personnel ne l'entraîna à accorder une permission qu'il jugeait nuisible à celui qui la désirait, ou d'un exemple fâcheux pour les autres.

Le P. Nicolas Bobadilla, un de ses neuf premiers compa- gnons, lui demanda un jour de lui laisser échanger une petite chambre qu'il occupait, contre une autre plus grande et moins incommode. Ignace, craignant que ce précédent ne conduisît d'autres frères à fuir les incommodités de la pauvreté, non seu- lement refusa, mais lui ordonna de s'y resserrer assez pour pou- voir y loger encore deux compagnons qui lui arriveraient, au premier jour, Bobadilla obéit sans hésitation.

Il est vrai qu'envers les religieux moins avancés dans la vertu, il motivait son refus avec tant de sagesse et de douceur que loin d'être portés au mécontentement, ceux-ci se retiraient souvent plus satisfaits que s'ils eussent obtenu l'objet de leur demande. Jamais il n'imitait ces personnes qui, parla sécheresse de leurs ordres, réussissent parfaitement à convaincre un inférieur de leur autorité réelle, mais non de la prudence, de l'utilité, de la modération qui les guident dans l'exercice du pouvoir. Plus d'une fois, ceux qui intercédaient auprès de lui pour des reli- gieux, convaincus par Ignace d'avoir été induits en erreur, et de travailler contre les intérêts de leurs protégés, insistaient à leur tour auprès d'eux, pour leur persuader avec les mêmes raisons que saint Ignace leur avait données, qu'il y aurait grand dommage pour leur âme à persister dans leurs désirs.

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE IV. 67

Si le Saint remarquait que l'étude fût nuisible à quelques-uns des siens, en éveillant la vanité, ou en faisant naître dans leur esprit de chimériques et dangereuses opinions, il l'interdisait aussitôt. Il ne suffisait pas d'être propre aux études, disait-il, il fallait encore que les études fussent utiles à l'étudiant (").

On remarquait surtout, dans notre saint Fondateur, une adresse toute particulière, pour connaître et réformer les inclina- tions vicieuses.

S'il apercevait, par exemple, que, par paresse ou par incurie, on négligeait sa personne et sa tenue extérieure, il enjoignait au coupable de commenter en public les règles qu'il avait prescrites à cet égard, afin qu'en les enseignant aux autres, il apprît à les observer lui-même. Un frère devait-il travailler à réformer de mauvaises habitudes prises dans le monde, Ignace lui assignait pour compagnon un homme prudent et charitable, chargé de noter chaque jour ce qu'il avait observé de défectueux, et d'en donner avis au délinquant, afin que, se voyant comme dans un miroir, il fût frappé de sa propre difformité et s'efforçât de se corriger.

D'ailleurs, du temps de saint Ignace, l'usage de se découvrir mutuellement ses défauts était assez général ; et, le vendredi de chaque semaine, on ne manquait jamais de se réunir dans ce but. Quatre Pères étaient choisis pour remplir cet office dans le Col- lège Romain. Le premier averti était le P. Martin Olave, un des plus estimés et des plus révérés d'entre les Pères. Puis, tous les soirs, Ignace se faisait rendre compte des observations faites, particulièrement sur les points spécialement recommandés. Il présentait ensuite cet exposé aux intéressés, afin que chacun pût juger de ses progrès ou de ses chutes, et, dans les deux cas, s'armât d'un nouveau courage pour croître dans la vertu ou s'y renouveler.

Ce n'est pas tout : celui qui sortait d'une charge importante était soumis à un examen public sur la manière dont il s'en était acquitté, avant qu'on lui conférât de nouvelles fonctions. Le P. Jérôme Natal raconte qu'il subit de cette façon la censure de quarante Pères assemblés, et qu'Ignace lui adressa de sévères paroles sur son extrême rigueur à l'égard de ses inférieurs.

Dans sa charité toute paternelle, Ignace s'attachait surtout à

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soutenir dans leur vocation ceux que des tentations violentes en détournaient, et qui, désespérant de parvenir à la perfection reli- gieuse, se décidaient à retourner dans le monde. On le vit s'im- poser un jeûne de trois jours entiers, accompagné de prières et de gémissements continuels devant Dieu, afin d'obtenir pour un de ses novices la délivrance de cette tentation. Il passa avec un autre la plus grande partie de la nuit, à lui exposer, avec la per- suasion dont il avait le secret, les puissantes raisons propres à éclairer son âme, l'atterrant ou le consolant, lui faisant verser tour à tour des larmes d'effroi et de contrition. Enfin, après une longue lutte, la tentation céda et avec elle l'obstination du novice. Le jeune homme se jeta aux pieds d'Ignace, le suppliant de le garder et s offrant à subir, en punition de son inconstance, telle pénitence qu'il lui plairait. Mais le Saint, le relevant, l'embrassa tendrement et lui dit : Que votre première pénitence soit de ne vous 7^epentir jamais cC avoir voîtlu servir Dieu ; J'en offrirai une autre poîtr vous si le Seigneur ni en juge digne, chaque fois que mes douleurs d'estomac me reprendront.

Éclairé d'en haut sur les causes de la bonne ou mauvaise dis- position des esprits, s'il venait à découvrir que la fâcheuse résolution d'abandonner le service de Dieu venait de quelque faute grave, que le malheureux tenait renfermée dans son cœur, il mettait le doigt sur cette plaie secrète, et certain, de voir dis- paraître ces dangereux symptômes si le venin en était exprimé, il cherchait à obtenir un aveu sincère. Trouvait-il de la résis- tance, il recourait à un moyen qui, dans plus d'une circonstance, lui avait réussi. Il parlait de lui-même, et racontait humblement les fautes les plus graves de sa vie, dans le monde. Ce n était pas une simple narration ; mais comme en présence du Seigneur son juge, il ressentait une profonde douleur au souvenir de ses péchés, qu'il attendrissait son auditeur jusqu'aux larmes. Si son cœur ému paraissait prêt à s'ouvrir, Ignace ne lui laissait apporter aucun délai à sa bonne résolution, et quelquefois il faisait lever, pendant la nuit, un des confesseurs de la maison plutôt que de laisser remettre au lendemain cette confession qu'il lui avait été si difficile d'obtenir.

Les effets prouvaient bientôt que son jugement ne l'avait pas trompé. Des pieds du prêtre, on venait se jeter à ses ge-

I

LIVRE QUATRIÈME, CHAPITRE IV. 69

noux et déjà ce cœur, tout changé, était affermi dans sa vo- cation.

Certaines de ces conversions semblaient véritablement opérées par une vertu cachée, qui lui donnait tout pouvoir sur les cœurs, comme d'autres furent le fruit d'une prudence plus qu'humaine, car il puisait le secret d'un infaillible succès, une sagesse ordinaire n'aurait trouvé qu'impossibilité.

Ce même Pierre Ribadeneira, que sa légèreté presque en- fantine rendait, au jugement de plusieurs Pères, incapable d'être admis dans une réunion d'hommes graves et intérieurs, eut une violente tentation à soutenir, pour ne pas courir lui-même vers le précipice dont saint Ignace voulait le préserver. La ruse de l'esprit des ténèbres fut assurément la plus perfide qu'il eût pu choisir. Il troubla son cœur au point de lui rendre son bon Père odieux. Non seulement Ribadeneira fuyait toute intimité avec lui, mais la vue même d'Ignace lui était insup- portable : enjouement, douceur, marques d'estime, tout fut essayé en vain. Cependant le Saint, feignant de ne pas remar- quer cette disposition, ne changeait à son égard ni d'aspect, ni de manières. Ces sentiments d'antipathie firent prendre enfin à Ribadeneira la résolution arrêtée de quitter la Compagnie et de rentrer dans le monde. Ceux qui désiraient depuis longtemps son exclusion crurent voir dans cette détermination une claire manifestation de la volonté de Dieu.

Mais Ignace avait pour Ribadeneira d'autres sentiments, et, le connaissant mieux, en ressentait une vive peine. L'ayant mandé près de lui, il essaya, par les paroles les plus propres à toucher un âge si tendre, de le détourner de son malheureux projet. Tout fut inutile ; car c'était la personne d'Ignace sur- tout qui lui déplaisait, et chacune de ses actions ou de ses paroles lui causait une répugnance invincible. Le Saint, perdant tout espoir de réussir par des moyens humains, se tourna vers le Seigneur : il lui demanda, par de longues et ardentes prières, le don de toucher cette âme ; il fut bientôt assuré de l'avoir obtenu. Car ayant fait rappeler Ribadeneira, à peine lui eut-il adressé quelques paroles, que le cœur du jeune homme fut pénétré, et il s'écria, fondant en larmes : Oui, oui, mon Père, je les ferai. Il parlait des Exercices spirituels que saint

70 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Ignace lui conseillait, et que jusque-là il n'avait pas voulu suivre. « Je sentais, dit ce même Père, dans une relation faite sous « serment, une telle violence intérieure qu'il ne me semblait pas « en mon pouvoir d'y résister. »

Aussitôt qu'il eut commencé les Exercices, il voulut faire une confession générale, sous la direction de saint Ignace, et remettre son âme et tout le reste de sa vie entre ses mains. Après l'avoir entendu, celui-ci ne lui adressa d'autre exhortation que ces mots : « Pierre, je vous conjure de n'être pas ingrat « envers celui dont vous avez reçu tant de grâces et de si grands « dons! » «A ces paroles, continue la relation autographe, un voile « sembla tomber de mes yeux ; mon cœur fut changé et si en- « tièrement affermi, que depuis cinquante-deux ans, c'est-à-dire « depuis 1543, temps ceci se passait, jusqu'à ce jour, jamais « la plus légère tentation de la même nature ne s'est élevée « dans mon esprit {^% »

Les paroles d'Ignace n'eurent pas moins de succès, pour raffermir dans sa vocation, un autre novice pareillement tenté de rentrer dans le siècle. Il se nommait Baudouin Angelo. A peine entré dans la Compagnie, il désirait en sortir. Sa grande raison était une tendresse extrême pour un neveu qui, sans cesse présent à sa pensée, semblait lui reprocher de l'avoir ainsi cruellement abandonné, alors qu'il aurait lui servir de père. Baudouin trouvait que son entrée en religion était un acte d'im- piété condamnable devant Dieu et devant les hommes. Il se décida donc à en sortir, et il l'aurait fait, si Ignace n'avait pas eu plus de pouvoir pour l'aider, que le démon n'en avait pour lui nuire. Il le délivra de cette tentation, d'abord par ses prières, puis par quelques paroles fort simples qu'il lui adressa. Il le manda un jour inopinément, et, l'ayant fait asseoir près de lui, il lui dit d'un ton et d'un air pleins de douceur, comme s'il ne voulait que causer familièrement avec lui : « Quand j'ai « commencé à me donner à Dieu, et que, comme vous, j'étais « tout nouvellement occupé de le servir, j'eus un grand assaut « à soutenir : vous allez voir comment le démon me tentait, et « comment le Seigneur m'apprit à repousser ses suggestions. <i Parmi les images ornant l'office de la sainte Vierge, que je « récitais chaque jour, il y en avait une qui ressemblait beau-

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE IV. 71

« coup à ma belle-sœur, eL chaque fois qu'elle tombait sous mes « yeux, je sentais se réveiller dans mon cœur mille souvenirs « du monde et une aveugle tendresse pour mes parents. Vou- « lant me défaire de ces pensées importunes, je me proposai de « renoncer à cette pratique de dévotion pour éviter une occa- « sion qui m'était nuisible ; mais je compris bientôt que con- « sentir à perdre le mérite d'une œuvre pieuse, c'était céder à « l'ennemi. Or, il me semblait que le' démon me traitant « en cette occasion comme un enfant, je devais me délivrer « avec la simplicité d'un enfant de ses importunités. Je recouvris « donc l'image d'une feuille de papier pour m'en éviter la vue: « la tentation disparut avec l'occasion qui l'avait fait naître. »

Le Saint n'en dit pas davantage ; il se leva, après avoir em- brassé avec affection le jeune novice. L'effet produit surpassa en quelque sorte le besoin de cette âme. Voici en quels termes s'exprime le novice lui-même dans sa déposition faite sous la foi du serment, « Instantanément, dit-il, mon visage s'inonda de « larmes, et j'éprouvai au fond de mon cœur un sentiment si « plein de douceur et de suavité, que tout l'amour que je « ressentais pour mes parents se porta vers Dieu, et, depuis ce « moment, la pensée de mon neveu ne m'occupa pas plus que « s'il m'eût été étranger ou inconnu. »

Mais voici une autre circonstance dans laquelle ce sentiment paternel d'Ignace le fit agir avec une prudence spirituelle, d'autant plus grande qu'elle était moins visible. Ce fut à l'égard d'un novice allemand qui s'obstinait à rentrer dans le monde. Voyant bien que lui alléguer des raisons toutes spirituelles, n'aurait sur lui aucun effet, et que plus on insisterait pour le retenir, plus on augmenterait son désir de s'éloigner, Ignace se reconnut vaincu par sa résistance et lui laissa toute liberté de partir ou de demeurer. Il lui demanda seulement à titre de reconnaissance pour l'accueil qu'on lui avait fait, dans la maison, d'y rester encore quatre jours ; mais du reste dégagé de tout assujettissement à la règle, à l'obéissance, à la discipline, comme étranger et non comme religieux, mangeant, dormant, parlant à son gré. Le novice prit la chose pour une plaisanterie; malgré tout son désir de s'en aller, il se rendit aisément à des condi- tions si douces, imposées pour si peu de temps.

72 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Qui aurait pensé qu'une mesure propre à accroître en lui ];i volonté de rentrer dans ce monde, dont il commençait à goûter de nouveau la liberté, fut précisément ce qui lui en fit perdre l'envie ? Il passa le premier et le second jour dans le désœuvre- ment que sa nouvelle position lui permettait ; mais le soir, en rentrant dans sa chambre, il éprouvait une tristesse de cœur, une certaine amertume, contrastant singulièrement avec les so- lides consolations qu'il avait quelquefois goûtées dans la retraite. Ce malaise commença à lui faire sentir son erreur. Il comparait les deux genres de vie si différents, du cloître et du monde. Il voyait bien que si le premier n'offrait pas les folles joies de la vie, il ne laisse pourtant pas de procurer les vraies et solides jouissances d'une conscience innocente, en possession de la grâce de Dieu, de son amour et de la ferme espérance de jouir un jour dans son sein d'une vie immortelle et bienheureuse. Le second, au contraire, arrive à peine à satisfaire les sens, à con- tenter la partie basse et animale, et finit avec la vie, ou même avec le jour, ne laissant au fond du cœur que le remords, et, plus d'une fois, les causes d'une damnation éternelle.

Ces salutaires pensées ramenèrent le novice à la véritable sagesse. Avant l'expiration du terme fixé, il alla se jeter aux pieds d'Ignace, et, confessant avec larmes sa folie, il redevint pour toujours un enfant soumis et docile.

Dans un cas du même genre, Ignace employa une sage adresse pour ramener à la Compagnie un prêtre flamand nommé André ; il tendit pour ainsi dire un filet sous ses pieds, pour le prendre de nouveau et pour lui ravir une seconde fois cette liberté dont il se servait afin de s'éloigner de Dieu.

Il le fit donc prier de prendre sa route, pour retourner en Flandre, par Lorette, et d'y rappeler à sa mémoire tout ce que Dieu avait déjà fait en sa faveur, dans l'enceinte sacrée il se retrouverait ; puis de réfléchir aussi sur lui-même. D'où ve- nait-il ? allait-il .'* dans quel but ? Si les pierres mêmes de ce saint lieu lui reprochaient son ingratitude, lui découvraient son danger, lui inspiraient des pensées plus sages, et s'il revenait se jeter dans ses bras avec confiance, ce voyage ne passerait que pour un pèlerinage, et sa personne ne lui serait pas moins chère qu'auparavant. Pendant ce temps, lui, Ignace, suppliait

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE IV. 73

la sainte Mère du Sauveur de ne pas laisser échapper de ses mains ce pauvre égaré, qu'il lui envoyait, et qu'il n'avait ni assez de vertus, ni assez d'habileté, pour retenir auprès de lui. Il la conjurait de le rendre à son Fils, en le rendant à la Compa- gnie, afin que tant d'âmes avaient été sauvées, celle-ci eût aussi le même bonheur. S'il ne lui avait donné que trois Jules ("), c'était qu'il n'avait pas voulu, autant par pauvreté que par cal- cul, lui offrir un plus ample viatique. « Car, disait-il en expli- « quant sa conduite, je ne devais pas offrir à celui dont j'espérais « encore le retour, une nouvelle cause de tentation, en lui rap- « pelant par l'offre de plus amples ressources, la grande distance « qui séparait Rome de la Flandre. » Malheureusement ses charitables soins furent inutiles ; le prêtre flamand partit et ne revint plus.

Il fit plus encore pour vaincre l'obstination d'un autre jeune homme. C'était un Siennois, depuis quatre mois seulement dans la maison. Il avait fait preuve de vertu, du moins tant qu'il n'a- vait pas rencontré d'obstacles. Pour l'éprouver et le fortifier, le P. Louis Gonçalvès envoya le novice mendier dans la ville de Rome. Un de ses parents le rencontra. Ne voyant que le déshonneur de sa famille dans une action qui, faite en vue de Dieu, était au contraire honorable, cet homme l'accueillit par des paroles de mépris, lui demanda s'il ne rougissait pas de ce vil métier, d'une vie si abjecte. Avait-il donc oublié de qui il était fils ; et avait-il jamais vu quelqu'un des siens lui donner de pareils exemples } N'avait-il d'autre moyen de servir Dieu qu'en déshonorant ses parents } Il agirait plus sagement en prenant les conseils d'un homme qui l'aimait comme on aime son propre sang, et en se débarrassant de cette besace et de ces haillons. « Enfin, ajouta le gentilhomme, je saurai vous « procurer un bénéfice avec lequel vous pourrez un jour faire « d'amples aumônes, au lieu de mendier vous-même comme un « misérable. »

Le malheureux novice prêta l'oreille à ce discours ; il revint à la maison, si triste, si différent de lui-même, que il sem- blait jadis être en Paradis, il ne voyait plus rien que de dur et d'afiligeant. A ces imaginations s'ajoutait une douleur secrète de s'être laissé réduire à un état qui le rendait odieux à ses

74 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

parents même. Qu'en penseraient donc les étrangers ? Et comme l'homme qui se laisse dominer par le démon de la tristesse, n'a pas besoin, pour agir mal, d'autre tentateur, il résolut de renon- cer à un genre de vie dans lequel il ne pouvait persévérer, sans être absolument malheureux.

Ignace remarqua que le jeune novice était en proie à une forte tentation, et en devina la nature. Il jugea à cette profonde tristesse il était plongé, que le P. Jérôme Natal, alors Mi- nistre, ne parviendrait pas avec les moyens ordinaires, à le ramener à la raison. Il lui parut donc nécessaire d'en employer d'autres adaptés à la triste situation de son esprit. D'abord il défendit de le laisser jamais seul, et il exigea qu'il y eût tou- jours auprès de lui quelqu'un pour l'entretenir des choses de Dieu, afin que si les esprits de malice l'attaquaient, les ministres du Seigneur fussent, de leur côté, prêts à le défendre. Comme le temps le plus favorable à l'ennemi, pour remplir les caractères mélancoliques de noirs fantômes et les pousser à de fatales résolutions, est celui des ténèbres, le Saint lui donna un com- pagnon de chambre, et fit promettre au novice, chaque fois qu'il s'éveillerait, d'éveiller son voisin et de s'entretenir avec lui pour empêcher son esprit de se perdre dans ses propres pensées. Enfin, Ignace obtint aussi de lui la promesse de passer quinze jours encore dans la maison en pleine liberté. Si tout cela ne cliangeait rien à sa détermination, il exposerait devant tous les Pères la situation de son âme, ses motifs pour retourner dans le siècle, et entendrait les avis de chacun. Peut-être cet aveu public suffirait-il pour lui faire ouvrir les yeux ; sinon. Dieu lui adresserait par la bouche de quelqu'un des Pères des paroles de salut.

La puissance du démon ne put résister à tant d'efforts, et sa proie lui fut enlevée. Mais plus tard, ce malheureux perdit de nouveau la grâce de sa vocation, et se perdit lui-même.

Ignace se conduisit d'une manière tout à fait opposée à à l'égard de Laurent Maggi, dont nous avons parlé plus haut à l'occasion des Exercices suivis par l'abbé Martinenghi, son oncle. C'était un novice d'une grande innocence. Les qualités de la nature et les dons de la grâce dont il était orné annon- çaient pour l'avenir le grand homme qu'il est en effet devenu.

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE IV. 75

Tourmenté et presque vaincu par la tentation de quitter l'Ordre, il s'en ouvrit à Ignace : celui-ci n'y opposa aucune difficulté. « Je vous demande seulement, lui dit-il, de me faire une pro- (( messe : à votre premier réveil, pendant la nuit prochaine, à « quelque heure que ce soit, vous vous placerez sur votre lit, « dans la posture d'un homme agonisant. Vous vous représen- « terez, le plus vivement possible, qu'il ne vous reste qu'un quart « d'heure à vivre, et que, dans ce court espace de temps, vous « allez rendre compte à Dieu de votre vie et recevoir votre « sentence. Au bout de quelques instants, dites-vous à vous- « même : Si en effet, j'en étais là, à qui voudrais-je avoir obéi?... <? A Dieu qui m'appelle à le servir, ou au démon qui veut m'en « détourner ? Écoutez la réponse de votre âme à cette question; « puis continuez à vous dire : Ne suis-je pas certain d'arriver « un jour à ce terme ? » Ignace s'arrêta ; le reste était facile à deviner.

Le bon jeune homme promit, et fut fidèle à sa parole. Sans doute notre saint Père veillait et priait pour lui cette nuit-là. A peine fut-elle écoulée, que Laurent vint le trouver. Ces ré- flexions courtes, mais efficaces, l'avaient si solidement affermi dans sa vocation, qu'il eût sollicité avec instance d'entrer dans la Compagnie, s'il n'y avait pas encore été admis.

Je terminerai la série de ces exemples de l'industrieuse charité d'Ignace envers ses enfants éprouvés par la tentation, en rap- portant un dernier acte de la sage prévoyance par laquelle il évita à un novice l'occasion de se perdre.

On élevait sur la voie publique un petit mur pour fermer de ce côté l'entrée de la maison. Par ordre d'Ignace, les novices y travaillaient. Leur ferveur, leur modestie, leur abnégation d'eux-mêmes au milieu de ces travaux, édifiaient les passants, et souvent des hommes distingués venaient exprès pour les voir à l'œuvre.

Parmi les novices, il s'en trouvait un d'une famille noble et fort connue à Rome ; c'était le plus observé et le plus admiré de tous, quoique dans son cœur il supposât tout autre chose. Il éprouvait, en effet, une telle confusion d'une part, que ne pouvant se retirer, et de l'autre, craignant d'être vu, il se tenait le plus loin possible de la rue, le dos tourné aux spectateurs

76 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

pour éviter d'en être reconnu. Ignace descendait quelquefois, plutôt pour voir les ouvriers que leur ouvrage. Il aperçut un jour ce novice : à première vue, il découvrit sur son visage la honte, et dans son cœur l'orgueil qui le retenaient à l'écart. Comprenant aussitôt le danger qu'il courait, si on ne le se- courait pas à temps, il fit appeler le P. Bernard Olivieri, au- quel il avait commis le soin d'employer les novices à ces travaux : « Ne vous apercevez-vous pas, lui dit-il, que ce jeune « frère, retiré là-bas à l'écart, est tenté ? Attendez-vous donc « qu'il succombe ? Ne vous inquiétez-vous pas de le perdre « pour une si légère cause ? » Le Père Ministre s'excusa sur l'ordre qu'il avait reçu de lui d'employer les novices à ce travail. « Eh ! quoi, lui répliqua Ignace, en vous donnant cet ordre, « vous ai-je enlevé l'esprit de charité et de discrétion ? »

Puis, il se retira, et, passant près du novice, feignit de ne rien remarquer d'extraordinaire, lui parla du ton le plus doux et vou- lut faire servir la faiblesse de son corps à guérir celle de son esprit. Bl vous aussi, lui dit-il, vous êtes venu partagei' cette besogne? Rentrez, rentrez dans la maison ; cest tm travail qui ne vous convient pas. Par un moyen si simple, il rendit le calme à ce novice qui, comme on l'apprit depuis de lui-même, formait déjà le projet de rentrer dans le monde.

Il est pourtant vrai, comme je l'ai fait observer, qu'Ignace ne montrait pas également à tous ses enfapts cette extrême compassion pour leur faiblesse. Il en usait surtout envers ceux qui, transplantés nouvellement du monde dans la retraite, n'a- vaient pu encore s'affermir dans les voies spirituelles. « Notre « Père, écrit Louis Gonçalvès, traitait avec grande douceur les « novices tentés. Il était au contraire rigoureux pour ceux qui, « anciens dans la Compagnie, étaient censés avoir grandi en « vertu ; surtout quand ils manquaient à l'obéissance et s'ob- stinaient dans leur propre jugement. »

zèle d'Ignace pour maintenir la discipline religieuse. Sa scru- puleuse justice àl'égard de ses meilleurs amis. Son antipathie pour les nouveautés. Gomment Ignace défendait l'honneur de la Compagnie. Moyens dont il se servait pour former de bons supérieurs.

_^^^^^^^Q US devons nous occuper maintenant du

I zèle de notre vénérable Fondateur pour

g maintenir l'observance religieuse. On jugera

de ce zèle par les châtiments dont il punissait

les violations de la règle. C'est une tâche

P dans laquelle il n'est pas facile d'accorder

wmmm^^wtmw^Ë la discrétion avec le zèle. Il est bien difficile de réprimer un défaut, sans nuire à ceux qu'on veut seulement corriger. « De même, dit saint Grégoire de Nazianze, qu'on ne « peut donner ni la même nourriture, ni les mêmes remèdes aux « gens bien portants et aux malades ; ainsi doit-on travailler à « gouverner et à guérir les âmes par des moyens souvent bien « différents. »

En ces quelques mots, saint Grégoire de Nazianze semble avoir décrit la conduite d'Ignace à l'égard des siens, et son extrême attention à varier sa méthode de direction. Il se con- formait, non seulement aux circonstances de temps ou de lieu, mais encore à ces variations que subit quelquefois un même homme ; variations qui nous rendent parfois si différents de nous- mêmes. On a pu déjà juger de cette dextérité d'Ignace par ce que j'ai déjà dit ; ce que je vais ajouter montrera le Saint à un autre point de vue, il est vrai, mais produira la même conviction. Forcé de châtier, il le faisait sévèrement, et il recommandait cette sévérité aux supérieurs ; excepté pourtant dans les cas la légèreté de la faute pouvait excuser le coupable. Il n'impo- sait alors que ces pénitences bénignes, qui servent plutôt à

78 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

rappeler l'observance qu'à punir l'infraction. Il en agissait autre- ment quand les fautes étaient graves et quand la punition devait servir d'exemple (^^). Dans ces cas, il mandait le coupable en sa présence ; puis, surtout lorsque celui-ci était encore peu avancé dans la vertu, il s'efforçait d'abord de lui bien faire comprendre sa faute, non en termes étudiés ou exagérés, mais avec franchise et netteté, en la lui faisant apprécier à sa juste valeur. Sa ma- nière simple avait l'art de pénétrer jusqu'au fond des cœurs, et on n'a connu personne qui l'ait quitté mécontent de lui : on ne l'était que de soi-même. D'ailleurs, le caractère d'Ignace ne per- mettait pas qu'on le soupçonnât de garder au fond du cœur le souvenir de la faute passée. Jamais on n'avait à craindre de lui dans la suite, même un reproche tacite : fatale crainte pour un subordonné, car elle lui fait supposer qu'il est tombé dans la dis- grâce de son supérieur. Au contraire, saint Ignace semblait chérir plus qu'auparavant ceux qu'il s'était vu contraint de châ- tier. Cette sévérité momentanée de paroles et de manières, ou même les pénitences rigoureuses qu'il imposait, procédaient si peu d'un mouvement de courroux, qu'après avoir rempli ce devoir de justice et de charité, il ne lui restait qu'un sentiment de tendre affection pour le coupable. Aussi le P. Jacques Miron avait-il coutume de dire que notre P. Ignace guérissait les bles- sures, de manière à ne pas même laisser de cicatrices. Sa cha- rité effaçait le souvenir de ce qui avait provoqué la sévérité; elle ne lui laissait plus voir trace des fautes passées. Quelquefois aussi, après avoir exposé aux coupables le défaut signalé dans leur conduite, il ne leur imposait aucune pénitence, et les renvoyait en disant d'un ton sérieux cette seule parole : Allez ; et ses fils, qui l'aimaient tendrement, eussent préféré à cette froideur les châtiments les plus rigoureux. Dans certaines occasions, il s'en remettait à la conscience de celui qu'il avait repris, et lui ordonnait de prononcer lui-même sa sentence. C'était une ma- nière aussi adroite que sage d'obtenir des gens ombrageux plus qu'il n'eût osé leur imposer, ou de faire d'hommes d'une haute vertu des modèles d'humilité et de mortification. Je citerai deux exemples remarquables.

Le P. Jérôme Otelli prêchait à Rome (^^). Otelli était un homme très zélé ; il opérait tant de conversions, que saint Ignace, ayant

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE V. 79

jugé à propos de l'envoyer en Sicile, sa perte fut sentie à Rome, comme celle d'un apôtre. Une vieille femme assistait à la messe d'Ignace le lendemain du départ de ce Père. Lorsque Ignace en fut à ces paroles du Confiteoj" : Mea ctilpa, meci 7naxima culpa : « Oui, s'écria-t-elle, P. Ignace, vous pouvez bien appeler une « faute d'avoir privé Rome d'un homme aussi saint, aussi utile « au peuple que le P. Jérôme. » Or, un jour, que ce saint homme prêchait, et qu'il reprenait avec sa liberté accoutumée les vices du peuple, il alla jusqu'à dire que si l'amour de Dieu et la crainte de ses jugements n'étaient pas des freins suffisants, il faudrait que le Souverain Pontife eût recours aux châtiments, et fît chasser les coupables de la ville sainte.

Après le sermon, Ignace fit appeler le P. Otelli, et lui demanda combien il y avait dans le monde de Souverains Pontifes. « Il n'y a que celui de Rome, répondit le Père. » « Ainsi « donc, reprit Ignace, vous vous permettez de désigner en « chaire, non pas seulement un personnage ordinaire, mais « encore un tel personnage, et, non content de le nommer, vous « lui tracez sa conduite, comme si vous étiez plus habile que lui; « et même, cette supposition faite, comme s'il vous était permis « de le diriger, et surtout dans un tel lieu ! Allez, retirez-vous, et « pensez devant Dieu à la punition que vous méritez. Vous « reviendrez ce soir m'apporter votre réponse. »

Le bon Père se retira confus et affligé. Après avoir longtemps médité sur sa faute, il vint se jeter aux pieds d'Ignace, et lui présenta un papier sur lequel il avait tracé le châtiment qu'il se croyait dû: c'était de parcourir, plusieurs jours de suite, les rues de Rome en se flagellant, d'entreprendre à pied le pèlerinage de Jérusalem, et de jeûner, plusieurs années, au pain et à l'eau, en se soumettant d'ailleurs à tout ce que son supérieur croirait devoir ajouter. Mais Ignace, satisfait et au-delà de semblables marques de repentir, lui imposa seulement, pour l'exemple, de prendre un certain nombre de fois la discipline dans l'intérieur de la maison (^°).

La sentence que le P. Laynez prononça contre lui-même pour une cause encore moindre, fut peut-être plus admirable encore. Il était Provincial d'Italie. Comme Ignace rassemblait à Rome une grande partie des sujets les plus distingués, dans l'intérêt

80 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

oénéral de la Compagnie, premier objet de ses préoccupations, Layncz pensa qu'il était fâcheux d'appauvrir ainsi plusieurs col- lèges pour enrichir une seule maison professe. Il écrivit à saint Ignace, sur ce sujet, une première lettre il se plaignait, mais avec grand respect, de cette mesure. Cette lettre n'ayant pas eu d'effet, il en écrivit,une seconde. Alors Ignace, comprenant toute la nécessité de laisser dans la Compagnie des exemples de re- noncement au jugement propre pour se soumettre à celui du supérieur, rappela à Laynez, que, pour bien remplir le rôle de supérieur, il ne lui était pas permis de manquer à ses devoirs d'inférieur. Il l'engageait donc à rechercher la cause de cet atta- chement à son jugement personnel, pour découvrir s'il prove- nait uniquement d'un zèle sincère ou d'un amour-propre. Si Laynez se reconnaissait coupable, il le laissait lui-même juge de la punition méritée.

Réfléchissez, lui écrivait-il, sur votre procédé. Annoncez- « moi si vous reconnaissez avoir failli : et, si vous vous jugez « coupable, faites-moi savoir quelle peine vous êtes prêt à « subir.

« Rome, le 2 novembre 1551 (^'). »

Le P. Laynez ouvrit les yeux ; non seulement il reconnut, mais il pleura sa faute amèrement et répondit : « Mon Père, « quand la lettre de Votre Révérence me fut remise, je me mis « à prier Dieu ; et, ayant fait ma prière avec beaucoup de pleurs, « ce qui m'arrive rarement, voici le parti que je pris et que « je prends encore aujourd'hui, les larmes aux yeux. Je sou- « haite que Votre Révérence, entre les mains de laquelle je me « remets et m'abandonne tout à fait, je souhaite, dis-je, et je « demande, par les entrailles de Notre Seigneur Jésus-Christ, « que pour punir mes péchés et pour dompter mes passions « mal réglées qui sont la source de mes péchés, elle me retire « du gouvernement, de la prédication et de l'étude, jusqu'à ne « me laisser pour tout livre que mon Bréviaire ; qu'elle me « fasse venir à Rome demandant l'aumône, et que elle m'oc- « cupe, jusqu'à la mort, dans les plus bas offices de la maison, « ou si je n'y suis point propre, qu'elle me commande de passer « le reste de mes jours à enseigner les premiers éléments de

LIVRE QUATRIEME. - CHAPITRE V. 81

« la grammaire, n'ayant nul égard à moi et ne me regardant « jamais que comme l'ordure du monde. C'est là, ce que je « choisis tout d'abord pour ma pénitence.

« J. Laynez. « Novembre 1552. »

Saint Ignace se contenta, pour l'expiation de cette faute, de la voir reconnue.

Ces deux faits font comprendre avec quelle sagesse il savait choisir, d'après le degré de vertu de ses inférieurs, les moyens les plus propres à leur faire reconnaître leurs erreurs. En même temps, il procurait à la Compagnie de grands exemples d'hu- milité, capables de confondre des hommes plus imparfaits, s'ils étaient tentés de murmurer contre des punitions plus légères pour des manquements bien autrement graves. Il avait encore l'art d'adapter si bien les punitions aux fautes, qu'elles en fai- saient ressortir la nature ou la gravité (^^). Ainsi, un Père s'étant érigé en maître dans les voies spirituelles il était à peine novice, et, par là, ayant beaucoup nui à ceux qu'il s'était chargé de guider, Ignace lui fit attacher aux épaules une paire d'ailes postiches, et chargea un des frères de lui répéter sou- vent : « N'essayez pas de voler, avant qu'il ne vous ait poussé des ailes. »

Un autre Père laissait régner le désordre dans sa chambre ; saint Ignace lui fit jeter pêle-mêle dans un sac, livres, écrits, habits, tout ce qu'il avait, et le condamna à parcourir la maison, ce sac sur le dos, en confessant sa faute {^^).

Voici la manière ingénieuse dont il corrigea un enfant qu'un juif récemment converti avait confié à nos Pères. Un jour, dans un moment de dépit, l'enfant appela quelqu'un cancre. Le Saint l'apprit, et, voulant inspirer au coupable de l'horreur pour ce surnom blessant, il fit acheter un crabe vivant et des plus gros qu'on put trouver. Puis, ayant fait venir l'enfant, il lui dit : Sais-tu quelle vilaine bête est ce crabe dont tu as donné le nom à cette personne ? Eh bien ! regarde- le et fais connaissance avec hii. Il lui fit alors lier les mains derrière le dos et sus- pendre la bête au cou. L'enfant, voyant le petit animal grimper sur sa poitrine avec ses longues pattes et craignant d'en être

Histoire de S. Ignacede Loyola. II.

82 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

égratigné, se mit à pousser des cris de frayeur, à pleurer et à promettre qu'on ne le prendrait plus à dire de ces vilains mots. Saint Ignace le laissa quelque temps en peine, puis fit délier ses mains et enlever le crabe. Plus tard, devenu religieux de l'ordre de Saint-Dominique et évêque de Forli, le protégé d'Ignace aimait à raconter plaisamment ce trait et à louer la prudence de saint Ignace qui, par une pénitence proportionnée à sa faute et à son âge, avait su le corriger, au point que jamais plus pareil mot ne lui vint sur les lèvres.

Personne ne pouvait se reposer sur l'affection particulière d'Ignace, pour se permettre la moindre transgression à l'obser- vance générale, et en espérer l'impunité. Il estimait et aimait extrêmement les Pères Martin Olave, Pierre Ribadeneira et Louis Gonçalvès.

Or, un jour, ils sortirent avec permission, pour reconduire hors des portes de Rome deux Pères de la Compagnie, nom- més évêques en Ethiopie. Sans s'en apercevoir, ils allèrent trop loin pour pouvoir rentrer à la maison, avant la nuit. Ignace imposa à tous un jeûne de trois jours, et reprit sévèrement le P. Gonçalvès : Je ne sais, ajouta-t-il, ce qui 7ne relient de vous envoyer si loin qtie nous ne pîiissions Jamais noîis revoir. C'était assurément la plus terrible menace qu'il pût faire à un homme dont il était aimé comme un père. Il la réalisa même en partie ; car, à l'heure même, et de nuit, il lui ordonna de se retirer au collège, d'où il ne lui permit de revenir que plusieurs jours après. Le P. Jacques d'Eguia avait aussi des titres particuliers à l'affection d'Ignace. D'ailleurs, c'était un homme d'une vertu éminente ; le P. Le Fèvre l'appelait toujours le saint P. Jacques d'Eguia, et Ignace lui-même avait coutume de dire : « Quand nous serons en Paradis, nous le verrons élevé « à quinze cannes au-dessus de nous, de sorte que nous aurons « de la peine à le reconnaître. » Cependant ce bon Père, tenu au secret sur tout ce qu'Ignace lui confiait de son âme, ne pou- vait ni parler, ni se taire entièrement. Il laissait quelquefois échapper son admiration pour la sainteté de son pénitent, par des exclamations, comme un homme qui n'est pas maître de soi, et bien plus encore par simplicité que par enthousiasme. Quelqu'un l'entendit et s'en scandalisa, Ignace apprit le fait.

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Non seulement il changea de confesseur, ce qui fut fort sen- sible au bon vieillard, mais il lui imposa comme pénitence, de prendre la discipline trois fois, durant la récitation de trois psaumes, et, entre chacun, de s'affermir dans la résolution d'être à l'avenir plus circonspect dans ses paroles, afin de ne pas donner aux faibles une occasion de scandale.

Pour faire mieux comprendre encore combien, dans le gou- vernement de saint Ignace, étaient sévèrement réprimées et punies toutes les transgressions de la discipline et de l'obser- vance, je crois utile de rapporter sommairement quelques autres traits dignes d'être connus et retenus, à titre d'avertisse- ment et de leçon (^'^).

Il trouva un jour deux frères coadjuteurs, désœuvrés et cau- sant ensemble de choses frivoles. Il les appela, leur montra un monceau de pierres inutiles qui étaient dans la cour de la mai- son, et leur ordonna de les porter sur le toit. Chaque fois qu'il les retrouvait se livrant à ces conversations oiseuses, il leur faisait porter et rapporter les mêmes pierres, jusqu'à ce qu'ils comprissent enfin que ce travail sans utilité, n'avait d'autre but que de punir leur oisiveté, et de leur apprendre à chercher d'eux-mêmes des occupations religieuses.

Il apprit un autre jour que deux jeunes frères, employés à la cuisine, s'y étaient amusés à se jeter mutuellement de l'eau à la figure, comme de véritables écoliers. En punition de ce man- que sérieux à la tenue religieuse, saint Ignace leur imposa de prendre la discipline pendant longtemps, et de manger dans une étable ; puis il leur adressa publiquement des reproches qui paraîtraient excessifs si je les rapportais. Enfin, comprenant sans doute que toutes ces rigueurs ne corrigeraient pas pour toujours les coupables, il les renvoya. Car, disait-il, si après quelques années de séjour dans la maison, ces hommes étaient capables d'une telle légèreté, on pouvait croire qu'ils n'avaient encore du religieux que l'habit, qu'ils gardaient l'esprit du siècle, quoiqu'ils en eussent dépouillé les livrées.

Ignace corrigea moins sévèrement un frère, nommé Laurent Tristan, homme d'oraison, très mortifié, si exact observateur du silence, si assidu au travail de maçonnerie, auquel on l'em- ployait, que, dans le cours d'une journée, il remuait plus de

84 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

pierres qu'il ne disait de paroles. Tandis qu'il réparait le bas d'un mur, il laissa tomber de sa poche une pomme qu'on lui avait donnée pour se rafraîchir. Tristan s'aperçut qu'Ignace l'avait remarquée, et se sentit tout confus. Il feignit donc de ne pas voir la pomme, se retourna, et la laissa derrière lui; mais Ignace, avec le bâton sur lequel il s'appuyait ordinairement, sans rien dire, et comme pour badiner, la ramenait devant lui cha- que fois que le frère embarrassé s'en détournait. Quand cette petite scène de confusion eut assez duré, il se retira sans dire un mot qui pût indiquer la moindre désapprobation.

Il prit d'autres mesures avec un jeune homme, professeur à Venise, d'ailleurs d'une vie irréprochable, pour l'accoutumer à peser ses paroles. Quelques mots peu prudents qui pouvaient offenser ceux dont il avait parlé, lui avaient échappé. Pour cette faute, Ignace l'envoya faire un pèlerinage, seul, à pied, pendant trois mois, en demandant l'aumône.

Un frère infirmier, s'étant permis un badinage qui parut outre- passer les limites d'une extrême modestie, Ignace voulait le renvoyer à l'instant ; et, si tous les Pères ne s'étaient réunis pour rendre témoignage de l'extrême innocence de ses mœurs, il l'eût obligé de quitter la Compagnie. Mais il exigea que ce frère s'éloignât pendant quelque temps de Rome, et même de l'Italie ; il le condamna à faire, à pied et en mendiant, un voyage de plus de deux cents milles.

Il menaça aussi d'un renvoi le frère Jean-Baptiste Borelli, religieux d'une rare vertu, qui l'avait servi pendant plusieurs années. Ce frère avait pris dans une cassette du Saint un grain bénit et l'avait remplacé par un autre de même genre, mais moins précieux. Il eut l'heureuse pensée de faire spontanément l'aveu de sa faute. En raison de sa franchise, Ignace se borna à lui adresser de sévères reproches qui lui arrachèrent des larmes. Le P. Soldevilla, dont nous avons fait connaître précédem- ment les tendances aux nouveautés indiscrètes, qu'il tâchait de répandre secrètement, fut, malgré ses larmes et ses supplications, renvoyé de la Compagnie. Il n'obtint d'y rentrer qu'après avoir donné des preuves de son repentir, en servant pendant cinq mois, dans les plus bas offices d'un hôpital.

D'autres fois, Ignace exigeait l'expulsion de certains sujets ;

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE V. 85

puis il se laissait toucher par leur repentir, et, après de sévères épreuves, les recevait de nouveau dans la Compagnie. Il punit de la même façon le bon P. Corneille Visshaven. Ce père avait promis sans assez de réflexion de procurer une certaine dispense. Saint Ignace lui fit reprendre le bâton de voyage, dès son arri- vée à Rome, et l'envoya mendier jusqu'à ce qu'il eût recueilli la somme voulue pour couvrir les frais de cette dispense.

Un Père flamand fut envoyé de France à Rome pour rendre compte à saint Ignace de certaines révélations qu'il prétendait avoir eues sur la ruine d'un royaume. Ignace le reçut dans la maison professe, mais le traita comme un étranger, jusqu'à ce que six des Pères les plus capables, après avoir examiné ses prétendues prophéties, eussent déclaré s'il fallait les tenir pour vraies ou pour fausses. Les examinateurs furent unanimes à reconnaître dans ces prophéties de vraies illusions, et le Père, d'ailleurs homme de bon sens, les réprouva lui-même ; mais, parce qu'il n'avait pas cédé à l'avis de son supérieur, Ignace l'envoya d'abord, pendant six mois, travailler de nuit et de jour dans un hôpital de Rome ; puis il lui fit remplir.parmi les frères coadjuteurs, les plus humbles offices de la maison. Sa fidélité à s'acquitter avec zèle de ces divers emplois, le firent rentrer dans les bonnes grâces du Saint, qui l'envoya en France comme recteur d'un collège.

Antoine Moniz, noble Portugais, avait donné, dès son en- trée dans l'Ordre, de grandes espérances d'un rapide avance- ment dans les voies spirituelles ; et sans doute la suite eût ré- pondu à de si beaux avancements, si le démon n'eût fait tous ses efforts pour y mettre obstacle. Le tentateur fit pénétrer dans son cœur un grand dégoût pour une vie, qui, peu aupara- vant, le rendait si heureux. A mesure que Moniz s'en fatiguait, le relâchement gagnait toute sa conduite. Il commença bientôt à soupirer après une autre existence ; car, dans celle-ci, il ne goûtait plus Dieu, et le monde lui était interdit. Il s'en suivit une détermination positive de quitter la Compagnie. Toutefois, le souvenir de sa première offrande au Seigneur le retenait encore, et il sentait tout ce qu'il y aurait de condamnable à se reprendre.

Après de longues luttes, il crut avoir trouvéle moyen deconcilier

86 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

sa conscience et sa liberté ; c'était de mener une vie bonne, mais sans contrainte : n'avoir conservé que sa personne, et encore ne pouvoir en disposer, lui paraissait une mort an- ticipée.

Son choix s'arrêta donc sur la vie de pèlerin. Afin qu'on ne lui opposât ni force, ni moyens de persuasion, il s'enfuit secrè- tement du collèofe de Coïmbre les Pères de Valence 1 avaient envoyé, espérant que les soins et les conseils du P. Le Fèvre rétabliraient la paix dans son esprit. Il fit son premier pèleri- nage a Saint-Jacques de Compostelle, seul, à pied, et en men- diant. Mais déjà le repentir était dans son âme. Il continua néanmoins ses pèlerinages, et, de Saint-Jacques, il se rendit à Notre-Dame Montserrat. Là, ne pouvant plus résister aux remords continuels de sa conscience, à la tristesse de son cœur, peut-être aussi aux souffrances insupportables d'un voyage fait au fort d'un hiver très rigoureux, il résolut, sous le regard de Marie, d'aller droit à Rome. Il voulait se jeter aux pieds d'Ignace, et rentrer, s'il était possible, dans un Ordre qu'il n'avait bien apprécié qu'après l'avoir quitté. S'appliquant donc les paroles de l'enfant prodigue, auquel il ressemblait si bien, et par sa fuite du toit et par son misérable extérieur : Je me lèverai, dit- il, ^i firai à mon pcre ; Surgam et ibo ad patrem meum i^'"). Une dangereuse maladie, dont il fut attaqué à Avignon, le confirma dans ces salutaires pensées. Reçu à l'hôpital comme mendiant, il y fut réduit à la dernière extrémité. Enfin, après deux mois de souffrances, Moniz se rétablit et parvint à se traîner jusqu'à Rome. Il n'osa point se présenter devant Ignace. Il écrivit, de l'hôpital Saint-Antoine des Portugais, une lettre remplie des plus humbles sentiments, et mouillée de ses larmes. Le Saint attendri, l'envoya chercher ; mais, ne voulant pas l'ad- mettre si promptement en sa présence, il l'établit dans une maison voisine de la sienne pour l'y laisser expier dans le re- pentir une faute si scandaleuse. Le coupable, non content d'un châtiment si doux, parcourut les rues de Rome, nu jusqu'à la ceinture, se flagellant rudement, pour acquitter ainsi publique- ment la dette qu'il avait contractée envers Dieu et envers ses frères.

Ce ne fut pas assurément une vaine cérémonie. Ignace

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE V. 87

écrivit à une noble dame espagnole, parente de ce jeune homme, que le sang qui coulait des plaies du pénitent arrosait les rues il passait. Moniz ne s'en serait pas tenu là, si notre Père, averti qu'il devait recommencer, ne l'en eût empêché. L'ayant fait appeler, il le serra dans ses bras et l'accueillit avec la plus touchante affection. Le pauvre jeune homme, qui s'était jeté à ses pieds en versant les larmes du repentir et delà componction, les changea bientôt en celles de la reconnaissance et de la joie. Moniz semblait renaître ; il commença aussitôt à mener une vie si exemplaire, si austère, qu'il semblait prévoir sa fin prématurée. En effet, il ne tarda pas à sentir les atteintes d'une fièvre lente qui le consuma peu à peu.

Saint Ignace punissait quelquefois sévèrement dans les supé- rieurs les défauts que ceux-ci avaient manqué de prévenir ou de réprimer dans leurs inférieurs. Ainsi, ayant vu un jour deux frères marcher dans les rues de Rome avec peu de circonspection, il imposa une pénitence au P. Ministre, qui avait laissé sortir ensemble deux hommes incapables de se donner des exemples mutuels d'une modestie vraiment religieuse. Il en agit de même à l'égard du P. Sébastien Romeo {^^), recteur du Collège Ro- main, qui permettait de suivre, à certaines époques, les stations des sept églises, et souffrait qu'on emportât du pain et du vin pour dîner. Romeo allégua inutilement qu'il avait trouvé cette coutume établie. Le Saint répondit qu'elle devait être d'autant plus vite abolie, que les fautes passées en usage sont les plus dangereuses.

Cependant, malgré cette scrupuleuse attention à déraciner les défauts les plus légers, Ignace se gardait bien d'établir des lois générales pour remédier à des abus particuliers. On se rappelle le novice dont j'ai parlé plus haut, et qui, envoyé mendier dans les rues de Rome, en revint découragé et tenté d'aban- donner sa vocation. Ignace ne défendit pas pour cela aux no- vices d'aller demander l'aumône, suivant l'usage de ce temps-là, mais il voulut ne s'en rapporter qu'à lui-même sur les disposi- tions de chacun avant d'accorder cette permission. 11 ne pen- sait pas que la vertu de plusieurs dût souffrir de ce qui s était trouvé dangereux pour un 3eul et par sa faute. On montre assurément beaucoup de faiblesse, en croyant faire preuve de

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force, quand, par une règle générale, on retire à tous ce dont quelques-uns seulement abusent. Pour donner de tels ordres, il n'en coûte que la peine de les écrire ou de les proclamer, tandis que si l'on voulait remédier, comme la sagesse l'exigerait, au mal particulier, on rencontrerait peut-être des obstacles qu'on trouve plus commode d'éviter. De là, cette multitude de lois qui de- viennent parfois un remède pire que le mal ; car s'il est aisé d'en créer, selon les besoins du moment, rien n'est plus difficile que d'opérer des réformes dans un milieu on les foule toutes aux pieds. Aussi, saint Ignace ne souffrit-il jamais l'intro- duction d'aucune nouveauté. Il savait qu'on s'arrête difficilement sur cette pente, et que les plus insignifiantes innovations ou- vrent souvent la porte à d'autres nouveautés très funestes.

Il apprit que les Pères Martin Olave, Ribadeneiraet quelques étudiants du Collège Romain, avaient, à la campagne, imaginé de se former en cercle et de se jeter les uns aux autres une orange : celui qui la laissait tomber, devait se mettre à genoux et réciter un Ave Maria. Il les en reprit et même les punit sévèrement (^'').

Il eût encore bien moins souffert qu'on osât introduire des innovations dans les études. Il disait souvent que s'il avait cinq cents ans à vivre, il les emploierait à répéter sans cesse: Point de nouveautés, ni en théologie, ni en philosophie, ni en logique, ni même en grammaire. Quels que fussent leurs avantages au premier abord, il ne se laissait jamais entraîner à les adopter. On lui proposa de changer en jeûne l'abstinence du vendredi ; c'était un léger changement. Il ne voulut pas le permettre. Le P. André Galvanelli, recteur du collège de Venise, faisait chaque jour, pendant une heure, et les jours de fête, pendant deux heures, des conférences spirituelles dans sa maison ; et elles y avaient déjà produit de nombreux fruits de salut. Néanmoins, Ignace réduisit ces exhortations à une seule par semaine. 1 1 punit aussi le P. Olave pour avoir permis de lire au réfectoire un livre utile, à la vérité, mais qui n'était pas en usage. Plus tard, il laissa continuer cette lecture, et le bien de la communauté n'en souffrit pas ; mais il n'avait pas voulu qu'un des siens outre-passât ses pouvoirs (^^).

Le zèle outré du P. Jérôme Natal fut plus sévèrement réprimé.

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A son retour d'Espagne, pays il avait été envoyé comme visiteur, Natal essaya une ou deux fois, avec plus de chaleur qu'il ne convenait, d'engager Ignace à prolonger le temps de l'oraison prescrite aux étudiants. Le Saint lui adressa de graves reproches, et lui 'retira en, grande partie l'administration de la Compagnie qu'il avait remise entre ses mains. Il comprenait, en effet, que pour ruiner un Institut de fond en comble il suffit de commencer à le m.odifier. Les uns demanderaient tel change- ment, les autres refuseraient telle réforme. On ébranle ainsi l'édifice dont les parties ne peuvent se soutenir que par leur mutuelle dépendance : malheur que parfois les particuliers n'a- perçoivent point, parce qu'ils n'ont pas reçu de Dieu les lumières accordées aux fondateurs. D'ailleurs, ce serait remplacer par des lois purement humaines, celles que des hommes choisis par Dieu même ont établies. Sur ce point, saint Ignace était si prévoyant que, pour les choses les plus légères, il donna des règles positives, afin d'ôter à ses successeurs toute occasion d'introduire des nou- veautés. Ce fut le motif qui, dans un moment de grande gêne, le détermina néanmoins à acheter, pour le Collège Romain, une petite maison de campagne à l'usage des malades et des étu- diants. Il voulut même en déterminer d'avance les conditions d'occupation et de jouissance. Aussi de son temps avait-on coutume de dire qu'il n'y avait dans toute la Compagnie qu'un seul supérieur ; tant le gouvernement était partout uni- forme.

La réputation et l'honneur de la Compagnie ne lui étaient pas moins chers que l'observation de la discipline. Il considérait la Compagnie non comme son œuvre propre, mais uniquement comme l'ouvrage de Dieu. De là, son zèle à la défendre contre ses adversaires. Il ne laissait jamais des prédicateurs, ou même des professeurs des hautes classes paraître en public, sans les avoir entendus en particulier lui-même ; sans que les eussent entendus, avec lui, des gens habiles et compétents. Les Pères que le Sou- verain-Pontife destinait aux missions lointaines, ou à des affaires de haute importance, recevaient de lui, de vive voix ou par écrit, des instructions appropriées aux lieux, aux personnes, aux affaires à traiter. C'est ainsi qu'il avait agi avec le patriarche Jean Nuiiez Barreto, avant son départ pour l'Ethiopie ; avec

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Laynez et Jérôme Natal, envoyés par Jules III comme conseil- lers du cardinal Morone à la diète d'Augsbourg; avec Paschase Broët et Salmeron, nonces apostoliques de Paul III en Irlande avec Jacques Miron mis à la disposition du roi de Portugal avec Olivier Manare, demandé par le gouverneur de Lorette avec Jacques Pelletier, envoyé au service du duc Hercule de Ferrare ; avec les Pères qui furent obligés d'assister comme théologiens du Pape, au concile de Trente.

Comme il serait trop long de rapporter ici tous les principes sur lesquels Ignace appuyait ses différentes instructions, je me réserve de développer en leur lieu les plus importants.

Quand les circonstances l'obligeaient à prendre la défense de la Compagnie, son premier soin était d'éviter tout ce qui aurait pu soulever contre elle de nouveaux ennemis, ou exaspérer les anciens (^^). Aussi, ne permit-il jamais qu'on répondît, ni par une apologie raisonnée, ni surtout par des paroles piquantes, à une censure et à des accusations très graves portées par la Sorbonne contre son Institut. Comme plusieurs Pères étaient fort mécon- tents de cette sentence et qu'il ne parvenait pas à les apaiser en leur répétant ces paroles du Sauveur : « Je vous donne ma « paix, je vous laisse ma paix », il leur adressa un discours public, il prouvait par de solides raisonnements, que, même pour les injures les plus graves, la perfection religieuse ne per- met jamais de donner entrée, dans son cœur, à des sentiments d'indignation, bien moins encore à un esprit de vengeance. La simple prudence humaine, leur disait-il, défendrait d'exciter l'ini- mitié d'une Société nombreuse et digne d'estime.

Ce fut précisément pour ce dernier motif qu'il retint le P.Olave, prêt à entrer en discussion avec quelques religieux sur certaines décisions adoptées dans leur chapitre général. Une première fois déjà, Olave avait réduit ses adversaires au silence par la force de ses arg-uments. Mais le Saint était loin d'admirer les lumières qui éblouissent ; il ne voulait pas que le triomphe d'un seul, enfantât la malveillance de plusieurs ; ce qui arrive trop natu- rellement quand on regarde sa propre défaite comme une injure.

Il demanda un jour avec instance au même P. Olave de retran- cher d'une thèse de théologie destinée à l'impression une de ses conclusions, parce qu'elle pouvait amener, quoique de fort loin.

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un dissentiment avec les partisans de l'opinion contraire (^•'). Ignace exigeait même de ceux dont les travaux avaient pour but unique le salut des âmes, la plus sage prudence. Il ne vou- lait pas qu'on fournît à personne un prétexte raisonnable de déplaisir.

Dans la Compagnie, disait-il, on rencontrait deux classes d'ou- vriers également ardents au travail. Les uns édifiaient sans détruire ; c'étaient ceux dont le zèle, uni à une grande circon- spection, ne nuisait à personne, profitait à tous. Ils ne préten- daient pas faire tout ce qui était possible, mais seulement ce qui était permis et sage. S'ils prévoyaient le danger, ou même l'ap- parence d'un scandale amené par des désunions ou des ruptures surtout avec des supérieurs, ces bons ouvriers savaient s'effacer. Ils suppléaient par leur modestie, parleur humilité aux œuvres de zèle rendues impossibles par la faute d'autrui.

Les autres, au contraire, détruisaient au lieu d'édifier, parce que, consultant plutôt la ferveur que la prudence, ils ne calcu- laient pas les conséquences fâcheuses d'une œuvre bonne en soi : pour gagner une âme, ils ne s'inquiétaient pas d'en perdre dix. S'ils rencontrent un obstacle, il faut qu'ils le renversent, dût le monde en être bouleversé, et ils indisposent contre l'Ordre entier des hommes dont la bienveillance et la protection seraient nécessaires pour travailler au service de Dieu. Cette classe d'hommes déplaisait extrêmement à saint Ignace, toujours ami de la paix et de l'humilité. Quand un de ses enfants péchait sur ce point, il essayait de modérer sa ferveur par des avis salutaires, et, s'il ne pouvait y réussir, il le retirait des ministères publics. Mais arrivait-il que, par des imputations calomnieuses, la Com- pagnie courût risque de perdre, avec sa réputation, la liberté d'agir suivant l'esprit de son Institut, il prenait sa défense avec fermeté et exigeait un jugement définitif, non pour humilier ses adversaires, mais pour lui conserver cette estime indispen- sable à quiconque travaille à la conversion des âmes. Nous l'avons vu, dans le livre précédent, suivre cette ligne de conduite à l'égard d'un hérétique et de ses affidés.

Il ne s'en départit pas davantage envers un certain Matthieu, directeur des postes à Rome. Ignace, ou un autre Père, était parvenu à éloigner de cet homme une femme, qui d'une con-

92 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA,

duite déréglée avait passé à une vie pénitente. Le malheureux conçut de ce changement une telle fureur, qu'il résolut de tirer d'Ignace et des Pères, la plus terrible de toutes les vengeances ; c'est-à-dire de porter contre eux d'odieuses, d'infâmes accusa- tions, qu'il fit peser en même temps sur le monastère de Sainte- Marthe, se retiraient alors les femmes repenties. La vérité commençait à être obscurcie par les calomnies, et on allait bientôt attribuer à de criminels desseins ce qui n'avait été inspiré que par le zèle.

Déjà plusieurs personnes, qui s'occupaient d'amener ces malheureuses femmes dans cette maison, cessaient d'y travailler. Saint Ignace comprit que cette cause n'était plus seulement la sienne, mais celle de Dieu. Il la soumit aux tribunaux. La vérité parut si évidente, les imputations tellement absurdes, que le calomniateur, moitié par remords, moitié par crainte des châ- timents de Dieu et des hommes, offrit de reconnaître publi- quement, sur la place de Flore, la fausseté de ces accusations.

Pour empêcher la Compagnie de sombrer dans une furieuse tempête soulevée contre elle, à Salamanque, et de répandue dans toute l'Espagne. Ignace eut longtemps recours à une invincible patience. Mais, aussi, il fut enfin forcé d'en appeler à la justice.

Cette persécution fut fomentée par un religieux, théolo- gien de grande réputation, dont l'influence entraîna presque tout son Ordre dans la même voie.

Tandis qu'on s'était formé en Espagne une haute opinion de la science et de la piété qui florissaient dans la Compagnie de Jésus, ce docteur et ses adhérents blâmaient tout à la fois, notre Institut, notre doctrine, et la vie de nos religieux. Ce qu'ils en pensaient, ils cherchaient à le persuader aux autres, et leurs chaires retentissaient d'arguments tendant à démontrer que cette Société n'était qu'une réunion d'antechrists.

Ignace se laissa longtemps ballotter par l'ouragan, souffrant en silence. Cette conduite ne servit qu'à exciter davantage une fureur qui ne rencontrait pas d'obstacles. La situation s'aggra- vant chaque jour, Ignace résolut d'imiter Pierre, lorsque voyant sa barque prête à enfoncer, il avait éveillé le Sauveur. Il eut donc recours au successeur de Pierre, au vicaire de Jésus-

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Christ sur la terre, pour qu'il apaisât les flots irrités et ramenât le calme.

Le Pontife menaça des censures de l'Eglise, ces hommes qui méprisaient l'autorité apostolique, ou l'accusaient d'avoir man- qué de discernement et de sagesse, en approuvant un Institut selon eux très blâmable. Mais pour que cet appel au Pape fût jugé moins une défense légitime de la Compagnie, qu'une mesure nécessaire au service et à la gloire de Dieu, Ignace voulut instruire lui-même des faits son vénérable ami, le P. Jean d'Avila (^'). Il lui en rendit donc un compte exact, afin que celui-ci pût, au besoin, révéré comme il l'était par toute l'Espagne, tirer d'erreur les esprits défavorablement prévenus dans cette affaire. La lettre s'appuyait sur les témoignages, sur les raison- nements des saints Pères et des anciens théologiens, pour prou- ver qu'il est licite, obligatoire même, de défendre sa propre réputation, lorsque cette perte peut causer de graves dommages aux fidèles. Ce seul motif le décidait à repousser les attaques portées contre ses enfants. Il n'avait d'abord employé pour sa défense que la douceur et les égards, mais si ces procédés étaient inutiles, il aurait recours malgré lui à des moyens plus efficaces.

On peut observer, dans la conduite de saint Ignace envers ses inférieurs, deux qualités bien distinctes, résumant, comme l'a écrit un de nos anciens Pères, tout le gouvernement de la Compagnie pour le bien soit général, soit particulier: Ignace les possédait dans la juste proportion due à leur importance respec- tive : je veux parler de la force et de la douceur : « Fortement et « suavement ; fortement, afin d'assurer l'efficacité et la constance « d'un gouvernement conforme à la droiture et toujours géné- « reusement ordonné vers le but; sîiavement, afin que dans les cas « particuliers et dans la pratique, on use, selon qu'il conviendra, « de modération, de longanimité et de tolérance {^^). »

Nous avons déjà montré avec quelle force et quelle prudence le Saint formait ses inférieurs à la perfection ; il nous reste à voir comment, par les mêmes moyens, il atteignait ce but à l'égard des supérieurs, leur enseignant à la fois la théorie et la pratique de l'art si difficile du gouvernement. Il savait combien son saint maître et ami y excellait. François Xavier qui, pressen-

94 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

tant sa propre mort prochaine, ne sollicitait rien plus ardem- ment, la dernière année de sa vie, pour le collège de Goa, qu'un supérieur venu de Rome, un supérieur formé de la main d'Ignace. « Pour l'amour et la gloire de Dieu, écrivait-il, je « vous demande une grâce que je solliciterais à vos genoux si «j'étais près de vous : c'est que vous envoyiez dans ces con- « trées, pour recteur du collège, un homme formé par vous. » Dans une autre lettre, écrite de Goa, peu de mois après celle-ci, «il dit encore : Je vous conjure, par l'amour de Notre-Seigneur « Jésus, de pourvoir ce collège d'un recteur de votre choix, « quand même il n'aurait pas beaucoup de science. Le point « essentiel, pour le gouvernement de cette maison et de toute la « Compagnie répandue dans Tlnde, est que vous l'ayez choisi et «qu'il soit jugé par vous digne de cet emploi. Tous les Pères «et les Frères réunis ici, ne souhaitant rien plus ardemment « qu'un supérieur qui ait vécu ou conversé longtemps avec « vous {^'). »

Le principal soin d'Ignace et l'objet de toute son attention, était le choix des religieux qu'il voulait former au gouverne- ment. Cet art si difficile était le sujet de ses dernières études et de ses derniers conseils, car au dire d'un ancien: Il f mit exaininer longtemps celta quon veut charger d'examiner les autres {^^).

Ignace voulait dans les hommes qu'il destinait au gouverne- ment, les dons naturels du jugement, de la prudence, avec des manières polies et graves, indispensables pour prendre de l'as- cendant sur les esprits. Mais ces qualités ne suffisaient pas, si elles n'étaient jointes aux Vertus solides, sans lesquelles un chef ne peut avoir d'intiuence. Or, ces vertus étaient un empire absolu sur ses passions, fruit de la mortification intérieure ; une exacte observance de la discipline religieuse, une force géné- reuse pour le service de Dieu, une affectueuse et compatissante charité, l'habitude d'une prompte obéissance.

Trouvait-il ces vertus réunies dans quelques sujets, il com- mençait à les éprouver {^'=) ; et, pour qu'ils n'apprissent pas aux dépens des autres l'art du gouvernement, lui-même, sans en rien faire paraître, se chargeait de le leur enseigner. Il les ad- mettait au conseil qu'il tenait chaque jour, les occupait unique-

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE V. 95

ment d'une des affaires qu'on y traitait, et toujours pendant une heure de suite. Puis il leur confiait le soin de certains hommes, plus difficiles à conduire, ou tourmentés par des ten- tations intérieures, soit sur leur vocation, soit d'une autre na- ture. Venait bientôt la direction d'affaires importantes, il leur indiquait les moyens propres à les faire réussir. Néanmoins, il leur en confiait l'exécution, ne voulant pas les laisser travailler comme de simples délégués sous ses ordres, mais s'en remettant à leur initiative personnelle : alors en effet l'esprit s'aiguise et l'application redouble.

Leur mission une fois accomplie, Ignace les rappelait près de lui. Il s'informait d'abord, s'ils se rendaient à eux-mêmes un témoignage satisfaisant ; puis louait ce qu'il jugeait bien conduit, ou leur indiquait par quelle autre voie, ils auraient mieux réussi. Il les encourageait ainsi à agir par eux-mêmes, imitant en cela l'aigle qui commence par voler autour de ses petits pour les exciter à sortir du nid, à se confier à leurs jeunes ailes, et à le suivre.

Quand enfin il voyait des sujets formés, expérimentés, et dignes de sa confiance, il les employait dans le gouvernement de la Compagnie, leur ordonnant de se conduire alors d'après leurs propres lumières (^^). Si dans quelque perplexité, ils ve- naient lui demander des conseils ou des ordres, il leur répon- dait simplement : Acquittez-vous de votre charge. Ignace était fort loin d'approuver l'activité souvent importune de ces Pro- vinciaux qui veulent diriger les recteurs placés sous leurs ordres, ou celle de ces recteurs qui, remplissant à la fois tous les emplois, veulent être tout dans leurs collèges ; comme si un poste supé- rieur donnait la capacité propre à d'autres moins élevés. Il nous est resté des fragments d'une lettre qu'il écrivait sur ce sujet à un Provincial, tombé dans ce travers. Toutes ces paroles sont précieuses et doivent servir d'enseignement aux esprits de cette trempe :

« Il n'est ni de l'office d'un Provincial, ni de celui d'un Géné- « rai, de descendre dans tous les petits détails, surtout dans les « choses temporelles. Il est plus digne pour leur personne, et « plus sûr pour la tranquillité de leur âme, de s'en remettre, « pour ces détails, à leurs inférieurs, sauf à leur en faire rendre

96 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

compte. C'est le plan de conduite que je suis dans ma charge, et j'en retire des avantages de jour en jour plus grands : cela me soulage beaucoup pour le travail et la sollici- tude. Aussi, je vous conseille à vous-même de porter princi- palement vos soins et vos pensées sur les avantages et la pros- périté spirituelle de toute la Province. Pour toutes les choses que vous devrez commander et faire exécuter, occupez-vous- en vous-même, en personne, et prenez conseil des hommes que vous jugerez capables ; mais ensuite, pour l'exécution, la con- duite et le soin des affaires, laissez-les d'ordinaire à vos infé- rieurs. Souvenez-vous que les premiers supérieurs doivent ressembler au premier mobile qui, par un mouvement toujours égal, remue les autres globes célestes. En agissant de la sorte, vous exercerez une . action plus grande et plus en harmonie avec votre charge ; vous aurez de plus cet avantage, que si vos ordres s'exécutent mal, vous pourrez rectifier ce qui aura été fait de travers; au lieu que si vous aviez mal réussi d'abord, ce à quoi vous serez très exposé en voulant vous mêler de tout, il serait peu honorable pour vous que vos inférieurs eussent à réparer vos fautes. Que Jésus-Christ notre divin Maître nous donne sa lumière pour connaître sa très sainte volonté et des forces pour l'exécuter parfaitement. Rome, le 31 janvier 1552. Ignace (^^). » Quand ceux auxquels Ignace avait confié une partie quel- conque du gouvernement nuisaient à l'ordre général par inca- pacité ou par manque de vertu, il n'hésitait pas à les révoquer. Il en usa de la sorte même à l'égard de deux de ses premiers compagnons (^^), dont la vie et les intentions étaient également pures, mais qui réussissaient mal dans la direction spirituelle des sujets. Il les rappela, l'un de Naples, l'autre de Portugal et leur retira leur emploi.

Vertus des saints difficiles à décrire et à faire bien comprendre.

Humilité de saint Ignace et ses sentiments sur cette vertu.

Il veut abdiquer son pouvoir. Soins qu'il prenait pour cacher les faveurs célestes dont Dieu le comblait. Révéla- tion de la bienheureuse Marie-Madeleine de Pazzi. Frag- ments de notes de saint Ignace. Son humilité à ses derniers moments.

^•^^^^^^^.ELUI qui veut tracer le portrait d'une âme

1^ sainte, en décrivant les vertus qui en consti- tuent la beauté, court grand risque d'imiter en cela les peintres dont l'habileté ne tend |- qu'à reproduire exactement les traits et les proportions d'un visage. Et c'est ce qui

mmm

wj^mm^^^^^ arriverait assurément, s'il se bornait à pré- senter la conduite extérieure des saints, et s'il s'imaginait avoir ainsi fait connaître d'eux tout ce qui méritait d'être manifesté. Ne serait-ce pas réduire la fécondité et la richesse de la terre aux herbes et aux fleurs qui couvrent sa surface en oubliant les marbres, les métaux et les pierres précieuses qu'elle renferme en son sein ?

Les saints ont un art particulier pour cacher les trésors dont leurs âmes sont enrichies. Souvent plus les grâces de Dieu abondent en eux et moins ils les laissent voir. Les corps célestes reçoivent plus de lumière à mesure qu'ils s'approchent du soleil; mais, par là-même, ils deviennent moins visibles aux habitants de la terre. En écrivant la vie des saints, il faudrait, non seule- ment faire connaître l'admirable humilité qui leur servait à cacher leurs vertus, mais il faudrait encore pouvoir manifester les trésors de grâce qu'ils savaient dérober à tous les regards.

Saint Ignace,s'entretenant un jour, avec un de ses plus chers enfants, de la perfection des saints et de l'excellence de leurs mérites, lui disait que la plus faible partie des grâces qu'ils ont

Histoire de s. Ignacede Loyola. H.

98 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

reçue de Dieu est celle que nous révèlent leurs biographes ; ils voient une surface, mais sans pénétrer du regard l'océan sans fond qu'elle recouvre. Ignace comptait pour si peu ce qu'on apprenait de cette perfection, par les actions extérieures des saints, qu'il ajouta ces paroles : « Pour moi, je n'échangerais pas « les miséricordes dont la divine bonté a usé envers mon âme, « contre tout ce que nous lisons sur les actions des saints dans « l'histoire de leurs vies. » Et en effet, ce que la véritable sain- teté renferme dans un cœur surpasse infiniment ce qu'on en juge en ne s'arrêtant qu'au dehors.

Ignace disait souvent que la première pensée de celui qui désire monter très haut, doit être d'abord de descendre très bas, car la cime de la perfection répond à la profondeur de ses ra- cines, et s'élève d'autant plus que ses fondements sont plus cachés. Ce qu'il enseignait aux autres sur ce sujet, il avait com- mencé par le pratiquer. Tout l'édifice de sa vie spirituelle fut appuyé sur un tel abaissement de lui-même, que les démons et les hommes, mus par une sagesse humaine, s'unirent pour la lui reprocher. Non seulement il manquait, disait-on, au respect qu'il devait à sa famille, mais il outrageait en lui l'image de Dieu, en s'imposant des humiliations et des traitements indignes d'un homme.

Mais sa conduite avait pour principe la connaissance de son propre cœur et les pensées qu'elle lui avait fait concevoir dès les commencements de sa conversion. Il considérait, en suivant une belle gradation, ce qu'il était à l'égard des autres hommes, à l'égard des anges, et enfin à l'égard de Dieu. En voyant son néant et ses péchés qui l'éloignaient si entièrement de Dieu, et par suite de tout bien, la misère de son être lui apparut dans toute sa nudité. « Je vais me considérer attentivement et tel que « je suis en réalité, dit-il, dans ses Exercices, il trace son por- « trait et décrit tous les sentiments de son âme. Je m'aiderai par « des comparaisons à me mépriser moi-même toujours plus pro- « fondement. D'abord je placerai sous mes yeux tous les hommes « réunis, et je comprendrai bientôt que je ne suis qu'un atome « au milieu de cette immense multitude; puis je réunirai tous « les hommes qui vivent sur la terre, et je comparerai leur « nombre à celui des anges et des bienheureux qui peuplent le

LIVRE QUATRIÈME. - CHAPITRE VI. 99

« ciel. Je comparerai ensuite toutes les créatures avec Dieu. « Que sont devant lui toutes ces créatures, quel que soit leur « nombre ? Et moi seul, enfin, que puis-je être devant cette « multitude ? Je considérerai toute la corruption et toute l'infec- « tion de mon corps et je me regarderai comme un ulcère, comme « un abcès d'où sont sortis tant de péchés, tant de crimes et tant « de souillures honteuses. »

C'était par de telles pensées que saint Ignace voulait former chacun à la connaissance de soi-même. Il employa encore une autre règle qui en peu de mots embrasse et comprend toute la théorie de l'humilité. Il l'enseigna à un des principaux Pères qui, après une longue mission était revenu à Rome, pour rani- mer sa ferveur par quelques exercices pieux, avec le désir surtout de progresser dans l'humilité. Ce Père lui demandait quelle était la voie la plus courte pour atteindre ce but. « Il y « en a bien une, répondit-il, et la voici : c'est d'agir toujours au « rebours des hommes du monde, en détestant ce qu'ils re- « cherchent et recherchant ce qu'ils détestent. »

Ce secret spirituel, Ignace l'enseignait à tous ceux qui vou- laient être admis dans la Compagnie ; et, comme moyen d'en profiter, il les rappelait toujours à l'imitation du Sauveur. II développait ces pensées dans les précieux enseignements sur la vertu d'humilité, qui ont fourni et fourniront toujours tant de sujets de réflexion à ses enfants, jaloux de retracer en eux la perfection de leur Institut. « Il convient, dit-il, que ceux qui « aspirent à entrer dans la Compagnie, considèrent attentive- « ment, comme un point de très grande importance en la pré- « sence de notre Créateur et Seigneur, combien il est utile « pour s'avancer dans la vie spirituelle d'avoir une aversion « entière et sans réserve pour tout ce que le monde aime et ^i embrasse ; et au contraire d'accepter, et même de souhaiter « de toutes ses forces tout ce que Jésus-Christ, Notre-Seigneur, « a aimé et embrassé.

« Les gens du monde, qui sont attachés aux choses du siècle <'< aiment et cherchent avec beaucoup d'empressement les « honneurs, la réputation et l'éclat, parmi les hommes, ainsi que « le monde le leur enseigne ; de même ceux qui s'avancent « dans la voie de l'esprit, et qui suivent sérieusement Jésus-

100 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« Christ, Notre-Seigneur, doivent aimer et désirer avec ardeur « tout ce qui est contraire au monde ; savoir, de se revêtir de « la robe et des livrées de leur Seigneur, pour le respect et « pour l'amour qu'ils lui portent ; de sorte que si cela pouvait ^ se faire sans aucune offense de Dieu et sans scandale du « prochain, ils voudraient souffrir des affronts, des faux té- « moignages et des injures; être regardés et traités comme des « insensés, sans toutefois en avoir donné sujet tant ils « ont le désir de se rendre semblables, en quelque façon, à « notre Créateur et Seigneur Jésus-Christ, et de prendre ses « livrées, puisque lui-même les a portées pour notre plus grand « avancement spirituel et nous en a donné l'exemple, afin qu'avec « le secours de sa grâce nous tâchions de l'imiter, autant qu'il « sera possible, et de le suivre en toutes choses, puisqu'il est « la voie véritable qui conduit les hommes à la vie. Il faut donc «'demander aux aspirants, s'ils ressentent ces désirs si salutaires, « si utiles à la perfection de leurs âmes (''^). »

Ainsi notre premier devoir est de chercher dans les pensées d'Ignace, dans ses exemples et dans leurs motifs, la règle et la mesure de notre conduite. Il est vrai que la perfection en- seignée par lui est éminente et d'une extrême difficulté dans la pratique. Malgré sa profonde humilité, le P. Laynez confesse qu'entendant un jour Ignace développer sa sainte philosophie sur la connaissance et le mépris de soi-même, il se reconnut vaincu, et lui dit qu'il n'arrivait pas, même par la pensée, à la comprendre, et qu'il ne pouvait que s'humilier d'avoir si peu d'humilité.

Ce n'était pourtant pas encore le dernier terme que le saint Fondateur marquait à la perfection de cette héroïque vertu; il le plaçait à une hauteur au delà de laquelle il ne paraît pas possible de s'élever.

Il l'indique en décrivant les trois degrés d'humilité dont chacun marque une perfection plus avancée.

« Le premier est,dit-il,de toute nécessité pour le salut ; il con- « siste à souffrir les plus pénibles humiliations et à perdre même « la vie, s'il le fallait, plutôt que de pécher grièvement sur ce point « contre la loi de Dieu. Le second est plus parfait : c'est celui « l'âme domine tellement la nature que les richesses ou

LIVRE QUATRIÈME. CHAPITRE VI. 101

« la pauvreté, les honneurs ou les ignominies, la longueur ou la «brièveté de la vie, peuvent tourner également à la gloire de « Dieu et à notre salut ; on ne désire pas plus l'un que l'autre ;. « tellement que ni l'offre de la plus haute félicité humaine, ni la « menace de la plus cruelle mort, ne saurait induire à commettre «un péché véniel. Après ces deux degrés d'humilité il en reste «un troisième plus parfait qu'on peut appeler héroïque. Il con- « siste à choisir pour se conformer à l'exemple de Jésus-Christ, « lorsque la gloire de Dieu est également assurée, d'être comme « lui, pauvre, méprisé, insulté plutôt que de posséder les richesses, « les honneurs et l'estime des hommes de bien. » ('°°)

Ce fut à ce degré sublime d'humilité qu'Ignace se proposa d'atteindre, dès la première année il renonça au monde, et ses actes furent en harmonie avec un but si élevé. Passer pour un homme sans éducation, sans instruction et presque fou ; confesser publiquement ses péchés, et se les faire reprocher amèrement ; aller grossièrement vêtu, les cheveux en désordre et nu-pieds ; vivre dans les hôpitaux avec les mendiants, et les imiter dans leurs manières, pour qu'on le prit pour l'un d'eux ; mendier de porte en porte et sur les places publiques ; recevoir avec plus de joie les refus que les aumônes; savourer les injures, quand on l'insulte ou qu'on le traite comme un vaurien ; rendre des actions de grâce pour les injures, et des bienfaits pour les mauvais traitements ; fuir les lieux oia il était connu pour gen- tilhomme ou révéré comme saint ; paraître dans sa patrie et dans sa famille en mendiant, n'y avoir d'autre asile qu'un hôpi- tal, d'autre nourriture que le pain de la charité ; enfin, suivant le langage de saint Grégoire, ne s'être réservé du monde que son mépris ; s'estimer heureux quand on le traitait d'hypocrite, de magicien, d'imposteur ; se laisser traîner devant les tribunaux sans vouloir être défendu ; se réjouir dans les fers et trouver tant de gloire et de bonheur d'y souffrir pour Jésus-Christ qu'on eût pu le croire enfermé plutôt comme un insensé que comme criminel : tous ces effets de la plus solide humilité ne furent pour notre Saint qu'un acheminement, qu'un premier pas vers le but auquel il visait depuis les premiers moments de sa conversion.

Ses progrès furent proportionnés à de si admirables com-

102 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

mencements. Bien qu'une fois à la tête du nouvel Institut dont Dieu l'avait fait non seulement le Père, mais le modèle, .il ne pût s'exposer à ces humiliations publiques, néanmoins, il ne laissa pas encore de rechercher celles qui lui étaient per- mises, et de désirer ardemment les autres, que des motifs supé- rieurs l'oblioreaient à éviter. Pour s'attirer les outraofes et les risées de la populace, il eût voulu parcourir les rues de Rome à moitié nu, couvert d'immondices et travesti en fou ; il eût encore désiré qu'à sa mort on jetât son cadavre sur un fumier pour y pourrir comme un vil animal. Dans un voyage qu'il fit de Venise à Padoue, il rencontra sur la route un villageois qui gardait les bestiaux, et qui, le voyant vêtu fort pauvrement et sans doute à ses yeux ridiculement, se mit à rire aux éclats en le regardant et lui adressa de grossières railleries. Ignace s'arrêta, et, d'un visage serein, se laissa bafouer à plaisir par ce misérable. Le P. Jacques Laynez, qui voyageait avec lui, s'efforçait de l'entraîner, mais Ignace répondait tranquillement : « Il ne faut pas priver ce jeune homme de la petite récréation que « ma présence lui procure. »

Une autre fois, le P. Ribadeneira, alors à peine âgé de quinze ans, l'avertit que lorsqu'il parlait en public, on rail- lait quelquefois certaines tournures étrangères les unes espa- gnoles, les autres de mauvais italien dont il se servait.

D'ailleurs ses discours si pleins d'onction étant mal compris, des auditeurs perdaient une partie du fruit qu'ils devaient pro- duire. Cet avertissement charma Ignace, et il répondit avec la plus douce humilité : « Pierre, vous avez bien raison. Je vous « charge de me surveiller à l'avenir. Ayez soin de noter toutes « mes fautes de langage, de me les signaler, et je m'efforcerai « de les éviter. » Le jeune homme le fit ; mais les incorrections étaient si nombreuses que, désespérant du succès, il abandonna l'entreprise : il le dit à Ignace qui se contenta d'observer, avec une admirable douceur, que n'ayant pas reçu la faculté de parler correctement l'italien, il employait le peu qu'il en savait au ser- vice de Dieu et au salut de son prochain. Il avait d'ailleurs la consolation de voir que ses efforts étaient bénis. Quelquefois, en effet, après l'avoir entendu, d'insignes pécheurs allaient en si grand nombre se réconcilier avec Dieu que les confesseurs.

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE VI. 103

toujours pour les recevoir, ne pouvaient suffire à les entendre. Mais ce sont encore de faibles exemples de son humilité.

Il la montra bien autrement encore par ses refus persévé- rants d'accepter le poste de Général, dans la conviction intime qu'il était incapable de le remplir : ses efforts ne cédèrent même pas à la menace du P. Laynez, qui lui disait qu'en refusant de devenir le chef de la Compagnie dont il était le Père, il en pro- nonçait la destruction. Il fallut, pour le décider, un ordre exprès de son confesseur. Durant trois jours, comme nous l'avons dit, il lui avait fait sa confession générale, afin qu'il fût mieux fixé par et qu'il pût éclairer ses compagnons sur son indignité.

Se voyant contraint de porter ce lourd fardeau, son premier acte fut de se traiter lui-même comme le dernier de la maison, en travaillant aux ouvrages de la cuisine avec autant d'obéis- sance et d'humilité, que s'il eût été véritablement le cuisinier et celui-ci le Général. Pendant quarante jours ensuite, il enseigna les éléments de la doctrine chrétienne aux enfants ; enfin, il se considérait dans ce poste élevé comme le serviteur de tous et il ne voulut accepter aucun signe extérieur de respect, aucun titre honorable ; il exigea qu'on le désignât comme tous les autres, simplement par son nom d'Ignace. Après dix ans, quand il fut assuré d'avoir fait d'excellents élèves dans l'art du gouverne- ment, il ne se crut plus nécessaire, et, convaincu par de nou- veaux retours sur lui-même de son indignité, il voulut renoncer au généralat. En conséquence il réunit à Rome les principaux Pères, en aussi grand nombre que possible et leur exposa sa résolution dans la lettre si humble que nous allons rapporter.

« Après avoir réfléchi durant plusieurs mois et plusieurs « années, sans passion et dans le calme le plus parfait de mon « âme, je vous dirai sincèrement, devant mon Créateur et mon « Dieu qui doit me juger pour une éternité, ce que je crois « devoir être à la plus grande gloire de sa Majesté divine.

« En considérant mes péchés, mes défauts, toutes mes infirmi- « tés corporelles et spirituelles, j'ai pensé plusieurs fois que «j'étais bien éloigné d'avoir les qualités qui sont nécessaires « pour soutenir le fardeau que vous m'avez imposé. Je désire « donc, au nom de Notre-Seigneur, qu'on cherche et qu'on élise « quelqu'un qui s'acquitte mieux, ou plutôt qui ne s'acquitte pas

104 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« si mal que moi de cette charge ; mais, quand même un autre « ne devrait pas mieux faire que moi, je souhaite qu'on le mette « à ma place.

« Ayant considéré cela mûrement, au nom du Père, du Fils et « du Saint-Esprit, je me dépose, et renonce simplement et abso- « lument au généralat. Je conjure en Notre-Seigneur, et de toute « mon âme, les profès et ceux qu'il leur plaira de consulter là- « dessus, je les supplie tous de recevoir ma démission que je « donne devant Dieu pour de si justes raisons. Mais, s'il y avait « quelque diversité d'avis parmi eux, je les supplie, par l'amour « de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de bien recommander la « chose à Dieu, afin que l'on fasse, en tout, sa très sainte volonté, « pour sa plus grande gloire et pour le plus grand bien des âmes « et de toute la Compagnie.

« Rome, ce jour de vendredi, 30 janvier 1551 ('°'),

« Ignace. »

Mais les Pères qui auraient éprouvé une inconsolable dou- leur, si la mort d'Ignace les avait mis dans la nécessité de le remplacer, furent si loin de se résigner à son abdication, qu'à l'exception du seul André Oviedo, homme d'une grande sim- plicité, tous déclarèrent unanimement que jamais, tant qu'il vi- vrait, ils ne consentiraient à laisser passer le gouvernement de la Compagnie dans d'autres mains. Oviedo lui-même était d'avis qu'on acquiesçât à la demande d'Ignace, uniquement par défé- rence pour lui ; car les autres Pères lui ayant demandé comment, seul entre tous, il différait d'opinion dans cette circonstance, il répondit que regardant leur Général comme un saint, il avait cru devoir soumettre son jugement au sien. Son erreur venait donc seulement de n'avoir pas su distinguer ce que les saints pensent dans leur humilité de ce qu'ils sont en réalité.

Ignace fut donc contraint de s'en remettre au jugement et à la volonté de ses enfants, jusqu'à ce qu'atteint de plusieurs graves infirmités, il crut que Dieu lui accordait enfin ce que les siens refusaient à son humilité. Alors il se déchargea sur le P. Jérôme Natal de presque tout le poids du généralat, ne se réservant que le soin des malades. Jamais il n'aurait repris les rênes du gouvernement, si l'amour du bien public n'avait pré- valu dans son cœur sur sa satisfaction personnelle. Le bien de

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la Compagnie lui parut en péril, dans les mains d'un homme qui, avec des intentions droites, mais avec un esprit trop entrepre- nant, semblait disposé à altérer quelques-unes des Constitutions. Ignace, en effet, les regardait comme des ordres du ciel et vou- lait les transmettre, dans leur pureté primitive, à ceux qui plus tard s'enrôleraient sous ses drapeaux.

On comprendra sans peine que celui dont l'humilité souffrait tant de se trouver à la tête d'un simple Ordre religieux était loin de désirer au dehors des dignités et des prélatures. La preuve en fut manifeste, lorsque le marquis d'Aguilar, ambassa- deur de Charles-Quint à Rome, et un des cardinaux lui dirent, un jour, uniquement pour plaisanter, qu'on le soupçonnait de cacher, sous le masque d'une sainte humilité et d'un zèle ardent, pour les intérêts du Saint-Siège, un grand désir d'obtenir le chapeau de cardinal. A ces paroles, son visage exprima une sainte indignation ; il se leva, se découvrit et pour toute réponse, après avoir fait le signe de la croix, il s'engagea par serment, à haute voix, de ne jamais accepter aucune dignité à moins d'y être contraint sous peine de péché mortel.

Quand saint Ignace fondait quelque œuvre importante et du- rable pour être utile aux âmes, sans en retirer aucune gloire, il avait soin de les conduire à ce point il ne restait plus qu'à y mettre la dernière main et à les confier à d'autres, afin qu'on leur attribuât un succès qui était véritablement son propre ouvrage. Il renonçait au titre et à la gloire de fondateur et se réservait seulement des peines et quelquefois des fatigues surprenantes : avec moins de courage et de zèle pour la ploire de Dieu, il n'aurait pas entrepris ces travaux, ou il les aurait promptement abandonnés.

Tout ce que j'ai dit jusqu'ici des humbles sentiments du Saint et de son profond mépris pour lui-même, n'égale pas à mes yeux cette humilité si entière, qui ne lui laissa jamais concevoir le moindre mouvement de vaine gloire dans les faveurs signalées que Dieu lui accorda si souvent, pendant les trente années qu'il vécut depuis sa conversion Au contraire, les fréquentes appari- tions du Sauveur et de sa sainte Mère, les ravissements d'esprit qui duraient quelquefois plusieurs jours, les merveilleuses visions qui lui découvrirent tout ce qu'un mortel peut pénétrer des mys-

106 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

tères les plus élevés, les célestes délices qui inondaient son âme, toutes ces diverses grâces enfin, étaient pour lui le sujet d'une profonde confusion, et il n'y voyait qu'une preuve de son extrême faiblesse à laquelle il fallait des secours si puissants pour la sou- tenir : de même qu'on reconnaît la vétusté d'un bâtiment et la ruine qui le menace au grand nombre d'étais dont on l'appuie. De là, cette pensée qu'il exprimait souvent, la rougeur sur le front, qu'il n'y avait peut-être pas au monde un homme chez qui les extrêmes fussent plus rapprochés, c'est-à-dire tant de péchés et tant de grâces, tant de châtiments mérités et de miséricordes reçues.

Il était tellement affermi dans l'humilité que, même pendant ces merveilleuses extases son corps était soulevé de terre et son âme perdue dans le sein de Dieu, il conservait encore ses pensées intimes sur sa misère et son indignité. Tout entouré d'une auréole céleste et son corps ne touchant plus à la terre, on l'entendait s'écrier : « O Dieu ! Dieu infiniment bon ! com- « ment pouvez- vous supporter un pécheur comme moi ? » Il ne parlait jamais de son âme qu'en termes de mépris, et, dans les commencements, il signait : « Pauvre en tout bien, Ignace ; De bo7idad t>obre ». Il se confondait en lui-même à la vue de ses compagnons, reconnaissant dans tous des traits de sainteté, dont il ne découvrait dans son cœur aucun vestige. Il deman- dait à Dieu de tarir pour lui ces sources si abondantes des consolations célestes qui remplissaient son âme. Vivant, il dési- rait être oublié ou méprisé de tout le monde, et mort, qu'on le jetât en pâture aux plus vils animaux.

Au reste, Ignace pouvait parler sans vanité de ces faveurs qu'il recevait du ciel ; car il se comparait à un tronc d'arbre vermoulu, mais incrusté d'or et de pierres précieuses, trésors de ceux qui l'ont ainsi orné, quoique le vieux bois mérite seu- lement d'être jeté au feu. Ce n'était pourtant qu'avec une ex- trême réserve, et quand il pouvait en résulter quelque utilité pour le prochain, qu'il laissait entrevoir ce qui attirait l'honneur ou le respect. Il conjurait le Seigneur de ne pas le choisir pour opérer des miracles qui, parmi les hommes, attirent presque tou- jours la réputation de sainteté.

Quant aux lumières prophétiques qui lui étaient quelquefois

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communiquées, le Saint les a fait connaître rarement, et seule- ment lorsqu'elles pouvaient encourager ses enfants ou sur les ordres mêmes de Dieu, pour annoncer longtemps d'avance l'établissement de cet Ordre dont le Seigneur l'avait destiné à devenir le Fondateur. L'honorer,c'était le couvrir d'une extrême confusion. Il était convaincu qu'il n'avait de son fond que mi- sère à pleurer. Aussi, ne comprenait-il pas comment les autres pouvaient, sans manquer à la vérité, trouver à le louer.

Le bruit courait, parmi les nôtres, qu'il avait pour gardien un archange. On ignore la source de cette tradition. Ce que je sais, c'est qu'après sa mort, à Modène, le démon, contraint par saint Ignace dont on avait invoqué le nom, au cours des exor- cismes, de sortir du corps d'une possédée, donna au céleste gardien du Saint le titre d'archange.

Le P. Laynez lui parla un jour de cette opinion, avec la con- fiance qu'autorisait la tendre amitié qui les unissait, et lui de- manda si elle avait quelque fondement; il n'en reçut aucune réponse, mais le visage d'Ignace se couvrit d'une vive rougeur.

Il traita bien autrement un frère qui disait à un de ses com- pagnons, avec l'accent de la conviction, qu'assurément le P. Ignace était un grand saint. Celui-ci reprit ce Frère sévèrement, en lui disant qu'il avilissait la sainteté, en l'attribuant à un pé- cheur tel que lui, et il le condamna à manger, pendant deux semaines entières, dans les lieux les plus vils de la maison.

Une réflexion du même genre coûta peut-être la vie au P. Jacques d'Eguia. C'était le confesseur d'Ignace. Le Saint l'avait en si haute estime qu'il disait, comme nous l'avons rapporté ail- leurs, qu'au ciel il serait élevé à un très haut degré de gloire et de beaucoup au-dessus de tous les nôtres. Malgré sa vieillesse et sa mauvaise santé, le P. d'Eguia se livrait à des austérités qui auraient dépassé la ferveur et les forces d'un débutant. Il passait presque toutes les nuits à converser avec Dieu dans une sublime oraison, et, si quelquefois le sommeil le surprenait, il se frappait les os des jambes contre un banc, jusqu'à ce que tout engourdissement eût disparu. Une des plus grandes conso- lations des Pères était de l'entendre parler de choses spirituelles ; son visage et son cœur s'enflammaient, et il embrasait ses audi- teurs d'un si grand amour de Dieu, qu'ils comparaient ses

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paroles à des flammes ardentes. Ce vénérable vieillard, connais- sait à fond lame d'Ignace et ne pouvait, malgré les sévères leçons qu'il avait reçues à ce sujet,retenir quelques paroles d'ad- miration,qui faisaient assez comprendre ce qu'il lui était défendu d'exprimer. On lui avait entendu former le vœu de survivre au Saint, ne fût-ce que de quelques heures, pour pouvoir, une fois libre de l'obéissance qu'il lui devait, révéler des choses secrètes qui rempliraient d'étonnement ceux qui les entendraient ; mais au rapport d'Olivier Manare, les Pères, qui vivaient de son temps, tinrent pour certain que ce désir et son motif furent précisément ce qui abrégea sa vie, et que saint Ignace, pour satisfaire sa propre humilité, obtint de Dieu que d'Eguia le précédât de quelques jours ; et ainsi, les saintes particularités qui auraient pu glorifier saint Ignace, même après sa mort, furent à jamais ignorées.

Il me reste à faire connaître en dernier lieu le trait le plus significatif de l'humilité de notre Saint. Peut-être, il est vrai, tous ne le discerneront pas à première vue. Quand les vertus ne se manifestent point, par des actes dont l'éclat frappe tous les regards, seuls les hommes expérimentés dans les voies de Dieu se rendent compte de leur perfection. On ne lira pas, je crois, sans intérêt, le fait qui a donné naissance en moi à ces réflexions.

La bienheureuse Marie Madeleine de Pazzi, religieuse carmé- lite, favorisée de fréquentes et authentiques visions, fut ravie en extase, le 1 8 décembre 1594. La très sainte Vierge lui apparut, placée entre saint Ignace et saint Ange, carme et martyr: elle conduisit les deux saints auprès de Madeleine pour lui enseigner, l'un la vertu d'humilité, et l'autre celle de la pauvreté. Saint Ignace parla le premier, et, comme il arrivait toujours dans ses extases, Madeleine répétait, d'une voix haute, mais entrecoupée, les paroles qu'elle entendait, et que je vais rapporter. « Moi « Ignace, je suis envoyé par la Mère de votre Époux pour « vous instruire sur l'humilité. Écoutez donc mes paroles. « L'humilité doit être versée dans le cœur des novices comme « l'huile dans une lampe. L'huile occupe toute la capacité de la « lampe ; l'humilité et la vraie connaissance de cette vertu doit « tellement remplir les puissances de leur âme, que de quelque

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« côté qu'elles se tournent, elles ne découvrent que douceur et « humilité. Une lampe ne peut éclairer sans huile; les novices ne « peuvent répandre dans le monastère la splendeur de la per- « fection et de la sainteté, si l'on n'a soin de leur faire con- « naître l'humilité et de les exercer continuellement dans cette « vertu. Il faut donc leur apprendre combien est indispensable « à une vraie religieuse la vertu d'humilité. L'humilité est la « reconnaissance non interrompue de leur néant et une joie « perpétuelle dans tout ce qui peut leur inspirer un sincère mépris « d'elles-mêmes, jusqu'à ce que toutes les puissances de leur « âme soient parfaitement réglées. Mais il faut faire en sorte « que chacune d'elles demeure ferme et tranquille dans les hu- « miliations auxquelles on la soumet, pour la faire arriver à « cette joie, en lui rappelant souvent que c'est précisément « ce que lui prêche son saint habit. Or, pour que le démon ne « trouve rien à gagner dans ces exercices humiliants, la maî- « tresse des novices doit user d'une sainte industrie. Lors donc « qu'elle entreprend de mortifier leur jugement ou leur volonté, « si elle aperçoit en elles de la résistance ou de la mauvaise hu- « meur, elle doit les reprendre avec force, même dans les « choses légères ; mais, tout en versant le vin de l'humiliation, « qu'elle ne manque pas d'y mêler un baume adoucissant, en lui « faisant connaître combien Dieu est glorifié par ces humilia- « tions, et combien elles leur sont utiles à elles-mêmes, de « manière à leur inspirer un tel amour de l'humilité qu'elles « ne pensent plus, qu'elles n'aspirent plus à autre chose, qu'à « cette vertu.

« L'humilité extérieure doit briller dans le langage, dans le « geste et dans l'action. Les discours qui ne respirent pas « l'humilité ne sont pas plus permis aux religieux que les blas- « phèmes aux gens du monde. Elles doivent avoir, pour les « gestes superbes, la même horreur qu'ont les séculiers honnêtes « des gestes contraires à la pudeur. Enfin elles doivent voir les « œuvres faites sans humilité d'un même œil qu'un roi verrait « son fils revêtu des habits d'un histrion. L'humilité des supé- « Heures doit être si bien connue par leurs exemples, qu'elles <{ n'aient pas besoin d'en faire des actes nouveaux pour appuyer « leurs exhortations et leurs reproches. Chacune des religieuses

110 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« doit être tellement pénétrée de cette vertu que les supérieures « puissent les transplanter à volonté, tantôt sur les montagnes, <?; tantôt dans les vallées, ou sur tout autre endroit. Il faut qu'elles « ressemblent aux pierres employées à la construction du temple « de Jérusalem, sur lesquelles on n'entendit point résonner le « bruit du marteau. S'il en est qui éprouvent de la répugnance « pour l'humilité, qu'on leur mette en main leur Époux crucifié, « en leur rappelant qu'elles doivent suivre ses exemples. « Jamais jusqu'à la mort, les religieuses ne devront aban- « donner les pratiques de l'humilité. Jamais les supérieures « ne devront se lasser de les exercer à une vertu si précieuse.

« L'humilité est l'échelle par laquelle on monte au ciel, mais « les échelons en sont si nombreux qu'on n'a jamais fini de les « monter. On ne peut donc trop multiplier les actes d'humi- « lité. Les âmes dépourvues de cette vertu, au lieu de s'élever « vers le ciel, ne peuvent sortir d'elles-mêmes, parce qu'il se « forme dans leur cœur une multitude de passions et de curio- « sites qui les occupent. De même que le Verbe incarné a fait <( de ses apôtres des pêcheurs d'hommes, de même il a chargé « ses épouses du soin de lui gagner des âmes. Mais finissons. « Je vous ai rassasié d'humilité ; il est temps de vous nourrir du « pain de la pauvreté ('°^). »

Voilà donc les instructions du bienheureux Ignace sur cette grande vertu d'humilité ; mais que la Mère du Verbe l'ait choisi pour l'enseigner à une sainte servante du Seigneur préférablement à tant d'autres saints qui vivaient alors sur la terre et jouissent maintenant de Dieu dans le ciel, cela seul peut prouver suffisamment à quel degré de perfection Ignace était parvenu dans cette vertu. Peut-être la meilleure manière de l'exprimer serait de dire qu'il avait réussi à cacher l'humi- lité sous l'humilité même, pour fuir jusqu'àl'estime qu'elle inspire. Il eut l'art admirable, en dissimulant les actions qui pouvaient le mettre en vue, de dissimuler le soin même qu'il mettait à les cacher. Qui ne l'aurait pas connu eût pensé non qu'il ca- chait ses vertus, mais qu'en réalité il ne les avait pas. Ce qu'il y a de plus exquis dans l'humilité, c'est d'embrasser l'humiliation et de fuir la gloire qu'on rencontre sur ses pas, pour paraître non point humble, mais vil et méprisable.

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Ignace avait été souvent sollicité par tous ses enfants de leur laisser, comme tant d'autres fondateurs l'avaient fait pour leurs religieux, quelques détails sur sa propre histoire. Tou- jours il s'y était refusé ; mais, craignant que ce refus même ne fût attribué à un sentiment d'humilité et au désir de cacher des faveurs merveilleuses qu'il aurait reçues, il consentit à les satisfaire, tout en faisant la part à son humilité.

Vers la fin de sa vie, il dicta au P. Louis Gonçalvès un récit simple et naïf de ce qui lui était arrivé, depuis le moment de sa conversion jusqu'à l'année 1543 ('°^). Il s'en rapporta au P. Natal pour rendre compte du reste de sa vie, et il se garda bien d'en charger le vénérable P. Jacques d'Eguia, son directeur, qui connaissait si intimement ses vertus et les faveurs qu'il avait reçues d'en haut ; mais en laissant une esquisse de sa vie et des preuves de la divine libéralité à son égard, il espérait persuader aux autres que ce qu'il n'avait pas fait connaître ou que le P. Natal ne savait pas, n'était pas digne de mémoire.

Quant à ses intimes communications avec Dieu, à son étroite union avec lui, à ces lumières surnaturelles qu'il eût peut-être difficilement fait comprendre, s'il l'eût essayé, jamais il n'en ré- véla un seul mot.

Nous devons à la bonté de Dieu, et non à Ignace, d'avoir conservé quelques fragments des notes qu'il écrivait chaque jour sur l'état de son âme et sur ce qui se passait entre Dieu et elle. Tout avait été brûlé, à l'exception de quelques feuilles quicomprennent seulement l'espace de quarante jours, et pourtant cet espace si limité contient tant et de si grandes choses, que l'on pourra juger, d'après ce que j'en rapporterai plus tard, quels tré- sors de grâces étaient renfermés dans son cœur ('°'*).

Par un semblable artifice de son humilité, il soumit les Con- stitutions à l'examen et à la censure de ceux de ses compa- gnons qui se trouvaient à Rome. Il savait qu'on ne changerait rien à ce qu'il n'avait écrit que sous l'inspiration et la dictée de Dieu ; mais il ne voulut pas qu'on pût le considérer, je ne dis pas, comme l'œuvre de Notre-Seigneur, mais même comme son œuvre personnelle. De même, quoiqu'il pût, d'après l'autori- sation des Souverains-Pontifes eux-mêmes,présenter ces Consti-

112 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

tutions comme définitivement fixées, il voulut réserver cet acte de pouvoir suprême à la Congrégation générale qui devait se tenir après sa mort. Cette mort même porta le sceau de sa mer- veilleuse humilité, car elle fut celle d'un homme sans importance et à peu près abandonné.

Il savait qu'il n'avait plus que quelques heures à vivre, et il avait par suite envoyé, vers le soir, demander au Pape sa dernière bénédiction. Mais, comme les médecins assuraient qu'il vivrait plusieurs jours encore, il profita de leur sécurité pour mourir comme il avait tâché de vivre, sous les yeux de Dieu seul, sans manifester la pensée qu'il en était arrivé à sa dernière nuit, sans désigner un vicaire, comme il l'avait fait une fois déjà pour lui aider à porter le poids de sa charge, sans se laisser veiller, sans se donner la consolation de bénir ses enfants, de leur parler une dernière fois, de les voir autour de lui pleurer et prier. On ne s'aperçut de son agonie qu'au moment il expira. Aussi, suis-je porté à croire à la véracité du démon, dans le té- moignage qu'il rendit un jour à l'humilité de saint Ignace. Exorcisé par un grand serviteur de Dieu et sommé de quitter le possédé, au nom de l'humilité de saint Ignace, il témoigna, par ses frémissements convulsifs, le tourment qu'il endurait,et s'écria: « Ignace était aussi humble que je suis orgueilleux. »

Gi[)apitre septième. :

Perfection de l'obéissance chez Ignace. Pratique de la pauvreté évangélique. Sentiments de gratitude pour les bienfaits. Nouveaux exemples de l'empire que saint Ignace exerce sur lui-même.

g^^^^^^g, 'OBÉISSANCE et la pauvreté sont filles

p de l'humilité : celle-ci nous dépouille de ce I que nous sommes, celle-là de ce que nous possédons ; toutes nous réduisent à ce néant J que l'humilité désire. Quant à l'obéissance, B Ignace, comme chef de la Compagnie, eut peu d'occasions de l'exercer ; mais s'en pré- sentait-il une, on voyait aisément que la pratique n'en serait pas moins parfaite que la théorie. Pendant le temps qu'il voulut servir à la cuisine, il se montrait aussi soumis, aussi attentif aux ordres du Frère cuisinier, qu'aurait pu l'être un novice dans sa première ferveur. Il obéissait aux médecins avec un entier abandon de sa volonté : il rompit une fois, d'après leur avis, le jeûne du carême qu'il avait continué avec plus de courage que de forces jusqu'au mercredi-saint, et il ne crut pas devoir plaider pour le peu de jours, pendant lesquels il aurait pu encore satis- faire sa piété ; mais il obéit simplement et fit à Dieu le sacrifice de sa volonté qui lui est plus agréable que de martyriser sa chair, en luttant contre l'obéissance. Le Saint poussait l'obéis- sance à l'égard des médecins, jusqu'au péril de sa vie. Un jeune homme inexpérimenté, qui le traitait pour de grandes douleurs d'estomac, jugea qu'elles procédaient d'un refroidissement, tandis qu'une grande chaleur intérieure en était la seule cause. Il lui fit donc donner des boissons très chaudes, lui prescrivit de fermer avec soin les portes et les fenêtres, pour que l'air exté- rieur ne pût pénétrer, et l'accabla de couvertures pendant les chaleurs de la canicule.

Histoire de s. Ignace de Loyola. H.

114 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Ignace sentait bien que ce traitement lui était mortel : il se tut cependant et le supporta. Ni l'excès de ses souffrances, ni l'ardeur de sa soif, ni ses défaillances, ni ses transpirations surabondantes ne purent lui arracher une seule parole de blâme. Enfin, tout à fait épuisé, il chargea un des Pères de l'admi- nistration de la maison, et, voulant se préparer tranquillement à la mort, il défendit que personne, excepté l'infirmier, entrât dans sa chambre.

On comprit alors les effets violents que produisait sur lui l'insupportable chaleur à laquelle on le condamnait, et l'on appela promptement Alexandre Petronio, habile médecin, très dévoué à saint Ignace. Le trouvant réduit à cette extrémité, le docteur se récria sur l'ignorance du jeune homme qui le soignait. Il fit aussitôt enlever les couvertures, aérer la chambre, et, répa- rant par un régime contraire les forces épuisées du malade, il le délivra en peu de temps de toutes ses douleurs.

On peindrait difficilement la promptitude de son obéissance envers le Souverain-Pontife et sa disposition à lui soumettre son propre jugement. Du jour il s'était remis entre ses mains, par le vœu qu'il avait fait d'aller, pour le service de l'Église, dans tel lieu il plairait à son chef visible de l'en- voyer, il n'eut même pas le désir d'être employé dans un pays plutôt que dans un autre ; sa volonté était toute aux ordres de celui à qui il l'avait remise. Un jour, la Compagnie n'était pas encore confirmée par l'autorité apostolique le P. Laynez se mit à dire que l'espérance de passer en Terre-Sainte étant perdue, il s'estimerait heureux d'aller aux Indes, travailler à la conversion des infidèles. « Pour moi, dit Ignace, je n'éprouve « ni ce désir, ni aucun autre semblable, et, si je l'éprouvais, je le « repousserais. » Le P. Laynez parut surpris de ces paroles ; alors Ignace ajouta : « Ne sommes-nous pas engagés par vœu à « nous porter, par obéissance au Saint-Père, en tel lieu qu'il « lui plaira de nous désigner ? Je dois donc être également « disposé à aller d'un côté ou de l'autre, et l'Orient ou l'Occident « ne m'attire pas plus l'un que l'autre. Si comme vous, je sen- « tais une préférence, je la combattrais, et je tâcherais de me « mettre dans une disposition d'absolue indifférence pour tout « ce qui pourrait m'être ordonné. »

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE VII. 115

. Dans sa vieillesse et dans un état de souffrance presque con- tinuelle, on entendit le Saint dire plus d'une fois, que tout infirme qu'il était, au premier signe du Saint-Père, il partirait son bâton à la main, pour aller à pied jusqu'en Espagne, ou, si c'était nécessaire, il se rendrait à Ostie, ancien port de Rome, et là, s'embarquerait sans provisions, sur le premier vaisseau venu, fût-il sans agrès, sans voiles ni rames, sans vergues, sans mât ni gouvernail, et qu'en obéissant ainsi, il n'aurait aucune répugnance à surmonter, mais qu'il éprouverait au contraire la plus douce satisfaction. Ces paroles arrivèrent un jour aux oreilles de l'un de ces sages qui pèsent dans une même balance les choses de Dieu et celles du monde. « Alais, Père Ignace, lui « dit-il, d'un air un peu railleur, que feriez-vous donc de votre « prudence ? La prudence, répondit le Père, n'est pas la vertu « de celui qui obéit, mais de celui qui commande ; et la seule « manière d'agirprudemment,en obéissant, est de renoncer plutôt « à être prudent qu'à cesser d'obéir. »

Le Saint appelait quelquefois la pauvreté, le mur d'appui d'un Ordre religieux ; il l'aimait comme une mère, lui donnait même d'ordinaire ce nom et voulait qu'elle fût portée dans la Compagnie au plus haut point compatible avec son Institut, dont le service du prochain est la fin. Or, de notre part, le désir de lui être utile nécessite des études longues et assidues. C'est pourquoi notre Fondateur,qui savait par l'expérience de plusieurs années, combien l'étude et la mendicité sont incompatibles, éta- blit sagement que les collèges ou se tiennent les écoles seraient dotés; que les noviciats devant être considérés comme faisant partie des collèges et en quelque sorte leur pépinière, léseraient aussi ; au contraire, les maisons professes vivraient d'aumônes : elles ne sont en effet, que des hôtelleries des voyageurs ne s'arrêtent qu'en passant et sont toujours prêts à se rendre n'im- porte où les missions les réclament. Au reste, les revenus des collèges étant un bien commun, peuvent s'allier parfaitement avec la pauvreté individuelle : chaque Père n'est ni plus riche dans les collèges riches, ni plus pauvre dans ceux qui le sont moins. On fournit à chacun ce qui lui est nécessaire pour vivre pauvrement et travailler ; mais au-delà, il n'est permis à per- sonne de rien posséder en propre. Celui qui passe d'un collège à

116 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

un autre ne peut emporter avec lui que ses écrits, seule chose qui lui appartienne en propre. Ce qui lui sera nécessaire pour la vie, le vêtement, le travail, il le trouvera dans le lieu oi^i on l'envoie et en usera comme d'une chose qui appartient à cet office ou à cette maison, mais non à lui personnellement. Quelque aug- mentation que puissent éprouver les revenus d'un collège, le nombre des sujets seul varie et s'accroît en proportion ; mais pas un particulier ne s'en trouvera mieux, et personne ne pourra disposer pour son propre compte d'une obole de plus qu'aupa- ravant. Ce qui a été jugé nécessaire continue à être régulière- ment accordé dans les conditions précédemment établies; c'est ainsi qu'on ferme la porte à tout esprit de propriété. L'expérience a démontré que cet esprit finit toujours par s'introduire dans les Ordres le besoin se fait sentir : les supérieurs sont forcés de fermer les yeux sur ce que les religieux se procurent, lors- qu'ils ne peuvent leur fournir le nécessaire ; ceux-ci finissent par se l'approprier et ce que le besoin a introduit, l'amour de l'ai- sance le maintient.

Nos maisons professes sont privées de tout revenu fixe, même pour le service de leurs églises. Quelque réduites qu'elles puis- sent être, elles ne peuvent rien recevoir des collèges, même à titre d'aumônes; autrement, certaines que la charité des recteurs ne leur ferait jamais défaut, elles ne dépendraient plus unique- ment de la providence de Dieu et l'on ne pourrait pas dire qu'elles n'ont du côté des hommes aucun secours assuré. A ce sujet j'ai trouvé que, d'après un ordre particulier du P. Laynez, alors Général de l'Ordre, les recteurs des collèges, vers la fête de Noël, étaient, chaque année, obligés d'affirmer sous serment qu'ils n'avaient rien fourni aux maisons professes. Voici la for- mule de leur serment : « Je prends respectueusement à témoin « Dieu, l'éternelle vérité, que rien, du moins à ma connaissance, « n'a été détourné des biens temporels du collège pour l'avantage « des profès ou de leurs maisons, ainsi qu'il est réglé par les « Constitutions de la Compagnie ('°'). »

Si j'attribue cette mesure au P. Laynez, c'est uniquement par rapport à l'époque fixée pour ce serment; car, du temps de saint Ignace, il était déjà en usage, et on conserve encore celui du P. Jean Pelletier, recteur du Collège Romain, écrit de sa main,

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE VII. 117

en 1551. Conformément à cette règle, Ignace abandonna au Collège Romain un riche présent en cire, que les Pères de Pa- lerme avaient offert à la maison professe.

Si l'on avait besoin pour un malade d'un flacon de vin, il ne permettait de le recevoir du collège qu'en l'échangeant contre quelque objet de même valeur, et il aimait à répéter qu'entre les collèges et les maisons professes, il existe un abîme infranchissable, Magmim chaos. Les profès font vœu de maintenir intacte la ri- gueur de la pauvreté dans Compagnie et de n'y souffrir aucune altération, si ce n'est pour en resserrer l'observance ; c'est le pre- mier des vœux simples qu'ils ajoutent aux quatre vœux solennels.

On ne saurait comparer l'amour d'Ignace pour la pauvreté qu'à la joie qu'il ressentait d'en recueillir les fruits : du premier jour il embrassa la croix de Jésus-Christ, son dépouillement fut entier. Aussi, le vit-on n'avoir d'autre asile que dans les hô- pitaux ou en rase campagne, porter pour vêtement un mauvais sac de toile grossière.vivre d'aumônes et les partager encore avec les pauvres, ne se réservant que le strict nécessaire pour les be- soins du jour. Il ne voulut jamais se pourvoir d'argent ; et, si les instances de quelques âmes pieuses le forçaient d'en recevoir, il le laissait à l'abandon sur le bord de la mer, ou le donnait au premier malheureux qu'il rencontrait.

Quand il fut devenu Général de la Compagnie, il vécut dans le même dénûment que le dernier de ses Frères. Une bible, un missel et le petit livre de \ Imitation composaient toute sa biblio- thèque. Sa chambre, comme celle que la femme sunamite avait préparée à Elysée, avait pour tous meubles un lit, une table, une chaise, un chandelier. Quoique les Pères, qui arrivaient de loin à Rome, fussent reçus dans la maison, la table était si pau- vrement servie.qu'on y trouvait à peine la subsistance nécessaire.

Un jour, Nicolas Bobadilla, prenant sa part de certains ali- ments grossiers qui pouvaient l'incommoder, parce qu'il était mal portant, dit avec enjouement : « Une petite dose de poison « ne saurait nuire;» Modiaimveneninonnocet. Et en effet, la por- tion était si exiguë qu'eût-elle été vénéneuse, il n'aurait guère pu s'en ressentir. Ignace reprit avec sévérité le ministre et le dépensier parce qu'ils lui avaient fait servir une grappe de raisin un jour les autres Pères n'en avaient pas eu.

118 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Son amour pour la pauvreté se distinguait par une générosité qui eût été admirable même chez les riches. Quelque dénué qu'il fût, jamais il ne contesta avec personne pour des intérêts tem- porels ; loin de témoigner du mécontentement de son dénûment, il cédait le peu qu'il avait. Il avait coutume de dire que cette manière d'agir n'était pas seulement conforme à l'esprit d'un détachement chrétien, mais qu'elle procurait encore deux grands biens : j'un spirituel, puisqu'un acte de charité est préférable à tous les trésors du monde ; l'autre temporel, car le Seigneur ne montre jamais plus sa libéralité qu'envers ceux qui s'aban- donnent à lui.

Aussi, ne souffrait-il pas qu'il s'élevât jamais entre les Pères la plus légère contestation sur les intérêts de la Compagnie. Un jour, deux recteurs n'étant pas d'accord sur un point qui con- cernait leurs collèges respectifs, il leva bientôt la difficulté en les changeant de poste et en envoyant l'un gouverner le collège de /l'autre. Pendant plusieurs années, il fut le directeur de Margue- rite d'Autriche,fille de Charles-Quint {'°^). Souvent cette princesse lui envoyait des sommes considérables à distribuer en aumônes. Son désir était, Ignace le savait, qu'elles fussent appliquées, en tout ou en partie, aux besoins de la Compagnie ; le Saint ne voulut jamais en employer une obole à cette fin ; il avait soin de les distribuer dans divers établissements pieux et d'en tenir un compte exact. Non seulement il faisait ainsi l'aumône de ce qu'il aurait pu faire servir aux besoins de ses frères, mais il sou- lageait encore des misères étrangères avec les modiques res- sources que réclamaient le soutien de la maison.

Un jour que certain cardinal, excessivement riche, lui avait adressé, pour en obtenir des secours, un pauvre gentilhomme, Ignace lui fit donner tout l'argent qu'on put rassembler dans 'la maison, et exprima le regret de n'être pas aussi bien pourvu que le supposait le cardinal, qui, pour cette raison sans doute, lui avait envoyé ce seigneur au lieu de le secourir lui- même. Le Saint s'étudiait toujours à épargner tout autant la honte des malheureux qu'à secourir leurs besoins. Quand il rencontrait des personnes honorables tombées dans le besoin, ou dont le travail ne suffisait pas à soutenir la nombreuse famille, il leur procurait quelques légères occupations qu'il

LIVRE QUATRIEME. CHAPITRE VII. H9

payait largement, afin que le denier de la charité pût passer pour le salaire du travail.

A cet amour de la pauvreté, qui le rendait si libéral pour les infortunés, Ignace joignait la reconnaissance, ce cachet particu- lier d'une âme noble. La sienne ne se mesurait pas sur le bienfait, mais il offrait en retour tout ce qu'il était en son pouvoir d'accorder. Il en usa ainsi avec Jean Pascual,qui l'avait recueilli dans sa maison, comme je l'ai rapporté dans le premier livre de cette histoire ; il lui apparut, après sa mort, pour le consoler et lui renouveler l'assurance de son salut éternel. Déjà il s'était dépouillé en sa faveur d'un petit crucifix qu'il portait toujours sur sa poitrine, et qui était l'unique compagnon de ses pèlerina- ges et son seul consolateur dans ses afflictions. Ignace donna de même à un clerc, nommé Cavalla, qui lui apportait des aumônes pendant sa maladie, à Manrèse, la seule chose qu'il possédât, un livre contenant l'office de la Vierge ; faibles dons, il est vrai, mais signes de la profonde gratitude de celui qui n'avait rien!

Il donnait le nom de mère à Isabelle Roser, qui lui avait fait à Barcelone d'abondantes aumônes, et, après la fondation de la Compagnie, il fut pendant longtemps, à Rome, son confesseur et son directeur. Il regardait comme son premier et son principal bienfaiteur le cardinal Gaspard Contarini, qui lui avait donné' un puissant appui, pour obtenir du Souverain-Pontife l'appro- bation de son Ordre. Au roi et au cardinal de Portugal qui avaient accueilli la Compagnie dans leurs états, avec une mu- nificence vraiment royale, il écrit que la Compagnie est comme leur propriété et qu'ils peuvent en disposer à leur gré. En 1553, par une circulaire spéciale adressée à toute la Compagnie, il donna à tous ses prêtres l'ordre exprès de recommander chaque jour, au saint Sacrifice, le roi, la reine et tous les princes, en reconnaissance des grands bienfaits que la Compa- gnie en avait reçus.

11 protesta toujours de ses impérissables obligations envers le duc de Ferrare, le cardinal de Sainte-Croix, Jean de Vega, vice-roi de Sicile et les Pères Chartreux qui avaient donné à la Compagnie les marques d'un attachement particulier. Ne pou- vant rendre d'autres services, il offrait pour eux ses prières et celles de ses religieux.

120 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Il n'en agit pas autrement envers ceux de nos Pères aux- quels la Compagnie devait son accroissement ou quelque bien- fait singulier. Il écrivit à saint François Xavier qu'il ne pourrait jamais l'oublier, et ce fut pour le saint apôtre, qui aimait Ignace de l'amour le plus ardent, la plus précieuse des récompenses. Il ordonna au P. Jérôme Natal d'avoir soin, comme delà prunelle de ses yeux, du P. Michel Torrès, dont il était l'obligé ('°^). Il disait de Jacques Laynez que la Compagnie ne devait autant à aucun autre, et il l'appelait tout son bien, tout son trésor.

Mais sa reconnaissance se manifesta surtout envers le P. Pierre Codace. Ce religieux fut le premier d'Italie qui entra dans la Compagnie, et, pour le faire, il abandonna la cour du Souverain- Pontife dont il était très aimé. Admis dans la Compagnie, il l'aima tendrement et s'industria de toute manière pour lui venir en aide et lui procurer les ressources nécessaires à l'entretien de ses nombreux enfants, qui alors, vivaient tous à Rome, sur les fonds de la charité publique. Il parvint même à établir une fondation pour la maison professe, suffisante à cette époque ; beaucoup appelaient la Compagnie, à cause de cela, XOrdre du P. Pierre. Or un jour de fête, après le repas, Ignace se leva, et, se découvrant devant le P. Codace, il le remercia pour les services qu'il avait rendus à la Compagnie. Puis, il lui offrit un cierge comme à un fondateur, et en même temps un nombre considérable de messes et de prières dites à son intention. L'excellent P. Codace fondait en larmes ; pour obéir au Saint, il accepta le cierge ; mais il le rendit à saint Ignace disant que, par sa seule admission dans la Compagnie, il avait contracté une si grande dette que, même en se dépensant beaucoup plus pour cette mère, il n'en payerait que la minime partie. De plus, le P. Polanco, secrétaire de saint Ignace, laissa un billet écrit de sa main, pour rappeler à ses successeurs les intentions de saint Ignace, à l'égard de ce fondateur : notre Père voulait que, s'il venait à mourir avant le P. Codace, sa reconnaissance au moins lui survécût. Voici comment s'exprimait le P. Polanco: « C'est rint(intion de notre Père Maître Ignace que le P. Pierre « Codace ait toujours la préséance sur tous les profès, sur les « premiers comme sur les derniers ; que, chaque année, on lui « fasse hommage d'un cierge comme aux autres fondateurs ;

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« qu'on célèbre pour lui le saint Sacrifice, et qu'après sa mort,on « place son épitaphe dans notre église. Telles furent les recom- mandations du Saint, mais il est vraisemblable que le P. Pierre Codace, homme d'une singulière humilité, sera parvenu à dé- tourner de lui ces marques de distinction, surtout l'épitaphe.

Quand saint Ignace envoyait nos Pères dans quelque pays, il leur recommandait de visiter, dès leur arrivée, nos bienfai- teurs et de leur remettre de sa part des reliques ou d'autres pieux souvenirs : il leur faisait rendre compte des travaux apostoliques de nos ouvriers, surtout de Xavier dans les Indes. Pour rendre service, il oubliait ses propres nécessités et faisait passer leurs intérêts avant les nôtres. C'est de la sorte qu'il se conduisit à l'égard de Jérôme Arcé, bienfaiteur de notre mai- son de Rome. Ce seigneur, à son arrivée d'Espagne, tomba gravement malade : la saison était dangereuse, et nous-mêmes, nous avions dans la maison de nombreux infirmes. Ignace ré- pétait souvent que son unique inquiétude était le soin des malades. Malgré cet embarras, il ne put supporter la pensée qu'un ami et un bienfaiteur manquât de ce qui lui était néces- saire dans sa triste situation. Il lui envoya le seul Frère infir- mier qui nous restât et ne permit pas que ce Frère le quittât un instant, jusqu'à son entière guérison. Chaque jour, Ignace le visitait lui-même, et apportait autant de consolation à son âme que de soulagement à ses souffrances.

Dans une autre occasion, son éloignement ne lui permettant pas de porter secours à'une ancienne bienfaitrice,iiravait confiée à la charité de ses enfants et les avait chargés en termes d'une exquise délicatesse de lui témoigner, par tous les moyens en leur pouvoir, la reconnaissance qu'il lui portait. Elle s'appelait Mencia de Bénévent et possédait une grande fortune dans le temps Ignace demeurait à Alcala ; elle lui fournissait des aumônes assez abondantes, pour qu'il pût vivre lui-même et distribuer encore des secours aux pauvres. Plus tard, des revers la réduisirent au dernier degré de la misère; mais, lorsque Ignace l'apprit, il la recommanda avec les plus vives instances à la charité du P. François de Villanueva, recteur du collège d'Alcala. Cette maison commençait à s'établir, et on s'y trouvait encore si dénué du plus rigoureux nécessaire qu'on n'y avait ni cou-

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vertures, ni rien qui pût y suppléer, pour se préserver du froid de l'hiver, pendant la nuit. On se couchait, enveloppé dans ses pauvres habits ; il en étnit de même de la nourriture quoti- dienne ; le jeûne était véritablement perpétuel.

Néanmoins les Pères etVillanueva le premier, sur leur portion modeste, en prélevaient une partie et la disposaient dans un plat, qui à cette intention était placé au milieu de la table. Ces minces offrandes réunies formaient, pour la bienfaitrice de leur Père bien-aimé, une portion bien plus considérable que chacune des leurs en particulier.

Autre preuve de reconnaissance d'Ignace et de son généreux amour pour la pauvreté. Un seigneur vénitien, le prieur André Lipomani, pour fonder un collège de la Compagnie à Padoue, s'était dépouillé de son prieuré, ne se réservant que ce qui lui était indispensable pour vivre ; mais saint Ignace remit entre ses mains, par un acte écrit, toute l'administration du revenu, défendit à ses religieux d'en exiger la moindre obole, à titre de propriété, et leur enjoignit de recevoir, comme aumône, ce qu'on voudrait bien leur en donner pour leur sub- sistance. Il fit plus ; il aliéna une partie du fonds de ce même prieuré, et en fit au neveu de son bienfaiteur une rente annuelle de 400 écus ; mais celui-ci défendit à son neveu de la recevoir, ne voulant pas que ce qu'il avait donné à Dieu redevînt la propriété de sa famille.

Passons maintenant à ces vertus qui semblent avoir été plus spécialement le partage d'Ignace. Aucune en lui ne fut plus éminente que le merveilleux empire qu'il exerçait sur tous les mouvements de son cœur ; il le poussa jusqu'à l'héroïsme, et ceux qui vécurent longtemps et familièrement avec lui disaient que toutes ses actions portaient manifestement l'em- preinte de la vertu et de la raison. Au jugement de Laynez et de Frusius ('°^), ses amis intimes, suivre les impressions de la grâce semblait pour lui un mouvement naturel, un penchant en harmonie avec son caractère propre. Cependant saint Ignace était bien loin d'avoir un esprit lourd ou un tempérament apathique. Les médecins le crurent souvent, et attribuèrent à un fiegme naturel cette apparente immobilité des passions, qui était seulement l'effet d'un long et constant travail, pour vaincre

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les émotions de la colère, à laquelle il était porté par tempé- rament. Deux Espagnols d'un esprit élevé et pénétrant, les PP. Michel Torrès et Christophe Madrid (^°^), trouvèrent dans cet empire absolu sur des passions naturellement impétueuses une si convaincante preuve de la perfection la plus consommée, que cela seul les conduisit à devenir pour toujours disciples d'Ignace et membres de la Compagnie.

Aucun événement, quelque important ou imprévu qu'il fût, ne parvenait à produire sur lui une impression extérieure de joie ou de tristesse. Aussi, tous les instants de sa vie étaient-ils marqués au coin d'une parfaite égalité d'âme ; partout et tou- jours il était le même. Si on avait une affaire à traiter avec lui ou une grâce à lui demander, qu'il fûl malade ou bien portant, tranquille ou persécuté, on n'avait jamais à craindre que ces circonstances accidentelles influassent sur ses décisions. Un de nos Pères, oubliant sans doute cette rare impassibilité, le vit un jour revenir après avoir longtemps et inutilement attendu une audience du Saint-Père : il le supposa fatigué, et s'abstint de lui parler d'une affaire qu'il devait traiter avec lui. Le lende- main, au moment d'aborder le Saint, il s'excusa par cette même raison du retard qu'il y avait apporté. Ignace l'en reprit si sé- vèrement, que, rempli de confusion, le Père passa plus d'une semaine, sans oser le regarder ni lui parler.

Comme son âme, son visage était imperturbable, et ses enfants disaient de lui qu'il avait déjà la figure d'un bienheureux.tant était continuelle la sérénité de ses traits. L'archevêque de Tolède, D. Gaspard de Ouiroga, qui passa quelque temps avec lui, à Rome, ne pouvait se lasser de le regarder. Ignace savait pourtant altérer sa physionomie, quand il le jugeait nécessaire, pour donner plus de force à une réprimande; et alors il simulait si bien la colère ou l'indignation qu'on aurait cru son cœur véritablement ému ; mais jamais il ne se départit de la dignité. La mer, dit saint Ambroise, n'a pas moins de majestueuse beauté dans une grande tempête que de charme tranquille sous un ciel serein. Il en était de même de saint Ignace, quand il affectait d'être courroucé. Au moment même il faisait tomber à ses pieds, muets et éplorés, des hommes du plus haut mente, il y avait sur son visage plus de majesté encore que de colère.

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Et cette dernière impression disparaissait, dès que le coupable s'était retiré, car elle n'était pas un éclat désordonné de la colère, mais un acte voulu et raisonné.

Il montra en mille occasions cette énergique tranquillité d'âme et cette indépendance des événements les plus imprévus. Quelques traits suffiront à nous en donner une idée.

Un jour, il arriva que, pour envelopper une tumeur qui lui était venue à la gorge, un infirmier appliquait au cou d'Ignace une bande qui lui couvrait aussi les oreilles. Le Frère voulut même l'assujettir, par une couture ; mais, sans s'en apercevoir, il perçait l'oreille même avec son aiguille. « Prenez garde, « F. Jean Paul ; il me semble que vous cousez mon oreille », dit saint Ignace, sans donner le plus petit signe de souffi'ance ou de mécontentement.

Une autre fois, qu'il était allé voir un bâtiment en construc- tion, à la maison de campagne du collège, près Sainte-Balbin-e, en descendant les marches d'un escalier volant, le pied lui manqua, dès la première ; il roula jusqu'au bas de l'escalier, sans pouvoir se retenir, et faillit donner de la tête contre un mur qui se trouvait en face. Le P. Jacques de Guzman, qui se trou- vait avec lui, le tint pour mort ; mais Dieu le protégea contre toute attente. Arrivé au pied de l'escalier et près de se briser contre le mur, comme si une main céleste l'avait retenu, il s'arrêta subitement et se releva. Un tel péril n'amena néan- moins aucune émotion sur son visage ; il ne se retourna même pas, comme il est naturel en pareil cas, pour regarder en arrière et voir au moins d'où il était tombé, et il continua sa visite avec la même tranquillité que s'il fût descendu sans accident.

Dans une autre circonstance, Ignace était chez des personnes pieuses, avec lesquelles il s'entretenait des choses de Dieu, quand un messager, qui paraissait fort troublé, vient lui faire tout bas une communication. « C'est bien, » dit le Saint, et il le renvoie. Puis, pendant une heure entière, il continue l'entretien, sans qu'aucune altération paraisse dans ses traits. Au moment il allait se retirer, on lui demande si ce messager ne lui a pas apporté quelque mauvaise nouvelle. « Rien autre chose, dit- « il, sinon que les gens de justice sont venus saisir nos meubles, « pour l'acquit d'une dette de quelques écus que nous avons

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« été obligés de contracter. Mais, s'ils enlèvent nos lits, nous « dormirons très bien sur le plancher, et cela convient fort à de « pauvres gens comme nous. Je demanderai seulement qu'on « me laisse quelques manuscrits ; mais, si on veut les emporter, « je ne contesterai point pour cela. » Les choses pourtant n'al- lèrent pas plus loin. Jérôme Astalli, gentilhomme romain qui était tout dévoué à Ignace, répondit de la dette, et Dieu lui- même l'acquitta le jour suivant, en inspirant au docteur Jérôme Arzé qui ignorait le dénuement actuel des Pères, d'envoyer à la maison une aumône de cent écus, avec laquelle on satisfit les créanciers.

Notre bienheureux Fondateur fut plus longtemps et plus péniblement traversé par un homme, étrangement prévenu contre lui et contre les Pères, sans qu'on pût en savoir la cause. Quand il les vit établis dans une maison contiguë à la sienne, et sans aucun moyen de les en chasser, il commença par s'em- parer de leur cour et par l'enclaver dans la sienne ; puis, il la remplit d'animaux très bruyants ; de plus, il faisait chez lui un tel tapage que les chambres qui donnaient de ce côté étaient absolument inhabitables.

Le réfectoire ne pouvait recevoir de jour que par cette cour : mais jamais notre homme ne voulut souffrir qu'on y perçât des fenêtres, et, pendant huit ans que durèrent ces tra- casseries, on fut obligé d'éclairer la salle avec des lampes en plein midi.

En agissant ainsi, cet homme ne cédait pas seulement à son mauvais naturel, il espérait, par ces tracassières persécutions, forcer saint Ignace à lui acheter sa maison à un prix exorbitant. En attendant, il répandait dans Rome que les Pères ne lui laissaient aucun repos et faisaient tout pour le chasser de chez lui. Cependant il finit par se rendre si absolument insupportable qu'on céda à sa cupidité, et moitié par emprunts, moitié à l'aide d'aumônes, on lui donna de sa maison le prix qu'il en voulait avoir. Il la quitta enfin ; mais on eût pu croire qu'au lieu de la vendre, il l'avait abandonnée comme en temps de guerre, au pillage des ennemis ; car il en enleva les portes, les fe- nêtres, les grilles de fer, et même les pierres qu'il put en détacher.

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Pendant cette persécution acharnée.qui dura neuf ans, Ignace non seulement s'abstint d'intenter un procès au fâcheux voisin, mais on ne lui entendit jamais exprimer ni plainte, ni ressenti- ment, ni l'ombre même d'un déplaisir : il prit possession de cette maison, comme si elle lui avait été cédée par courtoisie, et parfaitement meublée.

Voici une autre occasion saint Ignace fit preuve de cette parfaite possession de lui-même.

En 1555, les affaires de Naples commencèrent à agiter Rome. Le pape Paul IV, trompé par des informations malveillantes, envoya le gouverneur de Rome, le procureur fiscal et tous ses gens, visiter notre maison et chercher un dépôt considérable d'armes qu'on y disait cachées.

Notre vénérable Père reçut cette visite avec un visage serein, ordonna à son secrétaire d'accompagner cette nombreuse troupe, et de la conduire dans toutes les parties de la maison. Les re- cherches finies sans avoir amené aucune découverte, Ignace, avec la même sérénité que s'il eût reçu une visite d'égards et de politesse, reconduisit jusqu'à la porte le gouverneur et tous ceux qui l'accompagnaient.

Pourrait-on, au reste, s'étonner qu'une descente de la justice, dans sa maison, n'eût pas troublé son âme, quand on sait que l'anéantissement de sa chère Compagnie n'aurait pas altéré sa paix ? Quelques instants de recueillement, tout au plus, eussent suffi pour lui rendre son calme accoutumé. Pendant une mala- die, les médecins lui avaient défendu de fixer sa pensée sur tout ce qui aurait pu lui causer de l'afi^iction. Après avoir calculé dans son esprit les malheurs qui auraient pu lui arriver et produire en lui une première impression de douleur, Ignace n'avait rien trouvé que la destruction de la Compagnie, et « encore, ajoutait-il, si cela n'arrivait pas par ma faute, quand « je la verrais se dissoudre comme quelques grains de sel dans « un verre d'eau, un quart d'heure passé devant Dieu rétablirait « la tranquillité dans mon âme. » Et pourtant cette œuvre, si éminente entre toutes les siennes, lui avait coûté d'immenses travaux et de longues souffrances, et il prévoyait tout ce qu'elle pourrait un jour procurer de gloire à Dieu et rendre de services à l'Eglise ! Mais quoique le trône de Dieu soit dans le ciel,

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Cœhnn sedes mea, Is., lxvi, i, comme le remarque saint Augustin, le ciel pourrait s'écrouler sans que Dieu en fût ébranlé: Non sic est in cœlo, quasi subtracto cœlo, l'uinmn sine sede for- midet. Psalm. cxiii, i. Ainsi les saints, quelque grand, quelque glorieux que puisse être l'objet qu'on leur enlève, demeurent établis et ne se laissent point émouvoir, parce qu'ils s'appuient uniquement sur la volonté de Dieu.

On peut juger de la sincérité des paroles qu'on vient de lire sur la destruction de la Compagnie, par ce qu'il fit au moment on apprit l'élection au Souverain- Pontificat de Paul IV. Au premier instant, le visage d'Ignace s'altéra; mais ce fut la seule fois qu'on put observer une pareille impression. Aussitôt il s'en- fonça en quelque sorte en lui-même, avec l'aspect pensif d'un homme qui étudie une grave affaire ; ensuite il entra à la chapelle et y resta quelques moments en oraison ; puis il revint au milieu des siens avec sa sérénité première, et leur dit : « Nous aurons un « Pontife ami, quoique la Compagnie doive en attendre des « épreuves pour sa patience. »Et c'est ce qui arriva.

En effet, tant qu'Ignace vécut, Paul IV se montra envers lui tantôt affable, tantôt sévère, suivant ses impressions du moment.

Après la mort d'Ignace, quand le P. Laynez fut nommé Vicaire-général et qu'il vint l'annoncer au Pontife, celui-ci le reçut avec les témoignages de la plus grande affection, le con- duisit dans son cabinet particulier et causa longuement et fa- milièrement avec lui, avec de grandes démonstrations de bien- veillance. Laynez ayant raconté aux Pères cette réception, quel- ques-uns pensaient que leur saint Fondateur avait déjà contribué par ses prières à réaliser la première partie de sa prédiction; car c'étaient d'heureux présages, sur lesquels on pouvait fonder de grandes espérances : mais peu de temps s'écoula, avant que les choses changeassent d'aspect, et que la seconde partie de la prédiction d'Ignace ne fût vérifiée.

Laynez, obligé pour diverses affaires de retourner auprès du Pontife, ne put obtenir une audience. Exclu à plusieurs reprises, il finit par être admis auprès d'un cardinal, qui le reçut d'un visage froid et sévère, et lui parla avec une rigueur inusitée. Laynez lui demandant seulement de permettre que la Compa- gnie fît entendre un avocat pour débattre certaines affaires, il

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HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

répondit par ces seules paroles : « Oui, nous examinerons », et il le congédia aussitôt. Cet orage se termina par un nouvel exa men de nos Constitutions, l'on devait modifier, retrancher ou ajouter ce que l'on jugerait à propos ; mais Dieu ne permit pas que ce résultat eût lieu.

Peu après , le P. Laynez fut définitivement choisi pour Général de la Compagnie. Paul IV, qui déjà l'estimait assez pour avoir voulu le créer cardinal, dans une audience, à cette occasion, lui parla devant les Pères qui l'accompagnaient avec l'accent d'une affection particulière envers la bienheureuse Com- pagnie (ce fut son expression). Ensuite il l'exhorta à porter généreusement la croix, puisqu'elle était appelée de Dieu aux outrages, aux persécutions et à la mort pour la gloire du Seigneur Jésus et le service de son Eglise. Dans sa dernière maladie et déjà près de sa fin, Paul IV en parla avec plus d'éloges encore et nous promit sa protection, s'il plaisait à Dieu de prolonger sa vie.

:::— Gïjapitte \)mtitmt.

Extérieur et démarche de saint Ignace. Importance qu'il donnait au maintien. Règles établies à ce sujet. Circon- spection du Saint, dans ses paroles, dans ses écrits et dans la direction des affaires. Sa conduite était une image de l'iMi- TATiON DE Jésus-Christ. Son influence sur ceux qui l'entouraient. Valeur du renoncement. Difficulté d'appré- cier les vertus intérieures des saints.

E calme et la modération qui réglaient tous les sentiments intérieurs de saint Ignace se répandaient sur tout son extérieur, et se fai- saient lire jusque dans son maintien et dans sa physionomie. Un jour, à Padoue, et en présence du P. Laynez, un pauvre possédé, ^^^PiSk^i'W^^^^ qui ne l'avait jamais vu ni peut-être entendu nommer, signala entre autres choses le charme de son regard. « C'est un espagnol, disait-il, de petite taille, boiteux, mais dont « les yeux sont brillants. » Et il disait vrai, car il y avait, dans les yeux de saint Ignace, tant de joyeuse vivacité, que son seul regard eût pu tirer de sa tristesse l'homme le plus mélancolique; mais habituellement il tenait les yeux baissés. C'était une partie de sa modestie qui resplendissait dans ses moindres actions. On y reconnaissait aisément ce don précieux qu'il avait reçu de la Mère des anges, quand, lui apparaissant pour la pre- mière fois à Loyola, elle le délivra si entièrement de toute con- cupiscence, qu'on pouvait bien lui appliquer les paroles du bien- heureux Ennodius sur un autre saint : « Il ne se souvenait de son corps que lorsqu'il songeait que la mort devait l'en dépouiller. »

Ignace traça de cette vertu un beau portrait il se dépeint lui-même : c'est le modèle qu'il propose à ses enfants dans les douze règles qu'il a laissées sur la modestie. Ces instructions portent sur tout l'extérieur et les manières d'un religieux, point

Histoire de s. Ignace de Loyola. W.

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si important pour quiconque entretient des relations avec le prochain, dans l'espoir de l'attirer à Dieu. Un maintien reli- gieux est une leçon très efficace de cette philosophie silencieuse, selon le mot de Tertullien, elinquem Philosophiam, qui vient non seulement de l'habit, mais encore de l'exemple. Le visage est le miroir de l'âme, comme l'a dit saint Ambroise; les yeux ne peuvent voir le fond du cœur ; ils en jugent par son reflet extérieur. Or, un maintien modeste indique au premier coup d'oeil une âme pure et ordonnée. On peut lui appliquer dans un sens spirituel, ce qu'un ancien disait de la beauté physique : « C'est une lettre de recommandation écrite sur le front. »

Ces douze règles coûtèrent à saint Ignace bien des larmes versées devant le Seigneur, et furent pour lui l'objet de fré- quentes et de longues oraisons, comme il le dit lui-même, en reprenant la négligence d'un P. Ministre à en exiger l'observa- tion, comme s'il les eût crues de peu d'importance ("°). Mais le Seigneur lui-même parut vouloir manifester celle qu'il y atta- chait en sauvant la vie, par une protection spéciale, à beaucoup des nôtres, au moment on les publia pour la première fois.

Ignace avait chargé le P. Laynez de promulguer ces règle- ments et de faire une exhortation à ce sujet ; il avait même voulu que tous les Pères, sans en excepter, contre son habitude, ceux de ses premiers compagnons qui se trouvaient alors dans la maison, y fussent présents. Laynez prit pour texte ces paroles de l'apôtre saint Jacques : « Vous dites en ce moment : aujour- « d'hui ou demain nous irons dans cette ville, et nous y passerons « l'année pour négocier et nous enrichir ; mais n'ignorez-vous « pas ce qui arrivera demain ("').-* » Or, tandis que le Père ex- hortait ses auditeurs à ne pas mépriser les moindres des observances qui pouvaient contribuer à leur avancement spi- rituel, on entendit subitement un violent bruit, comme d'un bâtiment qui s'écroule, et en même temps toute la maison fut ébranlée.

Le discours fini, chacun sortit pour rechercher la cause de ce fracas, et on vit qu'un grand auvent sous lequel, chaque jour à cette même heure, immédiatement après le dîner, tout le monde se réunissait pour des entretiens spirituels, venait de s'écrouler ; chacun leva les mains au ciel et remercia Dieu de

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lui avoir sauvé la vie. On crut aussi voir une manifestation divine sur l'importance de ces règlements, dont la publica- tion avait été la cause indirecte d'une conservation aussi inespérée.

Un fait suffira à faire comprendre l'efficacité de ces règles et l'influence qu'eurent les exemples de saint Ignace pour les faire observer. Partout les Pères paraissaient, la modestie répandue dans leur maintien et dans leurs mouvements les fai- sait reconnaître aussitôt pour membres de la Compagnie. Oui en avait vu un seul, écrivait un contemporain, les avait tous vus. Aussi, nos ennemis les plus acharnés ne manquaient pas d'attri- buer cet extérieur à une hypocrisie concertée.

Cette injuste appréciation fut rapportée à Ignace, qui se con- tenta de répondre : « Plut à Dieu que cette hypocrisie s'accrût « tous les jours parmi nous ! Pour moi, ajouta-t-il, en désignant « les Pères Salmeron et Bobadilla, qui étaient présents, je ne « connais que ces deux hypocrites dans toute la Compagnie. » Ces deux Pères étaient des hommes dont la perfection intérieure surpassait de beaucoup les vertus qu'ils laissaient voir au dehors. C'étaient donc des hypocrites, en ce sens qu'ils différaient réelle- ment de ce qu'ils paraissaient au dehors.

L'ordre admirable qui régnait dans l'âme de saint Ignace don- nait à toutes ses paroles un caractère de circonspection remar- quable ; car la langue et le cœur ont entre eux la même corres- pondance que, dans les horloges, l'aiguille et les rouages inté- rieurs : lorsque ceux-ci se dérangent, celle-là erre au hasard.

Jamais on n'entendit notre Saint se servir d'une parole de mépris ou blessante pour reprendre, même avec rigueur, un de ses inférieurs. La raison et non la colère, sous le masque du zèle, parlait par sa bouche; son but unique était de voir le coupable s'amender et l'ordre général maintenu. Il avait pour principe de s'exprimer en peu de mots ; la vérité lui suffisait dans toute sa simplicité, et il se gardait même d'en tirer toutes les conséquences.. Aussi ses discours étaient pleins de choses et produisaient un grand effet sur ses auditeurs. Selon lui, la vérité renferme toujours en elle assez de force pour triompher ; trop de vêtements l'affaiblissent et l'accablent dans la lutte qu'elle soutient contre l'erreur.

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Ignace poussait jusqu'au scrupule l'exactitude à remplir les promesses, mais il les mesurait sur les moyens qu'il avait de les accomplir. Dans une seule circonstance, il lui arriva d'en trouver l'exécution d'une difficulté extraordinaire, et il avoua que c'était la première fois depuis nombre d'années.

Même retenue en parlant des actions d'autrui, alors même qu'elles étaient publiques : le blâme le trouvait muet; mais il ne prodiguait pas la louange. A l'égard des autorités que chacun se permet de juger si légèrement, non seulement il se gardait bien de dénigrer leur gouvernement, quand le public l'attaquait, mais il n'aurait même pas parlé des mesures utiles à prendre, de crainte de faire remarquer ou l'incapacité des gens en place pour les concevoir, ou leur manque d'équité en ne les adop- tant pas.

Un des quatre pontifes qui occupèrent le Saint-Siège, pendant son séjour à Rome, vit l'opinion se tourner contre lui, parce qu'il paraissait excessivement sévère : personne ne l'épargnait. Ignace, au contraire, s'étudiait à rechercher tout ce qu'on pou- vait dire à sa louange, et répondait par à ceux du dehors qui venaient lui raconter leurs doléances. De plus, malgré les dispositions peu favorables du Pontife pour la Compagnie, il ne permettait à aucun des siens de s'en plaindre ; il recommanda à un Père, qui partait de Rome pour la Flandre, de ne parler qu'avec éloge de sa conduite envers nous. Celui-ci répondit qu'il ne saurait pourtant comment excuser quelques uns de ses procédés. « Eh bien ! lui dit Ignace, ne dites rien de « lui ; ne parlez que du pape Marcel, qui, comme cardinal et « pendant son court pontificat, montra à la Compagnie une af- « fection qu'elle ne doit jamais oublier. »

Ignace n'aimait pas à passer, sans motif, d'un sujet à un autre, comme à la merci de sa mémoire. Quand ceux qui parlaient avec lui en usaient de la sorte sans s'en apercevoir, le Saint pour le leur faire remarquer demeurait un instant sans répondre et les regardait. Ceux qui l'avaient fréquenté, pendant des années entières, ont écrit que ses paroles paraissaient texte de lois, tant elles étaient justes, pesées et adaptées à ses pensées. On pouvait lui appliquer le mot de Pythagore, au sujet d'un ancien qui imitait, dans sa phrase, le style des lois : « Paroles concises,

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sens étendu » ; Stimmaria quidein in verdis, in rebiis vero prolixa.

Ces qualités, Ignace les apportait plus encore dans ses lettres que dans sa conversation. Pas un accent n'échappait à sa plume qui ne fût mis à dessein ; pas une lettre de son secré- taire ne partait qu'elle n'eût été relue, pesée, scrupuleusement corrigée. Le P. Martin Olave avait rédigé sur nos affaires un court mémoire pour les docteurs de la Sorbonne. Ignace passa trois heures à examiner avec une attention minutieuse ce docu- ment qui devait être remis à de si savants personnages. Un autre jour, reprenant un Père des négligences qui se glissaient dans ses lettres : « Pour moi, dit-il, j'ai au moins trente lettres à « expédier ce soir, et pas une ne partira que je ne l'aie relue « plusieurs fois ; et celles qui seront écrites de ma main, je les « recopierai deux et trois fois, pour n'y pas laisser les ratures que «j'y ferai en les corrigeant. »

Tel était l'empire d'Ignace sur lui-même et sur ses impres- sions : elles ne s'éveillaient qu'à la voix de la raison. En deux mots, le P. Louis Gonçalvès en dit plus long que tout ce que j'ai rapportai ; le voir, l'entendre, l'observer, c'était voir en action le livre de X Imitation de Jésus-Christ. Or quiconque a le goût et la connaissance des choses spirituelles sait assez quels enseigne- ments de perfection renferme ce petit livre, et surtout ce fondement de toute vertu, appelé par les maîtres de la vie spirituelle, l'abné- ofation de soi-même et le crucifiement de l'homme intérieur. Ignace était encore bien novice dans les choses de Dieu et se livrait à Manrèse aux exercices de la pénitence, quand ce livre lui tomba entre les mains. A peine en eut-il savouré les premières lignes qu'il ne s'en sépara plus ; il l'appelait la perle des livres.

Chaque jour, il en lisait lentement un chapitre, par forme de méditation, et en recueillait tout le suc, comme la terre absorbe chaque goutte des pluies fines qui s'infiltrent jusque dans ses entrailles. De plus, il ouvrait chaque jour et plusieurs fois par jour le livre au hasard et en lisait quelques lignes ; il lui arri- vait toujours de tomber sur le passage qui pouvait être le plus approprié à l'état de son âme, soit pour la consoler si elle était triste, soit pour l'encourager si elle était alarmée, ou la soutenir si elle était tentée. Ainsi il avait sans cesse auprès de lui un conseiller,

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un consolateur, un appui, et il ne connaissait rien de plus pré- cieux à offrir à ceux qu'il chérissait que cet admirable livre ('"'). Quand Ignace se rendit au mont Cassin, pour faire suivre les Exercices spirituels à un envoyé de Charles-Quint, il en avait emporté autant d'exemplaires qu'il y avait de moines, et il en laissa un à chacun : présent aussi digne de celui qui l'offrait que de ceux qui le recevaient ! La vie de saint Ignace en était une copie vivante que ses enfants s'efforçaient à leur tour de repro- duire en eux-mêmes. Aussi, trouvaient-ils dans sa seule présence un puissant moyen de croître dans les choses spirituelles, et ils ne connaissaient pas de bonheur plus grand que celui d'être fixés à Rome et de vivre près de lui. De les larmes du P. Jacques Laynez, lorsqu'il était obligé de s'éloigner: rien dans ce monde, disait-il, ne pouvait lui être plus pénible que de se séparer de saint Ignace. De aussi les dispositions du P. Simon de Rodriguès qui, après la mission des Indes, ne désirait rien tant, disait-il, que de revenir à Rome pour s'y faire le serviteur d'Ignace. De encore les lettres de ceux qui étaient loin du Saint : les uns rappelaient ces temps heureux ils vivaient près d'Ignace, les autres exprimaient le désir de se retrouver avec lui. « C'est à cette « école, écrivait le P. Canisius à ses amis de Rome, qu'on « apprend à acquérir une pauvreté riche, un esclavage libre, « une humilité glorieuse et un noble amour de Jésus crucifié. « Quand je repasse dans mon esprit cette admirable philoso- « phie que notre Père nous enseignait si souvent, quand je me « rappelle le temps j'en jouissais à Rome, et que je sens « tout ce que j'ai perdu en m'en éloignant, ma conscience me « reproche ma paresse et ma négligence à profiter de ces « puissants secours qui devaient être si passagers. »

Aussi, la maison professe qui possédait Ignace, était-elle à la fois, comme l'exprime avec justesse le P. Polanco, le cœur de la Compagnie, parce qu'elle y avait pris naissance ; la tête, parce qu'elle renfermait le moteur de toutes ses œuvres ; et aussi les entrailles, parce qu'elle en tirait sa substance, ses forces et l'accroissement de sa vigueur spirituelle.

Les discours d'Ignace portaient ordinairement sur la néces- sité de devenir des hommes intérieurs, de briser aux pieds de la croix sa volonté propre, de dompter toutes ses affections

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au point de les réduire à obéir au premier signal. Dans ces entretiens les plus intimes et dont Dieu était toujours le com- mencement et la fin, il répétait sans cesse ces paroles, Vince teipsum, leçon si bien retenue par François Xavier, qu'il avait toujours à la bouche, en parlant à nos Pères occupés avec lui dans la mission de l'Inde, ces mots qui, dans leur laconisme, renferment plus d'enseignements solides, que beaucoup de livres dans de longs et doctes commentaires. Et comme on lui de- mandait pourquoi il y revenait toujours: « C'est que, répondit-il, «je l'ai appris de notre bien-aimé Père Ignace.» Il l'avait appris non pas seulement en théorie, mais en le pratiquant, sous la conduite de son Père ; ce fut par cet exercice qu'il commença et continua l'œuvre de la plus sublime perfection.

Ignace connaissait tout le prix de l'oraison et y consacrait, lui-même, plusieurs heures par jour ; mais ce n'était pas sur la prolongation de cet exercice qu'il jugeait des progrès de ses enfants dans la voie de la sainteté; c'était sur leur généreux renoncement à eux-mêmes. On lui a même entendu dire souvent que de cent sujets qui placent le sommet de la perfection à passer de longues heures en prière, plus de quatre-vingt-dix se trouvent être des gens volontaires, difficiles à conduire, ob- stinés dans leurs idées et peu fidèles aux assujettissements de l'observance ; contents d'eux-mêmes, ils se croient propres à diriger les autres. Il estimait plus un acte résolu d'héroïque mortification, surtout à l'égard de sa propre estime, que plusieurs heures de douces larmes et de délicieux soupirs. Par dessus tout, il craignait que la Compagnie n'eût pas saisi ses vérita- bles sentiments sur la voie qui conduit à la perfection et qu'on n'y mît la prière à la place du renoncement. Le P. Natal lui fit de fréquentes instances pour obtenir qu'il étendît au delà d'une heure le temps de l'oraison ; mais Ignace lui répondait que les longues méditations étaient nécessaires pour acquérir l'empire sur les passions, soit par la prière, soit par les réflexions; mais celui qui en était arrivé là, s'unirait plus à Dieu, en un quart d'heure de recueillement, qu'un homme immortifié pendant plus de deux heures d'oraison ; le plus grand obstacle à l'union de l'âme avec Dieu est l'attache à elle-même qui l'appesantit et l'empêche de s'élever vers lui.

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Le P. Louis Gonçalvès avait dit d'un grand serviteur de Dieu : « C'est un homme d'une haute oraison » ; saint Ignace reprit aussitôt : « C'est un homme d'une grande mortification. »

Il porta un semblable jugement au sujet de deux Frères coadjuteurs. L'un avait un caractère tranquille que rien ne trou- blait : son calme venait plutôt de la nature que d'aucun effort de vertu ; l'autre était impétueux et s'échappait quelquefois en pa- roles et en sentiments d'impatience; mais, comme il se contenait souvent et brisait la violence de son caractère, en retenant les paroles qui lui venaient sur les lèvres, Ignace le préférait à son placide compagnon et lui disait quelquefois : « Frère, con- « tinuez à vous vaincre et vous acquerrez deux fois plus de mé- « rites que tels autres dont la douceur naturelle ne demande d'eux « aucun combat. »

Un autre Frère, qui se sentait irritable et emporté, fuyait ses compagnons ; un jour, Ignace le trouva seul à l'écart, à l'heure de la récréation. Quand il en eut appris la raison : « Vous vous « trompez, lui dit-il; on ne triomphe pas de cette sorte d'enne- « mis par la fuite, mais par le combat. La solitude ne détruit pas « l'impatience, elle la dissimule ; vous plairez plus à Dieu, vous' « gagnerez plus sur vous-même, par les actes de mortification « et d'empire sur votre impétuosité et votre raideur de caractère « dans vos relations avec le prochain, que si vous vous enterriez « dans un caveau et vous ne disiez une parole dans un an. »

Nous avons parlé jusqu'ici des vertus privées qui ornaient l'âme d'Ignace. Passons maintenant aux vertus publiques qui le rendirent si habile à cultiver l'âme de son prochain. Cependant, avant tout, disons quelques mots sur un fait qui ne me paraît pas sans importance. Si Ignace avait renfermé la perfection de ses vertus dans les limites de son intérêt personnel, et, sans s'occu- per des autres, se fût uniquement adonné à sa propre sanctifica- tion,le monde l'honorerait avec une bien plus grande admiration : la plupart des hommes n'ont, en effet, aucune idée exacte des choses spirituelles, et ne sauraient les estimer d'après leur véri- table degré de perfection. Mais les actes qui ont une apparence plus singulière, ou qui leur semblent offrir dans la pratique de plus grandes difficultés, sont ceux qui attirent davantage leur estime. Comme chacun s'aime trop soi-même pour ne pas atta-

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cher un grand prix à la satisfaction des sens, quand on voit ces sens macérés par les rigueurs d'une pénitence extraordinaire, on croit y voir la marque d'une sublime sainteté et on en conçoit une plus haute admiration. Si donc, pendant les trente-cinq an- nées qu'il vécut depuis sa conversion, Ignace s'était livré aux mêmes exercices de pénitence qu'à Manrèse, s'il y eût même ajouté en suivant les impulsions d'une ferveur croissante, que de merveilles n'en raconterait-on pas aujourd'hui! Etre couvert d'un cilice, ceint d'une chaîne à pointes aiguës, habiter une caverne, ou vivre parmi les pauvres dans un hôpital, veiller la plus grande partie de la nuit, passer plusieurs heures en oraison, jeûner sans cesse, passer quelquefois trois, quatre, et même huit jours, sans prendre de nourriture; ne manger qu'un pain mendié ; mêlé de cendre et de poussière ; se flageller trois ou cinq fois par jour, avec des chaînes de fer ; voyager au loin toujours nu- pieds, rechercher les mépris et les outrages, prendre des airs extravagants pour être traité de fou; en un mot, mener une vie qui est une mort continuelle, nul doute que le monde ne lui eût prodigué son admiration, ne l'eût considéré comme parvenu à un degré de perfection, qui constitue à ses yeux une sainteté héroïque. Ce n'était pourtant que les premiers pas vers une plus haute perfection et comme le bégaiement d'une langue divine. Mais s'occuper sans cesse de la conversion des pécheurs, et, dans ce seul but, se soumettre pendant plusieurs années aux études les plus laborieuses, renoncer à ses rigueurs extérieures plus admirables qu'utiles pour le prochain, prendre avec tous des manières engageantes, s'accommoder à la vie commune pour le vêtement et la nourriture, rassembler autour de soi des hommes habiles, et, au lieu de rechercher les outrages et les mépris, au lieu de se réjouir d'être faussement accusé, défendre sa réputa- tion, fonder une société qui s'appliquera à la réforme du cœur ; et de ces mortifications qui accablaient le corps, ne conserver que les fatigues attachées au service d'autrui : voilà ce qui con- stitue le degré de la sainteté le plus sublime et le plus difficile à atteindre. Car il s'agit, remarquez-le bien, de joindre au soin des âmes, celui de sa propre perfection, suivant l'exemple du Fils de Dieu lui-même. Mais aussi, ces choses-là n'obtiennent que des hommes vraiment spirituels, cette haute estime qui leur est due.

138 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Et puis, si les œuvres sont la mesure de la charité, qui est l'âme de toute sainteté, la règle infaillible pour les apprécier est celle que nous donne Jésus-Christ. Quand il interrogea Pierre pour savoir s'il l'aimait plus que les autres, quelle preuve de cet amour demanda-t-il? Il ne dit pas à l'Apôtre, comme le remarque saint Jean Chrysostome : « Devenez pauvre, jeûnez « sans cesse, faites de rigoureuses pénitences, ressuscitez les « morts, chassez les démons. Non, il ne prescrivit ni ces œuvres « ni aucune autre de ce genre ; mais laissant de côté tout le « reste, il lui dit : « Si tu m'aimes pais mes brebis ("^). »

Il est temps d'étudier la perfection du zèle d'Ignace pour le salut des âmes. Et d'abord rappelons l'éloge que Grégoire XV fit de notre Fondateur dans la Bulle de canonisation. Ce Pon- tife prit l'avis des cardinaux : « Il me semble, dit-il, qu'on peut « appliquer au bienheureux Ignace les termes dont se sert l'Ecri- « ture pour célébrer Josué : il fut grand par la gloire de son nom, « puissant pour sauver l' Eglise de Dieu, combattre ses ennemis et « conquérir l'héritage d'Israël ; Fîtit magmis secundurn nomen « SUU77Î, inaxùnus in salutem eledorum Dei, exptignare hostes ut « co7tsequei'etur hœreditateni Israël,Y.z<:\., xlvi, 1,2.» Ces paroles du Souverain-Pontife tracent le vrai portrait de saint Ignace. Il fut grand par son nom, par les ardeurs de sa charité dont il voulut enflammer les âmes ; d'innombrables conversions furent de son vivant, sont encore après sa mort le fruit de ses œuvres et de son esprit. « Sans aucun doute, dit à cette occasion le « cardinal Bandini, tout ce qu'on recueillera, tant que la Com- « pagnie subsistera, sera le fruit de cette première semence. « Les propres œuvres d'Ignace ont été grandes, et l'on peut « s'étonner de tout ce qu'il a fait : mais on doit reconnaître « qu'elles ne sont pas moins admirablement continuées. Combien « cette Société, fondée par lui, ne répand-elle pas de lumières « avec la connaissance de la divine doctrine du Sauveur ! Com- « bien d'idolâtres et d'hérétiques tirés de l'erreur ! combien de « collèges ouverts à la science ! Et n'est-ce pas à Ignace que « tout cela est dû? Par une seule grappe de raisins, dit un autre « vénérable prélat, les Israélites purent juger de la fertilité de « la terre qui leur était promise, de même nous pouvons juger « d'après le zèle de saint Ignace de celui d'un Ordre institué par

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« lui et animé de son esprit. » Quant à l'étendue de ce zèle, il n'eut ni mesure, ni borne, et n'aspira à rien moins qu'à réduire le monde entier sous le joug de la foi, en l'attirant à l'amour et au service de Dieu. Ecoutez cette étonnante parole qu'il adressa à l'ambassadeur du Portugal. Comme celui-ci lui demandait pour les Indes six de ses compagnons : « Et si nous en donnons six « aux Indes, répondit-il, que ferons-nous pour le reste du monde.'*» Et ces brûlantes paroles dont il enflammait ses enfants quand les prenant sur son cœur, il les envoyait dans leurs différentes mis- sions : Allez, leur d'isak-'û, _po7'le2 le feu et la fianime partout ; Ite, omnia incendite et inflammate . Un religieux lui avait fait dire qu'il voudrait voir brûler tous ceux de la Compagnie qu'on trouverait de Séville à Perpignan : « Pour moi, répliqua Ignace « à celui qui l'en avait instruit, dites à notre ami que tout mon « désir est de le voir, lui aussi, dévoré et brûlé avec tous les « siens et tous les hommes qui couvrent la face de la terre, mais « des flammes du divin amour. »

De là, ces ouvriers apostoliques qu'il envoya dans les quatre parties du monde et jusqu'aux Indiens inconnus des Indiens eux-mêmes, pour se dévouer à la conversion des infidèles ; etiam ad Indos ipsis qtioque Indis ignotos. Ce fut un sujet de douleur pour les hérétiques : l'un d'eux, voulant exprimer le dommage qui en résultait pour leurs sectes, dit que Paul IIJ avait permis à Ignace, c'est-à-dire au Dieu des tempêtes, d'envoyer ses enfants sur toute la surface de la terre : Arte sua tisuros passim stragemque daturos.

C'est ce qui fit donner à saint Ignace, par le sacré tribunal de la Rote, le nom glorieux d'Apôtre. Aussi, le vénérable Bède appelle avec raison saint Grégoire le Grand l'^Xpôtre de l'An- gleterre, parce qu'il envoya l'évêque saint Augustin et d'autres religieux dans cette île pour la conquérir à la Foi.

Xiit}vt cinquième,— Gl)apitre premier.

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Coup-d'œil sur le fruit des œuvres fondées par saint Ignace. Compte-rendu des différentes missions. Lettre de saint Ignace aux scolastiques de Coïmbre.

^^^^^^3 AI NT lenace vient de fonder un Ordre des-

tme a perpétuer son esprit et ses œuvres. i C'est ici le lieu de revenir sur les accusations calomnieuses, sur les persécutions dont nous avons parlé dans les deux premiers livres. I Nous montrerons ensuite, avec quel zèle ^ Ignace poursuivit l'accomplissement de ses grands desseins, et quels fruits ces desseins ont produits dans le monde. L'esprit de ténèbres prévoyait trop bien les victoires que le Saint allait remporter. Aussi, mit-il tout en mouvement pour l'empêcher de poser les fondements de son œuvre, puis pour en arrêter dès le commencement les premiers progrès. Ses études mêmes, Ignace ne les avait entreprises qu'afin de se rendre utile au prochain ; il les continua dans ce seul but, malgré les trois puissants obstacles de la pauvreté, de la maladie et d'une dévo- tion inopportune. L'ardeur de son zèle lui fit tout surmonter; et le cardinal del Monte put dire avec vérité, dans une relation adressée à Grégoire XV : « Ni travaux, ni maladies, ni veilles, « ni douleurs corporelles, ni afflictions d'esprit, n'avaient pu « l'ébranler. » Il n'est aucune manière de secourir le prochain, si difficile ou si périlleuse qu'on la suppose, dont il n'ait fait le but de son Institut. Il se regardait comme également au service de tous : âge, rang, état, patrie, culture intellectuelle, ignorance, rien ne l'arrêtait ; à tous il voulait être utile. Les missions lointaines furent un des premiers objets de sa sollicitude, parmi les infidèles et parmi les hérétiques. A ses yeux, qu'importait la vie pour atteindre ce but ? Ici, ses fils se consumaient dans de

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE I-OYOLA. 141

longues et pénibles navigations ; là, ils étudiaient jour et nuit les langues les plus barbares, sous des climats dévorants, au milieu des sauvages ; plus loin, ils périssaient dans les plus horribles tourments, au milieu des camps, sur des barques, dans des villages perdus ou sur de hautes montagnes, toujours éloignés des secours spirituels dont abondent nos villes et que de pareilles situations rendent si nécessaires. Ce n'est pas tout. Les hôpi- taux, les prisons, les galères, les besoins de la controverse chré- tienne, l'administration des sacrements parmi les catholiques, l'instruction des enfants, les exercices spirituels pour ramener les pécheurs à une vie nouvelle, les entretiens familiers sur les choses de Dieu : tout cela réclamait, exigeait la présence et les labeurs des enfants d'Ignace. Et les collèges! Sait-on ce que pensait de cette œuvre le P. Louis Strada, religieux bernardin ? Il appelait ces collèges les noviciats publics des villes. Pendant que les uns formeront la jeunesse, d'autres assisteront les mou- rants, consoleront les criminels, soulageront les âmes aussi bien que les corps, dans les calamités publiques, sous la brûlante haleine de la peste. Oui pourrait compter le nombre des enfants d'Ignace qui ont prodigué leur vie dans ce dernier ministère .'' Quelles autres tâches, celle de publier des ouvrages utiles et importants pour les progrès de l'intelligence et des lettres, celle de conduire l'enfance des premiers éléments jusqu'aux plus hauts sommets de la science, tout en faisant germer la piété dans ces jeunes cœurs! Quels travaux gigantesques! quels services à rendre à la société tout entière ! car enfin, c'est notre devoir quotidien, c'est le champ que nous sommes obligés de féconder à la sueur de notre front. Vous étonnerez-vous ensuite qu'un prince, également renommé par sa sagesse et par sa valeur, estimât plus utile pour la sûreté d'une ville un collège de la Compagnie qu'une forteresse? Urbain VIII, dans son bref au roi de Portugal, nous rend ce témoignage : //z eorum collegiis, quœ gytnnasia sapientiœ habenhir, ii gladii ancipites cudtuitur, quibus féliciter solea^it confundi diabolicœ legiones ; «dans leurs collèges qui sont des écoles de la sagesse, ils forgent des glaives à deux tranchants qui leur servent à renverser les légions infer- nales;» et ailleurs: Qui lacté pietatis juventutem nutriunt, et armis lucis kœresijn azctpi'ojîigant, aut exterrent ; « ils nourrissent

142 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

la jeunesse du lait de la piété, et, avec les armes de la vérité, abattent ou font disparaître l'hérésie (') ».

Etienne et Sigismond, rois de Pologne, et les deux empereurs Ferdinand I^'' et Ferdinand II, déclaraient n'avoir pas trouvé de moyen plus efficace pour affermir la foi catholique contre les attaques des hérésies modernes, que de faire élever la jeunesse dans les collèges des Pères de la Compagnie.

Les mêmes faits se reproduisaient en Portugal et dans les Indes. De tous les efforts des sectaires pour expulser la Com- pagnie des villes et des royaumes ; car, avec elle, en sortaient, disait Henri IV, non seulement les Muses, mais encore la foi et la piété, ces guides de la jeunesse.

A Wilna, les zwingliens fondèrent, à grands frais, une célèbre académie destinée à propager leurs erreurs. Ils ne réussirent que trop ; toute la fleur de la jeunesse lithuanienne accourait à leurs leçons. Mais bientôt la Compagnie ouvre un collège. Dans cette ville, l'académie est aussitôt désertée, même par les écoliers hérétiques ; tous affluent à la maison des Pères.

Quelles autres preuves faudrait-il donc apporter de l'utilité universelle que l'Église et la Société ont retirée du zèle de saint Ignace ? Les familles, les collèges et les villes qui en furent privés, sentirent mieux, s'il est possible, cette utilité que les lieux qui en ont joui. Des hommes d'une haute sagesse ont pensé et écrit que le seul ministère de l'enseignement suffirait pour justifier et faire apprécier l'existence de la Compagnie.

Poursuivons. Autant saint Ignace embrassait avec ardeur tous les moyens de travailler au salut des âmes, autant il savait obli- ger les siens à s'y dévouer entièrement. Il se faisait envoyer des relations exactes de leurs travaux. Quand on fondait de nouveaux collèges, il voulait être instruit chaque semaine du nombre des étudiants qui s'y rendaient. Il ordonnait aussi, en vertu de l'obéissance, aux supérieurs d'Italie et de Sicile, de lui écrire, toutes les semaines ; à ceux d'Espagne, de Portugal, de France et d'Allemagne, tous les mois, et à ceux des Indes, tous les ans, pour l'instruire d'une manière précise de ce qui avait été fait pour le bien des âmes. Outre ces rapports particuliers, il exigeait, tous les quatre mois, un rapport exact sur la situation générale.

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE I. 143

Cette conduite excitait tellement ceux qui connaissaient l'ar- deur de son zèle, que le P. André Frusius, dans un compte- rendu des travaux de onze Pères envoyés à Venise, commençait ainsi sa lettre :

« Sans énumérer tous les avantages que je trouve à obéir aux « ordres de votre paternité, il en est, en vous adressant cette « lettre, un que je ressens particulièrement ; c'est de rappeler à « ma mémoire le jugement dernier. En vous rendant compte, « sans aucun danger pour nous, de choses si peu importantes, ^ nous ressentons néanmoins une grande confusion de n'avoir « pas suffisamment rempli toutes nos obligations. Et cependant « nous n'avons pas à faire connaître nos fautes personnelles, « mais seulement ce qu'il a plu au Seigneur d'opérer par notre « ministère. Quelle sera donc notre douloureuse humiliation, « quand il faudra voir révéler, outre les bonnes œuvres négligées « ou les dons célestes mal employés, toutes ces erreurs, toutes « ces fautes dont nous n'avons pas ici à faire l'aveu. »

Pourtant ni ce Père, ni ses compagnons n'étaient restés oisifs. On voit parleurs récits que, sans compter le travail de quatre classes de grec et de latin, ils avaient prêché tous les jours de fête, donné des conférences sur la religion, enseigné les éléments de la doctrine chrétienne, entendu d'innombrables confessions dont beaucoup étaient générales. Après avoir rempli leurs mi- nistères, auprès de la noblesse venue de Brescia, de Vicence, de Padoue et de tous les environs, ils avaient secouru les pauvres, grâce aux aumônes qu'ils recevaient pour leur propre entretien; ils avaient visité les prisons, ils avaient procuré un refuge à des pécheresses converties, ils avaient instruit des catéchumènes mahométans, ramené à l'Église des renégats et des minisires luthériens, décidé un assez grand nombre de prêtres zélés à se faire leurs coopérateurs dans ces œuvres de zèle; et tout cela, pendant le printemps de l'année 1552.

La joie d'Ignace était inexprimable, quand il lisait de telles lettres ; elle brillait sur son visage ; les larmes s'échappaient de ses yeux, et souvent il interrompait sa lecture, regardant le ciel, bénissant Dieu d'avoir tant fait avec de si faibles instruments.il éprouverait aujourd'hui les mêmes sentiments, celui qui embrasé d'amour pour Dieu et de zèle pour le salut de ses frères, lirait

144 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ces nombreux volumes de lettres adressées à Ignace de toutes les parties du monde, volumes précieux que nous conservons avec soin. Suivant les lieux d'où l'on envoyait ces récits, il y verrait annoncées les conversions d'infidèles, de sectaires, de grands pécheurs ; avec tant d'autres effets d'un zèle et de travaux vraiment apostoliques.

Je ne puis taire ici ce qui se passa à la réception d'une de ces lettres. Le P. Jacques L'Host (^) l'avait écrite de Sicile. Quoique d'ordinaire la moisson des ouvriers apostoliques fût abondante dans ce royaume, une semaine pourtant s'était passée assez infructueusement. Le bon Père ne disait rien autre, sinon qu'il n'avait rien à écrire. Ignace baisa cette lettre, et l'humilité si simple qu'elle témoignait la lui rendit aussi précieuse que si elle eût annoncé d'admirables conversions.

Le Saint chérissait particulièrement les supérieurs qui lui causaient le plus d'embarras par leurs demandes réitérées de fervents ouvriers. On l'entendit plus d'une fois appeler anges de Naples, de Païenne, ou de Sienne, les recteurs de ces différents collèges. Jamais il ne retint auprès de lui, pour le soulager dans le gouvernement de la Compagnie, les hommes habiles qu'il pouvait employer plus utilement ailleurs. Mais aussi, il ne per- mettait pas qu'ils fussent fixés dans des collèges ils ne trou- vaient pas à employer suffisamment leurs talents. Quand Ignace jugeait leur présence ailleurs plus utile au salut des âmes, il les envoyait aussitôt ; et si les recteurs se plaignaient d'être privés de tels auxiliaires, il répondait simplement : « Que feriez-vous s'ils étaient morts ? » Comme il n'avait jamais en vue, dans la ma- nière dont il disposait des sujets, que la gloire, et surtout la plus grande gloire de Dieu, aucune sollicitation ne l'eût influencé. Des hommes d'une prudence consommée lui soumettaient en- tièrement sur ce point leur opinion particulière. Entre beaucoup d'autres, nous citerons le cardinal de Sainte-Croix, Ce cardinal écrivait de Trente, en 1547, qu'il occupait le P. Laynez à ras- sembler la masse des erreurs que le concile devait condamner ; travail que nul autre n'eût pu faire aussi bien. « Cependant, ajoutait-il, si vous jugiez qu'on doive laisser cette œuvre ina- « chevée, on le fera au premier mot que vous direz {^). »

L'habitude invariable de disposer toujours de ses enfants de

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE I. 145

façon à servir plus efficacement les intérêts de Dieu, lui avait suggéré la grande résolution de rappeler en Europe le bienheu- reux François Xavier. Si Dieu avait permis que la lettre portant l'ordre de retour eût trouvé cet apôtre encore vivant, l'on eût bientôt reconnu sans doute qu'il était préférable, pour le bien de l'Église et de la Compagnie, que Xavier quittât alors l'Orient. En réalité, appréciant les intérêts de l'Asie et ceux de l'Europe, sans vouloir manquer aux besoins delà première, Ignace sentait tout ce qu'on devait faire pour la seconde, pour celle qui porte le cœur de l'Eglise ; or le cœur fait sentir aux membres les plus éloignés toutes ses pulsations.

Le même Xavier avait envoyé, des Indes à Rome, le Frère Antoine Fernandez, pour faire exposer à Ignace les besoins extrêmes de cette contrée. Fernandez obtint d'abord un certain nombre d'ouvriers évangéliques. Mais, après de loncrues et mûres réflexions, Ignace ne put se déterminer à priver l'Eu- rope de ces utiles auxiliaires ; nous n'étions pas encore assez nombreux pour fournir à tous les besoins. Dans cette circonstance, le P. Ribadeneira appuyait fortement la demande de Xavier. « Eh bien ! Pierre, répondit Ignace, la tristesse sur le visage, je « vous l'assure, nous n'avons pas moins besoin de ces fervents ou- « vriers pour maintenir la Foi parmi nos chrétiens, qu'on n'en « a besoin aux Indes, pour planter l'étendard de la croix parmi « les infidèles. »"

Telle était la sollicitude avec laquelle Ignace exigeait de ses enfants des œuvres dignes de leur vocation. Son zèle à les ren- dre capables de remplir avec succès tous ces ministères n'était pas moins ardent. Il les animait surtout aux vertus qui leur étaient nécessaires pour devenir, entre les mains de Dieu, des instru- ments dignes d'être employés à sa gloire. A l'impossibilité d'être présent dans tous les lieux, pour leur servir de guide et de directeur, il suppléait par des lettres empreintes d'une ar- dente charité, par des lettres qui embrasaient de saintes ardeurs les cœurs auxquels il les adressait.

Le Père Martin de Sainte-Croix (*), écrivant à Rome, à un de ses amis, parle, dans les termes suivants, d'une lettre reçue au collège de Coïmbre : « Il nous arrive du Père Ignace une lettre « que nous attendions et désirions également. On ne saurait

Histoire de s. Ignace de Loyola, H.

146 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« peindre la consolation qu'elle a apportée à tous, et l'ardent « désir qu'elle a fait naître, chez plusieurs, de travailler à l'étude « assidue des lettres et à leur perfection spirituelle. La lire une « fois n'aurait pu nous suffire; aussi, a-t-on demandé que, chaque semaine, elle fût relue publiquement ; quelques-uns d'entre- « nous l'ont même copiée pour l'avoir toujours sous les yeux ; « et c'est avec raison, car elle aplanit tous les obstacles qui « nous retardaient dans le chemin de la vertu, et elle nous anime « merveilleusement. » C'est sous la même impression que le P. Louis de Mendoza écrivait au saint Fondateur, à propos d'une autre lettre du même genre : « Elle m'est, disait-il, plus agréable que ne le serait un chapeau de cardinal. »

Je ne pourrais sans dépasser les bornes d'une simple histoire rapporter ici des extraits choisis de cette correspondance. Pour en donner du moins quelque idée, je crois devoir citer intégrale- ment une de ces lettres. Elle est pleine de l'esprit et des vues d'Ignace ; c'est celle dont parlait le P. de Sainte-Croix ; elle fut adressée aux scolastiques du collège de Coïmbre (^).

Aux scolastiques du collège de Coïmbre

en Portugal.

« Que la souveraine grâce et l'amour éternel de Jésus-Christ « Notre-Seigneur soient toujours avec nous. Amen.

« J'ai continuellement de vos nouvelles par les lettres des « PP. Simon Rodriguès et Sainte-Croix ; et Dieu Notre-Sei- « gneur, source de toute bonté, sait quelle consolation et quelle « allégresse j'éprouve, en voyant le courage et la vigueur que « sa divine Majesté vous donne, pour croître, chaque jour da- « vantage, en science et en vertu : il nous en arrive jusqu'ici un « parfum qui encourage et édifie bien des âmes. Si nous sommes « tous obligés de nous réjouir de la gloire et de l'honneur de « Dieu notre Créateur et Seigneur, et du bien de ses enfants, « rachetés par le sang et la vie de son Fils unique, combien « plus dois-je le faire en Notre-Seigneur, moi qui suis obligé « de vous porter dans mon cœur avec une si tendre affection ! « Bénédiction et louange sans fin à ce Dieu notre Créateur et « notre Rédempteur, de l'infinie libéralité duquel descend tout « bien et toute grâce ! Qu'il lui plaise d'ouvrir plus abondam-

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE I. 147

« ment, chaque jour, pour vous les sources de sa miséricorde, « afin que ce qu'il a commencé dans vos âmes aille toujours « se développant, et atteigne sa perfection.

« Il le fera ; j'en ai pour garant son infinie bonté qui est en lui « souverainement communicative de ses biens, et cet éternel « amour plus prompt à nous donner la sainteté que nous à la « désirer. S'il en était autrement, Jésus-Christ, le Fils unique « du Père, ne nous exhorterait pas à entreprendre ce que son « bras puissant peut seul nous aider à accomplir, quand il nous « dit : Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait (*").

« Ainsi il est hors de doute que de son côté il ne nous man-

« quera jamais en rien, pourvu qu'il trouve en nous l'humilité

« qui nous rende capables de ses dons, le bon usage des biens

« et des dons reçus, et la promptitude à coopérer avec zèle aux

« secours de sa grâce. En présence de cette vérité, bien que je

« vous voie courir dans le chemin de Dieu, je me sens porté à

« vous stimuler ; car, je puis vous le dire en toute vérité, si vous

« devez répondre aux espérances que tant de personnes ont

« conçues de vous, non seulement en Portugal, mais en beaucoup

« d'autres lieux, à la vue des secours et des appuis de toute sorte,

« intérieurs et extérieurs, que Dieu Notre-Seigneur vous a

« ménagés, il ne faut rien moins de votre part qu'un avance-

« ment extraordinaire, qui fasse de vous des hommes éminents

<i, dans les sciences et dans la perfection religieuse. Considérez

« votre vocation et vous comprendrez que ce qui pour d'autres

« ne serait pas vulgaire et petit, le serait néanmoins pour vous.

« Notre Créateur et Seigneur ne vous a pas seulement appelés

« du sem des ténèbres à son admirable lutnière en vous trans-

^ portant dans le royaume de son Fils bien-aimé (^) comme tous

<J les autres fidèles ; mais, pour que vous conserviez plus sûre-

« ment la pureté de vos cœurs et que vous vous teniez plus

« unis, par l'amour, à tout ce que demande son service, il vous

« a miséricordieusement retirés de la mer orageuse de ce monde,

« et vous a mis à l'abri des tempêtes qu'y soulèvent les désirs

« des richesses, des honneurs, des plaisirs, et la crainte de les

« perdre, quand on parvient à les posséder. 11 a voulu encore

« que votre esprit ne fût ni occupé, ni arrêté par des choses aussi

« basses que celles de ce siècle, que votre amour ne se divisât

148 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« point sur plusieurs objets, mais qu'il fût concentré tout entier « sur un seul, et qu'ainsi il vous fût donné de travailler avec « toute la force de cet amour, à atteindre la fin pour laquelle « vous avez été créés, la gloire et l'honneur de Dieu Notre- <L Seigneur, votre salut et celui du prochain. Vers cette fin, il est « vrai, tendent tous les devoirs de la vie chrétienne ; néan- « moins, le divin Maître vous ayant choisis pour cet Institut « particulier, oii vous ne trouvez pas seulement une direction « générale comme dans tous les autres, mais encore le secours « spécial des exercices qui y sont en vigueur, il y a pour vous « une obligation particulière, non seulement de travailler de « toutes vos forces, mais de faire de vous-mêmes un continuel « sacrifice à la gloire de Dieu Notre- Seigneur et au salut du « prochain. Et il ne faut pas se contenter de rapporter à cette « fin les bons désirs, l'oraison et l'exemple, il faut encore em- « ployer les moyens extérieurs que la divine Providence a établis « pour nous aider les uns les autres. Par là, vous pourrez com- « prendre la noblesse et la dignité souveraine auxquelles vous « êtes appelés ; de fait, il n'existe point, je ne dis pas seulement « parmi les hommes, mais même parmi les anges, d'œuvre plus « auguste et d'occupation plus excellente que de glorifier Dieu, « d'abord en soi-même et ensuite dans les autres créatures, en « les ramenant à lui, autant qu'elles en sont capables.

« Partant, consolez-vous, en considérant votre propre voca- « tion, et rendez à Dieu des actions de grâces pour un don si « relevé ; demandez-lui esprit et vigueur pour correspondre avec « un grand courage à tout ce que l'on attend et l'on se promet de vous ; car, il est hors de doute qu'il vous faut une assistance « et un secours de Dieu plus qu'ordinaire, pour répondre à une « fin si haute.

« Ainsi, pour l'amour de Jésus-Christ Notre-Seigneur, « oubliant le passé, à l'exemple de saint Paul, tenez sans cesse « vos regards fixés sur le grand espace qu'il vous reste encore « à parcourir dans le chemin de la vertu (^). Regardez comme « des ennemis déclarés de votre âme la négligence, la lâcheté « et la paresse, qui refroidissent et affaiblissent le désir d'avancer « dans la vie spirituelle et dans la science. Placez devant vos « yeux, comme modèles à imiter, non les faibles et les lâches,

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE I. 149

« mais les courageux et les fervents. Rougissez d'être vaincus « par les enfants du siècle, plus zélés pour acquérir les biens du « temps que vous pour gagner les biens de l'éternité. Confondez- « vous de voir qu'ils courent plus vite à la mort que vous à la « vie. Tenez-vous pour des hommes capables de bien peu, si un « courtisan, pour gagner les bonnes grâces d'un prince de la « terre, le sert avec plus de fidélité que vous ne servez le Roi « du ciel; et, si un soldat, pour une fumée de gloire, et pour la « misérable part de butin qu'il attend d'une bataille gagnée, lutte « contre les ennemis et combat plus valeureusement que vous, « pour triompher du démon, du monde, de vous-mêmes, et pour « gagner par cette victoire le royaume du ciel et une gloire « immortelle.

« Je vous en supplie donc, au nom de tout l'amour que vous « avez pour Notre-Seigneur et Rédempteur, ne soyez ni lâches, « ni négligents. L'arc se rompt, s'il est trop tendu ; mais l'âme « se perd, si elle se relâche (^) ; et, au contraire, dit l'Écriture: « rame de ceux qui travaillent sera comblée de tous les biens ('°). « Ayez donc soin de raviver et de maintenir en vous la sainte « ferveur, afin de vous livrer tout entiers à l'étude de la per- « fection et à celle des sciences. Soyez-en certains, dans l'une « comme dans l'autre, un acte animé de cette ferveur fait plus « avancer que mille accomplis avec lâcheté, et que ce qu'un « négligent acquiert avec beaucoup de travail en plusieurs années, « le fervent l'obtient avec facilité en peu de temps. Dans les « sciences, il existe une différence manifeste entre les hommes «studieux et les négligents ; eh bien! cette différence est la « même pour ce qui regarde l'avancement dans la vertu, et la « victoire sur la faiblesse de notre nature. Car de fait, comme « il est clair pour tous, les lâches, pour ne pas vouloir combattre « contre eux-mêmes, n'arrivent jamais, ou n'arrivent que très « tard à la véritable paix de l'âme et à la possession de quelque « vertu, et, au contraire.les fervents et les courageux parviennent, « en peu de temps, à l'une et à l'autre. Et quant à l'allégresse, « autant du moins qu'on en peut avoir en cette vie, la même « expérience nous enseigne que ce ne sont point les tièdes, « mais les fervents dans le service de Dieu qui en jouissent. La « raison en est simple : ces derniers travaillant, dès le commen-

150 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« cernent, à se vaincre, à se rendre maîtres d eux-mêmes et à « détruire l'amour-propre, arrachent les racines de toutes les « passions désordonnées, et détruisent ainsi le principe des « peines qui naissent du désordre de ces passions. A leur « place, ils plantent dans leur âme les habitudes de la vertu, et, <i grâce à elles, ils parviennent à agir presque naturellement, « avec grande facilité et grande allégresse ; ils méritent ainsi de « goûter les saintes délices de Dieu, qui les console avec la plus <S; paternelle tendresse ; car, cesl a7i vainqueur que sera donnée la « manne cachée ("). Par la raison des contraires, la paresse est « la mère d'une vie toujours mécontente, parce qu'elle ne laisse « point arracher les racines d'où naît le mécontentement, c'est-à- « dire l'amour propre, et elle se rend indigne de recevoir les « faveurs de l'amour divin. C'est pourquoi vous devriez vous « porter à vos louables exercices avec une sainte ferveur, parce « que, dès cette vie, vous sentiriez ses heureux effets, non seu- « lement par la perfection de vos âmes, mais encore par le « contentement de la vie présente.

« Et maintenant, si vous considérez la récompense de la vie « éternelle, comme nous devrions tous le faire, vous derneurerez « facilement convaincus, avec saint Paul, o^ç: les souffrances de « la vie présente ne sont rien en comparaison de la gloire future « qîti resplendira en nous, et que la brièveté et la part légère de « nos tribulations produiront e7i nous, par dessus toute mesure, « dans les hauteurs du ciel, un poids étei^nel de gloire ('^). Et si « cela est vrai pour tout chrétien qui honore et sert Dieu, vous « pouvez concevoir combien glorieuse devra être votre couronne, « si vous vous conformez à votre Institut, lequel vous impose « l'obligation de servir Dieu, vous-mêmes, et encore celle de tra- « vailler au salut des autres, pour l'honneur et le service de Dieu. « De ces hommes, l'Écriture dit: Ceux qui enseignent la justice « à un grand 7iombre, brilleront comme des étoiles dans de perpé- « tuelles éternités ('^). Paroles que doivent s'appliquer ceux qui « pratiquent fidèlement leur règle, s'essayant d'abord à porter « les armes du salut, afin de les manier ensuite, sans relâche, «jusqu'au dernier soupir. Car, il ne suffit pas de professer un « genre de vie sublime, si l'on n'accomplit avec perfection ce que « cet état demande. En effet, le prophète Jérémie nous dit :

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE I. 151

« Maztdit soit celui qui fait l'œuvre de Dieu négligemment ("'*). « Saint Paul nous dit à son tour : Ceux qui entrent dans la lice « courent tous ensemble, mais tm seul remporte le prix {'5) ; et il « ajoute : // 7Ïy aura de cozironné que celui qui aura combattu « légitime7nent ('*^), c'est-à-dire, qui aura fidèlement accompli les « devoirs de son état.

« Mais ce que je souhaite par-dessus tout, c'est que vous vous « exerciez dans le pur amour de Jésus-Christ, dans le désir de « sa gloire et du salut des âmes qu'il a si chèremept rachetées. « Vous le devez, puisque vous êtes ses soldats, à titre spécial et « à solde spéciale, dans cette Compagnie oi^i nous militons en- « semble. Je dis à titre spécial, parce qu'il est beaucoup d'autres « titres généraux qui certes nous obligent à désirer ardemment « qu'il soit honoré et servi.

« Quant à sa solde, à Lui, c'est tout ce que vous possédez « dans l'ordre de la nature, tout ce que vous êtes, tout ce que « vous pouvez ; c'est lui, en effet, qui vous l'a donné, le conserve « et le maintient : l'être, la vie, l'âme avec toutes ses puissances « et ses perfections, et le corps avec tous les biens extérieurs. « Sa solde à Lui, ce sont les biens spirituels de la grâce, dont il « nous prévient avec tant de bénignité et de largesse et dont il « vous enrichit chaque jour, comme si vous n'aviez jamais été « à son égard ni ennemis, ni rebelles. Sa solde, à Lui, ce sont « les incomparables biens de la gloire qu'il vous assure par sa « fidèle promesse, et qu'en dehors de tout intérêt propre, il vous « tient préparés, et dont il veut vous enrichir, en vous faisant « partager les trésors de sa- propre félicité, afin que vous parti- « cipiez à ses divines perfections et que vous soyez, par l'union « de la charité, ce qu'il est par la propriété de sa nature. Sa « solde enfin, c'est ce grand univers et tout ce qu'il renferme « d'êtres corporels et spirituels. Dieu, en effet, a imposé la loi « de vous servir, non seulement à ces créatures qui sont sous « les cieux, mais encore à celles qui sont dans sa très sublime « cour, n'exceptant aucune hiérarchie des esprits célestes ; car, « ils sont tous, selon saint Paul, des esprits qui remplissent des fonctions de servitezirs, envoyés pour exercer leur ministère « en faveur de ceux qui emporteront comme d'assaut f héritage du « salut ('^). Et, comme si cette réunion de biens, si magnifique

152 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

cependant, n'était encore rien, ou n'était que très peu. Lui- même, car il ne lui restait plus que Lui, s'est donné à nous pour solde, se faisant notre frère selon la chair, notre rançon sur la croix, notre nourriture dans la très sainte Eucharistie, et le compagnon de notre pèlerinage ('^). Oh ! qu'il est lâche le soldat à qui une solde de cette valeur ne suffit pas, pour le faire travailler à l'honneur de son prince.

« Et puis, pour nous obliger à travailler avec promptitude et diligence à sa gloire, à la désirer avec plus d'amour, sa Majesté nous a comblés d'insignes bienfaits qui lui ont coûté si cher ! Il s'est dépossédé, d'une certaine manière, de sa très parfaite félicité, de ses biens, pour nous y faire participer, prenant pour lui nos misères et s'en chargeant pour nous en décharger ; voulant être vendu pour nous racheter, subir l'infamie pour nous glorifier, vivre pauvre pour nous enrichir, mourir dans les opprobres et les tourments d'un condamné pour nous don- ner une vie immortelle et la félicité du ciel. Oh ! qu'il a un cœur ingrat et dur au delà de toute expression celui qui, en présence de tout cela, ne voit pas l'obligation il est de se consacrer à l'honneur et à la gloire de Jésus-Christ notre Rédempteur. Mais pour vous, s'il vous est donné de compren- dre, de voir, et si vous vous sentez embrasés des désirs que doit faire naître en vous l'obligation de dévouer votre vie à l'accroissement de l'honneur et du service de Dieu, vous vivez certes en un temps vous pouvez montrer par les œuvres l'efficacité de vos désirs. Un coup d'œil sur le monde. donc aujourd'hui la majesté de notre Dieu est-elle adorée ? sa suprême grandeur est-elle respectée? son infinie bonté, son infinie patience sont-elles reconnues ?où sa très sainte volonté est-elle faite ? Voyez plutôt, avec une extrême douleur, en combien d'endroits son saint nom ou n'est pas connu, ou bien est méprisé et blasphémé ; comment la doctrine de Jésus- Christ, l'éternelle Sagesse, est repoussée, ses exemples sont mis en oubli, le prix de son précieux sang est perdu en quelque sorte pour nous, vu le petit nombre de ceux qui y cherchent leur salut. Considérez en même temps les hommes vos frères, images de la Très-Sainte-Trinité, créés pour par- tager sa gloire, servis par l'univers pour atteindre cette fin,

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE I. 153

« les temples de l'Esprit-Saint, les membres de Jésus-Christ, « rachetés par lui au prix de tant de douleurs, d'opprobres et de « sang ; et voyez en quel abîme de misères, en quelles profondes « ténèbres ils sont plongés ; comment les tempêtes des vains « désirs, des craintes vaines et des autres passions les ballottent « avec furie, et les tiennent en perpétuel péril. Voyez, par com- « bien d'ennemis visibles et invisibles, ils sont attaqués, et « comment ils courent toujours risque de perdre non une vie « temporelle et des richesses périssables, mais un royaume et « une félicité sans fin, et de tomber dans les souffrances intolé- « râbles d'un feu éternel. Pour me résumer en peu de mots, je dis « que, si vous considérez bien l'obligation vous êtes de vous « dévouer à l'honneur de Jésus-Christ notre Réparateur et au « salut du prochain, vous verrez quel devoir il y a pour vous de « prendre tous les moyens et de travailler avec toute l'ardeur « dont vous êtes capables, afin de devenir les dignes instruments « de la grâce divine, et d'offrir à Dieu un si glorieux sacrifice, « à une époque surtout si peu d'ouvriers évangéliques chcr- « chent non leurs intérêts propres, mais les intérêts de jÉsus- « Christ ('^). Vous devez d'autant plus vous efforcer de suppléer « à ce petit nombre d'ouvriers, que Dieu, par votre vocation à « la Compagnie, vous communique une grâce plus grande peur « un tel apostolat.

« Ce que j'ai dit jusqu'ici, pour réveiller ceux qui dormiraient « et pour hâter le pas de ceux qui ne marcheraient pas assez « vite, ne doit pas être pour vous un motif de donner dans « l'excès contraire, en vous livrant à une indiscrète ferveur. Qtte « votre culte soit raisonnable (^°), nous dit saint Paul ; et ces «paroles sont conformes à celles du Roi- Prophète, qui dit: « L honneur du Roi aime le jugement (") ; elles sont conformes « encore à ce que le Lévitique avait commandé en figure: « Dans toutes vos offrandes vous offrirez du sel (^^). C'est im « devoir absolu ; car, l'artifice le plus sûr de notre ennemi, pour « arracher du cœur des serviteurs de Dieu la véritable charité, « est de faire que dans les choses spirituelles, ils se guident, non « d'après la vue calme et la règle de la raison, mais avec « inconsidération, et d'après les mouvements impétueux de la <i liberté. Ne guid nimis ('^) : rien de trop, dit le philosophe.

154 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« Et cela doit s'observer si fidèlement en tout, que l'Ecclésias- « tique le dit même de la justice : Ne soyez pas juste avec « excès ('^). Quand on ne se conduit pas avec cette modération, « le bien se change en mal, et la vertu en vice ; et de naissent « les désordres entièrement contraires à l'intention de ceux qui « agissent de cette manière.

« Le premier est, qu'ils ne peuvent travailler longtemps au « service de Dieu ; il leur arrive comme à ces coursiers qui, « faisant d'abord de trop grandes journées, fléchissent au milieu « de la course et ne peuvent atteindre au terme du voyage. « Et ces hommes, au lieu de servir Dieu, ont besoin d'être « eux-mêmes servis par les autres.

« Le second désordre, c'est que le bien acquis avec un em- « pressement immodéré dure peu d'ordinaire : car, comme dit « l'Écriture : Le bien acquis à la hâte diminuera (^5). Et non « seulement il diminuera, mais il sera une cause de chute : car, « celui qui marche avec cette indiscrète ferveur, bronche et « risque de tomber; il tombe, et sa chute sera d'autant plus « dangereuse qu'il tombe de plus haut {^^\

Le troisième inconvénient de la ferveur indiscrète est de « trop charger sa barque ; il ne faut pas qu'elle soit vide, elle « serait battue par le vent des tentations ; mais la charger tant « qu'elle coule à fond est encore pire.

« Le quatrième inconvénient est qu'au Heu de crucifier le « vieil homme, c'est l'homme nouveau qu'on crucifie ; on l'affaiblit, « et on le rend incapable de pratiquer la vertu. Par de pareils « excès, dit saint Bernard, on enlève injustement au corps son « action, à l'âme ses sentiments, au prochain l'exemple, et à « Dieu l'honneur qu'on lui doit. » Et le Saint en conclut que « l'imprudent qui se conduit ainsi commet une sorte de sacrilège, « en détruisant le temple vivant de Dieu, et qu'il devient une « pierre d'achoppement pour le prochain. En effet, la chute d'un « seul en ébranle plusieurs, les ralentit dans les voies spirituelles, « et finit souvent par amener de vrais scandales. Aussi, le même « Saint appelle-t-il ajuste titre ces hommes, emportés par une « ferveur indiscrète, des destructeurs de l'unité et des ennemis de « la paix. De plus, ils se rendent coupables d'orgueil et de vanité, « préférant leur jugement à celui des autres, ou du moins ils

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE I. 155

« usurpent un droit qui ne leur appartient pas, en se faisant « arbitres de leur propre conduite, tandis que c'est leur supérieur « qui doit l'être, comme la raison le demande.

« Outre ces inconvénients, il en est encore d'autres qui résul- « tent de cette manière d'agir. L'on se charge d'armes telles, « qu'on ne peut ni s'en servir, ni se mouvoir, comme il arriva à « David embarrassé dans l'armure de Saiil.L'on peut encore dire, « avec vérité, que l'on ressemble à un cavalier qui, pour diriger « un coursier impétueux, se servirait des éperons au lieu du « frein. Ainsi donc, la discrétion est nécessaire dans la vie spiri- « tuelle ; à elle de modérer l'exercice de la vertu, et de vous faire « marcher entre les deux extrêmes opposés. Car, comme l'observe « très bien saint Bernard, « il ne faut pas toujours se fier à sa « bonne volonté ; elle doit être réglée, dirigée surtout dans un « commençant (^^) ». Ne vous faites pas de mal à vous-mêmes, si « vous voulez faire du bien aux autres ; car, celui qui est ennemi « de son propre bonheur, à qui pourra-t-il faire du bien (^^) ?

« Que s'il vous semble que le point exact, le vrai milieu de la « discrétion est difficile à saisir, je dirai que vous avez un maître « pour vous l'enseigner ; ce maître, c'est l'obéissance dont les « conseils vous guideront d'une manière sûre. Mais si, après tout « ce que je viens dédire, il se rencontrait quelqu'un parmi vous « qui voulût obstinément se guider par lui-même, qu'il écoute ce « que saint Bernard lui dit : « Tout ce que l'on fait, sans le con- « sentement et la volonté du père spirituel, n'est que vaine gloire « et restera sans récompense (^'). » Qu'il se rappelle en outre ce « passage de l'Ecriture : Ne pas se soumettre, cest se re7idre « odieux au Seigneur comme ceux qui consultent le démon ; et (i désobéir, cest comme se rendre coupable du cri^ne d' idolâtrie i^^"). « Que l'obéissance soit donc votre maîtresse pour vous diriger, « et votre guide pour vous conduire dans le vrai chemin, entre « la tiédeur et la ferveur immodérée. Et si vous avez un grand « désir de vous mortifier pendant le temps de vos études, « mortifiez-vous en brisant votre volonté, et en l'assujettissant à « l'obéissance, plutôt que d'affaiblir et de macérer votre corps « avec excès,

« Je ne voudrais pas néanmoins vous laisser croire que je « condamne certaines mortifications publiques au sujet desquel-

156 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« les on m'a écrit. Au contraire, je les approuve, car je sais que « les saints ont usé de ces mortifications et d'autres semblables « folies, et qu'elles ont servi à leur avancement : elles n'aident « pas peu, en effet, à se vaincre soi-même, et à gagner un ac- « croissement de grâce, surtout dans les commencements ; mais « il est également vrai que, pendant le cours de vos études, et « quand, par la grâce-divine, on a vaincu l'amour-propre, il est « mieux de se diriger, en cela, d'après la mesure de la modé- « ration que vous signale l'obéissance. Je vous recommande très « instamment l'obéissance, parce qu'elle embrasse et comprend « toutes les autres vertus. Avec elle, je vous recommande non « moins instamment le précepte que Jésus-Christ Notre- « Seigneur appelle sien : Mon précepte, dit-il, est que vous vous ^^ aimiez les uns les auti^es {^'). Et non seulement vous devez « vous aimer entre vous, mais vous devez encore embrasser dans « cette même charité tous les autres hommes, et travailler sans « cesse à allumer dans vos âmes le désir du salut du prochain, « appréciant ce que chacun vaut et ce qu'il a coûté de sang et « de vie au vrai Fils unique de Dieu, à Jésus-Christ notre « Dieu et Seigneur.

« Par là, croissant d'un côté en science, et de l'autre en charité « fraternelle, vous vous rendrez de dignes instruments de la « grâce divine, et elle se servira de vous pour le très sublime « ministère de ramener les âmes à Dieu, qui est notre fin dernière.

« Ainsi donc, dans le temps que durent vos études, gardez- « vous de croire que vous soyez inutiles à l'avancement spirituel « du prochain. Car, outre que vos âmes se fortifient dans la « vertu, comme le demande la charité bien réglée, vous pouvez « coopérer de plusieurs manières à la gloire de Dieu et au salut « du prochain.

« Et d'abord par votre travail, et l'intention avec laquelle « vous l'entreprenez et le poursuivez, vous vous disposez à « aider véritablement le prochain au moment voulu. Qui pour- ri rait dire, en effet, que des soldats occupés à préparer leurs « armes et à se pourvoir de munitions pour les batailles, ne « travaillent pas au service de leur prince ? Quelqu'un de vous « serait-il atteint par la mort, avant d'avoir pu s'élancer de la « retraite pour travailler extérieurement au salut des âmes, il ne

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE I. 157

« perdrait point pour cela le mérite du travail qui l'y préparait. Vous devez offrir, chaque jour, à Dieu cette préparation, pour « travailler ensuite en son temps; et, s'il plaît à la divine Majesté « de l'accepter, il peut se faire qu'elle ne soit pas d'un moindre « secours pour le salut des âmes que la prédication elle-même « et les confessions.

« La seconde manière d'aider le prochain, durant vos études, « est de vous rendre vous-mêmes intérieurement vertueux et « saints ; car, plus vous serez saints, plus vous aiderez les autres « à se sanctifier. En voici la raison : Dieu, d'ordinaire, agit dans « l'économie de la grâce, proportion gardée, comme il agit dans « l'économie de la nature. Or, pour communiquer la vie naturelle, « il faut, comme la philosophie et l'expérience nous l'enseignent, « indépendamment des causes universelles, un agent immédiat « de la même espèce qui transmette au sujet la forme que l'on « veut produire : dans l'ordre de la grâce, la divine Sagesse en « a disposé de même ; ceux qu'elle emploie comme instruments « ou causes pour donner aux autres l'humilité, la patience, la « charité et les autres vertus, doivent être eux-mêmes d'abord « humbles, patients et charitables. Ainsi, je le répète, vous servez « le prochain, pendant que vous vous rendez des instruments « capables de le servir, en vous armant de science et de vertu, « autant qu'il est nécessaire pour vous rendre parfaits en l'une « et en l'autre.

« La troisième manière d'aider le prochain est le bon exemple. « Comme je l'ai dit, au commencement de cette lettre, la bonne « odeur que, par la grâce de Dieu, vous répandez, édifie et « console, non seulement le royaume de Portugal, mais encore les « autres royaumes elle parvient. J'ai la plus ferme confiance « que l'Auteur de tous les biens, non seulement conservera en « vos âmes le trésor de sa grâce et l'augmentera chaque jour, « mais encore qu'il ne cessera de vous la donner avec prodigalité, «jusqu'à ce qu'il vous ait élevés à un état d'entière perfection.

« La dernière manière de secourir le prochain, laquelle s'étend « sans limites, consiste dans l'offrande à Dieu des bons et saints « désirs et des prières. Et, si les études ne vous permettent pas « de longues prières, vous pourrez y suppléer en accomplissant « toutes vos actions, pour le service de Dieu Notre-Seigneur, au

158 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« profit des âmes ; c'est une sorte de prière continuelle. Mais « sur ce sujet, comme sur ce que l'on peut ajouter à ce que j'ai « dit, des hommes très capables de vous instruire ne vous man- « quent pas. Aussi, aurais-je bien pu me dispenser de vous « écrire, si je n'avais eu plus d'égard à votre désir de recevoir « une lettre de moi, qu'au besoin spirituel de vos âmes.

« Il ne me reste rien à ajouter, sinon que je prie Dieu notre « Créateur et notre Rédempteur, qui a daigné vous appeler à « sa Compagnie et vous donner une volonté efficace de vous em- « ployer à son service, de vouloir aussi conserver en vous ses « dons, afin que vous croissiez continuellement et que vous per- « sévériez dans son service, pour sa plus grande gloire et pour le « plus grand bien de son Église. « De Rome, le 7 mai 1547.

Vôtre, dans le Seigneur, Ignace.

Œuvres établies par saint Ignace pour le bien des âmes, parti- culièrement à Rome. Maison des catéchumènes juifs. Fondation d'un refuge pour les femmes de mauvaise vie. Établissement du collège des Allemands. Courage et con- stance de saint Ignace dans toutes ses entreprises. Autres bonnes Œuvres.

j'WHPPWf^A^W^PI^i

OUT ce que j'ai raconté, jusqu'ici, démontre assez de quel zèle Ignace était consumé pour le salut des âmes. D'ailleurs la preuve la plus positive, la plus universelle en sub- sistera aussi longtemps que l'Ordre institué par lui. Mais n'eût-il rien fait par le minis- tère d'autrui, ses œuvres personnelles suffi- raientpour mériter les louangesque nous donnons à son apostolat. Nous l'avons vu, dès le commencement ; à peine l'amour divin s'était-il allumé dans son cœur que le Saint avait voulu, même au prix de sa vie, en propager la flamme par la prédication de la foi aux infidèles de la Terre-Sainte.

J'ai raconté ce qu'il fit pour réformer les mœurs à Manrèse, à Barcelone, à Alcala, à Salamanque, à Paris, à Azpeitia; ses tra- vaux pour ramener les hérétiques à la vraie foi, les monastères à la rigueur de leurs observances primitives, les ecclésiastiques à la dignité de leur état ; pour persuader aux étudiants de fré- quenter les sacrements et aux hommes du monde de se consacrer à Dieu dans la vie religieuse.

Nous l'avons vu établir des confréries, réformer les abus du jeu, étouffer les blasphèmes, convertir les pécheresses publiques, inventer d'étranges moyens pour détourner les pécheurs de leurs coupables habitudes , soit en se plongeant dans des eaux glacées, soit en s'associant à des jeux qui lui étaient inconnus, soit enfin en racontant avec larmes les fautes de sa vie passée, pour que sa douleur apprît à des âmes insensibles et endurcies, à

160 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

pleurer sur leurs crimes. Mais c'est surtout par ses exercices spirituels qu'il opéra les plus durables conversions.

Dans différentes circonstances, les efforts de son zèle lui atti- rèrent d'indignes traitements, lui firent courir de très graves périls. Des matelots voulurent l'abandonner sur un écueil désert, des libertins l'accablèrent de coups, jusqu'à le laisser pour mort; des misérables, irrités de la conversion de leurs complices, l'as- saillirent pour le tuer ou travaillèrent à son bannissement ; des docteurs lui préparèrent, dans les universités, des traitements réservés aux perturbateurs; des hommes d'un zèle mal éclairé l'accusèrent d'hérésie, le firent mettre en prison ou le condam- nèrent au silence comme un ignorant. Néanmoins, de telles persécutions ne purent jamais arrêter son dévouement aposto- lique, ni éteindre dans son cœur une seule étincelle de la charité qui le dévorait.

Une fois fixé à Rome, il entreprit de nouvelles œuvres d'une grande importance. D'abord il s'occupa de convertir les juifs (^^); dans une seule année, il en baptista quarante. Ils sortaient de ses mains si bien instruits dans la loi de Jésus-Christ ; ils pra- tiquaient si bien, cette loi, qu'après avoir été de bons disciples ils devenaient d'excellents maîtres : aussi, saint Ignace les em- ployait-il à amener leurs co-religionnaires à la connaissance du Christ. Il les réunissait dans sa maison et les y soutenait. Dieu aidant, avec les dons que la piété des fidèles lui procurait. Mais leur nombre croissant toujours, la maison ne pouvait plus les con- tenir. Ignace entreprit donc de leur en procurer une autre ; il voulut que ce nouvel établissement leur appartînt en propre. Dieu permit, après de longues fatigues et de pénibles traverses, que la constance de son serviteur surmontât tous les obstacles ; des auxiliaires puissants assurèrent la réalisation de ce projet.

Ignace sollicita ensuite du Souverain-Pontife, Paul III, que les juifs, nouveaux convertis, ne perdissent pas, comme autrefois, leurs biens en quittant leurs erreurs, et rompit ainsi pour eux les liens si puissants de l'intérêt, liens qui en avaient retenu un grand nombre loin du baptême. Grâce encore à l'influence du Saint, les enfants qui embrassaient le christianisme, malgré la volonté de leurs parents, purent hériter de ce qui leur aurait appartenu, s'ils fussent restés Juifs ; de plus, les biens acquis par l'usure,

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE II. l&t

biens dont l'Église peut disposer pour des œuvres pies, furent laissés à ce titre.

Enfin, il fit statuer que, pendant le temps de leur catéchu- ménat, les néophytes seraient entretenus aux frais des synago- gues d'Italie : celles-ci devaient fournir à cet effet une contribu- tion proportionnée à leurs ressources.

Par les fruits qu'elle produisait alors, et par sa durée, cette œuvre, qui, grâce à sa riche dotation, est encore aujourd'hui une des plus importantes fondations de Rome, fut aussi odieuse à l'enfer qu'agréable à Dieu. Impuissant à surmonter la constance et le zèle de notre Saint, Satan voulut du moins tirer vengeance de tant de succès. D'ordinaire, Ignace n'entreprenait rien de grand, pour le service de Dieu, qu'il n'eût à courir les plus graves périls ou à subir les attaques les plus ignominieuses ; toute sa vie fut remplie de semblables épreuves.

Le soin des catéchumènes avait été confié à un prêtre qu'une hypocrisie raffinée avait introduit dans cet emploi. L'extérieur de cet homme était celui d'un saint ; mais son cœur était cor- rompu par plus d'un vice, et surtout par l'envie et l'ambition : ces deux passions furent les premières causes de sa haine pour Ignace.

Voyant que dans la direction de ces âmes, les conseils du saint Fondateur étaient préférés aux siens, il regarda cette pré- férence comme un outrage à sa propre réputation, et il ne trouva d'autre manière de s'élever au-dessus d'Ignace que de l'accabler de calomnies. Il commença par semer le bruit que les divers membres de la Compagnie étaient des hérétiques déguisés qui révélaient les confessions. A ces imputations, il enjoignit d'autres dont le seul énoncé soulevait l'indignation. Pour ces faits, ajou- tait-il, avant peu, Ignace serait brûlé vif au champ de Flore, et l'on ferait des siens une éclatante justice. Mais ni le Saint, ni ses amis n'eurent besoin d'élever la voix pour leur défense. Dieu évoqua bientôt à son propre tribunal le jugement de cette cause et de la manière qui répondait le mieux à une telle calom- nie. Tandis que le calomniateur inventait ses odieux mensonges contre des hommes innocents, ses crimes trop réels furent décou- verts. Prêtre indigne, il se vit livré aux mains de la justice; puis accusé, convaincu, avouant tout, il fut, par sentence juridique,

Histoire de s. Ignace de Loyola. H. n

162 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

interdit à perpétuité des fonctions sacerdotales, privé de ses bénéfices ecclésiastiques, et condamné à passer en prison le reste de sa vie (").

Ignace entreprit encore de procurer un asile aux enfants abandonnés. Ces malheureux formaient auparavant une véritable pépinière de voleurs et de femmes perdues. Je ne parle pas des mille désordres qui naissent toujours de la vie oisive chez ceux qui n'ont ni toit pour les abriter, ni travail pour les occuper. Il parvint à obtenir deux maisons qui furent appelées maisons des 07'phelins, une pour les garçons et une autre pour les filles ; là, tous sont élevés à l'abri du mal et apprennent, chacun selon sa capacité, quelque métier utile.

Il se donna plus de soinsencore,pour préserver des jeunes filles pauvres et honnêtes des dangers auxquels les exposent leur âge et la pauvreté. Dans cette vue, il fonda le monastère de Sainte- Catherine dit (ici Funari, et traça le règlement qu'on y suit encore aujourd'hui i^^). Ces femmes ne sortent de la maison que pour se marier, quand elles n'y prennent pas le voile.

Pour conduire à bien de telles entreprises, Ignace trouvait un appui auprès d'un grand nombre de personnes pieuses, chez lesquelles l'exemple de sa charité et ses entretiens habituels avaient excité le désir de contribuer au bien public. Nous cite- rons, entre plusieurs autres, Jacques de Crescenzi, d'une des premières familles de Rome, Laurent de Castello et François Vannucci, grand aumônier du pape Paul III. Avec eux le Saint conférait de ses projets, des premières démarches à faire, des aumônes qu'on pouvait espérer ; il leur demandait quel cardinal on choisirait pour protecteur, combien de membres compren- drait l'association à former pour le soutien et le dévelop- pement de l'œuvre. Tous ces points une fois fixés , Ignace mettait la main à l'œuvre. Mais dans deux fondations, la sagesse humaine n'aurait pas suffi, pour lever les obstacles qui, de tous côtés, vinrent s'opposer au commencement ou à la continuation de ces entreprises ; l'une fut l'œuvre de Sainte-Marthe, l'autre celle du collège germanique, toutes deux bien propres à procurer la gloire de Dieu.

Un des principaux soins d'Ignace était de retirer de la fange du vice les femmes de mauvaise vie, puis de les ramener à Dieu

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par la pénitence. Il n'y épargnait aucune peine ; et, malgré les affaires dont il était accablé comme Général, malgré le mauvais état de sa santé, il allait lui-même les chercher, les retirer de leurs maisons infâmes, pour les conduire en lieu de sûreté. On lui représenta un jour qu'il se donnait des peines inutiles : de telles femmes, lui disait-on, lors même qu'elles paraîtraient reve- nir à une meilleure vie, ne persévéreraient pas; elles reviendraient le lendemain à ce qu'elles auraient quitté la veille. « Mais, <L répondit-il, si par toutes les peines que je me suis déjà don- « nées, et par celles que je pourrai prendre jusqu'à la fin de mes « jours, je pouvais arracher une seule de ces femmes aux fautes « qu'elles commettent sans cesse, je croirais avoir employé bien « utilement mon temps ; je m'estimerais très heureux. »

Des dames du plus haut rang l'aidèrent, en recueillant chez elles ces malheureuses. Entre toutes se distinguait par son zèle Dona Léonora Osoria, épouse du marquis de Vega ; le marquis était alors ambassadeur de Charles-Quint, auprès du Saint- Siège. Cependant, Dieu bénissant ces travaux, le nombre des repenties s'accrut tellement, qu'on ne savait plus oiiles loger. Le monastère de Sainte- Madeleine ne recevait pas les femmes mariées ; et on n'y admettait que les jeunes hlies désireuses de prendre le voile. Ignace songea donc à trouver un asile, il fût possible de les réunir toutes, 11 s'adressa d'abord à ses aides orduiaires. Mais, ou l'œuvre parut à ceux-ci trop difficile, ou la dépense leur sembla supérieure à leurs ressources : sans renon- cer absolument à ce projet, personne n'osait l'entreprendre. Alors Ignace comprit que Dieu le chargeait seul de tout mener à bonne fin. il se mit au travail avec un premier secours qui lui fut envoyé du ciel. 11 faisait creuser un jour sur la place qui est devant notre église, dans le but d'établir les fondements d'une construction nouvelle,lorsqu'on rencontra quelques belles pierres, restes des anciennes ruines de Rome. Ignace tit vendre ces pierres par le procureur de la maison, en retira cent ducats, et acheta remplacement du monastère de Sainte-Marthe. Parla, il excitait ses amis à l'aider selon leur pouvoir. Ainsi oubliait-ii les besoins des siens et ses nombreuses charges pour donner peu sans doute, mais tout ce qu'il possédait.

Ce saint asile fut ouvert le i6 février 1542.

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L'administration en fut confiée à une association de personnes pieuses, dite de Sainte-Marie de la Grâce. On remit à trois nobles matrones les clés de la maison. D'après le règlement établi, les femmes mariées n'en pouvaient sortir que pour re- tourner chez leurs maris, les autres que pour entrer dans un couvent ou pour s'établir d'une manière définitive et sûre.

L'œuvre était placée sous le patronage du cardinal de Carpi, ,^ protecteur de la Compagnie {^^) ; le confesseur de la maison fut le Père Jacques d'Eguia (^'^), ce saint vieillard dont nous avons déjà parlé. Grâce à Eguia, grâce à Ignace, on vivait à Sainte- Marthe dans une telle ferveur, que beaucoup de prédicateurs, zélés pour la gloire de Dieu et pour la conversion des âmes, en racontaient du haut de la chaire des choses admirables ; ce qui ne contribuait pas peu à l'accroissement de l'œuvre.

Peu d'années après, le nombre des femmes qui étaient encore dans la maison, ou qui y avaient demeuré s'élevait déjà à trois cents. Plusieurs jeunes filles honorables désirèrent même y être admises ; et bientôt il s'en présenta un si grand nombre qu'en 1546 elles formèrent, à elles seules, un nouveau monastère. Ce monastère reste encore aujourd'hui florissant ; la règle y est ob- servée avec la première ferveur. Quant aux repenties pour qui cette maison avait été fondée, elles furent transportées au refuge dei Pu. Mais l'esprit de ténèbres ne pouvait voir sans fureur les heureux succès d'une œuvre qui dérobait tant d'âmes à ses sé- ductions. Pour en arrêter les progrès, il se servit des hommes corrompus auxquels ces mêmes femmes avaient été arrachées par le zèle de saint Ignace. Après mille autres tentatives inutiles, ces misérables s'en prirent au monastère même. Chaque soir, ils venaient, en poussant des cris et en tenant d'infâmes discours, jeter des pierres contre les fenêtres. Ils ne parvinrent ni à effrayer ces pauvres filles, ni à détourner de cette maison les soins et la protection d'Ignace. Ils se vengèrent de ces insuccès, en répan- dant les plus odieux libelles contre la Compagnie. Rome tout entière entendit des abominations qu'on ne pourrait répéter sans rougir. Bien que le public n'y donnât pas grande créance, ces calomnies jetèrent du discrédit sur des innocents : on les mon- trait au doigt et on prêtait à leur zèle les plus odieuses intentions. On eut même recours au Souverain-Pontife (car la malice ose

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tout), et on lui remit des mémoires où, sous prétexte de zèle pour son autorité, on accusait Ignace d'agir en Pontife, érigeant des monastères, leur donnant les règles, menaçant de faire exiler toutes les femmes mariées qui vivaient mal, si elles ne venaient pas se réfugier tlans sa maison. On ajoutait qu'on avait fait une enquête et pris des informations sur tous ces faits avérés ; mais cette fois, on s'était mal adressé; car le Souverain-Pontife con- naissait à fond et l'œuvre et la sainteté de son fondateur.

A la demande d'Ignace, la cause fut portée devant les tri- bunaux, et la calomnie démontrée. Condamnés à se rétracter publiquement, les accusateurs durent confesser par écrit, avoir imputé à des innocents des crimes que le zèle du Saint les avait empêchés de commettre eux-mêmes (3^).

La seconde œuvre dont j'ai parlé est la fondation du collège germanique. J'indiquerai seulement ici la part qu'y prit Ignace ; ailleurs je parlerai plus en détail de ce collège fameux.

La première idée en était venue au cardinal Morone (^^).

Longtemps nonce en Allemagne, Morone avait constaté les besoins extrêmes d'un pays que l'ignorance et les mauvaises mœurs du clergé avaient livré à l'hérésie de Luther.

Désireux de venir en aide à ces contrées, il crut que l'établis- sement à Rome d'un séminaire, une jeunesse choisie s'in- struirait à la fois dans les sciences humaines et dans celles de la religion, serait une œuvre utile. Cette jeunesse soutiendrait ensuite dans sa patrie la foi chancelante et l'autorité du Saint- Siège presqu'oubliée. Il demanda donc le conseil et l'appui de saint Ignace , qui non seulement approuva entièrement ce dessein, mais offrit ses services et ceux des Pères de la Compagnie (3^).

Le cardinal Morone et son collègue, le cardinal de Sainte^-» Croix, soumirent le projet à Jules III, et reçurent du pape, avec une pleine autorisation, d'abondants secours pour leur entreprise. Les Bulles furent expédiées, puis on chargea Ignace de rassem- bler de jeunes allemands auxquels on joignait alors quelques flamands, et de tracer pour tous des règlements et des statuts.

En peu de temps, une élite de vingt-quatre jeunes gens fut réunie. Ignace pour faciliter leurs études, les établit dans une maison proche de la nôtre. Le jour de la fête des apôtres saint

166 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Simon et saint Jude, l'an 1552,1e Père Ribadeneira prêcha dans l'église de Saint-Eustache, sur la nature et l'utilité de cette fon- dation. De ce jour la maison fut constituée et canoniquement ériofée en collège.

Une telle fondation déplut extrêmement, comme on peut bien le penser, aux sectaires d'Allemagne. Martin Chemnitz, luthé- rien, déclara que par ce seul fait la Compagnie pouvait être appelée un lléau pour l'Allemagne et la ruine de la Réforme (•*°). Mais un établissement si utile fut sur le point d'être étouffé dès son premier épanouissement. Dieu rappela Jules III à une meilleure vie : après le très court pontificat de Marcel 1 1, Paul VI ne continua pas à donner les secours que l'on recevait de ses prédécesseurs : enfin les guerres de Naples, la disette qui sur- vint, la cherté des vivres forcèrent les cardinaux, soutiens de cette œuvre, à ne plus verser leurs aumônes.

Saint Ignace ne perdit pas courage. Sachant bien qu'une fois tombé, le collège germanique ne se relèverait jamais, il envoya quelques-uns des jeunes gens dans plusieurs de nos maisons hors de Rome, en retint dans la sienne un certain nombre, et se chargea de leur dépense. Pour y subvenir, il empruntait de l'argent à un gros intérêt, car les temps étaient fort durs. Si le Père procureur de la maison se plaignait, il l'assurait, avec l'au- torité d'un prophète que bientôt toutes leurs dettes seraient acquittées par le secours de Dieu, (comme cela arriva) et que ce collège, alors si pauvre et si réduit, deviendrait très nom- breux et très florissant. La munificence de Grégoire XIII accomplit cette prédiction (■*'). Comme plusieurs autres maisons semblables, le collège germanique reçut de ce pontife une riche dotation. Dans les mêmes sentiments, Ignace répondit au cardi- nal d'Augsbourg qui l'engageait à renoncer à une entreprise si hasardeuse, en des temps difficiles Eh bien!- que ceux qui y « renoncent me l'abandonnent ! moi seul je la soutiendrai, « dussé-je vendre ma personne. »

Je dois ici faire remarquer un mérite particulier de saint Ignace, mérite qui le faisait réussir dans les œuvres qu'il entre- prenait, pour le service de Dieu. Ni l'absence de secours humains, ni la grandeur des obstacles ne l'effrayaient, ni ne le détour- naient de ses entreprises. Trois raisons principales rendaient ses

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résolutions inébranlables. D'abord, avant de les prendre, il les méditait avec calme et en se dégageant de toute passion ; ensuite, après avoir prié avec ferveur, il les examinait de nouveau à la lumière de l'esprit de Dieu ; enfin il les soumettait au jugement de ceux qui pouvaient l'éclairer (''^).

Nous avons vu dans le livre précédent un exemple de cette fermeté, au sujet du cardinalat offert au P. François de Borgia. Le monde entier eût-il été à ses genoux, n'aurait pu obtenir de lui qu'il laissât entrer cette dignité dans la Compagnie. Pourtant, disait-il lui-même, si la volonté expresse du Saint-Père l'exigeait, il conserverait dans son âme la même paix que s'il n'eût jamais eu d'idées contraires. Le cardinal de Carpi connaissait si bien l'inébranlable fermeté de ses résolutions, qu'il disait ordinaire- ment à ceux qui s'adressaient à lui pour obtenir son intervention : « Le clou est enfoncé, rien ne l'arrachera. »

Jules III conseillait même à de puissants princes de ne point s'opposer à Ignace, dans les choses que le service de Dieu exi- geait. Le Saint attendit un jour,quatorze heures de suite, l'audien- ce d'un cardinal, avec une imperturbable patience. Une autre fois, il devait se rendre à Alvito, dans le royaume de Naples ; or, le jour du départ, la pluie tombait à torrents et sans interruption. Le P. Polanco, son compagnon, craignant que sa faible santé n'en souffrît, le pria instamment de remettre le départ au lendemain, espérant que le voyage serait alors moins pénible. «Voici trente « ans, répondit Ignace, qu'aucun incident ne m'a fait laisser ou « différer ce que j'ai cru devoir faire pour le service de Dieu ; » et sans s'inquiéter du vent, ni de la pluie il partit.

Son zèle pour le salut des âmes ne se manifestait pas seule- ment par les divers moyens que nous avons rapportés jusqu'ici. Plusieurs fois par jour, il priait avec une grande ferveur et d'abondantes larmes pour le Souverain-Pontife, pour l'Église entière, pour la conversion des gentils et des hérétiques, pour tous les princes de la chrétienté, princes dont les exemples et le sage gouvernement pouvaient tant contribuer à la gloire de Dieu. Il prolongeait la prière bien avant dans la nuit, quand une né- cessité publique ou la conversion de quelque pécheur excitaient son zèle. Parfois même, à ses prières il faisait unir les prières de toute la maison.

168 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Pour un malheureux, qui, depuis plus de soixante ans, ne s'était pas confessé, Ignace et les siens firent des prières privées et publiques.

Parmi les autres fruits de son zèle, comptons encore le renou- vellement des lois portées en Portugal contre le duel et le réta- blissement de la discipline religieuse dans différents monastères de Catalogne, de Sicile et d'Italie, qui avaient été confiés à ses soins par Philippe, prince d'Espagne, par le vice-roi de Sicile et par plusieurs cardinaux de Rome. Ignace concourut à faire établir un nouveau tribunal de l'Inquisition, composé de six cardinaux, dans le but d'empêcher les nouvelles hérésies de pénétrer en Italie. Il réconcilia le roi de Portugal avec le Pape ; il s'entendit avec Jean de Véga pour disposer l'empereur Charles- Quint à mettre en mer une flotte contre les Turcs. Il agit auprès du prêtre Jean pour le décider à ramener l'Ethiopie, sous l'auto- rité de l'Église romaine ; il lui écrivit et lui envoya dans ce but plusieurs de ses religieux (''^). Il rétablit la concorde entre Ascagne Colonna et Jeanne d'Aragon son épouse, négociation où, malgré de longs efforts, avaient échoué même des princes jouissant d'une autorité royale ('*").

Dans la suite, il est vrai, on crut devoir reprendre cette affaire ; mais on n'aboutit qu'à ouvrir de nouveau la plaie et à l'envenimer. A cette occasion, Ignace réforma des villages et des châteaux il ne faisait que passer ; du consentement public, il y établit la pratique de la communion mensuelle {*^). Il fit, dans la suite, évangéliser ces pays par des missionnaires qui y opérèrent des fruits incroyables, fruits dont il assura la stabilité, en les mettant sous la garde des princes, seigneurs de ces contrées.

Ignace sollicita de Paul III le rétablissement d'une loi portée par Innocent 1 1 1 et tombée en désuétude. Cette loi interdisait aux médecins, sous des peines graves, de continuer à visiter les malades, si ceux-ci ne consentaient à guérir leurs âmes en rece- vant le sacrement de pénitence ('*^). Pour que le public ne fût jamais privé des secours que les Pères de la Compagnie pou- vaient lui procurer, Ignace avait ordonné au portier, lorsqu'on viendrait demander un prêtre pour un malade, d'en avertir les Pères par le son de la cloche : aussitôt tous les prêtres, le supé-

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rieur comme les autres, devaient se rendre à la porte avec leurs manteaux, prêts à se transporter là, ils pourraient être utiles.

Celui qui est à la tête d'une réunion d'hommes dévoués au service du Seigneur, doit les animer plus encore par ses exemples que par ses conseils et par ses ordres. Ignace était toujours le premier à remplir les devoirs de la charité. Pour cela, il oubliait ses propres infirmités et en particulier ses vives et continuelles douleurs d'estomac. Aussi, les Pères disaient-ils souvent qu'il semblait ne jamais se mieux porter que lorsqu'il avait plus à faire. De peur que le travail de son office de Général ne l'empê- chât d'aider le prochain, il consacrait le jour au ministère apos- tolique et il veillait quelquefois, six ou sept heures de la nuit, pour s'occuper des besoins de son troupeau.

Saint Ignace avait un don particulier pour attirer les âmes à Dieu (^^), et personne ne le quittait, après un de ces entretiens familiers, sans éprouver dans son âme un notable changement. Les couversations étaient, à ses yeux, le moyen que la Compa- gnie devait employer, pourvu qu'elle s'en servît avec la circon- spection indispensable ; autrement, il s'y rencontrerait, disait-il, de grands dangers, et l'homme du monde pourrait déteindre sur le religieux, plus que les religieux n'agiraient sur les gens du monde. Aussi, sera-t-il bon d'indiquer comment lui-même se con- duisait dans ces circonstances. Voici ce qu'a écrit de lui un de ceux avec qui il avait eu les plus intimes relations : « Par dessus tout, « notre P. Ignace a le cœur embrasé de la plus tendre charité en- « vers ceux qu'il veut ramener à Dieu. Quelque dépravés qu'ils « soient, il aime en eux la foi, s'il leuren reste; ou au moins les ver- « tus qu'ils eurent jadis, et surtout l'image de Dieu leur Créateur, «le sang de Jésus-Christ versé pour les racheter de la servi- « tude de la chair et de la tyrannie du démon. Il s'étudie à con- « naître leurs dispositions naturelles ; s'ils sont lents ou ardents, « tristes ou joyeux ; comment ils ont vécu autrefois, comment « ils vivent maintenant, et, d'après toutes ces circonstances, il « calcule quelle sera la manière de traiter avec eux la plus propre « à leur être utile. Ignace ne débutait pas, avec eux, par des « entretiens spirituels ; c'eût été leur offrir sans appât un hame- « çon auquel ils ne se fussent pas pris; il commençait d'ordinaire <i à leur parler des occupations de leur état. II parlait de guerre au

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« soldat, de trafic au négociant, de gouvernement aux hommes « politiques. Puis, saisissant habilement l'occasion, il amenait la « conversation sur des sujets plus élevés, et parlait bientôt d'un « autre genre de combats, de négoce, de gouvernement, c'est- « à-dire de la nécessité de vaincre ses habitudes, de gagner le « ciel, de dompter ses passions. C'est là, disait-il, entrer par la « porte du prochain et sortir par la nôtre, ou mieux, par celle de « Dieu. » Pour confirmer ce qui précède, j'ajouterai quelques faits dont les témoins oculaires nous ont conservé le souvenir.

Le P. Gonçalvès affirma n'avoir jamais rencontré un homme dont les manières fussent à la fois plus nobles, plus agréables, et pourtant plus dignes d'un religieux et d'un saint. Aussi, le P. Polanco ne voyait-il pas sans admiration Ignace également cher aux gens du caractère le plus opposé, et même à des hommes que la différence de nation, ou la guerre entre leurs sou- verains respectifs auraient pu faire regarder comme ses ennemis.

Tandis que l'empereur et le roi de France étaient en guerre ou en contestations, Ignace était également bien accueilli par les ambassadeurs des deux nations, et «ce n'était pas là, ajoute « le P. Polanco, l'effet d'une habileté purement humaine (car la « prudence humaine ne va pas jusque-là), mais du caractère de « ses relations, qui tendaient uniquement et sans arrière-pensée « au bien des âmes et au bon plaisir de Dieu. »

Il avait pour les pécheurs une compassion et une tendresse sans bornes ; pour eux il était tout cœur et tout mansuétude, comme une mère, auprès de son enfant malade, ressent pour lui une plus vive affection, le soigne et le caresse mille fois plus qu'avant la maladie. Cette disposition charitable était si bien connue, qu'un frère du bienheureux François de Borgia, lui écri- vant pour lui demander son amitié : « Je sais, lui disait-il, que « rien ne me rend digne d'être votre fils ; mes deux seuls titres « sont d'être le frère du P. François et un grand pécheur, et « je ne sais vraiment lequel des deux est le plus puissant. »

Le P. Laynez avait une conscience si délicate, qu'il détestait toute infraction aux règles, quelque légère qu'elle fût. Tout le monde ne lui ressemblait pas ; et, si quelquefois il remarquait quelques transgressions, bien excusables du reste et sans impor- tance, son zèle s'en alarmait et il s'en plaignait à Ignace. Un

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jour, celui-ci l'en reprit sévèrement (bien que Laynez souffrît en ce moment de la fièvre), parce que cette haine pour les défauts d'autrui engendre dans l'âme une certaine aigreur, un certain éloignement pour les coupables ; sentiments qui portent plutôt à haïr les pécheurs, qu'à essayer par une douce charité de les ramener au bien.

Dans ces relations particulières, Ignace était-il parvenu à détourner la conversation sur des choses spirituelles, il parlait alors, selon la remarque de saint François de Borgia, tanguant potestate7n habens, comme d'autorité ; il se livrait tellement à l'ardeur de sa charité, que son visage en paraissait tout enflam- mé ; alors le feu qui brûlait dans son cœur se communiquait rapidement, et souvent, en le quittant, son interlocuteur allait trouver un confesseur, La même chose arrivait, quand il parlait au peuple en public, soit sur la place d'Altieri ou près de l'hôtel delà Vieille-Monnaie, lieux ordinaires ses prédications. Lors de sa première prédication, il avait été hué par des enfants qui avaient osé l'insulter et même lui jeter de la boue : mais, quand on commença à ressentir l'efficacité de ses paroles, les larmes coulèrent et amenèrent de grandes conversions. Ce fut l'origine des prédications que nos Pères firent alors et continuent de faire sur les places publiques, dans les lieux les plus fréquentés de Rome. Benoît Palmio et Pierre Ribadeneira furent les premiers Pères employés à ces prédications. Avant même d'être prêtres, chacun d'eux prêchait ainsi une fois chaque semaine. Il plut à Dieu de donner tant de force et d'efficacité à ce ministère, que, suivant les mémoires du temps, les hommes les plus éloignés de Dieu et les moins amis de notre Institut n'osaient le blâmer. Non seulement le peuple et la bourgeoisie, mais la noblesse et les prélats retenaient leur place, longtemps avant l'heure, pour entendre sa prédication ; on voulut même ériger une chaire en ces endroits, se réunissaient des auditoires très choisis et plus nombreux que dans aucune église de Rome.

Le fruit répondait au zèle. A la suite de ces sermons, des pécheurs convertis couraient au confessionnal, comme cela arrive encore aujourd'hui, surtout parmi les hommes désœuvrés, qui rarement entendent parler des choses spirituelles d'une manière adaptée à leur intelligence et à leurs besoins.

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Lorsque des hommes du monde, sourds la première fois à la voix de leur conscience, fatiguaient Ignace par des visites fré- quentes ou par des discours oiseux.le Saint', sans préambule, par- lait de suite, de sujets de piété, de ceux surtout dont l'austère gravité est peu agréable aux personnes du monde, comme la mort, le jugement, l'horreur du péché, les châtiments éternels. Ces en- tretiens atteignaient nécessairement un but utile, ou pour ces hommes ou pour Ignace lui-même : écoutés avec attention, ils rendaient meilleurs ; si on s'en fatiguait, on ne revenait plus faire perdre un temps précieux.

Quelquefois, d'autres solliciteurs demandaient l'appui du Saint pour faire leur chemin à la cour. Ignace leur répondait qu'il ne pouvait se mêler de les introduire qu'à la cour du Roi des rois : s'ils en connaissaient une plus brillante, il les priait de lui en procurer à lui-même l'entrée ; dans le cas contraire, ils pouvaient compter sur tout son concours, pour entrer dans la voie qui mène à Dieu et y faire autant de progrès qu'ils voudraient.

3.

:•:— Gl)ap(tre troisième. —:;•;-

Efforts inutiles des hérétiques pour pénétrer dans la Société et en changer le caractère. Succès de saint Ignace contre les hérétiques. Son zèle pour la conversion de l'Angleterre, Sa confiance sans bornes dans la Providence, dont l'appui se manifeste dans plusieurs circonstances.

&^^^^^^Ë^EPENDANT, par ses œuvres et par celles

des nombreux ouvriers évangéliques qu'il distribuait dans tant de royaumes, Ignace avait rendu son nom célèbre dans toute l'Europe. Les hérétiques déjà frémissaient, en le voyant, pour leur malheur, déployer <i)m4^-i^>^-^:?^^^^^J4W^ contre eux sa bannière. Les uns employèrent divers artifices pour le discréditer. Ils le représentaient comme vendu au Pontife de Rome, et expliquaient par l'ardeur du Saint à défendre la foi catholique. D'autres crurent plus sage d'attirer à eux des hommes si capables. Dans cette vue, ils vou- lurent infecter de leurs doctrines la nouvelle Société. S'ils y réussissaient à Rome même, et sous les yeux du Saint-Père, bientôt peut-être, pensaient-ils, leur erreur se répandrait par tout l'univers.

C'est le plan qu'imaginèrent Philippe Melanchthon et ses amis. Un de leurs disciples se chargea de l'exécuter. Cet homme s'appelait Michel : c'était un calabrais d'un caractère très insi- nuant. Arrivé d'Allemagne à Rome, il demanda et obtint, après les épreuves ordinaires, d'être reçu dans la Compagnie. Son extérieur était celui d'un saint : il se montrait modeste, rangé, d'autant plus exact à la fréquentation des sacrements que le mal- heureux y croyait moins, et ne s'en servait que pour établir son crédit.

On lui donna, au noviciat, le soin du réfectoire : il eut pour compagnon le P. Olivier Manare ('^). Quand Michel eut un peu

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fréquenté Manare, il comprit que, sorti depuis peu de l'université de Paris, cet homme était profondément instruit. Il s'enhardit donc à l'attaquer, dans l'espoir de l'attirer peu à peu dans ses filets. Il prit un jour occasion de certaines images suspendues aux murs du réfectoire, et, comme si un doute eût hanté son esprit, il demanda au P. Manare, pourquoi ces images avaient été placées ; et s'il ne craignait pas de faire un acte d'idolâtrie, en les saluant et en s'agenouillant devant elles.

Le Père lui fit une réponse à la fois sage et orthodoxe . Alors l'hypocrite ajouta : « J'ai pourtant connu en Allemagne de sa- « vants théologiens qui ne regardent pas ces démonstrations « comme innocentes ; ils s'appuient sur un texte de saint Jean « qui semble vraiment s'y appliquer à la lettre : Cavete a simu- « lacris. » Ce jour-là, Michel n'alla pas plus loin.

Un autre jour, il demanda à son compagnon l'interprétation de ce passage de saint Pierre: Salutant vos fratres qui su7tt in Babylone; « les frères qui sont à Babylone vous saluent». Manare répondit que l'Apôtre parlait de Rome, cité à laquelle on pouvait justement alors donner ce nom, à cause de la confusion qu'y produisait l'accueil fait à toutes les fausses religions. « Comme « si, ajoute le pape saint Léon, elle eût fait preuve de beaucoup « de religion, en ne repoussant aucune absurdité. » «Ah! re- « prit l'hypocrite en souriant, les théologiens allemands l'enten- « dent aussi de Rome ; mais pour une autre raison qui paraît « plus juste.

« L'Apôtre, disent-ils, appelait ainsi Rome, dans la prévision « que l'antechrist, (le Pape, comme ils le prouvent) y établirait « cette chaire que David, dans son premier psaume, appelle la « chaire de pestilence. 1) A ces paroles, Manare comprit que le pré- tendu novice était un loup travesti. Pour s'en assurer davantage, il feignit une amitié, de jour en jour plus étroite, et fit souvent tomber la conversation sur de semblables sujets. Michel, croyant l'avoir enlacé dans ses filets, lui donnait chaque jour avec plus de confiance, sous le voile du doute, des leçons d'hérésie. Ma- nare compta jusqu'à vingt-cinq de ces leçons. Après chaque entretien, il avait soin de noter par écrit ce que son compagnon avait avancé. Il lui restait encore à faire connaître le personnage à qui de droit. Mais, comme jusque-là la chose s'était passée

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entre eux seuls, il essaya d'amener Michel à formuler par écrit trois propositions, sur lesquelles ils avaient encore à discuter ; et, pour que l'affaire ne dégénérât pas en contestations oiseuses, il proposa de choisir un juge auquel tous deux s'en rapporte- raient. Michel, plus confiant que prudent, consentit à tout. En présence du P. Éverard Mercurian (**5), aussi versé dans les saintes Écritures qu'habile théologien, il écrivit et remit au P. Manare les trois propositions qu'ils devaient secrètement discuter. Celui-ci prit ces propositions sous prétexte de les étu- dier, et, les portant avec ses autres notes à Ignace, raconta au Saint tout ce qui s'était passé. Ignace en donna aussitôt avis au cardinal Carafa, alors grand inquisiteur et depuis Souverain- Pontife.

Ensuite, il fit reprendre à l'hérétique ses anciens vêtements et le chassa de la maison. Michel sortait à peine que les gens de l'Inquisition le saisirent pour le mener en prison. Convaincu bientôt d'être un luthérien et un séducteur, il fut puni de sa témérité par les galères perpétuelles.

Ce premier essai ayant mal réussi, les sectaires en tentèrent un autre qui n'eut pas plus de succès. On envoya de Venise, à titre d'aumônes, de la part d'une personne inconnue , deux grandes caisses de livres (^°). Les premiers volumes qu'on trou- vait à l'ouverture de la caisse étaient des auteurs orthodoxes ; mais le poison était au fond : c'étaient les ouvrages de Luther, de Melanchthon et d'autres hérétiques protestants. Ces volumes brochés, furent mis à part dans la bibliothèque de la maison, jusqu'à ce qu'on pût les faire relier. Dieu, sans doute, inspira au P. Manare la pensée de les examiner pour en connaître les auteurs. Il découvrit bientôt que la plus grande partie de ces ouvrages étaient infectés des nouvelles erreurs, et il en instruisit Ignace. On n'était pas obligé alors, commme aujourd'hui, de déférer ces ouvrages au tribunal de l'Inquisition; Ignace se borna à les faire jeter tous au feu. Le Saint eut lui-même plus de succès auprès des hérétiques, que ceux-ci n'en avaient obtenu dans sa maison ; car, dans plusieurs villes, il ramena beaucoup de luthériens à la vraie Foi. Un jeune homme, défenseur obstiné et même ardent propagateur de l'hérésie, était venu de loin avec l'imprudence de son âge, pour répandre secrètement dans Rome

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les doctrines de sa secte. Il ne put cependant tenir ses menées si secrètes qu'il ne fût enfin reconnu pour hérétique. Il tomba dans les mains de l'Inquisition. Sa jeunesse lui fit pardonner sa témérité ; on voulut faire mieux que le punir, on travailla à l'éclairer. Mais ni persuasion, ni menaces ne purent l'amener à reconnaître ses erreurs. Quoiqu'il ne manquât pas de capacité, il n'avait pas plus de science qu'on ne devait naturellement en attendre de son âge.

Comme dernière tentative, on le remit à Ignace. Celui-ci le reçut dans sa maison et le traita avec sa charité ordinaire. Quel- quefois, il lui parlait de Dieu ; mais plus souvent, il parlait de lui à Dieu, afin de le gagner d'abord par ses prières. Puis, plu- sieurs Pères exposèrent à ce jeune hérétique, en se mettant à sa portée, les vérités qu'il combattait, ou sur lesquelles il avait des doutes. Il finit par se laisser gagner et rétracta publique- ment les erreurs de sa secte. On lui demanda plus tard comment, après avoir été si inflexible, il était devenu si souple entre les mains d'Ignace. Il répondit que la vie toute sainte d'Ignace et des siens plus encore que leur science, avait produit en lui ce merveilleux effet. Il ne pouvait croire que, s'il existait une doc- trine plus saine et par conséquent plus sûre que celle de l'Église romaine, Dieu l'eût laissée ignorer à des hommes dont la vie était si innocente.

Cette victoire en rappelle une autre que le Saint remporta sur un Israélite nommé Isaac. Pressé du désir de devenir enfant de l'Église catholique, Isaac s'était réfugié dans notre maison, oii l'on instruisait alors des catéchumènes. Mais aux approches du baptême, il fut assailli par une si violente tentation de retourner au Judaïsme, que ni la force des raisonnements, ni les témoignages de la plus affectueuse charité, ne pouvaient le retenir. Ignace l'apprit, et, gémissant de voir échapper cette proie bien-aimée qu'il tenait, pour ainsi dire, dans la main, il recommanda le pauvre tenté, avec la plus grande ferveur, à Notre-Seigneur. Ensuite, il fit appeler ce jeune homme et lui dit ces seules paro- les : « Isaac, restez avec nous. » Dieu donna une telle efficacité à ces quelques mots, qu'ils changèrent soudainement ce cœur et le remirent dans ses premières dispositions. Peu après, Isaac fut pour toujours affermi dans la foi par la grâce du baptême.

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La conversion du célèbre Bernardin Ochino {^') eût été une nouvelle gloire pour Ignace et une joie universelle pour l'Église, si au moins, par crainte de l'éternelle damnation, l'apostat avait cédé aux charitables avances du Saint. Nous avons encore une lettre adressée par Ignace, le 12 décembre 1545, au P. Claude le Jay. Le Jay travaillait alors à Bilingue, en homme vraiment apostolique. Dans sa lettre, Ignace lui recommandait avec chaleur de n'épargner aucun soin pour ramener cette âme égarée ; il l'engageait à voir Ochino, à gagner son amitié par les plus affectueuses démonstrations de la chanté, et à profiter de ces relations, pour le ramener dans le sein de cette Eglise romaine qu'il avait abandonnée avec tant de scandale. « Obtenez de lui, « une lettre, ou au moins une parole de repentir et de répara- « tion : en retour, je lui promets qu'il sera reçu par le vicaire de « Jésus-Christ, avec une compassion et une miséricorde toutes « paternelles. Si Ochino témoigne quelque crainte, rassurez-le « en lui offrant l'assistance de toute la Compagnie. »

Ignace, les Pères Laynez et Salmeron étaient à Rome : tous les trois, on pouvait lui en faire la promesse, seraient animés pour lui des meilleurs sentiments, comme s'ils n'avaient avec lui qu'une même âme. Mais, hélas ! tous ses efforts furent vains, excepté sans doute auprès de Dieu, qui apprécie et récompense souvent les désirs autant que les œuvres mêmes.

Un des vœux les plus ardents d'Ignace était le retour de l'Angleterre à la foi catholique. Jamais il ne négligea aucun moyen de procurer des secours spirituels à ce royaume, l'orne- ment et la gloire de l'Eglise, pendant tant de siècles ; car, pour ne parler que des saints rois, elle en compte plus que tous les autres pays réunis.

Le cardinal Réginald Pôle (^^), grand ami de notre Saint, avait reçu du Souverain- Pontife l'ordre de se rendre dans ce royaume, échu par succession à Marie, fille de Henri VI 1 1 et de Catherine d'Aragon, dans le but de le réconcilier avec l'Eglise romaine. Ignace écrivit au légat, afin de l'animer à poursuivre une œuvre si glorieuse pour Dieu et pour lui-même. Depuis longtemps, le Saint avait ordonné dans toutes les maisons de la Compagnie, de l'Orient et de l'Occident, d'offrir à Dieu de continuelles sup- plications pour la conversion de l'Angleterre. Plus que jamais.

Histoire de s. Ignace de Loyola. II. 12

178 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ajoutait-il, il allait renouveler ses injonctions. Aussitôt après l'arrivée du cardinal à Londres, il lui écrivit encore pour lui offrir dans le collège germanique ("), alors entièrementà la charge de la Compagnie, autant de places qu'il désirerait pour de jeunes Anglais, si ce prélat croyait devoir lui en envoyer. Non content de ces démarches, il écrivit encore en Espagne au P. Araoz, provincial, et au bienheureux François de Borgia, commissaire de la Compagnie dans ce royaume, d'employer tout leur crédit pour faire passer en Angleterre, avec le roi Philippe II, le plus grand nombre de Jésuites qu'il serait possible. Le P. Bernard Olivier (^t) reçut aussi en Flandre l'ordre de se rendre, avec un compagnon, à Londres, dans le même but. Le Père était déjà à Anvers, et prêt à mettre à la voile, quand Philippe II revint d'Angleterre dans cette ville.

o

Sur la terre Ignace ne vit pas ses désirs réalisés ; mais au ciel, il voit à ses côtés ceux de ses enfants, qui ont arrosé l'Angleterre de leurs sueurs et de leur sang ; il voit cette nom- breuse jeunesse anglaise, confiée aux soins de la Compagnie à Rome, à Valladolid, à Séville, à Saint-Omer ; il voit enfin une province entière, composée de plus de trois cents membres, tous sortis de cette infidèle nation.

Les cœurs des rois sont dans la main de Dieu ; et c'est de la grâce seule qu'on obtient le salut des peuples. Aussi, saint Ignace a-t-il voulu que la Compagnie se tînt tout entière suppliante devant Dieu, offrant des prières et des sacrifices continuels, autant pour le retour à l'Eglise des peuples du Nord, engagés dans l'hérésie, que pour la conversion des infidèles :

Voici la lettre il donnait à toute la Compagnie, un ordre formel sur ce sujet, ordre qui s'exécute encore aujourd'hui.

« Ignace de Loyola, préposé général de la Compagnie de « Jésus, à ses frères bien-aimés en Jésus-Christ, tant aux « supérieurs qu'aux inférieurs delà Compagnie de Jésus, salut « éternel dans le Seigneur.

« L'ordre dans la charité, avec laquelle nous devons aimer « le corps tout entier de l'Église de Jésus-Christ, son chef, « exige que l'on apporte principalement remède à la partie de « ce corps attaquée par une maladie plus grave et plus dange- « reuse. Aussi, nous a-t-il semblé que notre Compagnie, dans

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« la faible mesure de ses forces, devait se porter, avec une « affection particulière, au secours de l'Allemagne et des régions « du Nord, si dangereusement atteintes par la maladie des « hérésies. Et, quoique nous leur montrions par d'autres moyens « la sollicitude de notre zèle et que déjà, depuis plusieurs années, « un grand nombre d'entre nous cherchent, par l'application des « prières et des messes, à subvenir aux nécessités de ces régions, « cependant, afin que cet office de la charité s'exerce dans une « plus grande étendue et une plus longue durée, nous ordonnons « à tous nos frères, tant à ceux qui nous sont immédiatement « soumis qu'aux recteurs ou préposés, et à ceux qu'ils ont sous « leur conduite, de célébrer chaque mois, s'ils sont prêtres, le « saint Sacrifice de la messe, et, s'ils ne sont pas prêtres, de « prier pour les besoins spirituels de l'Allemagne. Puisse le « Seigneur avoir enfin pitié de cette nation et des autres provin- « ces qu'elle a infectées de son mal ! Qu'il daigne les ramener à « la pureté de la foi et de la religion chrétienne ! Nous voulons « que ces prières continuent aussi longtemps que durera le be- « soin de ces contrées. En quelque part que se trouve notre « Compagnie, nous voulons qu'aucune province, fût-elle aux « extrémités des Indes, soit exempte de cet office de charité.

« De Rome, le 25 juillet 1543.

« Ignace. »

A côté de toutes ces admirables vertus que nous venons d'es- quisser, il est temps d'en signaler une autre, la confiance illimitée du Saint en Dieu, confiance qui fut récompensée par la protec- tion la plus paternelle et la plus visible. Depuis le: premier mo- ment où se convertit Ignace, quiconque suivra attentivement les circonstances de sa vie, n'y verra que des difficultés, des périls, des épreuves, un enchaînement perpétuel de malheurs qui se succèdent et parfois arrivent en même temps : indigence extrême, douloureuses infirmités, abandon de la part des amis, embûches de la part des ennemis, mauvais traitements qui mettent sa vie en danger, accusations calomnieuses, prison, procès, menaces de honteux châtiments, persécutions conti- nuelles ; un perpétuel quotidie morior, toujours le même, sous mille formes. Néanmoins, Ignace était aussi calme dans les dan-

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gers, aussi heureux au milieu des peines, que s'il eût vécu tranquillement dans les délices du paradis terrestre. Et cela, non pas seulement parce qu'il souffrait pour Dieu, en qui se trouve la plénitude de la consolation, comme la plénitude de l'amour ; mais parce qu'il souffrait avec Dieu, entièrement sous sa main, n'ayant pas même la pensée de s'occuper de ses ppopres dangers, ne désirant que de voir s'accomplir la volonté de celui qui pouvait le délivrer de tous les périls. Ainsi, dit saint Augustin, qu'on dresse ou qu'on incline une torche, qu'on la renverse même, sa flamme s'élèvera toujours en haut. Du reste, ce n'était pas seulement dans ses peines, c'était encore dans les plus grandes et difficiles affai- res, qu'Ignace se reposait uniquement sur Dieu. Aussi ces pru- dents selon le monde,qui calculaient les chances de succès, d'après les secours naturels, accusaient-ils de téméritsé une conduite qui n'était en réalité qu'une sage confiance.

« Celui qui veut faire de grandes choses pour Dieu, disait « encore le Saint, doit surtout se garder d'être trop sage et de « ne consulter que sa tête et ses bras ; c'est-à-dire son intelli- « gence bornée, ou sa faible puissance. Si les apôtres avaient « ainsi calculé, auraient- ils eu la pensée, encore moins le cou- « rage, eux si peu nombreux, si ignorants, si méprisables en « apparence, de tenter une suprême impossibilité, en travaillant « à convertir l'univers à Jésus-Christ, et à courber la tête des « rois et des sages devant la croix ? Mais plus ils reconnurent leur néant, plus ils s'enhardirent; ils s'appuyaient sur celui qui, « comme parle saint Augustin, les avait choisis sans naissance, « sans honneurs, sans lettres, afin que tout ce qu'ils seraient, « tout ce qu'ils feraient de grand lui seul le fît en eux.

C'est cette philosophie, apprise d'Ignace, qui donnait à Fran- çois Xavier un si prodigieux courage. Aussi, l'apôtre des Indes écrivait-il de ces contrées lointaines : « J'ai toujours dans l'esprit « ces paroles que notre vénérable Père Ignace m'a répétées plu- « sieurs fois : Tout enfant de la Compagnie doit s'efforcer de « vaincre et de bannir les craintes, qui nous empêcheraient de « placer en Dieu seul notre confiance. »

Un des plus singuliers témoignages qu'Ignace ait jamais donnés de son inébranlable confiance en Dieu, fut la fondation du Collège Romain ("). Il n'avait d'autres fonds qu'une assez

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forte somme de dettes ; il n'entrevoyait aucun secours, n'avait aucun moyen de soutenir son entreprise : malgré cela, on le vit recevoir dans sa maison un grand nombre déjeunes gens dont l'entretien était fort onéreux. « C'est ainsi qu'il faut agir, disait « Ignace à un Père qui ne pouvait comprendre la prudence du « Saint; il faut naviguer contrevents et marées, et espérer d'autant « plus en Dieu, que les choses paraissent plus désespérées. »

Des succès étonnants ont assez prouvé qu'Ignace ne se trom- pait pas en cela ; car, jamais les charges n'augmentaient, sans que les secours ne s'accrussent dans la même proportion.

Le Père Nicolas Bobadilla lui demandant un jour, avec une sorte d'effroi, d'où il comptait tirer de quoi soutenir une si nom- breuse maison, le Saint lui exposa avec détail les secours qu'il recevait des âmes pieuses ; mais le Père lui représenta que ces secours ne pouvaient pas couvrir la moitié des dépenses : « Et « n'avons-nous rien à attendre de Dieu lui répondit Ignace. « N'aurons-nous donc confiance en lui qu'autant que la charité « des fidèles nous y encouragera ? Je trouve dans les mains de « Dieu ce que je ne trouve pas dans les mains des hommes; et, si « je ne trouvais rien dans ces dernières, je trouverais tout en « Dieu.» Il avait commencé le collège aux frais delà Providence; il l'agrandit sur le même fonds. L'établissement renfermait vingt- huit Pères. Ignace fit appeler un jour le P. Olivier Manare qui en était recteur, et lui ordonna de préparer des chambres, des meubles,et des vivres, pour d'autres religieux qui allaient arriver et porter à cent le nombre des Pères du collège. Pour exécuter cet ordre, il n'y avait entre les mains du P. Polanco, que cinq ducats : encore ces cinq ducats restaient-ils,non point comme ex- cédant des dépenses, mais parce qu'ils n'avaient pas le poids légal.

Saint Ignace mit la main à l'œuvre, au nom de celui pour la gloire duquel il travaillait. Il reçut de Notre-Seigneur des se- cours vraiment miraculeux. En peu de temps, le bâtiment fut prêt à recevoir soixante-dix hôtes nouveaux.

Quand les travaux furent terminés, le Saint alla les visiter : il en fut satisfait. Seul, un grenier transformé en chambres lui déplut. Les chambres étaient déjà pourvues de lits et de tables ; mais elles n'avaient pour plafond que les tuiles du toit. « Dieu « veut bien, dit Ignace au P. Recteur, que ses serviteurs vivent

182 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« dans la pauvreté ; il ne veut pas qu'ils soient logés aussi « misérablement. N'y a-t-il pas dans les trésors du Seigneur, <( assez d'argent pour plafonner ce grenier, et ne pas coucher « sous les tuiles, à peu près à la belle étoile ? » Et il ordonna qu'on se mît aussitôt au travail.

On eût dit que toutes ces dépenses avaient réellement été faites au compte de Dieu lui-même. La Providence envoya d'abondantes aumônes par des voies imprévues, comme si elle eût voulu montrer qu'elle se chargeait de toutes les dettes qu'Ignace contractait pour son service.

Cependant, tandis qu'on parvenait à soutenir les cent person- nes dont j'ai parlé, la disette et les guerres causèrent dans Rome une extrême pénurie. Les Romains les plus opulents, loin de pouvoir continuer leurs aumônes, parvenaient à peine à tenir leur rang. Les cardinaux, eux-mêmes, durent réduire le service de leurs maisons. On crut alors qu'il y aurait de la présomption à espérer soutenir tant de personnes auxquelles, avec les aumô- nes, allait manquer leur unique ressource.

Ceux qui étaient chargés de pourvoir aux dépenses du collège, firent part de leurs craintes à Ignace ; mais ils le trouvèrent bien éloigné de leur pusillanimité. Loin de renvoyer le plus grand nombre des étudiants, comme ces Pères le désiraient, il se pré- parait au contraire à faire pour eux une acquisition qui devait lui coûter à peu près cinquante mille écus. Sa confiance, en celui sur qui seul il s'appuyait, ne fut pas un moment ébranlée ; elle reçut sa récompense ordinaire. Ignace pourvut à tous les besoins, comme si la disette ne se fût pas fait sentir.

Le P. Louis Gonçalvès disait un jour que leur existence était vraiment un miracle : « Quel miracle ! Le miracle serait qu'il « n'en fût pas ainsi, répondit Ignace ; oui ce serait un miracle « que Dieu laissât sans secours ceux qui se confient en lui seul. « Avez-vous attendu, jusqu'à ce jour, pour observer que nos res- « sources ont toujours augmenté avec notre nombre } Occupons- « nous donc du service de Dieu, et laissons-lui le soin de pourvoir « à nos besoins. Pour moi, s'il le fallait, je recevrais aussi bien « mille étudiants que cent ; car, pour Dieu, en soutenir cent ou <( en soutenir mille, c'est tout un (^^). »

On a pu reconnaître, dans plus d'une circonstance, que Dieu

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était vraiment le trésorier de ses pauvres serviteurs. Il arriva, plus d'une fois, quand on donnait le signal pour se mettre à table, qu'il ne se trouvait pas dans la maison un seul morceau de pain, et qu'à cet instant même arrivait, en aumônes, assez de nourriture pour tous les religieux ! Un jour, on n'avait plus ni vin, ni bois dans la maison, et Dieu pourvut, à la fois, à tant d'exigences. En effet, le portier ayant laissé ouverte la porte de service pour faire entrer une charrette de bois envoyée en aumône, il trouva, à son retour, près de cette porte, plusieurs charges de blé et de vin qu'un homme ou un ange. Dieu le sait, y avait déposées.

Certains secours ordinaires, sur lesquels Ignace avait droit de compter, vinrent souvent à lui manquer ; cependant il ne cessait point pour cela de recevoir de nouveaux arrivants, oubliant les plus simples règles de la prudence humaine. Le Frère dépensier, Jean Croce, revenait, un soir, de Saint-Jean de Latran. Près du Colysée, il aperçut un homme qu'il n'avait jamais vu et qui, sans dire un seul mot, lui mit dans la main plus de cent écus d'or. L'inconnu disparut aussitôt, laissant le Frère tout stupéfait. Le même fait se répéta plus tard. Croce était sorti avant l'aube pour faire ses provisions, lorsqu'un homme s'approcha et lui remit une bourse fort lourde. Comme la nuit était encore sombre le Frère ne put reconnaître le donateur. Tout effrayé, Croce craignit dans sa simplicité, qu'un mauvais esprit ne lui eût donné pour le perdre, un sac de fausse monnaie. Il entra donc dans l'église de la Minerve qui était voisine, et pria Dieu de le préserver d'une telle déception. Mais il y avait à remercier et non à crain- dre. La bourse était pleine d'un or véritable qui servit à acquit- ter les dettes.

Notre-Seigneur parut vouloir rassurer, par une surprise sem- blable, le P. Polanco. Ce Père était chargé de pourvoir à la dépense de tous nos religieux de Rome.

Un jour, il cherchait quelques papiers dans une grande malle, remplie d'objets de rebut. Cette malle restait toujours ouverte. Tout à coup, Polanco rencontra sous sa main un gros rouleau d'écus d'or, si brillants,qu'on aurait pu les croire récemment frap- pés. Jamais on ne put découvrir comment et par qui ces écus avaient été placés ; mais ils arrivaient à point ; le besoin en était urgent. Le même Père avait coutume de dire que pour en-

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HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

treprendre quelque grande dépense, il ne s'inquiétait pas s'il avait de l'argent, mais seulement si le P. Ignace l'ordonnait, car la parole du Saint lui inspirait plus de confiance que la posses- sion d'un trésor.

Quoique le P. Polanco fût doué d'un grand courage et d'une grande force d'âme, Ignace lui reprochait quelquefois sa pusilla- nimité et son peu de confiance en Dieu; «On ne saurait, disait-il, trop se confier en celui pour qui il n'est pas plus difficile de faire que de vouloir. »

Et vraiment saint Ignace n'attendait rien d'autres mains que de celles de Dieu. Un jour, il alla visiter le marquis de Sarria, ambassadeur du Roi catholique auprès du Saint-Siège. Contre son habwtude, ce jeune seigneur le reçut froidement. Notre Saint attribua cet accueil à ce qu'il n'avait pas recours au crédit du Marquis, crédit que celui-ci, très affectionné à la Compagnie, aurait voulu mettre à notre service. « Voilà trente ans, dit saint « Ignace à son compagnon le P. Ribadeneira, que Notre-Sei- i gneur m'a appris à ne pas mettre ma confiance dans les moyens « humains. J'aurais pu le dire à l'ambassadeur, et il l'aurait « compris. Non, nous ne pouvons pas recourir à son obligeance; « ce serait porter atteinte à notre abandon entier entre les « mains de Celui qui doit être, par dessus tout, notre appui et le <i fondement de nos espérances. »

Gl)apîrre quatrième, :!:—

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Moyens particuliers dont saint Ignace se servait pour vivre en Dieu et pour purifier sa conscience. Le livre de quatorze lignes. Amour ardent dont le Saint était embrasé pour Dieu. Don des larmes. Passion pour la musique et les fleurs. Extraits d'un journal auquel saint Ignace confiait ses plus secrètes pensées.

VRAI dire, la vie entière d'Ignace fut un gl enchaînement de bienfaits de la part de '" Dieu, et d'actes du dévoûment le plus absolu de la part du Saint. Le récit que nous avons fait jusqu'ici, offre de nombreux et éclatants [^ témoignages à l'appui de cette assertion. ^^^^^^^^^ Rapportant devant Grégoire XV, dans un consistoire secret, les vertus et les miracles d'Ignace, le cardinal del Monte disait de lui qu'à l'exemple des martyrs et des saints, il oubliait toujours ses propres peines, pour s'occuper uniquement de la gloire de Dieu. Mais, si c'est une preuve certaine d'amour de Dieu, que de s'oublier entièrement pour lui, c'est un autre signe de la divine charité que de penser à soi, en vue de Dieu, c'est-à-dire de s'observer sans cesse pour ne laisser dans l'âme rien qui puisse déplaire au Seigneur. Sur ce point, la vigilance de saint Ignace était extrême : une seule heure du jour ne s'écou- lait pas, sans qu'il se recueillît en lui-même, pour repasser dans son esprit tout ce qu'il avait fait, dit ou pensé dans ce court espace de temps. Il renouvelait sans cesse son intention pour paraître, à chaque instant devant Dieu, plus pur et plus parfait. Là, se trouve un ardent amour de Dieu, il y a aussi toujours une vive lumière pour discerner ce qui lui plaît ou l'offense ; aux yeux des hommes vraiment saints, il n'est aucune tache qui paraisse légère, dès qu'elle déplaît à Dieu. Dans l'ardeur de l'amour divin qui les embrase, tous se précipiteraient, sans

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hésiter, au milieu des flammes, s'ils espéraient en sortir purifiés. Pourrait-on donc s'étonner de les voir s'assujettir, dans ce but, à des examens fréquents et à de rigoureuses pénitences ? Il n'en est pas de l'or divin de la charité, comme de l'or matériel. Pourvu qu'il soit pur, celui-ci est parfait. Par cela seul qu'elles ne sont pas altérées par des défauts, les œuvres de la charité ne sont pas parfaites.

Les âmes vraiment saintes ne jugent leurs actions qu'à la lu- mière divine : elles considèrent toujours ce qui leur manque, pour devenir toujours plus dignes du bien suprême. Comme personne ne peut être assez saint pour atteindre complètement ce noble but, elles se trouvent constamment au-dessous de leurs désirs.

C'est un continuel exercice d'humilité et de charité, bien propre à conduire promptement au plus haut degré de la perfec- tion. Ignace, rigoureusement attaché à cette pratique, ne compre- nait pas les hommes qui aspiraient à plaire à Dieu et à s'avancer dans la vertu, sans examiner sans cesse leur cœur pour le purifier.

De là, l'étonnement que lui inspirait une conduite différente. Notre Saint demanda un jour à un Père, combien de fois, dans la journée, il s'était recueilli en lui-même pour lire dans son âme. Celui-ci ayant répondu qu'il avait examiné sa conscience déjà sept fois : « Seulement sept fois ! » reprit Ignace, et cependant la journée était loin de sa fin.

Outre ces fréquents retours sur lui-même, outre les deux examens plus prolongés qu'il faisait à midi et le soir, il pratiquait encore une autre revue, enseignée jadis par les saints Pères.

Cette revue de l'âme lui avait été inspirée à Manrèse, par le même esprit qui dirigeait les premiers solitaires. On l'appelle Examen particulier, parce qu'il n'a pour objet qu'un seul défaut, dont on s'attache à arracher jusqu'aux moindres racines. C'est un des moyens les plus utiles' dans la vie spirituelle pour arriver, en peu de temps, à une grande pureté de cœur, surtout si on le pratique suivant les règles que saint Ignace en a tracées.

J'indiquerai quelques-unes de ces règles pour l'instruction de ceux qui liront cette histoire.

Ils connaîtront de la sorte l'industrie spirituelle d'un Saint, et s'animeront à en faire un bon usage.

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Une force divisée contre plusieurs ennemis, s'affaiblit toujours, en proportion du nombre d'adversaires qu'elle doit combattre. Dans ce cas, on obtient rarement une victoire complète, même au prix d'une lutte constante. Il est donc plus sage, sans cesser de surveiller tous les mauvais penchants, d'en attaquer un seul corps à corps.

Ce défaut doit être d'abord celui qui déplaît le plus à Dieu, soit parce qu'il est plus condamnable en lui-même, soit parce qu'il est plus préjudiciable à la vertu.

Dès le lever, la pensée devra se porter sur le défaut qu'on aura résolu de combattre pendant cette journée, et, pour en triompher, on implorera la force et le secours du Seigneur. Sur les feuillets d'un petit livre, on trace quatorze lignes, c'est-à-dire deux pour chacun des jours de la semaine ; et on les trace de manière que la première soit plus longue que la seconde, celle-ci plus longue que la troisième, et ainsi jusqu'à la dernière. Sur ces lignes on marquera, deux fois par jour, le résultat de l'examen. Avant le dîner, on comptera le nombre de fois qu'on est tombé, depuis le matin, dans le défaut dont en veut triompher ; et on inscrira le nombre, par autant de traits de plume, sur la première ligne. Le soir, on suivra la même méthode. Le nombre des fautes doit aller en diminuant ; voilà pourquoi chaque ligne est plus courte que la précédente. Au contraire, celui qui prendrait pour sujet de son examen la pratique d'une vertu et aurait à constater des actes de cette vertu, disposerait les lignes en sens inverse de manière que chaque ligne fût suivie d'une plus longue.

Cette exactitude à noter deux fois le jour les fautes qu'on a commises n'est point inutile. La comparaison delà matinée avec la soirée, de deux semaines entr'elles, donne la mesure exacte des progrès accomplis dans la vertu. Par là, on se trouve con- duit à rechercher les causes de ses chutes, et à redoubler de précautions pour l'avenir. On y trouve un autre avantage. On peut établir une corrélation entre l'expiation et la culpabilité, en s'imposant pour chaque faute quelque pénitence légère. Pour vaincre la tentation du rire, tentation qui, dès les premiers temps de sa conversion, l'importunait beaucoup, Ignace fit sur ce sujet son examen, et, le soir, il se frappait, avec une chaîne de

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fer, autant de fois qu'il lui était arrivé de s'oublier dans le cours de la journée.Outre la pénitence qu'il s'imposait à la fin du jour, chaque fois qu'il était tombé dans ce défaut, il élevait ses regards vers les cieux, ou portait, sans être remarqué, la main à son cœur, pour demander secrètement pardon à Dieu de son manquement. A Manrèse, pour noter plus exactement le nombre de ses fautes, chaque fois qu'il en remarquait une, il faisait un nœud à la corde qui lui servait de ceinture.

Grâce à son incessante vigilance et à ses examens continuels, Ignace, brûlant du désir de plaire à Dieu, parvint à une pureté de cœur difficile à concevoir. Son regard très clairvoyant suivait chacune de ses actions, de ses paroles, de ses pensées. Toujours en présence de Dieu, il se voyait en lui comme dans un miroir ; et, à la vue de l'infinie beauté, beauté à laquelle il eût voulu res- sembler autant qu'une créature en est capable, il concevait une extrême horreur pour l'ombre même de la faute la plus légère. De là, son entier détachement des créatures. Il n'aimait rien que pour Dieu et en Dieu. Nul être créé n'était capable d'exciter en lui le désir ou la joie ; il lui était aussi indifférent de ne posséder rien en ce monde que d'être maître de l'univers ; hors de Dieu, tout lui paraissait au-dessous de sa dignité, tout lui semblait néant. Il n'adressait à Dieu qu'une prière : l'aimer et en récom- pense de cet amour l'aimer encore plus. Pour obtenir cette grâce, il composa dès les premiers temps de sa conversion, cette courte prière, qui ne convient qu'à des hommes parfaits, si on veut la réciter, non des lèvres seulement, mais d'un cœur sincère : « Prenez, Seigneur, et recevez toute ma liberté, ma mé- « moire, mon entendement et toute ma volonté, tout ce que j'ai « et tout ce que je possède. Vous me l'avez donné. Seigneur, je « vous le rends: tout est à vous, disposez-en selon votre bon plai- « sir. Donnez-moi votre amour et votre grâce : cela me suffit. »

N'aurait-il eu à espérer ni le paradis, ni aucune autre récompen- se, saint Ignace n'eût omis aucune de ses bonnes œuvres. Pour une âme la charité domine, l'excellence même de Dieu est un des plus puissants motifs de le glorifier. Là, est la cause de cette sublime passion, que saint Jean Chrysostome, en parlant de la charité de saint Paul, appelle la folie de l'amour, amoris msania. Voilà aussi pourquoi saint Ignace aurait fait passer les-îintérêts

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du service de Dieu, avant même les intérêts de son propre salut. Il disait, en effet, du fond du cœur, que, si on lui offrait de mourir avec la certitude d'aller au ciel, ou de rester sur la terre, incertain de son salut, mais certain de gagner des âmes à Dieu, il choisi- rait de rester sur la terre. « Et le gain, ajoutait-il, dépasserait la « perte. Du reste, pourrait-on appeler une perte l'incertitude du « salut, si l'on acceptait cette incertitude pour un motif qui nous « donnerait de ce salut la plus ferme assurance (") ? »

On comprend maintenant, combien était fondée cette parole du cardinal del Monte, disant qu'Ignace ne cherchait que Dieu ; qu'il n'avait de pensées, de paroles, de désirs que pour lui plaire et lui obéir ; que, pour parvenir à ce but, il se donna tout à Dieu, et voulut le suivre en tout, eût-il pour cela perdre le ciel et la terre. Depuis le jour de sa conversion, affirme le P. Jérôme Natal, Ignace adopta pour unique intention et unique mesure, dans le service divin, la plus grande gloire de Dieu. Jamais il ne crut faire assez; toujours il visa, dans la glorification de Dieu, au degré le plus élevé que la nature aidée de la grâce peut at- teindre.

« Aussi, disent les auditeurs de Rote, dans les pièces relatives « à la canonisation, aussi toutes ses pensées, toutes ses paroles, « toutes ses actions, se rapportaient-elles à Dieu, comme à leur « unique fin. La plus grande gloire de Dieu était devenue sa « règle et son but en toutes choses. Nous voyons d'ailleurs par « ses écrits que ces paroles revenaient sans cesse sur ses lèvres, « comme l'expression des aspirations de son cœur : A la plus grande gloire de Dieu {^^). C'est là, ce qu'il cherchait en tout, « ce qu'il choisissait pour lui, la règle qu'il donnait comme di- « rection à ses enfants. De là, la joie spirituelle dont ce bienheu- « reux Père était rempli ; joie qu'indiquait assez à l'extérieur « une sérénité inaltérable, signe non trompeur de la paix de « l'âme. Plus il subissait d'épreuves, plus il paraissait joyeux. « De encore, cet admirable empire qu'Ignace possédait sur « tous les mouvements de son âme. » Paroles qui s'accordent parfaitement avec ce que nous a laissé par écrit un intime con- fident d'Ignace, Jacques Miron. « Notre Père Ignace, dit-il, « reçut de la nature de grands talents et une âme fortement « trempée. Aidé de la grâce divine, il arriva à une haute perfec-

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« tion. Il n'entreprit que de grandes choses pour le service de « Dieu, et toutes ses actions respiraient une ardente ferveur. « Si nous examinons seulement la Compag"nie dont il fut le Père, « et les différents ministères auxquels il la consacra, nous ver- « rons partout l'empreinte de la plus vive charité ; car notre « Institut et notre manière de vivre ont poUr but unique l'hon- « neur et la gloire du Seigneur. On peut en juger par nos Con- « stitutions, dans lesquelles on trouverait à peine un seul chapitre « le Saint n'inculque cette pensée. » Ce désir stimula sans cesse notre V. P. Ignace, et fut le motif déterminant qui le porta à fonder la Compagnie, alors qu'il se demandait par quelle œuvre il pourrait glorifier Dieu davantage. Ainsi, tous les mi- nistères de la Compagnie, toutes les œuvres de charité que nous entreprenons selon l'esprit de notre Institut, ont pour origine l'intention qu'eut notre saint Fondateur de servir et de glorifier Dieu le plus possible. Il ne doit pas nous suffire d'offrir à Dieu pour son amour des actions simplement bonnes : nous sommes obligés à plus que cela : nous devons donner à Dieu par nos œuvres extérieures le plus de gloire qu'il nous est possible avec le secours de sa grâce.

Ignace avait les mêmes exigences à l'égard de ses frères, suivant les dons de chacun. Un Frère coadjuteur s'acquittant un jour avec négligence de son travail, le Saint lui demanda pour- quoi il était venu dans la Compagnie, et qui il prétendait y ser- vir. Celui-ci répondit qu'il était venu pour servir Dieu. « Eh « quoi ! répliqua le Saint, c'est Dieu que vous voulez servir, et « vous le faites si négligemment .f* Désormais je ne laisserai pas « impunie une telle conduite. Si vous n'aviez compté servir que « les hommes, votre mollesse pourrait s'excuser ; mais, devant « la Majesté divine, même en nous dépensant mille fois plus « que nous n'en avons la force, nous ne pouvons acquitter la « moindre partie de ce que nous devons. Combien donc n'êtes- « vous pas coupable de ne faire qu'une petite partie de ce que « vous pourriez accomplir, avec un peu de bonne volonté. »

Plus j'avance dans ces récits, plus je reconnais l'impossibilité d'exprimer dignement cet amour de Dieu qui consumait le cœur de saint Ignace.

Car si, comme le dit saint Bernard, pour celui qui n'aime pas

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le langage du cœur n'est qu'un idiome barbare et inintelligible, combien ne dois-je pas craindre d'employer des paroles trop faibles ou en désaccord avec un tel sujet ?

Ceux même qui, tout embrasés de l'amour divin, en jouissent dans le secret de leurs cœurs, ne savent pas l'exprimer comme ils le voudraient : car le langage humain n'a pas de paroles pour des sentiments célestes et surnaturels. Dans un journal il consignait les divers sentiments de son âme, saint Ignace, es- sayant d'expliquer la nature de ses communications intimes avec le ciel, disait qu'il entendait dans son cœur comme une musique, une harmonie sans aucun son distinct, ni sensible ; mais à la- quelle rien de ce monde ne peut être comparé. Comment donc rencontrerai-je des paroles pour exprimer ce que mon esprit ne connaît pas ? Saint Ignace, lui-même, devait pour en parler emprunter au monde sensible des images qui, sans être absolu- ment fausses trahissaient cependant la vérité. Et pourtant qu'il me serait doux de comprendre cette parole du Saint à un de ses plus chers amis, quand, dans un moment d'abandon, il s'écria : « Si je n'avais pour soutenir mon existence que les forces de la « nature, assurément je serais bientôt mort ! » Était-il donc ar- rivé à ce dernier terme de la parfaite charité qui transforme pour ainsi dire en Dieu et fait qu'on vit de Dieu plutôt que de soi-même ? Parfois, nous rencontrons de petites plantes qui se greffent sur un arbre, et, après s'y être ainsi attachées, semblent ne faire avec lui qu'une plante unique. Elles conservent leur première nature et la force vitale qui les animait ; et pourtant elles vivent plus de l'arbre que d'elles-mêmes. Elles lui sont si étroitement unies qu'elles se conservent, croissent et fructifient, grâce à la sève qu'elles tirent d'une racine étrangère : ces deux êtres sont de deux espèces différentes, mais leur union leur donne, pour ainsi dire, une nature commune. Ainsi en est-il de ces âmes admirables.

C'est là, sans doute, ce que signifient ces paroles de l'Apôtre : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » Saint Paul vivait de sa propre vie ; mais l'amour de Dieu lui était devenu si nécessaire que, par un inexplicable mystère, il vivait en- core plus de cet amour que de sa propre vie. Le fer pouvait sépa- rer son âme de son corps, mais il ne pouvait enlever l'amour de

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Dieu à son âme ; alors même, comme il le dit, que toutes les forces du ciel, de la terre et de l'enfer auraient uni leurs efforts dans ce but. Telle fut aussi la vie d'Ignace, la vie d'un homme mort à tout, excepté à Dieu, insensible à toute autre impression qu'à celle de la divine charité.

Cette mort mystérieuse, les médecins l'ont attestée à leur insu, en déclarant que, réduit, consumé comme il l'était, Ignace ne pou- vait être soutenu parles forces de la nature et que son existence était un miracle. Et vraiment Ignace vivait plus en Dieu qu'en lui-même. S'il eût été possible que, sans faute de sa part, il tombât après sa mort dans l'enfer, il eût été plus tourmenté, comme il l'avoua une fois, par les blasphèmes et les malédictions contre Dieu que par l'horreur des supplices éternels. Cependant cet amour, qui soutenait sa vie, la minait, au point d'occasionner quelquefois des défaillances assez semblables à la mort. Ses maladies les plus dangereuses venaient ordinairement à la suite de ces redoublements de ferveur, qui, embrasant son cœur com- me un feu dévorant, affaiblissaient ses forces.

En 1550, après avoir célébré deux messes le jour de Noël, Ignace demeura si épuisé, qu'il paraissait toucher à sa fin. Il était souvent obligé de mettre un jour d'intervalle entre la célé- bration des saints mystères, moins pour se reposer, que pour ne pas s'épuiser entièrement. Plus d'une fois, on fut obligé, après la messe, de le reporter dans sa chambre, parce qu'il ne lui restait pas assez de force pour s'y rendre, bien que cette chambre fût contiguë à la chapelle.

On ne s'en étonnait pas, après l'avoir vu à l'autel ; car il y était tout semblable à ces nuées qui se fondent en pluie et lancent mille éclairs. Son visage enflammé s'inondait de larmes, son cœur battait à éclater, ses veines se gonflaient à se briser. C'est ainsi qu'il en parlait lui-même dans quelques-uns de ces écrits, où, pour aider sa mémoire et assurer son profit spirituel, il con- sio-nait, suivant l'usage de plusieurs Saints, les faveurs que Dieu faisait à son âme.

Le P. Nicolas Lanoy (^^), assistant un jour à sa messe, porta les yeux sur lui, au moment du Memenlo ; il aperçut sur sa tête une langue de feu et se leva tout effrayé pour l'éteindre. Mais, voyant que le Saint était ravi en esprit et baigné de larmes, il

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comprit que Dieu se communiquait à son serviteur. Ignace employait ordinairement une heure à la célébration du saint Sacrifice, à moins que l'Esprit de Dieu, qui n'est pas soumis aux lois du temps, ne l'y retînt davantage. Il avait lui-même posé pour règle qu'on ne dépasserait point une demi-heure, et, pour observer la loi générale il faisait placer un sablier près de lui. Mais la nécessité il se trouvait de s'interrompre sans cesse, pour exhaler les ardeurs de son âme, le forçait à dépasser cette limite. Souvent aussi, la voix lui manquant, il ne pouvait lire les prières ; quelquefois, il demeurait privé de ses sens.

Ignace faisait trois parts de la nuit. La première était consa- crée aux affaires de sa charge ; la seconde, au repos, mais un repos se mêlait quelque pieuse occupation de l'esprit : dans son lit, il tenait le chapelet toujours à la main. Le dernier tiers était rempli par l'oraison. Sa manière ordinaire de commencer cet exercice était de se tenir debout pendant quelques moments, de se représenter Dieu présent; puis, après s'être incliné profon- dément, de l'adorer. Le reste du temps, il se tenait à genoux, si ses forces le lui permettaient, ou il prenait place sur un siège peu élevé, conservant toujours une posture humble et respec- tueuse.

A peine s'était-il recueilli en Dieu, que les larmes coulaient de ses yeux, et la sérénité de son visage lui donnait entièrement l'aspect d'un bienheureux. Chaque matin, après la messe, il se renfermait pendant deux heures entières, nourrissant son âme de ce que saint Augustin appelle l'aliment de la vérité, la nour- riture de l'immortelle lumière de la sagesse.

Dans ces moments, il n'était permis à personne de le déranger, à moins que ce ne fût pour des affaires très importantes qui exi- geaient une prompte décision.

Alors le P. Louis Gonçalvès, chargé avec lui du gouverne- ment de la maison, entrait, rendait compte et se retirait promp- tement. Aussi, ce même Père a pu nous transmettre par écrit le témoignage suivant :

« Dans les occasions il m'était indispensable d'aller l'inter- « rompre, ce qui fut assez fréquent, je lui trouvais le visage à « ce point resplendissant, que malgré la préoccupation j'étais, « la surprise me faisait tout oublier. Sa figure n'était pas seule- Histoire de s. Ignace de Loyola. II. 13

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« ment empreinte de recueillement, comme celle d'une personne « pieuse, lorsqu'elle prie ; elle avait un aspect céleste et vraiment « extraordinaire. » Le P.Laynez, qui comparait Ignace à Moïse, à cause de ses communications familières avec Dieu, appuyait cette comparaison sur les signes extérieurs que la lumière divine laissait sur le visage du Saint.

Cependant les effets merveilleux de son union avec Dieu ne se manifestaient pas seulement durant l'oraison ou pendant la célébration du Saint Sacrifice. Ignace trouvait Dieu partout et quelle que fût son occupation.

Il avait fait percer dans sa chambre une petite fenêtre,donnant sur l'église, en face du tabernacle. De là, sans que personne pût le voir, il avait sans cesse les yeux fixés sur le trésor de son âme. Ce n'était pas, il est vrai, un mur, mais plutôt un léger voile qui le séparait de Dieu ; et ce voile, il semblait le soulever à vo- lonté. Il avait même ce privilège bien rare de ne perdre jamais la présence de Dieu, en vaquant à ses diverses occupations. C'est ce que saint Paul appelle converser dans le ciel. Dans tous ses mouvements, saint Ignace regardait le divin soleil, et il en recevait lumière et chaleur : un rien suffisait à enflammer son amour. Une simple prière récitée à haute voix, la bénédiction de la table, les paroles de VAitgeliis, une pieuse lecture,les seuls noms de Dieu et de Jésus, comme des traits de feu, embrasaient subitement son cœur et son visage. Il était obligé de descendre de cette sphère élevée, quand il parlait de Dieu, même à ses premiers compagnons ou aux autres Pères, tous cependant d'une haute perfection. Il évitait d'engager des discours sur les cho- ses spirituelles, parce qu'il ne lui était pas possible de dissimuler l'ardeur de ses sentiments, ardeur qui se peignait alors en traits de flamme sur toute sa personne. Ordinairement, après avoir fini d'expliquer la doctrine chrétienne aux enfants, il faisait une courte exhortation aux grandes personnes accourues à ses in- structions ; il la terminait toujours par ces paroles : « Il faut « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa « volonté. » En prononçant ces quelques mots, il mettait une si grande ardeur dans sa voix, que sa ferveur se communiquait aux assistants. Plus d'une fois, de grands pécheurs, le cœur ému, allèrent immédiatement se jeter aux pieds d'un prêtre, pour con-

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fesser leurs fautes au milieu des larmes et des sanglots. Ces détails, nous les tenons du P. Laynez, qui en fut le témoin. En un mot, tout ce qu'Ignace voyait, l'appelait, le conduisait, l'unis- sait à Dieu. Souvent, il sortait sur une tourelle de la maison, pour contempler le ciel à loisir : là, on le voyait fondre en lar- mes, et on l'entendait s'écrier : « Oh ! que la te^^re est vile, quand on, la compare au ciel! Au milieu d'une conversation, à table, partout ailleurs, il lui arrivait souvent de lever les yeux vers le ciel, de les y arrêter quelque temps, puis de se recueillir en lui-même.

Il semblait alors s'élancer vers son bien-aimé, pour le rame- ner au-dedans de lui, par les pieux épanchements de son amour. Aussi, les étrangers appelaient-ils Ignace, le Père qui regarde toujours le ciel et parle toujours de Dieu.

La musique le transportait hors de lui-même, au point de cal- mer ses souffrances. Quelques cantiques, entonnés auprès de lui par nos Frères, auraient adouci ses vives douleurs d'estomac ; mais il avait trop d'humilité et de mortification pour recourir à ce singulier remède. Voir des prairies et des champs émaillés de fleurs était pour lui une vraie jouissance ; ces spectacles lui fournissaient les plus sublimes réflexions. Mieux encore que les abeilles, il tirait des fleurs un miel délicieux, le miel des conso- lations spirituelles. Il admirait le travail de Dieu, comme s'il l'eût vu disposer les parties de ces fleurs, en découper les contours gracieux, leur donner leur parfum, leurs couleurs dia- prées et leur harmonieux assemblage ; cette seule vue, selon le mot de saint Hilaire, lui apprenait la sagesse, la puissance, la gloire du céleste auteur de tant de merveilles. Ces douces con- templations attiraient souvent Ignace dans un petit jardin atte- nant à la maison. Là, il était quelquefois tellement ravi en Dieu, que les Pères couraient à leurs fenêtres, pour l'observer et jouir, dit un témoin oculaire, d'un si beau spectacle. L'habitude qu'il avait prise de voir dans toutes les créatures, comme autant de miroirs se réfléchissaient la beauté, la providence, les riches- ses de la puissance et de la science divines, fut une des principales sources de ses larmes abondantes, l'une de ses grandes, mais aussi de ses plus périlleuses consolations.il éprou- vait le même ravissement, en récitant l'ofiîce divin : certains

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versets lui ouvraient de tels aperçus et lui offraient de tels attraits, qu'il s'y arrêtait un temps considérable. Là, d'autres glissent, comme glisse un navire sur l'océan, sans s'occuper des richesses que renferment ses abîmes, Ignace, au contraire, comme un pécheur de perles, plongeait dans la profondeur de chaque verset ; il y puisait toujours de nouvelles connaissances de Dieu, un nouvel amour des choses célestes. Les délices qu'il goûtait, lui faisaient verser une telle abandance de larmes, qu'il fut plusieurs fois en danger de perdre la vue (^°).

Le Pontife Paul III, ayant été averti de ce danger, substitua pour lui, à la récitation de l'office divin, quelques courtes prières. Il courait le même risque, en célébrant la sainte messe. Un jour qu'il célébrait à Saint-Jean de Latran, un de ces hommes à qui manque tout sens des choses spirituelles, se méprit singulière- ment sur la cause de ses larmes. Accostant François Strada, le servant d'Ignace : « Ce prêtre,dit-il, est sans doute ou du moins « a être un grand scélérat; il n'a fait que pleurer du commen- « cément à la fin de la messe. »

Des larmes si abondantes et si brûlantes produisirent une inflammation des yeux. Sa vue baissait de jour en jour. Sur l'ordre des médecins, Ignace pria Dieu d'écarter la cause de son mal. Il fut exaucé, et reçut la grâce extraordinaire de pouvoir, à son gré, verser ou retenir ses larmes.

Afin de donner une dernière preuve de l'amour ardent dont le cœur d'Ignace était embrasé pour Dieu, et des délices spiri- tuelles dont Dieu rinondait,je vais rapporter quelques fragments de ces cahiers, il inscrivait, chaque jour, ses sentiments et ses dispositions du moment (^').

Les feuillets qui restent, comprennent quarante jours, et s'ils ne furent pas brûlés, eux aussi, c'est qu'ils échappèrent à l'atten- tion du Saint, La plupart du temps, ces notes sont si concises, si brèves, qu'on dirait des énigmes : ou plutôt à cause de leur obscurité, de leur style tronqué et coupé, l'on serait tenté de mettre à la marge, de même qu'à certains endroits des pro- phètes : Tenebrosa aqua in nubibus acris. Ps., xvii, 12. Nous citerons les paroles mêmes du Saint, traduites textuellement sur l'original espagnol.

i Les larmes que j'ai versées aujourd'hui, me paraissaient

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« différer beaucoup des autres. Elles étaient intérieures, suaves, « et coulaient lentement, sans bruit, ni grande commotion. Un « entretien à la fois intérieur et extérieur me portait à l'amour « de Dieu, et cet entretien divin, qui m'était accordé, était si « intime et avait une si harmonieuse douceur, qu'il m'est impos- « sible de l'exprimer.

i Le jour suivant, encore beaucoup de larmes pendant la « messe, comme hier, et aussi après ; puis, un profond bonheur « produit par cette voix du dedans, qui semblait une parole ou « une musique descendue du ciel. La dévotion et l'attendrisse- « ment croissaient en moi avec les larmes, tandis que je m'aper- « cevais qu'un mode divin de connaissance et d'intelligence « m'était donné.

« Le lendemain, même abondance de larmes et une parole « intérieure vraiment merveilleuse. Tandis que je priais la sainte « Vierge de m'aider auprès de son Fils et du Père ; tandis « que j'invoquais aussi le Fils, pour obtenir qu'avec sa Mère « il intercédât pour moi, auprès du Père, je me sentis comme « porté en sa présence. Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, « et je sentis un ébranlement et une ardeur brûlante dans tout « mon être. Au début de l'oraison, grande abondance de larmes « avec une dévotion intense et de fréquentes lumières surnatu- « relies sur la très sainte Trinité. La mémoire et l'intellieence « me font défaut pour expliquer ces faveurs et d'autres semblables « si suaves et si fréquentes.

« Toujours semblable surabondance de lumières, de visites, « de goûts spirituels, avec des larmes continuelles. J'en perdais « la parole, et il me semblait que chaque fois que je nommais « Dieu et Notre-Seigneur, leur seul nom me pénétrait jusqu'au « fond du cœur d'une soumission, d'une humilité respectueuse « admirable, àtel point que je ne crois pas qu'on puisse l'expliquer. « Après l'oraison, de nouveaux mouvements intérieurs et tout « à fait inaccoutumés ; des larmes et des sanglots ; un grand « amour de Notre-Seigneur jÉsus-CHRiST,un vif désir de mourir « avec lui, plutôt que de vivre avec tout autre. En approchant « de l'autel, Jésus me venait à la pensée ; je me sentais porté à « le suivre, et il me semblait intérieurement que, pour accepter « une souveraine pauvreté, le motif plus fort que toutes les

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« raisons du monde.c'est que Jésus est le chef de la Compagnie. « Au souvenir de l'apparition, ou le Père me donna à son Fils, « survint une nouvelle abondance de larmes et de sanglots, « avec le désir d'imprimer en moi le nom de Jésus et d'être « confirmé dans ma résolution. En conversant avec la divine « Majesté, je versai un torrent de larmes : j'éprouvai un amour « très intense. Il me semblait que je m'unissais à son amour « dans un transport excessif, et que jamais je n'avais reçu de « visite si excellente et si rare d'un amour si lucide et si doux. « Ensuite, dans la chapelle, nouvelles larmes, nouvelle dévo- « tion, toujours au sujet de la très sainte Trinité. Au pied de <5 l'autel, et en revêtant les ornements, j'éprouvai une sura- « bondance de larmes, de sanglots, d'amour très intense pour « la très sainte Trinité. Pendant la messe, mes pleurs continuant « malgré la douleur que je ressentais à un œil, il me vint en « pensée que je le perdrais s'ils ne s'arrêtaient pas. A ces paroles: ^Placeat tibi, Sancta Tr init as, Wmç. survint un violent transport i. d'amour et un déluge de larmes.

« Cette grande consolation, et toutes ces visites spirituelles « avaient pour objet la très sainte Trinité, qui me conduisait « et m'attirait à son amour.

« Après avoir dit la messe et déposé les ornements sacrés, je « me mis en oraison près de l'autel ; larmes et sanglots, tous « d'amour pour la très sainte Trinité. J'en éprouvais une telle « douceur et un tel amour que j'en étais absorbé.

« Pendant le reste de la journée, soit à la maison, soit en « ville, ces sentiments impétueux d'amour et cette disposition « aux larmes se renouvelaient, quand je pensais à la très sainte « Trinité.

« Comme j'allais dire une messe du Saint-Esprit, je m'adressai « à ce divin Maître avec la même abondance de larmes et de « dévotion : alors, il me semblait le sentir et le voir au milieu « d'une clarté singulière, sous la forme d'une Hamme brillante ; « cela survint d'une manière tout à fait inaccoutumée. Pendant «qu'on préparait l'autel, après que j'eus revêtu les ornements <i sacrés, en disant la messe, j'éprouvai une grande émotion inté- 4 rieure, avec de nouvelles larmes et avec des sanglots, au point « que j'en perdais par moments la parole. Ensuite, je vis et sentis

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« que Notre-Dame m'était très propice, auprès de Père Éternel. « Pendant les oraisons adressées, soit au Père, soit au Fils, et « au moment de la consécration je ne pouvais ne pas sentir et « comprendre que Marie était comme la porte et la source de « la grâce. A la consécration, elle me montrait que dans la chair « de son Fils, il y a de sa propre chair ; et je concevais ces « choses en esprit, avec une clarté inexplicable...

« Dans mon oraison accoutumée, du commencement à la fin, «j'eus beaucoup de lumières et une dévotion pleine de clarté...

« Hors de la maison, dans l'église et en célébrant, je vis la « patrie céleste, je connus son Seigneur en trois personnes, « et, dans le Père, la seconde et la troisième.

« Quand j'entrai dans la chapelle pour prier, je reçus une « lumière et un secours divin ; je sentis, ou pour parler plus « exactement, je vis par une vertu surnaturelle la très sainte « Trinité, et Jésus-Christ, qui m'était représenté comme mon « médiateur auprès d'elle, comme le moyen par lequel cette « vision intellectuelle m'était communiquée. Cette vision me fit « verser un torrent de larmes et éprouver une surabondance « d'amour.

« En disant la messe avec beaucoup de larmes et de dévotion, « j'eus, pendant un temps assez notable, cette même vision de la « sainte Trinité, et elle accrut davantage mon amour envers la « divine Majesté.

« Au Te igihir, sentiment, vision, non point obscure, mais « avec une perception claire, très claire, de l'Etre même ou de «l'essence divine sous l'aspect d'un soleil, plus éclatant que le « nôtre; de sorte qu'en disant les paroles: Te igitur clenieiitissime « Pater, je me représentai l'essence divine, sans penser à la per- « sonne du Père. Et en me représentant aussi l'Etre divin ou « l'essence de la sainte Trinité, abstraction faite des trois person- « nés, je fus saisi d'une profonde dévotion pour cette essence « divine ainsi figurée. En outre, attendrissement, larmes et sen- « timents d'amour ardents pour la très sainte Trinité.

« Après avoir fini la messe, je priais à l'autel, quand la même « essence divine se montra de nouveau à moi sous une forme « sphérique. Je voyais, en quelque sorte, les trois personnes « comme la première ; c'est-à-dire que le Père, le Fils et le

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« Saint-Esprit dérivaient de cette essence divine, sans pourtant « sortir des limites de cette vision sphérique, qui me porta à de « brûlantes et nouvelles aspirations, puis à des larmes...

«... J étais dans la chapelle, tout rempli d'amour et de piété ^ envers la sainte Trinité, je ne vis pas, ainsi que les jours pré- « cédents, les trois personnes distinctes, mais je vis, comme « dans une clarté lucide, l'essence divine qui me ravissait <J d'amour. Au commencement de la messe, l'ardeur de ma dé- « votion m'empêchait de prononcer In nomine Patrïs, etc.; pen- « dant toute la messe, beaucoup de dévotion, abondantes larmes, « et amour intense...

« Ces affections avaient pour objet la sainte Trinité. Dans « d'autres occasions, j'éprouvai les mêmes sentiments envers « Notre-Seigneur : il me semblait être sous son ombre et sa « direction ; ce qui loin de diminuer mon union avec la divine « Majesté, ne faisait que l'accroître...

« Je me préparais à célébrer la messe. Soudain, la pensée me « vint que, pour le faire dignement, je devrais être un ange, et « de douces larmes coulèrent de mes yeux...

« D'autres fois, je considérai l'être du Père ; d'abord l'Etre, « puis le Père ; ma dévotion se portait d'abord sur l'Essence, « puis sur la Personne ; ou bien encore cette même vision avait « lieu d'une autre manière et sans une distinction si nette...

« Pendant la messe, beaucoup, beaucoup d'interruptions, beau- « coup de lumières accordées par la Sainte-Trinité, lumières qui « éclairaient mon intelligence. Il me semblait alors que de lon- « gués études n'auraient jamais pu m'instruire autant. Une « autre fois, dans l'oraison, grande dévotion, lumière ardente, « goût spirituel qui m'attiraient vers les hauteurs... Ensuite, à « la messe, des larmes plus abondantes encore qu'auparavant « m'ôtèrent même la parole ; puis des communications spirituel- « les si multipliées, qu'il ne me restait plus rien à comprendre, « me semblait-il, au sujet de la sainte Trinité. Pendant cette « messe, je connus, je sentis, et je vis, Domimts scit, qu'en « parlant du Père, et voyant qu'il était une des personnes de la « sainte Trinité, je m'attachais d'autant plus à l'aimer, que les « autres personnes étaient renfermées en lui. J'éprouvai un effet « semblable en priant le P^ils et le Saint-Esprit, adorant chacune

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« des Personnes divines, me consacrant à elles, et me réjouis- « sant d'appartenir à toutes les trois ; c'était pour moi un si « grand bonheur, que je ne cessais de me dire : Qui es-tu ? que « mérites-tu ? et pourquoi reçois-tu tant de grâces ?

« Encore une tendre dévotion, des larmes, de l'ardeur à la « messe... perte de la parole ;...il me semblait en priant le Père, « que Jésus lui présentait et appuyait mes prières. Je le voyais « et le sentais d'une manière qu'il m'est impossible d'expliquer. « Auprès du feu, Jésus s'offrait de nouveau à moi ; et encore « dans la rue,en plusieurs endroits, quand j'allais chez le cardinal « Carpi ou que j'en revenais. Alors mes larmes de recommencer, « mes empotions intérieures de se faire sentir. En même temps, « entendre et voir Jésus, m'embrasait pour lui d'un tel amour, <L que rien ne me paraissait pouvoir me séparer jamais de lui. »

Saint Ignace désire la mort pour être réuni à Dieu. AfTaiblis- sement graduel de ses forces. La tâche de saint Ignace était accomplie sur la terre. Ses derniers moments racontés par un témoin oculaire. Deuil général que cause la mort du fon- dateur de la Société de Jésus,— Témoignages extraordinaires de vénération qu'il reçoit pendant sa vie et après sa mort.

gt^^^^^^^'g£LLES étaient les consolations spiritue i ntf /^kÉ^VI I- dont l'âme d'Io^nace était inondée chac

tuelles g: dont lame a Ignace était inondée chaque q: jour. Il goûtait d'avance quelques-unes des S- ineffables délices du paradis, délices qui con- I"' sistentsurtoutdansla connaissance et l'amour g de Dieu. Ces délices seules soutenaient sa »^»:yppP):y:»5pP,qppW^ vie terrestre. Pour les lui faire goûter aussi abondamment, le Seigneur n'avait pas attendu les dernières an- nées de sa carrière mortelle, la perfection de la charité divine en lui. Depuis le moment il avait quitté le monde pour se consacrer au service de Dieu, et surtout pendant son court sé- jour à Manrèse, lorsqu'il s'adonnait à la plus austère pénitence, il reçut de nombreuses visites de Notre-Seigneur.

Ignace lui-même avoua, un jour, au P. Louis Gonçalvès, qu'il croyait en avoir reçu près de quarante. Celles de la Mère de Dieu ne furent pas moins fréquentes. On peut donc le conjec- turer, beaucoup d'autres faveurs,qui nous sont inconnues.lui furent accordées, pendant les trente-cinq années qu'ils se livra avec ar- deur au service de Dieu, s'unissant chaque jour plus étroitement à cette source de charité.

L'espoir de travailler pour la gloire de Dieu, gloire qu'il dé- sirait et aimait plus que lui-même, l'empêchait de demander expressément de sortir de cette vie. Cependant les transports de son cœur, transports qui l'entraînaient tout entier vers Dieu, étaient une prière muette sollicitant sans cesse que son âme brisât les liens du corps. Aussi, à la seule pensée de la mort, le

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA. 203

Saint ressentait-il un bonheur si vif que les larmes s'échappaient de ses yeux. Il était obligé de distraire son esprit de cette pen- sée ; car son cœur ne pouvait contenir la joie qui l'inondait alors. Lorsqu'une âme connaît, aime un bien infini tel que Dieu, quand elle se perd tout entière en Dieu, rien en dehors de ce bien n'a de prix pour elle. Elle ne parvient pas même à com- prendre comment on peut avoir d'autre amour, d'autre désir. Aussi, quand Ignace entendait quelqu'un de ses enfants dire qu'il exécuterait tel projet l'année suivante ou dans quelques mois, il s'écriait : « Oi^i trouvez-vous le courage de penser qu'il « vous reste tant de jours à vivre ? et si l'incertitude de la vie « vous permet l'espérance d'aller bien plus tôt jouir de Dieu, « comment supportez-vous une pensée qui est peut-être une illu- « sion et dont la certitude devrait vous causer une vive douleur?» Mais tous n'avaient pas cette charité qui lui rendait si pénible la vie d'ici-bas, quoiqu'il vécût déjà plus souvent dans le ciel et avec Dieu, que sur la terre avec lui-même. Ainsi les rayons du soleil brillent hors de lui autant qu'en lui, et ils ne s'en séparent pas en descendant sur la terre.

Ces ravissements même qui chaque jour, aussi souvent qu'il le désirait, soulevaient son âme vers Dieu, cette vue fréquente des secrets les plus intimes de Dieu; ces représentations sensibles de la Divinité que la sagesse infinie, en les proportionnant à son état présent, lui envoyait pour élever son intelligence à des con- naissances bien au-dessus du monde sensible ; les délices que lui causaient ces faveurs et que seul pourrait expliquer celui qui les a goûtées, toutes ces joies devenaient pour lui un sujet d'amère souffrance. Ignace se sentait dévoré par le besoin de se réunira son Dieu et de le posséder pleinement. Ce tourment, doux et vio- lent tout à la fois, ne pouvait être soulagé que par une entière soumission au bon plaisir du divin Maître. D'ailleurs, que lui restait-il à faire sur la terre ? La tâche pour laquelle Dieu l'avait choisi était accomplie ; il avait, disait-il, désiré vivement trois choses et les avait enfin obtenues. Ses enfants en concluaient qu'il approchait du terme de sa vie ; ils ne se trompaient pas.

Ignace avait désiré, en effet, voir la Compagnie établie à per- pétuité par l'autorité apostolique ; voir le livre des Exercices spirituels revêtu de l'approbation du Saint-Siège, voir les Con-

204 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

stitutions achevées et adoptées dans tout l'ordre. L'accomplisse- ment de ces trois souhaits combla son âme de la joie la plus douce. Le pape Marcel II, dont les connaissances étaient fort étendues dans l'histoire tant sacrée que profane, connaissait bien la source de cette joie. En parlant devant une réunion d'hommes graves, de saint Ignace et de son œuvre, il disait : « Je ne connais depuis le temps des apôtres jusqu'à nos jours, « personne qui, pendant sa vie, ait pu comme lui, voir et re- « cueillir tant et de si précieux fruits de ses propres œuvres (^^).»

En effet, à peine seize ans s'étaient écoulés depuis la fonda- tion de son ordre, et déjà cet ordre était assez nombreux pour s'étendre par toute la terre, prêcher le Christ et sa doctrine dans les langues les plus barbares et conquérir à l'Église des royaumes entiers de peuples idolâtres. Ignace voyait la Compagnie former déjà les douze provinces d'Italie, de Sicile, de la haute et de la basse Allemagne, de France, d'Aragon, de Castille,d'Andalousie, de Portugal, des Indes.d'Éthiopie et du Brésil; beaucoup d'autres étaient prêtes à se constituer. Dans la personne de Hozès, mort le premier de tous, il avait vu la Société prendre possession du ciel, et dans le martyre du P. Antoine Criminale, immolé le pre- mier par les idolâtres de l'Inde, il avait reçu les prémices de cette nombreuse phalange de martyrs qui devait couronner par des morts glorieuses tant de saintes fatigues.

S'il examinait la Compagnie elle-même, il la trouvait abon- damment pourvue d'hommes aussi distingués par leurs talents que par leur sainteté. Les uns recevaient en Portugal et en Flandre le nom d'apôtres ; le concile de Trente écoutait les autres avec admiration ; d'autres étaient appelés aux plus hautes dignités, et, les refusant après les avoir méritées, ils s'en montraient doublement dignes ; d'autres enfin étaient employés comme nonces apostoliques, par le Saint-Siège, pour le service de l'Eglise.

Malgré tant de succès, Ignace était loin de croire la Com- pagnie arrivée à son apogée. Pendant une de ses graves maladies, sous le pontificat de Jules III, ses enfants le suppliaient de demandera Dieu quelques années de vie, pour qu'il pût présider à l'affermissement de son ordre. Ignace leur répondit par ces propres paroles : « Nos premiers Pères, par la grâce de Dieu,

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE V. 205

« sont bons : les seconds seront meilleurs, et à ceux-ci il en « succédera de meilleurs encore ; ils joindront aux travaux « extérieurs, la perfection de la discipline intérieure, dont « toutes les prescriptions seront alors exactement observées. »

Ignace vit enfin les fruits abondants produits par les exercices spirituels dans toute l'Europe et dans les diverses parties du monde.

Dans la seule ville d'Alcala, en moins de deux mois, trente jeunes gens furent gagnés à Dieu par un de nos prédicateurs; tous attirés par l' Esprit-Saint entrèrent pour s'y dévouer au service de Dieu. A Rome, plus de cent hommes suivaient en même temps les exercices spirituels donnés par le P. Le Fèvre. A Faenza, des inimitiés implacables avaient amené des divisions dans toutes les classes de la société ; bientôt, par les soins de Paschase Broët, la paix fut rétablie ; grâce à ce Père, des villes furent délivrées du fléau de l'hérésie qui commençait à les infecter ; des clercs furent réformés et pour la discipline ecclé- siastique et pour leur conduite privée ; des monastères de reli- gieuses, ramenés à l'observance d'une règle depuis longtemps négligée. Partout, les églises revenaient à leur première splen- deur, les sacrements étaient fréquentés, la parole de Dieu annoncée, l'usage de l'oraison mentale introduite parmi les fidèles : telles étaient les merveilles dont Ignace était témoin. Ailleurs, la fondation des séminaires, des collèges,des confréries, procurait un bien solide et permanent, pour tous les états et tous les âges; des maisons de refuge et de pénitence s'ouvraient à la vertu en danger ou au vice repentant.

Enfin, quels fruits n'opérait pas Xavier par son apostolat dans les Indes ? Que dire de la vie sainte et des utiles travaux d'Antoine Criminale, de Côme Torrès, de Gaspard Barzée, de François de Borgia, de Laynez, de Lefèvre, de Villanueva, de Canisius, de Landini et de tant d'autres ?

Ainsi, le cœur satisfait dans ses plus chères espérances, l'âme embrasée de l'amour divin, Ignace ne trouvait plus rien à désirer en ce monde; il n'aspirait plus qu'à le quitter pour entrer en possession des joies éternelles.

Le temps était venu le Seigneur allait combler les vœux de son serviteur. Il le fit de telle sorte, que les prières des fils

206 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

d'Ignace ne purent même essayer cette fois de retarder ce moment. Quelques années auparavant, voyant leur Père en grand danger,ils s'étaient rassemblés autour de son lit et avaient offert à Dieu leurs supplications et leurs larmes ; ils avaient de- mandé au ciel de laisser à la Compagnie le seul appui qu'elle eût sur terre, contre les nombreux ennemis qui la menaçaient alors d'une ruine entière. Alors aussi Dieu avait écouté leurs prières.

Dans les dernières années, ses forces étaient épuisées, et le gouvernement de la Compagnie était devenu pour lui une charge trop lourde. Pour cette raison, il avait beaucoup accru l'autorité confiée, en Espagne, au P. François de Borgia. D'ail- leurs, les Pères étaient tous persuadés qu'en faveur du Saint, Dieu protégeait la Compagnie. De plus, ils appréciaient le bon- heur d'avoir sous leurs yeux l'exemple de sa vie et de recevoir ses conseils et ses consolations.

Au commencement du mois de juillet 1556, l'état habituel s'aggrava. Ignace comprit que dans peu de jours le terme de ces nouvelles souffrances serait aussi celui de son exil. Pénétré de cette pensée, il écrivit à Dona Léonora Mascareîias pour prendre congé d'elle ; cette lettre, disait-il, serait la dernière; il prierait pour elle dans le ciel, comme il l'avait fait chaque jour sur la terre, et comme il continuerait de le faire tant que Dieu le laisserait ici-bas (^^).Rome elle-même était alors remplie de troupes : un grand mouvement y régnait par suite de la guerre que le Pape soutenait contre Naples.

Ignace, que cette guerre contristait, se retira dans un lieu tranquille, sous prétexte de chercher du repos ; en réalité, il voulait se préparer dans la solitude à son dernier passage. Il choisit la maison de campague qu'il avait naguère acquise pour le collège, dans l'enceinte des murs de la ville, entre les thermes d'Antonin et Sainte-Balbine. Les Pères, craignant que l'air ne lui en fût plus nuisible que salutaire, comme il arrive quelquefois durant l'été dans les quartiers inhabités de Rome, lui témoi- gnèrent leur inquiétude.

Dans tout ce qui lui était personnel, il n'avait aucune volonté propre; il consulta Petronio, son médecin et son ami ; celui- ci ayant visité et étudié cette habitation, déclara qu'il n'y avait aucune raison d'y craindre la mauvaise influence de l'air.

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE V. 207

Ignace, tranquille sur ce point, s'y retira après avoir confié le gouvernement de la Compagnie au P. Polanco et au P. Madrid; mais il ne jouit pas longtemps de sa retraite.

Sa faiblesse dégénéra bientôt en une défaillance complète, qui obligea ses amis de le ramener à Rome. On ne vit d'abord dans ces symptômes graves, qu'un accroissement de cette lan- gueur qui depuis plusieurs années lui était habituelle. Les méde- cins jugeaient qu'il avait plus besoin de repos que de remèdes.

Bientôt une fièvre très légère le saisit; elle était si peu sensible qu'on ne songea pas à recourir aux remèdes ordinaires pour la couper.

De tous les malades qui se trouvaient alors dans la maison, Ignace était le seul pour lequel l'on ne conçut pas d'inquiétude, mais il savait, lui, que le moment suprême approchait. Il comp- tait les jours et préparait silencieusement avec Dieu seul son départ imminent. Comme il l'avait toujours désiré, il obtenait de quitter ce monde.malgré la sollicitude de ses enfants.presque furtivement.

Il reçut la sainte communion et attendit. Deux jours après, il fit appeler le P. Jean Polanco, qui remplissait depuis plusieurs années auprès de lui l'office de secrétaire. On préférera sans doute apprendre de la bouche même de ce Père les dernières instructions du Saint, les détails de sa fin et l'impression que sa mort produisit sur nos Pères. Voici la lettre par laquelle le Père Polanco donna avis de tous ces faits aux divers supérieurs.

« Pax Christi. Je viens apprendre à votre Révérence et à tous « ceux de nos frères qui sont sous son obéissance, qu'il a plu à « Dieu d'appeler à lui notre vénéré Père Maître Ignace, le ven- « dredi matin, 31 juillet. Ainsi la veille même du jour « l'Église fête saint Pierre-aux-Liens, Dieu a brisé les entraves « qui attachaient Ignace à son corps mortel et l'a fait entrer dans « la liberté de ses élus. Ils sont exaucés les vœux de ce bien- « heureux serviteur de Dieu,qui, tout en supportant avec patience « et force d'âme, les épreuves de son pèlerinage, aspirait depuis « longues années, par d'ardents désirs, à entrer dans la patrie « céleste, pour y voir et y glorifier à jamais son créateur et « Seigneur.

« Si nous l'avons conservé jusqu'à ce jour, nous le devons à

208 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« la divine Providence. Dieu l'avait laissé parmi nous pour que « ses exemples, sa prudence, son autorité et ses prières affer- « missent cette petite Compagnie, après l'avoir fondée. Mainte- « nant que l'arbre a poussé des racines.assez fortes pour croître « et couvrir de fruits la terre entière, Dieu a placé notre bien- « heureux Père dans le ciel, afin qu'étant plus proche de la « source de toutes les grâces, il pût les faire couler sur nous en « plus grande abondance.

« II. est impossible que dans notre maison et dans vos collè- « ges, on ne sente pas vivement la perte d'un tel Père. Néan- « moins nos regrets sont sans amertume, et nos larmes sont « douces. Son absence même redouble nos espérances et répand « dans nos cœurs un sentiment de joie spirituelle. Nous le sen- « tons ; pour lui, il était temps d'arriver après les travaux, au « véritable repos; après les infirmités, à la véritable santé; après « ses larmes et ses douleurs continuelles, à la béatitude et à l'im- « mortelle félicité. Pour nous, nous ne croyons pas l'avoir perdu : « au contraire, plus que jamais nous comptons, par le secours de « sa très ardente charité et de son intercession, obtenir de la di- « vine miséricorde l'accroissement de la Compagnie en nombre, « en mérites et en ressources pour le bien général de l'Église.

« Votre Révérence désire sans doute connaître plus en détail « les derniers moments de notre glorieux Père.

« Son passage a été bien doux. Une heure s'est à peine écou- « lée depuis le moment nous nous sommes aperçus qu'il s'en « allait.

« Nous avions dans la maison beaucoup de malades, dont plu- « sieurs gravement atteints, entre autres le P. Maître Laynez « et D. Jean de Mendoza, tandis que le P. Ignace paraissait « n'éprouver qu'une légère indisposition.

« Quatre ou cinq jours auparavant, il avait eu un peu de fièvre : « mais on se demandait si elle durait encore ou non, bien qu'il fût « un peu faible. Le mercredi, il m'appela et me chargea de dire « au docteur Torrès, d'avoir soin de lui comme des autres ma- « lades.

« Celui-ci, en effet, n'attachait aucune importance à son mal, « et s'occupait des autres infirmes plus que de lui. Je fis ce qu'il « désirait. Un autre médecin de talent, nommé Alexandre, notre

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE V. 209

« ami, venait le voir tous les jours. Le jeudi, le P. Ignace me « fît appeler, à quatre heures du soir. 11 pria l'infirmier de sortir. « Il me dit ensuite d'aller à Saint-Pierre et de faire savoir à Sa « Sainteté, qu'il était à toute extrémité et sans espoir de survi- (<f vre. Il demandait humblement au Saint-Père sa bénédiction, « pour lui et pour Maître Laynez, qui était aussi en danger.

« Je répondis : « Père, les médecins ne pensent pas que la « maladie de V. R. soit dangereuse ; et pour moi, j'espère que « Dieu nous conservera V. R. quelques années encore, pour son « saint service. V. R. se sent-elle donc si mai ? »

« Il me dit : « Si mal que je suis sur le point de mourir. » « Telle fut à peu près sa réponse. Je lui dis à mon tour que «j'espérais qu'il vivrait plus longtemps, comme je le croyais, en « effet, mais que cependant je ferais selon son désir. Je lui de- « mandai, s'il ne suffirait point d'aller à Saint-Pierre le vendredi: « ce soir-là, j'avais à écrire en Espagne par la voie de Gênes, et « le courrier partait le jeudi. Il me dit: «Je préférerais aujourd'hui « et le plus tôt possible; mais faites ce qui vous paraîtra le mieux; « je m'en remets entièrement à vous. » Pour moi, je voulais pou- « voir dire au Saint-Père que notre Père était en grave danger, « si tel était en effet l'avis des médecins. Je demandai donc dans « la soirée au principal d'entre eux, Alexandre Petronio, de me « dire en toute sincérité, si le malade était vraiment en danger « de mourir, comme il m'avait chargé d'aller l'annoncer au Pape. « Le médecin me répondit : « Aujourd'hui je ne puis vous dire « s'il y a danger; à demain. » Sur ces paroles, et parce que notre « Père s'en était remis à ma décision, il me sembla que je pou- « vais attendre,au lendemain, l'avis des médecins. Le soir même « du jeudi, à neuf heures, nous allâmes, le P. Madrid et moi, « assister au souper de notre Père. Il mangea à son ordinaire et « causa avec nous. Aussi, je m'en allai prendre mon repos sans « soupçonner le moins du monde la gravité de son mal. Le len- « demain, au lever du soleil, nous trouvâmes le Père à toute ex- « trémité. Je courus en toute hâte à Saint-Pierre ; le Pape,avec « des marques de vive douleur,accorda affectueusement la béné- « diction demandée, et toutes les grâces qu'il put y joindre. « C'est ainsi que deux heures après le lever du soleil, à six heu- « res trois quarts, en présence du P. Madrid et de Maître André

Histoire de s. Ignace de Loyola. H. 14

210 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« de Frusius, notre Père rendit, sans le moindre effort, son âme « à son Créateur et Seigneur (^'*). »

« Nous avons admiré l'humilité de ce saint vieillard. Il avait <?: la certitude de son prochain trépas. Il l'avait prouvé la veille ; « et je ne me souviens pas de lui avoir entendu prédire de la sorte « un événement, excepté en cette occasion, et lorsqu'un an aupa- « ravant, il nous promit que Dieu pourvoirait à nos besoins, à « Rome, comme il advint au temps marqué. Il avait, dis-je, la cer- « titude de sa mort, et il ne voulut pas nous appeler pour nous « donner sa bénédiction, ni désigner son successeur ou son vicaire « en attendant qu'on procédât à l'élection, ni clore les Constitu- « tions, ni faire aucune de ces pieuses démonstrations que font « d'ordinaire, en pareille circonstance,certains serviteurs de Dieu. « Il avait une très basse idée de lui-même et il voulait que la « confiance de la Compagnie ne reposât que sur Dieu. Voilà « pourquoi il sortit de ce monde, sans se distinguer en rien. Il « avait obtenir de Dieu, de celui dont il avait toujours en « vue la gloire, la grâce que rien dans sa mort n'attirât l'atten- « tion. Ainsi, aimait-il, pendant sa vie, à cacher les secrètes fa- « veurs de Dieu, hormis quelques occasions l'édification « demandait qu'il les manifestât.

« Tantôt la divine sagesse opère des miracles par ses servi- « teurs, pour toucher ceux qui ont peu de foi et d'intelligence ; « tantôt, au lieu de miracles, elle fait éclater les effets des gran- « des et solides vertus, les marques certaines de sa grâce en « faveur de ceux dont les yeux sont ouverts à la foi et aux lu- « mières surnaturelles. La Providence semble avoir agi avec le « chef de la Compagnie, comme avec ses membres. Tandis « qu'avec de si faibles instruments, elle touche les âmes, les con- « vertit et les fait fructifier, elle témoigne et aux enfants de la « Compagnie et aux étrangers que le doigt de Dieu est là.

« Mais revenons à notre sujet. Après que notre Père eut « passé de ce monde à une meilleure vie, on se décida pour « conserver son corps à en faire l'autopsie et à procéder à « une sorte d'embaumement. Ce fut un nouveau sujet d'édifi- « cation et d'étonnement. On lui trouva l'estomac et les intestins « entièrement vides et rétrécis. Les hommes de l'art virent « une preuve des longues abstinences de notre Père dans le

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE V. 211

<<; temps passé, de sa grande constance et de sa force d'âme. « Malgré sa grande faiblesse, il travaillait sans relâche et tou- « jours le visage allègre, inaltérable ! On examina aussi le foie ; « il renfermait trois petites pierres : suite naturelle de ses jeûnes « continuels. Ainsi se trouve confirmée une parole du P. Jacques « d'Eguia, de ce bon vieillard qui est aujourd'hui dans la gloire « de Dieu ; il disait que notre saint Père vivait comme par mi- « racle depuis bien longtemps. On ne comprend pas comment, « avec un pareil organe, il aurait pu vivre, si Dieu Notre-Sei- « gneur, qui le jugeait alors nécessaire à la Compagnie, n'avait « suppléé au défaut de ses organes corporels, et ne lui avait « conservé la vie.

« Nous gardâmes son corps jusqu'au samedi, après vêpres.

« Le corps resta dans la chambre même notre Père était

« mort. Il y eut un grand concours de personnes pieuses qui se

« montrèrent animées d'une dévotion très sensible. Les uns lui

« baisaient les mains, les autres les pieds ; d'autres faisaient

« toucher des chapelets, et nous avons eu de la peine à écarter

« ceux qui voulaient quelque fragment de ses vêtements ; ou en-

« levaient des aiguillettes et des objets qui avaient été à son

« usage ; mais on n'a rien donné et on n'a permis de rien prendre

« soit de ses restes mortels, soit des objets dont il se servait. A

« cette occasion on fit exécuter plusieurs portraits peints ou mo-

« delés en cire de notre Père. De son vivant, il n'avait jamais per-

^ mis qu'on fit son portrait, quoique beaucoup l'eussent désiré.

Nous avons fait, dans la grande chapelle de notre église, du

« côté de l'Evangile, un petit sépulcre en forme de loculus, et

« nous y avons déposé le corps, après avoir, selon la coutume,

« récité l'office.

« Nous avons recouvert ce sépulcre d'une grande pierre qu'on « pourra enlever quand il sera nécessaire. Le corps restera en « dépôt, jusqu'à ce qu'on en juge autrement. Le P. Olave est « allé annoncer la mort de notre Père au Souverain- Pontife, « et Sa Sainteté, en témoignant l'affection qu'elle a toujours « montrée pour la Compagnie, a promis de nous servir désor- « mais de Père, etc. De même, plusieurs des principaux car- « dinaux et d'autres de nos amis ont offert tous leurs bons « offices à la Compagnie. Remercions-en Dieu, Notre-Seigneur,

212 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« notre force et notre espérance. Durant trois jours, nous avons « tous dit la messe pour notre Père. Plusieurs néanmoins auraient « eu autant de dévotion à se recommander à lui, qu'à le recom- « mander à Dieu Notre-Seigneur. Toutefois, qu'on se conforme « partout à l'usage, soit pour les trois messes (il n'est pas néces- « saire qu'elles soient toutes de Requiem), soit pour les prières « des Frères scolastiques et coadjuteurs.

« Nous n'avons trouvé ni coffre, ni bureau fermé à clef, mais « seulement quelques boîtes, ceux qui avaient soin de notre « Père gardaient les effets à son usage, quelques Ave Maria « bénits et des Agims Dei que l'on distribuait... « Rome, le 6 « août 1586.

« Par ordre de Notre Père Vicaire. « De V. R. le serviteur en Jésus-Christ,

« Jean de Polanco. »

Le saint Fondateur, en demandant pour lui une dernière bénédiction pontificale, la demanda aussi pour un autre Père, qu'il ne nomma pas et qui se trouva être le P. Olave. La santé d'Olave était bonne en ce moment ; mais il mourut peu de jours après. Le P. Laynez était, au contraire, dangereusement ma- lade, et le P. Polanco crut qu'Ignace l'avait eu en vue. Le P. Polanco expliqua lui-même cette méprise, et la corrigea dans le troisième volume des histoires qu'il nous a laissées ; mais je dois le constater ici, aussi bien pour satisfaire à la vérité que pour accorder cette lettre avec une prédiction de notre Père. Saint Ignace avait dit bien des fois, que le P. Jacques Laynez lui succéderait dans le Généralat.

Ignace mourut, le 31 juillet 1586, jour anniversaire d'une des plus grandes joies de sa vie. A pareil jour, le pape Paul III, par une Bulle particulière, et de son autorité apostolique, avait approuvé les Exercices spi7'ituels, l'œuvre la plus utile et la plus glorieuse de notre Père. Les Exercices, en effet, l'aidèrent à commencer et à accroître sa sanctification, lui permirent de conquérir tant de compagnons et de fils, et lui inspirèrent l'esprit, la règle et l'Institut de la Compagnie.

Ignace était d'une taille plutôt petite que moyenne ; sa figure était noble, sa physionomie ordinairement grave et réfléchie.

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE V. 213

Cependant, quand il jugeait utile de témoigner son affection à quelqu'un, tout son cœur se peignait sur ses traits ; sa vue, son seul accueil consolait plus que mille démonstrations de la part d'un autre. Le P. Eleuthère du Pont {^'=), qui l'avait longtemps connu, a écrit de lui que son aspect semblait inspirer et produire en tous ceux qui l'entouraient la modestie et la gravité ; qu'avec une conscience coupable, on n'aurait osé ni se présenter devant lui, ni le regarder en face ; que sa figure avait une sorte d'éclat extraordinaire dans un homme âgé, infirme et mortifié comme lui (^^). Ignace avait le teint olivâtre, le front très large, le nez proéminent à sa partie supérieure, légèrement aplati vers les narines ; il était chauve ; sa marche se ressentait un peu de la blessure qu'il avait reçue au siège de Pampelune ; d'un tempéra- ment ardent, il l'avait tellement dominé, que les médecins le croyaient très flegmatique. Chez lui, la nature était parfaitement soumise à la grâce et à la raison: on pouvait dire qu'il n'avait plus de tempérament propre, mais qu'il les avait tous en quelque sorte, sans qu'aucun le dominât. Le seul portrait qui lui ressemble exactement est celui que monseigneur Alexandre Crivelli, de Milan et plus tard cardinal, avait fait exécuter furtivement par ^ un peintre. Ce peintre profita d'un moment le prélat entrete- nait Ignace pour l'observer sans être vu. Les autres portraits, faits depuis sa mort, ne rendent pas l'expression, ni surtout la noble majesté de ce regard pénétrant qui frappait chez notre Père.

Nous avons pourtant à Rome un portrait exécuté par un habile peintre, nommé Jacques del Conte. Celui-ci avait peint Ignace, après la mort ; mais en corrigeant, d'après ses souvenirs, l'alté- ration des traits. Conte, ayant été longtemps sous la direction du Saint, avait eu de fréquentes occasions de le voir. Ce portrait, de la main d'un maître distingué, est le dernier qu on ait fait : aussi, est-il généralement le plus estimé.

On pourrait dire de tous les membres de la Compagnie ce que le P. Polanco rapporte de nos Pères de Rome ; bien qu'Ignace fût considéré par tous ses enfants comme le soutien de son ordre, et que par conséquent sa mort eût les rendre inconsolables,ilsen reçurent la nouvelle avec des sentiments plu- tôt pieux que douloureux. On ne le pleura point avec amertume.

214 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

on ne s'attrista point avec découragement ; on aurait pu croire que ses enfants n'avaient perdu en lui, ni un père, ni un défen- seur, ni enfin leur trésor le plus précieux. Au contraire, les deux sentiments qui prévalurent, furent une douce joie de ce que les travaux et les fatigues de ce saint homme avaient enfin reçu dans le sein de Dieu leur récompense, et la confiance que, de ce glo- rieux séjour, il verrait mieux encore les besoins de ses enfants, et leur procurerait plus de secours.

On eut bientôt des preuves manifestes que ces espérances étaient fondées. Et d'abord, on eut l'assurance qu'il était entré dans la gloire ; car, au moment même de sa mort, il apparut à Bologne, à Marguerite Gigli (^^). Cette noble dame, très géné- reuse pour les pauvres, très dévouée à la Compagnie, passait la plus grande partie de sa vie dans les églises et les hôpitaux. Pendant son sommeil, vers le matin du 31 juillet, elle fut réveillée par un violent tourbillon de vent, qui ébranla sa chambre. En ouvrant les yeux, elle vit au milieu de l'appartement Ignace, dont la figure rayonnait belle et joyeuse comme celle d'un Bienheu- reux. Le Saint adressa ces paroles : « Marguerite, comme tu le vois, voici que je quitte la terre. Je te recommande mes enfants. » Puis il disparut.

Marguerite, reijaplie d'étonnement et de joie, se leva et alla aussitôt raconter ce qu'elle venait de voir et d'entendre au P. François Palmio, son confesseur. Quoiqu'elle n'eût jamais vu Ignace, elle décrivit son extérieur, aussi exactement qu'auraient pu le faire ceux qui avaient vécu longtemps avec lui. Or, on n'avait point encore appris de Rome qu'Ignace fût en danger de mort, ou même malade. Les Pères auxquels cette vision fut rapportée, ne se pressèrent donc pas d'y croire : mais peu de jours après, en apprenant la mort du Saint, ils virent que l'heure du trépas était bien celle de l'apparition. Ils en conclurent qu'Ignace était entré aussitôt en possession de la gloire des bienheureux.

De sa sollicitude et de son amour pour ses fils, nous eûmes la preuve dans les bénédictions qu'il fit répandre sur nous. Beau- coup de cardinaux, de très puissants princes accordèrent spon- tanément, et sans qu'on eût osé l'espérer, leur protection à la Compagnie.

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE V. 215

Mais voici un fait encore plus frappant.

Sept mois avant la mort d'Ignace, le P. Ribadeneira, alors en Flandre, avait supplié le roi Philippe II, d'accorder à la Com- pagnie la permission de s'établir dans les Pays-Bas. Toutes les instances avaient été vaines. Ribadeneira ne conservait plus aucun espoir, lorsque, mandé subitement à la cour, il se vit accorder tout ce qu'il avait jusque-là inutilement sollicité. Comme il connaissait bien l'opiniâtreté du roi Philippe, et le pouvoir de nos adversaires, il regardait ce succès comme un véritable miracle. Sur ces entrefaites, la nouvelle de la mort du Saint lui arriva de Rome. Il reconnut aussitôt la main qui l'avait secouru.

Ignace était l'objet d'une vénération profonde de la part de ses contemporains ; les hommes les plus distingués lui en don- nèrent de nombreux et éclatants témoignages. Nous nous con- tenterons d'en indiquer ici quelques-uns. Et pour commencer par ses enfants, n est-ce pas une chose remarquable que des reli- gieux si nombreux, hommes de grands talents et de grande pénétration, hommes vivant toujours avec lui dans les rapports journaliers les plus intimes, sentissent croître leur admiration et leur respect pour lui, à mesure qu'ils le connaissaient davan- tage ! Loin d'avoir, comme il arrive trop souvent, à jeter un voile sur certaines imperfections, ils auraient voulu montrer, aux regards de tous, les vertus dont ils étaient les témoins journaliers.

« Quand j'entrai à Rome dans la Compagnie,dit le P. Philippe « Aupolino dans une déposition faite sous serment, notre Père « y était dans une telle réputation de sainteté, non seulement « parmi nous, mais encore au dehors, que quand il sortait, beau- « coup de gens se rassemblaient afin de le voir.

« Pour nous, qui jouissions habituellement de sa présence, « nous le regardions comme un saint; nous portions suspendus « au cou, comme de véritables reliques, les fragments qu'il « coupait de ses ongles, et, afin de les obtenir, nous rivalisions « d'industrie, pour gagner les bonnes grâces du Frère qui le « servait.

« Beaucoup d'hommes éminents, attirés par cette réputation « de sainteté, demandaient à lui parler ; et, chose remarquable! « on pourrait à peine en citer un qui l'ait quitté sans s'être senti « animé du désir de se convertir ou de se perfectionner. Les

216 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« personnes affligées s'en retournaient toujours consolées, même « par son simple aspect. »

Saint François Xavier qui, dans les Indes, ne pouvait se pro- curer d'autres reliques d'Ignace que les signatures apposées par lui au bas de ses lettres, les en détachait et les portait à son cou avec un petit os de l'apôtre saint Thomas. Ces reliques qu'il confiait à ses enfants pour les faire toucher aux malades opéraient d'innombrables miracles, miracles auxquels d'ailleurs ses propres vertus n'étaient peut-être pas étrangères (^^).

Saint François Xavier vénérait notre saint Fondateur, au point que pour amener un Père, son compagnon dans la mission des Indes, à obéir parfaitement, il l'en conjurait par l'amour et le respect dus à Ignace. Il se mettait à genoux pour lui écrire, et arrosait de ses larmes les lettres qu'il lui adressait. Il lui don- nait le titre de Votre sainte charité ; d'autres fois, plus suave- ment encore, il l'appelait le père de son âme ; se plaignant presque d'en être si longtemps éloigné, il lui exprimait le désir de le revoir.s'offrait à retourner en Europe.sur un signe de sa vo- lonté, et signait quelquefois : Le moindre de vos enfants^ et le plus exilé de tous : François.

Les moindres témoignages d'affection qu'Ignace lui donnait, dans ses lettres, remplissaient son âme de joie et faisaient couler ses larmes C^'). Dans ses plus grands périls, sur terre et sur mer, la suprême ressource de Xavier était d'offrir à Dieu les mérites de son Père Ignace, pour obtenir la protection et le secours di- vins. Il n'en parlait jamais que comme d'un homme arrivé à la plus sublime sainteté. C'est ce que rapportait le P. Bernard, natif de Cangoxima, dans l'empire du Japon, le premier de ce pays que Xavier eut baptisé, et qu'il envoya à Rome. Bernard disait que François lui racontait d'admirables traits des vertus de saint Ignace, l'appelant un grand saint ; et pourtant, Xavier ne l'avait pas vu, pendant la plus admirable partie de sa vie, c'est-à-dire pendant les seize années qu'Ignace passa à Rome, et son union avec Dieu et sa perfection intérieure s'élevèrent à un si haut degré. Enfin, vers la fin de sa vie, le 3 janvier 1552, Xavier lui adressa une lonsfue et affectueuse lettre dont nous avons à Rome l'original ; elle porte l'adresse suivante : « A mon Père en jÉsus- « Christ, saint Ignace (^''). »

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE V. 217

Je rapporterai ici, après le témoignage de saint François Xa- vier, celui du P. Charles Spinola (''). Ce Père, qui plus tard suivit les traces de François Xavier jusqu'à l'extrémité de l'Orient, fut brûlé à petit feu au Japon, vers l'an 1622. Cette mort couronna une vie toute apostolique. Avant de la subir, le P. Spinola avait enduré, dans la fameuse prison de Suzzuta, un long et douloureux martyre de trois années, que les seules forces de la nature n'au- raient pu soutenir.

Les consolations célestes que Spinola recevait, il reconnaissait les devoir à saint Ignace, dont les souffrances dans la grotte de Manrèse,se présentaient à son esprit au fond de sa prison, et l'ex- citaient à imiter la ferveur de son saint Père. Il portait sur sa poitrine un petit morceau du sac grossier dont le saint pénitent était vêtu ; et il le considérait moins peut-être comme une relique, que comme une consolation et un continuel encouragement a souffrir avec joie pour la gloire du Seigneur.

Près de passer des fers au séjour des bienheureux, ce même Père, pour dernier témoignage de son attachement au P. Fran- çois Paceco ('"), alors Provincial, et qui depuis souffrit le même genre de mort que Spinola, lui envoya ce fragment du sac de saint Ignace « par lequel, disait-il, Dieu avait opéré au Japon un grand nombre de miracles ».

Ces miracles étaient bien dus au respect et à l'amour que ces peuples portaient au saint Fondateur. Sa vie, écrite en japonais, passait de mains en mains. Ne l'auraient-ils pas connu d'ailleurs, disaient-ils, ils pouvaient facilement juger de ses vertus et de sa sainteté par les œuvres et l'esprit de ses enfants.

Revenons sur nos pas. Dans les deux Pères Claude Le Jay et Nicolas Bobadilla, deux de ses compagnons, nous trouverons pour Ignace la même vénération et la même confiance. Le pre- mier fut attaqué un jour subitement de si cruelles douleurs dans l'estomac, qu'il croyait en mourir à l'instant. Ne pouvant recevoir aucun secours humain, parce qu'il se trouvait alors sur la route de Venise à Rome, il s'était étendu sur le grand chemin. Dans cet état, il pria Dieu, par les mérites de saint Ignace, encore vivant,de le soulager. A peine sa prière était-elle achevée, que sa douleur disparut entièrement. Bobadilla, récemment arrivé de Tivoli à Rome,fut pris d'une fièvre ardente qui le dévorait. Il se

218 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

rappela que peu de temps auparavant, dans cette même chambre il se trouvait, Ignace était passé à une meilleure vie. Bien convaincu que notre Père jouissait dès lors de la gloire des bien- heureux, Bobadilla se recommanda à lui avec une tendre ferveur. A l'instant même, il sentit s'éteindre les ardeurs de la fièvre. « Mon mal, disait-il, me fut enlevé comme on aurait soulevé une « des couvertures de mon lit. » Il ajoutait que son témoignage pouvait compter pour deux, car il n'était pas assez crédule pour ajouter foi aux paroles du premier venu qui lui raconterait un miracle.

Le P. François de Borgia était encore un de ceux qui consi- déraient Ignace comme un saint. Il conservait comme de pré- cieuses reliques, tous les objets qui lui avaient appartenu. A son retour en Espagne, comme il cherchait un lieu solitaire et sanctifié il pût pour ainsi dire se retirer du monde, il ne trouva rien de mieux que la ville d'Onate, parce qu'elle n'était située qu'à trois milles du château de Loyola, Toute cette région lui semblait exhaler un parfum de sainteté, et il y trouvait une exhortation muette à imiter Ignace. Avant de s'y fixer, il voulut visiter le château, se fit montrer la chambre le Saint était né, s'y prosterna le visage contre terre et baisa avec des larmes de respect et de tendresse, ce sol et ces murailles consa- crés par la naissance d'un tel Saint.

Le P. Jérôme Natal en fit autant quelques années après, et du vivant même d'Ignace. Il ne put, écrivit-il, s'empêcher de té- moigner son indignation, en voyant que les seigneurs de Loyola appréciaient si peu le lieu était le saint Fondateur. Ils avaient, en effet, transformé en cuisine cet appartement qu'ils auraient plutôt ériger en chapelle. Le P. Natal avait pour Ignace une si haute estime, que ses propres pensées sur la perfection la plus sublime, lui semblaient toujours au-dessous de ce qu'il voyait pratiquer à son ami. Il regarda comme une bonne fortune d'avoir pu se procurer ce qui était pour lui une précieuse relique de son saint Père.

Mais il ne garda pas longtemps son trésor. Ignace, pendant l^lusieurs jours, avait supporté avec une invincible patience un affreux mal de dents. Le P. Nntal, ému de ses souffrances, lui amena un chirurgien pour le débarrasser de la dent gâtée. Mais

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE V. 219

cette dent avait de profondes racines, et on ne parvint à l'arra- cher qu'au prix d'atroces douleurs.

Ignace,durant cette cruelle opération, demeura aussi tranquille, aussi immobile qu'une statue. Cependant le P. Natal s'était emparé furtivement de la dent arrachée. Ignace, qui avait tout vu, la réclama et la fit jeter si loin que toutes les recherches du bon Père ne parvinrent pas à la retrouver.

Le P. Jacques Laynez n'avait pas une moins haute opinion de sa sainteté. Quand il établissait une comparaison entre Ignace et le P. Le Fèvre, pour la perfection spirituelle, celui-ci n'était à ses yeux qu'un enfant, et Ignace un homme fait ; or un seul fait donne à entendre ce qu'était le P. Le Fèvre. Saint François Xavier l'invoquait, en lui donnant le titre de saint dans les lita- nies. Cette supériorité que Laynez attribuait à Ignace était gé- néralement reconnue. Louis Gonçalvès écrivait un jour à ce sujet: «Je connus à Madrid le P. Le Fèvre, et je conversai « longtemps avec lui sur les choses de Dieu; j'étais rempli d'ad- « miration pour lui, et je croyais impossible de rencontrer un « homme plus pénétré de l'Esprit de Dieu.

« Depuis, j'entendis parler de la haute supériorité d'Ignace ^ sur tous ses compagnons, et j'y crus d'abord sur le témoi- « gnage d'autrui, surtout en voyant qu'ils l'avaient choisi pour « chef. Mais, lorsque je le connus à Rome et que je m'en- « tretins avec lui, le P. Le Fèvre s'effaça de ma pensée, et «il ne me parut plus qu'un enfant en comparaison d'Ignace. » Parfois, Laynez considérait les grâces singulières que Dieu avait répandues à profusion sur Ignace, dès le commencement de sa conversion ; et, le voyant conduit par les voies les moins ordinaires et les plus ardues à la fondation d'un ordre nou- veau, il contemplait, dans les travaux de la Compagnie, les fruits de l'esprit du Fondateur.

A ce spectacle, saisi d'un profond respect, il s'écriait : « Dieu s'est complu dans l'âme de son serviteur Ignace : » Complacu2t sibi Dominus in anima servi siti loiiatii.

Il était lui-même dangereusement malade, et, au jugement des médecins, à la dernière extrémité, au moment de la mort d'Ignace. Il craignait que, pour lui en épargner la douleur, on ne voulût la lui tenir cachée ; il demandait donc à tous

220 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ceux qui entraient dans sa chambre si le saint Père était mort. Quand enfin Laynez reçut une réponse affirmative, il leva les yeux et les mains vers le ciel, se recommanda instamment à lui comme à un bienheureux, et supplia le Seigneur, si tel était son bon plaisir, de l'appeler à lui à la suite de son Père, et, par les mérites de cette sainte âme, de donner à la sienne un heureux passage de la terre au paradis.

Beaucoup d'entre les Pères, en apprenant sa mort, ne pu- rent se décider à intercéder pour lui ; mais, persuadés que leurs suffi-ages lui étaient inutiles, ils se recommandèrent humble- ment à ses prières. Parmi ceux-ci, se trouva le P. Fulvio Androzio ("), religieux d'une rare vertu. Ce Père voulait offrir pour lui la seconde messe de 7?^^?/zV;;2 ; mais, arrivé à l'autel, il dut changer son intention sous la pression d'une force irrésistible. Il célébra donc le saint Sacrifice en l'honneur du saint nom de Jésus, renouvela à plusieurs reprises cette invocation : Pater Ignati, ora pro nobis, et sentit d'une manière évidente les effets de l'intercession qu'il réclamait.

Nous avons encore à rapporter le témoignage d'un des plus chers enfants de notre Saint, Pierre Ribadeneira, qui le premier écrivit et publia l'histoire de sa vie. Appelé à faire connaître, sous serment, l'opinion qu'il avait conçue du Père et du maître de son âme, il apporta dix motifs principaux à l'appui de son témoi- gnage. Je crois devoir les rapporter ici, tels qu'ils se trouvent dans l'acte original qui en fut dressé.

Le P. Ribadeneira (^*) fut interrogé à Madrid, le 31 juillet 1595, devant Mgr Gaétan, patriarche et nonce du Pape, en Espagne, sur ce qu'il pensait de la vie et de la sainteté du P. Ignace. Il répondit, sous la foi du serment, qu'il le regardait comme un grand saint, et qu'il appuyait cette opinion sur les raisons suivantes :

« J'ai vécu familièrement avec lui, pendant seize ans, « dont huit dans une très étroite intimité, et je ne me souviens « pas de lui avoir vu faire une seule action, ni d'avoir entendu « sortir de sa bouche une seule parole, qui pût constituer, non f point un péché grave, mais le moindre péché véniel. Je ne « pense pas sans doute que le 1^. Ignace ne péchât jamais véniel- « lement; il n'y a point de juste qui ne pèche (^N'onest jnstus qui

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« no7t peccet), et le juste tombe sept fois ; mais ses paroles et ses « actes portaient un tel cachet de sagesse qu'en les entendant « ou en les voyant, on ne pouvait y apercevoir l'ombre même « du péché.Jamais ni duretés, ni médisances, ni paroles oiseuses « ne sortaient de ses lèvres ; lors même qu'il reprenait ses en- « fants, on ne le voyait ni agité, ni mécontent, qu'autant qu'il (''jugeait à propos de le paraître pour rendre son observation « efficace. Ces mouvements de 1 ame chez lui ne précédaient ja- « mais la raison ; ils la suivaient toujours.

« J'ai observé, chez le P. Ignace, des vertus héroïques et « des marques d'une rare sainteté ; particulièrement son oraison « continuelle, sa tendre dévotion, le don des larmes, don qu'il « avait avec le pouvoir de répandre ou de retenir ces mêmes lar- « mes à son gré; l'ardeur de son zèle pour la gloire de Dieu et le « salut des âmes ; la profondeur de son humilité et de son mé- « pris pour lui-même et pour le monde ; sa patience et sa joie au « milieu des travaux et des persécutions ; sa force et sa constance « admirable à les supporter ; sa prudence rare et plus qu'hu- ^ maine en ce qui tient aux choses spirituelles ; l'égalité de son « âme, égalité que ni l'adversité, ni la prospérité n'altéraient ja- « mais ; car, si quelque impression pouvait se remarquer sur son « visage toujours impassible, c'était celle d'un contentement « plus grand, quand une lourde tribulation survenait à l'impro- « viste ; enfin, toutes les autres vertus, dont il est parlé, dans le « cinquième livre de sa vie.

« 30 Le choix que Dieu avait fait de lui pour l'établir Père et « Fondateur d'un Ordre religieux tel que la Compagnie; la grâce « qu'il lui accorda pour le fonder, le gouverner, l'étendre dans « tout l'univers, et en recueillir des fruits si doux et si multipliés, « sont une troisième preuve de sa sainteté. Le Seigneur, desti- « nant Ignace à accomplir une si grande œuvre, lui avait accordé « la diversité de talents qui était nécessaire pour la conduire au « bien : car Dieu proportionne toujours les secours de sa grâce « à l'importance des devoirs qu'il impose. L'étonnement est en- « core plus grand, quand on pense aux circonstances qui ont « concouru à une œuvre si merveilleuse, quand on songe sar- « tout au changement survenu dans la vie d'un homme qui passa « des délices et de la vanité à une si grande abnégation de lui-

222 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« même et à une si rigide pénitence. Il faut remarquer ensuite « que Dieu lui-même fut le Maître d'Ignace, puisque, ignorant « dans les lettres humaines, il reçut du Seigneur les Exercices « spiritîiels, et par eux gagna tous ses premiers compagnons et « la plupart de ceux qui les suivirent. Je ne parle pas de tant « d'autres qui, ramenés à Dieu par ce moyen, entraient dans « divers Ordres, ou changeaient de vie dans le monde. Remar- « quons aussi qu'il persuada à ses premiers compagnons, tous « français ou espagnols, de laisser toute espérance mondaine, « pour le suivre dans un temps des guerres acharnées divi- « saient leur pays. Or, ils vécurent ensemble avec plus d'affection « et de concorde qu'on n'en voit souvent parmi des frères. Ob- « servons en outre cette inspiration divine qui lui fit créer un « Ordre, pour le fond semblable aux autres, mais pour le reste (i différent de tous ; un Ordre adapté aux nécessités de ces der- « niers temps. On en voit la preuve dans ce quatrième vœu par « lequel les profès s'engagent, au sujet des missions, à obéir sans « réserve au Souverain- Pontife, pour protester contre les héré- ^ tiques qui attaquent l'autorité du Pape et pour propager dans « le monde la religion chrétienne. Enfin, les Constitutions qu'il « écrivit, sont si empreintes d'un esprit céleste, et d'une sagesse « divine, qu'on ne peut en lire les pensées et les expressions <( sans admiration. Une preuve incontestable de leur mérite « est le respect avec lequel les cinq congrégations générales, « qui se sont tenues depuis la mort d'Ignace, les ont reçues « et vénérées.

« Les nombreuses et sublimes révélations, les faveurs « célestes qu'il a reçues de Dieu, témoignent encore en faveur « de sa sainteté. On raconte quelques-unes de ces merveilles « dans son histoire, et l'on en peut voir d'autres en grand nom- « bre dans des cahiers qu'il écrivit de sa propre main, à l'époque « il composait ses Constitutions ; cahiers qu'on a trouvés « après sa mort.

« Sa sainteté éclate encore dans les fruits merveilleux « que son Institut a produits par tout l'univers, soit pour la « réforme des mœurs chez les catholiques, soit pour la conver- « sion des idolâtres et des hérétiques ; ce furent autant de « miracles spirituels qu'il y eut d'âmes converties d'une vie pu-

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE V. 223

« rement matérielle à une vie chrétienne, de l'infidélité ou de « l'hérésie à la foi catholique. Et ces miracles, selon la doctrine « des saints, furent aussi supérieurs aux miracles opérés sur le « corps, que la vie et la santé des âmes l'emportent sur la santé, « sur la vie naturelle.

« Nous trouvons une autre preuve delà sainteté d'Ignace « dans les miracles opérés par son intercession, soit de son vi- « vant,soit après sa mort. On lit ces miracles dans son histoire, « et dans les procès authentiques que l'on en a dressés dans tant « de pays.

70 « La haine des démons, manifestée par les persécutions « continuelles qu'ils soulevaient contre lui, prouvent également « sa sainteté. On l'a remarqué, quand les premiers compagnons « d'Ignace étaient rassemblés loin de lui, ils jouissaient de la « paix la plus complète. Mais venait-il à se réunir à eux, aussi- « tôt survenait quelque bourrasque suscitée par la haine que « l'enfer lui portait. Le P. Laynez a raconté qu'à Padoue, il « avait vu un pauvre soldat possédé, qui n'avait jamais connu « saint Ignace, et qui le dépeignait au naturel. Cet énergumène « déclarait bien haut qu'il n'avait pas au monde un plus mortel « ennemi.

« Ceci confirme ce qu'avait dit à Rome un autre possédé « nommé Mathieu, qu'Ignace put délivrer. Le témoin ayant dit « au malin esprit qu'Ignace reviendrait bientôt et le chasserait, « le démon jeta de grands cris, en suppliant qu'on ne le lui nom- « mât même pas, parce qu'il était son plus terrible ennemi. Aus- « sitôt après la mort du Saint, les mêmes paroles furent répétées « à Trapani en Sicile, par une autre victime du démon ; elles « furent entendues par le vice-roi don Jean de Vega et par le Père « Jérôme Domenech, homme d'une grande sainteté. Provincial « delaCompagnie dans le royaume. Ce dernier les envoya même « à Rome. Un tel témoignage peut être reçu comme preuve de « la sainteté du P. Ignace. Car, si on ne doit pas ajouter foi aux « paroles des démons, quand ils parlent d'eux-mêmes, on peut « néanmoins les croire, quand ils sont forcés d'obéir à un com- « mandement fait au nom de Dieu, surtout en vue de manifester « la gloire des saints.

«8° Ne trouve-t-on pas une autre preuve de la sainteté

224 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« d'Ignace clans les persécutions soulevées contre lui, pendant « tout le cours de sa vie, par cette haine du démon, soit avant la « fondation de la Compagnie, à Alcala, à Salamanque, à Paris, « à Venise, à Rome, soit après son établissement? Ces persécu- « tions ne s'attachaient pas seulement à la personned' Ignace, elles « poursuivaient ses enfants, jusqu'aux extrémités du monde. « Mais sa patience, son courage, sa générosité et son allégresse, « au service de Dieu, lui assurèrent d'éclatants triomphes ; preuve « manifeste de la grâce spéciale, dont Dieu l'assistait, pour lui « faire remporter de glorieuses victoires sur ses ennemis.

« Ajoutez l'opinion de grands serviteurs de Dieu, de très « grands personnages, qui ont tenu le P. Ignace pour un saint. Il « n'est pas douteux que, comparés à Ignace, plusieurs Pères de la « Compagnie, tels que Pierre Lefèvre, Jacques Laynez, François « de Borgia, et d'autres encore, qui aux yeux de tous passaient « pour de véritables saints, paraissent être des nains auprès « d'un géant. Eux-mêmes reconnaissaient cette supériorité et par « suite avaient pour lui une profonde vénération.»

lo^ Enfin, Ribadeneira appuyait son opinion sur les mer- veilleux effets, opérés en son âme par le ministère d'Ignace. Et ici, il les rapporte, comme je l'ai fait ailleurs en grande partie. J'ajouterai seulement ce que dans cette déclaration solen- nelle ce même Pierre Ribadeneira dit de la foi qu'on doit ajouter à tout ce qu'il a écrit dans sa vie de saint Ignace ; parce que, dit-il, il n'a rien rapporté qui ne soit exact, ou au moins il ne se rappelle pas d'avoir raconté un seul fait qu'il ne croie vrai. Il croit et tient pour certain que tout ce que contient ce livre moralement parlant n'est que vérité. Il s'est grandement préoc- cupé d'être véridique, et il n'a parlé que de ce qu'il a vu ou entendu ; de ce qu'il a appris soit d'Ignace en personne, soit de personnages graves et bien informés ; enfin, de ce qu'il a trouvé dans des manuscrits originaux et authentiques. Aussi, quand il dit : f ai vu ou e7itendu ; il a vraiment vu. ou entendu ; et, quand il dit : D' attires me l'ont rapporté, d'autres le lui ont vraiment rapporté. La vérité de ces récits se trouve encore confirmée par l'examen que leur a fait subir le P. François de Borgia, avant de les livrer à l'impression, en les soumettant à plusieurs mem- bres delà Compagnie, dont quelques-uns avaient vécu familière-

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE V. 225

ment avec le Saint. D'ailleurs, quelques-uns des plus anciens Pères et de ses plus intimes amis.parmi eux trois de ses premiers compagnons, vivaient encore lorsque cette vie fut imprimée ; et aucun d'eux n'y a jamais signalé une seule erreur. Enfin cette his- toire,écrite en latin et imprimée à Naples,fut lue au réfectoire, de- vant tous les Pères de la congrégation générale, en l'année 1573. Le Père Éverard Mercurian, alors élu Général, chargea le P. Jacques Ximenès d'interroger, de sa part, tous les Pères de la congrégation, un à un, pour savoir s'ils approuvaient ou non cette histoire, et s'il y avait quelque correction à faire. L'auteur, en effet, désirait que cette œuvre eût toute l'autorité possible, et que, si quelque erreur s'y était glissée, elle fût corrigée exacte- ment.

Mais pas un Père, dans toute la congrégation, n'éleva de doute sur la véracité du récit, et ne signala un point de quelque importance à modifier. Le secrétaire de la Compagnie, Ximenès, a donné de ce fait, par un écrit dressé de sa propre main, une pleine attestation. Il est bon de le noter, parmi ces Pères beau- coup avaient été très intimes avec le P. Ignace, entr'autres: le P. Alphonse Salmeron et Nicolas Bobadilla ses premiers compagnons, le P. Jérôme Domenech, le P. Jean Polanco, secré- taire du Saint durant neuf ans, le P. Jérôme Natal, son commis- saireet son vicaire-général, le docteur Christophe Madrid, assistant de la Compagnie sous legénéralat du P. Laynez, enfin le P. Gé- néral Éverard Mercurian lui-même, tous morts aujourd'hui ; de plus les P. Benoît Palmio et Olivier Manare, personnages si graves et si connus.

Passons du témoignage de nos religieux à celui d'hommes éminents qui nous étaient étrangers. Parmi ceux-ci, il est juste de placer en première ligne saint Philippe de Néri, fondateur de la Congrégation de l'Oratoire (^*), qui reçut en même temps qu'Ignace les honneurs de la canonisation. Il voyait d'ordinaire le visage de son ami resplendir d'une lumière éclatante, image de la beauté intérieure de son âme, comme il le disait aux PP. Antoine Gallomio, Mutius Vitelleschi et à d'autres. Il dit encore au P. Manare que la peinture ne pourrait jamais tracer des traits d'Ignace un portrait exact, parce qu'il n'y a point d'art humain qui puisse peindre la céleste beauté de sa

Histoire de s. Ignace de Loyola. II. 15

226 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

figure (7^). C'était un argument que faisait valoir, en faveur de sa sainteté reconnue.le cardinal Tarugi, archevêque de Sienne. Ce témoignage, d'un des hommes les plus sages et les plus intègres parmi les membres du sacré collège, est un document d'une grande importance. Tarugi avait eu le bonheur de se trouver présent, quand Ignace passa à une meilleure vie.

Saint Philippe donna encore d'autres preuves de la sainteté d'Ignace. Un jour, rencontrant dans son église le P. Gabriel Venusti, Préfet du séminaire, et le P. Rubini, son compagnon, il leur demanda s'ils étaient de notre Société. Sur leur réponse affirmative, il ajouta : « Vous êtes les enfants d'un illustre Père; «je lui suis bien obligé. C'est maître Ignace qui m'a appris à « faire l'oraison mentale. » Il envoyait à la Compagnie bon nombre de ses fils spirituels ; et telle était son estime pour elle que si Dieu ne l'eût choisi pour une œuvre plus grande, la Com- pagnie, je le sais de source certaine, aurait eu la gloire de le recevoir dans son sein. Enfin, d'après une déposition faite sous la foi du serment, en i6or,par l'évêque d'Augubbio, le saint vieillard, après la mort de notre Père, se recommandait à Dieu par l'intercession de saint Ignace et venait prier à son tombeau.

Après saint Philippe, je citerai Jean Texeda, de l'Ordre des Pères de l'Observance. Il appelait Ignace un homme rempli de l'esprit de Celui pour la gloire duquel il affrontait sans crainte les plus grandes entreprises. Temple de paix, sa vue consolait, sa parole rassasiait l'âme, ses conseils remplissaient de force.

Le P. Louis de Montoya, portugais de l'Ordre de Saint- Au- gustin, très connu par ses vertus et son savoir, avait traité à Rome, avec saint Ignace, des choses de son intérieur. De retour à Coïmbre, il écrivit au Saint en ces termes : <L Que jÉsus- « Christ, notre souverain bien, soit toujours dans votre sainte « âme, l'illumine de sa lumière et l'embrase chaque jour des « ardeurs de son saint amour. Amen. Notre-Seigneur a daigné « me ramener sans accident dans cette ville. Comme je le disais « à votre Paternité, la plus précieuse relique que j'y ai rapportée « de Rome, ce qui m'a été le plus utile, c'est d'y avoir vu votre <L Paternité, d'avoir été reçu pour son fils et d'avoir obtenu sa « bénédiction. Désormais, et pour toute la vie, je suis, malgré « mon indignité, l'un des Frères, le dernier de tous, delà sainte

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE V. 227

« Compagnie de Jésus. Je les avais déjà aimés, je les aime « maintenant plus que jamais ; je les porte dans mon cœur ; car, «je le sais, eux-mêmes gardent mon souvenir et me chérissent « comme un des leurs, quoique toutes les misères de mon âme « me rendent indigne de leur amitié. Ces misères,je vous les ai « fait connaître, quand V. R. a bien voulu me recevoir et m'en- « tendre, etc. »

Le P. Louis de Grenade, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, per- sonnage qui, par ses excellents écrits, a tant mérité de la piété catholique, écrivit au Père Pierre Ribadeneira,pour le remercier d'avoir composé la vie de saint Ignace et de lui en avoir fait remettre un exemplaire, par nos Pères de Lisbonne, à lui en- fant de la Compagnie. C'est le nom qu'il se donnait. « Cette vie, « disait-il, est un modèle de toutes les vertus proposé à l'imita- « tion des enfants de la Compagnie : je l'ai lue une et deux fois. « Je désire l'oublier, afin de la relire avec le même goût que la « première fois. »

Le P. Maître Jean d'Avila, l'un des plus saints dans cette phalange de grands hommes qui illustraient alors l'Espagne, expliquait en ces termes au P. Michel Torrès, pourquoi il aimait tant la Compagnie : « C'est en moi de l'amour-propre : dans « l'esprit de la Compagnie j'aime le mien ; car tous les deux ne « font qu'un. » Et il ajoutait : « J'avais ébauché dans mon esprit « une idée bien imparfaite, il est vrai, du dessein que le P. Ignace « a non seulement conçu, mais exécuté. Mon nom de Jean répond « bien à mon office ; car Ignace est l'époux et je ne suis que son « paranymphe. Je ne suis qu'un faible enfant : je m'épuisais d'ef- « forts, et en vain, pour soulever de terre un rocher trop lourd « pour mes pauvres bras : un homme vigoureux, sans effort, sans « préparation, l'a pris et porté je ne pouvais atteindre. » Aussi, cet excellent maître de la vie spirituelle dirigeait ses dis- ciples en aussi grand nombre qu'il pouvait vers la Compagnie. Le P. Avila, rapporte le P. Salmeron, avait offert au Provincial d'Espagne quinze collèges, avec tous les étudiants qui s'y trou- vaient ; mais la Compagnie ne crut pas devoir accepter ces avan- ces et pensa que Dieu agréait plus le choix que le nombre des sujets.

Mais pourquoi multiplier ces témoignages individuels et qui

228 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

s'amoncelleraient sous notre plume, au risque de fatiguer peut- être le lecteur ? Qu'on nous permette de citer la lettre écrite à la Compagnie par un Ordre tout entier, celui des Barnabites, lors- que se fut répandue la nouvelle de la mort de notre bien-aimé Fondateur.

« En apprenant que le vénérable P. Ignace, de bienheureuse « mémoire, avait passé à une vie meilleure, nous avons été pro- « fondement affligés, tant pour toute la sainte Compagnie de « Jésus, privée d'un tel Père et d'un tel guide, que pour nous- « mêmes, qui voyions aussi en lui un Père. Notre douleur est « bien naturelle, en le voyant enlevé à notre affection, dans un « temps surtout, les hommes vraiment saints sont si rares. « Cependant nous devons aussi nous en consoler,en pensant qu'il « est entré dans la gloire ; car,pour les justes qui vivent en Notre- <L Seigneur, la mort est un gain, et ils bénissent la dissolution de « leurs corps, dissolution qui leur permet de se réunir à jÉsus- « Christ. Ainsi, lui encore, comme le bienheureux Pierre, a «'rompu ses liens le premier août ; et, délivrée de son corps, sa « bienheureuse âme a pris son essor vers le ciel.

« Tout ce que nous pouvons craindre, c'est qu'il n'ait été en- « levé au monde, en châtiment de nos propres péchés. Ainsi, « lisons-nous dans l'Ecriture que le peuple hébreu étant menacé « de grands malheurs, le roi Josias lui fut enlevé par la mort. La « volonté de Dieu s'est accomplie; que son saint nom soit béni ! « D'ailleurs Ignace n'est pas absolument perdu pour nous ; il « vit dans le souvenir de tous, et, partout le nom de Jésus a « été porté, est arrivée la douce et précieuse mémoire du saint « homme, auquel l'Église catholique est si redevable. Ses en- « seignements, son impulsion ont fait arriver jusqu'aux antipodes « la doctrine, la foi, la sainte religion du Christ ; ont formé une <L nouvelle Église, émule de l'Église apostolique, une Église qui a « aussi ses nouveaux apôtres et ses nouveaux martyrs.

« Quelques-uns de ses enfants l'ont précédé ; et, après d'im- « menses fatigues endurées pour la gloire du Seigneur, il les a « rejoints, consumé non moins qu'eux par les travaux et la sol- « licitude de toutes les Églises ; en un mot, vraiment martyr, « sans avoir subi les tourments.

« Sur lui reposaient depuis longtemps, non seulement votre

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE V. 229

« maison, mais une multitude d'autres ; car il était le Pèrecom- « mun de tous les bons. Et qui n'a pas reçu dans l'affliction le « secours de ses douces paroles, dans les doutes celui de ses « sages conseils, dans l'oppression son appui, et son secours dans « la nécessité ? Il était le pied du boiteux, l'œil de l'aveugle, le « refuge du pauvre, la consolation du malheureux. Que le Sei- « gneur lui accorde la récompense de ses œuvres ! D'autres « jetteront des fleurs sur sa tombe ; pour nous, ce sera par nos « prières et par l'oblation de la divine Hostie que nous lui té- « moignerons notre respect et notre amour, quoique nous « croyions sa sainte âme en possession de la gloire des bien- « heureux.

« Le serviteur de Dieu est sorti de ce triste monde ; les hom- « mages de notre affection le suivront. Nous prions votre cha- « rite d'agréer avec bienveillance ces condoléances comme une « marque de notre fidèle dévouement, de vouloir nous aimer à « votre tour, enfin vous souvenir de nous dans vos prières. Que « Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Amen.

« De notre couvent de Milan, le i'' septembre 1556. « De votre charité les fils en J.-C.

« Les Clercs-Réguliers de St-Paul.

En terminant, nous rapporterons les témoignages que des personnages, unissant une vertu signalée à l'éclat des premières dignités, donnèrent à la sainteté d'Ignace ; et, en premier lieu, les témoignages des Souverains-Pontifes qui, pendant ce temps-là, gouvernèrent l'Église. Paul III, le même qui érigea la Compagnie en Ordre religieux, considérait Ignace comme destiné à réparer les maux de l'Église. Jules III avait pour lui les mêmes sentiments et il le révérait, comme un homme d'une perfection consommée. Il traitait avec lui familièrement, et ja- mais il ne lui refusa une grâce pour la Compagnie. Paul IV ne se permit pas le plus léger changement dans l'Institut ; il ne voulut jamais non plus laisser le Saint lui parler à genoux, mais il le forçait à se relever et à se couvrir. Marcel II l'affectionnait au plus haut degré et le respectait, comme un homme dont la sainteté égalait la sagesse ; il lui donna souvent des marques publiques d'une tendre affection.

A peine assis sur la chaire de saint Pierre.ce Pontife demanda

230 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ses conseils, pour établir une réforme qu'il projetait dans le culte extérieur de l'Eglise. Il eût même exigé son concours et celui de ses enfants, si Dieu l'avait laissé plus longtemps à l'amour des fidèles. « Occupez-vous, lui disait-il, à rassembler les ouvriers, « nous saurons bien les employer. »

Jean III, roi de Portugal, allait plus loin : il aurait voulu voir Ignace prendre en main, comme Pape, les clés du ciel; car,disait- il, grâce à son zèle,le Saint eût ouvert le paradis à bien des peu- ples. Quant aux cardinaux, il suffit de dire ce qui se lit aux procès de la Rote. Les uns allaient souvent visiter Ignace dans l'unique but de voir un saint ; les autres pour en recevoir des conseils spirituels, ou bien encore pour le consulter sur d'impor- tantes affaires ; car sa sagesse et sa prudence étaient aussi re- connues que sa sainteté. Aussi le cardinal délia Cueva, en apprenant sa mort, écrivait-il que l'Église avait perdu une de ses meilleures têtes.

L'empereur Ferdinand I^"" ne traitait jamais une affaire, à Rome, avant d'avoir pris les conseils d'Ignace ; et on a entendu Don Jacques Mendoza dire plus d'une fois que, lorsqu'il avait suivi ses conseils, dans les affaires du Roi son Maître, elles avaient toujours réussi, et toujours manqué, quand il les avait négligés.

Qu'il me suffise ici de rapporter, parmi les témoignages d'au- tres nombreux personnages, remarquables par leur grande pru- dence et leur haute situation, les lettres de condoléance que le cardinal d'Augsbourg et le vice-roi de Sicile, Jean de Vega, adressèrent au P. Laynez, vicaire-général de la Compagnie, après la mort du saint Fondateur.

Lettre du cardinal d'Augsbourg aux Pères de la Compagnie. « Très Révérends et religieux Frères en J.-C,

« Dans le passage de notre saint Père Ignace à une vie meil- « leure, nous ne saurions exprimer ce qui a dominé ou de la joie « ou de la peine que nous avons ressenties. En considérant que « la bonté éternelle a daigné l'enlever aux misères de ce monde, « pour le récom[jenser d'une manière proportionnée à ses mérites, « ce serait manquer de piété que de s'affliger du bien qui lui ar- « rive, pour ne songer qu'à notre propre utilité. D'un autre côté ^< cependant, nous avons des motifs de tristesse continuelle, dans

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE V. 231

« la pensée que nous sommes devenus orphelins, privés d'un Père « si bon, notre refuge et comme notre port dans toutes nos tribu- « lations. Enfin, comme les choses passagères d'ici-bas ne sau- « raient être mises en parallèle avec les éternelles, nous nous con- « solerons par cette pensée, qui doit être aussi celle de vos Pater- « nités : la certitude que cette âme bénie prie maintenant le « Seigneur pour nous, qui sommes restés dans les ténèbres de ce « monde, et qu'elle nous obtiendra d'accomplir heureusement, à « son exemple, ce passage à une vie meilleure. Pour cette faveur, « grâces soient rendues à la divine Majesté, que vous ne man- « querez pas, je vous en supplie, de prier pour nous dans vos « oraisons. Sans en dire davantage, je me recommande toujours « à vos Paternités.

« Augsbourg, le 25 août 1556. (<; De votre sainte Compagnie,

« Le frère très dévoué,

« Le cardinal d'Augsbourg. »

Lettre de Don Jean de Vega, vice-roi de Sicile, au P. Jacques Laynez.

« Très Révérend Père et Seigneur,

« Trois ou quatre jours avant de recevoir la lettre, que le P. « Polanco m'adressait en votre nom, m'annonçant le départ de « ce monde pour la gloire du ciel, du bienheureux P. Maître « Ignace, nous avions appris vaguement cette nouvelle. Aussi, « étions-nous dans un grand désir et dans une vive attente de « détails plus précis, sur sa sainte mort et sur l'état de sa religieuse « et sainte Compagnie. Nous ne doutions pas, en effet, de ce que « nous avons appris, par cette lettre et par celle qu'a reçue le « P. Maître Jérôme, que la main vigilante de Dieu ne cesse de « reposer sur cette Compagnie ; mais nous avons éprouvé une « grande édification et une grande consolation, à l'apprendre « d'une manière si positive. Cependant notre joie a été mêlée « de quelque peine inévitable à la faiblesse humaine ; car on ne « peut s'empêcher de ressentir l'absence et la perte de ceux que nous aimons dans ce monde. Grâces infinies soient rendues à « Notre-Seigneur, pour avoir appelé à lui son serviteur dans le « temps qu'il a jugé le plus opportun, après lui avoir permis de

232 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« dresser ici-bas tant de trophées de sainteté et de paternelle « bonté, trophées que ni le temps, ni les éléments ne pourront dé- « truire, comme ils ont déjà détruit ceux qu'ont élevés la vaine « gloire et la vanité.

« Pour moi, j'aime à contempler le triomphe dont a été honoré, « à son entrée dans le ciel, cet homme, qui s'avance précédé de « tant de victoires et de tant de batailles,gagnées sur des nations « si éloignées, si barbares, sur des nations qui n'ont d'autre con- « naissance de la religion que celle qu'elles ont reçue de ce bien- « heureux et saint capitaine et de ses soldats. C'est à juste titre « qu'il peut déployer son étendard, à côté de celui de saint Domi- « nique, de saint François et des autres saints, auxquels Dieu a « fait la grâce de remporter la victoire sur les séductions et les « misères de ce monde, et d'arracher tant d'âmes à l'enfer. Sa « gloire et son triomphe sont loin d'être au-dessous du triomphe « de ces saints. Combien les honneurs d'Ignace diffèrent des « triomphes et de la gloire de ce monde, si remplis de misères, « source de tant d'envie, cause de tant de dommages et de cor- ^ ruption pour l'Etat ! Nous trouvons, en tout cela, assez de con- « solation et de force pour adoucir la douleur, si grande soit-elle, « que nous cause une semblable perte. Nous espérons que, du « haut du ciel, ce glorieux Saint sera utile et pourra beaucoup « mieux servir les intérêts de son Ordre et de ceux qui ont eu « des rapports avec lui et ont été dévoués à sa sainte personne. « Aussi, Votre Révérence me fera une grande faveur, en parti- « culier dans les commencements, si elle me tient au courant du « progrès de cette sainte Compagnie et de tout ce qui lui arrivera.

« Quant à ce qui se passe ici, Votre Révérence et le P. Maître « Natal ont jeté de si bons fondements, et depuis, le P. Maître <?: Jérôme, un grand serviteur de Dieu, un homme expérimenté « dans tout ce qu'il a entrepris et accompli, a si bien continué ce qui s'était fait, que, grâce à Dieu, les affaires sont en bon « état. Aussi, n'y a-t-il rien de mieux que de conserver et de « faire progresser ce qui a été commencé.

« Que Notre-Seigneur garde et comble de prospérités la « personne de Votre Révérence !

« De Trépane, le 27 décembre 1556. « Jean de Vega.

Maximes de spiritualité et de gouvernement de saint Ignace. Circonstances qui suivirent sa mort. Baronius et Bellarmin. Miracles et canonisation du Saint.

^^^^^^^gVANT de raconter ce qui se passa, après la

( ^ mort d' Ignace, nousciterons ici quelques-unes I ^ de ses maximes. Elles sont pleines d'une céles- te sagesse, et nous y trouverons des secrets i spirituels de la plus grande utilité, pour l'ac- complissement de nos devoirs, envers Dieu, '^mSS^ël^^^W^ envers nous-mêmes et envers le prochain ("). Qui oublie ses propres intérêts pour le service du Seigneur, « peut être assuré que le ciel y veillera, mieux qu'il n'aurait pu « le faire lui-même, si, pour penser à lui, il avait oublié Dieu. « Quand on veut réussir dans de grandes choses pour la gloire « de la divine Majesté, il faut se garder également et des ténèbres « et de la lumière du monde, c'est-à-dire des craintes vaines de « la pusillanimité, et des trop habiles prévisions de la pru- « dence humaine.

« On ne doit cependant pas agir avec témérité, et en comp- « tant sur des miracles ; mais il faut régler sa confiance en Dieu, « sur cet infaillible principe, que sa puissance et sa volonté ne sont « point assujetties aux lois ordinaires, et que nous aurions tort, « dans les choses de son service, de compter uniquement sur nos « ressources du moment. Avant de s'engager dans une entreprise « de ce genre, il est nécessaire de s'appuyer sur Dieu, comme « si le succès devait venir de lui seul ; et pourtant, dans le choix « des moyens et dans leur exécution, nous devons y travailler, « comme s'il ne dépendait que de notre industrie et de notre « travail ; nous ne devons rien omettre de ce que nous pouvons « faire, pour atteindre le résultat.

234 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« Quant à la manière de traiter avec les hommes, il faut parler « peu et écouter beaucoup ; et ce peu de paroles, le dire, comme « si tout le monde devait l'entendre, bien qu'on ne parle qu'à « un seul.

« Nul ne fait davantage que celui qui ne fait qu'une seule « chose. C'est un point dont il faut d'autant plus tenir compte, « qu'il est souverainement nécessaire de s'accommoder à l'affaire « dont on s'occupe, au lieu d'accommoder l'affaire à soi, au « risque d'en compromettre le succès pour ne s'être pas gêné.

« Celui qui craint beaucoup le monde, ne fera jamais rien de « grand pour Dieu; car on ne peut rien faire de grand pour Dieu, « sans avoir beaucoup à craindre du monde, qui soulève des « persécutions et met tout en émoi. »

Ignace l'avait expérimenté. Tandis qu'il vivait seul, livré aux austérités de la pénitence, tous le regardaient comme un saint ; dès qu'il voulut se rendre utile au prochain, on le traita de magi- cien, d'hérétique, d'homme dangereux, digne de l'Inquisition, des prisons et du feu.

Pourtant, il ne recula jamais, parce que la parfaite charité chasse toute crainte. Aussi, fonda-t-il la Compagnie sur cette base, et lui enseigna-t-il à ne jamais se laisser abattre par les persécutions. Si les persécutions lui manquaient, c'est qu'elle aurait elle-même manqué à ses devoirs.

« La Compagnie, dit-il dans la dixième partie de ses Constitu- « tions, n'a pas été établie par des moyens humains : elle ne peut « donc ni croître, ni se soutenir par ces moyens, et moins « encore être renversée ou péricliter par une telle cause. »

Ignace craignait si peu, pour la Compagnie, les contradictions et les adversités, qu'il tirait les plus heureux présages pour son accroissement dans un pays, du grand nombre des persécutions, auxquelles elle y était en butte,

« Peu d'âmes comprennent ce que Dieu ferait d'elles, si elles « se livraient entièrement, entre ses mains, et se laissaient façon- « ner par sa grâce. Un tronc d'arbre, informe et grossier, ne croirait <i jamais qu'il pût devenir une statue, un chef-d'œuvre de sculp- <.( ture ; s'il était libre, il ne voudrait point se placer sous le ciseau « de l'artiste, qui, selon le mot de saint Augustin, voit dans son « idée ( yidel inarte), ce qu'il peut en faire. Ainsi, beaucoup de

. LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE VI. 235

« gens, qui vivent à peine en chrétiens, sont loin de penser qu'ils « pourraient devenir de grands saints, s'ils se laissaient travailler « par la grâce de Dieu et ne gâtaient pas son dessein en résistant « à son action.

« Celui qui recourt à Dieu, pour connaître ce que le Seigneur « demande de lui, soit pour le choix d'un état, soit pour tout « autre intérêt de son âme, doit d'abord se dépouiller de sa « propre volonté et se délivrer de toute inclination particulière; « ensuite, il doit se mettre généreusement entre les mains de la « divine Majesté,avec la ferme résolution d'accomplir sa volonté, « également disposé à embrasser l'état qui lui plaira, ou le parti « qu'il voudra. Il n'attendra pas qu'un envoyé céleste lui apporte « des ordres; mais il se remettra sous les yeux quelques-unes « des éternelles vérités de rÉvangile,et,à l'aide de leurs lumières, « il pèsera le pour et le contre ; puis, après en avoir tiré les « diverses conséquences, il prendra un parti, toujours dirigé vers « la fin suprême, pour laquelle nous avons été créés. S'il reste « encore dans le doute et la perplexité, qu'il ait recours, pour en « sortir, à la pensée de la mort et du jugement : et il apprendra « à faire maintenant ce qu'il voudrait avoir fait, quand il sera sur « le point d'entrer dans son éternité.

« Quant à ceux qui voudraient connaître, parle ministère d'un « ange, s'il est bon pour eux de se consacrer à Dieu dans la « religion, cette visite d'un ange, disait saint Ignace, leur serait « nécessaire non pour sortir du monde, mais pour y rester avec « l'assurance de s'y sauver, tant les périls y sont grands et nom- « breux, et les secours rares et rarement employés. Au contraire, « dans une religion fleurit l'observance, il est si facile de « trouver, non pas seulement la sûreté, mais encore la sainteté, « qu'il semblerait presque miraculeux qu'on y tombât dans une « faute mortelle, ou au moins qu'on ne s'en relevât pas aussitôt.

« Celui qui possède Dieu ne manque de rien, quand même il « n'aurait rien ; car Dieu est tout bien, et avec lui viennent tous « les biens.» Aussi,Ignace,écrivant à Pierre Contarini, lui disait : « Jusqu'ici, parla bonté divine, nous vivons heureux, et chaque « jour nous reconnaissons mieux la vérité de cette parole : « N"* ayant rien et possédant tout. »

« Je parle de ce tout, que Notre-Seigneur a promis d'accorder

236 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« à ceux qui cherchent, premièrement et par dessus tout, le « royaume de Dieu ; et, s'il l'accorde à ceux qui cherchent « d'abord son royaume, comment le refuserait-il à celui qui le « cherche uniquement, qui n'a point pour sa part tout à la fois, « et la rosée du ciel et la fertilité de la terre (De rare cœli et de <i pinguedine tei'rœ) ; à celui dont toute la part est uniquement la « rosée du ciel ! Comment le refuserait-il à qui n'a pas un cœur « divisé entre les biens de la terre et les biens du ciel ; à celui « qui tient ses deux yeux fixés sur le ciel seulement !

« Ceux qui ne sont pas appelés à ce premier et sublime degré de « perfection, qui consiste à ne posséder que Dieu, doivent s'élever « au second, c'est-à-dire posséder les choses de la terre, sans « en être possédés. Si on ne les abandonne pas pour Dieu, « qu'au moins on les lui subordonne entièrement ; et, quelque « précieuses qu'elles soient, qu'on les place toujours au-dessous « de ce que l'Évang'ile appelle la seule chose nécessaire,

« L'effet le plus propre de la fréquente communion, est de « préserver du péché mortel. L'absence de la dévotion sensible « ne doit pas nous détourner de ce sacrement : ce serait refuser « de manger du pain, parce qu'il n'est pas pétri dans le miel ; « ce serait, par désir de ce qui n'est qu'accidentel, rejeter ce qui « est substantiel,

« Bien que, parmi les vertus et leurs différents actes, il y ait <( des degrés plus élevés et des mérites plus excellents, ce n'est « pas toujours le plus parfait qui est le meilleur pour chacun, « mais ce qui, dans une circonstance donnée, lui convient le mieux. « Si Dieu, par exemple, nous accorde dans l'oraison des sentiments « de douleur de nos péchés, nous ne devons pas nous détourner « de ces sentiments, pour porter notre cœur à se réjouir de l'être « et des perfections infinies de Dieu, ou à considérer tout autre « objet en soi plus sublime,

« Si précieuse qu'elle soit, cette occupation sera, dans ce cas « particulier, moins utile que celle pour laquelle Dieu nous « accordait une grâce particulière,

« Si Dieu permet que vous ayez beaucoup à souffrir, c'est un « signe certain qu'il veut faire de vous un grand saint. Si vous « désirez que Dieu fasse de vous un grand saint, priez-le de vous « donner beaucoup à souffrir.

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE VI. 237

« L'amour de Dieu ne s'allume jamais mieux dans le cœur, « que lorsqu'il a pour aliment le bois de lacroix, bois qui a servi « à notre Sauveur, pour offrir l'holocauste d'une charité infinie. « Tout le miel qu'on peut tirer des délices du monde, n'a pas au- « tant de douceur que le fiel et le vinaigre présentés par Jésus, « c'est-à-dire les amertumes acceptées pour son amour et avec lui.

« Dans l'espérance d'opérer plus tard un bien très important, « pour le service de Dieu et le salut du prochain, on ne doit pas « négliger celui qui est présent et qu'on a presque entre les « mains. Peu, sûr et durable, vaut plus que beaucoup, mais « incertain ou sans stabilité. »

Tel était l'enseignement d'Ignace. Il y conformait sa con- duite. On lui avait offert en Espagne de fonder des collèges en différents lieux ; mais, comme la rareté des sujets ne lui per- mettait pas d'accepter de nouveaux postes, sans abandonner les anciens, il remit l'exécution de ses projets à des temps plus favorables. Il ne voulut pas diminuer le nombre des Pères que nos premières maisons possédaient ; il préféra le maintien de la discipline religieuse à l'acquisition de nouveaux collèges ; car cette discipline se conserve rarement dans les communautés peu nombreuses. Or, si la discipline périclite, l'Ordre est aussi en danger et le public ne reçoit pas de gens relâchés les secours qu'il aurait droit d'attendre.

« Les talents naturels, disait Ignace, ne peuvent être em- « ployés utilement au service du prochain, que s'ils sont dirigés « par l'esprit intérieur et en tirent leur vertu. Alors Dieu les <l bénit; alors, comme Elisée à l'égard de Joas, il met la main à « l'arc pour que les flèches, au lieu de porter des coups en l'air, « atteignent le but. » Aussi, voulant prescrire, dans la dixième partie des Constitutions, les moyens les plus efficaces pour maintenir dans la Compagnie le véritable esprit de son Institut, voici celui qu'il met au premier rang : « Pour conserver et ac- « croître l'esprit propre de la Compagnie, et arriver au but prin- « cipal qu'elle se propose, de conduire les âmes vers leur fin « unique et surnaturelle, les moyens qui unissent l'instrument à « Dieu et le disposent à se laisser bien manier par lui sont plus « efficaces que tous ceux qui le rendent apte à traiter avec les « hommes : tels sont la bonté et la vertu, et principalement la

238 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« charité, l'intention sincère de servir Dieu, la familiarité avec « lui, et le zèle du salut des âmes en vue de la gloire du Dieu « qui les a créées et rachetées. »

Aussi, Ignace préférait-il un homme simple et de haute vertu à un homme de science et de grands talents, mais d'une vertu ordinaire. Pourtant, il conservait avec plus de soin les reli- gieux de ce genre, à cause de l'utilité qu'en retiraient les âmes ; mais ceux qui n'avaient en leur faveur qu'une naissance il- lustre et des talents, il en délivrait la Compagnie, comme on l'a vu faire à l'égard d'hommes haut placés dans l'opinion publique. Du moins, il ne leur permettait pas de s'occuper du prochain, jusqu'à ce qu'ils eussent compris que les points essen- tiels, pour lui être utiles, l'esprit intérieur et la vertu leur man- quaient.

Ainsi que le P. Laynez le disait, l'art de la prédication, chez Ignace, n'était conforme ni aux règles de Cicéron, ni à celles de Ouintilien ; et pourtant la parole du Saint était plus efficace qu'aucune éloquence acquise : c'est que les talents n'ont de valeur que celle que Dieu leur donne, et il leur en accorde seulement dans la mesure où, pour agir, ils lui restent unis comme l'instru- ment dans la main de l'ouvrier.

« Il y a dans la vie spirituelle et dans l'oraison, fait observer « encore Ignace,deux moments dangereux : celui de l'abondance « et celui de la disette ; celui de la consolation et celui de « l'aridité. La consolation peut nous enorgueillir, si nous voyons « un fruit de nos mérites, il n'y a qu'une aumône de Dieu, « plus abondante parce que nous sommes plus pauvres. L'aridité « peut nous causer des regrets, de la tristesse, de la crainte, « comme si Dieu, en nous voilant sa face, s'était retiré de nous « et nous avait maudits, parce qu'il ne laisse pas arriver sur nous « les fraîches rosées du paradis.

« Dans ces deux différents états d'âme, pour ne pas sortir des « limites du devoir, il faut en quelque sorte que l'un vienne au « secours de l'autre. Ainsi, dans le délaissement, souvenons-nous « des consolations que nous avons goûtées jadis. Nous ne les « méritions pas plus alors qu'aujourd'hui ; mais le Seigneur nous « avait regardés d'un œil de pitié et nous les avait accordées. « Ainsi, un maître de maison jette-t-il, de sa table, quelque mor-

LIVRE CINQUIEME CHAPITRE VI. 239

« ceau délicat au pauvre animal, dont les yeux suppliants suivent « tous ses mouvements.

« Quand, au contraire, nous jouissons de douces consola- « tions, rappelons-nous ce que nous étions, dans le temps de « l'aridité, et ce que nous serons, quand Dieu tarira la source « de ces saintes joies. Si Dieu, dit Job, retient les pluies, tout se « desséchera : Si contimierit açîtas omnia siccabîcnhir, xu, 15. « Ayons grand soin, quand nous sommes dans l'aridité et l'afflic- « tion, de ne rien changer aux résolutions prises dans des jours « plus sereins. De même, quand notre cœur est comme inondé « des délices célestes, nous devons nous garder de promesses « précipitées, de vœux d'une exécution difficile, surtout de vœux « perpétuels. Il faut, au contraire, laisser tomber cette ardeur « qui nous prête une fausse grandeur et nous fait paraître tout « autres que nous ne sommes. Dès lors, nos engagements seront « sûrs, parce qu'ils seront dus non à l'impétuosité du sentiment, « mais à la maturité de la raison. »

Ignace savait combien un homme est différent de lui-même, selon qu'il agit de sang-froid, ou sous l'empire d'une violente passion. Voilà pourquoi jamais il n'ajoutait foi aux promesses de ceux que leurs infidélités l'obligeaient enfin à renvoyer de la Compagnie ; qu'elles que fussent leurs larmes et leurs protesta- tions, il ne consentait jamais à les garder. Il savait que les émotions violentes, d'où naissent ces promesses, sont comme un torrent débordé qui roule avec rapidité, mais s'arrête bientôt, pour reprendre son premier cours. S'il se décida à recevoir de nouveau quelques-uns de ceux qu'il avait expulsés, ce ne fut ja- mais qu'après plusieurs mois d'épreuves, de pèlerinages, de séjour dans les hôpitaux, sous les yeux des Pères, de manière à s'assurer par leur conduite d'un changement désormais solide et durable.

François Coster, encore très jeune novice, était pris de rires continuels ("). Dans les premiers temps d'une vie plus recueillie, l'esprit se détend ainsi d'ordinaire. Ignace le rencontra un jour, le visage épanoui, comme s'il riait intérieurement, « François, lui dit-il, j'entends dire que vous riez toujours. » Le jeune homme baissa les yeux, attendant humblement une sévère ré- primande : « Et moi, mon fils, continua le Saint, je vous dis :

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« Riez et réjouissez-vous dans le Seigneur ; un bon religieux n'a « nulle cause de tristesse; mais il en a, au contraire, beaucoup « d'être content. Je vous le répète donc, soyez gai, vous le serez « toujours, si vous êtes humble et obéissant. Je vous donne cet « avis, parce que je crois reconnaître en vous des moyens plus « qu'ordinaires qui pourront, dans la suite, vous rendre propre « à des affaires importantes. S'il arrive qu'on ne vous les confie « pas et que vous ne soyez pas humble, vous en éprouverez des « regrets et vous vous affligerez. Je comprends aussi que l'air « et la vie qu'on mène à Rome ne vous conviennent pas : peut- « être désireriez-vous aller en Flandre ; mais mon intention, au « contraire, est de vous envoyer en Sicile. Vous voyez bien que « si vous attachez votre cœur aux lieux et aux emplois, souvent « l'obéissance vous placera tout autrement que vous ne le pen- « siez ; vous en serez triste et mélancolique. Donc, pour pouvoir « être toujours gai, comme vous le paraissez aujourd'hui, soyez « aussi toujours humble et obéissant. »

Ces paroles sont bien moins un avis particulier qu'une règle universelle applicable à tous. En réalité, ce serait un aussi grand miracle de voir, dans la tristesse, un religieux qui cher- che uniquement Dieu, que de voir, dans l'allégresse, un reli- gieux qui cherche autre chose que Dieu.

Nous apprenons du P. Jacques Miron, les moyens qu'em- ployait Ignace, pour extirper du cœur de ses enfants un vice opiniâtre et rebelle aux efforts. « Notre Père Ignace, dit ce « religieux, prétendait que la méditation et une certaine prépara- « tion de l'âme triomphent de la nature corrompue, et permet- « tent, sans trop de résistance, d'arracher les inclinations « vicieuses. On y réussit par l'exactitude à se demander compte « à soi-même de ce que l'on a fait, dit ou pensé ; et mieux encore, <L grâce au concours d'un compagnon de même caractère que le « sien, avec qui l'on conviendra de s'avertir mutuellement de « ses défauts.» Quand Ignace entreprenait de corriger quelqu'un d'un vice depuis longtemps enraciné, il employait des moyens si divers et si nombreux, il le tournait et le retournait si bien, qu'il manquait rarement son but. Un de ces moyens était de prescrire à ce religieux des retours fréquents sur lui-même, à des heures déterminées ; et, pour éviter la négligence ou l'oubli,

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il chargeait un ami zélé de s'assurer, avant le dîner ou au mo- ment du repos, si ce religieux s'était acquitté de l'examen im- posé. Il lui ordonnait encore d'observer avec soin ceux qui tombaient habituellement dans les mêmes faytes et de les en avertir (c'était s'avertir tacitement soi-même d'éviter la faute que l'on reprenait dans les autres) ; il voulait encore que ce reli- gieux se fît avertir et corriger par les autres ; enfin, qu'il s'imposât une pénitence proportionnée au nombre des rechutes.

« Que celui, disait le Saint, qui a une nature rebelle et impé- « tueuse, ne s'afflige, ni ne se décourage pas, comme si cette « nature le rendait incapable de faire aucun bien. Qu'il prenne « courage et la brise ; qu'il sache surtout qu'une seule de ses « victoires a plus de mérite, que beaucoup d'actes d'une vertu « facile, fruits d'une nature apathique et sans énergie. Cette « manière d'avancer dans la vertu et d'arriver jusqu'à Dieu, est « semblable à la marche de saint Pierre sur les eaux : bien qu'un « moment il eût peur et qu'il commençât à enfoncer, il arriva « pourtant plus promptement et plus glorieusement à Jésus, que « ceux qui venaient sur une barque.

« Du reste, on le voit souvent, ces caractères si difficiles, une « fois assouplis, deviennent capables des plus grandes entrepri- « ses pour la gloire de Dieu ; car, cette vigueur naturelle, mise « au service de la grâce, ne se contente pas de peu ; elle ne fai- « blit, ni ne recule point devant un léger obstacle. »

Lorsqu' Ignace découvrait dans un homme violent de vérita- bles désirs de se vaincre, bien qu'il s'échappât quelquefois en de coupables emportements, il le supportait plus aisément, mal- gré les saillies et les violences de son caractère, que d'autres religieu-x, plus réguliers peut-être et d'un tempérament plus calme. Il lui arriva, une fois, de reprendre deux Pères d'une faute qui leur était commune, et qui aurait mérité qu'on les expulsât. L'un d'eux répondit impatiemment, l'autre se retira à l'écart et baissa la tête, pour dissimuler son trouble, sans demander par- don ; au contraire, il laissa voir une marque de dépit, quelque effort qu'il fît pour le couvrir sous le silence ; mais le Saint les connaissait bien tous deux ; il garda le premier, qui était plus coupable en apparence, et renvoya l'autre.

« Si la politesse et la charité ne sont qu'apparentes, elles

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« changent de nom et ne sont plus que vanité et déception. « Voilà pourquoi il ne faut jamais enfler tellement ses promes- ses, que les actions ne puissent plus ensuite arriver à leur ni- « veau. Il vaut mieux ne pas faire pour demain une promesse « que nous ne pouvons tenir dès aujourd'hui. Aussi, lorsque le 4 P. Laynez fut appelé de Florence à Gênes par Thomas Spi- noli et François Cattanei, pour y fonder un collège de la Com- « pagnie, Ignace lui recommanda surtout de promettre bien « moins que nous ne comptions faire pour le service du prochain.

« L'usage des mortifications ne peut être d'une mesure égale « pour tous, ni le même dans tous les temps pour chacun en « particulier. Notre corps appartient à Dieu ; nous lui en devons compte, non seulement si, en le flattant trop, nous en faisons « pour nous une cause de chutes ; mais encore si nous l'avons « rendu, par des traitements indiscrets, incapable d'œuvres plus « utiles pour nous-mêmes et pour la plus grande gloire de Dieu. « Si la chair se montre rebelle, si elle se livre contre l'esprit à « d'extraordinaires révoltes, il faut la dompter par des austérités « extraordinaires, lui retrancher ce qu'elle aime et lui imposer ce « qu'elle n'aime pas, jusqu'à ce qu'elle se soumette et s'humilie ; <L mais, quand l'esprit est en paix ou en trêve avec elle, quand « nous nous sentons disposés à une telle fidélité envers Dieu, « que nous préférerions mille morts au malheur de l'offenser, « nous devons user avec sagesse des mortifications corporelles, « pour que la chair, trop affaiblie, ne retarde pas les œuvres de « l'esprit. Une fois amortie, elle doit le suivre et l'aider dans ses « travaux. »

C'est par ces sages conseils qu'Ignace avait mis un frein à la ferveur du bienheureux François de Borgia, qui, encore dans le siècle, penchait vers une rigueur excessive. Il est vrai que, dans les austérités corporelles, le point exact entre le trop et le trop peu est difficile à saisir ; l'amour de nous-mêmes nous fascine et nous présente les plus légères pénitences, comme nuisibles à la santé, peut-être même à la vie. C'est pourquoi saint Ignace conseille, « lorsque les sens se plaignent, de ne pas les écouter « trop facilement, et, au lieu de renoncera toute pénitence, d'en « varier seulement les moyens. Il ne dit pas de s'en imposer de « moindres, jusqu'à ce que la raison ou une sûre lumière de

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« Dieu nous fasse connaître clairement la mesure de nos forces.» « La raison, disait-il encore, distingue l'homme des animaux ; « elle ne doit pas seulement mettre un frein aux passions, pour « qu'elles ne s'échappent pas en paroles ou en œuvres indignes « d'un homme, mais elle doit encore régler l'esprit, pour qu'il « agisse avec réflexion et non par entraînement. »

Sous ce rapport, Ignace fut admirable. La raison chez lui, comme nous l'avons dit ailleurs, dominait si bien les passions que leur mouve^ment suivait en tout ses impulsions. Même, quand il devait prendre à l'improviste une détermination, sous l'empire de n'importe quel sentiment, ses paroles et ses ac- tions semblaient depuis longtemps pesées et parfaitement adaptées aux exigences du moment. Quant aux exercices spi- rituels, jamais Ignace ne s'y laissait entraîner au delà du terme qu'il s'était fixé pour la gloire de Dieu et conformément à l'état qu'il professait. Il réprimait résolument ses désirs de satisfaire sa ferveur, désirs qui pour d'autres eussent été saints et louables. Pour lui aussi, ils eussent été bons, s'il avait été seulement un homme privé et non un fondateur d'ordre, s'il avait uniquement travaillé à sa propre perfection et non point au bien du prochain.

« Pour ne pas errer dans les choses qui nous sont personnel- « les, il est bon de les considérer, comme si elles nous étaient « étrangères. Une fois décidés, malgré la conviction oii nous « pouvons être d'avoir suivi toutes les règles de la prudence « humaine, nous ne devons considérer notre jugement comme « définitif, qu'après en avoir fait un nouvel examen à la lumière « divine, c'est-à-dire sous les yeux de Dieu et à l'aide de la « prière. Souvent il arrive que les bornes si étroites de la raison « humaine nous empêchent de distinguer ce qu'un humble re- « cours à Dieu, ou la lumière des lois éternelles, nous découvri- « raient. » Le Saint pratiquait lui-même à la lettre, ces recom- mandations. En particulier, il ne se passionnait jamais pour ses propres affaires. Lors même qu'un parti semblait très avantageux à la Compagnie, après l'avoir longtemps examiné, après en avoir traité avec Dieu dans la prière, il prenait quand même l'avis de ses consulteurs, et, en leur exposant le pour et le contre, il se montrait si libre de toute préférence, qu'on ne pouvait absolu-

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ment pas deviner si son esprit penchait vers un parti plutôt que vers un autre.

« Lorsque le démon veut soumettre une âme à son empire, « il l'observe et découvre quel en est le côté faible ou mal gardé; « puis, il dresse ses batteries, et livre l'assaut.

« Ordinairement c'est vers la passion dominante qu'il dirige « ses attaques ; il noue avec elle des intelligences et se prévaut « encore des dispositions ordinaires de notre âme pour les por- « ter aux extrêmes. Ainsi, il élargit la conscience déjà trop « large ; il resserre celle qui est trop étroite ; afin que les uns, « après des fautes légères, tombent dans de plus graves, afin « que les autres, à force de subtiliser, arrivent aux perplexités, « aux scrupules, aux alarmes, au désespoir.

« Ses attaques nocturnes sont ordinairement les plus perfides, « surtout quand nous nous réveillons en sursaut, parce que la rai- « son, à moitié assoupie, se trouve surprise en quelque sorte,avant « d'avoir reconnu l'ennemi. En ce moment, du reste, nous som- « mes seuls et sans autres conseillers que nous-mêmes : or, c'est « dans le secret que le démon dresse ses plus dangereuses em- « bûches. En effet, découvrir ses artifices, c'est presque les con- « fondre ; et, une fois reconnu, il est à moitié vaincu. Observons « encore que quelquefois il affaiblit en nous la crainte de tomber, « pour rendre la chute plus certaine : d'autres fois, au contraire, « il nous présente des fantômes gigantesques, afin que l'effroi « s'empare de nos âmes, afin que nous nous laissions abattre à « moitié vaincus dans la persuasion nous sommes que toute « résistance est impossible.

« Alors, ses attaques et sa hardiesse redoublent ; de même « qu'une femme luttant contre un homme redouble de courage, « si elle aperçoit que son adversaire faiblit.

« Un autre artifice de l'ennemi, lorsqu'il ne parvient pas à « détourner une âme du chemin de la perfection, et à la faire « rentrer dans le siècle, c'est de lui représenter comme plus « parfait un autre état, saint peut-être, mais différent de l'état « présent.

« Le désir d'un bien absent et en apparence meilleur fait « abandonner le bien présent qui était bon.

« Ainsi, aux solitaires, il montre comme vraiment apostolique

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« le dévouement au service du prochain; à ceux qui se dévouent « au salut des âmes, il peint la vie solitaire comme angélique. « Le tentateur en agit de même pour les œuvres particulières. « Puis, quand il nous aura détachés de ce que nous faisions, il ne « manquera pas de ruses, pour nous détourner aussi de ce qu'il « nous a fait espérer ; alors, il découvrira les difficultés insur- « montables qu'il avait d'abord tenues cachées.

« Sachons donc bien que Dieu, non seulement réserve la « couronne éternelle à ceux qui triomphent des efforts du « démon ; mais qu'ici-bas même, pour nous récompenser, il nous « rend plus invulnérables du côté nous avons plus vigou- « reusement résisté. Dieu sait remplacer, par des consolations « et des douceurs ineffables, les afflictions et les amertumes que « la résistance nous avait causées.

« Le démon opère en général plus au dehors qu'au dedans ; « il s'attache surtout à produire dans les âmes, une sainteté « apparente, des effets visibles et merveilleux qui inspirent de « l'orgueil à celui qui les éprouve et trompent ceux qui les « voient. Dieu, au contraire, travaille au dedans plus qu'au « dehors, établit dans 1 "âme des vertus solides, et y forme le « véritable esprit de sainteté : quelquefois cependant, sortant des « voies ordinaires, il communique à ses serviteurs, les plus méri- « tants ou les plus favorisés, une telle abondance de dons célestes « que les effets en rejaillissent jusque sur leur corps. »

Saint Ignace faisait un jour ces remarques à l'occasion des récits d'un religieux dominicain, son ami. Celui-ci racontait que près de Bologne, dans un monastère de religieuses de son Ordre, il s'en trouvait une qui tombait quelquefois en extase ; elle restait insensible aux piqûres, aux brûlures. Sur l'ordre seul de sa supérieure, elle revenait à elle-même. Souvent elle portait aux pieds et aux mains les stigmates du Sauveur ; son côté s'ouvrait, et sa tête était inondée de sang, comme si une cou- ronne d'épines l'eût percée. De tout cela, Ignace n'admirait que sa promptitude à obéir à la voix de celle qui avait droit de lui commander. Ce fut après le départ de ce religieux qu'il fit cette dernière observation au P. Ribadeneira. La suite prouva la sagesse de ses paroles ; car, peu après, on décou- vrit que ces merveilleuses apparences d'une sainteté extraordi-

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naire n'étaient en réalité que des prestiges du démon et des illusions de cette pauvre femme. Aussi, ne voulait-il pas que ses enfants prissent les extases, les ravissements et d'autres signes extérieurs pour des preuves de sainteté. Il reprit une fois le P. Martin de Sainte-Croix, non moins novice alors dans les choses spirituelles que dans la Compagnie, parce qu'il traitait de sainte, cette fameuse Madeleine de la Croix, qui en Espagne passait pour avoir reçu de Dieu des témoignages extraordinaires de sainteté.

En réalité, elle n'était qu'une misérable; elle devait à ses rela- tions avec le démon ces manifestations étranges, qui lui avaient attiré une si haute réputation, jusqu'au jour le tribunal de l'Inquisition lui eut infligé la punition qu'elle méritait.

La maxime ordinaire d'Ignace, était « qu'il fallait former « l'homme intérieur et estimer plus la mortification de sa propre « volonté que le pouvoir de rendre la vie à un mort.» Il estimait surtout les vertus cachées, et il craignait les vertus éclatantes, qui nourrissent l'orgueil. Parfois même, il faisait suspendre à ses enfants les austérités extraordinaires, afin de leur faire comprendre que l'obéissance vaut mieux que le sacrifice.

Il voulait, par là, prévenir dans les plus faibles le péril de la vaine gloire. lien agit ainsi, un jour,envers un Frère coadjuteur espagnol, très fervent pour les mortifications corporelles. Ce Frère avait demandé à Ignace de jeûner au pain et à l'eau, les quarante jours du carême, sans rien omettre des travaux de son emploi. Le Saint le lui accorda pour seconder, selon sa coutume, l'esprit qui le conduisait intérieurement, sans sortir des limites de sa vocation particulière. Mais, comme ce Frère ne montrait pas autant de force pour vaincre ses passions que pour dompter sa chair, craignant aussi que le carême fini, ce jeûne sévère ne portât le pénitent volontaire à s'estimer plus que les autres, il lui ordonna le Vendredi-Saint de manger du poisson et des autres aliments de la table commune. Ainsi, sans lui ôter le mérite du jeûne que ce religieux était disposé à continuer, il y joignit le mérite plus grand encore de briser la volonté en la soumettant à l'obéissance, même dans les choses agréables.

Quant à ceux de ses inférieurs qu'il voyait s'enflammer d'un zèle extraordinaire et s'occuper avec douleur du désordre des

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affaires publiques, dans le désir de réformer le monde, « Ignace « leur conseillait de diriger sur eux-mêmes cette préoccupation « qu'ils portaient inutilement sur les autres. Il leur donnait pour « règle de penser aux choses dont Dieu leur demanderait compte « un jour, et de se disposer à rendre ce compte particulier, puis- <i que c'est sur nos œuvres, et non sur celles auxquelles nous « n'avons point de part, que portera notre jugement. Il disait « à ce propos que, si un homme avait le pouvoir ou le devoir de « réformer le monde, il devait commencer d'abord cette réforme « en lui-même, puis dans sa famille, puis dans la capitale ; c'est « ainsi qu'il arriverait au but, qu'autrement il poursuivrait en « vain. »

Celui qui veut se rendre utile au prochain puisera toujours une plus grande efficacité dans l'humilité que dans l'autorité, et réussira mieux en cédant qu'en résistant. Quand la Compagnie commença à ouvrir des écoles publiques à Rome, certains professeurs virent diminuer le nombre de leurs écoliers, et par conséquent les avantages qu'ils en retiraient.

Dans leur exaspération, ils vinrent non pas se plaindre, mais injurier les nôtres par des propos indignes d'hommes de sens et de raison. On ne leur répondit que par un silence modeste qui les confondit. Mais, comme cette scène pouvait se renouveler dans d'autres villes, Ignace écrivit de tous côtés, pour enjoindre de ne répondre à de telles attaques que par une tranquille humi- lité. Si on nous taxait encore d'ignorance, comme on l'avait déjà fait, il défendait d'en venir à des discussions ; il voulait qu'on répondît simplement : « Nous savons, en effet, que notre science « est très restreinte, mais le peu que nous savons, nous l'ensei- « gnerons, pour l'amour de Dieu, à ceux qui l'ignorent. Les « œuvres importantes, continuait-il, doivent jeter leurs fonde- « ments dans l'humilité, parce qu'ainsi basées, leur accroissement « est certain. » Pour agir conformément à ce principe, il recom- manda aux PP. Laynez et Salmeron d'enseigner aux enfants les éléments delà doctrine chrétienne, avant d'entrer au concile de Trente, et de servir les malades dans les hôpitaux. Il y a des hommes plus fervents que prudents, qui, pour opérer un seul bien causeraient dix malheurs, soit en contestant avec les évoques, soit en troublant la paix avec le prochain. De là, naissent vérita-

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blement des scandales au lieu de l'édification. « Ces hommes, « disait Ignace, bâtissent d'une main et détruisent de l'autre ; « pour placer une pierre, ils en renversent cent. »

Aussi, blâma-t-il comme inconsidéré, le zèle du P. A. Adriani {^^), qui, pour attirer à la Compagnie de jeunes étudiants, souleva contre elle, toute la ville de Louvain.

Comme il enseignait toujours qu'à ses yeux, il valait mieux acquérir un seul bien sans danger que cent et mille au péril de son salut ; de même chez les autres, le moindre bien, fait avec calme et édification, lui semblait préférable à de plus grandes choses, propres à entraîner du trouble et du scandale.

Là, les évêques se montraient mal disposés pour la Com- pagnie, afin de prévenir les excès, il retirait aux Pères une par- tie des privilèges que les Souverains- Pontifes leur avaient accordés ; aimant mieux faire peu de bien avec paix et sécurité, que d'opérer de grandes œuvres avec trouble et rumeur.

Employer des religieux dans ce qui concerne le service de Dieu, au détriment des observances régulières de leur ordre, c'est couper l'arbre pour en cueillir les fruits.

C'est pourquoi Ignace ne voulut pas accorder au duc de Fer- rare, ami et protecteur de la Compagnie, un de nos Pères pour précepteur du prince son fils ; office qui eût obligé ce Père à quitter notre collège pour vivre à la cour. Il défendait aussi aux supérieurs de s'attacher au service même des évêques, lorsque l'éloignement de nos maisons pouvait rendre leur absence nui- sible à la discipline intérieure. Une de ses principales raisons, pour ne pas permettre à la Compagnie de se charger de l'In- quisition en Portugal, fut le danger qui aurait pu résulter dans la suite, pour les nôtres d'accepter des emplois dont les privilè- ges les eussent soustraits à l'obéissance religieuse.

Il regardait, comme un des moyens les plus efficaces pour attirer les âmes à Dieu, l'art de s'accommoder dans les relations, au caractère et aux dispositions de chacun.

« C'était là, disait-il, comme nous l'avons remarqué ailleurs, « entrer par la porte du prochain et sortir par celle de Dieu. « On amène ainsi tout doucement son interlocuteur à réfléchir « sur lui-même. » Notre Saint opéra par cette voie des con-

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versions merveilleuses. Une des plus étonnantes eut lieu à Paris, dans le temps de ses études.

Il vit un jour dans la rue, un homme mal vêtu et de mauvaise apparence. Ses gémissements et la pâleur de ses traits trahis- saient un profond désespoir. Dieu révéla à Ignace qu'il voulait le sauver. « Suivez-le, dit Ignace à son compagnon, et faites tout « ce que vous le verrez disposé à faire. Je surviendrai ensuite, « et je jouerai aussi mon rôle. » En effet, le compagnon d'Ignace suivit ce malheureux hors la ville, jusqu'à un lieu solitaire.

Alors s'approchant.il lui demanda qui il était, pourquoi il paraissait si affligé, et quel motif l'avait conduit en ce lieu désert: « J'ai résolu de mettre fin à mes jours, répondit l'infortuné, de « terminer en un moment des malheurs qui se multiplient cha- « que jour, et que je n'ai plus la patience de supporter, ni l'espé- « rance d'adoucir. C'est justement ce qui m'afflige moi-même, « reprit le compagnon; ma vie est si misérable que je soupire sans « cesse après la mort. Je cherche le moyen d'en finir une fois pour « toutes avec ces peines, et mon seul refuge est la mort.» Ces pa- roles portèrent le malheureux à décharger sa douleur dans le cœur de son interlocuteur et à lui raconter toutes ses épreuves. Ils étaient ainsi à converser, quand Ignace survint, comme si quelque affaire l'avait conduit en ce lieu. S'adressant d'un air étonné à son ami, sur le visage de qui il semblait lire une réso- lution désespérée, il lui demanda la cause de cette noire tristesse. Le compagnon, jouant admirablement son rôle, raconte les pei- nes de l'étranger, en les mettant toutes à son propre compte. Alors, par des paroles douces et affectueuses, le Saint essaya de ranimer sa confiance en Dieu, et de lui faire comprendre le crime et la folie de celui qui s'ôte la vie pour en éviter les misè- res, comme si tout devait finir à la fois ; tandis qu'au contraire, les intolérables tourments de l'enfer commenceraient alors pour ne finir jamais. A ces mots, le compagnon, avec une sainte ha- bileté, commence à se rendre, confesse son erreur, prie Dieu de lui pardonner. Puis, se tournant vers le vrai désespéré, auquel Ignace avait parlé indirectement, il lui demande ce qu'il lui en semble. Pour lui, Ignace avait raison : c'était Dieu qui l'avait envoyé pour leur salut. Et il ajouta tout ce qui lui parut de na- ture à remettre le malheureux sur le bon chemin. Il y réussit ;

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touché tout à coup d'une grâce intérieure, le vrai désespéré reconnut son aveuglement, sentit renaître sa confiance en Dieu, et retourna à la ville, décidé à porter désormais patiemment la vie et ses mécomptes.

Des conversations intimes avec les femmes, même avec celles qui marchent dans les voies spirituelles,il est rare qu'il n'en résulte ou un feu qui brûle, ou une fumée qui noircit. Un des Pères avait confessé une femme malade, et son compagnon était resté assez à l'écart pour qu'il ne pût en être vu. Si ce Père n'eût été un saint vieillard, Ignace ne se serait pas contenté de lui imposer une disci- pline publique, durant la récitation des sept Psaumes pénitentiaux.

Aux Indes même, oia les sujets étaient si peu nombreux, il exi- geait que les Pères eussent toujours un compagnon. Nous devons observer encore qu'il louait dans les vieillards une tenue propre et grave, quoique sans recherche : elle lui sem- blait l'indication d'un intérieur calme et réglé. Au contraire, dans les jeunes gens, il approuvait quelque négligence exté- rieure, comme indice d'une entière indifférence à plaire : non pourtant, qu'il voulût les voir malpropres, ou en désordre ; mais un soin féminin qui aurait senti la recherche lui déplaisait. Ayant appris qu'un novice lavait très soigneusement ses mains avec du savon, ce qui n'était pas l'usage, il observa minutieuse- ment ses inclinations et ses habitudes, pour bien reconnaître s'il suivait simplement une disposition naturelle à la propreté, ou s'il était conduit par la dangereuse vanité de chercher à se distinguer.

« Quitter Dieu pour Dieu, c'est-à-dire, la contemplation pour « travailler à la conversion des pécheurs, c'est une perte qui « procure un gain solide. Aussi, quand on a eu le bonheur de « sauver une âme, Dieu récompense-t-il dans l'oraison par des « communications plus intimes.

« C'est ce qu'Ignace appelait se mouvoir dans le cercle d'une « mutuelle influence, parce que l'oraison nous embrase d'amour « pour Dieu et nous excite à ces œuvres de charité, qui procu- « rent le même bonheur aux autres. En faisant ainsi connaître « et aimer le Seigneur, par ceux qui jusque-là vivaient loin de « lui, nous devenons plus propres à recevoir de nouvelles faveurs « dans l'oraison. » D'ailleurs, comme le disait saint Ignace, « on

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« peut traiter avec le prochain, sans que l'esprit s'éloigne de « Dieu. Alors nous contractons une habitude pratique de la « présence divine, qui nous fait trouver et aimer Dieu dans « chaque personne, dans chaque lieu, dans chaque action une « habitude pratique.

« Celui qui converse avec le prochain, pour le gagner à Dieu, « doit bien comprendre qu'il vit au mille i de la corruption. Il « ne cherchera donc point à s'éloigner, par horreur pour les tur- « pitudes qui l'environnent ; car il doit être préparé à manier <?: non de l'or, mais de la fange. Aussi, ne saurait-il prendre trop de précautions, pour ne pas contracter cette lèpre qu'il cherche <?; à guérir. » Ignace en avait tant d'horreur, qu'il disait quelque- fois : « Je n'aurais pas le courage de passer la nuit sous le même « toit, avec un membre de la Compagnie que je saurais être « dans un état de péché mortel.

« Pour éviter de condamner les actions du prochain, il faut « considérer les intentions qui sont quelquefois innocentes, bien « que les faits paraissent coupables. Si l'action est tellement « mauvaise qu'il n'y ait aucun moyen de s'en dissimuler la gra- « vite, il faut au moins l'excuser sur la violence de la tentation et penser que notre faiblesse eût peut-être succombé à une « tentation bien moindre. » Le Saint pratiquait si exactement ces conseils, et s'efforçait si constamment de trouver une bonne intention à des choses qui paraissaient inexcusables, que dans la maison les interprétations d'Ignace étaient passées en proverbe. Dans une communauté bien réglée, un homme secrètement pervers ne peut demeurer longtemps ; soit que la contrainte qu'il s'impose pour se déguiser lui devienne insupportable, soit que Dieu ne souffre pas longtemps sa présence. Il y avait à Rome un Frère sur lequel on avait des soupçons peu favorables. Le P. Manare en instruisit saint Ignace, et lui demanda si on ne devrait pas interdire à ce Frère la communion, pour lui en éviter l'abus sacrilège. « Non, non, dit-il, il ne faut pas aller si loin : <S laissez agir le Seigneur, qui peut-être par ce moyen même le « fera connaître. » En effet, le divin Sacrement, comme pour Judas, fit découvrir sa malice, et il fut chassé de la maison, comme il le méritait.

Le changement de lieu ne change point les mœurs. L'homme

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vicieux n'est pas d'ordinaire meilleur en un pays que dans un autre. Aussi, saint Ignace ne permettait-il pas que dans l'espé- rance d'un changement, on envoyât dans un autre collège ceux qui observaient mal la discipline. Puisque cette discipline doit être en vigueur dans toutes les maisons de l'ordre, dans toutes aussi, ils auraient trouvé des causes d'infractions et de méconten- tement. Il disait ordinairement: «Celui qui n'estutilequ'àlui-même « ne peut être propre à la Compagnie, dont le but essentiel est « de s'occuper autant des intérêts spirituels du prochain, que des « siens propres. » Aussi, quand il voulait expulser quelque no- vice inutile, et qu'on cherchait à l'en détourner, en disant qu'au moins, en restant parmi ses enfants, il sauverait son âme, Ignace répondait qu'il ne manquait pas de sociétés religieuses instituées dans ce but spécial.

Il est pourtant juste de faire observer qu'à ses yeux, les hom- mes vraiment saints, quoique peu habiles, étaient précieux et utiles à la Compagnie. « Car, disait-il, sans ouvrir la bouche, ils « prêchent par leurs seuls exemples, et ils attirent plus à la vertu « par leur simple vue que d'autres par des discours éloquents. » Le P. Le Fèvre avait coutume de dire (et il pratiquait bien lui- même cette maxime):«Oue la marque propre des enfantsd' Ignace « devait être de laisser, partout ils passaient, des vestiges de « sainteté : dans les visites, dans les repas, dans les discussions, « et en voyageant, même dans les hôtelleries. Or, pour cela, il ne « fallait ni lettres, ni grands talents ; mais au dedans l'Esprit de « Dieu, et au dehors la modestie et de sages discours. »

C'est ainsi qu'agissait un Frère dépensier de notre maison de Rome, nommé X Espagnol. Il produisait ainsi plus de fruits que d'autres par des prédications journalières : ou mieux il prêchait, chaque jour, par sa modestie et par les quelques paroles de piété courtes, mais brûlantes qu'il adressait aux marchands. Il allait dans la même boutique, jusqu'à ce qu'il eut gagné à Dieu, décidé à se confesser et à s'amender le patron et les employés. Le résul- tat obtenu, il commençait dans une autre ; et, grâce à cette tou- chante industrie, il réforma un grand nombre de ces maisons de commerce.

« Celui qui a sous ses ordres des supérieurs ou d'autres ne doit « pas trop s'immiscer dans leurs emplois de manière à les réduire

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« au rôle de simples instruments d'exécution. En voici plusieurs «raisons: Dieu accorde ordinairement à chacun la grâce pro- « pre à l'emploi qui lui est confié ; si on voit que le supérieur « veut tout faire par lui-même, on ne mettra pas à remplir sa « charge l'intérêt qu'on met d'ordinaire à une affaire qu'on a faite « sienne ; on reste indifférent à son succès ; l'expérience, dans « la direction immédiate d'un emploi, en apprend plus, à celui qui « exerce cet emploi, qu'un supérieur n'en peut enseigner par « ses propres réflexions ; il arrive beaucoup de choses sur « lesquelles on ne peut prendre un parti sage que d'après les « circonstances ; or celui-là seul les connaît qui manie les affai- « res ; enfin, il vaut mieux que le supérieur puisse reprendre « ses subordonnés, s'ils manquent sur quelques points, que d'en « recevoir des observations nécessitées par son peu de connais- « sance des choses qu'il voudrait diriger.

« Il arrive quelquefois que les hommes les plus saints, quoi- « que les moins prudents selon le monde, assurent le succès « d'affaires importantes, mieux que d'autres plus habiles, mais « moins saints. Les premiers prennent conseil de Dieu et ap- « puient sur lui toutes leurs espérances, et Dieu inspire leurs « desseins et bénit leurs œuvres.

« Néanmoins, la sainteté ne suffit pas en général pour gou- « verner, il faut encore beaucoup de jugement et de prudence ; « autrement l'administration des supérieurs passerait insensible- « ment dans d'autres mains, devenues nécessaires, pour suppléer « au défaut de sagesse, que la sainteté ne remplace pas. »

On ne doit pas exposer la vertu des novices, et surtout des plus jeunes, dans des travaux périlleux. A cet âge, on est égale- ment apte à recevoir de mauvaises ou de bonnes impressions, et l'on peut être comparé à ces tendres bourgeons qui s'empres- sent de s'épanouir, au printemps, et que le moindre souffle des- sèche. Ignace exigeait rigoureusement des novices ces épreuves que les Constitutions prescrivent, parce que celui qui veut être admis dans la Compagnie, doit y apporter au moins le degré de vertu qu'elles requièrent. Mais il leur épargnait les occasions dangereuses oii leur vertu aurait pu succomber. Ainsi, bien que quelques-uns eussent surmonté, avec un grand courage, l'opposi- tion des parents à leur entrée en religion, il ne les laissait pas

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près d'eux ; il les envoyait au loin, même hors de l'Italie. De même encore, quand, à la suggestion des hommes ou de Satan, quelques-uns des nôtres étaient tentés de nous quitter, le Saint ne leur montrait qu'une douce charité et une tendre compassion; mais il punissait ceux qui avaient été inconsidérément cause de leur tentation. Ainsi, un jour, il reprit et punit même un Père qui dans un entretien spirituel avec un jeune novice, avait tiré de divers Ordres de grands exemples de sainteté ; comme si, disait-il, il n'y avait pas dans la Compagnie des hommes de haute vertu à lui proposer pour modèles, au lieu d'exposer sa jeunesse au danger de l'instabilité, en dirigeant son affection vers des personnes et des choses étrangères à son propre Institut.

Un Ordre qui vit d'aumônes quotidiennes et ne se livre ni à une vie austère, ni aux ministères apostoliques, ne peut se con- server longtemps dans la pureté de son Institut. L'expérience a confirmé cet avertissement d'Ignace. La raison en est facile à saisir. Ce qui porte, en effet, les fidèles à faire l'aumône aux religieux, ce sont ou les avantages qu'ils reçoivent de leurs mi- nistères, ou le respect qu'ils ont pour l'austérité de leur habit et de leur vie. Saint Ignace fit une prédiction du même genre au sujet d'Antoine de Majorque, cet ermite que Jérôme Natal, dans les premiers temps de sa conversion, prit pour conseiller. L'er- mite était venu en pèlerinage à Rome, en 1546, et avait longue- ment traité avec le Saint. Il resta émerveillé des vertus d'Ignace, mais Ignace ne ressentit pas pour lui une pareille admiration. Antoine avait pris un genre de vie trop austère pour pouvoir le continuer longtemps. Ignace répondit à Natal, qui lui deman- dait son opinion sur cet ermite Avant trois ans, il aura changé de vie et laissé la solitude et les pénitences. » L'événement suivit la prédiction. Ignace l'avait prévu, grâce à cette infaillibi- lité que lui donnait la science expérimentale de la vie spirituelle. A moins d'avoir au fond du cœur une vertu assez solide, pour soutenir l'âme, même au milieu des ruines de la santé corporelle, il devient inévitable, quand des pénitences indiscrètes ont abattu les forces, de renoncer à une vie austère. Avec la santé,en effet, disparaissent les douceurs de l'oraison ; et ces douceurs semblent aux âmes imparfaites toute la moelle de la sainteté. Mais bor- nons-nous à ce que nous venons de rapporter des maximes et

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de la science toute spirituelle de notre saint et bienheureux Fon- dateur : venons maintenant aux circonstances qui suivirent sa mort.

Aussitôt qu'Ignace eut passé de cette terre d'exil à une meil- leure vie, le bruit se répandit dans Rome que le Saint était mort. La foule qui accourut pour lui rendre de pieux devoirs fut telle, qu'un des cardinaux, aidé de ses gens, eut grand' peine à parvenir jusqu'à son corps, pour lui baiser les mains, et lui faire toucher son chapelet, dans l'église il fut publiquement ex- posé. Fabrice, des princes Massimi, seigneur romain, assure que tout jeune et tout robuste qu'il était, il ne put fendre la presse pour s'approcher de lui. Il fallut des ordres très sévères pour empêcher, quand on n'eut plus rien à distribuer, qu'on ne lui enlevât ses vêtements, ou même qu'on ne coupât quelques morceaux de sa chair.

On le garda deux jours entiers, et le soir du i^*" août, on le mit dans un cercueil de bois ; on l'inhuma dans l'église de la Compagnie, appelée alors Sainte- Marie-della-Strada, dans la chapelle du côté de l'Évangile.

Une dame romaine, nommée Bernardina, épouse d'André de Nerucci de Pise, se trouvait là, avec sa fille âgée de quatorze ans. L'enfant était affreusement défigurée par une humeur scro- fuleuse. Quatre médecins, qui la soignaient depuis plus de cinq ans, l'avaient déclarée incurable. Sa mère songeait à la conduire en France pour la faire toucher et guérir par le Roi. Or, ayant assisté au discours que prononça le P. Benoit Palmio, sur la vie et les vertus de saint Ignace, elle sentit naître en son cœur une grande confiance et un grand désir de demander, par son inter- cession, la guérison de sa fille. Elle fit tous ses efforts pour ap- procher du cercueil, avant qu'il fût descendu dans le caveau, afin que sa fille pût toucher les précieuses dépouilles ; mais elle ne put y parvenir. Ne voulant pas renoncer à tout espoir, elle sup- plia les Pères de tracer une croix sur sa fille, avec quelque relique du Saint. Le P. Cornélius Vischaven (j'^) le fit avec un morceau de drap qu'Ignace avait porté, et instantanément, à la vue de toute cette foule, les plaies de la jeune fille furent entièrement guéries. Toutes les deux s'en retournèrent en louant Dieu, l'une d'avoir été guérie, et l'autre de la douce consolation qu'elle en éprouvait.

256 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Le corps du Saint resta dans cette chapelle, jusqu'en 1568, l'on fut obligé de le retirer pourconstruire les fondations de l'église du Gesh. Cette translation se fit par les ordres du P. Général François de Borgia, le 31 juillet, et le dépôt sacré fut placé dans une autre partie de la vieille église.

Il y avait en ce moment, à Rome, un grand serviteur de Dieu, le P. Jules Mancinelli (^^), souvent favorisé de grâces surnatu- relles. Il ignorait la translation qui devrait avoir lieu ; et, le soir précédent, il entendit une musique si douce et des chants si suaves, qu'il se crut transporté en paradis. Il entendit ce concert, toute la .nuit et tout le jour suivant. Or ce jour était celui l'on transférait les reliques d'Ignace. Il comprit plus tard que cette réjouissance avait eu lieu au ciel, en l'honneur de son bienheu- reux Père.

La nouvelle église, dite du Gesù (^'), œuvre de la munificence vraiment royale du cardinal Alexandre Farnèse, était achevée ; le P. Claude Aquaviva, Général de la Compagnie, en présence des procureurs de toutes les provinces et de tous les Pères de la maison de Rome, y fit transférer le corps de saint Ignace, le 19 novembre 1587 et le fit placer dans la chapelle principale, du côté droit de l'autel. On le recouvrit d'une pierre sur laquelle ces simples paroles furent inscrites : « A Ignace Fondateur de la « Compagnie de Jésus ; Ignatio Societatis Jesu Fundatori. »

Cette seconde translation fut, comme la première, marquée par une merveille. Ces bienheureuses reliques étaient encore dans la sacristie, quand beaucoup de nos Pères s'y étant rassem- blés pour les vénérer, plusieurs d'entre eux les virent environ- nées d'étoiles delà grandeur d'un sequin d'or et brillant des plus vives lumières.

La divine Majesté, semble-t-il, invitait les enfants d'Ignace à honorer leur Père, par d'autres démonstrations que celle d'une dévotion privée, ardente sans doute, mais trop contenue, trop dépouillée de tout ce qui aurait eu l'apparence d'un culte public. On ne souffrait pas que des âmes pieuses donnassent un signe extérieur de culte, au sépulcre du saint Fondateur. L'humilité et aussi les circonstances dictaient cette réserve. Il arriva même un jour qu'on en retira sept lampes suspendues, en ex voto, par des inconnus. Mais à la fin, la piété des deux illustres cardi-

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naux Baronius et Bellarmin l'emporta sur la fermeté du Général Aquaviva : ce fut l'an 1599. Le jour anniversaire delà mort d'Ignace approchait. Le cardinal Bellarmin, pour ranimer en lui-même et au cœur de nos Pères de Rome une affectueuse dévotion envers le Père commun, s'offrit à prononcer un dis- cours sur le sépulcre du Saint.

Le cardinal Baronius, l'ayant appris, voulut s'y trouver, pour honorer la mémoire d'un homme dont la vie et la mort avaient porté, aux yeux de son père en Dieu, saint Philippe de Néri, le cachet de la sainteté.

Le discours répondit au sujet et fut digne de l'orateur. Il démontra que les vertus et les divers mérites d'Ignace réunis- saient tous les caractères de la sainteté; et, en homme profondé- ment instruit des rites sacrés, il en déduisit la conséquence que rien ne manquait, pour qu'on pût requérir la canonisation.

Ce discours émut et embrasa tous les cœurs, surtout le cardi- nal Baronius, qui se prosterna sur le tombeau d'Ignace, baisa à plusieurs reprises la terre qui couvrait les précieux restes, et y demeura longtemps en prières. Puis, s'étant relevé, il se tourna vers l'orateur, et lui dit qu'il était venu pour écouter et non pour parler ; mais ses paroles avaient eu sur lui l'effet des eaux d'un fleuve qui impriment le mouvement aux roues d'un moulin, roues par elles-mêmes lourdes et immobiles.

Aussitôt il commença un nouvel éloge des vertus et de la per- fection d'Ignace. Ensuite il demanda aux Pères pourquoi on ne voyait pas son image sur ce tombeau, et il leur fit doucement entendre qu'on pourrait supposer une absence de respect ou d'affection, il n'y avait en réalité qu'un excès de modestie. Il leur ordonna ensuite de faire apporter le portrait d'Ignace, et, montant sur un escabeau, il le suspendit ; il plaça, de chaque côté, des offrandes que des âmes pieuses avaient déjà déposées en reconnaissance des grâces. obtenues. Les cardinaux Baronius et Bellarmin se prosternèrent de nouveau, et tous les Pères les imitèrent en versant des larmes de joie.

Ainsi s'ouvrit la voie à la dévotion des peuples: cette dévotion alla croissant de jour en jour. La divine Majesté daigna témoi- gner qu'elle l'approuvait parles miracles fréquents qu'elle opéra, non seulement à Rome, mais dans toute la chrétienté, par l'inter-

Histoire de S. Ignace de Loyola. H. 17

258 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

cession de saint Ignace. Le pape Paul V, ému de tant de merveil- les, permit, en 1605, qu'on réunît les preuves canoniques des vertus et des miracles du serviteur de Dieu.

Ce travail fut terminé en 1609, ^t les principaux princes de rEurope,joignant leursinstances à celles des royaumes d'Aragon, de Castille, de Valence, de Tolède, de la principauté de Catalo- gne, etc., le Pape béatifia Ignace et permit qu'on célébrât la messe et l'office en son honneur. Nous allons entendre de la bouche même de Mgr Nicolas Zambeccari, avocat consistorial, qui plaida devant Grégoire XV la cause de cette canonisation, quelles vertus et quels nombreux miracles portèrent tant de monarques à demander pour Ignace les honneurs décernés aux Saints.

Il termine ainsi sa supplique: « Or, ces miracles et

« beaucoup d'autres (puisque dans les actes produits on en re- « connaît plus de deux cents), les dépositions de plus de six cent « soixante-quinze témoins, canoniquement interrogés sur la vie «et les vertus d'Ignace, enfin l'admiration générale pour les « mérites singuliers d'une vie entièrement consacrée au bien « et au salut des hommes, voilà les motifs qui ont fait demander « au Saint-Siège apostolique de déclarer Ignace digne des hon- « neurs que l'PIglise rend aux saints. Les solliciteurs sont non « seulement Rome et les peuples qui ont joui plus habituelle- « ment de ses bienfaits, mais encore les rois d'Espagne Phi- « lippe II et Philippe III, Sigismond roi de Pologne, l'impéra- « trice Marie- Marguerite, reine d'Espagne, et beaucoup d'autres « princes et évêques, qui ont adressé à Clément VIII d'instantes « supplications à ce sujet. Tous les ont renouvelées auprès de « Paul V, et le roi très chrétien Henri IV y a joint les siennes. « Enfin, lorsque Votre Béatitude fut, à la grande joie de tout le « monde chrétien, portée sur le siège apostolique, le roi très « chrétien deFrance,LouisXI I I,la supplia instamment d'inscrire « au nombre des saints celui qu'il avait choisi pour protéger son « royaume contre l'hérésie, et il attesta que nulle faveur ne pour- « rait jamais lui être aussi précieuse que l'honneur qu'il sollicitait « pour Ignace. Votre Sainteté, favorablement disposée à ac- « cueillir ces nombreuses sollicitations, a ordonné l'examen de « cette cause, aux membres de cette auguste assemblée, réunis

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« à cet effet. Depuis, sont survenues de nouvelles instances de « Maximilien, duc de l'une et l'autre Bavière, et de l'empereur « Ferdinand. Telle est l'ardeur de leurs vœux et de leurs sup- « plications, que le premier demande cette grâce comme récom- « pense pour les fatigues qu'il a souffertes dans l'affaire de Pra- « gue, et que l'autre regardera, dit-il, comme un honneur et une « protection pour toute l'Allemagne de pouvoir honorer comme (( saint le Fondateur providentiel d'un Ordre qui a été la sauve- « garde de la foi dans la Germanie. »

Le Pontife Grégoire XV, touché de tant de mérites et de si vives sollicitations, canonisa solennellement Ignace, le 12 mars 1622, fête de saint Grégoire le Grand, à la joie universelle de l'Église. Urbain VIII, successeur de Grégoire XV, entre dif- férentes formules qui lui furent présentées pour inscrire la mé- moire de saint Ignace au Martyrologe romain, choisit et rédigea lui-même en partie la suivante, bien digne d'un si grand saint : « Le 31 juillet, on célèbre à Rome la fête de saint Ignace, con- « fesseur et fondateur de la Compagnie de Jésus, illustre par « sa sainteté, ses miracles, et son zèle à propager par tout l'uni- « vers la religion catholique. »

Récits de divers miracles opérés par saint Ignace pendant

sa vie et après sa mort.

OUS avons cru devoir rapporter, à la fin de cet ouvrage, quelques-uns des nombreux miracles par lesquels Dieu s'est plu à mani- fester le pouvoir dont saint Ignace jouit auprès de lui. S'il fallait apprécier le Saint comme il le mérite, d'après ses miracles, il suffirait d'en rappeler un seul, qui les vau- drait tous : c'est celui dont Louis de Grenade, ce grand ser- viteur de Dieu, parlait en ces termes après avoir achevé la lec- ture de la vie du Saint : « Quel plus grand miracle peut-on « raconter que celui d'un soldat sans lettres et persécuté en tous « lieux; d'un soldat devenu l'instrument dont Dieu s'est servi « pour fonder une Société qui a déjà porté tant de fruits, et en « si peu de temps s'est étendue jusqu'aux extrémités du monde?» C'était aussi la pensée du cardinal Ubaldini, lorsque en présence de Grégoire XV, il disait des mérites singuliers d'Ignace (^"') : « Autant de services insignes rendus dans tout le monde par « la Société de Jésus au Saint-Siège et à l'Église catholique, « autant de miracles d'Ignace, autant de preuves de sainteté. » Les miracles que je vais raconter ici ont été choisis dans la Bulle du Pape, dans les relations des auditeurs de la Rote, dans les actes juridiques de la canonisation, ou enfin dans divers pro- cès-verbaux et actes publics.

Je n'ai suivi, en les rapportant, ni l'ordre chronologique, ni celui des lieux ou des sujets ; j'ai plutôt voulu répandre de la variété, dans mon récit, pour épargner au lecteur une fatigante monotonie.

Le lundi de la Pentecôte de l'année 1618, Marie Nateri

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA. 261

partait de Loano pour Arassio, village de la rivière de Gènes éloigné du premier d'environ 12 milles. Elle se rendait en pèle- rinage à Notre-Dame-du-Mont-Carmel. Surprise par une pluie torrentielle qui tomba sans interruption, pendant un jour et une nuit, elle se vit forcée de différer son retour, jusqu'au matin du mercredi. Au retour, il fallut côtoyer la mer, parce que l'autre chemin, la route des terres, était devenu impraticable. Pré- cédant sa mère d'une vingtaine de pas, Marie s'avançait sur la grève, sans s'apercevoir qu'un torrent qu'elle allait traverser était complètement débordé. Bientôt elle entrait inconsidéré- ment dans ses eaux. En vain sa mère lui criait de se détourner. Le bruit des vagues, déferlant sur la plage, l'avait empêchée d'entendre. En un moment, renversée, roulée par les eaux débordées, Marie perdait pied, et, entraînée par le torrent, était emportée vers la mer.

La malheureuse mère, voyant sa fille près de périr sous ses yeux, se mit à invoquer, à grands cris, Notre-Dame-du-Mont- Carmel. De son côté, la pauvre fillette en faisait autant, chaque fois qu'elle revenait pour un instant à la surface de l'eau. On dit que pénétrée d'un grand amour pour la sainte Vierge, elle aurait voulu savoir, à n'en pas douter, si sa dévotion lui était agréable. La veille même, après s'être confessée, elle s'était écriée dans un élan de ferveur, plutôt que dans un sentiment d'orgueilleuse présomption : « Je le crains bien, la sainte Vierge ne m'aime pas, ne me protège pas autant que mon dévouement pourrait le mériter.» Bientôt elle eut occasion de reconnaître son erreur.

A peine eut-elle invoqué Notre-Dame, qu'elle obtint son assistance. Tout à coup, elle se trouva doucement étendue sur les eaux, le visage tourné vers le ciel, les bras ouverts et les pieds aussi étroitement joints l'un à l'autre que s'ils avaient ete lies.

Cependant elle se sentait toujours entraînée plus loin dans la mer.

En même temps ses paroles inconsidérées de la veille, lui causaient de vifs remords ; elle croyait déjà que son ingratitude et leur inconvenance lui avaient attiré ce châtiment.

Avec Notre-Dame, elle appelait encore à son aide les saints

262 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

dont les noms lui revenaient à la mémoire ; elle se sentait surtout une grande confiance en saint Ignace, non seulement parce qu elle avait deux de ses frères dans la Compagnie, mais encore parce qu'elle se souvint d'avoir rêvé quelques jours au- paravant, qu'étant tombée dans la mer, le Saint lui avait apparu avec Notre-Dame-du-Mont-Carmel, l'en avait retirée et l'avait

déposée à terre.

« O bienheureux Ignace, s'écria-t-elle, sauvez-moi ! vous savez que deux de mes frères sont vos enfants. » Au moment elle prononçait ces mots, elle était déjà à plus d'un mille du rivage: soudain, tout disparaît à ses yeux, la mer, la terre, le monde entier, le danger imminent elle est ; ravie en esprit, elle se voit au milieu d'une nuée toute blanche, si vaste qu'elle lui semblait atteindre le ciel, si brillante qu'elle lui paraît semblable au nuage illuminé par le soleil levant.

Cette nuée formait comme un grand cercle, rempli d'anges, debout, plus beaux et plus resplendissants que le soleil ; l'œil ne pouvait les regarder fixement.

L'un de ces Anofes tenait à la main une robe de couleur fauve ; un autre, une robe blanche. Nateri reconnut que la première était l'habit du Carmel qu'elle portait, depuis plusieurs années, pour accomplir un vœu.

Cependant elle sentit sa vue s'affermir ; elle put regarder plus haut, la lumière était plus éclatante.

En élevant ses regards, elle aperçut une très belle femme,mais si loin, qu'à peine ses yeux pouvaient-ils la distinguer.

De son cœur s'échappaient des flots d'une lumière si vive et si resplendissante, que son visage en était comme rayonnant.

Alors la jeune fille invoqua saint Ignace, espérant qu'il fortifierait sa vue, pour lui permettre de mieux voir la belle dame qu'elle avait tant de peine à distinguer. A peine l'eut-elle invoqué, qu'elle le vit s'avancer au-dessus des anges, les bras ouverts, le regard arrêté sur elle ; il s'approcha assez pour permettre à l'enfant de distinguer ses traits.

En même temps, Marie vit la sainte Vierge, qui, étendant le bras, semblait le lui.désigner du doigt, comme celui qu'elle avait invoqué et à qui elle devait maintenant s'adresser. Mais la jeune fille, élevant la voix, et comme pressée par les remords de sa

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conscience, s'écria : « O bienheureux Ignace, pardonnez-inoi ; « car je me souviens d'avoir révoqué en doute votre sainteté et « blâmé mon frère Jean-Antoine, d'être entré dans un Ordre « dont le Fondateur n'était pas canonisé. »

Elle entendit alors la sainte Vierge lui dire : « Tu peux voir « maintenant, s'il est saint en effet : il est venu à ton secours, « aussitôt que tu l'as invoqué, et tu lui devras ton salut. »

La Reine des anges parlait du salut éternel de Nateri et non de la délivrance du danger actuel qu'elle courait. Celle-ci, rem- plie de l'espoir d'être sauvée par le secours d'Ignace, redoubla de ferveur dans sa prière; et, bien qu'Ignace ne lui adressât aucune parole, il la regardait avec tant de bonté, qu'elle en était remplie de consolation.

Il y avait déjà plus de quatre heures qu'elle jouissait de cette vision, et pourtant lorsqu'elle revint à elle, le ravissement lui sembla n'avoir duré qu'un moment.

Cependant la mère, en proie aux plus vives angoisses, courait ça et pour chercher du secours. Enfin, elle rencontra un brave homme des environs, excellent nageur, qui, s'étant recommandé à la sainte Vierge, essaya de sauver l'enfant au péril de sa propre vie, car la mer éait fort grosse. Il parvint à approcher d'elle, et la saisit par le bras. La vision s'évanouissait. Nateri, revenue à elle, fut saisie de crainte et se sentit transie de froid, comme si elle venait à l'instant de tomber à la mer. Etreinte par son libérateur,elle se crut entraînée par les démons; d'autant plus, qu'au premier moment le nageur et elle enfoncèrent sous les eaux. Mais lâchée, elle revint au-dessus des flots, dans sa première position.

La malheureuse suppliait à haute voix Dieu, la sainte Vierge et saint Ignace de la retirer des mains du démon. La voyant sur- nager ainsi, à fieur d'eau, ce qui n'était pas naturellement pos- sible, son libérateur eut l'idée de la pousser vers le rivage comme il eût fait d'une planche. Il y parvint avec tant d'adresse et de promptitude, qu'il ne put s'empêcher de reconnaître en sa faveur une intervention surnaturelle.

Sur ces entrefaites, beaucoup de gens s'étaient attroupés sur le rivage, les uns pour donner du secours, s'il était possible, les autres attendant le dénouement. Un des premiers arrivés,nommé

264 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Pierre Terre d'Albenga, avait vu planer au-dessus de la jeune fille une grande lumière et comme de brillantes étoiles ; il com- prit à ce prodige que Dieu voulait sauver celle qui aurait périr depuis longtemps. Ce fut alors qu'il envoya à deux milles de distance, Thomas Moreno, chercher le nageur dont nous venons de parler.

Dès que Marie Nateri fut arrivée à terre, elle se jeta à genoux et pria tous les assistants de remercier avec elle Notre- Dame et saint Ignace. Quelqu'un lui ayant demandé l'explica- tion de la lumière qu'on avait vue briller sur elle, elle ne voulut rien répondre. Après qu'elle eut changé de vêtements, on la conduisit à l'église des Pères de Saint-Francois-de-Paule. En retrouvant sa mère, qui était venue implorer sur elle le secours de Dieu, Marie lui rappela le songe dont nous avons parlé plus haut.

« Ce songe, ajouta l'enfant, s'est complètement réalisé,puisque Notre-Dame-du-Mont-Carmel et saint Ignace, m'ont arrachée à une mort certaine. » Le miracle se trouvant ainsi divulgué, les Pères du Carmel de Loano firent une information juridique. La jeune fille fit alors connaître, dans le détail, la manière dont la sainte Vierge et saint Ignace l'avaient secourue ; mais elle garda le silence sur la vision, soit par scrupule, n'osant pas dire qu'elle avait vu laMère de Dieu, soit par crainte de la vaine gloire.

Elle la découvrit cependant à quelques religieux, mais sous la promesse du plus profond secret. Or, peu de temps après, pendant la nuit, Marie s'était mise en prière, pour remercier Dieu et ses deux libérateurs. Tout à coup, elle vit de nouveau, auprès d'elle, la même dame qui lui avait apparu dans la nuée, mais sa physionomie était cette fois sévère et menaçante. La pauvre enfant, saisie de terreur, fondit en larmes. Par quelle faute avait-elle encouru l'indignation et les menaces de sa libéra- trice ? Dans son angoisse, elle conjura longtemps la sainte Vierge de lui faire connaître cette faute nouvelle ; ce fut en vain ; la belle dame disparut sans répondre, le visage toujours menaçant. Pendant plus de trois heures, la pauvre Marie sup- plia le Sauveur Jésus de l'éclairer. Enfin, accablée de chagrin et de fatigue, elle appuya la tête sur ses mains pour prendre un peu de repos. A ce moment, elle sentit au fond de son cœur une

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ineffable douceur, et entendit, par trois fois, une voix qui lui disait : « Ma fille, raconte avec vérité tout ce que ma Mère a « fait pour toi, et ce que tu as vu. »

Comprenant par ces paroles la cause du mécontentement de la très sainte Mère de Dieu, et désormais assurée que c'était bien le sainte Vierge qu'elle avait vue, l'enfant se décida à donner un témoignage authentique et complet. C'est le récit même qu'on vient de lire ; je n'y ai ajouté que ce que la mère, le nageur et d'autres témoins ont affirmé sous serment.

Un religieux prêchait à Arbois, dans le duché de Bourgogne, non loin de Dôle. Il fut un jour invité à dîner chez le docteur Gillabos, homme non moins vertueux qu'instruit.

Entendant exalter parles convives la sainteté et les miracles de saint Ignace, ce religieux s'en moqua hautement, et entr'autres poroles de mépris, il dit que le Fondateur des Jésuites pourrait peut-être arriver à guérir un mal de dents, mais qu'il n'irait pas au delà. De tels propos, tenus par un homme de son état, scan- dalisèrent les assistants. Tous, cessant alors de converser, gardè- rent un silence triste et respectueux ; car cette famille était fort dévouée à saint Ignace.

Ceci se passait le lundi avant la mi-carême.

Le Seigneur, ayant plus égard au bien de ce peuple qu'au châ- timent mérité par le prédicateur, laissa s'achever le cours entier de la station. Le lundi de Pâques, le religieux fut convié de nouveau, chez le même docteur Gillabos. Le moment de la répa- ration était venu. Vers le milieu du dîner, le religieux tenait son verre à la main, quand tout à coup il s'écria avec effroi que toutes ses dents se brisaient, et qu'il ne pouvait plus ouvrir la bouche. En effet, ses mâchoires se resserrèrent et il lui fut impossible d'ajouter une parole. Il ne pouvait que rugir comme un déses- péré. A ce terrible accident se joignirent des terreurs et des convulsions si violentes, que cinq ou six hommes avaient peine à le contenir. On appela tous les médecins de la ville ; mais le mal venait de Dieu ; ils ne pouvaient le guérir. Le malheureux vécut trois jours dans ces tortures, donnant par son châtiment une grande et terrible leçon du respect qu'on doit aux saints. Au bout de ce temps, il expira misérablement, sans avoir pu pronon- cer une seule parole de repentir.

266 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Quatre nobles dames de Modène, Louise et Livia Fontana, Françoise et Anne Brancolini, leurs proches parentes, furent reconnues pour possédées du démon, en l'année 1598. Louise était mariée à Paul Guidoni, Anne était restée fille, et les deux autres étaient religieuses Ursulines. Il n'y avait qu'une voix, dans Modène, pour louer ces saintes femmes. L'envie, le cour- roux qu'il conçut en voyant une même famille posséder tant de vertus, et donner de si admirables exemples, poussèrent l'ange de ténèbres, comme il le déclara depuis, à leur faire cet outrage. Il espérait ainsi les induire au mal, à quelque grande faute. Mais Dieu ne laissa point leur vertu souffrir d'une possession qui, en tourmentant cruellement leur corps, leur fit acquérir les mérites si précieux de la patience.

Les premiers effets de la possession furent des maladies étranges qui les obligèrent à de fréquentes et coûteuses consul- tations : soins et dépenses inutiles ; car, d'un mal, ces infortunées tombaient subitement dans un autre absolunient opposé.

Un jour, elles étaient en pleine santé; le lendemain, elles tom- baient en agonie ; puis, elles revenaient des affres de la mort, comme subitement ressuscitées, et un instant après, elles retom- baient dans de nouvelles défaillances.

Si on recourait à des objets bénits, le mal cédait, au point même ces objets étaient appliqués, mais pour reparaître ailleurs. En même temps, ces femmes étaient affligées des tenta- tions les plus pénibles pour des âmes aussi pures ; et ce tour- ment surpassait de beaucoup leurs souffrances corporelles.

Mais le Seigneur les gardait lui-même, et les maintenait sans tache, quoique les démons, dans l'excès de leur rage, leur fissent prononcer les plus odieuses imprécations. Cependant la prière, dont l'usage leur était d'abord si familier, et surtout l'assistance à la messe, leur étaient devenues un supplice. Dès que le saint sacrifice commençait, elles tombaient évanouies ; ce qui contraignâitles personnes présentes à transporter les patientes hors de l'église. Leur plus affreux tourment était une violente tentation de se donner la mort. Souvent, pour éviter toute surveillance, elles se retiraient dans les appartements les plus reculés de la maison.

Là, elles se frappaient la tête contre les murs, ou, se jetant

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contre terre, se maltraitaient à tel point, qu'au bruit des coups et des gémissements, on accourait à leur secours.

Celle qui était mariée, saisie d'une fureur subite, monta une fois au plus haut de la maison, pour de se précipiter dans la rue ; mais Dieu permit que son mari, s'étant aperçu de ce dessein, la suivît et arrivât à temps pour la retenir. Le démon la jeta alors contre terre avec tant de violence, qu'elle y demeura sans connaissance.

Contre ces étranges tortures, on essaya des remèdes que l'Eglise emploie ordinairement. On appela le P. F. Benoît Merla, de l'ordre de Saint-Dominique, et le P. Jérôme Fontani, de la Compagnie ; le premier comme chef des exorcistes, et le second comme parent de ces malheureuses femmes. Mais, malgré tous les efforts tentés pour découvrir si elles étaient réellement possédées, on ne put obtenir aucun signe positif. Cependant, un jour que les deux prêtres dont nous venons de parler exorcisaient les malades, le P. Jérôme Bon- dinari, de la Compagnie, entra sans être aperçu dans la chambre elles étaient, et attacha à la muraille une image de saint Ignace. Dès ce moment, la présence des démons se fit sentir par l'état d'agitation et de fureur auquel ils réduisirent leurs victimes.

Ils demandèrent par leur bouche au P. Jérôme pourquoi il avait apporté l'image de celui qu'ils détestaient. Puis ils se mirent à vomir contre le saint les plus grossières injures ; s'encourageant les uns les autres à ne point se laisser vaincre, eux, si nombreux par un seul homme, boiteux, chauve et presque aveugle : c'est ainsi qu'ils désignaient Ignace. Aucun d'eux ne devait être assez lâche pour abandonner leur proie.

Il y en eut un pourtant, qui, plus terrifié à la vue de l'image du Saint que rassuré par les paroles de ses compagnons, s'enfuit en laissant Livia Fontana presque morte. Quand la connaissance lui revint, la jeune fille dit avoir vu près d'elle saint Ignace, qui l'encourageait et lui promettait une entière délivrance. Une fois découverts, les esprits infernaux ne craignirent pas de donner des signes non équivoques de leur présence ; tels que de parler diverses langues, surtout le latin, l'arabe, et une sorte d'argot également ignoré de ces pauvres femmes ; de raconter des choses

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qui se passaient alors bien loin d'elles ; de reconnaître des reli- ques dont elles ignoraient la provenance et d'autres indices non moins certains.

Une fois la possession bien constatée, on employa les plus puissants moyens pour les délivrer. Ces pauvres femmes furent conduites successivement à Notre-Dame de Reggio, à Sainte- Agathe de Sorbera et au tombeau de saint Géminien, trois pè- lerinages célèbres. Elles en revinrent sans avoir reçu de soula- gement. Se rappelant enfin que le seul nom d'Ignace les agitait de crainte, et qu'à la seule apparition de son image, une troupe d'esprits infernaux s'était enfuie épouvantée, elles placèrent en lui désormais tout leur espoir. Elles s'engagèrent, même par vœu, si elles étaient délivrées, à célébrer chaque année le jour de sa fête et à jeûner la veille.

Leur confiance et leur espoir s'accrurent à la réception d'une relique du Saint, envoyée de Rome. Cette relique causa parmi les démons une telle confusion et un tel tumulte, qu'on les en- tendait maudire ceux qui l'avaient envoyée, et s'écrier que celui qui devait les chasser était arrivé. On en fut assuré dès ce même jour ; car le chef de la troupe infernale, celui qui surpassait les autres en hardiesse et en courage, après avoir déclaré qu'il ne craignait ni Ignace, ni ses pareils, et qu'il ne reculerait pas, changea subitement de langage. On l'entendit crier, en gémissant et en tremblant : « Hélas ! hélas ! non, il n'en peut être ainsi ; car il « sort de cet os (faisant allusion à la relique), une flamme qui me « brûle et me dévore : je ne puis plus l'endurer : Ignace me « chasse ! »

Il répéta ces dernières paroles trois fois, et ajouta qu'on ver- rait bientôt opérer au nom du Saint d'autres miracles, et que les démons seraient forcés de contribuer devant le Saint-Père à sa canonisation. En disant ces mots il s'enfuit.

Un autre démon commençait alors à se répandre en nouvelles injures contre Ignace, à jurer que rien ne pourrait le chasser, et à se moquer de la lâcheté de ses compagnons qui avaient pris la fuite. Mais, au milieu de ces protestations, se sentant contraint de lâcher pied à son tour, il se jetait à genoux devant une épine de la sainte couronne du Sauveur que l'on vénérait dans cette maison, et criait avec force : « Si je quitte cette femme, ce n'est

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« point Ignace qui m'y oblige, je le proteste ; c'est cette épine « dont le pouvoir surpasse le mien. » Cependant, tout en par- lant ainsi, il ne s'éloignait point ; enfin, poussant un épouvantable cri, et traînant sa victime à genoux jusqu'à l'image du Saint : « Il faut, dit-il, que je le confesse malgré moi, ce sont les méri- « tes d'Ignace qui me chassent ; » et, à l'instant, il quitta le corps de la possédée.

Il en advint de même pour d'autres esprits infernaux, qui, après avoir attribué leur défaite à diverses causes, finissaient toujours par reconnaître que seul Ignace les forçait à retourner aux enfers. Chaque jour amenait ainsi la retraite de quelques chefs. Ceux-ci en entraînaient d'autres dans leur fuite. Pendant un moment de calme, on avait fait lire aux possédées la vie de saint Ignace. Mieux que tout exorcisme, cette lecture les délivra de plusieurs démons, qui avouèrent aimer mieux fuir que d'enten- dre la lecture de ce maudit livre. D'autres s'écrièrent ; « Oh ! « Dieu, vous nous avez privés de la gloire, pour la donner à ce « boiteux ! »

Enfin, après tant de souffrances, les pauvres femmes se trou- vèrent délivrées de cette affligeante possession ; elles revinrent successivement à la santé, à la paix, à la piété. En récompense de leurs longs tourments et de leur fidélité au milieu de si cruel- les tentations. Dieu leur accorda des grâces singulières. Louise en particulier reçut le don d'oraison et d'union avec Dieu à un tel degré, qu'elle semblait ne pouvoir détacher sa pensée et ne parler que du ciel.

Durant le reste de ses jours, elle mena la vie la plus austère ; elle serait même arrivée à des excès de mortification, si son direc- teur n'avait mis des bornes à sa ferveur.

Elle survécut cinq ans à ces événements, et mourut la veille de la fête de saint Ignace. Si l'on peut en croire un démon, qui l'affirma pendant un exorcisme, le Saint l'aurait lui-même intro- duite dans le paradis. Il est certain qu'elle apparut un matin à une de ses filles nommée Daria, vêtue de blanc et brillante comme le soleil ; elle l'exhorta à persévérer dans la voie de la perfection, et, pour l'y affermir, lui raconta des choses admira- bles sur le séjour des bienheureux.

Déjà près de deux ans s'étaient écoulés, depuis la délivrance

270 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

de ces quatre femmes, lorsque Livia, la plus jeune d'entre elles, fut de nouveau possédée. Le premier indice qu'on en eut con- sistait dans des cris violents poussés parles démons. Ces démons annoncèrent qu'Ignace ne voulait pas les laisser en paix et re- commençait à les persécuter comme autrefois ; puis ils entrèrent dans une terrible fureur, arrachant les cheveux, déchirant la figure de cette malheureuse fille. Ils prononçaient aussi en diverses langues des paroles de désespoir. Toutefois, ces assauts ne se livraient que dans la maison ; Ignace voulant, disaient les esprits, que leur victime pût participer en paix aux sacrements, et en- tendre dans l'église la parole de Dieu.

D'ailleurs le Saint lui procurait, pendant les plus violentes crises, un grand soulagement. Une enfant, sa cousine, n'avait alors qu'à faire sur elle le signe de la croix, en lui commandant, au nom de saint Ignace, de s'apaiser : le démon obéissait aussi- tôt. L'enfant conduisait ainsi la possédée par la main, partout elle voulait. Un autre démon raillait parfois le premier: «Voici, « disait-il, une fourmi qui traîne un éléphant.» Mais l'orgueilleux esprit forcé d'obéir, s'en défendait, en répondant : « Non, je ne « cède point à cette enfant ! mais il me faut obéir à l'ange gar- « dien d'Ignace. »

Pendant cette seconde possession, Livia elle-même vit plu- sieurs fois le Saint, avec un air grave et majestueux, tenir en main un terrible fouet dont il flagellait les démons. Ceux-ci, ne pouvant supporter les coups, s'enfuyaient devant lui. Elle fut ainsi délivrée de nouveau.

Un enfant de dix ans, nommé Jérôme, fils d'Onuphre Estraschi, de Gandie, avait reçu un terrible coup près de la tempe. Bientôt il se forma une plaie profonde ; la figure devint prodigieusement enflée, et une forte fièvre se déclara. Malgré un mois entier de soins assidus, le chirurgien ne put parvenir à cicatriser cette blessure qui dégénéra en fistule.

On commençait à craindre que la violence du coup n'eût lésé une partie intérieure de la tête. Dans ce cas, l'opération du trépan devenait nécessaire, afin d'extraire l'os blessé et d'ouvrir une issue aux humeurs.

L'état du malade offrant quelque danger, la famille voulut avoir l'avis d'un chirurgien très renommé. Celui-ci vient avec

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son collègue visiter l'enfant. L'appareil appliqué sur la plaie est enlevé; on regarde. Seule, une légère cicatrice constatait que le mal avait existé. Le médecin ordinaire demeurait immobile d'étonnement ; son collègue se croyait joué. La mère de l'enfant, s'avançant alors, déclara que la cure avait été opérée par une main plus habile encore que la leur. Entendant parler d'opéra- tion douloureuse, elle avait eu recours à saint Ignace, et avait fait vœu, si son fils guérissait, de visiter neuf jours de suite l'autel qui lui était dédié.

L'enfant était guéri ; la mère n'avait plus qu'à tenir ses pro- messes ; elle les remplit avec les sentiments d'une profonde re- connaissance.

Un jeune Ecossais, nommé Jacques Tirio, doué de rares talents, entra dans la Compagnie pour s'y consacrer au service de Dieu. Après les épreuves du noviciat, il se mit aux études, comme élève du Collège Romain, et à peine en eut-il goûté les douceurs, qu'il perdit tout attrait pour les exercices de dévotion. Le temps qu'il devait employer à la méditation des choses de Dieu, à l'examen de sa conscience, aux pieuses lectures, il le consacrait à l'étude. Il ne s'aperçut de son affaiblissement pro- gressif qu'au moment il aurait eu besoin des forces qu'il ne possédait plus. Si, en effet, loin du monde et des occasions de pécher, une vertu médiocre suffit pour se maintenir dans la grâce de Dieu, il n'en est pas de même aux heures de la tenta- tion. Ce jeune homme ne l'éprouva que trop.

Le démon qui ne l'avait pas attaqué, tandis qu'il le voyait chaque jour perdre de ses forces, se mit tout à coup à le harceler vivement.

Tirio était arrivé à ce degré de faiblesse qui ne permet plus une vigoureuse résistance : il sentit le péril imminent dont il était menacé. Mais, comme ses intentions restaient droites, il eut recours au Seigneur, implora son secours, et soutint la lutte de son mieux.

Saint Ignace, mort déjà depuis dix ans, eut compassion de cette âme. Un jour qu'elle était plus que jamais en grand danger de succomber, il lui apparut, et, d'un air paternel, lui reprocha d'avoir cherché plutôt à se perfectionner dans les lettres que dans la vertu. Il lui rappela ensuite que Dieu l'avait retiré du

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monde et conduit dans la Compagnie pour sa sanctification; puis, il disparut en disant : Moins de science et plus de piété. »

Ignace n'était pas venu seulement pour reprendre, mais encore pour secourir.. Il laissa donc Tirio délivré de la tentation, ranimé et dévoué aux choses de Dieu. Ce jeune homme devint un des plus saints religieux de la Compagnie et mérita d'être nommé plus tard Assistant pour toute l'Allemagne. Il remplissait cette charge lorsqu'il mourut, le 21 mars 1597. Trois jours avant sa fin, il raconta tout ce que je viens de rapporter au P. Antoine Menageo son confesseur.

Ignace vivait encore, quand il apparut d'une manière miracu- leuse à un autre de ses enfants, non plus pour le corriger, mais pour le consoler.

Le P. Léonard Kessel habitait Cologne ('''^); c'était un homme d'une haute perfection et un vaillant ouvrier évangélique. Il conçut un vif désir de voir le saint Fondateur, dont il entendait chaque jour raconter les œuvres merveilleuses et vanter la sainteté : il lui écrivit donc pour obtenir la permission d'aller à Rome. C'était un long voyage : de plus, le Père âgé, de faible santé, rendait à Cologne de grands services par son zèle et par son entier dévoûment au salut des âmes. Cependant saint Ignace aurait voulu lui accorder cette consolation. Il consulta le Sei- gneur et en reçut sans doute la réponse qu'il fit. Il dit au P. Kessel qu'il n'était pas nécessaire pour lui d'entreprendre un si long voyage afin de voir son Père; que Dieu saurait bien trou- ver d'autres moyens de le satisfaire, et que probablement il le verrait à Cologne. Léonard demeura tout surpris de cette ré- ponse, ne pouvant imaginer comment cette promesse s'accom- plirait {^').

Or un jour, alors qu'il n'était nullement occupé de la pensée d'Ignace, il le vit soudain passer et s'arrêter devant lui comme pour lui donner le temps de le bien voir. Le Saint regardait le religieux avec un visage si serein et d'un air si affectueux, qu'en disparaissant, il le laissa rempli jusqu'au fond de son cœur d'une inexprimable consolation.

Le P. Alvaro de Molina, dominicain, dont les vertus et la science lui avaient acquis une haute renommée, après avoir été secrétaire de deux provinciaux, prieur de deux couvents, prédi-

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cateur général et définiteur de l'Ordre, s'était fixé à Lima, capi- tale du Pérou. Depuis huit ans, Alvaro était devenu tellement paralytique, qu'il ne pouvait faire un seul mouvement des jambes ou des bras, ni articuler d'une manière intelligible une seule pa- role. Il offrait le triste aspect d'un cadavre vivant, quand, trans- porté par des mains charitables de son lit sur un siège, il de- meurait là tout le jour immobile. Les secours de l'art avaient été vains, non seulement pour le guérir, mais même pour le soulager. Il avait donc perdu tout espoir, et ne se consolait que par la patience et par la lecture de quelques livres de piété ; encore fallait-il qu'une main étrangère lui tournât les feuillets.

Le malade était dans cet état lamentable, quand le P. Jacques d'Oheda, religieux du même Ordre, fort attaché à saint Ignace et à la Compagnie, l'engage à lire la vie de ce saint, écrite par le P. Pierre Ribadeneira. Le pauvre infirme la lut avec un grand intérêt. Il éprouva, dès le commencement, et une consolation inté- rieure,qui allait croissant à mesure qu'il avançait,et une confiance inaccoutumée dans l'intercession d'Ignace. Arrivé au récit des miracles opérés par le Saint, il éleva son âme vers Dieu : « Sei- « gneur,lui dit-il de cœur,je crois à la vérité des merveilles opé- « rées par votre serviteur Ignace. Je vous conjure donc par ses « mérites de me rendre la santé ; s'il vous plaît de m'accorder « cette grâce, je m'engage à jeûner tant que je vivrai, la veille « de sa fête, à réciter chaque matin et chaque soir l'antienne et « l'oraison qui lui sont propres, et à lui être toujours dévoué « ainsi qu'à son Ordre. »

Ce fut le jour de la Toussaint, 1607, qu' Alvaro fit cette prière; il la continua pendant toute l'octave de la fête. Le dernier jour, vers le soir, il entendit subitement comme une voix intérieure qui lui disait : « Lève-toi, et marche. » En même temps, il éprouvait une impulsion irrésistible, qui le portait à s'élancer de son siège. En effet, ses jambes étaient raffermies, ses bras, sa langue libres ; toute sa personne enfin avait repris sa vigueur première. Molina courut promptement vers une salle les religieux assistaient à un cours de théologie. On peut juger de leur stupéfaction ; ils ne pouvaient en croire leurs propres yeux, jusqu'à ce que le vieillard ayant raconté le miracle opéré par l'intercession de saint Ignace, leur surprise se changea en grande

Histoire de S. Ignace de Loyola. II. i8

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joie. Tous rendirent d'abord à Dieu et à son serviteur de so- lennelles actions de grâces; ensuite ils firent connaître aux Pères de la Compagnie ce qui s'était passé, en leur adressant une rela- tion authentique.

Le même jour, à Quito encore, un novice de la Compagnie, nommé Christophe Mesa, était à toute extrémité; il avait déjà reçu les derniers sacrements. Apprenant le miracle que son saint Père avait obtenu pour un religieux de Saint-Dominique, miracle pour lequel tous nos Pères allaient rendre grâces à Dieu, il sollicita la faveur de se joindre à l'allégresse commune et de chanter avec ses frères le Te Deum. 11 l'obtint ; dès cet instant, il se sentit soulagé et fut bientôt entièrement guéri.

A peine la Compagnie fut-elle accueillie par la très .sainte Vierge dans sa maison de Lorette, que Satan et ses anges réu- nirent tous leurs efforts pour l'en éloigner. Ils rendirent l'habi- tation insupportable par d'horribles apparitions et par des bruits effrayants. Tantôt, la maison paraissait ébranlée jusque dans ses fondements; tantôt, on entendait comme le bruit d'une foule enva- hissant les corridors, les chambres et mettant tout au pillage.

Les nuits se passaient sans repos. Les portes et les fenêtres s'ouvraient violemment, les couvertures et les draps étaient en- levés ; et ceux qui étaient couchés, sentaient courir sur eux de vilains animaux. Ceux que la terreur ne pouvait subjuguer, étaient persécutés par des moyens pires encore. Ainsi, un jeune anglais, assis à table, reçut un coup si violent dans le côté, qu'il fut ren- versé à terre, à demi mort.

Le P. Olivier Manare, nommé recteur de cette maison, par saint Ignace, avait avec lui treize religieux de la Compagnie. Tout rempli de charité, il sentait plus les souffrances des autres que les siennes propres. La nuit, il passait de longues heures à se promener devant les chambres de ses frères, les rassurant ainsi par sa présence au milieu d'eux.

Pendant une de ces nuits, il veillait, prêt à courir il entendrait du bruit ou des cris d'effroi, il sentit subitement la maison s'ébranler, et entendit le même fracas que si le toit et les murs se fussent écroulés. Il courut aussitôt vers la partie du bâtiment le bruit était le plus violent. A mesure qu'il s'avançait,le tumulte paraissait se rapprocher. Manare frémissait;

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il avançait pourtant, armé du signe de la croix. Bientôt, il vit passer à ses côtés, mais sans le toucher, un chien énorme, d'un poil noir, à l'œil ardent et féroce, qui le fixait d'un air furieux. Ce chien aboya trois fois d'une voix forte et rauque, puis passa lentement. Quand ce chien fut passé, le tumulte s'apaisa.

Cependant, à la suite de tant de veilles et de souffrances, le Père tomba malade. Ne voulant pas priver ses Frères de son secours, il leur ordonna, chaque fois que les démons les tourmen- teraient, de commander à ces esprits au nom de Dieu de s'éloi- gner et d'attaquer uniquement le P. Recteur. Ainsi, ne craignait-il pas d'ajouter à ses propres maux la vengeance des démons. Ils employèrent, en effet, contre lui toute leur rage, sans cesser de tourmenter ses religieux.

Une nuit entre autres,au moment il prenait un repos cherché en vain, depuis plusieurs jours, il entendit frapper à sa porte. Croyant que l'un des siens, poussé par la frayeur, recourait à à lui, il dit d'entrer. On frappa plus fort. Il éleva la voix en répétant : « Entrez ! » Personne n'entrait ni ne répondait ; mais les coups redoublaient de violence. Manare alors reconnut ce visiteur qui n'osait entrer après en avoir reçu tant de fois la per- mission. Il fit le signe de la croix. « Maintenant, ajouta-t-il, je te « connais ; entre, et au nom de Dieu, fais tout ce que Dieu « te permettra. » A ces mots, s'ouvrirent avec grand fracas portes et fenêtres ; la chambre trembla, comme si un tourbil- lon la traversait. Ainsi finit l'orage.

Si le démon n'avait tourmenté que les corps, on aurait pu souffrir ses vexations sans une trop grande inquiétude. Mais il alla plus loin ; il mettait aussi lésâmes en péril. Il ne se bornait pas, en effet, à troubler les religieux, au temps de l'oraison, par des bruits alarmants ; il leur apparaissait, cherchant à les tromper.

Le premier attaqué fut un jeune flamand, novice coadjuteur. Le démon se présenta sous les traits d'un Ethiopien vêtu d'un habit vert à la moresque. Il feignit d'abord pour lui une grande compassion, lui demandant comment il pouvait être assez fou pour mener une vie qui détruirait sa santé, en bien peu de temps. Il agirait bien plus sagement, en retournant dans le monde, et en se livrant au plaisir, tandis qu'il était jeune. Le temps ne manquerait pas ensuite, pour pleurer et pour faire pénitence.

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Cette fois, le tentateur s'était mal adressé ; car le jeune homme, qui suivait alors les Exercices spirituels, se sentait plutôt disposé à quitter le monde s'il s'y fût encore trouvé, qu'à y rentrer après l'avoir abandonné. Il eut recours, pour éloigner le démon, au signe sacré de la croix, traitant le tentateur de réprouvé et d'ange des ténèbres. Mais le misérable ne s'éloigna pas, sans tirer vengeance de ce mépris ; car, se retournant vers le novice et le regardant avec une effroyable grimace: « Puisque « mes paroles ne te plaisent pas, dit-il, vois si mon haleine « te sera plus agréable ; » et il lui souffla au visage un air si empesté, que le pauvre jeune homme en fut suffoqué et que, pendant deux jours, cette chambre fut absolument inhabi- table. -

Les choses prirent une autre tournure, à l'égard d'un novice allemand. Le démon lui apparut sous les traits de saint Paul, et, le trouvant occupé à l'étude de la grammaire, le regarda d'un visage sévère.

Il lui demanda ensuite si une telle étude convenait à un religieux, s'il n'avait pas ses propres Epîtres à étudier plutôt que celles de Cicéron, païen et réprouvé } « Quittez ces livres, « continua-t-il, quoi qu'on puisse vous dire; lorsqu'un apôtre « commande, tous lui doivent obéissance. »

Le novice, regardant la visite d'un si grand et si saint person- nage comme une précieuse faveur, sans oser répondre et sans rien dire à personne, prit les Epîtj'es de saint Paul et se mit à les commenter, autant que son esprit peu étendu le lui permettait, car sa science se bornait presque à savoir lire.

Peu de temps après, le prétendu saint Paul lui apparut encore, et le loua fort de l'étude qu'il faisait de ses Epîtres. « Puisque « vous avez été si docile à suivre un premier conseil, ajouta le « démon, je vous en donnerai un autre. Quittez cet habit et « rentrez dans le monde, où, si vous le voulez, vous pourrez mener « une vie bien plus austère que dans cet Ordre. » Il n'en fallut pas davantage pour convaincre cet esprit faible. Le lendemain matin, tandis que tous étaient réunis pour l'oraison, notre jeune homme quitta son habit et sortit de la maison, sans rien dire à personne. Quelque temps après, revenu à lui-même, il demanda à rentrer comme Frère coadjuteur. Mais il ne put, même à ce

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titre, rester dans la Compagnie, d'où l'obstination de son esprit le fit définitivement renvoyer.

Tel était l'état du nouveau collège de Lorette. L'enfer ne cédait ni aux exorcismes, ni aux prières, ni aux saints sacrifices offerts pour sa délivrance. C'était à Ignace que Dieu réservait la gloire du triomphe. Le P. Recteur lui écrivit pour l'informer de ce qui se passait, le suppliant d'obtenir des secours d'en haut à ses enfants désolés. Le Saint, touché de compassion, au lieu de recommander cette fois une patiente soumission, pour ajouter à leurs mérites, se mit en prières. Il fut exaucé. Il adressa au P. Recteur une lettre de consolation, destinée à tout le collège. Quand le P. Manare y vit la promesse qu'Ignace faisait d'im- plorer pour eux le secours de Dieu, il ne douta pas de la déli- vrance. Rassemblant toute la maison, il lut avec une joyeuse confiance la lettre du Saint ; et, comme si elle eût apporté aux démons un ordre de se retirer, à partir de ce moment, on ne vit, en n'entendit plus rien de ce qui y avait causé tant de trouble et d'épouvante.

Peut-on s'étonner que les esprits de ténèbres eussent entrepris de maltraiter si cruellement les enfants du saint Fondateur, quand on connaît les tourments qu'ils lui avaient fait endurer à lui-môme ? Une nuit, ils avaient essayé de l'étouffer : il s'était senti serrer le gosier, comme par une main vigoureuse, au point de perdre la respiration ; revenu à lui, il avait prononcé le nom de Jésus et avait été délivré. Une autre nuit, Ignace fut battu cruellement, aussi bien que le compagnon qui couchait près de lui. En entendant le bruit des coups et les gémissements de celui- ci, I ofnace accourut et le trouva sur son lit tout haletant. De retour dans sa cellule, le même bruit l'attira de nouveau, mais Ignace défendit au démon de revenir et le démon ne revint pas. Tout ceci prouve bien ce que nous avons dit dans le dernier livre, que les démons considéraient le Saint comme leur plus grand ennemi sur la terre

Un jeune Barcelonais, nommé Jérôme Falconi, fut appelé par Dieu, en 1606, à le servir dans la Compagnie. Son père, Michel Baptiste, croyant que ce fils pouvait être très utile aux intérêts de la famille, mit tout en œuvre pour le détourner de cette pensée et y réussit.Cependant le jeune homme ayant été envoyé

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à Lerida pour des affaires, y tomba malade d'une dangereuse inflammation à la gorge. En voyant sa langue noire et enflée, les médecins déclarèrent que de cinquante malades dans cet état, il n'en échapperait probablement pas deux.

La triste nouvelle fut bientôt portée au malheureux père. Reconnaissant la main qui le frappait, il pleura amèrement sa faute et s'adressa à saint Ignace pour en obtenir le pardon. Il y joignit de sérieuses promesses à remplir, s'il obtenait la gué- rison de son enfant.

Aussitôt, il partit en poste pour Lérida. Il y trouva le malade en apparence guéri. La fièvre et l'inflammation avaient disparu, à l'heure même oîi, suivant ses calculs, il avait invoqué saint Ignace. Quant aux médecins, qui ignoraient cette coïncidence, ils jugeaient d'après les principes de leur art, qu'une suspension si subite du mal ne pouvait durer et serait suivie d'une rechute. En effet, la grâce obtenue par les prières du père, n'avait été qu'une interruption de la souffrance et non une complète guérison.

Le douzième jour, survint une crise terrible. La fièvre alla toujours croissant jusqu'au dix-septième jour; elle réduisit le malade à la dernière extrémité. Sa poitrine enflée ne pouvait plus se soulever ; les médecins annonçaient le dénoûment pour la nuit, et regardaient le malade comme perdu. Le malheureux père, n'oubliant pas que saint Ignace l'avait déjà exaucé, à Bar- celone, recourut de nouveau, avec une grande confiance, à son intercession. Il conjura un Père de la Compagnie de lui prêter une signature de la main du Saint, qu'il possédait (^^). Mais en vain la chercha-t-on avec le plus grand soin : il fut impossible de la trouver.

Cependant la crise annoncée éclata en effet. Le pouls du ma- lade s'affaiblit ; une sueur froide couvrit son visage ; l'agonie commençait. Le père, désespéré, lui donna sa bénédiction et s'éloigna, ne croyant plus le revoir. P^n sortant de la chambre, il rencontra un Père qui apportait la signahire, inutilement cherchée jusque-là. Son courage se ranime, l'espoir renaît dans son cœur ; il rentre , exhorte son fils à mettre sa confiance en Dieu et à lui demander sa guérison par les mérites et l'inter- cession de saint Ignace. En même temps il lui présente à baiser

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la relique. A ce moment même une révolution s'opéra : tous les symptômes mortels disparurent subitement. Le père et le fils quittèrent cette demeure de deuil, après avoir appris que le service de Dieu doit l'emporter sur toutes les affaires tem- porelles.

A l'honneur de la foi catholique et au discrédit de la secte calviniste, le miracle suivant eut lieu à Ostrog, ville du royaume de Pologne, l'an 1627, à la vue de tous ses habitants.

Une dame de noble famille, mais élevée dans l'hérésie, don- nait les signes ordinaires d'uuQ possession diabolique. Sans avoir jamais appris d'autre langue que celle de son pays, elle répon- dait à toutes les questions qu'on lui adressait, en latin, en alle- mand, et en divers autres idiomes. Elle découvrait les choses cachées, racontait ce qui se passait au loin, était douée d'une force vraiment extraordinaire. Ses coreligionnaires tinrent conseil sur les moyens à employer pour la délivrer. Aucun d'eux n'osant ris- quer une telle entreprise, ils se décidèrent à la remettre entre les mains des Pères delà Compagnie, qui ont un collège dans cette ville. Avant de s'en charger, le P. Recteur leur demanda s'il était avéré qu'elle fût en état de possession. Tous répondirent affir- mativement. Comme le plus empressé solliciteur était un calvi- niste obstiné, qui avait déclaré plus d'une fois qu'il aimerait mieux être changé en chien ou en pourceau, que de devenir catholique, le P. Recteur se tourna vers lui, et dit : « Comment se « fait-il que, regardant les cérémonies du culte catholique comme « autant de superstitions, et leurs pratiques comme des folies, « vous y ayez maintenant recours ^ Est-ce la foi ou la nécessité « qui vous y décide? Appelez d'abord vos ministres, qui font « sonner si haut la pureté de leurs doctrines ; et qu'ils essaient « leur pouvoir. Appelez encore les prêtres schismatiques, et qu'à « leur tour ils essaient ; vous viendrez ensuite à nous ; car il « faut qu'on puisse juger, à qui seul appartient le pouvoir sur « les démons.» Les ministres répondirent qu'ils ne s'attribuaient point le pouvoir de conjurer les esprits, et que si le P. Rec- teur délivrait la possédée, ils auraient de la foi romaine une tout autre opinion.

On se rendit alors chez la pauvre affligée. Il ne fallut pas longtemps pour constater en elle la présence des esprits infer-

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naux. Suivant le rit catholique, le P. Recteur l'aspergea d'abord avec de l'eau bénite. Il lui appliqua ensuite, à son insu, une relique de saint Ignace. Aussitôt, elle commença à se débattre, à se tordre en tremblant, et à crier qu'un os de saint Ignace la bles- sait. Mais. outre la guérison de cette malheureuse femme,le P. Rec- teur cherchait encore la conversion des hérétiques qui l'entou- raient; il leur ordonna donc d'apporter un ouvrage de Calvin, ou tout autre livre, contenant les dogmes de sa secte, et de le re- mettre à la possédée. Pleins d'espérance, ils le lui donnèrent aussitôt. Celle-ci reçut le livre avec d'incroyables signes de joie, le baisa et le serra dans ses mains comme un objet de vénération. Le P. Recteur reprit l'ouvrage, y mit secrètement une image de saint Ignace, et le lui rendit. Alors cette femme, ou plutôt le démon qui la possédait, de pousser des hurlements et de se jeter en arrière, pour éviter le contact de ce livre. On lui de- manda le motif de son effroi. « L'image de saint Ignace, répondit- elle, que vous avez glissée dans le livre. » Les calvinistes furent si confus de cette scène, que l'un d'eux dit avec. fureur : « Vous «autres papistes, vous vous entendez avec le diable, vous faites « de lui tout ce que vous voulez. » Ces paroles brutales émurent le zèle d'un des Pères. Se tournant vers celui qui les avait pro- noncées, il lui dit : « Puisque ce que vous venez devoir ne peut « vous convaincre, puisque vous l'interprétez si mal, accepte- « rez-vous ma proposition ? Je vais faire à Dieu une prière. Si « la foi que vous professez est la véritable, que ce démon s'em- « pare de moi et me maltraite autant qu'il le voudra. Si, au con- « traire, la religion catholique est la seule vraie, qu'il entre en vous « tous pour une heure seulement et vous tourmente à sa volonté.» Personne n'accepta le défi et tous demeurèrent muets. On finit par conjurer le P. Recteur, s'il connaissait un moyen de délivrer cette femme, de ne pas en différer l'emploi. Il le promit et se retira. Il s'imposa un jeûne de trois jours, fit célébrer des messes, distri- buer des aumônes et pratiquer différents actes de mortification. Cependant quelques-uns des Pères continuaient à visiter la pos- sédée, et, chaque fois qu'ils se présentaient, elle entrait en fureur, tandis qu'elle accueillait avec joie les adhérents de sa propre secte. Ces démons, quelquefois spontanément et quelquefois con- traints par lesexorcismes, faisaient des aveux fort remarquables.

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« Les Jésuites d'Ostrog, disaient-ils, sont nos plus odieux enne- « mis ; nous nous efforçons surtout de les faire haïr, pourempê- « cher le bien qu'ils pourraient opérer, Une fois, nous avons « voulu mettre le feu au collège, et déjà nous gagnions les « cellules des Pères ; mais nous n'avons pu empêcher qu'on ne « s'en aperçût à temps pour éteindre l'incendie. Nous avons « essayé d'entrer dans les chambres des religieux, pour leur faire « tout le mal possible, mais Marie et Ignace nous en ont toujours « éloignés. » Pour prouver la vérité de ces assertions, ils détail- lèrent minutieusement, à un des Pères, ce qui se trouvait dans sa chambre, et la place des différents objets ; ajoutant que si cer- tain cierge, qui devait lui servira la prochaine fête de la Chan- deleur, n'avait pas été si près d'un crucifix, ils auraient mis ce cierge en pièces.

Tandis que dans notre maison on célébrait le saint Sacrifice, pour demander à Dieu la délivrance de la pauvre possédée, le démon la faisait hurler et s'écrier d'un ton d'effroi : « Mainte- « nant on élève le Très- Haut ! »

L'exorcisme solennel devait avoir lieu dans notre église le jour de la Purification. Les calvinistes avaient demandé que la cérémonie se fît secrètement dans leur maison. Mais on devait à la foi catholique un nouveau témoignage de son pouvoir sur les démons : le P. Recteur refusa. Lorsque la pauvre possédée, for- tement liée, fut conduite par plusieurs hommes devant les autels de Notre-Dame et de saint Ignace, elle commença à rugir comme un lion, jetant l'épouvante parmi tous ceux qui étaient accourus pour assister à ce spectacle.

Avant de commencer les exorcismes, le P. Recteur fit une courte allocution, pour exhorter les assistants à la contrition de leurs péchés ; des larmes et d'autres témoignages de leurs re- grets répondirent à ses paroles.

Le démon, adjuré de dire comment il s'était emparé du corps de cette femme, répondit après une longue résistance, qu'il y avait été contraint par les maléfices d'une vieille magicienne. Interrogé par qui, après Dieu, il pourrait être chassé, il poussa un grand cri, se tordit les mains, grinça des dents, et finit par dire avec un grand dépit:

« Parles noms de Marie et d'Ignace. » On continua alors leg

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exorcismes, pendant plus de deux heures, en invoquant l'aide de la mère de Dieu et de son saint serviteur. Le P. Recteur, craignant que la présence de quelque grand pécheur n'empêchât d'obtenir la grâce demandée, exhorta de nouveau les assistants à implorer le pardon de leurs propres péchés et à invoquer l'assistance de la très sainte Vierge et de saint Ignace. Tout le peuple ému le fit à haute voix. Alors la possédée, s'arrachant par un violent effort des mains de ses gardiens, fut jetée à terre par l'esprit malin. Elle demeura comme morte ; mais elle était entièrement délivrée. Quand, au bout de quelque temps, elle revint à elle, on la conduisit devant le Saint-Sacrement. Là, pleurant de joie, comme tous ceux qui l'entouraient, elle abjura le calvinisme et embrassa la foi catholique.

Un jeune enfant de treize ans, nommé Pierre Grassi, en 1625, dans un village non loin du Munich, avait les nerfs des jambes tout contractés et les mollets desséchés jusqu'à l'os ; ses pieds contournés ne pouvant le porter, il se traînait sur les mains et sur les genoux. Il était à Munich depuis six mois, demandant l'aumône, tantôt en rampant, tantôt traîné sur une petite char- rette, quand un passant touché de compassion lui parla des miracles que saint Ignace avait récemment opérés, et l'encou- ragea à demander avec confiance la santé par son intercession. Le petit paralytique fit aussitôt le vœu de visiter chaque jour, pendant trois semaines, notre église, à Munich, et de réciter le rosaire en l'honneur du Saint.

Il voulut commencer aussitôt à remplir sa promesse. S'étant fait porter jusqu'au seuil de l'église, il se traîna, sur ses genoux et sur ses mains, jusqu'à l'autel de saint Ignace. Là, il renouvela son vœu, se confessa, communia et récita le rosaire.

Cependant Grassi sentait les jambes se raffermir et les nerfs se détendre ; il voulut essayer s'il pourrait se tenir debout, et pria une femme, à genoux à ses côtés,de l'aider; mais il n'eut pas besoin de secours étranger ; il se leva seul, se tint ferme sur ses pieds, et marcha librement, en remerciant Dieu et le Saint de cette faveur signalée ; il était complètement guéri. Tout le peuple, témoin de ce miracle, éclata en témoignages d'actions de grâces.

Un jeune homme, natif de Séville, était entré dans la Com-

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE VII. 283

pagnie comme Frère coadjuteur. Mais il arrive assez souvent qu'on met plus d'ardeur à la recherche d'un bien convoité, qu'à sa conservation, quand on l'a obtenu. La ferveur que notre jeune homme avait apportée au service de Dieu dégénéra peu à peu en tiédeur. Aussi, jugea-t-on nécessaire de prolonger le temps de son noviciat. Cette détermination fit connaître la légèreté de son esprit ; car ce retard sufiît pour lui faire quitter la maison du Seigneur. Il retournait ainsi en poison un remède salutaire à son âme.

Rentré dans le monde,soit embarras de reparaître au milieu de sa famille, soit désir de faire fortune, il résolut de partir pour les Indes Occidentales. Déjà il s'était abouché avec un capitaine de vaisseau prêt à partir, quand il reçut dans le dos un coup de poignard, de la main d'un inconnu.

C'était une erreur de l'assassin qui, trompé par une fausse ressemblance, avait cru frapper son plus mortel ennemi. On appela aussitôt un confesseur et un chirurgien ; mais la blessure était si grave, que le jeune homme avait plus besoin des secours du premier, que des remèdes du second.

Il se confessa et reçut le Viatique. Le chirurgien examina ensuite la blessure ; il la reconnut mortelle.

Cependant, pour ne point paraître abandonner le moribond comme il le dit depuis, il mit un appareil et se retira, laissant au prêtre le soin de préparer à la mort le malheureux jeune homme. Celui-ci, comprenant enfin que ce coup était parti d'une autre main que celle du meurtrier,reconnut son inconstance : la mort qui s'approchait ne lui permettait pas d'autre témoignage de son repentir. Il assurait cependant que, si Dieu lui rendait la vie par un miracle, il se dévouerait à son service jusqu'à la mort. Il invoquait avec ferveur saint Ignace, le nommait son Père, et lui promettait, s'il revenait à la vie, de rentrer dans sa maison, non comme son enfant, car il en était indigne, mais comme un esclave et un mercenaire. Ainsi, priant et pleurant, il passa cette nuit qu'on regardait comme la dernière. Le saint Fondateur l'entendit et en eut pitié.

Le lendemain, on ne trouva plus de cette blessure profonde que la cicatrice. Fidèle à sa promesse, le jeune homme se pré- senta de nouveau pour entrer dans la Compagnie, et, après de

284 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

longues et difficiles épreuves, mérita d'être admis une seconde fois.

Le Saint-Thomas faisait voile, l'an [6oi, vers les îles Philip- pines, portant à Manille, avec un grand nombre de soldats et de passagers, quelques religieux de la Compagnie. Après soixante- douze jours de traversée, on découvrit une terre qui, au dire des marins, devait être le cap du Saint-Esprit.

Cependant il s'éleva un épais brouillard qui la fit perdre de vue, et des courants impétueux portèrent le navire au milieu de récifs, d'où il fut impossible de sortir ce jour-là.

Poussé par le vent, le vaisseau menaçait à chaque instant de se briser contre les écueils. La nuit survint. On jeta l'ancre, en se recommandant à Dieu. Au point du jour, le vent devenant plus violent, l'équipage se tint pour perdu sans ressource. Alors, on tira plusieurs coups de canon, pour rappeler une chaloupe qu'on avait envoyée reconnaître la terre. Cette chaloupe était désormais l'unique moyen de salut.

La veille, on avait agité à bord la question de la sainteté du P. Ignace. La béatification n'était pas encore célébrée à Rome; quelques personnes avaient même parlé du serviteur de Dieu avec une sorte d'irrévérence. Le capitaine Don Antoine Maldo- nato de Ribera eut alors la pensée de recourir à lui dans le danger présent, pour qu'on reconnût la puissance de son intercession. Il lui demanda de délivrer le navire, en obtenant, pour dix heures précises de ce même jour, un changement de vent qui lui permît de se dégager de cette enceinte d'écueils et d'arriver au port.

Aussitôt, un des Pères attacha au gouvernail une image de saint Ignace. Il était six heures du matin, quand le capitaine fit sa demande. Quatre heures après, le vent tourna ; on sortit sans difficulté du milieu des rochers : et bientôt le Saint-Thomas entrait, toutes voiles déployées, dans la belle rade de Manille.

Mais, entre les divers miracles opérés par saint Ignace, un des plus remarquables est bien, sans contredit, celui dont fut l'objet Bernardine Bendil. Bernardine était la femme de Philippe Co- rnez; elle avait trente-deux ans; elle et son mari habitaient Muné- bréga, leur lieu de naissance (®°).

Depuis huit ans, accablée de plusieurs douloureuses infirmités.

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cette femme se trouvait réduite à une extrême faiblesse. Une ma- ladie de poitrine lui faisait vomir le sang ; de plus, elle souffrait de telles douleurs d'estomac, que depuis six ans surtout, chaque fois qu'elle prenait un peu de nourriture, elle la rejetait immédiate- ment. Aussi, sa faiblesse la faisait-elle tomber dans de longs éva- nouissements. Elle avait un jeune fils qui, témoin de plusieurs guérisons miraculeuses, opérées par l'intercession d'Ignace, vint un jour, plein de confiance, les racontera sa mère : il la conjurait de se laisser transporter à la chapelle du Saint. « Saint Ignace, disait l'enfant, a secouru de moindres douleurs; il aura compassion de si cruelles souffrances. » Mais, proposer à cette pauvre infirme de se rendre à l'église, c'était l'engager à une entreprise impossible ou fatale. A ce moment, survint le P. Valère Piquer, qui connais- sait aussi les guérisons dont le jeune homme avait parlé à sa mère. Il apportait à la malade une image du Saint.

Entrant de grand cœur dans ces pensées, le P. Piquer encou- ragea la famille à recourir à saint Ignace. Le mari promit, si sa femme recouvrait la santé, de faire célébrer, à l'autel du Saint, une neuvaine de messes. La malade invoqua aussitôt son céleste protecteur, avec toute la ferveur dont elle était capable ; puis, elle tomba dans un évanouissement accompagné de sueurs abon- dantes. Revenue à elle-même, elle déclara hautement qu'elle se sentait guérie. A l'instant, elle sortit de son lit, pleine de force. Le jour même, elle allait à pied jusqu'à la chapelle consacrée au Saint, rendre de joyeuses actions de grâces.

Dans le même pays et vers le même temps, mourut d'une violente hémorragie, au village de Pardos, une petite fille de douze ans. La mère désolée courut, tout en larmes, à notre église, supplier saint Ignace de prouver de nouveau l'efficacité de son intercession, en lui rendant sa fille. Il y avait déjà quatre heures que l'enfant était morte, quand tout à coup la mère s'entendit appeler. « Ma mère ! lui disait sa fille, je suis vivante, saint « Ignace m'a ressuscitée ! » Et, en disant ces mots, elle se leva, si parfaitement guérie, que, peu de jours après, elle retournait à la campagne, garder son troupeau, comme elle l'avait fait jus- qu'alors.

Saint Ignace rendit encore la vie à un enfant de deux ou trois mois, fils du médecin de Munébréga. Le pauvre petit s'était

286 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

étouffé en mangeant un peu de soupe. Son père se disposait à le faire enterrer, quand la mère eut l'idée de recourir à l'interces- sion de saint Ignace. Aussitôt, elle courut prendre de l'huile dans la lampe qui brûlait devant l'autel du Saint. Elle avait à peine commencé à oindre le petit corps, que l'enfant fit quelques mou- vements et se mit à crier.

Il serait trop long de raconter tous les miracles opérés à Mu- nébréga,par l'intercession de saint Ignace. Il suffira de dire qu'en moins d'un mois, on en compta plus de cent. On cite, par exemple, les guérisons d'une personne paralysée depuis douze ans ; d'un bèt^'ue qui pouvait à peine parler ; de quatre aveugles, dont l'un fut encore guéri d'un cancer à la lèvre ; de plusieurs estropiés ; l'un d'eux allait subir l'amputation d'un pied déjà tombé en pu- tréfaction. Pourtant toutes les relations qui nous sont venues de ce pays attestent que Dieu, par les prières de son serviteur, avait encore opéré de plus grandes merveilles pour la guérison des âmes. De grands pécheurs, endurcis dans leurs désordres, étant entrés dans la chapelle du Saint, se sentirent soudain émus et touchés de contrition, jusqu'à verser des larmes ; ils n'en sor- taient qu'après s'être réconciliés avec Dieu.

Un jeune gentilhomme allemand, nommé Michel Ludwig, avait été envoyé, par son père, apprendre la langue française à la cour de Lorraine. Là, il fut pris d'une passion effrénée pour le jeu. Un jour, qu'il avait perdu tout son argent, il se promenait seul et désolé. Tout à coup, il lui vint une fatale pensée. « Si le « démon, se dit-il, si le démon me procurait de l'argent en bonne « monnaie sonnante, oui, volontiers je ferais un pacte avec lui. » A peine se fut-il arrêté à cette coupable pensée, qu'il vit à ses côtés un jeune homme d'une belle figure, vêtu comme lui en gentilhomme. Malgré cet extérieur avenant, Michel fut pénétré d'horreur : il sentait dans le fond de son âme que, sous cette forme, se cachait un esprit de ténèbres. Cependant le gentilhom- me lui mit la main sur l'épaule, et lui dit en souriant : « Enfant « que tu es, de quoi as-tu peur } te parais-je donc si difforme que «je doive t'inspirer de l'épouvante ? Eh bien ! as-tu besoin d'ar- « g^ent } » Ces manières familières rassurèrent le jeune homme : « Quel argent m'offres-tu ? lui dit-il ; sans doute une apparence « trompeuse, qui ne pourrait me servir à rien } Non, non,

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE VII. 287

« reprit le démon ; de l'argent bien réel, en abondance, autant, « en un mot, que tu en voudras. Tiens (et en disant ces mots, « il remplissait ses mains de pièces d'or); regarde-le, examine-le, << dépense-le, et si tu le trouves, comme je te l'assure, du meilleur « aloi, reviens, et nous conviendrons ensemble du reste. »

Le malheureux Ludwig, ainsi pourvu, retourna auprès de ses compagnons qui jouaient encore et commença une nouvelle par- tie. Il eut bientôt regagné ce qu'il avait perdu. Bien plus, séance tenante, les joueurs perdirent avec lui tout leur avoir. Ravi de sa bonne fortune, il retourna au lieu convenu ; le démon l'attendait. « Eh bien ! dit le démon, t'ai-je trompé.-* ton argent était-il réel ? « Excellent, dit l'autre, que n'en ai-je encore deux fois plus ! « Tu en auras autant que tu voudras ; mais que me donneras-tu « en retour ? » Michel s'excusa, disant qu'il n'avait rien : « Mais, reprit son interlocuteur, n'as-tu pas du sang dans les « veines ? ne peux-tu m'en donner quatre gouttes ? » Et, lui fai- sant étendre la main gauche, il fit, sans douleur, une incision ; tira quelques gouttes de sang, puis présentant une plume et du papier : {{ Écris, » lui dit-il, et il lui fit tracer une dizaine de ca- ractères presque tous grecs ; je les ai vus moi-môme dans le pro- cès-verbal de ce fait : ces lettres ne formaient aucun mot et ne présentaient aucun sens. Le démon lui fit encore écrire sur un autre papier des caractères semblables aux premiers, mais plus nombreux ; puis il lui dit, en prenant le premier billet : « Ce pa- pier est pour toi. » Et il le cacha dans l'ouverture qu'il avait faite à sa main, puis il guérit si complètement la blessure, qu'il n'en resta que la cicatrice. « En vertu de ceci, ajouta-t-il, je ferai « tout ce que tu m'ordonneras et je te donnerai tout ce que tu « demanderas pendant sept ans ; après sept ans, tu m'appartien- « dras, comme tu l'as promis par ce second écrit, que je garde. « Es-tu content ? » Le malheureux soupira, et pourtant consen- tit ; le démon disparut.

Le lendemain matin, le démon revint retrouver Michel. Il l'engagea de laisser de côté certaines prières qu'il avait coutume de réciter ; puis, il se fit remettre quelques livres de piété, «afin, « disait-il, que nous puissions nous revoir plus souvent et plus « librement. » Il se tint dès lors constamment à ses ordres, de jour et de nuit, sous quelque forme et pour quelque usage que ce

288 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

fût. Il lui découvrit des choses très curieuses, mais toutes mauvai- ses et nuisibles; il lui enseigna même de nouveaux désordres, qu'il avait ignorésjusque-là.

Ludwig passa, en Lorraine, une grande partie des sept années, comprises dans le pacte diabolique. Enfin, son père le rappela. Le noble seigneur s'attendait à voir un jeune homme accompli, un gentilhomme formé aux plus belles manières. Le malheureux avait mené la vie la plus honteuse et la plus désordonnée. Peu de mois le séparaient du terme fatal, du jour il devait venir aux mains de son maître. Harcelé par les suggestions diaboliques, effrayé à la vue de ses crimes si nombreux, si énormes, il tombe dans le désespoir. Le désespoir le jeta dans des actes d'une dé- mence criminelle. C'est ainsi qu'il essaya de* faire périr, parle poison, son père et sa mère ; de mettre le feu à son propre châ- teau ; de se suicider, en appuyant sur sa poitrine le canon d'une arquebuse. Dieu fit toujours échouer ces horribles tentatives. Ce dernier acte, dont furent témoins deux sœurs de Michel ac- courues au bruit de l'arme, commença à leur faire soupçonner le misérable état de son âme. Alors l'une d'elles supplia le malheu- reux de lui confier le motif de son désespoir, demandant si la mort était donc le seul remède à ses peines.

Ludwig répondit que ce qu'elle avait empêché ne tarderait pas à arriver. Du reste, il ne dépendait pas plus de lui d'éviter ce malheur que d'abandonner la vie coupable qu'il menait.

Ces paroles, rapportées à sa mère, firent désirer à celle-ci d'apprendre de lui-même les motifs de ce douloureux esclavage.

Ludwig découvrit tout à sa mère, et la douleur de cette pauvre dame fut si violente qu'elle s'évanouit. Mais, comme elle était hérétique et avait attiré son fils dans sa secte, elle s'occupa de pleurer son malheur, au lieu d'y chercher un remède dans les secours de l'Eglise. Les choses en restèrent jusqu'au jour, où, de ses propres yeux, elle vit Michel saisi par le démon s'agiter, se renverser en arrière, au risque de se rompre le cou. Elle résolut alors de le remettre entre les mains de quelques bons religieux. Mais bientôt Michel réussit à s'enfuir jusqu'à Eistadt, il vécut encore plus mal que par le passé.

Un de ses frères, chanoine de l'église deWurtsbourg. parvint à le retrouver. Il le conduisit bien lié àMolsheim,où il le confia aux

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE VII. 289

Pères de la Compagnie. On commença aussitôt à demander sa guérison par l'intercession de saint Ignace. Le démon, se voyant sur le point de perdre une proie sur laquelle il comptait, mit en œuvre menaces, terreurs et ruses de toute sorte pour s'assurer la possession de sa victime. Il l'attaquait quelquefois sous la forme d'un lion féroce, prêt à le mettre en pièces. Michel courait alors entre les bras des Pères, en jetant des cris d'effroi ; et, chose étonnante ! quoique lui seul pût voir ces effrayantes apparitions, les rugissements de ce démon étaient entendus des assistants.

Tout d'abord, on exigea du possédé une confession générale, à laquelle on voulut le préparer par quelques-uns des Exercices de saint Ignace. Mais le démon lui inspira un tel dégoût pour les Pères et pour toutes leurs paroles, que leur simple vue lui était un tourment.

Si parfois, il donnait son attention à quelques points de la méditation, il en était bientôt détourné par les insinuations du malin esprit.

Un jour, celui-ci lui apparut sous la forme d'un sauvage tout velu, et l'amena à écrire une formule semblable à celle du pacte; il lui fit ensuite jeter cette formule dans un endroit décou- vert. Ainsi pourrait-on croire qu'elle avait été rendue par l'esprit du mal, et que le pacte était rompu. Mais un serviteur fidèle, qui ne quittait jamais Ludwig, s'aperçut de la supercherie, et en in- struisit leP.Recteur.Celui-ci gronda sévèrement le jeune homme, le fit rentrer en lui-même et se préparer sérieusement à la con- fession. Michel eut de grands efforts à faire pour se confesser. Plus d'une fois, il s'évanouit de frayeur, aux apparitions épou- vantables dont il était obsédé. Mais on eut recours à tant de prières, on l'aspergea si souvent d'eau bénite, qu'il parvint à achever sa confession.

Dès lors, il se sentit rassuré et bien déterminé à résister, du fond de son cœur, à toute nouvelle tentation.

On résolut ensuite de faire les exorcismes dans la chapelle de saint Igfnace. Il fallait contraindre le démon à retirer de la main du jeune homme la cédule qu'il y avait enfermée, et à rendre celle qu'il avait emportée avec lui. On fixa la cérémonie, au 12 octobre. Michel s'y disposa par des jeûnes et des macérations.

Histoire de S. Ignace de Loyola. \\. i9

290 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Au jour dit, le P. Recteur célébra la messe votive duSaint;puis,en présence des Pères et d'étrangers, Ludwig fit sa profession de foi, et renonça hautement à tout engagement contracté avec le démon. Deux formules écrites et signées furent remises au P. Recteur, qui les déposa sur l'autel ; Ludwig reçut ensuite la sainte communion.

Alors le malheureux, tressaillant d'horreur, comme s'il voyait quelque chose d'épouvantable, s'écria que deux grands démons se dressaient à ses côtés. On ranima son courage, et, la messe achevée, le P. Recteur renouvela les exorcismes et les invocations au Saint. Les esprits infernaux avaient disparu. Ludwig venait de les voir sous la figure de deux boucs. Debout près de l'autel, chacun de ces animaux tenait entre ses pattes une cédule, la petite et la grande. Un instant après, on trouvait aux pieds du pauvre exorcisé la plus petite, celle que le démon avait enfermée dans la main du jeune homme. A cette vue, Michel fondit en larmes. La main d'où elle avait été retirée, sans qu'il le sentît, ne présentait qu'une cicatrice presqu'imperceptible.

Il fallait encore retirer la seconde cédule. Pour y parvenir, on recommença les pénitences, les exorcismes, les invocations ; puis, le lendemain, la messe votive de saint Ignace et la commu- nion.

Cette fois, le démon se montra sous la figure d'une grande cigogne.

Le Père exorciste en fut peut-être plus effrayé que le jeune homme lui-même. La cigogne tenait dans le bec la seconde cédule. On redoubla les invocatious à saint Ignace ; aussitôt l'animal la laissa tomber et disparut. Mais on eut beau la chercher à terre, on ne put d'abord la trouver. Enfin, en regardant sur l'autel, on l'aperçut à l'endroit même l'on avait déposé l'acte par lequel le jeune homme renonçait à ses engagements avec Satan. Ainsi, délivré de ses affreux pactes, de ses tourments, et de ses horribles tentations, réconcilié avec Dieu et avec l'Église, Ludwig vécut dans la suite très chrétiennement.

Un prêtre allemand, après être entré dans la Compagnie, en sortait apostat et passait au service de l'archevêque de Trêves. 11 fut bientôt attaqué d'un mal contagieux. Chacun l'évitait, à l'exception d'une pauvre vieille qui en prit pitié. La violence

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE VII. 291

du mal lui enlevait quelquefois toute connaissance ; mais, quand il revenait à lui, il considérait souvent la triste situation son âme, non moins que son corps, était réduite ; et alors le déses- poir s'emparait de lui. Cette exaspération s'accrut à un tel point, qu'un jour il allait se couper la gorge, si quelqu'un survenant ne lui eût arraché le rasoir. Mais on ne parvint pas à l'empêcher de se précipiter d'une fenêtre sur un amas de pierres, il se brisa tout le corps. Enfin, Dieu daigna toucher son cœur et l'éclairer d'une vive lumière. Son courage se ranima ; il invoqua saint Ignace, et lui promit, s'il guérissait et échappait aux dangers présents, d'aller à pied jusqu'à Rome, Là, il se proster- nerait devant le P, François de Borgia, alors vicaire général, pour lui témoigner son repentir et lui demander la grâce d'être reçu de nouveau dans la Compagnie ; si on le jugeait indigne de cette grâce, il se bornerait à demeurer toute sa vie, comme serviteur, attaché à la maison. Après cette promesse, faite au milieu d'abondantes larmes, le malheureux se sentit instantané- ment guéri de tout mal. Peu de temps après, il se rendit à Rome, avec le P, François Coster, pour se remettre sous l'obéissance du Général et accomplir son vœu.

L'an 1600, le Vicaire d'Avignon (^^) tomba malade et fut bientôt en grand danger. Il avait été dès sa jeunesse très dévot à Marie et très attaché à notre Ordre; mais du reste, sa vie n'était pas régulière, et les inspirations de la grâce ne l'avaient pas conduit à s'amender. Les médecins déclarèrent son état déses- péré.Acette nouvelle,sa dévotion envers lasainte MèredeDieu se ranima ; il la conjura ardemment et avec larmes de le prendre en pitié, lui qui toujours lui avait été dévoué, et il joignit à ses supplications la promesse de changer de vie, si elle daignait lui en obtenir la prolongation.

Tandis que le malade priait ainsi, il vit devant lui la Reine du Ciel, dont le visage courroucé semblait annoncer qu'elle était plus fatiguée de ses prières que disposée à les exaucer. Elle lui reprocha sévèrement la dureté de son cœur, et le mépris de ses inspirations, ajoutant qu'elle avait peu de foi dans ses promesses, arrachées par la crainte de la mort bien plus que par le repentir. Quant aux hommages qu'il lui avait toujours rendus, il ne devait en attendre nulle récompense ; car elle n'agréait pas ceux d'une

292 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

âme corrompue comme la sienne. En parlant ainsi, Marie disparut.

Le malheureux demeura confus et désolé. Renonçant à l'espoir de guérir, il voulut se disposera la mort. Il fit appeler un Père de la Compagnie, et commença une confession générale ; mais il survint un accès si violent, accompagné de tant de faiblesse et de trouble, qu'il fut forcé de s'interrompre. Tandis qu'il était seul et en proie à une fièvre ardente, il vit de nouveau, auprès de lui, la Mère du Sauveur, dont le visage, comme la première fois, paraissait irrité. Mais elle n'était pas seule : saint Ignace était agenouillé devant elle et devant son divin Fils, tandis que Marie couvrait avec sa main la plaie du côté de Jésus.

A cette vue, le malade fut plus saisi encore que la première fois, et, quoiqu'il entendît saint Ignace prier pour lui avec ferveur, voyant la sainte Vierge couvrir la plaie du Cœur de son Fils, il comprenait qu'elle-même voulait tarir pour lui la source des misé- ricordes divines. Cependant saint Ignace continuait à offrir d'ar- dentes prières et se portait caution pour le malheureux prêtre, promettant qu'à l'avenir sa vie serait plus sainte et plus conforme à sa vocation. Enfin, la bienheureuse Vierge, comme cédant aux supplications d'Ignace,se tourna d'un air plus doux vers le malade, et lui demanda quel usage il ferait de la vie à l'avenir, si elle lui était rendue. Il répondit, en tremblant et inondé de larmes, qu'il tiendrait fidèlement tout ce que saint Ignace avait promis. Alors Marie mit la main dans le côté de son divin Fils, l'en retira cou- verte de sang et aspergea de ce sang le pécheur repentant. Aussi- tôt la vision disparut. Le malade, désespéré des médecins, se trouvait, non pas seulement hors de danger, mais complètement guéri.

Dès ce moment, leVicaire vécut conformément à ses promesses; pour montrer sa reconnaissance envers saint Ignace, il vint au collège, mit par écrit la grâce dont il avait été favorisé, donna ce récit au P. Recteur, et, demandant un portrait d'Ignace, qui alors n'était pas encore béatifié, il l'exposa à la vénération publique.

Il y avait à Cazorla, village du diocèse de Tolède, une fille qui s'était consacrée à Dieu, dès son enfance, et dont la vie s'écoulait dans les exercices de la pénitence et de la piété. Dans sa dévotion particulière à saint Ignace, elle avait coutume de prier chaque jour, devant une image du Saint.

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE VII. 293

De plus, elle recourait à lui dans toutes les nécessités spirituel- les ou corporelles. Il lui arriva, un jour, de perdre la clef d'une cassette qui renfermait son argent. Après avoir longtemps cher- ché, elle s'adressa au Saint, avec sa confiance accoutumée. La nuit suivante, elle s'entendit appeler par son nom, et en ouvrant les yeux, elle vit le Saint qui, le visage radieux, lui indiqua l'en- droit oii se trouvaient et la clef,et un papier important qu'elle avait aussi perdu. Maisà cette faveur singulière s'ajouta quelques années après, une grâce bien autrement importante. Cette fille fut affli- gée d'une surdité complète. Parfaitement résignée à la volonté de Dieu, elle ne trouvait cette infirmité pénible que dans les intérêts de son âme; car elle ne pouvait entendre ni son confes- seur, ni les prédications. Elle eut l'inspiration de se recomman- der encore spécialement à saint Ignace. Un jour donc, prenant en main son image, elle protesta de sa parfaite résignation à ac- cepter toutes les infirmités corporelles qu'il plairait au Seigneur de lui envoyer ; mais, sentant combien sa surdité était préjudi- ciable à son âme, elle conjura ardemment le Saint de lui obtenir sa guérison. Elle appliqua ensuite l'image sur chacune de ses oreilles et s'achemina vers l'église. En entrant, elle entendit distinctement la voix des prêtres qui chantaient l'office ; elle entendit le prédicateur et aussi son confesseur. Mais la plus grande merveille fut qu'au sortir de l'église, elle perdit de nou- veau l'ouïe, pour la recouvrer en y entrant le jour suivant. Ainsi, par un miracle sans cesse renouvelé, sa prière se trouvait exau- cée d'une manière utile seulement à son salut. Ouand ceci fut écrit, en 1603, il y avait un an que chaque jour cette merveille s'opérait, sans qu'il fût possible de la révoquer en doute.

En 161 1, vint au monde, à Manrèse, un enfant mort-né. La sage femme, le voyant déjà livide, pensa avec peine qu'il était mort sans baptême. Mue par un mouvement de compassion, elle se jeta à genoux et conjura saint Ignace, par les souvenirs si chers que ce pays devait lui rappeler et par les grâces dont il y avait été comblé, d'obtenir que ce petit cadavre revînt à la vie, ne fût-ce que pour recevoir le baptême. A peine eut-elle fini sa prière, qu'elle vit l'enfant se mouvoir, puis ouvrir les yeux. Tous ceux qui étaient présents crièrent au miracle, et la sage femme porta l'enfant plein de vie et de santé à sa mère.

294 H1S1 .xiE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Le 30 juillet de l'année 1629, sur le soir, Paola Ibarbagli te- nait dans ses bras un enfant de sept mois, nommé Louis, fils de son beau-frère, Jean Oltramari. Un violent orage s'éleva accom- pagné de pluie. Paola monta dans les chambres du premier pour en fermer les fenêtres. L enfant, qui n'était pas emmailloté, repo- sait toujours dans ses bras. Paola ayant fait un mouvement très brusque, l'enfant lui échappe et tombe sur le pavé de la rue. Hors d'elle-même, la pauvre femme pousse de grands cris, en invoquant le Seigneur Jésus, et saint Ignace pour qui elle a une grande dévotion. Son émotion est si forte qu'elle s'évanouit de douleur. Quand elle revint à elle, au bout de quelques instants, l'enfant dormait sur son sein : « J'ai vu de mes propres yeux, « s'écrie-t-elle, alors, j'ai vu le glorieux saint Ignace à côté de « moi, tenir l'enfant entre ses bras, et le remettre dans les miens. « Et, comme dans mon trouble la force me manquait pour serrer « le cher petit contre mon cœur, il l'a soutenu lui-même dans mes « bras, jusqu'à ce que j'aie pu reprendre entièrement mes sens. « Le Saint, ajoutait plus tard Paola, était vêtu du costume ordi- « naire de la Compagnie : sa figure resplendissante était celle « d'un homme dans la vigueur de l'âge : mais il ne ressemblait « à aucun des portraits que j'ai vus à Ferra'-e. Quant à l'enfant « il ne criait point et semblait répondre aux caresses du Saint. »

A Guadiana, ville du Mexique, une esclave indienne était in- firme depuis deux ans. Une maladie de l'épine dorsale après l'avoir ployée, l'empêchait de se redresser : ce mal lui causait en outre de constantes douleurs. Un Père de la Compagnie, témoin des douleurs qu'endurait cette malheureuse femme, pria avec grande ferveur saint Ignace de devenir son médecin et de guérir un mal qu'aucun remède ne pouvait soulager. Pour raviver la foi et la confiance de la malade, il lui raconta plusieurs miracles que le Saint venait d'opérer dans ces contrées. L'indienne se mit à réciter des prières à saint Ignace, en invoquant son secours. A l'instant même elle achevait, elle se sentit guérie, se redressa vivement, marcha devant tout le monde, et porta même sur ses épaules un poids considérable, sans la moindre peine.

Toutefois, après le départ du Père, elle jugea prudent de re- courir encore à quelques remèdes ; ne serait-ce que pour préve- nir le retour de ses douleurs habituelles. En conséquence, elle

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE VII. 295

voulut prendre un bain. Mais, en y entrant, elle ressentit ses anciennes infirmités,et la crise fut si aiguë,qu elle lui arrachait les hauts cris. Il fallut l'en retirer aussitôt et la reporter sur son lit. Elle vit dans cette rechute un châtiment de sa légèreté et de son peu de reconnaissance. Alors, fondant en larmes, elle conjura le Saint de lui pardonner. Sa prière achevée, elle se trouva de nouveau complètement guérie.

Un prêtre anglais, nommé Guillaume Guadford, vint à Rome, en 1594, pour être reçu dans la Compagnie. Il souhaitait par- ticulièrement de faire son entrée dans la maison, le jour de saint Augustin apôtre et patron de l'Angleterre. Il souffrait cependant d'une fièvre assez forte qui, augmentant encore le lendemain, occasionna, avec une grande prostration de forces, d'autres symp- tômes fort alarmants. Le malade, très affligé de perdre la vie au moment elle lui devenait plus chère, se souleva sur son lit, et implora le secours de celui qui était sur le point de devenir son père.

Il le conjura de ne pas lui laisser perdre, avant même de l'avoir goûté, un bonheur après lequel il avait si longtemps soupiré, et qu'il était venu chercher de si loin. Tout son désir était de voir la maladie seulement retardée jusqu'après son admission dans la Compagnie. Ces prières émurent sans doute le cœur paternel d'Ignace. La nuit suivante, le Saint apparut au malade, accom- pagné de plusieurs Pères de la Compagnie. Il était vêtu, comme il avait coutume de l'être de son vivant, et tenait à la main son bâton. Il s'approcha du lit et commença à agiter ce bâton, comme une personne qui voudrait éloigner d'un cadavre des corbeaux ou des chiens ; puis il se retira, en regardant Guardford d'un air plein de tendresse. Un des Pères de la suite d'Ignace s'approcha alors de l'infirme qui était déjà guéri. Celui-ci demanda si ce Père pourrait, lui aussi, opérer le même prodige. Le Père sourit et tout en arrangeant les couvertures lui recommanda de dormir. Guardford tomba aussitôt dans un profond sommeil. Il se réveillait, au bout de plusieurs heures, si parfaitement guéri, que, le jour même, il se leva et prit part à tous les travaux de la maison.

Ignace encore vivant montra la même tendresse à un de ses enfants. Le Frère Jean-Baptiste, cuisinier à la maison professe

296 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

de Rome, était un religieux d'une grande humilité et extrême- ment mortifié. Son emploi ne lui occasionnait pas seulement beaucoup de travail et de fatigue ; il lui offrait encore de grands sujets de méditation. Souvent, les yeux fixés sur le brasier de ses fourneaux, il comparait ce feu aux épouvantables flammes qui dévoreront éternellement les impies, et il concevait une grande horreur pour des péchés qui méritent de si terribles châtiments.

Un jour que, profondément absorbé dans cette pensée, le Frère Jean- Baptiste s'abandonnait au regret de ses péchés, il fut tout à coup saisi d'une ferveur indiscrète : il plongea sa main dans le feu et l'y laissa brûler. L'odeur fétide qui s'exhalait fut remarquée par le P. Ministre qui passait près de la cuisine ; il entra et en demanda la cause. Le pauvre Frère ne put dissimu- ler l'excès d'une douleur qui lui arrachait des larmes : il montra sa main horriblement brûlée, et se jeta à genoux pour solliciter son pardon.

On alla aussitôt informer Ignace de ce qui s'était passé. Quand les Pères eurent appris le fait, presque tous furent d'avis qu'on expulsât de la maison un homme qui, par son imprudence, s'était mis hors d'état d'y rendre aucun service. Le Saint jugea autrement ; il trouva cette faute plus digne de compassion que de châtiment. Il se mit en prières : toute la nuit, il implora avec ferveur la miséricorde divine. Le lendemain matin, la main du pauvre Frère était guérie, et parfaitement saine.

Un certain habitant de Condom, ville de Gascogne, avait une telle antipathie pour la Compagnie de Jésus, qu'il ne pouvait pas même en entendre parler. Quant à Ignace, loin de le regar- der comme un saint digne des honneurs que l'Eglise venait de lui rendre en le béatifiant, il le traitait de fourbe et d'hypocrite. Il ne lisait sa vie qu'à dessein d'y découvrir quelque contradic- tion propre à la convaincre de mensonge ; et, tous les faits sur- naturels qu'elle racontait, il les appelait des fables et des fictions.

Saint Ignace, du haut du ciel, le regardait sans doute de cet œil de compassion qu'excite la vue d'un homme en délire. Il demanda ardemment au Seigneur de détruire en cet homme d'aussi injustes préventions.

Une nuit donc qu'il ne dormait pas, saint Ignace lui apparut,

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE VII. 297

au milieu d'une troupe d'anges. Son aspect majestueux respirait la gloire et le bonheur célestes. Le Saint ne parla point, mais il se laissa contempler quelques moments : puis, en s'en allant, regarda son ennemi avec une si cordiale affection, que celui-ci tout ému en perdit connaissance. Revenu à lui, le pauvre homme s'élança de son lit, confus et tout en larmes, se prosterna la face contre terre et demanda pardon au Saint de son indigne con- duite. Puis, prenant sur la table l'histoire du Saint, il la serra contre son cœur, et la couvrit de larmes et de baisers. Il promit ensuite (et il tint parole) d'être toujours à l'avenir, aussi respec- tueux et aussi affectionné à saint Ignace et à son Ordre, qu'il avait été jusqu'alors l'ennemi, le détracteur acharné de l'un et de l'autre.

La nouvelle de la béatification de saint Ignace étant arrivée dans les Indes occidentales, y répandit une joie universelle. On la célébra par des fêtes publiques à San-Luis de Potosi. Chris- tophe Martinez, estropié depuis quatre ans, ne pouvait se mou- voirque très difficilementet seulement à l'aide de béquilles. Dans l'impossibilité cette infirmité le mettait de s'unir aux témoi- gnages extérieurs de l'allégresse générale, il s'adressa au Saint avec une tendre confiance : « Sera-t-il vrai, s'écria-t-il, ô glorieux « patriarche Ignace, qu'au milieu de cette joie universelle dont « vous êtes l'objet, moi seul, je serai dans la souffrance et ne «pourrai y prendre part .-* »A l'instant même, une- nouvelle vigueur ranima ses membres ; Martinez était délivré de son in- firmité. •

Un miracle semblable eut lieu à Majorque, cette même année 1609, et à la même occasion. On célébrait la béatification du saint Fondateur dans l'église des Pères de la Compao-nie. Une femme estropiée voulut absolument s'y rendre. Sa sœur, pour l'en détourner, lui fit observer qu'avec son infirmité, elle ne pourrait lutter contre la foule et serait assurément renversée, piétinée, étouffée. Rien ne fut capable de l'effrayer; et elle se mit en chemin. A peine était-elle hors de sa maison qu'elle sentit ses pieds se raffermir. Sur-le-champ elle jeta ses béquilles et courut à l'église rendre grâces au Saint, puis communier en son hon- neur.

Michel Schramm, jeune homme de dix-sept ans, avait été

298 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

envoyé par son père àWurtzbourg.pour y faire ses études; là, en- touré, comme il arrive trop souvent, d'écoliers pervers, il pro- gressa plus dans le vice que dans les lettres. Il en vint à prendre pour maître Satan lui-même. Voici comment.

Un étudiant, ami et disciple d'un grand magicien, conduisit chez lui Michel et un autre de ses compagnons, à peu près du même âge que Michel. Après de copieuses libations, le magicien se mit à vanter la puissance et les merveilles de son art. Il fallut peu d'efforts pour charmer ces jeunes fous, et leur faire ardemment désirer de pouvoir opérer eux-mêmes des choses si merveilleuses et si nouvelles. Outre une vaine curiosité, ils avaient encore l'espoir de grandes richesses, car le magicien leur parlait d'une merveilleuse racine, qui, posée sur la langue ou fixée à un doigt, opérait les effets les plus surprenants. Ouvrir fenêtres, portes, ou coffres-forts ; rompre des chaînes, découvrir des trésors sous terre, ou opérer maintes merveilles ; avec cette précieuse racine, tout était possible. Il devait en coûter peu pour se la procurer ; il suffisait de consentir à voir une fois le démon, sous unefornie qui n'aurait rien d'effrayant, et à lui donner, par une cédule écrite avec son propre sang, la possession de son âme.

Immense est le prix que ce misérable estimait si peu ! Mais les pauvres jeunes gens avaient un tel désir d'obtenir le talisman, qu'ils consentirent à tout. Ils stipulèrent cependant qu'ils ne li- vraient leur âme que pour le temps ils feraient usage de la racine : quand ils la rendraient, le pacte aussitôt serait rompu.

Ces conventions faites, le magicien tira d'un de leurs doigts un peu de sang, dicta aux deux nouveaux disciples, la formule par laquelle ils se vendaient au démon, prit leur écrit, leur remit une petite canne et les conduisit hors de la ville. S'arrêtant au point de croisement de quatre routes, il traça un cercle sur le sol, fit d'autres signes encore, et prononça quelques paroles. Aussitôt l'ange de ténèbres apparut sous la forme d'un jeune homme.

Les deux nouveaux adeptes frémirent à cette vue, comprenant bien que, sous cette apparence humaine, se cachait l'ennemi du genre humain.

Ils se regardaient l'un l'autre, muets, pâles et tremblants. Ils voulurent essayer de fuir ; mais en vain : le magicien les avait invisiblement enchaînés de telle sorte, que malgré tous leurs

LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE VII. 299

efforts, ils ne purent faire un pas en arrière. Peu à peu. ils repri- rent courage et, ayant placé la cédule au bout de leur canne, ils la présentèrent au démon qui ne sortait pas du cercle tracé par le magicien.

Cela fait, ce dernier parla longtemps au malin esprit dans une langue inconnue des jeunes gens : puis il inséra sans douleur dans l'incision qu'il leur avait faite au doigt, un fragment de la racine magique. Le démon disparut, et tous trois revinrent à la ville. Ils commencèrent à essayer leur puissance dans la maison de leur séducteur, et, en réalité, ils opérèrent les prodiges an- noncés. En approchant le doigt d'une serrure, ils l'ouvraient. Ils enfouirent à deux pieds de profondeur un ducat d'argent, puis posèrent leur main sur la terre: le ducat sortit aussitôt et s'attacha à leur doigt, comme le fer à l'aimant. Ils firent un signe sur une cuve pleine d'eau :1a cuve se rompit, et l'eau demeura supendue en l'air, comme si elle eût été gelée. L'un d'eux se fit enchaîner solidement, puis il toucha la chaîne avec le doigt qui renfermait la racine, et la chaîne tomba en morceaux.

Ces épreuves diverses enchantèrent ces malheureux. Pour obtenir de tels succès, ils eussent volontiers sacrifié dix âmes, s'ils les avaient possédées.

Cependant l'un d'eux, Michel, retourna peu après dans son pays. Avec la légèreté d'un enfant avide de faire admirer son pouvoir, il pratiquait ces sortilèges devant quiconque était cu- rieux de les voir : il aimait surtout à ouvrir subitement les portes et les coffres- forts. Mais bientôt son secret faillit le conduire à la potence. Il fut soupçonné d'un vol considérable, et. coupable ou non, ce fut à grande peine qu'il échappa au supplice. Il courut un autre danger tout aussi grave de la part de quelques- uns de ses amis.

Ceux-ci, croyant qu'un trésor était caché dans un certain endroit, attirèrent Michel dans une forêt et le menacèrent de mort, s'il ne leur indiquait pas la racine merveilleuse. Il leur donna une racine quelconque, à laquelle il attribuait les prodiges qu'opérait son doigt enchanté. Il put ainsi s'échapper de leurs mains.

Dès ce moment, Michel commença à ouvrir les yeux et à reconnaître les conséquences funestes d'un pacte qui, en con-

300 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

damnant son âme à une éternelle malédiction, exposait aussi son corps à des dangers journaliers. Résolu de rompre cet hor- rible engagement, il alla trouver un saint prêtre, en qui il avait o-rande confiance, et il lui révéla tout ce qui s'était passé. Celui- ci, après lui avoir fait sentir l'horreur de son crime, et les dan- gers qu'il courait, tâcha de lui inspirer du courage. Il l'envoya ensuite aux Pères de la Compagnie, à Molsheim, espérant qu'avec le secours de saint Ignace, dont on avait tant de fois éprouvé le pouvoir dans des cas semblables, on parviendrait à recouvrer la formule, et par là-même à rompre ce sacrilège engagement. Les Pères accueillirent ce pauvre jeune homme avec bonté. Sous leur conduite, Michel pratiqua, pendant douze jours, diverses mortifications qui le préparèrent à une confession générale. Au jour fixé pour l'exorcisme, le jeune homme fut con- duit dans la chapelle de Saint-Ignace. Le P. Recteur du collège dit la messe votive du Saint. Michel fit sa profession de foi ; mais, dès qu'il commença la lecture de sa rétractation, le démon le remplit d'une indicible horreur. Tout son corps frissonna, ses cheveux se dressèrent sur sa tête, et, au moment de prononcer ces mots : «/^ renonce », son gosier se resserra tellement, qu'il lui fut impossible de les articuler. Le Père, qui était à ses côtés, fit sur lui le signe de la croix, en invoquant de nouveau saint Ignace. Michel parvint à lire tout haut sa renonciation. Il la donna ensuite au P. Recteur, qui l'offrit à Dieu, en la plaçant sur l'autel. Mais l'ange des ténèbres ne paraissait pas, et la cédule n'était pas rendue. On renouvela pendant plusieurs jours les pénitences, les prières, la messe votive de saint Ignace. Enfin, le 13 jan- vier 16 13, le P. Recteur étant arrivé au canon de la messe, tous les assistants entendirent comme le bruit d'un papier frotté contre une muraille ; mais on ne vit rien tomber. Le jeune homme seul aperçut un démon, qui, du coin de l'autel, lui mon- trait le papier, écrit avec son sang. L'esprit malin jeta ce papier et disparut. La messe finie, on trouva la cédule sous la première nappe de l'autel. Dans la commune allégresse, tout le peuple rendit gloire à Dieu, et de ferventes actions de grâces à saint Ignace.

En 1626, une invasion de loups, descendus des montagnes, avait rendu inhabitables quelques-unes des vallées du Piémont,

LIVRE CINQUIEME. CHAPITRE VII. 301

entre autres celle de Lanzo. Ni les hommes, ni les troupeaux n'étaient en sûreté dans la campagne. Ces animaux affamés se rassemblaient, en troupes, pour attaquer et dévorer tout ce qu'ils rencontraient.Or,on avait érigédepuis peu, dans l'égliseprincipale de la prévôté de Mezenile, une chapelle en l'honneur de saint Ignace. Les habitants de ce canton résolurent de s'adresser au Saint, pour obtenir la délivrance du fléau qui les désolait. Dans ce but, ils se rendirent processionnellement à cette chapelle, pendant neuf jours, et firent chanter une messe solennelle. Leurs prières furent écoutées. Les loups, comme repoussés par une force supérieure, cessèrent leurs ravages. S'ils rencontraient des enfants ou des bestiaux, loin d'en approcher, ils fuyaient précipitamment comme frappés de terreur. Un fait rendit encore le miracle plus évident. Ayant rencontré quelques moutons, gardés par une petite fille de sept ans et par son frère qui en avait cinq, un loup se détourna des brebis, puis se précipita sur le petit garçon. Il l'avait jeté à terre, et le retournait avec son museau, sans cependant le mordre. Alors persuadée, comme l'était tout le monde dans le pays, persuadée, dis-je, du miracle au Saint, la petite fille osa approcher et frapper le loup avec son bâton. Et comme cela ne suffisait pas pour chasser la bête, elle le prit par les oreilles et le poussa vers la montagne. Ce fait ne fut pas unique en ce genre.

Un autre loup entra dans une pauvre cabane, se trouvaient plusieurs enfants. L'animal saisit un petit garçon âgé de cinq ans, et l'emporta vers le bois voisin. Aux cris de ses frères, la mère, qui travaillait tout près, accourut. En apprenant le fatal enlève- ment, elle se prosterna d'abord contre terre pour implorer la protection de saint Ignace; puis se mit à courir vers la forêt. Après avoir fait assez de chemin, sans rien découvrir, elle s'en- tendit appeler tout à coup par l'enfant, qui, du milieu d'un mon- ceau de pierres, lui criait avec l'accent de la joie : « Mère, je suis « ici, je suis vivant. » Il contait ensuite comment le loup s'était subitement arrêté et, après l'avoir regardé d'un air furieux, s'était enfui dans les bois. La mère reconnut que l'enfant avait été dé- livré au moment même, elle l'avait recommandé à la protec- tion du Saint.

Dans deux villages de cette même vallée de Lanzo, nom-

302 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

mes, l'un Gisola et l'autre Tortore, régna, en 1629, une épizootie, qui en peu de temps fit mourir un grand nombre d'animaux et réduisit beaucoup d'habitants à la misère. Se rappelant la pro- tection due à l'intercession de saint Ignace, lors de l'invasion des loups, ces braves gens adressèrent de ferventes prières à leur protecteur. Ils firent encore le vœu solennel de bâtir en son hon- neur une chapelle sur la montagne de Bastia voisine de Tortore. Ce vœu prononcé, la mortalité cessa; les animaux malades gué- rirent, et la chapelle fut érigée (^^).

A la suite de tous ces prodiges, une grande vénération pour le nom de saint Ignace se répandit dans tout le pays. La cha- pelle de Tortore devint si fréquentée qu'on fut obligé d'ouvrir un nouveau sentier dans les lianes de la montagne. Touché de la dévotion des habitants, le Saint les combla de grandes faveurs. Il daigna même apparaître deux fois, au lieu même l'on avait voulu lui élever un autel, à Paule, femme de Thomas délia Mussa dont le fils avait été miraculeusement guéri par son intercession.

Le bruit de cette apparition se répandit dans tous les pays environnants et contribua à accroître encore la dévotion envers le Saint. On bâtit, en plusieurs endroits, des chapelles en son honneur;sa fête fut précédée d'une vigile, et célébrée avec la plus grande solennité.

Livre IV.

1. (Page I.) Saint François Xavier demande à saint Ignace d'envoyer un recteur à Goa et indique les qualités qu'il doit avoir pour bien réussir: « ... Le « Recteur de Goa doit être gracieux dans ses relations avec les personnes du « monde, affable en actions et en paroles, plutôt que sérieux et sévère, afin de mon- « trer son désir de se concilier tous les esprits de nos élèves, et de nos confrères, « dont il doit être le supérieur ; s'il y veut réussir, que jamais il ne paraisse « désirer d'être plus redouté qu'aimé; qu'il n'essaye jamais de gouverner, par la « sévérité, par la crainte, les confrères dont il est chargé, comme s'ils étaient « des esclaves soumis à son domaine absolu. Ces rigueurs feraient sortir de la « Compagnie beaucoup de nos frères, et n'en laisseraient entrer qu'un petit « nombre. Avec nulle personne, à mon sens, la contrainte ne doit être employée, « si ce n'est celle tout aimable de la charité, et personne ne doit être retenu, « malgré lui, parmi nous ; laissons plutôt aller, tel est mon sentiment, et ren- « voyons malgré eux, s'il le faut, ceux à qui l'Institut ne saurait convenir; « traitons en même temps avec douceur, avec amour, les sujets qui conviennent « à la Compagnie, afin que le lien de la charité les conserve parmi nous et leur « donne les moyens de multiplier leurs vertus et leurs mérites... Cochin, le 14 « janv. 1549. » Cf. Pages. Lettres de saitit Fratiçois Xavier^ tom. 11, liv. vi, lett. i.

2. (Page 2.) Cf. Pages, Lettres de saint François Xavier, tom. 11, liv. vu, lett. 12.

3. (Page 2.) Cf. Pages. Lettres de saint François Xavier, \.om. 11, liv. viii, lett. 16,

4. (Pag.4.) C'est le contraire qui eut lieu. Le V.André Montero fut décapité, et le P. Michel de Nobrega fut envoyé comme esclave à Memphis avec d'autres portugais. Ceux-ci furent successivement rachetés et laissèrent leur infortuné compagnon dans les fers. Le P. de Nobrega dut faire connaître sa triste situa- tion à saint Ignace et recourir à lui pour obtenir sa délivrance. Nous trou- vons, en effet, dans la collection espagnole, deux lettres datées du 25 août 1554, par lesquelles le P. Polanco, écrivant au nom de saint Ignace, console le captif et lui promet de s'adresser à la charité publique, pour réunir la somme nécessaire à son rachat. Les maisons de la Compagnie sont dépourvues de biens et de rentes, et dans l'impossibilité de racheter même un Père de la Compagnie, prêtre, théologien et grand serviteur de Dieu, tombé au pouvoir des Turcs. On a déjà parlé à l'ambassadeur de Portugal pour qu'il intéresse le roi à son sort. Cf. Cartas de san Lgnacio. dxxxvi, dxxxvii.

5. (Page 5.) Le P. Antoine Gomez dut écrire à saint Ignace pour demander à se justifier ou à rentrer dans la Compagnie. Le 24 décembre 1553, le P. Polanco écrivait, au nom du saint Fondateur, au P. Gaspard Barzée : « Notre

304 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« Père a appris le renvoi du P. Antoine Gomez par le P. Maître François. On «n'en connaît pas les motifs par ici. Il peut se faire qu'on nous les ait mandés « par le Père envoyé en Europe, mais ce Père n'est pas arrivé à Rome. On dit « que le P. Gomez est un bon prédicateur. S'il devait être utile à la Com- « pagnie, notre Père serait d'avis qu'on lui permît de venir à Rome, s'il désire << venir, pour s'expliquer. » Cf. Carias de san Igfiacio, cccxcvi.

6. (Page 8.) Cf. Liv. II, note 17; liv. IV, note 32.

7. (Page 10 ) Cf. Hist. Soc, P. 11, lib i, n" 74-79.

8. (Page 10.) Cf. Instit. Congreg., v, § 54.

9. (Page 10.) Cf. Instit. Litt. apostol., Quantum religio, 4 septemb. 1606, pag. 128.

10. (Pag. II.) « Souffrons, j'y consens, que d'autres Ordres religieux nous « surpassent en jeûnes, en veilles et autres austérités du corps, que chacun d'eux « pratique saintement, selon l'esprit de sa règle ; mais, pour ce qui regarde la « perfection de l'obéissance, le renoncement entier à la volonté et au jugement « propre, je désire ardemment, mes très chers frères, que tous ceux qui servent « le Seigneur notre Dieu, dans cette Compagnie, ne le cèdent à qui que ce « soit, et que cette vertu devienne comme la marque qui distingue les vrais et « légitimes enfants de la Compagnie de ceux qui ne le sont pas, en sorte qu'ils « ne considèrent pas la personne même à laquelle ils obéissent, mais qu'ils « voient en elle Jésus-Christ Notre-Seigneur, en considération duquel ils « obéissent. » Cf. Cartas de san Ignacio, ccciv.

11. (Page 12.) Cf. Instit. Regul. Red., cap. viii, n" 24, p. 109.

12. (Page 12.) Cf. Bartli. Alcazar. Chrono-Historia, etc. P. 11, pag. 70.

« Notre bienheureux Père, dit le P. Manare, nous répétait souvent que « l'obéissance n'est point parfaite sans la soumission du jugement ; de sorte « que celui qui, dans la Compagnie, ne conforme point son jugement au juge- « ment de son supérieur n'a qu'un pied dans la Société et reste grandement « exposé à tomber. » Cf. Acta Sarictorum, Jul. tom. vu, pag. 573, n" 905. C'est dans le même sens que parle le P. Polanco, écrivant au nom de saint Ignace au P. Femandez, recteur du collège de Coimbre : « Il regarde comme « imparfaite l'obéissance d'un inférieur qui exécute ce qu'on lui commande, et « soumet même sa volonté, s'il ne juge en outre que la chose doit se faire « ainsi, remportant la victoire sur son propre jugement, et le captivant, sous « la loi de la sainte obéissance ; autant, bien entendu, que la puissance de la « volonté peut s'étendre sur l'entendement, comme il arrive dans les choses « il n'y a pas d'évidence qui le force à un jugement contraire. Quant à ceux qui « sont durs de tête, qui inquiètent les autres et les troublent, ne fût-ce que dans « de petites choses, notre Père ne peut pas les tolérer. » Cf. Cartas de san Ignacio,

CCXXXII.

13. (Page 14.) Cf. Cartas de san Ignacio, CCCiv.

14. (Page 14.) Cf. Acta Sanctoruiii, Jul. t. vu, pag. 534, n" 602.

15. (Page 15.) Celte réfutation inédite se trouve à la Bibliothèque vati- cane, parmi 12 volumes de Ms. de Bellarmin.

16. (Page i6.) Cf. Cartas de san Ignacio^ cxii.

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 305

17. (Page 16.) Un jour, il sonna un Père, au moment celui-ci, revêtu des ornements sacrés et le calice en mains, quittait la sacristie, pour monter à l'autel. Le Père accourut à lui, tout habillé pour célébrer la messe. « Seriez- « vous vexé si l'on vous ordonnait à l'instant de déposer les ornements et de « renoncer à dire la messe? Pas le moins du monde, répondit le Père sans « hésiter. Eh bien, reprit saint Ignace, sachez que je vous ai mandé, non « pas parce que j'avais besoin de vous, mais pour mettre à l'épreuve votre « obéissance. Croyez-le, vous avez acquis plus de mérite en n'allant pas à l'autel, « pour répondre immédiatement à mon appel, que si vous étiez allé célébrer le « saint Sacrifice, car il est écrit: Melior est obedientia quain victimœ. » Une autre fois, il fit appeler, dans le même but, un Père occupé à entendre la confession d'un grand personnage.

Le Père fit répondre qu'il allait venir, aussitôt après avoir rempli son ministère. Saint Ignace l'appela une seconde fois et, comme celui-ci, sur les instances de son pénitent, hésita un instant à partir, avant d'avoir achevé la con- fession, Ignace vint à lui : « C'est ainsi que vous obéissez ? lui dit-il. Il faut vous « appeler une seconde fois ? » Et il le reprit en termes très sévères pour son manque d'obéissance prompte. Cf. Acta Sanctorum. Jul., tom. vu, pag. 553, 695, 696.

18. (Page 17.) Acta Sanctorum, Jul., tom. vu, pag. 553, 698.

19. (Page 18.) Antoinede Araoz, à Vergara d'une sœur d'Ignace, suivit le Saint lors de son dernier voyage à Loyola. Il n'avait pas encore 23 ans, (juand, après la Bulle de Paul III, Ignace lui confia sa première mission en Espagne. Bien qu'il ne fût pas encore prêtre, les villes de Barcelone, de Valladolid, de Burgos, et beaucoup d'autres, ainsi que la Junta Provinciale de Vergara, et les Infantes, filles de l'Empereur Charles-Quint, voulurent l'entendre. Dès lors, il dut plus d'une fois prêcher hors des églises, devenues trop étroites pour contenir la multitude qui encombrait les places publiques, et couvrait jusqu'aux arbres du voisinage et aux toits des maisons. Deux ans après, il reparaissait à Barcelone, il obtenait de plus grands succès encore. Le P. Michel de Torrès, qui ne pou- vait croire à la réalité des merveilles qu'on lui racontait, écrivait en août 1547, à saint Ignace, après avoir vu et entendu le P. Araoz, à Valence : « Que tous les « chœurs des anges et tous les habitants de la céleste Jérusalem rendent, à la « Majesté divine, d'immenses, d'innombrables et d'incessantes actions de grâces « pour m'avoir fait connaître le P. Araoz ! Je le dis en toute vérité : après ce « que je dois à la bonté divine, pour m'avoir fait connaître votre Paternité par « qui me sont venus tous les autres biens, je n'hésite pas à mettre immédiate- « ment la connaissance de cet homme admirable, dont l'âme est le tabernacle « des plus précieux dons du Saint-Esprit. Je vous en prie seulement, ô mon « Père, veillez à ce qu'il n'abrège pas sa vie ! Je ne crois pas que son sommeil « dépasse jamais deux heures ; il mange si peu et se nourrit si mal que sa fai- « blesse est extrême. Ordonnez-lui de vivre. Vous seul pouvez l'y contraindre « par un commandement exprès ! » Août 1547. Cf. Alcazar, tom. i, pag. 90. Saint Ignace lui donna l'ordre d'obéir en tout, sur ce point, au P. Torrès. Cf Car- tas de san Ignacio, cxx. A la cour, il fut contraint de demeurer près de 20 ans, sa vie toute céleste fit imaginer à quelques courtisans que les Jésuites avaient une herbe mystérieuse qui les rendait insensibles à tous les attraits du

Histoire de S. Ignace de Loyola. II. 20

306 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

monde. Ce bruit ne tarda pas à trouver créance, et le gouverneur du jeune Philippe II, Don Juan de Zulniga, vint un jour trouver le P. Araoz, de la part du Prince, pour savoir le nom d'une plante aussi précieuse. « Je vous le dirai, « répondit le Père, si votre seigneurie me promet de la faire connaître à l'In- « faut. » Et, sur la promesse formelle de ce seigneur, il ajouta : « Sachez que « cette herbe s'appelle, en notre langue, la sainte crainte de Dieu. Elle éteint le « feu de la concupiscence, apaise l'orgueil de la vie, ferme nos yeux et notre « cœur aux dangereux attraits du monde. Les enfants de la Compagnie lacueil- « lent chaque matin dans l'oraison. Que le jeune Prince en fasse l'essai ; il en « sentira bientôt la vertu. » Le P. Antoine Araoz mourut à Madrid, le 30 janvier 1573. Cf. Hist. Soc. P. I, lib. 11, n" 67, 99 ; lib. iii-x, passtm ; P. 11, lib. 11, vi., pasîiin; Rho, Var. Virt.^ pag. 236 ; Tellez, Çhronica, p. 11, lib. i, c. xxxix, n" r; Nadasi, Ann. die. memor, 30 janvier ; Nieremberg, Claros Varones, tom. iv, pag. 623 ; Tanner, Apost. imit., pag. 137 ; Alcazar, Çhrono-Hist., P. i, pag.xii, P. II, pag. 419; Patrign., tom. i, 13 janvier, pag. 113.

20. (Page 19.) Cf. Pages. Lettres de saint François Xavier, tome 11, liv. vu, lettr. I.

2\. (Page 19.) Cf. Pages, Lettres de saint François Xavier, tome 11, liv. vu, lett. 15.

22. (Page 20.) Cf. Ilist. Soc, P. t, lib. xvi, 125.

23. (Page 21.) Le P. Ribadeneira parle ainsi dans un de ses soliloques de ce qu'il vit au collège de Parme : a C'était,Seigneur, une chose qui ne pouvait être que « l'ouvrage de vos mains; c'était une image de la primitive Église, que de voir des « flamands, des italiens, des espagnols,des français,dans un temps la guerreétait « si vivement allumée, vivre ensemble avec autant d'amour que si nous n'avions « eu qu'un seul cœur. Nous étions sept maîtres de sept nations différentes. Le « premier était le P. Lanoy, flamand, recteur du collège et en même temps « professeur de Théologie ; le P. Paul d'Achille, lombard, enseignait la Philo- « Sophie; moi, castillan, j'enseignais la Rhétorique; le P. Jean Roger, français « et parisien, professait la classe d'Humanités ; le P. Michel Botelo, portugais, « était professeur de la i"^ classe de Grammaire; le P. Juvénal, piémontais, « enseignait la 2"^ et le P. Venusto, de la Valteline, au pays des Grisons, profes- « sait la dernière; et, quoique nous fussions de tant de nations différentes, nous « n'avions vraiment qu'une seule âme en Jésus-Christ. » Lett. du P. Goswin Nickel sur V esprit national et provincial.

24. (Page 21.) Ignace ne mettait guère en ligne de compte dans la dis- tribution des emplois et des ministères, ni l'âge, ni la nationalité, ni les années passées dans la Compagnie, dès que ses religieux avaient les qualités requises pour les bien remplir. Par son ordre et avec l'approbation de toute la Société, un Français fut nommé premier recteur du Collège Romain, un Espagnol fut nommé recteur à Paris; un Belge, à Pérouse, un Français, à Padoue. Un an à peine après son noviciat, le P. Michel Torrès fut nommé visiteur d'une Province. Le P. Olivier Manare, quelques mois après son noviciat, était ministre de la maison professe de Rome et peu après recteur du Collège Romain. Le P. Léon Henriquez fut, par dispense apostolique, ordonné ])rêtre à l'âge de 23, et aussi- tôt envoyé à titre de confesseur, au grand collège de Coimbre. Cf Acia Sancto- rum, Jul., tom. v, pag. 584, n. 855.

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 307

25. (Page 22.) « Fit suavissimus concentus ex diversis, sed non inter se ad-

« versis. » Cf. Augusf i?t Psalm. cl.

26. (Page 22.) Saint Ignace ne condamnait point l'attachement à la patrie; il voulait seulement que cette affection naturelle et légitime fût subor- donnée à l'obéissance due à Dieu, et au bien des âmes. Il en parlait comme le Sauveur lui-même parlait de la haine évangélique que doit avoir pour son père et sa mère quiconque veut êlre son disciple. C'est dans ce même sentiment que, devant les foules, Jésus semblait oublier l'affection tendre qu'il portait à sa divine Mère pour n'exalter en elle que sa fidélité parfaite à faire toujours la volonté du Père.

27. (Page 22.) « Obsecro vos per misericordiam Domini, ut huic quam « maxime invigiletis : alter de altero in bonitate sentientes, ut utrique invicem « bene sentiamus : omnes enim ejusdem Vocationis et fratres et filii estis.Itaque « nulla, obsecro, sit Sarmatia, nulla Hispania, Italia nulla, nulla Germania, aut « Gallia, sed una Societas, unus in omnibus Deus, omnes in uno Domino Jesu « Christo, cujus membra estis. »

28. (Page 23.) « Il ne faut point qu'il y ait, ni même qu'on remarque dans « la Compagnie aucune inclination particulière pour quelqu'un des partis qui « pourraient se former parmi les princes ou seigneurs chrétiens ; mais il faut « qu'il y ait plutôt un certain amour universel qui embrasse en Notre-Seigneur « tous les partis quelque opposés qu'ils soient entre eux.» Cf. Ijislit.Smn/n., 13. « Que tous se tiennent en garde contre ce penchant naturel qui fait qu'une « nation parle et juge d'ordinaire au désavantage de l'autre : au contraire, qu'ils « jugent en bonne part des nations différentes de la leur, et qu'ils les affection- « nent particulièrement en Notre-Seigneur. Ainsi, que personne ne fasse tomber « le discours sur les guerres et les querelles, entre les princes chrétiens. » Cf Itist., Reg. coinin.^ 30.

29. (Page 23.) « Pour conserver une plus grande union entre les membres « de la Compagnie, et pour se rendre plus utiles à ceux parmi lesquels ils de- « meurent, qu'ils apprennent tous la langue du pays ils font leur séjour, si ce « n'est peut-être que leur langue naturelle y fût plus utile, sans préjudice néan- « moins de la règle qui oblige tous ceux qui étudient de parler latin. » Cf. Instit. reg. coin m. ^ 10.

30. (Page 23.) Le P.Polanco écrivait à ce sujet, par ordre de saint Ignace,

le i^"" janvier 1556, une lettre circulaire à toute la Compagnie. « C'est pour-

« quoi notre Père ordonne que, partout la Société est établie, tous parlent la « langue du pays : espagnol en Espagne, français en France, allemand en Alle- « magne, italien en Italie ; et il veut à Rome que chacun parle l'italien, et que « ceux qui ne le savent pas l'apprennent. C'est pour cela que, tous les jours, « on donne une leçon de grammaire italienne, et il n'est permis à personne de « parler aux autres autrement qu'en italien, à moins qu'il ne s'agisse de traduire « quelques mots pour les mieux faire comprendre. Il a ordonné encore que l'on « prêchât une fois par semaine en italien, au réfectoire, pendant le dîner et le « souper ; et, pour aider dans son travail celui qui doit prêcher, il lui donne « quelqu'un sachant très bien cette langue. Quiconque se rend en cela coupable « de négligence, reçoit une bonne pénitence. » Cf. Cartas de san Igiiacio, dcclv.

308 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

31. (Page 24.) « Si quis divisionis, vel dissensionis eorum, qui una vivunt, « inter se, vel cum siio capite auctor esse cerneretur , diligentissime ab ea Con- « gregatione velut pesiis, quns eam potest summopere inficere , si prsesens reme- <i dium non adhibeatur, separandus est. » Cf. Iiistit. Constit., P. viii, c. i, 5, pag. 101.

32. (Page 24.) Les historiens de la Compagnie ont diversement apprécié la conduite du P. Simon Kodriguès, en Portugal. Les uns ne veulent voir en lui que d'éminentes vertus; d'autres le montrent entaché de graves défauts. Les limites d'une note ne nous permettent point d'examiner ici, comme il convien- drait, les fondements des deux opinions contraires. Pour prévenir le lecteur contre tout excès, dans les deux sens, nous lui soumettrons les observations suivantes :

Nul ne saurait être, en cette grave affaire, meilleur juge que saint Ignace. Notre Père connaissait intimement Simon Rodriguès ; il recevait du Portugal les renseignements les plus variés et les plus sûrs ; à Rome, il donna à Rodri- guès, sur sa demande, des juges qui entendirent les accusateurs et l'accusé.

Dans 47 lettres environ, écrites de 1537 à 1553, il est directement ou indirectement question du P. Simon Rodriguès, il y a de nombreux témoi- gnages d'estime, de confiance et d'affection sincère (Cf. Carias, xcii, cccxix, ccxc), de la part de saint Ignace, mais on ne trouve nulle trace de méconten- tement, ni de blâme formel.

3". Par une lettre du 10 octobre 1546, saint Ignace nomme le P. Rodri- guès Provincial, dans le royaume de Portugal, et motive ajnsi son choix : « Ce «qui nous détermine à vous appeler le premier à cet emploi, c'est l'incomparable « affection du roi de Portugal envers notre Compagnie ; car, il ne cesse de la « combler de grâces ; il la couvre de son autorité et de sa faveur, et il lui a « érigé un des plus vastes collèges avec une munificence vraiment royale. « Le second motif qui a déterminé notre choix, c'est votre rite personnel ; « car, depuis votre première vocation, vous avez travaillé avec une singulière « fidélité, et avec non moins de constance et de piété, dans le champ du (( Seigneur. Dans les différentes contrées autrefois vous vous êtes employé « de toute votre âme à étendre la gloire du nom de Jésus, comme vous le <i faites depuis que vous êtes en Portugal, vous avez montré partout, une « dextérité accomplie, une sainte ardeur, et, avec le secours de la grâce, vous « avez produit dans l'Église du Dieu Tout-Puissant des fruits précieux. » Cf. Carias de sa?i Igfiacio, xcii.

40. D'après le AJs attribué à Ribadeneira, les défauts répréhensibles en Rodriguès auraient commencé à se manifester dès 1544, et auraient été con- statés par les PP. Le l'^èvre, Araoz, Strada et Gonçalvès de Camara. Or, le 15 avril 1545, saint Ignace, après avoir reçu trois paquets de lettres de ces divers Pères, écrivait au cardinal de Sainte-Croix : « En Portugal, comme je « l'apprends, les affaires de notre Compagnie, qui est encore plus la vôtre, « vont bien, grâces à Dieu Notre-Seigneur. Les Nôtres marchent très régu- « lièrement et dans un esprit de crainte filiale. Ils n'ont nullement agi comme « on l'a raconté par ici. De plus Maître Simon, qui est à la tête des Nôtres, « dans ce royaume, et dont on a dit le i)lus de mal ici, m'écrit pour me sup- « plier instamment d'obtenir du Souverain-Pontife et du roi, par lettres, qu'on

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 309

« le laisse venir à Rome, car il désire beaucoup s'entretenir avec nous. » Cf. Carias de san Ignacio, lui.

Saint Ignace crut, avec l'assentiment de Jean III, devoir retirer à Rodriguès, la charge de Provincial ; mais il ne lui retira ni son estime, puis- qu'il le nomma Provincial d'Aragon, ni sa tendre affection, puisqu'il s'em- pressa, à raison de sa santé, de lui donner un successeur en Espagne et de le renvoyer, pour se reposer, en Portugal, il n'aurait à dépendre que du Général. Cf. Carias de san Ignacio, ccxc.

6°. Est-il certain que la lettre du 20 mai 1553, qui l'appelait à Rome, lui soit arrivée sans retard et que son état de santé lui ait réellement per- mis de partir au temps marqué ? Un délai, motivé par la maladie ou par une crainte exagérée, si l'on veut, d'aggraver le mal, n'est pas un refus d'obéis- sance. Sa demande d'aller à Rome, indiquée dans la lettre lui, et le ton affec- tueux des lettres qui l'appelaient à Rome (Cf. Carias, cccvii, cccviii, cccxix ; GeHe/Iiyix.x) ne permettent guère de supposer, chez Simon Rodriguès, de la résis- tance aux volontés d'Ignace. Les deux lettres du 24 et du 26 juillet 1553, lettres que saint Ignace, ni son secrétaire n'ont point signées, paraissent avoir été dic- tées à la suite de renseignements inexacts sur les dispositions réelles du P. Simon Rodriguès. /Cf Carias, cccxxiv, cccxxx.)

Arrivé à Rome, Simon Rodriguès fut entendu et interrogé par saint Ignace d'abord, puis par quatre Pères graves qu'il avait demandés pour juges. A la suite, et comme conclusion de cet examen, le saint Fondateur renvoya de la Compagnie le religieux, homme de grand savoir et prédicateur de mérite, qui l'avait accompagné à Rome, et s'était fait l'interprète ou l'écho passionné des accusateurs.

Il écrivit ensuite à Co'imbre, en expédiant une lettre du P. Rodriguès : « Voici une lettre de notre très cher frère Simon il s'accuse sévèrement de « plusieurs manquements. Je veux que vous sachiez qu'ici notre avis est qu'il a « agi avec de bonnes intentions et que s'il s'est trompé en quelque chose, soit « avant, soit depuis son entrée en charge, il l'a fait sans malice ; il croyait au « contraire très bien agir... Si vous veniez à faire voir à quelqu'un la lettre de « M. Simon, je vous ordonne au nom de la sainte obéissance de lui montrer « aussi la mienne, afin que personne ne demeure sous une impression qui ne « serait pas juste. » Cf. Carias, ccccxxxvi.Le 26 juillet de la même année, saint Ignace écrivait sur le même sujet au roi de Portugal : « Votre Majesté, dans sa « lettre du 17 mars, daigne m'informer, avec la particulière bienveillance que « Dieu Notre-Seigneur a mise dans votre cœur royal, que Maître Simon notre « bien-aimé frère n'a jamais parlé avec vous de soustraire nos religieux de « Portugal à l'obéissance du Préposé Général de la Compagnie. Alors même « que de nombreux rapports m'eussent atifirmé que Maître Simon avait agi de « la sorte, le témoignage de Votre Majesté suffirait pour me convaincre du « contraire; d'autant plus que je n'ai pas entendu dire qu'il eût entretenu Votre « Majesté d'un pareil sujet. Pour tout le reste. Maître Simon n'a agi qu'avec de « bonnes intentions. » Cf. Carias, dxi.

8°. Enfin le Ms. attribué au P, Ribadeneira, et allégué principalement contre le P. Rodriguès, a été, nous l'admettrons, écrit de bonne foi, mais les renseignements qui ont servi à sa rédaction étaient, comme on le voit, par

310 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ce qui précède, manifestement inexacts, et notablement exagérés, puisqu'on parle de fautes datant des premières années, sciemment voulues, publiques, et qui ont été un vrai scandale pour les Nôtres et pour les gens du dehors. Ces observations nous permettent de conclure avec l'auteur du nouveau méno- loge de la Compagnie : « Simon Rodriguès a été parfois mal jugé, sur plus <,< d'une frivole conjecture, et quelques auteurs étrangers ont tourné contre « lui certains faits que nous croirions plutôt à son honneur, du moins si on « considère l'humilité héroïque et la docilité dont il y fit preuve. Mais en tout (( cas, pour l'apprécier sainement, il est indispensable de comparer et de <k discuter les témoignages, sans oublier surtout de recourir à ses biographes Portu- gais. » Cf. .\lcazar, Chrono-Historia, P. i, dec. ii, an. iv, cap. m, ^ 2, pag. 243.

33. (Page 25.) « Quod ut fiât, omnes professi se nihil unquam ad eam « obtinendam acturos, et quos agere animadverterint, delaluros, Deo ac Do- « mino nostro voveant : et incapaces ac inhabiles ad prcelationem quamvis ha- « beantur ii, de quibus probari posset, quod eam ambiissent.

« Promittant etiam Deo ac Domino nostro, ad nuUam etiam extra Societa- « tem prrelationem, vel dignitatem obtinendam se quidquam acturos, nec ad « sui electionem ad hujusmodi munus, quoad ejus fieri poterit, consensum « praestituros, si ejus obedientia, qui sub pœna peccati potest prœcipere, eos non compulerit. » Cf. Instit. Constit., P. x, 6, pag. 128,

34. (Page 25.) « Le roi de Portugal charge le seigneur Balthasar de Faria de « prier le Pape qu'il veuille bien élire pour patriarche Maître Pierre Le Fèvre, « de bonne mémoire ; et il désire que, de mon côté, je l'envoie en vertu de la « sainte obéissance. Sa Majesté, ayant appris que ce Père est maintenant délivré « de toutes les peines de la vie, demande avec les plus vives instances qu'un de « nous se rende auprès du roi Preste-Jean avec la même charge. Et il paraît « que tous nos amis nous condamnent à cette entreprise, sans en excepter « même Dona Leonora Osorio. Cette dame sait que Maître Bobadilla a refusé « un évêché; que, depuis. Le Jay n'a point voulu accepter celui de Trieste avec « ses mille ducats de revenu, malgré les plus vives instances du roi des Ro- « mains qui lui a envoyé l'archevêque son confesseur pour l'y déterminer. Ap- « prouvant au plus haut degré cette conduite, elle me disait un jour, dans « l'effusion de son bon cœur, qu'elle aimerait mieux perdre tout ce qu'elle pos- « sédait en ce monde que de voir un religieux de cette Compagnie accepter « un évêché. Maître Bernardin Maffei, qui lui-même a refusé un évêché, tient <( le même langage. Que Dieu Notre-Seigneur nous mette au cœur tout ce « qui doit lui procurer le plus de gloire « Cf. Carias de son Ignacio, lxxxviii,

35. (Page 25.) « Nec tamen in Patriarchatu, et Episcopatibus .'Ethiopiae « admittendis, resisti potuerit : de hoc auxilio ad opus illud ^thiopic-e, et alia « similia, cum resistendi modus deesset, cogitatum est. Cf. Instit. Constit., P. x, Decl. A, pag. 130.

36. (Page 25.) « Resistendi modus defuit voluntati, ac pr^ecepto Summi « Pontificis ; solus enim ille potest Societatem compellere. Omnes igitur « modi et rationes resistendi et impediendi sunt excipiendas et exercendœ, omnis <i lapis, ut aiunt, movendus ne dignitas accipiatur ; nec desistendum, vel ani- « mus est deponendus, donec omnis industria nos deficiat : quod nunquam esse

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 311

<.< débet, nisi quando diserte obligabit Sedes Apostolica ad mortale peccatum, « nec admittere ullam plane excusationem volet. »

37. (Page 27.) Entouré, dès son enfance, des soins dévoués d'une pieuse mère, François de Borgia fit ses études sous les yeux de son oncle Jean d'Aragon, archevêque de Saragosse. A vingt ans, il se rendit à la Cour, et bientôt Charles- Quint, plein d'estime pour lui, lui fit épouser Léonore de Castro, d'une des plus nobles familles du Portugal, lui donna le titre de marquis de Lombay et le nomma grand écuyer de l'Impératrice. Chargé, en 1537, de conduire à Grenade le corps de l'Impératrice Isabelle, en ouvrant la bière pour reconnaître le corps, il fut saisi d'horreur devant les ravages qu'en peu de jours la mort avait opérés sur une Impératrice réputée un prodige de beauté. « je ne servirai plus, se dit il, de maître qui puisse mourir. » Toutefois, il fut contraint d'ac- cepter la vice-royauté de Catalogne sa piété, sa vigilance, son intégrité et ses largesses à l'égard des pauvres lui acquirent l'estime et l'affection de ses administrés. La prière et les austérités, jeûnes et sanglantes disciplines, faisaient déjà ses délices. Comme on engageait Léonore son épouse à se vêtir moins simplement : « Puis-je aimer le luxe et les atours, répondit-elle, quand mon mari est revêtu d'un cilice ? » Il écrivit à saint Ignace pour le consulter sur sa vie intérieure et fut ravi de ses conseils. (Cf Alcazar, p. 17). A la mort de son père, il obtint de quitter sa charge, et il rentra à Candie pour ne plus s'occuper que de ses huit enfants, cinq garçons et trois filles, et de l'administra- tion de son duché. Quelque temps après, la duchesse tomba gravement malade, sans que les ardentes prières de François parvinssent à conjurer le mal.

Un jour qu'il redoublait ses instances. Dieu lui dit: «Si tu veux que je te laisse « la duchesse plus longtemps en cette vie, je m'en remets à toi, mais je t'aver- « tis que cela n'est bon ni pour elle, ni pour toi. » François bénit la volonté de Dieu ; Léonore lui fut enlevée. Sur ces entrefaites, le P. Le Fèvre passa par Gandie, et François de Borgia, après avoir fait, sous sa direction, les Exercices de saint Ignace, résolut d'entrer dans la Compagnie de Jésus. Avec la dispense du Pape, Ignace lui accorda d'en faire secrètement partie, tout en restant quatre ans encore à Gandie pour établir ses enfants et régler les affaires en- treprises pour le bon gouvernement du duché. Et, durant ce temps-là, il étudie- rait la théologie et prendrait même le degré de docteur dans l'Université de Gandie. Cf. Car ta s de san Ignacio, lxxxviii.

En 1550, après avoir établi son fils aîné, et marié ses deux filles, la troisième étant entrée dans un couvent, il partit pour Rome, en compagnie de trois Jé- suites et avec la pensée de ne plus rentrer à Gandie. Ignace vint le recevoir à la porte de la maison, et, dès son arrivée, l'admit au noviciat; mais bientôt, menacé parle Pape d'être élevé à la dignité de cardinal, François se rendit en Espagne, à Loyola, puis à Onate pour y poursuivre son noviciat. Il attendit l'accep- tation de sa renonciation au duché de Gandie, fut ordonné prêtre, le 23 mai 155 1, veille de la Trinité, et, le i*^"" août, il alla dire sa première messe, dans la chambre convertie en chapelle, saint Ignace blessé avait habité. Le no- viciat terminé, saint François de Borgia s'adonna aux ministères apostoliques. Il évangélisa la Navarre, Burgos, Valladolid; se rendit en Portugal, à Coïmbre, Lisbonne, Evora ; parcourut en prêchant l'Andalousie, revint à la cour de Castille et dans sa solitude d'Onate. Nommé, en 1554, commissaire général de

312 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

la Compagnie pour l'Espagne et plus tard pour les Indes, il s'occupa d'admi- nistrer les maisons existantes et de fonder de nouveaux collèges. Appelé à Rome par un Bref du Pape, il se mit en route en plein été et arriva, le 7 septembre 1561, dans la ville éternelle. Saint Ignace était mort et le P. Laynez lui avait succédé comme Général. Laynez absent de Rome nomma saint François son vicaire-général et, à sa mort, la congrégation générale le lui donna pour successeur.

Le nouveau Général établit un noviciat dans chaque province. Le noviciat de Saint-André du Quirinal, en grande partie détruit, de nos jours, par un gouver- nement spoliateur, et la belle église du Gesu s'élevèrent pendant le généralat de saint François de Borgia. Pie V, justement inquiet des invasions musulmanes et voulant réveiller dans les diverses cours de l'Europe l'esprit des croisades, députa son neveu le cardinal Alexandrin et lui donna François de Borgia pour conseiller et pour aide. L'ancien duc de Gandie et vice-roi de Catalogne visita avec le cardinal légat les cours d'Espagne, de Portugal et de France il fut accueilli avec tous les égards dus à sa noblesse, mais mérités surtout par sa sainteté.

De retour à Rome, le 28 septembre 1572, il rendit, deux jours après, son âme à Dieu. Son corps fut inhumé dans l'église du Gesu et transporté plus tard à Madrid, il est actuellement. Il fut béatifié, le 24 novembre 1624, parle Pape Urbain VIII et canonisé par Clément X, le 12 avril 1671. Sa fête se célèbre le 10 octobre. Cf Hist. Soc.V. i,lib. 11 xivjP. 11, lib. i viii; P. m, lib. i viii, passim ; Rho, Var. virt., pag. 259, 296, 350, 427, 436, 466, 475, 563, 597, 662, 770, 769, 806, 842 ; Tanner, Apost. unit., pâg. 121 ; Bartoli, Uomini e fatti, lib. III, c. IV, V, XXVIII ; lib. iv, c. xxi ; Alcazar, Chrono-Hist., P. i, pag. 13, 274 ; P. II, pag. 356, 364, 405 ; Patrign., tom. iv, 10 octobre, ]>ag. 68 : Ribadeneira, Viia del Padre Francisco de Borja, Madrid 1592 ; Nieremberg, Vida del savio Padre y ^ran Sier7<o de Dios, ei B. Francisco de Borja, Madrid, 1644 ; Cienfue- go<;, Za Heroyca vida del grande S. Francisco de Borja, Madrid 1702 ; Bartoli, Délia Vita di S. Francisco Borgia, Torino, 1825.

On donnait le nom de chapeau (capello) aux réprimandes publiques faites au réfectoire. Antonio Rion avait, paraît-il, un don spécial pour les rédiger ou pour les lire. Saint Ignace l'envoyait même au Collège Romain faire de ces réprimandes publiques. Cf Cartas de San Ignacio, tom. m, note, pag. 63.

38. (Page 28.) « Pour connaître quelle était en ce point la volonté de « Dieu, Ignace ordonna à tous les Pères de dire la Sainte Messe et à tous les « Frères d'offrir leurs prières à cette intention, pendant trois jours. Il laissa lui- « même de côté toute autre affaire pour s'occuper uniquement de celle-là ; « s'enferma dans sa chambre, donna un libre cours à sa dévotion, à ses larmes, « à l'ardeur de ses désirs, aux saints élans de son amour et se mit à conjurer « Dieu de lui accorder un rayon de lumière pour voir quelle conduite il devait « tenir dans une question si compliquée. Le i^remier jour de sa prière, il se ({ trouva indécis, sans incliner vers aucune décision. Le second jour, il était « plutôt déterminé à résister qu'à laisser faire. Le troisième jour venu, il fut « éclairé d'une lumière si vive, fut si convaincu que Dieu voulait la résistance ({ qu'il me dit lui-même : « Quand même tout le monde se jetterait à mes pieds, « pour me supplier de ne point mettre d'obstacle à ce projet, je ne laisserai pas <i de faire ce que j'ai fait. Or, il avait parlé au Souverain-Pontife et avait traité

NOTES. LIVRE QQATRIEME. 313

« avec Sa Sainteté des moyens de ménager l'Empereur tout en laissant le P. « François dans son humble retraite, continuer à faire l'admiration et l'édification « du monde. » Cf Ribadeneira, Vida liv. m, c. 15; Cartas de san Ignacio, ccLXiv.

39. (Page 31.) Dans une lettre adressée à Ferdinand, roi des Romains, saint Ignace énumère quatre raisons principales propres à détourner Sa Majesté de la pensée qu'elle avait eue de faire nommer le P. Le Jay à l'évêchéde Trieste. Le P. Orlandini, dans son histoire de la Compa,a:nie, donne quatorze raisons qui déterminèrent saint Ignace à imposer à ses religieux de refuser toute dignité ecclésiastique. Cf. Cartas de san Ignacio, xciv; Hist. Soc, P. i, lib. vi, 37-50.

40. (Page 33.) Jean Nunès Barreto, le Père des esclaves de Tetuan et le premier Patriarche d'Ethiopie, naquit à Porto. Ses parents, riches et nobles, élevèrent leurs huit enfants dans la crainte et l'amour de Dieu. Trois d'entre eux embrassèrent la règle de Saint-Ignace et quatre filles, la règle de Sainte- Claire. Jean fut pourvu, tout jeune encore, de l'abbaye de Freiriz, qui était sous le patronage de sa famille. Il y vivait dans la pratique du jeûne et de la prière, quand la sainte Vierge lui apparut, avec le B. Pierre T>e Fèvre par deux fois, pendant son sommeil et à l'autel, pour lui ordonner de se rendre à Coïmbre, auprès de Pierre son serviteur, et de lui obéir fidèlement. Le P. Le Fèvre l'admit parmi les novices et, quatre ans plus tard, Jean Nunès partait pour l'Afrique, il alla se dévouer au salut et au soulagement des chrétiens esclaves. Les Musulmans et les Juifs eux-mêmes furent saisis de respect et d'admiration devant l'abnégation et la charité héroïque de cet apôtre infatigable qui partageait les travaux pénibles des esclaves pour sauver leurs âmes et n'aspirait qu'à verser son sang pour la foi. « J'espère bien, disait-il, que, pour salaire, ce grand et « libéral seigneur m'accordera la grâce, objet de mes plus ardents désirs, que le <i chérif de Tetuan me fasse flageller et mourir par le glaive. » Grâce à son zèle, beaucoup de renégats revinrent à la foi.

Le P. Nunès était rentré à Lisbonne avec trente jeunes enfants, les seuls dont il avait pu payer la rançon et il allait repartir, quand il apprit, à sa profonde douleur, que le roi l'avait désigné comme patriarche d'Ethiopie. Ni ses larmes, ni ses prières, rii ses lettres à saint Ignace ne purent le soustraire cet honneur. « Oh ! que j'aimerais bien mieux, disait-il dans l'intimité, être paré des chaînes « de mes pauvres esclaves de Tetuan, que de porter les insignes de patriarche ! » Il partit pour Goa; mais, ne pouvant ni pénétrer en Ethiopie, ni se donner une autre mission, il ne lui restait plus, disait-il, qu'à partager les humbles travaux des Frères coadjuteurs. Il accepta de remplir l'office de Père spirituel des Pères et des Frères Jésuites de Goa et mourut, le 22 décembre 1562, dans la petite île de Choram,où il s'était retiré pour se préparer à paraître devant Dieu. CJ. Hist. Soc, P. I, lib. IV, vin, X, XI, xiii, xiv, xvi, passiin ; P. ir, lib. i, 48, 143 ; lib. vi, 164, 165 ; Rho, Var. virt., pag. 119, 260, 843, %(iTy ; Tellez, Chronica, P. li, lib. I, c. xxii, 1-3 ; lib. vi, c. i ; xxxvii, passiin ; Bartoli, Uomini e fatti, lib. m, c. VIII, IX ; Nieremberg, Claros Varones, tom. i, et vu, pag. 319 ; Patrign., tom. IV, 23 décembre, page 194.

41. (Page 34.) François Tolet naquit à Cordoue, en 1532. Il entra prêtre, et après avoir professé la philosophie, au noviciat de Simancas, en 1558. Le car- dinal Tolet fut l'une des plus éclatantes lumières de la chrétienté au XVP siècle.

314 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Orateur et théologien de quatre Souverains-Pontifes, conseiller des princes catholiques et défenseur de la foi dans les royaumes du Nord, sa science théologique, sa prudence et sa charité retinrent dans l'unité de l'Église Michel Baius et ses partisans ; bienfaiteur insigne de la France catholique et de Henri IV qui lui fît célébrer des obsèques solennelles, à Notre-Dame de Paris, à Rouen il se trouvait alors et dans toutes les principales villes de son royaume; docteur incomparable : un des plus savants oratoriens français, Cabassul, ne craignait pas de dire hautement de lui, en plein règne de Louis XIV : Il faut attendre plusieurs siècles pour voir un honune tel que Tolet ! « On peut croire, dit le P. Tanner, « que sa vie n'eût pas été plus utile ou mieux employée pour Jésus-Christ, « quand même il eût évangélisé tous les royaumes de la terre. » Ses principaux ouvrages, très souvent réimprimés, sont des commentaires de la philosophie d'Aristote, des commentaires des évangiles de saint Jean et de saint Luc, de la lettre de saint Paul aux Romains, l'Instruction des prêtres ou Somme de cas de conscience, et enfin des commentaires de la Somme de saint Thomas édités à Rome, en 1869. Élevé au cardinalat en 1594, il mourut à Rome, le 14 septembre 1596. Cf. Hist. Soc. y P. II, lib. 11, 153 ; lib. m, 34 ; P. m, lib. m, 40 ; lib. V, 36, 38-40 ; lib. vi, n<> 5 ; lib. vu ; 5 ; Rho, Var. virt., page 300, 595 ; Tanner, Apost. imit., pag. 271 ; Patrign., tom. m, 14 septembre, pag. 107.

42. (Page 39.) « Communi omnium Patrum, qui congregati sunt, consensu « conclusum est : Licere vovere voto simplici, quod si quis ex Societate « assumatur ad Prœlationem, audiet consilium Generalis Societatis Jesu, ve] « ejus in hoc commissarii, et exequetur quod eiconsultum fuerit, modo Prœlatus « judicaverit, id quod consulitur, melius esse. Non tamen videbitur licitum, ita « obedientiam dicto Generali vovere, ut is per hoc constituatur superior Epis- « copo ; Hoc votum expedire ; Licere et expedire constitutionem de hoc « facere ; modo ita explicetur, ut nullus merito offendi possit ; Non expedire « mentionem facere de scrupulis, vel aliis hujusmodi. Conclusa sunt prœdicta « omnia, Rom?e, in domo Societatis Jesu, 17^ septembris, anno Domini 1554. » Cf. Cartas de san Ignacio, dcxvi.

43. (Page 39.) Le V. P. André Oviedo, patriarche d'Ethiopie qu'il évangélisa pendant 23 ans, était né, au diocèse de Tolède, dans la petite ville d'IUescas. Reçu à Rome par saint Ignace, il alla, à pied et en mendiant, étudier d'abord à Paris, puis à Louvain. Recteur du collège de Gandie à 27 ans, il devint le directeur de saint François de Borgia. Saint Ignace dut par un ordre formel de la sainte obéissance modérer l'ardeur du maître et du disciple à faire oraison et à se mortifier. Nommé patriarche d'Ethiopie, André, par une admi- rable disposition de la Providence, parvint à s'introduire dans ce royaume, moins de huit jours avant l'invasion des Turcs qui, s'établissant sur toute la côte, fermaient tout accès à de nouveaux missionnaires. A la cour de l'empereur, André Oviedo ne trouva que défiance et hostilité. Une persécution ouverte éclata même contre les catholiques : cinq d'entre eux furent exposés aux lions, sans néanmoins en recevoir aucun mal ; et comme l'Empereur défendait au Père toute nouvelle tentative de conversion, sous peine du même supplice : « Voyez, « lui répondit Oviedo, s'il est plus juste d'obéir aux hommes qu'à Dieu. » Irrité par une si inébranlable résistance, l'Empereur, ne voulant pas lui donner la satisfaction de mourir sous le glaive ou sous la dent des bêtes féroces, le relégua

NOTES. LIVRE QUATRIÈME. 315

dans un affreux et brûlant désert, appelé le désert du sang, pour lui faire, dit-il, savourer la mort à longs traits. Le P. Oviedo fut exilé et rappelé plusieurs fois. La réputation de sainteté et le bruit de ses miracles attiraient en foule les schismatiques auprès de lui. Un jour, des Dames de la cour, qui étaient venues le voir, le trouvèrent dans une caverne plus brillant que le soleil.

Une autre fois, Dieu renouvela pour lui et pour sa suite le miracle du Jourdain. Les eaux d'un fleuve se retirèrent à sa prière et laissèrent à découvert une quantité de poissons qui servirent de nourriture aux exilés, en proie aux tour- ments de la faim. Voulant rendre compte au Souverain-Pontife de son Église et au P. Everard Mercurian de ses travaux, il fut réduit dans son dénûment à couper les marges de son bréviaire et à les attacher ensemble. Pie V, en lisant cette lettre, ne put retenir ses larmes et la baisa comme la relique d'un saint. T>e P. Oviedo mourut àFremone, en Ethiopie, le 29 juin 1580. Cf Oliv. Manare, De reb. Soc. coinmetit., cap. i, .^ 10 ; cap. viii, ^ 24, 25 ; Hist. Sût.:, P. i, lib. m XVI, passvn : P. 11, lib. i, m, iv, vi, passim ; P. m, lib. 11, 6 ; lib. m, 255 259 ; Rho, Var. virt, pag. 167, 467, ()()Z, 844, 863 ; Tellez, Chrotiica, P. 11, lib. i, cap. XXII, 3, 42 ; lib. m, c. xiv, n" 5 ; lib. vi, c. xxxviii, i, 3, 5, 8 ; cap. xl, 148 ; cap. XLi, n" i, 2, 4, 6 ; Nadasi, Aufi. die mémo?:, 14 septembre ; Bartoli, Uommi e fatti, liv. iv, c. xxix, xxx ; Alcazar, C/iro>io-Hisi., P. i, pag. 8 ; Drews, Fasf. Soc. /es., pag. 59; Patrign., tom. 11, 29 juin, pag. 207.

44. (Page 39.) Melchior Carneyro, évêque de Nicée, compagnon et coad- juteur du patriarche d'Ethiopie, administrateur apostolique de toutes les églises de la Chine et du Japon, appartenait à une noble et chrétienne famille de Coïmbre. Reçu parmi ces premiers novices, qui n'avaient d'autre amour que celui de la croix, il rivalisa d'ardeur, dès les premiers jours, avec ses plus glorieux compagnons, tels qu'Ignace d'Azévédo et Gonsalve de Silveyra. Il avait même demandé à n'exercer dans la Compagnie que les emplois de Frère coadjuteur, mais saint Ignace l'appela à Rome, et, charmé de ses lumières et de ses vertus, il le choisit bientôt pour son confesseur. Puis, quand il eut arrêté de travailler à la conversion de l'Ethiopie, il l'offrit au Vicaire de Jésus-Christ avec André Oviedo et Melchior Nunès, pour recevoir l'honneur de l'épiscopat et porter les lumières de la vraie foi dans ces régions éloignées. Seul Oviedo put pénétrer en Ethiopie. Melchior Carneyro, après quelques semaines d'attente à Goa, partit pour le Malabar, les Arméniens schismatiques désolaient l'Église deCochin ; mais il tenta vainement d'arriver jusqu'au patriarche, autour duquel deux mille hommes armés faisaient bonne garde. Il s'occupa de l'œuvre non moins difificile du salut des Juifs, il faillit trouver un jour le martyre. Enfin, pour obéir au Souverain-Pontife, il se rendit dans la ville de Macao, sa charité et son zèle firent l'admiration même des infidèles. Melchior Carneyro portait, depuis près de 30 ans, le poids d'un si laborieux épiscopat, aspirant toujours à mourir sous le joug de l'obéissance comme le plus obscur des religieux, et le P. Éverard Mer- curian venait de lui en obtenir l'autorisation du Souverain-Pontife,Grésoire XIII. lorsque le Seigneur l'appela à la récompense éternelle, le 19 août 1583, au collège de Macao. Cf Oliv. Manare, De reb. Soc, cap. viii, § 23; Hist Soc, P. i, lib. XI, XIV xv],J>assim ; P. 11, lib. i, 150 ; lib. iv, 278 ; P. m, lib. 11, 6 ; lib, IV, 278, 279, 285 ; lib. vi, n" 187; Tellez, Chronica, P. 11, lib i, c.xxxvii,

316 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

n" 5;lib. m, c. xix, n" i; c. xx, n" 6 ; c. xxi, i-6; Nieremberg, Claros Varones, tom. I et VII, p. 319 ; Drews, Fasiî Soc, pag. 319 ; Patrign., tom. m, 19 août, pag. 160; Villalobos, Vida piedosa y miierte feliz del P.Juan Cartiero. En la Puebla, 1725.

45. (Page 40.)— « Non quod habeat, qui Prcelatus est, aliquem de Societate « superioris loco, sed quod sponte, in Dei conspectu, vult ad id faciendum « obligari, quod ad divinum obsequium melius esse intellexerit. Quodque placeat « esse aliquem, qui sibicum charitate, ac libertate christiana, ad gloriam Dei et « Domini nostri, id proponat. » Cf. Instit. Constii., P. x, n'' 6, pag. 128.

46. (Page 41.) « Nos, universalis Ecclesi?e utililati, quam ex inviolato et « inconcusso dictœ Societatis Instituto, et religiosœsobolis educatione sentimus « et majorem in dies speramus, prospicientes, et prteterea ejusdem Societatis « indemnitati, paci, quieti, incremento consulere volentes,... laudabile ipsius « Societatis Institutum, et qunj illud concernunt prœmissa omnia et singula, « prredictaque illius, ac qunecumque alia privilégia, facultates, exemptiones, « immunitates, gratias et indulta a pr.'edictis prœdecessoribus nostris, et a Nobis, « etiam per comrnunicationem concessa, constitutiones quoque ac statuta et « décréta qualiacumque, ac si, ad verbum prœsentibus insererentur pro expressis «■ habentes, tenore prtesentium approbamus et confirmamus. ... » Cf. Ifisiit. Litt. aposioL Ascendente Domino, 25 mai 1584, pag. 88.

47. (Page 41.) « Post emissam vero professionem, sive quatuor, sivetrium « votorum, professi, ad paupertatis, qure regularis Instituti murus est et propu- « gnaculum, perfectionem tuendam, omnemque ambitionis occasionem exclu- « dendam, nonnulla alia simplicia vota emittunt ; quibus promittunt se nunquam « quacumque ratione acturos, vel consensuros, ut, qure in constitutionibus « Societatis circa paupertatem ordinata sunt, immutentur, nisi quando ex justa « rerum exigentium causa paupertas magis restringenda videretur ; neque pr?e- « tensuros, ne indirecte quidem, ut in aliquam prnclationem vel dignitatem intra « vel extra Societatem eligantur; nec extra Societatem in sui electionem quantum « in eis fuerit, consensuros, nisi coactos obedientia ejus, qui id ipsis possit sub « pœna peccati prœcipere. » Cf. Instit. ibid.

48. (Page 44.) Disc. 21.

49. (Page 44.) Saint Ignace laissait aux supérieurs une liberté d'agir qu'il mesurait d'ordinaire à leur sagesse et à leur expérience ; mais il exigeait qu'on l'informât des mesures prises. « Avant de se rendre à T.orette il devait prendre « la direction du collège, le P. Olivier Manare demandait à saint Ignace comment « il devait distribuer les emplois aux sujets qui l'accompagnaient : Olivier, « répondit Ignace, faites-vous des vêtements d'après l'étoffe que vous avez ; « seulement, faites-moi savoir comment vous avez fait la distribution. S'étant « permis un jour d'agir contrairement aux ordres de saint Ignace, le P. Manare <<■ expliqua ainsi sa conduite : Je me suis figuré, disait-il au saint Fondateur, que « vous étiez devant moi et j'ai cru vous entendre dire : Faites ce gtie vous avez « résolu ; car, si fêtais présent, je vous ordonnerais de faire ainsi. Ignace l'ap- « prouva. » Cf Acta Sanctorum, Jul., tom. vu, pag. 593, 903.

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 317

50. (Page 44.) « Ut aliorum culpas corrigat, quod resecare debuit, ipse committit » Liv. 24 Mor.

On en trouvera la preuve manifeste dans les lettres qu'il écrit ou remet au P. Natale. {Carias de sa7i Ignacio^ dccxxvi), au P. Salmeron (dccciv), au P. Kessel (dcix) et dans les instructions qu'il rédige, pour ceux qui vont fonder le collège de Prague (dcclxxi, dcclxxh), le collège de Loretta (dlxxiv) et celui d'Ingol- stad (dcccxxix).

51. (Page 47.) Laynez et Salmeron arrivèrent à Trente, vers la fin de mai 1546. Le Jay les y avait précédés. En attendant la cinquième session, fixée au 8 juin, tous les trois s'occupèrent à expliquer la doctrine chrétienne, à servir les malades de l'hôpital, à entendre leurs confessions, et à d'autres œuvres de piété. Dès les premiers jours de la session, la question de \z. jiisiification fut soumise à l'examen. C'était à Laynez à parler le premier comme premier théologien du Légat, mais il fit de vives instances pour que cette prérogative fût dévolue au P. Salmeron, et il demanda à être entendu le dernier. Salmeron, par la profon- deur de sa science, excita l'admiration de l'assemblée. Le concile entendit ensuite les différents orateurs. Laynez parla après tous les autres, et, bien que la question parût épuisée, il résuma avec une rare lucidité les discours de tous ces théologiens consommés ; puis, abordant à son tour la question, il la présenta sous un jour nouveau et apporta de nouvelles raisons de la plus haute valeur qui n'avaient pas été touchées ; enfin, il parla tellement en maître, que les Légats et les Pères du concile jugèrent qu'il n'y avait plus aucune lumière ultérieure à désirer sur le sujet traité. L'assemblée, reconnaissant dans Laynez une érudition qui avait surpassé leur attente, et un coup d'œil de génie auquel rien n'échappait dans les discours des orateurs,rassemblée,dis-je,le chargea de résumer désormais les débats, d'en présenter la substance, et dans ce.but on arrêta qu'il parlerait le dernier sur toutes les questions iraitées dans le concile.

Dans la congrégation générale du 8 juin 1546, à l'occasion du décret sur le péché originel^ l'assemblée demanda, par un vœu unanime, que la question de l'Immaculée Conception de la Vierge fût traitée par Laynez. Celui-ci était ce jour-là en proie à un accès de fièvre; on l'invitait à différer de parler jusqu'à une autre séance. Mais trouvant le moment favorable pour un si important débat et sentant au fond de l'âme qu'en entrant dans la lice pour la sainte Vierge, il pouvait compter sur son secours, Laynez déclara qu'il était prêt. Pendant trois heures, le concile fut suspendu à ses lèvres. Laynez se surpassant lui-même comme théologien et comme orateur, traita le sujet avec une science et une clarté tjui portèrent la lumière dans les esprits ; la doctrine des adversaires fut confondue, et le privilège de la Vierge prouvé avec une dialectique irrésistible, avec un accent qui avait quelque chose de surhumain. En qualité de théologien du Pape, Salmeron traita aussi ce sujet ; et le résultat fut que les Pères du concile ajoutèrent au décret dogmatique sur le péché originel ces mémorables paroles : Toutefois Vititeiition du saint concile 71^ est pas ^ dans ce qui a rapport à Vutiiversalité du péché originel s'étendant à tous les hommes, de comprendre la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. Cf. Alcazar, Chronica, tom. I, ch. m, §1,2 pag. 79.

318 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

52. (Page 48.) Cf. Cartas de san Ignacio^ tom. i, Append. 11, 21.

53. (Page 48.) S. Ignace, rapporte le P. Manare, reprochait, un jour, à un Père de s'être permis de lui adresser une lettre avec des ratures, et il ajouta : « Pour moi, j'ai fait, cette nuit même, environ 30 lettres, et il n'en est pas une « seule que je n'aie revue une ou deux fois. Celles que j'ai écrites de ma propre (( main ( et j'ai coutume de le faire quand il s'agit d'hommes influents à qui je « dois des égards ), je les ai refaites, selon mon habitude, deux ou trois fois pour « éviter les ratures et les fautes, et pour n'y rien laisser de mal façonné ou << d'irrespectueux. » Cf. Acta Saficiomm, Jul., tom. vu, pag. 591, 889.

« Notre B. Père avait un courage et une constance à toute épreuve. Infatigable « dans ses entreprises, nulle difficulté, nulle contradiction ne le faisait reculer, « quand il jugeait l'œuvre commencée utile au service de Dieu, et il désirait en « tous ses fils la même énergie de volonté. Cependant il ne voulait pas qu'on « poussât la constance jusqu'à l'opiniâtreté, et qu'on s'obstinât dans une entre- prise, quand il n'y avait point d'espoir d'y réussir, et lorsqu'on pouvait employer « sa peine à une œuvre plus utile. Un jour, il attendit quatorze heures de suite, « à la porte d'un cardinal, pour ne point manquer une occasion de mener à bonne « fin une affaire qu'il traitait. Il est avéré que durant une période de plus de 34 « ans, il ne renvoya jamais à un autre jour ou même à une autre heure ce qu'il « avait résolu de faire pour la plus grande gloire de Dieu. » Cf. Rabadeneira, Tratado del modo de golnerno, cap. v ; Vida de san Ignacio, lib. v, cap. 12.

54. (Page 49.) Dans une notice biographique du P. Natal, conservée manuscrite aux archives de la Compagnie, on lit ce qui suit : <( Notre P. Ignace « mit à l'épreuve le P. Natal, ministre de la maison professe, qu'il affectionnait <( beaucoup. Pour la moindre irrégularité qui se produisait dans la maison, il le « faisait venir et lui adressait de sanglants reproches, au point que le Père en « tremblait. Mais le Saint, durant sa réprimande, gardait, malgré l'énergie qu'il y « déployait, une paix et un calme parfaits. Quand il me donnait une de ces « semonces, m'a raconté le P. Natal, il promenait dans sa chambre et chaque « fois qu'il passait devant moi, me reprochait la faute en question. On eût dit, « tant sa réprimande était véhémente, que tout l'univers s'écroulait dans l'appar- « tement ; mais je remarquais qu'il souriait, quand il me tournait le dos. » Cf. Acta Sa?iciorum, Jul., tom. vu, pag. 568, 770.

55. (Page 50.) Le P. Jean Polanco, à Burgos, entra dans la Compagnie à Rome, en 1541, et mourut, dans cette même ville, en 1577. Longtemps secré- taire de saint Ignace qui lui confia, durant les dernières années de sa vie, le gouvernement de la Compagnie tout entière, il est justement appelé dans l'his- toire l'homme selon le cœur de notre bienheureux Père. C'est à lui que nous devons le texte latin de nos Constitutions ; c'est lui qui en a répandu l'esprit par ses lettres encycliciues de tous les quatre mois auxquelles saint Ignace attachait un si grand prix. Pour tout ce qui touchait à la science sacrée, Jean ne le cédait à personne. Les Souverains-Pontifes avaient en lui la même confiance qu'Ignace et ses trois premiers successeurs. Pie IV exigeait sa présence à toutes les con- sultes de la Daterie pour la collation des bénéfices ; Pie V le chargea de récon- cilier le cardinal de Médicis et le duc d'Urbin ; saint François de Borgia ne voulut point se séparer de lui dans son dernier voyage, auprès des rois d'Espagne et de France. Peu de mois avant sa mort, le P. Polanco visitait encore la pro-

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 319

vince de Sicile. Au milieu des plus importantes affaires, Jean Polanco était assez maître de son âme pour que jamais, dans ses fréquentes oraisons, le sou- venir d'aucune affaire, si grave et si pressante qu'elle fût, ne lui revînt à l'esprit, à moins qu'il ne voulût la recommander à Dieu. Chaque semaine aussi, pendant environ 30 ans, il sut trouver quelques heures pour aller servir à la cuisine ; et quand on lui conseillait de prendre un peu de repos : « Pouvons-nous donc ja- mais craindre, répondait-il, de travailler trop pour l'amour de Jésus-Christ ? » Le P. Polanco a composé plusieurs opuscules dont les deux plus connus et plus fréquemment réimprimés sont: R. P. Joatuiis Polanci Societatis Jesii théologie Diredorium brève ad cotifessarii, ac co?ifitentis miinus recte obeiindum. Lovanii^ ISS4 in-l2. Methodus ad eos juvandos qui moriiiniur. Maceratœ, per Sebastia- 7111/11 Martinellui/i, IS75 in-12. On a de lui, aux archives du Gesu, une histoire manuscrite de la Compagnie, de 1549 à 1556, en 3 volumes. Cf. Oliv. Manare. De reb. Soc. comment., cap. viii, ^ 17; Hisi. Soc, P. i, lib. m, vu, ixpassi'm; P. II, lib. I, \-\n passim ; P. m, lib. i-iii, vu, viii passim ; P. iv, lib. iv, 15-36; Drews, Fast. Soc/es., pag. 499; Pattign. tom. iv, 14 novembre, pag. 97.

56. (Page 50.) « Notre Père n'imposait à aucun de ses enfants une charge « qu'il n'aurait pu commodément porter ; car il voulait voir tous ses religieux « marcher allègres et dispos, et non se traîner avec peine. Il cherchait à connaî- « tre leurs bonnes inclinations, afin de les conduire selon leurs dispositions « particulières et de les élever avec plus de suavité à la plus haute perfection. « Pour obtenir cette connaissance, il usait de deux moyens. S'il s'agissait de « choses faciles, il s'adressait à quelque personne qui eût l'amitié et la confiance « du religieux, et il la chargeait de sonder ses goûts. Pour les choses difficiles, « il s'adressait directement au religieux et lui ordonnait de répondre par écrit « aux trois questions suivantes : Premièrement, si l'obéissance lui ordonnait <( telle ou telle chose, serait-il prêt à l'accomplir? Deuxièmement, cette action « lui souriait-elle ? Troisièmement, en supposant qu'on le laissât libre de faire <( ou de ne pas faire, quel parti choisirait-il ? » Cf. Ribadeneira, Tratado del modo de gobierno, cap. iii, § 13.

« Voici un autre fait qui m'a frappé davantage, raconte le P. Ribadeneira. « Notre Père m'avait dit qu'il n'y avait aucun homme parmi nous, sans en ex- « cepter même le P. François Xavier, à qui la Compagnie fût plus redevable « qu'au P. Laynez ; il avait affirmé à ce même Père qu'il serait son successeur « dans la charge de Général. Cependant, l'année qui précéda sa mort, il le « traita avec une telle rigueur, que parfois le P. Laynez, ainsi qu'il me l'a raconté « à mon retour de Flandre, se trouvait plongé dans une désolation inexprimable « et que, se jetant au pied de Notre-Seigneur, il lui disait : Seigneur, qu'ai-je « donc fait contre la Compagnie pour que ce saint me traite de la sorte? » Ribadeneira, Tratado del viodo de gobierno, chap. iv.

57. (Page 51.) C'est dans cet esprit qu'il disait aux PP. Alphonse Salmeron et à Paschase Broët partant, le 10 septembre 1541, comme légats du Pape Paul III, pour l'Ecosse et pour l'Irlande : « Afin de vous concilier la bienveil- « lance des hommes dans le désir d'étendre le royaume de Dieu, vous vous « ferez tout à tous, à l'exemple de l'Apôtre, pour les gagner à Jésus-Christ, « Rien en effet n'est plus propre que la ressemblance des goûts et des habi- « tudes à se concilier l'affection, à gagner les cœurs. Ainsi, après avoir étudié le

320 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« caractère et les mœurs de chaque personne, vous chercherez à vous y confor- « mer, autant que le permettra le devoir, en sorte que, si vous traitez avec un « caractère vif et ardent, vous vous gardiez de toute lenteur ennuyeuse. Il faut, « au contraire, devenir un peu lent et mesuré, si celui auquel vous parlez se « montre plus circonspect et plus pesé dans ses discours; etc. » Cf. Carias de san « Ignacio, tom. i, Append. ii, 6, pag. 434.

58.(Fage 52.) «L'amour de notre Père pour ses enfants ne connaissait ni mol- « lesse, ni indolence; il était au contraire plein de vigueur et d'activité. Suave et « fort, il était tendre comme l'amour d'une mère, énergique comme celui d'un « père. Pressé par cette affection, il travaillait à faire avancer chaque jour ses « fils vers le sommet de la perfection. Ce n'était pas assez pour lui qu'ils tinssent « bon, sans reculer; il voulait les voir gagner sans cesse du terrain. Pour les « aider, il traitait chacun selon sa capacité et ses forces. Aux uns, qui n'étaient « encore que des enfants dans la vertu, il donnait du lait ; à d'autres plus avan- « ces, il présentait un pain solide ; quant aux parfaits, il les traitait plus éner- « giquement encore, afin de les faire courir et voler dans les voies sublimes de « la sainteté. » Ribadeneira, Tratado dcl modo de gobierno, cap. iv. ;

59. (Page 53.) Et vocem per ipsum intuitum eniittens. Ilom. IX de Pœniicntia.

60. (Page 53.) Olivier Manare, flamand de nation, étudiait, en 1548, la' théologie à Paris, dans une maison de la Compagnie. Comme il était dans la perplexité sur son avenir, il entendit distinctement une voix lui dire ces paroles : « Quid dubitas ? hic bene es ; pourquoi hésites-tu ? tu es bien ici. » Manare com- prit que Dieu le voulait dans la Compagnie. Il partit pour Rome, saint Ignace l'admit au noviciat. Il fut nommé recteur du Collège Romain, puis envoyé à Lorette pour y fonder un collège. Après la mort de saint Ignace, le P. Laynez, son successeur, l'envoya, à titre de commissaire en France, puis en Allemagne. Nommé assistant du P. Everard Mercurian, il convoqua, comme Vicaire Général, la Congrégation qui élut le P. Aquaviva Général de l'Ordre. Ce dernier envoya le P. Manare visiter les provinces d'Autriche, de Germanie, de la Flandre. D'une confiance en Dieu sans bornes, il se montrait impassible au milieu des plus graves difficultés. Un jour à Lorette, à l'heure du repas, on vient lui annoncer qu'il n'y a dans la maison que cinq petits pains pour toute la communauté. « Sonnez le dîner cjuand même, » répondit-il, et, en arrivant au réfectoire, on trouva soixante pains disposés sur les tables. Une autre fois, il donne ordre au Frère linger d'aller acheter au marché de l'étoffe pour faire des vêtements. « Mais il n'y a pas d'argent, et personne n'en veut prêter », répond le Frère. Incontinent un étranger vint offrir de lui-même, à titre de prêt, la somme nécessaire à l'achat commandé ; et, peu de jours après, une aumône inatten- due de 300 écus permit de rembourser le prêteur. Le P. Manare mourut à Tournai, après quatre ans de maladie, le 28 novembre 1614, à l'âge de 91 ans: il en avait passé 64 dans la Compagnie. C'est au P. Manare qu'on doit l'institu- tion, aujourd'hui universellement répandue dans l'Église de l'adoration du Très- Saint-Sacrement, durant les trois jours qui précèdent le carême. Il l'établit pour la première fois, avec un grand succès, à Macerata, en Italie, en vue d'empê- cher une représentation théâtrale dangereuse pour les mœurs. Cf Hist. Soc, liv. xvi, J^ 10 ; Oliv. Manare, De reb. soc. comment., cap. i, § 3, 39 ; cap. vin.

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 321

§ I. 2 ; cap. IX, g 1-33 ; Hist. Soc, P. i, lib. iv, xi, xii, xiv, xvi />assim ;F. 11, lib. I, 94-96 ; lib. m, 54 ; lib. iv, 24 ; lib. v, n" 85 ; lib. viii, 75, 77, 88, 89-91, P. V, lib I, 8, 19, 23, 37; Nadasi, Ann. die memor., 28 novembre; Drews, Fast. Soc. Jes., pag. 466; Fatrign., tom. iv, 28 novembre, pag. 175; Destombes, Vies des saints des diocèses de Cambrai, etc., tom. iv, pag. 300.

61. (Page 53-)— '< Saint Ignace aimait à voir les novices s'adonner à la morti- « fication et au renoncement. Néanmoins il ne les y poussait d'abord que très « doucement, et peu à peu ; il savait condescendre à la faiblesse d'une âme « encore débile, dans la mesure d'une douce et sainte discrétion. Une tentation « violente s'emparait-elle d'un novice au point de l'aveugler et de le mettre « hors de lui, notre Père usait alors de grands ménagements et d'une extrême (( charité, et il s'efforçait de repousser avec douceur les assauts terribles du mau- « vais esprit. » Ribadeneira, Tratado del modo de gohierno, cap. i, § 10, 11.

Saint Ignace savait se montrer indulgent pour les petits écarts de l'enfance. Un novice s'était permis de cueillir et de manger des figues au jardin. Le Saint, l'ayant su, l'appela, et le coupable avoua naïvement sa faute. Bien, lui- dit S. Ignace, vous liavcz rien cache ; je vous donnerai des figues en abondance. Et, faisant venir le dépensier, il lui donna ordre d'aller en acheter une bonne provision et de les servir à ce novice, pour qu'il pût pleinement satisfaire son goût. Or, au temps d'Ignace, si quelqu'un cueillait sans autorisation un fruit ou une fleur, ou s'il ramassait, même pour son usage, un fruit tombé de l'arbre, il devait, suivant l'usage établi et sans espoir de rémission, s'imposer une flagel- lation publique. Cf. Acta Sanctorum, Jul., tom. vu, pag. 583, 849.

Le P. Lœlio Biscioli raconte qu'étant, jeune encore, à Rome, saint Ignace, toutes les fois qu'il le rencontrait le matin, lui demandait s'il -avait dé- jeûné, et, quand il lui répondait négativement, le Saint l'envoyait incontinent chez le P. Ministre, pour lui demander à prendre sa réfection. Saint Ignace paraissait prendre plaisir à voir les jeunes gens manger de bon appétit. Ayant remarqué, un jour, le Frère Benoit Palmio, au visage frais et potelé, qui mangeait avec entrain, il l'appela et, un franc rire sur les lèvres, il lui recommanda de continuer à manger de la sorte, à son goût, afin d'acquérir des forces pour les consacrer au service de Dieu. Cf. Acta Sa?ictorum^ Jul., tom. VII, pag. 583, n^ 850 ; pag. 580, 831.

Le P. (ionçalvès, ministre du noviciat, demandait un jour s'il ne con- viendrait pas de faire quelque petit cadeau à de jeunes novices récemment entrés au noviciat, pour les encourager à bien se mettre à l'œuvre. <,< Assu- « rément, lui répondit saint Ignace, car ainsi, comme les petits gâtés du Sei- « gneur, ils s'adonneront plus volontiers à leurs devoirs de novices. »Cf In diario; Acta Sanctorum, Jul., tom vu, pag. 594, 910.

62. (Page 54.) Ribadeneira fut admis, le 15 septembre 1540, à l'âge de 14 ans, comme novice, dans la Compagnie. D'un coup d'œil, saint Ignace avait jugé cet enfant, et pénétré toutes les ressources que cachait ce caractère droit et généreux. Il s'appliqua à le former à la vie religieuse par un mélange de douceur et de sévérité. Après quelques jours de retraite, suivie d'une confession générale de toute sa vie au P. Codure, Ribadeneira fit, le jour de Noël (1540), sa première communion des mains de saint Ignace. Ce jour-là même, il revêtit l'habit religieux dont sa vivacité ne lui permit pas toujours de respecter la

Histoire de S. Igiuice de Luyula. II. 21

322 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

gravité ; il voulait pourtant obéir et plaire à son bien-aimé Père Ignace. Chargé quelquefois de balayer la maison, il faisait voler la poussière d'un bout à l'autre des corridors ; il courait, sautait dans les escaliers, et le bruit de ses pas reten- tissait dans toute la maison. Averti par saint Ignace, il continuait plus posément son travail, essuyait avec soin la poussière répandue partout, montait et descen- dait avec plus de modestie ; il se mit même des entraves dans les jambes pour mieux obéir. Le soir, dans la saison rigoureuse, il se mettait au lit, tout habillé, pour pouvoir plus facilement s'arracher au sommeil le matin, et éviter les re- proches. Ignace remarqua son exactitude à se rendre, le matin, à la réunion commune, lui fit avouer son stratagème, et lui défendit d'en user désormais. « Savez-vous, lui dit-il un jour, ce que c'est que d'être un secrétaire ? Etre « secrétaire,reprit vivement Ribadeneira,mais c'est être fidèle à garder les secrets. « Eh bien ! puisque vous l'entendez ainsi, ajouta saint Ignace, vous serez « désormais mon secrétaire. » Et, en effet, saint Ignace lui donnait souvent des lettres et des pièces à transcrire. Ribadeneira s'acquittait de son travail avec empressement et zèle, mais Ignace y trouvait, presque toujours, quelque chose à reprendre : fautes d'orthographe, caractères mal formés, lignes peu droites, écriture inégale. Une fois même, saint Ignace prit ces copies d'un air de colère et, les jetant par terre, s'écria : « Cet étourdi ne fera donc jamais rien « de bon. » A ce reproche, le pauvre enfant se mit à pleurer et à se frapper sur les joues, comme pour se punir d'avoir mécontenté son bon Père. Une autre fois, devant un surcroît de travail à faire, il crut pouvoir déjeûner sans cesser d'écrire; c'était transgresser la règle qui défend de prendre ses repas hors du réfectoire. Saint Ignace, pour apprendre à son jeune secrétaire qu'il aimait encore mieux la fidélité à la règle que l'ardeur à copier, le priva pour deux mois de la réfec- tion du matin. Se trouvant à table, un autre jour, en face d'un novice aussi jeune que lui, Ribadeneira lui montra du regard le P. Ministre qui traversait le réfectoire. Le Saint s'en aperçut et les condamna tous les deux à ne prendre, pendant deux mois, pour toute nourriture que du bouillon et du pain sec, et à faire ce maigre repas à la porte du réfectoire. Quand il dut se rendre à Paris, pour y faire ses études, avec d'autres religieux plus robustes que lui, le P. Ministre demanda à saint Ignace de l'autoriser, vu son âge, à se servir pour le voyage d'une monture. « Je le laisse libre, répondit le Saint, mais s'il veut « être mon fils, il fera le voyage à pied, comme les autres. » Et Ribadeneira, tout heureux de plaire à saint Ignace, ne voulut point de monture. Cf. Cris- tobal Lopez, Vida del P. Pedro Ribadetieira.

L'histoire du P. Edmond Auger est une preuve non moins éclatante du dis- cernement et de la clairvoyance de saint Ignace dans l'admission des novices. Né, près de Sézanne, au diocèse de Troyes, de parents riches en vertus, mais sans grande fortune, Edmond Auger fut initié, par un oncle prêtre, aux premiers éléments des lettres.

Après quelques années, n'ayant plus rien à apprendre à cette école, il fut envoyé rejoindre, à Paris, son frère aîné, l'Uienne, qui exerçait avec quelque succès la médecine. Arrivé à Paris, Edmond apprit que son frère était allé s'établir à Lyon. Il prit résolument le chemin de cette ville, son frère l'ac- cueillit avec empressement et l'aida à se perfectionner dans l'étude des lettres. Peu de temps après, Etienne envoya Edmond à Rome, lui donnant pour toute

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 323

direction d'aller trouver le P. Le Fèvre qu'il avait fréquenté à Paris, et de suivre fidèlement en tout ses conseils. Quand Edmond Auger arriva à Rome, le P. Le Fèvre était mort. Sans ressources et sans conseiller, Edmond, avec sa plume et ses tablettes, seul bien qui lui restât après son voyage, se rend au champ de Flore, pour offrir ses services de copiste à qui voudra les utiliser. Le P. Ponce Gogordan vient à passer. Edmond l'aborde, lui fait part de ses embarras et lui demande aide. Touché par l'exposé simple et franc de ce jeune compa- triote, le Père l'emmène avec lui et le fait admettre à la maison professe, comme aide-cuisinier. Des novices de bonne famille venaient, en expériment, servir à la cuisine. Ils parlèrent en communauté des reparties spirituelles, du caractère ouvert et de l'humeur joviale de l'aide-cuisinier. Ignace fit venir Edmond auprès de lui, et l'interrogea sur sa patrie, sur sa famille, sur ses études. Le jeune Auger répondit à tout sans hésiter, et ajouta qu'il connaissait les Huiiia- nitcs et même qu'il était quelque peu expert en poésie, « Eh bien ! dit Ignace, <L vous me ferez une épigramme et vous me l'apporterez. » Edmond Auger rima sa poésie tout en fourbissant les ustensiles de cuisine, et, le jour venu, porta son épigramme, Tout parut au gré d'Ignace, sauf les éloges que le jeune poète donnait au Fondateur : (( Croyez-vous, mon enfant, lui dit saint Ignace, « que j'aie toutes les qualités que vous me prêtez ? Ce n'est pas ce dont « j'ai à m'inquiéter, répliqua Edmond, si vous ne les avez pas, vous devez les « avoir. » Ignace, souriant à cette vive repartie, l'admit incontinent au noviciat, et le suivit de près, pour lui donner son esprit et le marquer de sa forte empreinte. Le silence, la régularité, la modestie religieuse eurent quelque peu à souffrir avec cette nature ardente et prime-sautière. Les Pères graves se plaignaient de ses légèretés. Impuissant à prévenir ou à réprimer les écarts, au gré de ses désirs, le P. Ministre vint à son tour trouver Ignace et lui faire part de son mé- contentement. « Ayez patience, lui répond le Saint, celui dont vous êtes si mé- « content a plus avancé dans un mois que tel ou tel en un an. » Quelques années après, cet enfant terrible, devenu prêtre, formé aux grandes vertus à l'école de saint Ignace, était salué par les catholiques français des titres magni- fiques d' « Apôtre, de Saint, de Sauveur de la foi, de Père des âmes et de la patrie, de fléau et de marteau des hérétiques, de Paul, de Chrysostome de la France. » Le P. Laynez qui le précéda de 26 ans, jour pour jour, dans la tombe, disait que la légion entière de ses compagnons, n'avait pas rendu à l'Église autant de services qu'Edmond Auger. Le P. Manare, bon juge et témoin de ses travaux, écrivait: «Les plus grands personnages assurent que,depuis saint Bernard, <i il ne s'est pas rencontré un homme qui ait acquis tant de réputation ; et on <i ne peut se figurer que difficilement comment la bonne odeur de la sainteté « de ce Père se répand par toute la France. » Edmond Auger évangélisa tour à tour la plupart des provinces de France : le Languedoc, l'Auvergne, le Lyon- nais, la Bourgogne, la Franche-Comté, la Lorraine, la Guyenne, le Limousin. Admirable au siège de la Rochelle, sur les champs de bataille de Jarnac et de Moncontour; admirable à Lyon, parmi les pestiférés, à la cour de Henri III, il se montra toujours rigoureux observateur de ses règles, il fonda les collèges de Lyon, de Toulouse, de Bordeaux, de Dôle, de Dijon, et, par ses écrits, sa correspondance, ses éloquentes prédications, il maintint l'intégrité de la foi parmi les fidèles. Il arrêtait ainsi les progrès des hérétiques. Plus de quarante mille huguenots lui durent leur retour à l'Église romaine. Tombé au pouvoir du Baron

^24 HISTOIRE DE SAINT IGNACE LOYOLA.

des Adrets, tandis qu'il prêchait à Valence, il fut aussitôt condamné. Sur l'écha- faud, il harangua les assistants avec tant d'éloquence que tous, catholiques et hérétiques, fondirent en larmes. Un ministre courut tout ému demander de surseoir à l'exécution du condamné, dans l'espérance qu'on pourrait gagner un si puissant orateur à la mauvaise cause et assurer ainsi son triomphe. L'exécu- tion fut en effet différée, mais les catholiques parvinrent à délivrer leur apôtre. Après une année d'instantes prières, il obtint de quitter la cour de Henri III, et, en 1588, il partit pour Rome. Mais la mort l'arrêta en chemin, et il finit ses jours, à Côme, en Lombardie, le 19 janvier 1591. Cf. Hist. Soc, P. i, lib. xii, 15. P. III, lib. i-iv, \ m pas si m ; P. v, lib. i, 180 ; lib. m, 103 ; lib. vi, 74 ; lib. vu, 64; Drews, Fasf. Soc. /es., lib. ix, 28 ; Rho, Var. virt., pag. 53, 26; Patrign., tom. i, 19 janv. pag. 177 ; N. Bailly, Historia Vitœ. R. Patris Edinundi Augerii,]^Sin5\\s, 1652; I)origny,Z« vie du F.Edmond Auger,\, yon i^iô.

63.(Pag.56.) Louis Gonçalvès deCamara appartenait à la plus haute noblesse du Portugal. Il avait connu Ignace à Paris, mais il n'entra dans la Compagnie que plus tard, gagné par les relations intimes qu'il eut à Coïmbre avec le P. Le Fèvre. Nommé, trois ans plus tard, recteur de Coïmbre, Louis Gonçalvès donna les plus rares exemples de perfection. Bientôt il passa en Afrique, pour consoler et soutenir dans les cachots de Tétuan les pauvres esclaves des Barbaresques. A son retour, Jean III l'appela près de lui et le choisit pour son confesseur. L'an- née suivante, ce prince que saint Ignace appelait le Père de la Compagnie, vou- lant connaître en détail la vie et les vertus du saint Fondateur, profita d'une occasion favorable pour envoyer, dans ce but, le P. Gonçalvès à Rome. Ignace reçut Gonçalvès avec joie et mit sa vertu à l'épreuve, durant plusieurs mois. L'humble serviteur de Dieu se soumit à tout, et notre bienheureux Père satis- fait put lui appliquer cette parole de la sainte Écriture : Inveni virum seamdum cor meum; «j'ai trouvé un homme selon mon cœur. » Dès lors, il l'admit à sa familiarité, le choisit pour Ministre de la maison professe de Rome, et consentit même, après avoir longtemps consulté Notre-Seigneur dans la prière, à lui ra- conter les premières années de sa conversion, lorsque ses plus saints compa- gnons curent déclaré que la gloire de Dieu exigeait un pareil récit. La première Congrégation générale, qui choisit le P. Laynez pour succéder à saint Ignace, nomma le P. Louis assistant de Portugal. Mais bientôt la reine Catherine, aïeule du jeune roi Don Sébastien, à peine âgé de cinq ans, réclama Gonçalvès, au nom et par l'ordre de Jean III, pour lui confier l'âme et toute l'éducation de son petit-fils. Il fallut obéir, et nous avons encore les règles de conduite tracées par Laynez, pour aider Gonçalvès à s'acquitter d'une charge si délicate : règles qui firent de sa vie à la cour une vraie merveille de sainteté. Toutes les fois que le jeune prince quittait son palais de Lisbonne, pour aller passer quelques jours dans une des résidences royales, le P. Gonçalvès en profitait pour parcou- rir à pied les villages voisins, faisant le catéchisme aux pauvres paysans, par- tageant leur pain à titre d'aumône et passant la nuit au milieu d'eux, l'hiver sur la paille, dans leurs misérables réduits, l'été souvent en plein air sur la terre nue. Le P. Louis Gonçalvès mourut à Lisbonne, le 15 janvier 1575. Cf. Oliv. Manare, De reb. Soc. comment., cap. viii, § 19 ; cap. ix, § 25; Hist. Soc, P. i, lib. v-viii, XII, -^iw-xvi passim ; P. 11, lib. \\-\v passim; ^\\Q,Var. virt., pag. 596, 793; Tan- ner, Apost. imit., pag. 151; Patrign., tom. i, 15 mars, pag. 109.

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 325

64. (Page 57.) Disciple du ve'nérable Jean d'Avila, Gaspard Loarte entra dans la Compagnie, déjà formé aux grandes vertus par son premier maître. Hors de la Société, il donnait quatre heures, par jour, à l'oraison, et ne célé- brait le saint Sacrifice qu'en versant d'abondantes larmes. Dans ses ardents dé- sirs de souffrir pour Jésus-Christ, non content de se flageller tous les jours^ de porter continuellement le cilice et d'appliquer souvent des orties ou des char- bons ardents sur sa chair nue, il alla jusqu'à demander à Notre-Seigneur de lui faire endurer les tourments de sa passion. Il fut exaucé et il se vit bientôt privé de l'usage de tous ses membres et en proie à d'horribles tortures ; mais, crai- gnant d'avoir trop présumé de son courage, il demanda à Dieu quelque adou- cissement à ses souffrances, et elles disparurent en un moment. Il fit son noviciat à Ouate, sous la conduite de saint François de Borgia. Frappé de tout ce qu'on lui rapportait de sa vertu, saint Ignace l'appela à Rome et l'envoya ensuite comme recteur du collège à Gênes, il travailla avec un très grand fruit à la réforme du clergé, de la noblesse et des communautés. Plus tard il fut nommé recteur du collège de Messine. Au milieu des travaux d'un incessant et labo- rieux apostolat, il trouva le temps de composer les opuscules suivants : La con- solation des affliges, les Exercices chriiiens, le Mystère médité du saint Rosairey la Fassio?i de Notre-Seigneur Jéstis- Christ, les Pèlerinages, les I?idulgences, le Manuel des Cofifesseurs. Originaire de Médina, il entra dans la Compagnie, en 1552, et mourut à Valence, le 8 octobre 1578. Cf. Oliv. Manare, De reb. Soc. comment, cap. ix, § 25; Hist. Soc, P. i, lib. xii, 47 ; P. ni, lib. v, 71; p. iv, lib. VI, 178 ; Nadasi, Ann. die. memor., 8 octobre; Nieremberg, Claros varones, tom. IV, pag. 468; Tanner, Apost. imit., pag. 159; Patrign., tom. iv, pag. 468.

65. (Page 57.) « A tous ceux qui étaient admis dans la Compagnie, il « recommandait avant tout l'obéissance ; et les fautes contre cette vertu étaient « celles qui l'affligeaient le plus. Par obéissance, il entendait non seulement « l'exécution des ordres reçus, mais la soumission parfaite de la volonté et du « jugement, en toutes les occasions l'on ne saurait affirmer qu'il y a péché. « Il demandait un renoncement absolu à toute volonté propre et une parfaite « indifférence pour tout ce qui peut être commandé. Un religieux de la Com- <i pagnie, disait-il souvent, doit être semblable à un corps mort, ou au bâtofi qui est « dans la main d'un vieillard. Aussi, bien qu'il cherchât ordinairement à con- « naître les inclinations de chacun, il n'en gardait pas moins une prédilection « pour l'indifférence, et il aimait particulièrement les religieux qui se livrent « aux mains des supérieurs comme une cire molle et une matière première. » Cf. Ribadeneira, Tratado del modo de gobierno, cap. 11, § i, 2.

66. (Page 58.) Jean-Baptiste Velati était peintre, avant d'entrer dans la Compagnie, et remplissait l'office de coadjuteur. Mais il goûtait un plaisir sin- gulier à entendre des sermons, si bien qu'il s'écoutait prêcher lui-même, à défaut d'autres prédicateurs. Fermant les portes de l'église, il montait en chaire et prêchait. Une fois, saint Ignace l'écouta par une petite fenêtre, et fut si charmé qu'il l'appliqua aux études, puis à la prédication, dans les principales chaires d'Italie, il parut avec éclat. Lorsque Ignace l'écoutait, Velati déclamait la même formule des tons dont on se sert encore au noviciat, pour exercer les novices. Cf. Acta Sanctorum, Jul. tom. vu, pag. 583, 851.

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326 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

67. (Page 59). Le P. Polanco, sur l'ordre de saint Ignace, écrivait, le 1*' juin 1551, au P. Urbain Fernandez, nommé recteur du collège de Coïmbre,

qui avait demandé une direction au saint fondateur: « Notre Père désire, en « septième lieu, dans les membres de la Compagnie, une résignation parfaite de « leur propre volonté, et une disposition ou préparation d'âme indifféremment « prête atout ce qui peut être ordonné. Pour exprimer là-dessus sa pensée, il a « coutume de dire que le religieux doit être comme le bâton qui est dans la « main d'un vieillard, et dont il se sert comme il veut, ou comme un cadavre qui « se laisse porter, en quelcjuc endroit que ce soit, sans aucune résistance. Et, bien « qu'il ait coutume de s'informer des inclinations de chacun, soit pour les étu- « des, soit pour rendre des services dans un emploi, il préfère toutefois appliquer « aux études ceux qui n'ont d'autre affection que de faire la volonté de Dieu « Notre-Seigneur, interprétée par l'obéissance, plutôt que ceux qui auraient une « grande inclination à l'étude ». Cf. Cartas de safi Ignacio, ccxxxii.

68. (Page 59.) « Il n'est point de mère si dévouée, qui montre à l'égard « de ses enfants une sollicitude comparable à celle de notre Père pour les siens. « Il faisait à tous ses inférieurs l'accueil le plus aimable, et leur témoignait la ^ plus exquise bienveillance. Pour mieux connaître ses enfants et dilater leur « cœur, il voulait que tous prissent quelquefois leur repas avec lui, même les « Frères coadjuteurs, le cuisinier, le portier et les autres qui remplissaient les « plus humbles fonctions de la maison.

« Il prenait grand soin de conserver à tous ses religieux leur réputation et « leur bonne renommée ; ce qu'il faisait de deux manières. Il en parlait d'abord « toujours en bonne part et montrait de l'estime pour chacun d'eux. Il ne mani- « festait les fautes d'un religieux que lorsqu'une nécessité absolue l'obligeait de « consulter, pour porter remède au mal. Ensuite, il punissait sévèrement ceux « qui parlaient mal de leurs frères, ou qui par leurs discours pouvaient donner « occasion de les estimer moins. )> Cf. Ribadeneira, Tratado del modo de gobierno cap. III, 1^ 6.

69. (Page 60.) « Est item vitiuui, cujus si te immunem sentis, inter om- « nés, quos novi ex his qui cathedras ascenderunt, sedebis, me judice, solilarius, « quia vivaciter, singulariterque levasti te super te, juxta prophetam. Facilitas « credulitatis hrec est ; cujus callidissimre vulpeculre, magnorum neminem com- « péri satis cavisse versutias. Inde eis ipsis pro nihilo \xvt multœ, inde innocen- « tium frequens addictio, inde pra^judicia in absentes. » Cf. S. Bern. De consid. lib. II.; Maffei, lib. m, cap, 10; Acta Sanctorum, Jul.. tom. vu, pag. 572, n'^ 788.

70. (Page 62.) Pages, Lettres de saint Fratiçois Xavier, tom. 11, liv. v, lett. i.

71. (Page 63.) Ignace ayant appris qu'à Reati et à Spolète le P. Polanco et le P. Loarte étaient souffrants, écrivit aussitôt au P. Gonçalvès qui se trouvait avec eux : « Considérant que si l'on ne prenait pas de précautions, cet état « pourrait emi)irer, nous avons jugé que le mieux est, po,ur vous, de revenir « immédiatement à Rome, si, lors(]ue vous recevrez cette lettre, vous vous trou- « vez tous les quatre réunis, à Lorette, ou du moins quelques-uns d'entre vous, « et si votre santé vous le permet. Je vous fais un cas de conscience d'user de « toutes les commodités nécessaires pour votre retour, en faisant tous le voyage à cheval, ou partie à cheval, et partie à pied. Et, afin que rien de ce qui est « nécessaire ne manque, j'écris au gouverneur d'y pourvoir lui-même. Revenez,

NOTES. LIVRE QUATRIÈME. 327

« droit à Rome, sans vous détourner de votre route, et sans vous arrêter en « d'autres lieux, car les chaleurs commencent à se faire sentir. Le 4 mai 1555. » Cf. Cartas de san Ignacio, dcxlix, dcli, dclii. Il prescrit aux supérieurs de pourvoir leurs inférieurs de tout ce qui est nécessaire à la conservation de la santé : ccLXXXv, dcccxiii ; il recommande instamment à des Pères, en particu- lier au P. Araoz, à Teutonio de Bragance, etc. de ménager leurs forces: ccccii, cccxcviii, Div, DCCLi; il retire tous les Pères du collège de Modène pour le même motif, et ne consent à les y renvoyer que lorsqu'on a établi le collège dans un lieu plus sain : cccxxxix, cccxl, cccxli, cccliv, ccclv,

72. (Page 63.) « Lorsqu'Ignace envoyait les Nôtres en voyage, dit le P. Manare, il voulait qu'ils fussent pourvus d'un chapeau, d'un bâton de voyage « et d'un manteau ». Cf. Ada Sancioruf/t, Jul., tom. vu, pag. 580, 830. Le P. Polanco, comme stupéfait de la vigilante sollicitude d'Ignace sur ses enfants, s'en ouvrit un jour au B. Père: Sachez-le bien, lui répondit Ignace, y'f resse?is pour ions une si vive tendresse, que je voudrais pouvoir connaUre combien piqûres dinsectes ils ont à supporter pendant la nuit. Le P. Ribadeneira dit : « Je l'ai vu travailler de ses propres mains à détruire les insectes qui « tourmentaient les malades, et pourvoir à la propreté de leurs lits; » Matar las chi?iclies yo le vi y linipiar las camas de los enjirmos. Cf Tratado del modo de gobierno de san Ignacio, cap. m, §11.

73. (Page 64.) « Ignace veillait avec le plus grand soin à la santé et au « soulagement de ses inférieurs. Cette sollicitude était si vive qu'elle nous ravis- « sait d'admiration. Ceux qui n'en ont pas été témoins croiront sans doute que « j'exagère ; et pourtant, on ne saurait dire en peu de paroles tout ce que notre « Père faisait sous ce rapport. Il voulait être averti, dès qu'un religieux tombait « malade, afin de lui procurer tous les secours nécessaires, suivant les ordres du « médecin. L'argent faisait-il défaut, il commandait de vendre, s'il le fallait, les « effets de la maison, qui avaient de la valeur. Il avait réglé que dans ce cas, « le Procureur, le Frère dépensier et lui tireraient au sort, et que l'on vendrait la « couverture de celui que le sort aurait désigné. Enfin, il demandait qu'on vînt « lui dire, deux fois par jour, si l'acheteur avait exactement apporté pour les ma- « lades ce que le médecin avait ordonné ». Cf. Ribadeneira, Tratado del modo de gobierno, cap. m, § lo. Voyageant un jour avec Ignace, le P. Laynez fut tout à coup pris de vives douleurs. Saint Ignace, pour adoucir ses souffrances, alla louer une monture qu'il obtint au prix d'un réal, le seul qu'il leur restât. Il enveloppa Laynez dans son pauvre manteau, et l'aida à monter ; puis, pour donner du courage au malade, cet autre Élie se mit à marcher devant la mon- ture, courant tout joyeux, avec tant de prestesse que Laynez pouvait à peine le suivre avec son cheval. Cf. Ribadeneira, Vida de san Ign., lib. v, cap. 8.

74. (Page 66.) « Lorsque, épuisé par les infirmités, il remit au P. Natal « toutes les affaires du gouvernement, il se réserva le soin des malades. Le « P. Jérôme Otelli, prédicateur de notre maison professe à Rome, homme très <( adonné à la pénitence, tomba malade, en 1553, ei se trouva menacé de devenir « à jamais inutile. Notre Père le prit h sa charge, lui fit quitter, durant trois « semaines, l'étude et l'oraison, le fit dormir dans sa chambre et manger avec « lui, le conduisit à la campagne; bref, le guérit si complètement que ce Père « vécut encore de longues années, et opéra de très grands fruits par ses prédi-

328 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« cations dans les principales villes d'Italie et de Sicile ». Cf. Ribadeneira, Tra- tado del viodo de gobienw cap. iv ; Acta Sanciorum, Jul., tom. vu, pag. 577, n'^ 817. « Combien de fois ne l'ai-je pas vu, dit le P. Ribadeneira, servir les « malades comme le ferait un domestique, faire la chambre et secouer les mate- « las ». Cf Acta Sa?ictoru}ny]u\., tom. vu, pag. 577, n" 818; Ribadeneira, Tratado del modo de gobierno, ca^. m, § 11. Avant le carême, il se réservait d'assister à la visite du médecin, pour lui faire déterminer ceux qui devaient être dispensés de jeûner. Le P. Ministre avait ordre de veiller sur les convalescents et de ne pas leur laisser faire un travail trop pénible encore pour eux. Cf. Ada Sanciorum, ibid., 815. Contere brachium peccatoris et maligni, Ps., x, 15.

75. (Page 67.) « Quant à ceux qui s'appliquent à un objet déterminé, aux « études par exemple, s'il arrive qu'ils y aient de l'aptitude, mais que cette occu- « pation leur soit préjudiciable, la pratique que je vois suivre à notre Père est « de les en retirer, tenant pour principe qu'il est plus important qu'ils fassent « des progrès dans les vertus que dans la science, lorsque les deux choses « ne peuvent marcher ensemble. Et c'est pour cette raison qu'il a retiré « divers sujets des études, parce qu'ils n'y vivaient pas en paix, et qu'ils n'avan- « çaient pas dans les voies spirituelles. Il en est de même des affaires. » Cf. Carias de son Igfiacio. ccxxxii.

76. (Page 70.) Saint Ignace fit subir cinq années d'épreuves à Ribadeneira, avant de l'admettre à prononcer ses premiers vœux. Mais, à partir de cette époque jusqu'au dernier jour de sa vie, soixante-six années de vertus héroïques, de services les plus éminents rendus à la Compagnie, en Italie, en Flandre, en Sicile et en Espagne, de travaux sans relâche pour la gloire de Notre-Seigneur et pour la sanctification des âmes, firent bien voir que les espérances d'Ignace n'étaient pas sans fondement. Envoyé par le saint Fondateur lui-même à Philip- pe II, nommé provincial de Toscane et de Sicile, appelé par saint François de Borgia à diriger en même temps le Séminaire Romain, le Collège Germanique, le Collège Romain et le noviciat de Saint-André, visiteur de la Lombardie, assistant d'Espagne et de Portugal, Ribadeneira dépensait, depuis plus de vingt ans, les forces et les talents qu'il avait reçus de Notre-Seigneur, au service de la Compagnie, dans les charges les plus importantes, lorsque les médecins de Rome déclarèrent unanimement que l'air natal pouvait seul prolonger sa vie. C'était une mission d'écrivain que l'épuisement de sa santé ouvrait devant lui, et Dieu lui réservait la grâce et la gloire de propager et de conserver à jamais, dans la Compagnie de Jésus, l'esprit et les exemples des premiers Pères. Ses vies de saint Ignace, de Laynez, de Salmeron et de saint François de Borgia, ses deux traités sur la manière de gouverner de saint Ignace, et sur l'Institut ; son histoire des persécutions, son catalogue des écrivains, ses dialogues sur les apostats, ont assurément rendu, depuis près de trois cents ans, plus de services à la Compagnie, que s'il eût passé ses trente dernières années à la gouverner tout entière. Enfin, se rappelant quelle part merveilleuse les exemples des saints avaient eue dans la conversion et dans la sanctification de saint Ignace, il cou- ronna tant de belles et salutaires œuvres par ses incomparables Fleurs des Saints, dont la grâce, l'onction et l'efficacité chrétiennes, n'ont pas été encore et ne seront peut-être jamais égalées. Ignace traita Ribadeneira en enfant bien-aimé; de son côté, Ribadeneira aima saint Ignace, comme un enfant aime sa mère ; et

NOTES. LIVRE QUATRIÈME. 329

sur la fin de sa vie, il disait, les larmes aux yeux : « Je me ferais mettre en pièces « pour mon Père Ignace, que jamais je ne pourrais lui rendre ce qu'il a fait pour « moi. » Ribadeneira mourut à l'âge de 84 ans, le 22 septembre 161 1, dans la maison professe de Madrid. Cf. liv. iv, note 62; Oliv. MamLre,-Dereù. Soc. cominetit., cap. I, § 23, 25; Hist. Soc, P. i, lib. m, ix, xii, y.\i, passim ; P. 11, lib. r, 43, 60, 99 ;lib. IV, 24 ; lib. xii, 27; Patrign. tom. m, 22 septembre, pag. 188; Prat, Histoire du P. Ribadeneira, Palmé 1862; Nieremberg, tom. iv, pag. 438; Drews, Fast. Soc. pag. 370; Alcazar, Chro?îo. Hist. P. i, pag. lxxii.

77. (Page 73.) Giiiglio, petite monnaie d'argent valant de 25 à 30 centimes de notre monnaie.

78. (Page 78.) « Saint Ignace tenait beaucoup à ce que les religieux, « distingués par leur mérite ou par leur science, ne donnassent point le mauvais ({ exemple, à cause du préjudice qui pourrait en résulter pour les autres. Un « Père d'un âge avancé et d'un mérite reconnu, ayant attendu quelque temps en « vain son compagnon, partit seul pour confesser un malade. Notre bienheureux « Père, pour instruire les autres et les empêcher d'imiter cet exemple, ordonna « à ce religieux de prendre la discipline pendant la récitation de huit psaumes. » Cf Ribadeneira, 7><7/«'«'<7 dcl modo de gobierno,cdiç.\v,% 5, 7. LeP.Polanco écrivait au P. Fernandez : « Pour ce qui est de l'observation stricte des règlements de la « maison, je ne vois pas que notre Père l'exige de ceux qui, pour des raisons « particulières, à cause, par exemple, de leurs indispositions ou de leurs occu- « pations, n'observeraient point quelqu'un des règlements ; il fait au contraire « des exceptions en diverses circonstances, avec cette discrétion dont j'ai parlé. « Mais pour ceux qui n'ont i)oint une exception de ce genre, il les leur fait « observer, donnant quelque pénitence à ceux qui ne les gardent pas, afin que « cette pénitence serve de leçon et d'avis aux autres. » Cf Cartas de san Is^nacio.

CCXXXII.

79. (Page 78.) D'après le P. Sacchini, le P. Jérôme Otelli mourut à Vérone, le 5 février 1581, après 40 ans de vie religieuse. à Bassano, ville du territoire vénitien, Otelli fut gagné à la Compagnie par les PP. Polanco et Frusius. Ses études de théologie finies, il quitta Padoue et se rendit à Rome avec le P, Frusius, en 1546. Bien qu'il ne fût pas encore prêtre, saint Ignace l'employa à prêcher aux religieuses de Sainte-x^nne qui, à la suite d'un sermon sur la parfaite pauvreté, s'empressèrent de remettre entre les mains de leur supérieure tous les objets en leur possession qui ne leur paraissaient pas indispensables. Avec le P. Frusius, il évangélisa la ville de Florence avec un très grand fruit. Envoyé à Messine, il s'y dévoua au bien des âmes, durant la plus grande partie de sa vie. Il avait pris pour devise: Donii agnus, i?i pulpito leo; Agneau à la maison, et en chaire lio?i. Peu favorisé par sa taille grêle et disgracieuse, par sa voix rauque et chantante, par son style sans art, il parlait avec tant d'âme et de conviction qu'après lapremière impression, les foules'qui accouraient pour l'entendre restaient subjuguées, et, avant même d'être élevé au sacerdoce, il mérita d'être appelé le maître des cœurs. Il prêchait fréquemment deux et trois fois le même jour, à la cathédrale, dans l'église de la Compagnie et dans un des monastères de la ville. Le repos invariable de cet admirable apôtre, après chaque sermon, était d'aller aider à la cuisine, de balayer les corridors, de porter de l'eau ou du bois et de remplir d'autres ministères de ce genre. Par la vertu de ses ferventes

330 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

prières, il délivra plusieurs fois divers lieux infestés par les démons. Cf Hist, Soc. P. I, lib. m, 57 ; lib. vi, 11, lib. vu, 8, 27 ; P.. 11, lib. 11, 105 ; P.v, lib. I, n°6T, 77; Rho, Var. Viri., pag. 55; Patrignani, toni. t, 5 février, pag. 56.

80. (Page 79.) « Sous le Pontificat de Paul III, le P. Laynez, prêchant h « Rome, à Saint-Jacques des Espagnols, prononça au sujet de la simonie quel- « ques paroles qui, à son point de vue, étaient claires, évidentes et par conséquent « irréprochables. Mais certains esprits pouvaient les mal interpréter et y voir un « blâme dirigé contre les consultes que le Pape tenait pour réformer la daterie. <L Notre bienheureux Père ordonna au P. Laynez de prendre une discipline, afin « que.si le Pape recevait des plaintes à ce sujet,on pût lui dire qu'il avait été dés- « approuvé et qu'il n'y avait plus, par suite, aucun motif de mécontentement ni « contre lui, ni contre la Compagnie. » Cf Ribadeneira, Tratado del modo de go- bierfiOy cap. vi. § 23,

81. (Page 80.) Cf Carias de san Ignacio. ccLXxxvi.

82. (Page 81.) Lorsque Ignace avait h punir, sa première règle était de varier le châtiment, suivant la nature des fautes. Il punissait les paroles oiseuses par le silence, l'indolence par le travail, l'amour des honneurs par l'humiliation. « La pénitence qu'il imposait d'ordinaire pour des fautes légères « était, dit le P. Annibal Codret, une prière plus ou moins prolongée devant le « Saint-Sacrement, quelquefois jusqu'à ce qu'il eût rappelé le pénitent ; et il « avait coutume alors d'ajouter : Priez pour que je m'en souvienne. Parfois « aussi, le coupable était emprisonné dans un cercle, pour un temps déterminé « ou jusqu'à nouvel ordre, restant libre pourtant de s'asseoir ou de se tenir « debout, lorsque la punition devait durer longtemps. Il faisait tracer la circon- « férence par un de ceux qui étaient au service du Père ou par le premier qui « se rencontrait. » Cf Acia Sajictorum, Jul., tom. vu, pag. 571, 786.

83. (Page 81.) <i Ignace aimait tant la propreté que fréquemment il faisait « lui-même la visite des chambres et regardait si les lits étaient bien faits, les « livres bien rangés sur la table, la chambre bien tenue ; il ne pouvait supporter « la vue d'un objet cjui ne fût à sa place, par exemple, d'un bonnet de nuit (jui « ne fut point caché derrière l'oreiller, d'un balai gardé ailleurs que sous le lit « ou dans un angle obscur, d'un chandelier, de chaussures placées au hasard. » Cf Acta Sanctorum, Jul., tom. vu, pag. 592, n" 896.

84. (Page 83.) « Saint Ignace, raconte le P. Manare, avait tant à cœur le « silence, que, hors les heures de récréation, après les repas, il ne pouvait tolérer « les conversations. S'il entendait un chuchotement de voix,une parole trop élevée, « le bruit insolite de pas trop lourdsou d'une descente précipitée dans les escaliers, « sortant aussitôt de sa chambre, il appelait le délinquant et l'avertissait de son « devoir. De là, ajoute le P. Olivier Manare, les pénitences fréquentes que le « P. Ministre nous imposait, parce que nous ne parlions pas à voix basse, parce <i que nous marchions dans les corridors d'un pas trop rapide ou parce que nous « fermions les portes avec trop de bruit. Quant à la clôture, il ne pouvait supporter « que la porte restât ouverte, même un instant, hors les cas de nécessité, ni que «.< la clef fût appendue aux battants ou laissée à la serrure.» Cf. Acta Sanctorum, Jul., tom, VII, pag. 592, n" 896.

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 331

85. (Page 86.) Uic, xv, i8.

86. (Page 87.) Le P. Sébastien Romeo, originaire d'Arezzo, en Toscane, mourut à Rome, le 13 octobre 1574. Une sage discrétion et une obéissance à toute épreuve le rendirent cher à saint Ignace. Le saint Fondateur l'envoya en Corse, vêtu en laïc, pour s'enquérir secrètement de la conduite du P. Landini, que des rapports calomnieux représentaient, auprès de plusieurs cardinaux et en particulier du cardinal Marcel Cervin, grand protecteur de la Compagnie, comme un perturbateur dangereux. Sébastien Romeo remplit sa mission, à la satisfaction de saint Ignace et du Souverain Pontife, et rapporta, sur tout ce qu'il avait vu de ses propres yeux, des témoignages authentiques qui furent une éclatante justi- fication de la conduite, à la fois zélée et prudente, des deux apôtres envoyés en Corse. Trois ans après, Sébastien Romeo, encore scolastique, était nommé recteur du Collège Romain. Pour exercer sa vertu et exciter les autres à l'abnégation par le bon exemple, saint Ignace se plaisait à lui donner des ordres étranges et souvent contradictoires, comme d'aller travailler à la cuisine, chercher de l'eau, tout le jour, à la fontaine, etc. Le P. Sébastien Romeo se soumettait à tout, sans se plaindre, ni hésiter. Toujours prêt à se dévouer, il répétait à ses inférieurs que le temps de la maladie devait être le seul temps de repos pour un Jésuite, avant celui de la tombe et du paradis. Cf. Hist. Soc, P. i, lib. xii, 12 ; lib. XIII, n" 16 ; lib. xvi, 120; P. iv, lib. 11, 8; Nadasi, Ann. die memor.^ 13 octobre ; Patrign., tom. iv, 13 octobre, pag. 99.

87. (Page 88.) Cf. Acta Sandorum, Jul, tom. vu, pag. 571, 784, 785.

88. (Page 88.) Comme l'Eglise tolérait alors, dans certaines limites, la diversité des bréviaires, la Compagnie avait adopté le bréviaire du cardinal Quignon de Sainte-Croix, composé par ordre exprès du Siège apostolique. Le P. Martin Olave, recteur du Collège Romain, ordonna qu'on en ferait lecture au réfectoire, parce qu'il contenait presque toujours l'histoire des saints honorés dans la liturgie romaine. Ignace l'en reprit lui-même, comme d'une innovation, et le fit reprendre publiquement au réfectoire par un Frère de la maison, nommé Antoine Rion, qui avait beaucoup de verve et d'à-propos pour adresser les répri- mandes publiques. Néanmoins, comme l'innovation était heureuse, Ignace fit continuer la lecture du bréviaire, jusqu'au jour le martyrologe réformé prit sa place. Cf. Acia Sandorum, Jul , tom. vu, pag. 592, n" 900 ; Simon Rodriguès, De reh. Soc, cap. viii, ? 15 : Cartas de sa?i Ignaa'o, tom. 4, Append. 11, n" 3.

Les supérieurs du Collège Romain songeaient à retrancher, pendant le carême, la récréation du soir qui suit la collation. Saint Ignace, prévenu par le P. Riba- deneira, ne voulut pas consentir à cette innovation et répondit : « La récréa- « tion qui dans la Compagnie suit le dîner et le souper n'a pas seulement pour « but d'épargner aux nôtres la fatigue et le danger d'une application immédiate « à l'étude ou à l'oraison ; elle est aussi établie pour donner aux Pères et aux « Frères l'occasion de s'entretenir les uns avec les autres, et par suite de se con- « naître et de s'aimer davantage. » Cf. Ribadeneira, Tratado dd modo de go- bierno, cap. vi, § 10.

89. (Page 90.) Sa conduite à l'égard de D. Martinez Siliceo, cardinal archevêcjue de Tolède, s'inspira de ce double sentiment. A la mort de Melchior Cano, les ennemis de la Compagnie, en Espagne, avaient mis à leur tête le car-

332 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

dinal de Tolède, qui, sans raison légitime, publia une lettre pastorale il défen- dait à tous ses diocésains, sous peine d'excommunication, de se confesser aux Jésuites, et il frappa d'interdit le collège d'Alcala. Ni l'intervention du Nonce Poggi, ni celle du cardinal Maffei, secrétaire du Pape, ne purent faire revenir l'archevêque sur cet abus de pouvoir. Ignace en appela alors au conseil royal d'Espagne ; les Bulles et les privilèges furent examinés et le conseil condamna l'archevêque qui, menacé de l'autorité du Pape, rapporta sa lettre pastorale et leva l'interdit du collège d'Alcala. Le saint Fondateur avait obtenu ce qu'il désirait : son Ordre était justifié par le plus haut tribunal de l'Espagne. Mais, loin de se prévaloir de sa victoire, il écrivit à l'archevêque, le i*"' juin 1552, une lettre pleine de respect et de déférence. Il en écrivit une autre, le même jour, au P. Villanueva, recteur du collège d'Alcala, pour lui recommander d'user des plus grands égards envers l'archevêque. « Je crois devoir vous recommander de ne « vous écarter en rien des intentions de sa Seigneurie révérendissime, tant pour « la prédication que pour l'administration des sacrements et les autres fonctions « qui ont pour but le bien spirituel du prochain. Et, comme j'espère que le car- « dinal archevêque sera, pour vous, père et seigneur tout ensemble, et qu'il vous « appuiera en tout ce qui peut concourir à accroître la Compagnie et à étendre « la gloire de Dieu, je ne voudrais pas qu'on reçût, comme membre de la Com- « pagnie, aucun sujet, dans tout le royaume d'Espagne, contre l'intention et « l'assentiment de sa Seigneurie révérendissime. Partant, je vous en transmets « l'ordre, et vous aurez à vous y conformer. Rome, le i^"" juin 1552. Ignace. » Ci. Carias de sa?! Ignacio, cci.xvii, ccLxviii, cclxix. « Pacem meam do vobis, pacem meam relinquo vobis. y) Joaji., xiv, 27.

90. (Page 91.) Le P. Olave y affirmait le dogme de l'Immaculée Concep- tion. Quoique Ignace n'eût jamais mis en doute cet insigne privilège de Notre- Dame, il craignit de déplaire aux Dominicains qui devaient assister à la soute- nance des thèses, et il fit retrancher la proposition. Cf. Acla Sa?itiorui/i, Jul., tom. VII, pag. 548, 673.

91. (Page 93.) Cf. Carias de San Ignacio, cclvii.

92. (Page 93.) Fortiter ei suaviisr ; foriiier, jil cuin onini reciitjidine sii ratio guhernandi efficax, aique ivimobilis in nniversuin, ei quce cuni fine consfanicr atque inagnanimiier co?ijungaiiir : suaviier, ui in particîdarilws, ei reruni iisu, adhibeatur ?noderaiio, longanimitas, ei susiineniia, ni expedire videbitur.

93. (Page 94.) Pages, Leiires de saint François Xavier, tom. 11, liv. vu, lett. i; lett. 15.

94. (Page 94.) Cassiodore, liv. v, c. 40.

95. (Page 94.) « Parfois, lorsqu'il voulait confier une charge à un religieux « qui n'avait pas encore fait ses preuves, il lui désignait un homme dont il con- « naissait la vertu et la prudence, et lui ordonnait d'aller, chaque soir, lui rendre « compte de sa journée, afin que celui-ci le mît sur la voie et lui indiquât ce « qu'il avait bien ou mal fait ». Cf. Ribadeneira, Tratado del modo de gobierno, cap. VI, ;^ 4.

96. (Page 95.) Ignace désirait des supérieurs capables d'initiative. Il leur recommandait de voir par eux-mêmes tout ce (lui pourrait être utile ou nécessaire pour la bonne administration de leur collège, et de le demander avec instance

NOTES. LIVRE QUATRIEME 333

au Général, au risque même d'être importun. Cf. Acia Sanctoruin, Jul., tom. vu, pag. 594, 913. Par une lettre, en date du 13 janvier 1550, Ignace ordonnait à tous les supérieurs de la Compagnie d'entretenir une correspondance assidue avec le Général. Ceux d'Italie et de Sicile devaient écrire chaque semaine, ceux d'Allemagne, de Flandre, de France, d'Espagne et de Portugal, tous les mois ; ceux des Indes, une fois l'an, Cf, Carias de sa?i Ignacio, clxxviii.

97. (Page 96.) Cf. Bouix, LeU. de saint Ignace, pag. 386.

98. (Page 96.) Le premier était Bobadilla qu'il remplaça, comme recteur du collège de Naples, par le P. André Oviedo, et le second, Simon Rodriguès, dut céder la charge de provincial au P.Jacques Miron. L'un et l'autre, par défaut de vigilance ou par trop d'indulgence, avaient laissé la discipline religieuse s'af- faiblir parmi leurs subordonnés. Cf Hist. Soc. lib. xii, n*^ 23, 54.

99. (Page 100.) Cf. Instit. Examen, c. iv, ,^ 44.

100. (Page loi.) Cf. Exercices, 2" semaine.

101. (Page 104.) Cf Carias de san Ignacio, ccxiii.

102. (Page iio.) Cf. Acta Sanctorum, mai, tom. vi, pag. 234, n'^ 221.

103. (Page m). Ignace avait vu trois de ses vœux se réaliser : l'approba- tion de l'Institut, l'approbation du livre des Exercices et la rédaction définitive des Constitutions. Pressentant dès lors la fin prochaine du saint Fondateur, le P. Louis Gonçalvès, de concert avec d'autres Pères, lui demanda, en 155 1, de consigner par écrit, pour la consolation de ses enfants, le récit des actes et des circonstances qui avaient marqué dans sa vie, depuis le moment de sa conver- sion. Ignace s'y refusa plusieurs fois, alléguant pour prétexte les occupations incessantes de sa charge et l'impossibilité il se trouvait de se recueillir et de retrouver ses souvenirs du passé. Après de nouvelles instances, il répondit un jour au P. Gonçalvès : « Eh bien ! célébrez trois messes, vous, le P. Rolanco et « le P. Du Pont, afin de connaître sur ce point la volonté de Dieu ; puis, au « sortir de l'oraison, vous me donnerez séparément votre avis. » Les trois Pères furent unanimes à déclarer que l'intérêt de la Compagnie et la volonté de Dieu demandaient qu'Ignace déférât au désir qui lui avait été exprimé. Le saint Fon- dateur promit de se mettre à l'œuvre; mais, quand, l'année suivante, le P. Gonçal- vès revint de Sicile pour aller en Espagne, l'écrit promis n'était pas commencé. A son retour d'Espagne, le même Père constata de nouveau que rien encore n'avait été fait. Enfin, le 4 août 1553, veille de Notre Dame-des-Neiges, à la suite d'un entretien intime avec Louis Gonçalvès, saint Ignace rappela, devant ce Père et en présence du P. Natal, la demande qui lui avait été faite et l'engage- ment qu'il avait pris, et, sous l'influence, ce semble, d'une impulsion divine, il se montra disposé à exécuter sa promesse. Il tint trois ou quatre séances, durant les dimanches de septembre, et dicta au P. Louis Gonçalvès la partie de l'autobiographie qui va jusqu'à son séjour à Manrèse. L'établissement du Collège Romain et les négociations entreprises pour un envoi de missionnaires en Ethiopie servirent de prétexte à Ignace pour interrompre ses dictées. Enfin, à la prière du P. Natal, revenu à Rome le iS octobre 1554, le P. Gonçalvès insista de nouveau, auprès du saint Fondateur, pour que le travail commencé fût conti- nué. Les dictées furent reprises, le 9 mars 1555, de nouveau interrompues sous

334 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

divers prétextes, et enfin reprises, le 22 septembre, dans la lourde la maison ap- pelée tour rouge (in turri Rubra).

Saint Ignace dictait en se promenant. Sa parole, ses expressions étaient si nettes, si précises qu'au dire de Louis Goncjalvcs, qui écrivait sous sa dictée, on eût cru tjue les choses qu'il racontait se passaient sous ses yeux et qu'il voyait les objets dont il i)arlait. Le P. Gonçalvès rédigeait, en espagnol, après chaque séance, les notes qu'il avait prises, en conservant fidèlement les termes mêmes dont s'était servi saint Ignace. Au lendemain de la dernière séance, il dut partir pour Gênes, et c'est là, en décembre 1555, que, faute d'un secrétaire capable d'écrire res[)agnol, il dicta lui-même en italien la partie du récit qui restait à rédiger. Le P. Codret traduisit plus tard en latin cette autobiographie que les Bollandistes ont insérée dans les Ada Sanciorton. (Jul. tom. vu, pag. 645, i loi). Elle a été publiée séparément, en 1873, ^ Paris, chez Le Clere (in-32", pp. 1-135).

104. (Page III.) Cf. Appendice, iv.

105. (Page 116.) « Testem invoco, cum omni reverentia, Deum, qui reterna « Veritas est, quod ex bonis temporalibus collcgii, nihil ad utilitatem professo- « rum, vel domorum eorum, conversum est, contra Societatis constitutiones, quaî « id prohibent ; quod quidem mihi innotuerit. »

106. (Page 235.) Marguerite d'Autriche, fille de Charles-Quint, naquit en 1522. Le 29 février 1535, elle épousa Alexandre de Médecis, duc de Florence, et, après l'assassinat de ce dernier, Octave Farnèse, petit-fils de Paul III (1538). Elle vint à Rome, le 3 novembre 1538, et y séjourna plusieurs années. Elle savait le latin et plusieurs langues vivantes, mais sa langue usuelle était le français, langue propre de la maison de Bourgogne. Ce motif et l'estime dont saint Ignace et ses compagnons jouissaient déjà à Rome l'amenèrent sans doute à choisir pour confesseur le P. Jean Codure, natif d'Embrun, en Dau- phiné. Après la mort du P, Codure (24 juin 1541), saint Ignace devint son directeur ; il lui inspira une dévotion tendre pour la Sainte-Eucharistie, et lui apprit à s'approcher des sacrements, plus souvent qu'on ne le faisait à cette époque.Ce fut en grande partie grâce à ses abondantes aumônes,dont il ne gardait rien pour sa maison, que saint Ignace put soutenir le grand nombre de pauvres qu'il nourrit, durant l'hiver de 1538, et assurer la fondation de diverses œuvres. Son crédit auprès de Charles-Quint, et son influence auprès de Paul III, furent plus d'une fois utiles au Saint. De Parme, elle lui écrivait : <i Si ici, je puis « quelque chose pour vous, ou à l'avantage de votre Compagnie, vous me « trouverez toujours prête à vous être agréable. »

107. (Page 120.) Le P. Michel de Torrès fut envoyé à Rome pour défendre, contre les empiétements de l'archevêque de Tolède, certains droits de l'Univer- sité d'Alcala. Plein de préventions contre la Compagnie de Jésus, il fuyait toute relation avec ses membres, et ne souffrait pas qu'on parlât favorablement d'eux devant lui. A force d'instances cependant, Jean de Véga, ambassadeur d'Es- pagne auprès du Saint-Siège, obtint de lui qu'il eût, de nuit, un entretien avec le P. Salmeron. Celui-ci lui proposa de faire visite à saint Ignace: « Moi, répon- dit de Torrès, je m'aboucherai avec cet homme-là ! » Il céda pourtant après plusieurs refus formels, et se rendit en secret, hors de Rome, dans un jardin, pour conférer avec Ignace, mais il y alla bien armé, dans sa pensée, contre toute

NOTES. LIVRE QUATRIEME. 335

tentative de séduction. Le Saint lui fit un accueil tellement bienveillant et si plein de bonne grâce que Michel de Torrès fut complètement gagné ; il se jeta dans ses bras, en lui disant : « Me voici tout à vous; faites de moi ce qu'il vous plaira. »

De retour à Alcala, après avoir rempli sa mission à Rome, il renonça à sa charge dans l'Université, à deux bénéfices, et entra dans la Compagnie. Avec non moins de modestie que de patience, il endura les violentes attaques de Melchior Cano et les injustes prétentions de l'archevêque de Tolède, Jean Siliceo, contre la Compagnie. Nommé provincial du Portugal, il remplit à la pleine satisfaction de ses supérieurs et de la cour , l'office de confesseur de la Reine. Après la mort de la Reine, il fut mis à la tête du collège de Madrid. Saint Ignace avait pour lui une affection et une estime particulières. Il se plai- sait à l'appeler la prunelle de ses yeux. On rapporte que saint François de Borgia vit son nom écrit dans le livre de vie. Il mourut à Tolède, le 24 octobre ^593) à l'âge de 85 ans.

108. (Page 122.) à Chartres, le P. André Frusius (Des Freux) avait renoncé à l'administration de la cure de Thiverval, pour se rendre à Rome en quête d'une position qui pût lui assurer un avenir plus avantageux. Là, il enten- dit prêcher le P. Jacques Laynez, se mit en relation avec lui et entra dans la Compagnie de Jésus, en 1541. A une rare pureté de mœurs, qui lui fit donner dans la Société le nom d'ange, le P. Frusius joignait des connaissances aussi sérieu- ses que variées. Très versé dans les langues latine, grecque et hébraïque, il était encore mathématicien distingué, médecin habile, musicien plein de goût, légiste érudit et poète de mérite. Au sortir du noviciat, il fut envoyé à l'Université de Padoue, pour se perfectionner dans les sciences théologiques, puis rappelé à Rome, pour y remplir l'office de secrétaire de saint Ignace. En 1547, il allait à Florence, puis à Montepulciano ses prédications apostoliques contribuèrent d'une façon marquée au maintien de la foi et à la réforme des mœurs.

De là, il fut envoyé à Messine pour fonder un collège et enseigner la langue grecque. Trois ans après, il allait ouvrir un nouveau collège à Venise ; et, à la pleine satisfaction d'un bienfaiteur insigne de la Compagnie, le D. Lipomano, il se livra dans la ville aux ministères de la confession et de la prédication. De Venise, il fut rappelé à Rome, pour professer l'Écriture Sainte au Collège Romain. Il devint plus tard recteur du Collège Germanique. Il mourut, le 26 octobre 1556. C'est lui qui a traduit, de l'espagnol en latin, le livre des Exercices de saint Ignace. Il publia divers ouvrages de théologie et de grammaire. Il pré- para notamment une édition expurgée de Martial, que le P. Edmond Auger fit imprimera Rome, en 1558. On a encore de lui un recueil de 251 épigrammes contre les hérétiques et en particulier contre Erasme. Cf. Hist. Soc. p. i, lib. m, n°i7; VI, 11; vu, 8, 10, 13, 30; x, 85, 97; xii, n-^ 5; xvi, 89; p. 11, lib. I, 34 ; Patrign. tom. iv, 26 octobre, page 187; De Backer, Biblioth. des écrivains de la Compagn. de Jésus; Alegambe, Mort, illust.

109. (Page 123.) Le P. Christophe de Madrid était à Daimiel dans l'archevêché de Tolède. Il fit ses études à l'université d'Alcala, et, en 1540, il se rendit à Rome le cardinal de Cupis, doyen du Sacré Collège, le prit pour son théologien. Il ne tarda pas à se mettre sous la direction de saint Ignace, qui lui ouvrit les portes de la Compagnie. Le saint Fondateur avait en très haute estime

336 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA,

sa capacité et sa prudence. Ne pouvant, par suite de sa mauvaise santé, rem- plir tous les devoirs de sa charge, il remit le gouvernement de la Société aux Pères Polanco, Natal et Madrid. Le P. Madrid eut l'insigne bonheur de fermer les yeux à saint Ignace mourant. Après sa mort, en 1558, il fut nommé assistant d'Italie et de Sicile. Il composa un opuscule sur la fréquente communion combattue de son temps comme une nouveauté. Christophori Madridii^ Societatis Jesu, libellus de frcquenii usu Sacraine7iti Eucliaristiœ. Neapoli, 1536. Cet opus- cule fut souvent imprimé avec le Directorium du P. Polanco. Le P. de Madrid mourut, en 1573, plus que sexagénaire.

110. (Page 130.) Cf Acta Savctorian, Jul. tom. vu, pag. 566, 763-770.

111. (Page 130.) Ecce nunc (\u\ dicitis : Hodie, aut crastino ibimus in illam civitatem et faciemus ibi quidem annum, et mercabimur, et lucrum facie- mus; qui ignoratis quid erit in crastino! Jac, iv, 13, 14.

112. (Page 133.) Cf. Max. Tyr., serm. xv.

113. (Page 138.) « Non dixit Christus : abjice pecunias, jejunium exerce, « macéra te laboribus, morluos excita, daîmonia abige : nihil horum, vel alio- « rum recte factorum in médium adduxit; sed, omnibus illis pra;termissis, dixit « illi: si diligis me, pasce oves meas. » Orat. de S. Philogonio.

.1.

•!•

Livre cinquième.

1. (Page 142.) Cf. Instit. litt. apost. Pr?eclaris Romanorum Pontificum, 24 avril 1748.

2. (Page 144.) en Flandre, le P. L'Host fit ses études à l'Université de Louvain, plus tard il enseigna avec succès la rhétorique et la dialectique. Attiré par les prédications de François Strada, gagné surtout par les entretiens qu'il eut avec le P. Le Fèvre, il demanda à entrer dans la Compagnie. Il y fut ad- mis, en 1544, avec dix-neuf étudiants ou docteurs de la même Université. Le P. L'Host fut envoyé à Rome, il eut l'inappréciable avantage de se former à la pratique des vertus religieuses, sous les yeux et sur les exemples de saint Ignace. Après son noviciat, le saint Fondateur, à la demande du Cardinal Rodolphe Pio, évêque de Girgenti, l'envoya évangéliser ce diocèse. Avec le concours du Vi- caire général, il parcourut en apôtre tout le diocèse, de Trapani à Girgenti, prê- chant, administrant les sacrements, instruisant les enfants, visitant les prisons et les hôpitaux. Il travailla avec un égal succès à la réforme des monastères et du clergé. Il fonda une maison de retraite pour les femmes que son apostolat avait arrachées au désordre. De Girgenti, il alla à Palerme aider le P. Domenech, dans ses ministères apostoliques. Mais bientôt le P. Domenech partit avec le vice-roi pour Messine, et le P. L'Host fut appelé à Rome. Envoyé comme rec- teur à Louvain, le peuple, tout plein des souvenirs de son zèle, le réclamait avec instances, il dut, forcé par la maladie, s'arrêter à Bologne. Il y mourut, en 1548. Cf. Hist. Soc. P. I, lib. iv, n'^ 104 ; v, n" 10 ; vu, n" 17 ; viii, n*" 28 ; Des- tombes, Vie des Saints, tom. iv, pag. 256 ; Patrign., tom. iv, 30 nov., pag. 209.

NOTÉS. LIVRE CINQUIEME. 337

3. (Page 144.) «Révérend Père Maître Ignace.Vous vous étonnerez peut- « être, que j'aie retenu ici Maître Jacques Laynez plus longtemps que vous n'au- « riez voulu, et qu'il n'eût voulu lui-même. J'ai tout fait pour une bonne fin, « pour un motif d'utilité publique. Comme je l'avais chargé de recueillir toutes « les erreurs des hérétiques, tant sur les sacrements que sur tout le reste, er- « reurs qui doivent être condamnées dans le concile, au point de vue dogma- « tique ; et comme c'est un gros travail qui demande beaucoup de temps, j'ai « cru ne pas devoir le laisser partir d'ici, qu'il n'eût conduit cette œuvre à bonne « fin, ou du moins qu'il ne l'eût tellement avancée, qu'un autre pût la terminer. « L'exécution de cette mesure demandant encore un certain temps, je vous prie « d'interpréter en bonne part la confiance que je prends en Maître Laynez et en « vous. Toutefois, si vous étiez d'un avis différent, et si vous jugiez qu'on doive <i laisser cette œuvre inachevée, on le fera au premier mot que vous direz. Que « Dieu vous conserve en sa grâce. Trente, le 5 février 1547.

« Votre, <( M. Cardinal de Sainte-Croix. » Cf. Carias de san Ignacio, tom. 1, pag. 483.

4. (Page 145.) Le P. Martin de Sainte-Croix, originaire de la Castille, fut admis dans la Compagnie par saint Ignace. Envoyé en Portugal, pour hâter la fondation du collège de Coùiibre, il devint le second recteur de cette maison, et s'y montra un fils digne du saint Patriarche. Un procès suscité par un gentil- homme, au sujet de certains privilèges accordés au collège, obligea les Pères de recourir à Rome. Le P. Martin de Sainte-Croix fut délégué pour poursuivre la cause. Il fit le voyage à pied, jusqu'à Barcelone. Sur le navire qui le portait en Italie, il conquit, par l'exemple de ses vertus, l'estime et l'affection de plusieurs nobles passagers, qui, dès leur arrivée à Rome, demandèrent à être admis dans la Compagnie. La Société ne possédait alors à Rome que la maison professe. Comme le P. Martin avait à traiter des affaires temporelles, saint Ignace ne vou- lut point qu'il habitât avec les autres Pères, et lui trouva un logement au palais de l'ambassadeur du Portugal. Fatigué par les démarches que réclamait la cause qu'il était venu traiter, épuisé par les fortes chaleurs de Rome, le P. Martin de Sainte-Croix tomba gravement malade, et, après de longues et cruelles souffran- ces héroïquement supportées, s'éteignit, le 27 octobre 1548, dans les bras de saint Ignace. Il serrait la main de son Père, tandis qu'il se tordait sur son lit sous les étreintes de la douleur. Cf. Hist. Soc, P. i, lib. m, 22 ; iv, 229 ; VIII, n'' 8 1 ; Alcazar, Chrono-Hist., tom. i, pag. 129; Patrign., tom. 4, 27 oc- tob., pag. 199.

5. (Page 146.) Cf Carias de san Ignacio, cvi.

6. (Page 147.) Estote perfecti, sicut et Pater vester cœlestis perfectus est.

Matth., v, 48.

7. (Page 147.) De tenebris vos vocavit in admirabile lumen suum, et trans- tulitin regnum Filii dilectionis suce. I Pet., 11, 9 ; Colos., i, 13.

8. (Page 148.) Quîe quidem rétro sunt obliviscens, ad ea vero, quœ priora sunt, extendens meipsum. PhiL, m, 13.

9. (Page 149.) Arcum frangit contentio, animum remissio.

Histoire de S. Ignace de Loyola. II. 22

338 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

10. (Page 149) Animus laborantium impinguabitur. Prov., xiii, 4.

11. (Page 150.) Vincent! dabo manna abscondituin. Apec, 11, 17.

12. (Page 150.) Non sunt condignœ passioneshujus temporis ad futuram gloriam quœ revelabitur in nobis. Momentaneum et levé tribulationis nostn-e, supra modum, in sublimitate, reternuni gloriœ pondus operatur in nobis. Rom.^ VIII, i2,; II Cor., iv, 17.

13. (Page 150.) Qui adjustitiam erudiunt multos, quasi stellrc fulgebunt in perpétuas aîternitates. Dan., xii, 3.

14. (Page 151.) Maledictus qui facit opus Domini negligenter. Jerein., XLViii, 10. La Vulgate corrigée dit: /r^z/^^/z^/e^w/^A-. Les Septante traduisent ajA^XcLa. Le mot hébreu signifie l'un et l'autre.

15. (Page 151.) Qui in stadio currunt, omnes quidem currunt, sed unus accipit bravium. / Cor., ix, 24.

16. (Page 151.) Non coronabitur nisiqui légitime certaverit. // Cor., 11, 5.

17. (Page 152.) Omnes sunt administratorii spiritus in ministerium missi propter eos qui hœreditatem capient salutis. Heh., i, 14.

18. (Page 153.) Se nascens dédit socium,

Convescens in edulium, Semoriens in pretium, Se regnans dat in prnemium. S. Thom. Aq. Offic. SS. Sac, Hymn. ad Laud.

19. (Page 153.) Omnes qu^erunt qu?e sua sunt, non quœ sunt Ji:su Christi. Phil., II, 31.

20. (Page 153.) Rationabile obsequium vestrum. Rom., xii, i.

21. (Page 153.) Honor Régis judicium diligit. Ps., xcviii, 4.

22. (Page 153.) In omnioblatione tuaofferessal. Lev., 11, 13.

23. (Page 153.) Maxime de Pittacus, l'un des sept sages de la Grèce.

24. (Page 154.) Noliesse justus multum. Eccle., vu, 17.

25. (Page 174.) Substantia festinata minuetur. Prov., xiii, 1 1.

26. (Page 154 ) Qui festinus est pedibus,offendet. Prov., xix, 2.

27. (Page 155.) Bon?e voluntati non semper credi expedit, sed fra^nanda est, sed rege'nda est, et maxime in incipiente. Bern., Devita solit. ad FF. de Monie Dei.

28. (Page 155.) Qui sibi nequam est, cui alii bonus erit } Ecdi., xiv, 5.

29. (Page 155.) Si quid sine consensu et voluntate patris spiritualis fit, im- putabitur vanre gloriœ, non mercedi.

30. (Pag. 155.) Quasi peccatum ariolandi est repugnare et, quasi scelus idololatriœ, nolle adquiescere. I Reg., xv, 23.

31. (Page 156.) Hoc est prreceptum meuni, ut diligatis invicem, sicut di- lexi vos. /oan., xv, 12.

32. (Page 160.) Dans une lettre du 24 juillet 1543, saint Ignace parle à saint François Xavier de l'œuvre du catéchuménat : « Depuis que nous

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 339

« avions acquis la maison pour les catéchumènes, grâce à Madame la Duchesse, « qui les prend sous sa protection et à sa charge, les aumônes étaient devenues « beaucoup plus abondantes, et Dieu Notre-Seigneur bénissait visiblement cette « œuvre. C'était lui en quelque sorte qui plantait et arrosait par des mains aussi « faibles et aussi inutiles que les nôtres. Dans son infinie et souveraine bonté, « il a voulu développer cette œuvre, et lui procurer un grand édifice, par le dé- « vouement d'un de mes amis, homme de bien, appelé Messire Jean del Mer- « cado. Ce n'est pas tout: le Pape l'a confirmée par une Bulle, et de notre côté « nous avons employé, pour la faire prospérer, tous les moyens dont nous pou- « vions disposer en Notre-Seigneur. Jean del Mercado a donc maintenant outre « une somme considérable d'argent, deux maisons solides et vastes, l'une pour « les hommes et l'autre pour les femmes. Il y a dans l'une et dans l'autre un « certain nombre de catéchumènes, mais il ne doute pas que ce nombre aille en « augmentant. Dans celle des hommes se trouvent deux juifs que nous lui avons « envoyés pour être baptisés. L'un d'eux est le fils de Messire Paul, médecin du « Pape. Ce jeune homme, quand son père se fit chrétien, ne voulant pas le sui- « vre, s'en alla en Orient. Mais, après son retour à Rome, l'Esprit Saint agissant « sur son âme, il a éprouvé les plus ardents désirs d'être chrétien, et il se prépare « à recevoir le baptême.

« Dans ce moment, Messire Jean del Mercado s'occupe, comme je l'en ai « prié, de transporter au nouvel édifice les lits et tout le mobilier que nous avions « dans l'ancienne maison, afin d'en faire jouir les néophytes. Il va également « recevoir l'argent que nous avions mis en dépôt pour cette destination. Cette « œuvre étant si bien fondée et confirmée par l'autorité apostolique, nous espé- <( rons, avec le secours de la grâce, en entreprendre d'autres qui ne contribue- « ront pas peu au service et à la gloire de Notre-Seignear. » Cf Carias de san Ignacio^ XLiv.

33. (Page 162.) Voici la traduction littérale de la sentence portée contre le calomniateur : « Le nom de Dieu invoqué, nous, siégeant sur notre tribunal, « nous déclarons que le seigneur Jean de Torano, de la région de Campitelli, « recteur de Saint-Jean di Mercato et du monastère des religieuses des catéchu- « mènes, après avoir avoué sa faute et avoir été légalement convaincu de l'avoir « commise, a été reconnu coupable et digne d'être puni, selon les lois, de la « suspense à perpétuité de tout ministère sacerdotal, et privé de toute espèce « de bénéfices et décharges, comme de fait nous le suspendons et nous l'en pri- « vons en confisquant tous ses biens. Et, voulant user d'indulgence à son égard, « comme il convient à des juges ecclésiastiques, nous déclarons qu'il doit être « condamné à la prison à perpétuité, comme nous l'y condamnons et ordonnons « qu'il y soit enfermé. »

G. Card. del Monte, protecteur. Simon Ginetti, notaire.

D. François Ferreri de Barcelone avait pris part aux calomnieuses attaques de Jean de Torano, contre saint Ignace ; mais, plus habile que son complice, dès qu'il fut cité à comparaître, il alla devant le juge avouer sa faute et rétracter tout ce qu'il avait dit. D. Pierre Rasponda, substitut du vicaire Archinto, le con- damna, le 2 juin 1544, à demander pardon, à genoux, à saint Ignace. Cf. Acta sanctoruiiiy Jul., tom. vu, pag. 495, 401. On le voit, saint Ignace ne fut pas

340 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

mieux traité que ne l'ont été, dans la suite, ses enfants.Tant que sa considération personnelle était seule en cause, saint Ignace supportait en silence la calomnie ; mais, s'attaquait-on à la Compagnie et à ses membres, de manière à nuire à leur autorité et à leurs ministères auprès des âmes, il n'avait de repos qu'il n'eût, par un jugement éclatant, fait disparaître toute trace de soupçon : « Notre vie, disait- « il, avec saint Augustin, est nécessaire pour nous, notre réputation est néces- « saire pour les autres;» Nobis est necessaria vita Jiosira, aliis fa ma ?iostra... De viduit. On conserve les autographes de plusieurs mémoires rédigés par le Saint, pour des cas analogues. Dans une lettre adressée à Jean d'Avila, le 24 janvier 1549. au sujet de violentes attaques dont la Compagnie était l'objet à Salamanque, de la part du dominicain Melchior Cano, saint Ignace se justifie par des citations de saint Augustin, de saint Jean Chrysostome, de saint Jérôme, de saint Thomas d'Aquin, de saint Bonaventure, de Cajétan, du fait d'avoir recours à l'autorité supérieure pour arrêter la calomnie. Cf. Cartas de san Ignacio,

CLXl.

34. (Page 162.) Saint Ignace, dans une lettre du 24 juillet 1543, expose ses plans et raconte les débuts de cette œuvre à saint François Xavier : « Je « vous disais dans ma dernière lettre que mon dessein était, cette maison de « catéchumènes juifs une fois fondée, de nous en retirer, pour nous occuper « d'une autre œuvre également très importante. Or, par la grâce du Seigneur, « cette œuvre est déjà heureusement commencée, et promet, nous l'espérons du « divin Maître, non moins de fruits de salut que la précédente. Voici en quoi « elle consiste. Le monastère des repenties de cette ville, bien qu'il renferme (( plus de quatre-vingts femmes, était loin de suffire pour recevoir toutes celles « que le Saint-Esprit arrachait au péché, surtout si on les admettait sans délai « et sans beaucoup de preuves ou d'examen ; il ne pouvait recevoir les femmes <( mariées, vivant publiquement dans le péché, quand la grâce touchait leur cœur. « Nous avons donc formé le dessein dans le Seigneur, pour son plus grand ser- « vice et pour sa plus grande gloire, de fonder une maison pourraient se « retirer, dès qu'elles voudraient se convertir, toutes les pécheresses publiques. « Là, animées du désir de servir Dieu, elles s'engageraient à y vivre, en toute « chasteté et obéissance, jusqu'à la fin de leurs jours, ou du moins jusqu'à ce « qu'on pût les réconcilier avec leurs maris, avec lesquels elles vivraient ensuite « honnêtement. Cette maison serait également ouverte à toutes les autres péche- « resses non mariées, qui, touchées de la grâce du repentir, voudraient sauver « leur âme. Elles s'engageraient également à vivre, en pratiquant la chasteté et « l'obéissance, dans cette maison jusqu'à la fin de leur vie, ou bien, pour celles « qui le désireraient, jusqu'à ce qu'on pût les marier chrétiennement, en faisant « pour cela les démarches nécessaires ;ou enfin, jusqu'à ce qu'on pût les placer « dans le monastère des repenties ou dans d'autres monastères réguliers, en sorte « qu'elles fussent dans l'heureuse impossibilité de retourner au monde et à leur « premier péché.

« Avec la grâce de Dieu, nous obtiendrons pour cette œuvre une Bulle très « favorable, une maison et des aumônes convenables. Nous formerons une asso- « dation de prélats, de seigneurs romains et d'autres personnes honorables et « estimées du public, afin que, sous leur patronage, la maison puisse prospérer. « Nous espérons en Notre-Seigneur que cette œuvre, estimée et louée par tant

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 341

« de personnes recommandables, contribuera d'une manière signalée au service, « à l'honneur et à la gloire de Dieu. Nous avons déjà une maison en forme de « monastère, renfermant une douzaine de ces pécheresses, des deux classes dont « j'ai parlé. Dans un ou deux mois, quand la maison sera mieux fondée, quand « l'ordre y sera établi, et quand le salut éternel de ces personnes sera en sûreté, « nous nous en retirerons entièrement, afin de nous occuper d'une autre œuvre, « qui, d'après mon pauvre jugement, ne sera pas de petite importance dans l'or- « dre du bien spirituel. » Cf. Carias de san Ignacio, xliv.

Plus tard, le 30 janvier 1544, saint Ignace, écrivant à l'apôtre des Indes, lui parlait de nouveau de cette même oeuvre : « L'œuvre des repenties, ainsi que « celle du catéchuménat des juifs, prospèrent malgré les combats que l'ennemi <i leur a livrés. » Cf. Bouix, Lettres de saint Ignace, xxix.

35. (Page 164.) Le cardinal Carpi, estimé pour sa grande vertu, se mon- trait entièrement dévoué à la Compagnie, et ne négligeait rien pour seconder le saint Fondateur dans toutes ses entreprises. Néanmoins, saint Ignace répétait souvent que la Société ne devait pas avoir d'autre protecteur que le Pape. Cf. Acta sanctorum, Jul., tom. vu, pag. 557, n" 713.

36. (Page 164.) « Le P. Jacques d'Eguia, confesseur de saint Ignace, vieil- lard d'une vertu éprouvée, s'occupait de ramener à une vie plus régulière et plus chrétienne les femmes qui vivaient dans le désordre. Son âge et sa vertu recon- nue lui permettaient, mieux qu'à des jeunes religieux, de traiter avec ces mal- heureuses. Il usait cependant d'une grande prudence, dans ce ministère délicat ; il n'allait les trouver et ne s'entretenait avec elles qu'en présence d'hommes très sûrs ou de dames très respectables. D'ordinaire, il avait recours à la promesse d'une aumône ou à toute autre pieuse industrie, pour attirer ces malheureuses dans un lieu honnête. C'est que, sous les yeux de deux ou trois Dames hono- rables, il les exhortait à changer de vie. » Cf Oliv. Manare, De rébus Societ. Jes. conunefît., cap. viii, ^ 18.

37. (Page 165.) L'accusateur était Matthias de S. Cassiano, maître des postes de Rome. Cité plusieurs fois devant le tribunal du Gouverneur et du Vicaire, juges délégués par le Pape, il ne comparut point, et fut condamné par contumace dans les termes suivants : « Après avoir vu, examiné et considéré « toutes choses, et le nom de Jésus-Christ invoqué, les susdits Gouverneur et <\ Vicaire dirent, déclarèrent, jugèrent que les accusations répandues, parmi le « peuple, étaient fausses, injustes, sans fondement et calomnieuses ; que les « prêtres de la Compagnie de Jésus et les autres membres de la congrégation « étaient d'une vie intègre, de mœurs pures, d'une doctrine catholique et d'une « piété inattaquables ; qu'ils produisaient, depuis bien des années, de grands « fruits dans la vigne du Seigneur; que la réputation éclatante dont ils jouis- « saient auprès du public, les mettait à l'abri de toute accusation et de toute « médisance ; et que cela était vrai en particulier du vénérable Ignace de « Loyola que nous recommandons spécialement dans le Seigneur... Par suite, « on a défendu et l'on défend au dit Matthias de renouveler ses accusations et « ses diffamations, sous peine d'être cassé de son office de maître des postes et « de la confiscation de tous ses biens, encourue ipso facto, sans autre avis ; le « Gouverneur et le Vicaire se réservant de stipuler la peine à infliger au susdit

342 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« Matthias pour ses diffamations, ainsi que les frais de la présente cause. » Cf. Acfa sanctorum, Jul., toni. vu, pag. 495, n°397.

38, (Page 165.) Le cardinal Jean Morone rendit à l'Église d'éminents services, et fut un des grands politiques de son temps. à Milan, en 1509, de Jérôme Morone, chancelier dans la cité, il fut élevé jeune encore sur le siège épiscopal de Modène. Envoyé en qualité de nonce auprès de l'empereur Ferdi- nand I", il assista, comme légat du Pape, à plusieurs diètes d'Allemagne il sut, par sa fermeté et sa douceur, conquérir l'estime des catholiques et des pro- testants. Paul III le créa cardinal, et Jules III l'eut encore en grande estime. Mais Paul IV qui, avant de ceindre la tiare, avait, à la suite de fausses accusa- tions, conçu des soupçons sur sa doctrine, le fit jeter en prison avec le cardinal Pôle et l'évêque Foscarari. L'avènement de Pie IV, en 1559, lui rendit la liberté et la confiance du chef de l'Église qu'il n'avait jamais cessé de mériter.

Reconnu et proclamé innocent, le cardinal Morone fut nommé légat aposto- lique au concile de Trente, il montra la plus grande habileté à mener le concile à son terme. Il laissa des monuments de son zèle dans les diocèses qui lui furent confiés et mourut, en 15S0, cardinal-évêque d'Ostie. Il avait établi les Jésuites et les Capucins, et érigé une maison de repenties, à Modène.

39. (Page 165.) Dans une lettre qu'il adresse au P. Le Jay, à Vienne, saint Ignace expose son projet d'établir à Rome le Collège Germanique: « Très cher « frère en Jésus-Christ, vous avez entendu parler plus d'une fois, je pense, du « projet d'établir ici, à Rome, un Collège Germanique pour y recevoir des jeunes « gens choisis, doués d'heureuses dispositions, et dont on puisse espérer qu'ils « avanceront dans la vertu et la piété chrétienne, afin de les y élever et de les « former à toutes les sciences. Ils y vivront sous la protection du Souverain, <L Pontife et de cinq cardinaux, et sous la direction de notre Compagnie, de « telle sorte qu'il ne leur manque rien de ce qui est nécessaire pour la nourri- « ture, le vêtement, le logement, les livres ; en un mot, pour tout ce qui peut « être utile et commode à des étudiants. Ceux qui auront fait de notables pro- « grès dans la science et dans la vertu retourneront en Allemagne, ils seront « pourvus de bénéfices ecclésiastiques. Ceux qui se seront fait remarquer par « l'éclat de leurs vertus, seront promus à des évêchés, et à toutes les autres « dignités les plus éminentes. Tous les amis de Dieu, qui ont soif du salut de « l'Allemagne, pensent que le moyen humain le plus efficace, et peut-être le seul, « pour soutenir la religion dans les pays elle penche vers sa ruine, et pour « la rétablir elle est entièrement tombée, c'est d'y envoyer, en plus grand « nombre possible, des hommes fortement trempés dans la foi, fermes de cou- « rage, et qui, exerçant un irrésistible ascendant, par l'exemple d'une vie labo- « rieuse et par une doctrine saine, puissent, par la prédication de la parole de « Dieu, par des leçons publiques et par des entretiens particuliers, déchirer le « voile de l'ignorance et des vices qui couvre les yeux de leurs compatriotes, et « les disposer ainsi à voir la lumière de la vraie foi catholique.

« Ceux donc, qui viendront dans ce collège fondé pour le bien de l'Allemagne- « comme on le voit par la copie ci-jointe de la Bulle du Pape, y trouveront des « maîtres qui leur donneront une connaissance approfondie des lettres latines, « grecques et hébraïques. Ceux qui auront déjà étudié les humanités seront

NOTES. LIVRE CINQUIÈME. 343

« instruits dans la logique, la physique, et les autres sciences supérieures, et en- « fin dans la théologie, au moyen de leçons publiques et d'exercices continuels. <.< Ils trouveront aussi des maîtres qui veilleront attentivement sur leurs mœurs « et sur la discipline de la maison, et qui dirigeront le collège. Ces hommes « doctes et pieux, pris dans notre Compagnie de Jésus, doivent être autant que « possible allemands, ou du moins des contrées voisines. Afin de pouvoir com- « mencer, dès cette année, cette grande œuvre, les cardinaux protecteurs de ce « collège, et particulièrement celui d'Augsbourg qui s'occupe de cette affaire « avec une charité et un zèle vraiment merveilleux, ont décidé qu'il fallait vous « écrire une lettre commune, à vous, au docteur Canisius, et aux autres frères « bien-aimés de notre Compagnie qui sont à Vienne, en vous recommandant « d'envoyer le plus promptement possible à Rome quelques jeunes gens alle- « mands de nation et de langue ; de sorte qu'ils puissent être ici dans le courant « d'octobre, si c'est possible, ou du moins en novembre. Nous donc qui, par « zèle pour les âmes, nous sommes chargés de ce fardeau avec le plus grand « bonheur, nous vous enjoignons sérieusement d'apporter, au choix et à l'envoi « des jeunes gens, le soin et le zèle que vous auriez dans une chose de la plus (( haute importance, pour la gloire de Dieu et le salut du prochain. Je vous salue « en Jésus-Christ Notre-Seigneur. Rome, le 30 juillet 1552. Votre en Notre- « Seigneur, Ignace. » Cf Cartas de san Ignacio, cclvi.

Deux jours avant le 29 juillet, le saint Fondateur avait recommandé cette œuvre au cardinal Carpi. Cf Cartas de san Ignacio, CCLXXV. Ignace envoya plus tard un mémoire au Roi des Romains, pour l'intéresser au Collège Germa- nique, lui exposer de quelle utilité serait cette fondation pour la conservation de la foi dans ses états, et lui demander en même temps de vouloir bien consti- tuer la rente nécessaire à l'entretien des jeunes gens qu'on y enverrait. Cf Car- ias de san Ignacio, tom. ccccxv. Dans sa bulle d'érection, Jules III donnait, pour protecteurs au collège, les cardinaux Rodolphe, Pie de Carpi, Marcel Cervin, Jean Morone, Othon Truchsess et Jacques Putée. L'ouverture s'en fit avec une grande solennité, le 28 octobre, fête des apôtres saint Simon et saint Jude. Le Père Ribadeneira, non encore prêtre et appelé de Sicile pour enseigner la rhétorique au Collège Romain, prononça un éloquent discours latin. Le Père Frusius fut nommé recteur de la maison. Cf Carias de san Igfiacio, ccLXXXix ; Bartoli, lialia, lib. 11, c. xv ; Memorie Istoriche, lib. 11, c. xix ; Degli uomini e de' faiti, lib. 11, c. xix ; Hisi. Societ., P. 11, c. xii, 8.

Dès le début, les succès répondirent à l'attente de saint Ignace. Le 2 février 1554, il écrivait une lettre circulaire aux recteurs et aux supérieurs de la Com- pagnie, et, le 13 mai, une autre lettre au cardinal de Burgos, il marquait toute la satisfaction que lui donnait cette importante fondation. Cf Cartas de san Ignacio, cccciii, cccclxx. Le 24 janvier 1555, il écrivait au cardinal Pôle: « Les étudiants qui habitent le Collège Germanique font les plus grands progrès « dans la vertu et dans les lettres, et nous espérons que parmi eux la divine « Bonté se préparera des instruments de choix pour son service et pour le bien « spirituel des différentes nations auxquelles ils appartiennent. » Cf. Carias de san Ignacio, Dxciii. Le 2 juin 1555, il exprimait encore les mêmes sentiments de grande satisfaction et offrait de recevoir dans le collège quelques jeunes gens de l'Irlande. Cf Carias de san Ignacio, dclxxiii.

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40. (Page i66.) Le portugais Diego Payva Andrada, savant théologien et écrivain élégant, traduisait ainsi les craintes que cette fondation inspirait aux protestants et les espérances qu'elle faisait naître parmi les catholiques Quan- « tum ha^c res utilitatis Germanis afferat, satis conjici ex Chemnitio potest, qui « tantopere ab ea sibi ac suna factioni timet, ut hac una de causa affirmet, So- « cietatem Jesu in Germanic-e Evangeliique perniciem fuisse potissimum compa- « ratam. Neque dubito, quin divino beneficio horumque adolescentium opéra « et diligentia, Germania praereptam sibi fidei lucem aliquando recuperet, atque « patrum corda in filios Deus tandem, imperfectosque ad scientiam justorum « convertat. » Cf. Oriodoxaruvi Explicatiomim^ lib. i, pag. i6; Acta Sarictorum, Jul, tom. VII, pag. 504, H" 441.

L'avenir a pleinement justifié les espérances de saint Ignace et les craintes des sectaires. De 1552 à 1573, le Collège Germanique reçut 162 élèves, dont la majeure partie appartenait à la noblesse italienne. En 1573, Grégoire XIII as- signa des fonds pour l'entretien du collège et lui donna un règlement définitif, mais les malheurs des temps en amenèrent la suppression. En 18 18, Pie VII le rétablit. De 1573 à 1798, le collège reçut 4676 élèves, et de 1818 à 1877, il en admit 742. En 1877, il y en avait 84 de présents. Or, parmi les élèves formés au Collège Germanique et entrés dans la carrière ecclésiastique, on compte deux papes, 27 cardinaux, 5 électeurs du Saint Empire romain, 47 primats et archevêques, 270 évêques, 15 administrateurs d'évêchés, 62 abbés de monastères ou généraux d'Ordre.

41. (Page 166.) Malgré son âge avancé, Grégoire XIII déploya, pendant les treize années de son pontificat (1572-1585), une énergie et une activité peu communes, à défendre et à propager l'Église catholique. Son règne a laissé de nombreux et d'impérissables souvenirs dans l'histoire. La réforme du calendrier julien, auquel contribua, pour une grande i")art, le célèbre jésuite Clavius, la mis- sion d'un autre Jésuite non moins illustre, le P. Possevin, auprès du prince Jean Basilowitzde Moscou, la correction du Décret de Gratien, l'ambassade à Rome de trois rois japonais ; ses efforts incessants pour rétablir la foi catholique dans les pays protestants, pour étouffer les dernières résistances des disciples de Baius, pour opposer une digue à l'invasion des Turcs, pour faire adopter partout le concile de Trente : toutes ces œuvres, inspirées par un zèle intelligent et infati- gable, resteront à jamais dans les annales de l'Eglise. Grégoire XIII compte parmi les grands bienfaiteurs des Jésuites. Il confirma l'Ordre et l'enrichit de privilèges. Il avait compris que l'enseignement de la jeunesse et la formation d'un clergé instruit et moral étaient les seuls moyens vraiment efficaces de maintenir l'intégrité de la foi et d'assurer le salut des âmes. Dans cette' pensée, il fonda ou contribua à fonder plus de vingt-trois collèges, à Prague, à Vienne, à Gratz, à Olmutz, à Vilna, et jusqu'au Japon. A Rome même, il institua les collèges des Anglais, des Grecs, des Maronites, et celui des nouveaux convertis. Il contribua d'une manière spéciale à la prospérité du Collège Germanique. Mais sa générosité éclairée se manifesta surtout dans la fondation du Collège Romain, dont il voulut faire un séminaire pour toutes les nations, et qu'il fit inaugurer par vingt-cinq discours en autant de langues différentes. Une médaille portant cette inscription conserve ce souvenir :

NOTES. LIVRE CINQUIÈME. 345

Gregorivs XIII Pont . Max .

COLLEGIVM SOCIETATIS . JeSV .

omnivm . nationvm

Seminarivm

pro . sva . in . christianam

religionem . et . ordinem

illvm . pietate

a. fvndamentis

exstrvxit

et . dotavit . an . sal .

CIDI3LXXXII

Pont . svi . X .

ROMA . P .

42. (Page 167.) « Notre bienheureux Père avait un courage et une con- « stance à toute épreuve. Infatigable dans ses entreprises, nulle difficulté, nulle <i contradiction ne le faisait reculer, quand il jugeait l'œuvre commencée utile « au service de Dieu ; et il désirait en tous ses fils la même énergie de volonté. « Cependant, il ne voulait pas qu'on poussât la constance jusqu'à l'opiniâtreté, « et qu'on s'obstinât dans une entreprise, quand il n'y avait point d'espoir d'y « réussir, et qu'on pouvait employer sa peine à une œuvre plus utile... Dans les « œuvres qu'il entreprit pour la gloire de Dieu, il usait, pour réussir, de tous les <; moyens humains, et avec autant d'énergie et de soin, que si le succès en eût « dépendu uniquement. D'autre part, il mettait toute sa confiance en Dieu et « attendait tout de sa providence, comme si les moyens humains eussent été de « nul eiïet. » Cf Ribadeneira, Tratado del modo de gobierno, cap. v, § 1 1 ; cap. VI, M-

43. (Page 168.) La belle lettre de saint Ignace est une véritable disser- tation théologique, sur la primauté du Pontife Romain, et sur l'unité de l'Église catholique. Elle a été justement louée par d'éminents écrivains. Rinaldi la jugea digne de figurer dans ses Annales ecclésiastiques, ann. 1555, viii. Le P. Maître François de Saint-Augustin Macedo, professeur de théologie au collège de la Propagande et consulteur du Saint-Office, à P.ome, l'a insérée dans son ouvrage: De Clavibus /'.^//-/(Romae, 1660), il dit : « J'ai lu cette lettre, et je l'ai trouvée « remplie d'une doctrine divine. J'ai admiré comment, sans rien omettre de ce « qui touche au sujet, l'auteur a réuni, en si peu de lignes, les points de doctrine « expliqués par moi et par d'autres théologiens, et donné un résumé de ma- « tières qui pourraient faire l'objet d'un long traité. Aussi, je tiens à reproduire << de nouveau cette lettre qui est un vrai trésor, afin que les lecteurs aient la sa- « tisfaction d'y trouver, en abrégé, une matière abondante d'érudition sacrée. » Tom. I, pag. 39. Le P. Thyrse Gonzalès a inséré cette même lettre dans son excellent livre sur VInfaillibilifé du Pontife Romain {Disput. ix, lect. JX, 33). On la trouve encore, dans l'ouvrage suivant du P. François de Sequeiros y Soto- mayor,des Ermites de Saint-Augustin, docteur de l'Université d'Alcala,et plus tard évêque : Impugnatio propositionum Cleri Gallicani de ecclesiastica potestate.

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drid, 1683. Enfin Spondanus, dans sa continuation des annales de Baronius (an. 1555 ^ XV), l'appelle une lettre remarquable, egregiam... Cf. Carias de san Ignacio, DCXiii.

44. (Page 16S.) La puissante famille des Colonna se montra très attachée

la Compagnie, dès les premiers temps de sa fondation. Aussi, saint Ignace voyait-il avec peine la désunion persister entre Ascagne Colonna et son épouse Dona Jeanne d'Aragon. Il mit tout en œuvre pour les réconcilier, et, un jour, il se rendit, avec le P. Polanco, à Alvito, sur la frontière du royaume de Naples, Dona Jeanne habitait loin de son mari. La princesse lui fit bon accueil et parut se rendre aux bons conseils du Saint, qui l'engagea à rentrer, sans conditions, auprès de Don Ascagne. Il lui remit un écrit il énumérait 26 motifs qui de- vaient l'induire à faire cette démarche. Mais de mauvais conseillers intervinrent, après le départ de saint Ignace, et la réconciliation tant désirée ne put avoir lieu. Cî. Caftas de san Ignacio ccLxxxviii. Dona Jeanne, amie et belle-sœur de Victoire Colonna, si célébrée par les poètes de son temps, resta toujours dévouée à saint Ignace et, après la mort du Saint, elle donna à saint François de Borgia une maison qu'elle possédait sur le Quirinal, fut établi le noviciat de Saint-André. Plus tard, Marc-Antoine Colonna, le vainqueur de Lepante, fils d'Ascagne et de Dona Jeanne d'Aragon, constitua avec sa mère des rentes pour l'entretien des novices.

45. (Page 168.) Saint Ignace pratiqua et favorisa, de tout son pouvoir, la communion fréquente, si rare de son temps. A Salamanque, on lui fit un crime de communier tous les huit jours. Dans une lettre, il engageait sa sœur Made- leine à faire la communion tous les mois, et c'est à sa demande que le P. de Madrid fit imprimer, à Naples, en 1556, son opuscule sur la fréquente commu- nion, le premier livre publié par un Père de la Compagnie, après le livre des Exercices.

46. (Page 168.) Pour obtenir la confirmation de la décrétale d'Inno- cent III, saint Ignace rédigea un mémoire dont on conserve l'autographe aux archives du Cesù, Dans cet écrit, il réfutait l'opinion, d'après laquelle refuser les remèdes à un malade qui ne voulait pas se confesser, c'était manquer à la cha- rité. Non content de cela, il soumit la question à plusieurs savants théologiens etcanonistes, qui tous déclarèrent être de son avis.

Le 30 janvier 1544, il annonçait à saint François Xavier le succès de ses dé- marches : « Quant au décret du pape Innocent III, relatif à Ja visite des méde- « cins dans les hôpitaux, décret que j'avais supplié Sa Sainteté de remettre en « vigueur, il y a déjà plus de vingt jours qu'on l'observe. » Cf. Bouix, Lettres de saint Ignace, xxix,

47. (Page 169.) « Notre bienheureux Père possédait à merveille l'art de « gagner les cœurs, pour les conduire ensuite plus aisément à Dieu. Ses exem- « pies comme ses paroles nous en donnaient des leçons. Un grand moyen, selon « lui, était d'avoir un véritable amour des hommes et de leur montrer cet amour « par des paroles affectueuses et par des œuvres, en les aidant de notre mieux, « autant que notre condition et une prudente charité le permettent. Il faut aussi, « disait-il, témoigner de la confiance aux personnes avec qui nous traitons, leur « communiquer nos propres affaires (plus ou moins cependant, selon leur capa-

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 347

« cité et le degré d'amitié qui existe entre elles et nous), demander leur avis et << le suivre quand il est bon, nous conformer à leurs désirs, condescendre à tout « ce qui n'est pas contraire à Dieu, fermer les yeux sur certaines choses dans le « principe, et entrer par leur porte pour les faire sortir ensuite par la nôtre ; en- « fin, nous faire tout à tous, comme l'Apôtre, afin de gagner tous les cœurs à « Jésus-Christ : Omnia onuiibus ut omnes hicrifaciamus. Mais la prudence,pour « atteindre ce but, doit considérer toutes les circonstances de temps et de lieu, « et encore les dispositions des personnes avec qui l'on est en rapport et la « nature des affaires à traiter. C'est pourquoi, avant de nous livrer à quelqu'un « et de nouer avec lui d'intimes relations, il faut bien étudier son caractère et « son humeur, surtout si c'est un homme de haut rang. » Cf. Ribadeneira, Tra- tado del modo de gobierno, cap. v, § viii.

48. (Page 173.) Le P. Olivier Manare raconte lui-même ce fait dans tous les détails. Cf De reb^is Soc. Jesu comment., cap. viii, § 2, pag. 115-118. Saint Ignace parle de l'expulsion du faux religieux, dans une lettre adressée au P. Le Jay, le 12 décembre 1545. Cf. Carias de san Igfiacio, Lxv. Dans ses Dialogos sobre los expulsas de la Compagnia, le P. Ribadeneira raconte, lui aussi, l'histoire de Postel.

49. (Page 175.) Le P. Everard Mercurian était dans une petite loca- lité du duché de Luxembourg, de parents considérés, mais dépourvus des biens de ce monde. Voyant en lui de rares dispositions pour l'étude, son père et sa mère ne reculèrent devant aucun sacrifice pour l'envoyer d'abord à Liège, puis à Louvain, se préparera l'état ecclésiastique. Il obtint, en 1544, le grade de doc- teur en philosophie. A son retour à Liège, on lui donna un canonicat ; mais, devenu prêtre, il préféra s'occuper au ministère et il demanda, en vue d'un plus grand bien, l'administration d'une paroisse de campagne. Le résultat de ses efforts ne répondit guère à son attente, et il conçut le dessein de marcher sur les traces du P. Le Fèvre et de François Strada qu'il avait connus à Louvain. Il par- tit pour Paris et se mit en relation avec le P. Viola, qui lui fit suivre les Exercices de saint Ignace et l'admit dans la Compagnie, le jour de la Nativité de la Sainte- Vierge, 1548. Le P. Everard étudia la théologie, à Paris, jusqu'en 1551; mais, comme la France était profondément troublée par la guerre, on dut disperser les religieux de la Compagnie. Le P. Mercurian fut envoyé à Rome, saint Ignace lui fit le plus paternel accueil. Le saint Fondateur le nomma vice-préposé de la maison professe et, vers la fin de l'année, l'envoya comme recteur au collège de Pérouse qui allait s'ouvrir. En 1557, il fut nommé visiteur des maisons de la Flandre, et, l'année suivante chargé comme provincial de l'administration de la province. A la Congrégation générale, qui donna le P. François de Borgia pour successeur au P. Laynez, le P. Mercurian fut choisi pour un de ses assistants. Sous le généralat de saint François de Borgia, il ne cessa guère de voyager pour visiter les maisons de France. Après la mort de saint François de Borgia, le P. Everard Mercurian fut élu Général de la Compagnie, le 23 avril 1573. Il gouverna la Société pendant huit ans, et mourut au noviciat de Saint-André, le I" août 1580. Il se signala par une grande charité et un amour particulier pour la pauvreté, ne voyageant qu'à pied et ne portant que des vêtements usés et raccommodés. Son zèle pour les missions contribua grandement à l'extension

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du règne de Jésus-Christ. C'est lui qui envoya aux Indes, au Japon et en Chine, le P. Alexandre Valignani, justement surnommé le second apôtre de l'Orient. C'est lui qui fit partir le glorieux P. Rodolphe Aquaviva pour les Indes, il alla cueillir la palme du martyre ; qui donna à l'Angleterre deux colonnes de la foi, le P. Person et le P. Campion ; qui envoya en Pologne et dans la Transylvanie, les Pères Antoine Possevin et Stanislas Varscewizki, et chez les Maronites, les Pères Jean Bruno et Jean-Baptiste Élian. Il fonda encore à Rome le séminaire des Maronites et le séminaire des Anglais. C'est lui qui rédigea le sommaire des constitutions, les règles communes et les règles de chaque office ; enfin on a pu dire, ce qui est son plus bel éloge, que le génie et l'esprit de saint Ignace revivaient en lui. Cf. Oliv. Manare, De reb. Soc. Jes. com- ment., cap. I, ^ 14, 34 ; cap. vi, § 6, 37 ; cap. viii, § i, 2, 3, 17, 25 , Hist. Soc, P. I, lib. VIII, 41; XII, 15 ; P. 11, lib. iv, 93, 102; P. m, lib. i, 34 ; iv, 123 ; v, 3 ; P. iv, lib. vi, vu, viii passim ; Alegambe, Morf. illust.; Heroes et vict., pag. lod; Journal hist. el litf., tom. xxiii ; d'Oultremont, pag. 82; Pa- trign., tom. m, i^"" août, pag. 8.

50. (Page 175.) Cf. Oliv. Manare, De rébus Soc. Jesu conwient., cap. viii, §3, pag. 118.

51. (Page T77.) Bernardin Ochino s'était acquis en Italie une grande célé- brité. Né à Sienne, en 1487, il entra jeune encore chez les religieux de l'Obser- vance de Saint-François : puis il les quitta pour se livrer à l'étude de la méde- cine. Bientôt après, il rentra dans l'Ordre qu'il avait abandonné. On venait d'établir la réforme des capucins; il l'embrassa, en 1534, et sut si bien gagner l'estime de ses frères en religion qu'ils le nommèrent deux fois vicaire-général, en 1538 et en 1541. Il commença par exiger rigoureusement l'observation des règles, donnant extérieurement, le premier, l'exemple. Ses austérités, sa longue barbe, son habit grossier, et, par dessus tout, son éloquence populaire, en firent l'idole de l'Italie. Les princes le comblaient d'honneurs et s'efforçaient de l'atti- rer auprès d'eux. Mais toutes ses austérités cachaient une grande ambition ; il aspirait aux plus hautes dignités de l'Eglise, et son mépris des aises de la vie, dans les châteaux des princes qui lui offraient inutilement toutes les satisfac- tions, comme l'ardeur du zèle qu'il manifestait dans ses ministères, n'étaient que de l'hypocrisie. Le Pape, ne lui donnant point le chapeau de cardinal qu'il atten- dait, il passa dans le camp de l'erreur, emmenant avec lui une jeune fille de Lucques qu'il épousa à Genève, à l'nge de 55 ans. L'orgueil le poussa à se faire chef de secte. Il se mit à parcourir l'Allemagne, prêchant de parole et d'exemple la pluralité des femmes, et il mourut misérablement de la peste, dans un âge très avancé, à Planckow, en Moravie, après avoir changé aussi souvent de reli- gion que de patrie, après être devenu partout, par ses mœurs déréglées, le scan- dale de la chrétienté. Cf. Cartas de san Ignacio, lxv.

52. (Page 177.) Né, en 1500, à Stovvertoncastle, le cardinal Pôle (Pool, Polus) était parent de Henri VIII, par sa mère la comtesse de Salisbury. D'Ox- ford, où il avait achevé ses études, il se rendit à Paris, pour les perfectionner; puis, à Padoue. A son retour en Angleterre, il refusa d'approuver les projets de divorce du monarque anglais, malgré les brillantes promesses qui lui étaient faites, et il quitta sa patrie pour se réfugier à Rome, auprès du Pape. Celui-ci

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 349

l'employa dans les affaires les plus graves. Il fut envoyé, en qualité de légat, en France et en Flandre, il attendait le résultat des négociations entamées par Charles-Quint et François P"' avec Henri VIII, lorsque ce dernier, loin de con- sentir à un arrangement, exigea de François, l'extradiiion du cardinal Pôle et fit des offres considérables aux Flamands, s'ils voulaient le lui livrer. Pôle crut pru- dent de revenir en Italie et de se retirer à Viterbe, le Pape lui donna une garde pour le protéger contre des assassins envoyés d'Angleterre. Henri VIII se vengea en faisant mourir la mère du cardinal, ses frères et plusieurs de ses amis. Le Pape le nomma un des trois présidents du concile de Trente. A l'avè- nement de Marie la catholique, il fut envoyé comme légat dans sa patrie. Agréa- ble à la nation comme anglais, bien vu des grands à cause de sa haute naissance, irréprochable de mœurs et d'intentions, intelligent et modéré, il arrivait à Lon- dres, le 24 novembre 1554, et, le 30, il faisait abjurer le schisme à tous les mem- bres du parlement. Nommé peu après archevêque de Cantorbery, il poursuivit, avec prudence et modération, l'œuvre delà réconciliation. Une mort prématurée vint le frapper au milieu de ces travaux, le 18 novembre 1558. Prévoyant l'op- pression de l'église d'Angleterre par Elisabeth, il s'écria en mourant : « Seigneur, « sauvez-nous, car nous périssons ! Sauveur du monde, sauvez votre Église ! »

53. (Page 178). « La lettre de Votre Emmence, datée de Bruxelles, du « 1 1 novembre, époque à laquelle vous vous disposiez à passer en Angleterre, « m'a fait connaître l'heureux espoir que Dieu Notre-Seigneur vous donnait « déjà de ramener ce royaume à l'unité de la sainte Eglise catholique. Or, peu « de temps après, la ville entière de Rome apprenait avec transport que cette « espérance s'était changée en réalité. La nouvelle s'en était répandue avec « rapidité, et personne ne peut douter que ce ne soit uniquement l'ouvrage « de Celui qui n'a pas besoin de temps pour faire tout ce qui plaît à sa divine « et très parfaite volonté. Sans nul doute, Votre Éminence Révérendissime a « appris combien universelle a été la consolation et la joie spirituelle dont par « cette insigne faveur, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation « a inondé le cœur du Souverain-Pontife ; mais, quant à cette petite Compagnie, « tout ce que cet heureux événement lui a procuré et lui procure chaque jour « de consolation, c'est ce que nos discours sont absolument incapables d'expri- « mer... J'annoncerai à Votre Éminence Révérendissime que tout va en pros- « pérant dans la maison professe, dans le Collège Romain et au Collège Ger- « manique. Les jeunes gens qui habitent le Collège Germanique font les plus « grands progrès dans la vertu et dans les lettres, et nous espérons que, parmi « eux, la divine Bonté se préparera des instruments rares pour son service et « pour le bien spirituel des différentes nations auxquelles ils appartiennent. Si « Votre Éminence Révérendissime trouvait bon d'envoyer, à l'un ou à l'autre « collège, quelques jeunes gens bien doués pour les études, je suis persuadé que « bientôt ils pourraient revenir dans leur pays et y faire beaucoup de bien par « leur conduite comme par leur doctrine, et y inspirer la plus grande vénération « pour le Saint-Siège. Votre Éminence Révérendissime examinera plus atten- « tivement toute cette affaire ; nous avons pensé qu'il était de notre devoir de « mettre à sa disposition le désir que nous inspire la divine et souveraine cha- « rite, de travailler selon nos faibles forces au salut des peuples d'Angleterre... « Rome, le 24 janvier 1555. » Ct. Cartas de san Ignacio, dxchi.

350 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

54. (Page 178.) Le P. Bernard Olivier naquit à Auson, en Flandre, non loin do Tournai, en 1523. Son frère, devenu veuf, entra dans la Compagnie avec ses trois tils. Dieu Ty conduisit lui-même par des voies singulières. Son père, qui le destinait à la carrière sacerdotale, l'envoya à l'Université de Louvain où, à l'âge de 20 ans, il obtint le grade de docteur en philosophie. Ne se sentant pas d'attrait pour l'état ecclésiastique, Bernard rentra dans la maison paternelle, pour y vivre dans l'oisiveté. Son père, trompé dans son attente, lui dit un jour : « De <.( deux choses l'une, puisque tu ne veux pas de la carrière ecclésiastique, ou tu « apprendras un métier pour gagner ta vie, ou tu t'en iras, en vagabond, par le (( monde. )) « Oui, reprit l'indépendant jeune homme, je ferai ce que vous « dites; mais sachez-le bien, si le malheur me poursuit, jamais, dussé-je mourir de « faim, je ne reviendrai frapper à votre porte. » Cela dit, il partit pour Rome, avec six autres compagnons. Son unicjue ressource consistait en une petite sonniie d'argent que lui avait remise sa mère. Arrivé au terme de son voyage, il se plaça comme écrivain, chez un avocat de la Curie. Celui-ci, très satisfait de sa con- duite et de son travail, voulut se l'attacher, en lui donnant en mariage une de ses filles. Dieu réservait à Bernard d'autres destinées. Un évêciue cardinal, vou- lant obliger les fidèles à se rendre à l'église de leur paroisse, avait défendu aux religieux Franciscains de sonner la cloche pour la grand'niesse. Les religieux ex- cipèrent vainement d'un privilège, et durent porter leur cause à Rome. Comme les hommes de loi, par crainte du cardinal, hésitaient à défendre les droits des Franciscains, Bernard Olivier leur vint en aide et obtint prompte justice. Ce succès fut, pour l'avocat curial, un nouveau motif de hâter le mariage en projet; mais Bernard Olivier tomba subitement malade, et, se croyant en danger, fit ap- peler un Père Jésuite. Les bons conseils du Père et la maladie lui inspirèrent de salutaires pensées. A peine remis, il demanda à entrer dans la Compagnie. Saint Ignace crut prudent de le faire attendre, et résista même .1 des instances réité- rées. Fatigué par tous ces délais, Bernard vint un jour à la maison professe, et dit au portier : « Maintenant me voici résolu à ne pas sortir d'ici, si l'on ne me chasse à coups de bâton. » Informé de ses dispositions, le saint Fondateur l'admit enfin au noviciat, et, reconnaissant en lui un vrai mérite, le nomma ministre de la maison professe, après quelques mois de noviciat. Un fait vint bientôt faire éclater sa grande obéissance. Saint Ignace, toujours animé pour les infirmes de la plus délicate charité, recommanda, sur l'ordre du médecin, de servir, à minuit, une potion, à un malade de la maison. Chargé par son office de veiller aux soins des malades, le P. Bernard recommanda à son tour cette pres- cription à l'infirmier. A minuit, saint Ignace va visiter l'infirme et constate que le remède n'a point été administré. Aussitôt il éveille le P. Bernard et le reprend pour sa négligence. Celui-ci veut s'excuser en rejetant la faute sur l'infirmier, mais le Saint lui donne l'ordre de sortir immédiatement de la mai- son. Le P. Bernard obéit et s'arrête après avoir franchi le seuil de la porte, s'en tenant à la lettre des paroles de saint Ignace. Le saint F"ondateur, admirant la ponctualité de son obéissance, le rappela, et, quelque temps après, l'autorisa à faire ses vœux de religion et le nomma recteur du Collège Romain (1553). Comme le climat de Rome était contraire à sa santé, il l'envoya, peu de mois après, comme recteur, au collège de Montreale, en Sicile. De là, pour des raisons de santé encore, il fut mandé à Tournai, afin d'y ménager la fondation

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 351

d'un collège. Avant d'arriver à Tournai, il passa par Auson, sa patrie, et alla demander l'hospitalité, pour la nuit, à son père. Celui-ci ne sut pas le reconnaî- tre sous des vêtements négligés et avec ses traits amaigris par la maladie et les fatigues du voyage : « Poursuivez votre chemin, lui répondit dédaigneusement « le vieillard ; je ne reçois pas dans ma demeure des vagabonds et des bandits.» Pour attirer son attention, le P. Bernard lui glissa quelques mots sur le fils qui avait autrefois quitté, en enfant prodigue, le toit paternel. D'aveux en aveux, il en vint à se faire reconnaître ; son père, sa mère, transportés de joie, le pressèrent dans leurs bras, heureux de lui pardonner d'anciens mécontente- ments largement expiés. Le P. Bernard mit à profit son séjour à Auson pour re- nouveler, par ses prédications apostoliques, la foi et la piété, parmi ses compa- triotes. Son frère Henri lui présenta ses sept enfants. Le P. Bernard lui demanda pour la Compagnie le cadet à qui il donna son nom, le nom de Bernard. Plus tard cet enfant entra, en effet, dans la Société et devint provincial de Flandre. Il se rendit ensuite à Tournai, s'établit auprès de son frère Jodoque, un docteur en théologie renommé, puis ouvrit dans une petite église voisine une série de prédications. Dès les premiers jours, le concours des fidèles fut si grand que l'évêque du diocèse, ravi du bien qui s'opérait, sollicita avec instances la fonda- tion d'un collège. Prévenu de ces heureuses dispositions de l'autorité diocésaine- saint Ignace envoya à Tournai les Pères Quintino et Bouclet, pour aider le P. Bernard dans ses fructueux ministères. La Compagnie compta bientôt plusieurs établissements en Flandre, et le P. Bernard en fut nommé provincial. Mais, avant que les lettres patentes ne fussent arrivées, il contracta la peste, en donnant ses soins au P. Quintino déjà gravement atteint.

Il mourut peu après, le 22 août 1556, à l'âge de 33 ans. On vit briller sur sa tombe, pendant l'obscurité delà nuit, une éclatante lumière. Sa mère lui avait fait dire qu'elle désirait le voir, une dernière fois, avant qu'il ne mourût. Le P. Bernard répondit qu'il mourrait ce jour-là même, mais qu'il n'oublierait pas le désir de sa mère. Après sa mort, il se montra à ses frères Henri et Philippe, et les chargea d'aller de sa part saluer sa mère. Cf Oliv. Manare, De rcb.Soc.comin., cap. I § 1 1, 38 ; Hist. Soc, P. i, lib.ii, n" 29 ; xiv, n" 48 ; xv, n 31 ; xvi, n" 2,27, 35 j Alegambe, Heroes etvict, pag. 23; Nadasi,22 août ; M. Tanner, Soc. /es. iniit. pag. 54; d'Oultremont, pag. 106 ; Patrign., tom.iii, 22 août, pag. 183.

55. (Page 180.) Le Collège Romain, comme le rapporte le P. Ribade- neira, s'ouvrit successivement en trois endroits avant de s'établir définitivement au lieu il se trouve actuellement. Le 22 février 1551 (le 18 selon le P. Ri- badeneiraet le P. Orlandini), il fut inauguré au pied du Capitole, dans une petite maison qui existait encore du temps du P. Bartoli. Quatorze scolastiques y fu- rent envoyés de la maison professe avec le P. Pelletier pour recteur. On ne reçut d'abord les élèves que pour les basses classes l'on enseignait le grec, le latin et l'italien. Au mois de septembre de la même année, par suite du grand nombre d'élèves, on se transporta dans une nouvelle maison sur le chemin qui conduit du Gesù à la Minerve. Cette habitation avait appartenu à la famille Capocci, et était alors la propriété de la famille Frangipane ; elle fut acquise plus tard par les religieux Silvestrins qui, en 1631, y firent bâtir un couvent et l'église de Saint-Etienne. A l'enseignement des classes inférieures, on ajouta des

352 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

leçons de philosophie et de théologie scolastique, avec les PP. Martin Olaveet André Frusius pour premiers professeurs. Dans les cinq années qui suivirent, le nombre des jeunes scolastiques de la Compagnie s'éleva à près de 200. Les élè- ves venant en nombre de toutes parts, il fallut de nouveau changer de local, et transporter le collège dans le palais de Jean-Baptiste Salviati, sur le forum ap- pelé alors de r(9/wr;, du côté de l'église Sainte-Marie-in-Via-lata. Ce palais fut plus tard renversé pour agrandir la place. Après un séjour de quatre années dans ce local, le collège fut définitivement établi, en 1560, dans les maisons qui s'élevaient en face, maisons données par la marquise de la Valle, de Vittoria Tolfa, nièce du pape Paul IV. C'est sur cet emplacement que le Pape Gré- goire XIII fit construire la nouvelle Université.

56. (Page 1S2.) Se trouvant à table avec notre bienheureux Père, un des Nôtres lui dit: « En un temps de grande disette et de guerre comme celui-ci, « alors que les cardinaux et d'autres seigneurs congédient une partie de leurs « serviteurs, parce qu'ils ne peuvent les nourrir, comment nous, si nombreux à « Rome et dépourvus de rentes, pouvons-nous vivre si facilement ? C'est vrai- « ment un miracle, que Dieu nous entretienne ainsi ! A ces mots, notre bien- « heureux Père prit un extérieur grave et sévère, comme il faisait habituelle- « ment, quand on disait en sa présence quelque parole inconsidérée ; puis, il « répondit : « Comment ? un miracle ? mais ce serait un miracle, s'il en était « autrement ! » Et expliquant sa pensée : « Depuis la naissance de la Compa- « gnie, dit-il, nous avons toujours constaté que plus notre nombre était considé- « rable et la disette grande, plus aussi Notre-Seigneur nous fournissait abondam- « ment le nécessaire. » Cf. Ribadeneira, Tratado del modo de gobierno,C?L\}.\i, §11.

57. (Page 189.) « Un jour, raconte le P. Ribadeneira, que nous étions « avec notre Père Ignace, le P. Laynez, le F. André Oviedo, plus tard patriar- « che d'Ethiopie, et moi, le Saint, à l'occasion d'un certain discours dont on « s'entretenait, dit au P. Laynez : a Dites-moi, Maître Laynez, que feriez-vous si « Dieu vous faisait cette proposition : Si tu choisis de mourir à l'instant, je te « donnerai une couronne éternelle ; mais si tu veux vivre, je ne te garantis pas « l'avenir; tu demeureras dans l'incertitude, au sujet de ton salut. Si, continuant « à vivre, tu persévères dans la vertu, je te récompenserai. Si, au contraire, tu « tombes dans le mal, je te jugerai selon que la mort te surprendra. Or, si Dieu « vous parlait ainsi et si vous compreniez qu'en restant dans cette vie vous pour- « riez rendre à la divine Majesté quelque service insigne, quel serait votre « choix ? que répondriez-vous ? » « Pour moi, je vous l'avoue, mon Père, « répondit Laynez, je choisirais sans hésiter de quitter la vie pour aller jouir de « Dieu, assurer mon salut et me mettre à l'abri de tout danger, en une affaire « de si grande importance. » « Et moi, reprit saint Ignace, j'en agirais tout <"< autrement. Si je jugeais pouvoir rendre à Dieu, en continuant à vivre, quelque « service signalé, je supplierais le Seigneur de me laisser encore sur cette terre, « jusqu'à ce que j'eusse accompli cette œuvre ; je ne considérerais que les inté- « rets de Dieu, sans songer à moi, ni à ma sécurité. » Cf. Acia Siuidoruniy Jul., tom. VII, pag. 549, n" 678, 679.

58. (Page 189.) Ad majorem Dei gloriam, ad majus Dei ousequium. Saint Ignace répétait très fréquemment ces formules. On les trouve écrites

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 353

1 88 fois dans ses Constitutions, 27 fois dans l'Examen, 117 fois dans les Règles, 44 fois dans les Déclarations ; tant son esprit et son cœur étaient occupés, rem- plis, débordants du désir de glorifier la divine Majesté, en toutes choses et par tous les moyens. Cf. Ada Sanciomm, JuL, tom. vu, pag. 549, 677.

59. (Page 192.) Chanoine de l'église de Fumes, en Flandre, Nicolas La- noy entra dans la Compagnie, à Louvain, en 1548. Pour mieux le préparer à rendre à laSociété les services qu'on pouvait attendre de son talent et de ses vertus, saint Ignace l'appela auprès de lui, à Rome. Avant même qu'il n'eût achevé son noviciat, le saint Fondateur l'envoya avec quelques autres Pères fonder, comme recteur, un collège, à Palerme, et y enseigner la théologie scolas- tique. Un an après (1551), il partait avec dix compagnons pour aller ouvrir l'Université de Vienne, il commença à enseigner le Maître des sentences à un groupe déjeunes étudiants ; mais le P. Le Jay, arrivé en même temps que lui à l'Université, étant mort l'année suivante, le P. Lanoy resta chargé seul de tout le poids du gouvernement. Au milieu des travaux incessants de l'administra- tion et de l'enseignement, il sut néanmoins trouver le temps de s'occuper à divers ministères de charité. Il vint elîficacement en aide aux soldats italiens qui avaient échappé aux massacres de la Hongrie, et il secourut, avec un héroï- que dévouement, les habitants de Vienne, durant les ravages que fit la peste de 1552. De l'Université de Vienne, le P. Nicolas Lanoy passa, comme recteur, à celle d'Ingolstadt. Le P. Jérôme Natal, envoyé en qualité de visiteur par le Père Laynez, le nomma provincial d'Autriche, en 1563, et le P. Mercurian le désigna comme visiteur de cette même province, Qn 1577. Il assistait à la seconde con- grégation générale, comme provincial d'Autriche. Chargé à raison de son an- cienneté, comme profès dans la Compagnie, de juger, avec trois autres Pères, le P. Manare qu'on avait accusé sans fondement d'ambitionner le pouvoir, il refusa de porter un jugement, par égard pour la vertu de l'accusé. Après la congrégation générale, il resta et vécut jusqu'au 6 septembre 1581, dans la maison professe de Rome. Cf. His/. Soc, P. i, lib. viii, ix, xi, xn, passim ; P. II, lib. VII, 41 ; VIII, n°ioo ; P. m, lib. 11, 31 ; d'Oultremont, pag. 181; Patrign., tom. m, 6 sept., pag. 27.

60. (Page 196.) Saint Ignace avait reçu de Dieu le don des larmes, au point qu'il craignit lui-même d'en perdre la vue, tant ces larmes coulaient abon- dantes et à tout moment. Le P. Bartoli en parle plusieurs fois dans son histoire; mais on en trouvera surtout la preuve dans les notes inédites du Saint, notes dont nous donnons la traduction à la fin de cette vie. Répondant à une question que le P. Lancicius lui avait adressée par lettre, le P. Ribadeneira écrit de Madrid : « Notre Père n'avait pas de bréviaire parce que les larmes ne lui per- « mettaient pas de lire l'office ; et, c'est pour cela, comme on le dit dans sa vie, « que le Souverain-Pontife le dispensa de l'obligation de le réciter. » Le P. Jean Ausone rapporte qu'on plaçait, à côté de lui, dans sa chambre, un vase qui lui servait, pense-ton, à recueillir ses larmes, quand elles tombaient en trop grande abondance. Sur la fin de sa vie, il obtint de Dieu la faculté de les arrêter ou de les faire couler à volonté. Cf. Acta Sanctorum, Jul., tom. vu, pag. 539, 621-632.

61. (Page T96.) Voir aux appendices la traduction complète de ces notes.

Histoire de S. Ignace de Loyola. II. 23

354 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

62. (Page 204.) La Compagnie s'était accrue avec une rapidité sans exemple dans l'histoire des Ordres religieux. Constituée, le 13 avril 1541, par l'élection de saint Ignace, comme premier général de la Société, elle comptait, à la mort du saint Fondateur, environ mille religieux, dont 35 profès environ, distribués en 12 provinces et 100 maisons. Saint Ignace conservait le gouver- nement immédiat des maisons de Rome et du collège de Naples ; douze provinciaux administraient les provinces, sous sa haute direction :

I. Italie, P. Jacques Laynez ; 2. Sicile, P. Jérôme Domenech ; 3. Germanie inférieure, P. Bernard Olivier; 4. Germanie supérieure, P. Pierre Canisius ; 5. France, P. Paschase Broët ; 6. Castille, P. Antoine Araoz ;

7. Aragon, P. François Strada; 8. Andalousie, P. Barthélémy Bustamante;

9. Portugal, P. Michel Torrès ; 10. Ethiopie, P. Antoine Quadrio ; II. Brésil, P. Emmanuel Nobrega; 12. Indes, P. Gonsalve Silveyra, envoyé par saint Ignace, après la mort de saint François Xavier auquel le P. Antoine Qua- drio avait succédé provisoirement. Le P. François de Borgia était commissaire général pour les provinces d'Espagne, de Portugal, du Brésil et des Indes. Cf. Hist. Soc, P. II, lib. I, Vf 1-20.

Les Pères Jacques Laynez, Alphonse Salmeron, Paschase Broët, Simon Ro- driguès et Nicolas Bobadilla vivaient encore. Voici, réunis en un tableau, par ordre de leur vocation, les dix premiers membres de la Compagnie, avec les noms de leur patrie et de leur diocèse, la date et le lieu de leur mort, et leur âge.

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NOTES.

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63. (Page 206.) « Quant à la recommandation que vous me faites avec « de si vives instances, de prier très particulièrement pour le prince Philippe II, « qui, par la grâce de Dieu, est maintenant roi d'Espagne, je puis vous dire, en « toute vérité, que je le fais chaque jour ; et j'espère de la divine Majesté que, « durant le peu de jours qui me restent à vivre, je le ferai encore avec plus de

356 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« zèle ; tant parce qu'il est notre Prince et que nous lui sommes très obligés, « qu'à cause du désir ardent et de la grande dévotion avec lesquels vous me « rappelez ce que je regarde comme une obligation sacrée pour moi et pour « toute la Compagnie. » Cf. Carias de san Ignacio, dcccx.

64. (Page 210.) Désirant connaître les moindres circonstances de la mort et de la sépulture du saint Fondateur, le P. Nicolas Lancicius et le P. Louis Maselli, assistant de la Compagnie, interrogèrent par écrit le F. Cannucari qui, à titre d'infirmier, avait assisté saint Ignace, durant sa dernière maladie. Voici, dans l'ordre des questions posées, les réponses que le Frère put faire d'une manière précise : « Après l'autopsie les entrailles furent ensevelies dans la « chapelle de Notre-Dame. 2*^ Le corps fut embaumé, et mis dans la « bière revêtu d'une chasuble. 4" On se partagea, par dévotion, les vêtements « du Saint. 5" Notre Pèreexpira, la seconde heure 6 heures) n^xhs le lever « du soleil. Il resta deux ou trois jours malade, à la maison de campagne, « avant de revenir en ville. 7" Pendant sa maladie, il se confessait au Père « Riera. 8" Le concours du peuple fut très grand. Un serviteur du cardinal « de Saint-Jacques enfonça les portes de la chambre mortuaire, pour faire toucher « un chapelet aux dépouilles du défunt. Saint Ignace envoya le P. Polanco « demander la bénédiction du Pape: il la reçut avant de mourir. 10° Les mé- « decins disaient qu'il était mort d'une fièvre maligne. Je restai auprès de lui, « pendant la nuit. Jusqu'à minuit, je l'entendis se remuer et parler, comme il le « faisait pendant la plus grande partie de sa maladie. Après minuit, il me parut « plus calme ; il ne m'appelait plus aussi souvent ; il invoquait cependant très « fréquemment le secours de Dieu par ces mots : AJ Dios ! ii" Il ne reçut « pas l'Extrême-Onction. 12° S'il ne reçut pas le saint Viatique, ce dont je « ne me rappelle pas, ce fut parce qu'il avait fait la communion peu auparavant; <i son état ne paraissait pas assez grave pour qu'on lui administrât le saint Via- « tique. Quelques instants avant que le malade ne rendît le dernier soupir, trois « médecins et trois de nos religieux, médecins eux aussi, se trouvaient près de « lui et ne s'aperçurent pas qu'il était à toute extrémité ; ils constatèrent que le « pouls était très faible, et, pour lui donner des forces, on me commanda de lui « faire cuire deux œufs frais. Pendant que j'étais occupé à les préparer, à la cui- « sine, le P. Madrid entra dans la chambre de notre bienheureux Père, et, « l'ayant touché, il remarqua qu'il se mourait. Il vint aussitôt me dire de tout « laisser et d'aller, en toute hâte, chercher le P. Riera, préfet d'église. Ne l'ayant « pas trouvé, je revins auprès du malade : notre Père avait rendu le dernier « soupir. Je compris alors qu'on avait demandé le P. Riera, pour donner au « mourant l'Extrême-Onction. 13" En entrant dans la chambre, je vis le « P. Madrid qui lui attachait le menton avec une bande d'étoffe pour lui tenir « la bouche fermée. Le P. Torrès et d'autres Pères, dont les noms m'échappent, « se trouvaient présents. 14" Les Pères s'aperçurent qu'il se mourait un quart « d'heure seulement avant qu'il n'expirât. Comme j'étais à la recherche du Père « Riera, je n'assistai point à la mort de notre Père, et je ne puis savoir s'il pro- « fera quelque parole. 15" J'entendis les étrangers et les Nôtres répéter ces « mots : Le Saint est mort! le Saint est mort! 16" Dans la maison et à l'église, « le concours du peuple fut très grand. La foule remplissait l'église et regorgeait

NOTES. LIVRE CINQUIÈME. 357

« sur la place, montrant la haute opinion qu'on avait de la sainteté du défunt. » Cf. Ada Sanctoruin, Jul., toni. vu, pag. 522, no 535-542.

65. (Page 2 13). Originaire de Lille,en Flandre.Eleuthère Pontanus(du Pont) entra dans la Compagnie, à Rome, et se forma à la vie religieuse, sous les yeux et sur les exemples de saint Ignace. Il donna, dans une circonstance, une preuve marquée de sa parfaite obéissance. Quelques jeunes religieux, des plus fervents, se réunissaient après dîner, à l'insu des supérieurs, dans un lieu écarté pour faire des pénitences : ils voulurent l'entraîner avec eux, mais Éleuthère refusa, don- nant à bon droit pour raison que Dieu ne pouvait avoir pour agréables des mor- tifications pratiquées en dehors de l'obéissance. Informé du fait, saint Ignace fit donner, pendant le souper de la communauté, une forte réprimande aux reli- gieux trop indépendants, dans leur zèle pour la perfection. Ennemi de tout ce qui attire la considération, le P. Pontanus s'attachait de préférence aux minis- tères les moins en vue, s'occupant des pauvres, visitant les hôpitaux et les pri- sons, au point qu'on l'appelait le aire des prisons. Il fut le premier recteur du collège de Bivone, en Sicile, et, par ses vertus et son 'dévouement, fut considéré dans la ville comme un saint à miracles. Au collège, il n'hésita pas à se char^^er de l'enseignement de la plus basse classe, et cet acte d'humilité, joint à des soins attentifs prodigués à ses élèves, amena au collège des enfants de plusieurs loca- lités environnantes. Le P. Éleuthère Pontanus s'appliquait surtout à former à la piété ces jeunes élèves ; il composa pour eux un catéchisme en vers qu'ils chan- taient avec entrain, par les rues de la ville, exerçant ainsi un véritable apostolat auprès des personnes plus âgées qui les entendaient. Après la mort du saint Fondateur, le P. Pontanus fut appliqué encore au gouvernement de nos maisons de France et de Flandre : il s'acquit partout l'estime et l'affection de tous ses subordonnés; il mourut au collège d'Arras, le 31 janvier 1611. Ses funérailles furent marquées par un très grand concours de fidèles, pleins d'admiration pour ses vertus. Cf Oliv. Manare, De reb. Soc. coiiiinefii., cap. 11, ^ 10 ; cap. m, ^ i ; cap. vu, ^ 6; ffisf. Soc. comment., P. i, lib. 11, 47; xvi, n" t6 ; P. 11, lib. v, n" 189; VIII, 94 ; P. II, lib. v, n" 189 ; viii, n" 94 ; Nadasi, 21 janvier ; d'Oultremont, pag. 312.; Patrign., tom. i, 31 janv., pag. 300.

66. (Page 213.) Le P. Ribadeneira fait le portrait suivant de la physiono- mie extérieure du Saint. « Saint Ignace était de taille moyenne ou plutôt petite <i (i™59\ bien que ses frères fussent de haute et élégante stature. Il avait un « visage imposant, le front large et sans rides, les yeux enfoncés, les paupières « contractées et fatiguées par les larmes abondantes qu'il versait continuelle- « ment, les oreilles ni petites ni grandes, le nez aquilin, le teint légèrement « coloré, un front chauve qui lui donnait un aspect vénérable. Sa physionomie « respirait la gravité et la joie, de sorte que sa sérénité inspirait la joie et sa « gravité la retenue. Il boitait un peu, mais sans que sa marche fût disgracieuse; « son pas toujours modéré laissait à peine deviner cette infirmité. Ses nom- « breux et longs voyages, faits à pied et sans chaussure, avaient rendu calleuse « la plante de ses pieds. La jambe qui avait été blessée au siège de Pampelune « était restée faible et si sensible, que le moindre contact lui causait de vives « douleurs ; ce qui rend plu-^ surprenantes encore tant de courses à pied.

« Sa constitution était, à l'origine, très vigoureuse et sa santé robuste ; mais

358 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« les jeûnes et des pénitences excessives les avaient affaiblies. De là, des infir- « mités nombreuses et de cruelles douleurs d'estomac, causées par l'abstinence « immodérée qu'il s'imposa dans les commencements, par le peu de nourri- ce ture, fort commune d'ailleurs, qu'il prenait, dans la suite. Il lui était arrivé de « passer trois jours et même une semaine entière, sans prendre ni une bouchée « de pain, ni une goutte d'eau. Il avait perdu ainsi le sens du goût, et les ali- « ments dont il se nourrissait étaient, pour lui, presque sans saveur. Aussi, d'ex- « cellents médecins, qui le connaissaient, affirmaient qu'avec son tempérament « délabré, il n'aurait pu naturellement vivre si longtemps. Son vêtement fut « toujours pauvre et sans recherche, mais propre et bien tenu : s'il aimait la « pauvreté, le manque de propreté ne fut jamais de son goût. » Cf. Vida de san Ignacio, cap. xviii.

A son tour, le P. Alcazar trace un tableau rapide des vertus du saint Fon- dateur. « Ailleurs, nous avons raconté de nombreux et mémorables exemples. « Qu'il nous suffise de dire ici, en résumé, que saint Ignace a réuni, en lui, toutes « les vertus. Il fut constant dans la foi, ferme dans l'espérance, ardent dans la « charité, un oracle par sa prudence, un modèle de justice ; d'une tempérance « admirable, d'une éclatante obéissance, d'une chasteté angélique, d'une admi- <i rable pauvreté ; noble dans ses sentiments, circonspect dans ses paroles, « héroïque dans ses œuvres, magnanime dans les périls, intrépide dans les « difficultés, heureux dans ses entreprises, patient dans les adversités ; bienveil- « lant dans l'exercice de son autorité, suave dans la correction, sincère dans le « pardon, sérieux dans ses conseils, facile à en demander lui-même et docile à « les suivre ; tempérant dans le manger, sobre dans le boire ; profond dans la « connaissance de soi-même, fervent dans l'oraison, extatique dans la contem- « plation, prodigue de ses ressources et de sa personne pour le bien des âmes, « sans égal pour travailler à la gloire de Dieu; apôtre par le zèle, martyr par ses « désirs, docteur par ses écrits, anachorète par ses austérités, prophète par sa « connaissance de l'avenir, thaumaturge par les miracles qu'il opéra, chérubin « par ses révélations ; enfin, un merveilleux abrégé des vertus et des grâces dont « le ciel enrichit les justes. » Cf. Chrono-Historia, tom. i, page 300.

67. (Page 214.) Fille du chevalier Jean-Antoine de Almerino et d'Isabelle Ariosti, Dona Marguerite avait épousé D. Antoine Gigli, et, après la mort de celui-ci, s'était mariée, en secondes noces, avec D. Jean-François Fantuzzi. Avec Doiia Violante Casali, épouse de Camille Guzadino et quelques autres nobles et pieuses dames, elles s'étaient constituées, sur les conseils du P. Jérôme Do- menech, en confrérie, pour arracher au désordre et ramener à une vie chrétienne les femmes de mauvaise vie. D'autre part, le P. Palmio avait acheté le palais Guzadino, près de l'église Sainte-Lucie, pour y établir définitivement le collège de la Compagnie.

Dans la lettre suivante, saint Ignace témoigne sa reconnaissance à Dona Mar- guerite de son généreux dévouement aux Pères de la Compagnie : « J'ai vu, par « vos lettres du 12 du mois dernier, que votre désir, celui de Dona Violante et « de quelques autres personnes, serait de voir quelques-uns de nos religieux « habiter dans une maison voisine de Sainte-Lucie. Certes, si nous n'écoutions « ici que la charité et la reconnaissance qui nous portent à répondre aux désirs « de ceux envers qui nous nous reconnaissons si obligés, il me serait infiniment

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 359

« agréable de faire tout ce que vous me demandez. Mais, pour le moment, cela <( ne saurait avoir lieu, à mon avis, sans commettre de part et d'autre une faute, « en divisant un personnel nécessaire tout entier dans un seul endroit. C'est « pourquoi, j'ai fait écrire aux Nôtres d'aller au moins une fois par semaine à « Sainte-Lucie, le jour que vous désirerez, pour la plus grande consolation spi- « rituelle et le bien de vos âmes. Et, comme je sais que vous ne voulez que ce « qui est agréable à Dieu notre Seigneur, j'espère que nous n'aurons, des deux « côtés, qu'une seule et même volonté en lui... Rome, le 6 avril 1551. » Cf. Cartas de san Ignacio^ ccxx.

68. (Page 216.) Cf. Pages, Lettres de saint François Xavier^ liv. vu, lett. i.

69. (Page 216.) « Mon très véritable Père. A mon retour du Japon, j'ai « trouvé à Malacca les lettres que votre sainte charité vous a inspiré de m'écrire. « Comme elles m'ont appris l'heureux état de la santé d'un Père qui m'est si « cher et si vénérable, j'en ai ressenti un bonheur qui n'est connu que de Dieu. « Avec quel plaisir n'ai-je pas lu les nombreuses sentences qu'elles renferment, « et qui respirent votre douceur et votre piété ! Je les lis, je les relis, je les « médite avec le plus grand profit pour mon âme, et je ne cesse en quelque « sorte d'y trouver un goût toujours nouveau. Mais ce qui est entré le plus « avant dans mon âme, ce sont ces dernières paroles, par lesquelles vous semblez « fermer la lettre avec le sceau même de la charité :

Tout à vous, de telle sorte qu'il vî'est impossible^ en auain temps^ de vous oublier.

Ignace.

« A la lecture de ces mots, j'ai versé de bien douces larmes, et j'en verse « maintenant encore, tandis que je vous écris, me rappelant le souvenir si doux « du temps passé, et de cette sincère et sainte affection que vous avez toujours « eue pour mon âme, et que vous me conservez encore au delà des mers ; en « pensant que c'est surtout à vos prières, à vos vœux paternels que je dois cette « protection divine qui, au milieu des grands et innombrables périls que je « viens de courir sur les mers et les terres du Japon, ne m'a jamais abandonné...

<( Votre sainte charité me dit également, dans le cours de la lettre, que vous « avez un ardent désir de me voir encore une fois avant de mourir. Notre- « Seigneur, qui voit l'intime de mon cœur, sait quelle vive et douce impression « de tendresse filiale a excitée au fond de mon âme ce témoignage si paternel de « votre précieux amour pour moi. Chaque fois que je me le rappelle, et cela « m'arrive souvent, mes yeux se remplissent de larmes involontaires, et il suffit v< que cette pensée si douce, que je pourrais vous embrasser encore une fois, se « présente à mon esprit, pour qu'elles s'échappent doucement, sans que je puisse « les arrêter... Cochin, le 29 janvier 1552. » Cf. Pages, Lettres de saint François Xavier, liv. vu, lett. i.

70. (Page 216.) La signature de saint Ignace a servi, plusieurs fois, pour obtenir des faveurs extraordinaires. Le P. Garcia a tout un chapitre sur ce sujet, dans sa vie de saint Ignace. Cf. Vida, virtudes y milagros de san Lgnacio, lib. vi, cap. 6. Citons-en au moins un trait : « Une petite fille de Valence était de- « venue aveugle. On approcha de ses yeux éteints la signature du saint Fonda- <L teur, et aussitôt elle recouvra la vue. »

71. (Page 217,) Né, en 1564, de l'illustre famille des comtes de Tessa-

360 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

rolo de Gênes, Charles Spinola fut conduit, encore enfant, en Espagne, et revint ensuite auprès de son oncle, cardinal-évêque de Noie, qui lui fit donner une édu- cation conforme à sa haute naissance. La nouvelle, arrivée à Naples, du martyre du P. Rodolphe A(]uaviva, fils du Duc d'Atri, et de ses quatre compagnons, enflamma le jeune Charles du désir de verser lui aussi son sang, pour la foi, dans les contrées infidèles. Il demanda et obtint, à force de démarches et d'instances, d'entrer au noviciat de la Compagnie, à Noie même, le 23 décembre 1594. Après sa première année de noviciat, il fut envoyé au collège de T>ecre, il fut confirmé dans ses désirs des missions, par le vénérable P. Bernardin Realino, qui lui promit même d'en écrire au P. Général. Envoyé à Naples pour y étudier la philosophie, il eut le bonheur, qu'il rappelait souvent plus tard, d'y vivre avec saint Louis de Gonzague. Des raisons de santé le ramenèrent au collège de Milan, il termina son cours de philosophie, fut professeur d'une basse classe, pendant une année, étudia la théologie, et, au terme de ses études, en 1594, fut ordonné prêtre, et chargé d'enseigner les mathématiques,dans ce même collège de Milan. Il exerçait son zèle apostolique dans la ville de Crémone, lorsqu'il reçut l'ordre de partir ]-)our les missions, comme il l'avait instamment sollicité. Il se rendit immédiatement à Gênes, sa patrie, pour s'embarquer. De Barcelone, il traversa l'Espagne à pied. Le 10 avril, il quittait Lisbonne avec sept autres Pères. Au milieu de vicissitudes diverses, le P. Charles Spinola donna des preuves signalées de son zèle et de sa grande charité, ils arrivèrent, le 15 juillet, à Bahia, dans le Brésil, et, le 25 mars 1597, à Saint-Jean de Porto- Rico. Ils en partirent deux mois après et tombèrent, en mer, au pouvoir des hérétiques qui les dépouillèrent et les emmenèrent en Angleterre. De là, le P. Spinola et ses compagnons purent revenir à Lisbonne, on leur fit un accueil plein de charité. Le P. Charles fit sa profession des quatre vœux, et, en mars 1599, il s'embarquait de nouveau pour Goa. Bientôt après, il prenait le chemin du Japon, et, après avoir séjourné quelque temps h Malacca et à Macao, abor- dait enfin au port de Nangasaki. Envoyé au collège d'Arima pour y étudier la langue japonaise, il passa par Aria, centre populeux, il se livra, avec ardeur et succès, à l'exercice du ministère apostolique. Une violente persécution vint à éclater, en 1612. Les missionnaires durent quitter le royaume ; le P.Charles resta, sous le nom de Joseph de la Croix, comme vicaire-général du P. Provin- cial,Valentin Carvalho. Celui-ci, à la mort de l'évêque, fut chargé, par ordre du Pape, d'administrer le diocèse. Tant qu'il conserva sa liberté, le P. Charles ne recula devant aucune fatigue et brava tous les dangers, pour fortifier les chrétiens dans la foi et les armer contre la persécution. Le ciel sembla lui donner un pressentiment des événements qui allaient se dérouler. Quarante jours avant son arrestation, il commençait à se recueillir plus souvent dans la prière. L'avant- veille, il remit à son catéchiste les ornements et les vases sacrés, pour les mettre en sûreté; des rosaires, des images et divers autres souvenirs, pour les distribuer à ses amis, gardant pour lui, sur sa poitrine, la précieuse relique de saint Ignace. Les soldats vinrent s'emparer de lui, pendant qu'il était en oraison, et le condui- sirent, une corde au cou, les mains et les pieds liés, au tribunal du gouverneur. Celui-ci l'envoya dans une prison d'Omura, que le bienheureux appelait un paradis de délices, mais qui n'était en réalité qu'un réduit, long de 24 palmes, large de six, exposé à toutes les rigueurs du froid comme à toutes les ardeurs

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 361

de la chaleur, devaient vivre entassés, en proie à la faim et la soif, 28 per- sonnes, toutes arrêtées pour la foi. Quand le P. Spinola quitta la prison pour marcher au supplice, il apparut à la tête du glorieux cortège, pâle, amaigri, les cheveux et la barbe blanchis, les vêtements en lambeaux. Les tourments qu'en- durèrent ces héroïques martyrs rappellent les cruautés les plus horribles dont furent victimes les martyrs des premiers siècles de l'Église. Le P. Charles mou- rut lentement, consumé par les flammes d'un bûcher, excitant ses compagnons à la constance et chantant le psaume Laudate Dominum omnes pentes. Pie IX a accordé à ces illustres martyrs les honneurs des autels, le 7 juillet 1864. Cf. Alegambe, Mort, ilhisir.., pag. 323 ; M. Tanner, Soc. [es. iisq. ad san^., pag. 289 ; Patrign., tom. m, 10 sept., pag. 60; P. Fabio Spinola, Vifa del P. Carlo Spifiola, in-80, Roma, 1628.

72. (Page 217.) Issu d'une noble famille de T>ima, en Portugal, Fran- çois Pacheco, après avoir entendu parler de la gloire des martyrs, fit vœu, à l'âge de dix ans, de marcher sur leurs tr.^ces. Pendant qu'il étudiait au collège de Saint-Antoine, à Lisbonne, il fut témoin des fréquents départs des jeunes scolastiques et des Pères pour le Japon. Il alla donc, avant même d'avoir ter- miné le cours de ses études, solliciter auprès du P. Sébastien Morales, provin- cial, la faveur d'entrer dans la Compagnie et d'être envoyé, lui aussi, en Orient. Il entra au noviciat de Coïmbre, à l'âge de vingt ans, sur la fin de 1585. Envoyé en pèlerinage à Saint-Jac(iues de Compostelle, il se détourna quelque peu de sa route pour aller à Lima, pâle, avec les vêtements tout usés, frapper à la porte de la maison paternelle, et demander l'aumône. Sa mère crut le reconnaître ; elle appela même ses filles pour s'en éclaircir : mais I^rançois s'était éloigné, emportant l'aumône reçue, tout heureux d'avoir triomphé de la chair et du sang. Après avoir fait ses vœux et terminé, à Coïmbre, sa rhétorique et sa philosophie, il obtint, en 1592, de partir pour Goa, il trouva, dans l'armée, deux de. ses frères qui lui facilitèrent les moyens de faire du bien aux soldats.

Il étudiait alors In théologie. De Goa, il passa à Macao il enseigna, durant plusieurs années, l'Écriture Sainte, tout en se livrant à la prédication. En 1603, après avoir fait les quatre vœux de profès, il alla à Meaco, puis à Saca il fon- da une résidence, la plus importante que possédât en ces temps la Compagnie, au Japon. Rappelé à Macao, comme recteur du collège, il retourna au Japon, en i6t2, et devint le vicaire-général de Mgr Louis Cerqueira, évêque delà nouvelle chrétienté. Celui-ci mourut, au moment allait éclater une violente persécution contre les chrétiens. Le P. Pacheco, ' trop connu pour pouvoir se cacher impunément, se rendit d'abord à Macao. Mais bientôt, les chrétiens qu'il avait administrés comme vicaire-général, ne pouvant rester abandonnés, il re- vint au Japon, prêt à affronter le martyre.

Pendant onze ans, il put échapper à toutes les recherches et travailler au maintien et au progrès de la foi, avec d'autres Pères, dont il était le supérieur. En 1622, il fut nommé provincial du Japon, et, à la mort de l'évêque, chargé du gouvernement de l'église de Nangasaki, qu'il dirigea pendant quatre ans.

Dieu couronna par la gloire du martyre les quarante années d'incessants tra- vaux qu'il avait consacrés à l'extension de la foi, dans ces pays infidèles. Il mou- rut par le tourment du feu, à Nangasaki, avec huit autres religieux de la Com-

362 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

pagnie, à l'âge de 60 ans, le 20 juin 1626. On célèbre sa fête le 20 juin. Cf. Ant.-Franç. Cardim, Fascîculus e japponicis florihus, elog. xlii, page 119; Alegamb., Mortes illust., pag. 369, 376 ; Nadasi, 20 juin ; M. Tanner, Suc. /es. usq. ad sang., pag. 322 ; Patrign., toni. 11, 20 juin, pag. 136.

73. (Page 220.) à Monticolo, le P. Fulvio Androzzi était chanoine de la santa Casa, à Lorette, quand il entra, à l'âge de 32 ans, dans la Com- pagnie. Il passa à Ferrare, comme recteur du collège, la presque totalité de sa vie religieuse. Le Duc de Ferrare avait en lui la plus grande confiance et recou- rait fréquemment à ses conseils ; mais, jamais le P. Androzzi ne consentit à devenir le directeur de sa conscience, afin de n'être pas enchaîné dans ses minis- tères, auprès des mourants et des pécheurs. Il était quelque peu rigoureux dans sa direction, et l'on disait vulgairement c[\x'avec une manche plus large, il eût pu faire construire en or son collège. Presque toute la noblesse de la ville s'était mise sous sa direction. Des jeunes gens, dont il avait contrarié les projets, en ramenant, dans les voies de la piété, une jeune veuve d'une remarquable beauté qu'ils courtisaient, le poursuivirent longtemps de leurs railleries, puis vinrent se jeter repentants à ses pieds et le choisir pour leur confesseur. Il termina sainte- ment ses jours, à Ferrare, le 27 août 1575. Le P. Adorno publia, après sa mort, plusieurs traités manuscrits du P. Androzzi, sous le titre suivant : « Opère spiri- iuali del R. P. Fulvio Androtio délia Compagnia di Gesii, divise in tre parti, nelle qualisi traita : I. Bella Meditazione délia Vita, délia Morte del nostro Salvatore Gesà Cristo; IL Délia frequenza délia coinmunione; III. Dello stato lodevole délie Vedove. In Milano, 1579, in-12. » Le P, Jean Busée a traduit en latin les deux premiers opuscules. Cf. Olivier Manare., De reb. Soc. cojnmefit., cti\). w, § 8 ; Hist. Soc, P. i, lib. xxi, 13, 14, 125 ; Alegambe, Mort, illust. ; Nadasi, 27 août; Drews., Fast. Soc, pag. 331 ; Patrign., tom. m, 27 août, pag. 217.

74. (Page 220.) Nous avons parlé ailleurs (Cf. Liv. iv, chap. 4, note 76,) des premières années du P. Ribadeneira et de son admission, par saint Ignace, dans la Compagnie. Après trois ans d'études à Paris, il fut envoyé à Padoue pour enseigner la rhétorique. De là, il passa en Sicile et remplit le même office au collège de Palerme. Trois ans plus tard, il était rappelé à Rome pour profes- ser la rhétorique au Collège Romain, et prononcer le discours d'inauguration du Collège Germanique. En 1553, saint Ignace l'envoya en Flandre avec la mission d'expliquer aux Nôtres les constitutions, et d'obtenir de Philippe II l'établissement de la Compagnie dans ces contrées ; mais ses démarches, sur ce dernier point, n'aboutirent qu'après la mort du saint Fondateur. A Louvain, ses prédicationsconquirentàlaSociétéleP. Ledesma.undesplusdistingués professeurs de l'Université. Il revint à Rome, en 1558, et repartit bientôt après, pour aller dissiper en Flandre et dans la Germanie supérieure les calomnies dont on pour- suivait la Société. De nouveau, saint Ignace le rappela à Rome, pour le mettre à la tête du Collège Germanique, achever ses études théologiques et faire sa profes- sion des quatre vœux. Nommé ensuite provincial de Toscane, puis commissaire en Sicile, il insistait surtout, auprès des Nôtres, sur la nécessité de pratiquer une obéissance parfaite, leur communiquant sur cette vertu certains documents qu'il appelait Le testament du Saint. Il fut nommé visiteur de la Lombardie, et deux fois assistant, sous le P. Laynez et sous saint François de Borgia. Epuisé

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 363

par trente années de courses et de travaux incessants, il fut envoyé, en 1574, en Espagne, pour y refaire ses forces dans le repos. Il passa à Madrid le reste de sa vie, édifiant ses frères par ses exemples, et composant jusqu'à la fin des livres, qui nous ont conservé de nombreux et précieux souvenirs des premiers temps de la Compagnie. On trouvera, dans la bibliothèque des écrivains de la Compagnie par les PP. de Backer, la liste des livres qu'il a publiés. Plusieurs manuscrits n'ont pas vu le jour. Le P. Ribadeneira mourut, le 22 septembre 16 ri, à l'âge de 85 ans, dont 71 passées dans la Compagnie. Cf. Oliv. Manare, De reb. Soc. comment. y cap. i, § 20-22 ; viii, § 13, 19 ; Hist. Soc, P. i, lib. m, n" 52 ; ix, 30 ; XII, n^S ; xiii, 6 ; xv, no 32 ; xvi, 27, 28 ; P. 11, lib. i, n" 43, 60, 99 ; V, 24 ; viii, 27 ; Alegambe, Heroes et vicf., pag. 535 ; Nadasi, 22 sept. ; d'Oultremont, page 307; Patrign., tom. m, 22 sept., pag. 188; P. Prat, Histoire du F. Ribadeneira, Paris, 1862.

75. (Pag. 225, 233.) Saint Philippe de Néri avait saint Ignace en très haute estime, et allait souvent prendre conseil auprès de lui. Un jour que le P. Gabriel Venusto, alors surveillant au séminaire romain, plus tard recteur de divers col- lèges, et enfin Père spirituel au Collège Romain, était allé visiter, avec le P. Ru- bino, une peinture récente dans Véglise 7ieuve des Oratoriens, saintPhilippe vint à eux et leur demanda à quelle congrégation ils appartenaient. Nous sommes de la Société de JÉSUS^ répondirent les deux Pères : Vojis êtes les fils d'un illustre Père, reprit saint Philippe: Je lui suis pour moi ires attaché ; à est Maître Ignace qui ni' a appris à faire V oraison mentale. Par estime et par affec- tion envers saint Ignace et envers sa Compagnie, le saint Fondateur de l'Oratoire s'adressa pour la confession au P. Jean-Baptiste Perusca, après la mort du prêtre séculier auquel il se confessait auparavant. A l'âge de 80 ans, ne pouvant plus, à cause de ses infirmités, aller trouver régulièrement le P. Perusca, il se rendait du moins de loin en loin auprès de lui, pour lui ouvrir sa conscience. Au rapport du P. Lancicius, qui en avait reçu le témoignage, de vive voix et par écrit, du P, Mutius Vitelleschi, saint Philippe avait demandé à saint Ignace de l'admettre dans sa Compagnie. Le P. Vitelleschi tenait le fait de saint Philippe lui-même qui le lui avait raconté fort souvent. Mais saint Ignace, à qui peut-être Dieu avait fait connaître les glorieuses destinées de saint Philippe de Néri, refusa de le recevoir, lui disant plaisamment qu'il était comme la cloche, destinée à faire entrer les fidèles dans l'église, sans y entrer jamais elle-même. Saint Philippe dirigeait le plus possible vers la Compagnie ceux de ses pénitents qu'il jugeait appelés à la vie religieuse. Cf. Acta Sanctorum, Jul., tom. vu, pag. 582, 588 ; pag. 86r, n" 455 ; 597 ; rf 925; Mai., tom. 11, pag. 525 n'^ 32.

Le P. Adrien Lyrée a réuni, longuement commenté et publié à Anvers, en 1662, un choix de pensées ou apophtegmes de saint Ignace: «S. Ignatii de Loyola, Societatis Jesu fundatoris, apophtegmata sacra, sive cœlestis prudentiae apho- rismi, quibus pie, sobrie ac juste cum Deo, nobiscum ac proximis, juxta apos- tolum, in hoc sseculo vivamus, tribus commentariis ad efformandos mores illustrati, a P. Hadriano Lyraso e jusdem Soc. Sacerdote. Antuerpiae, apud Jacobum Meursium, anno mdclxii. »

76. (Page 226.) Le P. Olivier Manare, après avoir attesté qu'il avait vu souvent le front de saint Ignace entouré d'une auréole brillante, ajoute : « Un

364 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« jour, dans un entretien avec le P. Philippe de Néri, nous vînmes à parler de « notre bienheureux Père, et le P. Philippe me dit : Pensez-vous que le por- « trait que vous avez est vraiment ressemblant ? Non, répondis-je. C'était un « saint homme et, dans son humilité, il n'a jamais voulu laisser prendre son « portrait. C'est mon avis, reprit le P. Philippe. Une clarté surnaturelle (< illuminait sa figure. On pourra reproduire d'une façon quelconque ses traits, « mais jamais une pinceau d'artiste ne rendra, dans toute sa beauté, l'éclat dont « resplendissait son visage. » Cf. Ac/a Sanc/oru///, Jul., tom. vu, pag. 597, n' 925; pag. 591» n'887.

77. (Page 239.) h Malines, le P. François Coster vint à Rome du vi- vant de saint Ignace. Ses études terminées au Collège Romain, il entra au novi- ciat, et, en 1556, fut envoyé à Cologne. Le Sénat de cette ville venait de fonder une nouvelle académie, et en avait confié la direction au docteur Jacques Lichio. Mais bientôt, le nouveau directeur laissa voir qu'il partageait les erreurs de Luther. Désirant lui substituer des professeurs d'une doctrine sûre, les auto- rités de la ville s'arrêtèrent à l'idée de fonder un collège de la Compagnie. Le P. Coster fut désigné, avec deux autres Jésuites, pour commencer cette fondation. Ils se mirent à enseigner les belles-lettres, à prêcher en latin et en allemand, à professer la théologie, l'Ecriture Sainte et l'astronomie. Le concours des étu- diants fut très nombreux, dès les premiers temps. On venait écouter avec admi- ration ce jeune homme de 25 ans, plein de savoir, qui parlait avec élégance plu- sieurs langues. Après qu'il eut prononcé ses quatre vœux de profès, il parcourut en prêchant diverses parties de l'Allemagne et de la Flandre, ramenant dans la vraie voie les hérétiques, comme les catholiques qui venaient l'écouter ou traitaient avec lui. Non content de combattre l'erreur par la parole, il composa jusqu'à vingt ouvrages qui convertirent à la foi des hérétiques par milliers. Il fit encore imprimer divers livres propres à nourrir et à confirmer la piété des catholiques.

Nommé trois fois provincial, il assista à trois congrégations générales, et, malgré les soucis et les fatigues qu'il eut à sui:>porter, pendant une longue vie de 88 ans, jamais il n'éprouva la moindre maladie, le moindre trouble, ni la moindre impatience. D'une grande délicatesse de conscience, d'une intelligence facile et élevée, il joignait à un caractère franc et ouvert une bonté de cœur qui lui attirait l'affection de tous ceux qui entraient en relation avec lui. Sa mère le consacra tout enfant à la sainte Vierge, et il ne cessa de témoigner, durant sa vie, un amour tout filial à cette divine Mère, en travaillant surtout à la fon- dation et aux progrès des congrégations en son honneur. Il mourut saintement à Bruxelles, le 6 décembre 16 19, à l'âge de 88; il en avait passé 67 dans la Com- pagnie. Cf. Olivier Manare, De reb. Soc. comment. y cap. i, § 9, 11 ; iv, § 8 ; xix, § 2; xxvii, ,^i, 3 ; Hist. Sûc, P. i, lib. xvi ; 25; P. 11, lib. i, 105 ; iv,n" 108; VIII, n" 96 ; P. III, lib. i, n"5i, 87 : .\leganibe ; Heroes et vict., pag. 118 ; ]\forf. illust.; Nadasi, 6 décembre ; M. Tanner, Soc. Jes. /w/V,pag. 521 ; d'Oultremont, pag- .373 ; Patrign., tom. v, 6 décembre, pag. 6r.

78. (Page 248.) à Anvers, le P. Adrien Adriani (Adriaenssens) entra dans la Compagnie, à Louvain, en 1544, et mourut dans cette même ville, le 18 octobre 1580. A un grand amour pour la pauvreté, il unissait tous les dévoue- ments d'une charité inépuisable. La Compagnie n'avait pas de maison fondée,

NOTES. LIVRE CINQUIÈME. 365

à Louvain. Le P- Adriani fut chargé, pendant de nombreuses années, de diriger les jeunes religieux qui suivaient les cours de l'Université et de pourvoir à leurs besoins. Plusieurs fois victime de la calomnie, et, dans une circonstance, conduit même en prison, il fut reconnu innocent. Ces épreuves héroïquement supportées lui méritèrent la réputation d'un saint. Son confessionnal était constamment assiégé, et des personnes de la plus haute considération venaient lui demander des conseils et solliciter sa direction. Un gentilhomme l'invita, un jour, à dîner chez lui, avec une réunion des personnages les plus marquants de Louvain. A la fin du repas, ce gentilhomme se tournant vers lui : <i Savez-vous, P. « Adriani, lui dit-il, pourquoi j'ai voulu vous avoir pour commensal aujourd'hui? « Votre admirable patience, dans les épreuves que vous venez de traverser, m'a « ravi le cœur et m'a confirmé dans mon projet de faire un don signalé à votre « Société. Écrivez-le au P. Ignace. Je prends de nouveau l'engagement de « fonder, à Louvain, un collège de votre Compagnie. » A partir de sa profession des quatre vœux, Dieu bénit d'une manière plus manifeste les efforts de son zèle et multiplia les fruits de son ministère au confessionnal. Il souffrait d'une hernie qui ne lui permettait pas de consacrer tout son temps aux pénitents qui s'adres- saient à lui. Retenu d'un côté par la douleur, et d'un autre impatiemment attendu à l'église, il déposa un jour brusquement sa ceinture de fer, en disant : « Je n'ai pas le temps d'être malade. » Admirable surprise ! Le mal disparut instantanément, sans laisser aucune trace. Le P. Adriani délivra plusieurs pos- sédés, en disant, sous leurs yeux, la messe à leur intention. Cf. Hist Soc, P. i, lib. VII, n" 41 ; xi, 43, 44, 46 ; Alegambe, Heroes et vict., pag. 4 ; M. Tanner, Soc.Jes. apost. imitât., pag. 171 ; Patrign., tom. iv, i8 octobre, pag. 142.

79. (Page 255.) Le P. Corneille Vischaven naquit, à Malines, de parents pauvres, mais sincèrement attachés aux pratiques de la foi. Jusqu'à 22 ans, il s'employa aux travaux manuels. Désireux de se livrer à l'étude, il alla dans ce but à Paris, d'où il dut bientôt revenir pour aider ses parents. Mais toujours poursuivi du désir d'apprendre, il quitta de nouveau le foyer paternel et se ren- dit à Louvain, où, après quelques années d'un labeur opiniâtre, il obtint le grade de maître ès-arts et fut ordonné prêtre. Dévoré de zèle, il pratiquait de rudes austérités, s'adonnait à l'oraison et consacrait le reste du temps au bien des âmes. Il détachait les cœurs du monde et envoyait nombre de ses pénitents dans les cloîtres. Il rêvait de s'unir à d'autres personnes, zélées comme lui, pour se dévouer ensemble au bien, lorsque Dieu lui fit entendre ces paroles dans la prière : « Corneille, sous peu il viendra, à Louvain, une Compagnie d'hommes « a])ostoliques. Je veux que tu te joignes à eux. » Quelques jeunes religieux de la Compagnie venaient d'arriver à Louvain, pour y suivre les cours de l'Univer- sité. Sur ces entrefaites, Pierre Canisius écrivit au célèbre Nicolas Echius, qui avait été son directeur à Louvain, pour l'engager à suivre, sous la direction de François Strada, les Exercices de saint Ignace. Echius hésitait à se mettre sous la conduite d'un tout jeune homme de 22 ans qui n'était pas même prêtre. Il envoya en explorateur Corneille Vischaven. Celui-ci alla trouver François Strada, ap- prit de lui la fondation récente de la Compagnie, suivit les Exercices avec le désir sincère de connaître la volonté de Dieu sur lui, et, à la suite de grandes lumières qu'il reçut à l'autel, il demanda son admission dans la Société d'Ignace. Il voulut même que Strada et deux de sescompagnons vinssent habiterdans sa maison pour

366 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

y vivre d'une vie régulière. Le P. LeFèvre arriva de Cologne à Louvain,dans le mois d'octobre 1542. Il annonça à Corneille Vischaven, dont il avait immédia- tement reconnu le mérite, qu'il allait l'emmener avec lui en Portugal : « Je n'ai « qu'à obéir, repartit Corneille, mais je prie Notre-Seigneur de vous retenir quel- « que temps ici pour le bien de la ville. » Le P. Le Fèvre alla prendre, à Anvers, ses dispositions pour un prochain départ. A son retour, il fut saisi par une violente fièvre dont les médecins ne surent reconnaître ni la cause, ni la nature. Le P. Le Fèvre se rappela tout à coup la réponse du P. Vischaven, et, l'ayant fait venir, lui ordonna de changer l'intention de ses prières, et de lui obtenir sa guérison. Corneille obéit, et la fièvre disparut peu après. Sous la conduite de François Strada que le P. Le Fèvre avait chargé de mettre à de fréquentes épreuves, l'obéis- sance et l'humilité du novice, le P. Vischaven fit de rapides progrès dans la per- fection. Après le départ du P. Le Fèvre pour Cologne, il fit ses vœux et devint supérieur des scolastiques qui suivaient les cours de l'Université. Il fit entrer dans la Compagnie cinq étudiants des plus distingués, et excita par un très vif mécontentement, parmi les professeurs. Pour le soustraire à la persécution, saint Ignace l'appela à Rome, et l'envoya au collège de Messine comme maître des novices. Un de ses novices, à toute extrémité depuis plusieurs jours, sem- blait ne pouvoir mourir. On lui en fit à lui-même l'observation. « Comment « voulez-vous que je meure, répondit-il, si le P. Supérieur ne m'en a pas donné « l'ordre ? » Le P. Vischaven, apprenant cette réponse, vint le trouver et lui dit : <i Je vous ordonne de mourir, demain matin, à telle heure. » Le saint novice expira à l'heure dite. Le P. Vischaven dirigeait vers le cloître de nombreuses jeunes filles, et l'on disait que, de toutes celles qui se confessaient à lui, pas une ne restait dans le monde. Trois jeunes personnes, sur le point de se marier, eurent la singulière idée de mettre à l'essai le savoir faire du P. Vischaven et de mon- trer qu'il n'arrivait pas toujours à ses fins. Elles allèrent se confesser à lui, l'une après l'autre, et toutes les trois prirent en confession la résolution d'entrer dans le cloître. De Sicile, le P. Vischaven fut appelé à Rome, puis envoyé comme operarius à Lorette, il continua à se dévouer au bien des âmes, jusqu'à sa mort qui arriva, le 25 août 1559. Cf. Oliv. Manare, De reh. Soc. cap. i, § 3, 4, 6, 10, 12, 14 ; cap. IX, § 29 ; Hist. Soc, P. i, lib. iv, vu, ix, x, xn,/>assù/i; P. 11, lib. III, 55, 58, 61 ; Nadasi, 25 août ; M. Tanner, Soc. /es. i/tiif., p. 71 ; d'Oultremont, pag. 117 ; Patrign., tom, m, 14 août, pag. 120.

80. (Page 256.) Le P. Jules Mancinelli naquit à Macerata, dans le cou- rant d'octobre 1537- Il appartenait à une des premières familles de la ville. D'une rare innocence, il ne se permit jamais le plus léger mensonge, durant les années qui précédèrent son entrée en religion. Il commença son noviciat à Lorette et le termina à Rome. Un des premiers, il inaugura avec le plus grand succès les prédications, sur les places publiques et dans les quartiers mal famés de Rome. Sa parole ardente et convaincue remuait profondément les pécheurs les plus obstinés et les conduisait à l'église pour les faire confesser. En une seule fois, il arracha au désordre 18 femmes qui étaient venues entendre une de ses prédications. Le P. Aquaviva le mit à la tête d'un noviciat qu'il venait de fonder à Rome ; on le désigna pour remplir la charge de provincial ; mais il préféra des missions plus obscures et obtint de se consacrer aux ministères plus pénibles et moins honorables des campagnes, des hôpitaux et des prisons. Pour

NOTES. LIVRE CINQUIEME. 367

être plus utile aux âmes, il apprit plusieurs langues : le français, l'espagnol, le flamand, le slave, et parcourut l'Europe, l'Asie et l'Afrique, visitant les villages, les bourgs et les châteaux. Plus d'une fois, il confessa en les comprenant bien, des arabes, des polonais, des allemands etc., bien qu'auparavant il ne connût point leur langue. Plein de confiance en lui, le Pape Grégoire XIII lui avait donné tout pouvoir, pour réconcilier avec l'Eglise les héréliques,les schismatiques et les apostats. Il renouvela la foi et la pratique des sacrements dans le diocèse de Raguse, un grand nombre de chrétiens ne fréquentaient plus l'église et n'avaient même pas vu de prêtre depuis plus de 40 ans. Un grand nombre de Turcs se convertirent à la foi, grâce à son zèle infatigable. Envoyé en mission à Constantinople, il y opéra les mêmes conversions : Latins, Grecs, Arméniens, et jusqu'aux malheureux renégats accouraient à ses prédications. Il fit souscrire à 13 métropolitains l'engagement d'aller à Rome ; et lui-même fut envoyé auprès du Souverain-Pontife par les patriarches de Constantinople et d'Autriche. Mais il s'appliqua surtout à soulager et à délivrer de leurs fers les esclaves chrétiens. Il passait parfois tout un jour et toute une nuit, sans discontinuer, à entendre leurs confessioris, et les Turcs, frappés du résultat de son ministère, favorisaient son apostolat. Sur les instances du roi de Naples, il fut envoyé en Algérie pour ra- cheter ou soutenir dans la foi les chrétiens enlevés à ce royaume et réduits en servitude. Il parcourut ensuite l'Anatolie, la Valachie, la Moldavie, la Pologne, l'Allemagne, convertissant partout les pécheurs, bravant dangers et privations, supportant les rudes fatigues de son laborieux apostolat, auquel il ajoutait encore de rigoureuses austérités. Enfin, pour lui ménager quelque repos, on l'appela à Naples, il continua encore à consacrer des journées et des nuits entières à entendre des confessions. Une infirmité le cloua sur son lit, pendant les six derniers mois qui précédèrent sa mort. Tandis qu'il se mourait, la veille de l'Assomption, comme il l'avait connu par une révélation, quelques années aupa- ravant, le Frère chargé de le veiller, s'étant endormi sur son lit, entendit une forte voix lui dire : « Le P. Jules se meurt, et toi tu te livres au sommeil. » Saisi de crainte, le Frère courut auprès du malade qui le pria d'aller en toute hâte chercher quelques Pères, parce que sa mort était imminente. Le P. Ministre arriva avec d'autres Pères, et le P. Jules Mancinelli expira saintement, sous leurs yeux, en 1618, à l'âge de 81 ans, dont 61 de vie religieuse. Cf. Hist- Soc, P. III, lib. III, 100 ; P. iv, lib m, 42, 46 ; Alegambe, Mort, illust.; Tanner, Soc. /es. imitât., pag. 499 ; Patrign., tom. m, 14 août, pag. 120; Jacopo Cellesi, Vita del servo di Dio Padre Giulio Manci^ielli, in- 12. Roma. 1668.

81. (Page 256.) L'église de Notre-Dame de la Sirada, que le P. Codace avait obtenue de Paul III, était devenue trop petite, pour contenir les fidèles qui venaient assister aux offices ou entendre les prédications du P. Laynez. Saint François de Borgia, après avoir commencé la construction du Collège Romain, entreprit de bâtir, près de la maison professe, une église nouvelle ; mais ce premier projet n'eut pas de suite. L'œuvre devait être conduite à bon terme, et dans des proportions architecturales plus vastes et plus riches, par le cardinal Farnèse. D'après le plan de l'édifice dressé par Vignole, les fondations con- struites en dehors de l'enceinte de Sainte-Marie de la Strada pour réaliser le projet abandonné de saint François de Borgia, ne pouvaient servir non plus

368 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

que l'autre partie de l'emplacement de l'ancienne église. Il fallait acheter plu- sieurs maisons, du coté du nord. Le cardinal se refusant à faire toute autre déi)ense ijue celle de la construction, saint François de Borgia fit lui-même celte accjuisition, et s'adressa, pour avoir les fonds nécessaires, à ses nombreux amis, les pressant par lettres de venir à son aide.

Le 26 juin 1568, le cardinal Alexandre Farnèse, assisté du cardinal d'Augs- bourg Othon Truchsess et du cardinal Barthélémy de la Cueva, vint bénir et poser la première pierre qui portait cette inscription :

ALEXANDER FARNESIUS CARD. VICAR. ^DIS HUJUS, QUAM NOMINI JESU VOVIT, PRIMUM HUNC LAPIDEM SOLEMNI RITU CONSECRATUM, IN FUNDAMENTA CONJECIT VI CAL. JUL. MDLXVIII.

Deux années après, une partie de l'église fut suffisamment achevée, pour qu'on pût l'ouvrir à la piété des fidèles. L'inauguration en fut faite avec une solennité extraordinaire, le 24 novembre, dernier dimanche de la Pentecôte. Toutefois, l'église ne fut entièrement achevée que longtemps plus tard. Le maître - autel ne fut terminé qu'en 1584, et ce fut Grégoire XIII qui y célébra la première messe, le jour de la fête de l'Assomption. Alexandre Farnèse ne cessa d'y faire travailler à l'ornementation, jusqu'à sa mort qui eut lieu, le 2 mars 1589. L'architecte Vignole étant mort en 1573, Jacques de la Porte, son élève, continua l'œuvre. L'édifice, à partir de la console, la façade, les chapelles de Notre-Dame de la Strada et de Saint- François-d'Assise sont l'œuvre de Jac- ques de la Porte, et d'un goût moins pur et plus maniéré que la partie due à Vignole. Notre-Dame de la Strada est derrière un angle, entre le chœur, du côté de l'Evangile, et la chapelle de Saint-Ignace ;dans le transept, à droite en entrant, se trouve l'autel oîi l'on conserve le bras droit de saint François Xavier, et, à gauche, en face, l'autel et le tombeau de saint Ignace.

En 1858, le prince Alexandre Torlonia a fait réparer et richement embellir, à ses frais, toute la net", pour la mettre en harmonie avec le chœur et les somp- tueuses chapelles de Saint-Ignace et de Saint-François Xavier. A l'intérieur, au- dessus d'une des portes qui ouvrent sur la place du Gesù, on lit l'inscription suivante :

ANNO . MDCCCLXI

ALEXANDER . TORLONL\

TEMPLUM . HOC . KARNESIANUM

COLUMNIS . PARASTATIS

LORICIS

EX . VARIO . MARMORE

CUM . ORNA.MENTIS

ET . PLASTICO . INAVRATO

A . PORTA . MAXIMA

AD . CELLAM . TRANSVERS AM

PRO . SUA . CONSTANTI

ERGA . IGNATIUM . PIETATE

ET . IN . SOC . JESU

MUNIEICENTL\

NOBILITAVIT . PERFECIT.

NOTES. LIVRE CINQUIÈME. 369

82. (Page 260.) Quotquot suni ulnque terrarum Societath Jesu in hanc saticiam Sedein, et catholicam Religionein egregia mérita, tôt prof ecto habeiniis B. Ignaîii Loyola /iiiracula, tôt argumenta sanctitatis.

83. (Pag. 272 ) Le P. Léonard Kessel fut conduit dans la Compagnie par les prédications du P. Strada, en Flandre. Admis par le P. Le Fèvre, il fut pres- que aussitôt envoyé, avec lui, en Portugal par saint Ignace. A peine ordonné prêtre, il retourna en Allemagne avec le même Père, pour l'aider dans la fonda- tion de plusieurs collèges et combattre avec lui l'hérésie. Pendant l'espace de 26 ans, il s'adonna à Cologne à tous les ministères du zèle: enseignement, prédi- cations, confessions, conversions d'hérétiques, avec un dévouement infatigable et un succès qui faisait l'admiration du B. Canisius lui-même. A côté du collège, il réunit un choix d'enfants dont le nombre s'éleva plus tard à cent, en vue de les former à la science et à la vertu, et de les opposer aux hérétiques. Le collège resta sans dotations jusqu'à sa mort ; mais, grâce aux aumônes que lui procurait le B. Canisius, que lui envoyaient les Chartreux ou qu'il savait trouver lui-même, le P. Kessel put toujours entretenir le personnel du collège et les jeunes pen- sionnaires qu'il préparait pour la carrière ecclésiastique. Au reste. Dieu le favorisa dans ses œuvres par des dons extraordinaires. Au bien qu'il procurait aux âmes, le P. Kessel ajoutait souvent la guérison des corps. Appelé par le prieur d'un couvent, auprès d'un religieux à qui on venait d'administrer les derniers sacre- ments et qui se mourait, le P. Kessel lui fit commencer sur l'heure, une confes- sion de toute sa vie. Le mal alla diminuant, pendant que la confession se poursuivait ; à la fin, le malade se trouva complètement guéri, sans trace aucune de mal. On remarqua (}ue, pendant les ravages que la peste fit à Cologne, en 1553, tous les pestiférés qui se confessèrent au P. Kessel échappèrent au fléau. Le P. Jacques Ledesma, se rendant de Louvain au noviciat de Rome, se sentit ébranlé dans sa vocation, en visitant la chartreuse de Cologne. « Ici, se disait-il, loin de toute relation et de toute œuvre extérieure, je serai en sûreté pour la chasteté et pour la persévérance dans ma vocation. » Le P. Kessel alla à sa rencontre et lui dit spontanément ces mots : «Soyez assuré que Dieu vous accor- dera l'un et l'autre dans la Compagnie, et le don de la chasteté et celui de la persévérance. » A la mort de saint Ignace, il se rendit à Rome pour l'élec- tion du P. Laynez, son successeur. Puis il revint à Cologne donner une nouvelle impulsion aux œuvres et se dévouer avec un plus grand zèle encore... Dieu l'appela à lui par une voie inattendue et violente. Tandis qu'il se promenait, un jour, dans le jardin, un fou vint l'assaillir et lui percer les flancs avec un cou- teau de table : il expira en prononçant les saints noms de Jésus et de Marie. Le P. Ministre accourut, avec un autre Père, à son secours, et tous les deux tom- bèrent encore victimes du forcené, le 26 octobre 1574. Cf Oliv. Manare, Z>6' reh. Soc. comme?iï., Cap. i,^ 2, 5: Hisf. Soc, P. i, lib., iv, x, xiv, xvpassim; P. 11, lib. I, n"'64, 67, 105 ; P. iv, lib. 11, n'^' 48, 49 ; Nadasi, 26 octobre ; Patrign., tom. IV, 26 octobre, pag. 16] ;Td.nner, Sor. /es. imit., pag. 146.

84. (Page 272.) Cf. Aeta Sanetorum, Jul. tom. vu, pag. 598, n" 929,

85. (Page 278.) Cf. Liv. v, chap. 5, note 68.

86. (Page 284.) « Munébréga est un village d'Aragon, dans le diocèse « de Tarazona. Don Roc du Villar, chanoine du Saint-Sépulcre de Calatayud,

Histoire de S. Ignace de Loyola. II. 24

370 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« eut la dévotion de faire faire les portraits des divers fondateurs d'Ordre reli- « gieux. Lorsque le peintre eut achevé son œuvre, un pèlerin (jui venait d'arriver « à Calatayud, dit au chanoine qu'il mancjuait un portrait à sa collection : celui « du fondateur d'un ordre nouveau, Ignace de Loyola. Le chanoine pria le (.< pèlerin de lui donner les indications nécessaires pour faire ce portrait. Le « pèlerin s'offrit aussitôt à le peindre lui-même. Don Roc accepta et laissa l'in- « connu dans l'atelier de peinture. A l'heure du repas, il envoya un de ses « serviteurs pour l'inviter. Qu'on juge de la surprise du chanoine lorsque le « serviteur vint lui dire que le portrait était achevé, mais que le peintre avait « disparu. On croit que c'était un ange. » Il est certain que cette peinture peut être appelée miraculeuse, au moins à cause des grâces extraordinaires dont elle a été comme l'instrument. Cf. Garda, liv., vi, c. 5; Acta Sanciorii/n,]u.\., tom. vu, pag. 840, 332; pag. 851, n°4o5.

87. (Page 291.) On donnait ce nom au gouverneur de la ville, administrant au nom du Saint-Siège.

88. (Page 302.) Le 21 mai 1677, les habitants de Mezzenile, pleins de reconnaissance pour saint Ignace et pour ses enfants qui déjà desservaient la cha- pelle, leur cédèrent, par acte authentique, en présence de l'archevêque de Turin, toute la montagne de la Bastia, avec les bois qui s'y trouvaient. En 1725, les Pères Jésuites firent construire, d'après les plans de Bernard Antonio Vittone, architecte de Turin, le nouveau sanctuaire, avec une vaste habitation pour y rece- voir les pèlerins. Dans la construction de l'église, on conserva derrière l'autel, pour y placer une grande statue de saint Ignace, la pointe du rocher sur laquelle Paule, épouse de Thomas Alussa, avait vu le Saint. Après la suppression de la Compagnie, l'église et l'habitation devinrent la propriété de l'archevêque de Turin. Depuis le commencement de ce siècle, le sanctuaire est desservi par les recteurs d'un collège ecclésiastique qui y reçoivent de nombreux pèlerins pour y suivre les Exercices de Saint-Ignace.

.1.

I. Chronologie de l'histoire de saint Ignace. II. Généalogie de saint Ignace. III. Portraits de saint Ignace. IV. Sceaux de la Compagnie de Jésus. V. Journal de saint Ignace pendant 40 jours. VI. Bulle d'approbation de la Compagnie, par Paul III. VII. Bulle de canonisation de saint Ignace, par Urbain VIII. VIII. Constitution de Pie VII, rétablissant la Compagnie. IX. Confirmation de la Compagnie et de ses privilèges par Léon XIII. X. Liste des Généraux de la Compagnie de Jésus.

.1.

•I*

^r^M^r^r^^^^^zM^^jW:^^^

I. Chronologie de l'histoire de saint Ignace.

1491 1521

1522 1523

1524

1526

1527

1528

1530 1533

T534

1535 1536

1537

(2 5-31 Décembre) 20 Mai.

28 Juin. 25 Mars.

Février.

29 Mars.

12 ou 13 Avril. 14 Juillet. 31 Août. 4 Septembre. Mi-janvier.

I Août. I Juin.

2 Janvier.

13 Mars.

22 Juin. 15 Août.

14 Mars.

23 janvier.

Mi-Novembre

6 ou 8 Janvier. 27 Avril.

Naissance de saint Ignace, au château de Loyola.

Saint Ignace est blessé, au siège de Pampelune, le lundi de la Pentecôte.

Saint Pierre le guérit.

Le Saint suspend son épée à Montserrat, à l'autel de la sainte Vierge, et se rend à Manrèse.

Départ, de Barcelone, pour la Terre-Sainte.

Arrivée à Rome.

Départ pour Venise.

Le Saint s'embarque à Venise pour Jérusalem.

Il aborde à Jaffa.

Arrivée à Jérusalem.

Retour à Venise ; à Barcelone. Le Saint y com- mence ses études.

Arrivée à Alcala.

Après une injuste détention de 42 jours, le Saint est reconnu innocent et remis en liberté. Sur la fin de l'année, il se rend à Salamanque.

Arrivée à Paris. Le Saint y recommence ses études.

Saint Ignace se rend en Flandre et à Londres.

II est reçu docteur en philosophie, au collège Sainte- Barbe.

Pierre Le Fèvre est ordonné prêtre.

Les sept premiers compagnons se lient par des vœux, à Montmartre.

Saint Ignace est reçu Maître ès-arts.

Il se rend en Espagne à la fin de mars.

Arrivée à Venise, à la fin de décembre.

Le P. Thomas Laurent, inquisiteur général à Paris, après une enquête faite par son prédécesseur, le P. Valentin Lievin, rend un témoignage favorable de la vertu, et de la doctrine de saint Ignace, et loue en particulier les Exercices.

Les compagnons de saint Ignace quittent Paris, pour se rendre à Venise.

Ils arrivent à Venise, après un voyage de 54 jours.

Le P. Le Fèvre obtient, à Rome, du cardinal Antoine Pussi, grand Pénitencier, la permission d'aller à Jérusalem, et, pour ses compagnons qui ne sont pas prêtres, la faculté de recevoir les Ordres, de tout évêque catholique.

374

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

1538

1539

1540

1541

24 Juin.

5 Juillet. 13 Octobre.

Novembre. Mars.

r8 Novembre.

19 Novembre. 25 Décembre.

2 Février. 15 Avril.

15 Mai,

3 Septembre. 5 Mars.

16 Mars.

27 Mars.

7 Avril.

13 Avril. 19 Avril. 22 Avril.

24 Juin.

10 Septembre.

Saint Ignace, saint François Xavier, etc. sont ordon- nés prêtres.

Ils reçoivent leurs lettres d'ordination, à titre de science et de pauvreté volontaire.

Jérôme Veralla, légat de Venise, donne au Saint des lettres testimoniales, avec des pouvoirs étendus, pour l'exercice du ministère.

Le Vicaire apostolique justifie le Saint et ses com- pagnons des accusations calomnieuses portées con- tre lui.

Apparition à la Storta : Romœ tibi propitius ero.

Saint Ignace à Albaneta, chez les Bénédictins, avec le Dr Ortiz. Il appelle à Rome ses compagnons, pour arrêter avec eux les grandes lignes de l'Institut.

Il est justifié par jugement de Benoît Conversini, vice-camérier de Rome et gouverneur de son district.

Mort, à Loyola, de Martin Garcia, frère du Saint,

Saint Ignace célèbre sa première messe, à l'autel de la crèche, à Sainte-Marie-Majeure.

Première mission du P. Araoz, en Espagne.

Le Saint signe avec ses compagnons l'engagement d'entrer dans la Compagnie et d'y faire le vœu d'obéissance, si le Souverain-Pontife approuve l'Institut.

Le P. Simon Rodriguès et le P. Paschase Broët sont envoyés à Sienne, par le Pape, pour rétablir la discipline religieuse, dans un monastère de femmes.

Approbation orale de l'Institut par Paul III, à Tivoli.

Le P. Simon Rodriguès part pour Lisbonne, oîi il arrive le 17 Avril.

Départ de saint François Xavier pour la même ville, il arrive le 30 juin.

Par la Bulle Regitnint militantis Ecciesiœ, Paul III approuve l'Institut, en restreignant à soixante le nombre des profès.

Vers la fin de l'année, saint Ignace prend possession de Notre Dame délia Strada.

Saint François Xavier s'embarque à Lisbonne pour les Indes.

Saint Ignace est élu Général de la Compagnie.

Il prend possession de sa charge.

Il fait sa profession solennelle avec ses compagnons, à Saint-Paul-hors-los-Murs.

Il voit l'âme de Codure monter au ciel.

Munis d'instructions particulières de saint Ignace, le

APPENDICES.

375

1542

5 Janvier. 9 Février.

18 Mars.

6 Mai.

1543

13 Août.

22 Janvier.

30 Mai.

Ï544

15 Mai.

P. Nicolas Salmeron et le P. Paschase Broët partent pour l'Irlande et l'Ecosse, en qualité de légats apostoliques.

Prise de possession du monastère de Saint-Antoine, à Lisbonne, qui sera transformé plus tard en collège.

Le P. Le Jay et le P. Bobadilla arrivent à Spire, le jour même de l'ouverture de la diète. Le P. Le Fèvre, venant d'Espagne, y arrive, trois jours après la clôture.

Saint Ignace s'occupe de réconcilier le Pape avec le roi de Portugal.

Saint François Xavier arrive à Goa, quinze mois après son départ de Lisbonne, et après avoir évangélisé le Mozambique, Mélinde et l'île de Socotora. Il prend la direction du collège de Saint-Paul de Goa, fondé, en 1541, et dont il entreprend la nou- velle construction, l'année suivante.

Ouverture du collège de Coïmbre. La première pierre du nouvel édifice sera posée le 14 avril 1547.

Dix Jésuites, tous espagnols, arrivent de Paris à Lou- vain, pour y continuer leurs études, sous l'autorité du P. Domenech. Commencements du collège de Louvain,

Le B. Le Fèvre arrive à Cologne, après avoir évan- gélisé Liège, Utrecht et Aix-la-Chapelle. Il se rend en Portugal.

Fondation, à Rome, de la maison des catéchumènes pour les juifs, de la maison de Sainte-Catherine pour les repenties et d'un orphelinat de garçons.

Par la Bulle Injujicium Nobis, Paul III enlève la restriction mise dans la Bulle Regimbii militantis Ecclesiœ, touchant le nombre des profès.

Philippe Archinti, vicaire du Pape, donne à saint Ignace l'église de Saint-André, située à côté de Notre-Dame délia Strada.

Le Saint obtient la confirmation et la remise en vigueur de la décrétale d'Innocent III, concernant les ma- lades qui refusent de se confesser.

Le P. Le Jay évangélisé Ratisbonne. Il succède au D"" Eckius, à l'Université d'Ingolstadt.

Le P. Bobadilla assiste, comme théologien du Nonce, aux diètes de Nuremberg, de Spire et de Passau.

Le P. Le Jay assiste au concile provincial de Salz- bourg.

Pierre de Leyde, prieur de la grande chartreuse, et le

376

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

1545

15 Mai.

8 Février.

1546

24 Mars.

Avril. 3 Juin.

Août. 30 Novembre.

18 Mai.

chapitre général offrent h saint Ignace la participa- tion à tous les mérites de l'Ordre, et lui demandent en retour la participation à tous les mérites de la Compagnie.

Fondation du collège de Valence; de la maison de Sainte-Marthe à Rome.

Saint Fran(;ois Xavier opère de merveilleuses conver- sions sur les côtes de Comorin,dela Pêcherie, dans le Travancore, à Ceylan, à Malacca. Le 8 février, il écrit de Cochin à Rome que, dans le royaume de Travanct)re, il a baptisé, durant un seul mois, plus de dix mille infidèles.

Le B. Le Fèvre et le P. Araoz, à leur retour de Portugal, évangélisent Salamanque et sont reçus avec honneur à la cour du prince Philippe et de la princesse Marie, à Valladolid.

Le P. Bobadilla et le P. Le Jay assistent à la diète de Worms, l'un comme théologien du nonce Jérôme Veralla, l'autre comme théologien d'Othon Truch- sess, Tous les deux, conformément aux recom- mandations de saint Ignace, insistent auprès des évêques sur la nécessité de fonder des séminaires pour la formation du clergé.

Dona Jeronima O'Guiomar Gralla fait don à la Compagnie d'une maison à Barcelone, en face de l'église Sainte-Marie del Perro.

Saint Ignace refuse de s'unir aux religieux Théatins.

Par la Bulle Cum inter cunclas, Paul [II accorde à la Compagnie les pouvoirs de prêcher et d'administrer les sacrements.

Fondation du collège de Candie. La première pierre du nouvel édifice fut posée le 5 mai 1546.

Le P. Le Jay assiste, avec le cardinal Othon Truchsess, au colloque de Ratisbonne.

Saint Ignace est arbitre entre le Pape et le Roi de Portugal.

Le P. Laynez refuse l'évêché de Laybach.

Premier établissement à Valladolid.

Le P. Laynez et le P. Salmeron, munis d'instructions particulières de saint Ignace, se rendent comme théologiens du Pape au concile de Trente, ils trouvent le P. Le Jay, arrivé au commencement de décembre 1545, comme procureur du cardinal d'Augsbourg, et vint, le 18 mai 1546, le P. Co- villon corjime théologien du duc de Bavière.

Le B. Canisius est envoyé en qualité de légat

APPENDICES.

377

^547

i8 Mai.

5 Juin-

I Août. 13 Septembre. 10 Octobre.

18 Octobre.

1 1 Mars.

15 Mars. 7 Mai. 20 Mai. 1 1 Juin.

29 Juillet.

1 Septembre. 26 Octobre,

1548

auprès de l'évêque de Liège et de Charles-Quint, en vue de combattre l'archevêque de Cologne Her- mann de Wied, fauteur de l'hérésie. Il se rend au concile de Trente, peu avant le transfert du concile à Bologne. Par sa Bulle Exponi Nobis, Paul III accorde à la Compagnie d'admettre des coadjuteurs spirituels et temporels avec participation aux privilèges de l'Ordre. Le P. Bobadillasuit, comme aumônier, les troupes de

Ferdinand. Il refuse l'épiscopat. Mort, à Rome, du B. P. Le Fèvre. Le P. Le Jay refuse l'évêché de Trieste. Le P. Simon Rodriguès est nommé provincial de Por- tugal. — Fondation d'un orphelinat à Barcelone. Saint Ignace envoie un Bref, obtenu pour opérer la réforme des monastères de religieuses dans la Cata- logne. Premier établissement du collège de Bologne. Translation du concile de Trente à Bologne, se rendent les PP. Laynez, Salmeron, Le Jay et Canisius. Saint Ignace refuse de s'unir aux religieux Somnias-

ques. Il adresse aux scolastiques de Coïmbre sa lettre sur la

perfection propre à la Compagnie. Il obtient l'exemption à perpétuité, pour la Compagnie,

de la direction des monastères de femmes. Il remercie le P. Gérard Hammont, prieur de la Char- treuse de Cologne d'avoir accordé à la Compagnie la communication des mérites de son Ordre, et lui offre en retour la participation aux mérites de la Compagnie. Saint Ignace prescrit aux Jésuites du collège de Coniibre d'élire leur supérieur à la pluralité des voix : ce mode d'élection est suivi ailleurs, jusqu'à la promulgation des Constitutions. Le P. Araoz est nommé provincial des maisons

d'Espagne. Saint Ignace négocie avec le Roi de Portugal et le Pape, l'envoi en Ethiopie de missionnaires de la Compagnie. Envoi de trois Pères et d'un scolastique au Congo. Prise de possession par saint Ignace, à Tivoli, d'une

maison voisine de la villa Mécène. Fondation du collège de Messine. Premier

378

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

1549

1550

31 Juillet.

8 Septembre.

Février. 7 Février. 18 Mars.

30 Mars.

15 Août.

Septembre. 4 Octobre.

1 1 Octobre.

18 Octobre.

2 Janvier.

12 Avril. 21 Juin.

26 Juillet.

21 Juillet.

établissement à Bologne, à Salamanque, à Vallado- lid. Fondation d'un orphelinat à Palerme par le P. Domenech.

Le livre des Exercices traduit en latin par le P. Frusius déjà examiné et approuvé à Alcala et à Salaman- que en 1528, à Paris en 1535, à Venise en 1536, à Rome en 1538, à Parme en 1543, à Coïmbre en 1544, à Tolède en 1547, à Alcala de nouveau en 1548 est approuvé par un bref de Paul III, le 31 juillet 1548.

Saint François Xavier accepte la direction du collège de Baçaïm.

Fondation du collège de Padoue, obtenue par une messe célébrée à cette intention par saint Ignace, le jour de la fête de la Nativité de la sainte Vierge.

Envoi de deux missionnaires en Mauritanie, à Ceuta et à Tetouan.

Envoi de six missionnaires au Brésil.

Martyre du P. Antoine Criminale, dans les Indes.

Ouverture solennelle de l'Université de Gandie,érigée par une Bulle du 4 novembre 1547.

Le P. Gaspard Barzée va évangéliser Ormutz, Mas- cote, etc.

Saint François Xavier aborde à Cangoxima, dans le Japon. Il est nommé provincial des Indes, le 23 décembre.

Neuf Pères arrivent à Palerme pour l'ouverture du collège dont le P. Lanoy est recteur.

Les PP. Salmeron, Le Jay et Canisius sont reçus docteurs à l'Université de Bologne. Ils vont enseigner à l'Université d'Ingolstadt.

Saint Ignace accepte la fondation du collège de Sa- ragosse.

Par la Bulle Licet débit um, le Pape Paul III accorde divers privilèges à la Compagnie.

L'Université de Louvain approuve ofificiellement l'In- stitut. — Ouverture du collège de Tivoli.

Fondation d'un noviciat à Messine, d'une maison de catéchumènes à Goa.

Fondation du collège de Venise.

Le P. Laynez fait partie, comme aumônier, d'une expédition militaire sur les côtes d'Africjue.

Le P. Le Jay et le P. Salmeron assistent à la diète d'Augsbourg.

Par la Bulle Exposât dehitum, Jules III confirme l'In- stitut et accorde divers privilèges à la Compagnie.

APPENDICES.

379

30 Janvier.

22 Février.

31 Mai.

I Août.

14 Avril.

21 Avril.

27 Juillet.

6 Août.

22 Octobre.

28 Octobre.

2 Novembre.

Le P. Gaspard Barzée fonde un collège à Orniutz.

Envoi de deux missionnaires à Tanger.

La Compagnie accepte la direction du collège d'Onate qui, en 1557, sera transféré à Vergara.

Saint Ignace soumet ses Constitutions à l'examen des profès, réunis à Rome. Il veut se démettre de sa charge de Général.

Ouverture du Collège Romain, dans un local situé au pied du Capitole.

Arrivée à Vienne de onze Pères, pour l'ouverture du collège dont le P. Le Jay est nommé recteur.

Saint François de Borgia dit sa première messe à Loyola. Premier établissement des collèges de Florence, de Naples, de Ferrare, de Burgos, de Médina del Campo, de Cochin.

Le P. Jérôme Natal s'embarque, comme aumônier, sur la flotte de Sicile armée contre les Turcs.

Le P. Paschase Broët est nommé provincial d'Italie.

L'autorisation d'ouvrir un collège à Paris est accordée à la Compagnie.

Saint François de Borgia refuse plusieurs fois le car- dinalat.

Saint François Xavier quitte Goa et se rend en Chine.

Arrivée à Prague de douze Pères pour l'ouverture du collège.

Arrivée du P. Laynez et du P. Salmeron à Trente, pour la 2'"e réunion du concile dans cette ville.

Mort du P. Le Jay, à Vienne.

Jules III confirme les privilèges de la Compagnie par la Bulle Sacne Religi'ofiis.

Ouverture du Collège Germanique.

Saint Ignace refuse de s'unir aux religieux Barnabites.

Il se rend dans le royaume de Naples, pour récon- cilier Jeanne d'Aragon et Ascagne Colonna.

Fondation des collèges de Pérouse, de Modène, de Gubbio.

Le P. Emmanuel Morales évangélise Ceyian.

Le P. Laynez remplace le P. Paschase Broët comme provincial d'Italie.

Le P. Miron succède au P. Rodriguès comme provin- cial du Portugal.

L'Espagne est divisée en deux provinces : province de Castille et province d'Aragon avec le P. Araoz et le P. Rodriguès pour provinciaux.

Le P. Pierre Fernandez est nommé évêque de Saint- Sauveur au Brésil.

380

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

1553

1554

25 Mars.

2 Décembre. 22 Décembre.

16 Mars. 26 Mars. 25 Avril.

2S Juin.

25 Juillet.

27 Août. 9 Novembre.

13 Décembre.

Janvier.

7 Janvier.

Le P. Natal est envoyé en Sicile, pour promulguer et expliquer les Constitutions.

Mort de saint François Xavier dans l'île de Sancian.

Arrivée à Bastiadu P. Silvestre T.andini et du P. Ma- nuel Gomez de Montemajor, envoyés en Corse par Jules III, en qualité de commissaires apostolicjues et de visiteurs ecclésiastiques.

Le corps de saint François Xavier est rapporté, de Sancian, h Goa.

Saint Ignace adresse aux Pères et aux l'rères de Por- tugal sa lettre sur l'obéissance.

Le P. Natal est envoyé en Portugal, pour promulguer et expliquer les Constitutions.

Le P. Domenech est nommé provincial de Sicile, et le P. Nobrega provincial du Brésil.

Le B. Canisius refuse l'évêché de Vienne, dont plus tard il est nommé administrateur.

Établissement de la maison professe de Saint-Roch et d'un noviciat, à Lisbonne.

Saint Ignace rappelle, à Rome, saint François Xavier dont il ignorait la mort, dans la pensée de lui con- fier le gouvernement de la Compagnie.

Il prescrit à tous les prêtres de la Société de célébrer, tous les ans, une messe pour la conversion de l'Al- lemagne et de l'Angleterre.

Ouverture du collège d'Evora, et inauguration par un discours du P. Perpinian.

Translation du collège Saint-Antoine de Lisbonne dans le nouveau local.

Fondation d'une maison professe à Lisbonne.

Ouverture du collège de Cordoue.

Premier établissement des collèges de Gênes, de Mon- réale, d'Avila.

Saint Ignace désigne et présente à Jules III, les PP. Jean Nunès Barreto, André d'Oviedo et Mel- cbior Carneyro, pour être envoyés en Ethiopie, le premier à titre de patriarche, les deux autres à titre d'évêques coadjuteurs.

Jules III, par une Bulle du 17 février, leur donne les pouvoirs.

La Compagnie en Espagne est divisée en trois provin- ces : Aragon, Castille et Andalousie avec les PP. Araoz, Michel Torrès et François Strada, pour provinciaux, et saint François de Borgia, pour com- missaire général du Portugal, de l'Espagne et des Indes.

APPENDICES,

381

13 Janvier.

14 Août.

1555

1556

1 7 Septembre.

25 Novembre.

I Décembre. 24 Décembre.

5 Février. 16 Février.

9

Avril.

9

Août.

3

Octobre.

24

Octobre.

2 Janvier.

Saint Ignace annonce aux recteurs des collèges la pu- blication, sur son ordre, du « Directorium brève ad confessarii ac confitentis munus rite obeundum » du P. Polanco, pour servir de règle à tous les con- fesseurs de la Compagnie. Établissement d'une résidence à Naples ; d'un

noviciat à Simancas. Premier établissement de la Compagnie à Tournai. Ouverture des collèges de Grenade, de Cuença, de San Lucar, de Séville, en Espagne; de Bivone, en Sicile, et d'Argen/a près Ferrare. Sous l'inspiration de saint Ignace, les Pères décident que tous les profès s'engageront, par un vœu spécial, à renoncer aux dignités ecclésiastiques. Envoi, de Rome à Lorelte, de 14 Pères pour l'ouver- ture du collège. Décret de l'Université de Paris contre la Compagnie

Réponse du P. Olave. Les PP. Pierre Correa et Jean Sosa périssent, au Bré- sil, victimes de leur foi. L'évêque de Clermont demande à saint Ignace quatre

ou cinq Pères, pour ouvrir un collège à Billom. Saint Ignace écrit au Roi d'Ethiopie sa belle lettre sur la Primauté du Pontife Romain et l'Unité de l'Église. Le P. Laynez refuse le cardinalat. Audience donnée, par Marcel II, à saint Ignace: Tu milites collige et bellatorcs instriie ; N'as utaiiiur. Le Saint confie le gouvernement de la Compagnie au

P. Natal. Le P. Laynez est nommé commissaire d'Italie. Le P. Ribadeneira est envoyé en Flandre, pour promul- guer les Constitutions et négocier, en temps oppor- tun, l'établissement de la Compagnie en Belgique, et arrive à Bruxelles, le 6 décembre. Le P. Antoine Quadro promulgue les Constitutions,

dans les Indes. Établissement d'une maison de catéchumènes à Goa. Ouverture des collèges de Syracuse, de Murcie, de

Plaisance. A la demande de la reine Marie, gouvernante de la Flandre, l'Université de Louvain examine l'Institut et rend un solennel hommage à sa sainteté. Premier établissement des collèges de Sienne, de Catane, deBillom, de Monte-Ray, de Baya au Brésil et d'une maison à Amelia, dans l'Ombrie.

382

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Le B. Canisius est nommé provincial de la Haute- Allemagne.

Mort du P. Jacques d'Eguia, confesseur de saint Ignace.

Prise de possession du collège des Trois Couronnes, à Cologne.

Saint Ignace tombe malade.

Ouverture et inauguration solennelle du collège Saint- Clément de Prague.

Arrivée à Ingolstadt de i8 Jésuites, pour l'ouverture du collège.

Saint Ignace remet le gouvernement de la Compagnie au P. Polanco et au P. Madrid.

Il envoie demander la bénédiction et l'indulgence apostolique à Paul IV.

Mort de saint Ignace.

Les ob.sèques sont célébrées par un grand concours de peuple.

Paul V décerne à Ignace les honneurs de la Béatifi- cation.

Grégoire XV l'élève au rang des saints.

7 Juin.

15 Juin.

22 Juin.

I Juillet 6 Juillet.

7 Juillet

13 Juillet

30 Juillet

31 Juillet I Août.

1559

1622

1623

27 Juillet.

12 Mars. 6 Août.

Urbain VIII signe la Bulle de canonisation.

IL - GÉNÉALOGIE de la famille de LOYOLA.

1. Lopede Onaz (vers n8o}.

2. Garcia Lopez de Onaz.

3. Lope Garcia de Onaz, marié h. Doiïa INES de LOYOLA, héritière du domaine de Loyola.

4. Inès de Loyola (fille unique), mariée h. Don Juan Pérez, son parent. Ils curent sept enfants. On ne connaît que les suivants :

5. Juan Pérez de Loyola, marié à D= Maria Pérez de Lovola. | Gil Lopez de Ofiaz, marié à l'héritière de la maison de Larrea à Amasa. I N... chef de la famille de Loyola Echea, à Palencin.

6. Bertrand Yaftez de Loyola, marié à D^ Ochanda Martinez de Leete. | Juan Martinez de Loyola.

1 \ : ' 1

7. Juan Pérez de Loyola, mort sans postérité. | SAN CHA YANEZ DE LOYOLA, mariée à D" Lope Garcfa de Lazcano. 1 N... autre fille restée încomiue.

Juan Pérez, marié à D' Sancha Pérez de Iraeta.

I

I

Bertrand. | Inès. | Marina.

Maria Lopez, mariée à D" Inigo de Urgaste ou Ugarte.

9. BERTRAND YANEZ DE ONAZ, marié h D^ Maria Saenz de Licona y Ealda.

Maria Lopez de Ofiaz, mariée à D" Pedro Olézaga.

D'* Catherine de Loyola, mariée ïi D" Juan Martinez de Emparan.

10. Juan Ferez, mort pend' la guerre de Naples.

Martin Garcia, marié à D" Madeleine de Araoz

i

Bertrand,

mort p'^' la guerre de Naples.

i

Ochoa,

mort

à

Azpeitia.

Hernando,

mort

aux

Indes.

Pero Lopez, Recteur

de Azpeitia.

INIGO Madeleine de Ofiaz ('), mariée à Pôtronille de Loyola, D" Juan Lopez de Gallaiztegui, mariée à D"

S. IGNACE, seigneur du domaine de Echeandia. Pedro Ochoa de Arriola, k Anzuola. 1 près Elgoibar.

; I I I

Un fils et trois

filles restés inconnus.

i

II. Bertrand de Ofiaz, marié à D^ Jeanne de Recaldc et Idiaquez.

Juan Pérez de Loyola.

Lorenza de Onaz y Loyola, mariée à D" Juan de Borgia, fils de S. François de Borgia.

Martin Garcfa,

marié à D^ Maria-Nicolasa de Oyanguren.

L_

I

i I

Millan, Madeleine, mariée îi D"

religieux Juan Lopez de Amezqueta, de la seigneur de Amezqueta,

O^ de JÉSUS. Alzaga y Yarza (1525).

Madeleine de Ofiaz y Loyola, mariée à D" Pedro de Zuazola, seigneur de Floreaga.

I Maria Vêlez,

mariée à U"

Juan

Martinez

de Olano.

I Catherine de Loyola,

mariée à D"

Juan Martinez de Lasao,

Secrétaire

de l'Inquisition.

I Marina de Loyola,

mariée :

D"EtiennedeAquerza;

° à D" André Martinez de

Mallea.

Gil Vêlez de Ofiaz,

mort étudiant,

1534-

(') Le P. Henao l'a confondue, ainsi que ses AUlres sœurs, avec Its nièces de S. Ignace.

Leonor de Borgia,

mariée à don Pedro

de Centellas y Borgia,

comte de Oiiva.

•J" sans postérité.

I Juana

de Borgia,

religieuse.

I I

Lorenza Madeleine de Borgia y de Borgia, Loyola, mariée à D" Juan religieuse. Urbain Pérez de Viveio, comte de Fuensaldaiïa, vi- comte de Altamira, hérite de sa sœur aînée qui n'eut pas d'enfants, morte elle- même sans postérité.

Pedro de Zuazola y Loyola, marié h. I D-^ Maria de Eguiguren.

Mathias-Ignace de Zuazola y Loyola, marié à D' Anna de Lasalde Aizaga y Mancicidor ; ils eurent huit enfants, qui moururent en bas âge; le dernier héritier fut le 8'^ fils, Joseph-Ignace, qui mourut à l'âge de 12 ans.

En lui s'éteignit la descendance de Bertrand de Onaz, l'aîné des neveux de S'- Ignace.—

^L'héritage revint à D' Térèse Heniiquez de Vtlasco y Loyola, marquise de Alcaiiiza y Oropesa, descendante du 3*^ fils de Martin Garcfa de Onaz, laquelle fut ma- riée à D" Luis Henriquez de Cabrera, gentilhomme de S. M.

Ce fut elle qui, sur les instances de D* Maria-Anna d'Autriche, mère du roi catholique Charles H, céda à S. M. le domaine de Loyola, pour y fonder un col- lège de la Compagnie de Jésus.

III. Comment fut fait le portrait de notre Père saint Ignace. Pour quels motifs le P. Ribadeneira

l'ordonna.

Le P. Lopez raconte^ comme il suit, les diverses tentatives faites pour obtenir le véritable portrait de saint Ignace.

NOS premiers Pères avaient conçu le dessein de faire exécuter un portrait fidèle de notre Père Ignace, et se demandaient comment ils le réaliseraient, à son insu. Personne n'osait, en effet, lui demander pareille permission, sachant quelle peine il ressentirait d'un tel projet. Pour arriver à leur fin, ils imaginèrent un expédient fort habile, semblait- il ; mais, pour lors du moins, Dieu n'en permit pas la réussite. Les infir- mités ayant forcé notre Père de s'aliter, le cardinal de Burgos, Don François Pacheco, voulut se donner le plaisir de prendre un repas avec lui. Le Saint s'excusa sur son état de maladie ; mais le cardinal, qui lui était fort attaché, déclara que ce n'était point un obstacle à son désir : ce qu'ilestimait surtout, c'était de jouir de sa présence et de sa conversa- tion. Le repas fut donc commandé, et l'on plaça une table tout près du lit.

Le P. Louis Gonçalvès, ministre de la maison, n'eut garde de laisser y échapper une si bonne occasion. Il s'entendit avec un grand peintre de \^^ Rome, nommé Morga, et le priad'exécuter le portrait désiré. L'entreprise n'offrait aucune difficulté ; le cardinal prendrait le peintre pour un domestique de la maison, notre Père, pour un des serviteurs du cardinal ; le peintre viendrait, et, sans être reconnu, s'approcherait des commensaux, selon les exigences du service. On avait préparé, dans une pièce attenante, tout ce que réclamait la pratique de l'art.

L'artiste entre, une première et une seconde fois, dans la chambre du P. Ignace, le considère avec grande attention, et, sortant promptement, essaie, mais en vain, de retracer les traits du Saint, gravés dans son ima- gination. Il rentre, une troisième fois, et, avec une attention croissante, il étudie son modèle ; cette fois encore, il n'y eut coup depinceauqui valût quelque chose. Dès lors, tout déconcerté, il jette le pinceau en disant : « J'ai donc perdu mon secret ou Dieu ne veut point que son serviteur soit représenté. » De toute la vie du Saint, on ne refit la tentative, tant chacun avait été vivement frappé de ce qui s'était passé.

A quelques années de là. Notre Seigneur retirait saint Ignace de ce monde. Dès lors, ceux de ses fils qui se trouvèrent présents entreprirent à nouveau l'exécution de leur dessein. Ils mandent un artiste habile, et lui font appliquer du plâtre, sur le visage du Saint défunt pour prendre un moule, que l'on reproduisit ensuite en cire. Le P. Ribadeneira possède ce second moule; quant au premier, il se trouve à Rome dans la maison

384 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

professe ; il a servi de modèle à divers tableaux, mais, si différents les uns des autres, et quelques-uns, si peu conformes à la douce figure du Saint, que cela fait pitié. On trouve un de ces tableaux dans la chambre des Pères Généraux.

L'an 1584, le P. François de Porrès fut envoyé à Rome, en qualité de procureur de la province de Tolède. De retour à Madrid, il montre aux Pères quelques-uns des objets destinés au collège dont il était nommé recteur. Parmi ces objets, se trouvait un portrait de notre Père qu'il portait avec grand respect. Le P. Ribadeneira était présent. Son mécon- tentement fut tel en le voyant qu'il ne put le dissimuler : « Ce portrait, i s'écria-t-il, n'est pas celui de notre Père ; ce sera sans doute celui de « quelque clerc, bien replet et bien nourri, ou peut-être celui de quelque « laboureur.» Il pria le P. Porrès de ne point le montrer. Lui-même s'offrit d'en faire exécuter un. Pour mieux réussir, il chargea le Frère Bertrand, grand sculpteur, de faire, d'après ce buste, une maquette en terre, il corrigerait les défauts signalés dans le moule de cire. Dans ce moule, en effet, la lèvre supérieure était trop renflée, et la lèvre inférieure trop rétrécie ; les ouvertures des narines paraissaient aussi contournées et contractées, et les yeux étaient fermés. Tout en s'aidant du moule, le Frère modela un buste, il corrigea les parties défectueuses. Le buste achevé, on fit venir Alphonse Sanchez, peintre du roi Philippe II. On lui manifesta le désir que nous avions tous d'avoir le véritable portrait de notre Père, et les Pères Ribadeneira et François de Porrès mirent sous ses yeux les moules dont nous venons de parler. Après les avoir considérés, l'artiste déclara qu'il se chargeait de faire le tableau ; mais que, pour le teint et pour les cheveux, il aurait besoin de nouvelles indi- cations. Le P. Ribadeneira s'offrit à les lui fournir, et même à se tenir dans l'atelier, toutletemps du travail. « Eh! bien, de mon côté, répondit « Alphonse Sanchez, je mettrai à cette œuvre toute mon application, et «j'espère de Dieu et de l'intercession du Saint que nous réussirons. » Il emporta chez lui les deux portraits ; mais il se servit surtout du moule de cire, car il offrait toutes les garanties voulues pour les dimensions et pour la grosseur.

Ce fut dans les premiers jours d'août de l'an 1585, qu'Alphonse Sanchez entreprit de faire le portrait de notre Père, celui-là même qui est entre les mains du P. Ribadeneira ; il l'entreprit, dis-je, avec un si grand désir delebicn réussir que souvent on l'entendait s'écrier : « Saint « béni, aidez-moi dans cette œuvre ; elle tend à la gloire de Dieu et à « votre honneur. » En outre, il se fit recommander à Notre-Seigneur, et le P. Ribadeneira dit plusieurs messes à cette intention. Quand le premier croquis fut fini, le P. Ribadeneira voulut le montrer à plusieurs personnes, qui avaient connu notre Fondateur, afin qu'avant d'y mettre la dernière main, on en corrigeât tous les défauts. On prit d'abord l'avis du cardinal archevêque de Tolède, Don Gaspard de Ouiroga, qui avait connu intime-

APPENDICES. 385

ment Ignace. Le cardinal considéra le portrait et indiqua les retouches à faire. Ce tableau fut donc rapporté chez Sanchez, et le peintre se remit à l'œuvre. Tout le temps du travail, le P. Ribadeneira était là, trois heures dans la matinée, et autant dans la soirée, avertissant le peintre, si un trait lui paraissait moins heureux. Le portrait achevé, je fus moi- même chargé de le présenter de nouveau au cardinal ; celui-ci était assis dans son fauteuil ; le P. Ribadeneira occupait un siège tout à côté. J'entrai, tenant à la main le portrait découvert ; aussitôt que le cardinal l'eut aperçu, il se leva, se découvrit, et fit une profonde inclination : « Ah ! « celui-ci, s'écria-t-il, oui, celui-ci est le vrai portrait ! » Le Père, de lui dire alors : « Quoi donc ! Votre Excellence connut-elle donc si intime- « ment Ignace, qu'elle se souvienne aussi fidèlement de lui « Oui, « je le connus parfaitement, car je l'ai vu plus de cent mille fois. Il ne « se passait pas de jour que nous n'eussions une entrevue dans sa rési- « dence, ou dans mon palais, ou dans ma maison de campagne. Or, « jamais je ne trouvai visage qui lui ressemblât, ce que je notai bien des « fois. Autre détail : je ne vis jamais ses traits altérés, quelque événe- « ment qu'il survint, heureux ou malheureux, ils gardaient toujours « l'empreinte de la paix la plus inaltérable, ce que je n'ai encore observé « que dans le P. Ignace. » Comme je sortais de chez le cardinal, je trouve, dans le salon d'attente, quelques-uns de ses plus anciens servi- teurs; tous, sans hésiter, reconnaissent que ce portrait est fort res- semblant.

L'an passé,i586, nous rapportâmes le portrait chez Alphonse Sanchez, afin qu'il en tirât une copie pour nos Pères de Portugal. Cependant Philippe II était revenu de Monzon. Alphonse Sanchez va lui baiser la main, en sa qualité d'employé de la maison : «Apportez-moi, lui dit le « roi, les œuvres que vous avez exécutées, tandis que j'étais hors de « Castille. » Le peintre les lui présente; dans la collection se trouvait le portrait original du P. Ignace, dont il devait tirer copie. « Quel est ce « portrait? » demanda le roi. « Celui d'Ignace », dit le peintre. « Mais, reprend le roi, sur quel modèle l'avez-vous pris ? » « Sire, le « modèle était un moule de cire pris lui-même sur un moule de plâtre, « qu'on appliqua sur le visage d'Ignace après sa mort. » « Mais, « d'un pareil modèle, comment avcz-vous tiré ce portrait tout vivant?» « Sire, tandis que je travaillais à cette œuvre, j'avais à mes côtés un des « grands disciples d'Ignace, le P. Ribadeneira ; il me disait : Ici son « visage avait telle couleur ; telle était ici la teinte de ses cheveux ; et « ainsi je suis arrivé à faire le portrait que vous voyez. » Le roi con- sidère une fois encore le portrait. <,< Oui, ajouta-t-il, c'est bien cela ; le « portrait est bien ressemblant : je connus le P. Ignace, et voilà bien « son visage, quoiqu'à l'époque oîi je le vis, sa barbe fût plus fournie. » Ce sont les propres paroles du roi qu'Alphonse Sanchez nous rapporta. Le prince avait nquf ans, quand il vit Ignace, et il garda le souvenir de

Histoire de S. Ignace de Loyola. II. 25

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386 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

ses traits; dès qu'il avait considéré, une seule fois, les traits d'une per- sonne, il ne les oubliait plus.

Un autre témoignage, non moins précieux, est celui du P. Jacques de Guzman, reçu par saint Ignace lui-même, dans la Compagnie. Passant à .Madrid, il eut occasion de voir le portrait ; il fut charmé de la res- semblance. A plusieurs reprises, il assura qu'aucun portrait du Saint ne pouvait se comparer à celui-ci, que c'était le portrait véritable. Il rendit mille actions de grâces au 1\ Ribadeneira de l'avoir fait exécuter ; il m'appelait, et, du doigt me montrant le tableau: « Regardez bien. Frère « Christophe ; regardez-le bien, me disait-il, car il peut bien dire : Qui vidct Jiic, videt patrcui. » Il goûtait à le considérer de telles douceurs, qu'il y passait de longs moments. Un jour que le P. Ribadeneira était absent de sa chambre, se prosternant devant l'image du Saint, il versa d'abondantes larmes de dévotion, comme il le raconta lui-même.

Voici enfin le témoignage de Ribadeneira lui-même. Bien des fois je lui ai entendu dire qu'il gardait, aussi vive dans son esprit, l'image du saint Père Ignace, que s'il le voyait, à l'instant même, vivant encore et présent sous ses yeux ; il éprouvait une telle douceur à la considérer, qu'il en était lui-même dans l'étonnement ; il s'entretenait avec lui, il se délectait dans cette contemplation <i comme un chevalier devant le portrait de sa dame » : c'est par ces vives expressions qu'il s'exprimait très souvent. « Ce portrait, disait-il, est le plus parfait et le mieux réussi « de ceux qui ont été faits jusqu'ici ; pourtant il n'a point encore toute « la grâce, ni toute la suavité, ni toute la vie de la figure de notre Père; « mais, sans une inspiration divine, il est impossible qu'un peintre repro-

« duise jamais toutes les perfections des traits d'Ignace Pour me

« calmer, me mettre dans le repos ou m'animer, je n'ai point de meilleur « moyen que de considérer le portrait de notre Père. Chose admirable ! « Quand on le regarde, il semble qu'il vous parle, qu'il vous donne ses « conseils avec cette douceur et cette suavité que je lui connaissais, ou <i bien qu'il vous reprend avec cette gravité et cette modestie qui lui « étaient propres. » Telle est l'histoire du portrait de notre Père Ignace; tels, les témoignages que nous avons des plus graves personnages ; moi- même, je fus le témoin de tout ce qui se fit ; si je ne m'étends pas à en faire tout le récit, c'est qu'à toute autre qualité du conteur je préfère la vérité et la brièveté.

J'écrivis cette relation l'an 1587, au mois de mars; je la montrai au P. Ribadeneira ; elle lui plut, et il fut d'avis qu'on l'imprimât. Le P. François de Porrès l'agréa, ainsi que beaucoup d'autres Pères graves qui vivent ici et à Tolède. Que Dieu en tire son honneur et sa gloire ! Amen.

Nous avons emprunté cette relation à la vie manuscrite du P. Ribadeneira, par le P. Lopcz, conservée aux archives de la Province de Toulouse. Les éditeurs des Cartas de san Ignacio l'ont publiée en espagnol, parmi les

APPENDICES. 387

dociinients du toin i. page 4.05. A la suite de la relation^ ils ajojiient la note suivante :

Il est très probable, sinon tout à fait certain qu'il n'existe pas, et peut-être que jamais il n'exista de portrait de saint Ignace, antérieur à l'époque de sa conversion. Il y en a un dans la maison de Loyola, qui le représente dans la force de la jeunesse et avec le costume de soldat ; d'autres portraits semblables se voient en divers musées et dans de vieilles estampes ; mais, que tous ces tableaux remontent si haut, rien ne le démontre, si ce n'est peut-être dans quelques-uns, comme dans celui de Loyola, l'armure de chevalier ; ni l'époque vécurent les peintres, ni le caractère de leur peinture, ni l'attitude du personnage représenté, ni le chiffre du nom de JÉSUS, qu'il porte gravé sur le cœur, ne nous per- mettent de croire à une date aussi reculée ; à tous ces caractères, on re- connaît bien plutôt que c'est, non le vaillant défenseur de Pampelune, mais le glorieux fondateur de la Compagnie, que l'on a voulu représenter.

Le portrait le plus ancien du Saint, du moins que nous connaissions, est celui dont il est fait mention, dans l'histoire inédite de la ville de Bassano, par le docteur Marius Gale.

Ce portrait est rare, et il convient de rappeler à quelle occasion il fut fait. Dans le voisinage de cette ville, vers l'an 1 537, vivait un pieux et célèbre ermite, du nom d'x-^ntoine : or, dans les temps saint Ignace et ses compagnons se répandirent dans les divers lieux des États de Venise, épiant le moment propice de passer à Jérusalem, il offrit l'hospitalité, dans son ermitage, aux PP. Claude Le Jay et Simon Rodriguès. Ce dernier étant tombé gravement malade. Saint Ignace, par une inspira- tion divine, vint de Vicence pour le visiter, et lui rendit les forces du corps et aussi celles de l'âme : il le raffermit dans sa vocation, et fit cesser les fluctuations qu'avait occasionnées chez lui le désir d'imiter la vie soli- taire de son compagnon /Antoine. Le bon solitaire faisait d'abord peu de cas de saint Ignace : rien en lui ne dénotait à son avis, un grand esprit de sainteté ou de pénitence. Cependant Dieu l'éclaira et même le reprit sévèrement dans l'oraison ; désormais le bon ermite eut une plus juste idée d'Ignace, le tenant pour un homme du plus haut courage et du plus grand mérite aux yeux de Dieu. Les habitants de Bassano ne se formèrent pas une idée moindre de l'étranger, et, dès lors, ils le véné- rèrent comme un saint. Alors aussi, Jacques du Pont, plus communé- ment appelé el Basano, du nom de sa patrie, peintre fameux et des meilleurs de ce siècle, fut chargé de représenter la marche du peuple d'Israël vers la Terre promise ; désirant rendre, sur les visages de Moïse et d'Aaron, la sublimité de leur esprit et de leur sainteté, il imagina de prendre pour modèles, Ignace et Antoine. Au grand-prêtre, il prêta la figure de l'ermite, celle d'Ignace, au grand législateur. On ignore ce qu'est devenue cette œuvre d'art, qui devait être excellente, comme toutes celles qu'a exécutées ce grand artiste.

388 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Mgr Alexandre Crivelli, milanais, honore plus tard de la pourpre cardinalice, fit faire, lui aussi, un portrait d'Ignace, du vivant même du Saint. Mais, sachant bien que l'humble serviteur de Dieu ne souffrirait jamais que son visage fut retracé sur toile pour la consolation de la posté- rité, il eut recours à cette industrie : il posta un peintre habile dans un endroit d'oîi, sans être vu lui-même,il put voirie Saint; pendant ce temps, il s'entretenait avec Ignace de très graves affaires, laissant ainsi à l'ar- tiste le temps de prendre le croquis. Mais ce tableau a, lui aussi, disparu.

A la mort du Saint, Jacques del Conte, peintre habile, qui avait été depuis de longues années le pénitent d'Ignace, fit aussi son portrait : il avait sous les yeux le corps du défunt ; et, ce que l'empreinte de la mort avait défiguré, il le corrigeait, en s'aidant de ses fidèles souvenirs.

Quant au portrait dont il est question dans cette relation, le même auteur nous apprend, dans une autre œuvre manuscrite (Vie du P. Riba- deneira, 1. 3, c. 12), qu'il était admirablement réussi. Le même peintre, en ayant tiré seize copies, ne put jamais le reproduire avec la même perfection.

Il reste à savoir si ce portrait est aussi celui qui a servi d'original pour la gravure de ce livre ; plusieurs raisons très plausibles, sinon tout à fait convaincantes, nous le feraient croire. En premier lieu, tous les connaisseurs qui l'ont vu, sont d'avis que le pinceau est sans aucun doute celui du grand peintre de la cour de Philippe II, Alphonse Sanchez Coello ; c'est ce qu'atteste une inscription, d'écriture ancienne, placée sur le revers du tableau. Il est certain aussi, que ce portrait fut conservé, jusqu'à l'an 1834, avec un soin et un respect tout particuliers, comme une précieuse relique, dans le collège impérial de Madrid, mourut le P. Ribadeneira ; et même, dans son état actuel, il nous laisse bien voir avec quelle diligence nos anciens Pères conservèrent un sou- venir si précieux pour la Compagnie.

P2n effet, pour l'emporter après la tourmente de 1830, ils découpèrent la tête du tableau primitif: ainsi réduit à de moindres dimensions, ils pouvaient cacher le portrait plus facilement et plus sûrement ; puis, ils l'appliquèrent sur un carton ovale, qui fut collé plus tard sur toile. Qu'on se rappelle avec quel respect on conserva le moule en plâtre, pris sur la figure de saint Ignace défunt! Ce moule, tenu en si grande estime par le P. Ribadeneira, et dont il fit tirer de nombreux portraits, nous fut légué dans la même urne le frère Christophe Lopez l'avait fait déposer, en 161 3! Or, combien plus de prix a-t-on toujours attachera ce por- trait, tout à la fois le chef-d'œuvre d'un excellent peintre, la copie la plus conforme à l'original, et la plus sûrement garantie par le P. Ribadeneira.

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IV. Du nom de Jésus et des sceaux de saint

Ignace.

HOSCHEAH fut le premier nom de Josué, de ce chef illustre d'Israël, l'une des plus admirables figures de Jésus-Christ ; mais, ce nom. Moïse le changea en YechoscJuiali ou Yoschuah, que Guesenius interprète Cujjis auxiliuni a JeJwvaJi est, Allioli Yhowah celui qui sauve, et les interprètes plus communément Sauveur. (Nomb., XIII, 17). Ainsi le trouve-t-on dans les livres de la Bible qui furent écrits jusqu'à la fin de la captivité de Babylone ; il est abrégé en Yeschuah, dans les livres écrits plus tard, et c'est le propre nom de notre divin Rédempteur. Les Grecs, d'après les Septante, l'écrivaient 'IviO-o'j;, et plus tard les Latins lESUS ou IHESUS. (Cf. Franc. Lticas Brugensis et Corn. Jansen in Luc., II, 25.)

Ce très doux et très saint nom, saint Ignace de Loyola, comme son homonyme le glorieux martyr d'Antioche, le portait gravé dans le cœur; il lui venait à chaque instant aux lèvres comme sous la plume. Il voulut résolument que ce fût le nom de la Compagnie; il en marqua sou- vent ses Constitutions ; par lui il commençait et il achevait ses lettres ; il en fit enfin son chiffre et celui de sa Compagnie. Au commencement et sur l'adresse des lettres, comme nous le voyons dans les lettres origi- nales qui nous restent de lui, dans les copies les plus anciennes et les

plus fidèles, il l'écrivait itjH^^ ; dans tous les sceaux nous le trouvons

formé des trois lettres IHS, majuscules ou minuscules, toujours sur- montées de la croix ; tantôt cette croix était formée sur le grand enjambement de la lettre h minuscule, tantôt elle reposait sur le trait d'union intérieur de la lettre majuscule H.

Tous les sceaux que nous avons rencontrés se réduisent à quatre, un plus grand et trois plus petits. Le plus grand était attaché à l'office de Général : sous le chiffre de JÉSUS, on voit gravée la lune et deux étoiles.

390 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

une de chaque côté, et tout autour l'inscription « Sigillum Prœpositi Societatis Jcsul), comme on peut le voir dans le fac-similé ci-joint. C'est la reproduction du sceau que porte une lettre officielle du P. Everard Mercurian au P.Ribadeneira, datée du 15 juin 1574. Ce sceau est en tout semblable à celui des Bollandistes [Acta Sancionnn, Ju). tom. vu, p. 543, 644): il est tiré de quelques lettres de recommandation, données au P. Araoz, à Madrid, par saint François de Borgia, le 16 novembre 1571. Sur le témoignage d'un témoin oculaire, du P. Ignace Pine, les Bollandistes ajoutent que c'est avec ce sceau qu'on marquait les procès d'élection des Pères Généraux, à partir du P. Laynez. Saint Ignace s'en servit lui-même ; nous en avons pour garant la transcription fidèle d'une très précieuse copie que le célèbre historien, le P. Jean François de Masdeu, envoya au P. Menchaca; c'est la copie d'une lettre d'obligation, datée du 18 octobre 1550, et adressée à Camille Stalla par saint Ignace, signée et marquée de sa main. Au commencement de ce siècle, on gar- dait ce papier, comme une relique, à Rome, dans la chapelle des Testa Piccolomini. Nous avons une gravure de ce même sceau ; elle est con- forme de tout point aux deux dessins que nous en avons donnés.

J'arrive aux sceaux plus petits : dans le premier on ne voit se déta- cher que le chiffre Ihs : on le trouve dans une lettre au duc de Ferrare, du 9 mars 1555 ; cette lettre se conserve encore dans les archives pala- tines de Modène : on en tira un calque qui a servi à graver le sceau que nous avons reproduit ici. Dans le second sceau, au-dessous de IHS, on voit trois clous convergents et à pointes croisées ; il est tout à fait semblable à celui des Jésuates, Ordre fondé par saint Jean Colombin, et aboli au XVIIe siècle. On le trouve dans une lettre que nous avons sous les yeux, du P. Diego de Eguia au P. François de Rojas, écrite le 2 septembre 1548 ; tout dans cette lettre démontre qu'elle fut écrite par ordre de S. Ignace : l'objet de la lettre (il l'exhorte à aller à Rome), l'adresse qui est du P. Polanco, et une corde, encore attachée au papier avec le même sceau, tout, dis-je, démontre que cette lettre fut écrite sur l'ordre de saint Ignace, et que, pour la distinguer de plusieurs autres placées sous le même pli, le P. Polanco y imprima, comme secrétaire, le

sceau accoutumé. Nous trouvons le troisième sceau dans une lettre du 2 février 1557, écrite par le P. Polanco au P. Francisco Villanueva ; il

APPENDICES. 391

ne se distingue du précédent que par la bordure intérieure qui encadre le nom de Jésus.

Le P. Menchaca et, après lui, le P.Genelli {App. n^ xiv) nous parlent d'un autre sceau. A la place des clous, on y voit un Y, initiale d'Ignace,

ce qui a fait croire que c'était le sceau particulier et personnel du Saints D'après le P. Menchaca, ce sceau marquait sur le haut, à droite, la première page d'une lettre, du 31 mai 1550, au duc de Ferrare. Le P. Lucien Gallisa en tira un double, avec la plus scrupuleuse exactitude ; on sait combien ce Père était entendu en archives et en bibliothèques; il était d'un si rare mérite, que, quoique Espagnol, et de la Compagnie alors éteinte, il fut préposé à la bibliothèque publique de Ferrare. Ce- pendant nous avons fait examiner cette lettre dans les archives palatines de Modène, mais on n'y a plus retrouvé trace du sceau.

Disons quelques mots sur la manière d'écrire en latin ce nom divin. La présence de la lettre H paraît extraordinaire, et elle a fait supposer que le chiffre IHS était une abréviation des trois mots lesus Honmuim Salvator; cette supposition est plus ingénieuse et plus pieuse que fondée en vérité. Pour expliquer la présence de cette lettre, le P. Genelli cite deux lettres que rapporte d'Achery {Spicilcgiiini, tome m, page 330).

Almerius, évêque de Jérusalem, écrit à Jérémie, archevêque de Sens, pour lui demander son avis sur l'orthographe du nom de JÉSUS. A ce qu'il a appris, ce nom, écrit primitivement dans les Gaules, Gisus, est écrit actuellement lesiis ; ce qui est plus conforme à l'usage des Juifs. D'autre part les Grecs écrivent ce nom I C, et le prononcent IHCOYC ; d'où il paraît qu'il faudrait écrire le nom avec un I, un H, un C ou un S, et prononcer Ihesus L'archevêque de Sens répond : « Le philosophe « Porphyre, très versé dans les langues latine et grecque, écrit le nom « du Sauveur IHESUS, en se servant de la cta des grecs pour H long, « toujours prononcé I en grec ; les Latins le remplacent par E long. « Nous le prononçons sans aspiration, mais nous l'écrivons conformé- « ment aux Juifs avec l'H des grecs. »

Le P. Genelli, pour confirmer l'explication de l'archevêque, ajoute que, dès les temps les plus reculés, les chrétiens latins employèrent la lettre H pour la éia des Grecs. Cf. Cartas de san Ignacio, tom. I, appeiid. II.

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V. Journal de saint Ignace pendant 40 jours.

LE P. Louis Gonçalvès à qui, sur les instances de ses compagnons, saint Ignace dicta un résumé de sa vie {Acia Safic/orum, Jul., tome vu, page 645-665, i-ioo), nous fait connaître à quelle occasion le saint Fondateur rédigea, pendant quarante jours consécutifs, les notes dont nous donnons ici la fidèle traduction. «Notre Père, raconte le P. Gonçalvès (/ùid.,n° loo), m'avoua, « que durant le saint sacrifice de la messe, il avait souvent des visions, et parti- « culièrement tandis qu'il rédigeait les Constitutions, Il me dit que chaque jour « il notait tout ce qui se passait en lui, et qu'il conservait ces notes; il me montra « même un cahier de notes assez considérable, et il m'en lut de longs fragments. « C'était en grande partie le récit des visions dont il avait été favorisé, et qui « avaient pour but de le confirmer dans ses décisions. Parfois, c'est le Père qui « lui apparaît ; quelquefois, ce sont les personnes de la Trinité ; d'autres fois, « c'est la très bienheureuse Marie qui se montre à lui, tantôt intercédant en sa <i faveur, tantôt le confirmant dans ses résolutions. Notre Père me parla surtout « de deux points du règlement auxquels il consacra quarante jours, disant tous « les jours la messe à cette intention, priant et répandant d'abondantes larmes. « Il s'agissait de décider si les églises de la Compagnie seraient dotées, et si la « Société pourrait disposer de ces rentes.

« Pendant qu'il rédigeait ses Constitutions, il célébrait tous les jours le saint « sacrifice pour obtenir des lumières, offrait à Dieu le point à régler, et priait « durant la messe ; dans ses prières, il répandait d'abondantes larmes.

« Je désirais pouvoir lire toutes ces notes sur les Constitutions, et je lui de- « mandai de me les laisser pour quelques instants, mais il ne le voulut pas. »

Saint Ignace fit disparaître, avant sa mort, toutes ses autres notes. Celles-ci échappèrent, par oubli sans doute, à la destruction ('). Elles nous montrent quelle sagesse et quel esprit surnaturel saint Ignace mit à rédiger ses Constitu- tions, et elles ont en outre le précieux mérite de nous faire entrevoir, dans le détail, les voies admirables par lesquelles Dieu se communique aux grands saints et en particulier aux fondateurs d'Ordres.

Notre-Dame [Messe de].

1. Saviedi. Grande dévotion durant la messe, larmes, accroissement de confiance en Notre-Dame. Alors et tout le jour, je me suis senti plus porté à n'admettre aucune dotation.

2. DimancJie. Mêmes dispositions. A la messe et durant tout le jour, je me suis senti porté à refuser toute rente.

I . Ces notes, écrites en espagnol, ont été récemment publiées à Madrid. (Cf. Consiilntiofics Soc.Jes. latina; et Jiispanicœ aiincartini dedarationibus. Appcnd. xviii, pag. 349-363. Matriti MDCCCXCII.) Pour l'interprétation de quelques passages obscurs, nous nous sommes aidé de deux traductions italiennes, jointes aux documents réunis pour le procès de la canonisation. L'une de ces traductions, faite par un espagnol ou avec son concours, comme l'indiquent certains idiotismes, est déclarée fidèle et authentique, après confrontation avec l'original.

histoire de saint ignace de loyola. 393

Notre-Dame.

■^. Lundi. Mêmes dispositions, avec d'autres impressions. Inclination, durant tout le jour, à refuser toute sorte de dotation. Dans la nuit, je me suis senti attiré, par un vif sentiment de grande confiance, vers Notre-Dame.

Notre-Dame.

4. Mardi. Avant, pendant et après la messe, grande dévotion, larmes et douleur d'yeux assez vive. -^ Vue de la Mère et du Fils disposés à intercéder auprès du Père. Inclination plus marquée à ne point ac- cepter de rentes [pour les églises de la Compagnie]. En ce moment, toute la journée et le soir, j'ai senti et vu que Notre-Dame était disposée à intercéder pour moi.

Notre-Dame.

5. Mercredi. Avant et pendant la messe, dévotion avec larmes ; toujours porté à n'admettre aucune dotation. Il me semble voir plus clairement que recevoir des revenus limités, c'est un scandale : sous prétexte de lui venir en aide, c'est nuire à la pauvreté que Dieu Notre- Seigneur a tant louée.

LA Trinité [Messe de].

6. Jeudi. Avant la messe, grande dévotion et larmes abondantes. Pendant tout le jour, chaleur intérieure et dévotion notables ; et tou- jours inclination plus prononcée à refuser toute dotation. Au temps de la messe, j'ai ressenti une forte impression de la grâce, accompagnée de grands sentiments de dévotion et d'un mouvement intérieur [qui me portait] à prier le Père. Il me semblait que les deux médiateurs [le Fils de Dieu et sa Mère], l'avaient interpellé pour moi, et j'avais quelque motif de croire que je les voyais.

JÉSU.S [Messe du saint nom de].

7. Vendredi. Sentiments de grande dévotion avec larmes, durant l'oraison du matin et la préparation à la messe, ainsi qu'à l'autel sans proférer de parole. Autant que possible, je me tenais dans la disposition contraire à toute dotation. Pendant une heure et demie, ou même plus, je travaillai à l'élection, réfléchissant à ce qui, en cette question, me paraissait dicté par la raison ou indiqué par la pente de ma volonté. Je voulais ne point accepter de revenus et offrir cette décision à Dieu le Père, par l'intercession de la Mère et du Fils. Or, tan- dis que je priais la Mère de m'aider avec son Fils, auprès du Père et qu'ensuite je priais le Fils d'intercéder avec sa Mère, je me sentis porté devant le Père. Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, et je ressentis un ébranlement et une ardeur brûlante dans tout mon corps ; puis vinrent les larmes et une ardente dévotion. Relisant ensuite ce que j'avais écrit et le trouvant bien, de nouveaux sentiments de dévotion se produisirent avec des larmes. Au souvenir de ces grâces reçues, j'éprouvai, le soir.

394 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

pendant plus d'une heure et demie, un retour de cette même dévotion, avec une grande élévation d'esprit et un calme parfait, ne tenant à rien, pas même à poursuivre le travail d'élection, comme je le voulais quel- ques jours auparavant, ^

L'Annonciation de la Vierge [Messe de],

8. Samedi. Ayant mal dormi, la nuit précédente, je me trouvai sans forces, A l'oraison du matin, calme, dévotion, impression de la grâce et envie de pleurer. Apres m'ôtre levé, tout sentiment de fatigue disparut à deux reprises. Ensuite, dans l'oraison préparatoire à la messe, ainsi qu'en revêtant les ornements sacerdotaux, sentiments de dévotion et désir des larmes. Pendant la messe, dévotion et fatigue continuelles, avec d'autres impressions et l'envie de pleurer, La messe achevée, j'étais dans les mêmes dispositions, toujours décidé à ne point accepter de rentes. Je passai toute la journée dans le calme, sans désirer revenir sur cette élection, le parti à prendre me paraissant clair, à savoir qu'il ne fallait pas avoir de dotation. La nuit, je revins sur l'élection, et il me paraissait en tout point manifeste, qu'il ne fallait accepter ni en partie, ni en totalité une dotation et qu'il ne convenait même pas de s'arrêter à cette pensée. Avec une grande tranquillité d'esprit, je consi- dérais la chose comme décidée : j'étais toujours dans l'idée de n'accepter aucune rente.

Messe du jour.

9. Diuianche. Songeant à l'élection et offrant à Dieu mon désir de ne point admettre de dotation, je ressentis une grande dévotion mêlée de larmes, et cela, avant l'oraison du matin, avant, pendant et après la messe. Toujours dans la disposition de ne pas vouloir de revenus, je m'en tins à l'offrande que j'avais faite avec une grande clarté. Mon esprit fut ensuite saisi par des sentiments de dévotion pour les média- teurs [le Fils de Dieu et sa Mère] qui se firent voir à moi. La nuit, reve- nant à l'élection et examinant s'il fallait accepter une dotation entière ou partielle, ou, s'il fallait refuser toute rente, j'offris Dieu] avec grande dévotion, paix intérieure, tranquillité d'âme, réelle sécurité et la persuasion intime d'avoir fait une bonne élection, de n'accepter aucune dotation.

L'Esprit-Saint [Messe de].

10. Lundi. Au milieu de l'oraison du matin, je priai avec grande dévotion et avec larmes Dieu notre Père d'accepter l'offrande de l'élec- tion que j'avais faite. Ensuite, un peu avant de célébrer la messe, je m'adressai, avec les mêmes sentiments, à l'Esprit-Saint ; il me sembla le voir et le sentir avec une vive clarté et sous la forme insolite d'une flamme, et je me sentis confirmé dans ma décision. Puis, réfléchissant à l'élection et considérant les raisons que j'avais consignées par écrit, je priai Notre-Dame, puis le Plis et enfin le Père de me donner le

APPENDICES. 395

Saint-Esprit, pour réfléchir et examiner l'élection à sa lumière, et, res- sentant en moi l'effet d'une assistance manifeste, je m'assis, et, avec une dévotion sensible et une grande lucidité d'esprit, je me mis à exami- ner en général, bien que la chose me parut décidée, s'il fallait accepter, en tout ou en partie, une dotation ou bien exclure absolument toute rente ; mais tout désir de trouver des raisons disparut de mon esprit devant la pensée que le Fils envoya les apôtres prêcher dans la pauvreté ; que l'Esprit-Saint donna son esprit sous forme de langues de feu ; que le Père et le Fils envoyèrent le Saint-Esprit, et qu'ainsi toutes les trois personnes [de la sainte Trinité] les confirmèrent dans cette mission. Ces pensées m'inspirèrent une dévotion plus marquée et m'enlevèrent toute idée d'un nouvel examen. Tombant à genoux, j'offris avec larmes ma résolution de n'accepter aucun revenu : inondé de larmes et oppressé par les sanglots, le front à terre et sous la vive im- pression de la grâce que je venais de recevoir, je n'avais pas la force de me lever. Enfin, toujours dans les larmes d'une dévotion sensible et con- tinuant à sangloter, je me levai après avoir offert Dieu] ma détermi- nation de ne rien recevoir. Puis, songeant à ce qui venait d'avoir lieu, je ressentis un nouveau mouvement de dévotion accompagné de larmes. Quelque temps après, allant dire la messe, à l'occasion d'une oraison et sous l'impression d'une dévotion intense, mêlée de larmes, je sentis et je vis en quelque manière, que mon élection était terminée, sous l'action du Saint-Esprit, sans pouvoir ni sentir, ni voir distinctement aucune des trois Personnes divines. Ensuite, dans la chapelle, avant et pendant la messe, je ressentis un mouvement d'ardente dévotion avec des larmes, une grande paix et sécurité d'âme, comme quelqu'un de fatigué qui se repose avec beaucoup de tranquillité. Je n'éprouvais ni volonté, ni ombre de désir de m'occuper d'une décision à prendre, tenant pour définitive celle que j'avais arrêtée. Je ne pensais qu'à rendre grâces au Père et à dire, dans cette pensée, le mardi matin, la messe en l'honneur de la Trinité.

De la Trinité.

II. Mardi. Au réveil, je priais, ne pouvant cesser de remercier très instamment avec larmes Dieu Notre-Seigneur de l'abondance de grâce et de lumière qui m'avaient été accordée. Après le lever, au sou- venir de tant de faveurs, la chaleur intérieure et la dévotion continuèrent et allèrent en augmentant avec les larmes (i). En me rendant chez D. François, auprès de lui, et ensuite, en revenant, la chaleur et l'amour intense ne cessèrent de se faire sentir.

Puis une considération ou une impression concernant la question de l'église, qui s'était offerte avec une grande clarté à mon esprit, au point

I. La suite de ce paragraphe a été omise, dans la traduction italienne, à cause sans doute de son obscurité. La phrase suivante est, pour nous, inintelligible : La ocasion ô 110 ocasion.

396 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

du jour, s'étant représentée et voulant la tenir pour examinée et jugée j'offris, avec calme et pleine connaissance, mes actions de grâce aux trois Personnes divines. Plus tard, en allant dire la messe et pendant la messe, il me semblait que la chaleur du dedans combattait contre le vent du dehors, et je voyais clairement le bien du dedans et le mal du dehors. Vers le milieu de la messe, je ressentais de la chaleur intérieure et une certaine dévotion : point de froideur, mais [j'entendais] du bruit fait par des personnes qui se trouvaient dans la salle ou par celles qui assistaient à la messe. La messe terminée et réfléchissant à tout cela, je me trouvais calme et pénétré de dévotion. De Notre-Dame.

12. Mercredi. Reconnaissant que j'avais manqué, la veille, de rendre grâces aux Personnes divines,je voulus m'abstcnir de dire la messe de la Trinité, comme je me l'étais proposé, et prendre pour intercesseurs la Mère et le Fils, afin d'obtenir le pardon et de rentrer en grâce avec la Trinité comme auparavant : je me proposais de ne point m'adresser immédiatement aux Personnes divines pour revenir au premier état, de ne pas renouveler mon offrande et de m'abstcnir, en pénitence, de dire la messe de la Trinité, durant toute la semaine ; mais je fus saisi de grands sentiments de dévotion avec larmes et sanglots, durant l'oraison et en revêtant les habits sacerdotaux pour la messe; j'éprouvai la pleine assurance que la Mère et le Fils avaient intercédé pour moi, et que le Père éternel me rétablirait dans les conditions précédentes. Déplus, avant et après la messe, j'éprouvai une plus intense dévotion, avec des larmes plus abondantes, en comprenant et voyant, avec une pleine certitude, que les médiateurs [la Mère et le l'ils] m'obtiendraient de recouvrer ce que j'avais perdu, et, le mercredi comme le jeudi, je maintins l'offrande que j'avais faite, sans avoir de pensée contraire.

Du NOM DE Jésus.

13. Jeudi. Durant l'oraison du matin, sans voir les médiateurs [la Mère et le Fils], je ressentis une grande dévotion et élévation d'esprit, avec une tranquillité profonde. Me préparant ensuite à sortir de ma chambre pour aller dire la messe, je fondis en larmes sous l'impression de mouvements intérieurs de dévotion. Avant, pendant et après la messe, abondance de larmes, de dévotion, de sanglots, sans pouvoir souvent pro- férer de parole ; lumières spéciales et grande facilité de m'adresser au Père, en me servant des prières même de la messe, avec une grande sé- curité et espérance de recouvrer ce que j'avais perdu. Je comprenais que le Fils était très porté à intercéder pour moi ; mais cela ne peut s'expri- mer par écrit, pas plus qu'il n'est possible d'expliquer les autres choses. Je ne mettais pas en question le maintien de l'offrande déjà faite.

De Notre-Dame au Temple. Siméon.

14. Vendredi. A l'oraison du matin, en invoquant le Père éter- nel, etc., je sentais une douceur intérieure, avec des larmes, qui aug-

APPENDICES, 397

menta vers le mîlieu et devint à la fin beaucoup plus vive, sans que ni les médiateurs [la Mère et le Fils], ni aucune des Personnes divines se montrassent à moi. Commençant à prier, au moment de sortir pour dire la messe, je me représentai Notre-Dame, et j'eus un certain sentiment de sa présence et d'avoir manqué, le jour précédent, au respect que je lui devais. J'éprouvai une impression intérieure avec des larmes, songeant que j'outrageais Notre-Dame, en répondant par tant de manquements aux prières que tant de fois elle avait adressées à Dieu pour moi. La Mère semblait se cacher à mon âme, et je ne ressentais plus de dévotion ni à son égard, ni à l'égard de Dieu. Et, tandis que je me demandais com- ment Notre-Dame se dérobait ainsi à ma vue, il me survint une vive im- pression, avec des larmes et des sanglots, et j'eus comme une vue et un sentiment que le Père céleste se montrait propice et avait pour agréable d'être prié par Notre-Dame. Pendant la préparation de l'autel, après m'être habillé et durant la messe, je ne pouvais voir Notre-Dame et je ressentis une forte impression intérieure, avec d'abondantes larmes et des sanglots, sans pouvoir plusieurs fois proférer aucune parole. Ensuite, je sentis vivement et je vis que Notre-Dame m'était très favorable devant le Père, de sorte que, dans mes prières au Père et au P^ils, ainsi qu'au moment de la consécration, je ne pouvais ne pas la sentir et la voir comme la cause ou le canal de la grâce et des sentiments très vifs que j'éprouvais en ce moment, à la pensée impossible à exprimer, que sa chair est celle de son Fils. Aucun doute ne me vint sur l'offrande déjà faite.

DE Jésus [Messe du saint nom].

15. Samedi. Durant l'oraison du matin, je ne sentais pas la pré- sence des médiateurs [la Mère et le Fils], mais je ressentais assez de dévotion. Voulant me préparer à dire la messe, je ne savais à qui m'a- dresser en premier lieu ; tombant donc à genoux dans cette incerti- tude, je me sentis attiré vers le Père; il me paraissait disposé à m'écouter, et, moi-même, j'étais porté à m'adresser à lui, surtout parce qu'il avait fait cesser l'espèce d'exil qui me tenait éloigné de lui. Les larmes coulaient de mes yeux, et la confiance surabondait dans mon cœur, sans pouvoir pourtant me tourner vers les médiateurs [le Fils et la Mère]. Ensuite, allant dire la messe, pendant la préparation de l'autel, en revêtant les ornements sacerdotaux et en entrant dans la chapelle pour célébrer, mes larmes coulèrent abondamment, et je me sentais attiré vers le Père auquel je rapportais les suaves et nombreuses lumières spirituelles que je recevais sur le Fils. Après la messe, je m'occupai, pendant une heure, de l'élection et, avec une grande tran- quillité et une profonde paix, j'offris au Père ma décision de n'ac- cepter aucune rente pour l'église. Revenant encore à cette élection la nuit, et parcourant ce que j'avais écrit pour trouver des raisons à l'appui de ma décision, j'éprouvais comme une crainte de poursuivre cet examen.

398 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Je continuai cependant, comme à l'ordinaire; mais, ne sachant à qui me recommander, j'éprouvai comme un sentiment de honte. Je fis un examen de conscience sur tout le jour et, demandant pardon au Père, il me sembla qu'il m'était favorable. Sans m'adresser aux médiateurs, je lui demandai, avec larmes et une grande ferveur, la grâce de pouvoir avec son esprit examiner l'élection; mais la pensée de tout examen dis- parut de mon esprit, et je versai des larmes abondantes, avec sanglots. Je fus, pendant quelque temps, sous l'impression d'une ardente dévo- tion et de suaves délices spirituelles, et j'offris au Père la résolution de ne point accepter de rentes pour l'entretien de l'église. J'étais dans l'intention de ne plus m'occupcr de cette question, si ce n'est pour remercier le Père, les jours suivants, et renouveler mon offrande, comme je le fais en ce moment, avec de grands sentiments de dévotion, une vive chaleur intérieure et des larmes abondantes. Il me semblait que je ne pouvais me lever, mais que je voulais rester à genoux pour jouir de cette visite intérieure de la grâce. Il me survint peu après la pensée de revenir, les deux jours suivants, sur l'élection parce que l'exclusion du sentiment opposé ne me paraissait pas suffisamment motivée et l'effort que je fis pourchasser cette pensée diminuait l'ardente dévotion que je ressentais : je me levai. Parcourant ensuite quelques-uns des motifs de mon élection, je sentis mes larmes couler et, comprenant que j'étais en présence d'une tentation, je tombai à genoux; je résolus de ne plus penser à l'élection, mais de dire jusqu'à samedi la messe en action de grâces, et de renouveler à Dieu l'offrande de ma décision ; et alors mes larmes coulèrent plus abondantes avec des sanglots, et je ressentis une vive consolation, unie à des faveurs spirituelles qui s'accrurent, après que j'eus renouvelé mon offrande au Père, aux pieds de Notre-Dame-des- Anges, etc.; j'éprouvais le désir de rester à genoux pour jouir de ces faveurs surnaturelles. Enfin, je me levai, avec la résolution arrêtée de m'en tenir à la décision prise de ne point accepter de rentes.

i6. DiviancJie. Vers le milieu de l'oraison du matin, sans avoir senti la présence des médiateurs [de la Mère et du Fils], ni d'aucune des trois personnes [de la sainte Trinité], j'éprouvai en mon âme une brû- lante chaleur avec une délicieuse saveur spirituelle, sans que mon intel- ligence fût occupée d'aucune pensée distincte, et je regardai mon élection comme terminée et acceptée par Dieu Notre-Seigncur. Je me levai pour me préj^arcr à dire la messe, remerciant la divine Majesté et lui offrant ma résolution. Pendant la messe, mes larmes coulèrent très abondantes, et j'avais de la peine à dire les prières de la messe, surtout la longue Épitre de saint Paul qui commence par ces mots : Libenter siijfertis insipientes. Mon intelligence, non plus que ma volonté, ne se portait d'une façon distincte sur aucune des trois personnes [de la Tri- nité], mais la chaleur devenait plus intense dans ma poitrine et la saveur spirituelle plus pénétrante. Je continuai, après la messe, dans la

APPENDICES. 399

chapelle, et puis, à genoux, dans ma chambre, à remercier pour tant de grâces reçues, à renouveler mon offrande, regardant toujours ma décision comme une chose arrêtée définitivement ; mais le désir de goûter les grandes consolations que je recevais détournait ma pensée de cette of- frande. Puis, je me demandais si je sortirais ou non, et, m'étant décidé à sortir, bien que versant des larmes et sentant un mouvement intérieur de la grâce dont j'aurais pu jouir, je me levai avec la résolution de renouveler, pendant la messe, l'offrande de mon élection à la très sainte Trinité, de tout conclure, le lendemain, avant le dîner.

De la Trinité, et fin.

17. Lundi. La nuit dernière, un peu avant de me mettre au lit, je ressentis une certaine chaleur intérieure, des sentiments de dévotion et une grande confiance de pouvoir m'unir aux Personnes divines ou de recevoir une grâce qui me conduirait à elles. Au lit, j'éprouvai une con- solation spéciale, en pensant à ces divines Personnes ; mais, le matin, m'étant réveillé un peu avant le lever du jour, je me trouvai privé de toute pensée surnaturelle, dans le dégoût et l'abandon, jusque vers le milieu de la méditation. J'éprouvai même de la défiance à l'égard de la très sainte Trinité, si bien que je me remis à faire oraison. A la fin, la dévotion et les goûts spirituels revinrent. Je me levai ensuite avec l'idée de retarder l'heure de mon dîner pour n'être pas empêché de trouver ce que j'avais en vue, et, en m'habillant pour dire la messe, je ressentis un redoublement de dévotion et de larmes. Puis, je demandai à tous les saints de prier Notre-Dame et son P'ils d'intercéder pour moi, auprès de la très sainte Trinité. Ma dévotion devint très ardente, et je me sentis tout inondé de larmes. J'offris de nouveau mon élection en prenant pour intercesseurs les anges, les saints pères, les apôtres et les disciples, tous les saints, Notre-Dame et son Fils, les priant, les suppliant, longue- ment et par toute sorte de motifs, de se présenter devant le trône de la très sainte Trinité, pour m'obtcnir l'acceptation et la confirmation défini- tive de mon élection. Je priais ainsi répandant d'abondantes larmes, et sous une impulsion très vive de la grâce en mon âme qui se faisait sentir même dans mon corps; je compris que la très sainteTrinité acceptait mon élection et la confirmait définitivement. Me plaçant devant la Trinité et devant toute sa cour céleste, avec un amour ardent pour les trois Per- sonnes, je leur offris mes actions de grâces; puis je remerciai Notre-Dame et son Fils,les anges, les saints pères, les apôtres, les disciples, tous les saints et toutes les saintes, et enfin tous ceux qui m'avaient aidé. En revêtant ensuite les ornements sacerdotaux pour dire la messe, il me vint à l'esprit que mon élection était agréée par le Père éternel, par le Fils éternel, par l'Esprit-Saint éternel, par la sainteTrinité. Durant un mouve- ment impétueux de dévotion mêlé d'abondantes larmes, j'en reçus plusieurs fois l'assurance, en adressant ces paroles au Père : « Père « éternel, est-ce que vous ne confirmerez pas mon élection? » Je m'a-

400 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

dressai dans les mêmes termes au Fils et au Saint-Esprit, pendant la messe, sans répandre des larmes, mais avec des sentiments d'une dévotion vive et comme brûlante qui coupait ma respiration. Et, comme mon cteur ne se sentait pas dilaté et que mes larmes ne coulaient pas, quelques pensées de doute se présentèrent à mon esprit et arrêtèrent l'élan de ma dévotion, et je ressentais moins de sécurité sur mon élection que durant la dernière messe,dite en l'honneur de la Trinité. Après la messe, je me calmai, et, comparant mon néant avec la sagesse et la grandeur divine, je résolus de ne plus dire de messe, me confondant devant la très sainte Trinité et déterminé à accepter désormais l'élection comme définitive, quoique, pendant toute la journée, il me restât encore quelque incertitude et une légère crainte de me tromper, qui ne m'enlevaient pas cependant mes sentiments de dévotion.

DE LA Trinité, r^ [Messe].

i8. Mardi. La veille, je m'étais mis au lit, pensant à ce que je ferais, en célébrant la messe le lendemain. M'étant réveillé, examinant ma conscience et priant, les larmes inondèrent mon visage ; je ressentis une dévotior intense, et mon intcllicrencc reçut de nombreuses lumières de la très sainte Trinité. Je me calmai, et, me levant pénétré de joie, je sentis ma poitrine oppressée par l'amour ardent qui m'embrasait pour la Trinité. Je pris donc confiance, et je me déterminai à dire la messe de la très sainte Trinité pour voir ce que je ferais. Je m'habillai, l'esprit occupé de la sainte Trinité. Je fis une courte prière, versant des larmes dans des sentiments de dévotion et de confiance, et avec la pensée de célébrer, pendant six jours ou même plus encore, la messe en l'honneur de la très sainte Trinité. En allant dire la messe, non sans verser des larmes, mon intelligence était par moments tellement remplie de lumières sur ce mystère, qu'il me semblait que, par l'étude, je n'aurais jamais pu acquérir autant.de connaissances, alors même que cette étude eût fait l'occupation de toute ma vie. La messe terminée, durant une courte prière oii je demandais au Père éternel et au Fils d'approuver mon élection, je répandis un torrent de larmes qui inondèrent mon visage, et je me trouvai plus déterminé à dire un certain nombre de messes en l'honneur de la très sainte Trinité. Je me sentais uni à la divine Majesté par un ardent amour. Les lumières que je recevais me venaient en lisant les oraisons de la messe oui l'on parle à Dieu, au Père, au P'ils, qui avaient pour objet les Personnes divines, leurs opérations et leur procession que je sentais et que je voyais plutôt que je ne les comprenais. Tout cela me confirmait dans ma décision et m'inspirait de la confiance. Ce même jour, étant sorti en ville, j'éprouvais une grande joie intérieure en me représentant la très sainte Trinité, à la vue de trois créatures raisonnables, de trois animaux ou de trois objets réunis.

DE L.\ Trinité, 2'"^\

\<^. Mercredi. Avant de commencer l'oraison du matin, grande dé-

APPENDICES. 401

votion, chaleur, élévation d'esprit, suavité, sécurité dame, sans que mon intelligence s'arrêtât ni à une des Personnes divines, ni sur un objet déterminé. Je me raffermis dans la résolution prise, et je repoussai avec indignation, devant la très sainte Trinité, les insinuations du mauvais esprit qui me portaient, comme je l'ai noté au chap. 17, à douter de la bonté de ma décision. Puis, avant, pendant et après la messe, je sentis croître en moi la paix, une dévotion calme accompagnée de larmes et de quelques lumières, et je n'eus plus aucun désir de revenir sur mon élection, surtout dans cet état d'âme si plein de quiétude et de satis- faction, et je renonçai à dire les messes à la très sainte Trinité, si ce n'est pour lui rendre grâces. DE LA Trinité, 3^6.

20. Jeudi. Dans roraison,continuelle et grande dévotion,clarté avec chaleur, goût spirituel et élévation d'esprit.... Dans ma chambre, me préparant à aller dire la messe, et en m'habillant à l'autel, impressions intérieures qui provoquaient des larmes. Après la messe, profonde quiétude spirituelle et des lumières sur la très sainte Trinité, telles qu'il me semblait qu'il n'y avait plus rien à apprendre sur ce sujet. La veille, je cherchais, en récitant les oraisons, à exciter ma dévotion pour la très sainte Trinité ; mais, aujourd'hui, il me semblait, pendant la messe, recevoir une visite, et je connaissais, je sentais ou je voyais, Deus scit, qu'en m'adressant au Père, je voyais en lui une Personne de la très sainte Trinité que je m'efforçais d'aimer, avec d'autant plus d'ardeur que je sentais qu'en lui étaient les deux autres Personnes. J'éprouvais les mêmes sentiments, en m'adressant au ¥\\s et au Saint- Esprit. Ma joie et ma consolation étaient grandes, et je me réjouissais à la pensée d'être à toutes les trois Personnes et de quitter ce monde, ne cessant de répéter : « Oui es-tu donc pour recevoir tant de faveurs ? comment les as-tu méritées .? D'où viennent toutes ces grâces?»

DE LA Trinité, 4^5.

21. Vendredi. Dans l'oraison du matin, grande impression de la grâce avec chaleur intérieure, lumière, dévotion intense... En me préparant à aller dire la messe, sentiments qui me portaient à ré- pandre des larmes... Ces paroles que je répétais : « Je ne suis pas digne d'invoquer la très sainte Trinité », donnaient un nouvel élan à ma dévotion. En m'habillant et durant la messe, une plus grande dila- tation de cœur, larmes, sanglots, avec une impression de la grâce plus forte jusqu'au dernier évangile, une brûlante chaleur intérieure s'unissait à des larmes très abondantes et à des pensées très élevées.

DE LA Trinité, 5^^.

22. Samedi. Sans dévotion, au commencementde l'oraisondumatin; mais, vers le milieu jusqu'à la fin, j'ai ressenti un grand contentement intérieur, une très sensible dévotion, et j'ai reçu de très vives lumières.

Hisloire dt S. I^Muce dt; Loyola. 11. ' 26

402 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Pendant la préparation de l'autel, il m'est venu dans la pensée que je devais suivre JÉSUS, comprenant intérieurement qu'il est le chef de la Compagnie et que c'est un argument plus fort que toutes les raisons humaines, pour pratiquer la parfaite pauvreté ; et il me semblait que toutes les raisons qui m'avaient amené précédemment à faire mon élec- tion tendaient à cela. Cette pensée donnait une nouvelle ardeur à ma dévotion, et, bien que je ne répandisse pas de larmes, durant la messe ou les messes, etc., je demeurai dans la persuasion que ces dispositions et ces marques surnaturelles suffisaient à me maintenir ferme contre toute tentation ou épreuve. En m'habillant pour dire la messe, ma dévotion alla croissant encore, sans pourtant que je reçusse de consola- tion particulière au sujet de mon élection ; mais ces impressions de la grâce me semblaient venir de la très sainte Trinité, au souvenir de rapparition[dont je fus favorisé dans la chapelle de Notre-Dame de la Siorta, en me rendant à Rome] le Père me mit avec le Fils ; ciiando el Padre me piiso cou el Hijo. Comme j'achevais de m'habiller, cette réflexion imprima fortement, en mon âme, le nom de jÉsUS et parut me confirmer, pour l'avenir, dans mon élection en me commu- niquant une nouvelle force, et provoquant d'abondantes larmes avec des sanglots. Je célébrai la messe avec une dévotion très sensible et des sentiments de paix profonde. Ces dispositions se maintinrent durant tout le temps de la messe, pendant que je tenais dans mes mains le très Saint-Sacrement et en récitant les prières avec la résolu- tion, au fond du cœur, de renoncer à toute rente. De nouveaux mouve- ments de dévotion et de contentement se firent sentir, en pensant à mes compagnons qui avaient approuvé ma décision. Dans la journée, toutes les fois que le nom de JÉSUS se présentait à mon esprit, je sen- tais et je comprenais, avec un renouvellement de dévotion, que mon élection était agréée.

DU Jour [Messe].

23. Dimanche. Depuis le commencement jusqu'à la fin de l'oraison du matin, impression intérieure de grâce abondante, suave, avec une dévotion ardente. En me préparant à dire la messe et en m'habillant, je rne représentai JÉSUS et je fus saisi d'un amour brûlant pour lui et d'un désir plus grand de le suivre ; mes larmes coulaient en abondance, je ne pouvais proférer aucune parole et tout ce violent mouvement de la grâce me portait vers Jksus. Je ne pouvais fixer mon attention sur aucune des autres personnes, si ce n'est quelque peu sur la première Personne que je considérais comme le Père d'un tel Fils. Arrivé à la dernière oraison de la messe, comme j'avais désiré que ma décision fût confirmée par la très sainte Trinité, et que je sentais que cette assurance m'était donnée par JÉSUS, qui me communiquait une force et une sécurité intérieure, et bannissait de mon âme toute trace de crainte et de doute, je suppliai Jésus de m'obtenir, de la très sainte Trinité, le don d'une plus

APPENDICES. 403

grande dévotion, avec des larmes et l'espérance d'obtenir la grâce demandée. Me représentant JÉSUS, je ressentis un renouvellement de dévotion et de larmes après mon entretien avec le [cardinal Carpi], et, après dîner, surtout au moment je franchis la porte du [cardinal] Vicaire pour aller dans la maison de Trana,je sentais et je voyais JÉSUS. Sous l'impression de mouvements intérieurs de la grâce, je fondais en larmes et je suppliais JÉSUS de m'obtenir le pardon de la très sainte Trinité. Ma confiance dans la prière était très grande, et, dans les ardeurs de mon amour pour JÉSUS, il me semblait que rien ne pourrait me séparer jamais de lui, ni me faire douter que mon élection n'eût été dictée par la grâce et agréée. DE SAINT Matthieu [Messe].

24. Lundi. Assez de dévotion au début de l'oraison du matin, chaleur intérieure malgré des obstacles provenant de moi et d'autres, qui me détournaient de demander et de chercher à être confirmé dans mon élection. Je désirais me réconcilier avec les Personnes divines. M'étant revêtu [des vêtements sacerdotaux] pour dire la messe, je ne savais à qui m'adresser et par oii commencer. Pendant que jÉSUS se communiquait à moi, il me vint en pensée de m'inspirer, en récitant le Confitcor Deo, de l'esprit avec lequel JÉSUS disait, dans l'évangile du jour : Confiteor tibi. Je commençai la messe avec une nouvelle dévotion, qui alla gran- dissant avec des impressions de la grâce et une chaleur intérieure, accompagnées de larmes : parfois je ne pouvais proférer aucune parole. En m'adressant au Père, il me semblait que JÉSUS présentait ou ap- puyait ma prière. Je le sentais ou je le voyais d'une façon qui ne peut s'expliquer. Je finis la messe avec le désir d'une réconciliation avec la très sainte Trinité ; je demandais à JÉSUS, avec larmes et sanglots, de me l'obtenir, me proposant de dire la messe, non pour demander confir- mation de l'élection, mais en vue d'obtenir cette réconciliation.

DE LA Trinité 6"^^'.

25. Mardi. Je commençai l'oraison, sans trouble ni distraction, avec assez de dévotion ; mais, à partir du milieu, ma dévotion alla croissant, quoique au début je me sentisse flasque et indisposé physiquement. Me préparant à aller dire la messe, j'éprouvai un redoublement de dévotion, d'impressions intérieures de la grâce qui me portaient à pleurer, en pen- sant à Jésus pour qui je ressentais une vive confiance et qui me parais- sait disposé à intercéder en ma faveur. Je ne voulais, ni ne cherchais de nouvelle confirmation de ma décision passée ; mais, tranquille et dans une profonde paix, je suppliais Jésus de rendre ma volonté conforme à celle de la très sainte Trinité dans la voie qui lui paraîtrait la meilleure. Puis, pendant que je m'habillais me représentant Jésus disposé à me secourir, je commençai à dire la messe dans des sentiments d'une dévo- tion tendre qui me portait à verser des larmes. Je me trouvais plus

404 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

satisfait, plus content de me laisser conduire, par la divine Majesté, à qui il appartient de donner ou de retirer sa grâce, selon qu'elle le juge convenable. Puis, la chaleur intérieure devenant brûlante, ainsi que mon amour pour JÉSUS, je ne ressentis plus ce malaise passé à l'égard de la très sainte Trinité, et j'achevai de dire ainsi la messe avec dévotion.

DU PREMIER Jour du Carême [Messe].

26. Mercredi. Assez bien, comme à l'ordinaire, jusqu'au milieu de l'oraison du matin ; puis, jusqu'à la fin, intense dévotion, paix pro- fonde, suavité spirituelle. Ces dispositions persistèrent pendant que,dans ma chambre, je me préparais à aller dire la messe. Je me recommandai à Jésus, sans songer en rien à mon élection, mais lui demandant de m'aider de tout son pouvoir, auprès de la très sainte Trinité, et de me mettre dans la voie la plus propre à obtenir promptement sa grâce. En entrant dans la chapelle pour prier, je sentis, ou plus exactement je vis, par une grâce surnaturelle, la très sainte Trinité et JÉSUS. Je me repré- sentai ou je me plaçai tout près de la très sainte Trinité pour bien jouir de cette vision intellectuelle. Des torrents de larmes inondèrent mon visage, et un amour ardent enflamma mon cœur pour JÉSUS et pour la très sainte Trinité. J'étais sous l'impression d'un profond sentiment de respect et je compris que JÉSUS se présentait pour moi, dans les mêmes dispositions, devant le Père et devant la très sainte Trinité. Je commen- çai à dire la messe en répandant des larmes, et je la continuai toujours en larmes et avec une très intense dévotion. Un moment, j'eus de nou- veau la vision de la très sainte Trinité avec un redoublement d'amour pour elle, au point que plusieurs fois je ne pus proférer de parole. Après la messe, dans la prière, et après, devant le feu, je ressentis plusieurs autres mouvements d'amour intense pour JÉSUS, mêlé de larmes abon- dantes. En écrivant même ces notes, j'eus une vision intellectuelle de la très sainte Trinité, sans voir pourtant distinctement les trois Personnes, comme durant la messe, en disant les paroles : Domine Jesu Christe,Jili Dei vivi, etc. Il me semblait que précédemment j'avais vu JÉSUS tout éclatant de blancheur, tandis qu'en ce moment je sentais, d'une autre manière, cette humanité dans mon âme comme étant tout mon Dieu, ce qui amena une nouvelle effusion de larmes et de grande dévotion etc.

DE LA Trinité, 7'"'^.

27. Jeudi. Pendant toute l'oraison du matin, intense dévotion, grande chaleur intérieure, sentiments de vif et tendre amour. En entrant dans la chapelle, redoublement de toutes ces impressions, et, en m'age- nouillant, vision avec larmes de JÉSUS aux pieds de la très sainte Tri- nité ; mais cette vision dura moins et fut moins claire que celle de mer- credi, quoique pourtant dans le même genre. Pendant la messe, larmes, grande dévotion, quelques sentiments généreu.x qui se continuèrent après la messe, non sans larmes.

APPENDICES. 405

DES Plaies [Messe des cinq plaies de jÉSUS-CiiRiST].

28. Vendredi. Dans l'oraison du matin, depuis le commencement jusqu'à la fin, une assez vive dévotion, une grande lumière qui ne me laisse pas penser à mes péchés. Hors de la maison et à l'église, par inter- valles, avant la messe, vue intellectuelle de la patrie céleste ou du Seigneur du ciel, des trois Personnes, et, dans le Père, de la seconde et de la troisième. Durant la messe, assez de dévotion, quelques lumières, sans larmes ni impressions de la grâce bien prononcées. Après la messe, larmes en voyant la patrie céleste et le Père d'une manière claire, mais non distincte, tantôt plus et tantôt moins, mais avec une dévotion parti- culière pendant tout le jour.

DE LA Féerie [Messe].

29. Samedi. Pendant l'oraison du matin, grande effusion de grâce, dévotion et, durant la messe que j'ai dite hors de la maison, grande paix et dévotion sensible avec quelques mouvements intérieurs me por- tant à verser des larmes, jusqu'à midi; profond contentement de l'âme ; dans la suite, du plus ou du moins.

DU Jour [Messe].

30. DiniancJie. Dans l'oraison du matin, grande effusion de grâce, intense dévotion, clarté mêlée de chaleur intérieure. Etant sorti à cause d'un bruit et après être rentré, je me sentais ému et l'esprit troublé par la pensée de ce bruit, au point qu'après avoir revêtu les habits sacerdo- taux, il me vint à l'idée de ne point dire la messe ; mais, ayant dominé cette impression, ne voulant donner à personne occasion de parler et songeant à jÉSUS-CllRIST tenté, je repris courage et je commençai la messe avec assez de dévotion. En avançant, surtout à partir du milieu de la messe, je sentis une plus vive action de la grâce, versant conti- nuellement des larmes et attiré, jusqu'à la dernière oraison de la très sainte Trinité, par un mouvement d'amour très ardent qui fit dis- paraître l'amertume des jours passés et me procura un calme profond. Après la messe, nouveaux mouvements intérieurs de la grâce, larmes et sanglots, avec un vif sentiment d'amour pour JÉSUS à qui je parlais, désirant plutôt mourir avec lui que vivre avec un autre.

DE LA Trinité, 8'"^.

31. Lundi. Pendant l'oraison du matin, dévotion sensible, sans im- pression particulière ni trouble. Je ne désirais pas me lever pour dire la messe, ni non plus dormir de nouveau. J'avais la tête lourde, l'intelligence émoussée et je ne me sentais ni bien, ni mal. Je me levai, et, ne sachant d'abord à qui me recommander, je finis enfin par me tourner du côté de Jésus. Pendant une prière préparatoire dans ma chambre, je ressentis un léger mouvement de dévotion, le besoin de pleurer, un sentiment de grande satisfaction dans l'âme, avec une très vive confiance en JÉSUS qui me faisait espérer en la très sainte Trinité. En entrant dans la

406 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

chapelle, je fus envahi par les ardeurs d'un grand amour pour la très sainte Trinité accompagné d'abondantes larmes. Je ne voyais pas, comme précédemment, les Personnes de la très sainte Trinité distinc- tement, mais je sentais, dans une clarté lumineuse, l'essence divine m'attirer tout entier à lui donner mon amour. Ensuite, pendant la pré- paration de l'autel et en m'habillant, j'eus un redoublement de dévotion, de larmes, de contentement profond de l'âme, au point que je ne pou- vais commencer la messe et dire les paroles : /;/ Noviine Patris, etc. Durant la messe, même dévotion, même abondance de larmes, même amour ardent qui m'unissait à la très sainte Trinité, sans vision ni intelligence des trois Personnes distinctes, mais avec une simple vue et représentation de la très sainte Trinité. Parfois également, je voyais JÉSUS de la même façon, me trouvant comme à son ombre et sous sa direction, mais cette vue ne diminuait point en moi mes sentiments pour la très sainte Trinité, vers laquelle tendaient et sur laquelle se concentraient tous les mouvements de mon âme. La messe finie et ayant déposé les vêtements sacerdotaux, je ressentis, avec des larmes et des sanglots, un amour brûlant qui, passant par Jésus, m'unit à la très sainte Trinité dans des sentiments d'une pro- fonde révérence. Il me semblait que si je n'étais pas engagé à dire les messes par dévotion, je n'y aurais plus songé. Je me trouvais dans une si entière confiance et un tel accroissement d'amour pour sa divine Majesté, que je me serais tenu pour pleinement satisfait dans la per- suasion que mon élection était définitive.

DE LA Trinité, 9^*".

32. Mardi. Grande effusion de grâce dans l'oraison du matin.clarté lumineuse avec un commencement de chaleur intérieure, et élévation de pensées sur le mystère de la très sainte Trinité. Après m'être ha- billé pour aller dire la messe et en lisant V Introït, je fus saisi d'un vif mouvement de dévotion et d'un amour ardent pour la très sainte Tri- nité. Puis, me disposant à réciter les prières pour la préparation de la messe et ne sachant à qui m'adresser, mon esprit se tourna vers JÉSUS; il me sembla le voir, non clairement, mais d'une manière obscure, tandis que je sentais et que je voyais, dans une clarté lumineuse, la très sainte Trinité, et je commençai à m'adresser à elle, avec une si grande effusion de larmes mêlées de sanglots et un amour si ardent et si suave, qu'il me semblait que cette visite intérieure de la très sainte Trinité était plus signalée, plus excellente que toutes celles que j'avais reçues jusque-là. Dans la chapelle, redoublement encore de dévotion et de larmes à la pensée de la très sainte Trinité. Après m'être habillé et au pied de l'autel, accroissement encore de dévotion et de larmes avec des sanglots; et, poursuivant, je sentis une telle douleur dans un œil, par suite des larmes que je répandais, qu'il me vint en pensée que j'allais le perdre, si je continuais à dire la messe et qu'il serait préférable de le conserver,

APPENDICES. 407

mais bientôt, mes larmes cessant de couler sans pourtant que l'impres- sion de la grâce diminuât, mon âme se tourna vers JÉSUS avec un re- nouvellement de dévotion,et récitant l'oraison Placent tibi sancta Trini- tas, je me sentis porté vers la très sainte Trinité par un élan d'un amour excessivement ardent,avec une très abondante effusion de larmes, et je restai à genoux pour jouir des douceurs intérieures de cet amour qui embrasait mon âme. Pendant que je me tenais près du feu, ensuite dans la maison [du cardinal] de Burgos oij je me rendis, ainsi que dans les rues, cette extraordinaire impression de la divine grâce se renouvela plusieurs fois jusqu'à la fin du jour. Je me sentais uni à l'essence de la très sainte Trinité sans distinguer clairement, comme d'autres fois, les Personnesdivines, et j'éprouvais une profonde sécurité, ne songeant plus à dire des messes pour obtenir la réconciliation désirée, mais comptant plutôt ne plus en dire, et jouir désormais des faveurs de la divine Majesté.

DE LA Trinité, io'"^.

33. Mercredi. Depuis le commencement jusqu'à la fin de l'oraison du matin, sentiment très sensible de la grâce, sans effort pour l'obtenir; dévotion intense, lumineuse, très claire, accompagnée de chaleur inté- rieure. En m'habillant, il me semblait que c'était une continuation des impressions de la veille à l'égard de la très sainte Trinité, Allant ensuite réciter les prières préparatoires à la messe, pour m'exciter et m'abaisser, je commençai à m'adressera JÉSUS ; mais la très sainte Trinité se ma- nifestant à moi plus clairement, je me tournai vers elle et je me recom- mandai à sa divine Majesté. J'éprouvai alors les ardeurs d'un amour très ardent, avec de très abondantes larmes et des sanglots, sans qu'il se présentât à mon esprit aucune idée de me réconcilier avec la très sainte Trinité. Ensuite, dans la chapelle, uni à la très sainte Trinité par une prière suave, calme, je me sentis attiré vers la Personne du Père, comme si Dieu voulait se communiquer à moi de différentes manières ; et, redi- sant souvent ces mots : « Seigneur, voulez-vous donc me conduire? » je sentis un redoublement de dévotion, suivi d'abondantes larmes. En m'habillant pour dire la messe, je m'offrais dans ces dispositions à Dieu pour qu'il me conduisît et me servît de guide dans ces circonstances, et ensuite, ne sachant d'abord par commencer, je pris JÉSUS pour guide et, appropriant les oraisons à chacune des trois Personnes, j'arrivai à la troisième partie de la messe, avec une grâce sensible de dévotion, accom- pagnée de chaleur intérieure et de contentement spirituel, mais sans larmes et sans grand désir d'en répandre. M'adressant à JÉSUS, je lui disais : « vais-je, en vous suivant, Seigneur? Non jamais, je ne consen- tirai à me séparer de vous. » Je terminai la messe dans ces effusions en m'adressant moins à JÉSUS et beaucoup moins au Père qu'à la très sainte Trinité; et mon assurance au sujet de la réconciliation avec la très sainte Trinité allait croissant, si bien que, la messe finie, je ne pus, durant une prière pleine de calme, trouver trace, dans mon âme, du malaise passé.

408 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Puis, près du feu, plusieurs fois dans la journée et la nuit, au souvenir de ces grâces, je sentis se renouveler ma dévotion pour la très sainte Trinité.

DE LA Trinité, ii'"«.

34. Jeudi. Dans l'oraison du matin, grande dévotion, sans effort pour l'obtenir ; grande suavité et clarté, mêlées de chaleur intérieure. Après m'ctre levé, nouveaux sentiments de dévotion avec une impulsion intérieure qui me portait vers la très sainte Trinité... Dans l'oraison préparatoire, je me sentis uni à la très sainte Trinité, avec un calme profond et une entière sécurité spirituelle, ne voulant rien et ne voyant rien dans le passé, touchant la réconciliation demandée. En préparant l'autel et en revêtant les habits sacerdotaux, mêmes mouvements de la grâce avec d'abondantes larmes et quelques impressions nouvelles. Je me demandais, revenant sur le passé, ce que la très sainte Trinité vou- lait faire de moi et, par quel chemin, elle voulait me conduire : elle vou- lait peut-être me donner satisfaction sans visions, sans larmes, ni désirs, de ma part, de ces sortes de faveurs. Je commençai ainsi la messe, goû- tant en mon âme une douce et humble satisfaction, jusqu'au Te igitur. Alors je vis, non point dans une vision obscure, mais avec une très lu- mineuse clarté, l'essence divine sous la forme d'une sphère un peu plus grande que le soleil. De cette essence paraissait sortir ou dériver le Père \Y desîa esencia parecia ir ô derivar el Padre\ de sorte qu'en disant Te igitur, Pater, l'essence divine qui est le Père se présenta à moi, sans distinction ni vision des trois Personnes, et je fus embrasé d'une ardente dévotion avec une abondante effusion de larmes. Je poursuivis la messe, éprouvant, au souvenir de cette insigne faveur, un redouble- ment de divines ardeurs et de larmes, sans voir toutefois les trois Personnes, mais uniquement le Père, comme sortant ou dérivant de l'essence, ainsi que je l'ai dit. La messe finie, je ne pus voir d'obstacle à ma rentrée en grâce avec la très sainte Trinité. J'étais assuré, sans l'om- bre de doute, d'avoir eu la vision que je raj^porte; car, revenant sur cette insigne faveur, je sentais une nouvelle impression intérieure qui embra- sait d'amour mon âme, et la vision se renouvelait dans une lumière plus claire que dans la journée. Après m'être déshabillé, durant les prières d'action de grâces, j'eus la même vision avec cette particularité qu'ainsi que je l'ai dit du Père, les trois Personnes, le Père, le Fils et le Saint- Esprit, me paraissaient comme sortir ou dériver de l'essence divine qui m'apparaissait toujours sous forme de sphère. Cette vue provoquait en moi de nouveaux mouvements intérieurs de la grâce et d'abondantes larmes. Allant ensuite à la basilique de Saint-Pierre, je me mis à prier devant le Saint-Sacrement, me représentant toujours la même apparition que je voyais avec la même clarté lumineuse, de façon que je ne pouvais ne pas la voir. Je dis ensuite la messe de la Sainte-Croix, pendant la- quelle la même vision persista, produisant en moi de nouvelles impres- sions et mouvements surnaturels. Après deux heures, je fus prier devant

APPENDICES. 409

le Saint-Sacrement dans le même lieu, espérant, mais en vain, voir se renouveler la même faveur. Dans la nuit, au moment d'écrire, le même objet s'offrit à mon intelligence, mais il m'apparaissait moins clairement, moins distinctement et moins grand ; c'était comme une étincelle assez grande qui m'attirait, me faisant comprendre que c'était toujours la même vision.

DE LA Trinité, 12™^.

35. Vendredi. Au début de l'oraison du matin, je sentis assez de dévotion, sans pourtant pouvoir la faire croître, comme je le désirais, en élevant ma pensée vers Dieu ; mais, avant le milieu, ma dévotion devint très intense, lumineuse, ardente, avec une douceur pénétrante qui se continua dans les mêmes conditions, après l'oraison. Pendant la prépa- ration à la messe et ensuite à la chapelle, en m'habiliant, nouvelles im- pressions de la grâce avec effusion de larmes, et un nouveau désir d'être guidé par la volonté de Dieu comme un enfant : Ego suni puer, etc. Je commençai ensuite la messe avec une grande dévotion, un sentiment intérieur de révérence et l'envie de pleurer. En prononçant ces paroles de la messe : Beata sit Sancta Trinitas, je sentis un redoublement de dévotion et de larmes, non en élevant mon intelligence vers les Per- sonnes divines, en tant que distinctes ou pour les distinguer, ni en pénétrant le sens des prières de la messe, et je poursuivis ainsi, la dévo- tion croissant toujours avec l'impression de révérence pour Dieu, et les larmes coulant plus abondamment. Sans espoir, pour le moment, d'ob- tenir une faveur plus élevée, j'avais confiance cependant qu'elle me serait accordée plus tard, et, dans ma prière, je m'adressais tantôt à la très sainte Trinité, tantôt au Père, tantôt au Fils, tantôt à Notre-Dame et tantôt en particulier aux saints, en répandant toujours une grande abondance de larmes. La messe finie, me trouvant près du feu, je restai pendant un certain temps indécis, si je cesserais de dire les messes de la très sainte Trinité ou quand je les dirais. La pensée m'étant venue de dire le lendemain la messe de la très sainte Trinité pour décider ce que j'avais à faire, je ressentis de fortes impressions de la grâce suivies de larmes et de sanglots qui, par intervalles, durant un long espace de temps, se manifestaient avec plus d'intensité et m'attiraient, par d'ar- dents élans d'amour, vers la très sainte Trinité à qui j'adressais de nombreux colloques.

Il me vint tout à coup à l'esprit cette pensée : Et si Dieu me mettait dans l'enfer. Je me représentai deux choses : l'une, la douleur que j'éprouverais; l'autre, les blasphèmes proférés, en ce triste lieu, contre le nom de Dieu, et il me semblait qu'il me serait plus pénible d'entendre blasphémer le très saint nom de Dieu. M'étant ensuite mis à table, les larmes cessèrent ; mais, durant toute la journée, je ressentis une ardente dévotion intérieure pour la très sainte Trinité.

410 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

DE LA Trinité, is^e.

36. Samedi. Durant l'oraison du matin, du commencement à la fin, j'ai ressenti une forte impression de la grâce et une dévotion intense, lumineuse, ardente, avec un profond contentement de l'âme. Durant les prières de la préparation à la messe et à la chapelle, en m'habillant, j'ai été saisi, jusqu'à la fin, d'une impression extraordinaire d'humilité, au point que je ne voulais même pas regarder du côté du ciel, préférant me tenir dans l'humilité et l'abaissement, et goûter ainsi d'autant mieux la présence de la grâce. En commençant et continuant à dire la messe jusqu'à la fin, j'ai été favorisé d'une très intense dévotion intérieure, avec chaleur spirituelle et larmes abondantes, bien que j'évitasse de tourner vers Dieu les regards de mon intelligence et que je voulusse me montrer satisfait de tout. Bien plus, je priais Dieu de ne point m'accorder la faveur des larmes, comme effet ou signe de sa visite. Quelquefois, mon esprit se portant, sans réflexion, du côté de Dieu, il me paraissait voir quelque chose de l'être divin ; d'autres fois, espérant jouir de cette vision, elle m'était refusée.

DU Jour.

37. Dimanche. A l'oraison du matin, mêmes dispositions que la veille. Durant les prières préparatoires à la messe, nouvelle dévotion, envie de pleurer, union à la très sainte Trinité et à JÉSUS. En entrant dans la chapelle, impression de la grâce plus vive, et, en m'adressant à la fois ou presque à la fois, à JÉSUS et à la très sainte Trinité, l'union à Jésus ne diminuait en rien et n'était point contraire à mon union à la très sainte Trinité. Ces sentiments persistèrent, avec effusion de larmes par moments, jusqu'à l'instant oî^i j'allai m'habiller pour dire la messe. Pendant la messe, j'éprouvai une chaleur intérieure qui se fai- sait sentir au dehors et une joie vive de l'âme, avec quelques impressions de la grâce, qui me portaient à répandre des larmes. Point de visions pourtant, ni de larmes, ni rien qui m'indiquât que Dieu Notre-Seigneur voulût me montrer une voie à suivre ou un mode d'agir. Durant tout le jour, je ressentis ce contentement intérieur et, la nuit, il me semblait que mon âme était unie à la très sainte Trinité et à jÉSUS qui se montraient à moi, dans une vision intellectuelle, pendant que je m'adres- sais au Père, à l'P^sprit-Saint et à Notre-Dame qui ne se laissaient pas voir à mon intelligence occupée, pendant quelque temjis, de la vision de la très sainte Trinité et de JÉSUS.

DE Jésus [Messe du Saint Nom].

38. Lundi. A l'oraison du matin, assez de dévotion, surtout à partir du milieu. Pendant les prières préparatoires à la messe, redoublement de dévotion avec la pensée que je devrais être comme un ange pour dire la messe ; quelques larmes avec une grande suavité en mon âme. A la chapelle et pendant la messe, mêmes impressions de la grâce ; conformité aux volontés du Seigneur avec l'idée que sa divine Majesté

APPENDICES. 411

disposerait tout pour le bien. De temps en temps, je voyais l'essence du Père, l'essence d'abord, et, par suite, le Père auquel je m'unissais ; par- fois la vision était moins distincte. DE Notre-Dame.

39. Mardi. Durant toute l'oraison du matin, dévotion intense,clarté lumineuse et chaleur intérieure. Dans la chapelle, à l'autel et ensuite, larmes,union àNotre-Dame,sans pourtant la voir,grande dévotion; vision de l'essence divine et puis du Père. Avant la messe, à la chapelle, j'élevais mon esprit vers Dieu, dans la pensée que c'était un moyen de n'être point troublé par les choses du monde inférieur. Je continuai à le faire durant la messe, tantôt favorisé d'une vision et tantôt sans vision, de façon que je restais attentif à ce que j'avais à faire pendant le saint Sacrifice.

DE l'Esprit-Saint.

40. Mercredi. A l'oraison du matin assez de dévotion, et, à partir du milieu, dévotion beaucoup plus intense, clarté très lumineuse et comme ardente. [En allant] en toute hâte, à la chapelle pour voir des- cendre, avant de me préparer à dire la messe, larmes ; puis, dans ma chambre, me préparant à aller dire la messe, à la chapelle, et pendant une partie de la messe, grande dévotion et parfois envie de pleurer... durant l'autre partie de la messe, efforts pour trouver ce que je cher- chais, mais sans vision, ni lumières... La messe finie et rentré dans ma chambre, je me sentais comme privé de tout secours, sans attrait ni pour les médiateurs [JÉSUS et sa Mère], ni pour les Personnes divines, mais éloigné, et séparé d'eux, comme si jamais je n'avais reçu, de leur part, aucune faveur ou que, dans l'avenir, je n'eusse pas à en jamais recevoir ; j'étais plutôt assailli de pensées contre JÉSUS, ou contre d'autres ; un moment, avec la pensée de sortir pour aller louer une chambre à l'abri du bruit; un autre, me proposant de rester sans manger; ou encore songeant à commencer de nouveau à dire la messe de la très sainte Trinité, comme précédemment, ou à transporter l'autel à l'étage supérieur, au-dessus de la chapelle. Je ne pouvais trouver un instant de repos, désirant un temps de consolation et de calme pour en finir défi- nitivement. Je voulais trop de motifs de certitude pour ma satisfaction personnelle, ma décision étant en soi sûre et claire. D'autre part, dans cet état d'abandon, il me semblait que, dans la suite, je ne serais pas satisfait.

Enfin, considérant qu'il n'y avait pas de difficulté à conclure, selon le bon plaisir de Dieu Notre-Seigneur, sans attendre encore, ni chercher d'autres preuves, ni dire d'autres messes, je me mis à faire mon élection, et je sentis qu'il était plus agréable à Dieu Notre-Seigneur que je prisse une décision définitive : en même temps, j'éprouvai en moi le désir de me déterminer,lors d'une nouvelle visite sensible de la grâce. Sous cette double impression du plaisir de Dieu Notre-Seigneur et de mes désirs, je commençai à réfléchir et à me tourner du côté de Dieu Notre-Sei-

412 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

gneur ; et alors, les ténèbres de mon esprit commencèrent à se dissiper, les larmes vinrent dans mes yeux, et, cette impression de la grâce crois- sant, je n'eus plus aucune volonté de dire d'autres messes en vue de l'élection. La pensée même de célébrer trois messes de la Trinité, en actions de grâces me parut venir du mauvais esprit. Je sentais un redou- blement intense d'amour divin avec d'abondantes larmes et des san- glots ; tantôt à genoux, tantôt debout et me promenant, mon esprit était envahi par de nombreuses et diverses réflexions qui me procuraient une satisfaction intérieure complète. Cette impression profonde qui me cau- sa, par l'abondance des larmes, une vive douleur aux yeux, se continua plus ou moins pendant l'espace d'une heure et cessa enfin avec les lar- mes. Je me demandai si je devais conclure dans la nuit, sous l'action de cette affluence de grâce, ou, après que ces impressions surnaturelles auraient disparu, et il me parut mieux de prendre une décision défini- tive, sur l'heure même plutôt que de chercher encore, sans besoin, du- rant la nuit. Je pris donc de nouveau, devant Dieu Notre-Seigneur et devant toute sa cour céleste, la résolution de considérer désormais ce point comme réglé et de ne plus l'examiner, bien que précédemment, sous l'impression d'une grâce très abondante, je l'eusse considéré comme complètement et définitivement établi ; ne voulant plus ni examiner, ni dire des messes à cette intention.

Quatre heures avant la fin du jour, je me mis à table. Alors et un peu après, le tentateur essaya de m'inspirer encore des doutes ; mais, sans me troubler. Je repoussai la tentation en confirmant de nouveau ma résolution, les larmes venant fort à propos mouiller mes yeux et donner plus de force à ma sécurité de conscience. Pendant la tentation, le mauvais esprit m'inspirait des pensées contre les Personnes divines et les médiateurs ; au contraire, sous l'action de la grâce et quand les Per- sonnes divines et les médiateurs [Jltsus et sa Mère] se faisaient voir à moi, je me sentais raffermi dans ma résolution, avec un goût spirituel très sensible et d'abondantes larmes. Avec la vision de l'essence du Père et encore de l'essence de la très sainte Trinité, je sentais un mouvement de dévotion et une envie de pleurer que je n'avais pas éprouvés de tout le jour, bien que, plusieurs fois, j'eusse cherché à jouir de ces faveurs. Les impressions intérieures de la grâce, ce jour-là, n'avaient pas pour objet les Personnes divines en particulier, mais seule- ment l'auteur de la grâce en général : .

Voici le texte définitivement adopté par saint Ignace :

« ht domibiiSy vel ecclesiis, quœ a Societate ad aiixilium anintariim ^ admittentur, reditus nulli, ne sacristiœ qiiideui, mit fabricœ applicatif « haberi possint ; sed neque nlla alia ratio ne, ita ut pênes Societatent « eontin sit nl/a dispeiisatio.)) Constit.FArsyi, c. Il, ^ 2. « Non soluni « reditus, sed nec possessiones JiUas Jiabeant in partiailari, nec in covnnuni « donius vel ecclesiœ Societatis. » Ibid., § 5. Cf. Exam. Gen., c. i, j!} 3.

YI. —Bulle du Pape Paul III approuvant la Compagnie de Jésus.

Paul, cvcque, serviteur des serviteurs de Dieti, pour ett perpétuer le souvenir.

PREPOSE, malgré notre indignité, par la disposition du Seigneur, au gouvernement de l'Église militante, et pénétré pour le salut des âmes, de tout le zèle que nous commande la charge de Pasteur, nous environnons de toute la faveur apostolique les fidèles, quels qu'ils soient, qui nous exposent là-dessus leurs désirs, nous réservant d'en ordonner ensuite, selon qu'un mûr examen des temps et des lieux nous le fait juger utile et salutaire dans le Seigneur.

Ainsi venons-nous d'apprendre que nos chers fils Ignace de Loyola, Pierre Le Fèvre, Jacques Laynez, Claude le Jay, Paschase Broët, Fran- çois Xavier, Alphonse Salmeron, Simon Rodriguès, Jean Codure et Nicolas de Bobadilla, tous prêtres des villes et diocèses respectifs de Pampelune, Genève, Siguenza, Tolède, Viseu, Embrun, Palencia, tous maîtres ès-arts, gradués dans l'Université de Paris et exercés, pendant plusieurs années, dans les études théologiques ; nous avons appris, disons-nous, que ces hommes, poussés, comme il est pieux de le croire, par le souffle de l'Esprit-Saint, se sont rassemblés de différentes con- trées du monde, et, après avoir renoncé aux plaisirs du siècle, ont con- sacré pour toujours leur vie au service de Notre-Seigncur JÉSUS- CllRlST, de nous, et des autres Pontifes Romains, nos successeurs. Ils ont déjà travaillé d'une manière louable dans la vigne du Seigneur, prêchant publiquement la parole de Dieu, après en avoir obtenu la per- mission requise ; exhortant les fidèles en particulier à mener une vie sainte et méritoire du bonheur éternel, et les engageant à faire de pieuses méditations ; servant dans les hôpitaux, instruisant les enfants et les personnes ignorantes des choses nécessaires à une éducation chré- tienne, en un mot, exerçant avec une ardeur digne de toutes sortes d'éloges, dans tous les pays qu'ils ont parcourus, tous les offices de la charité et toutes les fonctions propres à la consolation des âmes. Enfin, après s'être rendus en cette illustre Ville, persistant toujours dans le lien de la charité, afin de cimenter et de conserver l'union de leur Société en JéSUS-Christ, ils ont arrêté un plan de vie conforme aux conseils évangéliques, aux décisions canoniques des Pères, selon ce que leur expérience leur a appris être plus utile à la fin qu'ils se sont pro- posée. Or,ce genre de vie, exprimé dans la formule dont nous avons parlé, a non seulement mérité les éloges d'hommes sages et remplis de zèle pour l'honneur de Dieu, mais il a tellement plu à quelques-uns d'entre eux, qu'ils ont pris la résolution de l'embrasser.

414 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Or, voici cette forme de vie, telle qu'elle a été conçue :

« Quiconque voudra, dans notre Société, que nous désirons être ap- « pelée la Compagnie de JÉSUS, porter les armes pour Dieu, et servir « uniquement JéSUS-Christ Notre-Seigneur et le Pontife Romain son « Vicaire sur la terre, doit, après avoir fait vœu solennel de chasteté <i perpétuelle, se proposer de faire partie d'une Société principalement « instituée, pour travailler à l'avancement des âmes dans la vie et la « doctrine chrétiennes, et à la propagation de la foi, par des prédications « publiques et le ministère de la parole de Dieu, par les Exercices spi- « rituels, et par des œuvres de charité, notamment en faisant le caté- « chisme aux enfants et à ceux qui ne sont pas instruits du christianis- « me, et en entendant les confessions des fidèles pour leur consolation « spirituelle. Il doit aussi faire en sorte d'avoir toujours devant les « yeux premièrement Dieu, et ensuite la forme de cet institut qu'il a « embrassé. C'est une voie qui mène à lui, et il doit employer tous ses « efforts pour atteindre ce but que Dieu même lui propose, selon tou- « tefois la mesure de la grâce qu'il a reçue de l'Esprit-Saint, et suivant « le degré propre de sa vocation, de crainte que quelqu'un ne se laisse « emporter à un zèle qui ne serait point selon la science. C'est le Géné- « rai ou Prélat que nous choisirons qui décidera de ce degré propre à « chacun, ainsi que des emplois, lesquels seront tous dans sa main, afin « que l'ordre convenable, si nécessaire dans toute communauté bien « réglée, soit observé. Ce Général aura l'autorité de faire des Constitu- « tions conformes à la fin de l'Institut, du consentement de ceux qui lui « seront associés, et délibérées dans un conseil tout sera décidé à la « pluralité des suffrages. Dans les choses importantes et qui devront sub- « sister à l'avenir, ce conseil sera formé de la majeure partie de la Société « que le Général pourra rassembler commodément ; et, pour les choses « légères et momentanées, de tous ceux qui se trouveront dans le lieu de ^ la résidence du Général. Quant au droit de commander,il appartiendra « entièrement au Général. Que tous les membres de la Compagnie « sachent donc, et qu'ils se le rappellent, non seulement dans les premiers <.< temps de leur profession, mais tous les jours de leur vie, que toute « cette Compagnie et tous ceux qui la composent combattent pour « Dieu, sous la fidèle obéissance de notre très Saint Père le Pape et des « autres Pontifes Romains, ses successeurs. Et,quoiquc nous ayons appris « de l'Évangile et de la foi orthodoxe, et que nous fassions profession « de croire fermement que tous les fidèles de jÉsus-CiiRlST sont soumis i au Pontife Romain, comme à leur chef et au Vicaire de JKSUS- « Christ, cependant, afin que l'humilité de notre Société soit encore « plus grande, et que le détachement de chacun de nous et l'abnéga- « tion de nos volontés soient plus parfaits, nous avons cru qu'il serait « fort utile, outre ce lien commun à tous les fidèles, de nous engager « encore par un vœu particulier, en sorte que, quelque chose que le

APPENDICES. 415

« Pontife Romain actuel et ses successeurs nous commandent concernant « le bien des âmes et la propagation de la foi, nous soyons obligés de « l'exécuter.à l'instant, sans tergiverser ni nous excuser, en quelque pays « qu'ils puissent nous envoyer, soit chez les Turcs ou tous autres infi- « dèles, même dans les Indes, soit vers les hérétiques et les schismati- « ques, ou vers les fidèles quelconques. Ainsi donc, que ceux qui vou- « dront se joindre à nous examinent bien, avant de se charger de ce « fardeau, s'ils ont assez de fonds spirituels pour pouvoir, suivant le « conseil du Seigneur, achever cette tour : c'est-à-dire, si l'Esprit-Saint, « qui les pousse, leur promet assez de grâce pour qu'ils puissent espérer « de porter,avec son aide,le poids de cette vocation ; et quand, par l'in- « spiration du Seigneur, ils se seront enrôlés dans cette milice de JÉSUS- « Christ, il faut que, jour et nuit, les reins ceints, ils soient toujours « prêts à s'acquitter de cette dette immense. Mais, afin que nous ne « puissions ni briguer ces missions dans les différents pays, ni les refu- « ser, chacun de nous s'obligera à ne jamais faire à cet égard, ni direc- « tement, ni indirectement, aucune sollicitation auprès du Pape, mais « à s'abandonner entièrement là-dessus à la volonté de Dieu, du Pape « comme son vicaire, et du Général. Le Général promettra lui-même, « comme les autres, de ne point solliciter le Pape pour la destination « et mission de sa propre personne, à moins que ce ne soit du consen- « tement de la Société. Tous feront vœu d'obéir au Général, en tout ce « qui concerne l'observation de notre règle : et le Général prescrira les « choses qu'il saura convenir à la fin que Dieu et la Société ont eue en « vue. Dans l'exercice de sa charge, qu'il se souvienne toujours de la « bonté, de la douceur et de la charité de JÉSUS-CIIRIST, ainsi que des « paroles si humbles de saint Pierre et de saint Paul, et que lui et son « conseil ne s'écartent jamais de cette règle. Que tous encore aient « grandement à cœur l'instruction des enfants et des ignorants, leur « enseignant la doctrine chrétienne, les dix commandements, et autres « semblables éléments, selon qu'il conviendra, eu égard aux circonstan- « ces des personnes, des lieux et des temps. Car il est très nécessaire « que le Général et son conseil veillent sur cet article avec beaucoup « d'attention, soit parce qu'il n'est pas possible d'élever sans fondement « l'édifice de la foi chez le prochain, soit parce qu'il est à craindre qu'il « n'arrive parmi nous qu'à proportion que l'on sera plus savant, l'on ne « se refuse à cette fonction comme étant moins belle et moins brillante, « quoiqu'il n'y en ait pourtant point de plus utile, ni au prochain pour « son édification, ni à nous-mêmes pour nous exercer à la charité et à « l'humilité. Quant aux inférieurs tant à cause des grands avantages « qui reviennent de l'ordre, que pour la pratique assidue de l'humilité, « qui est une vertu qu'on ne peut assez louer, ils seront tenus d'obéir « toujours au Général, dans toutes les choses qui regardent l'Institut ; « et, dans sa personne, ils croiront voir JésUS-Christ comme s'il était

416 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

« présent, et l'y révéreront autant qu'il est convenable. Mais, comme « l'expérience nous a appris que la vie la plus pure, la plus agréable et « la plus édifiante pour le prochain, est celle qui est la plus éloignée de « la contagion de l'avarice, et la plus conforme à la pauvreté évangéli- « que, et sachant aussi que Notre-Seigneur fournira ce qui est néces- « saire, pour la vie et le vêtement, à ses serviteurs qui ne cherchent « que le royaume de Dieu, nous voulons que tous les nôtres et chacun « d'eux fassent vœu de pauvreté perpétuelle, leur déclarant qu'ils ne « peuvent acquérir, ni en particulier, ni même en commun, pour l'entre- « tien ou l'usage de la Société, aucun droit civil à des biens immeubles, « ou à des rentes et revenus quelconques, mais qu'ils doivent se conten- « ter des aumônes qu'on leur donnera pour se procurer le nécessaire.

« Néanmoins, ils pourront avoir, dans les Universités, des collèges pos- <:< sédant des revenus, cens et fonds, applicables à l'usage et aux besoins « des étudiants, le Général et la Société conservant toute administration « sur les dits biens et sur les dits étudiants, à l'égard des choix, refus, ré- « ception, et exclusion des supérieurs et des étudiants, et pour les « règlements touchant l'instruction, l'édification et la correction des dits « étudiants, la manière de les nourrir et de les vêtir, et tout autre objet « d'administration et de régime, de manière pourtant que ni les étu- « diants ne puissent abuser des dits biens, ni la Société elle-même les « convertir à son usage, mais seulement subvenir aux besoins des étu- « diants. Et les dits étudiants,lorsqu'on se sera assuré de leur progrès dans « la piété et dans la science, d'après une épreuve suffisante, pourront être « admis dans notre Compagnie dont tous les membres qui seront dans les « ordres sacrés, bien qu'ils n'aient ni bénéfices ni revenus ecclésiastiques, «seront tenus de dire l'office divin selon le rite de l'église, chacun « séparément et en particulier, et non point en commun et au chœur.

« Telle est l'image que nous avons pu tracer de notre profession, sous « le bon plaisir de notre Saint-Père Paul III et du Siège Apostolique. « Ce que nous avons fait dans la vue d'instruire, par cet écrit sommaire, <i et ceux qui s'informent à présent de notre Institut, et ceux qui nous « succéderont à l'avenir, s'il arrive que, par la volonté de Dieu, nous « ayons jamais des imitateurs dans ce genre de vie, lequel ayant de «grandes et de nombreuses difficultés, ainsi que nous le savons par « notre propre expérience, nous avons jugé à propos d'ordonner que « personne ne soit admis dans cette Compagnie, qu'après avoir été « longtemps éprouvé avec beaucoup de soin, et que ce ne soit que lors- « qu'on se sera fait connaître pour prudent en jÉSUS-CllRlST et que « lorsqu'on se sera distingué par la doctrine et par la pureté de la vie « chrétienne, que l'on pourra être reçu dans la milice de jÉsus-CllRlST, « à qui il plaise de favoriser nos petites entreprises pour la gloire de « Dieu le Père, auquel soit gloire et honneur dans les siècles des siècles. « Ainsi soit-il. »

APPENDICES. 417

Or, ne trouvant dans cet exposé rien que de pieux et de saint, afin que ces mêmes associés, qui nous ont fait présenter, à ce sujet, leur très humble requête, embrassent, avec d'autant plus d'ardeur, leur plan de vie qu'ils se sentiront plus comblés des faveurs du Siège apostolique, nous, en vertu de l'autorité apostolique, par la teneur de ces présentes, et de science certaine, nous approuvons, confirmons, bénissons et garantis- sons d'une perpétuelle stabilité l'exposé précédent, son ensemble et les détails; et, quant aux associés eux-mêmes, nous les prenons sous notre protection et celle de ce Siège apostolique, leur accordant néanmoins de dresser de plein gré et de plein droit les Constitutions qu'ils juge- ront conformes à la fin de cette Compagnie, à la gloire de Notre-Sei- gneur JésUS-Christ, et à l'édification du prochain, nonobstant les constitutions et ordonnances apostoliques du concile général et de notre prédécesseur, d'heureuse mémoire, le pape Grégoire X, ou toutes autres qui y seraient contraires.

Nous voulons cependant que les personnes qui désireront faire pro- fession de ce genre de vie ne puissent être admises dans la Société, ni y être agrégées au delà du nombre de soixante.

Donc, que personne au monde n'ait la témérité d'enfreindre ou de contredire aucun des points exprimés de notre approbation, de notre accueil, de notre concession et de notre volonté. Si quelqu'un osait l'at- tenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, à Saint-Marc, l'année de l'Incarnation du Sauveur 1540, le cinquième des calendes d'octobre, de notre Pontificat la sixième.

Histoire de S. Ignace de Loyola. II. 27

YII, _ Bulle d'Urbain VIII, pour la canonisa- tion de N. P. S. Ignace de Loyola, célébrée par Grégoire XV.

URBAIN, Évcgue, sennteur des serviteurs de Dn:r, pour eti perpétuer le souvenir.

IL est juste et raisonnable que les sages décisions, prises par un Pontife Ro- main, obtiennent leur plein effet, bien que la mort arrivée sur ces entrefaites l'ait empêché de les promulguer par lettres apostoliques.

Une observation avait depuis longtemps frappé la piété de notre prédéces- seur, le Pape Grégoire XV, d'heureuse mémoire. Dieu dont la bonté ineffable et la miséricorde disposent toutes choses avec une providence admirable et suivant l'opportunité des temps, suscita dans les siècles passés, soit pour semer l'Évangile parmi les nations, soit pour combattre les hérésies naissantes, plu- sieurs hommes illustres par leur science et leur sainteté. De même aussi, dans ces derniers temps, au moment les pieux rois de Portugal ouvraient, aux ouvriers de la vigne du Seigneur, un si large champ dans les terres lointaines des Indes et dans les îles les plus reculées , les rois catholiques de Castille, en ouvraient un non moins étendu par la découverte d'un Nouveau- Monde à l'Occident ; quand d'autre part, au Septentrion, l'abominable Luther et d'autres monstres non moins odieux s'efforçaient, par leurs blasphèmes, de corrompre et de dépraver toute la sainteté de la religion antique, aussi bien que la pratique de la vie parfaite, et de miner l'autorité du Siège apostolique, cette même Providence avait suscité l'esprit d'Ignace de Loyola. Merveilleusement appelé du milieu des honneurs du siècle et de la milice terrestre, Ignace se laissa si bien conduire et façonner par la main de Dieu, qu'il établit enfin la religion de la Compagnie de Jésus, qui, parmi d'autres œuvres de piété et de charité, se consacre sans réserve à la conversion des infidèles, au retour des hérétiques, à la vraie foi et à la défense .du pouvoir apostolitiue. Il couronna sa sainte vie par une mort non moins admirable, et devint célèbre par de nombreux et éclatants miracles. Aussi, était-il question depuis longtemps de l'inscrire au catalogue des saints, quand Grégoire XV résolut de mettre à cette œuvre la dernière main.

Et, en effet, le renom de la sainteté et la gloire des miracles d'Ignace s'éten- daient, chacjue jour davantage, à travers les diverses parties du monde. De plus, les rois catholiques des Espagnes, Philippe II et Philippe III, d'illustre mémoire, et les princesses, pareillement d'illustre mémoire, Marie, épouse du glorieux roi des Romains, Maximilien II, empereur élu, et Marguerite, épouse du dit roi Philippe III, plusieurs dignitaires ecclésiastiques et diverses nations, en même temps que nos chers fils, le Général et d'autres religieux de la dite Compagnie, avaient présenté à noire prédécesseur Clément VIII, de pieuse mémoire, les actes des procès instruits par le soin des ordinaires et l'ordre même du Nonce apostolique d'alors, dans les royaumes d'Espagne, sur la sainteté et les miracles d'Ignace. Ils avaient demandé, avec instance, l'octroi de lettres rémissoriales et compulsoriales nécessaires pour hâter la canonisation.

APPENDICES. 419

Lui-même, notre prédécesseur Clément VIII avait donné à examiner ces pièces et cette pétition à nos chers fils, alors les siens, les cardinaux de la sainte Église romaine, membres de la congrégation des Rites. Les dits cardinaux jugèrent que l'on pouvait accéder à cette pétition, si tel était le bon plaisir du même Pontife. Mais notre prédécesseur Clément VIII, prévenu par la mort, ne put donner là-dessus aucune décision.

Notre prédécesseur Paul V, également d'illustre mémoire, touché des in- stances réitérées des dits princes, du Général et des religieux, comme aussi d'une demande nouvelle faite par le roi très chrétien de France et de Navarre, Henri IV, de glorieuse mémoire, donna charge au susdit Grégoire, notre prédé- cesseur, alors dans un rang inférieur et remplissant les fonctions d'auditeur des causes du Palais apostolique, et à ses chers fils Alphonse Manzanedo et Jean- Baptiste Pamphilio, auditeurs des mêmes causes, de reprendre le procès dans l'état et aux termes il en était, de procéder ensemble à l'examen de tous les actes et de toutes les preuves ; s'il le fallait, de recueillir par eux-mêmes ou par leurs subdélégués de nouveaux témoignages sur la vie et les miracles d'Ignace, et d'en porter eux-mêmes leur jugement. S'il constatait que les enquêtes, dis- cussions et pièces avaient été faites suivant qu'il est requis, le même Paul, notre prédécesseur, pourrait faire lui-même ce que demandent les enseignements des saints et les règlements des saints canons.

C'est pourquoi les dits auditeurs, après avoir vu et soigneusement discuté les pièces exhibées devant eux, pensèrent qu'il y fallait joindre d'autres actes que l'autorité apostolique ferait dresser, A cet effet, par eux-mêmes à la cour de Rome, et au dehors, sur divers points du monde, par quelques archevêques et évêques leurs subdélégués, ils firent instruire de nouveaux procès juridiques sur le même objet. Ces actes, par l'ordre du même Paul, notre prédécesseur, furent transmis aux mêmes cardinaux préposés aux Rites sacrés. Quand ils les eurent vus et examinés, le même Paul, notre prédécesseur, de l'avis des mêmes cardinaux, permit avec bienveillance, par un Induit, de donner au dit Ignace le titre de Bienheureux et de dire en son honneur la messe et l'office du com- mun des confesseurs non pontifes.

Dans la suite, ceux qui avaient sollicité la canonisation du B. Ignace redou- blèrent leurs instances. Alors, le même Paul V, voulant procéder, dans ce procès, d'après les coutumes du Saint-Siège apostolique, ordonna, par un rescrit, aux mêmes auditeurs d'examiner à nouveau les actes déjà dressés, de recueillir de nouveaux témoignages spécialement sur les faits précédemment constatés, de les peser avec le plus grand soin et enfin d'en faire leur rapport au Pontife.

Les auditeurs susdits, voulant, comme de juste, s'acquitter de leur mandat, recommencèrent la discussion du procès. Eux-mêmes à la cour romaine enten- dirent, sur le même objet, un grand nombre de nouveaux témoignages ; ils en firent examiner d'autres ailleurs par leurs subdélégués et tirèrent des archives de la dite Société quelques pièces utiles à la cause. Les auditeurs Alphonse et Tean-Baptiste se réunirent plusieurs fois en congrégation avec notre cher fils François, cardinal nommé de la S. E. R., alors au nombre des auditeurs des causes du Sacré-Palais avec le titre d'archevêque de Damas, en remplacement dudit Grégoire, notre prédécesseur, qui avait été déjà appelé à gouverner l'église de Bologne. Ils examinèrent les procès nouveaux et ceux dont il a été

420 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

déjà parlé ; puis ils attestèrent à Paul V, notre prédécesseur, qu'ils avaient été rédigés dans les formes; que les preuves qui s'y trouvaient avaient été vérifiées selon les règles; que la sainteté et les miracles étaient abondamment et surabon- damment démontrés.

Mais Faul V, notre prédécesseur, étant entré dans la voie de toute chair, le dit Général de la même Société fit d'humbles instances auprès de notre prédé- cesseur Grégoire pour que l'on achevât de procéder à la canonisation du B. Ignace. Le même Grégoire, notre prédécesseur, écouta favorablement sa de- mande et renvoya le rapport déjà rédigé à l'examen des mêmes cardinaux de la susdite congrégation des Rites.

La discussion de ce rapport était pendante lorsqu'arrivèrent les demandes d'abord de notre très cher fils en Jésus-Christ Louis, roi très chrétien de France et de Navarre, bientôt après de l'illustre Maximilien, duc de l'une et l'autre Bavière, enfin de notre très cher fils dans le Christ, Ferdinand, roi des Romains et empereur élu. Les cardinaux approuvèrent le rapport, notre véné- rable Frère François-Marie, évêque de Porto, cardinal du titre du Mont, résuma les débats et fit connaître son avis et celui des autres cardinaux de la même congrégation, dans notre consistoire secret, alors celui de Grégoire, notre prédécesseur. Nos chers fils, les autres cardinaux présents au consistoire, opi- nèrent aussi que Grégoire XV pouvait, aux termes des Rites sacrés de la S. E. R., mettre au rang des saints le B. Ignace.

Le Pontife donna donc ordre de procéder aux dernières formalités requises. Mais il avait voulu que certains traits racontés dans les procès et les actes, sur la vie, la sainteté et les miracles du même B. Ignace, fussent rappelés dans le même consistoire.

Le B. Ignace naquit dans cette partie de l'Espagne qui touche aux Pyrénées, non loin de la petite ville d'Azpeitia, diocèse de Pampelune, l'an du Seigneur 1491. Son père, Bertrand de Loyola, et sa mère, Marie Sanchez, l'un et l'autre de noble race, étaient de pieux catholiques. Ils eurent soin d'élever leur fils dans la même piété.

Parvenu à l'adolescence, Ignace se distinguait par de brillantes qualités d'esprit et de corps. Il fut envoyé à la cour de l'illustre Ferdinand le catholique, y resta quelque temps comme page, puis se rendit auprès du vice-roi de Na- varre qui se trouvait à Pampelune, et commença de se livrer aux travaux de la guerre. Les Français assiégeaient la ville. Tandis qu'Ignace combattait contre eux au premier rang, une pierre, violemment arrachée de la muraille par un boulet, le blessa à la jambe gauche et lui fracassa tellement la droite qu'il fut renversé à demi-mort. La cure de ces blessures fut douloureuse, pénible et très longue. Il la supporta avec une patience qui fit l'admiration de tous ceux qui l'entouraient. Cloué sur son lit, il avait demandé des livres profanes ; Dieu voulut qu'il ne s'en trouvât pas au château. On lui donna à lire quelques ouvra- ges de piété. Cette lecture l'enflamma tellement que, plein de haine pour lui- même, il résolut de suivre les traces du Christ et des saints, d'aller à Jérusalem vénérer les saints lieux, faire avancer les fidèles dans la foi et convertir les infi- dèles à l'Évangile.

Aussi, à peine ses blessures sont-elles guéries, qu'il abandonne patrie, parents et toutes les choses caduques et passagères. Il veut être désormais chevalier du

APPENDICES. 421

Christ. Il se rend au monastère bénédictin de Notre-Dame de Mont-Serrat, dans le diocèse de Vie, fait une confession générale, suspend dans la chapelle son poignard et son épée; puis, revêtu d'une longue et rude tunique, ceint d'une corde, tête nue, un bâton à la main, il veille, prie et pleure devant l'autel de la Vierge, toute cette nuit qui précède la fête de la Salutation Angélique. Désor- mais tout entier au culte divin, il se voue à un nouveau genre de combats.

Puis il gagne la petite ville voisine de Manrèse et va loger à l'hôpital de Sainte-Lucie. C'est là, dans une grotte placée au bord d'un ruisseau, qu'il fait de dignes fruits de pénitence ; il mène une vie pauvre et austère au milieu des pauvres et des mendiants déguenillés auxquels il rend les services les plus abjects.

Quelque temps après, il se rend dans notre ville sainte, puis à Venise, ensuite a Jérusalem. Il visite les Saints-Lieux. ALiis on lui défend d'v séjourner et de s'y occuper du salut des âmes. Il reprend alors le chemin de l'Espagne, et afin d'être mieux ,en état, avec l'aide du Saint-Esprit, de procurer le bien du pro- chain, à l'âçfe de trente ans, il étudie d'abord la grammaire à Barcelone, puis à Alcala la philosophie et la théologie, pendant une année et demie. Enfin il reprend à Paris toutes ses études. Pendant tout ce temps, il vit d'aumônes et n'interrompt jamais ses œuvres de charité, de pénitence et d'humilité. Il fait partager ses vues à des compagnons qu'il s'adjoint, et parmi lesquels se trouve François Xavier, le saint qui sera l'apôtre des Indes. Ils font ensemble le vœu de garder, après leurs études, la pauvreté évangélique, d'aller h Jérusalem, de travailler en commun et de toutes leurs forces au salut du prochain. Que s'il ne s'offrait pas d'occasion pour la traversée pendant une année entière, ou s'ils étaient empêchés de rester à Jérusalem, libres alors de leur vœu, ils iraient à Rome et offriraient leurs services au Pape, pour travailler au bien spirituel du prochain.

Mais Ignace, dans ses travaux et ses études à Paris, avait contracté une grave maladie d'estomac. Aussi, par l'ordre des médecins et sur le conseil de ses com- pagnons, il retourna dans sa patrie, l'an du Seigneur 1535. Il y passa trois mois à l'hôpital de Sainte-Marie-Madeleine, mendiant son pain de porte en porte et se dévouant au service des pauvres.

Quand les forces lui furent revenues, il partit pour Venise, ses compagnons devaient aussi se rendre. Là, il voulut recevoir le sacerdoce et fit le vœu de pauvreté et de chasteté, entre les mains de Jérôme Veralli, archevêque de Roséa, alors nonce du Saint-Siège en Vénétie.

Cependant l'intervalle d'une année dont ils étaient convenus finissait et le voyage de Palestine n'avait pu s'effectuer, parce que durant tout ce temps les Vénitiens avaient été en guerre avec les Turcs. Ignace vint a Rome avec ses compagnons, l'an 153 7. Il y reçut l'hospitalité de QuirinoGarzonis dans une vigne qu'il possédait sous le mont Pincio. Puis, il offrit avec empressement à Paul III, notre prédécesseur, de pieuse mémoire, ses services pour le salut des âmes.

Pour que la Compagnie qu'il venait de fonder pût embrasser un tel ministère plus pleinement et avec plus de fruit, aux trois vœux communs à tous les Ordres, il en ajouta un quatrième par lequel le religieux s'obligeait à partir sur l'ordre du Souverain-Pontife et sans demander de viatique, pour les missions même auprès des infidèles, des Turcs, des hérétiques, schismatiques et tous autres

422 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

quels qu'ils soient. Il fit confirmer son Institut par notre orédécesseur Paul III, et le dota ensuite de constitutions et de lois excellentes. Élu Général, il gouverna son Ordre, avec une grande réputation de prudence et de droiture.

Après de nombreux travaux, il s'endormit pieusement dans le Seigneur, en invoquant le nom de JÉsu.s, dans la même ville de Rome, la veille des Kalendes d'août 1556. Homme vraiment choisi de Dieu pour être le chef de ces apôtres, qui devaient porter son saint nom devant les peuples et les nations, conduire les infidèles à la connaissance de la vraie foi, rappeler à l'unité les hérétiques rebelles, défendre l'autorité du Vicaire de Jésus-Christ sur la terre. Le Seigneur, en effet, l'orna de la grandeur et de l'excellence de la foi et le fortifia d'une ferme espérance, comme l'ont surabondamment prouvé ses actions.

Le dévouement qu'il déploya constamment pour les pauvres et les malades dans les hôpitaux, la distribution des aumônes que lui-môme prenait la peine de recueillir auprès des personnes pieuses ; le zèle qu'il mit, aussitôt converti, à faire instruire dans la doctrine chrétienne les enfants et les ignorants ; la visite et le soulagement des prisonniers qu'il fit pratiquer et pratiqua lui-même avec assi- duité; les missions qu'il établit dans tout l'univers ; les maisons, les églises et les collèges qu'il érigea ; à Rome, les écoles gratuites de grammaire et de littéra- ture qu'il ouvrit, le Collège Germanique, un Orphelinat, une maison de caté- chumènes, les Monastères de Sainte-Marthe et de Sainte-Catherine et d'autres pieux établissements qu'il fit élever ; les dissidents ramenés, ses exercices spiri- tuels enseignés et pratiqués ; la fréquentation des sacrements remise en usage ; le pardon des injures et les prières pour les ennemis : telles sont les preuves incontestables qu'il aima son prochain pour Dieu.

Quant à son grand amour pour Dieu lui-même, on en peut juger par le soin extrême et le zèle avec lequel il s'efforça constamment de répandre, pour lui, sur son prochain les bienfaits spirituels et temporels, et par la grande vigilance qu'il mit à garder la pureté du cœur. A partir de sa conversion, on ne surprit en lui ni parole, ni action que l'on pût regarder comme un péché mortel. Toutes ses pen- sées, ses paroles et ses actes,il les rapportait à Dieu comme à sa fin et les dirigeait à son honneur et à sa gloire. Il avait constamment à la bouche, comme devise, ces mots : « Ad majorem dei gloria.m ; pour la plus grande gloire de Dieu ».

Il était aussi d'une sagesse admirable. Toutes les affaires qu'il devait traiter pour l'honneur de Dieu, il les recommandait à Dieu d'abord, prenait conseil de la prudence, pesait les motifs pour et contre, puis employait les moyens les plus propres à les conduire à ses fins ; et, de cette manière, il réussissait à éviter les accidents fâcheux.

Sa justice envers Dieu et envers les hommes éclate dans la vie austère et les pénitences volontaires par lesquelles il voulut réparer ses offenses envers Dieu, dans l'esprit de dévotion et de religion par lequel il rendait à Dieu le culte et l'honneur qui lui est dû, dans la reconnaissance qu'il fit constamment paraître à l'égard des siens et des bienfaiteurs de la Compagnie. La vérité sortait toute pure de sa bouche, sans artifice, sans fard et sans feinte ; tout était sincère et simple dans son cœur. Sa grandeur d'âme paraît dans ses pénitences, son dé- vouement pour les malades, dans ses œuvres de charité : ni les fatigues, ni les difficultés, ni les mépris, ni les injures, ni les outrages, ne l'en détournèrent; il y persévéra constamment jusqu'à sa bienheureuse mort.

APPENDICES. 423

Sa patience admirable et sa mansuétude ressortent de ses nombreux et im- menses travaux, des opprobres, de la confusion, des persécutions supportées avec joie pour l'amour de Dieu, de sa reconnaissance envers ses détracteurs et des bons services qu'il rendit à ceux qui le persécutaient. Il pratiqua si bien le jeûne qu'à Manrèse et à Barcelone, il ne mangeait que du pain et ne buvait que de l'eau, toute la semaine, excepté le dimanche. Ses oraisons conti- nuelles et ses abstinences l'affaiblirent, par deux fois, au point de le laisser pres- que sans forces.

Il eut tant de zèle pour la garde de la chasteté, en lui-même et dans les autres, que, dans les Constitutions de sa Compagnie, il fit un devoir à tous les siens de la conserver dans sa perfection, jusqu'à se montrer les émules des anges par la pureté de leur corps et de leur âme.

Il donna aussi des marques éclatantes d'une humilité profonde, quand sur le point d'embrasser son nouveau genre de vie, il refusa d'écouter son frère qui lui objectait la noblesse de sa famille, ses richesses, sa bravoure militaire et la gloire qu'il en retirerait, et qu'à peine sorti de maladie et guéri de ses blessures, il dit adieu au monde.

Cette humilité parut encore, lorsqu'il revint dans son pays, pour cause de santé. Alors, en effet, ayant observé qu'un homme l'avait reconnu, par crainte des honneurs que son frère et les habitants d'Aspeïtia ne manqueraient pas, il le savait, de lui rendre, il ne voulut point voyager avec lui et arriver à la ville par la voie directe ; il prit sa route à travers les montagnes et arriva par des sentiers détournés. Là, tout heureux d'échanger son noble château contre un pauvre et modeste hôpital, nulle prière ne put le décider à franchir le seuil de ses pères.

Enfin, ce ne fut pas seulement la vaine gloire du monde, mais sa propre per- sonne qu'il méprisa avec une sublime grandeur d'âme. Aussi, cjuand il fut nommé supérieur général de la Compagnie, il refusa cette charge jusqu'à ce que son confesseur lui commandât de l'accepter. Après qu'il s'y fut soumis, pour convaincre, par l'exemple, ceux que sa parole exhortait à l'humilité dans les Constitutions, il s'employa d'abord, pendant quelques jours, aux travaux de la cuisine et entreprit ensuite d'enseigner la doctrine catholique aux enfants et aux

Ignorants.

Le Très-Haut se plut à glorifier l'admirable sainteté de son serviteur en illumi- nant son visage d'une clarté surnaturelle, aperçue plusieurs fois, de son vivant, par le B. Philippe Néri et par le P. Olivier Manare, de la Compagnie.

Dieu le rendit aussi recommandable par le don des miracles : on en cite un grand nombre opérés pendant sa vie : il est pourtant établi, que les plus remar- quables furent accomplis, après sa bienheureuse mort.

Isabelle Rebelles, religieuse professe de l'Ordre de Ste-Claire, au monastère de Ste-Elisabeth, du même Ordre, avait soixante-sept ans, quand, occupée à cer- tain travail en un lieu élevé, elle tomba subitement à terre: sa chute fut si grave qu'elle eut la hanche ou l'os du fémur, le plus considérable du corps humain, fracassé. Pendant quarante jours et plus, les médecins et les chirurgiens lui appliquèrent des remèdes, sans obtenir la moindre amélioration; les douleurs et la fièvre occasionnées par la fracture ne discontinuaient pas. De l'avis de tous, il n'était plus de guérison possible pour la malade, du moins les remèdes naturels ne

424 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

pouvaient plus rien : elle devait mourir dans la journée.Cependant elle demande, avec une pieuse confiance, une relique du R. Ignace, l'obtient, se l'applique sur le fémur et sur le champ se trouve guérie. La jambe était tout à l'heure cnfiée et raide ; maintenant elle la meut sans effort ni douleur. Le jour suivant, elle se levait et marchait avec la plus parfaite aisance.

Jean Leida, de Majorque, était atteint d'une fièvre tierce tr^s aiguë d'autant plus dangereuse que de violentes nausées lui soulevaient l'estomac. Aprbs douze ou treize jours, le péril était imminent ; le malade se recommande à Dieu avec ferveur, par l'intercession des mérites du B. Ignace. La nuit suivante, au milieu de son sommeil, il est éveillé, aperçoit sa chambre inondée d'une éblouissante lumière ; alors ap]:>elant sa femme : « Ne vois-tu pas, lui dit-il, que le B Ignace « m'a guéri ? » Au lever du jour, sans qu'il fût besoin de l'aider, il sortit de son lit sans fièvre, bien portant, s'habilla et se rendit aussitôt en action de grâces dans l'église des Pères de la Compagnie.

Jérôme Onuphre Etrusco, de la ville de Candie, dans le diocèse de Valence, avait dix ans lorsqu'il reçut une blessure mortelle, au sourcil, près de la tempe. Elle amena une enflure dans toutes les parties de l'œil, et une fièvre violente. Pen- dant un mois entier, le chirurgien appliqua des remèdes suivant les règles de l'art, mais la blessure, loin de se cicatriser, restait si large et si profonde qu'il fallait des compresses larges d'un doigt. Des humeurs et des matières corrom- pues en sortaient, avec tant d'abondance que le chirurgien étonné croyait à la frac- ture de quelque os à l'intérieur. Il fit appeler un de ses confrères. Tous deux se rendirent auprès du malade ; on enleva les bandelettes qui couvraient et ban- daient la blessure ; contre toute attente, ils trouvèrent les chairs durcies, la blessure complètement fermée et cicatrisée. Le miracle était à l'intercession du B. Ignace que la mère de Jérôme avait intéressé, par un vœu, à la guérison.

Madeleine Talavera, de la même ville de Candie, souffrait depuis trois ans de dangereux engorgements, qui s'étaient convertis en une hydropisie opiniâtre. Ils avaient en même temps occasionné une telle obésité que la malade ne pou- vait se mouvoir, d'un endroit à un autre, sans de très grandes difficultés. Cepen- dant, voyant que les remèdes employés par les médecins n'apportaient aucune amélioration, elle eut recours à la divine Providence. Elle fit un vœu à Dieu, se mit sur les entrailles une image de notre Bienheureux et se trouva aussitôt soulagée. L'engorgement et l'hydropisie disparurent si bien qu'au bout de trois ou quatre jours, il n'y avait plus d'obésité et que la malade jouit dès lors d'une bonne santé.

Ferdinand Protel de Mendoza était affligé d'une fièvre tierce, qui dégénéra bientôt en fièvre double, puis en fièvre pestilentielle, accompagnée d'abattement moral et de douleurs extraordinaires occasionnées par le flux des humeurs et la déperdition des forces. Après de nombreuses purgations prises sans fruit, la force du mal devint telle que les médecins l'abandonnèrent, et qu'il se trouva réduit à la dernière extrémité. Il s'était déjà confessé, avait reçu le saint Viatique et l'Extrême-Onction. A ce moment, il prend dans ses mains une image de S. Ignace qu'il portait suspendue h son cou, et se recommande à lui de tout son cœur : aussitôt la convalescence commence et le malade est guéri.

Anna Barzellona, déjà presque sexagénaire, souffrait depuis deux ans d'une paralysie. Incapable de se mouvoir,elle ne montait les escaliers ou ne les descen-

APPENDICES. 425

dait qu'à l'aide de béquilles. Bientôt une nouvelle maladie, l'apoplexie, s'empara du côté resté sain. Comprenant que les remèdes humains ne pouvaient plus rien pour elle, elle fit un vœu, et la guérison commença ; pendant toute cette journée et au commencement de la nuit suivante, elle fit de tels progrès qu'au lever du jour, la malade, complètement rétablie, pouvait se rendre en toute hâte à l'église du collège de la dite Société, pour rendre grâces à Dieu et à l'intercession du B. Ignace.

Ce fut aussi à l'intercession d'Ignace que Jeanne Clara et Noquera, de Major. que âgée de cinquante-six ans et frappée de cécité, dut de recouvrer la vue.

Le chirurgien Barthélémy Contesti souffrait de maux de tête si violents et si opiniâtres que, dans l'excès de la douleur, il se frappait parfois contre le sol. En outre, il eut un œil atteint d'une inflammation si douloureuse que l'autre œil souffrait du contre-coup, à tel point qu'il ne pouvait supporter le moindre rayon de lumière, ni goûter le plus petit instant de repos. Ce mal l'obligea à s'enfermer dans une chambre obscure dont il ne sortait plus ; il devint même si violent qu'il faisait dire au malade que, si tel chirurgien déjà mort vivait encore, il prendrait certainement le parti de se faire arracher l'œil. Cependant, poussé par sa grande dévotion envers notre Saint, il se fit apporter une de ses reliques ; à l'instant même elle lui fut remise, il se trouva guéri. Ses douleurs de tête cessèrent ; il recouvra la vue et put soutenir l'édat du soleil sans la moindre souffrance. Et, pour que l'on comprît bien que l'honneur de cette cure subite revenait à la puissance divine et à l'intercession du B. Ignace, quand on voulut, à deux ou trois reprises, emporter la sainte relique de la chambre, les douleurs revinrent : elles cessèrent aussitôt qu'elle fut rapportée. Averti par ce fait, Barthélémy retint la relique chez lui, et, au bout de trois ou quatre jours, il se portait aussi bien que s'il n'eût jamais été malade. Ce miracle fut raconté à Columna Cortei et Vich. Tourmentée déjà par des maux de tête qui ne lui laissaient aucun repos, même la nuit, elle avait encore été atteinte à un œil d'une douleur très vive qui l'empêchait d'en soulever la paupière et qui finale- ment l'avait laissée aveugle. Elle se fait apporter cette même relique. Quand elle l'a reçue, elle invoqup d'abord le Saint, puis la met sur ses yeux. Alors les paupières que les chirurgiens même n'avaient pu ouvrir, commencèrent à se soulever d'elles-mêmes et la douleur disparut. Columna put supporter l'éclat de la lumière; au bout de trois jours, elle eut enfin recouvré par degrés l'usage complet de ses yeux et obtenu sa pleine guérison.

Jeanne d'Aragon Pignatella, duchesse de Terre-Neuve, souffrait depuis quatre mois, à une mamelle d'une douleur très violente, causée par une tumeur durcie. Elle en était venue à tel point que le plus petit mouvement des pieds ou des mains semblait lui déchirer les entrailles. Elle eut recours à l'intercession du B. Ignace. Un matin, elle vénéra religieusement son image, se recommanda à lui, et, le soir, on la trouva guérie, débarrnssée de la tumeur, de la dureté et de toute douleur.

Ces prodiges et beaucoup d'autres émurent enfin le même Grégoire, notre prédécesseur. D'après l'usage antique des Pontites Romains, nos prédécesseurs, alors les siens, il réunit un consistoire public assistèrent, outre les cardinaux, nos Vénérables Frères les patriarches, archevêques et évêques et d'autres prélats de la cour romaine et de la maison de notre prédécesseur Grégoire,

426 HISTOIRE DE SAINT IGNACE LOYOLA.

Notre cher fils Nicolas Zambeccari, avocat consistorial de la cour pontifi- cale, fit connaître les mérites du E. Ignace et les vœux des princes et des peu- ples pour sa canonisation.

Un autre consistoire, celui qu'on appelle semi-public, fut ensuite tenu, assis- tèrent tous ceux qui avaient pris part au précédent et, de plus, les notaires du Siège npostolique et nos chers fils, les auditeurs des causes du Sacré-Palais. Tous y furent d'avis, dans le vote public, qu'il fallait canoniser le B. Ignace. Le Pontife convoqua donc tout son conseil, et, tressaillant de joie dans le Seigneur, il décida qu'il fallait mettre au rang des saints le B. Ignace en même temps que les BB. Isidore le laboureur et François Xavier.

La solennité de la canonisation fut fixée à la fête de saint Grégoire le Grand, le 4 des ides de mars, la deuxième année du pontificat de Grégoire XV. Ce Pontife demanda encore une fois des prières, des jeûnes et des aumônes afin d'obtenir, dans un si grand ouvrage, la lumière de Celui qui habite les clartés inaccessibles, et la grâce d'accroître par cet acte l'éclat de la gloire divine et la foi de l'Église catholique. Toutes les formalités prescrites par les traditions des SS. Pères, les règlements des saints canons et la coutume de l'Église ro- maine furent dûment et exactement remplies. Au jour fixé, le 4 des ides de mars, le même Grégoire XV vint à la basilique du Prince des apôtres avec les cardinaux, patriarches, archevêques, évêques, prélats ; et avec les officiers de sa maison privée; avec nos chers fils du clergé séculier et régulier et une grande foule de peuple. Notre cher fils, alors le sien, Louis, cardinal-prêtre Ludovisi, du titre de Sainte-Marie-Transpontine, répéta une première, une deuxième et une troisième fois la demande de canonisation au nom des susdits qui l'avaient instamment sollicitée. Après que l'on eut chanté les hymnes sacrées et les lita- nies, récité d'autres prières et imploré la grâce du Saint-Esprit, à l'honneur de la très sainte et indivisible Trinité, pour l'exaltation de la Foi catholique et l'accroissement de la religion chrétienne, de par l'autorité du Dieu Tout-Puis- sant, Père, Fils et Saint-Esprit et des BB. Apôtres, il décréta et définit qu'Ignace de Loyola, fondateur de la susdite Compagnie de Jésus, était saint et devait être inscrit et ajouté au catalogue des saints, comme il l'y inscrivit et ajouta en même temps c^ue les BB. Isidore, François, Philii)pe et Thérèse.

Il statua que tous les fidèles du Christ ])ouvaient élever en son honneur des églises et des autels l'on offrirait à Dieu le saint Sacrifice, et que, chaque année au jour de sa mort, la veille des calendes d'août, on pourrait célébrer sa fête et réciter son office à titre de confesseur non pontife, suivant les rubriques du Bréviaire romain.

De plus, de par la même autorité, aux fidèles de l'un et l'autre sexe qui, vrai- ment contrits et après s'être confessés, iraient visiter, au jour de sa fête, le sépulcre repose son corps, il accorda miséricordieusement dans le Seigneur la rémission d'un an et d'une cjuarantaine des pénitences, à eux enjointes, ou par eux encourues en quelque façon que ce soit ; et à ceux qui accompliraient cette même œuvre de piété au jour de l'octave, une indulgence de 40 jours.

Après le chant solennel du Te Deum, on implora la divine assistance par les mérites de saint Ignace et des autres saints canonisés avec lui, dans une prière composée à cet effet, et récitée pieusement et solennellement par Grégoire XV, notre prédécesseur. Puis le Pontife célébra avec pompe et suivant les rites de

APPENDICES. 427

l'Église le très saint sacrifice de la messe à l'autel du Prince des apôtres, en faisant la commémoraison des mêmes saints. Et, à tous les fidèles du Christ alors présents, il accorda la rémission et l'indulgence plénière de tous leurs péchés, à la gloire de Dieu et à l'honneur des saints.

Afin que l'on ne puisse avoir aucun doute sur la valeur du décret, de la défi- nition, inscription, agrégation, du statut, de la rémission, indulgence et de tout ce qui vient d'être énuméré, parce que la mort n'a point permis à Grégoire XV de le publier par lettres apostoliques, nous voulons, et en vertu de l'autorité apostolique, nous décrétons que ce décret, cette définition, inscription, agréga- tion, statut, rémission, indulgence et le reste obtiennent leur effet, à partir de ce jour du 4 des ides de mars, comme si des lettres apostoliques de Grégoire XV lui-même eussent été données là-dessus, suivant ce qui a été dit ; et que nos présentes suffisent pleinement et partout, sans qu'aucune autre approbation soit requise pour établir l'authenticité du décret, de la définition, inscription, agré- gation, statut, rémission, indulgence et du reste ci-dessus mentionné.

Au reste, comme nos présentes pourraient difficilement être portées partout il en serait besoin, nous voulons que leurs exemplaires même imprimés, signés de la main d'un notaire public et munis du sceau d'une personne consti- tuée en dignité dans l'Eglise, obtiennent partout la même créance que les pré- sentes, si elles étaient exhibées ou montrées.

Qu'aucun homme absolument n'ose enfreindre cette page de l'une et l'autre de nos volontés et de notre décret ou y contrevenir par une téméraire audace. Si quelqu'un avait la présomption de commettre un tel attentat, il encourrait, qu'il le sache bien, l'indignation du Dieu Tout-Puissant et de ses BB. apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, l'an de l'Incarnation du Seigneur M.DC.XXIII, le 8<^ jour des ides d'août, la première année de notre pontificat.

VIII. Constitution de N. S. P. le pape Pie VII, par laquelle la Compagnie de Jésus est ré- tablie, en son état ancien, par tout l'univers catholique.

P/E, Evcqiie^ serviteur des serviteurs de Dieu, pour en perpétuer le souvenir.

LA sollicitude de toutes les églises confiées par la disposition de Dieu à notre faiblesse, malgré la disproportion de nos mérites et de nos forces, nous impose le devoir de mettre en œuvre tous les moyens qui sont en notre pouvoir, et que la divine Providence, dans sa miséri- corde, daigne nous accorder, pour subvenir à propos, et sans aucune ac- ception de peuple, aux besoins spirituels de l'univers chrétien, autant que le permettent les vicissitudes multipliées des temps et des lieux.

Désirant satisfaire à ce que notre charge pastorale demande de nous, il n'est pas plus tôt venu à notre connaissance que François Kareu, alors vivant, et d'autres prêtres séculiers établis depuis plusieurs années dans l'immense empire de Russie, et autrefois attachés à la Société de Jésus, supprimée par notre prédécesseur Clément XIV, d'heureuse mémoire, nous suppliaient de leur donner, par notre autorité, le pouvoir de se réunir en corps, afin d'être plus en état, en vertu des lois particu- lières à leur Institut, d'élever la jeunesse dans les principes de la foi et de la former aux bonnes mœurs, de s'adonner à la prédication, de s'ap- pliquer à entendre les confessions et à l'administration des autres sacre- ments ; que nous avons cru devoir écouter leur prière. Nous l'avons fait d'autant plus volontiers, que l'empereur Paul I'^'", qui régnait alors, nous avait instamment recommandé ces mêmes prêtres par des lettres qui étaient l'expression de son estime et de sa bienveillance pour eux, et qu'il nous adressa, le ii août de l'an du Seigneur 1800, des lettres par lesquelles il déclarait qu'il lui serait très agréable que, pour le bien des catholiques de son empire, la Société de jÉSUS y fût établie par notre autorité.

C'est pourquoi, considérant attentivement l'extrême utilité qui en reviendrait dans ces vastes régions, presque entièrement destituées d'ou- vriers évangéliques, les grands progrès que de tels ecclésiastiques, dont les mœurs éprouvées avaient été la matière de tant d'éloges, feraient faire à la religion, par leurs travaux infatigables, par l'ardeur de leur zèle pour le salut des âmes, et par leur application continuelle à la pré- dication de la parole de Dieu ; nous avons pensé qu'il était raisonnable de seconder les vues d'un prince si puissant et si bienfaisant. En consé- quence, par nos lettres données en forme de Bref, le 7 mai de l'an du Seigneur 1801, nous accordâmes au susdit François Kareu, à ses com-

APPENDICES. 429

pagnons établis dans l'empire russe, et à tous ceux qui pourraient s'y transporter, la faculté de se réunir en corps ou congrégation, sous le nom de la Société de JÉSUS, en une ou plusieurs maisons, à la volonté du supérieur, et seulement dans les limites de l'empire de Russie ; et, de notre bon plaisir et de celui du Siège apostolique, nous députâmes, en qualité de supérieur général de ladite Société, ledit François Kareu, avec le pouvoir et les facultés nécessaires et convenables pour suivre et maintenir la règle de saint Ignace de Loyola, approuvée et confirmée par notre prédécesseur Paul III, d'heureuse mémoire, dans ses consti- tutions apostoliques ; et, afin qu'étant ainsi associés et réunis en une congrégation religieuse, ils pussent donner leurs soins à l'éducation de la jeunesse dans la religion, les lettres et les sciences, au gouvernement des séminaires et des collèges, et, avec l'approbation et le consentement des ordinaires des lieux, au ministère de la confession, de la parole sainte et de l'administration des sacrements, nous reçûmes la congré- gation de la Société de JÉSUS sous notre protection et la soumission immédiate du Siège apostolique ; et nous nous réservâmes à nous et à nos successeurs, de régler et d'ordonner ce qui, avec l'assistance du Seigneur, serait trouvé expédient pour munir et affermir ladite Congré- gation et pour en corriger les abus et les irrégularités, s'il s'y en intro- duisait : et, à cet effet, nous dérogeâmes expressément aux constitutions apostoliques, statuts, coutumes, privilèges et induits accordés et confir- més de quelque manière que ce fût, qui se trouveraient contraires aux dispositions précédentes, nommément aux lettres apostoliques de Clément XIV, notre prédécesseur, qui commencent par les mots Do- minus ac Rcdcmptor noster, mais seulement en ce qui serait contraire à nos dites lettres, en forme de bref, commençant par le mot CatlioUcœ^ et données seulement pour l'empire de Russie.

Peu de temps après avoir décrété ces mesures pour l'empire de Russie, nous crûmes devoir les étendre au royaume des Deux-Siciles, à la prière de notre très cher fîls en jÉSUS-CllRlST, le roi Ferdinand, qui nous demanda que la Société de JÉSUS fût établie dans ses Etats, com- me elle l'avait été par nous dans le susdit empire ; parce que, dans des temps si malheureux, il lui paraissait être de la plus haute importance de se servir des clercs de la Société de JÉSUS, pour former la jeunesse à la piété chrétienne et à la crainte du Seigneur qui est le commence- ment de la sagesse, et pour l'instruire de ce qui regarde la doctrine et les sciences, principalement dans les collèges et les écoles publiques. Nous, par le devoir de notre charge, ayant à cœur de répondre aux pieux désirs d'un si illustre prince, qui n'avait en vue que la plus gran- de gloire de Dieu et le salut des âmes, avons étendu nos lettres, données pour l'empire de Russie, au royaume des Deux-Siciles, par de nouvelles lettres, sous la même forme de bref, commençant par les mots Per alias, expédiées le trentième jour de juillet, l'an du Seigneur 1804.

430 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Les vœux unanimes de presque tout l'univers chrétien pour le rétablissement de la même Société de j]:sus, nous attirent tous les jours des demandes vives et pressantes de la part de nos vénérables frères les archevêques et évêques, et des personnes les plus distinguées de tous les ordres ; surtout depuis que la renommée a publié de tous côtés l'abondance des fruits que cette Société produisait dans les régions qu'elle occupait, et sa fécondité dans la production des rejetons qui promet- tent d'étendre et d'orner de toutes parts le champ du Seigneur.

La dispersion même des pierres du sanctuaire, causée par des ca- lamités récentes, et des revers qu'il faut plutôt pleurer que rappeler à la mémoire, l'anéantissement de la discipline des Ordres réguliers (de ces Ordres, la gloire et l'ornement de la religion et de l'Église), dont la réunion et le rétablissement sont l'objet de nos pensées et de nos soins continuels, exigent que nous donnions notre assentiment à des vœux si unanimes et si justes. Nous nous croirions coupables devant Dieu d'une faute très grave, si, au milieu des besoins si pressants qu'é- prouve la chose publique, nous négligions de lui porter les secours sa- lutaires que Uieu, par une providence singulière, met entre nos mains, et si, placés dans la nacelle de Pierre, sans cesse agitée par les flots, nous rejetions les rameurs robustes et expérimentés qui s'offrent à nous, pour rompre la force des vagues qui menacent à tout instant de nous engloutir dans un naufrage inévitable.

Entraînés partant et de si fortes raisons, par de si puissants motifs, nous avons résolu d'exécuter ce que nous désirions le plus ardemment, dès le commencement de notre Pontificat. A ces causes, après avoir imploré le secours divin par de ferventes prières et recueilli les suffrages et les avis de plusieurs de nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Église romaine, de notre science certaine, et en vertu de la pléni- tude du pouvoir apostolique, nous avons résolu d'ordonner et de statuer, comme en effet nous ordonnons et statuons, par cette présente et irrévo- cable constitution émanée de nous, que toutes les concessions faites et les facultés accordées par nous, uniquement pour l'empire de Russie et le royaume des Deux-Siciles, soient, de ce moment, étendues et re- gardées comme telles, comme de fait nous les étendons à toutes les par- ties de notre état ecclésiastique, ainsi qu'à tous autres états et domaines.

C'est pourquoi, nous concédons et accordons à notre cher fils, Thaddée Brzozowski, supérieur général actuel de la Société de JÉSUS, et à ceux qui seront légitimement députés par lui, toutes les facultés nécessaires et convenables, selon notre bon plaisir et celui du Siège apostolique, pour pouvoir librement et licitement, dans tous les états et domaines ci-dessus mentionnés, admettre et recevoir tous ceux qui demanderont d'être admis et reçus dans l'ordre régulier de la Société de Jésus ; lesquels réunis dans une ou plusieurs maisons, dans un ou plusieurs collèges, dans une ou plusieurs provinces, sous l'obéissance du

APPENDICES. 431

supérieur général en exercice, et distribués selon l'exigence des cas, conformeront leur manière de vivre aux dispositions de la règle de saint Ignace de Loyola, approuvée et confirmée parles constitutions aposto- liques de Paul III. Nous permettons aussi, et voulons qu'ils aient la faculté d'élever avec soin la jeunesse catholique dans les principes de la religion, et l'attachement aux bonnes mœurs, ainsi que de gouverner des séminaires et des collèges, et, avec le consentement et l'approbation des ordinaires des lieux dans lesquels ils pourront demeurer, d'entendre les confessions, de prêcher la parole de Dieu, et d'administrer les sacre- ments librement et licitement. Nous recevons dès à présent les maisons, les provinces et les membres de la dite Société, ainsi que ceux qui pour- ront à l'avenir s'y associer et s'y aggréger, sous notre garde, sous notre protection et obéissance, et celle du Siège apostolique ; nous réservant et réservant à nos successeurs les Pontifes Romains, de statuer et de prescrire ce que nous croirons expédient pour établir et affermir, de plus en plus, la dite Société, et réprimer les abus, si ce qu'à Dieu ne plaise, il s'y en introduisait.

Nous avertissons et exhortons de tout notre pouvoir, tous et cha- cun des supérieurs, préposés, recteurs, associés et élèves quelconques de cette Société rétablie, à se montrer, constamment et en tout lieu, les fidèles enfants et imitateurs de leur digne père et d'un si grand institu- teur ; à observer avec soin la règle qui leur a été donnée et prescrite, et à s'efforcer de tout leur pouvoir de mettre en pratique les avis utiles et les conseils qu'il a donnés à ses enfants.

Enfin, nous recommandons dans le Seigneur, à nos chers fils en Jésus-Christ, aux personnages illustres et nobles, aux princes et aux seigneurs temporels, ainsi qu'à nos vénérables frères les archevêques et évêques, et à toute personne constituée en dignité, la Société de JÉSUS et chacun de ses membres, et nous les exhortons et prions de ne pas permettre, ni souffrir que personne les inquiète ; de les recevoir au con- traire, comme il convient, avec bonté et charité.

Nous voulons que les présentes lettres et tout leur contenu demeurent perpétuellement fermes, valides et efficaces ; qu'elles aient et sortissent leur plein et entier effet,et soient inviolablement observées en tout temps et par tous ceux qu'il appartiendra, et qu'il soit jugé et statué confor-, mément à icelles, par tout juge revêtu d'un pouvoir quelconque ; décla- rons nul et de nul effet tout acte à ce contraire, de quelque autorité qu'il émane, sciemment ou par ignorance.

Nonobstant toutes constitutions et ordonnances apostoliques,et notam- ment les lettres susdites en forme de bref de Clément XIV, d'heureuse mémoire, commençant par les mots Doininus ac Redeiiiptor iwsier, expédiées sous l'anneau du Pêcheur, le vingt-unième jour de juillet de l'an du Seigneur 1773, auxquelles, comme à toutes autres contraires, nous dérogeons expressément et spécialement à l'effet des présentes.

432

HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Nous voulons toutefois que la même foi soit ajoutée, soit en justice, soit ailleurs, aux copies collationnées ou imprimées, souscrites par un notaire public, et revêtues du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, qu'aux présentes mêmes si elles étaient exhibées ou montrées.

Qu'il ne soit donc permis à personne d'enfreindre ou de contredire, par une entreprise téméraire, la teneur de notre ordonnance, statut, ex- tension, concession, induit, déclaration, faculté, réserve, avis, exhortation décret et dérogation, et, si quelqu'un ose le tenter, qu'il sache qu'il en- courra l'indignation du Dieu tout-puissant, et des bienheureux apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, l'an de l'Incarnation de Notre-Seigneur 1814, le 7 des ides d'août, et de notre Pontificat le quinzième.

IX. Nouvelle confirmation de l'Institut et de ses privilèges par Léon XI IL

Léon XIII, pape, pour en perpétner le soîivenù'.

UNE douleur entr'autres, dans nos temps si troublés, oppresse notre âme : les familles religieuses des Ordres réguliers sont en butte aux injures et à la persécution. Cependant, elles furent établies par de très saints personnages, et elles sont pour l'Église une force et un ornement, pour la société civile un puissant secours ; elles ont de tout temps rendu les meilleurs services à la religion, aux arts, à la sanctification des âmes. Aussi, saisissons-nous avec bonheur l'occasion qui nous est offerte de rendre à ces mêmes familles religieuses la gloire qui leur revient de plein droit, et de montrer au grand jour et à la face de tous la bien- veillance dont nous les entourons, comme le firent nos prédécesseurs.

Nous avons appris que, depuis plusieurs années, une nouvelle édition de l'ouvrage intitulé : Institut de la Compagnie de y/isus, avait été entre- prise ; que notre cher fils Antoine-Marie Anderledy, vicaire-général de cette même Compagnie de JÉSUS, avait à cœur d'en poursuivre active- ment l'exécution ; qu'il manquait encore à l'ouvrage le livre oh sont réunies les lettres apostoliques données à la susdite Compagnie, à son Fondateur saint Ignace et aux autres généraux. Nous avons résolu de mettre à profit cette occasion de donner à la Compagnie de JÉSUS, en reconnaissance des services signalés qu'elle a rendus à l'Eglise et à la société,une preuve de notre bienveillance.

C'est pourquoi nous approuvons, nous louons l'édition du susdit ouvrage, entreprise à l'honneur et pour l'utilité de cette même Compa- gnie ; nous désirons qu'elle soit continuée et menée à bonne fin. Pour rendre encore plus évidente notre bienveillance envers la Compagnie de Jésus, nous confirmons toutes et chacune des lettres apostoliques ayant pour objet l'érection, l'institution et la confirmation de la Com-. pagnie de JÉSUS et données par nos prédécesseurs les Pontifes Romains, depuis Paul 111, d'heureuse mémoire, jusqu'à nos jours, soit par Bulle, soit en forme de Bref. Nous confirmons toutes choses qui y sont conte- nues ou en découlent, tous et chacun des privilèges accordés à la même Compagnie, soit directement, soit par communication avec les autres Ordres réguliers, pourvu qu'ils ne soient pas contraires à ladite Compa- gnie et qu'ils n'aient pas été abrogés ou révoqués, en tout ou en partie, par le concile de Trente ou par les autres constitutions du Siège apostolique. Ces privilèges,immunités,exemptionset concessions, nous les confirmons, nous les fortifions de toute la force de l'autorité apostolique, nous les concédons de nouveau.

Histoire de S. Ignace de Lojola. II. 28

434 HISTOIRE DE SAINT IGNACE DE LOYOLA.

Pour cette raison, nous déclarons stables, valides et efficaces, dans le présent et l'avenir, nos présentes lettres ; nous voulons qu'elles reçoi- vent et obtiennent leurs pleins effets, sans restriction, enfin qu'elles servent, maintenant et toujours, à qui de droit. Nonobstant les lettres apostoliques de Clément pape, quatorzième du nom, commençant par ces mots : Doiniiius ac Redeinptor, expédiées en forme de Bref, le 21'"^ jour de juillet de l'an 1773, et toutes autres, en opposition avec les présentes, quand même elles demanderaient une mention et dérogation spéciale et individuelle. A tous ces actes et à chacun nous dérogeons spécialement, expressément, autant qu'il est nécessaire à l'effet de nos concessions.

Que nos lettres rendent témoignage de l'amour que nous avons porté et que nous portons à l'insigne Compagnie de JÉSUS, toujours si dévouée à nos prédécesseurs et à nous-même, mère féconde d'hom- mes aussi remarquables par la sainteté que par la science, source de solide et saine doctrine ; même quand elle est le plus cruellement per- sécutée pour la justice, jamais elle ne ralentit son labeur; toujours d'un cœur joyeux et invincible elle cultive la vigne du Seigneur. Qu'elle continue donc cette Compagnie de JÉSUS si pleine de mérites, recom- mandée par le concile de Trente lui-même, comblée des plus beaux éloges par nos prédécesseurs ; qu'elle continue, tandis que les méchants se déchaînent avec tant de violence contre l'Église de Jésus-Christ, à poursuivre la fin de son Institut, la plus grande gloire de Dieu et le salut éternel des âmes ; qu'elle continue, au moyen de ses saintes expé- ditions, à conduire ou à ramener à la lumière de la vérité les infidèles et les hérétiques, à façonner la jeunesse aux vertus chrétiennes et aux beaux-arts, à enseigner les sciences philosophiques et théologiques, selon l'esprit du Docteur angélique. Enfin, embrassant très affectueusement notre très aimée Compagnie de JÉSUS, nous accordons au Général de cette même Compagnie, à son Vicaire et à chacun de ses enfants la bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, sous l'anneau du pêcheur, le 13™^ jour de juillet 1886, la neuvième année de notre Pontificat.

M. Card. Ledochowski.

X. PÈRES GÉNÉRAUX de la Compagnie de Jésus.

NOMS ET PRENOMS.

DATE DE

CONGRÉG.

DATE DE

L'ÉLECTION.

GÉNÉRALES

LA MORT.

AGE.

ig avril 1541

31 juil. 1556

65 ans

2 juil. [558

I.

19 janv. 1565

53 »

2 juil. 1565

II

I oct. 1572

62 »

23 avril 1573

III

I août 1580

66 »

19 févr. 1581

IV, V, VI

31 janv. 161 5

72 »

25 nov. 1615

VII

9 fév. 1645

82 »

7 janv. 1646

VIII

8 juin 1649

65 »

21 déc. 1649

IX

17 juin 1651

69 »

21 janv. 1652

X

12 mars 1652

57 »

17 mars 1652

31 juil. 1664

82 »

7 juin 1661

XI

26 nov. 1681

81 »

5 juil. 1682

XII

12 de'c. 1686

71 »

6 juil. 1687

XIII, XIV

27 oct. 1705

84 »

31 janv. 1706

XV

28 fév. 1730

82 »

20 nov. 1730

XVI

19 nov. 1750

77 »

4 juil. 1751

XVII

4 mm 1755

73 »

30 nov. 1755

XVIII

2 oct. 1757

69 »

21 mai 1758

XIX

23 nov. F775

73 »

17 oct. 1782

I Pol.

18 juil. 1785

57 »

2 oct. 1785

II Pol.

10 nov. 1798

I fév. 1799

III Pol.

II août 1802

22 oct. 1802

IV Pol.

7 avril 1805

14 sept. 1805

V Pol.

5 fév. 1820

71 >

18 oct. 1820

XX

27 janv. 1829

81 »

9 juil. 1829

XXI

8 mai 1853

68 »

2 juil. 1853

XXII

4 mars 1887

9.3 »

24 sept. 1883

XXIII

18 janv. 1892

75 »

2 oct. 1892

XXIV

1 s. Ignace de Loyola

2 Jacques Laynez

3 S. François de Borgia

4 Éverard Mercurian

5 Claude Aquaviva

6 Mutius Vitelleschi

7 Vincent Carafa ,

8 François Piccolomini

9 Alexandre Gottifredi

10 Goswin Nickel

11 Jean-Paul Oliva *

12 Charles de Noyelle

13 Thyrse Gonzalez

14 Micliel-Ange Tamburini

15 François Retz

16 Ignace Visconti

17 Louis Centurione

18 Laurent Ricci

Stanislas Czerniewicz, vic.gén. Gabriel Lenkivvicz, vie. gén. François Xavier Kareu,wV.^;^/;/. Gabriel Grûber, vie. gcn.

19 Thaddée Brzozovvski

20 Louis Fortis

21 Jean Roothaan

22 Pierre Beckx

23 Antoine- Marie Anderledy *

24 Louis Martin

Élu vicaire général avec future succession.

:;:— Table Des ffîatîères. :!:—

LIVRE QUATRIEME.

Chapitre J'Ri:mikk. Accord de vues entre saint Ignace, saint François Xavier et Simon Rodrigucs, sur l'expulsion des sujets. Forme monarchique et oligarchi([ue tout à la fois donnée à la Compagnie. L'obéissance est la marque distinctive de la Société de JÉSUS

Chapitre dkuxu-.me. Union fraternelle entre les membres de la Compa- gnie. — Saint Ignace défend à son Ordre d'accepter les dignités. Sa fermeté à maintenir la règle à cet égard. Motifs qui ont fait adopter cette règle. Vœu simple des profès appelés à occuper une prélature, Explication et justification de ce vœu

Chapitre troisième. Saint Ignace modèle dans l'art du gouvernement. Prudence admirable et entier abandon à Dieu tout à la fois. Empire de saint lo-nace sur tous les mouvements de son âme. - Sa conduite à l'égard des novices. Sa circonspection dans le choix des personnes qu'il voulait employer. Estime et tendresse qu'il témoignait à ses disciples

Chapitre quatrième. Soins d'Ignace pour tous les siens et surtout pour les n-.alades. Divers exemples de son habileté et de son adresse pour aider ses enfants dans leurs besoins spirituels, et pour les soutenir dans leurs ten- tations

Chapitre cinquième. Zèle d'Ignace pour maintenir la discipline religieuse. Sa scrupuleuse justice à l'égard de ses meilleurs amis. Son antipathie pour les nouveautés. Comment Ignace défendait l'honneur de la Compa- gnie.— Moyens dont il se servait pour former de bons supérieurs

Chapitre sixième. Vertus des saints difficiles à décrire et à faire bien com- prendre. — Humilité de saint Ignace et ses sentiments sur cette vertu. 11 veut abdiquer son pouvoir. Soins qu'il prenait pour cacher les faveurs célestes dont Dieu le comblait. Révélation de la bienheureuse Marie-Ma- deleine de Pazzi. Fragments de notes de saint Ignace. Son humilité à ses derniers moments

Chapiire septième. Perfection de l'obéissance chez Ignace. Pratique de la pauvreté évangélique. Sentiments de gratitude pour les bienfoits. Nouveaux exemples de l'empire que saint Ignace exerçait sur lui-même

Chapitre huiiikme. Extérieur et démarche de saint Ignace.— Importance qu'il donnait au maintien. Règles établies à ce sujet. Circonspection du Saint, dans ses paroles, dans ses écrits et dans la direction des affaires. Sa conduite était une image de I'Imitaiion de Jésus-Christ. Son influence sur ceux qui l'entouraient. \'aleur du renoncement. Difficulté d'apprécier les vertus intérieures des saints

LIVRE CINQUIÈME.

Chapitre premier. Coup-d'œil sur le fruit des œuvres fondées par saint Ignace. Compte-rendu des différentes missions. Lettre de saint Ignace aux scolastiques de Coïmbre

20

43

63

11

97

H3

129

140

TABLE DES MATIERES. 437

Chapitre deuxième. Œuvres établies par saint Ignace, pour le bien des âmes, particulièrement à Rome. Maisons des catéchumènes juifs. Fon- dation d'un refuge pour les femmes de mauvaise vie. Établissement du collège des Allemands. Courage et constance de saint Ignace dans toutes ses entreprises. Autres bonnes Œuvres 159

Chapitre troisième. Efforts inutiles des hérétiques, pour pénétrer dans la Société et en changer le caractère. Succès de saint Ignace contre les héré- tiques. — Son zèle pour la conversion de l'Angleterre. Sa confiance sans bornes dans la Providence, dont l'appui se manifeste dans plusieurs circon- stances 173

Chapitre quatrième, Moyens particuliers dont saint Ignace se servait pour vivre en Dieu et pour purifier sa conscience- Le livre de quatorze lignes. Amour ardent dont le Saint était embrasé pour Dieu. Don des larmes. Passion pour la musique et les fleurs. Extraits d'un journal au- quel saint Ignace confiait ses plus secrètes pensées 185

Chapitre cinquième. Saint Ignace désire la mort pour être réuni à Dieu.

Affaiblissement graduel de ses forces. La tâche de saint Ignace était accomplie sur la terre. Ses derniers moments racontés par un témoin ocu- laire. — Deuil général que cause la mort du Fondateur de la Société de JÉSUS.

Témoignages extraordinaires de vénération qu'il reçoit pendant sa vie et après sa mort 202

Chapitre sixième. Maximes de spiritualité et de gouvernement de saint Ignace. Circonstances qui suivirent sa mort. Baronius et Bellarmin. Miracles et canonisation du Saint 233

Chapitre septième. Récits de divers miracles opérés par saint Ignace pendant sa vie et après sa mort 260

NOTES.

Livre quatrième 3^3

Livre cinquième 33^

APPENDICES.

I. Chronologie de l'histoire de saint Ignace 373

IL Généalogie de la famille de Loyola 383

III.- Comment fut fait le portrait de notre Père saint Ignace. Pour quels

motifs le P. Ribadeneira l'ordonna 383

IV. Du nom de JÉSUS et des sceaux de saint Ignace 389

V. Journal de saint Ignace pendant 40 jours 392

VI. Bulle du Pape Paul III approuvant la Compagnie de JÉSUS 413

VIL Bulle d'Urbain VIII, pour la canonisation de N. P. S. Ignace de

Loyola, célébrée par Grégoire XV 418

VIII. Constitution de N. S. P. le Pape Pie VII, par laquelle la Compagnie

de JÉSUS est rétablie, en son état ancien, par tout l'univers catholique. 428

IX. Nouvelle confirmation de l'Institut et de ses privilèges par Léon XIII. 433

X. Pères Généraux de la Compagnie de JÉSUS 435

.1.

•I*

INDEX.

I. Noms géographiques.

Abyssinie, tom. II, page 25.

Afrique, I, 145.

Alcala, I, 1 00-115 j II> 205.

Almanza, I, 145, 200.

Altieri, place, II, 171,

Ancône, I, 219.

Angleterre, I, 121 ; II, 178.

Anvers, I, 121, 372 ; II, 178, 364, 365.

Apennins, I, 203.

Aranzazu, Notre-Dame d', I, 344, 345.

Arbois, II, 265.

Arassio, II, 261.

Arevalo, I, 338.

Arezzo, II, 33 1- Arone, I, 387. Ascoitia, I, 18. Azpeïtia, I, 18, 193, 394. Avignon, II, 291. Auson, II, 350.

Bagnarea, I, 257.

Barcelone, I, 78, 91-99; II, 18, 277.

Bassano, I, 223, 225 ; 11,329, 3S7.

Bayonne, I, 393.

Bethléem, I, 85

Biscaye, I, i.

Bologne, I, 229. 23^, 245. Bordeaux, I, 387. Bourgogne, II, 265. Brescia, I, 257. Bucella, I, 14C. Burgos, II, 318.

Cangoxima, II, 216.

Cantabrie, I, i.

Cassin, 7vir Mont Cassin.

Cazorla, II, 292.

Chartres, II, 335.

Chioggia, I, 81.

Chypre, I, 83, 88.

Cochin, II, 4.

Coïmbre, collège de, I, 277, 315 ; II, 5,

145- Collège Germanique, II, 165, 342-344. Collège Romain, II, 49,67, 87, 351.

' Cologne, II, 272. Condom, II, 296. Constance, I, 214. Cordoue, I, 391 ; II, 313. Cracovie, 1, 385. Corse, II, 60.

Dole, II, 265. Digne, I, 387.

Ecosse, II, 271,319.

Ethiopie, II, 25, 34, 39, 82, 89,

Faenza, II, 205.

Flandre, I, 120, 37 i ; II, 2 15, 258, 336.

Foligno, I, 397.

Frascati, I, 247.

Furnes, II, 353.

Gaëte, I, 80, 366.

Candie, collège de, II, 16, 270.

Gênes, I, 89, 91, 203 ; II, 57, 360.

Gesù, église du, II, 256, 36S.

Goa, II, I, 333.

Grotte de Manrèse, I^ 27, 77, 351.

Guadiana, II, 294.

Guipuzcoa, I, I.

Hôpital d'Antezana, I, 104. Hôpital des Incurables, I, 2(7, 228. Hôpital Saint-Jacques, I, 120. Hôpital .Saint-Jean, I, 221; II. 171. HôpitalSaint Jean et Saint-Paul, I, 217,

399- Hôpital Sainte-Lucie, I, 24, 77, 349. Hôpital Sainte-Marie- Madeleine, I, 195.

Illercas, II, 314.

Indes, I, 2 ; II, i, 139, 145, 216, 250,

297- Irlande, II, 319. Iturriotz, I, 394.

Jaffa, I, 84.

Japon, I, 160, 325 ; II, 216, 217.

INDEX.

439

Jérusalem, I, 84-88, 154.

Lanzo, II, 301.

Latran, Saint-Jean de, II, 196.

Lecce, I, 390.

Lérida, II, 278.

Lieux-Saints, voir Jérusalem.

Lille, II, 357.

Lima, II, 273, 361.

Lisbonne, I, 409 ; II, 6.

Lombardie, I, 203.

Londres, II, 178.

Loano, II, 261.

Lorette, I, 220; II, 53, 274.

Louvain, I, 212, 398, 399; II, 248, 286.

Loyola, I, i, 7, 17, 18, 194200,343;

II, 218. Luxembourg, II, 347.

Macerata, II, 366.

Majorque, II, 297.

Malines, II, 364.

Manille, I, 391 ; II, 284.

Manrèse, I, 23-39, 75> 76,347-356; II,

293. 347- Margana, place, I, 251. Meaux, I, 398. Medina-del-Campo, I, 121. Melangolo, I, 25 i. Messine, II, 21. Metz, I, 397. Mezzenile, II, 301, 370. Mexique, II, 294. Modène, II, 266. Monfelice, I, 222. Monomotapa, I, 325. Mont des Oliviers, I, 86, 87. Montaigu, collège de, I, 120. Mont-Cassin, 1,55, 71, 73, 230; II, 133. Montepulciano, I, 397. Monticolo, II, 362. Montserrat, I, 20, 22, 37, 346. Munébréga, II, 284, 368. Munich, II, 282.

Navarre, I, 6, 138. Navarette, I, 17, 20. Néronde, I, 387. Nicolas-de-Port, voir Saint. Notre-Dame d'Aranzazu, I, 344, 345.

Notre-Dame-des-champs, I, 189, 380. Notre-Dame-de-Montserrat, église de,

I, 238.

Notre-Dame de la Storta, I, 235, 402. Notre-Dame de la Strada, I, 187, 389 ;

II, 367-

Notre-Dame de Viladordis, I, 350.

Onaz, I, I, 17. Ondarroa, I, 335. Ostrog, II, 279.

Padoue, I, 81, 229 ; II, 102, 129, 223.

Parapelune, I, 6.

Pardos, II, 265.

Paris, I, 3, 119-159, 193, 206, passim.

Porto, II, 313.

Quito, II, 274.

Ratisbonne, I, 54, 56.

Ravenne, I, 73, 219, 400.

Rome, I, 80, 235-273, 401-403; II. ^Zi

140, 160, passim. Rouen, I, 125.

Sainte-Agathe de Sorbera, II, 268. Saints-Anges, monastère des, I, 95. Sainte-Barbe, collège de, I, 126, 134,

^39- Sainte-Catherine, église de, I, 250.

Sainte-Catherine, II, 162.

Saint-Celse, église de, I, 238.

Saint-Jean de Latran, II, 183.

Saint-Jérôme, couvent de, I, 95.

Saint-Laurent in Damaso, église de, I,

238. Saints-Lieux, voir Jérusalem. Saint-Louis des Français, église de, I,

233> 238. Sainte-Lucie, église de, I, 233, 238. Sainte-Madeleine, couvent de, II, 163. Sainte-Marie-Majeure, église de, I, 222,

401. Sainte-Marthe, couvent de, II, 162, 340. Saint-Michel, église de, I, 238. Saint-Nicolas-de-Port, I, 213. Saint-Omer, II, 178. Saint-Pierre in montorio, église de, I,

267, 269.

440

INDEX.

Saint-Pierre in vanello, monastère de,

I, 402. Saint-Sauveur, église de, I, 238. Saint-Vit, I, 223, 225. Salamanque, I, 11 5-1 19. Sancian, II, i. San-Luis de Potosi, II, 297. Santa Maria del Mar, I, 93. Sarïana, I, 358. Saxe, I, 169. Ségorbe, I, 200. Séville, II, 178, 282. Sézanne, II, 322. Sienne, I, 229 ; II, 348. Sobreroca, I, 355. Sorbonne, II, 133. Spire, I, 54.

Storta, 7wV Notre-Dame. Strada, l'oir Notre-Dame. Stowertoncastle, II, 348.

Tanor, II, 4.

Terre-Sainte, voir Jérusalem.

Tivoli, I, 255. Tolède, I, 145, 200, 258. Tort, croix du, I, 35, 353. Tortore, II, 302. Trapani, II, 223. Trente, II, 45, 46, 317. Trévise, I, 223. Trieste, II, 26, 45.

Valence, I, 200, 203, 258, 396.

Valladolid, I, 146, 370 ; II, 178.

Venise, I, 82, 89, 155, 204-218, 396.

Vergara, II, 305.

Vérone, II, 329.

Vicence, I, 222, 224, 227, 233.

Vienne, II, 26.

Viladordis, I, 25, 27, 350.

Viseu, I, 146, 248; II, 355.

Vitoria, II, 368.

Wartbourg, I, 3. Worms, I, 3, 54, 257. Wurtzbourg, II, 298.

INDEX.

II. Principaux personnages, mentionnés dans l'histoire de

saint Ignace.

Adriani, lom. I, page 57 ; II, 248, 364.

Adrien VI, I, 81.

Adorno, François, I, 57, 361.

Aguilar, marquis d', II, 105.

Alarcio, Martin, I, rgô.

Albert le Grand, I, 105.

Alcantara, Jacques d', I, 97.

Alexandre IV, I, 164.

Alexandre VII, I, 71.

Alexandrino, cardinal, II, 39.

Algaza, Simona d', I, 199.

Allen, Guillaume, I, 289.

Almario, François,!, 196.

Altarriba, Antonio d', I,2oi.

Alvarez, Balthazar, I, 165, 183.

Alvarez de Tolède, cardinal, I, 64.

Alviio, 11,167.

Ambroise, saint, I, 325.

Amigant, I, 38, 355.

Anchieta, Joseph, I, 188,390.

Andrada, voir Payva.

Androzzi, Fulvio, II, 220, 362.

Ange, saint, II, 108.

Antoine, ermite, I, 148, 223-227; II,

254,387- Aquaviva, Claude, 1,69; II, 256, 257.

Arabaeza, Balthazar, I, 394.

Aragon, Catherine d', II, 177.

Aragon, Jeanne d', II, 168, 346.

Aragona, Pierre, I, 58.

Araoz, Antoine, I, 103, 187 ; II, 18,

305- Arcé, André de, I, 104.

Arcé, Jérôme, II, 121.

Archinti, Philippe, I, 64.

Ardebalo, Jérôme, I, 91.

Arnauld, I, 165, 322.

Arnemis, Rainholde d', I, 260.

Arriaga, I, 100, 123.

Aspilcueta, I, 395.

Aspilcueta, Marie d', 138.

Astalli, Jérôme, II, 125.

Auger, Edmond, II, 322.

Augsbourg, cardinal d', II, 47, 230.

Augustin, saint, I, 114, 179, 323, 336;

II, 21, 180. Aupolino, Philippe, II, 215. Avellaneda, I, 250.

Avila, Jean d', I, 57, 67 ; II, 93, 227. Azevedo, Catherine d', I, 146.

Badia, Thomas, I, 255.

Balda, I, i

Baronius, cardinal, II, 257.

Barradas, Sébastien, I, 188, 391.

Barrera, ï, 241, 250.

Barreto Nunès, I, 18S ; II, 33, 34, 89,

313' Bastida, I, 199.

Barzée, Gaspard, II, i, 205.

Baudouin, Angelo, II, 70.

Bellarmin, cardinal, II, 15, 257, 304.

Belmudès, Jean, II, -^^

Bendil, Bernardine, II, 284.

Bernard, Père, II, 216.

Bernard, Frère, II, 56, 216.

Bernard, saint, II, 60, 190.

Bernardina, II, 255.

Bertrand d'Onaz, I, 337.

Bobadilla, Nicolas, I, 146, 176,223,

229, 238, 255, 257, 264, 376; 11,-66,

117, 131, 181, 217, 225.

Bogudos, Isabella de, I, 97.

Bonaventure, saint, I, 164.

Bondinari, Jérôme, II, 267.

Bonis, Frère, II, 17.

Borelli, Jean-Baptiste, II, 84.

Borgia, saint François de, I, 65, 1 1 r,

•83, 330, 345 ; II> M, 27, 167, 170,

206, 2j8, 242, 291, 311. Borromée, saint Charles, I, 57, 165. Bouet, Nicolas, I, 202. Broët, Paschase, I, 61, 207, 222, 229,

257> 263, 397; II, 90, 205.

Cacerès, Cacrès, Jacques de,I,ioo, 109,

123, 368, 372. Cajétan, Constantin, I, 73.

442

INDEX.

Calixte, I, loo, 112, ii6.

Calvin, I, 2, 3,339.

Cambilon, 1,17 i.

Camerino, Paul, II, 4.

Canisius, B. Pierre,!, 186, 260, 387; II,

26, 134.

Cano, Melchior, I, 63, 362 ; II, 92.

Carafa, cardinal, I, 218, 238.

Cardini, Jean, I, 382, 417.

Cardona, évêque de Vich, I, 77.

Carneyro, Melchior, II, 39,315.

Carpi, cardinal, II, 164. 167, 341.

Carrasco, Michel, I, 103.

Casalini, Isabella, I, 232.

Casalini, Jérôme, I, 232.

Castello, Laurent, II, 162.

Castille, Pierre de, I, 241, 250^11, 258,

337- Castro, Jean de, I, 123, 124, 200, 201. Catherine d'Aragon, I, 121 ;II, 177. Cavalla, II, 119. Cazador, Jacques, I, 393. Cepilla, I, 79, 365. Chanones, I, 21, 37, 72, 166,346. Charles-Quint, I, 3,6, 20, 208, 221; II,

27, 168.

Chemnitz, Martin, II, 166. Christophe Colomb, I,. 3. Chrysostome, saint Jean, I, 418; II, 53,

138, 188. Cicéron, II, 276. Ciruelos, Pierre, I, m. Cisneros, Garcia, I, 71. Clément VIII, II, 258, 2S7. Codée, Jean, I, 56. Codace, Pierre, I, 389; II, 120. Codure, Jean, I, 176, 207, 223, 229,

230,238, 269, 412. Coello, Alphonse Sanchez, 11,384. Colombin, saint Jean, I, 11, 342. Colonna, Ascagne, II, 168, 346. Contarini, cardinal, I, 55, 258,405; II,

119. Conte, Jacques del, II, 213. Conversini, cardinal, I, 242, 248. Coster, François, II, 239, 291,364. Coton, Pierre, I, 186, 384. Crescenzi, Jacques, II, 162. Criminale, Antoine, II, 204, 205. Crivelli, M^r Alexandre, II, 66, 213,

388.

Croce, Jean, II, 183. Cuadrado, Pierre, I, 121, 371. Cueva, cardinal de la, II, 27. Cupis, cardinal de, I, 243.

Daorta, Laurent, I, 193. Doctis, Gaspard de, I, 245. Domenech, Jérôme, I, 49 ; II, 223,

225.

Echius, I, 290.

Eguia, Etienne d', I, 204, 369.

Eguia, Jacques d', I, 204, 369, 405; II,

82, 107, III, 164, 34[. Eguibar, Jean de, I, 194. Ennodius, II, 129. Enriquez, Teresa, I, 112. Erasme, I, 367.

Etienne, roi de Pologne, II, 142. Estraschi, Jérôme, II, 270.

Fabrice, II, 255.

Fadré, Thomas, I, 77.

Falconi, Jérôme, II, 277.

Farnèse, Alexandre, cardinal, II, 256.

Ferdinand 1er, jj^ 26, 143, 230, 259,

Ferdinand, roi d'Espagne, I, 4.

Ferrare, duc de, II, 248.

Ferrier, saint Vincent, I, 262.

Figuera, Jean de, I, 260.

Figueroa, I, 109, 113, 245.

Filonardi, Ennius, cardinal, I, 256.

Foix, André de, I. 6.

Fonseca, Alphonse, I, 115.

Fontana Livea, Louise, II, 266.

Fontani, Jérôme, II, 267.

Foscarari, Gilles, Mgr, I, 48, 64.

Fragus, docteur, I, 393.

François I, I, 208, 331.

Frédéric III, I, i.

Frias, I, 117.

Frusius, André, I, 64; II, 143, 210,

335-

Gallomio, Antoine, II, 225. Galvanelli, André, II, 88. Garcia, Martin, I, 195, 199, 395. Garzonio, Quirino, I, 243. Géminien, saint, II, 268. Gigli, Marguerite, II, 214, 358. 1 Gillabos, II, 265.

INDEX.

443

Gisola, II, 302.

Gomez, Antoine, II, 3, 303.

Gonçalvès, Gilles, I, 146.

Gonçalvès Louis, I, 51, 329, 335 ; II,

56, 60, 73, 82, m, 133, 136, 170,

182, 193, 219, 323, 383.

Gonzalez, Gilles, I, 165,

Gonzague, saint Louis de, I, 188.

Govea, I, 127.

Gralla, Guiomar, I, 97.

Grassi, Pierre, II, 282.

Grégoire de Nazianze, I, 165, 183, 306;

II, 38, 43, 44, 77. Grégoire XIII, I, 163, 284, 287, 292,

293> 299, 301, 313, 315, 319 ; II,

29. 39, 41. 166, 344. Grégoire XIV, I, 294 ; II, 39. Grégoire XV, 1,159,178, 301; II, 140,

258, 259, 260. Grenade, Louis de, I, 57,184; II, 227,

260. Gretzer, Jacques, I, 168. Gritti, André, I, 83. Groppelli, Gaspard, I, 225. Guadford, Guillaume, II, 295. Guidiccioni, cardinal, I, 256, 257. Guidoni, Paul, II, 266. Guttan, François, II, 63. Guttierez, Martin, I, 186,388. Guzman, Jacques de, II, 386.

Hasenmuller, I, 165, 289.

Henri, cardinal, I, 63.

Henri II, I, 170.

Henri IV, I, 308, 320, 385 ; II, 142,

258. Henri VIII, I, 2, 3, 156, 221 ;II, 177. Henri d'Albret, I, 6. Hercule, duc de Ferrare, I, 245. Hessel, I, 290. Hilaire, saint, II, 195. Hosius, cardinal, I, 289, 290. Hospinien, Rodolphe, I, 165. Hozès, Jacques, I, 205, 22^, 229, 230.

Ibarbagli, Paola, II, 294. Ignace de Loyola, saint, passim. Inigo, l, 337. Innocent III, II, 168. Innocent IV, I, 164.

Innocent VIII, I, i. Isidore, I, 248.

Jassi, I, 13S.

Jean, I, 100, 123.

Jean III de Navarre, 1, 139.

Jean III de Portugal, I, 128, 176, 209,

257 ;II, 22, 230. Jean, prêtre, II, 168. Jean-Baptiste, Frère, II, 295. Jérôme, II, 270. Jérôme, saint. I, 228, 233. Joachim, abbé, I, 261, 410. Josa, Isabelle de, I, 97. Jules II, I, 305. Jules III, I, 178, 287, 293, 305 ; II, 25,

26,90, 165, 166, 167, 229.

Kessel, Léonard, II, 234, 272, 369.

Lancicius, Nicolas, II, 356.

Landini, Sylvestre, I, 49, 358, 416.

Lanoy, Nicolas, I, 413 ; II, 192, 353.

Lasso, Diego, II, 26.

Laynez, Christophe, I, 327.

Laynez, Jacques, I, 54, 67, 145, 177, 190, 211, 214, 222, 224, 225, 229, 236, 238, 263, 281, 374 ; II, 29, 34,

39. 44, 45, 79, 9°, 1°°. i03, lo?. i M, 116, 127, 130, 170, 177, 194, 195,

208, 209, 219, 223, 225, 231, 247,

317- Ledesma, Jacques, i, 188,391.

Lermée, Gabriel, I, 53, 62, 165, 288.

Le Fèvre, B. Pierre, I, 49, 54, 56, 61, 67, 121, 132-138, 139, 206, 222, 224, 229, 236, 238, 256, 257, 264, 372, 373 ; II, 61, 82, 86, 100, 219, 252, 310.

L'Host, Jacques, II, 144.

Liévin, Valentin, I, 191.

Lipomani, André, II, 122.

Lisano, I, 98, 368.

Le Jay, Claude, I, 54, 207, 223, 229,

231, 238, 245, 263, 408; II, 26, 47,ï77» 2 1 7.

Loarte, Gaspard, II, 55, 57, 325.

Louis, Infant de Portugal, I, 63.

Louis XIII, I, 159.

Ludolphe le Chartreux, I, 9.

Ludwig, Michel, II, 286,

444

INDEX.

Luther, 1,2, 3, To8, 157. Luzena, Adrien, II, 363.

Madeleine de la Croix, II, 246. Madeleine de Pazzi, 7w>Pazzi. Madera, Jean, I, 121. Madrid, Christophe de, II, 39, 207,209,

245» 335- Maffei, I, 193.

Maggi, Laurent, II, 74.

Manare, Olivier, II, 44, 49, 53, 58, 108,

173. 175, 181, 225, 251, 274, 305,

320. Maiicinelli, II, 256,366. Mancio, Pascal, I, 56, 63. Manrique, Antoine, I, 5, 17. Mansilla, François, II, 3. Marcel II, I, 187; II, 61, 132, 166,204,

229. Marguerite d'Autriche, II, 118, 334. Marguerite de Valois, I, 331. Marie, mère de Dieu, I, 15, 20, 185-

188,317, 387, 390; II, 392-412. Marie, fille de Henri IV, II, 177. Marina, dona, I, 187. Marina Saen/. de Licona, I, i, 337. Mari no, François, I, 328. Martial, I, 128.

Martin, I, 16, voir Garcia Martin. Martinenghi,I,5o. Martinez, Christophe, II, 297. Mascarenas, Leonora, I, 112. Maselli, Louis, II, 356. Matthieu, II, 91. Maximilien, II, 259. Maxiniin, I, 163. Mejia, Alphonse, I, 108. Melanchton, I, 322 ; II, 173, 175. Menageo, Antoine, II, 272. Mencia de Bcnévent, II, 121, 270. Mendoza, François, I, 118. Mendoza, Jean, II, 208, 324. Mendoza Lopez, I, 114. Mercurian, Kverard, I, 42, 46, 357 ; II,

22, 175, 225,347. Merla, Benoit, II, 266. Michel, II, 173, 298. Miona, Emmanuel, 1,47, 147,357,375. Miron, Jacques, I, 49, 55, 58, 359 ; II,

22, 23, 78, 90, 189, 240. Miscne,Simon, I, 165, 289.

Molina, Alvaro de, II, 272. Moniliano, cardinal, II, 39. Moniz, Antoine, II, 85. Monte, cardinal del, II, 189. Monteleon, duc de, I, 97. Montero, André, II, 4, 303. Montoya, Louis, II, 226. Mori, I, 290.

Morone, cardinal, II, 90, 165. Moscoso, I, 12S. Moya, Christophe de, I, 166. Mudarra, François, I, 241, 250.

Najera, don Manrique, duc de, I, 5.

Natal, Jérôme, I, 19, 147, 182, 280, 331, 378; II, 25, 50, 59,67, 74, 88, 90, 104, 120, 135, 189, 218, 225,

254, 3'^- Nateri, Marie, II, 260. Navarre, Martin, I, 277. Navarro, Michel, I, 144, 244. Navero, Georges,!, m. Neri, saint Philippede, II, 225, 263. Nigusanti, Vincent, Mgr, I, 222. Nobrega, Michel, II, 4, 303. Notre-Dame, zw> Marie, Mère de Dieu.

Ochino, Bernardin, 11,177, 348.

Oheda, Jacques d', II, 273.

Olave, Martin, I, 41, 103, 368 ; II, 30,

39, 67, 82, 88, 90, 133,211. Olivier, Bernard, II, 76, 178, 350. Onofrio, François, I, 303. Ori, Mathieu, I, 62, 125, 191, 245. Oriola, Maria d', I, 199. Orlandini, Nicolas, I, 193. Ortiz, Pierre, I, 55, 124, 221, 230, 238,

257, 404- Osoria, Leonora, II, 163. Otelli, Jérôme, II, 78, 329. Oviedo, André d', I, 330 ; II, 39, 104,

314.

Pacheco, II, 217, 361.

Pacheco, François, cardinal, II, 388.

Palmio, Benoît, II, 39, 171, 214, 225,

255- Panigarola, Angèle, I, 260, 409.

Para, F'ernand de, I, 104.

Paravina, I, 117.

Pascal, I, 165.

INDEX.

445

Pascual, Agnès, I, 38, 76, 1S7, 347,

354,367» 371- Pascual, Jean, I, 95, loi, 187, 354,367- Paul III, I, 64, 176, 187, 221, 255,

258, 287 ; II, 26, 34, 39, 90, 139,

160, 168, 196, 229. Paul IV, I, 146, 172, 287 ; II, 29, 39,

126-128, 229. Paul V, II, 9, 10, 39, 258. Paul VI, II, 166. Paul, Frère Jean, II, 124. Payva Andrada, Jacques, II, 344. Pazzi, sainte Madeleine de, II, 108. Pelletier, 1, 186,388; II, 90, 116. Pena, Jean, i, 126, 134. Peralta, I, 124, 190. Perez, Jérôme, I, 165. Perez, Martin, I, 238. Pescara, marquise de, I, 231. Petronio, Alexandre, II, 1 14, 209. ■Philippell, I, 114 ; II, 168, 178,215. Philippe III, II, 258. Pie IV, I, 300.

Pie V, I, 287, 300, 316, 323 ; II, 39, 40. Pierre de Castille, I, 250. Piquer, Valère, II, 285. Polanco, Jean, I, 193, 281, 335 ; II, 28, 50, 53. 60, 120, 170, 181, 183, 207, 213, 225, 318. Pôle, cardinal, II, 177, 34S. Pontanus, Eleuthère, II, 213 357. Porrès, François de, II, 384. Postel, Guillaume, I, t,t,.

Realino, Bernardin, I, 18S, 390.

Requesens, Jean de, I, 97.

Requesens, Stéphanie de, I, 97.

Rescius, Stanislas, I, 170, 290.

Ribadeneira, Pierre, I, 161, 272, 323, 327, 335; II, 39, 54, 69, 82, 88, 145, 166, 171, 215, 220, 224, 245, 273.306, 321, 328, 362, 383-388.

Ribera, I, 98.

Ribera, François, I, 165.

Ribera, Jean-Baptiste, I, 57, 361.

Ribera, Maldonato de, II, 284.

Richeome, Louis, I, 186, 387.

Ripalda, I, 165.

Rion, Antoine, II, 27.

Rodés, Michel, I, 100, loi.

Rodriguès, Simon, I, 51, 6r, 146, 176, 185,209,219,222,224, 235, 229, 231, 238, 245, 257, 263, 264, 272, 376, 400, 401, 402 ; II, 3, 5, 24, 308.

Roffeus, I, 290.

Romeo, Sébastien, II, 87, 331.

Roser, Isabelle, I, 78, 365 ; II, [19.

Rubini, II, 226.

Saez, Martin, I, 104.

Saint-Amour, Guillaume de, I, 163.

Sainte-Croix, Cardinal de, II, 30, 119,

337- Sainte-Croix, Martin de, II, 145, 246,

337- Salmeron, Alphonse, I, 49, 54, 145,176,

190, 222, 238, 375; 11,62,90,131,

177, 225, 227, 247,317. Sanchez, Thomas, I, 188, 391. Sander, Nicolas, I, 157, 162, 290. Schramm, Michel, II, 297. Scoto, théatin, II, 39. Schloss, I, 171.

Sega, Philippe, cardinal, I, 292. Sforza, duc François, I, 208. Sigismond, II, 142, 258. Silveyra, Gonsalve de, I, 188, 325. Soleri, André, I, 202. Soliman, I, 222. Soto, Dominique, I, 105. Spinola, B. Charles, II, 217, 360. Stanislas Kostka, saint, I, 188, 390. Strada, François, I, 49,61, 236, 257,

404. Strada, Louis, I, 61 ; II, 20, 141. Suarez, François, I, 186. Suavio, évêque, II, 39.

Tarugi, cardinal, II, 226.

TendiUa, I, 58.

TertuUien, I, 167, 169.

Texeda, Jean, II, 226.

Théodose, I, 267, 41 1.

Theotonio de Bragance, I, 327.

Thérèse, sainte, I, 165, 260, 383, 384,

409. Thomas, apôtre, saint, I, 175, ; II, 266. Thomas d'Aquin, saint, I, 164, 306. Tirio, Jacques, II, 27:.

446

INDEX.

Tolet, François, cardinal, 11,33,36, 313. Torrès, Barthélémy, évêque, 1, 63. Torrès, Corne, II, 205. Torrès, François de, I, 186, 387. Torrès, Michel, II, 120, 227, 334. Trevisano, Marc-Antoine, I, 82. Tristan, Laurent, II, 83. Truchsess, Oihon, cardinal d'Augsbourg, 11,231.

Urbain VIII, II, 141, 259. Ursmaro, I, 57. Urtado, Jean, I, 273.

Vado, Marie del, I, 109. Vaglio, I, 128.

Vannucci, François, II, 162. Vega, Jean de, II, 119, 168, 231. Velasquez, Juan, I, 339. Yelasquez, Louise, I, 109. Velati, Jean-Baptiste, II, 58, 325. Venusti, Gabriel, II, 226.

Veralli, Jérôme, nonce, I, 206, 222.

Verdolay, I, 401.

Villanueva, François, I, 49, 56, 172,360;

II, 121. Vincent, Julien, II, 15. Viola, Jean-lîaptiste, I, 269, 41 1. Vischaven, Corneille, II, 85, 255, 365. Vitelleschi, Mutius, 11,^25. Vives, Louis, I, 122.

Withacher, I, 289.

Xavier, saint François, I, 4, 136-144, 175, 183, 190, 210, 217, 222, 228, 229, 238, 257, 264, 281, 322, 326, 418 ; II, I, 18, 61, 94, 120, 135, T45, 180, 216, 303,359.

Xavier, Madeleine, I, 144.

Ximenès, Jacques, II, 225.

Zambeccari, Nicolas, II, 258. Zapata, François, I, 331.

INDEX.

III. Faits mémorables de l'histoire de saint Ignace.

Admission dans la C'^ tom. II,pag.i,2.

Admoniteur, II, 9.

Amour de S. Ignace pour Dieu, I, 2S0,

413 ; II, 190-201. Amour de S. Ignace pour ses enfants,

II, 59, 61, 62, 320, 326, 327. Amour des enfants de S. Ignace pour

leur Père, II, 134, 216-225. Amour de S. Ignace pour le prochain,

II, 169, 248, 346 ; ewVZèle. Apparition de J.-C, I, 81, 233 ; de

Marie, I, 15 ; II, 262, 292 ; de

saint Pierre,!, 8; d'un ange, 1,215;

du démon, II, 276, 287, 298;

de saint Ignace, I, 102 ; II, 214,262,

272, 295, 302. Approbation des Exercices, I, 64; voit

Exercices. Approbation de la C'*^, I, 258; voir

Constitutions. Arc de triomphe, I, 341. Archange, II, 107. Aridité, II, 239. Assistant, II, 8. Assomption delà sainte Vierge, I, 155,

158. Austérités, voir Mortification. Autobiographie de S. Ignac§, II, m,

333-

Barnabites, II, 228. Bibliographie de la C'^, I, 382. Bibliotheca Mariana, I, 387. Blessure de S. Ignace, I, 7,341. Bonté de S. Ignace, II, 53, 54, 61, 62,

66,69, 170, 221, 330, 239. Bréviaire, I, 219, 220; II, 196, 331. But delà C''', I, 122, 223,283, 284,285; voir Mission de S. Ignace.

Calligraphie, I, 15, 343.

Calme de S. Ignace, II, 49, 123, 124,

129, 179, 385 ; voir Possession de

soi-même. Capitaine, I, 340.

Capucins, I, 171.

Caractère de S. Ignace, I, 2, 5 ; voir

Tempérament. Caractères violents, II, 136, 241. Cartes, I, 197, 394. Catéchuménat juif, II, 160, 338. Charité de S. Ignace pour les pauvres

et les malades, I, 25, 89, 90, 94,125,

251, 252, 263. Charité fraternelle, II, 20, 21, 306-

308. Chartreux, 1,308 ; II, 119. Chasteté de S. Ignace, I, 16, 19, 345 ;

II, 129, 250, 305. Chronologie de la vie de S. Ignace, II,

373-3S2. _ Circonspection de S. Ignace, II, 131. Clerc, I, 287. Coadjuteurs, I, 315-319. Coffret, I, 368. Commissaire, II, 9. Communion, I, 400; II, 346 ; voir Eu- charistie. Compagnie de Jésus, I, 229, 270-

273, 412. Compagnons de S. Ignace,I, 100, 123,

152, 206, 207 ; II, 355. Concile, voir Trente. Confesseurs deS. Ignace. 1,22, 37, 267;

II, 107,356. Confiance, II, 180, 181, 184, 233, 352, Confrérie du Saint-Sacrement, I, 198,

394- Congrégation, II, 9, 10.

Consolation, I, 12, 31, 258 ; voir Déso- lation.

Constance de S. Ignace, I, 115; 11,167, 316, 318 ; zw> Courage.

Constitutions, rédaction, 1,278; plan, division, I, 255, 295; but de la C'% I, 284 ; moyens, I, 285 ; II, 8, 5 ; examen des Consti- tutions, I, 294-312; degrés, I, 313-336; admission, I, 320, 419-421; choix des sujets, I,

448

TABLE DES MATIERES.

319 ; épreuves, I, 324, 325 ; renvois, I, 326-336^ 421 ; voir Compagnie, Institut.

Consulteurs, II, 9.

Conversation, II, 109, 132, 134, 169, 171,194.

Correction, 11,50, 240,318 ; zwr Péni- tences, Défauts.

Costume, I, 297.

Courage de S. Ignace, I, 7, 8,189,303; II, 124, 166, 318, 345 ;7W> Fermeté.

Crucifix, I, 78, 186, 365, 389 ; II, 1 19-

nés, 1, 197,394-

Déclarations, I, 281.

Défauts, correction des, II, 67, Si;vûir Correction.

Défunts, I, 198.

Démon, I, 15, 29, 104, 107, 243, 245, 406 ; 7'oir Possession.

Désolation, I, 12, 3i;II, 239; fvVr Con- solation.

Dignités, II, 24-42, 310-313.

Discernement, I, 31, 342 ; II, 322.

Discipline religieuse, II, 7788, 188, .250, 329.

Discrétion, II, 50, 52; 7w> Prudence, Sagesse.

Division, semeursde, II, 24.

Duel, II, 168.

Écrits de S. Ignace, I, 14, 35, 353; voir Exercices, Constitutions, Lettres, journal.

Ecrivains de la C'S I, 161.

Embaumement du corps de S. Ignace,

II, 2TO.

Entretiens spirituels, I, 136.

Épée de S. Ignace, I, 22, 346.

Esprit intérieur, II, 237.

Estomac, ï, 27; 11,94,1 12,190, 195,210.

Études de S. Ignace, 1,92, 189,372,392.

Exercices spirituels, 1,3,39 74> i3°>'37' 143. 146, 149, 190. 204,205,207,230, 236, 237, 247, 256,309,324,356,360, 363.364,370,396,404 i'H, 18, 47,69, 100,21 2.

Examen de conscience, II, 186.

Extase, 1,37,95,199,224,353; II, 245.

Eucharistie, 1,400; 7'ûir Communion.

Famille, détachement de la, II, 18,343.

Femmes, II, 250.

Fermeté de S. Ignace, II, 166, i67;zwV

Constance. Fin de la C"", vo/r But. Fondation de la C'%1, 153, 253, 258, 265,

293,305.407,413,420; II, 221. Fouet, 1, 127,372. Formation religieuse,II,93,i35, 319.

Général, élection du, 1,265. Gloire de Dieu, II, 189,352. Gouvernement de S. Ignace, II, 43, 48, 58, 62, 93, 253, 316-319.

Humilité de S. Ignace, I, 23, 25, 26, 76, 78, 90, 94, 197, 200; II, 99-112, 247.

IGNACE de LOYOLA, passm.

Illuminés, I, 108, 369.

Imitation de Jésus-Christ, I, 279;

II, 117. 133- Immaculée Conception, I, 279; II, 1 1 7,

'3.5- Index, I, 171.

Indifférence, I, 58 ; II, 57, 226. Inigo, I, 337.

Inquisition, II, 168, 234, 248. Inscriptions, I, j6, 347, 348, 350, 353,

354. 356, 381, 403; n, 345, 368. Intention, II, 188, 189. Institut, 7'ûif Compagnie, Constitutions. Instruction, II, 46,319.

Journal de S. Ignace, II, 392-412. Journée, emploi delà, II, 193. Juifs, II, 160.

Langue, II, 23, 307.

Larmes ;I, 233; II, 193, 196, 353, 363, 392-412.

Lecture pieuse, I, 9, 11.

Lettres, II, 62, 133, 145, 178, 318; sur l'obéissance, II, 14: aux sco- lasticjues de Couiibre, II, 146.

Lieux-Saints, zw> Jérusalem

Malades, soin des, II, 64-66, 327, 360. Martyr, I, 160, 325 ; II, 204, 205, 217, Maure, I, 20, 2 r.

INDEX.

449

Maximes de S. Ignace, II, 233-255. Médecin, II, 168, 114, 209. Méditations, II, 135 ; voir Oraison. Messe, I, 222, 401 ; II, 192, 193, 392,

412. Miracles, I, 98, 196, 199, 209, 211-

218 ; II, 255, 297, 260-302. Mission de S. Ignace, I, 3, 4, 157. Missions, I, 160. Modestie, règles de, II, 129. Monita sécréta, I, 171, 385. Mort de S. Ignace, II, 207-417, 356. Mortification, I, 14, 24, 30, 94, 97, 146,

304, 307, 353. 417 ; II, 242, 246. Musique, II, 195.

Naissance de S. Ignace, I, 338.

Nationalité, II, 306.

Notes de S. Ignace, II, 196, m, 392-

412. Novateurs, II, 9, 88, 89, 331. Novices, II, 53, 58, 70, 71, 253. Noviciat, I, 302.

Obéissance, II, 13-19, 58, 113-115, 246,

304, 305» 325' 3^6. Oraison de S. Ignace, I, 34, 95, 135,

196, 203, 243; II, 135, 193, 201,

23S, 392-412. Ordination, I, 222, 400. Orphelins, II, 162.

Patrie, II, 306.

Pauvreté, II, 41, 115-119,316. Pénitence, voir Mortification. Pénitences imposées par S. Ignace, II,

23> 50. 79-S8, 320, 330. Persécutions, I, 25, 85, 90, 96, 108,

III, 1x6, 124, 161-18S, 190, 206,

240, 382, 385» 386, 405 ; II. 92, 124.

125, 161, 164, 234. Peste, I, 78, 81, 189, 393. Piété, II, 194. Portraits de S. Ignace, II, 211, 213,257,

364- Possession de soi-même, II, 49, 59,

122-128. Possession diabolique, II, 129, 223,

266, 276, 279, 281, 286. Prédication de S. Ignace, II, 102, 171,

194, 238, 239.

Histoire de S. Ignace de Loyola. II.

Primauté du Pape. II, 168, 345. Privilèges, II, 248. Profes, I, 296, 315, 407 ; II, 25. Promesses de S. Ignace, II, 242. Prophéties, I, loi, 122, 196, 259-262,

364- Propreté, II, 81, 330. Prospérité de la C'% II, 204, 354. Protestants, I, 170, 173, 339, 340 ; II,

280. Prudence de S. Ignace, I, iio; II, 45,

48,51, 59, 71, 90. 170. 243. 245.247,

248, 330, ZZ"^ ; Toir Sagesse. Pureté d'âme de S. Ignace, II, 188.

Raison, II, 243.

Rapto (extase), I, 37, 353.

Rébellion, II, 9, 308 ; voir Novateurs.

Reconnaissance, II, 119-122,355.

Règles, I, 228, 274 ; II, 1 1, 130.

Régularité, II, 77, 329; 7v'/> Discipline.

Reliques de S. Ignace, II, 216, 217,

256, 268. Renvois de la C'% I, 334, 335, 421. Réputation delà C'^ II, 89. Romans, I, 9.

Sacrifices dans la C'% I, 308-312. Sagesse de S. Ignace, II, 45, 46, 50, 5 1 ;

voir Prudence. Sainteté de S. Ignace, II, 90, 190, 215,

220-224, 226. Saint-Sacrement, I, 8, 19, 394, 400;

voir Communion. Sainte-Marie de la Grâce, congrégation

de, II, 164. Scrupules, I, 29,32, 135; II, 17. Sépulture de S. Ignace, II. 255. Sévérité, II, 50. Signature de S. Ignace, I, 337 ; II, 216,

.359- Silence, II, 330.

Soins spirituels de S. Ignace pour les siens, II, 66-76, 246; zv/r Amour.

Souffrance, amour de la,I, 118, 236; voir Mortification.

Succès de la C", voir Prospérité.

Supérieurs, II, 93-96, 303, 316, 332.

Taille de S. Ignace, II, 357. Talents naturels, II, 237.

29

450

INDEX.

Tempête, I, 83, 88, 203. Tempérament de S. Ignace, II, 122. Tentations, I, 11, 26, 28, 36, 92, 127,

i35-235;II> 244. Terre-Sainte, voir Jérusalem, Translations des reliques de S. Ignace,

II, 256. Troisième an, I, 30S.

Union de S. Ignace à Dieu, II, 185, 191, 194; 7W> Intention, Vie inté- rieure.

Union fraternelle, voir Charité frater- nelle.

Vertus solides, II, 55.

Vie de S. Ignace par Ribadeneira, II,

224. Vie intérieure, II, 134; voir Union à

Dieu. Virginité de Marie, I, 20. Visions, I, 34-36, 223, 409, 413; II

393-41 2 ; voir Apparitions. Visiteur, II, 9. Vocation, I, 44. Vœux, I, 155, 157, 208, 222, 263, 268,

316, 317, 345, 386, 406, 407, 411;

II, 38, 314, 316.

Zèle de S. Ignace, I, 80, Zt^^ 96, 106, 129, 130, 153, ig6, 198, 395, 411 \ n, 138, 130, 142, 145, 159, 167, 249, 250.

ERRATA :

I, I, huit enfants huit fils ; I, 200, Almanza Almazan ; I, 228, Vicence ; II, 335, Visence de Viseu ; II, 76, Olivier! Olivier; II, 85, Visshaven Visckaven ; II, 220, Androzio Androzzi;\\, 374, Contre lui Contre eux; II, 405, Féerie Férié; II, 421, Garzonis Garzonio.

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