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HISTOIRE

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HISTOIRE

DES FRANÇAIS,

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PAR

J. C. L. SIMONDE DE SISMONDI,

Correspondant de l'Institat de France , de l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg , de rAcadémie royale des Sciences de Prusse , membre honoraire de l'Université de Wilna, de l'Académie et de la Société des Arts de Genève, des Académies italiennes de Geor- gofili, de Cagliari, de Pistoia; de l'Académie Romaine d'Archéo- logie, et de la Société Pontaniana de Naples.

TOME SECOND.

A PARIS,

Chez TREUTTEL et WÛRTZ, Libraikes,

RUE DE BOURBON, IJ. A Strasbourg et à Londres, même Maison de Commerce.

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HISTOIRE

DES FRANÇAIS.

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SUITE DE LA PREMIÈRE PARTIE,

LES MÉROVINGIENS.

CHAPITRE X.

Règnes de Clothairell, Dagobert et Sigebert III, 6i3 65/î.

Après la mort de Brunehault, Clothaire II réu- 6i3~-638. nit toute la nation des Francs sous son sceptre ^ comme son aïeul Clothaire F'' Tavoit réunie une première fois, en 558. Mais la monarchie des Francs fut à peine maintenue trois ans sous Clo- thaire F*"; elle continua vingt-cinq ans à ne faire qu'un seul corps sous Clothaire II et son fils Dagobert, quoique Tun et l'autre, après quel- ques années de règne , se crurent obligés de faire couronner aussi leur fils aîné. L'interruption des guerres civiles pendant un quart de siècle, l'administration, pendant tout aussi long-temps, de deux rois arrivés l'un et l'autre à la force de l'âge, renouvelèrent la vigueur de l'empire fran- çais , et le replacèrent au premier rang dans l'Oc- TOME II, i""

2 HISTOIRE

cideiit, au-dessus de toutes les nations barbares, et au niveau de l'empire d'Orient. Ce fut une époque de prospérité nationale; mais les monu- niens nous manquent presque absolument pour laconnoître; et ses rois, ses grands personnages, passent devant nous comme des ombres fugiti- ves que nos yeux ne peuvent point saisir. 6x3—622. Clothaire II survivoit seul, à cette époque, entre tous les descendans de Clovis, entre tous ces rois chevelus qui tiroient leur origine du demi-fabuleux Mérovée. Sept frères, ses aînés, avoient péri avant lui; tous les fils de Gontran, de Sigebert , de Childebert, de Tlieudebert et de Thierri , avoient été moissonnés par des mains criminelles , comme pour lui faire place. Lui, qui étoit chargé de toute la haine que Chilpéric et Frédégonde, auteur de ses jours, avoient méritée par leurs forfaits, il réunis- soit seul tous les titres de la maison royale , et sa fortune l'a voit protégé trente ans contre de puissans ennemis qui , dès son berceau , avoient voulu l'écraser. Il devenoit enfin , dans son âge mûr, l'élu de la nation. Les Austrasiens et les Bourguigiions Favoient choisi pour se délivrer de leurs rois légitimes; la moitié de ses sujets neustriens, qui avoient été violemùient arrachés à son sceptre, se réjouissoient d'être rendus à leurs compatriotes; les Aquitains, si long-temps partagés entre les autres rois, et toujours victimes de louîcs les guerres civiles,

I}ES FRANÇAIS. 3

eiilrevoyoient pour eux quelque repos, et Tallé- Gï3—G7q, i?rcsse éloit universelle.

(( Clothaire II, nous dit Frédégaire, étoit (c doué d'une grande patience , instruit dans les « îetlres , craignant Dieu , et rémunérant géné- ff reusement les églises et les prêtres; il faisoit c( aux pauvres de grandes aumônes , et il se <( montroit plein de bénignité et de piélé envers (( tout le monde. Seulement il s'adonnoit à la (c chasse des bêles fauves avec trop d'assiduité, « et, sur la fin de sa vie, il se livra trop aux « suggestions des femmes et des jeunes filles. (C C'est du moins de cela que ses leudes l'ont c( blAmé. » (i)

Il s'en faut de beaucoup que ces mots nous donnent une idée claire ou du caractère ou du gouvernement de Clothaire II, et cependant nous ne pouvons avoir recours à aucun autre historien pour nous le faire connoître. L'auteur des Gestes des rois francs laisse, à cette époque, un grand vide dans son récit , toujours entre- mêlé de tant de fables; quelques chroniques, écrites au siècle suivant, peuvent tout au plus servir à établir certaines dates, et les actions que Frédégaire lui-même raconte de ce roi , dont il a loué la justice et la douceur, sont à la fois féroces et arbitraires. Les historiens modernes, il est vrai, ont, après un intervalle de mille

(i) Fredcgarii Citron, Cap. 42, p. /po.

4 HISTOIRE

613-622. ans, suppléé à ce silence des contemporains; ils étoient fatigués, et leurs lecteurs l'étoient sans cloute aussi , de tant de forfaits et de souf- frances, et ils ont jugé le moment opportun pour tracer d'imagination un tableau de pro- spérité, d'ordre public et de bonheur. Le sage Adrien de Valois lui-même est tombé dans cette faute (1). Pour nous, il nous semble que l'iiis- loire ne peut servir d'instruction que lorsque les faits découlent les uns des autres de la même manière que les principes. Il est triste de trou- ver, dans le sujet qu'on traite, la monotonie du crime ; mais quand les causes n'ont point changé, les elfe Is ne doivent pas changer non plus, et ce n'est pas l'invention de l'historien qui doit introduire de la variété dans son histoire.

Les trois royaumes que réunissoit Clothaire avoient chacun leur maire du palais; Gundo- land avoit succédé à Landeric dans la Neustrie , Warnachaire gouvernoit la Bourgogne, et Rad- don l'Austrasie : tous trois, au lieu de lutter avec Clothaire, paroissoient s'être plutôt attachés à le seconder dans le projet de ramener à l'obéis- sance les grands qui exerçoient tout pouvoir dans les provinces. Si nous connoissions un peu mieux la constitution de la monarchie, peut-

(i) Hadr. VaJesii rerum Francicavwn. T. III, Lib. XVIII, p. I.

DES FRANÇAIS. 5

être trouverions-nous que le maire, comme le 613—622. justiza, chez les Arragonois , étoit le représen- tant , non des grands , mais des hommes libres ; qu'il étoit pris , en général , dans la seconde classe de la société , et qu'il étoit chargé de ré- primer les usurpations de l'aristocratie bien autant que celles des rois.

En efiet , la condition des Francs avoit l)ien changé dans les Gaules. Ces guerriers qui , à la suite du conquérant, paroissoient tous égaux, qui ne se faisoient alors remarquer ni par leur pouvoir ni par leurs richesses, qui votoient en commun, au champ de Mars, sur les lois, sur les jugemens, sur les expéditions militaires; lorsqu'ils eurent conquis les opulentes pro- vinces de l'empire, s'attribuèrent de grandes ])ropriétés territoriales qu'ils firent valoir par l'esclavage. Dans le cours de peu de générations, les uns s'élevèrent, d'autres s'appauvrirent, et leurs rangs se réglèrent bientôt sur leurs ri- chesses. Le langage même des historiens indique le progrès de l'esprit aristocratique. Grégoire de Tours n'a point occasion de parler de distinc- tions de rang pendant le règne de Clovis et de ses fils; mais, sous le règne des fils de Clo- thaire , il parle plus d^une fois des optimates, Frédégaire désigne le même ordre, en Austra- sie , par le nom deproceres ; en Bourgogne , par celui de Burgundœ farones , comme s'ils for-

6ij— 6j2.

6 HISTOIRE

m oient déjà une caste séparée parmi les ci- toyens (i). Le nom deleudes^ qui d'abord étoit commun à tous les guerriers , semble aussi de- venir, dans son récit, une distinction honori- fique. Deux siècles plus tard , le moine Aimoin retravailla le texte de Grégoire et de Frédégaire, à peu près comme, dans certains collèges, on fait faire aux écoliers des amplifications. Mais Aimoin, dans son récit, substitue toujours les prélats j les grands et la noblesse, à la désigna- lion de la nation des Francs ^ qu'employoit son auteur original. (2)

Les progrès de l'aristocratie, quoiqu'ils fussent le plus souvent la conséquence de concessions volontaires , inspiroient de la jalousie et du res- sentiment à ceux qui se voyoient dépouiller des droits que tous avoient possédés en commun. Aussi le peuple voyoit-il avec plaisir les grands qui l'opprimoient en butte aux attaques de l'au- torité royale, et applaudissoit-il souvent à ces exécutions sanglantes par lesquelles des rois, dont on loue la vertu , recouvroient un pouvoir qui avoit échappé au peuple. C'est ainsi que Clothaire II est loué , par Frédégaire , pour avoir rétabli la paix dans la Bourgogne trans-

(i) Fredeg. Chrdn. Cap. 44, p. 43i ; cap. 62 , p. 453.

(2) Aimoini. Lib. III, cap. qt , p. iii.—Nohilitas Burgun- dice , proceres, principes. Lib. IV, cap. 9, p. 121. Pontifices et primates.

DES FRANÇAIS. 7

jurane, « en faisant péiir par le glaive plusieurs 613-622. <c de ceux qui se conduisoienl avec iniquité , )) et, parmi eux, le patrice Alélliée, l'un de ceux auxquels il avoit sa victoire sur Brune- liault. (i)

Clolhaire II réunissoit probablement , chaque 614. année , les comices du royaume , auxquels ap- partenoit le pouvoir législatif. Il nous reste une seule de ses ordonnances, publiée à Paris, le i5 des kalendes de novembre, la trente-unième année de son règne; elle est revêtue de l'auto- rité des prélats de son royaume y et des autres grands y optimates et fidèles y rassemblés en concile; et elle est, en eftet, signée par soixante et dix-neuf évêques des Gaules : aucun concile national n'en avoit encore réuni un si grand nombre. Cette ordonnance, à plusieurs égards, restreint l'autorité royale; ellegai'antit le droit du peuple à l'élection de ses évêques , elle em- pêche qu'on ne donne à ceux-ci des successeurs de leur vivant, elle soustrait toutes les per- sonnes ecclésiastiques à la juridiction des offi- ciers royaux 5 elle met un terme aux exactions qu'éprouvoient les provinces par la création de ]iouveaux impôts , et elle prononce l'abolition de tout tribut introduit dans les trois royaumes depuis la mort des rois Contran , Chilpéiic et

(i) Fredegarii. Cap. 43, 44 > P- 4^0. Aimoini. Lib. lY^ cap. 6, p. 120. y

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8 HISTOIRE

Sigebert; enfin, elle ordonne la reslitulion cle toutes les confiscations qui avoient été la con- séquence de la guerre civile, (i)

Nous ne savons plus rien sur Clothaire , pen- dant plusieurs années, si ce n'est qu^en 617 il dispensa les Lombards d'un tribut de douze mille sous d'or auquel ils s'étoient soumis; qu'en 618 , il perdit sa femme , Bertrude , à la- quelle il étoit toujours demeuré fidèle; qu'en 622, enfin, il s'associa son fils, Dagobert, au- quel il céda la couronne d'Austrasie. (2) 622. Cette dernière résolution étoit la conséquence

du mécontentement que manifestoient les Au- strasiens soumis au roi de Neustrie. II leur sem- bloit avoir perdu , avec leur roi , leur indépen- dance; ils regrettoient le recours contre l'op- pression ouvert auprès du trône, les grâces que répandoit la cour de Metz , et le lustre qu'elle donnoit à leur capitale. Le partage du royaume entre tous les fils des rois avoit été, sans doute, la conséquence du désir des peuples de rappro- cher d'eux leur souverain, bien plus que du caprice des rois; et, dans un temps l'admi- nistration générale étoit si mal entendue, les seigneurs éloignés du trône affermissoient si

(r) BaJuzii Capit. T. I , p. ii. Scr.franc. T. IV, p. ii8- Hadriani Falesii. Lib. XVIII, p. 5. Fredeg. Cap. 44 » p.43i.

(2) Fredegarii. Cap. 45, 4^; P* 4^1» 4^2.

DES FRANÇAIS. 9

vile leur indépendance, ces partages avoient 623, peul-êlre élé avantageux non-seulement à la nation , mais même à l'autorité royale.

Dagobert n^avoit pas probablement plus de quinze ans lorsqu'il fut envoyé en Austrasie ; mais Arnolplie et Pépin, ]es mêmes seigneurs qui avoient procuré la couronne à son père, et dont le second avoit été revêtu de la mairie austrasienne, lui furent donnés pour gardiens et pour conseillers. Arnolplie étoit alors, ou fut peu après, évêque de Melz. Avant d'être prêtre, il avoit eu un fils nommé Ansigise , qui avoit épousé Begga, fille de Pépin , maire du palais. De ces époux naquit Pépin d'Héristal, père de Charles- Martel, aïeul de Pepin-le-Bref , et bis- aïeul de Charlemagne. Les possessions de Pépin paroissent s'être étendues, entre la Meuse et le Rhin, dans les pays de Liège et de Juliers; celles d'Arnolphe , dans le pays Messin : c'étoient les provinces les plus importantes du royaume d'Austrasie, tel que Clothaire l'avoit cédé à son fils ; car il en avoit retranché toutes les posses- sions dans l'Aquitaine et la Provence , qui n'avoient aucune contiguïté avec la France orientale, et il lui avoit donné pour frontières les Ardennes et les Vosges. 11 est vrai que les nations germaniques d'où tre -Rhin , les Alle- mands, Bavarois, Thuringiens, Saxons et Fri- sons, étoient supposés relever de la couronne

lO HISTOIRE

d'Auslrasie , et que ces peuples, commençant enfin à se civiliser , reconnoissoient aussi un peu mieux Fautoîité royale, (i) 623. Non loin de Textrémité orientale de la domi-

nation des Francs en Germanie , les Avares maiiitenoient, dans la Hongrie et la Transylva- nie, l'empire qu'ils y avoient fondé soixante ans auparavant : ils avoient soumis à leur joug lesVénèdes ou Hénèdes, peuple slave qui habitoit laBohême; ils les forçoient à combattre à l'avant- garde de leurs armées; ils venoient avec leurs troupeaux parcourir les champs des Vénèdes; car il semble que les Avares n'avoient point en- core renoncé à la vie errante des peuples pas- teurs 5 et leur retour éloit signalé chaque année par l'enlèvement des femmes et des filles de leurs sujets. Tant d'outrages avoient enfin déterminé les hénèdes à la révolte, lorsqu'un Franc de Sengaw, dans le Hainault, nommé Samo, parut au milieu d'eux, et se mit à leur tête; ce Franc, homme considéré dans son pays, avoit formé une association nombreuse de ses compatriotes pour exercer le commerce du Levant. Les mar- chandises de Constantinople et de l'Orient arri- voient à la Germanie et à la Gaule par la vallée du Danube. Les convois qui remontoient ce

(1) Fredegarii Chron. Cap. 47, p. 432. Gesta Dagoberii régis. Cap. 12 et i3, p. 5^2.— Hadriani Falesii^ Lib. XVÏII, p. 20.

DES FRANÇAIS. I I

fleuve, du Pout-Euxin jusqu'eu Bavière, 623. finissoit Fera pire clés Francs, avoieiità traverser un pays sans cesse infeslé par des hordes de brigands. Le commerce ne pou voit être exercé qu'à main armée; il demandoit les talens d'un généra], au moins aulant que ceux d'un mar- chand ; les plus nobles parmi les Francs ne croyoient point déroger en exerçant cette ])ro- fession. Samo, avec ses braves compatriotes, se joignit aux Vénèdes contre les Avares ; il rem- porta sur les derniers une grande victoire, et il montra tant d'habileté et de vaillance , que les Yénèdes le choisirent pour roi, et demeu- rèrent pendant trente-cinq ans sous sa domina- tion. Celte révolution contribua k étendre le crédit des Francs jusque sur les frontières de Fempire d'Orient, et à attirer de nouveaux spé- culateurs sur la route qui conduisoit de la Ger- manie à la Grèce, (i)

L'empire français avoit remplacé l'empire d'Occident ; il occupoit le même rang dans la chrétienté, et il s'élevoit de même au-dessus de tous les Barbares. Tous ceux-ci s'éloient cor- rompus dès qu'ils avoicnt commencé à jouir de leurs conquêtes , et dès la seconde ou la troi- sième génération , ils avoient été hors d'état de défendre les pays que la valeur de leurs ancêtres

(i) Fredeg. Cap. 48, p. 4^2. Aimoini. Lib. IV, cap. 9, p. \ii.'^Hadr. Falesii. Lib. XYIII, p. 07-46.

12 HISTOIRE

623. avoit soumis. La tempérance est facile à ceux qui n'ont ri^n, mais c'est le chef-d'œuvre de la législation , de procurer aux peuples tous les biens de la vie, en les empêchant d'en abuser jamais. Les lumières sont nécessaires pour que la vertu puisse demeurer unie au pouvoir et aux richesses. Les Vandales avoient disparu de l'Afrique, les Ostrogoths de l'Italie; lesSuévesde la Lusitanie; les Yisigoths, il est vrai, se conser- voienten Espagne, maisleur monarchie, réduite par les conquêtes des Francs , par celles même des Grecs ^ur les côtes , étoit bouleversée par des révolutions annuelles, etnedevoitson indépen- dance qu'à sa situation presque insulaire. Les Lombards, dont les conquêtes en Italie étoient beaucoup plus récentes, avoient bien dégénéré dans le cours d'un demi-siècle : aussi avoient-ils consenti à payer un tribut aux Francs , et à rece- voir leurs ordres à la guerre. Les Angles et les Saxons qui , pendant le cours du sixième siècle , avoient conquis l'Angleterre, et qui y avoient fondé leurs sept royaumes, n'avoient attiré l'at- tention des étrangers que parleur conversion ré- cente au christianisme, commencée vers 697 par les soins de saint Grégoire-le-Grand. Les royau- mes des Huns, des Gépides , des Bulgares, des Avares, des Slaves, avoient éprouvé des révo- lutions plus rapides encore. L'empire des Sas- sanides de Perse , qui pendant quatre cents ans

DES FRANÇAIS. I :>

avoit tenu tête aux Romains (220-652), peu- e^i. clioit déjà vers sa ruine , et Héraclius rempoi- toit sur Chosroès II, de 622 à 627, les victoires les pins signalées. Mais à celle époque mcnic commençoit dans le Levant une puissance nou- velle, qui devoit se rendre plus formidable qu'aucune des précédentes. L'année Clo- thaire II partagea avec son fils la monarchie française, et que Dagobert compta pour la pre- mière de son règne , est aussi la première de riiégire , lève des musulmans. Mahomet fut chassé de la Mecque le 16 juillet 622 ; neuf ans après il remporta sa première victoire sur les Grecs, et avant que le siècle fût révolu , les suc- cesseurs du prophète arabe avoient envahi les Gaules.

Clothaire II avoit conservé sur Dagobert les droits d'un père et d'un maître; mais son auto- rité étoit quelquefois disputée dans l'Austrasie : le roi pou voit être mineur, mais la nation étoit majeure, et les Austrasiens voyoient de mau- vais œil que le roi de Neustrie essayât de res- treindre ses droits. « La quarante-unième année 624. (( du règne de Clothaire, nous dit Fiédégaire, (c et lorsque Dagobert régnoit déjà utilement en c( Austrasie (c'est-à-dire, sans doute, lorsqu'il C( étoit déjà sorti de l'enfance), l'un des grands, ce nommé Chrodoald , de la noble maison des a Agilolfinges (les ducs de Bavière) , tomba dans

t4 histoire

63f (( ]a disgrâce de Dagohert. Le saint pontife, Ar- ec nolphe, et le maire du palais, Pépin, exci- (c toient son ressentiment aussi-bien que les (c autres grands qui dorainoienl en Austrasie; (( car Chrodoald , déjà possesseur d'immenses c( richesses, envahissoit avec cupidité les pos- « sessions des autres; il se livroit à la superbe, (( il étoit plein d'orgueil, et rien de bon ne se (( trou voit en lui. Et comme Dagohert vouloit « déjà le faire tuer à cause de ses méfaits , (( Chrodoald s'enfuit chez Clothaire, et le sup- (( plia d'obtenir sa grâce auprès de son fils. « Lorsque Clothaire vit Dagohert, il lui de- ce manda , entre autres discours, la vie de Chro- « doald. Dagohert promit que si Chrodoald ré- <( pai^oit le mal qu'il avoit commis, il ne cour- ce roit aucun danger pour sa vie; aussitôt, et ce sans aucun retard , Chrodoald arriva auprès ce de Dagohert à Trêves , et il y fut tué par l'ordre ce de Dagohert; car lui nommé Berlhaire, natif ce de Scharpeigne, tirant son épée, lui trancha ce la tête à la porte de la chambre du roi (i). » Peut-être, dans cette occasion, l'ordre fut-il moins donné par Dagohert , au mépris de sa

parole royale, que par les grands du royaume:

-

(i) Frecleg. Gap. Si, p. 433. Aimoîni. Lib. IV, cap, ir , p. \irf.. Hugo Jlaviniacensis Chron. virdunense , p. 36o. Clironiques de Saint-Deuys , Liv. V, cti. 5 , p. 281. Hadv. ^Fcdcsii. Llb. XVIII, p. i\(y.

DES FRANÇAIS. iS

nous avons déjà observé que Fréclégaire attribue 62^. toujours à la personne même du roi ce qui étoit l'acte du gouvernement. Tant de crimes pèsent déjà sur la mémoire des Mérovingiens , qu'il faut être attentif à n'en pas charger encore le tableau.

« Uannée suivante, continue Frédégaire, 60.5. c( Dagobert , d'après l'ordre de son père, vint « en liabit royal , honnêtement accompagné de c( ses leudes, à Clichy, non loin de Paris, et il « y reçut pour femme Gomatrude, sœur de la « reine Sichilde, sa belle-mère. Mais les noces (( étant terminées le troisième jour, il s'éleva, « entre Clothaire et son fils Dagobert, une grave (( contention ; car Dagobert demandoit que tout (( ce qqi avoit appartenu au royaume d'Au- c( strasie lui fut restitué, tandis que Clothaire se (( refnsoit violemment à rendre aucune des pro- (( vinces qu'il en avoit détachées. Enfin les deux c( rois élurent douze grands seigneurs de France, « pour mettre fin , par leur sentence, à cette « querelle. Le seigneur Arnolphe , évêque de « Melz, fut l'un des élus, avec d'autres évê- aques; lequel, conformément à sa sainteté, (( parla bénignement pour la paix entre le père « et le fils. Enfin les pontifes et les plus sages « parmi les grands les pacifièrent l'un avec l'au- « Ire. Clothaire rendit à l'Austrasie toutes les ^(^ provinces contigues qui lui avoient appar-

l6 HlSTOIllE

625. « tenu, et il gartia seulement pour lui celles qui (c étoient situées au midi de la Loire ou dans la (( ProVence (i). » Il ne faut point oublier que Dagobert n'a voit alors que dix-huit ans : au lieu de voir dans cette querelle Fambition d'un fils aux prises avec celle de son père, on doit la regarder comme une contestation entre les deux royaumes , sur le système de division le plus avantageux aux provinces.

626. La quarante-quatrième année du règne et de la vie de Clolhaire II, le maire du palais de Bourgogne, auquel il avoit principalement sa victoire sur Bruneliault, Warnacliaire mou- rut, laissant une veuve nommée Bertlie, que son fils Godinus épousa aussitôt. Soit que Clo- thaire fût révolté du scandale que donnoit un fils épousant sa belle-mère , soit qu'il craignît de voir affermir le crédit d'une famille déjà trop riche, il ordonna au duc Arnebert, qui avoit pour femme une sœur de Godinus, de se rendre maître de lui, et de le tuer. Le fils de Warna- chaire, attaqué par l'armée royale, reconnut son danger et s'enfuit en iVustrasie avec sa fenmie, pour réclamer la pioteclion de Dagobert, qui s'intéressa vivement pour lui. Clothaire , pa- roissant céder aux sollicitations de son fils, pro- mit la vie à Godinus, pourvu qu'il renonçât à

(i) Fredeg. Cap. 55 , p. 434- Jimoini. Lili. IV, cap. la, p. 1-Ï5, ÏIddriani, Fcdesii. Lib. XVIÏI, p. 47-

DES FRANÇAIS. I7

un mariage incestueux, et qu'il jurât fidélité au (î^c roi, sur le tombeau des saints les plus respectés du royaume. Godinus se soumit; il abandonna sa femme, et, accompagné de ses cliens qui for- moient pour lui une petite armée, il prêta ser- ment de fidélité sur la tombe de saint Médard à Soissons, et sur celle de saint Denis à Paris. Clothaire exigea qu'il répétât le même serment sur le tombeau de saint Aignan d'Orléans, et de saint Martin de Tours. Godinus, reprenant confiance dans les promesses royales , renvoya nne partie de sa suite avant d'entreprendre ce voyage, et à son arrivée dans un faubourg de Chartres, il y fut massacré par l'ordre de Clo- thaire. Plusieurs de ceux qui le suivoient furent aussi tués : on permit aux autres de s'enfuir, après avoir pillé leurs efîets. Ainsi le père et le fils, méprisant les sollicitations l'un de l'autre, firent, chacun à leur tour, périr le suppliant qu'ils s'étoient réciproquement recommandé, et qu'ils avoient feint de recevoir en grâce. Clo- thaire assembla ensuite à Troyes les états de Bourgogne, et leur proposa d'élire un nouveau maire du palais, en remplace^gj^nt de Warna- chaire; mais l'assemblée s'y refusa unanime- ment , aimant mieux se confier à la justice du roi. (i)

(i) Fredeg. Gap. 54, p. 4^4- Aimoini. Lib. IV, cap. i4t p. \i'^. Hadt\ ralesii. Lib. XVIII, p. 5a.

TOME II. 2

l8 HISTOIRE

C27. Clolhaire a voit des mœurs plus rangées qu'au-

cun autre des rois mérovingiens ; on ne lui connoît que deux reines, Bertrude et Sichilde; Tune lui avoit donné pour fils Dagobert ; l'au- tre, Cliaribert, qui étoit de quelques années plus jeune, mais qui étoit cependant long- temps avant la mort de Bertrude. Ce fut peut- être pour assurer la bonne intelligence entre ces deux frères , que Clothaire fit épouser au premier la sœur de la mère du second. Les deux reines de Neustrie et d'Austrasie, Sichilde et Gomatrude, avoient pour frère un duc Bro- dulplie, qui jouissoit d'un grand crédit parmi les Francs. Dans une assemblée des états des royaumes de Neustrie et de Bourgogne, tenue àClichy, un grand seigneur saxon, nommé JEgina , fit tuer, en 627, le gouverneur du palais de Charibert. Brodulphe se crut appelé à venger cet aftVont fait à son neveu ; il soupçonna peut- être que l'attaque avoit été ordonnée par le roi d'Austrasie, dont iEgina étoit sujet. Les Neu- striens se présentèrent à lui en foule pour lui offrir leurs épées ; les Saxons et les Austrasiens, commandés p^^gina , se fortifièrent sur les hauteurs de MoSntmartre. Une bataille acharnée sembloit devoir décider leur différend- Clo- thaire II parvint enfin à les apaiser, en ordon- nant aux Bourguignons de prendre les armes , et de se joindre à celui des deux partis qui con-

DES FRANÇAIS. I9

seniiroit à se soumettre au jugement royal. Ou Gî3. ne sait point quel fut ensuite ce jugement, mais le sang des Français ne fut pas versé dans un combat inutile, (i)

C'est la dernière action de Clolliaire II qui nous soit connue ; une profonde obscurité règne sur toute cette époque, et nous ne devons tenter de rien ajouter au laconique récit de Frédégaire. Clothaire II, qui avoit régné qua- rante-cinq ans en Neustrie , ou autant qu'il avoit vécu , et seize ans en Bourgogne, mourut en 628. Il fut enseveli dans Féglise de Saint- Vincent, aujourd'hui Saint-Germain-des-Prés, avec les autres rois de sa famille. Il ne paroi t point qu'il eût pris des mesures pour assurer le partage de son héritage entre ses deux fils; etDagobert, déjà appuyé par toutes les forces de l'Austrasie, prit aussitôt les armes pour s'as- surer aussi de la Neustrie et de la Bourgogne. En même temps qu'il appeloit à son armée les leudes d'Austrasie , il envoyoit des messagers dans laBourgogne et la Neustrie, pour demander à ces peuples de le reconnoître pour leur roi. Les évêques et les leudes de Bourgogne vinrent à sa rencontre jusqu'à Reims, et se soumirent à lui. Les grands de Neustrie étoient convoqués à Soissons; mais leur assemblée ne fut pas com- plète. Tandis que ceux qui s'étoient rendus dans

(1) ^rede^arii. Cap. 55, p. 4^5.

20 HlbTOIRE

C28. cette ville reconmirent Dagobert , les autres , se rangeant sous les étendards de Brodulplie, choisirent Charibert pour leur roi , et lui for- mèrent une armée dans les provinces méridio- nales du royaume, (i)

Déjà Dagobert étoit maître de toute la Bour- gogne, d'une partie de la Neustrie , et des tré- sors qui avoient appartenu à son père; cepen- dant , soit qu'il n'osât pas poursuivre la guerre contre son frère dans la France méridionale, ou qu'il éprouvât pour lui quelque compassion, comme Frédégaire le donne à entendre, il traita avec lui par l'entremise des grands de ses états. Apparemment que le crédit de Brodulphe s'é- tendoit surtout sur l'Aquitaine, puisque ce fut le royaume qu'il obtint en partage pour son neveu ; toutefois, depuis 667, l'Aquitaine avoit cessé de former un état , et ses provinces , héritage de Charibert P^, avoient toujours été partagées entre les trois autres royaumes. Cha- ribert Il fit de Toulouse sa capitale; il y habita les palais des anciens rois visigoths , et il éten- dit sa domination de la Loire aux Pyrénées, au pied desquelles il remporta quelques vic- toires sur les Gascons. (2)

(i) Fredegarli. Cap. SQ^ p. 455. Gesta Dagoherti régis. Cap. i5 el i6, p. 583. Aimoini. Lib. IV, cap. l'j ^ p. iiS. Gesta reg.frcmcor. Cap. ^i , p. 568. Chron. Moissiac. p. 65i. Hadr. ralesii. Lib. XVIII , p. 65.

(2) Fredegarii. Cap. Sj, p. 435. Gesta Dagoberti reg.

DES FRANÇAIS. 21

De son côté , Dagobert , en réunissan l la Neu- Gig. si rie et la Bourgogne à FAustrasie , voulut faire le tour de ses nouveaux états. Frédégaire nous raconte son voyage, et son récit est le monu- ment le plus authentique d'un règne dont tous les événemens nous sont peu connus. « Il entra (( en Bourgogne, dit notre auteur, et frappa (( de tant de terreur les pontifes, les grands et (( le reste des leudes de ce royaume, qu'il en <( devint l'objet de Fadmiration universelle. Il c( répandoit ainsi une grande joie parmi les (( pauvres , auxquels il faisoit obtenir la justice. (( Lorsqu'il arriva à Langres , il prononça ses (c jugemens avec tant de justice entre les leudes, c( aussi-bien les plus pauvres que les plus émi- (( nens, qu'on dût croire qu'il étoit entièrement (( agréable à Dieu ; car il ne recevoit aucun (f présent , il ne faisoit aucune acception de «personnes, et il ne laissoit dominer que la (( seule justice que le Très-Haut chérit. De , (( il prit le chemin de Dijon et de Saint-Jean- «de-Lône, il résida quelques jours, avec (c une forte volonté de juger le peuple de tout (( son royaume selon la justice. Plein de ce désir c( bienfaisant, il n'admettoit point le sommeil c( dans ses yeux, il neserassasioitpointdenour- ccritare, n'ayant d'autre pensée que de fiiire

Cap. i5 et 16, p. 585. lïist. génér. du Languedoc, Liv, VII, cliap. I , p. 329. Hacir. J^alesii. Lib. XIX, p. 81.

0/2 HISTOIRE

(>'i(j. (( que tous pussent se retirer contens de sa pré- ce sence, après avoir obtenu justice. Le jour « même il comptoit se rendre de Saint-Jean- c(de-Lône à Cliâlons, il entra dans le bain «avant qu'il fît tout-à-fait jour, et en même c( temps il fît tuer Brodulphe, oncle de son frère « Charibert. Les ducs Amalgare et Arnebert, «avec le patrice Willibad, furent chargés de « cette exécution. A Châlons, Dagobert conti- (c nua à accomplir, par amour de la justice , les « œuvres qu'il avoit commencées. Ensuite , «traversant les villes d'Autun, d'Auxerre et « de Sens, il arriva à Paris. il laissa, dans « le palais de Reuilly, la reine Gomatrude, dans « le lieu même il Tavoit reçue en mariage , et « il éleva au rang de reine Nantechilde, une des «jeunes filles qui l'avoient servie. Jusqu'alors, « à partir du commencement de son règne, il « avoit surtout suivi les conseils du très-saint « évêque de Metz, Arnolplie , et de Pépin , le « maire du palais ; et il avoit gouverné l'Au- « strasie avec tant de bonheur , que ses louanges « étoient dans la bouche de tous les hommes. «D'autre part, son utilité (son application aux «affaires) avoit imprimé une terreur si forte, «que toutes les nations qui habitent dans le « voisinage des Avares et des Slaves, attendoient « sa venue. Elles ne doutoient point qu'accom- «plissant heureusement sa route jusque der-

DES FKANÇAIS. aS

(( rière leurs frontières, il ne soumît k son em- 629. (( pire les Avares , les Slaves, et tout le reste des (( nations , jusqu'aux lieux qui appartiennent à (( la main publique. » (C'est ainsi que Frédé- gaire appelle toujours FEmpire, qui, même à Constantinople , usurpoit encore le nom de république. ) ce Après la retraite de samt Arnol- c( phe (qui s'enferma dans un couvent qu'il c( avoit bâti dans les Vosges), Dagobert continua « à se servir des conseils de Pépin le major- ce dôme , et de Cliunibert , évêque de la ville c( de Cologne *, et , fortement admonesté par <( eux , il gouverna les nations qui lui étoient «soumises, jusqu'à son retour à Paris, avec (( tant de prospérité et d'amour de la justice, (( qu'aucun des rois francs ses prédécesseurs (( n'avoit obtenu plus de gloire. Mais la hui- 63®. (( tième année de son règne, comme il faisoit c( le tour del'Austrasie avec une pompe royale, c( il appela à son lit une jeune fille, nommée (( Ragnetrude, dont il eut, la même anne'e , un « fils, nommé Sigebert. Revenant ensuite dans (c la Neustrie , et s'affectionnant au palais de «son père, Clothaire, il résolut d'y fixer sa « résidence. Là, oubliant entièrement la justice (c qu'il avoit auparavant chérie, il ne s'occupa « plus qu'à remplir ses trésors des dépouilles c( des églises , et des biens de ses leudes , qu'une (( cupidité insatiable lui faisoit recueilli^ de

24 HISTOIRE

c( toutes parts. S'abandonnant sans mesure à la «luxure, il avoit, à l'exemple de Salomon , «trois reines et un grand nombre de concu- « bines. Les reines étoient Nantechilde, Wul- « fegunde et Berchilde ; quant aux noms des «maîtresses, comme il y en avoit beaucoup 3 « j'ai redouté la fatigue de les insérer dans cette « chronique. Son cœur s'étoit ainsi détourné «et retiré de la pensée de Dieu; cependant, «comme il accordoit d'abondantes aumônes « aux pauvres, si la cupidité n'avoit enfin mis «un terme à ses charités, il auroit sans doute « mérité le royaume de la \'ie élernelle. » (i)

Le compte que Frédégaire rend du caractère de Dagobert , de son amour pour la justice , de îa terreur qu'il inspiroit, et de son intempé- rance , peut paroître quelquefois inconséquent ; mais il porte l'empreinte du siècle barbare il fut écrit, et des opinions de l'auteur; on sent sa bonne foi , lors même qu'on est le moins disposé à adopter son jugement. Les autres écri- vains auxquels nous pouvons avoir recours, sur le règne de Dagobert, n'inspirent point une même confiance. Son biographe, moine de Saint-Denis , qui vivoit au neuvième siècle , a recueilli sur lui les fables les plus absurdes. L'auteur des Gestes des rois francs, qui paroît avoir vécu en 720, se montre tout aussi cré-

(0 Fredegarii. Cap. 58, 69, 60, p. 456, 437-

DES FRANÇAIS. 25

dule et tout aussi iguorant. De nombreuses Vies GZo. des Saints ont servi , aux écrivains postérieurs , à suppléer à la brièveté de Frédégaire; mais leurs auteurs 5 quoique souvent contemporains, ne peuvent que nous égarer. Ce sont des moines qui se montrent absolument incapables de dis- cerner le vrai ou le vraisemblable, pour tout ce qui se passoit en dehors de l'enceinte de leur couvent. Tantôt ils adoptent les contes popu- laires les plus absurdes, tantôt ils confondent eux-mêmes les événemcns , par une fraude pieuse, pour faire jouer à leurs saints un rôle })1 us glorieux. Ces récits brouillent tellement la géographie , la chronologie, les noms les mieux connus, les faits les plus avérés, que les miracles qu'ils racontent avec profusion sont encore la partie la moins incroyable de leurs récits. Les érudits des dix-septième et dix-huitième siècles ont rétabli les noms altérés, rectifié la chrono- logie, supposé des fliutes de copiste la géographie étoit violée , supprimé les circon- stances les plus absurdes, expliqué les autres par des conjectures , et ils ont ainsi glané, dans les Vies des Saints , quelques actions et quelques dates; mais la source en est si suspecte, qu'il vaudroit mieux peut-être s'en abstenir entière- ment, (i)

(i) Gesta Dagoherti régis. Cap. 21 , 22 , p. 585. Gesta regiim franc or. Cap. 4i ? 4^; p. 568. Les béuédictiûs ont re-

l6 HISTOIRE

63o. Lorsque Dagobert , âgé de vingt-lrois ou vingt-

quatre ans, voulut s'abandonner à ses passions honteuses , il retira sa confiance à Pépin , maire d'Austrasie, pour se livrer aux conseils du Neustrien ^ga , qui a voit été formé à la cour de son père , Clotliaire II. Il força même Pépia à quitter l'Austrasie, pour vivre à Paris sous sa surveillance. En 63o, il le chargea de con- duire à Orléans son fils Sigebert, pour y être présenté au baptême par Charibert son frère. Le roi d'Aquitaine , qui s'avança jusqu'à cette ville, ne paroît point avoir eu d'entrevue avec

^3^- Dagobert. 11 mourut en 65 1 , peu après son retour à Toulouse. Dagobert fit aussitôt saisir son trésor, et égorger son fils, nommé Chil- péric, qu'il laissoit en bas âge (i). On a pré- tendu que Charibert avoit laissé deux autres fils encore , nommés Boggis et Bertrand , qu'il avoit eus de Gisèle, fille d'Amand, duc des Gascons ; que ceux-ci , protégés par leur aïeul maternel , échappèrent aux embûches de leur

cueilli parmi les historiens de France , tome III , p. 5og , des extraits de la vie de dix-sept saints contemporains de Dagobert. Adrien de Valois , qui leur a emprunté plusieurs circonstances , met aussi leur inconséquence sous un plus grand jour. Celle entre autres du biographe de Saint-Amand, a l'occasion du baptême du fils aîné de Dagobert. {Hadr. J^alesii , Lib. XIX j, p. 95.)

(i) Fredeg. Cap. 6i , 62 , 67, p. 45; , 439. —Hadr. Falef. Lib. XIX, p. 102.

DES FllANÇAlS. 2^

oncle, et recouvrèrent plus tard Phéritage de 63i. leur père. Telle fut, dit-on, Torigine du duché d'Aquitaine. La généalogie de CCS d ucs est foiidée sur une charte de Charles-le-Chauve, de l'an 845; mais peut-être, dès cette époque, faut-il se défier de la vanité des grands seigneurs , qui cherchoient à se donner une origine royale. Les noms de Boggis et de Bertrand ne semblent point appartenir à la race mérovingienne, et aucun duché n'avoit encore été donné en apa- nage à aucun fils de roi. (i)

De même que celui de Clothaire II, l'empire de Dagobert s'étendoit des Pyrénées jusqu'aux bords de l'Elbe, et de l'Océan occidental jus^ qu'à la Bohême et-la Hongrie, occupées par les Vénèdes et les Avares. Une aussi vaste monar- chie inspiroit à ses voisins un respect mêlé de crainte. Les Lombards d'Italie permirent plus d'une fois à Dagobert de se mêler dans leurs affaires domestiques, de prendre, entre autres, la protection de leur reine Gondeberge , sa pa- rente, qui avoit élevé au trône Rolharis, duc de Brescia, et qui avoit été ensuite victime de son ingratitude (i). En Espagne, l'alliance de Dagobert fit élever sur le trône des Visigoths Sisenand à la place de Suintilîa. Le premier fat

(i) Hist. génér. du Languedoc, Liv. VII , ch. 5 , p. 532. Idem , note 85 , p. 688 , et preuves p. 86. (i) Fredegarii. Cap. 70, 71 , p. 4^0.

28 HISTOIRE

63i. conduit jusqu'à Saragosse par deux ducs bour- guignons, licutenans du roi franc, et il recon- nut leur assistance au prix de deux cent mille sous d'or, (i)

Sur la frontière la plus orientale de l'empire franc , les lieutenans de Dagobert éprouvèrent quelques revers. Le commerce du Danube, qui avoit élevé Samo sur le trône des Vénèdes, attiroit dans ces contrées un nombre toujours plus grand d'aventuriers français. Leurs cara- vanes , établissant une communication entre le levant et le couchant, se chargeoient des ma- nufactures de la Grèce et des épiceries de l'Inde, qu'elles répandoient dans la Germanie et la Gaule : elles étoient préparées à repousser avec vaillance les voleurs scythes et sarmates, qui souvent , par grandes bandes , les attendoient au passage. Mais le Danube séparoit le pays des Vénèdes de celui des Avares, leurs ennemis; et, dans une expédition des premiers contre les seconds, une nombreuse et riche caravane de marchands francs fut attaquée parles Vénèdes, dépouillée de toutes ses richesses , et en partie massacrée. Dagobert envoya au roi Samo un Franc, nommé Sicharius, pour lui demander réparation ; et celui-ci, n'obtenant pas assez tôt la justice qu'il croyoit lui être due, reprocha insolemment au roi des Vénèdes d'oser désobéir

(i) Fredegaril. Cap. 70, p. 44 ^^

DES FRANÇAIS. 29

au roi des Francs, son maître. Samo répliqua qu'il étoit l'ami et l'allié de Dagobert, et non son serviteur; et Sichaire répondit avec arrogance qu'un roi chrétien , serviteur de Dieu, ne pou- voit être l'ami ou l'allié de chiens, de mécréans, et d'idolâtres, (c Gardez , reprit Samo , que ces (c chiens ne vous fassent voir qu'ils savent (( mordre les mauvais serviteurs de Dieu. » (i) Dagobert fit alors attaquer en même temps le pays des Vénèdes par les Lombards, les Alle- mands etles Austrasiens. Ariowald, quirégnoit à cette époque sur les Lombards , sans être sujet de Dagobert , n'osoit point se refuser à ses invi- tations ; il s'avança par le Frioul 5 Chrodebert. duc des Allemands, marcha sur la droite du Danube; les Austrasiens, sur la gauche. Samo a voit réservé toutes ses forces pour combattre les derniers; aussi les Lombards et les Alle- mands revinrent du pays des Vénèdes, en ra- menant un grand nombre de captifs. Mais les Austrasiens rencontrèrent Farméede Samo dans un lieu nommé Wogastiburg. Le combat dura trois jours; enfin, les Francs furent défaits avec une perte immense; ceux qui réussirent à s'échapper abandonnèrent tous leurs bagages. LesYénèdes, à leur tour, pénétrèrent à plu- sieurs reprises dans la Thuringe, et la dévas- tèrent, ainsi que d'autres provinces de la Ger-

(0 fredegarii. Cap. 68, p. 439.

3o HISTOIRE

manie. Dervan , duc des Urbiens, peuple de race esclavonne , qui jusqu'alors avoit obéi aux Francs, prit cette occasion pour secouer leur joug, et se mettre sous la protection du roi Samo. (i)

Dans le même temps, les Avares de la Pan- nonie éprouvèrent aussi une révolution. Deux prétendans se disputoient la couronne; l'un, de la race des Huns, l'autre, de celle des Bul- gares. Après un combat entre les deux peuples, soumis jusqu'alors à un même monarque, les Bulgares , vaincus , furent chassés de la Panno- nie. Neuf mille guerriers de cette nation, avec leurs femmes et leurs enfans, se présentèrent sur la frontière de l'Austrasie, et demandèrent à Dagobert de leur assigner quelque part des quartiers dans le vaste empire des Francs. Da- gobert ordonna aux Bavarois de les recevoir dans leurs maisons. En effet, pendant Tliiver suivant, ils furent distribués dans les villages de Bavière, à de grandes dislances les uns des autres; mais bientôt Dagobert, ne sachant les établir ensuite , et craignant peut-être qu'ils ne lui attirassent des hostilités de la part des Avares, donna ordre aux Bavarois de les mas- sacrer tous en une seule nuit. Ceux qui, pen- dant six mois, avoient reçu ce peuple fugitif

(i) Fredegarii. Cap. 68, p. 439- Gesta Dagobevti régis. Cap. 27, p. 586. -fffl^r. ralesii, Lib. XIX , p. io3.

DES FRANÇAIS. 3l

leur table, qui s'éloient liés envers lui par les C3i. rapports sacrés de rhospitalité , n'hésitèrent point à exécuter cet ordre perfide. Tout périt à la fois, guerriers, femmes et enfans, à la ré- serve du seul duc Altiaeus, qui, avec environ sept cents familles, réussit à s'enfuir chez les Vénèdes , par lesquels ce malheureux reste des Bulgares fut respecté, (i)

UsLunée suivante , ou la dixième du règne de 632. Dagobert en Austrasie, on lui annonça que l'ar- mée des Yénèdes étoit de nouveau entrée en Thu- ringe. A cette nouvelle, il rassembla, à Metz, l'armée austrasienne , et traversant les Ar- dennes, il la conduisit à Mayence avec l'inten- tion de passer le Rhin. En même temps il avoit appelé à lui l'élite des soldats de la Neustrie et de la Bourgogne, sous leurs ducs et leurs comtes divers. 11 n'avoit point encore passé le fleuve , lorsque les Saxons lui envoyèrent des députés pour le supplier de leur remettre les tributs qu'ils payoient à son fisc , s'engageant en retour à résister avec leurs seules forces aux Vénèdes, etàdéfendre contre eux lesfrontières des Francs. Les Neustriens entreprenoient à regret un long voyage au travers de la Germanie , pour proie-

(i) Fredeg. Cap. ni , p. 441. Aimoini. Lib. IV, cap. 24» p. i3o. Gesta Dagoberti. Cap. 28, p. 687. —Chroniques de Saint-Denys, Liv. V, ch. i3, p. 292, Hadriani ralesii, Lib. XIX, p. io5-io8.

02 HISTOIRE

632, ger contre un peuple barbare une province également barbare- ils sollicitèrent Dagobert d'accepler la proposition des Saxons. Les dé- putés de ceux-ci prêtèrent sur leurs armes, selon l'usage de leur nation, le serment de dé- fendre la frontière austrasienne ; taudis que le roi leur abandonna le tribut que depuis le règne de Clolhaire i^"^, leurs ancêtres avoient payé aux rois francs ; puis il licencia son ar- mée. ([)

G:iZ. Le tribut annuel dont les Saxons avoient de-

mandé à être dispensés à une condition si oné- reuse, n'éloit que de cinq cents vaches. Pour croire que plutôt que de le payer ils préféroient supporter seuls tout le poids de la guerre, il falloit un grand désir de se faire illusion à soi- même. En effet, dès l'année suivante les Vénèdes recommencèrent leurs ravages en Thuringe, sans que les Saxons fissent aucun effort pour les arrêter ; mais il avoit suffi aux Neustriens de faire manquer l'expédition projetée : les Austrasiens ne mettoient pas plus de zèle à cette guerre ; onlessoupçonnoit même de s'être, à dessein , laissé battre par Samo , deux ans au- paraA^ant. Ils se repentoient d'avoir aidé leur roi à soumettre la Neustrie et la Bourgogne ; dès lors le siège du gouvernement avoit cessé d'être

(i) Fredeg. Cap. 74, p. /^l{\.— Aimoini. Lib. IV, cap. 26, p. i3i. Hadr. F^alesii, Lib. XIX, p. m.

DES FRANÇAIS. 55

dans leur pays; ils avoient perdu toute influence ^53- dans ses conseils ; leurs plus grands citoyens éloient même arrachés par lui à leurs foyers , et retenus à sa cour dans une espèce de captivité. Ils réclamoient un monarque indépendant, et Dagobert se décida à les satisfaire. Une de ses maîtresses , nommée Ragnetrude , lui avoit donné, en 65o, un fils, le premier que son nom- breux sérail lui eût encore produit. Il fit cou- ronner à Metz , sous le nom de Sigebert m, cet enfant âgé de trois ans ; il le confia aux soins de Chunibert , évêque de Cologne , et du duc Adel- gise ; car il ne voulut point permettre au maire du palais. Pépin, de retourner en Austrasie. Cependant les pontifes et les grands parurent contens; les Austrasiens furent flattés de voir rétablir à Metz une cour, un trésor et un gou- vernement national, et dès lors ils défendirent, avec leur ancienne énergie , les frontières de l'empire franc contre les Vénèdes. (i j

A peine la restauration du royaume d'Au- 53^^ slrasie étoit accomplie , lorsque Nantechilde , l'une des reines de Dagobert , lui donna un fils à son tour, qui fut nommé Clovis. Le roi ne voulut point exposer ce nouvel enfanta être dé- pouillé de son héritage, comme son frère Cha- ribert avoit été dépouillé par lui-même. Il lui

(i) Fredeg. Cap. 75, p. 44^. Aimoini. Lib. IV, cap, 26, p. i'5i,-~Hadr, raUsïL Lib. XIX, p. 114,

TOME II, 3

54 HISTOIRE

63-}, destina en partage la Neustrie et la Bourgogne, qui, réunies sous le nom de France occidentale, n'égaloient pas même FAustrasie en étendue. Il marqua avec précision les limites des deux do- minations , rendant à la couronne d'Austrasie tout ce qu'elle avoit possédé dans l'Aquitaine et la Provence , mais en exceptant formellement le duché de Dentelin , que la violence seule avoit détaché de la couronne de Neustrie. Il eut ce- pendant besoin d'employer toute son autorité pour faire renoncer les Austrasiens à leurs pré- tentions sur ce duché. Le partage fut ensuite confirmé par les sermens des prélats , des grands seigneurs , et des leudes des trois royaumes, (i)

(;36. Les Gascons avoient été contenus quelque

temps dans les Pyrénées , même après la mort de Charibert , qui avoit remporté sur eux une grande victoire. Mais en 656, ils recommencè- rent leurs incursions , et dévastèrent la Novem- populanie. Dagobert,pour les réprimer, dt)nna ordre àChadoine, son référendaire, de lever une armée en Bourgogne. Dix ducs s'y rendirent avec leurs troupes , et parmi ceux-ci , huit étoient Francs d'origine, un neuvième Saxon, un dixième Romain. Le bourguignon Wilibad, décoré du titre de patrice, y conduisit aussi ses soldats, de même qu'un grand nombre de com-

(i) Fredeg. Cap. 76, p. ^/^i. Hadr. Valesii. Lib. XIX, p. ii5.

DES FRANÇAIS. 5j

tes, qui n'étoient soumis à aucun duc. Ainsi, cliacune des nations qui habitoient les Gaules, portoit les armes sous les mêmes étendards, et parlicipoit au pouvoir militaire. Les Gascons, repoussés de la plaine , s'enfuirent dans les dé- filés des montagnes, ils se défendirent avec vigueur, dressant derrière chaque rocher des embuscades aux soldats. Cependant un grand nombre d'entre eux avoit péri dans ces combats journaliers, dWtres étoient emmenés en cap- tivité, et vendus loin de leur patrie; toutes leurs maisons étoient brûlées, toutes leurs ré- coltes étoient détruites , et ils se virent enfin réduits à se soumettre à Dagobert, en promet- tant que leur duc se rendroit à Paris avec les principaux de la nation , pour répéter le ser- ment d'obéir au roi des Francs, et de ne plus molester leurs voisins.

Ce ne fut pas sans crainte qu'Amand , duc des Gascons , s'avança au milieu de la France. Un duc des Francs, Arembert, s'éloit laissé surprendre dans la vallée de Soûle, et il y avoit été massacré par les Gascons avec les plus nobles seigneurs de son armée. Ses parens, ses héritiers pou- voient se croire obligés à le venger. Aussi, Amand,avec les capitaines Gascons qui l'accom- pagnoient, au lieu de se présenter à Dagobert, à Clichy , alla-t-il d'abord chercher un refuge dans la basilique de Saint -Denis. Ce ne fut

63G.

56 HISTOIRE

636. qu'après que ses ennemis eurent juré de garder la paix avec lui, qu'il alla à son tour rendre son hommage, (i)

Les Bretons , de leur côté , avoient exercé quel- ques brigandages dans les provinces des Gaules qui les avoisinoient. Dagobert les menaça de faire marcher contre eux Tarmée qui avoit dompté les Gascons , s'ils ne réparoient pas le dommage qu'ils avoient causé. Le chef des Bre- tons, que Frédégaire appelle leur roi , étoit alors Judicael, qui plus tard renonça au monde, prit l'habit de moine, et fut vénéré comme un saint. Il îiccourut à Clichy, auprès de Dagobert , lui porta des présens considérables, et fît tous les ac- tes de soumission qui pouvoient assurer la récon- ciliation de son peuple. Cependant il refusa de dîner avec un prince qui donnoit un exemple trop scandaleux de dérèglement; il préféra la table d'Audoin , alors référendaire du roi, mais qui plus tard fut évêque de Rouen , et inscrit comme Judicael au rôle des saints. Ce dernier, après avoir signé son traité de paix, se hâta de retourner dans sa province. (2)

Dagobert, dont saint Judicael évitoit la table

(1) Fredeg. Cap. 78, p. l^l^i. Hadr. Valesii. Lib. XIX, p. 118. Histoire génér. du Languedoc , Liv. YII , cap. i3, p. 337.

(2) Fredeg. Cap. 78, p. 44^* Gesta Dagohertl. Cap. 58, p. 590.

DES FRANÇAIS. Sy

comme s'il eût été excommunié , n'étoit pas 636. également réprouvé par tous les saints. jNous avons vu que saint Audoin , qu'on a depuis ap- pelé saint Ouen , étoit son référendaire ; saint Éloi , ami de saint Ouen, étoit son orfèvre, el de plus son conseiller et son directeur pour toutes les dévotions somptueuses par les- quelles Dagobert s'efforçoit de racheter ses pé- chés. C'étoit en travaillant à des statues de saints et à des ornemens d'église, qu'Eloi, par son désintéressement et son habileté , avoit gagné la faveur du roi. Bientôt il lui commu- niqua son zèle ardent pour fonder et enrichir des monastères, et alors il ne s'imposa plus le même désintéressement. Saint Eloi, du profit de son orfèvrerie , ou plutôt des libéralités du roi, fonda le magnifique couvent de Solignac, il rassembla cent cinquante religieux; il en fonda d'autres encore qu'il dota tous avec une somptuosité royale. A son exemple , Dagobert faisoit consister toute sa religion dans sa libé- ralité envers les moines. Saint Denis étoit son patron; il lui bâtit, aux portes de Paris, l'église qui fut ensuite destinée aux tombeaux des rois ; il l'orna avec profusion , des matériaux les plus riches; il y fit exécuter les travaux les plus parfiiits dont les artistes de cet âge fussent capables. 11 ne se fit point scrupule, puur l'enrichir, de dépouiller toutes les autres

58 HISTOIRE

G36. églises ; et tandis que les moines de Saint-Denis célébroient sa prodigalité , ceux du reste de la France se plaignoient de ses extorsions. Dago- bert ne s'étoit pas contenté d'enricliir la basi- lique du saint , il avoit voulu que les moines qui y répéleroient pour lui de continuelles prières , fussent les plusopulens de l'Europe. Leurs pos- sessions étoient distribuées dans toutes les pro- vinces , et le catalogue des donations qu'il leur fit, passe toute croyance. Aussi les religieux de cette époque n'iiésilèrent point à croire que tant de munificence avoit amplement compensé le scandale que Dagobert avoit pu donner par ses débauches ou ses cruautés, (i)

638. Dagobert n'avoit probablement que trente-

un ans, lorsque, au commencement de Fan- née 638 , il se sentit atteint, à Epinay^ d'une dyssenterie. Il se fit aussitôt transporter à Saint- Denis, pour avoir l'assistance des prières des moines. Mais bientôt il reconnut les approches de la mort ; alors il fit appeler yEga , le plus grand seigneur de Neustrie, et son principal ministre ; il lui recommanda la reine Nante- childe et son fils Clovis , puis il mourut le 19 janvier. Les moines qu'il avoit comblés de bien- faits, annoncèrent au monde qu'ils étoient as-

(i) Scuicti Eligii vita à sancto Audoeno scripia. Script, franc. T. III, p. SSi-S56. Gesta Dagoberti. Gap. 17, seq. p. 58 j , cap. 42, p. 592.

DES FRANÇAIS. ^9

sures de son salut. Un saint dont Fermitage étoit g:'.8. situé non loin d^une des bouches de Fenfer, au volcan de Slromboli, avoit vu passer une na- celle dans laquelle les diables emporloient aux tourniens éternels l'âme de Dagobert , nue , chargée de fers et accablée de douleurs; mais les trois saints auxquels il avoit montré le plus de dévotion , Denis , Maurice et Martin , étoient accourus à son aide , et l'avoient délivré. La re- présentation de cette légende est au nombre des bas-reliefs qui ornent le tombeau du roi. (i)

Ce n'est pas sans regret qu'on quille l'histoire de Dagobert , sans pouvoir en apprendre davan- tage sur un prince qui régna sur un empire pres- que aussi vaste que celui de Charlemagne , qui , comme lui , réforma la législation , car c'est par son ordre que les anciennes lois des Saliens fu- rent publiées , aussi-bien que celles des Bava- rois et des Allemands ; qui couvrit la France de monumens religieux, remarquables par le pro- grès des arts et de l'opulence qu'ik supposent, et par le goût nouveau qui présida à leur con- struction. Mais une profonde obscurité couvre toutes ses actions ; elle s'épaissit encore pendant

(i) Fredeg. C. 79, p. 443- Epitaphiiim Dagoherti régis. T. II. R. franc, p. Sqô. Aimoini. Lib. IV, cap. 53, p. i54» Gesta Dagoberli. Cap. 44 > P- ^9^- Chroniques de Saint- Denys, Liv. Y, chap. 19, p. 000. Hadr. plaies. Lib. XIX, p. 126-155.

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638. tout le siècle qui le suivit. Il est le dernier des rois de la race mérovingienne qui ait réelle- ment pu soutenir le sceptre. Après lui com- mence la succession de ces rois fainéans qui dis- paroissent dans Tombre , et qui se dérobent à toutes nos recherches.

5-6-io. Dagobert laissoit deux fils, Sigebert III, roi d'Austrasie, âgé de huit ans environ, et Clo- •vis II, roi de Neustrie et de Bourgogne, âgé de moins de quatre ans. Le premier fut mis sous la tutelle de Pépin , maire du palais d'Au- strasicjqui, dès la mort de Dagobert, retourna à Metz, avec une moitié du trésor du feu roi, et reprit pacifiquement possession de sa dignité ; le second fut confié à ^ga, maire du palais de Neustrie, homme plein de prudence et de pa- tience, ami de la justice, éclairé par l'étude des belles-lettres , et qui donnoit avec prompti- tude les réponses savantes sur le droit qu'on attendoit de lui comme grand juge du royaume. C'est le témoignage que lui rend Frédégaire; il ajoute, il est vrai, qu'on Faccusa d'avarice : cependant il fit rendre aux grands de Neustrie et de Bourgogne, un grand nombre de proprié- tés qui avoient été confisquées sous Dagobert, par des sentences qu'^ga déclara injustes. Malheu- reusement pour la paix de la France, ces chefs des deux royaumes moururent. Pépin en ôSq, et .^ga en 640, et dès lors les Francs éjirouvè-

DES FRANÇAIS. 4t

rent tout ensemble les troubles résnUant des G39-GÎ2. minorités dans les monarchies héréditaires , et ceux résultant des élections contestées dans les monarchies électives, (i)

En Austrasie, Tautorité éloit disputée entre Grimoald , fils de Pépin , qui avoit pour lui Tar- mée et les grands, et Otlion, fils d'Uron, qui éloit précepteur de Sigebert,et qui disposoitdes courtisans, et de la volonté enfantine du monar- que. Ce ne fut qu'en 642, que Grimoald parvint à faire tuer Olhon , par Leutliaire,duc des Alle- mands. Dès lors il s'attribua l'autorité de maire du palais , qui devint entre ses mains bien plus absolue qu'elle nel'avoit été dans celles de son père. (2)

La France occidentale se composoit de i\eux royaumes , et chacun , après la mort d'yEga , eut un maire du palais. Erchinoald , parent de la mère de Dagobert, fut nommé en Neustrie , et Flaochat, en Bourgogne, à une assemblée tenue à Orléans. Ce dernier n'obtint cependant les suffrages des grands, qu'après s'être engage par serment envers eux à ne jamais révoquer leur office. Il gouverna moins de deux ans : après avoir fait massacrer son rival, le patrice Willibad , aux comices tenus à Autun , au mois de septembre 641 , il mourut lui-même au bout

(i) FredegariL Cap. 80 , 85 , p. 444, ^45. \V FredegariL Cap, 86, 88, p. 446, 447.

/|2 JilSTOIllE

63q— 642. de peu de jours de la fièvre, que les Francs re- gardèrent comme accomplissant contre lui les jugemens de Dieu, (i)

A cette époque, la province la plus orientale de la monarchie, et en même temps la plus bar- bare, se détacha de l'empire des Francs. Le duc héréditaire deThuringe, Radulphe, ne voulut plus reconnoître l'autorité des rois enfans, et des maires du palais qu^il regardoit comme ses égaux. Grimoald tenta vainement de le réduire à l'obéissance ; il fut mal secondé par les autres ducs de l'Austrasie, qui s'inléressoient plus à l'indépendance de leur collègue qu'au main- tien de la monarchie. L'armée austrasienne fut battue sur l'Undstrutt ; Radulphe traita en- suite; il consentit à reconnoître nominalement l'autorité de Sigebert III , mais dès lors il se conduisit en souverain , et il contracta, en son propre nom, des alliances avec les.Vénèdes, et les autres nations voisines. (2)

êp-Gj]. Ici notre dernier guide pour l'histoire de France, Frédégaire , nous manque tout à coup, à l'année <ol\i , et il nous laisse après lui dans une obscurité complète. Nous n'avons plus, pour composer notre récit pendant un siècle entier , que ces mêmes légendes fabuleuses , ou ces chroniques sèches et inexactes, que nous

(i) Fredegarii. Cap. 90 et ultimus , p. 44?» 44^- (2) Fredegarii. Cap. 87, p. ^f\Q,

DES FRANÇAIS. L\b

avions eu occasion de juger lorsque nous les 042—654. comparions aux écrivains comtemporains , et qui alors ne méritoient que nos mépris. Une fois que notre seul flambeau échappe de nos mains , nous ne pouvons plus distinguer les traits véiidiquesqui peuvent se trouver encore^mêlés à leurs fables. C'est une fausse manière de cher- cher des faits avérés , que de dégager les récils des romanciers de toutes les circonstances qui paroissent évidemment fabuleuses , puisque ces circonstances mêmes, ces niaiseries , ces pué- riHtés, ces prodiges, nous donnent la mesure du crédit que mérite le reste.

Sigebert III se maria fort jeune ; on nomme sa femme Sonnechildé, et son fiis Dagobert IL Il mourut en 65o, selon le calcul le plus pro- bable, âgé de vingt-un ans. Quoiqu'il ait été inscrit au rôle des saints, on ne sait absolument rien sur ses actions ou son caractère. (1)

Le règne de Clovis II , en Neustrie , ne nous est pas mieux connu. Dès qu'il approcha de l'âge d'homme , il épousa Bathilde , esclave saxonne , que le maire Erchinoald avoit ache- tée , et dont il avoit d'abord voulu faire sa maî-

(i) Hadriani Valesii. Lib. XX, p. i86. P^ita sancii Sige- berti régis Austrasiœ , aiictore Sigeberto mon. Gemblacense sœculo xii°. T. II, p. 597-602. Ejusd. Clwon. T. III, p. 543. Gesta regumfrancor. Cap. 43, p. 568. CJiron. Moissiac. p. 652.

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642— C54. tresse, mais qu'il jugea ensuite plus propre k dominer son jeune maître. Clovis II en eut trois fils, Clolhaire, Tliicrri el Childeric, qui por- tèrent , après lui , le nom de rois. On croit qu'il mourut âgé de Tingt-un ans, en 654, après seize ans de règne. L'auteur des Gestes des rois francs, qui, dans notre misère , est désormais devenu notre meilleur guide, donne peut-être à entendre que la mort de Clovis ne fut pas naturelle. Ce roi avoit fait briser l'os du bras de saint Denis, conservé dans sa basilique, pour insérer dans son scapulaire un fragment de cette relique. Les moines prétendirent qu'en punition de celte profanation , Clovis II fut frappé de folie à l'âge de dix-neuf ans, et qu'il demeura fou pendant les deux dernières années de sa vie. (c A cette époque, dit l'auleur des (( Gestes , Clovis , à l'instigation du diable, brisa (( le bras du saint martyr Denis. En même c( temps, le royaume des Francs fut abattu par (( des circonstances cruelles. Ce même Clovis fut c( adonné à toute espèce de vices : fornicateur, « séducteur de femmes , s'abandonnant à la « gourmandise et à l'ivrognerie, il n'y a rien à (( dire sur la fin de son règne et sur sa mort de c( digne de l'histoire. Plusieurs écrivains con- (c damnent sa fin, ne sachant comment se ter- « mina sa méchanceté; et, dans leur incerti- ((tude, ils racontent sur elle des choses qui

DES FRANÇAIS. /|5

« n'ont point cle fondement (i). » Aucun de ces g|2— 054, écrivains, antérieurs au huitième siècle, n'est parvenu jusqu'à nous , et nous devons sus- pendre notre jugement sur un prince qui nous est si imparfaitement connu.

(i) Gestaregumfrancor. Cap. 44, p. 56g. Continuaiio prima Fredeg. Cap. 91 , p. 449- Chron. Moissiac. p. 652. Adonis viennens. p. 669. Hermanni contracti. T. III, p. 328 Sigeberti Gemblac. p. 343. Hadriani Falesii. Lib. XX, p. 204-214.

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CHAPITRE XI.

Gouvernement d^Ebroin , et guerres civiles jusqu'à la bataille de Testry. 656 687.

L'ÉPOQUE à laquelle nous sommes parvenus est en même temps, par un contraste remarquable, Fune des plus pauvres , pour la France , en his- toriens nationaux , l'une des plus riches en monumens religieux. Pendant quatre-vingts ans tout au moins, il n'y eut pas un Franc qui songeât à transmettre à la postérité la mémoire des événemens contemporains ; et , pendant le même espace de temps, il n'y eut pas un roi, un duc , un personnage puissant , qui ne bâtît des temples pour la postérité la plus reculée j qui ne fondât , dans les églises , des services perpétuels pour célébrer sa mémoire , et qui n'instituât des prières à répéter de siècle en siècle pour un nom auquel il avoit négligé d'at- tacher aucun autre souvenir,

Nous ne saurions guère expliquer ce contraste que par l'ignorance croissante du peuple, et par l'oubli de toute idée raisonnable sur la religion. Les provinces que les Barbares avoient envahies, avoient conservé^ quelque temps encore après

DES FRANÇAIS. 4?

]a conquête, des restes de la civilisation ro- maine; les écoles n'a voient pas été absolument abandonnées , et les maîtres avoient transmis à leurs disciples, pendant quelques générations, les mêmes enseignemens à peu près qu'ils avoient reçus de leurs prédécesseurs : mais toute science recule, dès qu'elle ne fliit plus de pro- grès; toute doctrine que Ton consacre, c'est-à- dire que l'on soustrait à un nouvel examen et à de nouvelles méditations , se dénature : elle avoitété, pour ses fondateurs, le résultat de pensées profondes ; tandis que, pour la conser- ver, on interdit toute pensée nouvelle ; une soumission apathique est substituée à une vie créatrice. Rien n'est plus éloigné du génie qui inspire les modèles, que la foi pédantesque des maîtres qui les offrent à l'imitation , ou la servi- lité des écoliers qui les copient. De tels maîtres sont les vrais ennemis des anciennes traditions dont ils se déclarent les défenseurs.

Cette décadence rapide d'un enseignement tout imitateur se fait également remarquer dans les lettres sacrées et dans les profanes. A l'époque nous avons commencé notre histoire , la langue latine avoit encore produit un grand poète , Claudien , chantre de Stilichon , mort dans les premières années du cinquième siècle. La fin du même siècle vit fleurir Sidonius Apol- linaris, qui prit presque constamment Claudien

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pour modèle ; et la distance de Van à l'autre fait déjà voir ce que deviennent les belles-lettres entre les mains des imitateurs. Au sixième siècle, Tévêque de Poitiers , Fortunat, se crut encore poète , parce qu'il imita Sidonius Apolli- naris. Mais , d'imitation en imitation , la poésie latine étoit descendue à son jjIus bas terme dans les Gaules, et elle finit avec Fortunat. Les pédagogues, qui croyoient toujours enseigner la même chose à leurs disciples , les mettoient tout au plus en état de comprendre ce que leurs ancêtres avoient créé. Bientôt ils ne le com- prirent plus. Personne alors ne sentit plus d'at- trait pour une étude qui laissoit dormir toutes les facultés humaines. Il y eut, au moins pen- dant deux siècles , cessation absolue de toute composition poétique; et lorsque, au temps de Charlemagne , quelques grammairiens recom- mencèrent à faire des vers latins , c'étoient des hommes qui s'efForçoient en quelque sorte de recréer l'antiquité classique qu'on avoit perdue. Ils appartiennent déjà à la classe des érudits modernes plutôt qu'à celle des poètes de l'an- cienne Rome.

On peut signaler, dans les deux siècles que nous avons parcourus , une décadence sem- blable parmi les historiens. Sulpice Sévère, au commencement d u cinquième, avoit traité avec une élégance classique les fables et les légendes

DES FRANÇAIS. 4^

dont il avoit composé son Histoire sacrée. A la fin du même siècle, et au commencement du suivant , Cassiodore avoit encore conservé, dans son affectation prétentieuse, des mouve- inens oratoires et le souvenir d'un temps meil- leur. A la fin du sixième siècle, Grégoire de Tours , qui s'étoit formé par l'étude de tous ses prédécesseurs, étoit resté au-dessous d'eux tous ; son langage étoit aussi barbare que ses sentimens, et il avoit perdu son originalité en copiant ses modèles , sans acquérir aucun de leurs avantages. Frédégaire , dans son préam- bule , annonce qu'il s'efforcera de continuer Grégoire de Tours; mais il dit de lui-même : « J'aurois voulu , il est vrai , qu'il me fût donné <( pour bien dire une telle faconde que je pusse « quelque peu lui ressembler; mais l'on puise <c plus difficilement à une source dont les eaux ce ne sont pas permanentes ; le monde vieillit « désormais , c'est pourquoi le trancliant de ce notre prudence s'émousse en nous, et per- ce sonne de nos jours ne peut ressembler aux ce orateurs des temps précédens , personne n^en ce a même la prétention (i). » Après Frédégaire, ceux qui écrivirent l'histoire continuèrent à déchoir. Aucun des auteurs des misérables chroniques auxquelles nous sommes désormais

(i) Fredegaril Prologus Hist. franc, p. 4i5. TOME Jl. 4

OO IITSTOIRE

réduits ne peut lui être comparé, jusqu'à ce que nous arrivions à Eginliard.

Tout ce qui restoit d'instruction et d'érudition se dirigeoit alors vers les études sacrées. Il n'y avoit presque plus que les prêtres qui sussent lire, et ils n'apprenoient à lire que pour s'oc- cuper de religion , et s'avancer dans la carrière sacerdotale. La décadence, dans cette partie des sciences, n'est pas si universellement confes- sée, parce que le septième siècle est celui peut- être qui a donné le plus de saints au calendrier. L'Eglise, qui n'a répudié l'héritage d'aucun , se croit encore obligée à maintenir l'ensemble de leur doctrine, et à les présenter tous comme également inspirés par le Saint-Esprit. Cepen- dant, la direction même de l'esprit religieux avoit éprouvé un grand changement. Lors de l'établissement du christianisme , la religion avoit essentiellement consisté dans l'enseigne- ment moral ; elle avoit exercé les cœurs et les âmes par la recherche de ce qui étoit vraiment beau, vraiment honnête. Au cinquième siècle, on l'avoit surtout attachée à l'orthodoxie; au septième, on l'avoit réduite à la bienfaisance envers les couvens. C'étoit déjà une grande dé- viation de la direction première du christia- nisme, que d'exercer les fidèles à rechercher lion ce qu'ils dévoient faire , mais ce qu'ils dé- voient croire ; à étudier non les règles de leur

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conduite, d'après lesquelles ils ponvoienl se diriger, mais la nature divine, sur laquelle leurs opinions ri'exerçoient aucune influence. Cependant la théologie, quoique moins reli- gieuse que la morale, étoil encore un exercice des facultés intellectuelles; elle occupoit les hommes du ciel , et les entretenoit dans un rap- port au moins indirect avec Fobjet de leur culte ; mais, au sixième et au septième siècle, la reli- gion redescendit du ciel sur la terre, non plus pour réformer ses sectateurs, mais pour cher- cher parmi d'autres hommes les objets de son culte. Elle s'étoit d'abord proposé d'enseigner aux hommes ce qu'il faut faire , et , plus tard , ce qu'il faut croire; elle se réduisit alors à en- seigner ce qu'il faut payer pour se dispenser de faire et de croire. Les ecclésiastiques , et surtout les moines , se représentèrent comme les tréso- riers du ciel. Il ne fut même plus question de leur préparer une vie de pénitence, et de les dispenser seulement de travailler à leur subsis- tance, tandis qu'ils prieroient pour le salut de leurs bienfaiteurs : au contraire , on réserva pour eux tout ce que la richesse, tout ce que le luxe , peuvent procurer de jouissances , et les rois crurent faire leur salut en exposant les moines à toutes les séductions deTopulence.

Le moine de Saint-Denis qui, au commen- cement du neuvième siècle, a écrit la vie de

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Dagobert , nous apprend que ce roi, après avoir découvert les corps des saints marlyrs Denis, Rustique et Eleuthère, « orna leurs lonibiaux (c de For le plus pur et des pierres les plus pré- ce cieuses; et, après avoir embelli par dedans ce d'une manière admirable l'église qu'il fal)ri- qua pour eux dès les fondeniens, il couvrit «par debors de Fargent le plus pur le sanctuaire (c;où il avoit déposé leurs corps vénérables, ac- c( complissant ainsi pleinement le désir de son ce âme dévote. Il retrancha encore du péage que (( lui payoit chaque année la ville de Marseille ce cent sous d'or, qu'il accorda aux luminaires c( de celte église, chargeant les percepteurs ce royaux de lui envc^yer, pour cette valeur, ce autant d'huile- achetée chaque année. Cette ce huile, chargée sur six chariots, devoit être c( exempte de tous droits sur toute sa route,

ce depuis Marseille à ladite basilique 11 fit

ce faire, élevant Faulel de cette église, un tronc ce d'argent, il ordonna que tous les rois ses ce successeurs déposeroient chaque année cent

<e sous d'or Pour placer derrière le grand

ce autel doré , il fit faire une croix de For le plus ee pur, travaillée avec l'élégance la plus subtile, ce et ornée des pierres les plus précieuses. Ce fut ee saint Eloi , dans ce temps le plus habile orfèvre ce du royaume, qui l'acheva, aussi- bien que ce beaucoup d'autres ornemens appartenant à

DES FRANÇAIS. 55

«celle basilique. L'élégante subtilité de son (( génie étoit iiierveilleusenienL secondée par sa « sainleié; les ai listes modernes déclarent qu'il « s'en trouveroil à peine quelqu'un aujourd'hui « qui, tout habile qu'il lût en d'autres ouvrages, «pût, en plusieurs aimées, accomplir nn tel

«ornement en pierres piécieuses Dagobert

«ordonna encore qu'on suspendît dévotement « dans toute l'église , aux parois, aux colonnes, « et aux arches, des étoffes tissues d'or, et or- « nées d'une prodigieuse variété de perles, afin « que, l'emportant sur les ornenjens de toutes « les autres églises, elles brillassent d'un éclat « incomparable , et resplendissent ornées de « toutes les beautés de la terre. » (i)

Cet écrivain , qui avoit sous les yeux les titres de la basilique de Sainl-Denis, fail ensuite Ténu- mération des donations faites par Dagobert aux moines qui la desservoient , « afin que les « louanges de Dieu fussent célébrées à perpé- « tuité par les serviteurs de Dieu. » Tantôt c'est le manoir d'Estrepigny dans le Veuxin (2) , tantôt ce sont les teries de Sadrégisile , duc d'Aquitaine, dans l'Anjou el le Poitou; savoir, vingt-sept villes ou (hâtcaux, avec les salines situées le long de la mer (o) , tantôt ce sont

(i) Gesta Dagoberti régis. Cap. 9, 20, p. 584- {1) Ibid. Cap. 22 , p. 585. (5) Ihid. Cap. 35, p. 589.

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crautres manoirs, villes et châteaux situés dans les territoires d'Orléans, de Meaux et de Paris, outre un tribut de cent vaches payé par ie duché du Mans (i) ; tantôt six manoirs qu'il leur donna encore au moment de mourir, en enjoignant à ses successeurs de ne jamais revenir sur au- tune de ces libéralités. (2)

Mais le biographe de Sigebert III, qui n'a pu nous faire connoître une seule des actions poli- tiques de ce prince, nous le montre plus pro- digue encore des biens de l'Etat envers les moi- nes; et c'est ainsi qu'il obtint, avant l'âge de vingt- un ans il mourut, d'être rangé au nombre des saints, ce II avoit, dit Sigebert de <c Gemblours, fondé douze couvens dans difîe- c( rentes parties de son royaume , et les avoit (( pourvus de tout le nécessaire, sur ses propres t.1 revenus, avec une libéralité ro3^ale, afin que, (c vivant sous la règle apostolique , ils moisson- {( nassent pour lui les choses charnelles, tandis (( qu'ils sèmeroient pour lui des choses spiri- (( tuelles. Parmi ceux-ci , nous remarquerons «dans la forêt d'Ardennes ceux de Siavclo et ce Malmedi, qu'il fit régler par saint Rémacle , a évêque de Tongres.... Il abandonna à ce der- (C nier douze lieues de longueur et autant de

(i) G esta Dagoberti régis. Cap. Sy , p. 5go. (2) tbicL Cap. /p , p. 592.

DL'S F ri ANC A IS. 55

(c largeur dans la même forêt. » (i). Les moines qui nous racontent tant de prodigalités ^ n'hési- tent pas à prononcer qu'elles ont assuré à leurs auteurs la béatitude éternelle ; et celui de Da- gobert termine par cette déclaration le récit de tous les crimes de ce roi , qu'il a emprunté de Frédégaire. (2)

La vie monastique étoit, à cette époque, de- venue pour les Francs l'objet d'une passion na- tionale, qui avoit acquis d'autant plus de force . que leur imagination étoit moins distraite par tout autre intérêt. Leur histoire n'est pas seu- lement silencieuse pour nous , elle l'étoit pour eux-mêmes. Les événemens publics étoient con- sidérés avec une indifférence apathique par des hommes qui ne pouvoient jamais démêler ni leurs causes, ni leurs conséquences. Le gouverne- ment ne cherchoit à exercer aucune action sur l'opinion publique; s'il publioit des lois ou des ordonnances, il n'indiquoit jamais dans leur préambule le but qu'il se proposoit par son ad- ministration ; il ne publioit point de manifeste au commencement d'une guerre civile ou étran- gère, pour s'attacher des partisans, ou justifier ses prétentions ; point d'édit de pacification après la victoire, pour associer la force à une ombre

(i) Vita saîicti Sigeberti Auslrasiœ régis. Cap. 5, §. i4, p. 601. {1) Gesta Dagoberti. Cap. 23, p. 586.

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de justice, et indiquer aux vainqueurs et anx vaincus ce qu'ils dévoient attendre de lui. Au milieu même des guerres civiles, la nation ne ressentoit point d'esprit de parti ; elle étoit étran- gère aux griefs qui engageoient quelques ducs, quelques grands propriétaires à prendre les ar- mes; elle se soucioit fort peu de vérifier la jus- tice de leurs prétentions; elle les suivoit aux champs de bataille, parce que des rapports de protection ou de propriété imposoientauxleudes le devoir de Fobéissance; mais l'événement qui partout ailleurs semble le symptômedes plus vio- lentes passions politiques, en excitoit à peine quelqu'une, et la mémoire de ces révolutions ne s'est point conservée, parce qu'elles ne s'é- toient point fortement emparées de l'attention des contemporains.

Au milieu de ce silence universel, la voix seule de la religion monastique se faisoit en- tendre ; les prédications des saints faisoient d'au- tant plus d'effet qu'aucune autre nouveauté ne leur disputoit l'attention publique. Lorsque les Gaulois se rassembloient dans les marchés des villes , lorsque les Francs se réunissoient au Champ-de-Mars , ils rnontroient peu de curio- sité de savoir si leur jeune roi faisoit succéder les vices de la jeunesse aux puérilités de l'en- fance; si une nouvelle maîtresse avoit été ap- pelée à son palais , ou une ancienne disgraciée;

DES FRANÇAIS. Sy

s^il commençoit euûn à donner quelque atten- tion aux affaires publiques ; si le maire du pa- lais attiroit à lui seul la distribution de toutes les peines et les récompenses, ou s'il consul toit avec quelqu'un, avant de donner des ordres qui n'intéressoient que ceux auxquels ils étoient adressés. Mais la nouvelle du jour pour toute la France, c'étoit tantôt le voyage de saint Fulsée, tantôt les miracles de saint Goer, tantôt la re- traite de saint Vandriile et la fondation de son couvent, tantôt Faccomplissement des travaux magnitiques que saint Eloi avoit entrepris eu riionneur de saint Denis , tantôt l'assomption de ce saint orfèvre à l'épiscopat, avec saint Ouen , son ami; tantôt les pénitences , les priva- tions de tout genre , les souffrances que s'impo- soient volontairement sainte Audeberte , sainte Bertile, sainte Godeberte, ou la magnificence des couvens fondés et dotés par sainte Bathilde, saint Remacle et saint Bertulfe. Aucune autre gloire ne sembloit permise aux hommes , aucun autre moyen ne se présentoit à eux de fixer l'at- tention de leurs contemporains ; et quoique nous soyons disposés à croire que l'enthousiasme de tous ces saints étoit sincère, que leur piété les avoit réellement détachés des choses de ce monde , nous devons aussi supposer qu'ils n^é- toient point insensibles au crédit prodigieux qu'ils acquéroient dans l'État , au respect des

58 HISTOIRE

peuples, à rempresseraent avec lequel les rois solliciloient leurs oracles. Souvent ils s'impo- soieiit les privations les plus sévères, mais leur pauvreté éloit volontaire; les mets délicats qu'ils dédaignoient , et qu'ils distribuoient aux pau- vres, avoient d'abord été servis sur leurs tables; et lorsqu'ils s'exposoient aux inclémences de l'air , qu'ils voyageoient à pied , qu'ils dormoient sous le chaume, ils avoient cependant à leurs ordres des palais , des chevaux , de nombreux esclaves , et toutes les délices de la vie.

Parmi les familles riches, il n'y en avoit au- cune dont un membre tout au moins ne s'aban- donnât à la passion du siècle; et lorsqu'un vieux guerrier ou une jeune vierge se vouoient à la sainteté, leurs frères, leurs sœurs , applaudis- soient à des sacrifices dont ils croy oient eux- mêmes recueillir quelque fruit ; ils abandon- noient au ciel quelque partie de leur patri- moine, pour que leur parent pût fonder un couvent nouveau ou en enrichir un ancien , et les hommes qui sembloient le plus dominés par la politique mondaine, se rangeoient ainsi à leur tour parmi les bienfaiteurs de l'église.

On doit croire que les moines faisoient à cette époque une partie bien importante de la popu- lation, car la gloire d'un fondateur de couvens se proportion noit au nombre des frères qu'il y rassembloit pour chanter les louanges de Dieu.'

DES FPvANÇ.^TS. 5cj

Il paroît que les grands seigneurs clonnoient souvent leurs serfs aux fondateurs, pour aug- menter le nombre des reclus; plusieurs saints employèrent aussi leurs richesses à racheter des esclaves, pour les enfermer dans les couvens. L'Angleterre étoit alors le grand marché aux esclaves , et ce qu'il y a d'étrange , c'est que cet infâme commerce s'exerçoit bien plus sur les conquérans Saxons, que sur les Bretons con- quis; il semble que les pères et les mères éloient dans l'habilude de vendre leurs enfans , quand leur famille devenoit trop nombreuse. La reine Balliilde, qui elle-même étoit née en Angleterre, de race saxonne, et qui avoit élé esclave, ra- cheta un nombre prodigieux de ses compa- triotes, et en peupla les couvens qu'eîk fonda. Saint Eloi est aussi célébré pour le même genre de bienfaisance (i). Ce zèle ardent remplissoit les couvens aussitôt qu'ils étoient fondés. Celui deJumiéges, bâti par saint Philiberl, contint jusqu'à huit cents moines, et saint Vandrille en gouvernoit trois ou quatre cents dans le cou- vent de Fontanelle. (2)

(i) yita sancii Eligii JVoviomensis episcopi, aiictore heato Audoeno Rothoi)iage7îsi episcopo. Cap. 10 , apud Acheriiim, T. V, spicikgii, p. i56. Script, franc. T. III, p. 553. /^ifa sanctœ Bathildis reg. Franc, interacîa SS . ord. sancii Bened. sœculo 1 1 , p. 776. Scr. franc. T. III, §. 2 , p. 571 , et sur les esclaves rachetés, §• 9, p- 575.

(2) Fita sancii F iUherti Gemeticcnsis abhatis , p. SgS. Hadr. Falesii, Lib, XX, p. 219.

Go HISTOIRE

65o~656. Grimoald , fils de Pépin , avoit exercé la mairie du palais, en Auslrasie, pendant le règne de Sigebert lïl. Sa puissance lenoit bien plus au crédit héréditaire de sa famille et à l'étendue de SCS possessions qu'aux prérogatives de sa charge. Si le maire du palais éloit , en général , le repré- sentant des hommes libres, en Austrasie cette place avoit été usurpée parle phjs puissant entre ]es grands seigneurs ; et au lieu de contenir l'aris- tocratie, elle lui piêtoit son appui. Sigebert III, en mourant, avoit laissé un fils âgé à peine de trois ans, auquel la courunne d'Austrasie étoit destinée. Mais Grimoald , en possession d'un pouvoir devenu presque héréditaire, jugea les Austrasiens indifTérens à la famille de Clovis; il crut qu'il éloit temps de supprimer la pompe de ces rois en fans qui gênoient l'administration sans donner aucune garantie, et il essaya de réunir la royauîé réelle des maires à la royauté nominale des Mérovingiens De concert avec Didon, évêque de Poitiers, oncle de saint Lé- ger, évêque d'Auxerre, qui tous deux appar- tenoient à la faction des grands , il fit tonsurer le jeune Dagobert , fils de Sigebert; Didon se chargea de le conduire dans un monastère d'Ecosse ou d'Irlande, tandis que Grimoald fit paroître un testament prétendu de Sigel}erî IIÏ qui adoptoit son propre fils, Childebert. Gri- moald proclama celui-ci pour roi, car il n'osa point mettre la couronne sur sa propre tête.

DES FRANÇAIS. 6t

Cependan t les lioninies libres cVAustrasie, au lieu 65o~GjG. de confirmer cette résolution, dressèrent des embûches à Grimoald ; et, l'ayant arrêté, l'en- voyèrent à Paris , Clovis II , qui régnoit en- core , le fit périr en prison , avec son fils, (i)

L'Anstrasie fut alors réunie à la France occi- dtntale, et demeura quelque temps soumise au même gouvernement. Ce fut une époque d'abais- sement pour la maison de Pépin , et pour tous les grands. Les hommes hbres, au coti traire, étoient favorisés par Erchinoald, maire de Neustrie, qui gouverna les trois royaumes réunis jusqu'à la mort de Clovis II. Celui-ci laissa trois fils de 656— 660. sa femme Bathilde, dont l'aîné, Clothaire III, n'avoit pas plus de quatre ou cinq ans. Erchi- noald les fit reconnoître par l'Austrasie , la Neu- strie et la Bourgogne. Tous trois portèrent in- différemment le litre de roi; mais Erchinoald ne se hâta pas d'accomplir entre eux un partage de leurs élats, qui, pendant leur enfance , n'au- roit été qu'une vaine foinialité. Balhilde, dont la sainteté inspiroit aux Francs un exlrêrne res- pecl , fut associée au gouvernement. Il est vrai quVile paroît h êire bornée à diriger les œuvres pies qiii ti'cjccoMipiibsoitait au nom de ses fils.

(il Cesla reç^. franc. Cap. 4^i !>• 568. Citron. Moissiac. p. 6^'î. yjrfonis CUronic. p. 669. Clironic sancti flenigni Livion. p. 317. iSigeùcrti OemOlac. p. 543. Hadr. Val. Lib. XX, p. 1S6.

62 HISTOIRE

Erchinoald ne survécut pas long- temps à Clovis II. A sa mort, les Neustriens élurent un maire du palais , nommé Ebroin , le plus jaloux du pouvoir croissant des grands de tous ceux qui avoient occupé cette place, et le plus déterminé à le réprimer. Les Auslrasiens ne voulurent pas le reconnoître; ils demandèrent que la France eût de nouveau deux rois et deux gouvernemens : et, pour les satisfaire, Bathilde envoya à Metz son second fils , Childéric II , auquel les Francs donnèrent pour tuteur le duc Wulfoald, qu'ils firent maire du palais d'An- strasie. Nous croyons que ce partage s'accomplit en 660, lorsque Clothaire III avoit neuf ans, et que Cliilderic II en avoit huit; mais pendant tout le reste de ce siècle, et la chronologie, et lesévénemens qu'elle doit classer, ne reposent que sur des conjectures, (i)

Nous ne savons rien avec certitude sur la régence de la reine Bathilde : tandis que les anciens historiens ne lui attribuent que quatre ans de durée, les modernes lui en donnent au moins huit; et Adrien de Valois a réussi assez bien à distribuer entre ces huit années les fon- dations de couvens et les actes de piété qui nous sont seuls connus du gouvernement de cette

(i) Gesta regum Jrancor. Cap. 45, p. 569. Fredegarii continuât. Cap. 43, p. 449- Hermanni contracti, p. 328- -- Sigeberti Gcmhlac. p. 343,

DES FRANÇAIS. G5

reine. Elle restaura, entre autres, l'abbaye de c5G— C64. Clielles; elle l'enrichit de dotations nouvelles, et elle fut en quelque sorte sa seconde fonda- trice. Elle avoit annoncé le dessein de s'y reti- rer et de s'y vouer à la vie monastique ; pen- dant quelque temps le maire Ebroin et ceux qui gouvernoient avec lui , s'opposèrent à sa re- traite; plus tard ils prirent de la jalousie de l'é- vêque Sigebrand , que la reine consultoit plus qu'eux, et qui les offensoit par son orgueil. Ils le tuèrent vers l'année 664, ^t, pour éviter les reproches de la reine , ils la pressèrent eux- mêmes de s'enfermer dans son couvent de Chelles; elle y renonça en effet au monde, et y mourut vers l'année 680. (1)

Après la retraite de Batliilde, le maire Ebroin 664—670. continua six ans encore à gouverner la France occidentale sous le nom de Clothaire III , en même temps que Wulfoald gouvernoit l'Austra- sie sous celui de Childéric II. Le premier étoit accusé par les grands de prétendre à la tyrannie, et de s'arroger tous les pouvoirs : il ne nous est connu que par les panégyriques écrits en l'honneur de son plus ardent ennemi, Saint- Léger, l'un des chefs de l'aristocratie qu'il vou- loit détruire; et comme ces panégyriques ont été écrits pour l'édification des fidèles, non pour éclairer l'histoire, on n'y trouve pas même de

(i) Vita sanctce Bathildis regince Francor. p. 571-574. Hadr. Falesii, Lib. XXI, p. 224.

Ci HISTOIRE

ey^-G'jo. prétention à rimpartialilé (i), La première me- sure que prit Ebroin, et celle qui excita le plus contre lui les clameurs des grands, en même temps qu'elle lui valut les bénédictions du peu- ple j fut de choisir toujours les ducs et les comtes dans une province éloignée de celle ils avoient leurs possessions, leurs esclaves et leurs cliens. Les grands, qui prétendoient déjà à ren- dre les offices héréditaires dans leurs familles, avoient voulu imposer à la couronne l'obli- gation de choisir toujours les recteurs dans la province qu'ils dévoient administrer, bien sûrs que l'emploi seroit alors donné au plus puissant et au plus riche. Lorsqu'au contraire Ebroin en- voya dans chaque province un duc ou un comte étranger pour représenter l'autorité royale, cet officier se regarda comme le protecteur du peuple contre les vexations des grands. (2)

(i) Trois fois la vie de saint Léger a été écrite Sur les mêmes documens ; mais le nouveau panégyriste se proposoit toujours en prenant la plume de mettre à une plus grande distance les deux antagonistes. «Tu étois blessé, dit le troisième auteur, '( dans son prologue adressé à Tabbé qui lui avoit mis la plume « à la main j tu étois blessé de ce que l'ancien écrivain de ce « martyre avoit si fort manqué de justesse et de discrétion , « que de rendre égaux, en plus d'un endroit, saint Léodégaire « et son criminel persécuteur Hébroin. Tu disois qu'on devoit « montrer toujours dans l'un la perfidie d'un infâme bourreau , « dans l'autre la sainteté d'un homme juste, n (In viiam saTicti Leodegarii Observationes Mabillonii. T. Il, p. 609-. )

(2) Fila sancti Leodegarii. Cap. 4> P* 6^3- Hadi\ Vales. Lib. XXI, p. 259.

DES fhançaîs. 65

Tandis qu'Ebroin cherchoit ainsi à relever <>;<>. l'autorité de Ja couronne, ClolhairelII, au nom duquel il régnoit, mourut en 670, après qua- torze ans de règne, âgé tout au plus de dix-neuf ans. Il avoit été marié , mais il ne laissoit point d'enfans. Ebroin , sans perdre de temps, sans convoquer les comices de la France occi- dentale, plaça aussitôt sur le trône le troisième des fils de Clovis II, Thierri III, qui n'a voit pas plus de quinze ans ; le second , Childéric II, régnoit déjà depuis dix ans en Austrasie. Quoi- que le royaume ne fut point électif, les grands se plaignirent amèrement qu'une si importante détermination eût été prise sans leur aveu , et que le roi enfant eût été élevé sur le pavois, et eût reçu la lance du commandement d'une autre main que de la leur. Les grands de Bour* gogne se mirent immédiatement en mouvement, sous prétexte de venir à Paris rendre hommage à leur jeune monarque. Ebroin , alarmé de leur approche , leur fit donner l'ordre de rester dans leurs provinces, jusqu'à ce qu'ils fussent mandés à la cour. (1)

Uiin des plus distingués parmi les grands de Bourgogne, par sa naissance illustre, ses ri- chesses et le pouvoir de sa famille, étoit Léo- degaire ou Léger, évêque d'Autun, neveu de

(i) Fita sancti Leodeg, Cap. 3, p. 6ia. Hadr. P^alesiU Lib. XXI, p. 260.

TOME ir. 5

66 HISTOIRE

6-0, Didon 5 évêque de Poitiers, et allié de Grimoald et de la maison de Pépin en Austrasie. Léger proposa aux grands de Neustrie et de Bourgogne de ne point reconnoître un roi qui leur avoit été donné sans leur consentement, et de trans- porter leur allégeance au frère de Thierri III, Childéric II, déjà roi d' Austrasie. Nous ne sa- vons point comment l'Austrasie étoit alors gou- vernée; nous voyons seulement que Wulfoald étoit duc avant d'être maire du palais; ce qui indique qu'il appartenoit à la faction des grands, et que celle-ci avoit recouvré le pouvoir. Wul- foald. n'hésita point en effet à seconder les grands de la France occidentale ; l'armée austrasienne entra en Neustrie, tous les grands de ce der- nier pays s'empressèrent d'aller la joindre, et la révolution fut si rapide qu'Ebroin et son roi Thierri III , au lieu de tenter de se défendre, n'eurent d'autre parti à prendre que de se ré- fugier dans les églises. Tout le trésor d'Ebroin fut pillé ; les vainqueurs cependant lui accor- dèrent la vie , ainsi qu'au roi détrôné ; mais pour les exclure à jamais des affaires publiques, ils les forcèrent de recevoir la tonsure ecclé- siastique, puis ils enfermèrent Thierri III au couvent de Saint-Denis, et Ebroin à celui de Luxeuil. (i)

(i) F'ita sancti Leodegarli Anon. Cap. 3 , p. 6i3. Ejusd. Vita auctore Ursino. Cap. 4> P- 629. Fredegarii contin.

DES FRANÇAIS. G'J

Les grands, victorieux, ne nommèrent point 670—672. lin nouveau maire du palais; Wuiroald, celui d'Austrasie , avoit accompagné son maître à Paris , et le dirigeoit par ses conseils ; Léger par- tageoit avec lui le gouvernement de la Neus- trie et de la Bourgogne ; quelques-uns lui don- iioient même le titre de maire, parce qu'il en remplissoit réellement les fonctions. Mais le nouveau roi Childéric II arrivoit à cette époque même à l'âge d'homme. La troisième année de son règne en Neustrie , il pouvoit avoir vingt- "un ans, et il se livroit à toute l'intempérance, à toutes les débauches, à toutes les passions hon- teuses qui sembloient être alors la prérogative du trône. Une querelle entre saint Prix {Frœ- Jectus), évêque de Clermont, et Hector, patrice de Marseille, aliéna Childéric de saint Léizer, qui avoit pris la protection d'Hector. Le bio- graphe de saint Prix n'épargne pas saint Léger dans cette occasion , et il nous donne ainsi la mesure du crédit que méritent ces panégyristes. Childéric fit tuer Hector; il fit arrêter aussi saint Léger, et il le fit enfermer dans le même couvent de Luxeuil, Ebroin étoit déjà pri- sonnier, (i) '

Cap. 94, p. 449. Gesta regum francor. Cap. 45 , p. 569. Hadr. Valesii.lÀh. XXI, p. 261.

(i) Hector patricius Massiliensis . . . . alio sihi in scelere so- ciaiOj nomine Leodegariô , peryenit ad regem. ( f^ila sancli

68 HISTOIRE

0^3. Tandis que ces deux ambitieux, également

repoussés de la scène de leur grandeur passée, se réconcilioient dans le cloître, ils se croyoient enfermés pour le reste de leurs jours , et que saint Léger, en demandant à Ebroin son par- don, lui confessoit qu'il avoit grièvement péché contre lui (i), Childéric II s'abandonnoit tou- jours plus à ses passions impétueuses , et il s'attiroit la haine et le mépris de tous ceux qui avoient auparavant contribué à son élévation. Un des seigneurs de Neustrie, nommé Bodilon, éprouva, par ordre du roi, un outrage que tous les Francs ressentirent comme lui. Pour une offense qui ne nous est pas connue , Childéric le fit attacher à un poteau , et fustiger comme un esclave. Tous les grands frémirent de l'in- dignité d'un traitement semblable. Leurs émis- saires consultèrent le saint évêque d'Autun , Léger, qui dans sa captivité n'avoit point perdu son influence sur son parti. Léger, ne pou- vant marcher avec eux, leur donna du moins son frère Gaérin, pour partager les dangers de l'entreprise ; les ducs Ingobert et Amalbert se chargèrent avec lui de venger l'outrage fait à tout leur corps dans la personne de Bodilon-

Prœjecti Arvernor. Episcopi. T. III, p. 594. ) Vita sancti Leodegarii. Cap. 5, p. 6i45 cap. 5 et 6, p. 6^9. Uadriani Valesii. Lib. XXI, p. q66.

(i) Fita sancti Leodegarii, Gap. 6, p. 63o.

DES FRANÇAIS. 69

ils surprirent ChildéricII, tandis qu'il cliassoit dans la forêt de Livry, auprès de Chelles , à peu de distance de Paris, et ils le massacrèrent; ils tuèrent également sa femme Bilichilde , qui étoit enceinte, et l'un de ses fils en bas âge. Les corps de ces trois personnages furent unis dans un même tombeau qu'on a ouvert en i656. Un autre fils échappa à la rage des conjurés , et se cacha dans un couvent, il vécut quarante- trois ans sous le nom de frère Daniel, jusqu'à l'année 7 1 5 , on l'en tira pour le couronner. Le maire Wulfoald, que les conjurés vouloient massacrer également, s'enfuit en Austrasie; et les amis de saint Léger retirèrent du couvent de Saint-Denis le même Thierri III , frère puîné de Clothaire et de Childéric, qu'ils y avoient eux-mêmes enfermé trois ans auparavant. Ils lui donnèrent pour maire du palais Leudesius , fils de cet Erchinoald qui avoit été maire de Neustrie pendant le règne de Clovis II. (i)

Thierri III, placé une première fois sur le trône par le parti populaire des hommes libres , y étoit replacé de nouveau parle parti des grands. Le choix de Leudesius pour maire du palais, indiquoit plutôt un compromis entre ces dçu:s. partis, que le désir de l'un d'écraser Faulre. En

(i) Gesta reg. frajicor. Cap. 45>P- ^69. Cont. Fredeg. Cap. 95 , p. 45o. ViU^ sancii Leodegarii 1". Cap. 7, p. 6i5. 2*. Cyp. 7, p. 63o.

70 HISTOIRE

effet j les deux chefs enfermés ensemble dans le couvent de Luxeuil, pendant que la révo- lution s'accomplissoit, sortirent de ce couvent, réconciliés en apparence. L'abbé, sous les or- dres duquel ils avoient été placés, ne leur ou- vrit les portes de la clôture qu'après leur avoir fait jurer qu'ils observeroient dans le monde la paix qu'ils avoient faite dans le couvent. Ils sortirent ensemble ; un nombreux cortège de leurs partisans se rangea aussitôt autour d'eux : ils firent encore ensemble leur entrée à Autun, saint Léger venoit reprendre possession de son évêclié; mais Ebroin, craignant sans doute d'y être arrêté, en repartit dans la nuit, pour gagner les frontières de FAustrasie ; Thierri III, qu'il voyoit sur le trône , étoit cependant le roi qu'il avoit couronné lui-même, et au nom duquel il avoit régné 5 mais Thierri étoit entre les mains de ses adversaires, et son nom sanc- tionnoit tous les actes du parti des grands , comme peu d'années auparavant il avoit sanc- tionné tous ceux du parti du peuple, (i) '

Ebroin avoit été destitué par les Austrasiens chez lesquels il alloit chercher un refuge ; mais les Austrasiens avoient de leur côté éprouvé une révolution. Le parti des grands ou celui de

(î) Gesia re^.francor. Cap. 45, p. 569. Fredeg. cont. Cap. 96 , p. 45o. Leodeg. vita i«. Gap. 7 , 8 , p. 6i5 , 616. 2i. Cap. 7, p. 63o.

DES FRANÇAIS. 7I

la fliiuille de Pépin a voit été dépouillé du pou- 674' voir, et les hommes libres avoient été chercher en Irlande un prince persécuté par ce parti pour le mettre sur le trône : c'étoit ce Dagobert II, fils de Sigebert III, que Grimoald avoit envoyé dans un couvent pour mettre son propre fils à sa place. Il devoit avoir vingt-cinq ou vingt- six ans quand il revint en France ; saint Wil- frid, évêque d'Yorck, lui donna l'hospitalité, et contribua à lui rendre la couronne de ses ancêtres. Mais Dagobert II, élevé par des moi- nes, dans une ignorance absolue du monde et des devoirs de l'homme social , ne vit dans le pouvoir qu'il recouvroit, qu'une facilité pour satisfaire tous les honteux penchans auxquels il avoit fait vœu de renoncer. Son inconduite, en le déshonorant, décria son parti et précipita sa ruine : pendant qu'il dominoit, cependant, ses intérêts étoient communs avec ceux d'Ebroin; tous deux étoient ennemis des grands et de l'aristocratie, et les Austrasiens aidèrent le maire de Neustrie à former une nouvelle armée, (i)

La Neustrie étoit loin d'être pacifiée sous l'autorité de Thierri III ; les partis étoient par- tout en armes, et ceux qui venoient en si peu de temps d'éprouver deux révolutions, crai- gnoient les vengeances de leurs adversaires, et

(i) p^ita sancti ÎVilfridi Episc. Ebor. p. Ôoo, Hadrlani raies, Lib. XXII, p. 317.

7^ HISTOIRE

demandoientclesgaranties a vantcl'obéir. Ebroin , ayant rassemblé ses partisans sur les frontières, crut nécessaire, pour flatter les préjugés popu- laires, de couvrir ses armes du nom d'un roi Mérovingien. Il prétendit que Clothaire III , en mourant, avoit laissé un fils qu'il nomma ClovisIII, et dont il déclara qu'il prenoit la défense. Tandis qu'il étoit encore sur la rive opposée de l'Oise , il fît demander à saint Ouen , évêque de Rouen , son ami et son com- patriote , comment il devoit se conduire. Les suints étoient alors partagés entre les deux partis , et l'église qui a embrassé aujourd'hui celui de saint Léger, et qui prodigue à ses ennemis les noms de tyrans et de monstres cruels, est embarrassée pour expliquer l'amitié quiunissoit Ebroin à saint Ouen, à saint Prix, à saint Ptéole et à saint -^gilbert. Au reste, ces saints méritèrent peu d'estime dans leur car- rière publique. L'évêque de Rouen répondit aux questions d'Ebroin seulement par ces mots : de Frédégonde se souvienne l Ebroin ne douta pas que le vieillard ne lui recommandât d'imiter tout au moins la rapidité, et peut-être les ven- geances de cette reine implacable, qui étoit morte dans son lit, jouissant jusqu'à la fin de sa vie, du fruit de tous ses crimes; et il se con- forma à ce conseil, (i)

(i) Gesta reg. francor. Cap. 45, p. 569. Chroniques de

DES FRANÇAIS. 7^

Ebroiii étant parvenu de nuit , par une mar- clie rapide, vis-à-vis de Pont Saint-Maixence sur rOise , surprit la garde du pont et l'égor- gea 5 transporta son armée de l'autre côlé de la rivière, et poursuivit aussitôt sa marche pour surprendre aussi Thierri III dans son palais de Nogent. Le roi et son maire du palais Leudesius, eurent à peine le temps de s'échap- per avec leurs courtisans. L'armée d'Ebroin , animée par le pillage , les poursuivit dans une seconde demeure royale, nommée Bacio, d'où les fugitifs royaux lui échappèrent encore, mais tous les trésors de la couronne tombèrent entre ses mains. Les royalistes découragés offrirent de traiter , et le maire du palais Leudesius vint lui-même au camp d'Ebroin, quis'étoit engagé par serment à respecter sa vie et sa liberté, et qui cependant le fit aussitôt mettre à mort. Pen- dant le même temps les partisans d'Ebroin , et entre autres les évêques de Châlons et de \a- lence lui soumetloient la Bourgogne: ils mena- cèrent Autun d'un siège pour se faire livrer par son troupeau, l'évêque de cette ville, saint Léger, qu'ils regardoient comme le chef de la faction ennemie, et l'ayant entre leurs mains, ils lui arrachèrent les yeux, (i)

Saint-Denys, Lîv. Y, chap. 25, p. 3o5. Hadviani Falesii. Lîb. XXII, p. 299.

(i) Fita sancti Leodeg. i^. Cap. 10, p. 618. 2^ Cap. 9,

74 HISTOIRE

674. La mort de Leudesius, Tcaveuglement et la

captivité de saint Léger, laissoient Thierri III sans conseiller et sans appui. Quoique ce roi dût être déjà parvenu à sa vingtième année, il ii'avoit encore montré ni affection ni haine pour aucune personne ou aucune opinion , ni désir de secouer aucun joug; Ebroin jugea qu'il étoit plus propre encore à occuper le trône que Tenfant au nom duquel il avoit pris les armes , et dont il avoit fait un fantôme de roi. Il se ré- concilia donc avec lui , sous condition d'être rétabli dans la mairie du palais ; il fit disparoî- tre le faux Clovis III , et reconnoître Thierri III dans la Neustrie et la Bourgogne , en réservant pour lui-même la souveraineté, (i)

-G'^8. Ebroin avoit recouvré , non l'autorité limitée d'un monarque , mais un pouvoir absolu ; Thierri, content des jouissances qu'il trouvoit dans ses palais, ne se mêloit point des affaires publiques; les grands, qui jusqu'alors avoient limité le pouvoir du maire, avoient été vaincus, et ne pou voient renouveler la lutte. Ebroin publia, il est vrai, une amnistie universelle pour ce qui s'étoit fait pendant la guerre civile; mais

p. 65o. Gesta reg.francor. Cap. 45 , p. Sôg. Fredegarii contin. Gap. 96, p. 45o.

(i) Gesta regiim francor. Cap. 4^, p. Sôg. yita sancti Leodeg. i^. cap. 12, p. 619» Hadriani p^alesii. Lib. XXII, p. 3o5.

DES FRANÇAIS. 7^

cetédit étoit toujours expliqué à son profit et à celui de ses partisans 3 ils alléguoient Famnistie pour se dispenser de restituer rien de ce qu'ils avoient enlevé à leurs adversaires , tandis qu'ils ne cessoient d'intenter contre eux des accusa- tions nouvelles pour les dépouiller de tous leurs honneurs et de tous leurs biens. Plusieurs ducs , plusieurs comtes de Neustrie et de Bourgogne perdirent leurs propriétés ; quelques-uns lais- sèrent leur vie sur les échafauds, d'autres s'en- fuirent en Austrasie ou en Aquitaine. Les cou- vens même ne furent pas épargnés; ceux qui avoient embrassé le parti des grands furent en- vahis par les soldats, leurs biens furent saisis, et un grand nombre de nobles religieuses fu- rent envoyées en exil. Cependant Ebroin étoit secondé dans sa sévérité même par les passions populaires ; ses partisans étoient plus nom- breux que ceux de la haute aristocratie. Les saints attachés à son parti ne l'abandonnèrent jamais, et saint Filibert, fondateur et premier abbé de Jumiéges, ayant accusé Ebroin d'apos- tasie pour avoir quitté son couvent , le vieux saint Ouen , évoque de Rouen , l'ami de saint Eloi comme d'Ebroin , condamna saint Filibert à l'exil , pour venger Ebroin de cette insulte, (r) Ebroin , pour avoir un prétexte de persécu-

(i) Vita sancti Filiherti abhaiis Gemedcc/is. Cap. 22 à 26, T. m, p. 599. —Uadr. P'alcsii, Lib. XXII , p. 5o8.

76 HISTOIRE

1er les grands, annonça l'intention de punir les meurtriers de Childéric II, quoique lui-même n'eût jamais été serviteur de ce prince. Saint Léger, évêque d'Autun , et son frère Gaérin, furent traduits en justice, comme ayant con- juré contre ce roi. Gaérin , convaincu de com- plicité, fut immédiatement lapidé ; saint Léger, exposé à des tourmens cruels, fut cependant réservé en vie, et ses biographes assurent que toutes ses blessures se refermoient aussitôt mi- raculeusement, et qu'après qu'on lui eut coupé les lèvres et la langue, il n'en parloit qu'avec plus d'éloquence. Privé de ses yeux et mutilé de tous ses membres, saint Léger étoit déjà vénéré par les peuples comme un martyr. Ebroin sentoit sa colère s'accroître , lorsqu'il voyoit tout le mal qu'il avoit fait à son ennemi tourner à sa gloire. Il vouloit flûre dégrader saint Léger par les évêques de France , qu'il assembla en concile en 678, et il somma le saint de confesser au milieu des prélats qu il étoit complice du meurtre de Childéric II. Le bien- heureux Léger ne voulut ni souiller la fin de sa vie par un parjure, en niant .sa participa- tion au régicide, ni cependant attirer de nou- veaux malheurs sur lui-même en l'avouant. 11 se contenta donc de répondre à toutes les ques- tions qui lui furent faites, que Dieu seul, et non les hommes , pouvoit lire dans le secret de

DES FRANÇAIS. 77

son cœur. Les évêques n'en pouvant tirer d'au- tre réponse, regardèrent ces paroles comme un aveu ; ils déchirèrent sa tunique du haut jus- qu'en bas en signe de dégradation , et le livrè- rent au comte du palais qui lui fit trancher la tête. C'est un des martyrs que vénère aujour- d'hui l'Église. (1)

Dans les révolutions précédentes, l'Austrasie avoit toujours offert un refuge aux Neustriens mécontens ; elle leur fut encore ouverte dans cette occasion. La jalousie contre un état voi- sin , et la pitié pour des réfugiés , disposoient déjà les Austrasiens à jouer ce rôle; mais d'ail- leurs une révolution survenue en Austrasie avant le ^4 mars 678 , avoit rendu le pouvoir aux grands et au parti qui devoit désirer la chute d'Ebroin. L'iiistoire des rois d' Austrasie nous est moins connue encore que celle des rois de Paris. Tout le règne de Dagobert II a même été oublié par les anciens chroniquem-s, et ce sont les érudits du dix-septième siècle, Ma- billon, Le Cointe, Valois et Pagi, qui ont dé- couvert son existence dans les Vies des Saints. Quelque chose doit être abandonné aux conjec- tures dans un sujet aussi obscur. Il paroi t que les vices de Dagobert II jusliiièrent Grimoald ,

(i) F^ita sancti Leodeg. i"". Gap. 12, i3, i4 et i5,p. 619, 69.3. 2". Cap. 9, 16, p. 65o , 602. Hadriani F^alesii. Lib. XXJI , p. 509.

78 HISTOIRE

678. qui avoit voulu en délivrer le royaume, et relevèrent le parti formé autrefois par Arnolphe et par Pépin. La maison du dernier étoit éteinte par le massacre de Grimoald et de son fils ; mais Arnolphe, évêque de Metz, avoit eu deux fils , Chlodulfe , évêque de Metz , et saint comme son père, et Anségise, qui avoit épousé la fille de Pépin. L'un et l'autre étoient morts à leur tour, et leur maison étoit alors représentée par Martin, fils de saint Chlodulfe, et par Pépin, fils d'Anségise et de la fille de Pépin l'ancien. Ces deux jeunes hommes, distingués par leurs talens et leur courage , et qui avoient déjà donné des preuves de leur valeur, furent reconnus pour chefs par tout le parti des grands d'Au- strasie; ils attaquèrent Dagobert II, le firent condamner par un concile des évêques de leur parti, et poignarder. Nous ne connoissons pres- que ces événemens que par la vie de saint Wii- frid, évêque d'Yorck, le même qui avoit assisté Dagobert à sa rentrée en France. Comme cet évêque revenoit de Rome, il fut arrêté par Tar- niée des Austrasiens, qui venoit d'accomplir cette révolution, et un évêque l'ayant reconnu , lui adressa ces reproches : ce Avec quelle témé- <( raire confiance osez-vous traverser la région (( des Francs ! vous qui seriez digne de mort (c pour avoir contribué à nous renvoyer ce roi « de son exil , ce destructeur de nos villes , qui

DES FRANÇAIS. 79

« méprisoit les conseils des seigneurs, qui liu- 678. (( milioit, comme Roboam, fils de Salomon, les (c peuples par des tributs, qui ne respecloit ni <( les églises de Dieu ni leurs évéques ; aujour- c( d'hui il a payé la peine de tous ses crimes, il (( est tué, et son cadavre gît sur la terre. » Saint Wilfrid se justifia en alléguant qu'il avoit se- couru le pauvre et l'exilé , sans pouvoir prévoir ce qu'il deviendroit ensuite, et on lui permit de continuer son voyage, (i)

Les seigneurs de Neustrie, assurés de trouver 678-680. de la compassion et des secours en Austrasie , leur parti triomphoit, se rendoient en foule auprès des deux petits-fils de saint Arnolphe, qui n'a voient pas même cru nécessaire de se donner le simulacre d'un roi au nom duquel ils gouvernassent le pays. Le nombre de ces fugitifs, l'illusion commune aux émigrés qui croient toujours que tous leurs compatriotes partagent leurs ressentimens, firent croire aux deux ducs austrasiens que le mécontentement contre Ebroin étoit général : ils résolurent donc, en 680, d'attaquer la Neustrie. Ils rencontrè- reiit Ebroin qui étoit venu au-devant d'eux, dans un lieu que les chroniques latines nom-

(i) Saîicti Tf^ilfridi Episc. vit. i*. i'', et 3*. p. '600 , 602 et 604. P^ita sanctœ Salabergœ ahbat. p. 6o5. Jf^illelmi Malmesher de gestis Episc. angL Lib. III. Hadr. ralesii. Lib. XXII, p. 317.

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680. ment Locofao^ et qu'on croit être Loixi dans le territoire de Liion. La bataille fut acharnée , et la mortalité très-grande des deux parts ; mais enfin les Austrasiens furent vaincus et mis en fuite, et Ebroin , en les poursuivant, entra à son tour en Austrasle pour la ravager. Pépin s'étoit mis en sûreté par la fuite; Martin s'étoit retiré dans la ville de Laon il comploit se défendre. Ebroin ne voulut pas s'exposer aux longueurs d'un siège. Il appela à lui deux évê- ques ses partisans, saint Réole de Reims, et saint yEgiîbert de Paris, qui tous deux sont aujourd'hui l'objet d'un culte public, et il les engagea à se rendre auprès de Martin à Laon. Ils dévoient l'inviter à venir trouver Eliroin pour pacifier les deux monarchies, en se rendant garans sous leur serment qu'il ne courroit au- cun danger pour sa personne ou sa liberté. Les deux évoques connoissoient bien Ebroin , et savoient ce que ses ennemis a voient à attendre de lui; cependant ils craignoient d'éprouver la vengeance immédiate des reliques sur lesquelles ils seroient obligés de prêter un faux serment ; car le christianisme étoit alors réduit au culte des dieux locaux, qu'on voyolt, qu'on touclioit, et auxquels on supposoit toutes les passions hu- maines. Mais les deux saints trouvèrent moyen de dérober subtilement les reliques, des châsses sur lesquelles ils étoient appelés à poser la

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main; alors, en sûreté de conscience, ils prê- csc. tèrent à Martin le serment que leur avoit im- posé Ebroin: ils jurèrent que ce duc ne cou- roit aucun danger. Martin les crut; il se mil sous leur garde pour se rendre à Eschery-Lau- nois, se trouvoit alors Ebroin, et à son arrivée il y fut immédiatement massacré avec tous ses compagnons d'armes, (i)

Ebroin ne se seroit probablement pas con- C8r, tenté de cette victoire et de la mort d' un de ses deux rivaux, il auroit poursuivi l'autre jus- qu'à ce qu'il s'en fût également délivré , et qu'il eût conquis l'Austrasie. Son courage, sa persé- vérance, et ses rares taiens militaires, lui au- roient de nouveau assuré la victoire, qu'il avoit obtenue dans presque tous les combats précé- dens; maislamort l'arrêta lui-même au milieu de ses projets ambitieux. Il avoit confié une fonction fiscale à un seigneur franc, nommé Ermenfroi ; puis l'ayant surpris en fraude , il avoit confisqué ses biens en réparation de ses Yoleries, et il le nienaçoit même d'une peine capitale. Ermenfroi résolut de se défendre en, même temps et de se venger. Un dimanche ma- tin , comme Ebroin sortoit avant le jour de sa

(i) Fredeg. contin. Ausfrasius. Cap. 97, p. 45 1. Celui-ci, qui écrivoit en 755 , est fort supérieur au premier en exacti- tude. — Gcsta reg.francor. Gap. 46, p. 570. —Chron. vêtus Moissiac. p. 653. Adonis Vienn. Chron, p. 670. Hadr. ralesii.Uh.XXll, p. 328.

TOME II. 6

Hl HISTOIRE

68i. maison pour se rendre à l'église Ton clian- luit malincs, Ermenfroi se jeta sur lui avec une troupe de gens armés, et le lua d'un coup d'épée à la lêie , après quoi il s'enfuit auprès de Pépin en Austrasie , qui lui témoigna la plus vive reconnoissance, et le combla d'hon- neurs, (i)

Ebroin a voit gouverné la France plus de vingt ans, avec un pouvoir qu'aucun roi, qu'aucun maire ne s'éloit arrogé avant lui : le premier, il lutta avec vigueur contre celte aris- tocratie territoriale qui se formoit alors , et qui de voit détruire un jour également le pouvoir des rois et celui du peuple. I! la combattit tour à tour par la force ouverte et la perfidie : il vou- lut l'afFoiblir |)ar les supplices et les confisca- tions; il ne craignit point de comprendre dans ses vengeances les membres du clergé qui fai- soient cause commune avec les grands. Mais quoique une anire partie du clergé dans laquelle on comptoil plusieurs saints, se fût déclarée pour lui, son histoire ne nous est comme que par ses ennemis les plus aeharnés; ils célè- brent sa mort connue un triomphe de la bonne cause; ils attestent le témoignage d'un solitaire

(i) p^ita saficti Leodegarii. Cap. i6 et 17, p. 6i7i. Frede- garii cont. C^p. 98, p 45'. (lesla reg francor. Cap. 47, p. 570 Chron Moissiac. p. 651. Jnn. metens. p. 67S. Hadriani Valesii. Lib. XXII, p. 532.

DES TRANÇAIS. 85

de rîle de Sainte-Barbe au-dessus de Lyon , qui C8r. entendit les diables emporter son anie en en- fer (i), et leurexcessive partial ilé ne semble point avoir inspiré assez de défiance aux écrivains postérieurs. Si le parti qui combattit avec tant de valeur et de succès sous les étendards d'E- broin, avoit eu aussi un historien , sans doute ce maire paroîtroit aux yeux de la postérité sous des couleurs plus favorables. Ce parti sem- ble avoir eu la principale influence dans l'élec- tion de son successeur. Ce fut Warato, Franc illustre et d'un âge avancé , auquel fut transmis tout le pouvoir que Thicrri III, qui ne sortit jamais de l'enfince , étoit incapable d'exercer.

Le nouveau maire s'occupa d^abord de la- GS1-G86. biir la paix avec TAustrasie. Le duc Pépin lui envoya des otages, et un traité fut signé entre eux. Mais Warato avoit un lils nommé Gisle- mar 5 homme plein d'ambition, de conrage et d^habileté, qui supplanta bientôt son père dans l'exercice de toutes ses fonctions, et qui, loin d'approuver cette réconciliation, ne cessa de ])oursuivre Pépin de son inimitié , l'attaqua gs3. par surprise et contre la foi donnée, devant le château de Namur, et lui tua beaucoup de monde. Au milieu de ces combats, qui déjà sembloient plu lot ]es querelles de deux feuda- taires indépendans qu'une guerre entre deux

Ci) AdQîiis Vienn. Chron. p. 670 =

686

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royaumes, Gislemar rijouriil. Warato ressaisis- sant toute son autorité, conclut un nouveau traité de paix avec TAuslrasie , puis il mourut aussi- et les Francs neustriens lui donnèrent pour successeur Berthaire, dont la vanité, la chélive apparence et le manque de talens , ren- dirent bientôt l'autorité chancelante. Plusieurs de ses lendes, après l'avoir tourné en lidicuîe, l'abandonnèrent pour s'allier à Pépin et aux Au- strasiens. Dès qu'ils se sentirent assez forts pour compter sur le succès, ils engagèrent le duc d'Austrasie à entreprendre une nouvelle guerre civile, (i) 687. xAvant de la commencer, Pépin somma le roi

de Neustrie de rappeler tous les exilés qui avoient quitté le royaume pendant l'adminis- tration d'Ébroin et de son successeur, et de leur rendre leurs biens. Bertliaire répondit au nom de Thierri III, que loin de se laisser faire la loi par les exilés, il sauroit bientôt les aller chercher chez celui qui leur avoit accordé un asile contre la loi des nations. La guerre fut alors résolue dans le conseil des grands , qui avoient choisi Pépin pour leur chef; leur armée traversa la forêt Carbonaria, qui séparoit l'Au- strasie de la Neustrie, et elle vint campera Tes-

(i) Fredegarii cont. Cap. 98, 99, p. 452. Gesta regum francoï'um. Cap. 47» 570. Chroii. Moissiac. p. 653.—- Aun. metens. p. 678.

DES TR ANC AI S. 85

îry en Vermandois, entre Péronne et Saint- 687. Quentin. Berthaire s'y étoit avancé à sa rencon- tre, avec le roi et Tarmée de Neustrie. Le com- bat s'engagea au passage d'une petite rivière nommée le Daumignon. Il fut très-acharné; mais enfin Pépin eut l'avantage. Une grande partie de l'armée neustrienne fut détruite; Berthaire fut tué dans sa fuite par quelques- uns de ses compagnons d'armes qui lui attri- huoient leur défaite, ou qui attendoient une récompense du vainqueur. Beaucoup de Neu- striens se réfugièrent dans les asiles consacrés <le Saint-Quentin et de Péronne. Les abbés de ces monastères se présentèrent au vainqueur en sollicitant leur grâce; et en effet Pépin leur permit de se retirer, après avoir exigé d'eux un serment de fidélité : puis il poursuivit Thierri III qui s'étoit enfui à Paris. Ce foible prince ne sut préparer aucune résistance ; il n'essaya point de défendre sa capitale , il at- tendit son vainqueur. Prisonnier de Pépin , comme il l'avoit été d'Ebroin , il parut à l'un et à l'autre également propre à remplir le rôle <Ie roi. Pépin, assuré qu'il ne pou voit placer sur le trône un homme plus timide et plus docile que le monarque légitime, le reconnut pour son souverain, et le fit reconnoître à l'Austra- ^"^ sie, qui depuis la mort de Dagobert II n'avoit point eu de roi. Mais en même temps Pépin

86 HISTOIRE

687. prit pour lui-même le titre de maire du palais, et il se réserva les armées, les trésors , la jus- tice , la correspondance des provinces , et la plé- nitude de la puissance royale, (i)

(i) annales metenses. p. 678, 680. Ces Annales, compo- sées par un partisan de la maison de Pépin, contiennent plus de détails que les autres 5 mais leur partialité les rend suspectes. Fredegarli coni. Cap. 100, p. 452. Gesta reg . françor. Cap. 48, p. 571. Chron. Moissiac. p. 653. Hadr. Voles ^ Lib. XXXI, p. 359.

DES FRANÇAIS. Sj

CHAPITRE XII.

Grandeur cj^oissante de la famille de Pepiii , jusqu'à la soumission de la Neustrie à Charles Martel, 687 720.

IjES Francs n'a voient reconnu d'antre héré- dité dans leur monarchie que celle du trône. Ils avoient cru donner plus de slahilité à leurs institutions , en soustrayant la première dignité de l'état aux violences des partis et aux lattes de l'ambition 5 mais excepté les fonctions roya- les, toutes les antres dévoient être réservées au plus digne. Ils ne reconnoissoient point de no- blesse, leurs ducs et leurs comtes étoient élec- tifs, leurs généraux étoient choisis par les soldats, leurs grands juges ou maires, par les hommes libres, et aucun homme ne devoit tenir de ses pères aucun droit sur ses concitoyens. Mais il y a une connexion si intime entre la richesse et le pouvoir; celui qui héri'oit de la ft;rlune avoit tant de facilité pour hériter aussi de toute^; les clientellcs, de tout le crédit de sa famille- le temps a tant d'empire sur l'iniaginatibn des hommes, et ie souvenir do passé'; remplace si faci! Cillent la raison , que ies3?'itè^îie dfï Viiëih'^

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dilé faisoit ,en dépit des lois et des convenances, des progrès rapides; que Je gouvernement des provinces demeuroit presque toujours dans les mêmes familles; et qu'à dater de la bataille de Teslry, l'oiFice de premier juge, premier géné- ral et premier ministre de la monarchie , de- vint à son tour presque héréditaire.

Il ne seroit peut-être pas difficile de soutenir par des argumens plausibles, que dans une mo- narchie la fonction de premier ministre doit être héréditaire tout aussi-bien que celle de roi, puisque c'est à cette fonction que tous les pou- voirs, tous les avantages réels de la royauté sont attachés; qu'on tenteroit vainement d'identifier l'intérêt du monarque avec celui de la monar- chie , et de tourner ses regards non sur le temps présent, mais sur la perpétuité, si le vrai dé- positaire du pouvoir , celui qui pense, celui qui projette, celui qui gouverne, n'a d'intérêt que dans le moment présent, et si à toute heure il peut être destitué par la faveur ou l'intrigue ; que c'est en vain que l'hérédité sauve à l'état les guerres civiles qui auroient pour objet d'oc- cuper la première place , si la seconde est égale- ment une prime offerte à tous les ambitieux, et si l'on peut s'y élever ou par les arts du cour- tisan , ou par la faveur populaire , ou par les armes. Des guerres civiles assez fréquentes en- tre les maires du palais , jusqu'au temps la

DES FPiANÇAIS. 8[)

famille ci e Pepiii réussit à rendre celte dignilé héréditaire, anroieiit suffi pour donner à celle théorie quelque vraisemblance. Il est peu pro- bable cependant qu'elle ait été développée. La force aveugle des choses , la violence et souvent le crime, fondent les inslitutions ; lorsqu'elles existent une fois , l'effort constant de chaque citoyen pour améliorer sa condition, modifie leurs inconvéniens, et empêche la société de souffrir tous les maux dont ces institutions pa- roissoient la menacer d'abord ; mais ce n'est qu'après qu'elles ont duré long -temps qu'on voit paroître les hommes ingénieux qui se char- gent de les expliquer, et de prouver au monde que toute la prudence humaine n'anroit pu mieux faire que ce qu'a opéjé un aveugle ha- sard .

Pépin , que les modernes ont surnommé d'j^É-'- 687. ristal y du nom d'un château qu'il habiloit souvent, près de Liège et sur les bords de la Meuse (1), avoit triomphé des rois au nom de lahautearistoeratie. Son aïeul, saint Arnolphe, avoit_, à ce qu'assure son biographe, réuni le gouvernement de six provinces de l'Austrasie, avant d'êlre , en 6 / o , promu à l'évêché de Metz ; le crédit d'Arnolphe avoit duré autant que sa

(i) Les érudits ont assez bien prouvé que le premier Pépia avoit un château à Landen , et le second à Hénstal, mais noa que l'un ou l'autre ait jamais songé à en prendre ie nom.

QO HISTOIRE

68j. vie, et il avoit laissé à ses enfans les plus riches possessions elles emplois les plus importans (i). A cet hériiage paternel, Pépin joignoit celui de son aïeul maternel Pépin, que les modernes on l nom deLanden^ s'il en avoit été d épouillé quelque temps pendant les guerres civiles, la victoire lui avoit rendu ])lus qu'il n'a voit perdu , et depuis le massacre de Dagobert II , l'Au- strasie peut-être tout entière avoit élé réunie sous son commandement; du moins est-il le plus souvent désigné par le nom de duc de cette province. Le pays qui s'étendoit des Ardennes et des Vosges jusqu'au Rhin , reconnoissoit son autorité, à peu près comme les nations germa- 3iiques d'au-delà du Rhin obéissoient à leurs ducs héréditaires. Les princes des Saxons, des Frisons, des Cattes ou Hessois, des Allemands ou Souabes, des Bavarois et des Thuringiens, étoient les égaux de Pépin ; ils l'avoient se- condé à la guerre, et ils croyoient avoir avec lui des intérêts communs; mais ils n'étoient nullement disposés à lui obéir; la victoire de TesUy avoit assuré leur indépendance : ils vou- loient bien faire encore partie de la confédéra- tion des Francs, mais ils comptoient n'avoir plus de mailresf^). Dans FAustrasie même , au mi-

(i) Vita sancti Arnulphi Ep. metensis à Bîonacho coœi'o, p. "507.

(2) Annales meienses, p. 680.

DES FRANÇAIS.

lieu du duché dont Pépin portoit le litre, d'au- 68: très grands seigneurs avoient , aussi-bien que lui, de vastes terres qu'ils tenoient de leurs an- cêtres, et qu'ils gouvernoient comme des patri- moines privés, non comme des offices de la couronne. Ils avoient combattu avec lui, et ils entendoient participer à sa vicloire. Leshabitans de tout ce pays étoient presque uniquement Germains d'origine ; ils s'attribuèrent, par ex- cellence, le nom de Francs; et en effet, ils renouvelèrent les habitudes milifaires et les })rétentions politiques des premiers conquérans: la nation redevint tout à coup plus guerrière et plus répul)licaine; depuis la bataille deTes- try , l'armée des Francs et les comices des Francs semblèrent acquérir plus d'imporlance , tandis qu'on vit diminuer celle des maires du palais aussi-bien que des rois.

Pépin s'étoit fait revêtir de Tolnce de maire du palais de Neustrie : cependant il semble avoir attaché plus d'importance à son rang de duc d'Austrasie. Atîssi, au lieu de se charger de la, garde du roi Thierri IIÏ , et de .-^établir à Paris , pour chercher à resserrer le lien social et à ra- mener les provinces à l'obéissance , il fi>ca su résidence à Cologne, au milieu de ses posses- sions et des soldais qui lui étoient dévoués, et il lit choix d'un Franc, nomme Nordbert, qui paroît avoir été sa créature, pour en faire son

9'2 HISTOIRE

687. lieutenant à la cour , et lui confier le soin de veiller sur le roi. (i)

Pépin avoit deux fils de sa femme Plectrude , matrone distinguée par sa noblesse et sa pru- dence. Il procura au premier , nommé Drogon , le duché de Champagne, tandis qu'il réservoit l'administration de la Neustrie pour Grimoald le plus jeune. Mais en même temps qu'il augmen- toit ainsi la puissance de sa famille , il étoit obligé de partager entre les compagnons de sa victoire toutes les dépouilles du trône. 11 ren- voya dans leurs provinces les grands qui avoient combattu à ses côtés, tant ceux de l'Austrasie que ceux de la Neustrie et de la Bourgogne, en leur accordant des diplômes de ducs , de patrices et de comtes. Dans ces chartes , Thierri III parloit encore en souverain il dé- claroit qu'il confioit à tel seigneur le gouverne- ment de telle province ou cité , parce qu'il avoit reconnu sa foi et sa bravoure. Il ajoutoit qu'il lui conféroit cet emploi pour l'exercer avec toutes les prérogatives dont avoit joui son pré- décesseur; qu'il lui recommandoit seulement une fidélité inébranlable envers la couronne , la protection des veuves et des pupilles, la pu- nition des criminels , la régularité à faire passer

(i) Fredegarii cont. Cap. 100 , p. l^S'i. Gesta reg . franc . Cap. 48 , p. 570. Chroii. Moissiac, p. 653. ~ Adon. Vitn. Chron. p. 670. Annales metenses, p. ()8o.

DES niAMÇAIS. 93

chaque année au trésor ce qui appartcnoit au gs^ lise. Toutes ces eondi lions faisoient partie du for- mulaire, qui deineuroit toujours le même (i); mais ni le roi ni sou maire n'avoient aucunes troupes de ligne pour les faire exécuter.

Pépin ne pouvoit faire marcher que leslcu-- des, qui, en retour pour les terres qu'il leur avoit accordées , ou pour la protection qu'il s'étoit engagé à étendre sur eux, avoient pro- mis de le servir. A cet égard, chacun des ducs et des comtes de la monarchie avoit presque la même autorité que lui. Chacun de ceux qui avoient obtenu des fondions judiciaires, ou qui possédoient une grande étendue de terres, étoit devenu le capitaine de tous les hommes libres établis diius son voisinage. Le déclin do Fautorilé suprême avoit contraint les voisins, les amis, à songer à se protéger réciproque- ment; les foibles s'étoient associés au fort, et ils avoient augmenté sa force dans le temps même ils demandoient son appui. La richesse ter- ritoriale ou mobilière , les emplois dans la finance et l'armée, les prélatures et les abbayes, de nombreux parens ou de nombreux amis , avoient servi pour acquérir de nouvelles riches- ses et de nouveaux pouvoirs. I! n'y avoit, à cet

(i) CJiarta de Diicatu , patriciatu , vcl Comitatu in Mar- culfi monachi Jbrmulavum, Lilj. I, formul. 8, p. /J71 , Script, franc, T. IV,

94 HTSToini:

è8> égard , aucnne ci ifférence en tre le Franc, le Bour* guîgnon et le Gaulois; le fils du Ptomaiii s'éle- voil aux plus haules dignités par les intrigues de cour ou les bénéfices de l'Eglise, aussi facile- ment que le soldat barbare par les armes. Ce dernier, s'il étoit pauvre, étoit tout aussi exposé que le Romain ])auvre, à être privé du pea qu'il av(jit par un voisin plus puissant que lui ; et il ne pouvoit mettre son petit bien en sûreté qu'en renonçant à son indépendance. La dis- tinction de naissance , la pureté du sang dans une race noble, n'étoient point encore des avan- tages dont on tirât vanité, ou auxquels on at- tachât des prérogatives politiques. Mais dans toutes les races également, la force et la richesse constituoient les grands, qui se maintenoient ensuite par eux-mêmes.

La victoire de Testry ne fut pas seulement avantageuse aux grands seigneurs qui accom* pagnoient Pépin, elle affermit plus encore l'in- dépendance des grands du midi de la Gaule , qui ne se reconnoissoient aucunement pour infé- rieurs au duc austrasien , et qui ne se croy oient plus obligés à aucun devoir envers le fantôme de roi qu'il a voit conservé sur le trône. Le royaume de Bourgogne ne tenoit plus qu'à peine à la monarcliie, la Provence et l'Aquitaine lui échappoient toul-à-£iit. L'histoire de ce siècle, si laconique, si incomplète dans tous ses mo-

DES FRANÇAIS. Ç)'j

numens, ne nous donne presque aucune no- G87. tion sur ces provinces méridionales. L'Aqui- taine austrasiennes'eloildélacliée de FAustrasie, peut-être dès le lègne de Dagi^berl : eiie n'a voit obéi ni à Ciiildéric II, ni à Dagobert II, et son éloigncnient avoit rendu plus facile pour les grands seigneurs rafTermissement de leur indé- pendance. A cette époque, Eudes, duc de Tou- louse , avoit réduit sous son commandement presque toute l'Aquitaine. Les historiens de Lan- guedoc s'efforcent de prouver que cet Eudes étoit lils de Boggis et petit-fils de Charibert , roi d'Aquitaine; qu'un autre fils de Cliaribert , nommé Bertrand , avoit eu pour fils saint Hu- bert , qui , renonçant au monde , avoit cédé tous ses éiats à son cousin Eudes (i). Quoi qu'il en soit de celte généalogie, Eudes étoit obéi des boi'ds de la Loire jusqu'à la Novempopuîanie : clans cette dernièie province , les Gascons avoient affermi leurs établissemens , et ils avoient absolument secoué le joug de la France. Dans l'Armorique, enfin , les Bretons avoient renoncé à leur allégeance , et ils avoient recom- mencé leurs courses et leurs déprédations dans les provinces qui les avoisinoient.

Cependant, les seigneurs francs qui avoient voulu être indépendans chez eux, commencè-

(1) Histoire générale du Languedoc, Liv. VU., cap. 39-747 p. 349-369.

g6 HISTOIRE

687. relit bientôt à s'apercevoir , avec regret, que les forces fie la monarcbie étoient anéanties, qu'elle n'inspiroit plus de respect aux étran- gers , et que chaque jour de nouveaux membres se détachoient de leur confédération. Ceux qui sui voient avec régularité les comices annuels 68.j-Gyo. Jes Francs s'indignoient contre les ducs qui ne reconnoissoient plus leur autorité. La seconde ou la troisième année de l'administration de Pépin, l'assemblée générale des Francs résolut de forcer, par les armes, Piadbode, duc des Frisons, à se soumettre à l'antorilé des rois des Francs qu'il avoit secouée. Ce doc et sa nation étoient encore idolâtres; mais la conversion des Frisons étoit le but le plus habituel des mis- sions du clergé des Gaules. Radbode, aussi-bien qu'Adelgise son prédécesseur, avoit traité avec bienveillance plusieurs des saints qni avoient visité ses étals. SaintVulframn crut même avoir con verti Radbode àîa religion chrétien ne. Déjà ce prinre avoit mis un pied dans la fontaine sacrée du baptême ; mais avant de faire abjuration , il demanda au missionnaire en quel lieu étoient les âmes de son père , de ses aïeux et de tous les héros dont sa nation vénéroit la mémoire. Au fond du gouifre de l'entier , répondît févêque de Sens , plonges par les diables dans des fleuves de poix bouillante. Ce n'est pas de leur danger ou de leurs souffrances que je m'informe , répon»

DES FRANÇAIS. 9^

dit le héros Frison; ils sont, je veux G8o-6no. aller; et il ressortit du baptistère (i). Pépin, avec l'armée des Francs , s'avança vers les côtes de la mer du Nord pour chercher Radbode : il lui livra bataille, le vainquit, ravagea la Frise , et après en avoir enlevé un butin considérable , il reçut des otages de Radbode, qui promit de suivre désormais les étendards des Francs. (i)

Depuis le règne des petits-fils de Clovis, la liation avoit laissé tomber en désuétude les comices elle avoit autrefois décidé, aux mois de mars etde septembre, delà paix, de la guerre, des lois et du gouvernement. Il semble que les rois postérieurs assemblèrent à peine le mallum deux ou trois fois dans la durée de leur règne. Mais les seigneurs qui avoient remporté avec Pépin la victoire de Testry, ne lui permirent point de méconnoître des droits qui avoient d'a- bord apparten u à toute la nation, et qu'ils s'étoien t ensuite attribués. Ils prétendirent être consultés sur toutes les affaires de la paix et de la guerre. Chaque année, aux kalendes de mars , Pépin as- sembla les comices généraux de la nation , selon les anciennes coutumes. Par respect pour le

(i) Vitasancti Vulframni^ Episcopi Senonejisis , inter Acta SS. Ord. sancti Bened. sœculo 3**. T. I. p. ôSy. Hadriani Falesii.Uh. XXIII, p. 412.

. (a) Fredegaril cont. Cap. 102 , p. l^o'i. Annales metens. p. 680. -Hadr. Valesii. Lib. XXII, p. 352. TOME II, ^

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3— G90. nom royal, il y faisoit paroître le souverain mérovingien, qui présidoit l'assemblée et rece- voit les présens des grands seigneurs francs. Le roi y prononçoit un discours sur la paix inté- rieure, la défense des églises, des pupilles et des veuves. Un édit présenté par lui, inferdisoit l'enlèvement des femmes et l'incendie des mai- sons; puis l'ordre étoit donné en son nom , à l'armée, de se préparer à marcher au jour qui lui seroit indiqué. Après quoi Pépin renvoyoit le roi dans sa maison de campagne de Mauma- gue , sur la gauche de l'Oise , pour y être gardé lîonorablement , tandis qu'il continuoità pré- sider les comices jusqu'à leur fin , qu'il y rece- voit les légations des puissances étrangères , et qu'il commandoit ensuite les armées. (1)

691. Thierri III vécut trois ans et quelques mois

dans cette espèce de captivité : il mourut en 691. Il avoit porté auparavant, quatorze ans , le nom de roi sous Ebroin et ses successeurs. Son règne nominal avoit donc duré dix-sept ans , sans compter l'année 670, il avoit une pre- mière fois occupé le trône par l'autorité d'Ebroin, entre le règne de Clolhaire lïl et celui de Chil- déricll : et comme Thierri étoit fils deClovisII, mort, au plus tard , en 656 ^ il avoit environ trente-neuf ans quand il mourut. Depuis long-

(i) Annal, metens. p. 680. Chroniques de Saint-Denys , Liv. V, cap. 25, p. 3o5.

DES FRANÇAIS. 99

temps aucun roi de France n'étoit parvenu à 691. lin âge si avancé ; cependant le cours des an- r.ces ne l'avoit jamais fait sortir de l'enflmce. Rien n'indique qu'il fût susceptible d'affection ou de haine, qu'il éprouvât des regrets de sa captivité, ou qu'il manifestât aucune envie d'exercer le pouvoir qu'on lui a voit ravi. Il paroît qu'il eut deux femmes, qu'on nomme Clothilde et Doda; il laissa aussi d'elles deux fils nommés Clovis et Childebert , qui nous sont représentés par les anciennes chroniques comme étant à sa mort encore en bas âge. Pépin , il est vrai, éloit intéressé à prolonger leur mi* jiorité : il fit proclamer l'aîné sous le nom de Clovis III , dans les trois royaumes d'Austrasie , de Neustrie et de Bourgogne , et l'administration n'éprouva aucun changement, (i)

Cependant Pépin travailloit à réorganiser le 691 695. royaume : le zèle qu'il avoit montré pour l'in- dépendance des ducs dans les provinces s'étoit refroidi depuis qu'il tenoit lui-même le gouver- nail. Il semble même qu'il chercha à se récon- cilier avec le parti qu'il avoit combattu. Les restes de la faction populaire témoignoient un grand respect à Ausfride , matrone religieuse et vaillante , veuve du duc Warato, qui , en fai- sant épouser sa fille Auslrude à Berihaire , avoit

(1) Annales metens. p. 680. Hadr. P^alesii. Lib XXIT, p. 355.

3 00 HISTOIRE

695. facililé l^élévation de celui-ci à la mairie de Neuslrie. Berthaire avoit été tué à la suite delà bataille deTestry, et la mère et la fille, Ausfride et Austrude, veuves des deux derniers maires nommés par la faction populaire, conservoient un crédit d'autant plus grand sur ce parti , qu'il ri'avoit pas d'autres chefs. Pépin rechercha l'amitié de ces deux matrones ; il fit épouser Austrude à son fils aîné Drogon , et dès que ces époux eurent un fils , nomme Hugues , sa belle- mère Ausfride se chargea de son éducation. En même temps un nouveau duché en Bourgogne fut accordé à Drogon , devenu l'un des pkis puissans seigneurs de France, (i)

Clovis III mourut vers l'an 696 , sans laisser aucun souvenir de son innocente vie. Chil- debert III , son frère, fut donné pour suc- cesseur. Vers le mêmetemps^ Nortbert, auquel Pépin avoit confié la garde des rois , et qui rem- plissoit sous lui , peut-être comme son lieute- nant, les fonctions de maire du palais de Neu- c^^j— 508. giYiç^ mourut aussi. Les fils de Pépin étoient déjà assez avancés en âge pour qu'il pût reposer en eux une entière confiance. Il désigna le plus jeune, Grimoald , pour maire du palais de Neu-

(i) Annales metens. p. 681. Ftedeg. Cap. loi , p. 452. Gesta reg.francor. Cap. 49» P- 570. —<^hron. Moissiac. p. 653. Valois croit qu'il s'agit ici du duché de Champagne , précédemment accordé au même prince.

DES FRANÇAIS. lOI

strie , et il lui confia la garde de Childebert. Il 695-708. semble que Pépin regardoit déjà ces fonctions comme au-dessous de sa propre dignité, et qu'il aimoit mieux laisser à son plus jeune fils une charge long-temps réservée aux hommes libres, ou à ce que nous nommerions aujourd'hui les gentilshommes , par opposition à la haute no- blesse. Grimoald , auquel les duchés de Reims et de Sens furent en même temps attribués , étoit , nous dit le continuateur de Frédégaire , un homme d'une douceur extrême : sa bonté , ses abondantes aumônes, et sa dévotion religieuse, lavoient rendu cher aux Francs, qui concou- rurent à son élection, (i)

Pépin , outre les deux fils qu'il avoit eus de sa femme Plectrude, en avoit eu un troisième nommé Charles, d'Alpaïde, que quelques-uns regardent comme sa maîtresse, d'autres comme sa seconde femme ; mais qui , tout au moins , étoit née dans un rang distingué parmi les Francs. Les mœurs du temps permettoient aux hommes puissans le divorce , le concubinage , et même la polygamie; et Pépin profitoit des privilèges que s'étoient arrogés à peu près tous les rois mérovingiens. Cependant le crédit des prêtres avoit fait de si grands progrès, qu'ils commençoient à exercer leur censure sur les

(i) Fredegavii cont. Cap. 102 , p. 455. Gesta reg. franc. Cap- 49> P- 571. Annales matâmes, p. 681.

102 HISTOlFxE

.q5— ;a8. hoiiimes puissans, à les tancer en public, aies menacer peut-être Ûe Texcommunication lors- qu'ils bravoient ouvertement la morale reli- gieuse. Lambert, évéque de Maestricht^ dès lors reconnu comme saint, paroîfc avoir repro- ché publiquement à Pépin le scandale que don- noit sa bigamie. Les écrivains plus rapprochés de son temps disent seulement qu'il essaya de corriger les mœurs de la maison royale ; ceux du onzième siècle racontent qu'assis à la table de Pépin avec Alpaïde, il refusa de bénir la coupe de cette dernière , lui reprocha son concubi- nage , et sortit de sa table et de son palais en lui témoignant son mépris. Dodon , frère d'Alpaïde, étoit grand domestique du palais de Pépin , di- gnité considérable chez les Francs : indigné de l'oulrage fait à sa sœur, il chargea deux de ses pa- rens, Gallus et Riolde, de la venger sur Tévéque de Maestricht , dont ils saisirent les propriétés et maltraitèrent les prêtres. Les neveux de saint Lambert, pour délivrer leur oncle , tuèrent les parens du grand domestique; et celui-ci fit à son tour entourer la maison de saint Lambert à Liège par des assassins, dont l'un monta sur le toit , et de tua le saint évêque comme il étoit en prières dans sa chambre. Lambert fut aussi- tôt inscrit au catalogue des martyrs. La dévotion des peuples lui éleva un teniple à Liège. Plec- trude et ses fils le regardèrent comme mort

DES FKAJSÇAIS. I o5

pour la défense de leurs droits; Alpaïde et son 695-708. fils , comme un ennemi sacrifié à leur hon- neur, (i)

Pépin conlinuoit cependant à rappeler à l'o- béissance les nations germaniques, qui, pen- dant les désordres des guerres civiles, avoient rejeté l'autorité des Francs. Radbode , duc des Frisons , n'avoit point observé la paix qui lui a voit été imposée. Ses états ne se bornoietit pas à la Frise actuelle , ils s'étendoient jusqu'au Rhin , et même jusqu'à la Meuse. Ce fut entre ces deux fleuves, devant Duersted en Gueldres, que Pépin remporta sur Radbode une grande victoire, après laquelle il recommença presque chaque année à ravager le pays des Frisons , jusqu'au temps ceux-ci ayant demandé la paix, Pépin, pour unir les deux familles aussi-bien que les deux nations , fit épouser à Grimoald , son fils , Tlieu- binde, fille du duc Radbode. (2)

Les Allemands , qu'on désignoit souvent aussi :og. par le nom de Suèves, et qui occupoient la Souabe actuelle , s'étoient également détachés de la monarchie française. Pépin profita de la mort de leur ducGodfrid, survenue vers l'an 709,

(i) yita sancti Lancleberti , Episcopi Trajecti ad Mosam. p. 597 , cura nota Mabillotiii. -p Hadriani Voles. Lib. XXIII , p. 373, SQ.(\. Sigeberti Gemblac. Chron. p. 545.

(2) Annales metens. p. 68i. Fredegarii cont'ui. Cup. 102 et io4, p. 453.

ÎI— 714.

Io4 HISTOIRE

})oiir les attaquer. Les Allemands donnèrent pour successeur à ce duc, Wilichaire, sous les ordres duquel ils se défendirent pendant quatre ansavecdessuccès variés. Avant que celte guerre fût terminée, Childebertlll mourut en 711 , et fut enseveli dans la basilique de Saint-Elienne, à Choisi , non loin de Compiègne. Les historiens du temps, qui ne consacrent qu'une seule phrase à son règne nominal de seize années , ont joint à son nom Fépithète de juste , sans rappeler une seule action qui explique ce titre. On ignore son âge, l'époque de son mariage, et le nom de sa femme : on sait seulement qu'il laissa rin fils âgé d'environ douze ans, que Pépin et les Francs reconnurent pour son successeur sous le nom de Dagohert IIL (i)

Les actions de Pépin ne nous sont que très- imparfaitement connues, et, à cette époque même l'Occident étoit envahi par les Musul- mans, et menacé de la plus effrayante révolu- tion, les historiens gardent sur la France un si- lence absolu; leurs annales indiquent en deux lignes une expédition de Pépin , en 712 , contre les Allemands, tandis qu'ils se taisent sur le ren- versement de la monarchie des Visigoths, voi- ci) Fredeg. cont. Cap. io4, p- 4^3. Gesta reg.francor. Cap. 5o, p. 571. Chron. Moissiacense. p. 654- —Adonis Chron. p. 670. Ann. metens. p. 68 r. Hadriani p^alesii. LIb. XXIII, p. 384-

DES FRANÇAIS. Io5

sine et long-temps rivale de cejle des Francs. Les 711-714- Arabes, qui avoient commencé , en 647, la conquête de l'Afrique, s'y étoient unis intime- ment avec les Maures. La religion avoit fait une seule nation de deux peuples déjà rapprochés par leurs habitudes et leur vie errante au milieu des déserts. Musa, lieutenant en Afrique du calife Valid , fit passer en Espagne , au mois d'oc- tobre 711, son général Tarik avec six ou sept millfe hommes, pour profiter des désordres oc- casionnés par la mauvaise conduite de Wittiza et par l'usurpation de Rodrigue , qui furent les derniers rois des Visigoths. Les factions, en effet, secondèrentFinvasiondes Musulmans; Rodrigue fut défait l'année suivante, et probablement tué à la grande bataille de Xérès , qu'il perdit contre Tarik. Dans le cours de deux ans l'Espagne en- tière fut conquise; et Musa, lieutenant des ca- lifes, renversant à Tolède le trône des rois vi- sigoths , transporta à Cordoue le siège du nou- veau gouvernement.

Tandis que les Maures achevoient la con- quête de l'Espagne, Pépin, atteint par une dan- gereuse maladie, s'étoit fait transporter, au printemps de 714 , à sa maison de plaisance de Jopil , située sur la Meuse, vis-à-vis d'Héristal et près de Liège. Son fils aîné , Drogon , suc- combant à une fièvre violente, étoit mort avant lui^ vers l'an 708, et avoit été enseveli dans

714.

106 lllSTOIllE

l'église de Saint-Arnolplie à Melz. Pépin , qui se croyoit près de mourir , appela à lui son second fils Grimoald , qui d'ordinaire résidoit en Neu- strie auprès du roi. Grimoald, avant d'arriver à Jopil , passa par Liège , la basilique de Saint-Lambert étoit déjà élevée ; il voulut ren- dre hommage à la cbâsse de ce saint , qui avoit perdu la vie en défendant ses propres droits et ceux de sa mère ; qui avoit tenté d'écarter du lit nuptial Alpaïde, rivale de Plectrude, et de pri- ver des honneurs de la légitimité Charles , avec qui Grimoald croyoit devoir partager l'héritage de son père. Grimoald se mit à genoux devant la châsse du saint, et y demeura long-temps en prières. Il y étoit encore lorsqu'un Franc , nommé Rantgare, se jeta sur lui et le tua. Au- cun des anciens historiens n'a indiqué un seul motif pour cet assassinat , aucun n'a accusé Charles ou Alpaïde d'avoir armé le meurtrier. Cependant Grimoald , en arrivant auprès de son père mourant, commençoit par rendre un culte au saint que le frère d'Alpaïde avoit fait périr; \] sembloit prendre devant son tombeau l'enga- gement de le venger; et l'adoration du martyr Lambert étoit une offense pour Charles et pour Alpaïde. Ceux qui nous ont appris en deux lignes le meurtre de Grimoald , ont tous écrit sous la domination de Charles et de ses descendans ; leur silence sur cet événement semble cacher

DES FRANÇAIS. loy

un mystère, la conduite de Pepin suffit peut- être pour en donner Texplication.

Pepin , que les meurtriers de son fils croyoient accablé par la maladie , recouvra assez de vi- gueur pour les poursuivre; il envoya au sup- plice non-seulement Ranlgare^ mais plusieurs* autres de ceux quiavoient eu part au meurtre de son fils. Disposant ensuite de son héritage, K)iii d'en donner aucune part au seul fils qui lui eût survécu, à Charles, dont le nom germanique si- gnifioit le valeureux , et qui déjà s'étoit montré digne de ce nom par ses exploits , il le laissa en prison sous la garde de Plectrude, sa marâtre. Drogon, son fils aîné,avoit, en mourant, laissé deux fils légitimes, Hugues et Arnold. Pepin les confirma dans la possession des duchés de leur père ; mais il choisit Thécdoald , fils naturel de Grimoald, âgé tout au plus de six ans, pour être maire du palais deDagobert III , sous la tu- telle de son aïeule Plectrude 5 en sorte que la France vit avec étonnement un roi enfant sous la tutelle d'un maire du palais ou premier mi- nistre également enfant , et tous deux obéissant à une femme (i). Pepin mourut le 16 décembre 7 1 4 ; il avoi t gouverné la France depuis la bataille deTestry, pendant vingt-sept ans et six mois.

(i) Fredeg. contin. Cap. io4, p. 4^5. G esta reg. franc. C;<p. 5o, 5i , p. 571. Chron. Moissiac. p. 654- adonis f'ie/m. Chron. p. 670. Annales metenses. p. 681.

108 HISTOIRE

Pépin abandoniian L Metz, jusqu'alors capitale de l'Austrasie, avoit transporté sa résidence et le siège de son gouvernement à Cologne. C'est qu'il avoit amassé son trésor, qu'il laissoit Plectrude et ses petits-fils , que Charles son fils étoit retenu prisonnier. L'Austrasie, attachée par une affection héréditaire à la famille de ses ducs, ne songea point à changer les dispositions qu'avoit faites Pépin en mourant; mais la Neu- strie étoit humiliée du gouvernement de ces princes qu'elle regardoit comme étrangers. La nomination d'un enfant pour maire du palais lui parut une insulte. Tandis que Plectrude s'avançoit vers Paris, avec son petit-fils Théo- doald , et l'armée que son mari lui avoit laissée, les Neustriens prirent les armes en tumulte ; et, conduisant avec eux leur roi Dagobert III, qui n'avoit que seize ans, ils attendirent l'armée austrasienne dans la forêt de Guise, près de Compiègne. Les deux peuples qui commen- çoient à se regarder comme étrangers l'un à l'autre, combattirent avec tout l'acharnement qu'on de voit attendre de leur longue jalousie. Enfin, les Neustriens eurent l'avantage; pres- que tous les vieux guerriers de Pépin et de Gri- moald périrent. Théodoald s'enfuit, et selon les Annales de Metz il mourut bientôt après. Les Neustriens se choisirent alors pour maire un de leurs compatriotes, nommé Raginfred; ils

DES FRANÇAIS. lOQ

contractèrent alliance avec Radhode, duc de 7^^« Frise , qui leur promit d^attaquer FAustrasie par sa frontière septentrionale, tandis qu'ils Tatta- queroient au midi , et ils poussèrent leurs dévastations jusqu'à la Meuse. En même temps tous les Austrasiens établis en Neustrie, tous les Neustriens établis en Austrasie , éprouvè- rent de cruelles persécutions, (i)

L'humiliation des Austrasiens les fit repentir de s'être soumis à une femme et à un enfant, tandis qu'il restoit un fils de Pépin , que sa bra- voure , ses talens et son expérience désignoient comme le seul digne héritier de la grandeur paternelle. Quelques-uns des plus hardis parmi les partisans de Charles, l'enlevèrent de la pri- son où le retenoit sa beile-mère, et le montrè- rent au peuple. Les Austrasiens crurent voir revivre son père en lui ; ils l'accueillirent avec le plus vif enthousiasme, (c C'étoit , dit le moine , « auteur des Annales de Metz , le soleil qui c( renaît, et quiparoît plus brillant après une <c éclipse. » De nombreux partisans se rangèrent autour de lui et lui formèrent une petite armée. Cependant, Cologne, les villes fermées et le tré- sor de Pépin, restèrent quelque temps encore entre les mains de Plectrude. (2)

(i) Fredeg. contin. Gap. io4, p. 4^3. Gesta reg, franc. Cap. 3i , p. 571. Ckrofi. Moissiac. p. 654- Adon. Chron. p. 671. Annales metenses. p. 683.

il) Annales metens. p. 682. Fredeg. contin. Cap. io4,

IIO HISTOIRE

715. Un nouveau règne avoit commencé dans le

même temps chez les Neuslriens : leur roi Da- gobert III, parvenu tout au plus à sa dix-septième année, étoit mort. On vit plus tard monter sur le trône un Thierri IV , qui fut alors présenté à la nation comme son fils. A cette époque les Francs ne songèrent point à lui. La famille de Mérovées'éteignoit : ces princes, qui après avoir vécu dans la captivité mouroient tous dès qu'ils parvenoient à l'adolescence , sembloient frap- pés d'une réprobation céleste. Cependant , par respect pour d'anciennes habitudes , on n'osoit point encore se passer d'eux. Ainsi, l'on vit les Romains conserver dans leur république un pontife roi^ pour prendre certains augures , et ces républicains triomphèrent pour lui de la répugnance que leur inspiroit son nom seul. Mais plus les descendans de Mérovée demeu- roient inconnus à la nation , et plus il étoit fa- cile de remplacer ces rois de théâtre , et de sup- poser des en fan s aux pères qui ne les av oient jamais connus. Une longue chevelure et un© longue barbe suffisoient à la nation, encore la dernière étoit-elle presque toujours postiche car, parmi vingt rois fainéans, à peine deux furent en âge d'en avoir une naturelle. Quant aux preuves d'une descendance légitime , elles

p. 453. Gesta. reg.Jrancor, Cap. 5i , p. Syi. —Annales fuldenses. p. 673.

DÈS m ANÇx\is. Il r

étoienl laissées aux soins du maire , qui avoit besoin de se faire un souverain. Après la mort de DagobertlII, Raginfred tira d'un couvent un moine nomme Daniel , dont il avoit eu soin de laisser recroître la chevelure. Les historiens du temps se contentent de dire que les Francs rétablirent pour roi, et le nommèrent Chilpé- ric II ; mais dans plusieurs diplômes accordés par ce roi aux moines de Saint-Denis et à d'au- tres couvens, il nomme toujours, et même avec une sorte d'affectation , son père Childéric II (i). C'étoit celui que la faction de saint Léger et des grands avoit appelé d'Austrasie, qu'elle avoit fait tuer plus tard , et qu'Ebroin avoit vengé. Comme il avoit été massacré en 674 , le nou- veau roi de voit, en 716, avoir au moins qua- rante-deux ans. Il y avoit près d'un siècle que la monarchie n'avoit eu un chef si avancé en âge. Mais la vie monacale avoit été pour Chil- péric une seconde enfance qui le rendoit tout aussi incapable d'adminislrer que s'il n'étoit point sorti de la première. Quoique la fortune le rendît tour à tour jouet de l'un et de l'autre parti , il ne manifesta jamais cette généreuse impatience du joug des maires du palais, que

(i) Diplomata Chilperici régis Francorum, viri illustris , n' io5 ad 112. Script, franc. T. IV, p. 690, seq. •— Gesta ^^g'francor. Cap. 52, p. 571. Fredeg, contin. Cap. io4, p. 453.

Ii2 HISTOIRE

715. lui prête Adrien de Valois. Au contraire , on le •vit exprimer dans ses diplômes, dans celui entre autres qu'il accorda au couvent de Saint-Maur- des-Fossés, le consentement de son maire da palais, Raginfred. Plusieurs causes de fermen- tation existoient encore parmi les Francs ; les Neuslriens étoient jaloux des Austrasiens; les grands voyoient avec envie Félévation de la famille de Pépin , et les hommes libres redou- toient les usurpations delà haute aristocratie; mais personne ne s'interessoit plus aux droits prétendus d'une famille dont on ne connoissoit que les vices.

716, Après l'élection de Chilpéric II , Raginfred , de concert avec Radbode, duc des Frisons, se prépara à envahir de nouveau l'Austrasie. Charles , qui tenoit la campagne avec ses par- tisans , marcha à la rencontre de Radbode, et lui livra bataille; mais il fut défait et contraint de s'enfuir, après avoir perdu un grand nombre de ses plus braves soldats. Radbode fit ensuite sa jonction devant Cologne, avec l'armée neu~ strienne que Raginfred y a voit conduite. De con- cert ils dévastèrent l'Austrasie, et ils ne se re- tirèrent que lorsque Plectrude eut en quelque sorte payé sa rançon par de riches présens. Mais Charles surprit auprès d'Amblef, dans la forêt d'Ardennes, les Neustriens qui retour- noieiit dans leur pays; et, quoique fort infé-

DES FRANÇAIS. I l5

rieur en nombre, il remporta sur eux une vie- -i6. toire signalée, et leur lit un grand noinbi'e de prisonniers, (i)

L'Auslrasie éloit alors cruellemenf dévastée ; les Neustriens Fallaquoient au midi , les Frisons au nord : les Saxons, de leur côté, portoient leurs ravages dans celles de ses provinces où. la confédération des Francs s'étoit formée pour la première fois. Les Attuaires et les Bruclères, anciens peuples francs , éloient envahis par eux. LesThuringiensetlesHessois, après avoir été long-temps exposés à leurs dévastations, a voient fini par leur payer un tribut. Les Saxons donnant leur nom à des peuples nouveaux qu'ils adoptoient , et se fortifiant chaqr.e jour par des alliances , sembloient résolus à rétablir dans toute la Germanie le culte de ses anciens dieux. Charles s'opposa , autant qu'il put , à leurs ravages. Cependant il inettoit plus d'im- portance encore à rassembler une armée avec laquelle il pût entrer en Neusirie à son tour , et punir Raginfred des outrages faits à la flunille de Pépin.

En effet, au printemps de l'année 717 , il 717. passa la forêt Carbonaria , et livra la Neustrie

(1) Fredeg. contin. Cap. io6, p. 455. Gesta reg. franc. Cap. 53, p. 571. Chron. Moissiac. p. 655. Adon. Chron. p. 671. Ann.fuldenses. p. ôyS. Ann. metens. p. 682, Hadr. ralesii. Lib. XXIII, p. 425.

TOME II. 8

I 1 4 HISTOIRE

717- aux ravages de ses soldats. Raginfred ayant ras- semblé l'armée neustrienne, qui se formoit sur- tout de la mLilice des villes , et qui étoit plus nombreuse, mais moins aguerrie que celle des Austrasiens, marcha à leur rencontre avec son. roi Chilpéric II, et les atteignit près de Cam- brai. Tandis que les deux armées ëtoient en présence, etque laFrance attendoit avec anxiété l'issue du combat, Charles adressa au roi Chil- péric Il des propositions de paix. Il lui de- manda d'arrêter l'efFusion du sang français, et de renoncer à l'alliance des barbares qu'il avoit appelés en Austrasie. Il se plaignit de ce qu'a- près le juste et glorieux gouvernement de Pépin, les Neustriens cherchoient à le dépouiller de son héritage , et il demanda à être remis en pos- session de cette mairie du palais que ses ancêtres avoient exercée avec assez de gloire pour qu'elle dût demeurer héréditaire dans sa famille. A ces propositions , Chilpéric et Raginfred ne répon- dirent que par la menace de dépouiller Charles de ce qui lui restoit de son héritage paternel. Celui-ci communiqua aussitôt aux ducs et aux grands de son armée la réponse qu'il venoit de recevoir; et les ayant ainsi échauffés de son res- sentiment , il donna le signal de l'attaque. Ce fut un dimanche matin, quinze jours avant Pâques, le 21 mars 717, àVincy, à peu de dis- tance de Cambrai , que les deux armées se ren-

DES FRANÇAIS. Il5

contrèrent. Le ressentiment des deux nations éloit extrême , et leur acharnement dans le combat étoit proportionné à leur haine. Le sort de la bataille fat long-temps douteux, et le nombre des morts d^une et d'autre part fut si grand , que, pendant cent vingt-quatre ans, on ne trouva rien à comparer à ce mas- sacre , jusqu'à ce que la bataille de Fontenay , en 841 , le fit oublier. Enfin la fortune de Charles l'emporta : Chilpéric et Raginfred furent mis en fuite, et les Austrasiens les poursuivirent jusqu'en vue de Paris. De retour ensuite dans leurs foyers , ils ne permirent pas que Plec- trude disputât plus long-temps à Charles un pouvoir dont ils'étoit montré si digne. Ils l'inau- gurèrent dans Cologne comme duc d'Austrasie , et ils exigèrent que tous les trésors de son père lui fussent livrés. En même temps , pour satis- faire ceux des Austrasiens qui croyoient encore le sort de la monarchie attaché au sang de Mé- rovée, ils proclamèrent un roi qu'ils nommè- rent Clothaire IV, et que Charles prétendit être issu de la maison royale ; mais on ne sait pas même à quel père ce fils supposé fut attri- bué, (i)

(i) Annales metenses. p. 683. Fredeg. contin. Cap. 106 et 107 , p. 454. Gesta regumfrancor. Gap. 53 , p. Syi. Chron. Moissiac. p. 655. Adonis chron. p. 671. Aimai, fiddens. p. 6']'^.—Uadriani Falesii. Lib. XXIII, p. 427.

3l6 HISTOIRE

718, Quoique Charles se fût avancé jusqu'aux portes de Paris après la bataille de Viticy , il n'avoit point soumis la Neustrie. Il fut même obligé de renoncer à poursuivre ses avantages , parce qu'il étoit appelé à repousser alternative- ment ses ennemis du nord et ceux du midi. Il consacra la campagne de 718 à mettre FAu- strasie à Fabri des invasions des Saxons, qu'il battit près des bords du Wéser. A cette époque même, l'Anglais saint Winfred , qui prit plus tard le nom de saint Boniface , commença, avec l'autorisation du pape Grégoire II , ses missions en Germanie ; et par ses prédications parmi les Thuringiens , les Hessois et les autres peuples germains limitrophes des Saxons , il seconda les armes de Charles, (i)

719. En 719, Charles tourna de nouveau ses ar- mes contre Raginfred. Ceiui-ci avoit contracté alliance avec Eudes , duc d'Aquitaine , qui s'étoit rendu indépendant dans les provinces situées entre la Garonne et la Loire 5 tandis que les Gascons a voient formé un autre duché égale- ment indépendant dans la Novempopulanie , entre la Garonne et les Pyrénées. On a cru que Raginfred, pour s'assurer l'amitié du duc d'A- t[uitaine , lui avoit accordé ou les droits réga- liens sur ces provinces , ou le titre royal , parce que le laconique continuateur de Frédégaire

(i) Vita saiicli Bonifacii, i6, p. 664-

DES FRANÇAIS. I 17

nous apprend qu'il lui envoya le règne (reg?ium), 719- sans nous indiquer quel sens nous devons atta- cher à ce mot unique. Eudes , avec les soldats aquitains , vint en effet se réunir à Raginfred et Chilpéric II. Ils s'avancèrent à la recherche des Austrasiens , et ils les rencontrèrent près de Soissons; mais leur armée combinée fut de nou- veau mise en déroute par Charles , et poursuivie jusqu'à Orléans. Eudes se mit à couvert derrière la Loire; il emmena avec lui Chilpéric II et le trésor royal. Quant à Raginfred , il céda à la fortune , se soumit au vainqueur , et renonça à la mairie du palais de Neustrie. Comme dé- dommagement, Charles lui donna dans la suite le duché d'Anjou à gouverner.

Sur ces entrefaites, Clothaire IV vint à mou- rir , et Charles offrit la paix au duc d'Aquitaine, sous condition que Chilpéric , avec son trésor , seroit livré entre ses mains, et continueroit sous son ministère son règne nominal. Eudes ac- cepta ces offres , et Chilpéric passant au camp de son ennemi , y fut reçu par l'armée et par sou chef avec toutes les marques de respect que l'usage avoit réservées au roi des Francs. Jus- qu'alors il avoit été reconnu seulement par la Neustrie et la Bourgogne, mais ses revers pla- cèrent une nouvelle couronne sur sa tête, cell^ d'Austrasie. De nouveau la France entière parut n'obéir qu'à un seul chef; toutefois le moine

Il8 HISTOIRE

719. Daniel, que Charles nominoit son roi, et auquel il laissoit la jouissance de ses palais et de ses richesses, régnoit, moins encore dans le camp des Austrasiens qu'il n'a voit fait dans celui de Raginfred. (1)

(i) Fredegarii coiit. Cap. 107, p. 454- Gesta reg. franc. Cap. 55 et ultimus , p. 672. Chron. Moissiacens. p. 65S^ Adonis chron. p. 671. Annal, faldens. p. 673. AnnaL metens. p. 685. Hadr. Valesii. Lib. XXIII, p. 454-

DES FRANÇAIS. II9

CHAPITRE XIII.

Gouvernement de Charles Martel et de ses fils, jusqu'à la déposition des rois de la première race. -720 762.

Comme nous avançons vers Tépoque de la déposition de la première race , nous sommes forcés de cheminer au travers d'une obscurité toujours croissante. Les ténèbres s'épaississent d'année en année jusqu'à celle du couronnement dePepin-le-Bref tandis qu'aussitôt que nous au- rons passé ce terme nous commencerons à pres- sentir l'aurore d'une clarté nouvelle qui luit sur l'histoire, dès le règne de Charlemagne. Au hui- tième siècle, nous ne connoissons plus que les dates des principaux événemcns 5 tandis que leurs causes, leur connexion , tout ce qui pour- roitleur donner un caractère instructif, est dé- robé pour jamais à notre connoissance, et que les personnages dont nous apprenons seulement les noms ne peuvent exciter en nous une idée précise ni de vices , ni de vertus , ni de talens, ni de passions, de manière à les distinguer les uns des autres. Le nombre des citations dont nous appuyons chaque fait ne doit point faire

lao HISTOIRE

illusion aux lecteurs. Beaucoup d'annalistes de couvens, il est vrai , font remonter leurs chro- niques jusqu'à ce temps de confusion et d'igno- rance: mais on diroit que , dans leurs conimen- cemens surtout, ils se sont tous copiés les uns les autres. Ils emploient toujours les mêmes mots pour rappeler les mêmes événemens, et ils le font avec le laconisme qu'on se prescriroit non pour une histoire, mais pour une table de chapitres. L'annaliste se fait presque toujours la loi de n'emploj^er pas plus de deux lignes au souvenir de chaque année; et, pour y réussir, il retranche soigneusement de son récit toutes les causes, tous les détails, toutes les consé- quences , tout ce qui forme enfin la liaison entre des faits divers.

Des guerres importantes furent soutenues ■par les Francs à cette époque, et contre les Sar- rasins et contre les Saxons : peut-être n'ont- elles pas seulement décidé de l'existence de la nation française , mais encore de la liberté de l'Europe, et du progrès de la civilisation dans l'univers ; cependant il peut nous suffire d'en connoître les résultats; l'histoire du monde nous a conservé le souvenir de tant de combats et de batailles, de tant de scènes de dévastation et de carnage, que nous ne saurions guère re- gretter les détails de quelques campagnes de plus. Nous pouvons aussi supporter, sans nous

DES FRANÇAIS. I î I

plaindre, l'ignorance nous demeurerons sur les caractères les plus éminens de ce siècle, puisque FListoire des précédens nous a suffi- samment fait connoître ce que nous devions attendre des institutions des Barbares, de l'édu- cation des cours et des châteaux , et de l'en- seignement des prêtres. Après avoir été intro- duit dans le palais des Chilpéric et des Frédé- gonde, on trouve peut-être quelque i^epos pour l'âme fatiguée de crimes , à ne rencontrer que le nom seul des derniers rois mérovingiens, et à ne connoître des maires du palais qui les rem- plaçoient, que leurs victoires. Mais c'est avec plus de regret qu'on doit renoncer à suivre les développemens des institutions de la France; qu'on doit perdre la nation de vue, tandis qu'il s'opéroit en elle les plus grands changemens; et qu'au lieu d'observer les progrès de ses or- dres divers de citoyens, de ses opinions, de ses droits, de sa fortune publique, et de la distri- bution de la justice, on doit se résigner à la retrouver au bout d'un long espace de temps, tout autre qu'elle ne s'étoit jusqu'alors pré- sentée à nos regards. L'étude du développement graduel du caractère et des institutions des na- tions est la vraie philosophie de l'histoire; c'est elle qui nous explique les temps présens par les temps passés, et qui nous apprend à con- noître rindividualité qui différencie un peuple

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d'avec un aufro; par elle, nous comprenons comment ce qui fut salutaire pour Fun peut devenir pernicieux pour l'autre, et nous appré- cions l'influence de toutes les habitudes et de tous les souvenirs sur la politique. 720—737. Cliilpéric 11 ne vécut pas plus d'une année sous la tutelle de Charles. A sa mort, survenue en 720 , un fils de Dagobert III fut tiré du palais ou du couvent de Chelles, et couronné sous le nom de Thierri IV. Son père étoit mort en 71 5, âgé tout au plus de dix-sept ans, en sorte qu'il ne pou voit pas lui-même en avoir plus de six quand il commença à régner. Il grandit ob- scurément dans le palais , sans donner aucun souci au maître de l'Etat, et sans que les his- toriens aient eu aucune occasion de parler de lui. Lorsqu'il fut parvenu à sa vingt-troisième année, il mourut en 757. Cétoitlesort commun des rois qu'on a nommés fainéans, et la nation y étoit si bien accoutumée, elle leur voyoit si rapidement détruire leur santé par leujs vices, que ces morts prématurées n'excitoient pas ' même de soupçon.

Sans inquiétude sur son prisonnier royal, Charles, auquel sa bravoure et la rapidité de ses expéditions obtinrent de la postérité le sur- nom de Martel , s'occupa de ramener à la dé- pendance de l'empire des Francs, les peuples qui avoient profité des troubles de la monar-

DES FRANÇAIS. 12^

chie pour rejeter absolument le joug. Il tourna 72o-;j37. contre les grands cetle môme armée que son père avoit formée pour cicfencire leur cause; et, parvenu au pouvoir à Faide de la liberté aristo- cratique , il remploya à l'affermissement de Tautorité monarchique. La nation étoit rede- venue toute militaire; elle avoit recouvré une jeunesse et une vigueur nouvelles , mais elle avoit pris en même temps des habitudes d'obéis- sance et de subordination, qui résultoient pour elle de la vie des camps. Le septième siècle s'étoit écoulé sans que les Francs eussent à soutenir aucune guerre étrangère de quelque impor- tance; aucun de leurs rois pendant cette période ne s'étoit distingué par ses talens militaires. Au huitième siècle, au contraire, une succession de grands capitaines mena les Francs de vic- toires en victoires; chaque année est marquée par quelque expédition, ou s'il y en a une, comme Tannée 740, qui se passe sans guerre, les annalistes la signalent avec non moins d'é- tonnement que les Romains signal oient celles ils fermoient le temple de Janus.

Charles Martel porta ses armes au nord et au levant des Gaules contre les Allemands, les Ba- varois , les Frisons et les Saxons. Les trois pre- miers peuples furent contraints à reconnoître la suprématie de la France; mais les Saxons, devenus plus puissans à l'époque même leurs

Î9.4 HISTOIRE

voisins perd oient de leur importance, avoieni les moyens de soutenir une plus longue lutte* Ils s'étoient approprié plusieurs provinces des ïhuringiensetdes Cattes ou Hessois ; ilsavoient donné chez eux un asile aux sectateurs de leurs anciens dieux , que l'intolérance des prêtres chrétiens chassoit du reste de la Germanie; ils avoient admis dans leur confédération des peu- ples jusqu'alors connus sous un autre nom , en sorte que leur domination sembloit s'étendre sur tout le nord de l'Europe. Leurs forces étoient doublées par la jouissance de leur antique li- berté ; leur pays , sauvage et mal connu , étoit facile à défendre , et les irruptions de leurs en- nemis n'apportoient que peu de dommage à leur pauvreté. De l'an 718 à l'an 7^9, Charles Martel pénétra six fois dans leur pays ; mais il ne réussit point à les soumettre , et il laissa cette guerre encore entière à son fils et à son petit-fils. Il n'a voit point de troupes de ligne, il ne bâtissoit point de 'forteresses , il ne pouvoit point laisser de garnisons ; ses soldats ne con- sentoient aie suivre chaque année que pendant une saison fort courte ; et avec une telle orga- nisation militaire , il ne pouvoit obtenir de suc- cès durables, (i)

(i) Fredeg. cont. Cap. 108, p. 454- Append. ad Gesla reg.francor. p. 5']^. Chron. Moissiac. p. 655. Adonis chron, p. 671. Ann. fuldens. p. 670, 674. Ann. metens^ p. 684. '-"Ann. nazcriani , etc. p. 639, seq.

DES FRANÇAIS. 12^

D'ailleurs les progrès des Sarrasins au midi 715-732. avoient opéré, en faveur des Saxons, une di- version puissante. Dès Fan 714, l'Espagne en- tière étoit soumise aux Sarrasins. Leur général Musa avoit établi le siège de son gouvernement à Cordoue ; les chrétiens fugitifs, qui avoient re- fusé de payer le tribut , se caclioient dans les districts les plus sauvages des montagnes , tandis que la plupart de leurs frères avoient courbé la tête sous le joug. Les Visigoths de la Septima- nie, ou de cette partie du Languedoc qui étoit restée à l'Espagne , demeurèrent sept ans encore, après la chute de cette monarchie, sous la domi- nation des divers ducs et comtes que les rois prè- cédens leur avoient donnés. De 7 1 5 à 7 1 8 , ils se défendirent avec succès contre Alahor, nouveau lieutenant des califes de Bagdad. Zama , qui lui succéda, franchit le premier les Pyrénées en 719; et au commencement de l'année sui- vante , il se rendit maître de Narbonne , capi- tale de la province , dont il passa leshabitans au fil de Fépée : il les remplaça par une forte co- lonie de Sarrasins, auxquels il distribua des terres dans le pays. Il soumit ensuite le reste de la Septimanie gothique , et il obligea les chré- tiens qui riiabitoient à lui payer un tribut, (i)

(i) Hist. générale du Languedoc, Liv. VIII, ch. 9, p. SSg, et note 82 , p. 686. Pagi criticn in Baronium ad ann. 720, §. 2, T. m, p. 194.

ÏQ.6 HISTOIRE

■732. En 720 5 les Arabes tentèrent de passer le Ptliône , pour étendre leur domination sur la Provence; mais il furent repoussés par les ducs et la milice du pays. Ils tournèrent alors leur marche vers Toulouse, dont ils entreprirent le siège. Eudes, duc d'Aquitaine, défendit contre eux sa capitale. Zama, général des Sarrasins, fut tué devant les murs de la ville assiégée, avant le mois de mai 721 , et les troupes qu'il avoit commandées se retirèrent dans la Septimanie. Dès lors une guerre d'escarmouches se continua sur les frontières de l'Aquitaine jusqu'à l'année 725 , où. Ambiza, nouveau gouverneur d'Es- pagne , passa les Pyrénées avec une armée mu- sulmane , prit Nîmes et Carcassonne et , s'avan- çant ensuite hardiment au milieu des pays ennemis, traversa la plus grande partie du royaume de Bourgogne sans rencontrer d'ar- mée, jusqu'à Autun, qu'il prit le 11 août 725; il livra celte ville au pillage , et revint ensuite dans la Septimanie avec ses troupes chargées de butin, sans avoir eu occasion de livrer de combats. (1)

Les expéditions des gouverneurs sarrasins n'étoient pas liées à un projet général de con- crète ; mais plutôt au désir de manifester pen-

(i) Hist. génér. du Languedoc, Liv. VIII, ch. 19, p. 393. Anjial. anianenses. Ibid, Preuves, T. I, p. 16. Annal, jjetaviaiii , p. 64 1-

DES FRANÇAIS. 127

clant leur court gouvernement leur zèle pour 715-732. la diffusion du koran et pour la gloire du calife , ou au dessein d'encourager leurs soldats par le pillage des infidèles. Après l'expédilion d'Aulun, les Musulmans s'abstinrent, pendant quatre ans, de toute attaque nouvelle, jusqu'à une entre- prise qu'ils formèrent , en 729 , sur TAlbigeois , et dont nous ignorons les circonstances. Cette nouvelle agression détermina Eudes, duc d'A- quitaine, à acheter la paix et l'alliance des Mu- sulmans , en donnant sa fille en mariage à leur général Mu nu sa. (ij

Mais l'alliance que le duc d'Aquitaine avoit 72^- contractée avec le général maure, loin de pour- voira sa sûreté, ne servit qu'à l'engager dans les dangereuses intrigues qui commençoient alors à troubler l'enipire des califes. Abdérame, lieu- tenant du calife Hescham à Cordoue , découvrit une conspiration de Muuusa, qu'il accusa d'a- voir voulu soustraire la Septiraanie et la Cata- logne à l'empire du commandeur des croyans , pour s'en faire une principauté indépendante. Abdérame marcha rapidement contre Munusa , le poursuivit dans les montagnes ^ ofiVit une récompense pour sa tête, qui lui fut bientôt apportée; et , faisant sa femme prisonnière , il

(i) Isidori Pacensis Chron. p. i8, et in Scr.J'ra?ic. T. II, p. 720. Hlst. générale du Languedoc, Liv. VIII, chap. 22, p. 595.

128 HISTOIRE

envoya cette princesse française, fille du duc d'Aquitaine, au sérail de son souverain, à Bagdad. Abdérame , voyant alors Tarmée qu'il avoit rassemblée rendue inutile par la destruc- tion du parti de Munusa, passa les Pyrénées du côté de Pampelune et de la Navarre , et entra dans les Gaules par la Gascogne. 11 emporta d'assaut la ville de Bordeaux, qu'il livra au pillage. Le duc d'Aquitaine, reculant devant ce redoutable ennemi , avoit rassemblé toutes ses forces de l'autre côté de la Dordogne. Abdé- rame passa cette rivière, attaqua Eudes sur ses bords, le vainquit avec un prodigieux massacre des Aquitains , et le força à s'enfuir de nouveau vers le nord.

Le duc d'Aquitaine et Charles Martel n'a- voient pas long-temps observé la paix qu'ils avoient faite en 719 l'un avec l'autre : l'un pré- tendoit à une indépendance absolue; l'autre ré- clamoit l'autorifé qu'avoient exercée les rois des Francs. L'année 75 1 ,Cbarles avoit deux fois passé la Loire pour ravager les pays situés à sa gauche. Cependant Eudes, vaincu par Abdérame , ne vit pour lui d'autre moyen de salut que de recourir à la protection du prince même qu'il venoit de combattre. Tandis que les Sarrasins ravageoient le Périgord , la Saintonge, l'Angoumois et le Poitou ; qu'ils avoient brûlé , dans le faubourg même de Poitiers, l'église de Saint-Hilaire

DES FRANÇAIS. Î2g

qu'ils nienaçoient Tours ils étoient attirés 732. par les immenses richesses rassemblées dans la basilique de Saint-Martin, Eudes, avec les restes découragés de son armée, passa la Loire , et soQima Charles Martel d'oublier leurs dis- cordes pour défendre avec lui la commune pa- trie. La Gaule sembloit menacée du sort de l'Espagne : Tun et l'autre pays étoient affoiblis parles mêmes causes; il y avoit de même divi- sion entre les grands , corruption dans Tarme'e , absence d'intérêt public dans le peuple , réso- lution obstinée du clergé de ne point contribuer aux frais d'une guerre qui cependant l'intéres- soit plus qu'aucun autre ordre de l'état. Mais si , à toutes ces causes de désastres , on pouvoit joindre l'incapacité des rois de France , plus con- statée encore que celle des derniers rois visi- goths, quoique celle-ci eût suffi pour perdre leur monarchie, les Francs, d'autre part, avoient l'avantage de voir à la tête de leurs armées un homme de cœur , qui sentoit ce que demandoit de lui la circonstance. (1)

(i) Chron. Moissiac. p. 655. Fredeg. contin. Cap. 108, p. 454- Ademari appendix ad Gesta reg.francor. p. ^54. Il écrivoit en 1029, et il donna le premier à Charles le nom àe Martellus. PauU Diac. Gesta Lang. Lib. VI, cap 4^, p. 639. Annal, nazariani , p. 64o. Pelaviani, p. 6^1. Tiliani, p. 64^. Lambeciani , p. 645. Chron. fonta- nellense. p. 660. Adonis chron. p, 671. Ann. fuldens» p. 674. Annal, jnetcnses, p. 684-

TOME II, 9

l5o HISTOIRE

:;32. Charles en effet accueillit honorablemenl le

duc d'Aquitaine, se réconcilia franchement avec lui , et prit aussitôt des mesures pour le secourir avec toutes les forces delà monarchie. Le pro- grèsdes Musulmans étoitretardé par larésis tance des villes, et peut-être par l'avidité même avec laquelle ils pilloient tout le pays qu'ils traver- soient. Ils avoient à peine passé Poitiers lorsqu'ils rencontrèrent Charles et l'armée des Francs au- strasiens. Pendant sept jours les deux généraux manœuvrèrent, en présence l'un de l'autre, pour s'assurer le terrain le plus favorable, ou pour le faire abandonner à l'ennemi; ils sera- bloient hésiter à livrer une bataille dont les suites pouvoient être si fatales ; enfin ils l'en- gagèrent un samedi du mois d'octobre 702, Un seul parmi les auteurs contemporains , Isi- dore, évêque de Beja en Portugal, a parlé de cette bataille avec un laconisme moins désespé- rant que le reste des chroniqueurs ; mais ses phrases barbares , et qui semblent destinées à être chantées, ne sont pas toujours intelligibles. Il représente l'armée des hommes du nord ou des Francs, comme une parois immobile, comme un mur de glace, contre lequel les Arabes , ar- més à la légère , venoient se briser sans y faire aucune impression. Ces derniers avançoient, ils reculoient avec rapidité ; mais cependant l'épée des Germains moissonnoit les Musul-

DES FRANÇAIS. IDJ

inaiis. Abdéraine lui-même tomba sous leurs coups. La nuit survint sur ces entrefaites, et les Francs soulevèrent leurs armes, comme pour demander à leurs chefs du repos. Ils vouloient se réserver pour la bataille du lendemain; car ils voyoient au loin la campagne couverte des tentes des Sarrasins, et ils ne doutoient point que de nouveaux guerriers n'en dussent sortir pour leur disputer la victoire. Après avoir dormi sur leurs armes, les Francs se rangèrent de nouveau eu bataille, en face du camp des Musulmans. Ils les attendirent long-temps, puis ils envoyèrent reconnoitre ces tentes qu^ils voyoient toujours rangées devant eux. Ce fut alors seulement qu'ils apprirent que les Ismaé- lites étoient repartis au milieu de la nuit, et qu'ils avoient déjcà pris beaucoup d'avance. Charles, qui sans doute avoit chèrement acheté la victoire, ne voulut point s'engager à leur poursuite ; il craignit les embuscades que dres- seroit , dans sa retraite , une armée encore re- doutable. Il partagea le butin entre ses soldats , et, se reprochant d'avoir manqué de vigilance, il ramena ses troupes dans leurs foyers, (i) On assure que ce fut alors que les Gaulois

(i) Chrotiicon Isidori Episc. Pacensis , desinens an?io ']5i. Scr.fr. T. II, p. 721. Rodericus Toletanus Histor. arab. Cap. i/^,Ib. Hadr. ralesii.Ub. XXIV, p. 489. Histoire générale du Languedoc, Liv, YUI, chap. 36, p. 398.

JD2 HISTOIRE

732. donnèrent le nom de Martel au capitaine des Francs qui avoit brisé la puissance de leurs en- nemis; ce nom ne se trouve cependant que dans les écrivains postérieurs de deux siècles à cette époque. Ceux-ci donnèrent à la victoire de Poitiers une importance fort exagérée ; ils adop- tèrent avec complaisance les fables de Paul Diacre, et d'Anastase le bibliothécaire, qui ra- content que trois cent soixante-quinze mille Sarrasins , bien plus sans doute que n'en con- tenoit toute TEspagne , furent laissés sur le champ de bataille avec quinze cents Français, C'est ainsi que commencèrent les traditions mer- veilleuses sur lesquelles s'élevèrent ensuite celles des romans de chevalerie, (i)

Sans avoir fait répandre de tels torrens de sang , la victoire de Poitiers fut importante par ses conséquences : elle rendit aux Francs et aux Aquitains de la confiance; elle refroidit Tardeur des Musulmans pour les conquêtes ; elle ralentit surtout l'activité du gouvernement de Cordoue, qui devoit attendre de Bagdad le successeur que le calife donneroit à Abdérame, et qui bientôt fut troublé par des factions et des guerres civiles. Cependant l'armée des Sarrasins se retiroit de

(i) Pauli Diaconi, Scr. ital. T. I, p. 5o5. Lib. VI, cap. S6. Anastasius Bibliothecar. in vlta sancti Gregorii II , papce^ Script, ital. T. III, p. i55. Chroniques de Saiût-Denys, Liv. V, chap. 26, p. 3io-

DES FRANÇAIS. 1 D j

France sans se laisser entamer; sur la route elle :32. uiassacroit tous les chrétiens qu'elle pouvoit at- teindre , elle brûloit tous les lieux saints et tous les couvens ; mais , à ce qu'ajoute le biographe de saint Pardulphe , abbé de Guéret , lors- qu'elle fut arrivée en vue de Guéret, un mi- racle du saint la contraignit à prendre une autre route, (i)

L'année qui suivit la bataille de Poitiers , 7^^- Charles Martel conduisit son armée dans le royaume de Bourgogne. A peine reste-t-il quel- que souvenir de ce qui s'étoit passé dans ce royaume ou dans la Provence qui lui étoit an- nexée, depuis les guerres d'Ebroin. Il paroit que Eudes, duc d'Aquitaine, s'étoit soumis une partie de la Provence; on a même produit un monument qui a donné lieu de croire qu'il y prenoit le titre de roi (2). De leur côté les Sar- rasins avoient aussi pénétré en Provence ; ils y occupoient plusieurs villes, et il semble que quelques grands seigneurs s'étoient rangés vo- lontairement sous leur protection , qulls oppo- soient aux prétentions de Charles Martel. Le

(i) Vita sancti Pardulfi abhatis PVaractensis ah anonymo suhœquali scripta inter acta SS. ord. S. Bened. P. i , saec. 3, p. 573, et Scr. franc. T. III, p. 654-

(2) Inscription sur une lame de plomb trouvée en 1279 à Saint-Maximin. Pagi critica anno 716, i3, et Scr. franc, '£. III, p. 64o. Je crois cette iuscription falsifiée.

id4 histoire

j33. reste de la Provence et de ]a Bourgogne étoit gouverné par cette orgueilleuse haute noblesse , qui, depuis la bataille de Testry, ne vouloit plus reconnoître de supérieurs; elle ne portoit plus elle-même le nom de Franche ou Française; ce nom étoit réservé à Charles et à son armée austrasienne , dont les mœurs et le langage étoient encore purement germaniques , tandis que les habitans des provinces méridionales , qui parloient un latin corrompu , d'où le ro- man -provençal ne tarda pas à naître , sont fré- quemment désignés par le nom de Romains. Les historiens du temps nous apprennent qu'à deux reprises , en 755 et ySô, Charles yj^W/r^j dans la Bourgogne et la Provence jusqu'à Arles et à Marseille ; qu'il confia les frontières de ce royaume à ses leudes les plus éprouvés : qu'il fit occuper Lyon par ses fidèles ; qu'il confirma la paix publique par des alliances : mais il ressortit aussitôt après de ces provinces , devenues le pa- trimoine héréditaire de familles qui ne vou- loient point lui obéir, et son autorité s'y éva- nouit dès qu'il les eut quittées, (i) n33_^3;. Obligé de combattre sans cesse , Charles di- i^igeoit le plus souvent ses armes contre des peuples qui avoient fait partie de la monarchie

(i) Fredeg. contin. Austras. Cap. 105 et ultimus, p. 455» Append. ad Gesta reg.francor. p. 574. Ann, Juldem, p. 674' Ann. metenses. p. 684.

DES FRANÇAIS. l55

des Francs , et qui s'en étoient séparés ensuite. A plusieurs reprises, il envahit le pays des Frisons , tantôt par terre , tantôt par mer; après avoir battu leurs armées , il les poursuivit dans leurs îles, tua leur duc Popon , brûla leurs temples, et rapporta en France de riches dé- pouilles, qu'eux-mêmes avoient les premiers enlevées à la France. Averti , en 735 , de la mort d'Eudes , duc d'Aquitaine , il parcourut tout ce vaste duché jusqu'à la Garonne ; il se rendit maître de Bordeaux et de Blayes ; il reçut ensuite le serment d'Hunold , fils d'Eudes, qu'il investit du duché que son père avoit gouverné. Mais quoiqu'il remportât presque toujours la victoire il conmiandoit lui-même ses ar- mées, l'état de l'empire des Francs n'en éloit guère moins misérable; de tous côtés il étoit ou- vert aux invasions de peuples qui sembloient avoir repris pour le pillage une activité nou- velle ; et les seigneurs , qui se parlageoient les provinces, jaloux du roi, du maire et de tous leurs voisins, ne savoient opposer aucune ré- sistance à aucun ennemi. Les Saxons et les Fri- sons étoient impatiens de se venger sur les pro- vinces du nord des victoires de Charles; les Sarrasins, confians dans leur fortune , qui en moins d'un siècle avoit élevé si haut leur puis- sance, ambitieux et fanatiques tout ensemble, croyoient par leur hardiesse, ou s'élever aux

l5') HISTOIRE

-53-^37. pius hautes dignités de leur empire , ou s^as- surer rentrée duciel. Leur cavalerie légère éloit fort supérieure à celle des Européens ; aussi s'avançoient-ils sans crainte au milieu d'un pays ennemi, d'où ils étoient presque toujours surs de se retirer avant que la pesante infanterie des Francs pût les atteindre. Les biographies des saints nous les montrent partout à la fois , accor- dant aux uns la couronne du martyre, repoussés par les miracles des autres. Si Ton peut croire ces légendes, ils s'avancèrent jusqu'à Sens , d'où saint Ebbon les fit reculer. Chacun de ces faits, il est vrai, est suspect; mais on ne peut douter de l'eflVoi qu'inspiroient leurs armées ; cet effroi laissa des traces profondes dans l'esprit des peu- ples, et il explique probablement ces expéditions fabuleuses des Musulmans , que l'ignorance des romanciers a rapportées au règne de Charlema- gne, plus connu d'eux que Charles Martel, (ij Abdel Mélek, que le calife Hescham avoit donné pour successeur à Abdérame , chargea ses lieutenans de poursuivre leurs conquêtes dans les Gaules. Jouseph-Jbn Abderraman fut nom- mé, en 734, gouverneur deNarbonne, et dès l'année suivante, il passa le Rhône; il entra

(1) yita sancti Ehhonis Episcopi Senoneusis. Scr. franc. T. III, p. 65o. On peut voir dans Fleury, Histoire ecciésias- tique , Liv. XLII , chap. i3 et suivans , les martyres et les mi- racles rapportés à ces expéditions.

DES FRANÇAIS. jSy

dans Arles par capitulation ; il s^empara des 733-737 trésors de cette ville , et il poursuivit pendant quatre ans ses conquêtes en Provence. Plusieurs des seigneurs du pays firent alliance avec lui, et parurent préférer son joug à celui des Francs. L'un d'eux, le duc Mauronte, l'introduisit par trahison dans Avignon, dont les Arabes parois- sent avoir voulu faire une place d'armes, comme ils avoient fait auparavant de Narbonne. (i)

Charles , impatient d'arrêter les progrès des 737. Ismaélites , envoya d'abord en Provence le comte Childebrand , comme lui fils d'Alpaïde , mais d'un autre père , en lui donnant l'ordre de rassembler les ducs et les comtes fidèles de la Bourgogne pour les opposer aux Sarrasins. A leur tête Childebrand attaqua la ville d'Avi- gnon, qui fut cruellement punie du crime de ses chefs. Les Francs , y étant entrés de vive force , en massacrèrent les habitans et en livrè- rent les édifices aux flammes. Charles vint en- suite avec une armée plus nombreuse joindre son frère devant Avignon, et il s'avança dans la Gaule narbonnaiseavec l'intention de chasser les Musulmans de Narbonne , et de les repousser au-delà des Pyrénées ; mais le siège de Narbonne lui présenta des difficultés que l'ignorance des Francs ne pouvoit surmonter. Tandis que le gouverneur sarrasin s'étoit enfermé dans la

(i) Chronicon Moissiacensis Cœiwbii, p. 056.

l38 HISTOIRE

737- ville, et qu'il nieltoit en œuvre, pour sa dé- fense , les arts que ses compatriotes cultivoient déjà avec succès, l'émir de Cordoue avoit ras- semblé une armée et une flotte pour la déli- vrance de Narbonne; il Fenvoya, avec ordre à son lieutenant de secourir la ville par Fembou- chure de l'Aude, un bras de cette rivière qui porte bateau traversant l'enceinte des murs. Mais le lieutenant sarrasin trouva l'embouchure de la rivière fortifiée, et ses bords garnis d'es- tacades; il fut obligé de faire son débarquement sur la côte; et , comme il s'approclioit , il fut at- teint par Charles Martel , entre Ville -Salsa et Sigeau , sur la rivière Berre , et complètement défait. Cette victoire ne fit point perdre courage au gouverneur de Narbonne, et Charles ayant peut-être reçu quelque échec sur lequel son historien garde le silence, leva le siège vers le rabis d'octobre 757. En traversant la Septimanie dans sa retraite , il la ravagea aussi cruellement qu'avoient fait auparavant les Sarrasins. Il ren- versa les murs de Nîmes, d'Agde, de Beziers; dans la première ville il fit mettre le feu aux arènes; mais ce superbe monument ne fut point détruit par l'incendie, qui ne pouvoit consumer que ses portes et quelques super- structions en bois; il rasa Maguclonne, et, por- tant le fer et le feu dans tous les châteaux qu'il put atteindre , il s'efforça de ne laisser dans le

DES TRANÇAIS. jZc)

pays aucune forteresse dont les Maures pussent 73^ abuser contre lui. (i)

Tliierri IV mourut à peu près à l'époque Charles Martel levoit le siège de Narbonne ; mais les annalistes contemporains n'ont pas dai- gné faire mention de la fin de son règne nomi- nal. Charles , qui avoit transporté dans les camps le gouvernement de la Fiance, qui n'ha- bitoit point Paris ni les palais des Mérovingiens, et qui méprisoit la mollesse des derniers rois , ne parut lui-même donner aucune attention à cet événement. Il ne crut point nécessaire de continuer la vaine pompe des rois fainéans. Thierri IV , qu'on a nommé aussi Thierri de Chelles , mourut âgé de vingt-trois ou vingt- quatre ans , et il fut enseveli à Saint-Denis. Il ne laissa d'autre monument de son règne que des chartes accordées à divers couvens. Elles ne sont point datées du palais de Maumagues, l'on suppose quelquefois que les rois fainéans étoient prisonniers , mais tour à tour de Sois- sons , de Gobi en tz , de Metz, d'Héristal, deKiersi, de Valenciennes, de Pontion , de Gondreville.

(i) Fredegarii tertius continuator ex jussu Childebraiidi comitis , p. 456. Append. ad Gesta reg.francor. p. Sjo. Chron. Moissiac. p. 656. Chron. Foniajiellense , p. 66r. Adonis Chron. p. 671. AmiaL fuldenses. p. 674, 675. Il distribue en trois ans ce qui fut fait en une année. Annal, metenses , p. 685. Hist. générale du Languedoc , Liv. VIII, chap. 52-56, p. 402. Jladr. p'alesii. Lib. XXIY, p. 499-

1/io HISTOIRE

-jZ-]. Ainsi ce roi n'étoit nullement sous une étroite surveillance , nullement réduit à l'habitation et , au revenu mesquin d'une seule maison de campagne. Il voyageoit sans obstacle dans FAu- strasie comme dans la Neustrie ; il croyoit tou- jours régner, car il avoit, comme ses prédéces- seurs, de nombreux palais , une pompe royale, tout le luxe de la table et des chevaux, tous les plaisirs de la chasse , et une cour. Mais à côté de lui, Charles, seul général et seul ministre, seul occupé des affaires et seul obéi , ne concevoit pas même de jalousie de lui. Ainsi, deux siècles plus tard , l'émir ol Omara, général des Turcs , régna à Bagdad à côté des califes fainéans. Pen- dant la vie de Thierri , les actes publics por- toient pour date l'année de son règne ; après lui on les data de la seconde ou troisième année de- puis la mort de ce roi. (i)

En 738, Charles fut occupé dans le Nord par

739. la guerre contre les Saxons 5 mais en 7^9 il poursuivit ses expéditions contre les Sarrasins. Il contracta pour cela une alliance avec Liut- prand , qui à cette époque régnoit avec gloire sur les Lombards, et qui craignoit de voir les Maures, déjà maîtres de la mer, passer de Pro- vence en Italie. Tandis que Liutprand s'avan- çoit vers les Alpes pour en fermer les passages ,

(i) Diplomata Theuderici IFfXi'' ii3 à 122. Script, franc^ T. ly, p. 697, seq.

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Charles, à la tête de toutes ses troupes, entra 739. en Provence 5 il prit Avignon pour la seconde fois, il parcourut le rivage de la mer jusqu'à Marseille, chassant les Sarrasins de leurs lieux forts; il contraignit le duc Mauronte, leur allié , à se réfugier dans des montagnes inaccessibles; il poursuivit et punit d^autres grands seigneurs qui a voient contracté alliance avec les enne- mis de leur patrie et de leur religion ; et quand il quitta la Provence, elle paroissoit pacifiée (i). Cependant ces victoires n'auroient point suffi pour sauver la France de Finvasion des Musul- mans, si la puissance colossale des califes n'a- voit été sur son déclin , et si leurs sujets avoient conservé l'ardeur militaire qui facilita leurs premières conquêtes. Mais dès la mort d'Abdé- rame à Poitiers, FEspagne avoit commencé à être troublée par des guerres civiles. Abdel- Melek, son successeur, avoit été jeté en prison en 757 par Offa, qui venoit le remplacer. De 740 à 766, Abulcalar, Thoaba et Jusif se dis- putèrent l'Espagne à main armée. Enfin Abdé- rame, fils de Moaviali, sépara l'Espagne du ca- lifat de Bagdad ; il fut proclamé à Séville au mois d'avril 766, avec le titre d'émir el Mou-

(i) Fredegarii contin. p. 457. —App. ad Gesta reg. franc, p. 575. Annal, varii franc, p. 640, seq. Chron. Fontan. p. 661.— Annal. fuldens. p. 675. —Annal, metens. p, 685. ^'Hadr. ralesii. Lib. XXY, p. 5i4,

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739. menim, oucommandeor des croyans; il y re- commença la dynastie des Ommiades , mais en même temps il cessa d'être redoutable pour les princes chrétiens de l'Occident.

Aucun écrivain contemporain ne nous a fait connoîlre les mœurs , les opinions , les habi- tudes de Charles Martel : celui peut-être entre les princes français qui a fait les plus grandes choses, est aussi celui qui est enveloppé de la plus profonde obscurité. Le nom d'aucun gé- néral, d'aucun ministre, d'aucun conseiller n'est associé au sien, excepté celui de ce comte Childebrand, que les annalistes nomment son frère , sans nous apprendre de qui il étoit fils. Charles vécut toujours au milieu des soldats ; mais nous ne savons point ni comment il trai- toit ces soldats, ni comment il se conduisoit à l'égard des vaincus, ni comment il gouvernoit les peuples; nous ne savons pas même quelle étoit sa résidence habituelle , ou la province dont il avoit fait le centre de son gouverne- ment. Un seul reproche s'est élevé contre lui , et tous les ecclésiastiques l'ont répété avec vio- lence. Il paroît que Charles Martel, qui ne ces- soit de faire la guerre , qui ne connoissoit et n'aimoit que ses soldats, leur distribua la plu- part des bénéfices ecclésiastiques du royaume : aussi les catalogues des évêques de chaque église présentent-ils à cette époque des lacunes , qu'on

DÈS FRANÇAIS. l45

attribue à la nomination faite par Charles, de 739. prêtres militaires qui n'avoient de clerc que la tonsure, (i)

Si Charles employoit les biens de l'Église à récompenser ses soldats , il méritoit quelque indulgence, puisque ces mêmes soldats avoient sauvé l'Église des mains des Arabes musulmans et des Saxons idolâtres. Il avoit d'ailleurs , dans plus d'une occasion , enrichi le clergé de ses bienfaits (2). Mais les prêtres sont plus renom- més pour la durée de leurs ressentimens que pour celle de leur reconnoissance. Tous ses services furent oubliés par des hommes qui lui dévoient leur existence même ; et près de cent vingt ans après sa mort, le clergé de France, assemblé en concile national à Kiersi, écrivit en 858, à Louis-le-Germanique, pour condam- ner sa mémoire.

« C'est parce que le prince Charles, père du ce roi Pépin , lui dirent-ils, fut le premier en- ce tre tous les rois et les princes des Francs à c( séparer et diviser les biens des Églises, que « pour cette seule cause, il est damné éternel- ce lement. Nous savons en effet que saint Eu-

(i) Codex msstus de gestis Episc. Trevirens. T. III, p. 649.

Hincmari epist. 6, ad Episcopos Bamenf. Dioc. Cap. 19.

f^ita sancti Rigoherti Rem. archiep. p. 658. Pagi critica ad ann. 74^* Cap. 7 et 8. Bonifacil epist. ad Zachariam papam. Script, franc. T. IV, p- 90-

(2) Hadriani Falesii. Lib. XXV, p. 537-

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739. c( chériuSjévêque d'Orléans, dont le corps repose (( dans le couvent de Saint-Trudon , étant en (( oraison , fut enlevé au monde des esprits 3 et (c parmi les choses qu'il vit , et que le Seigneur c( lui montra 5 il reconnut Charles exposé aux (( tourmens , dans le plus profond de Tenfer. (c L'ange qui le conduisoit, interrogé sur ce (c sujet, lui répondit, que dans le jugement à ce venir, l'âme et le corps de celui qui a em~ <c porté ou divisé les biens de l'Eglise seront (( exposés, même avant la fin du monde, à des (C tourmens éternels , par la sentence des saints (( qui jugeront avec le Seigneur. Le sacrilège « cumulera même avec la peine de ses propres (( péchés, celles des péchés de tous ceux qui «croyoient s'être rachetés en donnant, pour ce l'amour de Dieu , leurs biens aux lieux saints , ce aux lampes du culte divin, aux aumônes (C des serviteurs du Christ et à la rédemption de ce leurs propres âmes. Saint Euchérius, revenu (( à lui , appela saint Boniface et Fulrad , abbé c( du couvent de Saint-Denis , premier chape- ce lain du roi Pépin , auxquels il conta toutes ce ces choses ; il leur recommanda ensuite d'aller « au sépulcre de Charles : s'ils n'y trouvoient ce pas son corps, ce seroit la preuve de la vérité ce de sa vision. Boniface et Fulrad se rendirent ce alors au couvent le corps de ce Charles ce avoit été enseveli , et ayant ouvert son tom-

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c< beau , un dragon en sortit à l'instant même, :'^9- (( etle tombeau parut noirci par dedans , comme « s'il avoit élé brûlé. Nous-mêmes nous avons « vu des hommes qui ont vécu jusqu'à notre ce temps, et qui ont assisté à tout ce que nous c( venons dédire ; et ils ont, avec vérité , attesté <( de vive voix les choses qu'ils ont ouïes et ce qu'ils ont vues. Cela étant venu à la connois- « sance de Pépin , il fit assembler un synode à (c Leplines, auquel présida, avec saint Boniface, c( un légat du siège apostolique , nommé Georges. « Nous avons les actes de ce synode qui s'efforça « de rendre aux églises toutes les choses ecclé- c( siastiques qui leur avoient été enlevées; et <c comme Pépin ne put les rendre toutes, à cause « de sa guerreavecGuaifer, prince d'Aquitaine, «il les hypothéqua du moins aux évêques , <c voulant que tous ces biens leur payassent les c( nones et dîmes pour la réparation des toits; (( et que chaque maison payât douze deniers à (( l'Eglise, afin de demeurer chose bénéficiaire, « jusqu'à ce que ces mêmes biens retournassent « à l'Église. » (i)

Il est digne de remarque que cette déclara- tion solennelle de l'Église de France est pleine

(i) Epis t. patrum Sjnodi Carisiacensis aniio 858 , habit ce ad Ludovicum Germaniœ reg. Inter capitularia Caroli Calvi. Tit. XXVir, apud Chesnium. T. I, p. 791. Script, frdnc, T. III, p. 659.

TOME If. 10

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de fausses allégations , non-seulement sur le prodige lui-même que les prélats pouvoient croire pour Tamour seul du merveilleux, mais sur tous les faits historiques qu'ils citent à Fappui , et qu'ils dévoient mieux connoître. Le légat Georges ne présida point le concile de Leptines; ce concile ne fut point convoqué par Pépin, mais par Carloman ; il n'y fut point question de la damnation de Charles Martel, ou de la restitution à faire aux églises. Enfin, saint Euchérius, dont les prélats invoquent le témoignage , étoit mort trois ans avant Char- les, (i)

Mais le même Charles Martel qui dépouilloit ie clergé de France d'une partie de ses ri- chesses, étoit invoqué par le chef du clergé catholique, comme le protecteur et le défen- seur de l'Eglise. L'empereur Léon l'Jsaurien s'étant efforcé, dès l'année 726 , d'abolir le culte des images, avoit aliéné de lui le pape Gré- goire IL Ce dernier , après s'être refusé à l'exé- cution des édits de l'empereur , s'étoit fortifié dans Rome , et il avoit cherché k s'y mettre en mesure de résister à l'empereur de Constanti- nople, si celui-ci vouloit employer contre lui la violence. Peut-être dès lors tourna-t-il ses ï-egards vers Charles Martel , comme vers le plus puissant des souverains de l'Occident j cepen-

<i) Notes des Bénédictins sur cette lettre.

DES FRANÇAIS. 14^

dant il ne s'aliéna pas absolument de son sou- :îo, verain légitime. Grégoire II et son successeur Grésoire III conservèrent à Rome les imas^es des empereurs ; ils datèrent leurs actes des années de Léon et de son fils Constantin Co- pronyme, et ils leur rendirent une sorte d'o- béissance nominale ; mais en même temps ils trouvèrent moyen de se mettre à la tête d'une nouvelle république romaine; car c'est ainsi qu'au huitième siècle on doit considérer le du- ché de Rome , gouverné en commun par les nobleSjlesprêtresetle peuple. Cette république, dont les empereurs regardoient l'indépendance comme une usurpation , ne pouvoit pas trouver d'appui dans ses plus proches voisins les Lom- bards , qui avoient sans cesse , avec les Romains , des disputes de juridiction ^ et qui les vidoient le plus souvent par les armes. En 74^5 Liut- prand régnoit depuis vingt-neuf ans sur les Lombards 5 lorsque Grégoire III, non content de donner un refuge à Rome au duc de Spolète, ennemi de ce roi, lui fournit des soldats pour recouvrer le duché qu'il avoit perdu. Les hos- tilités qu'il avoit imprudemment commencées , 74 attirèrent, dès l'année suivante, les armes de Liutprand dans le duché de Rome. Le pape, effrayé, envoya coup sur coup deux ambassa- des à Charles Martel , avec deux lettres qui nous ont été conservées. Dans ces lettres il de-

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7^1, mande son appui contre les Lombards, et il lui offre en échange de renoncer à Tallégeance de l'empire d'Orient , pour mettre le duché de Rome sous la protection du royaume des Francs. Un décret des princes ou des premiers citoyens de Rome, confirmoit les offres du pape; elles étoient encore accompagnées de présens merveilleux, parmi lesquels on montroit les clefs du saint sépulcre, et les chaînes de saint Pierre. Charles reçut cette légation avec beau- coup de joie; il envoya de son côté, au pape, Grincon, abbé de Corbie, et Sigebert, moine de Saint-Denis, avec des présens dont la ri- chesse n'avoit besoin d'être relevée par aucune légende. Ces ambassadeurs, en traversant la Lombardie, recommandèrent la cause du pape au roi Liutprand ; et celui-ci , qui ménageoit Falliance de Charles , après avoir vaincu de nou- veau le duc de Spolète , s'abstint de toucher au duché de Rome. Ainsi commencèrent ces rela- tions des papes avec la famille carlovingienne, qui dévoient , soixante ans plus tard , donner la couronne d'Occident au petit-fils de Charles Martel. Le prince des Francs et toute sa nation regardèrent les ambassades du pape et la pro- tection que les Francs lui avoient accordée, comme l'événement dont ils dévoient le plus tirer vanité ; tous les historiens en consacrèrent le glorieux souvenir j cependant elles n'eurent

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pas pour lors de conséquence importante , parce 74^» que Grégoire III , Liutprand , Léon l'Isaurien et Charles Martel, tous ceux enfin qui étoient intéressés à cette transaction, moururent dans cette même année, (i)

Dès son retour deFexpédition de Provence, en 789 , Charles Martel avoit commencé à se sentir malade, à son château de Yerberie-sur- l'Oise , et peut-être ce fut la raison pour laquelle il ne conduisit point d'expédition guerrière Tannée suivante. Mais en 741 , quoiqu'il fût tout au plus âgé de cinquante ans, il s'aperçut que sa vie même étoit menacée. Il avoit trois fils de deux femmes différentes : Rotrude lui avoit donné Carîoman et Pépin, dont le plus jeune avoit déjà vingt-sept ans ; et Sonichilde, qu'il avoit épousée en 725, en Bavière, lui avoit donné Grifon , qui n'avoit pas plus de quinze ans. Charles partagea entre eux fempire des Francs , comme s'il pouvoit déjà en disposer par héritage. Il laissa à l'aine, Carîoman , l'Austrasie avec la Souabe et laThuringe qui en relevoient; il laissa au second, Pépin, la Neustrie, la Bour- gogne et la Provence; mais il détacha quelques

(i) Fredegaril contln. Cap, iio, p. 457- Append. ad Gesia reg. francor. p. 572 et 575. Chron. Fontanellense , p, 662. Annales metenses. p. 685. Codex Carolinus epist. i". et Script franc. T. IV, p. 92. Uadriani Falesii, Kib. XXV, p. 517, seq.

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74r. comtés de ces deux monarchies ^ pour en for- jner l'apanage de Grifon , dont le petit état se seroit trouvé resserré entre celui de ses deux frères. L'Aquitaine ni la Bavière ne furent point comprises dans ce partage, leurs ducs n'étant point disposés à reconnoître Fautorilé des mai- res du palais. Pépin, sans attendre la mort de son père, partit aussitôt pour la Bourgogne, avec son oncle Cliildebrand et les plus grands seigneurs de ses nouveaux états, pour s'y faire reconnoître par les peuples. Pendant ce temps, Charles, quiavoit une dévotion particulière pour saint Denis, se rendoit à sa basilique; et pour faire accueillir par ce saint sa dévote prière, il l'accompagnoit d'un présent considérable de terres et de châteaux(i). Delà il se fit rapporter à Kiersy-sur-rOise près de Compiègne , il mourut le 21 octobre 741 , après avoir gouverné avec gloire la monarchie, vingt-quatre ans de- puis la dernière défaite de Chilpéric et de Ra- ginfred, et vingt-sept ans à compter de la mort de Pépin son père. (2)

Les dernières volontés de Charles ne furent

(r) Diploma Caroli MarteUi , apud Duhletum histor. abb, sancti Dionysii , p. 690, et Script, franc. T. IV, p. 707.

(2) Fredegarii contin. Cap. iio, p. 458. —App. ad Gesta regumfrancor. p. 572 et 576. Chron. Moissiac. p. 656. Chron. Fontanellensc , p. 662. Adonis chronic. p. 671. Annal, fuldens. p. 676. Annal, metens. p. 686, Had!\ Falesii, Ub. XXV, p. 53i.

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pas long-temps respectées par ses enfans. Grifon -^\ ëtoit de beaucoup plus jeune que ses frères; il éloitfoible, et fils d'une étrangère; ses deux frè- res en prirent occasion de le considérer comme bâtard, et sa mère comme une concubine de Charles. Sonicliilde, cependant, qui étoit d'une naissance illustre, avoit été légitimement ma- riée, et Charles avoit mis lui-même une grande différence entre Grifon et ses bâtards; car il en laissoit trois aussi , Pvemi , Jérôme et Ber- nard, dont les fils jouèrent plus tard un rôle remarquable sous Louis-le-Débonnaire (i). Car- loman et Pépin persuadèrent aisément aux Francs qu'il ne convenoit pas d'altérer les an- ciens partages de l'Austrasie et de la Neustrie. Leur dessein étoit de saisir Grifon , et de le forcer à renoncer à son héritage. Sonichilde, sa mère, les prévint; elle s'enfuit avec lui à Laon , elle espéroit pouvoir se défendre; elle persuada à Chiltrude, sa belle-lille, de se sous- traire comme elle à la domination de ses frères, Carloman et Pépin. Chiltrude se réfugia en Bavière, auprès du duc Odilon, oncle de Soni- childe, qui l'épousa sans le consentement de Carloman ou de Pépin. Ceux-ci, pendant ce temps, pressoient le siège de Laon , Soni- childe, abandonnée de tout le monde, fut enfin

(I) Hadv. ralesius. Lib. XXV, p. 543. Fulrad fut fils de Jérôme, Adelhard et Wala furent fils de Bernard.

l5^ HISTOIRE

obligée de se confier à leur merci, avec son fils Grifon. Par Tordre de Carloman , elle fut en- fermée dans le couvent de Chelles , et son fila à Neucliâtel, dans les Ardennes. (i) :42. Pépin et Carloman réunirent ensuite leurs armes contre Hunald, fils d'Eudes, duc d'Aqui- taine, qui méprisoit leur autorité. Us passèrent la Loire à Orléans, battirent les Aquitains, que le continuateur austrasien de Frédégaire appelle Romains, brûlèrent les faubourgs de Bourges, rasèrent le château de Loches sur l'Indre, et emmenèrent ses habitans en esclavage. Ce fut à leur retour de cette expédition qu'ils accom- plirent à Vieux-Poitiers, près de Châtelleraut, le partage de leurs états. Après quoi Pépin ac- compagna à son tour Carloman en Germanie. Ils passèrent le Rhin , s'avancèrent jusqu'au Danube, et forcèrent les Allemands qui s'étoient révoltés, à payer leurs tributs accoutumés, et à leur donner des otages. (2)

La révolte des Aquitains, des Gascons et des Allemands, la guerre dont Odilon,'duc des Bavarois , menaçoit Carloman , la répugnance des grands à se rendre aux armées, indiquoient

(i) Fredegarii cont. Cap. 1 1 1 , p. 458. Gesta reg . fra7ic . p. 573 et ^'jQ. Annales nazariani, p. 64©, seq. Adonis chr. p. 671. Annales fuldens . p. 6^5. Annales metcns. p. 686. Hadr. Valesii. Lib. XXV, p. 546.

(2) Fredegarii contin. Cap. 3, p. 458. —Annales meteuà. p. 686.

DES FRANÇAIS. 1 55

aux deux frères que celte orgueilleuse aristocra- 74a, tie qui s'éloit partagé les conquêtes des Francs, et qui n'avoit obéi qu'avec regret à Charles Mar- tel , se préparoit à secouer leur joug. Pépin , Austrasicn, et parlant toujours la langue germanique, étoit considéré par les INeustriens et les Bourguignons comme un étranger. Ils ne lui obéissoient qu'à regret, et peut-être avoient- ils fait entendre quelque plainte de ce qu'il ne restoit plus de roi auquel ils pussent demander justice, lorsqu'ils étoient opprimés par le maire du palais. Pépin, pour les satisfaire, lira de quelque couvent un dernier Mérovingien qu'il nomma Cliildéric III. On ne sait ni son âge ni son origine; mais il est probable que Pépin, fidèle à la politique de ses prédécesseurs, fit, dans cette occasion, choix d'un enfant. La plu- part des anciens chroniqueurs parlent pour la première fois de Childéric III au moment de sa déposition. (1)

Carloman ne fit point reconnoître Childéric III 743. dans l'Austrasie, depuis long- temps indifîerente à la race des Mérovingiens ; mais dans le même temps il chercha à affermir sa propre autorité, et à assouplir le caractère de ses sujets par des

(i) Mabilloa et Longuerue supposent que Childéric III fut fils de Chilpéric II. Valois le croit fils de Thierri IV. Ludo- Yici Dufour de Longuerue, Annal. Francoriim, T. III, p. 704. ^Hadr. Falesii. Lib. XXV, p. 553.

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743. réformes religieuses. L'Eglise austrasienne, à ce qu'assure saint Boniface (i), éloit depuis quatre-vingts ans dans un état honteux de dé- sordre; pendant tout ce temps, elle n'avoit eu aucun synode , et les métropoles aucun arche- vêque; la plupart des cures et des sièges épisco- paux étoient donnés à des laïques avides, ou à des clercs de mauvaises mœurs, qui en parta- geoient les revenus entre leurs nombreuses concubines. Saint Boniface assure en avoir connu qui en entrelenoient quatre, cinq et da- vantage. Ce saint, muni de toute Fautorité du pape, de toute celle de Carloman, qui lui-même étoit fort religieux, fonda trois nouveaux évê- chés dans la France orientale, à Wurlzbourg, à Erfurt , et à Baraburg en Hesse; fondations que le pape Zacharie confirma, et auxquelles Carloman attribua de riches dotations. Un con- cile assemblé à Leptines , près de Binche en Hainault , le premier mars 74^? commença en même temps la réforme ecclésiastique; il con- traignit les prêtres à renvoyer leurs maîtresses, et il leur interdit la profession des armes ; mais cette dernière ordonnance ne fut pas long- temps observée (1). Des règlemens à peu près sembla-

(i) Epistola Bonifacii ad Zachariam papam. Script, franc. T. IV, p. 90.

(2) Bonifacii epist. ad Zachariam papam, sœc. 3. Bened^ T. II, p. S^,—Uadr. Faksii. Llb. XXY, p. 55o.

DES FRANÇAIS. l55

bles furent établis raiinée suivante pour la Neu- ^/jS, strie , par le concile de Soissons , que Pépin assembla au mois de mars, et siégèrent vingt- trois évêques.

Pendant que le concile de Leptines réformoit la France telitonique, Carloman attaquoit suc- cessivement les ducs et les peuples de Germanie qui avoient voulu secouer le joug des Francs. Odilon, duc de Bavière, s'étoit surtout rendu redoutable; il avoit contracté alliance avec les Allemands, les Saxons et lesEsclavons; et quoi- qu'il eût épousé la fille de Charles, la sœur des princes français , il sembloit vouloir se mettre à la tête de leurs ennemis. Pépin s'étoit rendu auprès de son frère poi^r attaquer la Bavière avec leurs forces réunies; mais Odilon, qui avoit fortifié les bords du Lech , avoil rassemblé son armée derrière cette rivière , et il y bravoit l'attaque de ses ennemis. Pendant quinze jours les armées furent en présence, séparées par le fleuve; et les Francs, qui ne pouvoient le fran- chir, étoient exposés aux sarcasmes des Bava- rois. La colère excita leur courage et leur in- dustrie; ils découvrirent un gué qu'on croyoit impraticable, et le franchirent au milieu de la nuit. Ils fondirent ensuite sur les Bavarois qu'ils mirent en fuite. Odilon se réfugia derrière rinn; Théodebald , duc des Allemands, s'enfuit dans les montagnes; et l'armée des Francs, mai-

l56 11J5Ï01RE

7{j. tresse du pays , ravagea pendant cinquante- deux jours la Bavière. Cependant Pépin la quitta pour aller tenir tête à Hunold , duc d'Aqui- taine, qui, après avoir secrètement contracté alliance avec Odilon , avoit passé la Loire à main armée, pillé et ravagé ses bords, et brûlé la ville de Chartres. Pendant cette année et les 743—745. deux suivantes, les deux frères, tantôt ensem- ble, tantôt séparément, attaquèrent et battirent les Bavarois, les Allemands, les Saxons et les Aquitains. Hunold, duc des derniers, ne pou- vant résister plus long-temps à des forces su- périeures , reconnut enfin la souveraineté de Pépin , se lia par des sermens à lui obéir, et lui donna des otages. A peine avoit-il signé ce traité^ qu'il attira à lui Hat ton , comte de Poitiers , son frère, qui semble n'avoir point voulu s'as- socier à la guerre que le duc d'Aquitaine faisoit aux fils de Charles. Au mépris de la foi qu'il lui avoit donnée en l'appelant à sa cour, il lui fit arracher les yeux, et le jeta dans une prison le malheureux comte de Poitiers ne tarda pas à mourir. Après cette action féroce , Hunold abdiqua la souveraineté en faveur de son fils Guaifer, et il alla s'enfermer dans un couvent de l'île de Rhé, il vécut encore vingt-trois ans, occupé d'oeuvres de pénitence. (1)

(i) Annales metens. p. 687. Fredeg. contin. Cap. 114, p. 459. Append. ad Gesta reg.francor. p. SyS. Histoire générale du Languedoc, Liv, YIIJ, chap. l\\ , p. 4^7«

DES FRANÇAIS. iB']

La guerre d^Aquitaine se termina, au moins pour un temps , à la retraite de Hunold ; celle de Germanie finit à peu près en même temps. Les Saxons avoient été battus à plusieurs re- prises. Les Allemands n'avoient pas eu plus de bonheur. Théobald , fils de Godefroi , leur duc , avoit repris les armes presque chaque année , quoiqu'il se fût tout aussi souvent engagé à observer la paix. En 74^ Pépin étoit entré en Souabe , et avoit forcé Théobald à s'enfuir dans les montagnes : cependant Pépin Favoit rap- pelé et l'avoit rétabli dans sa dignité. L'année suivante Carloman étant entré avec son armée dans le pays des Allemands , indiqua une assem- blée des plaids du royaume au château de Gundstadt , l'armée des Francs et celle des Allemands se réunirent, (c , survint une (( chose prodigieuse , nous disent les annales de « Metz , savoir que l'une des armées chargea (( l'autre de liens, sans qu'il y eût eu aupara- cc vaut aucune bataille. » Le prodige d'une écla- tante violation de la foi publique méritoit peut- être moins d'étonnement. Tous les princes qui , de concert avec Théobald , avoient secouru Odilon dans la guerre contre les Francs, furent mis en jugement et punis ; le même annaliste assure que ce fut avec miséricorde. Après ce coup d'état, Carloman déclara à son frère qu'il vouloit renoncer au monde, et se consacrer

l58 HISTOIRE

747* uniquement au service de Dieu , et dès lors il commença ses préparatifs pour se rendre à Rome , il vouloit abjurer ses grandeurs entre les mains mêmes du pape, (i)

Quelques-uns attribuent cette résolution étrange de Carloman au remords qu'il ressentit des actes de sévérité exercés contre les Alle- mands; d'autres j à la terreur dont les prêtres Ta voient frappé , en l'entretenant sans cesse de la damnation de son père. Mais le fanatisme qui peupîoit les couvens, étoit alors universelle- ment répandu; il se suffisoit à lui-même, et il étoit rarement excité par le remords ou par un sentiment moral : les prédicateurs remplissant l'imagination des hommes, des tableaux du monde à venir, leur montroient l'enfer comme la conséquence inévitable de la vie séculière, et le couvent comme la seule porte du ciel. La terreur du jugement dernier. avoit gagné des plus basses aux plus hautes classes; elle avoit atteint les souverains à leur tour : en peu d'années trois rois d'Angleterre, de l'heptar- cliie saxonne , se retirèrent dans les couvens. Hunold, duc d'Aquitaine, suivit leur exem- ple , et Rachis, qui régnoit alors sur les Lom- bards , imita, en 749? celui de Carloman.

(i) Annales metens. p. 687. Fredegarii cont. Cap. ri5, p. 459. Append. ad Gesta reg.francor. p. 575. Annal, petaviani Codicis Moissiac. p. 6^2^ Ann.fiddçns. p. 675.

DES FRANÇAIS. l5()

L'auteur delà Chronique deMoissiac, est, 747. entre les historiens de cette époque , cehii qui nous donne le plus de détails sur l'abdication de Carloman. « Touché, dit-il , d'un amour di- (c vin, et du désir d'une patrie céleste, il aban- « donna volontairement son royaume et ses « fils , qu'il recommanda à son frère Pépin. (( Ensuite, s'acheminant vers Rome , il parvint (( à la porte de saint Pierre l'apôtre , avec plu- <( sieurs des grands de ses états , et des présens c( sans nombre , qu'il déposa devant le tombeau « de saint Pierre. Alors il coupa les cheveux de (c sa tête, il revêtit l'habit de clerc par les or- c( dres du saint pape Zacharie , et il resta quel- ce que temps auprès de lui. » (Il semble qu'il avoit fait bâtir d'avance sur le mont Soracte, un couvent près de la basilique de Saint-Syl- vestre , et qu'il l'habita quelque temps avec les moines qui l'a voient suivi de France. ) « Mais (( ensuite, par les conseils du même pape, il se w retira au couvent de Saint-Benoît, sur le mont (f Cassin ; il s'y soumit à l'obéissance régulière (( envers l'abbé Optât , et il y fit les voeux mo- (( nastiques. (i) » Les auteurs des légendes ne se sont point contentés du merveilleux que leur présentoientces événemensjilsyont ajouté des circonstances plus étranges encore ; ils ont pré- Ci) Chron. Moissiac. p. 656. Fredeg. contin. Cap. 117, p. 459. —Append, ad Cesta, reg.fruncor, p. 675^

l6o HISTOIRE

747. tendu que Carloman , se soumettant volontaire- ment aux dernières humiliations, avoit él^ tour à tour gardien des moutons du mont Cas- sin, et aide du chef de la cuisine des moines ; que, déguisant soigneusement son rang, et ré- primant son antique fierté , il s'étoit laissé battre sans résistance par tous les valets du couvent. Mais les saints ont aussi leurs romanciers ; et toutes ces anecdotes , démenties par des faits mieux attestés, .sont rejetées par les meilleurs critiques, (i)

Après l'abdication de Carloman , les nobles austrasiens hésitèrent s'ils reconnoîtroient pour leur souverain , Drogon, fils de Carloman, ou Pépin son frère. Ils s'adressèrent même à saint Boniface pour avoir ses avis sur cette question ; mais Pépin ne les laissa pas long-temps en sus- pens ; il se hâta de solliciter l'hommage des chefs et l'obéissance des provinces ; il ne réserva pas un duché , pas un comté à ses neveux, sans doute en bas âge, que son frère lui avoit re- commandés ; et lorsque , quelques années plus tard , ce frère revint auprès de lui avec une mission du pape, Pépin se hâta de faire admi- nistrer la tonsure* à ses fils , pour qu'ils ne pus- sent rien prétendre de lui. (2)

(i) Annales metenses. p. 688. Hadr. F'aîes. Lib. XXV, p. 567.

(a) Hadr. FaUsii, Lib. XXV, p, Syr.

DES FRANC A IS. l6l

Cependant, à l'époque même Pepm met- 747. toit en oubli toute reconnoissance envers un frère qui lui transmettoit le plus puissant état (le la chrétienté, il montroit un retour traffcc- tion à un autre frère, qu'il avoit traité aupara- vant avec une rigueur excessive. Il rendit , en 747 , la liberté à Grifon; il le reçut dans son palais , et il lui assigna plusieurs comtés et des revenus fiscaux en apanage (i); mais Grifon, qui prétendoit avoir droit à une souveraineté, non à des pensions alimentaires, ne fut pas long-temps satisfait du rang qui lui étoit rendu. Il étoit alors parvenu à la force de Fâge, et il avoit trouvé à la cour de son frère un parti de mécontens dont nous ne connoissons point les griefs, parti qui s'empressa de le prendre pour chef. Il semble qu'on lui fit espérer que les pro- vinces germaniques se déclareroient pour lui. Tandis que Pépin , en 74B , avoit convoqué les Francs pour le Champ de Mars à Duren dans 748. le duché de Juliers, Grifon s'échappa d'auprès de lui, passa le Rhin, suivi par un grand nom- bre de jeunes gens les plus distingués de la na- tion, et chercha à lever sur son autre rive l'étendard de la guerre civile. Pépin ne lui en laissa pas le temps; il passa aussi le Rhin avec 5on armée, et, poursuivant Grifon et les Francs

(i) Annales metenses. p. 688. Append. ad Gesta regum francor. p. 576. Annal, nazariani , p. 640. TOME II. II

162 HISTOIRE

748. fugitifs , il les força à chercher un refuge chez les Saxons. Ceux-ci s'étoient , par avance, pré- pares à la guerre; les rois des Vénèdes et des Frisons étoient venus à leur secours , et une chronique assure que cent mille combattans se trouvèrent sous les armes, pour arrêter Pépin. Toutefois ce dernier réussit à soumettre un des peuples compris dans la confédération des Saxons , que l'annaliste de Metz nomme les Nordsquaves; il en contraignit un grand nom- bre à recevoir le baptême , en signe de leur soumission à l'empire des Francs ; il prit le château d'Hoclisburg, et il y fit prisonnier l'un des capitaines qui avoient eu le plus de part aux mouvemens de la Saxe, Theuderic, qui pour la troisième fois se trouvoit captif des Francs. Il s'avança ensuite jusqu'à la rivière Ocker, sur laquelle est bâtie aujourd'hui la ville de Brunswick. Les Saxons en avoient fortifié les bords , et Grifon s'y trouvoit au milieu d'eux avec les Francs fugitifs. Cependant ils recon- nurent bientôt que leurs moyens n'étoient pas suffisans pour arrêter l'armée des Francs : pen- dant la nuit, Grifon et les Saxons disparurent des bords de l'Ocker , Pépin passa la rivière , et pendant quarante jours il ravagea les pays situés à sa droite, sans rencontrer d'ennemis; après quoi il ramena son armée en France, (i)

(i) Annal, metens. p. 68g. Fredegarii contin. Cap. 117^

T3CS FRANÇAIS. l63

Sur ces entrefaites , Odilon , clac de Bavière , 7Î9. mourut, et son fils encore en bas âge, Tassilon , fut reconnu comme son successeur. Tassilon étoit fils de Chiltrude, sœur des princes fran- çais. Grifon, dès qu'il apprit son veuvage, ac- courut auprès d'elle , et les Bavarois le désignè- rent aussitôt pour tuteur de leur jeune duc. Il semble qu'un mécontentement universel, dont nous ne connoissons pas la cause, réunissoit tous les peuples germaniques contre Pépin , en sorte qu'ils secondoient avec empressement quicon- que avoit le courage de l'attaquer. Lanfrid , duc des Allemands, amena ses renforts à l'armée bavaroise. Cependant, à l'approche de Pépin ,^ les deux peuples sentirent Tinfériorité de leurs forces; ils abandonnèrent toutes les plaines si- tuées entre le Leck et l'Inn , et les Bavarois, avec leurs femmes et leurs enfans , se retirèrent derrière ce dernier fleuve. ils commencèrent à traiter, ils promirent de se soumettre, et ils donnèrent des otages. Il paroi t qu'à leur tour ils imposèrent quelques conditions à Pépin , car celui-ci reconduisit Grifon avec lui, le traitant non point en prisonnier, mais en frère. Il lui donna pour apanage la ville du Mans, avec douze comtés, et il vécut en paix avec lui jus- qu'à l'époque Grifon, entraîné par son iu-

p. 459. Append. ad gesta reg. fraîicor. p. 573. Adonis chron.^. 672. Annal, fuldenses. p. 676-

j64 histoire

749. constance habituelle, ou provoque peut-être par de nouvelles injustices, alla chercher un refuge chez Guaifer , duc d'Aquitaine, (i)

Ce fut la dernière campagne de Pépin, comme maire du palais, et le dernier fait que la chro- nologie, bien plutôt que l'histoire , attribue à la première race. Deux années de paix s'ensuivi- rent , pendant lesquelles Pépin prépara sans doute cette révolution qui semble si importante , et que nous connoissons si mal , par laquelle les Carlovingiens acquirent le titre, comme ils avoient la puissance des rois. Childéric III, qui croissoit à l'ombre du palais^ pouvoit un jour devenir dangereux pour celui qui l'avoit dé- pouillé de toute prérogative. Cesmécontens,qui sembloient si actifs dans tout l'empire des Francs , et qui s'étoient joints tour à tour à Gri- fon, aux Allemands , aux Saxons, aux Bava- rois, pouvoient couvrir du nom de Childé- ric III ou de quelque autre prince de sa race, un nouveau projet de révolution. Pépin voulut

753. sans doute prévenir ce danger. Nous trouvons dans Eginhard , que ce Burchard, évêque de ((Wirtzburg, et le prêtre Fulrad , chapelain, c( furent envoyés à Rome, au pape Zacharie,

(i) Annal, metens. p. 689. Fredegarii contin. Cap. 117, p. 459. Append. ad Gesta reg. francor. p. 573. Annal, tiliani. p, 645. Annal, lambeciani. p. 646. Adonis chr^ p. 67Q. Annal, fuldenses. p. 676..

DES FRANÇAIS. lG5

ce pour consulter le pontife sur les rois qui ^5». c( exisloient alors en France , et qui n'avoient <c que le nom de rois, sans aucune puissance « royale. Par eux le pontife répondit qu'il valoit (( mieux que celui-là fût roi, qui exerçoit la ((puissance royale; et, l'ayant sanctionné de (( son autorité , il fit que Pépin fut constitué (( roi (i). » Le continuateur de Frédégaire, qui écrivoit par les ordres du comte Childebii-and , oncle de Pépin , ajoute : (( Qu'alors, du conseil (( et avec le consentement de tous les Francs , et a avec l'autorisation du siège apostolique , l'il- (( lustre Pépin , par l'élection de toute la France , (( la consécration des évêques , et la soumission « des princes , fut élevé au royaume , avec la (( reine Bertrade , selon les anciennes coutu- (( mes » (2). Un récit plus long ou plus circon- stancié de cet événement ne nous a été transmis par aucun écrivain contemporain , par aucun de ceux qui, venus depuis, auroient pu avoir des informations authentiques. Nous savons seulement que ce fut à Soissons que Pépin fut élevé sur le bouclier ou sur le trône; que cette cérémonie se fit probablement le i^"^ mars 762 , dans l'assemblée de la nation, et que Cliildé-

(i) Eginhardi Annal, ad ann. 'j^g. T. V. Scr. Jt\ p. 197. Ludov. Dufour de LoDguerue. Anfi. franc. T. IV, p. 705. (2) Clausula Append. Fredegarii. Cap. 117, p. 460.

l66 HISTOIRE DES FRAî^ÇAIS;

7.^)2. rie IIÏ, dont nous ignorons complètement Fâge , les mœurs et le caractère , ayant reçu la tonsure ecclésiastique , fut enfermé clans le couvent de Sithien , nommé depuis, Saint-Berlin , à Saint- Omer, il mourut en 765. (i)

(i) Append. ad Cesta reg.francor. p. 574 et 576. ^««. nazariani, p. 64o. Tiliajii , p. 643- Lambeciani , p. 6l^&^ Chron, Moissïac. p. 656. Chron. Fontenel. p. QGo,. Chron. Brev. p. 664. —Adonis Vienn. p. 672. Ann.. fuîd. p. 676. Fragment, histor. Ajwîi. p. 694.

SECONDE PARTIE

LES CARLOVINGIENS.

CHAPITPtE PREMIER.

Règne de Pépin, 702 768.

L'histoire des Français embrassant tout Fes- pace de temps qui sépare la civilisation antique delà civilisation moderne, et passant au ^vers de tous les siècles de barbarie , présente u»e pé- riode de confusion , de contradiction et d'obscu- rité qu'on n'est appelé à parcourir dan s aucune autre histoire. Après de pénibles efforts, l'his- torien croit avoir atteint un fd qui le conduira dans ces épaisses ténèbres; il le suit quelque temps, puis il le laisse échapper au milieu du labyrinthe. Il entrevoit de place en place un rayon de lumière qui lui fait distinguer les objets environnans ; il croit approcher du grand jour , il hâte ses pas pour l'atteindre ; mais cette lumière trompeuse disparoît, et il doit recom- mencer à tracer sa route dans l'obscurité.

Les grandes révolutions que subit la monar- chie attirent plus particulièrement notre at- tention. Nous aimons à nous persuader que si elles étoient mieux connues, elles jetleroient

l68 HISTOIRE

du jour sur la formation du caractère nalio- nal , sur les lois, les usages, les préjugés qui nous' régissent encore. Mais dans ces siècles de barbarie, plus une révolution devoit être im- portante, plus son histoire demeure obscure. Presque toujours cette révolution étoit accom- plie par la guerre, le carnage et la désolation : elle détruisoit ainsi ses propres monumens; en augmentant le pouvoir de Tépée, elle faisoit abandonner toujours plus la culture des lettres : ceux qui s'étoient emparés de l'autorité pou- voiei^bien tirer vanité de leurs victoires , mais non aës intrigues ou des conspirations qui les avoient préparées, et tout le souvenir qu'ils se soucioient de transmettre aux siècles à venir, c'é- toit qu'en telle année tel chef a voit vaincu tels en- nemis : le plus souvent lesannales des Francs, au huitième siècle, ne contiennent pas autre chose. Parmi les plus importantes révolutions que présente l'ancienne histoire du peuple français, on doit ranger celle qui fit succéder sur le trône la race des Carlovingiens à celle des Mérovin- giens; d'autant plus que ce ne fut point unique- ment l'usurpation d'une nouvelle maison royale, la succession d'une dynastie à u ne autre dynastie ; ce fut aussi une vraie révolution nationale qui rajeunit le peuple franc, qui ranima son ardeur guerrière, et qui rendit à Fcirmée une autorité qu'elle avoit perdue presque immédia-

DES FRANÇAIS. 169

tement après la première conquête. Mais celle révolution dont l'importance se révèle par toutes ses conséquences , nous est à peine indiquée par quelques mots des écrivains contemporains: Tout ce que nous en pouvons savoir, c'est qu'un dimanche du mois de mars 762 , le maire du palais, Pépin , « fut élevé sur le trône des (c Francs, par l'autorité et le commandement (( du saint pape Zacharie ; par l'onction du « saint chrême , qu'il reçut des mains des bien- ce heureux évêques de France, et par l'élection (( de tous les Francs. )> (i)

Tout ce qu'on trouve dans les écrivains posté- rieurs, et surtoutdans ceux des deuxderniers siè- cles, sur le caractère de Pépin , sur ses projets, sur sa politique, est purement conjectural ; d'ailleurs les vues qu'on lui prête , les ^lotifs sur lesquels on fonde ses décisions, se ressentent bien plus de la politique du dix-huitième siècle que de celle du huitième (2). On a raconté de lui , que pour relever sa réputation aux yeux des Francs qui tournoient en dérision sa petite taille, il avoit mis aux prises un lion avec un taureau furieux; qu'il avoit ensuite invité ses courti- sans à les aller séparer, et que comme aucun

(i) Cîausula infine libri Gregorii Turon. de gloria confes- sorum Script. J'ranc. T. V, p. 9.

(2) Velly, Histoire de France. T. I, p. 204. Mably, Observations sur l'Histoire de France. Liv. II, chap. i. P. Daniel, Hist. de France. T. I, p. 354-

170 HISTOIRE

d'eux n'osoit descendre dans l'arène , il y étoifc entré lui-même, et avoit abattu d'un coup d'épée, la tête des deux animaux : mais cette anecdote devroit être reléguée parmi les aven- tures des paladins de Charlemagne. Le moine de Saint -Gai qui l'a racontée le premier cent cinquante ans plus tard, ne jouit pas même d'assez de crédit pour nous faire admettre , sur sa seule foi, des faits plus vraisemblables ou plus rapprochés de son temps (1). L'auteur de cette importante révolution, le fondateur de la dynastie carlovingienne , se ^erd pour nous dans la nuit de ces temps barbares ; nous n'avons guère, sur sa personne ou sur son règne, que l'indication de quelques expéditions militaires auxquelles il conduisit les Francs.

Ceux-ci, sous la conduite de son père et de son aïeul , semblent , pour la seconde fois , avoir conquis la Gaule ; c'est une invasion nouvelle de la langue , de l'esprit militaire et des mœurs de la Germanie , qui n'est annoncée dans les historiens que comme la victoire dans une guerre civile des Francs austraslens sur lesNeu- striens. Les nouveaux chefs, comme leurs pré- décesseurs, s'intitulent toujours rois des Francs; ils se présentent comme les successeurs légitimes de Clovis et de ses descendans : tout est changé

(i) Monachi san Gallensis de gestis Carol. /. Lib. II^ cap. !^3, p. i5i.

DES FRANÇAIS. lyl

cependant dans leur esprit et dans leurs mœurs. Dans deux siècles et demi, les premiers con- quérans s'étoient déjà naturalisés parmi les Ro- mains ou Gaulois ; ils avoient adopté en grande partie leur langue , leurs opinions et surtout leur mollesse ; ils sembloient n'avoir fait avec eux qu'un seul peuple encore tout entaché des vices de Rome; ou plutôt la race conqué- rante s'étoit rapidement éteinte 5 les débau- ches de la paix et les fureurs de la guerre moissonnoient également les soldats , non pas chez les Francs seulement, mais chez les Golhs et les Vandales , dans toutes les parties du monde romain que les Barbares avoient conquises. Leurs familles dépérissoient, comme on avoit vu dépérir celles des rois mérovingiens ; les Francs de la première conquête avoient pres- que disparu de l'Aquitaine , de la Provence , de la Bourgogne, et même de la Neustrie; et lors- que Charles Martel ou Pépin conduisirent de nouveau leurs armées austrasiennes dans ces provinces , tout le peuple de la contrée consi- déra ces soldats germaniques comme étrangers et comme ennemis. Childéric III, que Pépin avoit déposé et enfermé au couvent de Sithieu , étoit le roi des vaincus. Pépin, et son père, et son aïeul, étoient, depuis trois générations, les chefs des vainqueurs. Lorsque Pépin avoit , dix ans auparavant, fait couronner Childéric III,

in-l HISTOIRE

il a voit apparemment présenté ce fantôme de roi comme un gage de réconciliation auxNeu- striens qui lui étoient soumis ; lorsqu'il le dé- posa , il est probable qu'il ne croyoit plus que leurs préjugés ou leurs affections méritassent de sa part tant de ménagemens. On n'oseroit décider si ce fut par politique ou en cpd^nt à l'empire de ses propres sentimens, que Pépin, au moment il blessoit quelques affections populaires , redoubla pour d'autres de défé- rence. Son père , en dépouillant les gens d'é- glise, avoit aliéné le clergé; mais lui-même et son frère Carloman, et son fils et son petit-fils, semblent avoir entièrement abandonné aux prêtres la direction de leur conscience et de leur raison. En montant sur le trône , il établit lui-même, pour son avantage personnel, un droit inouï en faveur de l'Eglise , celui de choi- sir et de déposer les souverains. Il prit à tâche de placer sa couronne avec tous ses droits sous cette sanction ecclésiastique. Il avoit, contre l'usage commun , appelé tous les évêques des Gaules à la diète ou assemblée du Champ de Mars, il fut porté sur le trône : il avoit, sous l'autorisation du pape Zacharie, renou- velé pour lui-même le rite hébraïque, d'une onction sacrée, d'un saint chrême qu'il regar- doit sans doute comme le sanctifiant aux yeux des peuples , et le plaçant sous les garanties que

DES FRANÇAIS. 1^5

les livres sacrés accordoient aux rois des Juifs ; il avoit voulu que rarchevêque de Mayence , Fapôtre de la Germanie , Boniface , dont la sain- teté étoit universellement reconnue de son vivant, versât sur lui cette huile quidevoit lui imprimer un caractère plus auguste (i). Enfin il obtint , après trois ans , que le pape Etienne II se rendit auprès de lui dans les Gaules , et renou- velât pour lui, sa femme et ses fils , cette céré- monie de l'onction sacrée qui n'avoit point été pratiquée par la première race. Ainsi les Car- lovingiens voulurent eux-mêmes devoir leur couronne aux prêtres. Mais si le chef des guer- riers francs se proposoit seulement de faire in- tervenir les prélats dans des cérémonies vaines pour éblouir et tromper le vulgaire , il fut la dupe de sa propre politique. Le sceptre qu'il avoit remis aux prêtres pour le recevoir ensuite d'eux, ne ressortit plus de leurs mains, aussi long-temps que sa race fut sur le trône.

Les assemblées nationales paroissent avoir été fort négligées sous les derniers rois mérovin- giens ; la nation éparse sur un vaste territoire, ne pou voit plus s'yrendre; les grands seigneurs, devenus propriétaires de provinces peuplées d'un grand nombre d'esclaves, se trouvoient exposés, par l'étendue même de leurs posses- sions , à confondre les droits de propriété avec

(i) Pagi critica in Annales Baronii. Aan. 752.

174 IirSTOIRE

ceux de souveraineté , ils oublioient les affaires iiationalespour ne s'occuper plus que de la pro- vince dont ils avoient fait une grande ferme. Les arimansy hommes libres^ ou petits propriétaires, auroient senti davantage, peut-être, le besoin de tenir au corps de la nation , et d'invoquer la protection du roi, du maire du palais ou des assemblées du Champ de Mars; mais les der- niers rois mérovingiens avoient perdu toute volonté comme toute puissance : la mairie du palais, usurpée par la faction des grands sei- gneurs , avoit passé aux mains des ennemis des hommes libres ; ceux-ci regardoient comme fort onéreuse Fobligationdese rendre, avecdegrandes dépenses , à des assemblées souvent lointaines , leurs voix se perdoient dans la foule. On ne peutpas affirmer que ces assemblées n'eussent plus lieu; mais pendant un long espace de temps, il ne nous reste aucun monument de leur existence. Pépin , au contraire, déjà comme maire du palais , les avoit convoquées avec une grande régularité, aussi-bien que son frère Carloman (i). Il changea même, pour la com- modité publique , l'époque de l'assemblée du mois de mars qu'il remit au mois de mai; c'étoit lasaison la terre ëtoit déjà couverte de four- rages, et la cavalerie pouvoit s'assembler

(i) Carlomanni Principis Capitid. in Capital, reg. Franc ^ T. I, p. i46, seq.

DES FRANÇAIS. I^S

avec le plus de facilité. Les comices du peuple étoieiît en même temps la revue de l'armée, et les Francs , après avoir délibéré sous les yeux de leur roi, alloient combattre sous ses ordres. Pépin et Carloman appelèrent les prélats à ces mêmes assemblées, et ceux-ci s'y trouvèrent bientôt les maîtres. La constitution de Fétat fut changée en entier par cette seule innovation à laquelle un peuple dévot ne vit aucune raison de se refuser, et les Champs de Mars des soldats devinrent des synodes d'évêques.

Les prélats, en effet, introduisirent dans ces assemblées Fusage de la langue latine et celui des longs discours ; ils leur soumirent toutes les questions de dogme, de discipline ecclésiastique et de controverse, auxquelles les soldats francs ne pouvoient rien comprendre. Etrangers à la langue, à la science théologique, et aux formes de délibération usitées par les prélats, leur rôle devenoit absolument passif. On ne contestoit point leurs droits, mais on les chassoit , par Fennui, du lieu même ils avoient régné. Bientôt les Austrasiens mon- trèrent, pour leurs assemblées, la même indif- férence qui en avoit fait décheoir Fusage chez les Neustriens, et les rois, loin de ressentir de la jalousie contre les comices nationaux, tra- vaillèrent vainement à rappeler les Francs au Champ de Mai , pour former ensuite leur armée.

176 HISTOIRE

7^2. Dès la première année de son règne , Pepiii

assembla une diète à son palais royal de Ver- merie ; les actes de cette diète nous ont été con- servés, soit parmi les capitulaires, soit parmi les canons des conciles, ils sont mieux à leur place. En effet, l'assemblée législative des soldats francs , à en juger dVprès ces actes, ne s'occupa que de discipline ecclésiastique ; elle travailla surtout à classer et à punir ces péchés contre lapuretédesmœurs, dont la législation des Juifs avoit fait des crimes. Il est impossible, en lisant ce capitulaire et les trois sui vans, publiés également au nom de Pépin, après les assemblées de Vernon , de Metz et de Compiègne , de ne pas être frappé du rôle passif auquel dévoient être réduits les guerriers germaniques dans la discussion et la décision de questions sembla- bles, (i)

Ce n'est pas qu'il n'y eût beaucoup à faire pour la réforme des mœurs des Francs, et que l'en- treprise ne fût peut-être digne du législateur ; mais en voyant comment elle fut exécutée, on ne ♦peut pas méconnoître l'esprit monastique d'après lequel elle étoit dirigée. Les prélats , dès qu'ils eurent obtenu l'entrée des diètes , chan- gèrent tout l'ancien système de législation des peuples du Nord. Jusqu'à cette époque , les délits

(i) Stephani Baluzii Capitularia. T. I, p. 161. Lahbei Concilia generalia» T. VI, p. i656.

DES FnANÇATS. 1^7

ctoient une offense privée qui n'étoit poursuivie -53. que par les intéressés; aucun supérieur n'avoit encore le droit de s'enquérir, dans le sein d'une famille , de la conduite de ses membres , les uns à regard des autres. Selon les codes des Bar- bares, le juge intervenoit seulement, lorsqu'une famille offensée par une autre famille, avoit recours aux armes pour se venger; l'autorité publique lui faiscit alors obtenir régulièrement la compensation que les intéressés auraient pu rechercher par la force. L'introduction des ecclésiastiques dans les conseils nationaux fit considérer les actions punissables comme mauvaises en elles-mêmes, comme contraires aux lois de Dieu, et non plus seulement comme troublant la paix publique. Ainsi, les plus an- ciennes lois des Francs avoient puni le rapt , parce que c'étoit une offense qu'une famille éprouvoit de la part d'une autre famille ; mais les capitulaires de Pépin poursuivirent surtout Finceste qui, jusqu'alors, avoit échappé aux lois, toutes les fois que personne n'a voit eu lieu de s'en plaindre. Ils réglèrent les cas nombreux dans lesquels les conjoints dévoient être séparés par l'autorité publique ; ceux plus nombreux encore le désordre de leurs mœurs de voit leu r faire interdire le mariage ; ils statuèrent enli n sur les peines à infliger aux incestueux , savoir, l'amende ou la conOscation des biens, la prison

TOME IX. 12

I7B HISTOIRE

7'*2' et le fouet; en enjoignant de plus à tous les ci- toyens de ne point les admettre dans leurs mai- sons, et de ne leur donner aucune nourriture. En lisant toute la suite des capitulaires d e Pepi n , on ne voit pas sans surprise le grand conseil de la nation occupé, pendant tout un règne, de classer et de détailler toutes les abominations qui depuis furent l'objet des études des casuistes, et que des exemples fréquens rappeloient appa- renvnent alors à la mémoire des prélats.

On peut remarquer aussi que les règles éta- blies à cette époque par l'Église, sur les mariages et les divorces, ne sont point celles qu'elle suit aujourd'hui; et les écrivains ecclésiastiques ont quelque peine à réconcilier les décisions de ces anciens conciles infaillibles, avec les décisions contraires des conciles également infaillibles qui sont venus depuis, ce Si un prêtre, est-il dit, (( §, 3 du capitulaire de Vermerie, a épousé sa (c nièce , qu'il la renvoie et qu'il soit dégradé; ce si alors un autre homme la prend , il ne <( doit point la garder non plus; mais s'il ne ce peut se contenir , qu'il choisisse plutôt une « autre femme , car il seroit répréhensible qu'un ce autre homme gardât la femme qu'un prêtre (c auroit renvoyée. » De même il est stipulé, par six ou sept articles différens du même ca- pitulaire, que lorsqu'un homme étant déjà ma* rié , aura séduit sa belle-fille, sa belle-mère, sa

DES FRANÇAIS. I ^C)

belle-sœur , son mariage sera dissous , et lui- même non plus que celle qu'il aura séduite, ne pourront point se remarier ; mais la femme dont il se divorce peut épouser un autre mari; car, dans tous les cas, la faute de l'un des deux conjoints rend à Fautre une liberté entière, (i) Quelques articles du même capitulaireavoient pour objet la réforme du clergé. En effet nous apprenons par des lettres de saint Boniface au pape Zacharie, et par les réponses du dernier, que beaucoup d'esclaves fugitifs, de vagabonds, d'hommes poursuivis pour des meurtres et des adultères, s'étoient fait tonsurer, et qu'ils pre- iioient le nom d'évêques et de prêtres , quoi- qu'ils n'eussent jamais été ordonnés par de vrais prélats. Ils entroient ainsi en partage du crédit et de la richesse dont jouissoit le clergé ; ils exploitoient la superstition des peuples, ils se prêtoient à toutes les pratiques païennes , à tou- tes les croyances qui pou voient leur rapporter de l'argent. Saint Boniface se plaignoit d'en avoir trouvé dans ses missions un nombre bien plus grand que de vrais prêtres, et d'avoir eu sans cesse à lutter avec eux pour la conversion des

(i) Voyez les articles 2,9, 10, 11, 12, 17, 18 de ce capitu- laîre. Par une étrange inlerprétati n donnée au sens très-clair de ces articles , l'Église a prétendu que la faculté de se remarier n'étoit réservée au conjoint innocent qu'après la mort de l'autre. (Fieury, Histoire ecclë s. Liv. XLIII , §. 2.)

iSo HISTOIRE

iïilidèles. Zacharie, qui donne à ces faux prê- tres le nom de ministres de Satan, ordonne à Boniface de les renvoyer tous dans des couvens, pour y terminer leur vie dans la pénitence (i). Le capitulaire publié dans le Champ de Mars ou plutôt dans le concile de Vermerie , défend aux évêques d'accorder l'ordination à ces prêtres errans ; mais il veut que , même après avoir été dégradés , lis aient le droit d'administrer le bap- tême. Les autres capitulaires du règne de Pépin pourvurent à la répression des prêtres non bap- tisés, des évêques vagabonds, et des autres faussaires qui usurpoientles prérogatives et les richesses du vrai clergé. (2)

Les lois portées pour la répression des crimes^ nous appi-ennent leur multiplicité. Ces capitu- laires, monument le plus authentique delà se- conde race dès ses commencemens , nous indi- quent ce qu'étoient alors les mœurs nationales : rien ne ressemble moins à ces vertus chevale- resques qu'on se plaît toujours à chercher dans l'antiquité. C'étoit sans doute pour un peuple bien féroce et bien corrompu en même temps, qu'étoit fait l'article 8 du même capitulaire de Vermerie. ce Que l'homme libre, y est-il dit,

(i) Epistolce Zachariœ pontif. et spec. Ep. lo, p. iSig, T. VI, Concil. gênerai. Lahbei.

{'i) Capital. Verm. §. i4 et i5} Caplt. Verii. §. i3j Capit^ Compend. §. 9 , etc.

DES FRANÇAIS. ïSl

« qui tuera son père ou sa mère, son frère ou « son oncle , perde son propre héritage ; que « celui qui aura commis un inceste avec sa (( mère, sa sœur ou sa tante, le perde égale- ce ment. »

Les prélats qui, sans révolution, sans que la nation s'aperçût d'avoir perdu ses droits , se Irouvoient tout à coup dépositaires de toute la puissance législative, parle seul fait de leur ad- mission dans le conseil des gens de guerre, ne négligèrent point de donner à leurs décrets une sanction puissante , en organisant les formes et les conséquences de l'excommunication. Les évêques furent invités à excommunier non- seulement les prêtres désobéissans , mais aussi les laïques et les femmes tombées en faute. (( Et (c pour que vous sachiez quel est le mode de « cette excommunication, continue le législa- « teur, l'excommunié ne doit point entrer dans <( l'église, ni manger ou boire avec aucun chré- (( tien. Personne ne doit lui donner un baiser, « ni se joindre à lui dans la prière , ni le saluer (( avant qu'il ait été réconcilié par son évêque. )) Quiconque communique sciemment avec un excommunié, est enveloppé dans la même sen- tence; quiconque méprise toutes ces peines, et ne se soumet point à son évêque , doit être exilé par le roi. (i)

(i) Capital. Fern. §.9, p. 172.

l82 HlSTOIllE

Pépin étoit peut-être de Irès-bonne foi dana son zèle pour raccroissement du pouvoir ecclé- siastique ; la réprobation dont le clergé avoit frappé Charles Martel , semble avoir ébranlé Fimagination de tous ses descendans , et avoir redoublé leur soumission à TEglise. Mais si la politique entroit pour quelque chose dans les concessions de Pépin, il est possible que toute sa défiance se portât sur les hommes libres que son père avoit vaincus, sur les grands qu'il avoit associés à ses victoires, et qui éloient armés, inquiets, arrogans, pleins du souvenir de leurs droits et d'audace pour les défendre; tandis qu'il croyoit n'avoir rien à craindre d'un clergé qu'il avoit lui-même enrichi, organisé, rendu puissant, et qui lui devoit toute son exi- stence. Pépin ne vécut pas assez long -temps pour apprendre quelle reconnoissance un roi peut attendre d'un corps impérissable, qui croit que tout ce qu'on fait pour lui, lui est dû: qui acquiert des forces par la durée, et qui profite également des vertus et des vices, des grandes actions et des crimes de tous ses contemporains.

Ce ne fut pas seulement dans l'admirûslra- tion intérieure de la monarchie que Pépin sol- licita l'appui des ecclésiastiques , il soumit aussi à leurs conseils sa politique extérieure, ache- tant à ce prix leur coopération. Il prit les ar- mes, tantôt pour défendre la cour de Rome

DES FRANÇAIS. l83

contre les Lombards , tantôt pour étendre le christianisme chez les Saxons , toujours pour augmenter le pouvoir de l'Église; et, en effet, dans le même temps la monarchie des Francs s'agrandit de presque toutes les conquêtes que les missionnaires de Rome firent pour le christi- anisme.

Zacharie, qui avoit accordé la couronne à Pépin , étoit mort le i4 mars 752, peu de mois après avoir autorisé le clergé de France à élever la seconde race à la place de la première. Il avoit eu pour successeur un prêtre romain que les uns nomment Élienne II , et d'autres Etienne III (i). Rome faisoit alors encore partie de l'empire d'Orient. Un duc et d'autres officiers envoyés de Constantinople , y représentoient l'empereur Constantin Copronyme mais la monarcliie des Lombards entouroit de toutes parts le duché romain. Ces peuples, toujours avides de guerres et de brigandages , ne se fai- soient pas plus de scrupule de poursuivre leurs déprédations sur cette petite province demeurée aux Grecs ^ qu'ils iien avoient eu auparavant de les étendre sur tout le reste de l'Italie. Les

(i) Selon que l'on compte ou non un autre Etienne élu avant lui, qui ne vécut que trois jours, et ne fut probablement pas consacré. Baronii Annal, eccles. 'iSi. T. IX, p. 204, édit. Autvverp. 1601. Pagi crilica , 702, §. 12, T. III, p. 283. Anastasius Biblioth, T. III, ^cr. iLallc. p. i65.

•52.

53.

l84 HISTOIRE

habiians du duché de Rome formoient cepen- dant Je troupeau immédiat du pape, et comme la considération accordée par FÉglise au pre- mier évéque de l'Occident, alloit croissant de jour en jour, c'étoit aussi à lui que les fidèles de Rome avoient recours dans toutes leurs tri- bulations. Constantin Copronyme, en vain sol- licité par Etienne comme il l'avoit été avant lui par Zacharie , n'envoya point d'armée , mais seulement des ambassadeurs pour protéger les petites provinces qui lui restoient en Italie. Etienne II les suivit à la cour d'Astolphe, à Pavie; il se mit en route de Rome, le i4 octo- bre 753, pour s'y rendre; en même temps il prit ses mesures pour continuer son voyage jusqu'en France, s'il ne réussissoit pas auprès d'Astolphe. En effet, le roi Lombard consentoit bien à accorder dorénavant la paix aux Ro- mains, mais il ne vouloit point entendre parler de restitutions; cependant il traita le pape avec respect, et quoiqu'il se défiât du voyage qu'il lui vo^^oit entreprendre au-delà des Alpes, sous la conduite des ambassadeurs de Pépin, qui avoit déjà contracté une étroite alliance avec le saint-siége, Astolphe n'essaya point d'y met- tre obstacle, (i)

Il est probable que le pape passa les Alpes

(i) Baronii ^nnal. eccîes. ann. 753. T. IX, p. 208. ^ Pagi crilica, §. 2, p. 285.

DI.S FRANÇAIS. 1 85

par le mont Saint-Bernard 5 du moins c'est au :53. couvent de Saint-Maurice, en Valais, qu'il se regarda comme ayant, pour la première fois, mis le pied sur le territoire de France. Deux messagers de Pépin, un duc et un prélat, l'y attendoicnt, et ils le conduisirent à Pontyon, dans le Perche, près de Vitry-le-Brûlé , maison royale se trou voit alors Pépin avec sa femme et ses enfans. (i)

A son arrivée, le pape Etienne s'étoit couvert de cendre avec tout son clergé; il s'étoit revêtu du cilice, il s'étoit prosterné en terre, et , sans vouloir se relever , il avoit supplié le roi Pépin , par la miséricorde du Dieu tout-puissant, et par les mérites des saints apôtres Pierre et Paul, d'avoir pitié de lui et du peuple romain ; de les délivrer de la main des Lombards, et de la servitude du superbe roi Astolplie. Il ne con- sentit point ensuite à se relever de terre , que ]e roi Pépin , ses fils et les grands de France ne lui eussent tendu la main en signe de l'aide qu'ils promettoient de lui donner (2). Mais bientôt Etienne connut mieux le peuple auquel il étoit venu demander des secours. Les Lom- bards , dont il avoit vu les drapeaux menaçans autour de Rome, lui témoignoient bien un

(ï) Frerlegarii contin. Cap. 119, T. V, p. 2. Anastasiiis Biblioth. T. m, Scr. italic. p. 168. (2) Annales francor, metens, p. 556.

l8G HISTOIRE

JS-*- respect extérieur, mais en même temps ils mettoient son Eglise à contribution , et ils n'a- voient point youIu déférer à ses prières ; les Grecs, dont il s'avouoit encore sujet, étoient jaloux des prétentions de son Église, quelque- fois même, depuis qu'ils avoient embrassé le schisme des iconoclastes , ils le traitoient en ennemi ; les Romains, enfin, ne lui montroient une grande déférence que quand ils sentoient un grand besoin de lui. En France, au contraire, il s'aperçut qu'on le regardoit comme un mes- sager de la Divinité, qui, en dirigeant le zèle des guerriers vers la protection de ses sujets , ouvroit aux premiers une voie nouvelle vers le salut. Son pouvoir paroissoit tellement supé- rieur à celui de tous les autres évêques, on le confondoit si bien avec celui de Dieu lui-même, que le roi croyoit s'honorer et s'affermir sur le trône en tenant de lui sa couronne, et qu'il lui demanda comme une faveur insigne de renou- veler pour lui la cérémonie du couronnement et de l'onction sacrée.

754. Etienne II, qui passa l'hiver en France, et

qui séjourna alternativement à Pontyon , à Saint-Denis, et à Kiersi-sur-Oise , couronna, le 28 juillet 7,54, Pépin pour la seconde fois, aussi-bien que sa femme Bertrade et ses deux fils Charles et Carloman ; pour la seconde fois aussi il répandit sur sa îêle et sur celles de ses

DES FIIANÇAIS. 1 87

enfansune huile bénie, et qu'on dit ensuite être 754. miraculeuse. Jl conféra à Pépin le titre de pa- trice des Romains, magistrature que les empe- . reurs de Constantinople avoient seuls droit de décerner, et qui avoit autorité sur le pape, au lieu de dépendre de lui. Enfin il interdit aux seigneurs francs, sous peine d'excommunica- tion , de jamais se choisir un roi dans une autre race que celle de Pépin (i). Comme le roi déposé, Childéric III, mourut à peu près vers cette époque, dans son couvent de Siihiu, quel- ques modernes en ont conclu qu'Etienne sai- sissoit cette occasion pour sanctionner la nomi- nation de Pépin , devenue dès lors légitime. Mais Childéric III, en mourant, avoit laissé un fils auquel la nation n'accordoit plus ni intérêt ni estime, et Etienne lui-même ne croyoit pas aux droits des souverains déposés. La nation s'étoit jointe à son roi pour pro- mettre à Etienne II la protection qu'il étoit venu demander. Les comices des Francs, assemblés par Pépin à Braine dans le Soissonnois , le i" mars 754, avoient pris l'engagement de le défendre. Le roi Astol plie, voulant détourner de ses états l'orage qu'il voyoit déjà gronder sur sa tête, essaya de traverser les négociations d'un pape par celles d'un saint. Carloman, frère de

(i) Clausula in fine îibri Grcgor. Turon. de gloria conf es- sor. Scr. franc. T. Y, p. lo.

l88 lilSTOIKE

754. Pépin , qui s'étoit fait moine, vivoit an mont Cassin dans ses états. Son supérieur, l'abbé Op- tât ^ lui donna ordre de se rendre en France pour empêcher les Francs d'attaquer les Lom- bards. Carloman devoit représenter à son frère que la querelle entre Astolphe et le pape avoit pour origine les intérêts de l'empire grec et la possession de l'exarchat; qu'en se mêlant des affaires d'Italie , les Francs embrasseroient la cause des Grecs hérétiques et iconoclastes contre les Lombards orthodoxes et dévoués à l'Eglise ; qu'ils attaqueroient donc la religion en croyant défendre le saint-siége. Mais la haute naissance de Carloman n'en imposoit plus aux Francs ; sa sainteté les frappoit moins que l'autorité pontificale d'Etienne ; d'ailleurs ils désiroient la guerre et le pillage. Ils envoyèrent donc à Astolphe une ambassade menaçante, pour le sommer de restituer la Pentapole d'où il avoit chassé les Grecs , aussi-bien que Narni et Cec- cano qu'il avoit conquis dans le duché de Rome. Pépin ne permit point à Carloman de retour- ner dans son monastère en Italie; il l'envoya à Vienne en Dauphiné , ce prince mourut avant Tannée révolue, (i)

Les passages des Alpes qui conduisoient de France en Italie, étoient fermés par des portes ou des fortifications que les historiens du temps

(î) Annales meteJis , p. 557. --- Eginhardi Annal, p. 197,

DES FRANÇAIS. 1 89

nom m eut cluses. Dans ces défilés étroits on a voit pu ménager aisément une double porte pour la sûreté de chaque nation. Le bibliothécaire Anas- tase parle en effet des cluses de France et des cluses d'Italie, dont les premières étoient gar- dées par les soldats du roi Pépin ; les secondes, par ceux du roi Astolphe. L'avant-garde des Francs étoit déjà arrivée aux premières , mais elle n'a voit point encore mis le pied sur le ter- ritoire ennemi. Le roi lombard crut devoir la prévenir, et se flatta de la surprendre. Il atta- qua les Francs dans leurs cluses; mais non-seu- lement il fut repoussé, il perdit encore les siennes propres et comme après ce passage des Alpes il n'a voit point de fortifications de seconde ligne,' il se retira dans Pavie, sa capi- tale , pour y soutenir un siège. Pépin , qui s'é- toit avancé de la Maurienne dans le Val-de- Suze , entra sans résistance en Lombardie , et mit le siège devant Pavie. Etienne II, qui l'accompagnoit, ne désiroit point alors renver- ser le trône des Lombards , et élever celui des Francs à sa place; il préféroit opposer, au be- soin, ces deux peuples les uns aux autres, et demeurer leur arbitre; il offrit ses bons offices pour la paix, et les historiens ecclésiastiques assurent qu'elle fut conclue à sa seule sollicita- tion. Astolphe s'engagea à réparer le dommage qu'il avoit causé à l'Église et au siège aposto-

igo HISTOIRE

7^4- Jique ; à ne jamais plus attaquer ni ce siège , ni ]a république, nom que Ton conservoit encore aux provinces de l'empire d'Orient, et à donner des otages pour l'accomplissement de ces pro- messes. Etienne, après la signature de ce traité, retourna à Rome avec ses prélats; et le roi, enrichi par le pillage de la Lombardie, et par les contributions qu'avoit paj^ées Astolplie, et qui furent partagées entre les grands seigneurs de France , reprit le chemin de ses états, (i)

755. Mais Astolphe ne supposoit pas que les Francs

fussent également prêts, chaque année, à re- prendre les armes , à l'appel du pape. Il étoit aigri contre les Romains , contre les Grecs , contre Etienne II , par l'affront qu'il venoit de recevoir; tandis que les Romains le menaçoient, en toute occasion , de la vengeance de leur puis- sant allié , il crut avoir le temps de les écraser, avant qu'ils fussent secourus , et dès l'année suivante, il retourna à l'attaque de Rome avec un redoublement de furie. Il nous reste plu- sieurs lettres adressées par Etienne II aux rois des Francs , Pépin , Charles et Carloman , dans lesquelles le pape se plaint de ce qu'Astolphe n'a pas rendu un palme de terre à saint Pierre, à la sainte Eglise de Dieu , et à la république ro- maine ; de ce qu'il n'a cessé, au contraire, d'af-

(i) Fredegarii contin. Cap. 120, T. V, p. 2. Anaslasius Biblioth. p. 169.

DES FRANÇAIS. 19I

fllger l'Église, depuis le jour le pape a pris 755. congé des rois. Etienne reproche à Pépin de n'avoir pas voulu le croire, lorsqu'il Texhor- toit à ne donner aucune confiance à Astolphe ; d'avoir plutôt prêté foi aux mensonges de ceux qui se jouoient de lui, qu'à la vérité, qu'il ne cessoit de lui dire. De tels reproches ne s'accor- dent guère avec l'esprit de modération, de conci- liation et de paix que le biographe d'Etienne as- sure qu'il apportadanstoutecette négociation (i). Dans une autre lettre adressée par Etienne aux rois des Francs , il les sollicite d'exécuter la pro- messe qu'ils avoient faite à saint Pierre, le portier des cieux ; car, au lieu d'exiger qu'As- tol phe restituât à l'empire grec ce qu'il a voit con- quis sur lui , Pépin en avoit fait don à l'Eglise. (( Ce que vous avez promis en donation à saint « Pierre, dit le pape à Pépin et à ses deux fils, ce vous devez le lui livrer. Considérez quel c( créancier redoutable est saint Pierre , le por- c( tier des cieux , le prince des apôlres : hâtez- cc vous donc de lui livrer tout ce que vous lui « avez promis en don , si vous ne voulez de- (( meurer condamnés dans la vie à venir, et

<c pleurer dans l'éterniié Car, sachez-ie ,

ce l'acte chirographique de votre donation a été (c reçu par le prince des apôtres, qui le tient ce fortement dans sa main. Aussi est-il néces-

(i) Epistola 7, Codicis Carolini. Scr. franc» T. V, p- ^^1*

lfJ2 HISTOIRE

75^- c( saire que vous en remplissiez toutes les concli- (( lions; autrement il le montrera dans le juge- ce ment dernier, lorsque le juste juge viendra, «au travers des feux, juger les vivans, les « morts et le siècle. » (i)

Dès le commencement de Tannée 7 55 As- tolplie vint, avec toute l'armée lombarde et toute celle du duché de Bénévent, assiéger la ville même de Rome. Etienne écrivit de nou- veau, de la manière la plus pressante, pour de- mander du secours. Il adressa sa lettre , au nom de tous les Romains dans l'affliction , aux trois rois de France , à tous les évêques, les abbés , les prêtres, les moines, les ducs , les comtes et Tarmée des Francs (2). Mais ne croyant point en avoir fait encore assez, il écrivit aux rois et à la généralité des Francs , une lettre qu'il prétendit leur transmettre seulement par les ordres de l'apôtre saint Pierre, ce C'est moi- (( même, y est-il dit, Pierre, l'apôtre de Dieu,

« qui vous tiens pour mes fils adoptifs ;

(c croyez-le fermement, vous qui m'êtes chers, (( et n'en doutez point, lorsque je vous parle ce moi-même, comme si j'étois revêtu de ma <( proprechair, et toujours vivant devant vous. <c C'est moi aujourd'hui qui vous conjure et qui (c vous oblige, par les plus fortes instances

(1) Epist. 9, Codicis CaroL p. 489.

(2) Epist. 4j Codicis Carol. p. 490.

DES FRANÇAIS. igS

« Bien plus, Notre-Dame, la mère de Dieu, ce Marie, toujours vierge, se joint à nous pour (( vous solliciter, vous protester, vous admo- « nester, vous ordonner. En même temps les « trônes et les dominations, et toute l'armée de « la milice céleste, les martyrs, les confesseurs (c du Christ, et tous ceux qui plaisent à Dieu , <( se joignent à nous pour vous exhorter et vous <( conjurer, avec protestation , d'avoir pitié de <c cette ville de Rome que Notre-Seigneur Dieu «: nous a confiée , des brebis du Seigneur qui y ce demeurent , et de sa sainte Eglise que Dieu

« même m'a recommandée Ne vous séparez

c( point de mon peuple romain , si vous ne vou- cc lez pas être séparés du royaume de Dieu et (c de la vie éternelle. Tout ce que vous me de- c< manderez en retour , je vous l'accorderai, ou

« j'y emploierai du moins tout mon crédit

ce Je vous en conjure donc, ne permettez point ce que ma ville de Rome et le peuple qui l'ha- a bite , soient tourmentés et déchirés par la race ce des Lombards , si vous ne voulez pas que vos ce corps et vos âmes soient tourmentés dans le ce feu inextinguible d'enfer, par le diable et (C ses anges pestilentiels. » (ï)

Je ne sais pourquoi les histoi'iens de l'Église n'ont pas admis l'authenticité de cette lettre qui n'est pas plus incroyable que plusieurs des mi-

(0 Epist. Cod. Carol. 5, p. 493. TOME II. l5

IC)i HrSTOîUE

racles qui l'ont précédée ou suivie ; ils se conten- teiitde justifier le pape de cette audacieuse suppo- sition j en alléguant le danger des circonstances , etrempiredelanécessité(i). Cependant lafraude pieuse d'Etienne fit un effet prodigieux sur les Francs et sur leur roi. Pépin, rassemblant une puissante armée , s'achemina vers le Mont- Cénis , par Châîons, Genève et Saint-Jean-de- Maurienne. Astolplie, abandonnant le siège de Rome, étoit accouru pour occuper les gorges des montagnes; il s'étoit fortifié aux cluses de l'Italie. Il y fut forcé et contraint de s'enfer- mer à Pavie, pour la seconde fois. Il y soutint un siège, après lequel, vers la fin de Fannée, il fut réduit à accepter les conditions que Pépin voulut bien lui imposer. Le roi des Francs exigea de lui des concessions plus considérables encore que la première fois ; malgré les réchimations des ambassadeurs de l'empire d'Orient, qui se trouvoient présens dans son camp, il voulut que les villes de Ravenne, de l'Emilie, de la Pentapole et du duché de Rome, qu'il se faisoit céder par les Lombards , fussent rendues à l'Eglise de Rome , et non point à l'empire ro-^ main. Il envoya dans toutes ces villes ses pro- pres messagers, pour qu'elles leur fussent con- signées; après quoi ces mêmes messagers dépo-

(t) Baronii Annal, eccles. T. IX, p. 225. Fleury, Hist, ecclés. Liv. XLIII, chap. 17.

DES FRANÇAIS. IC)5

sèrent aux pieds du pape les clefs de toutes ces 755. villes, et ils lui remirent les otages qu'ils s'étoient fait livrer dans chacune, (i)

Les expéditions des Francs contre les Lom- bards, et les relations de Pépin avec la cour de Rome , sont les événemens de ce règne qui nous sont le mieux connus; l'histoire ecclésias- tique, même dans les siècles les plus barbares, ne demeure jamais sans monumens. Les Lom- bards, aussi-bien que les Francs, avoient des historiens, et, tout incomplets qu'ils soient, ils s'éclairent mutuellement quand on les com- pare; mais Pépin a voit en même temps des guerres importantes à soutenir sur les autres frontières , et dans ces expéditions qui fondèrent la monarchie, nous ne pouvons reconnoitre les traces de la nation et de son chef.

Ainsi, la guerre de Pépin contre les Saxons -ss» a laissé à peine un souvenir. Dès l'an 763 les Saxons avoient secoué le joug des traités qui leur avoient été imposés : les chroniques nous apprennent que Pépin passa le Rhin , qu'il ra- vagea leur pays, brûla leurs villages et leurs moissons, et qu'il leur imposa un tribut plus onéreux que celui qu'ils payoient auparavant , après leur avoir enlevé un grand nombre de

(1) Anastasii Biblioth. p. i']i, Fredegarii contin. T.IY, cap. 111 , p. 3.

I(j6 HISTOIRE

captifs (i). Mais il paroît que, pendant son règne , c'est la seule occasion il ait été appelé à tourner ses armes du côté de la Germanie, tandis qu'il eut à soutenir dans le Midi , des guerres plus longues et plus importantes. î55. En Orient, lesAbassidesavoientsuccédé, Tan

75o, aux Ommiades, dans la dignité du califat: c'étoit à peu près Tépoque de l'élévation de la maison carlovingienne. Des guerres civiles entre les Sarrasins avoient amené cette révolu- tion qui divisa leur menaçante monarchie. L'un de ses premiers résultats fut l'abandon se trouvèrent les Sarrasins d'Espagne, séparés d-e l'empire des califes, et en guerre avec leurs anciens maîtres. Abdérame, fils de Moaviah^ dernier descendant de la famille des Ommiades, ayant abordé en Espagne au mois d'août 765 , fit valoir sur cette province les droits héréditaires que le reste des Musulmans ne vouloit plus re- connoître; et , l'année suivante, il y fonda la monarchie des rois de Cordoue, qui prenoient eux-mêmes le titre d'émir el Moumenym (com- mandeur des croyans), dont les Latins firent celui de Miramolin. 750^759- D'autre part, Alfonse-le- Catholique, dans les Asturies , relevoit la monarchie des Goths , et il chassoit successivement les Sarrasins d'Astorga,

(i) Fredegarii contin, cap. 118, p. i.

DES FRANÇAIS. If)^

de Léon et de Galice. Un mouvement sembla- 750—759. ble des chrétiens pour s'affranchir du joug mu- sulman , se faisoit observer dans la partie des Gaules soumise à la domination des Sarrasins. Après trente ans de servitude , les Goths s'agitoient pour recouvrer leur indépendance. Tous les riches propriétaires , tous les hommes dont les pères avoient occupé des emplois sous les rois visigoths , mettoient en état de défense les lieux forts qui se trouvoient dans leur pa- trimoine, armoient leurs paysans, réunissoient tous leurs moyens de résistance 5 et tandis qu'ils annonçoient ouvertement leur haine pour ces maîti^es auxquels ils avoient long- temps obéi, les Sarrasins s'enfermoient dans la ville de Nar- bonne, capitale de la Septimanie ils abandon- noient les campagnes ; mais ils croyoient con- server leur souveraineté sur toute la province^ s'ils se maintenoient en possession de cette forte place. Pépin offrit son assistance aux seigneurs visigoths qui avoient déjà pris les armes : ceux-ci crurent devoir opposer la protection des Francs à la puissance des rois de Cordoue. LeVisigoth Ansémond , qui s'étoit fait reconnoître pour sei- gneur par les villes de INîmes , Maguelonne, Agde et Beziers , se déclara volontairement sujet de Pépin. Celui-ci, en retour, fit attaquer par les Francs les Musulmans de Narbonne(i). Ses sol- (i) Histoire générale du Languedoc, Liv. "VIII, chap. 4^,.

198 HISTOIRE

'•^5o~';5g. dats parurent pour la première fois, en 762 , de- vant cette capitale des Sarrasins dans les Gaules; mais leurs attaques interrompues parles expédi- tions de Pépin en Lombardie et en Saxe , sem- bloient promettre peu de succès. Les Francs n^a- voient nullement perfectionné Fart des sièges, tandis que les Sarrasins, secondés par toutes les sciences des peuples les plus civilisés , avoient réuni pour la défense de Narbonne tout ce qui sembloit devoir rendre cette ville inexpugnable. La trahison suppléa cependant à la science et à la valeur. Les chrétiens éloient encore dans Narbonne en plus grand nombre que les Mu- sulmans : après de longs combats , fatigués d'une guerre ruineuse, ils s'entendirent avec les Visigolhs, leurs compatriotes, qui s'étoient déjà soumis aux Francs ; ils se firent promettre par Pépin la conservation de leurs droits, de leurs lois et de leur juridiction ; puis, tombant tout à coup sur les Sarrasins qui gardoient leurs remparts, ils les massacrèrent , et ils ouvrirent leurs portes aux Francs. Il y a voit alors sept ans que la guerre duroit autour de leurs mu- railles , et quarante ans que Narbonne obéissoit aux Musulmans, (i)

p. 412. Preuves, p. 17, note 85, p. 698. Chron. Moissiac, ^.5, p. 68.

(i) Histoire générale du Languedoc, Liv. \III, cliap. 54 5 p. 4î5. Chron. Moissiac. p- 69.

DES FRANÇAIS. jgg

C'est ainsi que la Seplirrianie , comprenant 750—759. presque tout le Languedoc , fut pour la première Ibis réunie à la monarchie française. Pendant toute la durée du règne des Mérovingiens, elle avoit obéi aux Visigoths, et elle avoit souvent même été désignée sous le nom d'Espagne , parce qu'elle dépendoit d'un monarque espagnol. Tous les seigneurs gotlis ou romains qui avoient des possessions dans cette province, et qui n'a- voient point été dépouillés par les Musulmans , traitèrent avec les Francs aux mêmes condi- tions que ceux de Narbonne. Les comtes de chaque ville furent confirmés ou nommés de nouveau par le roi ; des privilèges considérables furent accordés aux églises , que la domination des Sarrasins avoit réduites à une grande pau- vreté, et le Languedoc put, dès cette époque, fonder ses droits et ses privilèges sur les traités volontaires et les services i^éciproques par les- quels il s'étoit uni à la France.

Mais une autre partie non moins importante de Tancienne monarchie des Visigoths , après avoir été soumise par les premiers rois méro- vingiens, avoit recouvré son indépendance , et opposoit aux prétentions de Pépin une jalousie nationale bien pi us profonde que celle qu'excite la rivalité du commandement. C'étoit le duché d'Aquitaine, dont laça jûtaleétoit alors Toulouse, et qui s'élendoit des Pyrénées jusqu'à la Loire,

20O HlJsTOlKE

Ho— ^09. L'origine des ducs d'Aquitaine , qm détachè- rent cette vaste province de la monarchie des Francs, et que l'on fait remonter à Charibert , frère de Dagobert , s'appuie bien moins sur des preuves que sur des conjectures historiques (ï). Il est douteux que ces grands seigneurs fussent de la famille de Clovis; mais il est certain que leurs sujets n'étoient pas et ne vouloient pas être de la race des Francs. Les familles des con- quérans du Nord qui s'étoient établis parmi les Aquitains, ou s'étoient éteintes , ou avoient adopté le langage et les mœurs du reste de la population. Ce reste ëtoit romain ou gaulois de nom , et peut-être d'origine. Il avoit con- servé la langue de Rome , non sans la corrom- pre; plusieurs des arts d'une ancienne civi- lisation, des habitudes plus efféminées, et un caractère moins belliqueux que celui des peu- ples germaniques : il se passa plusieurs siècles encore avant que cette différence de valeur s'effaçât entièrement. Les Aquitains , qui se croyoient civilisés, détestoient les Francs comme des barbares. La révolution qui avoit élevé les Carlovingiens , et qui les avoit entourés de soldats d'Austrasie, avoit donné un caractère plus germanique encore à la monarchie des France; elle avoit en même temps redoublé

(i) Charte accordée en 845 au monastère d'Alaon, note 83. A THistoire du Languedoc, T. l, p. 688.

DES FRANÇAIS. 2ol

réioignenient des Aquitains , et la préférence 7i5— 7G5. que tous les comtes , tous les riches propriétaires et les seigneurs du midi de la Loire donnoient à Waifre ou Guaifer , duc d'Aquitaine et pelit- lils d'Eudes, sur Pépin.

Waifre ou Guaifer avoit , comme son père Hunald et son aïeul Eudes , toujours regardé la maison de Pépin avec défiance; il avoit cher- ché à y fomenter des dissensions, et il avoit offert un refuge dans ses états à Grifo , le plus jeune des fils de Charles Martel , lorsque son frère Pépin Tavoit dépouillé de son héritage. Mais en 765, Grifo, appelé sans doute par le roi Astolphe , avoit quitté Toulouse pour se rendre en Italie, il espéroit trouver chez les Lombards une plus puissante assistance. A son passage dans la Maurienne , il fut surpris sur les bords de l'Arche , par deux comtes , vassaux de Pépin , qui l'assassinèrent (i). Le roi des Francs , délivré de l'inquiétude que lui donnoit son frère, ne se hâta point de témoigner son ressentiment au duc des Aquitains : il attendit d'avoir terminé la guerre d'Italie ; mais lorsqu'il se sentit en liberté, il accusa, en 760, Guaifer d'avoir usurpé les revenus de plusieurs égli- ses de France et de Septimanie; il intéressa ainsi à sa querelle le clergé dont il s'efforçoit toujours de capter la bienveillance. Il exposa

(0 Predegarii c on tin. Cap. 118*, p. 2.

'202 HISTOIRE

--Î5'7C8. donc à l'assemblée du Champ de Mai, les prélats siégeoient parmi les guerriers des Francs, que ses ambassadeurs avoient sommé Guaifer de recevoir dans les propriétés des églises de France et de Septimanie situées en Aquitaine, des juges et des exacteurs royaux que depuis long-temps on n'avoit plus voulu y admettre; de payer au roi une compensation pour tous les Visigoths que lui-même ou ses sujets avoient tués illégalement; de restituer enfin tous les fu- gitifs et les esclaves du royaume des Francs qui avoient été cherclier un refuge en Aquitaine. Guaifer avoit refusé de satisfaire à ces trois conditions, et l'assemblée, partageant le ressen- timent du roi , déclara la guerre au duc d'Aqui- taine, (i)

760— 7G8. La guerre d'Aquitaine dura neuf ans , de 760 à 768, et elle fut signalée par d'effroyables dé- vastations. Les deux capitaines ne sembloient point cbercher l'occasion de terminer leur que- relle par une bataille rangée; ils se proposoient plutôt de se forcer réciproquement à poser les armes, par la destruction de toutes leurs ré- coltes, et la ruine des paysans et des esclaves par lesquels ils faisoient valoir leurs propriétés. En 760 et en 761, Pépin consuma par le feu tout leBerri et toute Fxlu vergue; mais dans les mêmes années, Guaifer, avec les comtes d'Auvergne

(i) Fredegarii coîitln. Cap. ii\ , p. 4-

DES FRANÇAIS. j2o5

et de Bourges, pénétra en Bourgogne jusqu'à ^Go-^çb. Autun.et Châlons , dont il brûia les faubourgs ; il rendit aux Francs ravages pour ravages , et il laissa la province dans la désolation. L'un et Fautre chef, après avoir saisi tout le butin qu'il pouvoit enlever, et détruit tout le reste par le feu, loin de songer à demeurer dans le pays et à y défendre ses conquêtes, se retiroit fort en ar- rière de la Loire qui servoit de limite aux deux états , et ne prenoit aucune inesure pour garan- tir son propre territoire (i). Cependant Pépin, dans l'année 762, se rendit maître, après un siège, de la ville de Bourges et du château de Thouars ; il en releva les fortifications, il y prit des otages, et il y laissa des comtes pour lui conserver ses conquêtes et les gouverner pen- dant son absence. L'année 763 fut consacrée par Pépin à la destruction du Limousin : sa piété ne l'empêchoit point d'user de tous les droits de la guerre contre les églises aussi-bien que contre les chevaliers. « Après avoir tenu, dit (( notre ancien historien , son Champ de Mai (( auprès de Nevers , avec ses Francs et les « grands de son royaume , il passa la Loire pour c( entrer dans l'Aquitaine, et s'avança jusqu'à <x Limoges , dévastant tout le pays et faisant (c brûler toutes les villes publiques soumises à (( la domination de Guaifer. Ayant ravagé toute

(i) Fredegarli conlin. Cap. 126, p, 5.

20Z| HISTOIRE

760—^68. (c cette province et pillé un grand nombre de (( couvens , il s'avança jusqu'à Issoudun, détrui- (c sant la partie de l'Aquitaine il y a le plus « de vignes ; car dans toute l'Aquitaine, tant les ce églises que les couvens, les riches et les pau- (( vres tirent leurs vins de ce district qu'il dé- (( truisit tout entier. » (i)

Pépin continua pendant plusieurs années à détruire un pays qu'il senibloit pouvoir con- quérir : on eût dit que la haine, et non la politique, lui mettoit les armes à la main; il rejeta toutes les ouvertures de paix qui lui furent faites par Guaifer , et il parut ne vouloir se contenter de rien moins que de la ruine ab- solue de son rival. Le duc d'Aquitaine, épuisé par cette manière cruelle de faire la guerre, se vit contraint d'abandonner la défense de ses grandes villes, et d'en raser les murailles pour qu'elles ne servissent pas à son ennemi; il se i étira avec les soldats qui lui éloient demeurés plus dévoués 5 dans les châteaux forts que ses prédécesseurs avoient bâtis sur les montagnes les plus sauvages; dans ces retraites, il n'y avoit qu'un très- petit nombre d'habitans , en sorte que la garnison ne couroit pas, comme dans les cités, le risque de ;recevoir la loi des bour- geois. Pépin, profitant de cet abandon , se ren- dit maître successivement des villes de Poitiers,

i^i) f'rcdegarii contin. Cap, i3o, p. 7.

DES FRANÇAIS. ao:)

Limoges , Saintes , Périgueux et Angoulême. 760—708. Les comtes de Berri et d'Auvergne, et les Bas- ques ou Gascons, avoient donné à Guaifer des preuves de leur fidélité. Le premier fut obligé de se soumettre, le second périt dans un com- bat , les Basques furent vaincus à plusieurs reprises. En 767, pour la première fois, Pépin prit ses quartiers d'hiver au midi de la Loire , à Bourges, il séjourna avec son armée. Au commencement de l'année suivante, Remistan, oncle de Guaifer, et son plus brave capitaine, tomba dans une embuscade, et fut pendu par ordre de Pépin. Enfin le 1 juin 768, Guaifer fut assassiné dans le Périgord par ses propres satellites que Pépin avoit gagnés , et le grand duché d'Aquitaine fut réuni à la couronne. (1)

Pendant que Pépin poursuivoit la guerre en ^55— 768, Aquitaine, il maintenoit, avec la cour de Rome, cette correspondance amicale qui servoit en même temps à sa religion et à sa politique. Les lettres que lui adressoient les papes, nous ont été conservées , et nous sommes , à celte époque , tellement dépourvus d'historiens, que ces lettres sont peut-être l'écrit contemporain qui nous fait

(i) Fredegarii contin. Cap. i34, t35, p. 8. Hist. génér. du Languedoc, Liv. VIII, chap. 78, p. 425. Toutes les An- nales des Francs réunies dans le tome V de D. Bouquet , p. i3, 17, 35, 63, 69, etc., et que nous ne citerons plus séparé- ment, qu'autant qu'elle» contiendront des faits qu'on ne trouve pas dans les autres.

2o6 HISTaïKE

;G8. le mieux connoître le siècle et les hommes. As- tolphe 5 roi des Lombards, étoit mort en 766 d'une chute de cheval , à la chasse , une année après avoir signé la paix que lui a voit imposée Pépin, et en avoir exécuté les conditions en- vers l'Église. Le pape Etienne II rendit compte de cet événement au roi des Francs, dans le langage que la cour de Rome a le plus souvent em. ployé en parlant de ses ennemis, ce Ce tyran , (( dit le pape, ce partisan du diable, Astolphe, (( cedévorateur du sang des chrétiens, ce des- i( tructeur des églises de Dieu , frappé par un <( coup de la vengeance divine, a été plongé <x dans les gouffres de Fenfer. Les Lombards ce ont choisi pour leur roi Desiderius ou Didier, ce homme d'une grande douceur, qui a promis , c( sous serment , de rendre à saint Pierre le reste (C des villes que nous réclamons , savoir, Faenza , <( Imola, Ferrare et leurs territoires; les sa- c( Unes du bord de la mer, Osimo, Ancône, ce Humane , et même la ville de Bologne, avec ce tout son district (i). » On voit que les ac- quisitions qu'a voit faites le saint-père ne ser- voient qu'à augmenter en lui l'ambition d'éten- dre plus loin ses frontières.

Mais Etienne II mourut le 24 avril 757, peu de mois après Astolphe. Son frère, Paul P% lui

(i) Codex Carolinus. Epist. 8, Script, franc, T, V, p. 499'

DES FRANÇAIS. Q07

fut donné pour successeur (i), et celui-ci ne 755—768. tarda pas à renouveler contre Didier les plaintes qu'Etienne a voit si souvent portées contre As- tolphe. Il Faccusa d'avoir ravagé laPentapole, d'avoir conclu une alliance avec l'empereur grec, pour recouvrer Ravenne,etil avertit Pépin de ne donner aucune croyance à d'autres lettres qu'il lui avoit aussi écrites, et par lesquelles il lui demandoit défaire relâcher les esclaves lom- bards. Celles-ci, lui disoit-il , n'étoient qu'une ruse à laquelle il avoit recouru pour entrer en communication avec laFrance. En effet, il nous est demeuré une autre lettre écrite le même jour par Paul P"" à Pépin, dans laquelle, en parlant du roi des Lombards, il ne l'appelle plus rimpie et cruel roi Didier, mais son fils chéri y le très ^excellent roi ^ qui venoit de se rendre en toute humilité aux pieds du prince des Apôtres (2). Mais jusqu'à la mort de Paul P^ , survenue seulement le 28 juin 767, Pépin fut trop occupé dans les Gaules, et surtout par la guerre d'Aquitaine, pour conduire de nouveau une armée en Lombardie ; aussi se contenta- t-il d'envoyer à Rome quelques commissaires qui reconnurent les ravages causés par les Lom- bards, et en obtinrent la compensation. (5)

(i) Codex Carol. Ep. 1 5 et 22 , p. 5oo.

(2) Ihid. Ep. i5 et 29, p. 5o5 , 5o6.

(3) Ihid. Ep. 21 , p. 521.

2o8 HISTOIRE

-768. Ces papes, que les Francs regardoient alors comme les oracles de la Divinité , dont ils re- cevoient les ordres avec tant de respect, et pour l'amour desquels ils avoient bouleversé le droit public, en dépouillant avec une égale injustice les Grecs et les Lombards des pro- vinces qui appartenoient aux uns par héritage, aux autres par conquête ; ces papes n'inspiroient point la même vénération aux Italiens plus rap- prochés d'eux , et le Dieu de la Gaule étoit élevé sur son autel , ou abattu par les factions de la ville de Rome ou des provinces voisines. Ces factions ne nous sont qu'imparfaitement con- nues ; nous voyons seulement que l'une étoit romaine et l'autre lombarde; qu'à la tête de la première étoit un duc de Népi, qui par la force des armes fit élire pour pape, à la fin de juin 767, son frère Constantin, dont nous avons, dans le Code Carolin, deux lettres adressées à Pépin; qu'à la tête de la seconde, soiis l'in- fluence du roi Didier , étoit le duc de Spolète,

„68. qui, le 28 juillet 768, s'empara de Rome à main armée, fit aveugler le pape Constantin, et installer à sa place Etienne III. Il est assez remarquable que l'Église s'étant , durant tout ce siècle , déclarée ennemie des Lombards , ce soit cependant le pape élu par les Lombards, qui, seulement parce qu'il demeura victorieux, soit considéré comme orthodoxe; tandis que le

DES FRANÇAIS. 209

romain Constantin est entaché des noms de ,68. schismatique et d'anti-pape. Aux yeux des écri- vainsecclésiastiqnes, cette décision de la fortune, après que Constantin eut été treize mois à la tête de rÉglise romaine, a justifié son supplice; ils le rapportent sans horreur, quoique ce malheu- reux, de la main de qui le pape son successeur, et tous les évêques qui le condamnèrent avoient reçu la communion , éprouvât des tourmens quW devroit épargner aux plus grands crimi- nels. Ses frères avoient déjà péri par les mains du peuple. Son grand- vicaire, Tévêque Théo- dore , auquel on avoit arraché les yeux et la langue, avoit été jeté au fond d'une tour on Favoit laissé périr de faim et de soif. Le pape Constantin, auquel la populace avoit déjà arraché les yeux, fut alors traduit devant le pape Etienne III et ses évêques assemblés en concile. Constantin, prosterné en terre, recon- nut qu'il étoit indigne du souverain pontificat; il affirma qu'on lui avoit fait violence pour le lui faire accepter , et il se soumit à la pénitence qu'on voudroit lui imposer. Comme ces réponses ne donnoient pas assez de prise contre lui, on renvoya son examen au lendemain. Dans cette seconde séance, Constantin essaya de se justi- fier, en rapportant de nombreux exemples de laïques, qui, comme lui, avoient reçu tous les ordres en un même jour, et avoient été élevés TOME H. i4

2fO HISTOIRE

;G8. aussi rapidement que lui à répiscopat. Alors, les prélats assemblés en concile , et présidés par le pape, n'eurent pas honte d'oublier leur qualité de juges, de se jeter sur Constantin, et d'accabler de soufflets, de leurs propres mains, la tète aveugle du vieillard que peu de jours auparavant ils avoient adoré , de qui plusieurs a voient reçu les dignités dont ils étoient revêtus, et de qui tous avoient reçu la communion (i). Le cardinal Baronius remarque seulement que cette sévérité inusitée étoit sans doute néces- saire pour éviter le retour d'un si grand dés- ordre.

Le nouveau pape, Etienne III, se hâta d'é- crire à Pépin pour lui rendre compte de cette révolution et s'assurer de sa protection. Mais le second de ses chanoines , Sergius , qu'il lui en- voya, n'arriva en France qu'après que Pépin avoit cessé de vivre. Cent jours seulement après la mort de son antagoniste, Guaifer , duc d'A- quitaine, le roi des Francs avoit été atteint à Saintes, d'une hydropisie. Vainement il s'étoit fait transporter d'abord au tombeau de saint Martin, à Tours, ensuite à celui desaint Denis, près de Paris, pour obtenir leur intercession en sa faveur ; vainement il avoit distribué aux pauvres , et surtout aux religieux, d'abondantes

(i) Anastasii BihUothecarilvita Stephani IK,l^. I74; i?^* Baronii Annal, eccles. Ann. 768, 769.

DES FRANÇAIS. 21 I

aumônes, dans Fespoir d'en être récompensé 7G8. par un miracle; il sentit enfin que sa mort ap- prochoit ; alors il partagea son royaume entre ses deux fils , Charles et Carloman ; puis il ex- pira le 18, ou selon d'autres j le 24 septem- bre 768. (i)

Après avoir régné onze ans comme maire du palais , et seize ans comme roi , Pépin disparoît de nos yeux , sans laisser aucune image précise dans notre souvenir. Pendant son règne , la France fut absolument sans historiens. On a ras- semblé , pour éclairer cette période, quinze ou seize chroniques , toutes anonymes , toutes d'un laconisme qui accorde rarement plus de deux ou trois lignes à chaque année. Par leur moyen on peut assigner avec assez de précision la date des événemens; mais il est impossible de distinguer leurs causes ou leur nature. Ces chroniques sont toutes écrites avec un sentiment d'obéissance et de respect pour le pouvoir existant , mais avec une telle absence de mouvement et de chaleur, que le mal et le bien, la vertu et le crime, semblent absolument indifférens à leurs auteurs. Dans aucune, on nesauroit découvrir nn signe de regret pour la race mérovingienne, de répugnance à l'usurpation de Pépin, ou d'enthousiasme pour le nouveau monarque. Le plus souvent, les moines qui paroissent les

(r) Fredegarii çofUifi. Cap. i36, iSy, p. 8, 9,

2 12 HISTOIRE

:^s. avoir composées semblent s'être copiés l'un l'autre avec une minutieuse exactitude. Cepen- dant les versions diverses ont été recueillies et comparées , pour y chercher si par hasard un mot échappé à l'un des auteurs , un adjectif ajouté à une phrase , donneroit une lueur de plus sur quelque événement ou quelque carac- tère. Dans ces chroniques, la nation et le roi disparoissent également; on ne voit pas mieux ce qu'étoient les Champs de Mars et de Mai, les grands , les prélats , les soldats , le peuple entier des Francs, que ce qu'étoient les princes. Nous ne chercherons point à suppléer par des con- jectures au silence de nos guides ; car c'est aussi une partie des vérités historiques qu'il est es- sentiel de connoître , que de distinguer les temps sur lesquels on ne sait rien.

Les légendes elles-mêmes nous présentent moins de ressources pour connoître le règne de 552—768. Pépin 5 que pour celui de ses prédécesseurs. Le nombre des saints diminuoit; saint Boniface, évêque de Mayence , et saint Othmar, abbé de Saint-Gall, sont les seuls contemporains dont l'histoire paroisse avoir quelque authenticité. Le premier périt en 7^5 , chez les Frisons qu'il vouloit convertir; le second fut victime, en 761, des persécutions de son supérieur, Tévêquede Constance (i). Mais les miracles ne diminuoient

(1) Annahs écoles. Baronii, ann. 755, 759, p. 233, 245,

DES FRANÇAIS. 2l5

point avec le nombre des saints; ceux qu'on 752—768. racontoit d'eux de leur vivant , étoient bien peu de chose à côté de ceux qu'on attendoit de leurs cendres après leur mort. Les uns et les autres sembloient avoir uniquement pour but de protéger la juridiction ou les propriétés ec- clésiastiques , et les avantages du clergé.

Le pape avoit accordé à Pépin le droit de re- tenir quelques biens des églises, moyennant un cens annuel. La cour de Rome , qui avoit alors besoin de protection , transigeoit ainsi sur des intérêts moins importans ; mais les saints, ou les desservans de leurs églises qui les fai- soient parler, paroissent avoir été moins endu- rans. Pépin voulut recouvrer , d'après la concession de Rome, la terre d'Anisiac , de l'évêché de Loudun , que saint Rémi avoit donnée à l'église de la Vierge : dans cette vue il vint coucher au château mais comme il y dormoit, saint Rémi, à ce qu'assure son biogra- phe , s'approcha de lui et lui dit : (( Que fais-tu (c ici? pourquoi es-tu entré dans cette maison , (( qu'un homme plus dévot que toi m'a donnée, (( et que j'ai donnée à mon tour à l'église de la « mère de Dieu? » En même temps il le frappa

T. IX. —Vita sancti Bonifacii à Willihaldo preshyt. p. 424* t^ita sancti Othmari ahbat. in actis SS. ordin. Benedict. p. n , sœcul. 3, p. i55. -^ Pagi critica inAnnalçs. T. UIj §.9-18, p. 297.

2l4 HISTOIRE

752-7(;8. si rudement cle sa discipline, que les meur- trissures en demeurèrent long-temps sur le corps du monarque. Saint Rémi disparut, mais Pépin fut atteint d'une fièvre violente qui ne le quitta point , après même qu'il eut renoncé à l'acquisition d'Anisiac. C'est ainsi , ajoute Baro- nius, (c que Dieu voulut corriger son fils , parce (( qu'il l'aimoit. Une pareille punition ne seroit (( point tombée sur un sacrilège obstiné; car (( Dieu, comme un bon père, n'étend sa disci- (( pline que sur ses enfans. » (i)

Les invasions des Lombards avoient engagé le pape Paul à transporter dans l'enceinte de Rome et dans l'église de Suint-Sylvestre, les corps des martyrs qui étoient demeurés déposés dans des lieux ouverts : cette translation , faite avec une grande pompe en 761 , et sous la sanction d'un concile provincial assemblé à Rome (2) , donna une ardeur nouvelle au culte des reliques. Les Eglises de France et d'Allema- gne firent demander à Rome les corps des saints dont elles vouloient orner leurs sanctuaires. Chrodogang, évêque de Metz, vint lui-même en 764 en Italie, pour y faire cette récolte pieuse, et les chroniques des villes et des monastères,

(i) Baronit Annales eccles. 760, T. IX, p. 247. Hinc- marus de vita et miraculis sancti Remigii. T. V, p. 432.

(2) Baronii Ann. 761 , T. IX, p. 248. Pagi crit. 'jôi , §. I , p. 3i3.

DES FRANÇAIS. 2l5

lout comme les vies des saints, nous montrent :52_7C8. la France constamment occupée, à cetle époque, des processions par lesquelles on accueilloit ces objets d'un culte nouveau (i). Quelques-unes de ces légendes font mention de Pépin; elles le montrent toujours animé d'un zèle religieux digne de celui avec lequel il transféra aux évêques presque toute l'autorité législative ^ et s'engagea dans toutes ses guerres d'après les conseils du clergé. Dans la translation des reli- ques de saint Austremon, Pépin, la couronne en tête, et revêtu de pourpre, accompagné par tous ses courtisans en habits de fête, marclioit devant l'arche qui portoit les reliques dans un couvent d'Auvergne; et, comme un nouveau David, tour à tour il dansoit devant cetle arche, ou bien il en soutenoit le poids sur ses épau- les (si). Dans la translation des reliques de saint Germain, évêque de Paris, à laquelle Pépin' assistoit aussi en 7^4, les historiens sacrés as- surent que jamais les évêques ou les moines ne purent soulever le cercueil qu'il s'agissoit de transporter, jusqu'à ce que Pépin eût accordé au couvent du saint sa maison de campagne de Palaiseau, qui étoit située dans le voisinage (5).

(i) Baronii Ami, ^64, T. JX, p. 266. Pagi critica , §. r et 2 , p. 3i8.

(2) Secunda sancli Austremonii iranslatio. T. V, p. /p3.

(3) Translatio saricti Germani. Acta SS. Bencdict. ord. p. , sœc. 3, p. 91, Scr. franc, p. 426.

2l6 HISTOIRE

Il ne sembloitpas nécessaire de recourir à. ces grossiers artifices pour engager Pépin à enri- chir l'Eglise. Tout ce que nous savons de lui nous le montre comme y élant assez disposé de lui-même ; dix-neuf diplômes de ce roi , qui nous ont été conservés, ont tous pour objet d'accorder des terres ou des immuni- tés à divers couvens, surtout à celui de Saint- Denis (i) ; et le premier des rois carlovin- giens 5 quelques doutes que nous puissions d'.ûl- leurs entretenir sur sa politique ou son carac- tère, ne peut jamais paroître à nos yeux que comme un serviteur zélé, et un bienfaiteur li- béral de l'Eglise.

(i) Diplomata Pippini régis. T. V, p. 697-711.

DES FRANÇAIS. 217

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CHAPITRE II.

Commencemens du règne de Charlemagne^ jus* qu'à sa victoire à Buchholz ^ et à la conquête de la Saxe, 768 789.

Nous arrivons enfin à une époque illustrée par l'un des plus grands caractères qu'ait produits la France au moyen âge, par un monarque dont les victoires changèrent la face de l'Europe , et donnèrent à sa nation une prépondérance qu'elle n'a voit point atteinte dans les trois siècles qui le précédèrent 5 qu'elle ne recouvra plus dans les dix siècles qui se sont écoulés depuis, jus- qu'aux temps que nous avons vus nous-mêmes. Charlemagne , réclamé par l'Église comme un saint, par les Français comme leur plus grand roi, parles Allemands comme leur compatriote, par les Italiens comme leur empereur, se trouve en quelque sorte en tête de toutes les histoires modernes; il est l'auteur d'un nouvel ordre de choses , qui , sous plus d'un rapport , s'est con- servé jusqu'à nous.

Les capitulaires publiés par Charlemagne , et les divers corps de lois des peuples germani- ques, qu'il eut soin de recueillir et de sanc-

!il8 HISTOIRE

tionner de nouveau , lui assignent un rang dis- tingué parmi les législateurs. Les lettres lui durent la fondation de nombreuses écoles; les poésies nationales des Francs , qui n'étoient guère que des chansons guerrières, furent re- cueillies par ses ordres; tout semble commencer avec lui , et les monumens historiques , si rares pendant toute la première moitié du moyen âge , jettent sur son règne ime lumière beaucoup plus vive que sur les temps qui le précèdent et sur ceux qui le suivent. Un historien contem- porain 5 admis à sa cour et rapproché de sa per- sonne, nous a laissé un portrait de son carac- tère et un précis de son règne ; il est renfermé dans un petit nombre de pages , il est vrai ; mais ces pages sont écrites avec sentiment et avec ju- gement. La chronologie fit en même temps un pas important , par l'adoption presque uni- verselle de l'ère vulgaire, qui n'étoit j)oint en usage avant lui. Et les mêmes chroniques qui renfermoient en une ou deux lignes chaque année du règne de son prédécesseur, consa- crent tout au moins un quart de page ou demi- page in-folio , à chaque année du règne de Charlemagne. La suite des événemens, à cette époque, est donc assez bien connue. Nous nous faisons une idée assez juste de leurs causes et de leur enchaînement. Il reste , il est vrai , .tant d'obscurité sur l'état et la constitution des

é

DES TRAIS ÇAIS. 2 K)

peuples, sur la condition privée des citoyens; nous nous représentons si mal i'aspect du pays et de la société , à dix siècles en arrière de nous , d'autant plus qu'une moitié de ces dix siècles est enveloppée d'ombres épaisses, que les faits liistoriques eux-mcmcs, que nous croyons le mieux connoîlre , donnent lieu sans cesse à des illusions ou à des erreurs.

Charles ne succéda point immédiatement à '^^• tous les états qu'avoit gouvernés son père. Il étoit l'aîné des deux fils de Pépin , et il pou voit alors être âgé de vingt-six ans; l'âge de Carlo- man son frère est incertain. Pépin , voulant sans doute leur assurer les fruits de sa propre usur- pation, s'étoit hâté, dès l'an 7^4, de les foire couronner par le pape Etienne II. Ils portoient dès lors le titre de rois ; ils y joignoient encore celui de patrines des Romains, qu'ils dévoient à une concession d'Etienne , quoique le pape n'eût aucunement le droit de disposer de cette dignité impériale. Pépin, en mourant, appela également ses deux fils à la succession , et il par- tagea entre eux la monarchie dont il s'étoit rendu maître. Dans ce but, il avoit rassemblé à Saint- Denis, peu de jours avant sa mort, tous les grands de l'état. On y voyoit les ducs et les comtes des Francs, avec les évêques et le* pré- lats des villes; tous furent consultés, et don- nèrent leur consentement au partage qui fut

220 HISTOIRE

arrêté ; sans cloute aussi ils le confirmèrent par leurs sermens. Comme ses prédécesseurs , Pepiii ne chercha point à donner aux états de ses deux fils une consistance qui pût les rendre indépen- dans l'un de l'autre. Il les accolla au contraire Ion- gitudinalement, dételle sorte que chaque prince réunît dans ses domaines les avantages des cli- mats du Nord aux jouissances des climats du Midi. L'Occident fut assigné à Charles, et l'Orient à Carloman. Le royaume du premier s'étendit de la Frise j usqu'aux Pyrénées, au travers d' une par- tie de l'Austrasie, delaNeustrie etdel'Aquitaine; celui du second , de la Souabe et du Rhin jusqu'à la mer de Marseille , et il comprit l'Alsace et l'Hel- vétie, la Bourgogne et la Provence (i). Ce par- tage ayant été suivi de près parla mort de Pépin , les deux frères furent couronnés le même jour , au milieu de leurs féaux , qui les reconnurent pour rois, le dimanche 9 octobre 768; Charles à Noyon, et Carloman à Soissons. (2)

L'inégalité de partage entre les fils , qui est aujourd'hui demeurée dans nos mœurs comme une conséquence du régime féodal , et qui est si chère à ceux qui se disent les champions des anciens usages, étoit également contraire aux opinions et aux senlimens des conquéi-ans du

(i) Capitulariareg. franc, T. I,p. 187-188. (2) Pagi critica chronoL aun, 768 ; §. 6; p. 329. Annal metens, p. 359.

DES TRANÇAIS. 221

Nord qui fondèrent ce régime. Ils ne pouvoient :G8. se résoudre à sacrifier un de leurs fils à l'autre, et à mettre les cadets dans la dépendance de l'aîné. Comme ils confondirent en toute occasion lesdroitsdepropriétéavecceuxdesouveraineté, ils étendirent jusqu'à la succession à la cou- ronne ce système de partage égal, quiétoit juste et avantageux quand on l'appliquoit au patri- moine d'un particulier, qui étoit absurde et ou- trageant pour le peuple, quand on l'étendoit jus- qu'à la royauté; car celle-ci est une magistrature instituée pour le bien de ceux qui lui sont sou- mis. Les conséquences fu nés tes d u par tage de l'au- torité souveraine entre les fils d'un roi , ne réus- sirent à dégoûter les Francs de cette dangereuse pratique, qu'après quatre ou cinq siècles de révolutions et de guerres civiles ; mais lorsqu'ils y renoncèrent pour leurs rois , comme les droits de souveraineté et de propriété continuoient à se confondre à leurs yeux, ils y renoncèrent aussi pour leurs feudataires, qui étoient de pe- tits souverains; puis pour leurs gentilshommes. La même marche fut suivie par les autres peu- ples barbares ; et les lois de primogéniture , ap- pliquées à la succession des simples citoyens, peuvent être considérées comme la conséquence des troubles causés dans l'état par l'appel de tous les fils d'un roi mérovingien ou carlovin^ gien à la couronne.

:G8.

222 HISTOIRE

Ces troubles furent, en effet, la première conséquence du partage réglé par Pépin 5 et Charles se montre à nous comme mauvais frère, avant de se faire connoître comme législateur ou comme guerrier. La mésintelligence des deux princes Francs, qui se manifestoit seulement par des propos amers et des mesures quidéce- loient leur défiance, fut encore, à ce qu'on assure, aigrie par les seigneurs de leur cour qui comptoient profiter de leur discorde. Cha- cun d'eux commença son règne par un voyage autour de ses états; Charles célébra les fêles de Noël à Aix-la-Chapelle, celles de Pâques à Rouen; mais tandis que les deux frères s'éloi- gnoient, les Aquitains se flattèrent de profiter de leur désunion, (j)

Le dernier duc d'Aquitaine, Guaifer, avoit été assassiné peu de mois avant la mort de Pépin; la province qu'il avoit gouvernée étoit soumise et partagée entre Charles et son frère. Les Gascons , les plus belliqueux des peuples de cette province , avoient reconnu un nouveau duc qui leur avoit été donné par Charles ; c'é- loitLoup, fils de cet Hatton , à qui Hunold, duc d'Aquitaine, et père de Guaifer, avoit fait arracher les yeux avant de se jeter, en 74^ , dans un couvent de l'île de Rhé, pour s'y consacrer à la pénitence. Loup réunissoit ainsi, aux yeux

(i) Egmhardi Annal, ann. 768 , p. aoo.

DES FRANÇAIS. ^^^

(le Charles , les avantages d'une naissance illus- 769. Ire et chère aux Aquitains 5 avec ceux d'une inimitié bien prononcée contre Guaifer et toute sa race. Cependant le père de cekii-ci, Hunold ayant appris, après vingt-cinq ans de retraite dans un couvent , la désolation de sa famille et la ruine de son pays , se crut dispensé de ses vœux monastiques, par le devoir plus impé- rieux de la vengeance. Il rappela même sa femme auprès de lui ; il reparut en Aquitaine, etil fut bientôt secondé par tous les comtes et les chevaliers du pays, qui regardoient les Francs comme des étrangers et des barbares dont ils ii'entendoient pas la langue, et dont ils mépri- soient la grossièreté, (i)

Charles, averti de la révolte des Aquitains, rassembla son armée et marcha contre eux pour les soumettre. Il invita son frère Carloman à se joindre à lui; et les deux princes, avec leurs deux armées, ayant passé la Loire, se rencon- trèrent en Poitou, dans un lieu nommé Duas Dives. Mais la jalousie du commandement étoit plus forte en eux que l'intérêt de la guerre d'Aquitaine. Leur mésintelligenceéclataau point défaire craindre qu'ils vlqw vinssent aux mains. Enfin Carloman se retira avec ses troupes , et Charles poursuivit seul son expédition. Hunold

(1) Hist. génér. du Languedoc, Liv. VIII, cli. 76, p. 4^6, «t preuves , p. 88. Pa^i critica ad aim. 7O9 , ^. 2 , p. 329.

224 HISTOIRE

avoit sans cloute compté que leur brouillerlc auroit des suites plus sérieuses. Quand il vit les Francs approcher et entrer dans Angoulême sans éprouver de résistance , il perdit courage, ses troupes se dissipèrent sans combat, et lui- même passant la Garonne , il alla chercher un refuge chez ce duc Loup, son neveu , dont il avoit traité le père avec tant de barbarie. Charles l'y lit redemander, et Loup livra le fu- gitif, ainsi que sa femme; mais il les suivit au- près de Charles , en se constituant aussi pri- sonnier, et sans doute en intercédant pour eux. Hunold fut en effet traité avec quelque indul- gence. Il fut emmené en France ; apparemment qu'il n'y fut pas soumis à une garde bien sévère, car au bout de deux ans il s'échappa pour venir d'abord à Rome , puis auprès de Didier, roi des Lombards. Loup fut confirmé dans le gouvernement du duché de Gascogne; et Charles, après avoir bâti sur les bords de la Dordogne le fort château de Fronsac , qu'il destinoit à contenir les Aquitains dans le de- voir, repassa la Loire avec son armée (i). C'est un trait caractéristique de l'état militaire, ou delà civihsation à cette époque, que l'entre- prise de donner un frein par la fabrication

(i) Eginhardi vita Caroli Magni. Cap. V, p. 90. Ejnsd. Annal, p. 200. AnnaU meteiiscs, p. 34o. Tiliani, p. i8w f^ Loiseliard , p. 36.

DES FRANÇAIS. 2a5

d'un seul château fort, à toute une province 769. qui formoit près du quart de la France. Mais il faut se rappeler qu'après chaque expédition , le roi quitloit toujours cette province , avec toute son armée ; qu'il y laissoit seulement quel- ques officiers chargés de correspondre avec lui, et de surveiller ceux qu'il devroit punir; que toutes les fortifications des villes étoient abat- tues , que tous les lieux forts étoient ruinés, que tous les paysans et*les esclaves étoient dé- sarmés, qu'une poignée de soldats pou voit par- courir toute la province ; et qu'en cas de rébel- lion , il convenoit à cette poignée de soldats d'avoir un lieu sûr, une citadelle imprenable, elle pût se défendre par elle-même , sans avoir recours à l'assistance suspecte d'aucun Aquitain.

La reine Berte ou Bertrade, veuve de Pépin , avoit travaillé dans le même temps à récon- cilier ses deux fils, et à les maintenir en paix. Dans ce but, elle eut avec Carloman une con- férence à Saluées en 770, il paroît qu'elle réussit à apaiser son ressentiment. Bertrade ne connoissoit point encore le talent militaire que devoit déployer son fils aîné, et elle désiroit, au commencement d'un nouveau règne , surtout après avoir à peine étouffé une discorde intes- tine , préserver ses enfans d'une guerre étran- gère. Elle entreprit donc de les réconcilier aussi II. i5

20.6 HISTOIRE

770- avec ceux de leurs voisins qui avoient des mo- tifs dlnimitié contre les Francs, savoir, les Bavarois et les Lombards. Tassilon , duc des Bavarois , fils d'Odilon et d'une sœur de Pépin , avoit été forcé de reconnoitre la souveraineté des Francs; mais sa soumission blessoit égale- ment l'orgueil des Agilolfinges dont il étoit des- cendu, et celui des guerriers qui Favoient re- connu pour chef. Il avoit donné à connoître à plusieurs reprises, et' plus tard il manifesta de nouveau son inimitié pour la maison d& Pépin , à laquelle il étoit allié de si près. Ber- trade se rendit auprès de lui en Bavière, et elle rengagea à la paix, on ne sait à quelle con- dition. De elle passa en Italie pour traiter aussi avec Didier, roi des Lombards, (i)

Celui-ci, qui avoit vu son prédécesseur pres- que écrasé par la puissance du roi des Francs , désiroit bien plus encore que Bertrade, une al- liance qui lui garantît la paix sur cette frontière. L'orgueil des familles royales chez les peuples septentrionaux leur ayant fait mépriser tout mélange de leur sang avec celui de leurs sujets , on avoit commencé à chercher une sanction nouvelle pour les alliances des peuples dans les mariages de leurs rois, et l'on avoit ainsi perdu toujours plus de vue les intérêts nationaux pour

(r) Eginhardi Annal, p. 201. Pagi critica, 770, §. 5, p. 33i.

DES FRANÇAIS. 327

ne s'occuper que de ceux des fiunilles. L'expé- lience dès lors n'a pas cessé de dciuontrer , sans que les rois profitassent cependant de ses leçons, que leurs affections de famille ne sont pas celles des peuples, et que leurs mariages ne doivent ni ne peuvent faire poser les armes à des ci- toyens offensés. En mêlant les passions privées aux passions publiques, les mariages des rois furent souvent une occasion de guerre; ils ne donnèrent jamais une garantie solide ou hono- rable à la paix. Didier en jugeoit autrement- il désira unir sa famillede la manière la plus étroite il celle de Pépin ; il crut qu'il réussiroit ainsi à fondre presque en un même peuple les Francs avec les Lombards , et Bertrade entra dans ses vues.

Didier avoit un fils et une fille non mariés : il demanda pour Adalgise son lils et son succes- seur présomptif, Gisèle , sœur de Charles et de Carloman, et il offrit en retour sa fille à Fun ou Fautre de ces deux princes. Le pape Etienne III , qui régnoit alors, ne fut pas plus tôt instruit de cette négociation qu^il s'efforça de la traverser. Il écrivit aux rois Francs pour leur représenter Falliance avec les Lombards comme la plus cou- pable , la plus honteuse qu'ils pussent conclure; non-seulement parce que Fun et Fautre s'éloient déjà mariésdu consentement de Pépin leur père, et que leurs femmes étoient toujours vivantes;

228 HISTOIRE

mais, ajouloit-il , « parce que la nation des Lom- « bards ils coniptoient prendre de nouvelles (( femmes, étoit la plus perfide et la plusdégoû- (( tante des nations , celle qui avoit donné la (( lèpre à la terre, et celle qui méritoit le moins (( d'être comptée parmi les nations. » Le pape dé- clara (( qu'il ne pouvoit être permis aux princes ce Francs de prendre des femmes étrangères, de ce s'allier aux ennemis de saint Pierre auquel c( ils avoient promis d'être fidèles, et qu'ils en- ce courroient par cette action honteuse l'excom- (c munication (i). » Carloman se laissa arrêter par ces violentes invectives; il demeura attaché à Gilberga, qu'il avoit épousée depuis quelques années et dont il avoit déjà plusieurs enfans. Charles répudia une femme de la nation des Francs, dont nous ne savons pas même le nom, et dont il n'avoit point d'enfans, pour épouser Désirée, fille de Didier. Le mariage de sa sœur Gisèle paroît ne s'être point accompli , car elle finit ses jours dans un couvent. Lui-même, une année après, sans en donner de raison, répudia Désirée; et ce mariage, destiné à resserrer l'al- liance des deux familles et des deux nations , devint entre elles, au contraire, un sujet d'of- fenses mutuelles, de haine et de vengeance. (2)

(i) Codex Carolinus. Ep. 45, S cr. franc, p. 54 1. (2) Eginh. vita Caroli. Cap. 18, p. 96. Baronii Annal, eecles. ami. 770, p. 3oo. Pngi crilica, ann. 770, §. 5,

DES FRANÇA IS. 229

A Fexemple de son père, Charles, dès le com- mencement de son règne, assembla les états de la nation, et nous avons de lui un capitulaire que l'on croit publié au Champ de Mai de l'an- née 769, on ne sait en quel lieu. Dans ce pre- mier capitulaire on peut remarquer encore Vin- fluence des ecclésiastiques appelés par Pépin au grand conseil de la nation. 11 se compose presque uniquement de lois sur la discipline ecclésiasti- que , sur les mœurs , sur celles des prêtres en par- ticulier, que l'article 5 prive du sacerdoce, lors- qu'ils ont plusieurs femmes, ou lorsqu'ils répan- dent le sang des chrétiens, car alors, dit le législa- teur, ils sont pires que des séculiers. L'article la répète l'obligation imposée aux laïques de se trouver deux fois par année au mallum ou as- semblée nationale (i), tandis que les articles

p. 33i. Muratori, je ne sais sur quelle autorité, suppose deux fiHes de Didier, offertes aux deux rois des Francs. {Annati d'Jtalia, aun. 770, p. 232.)

(i) Le Capitulaire ne fait point mention de la nature de ce mallum, qui étoit en même temps une assemblée législative, judiciaire et militaire. Tous les procès se lermiuoient au mallum , chaque citoyen étoit consulté pour dire la loi qui à sa connoissance devoit décider chaque question. Mais tandis que les grands seigneurs se rendoient presque seuls au mallum ou placita majora de tout le royaume , la masse des hommes libres se contenloit d'assister au mallum ou placita minora du comte, du centenier , du gouverneur de chaque district, pour régler les affaires provinciales et rendre la justice. (Meyer, Esprit des Instit. judiciaires , Liv. II , ch. 9 et 10, p. 35o. )

Proprement, l'assemblée nationale ou celle du comté s'ap-

s5o HISTOIRE

I et 3 interdisent aux ecclésiastiques de fréquen- ter les armées. Charles ne repoussa point les prélats des assemblées nationales; toutefois il est évident qu'ils eurent moins d'influence sur leurs décisions pendant son règne que pendant celui de son père. Il faut sans doute l'attribuer à ce que les Champs de Mai de Charles furent presque toujours des revues de son armée qu'il faisoit sur le territoire ennemi. L'entrée en étoit toujours libre aux prélats comme aux sol- dats 5 mais de même que sous le règne de son père et sous celui de son fils, les guerriers se dégoûtèrent d'assemblées l'on ne parloit que de théologie et de discipline ecclésiastique, de même sous le règne de Charles, les prélats se fatiguèrent de suivre Farmée dans les déserts de la Germanie et en présence des ennemis, pour y délibérer sur les affaires de l'Église, au milieu des soldats, (i)

Ce fut dès le commencement de l'année 771 , que Charles renvoya Désirée, et qu'il épousa Hildegarde, femme d'une naissance distinguée de la nation des Suèves, qui vécut treize ans

pelolt mallum, quand elle étoit convoquée pour rendre la jus- tice , et herihaiminn , quand elie étoit convoquée pour la guerre^. Mais la défense intérieure et extérieure de la société, confiée également à tous les citoyens , et administrée d'après les mêmes principes , se confondoit sans cesse aux yeux des Germains.

(i) Capitul, reg.francor, T. I, p. 189.

DES FRANÇAIS. 23l

avec lui, à ce que nous apprenons par son épi- taphe , et qui mourut le 3o avril 783. Les écri- vains ecclésiastiques se sont épuisés en conjec- tures pour découvrir les causes légitimes d'après lesquelles Charles put répudier sa première , puis sa seconde femme; ils se trouvent pressés entre des faits contraires aux lois , et la réputa- tion du saint roi, ou le respect de l'Église pour sa propre discipline. Mais il est impossible de réconcilier les mariages de Charles, les quatre femmes et la concubine que nous luiconnois- sons au commencement de sa vie, les qualre concubines qu'il prit ensuite en même temps, avec aucune des lois de FEglise; et l'on ne peut guère douter que les prêtres et le pape lui- même, trop heureux de trouver un roi qui protégeoit avec tant de vigueur l'orthodoxie et le saint siège , ne fermassent les yeux sur des désordres qu'ils punirent ensuite comme des crimes chez des princes plus foibles. (1)

La même année, Carloman, frère de Charles, tomba malade, et il mourut le 4 décembre, dans son château de Saumonci , près de Laon , api es avoir régné trois ans et deux mois, sans faire rien de remarquable, ou dont le souvenir se soit conservé jusqu'à nous. Il fut enseveli à Reims. A cette nouvelle, Charles se hâta de se

(i) Eginhardi vita Caroîi Magni. Cap. i8, p. 96. Pagi crilica, §. 1,2, 3, p. 552.

2:>2 HISTOIRE

rendre au château de Carbonac, dans les Ar- dennes, il convoqua les comices nationaux de cette partie de la France qui avoit été assi- gnée à son frère. Plusieurs des prélats , des comtes et des seigneurs qui avoient été attachés à Carioman, se rendirent en effet auprès de lui; et parmi eux on compte son cousin Adelliard , jeune homme âgé alors de vingt ans , fils de Ber- nard , frère naturel de Pépin. Ce même Adel- hard , depuis ahbé de Corbie et canonisé comme saint, eut, près d'un demi-siècle plus tard , une grande part aux troubles du royaume. A cette époque il reconnut avec l'assemblée de Carbo- iiac, Charles comme successeur de son frère, et seul chef de la monarchie française ; mais d'autres seigneurs de la France orientale s'atta- chèrent à Gilberga, veuve de Carioman, à ses deuxenfans , dont l'aîné, Pépin , leur paroissoit le successeur légitime de son père ; et comme ils furent sans doute menacés de quelque violence , Gilberga , ses enfans , et les grands qui s'étoient attachés à elle, s'enfuirqnt auprès de Didier, roi des Lombards, qui leur accorda un asile en Italie, (i)

Jusqu'ici, Charles n'avoit rien fait qui le si- gnalât, aux yeux de ses compatriotes, comme plus digne d'amour ou de respect qu'aucun de

(i) Eginhardi Annal, p. 2or. Annal, nietens. p. 54o. Annal, fuldens. p. 328.— Pagrt critica, §. 5, p. 334-

DES FK ANC Aïs. 253

ses prédécesseurs. Ses mariages et ses divorces, 7:»- ses brouiileries avec son frère , et son injuste occupation de l'iiérilage de ses neveux, ne raon- troient en lui qu'un homme abandonné à ses pussions, et qui, depuisqu'il étoit roi, se croyoit au-dessus des lois. Mais vers cette époque com- mença la longue et terrible guerre qu'il soutint contre les Saxons, pendant la plus grande partie de son règne; guerre qui développa la première ses talens militaires, qui le rendit cher à la na- tion et à ses soldats , qui accoutuma les Francs à se considérer de nouveau comme un seul peu- ple , et qui les engagea à corriger dans leur con- slitulion politique ce qui paroissoit nuire à la rapidité de leurs décisions ou à leur vigueur.

Les Saxons que Pépin et Charles Martel avoient déjà combattus, que Charlemagne devoit combattre long-temps encore , étoient divisés en Ostphaliens à l'orient, en Westphaliens à Foc- cident, et Angariens au milieu. Leurs frontières septentrionales s'étend oient jusqu'à la mer Bal- tique, les méridionales jusqu'au royaume des Francs. Comme les autres peuples germani- ques, et comme les Francs eux-mêmes, au moment i!s conquirent les Gaules, ils n'é- toient pas soumis à un seul maître, mais à autant de chefs ou de rois qu'ils comptoient de cantons, ou presque de villages (i). Ils tenoient

(i) Poetœ saxonici Annales Caroli Magni. Llb. I, v. ^Oy p. i36.

254 HISTOIRE

chaque année sur les bords du Weser, une diète générale ils discutoient leurs affaires pu- bliques. Dans une de ces assemblées , probable- ment en 772, le prêtre saint Libuin se présenta à eux , et les exhorta à se convertir à la foi chré- tienne , leur annonçant en même temps Tatta- que prochaine du plus grand roi de TOccident , qui bientôt ravageroit leur pays par le glaive , le pillage et l'incendie , et qui en extermineroit la population pour venger la divinité. Il s'en fallut peu que l'assemblée des Saxons ne mas- sacrât le saint qui venoit l'aborder avecde telles menaces. Un vieillard cependant le prit sous sa protection; il représenta à ses compatriotes que le prêtre étoit l'ambassadeur d'une divi- nité étrangère et peut-être ennemie; que de quelque langage offensant qu'il fît usage en dé- livrant son ambassade, ils dévoient respecter en lui les franchises d'un ambassadeur. En effet, les Saxons s'abstinrent de châlier les provoca- tions de saint Libuin ; mais en haine de ce Dieu dont il leur portoit les menaces, ils brûlèrent l'église de Daventer qu'on venoit de construire, et ils massacrèrent les chrétiens qui s'y trou- voient rassemblés, (i)

Pendant le même temps les comices des Francs, présidés parCharles,étoient assemblés à Worms; ils considérèrent le massacre des chrétiens de

(i) Sajicti Libuini vita , apiid Pagi crit. 772, §• 5 , p. 336.

DES FRANÇAIS. 235

Daventer comme une provocation , et ils décla- rèrent la guerre aux Saxons. L'assemblée du Champ de Mai étoit en même temps pour les Francs une diète et la revue de l'armée; celle de Worms se trouva prête à entrer aussitôt en campagne; elle suivit Charles dans le pays des Saxons, et le ravagea par le fer et le feu. Charles, dans cette campagne, prit le château d'Ehresburg( aujourd'hui Stadbergen dans Té- vêché de Paderborn ) , et renversa l'idole que les Saxons appeloient Hermansul (i). Cette idole, honorée à Merseburg, semble avoir été d'abord une colonne ou monument élevé en l'honneur de toute la nation Germanique { Her- man - Saule ). Elle étoit revêtue d'armes dé- fensives ; de sa main droite elle portoit un dra- peau sur lequel on voyoil une rose ; de sa gau- che une balance; sur son bouclier un lion com- mandant à d'autres animaux; à ses pieds un champ semé de fleurs. On expliquoit tous ces

(i) Eginhardi Annal, p. 201. Herma?i, qui depuis est de- venu le nom d'un homme ou d'un dieu, esl probableinent le nom même du peuple germain. «Jaw/e signifie également co- lonne ou statue. Dans la rudesse de l'art, la colonne du Ger- main, qui n'étoit point sculptée, étoit le seul monument na- tional j mais les Germains apprirent depuis à imiter la figure humaine, et Herman saide devint la statue d'Herman.

Le nom même d'Heer-man a signifier homme d' armée ^ homme de guerre ; si les Germains l'adoptèrent pour leur nom national , c'étoit à cause de leur respect pour la valeur. Ils étoient avant tout hommes d'armée.

25G HISTOIRE

symboles comme se rapportant aux joies et h la courte durée de la gloire militaire (i). L'ar- mée occupée à renverser ce monument, fut pendant trois jours tourmentée de la soif; lors- que ensuite elle découvrit une source abon- dante , elle crut voir dans cet événement une intervention miraculeuse de la divinité ; et après s'être fait livrer douze otages par les Saxons, elle revint sur le Weser, persuadée qu'elle avoit servi Dieu contre ses ennemis, et qu'elle en avoit été récompensée par un pro- dige. (2)

ce La guerre que Charles commença alors « contre les Saxons, fut la plus longue, nous (( dit Eginliard , son historien , la plus cruelle « de celles qu'il entreprit, et celle qui fatigua ce le plus son peuple. Car les Saxons , comme ic presque toutes les nations qui habitoient la (( Germanie , étoient d'un naturel féroce, et (( adonnés au culte des démons (c'est-à-dire (( au paganisme). Ennemis de notre religion, c< ils ne croyoient pomt déshonnéte de souiller (( ou de transgresser les droits divins et hu- (( mains. D'autres causes , d'ailleurs , pouvoient (( chaque jour troubler la paix. Nos frontières <( rencontroient les leurs presque toujours dans

(0 Spelman. in Irminsul. Pagi critica , §. p- 336. {2) Eginhardi Annal, p. 201. Poeta saxon, p, i37- Ann. fuldens, p, 328. Ann, rnctms, p. 34o.

DES FRANÇAIS. n'^'j

(c des plaines ouvertes, à la réserve d'un petit (c nombre d'endroits d'épaisses forêts et des « montagnes séparoient nos limites. Ces plaines « étoient sans cesse exposées au carnage , aux (( rapines , aux incendies des Saxons. Aussi les (c Francs en étoient tellement irrités, que non- ce seulement ils leur rendoient la pareille, mais ce qu'ils crurent de leur dignité d'entreprendre ce contre eux une guerre ouverte. Cette guerre , c( commencée de part et d'autre avec beaucoup ce d'animosité, se continua pendant trente-trois ce ans, avec plus de dommage encore pour les « Saxons que pour les Francs. Elle auroit fini ce plus tôt , si la perfidie des Saxons l'avoit per- ce mis. On ne sauroit dire combien de fois ils furent vaincus, combien de fois ils se ren- « dirent en supplians au roi , promettant de e< faire ce qui leur étoit ordonné , livrant sans ce retard eles otages , et recevant nos ambassa- ee deurs. Quelquefois ils étoient tellement domp- ce tés et abattus , qu'ils promettoient même ce d'abandonner le culte des démons, et de se ce soumettre à la religion chrétienne. Mais s'ils ce paroissoient quelquefois enclins à le faire , ce on les retrouvent bientôt après empressés à ce détruire ce qu'ils avoient fait , en sorte que ce on ne sauroit élire auquel des deux partis « ils se montrèrent plus faciles. A peine , en ee effet , depuis le commencement de la guerre

^38 HISTOIRE

« y eut-il une année qui ne fût marquée par c( Fun de leurs changemens. Mais la grandeur (c d'âme du roi, et sa constance dans la bonne (c ou la mauvaise fortune, ne purent jamais être (( vaincues par leur légèreté ; jamais il ne se (( rebuta de ce qu'il avoit commencé. Jamais il c( ne laissa aucun de leurs outrages impunis , (( jamais il ne négligea, ou de conduire lui-même (( une armée conire eux, ou de l'envoyer sous « les ordres de ses comtes, pour venger leur (C perfidie, et leur infliger la peine qu'ils avoient ce méritée. Ayant enfin défait tous ceux qui (C avoient coutume de lui résister, et les ayant (C réduits en sa puissance, il fit enlever dix mille c( hommes de ceux qui habitoient l'une et l'autre <( rive de l'Elbe, avec leurs femmes et leurs en- ce fans, et il les distribua en divers lieux de la ce Gaule et de la Germanie. Ce ne fut qu après ce leur avoir imposé et leur avoir fait accepter ce cette condition, qu'il termina enfin une guerre ce continuée pendant tant d'années. Les Saxons ce renoncèrent au culte des démons et aux céré- ce monies de leurs pères; ils embrassèrent la (C foi chrétienne et les sacremens de la reli- ce gion, et, se mêlant aux francs , ils ne for- ce mèrent plus avec eux qu'un seul peuple. » (i) Eginhard, à qui nous avons emprunté ce fragment, pour faire connoître les opinions qui

(i) Eginhardl vita Caroli Magtii. Cap. 7, p. 91.

DES FRANÇAIS. 2^9

régnoient à celte époque, et le point de vue ::2, iVoiiVon considéroit les faits, étoit originaire de la France orientale , et avoit été élevé à la cour de Charles , dont il fut long-temps le secré- taire ou chancelier. Il aimoit le héros dont il parle, et le sentiment qu'il exprime nous donne un moyen de le connaître, tandis que toutes les chroniques auxquelles nous avons été et nous serons long-temps encore réduits, ne nous don- nent qu'une chronologie morte; les événemens s'y suivent sans s'y enchaîner, et en chargeant notice mémoire de faits, elles n'excitent pas une pensée. Malheureusement l'écrit d'Eginhard , qui renferme toute la substance de ce que nous savons sur Charlemagne, est bien court; dans l'édition de D. Bouquet, il est renfermé dans quinze pages.

Après sa victoire à Ehresburg, Charles fut 77!^, détourné quelque temps de la poursuite de la guerre de Saxe , par une autre guerre qu'il en- treprit contre les Lombards. La manière insul- tante dont Charles avoit renvoyé Désirée à son père Didier , avoit déjà aliéné les deux maisons royales ; le refuge que Didier avoit accordé dans ses états, à la veuve et au fils de Carloman, avoit excité la défiance et l'inquiétude du roi des Francs. Mais il étoit réservé à l'Eglise de cliauger ces mécontentemens royaux en querelle jjaiio- nale. Adrien 1*^ avoit succédé à Etienne III ,

24o HISTOIRE

773. mort au mois de février 772. Didier pressoit ce nouveau pontife d'accorder Fonction royale aux fils de Carloman , réfugiés à sa cour. Il s'a- vança même vers Rome, avec ces jeunes princes et les seigneurs Francs qui les avoient accompa- gnés. c( MaiSj quelque artifice qu'il employât (( dans sa méchanceté, nous dit le biographe <( d'Adrien P^ , jamais il ne put engager le très- ce saint pontife à sacrer les fils de Carloman, et ce à offenser ainsi le très-chrétien roi Charles-le- <( Grand. )) (1)

Il y avoit, au reste , entre l'Eglise romaine et le roi des Lombards , d'autres causes de dis- sension, que ce refus du pape d'accorder sa pro- tection à la veuve et à l'orphelin injustement dépouillés. Les concessions auxquelles Astolphe, pressé par les armes de Pépin, avoit consenti , étoient si peu précises , qu'elles donnoient lieu aux interprétations les plus contradictoires; et dans un temps il étoit impossible de décider si le pape étoit souverain de Rome, ou si c'étoit l'empereur d'Orient, il ne l'étoit pas moins de déterminer quelles étoient la nature et l'étendue des justices qu'Adrien, au nom de saint Pierre, réclamoit des Lombards. Le pape faisoit toujours valoir les droits delà république romaine ^ qu'il confondoit avec les siens. Par ce nom, on dési- gnoit communément l'empire ; Adrien le don-

(i) Anastasii Bibîioth. vita Hadriani papœ. p. 180,

DES FRANÇAIS. 2.^1

noit peut-être aussi au gouvernement munici- 773. pal de Rome qui , à cette époque, étoit en effet républicain ; mais surtout il évitoit de le déii- nir, et comme tout le pays que les Lombards occupoient avoit appartenu à la république ou à l'empire, il ne mettoit aucune borne à ses prétentions.

Les hostilités avoient commencé entre les Lombards et les Ptomains , lorsque les députés d'Adrien I^^ , q^ii s'étoient rendus par mer à Marseille , et qui de , nous dit Ei^inhard , avoient continué par terre leur route jusqu'en France , avertirent Charles que Didier n'obser- voit point les conditions imposées à son prédéces- seur Astolphe. Charles s'en étant mieux assuré encore par des ambassadeurs qu'il envoya lui- même à Rome et à Pavie , résolut d'entre- prendre la guerre contre les Lombards, et la fit décréter par les comices des Francs qu'il as- sembla, selon sa politique habituelle, hors de leur pays , à Genève , ville qui faisoit alors partie du royaume de Bourgogne. Il est pro- bable que les guerriers seuls se rendoient au Champ de Mai , lorsqu'il étoit ainsi convoqué sur la frontière 3 etquel'assemblée s'y montroit plus obéissante envers son général, qu'elle ne l'au- roit été au sein de la France. Charles partageant son armée en deux divisions, en confia une à 3on oncle Bernard , fils naturel de Charles

TOME IT. iG

^42 HISTOIRE

773. Martel , qui passa par le Monl-Joux ou grand Saint-Bernard , tandis qu'il conduisit l'autre lui-même par le Mont-Cénis. (i)

Le biographe des papes croit relever la gloire de Charles, en le montrant humble dans la né- gociation , et triomphant dans le combat, moins par sa bravoure , que par la lâcheté de ses en- nemis. Suivant lui , le roi des Francs chercha à tout prix à éviter la guerre; il offrit même à Didier une contribution de quatorze mille sous d'or pour le déterminer à rendre les justices de saint Pierre. Celui-ci, qui occupoit les cluses d'Italie, ou l'ouverture des gorges des Alpes, refusa toute condition , et les Francs étoient sur le point de se retirer sans combat, lorsque les Lombards, frappés d'une terreur panique , abandonnèrent leur poste (2). Les chroniques des Francs ne donnent aucun détail sur le pas- sage des Alpes. Vers le mois d'octobre, Charles arriva devant Pavie , Didier s'étoit enfermé, avec la plupart des ducs et des guerriers lom- bards. Adelgise, son fils , avoit en même temps entrepris la défense de Vérone. Dans cette se- conde place , s'étoient réfugiés la veuve et les enfans de Carloman, avec le Franc Autcharis, et les autres seigneurs de cette nation qui s'é- toient attachés à la fortune des enfans du plus

(i) Eginhardi Amial. p. 202. (2) Anastasii Bihlioth. p. 184.

DES FRANÇAIS. 24^

jeune des fils de Pépin. Aucune autre place de k 77^. Lombardie, ou n'étoit assez bien fortifiée, ou n'avoit un nombre suffisant de défenseurs pour essayer de soutenir un siège, et tout le pays ouvert passa sous Fobéissance des Francs, (r)

Si les Lombards n'avoient pas appris Fart de défendre les villes , et avoient laissé ruiner pres- que toutes les forteresses de leur pays , les Francs ignoroient davantage encore l'art de les attaquer et de les réduire. Il ne paroît pas même qu'ils fissent des ten tati ves pour renverser les murailles de Pavie ; ils se contentèrent d'en garder toutes les issues, espérant réduire les assiégés par uii blocus. Celui-ci pouvoit être long; mais Charles, comme s'il vouloit prendre ainsi l'engagement de ne point se rebuter, fit venir sous les murs de Pavie sa femme Hildegarde , qui, pendant que le blocus duroit encore , lui donna une fille nommée Adélaïde. Les assiégés ne parois- sant point disposés à se rendre, Charles laissa 774. au printemps la direction du siège à son lieu- tenant, et se rendit à Rome aucun rpi franc n'étoit encore entré, quoique depuis trois cents ans ils manifestassent, plus qu'aucun autre sou- verain, leur zèle pour la religion et pour l'Église romaine. (2) .iu^uor;

(i) Annal. Egùihardi, p. 202. Tiîiânl , p. 19. Loise'r^ liant , p. 07. Chron. Moissiacens , p. Q<^. Eginhardi vita Curoli Magni , Cap. 6, p. 91.

(2) Eginhardi Annal, p. '202. Anastasii Biblioih. p. i85.

24i HIS'LOIRE

774» Charles , ayant traversé la Toscane, arriva à

Rome le samedi saint i^' avril 774, accompa- gné par an grand nombre d'évêques, d'abbés, de juges , de ducs et de graphioiis. Adrien en- voya au-devant de hii , jusqu'à trente milles de distance , les juges de Rome pour le compli- menter; puis, à un mille de la ville, Charles rencontra les corporations qu'on nommoit les écoles, précédées par des croix et delà musique. C'étoit le cérémonial avec lequel les Romains recevoîënt toujours l'exarque ou lepatrice. Mais le roi , beaucoup moins occupé de sa dignité que de son respect pour la ville sainte, en les voyant approcher, descendit de cheval^ et ne voulut entrer à Rome qu'à pied , avec toute sa suite, qui revêtit l'apparence d'une procession de pénitens. Dès qu'Adrien en fut averti, il se hâta de prendre place, avec tout son clergé , sur le haut du perron de la basilique de Saint-Pierre. Charles^, en montant ce perron, en baisa cha- cun des degrés, et arriva ainsi auprès du pape qui l'embrassa ; ensuite ils entrèrent ensemble dans le temple. Dans cette occasion , dans la visite de Charles à la basiUque de Saint-Jean-de-Latran , et dans toutes les cérémonies des jours suivans, Adrien eut toujours soin de donner à entendre qu'il faisoit plus pour Charles qu'il n auroit fait pour aucun roi de la terre; qu'il l'accompagne- roit de tous ses vœux, qu'il seconderoit ses en-

DES FRANÇAIS. 2^5

treprises de tous les pouvoirs du ciel dont il étoit 774. dépositaire; maisen même tem[)sil le plaçoit au- dessous de lui, à une immense distance, comme un homme cher à l'Eglise , sans doute, mais comme un simple homme, devant une divinité. Au reste , Charles compensa glorieusement l'hos- pitalité qu'il recevoit. On lui lit lire la dona- tion que son père avoit faite à l'Eglise ; il la con- firma solennellement ; et si le compte qui nous en est rendu par les écrivains ecclésiastiques, n'a pas été falsifié , cette donation , dont l'origi- nal est perdu , comprenoitla plus grande partie du royaume des Lombards que Charles étoit occupé à conquérir, (i)

La dévotion de Charles étant satisfaite, il re- vint joindre son armée devant Pavie. Les as- siégés commençoient à souffrir de la faim et des maladies; ils renoncèrent à une défense sans espoir , et à la fin de mai ou au commencement de juin, ils capitulèrent et ouvrirent leurs por- tes. Didier fut livré à Charles , avec sa femme et sa fille, et envoyé en prison à Liège, d'où il paroit qu'il fut ensuite transféré à Corbie» Le reste de sa vie fut consacré aiix jeûnes et aux prières, dernière consolation de sa captivité. Adelgise , son fils, qui dans le même temps

fi) Jjiastasius Biblioth. vif a Iladrlani , p. i85. Baronii Annal, ad ann. 774, §• i à 10 , p. 5*20, T. IX. P<^%i <^'''^« §. I , p. 559.

^46 HISTOIRE

avoit été assiégé à Vérone, s'étoit dérobé, par la fuite, à un sort semblable. S'échappant de la ville, sans doute sous un déguisement, il s'é- toit embarqué au port Pisan , et il avoit trouvé un asile à Constantinople. La veuve et les en- fans de Carloman, avec leur gouverneur Aut- charis , et les autres Francs réfugiés chez les Lombards , furent livrés alors aux mains de Charles. L'histoire garde dès lors sur eux un profond silence , qui fiit naître de fâcheux soup- çons sur la conduite du roi des Francs, à l'égard de ses neveux, (i)

Jusqu'à cette époque, l'on n'avoit point vu les rois, lorsqu'ils étendoient leur domination par des conquêtes, s'attribuer un titre nou- veau , qui les désignât comme chefs de la nation qu'ils avoient soumise. Ils incorporoient les nouveaux états et les nouveaux peuples à leur monarchie ; et lorsque les Allemands , les Bour- guignons ou les Visigoths furent assujettis à Clo- vis et à ses successeurs , ceux-ci ne grossirent point leurs titres du nom de ces divers peuples- la victoire appartenoit au peuple franc plus encore qu'au roi , et c'étoit aussi aux Francs q ue les nations étoient réunies. Il paroît qu'Adrien

(i) Anastasius Biblioth. p. i85. Contin. Pauli diaconi, Scr. if al. T. I, §. II , p. i83. Eginhardl Annal, p. 202. Lamheciani, p. Q^,—Moissiac. p. 70. Fuldens. p. 328» '— Metens. p. 34 r.

DES FRANÇAIS. 247

suggéra à Charles une autre politique; il lui ::'r. conseilla de s'attacher à chaque peuple sé- parément par des titres distincts ; et avant même que Pavie se fût rendue , il lui adressa une lettre dans laquelle il Tappeloit roi des Francs et des Lombards , et patrice des Ro- mains (i). Les Francs ne parurent point jaloux de ces droits de conquête dont ils se trouvoient dépouillés, et les Lombards furent probable- ment flattés de ce que leur vainqueur acceptoit leur couronne. Tous les chefs de leurs provinces, tous les ducs reconnurent Charles comme leur roi, à la réserve d'Arigise qui gouvernoit sous le nom de duché de Bénévent presque toute la por- tion deritaliequiformeaujourd'hui le royaume de Naples. Celui-ci , qui avoit épousé la fille da roi Didier, et qui avoit ouvert ses états comme un asile aux réfugiés lombards des autres pro- vinces, comptant sur l'étendue, la force et la situation isolée de son duché, osa prétendre à l'indépendance. Tout le reste obéit, et Charles se présenta aux peuples d'Italie comme le suc- cesseur légitime de Didier. (2)

Non-seulement le royaume que Pépin avoit divisé entre ses enfans se trouvoit réuni, il ai^oit acquis par les conquêtes de Charles beau-

(i) Codex Carolin. Ep. 55 , p. 544-

(2) Muratori, Annali d'Ital. T. YI, p. 25o. Pagi critic. §• 8, 9, 10, p. 342.

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•2/^8 HISTOIRE

coup plus d'étendue et des frontières plus com- pactes. CelJes-ci traversoient , depuis la Frise jusqu'à la Bavière, les plaines de rAllemagne, que les Francs partageoient avec les Saxons ; elles comprenoient ensuite toute Fltaiie et toute la France jusqu'aux Pyrénées et à l'Océan. Dans l'enceinte de ces frontières, se trouvoient, il est vrai, quelques peuples, liabitans des monta- gnes, dont les souverains héréditaires se regar- doient presque comme indépendans. Ainsi, le duc des Allemands qui marclioit sous les éten- dards des Francs, gouvernoit toute la Suisse et presque toute la Souabe. Ainsi , Tassilon , fils d'Odilon, de l'illustre maison des Agilolfinges , gouvernoit les Bavarois ; et quoique ceux-ci eussent prorais, dès l'an 74^, d'obéir aux Francs, quoique Tassilon fût fils d'une sœur de Pépin , il cherchoit sans cesse l'occasion de secouer le joug. Ainsi enfin, le Lombard Rodgaudes avoit été confirmé par Charles dans led uché du Frioul , et il gouvernoit avec un pouvoir presque illimité cette frontière importante, qui pouvoit ouvrir ou fermer l'Italie aux Esclavons. Dans le voi- binagc de cette vaste monarchie, on ne voyoit que des petits peuples et des petits princes, qui ne pouvoient songer à se mesurer avec les Francs, et qui s'efForçoien t au contraire d'ob- tenir leur protection. Ofîa, roi de Mercie,Ie plus puissant des rois de l'heptarchie saxonne

D\.6 FRANÇAIS. 2/^^

en Angleterre, éloit allié de Charles, comme nous l'apprenons par une lettre du dernier (i). Aiirèle , Silo , Mauregat et Bermude , qui se suc- cédèrent sur le trône d'Os'iédo , s'efforcèrent de se concilier la bienveillance du puissant roi des Francs; Ibn Alarabi lui-même, gouverneur musulman de Sarragosse, rechercboit aussi sa protection contre Abdérame , dont il vouloit se- couer le joug.

Mais quoique les rois des Saxons d'Allema- gne ne fussent guère plus puissans que ceux des Saxons d'Angleterre, ou des Visigotbs d'Es- pagne , ils ctoient, pour les Francs, des voisins tout autrement redoutables. Ils poursuivoient leurs hostilités avec un acharnement que leurs revers ne pouvoientdompter. Tandis que Char- les étoit occupé en Italie, au commencement de l'année 774, ils s'étoient jetés sur la Hesse , ils l'avoient ravagée par le fer et le feu ; arrivés à Fritzlar , saint Boniface avoit élevé un tem- ple, ils voulurent le détruire; mais ils crai- gnoient eux-mêmes ce Dieu des chrétiens , qu'ils regardoient comme une puissance surnaturelle, quoique ennemie; et au milieu de leurs atta- ques une terreur panique dissipa leur ar- mée. (2)

(i) Fpistola Cnroli ad Offam. Spelman ConcUium angl. T. I, p. 5i5. Capit. reg. Jraficor. T. I, p. iQ^- (2) Eginharrli Annal, p. 202.

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25o HISTOIRE

775. Charles, qui après la conquête cfe la Lom-

bardie éloit rentré en France, et qui avoit célébré les fêtes de Pâques à son palais de Kiersy , convoqua les Francs pour tenir le Champ de Mai à Duren, dans le duché actuel de Juliers- il les trouva disposés à le seconder pour tirer vengeance des Saxons , et il leur fît immédiate- ment passer le Pthin , pour les mener à Tattaque des ennemis. Il prit Siegesburg, forteresse où. les Saxons avoient mis garnison ; il releva les fortifications d'Ehresburg qu'ils avoient rui- nées , et il y mit une garnison française. S'ap- prochant ensuite du Weser, il trouva que les Saxons s'étoient assemblés à Brunesberg, pour lui disputer le passage de ce fleuve. Il les battit et les mit en fuite avec un grand carnage. Pas- sant alors le Weser , il marcha jusqu'à l'Oakre. Hesso, Pu n des rois les plus considérés des Saxons westplialiens, vint le rencontrer sur les bords de cette rivière, avec les principaux de sa na- tion; et renonçant à lui opposer une plus longue résistance, il lui prêta sermentde fidélité, et lui remit des otages. Les Angariens suivirent bientôt cet exemple; le roi des Francs les trouva rassem- blés à Buch , et leurs chefs offrirent eux-mêmes les sermens et les otages qui furent acceptés par le vainqueur. Mais Charles ayant alors partagé son armée , en renvoya une partie sur le Weser. Celle-ci étoit campée dans un lieu que les an-

DES FRANÇAIS. 2DI

nales de Loisel nomment Lidbacl , d'autres Hud- 775. beck. A midi, comme les fourrageurs francs rentroient dans le camp , des Saxons westpha- liens qui s'étoient mêlés parmi eux^ y péné- trèrent sans exciter de défiance , ils tombèrent sur les gardes endormis, et en firent un grand massacre , avant que l'alarme fût répandue. Les Francs se rallièrent enfin et repoussèrent leurs agresseurs. Charles, qui survint peu après , les poursuivit dans leur retraite , et leur ayant tué beaucoup de monde , il contraignit les Westphaliens à suivre l'exemple des autres Saxons , à donner des otages , et à jurer d'obser- ver la paix. Charles ramena ensuite son armée en France pour y passer l'hiver. (1)

Il avoit choisi lui-même pour y célébrer les 776. fêtes de Noël, son château de Schelestadt en Alsace. Les Carlovingiens n'avoient point pour Paris la prédilection qu'a voient montrée les Mérovingiens ; cette ville , abandonnée par les rois , cessoit d'être considérée comme une ca- pitale ; car la justice , les conseils et tout le gouvernement suivoient le monarque; et si la souveraineté résidoit dans les Champs de Mai, ceux-ci étoient assemblés chaque année dans un lieu différent. Charles montroit surtout une préférence marquée pour les pays l'on par-

(i) Eginhardi Annal, p. 202. Tiliani, p. 19. Loisel. p. 39. Metenses, p. 542. Poeta saxon, p. i39.

2i)9. niSTOUlE

776. loit la langue allemande. Paris, qui avoit con- servé l'usage du latin , ou plutôt du dialecte qui s'étoit formé par corruption des débris de cette belle langue, et que Ton commençoit à nommer Roman , paroissoit aux Francs montrer dans ce dialecte même des preuves de sa servitude : ils ne se croyoient chez eux qu'en Alsace , en Au- slrasie, sur tous les bords du Rhin , et dans les provinces d'où sortoient leurs soldats.

Mais à peine Charles étoit-il établi à Scheles- tadt , lorsqu'il apprit que le Lombard Rot- gaudes, auquel il avoit confié le gouvernement du Frioul et de la Marche trévisane , éloit entré dans une conspiration pour rappeler Adelgise de Constantinople , et le replacer sur le trône dltalie. Charles avoit confirmé presque tous les ducs lombards dans leur gouvernement ; il avoit voulu que la conquête fût accompagnée d'aussi peu de bouleversement que possible. Mais le pape Adrien ne cessoit de lui dénoncer tous les ducs des Lombards voisins de Rome, et de l'ex- citer à les dépouiller et à les punir. Au lieu de prêter l'oreille à ces accusations, Charles avoit chargé ses envoyés de réconcilier le pape avec Hildebrand , duc de Spolète ; il étoit déjà trop tard ; les Lombards , menacés et poussés à bout, avoient tenu à Spolète même un conciabule dont Adrien se hâta de rendre compte au roi des Francs, ce Notre fidèle chapelain Etienne, lui di-

DES rUANÇAIS. 255

<(Soil-il, étant arrivé auprès d'Hildebrancl , Ta ^^G. (( trouvé gonflé d'orgueil , car les députés d'Ari- (( gise, ducdeBénévent, ceux de Rotgaudes,duc c( de Friuli , et de Reginbald , duc de Cluse, <( s'étoient réunis à Spolète, audit Hildebrand , c( pour comploter contre nous ; ils étoient con- (( venus de rassembler leurs forces au mois de «c mars prochain , de se joindre à une armée (( grecque qu'amèneroit Adelgise,filsde Didier, «pour nous attaquer par terre et par mer , s'em- (( parer de notre ville de Rome, piller les églises c( de Dieu , enlever le ciboire de votre protecteur (c saint Pierre, et nous entraîner nous-mêmes ce (ce dont Dieu veuille nous préserver), en (( captivité , pour rétablir enfin le roi des Lom- cc bards, et résister à votre autorité royale. )) (i)

L'inimitié du pape et ses constantes dénon- ciations avoient sans doute contribué à pousser les Lombards à la révolte; mais Charles devoit s'attendre à ce que ce peuple, humilié du joug des vainqueurs, regrettât son indépendance, et fît de plus grands efforts pour la recouvrer qu'il n'a voit fait pour la défendre. Il prévint ses mouvemens. Passant des bords du Rhin à ceux du Danube, et traversant la Souabe et la Ba- vière , il entra par le Tyrol en Italie ; il atta- qua et soumit rapidement Citta de Friuli , il fit prisonnier Rotgaudes , et Trévise ,

(i) Codex Carolin. Ep. Sg, Scr. franc, p. 548.

yy

2^4 HISTOIRE

6. commandoit Stabilinus , beau-père de ce duG rebelle. Il les punit tous deux de mort, et il accorda le duché de Frioul à Marchaire , sei- gneur franc , qu^on suppose avoir été allié à la famille Carlovingienne. Il changea en même temps tous les comtes qui gouvernoient chaque ville, et il mit partout des Francs à la place des Lombards. Un assez grand nombre de soldats de la même nation s'attachèrent volontaire- ment à ces capitaines ; et tandis que l'intérieur de l'Italie fut laissé sans défense, ses portes se trouvèrent suffisamment gardées par les con- quérans. Après avoir, en peu de semaines, dis- sipé les rebelles de Lombard ie, Charles, qui avoit célébré la Pâque à Trévise , repassa les Alpes juliennes, et revint en hâte à Worms, il avoit convoqué l'assemblée du Champ de Mai. (i)

En effet , il avoit appris que durant son court voyage les Saxons s'étoient soulevés de nou- veau. S'il faut en croire un poète, saxon lui-* même, mais converti au christianisme, qui a écrit en vers latins des annales du règne de Charlemagne, la dernière diète des Francs avoit résolu de ne laisser aux Saxons aucun repos jusqu'à ce qu'ils se fussent tous convertis, ou

(i) Annal. Loiseliaîîi, p. Zg. Tiliani , ^. 19. Moissiac. p. 70. Eg inhardi, p. 2o3. Metenses, p. 5/^2. -^ Poe ta saxo. Lib. I, p. i4i.

DES FRANÇAIS. 255

qu'ils fussent tous détruits jusqu'au dernier; puis il s'écrie : (( O piété vraiment divine, qui ce veut ainsi sauver tous les humains! » (i) Il semble cependant que ses compatriotes ne fu- rent pas si touchés que lui de cette piété prodi- gieuse. D'ailleurs, leurs peuplades étoient indé- pendantes les unes des autres; et il suffisoit, pour renouveler la guerre, qu'une seule d'entre elles résolût , dans l'ivresse d'un festin , de bri- ser un joug odieux. En effet j au printemps de l'an 776 , les Saxons avoient surpris le château d'Ehresburg, qu'ils regardoient comme destiné à les enchaîner; ils avoient aussi attaqué celui de Siegesburg; mais ils avoient été repoussés. Charles trouva sa brave armée rassemblée au Champ de Mai de Worms; il s'avança rapide- ment en Saxe, avant que le pays fût prêt à se défendre; il renversa sans peine les corps peu nombreux qui essayèrent de lui résister : par- venu aux sources de la Lippe , il y rencontra un grand rassemblement de Saxons; mais ceux- ci , troublés et éperdus, ne songèrent qu'à lui demander grâce. Ils jurèrent qu'ils étoient prêts à se faire chrétiens ; ils se soumirent à être bap-

(i) Poeta saxo. Lib. I, v. 186-190, p. iSg :

Hinc statuk requies illis ut nulla daretur Donec Gentili ritu cultuque relicto Christlcolce fièrent , aut delerentur in cevum. O pietas benedicta Dei , qucs a/ult genus omne liwnanum fieri salvwn !

1^6 HISTOinE

7:6. tisés, ils donnèrent de nouveaux otages, ils con- sentirent à ce que Charles relevât le château d'Ehresburg , et en bâtit un autre sur la Lippe ; enfin ils paroissoient entièrement soumis , lors- que le roi des Francs ramena son armée sur le Rhin 5 et s'établit lui-même pour Fhiver à son palais d'Héristal sur la Meuse, (i)

777. Cependant Charles ne se croyoit point assuré

de la soumission des Saxons ; même en hiver il s'éloignoit peu de leurs frontières. Il passa la Pâque à Nimègue, et il convoqua rassemblée du Champ de Mai, à Paderborn, au milieu de leur propre pays. Il falloit que cette assemblée législative des Francs ressemblât à une armée, bien plus qu'à un conseil, pour que le souve- rain pût songer à lui donner rendez-vous dans une contrée déjà désolée par une longue guerre , et l'on pouvoit, à toute heure, redouter une nouvelle attaque. Mais ce n'étoit guère que dans l'espoir de combattre que les Francs quittoient leurs demeures ; et ils auroient négligé leurs assemblées nationales , si elles n'avoient pas signalé l'ouverture d'une campagne. Les Saxons furent convoqués aussi-bien que les Francs au Champ de Mai de Paderborn; ils y assistèrent pour confirmer leurs précédens engagemens; et ceux qui n'avoient pas encore reçu le bap- tême se soumirent à cette cérémonie. Mais

(i) Eginhardi Annal, p. 200. ■—- AmiaL metenses , p. 342.

DES FRANC A.TS. oZ-]

"Witlikind , le plus lenomnié parmi les petits rois de la Weslphalie ; celui qui, jusqu'alors , avoit le plus constamment excité ses compa- triotes à reprendre les armes, et qui avoit ob- tenu le plus de succès dans les combats, no parut point à cette assemblée. Désespérant de résister aux Francs avec les seules forces de sa nation , il avoit passé dans la Scandinavie, dont les liabitans étoient alors appelés indifférem- ment Normands ou Danois ; il avoit demandé l'hospitalité à leur roi Siegfrid , et il cherchoit parmi eux des libérateurs et des vengeurs de sa patrie. Les Saxons, qui en son absence re- çurent le baptême, reconnurent en même temps qu'ils mériteroient de perdre leur patrie et leur liberté, s'ils violoient jamais les engagemens qu'on leur faisoit contracter, (i)

Au milieu des Saxons qui se soumettoientan joug des Francs, on vit arriver aux comices de Paderborn, Ibn al Arabi , gouverneur mu- sulman de Saragosse, accompagné de quelques seigneurs de sa nation , qui venoit demander à Charles la protection des Francs, contre Abdé- rame, émir al Moumenim d'Espagne. La mo- narchie des Sarrasins , qui si récemment avoit menacé l'univers d'une conquête universelle, s'étoit affoiblie par des divisions. Deux khalifes ,

(i) Egmhardi Annal, p. 2o3. Metenses , p. 343. Sige- hertl Gemhlac. p. 377.

TOME II. 1'^

258 HISTOIRE

l'un à Bagdad, l'autre à Cordoue, se parta- geoient Fempire des croyans; le premier cepen- dant, qui éloit de la race desAbbassides, éloit de beaucoup le plus puissant, el. il regardoit Abdé-, rame, le Idialife Ommiade de Cordoue, comme un rebelle. De grands talens sembloient hérédi- taires, comme de grand es vertus, dans la maison nouvelle qui occupoit le trône de l'Orient, et Mohammed Mobadi, vingt-deuxième Idialife, se monlroit digne d'Ahnansor , son père, ou d'Haroun al Rascbid , son fils, qui lui succéda en 786. Pour la sûreté de FEurope, pour l'exi- stence même du christianisme, il étoità désirer ' qu'Abdérame pût maintenir en Espagne son in- dépendance contre les souverains de la plus riche moitié du monde connu. Les Francs au- roient offrir leur alliance à Fémir de Cor- doue; mais leur politique à cette époque, ou celle de leur chef, n'étoit point si clairvoyante. Abdérame étoit le plus rapproché des deux ri- vaux; ils le regardèrent comme le plus dange- reux. Un vice-roi des Abassides , Jusif , avoit quelque temps représenté en Espagne le souve- rain de Bagdad. Assiégé à Grenade en 757, soumis, et de nouveau révolté Fannée suivante , il avoit enfin perdu la tête à Tolède* mais sa mort n'avoit pas entièrement détruit le parti des Abassides qui vonloient rétablir Funité de Fempire musulman. Des révoltes continuelles

DES FRANÇAIS. ^Sq

contre Abdéramc montroient que la séparation 777. de l'Espagne d'avec le corps de la monarchie, répugnoil encore au peuple. Déjà en 759, Zulei- iiian , gouverneur abasside de Barcelonne et de Gironne, s'étoil mis sous la protection de Pépin. Par un même sentiment, en 777 Ibn al Arabi invoqua celle de Charles contre les Ommiades ; il condiiisit avec lui , à Paderborn, son gendre Alarocs , fils de Jusif, avec un autre fils de ce vice-roi des Abassides, et plusieurs seigneurs, tous également partisans du khalife de Bagdad , et ennemis de celui de Cordoue. (i)

Charles saisit avec empressement l'occasion ::S qui lui éloit offerte, d'étendre sa domination sur l'Espagne; il convoqua l'assemblée du Champ de Mai pour Tannée 778, au palais de Chas- seneuil, dans l'x4génois , sur la rive droite da Lot; et après y avoir passé en revue son armée, il la partagea en deux corps, dont l'un traversa les Pyrénées par Saint- Jean-Pied -de-Port , arriva devant Pampelune, et s'en empara; tandis que l'autre , rassemblé dans les provinces orientales , et dont les chefs seuls s'étoient peut-être rendus à Chasseneuil , entra par le Roussillon en Es- pagne, et se réunit au premier, seulement sous les murs de Saragosse. Cette ville, dont Ibn al

(i) Histoire du Languedoc, Liv. VIII, ch. 80, T. I, p. 429. Petrus de Marca in Marca hispaiiica. Lib. III, cap. 6, jao 4. Pagi critica , §. 4 , P- SSa.

aGo 3IISTOIRE

778. Arabi avoit élé gouverneur , ne reconnoissoit plus son autorité : Charles fut obligé d'en faire le siège; mais, après quelque résistance, les Sar- rasins intimidés se soumirent à lui, donnèrent des otages, et payèrent en or une rançon con- sidérable. Ibn Tliaurus, seigneur de Huesca et de Jacca , avoit également ouvert ses portes à l'ar- mée d es Francs, et prêté serment defidélité ; enfin les villes de Barcelonne et de Gironne avoient renouvelélesmêmesengagemensqu'ellesavoient déjà pris précédemment. Charles fit abattre les murailles de Pampelune, puis il reprit le che- min de la France, non -seulement avec les otages qu'il s'étoit fait livrer par les villes su- jettes, mais aussi avec Ibn al Arabi et ses autres vassaux musulmans qui dévoient apparemment l'accompagner jusqu'à la frontière. (1)

Peut-être l'empressement de Charles à quitter l'Espagne fut-il déterminé parla nouvelle qu'il y reçut , que Wittikind , de retour de Danemarck en Saxe, avoit entraîné ses compatriotes à la révolte, et que la moitié de la Germanie étoit soulevée. Charles avoit soumis une grande par- tie du pays situé entre les Pyrénées et FEbre: il en avoit changé la plupart des gouverneurs ; il avoit établi des comtes francs dans les villes de la Marche espagnole ; il avoit ainsi aliéné

(i) Annal. Petav. i4- Tiliani , ig. —Nihelung. 26.— Loi- seliani, ^o. Lambeciani, 6^. Moissiac, 'jo.—Eginh. 2o5,

DES FRANÇAIS. 2b I

peut-être les Sarrasins qui lui avoient ouvert l'entrée du pays , et il ne ^'étoit pas concilié les chrétiens. ïnigo Gardas, roi de Navarre, et Fruela , roi des Asfuries, qui avoient été con- traints de se nititre sous la protecliun d'Abdé- rame , et de contracter alliance avec lui, avoient pu s'assurer qu'ils auroient tout à perdre, s'ils écliangeoient cette protection contre celle de Charles, puisque celui-ci ne nianqueroit pas de mettre des Francs dans leurs lieux forts et leurs cités. Lorsque ces deux petits princes apprirent que Charles alloit de nouveau traver- ser leurs montagnes pour retourner en France, ils se concertèrent pour l'attaquer avec les Sar- rasins Ornniiades, et surtout avec le gouverneur qu'Abdérame avoit donné à Sai-agosse , et que les romanciers ont nommé Marsilio. Ils s'assu- rèrent aussi l'appui de Loup, due des Gascons, petit-fils d'Eudes, duc d'x\quitaine, neveu d'Hu- iiold , et cousin de Guaifer, qui tous avoient été dépouillés et persécutés par la famille carlo- vingienne.

Les Gascons et les Navarrois , dont l'origine étoit commune, parcourant leurs montagnes avec une rapidité qui les distingue encore aujour- d'hui , et qu'aucun autre montagnard ne sau- roit égaler , dressèrent des embûches à Charles , à son retour, comme il traversoit la vallée de Ronce vaux , si fameuse dans les romans, Tandis

262 * HISTOIRE

que l'armée cîéfîloit dans cette vallée, qui coin- munique de la Navarre à la France , et qu'elle cheminoit sur une longue ligne tortueuse, ainsi que l'exigeoient les gorges étroites qu'elle avoit à traverser , « les Gascons , suivant le récit « d'Eginhard , dressèrent leurs embûches sur <( le sommet de la montagne; l'épaisseurdes fo- c( rets qui sont en grande abondance, rendant ce le lieu très-propre aux surprises. Se précipi- ce tant ensuite de ces hauteurs dans la vallée ce au-dessous d'eux , ils attaquèrent la queue <( des bagages , et le bataillon destiné à les cou- ce vrir : ces guerriers ayant voulu se défendre, ce furent tous tués, jusqu'au dernier. Puis les ce Gascons, après avoir pillé les bagages, profi- ce tèrent de la nuit pour se dissiper, dans tous ce les sens, avec une extrême célérité. La lé- ce gère de leurs armes et le lieu du combat ce leur donnoient tout l'avantage, tandis que les ce Francs avoient contre eux et leur position , et cela pesanteur' de leur équipement. Dans ce ce combat , ajoute notre historien, Eygihard , ce grand maître d'hôtel du roi , Anselme, comte ce du palais , et Roland , préfet de la frontière ce britannique , furent tués avec plusieurs au- ce très. Il ne fut point possible à Charles de ce venger immédiatement cette offense, parce a que l'ennemi , après avoir remporte la vic- oc toire , se dispersa si rapidement , que la re-

DES FRANÇAIS. 2G5

c< nommée même ne pouvoit annoncer il « s'éloit retiré. >) (')

C'est tout ce que l'histoire nous a appris sur le palladin Roland , et sur cette bataille de Roncevaux, si célébrée par les romanciers et par les historiens espagnols des temps posté- rieurs. Roland , qui n'est nommé qu'une seule fois par Eginhard 5 et dont il n'est fait aucune mention dans aucun autre historien , s'étoit ap- paremment illustré dans le temps de Charles Martel , et non dans celui de Charlemagne ; car on ne doit peut-être point refuser toute croyance aux traditions populaires de deux grandes na- tions, quelque mêlées qu'elles soient de fables. C'est contre les Sarrasins que tous les roman- ciers supposent que Rojand signala sa vaillance; mais les Sarrasins envahirent la France pendant le règne de Charles Martel . et non de Charle- magne. Le héros des romanciers n'étoit plus jeune lors de la bataille de Roncevaux. Un long espace de temps qu'ils n'ont pas mêjiie rempli par des fables, sépare la grande époque de ses hauts faits, de celle de sa mort. On peut donc supposer qu'il éloit dans les dix premières années du huitième siècle ; il auroit pu alors

t (i) Eginhardi vita CaroHMagni. Gap. 9, p. gi. Ejusdem Annales , p. 2o3. Poeta saxo. Lib. I, v. 562-4oo, p. i/p. Chroniques de Saint-Denys , Liv- I, chap. 6, p. 235. Les >-uUres Chroniques iie parlent point de cette déroute.

2G4 HISTOIRE

assister déjà, comme page, aux premières dé- roules des Francs devant Nai bonne, en 720, else distinguer, en 726, dans la défense de Nismes, de Carcassonne et d'Autun , contre les infidèles ; en 729 , dans la guerre d'Aquitaine , et en 752 , à la bataille de Poitiers. Les invasions des Sar- rasins dans les Gaules ne cessèrent pas même à cette époque; il y en eut encore après la mort de Charles Martel , en 741 ; et Roland put conti- nuer à combattre les Sarrasins sous Pépin ou Carloman , durant la conquête de la Septimanie et celle de la Marche d'Espagne. Il ne nous reste presque aucun monument de cette longue lutte; Roland n'est , il est vrai, nommé par aucun historien , mais aucun capitaine de Charles Martel ne l'est mieux que lui. La ressemblance de nom de ce Charles et de Carloman, avec Charlemagne , aura plus tard causé l'erreur du peuple et des romanciers. Les traditions ne riauroient conserver une bonne chronologie, mais il est bien rare et bien étrange qu'un nom devienne populaire, si sa gloire *i'a pas quel- que réalité. Un génie tel que celui de l'Arioste, auroit pu créer la célébrité de Roland ; les chroniques de l'archevêque Turpin n'avoient point tant d'empire sur l'imagination popu- laire : elles furent recueillies au onzième siècle J et traduites au treizième pour être insérées dans la grande Chronique de Saint-Denys. On

DES F II ANC Ali). 26

doit les regarder moins comme rinvention d'un 77^- romancier , que comme le dépôt des fables et des légendes qui circuloient alors parmi le peu- ple. Les romances populaires de FEspagne, qui nous donnent tant de détails sur la vie de ce Bernard de €arpio qu'on suppose avoir étouffé Roland dans ses bras , contiennent de même les traditions, embellies par Timagiiiation popu- laire , qui circuloient au midi des Pyrénées. Les Espagnols, jaloux d'établir l'existence du plus ancien de leurs chevaliers , ont cependant pris lui mauvais parti , en supposant une seconde bataille de Roncevaux , et une seconde déroute du paladin français, vers l'an 812. La fin du règne de Cliarlemagne est assez bien connue, et l'on ne sauroit , à cette époque , supposer des événemens dont il ne reste aucune trace dans les historiens du temps, (i)

Pendant que Charles étoit engagé contre les Sarrasins de l'autre côté des Pyrénées , et qu'il perdoit à cette expédition une partie de sou armée, Wittikind étoit rentré en Saxe, et il avoit encouragé ses compatriotes à reprendre les armes. Les Saxons s'étoient en effet portés

(i) Les fables de Roncevaux ont été répétées par Rodericus Toletanus. Rer. Hispanlcarwn , Lib. IV, cap. 10. Marianet de rehus JUspaii. Lib. VII , cap. 1 1. Elles ont été discutées et combattues par Baronlus , Annales ecclés. 778, §. i , p- >^"'|j et 812, p. 582. Pafri critica , 778, §. 3, 4' 5, 6, p. 354. Histoire génér. du Languedoc, Liv. YIII, oh. 81, p. 45o-

266 HISTOIRE

en foule sur les bords du Rhin, çt n'ayant pu traverser ce fleuve, ils avoient ravage ses rives , depuis Duisburg, en face de Cologne, jusqu'au confluent du Rhin et de la Moselle. Ils avoient porté le fer et le feu dans les palais comme dans les villages ; ils n'avoient pas épargné les édi- fices sacrés plus que les profanes, ou les femmes et les enfans plus que les vieillards ; la ven- geance, et non le désir d'acquérir du butin , les avoit conduits sur le territoire des Francs. Au moment de cette invasion , Charles étoit à Auxerre ; il donna ordre aussitôt aux Allemands et aux Austrasiens de son armée de se hâter de regagner leurs fo^^ers , pour les défendre contre les Saxons. Ces corps de troupe accélé- rèrent en effet leur marche ; mais les pillards s'étoient déjà retirés : comme néanmoins leur retraite étoit ralentie par le butin dont ils s'é- toient chargés , les Austrasiens les atteignirent dans un village de la Hesse, que le poète saxon nomme Badenfeld , d'autres Lihesi , sur la ri- vière Adern ; ils les attaquèrent au moment ils s'efforçoient de passer la rivière, et ils les tuèrent presque tous. Pendant ce temps, Charles, qui avoit licencié la plus grande partie de son armée , s'étoit établi à Héristal pour y passer l'hiver, (i)

(i) Eginhardi Annal, p. 204. Petavia?ii , i4- Tilifini , 20. lyibehmgi, 26. Loiseliani , i\i. ^' Lambeciani , 64.

DES FRANÇAIS. 267

Mais en licenciant son aimée, Charles avoit ::9. aussi convoqué le Champ de Mai pour l'ouver- ture de la camprigne suivante, à son palais de Duren, à dix lieues environ de Cologne. Les Francs se montrèrent prêts à le suivre, et pas- sant le Rhin de bonne heure, ils s'avancèrent jusqu'à la Lippe. Les Saxons essayèrent de leur tenir tête dans un lieu nommé Buckholz. Sou- vent ils avoient fait trembler plusieurs pro- vinces de France par leurs rapides invasions, et ils les avoient ruinées autant peut-être que Charles pouvoit les ruiner eux-mêmes ; mais ils avoient toujours évité de se mesurer avec les Francs en rase campagne. Ceux-ci, quoique demeurés barbares presque à tous égards , avoient cependant sur les habitans païens du nord de l'Allemagne, tous les avantages de l'art militaire et de la discipline. Il semble que la tradition de la tactique romaine leur éloit seule demeurée, comme récompense de leurs anciens services dans les armées de l'en) pire. En effet, l'armée des Saxons fut repoussée et mise en fuite à Buckholz. Charles , pénétrant ensuite dans leur pays, força, par ses ravages, chaque canton l'un après l'an ire à lui demander la paix, et à embrasser le christianisme comme moyen d'échapper au massacre. Les Weslphaliens se

Moissiacense , ^0 Poeta saxo , i45. Fuldenses , 529. Mctenses y 543.

26S HISTOIRE

779- soumirent les premiers; tous ceux du Bardeii-* gaw et plusieurs des Nordleules furent bap- tisés; les Angariens et les Oslphaliens vinrent ensuite trouver le roi au château de Medfull, sur les bords du Weser. Ils lui amenèrent des otages, et prêtèrent de nouveau entre ses mains les sermens qu'ils avoient déjà violés à plu- sieurs reprises, (i)

Ce fut alors, à ce qu'il, paroît, que Charles , pour établir plus solidement le christianisme en Saxe, et pour dompter cet esprit d'indépen- dance que les peuples avoient si long-temps conservé, institua ces riches et puissantes pré- latures germaniques, investies de presque tous les droits de la souveraineté, et qui pendant dix siècles ont soumis une nation belliqueuse à la dominatioîi des prêtres et des moines. Se- lon les Annales du comte Nibelung, ce Charles ce divisa la patrie des Saxons entre les prêtres (( ou les abbés et les évêques, pour qu'ils y prê- (c chassent et qu'ils y baptisassent. » Ces gouver- neurs ecclésiastiques lui parurent plus fidèles et moins remuans que les comtes militaires qu'il donnoit aux autres pays; l'expérience montra qu'ils n'étoient cependant pas moins ambitieux^

-s, Pendant l'hiver Charles avoit ramené son ar- mée sur la gauche du Rhin , et avoit séjourné à Worms; mais dès le retour de la belle sai-

(0 E^inhardi, p. 204, el caeteri. îb.

DES FRANÇAIS. 269

son , il rentra en Saxe à la tête de ses guerriers 5 il visita la forteresse d'Ehresburg, et remonta aux sources de la Lippe. Tournant ensuile au levant, il s'établit sur les bords du fleuve Oba- cre, au lieu nommé Ohrheim , il avoit donné rendez -vous aux Saxons orientaux. Ceux-ci s'y trouvèrent en grand nombre, et y reçurent le baptême avec autant de soumission et aussi peu de foi que de coutume. Charles s'approcha ensuile de l'Elbe, et, établissant son camp au confluent de l'Obre et de l'Elbe , il y passa quelque temps pour régler les différends des Saxons qui habitoient sur la rive gauche de ce fleuve, avec les Yénèdes ou Esclavons qui ha- bitoient sur la rive droite. La conquête de la Saxe lui paroissoit ainsi terminée; il avoit pé- nétré jusqu'à son extrême frontière, et il avoit acquis pour voisins une race d'hommes nou- velle, parlant un autre langage , animée par d'autres sentimens et d'autres passions. Après avoir établi des traités de paix et de bon voi- sinage entre ces Esclavons , limitrophes des Saxons , et les Francs , il ramena son armée en France, et la licencia. (1)

(i) JEginhardi, Annal, p. 204 , et caeteri ad ann.

70

HISTOIRE

CHAPITRE III.

Suite du règne de Charles jusqu'à la suppres- sioji du duché de Bavière, 780 788.

L'ÉCLAT des victoires que Charles avoit rem- portées, Fimporlance de ses conquêles et les changemens que sa grandeur nouvelle appor- toient à la balance des empires dans tout Funi- vers , avoient réveillé l'aitention de tous ceux qui consacroient quelque partie de leur temps aux études. Ils setitoient que les monumens d'événemens aussi extraordinaires dévoient être transmis aux âges à venir, et ils inscri voient avec bien plus de régularité qu'ils ne Favoient fait précédemment, dans leurs annales , dans les registres surtout des couvens , un précis des guerres et des victoires de chaque année. Ils s'efîbrçoient cependant de le faire à peu près en aussi peu de mots que s'ils avoient les graver sur la pierre. Cette économie des paroles lors- qu'il s'agissoit de garder la mémoire des plus étranges ^évolutions , est déjà un caractère de ce siècle qui nous révèle l'esprit des contempo- rains. Soit que le travail d'exprimer en latin les actions journalières de leurs compatriotes

DES FRANÇAIS. 27I

parût aux moines trop pénible , pour que dans une année ils pussent jamais passer les quinze ou vingt lignes qu'ils consacroient tout au plus au récit des plus grandes catastrophes , soit que de plus grands détails ne parvinssent jamaisdans l'intérieur de leur couvent , on sent également combien à cette époque toute opinion publique devoit être morte, combien tout sentiment pa- triotique devoit être étoufie, lorsque les âmes des contemporains n'étoient pas plus remuées par les circonstances mêmes d'où dévoient dé- pendre leur bonheur ou leur malheur.

Les sujets de Charles, les guerriers de Charles dévoient ressentir bien peu d'enthousiasme pour la soumission de l'Italie ou de la Saxe, de la Marche d'Espagne ou des bords du Danube, puisque aucune trace de cet enthousiasme ne s'est conservée dans un grand nombre de chro- niques écrites au moment même de leur triom- phe ; et comme les calamités de la guerre étoient toujours les mêmes, quoique les jouissances des victoires fussent bien moins vives , on pourroit en conclure que le règne de Charles fut une pé- riode d'assez grande souffrance, puisque ses sujets achetoient par de grands sacrifices des succès dont ils ne savoient point jouir.

Il est difficile de consulter les historiens sur la condition de la nation à cette époque. Les moines qui nous ont Uissé des chroniques ne

27^ KISTOÎRE

s'aperce voient pas même de son existence; ils ne parloient jamais d a gouvernement intérieur, non plus que des opinions dominantes , des dé- sirs, des besoins, des peines du peuple : les expéditions militaires sont le seul événement dont ils se soient crus obligés de consigner le souvenir dans leurs écrits : et comme chaque campagne reculoit les frontières de la monar- chie , chaque campagne portoit aussi l'histoire des Francs plus loin de la France. Au com- mencement de ce règne, on voit Charles agir tour à tour sur TAilemagne, Tltalie et l'Es- pagne. A la fin du même règne , nous devons suivre ses relations avec les Danois , les Es- clavons, les Grecs et les Musulmans; son his- toire se compose ainsi de tout ce qui se passoit à une grande distance de son pays , tandis que l'ancienne France , la Gaule surtout, est absolu- ment oubliée; et comme ses soldats étoient le- vés presque exclusivement dans les provinces germaniques , aucune partie de l'Europe n'est plus rarement mentionnée dans toute la durée du règne de Charlemagne, que celle qui porte aujourd'hui le nom de France.

C'est aux recueils de lois que nous devons recourir, pour suppléer au silence des histo- riens ; et ceux-ci nous expliquent en partie , ou plutôt encore , nous laissent deviner com- ment la nation des Francs , la nation des Gau'

BfiS FRANÇAIS. 275

lois disparoissoient des pays elles avoicnt dominé; comment la suite immédiate d'un règne signalé parles plus brillantes victoires, fut un état si étrange d'épuisement , qu'aucun pays Charles a voit régné n'eut la force de résister aux plus méprisables ennemis.

En effet, les lois seules nous donnent quelque indication d'une révolution importante à la- quelle la grande masse du peuple fut exposée à plusieurs reprises dans toute Fétendue des Gau- les, révolution .qui, s'étant opérée sans vio- lence, n'a laissé aucune trace dans l'histoire, et qui doit cependant expliquer seule les alterna- tives de force et de foiblesse dans les états du moyen âge. C'est le passage des cultivateurs de la condition libre à la condition servile. L'es- clavage étant une fois introduit et protégé par les lois, la conséquence delà prospérité, de l'ac- croissement des richesses, devoit être toujours la disparition de toutes les petites propriétés , la multiplication des esclaves, et la cessation absolue de tout travail qui ne seroit pas fait par des mains serviles. Chaque fois que le pays de- venoit la proie d'une conquête nouvelle , il s'y établissoit un certain nombre de vigoureux sol- dats qui ne méprisoient point, comme les vain- cus, les travaux des champs, et qui, en posant l'épée, se montroient empressés à reprendre la bêche; mais dès la seconde ou la troisième gé-

TOME I. 18

274 HISTOIRE

îiération , les fils de ces soldats ne vouloient pas être confondus avec des esclaves; ils cessoient de travailler, et s'ils ne pouvoient se maintenir dans l'oisiveté par le travail d'autrui , ils ven- doient leur petit héritage à quelque riche voi- sin ; ils alloient aux armées , leur famille s'étei- gnoit 5 et toutes les petites propriétés disparois- soient, de même que toute la classe des hommes libres , tandis que le nouvel acquéreur augmen- toit le nombre de ses esclaves. Ainsi, Clovis avoit introduit des cultivateurs libres dans les Gaules, ils disparurent pendant le règne de ses petits-fils ; Pépin Fancien et Charles Martel en avoient amené de nouveaux, ils disparurent sous Charles, et la totalité des champs de la Gaule ne fut plus cultivée que par des esclaves. Cependant la révolution ne s'opéra pas dans les personnes, mais dans les propriétés; les fa- milles, à un petit nombre d'exceptions près , ne furent pas dégradées , mais elles s'éteignirent ; les achats , les échanges , les concessions de terre changèrent bien plus l'état des Français que l'épée n'auroit pu le faire.

Plus le roi des Francs étend oit ses conquêtes , plus il avoit de terres disponibles dont il pou- voit gratifier ses serviteurs , plus leur ambition s'accroissoit aussi, et plus ils demandoient de lui des concessions considérables. Dans les idées de ce siècle, la juridiction, la souveraineté

DES FRANÇAIS. 27^

même se confondoient tellement avec la pro- priélé, que chacun des duchés , des comtés, des seigneuries qu'il accordoit ^ quelqu'un de ses capitaines, n'étoit pas seulement un gouverne- ment, c'étoitaussi un patrimoine, plus ou moins couvert d'esclaves qui travailloient pour leur maître. Peut-être Charles fit-il des milliers de ces concessions à des laïques ; mais les titres des propriétés patrimoniales ne sont conservés avec soin que par ceux qui y ont un intérêt, et aucune famille ne pouvant prouver qu'elle existoitdéjàdu temps de Charlemagne, aucune n'a pu produire des titres aussi anciens. Les cou- vens, les églises qui se sont conservés sans alté- ration , ont beaucoup mieux préservé leurs titres. En effet, nous trouvons dans dom Bou- quet près de cent charlres accordées par ce monarque à des monastères : tantôt avec des concessions de terres nouvelles, ce avec tous leurs ce habitans, leurs maisons, leurs esclaves, leurs «prés, leurs champs, leurs meubles et leurs ((immeubles)) (1); tantôt pour confirmer les concessions faites aux lieux saints , par d'autres hommes pieux , et pour empêcher ce qu'aucuns ce juges ou commissaires royaux ne prétendent c( exercer aucune autorité sur les villes et les

(i) Voyez, entre autres, une Chartre accordée en 775 à Saint-Denis. D. Bouquet. T. Y, p. 736.

276 HISTOIRE

«cours qui dépendentcle l'Eglise ))(i). C'est ainsi que la plus grande partie de la France se trou- voit devenue le patrimoine ou des seigneurs ou des prélats ; la richesse dès lors ne se comptoit plus que par têtes d'esclaves ; plusieurs milliers de familles dévoient travailler pour nourrir un courtisan ; et le savant Alcuin , que Charles avoit enrichi par ses libéralilés, mais qui ne pouvoit cependant le disputer en opulence et en pouvoir aux ducs et aux évêquesde sa cour, avoit , à ce que nous apprenons de l'évêque Ali- pand, vingt mille esclaves sous ses ordres. (2)

Mais outre les vastes patrimoines , les im- menses seigneuries accordées par les rois aux premiers conquérans ou aux courtisans qui avoient obtenu la faveur de leurs maîtres, ou- tre les héritages des hommes libres achetés par les riches , et réunis à leurs propriétés , ou ceux que les puissans avoient usurpés , et que de sim- ples soldats ne pou voient se faire rendre ; outre ces possessions presque sans bornes , que l'Eglise tenoit de la générosité des rois , de celle des no- bles , de celle de tous les pécheurs et de tous les saints, possessions qui s'accroissoient à chaque génération , et qui ne s'aliénoient jamais, une

(i) Voyez une Chartre accordée la même année à Saint-Mar- tin. Ib. p. 737.

(2) Prœf. ad Elipand. epîst, 37, apud Fleury, Hist. ecclés. Liv. XLY, chap. 17,

DES FRANÇAIS. 277

partie très-considérable du territoire apparte- noit toujours à la couronne. 11 nous reste un capitulaire sans dale , de Charles, et le plus curieux de tous peut-êlre, qu'il publia avant d'être empereur, pour régler l'économie de ses terres, ou, comme elles sout appelées , des villes et des cours royales. Celles-ci étoient distri- buées dans toutes les provinces, et habitées par plusieurs milliers de serfs et de fiscalins: leurs rentes constituoient la part la plus essentielle des revenus royaux. Un juge étoit assigné par le roi à chacune de ces communautés, et ce juge étoit chargé de toute l'administration écono- mique, depuis la nourriture des poules et des oies autour des moulins , et la vente des œufs, jusqu'à la distribution des ouvriers dans tous les arts mécaniques; depuis le partage des chanvres et des laines que le juge doit donner aux femmes pour filer , jusqu'aux approvision- nemens qui doivent servir pour la maison de l'empereur dans ses voyages ou pour la nour- riture de l'armée. On a souvent loué Charles de cet esprit d'ordre et d'économie qu'il a voit ap- pliqué jusqu'aux plus petits détails de l'admi- nistration. On oublie que ce capitulaire sur les villes royales régissoit peut-être les habitans du quart de la France , et qu'il serv^oit tout au moins d'exemple aux seigneurs laïcs et ecclé- siastiques pour régir les trois autres quarts. Per-

278 HISTOIRE

sonne n'a remarqué combien la condition des fiscalins ou des esclaves soumis à une telle lé- gislation devoit être dure ; tandis qu'ils étoient dirigés, dans tous les détails de la vie domesti- que , par ces espèces d'intendans qu'on nommoit juges, et qu'ils étoient privés de tout libre ar- bitre , comme de toute espérance. On a clierclié encore dans ce capitulaire un monument de ce qui restoit de civilisation en France. En effet, Charles en pourvoyant aux jouissances du maî- tre et de sa cour , indique combien d'arts diffé- rens doivent être cultivés dans chaque rési- dence royale, combien de cultures variées doi- vent être maintenues dans les champs. Il fait une énumération des différens fruits, des differens légumes dont on ne doit jamais laisser perdre les espèces , et leur liste n'est peut-être pas fort inférieure à celle que pourroit faire aujourd'hui un habile jardinier. Mais la civilisation est sur le point de s'anéantir quand ses jouissances sont réservées à une classe infiniment peu nom- breuse. Les esclaves ne connoissoient aucuns des goûts qu'ils dévoient satisfaire dans leur maître* ils n'avoient aucun intérêt à les entre- tenir, et dès que la baguette du juge cessa de les menacer , ils renoncèrent à cette industrie fatigante qui leur étoil imposée, (i)

Ne perdons jamais de vue qu'à cette époque

(0 Capitulare de villis CaroU Magni, T. I, p. 33 1-542.

DES FRANÇAIS. 279

îa nation des Francs se composoit des seuls pro- priétaires d'hommes et de terres ; eux seuls éloient riches , étoient indépendans , étoient consultés sur les affaires publiques, admis au Champ de Mai , et appelés dans les armées. Leur nombre égaloit, surpassoit même peut-être ce- lui des gentilshommes anglais , qui au jour- ' d'hui sont aussi seuls en possession de la sou- veraineté nationale comme du territoire. Ce nombre cependant étoit bien petit lorsqu'il s'agissoit de défendre le pays. Qu'on ne s'étonne donc point si la grande masse du peuple étoit à peine aperçue, si elle ne prenoit aucun intérêt à ses affaires , si elle ne trou voit en elle-même ni force ni pensée , si enfin la nation passa en tin instant du faîte de la puissance au dernier abaissement. Quelques milliers de gentils- hommes perdus parmi quelques millions d'es- claves abrutis, et qui n'appartenoient plus ni à la nation , ni à la patrie , ni presque à l'huma- nité ; quelques milliers de gentilshommes ne pouvoient rien faire seuls pour conserver à la 78c France ou ses lois, ou sa puissance, ou sa liberté. Cette confusion malheureuse des droits de souveraineté et de ceux de propriété , cette dé- plorable économie qui cultivoit et qui mettoit en valeur une province tout entière, par le moyen d'esclaves, contribua aussi à mettre en contradiction les prétentions des souverains et

28o HISTOIRE

80. celles des papes, et à jeter les germes d'inextri- cables difficultés dans les concessions mêmes faites au saint-siége par Pépin et par Charles.

Au moment de la conquête de l'Italie , et avant même que Didier eût été fait prisonnier , nous avons vu que le pape Adrien P'' s'étoit fait confirmer par Charles la donation de Pépin , et celle-ci avoit probablement été habilement étendue , sans que le guerrier , qui connoissoit mal la géographie d^un pays qu'il n'a voit pas encore achevé de soumettre, comprît bien ce qu'on lui demandoit. En effet, si la donation de Charles avoit transmis au saint-siége, comme on l'a prétendu, l'Exarquat, la Vénélie, i'Is- trie, les duchés de Spolète et de Bénévent, de Parme, de Reggio , de Mantoue, de Monselice et la Corse, il ne seroit presque rien resté du royaume des Lombards (1). Mais Charles ne se fut pas plutôt assis sur le trône de Didier, qu'Adrien commença à réclamer les justices promises à saint Pierre par le donateur, justices qui n'a voient jamais été livrées, ce Très - bon , « très-doux, très-excellent fils que Dieu a établi « roi, lui écrivoit-il , je te supplie, je te de- <c mande avec instance et avec la même con- <( fiance que si j'étois devant toi , d'accomplir c( au plus tôt cette donation que, pour le bien de <( ton âme , tu as promis de faire à saint Pierre , {i) Muratori Annali d' Ualia , ann. 774.

DES FRANÇAIS. 281

« le portier des deux, afin qu'à son tour ce 780. <( prince des apôtres t'aide et te seconde auprès (( de la Majesté divine (i). Surtout, notre (( doux fils, disoit-il dans une autre lettre, « nous recourons à toi contre ce perfide semeur <( de zizanie, cet ennemi du genre humain , Re- <( ginald , auparavant châtelain de Félicité , et a qui prétend aujourd'hui être duc de Cluse; « car il ne cesse, par ses iniques tentatives, d'af- cc fliger ta sainte mère l'Eglise, et nous-même, (c en s'efforçant de retrancher à saint Pierre « ces dons que tu lui as faits » (2). Nous avons vu que les villes royales , ou les posses- sions de la couronne , étoient gouvernées en France par des juges ; il est donc probable que dans les donations faites à saint Pierre , elles avoient été désignées par le nom de justices. Cependant Charles n'a voit jamais entendu re- noncer à la souveraineté de ces vastes pays ; et en effet, il continua à les gouverner; les ducs qu'il donnoit aux provinces n'entendoient pas davantage que l'Eglise s'en attribuât la propriété territoriale ; de sorte qu'ils résistoient au pape de toutes leurs forces. Lesévêques, les arche- vêques, et surtout Léon, archevêque de fla- venne , avoient représenté à Charles que sa donation pieuse étoit accomplie lorsqu'il aban-

(i) Codex CaroUnus epist. 53. Hadriani yma, p. 55i. (2) Ihid. epist. 60. Hadriani 8^», p. 552.

282 HISTOIRE

780. donnoit aux églises les seigneuries qu'il avoit promises à Dieu ; mais qu'il ne devoit pas rui- ner une église pour en enrichir une autre ; qu'ainsi les propriétés qu'il abandonnoit à Dieu dans le diocèse de Ravenne , dévoient demeurer à l'église de Ravenne , et non à celle de Rome ; et les prélats se joignoient ainsi aux seigneurs pour repousser les demandes du pape.

Au milieu de ces prétentions opposées, il est devenu impossible de comprendre ce que Charles avoit réellement voulu céder à l'Eglise romaine , et peut-être aucun des contractans ne s'en fit-il jamais une juste idée. Soit que ce fût cependant des terres avec leurs laboureurs es- claves , des gouvernemens , ou une souveraineté , il devenoit nécessaire de s'entendre, et Charles sentit le besoin de se rendre de nouveau à Rome , pour réconcilier Adrien et les ducs lombards, avec lesquels le chef de l'Eglise étoit sans cesse en hostilité. Les lettres d'Adrien qui nous ont été conservées, nous le montrent constamment occupé de noircir tous les lieutenans de Charles dans l'esprit de leur souverain. Les ducs lom- bards, de leur côté , accusèrent le père commun des fidèles, d'autoriser le commerce scandaleux des esclaves que les Sarrasins venoient faire sur les côtes d'Italie. Ils dirent à Charles que , loin d'avoir pourvu au salut de son âme, lors- qu'il avoit accordé à l'Eglise d'immenses terres

DES FRANÇAIS. ^85

chargées d'esclaves, il s'ëtoitau contraire rendu 780. responsable du crime nouveau qu'il donnoit oc- casion de commettre; car ces esclaves chrétiens, vendus ensuite par les prêtres aux infidèles, étoient exposés à apostasier. Charles, qui com-» niençoit à connoître un peu mieux la cour de Rome , et à croire moins implicitement à la pu- reté de sa conduite , écrivit au pape avec beau- coup de chaleur sur cette infamie. Adrien , dans sa réponse qui nous a été conservée, s'efforce de faire retomber l'accusation portée contre lui sur ses accusateurs.

« Nous trouvons aussi dans vos lettres, lui (( dit-il, ce que vous dites sur la vente des es- « claves, comme si c'étoient nos Romains qui <c les eussent vendus à la race infâme des Sarra- cc sins : mais jamais , et Dieu nous en garde , (c nous n'étions descendus à un pareil crime, c< ou nous n'y avions donné notre consente- (( ment; c'est sur le rivage des Lombards que (( les exécrables Grecs naviguent, c'est avec les (( Lombards qu'ils ont fait amitié, c'est qu'ils « achètent leur famille et qu'ils se procurent « des esclaves. Nous avons même sommé le duc (c Allô d'assembler ses vaisseaux, de saisir ces c( Grecs et de brûler leurs navires ; mais il n'a pas ce voulu se conformer à nos ordres , et pour nous <c qui n'avons ni vaisseaux ni matelots, nous (C n'avons pu les saisir. Cependant pour empê-

284 IIISTOIRK

j8o. (( cher ce crime, autant qu'il étoit en nous, ce nous avons fait brûler les vaisseaux des Grecs (( qui se trouvoient dans notre port de Centum a Cellce (Civita-Vecchia), et nous avons retenu <( ces Grecs long- temps en prison. Les Lom- « bards, il est vrai, ont vendu un très-grand <c nombre dVsclaves, car la misère et la faim (( les y forçoient : plusieurs mêmes des Lom- « bards montoient d'eux-mêmes sur les vais- <( seaux des Grecs, pour se livrer à eux , car il an ne leur restoit aucun autre moyen de con- (c server leur vie. Quant à nos prêtres , ce qu'on <c a osé vous suggérer faussement contre eux, « au préjudice de Dieu et de leur âme , est un ce mensonge inique , et votre sublimité ne doit ce point croire que nos prêtres aient encouru c( une telle souillure. » (i)

Adrien avoit aussi cherché à indisposer Charles contre le duc de Spolèfe, ïldebrand ; mais celui-ci s'étoit rendu à Compiègne, pen- dant rhiver de 779 ; il avoit apporté au roi des présens considérables, etil avoit été de nouveau reçu en grâce (2). Il avoit cependant pressé lui- même Charles de visiter incessamment l'Italie^ celui - ci désiroit aussi suivre de plus près les négociations qu'il avoit entamées avec l'impéra- rrice Irène , qui venoit de succéder à Léon IV,

(i) Codex CaroUn. ep. 65. Hadriani , ep. î2, p. ôSy. t^) Annales metens, p. 345, et ca&teri.

DES FRANÇAIS. 285

^on mari, sur le trône des Grecs, et en même 78< temps appuyer de l'autorilé pontificale celles qu'il entretenoit avec Tassilon , duc de Bavière. Il s'agissoit de faire épouser Rothrude sa fille , à Fauguste Constantin V, et d'engager Tassilon à donner des gages de sa fidélité. Charles partit donc pour l'Italie, avec sa femme et ses enfans, et il passa l'hiver à Pavie.

Au printemps de l'an 781 , Charles se rendit 781 à Rome, et il s'y trouva aux fêtes de Pâques, qui tomboient cette année sur le i5 avril. Il conduisoit avec lui deux de ses fils , dont l'un n'avoit pas encore reçu le baptême : Adrien le baptisa lui-même, et fut aussi son parrain; il changea son nom de Carloman en celui de Pé- pin, et après cette cérémonie, il le sacra comme roi de Lombardie; il sacra en même temps le second nommé Louis , Chlotwig , ou Clovis , comme roi d'Aquitaine. Charles, appelé pres- que constamment à vivre et à combattre sur la frontière d'Allemagne, crut qu'il assureroit mieux l'obéissance des peuples nouvellement soumis, et qui regrettoient leur indépendance, s'il établissoit au milieu d'eux, avec deux fan- tômes de rois, deux cours et deux gouverne- mens, (i)

L'orgueil des Grecs ne pouvoit admettre qu'un roi barbare fût l'égal d'un de leurs em-

(i) Egînhardi Annal, p. 204, €t caeteri.

^86 HISTOIRE

pereurs ; cependant la puissance de Charles, qui s'étendoit déjà sur la plus grande partie de l'ancien empire d'Occident , pouvoit rendre son alliance désirable au souverain de Constan- tinople ; et dans ce moment , les révolutions survenues à cette cour augmentoient le besoin qu'elle pouvoit sentir d'un appui étranger. Pen- dant soixante ans, trois souverains de nation isaurienne avoient occupé le trône de l'Orient. Ces montagnards, plus simples que les Grecs dans leurs mœurs, plus énergiques dans leur caractère , plus étrangers aux arts , et plus enne- mis de la superstition, avoient vu avec indigna- lion le christianisme dégénérer en idolâtrie. Le culte des images leur paroissoit une rébellion contre la Divinité; le travail des moines, pour encourager leur invocation et faire attendre d'elles une assistance miraculeuse, étoit une attaque journalière contre la raison et la morale. Les empereurs se figurèrent qu'ils réformeroient l'Eglise par leurs édits , et ils voulurent arrêter la superstition par des menaces, des rigueurs et des supplices. La passion religieuse qu'ils combattoient n'en acquit que plus de force, et eux-mêmes , égarés par l'animosité d'une lon- gue lutte , ils outrepassèrent toute borne , et ils se rendirent odieux à une grande partie de leurs sujets par leur intolérance. De l'an 717 a Fan 780, le règne des empereurs iconoclastes,

DES FRANÇAIS. 287

Léonin, Constantin IV, et Léon IV, f ut sanscesse 781. ébranJé par des séditions. Les moines entraî- noient presque toujours leurs sujets à la révolte^ et lorsqu'ils étoient ensuite punis de leur au- dace, le peuple leur rendoit un culte comme à des martyrs. Aigri parleurs prédications, leurs inj ures et leurs complots , Léon IV poussa la per- sécution jusqu'à envoyer au supplice plusieurs des adorateurs des images. Au plus fort de son ressentiment, il découvrit dans le lit même de sa femme , au mois de février 780 , deux images auxquelles elle avoit rendu un culte secret. Léon punit avec cruauté ceux qui avoient introduit dans son propre palais la superstition qu'il avoit en horreur; il repoussa Irène de son lit; il se préparoit à lui faire son procès, peut-être à la faire périr , lorsque tout à coup sa tête se cou- vrit de pustules noires au lieu elle avoit touché une couronne consacrée à Dieu , qu'il avoit voulu porter ; il fut saisi par une fièvre ardente, efil mourut en peu d'heures. C'est ce que tous les historiens ecclésiastiques ont ap- pelé un miracle, qui vengeoit la Divinité offen- sée, (i)

Irène, après avoir accompli ce miracle, qui

(i) Theophanes Chronog raphia. Byzant. Ven. T. VI, p. 3o4. G. Cedrenus Histor. part. II, p. 570, T. YIII. —Jo. Zo- narcB. Annal. Liv. XV, p. 90 , T. X Baronii Annal. eccL 780, 781 , T. IX, p. Wo.-Pagicritica, T. UI, p. 358.

a88 HISTOIRE

^Sr. seul peut-être pouvoit la sauver, ii'étoit pas hors de tout danger. Elle se fit couronner avec son fils Constantin V, qui n'étoit âgé que de dix à douze ans , et elle se réserva toute Fautorité ; mais elle avoit contre elle tous les grands, ja- loux du pouvoir d'une femme; tous les parti- sans des derniers empereurs, qui ne croyoient pas facilement aux miracles qui font mourir si à propos les rois; tout le haut clergé icono- claste, tous les fonctionnaires publics élevés au pouvoir par ses prédécesseurs, et tous les Isau- riens. Irène chercha un appui dans la populace que dirigeoient les moines, et dans le grand mo- narque des Latins. Elle rétablit avec pompe le culte des images , elle honora comme des mar- tyrs tous ceux qui avoient souffert sous les ico- noclastes; elle enferma dans des couvens les frères de son mari , elle en fit périr quelques autres qu'elle accusa de conjuration , et elle ob- tint ainsi une haute réputation de piété et de zèle pour l'orthodoxie. D'autre part elle envoya au roi des Francs deux ambassadeurs pour lui demander sa fille aînée en mariage. Cette prin- cesse , que les Francs nommoient Rothrude, nom que les Grecs traduisirent par celui d'Ery- trée, étoit née en 775, et âgée seulement de huit ans : après que le contrat eut été signé et confirmé par des sermens, l'eunuque Elysée fut placé auprès d'elle pour lui enseigner la langue

DES FRANÇAIS. 289

et les lettres grecques, en attendant qu'elle nSi. lut en âge de passer à la cour de Constanti- nople. (i)

La négociation avec Tassilon eut un égal suc- cès. Charles, inquiet du mécontentement secret deceduc, le plus éloignéet le plus puissant de ses feudataires, et le plus rapproché des Saxons et des Esclavons, ses seuls ennemis , engagea le pape Adrien à lui envoyer deux évêques , qui, joints à ses propres ambassadeurs, rappelassent au duc de Bavière les sermens qu'il avoit prêtés à Pépin , à ses fils et au peuple des Francs. Tassi- lon fut touché, ou des discours de ces envoyés , ou de cette marque de considération; il se dé- clara prêtàserendreà la courdu roi des Francs, pourvu qu'on lui donnât des otages qui répon- dissent de sa sûreté. Charles consentit à lui en envoyer, mais il en demanda d'autres en retour, qui garantissent la fidélité du duc de Bavière; puis, comme il avoit lui-même repris par Milan Ja route de la France germanique , il donna ren- dez-vous à Tassilon, au palais de Worms, il reçut ses sermens. (2)

Charles passa tout l'hiver dans son palais de :;82,

(1) Idem loco cit. et Chronic. JVibelung. com. p. 27. Moissiacens. p. 71. Saxonic. p. 344-

{1) Eginhardi Annal, p. 9.o5. Petmnani , \5. Tiliani, 20. ~ Loiseliani, 4^. Lamheciani , 65. Moissiacejis. 71. Fiddenses , 329, Metenses , 344-

TOMK II. 19

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;82. Worms , jusqu'aux Pâques de Tan 782. Mais dès que Fabonclance des fourrages du printemps permit les mouvemens de la cavalerie , il con- voqua l'assemblée nationale du Champ de Mai, auprès des sources de la Lippe ( Lippspring , prèsdePaderborn). Il n'y avoit eu encore aucun trouble en Saxe, mais il jugeoit nécessaire de déployer de nouveau , aux yeux de ce peuple si récemment soumis , tout l'appareil des forces de la France. Il passa le Rhin à Cologne avec sor armée, et il la conduisit en un seul corps, aa lieu qu'il avoit assigné aux Francs pour leurs délibérations , et aux puissances étrangères pour la rencontre de leurs députés. Les ambassadeurs de Sigefrid, roi des Danois, ceux du Chagau des Avares, et du Vigurre, prince des Huns y se rendirent au camp de Charles sur la Lippe, et se retirèrent ensuite après avoir renouvelé leurs traités avec les Francs ; les Saxons se soumirent à recevoir une administration en tout pareille à celle de la France. Charles choisit parmi leurs chefs et leurs petits rois, ceux à qui il voulut confier l'administration de leurs divers dis- tricts , avec le titre de comtes ; il rendit justice à ceux qui avoient quelque occasion de se plain- dre, il calma les ressentimens privés qui pou- voient dégénérer en hostilités nationales, et croyant n'avoir laissé derrière lui aucune se- mence de discorde , il ramena sou armée en

DES FRANÇAIS. 291

France, et la licencia après avoir repassé le :8a. Rhin, (i)

Mais le plus illustre des Saxons , le chef qui avoit seul le talent de les rallier pour la défense nationale , Wittikind , n'avoit point attendu Charles dans sa patrie. Il s'étoit retiré chez les Normands, c'est-à-dire dans quelque partie de la Germanie septentrionale ou de la Scandinavie. Dès qu'il fut averti que Charles avoit repassé le Rhin , il revint parmi ses compatriotes , et pro- fitant de leur aversion pour les institutions étrangères qu'on venoit d'implanter parmi eux, il les engagea à reprendre les armes , en leur promettant les secours des peuples germains qui avoient conservé leur liberté. Le roi franc ignoroit ces mouvemens secrets; mais il avoit appris que les Sorabes, peuple Esclavon qui liabitoit entre l'Elbe et la Sala , avoient envahi les frontières voisines de la Thuringe et de la Saxe, et qu'ils y signaloient leur marche par le pillage et l'incendie. Il fit partir aussitôt pour leur tenir tête, trois de ses officiers, Adelgise, cubiculaire ou chambellan ; Geilon , comte de l'é table , et Worad , comte du palais; car déjà les fonctions serviles qui attachoient à la personne même du monarque étoientregardéescommedes distinctions honorifiques, et donnoient un titre

(i) Id. Ihid. et jyibelun^ , p. 27. Poeta saxon. Lib. II,

V. i3; p. 145.

292 HISTOIRE

au commandement des armées. Il leur ordonna de rassembler sur les lieux mêmes les Austra- siens et les Saxons intéressés à réprimer les bri- gandages des Slaves. Ces trois officiers arrivés sur la frontière delà Saxe , y apprirent le soulève- ment des Saxons et le retour de Wiltikind ; ils renoncèrent alors à combattre les Slaves, et ils entrèrent dans la Saxe avec les seuls Auslra- siens; bientôt ils y furent joints par le comte Théderic, proche parent du roi, qui, sur la nouvelle de l'armement de Wittikind, a voit ap- pelé à lui les Francs ripuaires, et avoit passé le Rhin à leur tête, pour mettre obstacle à la ré- bellion.

Leslieutenans de Charles, ayant reconnu que les Saxons étoient campés au nord du mont Sonnethal , près du village de Munder , dans duché actuel de Brunswick (1) , s'en approchè- rent en deux divisions ; le comte Théderic sur Tune des rives du Weser , les trois grands offi- ciers du palais sur l'autre; mais ceux-ci, qui se flattoient d'obtenir seuls une gloire qu'ils ne vouloient pas partager avec le comte, au lieu de concerter ensemble leurs projets , s'effijrcèrent de n'avoir rien de commun avec lui. Sans le prévenir ils attaquèrent seuls les Saxons, contre lesquels ils marchoient comme à une victoire certaine : en effet , leurs troupes animées par

(ï) lYotœ ad Poetam saxon, p. ïf\6.

DES FRANÇAIS. 2^5

Tespoir des dépouilles qui leur avoient été pro- :8a. mises, au premier choc enfoncèrent les ennemis ; mais en avançant toujours au milieu d'eux, elles se trouvèrent enveloppées ; elles perdirent alors courage, et furent presque toutes massacrées. Adalgise et Geilon, avec quatre comtes et vingt des plus nobles chefs de Tarmée, furent au nom- bre des morts. Ceux qui se dérobèrent au car- nage par la fuite, au lieu de regagner leur camp, traversèrent la rivière, et vinrent jeter l'alarme dans celui du comte Théderic , qui eut le temps de se retirer sans être entamé. Pendant ce temps Charles assembloit son armée, et avant la fin de la belle saison il entra en Saxe et vint ti-a- cer son camp au confluent de l'Aller et du Weser. Les armées qui avoient vaincu ses lieu- tenans s'étoient dissipées , Wittikind s'étoit retiré chez les Normands, les Francs n'avoient éprouvé nulle part de résistance , et les sei- gneurs saxons, obéissant aux sommations de Charles, se rendirent tous auprès de lui aux comices des Francs. Là, d'une commune voix, ils accusèrent Wittikind d'avoir seul excité leurs compatriotes à la révolte 5 mais Charles ne voulut point se contenter de ces excuses, il exigea qu'on lui livrât tous ceux qui avoient pris les armes dans la dernière campagne. Les comtes saxons n'hésitèrent point en efi'et à re- mettre au monarque irrité ces courageux pa-

294 HISTOIRE

triotes, au nombre de quatre mille cinq cents ^ et Charles , en un même jour, au lieu nommé Verden sur le fleuve Aller , leur fit trancher à tous la tête. Il se retira ensuite dans son palais de Thionville, pour y passer l'hiver, et il y célébra successivement les fêtes de Noël et celles de Pâques, (i)

Cette sanglante exécution est racontée par tous les anciens historiens, sans qu'ils témoi- gnent à cette occasion ni étonnement ni désap- probation , ou qu'ils cherchent en aucune ma- nière à en motiver la cruauté. Il est juste de remarquer cependant qu'elle ne ressemble point aux autres actions de Charlemagne , et qu'il se distingue avantageusement entre tous les rois ses prédécesseurs et ses successeurs, par sa douceur envers les peuples conquis. Le plus souvent il les gouvernoit d'après leurs propres lois et avec leurs propres magistrats : aussi sa cour étoit- elle presque autant composée de Lombards , de Saxons , deVisigoths, de Bavarois, que de Francs. S'il s'éloigna à l'égard des Saxons , et après une lutte opiniâtre, de sa politique accoutumée, il eut bientôt lieu de se convaincre que la cruauté est un moyen aussi imprudent qu'immoral de

(i) Eginhardl Annal, p. 2o5. Annal. Petaviaîii , p. iS. ' Tiliani, 20. Nihelung , l'j. Loisel. [\i. Moissiac. 71. Fuldenses , 029. Metcnses , 544« Poeta saxon. Lib. II , V. 28-100, p. 145.

DES FRANÇAIS. 29?

gouverner les peuples. Les Saxons qui étoient 782^ presque soumis se révoltèrent de toutes parts» Cependant un roi recule rarement quand il est entré dans cette carrière funeste ^ et à dater de cette époque le règne de Charles fut bien plus souvent ensanglanté , tantôt par le supplice des vaincus, tantôt par celui de ses ennemis domestiques. On a attribué en partie ce changement à l'influence des femmes qui l'ap- prochoient. Dans l'année 785 , Charles perdit 78,^. sa femme et sa mère. La première , Hildegarde , mourut le 3o avril; la seconde, le 12 juillet. Fartrade, née chez les Francs austrasiens, et fille du comte Radolf , que Charles épousa la même année, étoit, à ce qu'assure Eginhard ^ d'un caractère hautain et cruel, (i)

Charles étoit encore à Thion ville lorsqu'il fut informé des mouvemens des Saxons; il ras- sembla aussitôt son armée, passa le Rhin, et s'avança dans leur pays. Jusqu'alors les Saxons avoient quelquefois attaqué avec avantage ou surpris ses lieutenans, mais ils n'avoient point osé lui tenir tête à lui-même. Cette fois, le res- sentiment leur donna de l'assurance ; ils l'atten- dirent de pied ferme à Theutmold , aujour- d'hui Dethmold, près de la montagne d'Osnegg. Le succès ne répondit point à leur courage ; leur

(r) Eginhardi Annal, p. 206. Fita, cap. 20, p. 97, et cœterî ut supra.

I\y6 HISTOIRE

;83. obstination lei;r fut plus fatale que ne l'avoitété leur foiblesse : presque tout ce qui se trouvoit sur le champ de bataille fut taillé en pièces. Leur résistance cependant avoit sans doute fait éprou- ver à Charles des pertes sévères , car après sa vic- toire il se retira à Paderborn , pour y attendre les renforts qui lui arrivoient de France. Les Saxons, de leur côte, n'espérant plus rien de la miséricorde du vainqueur, rassembloient une nouvelle armée sur les bords de la rivière Hase , dans la contrée des Westphaîiens, non loin du site est bâti aujourd'hui Osnabruck. Un mois ne s'étoit pas écoulé depuis la bataille de Deth- mold, que Charles fut en état de venir les y chercher. Il les joignit sur les rives de la Hase , et les vainquit pour la seconde fois. Une partie de l'armée saxonne périt sur le champ de ba- taille, une autre fut emmenée en captivité , et les Francs ravageant tout le pays, s'étendirent au levant jusqu'au Weser et jusqu'à l'Elbe. Après cette victoire , Charles ramena sur le Rhin son armée chargée de dépouilles , et la con- gédia, tandis qu'il passa lui-même l'hiver au château d'Héristal avec sa nouvelle épouse, (i)

^84. Encouragé par ces deux sanglantes victoires,

(i) Eginhardi Annal, p. 206. -— Ejusd. vita , cap. 8, p. 92. Annales Petavianl , i5. Tiliani , 20. JYibelung , 27. Loiseliani , 43. Moissiac. 71 . Poeta saxon, i^-j. AnnaU Fuldenses , 529. Metenses , 344»

DES FRANÇAIS. 2()7

Charles étoit résolu de n'accorder aux Saxons aucun relâche, jusqu'à ce qu'il les eût absolu- ment sourais. La plus grande difficulté pour les incorporer avec les Francs consisloit à leur faire adopter la religion chrétienne ; car du reste ils parloient une même langue , ils se sentoient une origine commune ; leurs mœurs, leurs opinions , leurs lois , leur point d'honneur, avoient les plus intimes rapports; et Charles, en voulant les assujettir , leur ofFroit toujours le partage de tous les droits des Francs, quin etoient point alors réduits à de vains noms ; la même part aux assemblées nationales , le même rang dans les armées, qu'on pouvoit regarder comme les vraies souveraines ; la même administration provinciale, par des comtes nés au milieu d'eux. Mais pour les réduire à accepter ces conditions et à renoncer à leur indépendance, Charles ne savoit trouver d'autre parti que de dévaster leur pays par le fer et le feu , et d'exterminer tout ce qui résisteroit. Dès que la saison lui permit de commencer la campagne de 784 , il traversa le Rhin à Lippeheim , et il s'avança jusqu'au Weser, en brûlant les villages des Westpha- liens. Il avoit intention de pénétrer dans la par- tie la plus septentrionale de la Germanie , et de punir les Frisons qui s'éloient joints aux Saxons dans leur révolte. Mais l'abondance des pluies le força de s'arrêter sur le Weser ^ il

298 HISTOIRE

584. traça son camp dans un lieu nommé Hucuibi j! peut-être Hoxter. Après y avoir demeuré quel- que temps , Fobstination de la saison le fit chan- ger de projet. Il partagea son armée avec son fils aîné Charles, auquel il donna ordre de demeurer en Westphalie , tandis que prenant lui-même le chemin de la Thuringe, il ravagea les campa- gnes adjacentes à l'Elbe et à la Sala; il brûla tous les villages et tous les hameaux des Saxons orientaux , et il rentra par Steinfurt et Scha- ïiinge dans la France auslrasienne. (1)

Son fils, qu'il avoit laissé en Westphalie, ren- contra à son retour l'armée des Saxons au lieu nommé Druvenick , sur la Lippe. Il les attaqua avec sa cavalerie seulement , et les dissipa, après en avoir tué un grand nombre. Il revint ensuite joindre son père à Worms. Celui-ci ré- solut de continuer la campagne pendant l'hi- ver , ce qu'il n'avoit encore jamais fait. Aussi , rassemblant de nouveau son armée, à la fia de l'automne il entra en Saxe , et ayant passé l'Ems , il célébra les fêtes de Noël dans un lieu nommé par la chronique d'Eginhard, Huet- tagoe , peut-être Wechta. On ne peut au reste s'attacher beaucoup à la géographie germanique de cette époque; les noms sont si diversement écrits dans les diverses chroniques, qu'ils se prêtent à toutes les conjectures. Il s'avança en- Ci) Eginhardi Annal, p. 206, et cœter^

DES FRANÇAIS. 2Cjg

suite jusqu'au lieu nommé Rheme 5 près de Min- :85 den , la petite rivère de Werra se jette dans le Weser, et de il étendit ses ravages dans tous les sens. De nouvelles inondations le for- cèrentà prendre ses quartiers d'hiver dans le châ- teau d'Ehresbourg , aujourd'hui nommé Stadt- Bergen, dans l'évêché de Paderborn! Il y fit venir sa femme et ses enfans , et les y établit sous la garde d'une forte garnison , tandis qu'il profitoit de tous les jours de beau temps pour diriger des attaques, soit par lui-même, soit par ses lieutenans, sur tous les lieux que les Saxons habitoient. Partout il pouvoit les atteindre, il abandonnoit leurs personnes au fer des soldats, et leurs propriétés à Fincendie. (i) Les troupeaux, les récoltes, les approvision- nemens de tout genre étoient détruits au l^in. autour de lui, et la Saxe ravagée ne pou Voit plus fournir de vivres à son armée ; il fut obligé en conséquence de faire venir des con- vois de France. En même temps il convoqua l'assemblée du Champ de Mai à Paderborn , et il recruta ainsi ses troupes par l'arrivée de nou- veaux guerriers. Cette diète nationale étant ter- minée, il s'avança jusqu'à Bardengaw, sur la ri- vière d'Ilmenaw, près du lieu Lunebourg a depuis été bâti; on lui annonça que le chef des Saxons qui jusqu'alors a voit soutenu la

(i) Eginkardi Annal, p. 206, et cœter. Annalistœ,

500 HISTOIRE

^85. lutte avec tant de courage et d'obstination , Wiltildnd étoit de Fautre côté de TElbe, avec Abbio, son frère et son compagnon d'armes, et qu'ils paroissoient disposés à traiter. Cepen- dant effrayés du traitement qu'avoient subi , leurs compatriotes 5 ils ne voulurent se re- mettre entre les mains des Francs qu'après qu'AmaIwin , l'un des courtisans de Charles , leur eut conduit des otages de l'autre côté de l'Elbe , avec la promesse que leur précédente conduite seroit oubliée. Alors ils se déclarèrent prêts à se convertir au christianisme , et à se trouver à la diète que Charles convoqua pour sceller cette grande réconciliation , à son palais d'Attigny, sur l'Aisne. Dans cette assemblée, en effet, l'on vit paroi tre peu après, au milieu des Francs , les deux chefs des Saxons qui ^ au pom de leurs compatriotes, prêtèrent le ser- ment de demeurer en paix et d'obéir , et qui reçurent le baptême. Leur pays étoit désolé, la fleur de la nation étoit massacrée , leurs dieux même sembloient convaincus d'impuissance. Ils se soumirent à celui des vainqueurs qui avoit manifesté sa supériorité en rendant vaine leur longue résistance. Charles combla Wittikind et son frère de présens , il les renvoya avec hon- neur dans leur pays, et pendant huit ans la Saxe demeura pacifiée, (i).

(i) F.ginhardi Aritial. p. 307, JYibelung, Coirùt. AfinaL p. 27, et Annal, cœter.

DES FRANÇAIS. 3oi

Lescruautés, les exécutions sanglantes, toutes ;85. les mesures derigueur dontonattribuoitl'adop- lionàlareineFartracle, avoient^éussiàdompte^ les Saxons, mais elles avoient soulevé contre » Charles des ennemis secrets qui , pendant que la Saxe résistoit encore , avoient formé le com- plot de retenir au-delà du Rhin le roi des Francs et de Vy faire périr. Le chef de cette conspira- tion étoit un comte Hartrad , thuringien , qui se flattoit de rétablir l'indépendance de son pays , ou peut-être d'y fonder sa propre souve- raineté. Quoique Charles se trouvât au-delà du Rhin avec une armée, lorsqu'il recueillit les premiers indices de la conjuration, il ne se crut sans doute pas assez fort pour lui tenir tête , puisqu'il ramena ses troupes en Picardie. Il y a aussi lieu de croire que la nation parois- soit peu disposée à s'associer à une querelle qui étoit toute personnelle à son roi. En effet , au lieu de poursuivre sa propre offense , ou de ré- clamer les droits de la souveraineté , il n'occupa les comices de la nation, à Attigny, que des réclamations privées d'un seigneur franc contre un seigneur thuringien. Le second avoit pro- mis au premier sa fille en mariage, et refusoit ensuite de la lui donner. Charles la fit demander par ses hérauts d'armes. Le Thuringien, pour résister, arma ses vassaux. Les Francs regar- dèrent alors l'insulte comme nationale , et leurs

5o2 HISTOIRE

t:85. lois sur les fiançailles comme méprisées. Ils dé- clarèrent la guerre aux Thuringiens, et entrè- rent dans leur pays pour le ravager. La résis- tance ne fut pas longue; les Thuringiens, hors d'état de tenir têle à l'armée, cherchèrent un refuge au pied de l'autel de saint Boniface , l'apôtre des Allemands. L'abbé du couvent où. reposoient les cendres de ce saint, interposa ses bons offices entre le roi et les mécontens, et engagea les derniers à se rendre à la diète que Charles a voit convoquée à Worras pour le mois d'août 786. (i)

^86. Les Thuringiens parurent en effet à la diète

assemblée pour les juger à Wornis. Là, ils fu- rent, pour la première fois, questionnés sur la conjuration du comte Hartrad. Malgré le respect que Charles inspiroit à tout son peuple, ce comte n'hésita pas à répondre : (i Si mes associés a voient a voulu m'en croire, jamais tu n'aurois repassé « le Rhin vivant. » Cependant les conjurés ne furent point condamnés à mort; on exigea seu- lement qu'ils prêtassent serment de fidélité au. roi et à ses enfans. Pour donner à ces sermens plus d'efficacité, Charles demanda que les con- jurés se rendissent en pèlerinage à Rome, et dans les divers sanctuaires en Neustrie et en Aqui- taine, afin d'y prêter leur serment sur les reliques

(i) Aimales nazariani , p. ii. Cest la seule partie de ces Annales î^ui contienne des détails instructifs.

DES FRANÇAIS. 5o5

mêmes de chaque saint et en présence de son :S6, tombeau. Mais Fartrade conservoit toujours sur son époux la même influence ; et ellelui persuada de faire arrêter ces coupables soit en route, soit à leur retour à Worms , pour leur infliger des supplices plus sévères : trois d'entr'eux perdi- rent la vie, en se défendant Fépée à la main pour n'être pas arrêtés ; les autres furent con- damnés à la perte de leurs yeux , ou à l'exil avec confiscation de leurs biens ; quelques- uns cependant furent absous, (i)

A cette même diète de Worms parurent les chefs des Bretons de l'Armorique, qui ve- noient prendre rengagement de respecter désor- mais les propriétés de leurs voisins , de payer aux Francs le tribut accoutumé, et qui remet- toient au roi des otages pour sûreté de ces pro- messes. Ces Bretons établis dans la partie la plus occidentale de la France, que d'après sa situa- tion on nommoit Corne des Gaules , Cornu Walliœ ou Cornouailles , dans le voi5inage de la .ville de Vannes, étoient les descendans de ceux qui, deux cents ans auparavant, avoient suc- cessivement abandonné leur patrie dan^ l'île voisine , lorsqu'elle étoit envahie par les Angles

(i) Annales nazar. p. ii. Annales nibel. Comit. p. 27.

Eginh. vita Carol. cap. 20, p. 97, et cœt Annal. Chron. brève, p. 29. Moissiacens. p. 72. Poeta saxon, p. i4S^

£ g inhardi Annal, p. 207. Annal, fuldens. p. Sag.

3o4 HISTOIRE

;86. et les Saxons. Les rois mérovingiens s'étoient contentés d'exiger des ducs bretons qu'ils re- connussent leur suzeraineté , et qu'ils leu r payas- sent un tribut. Mais ces peuples demi-sauvages dès leur arrivée dans les Gaules, n'avoient fait aucun progrès vers la civilisation. Leur cupi- dité, ou quelque oËfense qu'ils prétend oient avoir reçue de leurs voisins, les engageoient sou- vent à franchir leurs frontières pour piller au- tour d'eux. En 786, ils avoient porté plus loin que de coutume leurs déprédations , et le comte Audulfe, ordonnateur de la table royale ou grand sénéchal , les avoit remis dans le devoir. Aucune autre inquiétude ne troublant la vaste monarchie de Charles, il résolut de passer en Italie pour soumettre à son obéissance le duché de Bénévent , seule partie du royaume des Lom» bards qui ne reconnût pas son autorité. (1)

Le pape voyoit avec inquiétude les Lombards et les Grecs établis à si peu de distance de Rome. Les premiers, souverains de Bénévent, confi- noient avec le territoire propre de l'Eglise; le* seconds , dont l'autorité s'étoit maintenue seule- ment à Naples, à Gaete, dans les villes de Ca- iabre et en Sicile, exerçoient presque tout le commerce maritime de l'Italie , et leurs vais-

(i) Eginhardi Annal, p. 2075 ejusd. vif a Carol. cap. 10 p. 95. Tiliani, p. 2i. Loiseliani , p. 44- Metenses, p. 345. Poeta saxon, Liv. II, Y. 207-225, p. 148-

DES FRANÇAIS. 3o5

seaux visitoient ou menaçoient tour à toui- et à 786. toute lieure l'embouchure du Tibre. Le pape Adrien s'étoit rendu également odieux à ces deux peuples , et il pou voit tout craindre de leur ressentiment : c'étoit lui qui, en invoquant Taide des Francs contre Didier, avoit causé la ruine du royaume des Lombards. Leur nation n'étoit cependant pas détruite, et tandis qu'elle demeuroit souveraine à peu près dans tout le pays qui forme aujourd'hui le royaume de Na- ples, ellecomposoit la partie la plus belliqueuse, et peut-être même la plus nombreuse, delà popu- lation dans les pays italiens soumis aux Francs. Son orgueil étoit humilié de s'y trouver dans la dépendance, et l'on devoit croire qu'elle seroit prête à prendre les armes pour Adelgise , fils de Didier et beau-frère du duc de Bénévent, si celui-ci paroissoit en Italie avec des forces suf- fisantes. Le ressentiment des Grecs contre le pape n'étoit pas moins fondé. Au moment Adrien 1^^ avoit invoqué l'aide de Charles , il étoit sujet de l'empire d'Orient , et il avoit sol- licité le roi franc de défendre les droits de cet empire à Rome et à Ravenne. Mais , profitant ensuite de la piété de son libérateur, il s'étoit fait accorder en don les provinces mêmes qu'il avoit d'abord réclamées pour son maître. Il avoit chassé les Grecs de cette ville de Rome il demandoit à Charles de les protéger; et après TOME II. 20

5o6 HISTOIRE

avoir fait valoir leurs droits ro^^+re les Lom- bards, il avoit dé^V: ' ....i cl il6 Loiiibards également e'^ .v.aiis de Dieu et de l'Eglise. Aussi dans ses ieitres à Charles , qui nous ont été con- servées, ne parloit-il jamais des uns et des autres qu'avec les expressions de la haine et de la dé- fiance, et le sollicitoit-il sans cesse d'étendre au midi ses conquêtes, pour mettre entièrement à couvert les frontières de l'Eglise. Sa propre condition dans la monarchie des Francs étoit ambiguë : tantôt il agissoit en souverain , et tantôt en lieutenant du roi; tantôt il donnoit des ordres , et tantôt il sollicitoit des grâces ; mais la piété de Charles éloit pour lui une meilleure garantie que les chartres qu'il avoit obtenues, et il étoit bien assuré que la confusion entre les limites des deux autorités lui donneroit occa- sion d'étendre la sienne, (i)

Charles cédant aux sollicitations d'Adrien, en- tra en Italie au counnencement de l'hiver , à la tête d'une puissante armée ; et après avoir cé- lébré les fêtes de Noël à Florence , il s'avança vers Rome avec célérité. Là, il consulta le pape et les grands de son armée , sur la manière dont il devoit attaquer le duc Arigise. Celui-ci, pour détourner l'orage qui le menaçoit, envoya au roi des Francs son fils aîné Romuald avec des

(i) Codex CaroUn. epist. 88, 90, 92. ~ InHadriani epist^ 29, 3o, 3i. Scr. franc. T. V, p. 571.

DES FRANÇAIS. 007

prësens considérables. Cependant Cliarles , après 787, s'être autant avancé, ne vouloit point licencier ses troupes sans avoir obtenu tous les avanta- ges qui étoient Pobjet de son expédition. Il fit retenir Romuald à Rome , au mépris , a ce qu'il semble, du droit des ambassadeurs, et il con- tinua à marcher en avant jusqu'à Capoue. Ari- gise ne se sentoit pas en état de livrer bataillé au grand monarque de l'Occident; mais le pays montueux qu'il avoit à défendre étoit d'un dif- ficile accès, et ses défilés étoient encore garantis par un nombre plus grand de châteaux et de fortifications grecques ou barbares qu'aucune autre partie de l'Occident. Quoique Bénévent fût alors une ville forte, et dont la population, étoit nombreuse et belliqueuse, Arigise ne vou- lut pas s'y renfermer. Il se retira à Salerne , afin d'avoir toujours derrière lui la mer libre, pour recevoir les secours des Grecs, ou pour se met- tre en sûreté à Constantinople. En même temps il faisoit réparer les murailles de toutes ses pla- ces, garnir tous les défilés, et il présenta aux Francs une résistance que ceux-ci n'étoient point accoutumés à rencontrer.

Charles, qui ne faisoit aucun progrès contre un ennemi qu'il avoit jugé si foibîe , et qui crai" gnoit en prolongeant les hostilités d'attirer les. Grecs en Italie, ou de s'exposer à une révolte des Lombards , désiroit, malgré les exhorta-

3o8 HISTOIRE

rjsy. lions du pape, accorder une bonne paix au duc de Bënévent. Celui-ci, de son côté, connoissoit tous les dangers de la lutte dans laquelle il s'étoit engagé ; et malgré le mauvais succès de la dépu- tation de son fils aîné, il se hasarda, sans doute d'après les promesses qui lui furent faites, à envoyer encore à Charles le second , Grimoald , avec des offres plus avantageuses : elles furent acceptées. Arigise fut confirmé par Charles dans le duché de Bénévenl, aux conditions aux- quelles il l'avoit tenu des anciens rois Lombards; il dut payer un tribut annuel de sept mille sols d'or; prêter, aussi-bien que tous ses sujets, ser- ment de fidélité au roi des Francs et des Lom- bards, et lui laisser en otage son second fils Grimoald , avec onze de ses principaux sei- gneurs : l'aîné, Romuald , lui fut rendu par Charles, (i)

Mais le roi des Francs ne se fut pas plutôt éloigné du duché de Bénévent , que le pape commença à lui reprocher d'avoir usé de misé- ricorde envers les Lombards, cette génération de vipères qu'il falloit écraser. Il lui dénonça Arigise comme continuant ses négociations avec

(i) Eginhardi Annal, p. 208. Ejusd. vita Carol. cap. 10, p. 93. Erchemperti Mon. Cassin epit. histor. langobard. Script, ital. T. V, p. 16. Annal. Francor. Petaviani , p. i5» Tiliani, p. 21. Loiseliani, p. 44» ~" Moissiac. p. 72. Metens. p. 345.

DES FRANÇAIS. ùug

les Grecs; il lui apprit qu'Adelgise son beau- ^87. frère, fils du dernier roi des Lombards , Didier, avoit été nommé par l'empereur grec, palrice de Sicile, pour le mettre à portée de renouer ses intrigues dans toute l'Italie. Adrien se flat- toit , s'il faisoit recommencer les hostilités , d'ob- tenir ensuite de la générosité de Charles, quel- ques parties de l'Italie méridionale pour le patrimoine de l'Eglise ; mais sur ces entrefaites, Romuald, fils aîné du ducde Bénévent, mourut je 2 1 juillet de la même année , et son père Ari- gise mou rut le 26 août suivant. Le second fils , Grimoald,étoit alors en otage au près de Charles: Adrien demanda avec instance au roi des Francs de ne point le remettre en liberté , tandis que tous les seigneurs bénéventains le sollicitoient de leur rendre leur prince légitime, (i)

{]\\ autre duc également dépendant du roi des Francs, donnoit à cette époque de l'inquié- tude à Charles par sa secrète inimitié. C'étoit Tassilon , duc de Bavière , beau-frère du duc de Bénévent ; car , comme lui , il avoit épousé une fille de Didier, roi des Lombards. Cette prin- cesse, nommée Liudberge, excitoit le ressenti- ment de son mari, et veilloit toutes les occasions de venger son père et de rétablir son frère sur le trône. Tassilon étoit entré en négociation

(i) Annal. IVibelung. p. 27. Codex Carolin. epist. go, p. 5^1 , seq. Baronii Annal, eccles. 787, p. I^oi,

OlO HISTOIRE

avec les nations esclavonnes qui confinoient avec lui; il vouloit les attirer clans Fempire des Francs, et attaquer, de concert avec elles, l'Italie ou la Gaule ; mais ses intrigues ayant été décou- vertes avant qu'il fût prêt pour la guerre, il envoya une ambassade à Rome, pendant que Charles y étoit encore, pour solliciter sa récon- ciliation par l'entremise du pape. Adrien com- mença par lui promettre son assistance ; mais lorsqu'il apprit que les ambassadeurs n'étoient munis d'aucun pouvoir pour conclure, et que leurs prétendues offres de négociatio|a^ n'étoient qu'une ruse pour gagner du temps, il entra con- tre eux dans une furieuse colère, et il menaça Tassilon de l'excommunier , si par sa résistance h Charles, il excitoit une guerre dans la chré- tienté, (i)

Pour empêcher une guerre dangereuse d'é- clater en Bavière, Charles quitta Rome d'abord après les fêles de Pâques , sans avoir rien dé- cidé sur le duché de Bénévent, et il se rendit à Worms , il avoit convoqué le Champ de Mai , ou la diète du royaume. Dans la même ville il retrouva Fastrade sa femme , ses Ris et ses filles qui ne Tavoient point accompagné en Italie. Charles s'adressant aux grands de ses états, leur

(i) Eginhardi Annal, p. 208. Tiliani, p. 21. Loisel» p. 44- Poeta saxon. Lib. II, v. 275*296, p. i5o. AnnaU Metens. p. 34^.

DES FRANÇAIS. 3l I

rendit compte de ee qu'il avoit fait à Rome, et ^s?- de la légation qu'il y avoit reçue deTassilon. L'assemblée, dit Eginhard , voulant éprouver quelle foi elle devoit ajouter aux promesses du duc de Bavière, donna ordre d'assembler trois armées pour entrer dans son pays. La première, composée de Lombards , marchoit sous les éten- dards du jeune Pépin, fils de Charles , qui portoit le titre de leur roi ; elle entra par la vallée de Trente dans la Bavière; la seconde avoit été l'assemblée dans l'Austrasie et la Saxe, et elle s'avança sur le Danube, jusqu'au lieu nommé Pféringa, aujourd'hui Phoring, à moitié chemin entre Ingolstadt et Ralisbonne; la troisième, que Charles conduisoit lui-même, s'avança jus- qu'au Lech , au travers du duché des Alle- mands, et vint camper dans les faubourgs mêmes d'Augsbourg. Tassilon , effrayé du déploiement de tant de forces, se rendit le ii octobre, comme suppliant, auprès du roi, et il im- plora son pardon. Charles ne voulut point prendre sur lui de décider du sort d'un si grand feudataire. Il le renvoya au jugement des co- mices des Francs, et il exigea son serment et celui de son peuple, qu'il se soumettroit à la dé- cision de l'assemblée du Champ de Mai, con- voquée à cet effet h Ingelheim , non loin de Mayence, pour le printemps suivant. En garan- tie de ce serment ^ il se fit livrer comme otage

■88,

3j:2 histoire

87. Théodon , fils de Tassilon , avec douze autres des premiers seigneurs de Bavière ; puis il li- cencia son armée, et revint lui-même s'établir pour l'hiver au palais d'Ingelheim. (1)

Tassilon avoit par avance remis son sceptre au roi , en signe de sa soumission à restituer son fief, si Fassemblée des Francs le trou voit coupable. Au mois de mai 788, il vint en effet se présenter devant cette assemblée ; et là, ses propres sujets, déliés de leur serment, l'accu- sèrent eux-mêmes de haute trahison. Ils décla- rèrent que leur duc n'a voit pas renoncé à ses négociations avec les Huns , pour les armer contre les Francs , depuis même qu'il avoit donné au roi son fils en otage. Et les événemens postérieurs confirmèrent celte accusation. On répéta devant l'assemblée les propos qu'il avoit tenus 5 les actions dans lesquelles il s'étoit en- gagé , et d'où l'on pou voit conclure qu'il étoit animé d'une haine violente contre le roi et contre la nation. Il n'essaya pas même de nier un seul des faits rapportés à sa charge ; en sorte que l'assemblée le déclara convaincu de haute trahison , ce qui étoit exprimé alors par le mot

(i) Eginhardi Ann. p. 208. Ejusd. vita Caroli , cap. ii , p. 93. Poeta saxon. Lib. Il, v. 3oo-332 , p. i5o. Annal. Francor. Nazar. p. 12. Tiliani , p. 21. Nibelung , p. 27. Loisel. p. 45. Lamheciani , p. 65. Moissiac. p. 72. —> Metens. p. 346.

DES FRANÇAIS. 5lD

Harisliz , et à runanimilé des suffrages le con- 788. damna à mort. Mais Charles , après le jugement, s'interposa pour lui sauver la vie, sous condi- tion qu'il entreroit avec son fils dans un cou- vent. Il lui épargna même Fhumiliation que Tassilon redoutoit le plus, d'être tonsuré de- vant l'assemblée qui avoit prononcé sa condam- nation. Il l'envoya ensuite au couvent de Goar, le duc de Bavière fit ses vœux le 6 juillet, après quoi il passa au couvent de Jumiège , il finit ses jours. Son fils Théodon fut tonsuré au couvent de Saiut-Maximin ; ses deux filles furent enfermées dans les couvens de Chelles et de Laon. Sa femme prit également le voile, mais de son propre mouvement, et hors de France; c'étoit son dernier refuge, après avoir vu la ruine de toute sa famille. Ainsi la maison, des Agilolfinges qui avoit régné sur les Bavarois au moins deux cents ans, et depuis que ceux-ci formoient un peuple, cessa d'exister. Les sujets, en petit nombre , de Tassilon que l'assemblée des Francs jugea complices de ses trahisons, furent punis par l'exih (i)

(i) Annales Eginhardi, p. 208, et cœteri. P^gi critica , p. 384.

5l4 HISTOIRE

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CHAPITRE IV.

Suite du règne de Charlemagne jusqu'au soulèvement des Romains contre Léon III, 788 799.

Le surnom de Grand , Magnus, quia été donné à Charles d'un commun consentement par la postérité, et qui est devenu en quelque sorte une partie de son nom propre , ne semble pas lui avoir été attribué pendant sa vie , ou du moins n'étoit point alors régulièrement joint à son nom (i). Cependant sa grandeur réelle , celle de son pouvoir, de son caractère, Féclat de ses conquêtes, l'influence qu'il exerçoit sur son siècle , avoient frappé d'admiration ses contem- porains. Ils sentoient bien que c'étoit un homme d'une trempe d'âme toute particulière, comme il n'en étoil de long-lemps monté sur le trône, comme il n'y en remonter oit de long-temps. Malheureusement ils s'étoicnt peu exercés à peindre les caractères, et le portrait que Ei^in- hardnous a tracé du prince dont il fut le secré- taire et l'ami, laisse beaucoup à désirer. Nous le traduirons tout entier cependant, même avec

(i) Mahillonius veter. aiialect. T. Il, p. 4^0.

DÈS FRANÇAIS. 3l5

les détails qu'on peut juger au-dessous de la di gniléde l'histoire, et par lesquels il commence. «Charles, dit Eginhard , portoit les vête- <c mens de sa patrie ou des Francs : il revêtoit <( d'abord son corps d'une chemise et d'un cale- « çon de lin , puis il se couvroit d'une tunique <( bordée de soie, et de tibiales (haut de chausses), (c enfin il serroit ses jambes dans des bande- ce lettes , et ses pieds dans leur chaussure. En (( hiver il y ajoutoit, pour couvrir ses épaules « et sa poitrine, une veste de peau de loutre. Il « s'enveloppoit d'un manteau de Venise, et il <( ceignoit toujours une épée dont la poignée et (( le baudrier étoient ou d'or ou d'argent. Quel- ce quefois aussi, mais seulement dans les grandes c( fêtes, et quand il recevoit les ambassadeurs (( des nations étrangères , il se servoit d'une c( épée ornée de pierres précieuses. Quant aux <c habits étrangers , quelque beaux qu'ils fus- c( sent , il les repoussoit et ne vouloit point per- ce mettre qu'on l'en revêtit. Deux fois seulement ce à Rome, à la prière du pape Adrien , et à celle ce de Léon , son successeur, il consentit à re- ce vêtir la longue tunique , la chlâmyde et la ce chaussure à la romaine. Dans les grandes ce fêtes, il marchoit aux processions avec une ce tunique tissue d'or, une chaussure couverte cède pierreries, une agrafe d'or à son man- ee teau; et un diadème d'or enrichi de pierre-

5i6 msToiRK

« ries. Dans les aulres jours, ses habits rlifFé- <( roient peu de ceux que portoieiit les hommes (( du peuple.

a II éloit sobre pour la nourriture, mais plus <( sobre encore pour la boisson. En effet, il c( avoit horreur de Tivresse eu tout homme, « mais bien plus encore pour soi-même ou les « siens. Quant à la nourriture, il ne pouvoit (( point autant s'en abstenir, et il se plaignoit ce souvent que les jeûnes nuisoienl à sa sanlé. Il (( donnoit 1res- rarement des repas, et seulement <( dans les plus grandes fêles; mais alors c'étoit <r à un très-grand nombre de convives à la fois. « A l'ordinaire, on ne servoit à sa table que ce quatre plats , outre le rôti qu'il préféroit à ce toute autre nourriture, et que ses chasseurs ce avoient coutume d'apporter sur la broche. « Pendant le repas , il prêtoit l'oreille ou à c( quelque récit, ou à son lecteur. On lui lisoit (c les histoires et les exploits des anciens ; il se (c plaisoit aussi beaucoup à la lecture des livres ce de saint Augustin , et surtout de celui de ce la Cité de Dieu. A peine , pendant tout le ce cours du repas , buvoit-il trois fois. Mais en ce été, après avoir mangé quelques fruits, il bu- ce voit encore , puis , posant ses habits et sa chaus- ce sure, comme il l'auroit fait à la fin de la soi- cc rée , il se reposoit deux ou trois heures. Pen- ce dant la nuit, c'étoit son usage d'interrompre

DES FRANÇAIS. Z\J

« son sommeil quatre ou cinq fois , non pas ce seulement en se réveillant , mais en se levant. (( Tandis qu'on le chaussoit et qu'on Tha- c( billoit, il admeltoit ses amis; bien plus, si « le comte du palais lui annonçoit qu'il eût « quelque procès qu'il ne pouvoit terminer sans ce son ordre , Charles faisoit à l'instant entrer ce les plaideurs, et ayant écouté le procès, il ce prononçoit sa sentence, comme s'il eût siégé ce sur son tribunal. En même temps il expé- cc dioit les ordres à chacun , pour ce qu'il avoit ce à faire dans la journée , et il assignoit le tra- ce vail à ses ministres.

ce Son éloquence étoit abondante, et il pou- ce voit exprimer avec facilité tout ce qu'il vou- ée loit ; et, ne se contentant point de sa langue ce maternelle, il s'étoit donné la peine d'en ap- « prendre d'étrangères. Il avoit appris si bien <c la latine, qu'il pouvoit parler en public dans ce cette langue , presque aussi facilement que ce dans la sienne propre. Il comprenoit mieux ce la grecque qu'il ne pouvoit l'employer lui- ce même. » Il est digne de remarque que Egin- hard ne parle point ici du roman qui commen- çoit alors à se former dans les Gaules , et qui depuis a donné naissance au français. Ce patois du latin étoit donc à cette époque trop rélégué parmi les plus basses classes du peuple , pour que Charles, dont la langue maternelle étoit

5jB histoire

rallemand, se donnât ]a peine de Papprendre; (( Charles avoit assez de faconde, continue « Eginliard , pour pouvoir être accusé d'en abu- <c ser. Il avoit étudié avec soin les arts libéraux; (( il en respectoit fort les docteurs, et les com- <c bloit d'honneurs. Il avoit appris la gram- « maire du diacre Pierre Pisan , qui lui donna c( des leçons dans sa vieillesse. Dans ses autres <( études, il avoit eu pour précepteur Albin, ce surnommé Alcuin, diacre venu de Bretagne, cernais de race saxonne, homme très -docte ce en toute science. Il avoit consacré avec lui (( beaucoup de temps et de peine à apprendre (( la rhétorique, la dialectique, et surtout Tas- <( tronoraie. Il apprenoit encore Fart du calcul, (( et il s'appliquoit avec beaucoup de soin à fixer ce le cours des astres. Il s'essayoit aussi à écrire, ce et il gardoit communément sous son oreiller « des tablettes et de petits livrets , pour accou^ <( tumer, lorsqu'il avoit du temps de reste, sa <( main à former les lettres; mais il reussissoit <c mal dans ce travail tardif, et commencé hors (( de saison. » (i)

Il est si loin de tous nos usages , qu'on puisse arrivera une assez grande connoissance et des langues et des sciences, sans savoir écrire, que presque tous les commentateurs ont répété, d'après Lambecius, qu'il s'agissoit ici de calli-

(I) Eginhardi vita CaroU, cap. 23, 24, 25, p. 98-99»

DES FRANÇAIS. DI9

graphie et non d'écriture; que Charles s'exer- çoit ainsi à orner ses manuscrits par de belles lettres majuscules; mais que Fécriture courante avoit été pour lui, comme elle est pour tous nos écoliers, le premier pas dans la carrière des études. Nous croyons plutôt que ces savans ont perdu de vue la direction que prenoit ren- seignement dans les siècles barbares , et dont Charles est un des plus remarquables exemples. Avec peu de livres , et moins encore de papier, écrire étoit un grand luxe et une grande dépense ; aussi les leçons étoient- elles presque toutes orales, et Vécriture ne servoit-elle jamais pour apprendre. Charles n'a voi t pas besoin , il est vrai , d'épargner le parchemin , mais ses maîtres ne s'étoient accoutumés avec aucun autre écolier à fonder leur enseignement sur des extraits et des cahiers. Ils gravoient sur la mémoire et non sur des tablettes ; ils n'exigeoient de leurs élèves ni notes ni compositions , et ils poussoient assez loin les études sans faire pratiquer un art qui nous en paroît le premier commencement. Quant aux lettres à écrire et aux chartres à accorder, c'étoit Fouvragedes seuls secrétaires. Charles se seroit reproché comme une perte de temps l'emploi de sa propre plume, et soii envie d'apprendre à écrire éloit presque pour lui un goût de luxe et sans objet.

Aussi , quoique Charles ne sût point écrire,

02O HISTOIRE

ne peut-on Taccuser d'être un barbare ignorant. Il avoit au contraire le goût des lettres; il les connoissoit mieux qu'aucun souverain de son temps , mieux que la plupart de ceux qui sont ■venus ensuite : il respectoit ceux qui contri- buoient à en répandre la culture, et il s'efFor- çoit de rendre à la civilisation les pays qui lui étoient soumis. Les lettres étoienl cultivées avec un peu plus de succès en Italie qu'en France : surtout on y retrouvoit à Rome, et dans les provinces grecques du midi, des écoles qui, n'ayant jamais été sous la domination des Bar- bares, conservoient mieux la tradition des an- ciennes études et de l'ancienne philosophie : la puissance de l'Eglise , en substituant les scien-i ces théologiques aux lettres humaines, loin de diminuer, avoit augmenté le respect qu'on té-

moisnoit aux savans. Ce fut en effet en Italie •588.

que Charles chercha surtout des instituteurs

pour relever les écoles publiques qui , dans

toute la France, avgient été abandonnées. « Il

« rassembla à Rome , dit le moine d'Angou-

(c lême, des maîtres de l'art de la grammaireet de

<( celui du calcul , et il les conduisit en France,

<c en leur ordonnant d'y répandre le goût des

(( Içttres; car avant le seigneur roi Charles, il

« n'y avoit en France aucune étude des arts

(H libéraux. » (i)

(i) Monachus Egolismensis. Script, franc. T. V; ?• iS5. Pa^^i critica, anu. 787, §. 10, p. 38o.

DES FRANÇAIS. Ù21

Charles ne s'étoil , au reste, pas borné aux 788. sav^ans qu'il pouvoit appeler d'Ilalie, il les avoit attirés à lui de toutes les parties du monde chrétien ; et Alcuin , qui passoit alors pour le plus beau génie du siècle, et dont ou nous a conservé en deux volumes in-folio les écrits sur la théologie, la philosophie et la rhétorique, ;se rendit à ses invitatious vers l'an 780, et fonda , dans le palais même du prince, l'acadé- mie et l'école palatine qui dirigeoient les études dans le reste du royaume, (i)

Vers le même temps, Charles écrivit à tous les évêques et à tous les couvens pour les en- courager à reprendre des études qu'où avoit trop négligées. Une de ces circulaires, adressée à l'abbé Baugulfe, de Fulde, nous a été conser- vée. « Dans les écrits, lui dit-il , qui nous ont ce été fréquemment adressés par les couvens, « durant ces dernières années, nous avons pu (c remarquer que le sens des religieux étoit «droit, mais leurs discours incultes; que ce ce qu'une dévotion pieuse leur dictoit fidèlement ce au dedans, ils ne pouvoient l'exprimer au <c dehors sans reproche , par leur négligence et

(i) Alcuini ahhatis j epist. 23, apud Pagi critica, p. 38o. Alcuin fut récompensé magnifiquement par Charles. Les plus riches bénéfices des Gaules furent accumulés sur sa tête. Il réuuissoit les abbayes de Ferrières, près de Sens, de Saint- Loup, près de Troie, de Saiat-Josse sur la mer, et de Saint- Martin de Tours.

TOME II. 21

322 HISTOIRE

(( leur ignorance de la langue. » Il leur re- présente qu'ils s'exposent par à des erreurs nombreuses dans Finterprétation des saintes Ecritures , dont le langage est tout rempli de figures. Aussi il leur recommande d'élire par- tout des hommes qui aient la volonté et le pou- voir d'apprendre, et ensuite le désir d'ensei- gner ce qu'ils auront appris. « Car nous sou- (c haitons, ajoute-t-il enfin, que vous soyez tous c( comme il convient à des soldats de l'Eglise , « dévots au dedans , doctes au dehors, chastes <( pour bien vivre, érudits pour bien parler.» (i) Parmi les enseignemens que Charles prit à tâche d'introduire d'Italie en France ( et sous ce dernier nom on désignoit alors bien moins la Gaule que l'Austrasie , ou les provinces de sa monarchie qui parloient allemand) , il mettoit beaucoup de prix à la musique de l'Eglise, C'éloit une conséquence de son zèle religieux. L'Eglise gallicane et germanique demeuroit atta- chée au chant ambrosien, de préférence au chant grégorien adopté à Rome. Les chantres de Charles , qui Favoient accompagné de France en Italie, se croyant assurés de sa protection , disputoient sans cesse avec les Romains sur la préférence à accorder à l'un ou à l'autre rite, à l'une ou à l'autre musique. Mais Charles leur imposa silence en leur faisant observer que l'eau

(i) Capitular. Caroli, apud Baluzium. T. I, p. 201.

DES FRANÇAIS. Z'iZ

d'une rivière étoit plus pure à sa source que :8S. dans les canaux qui en sont dérivés, et que Rome étant la source de toute sagesse divine, il falloit réformer le rite gallican sur le rite ro- main. Il se fit ensuite donner par Adrien deux maîtres de chant; il en garda un pour sa cha- pelle , qu'il conduisit avec lui de province en province- il voulut que Fautre fut stationnaire à Metz, afin d'y fonder, pour toute la France, une école de chant ecclésiastique. Adrien liji donna aussi des an tiphonaires écrits de sa main , pour le chant grégorien, d'après lesquels ou dut corriger tous les antiphonaires de France.

Cette révolution musicale ne s'accomplit point, il est vrai , sans résistance. Pour forcer les clercs francs à l'obéissance, il fallut dans plusieurs provinces recourir aux menaces, et même aux vSupplLces ; il fallut brûler, de vive force, tous les livres du rite ambrosien. Les prêtres francs se soumirent enfin à chanter à la manière de Rome : ce Seulement, dit un chroniqueur de « ce temps-là , les Francs , avec leursvoix na- « turellement barbares, ne pouvoient rendre c< les trilles , les cadences et les sons tour à tour c( liés et détachés des Romains. Ils les brisoient « dans leur gosier plutôt que de les exprimer. )) Toutefois, l'école de Metz s'éleva autant au- dessus de tout le reste des chanteurs français ,

524 HISTOIHE

788. que l'école de Rorne étoit au-dessus de celle de Metz, (i)

Quant à ces études sacrées qui avoient fondé la réputation d'Alcuin , qui distinguoient l'école de Rome et que Charles cherchoit à répandre dans son royaume , on a , précisément à cette époque, un exemple frappant du peu de criti- que, du peu de connoissance de l'histoire, et de justesse d'esprit de tout le clergé. C'est en effet en 786, que pour la première fois on vit faire usage des fausses décrétales , ou de la col- lection des canons d'Isidore Mercator. Personne ne révoque plus en doute aujourd'hui que cette collection ne soit une grossière imposture d'un homme qui ne connoissoit ni les mœurs ni les lois de l'ancienne Église. Cependant le pape Adrien s'appuya sur leur autorité dans les capitulaires qu'il adressa , le 19 septembre 785 , à l'évêquede Metz , Engherrand ; et dès cette époque jusqu'au dix-septième siècle , les papes comme les con- ciles, représentans de l'Eglise infaillible, s'y sont trompés pendant huit cents ans , et les ont aussi long-temps regardés comme une des bases fon-

(i) Monachus San Gallens de eccles. cura Caroli Magnî.

Lib. I, cap. II, p. iio. Mon. JEgolismensis , p. i85.

Constitutio de emendatione libror. et qfficior. eccles. Baluzii

Capital. T. I, p. 2o3. Baronii Annal. 787, §. 68 , p. 4o4«

- «^ Pagi critica, §.9, p. 379,

DES FRANÇAIS. SsS

dainentales du droit canon, de la discipline, :8'8. et même de la foi de la chrétienté, (i)

La domination de Charles s'étendoit à cette époque sur presque toutes les nations qui par- loient ou la langue germanique ou la langue la-^ tine; bornée au couchant par Tocéan Atlanti- que, elle se prolongeoit au nord jusqu'aux bouches de FElbe. Sur la droite de ce fleuve , près de son embouchure, se trouyoient encore , il est vrai , des Germains qui n'avoient pas subi le joug des Francs , et qu'on désignoit tour à tour par les noms de Danois , de Normands et de Saxons maritimes.

Sous ces noms divers étoient aussi compris tous les peuples germains des bords de la Baltique et de la Scandinavie. Ces derniers n'étoient point à portée de prendre part à la guerre de terre ; mais cette année même on vit trois de leurs vaisseaux débarquer sur les côtes d'Angleterre. Ainsi commença le funeste système de pira- terie que les Danois poursuivirent pendant deux siècles : chaque année, dès cette époque, ils renouvelèrent leurs pillages et leurs dévas- tations sur les côtes de la mer Atlantique; ce ne fut cependant que douze ans plus tard, en l'an 800, qu'ils commencèrent à soumettre les

(i) Fleury, Histoire ecclés. Lîv. XLIV, chap. 22. Capi- tulare Hadr. papce. Concilia Labhei. T. YI, p. 1828. P^^i critica, p. 376, 376.

526 HISTOIRE

:83. côtes de France aux mêmes ravages que celles d'Angleterre, (i)

Tout le reste de la rive droite de TElbe, de- puis le Holstein jusqu'à la Bohême , étoit occupé par des peuples slaves, qui, tout en conservant leur indépendance, avoient recherché soigneu- sement l'alliance de Charles. Des sources de l'Elbe jusqu'au Danube, et des bords du Da- nube jusqu'au golfe Adriatique, l'empire de Charles présenloit une frontière plus vulnéra- ble; du côté de la Pannonie, les Huns et les Avares , peuples tartares, s'y trouvoient, aussi- bien que d'autres peuples sarmates et escla- vons, en contact avec les Francs. C'étoit de ce côté queTassilon, duc de Bavière, s'étoit trouvé chargé de la défense de la chrétienté , et que ses trahisons compromettoient le plus l'existence de tous les Francs. En efiPet, à l'époque même Tassilon se soumettoit aux condamnations de l'assemblée d'Ingelheim, deux armées de Huns qu'il avoit appelées , se jetoient l'une par la Ba- vière, l'autre par le Frioul, sur l'Allemagne et sur l'Italie. Ces barbares cependant trouvèrent la résistance préparée, ils avoient compté sur l'aide d'un traître. Ils furent battus dans l'un et l'autre pays. A peine a voient-ils regagné leurs foyers, que pour se venger de leur dé-

(i) Pagi critica éx Chron. Saxonic. Huntindon et Hoveden» ad ami. 787, §. 19, p. 582 et 7885 ^. i3, p. 386.

DES FRANÇAIS. D27

faite, ils préparèrent une nouvelle invasion avec une armée supérieure aux deux premières. Avant la lin de la campagne, ils rentrèrent en Bavière, mais les seuls Bavarois suffirent pour remporter sur eux une seconde victoire. Les Huns y perdirent beaucoup de monde , soit du- rant le combat , soit lorsque dans leur fuite ils es- sayèrent de traverser le Danube à la nage. Char- les , vers le même temps, se rendit à Ratisbonne pour organiser la Bavière sur le modèle du reste de sa monarchie , et donner des comtes particu- liers à chacun de ses districts, (i)

L'Adriatique et la Méditerranée jusqu'à l'em- bouchure de l'Elbe , entouroient le reste des frontières de Charles. Toutefois, dans plusieurs parties de l'Italie il se trou voit en contact avec les Grecs, qui conservoient toujours des droits de souveraineté sur Venise , sur Naples et sur plusieurs villes de la Calabre. Les relations de Charles avec les Grecs avoient cessé d'être amicales. Le mariage proposé entre le fils d'Irène et la fille de Charles ne s'étoit point effectué. Irène, cette Athénienne ambitieuse et jalouse , commençoit à se défier de son fils presque autant qu'elle s'étoit défiée de son mari. C'étoit pour

(i) Eginhardi Annal, p. 20g. Ejusd. vita, cap. 11 , p. go.

Capitulare Baiuvarior. Baluzil. T. I, p. 207. Annales Tiliani, 21. Loisel. 46. Adonis, 3 19. Metenses , 346.

Poeta saxon. Lib. II, p. i5i.

5ag histothïi;

:SS- clle-mêmequVlleavoitvoulurappui du redouta- ble monarque de l'Occident ; elle ne se soucioit pins de le donner au jeune Constantin qui poui- roit la supplanter. Les annalistes des Francs pré- tendent qne Charles refusa de donner au jeune empereur sa fille Rotrude qu'il lui avoit pro- mise; le Grec Théophane assure au contraire qu'Irène rompit d'elle-même cette alliance, et qu'elle contraignit son fils à épouser une Aruié- îiienne, quoiqu'il préférât hautement la prin- cesse des Francs (i). Dès ce moment cependant l'impératrice t hercha à troubler les possessions de Charles en Italie , et à lui susciter des enne- mis. Elle choisit pour gouverner la Sicile et la Calabre, avec le titre de patrice, Adelgise, fils de Didier, qu'elle supposoitavoir encore parmi les Lombards de nombreux partisans, et elle le fit avancer avec une armée formidable, jus- qu'aux villes de Naples et de Gaete, il se trou voit à portée de lier des intrigues avec les nouveaux sujets du roi des Francs. En efîet, le pape Adiien, alarmé de la fermentation que produisit son approche , se hâta d'écrire à Char- les qu'Adt Igise avoit été reçu avec enthousiasme par les peuples, que les seigneurs Lombards accouroient à sa rencontre, et que sa sœur,

(i) Eginkardi ^nnaî. p. 209. Theophan. Ckronograph* T. YI, p. Su. P«gi critica, §. 5, p. 583.

DES FRAMÇAIS. Sag

veuve du dernier duc de Bénévenl, éloit sans :««. cesse en conférence avec lui. (i)

Les coifcessions faites par les Carlovingiens a FÉglise romaine avoient éveillé son ambition. Adrien n'a voit plus d'autre pensée que celle d'étendre en tout sens la domination de saint Pierre. Plein de confiance dans la vaillance des Francs, il les poussoit vers de nouvelles guerres dont il espéroit partager les dépouilles. Dans ses lettres à Charles, il lui représentoit les Grecs et les Lombards comme les plus odieux de tous les criminels, surtout il lui recoramandoit denepas prêter l'oreille aux sollicitations des Bénéven- tains qui luidemandoientde relâcher Grimoald, fils de leur dernier duc, et de le leur donner pour chef; il conseilloit plutôt à Charles de soumettre , par les armes, tout ce grand duché, (c Que votre excellence royale, lui écri voit-il , <( se hâte donc d'envoyer ses meilleures armées (( du lôlé de Bénévent; et alors, notre cher fils <c que Dieu protège, il nous semble convenable « que lors même que les Bénéventains vou- « droient faire toutes vos volontés, vous ne con- « sentissiez en aucune manièie à leur rendre <x Grimoald, fils d'Arégise. Toutefois le Seigneur « vous a accordé sa prudence et sa sagesse, pour « que vous fassiez tout ce qui conviendra à « votre intérêt et au nôtre Mais si les Béné-

(i) Codex CaroL e/7. 90, 92. Hadriani, 73, 86, p. 571-676.

53o HISTOIRE

788. (c ventains ne veulent pas se soumettre à tous (( vos ordres , hâtez-vous d'y envoyer une telle (C armée , que cela puisse tourner a^prolit de « notre sainte Eglise et de votre excellence

« royale ; surtout qu'elle soit bien assurée

« que ce n'est par aucune avidité d'acqué- <( rir les cités que vous avez données à saint ce Pierre l'apôtre et à nous, que nous vous pres- (c sons ainsi , ce n'est que pour l'avantage qui (( en résultera à la sainte Eglise de Dieu , et pour ce la gloire que votre excellence en recueillera ce par ses victoires. » (1)

Mais dans cette occasion comme dans plu- sieurs autres, Charles montra qu'il savoit juger les conseils haineux et intéressés du pape , et s'élever à une politique plus noble que celle des gens d'église. Malgré la défiance qu'Adrien avoit cherché à exciter en lui contre Grimoald , il le remit en liberté, il l'investit du duché qu'a voit gouverné son père , et il le chargea d'al- ler repousser les Grecs qui se disoient ses alliés. Hildeprand, duc de Spolète, son voisin, fut chargé de le seconder ; et Charles ne leur joignit, pour les surveiller, que son lieutenant Wini- gise, avec un petit nombre de Francs. Cette no- ble confiance fut couronnée par le succès. Les deux ducs avec les seuls Lombards de Spolète et de Bénévent attaquèrent les Grecs dans la

(i) Codex Carolin. ep. 90, p. 67 1.

DES TRANÇAIS. 55r

Calabre , les défirent , leur enlevèrent un grand nombre de caplils et beaucoup de butin , et le prince Lombard qui les conduisoU, Adelgise lui-même, fut tué dans cette bataille, (i)

Les bords de l'Elbe sembloient donner à l'em- ^V pire de Charles une frontière militaire d'autant plus facile à défendre qu'elle séparoit des peuples de mœurs et de langage différens : les Germains d'une part, les Slaves de l'autre. Cependantil est impossible de placer des bornes à l'accroissement des grandes monarchies; elles pèsent sur tous leurs voisins , de manière à les froisser ; les plus foibles invoquent leur aide contre les plus puis- sans ; au tour d'elles on intrigue de toutes parts en leur nom, et on les entraîne dans des guerres, on leur suggère des conquêtes que leurs chefs n'a- voient pas même désirées. En 789,^8 Francs de Charlemagne commencèrent à passer l'Elbe, et ils attaquèrent cette seconde ceinture dépeuples barbares dont ils étoient entourés. Les plus sep- tentrionaux parmiles Slaves de la droite de l'Elbe étoient ceux qui se désignoient eux-mêmes par le nom de Weletabi, et que les Francs nom- moient Weltsi, peut-être du même nom géné- rique de Welches, qu'ils donnoient aux Gau- lois 5 aux Italiens , et à tous ceux qui ne parloient

(i) Eginhardi Annal, p. 209. Tiliani, p. 21. Loisel. p. l^6. Metens. p. 346. Theophanis chronograph. T. VI, p, 5ii. Script, bjzant.

S5^ «îsTornE

789. pas allemand. Les Weltsi parlageoieiit le pays situé entre l'Elbe et l'Oder, avec un autre peu- ple slave, les Abodrites, qui habitoient plus au couchant, dans le voisinage de Schwerin. Les Abodrites se sentant les plus foibles avoient re- couru à la protection des Francs; Charles les avoit admis à son alliance, et avoit même pro- filé de leur aide contre les Saxons. Les Weltsi, jaloux de cette alliance , molestèrent les Abo- drites qui recoururent aussitôt à l'assistance de leur puissant allié. Charles se montra em- pressé de leur porter du secours 5 après avoir passé le Rhin à Cologne , il traversa la Saxe , et il arriva sur l'Elbe inférieur, sur lequel il jeta deux ponts; il les défendit par des remparts de terre et des châteaux de bois; il traversa ensuite la rivière que jusqu'alors il avoit re- gardée comme la dernière limite que son em» pire pût atteindre , et il entra dans le pays des Weltsi. Son armée étoit toute composée de Francs, de Saxons et de Frisons, qui , à peine soumis , combattoient déjà pour la France. Les Abodrites vinrent le joindre, aussi-bien que les Sorabes , autre peuple slave , situé plus au midi , à peu près est aujourd'hui la Lusace. Les uns et les autres préférèrent partager le butin avec le conquérant, plutôt que de s'ex- poser à être écrasés en défendant l'indépen- dance de leur pays. Les Weltsi ne purent op'

DES FRANÇAIS. 355

poser une longue résistance à des forces aussi :8f> disproportionnées : quoiqu'ils eussent assemblé une armée assez nombreuse, ils furent battus. Leur roi nommé VV iltsan , qui étoit fort avancé en âge, se rendit alors auprès de Charles, dans un lieu nommé Dragoid : il lui promit par serment, au nom de tous ses compatriotes, de garder désormais la foi au roi et au peuple des Francs , et il lui remit des otages. Tous les autres chefs des Weltsi , qui portoient aussi le nom de rois, imitèrent son exemple; la nation fut sou- mise en une seule campagne, et les limites des Francs furent étendues des rives de TElbe à celles de l'Oder, (i)

Probablement dans la même année. Pépin, roi dltalie et fils de Charlemagne, conquit les deux provinces d'Istrie etdeLiburnie, à l'autre extrémité de la longue frontière qu'occupoient les Slaves , et sur le golfe Adriatique. Il y établit deux nouveaux ducs qui , dès l'année suivante, le secondèrent dans la guerre qu'il porta plus au levant. Les historiens du temps se taisant sur cette guerre, on ne sait point si les Francs enlevèrent aux Grecs ces deux provinces qui

(i) Eginhardi Annal, p. 209. Ejusd. vita Carol. Cap. 12, p^. 93. Poeta saxon. Lib. II , v. 432 , p. iSi. Annal. Franc, ^azariani, p. 12. Petav. p. i5. Tiliani, p. 21. NibeL p. 28. —Loisel. p. 46, Lambec. p. 65. Chron, Moissiac.

354 HISTOIRE

789» relevoient de l'empire décrient, OU si elles avoient déjà secoué le joug. Charles étoit alors brouillé avec l'im péralrice Irène , et ses d rapeaux avoieii t atteint les Ironlières de l'empire grec ; mais l'autorité des souverains de Constantinople étoit à peine sentie aux extrémités de leurs états. Ve- nise et quelques ports de l'istrie enclavés dans les états des Francs , arborèrent toujours les aigles romaines, et cependant ces cités se gou- vernoient comme des états indépendans. (i)

rQo. Entre ces Slaves arrachés au joug des Grecs,

et les Slaves libres que Charles venoit de com- battre, se présen toit dans la Pannonie la fron- tière du royaume des Huns, par laquelle l'em- pire franc couroit le plus de risque d'être at- taqué. L'étendue du royaume des Huns, même en y joignant celui des Avares, ne pouvoit se comparer à celle du royaume de Charlemagne; mais ce.> guerriers avoient peu d'esclaves, ils étoient demeurés tous égaux , tous libres et tous armés. Ils vi voient sur leurs chevaux, dans les champs , constamment occupés de la vie pasto- rale ou de la guerre, et le nombre de cavaliers qu'ils pouvoient rassembler au premier signal , surpassoit celui des soldats que Charles auroit pu lever dans des provinces quatre ou cinq fois plus étendues. La frontière entre les Huns

(i) Pagi critica ad ami. 789, §.6, p. 587. Muratori ad ann. 791. Aîmali dit alla, p. 3i4-

DES FRANÇAIS. 535

et les Bavarois donnoit lieu à des contestations 79o« que Charles désiroit régler. Il reçut à Worms les ambassadeurs du roi des Huns ; il lui en en- voya d^autres à son tour , et, comme pour ap- puyer une négociation qu'on avoit peine à con- clure, il s'avança dans la Germanie, sur le Mein et la Sala : la paix qui régnoit sur toutes ses frontières, ne lui ayant point donné lieu cette année d'assembler son armée, (i)

Les Huns n'ayant pu tomber d'accord avec les 79^' Francs sur la démarcation de leurs frontières, Charles se prépara, au printemps suivant, à leur arracher par les armes les concessions qu'il leur demandoit. Il rassembla dans FAustrasie et la Germanie les deux armées avec lesquelles il comptoit pénétrer dans laPannonie, tandis qu'il donnoit à Pépin son fils l'ordre de le seconder du côté de la Lombardie, avec une troisième armée. Le comte Thederic et son chambellan Magenfrid commandoient les guerriers levés dans le nord de la Germanie, qui dévoient suivre la rive gauche ou septentrionale du Danube , et entrer en Bohême en passant le Camb qui se jette dans ce fleuve près de Chrembs, et qui marquoit en ce lieu la limite entre la mo- narchie des Francs et celle des Avares, au mi- lieu de l'archiduché actuel d'Autriche. Charles, avec l'autre armée composée de Francs , d'Aile-

(i) £ginhardi Annal, p. 209.

356 HISTOIRE

79». mands et de Bavarois, suivoit la rive méridio' nale du Danube. Parvenu sur la rive de l'Eus qui séparoit les Bavarois d'avec les Huns , il s'y arrêta trois jours, pour implorer sur ses armes, par des prières publiques, les bénédictions du ciel. En même temps il fit solennellement dé- clarer la guerre aux Huns , puis il entra dans leur pays. Ceux-ci ne lui opposèrent pas d'ar- mées , mais seulement des garnisons qui s'effor- çoient de défendre les lieux forts. La première fut battue, et sa forteresse détruite au passage du Camb^ la seconde, au mont Cumeberg, près de la cité Comagine, sans doute Comorn. JL'armée des Francs détruisoit en même temps par le fer et le feu tout le pays environnant. Charles parvint ainsi, en dévastant les campa- gnes , jusqu'au fleuve Raab qu'il passa, et dont il suivit ensuite la rive droite jusqu'à son em-^ bouchure dans le Danube. , il donna pour quelques jours à son armée des quartiers de rafraîchissemens , puis il se prépara à rebrous- ser chemin vers la Bavière. Quoiqu'il n'eût point atteint les Huns, et qu'il n'eût pu leur livrer de bataille, son expédition sembloit couronnée par un plein succès. Mais les terres basses de la Hongrie se trouvèrent être singulièrement con- traires aux chevaux francs; une éf)izootie les attaqua à leur retour, plusieurs milliers péri- rent avant d'avoir atteint les frontières de la

DES FRANÇAIS. 3^7

Bavière, et à peine Charles ramena - t - il la 791, dixième partie de ceux avec lesquels il éloit entré dans le pays ennemi. Cependant comme il suivoit toujours les rives du Danube par lequel il recevoit des munitions, son infanterie, quoique dépourvue de cavalerie et d'équipages, ne souf- frit pas autant qu'elle auroit pu le faire. Il arriva ainsi à Ralisbonne , il fixa son séjour pour l'hiver. Il avoit en même temps fait avertir les comtes Théderic et Mégenfrid de rebrousser che- min avec les Saxons et les Frisons qu'ils avoient conduits, et ceux-ci rentrèrent dans leurs foyers après avoir ravagé la Bohême, comme Charles ravagea la Pannonie. La troisième armée, com- posée de Lombards que Pépin avoit conduits par les provinces illyriques en Pannonie, se re- tira de même sans avoir rencontré les enne- mis. (1)

Les Huns avoient éprouvé toute la puissance 792, de Charlemagne, et leur foiblesse pour se dé- fendre contre lui. Mais le vainqueur se sentoit bien plus épuisé par la perte de sa cavalerie, qu'il n'auroitpu l'être par celle d'une grande bataille. Il ne regardoit point la guerre comme terminée Les Huns ne donnoient encore aucun signe

(i) Eginhardi Annal, p. 210. Annal. Petaifiani, p. 16. Tiliani, p. 21. JYibelung, p. 28. C'est la fin. Loiseliani , p. 47. Moissiac. p. 73. —Poeta saxon. Lib. III, p. i54 •— Annal. Metens. p. 347.

TOME II. 22

338 HISTOIRE

792. de soumission Charles, qui vouloit rentrer en Pannonie, et qui passa toute Tannée à Ratis- bonne , pour être plus rapproché de cette fron- tière, ne se sentit point cependant en état de marcher à Tennemi. Il faisoit construire des bateaux en grand nombre qui dévoient suivre l'armée , et avec lesquels il se réservoit les moyens de jeter un pont sur la rivière, et de transporter ses troupes d'une rive à l'autre du Danube, au moment cela lui conviendroitj mais l'été tout entier se passa à faire ces prépa- ratifs, sans que les Francs entrassent sur le territoire ennemi, (i)

Durant ce temps, Félix, évêque d'Urgel , fut amené à Ratisbonne sur une accusation d'hé- résie intentée contre lui. Plus Charles étendoit les limites de sa domination, plus aussi son pouvoir devenoit absolu dans leur enceinte : les évêques se soumettoient à sa juridiction, les ducs héréditaires se laissoient destituer par ses ordres, chacun osoit moins soutenir contre lui ses propres droits , ses propres privilèges, parce que chacun , se comparant à sa grandeur crois- sante , se trouvoit proportionnellement plus petit. L'évêque d'Urgel avoit son siège dans cette partie de l'Espagne soumise récemment à Charles ; mais il partageoit les opinions d'Eli-

(i) Annal. Loiseliani , p. 48. Poeta saxon, hxh. III, v. 98^

p. i56. Annal. Metens, p. 347.

DES FHANÇAIS. 559

panel, évêqae de Tolède, soumis aux Sarra- Toc- sins. Tous deux avoient enseigné que Jésus- Christ, fiis de Dieu quant à sa nature divine, 11 etoit, quant à sa nature humaine , que le fils adoptif de la Divinité. Félix, traduit devant Charles à Ratisbonne , confessa son erreur ; il fut ensuite envoyé à Rome, il fit abjuration devant Adrien : cependant cette hérésie, qui n'étoit que l'explication par un autre mot du dogme orthodoxe des deux natures , se con- serva parmi ses sectateurs, et fut long-temps persécutée dans la Marche d'Espagne sous le nom d'hérésie des Féliciens. (i)

Vers le même temps le Lombard Fardulfe découvrit au roi une conjuration dans laquelle plusieurs Francs étoient entrés. Elle avoit pour chef Pépin , l'aîné de ses enfans, non point celui qui régnoit en Italie , mais un autre fils hors du mariage, qu'il avoit eu d'Himiltrude sa con- cubine. Ce prince éloit rendu difforme par une bosse , mais sa physionomie étoit agréable. Ja- loux des honneurs accordés à ses plus jeunes frères, il s'étoit écarté de la cour en prétextant une maladie. La naissance légitime étoit à peine un avantage aux yeux des Francs , qui comp- toient Charles Martel parmi leurs plus glorieux princes. Plusieurs des seigneurs auxquels la

(i) Baronii Annal, eccles. ann 792, p. 4i^- Pagi crit. p,392.

O^O HISTOIRE

792- cruauté de la reine Fastrade étoit devenue in- supportable, offrirent à Pépin leur assistance pour le mettre sur le trône. On les accusa d'a- voir voulu tuer non-seulement le roi, mais tous ses fils légitimes , pour faire place au fils naturel. Nous ne connoissons pas mieux les vrais desseins des conjurés que l'offense qu'a- voit pu leur donner la reine Fastrade, ou la manière dont ils pouvoient se trouver en butte à la cruauté et à Farrogance qu'ils lui repro- cboient. Ce fut à l'assemblée des Francs, con- voquée à Ratisbonne, que Ciiarles dénonça les conjurés. Un jugement unanime les condamna à mort : le roi ne les envoya pourtant pas tous au supplice. Il accorda , entre autres , à Pépin sa grâce, en se contentant de le faire tonsurer, et de l'enfermer au couvent de Pruim , dans le diocèse de Trêves. Fardulfe, qui avoit révélé la conjuration, en fut récompensé par le don de l'abbaye de Saint-Denis, (i)

793. La seconde campagne contre les Huns, que

Charles n'avoit pu tenter l'année précédente, devoit commencer au printemps de l'année 79^. Le comte Théderic avoit ordre de lever de nou- veau une armée en Frise, et de s'avancer,

(i) Eginhardi vita CaroVi Magîii. Cap. 20 , p. 97. Id^ Annal, p. 210. Petaviani, p. 16. Loiseliani , p. 48. Lambec. T^. 65. Moissiac. p. 73. Poeta saxon. Lib. III;, p. i56.

DES FRANÇAIS. 34'

comme il l'avoit fait deux ans auparavant, au 79^. travers de la Saxe vers la Bohême. Mais il éloit encore le 6 juillet dans un lieu nommé Rhius- tri, aujourd'hui Rustringen, sur le Bas-Weser, lorsqu'il fut surpris par les Saxons révoltés, et mis en pièces avec son armée. La Saxe, qui 2:)endant huit ans avoit paru soumise, et qui avoit fourni à Charles des soldats pour toutes ses guerres, se soulevoit tout entière ; et, aban- donnant le christianisme, elle retournoit avec un mouvement passionné au culte de ses dieux nationaux. Ce n'étoit point cette fois Wittikind qui l'y encourageoit : subjugué lui-même par celte religion qu'il avoit si long-temps combat- tue, il avoit consacré son temps et ses richesses à fonder des évêchés et à bâtir des églises. (i). Mais ses compatriotes, plus jeunes et plus ar- dens, avoient envoyé des députés aux Huns et aux Avares, pour leur offrir leur alliance; en même temps ils avoient brûlé toutes les églises bâties sur leur territoire, ils en avoient chassé les évêques et les prêtres, et ils en avoient sa^ crifié quelques-uns au ressentiment supposé de leurs anciennes divinités, {'i)

(i) Kranlzius saxonia. Lib. Il, cap. il^.—Pagi critica ann. 785,5. 9, p. 573.

(2) Eginhardi Annales, p. 211. Brève Chronic. Sancti Dionysii , p. 29. Loiseliani , p. 4^. Moissiac. p. 75. Poeta saxon, p. 157. Plusieurs de ces Chroniques rapportent ia rubellion des Saxons à Tannée précédente.

5/r2 TirSTOIRE

793. La fortune, si long-temps fidèle à Charles ^

sembloit labandonner à la fois dans toutes ses entreprises. En même temps qu'il recevoit la nouvelle du désastre du comte Théderic dans la Saxe, et de la révolte d'un pays qui lui avoit coulé tant de sang et de sueurs à conquérir, il fut aussi averti que l'Aquitaine éloit envahie par les Sarrasins qui avoient brûlé les faubourgs de Narbonne, et remporté une grande victoire sur Guillaume , duc de Toulouse. Cependant sa cavalerie, presque en entier démontée de- puis la campagne de Pannonie, ne pou voit lui rendre aucun service, et il étoit réduit à rece- voir de ses ennemis les outrages les plus san- glans sans essayer de se venger. Les forces mêmes de la nature sembloient se combiner contre lui. Il avoil entrepris de creuser un ca nal de navigation pour réunir le Danube avec le Rhin. Pour cela, il vouioit profiter du cours de deux rivières, le Rednitz qui coule dans le Mein, et celle qu'Eginhard nomme Almonus qui se jette dans le Danube. Un canal qui avoit trois cents pieds de large, et deux milles de lon- gueur, fut ouvert entre ces deux rivières ; mais l'hydraulique étoit alors trop peu cultivée pour que ces travaux pussent réussir. La terre, qui étoit marécageuse en cet endroit, ne pouvoit êîre contenue en place; des pluies abondantes l'entraînoient de nouveau dans le bassin d'où

DES FRANÇAIS. 5/i5

on Favoit tirée, el le canal qu'on avoit pénible- ment creusé le soir se retrouvoit plein de boue chaque matin. Pour diriger cet ouvrage, Charles avoit passé Tété à son palais de Saint-Kilien sur le Mein , près de Wirtzbourg, Il se retira l'hiver à Francfort, (i)

Il y avoit alors douze ans qu'il n'avoit point visité l'Aquitaine , et à peine , dans cet espace de temps, avoit-il mis les pieds dans ce que nous nommons aujourd'hui la France. En même temps qu'il avoit, en 781, conféré à son fils Louis la dignité de roi d'Aquitaine, il avoit en- touré cet enfant, alors âgé de trois ans, de comtes et de ducs qui dévoient le suppléer dans le gouvernement. Quinze comtés étoient sou- mis à la couronne d'Aquitaine : le Toulousain, le Berri, le Poitou, le Périgord , l'Auvergne, le Bourdelais , le Limousin , l'Albigeois, le Ve- lay , le Rouergue , le Quercy , l'Agénois , l'An- goumois , la Saintonge et le Gévaudan. Entre ceux-ci il y en avoit neuf auxquels Charles avoit, en 778 , donné des chefs nouveaux, la plupart français : il avoit en même temps assi- gné plusieurs terres vacantes ou confisquées . à des seigneurs qui relevoient immédiatement de lui , et qui furent nonnnés vassaux du

(i) Eginhardi Annal, p. 211. Tiliani, p. 9.Q. Loisel. p. 49- Moissiac. n(\. ~~ Poeta saxoiu Lib. III, p. iSj.

544 HISTOIRE

:[)'i. roi (i). Trois autres grandes provinces étoient également soumises au gouvernement du jeune Louis, sans faire pour cela partie du royaume d'Aquitaine. Cétoient la Septimanie conquise par son père au levant, la Novempopulanie ou Gascogne au couchant, et les Marches au midi. On donnoitle nom de Marches aux conquêtes qu'avoit faites Charles au-delà des Pyrénées, et on les divisoit en Marche de Gothie, qui ren- fermoit presque toute la Catalogne, et Marche de Gascogne, qui s'étendoit jusqu'à l'Ebre , dans l'Aragon et la Navarre. Ces dernières provinces avoient cependant presque toutes des seigneurs sarrasins : c'étoient les mêmes qui s'étoient vo- lontairement soumis à Charles pour se sous- traire à l'autorité de Témir de Cordoue et selon leur politique ou les circonstances , ils passoient tour à tour de l'obéissance du roi franc à celle du souverain arabe. (2)

Louis , connu depuis sous le nom de Débon- naire, étoit alors parvenu à l'âge de quinze ans. Il avoit été mis par son père sous la tutelle de Guillaume, duc de Toulouse, qu'on a sur- nommé az/ court nez y et dont les romanciers ont fait un chevalier errant , et les agiographes un saint, tandis que les historiens n'en ont con-

(i) Histoire génér. du Languedoc , Liv. VIII, chap. 82-84, p. 43r.

(0 Histoire du Languedoc, Liv. YH!, chap. 91 , p. 436.

DES FRANÇAIS. 545

serve que le nom. Le royaume de Louis, qui 7j3. étoit borné parla Loire, FEbre, le Pihône et les deux mers , ne pouvoit être attaqué que par les Sarrasins , sur la seule frontière méridionale; et il sembloit devoir d'autant moins les craindre , que Issem, qui en 788 ou 789 avoit succédé à Cordoue à son père Abdérame, avoit com- mencé son règne par une guerre civile contre ses deux frères aînés. Mais à peine eut-il obtenu sur eux l'avantage, qu'il songea à attaquer aussi les chrétiens. Louis , d'après les ordres de son père, avoit conduit ou accompagné l'armée d'A- quitaine, d'abord en Italie, ensuite dans la Pan- nonie. Il semble que l'émir Issem profila de son absence. Son général Abdelmélec passa l'Ebre, traversa les Marches en les ravageant, franchit ensuite les Pyrénées , et s'avançant jusque sous les murs de Narbonne , il en brûla les faubourgs , et y enleva un immense butin. Il marcha en- suite sur Carcassonne; mais dans sa route, au passage de l'Orbieu, il rencontra Guillaume, duc de Toulouse , avec plusieurs comtes fran- çais, et l'armée d'Aquitaine. Il l'attaqua; et après une résistance obstinée et un grand car- nage des chrétiens , il l'obligea à prendre la fuite. Abdelmélec, après cette victoire, reprit la route d'Espagne; mais il entraînoit avec lui un nombre immense de captifs, et les dépouilles de toute la province , que Issem employa à

546 HISTOIRE

orner la magnifique mosquée de Corel ou e. (i) ?9i- Il semble que jusqu'à l'époque de la mort d'is-

sem, le 27 avril 796, Charles n'essaya point de le punir des ravages qu'il avoit fait éprouver aux provinces méridionales de son royaume. Il prit mieux ses mesures pour se venger des Saxons, plus rapprochés de lui, et dont la révolte l'of- fensoit davantage, en détruisant les fruits de vingt ans de combats. Cependant, avant de marcher contre eux, il crut devoir régler les affaires de l'Eglise , peut-être comme un moyen de se rendre Dieu propice dans une guerre qu'il alloil faire aux infidèles. Il convoqua donc à Francfort, pour l'été de 794 5 un concile de toute l'Eglise d'Occident. 11 fut présidé par deux légats du pape; et trois cents évêques de France, d'Allemagne, d'Italie et d'Espagne s'y trouvèrent rassemblés.

Deux questions agitoient alors, et pouvoient diviser l'Eglise latine. Félix, évêque d'Urgel , après avoir confessé son erreur à Ralisbonne et à Rome, lorsqu'il étoit revenu dans son évêché, y avoit trouvé des docteurs tout remplis des opinions qu'il avoit professées, qui lui avoient reproché comme une foibîesse de les abandon- ner. Son métropolitain Elipand , archevêque de

(i) Chronicon Moissiac. p. 74. Histoire du Languedoc , J-tv. IX, cbap. 265 p. /i.55. Poeta saxon. Lib. III, v. 186, p. 157.

DES FRANÇAIS. 3^7

Tolède, qui, sous la domination des Musul- 794- mans , pouvoit braver les foudres de Rome , professoit la même doctrine que lui, et Ten- courageoit à s'y attacher. Félix se rétracta; une longue lettre d'Adrien le dénonça, ainsi qu'Eli- pand et tous leurs sectateurs, au concile de Francfort . Les pères d u concile , à leur tou r , écri- virent k leurs frères d'Espagne pour leur re- procher leur erreur; et comme ceux-ci avoient prouvé, par beaucoup de témoignages, que le dogme de la Trinité avoit toujours été expliqué de la même manière en Espagne, le concile leur répondit que c'étoit justement à cause de cette erreur que Dieu les avoit livrés aux mains des infidèles, puisqu'ils s'étoient ainsi montrés in- dignes de la liberté (i). Le roi Charles joignit aux épîtres synodales du concile une longue lettre qui est elle-même non moins docte en théologie , non moins riche en citations de l'Ecriture et des Pères, que celle de l'assemblée de rÉglise : quoique publiée sous son nom, on suppose qu'elle est l'ouvrage d'Alcuin.

Mais une autre question fut élevée dans le même concile, qui auroit amener un schis- me, sans les ménagemens infinis que la cour de Rome garda pour Charlemagne. Les Églises d'Occident ne s'étoient abstenues ni des su-

(I) Sjrnodica ConcilU ad Prœsules hispanice. Labhci Con- cilia. T. \II, p. io35.

54B HISTOIRE

perstitions, ni des subtilités qui défiguroient îe cliristianisme ; cependant elles repoussoient tou- jours avec horreur le culte des images comme une idolâtrie. Peut-être l'abandon presque ab- solu des beaux-arts avoit-il contribué à tenir les Francs et les Germains en garde contre l'adora- tion de ces dieux faits de main d'hommes, qu'on voyoit si rarement dans leurs églises, tandis qu'ils ornoient tous les temples des Grecs. Du moins les Chroniques du temps etles Vies des saints ne nous parlent-elles jamais dans l'Eglise latine, comme elles font sans cesse dans l'Eglise grecque, de la protection accordée à tel person- nage ou à tel pays , par une image miraculeuse, un tableau ou une statue exposés en tel lieu à la vénération publique. Tous ces miracles locaux étoient attribués dans rOccidentàdes reliques, comme ils l'étoient dans l'Orient à des images. Le culte des ossemens des saints s'accordoit mieux avec la barbarie des Occidentaux, tout comme celui de leur ressemblance avec la civi- lisation des Grecs. L'Eglise de Rome profitoit indifféremment des uns ou des autres , et quoi- que en Italie même les images fussent beau- coup plus rares que dans la Grèce, les papes s'étoient prononcés contre les empereurs ico- noclastes. Ils avoient à cette querelle leur souveraineté en Italie , comme ils dé- voient à l'adoration des reliques les trésors qui

DES FRANÇAIS. S/jQ

leur arrivoient chaque année de France et de :9i. Germanie pour s'en procurer. La secte des ico- noclastes ayant été dépouillée du pouvoir par la révolution qu'avoit opérée Timpératrice Irène, et leurs opinions ayant été condamnées par le second concile de JNicée assemblé en 787 , les légats du pape présentèrent ces actes au con- cile de Francfort, pour qu'ils fussent reconnus comme procédant d'un concile œcuménique, et faisant loi dans l'Église, (i)

La lutte contre les iconoclastes avoit en^a^é les Pères de Nicée à employer le langage le plus fort pour prescrire le culte des images, (c Nous (c ordonnons avec certitude , avoient-ils dit , (n qu'on expose aux regards des fidèles les véné- (( râbles et saintes images, tout aussi-bien que (( la figure de la précieuse croix vivifique ; qu'on « les trouve dans les saintes églises de Dieu, et: dans les vases sacrés, les habits, sur les cîoi-

« sons des maisons et sur les chemins Car

« plus elles se présenteront fréquemment aux (( regards, et plus elles exciteront ceux qui les (( verront à leur rendre l'adoration honoraire , « en les baisant ; adoration qui, selon la foi, dif- c( fère de la vraie latrie attribuée à la seule na* « turedivine (2). » Etils avoient ajouté : «Nous

(i) yiiifial. Tiliaîii, p. il. Loisel. p. 49. Moiss- p. 74- Metens. p. 347- Poeta saxon. Lib. III, v. 197, p. iSy.

(2) Concil. Nicœnum II , Actio septima. Terminus. Labbei Concil. T. yil, p. 555.

55o H1^T01RE

79j. c( recevons les vénérables images 5 analhème à « ceux qui pensent différemment ; anathème à (( ceux qui appliquent aux vénérables images a les paroles de l'Ecriture contre les idoles ; ana- cc thème à ceux qui ne saluent pas les saintes c( images; anathème à ceux qui appellent les <c saintes images des idoles. » (i)

Mais les Pères de Francfort furent révoltés de cette doctrine nouvelle pour eux, de cette obligation de rendre (c un culte aux images (( faites en couleur ou en marqueterie, de Dieu , «( du Sauveur , de la Vierge Marie, des anges et (( des saints. » Ils exprimèrent cette indignation par le second canon de leur concile. <( L'on a « apporté dans l'assemblée, dirent-ils, la ques- i< tion du nouveau synode des Grecs , qu'ils ont «;( tenu à Constantinople , sur l'adoration des « images , dans lequel il est écrit que ceux qui ce n'ofFriroient pas aux images des saints le ser- « vice et l'adoration, comme à la Trinité déi- « fique, seroientjugésanathèmes. Mais nos irès- <( saints Pères nommés ci-dessus, rejetant de (( toute manière l'adoration et la servitude, c( les méprisent et les condamnent d'un com- (( mun consentement. » (2)

L'Eglise entière sembloit partagée; trois cent

(1) Concilii Nicœni. Actio VIII , p. Sgi.

(2) Concilium Francoford. cano 2. Labbei Concil, gêner. T. YII,p. 1057.

DKi> FRANÇAIS. 5 j l

cinquante évêques avoient souscrit au concile ^r,{. de Nicée , trois cents évêques souscrivoient à celui de Francfort. Déplus, ce dernier éloit ap- puyé par l'autorité imposante de Charles , qui écrivit au pape avec force , et lui envoya un Traité en quatre livres, connu sous le nom des Livres carolins , contre le culte des images. Adrien n'avoit garde de s'exposer à mécontenter un semblable protecteur; il s'efforça d'éluder la question , de distinguer ce qui n'étoit point distinguable, de faire voir que le concile infail- lible de Francfort s'étoit trompé sur les faits, plus encore que sur les principes : que le con- cile tenu à Nicée, non à Gonstantinople, n'a- voit point dit ce que les Allemands avoient cru entendre, et que, malgré les déclarations contradictoires de ces deux assemblées , l'unité de foi de l'Eglise n'étoit point ébranlée; enfin, il fit si bien qu'il assoupit la discussion. Les deux conciles sont admis en même temps comme faisant loi dans l'Eglise; les deux doctrines s'y maintiennent même en paix l'une à côté de l'autre ; car la France et l'Allemagne, sans avoir repoussé les images de leurs temples, ne leur rendent cependant pasde culte, tandis que l'Ita- lie et l'Espagne se sont confirmées dans l'adora- tion des images, et célèbrent chaque jour quel- que miracle de ces divinités locales, (i)

(i) Baronius Annal, eccles. ann. 794, p. 4^9 44i- P^g'- critica, §. 9, p. 398, JYotoi Sirmondi , p. io54, et Binii ,

552 HISTOIRE

:;9Î. La reine Fastrade , qui par sa hauteur et sa

cruauté avoit suscité à Charles tant d'ennemis, mourut pendant la durée du concile de Franc- fort : elle est enterrée à Mayence, au couvent de Saint-Alban : avant la fin de la même année , Charles la remplaça en épousant Liutgarde, de nation allemande, dont il n'eut pas d'enfans.

.Après la fin du concile, Charles se mit enfin en mouvement pour punir les Saxons de leur rébellion. 11 avoit rassemblé deux armées, Charles, son fils aîné, à la tête de l'une, passa le Rhin à Cologne, pour entrer en Saxe par le couchant; tandis que lui-même, à la tête de l'autre , y entreroit par le midi. Les Saxons s'étoient rassemblés à Sintfiîld , pour lui livrer bataille ; mais lorsqu'ils le virent approcher , ils se sentirent trop foibles pour se mesurer avec lui ; ils se soumirent sans combat à toutes les conditions qu'ils auroient pu recevoir après la victoire , et ils lui donnèrent des otages. Le roi leur permit donc de se disperser , et il ra- mena lui-même son armée au-delà du Rhin il la licencia ; il passa ensuite l'hiver à Aix-la- Chapelle, (i)

p. T067, "^ Concil. Francoford. T. VU. Lahhei. Fleury ,' Histoire ecclés. Liv. XLIV, ch. 47- Lihri Carolini in GoU dast. Constitut. impérial. T. I, p. 23-i44-

(i) Eglnhardi Annal, p. 2ri. —Annal. Petavinni , p. i6,

Tiliani, p. 22. LoiseUani , p. 49- Moissiac. p. 74 >

Metenses, 1^. '51^'] ^ Poeta saxon. Llb. III, v. i58.

DES FRANÇAIS. 553

Uarmée des Francs éloit convoquée pour le 795. printemps suivant. Les Saxons dévoient, comme les autres, s'y rendre en armes; mais il est pro- bable qu'ils sentoient peu d'empressement à entrer dans les rangs de ceux qu'ils regardoient comme leurs plus mortels ennemis. Charles, après avoir présidé une assemblée du Champ de Mai, à son palais de Kufienslein sur le Mein , non loin de Mayence, annonça qu'il puniroit les Saxons de leur négligence à se rendre sous ses drapeaux. Il entra en Saxe avec une nom- breuse armée, et il parcourut presque toute la contrée en la ravageant. Il avoit établi son camp à Bardenwig, dans le canton nommé Barden- gau., et il y attend oit les Slaves Abod rites et Weltzi, auxquels il avoit donné rendez -vous pour continuer , de concert avec eux, à rava- ger la Saxe, lorsqu'il apprit que leur roi Welt- zan , immédiatement après avoir passé l'Elbe , étoit tombé dans une embuscade dressée parles Saxons, et qu'il y avoit péri avec son armée. Charles , irrité qu'on osât se défendre quand il altaquoit , redoubla de sévérité contre les mal- heureux Saxons , et après avoir détruit tout ce que le fer ou la flamme pou voient atteindre, il se fit donner de nouveaux otages, et il rentra en France, où, comme l'année précédente, il passa l'hiver à Aix-la-Chapelle, (i)

(i) Eginhardi Annal, p. 211 et iid. . TOME II. 2 5

354 HISTOIRE

795. Il n'y avoit pas Jong- temps qu'il y étoit de

retour lorsqu'il reçut la nouvelle de la mort du pape Adrien V^, survenue à Rome le liS dé- cembre 795, après vingt-quatre ans de règne. Charles avoit pu long-temps considérer Adrien comme son lieutenant dans toute l'Italie. Le pape, ne pouvant jouir des bienfaits du roi que sons sa protection , et se sentant exposé aux at- taques des mêmes ennemis, veilloit sans relâche aux intérêts de Charles, et celui-ci devoit bien plus se tenir en garde contre son zèle que contre sa tiédeur. Le 26 décembre, le clergé, les nobles et le peuple de Rome donnèrent pour succès- seur à Adrien , Léon III , attaché dès sa jeunesse

:qG, au vestiaire du latéran. Ce nouveau pontife en- voya , dès le commencement de l'année sui- vante , des légats à Charlemagne, pour lui porter les clefs de saint Pierre, l'étendard de la ville de Rome , et d'autres présens. Il lui faisoit de- mander en même temps d'envoyer à Rome quel- qu'un des grands de son royaume, «pour en- ci gager par des sermens le peuple romain à lui (c être fidèle et soumis. » Ce sont les propres ter- mes d'Eginhard ; ils indiquent clairement que dès cette époque Rome reconnoissoit Charles pour son souverain. Celui-ci confia cette mission à Engilbert, abbé du couvent de Saint-Richaire, qui , de son côté , porta les présens du monarque au nouveau pontife, (i)

(0 Anaslas. PÀbUoth. vita Leonis HL Script, ital. T. III,

DES FRANÇAIS. 35 J

Charles , qui au cominenceinent de son règne :o^' avoit changé chaque hiver de résidence, sem- bloit s'attacher au séjour d'Aix-la-Cliapelle, il avoit déjà passé deux hivers de suite. Il s'oc- cupoit d'orner cette ville d'édifices somptueux, de palais, de basiliques , de ponts, de rues nou- velles; il avoit été frappé de la magnificence de l'ancienne Rome, et il vouloit que sur les con- fins de la Germanie sa nouvelle capitale lui res- semblât. Dans ce but, il y fit même transporter de Ravenne des marbres et des sculptures dont il savoit admirer la beauté, dans un temps presque partout on ne touchoit aux monumens des anciens temps que pour les détruire (i). Dans un règne qui avoit déjà duré près de trente ans, Charles avoit fait des pas rapides vers la civilisation ; protégeant également l'édu- cation publique, les lettres, les arts, les lois, il auroit élevé sa nation , s'il lui avoit donné une base plus large. Malheureusement la classe infiniment peu nombreuse des hommes libres participoit seule à ces progrès, et celle-ci, per- due au milieu de ses milliers d'esclaves, re- tomba bientôt dans la barbarie dont elle étoit entourée de toutes parts.

p. igS. Annal. Tiliaîii , p. 22. Chron. Moissiac. p. 76. Poeta saxon. Lib. III, v. 272, p. i5g.

(i) P^ita Caroli ah Eginhardo. Cap. 17, p. 96. Moissiac. Chron. p. 76.

55G HISTOIRE

7j)C. Les arts de la paix succédoient d'autant plus

naturellement dans l'esprit de Charles, à ceux de la guerre, qu'aucun de ses voisins n'étoit assez puissant pour lui donner une inquiétude sérieuse. Il faisoit moins la guerre pour se dé- fendre ou pour conquérir , que pour châtier l'insubordination des peuples qui ne lui obéis- soient pas assez promptement. Dans le cours de l'année 796 il conduisit lui-même son armée en Saxe pour la ravager. En même temps il chargea son fils Pépin de diriger sur la Pan- nonie une expédition qui auroit présenté plus de danger si les Huns, qu'il faisoit attaquer, n'avoient pas été divisés par une guerre civile. Le khagan ou sigour des Avares avoit été tué , et leur pays étoit sans défense. Thudun, l'un des rois des Huns, étoit, dès l'année précé- dente, venu auprès de Charlemagne pour sol- liciter son alliance et promettre d'embrasser le christianisme. De son côté, le slave Wonomir avoit cherché un refuge en Italie, auprès de Henri, duc de Frioul , alors principal con- seiller de Pépin, roi d'Italie. Nous connois- sons trop mal l'état de la Pannonie à cette époque, pour savoir si les Huns , les Avares et les Slaves, tous en proie à la même guerre civile, étoient soumis auparavant à un même gouvernement; si la discorde ayoit éclaté entre les nations ou entre les partis, et si le nom

DES FRANÇAIS. SSy

d'Avares et le nom de Huns n'étoient pas alors ^d^ appliques indifféremment au même peuple. Nous savons seulement que, d après les ordres de Charles, Pépin, accompagné par Henri, duc de Frioul , entra en Pannonie par Tltalie , à la tête des Lombards et des Bavarois; qu'il passa le Danube et même le Theiss (i), et qu'il ar- riva jusqu'au Ring , enceinte ou camp fortifié que les Avares, qui n'avoient point de ville, regardoient comme leur capitale. Ils y avoient entassé toutes les dépouilles de l'Orient dévasté par eux ; Pépin les enleva , et en rapporta d'immenses richesses que Charles distribua aux grands et aux courtisans qui l'entouroient. Il chargea aussi Engilbert, abbé de Saint-Richaire, d'en porter en offrande une partie au nouveau pape. (2)

Tandis que Charles faisoit attaquer la Pan- nonie par son fils, il recommençoit chaque an- née ses expéditions contre la Saxe. Il ne se proposoit plus, comme dans la première guerre, d'en faire la conquête , mais plutôt d'affoiblir, de ruiner si fort cette nation , qu'elle n'eût plus moyen de se révolter. D'une part, au moindre

(1) Eglnhard, et le poète saxon son traducteur, nomment seuls le Tiza ou Theiss. {Annales , p. 212. ) Poeta saxon, Llb. III, V. 286, p. iSg.

{1) Annal. Petav. p. 16. Tiliani , p. 22. Loiseliani ,' p. 5o. 3'Ioissiac. p. 76. Metenses , p. 348.

55S HISTOIRE

-y6'. signe de désobéissance , il brûloit les villages et en massacroit les habitans; d^autre part, quand il vouloit bien recevoir leur soumission, c'étoit en exigeant d'eux un si grand nombre d'otages , qu'il obtenoit ainsi une garantie, non pas de la nation seulement, mais de chaque famille. Dans plus d'un canton il se fit livrer, pour em- mener en France, le tiers des habitans, hom- mes , femmes ou en fan s. Ce nombre prodi- gieux d'otages ou plutôt de captifs qu'il rame- noit de chacune de ses expéditions, éloit en- suite distribué dans tous les villages de France et d'Italie, jusqu'aux extrémités de sa vaste do- mination , et il sefondoit peu à peu avec le reste

797. de la population. Au printemps de l'année 797 , il conduisit une expédition entre l'Elbe et le Weser , jusqu'à l'Océan septentrional, en tra- versant des plaines marécageuses que les Saxons avoient cru jusqu'alors des retraites impéné- trables, et aucune armée ne les avoit encore poursuivis. Après être revenu à Aix-la-Cha- pelle , il en repartit au milieu de novembre pour prendre avec son armée ses quartiers d'hiver dans la Saxe. Il fit choix , pour établir son camp , d'un site avanUigeux,^ sur le bord du Weser, qu'il nomma le nouvel Héristal , ou plutôt Heer-Stall (quartier de l'armée) , et il en fit le centre de ses excursions dans toute la Saxe. (1)

(0 Eginhardi Annal, p, 212. Peta^f. p. 16. Tilinni,

DES FRANÇAIS. 559

Une guerre si acharnée, qui avoit alors duré 797. déjà vingl-six ans, en clévastanl la Germanie, devoit en avoir sans doule beaucoup diminué la population. Cependant les vicies qui y sont faits par lepée se referment beaucoup plus vite que ceux qui sont faits par de ntauvaises ]ois, lorsque celles-ci privent le peuple de sa subsistance et de son travail. Nous verrons, dès la génération suivante, la Saxe vaincue et si long-temps dévastée, beaucoup plus peuplée, plus belliqueuse et mieux en état de se défendre que la Gaule qui avoit triomphé d'elle à tant de reprises. On ne peut douter que ce ne soit pendant le règne même de Charlemagne, au milieu de ces ravages, de ces massacres, et de tous les malheurs attachés à la conquête , que le nord de la Germanie passa de la barbarie à la civilisation , que des villes nouvelles furent fon- dées au milieu des forêts, que des lois furent reconnues par ceux quis'étoient fait long-temps nn honneur de n'en point admettre , qu'une certaine connoissance des lettres fut le résultat de la prédication du christianisme , qu'enfin les arts et les jouissances de la vie domestique fu- rent introduits jusqu'à l'Elbe par les fréquens voyages et les longs séjours des personnages ri- ches et puissans que Charlemagne entraînoit

p. 22. Loiseliani, p. 5o. Moissiac. p. 76. Metenses , p. 348. Poeia saxon. Lib. III, v. 35o, p. i6a.

36o HISTOIRE

;07' avec lai au fond de la Germanie. A cette épo- que même on y vit arriver des négociateurs de toutes les parties du monde civilisé, des Arabes, des Huns, des Espagnols et des Grecs.

Issem , roi de Cordoue, étoit mort le 27 avril 796 5 et son fils Alhaccan P"" se trouvoit engagé dans une guerre civile contre ses deux oncles Suleiman et x\bdoullah , frères aînés de son père , qui étoient revenus d'Afrique pour lui disputer la couronne. Cette guerre civile étoit favorable aux progrès des Francs sur la frontière d'Espa- gne. Le sarrasin Zata, seigneur de Barcelone, qui reconnoissoit tour à tour la suzeraineté de celui de ses deux voisins qu^il croyoit le plus puissant, vint au commencement de Tété de 797 à Aix-la-Chapelle, pour faire volontairement sa soumission à Cliarlemagne , et lui remettre les clefs de sa ville. Pendant le même temps, Louis, roi d'Aquitaine, assiégeoit Huesca sur la même frontière. La même année , Charles, à son retour de sa première expédition en Saxe, vit arriver à Aix-la-Chapelle , un prince sarrasin d'une plus haute naissance. C'étoit Abdoullah, fiis d'AbdérameleMoavite, et frère dlssem le der- nier souverain. Il venoit demander l'aide du puissant souverain de l'Occident, pour mon- ter sur le trône de son père, successivement usurpé par son frère cadet, puis par son neveu. Il accompagna Charles en Saxe, et passa l'hiver

DES FRANÇAIS. 5Gr

avec lui au nouvel Héiistal; bientôt il y "vit :o> arriver Louis , roi crAquilaine , qui venoit ren- dre compte à son père rie sa dernière campa- gne contre les Sarrasins. Au printemps sui- vant, Abdoullah fut renvoyé avec Louis en Aquitaine : il réussit ensuite à s'emparer de Valence, et lorsqu'il se soumit plus tard à son neveu , cette ville lui fut assurée en apanage.

Dans le même temps, Alfouse II , surnommé le Chaste, roi d'Asturie et de Galice, profitoit des guerres civiles des Musulmans pour leur enlever différentes places ; mais quoique sa cou- ronne fût indépendante, il sentoit si fort quel besoin il avoit de la protection de Charles , qu'il lui rendoit compte de ses succès , comme s'il eût été son lieutenant. La même année , ses ambassadeurs apportèrent à Aix-la-Chapelle une tente d'une admirable beauté, trophée d'une de ses victoires sur les Maures, qu'il of- froit en présent à Charleniagne. Ils y rencon- trèrent les ambassadeurs des Huns qui cher- choientà faire accepter leur soumission , pour éviter une nouvelle guerre, et celui de Con- stantin V, empereur d'Orient, que le patrico de Sicile avoit fait accompagner à la cour de Charles.

Nous ne savons pas quel étoit le but de la lé- gation envoyée par Constantin à Charlemagne; peut-être les hostilités s'étoienl-elles continuées

56^ HISTOIRE

797. entre les deux dominations, sur les frontières du duché de Bénévent , et s'agissoit-il de les faire cesser. Mais il est probable qu'à l'époque l'ambassadeur grec arriva à Aix-la-Chapelle, son maître a voit cessé ou de vivre ou de voir le jour. L'ambitieuse Irène, qui avoit su, au mo- ment opportun , se délivrer de son mari pour régner au nom de son fils , n'a voit point pu se résigner à partager l'autorité avec celui-ci, lors- qu'il étoit parvenu à l'âge d'homme. 11 y avoit eu entre la mère et le fils une batte prolongée, durant laquelle Irène avoit été envoyée en exil à Athènes, lieu de sa naissance, et n'avoit en- suite été rappelée à la cour que lorsqu'elle avoit réussi, par sa dissimulation, à persuader Con- stantin de sa soumission absolue. Alors elle avoit profité de son ascendant sur son fils, pour l'en- traîner dans des démarches fausses et dange- reuses. L'empereur avoit, en 792, puni une conjuration de ses oncles contre lui, en faisant arracher les yeux à l'un d'eux et couper la lan- gueaux quatre autres. 11 avoit, au mois de jan- vier 795 , répudié l'arménienne Marie qu'il avoit accusée d'une conspiration , pour épouser à sa place une de ses suivantes, nommée Théo- dora; et Irène l'avoit elle-même excité à satis- faire ainsi une passion nouvelle, tandis qu'elle l'avoit en même temps dénoncé au clergé et surtout aux moines, sur lesquels elle conser-

DES FRANÇAIS. 365

voit un crédit illimité, comme ayant violé les 7^- lois et la discipline de l'Eglise. Elle avoit réussi , par ces artifices, à soulever contre lui les pré- lats et les saints , et à organiser des séditions dans la capitale et les provinces. Enfin , les con- jurés qu'elle dirigeait se saisirent du malheu- reux Constantin le i5 juin 797 ; ils l'entraînè- rent dans la chambre même il étoit né, et ils lui arrachèrent les yeux avec tant de bar- barie , qu'il en mourut peu de temps après dans d'horribles tourmens. (i)

Irène fut alors placée sur le trône, et pour la première fois le monde romain obéit à une femme , qui gouverna non plus comme régente ou tutrice, mais comme régnant en son propre droit. Mais, quoique le chef des saints à cette époque, l'archimandrite Platon, embrassât avec chaleur la cause de l'impératrice, quoique l'an- naliste de l'Eglise, lecardinal Baronius, affirme à cette occasion ce que le Christ lui-même nous (( a enseigné par ses paroles, que c'est un acte «de piété suprême d'être cruel envers son fils «pour la cause de la religion )) (2); quoique l'impératrice Irène enfin ait été introduite par les Grecs dans le calendrier des saints, l'Eglise

(i) Theophanes Chronograph. T. VI, p. 3i6. Thcodorus studita in actis sancti Plaioiiis , apud Baron. Annal, eccles. p. 458-477. Pa§i critica., §. i , p. l^\i.

[1) Baronil Annal, p. 470, ann. 796.

364 HISTOIRE

'î^^* qui applaudit à son zèle ne put voir cependant, sans étonnement,une femme proclamée empe- reur. Aussi ce fut pendant ce règne sans exem- ple, que la cour de Rome forma le hardi projet de renouveler l'empire d'Occident, et d'en dé- férer la couronne à Cliarlemagne.

?j8. Charles continuoit cependant à séjourner au

nouvel Héristal avec son armée , et les four- rages n'étoient point encore assez abandans pour qu'il pût entrer en campagne, lorsque les Saxons de la droite de l'Elbe, ne pouvant se résigner plus long-temps aux vexations qu'on leur fai- soit éprouver, surprirent les lieu tenans royaux, nommés Missi Dominici^ qui rendoient la jus- tice dans chacun de leurs districts, et les mas- sacrèrent. Ils égorgèrent en même temps Go- descalche, ambassadeur de Charles auprès de iSiegfiid, roi de Danemarck, qui revenoit de sa mission. Charles, violemment irrité, rassembla son armée à Muiden sur le Weser, et ravagea par le fer et le feu tout le pays qui s'étend du Weser jusqu'à l'Elbe. Mais les Saxons de la rive droite de l'Elbe, qu'on nommoit aussi Nor- mands , s'enorgueillissant de ce qu'on ne tenloit pas même de les punir du meurtre de leurs juges , se mirent en campagne pour attaquer eux-mêmes les Slaves abodriles, qui depuis le commencement des guerresd'Allemagneavoient été fidèles à l'alliance des Francs. Charles fit

DES FRANÇAIS. 365

passer à Tlirasico , duc des Abodrites , un de TO^* ses lieutenans nomme Ebervvin , avec quelques renforts. Les deux armées se rencontrèrent dans \\n lieu nommé Swenden ; les Saxons y furent défaits avec perte de plus de quatre mille hommes ; et Charles en ayant reçu la nouvelle, quitta Héristal avec son armée, et revint à Aix- la-Chapelle.- (i)

Dans cette ville Charles trouva les ambassa- deurs de Fimpératrice Irène, qui venoient repren- dre la négociation entamée au nom de son fils; ils furent reçus avec honneur, et les conditions de la pacification entre rOrient et l'Occident furent arrêtées. Des ambassadeurs d'Alfonse II, roi des Asturies^ attendoient aussi Charles, pour lui rendre compte des progrès de la guerre d'Espa- gne. Alfonse, poursuivant ses conquêtes à l'oc- cident de la Péninsule, s'étoit rendu maître de Lisbonne, et il envoyoit à Charles des captifs, des chevaux et des marchandises de grand prix , comme sa part dans les dépouilles de cette opu- lente ville; mais en même temps il demandoit des secours d'hommes et d'argent pou r continuer une guerre disproportionnée avec ses forces; et le roi d'Aquitaine, Louis, avoitsoin en effet de soutenir ces braves Galiciens , qui combat- Ci) Eginhardl Annal, p, 21 3.. Annal. Petauiani, p. 16.

Tiliani, p. 23. Loiseliani , p. 5r. Moissiacens. p. 77»

Poeta saxon. Lib. III, y. 568, p. 160.

565 HISTOIRE

toient en quelque sorte comme les enfans per- dus de sa propre armée, (i) 799. Au printemps de Tannée suivante, Charles

étoit encore à Aix-la-Chapelle , et il se prépa- roit à de nouvelles expéditions contre la Saxe et contre la Pannonie , qui, toutes deux réduites à l'extrémité, ne paroissoient plus pouvoir op- poser une longue résistance à ses armées, lors- qu'une révolution violente survenue à Rome rappela toute son attention vers l'Italie, lui lit jouer, pour la seconde fois, le rôle de protec- teur de l'Eglise romaine, et plaça enfin sur sa tête cette couronne impériale, toujours portée par ses successeurs , jusqu'à nos jours , avec des attributions et une prééminence qui ont changé le droit public de l'Europe.

(i) Eginhardi Annal, p. 2i3. Titiani, p. 25. LoiseL p. 5i. Metenses, p. 349- Poeta saxon. Lib. III, v. 4^7» p. i6r.

DES FRANÇAIS. 667

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CHAPITRE V.

Renouvelle ment de V empire d^ Occident; fin du règne de Charlemagne. 799 814.

liA Gaule se trou voit comme perdue dans la vaste monarchie de Charlemagne. Les victoires des Francs avoient porté leurs frontières à une si grande distance de celles du pays qui porte au- jourd'hui le nom de France, que dans presque aucune occasion une invasion ennemie ne pou- voit pénétrer jusqu'à elles. Les provinces ex- posées à la guerre étoient d'autre part seules habitées par des citoyens belliqueux : le besoin de se défendre ne se faisoit jamais sen- tir, les habitans négligeoient Fusage des armes, et le prince ne trouvoit plus de soldats. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles Charles levoit ses armées presque exclusivement dans les pays de langue tudesque , et n'avançoit ja- mais au commandement que des chefs dont les noms sont Francs, c'jest-à-dire Germains, par op- position aux chets gaulois ou romains que nous avons vus admis au pouvoir pendant toute la durée de la première race. Il ne faut point ou- blier cependant que ces Gaulois sont les pères

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des sujets de Charles- Je- Chauve; que dès le siècle suivant nous commencerons à appeler Français, par opposition aux Francs d^outre- llhin. Ces Gaulois ou Romains qui sous le règne de Chailemagne ne furent exposés à aucune in- vasion 5 qui ne parvinrent jamais à aucun com- mandement militaire, qui n'occupèrent jamais les grandes dignités civiles, qui semblent même avoir élé^ exclus des plus hautes prélatures de FEglise, n'attiroient pas davantage l'attention par Taction immédiate du gouvernement sur eux. La capitale de la monarchie n'étoit plus dans la Gaule. Tous les ordres parloient d'Aix- la-Chapelle; c'étoillà que se réunissoient tous les ambitieux, tous les hommes en pouvoir, tous les lettrés qu'attiroient les bienfaits de la cour, tous les marchands que nourrissoil son luxe. En effet , la ville de Paris ne se trouve pas même nommée par les historiens durant ce long règne. Et si elle eut alors un comte qu'on peut croire Gaulois d'origine, nommé Etienne, ses évêques , Herchenrad, Inkhad , Landrich, furent tous Germains ou Francs, (i) Aussi, pendant cette période qu'on nomme cependant glorieuse , faut-;il chercher dans les fastes de la France ses transactions militaires au- delà de ses vastes frontières, sur l'Elbe, sur le

(i) D. Bouquet, Scr. franc. T. Y, p. 663, ex Chartulario eccles. parisiens.

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Raab ou sur l'Ebre ; ses transactions civiles clans 709. Tintérieur, non de la Gaule, mais de la Ger- manie ou de ritalie. Parmi ces événemens do- mestiques, qui prenoient leur origine dans les régions nouvellement rangées au nombre des provinces , il en est peu dont l'influence se soit plus long- temps prolongée que le soulèvement des Romains contre Léon III, et l'interposition de Charles , en faveur de ce pontife.

Nous n'avons aucun lieu de croire que le pape exerçât à cette époque ou la souveraineté, ou même une autorité civile proprement dite, dans Rome ; aussi ce n'étoient point ses vexa- tions qui avoient excité le mécontentement des Romains, mais les intrigues du pouvoir sacer- dotal. Il est vrai qu'au huitième siècle les Ro- mains ne connoissoient plus d'autre grandeur que celle de leurs pontifes , et n'épousoient plus d'autres querelles que celles de leurs prêtres. Le primicier Pasqual et le sacristain Campulus, l'iui neveu et l'autre confident du précédent pape Adrien P*", jaloux sans doute de se voir exclus du pouvoir, à la cour de son succes- seur , formèrent une conjuration contre lui. Ils l'accusèrent de crimes dont on ne nous a pas même conservé l'indication, mais qui dévoient n'être pas sans quelque vraisemblance, puis- que la plus grande partie du peuple se rangea

TOME II. 24

5'JO HISTOIRE

?99v dans leur parti. Le 25 avril 799, jour de Saint- Marc, comme le pape conduisoit la procession des grandes litanies, et qu'il passoit, à la tête de son clergé et de tous les pénitens, devant la porte du couvent des saints Etienne et Syl- vestre, Pasqual et Campulus, secondés par une troupe nombreuse de conjurés , s'élancèrent sur lui et le saisirent. Ils avoient formé le dessein de lui arracher les yeux et de lui couper la langue. D'après le diacre Jean , de Naples , ils le blessèrent en effet légèrement à l'œil ; un reste de respect pour le vieillard qui se trouvoit entre leurs mains, les arrêta cependant au milieu de leurs fureurs, et ils laissèrent à leur captif la vie, la connoissance, et les moyens de se ven- ger (i). Leur modération inattendue pou voit passer presque pour miraculeuse; elle le de- vint davantage encore sous la plume d'écri- vains plus superstitieux ou plus éloignés des événemens. Ils racontèrent que la langue du saint-père avoit été coupée ; que les yeux avoient été arrachés, et même à deux reprises; d'abord par terre, Léon III avoit été renversé par ses assassins , et de nouveau devant l'autel de saint Sylvestre il fut traîné. Mais, ajoutent-

(i) Johanues diacon. vitœ Episcop. JVeapol. T. I, p. ii , Rer. Italie, p. 3 12. Annal. Lambeciani , p. 65. Chronic. Moissiac. p. 77. Theoph. Chronog. p. 017.

DES FRANÇAIS. 671

ils, ces organes lui furent aussitôt rendus mi- 799. raculeusenient en leur entier, (i)

Après avoir éprouvé ces outrages, Léon III a voit été enfermé dans le couvent du martyr saint Erasme ; mais , pendant la nuit , son camé- rier Albin trouva moyen de le faire descendre par une échelle de corde le long des murs ; de sorte qu'il s'échappa, et qu'il vint chercher un refuge auprès de Guiiiigise, duc de Spolèle , et de Guirundo, messager du roi , qui se trou- voient alors à la basilique de Saint-Pierre. Ces deux seigneurs se hâtèrent de le faire passer à Spolète , pour l'y mettre mieux en sûreté. Léon III prit ensuite la résolution d'aller trou- ver Charles en Allemagne.

Charles, averti des révolutions de Rome, avoit de son côté donné des ordres pour la ré- ception du souverain pontife, et pour les hon- neurs qu'on devoit lui rendre; mais il ne dif- féra point à cette occasion le voyage que lui- même il avoit résolu de faire en Saxe. Il avoit assemblé à Lippenheim sur le Rhin, une diète des Francs auxquels il annonça la prochaine ar- rivée du pape , et les secours qu'il comptoit

(i) Anastasii Biblioth. vita Leonis III, Scr. ital. p. 197.

- Baronii Annal, eccles. ann. 799, §. J , p. 4^^* P^^^

criiica 8 , p. 417- Poema de Adventu Leonis ad Carohvu.

V. 35o. T. V, p. 394.— Poe^a saxon. Lib. III, v. 4^0 > P- ^^^'

Annal. Tiliani, p. a5. Loisel. p. 5i. Metens. p. 349-

572 HISTOIRE

799 lui donner. Il s'avança ensuite dans la Germa- nie , jusqu'à Paderborn , il attendit sa visite, tandis qu'il avoit chargé son fils aîné Charles de passer l'Elbe avec la plus grande partie de son armée 5 de régler quelque différend entre les Wiltzes et les Abod rites, et de recevoir l'hom- mage des Normands qui habitoient sur la rive droite de ce fleuve.

Jamais aucun pape n'avoit encore franchi le Rhin, ou ne s'étoit autant avancé vers le nord. Peut-être Charles , en attendant Léon à Pader- born ^ vouloit-il lui faire voir les régions nou- velles qu'il avoit soumises au christianisme, et montrer en même temps aux nouveaux con- vertis cette image de Dieu sur la terre, que par trente ans de guerre il les avoit forcés à adorer. Il le reçut avec un mélange de respect et d'affec« tion qui étoit rendu plus touchant parle danger que le pape venoit de courir, et par le miracle dont on le croyoit l'objet. Pépin , roi d'Italie, qui étoit alors auprès de son père, avoit été à la rencontre du pape, avec une division nom- breuse de l'armée , tandis que Charles l'atten- doit sur un trône élevé, rendant la justice au peuple. Dès qu'il le vit approcher , il se hâta d'en descendre pour s'avancer vers lui, et après l'avoir adoré selon le cérémonial des papes, il lui prit la main , l'embrassa, et traversa avec liii la foule , qui par trois fois se prosterna devant

DES FRANÇAIS. 673

le pontife; tandis que celui-ci admiroit la va- riété des langues, des armes, des habits, de ces nations dont Charles étoit entouré, (i)

Nous ne savons point combien Léon passade temps auprès de Charles , et nous ne connois- sons le résultat des conférences de Paderborn , que par les événemens qui les suivirent. Un poëme fort supérieur et en pureté de langue et en invention poétique, à tout ce qui nous reste de ce siècle, et que d'après cette raison même on suppose êtred'Alcuin, a célébré cette entre- vue; mais il nous parle des cérémonies , et non des négociations (2). Léon reprit ensuite la route de l'Italie. Quatre évêques et plusieurs comtes furent chargés par Charles de le reconduire et de tont disposer pour qu'il fût reçu à Rome avec respect et obéissance. Il semble qu'en même temps, et parle conseil d'Alcuin, Charles adressa au sénat et au peuple de Rome des promesses d'amnistie, de peur que les révoltés, poussés à bout par les menaces du roi des Francs, rappelassent les Grecs , et ne se missent sous leur protection. (5)

Les quatre corporations d'étrangers établis à

(i) Anastasii Biblioth. vita Leonis , p. 198.

(2) Scriptor. francor. T. Y, p. 588 ogj.

(3) Alcuini Epistola XI , in Script, franc. T. V, p. 612,— Pagi critica 799, §. 3, p. 4i8. Muratori Annali d'Ital. p. 54t.

799'

074 HrSTOîRE

799. Rome , qu'on clésignuit par les noms d'écoles des Francs, des Frisons, des Saxons et des Lom- bards, furentmises sous les armes, et elles s'avan- cèrent au-devant du pape jusqu'à Ponte-Molle; le sénat, le clergé et le peuple romain se trou- vèrent aussi sur son passage avec toutes les con- grégations religieuses, et l'accompagnèrent en- suite en triomphe, en chantant des hymnes, jusqu'à la basilique du Vatican. En même temps Pasqual et Campulus furent arrêtés, pour être mis en jugement à la prochaine arrivée de Charlemagne. (i)

Charles avoit en effet promis au pape de visiter Rome l'année suivante, mais il vouloit auparavant assurer l'ordre dans la partie sep- tentrionale de ses états. Son fils aîné Charles avoit passé l'Elbe et rétabli la paix chez les peuples slaves et les Normands qui vi voient sur sa rive droite, auprès de son embouchure. Les affaires de Pannonie lui donnoient plus d'in- quiétude. Gerhold, qu'il avoit chargé du gou- vernement de la Bavière depuis la destitution de Tassilon , venoit d'être défliit par les Huns, sur les terres desquels il s'étoit avancé, et il avoit été tué dans le combat. Eric ou Unroc , marquis de Frioul , qui s'étoit distingué dans une suite de combats contre la même nation , venoit aussi d'être tué dans une sédition des habitans de

(t) jénastasii Biblioth. p. 198.

DES FRANÇAIS. 0']5

Tarsacoz , en Libarnie. Charles lui donna pour :o^- successeur Caclalo , qu'il chargea de pacifier cette petite province située entre Tlstrie et la Dalma-* tie (i). A Tautre extrémité de ses états le comte Guido, préfet de la frontière britannique, fut chargé de parcourir toute la province des Bre- tons, pour désarmer ces peuples toujours re- muans , et toujours à charge à leurs voisins. En effet, il présenta au roi, à Aix-la-Chapelle, les armes de tous ces petits princes qui s'étoient engagés à observer désormais la paix. Dans cette même ville on vit arriver en même temps les armes des pirates des îles Baléares , vaincus par les lieutenans de Charles; les clefs de Huesca que le gouverneur sarrasin de cette ville, Hazan , lui faisoit remettre; enfin des reliques pré- cieuses , avec d'autres présens que le grand khalife Haroun al Raschid lui envoyoit de Bag- dad , avec sa bénédiction. (2)

Il y a voit plusieurs années que Charles n'a- 800. voit visité aucune partie des Gaules; quelques brigandages des Saxons et des Normands sur les côtes de l'Ouest déterminèrent le roi des

(i) Eginhardi Annal, p. i\^. Ejusd.vita, cap. i3, p. 94- Poeta saxon. Lib. III, v. 525, p. i63. Epitaph. Geroldi , p. 399. Annal. Tiliani , p. 23. Loisel. p. 5i. Adonis, p. 320. Metenses , p. 349-

(2) Eginhardi Annal, p. 2i4, et vita, cap. i4, p- 95- Poeta saxon. Lib. III, v. 54o, p. i63. Annal. Tiliani p. 23. Loiseliani , p. 52. Metenses . p. 349-

Z'jG HISTOIRE

800. Francs à partir d'Aix-la-Chapelle, au milieu de mars de Tan 800 , pour les réprimer. Il célébra la solennité de Pâques au couvent de Saint- Richaire; puis, continuant à suivre la mer, des bouches de la Somme à celles de la Seine , il fit construire des barques armées , et il distri- bua des gardes sur la côte pour défendre tout ce littoral contre les pirates normands. De Rouen il se rendit à Tours, sa dévotion le condui- soit au tombeau de saint Martin. Il y fut re- tenu quelque temps par la maladie de la reine Liutgarde , qui y mourut le 4 juin, et qui y est ensevelie. Charles, qui avoit déjà été marié cinq fois, ne voulut plus, après la perte de cette reine jeune et belle, chercher une compagne qu'il pût élever jusqu'à lui. C'est alors qu'il fit choix de quatre concubines qu'il garda jusqu'à la fin de sa vie, et dont il n'eut pas d'enfans, comme il en avoit eu de ses premières maîtresses. Cependant il reprit par Orléans et Paris la route d'Aix-la-Chapelle , d'où il se rendit encore à Mayence, pour y présider, au mois d'août, la diète nationale qu'il avoit convoquée. C'est qu'il annonça aux Francs son intention de les conduire en Italie l'automne suivant, et qu'il les invita à se ranger sous ses drapeaux. (1)

(i) Annal. Eginhardi, p. 2i4- Tiliani , p. 23. Loiseî. p. 52. Moissiac. p. 78, Metens. p. 349^ Poeia saxo?i^ Lib. III, V. 570, p. 164.

DES FRANÇAIS. O77

C'étoit en général par TAllemagne, et les pas- 800. sages du Tyrol ou ceux des Alpes juliennes, que Charles descendoit en Ilalie. 11 y entra suivi d'une puissante armée, avec laquelle il se re- posa d'abord sept jours à Ravenne. Il la partagea avec son fils Pépin lorsqu'il fut arrivé à Ancône ; il donna la commission à celui-ci d'aller obser- ver les frontières du duché de Bénévent, tandis qu'il se dirigea lui-même sur Rome. Au pont de Lamentane , à douze milles de cette capitale , il rencontra le pape Léon III qui étoit venu au-devant de lui, mais il se hâta de le renvoyer pour préparer sa réception. (1)

Charles fit son entrée dans Rome le il\ no- vembre. Les milices et les écoles étoient sorties au-devant de lui, tandis que le pape avec les évêques et tout le clergé l'atlendoient devant la basilique du Vatican, il fut introduit au mi- lieu de leurs cantiques. Sept jours après, Charles ayant convoqué une assemblée de tous les sei- gneurs francs et romains, et de tout le clergé, lui annonça qu'un des principaux objets qu'il s'étoit proposés dans ce voyage, étoit de voir le pape se purger des accusations intentées contre lui. Alors tout le banc des archevêques, évêques et abbés se leva ; seuls ils étoient assis dans cette assemblée, tandis que la noblesse cl le resic du clergé étoient debout, a Nous n'osons point,

(0 Annal, Eginhardl , 214, et iidera.

378 HISTOIRE

Soo. ce s'écrièrent ces prélats, juger le siège aposto- « lique , qui est comme la tête de toutes les (( Eglises de Dieu. C'est par ce siège, au con- « traire , c'est par le vicaire du Christ que nous a sommes nous-mêmes jugés , tandis qu'il ne <c peut l'être par personne : telle est la coutume « de l'antiquité. Que le souverain pontife or- « donne donc, et nous lui obéirons canonique- ce ment. » (1)

Ainsi les accusations portées contre Léon, et qui avoient d'abord paru assez graves pour en- traîner le peuple et la plus grande partie du clergé, étoient anéanties sans examen. Cepen- dant le pape estima peut-être qu'en évitant ainsi toute procédure , il laisseroit des doutes sur son innocence dans l'esprit d'une partie de l'as- semblée; il déclara donc que, selon la coutume de ses prédécesseurs, il se purgeroit par ser- ment des accusations portées contre lui ; et en effet, le lendemain il monta dans la chaire de Saint-Pierre au Vatican, et, tenant en main le livre des Evangiles , il prononça le serment suivant :

«C'est une chose connue, mes très -chers c< frères, que des méchans se sont levés contre c( moi , et qu'ils ont répandu l'infamie des plus <( graves accusations sur moi et sur ma vie. Le

(î) Aîiastasius Biblioth. invita Leonis IH , Labhei ConciL p. 1082, Scr, ital, p. 19g.

DES FRANÇAIS. ^79

« très-clément et sérénissime roi Charles s'est 800. « porté dans cette ville avec ses prélats et ses a princes , pour en connoître. C'est pourquoi, « moi Léon , pontife de la sainte Eglise romaine, « n'étant jugé ni forcé par personne , mais de (( ma propre volonté, je me déclare innocent en «votre présence, en celle de Dieu et de ses «anges qui connoissent ma conscience, et de c( saint Pierre , prince des apôtres qui me voit. « Je déclare que je n\'ii point commis les scélé- cc ratesses dont on în'accuse , et que je n'ai point « ordonné de les commettre 5 j'en atteste ce Dieu <( au tribunal duquel je dois me présenter, et <f qui a les yeux tournés sur moi; je le fais de (c plus sans y être forcé par aucune loi , et sans <( vouloir par soumettre mes successeurs dans c( la sainte Eglise, ou mes frères les autres évê- c( qnes,à une coutume semblable, mais seule- ce ment afin de vous délivrer complètement de (( tout injuste soupçon. » (i)

Il paroît que les accusateurs du pape offri- rent la preuve des faits qu'ils avoient allégués contre lui ; d'autres disent cependant qu'ils n'osèrent point la produire; quoi qu'il en soit, elle ne pou voit être admise dans cette singu- lière procédure; le pape ayant protesté de son innocence , sa déclaration seule suffit pour

(i) Prodit. ex sacris ritibus Roman, ecclesiœ à Baronio Annal, eccles. 800. T. IX , p. 448.

58o HISTOIRE

Soo. qu'on rejetât sur eux la charge de calomnia- teurs, et qu'en cette qualité on les condamnât à mort. Le pape cependant intercéda pour eux, et ils furent envoyés , à perpétuité, les uns en exil, d'autres dans des cachots, en différens lieux de France, (i)

Enfin arriva la fête de Noël , à laquelle devoit s'accomplir le projet qui, sans doute, avoit été arrêté d'avance dès les conférences de Pader- born , quoique Eginhard fasse honneur à Char- les de sa modestie, pour l'avoir ignoré, pour avoir même été disposé à s'y refuser s'il avoit pu le prévoir (2). Le pape chanta la messe solennelle dans la basilique du Vatican , en présence de Charles et de tout le peuple ; puis s'avançant vers le roi , il plaça sur sa tête une couronne d'or. Aussitôt le clergé et le pape s'é- crièrent , selon la formule usitée pour les empe- reurs romains : Vie et victoire à V auguste Charles , couronné par Dieu, grand et pacifi- que empereur des Romains l Ces acclamations et cette couronne furent considérées comme ayant renouvelé l'empire d'Occident , après une interruption de trois cent vingt-quatre ans , de- puis la déposition d'Augustule. (5)

(i) Annal. Tiliani , p. iZ. —Loiseliani, p. 52. Metens. p. 35o. Chron. Moissiac. p. 78.

(2) Eginhardi vita Caroll Magni. Cap. 28, p. 100.

(3) Eginhardi Annal, finis , p. 21 5. Tiliani , p. 20.

DES FRANÇAIS. 58l

Si le nom d'empire romain présentoil encore 800. aux liabitans de l'Europe, après une si longue interruption , des idées de grandeur et de puis- sance supérieure , ce n'étoit pas une vaine flat- terie que celle qui faisoit renaître le titre d'em- pereur, pour l'attribuer à Charlemagne. Dépuis que Dioclétien avoit,pour la première fois, partagé l'empire de Rome, aucun de ses suc- cesseurs n'a voit pu être comparé au roi des Francs, ou pour l'étendue de ses états , ou pour la force de ses armées. Le nouvel empire d'Oc- cident n'étoit pas cependant composé des mêmes provinces que l'ancien ; les Sarrasins avoient enlevé l'Afrique et l'Espagne à la chrétienté , et Charles n'avoit reconquis qu'une petite partie de la dernière. Mais en revanche, il avoit re- gagné au nord un territoire égal à peu près à celui que l'empire avoit perdu au midi. Toute l'Allemagne lui obéissoit jusqu'aux bouches de TElbe et de l'Oder, et ce pays, à demi sauvage, fournissoit à Charles plus de vaillans soldats que les anciens empereurs n'en auroient pu tirer de la Numidie et de la Mauritanie.

De son côté , Charles en recevant la couronne

Loiseliani , p. 53. Lamheciani , p. Q6. Moissiac. p. 78. Poeta saxon. Lib. IV, p. i65. Adonis Chron. p. 32 1. Annal. Fuldens. p. 332. Metenses , p. 55o. Herm. cou- tracti, p. 365. —Sigeb. Gemblac. p. 578. Anast. Biblioth. p. 199. Baronii Annal, p. 488. Pagi critica , p. 4'^5. -^ Muratori Annal. d'Ital, T. VI, p. 346,

582 HISTOIRE

Soo. impériale, adoptoit en quelque sorte les souve- nirs de Rome et de l'empire. Il se déclaroit le représentajit de la civilisation antique , de Tor- dre social, de l'autorité légitime, au lieu d'être plus long-temps celui des conqnérans barbares qui fondoient tous leurs droits sur leur épée. Quelque puissant que soit chez presque tous les hommes le préjugé en faveur du vain- queur, de celui qui a fait preuve de force et d'habileté, de celui qui ne souffre point de contestation sur ses droits, un préjugé plus puissant encore en faveur de l'ancienneté, avoit pris racine dans tous les cœurs. La supériorité des empereurs sur les rois étoit reconnue même des barbares. Le grand Théodoric , Clovis , Pépin, Charles lui-même, avoient cru s'hono* rer en recevant de Constantinople des titres qui les rangeoient presque au niveau des sujets des Grecs. Quelque odieux que se fussent rendus aux Latins des empereurs que l'Eglise déclaroit tous entachés d'hérésie; quelque mé- prisable qu'on jugeât souvent et leur caractère et leur puissance, le plus haut terme de l'am- bition de Charles lui-même étoit d'être re- connu par eux pour leur égal; et les Grecs, profitant de leurs avantages, refusoient cette égalité que l'humilité des Latins sol lici toit. En même temps le nom d'empereur paroissoit éta^ blir une plus grande distance entre les sujets et

DES FRANÇAIS. 385

le prince. Les Francs , en consentant qu'une di- 800. gnitë romaine remplaçât dans leur chef le rang qu'il tenoit d'eux , se soumirent sans y avoir songé, à être traités eux-mêmes comme des Ro- mains. La chancellerie de Charles adopta tous les titres fastueux de la cour de Byzance, et les grands ou les conseillers du nouvel empereur ne s'approchèrent plus de lui qu'en mettant un genou en terre et en lui baisant le pied, (i)

Mais le couronnement de Charles ne fonda point son pouvoir sur Rome , il ne changea rien, à ses droits comme souverain , ou sur le peuple ou sur l'Eglise, ni à ses rapports avec le pape. Depuis les fêtes de Noël Charles avoit été ^^^* proclamé empereur , jusqu'à celles de Pâques suivantes , il continua à séjourner à Rome , pour régler, selon l'expression des Annales des Francs , non-seulement les affaires publiques et celles de l'Eglise , mais aussi les affaires privées j c'est-à-dire pour rendre la justice aux particu- liers qui , selon l'abus universel chez les peu- ples demi-barbares , aimoient mieux, dans leurs différends, recourir à leur souverain pour être jugés, qu'aux tribunaux ordinaires. Le 25 avril Charles quitta Rome et reprit lentement par Spolète la route du nord de l'Italie, tandis que son fils Pépin poursuivoit la guerre contre Gri-

(i) Ermoldi JYigelli carmen de Rébus gestis Ludoyici PU. Lib, I, Y. iS;, p. i5, v. 178, 546, etc.

384 HISTOIRE

801. moald , duc de Béné vent , et lui enlevoit la ville de Chiéti, à peu près dans le temps Louis , autre fils de Charles, se rendoit maître de Bar- celonne. Les Grecs avoient cru d'abord que l'armée de Pépin étoit destinée à conquérir la Sicile aussi-bien que le duché de Bénévent ; Léon III , au contraire , avoit formé le projet de marier les deux chefs de la chrétienté, et de pro- fiter, pour réunir les deux empires, de la circon- stance inouïe qui avoit mis une femme à la tête de celui d'Occident. Charles , qui étoit veuf de- puis une année, fit demander la main d'Irène , et quoique cette princesse ambitieuse fût très- éloignée de vouloir compromettre son pouvoir en le partageant avec un mari, la négociation, qui dura quelque temps, contribuai maintenir la paix entre les deux empires. (1)

Charles étoit à Pavie lorsqu'il y reçut des nouvelles d'une autre négocia lion qu'il avoit entamée dans le Levant; son objet étoit moins important, mais son issue fut plus glorieuse. Il avoit, dès l'an 797, envoyé des ambassadeurs à l'illustre Haroun al Raschid, avec lequel il est douteux qu'il eût aucun intérêt à démêler; mais qui , à la tête comme lui d'un immense em- pire, s'occupoit aussi comme lui d'y faire fleurir les lettres, les arts et les lois. C'est une circon-

(i) Annal, francor, Loiselianij p. 53. Theophan. Chro- nograph. p. 017.

DES FRANÇAIS. 585

stance honorable pour tous les deux, que l'es- 8oi. time que ces deux grands hommes avoient conçue l'un pour l'autre, malgré la difïerence de religion , et la haine qui divisoit leurs deux peuples. Des trois ambassadeurs de Charles , les deux qui étoient Francs moururent à Bagdad le troisième, Isaac, qui étoit juif, débarqua à Porto Venere, au printemps de 80 1 , avec un éléphant que Haroun envoyoit en présent à Charles. En même temps arrivèrent aussi deux ambassadeurs , l'un du commandeur des croyans de Bagdad ; l'autre d'Ibrahim , émir ou sultan des Edrissites de Fez. Ils portoient en présent au monarque de l'Occident une horloge qui sonnoit les heures, et sur laquelle de petites figures humaines se mouvoient par des rouages secrets, telle à peu près qu'on en envoie au- jourd'hui de France aux lieux mêmes cette première horloge avoit été construite. Mais ce qui frappa les Francs de plus d'admiration en- core , que l'éléphant obéissant à la voix de son maître et les automates en mouvement , ce fut un étendard de Jérusalem , et les clefs du saint Sépulcre , que le khalife , par une courtoisie che- valeresque, envoya au plus puissant des princes qui suivoient la loi d u Christ, comme un signe de l'abandon volontaire qu'il lui faisoit de la souve- raineté de ces lieux consacrés par sa religion. (1)

(i) Annal. Loiseliani , p. 53. —Tiliani, p. 23. Mois si ac. XOME II. 25

586 HISTOIRE

8or. Pendant son séjour à Pavie , Charles compléta

par un nouveau capitulaire (c'étoit le titre qu'il donnoit à ses édits) ce qui lui paroissoit impar- fait dans les lois des Lombards. Peut-être cette nouvelle loi fut-elle, comme les précédentes, l'ouvrage des députés de la nation; cependant Charles adoptant le langage des anciens empe- reurs, n'y parle qu'enson nom seul. Les marques chronologiques de ce capitulaire sont également empruntées de la chancellerie des empereurs de Rome ou de Constantinople. Charles l'intitule de la première année de son consulat , regardant la dignité de consul comme attachée à celle d'au- guste ; de la neuvième année de l'indiction, quoique le cycle des indictions fut sans utilité, depuis que l'impôt territorial des Romains ne se percevoit plus. Il y joint encore les années de son règne , la trente-troisième sur la France, et la vingt-huitième sur l'Italie, enfin l'année d^ l'incarnation , ou de l'ère vulgaire, dont on commença seulement vers cette époque à faire usage, et qui donna à la chronologie une précision qu'elle n'avoit point eue jus- qu'alors, (i)

-.8i3. Dès son couronnement à Rome jusqu'à la fin de son règne, Charles s'occupa sans relâche

p. 79. Fuldens. p. 532. Metens. p. 35o. Pagi critica ad ann. 800 , §. i3, p. ^16.

(i) Baluzii Capitul. ad Legcin Lojigohard. T. I, p. 345.

DES FRANÇAIS. 087

à réformer les lois de ses vastes étals. Nous nV 801— 8i3. vous qu'un petit nombre de sescapitulaires an- térieurs au neuvième siècle, tandis que, de l'an 801 à l'an 8i5, chaque année est marquée par la publication de nombreuses lois. Quelque précieux que soit leur recueil, il ne donne pas cependant , sur les mœurs et les usages du temps, à beaucoup près, la lumière qu'on au- roit pu en attendre. Ni Charles ni ses sujets ne paroissent avoir eu une juste idée de ce que le législateur peut ordonner , ou du langage dans lequel il peut le faire. La plus grande partie de ce volumineux recueil est composée non de lois, mais de conseils tellement vagues, qu'ils ne font que confirmer le devoir moral que cha- cun devoit trouver déjà dans son cœur. Ainsi l'article 2 du capilulaire de l'an 802 , porte : ce II <:c nous a plu d'ordonner que chacun s'efforce, <c dans sa propre personne , de se conserver « pleinement dans le saint service de Dieu , se- « Ion les préceptes de Dieu et ses propres pro- c( messes , et suivant son intelligence et ses c( forces, car le Seigneur empereur ne sauroit ce donner à chacun individuellement assez de c< soin pour l'y conserver » (i). On trouve en- core à l'article 36 du même capitulaire , ces mots : « Que chacun consenle pleinement à ce « que nos députés {^missi Dominici) exercent

(x) Baluzii Capital. T. I, p. 36r.

388 HISTOIRE

8oi— 8i3. ce pleinement la justice, et qu'ils ne permettent (( point Fusage du parjure, car il est nécessaire « de bannir de chez un peuple chrétien un « crime aussi odieux. » De semblables pré- ceptes de morale, ou des déclaralions de prin- cipes, qui ne sont pas plus exécutoires, rem- plissent plus des trois quarts des capitulaires de Charlemagne.

Le manque d'ordre n'y est pas moins remar- quable que le manque de précision dans les idées. Tous les sujets , ecclésiastiques , mili- taires, politiques, de justice criminelle ou ci- vile, de finances et d'administration domesti- que, y sont tellement mêlés qu'ils ne se prêtent aucun appui l'un à l'autre ; tous sont traités d'une manière confuse; la loi n'organise rien ; elle peut quelquefois être considérée comme un conseil pour le magistrat , jamais comme une règle de conduite pour le sujet. En parcou- rant rapidement ces diverses classes, nous cher- cherons cependant à indiquer quels change- mens Charlemagne s'étoit proposé d'introduire dans la législation de son empire.

Les règlemens ecclésiastiques occupent un très-grand espace dans les capitulaires. Les évê- ques votoient dans toutes les assemblées na- tionales; ils y a%'^oient introduit l'usage du latin, qui n'étoit guère entendu par les seigneurs laï- quesj ils avoient seuls l'habitude de la parole.

DES FRANÇAIS. ^89

et on leur ahandonnoit un travail de législation 8oi-~8i3. et de rédaction auquel on les jugeoit exclusi- vement propres. D'ailleurs le monarque et ses conseillers croyoicnt sanctifier leurs lois en rendant dans chaque capitulaire un hommage à la religion, par la répétition de quelqu'un de ses préceptes. Cependant cette partie la plus prolixe des lois de Charles en est peut-être aussi la plus imparfaite. Souvent ce sont seulement les préceptes du Décalogue ou ceux du Lévitique dont le roi des Francs s'empare, comme si, en les publiant, il leur donnoit une nouvelle au- torité; souvent aussi il cherche à inculquer le respect qui est aux prêtres, aux églises, et à leurs biens. Cependant un capitulaire publié à Worms en 8o3 , sur la demande des ecclésias- tiques , les dispensa des charges militaires, les affranchit de l'obligation de marcher aux ar- mées, et plaça toutes leurs propriétés sous une protection plus spéciale (i). Un autre capitu- laire de la même année avoit restreint les fran- chises accordées aux asiles des églises; il avoit autorisé le comte de chaque province à récla- mer de l'évêque ou de l'abbé, un prévenu qui s'étoit réfugié dans sa franchise, pour l'exami- ner; et il semble que l'intention du législateur étoit de réduire les églises à mettre les fugitifs à l'abri seulement du ressentiment de ceux

(i) Capitul. Baluzii. T. I, p. 4o5.

SgO HISTOIRE

8or-S»3. qu'ils avoient offensés , mais non de la vindicte de l'autorité souveraine, (i)

D'autres lois encore réglèrent les nones et dîmes . et les subventions pour réparations d'église que dévoient les précaires ou bénéfices ecclésiastiques qui , sous l'administration de Charles Martel, avoient été accordés en récom- pense à des séculiers (2). D'autres assuroient au clergé et au peuple la libre élection de ses évêques, qui, sous le règne des Mérovingiens, n voit été le plus souvent accomplie par le roi (5). D'autres enfin séparoient absolument les juri- dictions civile et ecclésiastique, et soustrayoient le clergé à toute autre autorité qu'à celle de ses propres tribunaux. (4)

Les règlemens militaires , dans les capitu- laires, se rapportent surtout à la manière dont chaque Franc doit contribuer à la défense de son pays; marcher lorsque l'hériban est pu- blié (5), et être puni lorsqu'il manque à ce de- voir. Ces lois , quoique assez multipliées , se répètent l'une l'autre , sans s'expliquer , et elles laissent beaucoup de doutes sur la qualité

i (I) Capital Baluzii. T. I , p. 387, §. 2 et 3.

(2) Capital, anni incerti , §. 56 , T. I, p. 5i5. Baluzii.

(3) Capital. I, anni 8o3 , §.2.

(4) Noies Ti et 12 des observations de Mably sur l'Histoire de France, Liv. II, eh. 2, p. 221 et suivantes.

(5) Le mot même d'hériban, heer hann, signifioit appel ou proclamation de l'armée.

DES FRANÇAIS. 39I

des personnes appelées au service, et sur la Soi— 8i3. liaison de ce service avec la possession des ter- res. La plus complète fut publiée au palais d'Aix- la-Chapelle, en Fan 807. Elle appelle d'abord à marcher à Farniée tous ceux , sans exception , qui jouissent d'un bénéfice (1), c'étoit le nom légal que portoient les hefs ; dès celte époque, en effet, ils étoient distingués des terres alo~ diales , et le législateur pourvoyoit à ce que ces domaines concédés par le souverain ou le sei- gneur, sous l'obligation du service militaire, dans la guerre publique ou privée ( TVehr et Fehda) ^ ne pussent pas être convertis en pro- priétés simples (2) , dont le détenteur ne de-

(I) Baluzii Capitiil. T. I, p. 457.

(9.) Capitulare anni 812, §. 6, p. 497-

M. Meyer a très-ingénieusement distingué le service militaire des hommes libres {heer-man arimanni) du service militaire des bénéficiés ou vassaux {leheman leudes). Les premiers, membres originairement delà nation souveraine, étoient tenus par un devoir universel à sa défense , lorsque la nation étoit engagée dans la guerre défensive , désignée par le nom propre de wehr, guerra; les seconds s'éloient volontairement engagés à soutenir leur chef dans ses agressions et ses guerres privées {fehde ,faida). Mais M. Meyer a trop perdu de vue que, pen- dant plusieurs siècles, il n'y eut point de guerres privées, et que ce droit dont on peut, il est vrai, trouver l'origine chez les anciens Germains, ne recommença qu'à la décadence de la seconde race. Les bénéficiés , les leudes de Charles Martel avoient soutenu avec lui une guerre publique et non privée, pour la défense de la France contre les Sarrasins. (Meyer, Esprit des Institut, judic. Liv. I , ch. 4 , p- 5i. )

392 HISTOIRE

S3i-8i3. voit son service que pour la défense nationale ( I^Tehr). Cette innovation date probablement d'une époque sur laquelle nous avons fort peu de détails , celle la maison des ducs austra- siens conquit, par une longue guerre civile, l'administration du royaume , sur les maires du palais des Mérovingiens. Les vainqueurs avoient besoin de récompenser leurs créatures et de s'assurer des partisans pour de nouveaux combats. Ils n'avoient pour toute richesse à distribuer que des terres et des esclaves obtenus par la victoire. Ils attachèrent leurs biejifaits ou bénéfices à des services qu'ils exigèrent en retour, et ils se formèrent ainsi une milice dé- vouée à leurs intérêts, et régie par un contrat, plutôt que par les lois de l'état.

Mais indépendamment des feudataires ou bénéficiés qui ne forraoient encore qu'une classe peu nombreuse parmi les hommes libres, tous les propriétaires d'une manse de terre étoient appelés à contribuer à former l'armée. La manse, que Ducange évalue à douze arpens, paroît avoir été la mesure de terre qu'on jugeoit suffisante pour faire vivre une famille servile. Mais celui- seul qui possédoit trois , quatre ou cinq manses, étoit obligé à marcher en personne; celui qui n'en possédoit qu'une devoit s'arran- ger avec trois de ses égaux, pour fournir un soldat ; ceux mêmes qui ne possédoient que des

DES FRANÇAIS. 09^)

demi-manses dévoient contribuer proportion- 8oi -8i3. nellement. Il semble que le dédommagement payé par celui qui restoit au logis, à celui qui partoit, étoit à raison de cinq sols d'or par chaque manse. (i)

Ce service militaire gratuit devoit entraîner rapidement les hommes libres à leur ruine. Le soldat étoit en effet obligé de se procurer des armes à ses frais. On deniandoit de lui qu'il se présentât avec la lance et l'écu, ou avec l'arc, deux cordes et douze flèches (2) ; qu'il portât de plus une provision de vivres, probablement telle qu'elle pût lui suffire jusqu'à ce qu'il eût joint l'armée ; car l'on accordoit trois mois de vivres au soldat, mais seulement à dater du passage de la Loire , lorsqu'il marchoit vers les Pyrénées et l'Espagne, et à dater du pas- sage du Rhin , lorsqu'il marchoit vers l'Elbe ou contre les Saxons (3). Un tel service n'avoit pas paru excessif sous les Mérovingiens , lorsque les guerres étoient rares , et qu'elles n'entraînoient pas le citoyen fort loin de ses foyers. Mais sous Charlemagne, chaque année étoit marquée par une expédition nouvelle, et les Francs appelés à combattre tour à tour les Sarrasins , les Danois et les Huns, traversoient toute l'Europe

(i) Capital, ann. 807, art. Q.

(2) Capitiil. ann. 8i3, §• 9, p. 5o8.

(5) Capital, ann. 812, §. 8, p. 495.

094 HISTOIRE

8oi~Si3. çji corps d'armée 5 et éprouvoient les inconvé- niens de tous les clinials , le service gratuit entraînoit avec lui les vexations les plus into- lérables. Des familles aisées étoient bientôt plon- gées dans la misère; la population disparoissoit rapidement; la liberté, la propriété devenoient lin fardeau 5 et non un avantage. Celui qui, après une sommation , ne se rendoit pas à l'ar- mée, étoit puni par une amende ou hériban de soixante sols d'or. Mais comme cette amende passoit le plus souvent Fétenduede ses facultés, il étoit réduit à un état d'esclavage temporaire, jusqu'à ce qu'il l'eût acquittée. Cette loi même, exécutée à la rigueur, auroit bientôt fait dispa- roître toute la classe des hommes libres. Comme adoucissement, le législateur voulut que le mal- heureux qui mouroit dans cet état d'esclavage fût considéré comme ayant acquitté son héri- ban , en sorte que sa propriété n'étoit point saisie, ni ses enfans réduits en captivité, (i)

Les Francs marchoient sous des chefs terri- toriaux qui sont désignés, pour la première fois , sous le nom de seigneurs, dans les lois de , Charlemagne. Ils éloient liés par un double ser-

ment de fidéUté au roi et à ces seigneurs ; mais il semble que Charles redoiitoit que d'autres chefs ne profitassent de l'autorité temporaire qu'ils exerçoient sur l'armée, pour exiger aussi

(i) Capitulare secimdum ann. 812, §. i, p, 493.

DES FRANÇAIS). ÔQJ

13 n serment d'obéissance. (( Que personne, dit 8oi— 5i3.

((l'article 9 d'un capitulaite de l'an 8o5, ne

« prête serment de fidélité, si ce n'est à nous

(c et à son seigneur propre, encore seulement

(( pour l'avantage de nous - mêmes et de son

ce seigneur. )) (i)

La plus importante innovation dans l'ordre politique apportée par les capitulaires , est l'in- stitution des députés impériaux nommés missi dominlci. C'étoient des officiers au nombre de deux ou trois, parmi lesquels il y avoit toujours au moins un prélat , qui étoient chargés de l'in- spection d'un district composé d'un certain nombre de comtés. Ils dévoient visiter chaque comté tous les trois mois , et y tenir des assises, placita minora y pour l'administration de la jus- tice (2). Ils dévoient de plus, d'après un capi- tulaire de Louis , que Mably suppose avec vraisemblance n'avoir fait que renouveler un établissement de Charlemagne , « se rendre au (( milieu de mai, chacun dans sa légation, avec (( tous nos évéques , abbés , comtes et vassaux,

(( avoués et vidâmes des abbayes Chaque

(( comte devoit être suivi de ses vicaires et cen-

(i) Capitulare qiiarlum ami. 8o5 , §. g, p. 436.

Il est probable que l'homme libre, l'arlman , raarchoit sous les ordres des comtes, mais que le bénéficié, le leude, recon- noissoit en outre un seigneur, et que c'est de lui seul que doit s'entendre ce second serment dont parle Charlemagne.

(2) Capitulare iertium anni 812 , §. 4 et 8 , p. /197, 498-

0^6 HîSTOIÎlE

(( teniers, cttle trois ou quatre de ses premiers « échevins. Dans cette assemblée provinciale, (( après avoir examiné l'état de la religion chré- « tienne et de Tordre ecclésiastique , les députés « s'informeront de la manière dont lous ceux (c qui sont constitués en pouvoir, s'acquittent « de leur office; comment ils administrent le (( peuple selon la volonté de Dieu et nos ordres , (( et comment ils agissent de concert. » (i)

Les députés impériaux n'étoient pas seule- ment chargés de présider aux assises , et de reconnoître quelle avoit été la conduite des juges et des comtes ; ils dévoient aussi régler les finances , et se faire rendre les comptes des villes royales, dont les revenus formoient presque la seule richesse du souverain (2). En général , Charles en nommoit deux seulement pour cha- que district , l'un ecclésiastique et l'autre laïque , et tous deux d'une haute dignité. Avant leur départ, il leur donnoit des instructions , il se faisoit rendre compte de leurs observations à leur retour, et leur rapport donnoit lieu à la publication de nouveaux capitulaires. (5)

Charles n'avoit point essayé de donner à ses

(i) Capitulare anni 823 , §• 28 , p. 642. Mably, Ohseiva- tiens sur l'Histoire de France , Liv. II , ch. 2 , p. 6S.

(2) Capitulare anni 802 , §. i , p. 363.

(3) Chronicon Moissiacens. ad ann. 802 , p. 80. Cointius ad ann. 802 , 11° 9.

DES FRANÇAIS. 697

peuples une nouvelle législation civile ou cri- 801— 8x3. ininelle; il confirma au contraire le droit auquel prétendoient ses sujets d'être jugés chacun selon leurs lois nationales, et d'être convaincus seulement, ou par le témoignage des hommes , ou par le jugement de Dieu, ce qui excluoit la procédure par enquête et par la torture, que l'exemple des cours ecclésiastiques a intro- duite beaucoup plus tard. Charles publia de nouveau , avec quelques corrections et quelques additions, les anciennes lois des Saliens , des Ripuaires, des Lombards, des Saxons et d'au- tres peuples qui lui étoient soumis. Il conserva le principe fondamental de toutes ces lois , la compensation des crimes par des amendes ; il en soumit seulement quelques-unes à un tarif plus élevé; en particulier, les offenses envers les ecclésiastiques furent punies avec un redou- blement de sévérité. Parmi les articles ajoutés à la loisalique, par Charles en 8o5, on remarque celui-ci : ce Si quelqu'un est interpellé sur sa (c liberté, et si, craignant de tomber en servi- ce tude , il tue quelqu'un de ses proches , de peur (( que celui-ci ne lui fasse perdre sa liberté , ce savoir, son père, sa mère, son oncle, sa ce tante, ou quelqu'un de ses plus proches pa- cc rens, le coupable sera puni de mort, et tous ce sesagnats seront réduits en servitude. S'il nie ce le crime , il devra donner la preuve de son

098 HISTOIRE

-8i3. (c innocence en marchant (les pieds nus et les (c yeux bandés) sur neuf socs de charrue ar- ec dens» (i). Cette loi ne présente pas pour nous nn sens bien clair; mais son extrême rigueur, et sa répétition dans d'autres capitulaires , indi- quent l'intention du législateur d'arrêter un crime devenu fréquent. Peut-être les familles menacées de perdre leur liberté étoient-ellesdans l'usage de faire disparoître le témoin qui pou- voit leur nuire , peut-être au contraire préve- noient-elles le châtiment d'un membre coupa- ble 5 dans la punition duquel elles auroient élé enveloppées. Toujours est-il certain que la ser- vitude avoitiîiuliiplié les crimes atroces, et que les capitulaires rendent témoignage à chaque page de la profonde corruption des mœurs.

Les capitulaires ne font jamais mention d'au- cun impôt ; le fisc percevoit seulement les amendes, l'hëriban de ceux qui n'avoient pas marché à l'armée, et surtout les revenus des fonds de terre de l'empereur. Nous avons déjà rendu compte, dans un précédent chapitre, du capitulaire curieux qui règle l'administration de ces domaines. Dans les autres, il est sou- vent question de péages sur les grands che- mins et les rivières , mais ilsétoient exigés par des propriétaires riverains pour leur propre

(t) Capiiularia acldita ad Legem salicam, ann. 8o3, §. 5, p. 389.

DES FRANÇAIS. OQQ

compte, et Charles prenoit à tâche de les abolir Soi-8i3. toutes les fois qu'ils n'étoient pas destinés à com- penser quelque travail d'une utilité commune, ou qu'ils n'étoient pas fondés sur un antique usage, (i)

Les capitulaires interdisoient, sous peine de confiscation, la sortie des blés en temps de di- sette , et le commerce des armes avec les Avares et les Saxons. Des étapes étoient établies aux frontières et sous la protection de quelques grands officiers , pour le commerce avec les peu- ples barbares ou ennemis : les marchands étoient protégés dans ce commerce , mais leurs com- munications avec l'ennemi étoient réglées par loi. Dans une année de disette, Charles entre- prit de fixer le prix des vivres , et ensuite celui des objets de commerce ; mais cette loi impoli- tique redoubla le fléau qu'elle étoit destinée à prévenir. (2)

L'empereur, à son retour d'Italie, étoit venu 802. s'établir à Aix-la-Chapelle. Il approchoit alors de soixante ans, et soit qu'il crût qu'il étoit temps pour lui de prendre quelque repos, ou que les guerres qu'il avoit alors à soutenir ne fussent poin t assez i m port an tes pour réclamer sa présence, il en confia la conduite à sesiils et à ses lieutenans. Pendant cette année et la suivante ,

(i) Capital. a?miSo'5, §. 6, p. 401- (2) Capital, anni 8o5, §. 7, p. l^i'S.

40O HISTOIRE

802, ceux-ci contraignirent les Saxons établis sur la droite de FElbe, à abandonner leurs demeures aux Slaves abodrites alliés des Francs , et à accepter en échange des établissernens dans l'in- térieur de Fempire; ils remportèrent quelques avantages sur les Sarrasins en Espagne , et ils continuèrent, avec des succès balancés, la guerre contre Grimoald, duc de Bénévent, qui tenoit tête vaillamment aux forces de tout l'Occident. En même temps Charles continuoit ses négo- ciations avec l'empire grec. Irène n'avoit point fait difficulté de reconnoîlre le nouvel empe- reur. Elle n'avoit point rejeté définitivement la proposition d'un mariage, et elle avoit envoyé à son tour un ambassadeur à Charles. Mais pen- dant que celui-ci étoit encore à Aix-la-Chapelle , cette impératrice si chère au clergé, et si célé- brée par les moines, fut victime d'une révolu- tion. Elle fut enfermée dans un couvent le 5i octobre 802 , et Nicéphore , qui remplissoit à sa cour les fonctions de patrice et de logothète , fut couronné comme son successeur. Celui-ci envoya à son tour à Charles des ambassadeurs qui se présentèrent à lui à Salz , au milieu de 8o3. l'été de 8o5 , et qui confirmèrent la paix entre les deux empires, (i)

(i) Annal. Tiliani , p. i^. Loiseliani , p. 53. Moissiac^ p. 80. Poeta saxon. Lib. IV, p. 167. Adonis Chronicon, p. 321. Amial. Fuldens. p. 332. Annal. Metens. p. 35k

DES FRANÇAIS. 4oi

L'année 8o4 est considérée comme la trente- ^"1 troisième et dernière de la guerre de Saxe. Charles , qui avoit passé l'hiver à Aix-la-Cha- pelle , se rendit à Nimègue pour les fêtes de Pâques, et il tint ensuite une assemblée du Champ de Mai à Lippspring. Les chefs des Sla- ves du bord de l'Elbe s'y rendirent auprès de lui; Charles leur donna pour roi, Thrasico, duc des Abodrites : en même temps il résolut de leur abandonner tout le pays qu'occupoient les Nor- mands ou Saxons de la droite de l'Elbe, qui, demeurés fidèles au culte de leurs anciens dieux et à celui de la liberté , excitoient de fréquens soulèvemens dans les provinces soumises. Charles les fit tous enlever par son armée, qui parcourut les dernières retraites des Saxons sep- tentrionaux. Il les fit conduire dans différentes provinces à moitié désertes des Gaules ou de l'Italie , les Saxons , séparés par une immense distance de leur patrie et de tous leurs souve* nirs, adoptèrent bientôt les mœurs et les opi- nions des Gaulois. Quelques-uns d'entre eux avoient cherché un refuge au nord de l'Eyder, dans les états de Godfrid , roi des Danois. Charles les fit redemander. Godfrid ne voulut ni les rendre ni s'engager pour eux dans une guerre dangereuse; les émigrés saxons passèrent en Suède, et ils communiquèrent aux peuples du Nord cette haine des Francs et ce désir de ven- ir. 26

4o2 HISTOIRE

geance qui ramenèrent bientôt les Normands sur les côtes de France, (i)

Charles commençoit à employer avec les Ava- res et les Huns les mêmes moyens de conver- sion et de conquête qui lui a voient si bien réussi avec les Saxons. Il y fut sans doute en- couragé par le pape Léon III, qui, cette même année, vint lui rendre visite en France, et qui après avoir séjourné quelque temps avec lui à Reims, à Soissons et à Aix-la-Chapelle, s'en retourna par la Bavière en Italie. Les missions entreprises chez les Huns étoient surtout diri- gées par Arnon , archevêque de Salzburg , et par le prêtre Ingo qui prêcha l'Evangile dans la Carinthie et la Pannonie inférieure. Ce dernier ayant à faire à des hommes illettrés, et ne con- noissant peut-être guère les lettres lui-même, accompagnoit les messages verbaux qu'il en- Voyoit aux comtes et aux seigneurs de ces pro- vinces , d'une feuille de parchemin blanc, qui étoit reçue avec vénération comme une dépê- che d'un prophète. Quand il vint ensuite parmi eux, il invita à sa table ceux de leurs esclaves qu'il avoit convertis, et il les fit servir dans de la vaisselle dorée , tandis que leurs maîtres, en- core infidèles , reçurent leur pain et leur viande en dehors de la porte, parterre, et dans des

(i) Annal. Meienses,^. 35i* Loiseîiani, p. 54. Pagl critica, §. 6, p. 44^'

DES FRANÇAIS. 4o5

vases de bois. «Pourquoi nous traitez -vous 8©^ <( ainsi ? demandèrent- ils au saint liunirne. c( Parce que vous n'êtes point dignes , répondit- cc il, vous qui n'avez point lavé vos corps dans « la fontaine sacrée , de communier avec ceux <( qui sont régénérés. C'estbienassez que, comme ce à des chiens, on vous jette votre nourriture <c en dehors des maisons. » Aussitôt, ajoute le biographe du saint, « ils accoururent pour se ce faire baptiser, en se faisant instruire dans la ce foi sainte, et la religion chrétienne en reçut ce un grand accroissement. » (i)

Le plus illustre des convertis fut le cha- 8o5. gan lui-même, ou souverain des Avares, qui, au baptême, prit le nom de Théodore. Mais soit qu'en changeant de religion les Avares eussent renoncé à leurs mœurs belliqueuses, ou qu'ils eussent été afFoiblis par une guerre civile, le chagan, dès l'année suivante , se rendit en sup- pliant à la cour de Charles, pour lui demander de permettre à son peuple de transporter sa de- meure dans des déserts appartenans à l'empire, entre le Danube et la Save , parce que les Ava- res n'étoient plus en état de résister aux Slaves de Bohème qui les accabloient. Charles accorda cette demande, mais en même temps il chargea son fils aîné de punir les Bohémiens , qui furent

(ï) Pagi criiica tid ann, 8o4 , §. 6 , p. 438 .

4o4 HISTOIRE

vaincus dans un grand combat, leur duc Lécho fut tué. (i) 806. Charles n'avoit plus besoin de méditer de

nouvelles conquêtes , elles s'accomplissoient d'ellevS-mêmes en quelque sorte : les peuples venoient volontairement se ranger sous ses lois , tellement les forces de son empire étoient dis- proportionnées avec celles de tous ses voisins. C'est ainsi qu'en 806, les ducs de Venise et de Zara en Dalmatie vinrent d'eux-mêmes à sa cour pour lui faire hommage. Mais cette im- mense souveraineté pouvoit à peine être main- tenue unie par l'ascendant de son génie et de sa gloire. Charles songeoit d'autant moins à la transmettre sans partage à ses enfans, qu'il avoit alors trois fils légitimes arrivés à l'âge d'homme, et que tous trois lui paroissoient avoir des droits égaux à lui succéder. Ces fils s'étant ren- dus auprès de lui à Thionville, dans l'année précédente, Charles convoqua une assemblée des grands de son royaume, pour régler entre eux, au Champ de Mai , le partage de ses vastes états. A l'aîné de ses trois fils , nommé Charles, et en 7 7 2 , il assigna la France, ou la partie septen- trionale des Gaules avec la Germanie ; au second. Pépin, en 776 , il donna l'Italie et la Bavière

(i) Annales Tiliani , p. il^. Loiseliani , p. 54» Chron^ Moissiac. p. 8i. Annal. Metens. p. 352.

DES FRANÇAIS. 4o5

avec ses conquêtes en Pannonie ; au troisième, iàC- Louis , l'Aquitaine , la Bourgogne , la Pro- vence et la Marche d'Espagne. Le partage fut accepté par les trois frères et par le peuple , et sanctionné par la signature du pape. Dans l'ar- ticle 1 4 de ce diplôme qui nous a été conservé, Charles ordonne que s'il survient jamais quel- que contestation entre les frères pour la fixa- tion de leurs frontières, elle ne soit point ter- minée par les armes , mais par l'épreuve de la croix, (i)

En réglant les partages de ses fils, Charles n'avoit point oublié le sort de ses filles. Il eu avoit eu sept ou huit, toutes d'une beauté re- marquable, et il leur avoit toujours montré beaucoup de tendresse. « Il avoit eu , dit Egin- a hard , un grand soin de Téducation de ses (( enfans; il avoit voulu que les filles aussi-bien « que les fils s'appliquassent avant tout aux étu- (( des libérales qu'il avoit suivies lui-même. Dès a que leur âge le permit, il avoit accoutumé ses c( fils , selon les mœurs des Francs , à monter à <( cheval , et à s'exercer aux armes et à la chasse. c( Il avoit aussi voulu que ses filles prissent <( l'habitude de travailler à la laine, et de tenir ce la quenouille et le fuseau , de s'occuper enfin, c( et de s'accoutumer à tous les emplois hon-

(i) Charta dlvisionis Imperii Francorum. T. V, p. 7^1. Annal. Tiliani , p. 25. Loiseliani , p. 55, etc»

4o6 HISTOIRE

§oG. « nêtes de leur temps , pour que Foisivelé ne « les corrompît pas. Il tenoit toujours ses en-. <c fans avec lui à souper. Ses fils Fentouroient à ce cheval quand il voyageoit, ses filles suivoient, <( et le cortège étoit terminé par des gardes qui (des prolégeoient. Comme elles étoient fort «belles, et qu'il les aimoit beaucoup, il est (c étrange qu'il n'ait jamais voulu en donner au- c< cune en mariage, ou à quelqu'un des siens <c ou à un prince allié. Il les garda toutes auprès « de lui jusqu'à sa mort , déclarant qu'il ne pou- ce voit se passer de leur compagnie : aussi quoi- (c qu'il eût été heureux en toute autre chose, c( il éprouva par elles la malignité de la fortune, ce II est vrai qu'il dissimula ce chagrin aussi-bien « que si la médisance n'avoit jamais élevé ou ré- <( pandusur elles lesoupçon d'aucunefaute». (i) De ces galanteries auxquelles Eginhard fait allu- sion, nous ne connoissons bien que celles que les filles de Charlemagne entretinrent avec de saints personnages. Berthe fut la maîtresse de saint Engilbert, abbé de Saint-Riquier, et cette aventure donna naissance à l'historien Nithard ; Emma eut une intrigue avec l'historien Egin- hard, abbé deSaint-Vandrille, sa fête est solen- nisée le 20 janvier : encore cette dernière aven- ture, célèbre par le courage d'Emma qui, pour ne point laisser de traces sur la neige de la visite noc-

(ï) Eginhardi vita Caroll Magni. Cap. 19, p. 97.

DES FIIANÇAIS. 4o7

turne de son amant , le reporta le matin sur ses 806. épaules hors du pavillon ellehabitoit, ne re- pose-l-elle que sur l'autorité suspecte de la chro- nique de saint Vandrille au douzième siècle, (i)

A l'égard de ses filles, Charles ordonna qu'a- près sa mort chacune d'elles pût choisir le frère sous la protection duquel elle voudroit se mettre, à moins qu'elle ne préférât entrer dans un couvent, ou qu'elle n'acceptât une proposi- tion de mariage; et dans ce cas Charles voulut que leurs frères ne pussent point gêner leur inclination , toutes les fois que l'offre seroit rai- sonnable et l'époux digne d'elles. (2)

Après avoir , par cette charte , que de funestes événemens dévoient rendre inutile, pourvu à la concorde dans sa famille après sa mort , Charles retourna de Thionville, par la Moselle et le Rhin, à Nimègue, et ensuite à Aix-la- Chapelle; tandis que ses fils, renvoyés aux ex- trémités de son empire, continuèrent pour lui la guerre. Mais à peine les petits succès de Charles l'aîné contre les Sorabes et les Bohèmes, de Pépin le second contre les Maures en Corse, et de Louis le troisième contre les musulmans de

(1) JVifhardus Hlstoria. T. YII, p. i. Chron, Lauresliam. menast. "y. V, p. 383. Prœfatio advitam E g inhardi , p. 86. £mma , maîtresse d'Eginhard , et ensuite sa femme, étoit tout au plus fille naturelle de Charles j son nom ne se trouve point parmi celui de ses filles légitimes.

(a) Charta divisionis Imperii , §. 17, p. 773.

4o8 HISTOIRE

Navarre , peuvent-ils être regardés comme ap- partenant à Fhisloire de France; tellement et vainqueurs et vaincus étoient éloignés de la Gaule et étrangers à ses lois, (i)

S07. L'année 807 fut signalée par une nouvelle

ambassade et de nouveaux présens du khalife Haroun al Raschid. Indépendamment de l'es- time qu'il faisoit de Charlemagne, il le regar- doit comme l'ennemi de ses ennemis les Maures d'Espagne ; car chez les musulmans comme chez les chrétiens, les schismatiques qui ne diffèrent que pour un point de discipline , ont toujours été considérés, parles prêtres, comme bien plus odieux que les infidèles. Les lieute- nans de Charles continuèrent en effet , avec vi- gueur, la guerre contre les Sarrasins d'Espagne , que le khalife de Bagdad regardoit comme des rebelles. Dans cette même année le connétable Burchard , avec une flotte , la première dont il soit fait mention dans l'histoire de Charlemagne, remporta plusieurs avantages sur les Sarrasins dans les îles de Corse et de Sardaigne. Il dé- truisit treize de leurs vaisseaux et leur tua beaucoup de monde. (2)

SoS. Mais au milieu des victoires que Charles rem-

portoit par ses lieutenans, on pouvoit, à plu- sieurs symptômes, reconnoître cet affoiblisse-

(i) Annales Francor. Loiseliani , p. 55, et cœter. V-O ibiit. p. 56; et casier.

DES FRANÇAIS. 409

ment général de l'empire qui fut signalé sous 8<^B' son successeur par tant de calamités. Ce fut en conséquence de cet affoiblissement, de la dimi- nution de la population, de la difficulté de re- cruter les armées, que les Danois attaquèrent les premiers, en 808, un voisin qu'ils avoient jusqu'alors ménagé avec un soin extrême. God- frid , leur roi , ayant conclu une alliance avec les Slaves Wilzi , attaqua les Abodriles , anciens alliés des Francs , chassa leur duc Thrasico, fit périr sur l'échafaud un autre duc nonnné Golt- leib, força la plus grande partie de la nation à lui payer un tribut, brûla le port de Reric, qui étoit l'étape commune des Francs et des Da- nois, en transporta les marchands au port de Lictshor , entraîna dans la révolte les Livoniens et les Smeldingiens, et couvrit enfin d'une for- tification nouvelle , sur l'Eyder , les frontières du Danemarck d'une mer à l'autre. Cette atta- que fut, il est vrai, suivie par les représailles de Charles, fils aîné de l'empereur, qui, ayant passé l'Elbe avec une armée, ravagea à son tour le pays des Livoniens, tandis que Godfrid perdit son propre neveu, et un grand nombre de ses meilleurs soldats à l'attaque d'un château fort, qui lui résista vaillamment. Les annalistes des Francs célébrèrent l'issue de cette campagne comme leur étant avantageuse (i). Mais il est

(i) ylmiales Loiseliani , p. 67. Pagicritica, 808, §. g, p. 4^2. Lqs Annales Tiliaui ne vont pas au-delà de l'an 807.

4lO HISTOIRE

609. probable que Charles n'en jugeoit pas de même; car il consentit à envoyer ses comtes au-delà de l'Elbe, pour aycir une conférence avec les comtes Danois sur les frontières des deux états; et comme il leur fut impossible de convenir en ce lieu d'une pacification , Charles, au lieu de faire fittaquer de nouveau les Danois, se con- tenta de faire jeter les fondemens d'une ville destinée à arrêter leurs incursions. Il fit choix, pour son emplacement, de l'endroit la Sture se jette dans l'Elbe au nord-ouest de Hambourg, et il la nomma Esselfeldt.

Les mêmes symptômes d'afFoiblis3ement sq faisoient remarquer en Aquitaine, où, tandis que Louis s'occupoit à fortifier l'embouchure des rivières contre les attaques des pirates sep- tentrionaux, ses lieutenans fureut obligés de lever le siège de Tortose; et en Italie, Pépin, qui vouloit étendre sa domination sur Venise et la Dalmatie , éprouva quelques échecs de la part des Grecs qui défendoient ces provinces ; tandis que d'autres Grecs prirent et ruinèrent de fond en comble la ville de Populonia sur le rivage de Toscane, et que les Maures emmenè- rent en captivité tous les habitans d'une ville de Corse. Ainsi l'immense empire d'Occident commençoit déjà à être ouvert de tous côtés aux attaques de ses plus foibles ennemis, (i)

(1) Annal. Francor. Loiseliani, p. Sy. Les Annales d'Egin-

DES FRANÇAIS. 4ll

Mais la décadence de cet empire se manifesta 610. davantage encore l'année suivante, dans la- quelle les Maures, partis d'Espagne, ravagèrent entièrement la Sardaigne et la Corse qu'ils trou- vèrent sans défense; Pépin , qui s'étoit avancé au travers des lagunes de la Vénétie jusqu'en face de Rialto, y fut repoussé par le doge Obé- lério, tandis que sa flotte, qu'il avoit chargée de soumettre la Dalmatie, fut battue par le gé- néral des Grecs. L'échec le plus cruel que re- çurent les Francs leur fut cependant donné par les Danois. Charles étoit encore à Aix-la-Cha- pelle , il avoit eu la douleur de perdre Ro- trude, sa fille aînée; il faisoit des préparatifs pour porter la guerre dans les états de Godfrid , roi des Danois , lorsqu'il reçut la nouvelle qu'une flotte de deux cents vaisseaux normands avoit paru sur les côtes de Frise , qu'elle avoit ravagé toutes les îles de ces parages , qu'elle avoit ensuite débarqué une armée sur le con- tinent, qui, après avoir vaincu les Frisons dans^ trois combats, leur avoit imposé un tribut, à compte duquel les Frisons avoient déjà payé cent livres d'argent. «Cette nouvelle, dit Egin- « hard, causa tant de colère à l'empereur, qu'il « envoya de tous côtés ses messagers pour ras- ce sembler son armée, et qu'il quitta son palais

Lard leur sont conformes mot pour mot depuis l'an 800. Astronomus vita Ludovici PU. Cap. i5, p. cp.

4l2 HISTOIRE

810. (( pour marcher contre ces Normands débar- « qués; mais quand il eut passé le Rhin, il fut (( forcé d'attendre à Lippeheim ses troupes qui (c n'étoient pas encore rassemblées. » Lorsqu'il les eut enfin réunies , il les conduisit au camp qu'il avoit tracé au confluent de l'Aller et du Weser pour y attendre Godfrid ; car, malgré son irritation , il sembloit réduit à se tenir sur la défensive. C'est qu'il reçut successivement avis que la flotte danoise, qui avoit ravagé la Frise, étoit repartie; que le roi Godfrid avoit -été assassiné par un de ses gardes; qu'un châ- teau important, Hobhuoki , qu'il avoit bâti sur l'Elbe, avoit été pris par les Wilzi, et son lieu- tenant fait prisonnier ; qu'enfin son second fils ^ Pépin , étoit mort à Milan le 8 juillet, comme il se préparoit à attaquer de nouveau la Vénétie. La douleur que lui causa cet événement le ra- mena à Aix-la-Chapelle, il reçut, au mois d'octobre, les ambassadeurs d'Hemming, neveu et successeur de Godfrid au trône de Dane- marck; de Nicéphore, empereur d'Orient, et de l'émir al Haocan de Cordoue, qui deman- doient ou offroient des conditions de paix. Charles les accepta en efiet, et avant la fin de l'année il se pacifia avec tous ses voisins, sans avoir puni aucun d'eux pour les injures qu'il en avoit reçues, (i)

(i) Annal. Loiseliani, p. 5g. Chron. Moissiac. p. 82.

DES FRANÇAIS. ^\Z

Ces traités de paix semblent avoir fait sentir 8iï. plus vivement encore à Tempereur la nécessité de mettre sur tous les points son empire dans un meilleur état de défense. La pacification avec les Danois, la plus importante de toutes, avoit été jurée seulement sur les armes , par les chefs militaires des deux peuples ; la rigueur de la saison ayant empêché un congrès. Mais au printemps de 8ii, douze comtes francs, et autant de seigneurs danois , se rencontrèrent sur TEyder, aux frontières des deux domina- lions, et prêtèrent réciproquement les sermens de paix selon les coutumes des deux nations. Charles ayant ensuite tenu à Aix-la-Chapelle une assemblée du Champ de Mai, envoya ses armées dans trois directions, vers les bouches de l'Elbe, pour relever le château d'Hobhuoki, que l'on croit être Hambourg, rasé l'année pré- cédente par les Wilzi; en Pannonie, pour pa- cifier les Avares avec les Slaves; et dans l'Ar- morique , pour réprimer les brigandages des Bretons. Lui-même il entreprit la visite de ses ports de mer, pour inspecter les vaisseaux qu'il faisoit construire , afin de défendre les côtes. Ceux des Normands ne portoientque de soixante à soixante-dix hommes d'équipage; il n'est pas probable que ceux des Francs fussent plus con- sidérables. Il en avoit établi deux flottes, l'une à Boulogne , l'autre à Gand, et il avoit donné

4l4 HISTOIRE

Bit. ordre à son fils Louis d'en construire une sur la Garonne, et une autre sur le Rhône. Le vieux empereur, qui à la fin cFun règne si brillant Yoyoit décliner de toutes parts son ancienne prospérité, après ces mesures de précaution, étoit de retour à Aix-la-Chapelle depuis le milieu de novembre , lorsqu'il eut la douleur de perdre l'aîné de ses fils, Charles, roi de Germanie, qui mourut le 4 décembre 8i r. (r)

On considéroit alors comme une partie de la grandeur d'âme qu'on attendoit des héros, la fermeté avec laquelle ils supportoient les cha- grins domestiques; on remarqua donc, avec plus de blâme que de compassion, la douleur profonde que ressentit Charles pour la perte de ses enfans , et les larmes qu'on lui vit répan- dre (2). Cette douleur même contribua peut- être à augmenter en lui une dévotion monacale, à laquelle il s'étoit jusqu'alors montré moins enclin qu'un autre, mais qui étoit dans l'esprit du siècle ; elle lui dicta le testament par lequel cette année il disposa de toute sa propriété mo- bilière pour des legs pies , à la réserve d'un douzième qu'il réserva à partager entre ses fils et ses filles (5). Cependant l'empereur s'occupa

812. de pourvoir au gouvernement de ses états.

(i) Annal. Loiseliani, p. 60.

(2) Egînhardus invita Caroli. Cap. 19, p. 97.

(3) Baronii AnnaU eccles, anrix 8ii , p. 675,

DES FRANÇAIS. ^l^

Charles j son fils aîné , n'avoit point laissé d'en- 812. fans; mais Pépin, le second, avoit un fils et cinq filles. Charles destina le fils, Bernard , à la royauté d'Italie, et après Favoir annoncé au Champ de Mai assemblé à Aix-la-Chapelle, il le fit partir pour la Lombardie avec Wala, fils de Bernard , et petit-fils, mais illégitime, de Charles Martel, qui avoit déjà été le conseiller prin- cipal de Pépin , et qui devoit aussi , par sa pru- dence, suppléer à la jeunesse et à l'incapacité du nouveau roi. Charles jugeoit nécessaire d'assurer aussi la paix sur toutes ses fron- tières à l'époque le poids de l'âge et des in- firmités commençoit à lui annoncer le terme de sa vie. L'empereur Nicéphore ayant été tué dans un combat contre les Bulgares , le 26 juillet 811, Charles conclut un nouveau traité de paix avec son successeur, Michel Curopalate. Il en conclut un autre avec Aboulassi al Haccan , émir de Cordoue; il reçut en grâce Grimoald Sto- reseitz, duc de Bénévent, moyennant un tribut de vingt-cinq mille sols d'or. Il eut plus de fa- cilité encore à confirmer la paix avec les Da- tiois, dont le roi Hemming avoit été tué, et dont le trône, après avoir été disputé par une guerre civile, étoit demeuré aux deux frères Hériold et Reginfred. (i)

(i) Annal. Loiseliani, p. 6i.

4l6 HISTOIRE

6i3. Quoique la succession des fils au pouvoir de

leur pèrefût déjà sanctionnée par un long usage, et que Louis, roi d'Aquitaine, fût seul demeuré vivant parmi les fils légitimes de Charles, et semblât par conséquent seul appelé à lui suc- céder, Tempereur crut plus prudent de l'inves- tir lui-même, de son vivant , de tous ses titres. Il le rappela donc de l'Aquitaine Louis avoit montré quelques lalens militaires , mais une grande foiblesse dans son administration inté- rieure , au point que s'étant laissé dépouiller de tous ses droits royaux par les grands de son royaume, il étoit réduit à la plus extrême pau- vreté, lorsque Charles vint à son aide, en abolis- sant ses donations (i). Les grands plaids ou comi- ces du royaume avoient été convoqués pour le mois de septembre , à Aix-la-Chapelle. (( Charles

773. c( présenta son fils Louis , dit le chroniqueur de ce Moissiac, aux évêques, abb,és, comtes et se- c( nateurs des Francs , et il leur demanda de le (c constituer roi et empereur. Tous y consenti- « rent également, déclarant que cela seroit bien ; ce le même avis plut à tout le peuple, en sorte ce que l'empire lui fut décerné par la tradition ce de la couronne d'or, tandis que le peuple ce crioit vive l'empereur Louis (2). » Cependant,

(i) Astronomus in vita Ludovici PU. T. VI, cap, 7, p. 90, (2) Chronicon Moissiacense , p. 83.

DES FRANÇAIS. [^l^

comme si Charles avoit prévu que le pape, qui 8i3. lui avoit donné à lui-même le titre d'empereur , pourroit prétendre que son autorité étoit né- cessaire pour le confirmer, il voulut que son fils, qui appartenoit aux peuples de rOcci- dent, à l'armée et à ses chefs , et qui avoit été choisi par eux, ne relevât que de Dieu même. Il fit faire une couronne d'or semblable à la sienne, et il la fit déposer sur l'autel de l'église qu'il avoit bâtie à Aix-la-Chapelle. Après avoir adressé à son fils de touchantes exhortations sur ses devoirs envers l'Eglise, envers ses sujets et envers sa famille; après lui avoir entre autres recommandé ses trois frères naturels , Drogon, Theuderic et Hugon, il lui ordonna de prendre lui-même la couronne sur l'autel , et de la placer sur sa tête. La cérémonie fut ter- minée par la célébration de ia messe, après quoi Charles congédia l'assemblée. Comme il .étoit déjà fort afïoibli par l'âge et les infirmités, il avoit toujours été soutenu sur le bras de son fils, soit pour se rendre à l'église, soit pour en revenir. Fort peu de jours après , cependant , il congédia Louis et le renvoya en Aquitaine , chargé de présens, (i)

La foiblesse de Charles étoit plus grande qu'on ^l'auroit l'attendre de son âge , car il ne pas- soit pas soixante et onze ans , on de son activité

(i) Opus Thegani de gestis Ludov PU imper. Cap. 7, p. rQ. TOME II. 27

4l8 i HISTOIRE

8j:i. habituelle. Il ne renonça point cependant à tous les exercices du corps , et après le départ de son fils, il partit pour les grandes chasses dont il se donnoit le plaisir toutes les années , et il ne revint à Aix-la-Chapelle que le i^^ novembre (i). Dès lors il consacra le peu de mois qu'il vécut encore à des œuvres de dévotion; il partagea son temps entre la prière, la distribution des aumônes et la correction des livres sacrés. Il avoit conféré les quatre Evangiles avec les textes grecs et syriaques , ou plutôt il avoit fait faire ce travail devant lui par des interprètes, et il le poursuivit jusqu'à la veille de sa mort. Il étoit déjà fortaffoibli lorsque après le milieu de

^,]. janvier de Fan 814, il fut saisi, au sortir du bain , par la fièvre ; pendant les sept jours qu'elle continua, il cessa de manger, et ne prit plus qu'un peu d'eau pour se rafraîchir. Le septième jour il se fit donner les sacremens par Hildebald, son aumônier; le matin du jour suivant il fit un dernier effort pour soulever sa foible main droite , et faire sur sa tête et sa poitrine le signe de la croix; puis, rangeant ses membres pour le repos éternel, il ferma les yeux , en répétant à voix basse , in manus tuas commendo spiritum meum , et il expira (2). C'étoit le 28 janvier de l'année 814, et Charles,

(i) Eginhardi vita Caroli. Cap. 3o, p. loo. (2) Thegani de gesiis Ludov. Cap. 7, p. 76.

DES FRANÇAIS. ' /^jq

en 742, étoit entré dans sa soixante-dou- zième année. II en avoit régné quarante-sept sur les Francs, quarante-trois sur les Lombards, quatorze sur l'empire d'Occident. Il fut enterré à Aix-la-Chapelle, dans l'église de Sainte-Marie qu'il avoit bâtie, (i)

(I) Chron. sancti GallL ï. V, p. -^i.- Annal. Loiseliani, p- 6i.~Lambeciani, p. 6'].— Chron. Moissiacense , p. 83.— Poetasaxon. Lib. Y, p. i2>i.—Monach. Engolism. p. i86.— Adonis Chron. p. 323. —Fuldens. p. '5'5S. Metens. p, 358. —AstronomusvitaLudov. T. VI, cap. 20, p. ^6.-Ermoldus mgdlus, Lib. II, Y. 69, p. 26. - Theganus, cap. 6, p. 75.

81

4'20 HISTOIRE

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CHAPITRE VL

Commencemens du règne de L/ouis-le-Débon^ naire y jus qu" aux guerres civiles. 814^ 83o.

jNous aurions besoin de connoître beaucoup sjneux que nous ne pouvons le faire, l'état de l'Europe et celui de la civilisation , les actions militaires et politiques, les lois et les opinions de Charlemagne, les ministres qu'il employ oit, et dont nous savons à peine les noms , leur carac- tère propre, et la part de mérite qui doit leur être attribuée , avant de pouvoir nous faire une juste idée de cet homme extraordinaire, qui changea toute l'existence de l'Europe et de la chrétien ; qui subjugua ies anciens vainqueurs de Rome: qui, avec l'aide de Rarbares, civilisa d'autres Rarbares; qui, dans le cours d'une seule yie , éleva un empire aussi vaste que celui que les Romains a voient conquis en six ou sept siècles; qui anéantit l'ancien espiit des peuples qu'il avoit subjugués , en sorte qu'ils ne firent aucun effort pour recouvrer leurindépendance^ même lorsque le gouvernement auquel ils se trouvoient soumis fut tombé en dissolution ^ et que des princes rivaux se disputèrent, les armes à la main , des provinces dont ils vou-

DES FRANÇAIS. /^2l

îolent former leur héritage. Le règne de Char- leniagiie est un grand météore qui brille dans Fobscurité, à un trop grand éloignement pour que nous puissions l'étudier et le comprendre» On est frappé de son éclat que précédèrent et que suivirent d'épaisses ténèbres; on Tadmire, mais on ne sauroit calculer ses effets, mieux que reconnoître ses causes, et Ton ne peut même affirmer s'il fut avantageux ou pernicieux pour l'humanité.

Ce mélange d'éclat et d'obscurité , de grandeur et d'incertitude sur ses causes , a permis à chaque historien de faire de Charlemagne un héros selon son cœur et selon sa pensée. Il est toujours représenté comme le grand homme, l'homme juste et l'homme sage par excellence ; mais la conduite par laquelle il donne à con- noître cette sagesse et cette vertu , n'est point la même selon les divers historiens ou philoso- phes qui ont voulu faire de ce grand roi le champion de leur système. Selon le comte de Boulainvilliers , on lui doit surtout de la recon- îioissance pour avoir établi l'hérédité des fiefs; car après avoir couvert la France de ducs et de comtes , il les avoit jugés trop exposés aux atta- ques de leurs voisins , pour ne pas les intéresser par le sentiment de la perpétuité à la défense de leurs gouvernemens (i). L'abbé de Mably

(i) Mémoires historiques, T. I, p. ii3.

422 HISTOIRE

voit au contraire dans Charlemagne le fondateur de la liberté de la France , et le protecteur du peu- ple contre les grands. Il apprit aux Français, dit- il, à obéir aux lois, en les rendant eux-mêmes leurs propres législateurs (i). Et Velly, qui croit rendre l'histoire plus dramatique, en ne pré- sentant que des nobles personnages sur la scène, des rois vertueux et des héros , jamais des peuples, a réuni , pour le caractère de Charles , toutes les perfections , même celle de la chasteté ; il Ta peint toujours comme ayant trouvé toutes ses forces dans son génie , ayant tout conçu , tout exécute, sans le concours des grands ni du peuple , par la seule supériorité de sa force d'âme (2). Montesquieu, dans son Esprit des Lois, a de son côté fait de Charles le modèle des législateurs (5). Ceux qui sont venus depuis, ont chacun à leur tour trouvé dans les chroni- ques ou dans les capitulaires, quelque phrase sur laquelle ils ont pu appuyer tout un système, et Charles est devenu pour eux le représentant de leur opinion propre. Nous avons cherché à faire connoître ce monarque par sa conduite, sans faveur et sans haine, pas plus pour les systèmes que pour les hommes. Nous n'avons

(i) Observations sur l'Histoire de France, Liv. Il, ch, ii,

(2) Histoire de France, T. I, p. 265.

(3) Montesquieu, Esprit des Lois , Liv. XXXI, ch. i8 et 19.

DES FRANÇAIS. 4^3

ni dissimulé les actions qui méritent le blâme, ni terni le lustre de celles qui ont droit à Tad- miration : s'il en résulte qu'il paroisse doué de qualités et de vices opposés, nous avons laissé à nos lecteurs le soin de réconcilier ces con- tradictions apparentes, ou plutôt nous les invi- tons à reconnoître que l'inconséquence est un attribut de la nature humaine, et que le Charles que dans quelques livres ils trouvent tout par- fait, n'a pu être le Charles de la réalité. De même nous laisserons aux faits, pendant les règnes des successeurs de Charles, à donner la juste mesure de l'influence bienfaisante ou désas- treuse de son gouvernement. Nous ne tarderons pas à voir , dès la génération suivante , s'il avoit donne une force vitale à l'empire qu'il avoit fondé, s'il avoit assuré la liberté des citoyens francs sur des fondemens solides.

Le nouveau souverain de l'empire d'Occident, Louis , que les Latins et les Italiens nommèrent le Pieux , les Français le Débonnaire, étoit âgé de trente-six ans à la mort de son père. Depuis seize ans il étoit marié à Ermengarde , filie d'In- ghiramne, duc d'Hasbaigne , qui lui avoit déjà donné trois fils , Lothaire , Pépin et Louis. Char- lemagne avoit conféré à son fils, dès sa première enfance, le titre de roi d'Aquitaine, et Louis n'avoit que trois ans lorsque, en 781, il fut porté dans un berceau chez les peuples qu'il

424 HISTOIRE

irj. de voit gouverner (i). Il convenoit aux projets de son père que le jeune princ§ attirât de bonne heure les regards et raffection des Aquitains. Aussi eut-on soin de le faire paroître comme leur chef, leur administrateur et leur protec- teur, long-temps avant qu'il fût en état de rieu fiiire par lui-même. Il étoit seul nommé , il se montroit seul à la tête des armées et des con- seils, tandis que ses conseillers, ou plutôt ses tu- teurs, ne nous sont pas même connus. Aussitôt cependant que quelque responsabilité put s'at- tacher à ses actions, il donna à connoître la douceur de son caractère, son amour de la jus- tice, sa bienfaisance, et peut-être sa foiblesse. Il avoit montré de la valeur dans la guerre contre les Gascons , dont la longue résistance pouvoitse comparer à celle que les Saxons op- posoient à son père. Il avoit conduit plusieurs expéditions contre les Maures sur les bords de TEbre; il avoit aussi été appelé à seconder son frère Pépin dans les guerres de l'Italie , et au milieu des soldats de Charlemagne, il s'étoit montré digne de son rang et de leur confiance. On luifaisoit honneur de la conquête de Barce- lone j cette ville avoit été prise en 8oi, après deux ans de siège. Lorsque les assiégés parois- soient réduits par la faim aux dernières extré-

(i) Astronomus vita Ludovici PU imp. Cap. 4 j 89* '^^^* franc, T. VI.

DES FRANÇAIS. 42'')

mités, on avoit appelé à l'armée Louis' alors î>r4- âgé de vingt-trois^ns , pour que la ville se ren- dît à lui : elle tint encore six semaines, et du- rant cet intervalle, le jeune roi signala à plu- sieurs reprises sa bravoure, (i)

Cependant ceux qui reniarquoient son zèle pour la religion , son occupation constante de ]a discipline ecclésiastique , disoient déjà qu'il étoit plus propre au couvent qu'au trône , et Louis prenoit lui-même ces expressions pour le plus haut éloge qu'on pût faire de lui. Une piété enthousiaste, une foi superstitieuse , une humilité qui l'empêchoit en toute occasion d'op- poser son sentiment propre à celui d'un prêtre, lui faisoient oublier la terre pour le ciel. Il croyoit ne pouvoir faire un meilleur usage de son temps que de l'employer aux pratiques de dévotion; de ses richesses, que d'orner des égli- ses; de ses terres, que de fonder ou d'enrichir des couvens. Les historiens nous ont conservé une longue liste des lieux saints qu'il combla de bienfaits en Aquitaine. Il auroit désiré ne point se contenter d'enrichir les moines , mais revêtir lui-même leur habit. La dévotion de son grand- oncle Carloman , qui avoit quitté une couronne pour le froc du mont Cassin , lui paroissoit un digne exemple à suivre, et Charles avoit eu

(i) Ermoldi JVigelli Carmen. Lib. I, p. i3. —Astronomi vita Ludovici PU. Cap. i3 , p. 92.

8.4.

4'26 HISTOIRE

quelque peine à rempêcher de quitter le siècle pour la vie monastique (i). Avec ces disposi- tions, Louis devoit être le favori des prêtres. En effet, on assure que deux saints, Alcuin , Tami de Cliarlemagne , et saint Paulin, patriar- che d'Aquilée , enchantés de sa déférence pour le clergé et cle son obéissance, prédirent éga- lement de lui que le plus humble des fils de l'empereur succéderoit seul à sa gloire et à sa puissance, (2)

Toutefois celte piété de Louis, quelque exal- tée qu'elle fût, étoit plus éclairée que celle de Dagobert, ou des autres rois ses prédécesseurs ; car ceux-ci, en enrichissant les prêtres, sem- bloient avoir eu pour but de leur procurer toutes les jouissances du siècle. Louis, au contraire, tandis qu'il combloit le clergé de bienfaits, et qu'il lui témoignoit un respect presque sans bornes, ne perdoit point de vue le projet de réformerses moeurs. Il avoit écarté les prélats des armées, il les avoit fait renoncer à ces parures pompeuses par lesquelles ils sembloient vouloir l'emporter sur le faste des courtisans (5). Louis n'avoit encore eu occasion de manifester que des sentimens honnêtes et des qualités généreuses. Après s'être appauvri dans sa première jeunesse

(i) Asironomus vita Ludovici Pu. Cnp. 19, p. 95. (?.) Ermoldl IVigetli Carmen. Lib. I, p, 34- (5) Astronomus. Cap. ^83 p. 10 1.

DES FRANÇAIS. /{27

par des libéralilés imprudentes, il avoit su en- «»4- suite mettre de l'ordre dans ses affaires. Il avoit réglé qu'il passeroit un hiver dans chacune de ses quatre maisons royales, Doué sur les confins de l'Anjou et du Poitou , Casseneuil en Agénois, Audiac en Saintonge , et Ebreuil en Auvergne. Il y trouvoit ainsi rassemblées les récoltes de quatre années, qui suffisoient à ses dépenses et à celles de sa cour. Cette abondance lui avoit permis de supprimer le droit de fourrage {fo- clerum) que les soldats de son père levoient impitoyablement sur les habitans des campa- gnes, pour se défrayer pendant leur service auprès du roi. Aussi la réputation des vertus de Louis s'étoit-elle étendue au loin ; l'excès même de sa dévotion le rendoit cher au peuple ; et quand sur la nouvelle de la mort de son père il se mit en marche de Toulouse pour Aix-la-Chapelle, voyage qu'il ne put accomplir en moins de trente jours , le peuple s'empressa partout à sa rencontre, le saluant par ses accla- mations, et témoignant qu'il attendoit de lui le soulagement des maux qu'il souifroit. (i)

En effet , ces maux étoient extrêmes , et Louis avoit beaucoup à réformer pour le bon- heur du peuple. Les guerres continuelles de Charlemagne avoient ruiné les vainqueurs plus encore que les vaincus. Les capitaines du con-

(i) Ermoldi jyigeUl Carme/i. Llb. H, p. 28.

428 HISTOIRE

814. quérant obtenoient seuls son oreille ; ils avoient accablé d'un joug insupportable et. leurs paysans et leurs voisins : les hommes libres qui n'étoient pas riches s'étoient trouvés sans ressource pour résister à Foppression des puissans. Un grand nombre d'entre eux avoient été réduits en ser- vitude par force ou par fraude ; plusieurs même s'y étoient résignés volontairement , pour éviter de plus grands malheurs; car la condition du citoyen isolé étoit si déplorable, qu'il valoit mieux encore obéir à un homme capable de protéger le foible, que de n'appartenir qu'à soi- même. Aussi la classe des hommes libres avoit- elle presque disparu dans toutes les provinces de l'intérieur de la France, (i)

Louis, en arrivant à Aix-la-Chapelle, s'oc- cupa immédiatement de la réforme des abus. Dans les dernières années de sa vie, Charles avoit surtout gouverné parle ministère de deux frères Adélard et Wala , nés de Bernard, fils naturel de Charles Martel, qui tous deux avoient montré une grande aptitude aux affaires, qui tous deux embrassèrent la vie monastique , sans renoncer au monde, et qui furent l'un après l'autre abbés de Corbie; qui tous deux enfin sont rangés par l'Eglise au nombre des saints. Adélard étoit alors en mission en Italie. Wala, au contraire, étoit à Aix-la-Chapelle, (i) Ermoldi jyigelli Carmen. Lib. Il, v. 180, p. 29.

DES FRANÇAIS. 4^9

Louis redoutoit quelques machinations contre 8i4. lui , de ce ministre ambitieux dont il connois- soit le dévouement à son frère Pépin , roi d'Ita- lie, et au fils que Pépin avoit laissé ; mais Wala s'avança de lui-même avec les autres grands , au-devant de Louis, et lui prêta serment d'obéis- sance, (i)

Le palais de Charles étoit alors dans un état de désordre qui attestoit les mauvaises mœurs du dernier souverain. Malgré sa vieillesse et sa foiblesse, Charles se plaisoit à être toujours entouré de ses nombreuses maîtresses. 11 les avoit gardées auprès de lui, dans la même mai- son , avec ses sept filles et avec les cinq filles de son fils Pépin. Louis, dont les mœurs n'étoient pas moins sévères que celles du dernier empe- reur étoient relâchées , n'accorda aucune indul- gence, même à celles qui avoient soigné son père , et qui avoient adouci ses derniers mo- mens. Il chassa sans miséricorde d u palais toutes les femmes, de quelque rang qu'elles fussent, dont la réputation étoit entachée, et il ne réserva de l'ancienne cour, pour le service d'Ermen- garde, sa femme, que celles dont la conduite étoit au-dessus du soupçon. Les sœurs de Louis avoient contribué plus encore au dérèglement de la cour d'Aix-la-Chapelle. Elles étoient belles, elles vivoient sans contrainte, avec leurs nièces,

(i) Asironomus vita Ludovici PU, Cap. 21 , p. 97.

43o HISTOIRE

à côté des nombreuses concubines de leur père, qui ne leur avoit jamais permis de se marier ; et toutes avoient eu des aventures dont elles ne songeoient pas même à se cacher. Ce fut par une exécution militaire, faite loin des yeux du souverain , et avant même son arrivée , que Louis voulut purger ce palais: oubliant ainsi . le respect qu'auroit lui inspirer la maison de deuil un grand homme et un père venoit d'expirer. Tous les amans de ses sœurs furent déclarés coupables de lèse-majesté, à cause de V énormité d' un tel attentat^ et de F orgueil qu' il décelait. Plusieurs cependant , en se jetant à ses pieds, obtinrent leur grâce; mais Audoin, Fun d'eux, préféra se défendre , et il ne périt qu'après avoir tué le comte Garnier, chargé de l'arrêter, et blessé son fils. Louis, irrité de cette audace, et ne pouvant se venger sur le coupable, fit ar- racher les yeux à un autreamant de ses sœurs, nommé TuUius, à qui il avoit déjà accordé la grâce. Plusieurs autres, car cette classe de cou- pables étoit nombreuse , furent envoyés en pri- son, ou relégués en exil en divers lieux, (i)

Quelque durement que Louis traitât les amans de ses sœurs, il ne retrancha rien cependant de la part de richesses que Charles, par son testa- ment, avoit accordé à chacune d'elles. 11 parta-

(i) Aliquos stupri immanitate et superbiœjastu , reos ma- jestatis^-,. Astronomus , cap. 21 , p. 96.

DES FRANÇAIS. /i^ï

gea 5 conformément à ce testament , tous les tré- 8i^». sors de l'empereur et toutes ses richesses mobi- liaires. Un douzième seulement devoit être ré- parti entre ses sœurs et ses nièces, et elles purent remporter dans les couvens elles se retirèrent. Un autre douzième devoit être abandonné aux serviteurs du palais, un troisième aux pauvres, tandis que neuf douzièmes dévoient être distri- bués entre les vingl-une églises métropolitaines de ses états ; et Louis se montra si scrupuleux dans l'exécution de ces dernières volontés , qu'ayant voulu conserver , du moins comme sou- venir de son père, une seule table d'argent qui sembloit formée de trois boucliers réunis , il commença par la racheter du trésor d'une église, (i)

Louis convoqua ensuite pour le i" août le» plaids pu Wics , ou l'assemblée nationale à Aix- la-Chapelle. Nous n'avons pas le capitulaire qu'il y publia, mais nous savons qu'il y réforma plusieurs des abus de la précédente administra- tion. Il fit en même temps partir de nouveaux députés impériaux, ou missi dominici ^ pour étendre à toutes les provinces la protection qu'il offroit aux opprimés. Le nombre de ceux qui §e trouvèrent dépouillés de leur patrimoine , ou réduits en servitude par l'iniquité des ministres de Charles , de ses comtes ou de leurs

(i) Thegani de gestis Litdoi'ici PU, Cap. S, ^. 'j6.

432 HISTOIRE

lieutenans, passoit toute croyance; ils furent tous admis à la preuve testimoniale, et resti- tués dans leurs biens (i). Les Saxons et les Fri- sons avoient été privés, par la politique sévère de Cliarîes , du droit de laisser leurs patri- moines en héritage à leurs enfans. Louis , à la même époque, leur rendit les avantages dont jouissoient tous les autres sujets de l'empire ; et comme le pouvoir politique et la propriété se confondoient sans cesse, dans un pays la ser- vitude étoit regardée comme une conséquence de l'agriculture, la restitution du droit de suc- cession fut pour les peuples septentrionaux un premier pas vers l'hérédité des fiefs. Louis fut blâmé par les Francs d'avoir montré celte ind ul- gence aux Frisons et aux Saxons, parce qu'il s'ôtoit à lui-même la disposition de bénéfices qu'eux-mêmes comptoient bien obtenir ensuite de sa libéralité. Mais le monarque n'eut aucun lieu de s'en repentir ; ces peuples lui demeu- rèrent dès lors toujours fidèles. (2)

Bernard , roi d'Italie , s'étoit rendu aux co- mices d'Aix-la-Chapelle. Il reconnoissoit ainsi qu'il devoit à son oncle, pour son royaume, la même obéissance qu'il avoit auparavant pro-

(1) Thegani de gestis Ludovici. Cap. i5, p. 77- Annal, Eginhardi, p. 17/1. , T. VI, Scr. franc.

(2) Astronomivita Ludovici. Gap. 24, p- 98. Chroniques de Saint-Denys, chap. 8, p, i58.

DES FRANÇAIS. 435

mise à Charles, son aïeul. Louis, après lui 8i avoir offert des présens, le renvoya en Italie avec les mêmes honneurs et le même pouvoir. En même temps il chargea Lothaire, son fils aîné, qui pouvoit être âgé de quinze ans, du gouvernement de la Bavière , et le second , Pépin, de celui de FAquilaine : Louis, le troi- sième, éloit trop jeune pour qu'il fût encore temps de lui faire un apanage. L^empire dX3cci- dent, avec trois rois subordonnés, sur les trois fi^ontières les plus exposées, se trou voit alors constitué comme il l'avoit été pendant la plus grande partie du règne de Charlemagne. Son influence sur les peuples voisins étoit aussi la même. Les princes pi us foibles, quis^étoient mis sous la protection de l'empereur, envoyoient de même leurs ambassadeurs aux plaids publics. Ceux de Grimoald , duc de Bénévent, se pré- sentèrent à Aix-la-Chapelle : ils reconnurent la souveraineté des Francs; mais le tribut de vingt -cinq mille sols d'or qu'ils payoient à Charles , fut réduit à sept mille par Louis. Heriold , l'un des prétendans au trône de Dane- marck, après avoir été défait par les fils de Godfrid, dans une bataille son frère a voit été tué, se présenta aussi aux comices d'Aix- la-Chapelle , pour réclamer la protection de Louis qui lui fut promise ; et en attendant que les Francs pussent marcher à son aide, la Saxe TOMi: if. 28

454 HISTOIRE

8x4. lui fut assignée pour demeure. Les rois et les princes des Slaves alliés de Charlemagne , re- nouvelèrent aussi leur alliance avec son fila. Enfin les ambassadeurs de Léon FArménien , empereur des Grecs , confirmèrent le traité de paix entre les deux empires, et ils retournèrent d'Aix-la-Chapelle à Constantinople, accompa- gnés par les ambassadeurs de Louis, (i)

Cependant Faclivité même que Louis appor- toit à ses réformes, indiquoit sa secrète jalousie de la gloire dont son père s'étoit couvert. Ses ministres le sentirent, et surtout les fils de Bernard, qui jugèrent d'avance l'orage qui les menaçoit. Bernard , fils de Charles Martel , avoit laissé trois fils et deux filles, tous pourvus, par l'empereur leur cousin , des plus hautes dignités. Adélard étoit abbé de Corbie; le troi- sième frère, Bernard , étoit m^oine dans le même riche couvent ; Wala étoit encore séculier. Gon- drade , l'une des filles , vivoit à la cour ; l'autre, Théodrade, étoit abbesse de Soissons. Mais avant la fin de cette première année, Adélard, qui s'étoit aussitôt retiré dans son couvent, fut exilé dans l'île de Noirmoutiers , Bernard dans celle de Lérins. Wala, obligé de se faire moine et de se séparer de sa femme , remplaça son frère à

(i) Eginhardi Annal, p. iy4- Astronomi vita Ludoi'ici, cap. 24, p. 98. Chronic, Moissiac, T. VI, p. 171- P^gi critica ad ann. §. 26, p. 480.

DES FllANÇAIS. 455

Corbie : Gondrade fut chassée de la cour, et Louis permit à la seule Théodrade de demeurer en paix dans son couvent, (i)

I/afFoiblissement de Fempire , depuis la mort 8i5. de Charlemagne, auroit échappé, pendant les premières années du règne de Louis , aux yeux d'un observateur peu attentif. L'Europe presque entière sembloit recevoir des ordres d'Aix-la- Chapelle. Un des lieutenans de l'empereur avoit passé l'Eyder avec une armée composée de Saxons et d'Abodriles, pour rétablir Heriold sur le trône des Danois : elle avoit ravagé le Holstein et le Jutland , et enlevé des otages qui furent conduits en Saxe. A son approche, les fils de Godfrid s'étoient retirés dans une île, et quoiqu'ils eussent sous leurs ordres une flotte de deux cents vaisseaux , et une forte armée, ils évitoient le combat (2). Pendant ce temps, Louis avoit tenu les grands plaids ou comices nationaux à Paderborn , et il y avoit vu arriver les princes et les députés des Slaves orientaux qui venoient lui jurer obéissance, aussi-bien que des députés de Cagliari en Sar- jdaigne, qui lui apportoient leurs prësens. D'au- tre part , l'assemblée de Paderborn accusant

(i) Pagicritica, §. 32, p. 482. De Constructione novœ Corbiœ. Duchesne. T. Il, rer.francicar. Saiicti AdalliavclS ahh. Corbeiens. vita. Cap. 3o, p. 277, Scr. franc. Bouquet.

(2) VUaLudoncipa ab abstronomo . Ci«p. 25, p. 98. '

436 HISTOIRE

8i5. l'émir de Cordoue , Aboulasi al Haccaii , d'avoir manqué à la trêve jurée , lui déclara de nouveau la guerre. Enfin la même assemblée donna au- dience aux ambassadeurs latins, de retour de Constantinople, qui rendirent compte de la ma- nière dont Tempereur Léon l'Arménien avoit accepté l'alliance de Louis, (i)

Le roi d'Italie , Bernard , avoit assisté aux comices de Paderborn ; son oncle le surveilloit avec jalousie, sentant bien que, comme fils de son frère aîné , il pou voit prétendre à des droits supérieurs aux siens propres. L'impéra- trice Ermengarde joignoit à cette défiance sa propre cupidité. Elle cherclioit un prétexte pour lui ôter la couronne d'Italie, et la donner à un de ses fils. Cependant Bernard , par la promptitude de son obéissance, par son empres- sement à se rendre aux assemblées il étoit convoqué, désarma quelque temps ces senti- mens liaineux. Des nouvelles que Louis reçut de Rome avant l'assemblée de Paderborn, lui donnèrent occasion de mettre cette obéissance à l'épreuve. Les nobles Romains avoient con- servé contre Léon III un vif ressentiment, dès le temps de la conjuration de Pasqual et de Campulus; ils s'étoient contenus pendant la vie de Charles ; mais croyant à sa mort que le mo- ment de se venger étoit venu , ils se soulevè- (i) Egînhardi Annal, ann. 8i5, p. lyS.

DES FRANÇAIS. 4^7

rent de nouveau. Léon les fit arrêter, et il 8i5. envoya au supplice tous ceux qui furent con- vaincus de trames contre lui. L'empereur se montra jaloux de son autorité judiciaire, usur- pée par le pape, et il ordonna à Bernard de se rendre aussitôt à Rome pour éclaircir cette affaire. Le rapport que Bernard envoya à Fem- pereur par le comte Gerold n'étoit pas favorable au pontife; mais celui-ci parvint à se justifier par ses propres députés. Cependant il fut bien- tôt après atteint d'une maladie assez sérieuse pour qu'on désespérât de sa vie. Aussitôt la sédition éclata de nouveau à Rome; ceux dont le pape avoit confisqué les biens , les ressaisirent de vive force ; ils brûlèrent les maisons qu'il avoit fait bâtir de toutes parts sur des proprié- tés usurpées; et Bernard eut beaucoup de peine à rétablir l'ordre avec les soldats du duc de Spoîète; après quoi il soumit toute chose à la décision de l'empereur, avec la déférence d'un simple gouverneur de province, (i)

Mais Léon 111 , dont ses contemporains vou- 8iG. lurent en vain secouer le joug, tandis que les siècles postérieurs en ont fait un saint, mourut le II juin 8i6; et, après un interrègne de dix jours seulement, le clergé et le peuple romain lui donnèrent pour successeur Etienne IV, sans consulter Louis leur souverain, et sans atten-

(i) EginharcU Annal, p. 175.

438 HISTOIRE

dre son consentement. Etienne, qui sentit ce que son élection avoit de précipité et d'irré- gulier, envoya aussitôt une légation à Fempe- reur , pour s'excuser et demander son agrément. Il engagea les Romains à prêter à ce monarque un nouveau serment de fidélité; puis, avant que deux mois fussent écoulés , il vint lui- même en France pour désarmer le ressentiment qu'il craignoit de trouver encore dans le sou- verain dont il n'avoit pas respecté les droits. Il ne connoissoit pas Louis-le-Dëbonnaire, ou son respect pour les prêtres, et son humilité de- vant tous les dignitaires de l'Eglise. L'empereur vint à Reims au-devant du pape; loin de con- tester son élection , c'est à lui qu'il demanda de sanctionner ses propres droits. A leur ren- contre, à un mille en avant de Reims, Louis se hâtant de descendre de cheval , se prosterna trois fois de tout son corps en terre, en s'écriant : ce Béni soit celui qui vient au nom du Sei- gneur; )) et ce ne fut qu'après la troisième fois qu'il osa se relever et embrasser le pape Etienne. Après avoir passé les deux jours suivans dans des festins, le quatrième, quiétoitun dimanche, fut choisi par Etienne pour mettre une couronne d'or sur la tête de l'empereur, une sur celle de l'impératrice, et leur donner l'onction sacrée; laissant entendre ainsi que ce n'étoit ni le droit d'hérédité , ni le vœu de l'armée et du peuple j

DES FRANÇAIS. 4^9

mais seulement le choix du chef de PÉglise qui 8i6. faisoit un empereur. La cour de Rome n'avoit garde de laisser échapper des dispositions si favorables : jamais le clergé n a manqué de s a- vancer sur ceux qui reculent , et d'occuper toute la place qu'on laisse libre devant lui. (i)

Le pape étoit reparti depuis deux ou trois mois , lorsque Louis assembla les comices na- tionaux à Aix-la-Chapelle. Mais dans cette grande assemblée du peuple franc, on s'occupa seulement de réformer la règle des chanoines et des chanoinesses , et de ramener les moines aux observances de saint Benoît. Ces minu- tieux objets auxquels le souverain de la moitié de l'Europe consacroit ses veilles, furent en- suite changés en lois , et insérés dans les capi- tulaires (2). Cependant la gloire de Charle- magne , et l'opinion qu'on avoit conçue de sa puissance, dëfendoient toujours son fils. Les Sorabes avoient voulu secouer le joug; ils furent ramenés à l'obéissance par les Saxons et les Francs orientaux. Louis avoit destitué le duc des Gascons ; ces peuples prirent les armes pour sa défense , mais ils furent punis par deux ex-

(i) Ermohli NigeUi Carmen. Lib. II, v. 196, p. ig. The- gani de gestis Ludo^. PU, cap. 16, 17, 18, p. 77. Astron. vila Ludov. cap. 26, p. 99. Chron. Moissiacens. p. 171. Annal. Eginliardi , p. 175. Chron. sax. p. 218.

(2) Baronii Annal. 817, p. 65 1. Pagi critica ad ann. 816, §. II, p. 488.

/j4o histoire

8iG. péditions successives des Aqiiilains. L'émir al Moumenini , ou roi de Cordoue, envoya une ambassade à Louis pour rétablir la paix entre les deux étals. Ces ambassadeurs n'arrivèrent à Compiègne, Louis se trouvoit alors, que l'année suivante. Ce fut aussi en 817 qu'il reçut une légation de Léon V ou l'Arménien, pour régler les frontières au milieu de la Dalmalie ; car cette province étoit partagée entre les deux empires, et les Fi^ancs coniinoient avec les Grecs non loin de Zara (i). Il falloit quelque temps avant que les étrangers reconnussent dans quelles mains étoit tombé ce sceptre encore si puissant.

Dans son administration intérieure, le dé- bonnaire Louis cherchoit toujours à venir au secours des opprimés ; mais les remèdes même qu'il apportoit à leurs maux indiquent la mul- tiplicité des abus. Depuis que son père et lui- même avoient conquis sur les Maures la Marche d'Espagne, ou la province située entre les Pyré- nées et l'Ebre, on y avoit vu arriver de l'Espa- gne maure des milliers de chrétiens fugitifs qui venoient demander la concession des déserts récemment conquis, pour les mettre en cul- ture. Quelques diplômes avoient été accordés en leur faveur par Charles et par Louis ; on

(i) Thegani de gestis Ludov. Cap. t4 et i5 , p. 77. —Astro- nomie cap. 25 et 27, p. 98. Eginhardi Annal, p. 174-176.

DES FRANÇAIS. Zj-V

les il voit fait jouir des droits des Francs, on les 8iG. avoit mis sous la proleclion des marquis ou gouverneurs de la Marche; on leur avoit enfin distribué des terres désertes qu'ils avoient dé- frichées. Mais les courtisans s'étoient bientôt emparés seuls des fruits de ces travaux com- muns. Les uns avoient obtenu du roi de nou- velles concessions de ces mêmes terres déjà de- venues la propriété de leurs cultivateurs; d'au- tres s'en étoient emparés de vive force; d'autres , après avoir contraint les paysans à se recon- noître leurs vassaux, en leur promettant à ce prix leur protection , ou leur enlevoient leurs héritages , ou les forçoient à se racheter par d'énormes contributions. Louis accorda aux malheureux réfugiés des Marches, opprimés par les seigneurs, comme les paysans l'étoient dans toute la France, un édit qui reconnoissoit 817. et confirmoit leurs droits : il voulut que sept copies de cet édit fussent déposées aux archives A^s> sept plus grandes villes de la province, afin que les opprimés pussent y avoir recours. L edit y fut déposé en effet; mais cette lettre morte étoit sans force contre les intrigues et la vio- lence des grands, et les paysans , malgré l'appui des lois, continuèrent à être dépouillés, (i) Peu de mois après son retour de France, le

(i) Baronii Annal, ad ann. 8i5, p. 6iS. P^gi critica, §. 5 ct6, p. 483.

442 H li) TOI RE

S17. pape Etienne IV mourut, le 24 janvier 817. Des le lendemain les Romains lui donnèrent pour successeur Pasqual F^, sans demander le con- sentement préalable de Fempereur, et Pasqual se contenta d'écrire une lettre apologétique de sa conduite et de celle des Romains, que Louis ne contesta point. C'est ainsi qu'il con- tribua lui-même à élever sur sa tête un pou- voir qui auparavant étoit dans sa dépendance, et que de souverain du pape il se préparoit à devenir son sujet. (1)

En même temps Louis , accablé par le poids de l'empire , sembloit empressé de le partager entre ses enfans. Ayant assemblé les comices nationaux à Aix-la-Chapelle , dans l'été de 81 7, il demanda au peuple de consentir qu'il associât son fils aîné à l'empire , comme son père l'y avoit associé lui-même ; et après avoir obtenu le consentement des Francs, il proclama, l'un des d erniers jours de j uillet , Lolhaire (2) comme empereur. A cette occasion , il changea les par- tages qu'il avoit précédemment faits entre ses

(i) Baronii Annal. 817, p. 65o. Pagi critica , §. i et 2 , p. 490.

(2) La seconde race cherchoit à s'approprier les noms de la première 3 de , les Ghlovis et les Clolhaires : mais la langue germanique commençoit à perdre dans les Gaules de sa rudesse , €t à retrancher entre autres les aspirations. Ainsi le nom de Chlovis fut prononcé Lovis ou Louis , et le nom de Clolhaire devint Lothaire.

DES FRANÇAIS. 44^

fils; il reprit à l'aîné la Bavière, pour l'attribuer 817. au troisième Louis, auquel il donna, aussi- bien qu'à Pépin , le titre de roi. (i)

Ces deux nouveaux rois d'Aquitaine et de Bavière voyoient à regret l'autorité impériale attribuée à leur frère aîné. Ils avoient vu déjà sous Charlemagne que les fils d'empereur déco- rés du titre de rois, n'étoient que des gouver- neurs de province, et ils sentoient que leur couronne n'assuroit ni leur pouvoir ni leur in- dépendance. Mais Bernard, roi d'Italie, leur cousin, éprouvoit à juste titre plus de mécon- tentement encore. Il avoit reconnu son oncle comme chef de la famille carlovingienne, quoi- que le plus jeune des fils de Charlemagne. Mais si cet oncle venoit à mourir , la même préémi- nence, le même titre d'empereursembloit devoir ]ni appartenir à lui-même, soit comme étant l'aîné de ses cousins, soit comme étant fils d'un frère aîné de leur père. Un grand nombre de seigneurs et d'évêquesde France et d'Italie, déjà mécontens de Louis et de ses fils, s'offrirent à faire valoir les droits de Bernard, et l'engagè- rent à rassembler des troupes. Déjà on avoit annoncé à Louis qu'il avoit occupé tous les » passades des Alpes qui conduisent en Italie. De son côté , l'empereur appelant à lui les soldats de France et de Germanie , s'étoit avancé jusqu'à

(1) Eginhardi uénnaL p. 177. Chron. Moissiac.^. i^u

444 HISTOIRE

8r7' Cliâlons. Mais Hermengarcle sa femme, qui con- voitoit l'héritage de Bernard , crut qu'il seroit plus facile de le perdre par de faux sermens que par les armes. Elle offrit au roi d'Italie sa médiation. Des chevaliers francs envoyés par elle , garantirent sur leur foi sa sûreté , s'il vouloit se rendre auprès de l'empereur (i). Ber- nard 5 dont l'armée étoit déjà affoiblie par de nombreuses désertions, se rendit en effet volon- tairement à Châlons-sur-Saône, avant qu'au- cune goutte de sang eût été versée pour sa que- relle. Il se jeta aux pieds de Louis, confessa sa faute , et en demanda le pardon. Tous ses parti- sans , imitant son exemple, posèrent aussi les armes, et se soumirent au jugement des Francs, ou plutôt de la cour, qui dans toutes les causes de crime d'état avoit une influence décisive sur les juges. On s'étoit attendu à un grand exemple de clémence en faveur de coupables qui s'étoient soumis d'eux-mêmes, et qui avoient renoncé à faire valoir des droits tout au moins plausibles. La procédure, au contraire, fut suivie avec un redoublement de rigueur 5 on força les accusés à dénoncer tous leurs complices , à produire au grand jour toutes leurs correspondances ; après quoi tous les évéques et les prêtres associés à la conjuration, furent dégradés et enfermés dans

(i) Andreœ Presbjteri Chronic. in Muratori antiq, itaL Dissert. \ i , et Annal, p. 436.

DES FRANÇAIS. 44^

divers COU vens. Bernard , roi d'Italie, Réginard, 3i8. coin te du palais de l'empereur, et les autres séculiers furent condamnés à mort. Louis, de retour à Aix-la-Chapelle, prétendit, il est vrai , leur faire grâce en commuant leur sentence. Il ordonna qu'on se contentât de leur arracliev les yeux; mais Hermengarde, qui ne vouloit point que Bernard pût survivre, eut soin de faire exécuter ce supplice par Bertmond, comte de Lyon, d'une manière si barbare, que Ber- nard et Réginard moururent tous deux trois jours après. Les autres furent épargnés, et fini- rent leur vie dans l'exil ou les prisons, (i)

Si Hermengarde causa à dessein la mort de Bernard , comme un Lombard contemporain l'en accuse dans sa chronique, elle ne vécut pas assez pour recueillir les fruits de cet acte de barbarie. Louis, provoqué par quelques inva- sions des Bretons , avoit assemblé son armée sur les frontières de l'Armorique, pour dompter ce peuple toujours empressé au pillage, et tou- jours impatient du joug. Il laissa Hermengarde malade à Angers , tandis qu'il soumetloit la Bre- tagne , et qu'il tenoit une assemblée des états à Vannes; à son retour, il la trouva mourante. Elle expira le 3 octobre 818 (2). Les projets de

(i) Nithardi Hist. Lib. I, p. 67. Thegani , cap. 22 , 9.5 , p. 79. Astronomi , cap. 29 et 3o , p, .101. Eginh. Annd. p. 177. Chvon. saxon, p. 219,

(2) Eginhardi Annal, p. 178.

44^ HISTOIRE

8i8. révolte de Bernard avoient inspiré à Louis de la défiancé contre tous ses parens. Quoique ses trois plus jeunes frères , bâtards de Charle- magne , ne fussent nullement accusés d^y avoir pris part, il leur fit administrer la tonsure ecclésiastique , et les enferma dans des couvens. Plus tard, en 823 , il donna à Drogon Févéché de Metz, et à Hugues plusieurs abbayes; il paroît que Thierri mourut avant de rentrer en grâce auprès de son frère. ([)

Après la mort d'Hermengarde, Louis hésita de nouveau s'il ne renonceroit point au monde pour s'enfermer dans un couvent. Mais les moines dont il étoit entouré, et qu'il consultoit sur toutes les affaires d'état , sentoient bien qu'ils ne trou veroient jamais un monarque aussi favorable que lui. Ils l'exhortèrent donc à con- server les rênes du gouvernement, et, pour réveiller en lui des penchans plus mondains^ ils lui conseillèrent d'appeler à sa cour toutes les filles des grands de ses états , pour choisir entre elles une nouvelle compagne. La beauté de Judith , fille du comte Guèlfo , de Bavière , détermina l'empereur à la préférer. Il l'épousa au commencement de l'année 819. (2)

(i) Thegani de gestis Ludov. Gap. 24, p. 79.

(2) Astronomi , cap, 32, p. 102. Nithardl , Lib. I, cap. or, p. 67. Thegani, cap. 26, p. 79. Eginhardi Annal, 819, p. 178. Chron, saxon, p. 219.

DES FRANÇAIS. 44?

Tandis que la cour de Louis, agitée par de 819. petites et basses intrigues, commençoit à pren- dre un caractère de foiblesse et de dégradation , Tempire des Francs continuoit à s'étendre , et les lieutenans qui commandoient sur les fron- tières remportoient chaque année de nouvelles victoires. Mais il est difficile d'y attacher beau- coup d'intérêt , parce que l'empire se trouvant confiner avec des peuples barbares dont les de- meures étoient peu stables , et dont les noms étoient au bout de peu de temps abandonnés pour d'autres , toute la géographie de ces con- quêtes nouvelles est pour nous fort confuse. En 818, Sicon, successeur de Grimoald Store- saits, fit hommage à Louis pour le duché de Bénévent. L'empereur reçut ses députés et ses présens à Héristal , il s'étoit établi pour passer l'hiver. Au même lieu il trouva les ambassa- deurs de Slaomir, roi des Abodrites, qui parois- soit ébranlé dans l'alliance des Francs , mais qui cherchoit encore à éviter les hostilités; et ceux de Borna, duc deDalmatie, auquel obéissoient deux peuples slaves , les Goduscans et les Timo- tians, qui avoient secoué le joug des Bulgares, pour se mettre sous la protection de l'empire d'Occident ; ceux enfin de Liudwit , duc de la Pannonie inférieure, qui, pour éviter la guerre, ou peut-être pour excuser la rébellion qu'il

44^ HisTomE

niéditoit, faisoit porter ses plaintes contre le comte Sadolo, préfet de la Marche du Frioul. (i) Au commencement de l'année suivante les Saxons et les Francs orientaux ayant passé l'Elbe, firent prisonnier Slaomir, roi des Abo- drites, et le conduisirent à Aix-la-Chapelle pour y être jugé. Les chefs de son peuple furent en- tendus en témoigiiage contre lui; il fut con- damné à l'exil parles comices des Francs, et son royaume fut donné à Léadrag, fils de Thrasco. Les mêmes comices prononcèrent une sembla- ble sentence contre Lupus Centuli , duc des Gascons, qui a voit de même été vaincu par les comtes de Toulouse et d'Auvergne ; tandis que Louis renvoya à une autre assemblée tenue plus tard, au mois de juillet, àingelheim, à pro- noncer surLiudwit, duc de Pannonie. Celui-ci avoit eu l'avantage sur les lieutenans de l'empe- reur envoyés pour l'attaquer. Il offroit encore la paix cependant, mais à des conditions que l'on jugea trop honorables pour lui ; les Francs ne voulurent donc pas les accepter , et la guerre se trouva allumée sur toute la frontière orien- tale de l'empire. LaDalmatie fut ravagée à plu- sieurs reprises; les deux peuples slaves nom- més Goduscans etTimotians, qui avoient quitté les Bulgares pour les Francs, retournèrent k

(i) Eginhardi Antial. p, 178.

DES FRANÇAIS. 449

ralliance des Bulgares ; et la campagne finit S29. après beaucoup de sang versé, sans avantage marqué de part ni d'autre, (i)

L'année suivante la guerre fut poursuivie avec vigueur contre Liudwit, ducdePannonie. Louis donna l'ordre de l'attaquer av^ec trois ar- mées , parties l'une du Frioul , l'autre de la Carin- tliie, et la troisième de la Bavière. Elles furent quelque temps arrêtées au passage de la Drave; mais le duc de Pannonie n'osa point tenir la campagne contre elles. Tout son pays fut ravagé , et quelques cantons deCarniole et de Carinthie, qui avoient pris part à sa rébellion , se rangèrent de nouveau sous l'autorité des Francs; ceux-ci, il est vrai , souffrirent autant de la mauvaise sai- son et des maladies, qu'ils souffrirent peu de la part de l'ennemi , et la guerre ne fut pas mieux terminée que l'année précédente. Dans le même temps, la guerre recommença sur la frontière d'Espagne contre les Sarrasins, tandis que sur celle de Danemarck, Heriolt , le protégé de l'em- pereur, fut admis à partager la royauté par les lils de Godfrid. Mais tandis que la puissance des Francs étoit encore entière, qu'aucune de ces petites guerres ne sembloit digne de troubler la tranquillité générale, treize vaisseaux nor- mands, partis en 820 des côtes de la Scandinavie, menacèrent les côtes de Flandre, se présentèrent

(i) Eglnhardi Annal, p. ing. TOME I. UÇ)

/^DO HISTOIRE

à l'embouchure de la Seine, et ravagèrent enfin, quelques districts de l'Aquitaine. Les mesures de défense étoient si mal prises dans tout l'em- pire de Louis, que cette poignée d'aventuriers, qui comptoit à peine huit à neuf cents hommes , porta la terreur sur trois cents lieues de côtes, et se retira chargée de butin, (i)

Les fils de Louis n'avoient pas vu sans in- quiétude le mariage de leur père avec une épouse jeune et belle, qui pouvoit lui donner de nouveaux enfans ; ils craignirent que le par- tage de sa monarchie, qu'ils avoient obtenu de lui, ne fut altéré par cet événement. Mais trois années s'étoient déjà écoulées sans que Judith donnât un fils à l'empereur, et celui-ci n'es- pérant plus sans doute de voir augmenter sa famille, accorda en 820 , à son fils aîné Lothaire , le royaume d'Italie qui n'étoit point entré dans le précédent partage fait du vivant de Bernard. L'année suivante , aux comices de Nimègue , tenus le i®'' mai 821 , ce partage de l'empire fut confirmé. Deux palais dans le Norgau, Lus- traof et Ingoldstat , avoient été assignés à Louis, roi de Bavière; le district de Toulouse , un comté dans la Septimanie , et trois dans la Bourgogne, avoient été attribués à Pépin, roi d'Aquitaine; tout le reste delà Gaule, de la

(i) Astronomus , cap. 32 , 34 > p- 102. Eginhardl Annal. p. Ï79» iSo-

DES FRANÇAIS. 45 I

Gerinanie et de l'Italie, étoit demeuré en par- la^ à Lolhaire, avec le titre d'empereur. Tous les grands de Tempire franc qui assistèrent à rassemblée de Nimègue, s'engagèrent par ser- ment à maintenir ce partage. La même année, Louis fit épouser à son fils Lolhaire, aux comi- ces de Tliion ville , Hermengarde, fille du comte Hugon, qui eut, dit-on, ensuite une influence fatale sur l'esprit de son gendre , en lui faisant partager ses ressenti mens ou ses projets ambi- tieux. Le mariage de Lothaire fut pour Louis une occasion de faire grâce à tous ceux qui s'étoient engagés dans la conspiration de Ber- nard : il les rappela de leur exil , et leur rendit leurs biens; Adelhard retourna à son couvent de Corbie, avec son frère Bernard; les évê- ques recouvrèrent l'administration de leurs églises, (i)

Aucun roi des Francs ne paroît avoir plus constamment queLouis-le-Débonnaire, appelé la nation à délibérer avec lui sur toutes les affaires publiques. Il est vrai que ces assem- blées d'états, indiquées plus communément par les historiens du temps sous le nom de con- ventus gêner ails ^ n'étoientguère composées que des grands seigneurs laïques et ecclésiastiques;

(I) AstroTwmus, cap. 34, p. \o5. —Eginhardl Annal. 8'3 r p, i8o. Pagicritica, §. i-6, p. 5or,

Il5l HISTOIRE

821. ceux-ci se faisoient vSuivre seulement parleurs leudes ou vassaux; mais c'étoit bien plus pour augmenter leur propre crédit , que pour les admettre à délibérer. Louis asscmbloit les états au moins deux fois chaque année, le plus sou- vent au mois de mai et au mois d^octobre , et presque toujours dans un lieu différent. Peut- être nn de ses motifs pour alterner ainsi entre ses villes royales, étoit-il d'y accumuler dans l'intervalle les récoltes de plusieurs années, pour pouvoir entretenir ensuite les seigneurs et leur suite avec une hospitalité barbare. De leur côté les seigneurs arrivoient toujours aux états chargés de présens qu'ils destinoient au souverain. Sous le règne de Louis , ces assem- blées furent beaucoup plus fréquemment con- voquées dans les Gaules , qu'elles ne l'avoient été sous celui de Charlema^ne.

812, Louis, bien plus occupé de régler sa con-

science que de l'administration de sa famille ou de ses royaumes, regardoit ces assemblées publi- ques comme un lieu de pénitence, il pou- voit, en s'humiliant devant tout le peuple, obtenir l'absolution de ses péchés. Dans celle qu'il convoqua à Attigny-sur-FAisne, au mois d'août 822 , il déclara avoir péché contre son neveu Bernard, en permettant qu'il fut traité avec une cruauté aussi excessive; avoir péché contre Adelhard , Wala, les saints et les évé-

DES FRANÇAIS. 455

qncs qu'il a voit exilés pour avoir eu part à S^3. cette conspiration ; avoir péché contre ses trois plus jeunes frères qu'il avoit forcés d'entrer dans les ordres religieux. Il demanda pardon de ses péchés à l'assemblée et au peuple, à Adel- liard et Wala, qui étoient présens; à ses frères, auxquels il accorda en dédommagement des dignités ecclésiastiques ; il distribua d'abon- dantes aumônes aux religieux, en se recom- mandant à leurs prières, et il prit à tâche d'imi- ter la pénitence publique que saint Ambroise avoit imposée au grand Théodose , après le massacre de Thessalonique. On trouve d'abord quelque chose de touchant dans ce sentiment profond de remords qui se manifesloit, après quatre ans , devant tout un peuple; dans cette humiliation volontaire de celui qu'aucun tri- bunal ne pou voit atteindre. Mais tandis que le remords d'un homme à grand caractère nous offre le noble triomphe de ]a conscience sur l'orgueil , la pénitence d'un homme foible est entachée de sa foiblesse ; en rappelant sa pré- cédente faute, il semble faire prévoir qu'une seconde peut la suivre de près. L'un s'accuse parce qu'il ne peut jilus trouver de paix dans son cœur; l'autre, parce qu'il ne peut obtenir d'absolution au confessionnal ; le premier songe aux malheureux qu^ilafaits, aux réparations qu'il peut leur offrir encore; le second ne songe

43-^ HISTOIRE

qu'à lui-même ou aux diables dont on ie me- nace; sa pénitence est un calcul personnel; il voudroit joindre les espérances du bigot aux profits du crime. Lorsqu'on vit Louis s'humi- lier à Attigny 5 devant les prêtres , on jugea que ce n'étoit point sa douleur qui éloit profonde, mais son honneur qui lui étoit peu cher, et la nation commença à sentir pour lui le mépris dont il s'étoit reconnu digne, (i)

Dans les états d'Âttigny, Louis, de concert avec les grands , s'occupa de réformer les abus de l'état et de l'Eglise; les capitulaires publiés dans cette assemblée se sont perdus. Mais toute la législation de Louis appartient bien plus à l'histoire ecclésiastique qu'à l'histoire civile; on y reconnoît aisément qu'il prenoit presque uni- quement conseil des prêtres : ainsi, dans un capitulaire publié la même année à Trêves, contre ceux quifrapperoient ou maltraiteroient les prêtres, les peines infligées sont infiniment supérieures à celles auxquelles auroient exposé les mêmes excès commis contre les plus puissans seigneurs (2). Il y avoit peu de temps qu'avoit été publié, dans ce même but d'augmenter les immunités ecclésiastiques , le capitulaire qui a fondé les libertés de l'Eglise gallicane, en at-

(î) Astronomits , cap. 35, p. io4- Eglnhanii Annales , p. 181.

(2) Capitidare Triburiense , p. 625. Bahizii. T. I.

DES FRANÇAIS. 455

tribuant au clergé et au peuple de chaque diocèse la nomination de leurs évêques, sans aucun recours ni au pouvoir séculier, ni au pape. C'étoit, il est vrai, l'ancienne pratique de l'Église ; mais dans un temps les grands étoient si puissans , et le peuple si asservi , le seigneur qui s'étoit fait le protecteur de l'Eglise , plaçoitpresque toujours ses propres créaturessur le siège épiscopal (i). Après avoir congédié les états d'Attigny, Louis envoya en Italie son fils Lotliaire , en lui donnant pour conseiller le moine Wala, qui avoit déjà été celui de Bernard ; et il renvoya Pépin en Aquitaine , après lui avoir fait épouser Ingeltrude , fille de Théodebert, comte de Madrie. (2)

Les Francs continuoient cependant de dicter des lois aux peuples voisins, et quelquefois de leur faire la guerre ; mais leurs historiens eux- mêmes sembloient sentir que ces petites guerres ne conslituoient point l'histoire nationale, et ils neles indiquentque sommairement. Borna, duc deDalmatie et de Liburnie , étoit mort en 821. Sur la demande de ses sujets, l'empereur con- sentit à lui donner pour successeur son neveu Ladislas. Son voisin Liudwit , duc de Panno-

(i) Baluzii. T. I, Capitul. Aquisgranense , §. 2 (anniSi'^) , p. 564- Fleury, Histoire ecclés. Liv. XLVI, cap. 47-

(2) AstroTwmus , cap. 55, p. 104. Annal. EginhardiS2 p. 181.

456 HISTOIRE

«22. nie, pcrsistoit dans sa rébellion. Les comtes des Francs ravagèrent encore son pays cette même année et la suivante , mais sans pouvoir Tat- teindre et lui livrer bataille. Pour se soustraire à leurs attaques , il s'étoit retiré , pendant la campagne de 822 , dans le pays des Sorabes ; il y abusa de Fliospitalité que lui avoit donné un des ducs de cette nation , pour Tassassiner et usurper ses états. Après avoir obtenu cette accession de puissance , il essaya de nouveau de faire sa paix avec Louis; mais avant d'avoir pu y réussir, il fut assassiné lui-même en 823, à son entrée en Dalmatie. Les rois des Wiises et des Abodrites, peuples slaves situés entre l'Elbe et TOder , obéissoient de même aux or- dres des Francs, et on les vit les uns après les autres arriver aux comices de l'empereur. Le

823. roi des Wiises, Linba, ayant élé tué dans une expédition contre les Abodrites, ses deux fils se rendirent en 825 aux comices de Francfort , et Louis accorda la couronne au plus jeune , que ses sujets regardoient comme plus vaillant que son aîné. La même année, Céadrag, roi des Abodrites, se présenta à l'empereur, à Com- piègne , et s'excusa de n'avoir pas plus tôt obéi à ses ordres. En Danemarck, Hériolt, protégé par les Francs , avoit été associé au trône par les fils de Gotfrid , et il avoit soin de mainte- nir avec Louis ses relations amicales. Enfin^ aux

DES FRANÇAIS. f\5l

comices de Francfort de 822 , ou vit paroître 82.3. en même temps les députés des Abod rites , des Sorabes, des Wilses, des Bohémiens, des Mo- raves, des Prednitziens , des Avares de Pan- nonie et des Danois (i). Mais ce fut avec plus d'étonnemeiit qu'en 824 on vit arriver à Aix- la-Chapelle les députés d'Omorlag, roi des Bul- gares, qui jamais navoient encore entretenu aucune relation avec les Francs. Ces peuples, qui avoient fatigué l'empire grec par de longues guerres, et remporté de grandes victoires sur les souverains de Byzance, étant devenus limitro- phes de l'empire d'Occident, lui envoyoient une légation pour régler quelques disputes de fron- tières. C'éloit le terme le plus éloigné des con- iioissances géographiques des Francs. Au reste, leurs démêlés avec ces peuples barbares leur paroissoient alors à peu près sous le même point de vue que peuvent paroître aujourd'hui aux gouverneurs des provinces russes, leurs démê- lés avec les chefs de quelques peuplades de Tar- tares. Les Barbares craignoient l'empereur, ils vouloient lui obéir; mais ils ne savoient ni de- meurer en paix, ni faire la guerre.

Quoique Lothaire fût déjà depuis Ion g- temps associé à l'empire, le pape Pasqual voulut pla- cer de sa main la couronne impériale sur sa

(i) Annal. Eginhardi , iH2-i8/^.—Astronomus,ca\). Oï-^o ., p. 102-107.

4^>B HISTOIRE

«23. tête , le jour de Pâques . 5 avril SsèS. Il ne pré- tendoit point encorepar lui conférer desdroits nouveaux; le couronnement étoit seulement un acte de dévotion qui sanctiiioit aux yeux des peuples Fautorité que le monarque exerçoit ; mais la répétition de ces actes suffit ensuite pour fonder la prétention des papes à décer- ner seuls la couronne impériale. A cette époque , et malgré la dévotion superstitieuse de Louis-le- Débonnaire , les empereurs agissoient encore en souverains avec les papes. Lothaire étoit revenu en France rendre compte à Louis de ce qu'il avoit fait pour rétablir l'ordre en Italie , lors- qu'on annonça aux deux empereurs que Théo- dore, primicier de l'Eglise romaine , et son gen- dre Léon, le nomenclateur , qui avoient été chargés de plusieurs ambassades à la cour de France, et qui s'étoient montrés les chauds par- tisans de Lothaire, et ses plus dévoués serviteurs à Rome , avoient été entraînés au palais de Saint- Jean-de-Latran , on leur avoit d'abord arra- che les yeux , et peu après tranché la tête. On accusoit le pape d'avoir ordonné leur supplice; cependant il envoya des ambassadeurs à Aix- la-Chapelle pour repousser cette accusation. Louis nomma deux commissaires, Adelung, abbé de Saint-Védaste, et Humfrid , comte de Coire , pour examiner les faits sur les lieux. Ces commissaires ne purent éclaircir la vérité, parce

DES FRANÇAIS. ^iJ(j

que le pape suspendit leur enquête, en se pui- 8i3. géant par serment, avec un grand nombre de ses évoques , de raccusation d'avoir participé à la mort de ces deux hommes. Mais en même temps il déclara qu'on avoit eu raison de les tuer, car ils étoient coupables de lèse-majesté; il fit saisir leurs biens, et il prit sous sa pro- tection les meurtriers qui étoient attachés à la basilique de Saint-Pierre.

Louis , averti du serment que venoit de prê- ter le pape, donna ordre de s'abstenir de toute poursuite (i) ; maisPasqual étant mort dès l'an- née suivante, Louis renvoya Lolhaire en Italie, 82^. pour convenir avec Eugène II , pape nouvel- lement élu , de la restitution des droits de ceux que Pasqual avoit dépouillés. « Lothaire, dit (X. un historien contemporain , se plaignit à « Eugène de ce que ceux qui s'étoient montrés (( fidèles à l'empereur et au peuple franc, avoient « péri d'une mort inique, et de ce que si l'on -:( en avoit laissé vivre quelques-uns , ils étoient « devenus le jouet de leurs ennemis. De (( naissoient, disoit-il , tant deplaintes contre les a pontifes romains et contre les juges. En effet, « on trouva que par l'ignorance et la paresse ce de quelques pontifes , ou par la cupidité a aveugle et insatiable des juges, les biens de

i; Jnnal. Eginhardi , 825, p. i83. Astronom. Cap. 36 el 07 , p. io5.

46o HISTOIRE

824. (c plusieurs Romains avoient été injustement c( confisqués. Lotliaire , en faisant restituer tout (( ce qui avoit été saisi contre les lois , causa une (c grande joie parmi le peuple. En même temps ce il fut statué que des commissaires seroient, se- « Ion l'antique usage , envoyés de la cour même <c de l'empereur, pour exercer tout pouvoir judi' (( ciaire(i). ))PendantqueLotliaireétoitàRome, il eut soin aussi défaire prêter serment au clergé et au peuple de ne point élire de pontife ro- main , ou de ne point le consacrer sans lui avoir fait prêter serment de fidélité par-devant les députés de l'empereur, ou missi dominici. (2)

Louis-le-Débonnaire, beaucoup moins actif que son père, s'avançoit rarement jusqu'aux frontières de ses vastes états. 11 faisoit alterna- tivement son séjour à Aixda-Cliapelle et dans les villes du voisinage, ou dans celles du nord delà Gaule, et il chargeoit ses fils ou ses autres lieutenans , des expéditions plus éloignées. Ce- pendant il n'a voit point renoncé à conduire lui- même ses armées lorsque l'ennemi étoit rap- proché. Les Bretons lui fournirent plus d'une fois l'occasion de faire la guerre en personne^ avec peu de fatigue et de danger. Trop pauvres pour être ruinés par les ravages de leurs enne-'

(i) Astronomus , cap. 38, p. 106.

(2) Sacrame?itale Promissionis. Baluzii, Capitulare. T. I, p. 647.

DES FRANÇAIS. ^Gl

mis , trop vindicatil^ pour oublier une injure, ^^4. trop oisifs pour pouvoir faire autre chose que la guerre , ils ne se laissoient point eflrayer par toute la puissance de l'empire , ils ne clierchoient point à faire des conquêtes, mais ils n'étoient jamais domptés. En 818, un de leurs chefs nommé Morvan avoit pris le titre de roi de Bretagne, mais il avoit été tué la môme année par un écuyer de Louis-le-Débonnaire. En 822 un autre chef des Bretons, Yiomarch, après avoir ravagé les frontières, se fit aussi nommer roi. Une famine qui désola la France pendant l'année 825, et qui fut suiviede maladies pestilentielles , em- pêcha l'empereur de rien faire pour le répri- mer, jusqu'à l'automne de 824. Mais à cette époque il rassembla à Reims une armée consi- dérable, et la partagea ensuite en trois corps; il en garda un sous son commandement immé- diat ; il confia les deux autres à ses deux plus jeunes fils , Pépin et Louis , et parcourant pen- dant soixante jours la Bretagne, il la ravagea tout entière par le fer et le feu. Les Bretons feignirent de se soumettre ; ils donnèrent des otages, etViomarch se rendit même, accompa- gné de leurs principaux chefs, au Champ de Mai de 8^5 , à Aix-la-Chapelie. Mais après avoir répété ses sermons et reçu des présens de l'em- pereur, dès qu'il fut rentré dans sa province ,

462 HISTOIRE

82'}. il recommença à molester ses voisins, et à lever sur eux des contributions, jusqu'à ce qu'il fut surpris clans sa maison et tué par Lambert, comte de Nantes, (i)

Un autre peuple des Gaules, sur les fron- tières d'Espagne, les Gascons, ne se montroit pas moins insubordonné, et ne provoquoit pas moins souvent les armes de l'empire. Mais Louis , qui a voit long-temps fait la guerre contre eux avant d'être empereur, conlioit désormais ce soin à ses fils ou ses lieutenans. C'étoit à peu près le temps Inigo iVrista jetoit les fonde- mens du royaume de Navarre. Pour secouer le joug de l'empereur d'Occident, il s'étoit mis sousla protection d'Abdéramen,roideCordoue. Les Francs ne voulurent point permettre cette indépendance d'un petit peuple chrétien; ils attaquèrent les sujets du nouveau roi de Navarre. Les Gascons ou Basques septentrio- naux furent soumis les premiers. Après quoi deux comtes passèrent les Pyrénées en 824, pour forcer aussi Pampelune à rentrer dans le devoir. Ils eurent en effet peu de peine à se rendre maîtres de cette ville dont les Francs avoient précédemment rasé les murailles ; mais à leur retour, ils furent surpris dans les montagnes parles Basques ; leurs troupes furent

(i) Annal. Eginhardi , cap. 825, p. 186.

DES FllANÇAJS. l^G"^

taillées eu pièces , et ils furent faits prison- niers, (i)

Les annales des Francs nous apprennent qu'à cette époque Louis étoit presque uniquement occupé de la chasse dans les environs de Ni- mègue. Cette passion n'étoit pas en lui moins vive qu'elle ne l'avoit été dans son père Charle- magne, et elle occupoit plus de place dans une vie moins remplie de grandes actions. En même temps les annales de l'Église nous montrent le clergé de France assemblé à Paris pour délibérer de nouveau sur le culte des images, d'après une lettre adressée à Louis par Michel-le-Bègue, empereur d'Orient. Les Gaulois et les Germains, fidèles aux doctrines qu'ils avoient professées du temps de Charlemagne , persistoient à repous- ser tout culte rendu aux images, comme une idolâtrie. On ne sait ce qui doit surprendre le plus, ou de la fermeté du clergé franc à repous- ser des superstitions apportées de Rome , ou de l'adresse et de la modération de la cour romaine, qui évitoit d'aigrir jamais cette querelle , et de laisser soupçonner au clergé latin qu'il étoit précisément d'accord avec ces Grecs iconoclastes que l'Église accabloit d'anathèmes. (2)

(r) E g inhardi Annal. 824, p. i85. Astronomus , cap. Sy, p. 106. Pa§i critica, §. i5, p. Siy. Histoire générale du Languedoc, Liv. IX, chap. 99, p. 492.

(2) Baronii Annal, eccles. ann. 825, p. ^iÇt.—Pa^i critica, p. 519.

464 HISTOIRE

^^^- Il est vrai que ces Francs , qui difîéroienl

d'avec l'Eglise romaine sur un point impor- tant, méritoient de sa part les plus grands ménagemenSj non pas seulement parce qu'ils étoient souverains de Rome, mais plus encore parce qu'ils ne cessoient de travailler effica- cement à étendre l'autorité de l'Eglise sur les peuples barbares. Les Danois ou Normands étoîent au nord leurs plus redoutables voisins. Mais ce peuple étoit depuis long-lemps divisé par une guerre civile entre les prétendans au trône. Louis a voit accordé sa protection à Hé- riolt contre les fils de Gotfrid. Cet appui d'un , étranger contribua peut-être à rendre Hériolt suspect à ses compatriotes; aussi, plus son parti diminuoit parmi les Danois, plus il s'efForçoit de resserrer ses liens avec les Francs. Il crut ne pouvoir mieux y réussir qu'en se faisant chrétien lui-même. Il se rendit, en 826, à Mayence , l'empereur lui avoit donné ren- dez-vous , avec sa femme et un cortège de Danois assez nombreux. Louis présenta Hériolt au baptême, dans l'église de Saint-Alban, et l'impératrice Judith présenta la reine. En même tempi Tempereur , comprenant que ce change- ment de religion acheveroit de faire perdre à son protégé Danois tous ses partisans, lui donna un comté en Frise, il put se retirer avec les émigrés, ses compatriotes, et organiser des

DÉS FRANÇAIS. 465

missions pour reconquérir son Irone par les 826. armes de la foi. Saint Anschar et saint Aulbert, deux moines de Corbie , l'y accompagnèrent, et y formèrent l'école des missionnaires qui dévoient prêcher le christianisme aux Nor- mands. (1)

La paix subsistoit toujours entre l'empire d'Orient et celui d'Occident, et les deux efnpe- reurs échangeoient toujours des ambassades. Cependant l'alFoiblissement simultané de ces deux grandes puissances les éloignoit l'une de l'autre, et après avoir confiné, au temps de Charlemagne, par une longue frontière , elles se trouvoient déjà séparées par plusieurs étals indépendans ou ennemis. La violence des haines religieuses entre les adorateurs des images et les iconoclastes , avoit précipité les révolutions de l'empire grec. Michel-le-Bègue , qui avoit suc- cédé par une conjuration à Léon y ou l'Armé- nien, et qui avoit sollicité Louis de se déclarer contre le culte des images , perdit l'ile de Crète, qui lui fut enlevée par les Sarrasins ; la Dalma- tie et la Servie, qui se déclarèrent indépendantes vers l'année 826, et la Sicile qui fut conquise par les Sarrasins, probablement en 827. C'étoit 827,

(i) Eginhardi Amial. 826-828 , p. iSj.-^Astron. Cap. 4o , p. 107. Ermoldi DfigelU. Lib. IV, p. 5o. Fleury, Histoire ecclés. Liv. XLYII, chap. j.-^Pagi critica, ann. S26, §. ï4» p. 529.

TOME ir. 3o

466 HISTOlllE

dans l'Italie et laDalmalie que les deux empires s'étoient trouvés limitroplies ; plus au nord , le royaume des Bulgares séparoit leur domination. Mais en Italie, tandis que les Grecs perdoient la Sicile, l'autorité de Louis commençoit à être fort peu respectée dans le duché de Bénévent; et en Illyrie, tandis que les Dalmates et les Ser- -viens secouoient le )ougdeByzance, les Croates cessoient, deleur côté, d'obéir aux ordres venus d'Aix-la-Chapelle, (i)

Les causes de Taffolblissement de l'empire d'Occident doivent se chercher dans les lois , dans les institutions mêmes de Charlemagne , eL nous les avons déjà indiquées ; mais il y en avoit d'autres plus accidentelles, qui tenoient au caraclèredu souverain, à l'état de sa famille, à la jalousie de s^ enfans , et celles-là commen- cèrent à opérer vers cette époque. Pendant les premières années de son mariage , Louis n'avoit point eu d'enfant de la belle Judith , sa seconde femme. Cette princesse ambitieuse, qu'on a accu- sée d'avoir des mœurs fort dissolues , avoit fait choix, pour son conseiller, son confident , et, à ce qu'on assure, pour son amant, de Bernard, 'fils de Guillaume au court nez, duc de Tou- louse. Ce Bernard avoit été investi en 820 du comté de Barcelone et du duché de Sep- timanie, après que Bera, qui gouvernoit ces

(i) Joannis Zonarœ Annales. Lib. XY, cap. 24, p. 109.

DES FRANÇAIS. 467

deux provinces , eut été convaincu de trahi- 827. son (i). Le favori de Fimpératrice devint bien- tôt aussi le favori et l'unique conseiller du foible empereur. Judith donna un fils à Louis, le i5 juin 820. Ce fut Charles, coiuiu depuis sous le surnom de Chauve (2). Les fils aînés de l'empereur soupçonnèrent Bernard d'être le père de cet enfant , et leurs soupçons furent encore envenimés par les comtes Hugues et Matfrid, dont le premier étoit beau-père de Lothaire, et qui tous deux exhortoient les jeunes princes à ne pas se laisser dépouiller pour enrichir le fils de leur marâtre, tandis que celle-ci travailloit déjà à faire révoquer, par son foible mari , le partage de la monarchie qui avoit été sanctionné par la diète de Ni- mègue.

Sur ces entrefaites , la défection d'Aizon , seigneur Goth , de la Marche d'Espagne , en exposant l'empire à un échec , de la part des Sarrasins, aigrit encore des haines prêtes à écla- ter. Pépin, roi d'Aquitaine, s'étoit rendu, au mois de mai 826 , à l'assemblée des états d'Aix- la-Chapelle , avec tous les seigneurs de la pro- vince située entre les Pyrénées et l'Ebre. Aizon y assistoit comme les autres; mais s^ipercevant

(i) Annales Fiddenses , ann. 850, p. 207. (2) Chronic. Virdunensa ,'ç,'ï^o. Chronic. Moissiacensc , p. 239.

468 HISTOIRE

b;. qu'il étoit suspect aux yeux de l'empereur, et surtout à ceux de Bernard , ennemi de sa fa- mille, il se déroba par une prompte fuite ; il arriva dans la Marche d'Espagne, fît révolter les cités d'Ausone et de Roda, y introduisit les Sarrasins qu'Abdéramell envoya à son secours, et remporta plusieurs avantages sur Bernard , chargé de lui tenir têle. Louis envoya au secours de Bernard son fils Pépin , roi d'Aquitaine , avec Hugues , beau-père de l'empereur Lofhaire , et Matfrid, comte d'Orléans. Mais ces deux comtes, jaloux de Bernard , duc de Septimanie, empêchèrent Pépin de s'avancer au secours de la Marche d'Espagne, jusqu'à l'été de 827, et ils laissèrent Aizon avec les Musulmans ravager toute la Catalogne, toute la Septimanie, tous les états de Bernard, et mettre ensuite leur butin en sûreté derrière FEbre et la Sègre. (i) Uempereur, de concert avec la diète assem- blée à Compiègne au mois de septembre 827, donna commission à Hélisachar, abbé de Saint- Riquier, et grand -chancelier de France, de se rendre dans la Marche d'Espagne avec les comtes Hildebrand et Donat , pour remédier aux désastres de cette province. Lorsque ces seigneurs arrivèrent en Espagne, l'armée des

(i) Eginhardi Annales , ann. 826, p. 187. Astronomus^ cap. 4o, p. 107. —Histoire géuérale du Languedoc, Liv. IX;^ cap. io4-io6y p. 494»

DES FRANÇAIS. 4%

Musulmans, après avoir ravagé le territoire de 8^7, Barcelone et de Gironne, s'étoit retirée à Sa- ragosse; mais ils purent jnger des perles éprou- vées par le comte Bernard, et ils entendirent ses plaintes qu'ils rapportèrent à la diète tenue à Aix-la-Chapelle 5 au mois de février 828. Les deux comtes Hugues et Matfrid furent accu- sés d'avoir retardé la marche de l'armée par leur trahison ou leur lâcheté , et le crédit de Bernard les fil condamner à mort. L'empereur leur fit cependant grâce de la vie , en leur ôtant leurs gouvernemens. Cette indulgence n'apaisa point les deux fils de l'empereur Lothaire et Pépin. Les deux comtes , dont l'un étoit beau- père de Lothaire, avoient été les conseillers et les guides de Pépin. La sentence qui les dés- honoroit entachoit également l'honneur du roi d'Aquitaine, qui s'étoit en toute chose con- formé à leurs avis; et celui-ci accusoit l'inso- lence de Bernard , qui , pour satisfaire ses ressenlimens privés, n'avoit pas craint d'ou- trager son roi , et le fils de son empereur. Ce- pendant Pépin et Lothaire rassemblèrent une puissante armée pour défendre la Marche d'Es- pagne; mais quand ils apprirent que les Sar- rasins avoient renoncé à tout projet d'invasion , ils licencièrent de leur côté leurs soldats, et ils se retirèrent, Pépin en Aquitaine, et Lothaire

^«O HISTOIRE

à Aix-la-Chapelle (r). Les Francs sembloient hésiter à passer FEbre pour attaquer à leur tour les Musulmans dans leur pays. Dans une autre province, il est vrai, Boniface II, comte de Lucques, tira quelque satisfaction des hostilités des Sarrasins , en débarquant sur le rivage d'Afrique, entre Ulique et Carthage, avec une petite armée qu'il avoit auparavant rassemblée en Corse. Il en rapporta un butin considéra- ble, et il imprima une terreur salutaire aux pirates qui jusqu'alors avoient ravagé les côtes d'Italie. (2)

Déjà l'on voyoit deux factions se mettre en opposition dans tout l'empire, tandis que la foiblesse de Louis avoit donné à plusieurs des ennemis des Francs, aux Musulmans, aux Bulgares, aux Normands, occasion de ravager leurs frontières. Le désordre s'étoit accru dans l'intérieur de l'état comme dans celui de l'E- glise , et les fréquentes assemblées tantôt des plaids publics , tantôt des conciles provinciaux, ne suffisoieni point pour y remédier. Quoique nous ayons quelques-uns des écrits du temps destinés à exposer les plaintes du peuple, leur

(i) EginharcU Annal. S'2^, 828, p. 188. Aslron. Cap. 4^ > p. 108. Histoire du Languedoc, Liv. IX, ch. 108, p. 496.

(2) Eginhardi Annal. 828 , p. 189. Muvatovi Annal, ad ann.

DES FRANÇAIS. /^'J l

langage est si vague, et les noms les plus inju- rieux que les auteurs prodiguent à leurs ad- versaires sont si peu supportés par des faits, que nous connoissons à peine les abus dont on se plaignoit (i). Il semble seulement que le peuple accusoit également l'empereur des in- justices qui procédoient de sa faute, et de celles qu'il s'efforçoit de réparer. Une fois que le gou- vernement n'inspire plus de confiance, les pu- nitions qu'il inflige aux grands pour avoir vexé le peuple, sont considérées comme de nouveaux abus de pouvoir. Les comtes Hugues et Matfrid, destitués à l'occasion de la guerre d'Espagne, étoient regardés comme des vic- times innocentes de la foiblesse de Louis, et ^de l'insolente autorité de Bernard , favori de sa femme. Ils n'étoient pas seuls chefs des mé- contens ; avec eux se rangeoit le moine Wala qui a voit succédé à son frère Adelhard dans le gouvernement de l'abbaye de Corbie. Wala, qui a été canonisé , avoitune grande influence sur le clergé franc et sur la cour de Rome. Les affaires ecclésiastiques étoient alors regardées comme les plus importantes de toutes. Wala s'étoit fait en quelque sorte le censeur du royaume , et ses plaintes sur quelques abus introduits dans l'Eglise sous le pieux' Louis, suffisoient pour

(i) Paschasii Ratherti vita venerahiUs Jf'alœ ahhatis Cor- heiensis. Lib. Il , p. 279.

8a7.

l\'J1 HISTOIRE

829. ébranler le trône. Quatre conciles provinciaux assemblés en 829 à Mayence, à Paris, à Lyoïi et à Toulouse , ne firent peut-être qu'augmenter l'agitation. Une controverse élevée cette année sur le baptême des esclaves des Juifs, donna lieu aux invectives les plus violentes contre le gouvernement. Le plus important de tous les commerces dans l'empire d'Occident , étoit celui des esclaves : au milieu des nations conquises et des nations asservies , les hommes étoient l'es- pèce de richesse la plus aisée à saisir et à trans- porter, celle sur laquelle les guerriers ou les no- bles pouvoient le mieux mettre la main dans un besoin urgent. Les Juifs, qui possédoient presque seuls tout l'argent de l'empire, achetoient ces malheureux captifs, pour les conduire en Espa- gne et les revendre aux Musulmans. Ils avoient obtenu de l'empereur un ordre de ne point administrer le baptême à leurs esclaves sans leur consentement , et ils en profitoient pour dépeupler les provinces , et pour enlever aux chrétiens leurs enfans qu'ils entraînoient par troupeaux au service des infidèles. Le clergé s'éleva enfin contre ce scandaleux édit , et ce commerce plus scandaleux encore ; mais tandis qu'il diminua les prérogatives des Juifs mar- chands d'esclaves, il n'osa point atteindre ceux qui leur vendoient des captifs, (i)

(i) Pa^i critîca. 828. §. ir , 12, p.. 5^7 et 829, p. 53g..

DES FIIANÇAIS. /i^3

Le niéconieiitement croissant dans toutes les 829. provinces de Tempire auroit du engager Louis à se réveiller de sa langueur. Il crut au con- traire le moment opportun pour combler Ber- nard , duc de Septimanie 5 de faveurs nou- velles; il le nomma son chambellan et son pre- mier ministre , et il le chargea de l'éducation du jeune Charles , le cadet de ses fils. Il se figu- roit que l'éclatante approbation donnée par le souverain à Fhomme que la nation accusoit , imposeroit silence à la clameur populaire, et croyoit fliciliter ainsi un nouveau partage de la monarchie , qui assureroit une portion à son plus jeune fils, au préjudice du premier par- tage qui avoit élé sanctionné par la nation et par ses chefs à la dièle de Nimègue. (i)

Judith et Bernard se flattoient, il est vrai, d'avoir divisé les trois fils de l'empereur , et de s'être assurés de l'appui de l'aîné, Lothaire; ils avoient réprésenté à celui-ci, qu'appelé à suc- céder à l'empire, il lui convenoit d'afîbiblir plutôt que de fortifier les rois ses frères qui dé- voient lui être subordonnés; que son père, en accordant un partage à Charles son puîné , ne diminuoit en rien ni l'étendue des provinces qu'il lui avoit assignées à lui-même, ni les prérogatives qu'il avoit attachées au titre impé-

(t) Histoire générale du Lt^nguerloc , Liv. IX, cliop. iir, p. 498.

474 HISTOIRE

Hag. rial ; et Lothaire s'engagea en effet par serment à défendre envers et contre tous , le jeune Charles, comme s'il étoit son tuteur, et à le maintenir en possession de la portion qui lui seroit assignée. Après avoir obtenu de son fils aîné cette promesse , Louis convoqua une diète àWorms5pourle mois d'août 829, et il y donna à son quatrième fils , Charles , la couronne d'Al- lemagne. Il forma pour lui ce nouveau royaume de la Souabe , de THelvétie et des Grisons. Il renvoya ensuite son fils Lothaire en Italie, et comme s'il avoit ainsi assuré la tranquillité gé- nérale, il passa l'automne dans le voisinage de Francfort , uniquement occupé de la chasse ; il se retira pour l'hiver à Aix-la-Chapelle, et il

83o. consacra le printemps de l'année 85o à visiter les ports de mer des Pays-Bas. (1)

Pendant ce temps, le parti des mécontensgros^ sissoit chaque jour; il se composoit de grands qui ne croyoient point avoir assez de faveur à la cour , ou qui se trou voient lésés, parce que l'em- pereur avoit mis quelque obstacle à leurs in- justices; d'évêques ou de saints qui se voyoient supplanter par d'autres évêques ou d'autres saints dans la confiance du pieux empereur; de peuples enfin qui souffroient sans savoir

, (i) Theganus j cap. 35, p. 80. Astronomus, cap. 4^, p. 110. Chronic. saxonic. p. 121. Mariani Scoti Chron. p. 228. lyithardus. Lib. 1, cap. 5, p. 67.

DES FRANÇAIS. 4^5

distinguer la cause de leur souffrance , et qui 83o. deinandoient du soulagement à ceux même de qui ils ne pouvoient attendre qu'un redouble- ment d'oppression. La fermentation étoit gé- nérale; cependant les Francs, pour prendre les armes 5 croyoient avoir besoin d'un chef du sang royal; mais un tel chef ne pouvoit man- quer de se trouver parmi les fils ambitieux et inquiets de Louis-le-Débonnaire.

FIN J3U TOME SECOND.

TABLE CHRONOLOGIQUE

ET ANALYTIQUE

DU TOME SECOND.

SUITE DE LA PREMIERE PARTIE.

LES MÉROVINGIENS.

Chapitre X. Règnes de Cloihaire 11 y Dagohert et

Sigehert 111. 6 1 3-654 P^ë^ i

6 1 3-638. Tout l'empire Franc réuni sous Clotbaire II

et son fils ibid.

Caractère de Clothaire II , d'après Fréde-

gaire 3

Gouvernement de sa monarchie par trois maires

du palais \

Progrès de l'aristocratie parmi les Francs 5

6i4« Constitution de Clothaire II , limitant l'autorité

royale j

622. Clothaire II fait couronner son fils Dagobert

comme roi d'Autrasie 8

623. Le Franc Samo détermine les Venèdes à secouer

le joug des Avares 10

Ce marchand guerrier devient roi des Venèdes. 1 1 L'empire Franc survit à toutes les monarchies

fondées par les Barbares ibid.

624. Indépendance qu'affectent les Austrasiens vis-à-

vis de Clothaire ; mort de Chrodoald, i3

635. Nouveau partage de l'Austrasie et la Neustrie. . i5

TABLE CHRONOLOGIQUE, etc. 477

626. Meurtre de Godin , fils de Warnachaire , que pro-

tégeoit Dagobert page 16

627. Brodulphe venge un affront fait à Charibert , se-

cond fils de Clothaire II J 8

628. Mort de Clothaire II. Dagobert réduit son frère

Charibert à l'Aquitaine pour partage 19

629 . Dagobert fait le tour d e la Neustrie et de la Bour-

gogne pour rendre justice 21

Terreur qu'il inspire aux Barbares voisins de l'Austrasie ^^

630. Il s'abandonne aux vices et se forme un sérail. . 23 Il est difficile de compléter son histoire par des

vies de saints ^4

63 1 . Mort de Charibert , massacre de son fils j l'Aqui-

taine réunie à la monarchie 26

Guerre malheureuse de Dagobert avec le roi des

Venèdes ^^

Dagobert fait massacrer les Bulgares auxquels il

avoit d'abord donné l'hospitalité 3o

632. Il accorde aux Saxons la remise de leur tribut

annuel 3 1

633. Dagobert fait couronner en Austrasie son fils Si-

gebert III , âgé de trois ans 32

634. Il assure à Clovis II , son autre fils , la Neustrie

et la Bourgogne 33

636. Il réprime les brigandages des Gascons et reçoit

l'hommage de leur duc 34

Il force aussi à la soumission Judicael , duc des

Bretons 36

Amitié de Dagobert pour saint Éloi, et ses fon- dations de couvens 37

638. Blortde Dagobert à Saint-Denis ; partage de son

royaume 38

47B TABLE CHRONOLOGIQUE

638-640. Gouvernement de Pépin et de JE^sl, pen- dant la minorité des fils de Dagobert. . .page /^o 639-642. Grimoald succède à son père Pépin dans la

mairie d'Austrasie ^\

La Tliuringe secoue l'autorité des rois Francs. , . ^2

638-65o. Règne de vSigebert III en Austrasie 43

638-654. Règne de Clovis II en Neustrie ; sa folie et

sa mort 44

Chapitre XI. Gouvernement d' Ebroin et guerres ci- viles Jusqu'à la bataille de Testry. 656-687 46

Multiplication des monumens religieux à l'époque cessent les monumens historiques ihid.

Progrès de la barbarie, conséquence d'un enseigne- ment tout imitatif. 4?

Décadence des poètes , Claudien , Sidonius , Fortunat. ihid.

Décadence des historiens , Sulpice Sévère , Cassiodore , Grégoire, Frédegaire 4^

Décadence de la religion, qui enseigne d'abord à bien vivre, puis à bien croire , enfin à bien payer 5o

Profusion de Dagobert envers les moines de Saint- Denis... 5i

Profusion de Sigebert III envers les couvens 54

L'histoire du temps étoit silencieuse et n'inspiroit au- cun intérêt aux Francs , ; 55

Les nouvelles religieuses éveilloient seules l'attention publique ^^

Les saints jouissoient d'un crédit prodigieux et de toutes les douceurs de la vie 67

Empressement de toutes les familles riches à doter les couvens 58

Ces couvens souvent remplis d'esclaves rachetés 5{)

65o-656. Grimoald en Austrasie veut substituer son

ET ANALYTIQUE. l^r^j

propre fils au fils de Sigebert III page 60

€5o-656. Il est arrêté par les hommes libres, et envoyé

à Clovis II , qui le fait périr ibid.

656-66o. Les trois fils de Clovis II reconnus dans

toute la France, sous la régence de Bathilde. 61

660-670. Clothaire III , roi de Neuslrie sous Ébroin ;

Childeric II , roi d'Austrasie sous Wulfoald. . 62 Efforts d'Ebroin pour abattre la haute aristo- cratie en Neustrie 63

670. Mort de Clothaire III. Ebroin lui substitue

Thierri III. 65

Thierri III et Ebroin déposés et tonsurés par les grands que dirige saint Léger 66

670-672. Childeric II règne en Neustrie comme en

Austrasie avec l'appui des grands (Sj

673. 11 est tué avec sa femme et sou fils par les grands ,

de l'aveu de saint Léger 68

Thierri III est replacé sur le trône par saint Lé- ger et son parti G9

674. Le parti du peuple triomphe en Austrasie , et

met sur le trône Dagobert II 70

Ebroin , avec l'appui de Dagobert II , forme une

armée populaire 72

Ebroin triomphe des grands et se rend maître

de Thierri III qu'il reconnoît 7 3

675-678. Ebroin persécute le parti des grands en

Neustrie et en Bourgogne 74

Il fait périr saint Léger comme coupable de ré- gicide envers Childeric II ^ . . 76

678. Dagobert II vaincu et massacré par les grands

d'Austrasie , du parti de Pépin 77

680. Bataille de Loixi , les grands , secourus par les

Austrasiens , sont défaits par Ebroin 79

/|8o TABLE CHRONOLOGIQUE

68 1. Mortd'Ebroin,assasslnépar un ennemi privé. /;<3^e 8l

681-686. Gouvernement de Warato son successeur,

chef du même parti 83

686. Berthaire, successeur de Warato, ruine le parti

populaire qu'il dirige 84

687. Défaite du parti populaire à Testry , par Pépin ,

les Austrasiens et les grands 85

Chapitre XII. Grandeur croissante de la famille de Pépin jusqu'à la soumission de la Neustrie à Charles Martel. 687-720 ^j

Toutes les fonctions dans la monarchie des Francs qui ctoient électives , deviennent successivement hérédi- taires ibid.

Argumens plausibles pour rendre héréditaires

les fonctions de ministres 88

687. Pépin, duc héréditaire d'Austrasie , avoit peu

de pouvoir sur les autres ducs 8g

Cependant il tenoit plus à son duché qu'à la

mairie de Neustrie 91

Pépin est obligé d'affermir les droits des grands

ses alliés gS

Ceux du midi de la Gaule acquière«t une indé- pendance presque absolue 94

689—690. Les seigneurs Francs font avec Pépin la

guerre à Radbode , duc des Frisons 96

Ils remettent en vigueur les assemblées du Champ

de Mars 97

691-695. Mort de Thierri III. Règne de Clovis III son

fils aîné 98

Pépin cherche à se réconcilier avec la faction po- pulaire , par le mariage de son fils 9g

695-711. Mort de Clovis III. Règne de Childebeftt III

ET ANALYTIQUE. 48r

so^ ^''^ï'e p^g^ jo^

Plectrude et Alpaïde , femmes de Pépin. Meurtre de saint Lambert, qui -vouloit écarter la se- <^onde ,oj

Guerres de Pépin contre les Frisons et les Alle- mands jo3

711-715. Mort de Childebert IIL Règne de Dago-

bert III son fils j o /

711-714. Conquête de l'Espagne par les Arabes sur les

Visigofhs io5

714. Pépin , malade, appelle à lui son fils Grimoald ,

qui est assassiné au tombeau de saint Lambert. 1 06 j 6 décembre. Pépin meurt , laissant Charles son fils prisonnier entre les mains de Plectrude. . 107

71 5. La Neustrie ne veut pas recevoir pour maire

Théodoald, petit-fils de Pépin 108

Les Austrasiens tirent Charles de prison , et l'op- posent aux Neustriens 109

715-720. Mort de Dagobert III. Règne de Chilpé-

ric II Ilo

716. Les Neustriens , de concert avec les Frisons , at-

taquent l'Austrasie n 2

717. Charles Martel envahit à son tour la Neustrie ,

que défend le maire Raginfred 1 13

21 mars. Bataille de Vincy près Cambrai ; les

Neustriens défaits par Charles \ij^

717-719. Clothaire IV, nommé roi par Charles et les

Austrasiens ii5

7 1 9. Mort de Clothaire , soumission de la Neustrie à

Charles , qui reconnoît Cbilpéric II n 6

TOME II, 3l

482 TABLE CHRONOLOGIQUE

Chapitre XIII. Gouvernement de Charles Martel et deses fils Jusqu'à la déposition des rois de la pre- mière race P'^S^ ^'9

L'obscurité de l'histoire s'accroît jusqu'au changement de race , et dès lors elle diminue ibid.

On regrette peu le détail des guerres ou celui des crimes , mais beaucoup celui du progrès des institu-

1 ... I20

tiens nationales

720-737. Mort de Chilpéric II. Règne de Thierri IV,

fils de Dagobert III ^22

720-737. Habitudes militaires des Francs pendant le

règne de Charles Martel 1 ^3

Ses guerres contre les Allemands, les Bavarois ,

les Frisons et les Saxons «^^^•

714-720. Les Sarrasins se rendent maîtres de Narbonne

et de la Septimanie *^*.^-Kf^ ^ ^

720-726. Leurs expéditions en Provence et en Bour-

gogne jusqu'à Autun ^ ^

732. Leurs victoires sur Eudes , duc d'Aquitaine 127

Eudes d'Aquitaine passe la Loire et implore

l'aide de Charles Martel 128

Octobre. Victoire de Charles sur les Sarrasins à

Poitiers ^^^

Le massacre des Sarrasins à Poitiers , prodigieu- sement exagéré ' ^

733-736. Expéditions de Charles en Bourgogne et en

Provence , pour y rétablir son autorité i33

733-737. Guerres de Charles contre les Frisons, les

Saxons et les Aquitains " ^ 4

Nouvelles entreprises des Satrasins ; ils s'empa- rent d'Avignon

737. Charles reprend Avignon et assiège vainement

i36

ET ANALYTIQUE. 483

Narbonne page 1 37

737. Mort de Thierri IV, auquel Charles ne donne

point de successeur iSg

739. Charles chasse les Sarrasins de la Provence, et

soumet les grands leurs alliés j4o

739-756. Guerres civiles des Sarrasins d'Espagne qui

arrêtent leurs progrès dans les Gaules 141

Charles récompense ses soldats en leur donnant

des bénéfices ecclésiastiques 14,2

Le clergé de France déclare Charles Martel damné éternellement 1 43

740. Le pape Grégoire III se met sous la protection

de Charles Martel 146

741. Double ambassade envoyée par Grégoire III à

Charles , . 147

Charles partage la monarchie entre ses trois fils,

puis il meurt le 2 1 octobre 149

Carloman et Pépin , fils de Charles , dépouillent

Grifon leur plus jeune frère i5o

742. Guerre de Carloman et Pépin contre Hunold,

duc d'Aquitaine i52

Pépin donne à la Neustrie un nouveau roi mé- rovingien qu'il nomme Childéric III i53

743. Réforme du clergé en Austrasie par saint Boniface

et le concile de Leptines 1 54

Victoires de Carloman sur Odilon , duc de Ba- vière 1 55

745. Hunold , duc d'Aquitaine , se retire dans un cou-

vent et laisse son duché à Guaifer son fils. ... 1 56

746. Carloman désarme les Allemands par surprise ,

et punit leurs principaux chefs 167

747. Carloman se retire dans un couvent auprès de

Rome 1 58

484 TABLE CHRONOLOGIQUE

747. Pépin dépouille les fils de Carloman , mais il re-

met en liberté Grifon son frère page 160

748. Il poursuit Grifon chez les Saxons dont il ravage

le pays. . 161

749. Il force les Bavarois à la paix, et il ramène Gri-

fon en France i63

752. De l'avis du pape Zacharie , il dépose le roi Chil-

déric III et l'enferme dans un couvent 164

SECONDE PARTIE.

LES CARLOVINGIENS.

Chapitre premier. Règne de Pépin. 752-76S. . . 167

Les grandes révolutions chez les Francs ont détruit leurs propres monumens ^^'^^

La succession des Carlovingiens fut une révolution na- tionale ï^^

Pépin , son caractère caché par des fables , anecdote du lion et du taureau 1 09

La Gaule de nouveau asservie par un peuple germani- que sous les Carlovingiens '7^

Childéric III , roi des Franco-Gaulois , vaincu , fit place au roi des vainqueurs '7*

Dévouement de Pépin et de la seconde dynastie à l'Eglise. 1 72

Les assemblées du Champ de Mars recouvrent une nouvelle autorité ^7^

Mais Pépin , en y introduisant les prélats , changea leur caractère ^7^

Les Francs réduits au silence dans leurs propres as- •semblées , par l'ignorance de la langue et des ques- tions qu'y traitent les prêtres '^'^'

ET ANALYTIQUE. 4^5

Première assemblée du règne de Pépin ; capitulaircs de

Vermerie pag.e 1 76

L'assemblée occupée de poursuivre et de punir l'in- ceste et la débauche 177

De réprimer les prêtres et les évêques non consacrés,

et trafiquant en contrebande des choses saintes. ... 1 79 Sanction donnée aux lois ecclésiastiques par Texcom-

munication 181

Pépin soumet aussi sa politique extérieure au clergé., 182 753. Etienne II se rend en France pour solliciter les

secours de Pépin contre les Lombards i83

Etienne regardé par les Francs comme un mes- sager de la Divinité 1 85

764. Etienne sacre de nouveau Pépin et ses en- fans. t 186

Carlomàn sollicite en vain Pépin de ne pas porter

la guerre en Italie 187

Astolphe, battu par les Francs aux cluses d'Italie ,

signe un traité de paix 188

755. Astolphe retourne à l'attaque de Rome, et

Etienne s'en plaint à Pépin 1 90

Etienne produit une lettre de l'apôtre saint

Pierre , pour accuser Astolphe 192

755. Pépin force Astolphe à céder à l'Église les pro- vinces qu'il avoit conquises sur l'empire. ... 194

753. Expédition de Pépin contre les Saxons 19^

755. Abdérame fonde en Espagne le royaume de Cor-

doue 1 96

750-759. Guerres de Pépin contre les Sarrasins dans

la Septimanie 197

759. Prise de Narbonne; réunion de la Septimanie à

la France 198

745-768. Wafre ou Guaifer, duc d'Aquitaine; haine

486 TABLE CHRONOIiOGIQUE

des Aquitains pour les Francs P^ë!^ 200

760. Pépin somme Guaifer de lui restituer des biens d'église , et lui fait déclarer la guerre par les

Francs 201

760-768. Guerre d'Aquitaine, signalée par d'effroya- bles dévastations 202

768. Guaifer assassiné , l'Aquitaine est soumise à la

France , 204

755-768. Suite de la correspondance entre Pépin et le

saint siège 2o5

Paul I" accuse Didier comme Etienne II accusoit

Astolphe 206

767-768. Le siège de Rome disputé par deux factions.

L'anti-pape Constantin et son supplice., 208

768. Septembre, 18 ou 24 j mort de Pépin à Saint- Denis 210

Caractère des chroniques qui nous restent sur le

règne de Pépin. 211

Pépin châtié par l'ombre de saint Rémi pour avoir

touché à un bien de TÉglise 2i3

Dévotion de Pépin aux reliques apportées de

Rome 214

Nombreuses donations de Pépin aux couvens. . . 216

Chapitre II. Commencemens du règne de Charlema- gne jusqu'à sa victoire à Buckholz , et à la con- quête de la Saxe. 768-780 217

Éclat du caractère et du règne de Charlemagne , dans

l'histoire du moyen âge ibid,

768. Partage du royaume des Francs entre Charles et

Carioman 219

Aversion des Francs et de tous les Barbares pour les lois de priraogéniture 220

ET ANALYTIQUE. ^^87

y6g. Hunold,père de Guaifer, sort de son couvent

et fait révolter l'Aquitaine P^g^ 222

Brouillerie de Charles et de Carloman aai

Charles bâtit le château de Fronsac pour conte- nir les Aquitains , 224

770. Bertrade, mère de Charles, veut unir par des

mariages ses fils au roi lombard 2^5

Le pape Etienne III s'oppose violemment à ces mariages ; Charles épouse cependant la fille du

roi lombard, qu'il répudie ensuite 227

Premier capitulaire de Charles sur la discipline ecclésiastique 22g

771. Désordre des mœurs de Charles dans ses ma-

riages et ses divorces , 23o

Mort de Carloman ; Charles dépouille ses fils de

leur héritage 23 1

Guerre des Saxons avec laquelle commence la

carrière glorieuse de Charles 23a

772. Premières hostilités des Saxons, provoquées par

les menaces de saint Libuin 233

Caractère général de la guerre contre les Saxons , selon Eginhard 236

773. Animosité croissante entre Charles et les Lom-

bards 239

Les Francs déclarent la guerre aux Lombards

dans le Champ de Mai de Genève 241

Charles franchit sans combat les cluses d'Italie.. 242

774. Pendant que son armée bloque Pavie et Vérone,

il se rend à Rome 243

Pavie et Vérone se rendent , Didier est prison- nier, Arigise s'enfuit à Constantinoj)le 245

Charles s'attribue les conquêtes des Francs, et prend le litre de roi des Lombards 2J^6

488 TABLE CHRONOLOGIQUE

Étendue de la monarchie de Charles , du Danube aux Pyrénées P^^g^ 247

775. Nouvelles victoires de Charles sur les Saxons ,

soumission de leurs trois confédérations 249

776. Les Carlovingiens abandonnent Paris , et se fixent

dans les provinces germaniques. 25 1

Le pape Adrien accuse les ducs lombards de con- jurer contre Charles 252

Charles attaque Rotgaudes , duc de Friuli , le fait

périr , et intimide les autres ducs lombards.. . 353 Nouveau soulèvement des Saxons que Charles force à la soumission 264

777. Charles convoque un Champ de Maià Paderbom,

dans le pays même des Saxons 256

Ibn al Arabi , gouverneur de Saragosse , vient

à Paderborn solliciter l'appui de Charles .... 257 Guerres civiles entre les Arabes; quel parti Char- les auroit soutenir 258

778. Campagne de Charles au-delà des Pyrénées; il

soumet la Marche d'Espagne jusqu'à l'Ebre.. . 25(j

Les Navarrois et les Gascons , jaloux de ses suc- cès, s'allient aux Musulmans 260

Déroute des Francs dans la vallée de Roncevaux ; mort de Roland. 261

Ce qu'on doit croire de Roland, et dans quel temps il a se distinguer 263

Ravages des Saxons conduits par Wittikind sur tous les bords du Rhin 265

779. Victoire de Charles sur les Saxons à Buckholz ;

soumission de ces peuples 267

780. Charles étend sa domination jusqu'à l'Elbe, et

fonde les évêchés de la Saxe 268

ET ANALYTIQUE. 4^9

Chapitre III. Suite du règne de Charles , jus qu à la suppressioji du duché de Bavière. 780-788. ./?<7^c 270

La chronologie du règne de Charles , conservée soigneu- sement, mais avec une grande épargne de paroles,. ihuL

L'histoire transportée sur les frontières de Tempire, qui s'écartent toujours plus 271

La population libre disparoit dans les Gaules, sous le règne de CJiarleraagne 273

Dons de terres avec leurs esclaves, faits par Charles aux seigneurs et aux églises 274

Domaines de la couronne peuplés d'esclaves, et leur vaste étendue 276

Capitulaire de Charlemagne , qui règle la culture de ces domaines 277

La nation des Francs , composée seulement de quelques milliers de gentilshommes 27B

Les donations d'esclaves altèrent la nature du don fait par Charles au saint-siége , . 280

Ce don ne fut point exécuté , chacun s'y opposant éga- lement 28 1

Le pape accusé de vendre aux Sarrasins les esclaves que Charles lui avoit donnés , s'en justifie en récri- minant contre les Lombards 283

780. Des négociations avec les Grecs et les Bavarois

appellent Charles en Italie 285

717-780. Règne des empereurs isauriens et icono- clastes à Constantinople 286

781. Irène, succédant à Léon IV, sollicite l'alliance

de Charlemagne 288

Haine de Tassilon, duc de Bavière, contre les Francs , a,paisée par l'entremise du pape 289

782. Charles assemble le Champ de Mai à Lippspring ,

49^ TABLi: CHRUxNOLOGïQUE

au milieu des Saxons page 2go

Wittikind soulève les Saxons , et bat les lieute- nans de Charles à Sonnelhal 291

Charles condamne au supplice quatre mille cinq cents Saxons à Verden 2^3

783. La cruauté de Charles cause une révolte univer-

selle des Saxons 294

Les Saxons deux fois défaits par Charles , à Deth- mold , et sur la Hase 2g5

784. Charles recommence à ravager la Saxe , surtout

autour de la Lippe 2f)6

784-785. Charles continue pendant tout l'hiver à ra- vager la Saxe 298

785. Wittikind se soumet , et se rend à Attigny-sur-

l'Aisne , pour faire hommage à Charles 3oo

Conjuration du Thuringien Harlrad , causée par les cruautés de la reine Soi

786. Punition des Thuringiens , soumission des Armo-

riques à la diète de Worms , 3o2

Le pape Adrien excite Charles contre les Lom- bards et les Grecs 3o4

787. Charles descend en Italie pour conquérir Béné-

vent sur les Lombards 3o6

Résistance d'Arigise , duc de Bénévent , qui ob- tient une pacification honorable 307

Mort d'A.rigise et de son fils aîné; le pape veut anéantir sa maison 3o8

Tassilon , duc de Bavière , appelle les Esclavons dans le pays des Francs Sog

Charles, entré en Bavière avec trois armées, force Tassilon à se soumettre 3 i 1

788. Tassilon déposé â la diète d'Ingelheim , et en-

fermé dans un couvent .,,,..., . . , . Si *

ET ANALYTIQUE. /^r)\

Chapitre IV. Suite du règne de C/mrlemagne , Jus- qu'au soulèvement des Romains contre Léon III. 788-799 P^ge 3 1 4

Le nom de grand n'a été joint à celui de Charles qu'a- près sa mort ihid.

Portrait de Charles par Eginhard ; ses vétemens 3i5

Sa manière de vivre 3iG

Son éloquence et ses études variées 3 1 7

Quoique savant, il n'avoit point appris à écrire , et

pourquoi 3i8

Amour de Charles pour les lettres ; il appelle en

France des docteurs pour les enseigner 3 20

Il favorise l'étude de la musique et fait adopter le chant

grégorien. 322

Études sacrées , adoption universelle des fausses dé-

crétales 324

La domination de Charles s'élendoit sur tous les pays germains et romains 325

788. Premières descentes des Normands en Angle-

terre ibid.

Invasion des Huns dans la Bavière et le Frioul ,

et leur défaite. 320

Brouillerie de Charles avec les Grecs , hostilités

dans le duché de Bénévent 327

Efforts d'Adrien I" pour brouiller Charles avec

les Lombards de Bénévent 32(^

Charles donne Bénévent à Grimoald , fils d'Ari-

gise , qui repousse les Grecs 33o

789. Les Francs commencent à passer l'Elbe pour pro-

téger les Abodrites contre les Wiltzi 33 1

Les Wiltzi se soumettent , et la frontière est éten- due jusqu'à l'Oder 332

49^ TABLE CHRONOLOGIQUE

790. Vaines négociations de Charles avec les Huns

pour la paix. P^g^ 334

791 . Charles ravage la Pannonie jusqu'au Raab , mais

il y perd tous ses chevaux 335

702. Charles se prépare à une seconde campagne , mais

ne quiite pas Ratisbonne 337

Il contraint Félix, évêque d'Urgel, à renoncer à

ses erreurs 338

Il découvre et punit une conspiration de Pépin

son fils naturel. 33g

793. 6 juillet. I/armée que Charles levoit contre les

Huns est détruite à Rustringen par les Saxons

révoltés 340

Les travaux de Charles pour joindre le Rhin au

Danube , échouent 342

Étendue 4u royaume d'Aquitaine de Louis , que

Charles n'avoitpas visité depuis douze ans.. . 343 Invasion d'Abdelmélec dans l'Aquitaine ; défaite

de Guillaume au Court-Nez, 344

794. Charles assemble un concile à Francfort. Nouvelle

condamnation de Félix d'Urgel 34^

* L'Occident rendoit aux reliques le culte que l'O- rient rendoit aux images 347

Le concile de Nicée avoit , en 787 , ordonné l'ado- ration des images 349

794. Le concile de Francfort la condamne comme une

idolâtrie 35o

Politique de la cour de Rome, qui évite un schisme en éludant la question 35 1

Mort de la reine Fastrade ; Charles épouse Liut- garde 352

Charles entre en Saxe; les Saxons assemblés à Sintfeld, se soumettent à lui ib'uL

ET ANALYTIQUE. ZlQ^

7q5. Les Saxons ayant tardé de se rendre auprès du

*^ roi, Charles ravage la Saxe P^S^ 353

Mort du pape Adrien ; présens de Charles à son successeur Léon III 354

796. Charles embellit Aix-la-Chapelle, sur le modèle

de Rome 355

Guerre civile chez les Huns et les Avares-, Char- les les fait attaquer par Pépin son fils 356

Pépin pénètre jusqu'au Rhin , et s'empare du Ring ou camp des Avares 357

797. Nouvelles expéditions de Charles en Saxe ; il fonde

le nouvel Héristal sur le Weser 358

Au milieu de ces ravages, la Saxe fait des pro- grès vers la civilisation 359

Princes sarrasins qui viennent en Saxe demander des secours à Charles 36o

Ambassadeurs d'Alfonse II de Galice , et du roi des Huns , à Aix-la-Chapelle , . . . . 36 1

Ambassade de Constantin V , empereur d'Orient, ihid.

i5 juin. Constantin, aveuglé par les ordres de sa mère Irène , meurt peu après 362

798. Soulèvement des Saxons normands; ils sont bat-

tus à Sv^enden 364

799. Charles reçoit, à Aix-la-Chapelle , la nouvelle du

soulèvement de Rome 366

Chapitre V. Renouvellement de l'empire d' Occident. Fin du règne de Charlemagne. 799-814 367

Les Gaulois n'étoient employés par Charles ni dans

l'armée ni dans l'église ihid,

799. Conjuration de deux prêtres à Rome, contre

Léon III 369

Le pape, arrêté par les conjurés , et blessé , leur

494 TABLK en IIONO LOGIQUE

échappe et s'enfuit à Spolète P^g^ Sjo

Il va trouver Charlemagne qui lui donne rendez- vous à P/jderborn 371

Le pape retourne à Rome avec des promesses d'amnistie de la part de Charles SyB

Charles pourvoit à la sûreté des frontières avant d'aller à Rome 374

800. Il visite les côtes de France pour les mettre en

état de défense 375

Il entre à Rome , le 2-4 octobre de l'an 800 377

Léon III se purge , par serment , des accusations

portées contre lui 378

Aux fêtes de Noèl, Charles est proclamé empereur

par le peuple de Rome 38o

L'étendue du nouvel empire d'Occident égaloit

celle de l'ancien... 38 1

Supériorité reconnue par les Barbares des empe- reurs sur les rois 382

801. Négociation pour réunir les deux empires , en

faisant épouser Irène à Charles 384

Ambasssade d'Haroun al Raschid à Charles ; en- voi des clefs du saint sépulcre ibid.

801 -81 3. Travaux de Charles, comme législateur de

son empire. Capitulaires 386

Manque d'ordre et de précision dans ces lois.. . 387 Règlemens ecclésiastiques, diminution des fran- chises , dîmes et nones 388

Règlemens militaires , bénéfices ou fiefs avec obli- gation de service 3go

Service des hommes libres en raison d'un homme

pour trois manses 892

Ruine absolue de la classe des hommes libres; conséquence du service militaire gratuit 893

Er ANALYTIQUE. ^cyj

Les Francs marchoienl sous les ordres des chefs

territoriaux p^^<^ 304

Règlemens politiques , instilution des missi do-

minici SgS

Législation civile et criminelle , supplément aux

codes barbares 896

Règlemens de finance, de commerce, fixation

du prix des blés S^S

So2-8o3. Guerres y)eu importantes , dirigées par les

lieulenans de Charles Sqg

804. Dernière année de la guerre de Saxe ; transplan-

tation des Saxons en Gaule et en Italie ^q\

Missions pour convertir les Avares, prédication du prêtre Ingo I\Oi.

805. Conversion du chagan des Avares; il demande

des secours contre les Bohémiens I\oZ

806. Charles partage, à Thionville, ses états entre ses

trois fils 4^4

Éducation desenfans de Charles , conduite de ses filles 4o5

807. Nouvelles relations de Charles avec le khalife

Haroun al Raschid l\0%

808. Affoiblissement général de l'empire , attaque des

Danois , révolte des Slaves ibid.

809. Ravages maritimes des Normands , des Sarrasins

et des Grecs l\\o

810. Nouveaux échecs des Francs , ravage de la Frise

par les Normands 4^^ '

811. Efforts de l'empereur pour mettre l'empire en

état de défense ; mort de son fils aîné 1^X7.

812. Charles donne l'Italie à Bernard son petit-fils.

Il fait la paix avec tous ses voisins /\\!\

81 3. Charles présente son fils Louis aux Francs, et le

49') TABLE CHROMOLOGIQUE

fait rçconnoître pour son successeur. . . page 416

814. Affoiblissement de Charles , et sa mort le 28 jan- vier 4 ' 7

Chapitre "VI. Coimnencemens du règne de Louis-le- Débonnaire j jusqu'aux guerres civiles. 8i4-83o. 420

Le règne de Charlemagne présente un éclat dont les

causes nous demeurent cachées ibid.

Chaque écrivain en a fait le héros de son système

favori 4'-^'-

781-814- Règne de Louis en Aquitaine , opinion fa- vorable conçue de lui 4^3

Sa superstition, et son désir de revêtir l'habit

monastique 4^5

Règle qu'il avoit mise dans ses dépenses, sup- pression d'un impôt onéreux 426

Grand nombre d'hommes libres réduits en es- clavage sous le règne de Charlemagne 4^7

814. Louis veut avant tout réformer le palais de son

père ; il en chasse les maîtresses de Charles ,

ses filles et ses pelites-filles 4^9

Il partage le trésor mobilier de Charles ,. suivant

son testament 4^0

Il répare beaucoup d'injustices, et rétablit les

droits des opprimés 4^1

Il reçoit l'hommage de Bernard, roi d'Italie, et

des feudataires de l'empire 4^2

Il exile Adélard et Wala ses cousins , ministres de

son père 4^4

81 5. Il s'interpose entre le pape Léon HI et les Ro-

mains soulevés 4^^

816. Il accueille Etienne IV à Reims , et se fait cou-

ronner par lui , 437,

ET ANALYTIQUE. 497

L'empire continue à faire des conquêtes sans la participation de l'empereur P^^g^ A39

817. Louis secourt les réfugiés espagnols opprimés

par leurs seigneurs dans la Marche 44o

Louis s'associe son fils Lothaire, et donne des

royaumes à ses deux plus jeunes fils 442

Mécontentement de Bernard , qui se rend cepen- dant sur parole 443

818. Bernard, condamné comme rebelle, est aveuglé

et périt par ce supplice 445

819. Louis , après la mort d'Ermengarde , épouse Ju-

dith , fille d'un comte de Bavière 446

Guerres et négociations des Francs avec les Slaves de la frontière orientale 447

820. Treize vaisseaux normands menacent ou rava-

gent trois cents lieues de côtes 44û

821. Le partage de l'empire est confirmé par l'assem-

blée de Nimègues 460

822. Louis fait pénitence dans l'assemblée d'Attigny

pour la mort de Bernard 462

11 augmente les immunités de l'Eglise 454

Continuation des succès des Francs contre les

Slaves 455

823. Premières relations diplomatiques entre les

Francs et les Bulgares , 467

Violences exercées par le pape Pasqual contre

des Romains fidèles à l'empereur 458

L'autorité impériale rétablie à Rome par Lo- thaire 45q

824. Mouvemens des Bretons , deux de leurs rois sont

assassinés 460

Mouvemens des Gascons ; ils taillent en pièces

une armée de Francs 46a

TOME II. 32

498 TABLE CHRONOLOGIQUE, etc.

825. Le clergé franc persiste à repousser le culte des

images. P^^g^ 4^^

826. Hériolt et sa femme prétendans au trône de Da-

nemarck , présentés au baptême par Louis. . . 464 Les frontières des deux empires s'éloignent par

la conquête de la Sicile, et le soulèvement de la

Dalmatie 4^5

Jalousie que cause la naissance d'un fils de Judith

( le 1 3 juin 8^3 ), depuis Charles-le-Chauve . . 466

827. Haine excitée contre Bernard , duc de Septimanie ,

favori de l'impératrice 4^7

828. Condamnation des conseillers de Pépin, pour

n'avoir pas secouru Bernard 469

Formation d'un parti de raécontens , dirigé par Hugues , Matfrid et Wala 470

829. Commerce d'esclaves , des Juifs, qui s'opposent

au baptême de leurs captifs , . 47^

Août. Louis crée pour Charles-le-Chauve le royaume d'Allemagne 47^

830. Mécontentement universel ; les fils de Louis le

partagent et l'excitent 474

PIN DE LA TABLE.

DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET.

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