RP PR RE ER RE ne + an tomes n 616 Be hAN Stern BEA TNT DER dns Te TE = ER ( 4 Dent : h le \ È JE + F [4 A fee) | LE LIBRARY OF THE MUSEUM OF COMPARATIVE ZOOLOGY GIFT OF GLOVER M. ALLEN + US # De. HISTOLRE DES PÊCHES, DES DÉCOUVERTES | ET DES ÉTABLISSEMENS DES HOLLANDOIS DANS LES MERS DU NORD. TOME SECOND. AANION me A ma Fe Pt Sn, EL HISTOIRE DES PÈCHES, DES DÉCOUVERTES ET DES ÉTABLISSEMEN S DES HOLLANDOIS DANS LES MERS DU NORD; OUVRAGE traduit du Hollandois par Les foins du Gouvernement, enrichi de Notes | & orné de Cartes € de Figures a l'ufage des Navigateurs & des Amateurs … de l'Hifloire Naturelle. PAR LE C. BERNARD DE RESTE. L'ONME SE CON EE . PHPULITRITENT( ÆE WE = AUPARLIS Chezla Ve. NYON, Libraire, rue du Jardinet, n°, 2. AN IX DE LA RÉPUBLIQUE. . 2BhM \ el ‘ii È 4 rx st as æ SENS il LS SJ ai ; DE] A u sat e A 1 LR \s he sisi + À La ee k J +. * E w. « CET | EN si si Ai Va à ANA E ins 14 D41 HA a Hi js (O0! EUR Ée DUT ENAS or. x ee AUS: à D Le sr Ÿ à # ON. 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DE LCISLANDE Ex vain chercheroit-on à dévoiler les fecrets les plus cachés de la nature; en vain fe flatteroit -on de découvrir limmenfité & la variété de fesrichefles, Tome IT. | A 2 HisToire DES PÊCHES fans une connoiffance aflez exaête des peuples qui confervent encore la phy- fionomie & le caraétère de l’homme, fortant, pour ainf dire, des mains du Créateur. Les Iflandois & quelques autres peuples plus. voifins du pole du Nord, ont encore aujourd’hui dés traits frappans avec l’homme dans fon premier état : les recherches fur leur hiftoire particulière , fur leurs mœurs, fur leurs ufages, fur leur vie privée & fociale, fur leur religion, doivent donc contribuer à nous faire apprécier , avec quelque certitude, les progrès des connoiffances humaines & les avantages de l’état {o- cial chez les peuples les plus policés. L'Iflande n’a pas encore été aflez gé- néralement connue, & elle ne l’eft pas parfaitement fous le point de vue fous lequel je vais la préfenter. Il exifte peu de relations exactes de cette contrée ; tous les voyageurs fe font bornés uni- quement à décrire fes côtes, & les cimes des montagnes de glace dont cette ifle ft hériffée ; d’après fa pofition fur le DANS LES MERS DU Nom. 3 globe, & l’afpect hideux de fon fol, ils ont conclu avec raifon, que le climat y eft exceflivement rigoureux. Cette ifle eft fituée entre le 63" & 67" degré de latitude feptentrio- nale (1) ; elle a cent trente milles com- muns d'Allemagne, dans fa plus grande longueur, fur foixante-dix de largeur, de left à l’oueft, (124 & 80 lieues de France) ; elle eft la diftance de 3 ; lieues marines du Groenland : celui-ci eft ina- bordable du côté le plus près de l'Iflande; les rochers & les glaces y mettent un obftacle infurmontable, ce qui rend le trajet de l’un à l’autre beaucoup pluslong/ Onne fait où placer la véritable époque de la découverte de l’Iflande. Quelques écrivains ont avancé qu’elle étoit connue avant les premières années de l’ère chré- . tienne ; mais 1l faut les en croire fur pa- role, car ils n’en donnent aucune preuve. (:) Il eft plus probable que fon extrémité au Nord- oueft entre dans le 68m degré, fi nous en jugeons par une nouvelle carte, faite en 1771, par MM. Ærichffen & Schonning ; cette carte pafle pour être la plus exatte. À 2 4 HISTOIRE DES PÈCHES L’'Hifloire de la Colonifation de l Iflande (LaNDNAMA-Box), édition de Copen- hague, 1774, nous apprend que cette Ifle a été peuplée, pour la première fois, par des Îrlandois , des Écoffois & des Norvesiens , fous le règne d'Alfred & d'Édouard fon fils, Rois d’Anglererre. On lit aufi dans la Préface de cette Hif- toire , que Bede, morten 735, a parlé de l’fflande , fous le nom de Thule. D’autres hiftoriens fixent la découverte de l’Iflande à l’année 798; ils en font l'honneur à un certain Madocus, qui lui donna le nom de Sneeland , ( pays de neige). Les Suédois s’en attribuent la gloire & foutiennent qu'un de leurs compatriotes, nommé Gardanus, eft le premier qui ait reconnu l'Iflande, & qui y ait abordé. M. Troil, Suédois, Évêque de Linkoe- ping, auteur des Lesrres fur lIflande (1), (1) Ces Lettres ont été traduites en français, par M. Lindblonm , Secrétaire & Interprète du Roi au Dé- partement des Affaires étrangères ; l'édition deces Lettres et de 1781, DANS LES MERS DU NORD. $% dit fimplement que cette Ifle a reçu fes premiers habirans au [X7* fiècle ; qu’elle fut peuplée alors par des Morvégiens & des Suédois émigrans. Les Sagas (1) Iflandaifes afurent que ces Norvégiens & Suédois, trouvèrent l’Ifle déjà habitée à leur arrivée, & qu'ils ne furent que des ufurpateurs. Le Zandnama - Bok attribue la caufe de cette invafion à un certain Vaddor, fameux pirate, qui fut jeté par le vent fur les côtes d’Iflande en 861, en revenant de Norvège à l'Ifle de Ferroé : après un court féjour, il en remit à la voile, & vanta fi fort le pays découvert pat lui, qu'il donna en- vie à un Suédois entreprenant, ( Gardez Suafarfon), d'aller chercher ce pays, où il arriva en effet en 864 (2). MM. Anderfon & Horrebow font les (:) Saga , mot fflandois , fignifie monument de l’ancienne Hifloire ; il y en a de purement hiftoriques , & d’autres qui ne font que la Fable écrite dans un ftyle figuré. | _ (2) Voyez les Lettres fur l’Iflande, pag. 45 & fui- vantes, jufqu'à la page ç1, À 3 6 HISTOIRE DES PÊCHES premiers quiaient donné une defcription un.peu déraillée de l’Iflande; on n’avoit, avant eux , qu'une connoiflance très- fuperficielle de cette Ifle : M. Kerguelen de Tremarec a re&ifié les defcriptions d'Anderfon & d'Horrebow, & nous lui devons de nouveaux décails fur cette contrée. Toute l’Ifle eft coupée par des chaines de montagnes & de rochers efcarpés qui fe croifent en tous les fens, dans une projection aflez régulière; la plupatt de ces montagnes font couvertes de neige; les fommets en font glacés; on les pren- droit de loin pour d'énormes criftaux : un voyageur ordinaire en trouve l’afpec peu flatteur ; celui, au contraire, qui eft entraîné par le defir d'étudier la na- ture dans les endroits où elle paroît la plus fauvage , y trouve abondamment de quoi s'inftruire ; ke Naturalifte y exerce fes talens avec avantage, fur- tout en examinant attentivement le voi- finage & les débris des volcans, dont l'effet rerrible lui offre prefque dans DANS LES MERS DU NORD. ÿ toute l’Ifle, les traces de ces fournaifes effroyables. L’Aecla, qui ne le cède ni à l'Erna, ni au ’efuve, eft le volcan le plus renommé de l’/flande (1). Les mon- tagnes n'y font pas fufcepribles de cul- ture; on n’yvoitpas une feule habitation; la très-grande partie n'offre que des volcans plus ou moins redoutables. L’in- térieur de l’Ifle n'offre pas cependant par-tout un vafte défert abfolument dé- peuplé & inculte; les vallées & les petits vallons , entre les chaînes de rochers, donnent le fpettacle d’un aflez grand nombre d'habitations ; & comme ces plaines fourniflent d’abondans pâtura- ges, on y trouve de grands propriétaires, qui afferment leurs prairies pour un cer- tain nombre de vaches, de chevaux & de moutons , fixé par le bail, fous une redevance convenue : on y trouve (x) J'en parlerai plus amplement d’après les obfer- vations de MM. Troi!, Banks & Solander , que l'Auteur Hollandois a fuivi ; il n’a même fait que traduire littéra- lement leur defcription , dans prefque tout ce que ce voyageurs ont rapporté du fol de F’Tflande. À 4 8 HISTOIRE DES PÊCHES quelques collines couvertes de petits arbrifleaux , qu'on foigne pour Le chauf- fage ; mais on n’y cultive que très-peu de jardins potagers ; les légumes y vien- nent très - difficilement, & on ne voit pas un feul arbre fruitier dans coute l'Ifle ; les tempêtes & les ouragans , très-fréquens en Iflande, font un obfta- cle infurmontable à leur croiffance : on a effayé inutilement de planter des pins & des fapins; parvenus à la hauteur de deux pieds, les tiges en ont été deflé- chées, & le petit arbre s’eft lui-même bientôt féché fur pied. On ne peut cependant pas révoquer en doute, qu’il n’y aît eu anciennement en Iflande, des bois de haute furaie, & d’une étendue aflez confidérable ; outre que le fait eft conftant par la tradition, & qu'il eft attefté parle Landnama-Bok, les gros troncs & les racines qu’onarrache aujourd’hui dans les marais defléchés, en forment une démonftration com- plette. Le Sururbrand fournit aux Iflan- dois, uncharbonexcellent pour travailler DANS LES MERS DU NORD. 9 leur fer; ils le préfèrent à tout autre. Le Sururbrand eft un bois qui fe conferve par couches dans les terres humides, 1l fe met en poudre lorfqu'il eft expofé en plein air (1). Le très-grand nombre des habitans fe font ru à peu de diftance des côtes &c fur le rivage de la mer; il n’y a ni ville, ni village dans toute l’étendue de lIfle ; chaque père de famille occupe une feule habitation, & ne forme qu’un feul ménage avec tous fes enfans, fes domettiques & les ouvriers qu’il occupe; fon fermier habite aufli fous le même toit. Un paysauffi montueux que l’Iflande, n’eft pas fufceprible de grands chemins & de bonnes routes; il eft très-difficile, très-pénible, &, à certains égards, très- dangereux d'y voyager : l’ufage des voi- tures, descharrettes & des traineaux y eft (1) J'aurois pu entrer dans des plus grands détails à : ce fujet ; je les ai cru inutiles, puifque tout ce que j’au- rois pu en dire, fe trouve dans la onzième lettre ur Piflande, pag. 24 & fuivantes. 10 HISTOIRE DES PÊCHES inconnu, parce qu'il y eft impraticable ; la feule reffource pour un voyageur , c'eft le cheval, mais encore faut-il re- noncer à s’en fervir dans certainsendroits de l’Ifle, où cet animal ne fauroit fe foutenir en marchant; il faut fe réfoudre à voyager à pied la plupart du temps. Il feroit inutile de pratiquer des chemins &c des routes en Iflande; on ne feroit pas afluré de retrouver , au bout d’un an, ceux qu'on aufoit tracés où com- mencés ; la gelée y fend quelquefois les rochers les plus durs; alors leurs éclats font fi nombreux, qu’ils entraînent des éboulemens confidérables, & oppofent aux voyageurs des obftacles infurmon- tables ; d'un autre côté, la fonte des neiges forme des torrens impétueux qui roulent avec eux des amas de pierre & de terre, qui vont former, dans le val- lon, une nouvelle colline ou un banc d’une étendue prodigieufe. On ne trouve pas une feule auberge dans l’Ifle ; les Églifes y font aujourd’hui le feul abri qu’elle offre aux voyageurs. DANS LES MERS DU NORD. 11 Le commerce des Iflandois fe borne à ‘échange de leut poiflon fec contre des marchandifes anaiogues à leurs befoins ordinaires, que les vaiffeaux danois leur portent; ce peuple porte fon poiflon au bord de la mér, avec des chevaux, ou ille colporte lui-même; après l'échange, il regagne fes habitations chargé de ces marchandifes; 1l lui eft impoflible d’amé- liorer & de fimplifier fes charrois. La population de l’Iflande eft très-peu confidérable, relativement à fon éten- due ; on n’y compte’ pas au-dela de foixante à foixante - cinq mille ames; plufeurs caufes femblent concourir à entretenir cette population fur un pied aufli foible. Les tremblemens de terre y font fréquens & violens; ils ont fouvent caufé des explofions qui, en embrâfant le fol même, faifoient écrouler des mon- tagnes; les habitations étoient empor- ées , les vallées obftruées , les marais même defféchés , & tout ce qui refpiroit dans toute la diretion de ces tremble- mens défaftreux , étoit englouti dans les 12 HISTOIRE DES PÊCHES gouffrés qu'ils ouvroient, ou enfeveli fous les décombres & les ruines des mon- tagnes renverfées. L’Iflande n’a pourtant pas été toujours aufli dépeuplée qu’elle left aujourd’hui ; les maladies conta- gieufes, & notamment la pefte parti- culière qui emporta tant de milliers d'hommes dans le Nord, vers le com- mencement du XV. fiècle, ont défolé l’Iflande à plufñeurs reprifes; cette pefte nommée pefte-noire (zwarte-peft), s'y fic fentir plus rudement que par-tout ailleurs; elle dura depuis 1402 jufqu’en 1404. Les habitans de l'intérieur de lffle en furent fur-tout fi cruellement atteints, que ceux qui eurent aflez de force pour fe trainer au pied des mon- tagnes & grimper fur leur cime, préfé- rèrent de s’y retirer, au rifque d’y mourir de faim. Quoiqu’en général l'air foit pur & très-fain en Iflande, un brouillard continuel , épais & empefté, le rend infe@ & intolérable danslesbas-fonds : la famine , compagne ordinaire & prefque néceffaire de la pefte, y a aufli exercé, ne TT DANS LES MERS DU NORD. 13 à différentesreprifes, toutes fes horreurs. La petite vérole enfin emporta plus de feize mille habitans, en 1707 & 1708 ; ce nombre faifoit, à-peu-près alors, le cinquième de la population. Un pays aufli couvert de montagnes & qui renferme dans les entrailles de fon {ol, autant d'énormes foyers, doit néce£ fairement abonder en fources chaudes; aufli en trouve-t-ou prefque par-tout dans cette Jfle; ces fources ont divers degrés de chaleur; il y a en plufieurs dont l’ébul- litioneft au plushaut point; elles forment toutes des jets qui s'élèvent à des hau- teurs différentes. La plus fingulière fe trouve aux environs de Raycum , tout près d’une cabane de payfan; elle s’é- lance par trois tuyaux, diftans de trente verges l’un de l’autre, fur un terrein parfaitement uni. Les trois réfervoirs bouillonnent tour-à-tour : deux de ces jets d'eau ne s'élèvent qu'a la hauteur de cinquante-huit pouces, les baflins en {ont d’une forme irrégulière ; le troifième d'une forme ronde , lance fon eau à 14 HISTOIRE DES PÊCHES cinquante pieds de hauteur; le diamètre de celui-ci eft de huit pieds : ces trois jets d’eau paroiflent être aflujettis à ne s’élancer que l’un après l’autre ; le fpec- tateur eft averti par trois forts bouillon- nemens qui fe font entendre très-diftinc- cement par intervalles, qu'il eft temps de s’écaïter, pour éviter une pluie d’eau bouillante qui lincommoderoit prodi- gieufement. Une pierre, quelque grofle . quelle foit, ne tarde pas à être repouflée & jetée hors du bafin par la à force de lébullition (1). (1) L’Auteur Hollandois n’a pas eu fans doute con- noïflance de la fource du Gcyfer, la plus remarquable de toute l’Iflande, & peut-être la plus extraordinaire de l'Univers. MM. Troil, Banks & Solznder, en ont donné une defcription auffi favante que curieufe; j'ai cru devoir en rapporter le précis dans cette Note, pour inftruire le leéteur & piquer agréablement fa curiofite. « Du côté oppofé (au mont Hécla), la plaine ef » bordée d’une chaîne de montagnes, du pied def- » quelles fortent, par intervalles, des’ torrens d’eau » bouillante. Plus bas, on voit un marais d’une demi- » lieue de circonférence, dans léquel fe trouvent qua- » rante à cinquante fources bouillantes , d'où beaucoup » de vapeurs s'élèvent très-haut dans les nues & s’y » perdent. » » DANS LES MERS DU NoRD. 15 La plupart de ces fources ‘donnent » C’eft dans le centre de ces fources, qu’eft fitué le Geyfér, la plus confidérable de toutes, & qui, par cette raïfon, mérite une defcription plus détaillée. » En avançant vers cet endroit, nous entendimes, à » un quart de lieue du Æuer, encore féparé de nous 2? » par les montagnes , un bourdonnement tel que celui d’un torrent qui fe précipite du haut d'énormes ro- chers. Notre guide , à qui nous demandâmes ce que c'étoit que ce bruit, nous répondit qu’il étoit produit par le Geyfer. Nous fûmes bientôt convaincus de la vérité, ayant devant nos yeux ce que nous n’aurions jamais pu croire d’apres les relations. » La profondeur de l'ouverture , ou tuyau par où l’eau jaillit, ne fauroit être déterminée; l’eau qui remplit le cratère, s’abaifloit par intervalle à la pro- fondeur de plufieurs braffes. En y jettant une pierre, il fe pafloit quelques fecondes avant qu’elle eût atteint Ja furface de l’eau. L’orifice , ou le tuyau eft rond & de dix-neuf pieds de diamètre; les parois & bords qui forment le cratère, ont cinquante-neuf pieds de diamètre, & font formés ainfi que le tuyau, d’une croûte de fhalaétite travaillée ; le bord extérieur du cratère eft de neuf pieds, il eft un pouce plus haut que celui du tuyau. ». L'eau jaillit du Geyfer à pluñeursreprifes par jour ; comme par élancemens & à grands flots; les habitans des environs nous ont,affuré que l’eau monte beau- coup plus haut dans le froid & dans le mauvais temps. Eggert-Olafsen, & d’autres, prétendent qu’elle monte » jufqu’à foixante brafles : il eft très-probable que cette 16 HISTOIRE DES PÈCHES des bains très - fréquentés ; on trouve même des étuves dans plufieurs endroits; il y en a une renommée à Hunfevik, dans la partie feptentrionale ; on en trouve une autre à ZAiofaurholt, près de Skalholr; les vapeurs quienfortentpar plufieurs trous, font chaudes. M. Troil rapporte ; qu'étant dans cette étuve , qui n'eft qu'une cabane en terre, «Il y » fit l’obfervation du degré de chaleur » obfervation n’a été faite qu'à vue d'œil, & que l’affer- » tion eft un peu hafardée. Je doute fort que jamais » l’eau ait été pouflée à cette hauteur, mais je fuis » perfuadé qu'elle s’élève quelquefois plus haut que » dans le moment que nous l’avons obfervée. » Je vais joindre ici une note qui pourra vous faire » plaifir fur la hauteur où nous vimes l’eau s’élancer. » Voici la manière dont nous nous y fommes pris pour » juger de l'élévation. Chacun de nous écrivit à chaque » nouvel élancement, la hauteur où il jugeoit que l’eau » pouvoit s'élever, & nous primes le terme moyen ». ( Ti fuit une table d'heure en heure, depuis fix heures du matin jufqu'à fix heures du foir, avec une defcrip- tion très - détaillée de tous les élancemens faits dans l'intervalle de douze heures : il confte par cette table, que Le plus fort élancement , entre fept & huit heures du matin, porta l’eau à foixante pieds de hauteur ; cet élancement dura fix fecondes ). » de. DANS LES MERS DU NORD. 17 de ces vapeurs. Le thermomètre de » Fahrenheit étant en plein air à $7 » degrés, monta à 93 dans la cabane, » quoique la porte en fut ouverte; & » l'ayant placé dans un des trous d’où » s’exhaloientces vapeurs, 1] monta juf » qu'à 125 degrés ». L'HÉCLA ne le cède ni au Véfuve, ni à l'Etna, n1 à aucun autre des volcans w w connus fur notre globe, par l’énormité de fa mañle , par la violence de fes érup- tions & par la quantité de lave qu'il vomit; peut-être les furpañle- t-il tous par la fréquence de fes débordemens terribles. Cette fournaife redoutable eft fituée au midi de PIfle, à environquatre milles du rivage de la mer : l'Hécla a plu- fieurs bouches ainfi que tous les volcans; fon fommet eft divifé en trois branches; _celle du milieu, la plus haute, s’élève à la hauteur prodigieufe d'environ cinq mille pieds au-deflus du niveau de la mer. : | Horrebow a prétendu qu’il étoit im- poflible de monter jusqu'au haut de Tome I]. B 18 HISTOIRE DES PÈCHES l'Hécla ; Mefieurs Troil , Banks & Solander , ont fait difparoître cette prétendue impofñhbilité. Ces trois voya- geurs franchirent courageufement tous lesobftacles, & atreignirent les fommets de l’'Hécla, le 24 feptembre 1772. Nous leur devons la meilleure relation de lIflande , & la defcriprion la plus com- plette de l'Hécla (1). « À 4 heures 49 minutes du foir, » plufeurs décharges fouterraines fe » firent entendre; elles furent extrème- » ment fortes : elles fe firent entendre » non-feulement près de la fource, mais encore dans la chaîne des mon- » tagnes voifines, & 1l fe fit un élan- » cement. À 6 heures, l'élévation ob- » fervée avec un quart de cercle, fut (1) J'ai cru devoir copier fidellement la defcrip- tion de l’Hécla dans les lettres {ur l’Iflande, traduites en français par M. Lindblom. L’Auteur Hollandois n’a fait que traduire littéralement le texte de M. Troil ; en traduifant la verfion hollandoife , je ferois tombé dans le grand inconvénient de rraduire une Traduéion. ww >) DANS LES MERS DU NORD. 79 de 92 pieds, elle dura 4 fecondes. » Ce dernier jet, qui étoit le plus confidérable , étant fini , l’eau def- cendit très-profondément dans le tuyau, où'elle refta tranquille pendant quelques minutes, au bout defquelles elle recommença à bouillonner, fans monrer cependant plus haut qué jufqu'au bord du tuyau. » La force des vagues qui font monter cette eau, eft très-grande; _non-feulement elles tiennent fufpen- dues en l'air de grofles pierres qui s’élancent par l'ouverture ; mais elles en jettent du fond de l’abime ; con- jotntement avec l’eau , à une hauteur -prodigieufe. » : Voyez les lettres fur l'Iflande , pages 358» 3595 360, 361, 362 & 363. La defcription du Gey/er & fa pofition géo- graphique y font repréfentées sur deux planches, bien propres à ajouter à l’inté- rêt de la defcription des trois eftimables voyageurs. : c« La raifon pour laquelle l’Æec/a, ou B 2 20 HISTOIRE DES PÈCHES % 2 29 3 Hécclasjall, comme l’appellent les Iflandais , eft plus remarqué & plus connu que quantité de volcans tout aufli confidérables , & qui produfenc des phénomènes non moins extraor- dinaires, doit en partie s’attribuer à fes fréquentes éruptions , en partie à fa pofition qui eft telle, qu’on le voit de tous les vaifleaux allant au Groenland & à l’Amérique fepten- trionale. Comme ce volcan fixa plus qu'aucun autre notre attention, je donnerai quelques détails de l’état dans lequel nous le trouvâmes en 1772, le 24 de feptembre. » Après avoir vu plufieurs chaînes de lave , dont le Garde & le Sarnr- Valeyrehraun font les plus confidé- rables, nous continuâmes notre route jufqu’au pied de l'Hécla. Là, nous drefsèmes une tente afin d'y pañler la nuit , & pour que le lendemain nous euflions toute notre vigueur pour monter fur le volcan. Le temps étoit des plus favorables , &, à l’'éruption DANS LES MERS DU NoRD. 21 près , nous eùmes la facisfaction d’y voir tout ce que nous defirions. » L’AHécla eft fitué dans la partie méridionale de lIfle , à quatre lieues de la mer ; la cime en eft divifée en trois pointes , dont celle du mi- lieu eft la plus élevée ; elle eft, d'après d’exactes obfervations par le baromètre de Ram/den, cinq mille pieds au-deffus de la mer. Nous reftämes à cheval jufqu’à la première ouver- ture d’où il étoit forti du feu; mais là, il nous fallut aller à pied. Ce cratère préfente une efplanade entou- rée de hautes muraillescommeglacées; le fond en eft rempli de roches glacées crès—élevées , que je ne puis comparer à rien de cette efpèce que j'eufle vu avant. » À quelque diftance plus haut, nous trouvâmes beaucoup de gravier & de cailloux ; plus haut encore , nous vimes une autre ouverture peu pro- fonde , mais qui s’élargifloit par en bas; nous crûmes y appercevoir des B 3 22 bb) » 22 3 2 23 3 Y 22 >») 23 32 29 +») 33 23 22 32 95 29 39 23 3 2 HisToire DES PÉCHES traces bien profondes d’ébullition d’eau. Lai », AfEZVprès de/hcér. endiqit | 4 montagne étoit couverte de neige, à quelques places près. Nous n’en. découvrimes pas d’abord la raifon, mais en l’examinant, nous trouvâmes que c’étoir l'effet des vapeurs chaudes qui s’élevaient de la montagne. Plus nous avançions vers le haut, plus les places fans neige fe trouvaient fpa- cieufes. À environ quatre cents pieds du fommet , il y a une ouverture de trois pieds de diamètre , d’où {ortoit une efpèce de vapeurfichaude, qu'il n’étoit pas poflible , par aucun thermomètre , d'en connoître le degré de chaleur. » Le froid commençoit ici à être crès-fort : de $4 degrés où étoit, au bas de la montagne , le thermomètre de Fahrenhert, il étoit ici defcendu à 24 : le vent qui fortoit du dedans des nuages, écoit fi violent, que notis étions fouvent obligés de nous coucher par ww) DANS LES MERS DU NORD. 23 terre, crainte d’être renverfés dans d’affreux précipices. » Nousavionsoagné un des plushauts fommets de la montagne , lorfque notre conducteur , qui ne prenoit pas beaucoup de plaifir à cette promenade, entreprit de nous perfuader que cet endroit étoit le plus haut. Nous venions de finir nos obfervations, fuivant lefquelles le baromètre de Rarnfden étoit à 24—2138 , & lether- momètre de Fahrenheit qui lui étoit attaché |, à 27 , lorfque tout-a- coup les nuages fe diflipèrent, & nous apperçumes un fommet encore plus élevé. Sans perdre le temps à délibérer , nous y montâmes, & nous découvrimes de la cime, une efpace de quarante pieds de longueur fur feize de largeur , où il n’y avoit point de neige; le fable y étoit cependant mouillé , les neiges venant de fondre. Nous éprouvâmes en cet endroit tout-à-la- fois, l'excès du froid & de la chaleur. Le chermomètre de B 4 24 HisToirE DES PÈCHES 39 35 92 23 35 35 35 35 35 25 33 33 35 33 35 53 35 53 55 33 + 53 22 35 Fahrenheit , venu en l'air, étoit tou- jours à 24 ; pofé à terre , 11 remontoit a 153 , le baromètre étoit à 21—247, & le chermomètre qui lui étoic atta- ché , à 38. | » Quelque grande envie que nous euflions de refter un peu plus long- temps en cet endroit, il fallut s’en aller. Nous en defcendimes après avoir vu la dernière ouverture; une des parois étoit entièrement écroulée, & l’autre étoirt revêtue de gravier & de cendre. Nous découvrîimes, en defcendant , trois autres cratères confidérables ; dans l’un , tout étoit rouge comme de la brique ; la lave avoit coulé d’un autre, dans un efpace de près de 100 pieds de large : nous en trouvâmes encore un, Mais peu confidérable ; il avoit une ouverture circulaire : il y avoit au fond de celui- ci, une petite éminence ex forme de pain de fucre , comme fi la force du feu qui la poufloir en dehors s'étant épuifée , elle füc reftée en chemin. DANS LES MERS. DU NORD. 215$ » La montagne n’eft point formée de lave , mais principalement de fable, de gravier & de cendres vomies par le volcan avec des grofles pierres, les unes fondues, les autres feulement décolorées par le feu , quoique peu endommagées ; nous y trouvämes de la pierre-ponce de différentes efpèces , & une dans le nombre avec du foufre. La pierre-ponce étoit en général fi brülée , qu’elle étroit légère comme de l’écoupe ; la forme & la couleur de quelques-unes éroient belles ; mais elles étoient fi caffantes & fi foibles, qu’à peine pouvoit-on les tranfporter d’un lieu en un autre. Nous trouvämes de la lave ordinaire , tant en grandes pièces qu’en forme de copeaux, ain que beaucoup de jafpe noir dont les extrémités étoient brulées; ce jafpe reflembloit à un arbre ayant fes branches. Nous trouvâmes aufli parmi les pierres vomies par le volcan, & qui avoient alimenté le feu , de l’ardoi{e rouge ; il peut fe faire qu’elle 26 HISTOIRE DES PECHES »5 n'avoit pris cette couleur que par » laétion du feu. (1). » (x} Voyez la vingt-deuxième lettre fur l’Iflande, Be 137 On trouve dans la vingtième lettre, page 311, une differtation hiftorique fur les volcans d’Iflande, & une table chronologique des éruptions de ces diflérens vol- cans. L’Auteur , fans adopter poftivement l’opinion de ceux qui ont prétendu que la formation entière de toute l’ifle n’eft due qu'aux éruptions des volcans , croit, dit-il, être autorifé à la conferver, tant par la forme voütée qu'on voit toujours prendre aux torrens de lave , que par la connexion probable qui s’y trouve entre lz mer & plufieurs volcans, page 316.— La première éruption , atteftée par les anciens documens d’Iflande, _eft celle de T/dborger Hraun , dans la partie occidentale de l’Ifle , au IXmME, fiècle, immédiatement après l’arri- vée des Norvégiens. Il s’en fit une autre à Oclves l’an 1000, époque à laquelle l’évangile fut prèché pour la première fois en Îflande : on fe doute bien que les payens voulurent en tirer avantage contre les nouveaux chrétiens, & qu'ils voulurent leur faire entendre que c’étoit par cet incendie, que les Dieux manifeftoient leur colère. Le miflionnaire Snorre les confondit, & le chriftianifme s'établit malgré les prêtres des idoles. Les éruptions de l’Hécla, les plus célèbres après cette épo- que , font celles de 1004, de 1029 ; en tout vingt-trois, en diverfes années ; la dernière arriva le $ d’Avrnil 1766 &c continua jufqu’au 7 Septembre de la même année. L’Hécla vomit aufh œuelques flammes en Septembre DANS LES MERS DU NORD. 27 Les éruptions font en général fuivies de défaftres affreux, elles ravagent à plufieurs lieues à la ronde du volcan, tout ce qui fe trouve à la rencontre des torrens de lave. Il y a eu des cantons de trente à quarante lieues de long , où les prairies ont été couvertes de cendres à plus d’un pied d’épaiffeur. Les beftiaux, privés par-là de leur nourriture, périf- foient de faim , & un très-srandnombre contractoit des maladies qui, devenant épidémiques, emportoient la plupart des bœufs & des moutons. Le Kartlecta détruifit en 1755, fix paroiflés entières, en engloutiffant les habitans & leurs demeures ; l’Hecla fit, en 1766, un très- grand dégât dans le pays à plufeurs lieues au Nord-Eft. La vue feule de 1771 À 1772 , mais «elles ne furent fuivies d'aucun défaftre particulier. @’autres volcans ont fait des ra- vages affreux à divers temps dans l’Ifle; les annales confervent particulièrement le fouvenir des éruptions de Myraten, Kattlegia, Reidenaas , Trolledyngr, Jo- kzel , Roidekamb , Oraële , Lielenhend, Hordebred , Tkuisvalla & Krable, 28 HisToirE pes PÊCHES FIflande fuffit pour fe faire une idée de horrible ravage que le feu y a fait. Horrebow n’eft donc pas croyable, lorf- qu'il dit que les éruptions des volcans n'ont eu lieu en Iflande que très- rarement & en très-peu d’endroits. L'idée de quelques naturaliftes qui ont avancé que les volcans d’Iflande & ceux d'Italie avoient une communication , eft abfurde ( 1 ). L’Iflande,quipeut-étren’aété produite toute entière que par le feu, & qui cache encore dans les entrailles de fes montagnes & de fes rochers, des brafiers toujours ardens , toujours en action , ne doit pas offrir un fol propre à nourrir par fes fucs les plantes précieufes dont les femences font la nourriture de l’homme. On ne trouve , en effet, dans toute cette Ifle, ni froment, ni orge, ni pois, ni (1) Voyez les lettres fur l’'Iflande ,| aux endroits cités dans la note ci-deflus ; elles contiennent des par- ticularités très-intéreffantes pour l'Hifioire Naturelle & la Phyfque. DANS LES MERS DU NORD. 29 féves d'aucune efpèce quelconque. Ce- pendant les Iflandois ne font pas entière- ment dépourvus de plantes indigènes, propres à leur fournir une efpèce de pain ; ils cueillent dans les creux & les crevafles des rochers, une forte de mouffé qui, étant defléchée, fe réduit en farine & fert à faire du pain ; cette plante a beaucoup de rapport avec celle que nous connoïiflons fous le nom de Pulmonaria : ils ont encore le Fzoellproes ( Lichen 1flandicus ) , dont ils fe fervent plus communément , & le Korn/yra (Polygonnus-biflorta ; enfin , deux efpèces d'orges fauvages ( Melur ) ( Arundo arenarta 8 Arundo foliorum lateribus convolutrs ). Ces diverfes plantes féchées au feu ou au foleil, fe réduifent facile- ment en farine ; les [flandois en font de petits gâteaux & du gruau. Æorrebow aflure avoir mangé des srofeilles rouges ou un fruit à-peu-près femblable dans le jardin du Gouverneur à Befeftad; M. de K'erguelen révoque ce fait en doute , & il prétend qu’il feroit bien plus difficile 30 HISTOIRE DES PÈCHES de cultiver des Vavers en Iflande que des Ananas à Paris(1). Onnetrouvenulle part en Iflande, des quadrupèdes voraces & carnaciers indi- gènes; on y voit arriver fouvent, fur les glaçons qui dérivent le long des côtes, des ours de toute couleur ; il en eft de noirs, de blancs, de tigrés & de gris ; mais à peine ces animaux ont-ils gagné la côte , qu'on leur donne la chafle, pour ne pasleur laifferletemps de fe multiplier & de s'établir dans l’Ifle; on a grand foin de les détruire tous jufqu’au dernier. Le renard eft la feule efpèce de bête fauve qui foit indigène ; il y en a de différentes couleurs ; on en trouve de noirs , de bleus , de rouges & de blancs; les [flandais s’attachent à les détruire autant qu'ils peuvent. L’appät auquel le (1) Cette réplique du fieur Æerguelen ne me paroit guère concluante contre Æorrebow. Mais l’Auteur des lettres fur l’Iflande révoque aufli en doute l’aflertion d’AHorrebow , & nie abfolument la poflbilité du fait tel qu'il eft énoncé. DANS LES MERS DU NORD. 31 renard fe laifle cromper le plus facile- ment , eft la charrogne. Les Iflandois jettent dans un pré , un cheval mott, ou tout autre gros animal ; les renards ne manquent pas de s’y rendre par bandes trèés-nombreufes ; le chafleur |, caché dans une petite cabane, ou derrière un rocher , à la portée du fufil, ne manque jamais fon coup; 1l arrive très-fouvent qu’il en couche cinq à fix par terre d’un feul coup de fufil. S1 les bêtes fauves font trés-rares en lande , les animaux privés, ceux fur- cout qui rendent des fervices fi importans à l’homme , y font en très-srande quan- tité. On y élève beaucoup de chevaux ;, la race en eft très-petite, mais, en récompenfe , le cheval Iflandois eft trés- vif & porte de fortes charges ; les mon- tagnes en font couvertes , plulieurs de ‘ceux-ci n’entrent jamais dans l’écurie : ces chevaux, à certains égards fauvages, brifent la glace avec leurs pieds, & fe facilitent lé moyen de paître l'herbe qui croit fous ces petites plages glacées. On 32 HISTOIRE DES PÈCHES n’achète jamais de chevaux en [flande ; lorfque les habitans en manquent pour leur commerce, ils envoyent deshommes fur les montagnes , qui vont y prendre ces animaux dans des lacets de corde. Les chevaux de cinq ans, pris ainfi fur les montagnes , font les plus leftes & les plus forts , ils valent beaucoup plus que ceux qu'on élève dans les habitations ; on n’a que la peine de les dompter. On élève en Iflande , de grands trou- peaux de moutons; chaque propriétaire a fes troupeaux particuliers. Dans cer- tains cantons, ces animaux ne fontjamais retirés des montagnes où ils paiffent, pas même dans le plus fort de l'hiver; ona feulement l'attention, au commence- ment de la mauvaife faifon , d'aller cher- cher les agneaux, & de les renfermer dans les étables. Ces petits animaux, encore tendres & délicats, ne pourroient pas foutenir la rigueur des frimats ; ils périrotent par l'excès du froid. Les mou- tons d’Iflande, comme les chevaux, font obligés de brifer les glaces pour brouter l'herbe DANS LES MERS DU NORD. 33 l'herbe dont ils fe nouïiriflent fur les montagnes. Les troupeaux de moutons font une richefle très-précaire pour les Iflandois ; il arrive fouvent que la plu- part de ces troupeaux font perdus dansun moment pour le propriétaire. Lorfqu’il tombe beaucoup de neige par un vent fort, ces animaux, forcés de fe raffem- bler, font entrainés fur les bords des côtes, un fecond ouragan les précipire tous dans la mer. Il arrive aufli que, lorfqu’il tombe beaucoup de neige, & quela gelée fe fait fentirrigoureufement, ces troupeaux fe refferrant , ayant la toifon chargée de neige , ils fe gèlent les uns contre les autres, au point de ne faire qu’une feule maffe ; alors , la neige continuant à tomber en abondance, ces animaux fe trouvent enfevelis fous des montagnes de dix, quinze à vingt pieds de haut : on a quelquefois le bonheur de les en retirer fains & faufs, maisil arrive plus fouvent qu’on les y crouve tous ge- és. Les renards qui, dans tous les temps, les pourfuivent avec acharnement , en Tome II. a de 34 HISTOIRE DES PÊCHES font, dans ces occafions, une curée énorme. Anderfon rapporte un fait fingulier, que M. de Kerguelen confirme parce qu'il lui a été RUE par les Iflandois même. Lorfque les troupeaux font furpris par la neige, & qu'ils font obligés de _refter enfevelis plufeurs jours de fuite, Ja faim les contraint à manger la laine les uns des autres. Les propriétaires retrouvant leurs moutons dans cer état, après la fonte, ont {foin de les faire égorger tous, parce qu’alors, ces ani- maux dépouillés de leur robe , qui eft leur feule reflource contre le froid, périroient infailliblement. La laine des moutons [flandois eft très-belle ; mais, comme par-tout ailleurs , elle diffère en qualité, proportionnellement à la diffé- rence du climat des diverfes contrées du pays. | | Les moutons Hando ne font pas à l'abri del’ Fpilagties elle y fait desravages cruels.;. les années 1759 & 1760 PR tout, He époque à cet égard; ds) DANS LES MERS DU NORD. 3$ quantité de moutons qui moururent cette année , eft innombrable (1). L’Iflande fournit une quantité pro- digieufe de bœufs & de vaches; la race en eft petite , la chair du bœuf a un fumet fauvage ; les vaches y donnent beaucoup de lait qui eft d’un très-bon goût. Lorfque le foin manque pour les nourrir l'hiver dans les étables , on leur donne des arrêtes de poiflon, bouillies dans l’eau (2). On ne trouve dans l’Ifle, d'autre BINIAE que des bécafles & des perdrix ; celles-ci Gi blanches & plus grofles que les nôtres; leurs pieds font garnis d’une (1) On trouve des détails très-curieux fur: l’éduca- tion des moutons en [flande, & fur les différens profits qu'ils donnent aux propriétaires , dans la neuvième lettre fur l’{flande, pag. 110 & fuivantes. (2) Confultez la même lettre ; l’Auteur y entre dais ‘des détails très-intéreflans. Je m’écarterois trop de mon fujet, fi je m’attachois à rapporter toutes ces particu= larités. Les Iflandois élèvent trois fortes de chiens de race différente ; ils commencent à élever aufli dés rennes qu’on y'a tran{portées de Norvège : ils n’élèvent pas de POrss ; ; 1ls ont des chats privés (Se fquxaies ra 36 HISTOIRE DES PÊCHES éfpèce de duvet : les Iflandois leur tendent des lacets, ou les tuent à coup de fufil. ja On y trouve des bandes d’oifeaux de proie ; il y en a de‘différentes efpèces : les aigles , les vautours , les épérviers , les faucons, les hibous , les corbeaux & quantité d’autres oifeaux de ce genre, y font très-communs. Les faucons , fur- tout , y font remarquables ; il y en a de blancs, de cendrés, de gris foncé; ils font plus forts & meilleurs pour la chafle que ceux des autres pays; on peut s’en férvir pendant douze années. Le Roi de Danemark envoie tous les ans en Iflande pour en acheter un certain nombre. Chaque faucon gris coûte vingt-cinq flotins de notre monnoie ( cinquante- trois livres de France ): les blancs coûtent jufqu'à quarante florins. Les oifeaux aquatiques y multiplient prodigieufement ; les cignes , les oies, les poules d’eau, les plongeons, &c. y #ourmillent. Le plus utile de tous, & celut-qui rapporte plus de profit aux DANS LES MERS DU NORD. 37 habitans, eft le canard (l'efpèce nommée EDREDON ); celui-ci donne un duvet excellent , & pond ordinairement trois fois l'an ; les œufs en font excellens. Cet oifeau’s’atrache les plumes pour.en faire un toit à fon nid, afin de le mettre à l’abri du mauvais cemps. Le propriétaire qui a un droit inconteftable à ce nid ,:en retire le duvet, & les œufs quien font couverts ; la femelle qui voit fa première ponte enlevée, fe prépare danslemoment àenfaireunefeconde,& fe dépouille pour la feconde fois de fon duvet ; pour la troifième fois ni le mâle fe. éponilte à fon tour, pour mettre le nid en état de rece- voir la troifième ponte, dont on laifle les œufs : lorfque les pouflins fonc éclos , on vient enlever le duvet. On fait par expérience que fi lon enlevoit la troi- fième ponte comme les deux premières, le couple infortuné déferteroit pour tou- jours les environs de ce malheureux endroit, & iroit chercher ailleurs un afile plus für pour s’y reproduire en liberté : on fait aufli-que les jeunes ne GC 3 38 HisToiRE DES PÊCHES s’écartent guère du lieu où ils font nés, pour s’y multiplier à leur tour. Le duvet des mâles eftinfiniment plus fin que celui des femelles; c’eft le fentiment de M. de K'erguelen qui en a tué plufieurs à coup de fufil , & de a eu occafion par- là , de PES l'un à l’autre. Lapofñition de lIflande eft des plus favorables pour la pêche : fes mers, fes lacs , fes rivières y font très-poiflon- neux ; mais , foit que la population de l'Iflandé ne donne pas le nombre des Pêcheurs néceflaires pour en tirer tout lé’ parti poffible, foit que la pêche ne foit pas affez encouragée , foir enfin que le monopole infuppottable de la compa- gnie de commerce de Danemark dégoüte les Iflandois d’un commerce dont il leur révient fi peu de profit, on peut dire que la pêche de ces Infulaires n’eft, pour ainsi dire , encore qu'à fes premiers élémens ; que les avantages qu'ils en retirent font infiniment au-deffous de ce qu'ils pourroient être avec plus HER & d activité. DANS LES MERS DU NORD. 39 Les flandois font la pêche dans toutes les faifons de l’année fans interruption; le temps le plus propre pour la faire fur les côtes, eft depuis le mois dé mars jufqu’'en feprtembre. C'eft alors que les habitans du centré de l’ifle, occupés ordinairement à pêcher dans leurs lacs, fe rendent fur les côtes pour pêcher en mer. Les Pêcheurs ne s’éloignent jamais de plus de huit lieues du rivage ; leurs bacéaux font trop frêles & crop petits pour les hafarder en haute mer. On prend du Hateng, des Morues , du Turbot de la plus grande efpèce , des Plies , des Soles, des Maquereaux , des Rayes ; tous ces poiffons & quantité d’autres de différentes efpèces , y font beaucoup plus grands que par-tout ailleurs. Lorfque la pêche eft abondante, les Iflandois coupent fur-le-champ les têtes des gros poiflons , & les jettent à la mer pour avoir plus d’efpace dans leurs bateaux , & former une charge plus confidérable. Les femmes qui fe tiennent le long du rivage , s'occupent à évider le C 4 49 HISTOIRE DES PÈCHES poiflon , & à le faire fécher fur le fable & fur les pierres, lorfque le temps eft beau. Les Pêcheurs établis fur les côtes de l’Ifle , ont des hangards appropriés pour fufpendre le poiflon & le fécher a l’air ; il faut au moins quinze jours pour fécher fuffifamment le poiflon au foleil fur le fable , & il faut avoir la plus grande attention de le retourner plufieurs fois par jour. La Morue ( XKabiljauw ) eff le poiffon dont les Iflandois font un plus grand commerce ; c’eft la même - que celle dont les François & les Hollandois font la pêche. On trouve particulièrement en été, fur les côtes feptrentrionales de lIfle, une quantité prodigieufe de Baleines: M. de Kerouelen aflure en avoir vu jufqu’à dix ou douze nageant enfemble à la diftance de quatre lieues de la côte (1). On prend auf (x) Les Mandois diftinguent les Baleines en deux fortes principales, les Baleines fans dents, &les Baleines avec des dents. La première forte fe divife en deux ; celles qui ont le ventre life, celles qui ont le ventre ridé : on en trouve dans celles qui ont le ventre life, de plates DANS LES MERS DU NORD. 41 beaucoup de Saumon dans la mer ; on pêche une quantité prodigieufe d’Alofes dans les lacs ; les Infulaires falent & sèchent ces poiflons,. qui font pour eux fur le dos; ce font les plus grandes, elles ont jufqu'à 200 pieds de longueur; les autres ont une boffe fur le dos , & n’ont que 160 pieds de longueur au plus. Celles qui ont le ventre ridé font en général les plus grandes ; on en trouve qui ont 240 pieds de long. Les Iflandois mangent la chair de toutes ces Baleines , & prétendent qu’elle a un goût fort approchant de la viande de bœuf. | Les Baleines qui ont des dents, font de deux fortes ; l’une dont on mange, & l’autre dont on ne mange pas, parce qu'on prête end que celle-ci fe nourrit de chair hu- maine : les anciens Commandemens de l’églife d'Iflande défendent d'en manger pour cette raifon fous peine de damnation : la fuperftition eft éncore dans toute fa force en Iflande. Les Iflandois prennent la plus petite forte de Baleines avec des filets ou avec des harpons; ils n’ofent attaquer les grandes ;. ils n’ont pas les infirumens nécef- faires pour s’en rendre maîtres ; leurs bateaux font trop petits & contiennent trop peu de monde pour pouvoir en faire la chaffe avec fuccès ; ils s’expoferoient à de trop grands dangers en les pourfuivant en haute mer. S'ils en prennent de la grande efpèce, ce n’eft que, lorfque furprifes fur le rivage par le reflux, elle ne trouvent plus aflez d’eaû pour fe retirer ; alors les [flandois n'ont d'autre peine qu’à les afflommer. Voyez la neuvième lettre fu: l'iflande ; pag. 104, 105 & 106. 42 HISTOIRE DES PÊCHES un aliment ordinaire pendant toute l’an- née. Les étangs & les rivières fourmillenc d’anguilles de route efpèce ; mais les Hire ont pour ce poiflon une rs hkère averfion. La pêche du eau marin eft, pour les Iflandois , une branche de commerce très- Jucrative ; ils en diftinguent quatre fortes différentes : cette pêchenefe fairque dans certaines parties des côtes de l’Ifle,car on n'en trouve pas fur toutes. Les Phoques font très-gras en hiver & très-maigres en été ; les Infulaires en mangent la chair , ils en vendent le lard à un bon prix; il y en a qui donnent, jufqu'à vingt livres pefant de lard. J'ai cru devoir faire précéder ces détails fur les produc- tions de l’Iflande , & fur la nature du fol de cette Ile; je vais tâcher de donner une idée des Iflandois eux-mêmes. T'ous les anciens peuples ont dégénéré aupoint, qu'onferoittenté de douter s’ils ont gagné ou perdu à lacivilifation, dont les plus grandes Nations de l’Europe, fur- tout , fe fonc gloire, même au centre dé DANS LES MERS DU NORD. 43 la corruption des mœurs les plus effrénées. Les Iflandois eux-mêmes ne reffemblent prefque plus à leurs ancêtres ; les anciens Sagas nous repréfentent ces anciens Infulaires, ayant une pañlion caractérifée pour là guerre , & la faifant avec beau- coup de fuccès contre leurs ennemis ; s'appliquant conftamment aux exercices du corps , tels que la lutte , la courfe & lefcrime , & y déployant la plus grande dextérité & la plus grande force; aimant, en un mot, la gloire avec paflion, & cherchant à l’acquérir autant par les belles - lettres , la poéfe , les fciences d'alors , que par les armes. Leur pofition relativement à la Norvége , les expofoit à des continuelles invafions de la part de leurs redoutables voifins , leurs ennemis naturels. Les époques de l’écablifflement de lareligion chrétienne, & de la pertede leur liberté fous Hacan, roi de Norvége, font celles où ces Infulaires commen- cèrent à perdre de leur courage naturel ; leur caractère s’abâtardic, & ils ne furent bientôt plus que des hommes pliés 44 HISTOIRE DES PÈCHES fuperftitieufement fous le joug de la religion & du defpotifme. La religion les forçoit à s’abftenir de la piraterie, & contraignoit leur gout décidé pour les grandes expéditions militaires. (1). Le defpotifme des Rois de Norvége leur avoir Ôté la force néceflaire, pour entre- prendre de grandes expéditions. Depuis ces deux époques , les Iflandois ne donnèrent plusunfeulexemple d’exploits héroïques tranfmis par leurs anciens Sagas (2). Leslflandaismodernesfont d'unetaille moyenne ; ils font d’une complexion aflez robufte jufqu’à l’âge de 40 ans; ils font en général aflez fains : on peut attribuer ces avantages à une éducation mâle , à une vie fobre, & à un travail (x) La dégradation du cara@tère des Iflandois fut plutôt l'effet de l'ignorance &t de la fuperftition de leurs Miffionnaires & de leurs Prêtres, que celui de la reli- gion chrétienne elle-même; celle- - ci condamne fans doute la férocité & l’injuftice, mais elle'ne profcrit ni le vrai courage, ni la noble & jufte ambition des peuples. (2) Voyez la cinquième lettre fur l’Iflande, page 66: DANS LES MERS DU NORD. 4$ continuel & pémible : ils font leftes & bien proportionnés ; leurs dents font très-blanches ; 1ls ont prefque tous les cheveux blonds. Les femmes ne font pas à beaucoup près aufli robuftes, & leur tempérament eft en général foible ; leurs occupations font peu fatigantes ; elles font aflez fédentaires ; elles pré- parent la laine & la travaillent : ce n’eft que dans le temps de la fenaifon qu’elles fatiguent à un certain point. Elles ac- couchent laborieufement , quoi qu’en difent quelques écrivains, qui ont avancé que leurs couches font fi heureufes, que peu d'heures après elles vont fe baigner &creprendreleurs occupations ordinaires. Le témoignage de M. de Kerouelen nous paroît au - deflus de toute exception; voici comme ce Navigateur s'explique. « Dans les différens voyages que j'ai faits en [flande, mon chirurgien a accouché plufeurs Iflandoifes avec autant de difficulté qu'ailleurs, & je fais qu’elles gardent le lit communé- » ment huit jours après leur délivrance; D w Lo v w L°4 JS w 46 HISTOIRE DES PÊCHES » j'ai oui dire que plufieurs meurent en » couches, & que ce malheur provient » particulièrement de ce qu'il n'ya pas » en Jflande, d'habiles fages - femmes » 8 pas un accoucheur qui fache’ fon » métier». Les Iflandois n’ont ni de bons chirurgiens , n1 d’habiles méde- cins ; 1ls y feroient cependant.de la plus grande utilité; car à l’âge de 4säsoans, les Iflandois commencent à reflentir toutes les infirmités de la vieillefle ; ils font fujets alors à diverfes maladies qui abrègent leurs jours : rarement ces In- fulaires atteignent la quatre-vingtième année ; on ne trouve que très- peu de feptuagénaites ; ils meurent prefque tous des maladies de poitrine ; 1ls fonc très-fujets au fcorbut & aux obftruétions qui en emportent une très-grande quan- cité. Une forte de lèpre héréditaire en précipite au tombeau un très - grand nombre : cette maladie défaftreufe-n’eft pourtant pas contagieufe (r).: Quoique . (r) « Les femmes ence pays, comme prefque par- DANS LES MERS DU NORD. 47 les Iflandois foient en général bien conf- titués & robuftes, on ne doit pas être furpris qu'ils parviennent rarement à une vieilleffe avancée; le travail péni- ble & continuel des hommes, la vie fédentaire des femmes en font les caufes naturelles ; les uns affoibliflent leurs forces par trop de travail, les autres n'en acquièrent pas aflez faute d’exer- cice. Les Iflandois ne connoiflent plus aucun exercice de corps, qui, en les ré- créant, leur donne de la fouplefle & développe toutes leurs forces naturelles ils n’ont ni jeux, ni danfe : les hommes font la plupart du temps expofés à toutes les intempéries de l'air, à caufe de leurs pêches continuelles ; les habitans du centre de l’Ifle , ne peuvent fortir de leurs cabanes, fans marcher continuei- - lement dans l’eau, toujours très-froide, parce que routes leurs vallées font | : | » tout, vivent plus long-temps que les hommes ; mais » on remarque que ce font celles qui ont eu beaucoup » d’enfans qui parviennent à un plus grand âge ». Lettres fur l’Iflande, page 274. 48 HisToiRE DES PÊCHES coupées par une infinité de ruifleaux for- més de l’eau de neige, qui, venant des montagnes, charrie continuellement des glaçons. Les Iflandois élèventleurs enfans avec le plus grand foin; ils ne les sèvrent pas plus à bonne heure que chez nous; à deux mois, ils les fortent des langes & leur donnent une culotte & une vefte (1). Ces infulaires confervent encore au- jourd’hui leur ancien coftume, à quelque petit changement près ; le climat dans lequel ils vivent, ne leur permet guère de fuivre le caprice des modes; & leur habillement fans Le pn eft propre & commode. L’habit des hommes a beaucoup de rapportaucoftume des matelots-pêcheurs (x) Ceci eft en contradiétion avec ce que l’Auteur des lettres fur l’/flande rapporte à ce fujet. « Les enfans nouvyeaux-nés ne font nourris du lait » de leur mère que pendant les trois premiers jours » tout au plus: Ces trois jours révolus, on les met au "» lait de vache, &'dans les mauvaifes années, on mêle » ce lait avec de la farine. » page 274. Hollandois. DANS LES MERS DU NORD. 49 Hollandois. Les Iflandois portent aflez généralement du linge ; leur habillement complet confifte en un gilet de drap, une vefte, une culotte de même étoffe, des bas de laine & des fouliers de cuir de bœuf, & plus généralement de peau de mouton ; 1ls portent un grand chapeau à trois cornes, qu'ils tabattent jufques fur les épaules, lorfqu’ils vont à la pèche , pour fe garantir du mauvais temps ; ils fe eouvrent d’un manteau Jorfqu'ils vont en voyage : la couleur du gilet, de la vefte, de la culotte & du manteau eft ordinairement noire. Les Iflandois du nord de l'Ifle ont gé- néralement adopté le blanc. L'habit de pêche eft de peau de mouton, & plus fouvent de peau de veau; dans la pré- paration, cette peau doit être imprégnée d'huile de baleine afin de la rendre aufñi fouple que l’étoffe la plus lésère & néan- moins impénétrable à l’eau. Cet habic particulier ; qui fe mer par - deflus les vêremens ordinaires, confifte en un pan- talon qui monte trés-haut & fortement Tome IT. Ve so HISTOIRE DE PÊCHES ferré fur les reins; un gilet un peu ample, mais fermant exaétement autour du col & bien ferré à la ceinture ; des très- gros bas foulés jufqu’à la confiftance du drap, & des fouliers très-épais : quel- ques pêcheurs ont la culotte, les bas & les fouliers tout d'une pièce; la feule élégance que les Iflandois fe permettent, eft de porter jufqu’à fix rangs de boutons à leur gilet; ces boutons font de métal, pour le commun ; les riches ont des boutons d’or ou d'argent doré. Les Iflandoifes font un peu plus re- cherchées dans leur parure; leurs habits font de drap un peu plus fin que celui des hommes, mais fabriqué aufli dans le pays. Leur habillement confifte en un corfet, un jupon, un tablier & une mante aflez ample par le fond & un peu moins longue que le jupon : les bords & les fonds de ces ajuftemens font bor- dés de ruban, ou de velours; les dames ferrent leur corfet avec des boucles d’ar- gent , de vermeil, ou d'autre métal, à proportion de leur richefle. Elles portent 2 A PE AO _ Es ST ur PRE < r rs centre, F. HR CRrES PRET CE DAME D ISLANDE Spa PERRET Te A L à se > l'A DANS LES MERS DU NoRp. 51 un collier de trois doigts de large monté fur du carton; l’étoffe en eft ordinaire- ment de velours ; il eft bordé d’un petit cordonnet d’or ou d'argent : les Iflan- doifes ont aufli adopté la couleur noire, quoiqu'’elles ne s’interdifent pas abfolu- ment les autres. Leur coëffure eft en forme de pain de fucre, elle a deux fois la hauteur du vifage ; elle eft formée de plufieurs mouchoirs de toile roulés proportionnellement à la forme conique, l'un fur l’autre; ils font aflujettis fur la tête par un mouchoir de foie, dont l'ufage principal eft de garantir du froid. Les jeunes filles ne prennent cette coëf- fure que le jour de leurs noces. Les femmes portent commeles hommes, des fouliers de cuir, attachés autour de la cheville avec des cordons. Elles ont un habit de cérémonie pour le jour qu’elles fe marient; cette parure particulière les expofe à des frais confidérables pour le pays : læ mariée porte autour de la coëffure, une. couronne d’argent doré , deux chaînes D 2 52 HISTOIRE DES PÊCHES au col, l’une pend fur le fein, l’autre fur les épaules ; elles ont une troifième chaîne, au bout de laquelle eft un cœur qui renferme une caflolette remplie de baume, ou de quelque autre parfum(x). Les maifons des Iflandois font fans luxe; elles font fans ornemens; les riches même n ont que les meubles & les uften- files abfolument néceflaires & d’un ufage journalier. On y voit peu de vitres, ce meuble eft trop cher pour la plupart des Infulaires. On les remplace très-fouvent par un parchemin très - délié &c tranfpa- rent ; on fe fert ordinairement de veflies de bœuf préparées. On trouve dans quel- ques endroits de l’Ifle des maifons conf- truites en bois; ce bois ne croît pas en Ylande, mais la mer en charrie beaucoup & en laifle une grande quantité fur le rivage; le pluscommunémentles habita- tions font conftruites avec de la lave, mêlée de moufle dans les incerftices, pour fermer toute iflue au froid. On (x) Voyez la fixième lettre fur l’flande, page 79. DANS LES MERS DU NORD. 53 n’en trouve que peu bâties en pierre; celles-ci font conftruites aux frais du Roi, pour la demeure des Évêques & des Officiers de Juftice; tous les maté- riaux de ces maifons doivent être appor- tés de Copenhague, & coûtent très.cher : le voit eft couvert de gazon rangé fur les chevrons, quelquefois fur des côtes de baleine : les murs n’ont pas plus de fix pieds d’élévation ; la porte d'entrée eft très-bafle ; quelques lucarnes ména- gées fur le toit y donnent accès à la lumière. Ces lucarnes font fermées avec des peaux cranfparentes ; on voit quel- quefois des petites fenêtres vitrées à la chambre à coucher , mais jamais de cheminée ; 1l n'y en a pas même à la cuifine ; on allume le feu au milieu de cette pièce, entre trois pierres, & la fumée fort par un trou pratiqué dans le toit. Les maifons de la partie fepten- trionale de l’Ifle font en général mieux bâties, plus commodes & plus propres; c'eft aufli fur les côtes du nord - oueft , que le bois flotté eft en plus grande P D 3 $4 HISTOIRE DES PÉCHES quantité. Les granges à foin, les étables, les ferres pour le poiflon, &c., font conftruites proportionnellement aux maifons. | Les Iflandois mènent une vie fort fobre : ils fe nourriflent pendant l'été, de têtes de morue, qu’ils font cuire dans de l’eau de mer; le corps de ce poiffon falé & defléché, fait une partie confi- dérable de leur commerce; les rêtes de mouton & quelque peu de viande de bœuf, cuite aufli à l’eau de mer, font leur principale nourriture en hiver : ils confervent les têtes de mouton dans une forte de vinaigre fait avec du petit-lait & du jus d’ofeille ou d’autres plantes fauvages les plus acides : les moutons faifant aufi une autre branche précieufe de leur commerce, ils ne réfervent pour eux que les têtes, parce qu’elles ne font d'aucun débit. Tous leurs mets font apprèêtés au beurre, fans fel & fans aucune forte d’épiceries : en général cependant le lairage eft le fond de ja nourriture de ces Infulaires ; ils la DANS LES MERS DU NoRD.. $s diverfifient de plufieurs manières. Le pain eft très-rare en Iflande; les pauvres ne connoiflent guère que les gàteaux de moufle dont nous avons parlé plus haut; ceux-ci mangent quantité de poiffon defléché. Les riches ne mangent du pain que les jours de feftin, ou lorfqu'ils font en gala; c’eft du bifcuit de Copen- hague, fait avec de la groffe farine de feigle ; 1l eft entièrement noir, & d’un aflez mauvais goût; malgré cela les ri- ches Iflandois le paient très-cher (1). (1) L’Auteur Hollandois me paroït avoir un jeu chargé le tableau de la modicité des alimens des [flan- dois ; celui des lettres fur l’Iflande en fait un détail plus avantageux. Celui-ci affure que ces Infulaires mangent du pain de plufieurs efpèces ; 1l avance même que quelques-uns cuifent chez eux du pain de feigle, dont la farine eft détrempée avec du petit-lait fermenté : ils ont auffi de la farine de Hivelgroes ( Lichen Iflandicus ), & de celle de Xornfyra ( Polygonum Biflortum ), qui font des plantes indigènes, &c. Voyez d’autres détails fur la nourriture des [flandois, lettre feizième, page 264. M. Troil avoue néanmoins que la nourriture & la manière de vivre des Iflandois les empêchent de devenir aufli- forts qu'on pourroit l’attendre de la falubrité du climat, page 274. D 4 56 . HISTOIRE DES PÊCHES Les Iflandois font en général compa- ciffans, humains, hofpitaliers & doux; leurs mœurs font réglées & 1ls n’ont guère aucune de ces pañlions violentes qui font tant de ravages chez les peuples trop énorgueillis de leur civilifation ; les étran- gets font très-bien venus en Iflande & reçoivent par-tout un accueil très-favo- rable. Ces Infulaires font enclins à la parefle, ou plutôt ils font en général dominés par une forte d’infouciance qui leur donne un air de mollefle; ils font un peu méfñans, &c fans être ivrognes de profeflion, ils boivent un petit coup avec plaifir & fe laiflent furprendre quel- quefois par lattrait des liqueurs fortes. Les facteurs des magafins de la Compa- gnie de Copenhague , établis fur les côtes , font un commerce d'échange avecce peuple, quiabeaucoup contribué a les porter à la boiffon : ils leur livrene des eaux-de-vie en paiement de leur poiflon falé, de leurs laines & des autres denrées qu’ils fourniflent à la Compa- ge ; quoiqu'il y ait un tarif réglé entre DANS LES MERS DU NORD. $7 les Danois & les Iflandois pour toutes les efpèces d'échanges; ce tarif eft tou- jours au grandavantage delaCompagnie. Les Iflandois n’ont pas l'air guerrier ; on aflure cependant que le Roi de Dane- matck en a un aflez bon nombre dans fon armée. Ils font excellens matelots ; aufli les Hollandois qui vont pêcher tous les ans fur leurs côtes, en engagent-ils de temps à autre pour fervir fur leurs vaiffeaux. Ce peuple à de l’efprit, il ne manque pas même de génie ; 1l a un goût décidé pour les arts, les fciences & même pour la poélie; 1l cultive parti- culièrement l'Hiftoire & en fait une étude aflidue : 1l aime particulièrement à jouer aux échecs, & y joue très-bien. Les Iflandois envoient beaucoup de jeu- nes gens étudier à Copenhague , & il n’eft pas rare de trouver dans lIfle, ces hommes qui ont bien fait leurs études & qui parlent latin avec beaucoup de facilité. Il y a des Colléges de latinité à Skelholr & à Hoolum ; on y fait d’af- fez bonnes études dans les humanités , 53 HISTOIRE DES PÊCHES pour que les écoliers qui en fortent pour aller à Copenhague, puiflent faire des progrès dans les hautes fciences. La langue Iflandoife n'a éprouvé en- core aucune altération ; elle eft telle qu'onla parloit au IX". fiècle, en Suède, en Danemark & en Norvége ; cet avan- tage eft précieux fans doute, puifque tous les Iflandois , fans exception , entendent encore aujourd’hui parfaite- ment leurs plus anciennes Sagas; aufli favent-ils tous très-pertinemment leur Hiftoire ancienne; plufieurs d’entre eux récitent par cœur leurs poëmes & leurs poéfies fugitives , compofées dans les premières années de leur établiflement dans l’Ifle (1). L'époque de la prédication de l’évan- gile en Iflande remonte à l'an 1000: c’eft au commencement du XI". fiècle, que l’idolâtrie fut abfolument bannie de (1) Voyez fur la littérature [flandoife les lettres onzième & douzième fur l’Iflande , depuis la page 148, jufqu’à la page 202. La lettre treizième fur les veftiges de l’antiquité qu’on trouve en cette File, DANS LES MERS DU NORD. 59 cettelfle. Les anciens Iflandois adoroient Jupiter fous le nom de THOR, & Mer- cure fous celui d'OpIN. Ce peuple ne reconnoifloit que ces deux Divinités. La religion catholique y fur établie fur les ruines de l’idolâtrie ; dans la fuite , Chriftian IIT, Roi de Danemarck, l'y perfécuta, & parvint enfin à la bannir entièrement. La perfécution fut fan- glante ; un Évêque catholique s'oppofa courageufement aux édits du Monar- que; 1l foutint long-temps fon troupeau dans la foi ; il ne l’abandonna que lorf- qu'il eut fignalé fon zèle & couronné fes travaux apoftoliques par la palme du martyre. Après la mort du faint Évêque, le Lutéranifme de la confeflion d’Auf- bourg devint la religion dominante des Iflandois; c’eft aujourd’hui la feule qui {oit fuivie dans l’Ifle. Les Iflandois font un commerce direét avec une Compagnie privilégiée à Co- penhague , moyennant une redevance annuelle qu’elle paie au Gouvernement, elle eft feule autorifée à porter en Iflande 60 HISTOIRE DES PÊCHES tous les effets commerçables pour cette Ifle, & d’en rapporter, pour fon propre. compte , les imarchandifes qu’elle y a pris en échange de fes cargaifons. Cette Compagnie, aufli nuifible aux Iflandois qu'aux Danois, entretient des facteurs &c des magafins fur toutes les côtes que fes vaifleaux viennent vifiter tous les ans ; ainfi les Infulaires font continuel- lement à même de faire l’échange de leurs produétions contre les marchan- difes dont ils font une confommation régulière. Ce débit journalier n'empêche pourtant pas que tous les ans, 1l n'y ait dans les ports d’Iflande, une foire gé- nérale à l’arrivée des vaifleaux de la Compagnie Danoife. Les marchandifes d'exportation en Danemarck , fonc le poiflon defléché , le mouton, le bœuf falé, le beurre, l'huile de baleine, le fuif, la laine grafle, le cuir, des étoftes de laine en pièce, les gilets, les bas, les gants, les peaux d’agneaux & de renard, le foufre, les plumes , le duvet & quel- ques autres articles : les marchandifes DANS LES MERS DU NoRD. 61 d'importation en lande, fout le fer en barre & travaillé , du bifcuit, de la bière, des eaux-de-vie, des écoftes, de la farine, des lignes pour la pêche, des planches , du bois de charpente, du ta- bac, des fers de cheval, de la cloute- rie, &c. Comme tous ces marchés avec la Compagnie, fe font par échange, on ne connoît prefque pas l'argent monnoié dans l’Ifle; les principaux échanges fe font contre du poiflon ; une aune de tabac eft eftimée un poiflon , & c’eft fur ces deux termes de comparaifon que tous les échanges fe font; on peut donc dire en quelque façon, que le poiflon & le tabac font la monnoie courante de l'Iflande, ou du moins l'argent de banque dans lIfle. T1 y a vingt-deux ports affec- tés, en Iflande , pour tenir ces foires anauelles. Ce commerce eft tout au défavantage des Infulaires ; les profits que la Com- pagaie fait fur eux font incalculables. Les Hollandois s’en prévalent ; ils font, avec les Iflandois, un commerce 62 HISTOIRE DES PÊCHES clandeftin ; ils y trouvent un bon béné- fice, même en payant plus cher les marchandifes qu'ils achètent, & en leur donnant à meilleur marché celles qu’ils leur livrent en échange; la qualité en eft même fupérieure à celle des mar- chandifes du Danemarck. Les Hollandois ont fouvent été furpris en faifant la contrebande fur les côtes d’Iflande : il eft arrivé plus d’une fois qu’on leur a confifqué leurs navires (1). Il fe tient cous les ans, une foire à Hraundal-Sretter, où ceux de l’intérieur de l'ffle fe procurent du poiflon & de l'huile de poiflon, pour leur provifion paiticulière; ils donnent en échange du beurre, des draps, du mouton, &c.(2). Le Roi de Danemark , Souverain de (x) La Compagnie Danoife a été fupprimée par une ordonnance du Roi, en date du 30 Mai 1776. On a fait un nouveau tarif plus favorable aux Iflandoïs , & le commerce fe fait aujourd’hui pour le compte de la Couronne , fous la direétion d’un Confeiller d’État. Lettres fur l’Iflande, page 141, Note (4). (2) Voyez la dixième lettre fur l'Tflande , page 141. DANS LES MERS DU NORD. 63 Norvése, left aufi de l'{flande qui doit en être confidérée comme une dépen- dance. Un Gouverneur général qui fait toujours fa réfidence à Copenhague, a la diretion générale de l’Ifle. Elle eft divifée en quatre grands départemens; celuide Sud, celui du Nord, celuideÏ Eft, & celui de lOueft. Ces quatre grandes provinces font divifées en plufieurs bail- liages ; ces bailliages reflortent chacun d’un officier de juftiée placé par le Roi. Chaque Baillia, dans fon petit départe- ment, quinze ou feize hameaux formant chacun une paroifle , & ayant une églife. La Cour fouveraine fe tient à Be/feftad , où le grand Bailli eft le chef de la juftice. Le Roi a placé aufli dans ce lieu un Rece- veur général chargé de la recette des domaines de la couronne , & des droits royaux dans l’Ifle. Ces deux premiers agens du Souverain font comptables au Gouverneur général de lIfle. Deux Évêques gouvernent le fpirituel de l’'I£- lande ; l’un fait fa réfidence à Ska/hok, dans la partie méridionale de l'Ifle, qui 64 HISTOIRE DES PÈCHES forme fon diocèfe particulier ; & l’autre à Hoolum , dans la partie feptentrionale , qui forme aufli l’arrondiflement de fon évêché (1). | | _ (x) Je penfe faire plaïfir au leéteur, en ajoutant à cette defcription de l’intérieur de l’Iflande un partage des terres de cette Ifle, que je trouve dans une table inférée dans la onzième lettre fur l’Iflande, page 22. T{ verra par-là, ce que j'ai entendu par Domaines de la Couronne , quelles font les pofleflions territoriales de l’Églife & du Clergé, la portion des Pauvres, celle des Hôpitaux, &t enfin les poifeffions particulières des Infu- Jaires propriétaires. Cette Table eft intitulée : EXTRAIT DU CADASTRE D ISLANDE. Il réfulte, par le dépouillement, que dans la totalité des dix-fept grands Diftriéts de l'Ifle, | Le Roi y pofsède . . . . .. 718 fermes ouhabitat, Le Siége épifcopal de Skalhoit, 304 Le Siége épifcopal de Hoolum, 345 L'Églife en général . . . . . . 640 Le Clerpé... se . se «ee 140 Les Émerites dû :Clergé . . - Fi Ebpiäuvres 1112.64 . < 16 Les Hôpitaux . ...…. . . 440 Les Fermiers ou les Propriét. 1,847 : Total des Fermes . .:... . 4,059 Il réfulte donc aufh de ce partage très-inégal & peu favorable aux Iflandois en géneral, que le plus grand nombre des Infulaires n'ont pour toute propriété que Cette DANS LES MERS DU NORD. 6% Cette defcription fommaire de P'Tf- lande peut être d’une utilité aflez pré- cieufe pour l’hiftoire du globe , & fur-tout pour l’hiftoire naturelle ; mais, la def cription la plus intéreflante pour la navi- gation , & pour le but particulier de cet ouvrage, eft certainement celle descôtes, des baies , des rades & des ports de cette grande Ifle. C'eft celle que je vais donner, avec un certain détail , d’après les renfei- gnemens de M. de Kerouelen. La baie d’Adelford eft large & pro- fonde ; l’ancrage pour les gros navires n’y eft pas sûr , parce que la côte en eft très-efcarpée , & qu'il faut en approcher de trop près pour pouvoir y jeter l’ancre; les bateaux pêcheurs qui y mouillent, en font fi près , que l'équipage peut facile- ment aller à terre, au moyen d’une leur cabane, & pour richefle, que leur pêche & leur induftrie. Ce régime paroît très-ancien , & rien n’an- nonce encore une infurrettion pour le renverfer & faire rentrer les Citoyens d’Iflande dans les droits primitifs de la Nature & de la Liberté de l'Homme ifolé & errant dans les déferts & fur les montagnes. | Tome II. E 66 HisToiRE DES PÊCHES planche appuyée par un bout fur létan- bord de l'arrière, & par l’autre, fur la côte. | La baie de Dizeford ne le cède nien beauté, niengrandeuràcellé de Zusbaay ; l'entrée n’ofreaucun écueil, & on y entre en toute sureté ; 1l faut feulement faire attention de s’y mettre à l'abri des vents qui foufflent impétueufement des gorges des montagnes. La baie de Patrixford offre ie même inconvénient, Des navires de guerre trouventdansla première un an- crage excellent. Onapperçoitaufonddela baie, deux netits caps en forme de pains de'fucre ; qu'on prendroit de loin pour deux Ifles très-hautes ; ces deux pointes indiquent la baie d’aflez loin en mer. La baie de 7eft-Noorderford eft auf fpacieufe ; l’ancrage y eft tres-bon à l’en- trée à gauche; mais il ne faut pas y mouiller dans le deffein d’y faire ua long féjour; il vaut donc mieux entrer plus profondément dans la baie pour s’y éta- blir plus en sureté. On trouve au milieu de la baie, vingt-cinq braffes d'eau ; on DANS LES MERS DU NoRD. 67 mouille fur quinze à dix-huit brafles, au fond de la baie , & l’on y eft en sureté; l'entrée eft bordée de chaque côté, de rochers ; 1ls ne font pas dangereux, puif- qu'ils tiennent à Ja côte. La baie de P:khol eft trop ouverte, les Pêècheurs & les petits navires peuvent feuls y ancrer ; il faut aller mouiller vis- a-vis le Presbyrère, & fe mettre à l’abri fous la pointe feptentrionale : le fond eft d'un fable très-fin ; on y trouve douze brafles d’eau. La baïe, ou plutôt le golfe de Bo/kbozr, eft peu connue ; les Pècheurs y entrent rarement ; on a afluré à M. de Kerguelen qu'il y a un excellent mouillage au fond de la baie , au-deflus de la maifon du Facteur de la Compagnie Danoife; & que c'eft le meilleur de tous les ports _ d'Iflande pour l’hivernage des navires. La rade de Seerrelbay elt tres-belle ; routes fortes de navires peuvent y mouil- ler en sureté ; on doit préférer l’ancrage de la gauche de l'entrée derrière une pointe; le fond de la rade offre cependant EE 63 HisToire DES PÊCHES le meilleur mouillage, à l'entrée d’une petite anfe qui eft très - remarquable. On reconnoît de loin cette rade , à une coline de fable gris qu’on apperçoit faci- lement de loin. On mouille dans la baie de Rako/, à douze brafles d’eau, fur un fond de fable ; on y eft à l’abri des vents de fud & d’eft ; mais on y eftexpofé aux vents de nord & d’oueft. La rade de Rakbaay eft fpacieufe & bonne ; cinquante navires de guerre peuvent y mouiller fans aucun inconvé- nient , & peuvent y être fort à l’aife. Le meilleur mouillage eft à la partie du fud, tout-à-fait au fond de la baie, à la dif- tance d’un mille de la côte. On y trouve beaucoup de bois , des arbres même en- tiers que la mer y charrie. Le Norpxap eft fitué à la gauche de l'entrée de Bokbaay. On trouve à l’eft du Cap , en tirant du côté du Golfe d'Orsel , un torrent qui va fe jerer dans la mer avec beaucoup de fracas ; c’eftä ce bruit & à l’écume de ce torrent , dont la mer eft couverte, qu'on reconnoît ce DANS LES MERS DU NORD. 69 canton qu'on nomme vulgairement Ïu- talope. On ne trouve dans tout le golfe d'Orselbogt que la baie du Noorderfiord oriental ; une frégate peut s’y refugier ; mais on doit jeter l’ancre à la droite de l'entrée, à deux encablures de la côte, fous les habitations des Infulaires : les Pêcheurs vont mouiller au fond de la baie ; pour y arriver , il faut franchir un banc, fut lequel il n’y a pas plus de onze pieds d’eau à la marée bañle. La mer y charrie beaucoup de bois; 1l s’y décharge une rivière dans laquelle on prend beau coup de Saumon. Il y a une chaîne de rochers à la pointe orientale du golfe, qui fe prolonge bien plus loin que nos cartes hollandoifes ne l’indiquent. À l’eft de ces rochers , eft un archipel de quatre Îles aflez élevées, & qu'on peut appro- cher facilement ; la quatrième eft firuée à l'entrée de X/pbay, on peut y mouiller près de terre , à la droite & à la gauche; il faut feulement prendre garde à un banc placé en travers du milieu de la baie, & qui empêche qu’on puiile louvoyer. E 3 70 Histoire DES PÊCHES L'Ifle d'U/akiland eft fituée à left des quatre dont je viens de parler ; celle-ci eft très - grande, elle a un bon mouillage tout près de la cote occidentale. L’Ifle de Guirs n’en eft pas éloignée ; on peut y jeter l’ancre à la côte méridionale ; on y eft à l'abri du vent de nord ; mais il faut être toujours prêt à lever l’ancre, lorfque le vent commence à fouffler de la partie du fud-eft ou du fud-oueft ; les marées y font très-fortes, & leur direction eft à l'eft & à l’oueft. Le mouillage eft très- bon à la pointe de Roedehoek ; on y eft à l'abri des vents du Sud; on a dix brafles d’eau fur un fond de fable; on y rencontre un rocher qui fort de l’eau , & qu'on peut approcher fans danger. L'ancrage elt très-bon aufli à Bude- man; on y eft à couvert des vents du fud ; mais auffirôt qu’il commence à venter nord, il faut en faire voile, pour n'être pas jeté fur la côte qui eft très- bafle : on courroit rifque d'y échouer. Telles font les baies, tels font les mouillages de loueft & du nord de DANS LES MERS DU NORD. %1I fIflande, que j'ai cru devoir indiquer & faire connoître aux Navigateurs , pour qu'au befoin ils puiflent y trouver des afiles , & échapper aux dangers du nau- frage, toujours imminent dansles mers du Nord. Je vais donner, dans la mêmevue, une notice des mouillages & baies fur la côte orientale de la mème Ifle : je com- mencerai par le fud de la côte de Zanper- nefs , & je la fuivrai jufqu’à fon extrémité. Langernefs eft une langue de terre très-alongée & unie; on la découvre à la diftance de fept à huit milles en mer; elle eft fituée direétement au-deflous du pole arétique. On trouve au fud de cette côte, un bon mouillage pour toute forte de navires & un fond de fable fur dix & quinze brafles d’eau; on v eft à l'abri des vents du nord & de l’oueft. Lorfqu'on y vient chercher un mouillage en arti- vant de la partie de left , on doit direc- tement faire voile à la côte ; fi le venteft nord, on peut mouiller à la portée du moufquet , de la terre , & l'on y eft en sureté ; cet afile eft précieux pour ceux E 4 72 HISTOIRE DES PÊCHES qui cherchent à fe fouftraire au mauvais temps, ou qui ont befoin de boucher une voie d’eau confidérable. On apperçoit en y entrant, des longues perches pofées fur trois ou quatre maifons ; ces perches pa- roiflent être des mâcs de navire : on peut mouiller vis-à-vis; mais 1l eft mieux d'avancer un peu plus loin; & aprèsavoir laiflé à ftribord les maifons, aller jeter l'ancre vis-à-vis d’autres qui font bâties fur le rivage; les Pêcheurs y mouillent à la diftance d’un quart de lieue du rivage ; un navire de guerre pourra facilement y mouiller à une demi-lieue de la côte. Les vents de nord & d’oueft n’y donnent pas 3 mais auflitôt que les vents de fud & d’eft commencent à fouffler , 1l faut fe hâter de fortir de la plage. | Wapenford eft aufli une excellente baie pour les navires de toute grandeur; on y mouille en face des maifons, à dix- huit brafles d’eau : maïs, comme il fe trouve au milieu de la baie deux grands rochers , les grands navires, qu'on ne gouverne pas comme l’on veut, à moins DANS LES MERS DU NORD. 73 que le vent ne foit très-bon, ne fauraient y entrer fans danger. : Zandhoek offre un bon afile contre les vents de fud , pourvu qu'on mouille au fud des cabanes des lflandois établis fur le rivage. La partie feptentrionale de la baie eft remplie de rochers: la petite Îfle de Bonibickeft fituée entre lesdeuxports; on peut facilement lapprocher fans crainte d'aucun écueil. Les petites frégates & les corvettes mouillent commodément à Burgerfiord : on découvre, à la diftance de huit lieues en mer, une montagne qui a la forme d’une bouche de canon ; cette montagne peur fervir à faire reconnoitre la côte; elle eft fituée entre les deux baies dont je viens de parler. Lammerford eft un bon port pour des - frégates ; il faut y mouiller à la droite de l'entrée, vis-à-vis des huttes des Pé- cheurs , à une encablure du rivage, fur dix brafles d'eau. On découvre derrière la baie, une montagne qui a quelque reflemblance avec une couronne. 74 HISTOIRE DES PÊCHES Zuiderford eft une petite rade pour les Pêcheurs ou pourles petites corvettes. Menneford , autre petite rade; elle eft expofée aux vents d’eft. | Buiderklipeft, fans contredit , le meil- leur port d’Iflande ; c’eft une fuperbe rade fermée de tous les côtés ; elle peut recevoir aifément & commodément cin- quante vaifleaux de guerre : tous les vents d’eft en favorifent l'entrée; on peut mouiller dans toute la rade, à vingt-cinq & trente brafles d’eau ; cependant le meilleur ancrage fe trouve au fond de la baie, 1l faut doubler un petit cap de fable, qui de loin paroit rouge, & qui, courant . dans la baie, v forme une forte de coude; c'eft dans ce coude, qui eft dans la partie du nord , que le mouillage’ eft excellent; il y a depuis quinze jufqu’àa dix-huit brafles d'eau ; on peut y jeter deux ancres, l’une en avant & l’autre en ar- rière ; lorfque l’on en jette une à la côte, elle prend très-bien dans le fable. Kolhom eft une baie qui offre de bons mouillages , mais ileft difficile d’yentrer; DANS LES MERS DU NORD. 7s il faut tourner le fud de l’Ifle Schorras, fituée à l'entrée de la baie :1ly a à lacôte feptentrionale de cét Iflot, un rocher prefque à fleur d’eau; ils’étend aflezloin, & rend impoflible la Navigation le long de la côte feptentrionale de certe Tfle. Papeifiord eft une rade ouverte ; l’Ifle de Papei, fituée à l'entrée du port, lui donne fon nom. Prérfierbay & Engelf[che-Bay font deux rades où l’on va mouiller très-rarement; la dernière eft ainfi nommée, parce que les Anglois y entrent très-fouvent. En droite ligne de ces deux baies, & à la diftance de fept à huit milles, eft une roche fort large & plate ; on la nomme Walsbok ; elle reffemble de loin àl’échine d'une Baleine nageant à mi-corps. Les Pêcheurs aflurent qu’on trouve des gouf- fres & qu'on efluie des tempêtes affreufes entre la roche & la côte. Il eft donc aflez probable qu'il y a aufli une chaine de bancs fous l’eau, qui s'étend depuis la roche jufqu’à terre : il feroit très-dange- reux de pafler entre les deux avec un - | 76 HiSToiRE DES PÈCHES gros vaifleau ; cependant les Pêcheurs y paflent fans aucun danger. M. de X'erouelen femble penfer que l'Ifle d'Fnchuizen, que nos cartes placent {ur la même ligne , n’eft autre chofe que la Roche de Walsbok, qui paroît être, par un temps de brume, une lIfle fépa- rée. Cette conjecture eft d'autant plus probable , que cette Ifle n’a été décou- verte que par des Pècheurs peu expéri- mentés en géographie , qui ne favent ni lîre ni écrire, & peu capables de faire des obfervations exactes. Telle eft la defcription abrégée des côtes d’Iflande que M. deKerguelen nous a donnée pour fervir de guide à nos Pé- cheurs & autres Navigateurs, vers l’1/- lande ; elle m'a paru être d’une grande utilité pour notre Navigation vers le nord ; & je crois pouvoir aflurer qu’on peut fe fier aux obfervations de M. de K'erguelen,quiavoittous les talens requis pour faire un excellent & favant Navi- gateur. | - DANS LES MERS DU NORD. 77 D E LA LAPONTE Îl arrive très-fouvent que nos Naviga- teurs, au Spztsberg & au Groenland, font jetés par des tempêtes loin de leur route , & qu’ils font portés vers des côtes qu'ils ne connoiflent pas , ou dont ils n'ont qu’une connoiffance très-impar- faite. Je penfe qu’il n’eft pas inutile de m'arrêter un moment fur des contrées adjacentes aux mers du Nord, & de les indiquer avec quelque détail , aux Navi- gateurs expofés à y être entraînés malgré eux-mêmes. Les côtes de Norvége, fi fréquentées par les Groenlandois , font très-connues aujourd'hui ; je n’en ferai donc pas la defcription. La Zaponie , Finmarken, & le pays des Samojèdes, le font beaucoup moins. Les Navigateurs, dans les mers du Nord , font expofés à être contraints de faire route vers ces contrées ftériles & hideufes : je vais effayer d’en faire con- noître la pofition avec quelque précifion, 78 HiSToiRE DES PÈCHES & de donner une idée jufte du caraère des habitans. La Zaponie | qui fait partie de la Scandinavie , eft fituée entre le 32°. & 43°. degré de longitude, & entre le 65°. & 72°. de latitude, à la diftance d’envi- ron $ degrés fud-eft du Spztsbers, & de 3 desrés de lIfle- aux -Ours ( Beeren- Eyland ).Ge pays a pour limites, à left, la Mer Blanche & la Ruflie ; au fui, la Suède; à l’oueft & au nord, la Norvése, où il eft borné par la Mer Glaciale & la Mer du Nord. Les Lapons appellent leur pays Sameland , ou Samenolmar : les an- ciens géographes qui ne paroiïflent pas s’en être beaucoup occupés , ont défigné la Laponie fous les noms de pays des Cynocéphales, Hymantopodes ; Troglo- dues où Pygmées. Les Suédois, qui les premiers en ont fait la conquête , au XEI°. fiècle ,ontnommé ce pays Laponie : il eft connu depuis ce temps-là fous cette dénomination. La Laponie fe divife en trois parties : la partie orientale eft connue fous le nom ? DANS LES MERS DU'NORD. 79 de Laponie Ruffe ;1a partie méridionale ; {ous celui de Laponie Suédorfe, & la par- tie occidentale, fous celui de Zaponie Danoife ; tout ce pays’eit, eneffer, fou- mis à ces crois couronnes. La Laponie Danoife fait une partie du pays de Drontheim ; la Suédoife fait partie de la Bochnie occidentale , & la Rufle fait partie de l’Archipel de ce nom. La Laponie {e préfente , au premier coup d'œil comme le pays lé plus pauvre, le plus miférable , & le plus dépourvu de tout : il n’en eït pas en Europe de plus froid , & dont la terre foit moins fertile; l'air & le fol en font affreux. On ne dé- couvre dans le pays, que des montagnes dont les fommets couverts de neige n’en ont jamais été dépouillés ; on n’y trouve que des marais qui, à peine dans la plus belie faifon, font dégelés; des ri- vières 87 des petitslacs, aontla jouiflance ne donne ni profit ni agrément. On ne connoît dans la Laponie , ni printemps, ni automne ; l'hiver, qui y dure pendant neuf à dix mois , fait place à l'été, dog 80 HASTOIRE DES PÈCHES la durée ne paffe pas quelques femaines. Si , à la fonte des neiges, on découvre quelques efpaces de terre découverte, ce n'eft que pour y voir une moufle bour- beufe ; jamais l’afpett d’une plante agréa- ble n’y flacte la vue. Tel eft le premier coup d’œil de la La- ponie : mais, quand on examine de près ce pays, on découvre par luiquela nature n’a pas abandonné l’homme à toute la rigueur de l’indigence , & qu’elle lui a fourni , ici comme ailleurs , de quoi fubftanter fa vie, & pourvoir à fes pre- miers befoins. Ces plaines, couvertes de mouffe , pro- duifent néanmoins des plantes & des ra- cines qui fervent autant à la nourriture des hommes, qu’à celle des animaux. Quoique lété y foit très-court , il dure cependant aflez long-temps pour faire murir & donner le temps de récolter les grains que ces terres fontgermer. L'hiver, maloré fa longueur & fon âpreté , ne laifle pas que de donner quelques jours fereins , & de procurer aux Laponois | quelques DANS LES MERS DU NoRp. 81: quelques plaifirspaifbles & agréables. Les rivières font très-poiflonneufes , & le gibier y eft aflez abondant ; il y a même des bêtes fauves en aflez grande quan- tité, dont les peaux fourniflent à l’habil- lement des habitans. La Renne y eft, de tous les animaux privés , le plus utile & le moins à charge; cet animal s'élève , fe nourrit, & pourvoit à tous fes befoins lui-même : pendant lété, 1l pait dans les champs de moufle , & broute la pointe des arbriffeaux ; pendant l’hi- ver , il découvre avec fes pieds la moufle cachée fous la neige & fous la glace , & fe procure ainfifa nourriture. Lorfque cet animal a couru pendant un jour entier , fans s'arrêter, on l’attache pendant la nuit à un arbre , en mettant devant lui un peu de mouffe pour fa nourriture; plus ordinairement on lui donne la liberté de chercher fa pâture lui-même. La Renne, qui reffemble affez bien au Cerf, eft cour pour le Laponois ; elle fait toute fa ri- cheffe ; il fe nourrit de fa chair , il boit fon lait , 1l s’habille de fa peau, & en Tome IT. | F S2 HISTOIRE DES PÉCHES fait un petit commerce qui lui procure de quoi avoir une tente pour pañler l’été ; le poil de Renne fe file, & fert à beau- coup d’ufages dans le ménage ; les os & les cornes fervent au Laponois à fe faire des outils, des uftenfiles , &c. ; il couche fur les peaux de cet animal, & y dort à fon aife. On fait de bon fromage du lait de Renne; en un mor, le Laponois eft riche , à proportion que fon troupeau de Rennes eft plus nombreux : quelques- uns entretiennent jufqu’à mille Rennes : il eft remarquable que chacun de ces animaux , recevant un nom particulier , pour les diftinguer, jamais le propriétaire ne fe trompe & ne confond ces noms; il diftingue & appelle chacun d’eux par le nom qu'il leur a donné. Les Laponois voyagent & tranfportent leurs marchan- difes dans des traineaux reflemblant par leur forme, à des batelets; ces traineaux font impénétrables à la pluie : le Laponois y pratique une petite chambre où il eft à l'abri du froid & des intempéries du cli- mat ; il y attèle fes Rennes, qui courent DANS LES MERS DU Norp. 83 avecune figrande vitefle, même àtravers les bois 8 les montagnes, que l’oifeau ne fend pas l'air avec plus de rapidité : on ne peut fe fervir de ces traîneaux que fur la neige ou fur la glace (1) Les Laponois fe fervent aufli d’une forte de patins qui font très-commodes : le patin confifte en une planche légère, de fept à huit pieds de long , fur un pied de large , elle finit en pointe relevée {ur le devant ; les pieds affujettis fur ces pa- tins, le Laponois, un bâton à la main pour fe donner de l'élan, court fi vite, qu’il pañle a la courfe les loups & les ours auxquels il donne la chafñfe. Les Laponois ont quelque reflemblance morale avec les habitans des autres con- crées de l’Europe ; mais ils ont des rap- ports plus frappans avec les Finlandois. - La Laponie eft peu peuplée; les habitans font tous d’une petite ftature , ils ont la (1) Ona eflayé depuis quelques années d’élever des Rennes en Jflande ; l'épreuve, felon M. Van- Troil, commençoit à réuflir aflez bien en 1772. F 2 84 HISTOIRE DES PÊCHES mâchoire fupérieure plus faillante que les Finlandois ; leur chevelure a plu- fleurs nuances ; les femmes y font bien de figure ; & , au rapport des voyageurs les plus dignes de foi, 1l y a des Lapo- noifes qui pafleroient ‘pour belles dans tous les autres pays de l’Europe. On penfe que les Laponois font originaires de la Finlande. Quoique quelques voyageurs aient rapporté que les Laponois fe fer- voient de dards & de javelots pour la chaffe , il eft certain au contraire, qu’ils n’en connoiflent pas même l’ufage : ils ont des fufls, & achètent leur poudre à Kola. Ils font cuire la viande & le poif- fon pour leur nourriture , 8 ne mangent jamais ces alimens cruds, comme les Samojèdes ; ils ne font pas de la farine d'arêtes de poiflon , comme on la pré- tendu. Les Finlandois, habitans de la Carelie, font les feuls qui en faflent ufage. Les Laponois font une forte de farine , de la membrane déliée qu'ils trouvent fous l'écorce du fapin ; ils en font leur provifion dans le mois de DANS LES MERS DU NorD. 8 mai ; ils la font sècher avec foin, la pul- _vérifent , la détrempent avec du lait, & en font des gâteaux : ils penfent que cette forte de pain eft un excellent anti- {corbutique ; leur boiffon ordinaire eft du lait, & non l’huile de poiffon ,comme on la avancé fans fondement : il eft faux auf qu'ils foient polygames , & qu'ils n'aient égard à aucun degré de confan- guinité , pour fatisfaire au vœu le plus preflant de la nature ; le reproche qu’on leur fait d'offrir aux étrangers leurs femmes & leurs filles, pour en jouir, n’eft pas mieux fondé : ils ont en horreur tous ces écarts contre la pudeur. On les accufe de forcellerie ; tout ce qu’on en raconte de merveilleux, eft avancé fans preuves; 1l y a apparence qu'ils ne font pas plus forciers que ceux qui paflent pour tels dans les pays les plus policés de l'Europe. Quoique la majeure partie des Lapo- nois ait embraflé le Ch:iftianifme, ils n’en font aucun exercice public , & n'en donnent d'autre marque , que le nom F 3 86 HISTOIRE DES PÊCHES qu'ils ont reçu au baptême ; ils font crès- enclins à l’idolâtrie , & ont beaucoup de peine à régler leurs mœurs fur les pré- ceptes de l’évansile. Les Divinités qu'ils paroiflent reconnoître , font Jubmel, le bon Efprit, & Peckel le mauvais ; mais ils en reconnoiffent une intermédiaire, qui eft fon & mauvars tour-à-tour ; ils l'honorent fous les deux noms de Thor & d’Ajicke. Il fuit de-là , que leur religion eltune efpèce de Manichéifme. Du NORDLAND ET FINMARKEN. Ces deux contrées ne diffèrent guère pour la température du climat & pour la nature du fol, de la Laponie, dont je viens de donner une idée fuccinéte ; elles s'étendent depuis le 64°. degré de lati- tude feptentrionale, jufqu’au 72°. ; elles font toutesles deux au nord de Drontheim. Nordland comprend tout l’efpace entre Normendal & Finmarken. Les habitans vivent principalement de leur pêche , de même que ceux de Frrmarken. DANS LES MERS DU Norp. 87 Cette dernière contrée fe divife en orientale & occidentale ; la partie orien- tale touche À l'extrémité de la terre ferme, au nord de la montagne Voordkin, qui eft à dix lieues Danoifes de Nord-Cap & de l’Îfle de ardoë , fituée à une très- petite diftance du continent. La partie occidentale comprend l’Ifle de Maperoë ; c’eft dans certe ffle qu'eft le cap le plus feptentrional de l'Europe, qui, pour cette raifon, eft appelé le Nord Cap. On trouve d’excellens ports tout le long des côtes, & de bons mouillages par-tout ; 1l femble que la nature fe foit appliquée à former les afiles les plus sûrs pour les Navigateurs , dans les contrées les plus effroyables de l'Europe , & fous le ciel le plus rigoureux par l’âpreté de l'air & la fureur des tempêtes. Un navire, battu par les flots foulevés, ou forcé, par quelque befoin, de relàcher fur la côte, y trouvera toujours , quelque temps qu'il fafle , ün port qui le mettra à l'abri du naufrage , & qui lui fournira les moyens de fe radouber, On aborde cette côteavec F 4 88 Histoire DES PÊCHES d'autant plus de sûreté , que les Pêcheurs du pays font tous excellens pilotes, & qu'ils s'avancent jufqu’à deux milles en mer, quelque fort que foit le vent, pour y rencontrer des navires, & les conduire dans un port. Quoique le coup d'œil de: ces côtes foit effrayant , elles ne font ce- pendant pas aufli dangereufes qu’elles le paroiflent : tout le danger eft en pleine mer , & on peut naviguer le long de toute la côte, fans craindre d'accident, par-tout où l’on n’apperçoit aucun brifan. Tout ce que je viens de dire, relative- mentäcesdeuxcontrées, peut s'appliquer aux côtes voifines de Noordland & de Finmarken, de même qu'aux peuplades ui y habitent. Tous ces peuples com- mercent en fuif, beurre, huiles, poif- fons & bois; 1ls ont tous la même façon de vivre. Quelques écrivains nous les ont peints comme des peuples lâches & pulñillanimes ; 1ls les ont mal jugés : ils font au contraire vaillans & courageux ; ils ne craignent nullement de fe mettre aux prifes avec les ours, & de leur livrer LD Lt A, 0 à A À c PQ 29 ax ne PROC ; CAEN SES Kggme., PER Pa NT V7 27/2 LEP sa 2e hfinn 3 LR Lolo NE ’ ak TO rot TU LT g PILE PI tele COMBAT VIGOUREUX 1 DANS LES MERS DU NORD. 39 des combats finguliers ; on les voit atta- quercourageufementcetanimal, d'autant plus redoutable , que la faim le dévore dans ces contrées ftériles; on en voit corps à corps avec l'ours, ouvrir le ventre de l'animal , le cerrafler & emporter fa dé- pouille. N'ayant pour toute arme qu’un long couteau : ils ne le quittent jamais, pas même pendant le fommeil. Il eft vrai que la chaffe de l'ours a aufli fes dangers, & que beaucoup de Chaffeurs, ou furpris par l’animal, ou aflez peu exercés au combat qu'ils lui livrent , fuccombent & deviennent fa proie. DE S:S.A MOT ED ES. Le pays des Samojèdes eft fitué entre le 66°. & le 70°. degré de latitude fep- tentrionale, depuis la rivière de Morene, jufqu’au de-là de lOby; à left, jufqu’au fleuve de Jenifen ; il borde les côtes fep- tentrionalesdela Mer Glaciale, & occupe un efpace d'environ 30 degrés de lon- gueur. 90 HISTOIRE DES PÈCHES Ce'pays a la même latitude que la Laponie & Finmarken ; il n'eft ni plus fertile ni moins froid : il eft habité par quelques hordes ambulantes qui le par- courent d’un bout à l’autre, à mefure que les befoins de la vie fe font fentir, fans fe fixer irrévocablement dans aucun lieu. La narure ne les a pas traités plus favora- blement que leurs voifins. Quelques écrivains ont avancé fans fondement, que les Samojèdes & les Lapons tiroient leur origine d’une fouche commune, & qu'ils écoient frères; M. de Buffon lui-même a été encore plus loin, & ce grand naturalifte a cru que les Lapons, les Samojèdes , les Borendiers & les Zembliens n’étoient tous que des Tartares du Nord, provenant d’une feule race. ÏÎl paroïit démontré que M. de Buffon s’eft trompé, & qu’il atropcompté fur des rapports peu authentiques & adoptés fans examen. Quant aux Zem- bliens, ils n'exiftent pas ; on fait pofti- vementquela nouvelle Zemble n’a jamais été habitée; s’il eft vrai qu'on y ait vu DANS LES MERS DU NORD. 91 quelques êtres humains , il eft très-vrai- femblable que ces infortunés étoient des matelots qui , après le naufrage fur ces côtes défertes, avoient gagné cette terre défaftreufe & inhabitable. Cette conjec- ture devient d’autanc plus probable , que les Ruffes, qui tousles ans vont ä la pêche fur les côtes de la nouvelle Zemble, s’habillent comme les Samojèdes, qu’ils n'ont jamais vu fur ces côtes une feule figure humaine , ni rien qui put leur faire conjecturer que ce pays étoit habité. Pour ce qui regarde les Borendiers, le nom de ce peuple, que M. de Buffon fuppofe exifter dans ces contrées, n’eft pas même connu dans tout le Nord. On place les Zembliens au-defflus de la ri- vière de Morene ; mais cette contrée eft inhabitable pendant la majeure partie de l'année , à caufe de l’infalubrité de l'air; il n’eft pas d'homme qui püc y réfifter. Un navire, furpris fans doute dans cette contrée par le mauvais temps, fut con- traint d’y hiverner: l'équipage, confiftane en vingt-quatre hommes, ayant choifi 92 HISTOIRE DES PÈCHES fur la côte un endroit propre à y attendre le retour de la belle faifon , y périt tout entier; on trouva, l’année d’après, ces vingt-quatre malheureux morts dansieur tanière; on crut qu'ils y étoient morts de froid , mais il eft démontré que les va- peurs qui s’exhalent de la quantité des plantes de mer, & de la moufle putride qui borde la côte, infectent l'air, & lui donnent une qualité peftilentieufe, M. de Kerouelen , obfervateur judicieux , & le plus digne de foi, confirme ce fâcheux événement, & la caufe très-probable de la mort de l’infortuné équipage dont je viens de parler, par un événement ä-peu- près de la même nature qu’il rapporte. Une horde des habitans des bords du fleuve Mérene, alla s'établir a vingtlieues de la côte de la nouvelle Zemble ; ces malheureux, au nombre de vingt, y furent rous attaqués d’une maladie dou- loureufe, caufée par l’infeétiondes brouil- lards infectes qui, s’élevant du côté de la mer, obfcurcifloient l’armofphère ; ils furent tous obligés d'abandonner cet er RUE Le NA 10. LE US | = E = th LLZ WP r net sus 77 7 prie OR EURE RES 8 uns ALL Ur DANS LES MERS DU NORD. 93 établiflement nouveau : il n’en mourut aucun, à la vérité , mais aufli 1l n'y en eut pas un feul qui ne fut attaqué d’une maladie dangereufe , de laquelle ils fe reflentirent touspendanttrès-long-remps, même aprés avoir refpiré un air & plus vif & plus pur. Il eft probable que l’épi- démie , connue fous le nom de Pefle- notre , qui dépeupla lIflande, & qui fit un ravage affreux au Groenland , au milieu du XIV. fiècle , ne fut occafon- née que par l’infeétion des vapeurs mé- phitiques , plus abondantes & plus con- tinuelles qu’elles ne le fontordinairement dans ces contrées. Les Samojèdes font prefque tous d’une taille au-deffous de la médiocre ; ils font forts & robultes ; ilsontlesépauleslarges, les jambes courtes , le pied petit, la tête -grofle, des grandes oreilles, le co! court, la figure applatie, des petits yeux noirs, le nez plac & écrafé , la bouche extraor- dinairemernt fendue, & les lèvres très- minces ; leurs cheveux noirs & épais leur pendent fur les épaules, leur teint eft 04 HISTOIRE DES PÊCHES rembruni , tirant un peu fur le jaune ; ils n'ont prefque pas de barbe, la plupart n'enontpasdutout.La ftaturedes femmes eft parfaitement femblable à celle des hommes ; leurs traits font à la vérité plus fins , elles ont le pied plus mignon ; il n'eft cependant guère pofñible de les dif- tinguer des hommes, au premier abord; outre qu'elles font deflinées de même, elles ne mettent aucune différence dans leur coftume ; leur habillement eft en tout femblable à celui des hommes : les Samojèdes des deux fexes s’habillent de peaux de Rennes , & donnent précifé- - ment la même forme à leur ajuftement. On voit, par-là , combien eft peu fondée Fopinion de ceux qui ont prétendu que les Laponois & les Samojèdes fortent de la même fouche & n’ont qu'une même origine ; ces deux peuples ne fe reflem- blentni parlaftature , ni parleurs ufages, ni par leur façon de vivre : le feul-trait de reflemblance qu'ils aient , c’eft l’ufage qu'ils font l’un & l’autre des Rennes, tant pour leur fervice que pour leur DANS LES MERS DU NORD. 95 habillement : mais cet ufage n’eft pas une marque carattériftique d’une même ori- gine ; il eft néceflité par la difette d’autres animaux propres à faire le fervice des Rennes. La race des Samojèdes & celle des Hottentos , femblent être les deux extrêmes ; en exaiminant avec un œil obfervateur ces deux peuples, on peut fe former une idée affez juite de la grande diverfité d’hommes qui peuplentle globe, dont quelques-uns ne nous font que peu OU point connus. | Les Samojèdes, occupés uniquement à fe procurer le pur néceffaire , font , la plupart du temps, renfermés dans leurs huttes pratiquées dans la terre ,nefortent de leurs tanières , que lorfque la faim , ou quelque autre befoinles prefle. Les Samo- jèdes ne connoiflent ni vertus, nicrimes; le larcin & le meurtre font abfolument inconnus chez ce peuple ; l'extrême fim- plicité dans laquelle le Samojède vit, le rend inacceflible aux grandes pañlions, autant pour le bien que pour le mal. Cependant on peut conclure, ce femble, 96 HISTOIRE DES PÊCHES par certains craits de leur vie privée, que les Samojèdes font naturellement portés à la vertu , & qu’ils aiment la juftice ; fi quelquefois ils fe livrent à quelques écarts, ce n’eft jamais que lorfqu’on les irrite par de mauvais procédés, & qu’on les force à la vengeance par des traite- mens capables d’enflammer leur reffenti- ment. | Le Gouvernement de Mofcovie, en- voya, en 1595, un Cofaque à la tête d’une petite troupe armée, pour s'empa- rer du pays des Samojèdes : ce conqué- rant remporta une victoire facile ; ce peuple ne fit pas la plus petite réfiftance , & le Cofaque prit poffeflion de cette con- trée , au nom du Czar, fon maître. Inurilement les Empereurs Mofcovites ont eflayé d'introduire le Chriftianifme chez les Samojèdes ; inutilement ils ont envoyé des miflionnaires pour prêcher l'évangile à ce peuple ; leur zèle & leurs efforts ont toujours été fans fruit ; la fuperftition & l’idolâtrie ont toujours fait le fond de la religion des Samojèdes ; comme DANS LES MERS DU NoRD. 97 éomme leurs voifins, ils ont toujours cru & croient encore à deux principes, l’un bon & l’autre mauvais ; ces deux divini- tés reçoivenc tous leurs hommages. On parvintenfinà éterminerquelques Samojé les À fe laifler conduire à Mo/f- couw : arrivés dans cette capitale de l'Empire Rufle , ces bonnes gens furent émerveillés de cout ce qu'ils y virent ; ils prirent l'Empereur pour un Dieu, lorf- qu'ils le virent environné de tout l’éclat & de toute la pompe royale ; ils fe fou- mirent fans réhiftance à lui payer annuel- lement un tribut de peaux de Maïtres & de quelques autres fourrures; mais, l'amour & le préjugé pour leur patrie, refteront toujours dans toute leur force ; les agrémens de la vie, le luxe , les com- modités , les richefles, les fpeacles , rien, en un mot, de tout ce que Mo/couw leur offroit d’attrayant, ne fit aflez d’im- preflion fur ces hommes de la fimple nature , pour les obliger à préférer le féjour de Mofcouw à celui de leur âpre & ftérile contrée. Ils répondirent au Czar Tome IT. G 93 HISTOIRE DES PÊCHES même, avec cette fimpliciré naive qu? caractérife l’homme que les pafions n’ont pas encore dégradé, qu’ils n’abandonne- roient jamais leur pays, pour en habiter . un autre : « Si votre Majefté, lui dirent- » ils, avoit une idée des beautés, & dela > falubrité de l'air de notre patrie, elle ne JS » balanceroit pasun moment avénir fixer » fa réfidence parmi nous, & Mofcouw >» n’auroit plus aucun attrait pour vous ». Tel eft le cableau de l'Affande , de à Laponie , de Finmarken & du pays des + Samojèdes , que j'ai cru devoir tracer avant d'entrer dans l Hiftoire générale du: Groénland. Cette feconde partie de l’ou- viage que je traduis, dégagée ainfi ce toutes les digreflions dont il m’auroit été! impofible dela débarraffer, en fuivantla divifion & l’ordre desmatièresdel’Auteur Hollandois, n’en fera que plus intéref- fante. Une narration fouvent interrom- pue par des incidens, devient faftidieufe,. parce que prefque toujours elle détourne &c fatigue l'attention, & qu’elle fait per- dte la liaifon & l’enchainement des faits. ILE DE JAMES 4 AU NORD DE L'AMERIQUE jnl£ F2 de Dyers j >> S Î > } UN A à, Ppelal À AR sit VE 2 “| ss À Bay e der ; ae de Jvart Fogel 4 j A, =] Baye de ZFyyp ,z è Ÿ x R ae 0! S — > L/ L' as Bal “à Ÿ Née 4 N Z'aur C EL: à | N er Let L 72 LAS SŸ [| = N L de loue PTT NI EN auage È S À Montagne Kelerh 2 Ÿ Pancrg ES $ (| CAL £ ; ÿ € Hélas + TZ Jauvaoe SE, | Q Ÿ + SS | Trou du No) É où Banc Sg [l 64 Holrlinburg 17: ÈY j Cercle Arctique orenAmnes C. Colonieetableens17559 4 Goberme 7 Mento, Wonfc/ Baye dE. 1 HT “Pointe de Def Gorthoop Bonne Esperancei® 15 ét TEA Ju Hoeh Lei ontpéri 3 Hambour geo" à 4 ; aruik Vorland etz Hollandais Le 30 RS Y7 7 Warih Le EE Kélinr : € Cnfert € Chrétie Gp = lrabeth Fértant Z de Fréterii ul» j "=. 4 # L de Dearolahior Kg. ET = KA 4 tr: de For bière NOUVELLE CARTE pv VIEvx 27 NOUVEAU GROENLAND ET DU DÉTROIT DE DAVIS, 10 15 à, Mille EZZ lemagne:15 au degré. chaque millede ctng güar tr dhure ét 5 mimutes Premier Méridan par le Pie des Canaries : ÆEcueil caché L° d'une Pan e Sauvage = Baye de Joris = DANS LES MERS DU NORD. 99 ÉCOLE D Cod CA PE T'ES CNE DU GROENLAND. L'Histoire du Groenland ne peut êtreque très-imparfaire,ellelaiffe encore beaucoup à cefirer ; cette contrée n'eft pas affez connue, & il eft très-doureux qu’ellele foit jamais mieux. Il eft bien dif- ficile d'écrire l’hiftoire d’un pays qui n’of- fre prefque aucun de ces monumens h1f- toriques qu'un écrivainjudicieux emploie avec difcernement ; la difficulté fe fait fur-tout fentir par rapport au Groenland: ici tout paroit manquer ; monumens , traditions , relations anciennes avec d'autres peuples connus; en un mot, . les conjeétures même ne peuvent étre appuyées fur aucun fondement médio- crernent folide. Que peut-on favoir de certain, en eftet, fur l’origine & fur l'antiquité d’un peuple, placé à l’une des’ extrémités du globe , fur un terrein dont G 2 100 HISTOIRE DES PÊCHES l'intérieur eft impénétrable, peut-être inhabité aujourd’hui , dont l'étendue eft encore indéterminée , dont les limites au nord font abfolument ignorées , dont la plupart des côtes font inconnues & inac- cefhbles , dont le fol laifle encore à devi- ner s’il forme un vafte continent, ou s’il eft coupé par plufieurs détroits qui, le divifant en plufieurs Iles, font du Groen- land un archipel, moins agréable, à la vérité , que celui du levant, mais plus vafte que tous ceux que les Navi- gateurs les plus habiles ont découverts jufqu'à ce jour dans routes les mers connues ? On diftingue communément le Groen- land en Jeux & Nouveau : cette diftinc- tion ne porte que fur la différence des épo- ques, auxquelles la côte orientale & la côte occidentale ont été découvertes. La côteorientale eft défignée fous la dénomi- nation du Ÿ’zeux Groenland, parce qu’on la croitla première connue. C’eft decette partie, prefque abfolumentinconnue au- jourd’hui, par l’impofñlibilité de l’aborder DANS LES MERS DU NORD. 101 dans la majeure partie de fa longueur, que je vais eflayer de tracer l’'Hiftoire, dans ce chapitre : ce que je vaisendire, .ne doit être confidéré que comme une introduction à l'Hiftoire des Groenlan- dois modernes. Tous les Auteurs qui ont écrit fur la première découverte du Groenland , fe font fervilement copiés, & je me vois dans la néceflité indifpenfable d'adopter : ‘leur Hiftoire , faute de guides plus surs que ceux qu'ils ont fuivis eux-mêmes. Deux chroniques Danoifes, l’une en ver ê&c l’autre en profe, tels font les garants uniques de tous ceux qui ont écrit fur le Vieux Groenland. On fent combien il faut fe méfier d’une Hiftoire écrite en vers , & combien , par conféquent, doit être fufpe“t le Poëme Danois fur Pori- oine & les hauts faits des premiers Groenlandois , connus & découverts par les {flandors , ou parles Norvégiens, leurs plus proches voifins à left. Le merveil- leux , le héroïque , fond inépuifable des poëmes épiques , enfeveliflent toujours G ; 102 HISTOIRE DES PÊCHES la vérité fous un tas de fables, qui, pour l'ordinaire , ne laiflent qu’un efpoir bien foible de l’en démèler & de l’en dégager, pour la reproduire dans toute fa pureté. S'il exifte encore fur la côte orientale du Groenland , quelques-uns des monumens hiftoriques dont il eft fait mention dans les deuxchroniquesDanoifes, ils fontinac- ceflibles, & la tradition des Groenlandois établis fur les côtes de l’oueft , n’eft pas unereflource bienaffurée pour fe procurer des renfeignemens certains {ur l’origine & les mœurs antiques de leur nation : les Groenlandois de l’oueft font encore dans un état de rufticité complette. L'origine des peuples les plus policés , n’eft-elle pas encore , dans ce fiècle de lumières, un myftère que nos écrivains d’un mérite le plus diftingué n’ont pu dévoiler ? Mal- gré l'abondance des monumens antiques & en tout genre, qui font pour ain dire fous la main, eft-on encore parvenu à dégager l'Hiftoire d’un feul peuple de l'Europe , de tout le merveilleux & le fabuleux qui nous en dérobent la vraie DANS:LES MERS DU NoRD. 103 origine? Ils nous laiffent dans une pro- fonie ignorance fur fes mœurs, fur fes coutumes, & fur fa police primitives. La rufticité du Groenland, & l'ignorance crafle de fes habitans, ne laiflent pas même la foible reflource des conjeétures aux voyageurs qui voudroient acquérir quelques connoiffances moins vagues fur la première découverte de cette contrée, & fur le caraëtère de fes premiers habi- tans. Îl faut donc fe contenter des lam- beaux de l’Hiftoire du Vieux Groenland, que quelques Voyageurs , ou Compila- teurs , ont puifés dans la même fource. Il en eft des relations des voyageurs comme des monumens hiftoriques de la plus haute antiquité : il ne faut mi les rejeter abfolument , parce qu'ils ne portent pas un caradère évident d’au- thenticité, & qu'ils ne peuvent foutenir l'épreuve de la critique la plus févère, ni les admettre tous indiftinétement, & les employer fans difcernement. Je tâcherai de marcher entre ces deux écueils , & de les éviter tous les deux, G 4 104 HISTOIRE DES PÊCHES pour approcher autant que pofble de la vérité, en efquiffant le tableau du Vieux Groenland. | La côte orientale de cette vafte con- trée , n'eft plus abordable au-deflus du Promontoire de la Diftorde ; on ignore donc aujourd’hui l’état où elle fe trouve : c’eft cependant celle-là qu’on aflureavoir été découverte la première, c’eft celle-là qui reçut les premières Colonies Norvé- giennes ; c’eft fur celle-là que furent conftruits les premières habitations & les premiers édifices publics ; c'eft enfin fur cette côte que les miflionnaires Chré- tiens abordèrent, & qu'ils prêchèrent l'évangile aux naturels du pays avec afflez de fuccés | pour y fonder diverfes égclifes , & y établir divers monaftères pour les cénobites des deux fexes. Tous les Auteursquiontécrit{furle Groenland, s’accorcent fur les faits principaux : ils conviennent tous que la côte orientale du Groenland a confervé , pendant plu- fieurs fiècles , des veftiges fenfibles de population & de chriftianifme ; les ruines DANS LES MERS DU NORD. 105$ des habitations, des églifes & des monaf- cères ont attelté pendant long-temps ces deux faits. En quel temps cette côte a- t-elle été découverte ? Les écrivains va- rient fur cette époque : en quel temps a-t-elle été abandonnée ? quelle a été la caufe de cet abandon ? C’eft ce qu’on ignore abfolument. L’Auteur Hollandois que je traduis, a particulièrement adopté le fyftème de M. Mallet fur la découverte du Groen- land ; cet Auteur François l’a développé dans fon introduétion à l’Hiftoire du Da- nemarck. Le fyftême de M. Mallet eft précifément le même que celui de l’évêque Eggede ; La Peyrere n’a tra- vaillé que d’après le même Prélar, & David Crantz, Auteur Allemand, ne paroît pas avoir eu de meilleurs renfei- _gnemens. Voici à quoi fe réduit tout ce que ces Auteurs ont écrit fur la première découverte du Groenland. Torwald:, Genuilhomme Norvégeois, brilloit à la Cour du Comte avez, au- tant par fa dépenfe, que par la faveur 106 HisTOIRE. DES PÊCHES dont il jouifloit auprès de fon maître : il eut le malheur de tuer, dans un combat fingulier , un Seigneur de la même Cour, dont les parens eurent aflez de crédit pour le faire difgracier & l’obliger à quitter le pays. Il y avoit à peu près un fècle que l'Iflande avoit été découverte; Torwald fut s’y réfugier pour fe fouf- craire aux pourfuites de fes ennemis : il emmena dans fon exil, Æric fon fils; celui-ci devint fameux par la fuite , & fut furnommé le Rouge. Torwald mou rut bientôt après fon arrivée en [flande; le fils en héritant des biens de fon pére, hérita aufli de fa bravoure, peut-être de fa barbarie ; du moins il fe vit contraint de venger un affront perfonnel qu'un de fes voifins lui avoit fait. Comme fon père, 1l tua fon adverfaire, comme lui il fut obligé de s’expatrier & de chercher ua afile hors de l’Iflande ; il en étroit banni pour trois ans. Eric apprit qu'un nommé Gunbivern avoit découvert quel- ques Jfles à l’oueft de l’J/lande, & qu'il avoit apperçu plus loin, une côte d'une DANS LES MERS DU NORD. 107 vafte étendue : Eric prit fon parti, &, ac- compagné de deux ou trois Iflandois qui s’attachèrent à fa fortune, il partit dans le deffein d'aborder la côte que Gunb:- vern avoit découverte. Son entreprife lui réuflit au gré de fes defirs, &z après une courte & heureufe navigation, 1l découvrit le cap Herjois, le plus avancé de la côte orientale. Il ft voile direc- tement fur ce cap, & le doubla fans accident; il longea la côte vers le Sud & jera l'ancre dans la baie d’une Ifle qui lui parut agréable ; 1l y defcendit &z s’ar- rangea pour y pafler l'hiver; il donna fon nom à la baie, connue encore au- jourd'hui fous la dénomination d'Erics- Fioerd ; elle eft fituée à l’entrée d’un détroit, nommé auf Ercs-Sund. Eric plus encouragé que jamais à faire la découverte du continent qu'il avoit cotoyé pour arriver dans fon ÎJfle, remit à la voile au commencement du PARTS 1l rangea la côte d’affez près pour s’en former une idée aflez précife ; ; elle lui parut couverte d’une agréablè 108 HISTOIRE DES PÈCHES verdure, & lui donna le nom de Groen- land ( Terre-verte). Toute cette vafte contrée a retenu ce nom jufqu’à ce jour. Eric examina le pays avec beaucoup d'attention ; 1l le crut propre à recevoir des Colonies, & il forma le deffein d'y mener la première aufitôt que les trois ans de fon bannifflement feroient expi- rés (1). Revenu en [flande, ÆErc fitune peinture fi agréable de fon nouveau monde, qu'il réufit facilement à trouver des Colons. Il exagéra la beauté de cette contrée , la fertilité des plaines, lim- menfe étendue des pâturages , l’abon- dance du poiflon & la richeffe à laquelle la Colonie parviendroit infailliblement, par les nombreux troupeaux qu'il étoit facile d'y élever & d'y multiplier. Il per- fuada facilement : il employa unanafaire (1) J'ai fuivi ici la verfion de Crantz ; M. Mallet dit feulement qu’Eric revint en Iflande quelques années après fon départ, & qu’il réuflit à perfuader à quelques Tflandois de le fuivre pour aller s'établir fur le continent qu'il venoit de découvrir. Eggede fait revenir Eric en Iflende, une année après {on départ. DANS LES MERS DU NORD. 109 les préparatifs de fon voyage ; il chargea vingt-cinq navires de tranfport fur lef- quels il mit un très-grand nombre de Colons; il les fournit, à fes dépens, de tous les uftenfiles de ménage , d’un grand nombre de beftiaux de toute forte, & de vivres fuffifans, tant pour la tra- verfée, que pour fe fubftancer dans les premières femaines de la colonifation. Eric mit à la voile & conduifit lui-même fa Colonie à la nouvelle terre promife ; il eut le malheur de perdre onze navires dans le trajet, & arriva feulement avec quatorze au Groenland. On n’eft pas d'accord far l'année de la découverte du Groenland ; on la place communément, fur la foi d’une chro- nique d’Iflande, à l’année 982 de l'ère chrétienne. Cette chronique eft de Sonorro Sturlefen , qui vivoit en 1215, & qui pafle pour le meilleur Hiftorien du Noïd , 1l étoit Grand Juge d'Iflande fous le gouvernement des Rois de Nor- vége. Thormoder Torfaeus, naufd’Iflande & Hiftoriographe du Roide Danemarck, 110 HISTOIRE DES PÈCHES a fuivi cette chronologie dans fon ou- vrage , intitulé Groenlandia antiqua. Eggede, Cranrz, La Peyrere, & mon Auteur Hollandois l'ont aufli adoptée. Pontanus , dans fon Hiftoire du Dane- marck, & Claudius Chriftopherfer , plus communément Ly/candre , Auteur de la Chronique Groenlandoife en vers Danois , placent cette découverte à l'année 770; certe différence eft confi- dérable, puifqu'il s’en fuivroit que cette découverte auroit été faite 212 ans plu- toc. Ce dernier fentiment paroît appuyé fur une autorité refpettable ; les anti- quités de l’Iflande ne paroiflent pas le contredire ; & une bulle du Pape Gré- goire IV, de l’année 835, lui donne un très - grand poids ; le fouverain Pontife ladreffe à l’'Évêque /7/garius (Anfcher), ommé à l'évêché de Hambourg , par l'Empereur Lours le Pieux ; le Pape re- commande particulièrement au Prélat les mifions de l’{/lande 8& du Groenland, & la propagation dé la foi dans ces deux contrées fpécialement nommées dans la DANS LES MERS DU NORD. rrr bulle. Il faut, pour détruire cette opi- nion, nier l’authenticité de la bulle du Pape Grégoire IV. La Peyrere rapporte, fur la foi de M. Gunter, Secrétaire du Roi de Danemarck, avec lequel:il étoit fort lié, qu'il exiftoit de fon temps, dans les archives de l’archevêché de Brême, uné vieille Chronique manuf- crite , dans laquelle étoit une copie de la bulle qui conftitusit l'archevêché de Brême Métropolitain de tour le Nord, & nommément de la Norvége & des Ffles qui en dépendent, telles que l//- lande & le Groenland, qui y font expref- fément nommées. Cette bulle éroirdatée avant l'an 900. Il y a apparence que cetté dernière bulle dont parle Za Peyrere eft la même dont Pontanus & Lyfcandre s'autorifent. _ LaColônieGroenlandoïife eut d’abord’ le même fort de routes les nouvelles: plantations ; elle fut foible dans fa naif- fance | & ne parvint à uh état plus floriffant , que far les foins, la vigi- lance & les grands moyens d'Eric, fon 112 HISTOIRE DES PÊCHES fondateur. ZLeyfe, fils d'Eric, aufi zélé que fon père pour l'avancement de fa Colonie , fit un voyage en Norvége dans le deffein d'obtenir du Roi, Olaus Try- guefon , des fecours proportionnés à fes befoins, pour faire fleurir & étendre fa Colonie. Le Monaïque le reçut avec beaucoup de bonté, & le tableau que Leyfe fit à Olaus de la contrée qu’il vou- loit peupler de plus en plus, détermina le Roi à fe prêter aux defirs du Groen- landois. Olaus avoit embraffé le Chrif- tianifme depuis peu de temps, ilen étoit devenu un des plus ardens apôtres; Leyfe Jui fournifloit une trop belle occafion de faire des profélytes à la foi, pour qu'il la laiffât échapper. Il conçut le projet d'établir une Mifion au Groenland & de fe fervir de Ley/e lui-même pour faire réuflir ce pieux deflein. Olaus le retint pendant tout l'hiver à fa Cour; 1l vinc à bout de lui perfuacer de fe faire inftruire, & Leyfe reçut le baprème quelques mois après fon arrivée en Norvége. Le Prince lui permit de-partir au printemps pour retourner DANS LES MERS DU NORD, 113 retourner au Groenland ; il lui donna un Prètre pour l'accompagner: & pour le fortiñier dans les principes de l’évan- gile qu'il venoit d’embraffer ; il lui re- commanda fur-tout de favorifer de tout fon pouvoir, l’établiflement du Chrif- tianifme dans ce nouveau monde. Eric ne fut pas peu furpris de voir arriver fon fils convertit à la religion Chrétienne ; 1l fut d’abord très-fcanda- lifé que Leyfe eut abandonné le culte de fes ancêtres, & qu'il eüt préféré la Croix, aux Dieux de fon pays. Leyfe & le Prêtre qui l’accompagnoit, réuflirent bientôt à appaifer Eric ; le Mifionnaire vint à bout de faire gouter les maximes de l’évangile au chef de la Colonie ; il lui préfenta les myftères de la foi avec ce zèle & cette onction qui réufliflenc prefque coujours à les faire adorer. Ærrc demanda le baprème, & dans peu, toute la Colonmie devint Chrétienne. Leyfe devint lui-même le coopérateur le plus zélé & le plus utile du Miffionnaire ; par fes foins, le vrai Dieu reçut feul , Tome IL. H 114 HISTOIRE DFS PÊCHES dans la Colonie, les hommages qui ne font dus qu’à lui. Le Chriftianifme fit des progrès dans la Colonie à proportion qu’elle- même devine plus peuplée & plus floriffante ; avant la fin du X°°. fiècle, on comptoit déjà plufeurs églifes dans ce nouveau monde : un évêché fut érigé à la Garde, petite ville nouvellement bâtie; elle fut bientôt la capitale du Groenland, & les Norvégiens en firent le centre du com- merce avec les Groenlandois ; ce com- merce a fleuri pendant longues années. La population augmentant rapidement, on penfa à jeter les fondemens d’une feconde ville ; elle fut bientot peuplée ; on lui donna le nom d’4/6e : on y érigea un monaftère à l'honneur & fous l’invo- cation de Saint Thomas. La Colonie profpéra d’un jour à lau- tre fur la côte orientale, elle fut bien- côt en état de fournir de petits détache- mens pour s'étendre dans l’intérieur du côté du fud, & enfin de fe propager juf que furla côte occidentale. Le Groenland DANS LES MERS DU NORD. 115$ fut ainf divifé en deux grands Diftrids, celui de left ( Offer-Biod), & celui de loueft ( Vefler-Bigd). Selon Cranez , le fils d'Eric le Rouge , ambitionnant de fe rendre fameux par quelque découverte importante, entreprit de faire celle de la côte de l’oueft. Il découvrit une terre à laquelle il donna le nom de Wyr/and (pays à vin), & y fonda une Colonie. Crantz ajoute, que le frère de Leyfe pourfuivic la découverte & la pouffa fort avant le long de la côte occidentale. Quoi qu'il en foir, 1l eft conftant que les Groenlandois s’étendirent aflez fur les deux côtes, pour y faire un commerce étendu avec leur mère-patrie , l’{/lande, & avec la Norvége fur-tout, qui elle- même avoit fournit à la population de l'Iflande. Les Groenlandois reconnurent la fou- veraineté des Rois de Norvége, ils fe foumirent à leur payer un tribut annuel; ils voulurent s’en affranchir en 1265; leurinfurreétion ne réuflit pas, &1ls ref- cèrent foumis jufqu’ent 348. Cetreannée H 2 116 HISTOIRE DES PÊCHES fut fatale au Groenland comme à tous les autres pays les plus feptentrionaux ; ils furent tous dévaftés par une affreufe épidémie, connue fous le nom de Mort- Noire (1). C'eft à cette malheureufe époque qu'on rapporte la décadence de la Colonie Norvégienne fur la côte orien- tale du Groenland ; l'interruption du commerce achevadela dévafter au point, que depuis le commencement du XVI®<. fiècle, on ignore abfolument ce qu’eft devenu cet établiflement. On a fait de- puis d’inutiles efforts pour aborder cette côte; elle n’eft plus acceflible, & toutes les entreprifes des Navigateurs Danois n’ont abouti qu’à la découverte de la côte occidentale. Le Gouvernement du Danemarck y a fondé quatre différentes Colonies, depuis 1700. Les différentes relations des voyages entrepris pour découvrir une feconde fois la côte orientale du Groenland (/ (1) C’eft la même dont j'ai parlé à l’article d'Iflande fous le nom de Pefle-Noire. DANS LES MERS DU NORD. 117 Vieux Groenland),fontfi contradiétoires, fi peu cohérentes, fi remplies de mer- veilleux, de contes & de fables, qu'il feroit aufli inutile que ridicule de s'attacher à démèêler le vrai du faux ; aucune de fes relations ne mérite aflez de croyance pour fournir matière à une dif- fertation utile fur le Vieux Groenland. Nous verrons plus bas à quoi ont abouti les efforts des Danois, encouragés par le Gouvernement, depuis 1578, jufqu’en 1672, pour découvrir de nouveau cette côte perdue depuis 1402,ouenviron. Ces efforts aboutirent enfin à perfuader qu’il falloit perdre de vue cette découverte, &c renoncer pour toujours au deflein de retrouver le Vieux Groenland. S'il faut en croire les anciennes chro- niques, le Vieux Groenland, au temps où on a commencé à le perdre de vue, éroit dans l’état le plus brillant, & fa population donnoit les plus belles efpé- rances : on y comptoit douze églifes patoiiliales 8 deux couvens, dix-neuf villages 8 deux villes. Comment & par ts 118 HISTOIRE DES PÈCHES quel accident cette côte eft-elle devenue inabordable ? Il cft inutile de fe perdre dans les conjettures, lorfqu'il n’y en a qu'une feule qui puifle fatisfaire raifon- nablement l’obfervateur judicieux. Il eft donc très-probable que cette cote a fubi quelque commotion violente ; & que les flots de la mer la battant avec plus de fureur que ci-devant, les courans deve- nus plus multipliés & plus rapides, en écartent les navires & rendent la tra- verfée impoflble. Il eft certain d’ailleurs qu'il auroit été impoffible d'aborder cette côte, fi, au temps de fa découverte, les glaçons empoïtés entre le Spirsberg & le Groeniand, avoient fuivi la direétion qu'ils ont aujourd'hui; c’eft donc à une de ces révolutions phyfques auxquelles le globe eft aflujetti, qu’il faut attribuer limpoflibilité aétuelle de la communi- cation qui a eu lieu autrefois entre le Vieux Groenland & l'[fiande. Les glaces fotrantes qui viennent continuellement du Spitsberg, fe jettent en quantité fur la côte , & en défendent l'approche aux DANS LES MERS DU NORD. 519 petits bateaux, comme aux gros navires. Nousnefavons doncpasfilesanciennes Colonies Norvégiennes fubfiftent encore en tout ou en partie au Vieux Groen- land ; nous ignorons s’il eft entièrement dépeuplé, & s’il y refte encore quelques traces de fon ancienne population. Ev- gede rapporte deux faits auxquels 1l ne donne pas lui-même plus de croyance qu'ils n’en méritent; s'ils étoientauthen- tiques, 1ls prouveroient que les Colonies du Vieux Groenland ont fubffté long- temps après l'abandon forcé des Norvé- giens , fur la côte occidentale, & que par conféquent, elles pourroient fubfifter encore aujourd'hui dans un état quel- conque. | Un Évêque d'Iflande, qui fans doute vouloit pañler fur la côte occidentale du . Groenland | vers le milieu du XVI, fiècle, fut jeté fur la côte orientale. Ce Prélat, ramené par un coup de vent fur les côtes d'Iflande d’où il étoit parti, rapporta avoir apperçu fur le rivage du Vieux Groenland , quelques hommes H 4 120 HISTOIRE DES PÊCHES conduifant & faifant paître destroupeaux de moutons. L'Évêque ajouta qu'il n’a- voit pu poufler fes obfervations plus loin, attendu qu'il ne fit cette importante dé- couverte que vers le foir, & que peu d'heures après, un coup de vent lem- porta loin de la côte & le força à gagner le large. | Un Navigateur de Hambourg, fur- nommé le Groenlandois , pour avoir été jeté, dans trois différens voyages, fur la côte du Vieux Groenland, affura dans le temps, avoir jeté une fois l'ancre tout près d’une Ifle inhabitée, fituée fur la côte orientale du Groenland; que delà, 1l avoit apperçu quelques autres Ifles habitées; curieux ce s’en aflurer plus poñtivement, il approcha de fort près cetie Îfle; ayant mis pied à terre, il s'arrêta à une efpèce d'habitation devant laquelle 1l trouva les agrèêts d’un bateau & un corps mort étendu le vifage contre terre; ce cadavre étoit revêtu d’un ha- billement moitié laine, moitié peau de Phoque ; le bonnet qu'il avoit fur la tête DANS LES MERS DU NORD. 121 éroit coufu à fon habillement; il avoit un vieux couteau à la ceinture ; il lem- porta en Iflande , comme une curiofité & un témoignage certain de fa véracité (1). Crantz a recueilli avec beaucoup de foin tout ce que les meilleurs Auteurs ont écrit fur le Vieux Groenland; & comme ce qu'il en rapporte, roule par- ticulièrement fur la defcription de la côte orientale de cette contrée, j'ai cru devoir fuivre cet Auteur. Quoique ces defcriptions ne foient pas appuyées fur des preuves bien authentiques, il m'a paru néceflaire d'en faire ufage à tout événement. Peut-être qu'un jour le hafard jetera quelque Navigateur Fran- çois fur la côte orientale du Groenland, 8 dans ce cas, je penfe qu'il n’eft pas hors de propos, que même il pourroit _être d’une utilité réelle, de donner dans cet Ouvrage la defcription de la côte orientale du Groenland, telle qu'on la trouve dans celui de Crantz. a (1) Cette Relation felon Thorlak, ne peut avoir plus de cent ans d’antiquité. 122 HISTOIRE DES PÈCHES Torfaeus | Hiftoriographe du Roi de Danemarck, Iflandois d’origine, a écrit un Ouvrage intitulé Groenlandia anti- qua. Cet Auteur eft très-eftimé & pañle, avec raifon, pour très-exatt. Il eft vrai que tout ce qu'il écrit fur ce fujet, ne porte pas un caraëtère évident de véra- cité ; mais 1l mérite quelque confiance, jufqu’à ce que des obfervations plus sûres aient démenti les fiennes. Torfaeus à fuivi,dans fa defcription du Vieux Groen- land, Fvar-Baar, grand Bailii de l'Évé- que du Groenland,au XIV”. fiècle. Yvar- B'aar divife le Vieux Groenland en deux parties, & prend pour point de divifion le cap Herjols ; ille place au 63°. degré de latitude; Crantz l’a indiqué fur fa carte, au 65°.:cetre côte orientale fe trouve donc divifée en deux parties, celle du fad & celle du nord. En remontant véts le nord, on trouve, felon Thorlac, Évêque d’Iflande , au XVII. fiècle , la baie de Skaga - Fiord ; l'entrée en eft barrée par un banc de fable qui la tra- veife dans toute fa largeur; on peut DANS LES MERS DU NORD. 123 néanmoins la franchir lorfque la mer eft haute ; on croit qw’alors les navires & les Baleines peuvent y entrer & en fortir. Plus haut, & en face de l’Iflande , fe trouve la baie d'Ollum-Langri ; on ne fauroit en trouver le fond ; on croit qu’elle n’eft que l’ouverture d’un long détroit, qui va débouquer dans la baie de Difco , fur la côte occidentale (1). La baie d'Ollum-Langr: eft parfemée de petits flots couverts de verdure : Zor- faeus la place au 66°. degré. Au-deffus . de cette baie, fe préfente un pays abfo- lument ftérile & défert; on le nomme les déferts d’ Obygder. La baie de Tunche- buder et fituée au fud d'Osygder, & conféquemment entre Olum-Langri & ce défert. On découvre , derrière la baie de T'unchebuder, deux hautes montagnes, dont l’une fenommeB/aaferken, & l'autre Huitferken. La glace qui couvre la (1) Si ce fait étoit avéré , il s’enfuivroit que toute | la partie méridionale en deçà de ce détroit , formeroit au moins une grande JÎfle féparée au nord, du grand Continent du Groenland par cé même détroit. 124 HISTOIRE DES PÊCHES première, paroît de couleur bleuâtre, & c’eft la raifon pour laquelle on la défigne auff fous le nom de Chemife-Bleue ; la couleur de la glace qui couvre la feconde eft blanche; on la défigne auf fous le nom de Chemife- Blanche. Ces deux montagnes , qui paroiflent aflez près lune de l’autre , font les deux dernières qu'on peut découvrir au nord du Groen- land. Lorfqu’on eft à moitié chemin du cap Snocfels, au cap Herjols, fur la côte orientale du Groenland, l’on dé- couvre aifément lés montagnes de glace de la partie occidentale & de la partie méridionale du Vieux Groenland : ces deux caps font à la diftance de cent vingt lieues l’un de Fautre. En defcendant du cap Æerjols, au cap le plus méridional du Groenland, on rencontre plufeurs Ifles aflez peu éloi- gnées du continent : celle de Kéxl eft une des plusrenommées;onaflure qu’elle a été autrefois aflez peuplée, pour avoir : deux églifes paroifliales ; on croit aufh quil y avoit ua couvent d'Auguftins. DANS LES MERS DU NORD. 115$ Ravens-Eiland (YIfle des Corbeaux } eft plus méridionale, & n’eft pas éloignée de celle X'éril: on croit aufli qu'il y a eudans celle-ci un monaftère de filles, fous l’in- vocation de Surnt Olafle. L'Ifle de Renfey eft encore plus avancée vers Sraaten- Hoek ; on y trouve de grands troupeaux de Rennes; elle abonde auffi en une forte de pierre qui reflemble au marbre. Les Groenlandois en font leurs pots, leurs lampes, &autres vafes; 1lsen font même des cuves qui contiennent jufqu’à douze tonnéaux d'eau. L’Îfle-Lonoue , celle d'Érics , & quelques autres, jufqu’au promontoire de Forbisher, font moins connues. On croit que le Vieux Groen- land ne s'étend pas plus loin fur la côte, &z que par conféquent, il eft compris entre le 61°.8 66°. degré : c’eft fur cet efpace que les Norvégiens avoient éra- bli leurs Colonies ; on ne les retrouve plus aujourd’hui. Les chroniques Iflandoifes s'accordent toutes fur les érabliffemens qui ont été faits par les anciens Norvésiens , à la 126 HISTOIRE DES PÊCHES côte occidentale, peu de temps après la fondation des premières Colonies à la côte orientale. On a douté long-cemps de la véracité de ces chroniques, relati- vement aux Colones occidentales , parce qu'on n’en découvroit aucun veftige ; on ne peut plus aujourd’hui les fufpecter à ce fujet. Il n’y a pas bien long-remps que des Voyageurs Danois s’en font affurés : ils ont rapporté avoir trouvé, fur la côte occidentale , des ruines de grandes mai- fons bâties en pierre; 1ls y ont mème découvert des fondemens de quelques églifes , & des gros morceaux de fonte, qui étoient des débris de cloche. Ces Voyageurs ayant interrogé les habitans modernes de cette côte, ont trouvé qu'ils confervoient encore la tradition des anciens Norvégiens ; qu'ils favoient que le pays avoit été peuplé avant eux , & que leurs ancêtres avoient chafté les anciens habitans, qu'ils leur avoient fait la guerre pendant longues années, & qu'enfin, fe trouvant les plus forts, ils avoient exterminé ou chaflé DANS LES MERS DU NORD. 127 entièrement les premiers Colons, de cette côte. Eggede confirme ce fait, & voici com- ment cet eftimable Auteur s’explique : dE 1 ‘ 2 Y 2 52 pi b) » » bb) 3 3 355 ” 3 2 2 29 >>] 2 3 Les Norvégiens n'ont pas été les pre- miers habitans du Groenland ; peu de temps après leur arrivée, ils rencon- crèrent dans la partie occidentale du pays, un peuple fauvage qui, fans doute, tiroit fon origine des Améri- cains , comme on peut le préfumer du caractère , de la manière de vivre, & du coftume des peuples qui habitent au nord de la baie d'Hudfon, & qui ne diffèrent en rien des Groenlandois d'aujourd'hui. Ces Sauvages fe feront progreflivement avancés, du nord (du détroit de Davis ) vers le fud ; on rapporte qu’ils eurent de fréquences guerres avec les Colons Norvésiens, qu'ils trouvèrenc écablis fur la côte. —— Les antiquités du Groenland nous apprennent que la Colonie du ’e/£er- Bigd fut défolée au XIV. fiècle, par les Sauvages appelés alors Skrelingers , 128 HISTOIRE DES PÈCHES » bb] 2 LD » D 3 3 » 5 D » » » 35 32 2 & qu'elle tut tellement ruinée, que, lorfqueles Colons del Offer-Bigd arri- vérent pour donner du fecours à leurs frères, & combattre avec eux les Skre- lingers , ils trouvèrent le pays entière- ment abandonné. Ils ne rencontrèrent que des troupeaux aflez nombreux encore , errans ça & la dans les prai- ries & fur les colines ; ils leur don- nérent la chafle , en tuèrent une erande partie, & embarquèrent tout ce qu'ils purent, pour emporter chez eux. Les Groenlandois d'aujourd'hui, defcéndans des Skrelngers , favent encore que les maifons dont on voit les veftiges, ont été habitées autrefois par un peuple différent d'eux. Certe tradition confirme ce que l’ancienne hiftoire nous apprend ; favoir, que les pères des Groenlandois d’aujourd’hui firent la guerre aux premiers Colons Groenlandois , de la côte occidentale, & qu'ils les exterminèrent ». Il paroît certain que la Colonie occi- dentale a été la première détruite , & que DANS LES MERS DU NORD. 7129 que la Colonie orientale 2 fubfifté très- long-temps après elle ; que, peut-être, quoiqu’abâtardie , elle fubfifte encore aujourd'hui. On donne pour une des çaufes de l'abandon des Colonies Not- végiennes du Groenland , la défenfe faite par Marguerite, Reine de Danemark & de Norvège , en 1389, de naviguer vers ces côtes. Cette Reine, irritée de ce que les Colonies avoient refufé de lui payer le tribut ordinaire , crut les punir févèrement en interdifant , fous les-plus grièves peines, toute relation de com- merce avec les Groenlandois , efpérant de les ramener à l’obéiffance en les pri- vañt des provifions que les vaifleaux Da- nois & Norvégiens leur portotent tous les ans. La guerre qui fe déclara entre. le Danemark & la Suède , vers la fin du XIV”. fiècle , porta le dernier coup à la Navigation du Groenland, & les Colo- nies furent entièrement perdues pour le Danemark & la Norvége. - On pourroit conjeéturer avec beau- coup de vraifemblance, que la Colonie Tome IT. Qi A | 130 HISTOIRE DES PÊCHES Norvégienne de l’eft, ne fut pas à abri des infultes des Skrelingers qui avoient chaflé les Colons de l’oueft. Egcède, envoyé au Groenland pour y faire des découvertes , & qui y a habité pendant quinze années confécutives , croit , au- tant d’après fes propres obfervations, que d’après les relations anciennes , qu’il n'y a pas plus de fix jours de marche de Tancienne poftion de la Colonie occi- dentale , à la Colonie orientale (1). Si fa conjeture eft fondée, 1l aura été très- facile aux Skrelingers de vifiter la Colo- ñie orientale, 8 d'y faire les mêmes ravages que dans la Celonie occi- dentale. Les Groenlandois d'aujourd'hui y ont navigué dans certains temps avec leurs grands bateaux ; mais ils n'ont jamais ofé s’avancer aflez pour découvrir l’état aétuel du pays, par la (1) Suivant la Relation d’Ivar Beéri qu'Eggedt cite , le trajet intérieur de la Colonie de l’oueft à celle de left, ne devroit être par mer, que de douge milles. DANS LES MERS DU NORD. 531 crainte, ont-ils dit, qu'ils ont d'y êcre dévorés par un peuple qu'ils favent l’ha- biter, & qui fe nourrit de chair humaine. Les Hollandois qui naviguent au Groen- land , fe font quelquefois avancés fur la côte orientale, jufque fousle 61°. degré, dans des enfoncemens qu'ils ont trouvés dépourvus de glaces ; 1ls y ont fait alors un commerce très-avantageux avec. des Sauvages qu'ils ont trouvé furces côtes. À la vérité, ils ne les ont pas dépeints comme anthropophages;:maisles Groen- landoïs qui neles ont jamais vus, peuvent fort bien s’en être faircetre faufle idée, & leur appréhenfon n’en prouve pas moins en faveur de la conjeéture. | Crantz penfe qu’on pourroit faire une objeétion très-forte À ceux qui croient que les Colonies du Vieux Groenland ont été détruites: par les: Skre/ngérs. « Ces Sauvages , dit-il, doivent avoir » pris la fuite devant leurs ennemis » Américains, pour s’expatrier & venir » chercher un nouvel établiffement fur » lescôtes du midi du Groenland. Si les fa 132 HISTOIRE DES PÊCHES » Groenlandois d’aujourdhui font 1flus » de ces mêmes S£re/ngers, ce peuple » doit avoirété petit de ftature, foible, » craintif & peu propre à conquérir un » pays habité par un peuple fort, vigou- » reux.& vaillant, tels que devoient être » les Norvégiens , premiers Colons du 5» Groenland, defcendus des courageux » vainqueurs de l'Europe ». Crantz ne paroît pas avoir fait aflez d’attention à la foiblefle de cet argument; puifqu'il eft évident qu’on peut le rétorquer avec avantage contre ceux qui le mertroienc en avant. On pourroit leur demander comment il peut fe faire que les Norvé- giens d'aujourd'hui, s'ils font les def- cendans des premiers: Colons , ont fi fort dégénéré, & pourquoi ils n’ont aucun trait de refflemblance avec leurs valeureux ancêtres, vainqueurs de l Eu- rope ? © | Yvar Bir, qui vivoit au XIV”. fié- cle, conclut la relation du Groenland par ces termes remarquables : Toute la côte occidentale. du Groenland eft DANS LES MERS DU NORD. 133 actuellement habitée par les Skrelin- gers (1). (1) Pour entendre ce pañlage, il faut favoir que Île détroit de Frobisher eft probablement continué juiqu’à l'extrémité de la côte orientale, où il communique à une autre grande baie qui eft en face du Promontoire nommé aufli Frobisher. On en voit un autre qui eft pon@tué fur la carte de Crantz, & qui eft un peu plus au nord que celui-ci; il a fon entrée dans la baie dite Barfund. Si ces détroits exiftent réellement de même que celui d’'Ollum-Langri dont j'ai déjà parlé, ce qu’on croit être le continent connu du Groenland n’eft effec- tivement que trois Îfles féparées par trois détroits qui courent tous dans la même direétion de l’oueft à l’eft. Ces détroits, à la vérité, ne paroiffent pas navigables dans toute leur longueur. Frobisher lui-même ne peut parvenir à retrouver le fien, le moins long, parce qu'il approche le plus de la pointe méridionale du Groenland; mais on peut fuppofer , avec raïfon, qu'ils font couverts d’une glace qui ne fond jamais, & qu'ils coulent fous le pont indeftruétible que le froid exceflif a formé fur toute leur longueur, par les neiges congelées qui dé- robent à la vue lecourant , & qui mettent un obftacle in- furmontabie à la navigation. Eggede paroït perfuadé de la poffibilité de correfpondre avec la côte orientale par le moyen de l’un de ces détroits. Voici comme il s’explique : « Ainfi lorsqu'on aura trouvé qu’il eft poffible dans » certains temps, de pouvoir arriver le long des terres » jufqu’à la Colonie orientale, vers le 63°. ou 64°. de- » gré, & qu'on aura eu foin d'établir ça & à, de petites » Loges, ou Colonies, on pourra alors entretenir 1 3 134 HISTOIRE DES PÈCHES Crantz cherche à découvrir l’origine des Skrelingers , qui fe font établis au Groenland , après en avoir chaflé , ou » perpétuellement une correfpondance entre les Loges, » & l’une pourra affifter l’autre au cas que les vaifleaux » ne puiflent pas tous les ans approcher de toutes, mais. feulement des plus méridionales.. C’eft donc à > mon avis, une chofe abiolument poflible & prati- 1 ss » cable, non-feulement d'arriver à la côte orientale du » Groenland, mais encore de fournir tous les ans aux » Colonies qu’on pourra établir, lès fecours dont elles » auront beloin ». Eggede, DESCRIPTION du Groenland, Chapitre Il. Crantz dit avoir appris d’un Fa@teur très-intelligent , établi fur la côte occidentale, « que les Groenlandois » de lOueft, qui cherchent à doubler le cap méridional » appelé Sranten-Hoek, ont été fouvent arrêtés après » une navigation de quelques jours, à l’entrée d’un » golfe couvert de glaçons qui en fortoient avec » rapidité, & étoient portés dans la mer. Ce Facteur » étoit perfuadé que ce golfe communiquoit avec le » détroit de Frobisher , dont il devoit être Fentrée; ce » détroit, navigable autrefois, étoit couvert depuis plu- » fieurs fiècies | d’une glace qui le rendoit inaccefhble ». Je pañle fous filence beaucoup d’autres conjettures fur la navigation ancienne de ce détroit, fur l'état où il eft aftuellement, & fur beaucoup d’autres faits relatifs a la population aétuelle de la côte orientale. L’Auteur Hollandois qui a copié Crantz, en rapporte la plupart J'ai cru devoir les fupprimer, parce que les faits fur DANS LES MERS DU NORD. 7r3$ extermineé les Colons Norvégiens. « Les. Norvégiens, dit-il, découvrirent à-peu- près dans le même temps , le Groen- land & une autre contrée qu’ils appe- lèrent Finland : cette dernière ne peur être que la côte de Labrador , ou FIfle de Terre-Neuve en Amérique; c’eft, fans doute, de là , ou du Canada, que font venus au Groenland les Skre- lingers. S'ils étoient venus du nord de l'Europe, ils auroient du faire leur tra- jet par la Mouvelle Zemble , ou par Spitsbers : or, depuis que l’on connoît la Mer Glaciale, on fait poñtivement que ces deux Iftes font féparées d’elles- mêmes & du Groenland feptentrional, par un trajet de mer aflez confidérable pour que le trajet n’en puiffe être fair avec de fimples canots , tels que ceux des Sauvages. Il eft certain, d’ailleurs, que les Groenlandois d’aujourd’hui n'ont pas autant de reflemblance avec lefquels repofe leur vraifemblance, m'ont paru fort hafardés , & que Crantz lui-même n’y ajoute pas beau coup de foi, m TA 136 HISTOIRE DES PÊCHES 3 >») 3 >» 25 39 35 >» b) 359 35 32 9 29 les Samojèdes & les autres peuples qui habitent le long des côtes de la Mer Glaciale, que ces derniers en ont avec les Tartares Ka/mouks & les autres hordes de Kamfchatka, au nord-oueft de la Tartarie. Peut-être peut-on conjeéturer avec quelque fondement, que la fouche des Groenlandois mo- dernes , n’eft qu’un rejeton des Tar- tares de À amfchatka, formée par quel- que petite émigration particulière : l'Amérique n’eft effeivementféparée du K'am/fchatka, que par un détroit peu fpacieux , fous le 66°. degré ou envi- ron ; il eft très-facile de le traverfer avec des batelets. Ces Tartares Amé- ricains , continue Crantz, auront pu facilement pafler d’une Jfle à autre ; & leur inconftance naturelle les chaf- fant ainfi fucceflivement d’un défert à un autre, 1ls auront pu arriver fur les bords du Détrois de Davis, & recon- noître le Groenland par hafard ». Cette fuppolition de Crantz ,une fois admife , il n’eft pas difficile d'expliquer DANS LES MERS DU NORD. 137 comment les premiers Skrelingers ont pu fe fixer dans un pays qu’ils trouvèrent peuplé , & qui leur offroit un afpe bien moins fauvage que celui d’où ils ve- noient , & que celui des Ifles défertes qu’ils avoient parcourues fucceflivement. Crantz appuie fa conjecture par le té- moignage d’un Frère Morave qui fit un voyage, en 1764, à laterre de Zabrador. Hugues Pallifer, Gouverneur alors de Terre-Neuve, lui en facilita les movens, & lui accorda toute la protettion qu'il écoit en fon pouvoir de lui accorder. « Ce Frère Morave, continue Crantz, » m'aditavoir rencontré, le 2 Septembre 5 1764, une trouped’environ deuxcents » Sauvages; 1l fut d’abord très-mal reçu » du premier qui le joignit : celui-ci » l'ayant confidéré pendantun moment, 5» & s'étant apperçu qu'il portoir le cof- » tume du pays , & qu’il parloit la même » langue , 1l fe tourna vers fa troupe, & » lui cria * Ÿ’ozcz un de nos amis ! Les ». Sauvages s'avancèrent, entourérent » le nouveau venu, & le conduifirent 138 HISTOIRE DES PÈCHES 3 » 32 3 3 3 bb] 2 33 59 29 3 29 93 2 22 23 29 22 3 » 39 dans leurs habitations , où ils le comblèrentdecarefles, & lui firent l’ac- cueil le plus fraternel. Les Européens l'avaient averti avant fon départ, de fe garder fur-tout de tomber entre les mains des Sauvages de cette contrée, parce qu'ils étoient cruels envers les étrangers , autant qu'envers leurs en- nemis; fes habits & fon langage le fauvèrent. Peu fatisfait de ce premier voyage , le Frère Morave en entreprit un fecond l’année d’après, avec un compagnon qui parloit Groenlandois auifi facilement que lui : ils furent reçus avec la même affabilité, & fe convainquirent que l’idiôme de ces Sauvages du Labrador , ne diffère de l’idiôme Groenlandois, que par lPac- cent & la prononciation toujours diffé- rente entre les habitans du fui & du nord d’un même pays ; ce qui eff frap- pant même au Groenland : qu'au fur- plus , la différence des deux idiômes étoit moins fenfble, qu'entre le Haut- Allemand & le Bas-Allemand ». DANS LES MERS DU NORD. 139 On explique la conquête du Groenland par les Sauvages de l'Amérique, en la rapportant immédiatement après l’année 1350 , époque à laquelle on fixe la ter- rible épidémie dontsnous avons parlé, fous le nom de Morr-Noire ; cette épidé- mie fit tant de ravages , qu’elle emporta la majeure partie des hommes & des animaux ; on crut même qu’elle infeéta les arbres & les plantes, & qu'il en mou- rut une très-grance quantité. Après un tel ravage, il étoit facile aux Sauvages de s'emparer d’un pays où ils ne pou- voient rencontrer qu’une très-foible réfif- tance. Alors, fans doute, ces Colonies fi affoiblies , ne pouvoient que devenir la proie du vainqueur ; les Colons , en très- petit nombre , manquant de tout, de- voient, ou tomber fous les coups des Sauvages, ou s’incorporer avec eux, où fuir dans les montagnes, pour éviter la brutale fureur de leurs conquérans. Si J'incorporation des Colons Norvégiens avec les Sauvages Skrelingers a eu lieu, il faut que les premiers aient été bien peu ayo ‘HISTOIRE DES PÈCHES nombreux lors du mélange ; car , les Groenlandois d'aujourd'hui , qui en fe- roient 1iflus , ne reffemblent guère aux Groenlandois qui fondèrentles premières : Colonies. Il eft plus vraifemblable que les premiers Groenlandois périrent pref- que tous lors de la conquête ; ou que, s’ilenéchappa quelques-uns, ils furentfe cacher dans les montagnes, ou dans quel- que Îfle qu’on n’a pas encore pu décou- vrir. Crantz rapporte deux faits qui con- firmeroient cette idée, s'ils étoient plus authentiques ; mais, n'étant appuyés que fur le témoignage d’un Sauvage , on ne peut trop s'en méfier ; ils ne portent ce- pendant pas un caraétère aflez évident de fauffeté, pour les rejeter & les négliger ; j'ai cru devoir en rendre compte; il eft: pofible qu'un Voyageur prudent en ure parti un jour. | « Un Groenlandois nommé X'ojake, » habitant de ‘la côte du fud-eft , à » foixanre lieues de Szaatent-Hoek , vint » faire une vifite , en 1752, à quelques » amis établis dans une Colonie des DANS LES MERS DU NORD. 141 Frères Moraves, près de Baals-Rivier, au fud-oueft de la côte occidentale. Kojake raconta à fes amis, que trois Groenlandois étoientvenuschez luien 1751, & qu'ils avotent employé trois ans à faire un voyage le long de la côce orientale : après des peines & des fatisues infinies, les trois voyageurs étoient parvenus à un point vers le Nord, oùuenété, le foleil ne quittepas lhorifon ; c’eft-à-dire, au 66°. degré de longitude feptentrionale. Ils fui- voient , autant que pofible , la côte par terre : fouvent ils avoient été con- traints de mettre leur tente &c leur canot fur un traineau tiré par des chiens ; ils préférèrent de voyager par terre, autant que pofhble, parce qu'ils crouvoient des places affez étendues , où la neige & la glace avoient été fon- dues par le foleil. Kojake raconta à fes amis , {ur la foi de fes crois hôtes, que les habitans de la côte orientale fonc d’une taille plus avantageufe que les Groenlandois de l’ouelt ; au refke, ils 142 HISTOIRE DES PÊCHES ÿ 5 » 5 » 3 3 39 5 3 3 » ont les cheveux noirs, portent de longues barbes , & ne diffèrent pas, par la couleur du teint, des habitans de l’oueft ; ils en parlent la langue, à quelques nuances près. Ce peuple eft nombreux, & paroit être humain. Les Voyageurs dirent encore à Koyake, qu’arrivés à l’entrée d’une belle baie , ils n’ofèrent y entrer ; 1ls prétendirent que le rivage en eft habité par des an- chropophages.(Ce préjugé eft commun à tous les Groenlandois ). Kojake pré- tendit que ces Sauvages ne commen- cèrent à manger de la chair humaine, qu'à la fuite d’une famine occafionnée par un hiver des plus longs & des plus rudes, dont leur contrée fut défolée il y a plufieurs fiècles;il prétenditque, lorfqu’ils en eurent goûté , ils ne per- dirent plus l’habitude d’en faire leur provilion , à l’égal de la viande des chiens marins, en la faifant geler pour la conferver & la manger crue. Îls n'ésorgent que les vieillards & les en- fans orphelins de leur peuplade, par DANS LES MERS DU NORD. 143 la raifon que ces créatures leur font inutiles , & ne peuvent rendre aucun fervice à la fociété commune. Ils con- ferventleurs chiens jufqu’à la plus ex- trème vieillefle ,parcequecesanimaux leur rendent de très-grands fervices, & fervent à leurs amufemens. Ils vont couverts de peaux dechiens, mais très- mal ajuftées, parce qu’ils nefavent pas les coudre enfemble , pour en faire un habit plus commode ; ils n’ont point -d’aiguilles à coudre , manquant ab{o- lumént de fer. Ils font d’une joie inconcevable , lorfqu’ils trouvent quel- que clou attaché aux débris dé quelque vaifleau que la mer jette quelquefois fur leurs côtes. Ils n’ont jamais vu de navire; ils ne connoiffent pas l’ufage des voiles, & ils fontréduits à conduire leurs canots à la rame ». Crantz rapporte aufll qu’un Faéteur Danois, établi au Groenland, luia raconté « qu'un Groenlandois de la côte orien- » tale , arriva chez lui én 1757, & l’af- » fura qu'il exiftoit une peuplade établie 144 HISTOIRE DES PÈCHES 2 » » » 3» D 3 » » LE) 39 >) >) » » 3 3 D) 322 fur le bord d’une baie , entre des hautes montagnes; que cette peu- plade faifoit tous les ans, au printemps, un voyage le long des côtes voifines. Cette peuplade, très-nombreufe , pañle pour fi cruelle , qu’à fon apparition, les Groenlandois abandonnent leurs habitations, & fuient dans les Ifles voifines ; ils y font à l’abri de toute infulte , parce que leurs ennemis ne peuvent pas les y fuivre , faute de canots dont ils ne connoifflent pas l’'ufage ; ils leur jettent en mer une nuée de flèches, s'ils arrivent aflez à temps pour les voir fuir; ils fe vengent en ruinant leurs habita- tions, & emportent dans leurs mon- tagnes tout ce qu'ils trouvent a leur ufage ». Ces deux traits fembleroient prouver que ces Sauvages font les defcendans des premiers Colons Norvégiens, fur la côte orientale, qui, fachant par tradition le défaftre arrivé à leurs pères ; cherchent encore à les venger furles defcendans des Sauvages DANS LES MERS DU NORD. 145 Sauvages Skrelingers, qui envahirent leurs pofleflions. Cette conjetture eft bien foible , fans doute , maïs elle ne renferme aucune impofñlibilité. Les Rois de Danemarkont faitdiverfes tentatives pour retrouver la côte orien- tale du Vieux Groenland, & les traces de l’ancienne Colonie Norvégienne ; toutes ces tentatives ont échoué, & ont coûté, à diverfes reprifes , au rapport d’'Eggede, des fommes très-confidérables ; l’équi- pement & l'armement des navires qu’on y a envoyés à divers temps, ont été en pure perte, & n'ont jamais produit quelque découverte fatisfaifante. FrédéricIl &fonpère,avoientfaitcher- cher inutilementle Groenland; Chriftian IV , fuccefleur de Frédéric Il, ne fut pas plus heureux ; il dépenfa des fommes énormes pour l’équipementdes vaifleaux, êc ne put avoir aucune nouvelle pofitive du Groenland. Zindovy , chargé de la pre- mière expédition, n’en rapporta qu'une relation peu digne de foi. Ce Navigateur prétenditavoir abordé à la côte orientale, Tome IT. | K 146 HisToirEe DES PÈCHES & n’y avoir trouvé que des Sauvages fans civilifation. Zindov aborda vraifembla- blement dans quelque Ifle, où il trouva ces Sauvages; 1l en prit deux, qu’il em- mena avec beaucoup de peine & de diffi- cultés. Après trois jours de féjour, illeva l'ancre, & s’en retourna en Danemark ; les deux vaiffeaux qui l’accompagnoient doublèrent le cap Farevel, & s’avan- cèrent jufqu’au Dérrort de Davis ; is y reconnurent divers havres très-beaux, des prairies couvertes de verdure, & des Sauvages tels que ceux que Lindoy avoit trouvés lui-même fur la prétendue côte orientale du Groenland. Zindoy entre- prit un fecond voyage en 1606, par les ordres du même prince ; il emmena cinq vaifleaux ; il doubla le cap Farevel , & parvint aufli au Dérroit de Davis, d’où il repartit après y avoir fait quelques nou- velles découvertes; ilramena cette fois-ci cinq Sauvages , dont un mourut en che- min. Le Capitaine Richart, natif du Holftein, fut envoyé par le même Chrif- tian IV , avec deux vaifleaux feulement, DANS LES MERS DU NORD. 147 pour une troifième expédition; Richart tenta inutilement d'aborder à la côte orientale, il en fut conftamment éloigné par les glaces qui dérivoient avec une rapidité étonnante; voyant fes efforts inu- ules, il pritle fage parti de s’en retourner, fans avoir pu remplir l’objet de fa miflion. Chriftian IV, ne fe rebutant pas par fes mauvais fuccès , fit partir, en 1616 , le Capitaine Jean Munch : {on objet princi- pal étoit de chercher un paflage entre le Groenland & l'Amérique, pour aller à la Chine. Le voyage fut des plus malheu- reux, & la relation de ce voyage eft un tableau de calamités, dont on a de Ia peine à fe faire une idée. En 1636, fous le règne du même Prince, une Compa- gnie de quelques Négocians de Copen- hague , entreprit un armement de deux vaifleaux; l’objet de cet armement étoit d'entamer un commerce régulier avec les Sauvages du Dérrort de Davis : ces vaifleaux y arrivèrent heureufement; un des Capitaines de ce petit armement avoit des vues plus étendues ; il avoit nu 548 HISTOIRE DES PÊCHES réfolu de ne pas fe borner à l’objet de fa miflion : il avoit été autrefois fur cette côte , & y avoit découvert un endroit couvert de fable , qui, pat la couleur & le poids, reffembloit à l'or. Il yarriva , & en chargea les deux navires. De retour à Copenhague , ce fable , éprouvé, ne fut trouvé bon à rien ; le Gouvernement le fic jetér dans la mer : on avoit pris la pré caution d’en confervet par curiolité une petite portion, Un Chymifte, arrivé à Copenhague quelque temps après, opéra fur ce fable, & en tira de très-bon or. Le Capitaine difgracié , étoit mort de chagrin ; lui feul pouvoit reconnoitre l’heureufe plage qui contenoit ce riche fable ; ainf, tout fut perdu, & on ne penfa plus à chercher cette mine pré- cieufe. | David de Nelles fit un voyage inutile pour la découverte du Vieux Groenland, en1654, fous Frédéric III, Roi de Dane- mark ; 1l voulut faire croire qu'il avoit abordé & mis à terre fur la côte orien- tale 3 il'emmena , pour appuyer fa DANS LES MERS DU NORD. 149 fupercherie , trois femmes Sauvages ; mais il fut prouvé qu'il les avoit prifes à Baalf= Rivier (Rivière de Baal), fur la côte occidentale. Chriftian V fit faire deux autres entreprifes ; l’une, en 1670, & l'autre , en 1674 : elles manquèrent toutes les deux, & on parut renoncer pour toujours à l’efpoir de retrouver le Groenland oriental. Æogede crut être plus heureux que tous ceux qui lavoient précédé dans cette entreprife ; en conféquence, 1l en- gagea les Négocians de Bergen à former une Compagnie du Groenland, pour éta- blir une Colonie fous le 64°. degré de latitude. Æsggede partit avec toute fa famille , & fut s’y établir effeétivement ; 1l y demeura quinze ans pour acquérir les connoiffances néceflaires , afin d’être en état de faire la découverte qu’on avoit tant à cœur : il découvrit effectivement _les veftiges de l’ancienne Colonte occi- dentale , & il en rendit compte dans un journal particulier. Il fur chargé , en 1723, pat la Compagnie de Berven, de K 3 150 HISTOIRE DES PÉCHES mettre tout en œuvre pour découvrir la Colonie orientale : Egpede voulut être lui-même de l'expédition, & ne pouvant recrouver le Detroit de Forbisher ; il prit le parti de doubler le cap méridional , & d’aller à la découverte de la côte orien- tale, en remontant par Sraaten- Hoek.La faifon étoit trop avancée ; 1l trouva que les glaces commençoient à dériver avec impétuofté ; il craignit d’être furpris par l'hiver. Continuellement jeté loin de la côte qu’il vouloit tenir de près , il aban- donna l’entreprife , & s’en retourna fur la côte occidentale d’où il étoit parti. Les Direéteurs de cette même Compagnie firent partir diretement un vaifleau, en 1724, pour faire cette découverte; ils ordonnèrent au Capitaine de tenir l’an- cienne route , entre l’flande & la côte qu'on cherchoit; le Capitaine du vaif- {eau de l’entreprife , trouva les mêmes obftacles, & s’en retourna comme les autres, fans remplir l’objet de fa miiion. Le Roi de Danemark , renonçant au projet de la découverte par mer, conçut DANS LES MERS DU NORD. 151 le deffein de l’entreprendre par terre , en traverfant le pays de l’oueft à l’eft. Il fc partir, en 1728 , des vaifleaux fur lef- quels 1l ft embarquer , à grands frais, un aflez bon nombre de chevaux; fe flattant qu'avec ce fecours, le trajet de terre deviendtoit pofible. Un pays aufli froid , aufli montagneux & aufi hériffé de roches, n'étoit pas fufceptible d’un voyage par terre; tout, dans ce climat àpre , s'oppofe irréfiftiblement à une ca- ravane ; l’entreprife manqua comme les autres. MIE Eggede penfe qu’il refte cependantun moyen pour la découverte du Vieux Groenland oriental : il penfe que l’im- menfe quantité des glaces qui flotrent entre la côte orientale & lIflande, & qui viennent du Spirzberg , font empor- tées avec une rapidité étonnante à quel- que diftance de l'entrée des golfes, & qu’elles laiffent un efpace navigable avec de petites barques, entre elles & la côte : il croit qu’il feroit poflible , dans la belle faifon , de ranger ainfi de près la côte K 4 152 HISTOIRE DES PÊCHES orientale , depuis Sraaten-Hoek , jufqu’à Erics-Sund, où même ÆHerjols-Cap; & qu'infailiblement on trouveroit fur cette côte , quelque endroit propre à mettre à terre, duquel il feroit facile de faire la découverte qu’on a tant à cœur. Les Groenlandois occidentaux ont confirmé E pgede dans cette idée, & lui ont afluré y avoir navigué en certains temps , avec leurs grands bateaux , fans néanmoins s’êcre approchés d’affez près pour décou- vrir les veftiges de l’ancienne Colonie orientale. Torfaeus femble favorifer cette idée. Cet Auteur, fur lautorité d’un ancien livre Iflandois , qu’il croit être du XI. fiècle , affure que le froid n’eft pas auñli rigoureux fur la côte orientale du Groen- land, qu’il l'eft en [flande & en Norvége ; que les orages y font plus violens , quoi- qu'ils y foient rares & peu dangereux. La Peyrere rapporte qu’en 1308, le Groen- land fut défolé par un de ces orages ter- tibles, qui font toujours époque dans l'hifoire. Le feu du ciel tomba fur une DANS LES MERS DU NORD. 153 églife , qui en fut réduite en cendres ; la tempête fut fi terrible, qu'emportant la pointe des rochers les plus haucs, il s'é- leva des tourbillons de fable, fi nom- breux & fi épais , que tout le pays en fut couvert. L'hiver {uivant fut fi cruel , & la gelée fut fi terrible, que la glace ne fondit nulle part dans la belle faifon , & qu’elle fubfifta pendant plus d’une année entière. Les defcriptions du Vieux Groenland ne s'accordent nullement fur la fertilité du pays, & fur le genre de fes produc- tions. L’hiftoire particulière des Colonies Norvégiennes dansce pays, eft embrouil- lée & pleine d’obfcurités ; les faits les plus remarquables n’ont aucune liaifon, & femblent ifolés ; en un mot, les an- nales du Vieux Groenland n’offrent que des difficultés & des contradiétions qu'il eft impoflible d’applanir & de concilier. Torfaeus rapporte une chronologie de dix Évêques qui fe feroient fuccédés au Groenland, depuisrr21,jufqu'en 1341; M. le Baron d'Halberg , qui a écrit une 154 HISTOIRE DE PÈCRES hiitoire de Danemark , en compte fept, depuis cet dernière année , jufqu'en 1408 , époque à laquelle le Vieux Groenland femble sème échipfé. pour toujours. DANS LES MERS DU NORD. 155 CHA RET REX. LE Coup d’æil général fur la côte occidentale du Groenland. I L n’a pas été poflible encore de véri- fier fi le Groenland eft un continent, s’il n'eft qu’une Îfle fituée entre l'Europe & l'Amérique ; fi, enfin, cette Ifle, fuppo- fée contiguë avec le Spitzberg & la nou- velle Zemble , ne tient pas au continent de l’Afe , par la Tartarie la plus fepten- crionale. Les Voyageurs n'ont pu encore s'élever aflez haut dans le nord, pour faire cette découverte importante, & l’on n’a jufqu’à préfent que des conjec- tures aflez hafardées , fur l'étendue & les limites de cette contrée au nord. La nature femble avoir pofé une barrière infurmonçable , aux approches du pole, contre laquelle l’intrépidité du Navisa- teur le plus audacieux , a été jufqu’à ce ce jour conftamment déconcertée. Les 156 HISTOIRE DES PÊCHES glaces , la ftérilité des côtes , & plus que tout cela, la rigueur exceflive du froid, ont toujours arrêté les Voyageurs, & en ont fait repentir plus d’un d’avoirentre- pris d’arracher à la nature, un fecretim- portant qu'elle paroît réfolue de nous cacher à jamais. On fait que le Groenland s'étend du fud au nord, dans une longueur de 35 degrés ou environ, entre la Mer Gla- ciale , à l’eft, & le détroit de Davis, à l'oueft ; le cap Farvel, qui eft la pointe la plus méridionale , eft au 59°. degré; la côte orientale arrive au moins au 80°. degré ; & la côte occidentale , au 78°. C’eft du moins à cette hauteur que fe bornent jufqu’à préfent routes les dé- couvertes relatives à la latitude & à la longitude feptentrionale du Groenland. Eggede & Crantz , font très-difpofés à croire que la côte occidentale du Groenlandeft trés-voifine ducontinentde l'Amérique , fi elle ne lui eft pas conti- guë : Crantz s'appuie fur quatre faits in- conteftables. 1°. Le détroit de Davis. DANS LES MERS DU NORD. 157 ou plutôt la baie de Baffins va roujours en fe rétréciflant , jufqu'au 78°. degré. 1°, La côte , qui en général eft crès-éle- vée lé long de la Mer du Groenland, va toujours baiffant , à proportion quon avance vets le pole , jufqu’au 78°. degré. 3°. La marée qui ne monte jamais plus haut qu’à la pointe de Cokins , au cap Farvel, ou à Staaten-Hoek, s’y élève à 18 pieds, dans la nouvelle & pleine lune; &z qu’au contraire , à la baie de Difco, fituée au 70°. degré, fur la côte occiden- tale ,elle ne s'élève jamais qu’à 8 pieds tout au plus. 4°. Enfin, c'eft qu’au rap- port des Groenlandois les plus fepten- trionaux, le détroit de Davis eft fi ref- ferré vers leur côte, qu’en s’avançant fur la glace , ils peuvent facilement fe faire entendre des Sauvages ficués fut le bord oppofé ; ils peuvent même fe jeter mu- tuellement un poiflon avec la main, lorfque les Sauvages, leurs voifins, s’a- vancent de-leur côté, fur la glace , le plus près qu’ils peuvent du torrent. Les uns n1 les autres n’ont jamais ofé le 158 HISTOIRE DES PÊCHES franchir; c’eft le feul obftacle qui s’op- pofe au paflage réciproque d’une côte à l'autre : ce torrent ef firapide,qu’iltient le milieu du détroit, dégagé des glaces. ÆEppede raconte le même fait d'une manière un peu différente. « Les Groen- 23 23 >>] 23 >] 322 » 3 3 32 33 Lb] landois de la baie de Difco rapportent aufli, qu'étanc d’un côté du golfe, ils ont parlé à des gens qui étoient de l'autre côté, que leur langage étoit le même; mais que les animaux du pays différoient de ceux du Groen- land : ils ajoutent qu'il n'y a qu’un petic détroit qui fait la féparation entre le Groenland & l'Amérique ; quece détroiteftfrpeularge , que ceux qui fe tiendroient fur les deux bords, pourroient karponer le même porfjon ; que la terre ferme, vers Le nord , eft entièrement couverte de glace, de forte qu'il n’y a que les Ifles qui fotent découvertes ; & qu’il y adans ces Ifles, des Rennes, des Oies & des Canards. en fi grande quantité , qu’elles en font couvertes ». DANS LES MERS DU NORD. 159 Le détroir de Davis fut découvert par un Anglois ,en 1585 : cet Anglois lui donna fon nom ; 1l cherchoit un paffage au nord-oueft. Ce détroit a été très-fré- quenté depuis , fur-tout parles Pêcheurs Hollandois. On appelle proprement Dé- trort de Davis, l'efpace de mer qui eft entre le cap Walfingan &YIfle de James , une de celles de l'Amérique feptentrio- nale. Ce bras de mer s'étend, àcommen- cer de l’Ifle de Difto, depuis le 67°. de- oré , jufqu'au 71°., & 1l a environ 60 lieues de large ; mais les Navigateurs donnent le nom de Détroit de Davis , in- diftinétement à toute la mer qui bordela côte occidentale du Groenland. Toute cette cote eft comme défendue par une chaîne non interrompue d’Ifles grandes ou petites, & par beaucoup de Pénin- fules qui paroiflent former un très-long archipel. De grands golfes, des rivières, des fleuves même , entrent de toutes parts dans les terres : Baals-Riviereft la plus confidérable de toutes : elle eft fous le 64°. degré ; elle entre jufqw’à 18 à 20 160 HISTOIRE DES PÊCHES milles dans le pays : c’eft fur la rive gauche que les Danois établirent leur première loge , en 1721. La côte occidentale eft hériffée , dans toute fa longueur ,; de roches inaccef- {bles , contre lefquelles les vaifleaux viendroient fe brifer, fi l’on avoit la témé- rité de les ranger de crop près. Ces rocs font fi élevés, qu’on en découvre quel- _ques-uns à 40 lieues en mer. La rerre, {i l’on peut donner ce nom à des rochers éternellement cachés fous la neige gla- cée, eft abfolument ftérile , & ne produit aucune efpèce de plante; les interftices entre ces rochers, fe rempliflent, tous les ans , d'une nouvelle neige , qui, en fe congelant, forme une nouvelle couche de glace ; & toutes ces couches s’accu- mulent annuellement, & applaniffent de plus en plus le fol, de façon qu’on peut préfumer , qu'après une révolution de quelques fiècles , les pointes des rochers les plus efcarpés ne préfen--#ont plus qu'une furface unie & contiguë , & for- metront enfin une plate-forme de glace d'une DANS LES MERS DU NORD. 161 d’une élévation prodigieufe. Les rochers les plus élevés, dont le fommet fe dé- couvre quelquefois par la fonte de la neige , ne préfentent de loin qu’une ombre noire ; ils ne laiflent jamais apper- cevoir , à une certaine diftance , rien qui reflemble à de la cerre ou à quelque plante : en les approchant de prés, on diftingue ,en certains endroits, des veines d’une forte de marbre , de petites houpes d'herbe , de la moufle , des petites bruyères , & d’autres plantes qui fem- lent jetées par le hafard fur le revers de ces rochers: on voit aufhi, par-ci par-la, de petits atbrifleaux difperfés dans les valons , le long d’un lac ou d’une rivière. L'afpe& de la Norvège , & celui du Groenland, ont beaucoup de rapports de reflemblance ; mais il y a cette grande différence entre les montagnes de ces deux pays , que celles de Norvége fonc couvertes de grands arbres , que les valées y font fertiles, & que les mon- tagnes n’empêchent pas qu’on ne puifle entrer dans l’intérieur du continent; au. Tome IL. | L xé2 HisToiRE DES PÊCHES Groenland , au contraire, il femblé qu’elles aient été difpofées de façon, à former une feconde barrière ,| pour em- pêcher l'entrée du pays, parce qu'elles font toutes entourées de lacs gelées & impraticables. Le cap FarvelouF arevel eft le premier promontoire du Groenland qu'on dé- couvre en arrivant par le fud; c’eft une Ïfle féparée, par un détroit peu fpacieux , de Sraaten - Hoek qui eft aufli le cap le plus méridional de ce continent, au fud- eft. La navigation en eft pémible & péril- leufe dans certains temps, par les vents violens quiy foufflent; cedétroitreflemble beaucoup, par-là , à celui de Magellan ; il a encore un autre rapport plus frappant | avec lui, c’eft qu'il eft placé à-peu-près à une diftance égale du pole arétique, à celle du détroit de Magellan , du pole antarétique. | L'Ifle de Staaten-Hoek (1), ou, fuivant (1) Crantz ne dit pas que le cap de Statenhoek fafle patié d'une Îfle dè ce nom; ce cap eft marqué fur la DANS LES MERS DU NORD. 163 Crantz, de Nennortalik( mais toujours celle a laquelle appartient le cap FARVEL) eft fituée fous la latitude du 59°. degré so minutes, & {ous la longitude du 3 30°. degré 30 minutes : elle eft haute , le fol en eft montagneux .& roide ; il eft com- pofé de plufeurs petites Ifles formées par quantité de rivières , qui le coupenc en plufeurs fens. La partie la plus fep- tentrionale eft continuellement couverte de neige, & paroït être inhabitée. En remontant la côte occidentale , après avoir dépaflé la baie de Maurice, on arrive au détroit de Forbisher. On doute que jamais le Navigateur Anglois, en- voyé , en 1576 ,; à la découverte du carte, comme faifant la pointe du continent, & l’Ifle qui en eft féparée par le détroit, & dont le cap Farvel fait la pointe la plus méridionale vers l’oueft, eft nom- mée par Crantz, Îfle de Nennortalik. L’Auteur Hollan- dois fuppofe que le cap Farvel appartient à une Ile différente, peu éloignée de celle-ci. On trouve fur la carte de Crantz , une Ifle aflez grande au nord de celle que notre Auteur nomme Stantenhoek, & qui n’en eft féparée que par un très-petit détroit; Crantz la nomme le de Sermenfok ; mais ce n’eft pas là qu’eft placé le cap Farvel, + pin 164 HISTOIRE DES PÊCHES Groenland , par la Reine Élifabeth, y foit entré bien avant , & fi ce n’eft pas une invention de fa part, que l’exiftence de ce détroit (1). On eft plus porté à croire que ce n’eft qu’un golfe très-profond. Cependant, Crantz rapporte à ce fujet , une converfation particulière qu’il eut avec un Faéteur Danois , très-intelligent ; je crois devoir aufli la rapporter d’après cet excellent Voyageur ; elle contient des faits aflez curieux , & dont on pourroirt tirer un affez bon parti, dans le cas qu’on fe déterminât à faire de nouvelles ten- catives pour la découverte de l’ancien Groenland , fur les deux côtes, & fur lefpace qui féparoit les anciennes Colo- mes des Norvégiens , établies à left & à l'oueft du Groenland ( 2). « Je ne pouvois d’abord comprendre (1) J’avois d’abord annoncé que je n’en ferois pas ufage; cependant l’ayant relue avec plus d’attention, je me fuis déterminé à l’inférer ici telle que je la retrouve; car l’Auteur en a fait ufage deux fois dans le même vo- lume. | b 1H9q-2#: (2) J'ai déjà fait remarquer l'opinion d’Eggede & celle de Crantz fur l’exiftence de ce détroit; l’un doute qu'il DANS LES MERS DU NORD. 165 ( c’eft le Faéteur Danois qui raconte à Crantz le réfulrat de fes obfervations fur le détroit de Forbisher ) 5 comment ce Lb) >) 2 33 3 3 3 39 » 3 » » bb) Lb) 3 2 ss » détroit, ou plutôt la baie qui lui fert d'entrée, pouvoit charrier à la mer une fi grande quantité de glace, fans qu’il fut poflible de remarquer la plus petite diminution dans celle qui ef fur la côte, derrière la baie, & quine s’en détache jamais. Cependant la baie chatrie conftamment , tous les ans, depuis le mois de Juillec, jufqu’au mois de Novembre. Lorfque le dégel, ou plutôt le débordement de cette glace eft confidérable , & que la mer eft calme, cette glace détachée couvre un efpace de mer de trente lieues d’érendue , fur cinq à fix de large ; ces glaçons ne dérivent avec force, & ne fe difperfent ça & là, que lorfque le vent impétueux les pouile avec arrive réellement à la côte orientale oppofée; & l’autre penfe que ce qui empêche de le découvrir aujourd’hui dans toute fa longueur d’une côte à l’autre, c’eft la glace qui le couvre, & qui forime une efpèce de pont. L 3; 166 HISTOIRE DES PÉCHES »2 39 violence, & les emporte au loin dansla mer, où les courans les font dévier dans tous les fens. Je demandois aux Groenlandois d’où ils penfent que cetre quantité immenfe de grands glaçons defcendent dans la baie, pour en fortir avec afuence ? Ils me répondoignt tous , que le détroit étoit fans fin, & qu'ils favoient par tradition, que leurs _ ancêtres y avoient navigué, jufqu'à l'extrémité de la côte oppofée à la baie. » Peu fatisfait d’une folution fi laco- nique , je réfolus de remonter fa baie, en 1747; je m'aflociai un certain nombre de Groenlandois qui, tous les ans , alloient à la chafle des Rennes, dans lintérieur du pays. J’exécutai mon deflein , & je partis avec mes compagnons en marchant fur la glace. Dès que je fus à la diftance de qua- corze milles de la baie, je gagnai le haut d’une montagne, efpérant dé- couvrir de ce point d’élévation , le prolongement du détroit à travers les » 3. 3 3 35) » 3) 5 33. ? 22 ED 2 23 2) 39 32. 2 22 29 3 29 3 2 3 DANS. LES MERS DU NORD. :x67 cerres.: mon efpoir fur déçu, & je .m'apperçus devant moi, dans un éloi- gnement de quarante nulles, :qu'une fuite.de montagnes de glace amon- celée qui.me cachoient l'embouchure du détroità la côte orientale, l'unique chofe que je cherchois à découvrir. Pendant que je faifois mon obferva- tion , je fus diftrait tout-à-coup par un bruit extraordinaire, qui reflembloit parfaitement à celui d’une décharge P FA de plufeurs canons tirés dans le même inftant. Ce bruit étroit produit en par- tie parle craquement des glaces amon- celées. devant moi, & que le courant OTTOE de l’eau rompoit avec force; & en partie auffi par la chûte des cafcades que l’eau faifoit en fe dégageant des bancs de glaçons qui obftruoient fon cours, & qui, étant remontée à la hauteur de ces digues, retomboit fur d’autres plus bafles avec un bruit effroyable. Je reftai immobile pendant un moment , autant par la furprife que par l’épouvante que la nature L 4 168 HISTOIRE DES PÊCHES 3 29 39 >») 3 w 9 % 9 LD) 5 3 39 3) LD) 92 2 3 à 39 LD) 39 5 » 3 39 infpire toujours à celui quiconfidère de loin fes prodigieux effets, & qui l’en- tend fe courroucer contre les obftacles qu'elle a ménagés elle - même, pour donner plus d'éclat aux prodigieux efforts qu’elle fait pour les furmonter dans les effets qu’elle veut produire. Je ne fus pas long-temps à me con- vaincre, par l'effort de l’eau contre ces monceaux de glace , & par la chüte des cafcades, qu'il devoit y avoir dans toute cette direétion un canal aflez large & très-rapide , & que c'éroit infailliblement ce canal qui Portoit régulièrement tous les ans dans la baie, une fi prodigieufe quantité de glaces mouvantes ; mais je n’en étois pas moins en peine de deviner com- ment ce charroi pouvoit avoir lieu, puifque le canal n’étoit jamais vifible, & qu’il fe déroboit conftamment à la vue, par la glace qui le couvroit dans route fa longueur , & dans toute fa largeur. | » Jj’eus enfin l'occafñon de trouver la DANS LES MERS DU NORD. 169 folutionde ce problèmedansun voyage que je fis, en 1751, à la montagne d'Ysblink ; aucun Groenlandois n’a- voit jamais pénétré fi avant que mot dans l'intérieur du pays. Quoiqu'on diftingue difficilement le fol d'avec un lac, lorfque la furface de l’un & de l’autre eft couverte d’une croûte épaifle de glace, qu'il n'eft pas hu- mainement pofñible de foulever ; je découvris néanmoins qu’il pouvoit ar- river qu'on prit facilement pour un champ, ou pour un chemin battu, ce qui n’eft réellement qu’un lac très- profond, ou qu’un grand canal. Je me convainquis aufli que les glaçons peu- vent être emportés dans la mer par un courant très-rapide, dont la fur- face eft glacée à une certaine épaif- feur; car on ignore jufqu’a préfent, quand & comment l'entrée de la baie, dite le Pont de Glace ( Fsbrug ), s’obftrue & fe bouche. Il eft vraifem- blable que les glaçons, que la mer charrie au plus fort de hiver, ont 170 HISTOIRE DES PÊCHES » été portés & accumulés par quelque » courant! à la bouche de cette baie; » que la neige qui tombe en abondance » fur cette digue, lui prépare tous les » ans une nouvelle couche que la gelée » doit rendre très-compaéte; que le » foleil, au fort de l'été, ne la fond » qu'à la fuperficie, & que cependant » le torrent, en fortant de la baie, doit » agir avec force contre cette digue, la » miner en defflous, en détacher de » fortes pièces: de glace, les emporter » dans la mer, & former, de cette » forte, un pont de glace à l'entrée de » Ja baie(r). Il eft vraifemblable que ce » fameux pont de glace, eft ainfi con- >» tinué jufqu’à la côte orientale, & que » le détroit de Forbisher n’eft aufli qu’un (1) L’Fsblink eft fitué , fur la carte de Cramiz, un degré & quelques minutes plus haut que lé détroit de Forbisher ; quelques milles plus haut encore, eft Barfund : .Crantz a fait ponétuer un canal abfolument parallèle. à celui de Forbisher, depuis le fond de cette baie jufqu’à la côte orientale. Selon lui, ce détroit eft auffi perpé- tuellement couvert de glace, &'il n’eft pas plus facile à + trouver que celui de Forbisher, | » >») >>] 92 Lb) 92 39 3 2) 352 » 33 33 55 59 5 5, 3) 5 5 » 5 59 32 DANS LES MERS DU NORD. 17% pont de glace formé de la même ma- nière. On remarque cependant que les pièces de glace qui arrivent dans la baie de Barfund , ne font pas aufli grandes ni aufli polies que celles qui fortent de la baie de: Forbisher, & qu'elles font plus échancrées, ce qui prouve feulement que le détroit d'Y{- blink :devroit. être : plus ferré que celui de Forbisher, & que les pièces de glace qui.en fortent, éprouvent un brifement & un frottement plus rudes. » Parfaitement convaincu. de l’exif- tence des deux détroits, & de leur communication avec la côte orientale, mais aufli bien afluré qu’ils n’étoient navigables en aucun temps de l’année, j'effayai de pañler par terre, ou plutôt fur la glace, d’une côte à l’autre. Ma tentative fut infrutueufe , & je fus obligé d'abandonner mon entreprife. IL feroit très - poñible fans doute de faire cette traverfée fur la glace, au moyen d'un petit canot très - léger » 372 HISTOIRE DES PÈCHES » 32 53 > 32 53 35 33 » 33 33 3 Lh: 3> 33 s3 »5 3 »> » 25 33 39 » 22 qu'on porteroit fur fa tête, on pour- roit traverfer toutes les flaques d’eau qu’on trouve de diftance en diftance, & dont les ouvertures font très-pro- fondes ; on pourroit aufli les tourner, mais ces détours alongeroient prodi- gicufement le chemin. Avec un long bâton, ou même en s'appuyant fur le canon de fon fufil, on faute facile- ment d’un petit monceau de glace fur un autre : enfin, en fe laiffant glifier du haut d’une petite colline, on arrive facilement au pied, & rien n'empè- chetoit qu'on ne pourfuivit fa route en prenant quelques précautions. Mais deux obftacles invincibles fe préfen- tent d’abord & doivent faire aban- donner à tout homme fenfé, un projet qui, s’il pouvoit avoir fon exécution, ne feroit pas d’une grande utilité gé- nérale. Comment en effet fe pourvoir pour ce voyage, d’une quantité fuff- fante de vivres ? car il deviendroit impofhble de s’en charger. Avec quoi & comment les porter ? Comment 92 » 7 D) LD » » » 32 » 9 +» 2 22 3 22 2 2 32 2 32 22 DANS LES MERS DU NORD. 173 foutenir le froid fur la glace pendant plufieurs mois de fuite, nuit & jour ? car le voyage , à caufe de la difficulté du terrein , devroit être fort long. Mes compagnons & moi nous étions munis d'excellentes pelleteries , & nous prenions la précaution de ne jamais nous coucher fur la glace, ou fur la neige ; malgré cela nous éprou- vâmes un froid horrible, quoique en- veloppés de nos peaux d'ours , & couchés fur un ras de peaux de Rennes dont nous nous faifions même une efpèce de tente. Je puis dire avec vé- rité, que jamais, dans les hivers les plus rudes , je n’avois éprouvé un froid fi cuifant, même en plein air, fur la côte occidentale du Groenland, que celui que je reffentis dans les premiers jours de Septembre, dans l’intérieur du pays, à l'endroit où j’eftime que doit être le détroit de Forbisher. » | La montagne d’Ysblinkeft crès-haute, les Navigateurs découvrent fon fommet de crès-loin; ce fommet brille comme 194 HISTOIRE DES PÊCHES du criftal : il réfléchit une lumière aflez femblable à celle d’une aurore boréale. Cette efpèce de fanal eft fitué au fond d'une baie, dont l'entrée eft obftruée par un pont de glace à plufieurs arches(r). Ce pont merveilleux eft appuyé par fes deux extrémités, aux deux rives oppo- fées de l'entrée de la baie, à un éloi- gnement de huit milles ; 1l a deux milles de large. Les arches, portées fur des mañfles énormes de glace , ont depuis 42 jufqu'à 120 pieds d’élévation. On pourroit facilemententrera pleines voiles dans la baie, gouvernant fous ces arches, fi l’on n’avoit deux grands dangers à cou- ir; le premier, c’eft qu'on rifqueroit d’être écrafé par les pièces énormes de glace qui fe détachent fouvent du cintre des arches; le fecond, c’eft qu'on rif- queroit de fe brifer contre les énormes glaçons qui roulent du haut des mon- ragnes voifines dans la baie, & que le (1) J'en ai parlé un peu plus haut, dans la relation du Fafteur Danois, DANS LES MERS DU NORD. 175 teflus entraîne avec une rapidité éton- nante dans la mer. Lorfqueles Groen- Jandois veulent aller au port de Ysélink, ils prennent leurs petits canots fur la tête & s’acheminent ainfi jufqu’au bord de la baie. On avoit bâti anciennement quelques maifons fur la rive des deux côtes, pour indiquer que l'entrée de lz baie n’étoit pas toujours obftruée par les glaces amoncelées. De grands bancs de terre s'étendent au loin des deux côtés du pont ; ils font formés d’un fable fi fin & fi délié, que le vent l’enlève facilement & en obfcurcit latmofphère. Lorfque le vent vienc de fa mer, ce fable eft emporté, comme un brouillard épais, jufqu’à douze milles dans l’intérieur du pays ; il eft crès-incommode pour ceux qui fe trouvent dans cette direction ; il eft impoñlible d'en garantir les yeux ; fouvent même 1l entre dans la bouche, quelque précaution qu'on prenne pour n’en être pasincommodeé. On apperçoit vers le 64°. degré de latitude feptentrionale |, une énorme 176 HISTOIRE DES PÊCHES montagne, la plus haute de toutes celles du Groenland : fon fommet fe termine par une pointe à trois branches , dont la plus élevée s’apperçoit en mer, à plus de foixante lieues : elle fert de fanal aux Navigateurs, & de baromètre aux Gioenlandois. La pointe du fommet eft enveloppée d’un très-petit nuage, lorf- qu'on eft menacé très - prochainement d’un orage; le même phénomène fe fait voir conftamment au fommet de la mon- cagne de la Table ( Tafelberg), au cap de Bonne-Efpérance, à la pointe méri- dionale de l'Afrique. Au refte la pointe de cette montagne du Groenlaud , fe montte toujours à nud, elle n’eft jamais couverte de neige, ni de glace; elle eft trop aiguë pour que l’une ou l’autre puiflent y tenir; ce n’eft que dans fes cavités, ou fur de petits rocs faillans le long de ce pic , que la neige tient & qu’elle fe congèle à une certaine diftance du fommet. On trouve un peu plus haut vers le Nord , le grand golfe, dit Baals-Rivier ( la DANS LES MERS DU NORD. 177 (la rivière de Baal). Ce golfe s'étend au nord-eft jufqu’à la diftance de vingt- huit milles; 1l a quatre milles dans la plus grande largeur. Une quantité in- nombrable de petites Ifles forme à l’en- trée de la baie, un archipel d'environ fix lieues de circonférence. Æooede & Crantz diffèrent un peu avec moi, fur la véritable fituation de ce golfe : je crois être afluré de celle que je lui donne, d’après lArflorre générale des Voyages, tome XIX, p. 1, cor. G; & d’après Zorgdrager, dans fon Ouvrage fur les progrès & les richefles de la Pêche du Groenland, page 71. - Affez près de Baals - Rivier , ‘font fituées les Ifles de Napar/ok ; elles font remarquables par leur fertilité (1); la nature fans force & fans vigueur au Groenland , femble revivre ici , & s’y montre fous un afpect affez riant. On y voit de la verdure , on y entend le chant (1) Sans doute que cette ferrilité eft relative, & qu'il n'eft guère poffhible de l’entendre à la rigueur, fous un . climat aufli rude. Tome IL. | LME 578 HISTOIRE DES PÈCHES des oifeaux, & la mer y charrie quan- tité de bois ; le Poiffon & les Phoques y font en abondance. C’eft à la hauteur de ces Ifles que font arrêtés ces innom- brables glaçons, portés par les courans de la partie de left, qui, après avoir doublé la pointe de Staaren - Hoek, y font chaflés par les vents du fud; arrivés à la vue des Ifles de Napar- {ok , ils s’y tiennent en équilibre par la force réadive des courans qui y arri- vent du nord-oueft, & qui bientôt après les repouflent & les chaffent au loin en pleine mer. | Un Voyageur ne trouverien de remar- quable entre le 65°. & le 67°. degrés de latitude feptentrionale. Le détroit de Davis commence vers le milieu du 67°. degré. On découvre à cette hauteur, la côte de l'Amérique , oppofée à la côte occidentale du Groenland (1). | L'objet principal des Voyageurs & des (1) C'eft à cette hauteur qu’eft fituée lle de Jean- mayen , &c’eft la côte de cette Ifle de l’Amérique qu'on décore en cet endroit. DANS LES MERS DU NoRD. 1i:9 Navigateurs, le long de la côte occiden- tale du Groenland, dans le détroit de Davis, eft d'atteindre la Bare de Disco : elle eft fituée entre le 68°. & le 71°. de- grés de latitude feprentrionale ; FIfle a environ 160 lieues de tour ; l'entrée de cette baie eftcommeobftruée par un très- grand nombre d’Ifles, qu'il faut cotoyer & tourner par les divers petits détroits qu'elles forment. Quelques-unes de ces Iles ont leur direction prolongée vers left & d’autres vers l’oueft; celles-ci fe: rapprochent de la grande Ifle de Difco., qui donne fon nom à la baie fur le bord de laquelle elle eft fituée au nord- oueft. L’Ifle de Difco pourroit facile- ment défendre l’entrée de la baie ,: elle. Ja domine à-peu-près comme l’Ifle de Cuba domine le golfe du Mexique. Le bras de mer qui pañle entre l’Ifle & le continent , eft ce qu’on nomme le Ÿay- Gat (la Paffe du Vent). Ce détroit a fix lieues de lârge. Le fol au nord de la baie eft aflez élevé; il eft prefque tou- jours couvert de neige ; 1l eft plus bas. M : 180 HISTOIRE DES PÊCHES & plus uni, au fud. On fait dans cette pafle (le Way-Gac), une pèche très-abon- dante; .c'eft la plage la plus abondante en poiflon fur toute la côte occidentale du Groenland. Les habitans du pays y prennent en hiver, une quantité pro- digieufe de Phoques, & au printemps, un grand nombre de petites Baleines. Les côtes de la baie de Difco font les plus peuplées de tout le pays; c’eft là aufli, qu'on trouve la Colonie la plus florifflante, parce qu’elle eft la mieux fituée pour le commerce. Nogfoak, ou le grand cap (de Groote Kap jeft le port le plus feptentrional, dans lequel on s'arrête fur toute cette côte ; il eft marqué dans la carte de Crantz, fous la dénomination de Jacobs- Puch : c'eft là l'extrémité du Way-Gat, c’eft là qu’eft la dernière Colonie Da- noife , c’eft là enfin , qu’eft bornée la navigation au Groenland; on ne con- noit plus rien de cette côte , au-deflus de cette grande baie , que celle de Baffins. Celle-ci doit s'étendre vers le DANS LES MERS DU NORD. 181 pole , entre le 72°. & le 78°. degrés. Guillaume Bafins , qui le découvrit en 1716 , en naviguant dans le détroit de Davis, ne trouva plus d’habitans fur la côte , après avoir dépañlé le 74°. de- gré : il y reconnut les veftiges de quel- ques tentes , & quelques pièces de voile qui avoient fervi à les former ; il con- jeétura qu’elles y avoient été abandon- nées par quelques Pêcheurs, qui, à certaines faifons de l’année, venoient s’y établir. Quoique les Norvégiens de Difco aflurent que leur côte eft habitée jufqu’au 78°. degré de latitude fepten- trionale , il paroîït que ce n’eft de leur part qu’une jaétance, car ils n’en donnent pas la plus petite preuve. Îl paroît cer- rain , au contraire , qu'aucun mortel ne pourtoit foutenir la rigueur d’un climat fi près du pole : les nuits d'hiver y font , fans interruption, abfolument obfcures , & ne Fée jamais place au jour dans les vingt-quatre heures. Le pays eft hérifé de rochers, & conti- nuellement couvert d'une glace tës- MS 182 HISTOIRE DES PÈCHES épaifle : on n’y trouve aucune forte d'oifeaux ; il n'y à ni Ours blancs , nt Phoques , ni Baleines, ni rien qui puiffe {ervir à une nourriture quelconque pour l'homme. Comment feroit-il poflible que l'homme , dénué de toute efpèce de reffource , abandonné, pour ainfi dire, du ciel & de la terre, en butte à toutes les horreurs de la nature courroucée, püt fe fubftanter & pourvoir à fes plus preflans befoins fur un fol de glace éter- nelle ? En remontant la côte orientale, de- puis Sraaien-Hoek , jufqu’au 66°. degré de latitude boréale , paflé lequel la côte ne préfente plus qu'un affreux défert, on trouve le cap de la Drfcorde, & au- deflus , le promontoire de Forbisher ; c'eft-à-dire, le cap à l'entrée de la baie où l'on fuppofe que vient aboutir l’extrémité orientale du détroit de Forbisher; cette baie par conféquent communiqueroit, au moyen de ce détroit caché, avec celle qui lui correfpond fur la côte occiden- tale. Tout proche de ce promontorre, DANS LES MERS DU NorD. 183 eft une Îfle aflez grande, qu’on nomme Y Ifle-Blanche. On trouve au 63°. degré, une baie très - profonde ; elle corref- pond à celle de Bearfond , fur la côte occidentale : on fuppofe encore ici, qu'un détroit caché pañle de l’une dans Pautre , j'en at parlé un peu plus haut. La côte eft aflez paralléle à elle- même , jufqu’à Erics-Fioerd, & même un peu plus haut, jufqu’à Errcs-Sund ; mais alors elle s’élargit prodigieufement vers l’eft, jufqu'à la hauteur ce l'If- lande , dont le Groenland n’eft fépare, de ce côté-là, à Fzordum Ollum Langri, que par un petit détroit qui, comme je l'ai dit , n’eft plus navigable, à caufe des glaces qui dérivent impétueu- fement depuis Spirzberg | d’où elles partent , pour gagner Sraaren-Hoek. - Au deflus de Funkabuder (1), la côte, en s'élevant vers le nord, eft abfolu- ment inculte ; on le fuppofe du moins ainfi , parce qu’elle eft abfolument (x) Voyez la carte de Crantz. M 4 184 HiSTOIRE DEs-PÈCHES | inconnue. Funkabuder, où Findeubuder, eft une baie très-profonde (1); il y périt un favori du Roi Ofaüs , avec tout l'équipage; cette baie porte le nom de cet infortuné courtifan. | Quoique la côte orientale foit beau- coup moins dentelée que la côte occi- dentale , on y trouve infiniment moins d'Ifles, d'Iflots & de Peninfules. Après avoir décrit ainfi les côtes connues du Vieux Groenland, il me paroît:indif- penfable de donner, avant tout, une courte notice des lieux habités par les Groenlandois , & des nouveaux établif- femens Danois. ee ee (1) L’Auteur Hollandois dit que c’eft un Détroit ; il fe trompe évidemment. Voyez la carte de Crantz & celle d'Eggede. DANS LES MERS DU NORD. 185$ Ge CHAPITRE X VIT Lieux habitées par les Groenlandois ; Établiffemens Danois fur la côte occi- dentale. Lis partie du Groenland la mieux peuplée , ou, pour ne rien exagérer , la feule un peu connue par les Na- vigateurs , Pêcheurs ou Voyageurs , s’érend depuis le cap Farvel, jufqu'à Frederics-Haab , fur la côte occiden- tale ; c’eft-à-dire , dans un efpace de cent lieues, entre le 59°: & le 62°. degrés de latitude , & les 325°. & 330°. de longitude feptentrionales. Le cap Farvel, peu diftant de Staaten- Hoek , paroit teur à deux Ifles très- voifines, celle de Vennortalis , dont il fait réellement la pointe méridionale à l'oueft ; & celle de Serznefoc , au nord- oueft de la première ; celle-ci eft plus connue fous la dénomination d’'Ys-Erland 186 HISTOIRE DES PÊCHES ( Ile de Glace ) ; & l’autre, fous la dénomination de Beeren - Eiland ( Ile aux Ours ). Ces deux Jfles font au centre d'un petit archipel; elles font féparées du continent par un détroit. On aflure que les Navigateurs qui rangent de près la côte orientale, pour fe rendre fur la côte occidentale, préfèrent d’en- trer dans ce détroit, & de le débouquer; ils abrégent leur route , & fe difpenfent de doubler le cap Farvel. J'ai parlé plus haut , de ce détroit, & je l'ai comparé à celui de Magellan. Les Groelandois qui habitent la côte & les environs de Staaten-Hoek, de même que ceux qui habitent les Ifles , fur la côte occi- dentale, fous le 60°. degré, font, par rapport aux autres, les Groenlandois méridionaux, & leurs frères les regardenc comme-tels. L'Ifle d'Onartork eft une des plus belles ; lafpet en eft moins fauvage que celui de toutes les autres, fituées fous les mêmes degrés ; on y trouve des plantes & de la verdure; elle a un DANS LES MERS DU NORD. 187 très-bon port; elle eft, fur-tout, très- bien fituée pour la pêche du Hareng; on y trouve une fource d’eau chaude ; l'Ifle porte le nom de cette fontaine ; au plus fort de l'hiver , l'eau en eft fi chaude , qu’elle diffout dans un clin- d'œil une groffe pièce de glace. Ikerfoak | ou Groon-Bay , eft une Ifle fituée à une petite diftance de la baie d'Jgalik : on y trouve aufli des fources chaudes ; on y ramafle des cailloux tranfparens, à pointe de diamant ; ces pierres font fi dures , qu'on peur s’en fervir pour couper le verre, comme fi c'étoit un diamant même. En fortant de cette baie , on trouve celle de 7ux- nurlzarbik ; celle-ci a aufli un très-bon port ; elle eft très-profonde. Sur la côte à droite de la baie, eft Kangok, ou Kakokrok ; fur la gauche, Aglurok : ces deux établiflemens Groenlandois font les plus beaux de tout le pays; ils {ont les plus peuplés, & fontles premiers qui ont été habités; aufli font-ils les plus fréquentés, même aujourd’hui. 188 HisToinE DES PÊCHES Kikkertarfoak, ou lIfle-Grande , eft un des premiers établiflemens Groen- landois , que les Hollandois aient fré- quentés ; ils y ont fait anciennement un très-grand commerce; ce marché eft tombé aujourd’hui. Un navire Hol- Jandois y périt, en 1742, par la glace qu'une tempête violente y accumula ; le vent foufloit de la partie du fud , & vraifemblablement ces gros glaçons ve- noient de la côte orientale, & avoient doublé le cap Farvel; l'équipage fut fauvé, & recueilli par les Groenlandois. Kudnarme eft une très-bonne habi- tation fur la côte de la terre ferme ; elle eft avoifinée par plufeurs petites Ifles : on trouve, un peu au-deflus , un golfe très -enfoncé & fort étroit; les Groenlandois le nomment Zéblik ; ils sy réfugient lorfque la mer eft en tourmente , & ils y font en sureté. : Sermeliarfok ;ouYsbay (Baze Glacée), offre une excellente plage pour pêcher le Hareng ; on y prend aufli quantité de Phoques : les géographes la placent DANS LES MERS DU NORD. 189 au 61°. degré 20 minutes ; il eft à pré- fumer qu’elle communiquoit au détroit de Forbisher; mais la glace doit avoir intercepté cette communication : il eft certain, au moins, que le fond de la baie refte continuellement bouché par un banc de glace énorme. Voilà les principaux établiflemens Groenlandois dans cette partie de la côte occidentale ; ils font aflez peuplés; les Européens ne les connoiffent guère, & les vifitent encore moins. Ceux qui font la pêche au détroit de Davis, re- montent beaucoup plus haut vers le nord, & n’ont pas le temps de s'arrêter à ces habitations. Il me refte à faire connoître les Co- lonies Danoïfes , routes fituées le long de la même côte , entre les 62°. & 72°. _degrés de latitude. Le Groenland eft, comme la Norvéce, dont 1l a fuivi le fort, fous le Gouver- nement Danois. Les Rois de Danemark n'ont jamais perdu de vue cette portion ingrate de leur royaume ; ils ont 190 HISTOIRE DES PÊCHES dépenfé , à divers temps, des fomimes confidérables pour fonder & foutenit des Colonies, fousunclimatdont l’âpreté contrarie au plus haut point le vœu de la nature. On compte aujourd’hui douze différentes Colonies Danoifes, entre les 61°. & le 70°. desrés de latitude. Fre- deriks-Haab , la première qui fe pré- fente un peu au-deflus du détroit de Forbisher , fut fondée en 1742. L’em- placement fut choili de préférence, parce qu'il parut être très-propre au commerce qu'on fe promerttoit d'y établir avec Co- penhague. Cette Colonie eft à une lieue & demie de la mer; les objets de fon commerce , font l'huile de Poiflon, les peaux de Renard & de Chiens de mer. Cette Colonie a fouffert, dans les pre- mières années, par la glace, au point que les navires envoyés pour l'appro-. vifionner , étoient obligés de décharger dans le port de Godhaab ( Bonne-Ef- pérance ) ; on employoit enfuite de petites allèces qui alloient porter les approvifionnemens à la Colonie, par DANS LES MERS DU NORD. rot un petit canal détourné , de foixante lieues de long ; ce détour rendoit les approvifionnemens très- précaires. La Colonie d'Ysélink eft à douze milles de. Frederiks-Haab ; j'en ai déjà parlé. À trente-fix lieues de Frederiks-Haab, eft fituée une baie étroite; elle a fix lieues de profondeur ; on la nomme Fisher-Fiord ( la Baie au Poiflon ); elle eft ainfi nommée , à caufe de la grande quantité de poiflons de toute efpèce qu'on y trouve. L'entrée de cette baie eft coupée par deux Ifles qui ont envi- ron neuf milles de contour. Une plaine fertile & couverte de verdure , fait la pointe méridionale deceslfles:onnomme cette pointe Frsher-Lodge ( Loge au Poiflon ); la Compagnie Danoïfe du Groenland y a établi un comptoir, qui fert de centre de correfpondance à toutes les Colonies; cet établiflement date de l'année 1754. Les Frères Moraves ont établi le chef-lieu d’une miflion , à trois lieues de diftance de cette Fattorerie ;. çer établiffement eut lieu en 1758 ; 4l. r92 . HISTOIRE DES PÈCHES eftconnu fousla dénomination de Zriéten- fels. Le commerce de la Colonie de Freceriks-Haab, s'étend jufqu’à /aunck- fuk, habitation des Groenlandois , à quatre lieues de Fisher-Lodge. La feconde Colonie des Danois -eft à X'ingorne , ou aux lfles de Kellingeit , à cinq lieues de: Kznoorne : celle-ci eft excellente pour la chafle des Phoques ; on s'y rend facilement maître de ces animaux , qui y font comme renfer- més entre les deux files; il n’eft guère pofiible qu'ils échappent aux chafleurs qui les y attaquent toujours avec fuccés. Buxe- Bay eft fitué à huit lieues au- deflus ; les Hollandoïs y ont un bon port ; 1l eft toujours ouvert pour les Pêcheurs Groenlandoïs errans , & qui n’ont pas d'habitation fixe ; ils hivernent tous les ans dans cette baie. X'arrak elt encore à fix lieues plus haut; cette baie eft remarquable par une rivière , qui s’y rendaprès avoir parcouru plufieurs milles du continent. Deux lieues plus haut, on trouve la grande baie d'Amaralk , ou DANS LES MERS DU NORD. 193, ou Baals - Rivier; la mer y donne du poiflon en abondance , & les côtes fourmillent, de Rennes : le fol y eft cou- vert de verdure & d’arbrifleaux ; on y trouve une forte de pierre , qu’on regarde comme du marbre bâtard , à caufe des veines de granit dons, elle eft parfemée. | : La baie de Kobe eft au pied de la montagne de ÂAiorte-Tag ( Montagne à trois fommets ); on la nomme aufi Stag-Shorn, elle eft à fix lieues de celle d’Amaralik ; on y prend du petit Saumon, qui fe tient dans de-petits marais difper- fés ça & la. La troifième Cole eft celle de God- Haab , au 66°. degré, 14 minutes;..elle eft fituée au fond de la baie de Baals- Rivier. Entre le très-grand nombre d’Ifles qui font à l’entrée de cette baie, les plus confidérables , font celles que les Groenlandois nomment Kz4/:Kkfur. L’'Ifle de Kangek (- Efpérance j eft fituée au nord de celles-ci ; elle eft limitrophe du Wefterland, qui eft féparé de la côte Tome IT. N 194 HISTOIRE DES PÊCHES: du continent par un petit détroit, où les Groenlandois font une bonne pêché pendant l'automne : au fud, eft un autre courant qu'on appelle la Pafje-du-fud, qui fépare de ée côté, les Ifles de Xzr- likfut, d'un grand nombre d’autres Ifles aflez grandes : c’eft entre ces dernières qu'eft le canal dit de Hambourg ;'elles ont, au nord-eft, un autre canal qui fe prolonge dans le pays, jufqu'à une prefqu’ffle ; où l’on trouve un bon port pour les navires qui vont à la ‘pêche dé la Baleine. A'un demi-mille du:port , fat la côte occidentale, eft le chef-lieu des Frères Moraves Groenlandois > on le nomme ÂView-Hernhut ( Nouveau Hernüt-). La Colonie de Goede-Hoop. (-Bonné-Efpérance ) , eft fituée à une égale diftance des Frères Moraves (r) ; au nord de ce chef-lieu. Cette Colonie - (r) Cette maifon n’eft à proprement parler que le lieu du-rendez-vous annuel des profélytes Groenlan- dois ; c’eft-là où ils viennent recevoir. des inftruétions plus particulières, & fe confirmer dans la cro ur des Hernutes. DANS LES MERS DU NORD. 19$ confifte en une maïfon habitée par le Facteur de la Compagnie Danoife, & par le Mifionnaire Danois ; ayant, chacun leur ménage & leur famille : 11 y a une églife , un magafñn, une fon- derie de fer & une brafferie. L'Ile de Saalberg , ou Zaalberp , eft fituée deux milles plus haut que Bonne- Efpérance; elle prend fon nom, de la forme des fommets de la montagne j qui repréfente aflez bien une Selle ; cette Îfle domine fur toutes les autres par fon élévation. On apperçoit facile- ment cette montagne, à la diftance de cinquante lieues ; les oifeaux s’y refu- gient dans les longues nuits d'hiver. Tout proche, eft l’//le-aux-Ours , & l’Ifle Auprllartok ; celle-ci a huit milles de long , & eft fituée entre deux baies. Une de ces baies fe prolonge au fud- eft, jufqu'à Piffik-Sarbik ; la pèche y eft bonne en cet endroit ; elle eft coupée par üne autre baie qui s'enfonce dans la côte. L’Ifle Aupillartok eft au nord de Zaalbers ; elle a à l’oueft N 2 196 HISTOIRE DES PÊCHES Kaunnerfut; c’eft un pays très-plat, fté- rile & pierreux ; on y trouve cependant un marais d’eau douce , dans lequel on pêche du Saumon. Ce marais a huit milles d’étendue , mais il n’eft pas fort poiflonneux. La baie du nord fe divife en deux bras; l’un fe nomme Ujarak- Jfoak ; on trouve fur fes bords , une pierre blanche aufli douce que la craie ; l’autre bras eft abfolument couvert de glace. | Tel eft à-peu-près l’état de la Colo- nie de Bonne-Efpérance, qui avoit été d’abord établie en 1715 , à l’Ifle de Kangel, & qui fur tranfplantée en 1728, fur la côte du continent; c’étoit l’en- droit le plus propre & le mieux fitué fur toute la côte occidentale, pour y former unétablifflementde conféquence : il étoic richement peuplé, & 1l y avoit alors plufieurs milliers d'habitations de Gioenlandois. Depuis le ravage que la peste vérole y fit en 1733, la popu- lation ne s’y eft jamais rétablie ; le plus grand nombre des habitans fut emporté DANS LES MERS DU NORD. 197 à cette époque, par cette épidémie défaf- treufe. Un Facteur, qui s’attacha par- ticulièrement à fe procurer un dénom- brement authentique des Groenlandois échappés au fléau deftruéteur dont nous venons de parler, ne trouva, dans un arrondiffement de quarante lieues, que neuf cent cinquante-fept Groenlandois qui habitaflent ce diftriét : cette contrée eft cependant une des plus peuplées de toute la côte : car , à l'exception de la côte méridionale, & de la baie de Difto, on peut parcourir vingt lieues d'étendue par-tout ailleurs, fans ren- contrer âme vivante. En fuppofant donc, 400 lieues de pays habité , & en comp- tant mille habitans par quarante lieues , il s'enfuit qu'en y comprenant même le fud & le nord de la côte, qui font paffablement peuplés, il n’y auroit pas en tout plus de dix mille habitans. Le Facteur dont j'ai parlé, n’en comptoir pas au-delà de fept mille : il aflure cependant qu’en 1730 , le Groenland pouvoit compter trente mulle habitans; N 3 198 HISTOIRE DES PÈCHES & qu'en 1746, 1l n’y en comptoit pas lui-même au-delà de vingt mille. La population a diminué pe deux tiers depuis cette époque. Zurkertop eft la quatrième Ghiarié Danoife ; elle eft fous le 65° degré 48 minutes ; elle fut établie en 175$, à la diftance de cinquante-fix lieues , de celle de Bonne-Efpérance. On lui a donné ce nom, à caufe des trois montagnes au pied defquelles elle eft fituée, qui cat la forme d’un pain de fucre. Ces montagnes fervent de fare aux Naviga- teurs qui fortent du port ; il eft un des plus sûrs & des meilleurs de toute la côre ; il eft à une deimi-lieue de la mer, entre deux petits lots qui le couvrent, & le mettent à l'abri des ouragans & des tempêtes. Cette côte abonde en poiflon, & on y voit quantité d’oifeaux ; on y voit aufli, de temps à autre, quel- ques Baleines, mais les Groenlandois ne leur donnent pas la chafñle ; les Euro- péens qui viennent y mouiller, n’y entre- prennent jamais cette pêche , faute de DANS LES MERS DU NORD. 199 nacelles & d’autres canots néceflaires à la pêche de la Baleine. On remonte deux baies au-deflus de Zuikertop , dont l’une a 3$ lieues de long ; les bords en font couverts de verdure ; vingt milles plus loin, on trouve une grande Jfle, au milieu d’un grand nombre de petites qui l'entourent. Cette Ifle eft remarquable, à caufé des grandes Baleines & du nombre prodi- gieux de Saumon qu’on y pêche. Le fol eft couvert d’une forte d'argile blanc qui a le brillant de l'argent , mais qui, jeté au feu, ne brüle pas. On remarque fur-rout un très-grand rocher , au fond d’une profonde vallée, qui. fert aux Groenlandois comme de quartier de réferve pour la chafle des Phoques : ces animaux y viennent en quantité avec le flux, dans les beaux jours d'été, pour y dormir au foleil; le reflux les laiffant à fec, les Chafleurs en tuent par milliers , vu que les Phoques , pris alors comme dans une nacelle , ne peuvent s'échapper. par . N4 200 HISTOIRE DES PÈCHES aucun endroit. La baie d’Amaralik eft fituée à quarante lieues au-deflus de Zurkertop ; on y prend quelques Ba- leines tous les ans. Holfleinburg eft la cinquième Colsbis des Danois; elle fut établie en 1759 ; c'eft une des mieux fituées pour le commerce & pour l'agrément du lieu. Zuibaay eft la fixième ; elle ef fous le 67°. degré 30 minutes ; fon établiffement date de 1756 ; mais celle d'Aolfiernberg , établie trois ans après, a ruiné celle-ci; à peine y entretient-on un commis chargé de ramañler le poif- fon que les Groenlandois pêchent dans le voifinage. La feptième Colonie eft celle d’ sl des- Mernde , ainfi nommée du Capitaine Escede,, qui fut chargé de l’établir en 1759 ; elle a recu cette dénomination pour perpétuer la mémoire de fon fon- dateur. Le Danemark & l’Europe lui doivent infiniment; fans lui, le Gou- vernement Danois auroit perdu fes Co- lonies du Groenland, & l'Europe feroit DANS LES MERS DU NORD. 201 privée des connoiflances précieufes d’un pays qui enrichit l’hiftoire naturelle , & qu'il eft fi difficile de connoître. La pêche de la Baleine réuflit très - bien dans ces trois dermers établifemens , pendant les premières années ; mais les Groenlandois n’y viennent aétuellemenct que très-rarement , quoique le pays foit également propre à la pêche & à la chafle. La caufe du dégoût des Groen- landois ‘provient de ce que le port d'Egoëdes - Meinde eft fermé par la glace jufqu'au mois de Mar, & qu’alors, la bonne faifon de la pêche de la Baleine eft déjà pañlée : c’eft pour cette raifon aufli que la Compagnie du Groenland a mis en délibération, s’il ne convien- droit pas de tranfporter cette Colonie aux Îfles de Dunk. … Chriflianshoop fut fondé en 1734, fous le 69°. degré & demi ; fuivant d’autres , cette Colonie eft au 68°. 34 minutes. Claushaven eft la neuvième Colonie ; elle eft plutot un fimple comptoir qu’une 202 HISTOIRE DES PÈCHES Colonie : on trouve Yshaay , ou ce- Baay, quatre milles plus haut ; cette baie avoit ci-devant un port ouvert; il eft férmé aujourd’hui par la glace; ous les ans , cette glace augmente gra- duellement à un tel point, qu'il s'élève, dans la baie même, des montagnes de glace dont la hauteur eft déjà confidé- rable. | La dixième Colonie, eft celle de J'acobs- Haven ; ce port n’a été reconnu pout la première fois , qu'en 1741. Le com- merce de ces trois dernières Colonies n'occupe à peine qu'un feul navire de 409 tonneaux ; chaque tonneau de 80 gallons ; 36 gallons font 12 /£eekan- nen (1x). La onzième Colonie eft fituée entre le 69°. & le 70°. degré de latitude fep- centrionale ; elle fut établie en 1755. Enfin , la Colonie de Nog/oak , qui fait la douzième, eft fituée au fond du (1) Cette manière de compter la cargaifon d’un navire pêcheur, eft particulière aux Adminiftrateurs des Co- lonies Danoifes , relativement aux Groenlandois. DANS LES MERS DU NoRD. 103 Way-Gai ; fon établiflement date de 1758. On n’a rien entrepris fur la côte orien- tale du Groenland; elle eft beaucoup moins propre à la pêche de la Baleine que la côte occidentale. D'ailleurs , j'ai fait remarquer plus haut , combien la navigation y eft dangereufe ; tous les eflais qu’on pourroit faire pour y éta- blir un commerce relatif à la pêche, feroient infruétueux , & les dépenfes feroient en pure perte. 204 HISTOIRE DES PÊCHES CHAR LATE KV RTE Du Climat & des Saifons du Groenland V4 V4 en général. Ox comprend facilement, d’après la defcription des côtes du Groenland, que le climat doit y être des plus rudes _ & des plus äpres ; la pofition feule de ce pays , depuis le 59°. degré de lati- rude feptentrionale , jufqu’aux degrés les plus voifins du pole , fuffiroit pour faire conclure que le Groenland doit être une terre ingrate, inhabitable, & que le plus rude hiver doit y faire fencir éternellement fes rigueurs. Le Groen- land, en effer, eft conftamment cou- vert de neige & de glace; & fi le fol fe montre à nud quelquefois dans quel- ques endroits d’une petite étendue, 1l reprend bientôt fa parure ordinaire, la neige & la glace. Cependant, la nature, toujours fage & prévoyante , même lorfqu’elle femble avoir réfervé toutes DANS LES MERS DU NORD. 205$ fes rigueurs pour les deux zônes des extrémités du globe, a ménagé pour les Groenlandois une petite portion de l'in- fluence bienfaifante de laftre qui la vivifie elle-même. Il eft des endroits dans le Groenland , où le froid eft très- fupportable lorfque le foleil paroît fur lhorifon , quoique toujours rigoureux ; il fuffit, pour cela , qu’il fe montre deux ou trois heures dans les vingt-quatte , que la terre emploie à faire fa révo- lution journalière autour de lui. Dans ces momens même , où le Groenlan- dois , au plus fort de l'hiver, tapi fur la neige , réchauffe aux rayons du fo- leil, fes membres engourdis, les liqueurs de toute efpèce fe gèlent dans les réduits de fa hutte, les mieux clos, & dans les maifons les mieux conftruites : ce {ont celles que les Danois ont fait bârir pour leurs Faéteurs & leurs Miffionnaires. Dans les contrées où le foleil ne fe montre jamais fur l’horifon, tout gêle fans exception ; quelque feu que l’on fafle, à quelque degré qu’on porte, par 206 HisToiRE DEs PÈCRES l'art, l'activité de cet élément, on ne parvient jamais à dégeler tout ce qui renferme quelques fucs. Eggede rapporte un fait , dans fon journal du 7 Janvier 1738 , bien propre à donner une idée de l’intenfité du froid dans le Groenland. Ce Voyageur y dit : ce » 2 2 Lb 2 32 2 bb] 2 Que ce jour, la cheminée de la chambre où 1l fe tenoit , fut remplie de glace jufqu’à l'ouverture du poële, & qu’il ne fut pas poflible de la faire fondre de toute la journée, quel- que feu’qu'on fit dans ce poële. L’ou- verture extérieure de la cheminée éroit bouchée par une couche de glace très-épaifle , qui y formoit comme une forte de couvercle; celui- ci étoit parfemé de quelques petites ouvertures , par lefquelles la fumée avoit de la peine à s'échapper. Les portes de la maifon, de même que les murs, étoient recouverts d’une forre chemife de glace, & les in- terftices étoient calfeutrés de neige. Tout étoir gelé dans Pintérieur des DANS LES MERS DU NORD. 207 habitations ; le lingedansles armoires; les bois de lit , les plumes & le duvet des couflins & deslits, & le tout étoit ‘recouvert d’une couche de glace d’un ‘pouce d’épaifleur. On fut obligé de couper la viande comme on brife une pierre, pour la retirer du vafe où on la confervoit; on eut de la peine à enfoncer la pointe du couteau dans la fuperficie , même après l'avoir fait bouillir long-temps dans de leau de neige fondue. C’eft à ce degré qu’étoit alors le froid , à la baie de Difco. Communément cependant , le froid s'adoucit par intervalles, & -ne fe foutient que rarement à ce point de ‘figüëur pendant plufeurs jours de fire ; le cemps change ordinairement tous ks quatre ou cinq jours ». Le grand froid commence au Groen- land , comme dans les autres parties de l'Europe, vers le premier de Janvier; il eft fi âpre en Février & Mars, que les pierres fe fendent & éclatent ; la mer fume alors comme un four à chaux, 208 HISTOIRE DES PÊCHES particulièrement dans les baies. Cepen- dant le froideft plus fupportable dans les endroitsou le brouillard épais donne ,que dans ceux où l’aireft ferein & fans nuage ; on s’en apperçoit quand, de l'intérieur du pays on arrive fur les cotes, ou fur le rivage obfcurci par les vapeurs épaifles qui s'élèvent de la mer ; on éprouve alors une température bien plus douce , & un froid moins rigoureux , quoique les vêtemens & les cheveux foient dans un moment couverts de givres , qui fe convertiflent en glaçons, & qui forment une infinité de criftaux. tranfparens. Ces brouillards , quoique. plus fupportables que le froid fec & piquant, font infiniment plus-dange- reux , & agiflent avec plus de violence fur les parties du corps : les mains & les pieds font bientot remplis d’enge- lures , & courent le plus grand rifque de fe geler. C'eft dans ce temps qu’on voit congeler l'eau fur le feu, avant d'y prendre une forte ébullition, que la gelée prépare une route commode fur la DANS LES MERS DU NORD. 209 la mer, pour aller par la glace, d’une Ifle à l’autre; que les Groenlandois meurent fouvent de faim, faute de pouvoir aller à la chafle ou à la pêche; & que , quand même ils feroient en état de fortir de leurs huttes & de réfifter au froid , ils n’en feroient pas plus avan- cés, puifqu'ils ne trouveroient rien pour fe fubftanter. Un hiver aufli rigoureux eft toujours long. Cependant les Groenlandois comp- tent leur été ducommencement de Mai, à la fin de Septembre ; car, pendant les cinq mois qui s’écoulent de Mai en Septembre, ils fe tiennent fous des tentes, & abandonnent leurs tanières. La terre n’eft parfaitement dévelée, qu'au mois de Juin , & alors même, elle ne left qu'à fa fuperficie , & il neige continuellement jufqu’au folftice d'été. . Il recommence à neiger dès le mois d'Août, mais la terre. n’en eft entièrement- couverte qu'au mois d'Oc- cobre. On affure cependant qu'il tombe moins de neige & de pluie au Groenland Tome IL. pt | 210 HISTOIRE DES PÊCHES qu'en Norvége : on voit rarement que la neige s'élève à plus d’un pied fur le rivage , excepté toutefois, aux endroits où le vent l’accumule , mais elle ne refte pas bien long-temps amon- celée ; car, lorfque le foleil ne la fond pas, le même vent la difperfe ; & alors, l'air en eft fi rempli, que les Groen- landois n’ofent pas fortir de leurs de- meures, parce qu'ils en feroient pro- digieufement incommodés. Il arrive quel- quefois , pendant plufeurs années de fuite , que la neige refte fur la terre, depuis l’équinoxe de l'automne, jufqu’au folftice d'été; elle eft même , dans cer- tains Heux bas, tellement accumulée & durcie par le froid , qu’on peut faci- lement & fans danger s'y promener à patins. Cette neige ne fond pas faci- lement, & 1l faut plufeurs jours de pluie continuelle pour la fondre. L'été | moins long au Groenland qu'ailleurs , y eft néanmoins fi chaud, qu'on eft obligé de quitter les habits plus pefañs, pour vaquerà fes occupations DANS LES MERS DU NORD. 211 ordinaires , particulièrement pour fe rendre dans les baies , ou fur les plages abritées, parce que les rayons du foleil y font beaucoup plus ardens, à raifon du foyer .qui les réunit: L'eau qui refte alors dans les cavités des ro- chers, y eft rellement cuite par l'ardeur du foleil, qu’elle fe criftallife au point de donnerun feltrès-fin, & blanc comme neige. La chaleur eft fi forte dans ces mêmes mers qui reftent gelées pendant fix mois de l’année , que dans certains beaux jours d'été, le goudron fond & coule le long des navires qui en font enduits. Ce phénomène eff, à la vérité, rare ; car, d'un côté , les chaleurs d’été {ont ordinairement . tempérées, par les vents qui foufflent deslfles qu'on nomme Yferlanden ( les..Ifles de Glace ). Ces vents fonc fi frais, qu'on eft obligé de reprendre vers le foir , les habits chauds dont on s’écoit débarraflé dans la jour- née., D’un'autre côté aufli, la cote eft fouvent couverte de nuages. très-fré- quens depuis Avril jufqu’en Août; ils O0 & 212 HISTOIRE DES PÊCHES forment quelquefois un brouillard fi épais , qu'on peut diftinguer à peine un navire à une trés-petité diftance ; ce brouillard eft fouvent fi bas, qu’à peine on le diftingue de l’eau de la mer, de laquelle il s'élève; alors, cependant , la cime des montagnes fe fait apperce- voir dans un atmofphère clair & dégagé de toute efpèce de nuage : enfin, le Voyageur élevant la tête, refpire aux rayons du foleil , un air pur, pendant que, fes pieds enfevelis dans l'ombre , il femble marcher dans les ténèbres. L'automne eft , en général, la plus belle faifon du Groenland; car, à pro- prement parler, il ny a pas de prin- temps , puifqu’on ypaffe très-rapidement de l’hiver à l'été. La durée de l’automne eft très-courte; les nuits: très - froides en diminuent fouvent l’agrément & les avantages. C’eft dans cette faifon que, fous un horizon rempli de vapeurs, & éclairé par les rayons du foleil qui les pénètrent , on voit des nuagés qui quél- quefois fe congèlent , & forment dans DANS LES MERS DU NORD. 213 l'air une forte de verglas tranfparent ; on les voit fur la mer, comme.un tiflu de glace aflez reflemblant à une toile d’araignée ; on les voit auffi. fe. prome- ner quelquefois dans l’atmofphère, fur la côte & dans l’intérieur du pays, tiflus de petites parties écincelantes., de la forme de petites, aiguilles. On a obfervé plus d’une fois , que les faifons fuivent l’ordre inverfe de leur température, à celui qu'elles fuivent dans le refte de l’Europe ; de façon que, lorfque l'hiver eft crès-rude dans les contrées tempérées , 1l eft très-doux au Groenland , & que le froid eft au contraire plus piquant aux contrées les plus feptentrionales , à proportion qu’il eftplusradoucidanslesnôtres. Quelqu'un a fait la remarque, que l'hiver de1739 fut doux à la baie de Difco, que les Oies , au mois de Janvier fuivant , arri- vèrent des contrées tempérées, à celles qui , d'ordinaire, font couvertes de glace & de neige, pour y chercher un air plus chaud , tant le froid étoit piquant O 3 214 HISTOIRE DES PÊCHES cette année dans les autres pays de l’Eu- rope. On remarqua aufli , qu’en 1740 , la baie de Difco fut abfolument fans glace jufqu'au mois de Mars, pendant que dans le refte de l'Europe , le plus grand froid fe fit fentir depuis le mois d'otobré jufqu'au mois de Mai. Cet obfervateur ajouté que le foleil qui, communément reparoît au Groenland, dans les premiers jours de Janvier , ne parut cette année qu’au mois de Février, quoique l'ait y fur beau & fereia. Il croit que ces deux phénomènes parti- culiers doivent être attribués aux douces mais infenfibles vapeurs de l’armofphère des contrées tempérées de l'Europe , qui furent chaffées für les côtes du Groen- land ; par l’intenfité du froid de certe année (1). L'hiver de r763 , qui fur fi rigoureux en Europe , fut fi doux au Groenland, qu’on ÿ voit des étés bien plus froids que cet hiver. En général, . (1). Il me femble que cette caufe eft bien hafardée,, & que c’eft tomber dans le grand inconvénient d’ex- pliquer ces jeux de la Nature, obfcurum per obfcurius. DANS LES MERS DU NORD. 215 Pair eft put au Groenland, vif & très- fain ; on peut y vivre en bonne fanté, jufque dans une vieilleffe aflez avancée, pourvu qu'on ait foin d’aller bien vêtu , de manger fobrement, & de faire un exercice régulier. On n’y voit aucune des maladies communes en Europe ; on y eft fujet feulement au fcorbut, aux inflammations des yeux, & aux maux de poitrine : ces incommodités proviennent de la diète longue & forcée que les habitans y font , & du froid exceflif, de même que de la blancheur extraordinaire de la neige qui éblouit & affecte prodigieufement la vue. Les pre- miers Miffionnaires Allemands , que le zèle le plus louable fit venir dans cette contrée féparée , & à une très - grande diftance du refte de l’Europe , y jouirent - pendant trente ans, d’une fanté inalté- rable ; ils ne furent fujets, pendant tout ce temps, malgré leurs pénibles travaux apoftoliques, à aucune maladie un peu férieufe , fur-tout dans les premières années où ils ne trouvoient qu'une O 4 216 HISTOIRE DES PÈCHES nouïriture, groflière , mauvaife & dé- goütante, & encore manquoient-ils très- fouvent de quoi fe fubftanter & appaifer leur faim. Ces Mifionnaires moururent dans l’âge le plus avancé & dans une vieillefle décrépite , entre ces rochers inacceflibles & couverts d'une glace éter- nelle, au milieu des neiges , pendant que leurs confrères payoientletributäla nature , à la fleur de l’âge, dans des pays plus chauds & abondans en tout ce qui peut contribuer aux commodités & aux agrémens de la vie. Les Groenlandois eux-mêmes fe préfervent de la rigueur du froid & réfiftent à l’âpreté de leur climat; ils font plus incommodés des chaleurs de l’été & des humidités de l'hiver, lorfqu'ils fe trouvent dans nos ports dans ces deux faifons; ils font in- finiment mieux dans leur patrie, malgré la rigueur & la longueur de leurs hiveïs. Le temps eft variable pendant l'hiver; la pluie n'eft jamais de longue durée, particulièrement à la baie de Difco, où l'été fe foutientfans variation. Les orages DANS LES MERS DU NORD. 2117 fubits y-font très-rares, de même que la grofle grèle ; le vent y eft cependant aufli variable qu'ailleurs ; & foit qu'il vienne des montagnes, ou de la côte, 1l n’eft jamais aufli froid qu’on fe l’imagine en Europe, 1l contribue même beaucoup à ramener le beau temps. M. de Buffon prétend que-les vents participent de la nature des climats d’où ils viennent, & qu'ainfi les ventsd’eft, qui font les vents du foleil, règnent fous l'équateur, & que les vents des deux poles doivent fouflerdans les pays les plus froids. Crantz démontre que ce raifonnement eft pré- cifément démenti par l’expérience ; il avance que plus on approche du pole arétique ,-& plus.aufli on y trouve les vents du fud;. ce vent même y caufe la gelée dans les hivers les plus froids. Ileft des remps, & particulièrement en automne, où les vents foufllent avec tant d'impétuofité au Groenland, que les maifons en-font ébranlées, que même quelquefois elles font renverfées, & les ruines jetées au loin. Dans ces ouragans, 2183 HISTOIRE DES PÊCHES il arrive ordinairement, que les tentes des habirans & des pêcheurs, que les navires même {ont enlevés & emportés ; qu'enfin l’eau de la mer enlevée par le vent, va inonder la côte, fous la forme d’une pluie abondante. Les Groenlan- dois affurent avoir vu des pierres de deux livres enlevées par l'ouragan , à une hauteur confidérable & retomber pour fe brifer en éclats. Lorfqu'ils veulent forur pendant ces tempêtes pour aller mettre leurs canots en sureté, ils fe traînent fur le ventre , crainte d’être emportés par le vent. Ces ouragans extraordinaires arrivent aufli quelquefois pendant l'été; alors ils pouffent les vagues de la mer dans tous les fens autour des navires; pendant cette tourmente , ils paroiffent être fur la furface d’un goufre dans lequel ils tournent fur leur quille avec une viîtefle incroyable. Les plus fortes tempêtes viennent de la partie du fud, & fe dirigent continuellement vers le nord ; elles s’y calment & finiflent par clatifier les eaux qui en avoient été DANS LES MERS DU NORD. 219 troublées par l'agitation qu'elles avoient éprouvée. Ces orages font annoncés par un cercle qui paroit autour de la lune, & par divers rayons de lümière diffé- remment coloriés qu’on apperçoit dans Pair. On voit quelquefois des nuages d’où il part des éclairs ; mais le tonnerre ne gronde que rarement , & lorfque par hafard il fe fait entendre , on peur difi- cilement diftinguer fes éclats, du bruit que la glace fait lorfqw’elle fe caffe par violence, ou de celui que font les énor- mes pièces de rochers, lorfqu’elles fe détachent avec fracas des montagnes. Les tremblemens de terre font très-rares au Groenland ; 1l n’y a pas dans toutle pays un feul volcan, quoiqu'il y en ait beaucoup en Iflande, qui en eft fi voi- fine. On n’y trouve pas même une feule pierre à feu, de forte que la nature, aufli avare dans les incommodités & les maux qu'elle diftribue , que dans les fa- veurs & les richefles qu’elle accorde, a réfervé pour les pays chauds les orages 220 HISTOIRE DES PÈCHES & les maladies épidémiques dont elle a préfervé les pays qu'elle a livrés à toute la rigueur du froid. Ji n’y a pas de nuit au Groenland pen- dant tout l’été, car auflitôc que le foleil entre dans l’Écrevifle , il ne quitte plus l'horizon au-deflus du 66°. degré. En deflous du même degré , il ne fe couche qu’à 10 heures ro minutes, pour reparoître quinze minutes après : 1l eft vrai cependant qu'il refte alors fous l'ho- rizon, trois heures & environ quarante minutes; mais pendant le mois de Juin, ilréfléchitconftammentfesrayons contre le fommet des montagnes; on peut dire que véritablement on ne le perd pas de vue pendant tout ce temps; & cela eft d'autant plus vrai, que pendant Juin & Juillet, lhorizon refte éclairé par un crépufcule qui approche tellement, par fa clarté, du jour vrai, qu’on peur facile- ment écrire fans lumière & lire l'écriture la plus menue. Les habitans profitent de ces longs jours & en tirent un grand parti ; ils chaflent & pèchent durant DANS LES MERS DU NORD. 221 toute la nuit, & les Navigateurs peuvent s'approcher fans danger des mers voi- fines le long de la glace. Quoique le foleil ne quite pas entièrement l’horizon pendant l'été , fa lumière n’eft cependant pas fi vive vers le foit qu’elle left à . midi; fon éclat s’affoiblit infenfiblement à mefure que fon difque s’abaïfle ; enfin elle s’affoiblit au point qu’elle n’a pas plus de vivacité que celle de la lune dans fon plein ; on peut alors fixer le difque du foleil fans que l’œil en foit affecté dé- fagréablement. + Par la même raifon qu'il y a au Groenland des jours fans nuit, il y a aufli des nuits fans jour. On ne voit abfolument pas le foleil à la baie de Difco, depuis le 13 Novembre jufqu'au 12 de Janvier ; rien ne répare la perte cotale de la lumière de l’aftre du jour, qu'un foible crépufcule ; ce crépufcule ne difparoit que lorfque les rayons du foleil recommencent à fe refléchir fur le fommet des montagnes , & qu'ils commencent aufli à pénétrer les nuages 222 HISTOIRE DES PÊCHES épais qui les interceptent, & qui oof- fufquent alors l'horizon. Malgré cette longue perte de la lumière du foleil , il s’en faut beaucoup que les nuits ordinaires foient fi obfcures au pole , que dans les autres parties du globe ; on diroit que la lune & les étoiles cherchent à fuppléer le foleil; car alors leur lumière paroit briller d'un nouvel éclat. Ce phé- noméne doit être attribué à la reflexion des rayons de ces aftres fur la neige qui couvre le pays, & fur la glace du fommet des montagnes, des baies & des marais : 1l en réfulte une lumière fi pure & fi éclatante , pendant ces nuics froides d'hiver, qu'on peut aller par- tout fans lanterne & fans falot , & qu'on peut même lire facilement dans un livre. La lune femble avoir pris la place du foleil, pendant labfence de celui-ci, pour veiller fur le pays; on ne la perd jamais de vue pendant fes longues ténèbres; mais aufli on ne lap- perçoit que rarément, ainfi que les étoiles, pendant lécé, & pour bien DANS LES MERS DU NORD. 223 dire , elle ne fe montre prefque pas: depuis le mois de Mai jufqu'au mois d'Août. La lune & les étoiles ne font pas les uniques fources ou caufes de la lumière, pendant les longues nuits du Groenland ; on y jouit d’une lumière continuelle qui étincelle dans la partie du nord. Cet avantage eft précieux pour le pays ; les rayons de certe lumière, continuellement en mouvement dans rous les fens , forment un des plus fingu- liers phénomènes de la nature. Sans entrer dans une differtation approfondie fur la caufe de cette lu- mière, je rapporterai une remarque de Crantz , fur une fingularité qu'il dit avoir obfervée au Groenland même, « Ni moi, dit cet Auteur, ni aucun » de ceux qui ont fait une longue réf- ». dence dans ce pays, n’avons jamais » apperçu l'aurore boréale dans la par- » tie du nord, ni dans celle du nord- » oueft ; car , l'aurore boréale n'’eft » certainement pas cette lueur bleuâtre »# refléchie contre l'horizon , à travers t24 HISTOIRE DES PÈcHEs » un nuage éclairé par le foleil : mais » la véritable aurore boréale :vient » conftamment du fud ou de l’eft, d’où » elle s'étend prefque toujours au nord- » oueft, & éclaire quelquefois l’hori- » zon ». Îl fuit de là, que l'aurore boréale a une direétion bien différente au Groenland , de celle qu’elle a en Norvége , dans la Laponie, en Rue, & dans les autres contrées de l'Europe. Au refte , comme les glaces de l’Iflande, &z {es volcans , font fitués à l’eft & au fud-eft du Groenland , & que ces mé- téores augmentent de temps à autre, & deviennent plus fenfibles, de même que l’aurore boréale , qui quelquefois a plus d'éclat qu’à l'ordinaire , il ne feroit pas impoflible qu’il y eut quelque rapport de correfpondance entre ces lu- mières, d’un côté, les glaces & les vol- cans de l’Iflande, de l’autre. Une fuite d’obfervations bien faites fur cet objet, pourroit nous donner bien des induc- tions fur la véritable caufe de la lumière de l'aurore boréale, qu’on ignore jufqu’à préfent; DANS LES MERS DU NORD. 225 préfent ; il eft très - incertain qu'on doive la chercher dans une /umière élec- trique , & encore moins dans le mélange de l’atmofphère du foleil avec celui de la terre. « Tout ce que j'ai obfervé , à l'égard » de ce phénomène , continue Cranez, » ceft que le temps fe radoucit, » à proportion que cette lumière eft » plus tranquille , & que fon éclat eft » moins étincelant ; qu'à proportion » aufli qu’elle paroït plus en mouve- » ment & plus rougeätre , les orages » fe montrent plus fréquemment dans » la partie du fud ». Cette obferva- tion de Crantz, eft abfolument con- traire à celle qu'on fait conftamment fur ce phénomène , dans les zônes tem- pérées. | . On a apperçu , depuis quelques an- nées , des feux follets qui, du haur du firmament, paroiflent fe plonger dans la mer; outre les arcs-en-ciel, les étoiles errantes , & autres lumières phofphoriques, qui font communes à tous Tome IT. ne 316 HISTOIRE DES PÊCHES les pays, on voit au Groenland , plus qu'ailleurs , de faux foleils & des cercles lumineux autour de la lune , même lorf- que Pair eft le plus pur & le plus dé- barraflé de nuages. « J'ai vu, dit Crantz, b) 92 9 3 32 3 32 23 22 2 29 92 rh] 2 3) D 9 9 9% 33 un arc-en-ciel qui, au lieu d’avoir fes belles couleurs , ne paroifloit qu'une bande grisâtre fur un fond très-blanc : l'air étoit alors obfcurci par un nuage de grêle très-épais. De tous ces phénomènes, aucun ne m’a plus étonné , & n'a plus captivé mon attention , que l’afpeét fingulier fous lequel les Ifles de Kookernen s'of- frirent à mes regards : ces Ifles me ‘parurent fous une forme tout-à-fait différente de celle qu’elles ont ordi- nairement ; c’étoit dans un jour, d’été très-chaud ; le ciel étoit abfolument fans nuages, & parfaitement beau. Je crus les appercevoir d'abord beaucoup plus grandes qu’elles ne font, & telles qu’elles auroient dü me paroître , fi je les avois confidérées avec une lu- nette d'approche; je les voyois fi près 3 2 3) 2 3 2 >>) Pb 3 D >») 9 LD] 3 2 3 3 3 3 29 32 DANS LES MERS DU NORD. 217 de moi, que, quoique je fufle à Godhaab qui en eft éloigné de quatre lieues , je pouvois facilement compter routes les pierres & les cavités des rochers , couvertes & remplies de glace. La décoration changea quel- ques momens après, & ces Jflés n'of- frirent à ma vue qu'une étendue de pays qui repréfentoit un bois coupé récemment. Bientôt après, parut un tableau mouvant , fous pluñeurs for- mes ; tantôt c'étoit des navires qui voguoient à pleines voiles, tantor c'étoit des maïfons , puis de grands châteaux, puis des ruines de tours qui fe préfentoient dans le lointain; des nids decigne,&nulleautresfigures grotefques que les nuages deflinent plus d’une fois , & qui, en fe féparant infenfiblement les uns des autres , finiffent par difparoîtreentièrement ». Au temps où ces phénomènes pa- roiflent , le ciel eft ordinairement fe- rein, quoique parfemé de petits nuages, comme quand le temps eft très-chaud P > 228 HISTOIRE DES PÈCHES & très-pefant. Lorfque ces vapeurs s’ar- rêtent à une certaine diftance, entre l'œil de l’obfervateur & un objer, cel, par exemple , que les Ifles de Kooker- ner, elles font grofhies comme lorfqu’on les obferve à travers une boule de verre; deux heures après , 1l s’élève ordinai- tement un vent doux de la partie de l'oueft qui raflemble ces vapeurs, & en forme un petit nuage qui met fin à ces jeux de la nature. Nous croyons faire plaifir à nos Lec- teurs intelligens , nous croyons même rendre un fervice aux Savans, en rap- portant les divers changemens de temps qui ont lieu au Groenland, d’un bout de l’année à l’autre , d’après les judi- cieufes obfervations de Crantz , qui s’eft donné la peine d’en faire une table féparée. as DANS LES MERS DU NORD. 229 OBSE RM AT T'ON S Faites au Groenland par Crantz, depuis 9 3 le mois d’ Août inclufivement de l'année 1761, jufqu'au même mois, rnclufive- ment aufft, de l’année 1762. L'urver de 1761, fut extraordi- nairement doux; le temps fut conf- tamment variable , & 1l tomba peu de neige. » Le foleil parut fans nuages au mois d’Août de la même année ; il étoit chaud ; il gréloit de temps en temps de la partie du fud; il y eut des brouillards vers la fin du mois; il gela , mais pas en mer ; malgré cela, il faifoit chaud; enfin, il tomba de la neige & une pluie très-froide. » Le vent fut au nord-eft dans les premiers jours de Septembre; le temps ferein & chaud; la glace avoit un pouce d’épaifleur aux endroits où le AN 230 HISTOIRE DES PÈCHES 32 22 29 ss 32 29 33 35 22 9 23 32 foleil ne pouvoit darder fes rayons ; le vent courut au fud ; l’air devint tempéré , mais pefant ;leventfe porta enfuite au fud-eft, & il tomba de la pluie ; enfin 1l s’éleva un grand orage qui parut d’abord dans le fud , & qui fut bientôt au nord : alors la terre fut gelée au point, que le foleil ne put procurer un dégel; la glace avoit jufqu’à trois pouces d’épaifleur dans les eaux douces. » Les vents du nord-eft régnèrent en Otobre ; la neige qui continua pendant quelques jours, fut empor- tée par un vent violent & très-froid; 11 neigea encore à la hauteur de fix pouces ; la neige ne cefla que par un très - mauvais temps qui venoit de la partie du fud. » Au commencement de Novembre, le vent du nord-eft étoic fi froid, que l’eau geloit dans les maifons ; les flaques d’eau qui font aux envi- rons, furent gelées aufli. Les baies fe remplirent de glace , & Ia mer DANS LES MERS DU NORD. 231 fut gelée ; cependant , le foleil étoit fi chaud pendant le jour, que la neige fondoit facilement. Le vent pafla au fud -eft, & nous donna de la petite grêle ; il gela, 1l grêla tout de bon; il neigea jufqu’à la fin du mois, que le vent courut au fud. » Tout fut couvert de neige pendant le mois de Décembre; le froid de- vint aufli rigoureux qu'il l'ait jamais été après un temps Orageux , AC- compagné d'éclairs & de foudre, mais 1l ne dura pas long - temps; les vents du fud-eft ramenèrent un temps plus doux, & l'année 1761 fut ainfi. » Le mois de Janvier 1762 s’annonça par les vents du nord & du nord-eft, qui amenèrent bientôt un froid très- piquant ; ils portèrent aufll en mer la glace ramaflée dans les baies ; le temps s'adoucit enfuite ; 1l tomba un peu de neige ; le froid fut fec, & ne dura que cinq à fix jours. » Le temps fut aflez conflamment P 4 232 HISTOIRE DES PÊCHES » 9 99 LE 23 3 29 3 3 39 35 23 25 35 35 Pb) Lp 939 35 33 25 3 D & le même , pendant le mois de Fé- vrier ; 1l grêla & il gela; enfuite le froid s’adoucit, & 1l tomba un peu de neige ; peu de temps après , 1 commença à geler encore , & à grè- ler par les vents de left & du fud-eft, enfin on eut du froid & de la grêle en même-temps. » Tout le mois de Mars fut comme un printemps précoce; le remps y fut plus doux qu'il ne l’eft ordinairement dans cette faifon en Allemagne; les vents de fud, de nord, & nord -eft foufflérent alternativement, mais 1ls s’adoucifloient dans le jour. » Le vent du nord-eft fut violent au commencement d'Avril, & donna un froid très-rude; il deviat fupportable dans la fuite ; le vent du fud-eft donna de la grêle : on commença alors À pouvoir fe pafler de feu, mais le froid devint fi vif vers la fin du mois, & dura fi long - temps, qu'il fallut fe chauffer de nouveau, quoique le vert d’éft eût occafionné le dégel. 3 Y 3 » 2 Le. 3 3 » 2 3 2 LD) > 3 >». LL 5 » 2 DANS LES MERS DU NORD. 133 » Le dégel fut interrompu au mois de Mai, par la neige qui tomba en abondance & qui ramena la gelée ; les jours devinrent enfuite aflez chauds, & les nuits reftèrent froides; à la fin du mois il tomba de la grêle. » Le mois de Juin s’annonça par fa chaleur ordinaire ; la terre dégela aflez profondément, & on travailla. les jardins pour les enfemencer. Il tomba enfuite une neige froide , & les vents fouflèrenr avec beaucoup de violence de la partie du fud-oueft. L'été parut; mais il fut tempéré par le vent du nord-eft ; ce mois finit par des brouillards & de la grêle, qui étoit jetée par le vent de fud-oueft. » Juillet donna de la grêle au com- mencement, enfuite il donna des jours chauds & agréables ; le vent du fud avoit donné une chaleur exceflive qui fut tempérée par les petits vents de l’oueft ». ” Crantz ajoute à la fin de ce journal, qu'il règne un grand filence dans tout le 234 HISTOIRE DES PÊCHES Groenland, & que ce filence augmente à proportion qu'on s'élève vers le nord. Il paroït , par les obfervations de Cranez, que les vents font auf variables dans cette contrée de glace, que partout ailleurs : 1l arrive même fouvent que le vent fouffle avec impétuofité entre les Ifles & fur la côte, pendant que la mer eft parfaitement calme; & qu'au con- craire la mer et furieufe , lotfqu’à peine on reflent fur la cote quelques légers fouffles de vent : on voit fouvent auf que les vents de terre , qui fouflent conftamment pendant les beaux jours, fe changent le jour d’après en vents de la mer. On remarque enfin, que pendant les rudes hivers, les vents du fud adoucif- fent le temps & donnent de la grêle; ceci arrive particulièrement à Di/co & fur la côte encore plus feprentrionale. Ces vears du fud font d'autant plus agréa- bles, qu’ils égayent les hommes & les animaux & les foulagent en leur procu- rant de l’eau douce à boite, parce qu'ils DANS LES MERS DU NORD. 235 amènent le dégel : ils augmentent néan- moins la glace, parce que la neige & la grêle qu'ils liquéfient, fe regèlent bien vite pendantles nuits froides, & en font d'autant plus difpofées à la congélation ; car l’eau qui a été chaude, fe congèle plus facilement & plus vite, lorfqu'elle eft expofée au grand froid. Frederic Martens qui, en 1671, ob- ferva à Spicsberg, la température de l'air & des faifons, nous a laiflé un journal de fes obfervations qui eft parfaitement conforme à celui de Crantz, quant aux points eflentiels. 236 HISTOIRE DES PÈCHES CHR PULT RE RUES Oëférvations curieufes & utiles fur les Mers @ [ur les Glaces du Groenland. o E n’eft feulement pas dansles contrées les plus favorifées de la Nature, que cette mère commune à tous les êtres, a placé des objets dignes de l'admiration d'un Obfervateur éclairé ; elle en a fage- ment diftribué aufli fur toutes les parties du globe , même dans celles dont elle paroît avoir défendu les approches avec la plus grande précaution. L'univers entier attefte fa puiflance & la variété de fes prodigieufes opérations. Dans ces endroits même , où elle cefle de nous offrir fes bienfaits & de nous en faire jouir, elle attire notre attention par la forme hideufe & gigantefque qu’elle y donne à certains objets, plus proptes , ce femble , à jeter, par leur afpect, la frayeur dans nos cœurs, qu'à à DANS LES MERS DU NORD. 237 augmenter la mafle des lumières de notre efprit. Entre tous ces objets effrayans, qui ne femblent avoir été fortis du néant, que pour compléter la chaîne de tous ceux qui concourent à la formation d’un tout fi diverfifié , les énormes montagnes de glace que le Créateur femble auñi n'avoir placées aux deux poles que pour y porter les deux extrémités de l'axe de la cerre , méritent l'attention particu- lière de l’homme, curieux d’étudier la nature & de la connoître autant que poflible , dans ce qu ir préfente de plus impofant. À voir les montagnes de glace qui floctent fur routes les mers qui entourent & qui entrent dans les côtes du Groen- ‘land, on diroit que ce vafte continent n’eft lui-même qu’une mafle énorme de glace : ce coup d'œil, quoique effroyable, ne laifle pas d’avoir quelque agrément, en ce que ces montagnes ambulantes, apperçues à une très-grande diftance, repréfentent toutes fortes d’édifices. & 238 HISTOIRE DES PÈCHES autres grands objets qu’on fe plaît à confdérer comme des chefs - d'œuvre de l'art. Ici c’eft une églife qu'on croit appercevoir , ornée de plufieurs tours fort exhauflées ; 1à, c’eft un château entouré de bois & de jardins fpacieux ; quelquefois on croit voir dériver un na- vire paré de toutes fes voiles enflées par un vent doux & léger; 1l arrive même aflez fouvent que le Navigateur le plus exercé, trompé par la diftance, fait force de voiles & dirige fon cours vers ce faux navire pour l'approcher & l’araifonner. Souvent ce font de grandes Ifles flottan- tes, dont le plateau s'élève à plus de fix cents pieds au-deflus du niveau de la mer. Un de nos Marins, qu’on ne peut pas taxer de crédulité puérile & qui mé- rite toute confiance , aflure qu'on a apperçu plufieurs années de fuite, dans la baie de Difco, où l’eau a plus de trois cents brafles de profondeur, des mon- tagnes de glace fi prodigieufes, qu'on donna à l’une de ces énormes mafñles de glace, le nom de la ville d'Am/ferdam , DANS LES MERS DU NORD. 239 & à une autre celui de la ville de Harlem. Les Navigateurs, felon lui, venoient calfater leurs navires fur ces Ifles & y décharger leurs cargaifons, pour pouvoir les mettre fur le côté. Cette glace eft, pour l’ordinaire, très- dure ; elle eft claire & tranfparente comme du verre; elle paroït d’un verd pâle, ou d’un bleu de ciel; mais quand il dégèle, ou qu’on la fait fondre, elle eft d’une blancheur éblouiffante : on en trouve de grisâtre, 8 même tirant fur le noir; cela provient de ce que le vent & la pluie y jettent des faletés & quel- ques parties légères de terre, qui s’unif- fent aux différentes couches & qui leur fervent de ciment, comme la chaux en fert aux pierres. Ces mafles de slace, grandes & pe- tites, donnent les unes contre les autres dans les baies du détroit de Davis, où elles font innombrables ; ces baies en {ont particulièrement couvertes au prin- temps, après une tempête quilesdérache des côres voifines & en jette les glaçons 240 HISTOIRE DES PÊCHES dans le détroit : elles fe heurtent conti- nuellement, s’amoncélent les uaes fur les autres & bouchent enfin le petit paffage qu’elles avoient laiflé à l'entrée de plufeurs baies & dans quelques en- droits du détroit. Quelques-unes s’atta- chent fortement au fol du rivage, & y reftent inébranlables jufqu'à ce que le foleil les ait fondues, ou que le reflux, les ouragans & les courans les en déta- chent pour les emporter dans la mer. Il y a de ces mafles de glace, qui s’accroiflent tellement entre les rochers où elles fe forment, qu'enfin, par un accroiflement fucceflif ou des pièces qui tombent des rochers, où de la neige qui, après la gelée, fait une nouvelle couche, elles furpaflent en hauteur les rochers les plus élevés auprès defquels elles ont pris confiftance. Elles font de couleur bleue, creufes en plufeurs en- droits & comme écaillées par la pluie; c’eft ce qui facilite leur accroiflement , parce que la neige qui tombe, remplit ces cavités, & prend à la première gelée, ; ja DANS LES MERS DU NORD. 241 la confiftance de la glace, & ainfi elles s'élèvent progreflivement tous les ans à une hauteur prodigieufe. Celles - ci fonc plus folides & plus ftables que celles qui fe forment par le cumulement des glaçons flottans, & elles n’en font pas moins remarquables par la diverfité des objets qu’elles repréfentent. Il n’eft rien dans la nature qu’elles ne paroiflent re- préfenter de loin, pour peu qu’on donne carrière à l'imagination : on croit voir de grands arbres avec leurs énormes branches; les Aocons de neige qui pen- dent de rous côtés à ces ramifications de glace, en repréfentent les feuilles : la ce font des colonnades régulières , d'une hauteur prodigieufe ; ici des arcs de triomphe majeftueux & élevés; là des galeries ; ici des frontifpices de maifon avec des fenêtres, &c. &c. Les divers traits bleuâtres de lumière, qui partent de ces énormes glaces, fe réfléchiflent au loin avec un éclat dont il eft impof- fible de fe faire une idée. On n’eft pas d'accord fur la formation Tome IT. pr | Q 242 HISTOIRE DFS PÈCHES des glaces dont l'amoncèlement donne enfin ces hautes montagnes flottantes. Certains Navigateurs prétendent qu'elles prennent naiflance dans les baies même, qui , felon eux , fe glacent jufqu'au fond ; qu'enfuite elles font détachées au printemps par la fonte de la neige, & qu'accrues prodigieufement , par la neige & les frimars qui les couvrent, le vent les entraîne dans la mer. L'ex- périence eft contraire à cette opinion, parce que premièrement, la mer ne fe gèle jamais jufqu'au fond, & qu'il eft très-rare qu'elle fe gèle à plus de fix pieds de profondeur, même dans les baies les plus tranquilles & les moins profondes; parce que, fecondement les morceaux de glace qu'on en détache pour les fondre, donnent une eau douce, ce qui prouve évidemment que cette congélation a eu lieu dans les rivières & non dans la mer, & qu'ainf elles ont commencé à fe former dans les eaux douces des rivières & des ruifleaux. Peut- être ne font-ellesque desmañles détachées / , DANS LES MERS DU NORD. 243 des rochers qui ont roulé dans les riviè- res ou dans les baies, où elles ont reçu un accroiflement fucceflif par les diffé- rentes couches de neige qui fe font con- gelées fucceffivement auf. Ces mafles de glace , fufpendues aux rochers, ne dégélent prefque ja- mais à leur fommet ; elles s’accroiffent prodigieufement par la neige, & fe minent infenfiblement en deflous , lorf- que leur pefanteur eft parvenue au point de les affaifler ; elles fe dérachent du rocher avec un bruit effroyable , & roulant de rocher en rocher , elles fe précipirent enfin dans la mer : 1l arrive quelquefois qu'elles rombent direéte- ment du haut du rocher qui domine la baie, dans la baie même ; alors, 1l fe fait un mouvement fi violent, non- feulement dans la baie |, mais même dans la mer à une aflez grande dif- tance, que les petits navires , qui par hafard fe rrouvenc dans le voifinage , lors de ce fracas, en fonc jetés fur la côte , & échouent trés-{ouvent. Q 2 244 HISTOIRE DES PÊCHES La neige fait des trous & des ca- vités dans ces montagnes de glace, en dégelant aux ardeurs du foleil pendant le jour; cette neige fe gèle de nou- veau pendant la nuit, & doit né- ceflairement renfermer dans ces cavi- tés , une grande quantité d'air qui s'y trouve très-raréfié & comprimé ; cet air intérieur doit chercher à fe dégager , & à fe faire un chemin par la force de réaction , en faifant des efforts continuels contre les parois qui le retiennent en prifon ; il doit donc produire le même effet que lorfqu'il eft renfermé dans une bouteille d’eau qui s'eft gelée, & comme dans ce der- nier cas , 1l parvient toujours à fortir de fa prifon, en brifant la bouteille en mille pièces ; on le voit aufli s’échap- per avec force de la montagne de glace, en brifant les parois, & en fendant les couches de glace fous lefquelles il étoit renfermé. Ces explofions de l’air com- primé dans les cavités de ces montagnes, font prefque toujours accompagnéesd’un DANS LES MERS DU NORD. 724$ bruit effroyable ; elles donnent une fi forte fecoufle, qu'on eft obligé, lorf- qu'on eft à portée , de fe coucher ventre à terre pour n'être pas jeté au loin: au moment de l’explofion , la terre, les morceaux de bois , les pierres, les animaux , & enfin tous les autres corps étrangers que le hafard ou le vent avoit raflemblés dans ces cavités , font reje- tés avec force par ce volcan de glace, s’il eft permis de donner ce nom à deux caufes fi différentes, le feu & le froid , qui produifent les mêmes effets. On ne peut difconvenir que ces mon- tagnes flottantes ne rendent la navi- gation du ‘nord pénible & dangereufe; cependant , le danger n'eft pas auf grand qu'on pourroit le croire d’après cette defcription. On apperçoit ces mon- tagnes de fort loin, & elles dérivenc à une grande diftance les unes des autres; on peut donc les éviter facilement : cependant un brouillard épais peur les dérober à la vue; une forte tempête peut y jeter les navires ; la force du st 246 HISTOIRE DES PÈCHES courant peut y entraîner pendant le calme , il eft certain qu'alors on court de grands dangets, & l’on rifque d’aller fe brifer contre ces redoutables écueils. Jarrivetrès-rarementnéanmoins, même dans la baie d'Hudfon | que quelque navire faffe naufrage en donnant contre ces montagnes de glace, car on prend la précaution d’avoir jour & nuit un ou deux hommes, fur l’avant dunavireou fur lès mâts, pour veiller, & faire éviter ces écueils. Les plages de glace mou- vante font bien plus dangereufes que les montagnes. Les côtes du détroit de Davis font roujours bordées de ces glaces détachées, au point que les Na- vigateurs font .continuellement obligés de les éviter & de les tourner jufqu'à ce qu'ils trouvent une ouverture pour pañler à travers ; il eft d’ailleurs très- dangereux de s'y enfoncer ; le vent, les courans , la marée, une tempête, raflemblant quelquefois ces glaces flot- tantes autour du navire , on cout alors les plus grands dangers d’être renfermé, DANS LES MERS DU NORD. 247 preflé, & enfin brifé en mille pièces. Ces glaçons ambulans forment des efpèces de radeaux de deux cents milles de long, fur foixante ou quatre-vingts de large; ils fe fuivent de fi près, que, lorfque le vent ne les fépare pas, on peut facilement fauter de l’un à l’autre. L'épaifleur de ces glaces n’eft pas tou- jours égale , mais elles ont communé- - ment de 9 à 12 pieds; ces glaçons font falés, puifqu'ils font formés par l’eau de la mer; ceux qui ont été formés dans les rivières , font doux ; quoique mêlés avec les premiers, il eft facile de les diftinguer.,, parce qu’ils font beau- coup plus tranfparens ; l’épaifleur de ceux-ci eft beaucoup plus forte, on en trouve qui ont depuis quatre juf- qu'à dix brafles. L’air devient plus froid à propoïtion qu'on s’en approche; un brouillard épais & fort bas, les annonce toujours , ce qui fait qu'on y donne prefque toujours fans s’en appercevoir. Quelques Navigateurs ont cependant obfervé au détroit de Davis, que ce Q 4 248 HISTOIRE DES PÊCHES brouillard fe diflipe à l'approche des navires , & que , plus on s'avance vers le nord, moins on trouve de cetteglace, que même l'air y eft moins froid. Lamercommenceàcharrier des glaçons à Spitzberg, aux mois d'Avril & de Mai; c'eft cette glace qui arrive en très-grande quantité au détroit de Davis, après avoir parcouru la côte orientale du Groen- land & fuivi la côte occidentale pour : entrer dans le détroit; il y en vient aufli de la Nouvelle Zemble; on a re- marqué que la glace fe détache beau- coup plutôt par-tout ailleurs qu’à Spitz- berg, d’où l’on a conclu que néceffai- rement le bout du pole doit être une terre ferme & non une mer, puifque la glace y refte attachée; car, s’il en étoit autrement , elle flotteroit comme dans les autres mers voifines. Un Voyageur qui a cherché depuis peu à découvrir, avec quelque certi- tude, d’où vient la grande quantité de glace qui embarrafle fi fort la navi- gation au détroit de Davis, croit pouvoir DANS LES MERS DU NORD. 249 aflurer que certe glace ne fe forme pas dans le détroit même , 1l appuie fon aflertion fur deux faits : le pre- mier , ditil, c’eft que le flux & le reflux y font fi forts, que l’eau du décroit eft fortement agitée fans inter- ruption , &: que ce mouvement conti- nuel eft un obftacle invincible à la formation de la glace; le fecond, ré- fulce de ce que le courant y eft très- rapide , & que cette rapidité eft encore augmentée par l’impécuofité du venr, obftacle non moins infurmontable que le premier, & qui eft fondé fur le ême principe. Le peu de glace qui fe forme entre les Ifles & dans les baies qui font à l’abri des vents, celle même qui fe forme dans la baie de Difco, difparoiflent bientot , & les courans qui portent fur la côte d'Amérique, y entraînent ces glaces. Il eft donc certain que ce font les glaces de la côte orientäle du Groenland qui fe rendent dans le détroit de Davis, en cotoyant la mer occidentale qui conduit 250 HisTOiRE DE PÊCHES au détroit : il paroït également cer- rain que cette prodigieufe quantité de glaces ne peut venir que de la. Mer Glaciale, qui, s'étendant de la Tarta- rie jufqu’au pole , eft aflez vafte pour la fournir. Ce Voyageur fe fait une objection qui paroit très-forte , en ad- mettant le fyftêème de M. de Bufton. Si l’extrémité du pole n’étoit qu’une vafte mer, & que cette extrémité ne fut pas une terre ferme , il eft certain que la congélation y feroit impofhbie, au point de donner une quantité de glace aufli procigieufe que celle que nous voyons arriver au détroit de Da- vis, & que nous fuppofons y être portée de la côte orientale du Groen'and. Cette mer, fuppofée à l'extrémité du pole, devroit être prodigieufement agitée par le flux & reflux qui devroient y être continuels ; les vents y fonc très - va- riables & violens, & les vagues de cette mer devroient être continuelle- ment en fureur. Comment fuppofer , d'après ces faits inconteftables , qu’il DANS LES MERS DU NORD. 25€ peut s’y former aflez de glace, pour compofer ces immenfes radeaux dont j'ai parlé plus haur ? il eft certain , d’ailleurs , qu’il ne fait pas fi froid fous le pole , qu’on pourroit bien le croire , eu égard à fa pofition. Pour répondre à cette Go ce rar ur aflure que cette quantité énorme de glace eit four- mie en paie par la Mer Glaciale, en partie par les fleuves & les rivières qui s’y jettent, par la mer de la Nou- velle Zemble , & enfin par la mer qui baigne tout le haut de la côte orien- tale du Groenland, inconnue jufqu’à préfent , 8 que toutes ces glaces por- tées par un courant rapide fe réglé , dans le dérroit qui fépare l’Iflande du Groenland , fuivent enfuirte le même . cours , & fe rendent au détroit de Davis après avoir doublé le cap Farvel ; que dans leur cours, elles font encore aug- mentées par les glaces qui foïtent des baies & des Ifles de la côte occiden- tale de Groenland La providence femble s'être attachée 252 HISTOIRE DES PÊCHES particulièrement à réparer les dégâts & les incommodités que la mer caufe au Groenland, par des avantages précieux que cette même mer procure àce pays fté- rile,inculte &fauvage. La nature a refufé au fol du Groeland une qualité qu'elle a prodiguée à tant d’autres pays; c’eft celle de produire des forêts & des arbres de différente grandeur, & d’efpèce dif- férente. Le Groenland ne produit pas un feul arbrifleau, mais l'océan jette fur fes côtes une quantité immenfe de bois ; c'eft avec ce bois, que la mer vient dépofer fur les rivages, dans les plages , & pour ainfi dire fous la main des Groenlandois , qu'ils bâtiffent leurs hutres & leurs tentes , qu'ils conf- truifent leurs nacelles & leurs batelets, qu'ils font leurs flèches & leurs har- pons : ce bois fournit à leur chauf- fase, à leur lumière, & à une infinité d’autres befoins preflans dans leurs mé- nages. Cette provifion de bois eft très-abon- dante & très-diverffiée ; la mer leur DANS LES MERS DU NORD. 253 porte des faules, du bouleau, des aunes &c des peupliers. Ces arbres arrivent des baies du fud ; cependant le plus grand nombre de ces arbres font des pins & des fapins ; le bois de ces derniers eft dur & rougeûtre, les veines s’y montrent à découvert, & on les diftingue très- facilement ; l’odeur en eft plus fuave que celle des fapins ordinaires du Da- nemark. On ignore abfolument de quel pays tout ce bois arrive fur les côtes du. Groenland ; mais, certainement, il doit avoir crü fur un fol fertile, fous un climat froid, & dans un pays monta- gneux : 1l ne peut pas venir de la terre de Labrador , contrée de l'Amérique & voifine du Groenland; les glaces font portées fur les côtes de Labrador par les courans des mers du Groenland. Il eft donc vifble que ces courans feroient contraires au flottage des arbres, & qu'onne peut-pas fuppofer qu’ils viennent du nord de l'Amérique. On pourroit néanmoins foupçonner que ces arbres 254 HISTOIRE DES PÊCHES feroient d’abord charriés par la mer, des côtes du Canada à celles de Spitz- berg , & qu'enfuite, entraînés avec les glaces, ils artiveroient comme elles, de Spitzberg fur la côte occidentale du Groenland. Mais alors ces arbres de- voient être de ceux qui croiflent au nord de l'Amérique, & particulièrement des chènes qui fout très-communs dans le Canada ; cependant, parmi tous les arbres jetés fur la côte du Groenlaïd, on ne trouve pas un feul chêne , on n'y trouve que quelques planches de ce bois, qui font viñiblement des dé- b:is de pavires qui fe perdent. M. Ef/s, qui dit avoir trouvé beaucoup de ces arbres dans la baie de Hudfon, rap- porte que les Groenlandois de cette contrée , penfent que ces bois leur vien- nent de Norvége ; mais il remarque que les vents du nord-oueft qui font violens & très-fréquensdansces parages, devroient s’oppofer à l’abordage de ces arbres, & les chafler loin des côtes : il remarque encore que les courans qui DANS LES MERS DU NORD. 255 viennent du fud, & qui fe dirigent vers le détroit de Davis & vers la baie de Hudfon , écarteroient tout ce qui, ve- nant d'Amérique, prendroit fon cours vers les côtes du Groenland. M. E//s conclut que tous ces arbres viennent des côtes méridionales du Groenland même ; il fonde fon opinion fur le jour- nal d'Epgede | que certainement il n’a pas entendu. Evgede dit feulement que la partie méridionale du Groenland produit des faules & des aunes de la groffeur de la cuiffe. Or, 1l eft certain que les arbres jetés fur la côte occi- dentale font infiniment plus gros; que d’ailleurs , la plus grande quantité con- fifte en pias, dont on pourroit faire des mâts de navires ; 1l eft certain auf que la côte méridionale du Groenland ne produit pas des arbres de cette qua- lité ni de cette groffeur. Il eft inconteïftable que les courans {euls apportent ces arbres ; 1l eft encore bien certain que ces courans viennent de l’eft. D’après ces deux obfervations, + 256 HISTOIRE DES PÈCHES il feroit tout fimple de conclure que c’eft l’Iflande qui fournit tout ce bois à la côte occidentale du Groenland ; mais 1] n’en eft pas moins certain aufh qu’on trouve une quantité prodigieufe de ces arbres , fur la côte du fud-eft de l’Ifle de Jeanmayen, qu’on y en trouve même affez pour fournir à la cargaifon entière d’un navire ; il faut donc chercher plus haut que l’//Zande , la contrée qui fournit ces arbres, foit fur le pole, foit plus loin à left du pole. On ne peut pas fuppofer que ces arbres viennent du pole ; car, quand bien même le pole feroit une terre ferme , les arbres qui y croitroient, ne pourroient Jamais pat- venir à la grandeur de ceux que la mer jette fur la côte occidentale du Groen- land , & fur la côte de Jeanmayen ; ce feroit tout au plus de petits arbres, tels que ceux qui croiflent au fud du Groenland. Il paroït donc trés probable , &c à-peu-près certain, que cette quantité de bois vient de la Szbérie, ou de la Tartane Afiatique. Ces gros arbres, {à qui DANS LES MERS DU NORD. 257 qui croiflent fur les montagnes de ces contrées, font arrachés & déracinés par les vents impétueux qui y foufflent; les pluies abondantes qui y tombent, forment des torrens qui defcendent du haut des montagnes, & qui entraînent ces arbres dans les grandes rivières : celles-ci les portent par leurs déborde- mens, dans la mer. On conçoit alors qu'il eft très-facile que ces arbres , en- traînés avec les glaçons par les courans, arrivent dans le voifinage de Spitzbeïg. Une fois arrivés à cette hauteur, 1ls doivent être entraînés le long de 1a côte orientale du Groenland , & être portés enfin dans le détroit Fi Davis; & comme le courant commence à chan- get de direétion fous le 65°. degré, ces arbres. ne dérivent pas plus loin vers le nord , mais prennent leur cours vers loueft de l'Amérique : voilà pourquoi auffi il n’en arrive pas un feul dans la baie de Difco, ni plus haut. le I! eft cependant vrai, qu’il arrive auf des fapins au Kamschatka ; les habicans Tome IT. 1e: 253 HISTOIRE DES PÊCHES affurent qu'ils leur font portés par les vents d'eft ; il faut donc qu'ils leur viennent de la partie de l'Amérique, qui eft à l’oppoltion directe du Kam/f- chatka. On pourroit fuppofer que ces atbres , emportés par la violence des courans de l’eft à l'oueft , viennent effec- tivement de l'Amérique ; mais, que ne fuivant pas d’abord la direction la plus courte, à caufe de ces courans rapides, ils arrivent plutôt au nord de Spitzberg , après avoir dépañlé la bouche de Lena , grande rivière de la Tartarie ; que de-là, ils font emportés comme les autres , à la côte orientale du Groën- land. On trouve dans cette grande quan- té de bois qui eft jeté fur la côte occidentale du Groenland , des arbres fans racine & fans écorce, dontla vétufté eft atteftée par les piquures des vers. Ces arbres, fans doute , ont été pendant longues années le jouet des flots & des glaçons qui les ont jetés d’un côté & d’autre, & quidoivent les avoir dépouillés de leurs branches & de leur écorce. DANS LES MERS DU NORD. 259 Les marées font régulières au Groen- land comme par - tout ailleurs fur les côtes de l'océan; elles fuivent les phafes de la lune ; elles arrêtent la force & la direétion des courans. Du fud au nord, la marée diminue infenfiblement; fa plus forte élévation eft à rrois-brafles ; & à la baie de Difco, elle ne remonte déja plus qu'à un:pied ; cependanc, il y a‘ici de temps en temps, de hautes marées qui s'élèvent auili jufqu’à trois brafles ; cés-cas extraordinaires arrivent toujours Pendant la. pléine lune. Le vent contribue béaucoup: à haufler le flux, & l’on prévoit le plus ou le moins de hauteur du flux, par le plus ou le moins de vent. Les hautes marées font fuivies fouvent d’orages & de tempêtes , particulièrement dans le temps des équi- noxes ; mais on manque fouvent sn faire attention. | L’aiguille dela bo s'écarte de deux points 8: demi vers l’oueft , c’eft- à-dire ; environ vingt-huit degrés ; l'écart eft plus confidérable au fond R 2 260 HISTOIRE DES PÈCHES de la baie de Baffins, il eft de $6 de- grés ; c'eft aufli le plus grand écart qu’on ait obfervé jufqu'à préfent. Les fources hauflent & baiflent Hogis ce pays, fuivant les phafes de la lune, & fuivent à-peu-près le cours des ma- rées. Dans l'hiver , lorfque tout eft cou- vert de neige & de glace , on voit jaillir des fontaines , au temps du flux, dans les lieux même où il n’y a pas une goutte d'eau dans les temps ordinaires; ces fources tariflent avec le reflux ; on en voit même :dans des lieux beaucoup élevés au-deflus de la fuperficie de la met. Le te sd n’eft pas auf Lie pourvu d'eaux douces que les pays chauis; les’ fources dont l’eau eft ce- pendant très-claite & très-faine, fe font jour dans des rerreins humeétés par la neige , à travers laquelle elle: filtre & fe clariñie. On trouve dans quelques vallées, de beaux viviers ; 1is font tou- jours pourvus d'eau par la neige & la glace qui fondent fur les revers des æ DANS LES MERS DU NORD. 261 montagnes. Îl ne peut y avoir de grandes rivières dans un pays tel que le Groen- land ; il eft crop coupé par de petites vallées reflerrées entre des montagnes très-élevées , dont les fommets ne dé- gêlent jamais , & qui, par conféquent, ne peuvent pas fournir les grands tor- rens qui forment les rivières. Les fources qui donnent en été une eau aflez abon- dante, font bientôt interceptées par les grands froids d'hiver ; les hommes & les animaux mourroient de foifen hiver, fi la provicence ne faifoit tomber des pluies abondantes dans ce pays, pendant la plus rude faifon , & fi la neige fondue par ces pluies, n’entretenoit les viviers dont j'ai parlé, dans une abondance d’eau fufifante pour pourvoir à un des pre- miers befoins de la nature. 2 Fe 162 HISTOIRE DES PÊCHES : CORON FL EL RUE LS Caractère moral des Groentandois ; leurs V'ertus & leurs Vices. JE n'ai encore fait connoître le Groen- and , que par la ftérilité de fon fol, la rudefle de fon climat , les neiges & les glaces éternelles qui couvrent fes montagnes , qui obftruent les baies, & qui rendent laccès de fes côtes dif- ficile & dangereux. Je vais , dans les chapitres fuivans, crayonner la phyfio- nomie morale de ce peuple, qui habite une terre qu'on diroit maudite de la nature, tant elle éft ingrate & peu propre à y faire fupporter la vie aux naturels du pays ; ils femblent y avoir été jetés par hafard, & condamnés à s’y multi- plier. | Peut-on dire qu'un peuple fans religion , fans adminiftration , fans loix divines & humaines, poflède des DANS LES MERS DU NORD. 263 vertus ? C’eft la demande que Cranez fe fait à lurmême dans fon voyage au Groenland. Voici comme il cherche à y répondre , en nous donnant le tableau de quelques qualités morales de ce peu- ple ; qualités qu’il eftime propres à faire rougir, les peuples civilifés, & foumis aux loix du Chriftianifme. « Je fais, dit cer Écrivain, qu'on \ . reproche à ce peuple fimple, des vices hideux , & que plufieurs Voyageurs nous l'ont peint fous les couleurs les plus noires ; mais comme tous les objets peuvent être confidérés fous deux faces, j'ai eu le bonheur d’être _plus affecté de la douceur que de la barbarie de leurs mœurs. Je vais cependant préfenter ce peuple fous les deux afpe@s ; j'imiterai les bons peintres, qui, pour faire un portrait reflemblant , ne cachent aucun des craits qui pourroient rendre leur ta- bleau moins agréable : telle doit être lexaditude d'un Voyageur , s'il veut que fon journal ait quelque mérite ». R 4 264 HISTOIRE DES PÊCHES On dit que les Groenlandois font fauvages ; mais on fe formeroit une idée très-faufle de ce peuple, fi lon prenoit cetre expreflion dans le fens rigoureux, & fur-cout fi l’on entendoit par là qu'il eft cruel. Les Groenlandois ne fonc , par rapport à nous, que ce qu'étoient, par rapport aux Romains, les peuples qu'ils appeloient barbares , quoiqu'il y en eut entre ceux-ci, dont les mœurs & les coutumes éroient plus propres à faire le bonheur de l’huma- nité , que les mœurs & les loix des Grecs & des Romains. Les mœurs font l’appui le plus ferme de la fociété, & les loix ne font que les moyens de les conferver ou de les former. Les Voyageurs ont toujours ap- pelé Sauvages , les peuples qui font errans , & qui parcourent par bandes les déferts & les forêts, à l’inftar de certaines efpèces d'animaux. On à auf donné le nom de Payens aux peuples idolâtres , qui ont leurs temples , non dans des villes , mais dans des hameaux, DANS LES MERS DU NORD. 265 ou dans les champs. Les Groenlandois, loin d’être fauvages, barbares & incrat- tables, font au contraire, doux, pai- fibles & d’un caractère fociable ; ils font très-propres à tous les arts, & parti- culièrement à ceux qui demandent une complexion robufte & beaucoup de pa- tience ; ils vivent dans l’état de nature, ou du moins ils jouiflenc entièrement de la précieufe liberté qui en eft l’apa- nage ; ils ne font pas réunis en com- munauté, mais bien en fociété, par la force de l’intempérie de Fair qu'ils ref- pirent ; l’âpreté du climat les force donc à fe rapprocher, & à vivre les uns au- près des autres, fans être aflujectis à aucun de ces actes de fervitude, fruit déplorable & néceflaire de la proprièté des terres : ils doivent cette liberté particulière à la ftérilité du pays, fur lequel ils errent plutôt qu'ils ne l’ha- bitent. Depuis plus ce deux mille ans, ils vivent par bandes en peuple libre, fans avoir eu befoin de ces inftituttons qui devinrent néceflaires aux Athéniens 266 HisTOIrE DES, PÈCHES & aux.Spartiates, pour fecouer le joug de leurs tyrans & de leurs voifins trop puiflans. En un mot, les Groenlandois n'ont pas de maître, & ne doivent pas redouter de romber fous la puiffance de quelque Souverain ; ils ont été crop mal partagés par la nature, pour qu'il entre jamais dans le fvflême de quel- qu'un, de les foumertre au joug de la fervitude ; ils ne peuvent être traités plus durement qu’ils le fonc; & 1l fe- roit abfolument ridicule d'entreprendre de les affajettirà une puiffance fuprème, fous prétexte de rendre leur vie plus agréable & plus fupportabie. Il eft certain qu'ils vivent dans la plus grande pauvreté , fi toutefois l’in- digence & la mifère ne font pas des maux plus fentis par ces infortunés qui vivent dans la privation abfolue detoutes les chofes nécefaires à la vie , fous des adminiftrations policées, dans des pays cpulens, que par un peuple dont tous les individus, fans exception , font dans uñ dénuement égal des premiers befoins DANS LES MERS DU NORD. 2167 de l'humanité. Rien ne rappelle à ces derniers , comme aux premiers, l'af- freux fouvenir de leur mifère , pas même la faim qu'ils doivent endurer , parce qu'on s’accoutume à trouver raifonnable & néceffaire tout ce que la nature im- pofe de dur , lorfqu’on eft placé à une très-grande diftance de l’abondance , des douceurs & des commodités de la vie, & qu'on ne voit perfonne en jouir au- tour de foi. L'indépendance & la sûreté réci- proque des Groenlandois font tout leur bonheur; c’eft le feul qu'ils con- noiflent , & dont ils aient une idée. À l'abri de toute violence particulière, & encore plus d’une oppreflion géné- rale; ne craignant ni difputes, ni guerres, qui font la fource trop féconde de tous Jesmaux dela nature, & particulièrement des féaux. qui accablent la fociété , ils dormentauflitranquillesfousleurstentes, que le vent peut cependant emporter, que les Rois dans Le fond de leurs palais. On remarque, en général , que ce 168 HISTOIRE DES PÉCHÉS peuple, loin d’être rancuneux & mé- chant, a au contraire beaucoup d’ex- cellentes qualités, dont la douceur fait la bafe ; ils font même fi étonnés lorf- qu'ils voient les Européens qui font le commerce avec eux , fe quereller, sin- fulter & fe battre , qu’ils attribuent ces violences à l’ufage des liqueurs fortes: Lis ont perdu lefprit, fe difent-ils alors les uns aux autres ; /4 mauvaife eau les a rendus fous. Ils mentent très-rarement ; & jamais ils ne trompent un Voyageur qui leur demande des renfeignemens pour aller d'un lieu à un autre ; ils ont fouvent la générofité de faire une partie du chemin avec lui, pour le conduire juf- qu'à ce qu'il puiffe fe guider lui-même : mais, d'un autre côté, fi l’on accufe un Groenlandois d’avoir fait une maur- vaife ation, il ne l’avouera pas, crainte de perdre , par cet aveu , l’eftime dont il eft jaloux. Ils font enfans; & s'ils croyotent les petits menfonges qu'ils fe permettent quelquefois, auffi DANS LES MERS DU NORD. 269 déshonorans que le crime, ce feroit aflez pour leur donner la même averfon pour le menfonge que pour le crime. Quoique d’un caraétère doux & hu- main , ils font cependant fujets à une forte d’indifférence , qu’il feroit difficile d’excufer entièrement de cruauté : lor{- que, par exemple, ils voient une kaique ( barque }) flotter au gré des vagues, & dont le Pêcheur eft dans le plus grand danger de périr , faute de .{e- cours , ils l’'abandonnent à fon malheu- reux fort sil n'eft pas de leur com- pagnie ; ils préfèrent alors de continuer leur pêche , & ne l’interrompent jamais pour voler au fecours de l’infortuné qui va périr ; fi, cependant ils entendoient dans cette barque , des cris de femmes ou d’énfans , ils ne balanceroient pas alors de fe jeter dans la mer, pour aller les délivrer. Mais , lorfqu'ils partent en compagnie pour la pêche , alors, tout devient commun entre eux3 le travail, le péril, la peine, la mifêre; la faim même; & jamais ils ne fe \ +0 HISTOIRE DES PÊCHES refufent un fecours mutuel , qui s'étend à tous les befoins. Ils portent la tendreffe pour leurs enfans, jufqu'à l'excès ; une mère ne les perd jamais de vue ; fi, par hafard, elle en voit périr un dans l'eau , elle va fe jeter dans la mer, & y périt avec lui. Les veuves & les orphelins éprouvent toutes les calamités attachées à la foiblefle du fexe & de l’âge; lorf- que le père meurt, le fils aîné hérite de tout, & cet héritage confiite en une rente & une barque; mais cet héritage eft grevé de la néceflité indifpenfable d'entretenir fa mère & fes frères , avec lefquels il partage le refte des meubles & les habits du ménage. Si le défunt ne laifle pas un fils d’un âge aflez mûr pour PRUEE a {a fubfftance , à celle de fa mère & de fes frères, le plus proche parent eft héritier de droit , mais il eft obligé aux mêmes charges ; sil a lui-même une pofiefion, c’eft-à-dire, une tente & une barque, il doit céder l'héritage du défunt à un étranger, DANS LES MERS DU NORD. 271 parce que perfonne ne peut pofléder, au Groenland, plus d’une tente & plus d'une barque ; l’étranger accepte l’hé- rédité aux conditions ci-deflus énoncées. Lorfque les enfans font devenus en état de travailler , ils n’ont aucun droit au retrait du bien de leur père , quand bien même l'étranger qui en a été pour- vu , mourroit fans enfans , ou qu'il n’en laifleroit qu'en bas âge. Dans ce der- nier cas, les enfans adoptés fuccèdenc à l'héritage de ces orphelins ; ils en font les tuteurs, aux conditions de les nourrir. Jufque-là , il n’y a nulle 1n- juftice; mais, Voici en quoi pèche la coutume de ce peuple, faute de loix fubfiftantes. Auflitôc que ces enfans font devenus grands , & compris dans la clafle des Pêcheurs, la veuve qui les a nourris, peut difpofer à volonté de tout ce qu'ils gagnent, quoiqu'elle les eût abandonnés à eux-mêmes après la mort du père, & qu'on n’eüt pas pu la forcer à les élever. Il arrive fouvent auflh que la veuve & les enfans font 272 HISTOIRE DES PÊCHES réduits à mourir de faim, lorfque pet- fonne ne veut s’en charger, à caufe de leur pauvreté. Pendant qu’une pauvre veuve étendue par terre , pleure avec fes enfans la perte de fon époux , les voifins qui viennent pour la confoler ,| dérobent ordinaire- ment en cachette les habits & les uften- files du mort : elle n’a d'autre reffource alors, que de mettre dans fon parti celui qui a eu la plus grande part au larcin ; celui-ci l’entretient d’abord pendant quelque temps, & pendant ce temps, elle eft obligée ‘de chercher quelque autre homme de bonne volonté qui veuille fe charger d'elle; mais à la fin elle & fes enfans font-abandonnés à leur fatal deftin , c'eft-à-dire à vivre de moufle de Goumon (1) & de moules; enfin le froid & la faim la délivrent bien- tôt de cet état de fouffrance cruelle. II n’eft pas douteux que cette coutume (1) Plante qui croit dans l’eau ; on la nomme auf Sareck ,.où Jareck.. | barbare DANS LES MERS DU NORD. 273 barbare ne foit une des premières caufes de la diminution de la population au Groenland; tousles anscette diminution devient plus fenfible, particulièrement depuis que ce peuple a porté fes befoins beaucoup au-deflus de fes facultés & de fes revenus. Aucun crime n’eft puni de mort au Groenland, à l’exception du meurtre & du fortilège, parce que les Groenlandois penfent que le forcier & le meurtrier occafionnent fouvent des combats à mort. Un homme envieux & jaloux de la richeffe d’un autre, ou de fon atti- vité à fe procurer les befoins de la vie, n’attaque jamais fes pofleflions, quoique celui-ci foit plus à fon aife ; il va l’atta- quer en mer ; 1l renverfe fa kaïque , ou lui lance un harpon par derrière, & labandonne ainfi aux vagues qui l'ont bientôt englouti : les parens de l’affaf- finé diffimulent leur reflentiment jufque à ce qu'ils aient trouvé l’occafon de venger la mort de leur allié ; ils n’en témoignent pas la plus petite colère a: Tome IT. 274 HISTOIRE DES PÊCHES meurtrier, duffent:ils diffimuler pendant trente années; mais lorfqu’ils rencon- tent l’aflaffin dans l’intérieur du pays, quoiqu'il fe tienne continuellement fur fes gardes, ils le failiflent, lui repro- chent en peu de mots fon crime, & le font mourirfous un tasdepierres ,oubien le précipitent du kaut d’un rocher; ils vont enfuite le jeter dans la mer. Si quelquefois la foif de la vengeance les porte plus loin, tls deviennent enragés au point, qu'ils hachent le malheureux à petits morceaux, & mangent fon cœur & fon foie , pour ôter, difent-ils, à fes patens le courage de venger fa mort fur eux-mêmes. La vengeance eft hérédi- taire chez ce peuple, & pañle d’une gé- nération à l’autre; elle pafle même aux voifins , excepté cependant lorfque le premier meurtrier , qu'on pourfuit, a été un vagabond & un fcélérat, méprifé de fa propre parenté , alors perfonne ne cherche à venger fa mort. La juftice eft encore bien plus expé- ditive au Groenland contre les foi-difant DANS LES:MERS DU NORD. 275 forcières. Une femme qui pofsède quel- que fecret de charlatanerie & qui a limprudence de le Rae trop loin & la vanité de chercher à s’en faire gloire x eft bientôt accufée de forcellérie, & dès-lors fa perte eft aflurée. Un Devin eft confuité; fi cet homme dangereux rejette fur la vieille, la perte d’un fils, ou la mauvaife réuflite d’une chaffe ou d'une pêche , la prétendue forcière a beau prouver évidemment qu'elle n’y a nulle part, elle n'en eft pas moins im- molée : tout le voifinage fe raffemble autour d'elle pour la lapider , la jeter dans la mer, ou la hacher à petits mor- ceaux. Elle n'échappe au fupplice , que lorfque quelque allié, ou proche parent fe préfente pour en faire fon affaire & défendre l’accufée. La crainte des {or- cières eft poutfée fi loin au Groenland, & elle rend ce peuple fi cruel, que le mari poignarde fans remords fon époufe, & le frère fa fœur , lorfque l’une ou l'autre font foupçonnées de fe mêler de fortilèges : : perfonne ne fera un crime S 2 276 HISTOIRE DES PÊCHES au meurtrier d'une action aufli barbare. Les malheureufes viétimes de cette fu- perflition, vont fouvent d’elles-mêmes fe précipiter dans la mer, pour échap- per aux tourmens qu'on leur prépare ; elles préviennent, par ce défefpoir dé- plorable |, une mort cruelle que ces monftres fanguiriaires lui feroient fouf- frir. sisi Tels font les principaux traits du ca- rattère moral d'un peuple qui, privé d’une religion bien ordonnée , ne fuit que linftin@ de la nature , dont les vertus & les vices font trop peu carac- térifés par la rufticité de la vie qu'il mène , & par le manque d’objets propres à réveiller & à exciter les pailions, autant qu'à les régler & à leur donner de la vie. = Tout Voyageur qui voudra obferver avec quelque fuccès le Groenland, doit faire quelque attention à toutes fes par- ticularités , autant pour éviter d'être trompé par fa propre imprudence, en fe formant des idées tout-à-fair oppofées à la vérité, fur un pays quiluieftparfaitement DANS LES:MERS DU NORD. 277 inconnu , que pour ne pas tomber dans des plus grands embarras en y faifant quelque féjour. Si la plupart des Pècheurs Hollandois qui ont mis à terre fur ces cotes, euflenteu une connoiffance moins imparfaire des mœurs de ce peuple, ils auroient certainement trouvé plus de confolation & plus de fecours chez les Groenlandois, qu’ils ont calomniés faute de les connoître ; c’eft en faveur de ceux qui vificeront ce pays à l'avenir, que je me fuis un peu étendu en crayonnant à grands traits, le tableau des vertus & des vices de ce peuple véritablement à plaindre, habitant d’une terre auf ingrate. L 278 HISTOIRE DES PÊCHES CHAPITRE, XXI … Religion, ou plurôt Superflitions des Groenlandors. Ux péuple ignorant , qui paroït re penfer qu'aux jouifflances du moment, qui d'ailleurs eft parfaitement libre dans fes actions & dans toutes fes affe@ions, un tel peuple doit néceffairement adop- ter toutes les erreurs, routes les folies de Pefprit humain ; il doit tout croire en religion, ou n'avoir aucune croyance, . pas même aucune idée épurée de la Di- vinité. Tels font les Groenlandois. Ce peuple n’a aucun principe de morale, & ne profefle aucuneefpèce de culte. Quel- ques Navigateurs, aufli ftupides que le Groenlandois lui-même, ont penfé que le foleil & le diable étoient les Dieux du Groenland ; que ce peuple adoroic le premier & facrifioit au fecond : ces Voyageurs ignorans ont été crompés en DANS LES MERS DU NORD. 279 voyant les Groenlandois monter tous les foirs fur des élévations , pour confidérer le foleil rentrant fous Phorizon :1ls ne font dans cet ufage, que pour obferver, & juger du,temps du lendemain ou de la nuit, Ces. Voyageurs ont. encore été trompés en prenaat pour des autels, des petits emplacemens quarrés, pavés de pierres {ur lefquelles ils ont fnppofé que les Groenlancois faifoient leurs facri- fices , qu'ils y brüloient des entrailles de poiffon fur du charbon ardent. Ces lieux ne font autre chofe que des empla- cemens de tentes, jadis habités & aban- donnésaujourd’hui. Ce peuple n’aaucune cérémonie publique ou particulière de religion , & il yeft. fi écranger que. lorf- que les premiers Milionnaires. Danois asrivérent au Groenland ,. ils s’apper- : çurent bientôt qu’on n’y avoit pas la plus petite idée de Dieu, & qu’on parloit à ce peuple un lañgage nouveau en lui parlant de l'Etre fuprême : 1ls n’avoient pas même de nom dans leur langue pour exprimer la Divinité. Quand, les S 4 280 HISTOIRE DES PÈCHES Miffionnaires leur demandoient qui avoit fait le ciel & la terre ? leur réponfe écoit celle-ci : Nous n’en [avons rien, ou nous ne connorffons pas le faifeur, ou il a di être certainement très-laborieux & très- purffant. Ils difoient quelquefois, Les chojes ont êté toujours de même, 6 refte- ront bien dans le même étar. Les Miffion- paires ont cru néanmoins que ce peuple avoit une idée obfcure de l’exiftence de Dieu , fans pouvoir en rendre compte, mais que certe idée éroit grofhière,vague, déplorable & ridicule. Les fentimens des Miffionnaires à cet égard, paroît être con- firmé par l’idée extravagante que les Groenlancois fe font d’un lieu, où ils croient devoir vivre en fortant de ce mon- de. Il eft certain d’ailleurs que les Groen- landois ontune idée quelconque dela fpi- ritualité de l'ame, de la création , des efprits, &c.; qu’à la vérité ces idées font trés-vagues, mais qu'enfin ils n’en font pas abfolument dépourvus (1). (1) I paroït y avoir un peu de contradiftion dans DANS LES MERS DU NORD. 281. Crantyentredans un détail aflez curieux fur les idées extravagantes des Groen- landois, fur l'ame. «Il y en a, dit-1l, » qui croient qu'il n’y a dans l’homme » d'autre efprit que celui qui eft dans » les animaux, & que ces efprits fur- » vivent au corps ; mais ceux-ci font les » plus ftupides; les autres s’en moquent » & font les plus pervers; ils font leur » profit de cette doétrine abfurde. D'au- » tres penfent que l'ame eft le /écond » principe dans l’homme, mais que cette » ame eft matérielle & deftruétible , » qu’elle peut abandonner le corps à » volonté & y rentrer quand il lui plaït : » ils ajoutent qu’elle peut vivre feule » & hors du corps. D’autres partifans » du matéralifme, donnent deux ames » à l'homme, l'ombre & V’haleine ; Yom- » bre abandonne le corps pendant la ce paffage de notre Auteur Hollandois ; mais cette contradiHon prouve elle - même que ce peuple n’eft encore connu que très = imparfaitement ; & que les Voyageurs l’ont envifagé fous des afpets oppoiés, foit par ignorance, foit par prévention. 282 HISTOIRE DES PÈCHES 23 >] 32 3 2) 33 33 23 5 » p> 32 >] 2 » 329 » 32 23 33 3 nuit, elle va à la chaffe, à la pêche, au bal, & par-cout où 1l lui plait : en conféquence. ils regardent les rêves comme une abfence de l’ame , foit pendant le fommeil, foit pendant la maladie. Cette croyance eft fortement appuyée parles Devins, & les Sorciers qui ne négligent rien pour la propager, parce qu'ils s’actribuent la puiflance de rappeler lame, lorfque la fièvre & le délire viennent à ceffer; ils fe vantent même de la changer dans le corps d’un malade, & de lui fubfti- tuer, celle d’un lièvre, d’une renne, d’un oifeau, d’un enfant, &c. Ainfi ces Devins font troquer d’ame auxma- lades comme il leur plait. Que cette fuperftition ridicule foit ancienne ou nouvelle chez les Groenlandois , il importe fort peu d’en rechercher l’ori- gine ; 1l en réfulte toujours qu’elle eft fouvent utile aux pauvres; les veuves dans l’indigence la mettent à profit pour procurer la fubfftance à leurs enfans délaiflés, Lorfqau’un père de DANS LES MERS DU NORD. 283 » famille vient à perdre fon fils, une » veuve tâche de lui perfuader que » l'ame de cet enfant a pañlé dans le » corps d'un des fiens, dont elle a ac- » couché depuis la mort de l’autre; alors » ce père fuperftitieux fe fait un devoir » d’adopter l'enfant qu’on lui propofe; » il prend chez lui la mère, qui dès-lors » eft fa proche parente ; il nourrit & » entretient la mère & l'enfant ». Les Groenlandois intelligens, qui, ici comme partout ailleurs, font le plus petit nombre , croient que l’ame eft une fubftance fpirituelle qui ne fe noutrit pas comme le cotps , mais qui lui furvic après la pourriture ; ceux-là croient à l'immortalité, & à une autre vie qui ne finira jamais ; mais les fen- timens de ceux-ci diffèrent extraordi- nairement , tant fur cette immortalité, que fur la fpiritualité de cette ame. Les Groenlandois, retirant de la mer la plus grande partie de leur fubfi£ tance, il n’eft pas furprenant qu'ils aient l’idée la plus avantageufe de cet 284 HISTOIRE Des PÈCHES élément ; c’eft en conféquence de cette vénération pour la mer, qu'ils placent le paradis au fond de l'océan ; quelques- uns le placent dans les entrailles de la terre ; & d’autres, fous les voûtes des rochers qui féparent les eaux de la terre ; ils fe font de ce paradis une idée analogue à leurs affe@ions les plus douces & les plus flatteufes. La, difent- ils , règne un été continuel ( car les Groenlandois ne connoiffent pas le prin- cemps ); le foleil y luit continuellement, & défend à la nuit d’v étendre fes fombres voiles ; les eaux y font toujours lim- pides & d’un goût exquis ; tout y eft en abondance, fur-tout les Rennes , les Poules d’eau , le Poiflon, & par- iculièrement les Chiens de mer, qu’on y prend fans la moindre peine, & qui, d'eux-mêmes , viennent fe jecer tout vivans dans des chaudières qui bouillent fans interruption. Les Groen- lzndois ne penfent cependant pas que ce paradis foit ouvert à tous les hommes fans diftinétion ; mais ils penfent que , DANS LES MERS DU NORD. 285 pour y être admis, il fauc l'avoir mé- rité pat une vie laborieufe , & par une conftance à route épreuve. Les vertus cardinales des Groenlandois confiftent à une habileté confommée pour la pêche, à exceller fur-rout dans la pourfuire de la Baleine , & dans la chafle des Phoques , à braver les dangers, à-en- treprendre des voyages périlleux fur rerre & fur mer ; la mer eft leur champ d'honneur; la vertu la plus recomman- dable des femmes eft de mourir en couche. Ils croient que les ames n’en- crent pas au paradis en danfant; ils penfent au contraire que , pendant cinq jours , elles errent fur un rocher ef- carpé, pointu & couvert de fang, & que de là, elles gliflent infenfiblement dans la demeure des bienheureux. On doute fi cette idée n’a pas quelque ana- logie avec celle du purgatoire que les Européens yontportéeanciennement(1). (r) L’Auteur Hollandois & Crantz lui-même font allufion ici, aux premiers établiffemens faits fur les 286 HisToIRE DES PÊCHES Les ames qui font un voyage aufñi fca- breux pendant l'hiver , font portées fur les ailes des vents courroucés & ora- geux ; elles courent rifque de mourir une feconde fois en chemin ; cette mort feroit fuivie d’une deftruétion ab- folue ; & cette crainte tourmente les Groenlandois. Pour cette raifon, les proches parens du défunt doivent, par commifération , s’abftenir de certains alimens pendant cinq jours confécutifs ; ils doivent auflh éviter tout travail pé- nible, excepté les travaux de la Pêche, qui ne fouffrent jamais d'interruption. Cette abftinence & cette efpèce de re- pos s’obfervent pour ne pas diftraire lame pendant fon pélerinage, pour ne pas la fatiguer , ou même pour ne pas la faire périr dans le voyage pé- nible qu’elle a à faire pour arriver dans deux côtes du Groenland par les Norvégiens , qui y portèrent le Chriftianifme, long-temps avant la réforme ce Luther & de Calvin. Cette réflexion devoit naître naturellement dans l’efprit de deux Écrivains peu par- tifans du Catholicifme. 4 DANS LES MERS DU NORD. 287 lheureufé contrée vers laquelle elle tend, D’autres Groenlandois placent Le pa- radis dans le firmament au-deflus des nues : le voyage, felon eux, eft fi facile pour les ames, & elles arrivent fi promptement auprès des étoiles , que, dès le premier foir elles couchent dans la lune, où elles danfent & vont à la chaffe avec les autres ames qui y font de paflage. Les Groenlandois penfent que l'aurore boréale n’eft autre chofe que l’éclat que répandent autour d'elles les ames qui danfent à ce bal célefte. Ces Groenlandois habitent fur les bords d'un grand lac rempli de poiflons & d’oifeaux aquatiques. Les partifans du paradis dans les en- trailles de la terre, prétendent que le firmament n’eft fait que pour recevoir les ames des malfaiteurs & des forcières ; & que les ames de ces fcélérats doivent maigrir , &-enfin mourir de faim dans cette ftérile région aérienne , ou bien qu'elles y feront toujours tourmentées 288 HISTOIRE DES PÈCHES & déchirées par les corbeaux ; tout at moins , difent-ils, elles n’y auront ni paix, m1 repos; elles y toutneront fans cefle autour d'un centre commun, comme fi elles étoient emportées par les ailes d’un moulin à vent. Le petitnombre des fages Groenlandois fe moquent de ces deux fyftèmes, également fous, & fe retranchent à dire, qu'ils ignorent quelle fera la nourriture & l’occupa- tion des ames après la mort; maisque, certainement , elles habiteront une de- meute paifñible. Ceux qui croient à un enfer, le placent dans le fein de Ia terre ; ils en font une demeure téné- breufe ; la lumière n1 la chaleur n'y pénètrent jamais ; les foins, les cha- orins & les ennuis y règnent continuel- lement, & rien ne peut en diftraire les ames malheureufes qui y font ren- fermées. | Ce font auffi à-peu-près les idées de la Divinité qu’on trouve chez les Sau- vages de l'Amérique, & chez les hordes des Tattares de l’Afie. Les Groenlandois Ont ET DANS LES MERS DU NORD. 289 ont beaucoup de rapport avec ces peuples ; leurs mœurs, leurs coutumes & leurs fentimens font à peu de chofe près les mêmes, quant au fond; il femble qu’on pourroit en conclure qu'ils font originaires de ces contrées, & qu'ils defcendent de quelqu’une des hordes ambulantes de ces Sauvages ; mais il réfulte des meilleures obferva- tions , que plus on s'approche du nord, plus aufli les idées des peuples diffèrent & s’éloignent de la première origine. Cette diverfité eft auili frappante que celle des traits de la figure de ces di- vers peuples. Ce n’eft pas fans fonde- ment qu'on croit retrouver chez les Gtroenlandois , des traces de la religion des Européens , relativement à la créa- tion , à la fin du monde & au déluge; il eft vraifemblable que ces idées leur viennentdes Norvésciensqu'ilstrouvèrent établis-lors de leur invañion , & qui fui- voient, comine on fair, le culte de léglife romaine. Le premier homme, difent-ils, fortit de la terre; la première Tome IL. ba à 290 HISTOIRE DES PÉCHES femme fortit du pouce de l’homme, & ces deux premiers êtres font la fouche de rout le genre humain ; l’homme pro- duifit tout dans le monde , à l'exception de la mort , que la femme feuley porta , en difant à fes enfans : z/ eft nécefJaire que vous mouriez, pour faire place à vos defcendans. Un Groenlandois s’avifa de prendre de petites branches d'arbre & de les jeter, en les paflant entre fes jambes, dans la mer; dès ce mo- ment , l'Océan fourmilla de poiflons. Dans la fuice des temps, le monde fut enfeveli fous les eaux d’un grand déluge ; un feul homme fut confervé, mais 1l fut entièrement corrompu ; 1l frappa la terre avec un bäton, & il en fortit une femme; c’eft par ces deux perfonnages que le monde fe peupla de nouveau. Les Groenlandoïis portent, en preuve du déluge univerfel , les écailles & les arêtes des poiffons, qu’on trouve à une très-grande profondeur dans la terre , où jamais perfonne n’a habité, & les offlemens des Baleines : [1 : | DANS LES MERS DU NORD. 291 ! qu'on trouve fur le fommet des plus | hautes montagnes (1). Après une révolution de plufeurs fiècles , le genre humain difparoitra de deffus le globe ; il fe détachera par parties, & fe rompra enfin totalement, mais le fang même des morts le pu- tifiera ; ce fera comme un torrent, dans lequel il nagera pendant quelque temps. Cette mer de fang fera defléchée par un vent léger qui en enlévera les parties dans l'air; elles s’y raflembleront fous une forme bien plus belle qu'auparavant. (1) L’Auteur Hollandois fait ici une réflexion bien fimple , & que tout homme fenfé ne fera pas beau- coup de difficulté d'adopter : « il eft à craindre , ajoute- » t-il, que Crantz ne nous ait donné fes propres idées, » pour celles des Groenlandois dans cette partie de fa » narration fur la création du monde. » Je crains bien à mon tour aufh , que l’Auteur Æollandois ne foit tombé lui-même dans cét inconvénient , fur ce que nous allons voir , relativement aux idées des Groenlandois, fur Pefpèce des Champs Élyfées, dont je. vais parler. Ces idées fuppofent une connoiflance de la Mythologie bien au-deflus de l'intelligence d’un peuple qu’on nous repréfente dans la plus crafle ignorance & dans une rufticité abfolue, A':2 292 HISTOIRE DES PÊCHES Alors , auront cifparu pour toujours de deflus le globe, les rochers arides, & la terre ne préfentera plus qu’une fuperficie unie, toujours couverte de verdure & d’autres objets agréables. | Les animaux paroitront alors pour re- peupler cette terre; quantaux hommes, l’Étre fuprème foufflera fur eux , & 1l les reflufcitera tous par ce moyen tout fimple. Quand on demande aux Groen- landois quel eft cer être fi puiflant, ils répondent qu'ils n'en favent rien. Ce peuple , qui fe croit le premier né de l'Univers, eft dans la croyance que les Européens font nés de quelques petits chiens dont une Groenlandoife accoucha , & qu’elle jeta dans la mer, après les avoir mis dans un fabor. C'eft pour certe raifon , felon eux, que les Européens font fi aconnés à la navigation, & qu'ils donnent à leurs navires la forme d’un foulier ou d’un fabot. | Ce peuple compte un certain nombre indéterminé d'Efprits du premier ordre, A DANS LES MERS DU NORD. 293 qui paroiflent avoir quelque rapport de reflemblance avec les Dieux révérés par les peuples policés de l'antiquité. Entre ces Efprits, ils en comptent deux prin- cipaux; l’un /on,,& l’autre mauvais : ils appellent le premier Torigarfuk ; c'eft celui-ciqueleurs Angekoks(Devins) vont confulter fur l'avenir, dans fa demeure au fein de la terre. On n’eft pas d'accord fur fa forme ; quelques- uns prétendent qu’il n’en a pas, d’autres l'afimilenc à un grand Ours, d’autres le repréfentent fous lafigure d’un homme wayant qu'un bras, d'autres ne lui donnent pas plus d’un pouce de hau- teur. Quoiqu'il foit immortel de lui- même, on peut cependant lui donner la mort, & c’eft en laächant un vent dans la maifon du Devin qui l’évoque : il n’en faut pas davantage pour chaf- fer les Efprits, & les empêcher de paroître , lorfqu’on fe moque du Devin qu'on confültes Le mauvais principe eft. un Efprit femelle qui n’a pas de nom; celui-ci, au dire des Groenlandois, T3 294 HISTOIRE DES PÉCHES eft enfant d'un fameux Devin qui fépara l'Ifle de Difco du continent par la rivière de Baals ; il porta cette Ifle cent milles plus loin vers le pole. Cette Déefle fait fa demeure dans un grand palais fous la mer; c’eft là qu’elle en- chaine par fa magie tous les monftres de l'Océan. Elle retient dans une chau- dière d'huile, où elle a foin d’entre- tenir une lampe toujours brülante , tous les oïfeaux aquatiques ; les portes du palais font conftamment gardées par deux énormes Chiens de mer qui rampent continuellement autour de l'entrée ; la garde particulière du feuil de la porte, eft confiée à une efpécé de Cerbère cruel, qui ne dort jamais, t7ne Pért pas étre léUTLE Lorfque les Groenlandois fouffrent la faim , & qu’ils ne peuvent rien pren- dre à la pêche ou à la chafe , ils payent un de ces Devins, pour appaifer cet Ffprit malfaifant. Son Ange conduéteur Je conduit à travers la mer, dans le fein de la terre. Il commence par DANS LES MERS DU NORD. 295$ parcourir les régions des ames bien heu- reufes , qui paflent leur vie dans la joie & le bonheur : de-là, il arrive fur le bord d’un précipice effroyable , où il trouve une petite poulie brillante comme du verre , & qui tourne avec une vitefle extraordinaire ; alors , l’Ange conduc- eur prend le Devin par la main, & le laifle glifler, en le tenant, le long d’une corde qui aboutit par l’autre extré- - mité , au fond du précipice. C’eft ainfi que , crompant la vigilance des gar- diens , ils entrent dans le palais de la Divinité malfaifance : auflitôt qu’elle apperçoit ces écrangers , elle entre dans une fureur terrible ; elle écume de rage, & tombe dans les convulfions de la fureur ; elle met le feu aux ailes de quelques oifeaux de mer ; la fumée puante qui remplit cette fombre de- meure , étourdyr bientôt le conducteur & le Devin , qui fe rendent alors à la difcrécion de la furie. Mais, peu de temps après , ils la prennent aux cheveux, pour l'empêcher de répandre T4 296 HISTOIRE DES PÊCHES tout le venin de fa fureur , & la dé- pouillent de tous les fymboles de for- celleïie , dont Ia force retient enchaî- nés tous les habitans de la mer ; auflitôc après que ce fortilége eft détruit, tous ces animaux rentrent dans l'Océan, & le Devin revient, fans peine & fans dan- ger, retrouver les Pècheurs qui lavoient envoyé pour défarmer la Déefle malfai- fante. Les Groenlandois n'aiment pas cet Efprit femelle qui leur fait plus de mal que de bien; mais aufh, ils ne le craignent pas, parce qu'ils ne lui fup- pofent pas aflez de méchanceté pour leur faire du mal, uniquement par le plaifir de le faire; ils difent que c’eft un amour extraordinaire de la folitude , qui lui a fait environner de danger fon palais, pour qu'on ne vienne pas l'y trou- bler. Cet Efprit femme n’eft qu'abforbé dans une profonde triftefle ; 1l fuit la fociété des hommes, au lieu que le mauvais Efprit les perfécute. Quoique le bon Efprit ne les défende pas coujours, DANS LES MERS DU NORD. 297 ils l’aiment néanmoins; & lorfque les Européens leur parlent de leur Dieu, ils s’imaginent entendre parler de leur Torigarfuk , quoiqu'ils ne lui actri- buent pas la création & la dire&tion fuprême de toutes chofes. Du refte, ils ne le prient jamais, & ne lui font au- cune offrande , penfant qu'il eft trop bon pour recevoir des prières , des pro- meffes ou des préfens. Ils ont cependant une coutume qui reflemble beaucoup à un ade de religion : lorfqu'ils font à la chafle ou à la pêche, ils dépofent fur une pierre, un morceau de sraifle, ou un lambeau du cuir de l'animal qu’ils ont pris, & fur-tout une grande pièce de la chair de Renne ; ils répondent, lorfqu’on leur en demande la raifon, qu'ils Pont appris de leurs pères, qui ne manquoient jamais de le faire , pour faciliter la réuflite de leurs entreprifes. Ce peuple fuperftitieux a la foiblefle qui paroît l'apanage de la plupart des hommes, c'eft de croire que les êtres invifibles font fans nombre ; aufli, 1298 HISTOIRE DES PÊCHES peuplentils les élémens d’Efprits. Ils en fuppofent dans l'air, dont l'occupation eft d’être continuellement à la guette des ames , pour les dévorer. Ces Ef- prits, difent-ils, font maîgres, noirs & hideux ; tel étoit le Saturne des Grecs. Il y en a auf dans l'Océan, qui tuent les Renards & les dévorent lorfqu'ils viennent fur le rivête pour y chafler le poiflon. Ils comptent auffi des Efprits de feu, qu'ils croient ap- percevoir dans les comètes & dans les lumières phofphoriques : ceux-ci habi- croient fur la terre avant le déluge ; mais , lorfqu’elle fut enfevelie fous les eaux, ils furent changés en flammes, &c furent fe réfugier dans les antres des rochers. On les accufe de tromper l'homme par leurs faufles lueurs, & de le faire errer pour l’empêcher de retrouvet fes camarades ; ils ne font pourtant pas autrement malfaifans. Il y a aufli des Efprits de montagne, dont les uns font des Géans de douze pieds, & d’autres des Pygmées qui n'ont pas DANS LES MERS DU NORD. 299 plus d'un pied de hauteur ; ces der- niers fonc très-agiles & très-induftrieux ; felon les Groenlandois, ce font eux qui ont montré tous les arts aux Eu- ropéens. Les eaux douces ont aufli des Nymphes; & jorfque les Groenlandois découvrent une nouvelle fource, le Devin commence par boire le premier; à fon abfence , c’eft au plus vieux de la bande qu’eft déféré cet honneur , & par cette cérémonie, elle fe trouve purifiée à jamais de tous les mauvais Efprits. is attribuent aux mauvais Efprits qui habitent dans les alimens, les excès contre la modeftie, auxquels les femmes mariées & les veuves fe livrent quelque- fois , après avoir mangé certains alimens qui dérangent leur raifon ; ils penfent que ces mauvais Efprits quelles onc avâlés , les ont excitées à ces indé- cences. LesGroenlandois ont auf leur Afars ; celui-ci a pour compagnons les Efprits de la guerre, ennemis du genre hu- main; leur réfidence ordinaire eft dans 300 HISTOIRE DES PÈCHES la -partie orientale du Groenland. Il eft à préfumer que cette idée extra- vagante leur vient de ce que les Nor- végiens abordèrent au Groenland par la côte orientale, & qu'ils s’y établirent avant de pañler fur la côte occidentale. Ils reconnoiffenc aufli un £ole , qui. règne fur la mer & fur le beau temps. Le foleil & la lune ont auffi leurs Ef puits, qui font comme des fatellites deftinés à les défendre ; ces gardiens ont été des hommes. Les Devins Groen- Jandois racontent une infinité de fables & de contes fur des fpectresqu’ils préten- dent voir : ces fpeëtres ,difent-ils, fontun tort confidérable aux hommes, parce qu'ils épouvantent les oifeaux, & les chaflent. Les Devins font les feuls qui aient le privilége de les voir ; & pour mieux les découvrir, ils vont à la chafle les yeux bandés ; de cette manière, ils furprennent ces fpeêtres , les mettent en pièces & les mangent. C’eft ainfi que la fourberie fubjugue tous les hommes, qu'ils en font les viétimes, DANS LES MERS DU NORD. 301 & que le fourbe fait la tourner À fon profit. Les Devins doivent faire un noviciat avant de s’annoncer comme tels, & de pouvoir exercer publiquement l’art ma- gique ; ils doivent fe familiarifer avec les Efprits qui habitent les élémens; 1 faut qu'un Angekok en ait au moins un à fa difpoñition. Un Groenlandois qui fe fent de la vocation pour ce minif- tère, fe fépare pendant quelque temps des hommes , & fe retire dans une folitude impénétrable ; 1l s’y livre à la contemplation & à la prière ; 1l con- jure Torzsarfuk de lui envoyer, pour l’inftruire , un de fes Efprits les plus familiers. Affoibli par le jeune & par l’abftinence la plus rigoureufe, le novice a des vifions continuelles, & devient le jouet d’une imagination exaltée. Les extafes fuivent de près cet état, &, dans fes rêves continuels , il croit êtré devenu de compagnon le plus intime des Efprits. Il en eft qui, depuis leur tendre jeunefle , fe font attachés à un 302 HISTOIRE DES PÈCRHES maître de l’art magique, & l'ont exac- tement fuivi dans toutes fes fonctions : le noviciat de ceux c1 eft bien moins pénible ,| & 1ls font bien mieux au fait que les autres d’un art qui , tout groflier qu'il eft, demande pourtant aflez de dextérité & de fouplefie. Lorfque le novice a fait tous fes exercices pré- paratoires , & qu'il fe croit en état de recevoir fon inauguration , il va s’as- seoir fur une pierre ; 1} évoque Zor:- garfuk ; ce maitre de tous les Efprits paroït ; le novice tombe , & refte pen- dant trois jours dans un état de mort; le grand Efprit le retire de fa léthar- gie, lui donne un Efprit conduéteur ; 1l rétablit fa fanté, l’inftruit dans les préceptes de la fagefle, lui montre toutes les fineffes de l’art, & le tranfporte b'en- tôt après au ciel & en enfer pour lui faire faire connoiffance avec tous les Efprits bons & mauvais qui habitent ces deux régions invifibles. Ce voyage ne fe fait jamais qu'au printemps , parce qu'on ne peut aller au cielque parle moyen de DANS LES MERS DU NORD. 303 larc-en-ciel , qui fert d'échelle pour y monter. | | Le nouveau Devin ayant reçu fa mif- fion , reparoït dans la fociété, & s’an- nonce en battant le tambour ; ilaffemble tous les voifins, & leur fait voir un échantillon de fon favoir-faire, en épui- fant devant eux tous les tours les plus fublimes de l’art. Il a grand foin de faire tous fes exercices particuliers 8 myfté: rieux de magie, dans un réduit par- faitement obfcur, & de recommander aux afliftans le filence Îe plus rigou- reux & l'attitude la plus tranquille ; deux conditions eflentielles pour que l'Efprit qu’il évoque foit docile à fa voix. Cet Efprit ne left pas toujours | du moins il fe fait prier très-long-temps. Le Devin l'annonce franchement aux afliftans , & leur dir que fon ame va partir pour aller le chercher. Pendant le voyage de l'ame , le Magicien refte étendu fans mouvement ; on eft averti de fon retour par de petires convul- lions qui annoncent la réfurreétion du 304 HISTOIRE DES PÊCHES corps du Devin, & enfin par un grand cri de joie qu’il poufle avec force. Le Magicien découvre aux Groenlan- dois tout ce qu'ils defirent favoir, Cet Oracle leur répond par deux voix qui fe font entendre en même-temps; l’une, dans la falle où il eft confulté , &l’autre, en dehors. La réponfe eft coujours am- biguë ; les dévôts à l’Oracle tâchent d'en pénétrer le vrai fens; s’ils ne peu- vent y réufir, ils prient l'Efprit fami- lier de l'expliquer luimême au Magi- cien. [Il arrive quelquefois qu'un fe- cond Oracle s’avife de parler en même- temps que le premier qu'on confulte ; alors, ni les dévôts, ni le Magicien lui-même, n'y comprennent rien. Ce- pendant, le Magicien s'arrange fi bien dans toutes les réponfes qu'il fait, que toujours fon honneur eft à couvert, foit que fa prophétie s’accomplifle , ou. non. C'eft en ceci particulièrement, que fe font toujours accordés trous les fourbes qui fe font ingérés à faire des prédiétions par DANS LES MERS DU NoRD. 30s par le double fens qu'ils fe font étudiés de donner à leurs oracles. Tous les Groenlandois ne réufliffent pas également dans l’art de la Magie. Un candidat fortant de fon noviciat, qui ne peut faire venir fon Efprit, après l'avoir évoqué dix fois de fuite au fon du tambour, doit renoncer à ’état , & l’abandonner entièrement , parce que fa vocation n’a pas fans doute été ratifiée par Zorzgarfuk. Mais , lorf- qu'après avoir battu fur fon tambour pendant quelques momens, l’Efprit do- cile fe rend fur-le-champ à fon évoca- tion, alors 1l peut efpérer de devenir fameux, & il a des droits au premier rang du facerdoce magique ; pour y arriver, fa vocation fe manifeite par un miracle. Un Ours blanc vient prendre lé Magicien par les pieds , & le porte au fond de la mer; un autre Ours & un Lyon marin l'y attendent pour le dévorer ; mais, peu de temps aprés , ces animaux rapportent fon corps dans fa cellulle obfcure ; l'Efprit familier Tome IT. ds: "i 306 HisToiRE DES PÊcHEs du Magicién fort des entrailles de Îa terre, & reflufcite le mort : le voilà alors Archimagicien. Tous les Groenlandois ne croient pas À ces folies, trop vifibles pour faire im- preffion fur les perfonnes de bon fens ; il fe trouve même beaucoup de Magiciens qui ont la franchife d’avouer qu'ils n’y croient pas eux-mêmes. Ils s’excufent fur ce qu'ils ont reçu cet ufage de leurs ancètfes qui leur impofe la néceflité de le perpétuer. Ces Magiciens fonit les fa- vans & les fages de la Nation; ils font les fonttions de Juges & de Médecins ; en un mot ils font confultés en tout & jouif- fent d’un grand crédit & d’un grand af- cendant fur leufs concitoyens. Appelés auprès d’un malade, ils com- mencent par lui dire quelques mots à l'oreille : s’il a perdu connoiflance , ils foufflent fur fon vifage pour le guérir, & même pour lui donner une feconde aime à la place de celle qui s’eft envolée. Pour favoir file malade guérira de fa maladie, ou s’il doit en moutir, ilsl’aflujectiflenc à DANS LES MERS DU NORD. 307 une épreuve fort fingulière; ils lui paflent une corde autour du col; ils attachent aux deux bouts, qu’ils tiennent dans la main, un petit bâton ; au moyen de ce bâton, qu'ils tirent à eux, ils élèvent la tête du patient & la laiffent retomber à plomb ; fi la crête eft pefante, qu’elle oppofe une certaine force pour s'élevér & qu’elle recombe pefamment, lemalade doit mourir ; fi au contraire elle eft lé- gère, ke Magicien répond du rétabliffe- ment du malade. Pour favoir fi quelqu'un qui eft tombé dans la mer, eft mort où vivant ; les Magiciens emploient un moyen trés-fingulier. Ils paffent, felon le procédé ci-deflus, une corde au col du plus proche parent de l’abfent , ils placent fa tête devant un fceau d’eau, & examinent les traits de fon vifage , ré- fléchis fur la furface du liquide ; d’après cette expérience , ils fe chargent de pro- noncer fi l’abfent vit encore, ou s'il eft mort. À l’aide de ce pouvoir imaginaire, ils ajournent l’ame de celui dont ils veu- lent fe fervir pour certeexpérience, dans Mme! 308 HISTOIRE DE PÈCHES une chambre obfcure, & là, feul à feul avec cet infortuné, 1ls le percent avec une lame en plufieurs endroits; l'homme victime de cette affreufe fuperftition, ne manque pas d’en mourir à petit feu; ils déclarent alors qu’on attend en vain l'homme qui s’eft jeré dans la mer. Ces abominations & en général tousces forti- léges ont beaucoup diminué & font rom- bés dans un grand difcrédit depuis que les Miffionnaires ont porté la lumière de l'évangile au Groenland. On n’y en trou- veroit même plus aujourd’hui aucun veftige, fi cette magie n’avoit un attrait particulier pour ceux qui l'exercent, à caufe de la confidération qu’elle leur donne auprès des foibles, & de la faci- lité qu’elle leur procure de vivre dans J'aifance, en menant la vie la plus oifive; car les Devins fe font payer au Groen- land comme par-tout ailleurs. Se ab DANS LES MERS DU NORD. 309 ET] CG HAB LTFORPE LXUX ISLE Maœurs particulières , Mariages, Édu- cation , Occupations domeftiques , Ufages & Coutumes des Groenlandois, ant dans la vie privée, que dans P État focial. LA température du climat, & la na- ture du fol, influent toujours fur le caractère & fur les mœurs des peuples, comme fur leur phyfique.Cetteinfluence eft encore plus fenfible fur les peuples que notre vanité nous fait appeler fi gratuitement Sauvages. Un obfervateur attentif devineroit aifément les occu- pations &les inclinations d’une nation, en les mefurant aux moyens de fub- fiftance que la nature lui a donnés fur le fol qu’elle habite. Les occupa- tions des hommes fe dirigent principa- lement à affujettir la terre à leur fournir les alimens & les autres commodités de la vie. De là naïffent naturellement la 310 HISTOIRE DES PÊCHES fociété & le commerce On vit de ce que l’on récolte, & l'on parle de ce qui eft continuellement foumis à la vue. Un homme qui penfe & qui té- fléchit, peut donc facilement fe faire une idée des occupations , des mœurs particulières & de la façon de vivre des Groenlandois, en confidérant fur la carte la pofition du Groenland, fa latitude & fa longitude ; & en y voyant ce pays hériflé de montagnes, morcelé par de profondes baies qui doivent être couvertes de glaces, il doit en con- clure , fans même avoir jamais lu au- cune relation du Groenland , que cette contrée froide doit être ftérile, peu peuplée , & que l’homme condamné à l'habiter , doit y être aufli froid que le fol qui le porte : il doit conclure encore que le Groenlandois ne peut fe nourrir que du Poiffon qu'il pêche, &. des animaux qu'il tue à la chafle; qu'il doit être mal propre comme le poiffon huileux qu'il pêche & qu'il prépare ; que ne poflédant que peu de DANS LES MERS DU NORD. 311 bois & de fer pour faire des outils & des inftrumens, à raifon du manque abfolu de mines & de forècs , fa hutté doit être étroite & peu commode ; qu'oblisé de paffer la moitié de l’année à la chafle & fur-tout à la pêche , & l'autre moitié renfermé dans fa ca- verne. à l'abri du froid extrême de fon climat , il ne lui refte pas un moment pour perfectionner les arts même de première néceflité , & encore moins pour culriver ceux qui ne font que de pur agrément, ou d’une utilité plus générale ; que la vie des Groenlan- dois doit être miférable, leur naturel fombre, leur caraétère filencieux , & que toute leur fociété doit participer de l’obfcurité de: l'horizon, éclairé à peine pendant quelques mois de l’an- née; ce peuple étant plongé tout le refte du temps dans une nuit continuelle, On pourroit donc plus facilement encore , d'après la defcription que j'ai donnée du Groenland, fe faire une idée de la manière particulière de vivre V4 312 HISTOIRE DES PÊCHES des Groenlandois. On pourroit aufli prefque deviner en quoi confifte leur commerce, leur manière de fe traiter les uns & les autres, & de fe vifiter ; quels font leurs exercices, leurs amu- femens,leurs feftins ,& en quoi confiftent leurs fêtes publiques. Cependant,comme l'hiftoire des voyages n’eft pas écrite uniquement pour les hommes qui réflé- chiflent profondément, & qu'elle doit inftruire aufli ceux qui lifent avec quel- que attention , mais qui n'en font pas une étude réfléchie, 1l me paroît né- ceffaire d’entrer , par rapport à ces der- niers , dans quelques détails relatifs à quelques objets intéreflans pour une certaine claffe d'hommes, que ce genre d'étude amufe & inftruit en même temps. Je mettrai Crantz à contribution ; ce Voyageur me paroît un de ceux qui ont mieux connu les ufages des Groenlandois, & qui les aient décrits avec le plus d'ordre & de clarté (1). (1) Il y a cependant quelques précautions à prendre DANS LES MERS DU NORD. 353 Les Groenlandois s'appliquent moins à fe faire valoir & à furpafler en con- noiflances & en habileté leurs conci- toyens , qu'à fe garder de tout ce qui peut les rendre méprifables, ou porter quelque atteinte à l’eftime publique dont ils font très-jaloux. Ils ne font pas complimenteurs , & ne peuvent s'empêcher de rire lorfqu’ils voient un Européen qui, la tête nue, s'incline profondément devant fon femblable , qu'il a la foiblefle d'appeler fon maitre. Ïls ne favent pas la raifon de cette fubjeétion ; ils font étonnés que cette fupériorité de l’un fur l’autre, aille fi loin ; qu'elle autorife l’un à frapper l’autre, fans que celui-ci s’en venge. Le Groenlandois s'applique moins à plaire qu’à ne pas déplaire à fon fem- blable ; il exige moins de politefle que de concorde ; il eft plus porté à n’in- fulter perfonne , qu’à fe venger d’une en fuivant cet Auteur ; on courroit rifque de s’écarter quelquefois de la vérité , en lui donnant une trop grande confiance, 314 HisToirE DES PÊCHES infuice reçue (1). Ce peuple feroit même trés en peine pour s'infulter en paroles ; {a langue eft prefque dénuée de termes injurieux. Il ignore abfolument l’ufage de ces mots indécens & injurieux , fi communs & fi en ufage chez nous. Les Groenlandois ne rougiffent de rien de ce qui n’eft pas direétement inju- rieux , ou qui ne fait pas un tort fenfble & direét à fon femblable. Ils fe paflenc quelques libertés que la nature nécef- fire, comme une fuite de la digeftion des alimens; les vents lâchés, que la polireffe condamne chez nous , ne les fcandalifent nullement : ils s’en abf- tiennent, cependant en préfence des Européens, parce qu’ils favent que ceux- ci s’en offenfent. (1) On a vu plus haut , que le Groenlandois confer- voit le defir de la vengeance pendant longues années , & que , même au bout de trente années , il fe vengeoit à coup sûr & toujours en traitre, de fon ennemi; qu’il étoit envieux de fa profpérité, au point d’aller l’aflafliner en pleine mer. Sans doute que ces cas font rares , & qu'ils font exception à la règle générale. Il eft toujours des monftres dans la fociéié la mieux ordonnée, DANS LES MERS DU NoRD. #15 « Nous navons jamais vu, dit le Mifionnaire Crantz , les Groenlandois fe livrer À quelque aétion indécente, malhonnète ou fcandaleufe. Ces Sau- vages fe permettent tout aufli peu des paroles lafcives ou impudiques, & nous ne les avons jamais entendu en prononcer une feule. Il eft très- rare que les femmes y mettent au monde des enfans illégitimes , & qu'une jeune veuve fe déshonore ; il eft au moins certain que dans ces cas très-rares , jamais les Groenlan- doifes ne font périr , ni avorter le fruit de leur libertinage. La fille trom- pée , quoique méprifée, n’en cherche pas moins avec ardeur à réparer la honte & le deshonneur de l'enfant qu’elle a mis au monde, en fe ven- dant à un homme qui n’a pas d’en- fans, & qui ne peut plus efpérer d'en. avoir, ou en fe louant pour domeftique dans la maifon de celui qui l’a trompée , & qui ne veut pas l’époufer. Dans un pays dont le 316 HISTOIRE DES PÈCHES » climat n’excite à aucune pañlion défor- » donnée , la modeftie du foible fexe » eft pourtant pouflée au point, que » jamais les jeunes filles n’ont de fré- » quentationparticulière avec les jeunes » gens ; une fiile fe croiroit déshono- » rée fi elle préfentoit une prife de » tabac à un jeune homme ». Jamais un garçon ne penfe à fe ma- tier avant fa vingtième année; lorfqu'il fe fent de l’inclination pour le mariage, il jette les yeux fur une fille à-peu-près de fon âge ; il déclare à fes parens qu'il a fixé fon choix, & il n’a pas à craindre d'être forcé à époufer une femme qu'il n’auroit pas choifie lui-même. Le jeune homme n’attend ni ne cherche une riche dot ; il n’a lui-même à porter à fa future époufe que fes habits, fon couteau, fa lampe, & tout au plus un chauderon de pierre ; aufli n’exige-t-il de fon époufe que la capacité requife pour entretenir dans un état de pro- preté, ce modique mobilier. La future ne confidère de fon côté, dans le jeune DANS LES MERS DU NORD. 317 homme qui lui offre fa main, que le mérite d'être bon Chañfleur & bon Pè- cheur. Les parens de l’un & de l’autre donnent fur-le-champ leur confentement au mariage , & couronnent avec plaïft le vœu de ces deux jeunes gens, d’au- tant qu'ils nont pas le plus petit inté- rêt à traverfer leur inclination, & à s’oppofer à leur union. Deux vieilles femmes font chargées par le jeune homme de faire la demande aux parens de la fille , & elles font autorifées par lui , de fonder avant cout, le verrein, & de ne s'expliquer qu'après avoir propofé l'affaire en termes généraux. Âu premier mot de mariage qu’elles prononcent, la fille fort, in- dignée en apparence de cette propofi- tion ; elle paroît ne vouloir pas même les entendre ; elle entre dans une ef- pèce de défefpoir ; & arrachant l'anneau qui attache fes cheveux, elle le brife. Une déplorable coutume , ici comme ailleurs , fait jouer aux filles cette co- médie ; elles feignent de s’oppofer à 318 HISTOIRE DES PÊCHES un projet qui le plus fouvent eft l’objet le plus cher à leur cœur. Le jeune homme eft prefque toujours affuré d’avance de la réuflite de fa démarche , & il eft prefque toujours d’accord d'avance aveë la fille qu'il fait demander en mariage. Il eft des cas cependant , où le refus de la jeune Groenlandoife n’eft pas une pure grimace , il provient quelquefois d’un éloignement réel pour le mariage. La répugnance pour le mariage eft fou- vent fi forte dans une Groenlandoife , que, lorfqu’elle fe voit recherchée , elle fe livre au plus fort défefpoir ; élle quitte la maifon paternelle | & s'enfuit dans les montagnes , où elle s'enfonce dans quelque trou inacceffible à tous autres qu'a elle; elle coupe fes che- veux : c'en eft fait alors , elle eft vouée pour toujours au célibar, & il n’eft plus permis de lui propofer de fe ma- rier. Il peut fe faire que cette répugnance pour le mariage , qu’on remarque quel- quefois dans les filles du Groenland , provienne uniquement du rifque qu’elles DANS LES MERS DU NORD. 319 courent d’être chaflées par leurs maris après quelque temps de mariage. Elles ont des exemples bien triftes de la liberté que les hommes fe font réfervée d’épou- fer une feconde femme. Les patens ne forcent jamais une fille à fe marier, & la laiflent parfaitement libre. Si là fille ne s’évade pas de la maifon pa- ternelle, & continue néanmoins à refufer le parti qu'on lui propofe, lés deux vieilles entremettantes ufent à fon égard de toute forte de violence pour arracher fon confentement. Si les moyens de la perfuafion ne fuffifent pas, ceux de la force font employés fur-le-champ; ces Duègnes l’accablent de coups : fi elle ne fe rend pas & qu’elle s'échappe, elles vont la chercher, l’entraînent de force, &c la garottent de façon qu’elle ne peut plus s'enfuir. Rien ne paroît plus tyran- nique , plus injufte, plus contraire à l'amour conjugal que cette rigueur & cette barbarie : rien ne doit être plus libre qu’un engagement qui doit dé- cidér ; fur-tout au Groenland , du 320 HISTOIRE DES PÊCHES bonheur ou du malheur de la vie d’une femme ; cependanciln’y apasdeviolence ou d’injuftice qui foit plutôt pardonnée que celle-ci. On voit rarement une Groenlandoife avoir une répugnance décidée pour le mariage, & on n’en voit pas une qui, après en avoir, eflayé , fe dérobe aux plaifirs de l'amour con- jugal. Ce premier refus , qui paroit obftiné, n’eft donc chez elles qu'un préjugé , qu’une grimace , qu'une pu- deur mal dirigée , en un mot qu'une mode. Les parens quelquefois arrangent eux- mêmes le mariage de leurs enfans, & préviennent leur vœu ; ils leur propofent l’établiflement , & fans employer au- cun moyen de violence , ceux-ci y donnent leur confentement. Dès que les futurs époux fe font donnés mutuel- lement leur parole, le mariage eft arrêté, on y met la dernière main , fans d’autre cérémonie que celle de les unir & de les établir en ménage. On voit rarement un coufin époufer fa DANS LES MERS DU NORD. 321 fa coufine ; des enfans élevés enfemble dans une même famille, & qui ont quelque degré de parenté , ne s’uniflent prefque jamais par le mariage. Cepen- dant il arrive quelquefois qu’un homme époufe les deux fœurs, ou même la mère & la fille en même temps. Ces exemples font rares à la vérité, & font hautement condamnés , comme annon- çant un libertinage pouflé à l'excès. La Polygamie n’eft pas commune au Groenland , quoiqu’elle y foit tolérée ; fur vingt hommes , on en trouve à peine un qui foit Polygame. Bien loin , néan- moins, qu'un homme foi blâmé d’avoir plufieurs femmes, il fe fait au contraire honneur d’avoir de quoi les entretenir honnêtement. Comme le plus grand déshonneur d’un Groenlandois confifte à n’avoir pas d’enfans, ou du moins un fils qui puifle devenir le foutien de fa vieillefle , celui qui eft aflez riche pour en noufrir un grand nombre , a le droit d’avoir plufieurs femmes pour multiplier plus facilement fa race ; mais il ne feroit Tome IT. n. 322 HISTOIRE DES PÊCHES pas exempt de blâme, fi la multiplicité des femmes n’étoit pour lui que le moyen de fatisfaire fon incontinence. Il ne doit avoir en vue que de fe reproduire, & laiffer une poftérité nombreufe. On re- garde la Polygamie comme un abus con- damnable , lorfqu'un homme qui a à peine de quoi entretenir une fémime , en époufe plufieurs. Eppede , fait à ce fujet une fingulière réflexion : Avant l’arrivée des Miffionnaires , dit-il , Les femmes ne connoifjorent pas la jaloufie ; mais , depuis qu’elles ont appris que le Chriflianifme prohiboit la Polygamie, elles ne fupportent pas auffi facilement l’infidélité de leurs maris. En général néanmoins , la fidélité conjugale eft peu leflée chez ce peuple fimple , dont la bonhommie fait le fond du caraétère. La plus grande paix règne dans les mé- nages des Groenlandois ; rarement on y entend ces vives querelles qui fcan- dälifent la fociété; rarement les ma- ris. fe portent à battre leurs femmes, & les pères leurs enfans. On n’y connoic DANS LES MERS DU NORD. 313 pas le ferment du mariage , & en- core moins les mariages indiflolubles. Lorfque le’ mari n’a pas d’enfans, ou qu’il eft mécontent de fa femme, il lui lance un regard févère ; auflitôt elle fort de la maifon , & n’y revient que plufieurs jours après ; elle comprend ce que ce regard fignifie, elle fait fon paquet & fe retire chez fes amis, où elle vit d’une manière irréprochable. Par cette circonfpection, elle cherche à rejeter {ur fon époux, tout l’odieux de cette féparation. Quelquefois c’eft la femme elle même qui rompt les liens du mariage, lorfqu’elle ne peut pas vivre en paix avec les autres femmes qui font dans la maifon de fon mari; cela arrive fur-tout, lorfque la belle- mère , abufant de fon ancienneté, exige que la belle-flle lui ferve de domef- tique , & lorfqu’elle la traite avec trop de rigueur & de hauteur. Dans le cas où la femme fe fépare , fes enfans la fuivent , & ne reviennent pas même après la mort de leur mère, dans la x 324 HISTOIRE DES PÊCHES maifon paternelle, pour fervir de fou- tien de vieilleffle à leur père. Cette coutume eft un puiflant motif pour les deux époux, de vivre en paix, & de ne point s’expofer, par de mauvais procédés, à une féparation honteufe ; aufli voit-on très-peu de divorces. Très-fouvent le mari , défefpéré , n'a pas plutôt abandonné fon époufe , qu’il va fe cacher dans un défert , & qu'il fuit à jamais la fociété. [l cherche une tanière au pied d’un rocher , & y vit du produit de fa chafle ; quelque- fois, s’abandonnant tout-à-fait au dé- fefpoir, 8 devenant abfolument per- vers , 11 détrouffe les paflans , & vit de brigandage. Ces Sauvages errans font pour l'ordinaire des jeunes gens mariés fans réflexion , qui fe font repentis bien- tot d’un choix trop précipité. On re- marque au Groenland , que les époux qui s’uniflent dans un äâge avancé , s’en aiment davantage. Immédiatement après la mort de fon époufe , le Groenlandois penfe à la DANS LES MERS DU NORD. 325 remplacer ; quelques jours après l'avoir fait enterrer, il étale fes richefles à la vue de tous fes voifins ; il affete de fe montrer lui-même plus qu’à l’ordinaire , il fait parade de fes enfans ; fa maifon eft ouverte ; il expofe fa provifion de poiflon, fon équipage de pêche & de chafle , en un mot tout ce qu'il pof- fède. Loin de faire des préparatifs de deuil , il paroît faire les apprêts d’un fecond mariage. Il ne vole cependant jamais en fecondes noces qu'après l’an- née révolue de fon veuvage , à moins qu'il wait des petits enfans dont quel- qu’un de fes proches parens ne puifle prendre foin. Lorfque le Groenlandois a plus d’une époufe , la feconde en rang ,» prend la place de la morte, & devient la première femme. Cette promotion de la feconde époufe, fe faitdefa part, avec routes les marques de la plus profonde criftefle ; mais on n'eft pas la dupe de ces dehors affectés, & cette répugnance n’eft que feinte : elle conduit le convoi funèbre de fa compagne, & elle en 2 326 HISTOIRE DES PÊCHES dirige tous les apprêts ; elle fe répand en, larmes, & fes fanglots font pouflés avec, d'autant plus de. force , qu’elle a moins de raifon d’être aisée. Elle montre plus de tendrefle aux enfans du premier lit qu'aux fiens propres ; elle les plaint de.fe trouver privés de leur mère ; elle leur prodigue fes ca- refles, & leur promet plus de foins, de douceurs & d’attentions qu'ils n’en. ont éprouvé jufque -là, On ne fauroit fe faire une idée jufte de l’aftuce & de l'adrefle avec laquelle les femmes fau- vages {e comportent dans cette occafion. Les Groenlandoifes ne font pas très- fécondes; rarement elles mettent au .monde plus de trois enfans; mais ja- mais elles ne paflent fix ;: elles font ordinairement deux ou trois ans avant de, redevenir enceintes. Lorfque les femmes du Groenland entendent parler de la fécondité de celles des autres pays, elles s'en moquent, & les comparent à leurs chiens. Raremene elles accou- chent de deux jumeaux ; plus rarement DANS: LES MERS DU NORD. 3217 encore elles meurent en couches. Peu de momens avant & après leur déli- vrance, elles s'occupent des foins & des travaux du ménage comme à l’or- dinaire ; un jour leur fuffit pour mettre ‘ un enfant au monde, & pour être re- levées. Le nouveau né reçoit le nom de fon grand père ou de fon ayeule, ou celui du dernier plus proche parent mott ; ce nom eft ordinairement celui d’un animal, d’une arme de chafle, d'un outil de pèche , ou de quelqu’une des parties du corps. Il arriveroit fou- vent que ce nom auroit une fignifica- tion indécente , fi leur langue & la fimplicité de leurs mœurs attachoient un fens indécent À certaines parties du corps,que la nature a formées comme les autres, pour concourir à la perfeétion du tout , & pour l'utilité réelle de l'homme. Lorfque quelqu'un porte le nom d’un parent où d’un ami qui lui eft cher & qui vient à mourir , 1l change de nom pour un temps, afin de ne pas irriter la douleur d’une perte qui lui eft f 4 328 HISTOIRE DES PÊCHES _ fenfible. Les Groenlandois peuvent avoir plufieurs noms; une belle ation, un fervice confidérable, leur acquièrent un furnom honorable ; une mauvaife ac- tion, un crime public, leur en ac- quièrent un d’infamie. Souvent ils font de la difficulté de dire leur nom à un étranger, parce qu'ils craignent d’être obligés de rougir par modeftie , ou de fe couvrir de honte. Les Groenlandois aiment tendrement : leurs enfans ; les mères les portent toujours par-tout où elles vont; &, quel- que travail qu’elles faflent, elles portent cet agréable fardeau fur leurs épaules, de la façon la plus commode pour elles &: pour ces petits innocens. Les en- fans ne font fevrés qu’à l’âge de crois ou quatre ans , parce que ce pays ne donne pas une nourriture aflez légère, qui puifle être analogue aux eftomacs foibles de ces petites créatures. Un enfant court le plus grand rifque de péri, lorfqu’on eft obligé de le fevrer de trop bonne heure. DANS LES MERS DU NORD. 329 On élève les enfans fans aucune con- crainte & fans aucune efpèce de chà- timent ; on n’a pas befoin d’être févère à leur égard, car ils font doux & pai- fibles comme des agneaux; la févériré d’ailleurs feroit en pure perte à leur égard, car on les tueroit plutôt que de leur faire faire quelque chofe contre leur gré; f1 l’on n’a pu les y engager par des carefles, leur réponfe alors eft laconique, mais décifive; je ne veux pas: on ne fait pas attention à ce qu’elle renferme de malhonnète ; on attend que l’âge ait un peu développé la raifon , 85 que lenfant comprenne de lui- même l'obligation où 1l eft d’obéir à fes parens , & de leur répondre avec le refpect qu'il doit à ceux qui lui ont donné le jour. Cette patience à l'égard des enfans , concilie aux pères, dans la vieillefle , amour, le refpe& & le dévouement le plus entier ; & peut- être les mœurs de ce peuple, fous ce rappott , font-elles un reproche pour celles des peuples qui fe vantent d’être 330 HISTOIRE DES PÈCHES les mieux policés. Chez les peuples où la première éducation fe fait par la force, par les punitions & par la févérité la plus outrée, où l’on fait tout apprendre aux enfans, avant que eur intelligence {oit aflez développée pour retirer quelque fruit des exercices auxquels on les aflujettit contre le vœu de la nature, où l’on plie le corps à la forme de Phabit, qui lui-même eft aflu- jecti aux modes les plus bizarres ; où lon commence par infpirer aux enfans un dégout faftidieux pour des chofes qu'ils devroient aimer avec ardeur ; où toutes les douceurs de la nature leur font interdites, pendant que tout ce qu’elle a de nuifible & de pernicieux fe multiplie pour eux par l'éducation même, chez ces peuples, les énfans devenus hommes, font néceflairement infupportables, adonnés aux plaifirs, diflipateurs, diflipés, ingrats, rudes & vindicatifs ; 1ls doivent manquer ordi- sairement de ce degré de bonté dans le caraûère, qu'une mauvatfe éducarcion DANS LES MERS DU NORD. 331 2 éxtirpée & étouffée au moment où elle alloit prendre racine dans leur cœur. Les Gioenlandois au contraire proportionnent l’âge , l'éducation qu’ils donnent à leurs enfans; ils propor- tionnent le travail à leurs forces, & ils ont la douce fatisfation de s’en voir tendrement aimés & obéis avec la plus exaëte ponctualité, lo:fque leur raifon eft entièrement développée. Ra- rement découvre-t-on en eux une incli- nation décidée au vice ; ils font francs a l'égard de leurs parens, & ils font dociles, parce que ceux-ci les traitent en vrais amis. Auflirôt qu'unenfant peut faire ufage de fes pieds & de fes mains, le père jui donne un arc & des flêches ; on le voit alors s'exercer continuellement à fe fer- vir avec adrefle de cette arme : on lui apprend auifi à jeter des pierres, &, on place à cer effer un but fur la côte; peu de temps après, on lui fait préfent d'un couteau, qui, dans les commencemens , ne lui fert que 332 HISTOIRE DES PÊCHES d’amufement; mais ilapprendinfenfble- ment à en faire l’ufage convenable. Dés qu'il eft parvenu à fa dixième année, le père lui donne un Kajak ; c’eft avec ce petit batelet qu'il va feul faire les prenuers exercices de pêche & de chafle ; ‘1l commence alors à affronter les plus grands dangers de la mer. À feize ou dix-fept ans , il fuit fon père à la chafle des Phoques ; le premier animal qu'il tue eft deftiné pour un feftin auquel toute la parenté & tout le voifinage font invités. Le jeune homme raconte aux convives tout le détail de fon combat avec le monftre, & de quelle manière il eft parvenu à le terrafler ; ceux-ci ne manquent pas de faire fon éloge dans les termes les plus pompeux, de vañter le mets qu'il leur donne, & qui a été le prix de fa valeur. Ce jour de fête eft pour lui un vrai triomphe. Dés ce moment, on penfe à lui chercher une époufe. Lorfqu'un jeune Groenlan- dois n’eft pas heureux dans fes premières chafles , & fur-tout lorfqu’il n’y donne DANS: LES MERS DU NORD. 333 aucune preuve de valeur & d’adrefle, il combe dans le mépris de fes cama- rades ; il ne lui refte d'autre parti à prendre , que de fe réduire à la con- dition des femmes. Il eft contraintalors d'aller avec elles pêcher des Moules, des Coquillages , du Hareng, & de vivre de ces alimens. Il eft des jeunes gens qui ne parviennent jamais à ac- quérir la capacité requife pour la grande pêche ; ceux-ci font prefque toujours obligés de fe louer en qualité de do- meftiques , & de fe réduire à faire dans les ménages le fervice des femmes. À vingt ans , le Groenlandois doit être en état de faire lui-même fon Kajak & tout fon équipage de pêche; alors il travaille avec fes propres outils, & pour fon compte; c’eft alors aufli qu'il commence à penfer à s’écablir : en pre- nant une femme; s'il eft l'aîné, il ne quitte pas la maïfon paternelle, & fa mère conferve toujours la direction du ménage. ? L'éducation des filles eft encore moins 334 HISTOIRE DES PÊCHES gènée que celle des garçons; elles ne font rien dans le ménage avant qu’elles aient atteint la quatorzième année; elles paflent tout leur temps jufqu'alors, à faire la converfation avec leurs com- pagnes , à chanter & à danfer; quel- quefois elles vont chercher de l’eau. À quinze ans , elles commencent à avoir foin d’un enfant au maillot , à apprèter à manger , à préparer les peaux des Phoques, à ramer fur les Kajaks, & à fervir d'aides pour la conftruétion des huttes. Le père de famille ne fe mêle que de la chafle & de la pêche; une fois forti pour l’une ou pour l’autre, 1l ne s'inquiète plus du ménage; 1l met même au-deflous de lui de traîner dans fa hutte le gibier ou le poiflon qu'il a pris. Les femmes font chargées de tout le détail ; ce font elles qui font les fouliers & qui coufent les habits ; elles n’ont pour tout outil, qu'un couteau qui a la forme d’une ferpe, & quel- ques autres outils tranchans ; moins DANS LES MERS DU NORD. 335 courbes. Elles ont aufli un polifloir d’os de Baleine, un dez à coudre , & deux ou trois aiguilles. Elles font le métier des maçons , & les hommes celui des char- pentiers dans la bâtifle des maifons ; ceux-ci ne font pas touchés de les voir courbées fous des grofles pierres qu'elles portent fur leurs épaules. Les Groenlandois fupportent la faim avec une patience & une réfignation dont il n'y a pas d'exemple. Lorfque toutes les provifions font confommées, &c que tout eft mangé jufqu'aux fou- liers, un ménage entier prend la réfo- lution d'attendre la mort avec patience, 8 tous les individus fe promettent de mourir enfemble. Ces miférables ne paroiflent fenfibles alors qu'aux fouf- frances de leurs petits enfans : cepen- dant il eft encore des reflources pour ces malheureux indigens ; & dans certe calamité , il eft des Groenlandois qui ont pitié de leurs femblables. Un mé- nage où il n’y a pas d’enfans, s’emprefle de retirer deux ou trois orphelins & de 336 HISTOIRE DES PÊCHES les nourrir. La femme fe charge d’une fille qui a perdu fes père & mère, ou même d’une veuve. Les adoptés font obligés de fervir au profit de ceux qui les ont retirés ; mais auf ils ont la liberté de renoncer à l'adoption, & de fe retirer par-tout où ils veulent. Un maître ne frappe jamais fes do- meftiques; s'il fe portoit à cette ex- crémité vis-à-vis d’une fille , il fe désho- noreroit. En général, les femmes ne font heu- reufes au Groenland , qu'avant leur mariage ; & aufli long-temps qu'elles reftent dans la maifon paternelle , elles y font traitées avec beaucoup de dou- ceur. Depuis leur vingtième année juf- qu'à leur mort, leur vie n'eft quun enchaînement de travail, de peines & de mifère. Aufñlitôt après la mort du père, les filles font obligées de fortir de la maifon, & d'aller gagner leur vie en fervant dans une famille étran- ère. Elles gagnent uniquement de quoi fe fubftanter, mais elles doivent pourvoir comme DANS LES MERS DU NORD. 337 comme elles peuvent à leurs habille: mens. Si elles n'ont rien d’agréable dans leur rournure , fi elles paroiflent pei propres ou peu habiles au travail, per- fonne n’en veut , & elles vivent feules comme elles peuvent. Si ellés fe ma- rient , elles courent le danger d’être répudiées , fur-tout fi elles ne donnene pas d’enfans à leur mari. Dans ce cas, elles perdent l’eftime publique , & n’ont que la cruelle alternative de fe mettre en fervice, ou.de fe livrer à la dé- _bauche ; il ne leur:refte pas d’autre: moyen de gagner leur vie. Si elles époufent un vieillard , elles doivent fouffrir toutes fes impatiences & fa mauvaife humeur ; elles ont de plus , à fouffrir les querelles continuelles d’une belle-mère. Si le mari meurt, la veuve n’hérite de rien ; elle reprend fimple- ment les habits qu’elle a apportés lors de fon mariage, & elle refte chargée de fes enfans: Si cependant eile a un fils , fon fort change , & elle eft mille fois plus heureufe pendant fon veuvage, Tome IT. : 338 HISTOIRE DES PÈCHES qu'elle ne l’a été pendant le vivant de {on mari. Si une femme vieillit fans avoir eu des enfans, elle eft encore plus miférable; toute fa reflource eft de faire le métier de Sorcière ; mais ce métier eft, comme je l’a di, le plus dangereux de tous ; elle eft con- tinuellement expofée à être lapidée ou aflaflinée par quelqu'un qui la fufpeéte de l'avoir enforcelé. Souvent une vieille femme ,; à charge à elle-même, & délaiflée par la fociété, prend la fatale réfolution de s’enterrer vivante, ou de fe noyer. | ie Malgré toutes ces cruelles vicifli- tudes, auxquelles les Groenlandoifes font aflujetues, elles vivent en général plus long-temps que les hommes. Ceux-ci font continuellement expofés à route l'intempérie du climat ; ils paflent plus de la moitié de leur vie fur mer, dans l'eau, dans la neige & au milieu des glaces ; toujours travaillant & cher- chant à échapper aux dangers continuels de cet élément redoutable ; toujours DANS LES MERS DU NORD. 339 placés entre la faim & le travail d’une digeftion pénible ; ne mangeant qu’une fois dans les vingt-quatre heures , mais furchargeant alors leur eftomac d’ali- mens les plus faftidieux ; & les ava- lant avec une précipitation plus nuifible à la fanté, que l’abftinence immodé- rée. Rarement ces hommes paflent la cinquantième année ; aufli font-ils bien moins nombreux que les femmes. Cette raifon peut feule juftifier la Polygamie chez ce, peuple, 8: même la rendre néceffaire à un certain point. Les femmes parviennent fouvent à quatre-vingts, ans & plus ;: mais elles paient bien cher ce privilége de la nature, & elles fe livrent , pour :BASHEF leur vie dans cet âge avancé , à toutes fortes de fuperf- citions qui les rendent méprifables:; l'enfance de la vieilleffe chez les Groen- landois , eft bien plus trifte que chez les autres peuples. Loi Les Groenländois font paifibles des leurs ménages ; 1ls y font propres, autant que peut le comporter l’érat d’un peuple Move 340 HISTOIRE DES PÈCHES qui nage prefque toujours dans l'huile de poiflon & dans le fang des Chiens de mer. On n'entend prefque jamais de bruit dans une hutte qui fouvent renferme un bon nombre de perfonnes, parentes quelquefois au quatrième ou cinquième degré, quelquefois la plu- part étrangères les unes aux autres. Dès qu'un Groenlandois s’apperçoit qu'on lui fait mauvaife mine dans la maifon qu'il habite , ou que même il en a le plus petit foupçon , fon parti eft pris fur-le-champ. Il fait fon paquet fans mot dire , fans montrer même de l'humeur, & il fort pour aller cher- cher üne autré retraite ; mais il quitte én ami; & bien loin . conferver le plus: petit reflentiment, il part dans la difpofition de rendre fervice à ceux dont il fe fépare, fi l’occafon s'en PASSE Les Groenlandois font toujours prêts à foulager leurs frères , & à partager leur travail ; ils font toujours difpofés à of- fr une partie de leur capture & de leur pêche à ceux qui n’ont pu s’en DANS LES MERS DU NORD. 341 procurer, & jamais 1ls ne fe font de- mander ce fervice important. La largefle prévient la mendicité dans ce pays, le plus pauvre qu’on puifle fe figurer. Sans cette charité prévenante, la plupart des Groenlandois périroit de faim avant d’ar- river au terme de la chafle ou de la pêche , qui eft fouvent éloigné de plu- fieurs milles du lieu de leur habitation, dans un pays dénué de toute reflource. Les Groenlandois fe vifitent pendant l'hiver ; ils viennent les uns chez les autres, quelquefois de très-loin. Les nouveaux venus portent toujours des préfens à ceux chez lefquels ils viennent loger ; ils font reçus & introduits avec beaucoup de joie; on s’emprefle de dé- charger leurs batelers , & de les re- tirer de la mer pour les mettre à terre. Ces préfens confiftent en provifions de bouche , & en quelques habits de peau de Phoque; chacun s'emprefle auñi de recevoir des hôtes, pour recevoir leurs préfens. La première entrevue fe pafle dans un profond filence ; le maitre 342 HISTOIRE DES PÊCHES de la maifon le rompt le premier, & invite fes hôtes à quitter les habits de _ mer , & à les fufpendre auprès de la lampe pour les fécher; en attendant, 11 offre des vêtemens fecs & des peaux en croc ; il cède la place d'honneur , & la converfation s’entame de la ma- nière la plus affledueufe ; elle s’ouvre toujours fur la chafle & fur la pêche; chacun raconte avec gravité fes hauts faits. Les femmes , féparées dans un coin , s’entretiennent en particulier des parens & des amis qu’elles ont perdus. Cette converfation eft crifte, interrompue par des gémiflemens, des pleurs & des hurlemens. Ces grimaces & ces petites comédies feroient très- divertiffantes pour un fpectateur Euro- péen. On préfente bientôt la boîte à tabac ; chacun la prend à fon tour, & y mettant le nez dedans, il en prend autant qu'il veut , fans y toucher avec fes doigts graifleux & huileux. Cette tabatière eft de corne de Renne, dou- blée d’étain ou de cuivre. Le repas fe DANS LES MERS DU NORD. 343 prépare , & on invite les étrangers à s’affeoir par terre autour des plats-qu’on a fervis; ceux-ci affectent de l’indiffé- rence, & fe font beaucoup prier ; ils ont la vaine gloire de ne pañler ni pour pauvres , ni pour affamés ; trois ou quatre plats font tout le fervice dans ces occafions, mais on les porte juf- qu'a dix ou douze les jours de feftin. Tous les mets des Groenlandois con- fiftent en Hareng falé , chair de Chien de mer, falée & séchée, ou cuite à l'eau ; du Mrtriak : c'eft de la même chair à moitié pourrie ; elle eft le gi- bier des Groenlandois ; des #’r:llocks cuits à l’eau; de la queue de Baleine jeune , c’eft le plus fucculent de tous leurs mets ; du Saumon defléché, de la viande de Renne , des Müres fauvages trempées dans le fang de Renne ou dans l'huile de Baleine : ce fruit eft très-rare , & par là mème très-pré- cieux ; il n’y a que les Groenlandois de la première clafle, c’eft-ä-dire les plus riches, qui en font fervir dans Y4 344 HISTOIRE DES PÊCHES les jours de gala. On refte très-long- temps à table; la converfation roule toujours fur la chafle des Phoques ; chacun y fait parade de fon habileté; & comme le dîner fert de fouper , il arrive toujours qu'on s'endort à table, dans les grands feftins , & qu'on ne s’éveille que pour aller achever de pañler Ja nuit dans fon coin. La langue des Groenlandois , très- pauvre, comme celle de prefque tous les Sauvages, a beaucoup d’articula- tions aiguës & perçantes, dont lin- flexion détermine le fens. Aufli, lorf- qu'un Groenlandois raconte la prife d'un Phoque qui lui a donné beaucoup de peine , & qui s’eft défendu long-remps, il ajoute à fes expreflions une démonf- tration active, en fe fervant de fes deux bras pour repréfenter l'attaque & la défenfe ; fon bras droit repréfente le vainqueur, & fon bras gauche lani- mal vaincu. Ce récit eft une vraie pantomime aflez comique. La conte- nance des eufans préfens au récit de DANS LES MERS DU NORD. 345 quelque combat important, eft des plus fingulière , la crainte & l’efpérance fe peignent tour-à-tour dans leurs yeux ; ils exécutent en leur particulier tous les geftes de l’Orateur; & on diroit, à les voir, qu'ils font eux-mêmes aux prifes avec l'animal. Un Européen qui veut fe faire en- rendre d’un Groenlandois, doit toujours lui parler par des comparaifons tirées des chofes qui font familières au Sau- vage; 1l doit chercher à lui faire com- prendre l’analogie qu'il y a entre les objets qu'il a fous les yeux, ou qu'il connoît parfaitement , & les objets étrangers fur lefquels 1l veut l'inftruire. Les Groenlandois admirent tout ce qu'on leur raconte de l’Europe ; ils montrent dans le premier moment, le plus grand defir d’habiter un pays dont on leur raconte tant de merveilles, & {ur-cout dont on leur peint l'abondance & la fertilité. Mais, lorfqu’on leur die que le tonnerre y gronde quelquefois, que la foudre y tombe de temps en 346 HISTOIRE DES PÈCHES temps, & fur-tout qu'il n’y a point de Phoques, ce defir s’évanouit auflitôt, & fe change en répugnance ; ils re- gardent l'Europe comme un pays maudit du ciel & de la mer. Ils entendent païler avec plaifir de la Divinité, mais il ne faut leur rien dire qui foit contraire à leurs fuperftitions. Les Groenlandois font aufh jaloux que tout autre peuple, des préjugés religieux ; cependant, ils n'ont pas la manie de les étendre & de les faire adopter par d’autres. Le commerce n’eft chez eux qu'un échange des chofes fuperflues avec des chofes dont ils manquent; mais à cet égard , ils font aufli minutieux & aufli inconftans que les enfans ; ils n’ont aucune connoiflance du prix intrinfèque des effets qu’ils trafñiquent. Tout ce qui eft nouveau a un attrait infurmontable pour les Groenlandois ; ils troquent juf- qu'à vingt fois dans un jour les objets pour lefquels ils ont montré le gout le plus décidé, lorfqu'on leur en offre qu’ils n’ont pas encore vus ; ils perdent DANS LES MERS DU NORD. 347 toujours à ces trocs de pure fantaifie ; 1ls préfèrent une bagatelle à un inftrument qui peut leur être de la plus grande utilité, fi cette bagatelle , qui n'eft d'aucun ufage , leur plaît. Ces Sauvages refflemblent affez à nos femmes du meilleur ton ; ils ne connoiflent pas le jeu , à la vérité, mais, commeelles, ils fe font un plaifir de tromper les étrangers , ou même de les voler lorf- qu'ils peuvent; ils paroiffent croire que ces fupercheries font permifes. Le gros du commerce fe fait, au Groenland, dans une Foire à laquelle le peuple fe trouve exaétement ; elle fe tient, pendant l'hiver, au temps de la fête du Soleil, dont je parlerai. Les Groenlandois fe rendent à cette fête comme à un Pélerinage , ils y étalent leurs marchandifes, & les échan- gent contre les effets dont 1ls peuvent avoir befoin. Les habitans de la partie méridionale n’ont pas de Baleines; ceux de la côte occidentale , n’ont point de bois. Il part des navires de la pointe 348 HISTOIRE DES PÈCHES méridionale, & quelquefois même des Ifles orientales, pour fe rendre à la baie de Difco qui eft à trois ou quatre cents lieues de ces pays. C’eft là où ces Sauvages font leur provifion tous les ans, de bois, de poterie & de marbre bâtard ; ils donnent en échange, des cornes des dents de Poiflon. Ces na- vires font chargés aufi de fanons, de côtes de Baleines, de boyaux, & de queues de Poiflons. Cette forte de com- merce fe fait tout entier entre les diffé- rentes hordes des Sauvages Groenlan- dois. Les Groenlandois qui partent pour le Pélerinige de la fête du Soleil, emméênent tout leur ménage, & em- portent toutes leurs richefles. Soit in- conftance, foit curiofité, foit indiffé- ence pour les lieux particuliers qu'ils habitent , ils font fi accoutumés à la vie errante, que, lorfqu'ils ne peuvent pas s'arranger fur-le-champ en un lieu, ils partent fubitement pour en chercher un autre ; il s'écoule fouvent des années avant qu'ils foient de retour dans leur DANS LES MERS DU NORD. 349 * lieu natal. S'ils font furpris quelque part par l'hiver, ils bâtiflent à la hâte une cabane , & y hivernent fans le plus petit fouci, pourvu aw’ils croient avoir des provifions fufffantes ; ils choififlenc de préférence le voilinage d'un éta- bliffement Danois. La terre & la mer font leur propriété par-tout; & comme ils changent très-fouvent de demeuré, ils font toujours aflurés de trouver des connoiffances & des amis par-tout. Le commerce des peaux de Renard & de Chien marin, & particulièrement celui de l'huile de Poiflon , a lieu entre les Sauvages du Groenland & les Eu- ropéens; c'eft pour cette branche de commerce uniquement , que ceux-ci y ont établi divers Comptoirs. Jamais les Groenlandois ne reçoivent des efpèces en paiement ; la monnoie & le métal ne font chez eux d'aucune valeur. Il leur eft égal d’avoir un collier d’or ou de cuivre’; des oreillettes de verre ont pour eux la même valeur que les diamans. Ils n’eftiment les brillans 350 HISTOIRE DES PÊCHES d'Europe , que parce qu'ils luifent ; & ils s’'embarraffent fort peu fi ce luifant eft beau, s’il eft durable & folide. Plus d'une fois on a vu les Groenlandois donner une guinée ou une piaftre d'Ef- pagne , qu'ils avoient volée à quelque étranger, pour deux charges de poudre, ou pour deux onces de tabac. Moins avides d'or, qu’ardens à fe procurer du fer , ils s'occupent d’abord à croquer leurs marchandifes contre des outils de ce métal. Ils cherchent à fe pourvoir de harpons, de couteaux, de fcies, de cifeaux & d’aiguilles ; ils recherchent les grofles voiles peintes & les grofles mouflelines ; du gros drap, des bonnets & des bas de laine ; des mouchoirs, des boîtes, des feaux de bois , des tonneaux , des afliettes d'étain, des chauderons de cuivre, des miroirs, des peignes , des rubans , des joujoux d’en- fant, & d’autres bagatelles femblables. Jls achètent aufli volontiers des fufils, de la poudre &: du plomb, mais ces effets ne leur font pas de première DANS LES MERS DU NoRD. 351 utilité, & ils y perdent confidérablement en les revendant. Le tabac en poudre fert d’une efpèce de monnoie pour fa- ciliter les échanges ; ils donnent des chofes de prix pouf un certain nombre de prifes de tabac qu'ils déterminent. Leurs tailleurs 8 leurs cordonniers fe contentent de cette monnote pour leur paiement. On les voit donner quelques poignées de beau duvet, des œufs & des oifeaux, ou même du Poiflon, pour quelque once de tabac. Le Groen- dois vendra fes habits & tout ce qu'il a, aux rifques même de mourir de faim avec toute fa famille, pour fe procurer du tabac; il eft aufli cher chez ces Sauvages, que la poudre d’or chez les Européens. Cependant , cette poudre eft aufli pernicieufe aux Groen- Jandois , que les liqueurs fortes aux autres peuples ; c’eft-à-dire, qu'ils font aufi difpofés à fe rendre malheureux, pour fe procurer du tabac , que les peu- ples de l'Europe le font ordinairement en s’adonnant à la boiflon. 352 HISTOIRE DES PÊCHES Malgré leur flegme & leur triftefle, les Groenlandois ont leurs fètes & leurs danfes nationales. Leur grande fête an- nuelle eft celle du Soleil; ce peuple la célèbre au folftice d'hiver , pour ho- norer la mémoire de cet aftre bienfai- fant, qui , revenant lentement de fa grande courfe, ramène avec Jui la faifon de la chañle & de la pêche. Ce qu'il y a de bien fingulier en ceci, c’eft que les Groenlandois aient choifi le temps le moins propre, ce femble , pour ho- norer l’aftre du jour qui fe dérobe à eux pendant plufeurs femaines confé- cutives. C’eft au milieu des ténèbres de leurs longues nuits , c’eft lorfque le froid fe fait fentir chez eux avec toute fa rigueur : c’eft lorfque la nature, cou- veite de deuil, infpire l’effroi & la terreur ; c'eft enfin au moment même où tout femble annoncer le retour très- prochain du :cahos, que ce peuple fe livre à l’alégrefle , & célèbre le retour prochain de la lumière & du bonheur. Les Groenlandois alors fortent de leurs tanières , DANS LES MERS DU NoRD. 353 tanières, fe vifitent mutuellement, s’ex- citent à la joie, font des repas ; & oubliant pour ainf dire la rigueur de la faifon, ces Sauvages, au milieu de la plus épaifle & de la plus longue obfcu- rité, éclairés de leurs lampes fépul- chrales, font le feftin le plus fomptueux de lannée. Lorfque les convives ont mangé jufqu'à s’incommoer , & qu'ils fentcent le preflant befoin de faire de l'exercice pour digérer les grofliers ali- mens dont ils ont furchargéleur eftomac, ils fe lèvent de table, & le bal commence. Les Groenlandois n’ont pour tour inf- trument qu'un tambour; c’eft un cercle de Baleine ou de bois, qui n’a que deux pouces de largeur ; il eft de forme ovale, il eft recouvert d’une peau très-fine, mais très-forte : c’eft ordinairement la peau d’une langue de Baleine , qui eft fufceprible d’une forte tenfon. Ce tam- bour a un pied & demi de diamètre, d'une pointe de l’ovale à l’autre ; on le tient de la main gauche parune poignée fixée à l’un de fes côrés ; on le bar avec Tome IL. © 4 354 HISTOIRE DES PÊCHES une baguette , de la main droite. Celui qui le tient, fait un faut à chaque coup de baguette, fans bouger de place; il marque la cadence par des geftes de tête, & fon corps eft continuellement en activité, 1l joint àcet exercice pénible, le chant des hymnes à l'honneur de la pèche ces Phoques,desaétionshéroiques de fes compatriotes, delabravoure & des haurs faits de fes ancêtres, & du retour du foleil fur l'horizon. L’Aflemblée chante à grand chœur , & répéte les ftrophes du muficien. En danfant pêle- mêle des ballets fymmétrifés par la fimple nature, le refrein du grand chœur eft celui-ci: Amna Ajak , Ajak ...ak...akl! Il n’eft guère pofhble que le même mufcien puifle tenir plus d’un quart d'heure, la peine qu'il fe donne eft inconcevable ; au bout de ce temps, épuifé , enroué, & tombant de laffi- tude , un fecond fe préfente , & le fecond aîte commence. Les autres actes fe fuccèdent aufli rapidement , & s’exé- cutent avec la même force, jufqu'à ce DANS LES MERS DU NORD. 355$: qu'enfin tous les acteurs, écumans. & dégoütans de fueur , ne peuvent plus fe foutenir , & vont fe coucher chacun de leur côté. On ne fe relève que pour fe mettre à table & fouper; car,.toute la journée s’eft paflée à dormir. Après le fouper , qui eft long, & auquel on mange avec excès comme à diner, la mufique & le bal commencent. Cette fête continue plufieurs jours de fuite, & les convives ne fe féparent, que lorfqu'ils ont en- ièrementconfommeé toutes les provifions de bouche , ou que , n'ayant plus de forces , ils fuccombent à la fatigue, & ne font plus en érat de fe foutenir : ils perdent ordinairement leur voix, & ne la recouvrent qu'après plufñeurs jours de régime. Ce peuple a aufi des jeux de paume ; cette partie fe fair au clair de la lune, Les joueurs fe divifent en deux bandes; un des joueurs jette la balle à l’un du parti oppofé ; c’eft à qui la recevra ‘& la renverra à fon tour. Quelquefois on poufle la balle avec coute la force qu’on peut lui donner, #2 358 HisToiRE DES PÉCHES & c’eft à qui courra plus fort pour la faifir; le plus agile remporte la victoire. La nature paroiflant avoir condamné ce peuple au travail le plus rude & le plus pénible, elle lui à infpiré auffi le goùt pour les exercices violens, afin de développer fes forces, & l'endurcir à la peine. C’eft fans doute à cette fin que les Groenlandois s’exercent à une efpèce de lutte qui a quelque trait de refflemblance au combat du cefte des anciens Grecs. Ces Sauvages s’attaquent deux à deux , & fe combattent à grands coups de poing qu'ils fe portent fur l’'échine , avec une violence qu’on diroit tenir de la colère la plus exaltée. Celui des deux champions qui réfifte le plus long-temps à cette attaque dangereufe , eft le vainqueur, & acquiert une ré- putation de bravoure qui lui fait beau- coup d'honneur ; mais il doit défier au combat fon adverfaire après l'avoir terraflé , & être toujours prêt à lui faire raifon, jufqu'à ce que celui-ci déclare qu'il ne veut plus fe battre, DANS LES MERS DU NORD. 357 & qu’il le reconnoît pour fon vainqueur. Les Groenlandois s’exercent aufli a faire des tours de force fur la cordé, & ne manquent pas de foupleffe, de hardiefle êc d’agilité dans cet exercice. Les Groenlandois ont une façon bien fingulière de vider toutes leurs que- relles. Lorfqu’un Sauvage fe croit offenfé par un autre , il garde le filence, ne donne pas même à connoitre fon reffen- timent ; il attend les jeux publics pour fe. venger & pour fe faire rendre juf- tice. Il prépare, en attendant , une fatyre bien mordante contre fon enne- mi ; lorfqu'elle eft faite , 1l s'exerce à là chanter devant fa famille, & parti- culièrement en préfence des femmes, jufqu'à ce qu'il foit parvenu à bien la favoir par cœur , & à en avoir meu- blé fa mémoire. À l'ouverture des jeux, loffenfé fe préfente dans le cirque, défie fon ennemi au combat du chant; il monte ke premier fur un banc, & chante fon épigramme & fes injures, qu'il a rendues aufli piquantes qu'il [ui L 3 358 HISTOIRE DES PÊCHES a été poñlible. Il eft foutenu par toute fa parenté, qui répète à chaque vers le refrein ordinaire :° Anna ‘Ajak ! l'Affemblée ne manque pas d’applau- dir aux traits les plus mordans , en poullant des éclats de rire , dont la ma- lignité eft dirigée contre le miférable que le poète déchire à belles dents. Celui-ci , attaqué à l'improvifte, & pris 'au dépourvu , monte cépendant fur le banc à fon tour, & répoufle de fon midux les traits de fon adverfaire, en lui difant autant ‘d'injures que fa mé- moire & fon imagination peuvent lui en fournir ; il.improvife le mieux qu'il peut, & met quelquefois les rieurs de fon côté. L'agrefleur réplique , & ce combat d’infultes dure aufli long-temps que les champions fe fentent aflez de reflources pour le foutenir ; celui qui quitte la partie le premier , eft cenfé vaincu. Les auditeurs prononcent fur cette affaire, &c’eftroujours celui quieft refté maître du champ debataille quirem- porte la palme. Ces combats finguliers, DANS LES MERS DU NORD. 359 peu dangereux,comme l’on voit, finiflent toujours par une reconciliation fincère entre les deux athlètes ; ils s’embraf- fent, & fe promettent d'oublier tout pour vivre déformais dans la meilleure intelligence. Ces afflemblées fonc ordi- nairement très-pailibles ; elles font ce- pendant troublées quelque‘ois par l’en- lèvement forcé de quelque fille que quelqu'un de ces Sauvages veut épou- fer, & qu'il n’a pu obtenir de bonne grace ; celui-ci, aidé de fes parens & de fes amis, s'arrange d'avance pour enlever de force, & arracher du fein de fa famille l'objet qu'il aime & au- quel 1l veur s'unir. Ces enlèvemens ont quelque rapport à celui des Sabines , & paroiflent excufables par le motif qui les dicte. Ces affemblées font cependant, en général, une école de morale , & les fatyres même qu'on y débite , font propres à infpirer la vertu à ceux qui les entendent réciter , puifqu’elles pei- gnent le viceavec les plus fortes couleurs. L 4 360 HISTOIRE DES PÈCHES On y apprend à rendre à chacun ce qui lui eft dû; on y condamne févé- rement l'infidélité 8 le menfonge , fur-tout l’adultère , fuite ordinaire de ces deux vices infâmes. Ce qui rend ces leçons d'autant plus efficaces, c’eft que Ja plus grande crainte d’un Groen- landois eft celle de perdre fon honneur & fa réputation. Cette crainte eft le frein le plus propre à contenir fes paf- fions ; cette manière de fe venger pu- bliquement, coupe cours à toutes les vengeances particulières. Le Groenlan- dois cependant ne fe les interdit pas ab- folument , & 1l en eft parmi eux qui confervent le fouvenir d’une offenfe jufqu'à la mort, & qui font aflez diffimulés pour ne faire foupçonner leur reflentiment, qu’au moment de laflouvir par une cruauté. Ces cas font rares, & 1l faut que l’offenfé ait recu un dommage confidérable dans la pêche, par fon adverfaire, ou que, baffement jaloux de la profpérité de fon voifin, 1! ait la lâcheté de s’en venger en DANS LES MERS DU NORD. 361 laffafinant ; mais aufli, 1l en eft puni fur-le-champ , par l'exil perpétuel au- quel il eft obligé de fe condamner. Les Groenlandois formentune fociété où l'égalité la plus parfaite règne d’un bout de la vie à l’autre. Les feuls pères de famille y jouiflent dans leur mé- nage feulement, d’une autorité émi- nente , mais toujours douce & fuppor- table. La fociété ne reconnoit aucun chef , aucune affemblée de magnats qui exercent la fouveraine puiflance. Lorf- que deux ou trois familles réunies vivent fous le même toit, il arrive fouvent qu’un chef de ces familles s’eft fait une grande réputation de fagefle ê&c de bravoure ; dans ce cas , il ef refpeété & honoré comme le père com- mun de toute l'habitation ; on lui défère le droit de confeil, & une forte d’in- tendance fur toute cette petite fociéré : tous s’empreflent de le prendre pour arbitre fuprêémedansleurs petits démêlés. Si quelqu’une de ces familles réunies dans la même habitation, fe refufe aux 362 HisToIRE DES 'PÈCHES confeils & aux avis du fage vieillard, elle eft obligée de prendre fon parti à la fin de l'hiver , & d’aller chercher au loin une autre demeure. La feule punition que cette famille indocile en- court, c'elt d’être dénoncée à l’affemblée prochaine des jeux publics, & d'y être chantée pour y recevoir le blâme que fon opiniâtreté & fon indocilité lut ont méritée. Le fage vieillard n’a aucun ordre à donner, il n’a pour lut que la voie de la remontrance & de la perfuafion ; il occupe l'appartement d'honneur; ce réduit eft le plus au nord ; c’elt cepen- dant le plus commode , parce que Pair y pénètre le moins, & qu'il eft le plus éloigné de lentrée de la hutte. Les Groenlandois n’ont point de loi politive ; ils {e souvernent par des cou- tumes d'autant plus facrées , qu’elles font fondées fur une efpèce de droit naturel, & que les mœurs générales de cette nation fauvage rendent pref- que toujours inviolable. Voici ce que Crantz en rapporte d’aprèsletémoignage DANS LES MERS DU NORD. 363 du Sieur Delager , Fadeur d'un des établiflemens. Danois. pb] po) L») pe 9 9 >) 23 ph 22 2 9 22 Lb] » 2 » >] Ep] 3 » 2 « Chaque Groenlandois va ou il veut, fans la plus petite contrainte ; il vit à fa guife, & perfonne na rien à lui dire. S'il trouve le lieu où il a réfolu d'aller s'établir, occupé par d’autres, il poufle plus loin & va chercher une demeure ailleurs, à moins que les premiers occupans ne l’invitent à refter avec eux , & qu'il ne fe rende à leur invitation. La pêche & la chafle fonc libres par-tout; on prend tout ce que lon trouve & par-tout où on le trouve, même dans les filets d’un autre, pourvu que ceux- ci foient furchargés, & qu'on ne coupe ni la pêche ni la chafle Ges autres, dans les lieux où ils l’ont commen- cée : à cet égard, il n'y a pas de propriété proprement dite particu- lière , même à l’égard des étrangers. Si ceux-ci forment des prétentions hors d’ufage , & qu’ils entreprennenc de faire valoir certains droits, felon 364 HISTOIRE DES PÊCHES bb) 33 33 33 53 33 33 rh) 23 33 95 3 33 33 27 23 23 23 33 33 +3 >: les loix du commerce d'Europe, les habitans naturels du Groenland, loin d'entrer dans des difcuflions , aban- donneroient plutôt tour leur pays aux ufurpareurs, & laifleroient à la ri- gueur du climat, &aux dangers innom- brables de leurs mers, le foin de les venger de cette injuftice. Celui qui trouve du bois flottant fur les côtes, le retire, le porte fur la grève, l'y amoncelle, y met une pierre en figne de propriété, & 1l n’a pas à craindre que quelqu'un le lui vole, où lui en difpute l’ufage; ce bois lui appartient , & il peut en difpofer comme 1l lui plaît, en quelque fieu qu'il lait pêché. Si quelque animal ou quelque poiflon fuyant avec le harpon , ou la lance dans le corps, va mourir loin de lFendroit où il a été attaqué, celui qui le trouve mort ne peut pas fe l'approprier, il appar- tient à celui qui la bleflé : lorfqu'au contraire un Phoque coupe la corde du harpon qu’il emporte dans le corps, DANS LES MERS DU NORD. 365 & s'échappe , celui qui achève ou le trouve mort, fe l’approprie; il eft obligé feulement de rendre le harpon au propriétaire. Lor{qu'on fe met plu- fieurs à chafler le même animal, » on convient de le partager ; ais »,+celui qui l’atteint le premier, & lus 79 3 3 Lb] 3 met le couteau fur le corps pour le dépecer, a de droit pour lui la tête &c la queue, enfuite chacun coupe ce qu'il peut attrapper. Il n’en eft pas ainfi de la prife d’une Baleine ; Îe fimple fpeétateur à autant de droit que les Chaffeurs , que le Harponneur même. Auf voit-on quelquefois plu- fieurs centaines de Sauvages, grimpés fur une Baleine , & acharnés à la dépecer avec une aétivité & un dé- fordre étonnant; car chacun emporte ce qu’il peut en couper. Les accidens font inévitables; ces avides dépeceurs fe donnent des coups de coureaux aux doigts , aux mains, aux jambes & aux pieds ; mais , comme on eft perfuadé que ce font des accidens inévitables 366 HISTOIRE DES PÈCHES 32 >] 3 3 39 3 3 3 29 3 >») 93 9 29 3 3 3 » 3 >] 3 3 & fans malice , perfonne ne s’en plaint, & les bleflures font pour le compte de ceux qui les reçoivent ; rarement elles font graves & dange- reufes. Une Renne , attaquée par plufieutrs Sauvages à la fois , emporte fouvent plufieurs flèches, avant de tomber; elle appartient, lorfqu’elle eft terraflée , à celui dent la êchel’a atteinte le plus près du cœur ; les autres ne reçoivent qu'une petite portion de la proie qu'ils partagent entre eux. Mais depuis que lesGroen- landois fe font pourvus de fufils, & qu'ils s'en fervent à la chañle, il arrive fréquemment entre les Chaf- feurs , des conteftations très-férieufes fur la propriété de l’animal couché par terre ; car 1l eft impofbble que chacun reconnoifle fa balle, & tous ont un égal droit à fourenir qu'ils lui ont porté le coup mortel. L’ufage des fufils , parmi ces Sauvages. y occafonnera vraifemblement des malheurs bien plus grands que les DANS LES MERS DU NORD. 367 conteftations fur la propriété du si- bier. Si quelque Sauvage tend un piége au Renard, & qu'il le perde de vue pendant quelque temps, le Renard trouvé pris à ce piége par un autre Sauvage qui aufoit racom- modé le piége , lui appartient. Celui qui prête fon bateler, ou quelque autre inftrument de pêche ou de chafle à un autre , n’a pas le droit d'exiger qu’on le lui rende en bon état comme 1l l'a prêté; tanc pis pour lui s’il y a des réparations à faire, elles font pour fon compte. Celui qui troque quelque chofe, & qui n’eft pas content de fon troc , peur le rompre & reprendre fon effet fans indemnité. Celui qui vend à crédit, peut, après la mort de fon débiteur, fe préfenter aux parens du défune, & leur dénoncer {a créance ; quel- que temps aprés 1l fe préfente encore, & fi on m’acquitte la dette, il reprend fes effecs fans difficulté &lesemporte, s'ils fubfiftent encore après le pillage 368 HISTOIRE DES PÊCHES » » b> » 2 3 93 3> 3 33 » 32 >] 2 L> 3 3 32 9 33 » des effets du mort. Ce pillage a toujours lieu dans la maifon mor- tuaire, & s'exécute par les voifins & les amis qui viennent de cette façon, confoler la famille affligée. Telles fonc les mœurs privées & pu- bliques de ces Sauvages ; toutes im- parfaices qu'elles font , elles font fujettes à moins d’injuftices que dans les fociétés policées. Les Groenlandois ne connoïflent aucun des détours de la chicane , ni aucun de ces piéges uficés qui alongenc les procès, les rendent interminables, & les font finir trop ordinairement par des injuf- tices criantes, dont le plus foible eft toujours la viétime. Si quelquefois on a lieu de reprocher aux Groen- landois quelque aétion qui ne s’ac- corde pas avec les règles de la juftice, ils fe contentent de répondre : Je ze » fais qu'y faire ! c’eft la coutume ! » » # à : y ! CHAPITRE DANS LES MERS DU NORD. 369 CRT PE RC TT STATURE , Conformarion & Pafions particulières des Groenlandors. Les Groenlandois qui fe difent na- turels du pays, pour fe diftinguer des autres peuples qui les fréquentent & commercent avec eux, méprifent ces derniers , parce que, le plus fouvent, ils ne découvrent en eux que des vices. Ils en font à leur tour méprifés, à caufe de la petitefle de leur taille, qui prefque toujours eft au-deflous de cinq pieds. Ces Sauvages font néanmoins très- bien proportionnés, très-bien faits, &leur tournure n’a en général rien que d’agréa- ble & deflatteur. La tête du Groenlandois eft un peu renfoncée; la figure eft platte & très-ouverte , les joues rondes & charnues ; les yeux petits, noirs & fans feu ; ils nont:pas cet éclat étin- celant qui annonce le génie; le nez, Tome IT. ‘42 à 370 HISTOIRE DES PÊCHES fans être applati , n'eft ni grand ni trop faillant; la bouche eft commu- nément petite & ronde; la lèvre infé- rieure un peu plus épaifle que la fupé- rieure ; les cheveux noirs, épais, longs & rudes. Rarement un Groenlandois a de la barbe, foit qu’elle ne croifle pas, foit qu'il s'occupe à l’épiler ; il a auf les membres très-charnus , la poitrine haute , les épaules larges, la main petite & potelée, le pied de mème. Les femmes fur-tout ont la taille quarrée; la nature femble avoir prévu qu’elles feroient condamnées à être continuellement chargées de leurs nourriçons, même en travaillant ; & elle leur a donné des larges épaules pour pouvoir les y attacher commodément , & les porter avec plus d’aifance. J'ai remarqué dans le chapitre précédent, qu’elles font pour ainfi dire les bêtes de fomme, & qu’elles font aufli impitoyablement condamnées à porter les plus lourds fardeaux ; c'eft peut-être certe tâche pénible qu’elles rempliflent depuis leur DANS LES MERS DU NORD. 3#1 jeunefle, qui contribue beaucoup à les affaifler ; elles portent une Renne entère fur leurs épaules , & d’autres fardeaux, à quatre lieues de diflance fans fe repofer ; nos Européens les plus robuftes en feroient découragés. La couleur de ces Sauvages tire en général fur le jaune verdâtre ; leur épiderme eft d’un brun relevé par un rouge clair. Ce qui prouve que le brun n'eft pas leur couleur naturelle, c'eft que leurs enfans naiflent blancs comme la plupart des Européens ; ils n’ac- quièrent cette couleur que par lPintem- périe de l'air qu'ils refpirent ; ils font d’ailleurs continuellement baignés de graifle & d'huile. Pendant tout leur long hiver , ils ne fortent que rare- ment de leurs huttes que la fumée de leurs lampes rend fales & noires; ces Sauvages , d’ailleurs , ne fe lavent prefque jamais. Cetre couleur doit leur venir auill en partie de ce qu'ils paflent fubitement du grand froid à une chaleur exceflive, & qu'ils fonc À a 2 372 HISTOIRE DES PÈCHES continuellementexpofés à l’une oul’autre de ces deux extrémités, qui néceflai- rement doivent beaucoup influer fur la couleur de la peau. On peut raifon- nablement conjeéturer aufli que cette couleur brune leur vient en partie de la qualité de leur nourriture, dont le fuc huileux fe mêle avec le fang , au point que leur fueur a l’odeur de l'huile dont ils fe nourrifient ; leurs mains & tout leur corps fentent le Phoque qu'ils manient journellement ; ils font gras & fanguins; ils ne font pas frilleux, & ils vont à l'air la tête & le col nuds; dans leurs huttes , ils ne font couverts que depuis la ceinture jufqu'aux ge- noux. Ils répandent alors une odeur infupportable aux Européens : à peine les Mifionnaires Danois peuvent-ils y réfifter dans les églifes , même au milieu de l'hiver ; il y fait fi chaud, que la refpiration eft interceptée ; les exhalaifons de l'huile & de la graifle dont la lampe eft garnie, ajoutent inf- himent à cette incommodité. DANS LES MERS:.DU NORD. 373 Les Groenlandois font agiles & adroits de leurs mains ; ils font rarement ma- lades; on y voit peu de tempéramens foibles & d’enfans contrefaits ,. ou caco-. chimes. Peu difpofés à apprendre ce: qu'ils n’ont jamais fait, mais très-ha- biles dans leurs travaux ordinaires, ils montrent ordinairement beaucoup de courage , fuite néceflaire de leur robufte complexion. [ls ne font pas courageux par un effet d’une colère paflagère , & qui les enflamme , ils le font par fen- timent. Un homme qui n'aura rien mangé de trois jours, ou qui n'aura pris pour toute nourriture qu'un peu de moufle de mer, ou quelque autre plante aquatique, ramera avec aflurance fur fon batelet, & le conduira avecintré- pidité à travers les flots de la mer dé- chaînés contre lui ; les femmes porteront avec la même aflurance leur lourd far- deau , foit qu'elles aient pris leur nour- riture ordinaire, foit que la faim les dévore. Ces Sauvages font naturellement Aa 3 374 HISTOIRE DES PÊCHES triftes & mélancoliques; ils font comme enfevelis dans une profonde ftupeur. La quantité de fang quiremplic leurs veines, rend'leur colère terrible lorfqu’elle s’en- flamme; mais elle doit être excitée pat des infultes répétées & par des outrages multipliés ; leur ame ne s’é- meut que difficilement , on la diroit purement pañlive ; ils ne font fenfbies que lorfqu'ils font pouflés à bout. Con- tens du préfent , ils ne penfent plus au pañlé , & s’'embarraflent peu de l’ave- nir ; ils font plus prodigues que foigneux d'amafler pour l’avenir ; ils font igno- rans, & cependant aflez glorieux pour s'eftimer beaucoup ; ils tournent toute leur attention {ur les Européens, mais c'eft pour s'étudier à fe moquer d'eux & à les méprifer; ils avouent cependant que ces étrangers font plus habiles & plus fins qu'eux, mais cet avantage eft bien peu de chofe à leurs veux. Æ [411 quelque chofe, difent-1ls , de plus urle que la chaffe aux Phoques ? Et, lorf- qu’on pofféde le fécret de [avorr pourvoir DANS LES MERS DU NORD. 37s a fa fubfiftance , qu’a-t-on befoin de plus ? Voilà touce la philofophie de ce peuple fimple ; on doit avouer qu’elle n’eft pas tout-à-fait dépourvue de bon fens. S'ils rencontrent un étranger d’une con- tenance pofée & d’un caraétère doux, cet étranger leur plait. Quel dommage ; difent-ils alors , qu’il ne foit pas ne parmi nous , mais 1l fèra bientôt des nôtres. Ils aiment mieux céder que difputer; cependant, fi on les tracafle & qu'on poufle leur patience à bout, ils deviennent furieux comme des lions, &z aucune crainte ne les arrête. Ils endurent fouvent les torts qu'on leur fait, les difgraces de la fortune & celles de la nature , avec une indifférence qui furpañle celle des Stoiciens , moins par réflexion & par diflimulation, que par Anfenfibilité ; mais, s'ils viennent à fe fâcher pour quelque infulte reçue, il n'eft pas poñlible de les diftraire un inf- ant par aucun plaifir, & ils attendent dans un morne filence , le moment de la vengeance. Cette fenfibilité eft Aaa 376 . HISTOIRE DES PÊCHES alors accompagnée d’un defir de fe venger , d'autant plus cruel , que leur patience a été pouflée à bout, & qu'ils ont eu à fouftrir linfulte plus long- temps. | Quoiqu’en général, tousles Sauvages, comme les hommes & Îles animaux, {oient enclins à la parefle & à la vie oifive, le climat & la ftérilité du fol néceflitent les Groenlandois au travail; ils ne peuvent refter long-temps fans occupation, & leur fubfiftance journa- lière dépend continuellement des peines qu'ils fe donnent pour fe la procurer. Ils ont le grand défaut de tous les enfans , c'eft de commencer dans leurs huttes mille ouvrages, & de n’en finir prefque jamais aucun ; leur inconftance eit extrème à ce fujet. Le Groeniandois eft curieux de faire ce qu'il n’a jamais fair, mais il en eft bientot dégouté. Dans les jours les plus longs de cette contrée , le Sauvage ne dort que cinq à fix heures ; & dans les nuits les plus longues, il ne donne au fommeil que DANS LES MERS DU NORD. 377 fept à huic heures; mais, foit qu'il travaille, foit qu'il dorme toute la nuit , 1l fe coucheroit volontiers toute la journée. La première aétion du Groen- landois, fortant le matin de fon lie, eft de monter fur quelque hauteur voifine de fa hutte, & d'y confidérer attentivement & d’un air rêveur, Île ciel & la mer; il s'attache à devi- ner quel temps il fera, & à prévoir quelles peines il aura, quels dangers le menaceront dans la journée, & enfin l'occupation qu'il aura; il prend un air riant, ou fombre, felonque l'horizon lui a paru pronoftiquer du bonheur ou du malheur. Lorfqu'il n’a pas de travail marqué pour fa journée , ou qu'il revient le foir après avoir fait une bonne pêche, il eft gai, content, & reçoit compagnie ; 1l fe félicite de jouir du calme & de la profpérité. L'homme eft toujours le même quant au fond , fur toute la furface du globe ; par-tout il eft plus ou moins égal & femblable à lui-même, à proportion qu 378 HISTOIRE DES PÊCHES {es goûts font fatisfaits ou contrariés ; il eft toujours abattu par la peine, & le travail le tourmente toujours plus ou moins. DANS LES MERS DU NORD. 379 GHA PATR Fi X EN. Nourriture des Groenlandoïrs. @ N ne doit pas s'étonner fi les Sau- vases du Groenland n'ont pour toute nourriture que la chair & le fang des animaux qu'ils tuent à la chafle, & du poiffon qu’ils pêchent dans la mer; ces Sauvages font donc tous & Pêcheurs & Chafleurs. D'où tireroient-ils leur fubfftance , d’où s’habilleroient-ils , s'ils n'avoient des Rennes, des oifeaux de mer 8 des Phoques ? Si le foleil fait éclore quelques planres au Groenland, pendant le court été dont ces Sauvages jouiflent , ces plantes, à peine parve- nues à un cettain degré de maturité, font bientôt emportées par l'hiver long & rigoureux qu'il fait dans cette con- rrée ; & à peine ce malheureux peuple a-c-1l le temps d'en cueillir une pe- ute provifion qui lui fert plutôt de 380. HISTOIRE: DE PÊCHES médicamens que d’alimens propres à le fübftanter. Ces plantes ne paroiflent, pour ainfi dire, qu’un moment fur ce fol ftérile ; la neige & la glace les dé- robent bientôt à la vue, & les Groen- Jlancois feroient d’inutiles efforts pour les cueillir. On peut dire que la con- dition de ces Sauvages eft de vivre continuellement dans la pauvreté & le dénuement des chofes les plus né- céfiaires à la vie. Les Rennes, leur principale reflource, font devenues très-rares dans un pays où cet animal trouve à peine de quoi fe nourrir, & où le Chafleur lui fait une guerre cruelle ; il faut donc que ces Sauvages fuppléent aux Rennes par le Poifou. Les Groenlandois diffèrent des autres Sauvages qui, comme eux, ne vivent que de la chafle, en ce que ces dermers mangent la chair crue des ani- maux qu'ils tuent, & que ceux-là ne mangent que très-rarement & en pe- tite quantité la chair de Renne. Il ef vrai qu'auffirôt qu'ils ontruéune Renne, DANS LES MERS DU NORD. 381 ils enlèvent un morceau de fa chair, & la mangent encore palpitante , & qu'ils boivent un peu de fang encore chaud de l'animal; mais on croit que c'eft un acte religieux qui leur eft com- mandé par la fuperftiion, & que ce _n’eft nullement par un goût décidé pour Ja viande crue. Il n'y auroit que la faim qui pourroit les déterminer à man- ger, jufqu'à fatiété , la chair crue des animaux qu'ils tuent. On croit en trouver la preuve, en ce qu'une femme qui fe rend maïtrefle d’un Phoque, n’en coupe fur-le-champ quelques lambeaux, que pour les femmes fes camarades, & que les hommes préfens à cette cé- rémonie n’en goutent pas ; ceux-ci rougiroient & auroient honte de rece- voir un tel préfent. Le Poiflon , ou plutot cet animal amphibie qui, par fon mafque & par quantité d’autres qualités , tient plus à la grande famille des animaux ter- reftres qu’à ceux qui vivent dans l'eau, les Phoques, en un mot, font la grande 382 HISTOIRE DES PÊCHES reflource des Sauvages du Groenland. La tête de cet amphibie ; de: même que fes pieds , fe confervent fous l'herbe pendant l'été ; on conferve fon corps {ous la neige pendant l'hiver. Les Groen- landois fe régalent autant avec une pièce de Chien de mer, à moitié ge- lée & à moitié pourrie, que les plus friands Européens avec une bonne Bé- cafle, ou toute autre pièce de gibier qui a acquis le fumer qu'il faut pour la rendre délicieufe. On fait fécher à l'air les côtes du Phoque , & ce mets fe mange fans autre préparation. On napprète pas autrement le Saumon, le Merlan & le Carlet; on découpe ces Poiffons par tranches, pour qu'ils fèchent plus facilement. Les Groenlandois man- gent tout l’autre Poiflon & les Oifeaux de mer, cuits à l’eau, à lhuile, ou dans le fang des Phoques. Tout l’affai- fonnemenc confifte à jeter dans le chau- .deron une petite quantité d’eau de mer pour donner du goût. Le premier foin de ces Sauvages, après avoir couché DANS LES MERS DU NORD. 383 par terre un Phoque, eft de boucher la plaie mortelle qu'il a reçue , après l'avoir fucée un moment, pour étan- cher le fang qui ea découle ; on le verfe enfuite dans des pots, dans lef- quels on le conferve précieufement, afin de s’en fervir pour apprêter d’autres viandes ; c’eft le feul coulis en ufage chez les Groenlandois. Ils mangent le ventre des jeunes animaux fans d’autre préparation que de le prefler fortement entre les doigts , pour en faire fortir la fiente; celle qu’on trouve dansles boyaux de la Renne , eft, pour les Sauvages, aufli délicieufe que celle des Bécaffes & des Grives pour nous; ils en font des préfens à leurs meilleurs amis. Ils eftiment au même degré la fiente des perdrix du Nord, & l’huile fraîche de Baleine. Les Groenlandois, tout grof- fiers qu'ils font , ont aufli leurs ragouts & leurs fauces. | Un de léurs mets, le plus recher- ché , eft celui qu'ils font avec des œufs battus, dans lefquels on jette de la graine 384 HISTOIRE DES PÊCHES de genièvre & de la racine d’Anpélique. On met cette pâte dans un fac fait d’une veflie de Phoque , remplie d'huile de Poiflon; ce mets eft excellent en hiver. En voici un autre plus fin encore, & dont les Groenlandois riches ne font ufage que dans les jours de galas. On arrache avec les dents la graifle des ailerons des Canards & des Poules d’eau, on la mêle avec celle qui refte attachée à la peau d’un Chien de mer lorfqu'on lécorche; on a grand foin de la racler avec le couteau ; on fait de ce mélange une efpèce de pâte que les Sauvages trouvent délicieufe ; c’eft le pla le plus fin dans ‘un feftin Groenlandois. C’eft à cort que quelques Voyageurs ont afluré que ces Sauvages buvoient l'huile de Baleine , & qu’ils en faifoient leur boif- fon ordinaire ; ils confervent cette huile pour leurs lampes, pour apprèter leurs mets, & vendent le refte. Ils mangent avec plaifir du Hareng fec, trempé dans la graifle du Chien de mer; c'eft dans éette graifle qu'ils fonc cuire ‘aufi quelquefois DANS. LES MERS DU NORD. 38$ quelquefois leur poiflon. Leur unique boiflon eft l’eau douce qu'ils tiennent dans leurs huttes, dans des vafes de cuivre, ou dans des fceaux de bois ; ils les font eux-mêmes trés-proprement , & ils les ornent de cercles faits d'os de Poiflon , pliés, avec beaucoup d'art & d'adreffe. Ils ont foin de tenir ces vafes toujours pleins; à cer effer, ils changent l’eau tous les jours , ils vont la chercher dans. des outres faites de peaux de Chien de mer. Leur eau de- viendroit bientôt chaude dans Jeurs hurtes, à caufe de la chaleur que la flamme des lampes y répand. Pour parer ‘à ce grand inconvénient, ils ont foin d'y jeter une pièce de glace ou, une grofle boule de neige. Ce peuple eft très-mal- -propre ; ; mais cette mal-propreté fe, fait fur-tout re- marquer. dans leurs repas. Raremenr les femmes prennent la peine de laver les plats & les marmites ; les chiens font chargés de cette befogne , & on n’y regarde pas après eux ; ils n’ont foin Tome IT. _ Bb 386 HISTOIRE DES PÈCHES que de leurs pots de marbre bâtard. Leurs plats font des petites planches de bois fans rebords ; ils y dreffenc leur viande & leur poifflon, après avoir avalé la fauce dans laquelle ces mers ont été cuits; ils fe fervent de cuillers d'os ou de bois. Quant au poiflon & à la viande defféchés , ils n’y regardent pas de fi près; 1ls les mettent fur une nape de vieux cuir de Phoque, étendue devant eux fur le pavé de leur hutte ou de leur tente. Ils prennent la viande ou le poiffon avec leur main droite, & la déchirent à belles dents, ou avec leurs ongles; on peut les comparer aux Chiens dans cet exercice, & certes la comparaifon eft très-jufte. Leur couteau ne leur fert, dans cout le repas, qu’à la place de ferviette ; ils en récurent leurs dents , ils raclent léurs mains & leurs doigts, ils en frottent même leurs lèvres huileufes. Après s'être ainfi nétoyés, ils fe lèvent & le repas eft fini. Lors mème qu'ils fuent , ils raclent foigneu- fement la fueur de leur vifage avec le DANS LES MERS DU NORD. 387 couteau , & la dirigent toujours vers. la bouche. Ils ont grand foin d’avaler cette crafle gluante , fans doute pour ne rien perdre. Lorfqu'ils veulent traiter un Européen en grande cérémonie, ils lèchent avec beaucoup de foin le mor- ceau qu’on lui deftine , afin de le nétoyer de toute la graifle & de cout le jus qui y reftent attachés en fortant de la mar- mite ; ils le préfentent enfuite à leur hôte, & ce feroit leur faire un très- grand affront, non-feulement de le re- fufer, mais même de le recevoir avec une efpèce de répugnance. Tous les Sauvages fe reflemblent par cette dé- licatefle particulière, & il n’en eft aucun qui ne fe fcandalife d’un refus. _ Les Groenlandois n’ont pas précifé- ment d'heure fixe pour leurs repas ; ‘ils mangent lorfqu’ils ont faim ; cepen- dant , dans l’été, ils ne font ieur repas que vers le foir , au retour de la chafle ou de la pêche ; ils ont l’attention d’in- viter leurs voifins, lorfque ceux-ci n’ont rien pris, ou tout au moins de leur B b 2 388 HisToiRE DES PÉCHES envoyer de quoi manger, lorfquelachaffe ou la pêche n’ont pas été heureufes pour eux. Les hommesmangenten particulier, maisles femmesn’y perdentrien ; comme ce font elles qui apprêtent le repas, & que tout pañle par leurs mains, elles ne s’oublient pas, & elles fe régalent très- : fouvent à l’abfence des hommes, & même au détriment de la portion de leurs maris. Leur plus grand plaifir eft de voir alors leurs enfans fe remplit leftomac, au point qu'ils n’en peuvent plus, & qu'ils font fuffoqués par la grande quantité des alimens dont ils fe font gorgés; ils roulent fur le pavé , fe vautrent & preflenc leur ventre contre terre ,afin de lui donner plus de capacité, & pouvoir recogmencer à le remplir. D'après cette efquifle , peut-on dire que ce peuple eft heureux , ou qu'il eft malheureux ? Il s'embarraffe fort peu du lendemain ; lorfqu’il a dé quoi manger devaut lui avec abondance, il ne fe lève jermais que lorfque tout eft dévoré , dut-il refter plufeurs heures de fuite DANS LES MERS DU NORD. 389 à table. Lorfqu'il eft bien repu, 1l fe lève pour danfer, & il fe réjouit dans l'efpoir que la mer lui fournira tous les jours de quoi fatisfaire à fes befoins les plus preflans. Le Groenlandois paie chérement cet excès de bonne chère & fon intempérance. À l’approche de la mauvaife faifon , lorfque, fur-rout, les Phoques difparoiffent pour deux ou trois mois ; lorfque l'air fe réfroidit au point qu'il n’eft plus poflible de fortir pour la pêche ou pour la chaffe ; lorfqu’en- fin quelque accident imprévu amène la difette, le Groenlandois, crifte & rèveur , refte quelquefois plufeurs jours de fuite fans manger ; ou, s’il fe fubf- tante, ce n’eft qu'avee un peu de moufle ou de goemon qu'il trouve par hafard. Très-fouvent fa mifère s’accroit® au point qu'il eft obligé de manger fes fouliers & les peaux qui lui fervent à couvrir fes tentes pendant la belle faifon. Pour rendre cet aliment groflier un peu fouple , il le fait tremper dans l'huile qu'il avoit deftinée à l'entretien de fes ‘Bb :3 390 HISTOIRE DES PÈCHES lampes ; & , de cette manière, 1l pro- longe une vie miférable qu'il eft con- tinuellement en danger de perdre , faute de provifions de bouche. Cependantces Sauvages mangentavec plaifir certains mets en ufage chez les étrangers ; ils trouvent le pain, le gruau, les pois , les féves, le riz & le ftokvis excellens, la plupart ne s’y accoutume même que trop tôt. Ils ont une ré- pugnance décidée pour le porc, & ils en donnent pour raïfon, que cet animal fe nourrit d’ordures. Il eft en effet fingu- lier que les peuples les plus fales aient eu de tout temps une averfion infur- montable pour la chair de cet animal, & qu’au contraire ceux qui fe piquent d'une extrême délicarefle & d’une pro- preté exceflives, mangent de cette chair, & qu'ils en faflent des mets exquis. Les Groenlandois avoient aufli un dégoût abfolu pour toutes les liqueurs fortes qu'ils appellent fimplement de Peau ; le commerce avec les Européens a fait abfolument difparoïitre cette DANS LES MERS DU NORD. 39r répugnance, & ceux qui font à portée d’en faire ufage, en boivent avecplaifir, fur-tout lorfque ces liqueurs ne leur coûtent rien. Ils s’accoutumeroient aufli très-facilement à fumer du tabac, s'ils pouvoient s’en procurer abondamment pour rien, mais ils en manquent très- fouvent ; ils en confervent dé préfé- rence les feuilles pour les faire fécher au feu; lorfqu’elles font au point de pouvoir être réduites en poudre , ils les jettent dans un mortier, & les y pilent pour en faire du tabac en poudre. Ils con- tractent cette habitude dès leur plus tendre jeunefle ; elle devient impérieufe pour eux; il feroit peut-être dangereux qu'ils fe privaflent du tabac. Ils font fu- jets à jeter une quantité prodisieufe d’hu- meuts par les yeux, & l’ufage du tabac doitnéceffairementfacilicer l'écoulement de ces humeurs, & foulager les yeux qui, s’en trouvant trop furchargés, ne pour- roient peut-être plus fuffire à cette dan- gereufe fonéion. Bb 4 392 HISTOIRE DES PÊCHES CFD LT RUE" 26 DEAN De l’Habillement des Che Ces Sauvages ont été infiniment mieux traités par la nature, par rapport à leurs vêtemens, que par rapport à leur nour- riture ; elle ne leur accorde celle-ci qu'avec beaucoup de parcimonie , & leur a prodigué les fourrures pour couvrir leur nudité & pour fe garantir de l’âpreté du climat fous lequel elle les à placés. Leur habit de deflus eft une efpèce de robe faite de plufeurs peaux de Chien marin, ou de Renne, jointes énfemble par une couture très-ferrée & en général très- proprement faite ; ils paflent cette robe, comme nous pañons nos chemifes. Au col de cette robe eft attaché un capu- chon, dont ils font ufage pendant le plus grand froid, ou lorfque le remps eft exceflivement humide : cet habit ne def- cend aux hommes qu’à moitié cuifles; il DANS LES MERS DU NORD. 393 eft très-ample ; mais comme il eft fermé par devant & par derrière , 1l eft très- chaud. Ils portent, en guife de chemife, une tunique faite de peaux d'Oifeaux de er , dont le duvet eft en-dedans ; ordi- nairement néanmoins cette chemife eft de peaux de Renne : lorfque cet animal n'étoit pas rare, ils deftinoient à cet ufage les plus belles & les plus fines four- rures; mais depuis un certain temps, à peine les Groenlandoifes les plus riches peuvent-elles s’en procurer. L’étoffe or- dinaite des habits des Groenlandois n’eft autre chofe que de peaux de Phoques ; ils ont l'attention de réferver les plus rudes pour les habirs de deffus, er de mettre toujours le côté le moins doux en-dehors. Ils bordent ces habits de ban- des de cuir rouge apprêté à cette fin; ils en recouvrent auf toutes les coutures; quelquefois ces galons font blancs. Ces Sauvages ont le fecret d'apprèter, pour cet ufage, lés peaux de Chien de mer: c'eft dans ces bordures qu'ils font con- fifter leur luxe, comme les Européens le 394 HISTOIRE DES PÈCHES font confifter dans les galons d’or & d’ar- gent. Depuis que les Européens fré- quententles côtes du Groenland, l’ufage des chemifes de toile, de coton & de. drap s’eft introduit chez ceux de ces Sauvages qui commercent avec eux; mais la façon n'a pas changé & leurs chemifes font toujours taillées felon lan- cien ufage. Leurs culottes font de peau de Phoque ou de Renne ; elles font très- courtes ; 1ls font leurs bas avec la peau des plus jeunes Phoques, & autant qu’ils peuvent avec celle de ces animaux morts- nés. Leurs fouliers font faits d’un cuir noir préparé, mais très-fouple ; ils les actachent à leurs piedsavec des courroies qui, faifant le tour de la cheville, paf- fent fous la plante du pied, & fe nouent en deffus; les femelles débordent de deux doigts devant & derrière, mais un peu recourbées en dehors: ces fouliers fans talons font très-proprement faits. _ Les Groenlandois, enrichis par le com- merce, portent des chapeaux, des bas & des culottes de laine. DANS LES MERS DU NORD. 395$ L’habillement que nous venons de dé- crire eff le coftume ordinaire de ces Sau- vages dans leur ménage; leur habit de mer eft un peu différent: il confifte en un manteau noir de peaux très-uuies de Phoques ; ce manteau les garantit abfo- lument de l’eau; ils paffent par-deflus leur gilet ordinaire, une chemife faite des membranes des inteftins des Chiens de mer; cette chemife les préferve du froid, & l’eau ne peut pas la pénétrer. Leur habit de pêche confifte en une vefte , culotte, bas, fouliers & capuchon faits d’une feule pièce & qui s'ajufte parfaitement au corps; il eft fait de peau de Chien de mer, très-unie & fans poil; le Groenlandois s’y enfevelit, pour ain dire, tout vivant; il et coufu avec tant de précaution, qu'une feule goutte d’eau ne peut pas y entrer : on pratique une petite ouverture à l'endroit où 1l couvre la poitrine ; c’eit au moyen de cette ou- verture que le Sauvage introduit dans fon cicophante autant d’air qu’il en faut pour le foutenir dans l’eau & ne pas 396 HISTOIRE DES PÊCHES courir le risque de fe noyer. Après cette opération, le trou eft fermé avec une petite cheville de bois qui s’y adapte de façon à ne pouvoir en fortir d’elle-même; le plongeur defcend & remonte fur l’eau à proportion qu'il introduit plus ou moins d'air dans cette efpèce de veflie, dans laquelle il fe renferme; ainfi affublé, le Sauvage fe jette hardiement dans la mer, & y refte aufli long-temps qu'il veut, fans courir rifque de fe noyer. L’habillement des femmes diffère peu de celui des hommes. Cette différence confifte feulement en ce que leur habit eft plus haut par derrière & remonte juf- qu'à la nuque; conféquemment le ca- puchon fe trouve attaché plus haut: il eft aufli taillé un peu différemment par le bas , depuis la hanche jufqu’au-deflous du genou. Les deux pièces dont il eft compofé fe terminent infenfñblement en pointe arrondie, & finiflent en forme de chafuble ; ces pointes font ourlées avec du fil rouge ; les femmes portent cale- çon & culotte ; celle-ci, & les fouliers DANS LES MERS DU NORD. 397 doivent être , autant qu'il eft poflible, de peau rouge ou blanche. Ces ajufte- mens fonc ornés d’une bordure très- - fimple , mais bien faire, qui leur donne beaucoup d'agrément. Les mères qui nourriflent leurs enfans , ont encore une efpèce de manteau très-ample, dans lequel elles portent leur nourriflon : ce manteau, très-chaud & très-commode, fert de berceau & même de langes à leurs nourriflons ; elles les y mertent vrout nuds; pour que l'enfant y foit en sûreté, ce manteau eft attaché à l'habillement ordinaire, par le fond, au moyen d’une ceinture de cuir, qui s'attache par devant avec une boucle, ou fitnplement par un nœud. Leurs habirs dé ménage fontfales & puans; mais elles ont foin, aurant qu’elles peuvent, de tenir propres leurs habits de gala. Les hommes portent les cheveux courts ; quelques-uns les coupent très- près du front, pour qu’ils ne tombent pas fur les yeux & ne les incommodent pas dans leur travail. Il feroit honteux 398 HISTOIRE DES PÊCHES pour une femme de fe faire rafer-la tête. ou même de faire couper fes cheveux , à moins que ce ne foit pour porter le grand deuil de fon mari, ou en figne de veuvage , & pour avertir qu’on ne doit plus la rechercher en mariage, y ayant renoncé pour toujours. Les femmes re- trouflent leurs cheveux fur la tête, en en faifant deux grandes boucles ; elles donnent à lune la forme d’une houpe très-large, fur laquelle l’autre, un peu plus petite, vient s'attacher : cette. fri- fure eft adroitement faire ; elle eft ornée quelquefois de petits morceaux de verre qui y donnent un nouvel agrément. Les femmes Groeniandoifes n’ont pas d’au- tres diamans ; elles en font des colliers, des braflelets &. des boucles d'oreilles ; elles fe croient très-richement parées avec cet ajuftement fimple & qui ne laifle pas de leur donner un certain relief. Le luxe néanmoins commence à fe glifler chez ces femmes Sauvages, & les plus - riches ceignent leur front d’un ruban de fil ou de foie ; mais elles le placent de DANS LES MERS DU NORD. 399 façon que les brillans dont leur coëffure eft enrichie , n’en foient pas cachés ; ces morceaux de verre forment le plus pré- cieux de leur parure. Les Groenlandoifes les plus Évaueteés portent, fur leur vifage , une efpèce de broderieartificielle ; elle eft douloureufe à la vérité, mais la vanité triomphe de tout : on paîle une aiguille garnie d’un fil noirci à la fumée de la lampe, entre peau & chair, depuis la pointe du men- ton jufqu'4 l'extrémité fupérieure des joues, & cout autour de la main & même du pied ; ce fil fe décharge, en paffanc, du noir de fumée qui s’y étoit attaché, & marque par-tout une trace noire qui ne s’efface jamais. Les mères font cette opération douloureufe à leurs filles dès la plus tendre jeuneffe; elles veulent les mettre à l'abri, par À, du malheur de n'être pas recherchées en mariage. Crantz aflure que les Groenlandoifes qui ont recu le baptême; renoncent à cette vanité du monde ; il eft un des plus puif- fans moyens pour exciter l’incontinence 400 HISTOIRE DES PÈCHES des hommes. Peut-être que par-tout ailleurs ce moyen fufliroit pour en- laidir une femme & pour la fouftraire aux empreflemens d’un amant incon- tinent. | Les Groenlandois pouflent la mal- propreté jufqu’à ne jamais fe laver; en fortant de la mer, ils lèchent leurs doigts & fe peignent comme les chats; 1ls frot- tent leurs yeux pour les effuyer & pour adoucir les cuiflons que l’eau de la mer occafionne toujours. Les Groenlandoifes fe lavent à la vérité , mais c’eft avec leur urine ; elles penfent que cette ablution eft propre à faire croître leurs cheveux, & à leur donner un parfum agréable; l'urine eft leur eau de fenteur , de préfé- rence : lorfqu’une jeune Groenlandoife s’eft ainfi parfumée, on dit d'elle : Æ7e fent bon comme une demoifelle. Niviar fr ac fuar necks. CHAPITRE DANS LES MERS DU NORD. 401 CHEPTTRE X LVL Huites & Tentes des Groenlandoïs. L ES huttes font les maifons d'hiver des Groenlandois ; ils habitent fous des rentes pendant la belle faifon qui eft leur été. Les huttes ont deux brafles de lar- geur , & depuis quatre jufqu’à douze de longueur ; la hauteur eft de fix pieds. Bien loin de’ creufer dans la terre ces maifons d'hiver, comme l'ont faufflement avancé quelques voyageurs, ces Sau- vages choififlent, au contraire , des élé- vations pour y affeoir leurs cabanes : ils donnent même la préférence à un pla- teau de rocher efcarpé, pour être à l'abri de la fonte de la neige, qui, au com- mencement de l'été, inonde les lieux bas. Ils fe logent toujours, autant qu'ils peuvent, au voifinage de la mer, pour être plus à portée de leur pêche; l'entrée \ des cabanes fait toujours face à la mer, Tome IL. die Ev 402 HISTOIRE DES PÊCHES qui fournit à leur fubfftance. Les murs de ces cabanes ont une brafle d’épai- feur ; 1ls font faits de pierres amoncelées les unes fur les autres; les interftices font remplis de terre & de moufle. Lorfque les murs font élevés, on met une feule poutre qui porte fur les deux murs de clôture, dans toute la longueur de la cabanne ; fi la poutre eft trop courte, on l'alonge avec des pièces de bois qu'on lie fortement, au moyen de longues courroies de cuir ; ces alonges font fou- tenues en-dedans par des étançons; cette poutre foutient toute la charpente; des côtes de Baleine , pofées de diftance en diftance, en font les folives; elles portent par un bout fur le mur, & par l’autre fur la poutre maïtrefle ; quelquefois elles vont d’un mur à l’autre , & portent par leur milieu fur la poutre. On rem- plit les interftices de lates aflez minces; le tout eft recouvert de brouflailles où de ronces : voilà le toit prêt à recevoir fa couverture. On y jette de la terre groflière à la hauteur d’un pied, & DANS LES MERS DU NORD. 403 celle-ci eft recouverte par d'autre plus fine & plus légère, qui remplit les interf- tices de la première. Au moyen de cetre précaution , le toit reflemble aflez à une platte-forme unie que la gelée con- folide & raffermit. Ces maifons font aflez folides pendant tout le temps du grand froid & de la gelée ; mais la pluie & la fonte de la neige les détériorent au point que, l'automne d’après , on eft obligé de refaire les murs à neuf. Il n’y a nf portes , ni cheminées à ces cabanes ; un corridor de deux ou trois brafles de largeur , ménagé à l'entrée de la cabane, forme une efpèce de voûte faite de pierres & de terre ; elle fert de courant à l’air, au moyen duquel celui-ci fe renouvelle continuellement - dans la cabane ; le vent , cependant, ni le froid ne pénétrent jamais par ce paflage : il eft terminé par une forte d’équerre ‘donc l'ouverture eft placée à côté ; ce paflage eft fi bas, qu'il faut y entrer à quatre pattes , & le parcourir Cola 404 HISTOIRE DES PÊCHES ainfi jufqu’à l’entrée de la hutte à la- quelle 1l fert d’avenue. Les murs font capiflés , en dedans, de vieilles peaux de Chien marin, qu’on emploie à cet ufage après les avoir fait fervir pour les tentes; elles font attachées aux murs avec de petits clous faits avec des côtes de Phoque ; elles préfervent de l'humidité, & c’eft pour cette raifon qu’on en garnit aufli le plafon de la cabane. Depuis le milieu de la cabane jufqu'au mur de derrière , règne un banc d’un pied de haut au-deflus du niveau du pavé; ce banc eft divifé en plufñeurs fec- tions, au moyen des peaux attachées aux étançons qui foutiennent la poutre maïtrefle qui porte toute la toiture ; ces cloifons donnent autant de chambres qu'il y a de féparations ; on les prendroit pour des loges d'animaux. Chaque mé- nage à fon appartement féparé ; on trouve dans chacune de ces cabanes jufqu'a dix familles réunies fous le même toit ; les bancs recouverts de peaux leur fervent de lit pour la nuit, DANS LES MERS DU NORD. 405 & de fiége pour le jour : les hommes s’affeoient fur le bord, les jambes pen- dantes ; les femmes s’y tiennent les jambes croifées comme les tailleurs fur leurs établis. L’occupation des hommes eft de faire des uftenfiles de pêche ou de ménage ; les femmes préparent à manger , font les habits & les fouliers. Le jour entre dans la partie antérieure de la hutte, par une fenêtre de deux pieds en quarré ; des inteftins de Poiflon, préparés & très-tranfparens, en forment la vitre; elle eft impénétrable au vent & à la neige. C’eft fous cette fenêtre, qu’on loge les étrangers ; il y a dans cet appartement, comme dans les autres, un banc qui fert de lit & de chaife. Chaque ménage a fon feu particulier- Un bloc de bois, recouvert d’une large pierre, & appuyé au pilier de fépara- tion, porte un trépied; fur celui-ci eft placée la lampe qui eft de cette efpèce de marbre bâtard; cette lampe a la forme d’un croiflant ; elle eft in- cruftée dans une planche de forme VER 406 HISTOIRE DES PÊCHES elliptique ; cette boîte reçoit l'huile qui découle , & elle empêche qu’elle ne foit perdue. La mèche eft faite d’une moufle fine , qui brule fi bien , que tout l'appartement eft éclairé de la feule lueur de fa flamme ; cette méche , ou plutôt cette poignée de moufle ardente, a encore la propriété de réchauffer la cabane entière ; la chaleur de cette flamme eft même à un degré aflez fort, pour faire bouillir un chauderon de mar- bre fufpendu au plafond par quatre cordes, un peu au-deflus de la lampe. Cette marmite, d’un pied de haut, fur fix pouces de diamètre , fuffit pour cuire les alimens d’un repas ordinaire d’un ménage entier. C’eft au feu de cette lampe que les Sauvages sèchent tous leur habits de chafle & de pêche; on les accroche à un porte - manteau fuf- pendu au plafond , à une petite diftance de la flamme. Les lampes des Groen- landois | continuellement allumées , donnent une chaleur plus uniforme que les poëles d'Allemagne ; elles font plus DANS LES MERS DU NORD. 407 faines , ne fument prefque pas, & il n’y a aucun danger qu’elles mettent le feu à la cabane. Cependant 1l feroit bien difficile pour un Européen, de s’ac- coutumer à ces prifons lugubres, dont l'infection eft au-deflus de tout ce qu’on peut en dire : l'odeur forte des lampes, celle du poiflon & de la viande que l’on fait cuire dans les marmites, celle des peaux qui tapiffent les murs intérieurs & le plafond, & fur-tout celle de l'urine qu'on répand fans fe gêner dans la cabane même, ou qu’on y ramafle dans des baquets , rendent lhabitation de ces huttes plus infupportable pour les étrangers , que les prifons les plus in- fetes de l'Europe. Cependant cette mauvaife odeur ne doit pas beaucoup nuire à la fanté, puifque les Groen- landois y vivent plus de la moitié de l'année fans prefque en fortir, & qu’ils s'y portent bien. Contens dans leur pauvreté , 1Îls fe croient heureux pourvu qu'ils aient de quoi manger; ils le font en effet mille fois plus que ces opulens CC 4 408 HISTOIRE DES PÊCHES de la terre , dont l'ambition eft infa- tiable au fein des richefles, de la mol- lefle & des plaifirs. À l'entrée de la cabane eft placée une efpèce de cuve de bois, dans laquelle les Groenlandois renferment tous les jours leur petite provifion de viande & . de poiflon ; car ils tiennent leur provi- sion d'hiver fous la neige en dehors de leur cabane, & tous les jours ils vont prendre ce qui leur eft néceflaire pour la journée. Tout près de cette caifle, font fufpendus à un pilier, les Kajaks, ou barelets, les uftenfiles & les armes de pêche & de chafle. Les Groenlan- dois fe renferment dans leurs cabanes vers Ja fin de Septembre & n’en fortent qu'a la fin d'Avril ou au commencement de Mai. C’eft dans ce temps que la fonte de la neige détériore les huttes, & que les Sauvages, forcés de les abandonner, fe retirent fous des tentes pour y pañler Ja belle faifon. Voici quelles font les dimenfons des tentes des Groenlandois. Ils choififlent = H À LETTRE + HÉRHÉBHRRRRE paper ir HE LEE RÉF CONTE fé ENIFRENTE Tentes ‘4 NOY 10 1942 re] HAN abs 21 { : Ya DANS LES MERS DU NORD. 409 un terrein uni qu'ils pavent de pierres plates dont ils forment un quartré long. Ils y plantent dix à quatorze folives ou côtes de baleines; elles portentune efpèce de chaflis qui les lie & les foutient toutes à la hauteur d’un homme, il leur fert de ciel : cette charpente eft recouverte de peaux de chien de mer doublées; les plus riches Sauvagestapiflentleurs tentes de belles peaux de rennes. Celles qui couvrent la tente & qui tombent jufqu'a terre, y font aflujetties par des pierres & de la moufle , afin que le vent ne puifle pas s’y introduire & renverfer la rente. L'entrée eft fermée par un rideau de boyaux de poiflon très - artiftement faic & tranfparent; il a une bordure de fil bleu & rouge ; les anneaux font de peau blanche ; ce rideau fuffit pour mettre à l'abri du vent. Ce veftibule donne à la grande porte d’entrée ; celle- ci fe ferme par une tapiflerie de peau de Chien de mer. On y conferve les provifions, on y place les baquets d’ai- fance. Les cuifines font en dehors des 410 HISTOIRE DES PÈCHES centes en plein air; c’eft dans la belle faifon qu’on fait ufage de marmites de cuivre & du bois à brüler pour apprêter à manger. La mère de famille a fa toi- ette dans un des coins de la tente ; elle étale fes nipes & fes beaux ajufte- mens à un porte - manteau fous un large rideau de peau blanche, dont la broderie en fil de diverfes couleurs, repréfente diverfes figures aflez fingulières. Chaque ménage a fa tente; mais les riches logent jufqu’à trois ou quarre fa- milles pauvres, auxquelles elles font apparentées : on trouve dans ces grandes tentes, jufqu’à vingt perfonnes. Les lits & les autres meubles font difpofés dans les tentes comme dans les cabanes ; il y règne cependant plus de propreté & plus d'ordre. On n’y éprouve pas autant de chaleur, & on n’y eft pas autant incom- modé par l'infection de l'air intérieur. Les Groenlandois s'y dédommagent des incommodités de l’hiver, & il eft vrai de dire qu'ils y reffentent à un certain de- gré, l'agrément de leur belle faifon. DANS LES MERS DU NORD. 41f. On fouffre peut-être moins fous ces tentes & dans ces tanières infeétes au Groenland , que dans les fables brülans de la Lybie , ou même dans les plus belles contrées de l’Afie; ici, il eft vrai, une gelée prefque éternelle porte la ftérilité jufques dans les entrailles de la terre, & lui permet à peine de poufler quel- ques ronces inutiles ; là, une chaleur brülante deflêche les fources , & elle eft prefque toujours accompagnée d’une pefte cruelle qui emporte la moitié des habitans. Si quelquefois la pefte femble donner quelque relâche aux peuples qu’elle afige , d’autres maladies épidé- miques, non moins défaftreufes , les emportent avec autant de violence & de fureur : on trouve au Groenland peu de ces plaifirs dont la jouiffance eft pénible ; en Âfie, il s’en faut bien que les jouif- fances foient proportionnées aux defirs variés des cœurs paflionnés pour la mol- leffe ; là, la peine qu’on fe donne pour fe procurer les premières néceflités de la vie , les feules que les Groenlandois 412 HISTOIRE DES PÊCHES ambitionnent, eft toujours couronnée du fuccès, & le Sauvage trouve toujours de quoi foulager fa mifère , parce qu'il fait fe contenter de peu ; ici, les pañlions &c les defirs, excités par une imagination féconde & toujours fixée fur le fan- tome des jouiffances de la mollefle, ne trouvent aucun aliment propre à les cai- mer un inftant ; en un mot, les Groen- landois poffédent peu, mais ils poffèdent tout ce dont ils ont befoin ; & la plupart des autres peuples vivant dans la plus grande abondance, manquent fouvent du pur néceffaire, & font pauvres de leur richefle même. Quoiqu’'en général perfonne de nous ne voulut s’expatrier, pour aller fixer fa demeure au pied des rochers de glace du Groenland , combien cependant de nos pauvres ouvriers, jout- naliers, foldats même, & habitans des campagüues s’y trouveroient infiniment mieux que parmi nous; combien n’en eft-1l pas qui très-fouvent defireroient être nés fous la zone glaciale, & y vivre par préférence à leur malheureufe DANS LES MERS DU NORD. 413 patrie, fi, dans l’excès de leur misère, ils étoient en état de comparer la vie des Sauvages du Nord à celle qu’ils traînent eux-mêmes dans la plus douloureufe indigence ! 414 HISTOIRE DES PÈCHES G HP: ET RES KE AE LE Arts & Sciences des Groenlandors. On ne s'attend pas, fans doute, de trouver chez un peuple fauvage, tel que celui que je viens de defliner, des arts perfettionnés , des fciences profondes & fublimes : les Groenlandois font peut- être les plus ignorans , les plus bornés & les moins fufceptibles de civilifation de tous les Sauvages connus. Les Mif- fionnaires même que le Dannemarck leur envoie pour leur prêcher l'Évangile, n’ont pu parvenir encore à développer en eux le plus petit germe d'aptitude pour nos arts & nos fciences; leur intel- ligence toujours groflière, femble ce- pendant s’être un peu dégourdie ; ils font moins ftupides qu’ils n’étoient ; mais les progrès de l’efprit font fi lents chez les Groenlandois, qu’on peut conclure dés DANS LES MERS DU NORD. 415 aujourd’hui qu'ils font tout ce qu'ils peuvent être. La langue de ces Sauvages eft très- pauvre, très-imparfaite ; les mots fonc longs & compofés en général, de beau- coup de fyllabes ; ils parlent du gofier; ce qui fait que, même lorfqu'ils s’ex- priment dans une des langues des Euro- péens , dont ils ont appris quelques ex- preflions, 1ls font prefque inintelligibles; ils fuppléent au défaur des expreflions de leur propre langue, par des geftes ; on peut dire qu’alors il eft bien plus aifé de les comprendre que lorfqu’ils parlent. On affure que leur dangue n’a aucun rapport avec celle des autres peuples du nord, excepté avec celle des Efqui- maux , qui paroiflent être leurs frères & la tige originaire d’où font fortis les Groenlandois. Ce peuple n’a pas de poffie propre- ment dite, ou du moins elle eft auf imparfaite que les arts & les fciences qui lui font propres ; il a cependant certains mots plus cadencés &une efpèce 416 HISTOIRE DES PÊCHES de rime qu’il emploie quelquefois avec une forte de grace. Les Groenlandois ne comptent que par leurs doigts, & ne comptent que jufqu'à vingt, encore n’ont-ils pas des mots particuliers pour s'exprimer juf- qu'à vingt; ils n’en ont que pour dire un, deux, trois, quatre, cinq. Ainf, pour dire vingt, ils difent quatre fors czng, ou plutôt 1ls montrent quatre fois cinq doigts de la main; pour compter jufqu’à cent, ils montrent cinq fois leurs vingt doigts , ou ils difent czrg hommes , parce que cinq hommes ont cent doigts entre eux tous; ils ont cependant des mots pour exprimer dx , one & Jerxe. Ils font plus habiles dans la fcience de la Généalogie ; ils favent par cœur, & fans la plus petite erreur larbre généalogique de dix races de leur fa- mille , foit en ligne droite , foit en ligne collatérale ; il n’eft pas furprenant qu'ils foient toujours prêts à répondre fur leur defcendance particulière , leur intérêt le plus DANS LES MERS DU NORD. 417 plus précieux eft attaché à la éonnoif- fance exacte de leurs ancêtres. Un pauvre Groenlandois ne périra jamais de faim, & ne manquera jamais du néceflaire, s’il eft en état de prouver à un Groen- Jandois riche , qu'il fort de la même famille que lui & qu’il eft fon parent, ne le füt-1il qu'au dixième degré, même par une branche collatérale. Ce peuple ne rougit pas d’avoir des pa- rens pauvres, & fe fair un devoir de les aflifter. Les Groenlandois ne favent ni lire ni écrire ; les efforts des Miflionnaires, pour parvenir à montrer à ces Sauvages ces deux arts, les plus utiles dans la fociété , ont été en pure perte. Les Groenlandois regardent le temps qu’il faut donner à l'étude des élémens de l'écriture & de la leéture, comme tout- à-fait perdu; & ils penfent pouvoir l’em- ployer beaucoup plus utilement à la pêche ou à la chafle. Ces Sauvages avoient fi peu d'idée de l'écriture , avant l’arrivée des Miflionnaires & des Tome IT. "5 d 418 HISTOIRE DES PÈCHES Pêcheurs Européens, qu’ils furent épou- vantés lorfqu'ils virént des caractères tracés fur le papier ; 1ls ne pouvoient comprendre que le papier fut ur être parlant; c’eft l’expreflion donc. ils fe fervoient, On eut beaucoup de peine à les déterminer à toucher un papier écrit, où un livre; ils crurent y voit une efpèce de forcellerie ; les caractères noirs, tracés fur du papier bianc, leur parurent unenégromancie épouvantable. Lorfqu'un Miniftre Luchérien leur lifoit le Décalogue, ils étoient perfuadésqu’un Efprit familier parloit derrière lui. Ils font revenus de leur étonnement & de leur peur à ce fujet ; ils fe chargent avec plaifir de porter une lertre à plu- fieurs milles , parce que leur comnufion efttrès-bien payée; 1ls yattachent même une efpèce d'honneur, en cequ'ils s’ima- ginent être les porteurs de paroles, d’un homme à un aurre. Quelques-uns d’entre eux , néanmoins , & ce font ceux par- ticulièrement qui font un commerce : plus étendu , ont profité jufqu'à un DANS LES MERS DU NORD. 419 certain point de l’utilité de l'écriture ; on en trouve qui en favent aflez pour écrire, avec du charbon noir fur une pièce de peau blanche, leurs demandes & la promefle d’acquitter leurs dettes. Ils favent fpécifier la quantité des mar- chandifes dont ils ont befoin; les jours qui s’écouleront , jufqu’à celui du paie- ment , & en un mot tout ce qui à rapport à un commerce réglé; ils en- voient ces factures de leur façon aux Fa@eurs Danois, & ceux-ci les com prennent aflez pour remplir exactement les commiflions qu'ils tesntens de ces Sauvages. Ils comptent le temps avec fi peu de précaution, que la plupart ignorent leur âge; 1ls comptent les années par les hivers, & les jours par les nuits. La raifon qu'ils en donnent n’eft pas fans fondement , puifque effectivement l'hiver fait les deux tiers de l’année, & que la nuit emporte les deux tiers de leur vie. Ils ne comptent que juf- qu’à vingt hivers ; arrivés à ce terme, Dd 2 410 HISTOIRE DÉS PÊCHES ils fe perdent dans le calcul de leurs années. Ils ont fixé cependant, depuis quelque temps, des époques qui leur fervent à fixer aufli les événemens les plus remarquables de leur vie. La fon- dation d’un établiflement Danois, l’ar- rivée d’un Mifionnaire font pour eux de grands événemens; c’eft de ces deux principales époques qu'ils partent pour mettre quelque ordre dans leur chro- nologie particulière. Ils divifent les fai- fons de l’année d’une manière qui leur eft toute particulière. Ne connoiffant pas les équinoxes , ils fe règlent par le folftice d'hiver , qu'ils jugent arriver quelques jours plutôt que nous ne le fixons. Lorfqu'ils apperçoivent à la cime des rochers la foible lueur des rayons du foleil prêt à quitrer leur horizon, ils le confi‘érent un moment en filence, & célèbrent alors leur nouvelle année. De ce moment , ils comptent trois mois jufqu'au printemps, & fe préparent, après ces trois mois, à quitter leurs cabanes pour fe loger fous leurs tentes. DANS LES MERS DU NORD. 4121 Le quatrième mois , c’eft-à-dire celui d'Avril , leur eft annoncé par l'apparition de certains Oifeaux, & par la ponte des Corbeaux ; le cinquième mois, ils reçoivent la vifite des Phoques qui com- mencent à reparoître avec leurs jeunes {ur leurs côtes. Les Canards fauvages leur annoncent le mois de juin ; alors la lune difparoït entièrement à leur vue, parce que l'éclat de la lumière du foleil obfcurcit abfolument celle de laftre de la nuit. Les Groenlandois ne pouvant plus compter alors , comme dans l'hiver, par les différentes phafes de la lune , comptent par le cours de l'ombre du foleil, qui leur eft indiqué par le fommet des hautes montagnes dont les pointes leur fervent d’aiguille folaire ; c’eft par ces prolongations variées de l'ombre, qu’ils comptent alors leurs jours. Pendant tout le temps que le foleil ne quitte pas leur horizon, ils mefurent la longueur de leurs jours, par la longueur de l'ombre qu'ils apper- çoivent à l’eft des plus hauts rochers. Dd ; 422 HISTOIRE DES PÈCHES C'eft par la perpendicularité de ces ombres , ou par leur déclinaifon, qu'ils fonc avertis du retour des Phoques, du départ ou de l’arrivée de certains Poiflons & de certains Oifeaux , & du moment enfin où ils doivent plier leurs tentes & réparer leurs huttes pour s'y renfermer. Ïls divifent les parties du jour par le flux 8 le reflux dont ils attribuent l’action à la preflion de la lune ; ils divifent encore plus commodément les parties de la nuit par le lever & le coucher des étoiles. C'’eft là que fe borne toute leur fcience aftronomique fur la divifion du temps. Leur fcience fur la création & le mécanifme de l’univers , fe borne à des fables groffières que leurs Devins ont foin de leur inculquer comme des vérités qui méritent toute leur croyance & tout leur refpeët. Ils croient que la terre eft immobile fur fes fondemens, mais que ces fondemens tombant en lambeaux par leur vétufté, bientôt le globe entier difparoîtroit dans l’abyme, fi DANS LES MERS DU NORD. 423 les Devins n’étoient continuellement à les réparer & à les étayer. Ces jongleurs entretiennent les Sauvages dans cette pitoyable crédulité, en leur montrant des gros morceaux de bois qu'ils pré- tendent être des débris des fondemens de la terre. Les Groenlandois prétendent que le firmament à fon pivot particu- lier, placé fur une haute montagne, fur lequel 1! roule continuellement en équihbre ; ils prétendenr aufli que tous les corps céleftes font autant de Groen- landois ou d'animaux enlevés au ciel par quelque accident particulier | & que la qualité des alimens dont ils fe nourriflent, détermine la couleur des étoiles qu'ils repréfentent. Les pla- nètes en conjonétion ne font, à leur avis , que deux femmes qui fe vifitent en fe querellant ; les comètes ne fonc aufli que des ames Groenlandoifes qui voyagent dans le ciel pour voir ce qui s’y pafle. Ils nomment la conftellation de la Grande Ourfe, la Renne ; les fepc étoiles dont elle eft compofée font D d 4 414 HISTOIRE DES PÈCHES fept Chiens de mer qui pourfuivent un Ours. Cette conftellation fert aux Groen- Jandois pour leur annoncer le retour de la nuit. Ils prennent les deux Gemeaux pour la poitrine du firmament, & la conftellation d'Orion ; pour quelques hommes errans & qui fe font perdus fans pouvoir retrouver leur route , au retour de la chafle aux Phoques , & qui ont été enlevés dans les cieux. Le {oleil & la lune étoient frère & fœur. Jouant un jour avec d’autres enfans dans le cahos, Malina fatiguée des pourfuites de fon frère Anninga, trempa la main dans l’huile de la lampe qui éclairoit le cahos, & l’appliqua fur la figure d’Ax- ninga ; ellele marqua ainf pour pouvoir le reconnoïître lorfqu’il repafferoit de- vant la lampe. Après cette efpiéplerie, Malina vouloir prendre la fuite, mais fon frète la pourfuivit, jufqu’a ce qu’elle eût pris fon eflor vers le ciel, & elle y fut changée en foleil ; fon frère qui refta en chemin, parce qu’il étoit moins agile qu’elle, fut changé en lune ; il tourne DANS LES MERS DU NORD. 425 continuellement autour d'elle, comme s’il fe Aattoit encore de pouvoir l’attein- dre. Lorfque Arninga, métamorphofé en lune, eft fatigué, qu'il n'en peut plus de faim, & que faute de manger, il eft devenu très-maigre, il s'arrête; 1l pofe fes armes de pêche & de chaffe fur un traîneau attelé de quatre Chiens, & s’abfente quelques jours pour reprendre de l'embonpoint; alors il reparoit gros & gras (1). La lune fe réjouit de la mort des femmes , & le foleil de celle des hommes : c’eft pour cette raifon que les hommes ferment la porte lorfqu’il y a éclipfe de foleil, & que les femmes la ferment pendant les éclipfes de lune. Anninga rode alors autour des cabanes pour enlever les peaux & les provifions, & pour donner la mort à tous ceux qui ne fuivent pas exactement, & avec la plus fcrupuleufe fidélité , les règles de (1) L’Extrême maigreur d’Anninga | repréfente le dernier quartier de la lune ; fon embonpoint & fa groffeur repréfentent la pleine lune, 426 HISTOIRE DES PÊCHES conduite que les Devins prefcrivent aux Groenlandois. On cache aufli avec le plus grand foin les provifons ; leshommes fur-tout s’empreffent de porter fur le toit des cabanes, les meubles & les uftenfiles de cuifine; ils battent fur leurs chaude- rons pour épouvanter la lune, & pour lobliger à prendre la fuite & à aller reprendre fa place ordinaire dans le firma- ment. Lorfque l’éclipfe eft de foleil, les femmes prennent leurs Chiens par les oreilles ; s'ils aboyent, c’eft une marque certaine que la fin du monde n’approche pas encore, car, difent-elles, les Chiens créés pour l’ufage de l’homme, ont un certain preflentiment de l'avenir; mais fi ces animaux n’aboyoient pas , tout feroit perdu ; le monde fe décompofe- roit, &on n'y trouveroit plus de Groen- landois. On a grand foin de prévenir ce malheur en pinçantles Chiens, de façon à les faire crier, à force de leur faire mal. | Lorfque par hafardle tonnerre gronde, les Groenlandois croient que ce font DANS LES MERS DU NORD. 427 deux vieilles femmes qui fe battent dans leur cellule aërienne pour la peau d’un Phoque qu'elles fe difputent. La cellule eft renverfée , les lampes fe brifent & fe répandent, & les éclairs ne font autre: chofe que le feu de ceslampes qui, alors, ferpente dans les airs. Ils font du refte très-ignorans en aftronomie. Les Groen- Jandois ne croient pas à l’aftrolosie, & fe mettent peu en peine de chercher l'avenir, en obfervant le ciel, le vol ou le chant des oifeaux. 418 HISTOIRE DES PÈcHES C'IFRPPTR'ES SK NPTÉE Maladies & Remèdes des Grovale La médecine n’a pas fait plus de progrès au Groenland, que les autres fciences. Voici les maladies & les incommodités auxquelles les Groenlandois font fujets. Les vents qui foufflent avec violence dans les mois de Mai & de Juin, ainf que la réflexion des rayons du foleil fur la neige & fur la glace , leur occafionnent une fluxion très - douloureufe fur les yeux ; ils les ont alors très-enflammés & très-larmoyans. Pour prévenir cette incommodité , ils prennent un petit co- peau de bois très-mince, large de trois doigts & l’affujettiflent fur les yeux. Quelquefois ils y font pluñieurs petits trous pour fe conferver l’ufage de la vue, & diminuer feulement la force de la réverbération des rayons du foleil. Si Vincommodité devient infupportable, ils DANS LES MERS DU NORD. 419 fe font une incifion au front qui produit l'effet d’une forte de cautère. Lorfqu'ils font affigés de la cataracte, ils appellent une femme qui en fait l'opération avec une aiguille courbe & un petit couteau deftinés à cet ufage; il arrive fouvent que cette opération ne réuflit pas, & que le patient s’en trouve beaucoup plus mal. Depuis que les Groenlandois font ufage du tabac en poudre , ils font moins fujets aux maux d’yeux. Les Groenlandois font fujets aux hé- morrhagies ; elles font occafionnées par le froid, & par une trop grande abon- dance de fang, que l’ufage immodéré de l'huile de Poiflon & du Poiflon même leur donne. Pour arrêter ces pertes de fang lorfqu’elles font trop abondantes, ils prient quelqu'un de les fuccer fur la nuque, ils lient fortement avec un fil leurs doigts annulaires , ils mettent dans leur bouche un morceau de glace, ou enfin ils teniflenc de l’eau de mer. Ils font fujets aufi aux autres maladies des Européens , comme douleur de tête, 430 HISTOIRE DES PÈCHES douleur de dents, éblouiffemens, hydro- pifie, épilepfie , folie, &c. Mais ces maladies font fi rares chez eux, qu'ils ne connoiffent point de remèdes pour les guérir. R Ce peuple eft fujer à deux fortes de maladies de la peau ; la première eft une forte de gale; tout le corps, à l’ex- ception des mains , fe couvre de puftu- les; cette incommodité n’eft ni conta- gieufe, ni de longue durée. La feconde eft une forte de lèpre dégoutante ; elle eft incurable , & même contagieule à un certain point. Ces lépreux vivent fé- parés de la fociété , & n’ont d'autre confolation que celle de pouvoir fe gra- ter à leur aife; ils fe fervent de plumes pour faire tomber les écailles dontils font couverts. Les habitans penfent qu’ils doi- vent originairement cette maladie à la trop grande quantité de Poiflon, qui fait pour ainh dire, leur unique nourriture. La petite vérole étoir inconnue au Groen- land avant l’année 1733: Un jeune homme de Copenhague y porta ce fléau; DANS LES MERS DU NORD. 431 & dans peu de cemps, plus de trois mille Groenlandois en furent la victime. Les Groenlandois font auf fujets à la gravelle , à la pierre ; mais 1ls en font la cure au moyen d’une très-grande in- cifion ; ils y mettent un appareil de foin ou de moufle, qu'ils aflujettiflent quelquefois avec une petite planche très-mince, pour que leurs habits n’en- veminent pas la plaie ; du refte ils vaquent à leufs travaux fans fe plaindre de la plus petite incommodité. L’urine eft le remède ordinaire pour les bleflures des mains & des pieds; parce moyenils étanchent le fang qui découle de la plaie; ils y mettent enfuirte un emplâtre de graifle ; ou bien ils y appliquent un peu de moufle trempée dans l'huile, & bandent le pied ou la main avec une Janière de cuir. Si la bleflure eft large, ils en recoufent les bords enfemble , avant d'y mettre le bandage. Ïls ont un remède prompt & efficace pour guérir les luxations : ils font tirer avec force le bras ou la jambe luxés, 432 HISTOIRE DES PÊCHES jufqu'à ce que les os foient remis à leur place; alors ils y font un bandage au moyen d’une courroie très-munce ; 1l eft furprenant qu'au moyen de cette fimple opération, 1ls foient guéris en très-peu de temps. Lorfqu'ils fe caflent un bras, ou une jambe , ils ne fe fervent pas d'autre moyen pour les remettre. En général, les Groenlandois n’ont de remèdes que pour les maladies extérieu- res ; ils les guériflent en peu de temps, fi elles ne font pas trop graves. Ils n’en ont aucun pour les maladies internes, & laiflent à la nature le foin de les guérir. Ces dernières font ordinairement l’étifie & la pulmonie : cependant ils cherchent à en arrêter les progrès, en faifant ufage d’une forte de moule noire qu’on trouve fur les montagnes. Ils font fujets aufli à la dyflenterie, principalement au prin- temps ; il y a apparence que la quantité de mures fauvages qu'ils mangent avant leur parfaite maturité , leur occafñonne cette dangereufe maladie. Enfin ce peu- ple eft encore très-fujer aux maladies de DANS LES MERS DU NORD. 433 de langueur ; la refpiration devient de plus en plus pénible jufqu'à ce que la mort vient mettre fin à tous leurs maux. Le Groenlanlois en général n’eft pas fujet à la fièvre. Lorfqu'il fe fent atta- qué d’une douleur de côté, maladie trés fréquente au Groenland, & qui eft occalionnée par une fueur interceptée , il fe fenc pris d’un friflon, fuivi d’une grande chaleur qui occafionne des tirail- lemens à la poitrine. C’eft la maladie la plus ordinaire ; mais les Groenlandois en font bientôt délivrés foit par les re- mèdes, foit par la mort. Ils appliquent la pierre d’aimant fur la partie doulou- reufe; 1l paroit qu'elle atuire l’humeur & qu’elle foulage le malade. Depuis l'arrivée des Européens au Groenland, ils fe font faigner dans cette maladie ; & même quelquefois feulement par pré- caution , & ils s’en trouvent trés-bien. La plupart de ces maladies leur pro- viennent de leur manière de vivre, qui eft en général très-pénible, & de la mauvaife nourriture que la nature leur Tome IT. ._ Ee 434 HISTOIRE DE PÊCHES a départie. Dans l'hiver , lors même que le froid eft au point de leur ôter toute fenfibilité , & que tous leurs membres font engourdis, le Chafleur fort de fa hutte tout fuant, fouvent À demi nud, pour s’expofer aux rigueurs du vent du nord, le plus froid dont on puiffe fe faire une idée. S'il n’a rien à manger, il jeune pendant deux ou trois jours ; lorfqu'il refte dans fa hutte, il mange continuel- lement & ne laiffe pas un inftant fon éftomac vide. Il a continuellement foif, à caufe de la chaleur exceflive qu'il éprouve dans fa tanière ; alors l’eau n’eft jamais aflez froide pourlui; il y jette une pièce de glace & ne boit l’eau que lorfque celle-ci eft prefque fondue : aufli les maladies de la poitrine furvien- nent-elles particulièrement dans l’hiver, lorfque ce peuple manque de vivres : c’eft aufñli alors, que la mort fait plus de ravage chez ces Sauvages. TS DANS LES MERS DU NORD. 435 RS REA ENRE RIAUE VOECPUIRENRE ES HR PCR SEE TRAINERS RE TIGE, GA PA EX XX EUX. Des Funérailles des Groenlandoïrs. Dis qu'un Groenlan£ois eft à l’agonie, on le revêt de fes plus beaux habits & on lui met fes bottes. Auilitôt qu'il eft mort, on troufle fes jambes, & on les lie fortement aux cuifles , fans doute POUF que fon tombeau étant plus court, il n'en coûte pas autant de peine pour le faire. On écarte avec foin tout ce qui a touché fon corps, pour détourner tous les malheurs qui pourroient en être la fuite pour fa famille. On jette tout à la porte, ainfi que tous les meubles & effets de tous les habitans de la . même hutte. On laifle le tout expofé à l’air jufqu'au foir; l'air intérieur eft cenfé alors aflez Dee , & tour eft remis à fa place. On pleure le mort pen- dant une heure, & on fait les prépara- tifs de fes funérailles; on prépare {on £ez 436 HISTOIRE DES PÊCHES combeau qui eft ordinairement conftruit avec des pierres , fur une élévation à une certaine diftance de la hutte; on met dans le fond une légère couche de moufle. On ne fort pas le cadavre par la porte, on le jette par une fe- nêtre. Si le Groenlandois meurt fous fa tente, on ne le fort pas non plus pat l'entrée de la hutte, mais on pratique une ouverture dans l’une des peaux qui couvrent la vente , & le corps mort eft jeté par cette grande lucarne, Une femme eft chargée de faire le tour de la demeure du mort, avec une pièce de bois allumé dans fa main, & de crier, I n’y a plus rien à faire 1c1 pour vor. Le cadavre , emmaillotté & coufu dans fa plus belle pelifle , eft porté au tombeau par fes plus proches parens; ils le mettent fur leurs épaules, ou bien ils le traînent fur la terre. On le place dans le tombeau ; on le recouvre d’une peau, fur laquelle on met beaucoup de moufle, & enfuite on amoncelle des grofles pierres pour empêcher que DANS LES MERS DU NORD. 437 le cadavre ne devienne la proie des Oifeaux ou des Renards. On place tout près de ce maufolée , le kajak du défunt, ainfi que fes flèches & tous fes autres outils; fi c’elt une femme qui a payé le tribut à la nature, on place à fes côtés fon couteau & fes aiguilles. Ce peuple penfe que la privation de ces uftenfiles , afigeroit leur ame dans l’autre monde, & qu’elle porteroit obftacle à leur fub- fiftance. _ Quelques Groenlandois ont aban- donné la coutume de placer ces uften- files auprès de leurs morts; ils fe fonc appetçus que des filoux venoient les enlever , fans avoir peur des fpedtres ou de la vengeance des ombres. Cepen- dant ils n’en font pas ufage, mais ils les vendent à d’autres qui s'en fervent fans fcrupule. Ceci prouve qu'il y a chez tous les peuples, des ames aflez fortes , ou dés Philofophes aflez rai- fonnables pour fe mettre au-deflus de toutes ces puériles fuperftitions. Quelques-uns mettent la têre d’un Fes 438 HISTOIRE DES PÈCHES Chien fur le tombeau de leurs enfans; ils difenc que l'ame d’un Chien fait fe conduire, & qu’elle fervira de guide sur à celle d’un enfant (r). Les parens & les voifins qui forment le convoi funèbre , reviennent en filence à la hutte mortuaire , immédiatement après avoir rendu les derniers devoirs au mott. Il eft quelques purifications indifpenfables pour ceux qui l'ont porté au tombeau , qui l’ont enfeveli, ou qui l'ont touché. Les hommes prennent place dans la hutte, & gardent un morne filence ; ils fe blotifflent fur la terre, leurs couces appuyés fur les genoux, & la face dans les deux mains. Les femmes fe couchent tour de leur long, le vifage contre terre ; elles fanglottent & gémifflent. Le plus proche parent du mort eft chargé de l’oraifon funèbre; l'Orateur s’en acquitte avec zèle; tous (1) Defcription du Groenland par Escede, Évêque & Miffionnaire, traduite en français , par M. D. R. D. P. Édition de 1763, Chap. XIV. DANS LES MERS DU NORD. 439 les hauts faits, les bonnes qualités & les vertus de fon parent font récités avec enthoufiafme. Ce difcours n'eft, à proprement parler , qu'une ode ; le file en eft empoulé : le Panégyrifte fait une pofe à chaque ftrophe ; il eft interrompu par des pleurs, des gémif- femens & des cris de douleur qui fer- vent de refrein ; mais à la dernière ftrophe , les hurlemens redoublent, & l'Orateur donne auf carrière à fa dou- leur, 1l gémit & fanglotte avec tout {on auditoire. Une femme eft chargée de la conduite de ce lugubre concert; elle bat une forte de mefure, & tous les afliftans fe règlent pour les gémiffe- mens , pour les cris & pour les pofes, fur elle : les hommes ne font ordinai- rement que fanglotter. Cette mufique, toute bizarre qu'elle eft , eft néanmoins touchante, & porte la trifteffle dans l'ame. La cérémonie finit toujours par un repas dont le mort fait les frais; la douleur des convives difparoît tout-à- coup à la vue des provifions que le mort Fe 4 440 HISTOIRE DES PÊCHES n’avoit pas confommées; ils ne penfent qu’à fe bien régaler. Les vifites de deuil fe répètent tous les jours, aufli long- temps que les provifions ne font pas épuifées ; le temps de ces vifires eft appelé le temps du grand Deuil. La veuve porte ce deuil , couverte de fes plus fales habits ; elle ne fort prefque pas de fa hurte ; elle dit à tous ceux qui viennent la vifiter : Celur que vous cherchez n’eft plus 1ct; 1l ne s’en eft allé, hélas ! que trop loin. Le deuil or- dinaire dure plus d’un an; fa durée eft réglée fur l’âge du mort & fur le plus ou moins de fervices qu’il pouvuoit rendre à fa famille. Les femmes vont pleurer fouvent fur le tombeau du chef de la maifon Le deuil des hommes eft marqué quelquefois par des bleflures aflez pro- fondes qu'ils fe font, dans les premiers accès de leur chagrin. Les Angekoks, ou les Devins, font toujours confultés fur la durée du deuil. Si le défunt ne laifle pas de parens, on ne fe met pas mêrhe en peine de lui donner la DANS LES MERS DU NORD. 441 fépulture ; il pourrit dans fa hutte ou en pleine campagne. Les Groenlandois ont une coutume barbare ; il eft furprenant que les Mif- fionnaires n’aient pu réuflir à la détruire. Un enfant à la mamelle, dont la mère meurt, eft enterré tout vivant auprés d'elle, fi le père ou les parensne peuvent pas lui trouver une nourrice. C’eft par excès de tendrefle pour lui, qu'ils pré- tendent autorifer cette barbarie. Nous n'aurions pas le cœur de le voir fouffrir © mourir de faim , difent-ils; & ils ont le cœur ce le condamner à ce fupplice! Le fort des veuves avancées en âge , eft le même; fi elle n'a plus de parens ou d'amis qui veuillent fe charger d’elle , elle eft enterrée vivante à côté de fon mari. Le fort des vieil- lards eft plus confolant en quelque forte. Lorfqu'un homme eft en proie à tous les malheurs de la caducité , & qu'il eft dans l'indigence , fi per- _fonne ne veut lui donner afile , on le tranfporte dans une Ifle déferte , 422 HISTOIRE DES PÊCHES on !’y abandonne à fon malheureux fort. Quelle étrange commifération que celle qui rend l’homme cruel & bar- bare envers fon femblable , envers fes plus proches parens ! Les Groenlandois font fans doute violence à la nature, lors même qu'ils croient obéir à fes loix éternelles. Tout ce qu'on peut dire, pour difculper ce peuple groflier, c'eft qu'il interprête bien à contre-fens les loix de l'humanité. Je crois faire plaifir à mes leéteurs ,en donnant ici la traduétion que M. Dalager nous a laiflée d’une de ces oraifons funèbres dont j'ai parlé plus haut. Celle- ci eft l’ode qu’un père de famille chante lui-même à la mort de fon fils. La nature la plus agrefte eft roujours ex- preflive dans fes grands élans ; & la naïveté avec laquelle elle s'exprime, vaut bien tout ce que l'art oratoire a de plus brillant & de plus recherché. « Ah que je fuis malheureux ! J'ai » beau te chercher de mes yeux, à » cette place où tu r'afleyois à mes 2 2 35 L» 3 35 3 23 3 2 2 23 22 22 22 22 22 2 33 >» 2 3 3 22 DANS LES MERS DU NORD. 443 cotés ; hélas elle eft vide ! Il eft donc perdu le foin que ta mère prenoit de fécher tes habits au retour de- ca chafle ! Ma Joie s'eft convertie en triftefle ; ma joie s’eft enfevelie fous les montagnes ! Avant ta mort, je men revenois content dans ma hutte, le foir après avoir donné toute la journée au travail. J’ouvrois d’a- bord mes foibles yeux pour ty voir; ou je t’y attendois, & me réjouiflois d'avance de t'y voir arriver bientôt après moi. | » Avec quelle agilité tu maniois ton Kajak, au moment de ton départ pour la chafle ! Les jeunes gens, les vieillards même te portoient envie en admirant ton adrefle. Ta mère allumoit la lampe, fufpendoit le chau- deron pour faire cuire le gibier que tu avois tué de ta main; elle invi- croit tous les voifins à venir fe régaler de ta pêche ; elle leur fervoit ces mets exquis, & moi j'en avois auf Ma part, 444 HISTOIRE DES PÊCHES 29 35 25 23 35 29 92 32 bb) 2 93 2 29 235 » C’eft toi qui appercevois au loin le pavillon écarlatte des vaifleaux qui approchoient de nos côtes ; tu r'écriois avec tranfport ; voila le mar- chand qui arrive. Tu fautois alors dans la barque qui portoit nos mar- chandifes, le fruit de notre travail; tu en féparois une partie que tu donnois à ta mère; elle avoit foin de racler la peau des animaux dont tu t’étois rendu maître. Tu recevois en échange des chemifes de toile & des outils de fer; &, de cette ma- mère, tu recevois le prix que ton harpon & tes flèches t’avoient mérité. » À préfent, hélas , tout eft perdu! Quand je penfe à toi, mes entrailles s'émeuvent; un trouble général me met hors de moi-même ! Si, du moins, je pouvois pleurer comme bien d’au- tres, mes larmes foulageroient ma douleur. » Qu'ai-je donc plus à defirer doré- _navant dans ce monde ? La mort feule peut être de quelque prix pour moi! DANS LES MERS DU NORD. 445 Je la préfère à cout ! Mais, fi je » MmOurOis, qui auroit foin alors de mon » époufe & des enfans qui nous reftent? » Je confens donc à vivre encore quel- » que temps. Hélas ! je ferai privé pen- » dant tout le refte de mes jours, de » tout ce qui peut réjouir & confoler l’homme fur la terre . . L°4 w # Li e LI 2, 446 HISTOIRE DES PÊCHES CHU PTTIR'E RO Événemens remarquables au Groenland. N OUS n'avons rien d’aflez certain fur les événemens ramarquables du Groen- land, qui remonte avant l’année 1733. Ce peuple fans police, fans arts, fans fciences & fans belles-lettres, a tou- jours manqué d'Hiftoriens, d'Écrivains, de Savans, d’Obfervateurs en état de tranfmectre à la poftérité les événemens dont j’enfemble fait l’hiftoire nationale d'un pays. Cette hiftoire n’exifte ni par les écrits des naturels du pays, ni par les monumens d'aucune efpèce qui aient pu guider les Voyageurs, d’une manière aflez sûre pour ramafler des matériaux propres à fervir de fondemenc à l'hif- roire du Groenland. Les événemens dont je vais rendre compte, font tous malheureux & bien propres à confirmer l'opinion générale TT DANS LES MERS DU NORD. 447 {ur la rufticité d’une contrée dont l’af- pet eft rebutant, le climat affreux, le {ol ingrat & ftérile. Les Groenlandois ne connoifloient pas la petite vérole , avant l’année 1733; ils en éprouvèrent alors, & dans la fuite, les plus terribles effers. Cette épidémie y caufa les plus grands ravages, fans que ce malheureux peuple eüt aucun moyen d’en arrêter le cours, ou d’en adoucir la furie. Le projet louable que les Miffionnaires avoient formé, de jeter dans ce pays fauvage , les fondemens de la civilifation , & d’y propager avec plus de fruit, les préceptes de l’évan- oile , donna entrée à ce fléau dans un pays, où il n’avoit pas encore pénétré. Tant il eft vrai que le bien & le mal fe touchent de fi prés , que très-fouvenr lun produit l’autre. En 1731, on avoit fait partir pour le Danemark fix Groenlandois, quatre hommes faits, & deux enfans, garçon & fille , dans la vue de jeter dans leur cœur, les femences des mœurs 448 HISTOIRE DES PÊCHES Européennes & des préceptes de l'évan< gile, afin de pouvoir les faire fruétifier dans la fuite avec plus de fuccès au Groenland. Les hommes étoient morts à Copenhague, les deux jeunes gens Jeur avoienc furvécu; lorfqu'on les crut un peu inftruits, on les renvoya dans leur pays. La fille mourut dans la tra- verfée, & le jeune homme arriva en bonne fanté chez fes parens. Peu de jours après fon arrivée , le germe de la petite vérole fe développa ; il fut bientôt couvert de puftuies. D'abord, l’éruption de ces boutons ne donna aucune alarme ; cette maladie étoit 1n- connue dans fon pays. Îl continua à fréquenter fes camarades & à jouer avec eux ; il leur communiqua le venin dontil étoit atteint, & bientôt il en fuc la première viétime ; 1l mourut au mois de Septembre 1733. Plufeurs de fes camarades le fuivirent de près au tom- beau; & dans peu, l'épidémie fit de cruels ravages dans toute la Colonie. La contagion fit d'autant plusde progrès ,que les DANS LES MERS DU NORD. 449 les Groenlandois n’en connoïifloient pas le traitement , & qu’ils s'y expofoient fans réferve. Les malades, dévorés par une foif brülante, l’étanchoient avec de la glace dont, pendant la maladie, ils faifoient leur unique boiflon. La mortalité s’étendit au loin, comme il arrive toujours dans un pays où l’épi- démie fe manifefte pour la première fois. Les malades , fouffrant des dou- leuts inconcevables , & qu'ils n’avoient jamais reflenties , entroient dans une forte de rage ; plufieurs fe donnoient la mort avec leurs couteaux, d’autres alloient fe jeter dans la mer pour mettre fin à leur tourment. Un de ces malheu- reux Groenlandois , voyant fon fils prêt à mourir de cette cruelle maladie, affaf- fina fa belie-fœur, dans la ferme croyance qu’elle avoit enforcelé cet enfant, & qu'il alloit mourir de ce fortilége. Les Danois qui fe crouvoient alors au Groen- land, craignirent unfoulèvementgénéral contre eux ; on les accufoit hautement d'être la mets de ce fléau, & d’avoir Tome IT. po 5: 459 HISTOIRE DES PÈCHES apporté le germe de cette maladie ; la peur de la contagion en multiplia les ravages. Les Groenlandois, fe perfua- dant que c’étoit la pefte, fuyoient les infortunés malades, les laifloient fans aucun fecours, & même fans fépulture. Quelques-uns s’adreffèrent au commen- cement, au Dieu que les Européens leur avoient fait connoître ; mais, voyant que leurs prières n’étoient pas exaucées , ils finirent par blafphémer contre ce Dieu, avec une rage & un défefpoir inconcevables. Ils ne favoient pas, fans doute, que les defleins de ce Dieu font impénétrables | quoique toujours fages. M. Eggede & les autres Miffionnaires fe portèrent par-tout avec un zèle vrai- ment apoftolique & infatigable. Ils ta- chèrent , par leurs exhortations, de ramener l’idée du vrai Dieu parmi ce peuple défefpéré , en lui citant des exemples frappans de fa miféricorde & de fa providence. Ils ne trouvèrent par- tout que Ja dévaftation & la plupart DANS LES MERS DU NORD. 451 des habitationsiabandonnées ; ils mar- choient fur les cadavres & fur les rom- beaux, qu’un petit tas de pierres ou'de neige leur indiquoit. La pâleur ; la triftefle & le deuil étoient peints fur les phyfonomies des miférables qui avoient furvécu à leurs parens & à leurs amis. Îls ne trouvèrent dans une Ifle, qu'une feule jeune fille, couverte de puftules , avec trois petits frères qui fe débattoient encore contre les at- teintes de la mort. Leur malheureux père, après avoir donné la fépulture à tous les habitans de l’Ifle, s’'étoit fait un tombeau pour lui-même ; il s’yéroic renfermé avec le plus jeune de fes en- fans , mort de la petite vérole, & avoit ordonné à cette fille de combler ce tombeau de pierres , pour le mettre lui - même à l'abri d'y être dévoré par les Renards. Les reftes de cette famille infortunée ne vivoient plus qu'avec le réfidu du Hareng defléché & d’un peu de chair de Phoques , en attendant que la faim ou la maladie F f:2 452 HISTOIRE DES PÊCHES vinflent terminer leur malheureureufe vie. | La petite vérole étendit alors fes ravages quarante mulles au nord, & à-peu-près autant vers le fud; elle dura une année entière. Les Navigateuts Danois qui arrivèrent pour faire leur commerce ordinaire , trouvèrent la core déferte à plus de trente milles d'étendue; les habitations même étoient prefque détruites. M. Egsgede porte le nombre des morts, dans l’efpace cité , à trois mille. Dans lefpace de trois mois, cinq cents Groenlandois moururent dans un feul diftri& de huit milles d’éten- due. Dans celui de Baals-Rivier , le plus peuplé de tous, huit ou neuf perfonnes feulement échappèrent à la mort. L'hiver de 1739 fut un des plus rudes , il eut les fuites les plus défaf- treufes pour les naturels du pays; äl fut f rigoureux dès les premiers jours qu'il fe fit fentir, que les baies du fud furent tellement fermées par les DANS LES MERS DU NORD. 4$3 places accumulées, que les Groenlan- dis ne purent plus y pénétrer pour faire leur provifion de Poiflon. Plu- fieurs moururent de froid & de faim. Îls manquoient d'huile pour allumer leurs lampes qui leur fervent tour-à-la- fois à faire cuire leurs alimens , & à échauffer leurs tanières. Dans cette double calamité, ils prirent la réfolu- ion de fe réfugier chez les Européens établis dans leur contrée. Les hommes partirent à ce deflein ; ils étoient obligés de marcher plufeurs jours de fuice fur la glace , en portant leur Kajak fur leurs épaules ; à peine trouvoient-ils de loin en loin quelque plage d’eau fuffifante pour recevoir leur Kajak , & leur donner ,en naviguant dans cette frèle nacelle, le moyen de fe délafler. Ils prièrenc les Miflionnaires de leur donner afile, & d'envoyer chercher fur la glace leurs enfans & leurs femmes qui n’avoient pu les fuivre. Les Frères Moraves les reçurent avec humanité, leur donnèrent tous les fecours qui étoient en leur F£ 3 454 HISTOIRE DES PÊCHES pouvoir , & firent partir un navire pour allerchercherlesmalheureux qui étoient reftés dans l’ffle. Elle étoit inabordable, à caufe de la glace qui-en défendoit les approches. On fut obligé, pendant une femaine , de laifler ces infortunés à la merci de la faim ,.ne pouvant les approcher aflez pour leur faire, pañler des vivres. Enfin le temps s’adoucit.un peu, l'eau commença à reprendre fon cours , & on ptofita de ce moment pour les enlever & les fouftraire à une moït certaine. Jls avoient pañlé dix jours dans la neige, fans autre reflource que Jeurs peaux & le cuir’ de leurs fouliers pour fe nourrit. Un Groenlän- dois plus hardi que fes compatriotes, ptit la réfolution défefpérée de furmon- ter tous les. obftacles au péril de fa vie, pour arriver à l'Ile, & enretirer fa femme & fes enfans; il s’'étoit muni de deux Kajaks. Il-réuflit.:il plaça dans lun fa fémme & le plus jeune de fes enfans qu'elle portoit fur fes épaules; il fe mit dans le fecond avec l’autre DANS LES MERS DU NORD. 455 enfant qu'il attacha fur fes épaules; 11 attacha fortement les deux nacelles enfemble , & il parvint, avec des peines incroyables , en ramant tantôt fur l’une tantôt fur l’autre, À délivrer fa fa- mille, & à la conduire heureufement à bord du navire. L'année 1756 eft une époque ble à laquelle la famine fit des ravages inouis au Groenland. M. Dalanger, Facteur Danois , étant allé cette année a Kellingeir pour y faire le commerce de l'huile de Poiffon, y fut témoin d’un trait qui répugne à la nature, & qui eft horrible À raconter. La famine y avoit fait un rayage inoui, & avoit emporté la plus grande partie des habitans. Uñe jeune fille , dont les parens étoient dans limpoñibilité de l’'alimenter , avoit été jetée par eux dans un trou, pour s’épar- gner , difoient-ils, le chagrin de la voir mourir de faim. Deux jours après l'avoir enterrée vivante, ils eurent la curtofité d'aller voir fi elle vivoit encore; ils la trouvèrent refpirantencore. Accablés de Ff 4 456 HISTOIRE DES PÊCHES chagrin ne pouvant venir à fon fecours ; & alonger une vie qu'elle étoit fur le point de perdre , l'amour pour leur fille leur fit prendre une réfolution cruelle. Afin de la délivrer des angoïifles de la famine, ils s’avisèrent de la jeter toute nue dans la mer. Cette malheu- reufe fe débattant contre les flots de ce terrible élément , y rencontra un Sauvage : celui-ci la faifitpar commiféra- tion, & la recira de la mer. Mais cette bonne aétion même parut devoir lui être plus nuifible qu'avantageufe ; fon libé- rateur ne pouvant lui donner aucun aliment pour appaifer la faim qui la dévoroit | il la dépofa dans un magafin vide , & elle fut laiffée une feconde fois en proie aux horreurs de la famine. C'eft.dans ce trifte & déplorable état, que M. Dalanger trouva cette infortu- née, maigre, épuifée , n'ayant plus qu'un fouffle de vie, il lui procura de Ja nourriture & des habits, & l’envoya au Comptoir de fa Fadtorerie. En 1757, la famine fe fit encore DANS LES MERS DU NORD. 457 fentir dans cette contrée , de la manière la plus cruelle. C’eft le dernier trait de ce fléau deftruéteur, que nous cité- rons ; les Européens n’y avoient jamais vu autant d'infortunés qu’ils en virent cette année. La communication des Ifles de l’une à l’autre, & avec le continent, avoit été abfolument fermée par les tempêtes , les neiges, les glaçons, & tous les autres obftacles qui font la fuite d’un atmofphère congelé. Dès les pre- miers jours de Mars, 1l étoit impoñlible d’aller chercher des vivres. La plus grande partie des enfans mourut, & ces innocen- tes créatures reftèrent fans fépulture; on en enterra un crès-grand nombre vivans, pour épargner les vivres par ce moyen eruel. Les Mifionnaires furentvivement couchés du fort déplorable de ces in- fortunés ; ils hafardèrent de venir à leur fecours, & de chercher à leur procurer : des vivres. Deux d’entre eux partirent pour Kangek. Voici le rapport qu'ils firent fur l’étac où ils avoienttrouvé les Groenlandois, 458 HISTOIRE DES PÊCHES & Nous partimes le 123 Mars ; l'air de mer étoit prodigieufement froid ; mais les vents fouflant aflez fort, nous. arrivèmes heureufement à Kan- gek., En parcourant cette Ifle, nous apperçumes une hutte abandonnée, faute d'huile de Poiflon néceflaire pour faire du feu. Tout près de cette habitation , nous trouvimes quinze individus dans une forte de magafn pratiqué dans la terre ; nous y encrâmes à quatre pattes ; 1l nous fut impoñible de nous y tenir de bout. Ces malheureux étoient tous couchés l'un contre l’autre, pour tà- cher de fe réchauffer mutuellement, car ils étoient fans feu & fans lu- _mière. Leur foiblefle éroit extrême, au point de ne pouvoir remuer, nt parler. Un de nos ferviteurs fortit pour leuraller chercher deux Poiflons. Une jeune fille, n'ayant plus qu'un foule de vie, fe faifñir de l'un de ces Poiflons, le dévora tout crud, & en avala les morceaux fans les DANS LES MERS DU NORD. 459 mâcher.Quatreenfansdecette famille étoient déjà morts; nous laifsàmes à ces malheureux une partie de nos provifions ». w EI LU C2 | vw v 1 Quoique cette contrée paroifle trop peu favorifée de la nature, &, par là , devoir être exempte de plus grands malheurs, néamoins l'expérience prouve qu'elle eft fujette aux tremblemens de terré , autre fléau qui met le comble à fes défaftres ordinaires; en voici un exemple: La maifon de Zrichtenfels , quoique d'une itrès-petite : élévation , dont les, murs avoient quatre pieds d'épaifleur, fut ébranlée par un trem- blement de terre, arrivé au mois de Septembre. de l’année:1759. Les mai- fons. voifines. foufliirent davantage ; les toits en volèrent en éclats. Les navires qui étoient à fec fur le rivage, furent renverfés & jetés au loin par l'ouragan; huit hommes furent empor- tés dans la mer & y périrent. Cer orage s’étendit très au loin ; il porta fes ra- vages -jufque dans la Mer. Baltique & 460 HISTOIRE DES PÊCHES jufqu'au Karepat, où plufeurs navires furent renverfés & fubmergés. Ce dé- faftre fut précédé & fuivi par des éclairs épouvantables. Un de ces éclairs mit le feu à une maifon qui en fur confumée ; un pareil événement eut lieu la veille de Noël à midi. Quelque rares que foientces fortes de calamités dans ce pays, M. Crantz parle d'un de ces phénomènes terribles qu'il avoit obfervés lui-même deux ans au- paravant ; 1] s’'annonça le 21 Septembre 1757, par un vent du fud, accompagné de pluie & de neige. On vit des éclairs f terribles, & ferpenter avec tant de force, que, même dans les pays les plus chauds, on en voit rarement de femblables : on n'en avoit jamais vu de pareils au Groenland. Ce qu'il y a de remarquable , c’eft que , pen- dant tout cet orage, on n’entendit pas un feul coup de tonnerre ; le feu de ces éclairs, quoique très-vif, ne caufa aucun dommage. Voilà les événemens principaux à DANS LES MERS DU NORD. 465 remarquer dans l’hiftoire du Groenland. Les Hernutes s'efforcent depuis long- temps , avec un zèle & une péine 1n- croyables , de prêcher lévaagile aux Groenlandois ; de leur en faire gouter les préceptes, & d'y faire fleurir la religion chrétienne. Ils perfiftent depuis plufieurs années dans cette mifion pé- nible , & reftent expofés au froid excef- if, & aux autres incommodités de ce pays fauvage , dans l'unique vue de faire des profélytes. L’attachement in- croyable des Groenlandois aux maximes de leurs pères , a toujours été un obf- tacle au zèle défintéreflé & digne d’é- loges de ces refpectables Prédicateurs; is ont retiré peu de fruit de leur mif- fion. Ils ont fait conftruire des églifes en plufñeurs endroits, particulièrement au canton appélé /es nouveaux Hernutes , & à Lichrenfels ; cependant le nombre des Néophites, dans l’efpace de vingt- trois ans , montoit à peine à fept cents, parmi lefquels 1l y avoit à peine aufli cent foixante communians à ce même temps. 462 HISTOIRE DES PÈCHES, &c. Ce nombre eft bien petit, relative- ment à la totalité des habitans ; on en comptoit dix mille, qui tous, à fept cents près , reftoient encore opiniâtre- ment attachés aux coutumes , aux dogmes, aux: habitudes & aux fuperfti- tions de leurs ancêtres. ne ne die nan men een ne ce ee TABLE DES CHAPITR EF CONTENUS DANS CE VOLUME. Disécainon HISTORIQUE fur PISLANDE ; la LAPONIE 8 la SAMOYEDE. Page # CHapr. XV. Du Groenland. 09 CHap. XVL Coup - d'œil général fur la côte occidentale du Groenland. | 155 Cap. XVII. Lieux habités par les Groenlan- dois. Établiffemens des Danois. 185 Cap. XVIIL Du Climat & des Saifons du Groenland. 204 OBSERVATIONS faites au Groenland , depuis le mois d'Aoët 1761, jufqu'au méme mois 1762. 229 Cap. XIX. Olfirvations curieufes & utiles fur les Mers du Groenland. 236 CHap. XX. Caractère moral des Groenlan- dois, leurs Vertus & leurs Vices. 262 CHapr. XXI. Religion, ou plutôt Superfhsions des Groenlandois. 278 CHap. XXII Moœurs particulières, Mariages, Éducation, &c. 309 CHaP. XXII. Srarure | Conformation & Paffions particulières des Groenlandois, 369 464 TABLE DES CHAPITRES. Car. XXIV. Nourriture des Groenlan= dois, Page 379 Car. XXV. Del'Habillement des Groenlan-* dois: 392 Car. XX VI. Huttes & Tentes des Groenlan- dois, AO Car. XXVIL Ares & Sciences des Groen- landois. 414 CHar. XXVIIL Maladies & Remèdes des Groenlandois. 428 Cuar, XXIX. Des Funérailles des Groen- landeis. 435 CHar. XXX, Événemens remarquables at Groenland, | 446 Fin du Tome fecond, AL? A ï e Vo PE A LE ATEN re) ae LR Fe 2 A