du LR SAN ne AT) 1 EE es DRE ce PRE En tés pd Enr pa Va S + 2e M) HISTOIRE SCIENCES MÉDICALES L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA MÉDECINE LA CHIRURGIE ET LES DOCTRINES DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE PAR CH. DAREMBERG Prolesseur chargé du cours d'histoire de la médecine au Collége de France, Membre de l’Académie impériale de médecine, Bibliothécaire de la bibliothèque Mazarine, etc, TOME PKEMIER DEPUIS LES TEMPS HISTORIQUES JUSQU'A HARVEY PARIS J.-B. BAILLIÈRE Er FILS LIBRAIRES DE L’'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE rue Hantefeuille, 19, près du boulevard Saint-Germain « Ê Vie #4 À 3,78 pal Tea HSE LONDRES MADRID LEIPZIG Hipp. BAILLIÈRE. ©. BAILLY-BAILLIÈRE. B, JUXG-TREUTTEL. 1870 Fa dre FUN ca a pe HISTOIRE SCIENCES MÉDICALES ——__— I PRINCIPAUX OUVRAGES DU MÊME AUTEUR. Exposition des connaissances de Galien sur l’anatomie, la physiologie et la ‘pathologie du système nerveux. Thèse inaugurale. Paris, 1841. Traité sur le pouls attribué à Rufus d'Éphèse, publié pour la première fois en grec et en français, avec une Introduction et des notes. Paris, 1846, in-8. Fragments du commentaire de Galien sur le Timée de Platon, publiés pour la première fois en grec et en français, avec une Introduction et des notes. Paris, 1848, in-8. Essai sur la détermination et les caractères des périodes de l'histoire de la médecine. Paris, 1851, in-8. Œuvres d’Oribase, texte grec et traduction française, avec une Introduction et des notes par MM. BUSSEMAKER et DAREMBERG. Paris, 1851-1862, tome I à IV, in-8 grand papier. (Les tomes V et VI sont sous presse). Notices et extraits des manuscrits médicaux des principales Bibliothèques d'Europe. Première partie : Angleterre. Paris, 1853, gr. in-8, Glossulæ quatuor magistrorum super chirurgiam Rogerii et Rolandi, nunc primum ad fidem codicis Mazarinei edidit, Neapoli, 4851, in-8. “Œuvres choisies d'Hippocrate, accompagnées d'arguments, de notes, et pré- cédées d’une Introduction générale, 2° édition. Paris, 4855, in-8. Anonymi de secretis mulierum, de chirurgia, de modo medendi, poema medicum nunc primum edidit. Neapoli, 1855, in-8. Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, traduites pour la première fois en français; avec notes, Paris, 1854-1856. 2 vol. gr. in-8 avec figures. À. €. Celsi de Medicina libri octo, ad fidem optimorum librorum denuo recen- suit, adnotatione critica indicibusque instruxit. Leipzig, 1859, in-12, Gymnastique de Philostrate, avec traduction française et notes, Paris, 1868, La Médecine. Histoire et doctrines. 2° édition. Ouvrage couronné par l’Académie française. Paris, 1865, in-8. La médecine dans Homère, ou études d'archéologie ‘sür les médecins, l’ana- tomie, la physiologie, la chirurgie et la médecine dans les poëmes homériques, Paris, 1865, in-8. Ltat de la médecine entre Homère et Hippocrate d'après les poëtes, les philosophes et les historiens grees : anatomie, physiologie, pathologie, médecine militaire, histoire des écoles médicales. Paris, 1869, in-8. Recherches sur l’état de la médecine durant la période primitive de l'histoire des Indous. Paris, 4867, in-8. Œuvres de Rufus d’Éphèse. 1 vol. in-8. (Sous presse.) Paris. — Imprimerie de E. MARTINET, rue Mignon, 2, qe dou HISTOIRE SCHENCES MÉDICALES COMPRENANT L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA MÉDECINE LA CHIRURGIE ET LES DOCTRINES DE PATHOLOGIE GÉNÉRALE PAR CH. DAREMBERG Professeur chargé du cours d'histoire de la médecine an Collége de France, Membre de l’Académie impériale de médecine, Bibliothécaire de la bibliothèque Mazarine, ete. TOME PREMIER DEPUIS LES TEMPS HISTORIQUES JUSQU'A HARVEY PARIS J.-B. BAILLIÈRE ET FILS LIBRAIRES DE L’ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE rue Hautefeuille, 49, près du boulevard Saint-Germain LONDRES MADRID LEIPZIG Bipp. BAILLIÈRE. C. BAILLY-BAILLIÈRE. E. JUNG-TREUTTEL. 1870 ’ Tous droits réservés. À 3 9° 11 v | He A M. ÉMILE LITTRÉ MEMBRE DE L'INSTITUT MONSIEUR ET ILLUSTRE AMI, Dés l’année 1829, vous écriviez : « La science de la médecine, si elle ne veut pas être rabaissée au rang de mélier, doit s’occu- per de son histoire, et soigner les vieux monuments que les temps passés lui ont légués. Suivre le développement de l'esprit humain dans le temps, c’est le rôle de l'historien. » Ce que le maître, détourné par d’autres travaux, n’a pu faire, le disciple l’a tenté. Vos conseils et vos encouragements m'ont soutenu depuis vingt ans dans ce long et pénible labeur; j'ose donc vous offrir la dédicace d’un ouvrage où j'ai suivi la mé- thode et mis en pratique les principes qui font de votre édition des Œuvres d’'Hippocrate un modèle dans le genre de l’érudition et de l’histoire appliquées aux sciences. CH. DAREMBERG. Paris, 16 février 1870. PRÉFACE 2————— J'ai donné en quatre années (1864-1867), c’est-à-dire en cent soixante-quinze lecons (1), l'histoire générale des sciences médicales depuis les temps historiques jusqu'aux premières années du xix° siècle. La tâche semblait d'autant plus difficile, l’entreprise d'autant plus téméraire, que l'histoire de la mé- decine était restée fort en arrière des autres histoires, et que jamais pareil cours n'avait été fait, non-seulement à Paris, mais en France. Je souligne le mot yanars parce que je suis en état de le défendre. Il y a eu quelques tentatives sérieuses (je ne parle que de celles-là); malheureusement elles n’ont pas abouti. J'ai indiqué dans ma première leçon (voy. plus loin, p. 2) ce qu'avait été, à Paris, l'enseignement de l'histoire depuis le rétablissement de l’École de santé jusqu’à la sup- pression de la chaire, en 1823 (2). M. Dezeimeris, qui a beaucoup insisté, dès 1837 et à (1) Elles ont été résumées ici en trente-quatre leçons. (2) J'ai parlé dans ma leçon d'ouverture (p. 4) du Cours de Goulin, mais sans en avoir pris Connaissance par moi-même, J'ai pu tout récemment, en 1869, sur la demande qu’en a faite M. le ministre de l'instruction publique, et grâce à la bienveillance de M. Loriquet, bibliothécaire de la ville de Reims, avoir communication à Paris de presque tous les manuscrits laissés par Goulin. Le Cours d'histoire, formant cinq volumes grand in-folio, commence après le déluge et finit avec l'École d’Alexan- drie, avant Galien. Ce cours a été revu et annoté à diverses reprises par l’auteur lui-même qui y a mis la dernière main « entre quatre et cinq VIIT PRÉFACE, diverses reprises, sur l'utilité, sur la nécessité même de l'histoire, n’a jamais fait une leçon ni composé un livre; il a seulement écrit plusieurs Lettres sur cette utilité, sur cette nécessité, et inséré, dans le Dictionnaire en trente volumes, quelques bons articles (1) comme spécimen d'études qu'il aurait pu pousser très-loin, si le courage ne lui avait pas fait défaut. M. Malgaigne, en 1841, a groupé pendant trois ou quatre mois, dans une des salles de l’École. pratique, un nombre assez considérable d'étudiants attirés par sa parole brillante, facile, passionnée, et par sa juste réputation ; mais ses le- cons, que j'ai suivies avec grand plaisir, ne se rapportaient qu'à la chirurgie, encore n'avaient-elles presque aucune suite, M. Malgaigne passant de la Bible aux Asclépiades, heures du soir, le 5 brumaire an VI (1797), au moment où le canon annonçait la signature du traité de paix entre la République et l'Empe- reur d'Autriche ». En tête du tome IV, supputant le nombre des pages in-{° (2160) que ferait son cours imprimé, Goulin s'écrie : « Je m'étonne comment j'ai pu venir à bout d’un si grand travail, » Ce cours représente le système historique de Schulze et de Le Clerc élevé à sa seconde puis- sance : mêmes et plus amples divagations sur les peuples et les temps dont on ne sait absolument rien de positif; digressions ioterminables sur toutes sortes de sujets non médicaux ; aucune critique dans l'emploi des sources. Il fallait que les «citoyens élèves » fussent alors bien patients ou bien inoccupés pour suivre un pareil cours, dont la préparation a demandé, en effet, des recherches immenses, mais parfaitement stériles. J'ai remarqué seulement quelques réflexions judicieuses sur la chirurgie homérique, des analyses exactes de plusieurs traités d'Hippocrale, mais sans que l’auteur ait pu établir une distinction rigoureuse entre les écrits qui composent la Collection; enfin une {able synchronique des événe- ments politiques et des événements médicaux. Dans le Cours lui-même il n'y a aucun ordre, aucune méthode. — Les autres papiers de Goulin (environ vingt volumes) renferment une foule de notes, à peu près inu- tiles, sur divers sujets de la médecine ancienne. Heureusement il a publié séparément ou dans ses Mélanges ce qu'il a écrit de meilleur. (1) Lettres et articles réunis en 1838 en un volume in-8, PRÉFACE. IX d'Hippocrate aux chirurgiens-barbiers, et de ceux-c1 à Jean- Louis Petit ; c’étaient plutôt des plaidoyers que des leçons. Enfin est venu le grave, le savant, le vénérable M. Andral, qui désira couronner son Cours de pathologie générale par une exposition critique des doctrines médicales (41). Qui pou- vait mieux que cet illustre professeur renouveler, ou plutôt créer le goût des études historiques à la Faculté de médecine de Paris ? Il avait l'autorité et le prestige de l’honnête homme qui respecte ses auditeurs et le sujet qu'il traite; sa longue expérience, ses vastes connaissances et la rectitude de son jugement lui permettaient de porter un coup d'œil aussi ferme que profond sur la valeur des doctrines qui se sont succédé dans la longue série des siècles. Ses leçons sur Hip- pocrale et sur Galien en portent témoignage; 1l est à jamais regrettable que de tristes circonstances ne lui aient pas permis de franchir l'antiquité. Grâce au zèle de M. le docteur Tartivel, ces belles lecons ont été rassemblées dans lUrion médicale de 1852 à 185/. Sans doute-elles n’y sont pas per- dues : on va quelquefois les y chercher; mais quel service on eût rendu à notre histoire en les réunissant en un volume que chacun aurait pu se procurer aisément! Je me suis étendu assez longuement dans la leçon d'ou- verture (voy. p. 4 et suiv.) sur les principes qui ont présidé à mon Cours ; j'ai assez insisté sur les caractères que doit pré- senter une histoire de la médecine, et établi sur assez de preuves les services que peut rendre cette histoire, pour n°y pas revenir ici. Je rappellerai seulement le but que je me suis proposé d'atteindre et quelques-uns des problèmes que \ je me suis particulièrement attaché à résoudre. Il v’entrait (1) Le cours (1852-1854) commence et finit avec la médecine grecque. x PRÉFACE. pas dans mon plan de donner tous les détails, de citer tous les noms, de rappeler tous les événements, de résumer tous les textes, de signaler toutes les découvertes, de marquer les moindres nuances qu'une doctrine ou qu’un système ont prises en passant des mains du maître dans celles des disciples, toutes choses qui feraient légitimement partie d’une histoire complète de la médecine. Il fallait d’abord, dans le cours que j'inaugurais, tracer les grandes lignes et créer des audi- teurs désireux et capables de pénétrer dans les profondeurs de l’histoire (1). De plus, j'ai réservé pour une autre partie du cours et pour un ouvrage spécial la pathologie médicale et chirurgicale, c’est-à-dire l’histoire des maladies et des trai- tements qui leur conviennent. Déjà même, pendant l’année scolaire 1868-1869, j'ai traité des grandes épidémies : peste, peste noire, variole, mal des ardents, suette, grippe, typhus pétéchial, etc., et j'ai eu plus de vingt fois l’occasion de prouver que de nombreuses questions, encore pendantes, au sujet de l'origine, de la marche, de la nature, du traite- ment, de la prophylaxie de ces maladies ne peuvent être étu— (4) Ainsi, au nombre des périodes les moins connues de nos annales, il faut, sans contredit, mettre au premier rang le moyen âge. J'ai voulu déterminer quelles ont été les sources de l'instruction médicale durant cette époque, quels livres les médecins ont eus entre les mains, non pas seulement à Salerne, mais dans tout le reste de l’ancien empire romain d'Occident; de quelle manière, par quels intermédiaires ces livres leur sont arrivés; quel en était le caractère; quel usage on en a fait, soit pour la pratique, soit pour la composition d'autres ouvrages; comment l’in- struction était donnée, par conséquent quelles étaient les institutions mé- dicales privées ou publiques d'enseignement ou de charité; enfin quelle était la condition du médecin, et jusqu'où s'étendait son action dans les relations de la vie publique ou privée; quelle était la nature de ses rap- ports avec l’Église ou avec l’État. Ces divers sujets je les ai étudiés dans leurs moindres détails; mais je me suis contenté de les résumer dans le cours et dans ce livre, me réservant de les traiter avec étendue dans un Mémoire spécial qui paraîtra prochainement. PRÉFACE. XI diées ou tranchées que par les données que fournit l’histoire. I ne me sera pas plus difficile de montrer que l’exacte com- préhension des maladies sporadiques les plus simples exige également la connaissance des documents historiques ; j'ajoute que pour le moyen âge, par exemple, ces documentsse trouvent là où l’on n'aurait guère la pensée d’aller les chercher, et que l'ensemble des résultats obtenus forme une annexe à l'his- toire de la civilisation. Les doctrines médicales sont, pour ainsi parler, histoire de l’esprit des médecins, tandis que l'histoire des maladies forme une partie de l’histoire de l'humanité. Donc, ce qu'il faut particulièrement chercher dans le pré- sent ouvrage, c’est le développement général de la médecine ; c'est la détermination des lois qui ont présidé à ce développe- ment, des circonstances éclatantes ou obscures, constitution- nelles ou accessoires, qui l'ont retardé ou avancé ; c’est l'étude des méthodes qui ont tour à tour présidé aux évolu- tions de la science, à l’invention des doctrines ou des systèmes ; c'estenfin la considération des influences réciproques que les diverses branches de la médecine ont exercées les unes sur les autres et sur la marche de la science. Sans parler de la tradition médicale, que, pour la première fois, si je ne m'abuse, on peut suivre maintenant, depuis Ho- mère jusqu'à nos Jours, à travers les siècles les plus obscurs de l'antiquité ou du moyen âge, nous avons démontré deux thèses qui servent également à la constitution de la médecme dans le présent et à l'appréciation de la médecine dans le passé. La première de ces deux thèses, c’est que les destinées de la pathologie sont scientifiquement et historiquement liées aux destinées de la physiologie : durant tout le règne de la médecine grecque, ou gréco-latine, ou gréco-arabe, les aber- rations de la pathologie générale ou spéciale correspondent XII PRÉFACE. exactement aux aberrations parallèles de la physiologie du- raut ce long intervalle de temps qui prend fin au milieu du xvi siècle. Dans les siècles suivants, tout entiers consacrés à la création de nouveaux systèmes, on ne reconnait pas avec moins d’évidence l'empire tyrannique que la physiologie pré- tend exercer sur la pathologie. Les bons esprits n’échappent à cet empire que par un défaut de logique; oubliant en effet, quand ils se trouvent au lit du malade, le système qu'ils ont embrassé ou imaginé, ils reviennent à l'observation. C’est ainsi que plusieurs jatromécaniciens des plus décidés sont, : comme cliniciens, d'excellents hippocratistes. Si les progrès de la physiologie, car il y en a même au milieu des systèmes les plus exclusifs, ne parviennent pas toujours à édifier, ils réussissent presque infallhiblement à détruire et par consé- quent à déblayer le terrain. La pathologie n'a valu quelque chose qu’en secouant le joug de la mauvaise physiologie tra— ditionnelle, pour se livrer à l'observation pure et simple des faits aussi bien dans l'organisme sain que dans l'organisme malade. Comme corollaire de cette thèse nous avons montré par de nombreux exemples (ils ne souffrent guère d’exceptions), que non-seulement l'anatomie ne sert pas et n’a pas servi à ré- former la physiologie, mais que la physiologie avait contribué à gâter, à corrompre l’anatomie et à lui faire voir tout autre chose que ce que la nature lui montrait; tant, je ne saurais trop le répéter, tant les idées sont encore plus entêtées que les faits ; or, toute, ou du moins presque toute la physiologie an - cienne, était un tissu d'idées préconçues et non de faits bien établis et liés ensemble par des procédés logiques rigoureux. C’est la physiologie qui s’est amendée elle-même par la mé- thode expérimentale, et qui dès lors n'a plus permis à l’ana- tomie de s’égarer; elle a pu, au contraire, lui ouvrir des voies PRÉFACE. XIII nouvelles et fournir en même temps des points d'appui plus solides à la réforme de la pathologie. La seconde thèse, et déjà on l’a pressentie par les réflexions que je viens de développer, la secende thèse, c’est que l'his- toire de la médecine est la démonstration, siècle par siècle, de l’impuissance des théories et de la puissance des faits, de l’inanité des systèmes à priori, et de action aussi bienfaisante qu'irrésistible, quoique lente, de la méthode d'observation et de la méthode expérimentale dans l'établissement des lois de la pathologie et de la thérapeutique générales. Aujourd’hui personne n'oserait renouveler les tentatives des Van Helmont, des Sylvius de le Boe, des Stahl, des Bellini, des Hoffmann, des Barthez, des Brown, même des Broussais; si on l’osait, on resterait à peu près saus disciple. Ce que nous voulons tous aujourd'hui, ce sont des faits, mais des faits bien observés et des déductions prudentes qui, ne dépassant pas la portée de ces faits, n’affichent pas non plus la prétention d’enchaîner toute la médecine, de tout expliquer par une seule cause, de tout comprendre sous une formule générale. On peut penser que les micrographes, que les chimistes, tirent peut-être trop vite et trop de conséquences de leurs découvertes, et qu’ils ne les éclairent pas assez au flambeau de la clinique ; je l'accorde; mais cela ne m'effraye pas du tout, attendu que ces micrographes, que ces chimistes, que ces médecins versés dans la physiologie expérimentale, hommes éminents ou distingués, sont tous les ardents défen- seurs d’une méthode qui précisément manie les instruments, et s appuie sur les principes dont l'usage et l'application ne permettent pas d'aller trop loin sur la route des systèmes, et raménent d'eux-mêmes dans le droit chemin ceux qui s’en écartent. XIV PRÉFACE. Nous né pouvions pas manquer d'appliquer à l'histoire la méthode qui fait aujourd’hui la force et la gloire des sciences, la méthode qui avait transformé toutes les autres histoires, excepté l’histoire de la médecime. Si les faits sont la sub- stance même de la science, les textes sont aussi la substance de l’histoire. Ici ou là l'imagination est également dange- reuse ; nous sommes hors d'état de rien savoir d’exact ni sur le développement de la médecine, ni sur les circonstances qui ont favorisé ou retardé ce développement, ou de porter aucun jugement équitable, quelque sommaire qu'il soit, si nous n'avons pas lu les auteurs, médecins ou non médecins, qui doivent nous en fournir les éléments essentiels. Il est impossible enfin de caractériser les diverses époques si l’on n’est pas initié à tous les faits de quelque importance, et de retracer la physionomie d’un système si l’on n’en a pas dé- veloppé tous les replis. Voila notre méthode expérimentale à nous autres historiens. Dans l’histoire de la médecine, 1l n’y a pas seulement les doctrines, il y à aussi, comme je l'ai indiqué plus haut, les descriptions générales des maladies et la relation des cas particuliers ou observations médicales. C’est l’histoire de la pathologie; mais ici ce n’est plus seulement la lecture des textes qui devient indispensable, il importe d'étudier encore le fait en lui-même et de le comparer aux faits analogues qui se produisent chaque jour, pour en déterminer la significa- tion réelle, pour le reconnaître, le diagnostiquer rétrospec- tivement et le classer dans le cadre nosologique; de plus, on doit vérifier dans les descriptions générales d’une maladie l'exactitude du signalement. La méthode expérimentale in< tervient done ici à un double titre : comme étude du texte, et comme étude du fait ou de la description que ce texte nous transmet. C'est à ce prix-là seulement que nous aurons une PF.ÉFACE. Xv histoire de la médecine, et une histoire de la pathologie ; histoires qui pourront servir à la pratique actuelle, quels que soient les dénégations formelles qu’on entend dans nos Écoles, ou les sourires d’incrédulité, pour ne pas dire de pitié, qu’on voit errer sur les lèvres des plus graves et des plus doctes personnages. Jamais, je l'avoue, je le dis bien haut, jamais je n'ai pu comprendre l'ignorance ou la prévention qui frappent d’ostracisme l’histoire au nom de la science, comme si l'his- toire n’était pas aussi réelle que la science, comme si une science d'observation telle qu'est la médecine n’était pas, de sa nature, traditionnelle, puisqu'elle doit être un composé, sous le contrôle des observateurs modernes, de tout ce que les bons observateurs anciens nous ont appris sur l’homme sain et sur l’homme malade, puisque nous ne pouvons pas tout voir et que nous ne devons pas tout refaire par nous-mêmes ; puisqu'enfin les maladies ne se présentent pas toujours iden- tiques avec elles-mêmes, que les indications thérapeutiques et par conséquent les moyens de traitement changent suivant les lieux et quelquefois suivant les siècles. Croit-on qu'une bonne histoire, qui serait en même temps une clinique, de la pneumonie, ou de la dysenterie, ou de la fièvre typhoïde, ou d’une affection chirurgicale quelconque, ne rendrait pas autant de service à la pratique qu’une des- cription purement didactique, si bien faite qu’elle soit ? Il me semble que l’histoire ainsi comprise est la science elle-même ; elle en fournit les éléments constitutifs, éléments qui relèvent de la méthode expérimentale ou d'observation au même titre que ceux que nous recueillons et que nous groupons chaque jour. Le champ est immense, à peine défriché; aussi de tous mes vœux j appelle à mon aide les travailleurs sérieux ; il n’y en aura Jamais trop, et même jamais assez. La pénurie actuelle XVI PRÉFACE, est vraiment désolante pour la France; de tous côtés on fait une place à l’histoire de chaque science, tandis que l’his- toire de la médecine n’est représentée officiellement, en France, que dans la chaire du Collége de France; ailleurs elle n’occupe qu'un très-petit nombre d'hommes instruits et dévoués. Quelque étendues, quelque incultes que soient ces terres à peu près inconnues qui s'ouvratent devant nous, nous avons dû y entrer résolûment; on ne peut, il est vrai, promettre, comme Christophe Colomb à son équipage, que l’on trouvera la fortune en y posant le pied, du moins on entrevoit au bout de cette expédition le plaisir de l'esprit qui finit par trouver après avoir longtemps cherché. J'ai dit tout à l'heure que l'histoire d’une science compre- nait l’étude des textes et celle des faits. — On me permettra de rappeler en peu de mots les études préparatoires que j'ai poursuivies sans relâche depuis 1839, étant encore sur les bancs de l'école. Ma thèse de doctorat est une Æxrposition des connaissances de Galien sur l'anatomie, la physiologie et la pathologie du système nerveux, 8h ; depuis lors, je n'ai pas cessé un instant de lire, d'extraire les textes, d’en publier un certain nombre ou de les traduire, de donner presque chaque année quelque mémoire ou quelque volume sur divers sujets d'histoire et d’érudition. Pendant plus de dix ans, soit comme chargé de missions, soit à mes propres frais, j'ai parcouru l'Europe, tantôt seul, tantôt accompagné de mon savant ami le docteur Bussemaker, pour étudier, copier ou collationier les manuscrits grecs, latins ou français. Plus de deux mille manuscrits m'ont passé par les mains, et je n'ai laissé à personne le soin de les décrire et d’y rechercher les textes inédits. Grâce à l'intervention de nos ministres de l’instruc- PRÉFACE, XVI on publique et des affaires étrangères, grâce à la bien- yeillance des gouvernements étrangers, j'ai pu faire venir à Paris un grand nombre de manuscrits que je n'avais pas le temps d'examiner sur place (1). Les textes imprimés n'ont pas été plus épargnés; j'ai rassemblé autour de moi, et j'ai trouvé dans nos bibliothèques ou dans celles de nos voisins une multitude d'ouvrages médicaux où non médicaux, dont l'ensemble, si l'on y ajoute les manuscrits, contient toute la suite de l'histoire. Mais encore une fois l’historre des sciences exige la con- naissance des faits en même temps que celle des textes; aussi toutes mes études médicales ont élé dirigées dans ce sens. C'est par la longue fréquentation des hôpitaux, c'est comme médecin du bureau de bienfaisance dans un des quartiers les plus populeux et les plus pauvres de Paris; c'est par une constante pralique à la campagne depuis plus de quinze ans que J'ai tâché de ne pas plus perdre de vue les malades que les livres. Voici maintenant quelques remarques sur l'exécution maté- rielle du présent ouvrage. J'ai donné plus de développement à l'histoire des temps modernes qu'à celle des temps anciens, ou qu'au moyen âge, pour deux raisons: la première, c’est que l’histoire moderne, à cause de ses relations plus intimes avec la médecine actuelle, offre un intérêt presque immédiat; la seconde, c’est que l’histoire ancienne et celle du moyen âge réclament un appareil d’érudition que je ne voulais pas faire paraître dans un résumé qui est, avant tout, destiné à suivre (1) J'ai, en outre, rédigé un catalogue analytique de tous les manuscrits médicaux grecs de ia Bibliothèque impériale et des plus importants parmi les manuscrits latins et français ; enfin j'ai eu à ma disposition un grand nombre de manuscrits de nos bibliothèques de province. b XVUII PRÉFACE. les grands mouvements de la science, à initier mes lecteurs à l'étude de l'histoire, à leur en inspirer le goût; mais non pas (ce que personne ne pourrait faire encore) à en donner Île dernier mot; il faudra, pour cela, que travaillent plusieurs générations d’historiens, tant il reste de points obscurs à éclaircir, de questions de détail à préciser (4). Je n’ai voulu non plus faire ni biographie, ni bibliographie. Sans doute les biographies médicales sont fort incomplètes et souvent fautives; la chronologie même est assez mal éta- blie (2); des noms considérables manquent; les sources ori- ginales n’ont guère été consultées; aussi les erreurs ou les omissions se perpétuent, sans que personne songe à les si- gnaler. Pareilles recherches ne pouvaient pas entrer dans le cadre de mes études; je laisse ce soin à d’autres; une exacte et complète Brographie médicale est à faire; les ma- tériaux ne manquent pas; mais qui voudra affronter un tra- vail aussi ingrat et cependant si utile? Quant aux bibliographies, la disette n’est pas aussi grande. D'abord on a les Prbliothèques de Haller qui sont des livres d’or; les vastes répertoires de A. C. P. Callisen, de Reuss, de Ploucquet, etc., la Bibliotheca medico-chirurgica de Enslin, et toutes sortes de bibliographies spéciales dont on aura bientôt (1) J'ai multiplié les renvois d’une partie à l’autre de l'ouvrage afin de faciliter les recherches et les comparaisons. (2) #'ai donné les dates de naissance et de mort toutes les fois que je les ai rencontrées dans les diverses biographies françaises ou étrangères; mais combien de dates font défaul! Pour les auteurs à propos desquels on ne saurait fournir de dates fixes, j'ai indiqué, soit le siècle, soit la partie du siècle où l’on suppose qu'ils ont vécu. — Comme l'orthographe des noms propres n'est pas fixe non plus, pas même sur les titres des ouvrages, j'ai adopté les formes les plus généralement reçues. — Si quelques fautes d'impression se sont glissées çà et là pour les noms propres, je prie le lecteur de les excuser; j'en ai d’ailleurs relevé quel- ques-unes dans l’errata et j'ai fait une nouvelle vérification pour la Table des noms propres, PRÉFACE. XIX une ample liste dressée avec un soin scrupuleux par M. Pauly, attaché au Catalogue des livres de médecine de la Biblio- thèque impériale. Ce répertoire contiendra aussi l'indication des biographies spéciales et générales, ainsi que l’'énuméra- tion de tous les ouvrages où opuscules relatifs à l’histoire des sciences médicales. J'ai cité volontiers textuellement, soit en les traduisant, soit en empruntant les traductions déjà faites, les auteurs eux-mêmes toutes les fois qu'il s'agit d'un point très-spécial de doctrine, d'un procédé nouveau, de détails curieux ou instructifs, de réflexions générales empreintes d’une certaine originalité. — Pourquoi ne pas laisser parler les maîtres lors- qu'ils s'expriment avec clarté, quelquefois avec éloquence? On ne m'en saura j'espère pas mauvais gré, puisque, sans vouloir épargner ma peine, j'ai laissé pénétrer plus profon- dément dans le pensée d’un auteur. Il ne me reste plus qu à mettre mon livre sous la protection de cette phrase de Mead en sa préface des Conseils el pré- ceptes de médecine : «M entrait dans les exigences de cet ou- vrage de signaler quelques erreurs de mes devanciers, mais j'ai toujours lâché de le faire avec cette modération dont je voudrais qu'on usàt en relevant les miennes. » $ CH. DAREMBERG. Paris, le 25 février 1870. TABLE DES NOMS PROPRES Cette table se rapporte au texte, aux notes, aux Addenda et à la Préface A Abulcasis ou Albucasis, 40,272, 273, 315. Achillini, 307. Ackermann, 39. Aelius Promotus, 190. Aeschrion, 162. Aétius, 241, 317. Agathinus, 238. Alanson, 1257. Albert (le petit), 288, 314. Albert le Grand, 289. Alberti, 905. Albinus, 1010. Albut (Clifford), 146. Alcazar, 308, 390. Alcinet, 1238. Aldobrandini, 349. Alexandre, 244. Alexandre Philalèthes , 41162> Alexandre de Tralles, 149, 248, 258, 317. Ali Abbas, 272, 314. Alibert, 1015. Allies, 1270. Alpin (Prosper), 791. Amar, 1238. Ammonius, 162. Amyntas, 162. Anaxagore, 216. Ancileube, 257. Andral, 1x, 1296. Andreas de Caryste, 31. Andreas l’Hérophiléen, 162. Andry, 283, 1200, 1279. Anel, 1242. Auglada, 351. Antyllus, 10. 190, 240. Apémante, 160. des deux volumes, Apollonius de Cittium, 162. Apollonius l’Empirique, | Bacchius, 160. 160. Apollonius Mys ou l’Hé- rophiléen, 162. Apollonius de Pergame, 160. Apollonius Stratonicus , 160. Apollophanes, 162. Apuleius, 246. Arantius, 329, Arcaeus, 390. Archagathus, 177. Archigène, 190, 238. Archimathaeus, 262. Arculanus, 318, 349. Ardoynus, 348. Arejula, 1238. Arétée, 190,239, 317. Aristote, 146, 592. Aristoxenes, 162. Arnaud (les deux), 282. Arnaud de Naples, 295. Arnaud de Villeneuve, 264, 294, 296. Arnauld (G.), 1270. Artémidore, 160. Arthaud, 1079. Asciépiade, 416, 178, 180, 190. Aselli, 280, 620. Astruc, 295, 1200, et Ad- denda. Athénée d’Attalie ou de Tarse, 190, 237. Athénion, 160. Auber, 64. Avenbrugger, 280, 1229. Avenzhoar, 272,274, 314. Averrhoes ; 272, 306, 314. 174, Apollonius la Bête ou le | Avicenne, 272, 307, 314, Serpent, 160. Apollonius Biblas, 162. 341, 342, 343, Axenfeld, 618. Bachtischua, 271. Bacon, 359, 785. Bagellardus, 348. Bagieu, 1268. Baglivi, 783, 856, 929. Baillie, 1219. Baillou, 308, 332. Baldinger, 1240. Barchusen, 34. Barth, 1230. Barthez, 1172. Bartholin (Th.),585,620, 638, 639, 961. Bartholomaeus nit.), 262. Bartholomaeus Graecus, 585. Bartholomaeus de Mon- tagnana, 318, 337. Bauhin (C.), 693, 826. Bautain, 1021. Baverius de Baveriis, 318, 338. Bazzicaluve, 827. Beale (Lionel), 129. Beaulieu (frère Jacques, de — ou Baulot), 969. Béclard(J.),547,585,654, 657, 667. Béclard (P. A ), 1298. Becquerel, 129. Bède, 208. Bégin (L. J.), 1297. Bell (Ch.), 228, 280. Bell (Benj.), 1257. Bellini, 694, 765, 816. Belloste, 973, 977, 991. Benedictus (Al.), 308, 328, 332, 982. Benedictus de 349. Benevenutus venu, 301. { Saler- Nursia , ou Bien- TABLE DES NOMS PROPRES, Benevoli, 1250. Benivenius, 308, 392 Bennet (J. H.), 129. Bennet (Christ.), 961. Bérard (P.), 585. Bérenger de Carpi, 304, 307,528: Bernard, 1293. Bernard (Cl.), 21, 298, 324. Bernoulli (Jean), 814, 816. Bernutz, 129. Bertapalia (Léonard de), 318, Bertin (R. J. F. H.),1142. Bertin (Exup. J.), 1006. Bertrand, 630. Bertrand de Saint-Ger- main, 701. Bertrandi, 1252. Bertruceius, 295. Berzelius, 1298. Bianchi, 974,1005, 1082. Bichat, 21, 228, 280, 1090, 1292. Bidloo, 692. Bigot, 833, Bilguer, 1247. Bils (de), 640. Bird (Golding), 129. Blainville (de), 211, 1298. Blanchard, 685. Blandin, 1097, 1297. Blankoort, 577. Blasius, 674, 696, 965. Blondin, 1021, 1034. Blumenbach, 1008,1298. Boerhaave, 889. Bogdan, 638. Bohn, 695. Boirel, 991, Bojano, 280. Bonet (Th.), 958. Bonnet (de Lyon ), 982, 1297. Bontekoe, 584. Boot, 960. Bordes-Pagès, 363. Bordeu, 1156. Borel, 960. Borelli, 688, 692, 750, 816, 859. Borrichius, 575, 96, 328, 39, Borsieri, 346, 1206. Bosquillon, 5. Bostock, 90. Boucher, 784. Bouchut, 117,364. Bouillaud, 1008. . Bouillier, 1021. Bourgeois (Louise), 1000. Bouvier, 1205. Boyer (Al.), 1297. Boyer (L.) (de Montpel- lier), 4024. Brambilla, 1247. Branca, 280. Brassavola, 308, 332. Bratti, 572. Bravo, 332. Bretonneau, 726. Briau, 243 (et Addenda). Brisseau, 1243. Broca, 1260, 1291. Broeckx, 65, 467. Broglie (duc de), 1147. Broussais, 21, 24, 48, 280, 1144. Brown, 940,1120, 1122. Brunetto Latini, 288. Brunner, 694, 865. Brunschwig (Jérôme), 319. Brunus, 281, 285, 315. Büchner, 905, 951. zurdach, 228. Burton, S89. Busch, 1006. Bussemaker, 211. € Cabanis, 4, 1015, Caelius Aurelianus, 179, 193. Caillau, 17 (et Addenda). Caldani, 1074. Callianax, 160. Calliclès, 162. Callimaque, 160. Callisen (A. C. P.), xvur. Callisen (H.), 1250. Camper, 1008. Capdevilla, 1238. Capellett, 1251. Cardonnel, 317. - Carrère, 1239. Casal, 1238, XXI Cassebohm, 905, 1005. Casserius, 691. Cassiodore, 193, 258. Castell, 1074. Caton, 175. Cattier, 960. Celse, 181, 4472316: Cermison, 335. Césalpin, 308, 331, 597. Chabert, 1245. Champier, 307, 328. Charante (van), 685, 691. Charidème, 160. Charrière (de la), 991. Chartier, 958. Chauliac (Guy de), 284, 296,297,315,318,350. Chaussier, 1012. Chéreau, 283, 303, 307, 347, 345, 978. Cheselden, 1009, 1253. Chesneau, 963. Chevreul, 365. Cheyne, 1207. Chinchilla, 65, 1236. Chomel, 1296. Choulant, 44, 19%. Christophorus de Barzi- ziis, 318. Christoph. a Vega, 332. Christophorus de Hones- tis, 348. Chryserme, 160. Chrysippe, 146, 160. Cigna, 1074. Civiale, 1297. Clar, 1229. Claudinus, 959. Cleyer, 584. Cloquet(J.), Clifton, 35. Cockburn, 874. Coiler, 329. Cole(William), 850, 859. Colot, 308. Columbus, 308, 331,997. Constantin, 261, 317. Cophon, 262. Cornarius, 307, 328. Corradi, 392. Cortesius, 971. Corvisart(N.),1007,1295. Coschwitz, 905. Costanza ou Costanzella Calenda, 265, 190, 191, 1297. XXIT . Cotugno, 1006. Covillard, 964, 990, Cooper (A.), 1297. Cowper (W.), 692, 816. Coxe (John Redman),. Coytarus, 347, Crateuas, 162, 190, Crato de Kraftheim, 354. Cregut, 974. Crescenzo, 831. Cruveilhier (J.), 218, 1012, 1296. Cruveilhier (Louis), 366. Ctesias, 146. Cullen, 1103, 1202. Cydias, 160. Dalechamps, 826. Damerow, 46. Dante, 306. Darwin (Erasme), 1196, Daubenton, 1008. Daviel, 1242. Delius, 1082. Delpech (J.), 1297. Démétrius, 160. Démocrite, 151, 294. Démosthènes Philalèthes 162. Demours, 1006. Denonvilliers, 1012. Denys d'Ephèse, 31. Desault, 1286. Des Bois de Rochefort, 1114 Descartes, 212, 360, 617, 701, 825, 849. Deschamps, 1244. Descuret, 1286. Des Etangs, 183, 191. Desnoues, 974, Des Parts (Jacques), 315, 3195, 345, 346. Devaux (I.), 333. Deventer, 1000. Dezeimeris, vi, 6, 10. Diaz, 350, 354. Dieffenbach, 1297. Diemerbroeck, 692, 951, 959, Dinus, 296. Diocles de Caryste, 146. Diodore, 162. Diogène d'Apollonie,151, 591 Dionis (P.), 693,973,994. Dioscoride, 1490, 314. Dioscoride Phacas, 162. Dolaeus, 575, 577. Dolbeau, 1254. Donatus (Marc.), 332. Dondis (Jac. de), 296. Dondis (Jac. de), 315. Donné, 1298. Donzellini, 823, 824. Double, 89. Douglas (Jacques), 4008, 1254. Douglas (Jean), 1254. Douglas (Lud.), 584. Drake, 617. Drelincourt, 694. Dubois (Ant.), 1297. Dubois d'Amiens, 1204, 1263, 1280. Dubois (Jacques), 328. Duchalais (voy. Add.). Duchenne (de Boulogne), 218. Du Chesne, 826. Dugast, 261. Dumas, 1298. Dupuytren, 1254, 1288, 1297, Duret, 307, 328. Du Verney, 699, 1280. Duvernoy, 1005. 700, E Eberhard, 905, 951. Ebert, 889. Eller, 1246. Elminthar, 272. Empédocle, 151. Enslin, xvrr. Ent, 617. Erasistrate , 153, 160. Ermerins, 93, 121, 123, 179 , 239, 242. Estienne, 307, 328. Ettmuller, 579. Euryphon, 121. Eustachi, 329. Euthydème, 252. 148, 451, F Fabrice d’Aquapendente, 308, 329, 333, 593, 692, 1280. TABLE DES NOMS PROPRES. Fabrice de Hilden, 971. Falcutius(Nicolaus), 315. Fallope, 261, 329, 330, 808. Faudach, 1268, Favre, 577. Fernel, 308, 332. Ferrarius, 262. Ficin (Marcile), 349, Fidelis (Fortunatus), 332, 951. Finckenstein, 365, 727. Fleck (Lesueur), 685. Flourens, 228,585,1179, Floyer, 1199. Foes, 307. Fontenelle, 889, Fonssagrives, 113. Fontana, 1074, 1253, Fordyce (Georges), 1217. Fordyce (Wiliam), 1217. Forestus, 308, 332, Forti, 964. Fothergill, 881, 1216. Fouquet, 1166. Fouquier, 1142, 1298. Fourcroy, 1019, 1298. Fournier, 990. Fracastor, 308. Francius, 584. Franco, 308, 333, 994. François de Piémont,295. Frank (J.), 1123, 1141, 1499; Frank (J. P.), 1199. Franseri, 1238. Frauzosius, 615, Frédéric Ie", 294. Frédéric IL, 265, 294. Freind, 34, 875, 929, Friedlaender (L. H.), 53. Friedlaender (L.) (voy. Addenda). Friend, 1240. Fuchsius, 307, 328. Fustel de Coulanges, 72. Fuster, 726. &G Gabelchoverus, 961. Gaius, 162. Galeatius de Sancta-So- phia, 296, Galeottus Martius, 319. Galien, 10, 190,191, 208, 258,314,587,588,590. TABLE DES NOMS PROPRES. Galilée, 849. Galvani, 1044. Ganivetus, 349. Garbo (Thomas de), 315. Garengeot (Croissant de) 1264. Gargilius Martialis, 248. Gariopuntus , 257, 262, 317. Garnier, 318. Gasquet, 210. Gassendi, 625. Gatenaria, 318, 341, 349. Gaubius, 1087. Gauthier, 1084, Gautier, 286. Gavarret, 657, 1474: Gazius, 349, Geiger, 956. Gelée, 692. Gentilis de Foligno, 296, 315. Geoffroy Saint - Hilaire (Et. et Isid.), 1290. Geoffroy St-Hilaire (Et.), 245, 217. Georgi Mattheo, 848. Gérard, 263, 286, Gérard de Crémone, 294. Gerhard (Conr.), 573. Gernhard, 727. Gersdorff, 308. Gesscher (Van), 1249. Giesebrecht, 256, Gil, 1238. Gilbert l'Anglais, 282, 286, 315. Gilles de Corbeil, 264, 282, 288, 315. Gimbernat, 1239, Giraldès, 1012. Girard, 1082. Giraull, 990. Glaucias, 160. Glisson , 640, 651, 963. Goeden, 726. Goelicke, 34, 905. Goethe, 217, Gonthier d’Andernach, 307, 328. Gooch, 1256, Gordon (Bernardde), 282, 287, 295, 315. Gorgias, 160. Gorrée, 307, 328. 1098, Gorter, 1087. Gosselin, 129, 1012. Goulard, 1270. Goulin, vi, 4, Goupil, 129. Graaf (Regnier de), 694. Graefe (de), 1297. Grant, 1198, Gratiolet, 211, Greenhill, 709, 742. Grégoire de Tours , 247. Grimaud, 14194. Grimm, 1240. Grisolle, 129, Grotefend (Addenda). Gruner, 351, 1240. Guainerius, 318, 344, Guardia, 11, 4159, 1172, 1238. Gubler, 129, 464, 545. Günz, 1246. Guglielmini, 817. Guillaume de Brescia, 318. Guillaume de Varignana, 295, 345. Guillemeau, 333. Guisard, 1245, Guizot, 256. Guy Patin, 308, 616, Haen (de), 1222, Haeser, 60, 347, 1072, Hagendornius, 9714. Habhnemann, 1297. Halbertsma, 685, 1010, Hales (de), 1014. Haller, 35, 280, 285, 751, 889, 1072, Ham, 684. Hamilton, 48. Harless, 584. Harvey, 280, 604. Hazon, 346, Hebenstreit, 1240. Heberden, 881, 1215. Hechstetterus (ou Haech- tetterus), 960. Hecker (A. Fr.),36, 584, 1221. Hecker (J. Fr. K.), 42. Hecquet, 1200. Hedwig, 1006. XXIII Heeren, 256. Heister, 1009, 1244. Héliodore, 10. Helmont (Van), 280,465 572. Hellwig, 971. Hénault, 637. Henkel, 1216. Henschel, 53, 250, 259. Héraclide d'Erythrée, 160. Héraclide l'Hérophiléen, 162. Héraclide de Tarente,160. Hercules de Saxonia,929. Herennius de Byblos, 32. Hermippe, 31. Hermogènes, 160. Hérodote, 238. Hérodote (l'hist.), 200. Héron, 160, Hérophile, 10, 148, 154, 153, 160. Heuermann, 1247. Heurnius, 332. Heusinger, 54. Hewson, 1007. Heyden (Van der), 959, 971. Hicésius, 162. Highmore, 692, 962. Hildegarde, 288. Hippocrate, 89, 258,314. Hirsch, 66, 104. Hirschel, 59, 1123. Hoefer (Ferd.), 704. Hoefer (W.), 962(voy.Ad- denda). Hoeven (Van der), 59, 694. Hoffmann (Caspar), 619. Hoffmann (Fréd.), 889, 905. Homère, 79, Honein, 271. Hook, 688. Hoorn (Van), 694, 695, 1007. Horenburgin ({Anna-Éli- sabeth), 1000. Horst, 961. Houllier, 307, 328. Housset, 1074. Hufeland, 1297. Hugo de Bentiis, 318,339. Hugues, 281, XXIV Huguier, 129. Huncwovski, 1246. Hundt, 307. Hunter (J.), 1006, 1256, Hunter (W.), 1013. Huxham, 881, 1214. Ibn-Beithar, 274. Ingrassias, 329. Irving, 353. Isaac; 272, 314. Isensée, 57, Isidore (de Séville), 288. Israels, 275. Izes, 995. J Jacobson, 203, Jadelot, 17. Jaffé, 262. Jahn, 727. Janet, 213. Jean XXII (Pierre d’Es- pagne), 315. Jean d’Ardern, 296, 299. Jean de Concorreggio, 318, 338, 345. Jean de Gaddesden, 295, 315. Jean des Romanis, 994 (voy. l’Errata). Jean de Tormamire, 315, 318, 349. Jenner, 280, 14220. Jessen (Charles), 289. Jesu Ali, 286. Joannes à Turre, 615, 637. Tobertde Lamballe,1297. Jones, 1141. Joubert, 332. Jourdain, 263. Junken, 849. Junker, 905. K Kaltschmidt, 1246. Keill, 850. Ketham, 315. Kieser, 42, Kircher, 686. Kissel, 754. Kortum, 41. Krueger, 96. Kuehn, 194 (et Addenda). Kuehnholtz, 50. L Labrune, 1286. Laennec, 280. La Faye (del), 1267. Lafuente, 1238. Lagrelette, 1006. Lallemand (F.), 1297. La Marche (Marguerite de), 1000. Lambert, 990. La Motte (Mausquet de), 1245. La Mettrie, 880, 1081. Lancisi, 808. Lanfranc, 281, 282, 315. Langenbeck, 1297. Lanzoni, 1205. La Peyronnie, 973. Larrey (Hippolyte), 1072. Larrey (J. D.),1291,1297. Lasègue, 714, 1020. Lassone, 1234. Lassus, 4. Laubmeyer, 585. Laugier, 1012, 1260. Laurenberg, 574. Lavoisier, 280, 1015. Lebert, 1065. LeCat, 1014, 1082, 1270. Le Clerc (Daniel), 32, 194, 995, 1240. Leclere (Lucien), 274. Ledran, 1266. Leeuwenhoeck,678,683. Leibnitz, 838, 1023. Lemoine, 41021, 10923, 1026. Lempereur, 1263. Le Noble, 637. Léon, 242. Léon Porphyrogénète, 245. Leonicenus 307, 328. Lepecq de 1235. Le Pois (Carolus Piso), 954. Leroy d'Etiolles 1297, (Nicolaus), la Cloture, TABLE DES NOMS PROPRES. Lessing (M. B.), 49, 361. Leupoldt, 45. Leuret. 1298. Lichtenstein, 584. Lieberkühn, 1006, Liétard, 78. Lieutaud, 41008, 1201. Linacre, 328. Lind, 1215. Linden (Van der), 584. Lisfranc, 1297. Lister, 967. Littré, 9,15, 92, 93, 425, 128, 286, 1078, 1143, 1492, Locatelli, 1142. Lombard (C. A.) de Stras- bourg, 14297. Longet, 228, 547, Lorain, 1220. Lordat, 1172, 1190. Lorry, 1235. Lossius, 965. Losy, 17. Lotichius, 959. Loubet, 1271. Louis(P. C. A), 129, 14296. Louis (Ant.), 901, 1278, 1281. Lower, 693. Loyseau, 960. Luzuriaga, 1238. Lycus, 162. Lynch, 1131, 1141. Lysimaque, 160. 1013, M Macbride, 1218. Macer Floridus, 315. Magatus, 973. Magendie, 228, 1092. Maggi, 308, 333. Magliari, 833. Magnassius, 616. Magnus d'Ephèse, 238. Mahon, 4. Maimonides, 272. Malacarne, 1008, 1253. Malgaigne , vin, 10, 58, 4195, 3141/0339 90/12, 987, 1263 1286, 1297. Malouin, 1254. Malpighi, 678. (3.), [Mandeville (Henri de), 283. TABLE DES NOMS PROPRES. Mandl, 691. Mandon, 467. Manfre, 59. Manget, 958. Manlius de Bosco, 348. Mansfeld, 275. Mantias, 160. Marat, 1015. Marbode, 288. Marcellus de Bordeaux, ou Marcellus l'Empi- rique, 246. Marcellus Cumanus, 319, 964. Marchetti, 963. Mareschal, 973. Marey, 667, 851. Marianus Sanctus, 308, 333, (vOy. Errata). Marquardt (Addenda), Marque (de), 990. Martet, 630. Martinez, 1239. Martinius (Valérius),955. Marx, 361. Mascagni, 1008. Masdevall, 1238. Massa, 307,308, 328,332. Massaria ( Alexandre ), 929. Massuet, 967. Matthaeus de Ferrariis, 318, 339, 349. Matthaeus Sylvaticus, 292 315. Mauchart, 1244. Mauriceau, 1000. Maurus, 288. Maux Saint-Marc, 259. Mayow, 693, 695, 841, 704. Mazino, 839. Mead, 875, 879. Meckren, 971. Meekel (1. Fr.), 1009. Mégès, 238. Mélétius, 212. Mélier, 129. Menghus, 339. Ménodore, 162. Ménodote, 162. Mercatus, 332. Mercklin, 968. Mercuriade, 265. . Mercurialis, 307, 328. Merula, 319. Méry, 991. Meryon, 64. Mésue, 271, 272, 314. Métrodore, 190. Meyer (Ernest H.F.), 272, 289. Meyer (G. H.), 652. Meza, 41. Michelotti, 816, 836 (et Addenda). Michon {abbé Bourdelot), 991. Michon !L. M.), 1297. Miller, 245. Miltiade, 160. Moehsen, 1240. Mohrenheim, 1246. Molinelli, 1254. Moliner (Boix y), 1239. Molpis, 160. Monilienus, 823. Monro (Junior), 1011. Monro (Senior), 1011, 19254. Monstrelet, 347. Montaigne, 21. Montagnana, 315. Montanus, 307, 328, 332. Monti, 574. Morand, 1265. Moreau (de la Sarthe), 4, 1045. Morejon, 65, 1236. Morel, 955, Morgagni, 1062. Morwitz, 05. Moscati, 1142. Mueller (Max), 73. Mueller (Ch.), 652. Mueller (J.), 228, 751, 1298. Muhlmann, 1074. Mundinus, 302, 315,320, 328. Mundius, 859. Murray, 1199. Mursinna, 1246. Musitanus, 1205. Muys, 688, 971. Mye (van der), 955. 280, 1008, A‘ Naunoni (Angelo), 1250. Nannoni (Laurent),1251. XxV Nélaton, 1012. Nicandre, 162. Nicias, 160. Nicolai, 951. Nicolas de Reggio, 304. Nicolaus Myrepsus, 317. Nicolaus Praeposit, 314. Nietzky, 905, 951. Nihell, 1165, Nileus, 160. Nonat, 129. Nymphodore, 460. o Octavius Horatianus,246. Oeder, 1074. Onimus, 1094. Oré, 693. Oribase, 190, 241, 317. Ortolf, 318. Oseibia (Ibu-Abi}, 32. Ozanam (Fr.), 256, 257. Pacchioni, 802, 4004. Palfyn,1008,1009,1249. Palissy (Bernard de) 572. Palletta, 1253. Pallili, 802. Pallucci, 1242. Paracelse, 280,355, 361, 572. Paré, 280, 308, 333. Parisanus ( Aemilius ), 585, 614. Pariser, 584. Pascal, 213. Pasicratès, 162. Patin (Charles), 584. Paul d'Egine, 242, 262, 2731911217. Paulet, 1235. Pauly xx. Pechlin, 966. Pecquet, 280, 617, 627. Peiresc, 625. Périgènes, 162. Perrault (Claude), 699, 816. Parrot, 1226. Pelletan (P. J.), 1297. Percy, 1297. Petit (Pourfour du),1005. Petit (JL), 4279: Pétrequin, 10, 125. XXVI TABLE DES NOMS PROPRES. Pétrini (le P.), 1082. Petrocellus, 262. Peu, 1000. Peyer, 694, 865. Pfolsprundt ( Henrich von), 319. Philagrius, 240. Philinus de Cos, 160, 170, 472. Philoxène, 460, 200. Philumène, 238. Pierre d'Abano, 293, 304, 315. Pierre d’Argélata, 318, Pierre d'Éspagne, 282. 350. Pierre de Montis, 319. Pigray, 991. Pinel, 1201, Piorry, 1231. Piquer, 1237. Piso (Homobonus), 585, 617. Pitcairne ( Archibald), 846, 850. Pitra (le cardinal), 247, 256. Platearius, 262, 314. Plater (Fr.), 308, 971. Platner, 16, 1245. Platon, 146, 592. Pienck, 1246. Pline, 175, 205. Plinius Valérianus , ou Plinius Secundus, 246. Ploucquet, xix. Poleni, 848. Pomme, 1045. Porta (J. B.), 572. Portal (Ant.), 1013,1272. Portal (Paul), 4000. Porterfiled, 1006. Portius, 576. Posidonius, 162, 240. Pott (Percival), 1258. Pouteau, 1272. Prangé, 585. Praxagore, 146. Prescott, 353. Primerose, 585, 614, 956. Pringle, 881, 1244. Ptolémée, 160. Puccinotti, 53, 290, 308, 751. Purmann, 1000. Quarin, 4232. Quesnay, 1286. Quiricus de Augustis, Quitzmann, 50. Rademacher, 734. Raige-Delorme, 56. Ramazini, 807. Rasori, 1142, 1297. Raspail, 1298. Raw (ou Rau), 682, 1254. Ravaton, 1271. Ravel, 119, 210, 263. Rayer, 7,129, 1069. Rébecca, 265. Redi d’Arezzo, 694. Reinesius, 572. Rembertus Dodonaeus , Reneaulme, 573. Renodeus (Renou), 826. Renouard, 60, 170. Renzi (de), 65, 250, 259. Réveillé-Parise, 1045. Revillout (dans les Ad- Rhabanus Maurus, 288. Rhazès, 272, 273, 314. PRhodius, 962. Rhyne (Ten), 191, 965. Richard, le Parisien et l'Anglais, 282, 286. Richerand, 1015. Richet, 126, 1042. Richter, 1249. Ridley, 887, 971. Riolan, 615, 691, 637, Riva d’Asti, 692. Rivière, 577, 826, 959. Rivinus, 694. Robin, 1078. Robinson (Bryan), 849, 868, 881, 849. Roeschlaub, 1141. Roeslin, 308. Roger (de Parme), 281, 315. Roger (H.), 1230. Roland, 281, 315. Rolfink, 617. Rommelaere, 467. Rosenbaum, 203. Roussel, 1045. Roux {J.-Ph.}, 41292, Rufus, 10, 190. Ruini, 585. Rush, 1144. Ruysch 678, 680, 1006. s Sabatier, 1013. Sagar, 1103. Saint-Amand (J. de), 282, SlEe Sainte-Marie, 1232, Saisset, 1021, 1023. Saladinus, 348. Salicet (Guillaume de), 281, 315. Salmuth, 955. Salva, 1238. Sancassani, 977. Sanctorius, 735, 928. Sandifort, 4042. Sandris (4. de), 812. Sanson, 1297. Santanielli, 848. Santorini, 4005. Sappey, 218, 4012. Saucerotte, 62. Sauvages, 1163, 1201. Saviard, 969. Savonarole, 318, 349. Scaramueci, 848. Scarpa, 1006, 1009. Schaarschmidt, 1246. Sharp, 1254. Schelling, 1297. Schenck von Grafenberg, 508, 332. Scherer, 463. Schiff, 653. Schlichting, 4249. Schmucker, 1246. Schneider, 693. Schünlein, 1297. Schultens, 889. TABLE DES NOMS PROPRES. Schultz, 905. Schulze, 35,19,194, 951. Scohy, 76. Scribonius Largus, 196. Scuderi, 40. Scultet, 973. Sée (Germ.), 774. Seguin, 1017. Sénac, 1007. Sennert 826, 976. Septalius, 308, 929. Sérapion d'Alexandrie, 160, 170, 172. Sérapion, 271,314. Serenus Samonicus, 244. Sermoneta, 348. Serrier, 960. Servet (Michel), 331, 593. Severin (Marc-Ant.), 929, 973, 978. Sextus Placitus riensis, 246. Sichel, 1243(et Addenda). Siegemundin (Justine), 1000. Sillanus, 318, 349. Silvaticus (Benedictus), 964. Siméon Seth, 149. Simon, 160. Simon de Gênes, 292, 315. Simpson (J.H.) (Voy. Addenda). Sinan, 271. Slegel, 617. Soemmering, 4009. Solano de Luque, 4165, 1238. Solingen, 999, 4000. Soranus, 40, 32, 179, 18i, 190, 238, 258, 317. Sostrate, 100. Spallanzani, 1014, 1008. Spiess 940. Sprengel (Kurt), 37, 1494, 584. Stahl, 889, 1020. Stalpart van der Wiel, 966. Stark, 1199. Steinschneider, 261,277. Sténon, 673, 688, 689, (voy. Addenda). 308 2 P apy- Stenzel, 584. Stephanus, 960. Stoerck, 12292. Stoll, 1226. Strack, 1199. Straton, 160. Stuart, 1080. Suardus (Paulus), 349. Sue, 3, 1273, 14980. Swalwe, 576. Swammerdam, 695. Swieten (Van), 1221. Sydenham, 706. Sylvaticus (J.-B.), 307. Sylvius (Du Bois), 307. Sylvius de le Boe, 540, 642. T Tabarrani, 1063. Tachenius, 576. Tagault, 308. Tagliacozzi, 333. Taïfuri, 274. Talbor, 726. Tallois, 467. Tanaron, 1251. Tappe, 958. Tenon, 1243. Thaddaeus, 290, 304, 308, 315. Theden, 1247. Thémison , 180, 238. Thénard, 1298. Theodoricus, 281, 315, Theodorus Priscianus , 246. Theophanes Nonnus,242. Thessalus, 180. Theudas, 162. Thielmann, 584. Thomas de Garbo, 294, 296. Thomas (S.), 288. Thompson, 1103. Thompson, 1254. Thouret, 3, 1235. Timaeus von Guldenkee, 963. Tissot (J.), 14021. 280 , 296, 190, XXVIL Tolet, 991. Tommasini, 1297. Torre (M. A. de la), 320. Torres (Ignacio de),1238. Torti, 1205. Tossetti, 1074. Tourtelle, 44. Tredenlenburg, 71. Treviranus, 1298. Triller, 1240. Trnka, 1224. Troja, 1253. Trotula, 262, 265. Trousseau, 129,170,726. Tulpius, 958. U Unzer, 1087. v Valeseus de Tarente, 317. Vallesius, 307, 328, 332. Vallisneri, 1008. Valsalva, 1004. Varole, 329, 1006. Velpeau, 1012, Vendicianus, 335. Verduc, 994. Verduyn, 967. Verheyen, 682, 692, 694, 696. Verneuil, 11. Verzascha, 965. Vésale, 241, 329, 593, 1006. Vesling, 617, 626, 692 696. Vicq d’Azyr, 751, 1009. Vidus-Vidius, 1006. Vieussens, 699, 700. Vigier, 990. Vignal, 726. Vigo, 308, 333. Villalobos, 348. Vincent de Beauvais, 288. Virey, 1045. Vitalis de Furno, 296, Vogel, 1200. Voisin (Aug.), 129. ? Tissot, 1015, 1084, 1206. | Volta, 1014. Tittsingh, 1249. \ Vulpian, 665, 1023. XXVIIL TABLE DES NOMS PROPRES, ww Windischmann, 44, < Winslow, 1012. Walaeus, 617. Wintringham (le fils) , |Xénophon, 160. Warlitzius, 584. 881, 8859. Webb, 71. Wintringham (le père ), Weber (A. A.), 194. 886. Weber (A. G.), 652, 1083. | Wirsung, 637. Z Wecker, 826. Wise, 65, 71. Wedel, 575. Wisemann, 997. Lacutus Lusitanus, 956. Weikard, 1123, 1141. Woodword, 1080. Zénon, 160. Weitbrecht, 1012. Wolf (Ido), 966. Lerbi, 307, 320. Welsch, 964. Woolhouse, 1242. Zeuxis, 160. Wepfer 962, 693. Wrisberg, 1009, 1014. Zeuxis, l'Hérophiléen , Werber (W. J. A.), 49. | Wunderbar, 274. 162. , Werlhoff, 1200. Wunderlich, 64. Limmerman, 1080,1200. Wharton, 640,674. Würtzius(ou Würtz), 308. | Zinn, 1074. Whytt (de), 1014, 1082. | Wylhoorn, 1249. Zopire, 162. Willis, 574, 575, 667, Zumbo, 974. 693, Wilson, 74. INDICATION DES PLANCHES Page 343. Clystères d’Avicenne et de Gatenaria. Page 452. Appareil de Paracelse pour la fracture de la jambe. Pages 632 et 633. Canal thoracique chez le chien, d'après Pecquet. Pages 741, 743, 744, 745, 746, 748. Thermomètres ; pulsilogia ; appareil pour prendre un bain dans son lit; sonde pour extraire les petites pierres de la vessie ; lit mécanique, d’après Sanctorius. HISTOIRE GÉNÉRALE DES SCIENCES MÉDICALES Pour l'histoire les textes, Pour la science les faits. SOMMAIRE: Vicissitudes de l’enseignement de l'histoire de la médecine à Paris. — Utilité de cet enseignement. — Exposition des principes qui doivent guider l'historien. — Application de ces principes à la détermination des périodes de l'histoire de la médecine (1). MESSIEURS, Quand un professeur se trouve pour la première fois en face de son auditoire, toute la curiosité est du côté de l'auditoire, et toute l'émotion est du côté du professeur: ce qui me rassure un peu, c’est que votre curiosité est bienveillante, et que l'émotion, dont je ne saurais dissimuler la vivacité, vous rendra encore plus indulgents. Je puis même faire valoir mes droits à votre indul- gence ; car si J'ai aujourd'hui l’insigne mais dangereux honneur de porter la parole devant vous, c’est. à vous que je le dois; si mon nom est arrivé jusqu'au ministre qui préside avec éclat aux destinées de l’instruction publique (2), c’est que vous avez répété quelquefois ce nom avec faveur, en y rattachant le souvenir, à (1) Leçon d'ouverture, 13 décembre 1864. (2) M. Duruy. DAREMBERG. 1 > INTRODUCTION. défaut d’autres mérites, d’un amour éprouvé pour des études toujours pénibles, parfois ingrates et trop négligées. C’est vous aussi qui, dans vos journaux, dans vos livres, dans vos entretiens, avez mis en avant les meilleurs arguments en faveur de linsti- tution d’une chaire d’histoire de la médecine; de telle sorte que ce serait à vous de répondre si l’on demandait ce que je viens faire ici, et pourquoi je monte aujourd'hui dans cette chaire. Cependant, comme dans cette assemblée 1l pourrait se ren- contrer quelques personnes qui ne fussent point au courant des questions qui s’agitent autour d’une chaire nouvelle, je rappel- lerai brièvement les fortunes diverses que l’enseignement de l'histoire de la médecine a subies à la Faculté de Paris, et les circonstances qui ont décidé M. le Ministre de l'instruction publique à rétablir officiellement un enseignement interrompu depuis quarante ans. Autrefois, sous l'empire des vieilles doctrines, dans nos an- ciennes Écoles et dans l’ancien Collége de France, personne n’eùt songé à insütuer une chaire d'histoire de la médecine; l'étude de la médecine n’était elle-même que de l’histoire : on observait les maladies présentes avec les yeux des Arabes ou des Grecs ; on pliait la nature à l'autorité d'Hippocrate, de Galien ou d’Avicenne, mal compris, mal expliqués. Quelques révoltes partielles, quelques grandes découvertes combattues à outrance, l'exemple de quelques praticiens éminents, surtout parmi les chirurgiens, ne suffisaient pas à détourner le courant : les professeurs n'étaient pas des médecins, mais des commen- tateurs: on faisait de la clinique les yeux bandés et les Apho- rismes d'Hippocrate dans la mémoire. La Révolution, qui semblait vouloir n’accumuler que des ruines et détruire toute science comme toute politique, avait semé, au milieu de ces ruines, des germes féconds ; en rompant violem- * ment avec le passé, et en ravivant au fond de tous les cœurs le sentiment peut-être exagéré du mérite personnel et de lPindé- pendance d’opinions, elle a du même coup ouvert de nouvelles voies aux sciences naturelles comme aux sciences sociales. Aussi nos Écoles de 4794 sont-elles bien différentes de nos Écoles de ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE A PARIS. 3 1789, et nos professeurs de la fin du xvin° siècle ne ressemblent guère aux Docteurs-régents qui traitaient Louis XIV ou Louis XV. Au moment où le Comité de l'instruction publique réorga- nisait l'École de santé, on ne voulut ni maintenir, comme au- trefois, la suprématie de l'autorité sur la nature, ni rompre avec la tradition, comme on l’a fait depuis; en conséquence, aux dix-sept chaires dans lesquelles siégeaient les plus illustres re- présentants des théories nouvelles et de la pratique moderne, on adjoignit une dix-huitième chaire où l’on réunit, en insti- tuant deux professeurs, la médecine légale et V'ustoire de la mé- decine, association singulière qui réduisait la médecine légale et l’histoire de la médecine à de fort mesquines proportions ; mais alors on ne pouvail pas avoir une idée bien nette de la di- gnité et de l'étendue de ces deux sections de l’enseignement. Il paraît toutefois qu’on voulut, au moins sur deux points, établir une compensation; car, peu de temps après l'institution de ces cours jumeaux, le bibliothécaire de l'École, Pierre Sue, fut chargé d'enseigner la Bibliographie médicale (4), et le direc- teur Thouret reçut la double mission d'expliquer la Doctrine d'Hippocrate et de commenter les faits qu'on observe rarement dans la pratique (Clinique des cas rares). Hier aucune des branches de l’érudition médicale n’était offi- ciellement représentée, et en 4794 l'École comptait trois cours historiques; encore Thouret n’était pas satisfait. A la rentrée solennelle de l’École, le 14 octobre 1799, après avoir célébré les avantages de l'histoire de la médecine, « si recommandable (4) Séance publique de l’École de santé, discours du citoyen Sue (Sur l'utilité de la bibliographie médicale), 25 vendém, an IV (17 octobre 1795) : Éloge de la santé; beaucoup de phrases et beaucoup d’erreurs sur Hippocrate ; comparaison de quelques théories modernes avec celles du médecin de Cos ; attaques contre la chimiatrie; utilité pour l'histoire de la médecine des livres non médicaux, même des « ouvrages sublimes » de Voltaire et de Rousseau que la nation reconnaissante doit fairé placer d'office dans la bibliothèque de l'École. Sue prouve qu'il ne connaît guère les ouvrages de nos maitres en médecine, mais en même temps il ne sait ni dans quels livres non médicaux il faut chercher notre histoire, ni quel genre de services ils peuvent rendre. — Au 27 germinal an VI (16 avril 4798). Sue se vit dans l'obligation de défendre son cours, près des membres du Corps législatif, contre les insinuations malveillantes du citoyen Calès, h INTRODUCTION. par les utiles exemples qu’elle nous propose, plus instructivé peut-être par les erreurs qu’elle nous apprend à éviter que par les enseignements qu’elle transmet; si féconde au moins par les germes d'émulation qu’elle répand », l’insatiable directeur ré- clamait une chaire de philosophie de la médecine, « de cette science mêre qui devait rendre de si grands services à l’art mé- dical en lui apprenant à perfectionner les différentes méthodes de l’enseignement ». Mais Thouret choisissait mal son moment. Le pouvoir, qui voulait favoriser les provinces, ne se montrait pas très-disposé à augmenter la prépondérance de l'École de Paris, et la chaire ne fut pas créée. Le cours sur la doctrine d'Hippocrate finit avec Thouret, en 1809; celui de bibliographie, supprimé en 1508 par suite d’une permutation, fut rétabli dès les premiers temps de la Res- tauration (1816), en faveur du bibliothécaire Moreau (de la Sarthe) ; quant à la chaire d'histoire, réunie (d’après lA/ma- nach royal) en 1821 à la chaire de bibliographie, elle subsista jusqu'aux fâcheuses ordonnances de 1822 et 1823 qui sacrifié- rent l'École à des préventions mal fondées (1). Cet enseignement de l’histoire, créé à très-bonne intention, n’a pas rendu de très-grands services ; il n’a laissé que de faibles traces et de plus faibles souvenirs. L'Histoire de la médecine clinique de Mahon (1804) est de peu de valeur; les Discours de Cabanis (1804) Sur les révolutions de la médecine sont pius ornés que solides; les opuscules de Sue attestent plus de bonne volonté que d’érudition; je ne sache pas que Leclerc ait jamais rien écrit sur l’histoire de la médecine; Moreau (de la Sarthe) ne s’est guère occupé que de ces questions générales et creuses que l'on appelait alors et que l’on appelle encore philosophie médi- cale ; Lassus a publié, mais en 1783, un essai estimable Sur les découvertes faites en anatomie (2) ; Goulin seul paraît avoir pris sa tâche au sérieux, puisqu'il a laissé en cinq volumes in-folio, (1) La discussion récemment soulevée au Sénat (juin 1868) a prouvé que cer- taines personnes, enflammées d’un zèle plus ardent que réfléchi, provoqueraient volontiers le renouvellement de l'École, comme aux beaux jours de la Restauration. (2) Lassus, Essai ou Discours historique et critique sur les découvertes faites en anatomie par les anciens el par les modernes. Paris, 1783, in-8, mm ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE À PARIS. LE encore manuscrits, les matériaux de son cours de lan VI à l'an VIII (1); toutefois Goulin était plutôt un érudit qu'un historien. Au Collége de France l’histoire des sciences médicales était, vers la même époque, représentée, non dans la chaire de méde- cine, mais dans celle de philosophie ancienne, par Bosquillon, qui expliquait et commentait Hippocraie avec une connaissance plus étendue du grec que de la médecine. Il y a plusieurs raisons qui expliquent le peu de faveur ou du moins le peu de succès et la chute de l'enseignement de l'his- toire; je n’en veux indiquer que trois : deux fondamentales, tirées de l’état même où se trouvaient la médecine et l’histoire ; une accessoire. Ni la médecine ni l'histoire n’étaient assez avancées pour se prêter de mutuelles lumières ; on était trop près de la médecine ancienne pour la bien comprendre ; on en avait trop souffert pour la juger avec impartialité. Le champ de l’observation était encore trop limité, et l'interprétation des textes était trop arbi- traire ou trop systématique pour qu’on püt établir de fructueuses comparaisons. D’un autre côté, l'enseignement de la médecine était si neuf, la génération présente était si mal préparée, les besoins étaient si urgents, qu'il fallait courir au plus pressé, et rechercher l'instruction clinique qui fait les praticiens, avant de songer aux avantages des études historiques qui constituent le savant et qui donnent au praticien confiance et sûreté. Ceux que leur goût entrainait vers ces études n’avaient eu ni le loisir ni le recueillement indispensables pour s’y préparer avec fruit; les connaissances préliminaires et les vues générales leur faisaient également défaut; lérudition et la critique n'avaient ni déblayé ni éclairé la route, et l’on se trainait péniblement dans les or- nières du passé. Un enseignement qui pouvait à peine se défendre par ses propres forces ne put résister longtemps aux attaques violentes dont la vieille médecine, et par conséquent l'histoire, était (4) Les manuscrits de Goulin, au nombre de 30 vol. in-f° et in-4°, sont conser- ves à la bibliothèque de la ville de Reims, 6 INTRODUCTION. l'objet de la part de limpétueux réformateur, qui à toutes les pages de son Examen des doctrines médicales, répétait : La mé- decine, c'est moi. Broussais ne pouvait souffrir de rival ni dans le passé ni dans le présent ; la gloire d’'Hippocrate ou de Galien l'offusquait presque autant que loffensaient la renommée et la résistance de Laennec, de Chomel ou de M. Louis. Ses disciples, qui avaient alors le haut du pavé, joignant leurs anathèmes, 1] de- meura convenu que l’histoire ne servait à rien autre chose qu'à surcharger les étudiants et à gêner les professeurs. Lorsqu’en 1830 on voulut réparer l'injustice et le dommage causés par l'ordonnance de 1823, on remit à l’ordre du jour la chaire d’histoire de la médecine; mais l’ancien titulaire était mort, et, à vrai dire, on n'avait sous la main personne pour le remplacer ; d’ailleurs les circonstances n’étaient pas beaucoup plus favorables en 1830 qu’en 1823, et les choses en restérent là jusqu’en 1837, où M. Dezeimeris, bibliothécaire de la Faculté, réclama énergiquement, et avec toutes sortes de droits pour lui-même, devant la Faculté et auprès du ministre, le rétablisse- ment de la chaire d'histoire : les questions de personnes semblent avoir prévalu en cette occasion sur les questions de principes ; la chaire ne fut pas instituée. Dans sa séance du 3 novembre 1845, le congrès médical vint en aide, sinon à M. Dezeimeris, du moins à la réorganisation de l’enseignement historique dans les facultés; tout semblait alors préparé pour le succès de cette nouvelle démarche; mais les apparences sont souvent trompeuses, et parmi les vœux, en grand nombre, que le congrès avait exprimés, celui de la créa- tion d’ane chaire d’histoire n’est pas le seul que l'autorité supé- rieure n’exauça pas; de légitimes ambitions avaient été mises en éveil, aucune ne fut satisfaite. En 1859, la Faculté de médecine, consultée par M. Rouland, alors ministre de l'instruction publique, sur la question de savoir s’il existait des lacunes dans l’enseignement et s’il y avait lieu à les combler, répondit, par l'organe de M. Gavarret, remplaçant le doyen empêché (1), qu’il n’y avait pas de bonnes raisons pour (1) Voyez la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie du 13 mai 1859. UTILITÉ DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE. 1 introduire officiellement dans la Faculté l’enseignement de spé- cialités auxquelles le ministre faisait une allusion évidente dans sa lettre du 15 janvier ; le rapport insistait au contraire sur les avantages que pouvait offrir la création d’une chaire d'histoire de la médecine. Commé la Faculté proposait ce qu'on ne lui de- mandait pas et refusait les cadeaux qu’on avait grand désir de lui faire, on ne voulut ni lui donnef trop d’ennuis en introduisant des spécialistes dans son sein, ni lui causer trop de plaisir en lui accordant un professeur d'histoire. Une des premières pensées de M. Rayer en entrant à la Fa- culté comme doyen et comme professeur fut de tirer profit de cette mémorable délibération de 1859; et il n’a pas manqué, quand les circonstances lui parurent favorables, de mettre sous lès yeux du nouveau ministre de l'instruction publique, M. Duruy, auteur justement renommé de l'Histoire des Romains et de l'Histoire de la Grèce, le fondateur du cours d'histoire générale à l'École polvtechtique, les motifs pressants, les arguments décisifs qui ne permettaient pas, suivant lui, de retarder plus longtemps une création toujours ajournée par des fins de non-recevoir. Il ne paraît pas, cette fois, que la requête du doyeñ ait été appuyée par la Faculté; c’est ainsi que le mi- nistre s’est décidé à instituer äu Collége de France un enseigne- mett que l'École dé médecine avait réclamé et dont elle ne se soüciait plus. Je ñe connais pas le texte du rapport que M. Rayer a dû pré- senter à l’appui de sa demiañde, mais je suis bien certain d'en rendre au moins le sens dans les considérations que Je désire vous soumettre maintenant sûr l'utilité de l’histoire de la mé- decine : La fnédecine a un passé des plus glorieux ; le génie de la Grèce ët le génie de Rome ont été mis à son service par les meil- leurs éctiväins ou les auteurs les plus savants : Hippocrate, Héro- philé, Celse, Rufus, Soranus, Galien ; — puis, lorsqu'on croit que les sciences et les lettres sé sont perdues dans les décombres de l’empire romain, l’histoire, mieux informée, nous montre la médecine scientifique toujours debout, et produisant, sion des ) INTRODUCTION. chefs-d’œuvre, au moins des ouvrages considérables où la tradi- tion se perpétue et se développe dans des écrits originaux, dans des compilations ou dans des traductions qui sont comme les derniers reflets de la grande antiquité. Les Arabes nous appor- tent ensuite tout un corps de doctrines empruntées aux Grecs, et qui servit à l'éducation médicale de la seconde période du moyen âge. Les Écoles se constituent; elles ajoutent chaque jour quelque observation nouvelle au fonds primilif; enfin quand la Renaissance ramène à la lumière les textes grecs et latins, les médecins prennent partout la direction du mouvement scienti- fique et littéraire. S'il n’y avait dans l’enseignement de l’histoire de la médecine d’autre intérêt que de montrer aux élèves cet imposant spectacle du développement continu de la science depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, l'utilité d’un tel enseignement serait déjà pleinement justifiée ; mais à côté de ces raisons géné- rales et spéculatives, on peut faire intervenir d’autres arguments non moins considérables et d’une application pratique plus im- médiate. Les observations en médecine ne ressemblent pas aux obser- valions en physique ou en chimie : dans ces deux dernières sciences les phénomènes, parfaitement défimis et fixes, se repro- duisent à volonté; au contraire, en médecine les phénomènes organiques, physiologiques ou morbides, portent trop fortement l'empreinte des lieux, des temps, des races, des tempéraments, des saisons, des circonstances de toute nature ; 1ls sont trop in- cessamment modifiés par les mouvements de la vie pour que l’ob- servation d'aujourd'hui ressemble exactement à l'observation d'hier. On ne peut ni créer de toutes pièces une pneumonie, ni se flaiter d'en voir deux cas identiques ; nous ne sommes pas maitres du terrain, et pour qu’il ne manque pas absolument sous nos pas, il faut avoir, non pas la prétention de tout refaire chaque jour, mais la volonté ferme de profiter de l'expérience du temps passé, en la soumettant à un contrôle sévère. Cest là ce qui constitue une parie de la critique historique. Quand on parcourt les Observations, trop peu nombreuses du UTILITÉ DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE. 9 reste, que nous ont laissées les anciens, ou les recueils plus riches que nous devons aux auteurs de la Renaissance et des temps rapprochés de nous, il n’est pas malaisé d'y découvrir pour les maladies les plus simples des différences considérables dans leurs manifestations, différences qui, rapprochées des phé- nomènes que nous avons sous les yeux, éclairent à la fois le diagnostic et la thérapeutique. Ainsi, soit pour tracer le tableau réel et complet d’une maladie, soit pour en avoir le signalement plus authentique, soit enfin pour la traiter avec plus de chances de succès, il importe de retrouver par l’histoire les diverses formes sous lesquelles elle se produit et les divers agents théra- peuliques qu’on a mis en usage, suivant les temps et suivant les climats ou les saisons. Cette pathologie comparée, qui embrasse les maladies sporadiques aussi bien que les maladies épidémi- ques, est une des faces les plus curieuses et les plus instructives de lhistoire. Les exemples ne manqueraient pas pour prouver combien l'histoire a rendu ou peut rendre de services à la pratique, car l’histoire n’a pas seulement la vertu négative que lui attribuait Thouret; il ne lui suffit pas de faire éviter des erreurs, ce qui serait déjà un grand mérite ; elle a de plus la prétention justifiée de donner des enseignements positifs. Est-ce un médecin praticien ou un médecin historien qui a démontré que les fièvres décrites par Hippocrate dans les Épi- démies sont non pas des fièvres #alignes ou typhoïdes, comme on l'avait cru, mais des fièvres rémittentes ou pseudo-continues, de même nature que celles qu’on observe encore dans les pays chauds ? Non, ce n’est point un médecin praticien ; car en arri- vant sur les côtes de la Grèce et de l'Algérie, nos médecins mili- taires ne savaient trop à quelles maladies ils avaient affaire; c’est à un médecin historien, c’est à M. Littré qu'on doit cette assimi- lation rigoureuse et inattendue. — C’est encore M. Littré, et non pas un simple médecin praticien, qui a reconnu dans l Épidémie de Corinthe, décrite par Hippocrate, diverses espèces d’angine accompagnées de ces paralysies consécutives sur lesquelles Pat- tention est éveillée depuis quelques années seulement. — Qui a établi par des lémoignages authentiques l'influence de la ligature AS | és. < É RÉR S nnm à 10 INTRODUCTION. de la carotide dans le traitement de certaines maladies ? Ce n’est pas non plus un médecin praticien, mais un bibliographe distin- gué, M. Dezeimeris. — Entre les mains de M. Malgaigne, qui a remis en honneur l’histoire de la chirurgie, le traité d’Hippo- crate Sur les fractures et les Luxations est devenu pour ainsi dire un traité moderne. — Enfin, un des émules de M. Mal- gaigne, M. Pétrequin, de Lyon, a retrouvé dans les anciens des méthodes de traitement ou des thèses de pathologie chirurgicale qui passent aujourd’hui pour nouvelles. — Si l’on s’était souvenu que Gälien a fait de très-belles expériences sur le système ner- veux, On n'aurait peut-être pas attendu si longtemps pour re- mettre en honneur la distinction des nerfs du mouvement et des nerfs du sentiment. — Si l’on avait plus soigneusement consulté les archives de la médecine, on aurait depuis longtemps trouvé dans Hippocrate les germes de l’auscultation ; — dans Rufus, dans Soranus, dans Héliodore et dans Galien la torsion des ar- tères; — dans Hérophile et dans Rufus toute une théorie des mouvements du pouls, mouvements qu'on apprécie aujourd’hui à l’aide d'instruments ingénieux ; — dans vingt auteurs anciens et du moyen âge l'emploi d’anesthésiqües puissants; — dans Héliodore le traitement par l’excision des rétrécissements de l'urêthre ; — dans Antyllus la preuve que l'extraction de la cata- racte était une opération familière aux anciens ; — dans Albu- casis l'opération par succion de cette cataracte, opération que M. Laugier a imaginée de nouveau; — dans un écrit salerni- tain la mention de capsules glutineuses destinées à dissimuler le mauvais goût de certains médicaments. — La description de lérysipèle typhoïde gangréneux et épidémique; celle de la phthisie aiguë sous forme endémique, se lisent tout au long dans Hippocrate ; et pour parler de temps beaucoup plus rapprochés de nous, c’est-à-dire de quelques mois, on a vu combien l’his- toire à efficacement aidé à résoudre le problème soulevé à l’Académie de médecine par les discussions sur la variole et sur la vaccine chez l'homme et chez les animaux. Ce n’est pas la faute de l'histoire, mais la faute des médecins, si l’histoire ne rend pas plus de services à la médecine. Qu'on interroge avec persévérance et avec discernement, et il n’est UTILITÉ DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE. 41 pas un point important de la science où de l’art sur lequel elle ne fournisse une réponse décisive ou un renseignement utile. Il ne faut pas, du reste, faire consister uniquement l’histoire de la médecine dans l'examen de nos plus anciens monuments, et ne la voir jamais apparaître que chargée de la poudre séculaire des bibliothèques. L'histoire est de tous les temps; le livre qui a paru hier sera demain de son domaine. Le xvin° siècle vient de finir ; le connaissons-nous ? Savons-nous ce que nous devons et ce que nous pourrions encore emprunter à l’Académie de chi- rurgie, à la Société royale de médecine (4)? Qui lit maintenant Bichat, même Broussais, même l’immortel traité de Laennec Sur l’auscultation ? Qui se souvient de Haller ou de Franck, de Sydenham ou de Stoll? Qui consulte aujourd’hui les anciens recueils périodiques français ou étrangers ? Savons-nous même exactement quels systèmes dominent à Berlin, à Florence, à Vienne ou à Londres ? Connaissons-nous les faits qu’on observe en Russie, en Angleterre, en Hollande, en Amérique, en Italie ou dans les colonies, quoique ni les journaux ni les publications de toute nature ne fassent défaut? Sortons-nous de nos hôpi- taux et dépassons-nous les Manuels du médecin praticien? Cependant qui serait assez présomptueux dans une science d’ob: servation pour prétendre sérieusement qu’il n’est l’élève de (1) Il est regrettable que l’Académie de médecine, faute de ressources suffisantes, ne puisse pas faire sortir de ses cartons les papiers des deux compagnies dont elle a été instituée l’héritière ‘ la Société de médecine, et surtout l'Académie de chi- rurgie. Une commission ferait aisément un bon choix au milieu de ces papiers dont j'ai le premier signalé l'importance, et réparcrait ainsi les dommages que les discussions intestines ou le malheur des temps ont faits à la science en ne permet- tant pas de publier en leur temps de très-précieux travaux. — La Société de chirurgie ne rendrait pas un moindre service en donnant de nouvelles éditions des œuvres de nos plus grands chirurgiens du xvin® siècle, et en réunissant les divers mémoires qu’ils ont dispersés dans les recueils périodiques où il est, pour les médecins de Paris comme pour ceux de province, parois difficile de les trouver et toujours très-long de les chercher. M. Guardia a donné, dans la Gazette médicale de Paris (année 1864, 4 février 1865 et année 1868), une série d'articles intitulés : Les autographes de l Académie de chirurgie, tirés des Archives de l Académie de méde- cine. M. Verneuil a aussi publié des Documents inédits tirés des Archives de l'an- cienne Académie de chirurgie (Paris, 1860-1861), Deux fascicules, contenant diver- ses pièces sur les polypes et la staphylorhaphie, ont seuls paru. m2 INTRODUCTION. personne et qu'il ne doit rien qu’à ses propres recherches? Celui qui est maître aujourd'hui était disciple hier ; et pour me servir, en la détournant, d’une heureuse expression qu’on prête à Aristote : « toute science vient d’un œuf »; pour aucune il ny a de génération spontanée. Faire prévaloir tant et de si forts arguments, c’est tracer en même temps tout un programme; et quel programme, s’il faut s'y conformer rigoureusement! Réunir dans une seule chaire les connaissances médicales anciennes et modernes; tout lire, tout méditer, tout comparer, tout rassembler en des aperçus généraux, et préparer ainsi l'essor de l'avenir par le rapproche- ment incessant du passé et du présent ! Accepter sans réserve un tel programme aprés en avoir me- suré l'étendue ei reconnu les difficultés, ce serait affecter une grande présomplion; mais prétendre qu'on ignorait, quand on s’en est chargé, combien la tâche est lourde et périlleuse, ce serait montrer beaucoup d’imprévoyance et marquer peu de respect pour son auditoire. Lorsque j'ai recherché l'honneur qui m'est fait aujourd’hui, je n'avais point oublié le mot de Pline, « qu’il est aussi malaisé de donner de la nouveauté aux vieilles choses que de l'autorité aux nouvelles », mot profond qui rend plus difficile pour soi-même et moins exigeant pour les autres. Je savais donc à quoi, et dans quelles limites, je m'engageais; je n’ai certes pas plus le droit de me plaindre que la volonté de m'enorgueillr ; je ferai de mon mieux pour ne pas rester au- dessous de votre attente : voilà ce que je puis promettre sans trop de présomption et sans trop d'imprévoyance. Vous ferez le reste, Messieurs, et aussi les circonstances me viendront en aide. Je vous indiquais tout à l'heure les raisons qui, suivant moi, n’ont pas permis que l’enseignement de l’histoire prît au com- mencement de ce siècle ni l'autorité ni l'importance qu’il com- porte, je veux maintenant vous dire pourquoi cet enseignement ne peut manquer de réussir sinon par moi, du moins par d'au- tres ; je retrouve comme cause de succès précisément les mo- üfs opposés à ceux que je signalais comme causes de discrédit. CONDITIONS FAYORABLES À L'HISTOÎRE DE LA MÉDECINE. 45 D'abord la médecine à fait aujourd’hui de tels progrès par l'observation directe et par l’expérimentation, qu’elle n’a plus à redouter ni l'éclat, ni les leçons de l’histoire ; au contraire, plus elle est originale et puissante, plus il lui importe de rendre jus- tice à ce qu’elle a détruit, de profiter de ce qu’elle a laissé debout, et de renouer ainsi les deux extrémités d’une chaîne depuis longtemps rompue. — D'un autre côté, la médecine actuelle est si loin de la médecine ancienne; elle est si solidement établie : elle a cherché avec tant d’opiniätreté et de bonheur à substituer l'expérience et l'observation à l'autorité, la méthode expérimen- tale aux hypothèses, qu’elle possède les meilleurs moyens de vérification qu’on puisse souhaiter pour juger les systèmes ou les théories, et pour se rendre compte de la vraie signification des faits de toute nature qu’on retrouve en si grand nombre dans les annales de la science ; en d’autres termes, la médecine du xIx° siècle est merveilleusement préparée pour refaire le dia- gnostic ancien à l’aide du diagnostic moderne. Tout cela forme sans doute un concours de circonstances très- favorables, mais tout cela ne suffit pas : les conditions exté- rieures d’une bonne histoire sont réunies ; les moyens de con- trôler le passé par le présent sont entre nos mains ; mais le corps même de l’histoire et la méthode qu’il faut appliquer à son expo- sition nous font encore défaut, ou plutôt nous n’en avons encore rien dit. Ce sont les textes qui constituent le corps de l’histoire. Com- ment en effet écrire l’histoire d’une science quand les textes ne sont pas corrects, quand le sens littéral n’en est pas fixé, quand interprétation en est laissée à l'arbitraire, quand la fantaisie et non la critique en a déterminé la provenance ; et surtout com- ment l'écrire quand, loin de rechercher les textes inconnus, on ne se soucie même pas des textes déjà publiés ? Quelques exemples suffiront à démontrer cette proposition fondamentale : si les nombreux écrits qui portent le nom d'Hip- pocrate restent confondus, et si le texte en est mal constitué, comment les comprendre et comment se reconnaitre au milieu de tant de doctrines opposées ; comment indiquer l’origine et la succession des théories; comment déterminer le progrès et 44 INTRODUCTION. apprécier les influences? — Si pour les médecins qui se succè- dent depuis Hippocrate jusqu'à Celse, on n’a pas établi une chronologie aussi rigoureuse que possible, et si l’on n’a pas rassemblé les fragments épars de leurs ouvrages, plus de trois siècles sont fermés à l'historien ; — si on laisse dans les biblio- thèques, où ils sont ensevelis depuis plusieurs centaines d’an- nées, les écrits des médecins de la première moitié du moyen âge, avant le règne exclusif des Arabes, on sera forcé d'admettre avec Sprengel et avec beaucoup d’autres historiens un phénomène étrange et inoui : la disparition presque complète de la médecine en Occident au milieu des ténèbres de la barbarie ou des en- traves de la superstition et sa résurrection subite aux environs du xu° siècle. — On ne comprendra rien à la renommée tradition- nelle de l’école de Salerne si l’on ne connaît cette école que par le recueil de vers qui porte le nom de Fleur de médecine, et si Yon n’en a pas retrouvé les nombreux monuments cachés dans plus de vingt bibliothèques. — Enfin comment conduira-t-on l’histoire des sciences médicales depuis la Renaissance jusqu’à l’époque mo- derne, si l’on ne prend pas la peine de parcourir les gros ou- vrages ou les minces opuscules que l'imprimerie nous a livrés ou qui restent encore manuscrits, aussi bien à l’étranger qu'en France ? Sous tous ces rapports, Messieurs, les choses ont bien changé depuis 1794 et même depuis 1837 : les sources de l’histoire se sont épurées et élargies par de bonnes éditions et par la décou- verte d’une foule de textes anciens et modernes. Mais ne vous effrayez pas trop de ce vaste appareil; je le couvrirai prudem- ment d’un voile. Je ne veux pas donner raison aux détracteurs intéressés de l’érudition ; je ne veux pas non plus me laisser dé- tourner de la bonne voie par leurs ridicules anathèmes. On vous a dit et vous avez peut-être lu quelque part que l’érudition est un bagage embarrassant pour enseigner l’histoire de la méde- cine; n’en croyez rien, Messieurs : l’érudition est plus embar- rassante pour celui qui n’en a point que pour celui qui sait en user avec discrétion et discernement (1). Des leçons ne sont pas (1) I ya, dans les Fables du bon la Fontaine, deux renards qui sont très-proches PRINCIPES QUI DOIVENT GUIDER L'HISTORIEN. 45 des notes; l’érudition est un instrument, l’histoire est un pro- duit ; c’est ce produit que vous désirez connaître, je tâcherai de ne jamais l'oublier. Mais pour rapprocher et animer ces membres épars, il nous manque encore un point de vue général qui, plaçant la médecine dans son rang hiérarchique, en rattache les progrès à ceux des autres sciences et à la marche générale de la civilisation. Le vice radical des histoires de la médecine et qui les frappe presque toutes de stérilité, c'est qu'on y considère notre science, dans son ensemble ou dans ses détails, comme une création isolée, sans relations ni parenté avec les autres créations de l'esprit humain : Proles sine matre creata, comme on disait autrefois ; de sorte qu’on ne comprend ni pourquoi ia médecine avance ni pourquoi elle recule, et qu’on ne sait où trouver la formule générale de son développement. Faire rentrer la science médi- cale dans le cercle des autres sciences ; découvrir un lien commun qui les rassemble et une loi commune qui explique leurs progrès ou leurs défaillances : voilà le nœud de l’histoire, voilà sa vie. C'est d'après ce principe exposé et appliqué pour la première fois par M. Littré dans son édition d'Hippocrate et dans d’autres travaux moins étendus, mais non moins précieux, qu’il faut ré- former lhistoire de la médecine; c’est aussi ce principe que je veux suivre d’un bout à l’autre de cet enseignement. Maintenant que j'ai fait valoir de mon mieux les arguments qu'on peut produire en faveur de l'enseignement de l’histoire, et que Je vous ai soumis quelques réflexions sur les heureuses circonstances qui doivent ou peuvent donner quelque attrait et parents de ces contempteurs de la philologie, de la chronologie et de toutes les recherches préliminaires que réclame l’histoire et qui font sa sûreté. On reconnait, en lisant leurs œuvres historiques, qu'ils n’ont guère plus de souci des textes que des dates. Ils se garderaient bien d'apporter autant de négligence et de mettre si peu de leurs propres opinions dans leurs œuvres médicales. Cependant, il faut partout et toujours respecter le public et se respecter soi-même. Si l’on trouve que l'histoire ne vaut pas la peine qu'on y pourrait prendre, mieux vaut ne pas s'occuper d'histoire, “Lei 46 INTRODUCTION. quelque nouvéauté à cet enseignement, en même témps qu'elles allégent le fardeau et diminuent la responsabilité du professeur, j'ai besoin d'ajouter des renseignements plus précis sur l'objet des leçons qui vont suivre, et sur la constitution des périodes de l’histoire de la médecine. Je me propose de vous présenter le tableau complet, quoique en raccourci, des progrès et des révolutions de la médecine depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours; puis, si Dieu me prête vie et santé, je reprendrai avec plus de détails chacune des branches en lesquelles se divisent les sciences médicales. Je serai par conséquent très-bref dans cette première partie du cours sur la biographie des médecins (1), plus bref encore sur la bibliographie, dont je ne m’occuperai que d’une manière inci- dente ; j'insisterai particulièrement sur les origines, le dévelop- pement, la succession, la filiation et la transformation des sys- tèmes, sur les découvertes ou les acquisitions positives de toute nature qui dans chacune des branches de la médecine ont, aux diverses époques, changé la face de la science et agrandi ses domaines; je prendrai soin de bien expliquer dans quelles cir- constances, dans quels milieux et en vertu de quelles lois ces découvertes se sont accomplies, enfin quelles influences durables ou passagères elles ont exercées. Mais ce n’est là que le fond et le cadre du tableau; les personnages y manquent; et dans l’histoire de la médecine, les véritables personnages, ce sont les maladies; l'histoire des maladies et des moyens de traitement qu’on leur a opposés tiendra donc une très-grande place dans ce programme. Je ne négligerai non plus ni les institutions médicales, ni toutes ces particularités curieuses d'archéologie qu'on ne peut pas classer méthodiquement, mais qu'on ne doit pas ignorer, Pour se retrouver à travers plus de vingt-cinq siècles, au milieu de toutes les idées qui se sont fait jour et de tous les faits qui se sont produits, il faut une classification historique et une méthode d'exposition; la méthode varie suivant les sujets qu’on étudie, mais la classification générale, qui est elle-même un enchaine- ment, doit être stable et présider à tout l’ensemble du cours. (4) « Idearum notionumque vicissitudines plusquam hominum vitas exigit historia » medicinae », a dit Ernest Platner. PRINCIPES QUI DOIVENT GUIDER L'HISTORIEN. 17 Dans un mémoire imprimé en 4850 (1), discutant les vues générales d’après lesquelles les auteurs ont établi les périodes de l’histoire, j'ai ramené à huit catégories le: diverses espèces de classification, et j'ai montré que ni les unes ni les autres de ces classifications ne représentaient le mouvement réel de la science, et cela par la raison très-simple que les historiens n’ont jamais tenu un compte rigoureux ni des relations de la médecine avec les autres sciences, ni de ses éléments constitutifs, ni du degré de subordination de ces éléments. J’ai donc essayé une nou- velle classification des périodes fondée sur la nature même de la médecine et sur les influences réciproques des parties qui la composent, de sorte que la classification des périodes est déjà une esquisse du développement général de la science et un aperçu des conditions qui président à ce développement. C’est done ici le lieu de faire une première application des principes que j'in- voquais tout à l'heure et qui doivent servir de guide à l’histo- rien. Il est bien évident que la médecine n’est pas une science à part et qu'elie fait des emprunts à une foule d’autres sciences plus nettement définies; il est, par exemple, hors de contestation que par l'anatomie, par la physiologie et par la matière de l'hygiène ou de la thérapeutique, la médecine est en grande partie tributaire des connaissances, fournies par les sciences naturelles, chimiques ou physiques; conséquemment les progrès (1) Daremberg, Essai sur la détermination et les caractères des périodes de l'histoire de la médecine. Paris, 1850. — Deux dissertations ont été écrites ex pro- fesso sur le sujet qui m'occupe. Ce sont celles de Caillau : Mémoire sur les époques de la médecine (Bordeaux, 1806, in-8), et de Losy, De medicinae periodis (Pesth, 1839, iu-8), mais par suite d’une vraie fatalité, je n’ai pu me procurer ni l’une ni l’autre. Pour la Dissertation de Caillau, je me suis adressé, en octobre 1865, au sous-bibliothécaire de la ville de Bordeaux, M. Rancoulet, qui a fait avec em- pressement les plus minutieuses recherches et qui a même recommandé ma de- Maude à un médecin de Bordeaux, parent de Caillau, mais le tout sans succès. Je n'ai pas rencontré non plus Jadelot, Oratio de vartis fatis medicinae (Pont-à- Mousson, 1766, in-8°). — Voyez, à la suite de cette leçon, p. 29, l'Appendice, où j'ai repris, revu et augmenté l'Exposition critique des diverses classifications des pé- riodes proposées par les principaux historiens. DAREMPERG. 2 18 INTRODUCTION. de ces sciences et les progrès de la médecine se tiennent par les liens les plus étroits ; les mêmes circonstances et les mêmes con- ditions leur sont propices ou défavorables; — d’un autre côté, l’histoire démontre, et le raisonnement seul le prouverait au besoin, que la pathologie et la thérapeutique sont sous la dépen- dance immédiate de la physiologie. Le dé eloppement hiérarchique des sciences, considérées dans leurs mutuelles relations, dans leur subordination réciproque, est un fait historique ; c’est surtout un fait logique, nécessaire, qui tient à la nature même et aux limites des ressources de l’es- prit humain. Dans ce fait, la volonté n'intervient qu’à ütre très- secondaire ; aussi peut-on dire qu’il n’y a dans les sciences ni découverte ni progrès imprévus : tout s’y tient, tout s'y enchaine comme dans les produits mêmes de la nature; et c’est bien le cas de répéter avec Lucrèce : Huc accedit ut in summa res nulla sit una Unica quæ gignatur, et unica solaque crescat. Dans chaque science, les degrés par lesquels on s'élève suc- cessivement aux plus hautes conceptions, aux plus brillantes découvertes, sont franchis à certaines conditions qu’on ne peut pas toujours calculer d'avance, mais qu'on reconnait par l'étude attentive de l'histoire; presque toujours l'ascension est longue et pénible ; il y a des oscillations effrayantes et des chutes terribles. Il n’y a pas de génie humain qui puisse faire dépasser à une science d'observation ou expérimentale les limites qui lui sont fixées par les instruments qu’elle a à sa disposition; jamais le moment propice n'arrive sans une longue préparation ; mais aussi jamais un homme ne manque quand ce moment est arrivé. Les germes sémés au hasard avortent faute de soleil, de lumière et d’un sol fécondé. A l’origine de la société grecque, vous trouvez un Homère, mais il faut attendre plusieurs siècles pour rencon- trer un Hippocrate! Une seule science, les mathématiques, est indépendante de toutes les autres, puisqu'elle n’a besoin que de l’espace et du PRINCIPES QUI DOIVENT GUIDER L'HISTORIEN. 19 temps, et que l’espace et le temps sont les conditions mêmes de l'existence et de la réalité. Les mathématiques conduisent à la mécanique, à l'astronomie, à la physique; mais là se borne leur action directe. En possession des mathématiques les anciens ont donc pu pousser la mécanique et astronomie aussi loin que le leur permettaient les idées dominantes sur les causes finales, ou téléologie; mais les anciens n'avaient presque aucune idée juste des lois de la nature et de la structure intime des corps : par conséquent ils n'avaient ni chimie, ni météorologie, ni astro- nomie physique, ni anatomie des tissus, ni physiologie. Le sys- tème des quatre éléments, système si naturel, si spontané chez tous les peuples (sec, humide, froid et chaud, c’est-à-dire ar, eau, terre, feu — quels phénomènes plus apparents, quelles sensations plus immédiates et plus vives?), dominant, sous des formes diverses, l’ensemble des sciences médicales dans l’anti- quité et au moyen âge, enchaîna ces sciences jusqu'au moment où la physique, la première émancipée, vint aider la chimie à se dégager des formes mystérieuses ou des espérances chimériques de l’alchimie, et lui prêter ensuite les appuis et les moyens d’action les plus efficaces en régularisant la méthode expérimen- tale, et en perfectionnant les théories de la chaleur, de la lumière et de Pélectricité. A leur tour, la physique et la chimie conduisent à la connais- sance du monde extérieur avec lequel les êtres organisés entrent incessamment en relation, soit qu'ils y empruntent les matériaux nécessaires à l'entretien de la vie, soit qu’ils y rejettent les pro- duits devenus inutiles ou nuisibles. Ainsi l'hygiène, qui suppose déjà, comme on voit, tant d’ac- quisitions préliminaires, s'appuie encore sur l’anatomie et la physiologie, puisqu'elle a précisément pour but l'intégrité des organes et la régularité des fonctions. L’anatomie, du moins la partie de l’anatomie qui s'occupe de la matière et de la compo- sition élémentaire des tissus, ne fait de véritables progrès que par les instruments que lui fournit la physique ou par les pro- cédés d'analyse qu’elle emprunte à la chimie. La physiologie est aussi, dans de certaines limites, tributaire de la physique et de la chimie. Enfin la pathologie et la thérapeutique reposent essen- 20 INTRODUCTION: tieliement sur l'anatomie et sur la physiologie; ét, par ces deux sciences, soit directement, soit indirectement, sur toutes celles dont elles sont elles-mêmes dépendantes. Comment, en effet, apprécier les désordres des fonctions, les altérations des solides ou des liquides, si l’on ne sait d'avance quel est le jeu régulier de ces fonctions, quelle est la constitution normale de ces tissus, de ces fluides dont la réunion forme l'être organisé? Aussi, messieurs, n'oubliez jamais de faire deux parts dans la médecine ancienne, celle des idées générales et celle des faits particuliers. Les idées générales demeurent pour le médecin à l’état spécalatf, puisqu'elles n’ont d’autre soutien que des hypothèses; mais elles servent à l’historien pour le diriger dans la recherche des lois du progrès, et pour lui faire apercevoir l’enchainement des systèmes; au contraire, les faits particuliers si bien décrits qu'on v reconnait le triomphe du réel sur de puissantes mais vaines théories, font partie intégrante de la connaissance positive, et doivent entrer dorénavant en ligne de compte dans une étude sérieuse de la médecine pratique. J’ajoute, et ce n’est pas un paradoxe, que ces vérités de détails, enfants naturels du bon sens ou d’un empirisme intelligent, sont moins vraies pour les anciens que pour nous autres modernes, qui les avons découvertes au milieu d'un assemblage d’étranges erreurs à l'aide de nos propres observations qu'elles viennent à leur tour confirmer, car la médecine ancienne ne s'anime qu’au contact de la médecine moderne. De même les chimistes ont su reconnaître des corps simples ou composés, mais toujours défi- nis, dans les mélanges informes qui remplissaient les creusets des alchimistes. C’est donc par une notion exacte des milieux scientifiques où elle s’est développée qu’on peut arriver à un jugement équitable sur les progrès de la médecine, qu'on peut apercevoir comment une époque en prépare une autre, et comment tout l’édifice présent est soutenu par une base plus de vingt fois séculaire, car, pour me servir d’une phrase de Schiller : « Le moindre évé- nement, le fait le plus insignifiant du temps présent est le ré- sultat nécessaire et naturel des événements qui se sont accomplis dans les siècles passés. » PÉRIODES DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE. 91 Avant Schiller, Montaigne avait dit en son naïf langage : « Les » arts et les sciences ne se jettent pas au moule, ains se forment » et figurent peu à peu en les maniant et polissant à plusieurs » fois, comme les ours façonnent leurs petits en les leschant à » loisir. » Ce premier principe démontré, reste à établir le second. Toutes les recherches modernes, celles de Pichat, de Broussais, aussi bien que celles de M. Claude Bernard, tendent à prouver que la médecine doit être regardée comme un domaine de la science générale de la vie; il n’est plus permis de considérer la maladie comme un être surajouté dans l'organisme, comme une entité, pour me servir d’une expression de l'École. À proprement parler, on ne saurait découvrir de différence radicale entre les actes intimes d’une vie saine et ceux d’une vie malade ; il existe un lien nécessaire entre les phénomènes de la santé et ceux de la maladie ; les productions morbides (anatomie pathologique) et les fonctions morbides (physiologie pathologique), placées sous la dépendance des forces vitales, sont à leur tour gouvernées par des lois positives et régulières. D'où il résulte clairement, d’abord que toute la philosophie de la médecine repose sur une connaissance précise du double cou- rant de lois normales et de lois anormales (si ces deux mots peuvent s’accorder), en vertu desquelles se manifestent la vie physiologique et la vie pathologique ; d'autre part, que toute la philosophie de l’histoire de la médecine consiste à montrer com- ment et dans quelles circonstances ces lois d’une double vie se sont lentement dégagées des théories les plus opposées et sou- vent les plus étranges, et comment les erreurs de la pathologie sont solidaires des erreurs de la physiologie. Du reste, messieurs, ce principe n’est pas si nouveau qu'il semble au premier abord ; j'aurai plus d’une occasion de vous le signaler sous diverses formes dans les écrits hippocratiques, dans Galien et dans vingt autres auteurs ; il se retrouve au fond de presque tous les systèmes de médecine et de presque toutes les méthodes thérapeutiques. Après avoir parcouru cette route un peu longue, mais sûre, Je 22 INTRODUCTION. me crois en droit de répéter ce que J'ai déjà dit depuis longtemps, à savoir qu'il n'existe, à vrai dire, que deux périodes dans lhis- toire de la médecine : la période ancienne ou période grecque (car le gros de la médecine ancienne dérive uniquement des Grecs), et la période moderne, ou période harvéienne (car toute Ja médecine moderne se rattache de loin ou de près à la découverte de la circulation); en d’autres termes, il n'y a que deux grandes périodes dans notre histoire : celle où l’on ne sait pas la physio- logie, et celle où l’on commence à l’apprendre; celle où l’on plie la nature aux conceptions de lesprit, et celle où l’on s’essaye à procéder par une induction savante fondée sur l'observation et sur l’expérimentation. La période ancienne nous donne la médecine clinique, mais bornée à l'étude des symptômes (Hippocrate et son école); —la- natomie, qui, même pratiquée presque exclusivement sur les ani- maux, conduit au diagnostic local, mais sans moyen de vérifica- Uon, et crée la chirurgie opératoire ; — les premiers éléments de la physiologie du système nerveux (École d'Alexandrie et Galien), voilà pour le positif. Voici pour les hypothèses : le besoin d’ex- pliquer à priori les maladies étant toujours plus pressant que celui de chercher par l'observation des bases solides à ces expli- cations, nous a valu un système de pathologie générale imagi- naire qui à ses racines dans la philosophie antésocratique, qui prend corps dans les écoles de la Grande Grèce, de Cos et de Cnide, et qui se constitue définitivement entre les mains de Galien pour rester à peu près invariable jusqu’au xvir siècle, en quelques mains qu'il passe. L’humorisme est la doctrine or- thodoxe, le solidisme des méthodiques ou le pneumatisme ne sont que des hérésies ou des accidents. On ne saurait pas dire, à première vue, que c’est telle ou telle branche des sciences médicales qui à l’époque moderne influe sur ses voisines, ni que la réforme soit partie d’un point plutôt que d’un autre; on reconnaît tout d’abord une cause beaucoup plus générale et qui agit sur la médecine comme sur les autres sciences. Cette cause, c’est le bon génie de la méthode expérimentale, de l'observation personnelle, qui par- tout se substitue au mauvais génie des conceptions 4 priori et PÉRIODES DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE. 23 du principe d'autorité. On a le courage de regarder, et l’on voit; on ose interroger la nature, et elle répond; on ne connaissait que ses caprices, on s’habitue à en étudier les lois. On com- mence par se moquer des Arabes, et bientôt on se rit égale- ment des Grecs. C’est ce bon génie qui préside aux travaux de Vésale, de Harvey, de Pecquet, de Bartholin, de Rudbeck, de Rolfink, de Morgagni, de Malpighi, de Leeuwenhoek, de Ruysch et de tous les créateurs de la clinique moderne. S'il est vrai que les progrés de la pathologie soient sous la dépendance des progrès de la physiologie, il ne s’en suit pas néanmoins que la réforme de la pathologie générale ait marché du même pas que la réforme de la physiologie. Sur le domaine de la patho- logie le mauvais génie conserve longtemps encore son empire : on abandonne les hypothèses des Grecs, pour en imaginer de nouvelles ; les esprits aventureux vont, à la suite de Paracelse, chercher leur point d'appui à la fois dans le mysticisme et dans la chimie : dans le mysticisme, qui est un héritage de la théologie scolastique ; dans la chimie, qui n’est plus tout à fait un arcane, et qui n'est pas encore une science; les médecins plus positifs bâtissent leurs théories sur quelques-unes des découvertes de la physiologie (zatromécaniciens, dynamistes ou solidistes de toutes nuances). Ceux-là au moins sont dans la bonne voie ; ils ont seu- lement le tort d’être trop exclusifs et de ne pas appliquer à la création de leur système la méthode expérimentale, qui a cepen- dant présidé aux découvertes sur lesquelles ils s'appuient. De toutes ces théories celle de l’irritabilité est la plus voisine de la vérité, ou du moins elle contient une partie de la vérité, et l’une des plus essentielles ; elle mêne à lexplication de la vie par les forces inhérentes à la matière organisée, elle détruit l’animisme, fournit des armes contre le vitalisme, deux formes renouvelées du mysticisme de Paracelse ou de van Helmont, et nous conduit à Bichat qui, lui, prépare l'union désormais indissoluble de la pa- thologie et de la physiologie par l’étude des tissus, laquelle, à son tour, nous mêne à la recherche des éléments anatomiques où se consomme cette union. Dés qu'on eut démontré dans ces éléments des propriélés spécifiques, des forces véritablement vitales et décidément irréductibles en des forces inorganiques, 2 INTRODUCTION. il ne resta rien des qualités élémentaires admises par les anciens, par conséquent rien de leur physiologie et rien de leur patho- logie générales. La ruine fut achevée le jour où Broussais, dé- truisant l'hypothèse des entités morbides, c’est-à-dire des ma- ladies sans substance, établissait que ni les maladies ne sont radicalement indépendantes de l’état de santé, ni les actes mor- bides ne sont le contraire des actes physiologiques. Ainsi, au xvi' siècle, la division entre la médecine ancienne et la médecine moderne n’est pas aussi tranchée qu’ilsemble au pre- mier abord. Les deux éléments se pénètrent et s’enlacent. Avant Harvey, il s’élait produit des idées nouvelles, en apparence très- radicales, en réalité peu efficaces, parce qu’elles n’avaient rien de scientifique et qu’elles n’arrivaient pas en leur temps; de même, après la découverte de Ja circulation, combattue avec acharnement pendant un demi-siècle environ, une notable partie de la médecine antique subsista à côté de la médecine nou- velle, compromis salutaire, d’abord pour la médecine ancienne, qui se trouva épurée et ramenée dans les voies hippocratiques, ensuite pour la médecine moderne, qui ne fut pas obligée de re- construire immédiatement la science de toutes pièces. Ces grandes divisions ne suffisant pas à faire régner l’ordre et la clarté dans une exposition aussi longue et aussi compliquée, J'ai admis des subdivisions qui sont déduites de la considération du développement même de la médecine; en d’autres termes, je n'ai jamais perdu de vue Ja mamière dont ce triple problème, los de la vie, nature de la maladie, puissance des médicaments, a été posé et résolu dans la suite des siècles. C’est là le fon- dement sur lequel repose tout l'édifice de la science ; c’est de la diversité que reçoit la solution de ce triple problème qu’elle tire ses modifications les plus radicales, et par conséquent les plus essentielles (1). (1) Toutes les parties des sciences médicales se tiennent si étroitement, leurs progrès dépendent si bien des mêmes circonstances et de l'application des mêmes méthodes, que les divisions en périodes qui se rapportent plus spécialement à la physiologie et à la pathologie générale, conviennent également, à quelques années près, à l'anatomie, à la médecine clinique et à la chirurgie. PÉRIODES DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE. 25 PREMIÈRE ÉPOQUE. — Médecine théurgique ou empirique; on ne peut que lasupposer, du moins chez les Grecs, nos véritables ancêtres pour les sciences, car, chez- ce peuple, l'histoire ne nous montre à aucun moment la prépondérance absolue et l’exis- tence propre de la médecine des prêtres, des charlatans, des bonnes femmes et des sorciers. Pour avoir une idée de la prédo- minance de cette primitive médecine, il faut interroger des mo- numents littéraires beaucoup plus anciens que ceux des Grecs, les premiers hymnes des Indous dans le #4 Véda. DEUXIÈME ÉPOQUE. — Les plus anciens textes nous montrent la médecine déjà parvenue à la période réfléchie; une pratique rationnelle se fait jour même dans Homère. Cet âge héroïque de la médecine se prolonge durant plusieurs siècles en attendant que les écoles de philosophie viennent fournir aux médecins les premières notions systématiques de biologie. TROISIÈME ÉPOQUE. — Il n’est pas facile d'établir la troisième époque chronologiquement, parce qu’elle a ses racines éparpil- lées à des profondeurs inégales dans le vi° siècle avant Jésus- Christ. Toutefois cette troisième époque est caractérisée plus spécialement par le développement de la philosophie naturelle et par la création des écoles médicales (Crotone, Cyrène, Cnide et Cos); elle arrive à son point culminant avec les hippocratistes qui, d’une part, définissent et imposent les dogmes de la physio- logie et de la pathologie, et, de l’autre, multiplient les observa- tions positives. Cette époque se continue assez obscurément jus- qu'au moment où le foyer scientifique, se déplaçant, passe de Grèce à Alexandrie, où il jette les plus vives clartés, non par l'influence de l'Égypte, comme on l’a prétendu, mais en vertu de sa propre force de rayonnement. 4 C’est alors que commence la QUATRIÈME ÉPOQUE; elle se ré- sume en un travail intérieur qui pousse les recherches pour ainsi dire du dedans au dehors ; tous les problèmes sont agités ; les deux grandes écoles se dessinent : rationalisme où dogma- tisme, et empirisme; le rationalisme se manifeste par des théo- ries et des sectes qui s’entrechoquent; l’idée du général, posée par Hippocrate, arrive avec les élèves de Cos (Hérophile) et se trouve en lutte avec l’idée du particulier, importée par les 26 INTRODUCTION. élèves de Cnide (Érasistrate). En un mot, celte période est ca- ractérisée par la diversité des conceptions, par le développement de tous les principes admis antécédemment, et surtout par l’é- tude des détails de l’anatomie, de la physiologie et de la patho- logie. Les travaux d'Hérophile et d’Érasistrate sont le point de dé- part du mouvement médical qui se poursuit jusqu’au moment où Galien, réunissant tous les éléments dispersés et donnant de nouveaux accroissements à l'anatomie, à la physiologie et au diagnostic local, élève un vaste et imposant édifice qui n’est plus entamé que par Paracelse, par Vésale et surtout par Harvey. — Ainsi la GINQUIÈME ÉPOQUE est caractérisée par un seul nom : Galien, et par une seule idée : synthèse. La SIXIÈME ÉPOQUE est une époque de conservation plus ou moins active (car il semble parfois que les efforts du moyen âge empêchent la médecine de mourir plutôt qu’ils ne la font vivre), de dissémination, et, par conséquent, de préparation à l’âge nouveau. Entre Galien, dont la puissante voix a fait taire toutes les autres durant tant de siècles, et les premiers réformateurs, la route est longue, inégale, mal éclairée ; elle est marquée ce- pendant par divers événements scientifiques (par exemple, de réels progrès dans la chirurgie; des efforts soutenus, mais mal dirigés, pour s'affranchir en Italie de la tutelle des Grecs ; les grandes etintelligentes compilations d’Oribase ; dans le Bas-Empire celles d’Aétius; les traductions des auteurs grecs chez les peuples néolatins ; l’École de Salerne; les Arabes ; les Universités) qui ne changent rien au caractère général de la médecine, mais qui fournissent quelques sous-divisions naturelles que je me réserve de vous faire connaître quand nous arriverons à cette sixième époque. La SEPTIÈME ÉPOQUE commence dès le troisième tiers du xv° siècle, avec les anatomistes, les érudits et Paracelse ; elle se continue durant tout le xvi° siècle jusqu'à Harvey. C’est une pé- riode de destruction, de préparation et d'initiation; on com- bat les Arabes par les Grecs, puis les Grecs par l'observation personnelle ; de tous côtés et dans toutes les directions l'esprit humain jette par le libre examen les bases de la rénovation des PÉRIODES DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE, 27 sciences; enfin on s’essaye aux expériences aprés avoir Com- mencé la critique des textes. À dater de la mémorable année 1628 (1), la médecine, déjà préparée et fortifiée par de nombreuses acquisitions positives, entre décidément, quoique lentement, dans des voies nouvelles (HUITIÈME et dernière ÉPOQUE) ; la réforme, souvent traversée et parfois compromise par la routine ou les extravagances, ne de- vient définitive que le jour où Bichat, en publiant l’Anatomie générale et le Traité des membranes, rendait possible la patho- logie des tissus. Cette huitième époque n’est pas sans analogie avec la quatrième, car ce sont les deux époques décisives, les deux époques où la science, après avoir essayé toutes ses forces, usé tous les systèmes, aboutit, dans la plénitude de sa puis- sance, à une constitution définie, sinon définitive. J'userai beaucoup du temps présent pour juger la médecine ancienne, mais je ne me permettrai pas de porter sur ce temps un jugement qui serait prématuré; je m’arrêterai à Bichat. Récapitulons brièvement, et jugez vous-mêmes, Messieurs, combien est à la fois glorieuse et régulière la marche de la mé- decine, où chaque peuple, comme dans l’histoire générale de la civilisation, vient tour à tour marquer sa place et prendre sa part d'influence. Homère et les philosophes fravent la route à Hippocrate. Hippocrate prépare les voies à Hérophile et à Éra- sistrate. Les écrits d'Hippocrate et les travaux de l’école médicale d'Alexandrie sont résumés par Celse en un livre admirable. Galien arrive à point nommé pour asseoir définitivement la mé- decine antique sur des bases si solides, que la chute de l'empire romain ne réussit pas à l’ébranler. Après Galien, d’estimables au- teurs continuent la tradition en Occident et en Orient: en Orient, presque tous les ouvrages grecs sont traduits en syriaque, pour passer ensuite du syriaque en arabe; dans l’empire de Byzance, on abrége sous toutes les formes Galien et quelques autres écri- vains; dans notre Occident, de nombreuses traductions latines perpétuent le mouvement et lui donnent un caractère tout spé- (4) Date de la première édition du livre de Harvey Sur les mouvements du cœur et du sang. 98 INTRODUCTION, cial qui avait échappé aux historiens. Puis les Arabes viennent en aide aux Lalins. Enfin, quand s’ouvre le xvi° siècle, Paracelse, un peu plus tard Carpi, Vésale, Ambroise Paré ; plus tard encore Serve!, Harvey, Morgagni, Verheven, sont les précurseurs de Haller, de Lavoisier, de Corvisart, de Bichat, de Laennec, de Broussais, de Bouillaud, de Hunter, de Dupuytren, de Magendie, de Claude Bernard, et de tous ces médecins distingués qui tra- vaillent aujourd’hui avec une généreuse émulation à élever la médecine au plus haut degré de puissance et de certitude qu’une telle science puisse atteindre. APPENDICÉ (1) ÉTUDE SUR LES DIVERSES CLASSIFICATIONS DES PÉRIODES DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE. SommaIRE: À combien de groupes on peut ramener les diverses classifications ad- mises par les auteurs pour les périodes de l’histoire de la médecine. — Examen critique, suivant l'ordre chronologique, de toutes les classifications proposées par les historiens, — Incidemment, on porte un jugement sur ces historiens (2). Les principes d’après lesquels les historiens ont établi les périodes de l’histoire de la médecine sont nombreux et n'ont pas une égale valeur. Je ne parlerai ici que des auteurs principaux, de ceux surtout que j'ai étudiés par moi-même, autrement il me faudrait faire l’histoire de l’histoire de la médecine; c’est un sujet que je ne veux pas traiter en ce moment. Je ramène à huit catégories les diverses espèces de classifica- tions de mes devanciers. 1° Biographiques. — Ce sont les premières en date, et celles qui se présentent le plus naturellement à l'esprit, puisque les progrès des sciences semblent toujours se rattacher plus ou moins directement à quelque grand nom; ce sont néanmoins les plus mauvaises, puisqu'elles n’établissent aucun lien dans la succession des faits. DENYS D'ÉPHÈSE, HERMIPPE, ANDRÉAS, PHILON, SORANUS, dans l’antiquité; chez les Arabes, IBN-Agi-OsErBA; chez les modernes, BERNIER, FREIND et PorTaz (ce dernier pour l’histoire de l’anatomie), se rangent dans cette catégorie (3). {1) Voyez page 17. (2) Jusqu'à présent je n’ai pu me procurer les ouvrages de : Roatzsch, Compen- diüse Geschichte der Medicin, 1839; Müller, Versuch einer Geschichte der Heil- kunde, 1805 ; Vendt, Chronographie der Geschichte der Medicin, 1812. (3) Je ne parle que des ouvrages où la biographie sert de cadre à une histoire chronologique, et non pas des dictionnaires ou des répertoires biographiques. 30 INTRODUCTION. 2 Ethnograpliques. — Kles consistent moins à établir des périodes qui embrassent la science dans son ensemble qu’à suivre sa marche chez chacun des peuples où elle se présente avec un caractère plus ou moins tranché. CLIFTON et HEUSINGER sont à peu près les seuls qui soient entrés dans cette voie. 3° Pragmatiques où annalistiques. — Elles sont fondées sur la succession des faits les plus importants, ou des plus grands noms, sans se soucier assez de leurs rapports avec le dévelop- pement même de la médecine (LE CLERC, SCHULZE, ACKERMANN, SCUDERI, LESSING, KUEHNHOLTZ, KRUEGER, RAIGE, HIRSCHEL, Morwirz, WUNDERLICH, CHINCHILLA). h° Chronologiques. — On a pris pour base la chronologie politique (SPRENGEL, Bosrocxk, ISENSEE). 5° Philosophiques où mieux encore organiques (école alle- mande). — Elles sont établies d’après ce principe, généralement admis maintenant, que l’histoire d’une science est celle de son développement réel dans l’espace et dans le temps, lequel s’ac- ‘complit en vertu de lois plus ou moins connues. Les unes sont fondées sur les changements que subit la médecine dans la suite des siècles; c’est ce que j'appelle les classifications organiques réelles ou rationnelles, soit qu’on y prenne en considération (ce qui est malheureusement le cas le plus ordinaire) des événe- ments ou des faits purement extérieurs, soit qu'on tienne surtout compte des modifications essentielles de la science (HECKER, Hagser, PucciNoTTi). — Les autres tiennent plus particulière- ment compte de la succession des théories et des systèmes (BarcHUSEN, Broussais). — Les autres enfin sont établies d’après des vues 4 priori, et sans se préoccuper sérieusement ni des textes ni des faits. Je leur donne le nom d’organico-mystiques ou extra- scientifiques (KIESER, WINDISCHMANN, LEUPOLDT, DAMEROW, QUITZMANN, SCHULTZ, WEBER, FRIEDLAENDER, AUBER). 6° Je fais une catégorie à part pour les classifications qui prennent leur point de départ, non dans la médecine elle-même, CRITIQUE DES DIVISIONS DE L’HISTOIRE. 31 mais dans l’histoire des sciences qu’on regarde comme ayant eu un développement à peu prés parallèle, surtout dans l’histoire de la philosophie (SAUCEROTTE). 7° Mixtes. — Elles sont à la fois pragmatiques, organiques, chronologiques, ethnographiques (HALLER, CHOULANT, RENOUARD, WIsE). 8° Enfin il est des classifications si arbitraires, ou si vagues ou si incomplètes qu’il est à peu près impossible de les ranger sous une formule générale. Telles sont, par exemple, celles de Goecicke, de TourTELLE, de CABANIS, d'HAMILTON, de VAN DER Hogven, de MERYON. Maintenant, passons en revue, aussi brièvement que possible, et suivant l’ordre chronologique, les classifications adoptées par les auteurs dont j'ai rappelé les noms. Les historiens de la médecine ne furent primitivement que des biographes : tels sont, par exemple, chez les Grecs (1), Denys d'Éphése (2), qui dressa une Liste des médecins ; — Hermippe, qui écrivit, vers la fin du u1° siècle avant Jésus-Christ, un ouvrage au moins en cinq livres Suwr les médecins célèbres (3); — Andréas de Caryste (vers l'an 220 avant J. C.), dont l’auteur anonyme de la Vie d’Hippocrate cite une Généalogie médicale; — Philon (4) Ménon, disciple d'Aristote, passe généralement pour avoir écrit des Vies de médecins; mais il n'avait fait que recueillir leurs opinions dans une Co/lection médicale qui, sans doute, n'était pas sans analogie avec les récentes compilations d'Oribase, d’Aétius, ete. Cette Collection médicale, appelée aussi Livres ménoniens, existait encore du temps de Galien, lequel déclare qu'elle est bien l’œuvre de Ménon et non pas celle d'Aristote, comme quelques-uns le prétendaient. — Cf. Gal., Comm. I in lib. Hipp. De nat. hom., $ 2, t. XV, p. 25-6; Plutarque, Sym- posiac., VI, 9, 3, 20, qui fait allusion à un passage des Livres ménoniens relatif à certaines idées superstitieuses touchant les maladies du foie. (2) Scholia in Theocritum, X1, Arg., p. 74, 1, 33, éd. Dübner. Paris, 1849, coll, Didot. — On ignore l'âge exact de cet auteur, qui, du reste, passe pour assez ancien. (3) Voy. Scholia in Orib.; dans Collect. medie., XLIV, 17, t. UT, p. 687, 1. 2, et Etym, magn. voce Are. 32 INTRODUCTION. Herennius ou de Byblos (du milieu du 1° siècle au commence» ment du 11° avant J. C.), auquel Étienne de Byzance (voce Küproc) attribue un ouvrage analogue à celui d'Hermippe; — Soranus d'Éphèse (commencement du 1° siècle?), auteur d’un recueil Sur la vie, la secte et la succession des médecins, en dix livres, qui devait rentrer un peu dans la classe des Histoires (1); en- fin, au x1° siècle après Jésus-Christ, chez les Arabes, Ibn-Abi- Oseibia. Comme il ne reste que de très-vagues et très-brèves mentions des biographies grecques, il est impossible d’en déter- miner la valeur. Dans Ibn-Abi-Oseibia, qui s’est occupé des médecins grecs, indiens et arabes, l'imagination orientale rem- place absolument la critique historique; les vies remplies d’a- necdotes vraies ou fausses se suivent sans aucun lien et sont parsemées d'erreurs chronologiques monstrueuses; mais la bi- bliographie est en général très-exacte, et par conséquent très- précieuse. Je ne mentionne ici que pour mémoire BERNIER (2), qui pen- sait avoir écrit une histoire de la médecine en ajoutant bout à bout une série de médecins, sans choix, sans critique, et sans opérer aucune espèce de division systématique. Supposez l’ordre alphabétique, et vous aurez un mauvais dictionnaire. Les deux premiers ouvrages qui se présentent à nous avec un caractère vraiment historique, où les faits de la science prennent au moins autant de place que les faits biographiques, sont ceux de DANIEL Le CLERC et de SCHULZE, qui ont écrit à peu près en même temps sur notre histoire, et qui malheureusement ne l'ont pas poussée très-loin, car l’un arrive à peine à Galien, et l'autre ne va pas au delà de ce médecin. DANIEL LE CLERC (1696) (3) se vante avec juste raison d’avoir traité véritablement l’histoire de la médecine. Toutefois 1l dé- (1) Cf. Suidas, voce Sowsavcs, la scholie citée dans la note précédente, et la Vie d'Hippocrate. (2) Bernier, Essais de médecine, etc. Paris, 1689-1691, in-4, et réimprimés plusieurs fois avec des changements. . (3) Le Clerc, Histoire de la médecine, etc.; 1'® éd. Genève, 1696, in-8; der- nière, Amsterdam, 1723, in-4; et nouveau titre, 1729. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 39 clare « qu'il ne dit pas cela pour se faire valoir, mais pour qu’on « lui accorde quelque indulgence ». Il ajoute avec une grande simplicité : « Je reconnais qu’il fallait pour l’entreprendre plus de « savoir que je n'en ai, mais les honnêtes gens me sauront gré « de mes efforts. » J’adresse à mes lecteurs la même prière et les mêmes ex- cuses. Daniel Le Clerc expose et raconte; il marque l’origine et l'en- chaînement des sectes; 1l juge rarement, mais il reproduit fidè- lement l’impression que ses nombreuses lectures ont laissée en son esprit; on s'aperçoit bien vite qu'il écrit ordinairement d’après les sources ; souvent même il ne fait que traduire; son point de vue est donc réellement praymatique; sa narration a un grand charme de modestie, de candeur et de bonne foi : sous ce rapport, son ouvrage ressemble par beaucoup de points aux écrits historiques de la fin du xvir ou du commencement du xvur siècle. En lisant Le Clerc, on se rappelle Rollin et le père Daniel. Ses divisions ressortent du point de vue objectif auquel il s’est placé; ainsi elles sont purement chronologiques et ne repré- sentent en aucune façon, pour lui, la marche générale de la science. Son ouvrage est divisé en trois grandes sections. La première contient la médecine d'Hippocrate. Le Clerc compte pour très-peu de chose ce qui a précédé le médecin de Cos (1), et il lui rattache naturellement tout ce qui l’a suivi immédiatement, ce qui ne l'empêche pas de consacrer à l’histoire de la méde- cine, durant les trente-cinq premiers siècles du monde, cent onze pages surchargées de textes qui n’ont aucune autorité. La seconde partie commence à Chrysippe; car, chose étrange, Praxagore est rangé dans la première période. Cette seconde partie est, pour l’auteur, caractérisée principalement par les progrès de l'anatomie et par les sectes, ce qui est une vue assez (4) « La première partie contient principalement la médecine d'Hippocrate ; c’est du moins ce qu'il y a de plus important; le reste, qui regarde l’état de la médecine avant et après lui, n'étant pas à peu près si considérable, quoique tout cela fasse à l'histoire. » (Préface.) DAREMBERG. 3 3h INTRODUCTION. juste. Enfin, /a troisième est consacrée à Galien. Une telle classi- fication des périodes ne va pas au fond des choses, est insuffi- sante, repose trop souvent sur des considérations de second ordre, et confond ce qui doit être séparé, tandis qu’elle distingue ce qui doit être réuni. Dans l’Appendice qu'il a ajouté à la partie achevée de son histoire, Le Clerc, qui avait trop de soucis de famille pour conser- ver sa liberté de travail, se contente d’esquisser le plan de deux périodes seulement, l'une qui s'étend de Galien à Paracelse, l'autre qui comprend Paracelse et ceux de sa secte. Il est étonnant de voir Le Clerc, dont l’esprit était du reste trés-positif, devancer les Allemands dans cette manière de consi- dérer Paracelse comme le chef de la réforme médicale. Entre Le Clerc et Schulze se placent quelques historiens de très-peu de valeur, et sur lesquels je n'ai que quelques mots à dire. BARCHUSEN, 1710 (1), fait moins une histoire de la médecine proprement dite qu'une histoire des sectes. Aussi toutes ses di- visions se rapportent-elles à l’origine et à la fortune des sectes principales. Je n’en parle donc que pour mémoire. Les divisions de GOELICKE (2) sont tout à fait factices et arbi- traires. Il a une période antédiluvienne ; une égyptienne ; une troisième, subdivisée en deux époques, qui s'étend d’Esculape à Hippocrate; une quatrième où Hippocrate figure seul comme une unité; enfin une période post-hippocratique jusqu’à l’école d'Alexandrie. Heureusement l’auteur s’est arrêté là! Le tableau, du reste, répond au cadre. Freinp, 1725 (3), n’a admis aucune division systématique. Il (1) Barchusen, Historia medicinae, etc. Amst., 1710, in-8, Autre édition en- tièrement refaite sous le titre : De medicinae origine et progressu, ete. Trajecti ad Rhe- num, 4725, in-4. (2) Goelicke, Hist. med. universalis. Francof. ad Viadr., 1724, in-8, 2 vol. (3) Freind, {he History of Physic, from the time of Galen to the beginning of the XVI century Londres, 1725. Travail estimable, traduit plusieurs fois en latin et en français. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L’HISTOIRE. 35 continue Le Clerc depuis Oribase jusqu'aux environs du xv: siècle, en mettant des noms les uns à la suite des autres. J. H. Scnuzze, 1738 (1), partage la partie de l’histoire de la médecine qu’il a écrite en deux périodes : la première com- mence avant le déluge et s’étend jusqu’à la mort d'Hippocrate inclusivement ; là il donne un libre cours à son érudition sur les premiers inventeurs de la médecine et sur les dieux médicaux. — Dans la seconde, il étudie la médecine depuis Hippocrate jusqu’à son introduction à Rome (149 ans avant J. C.) : fait notable sans doute, mais qui ne constitue pas un caractère essentiel : du reste, plusieurs historiens, entre autres Cabanis et Isensee, ont pris ce fait comme point de départ d’une période. Dans son Compendium, 1741 (2), Schulze admet deux périodes : la première, qui comprend la médecine mythologique ; la seconde, la médecine depuis Hippocrate inclusivement jusqu’à Galien exclusivement. (S'arrête vers l'an 138 de J. C.) CLIFTON, 1732 (3), a une division tout e/hnographique et par conséquent absolument fausse (voyez HEUSINGER) : 1] étudie suc- cessivement la médecine des Grecs, des Romains, des Arabes, entin celle des modernes. HALLER, 1776 (4), divise l’histoire de la médecine de la ma- nière suivante : grecs, arabes, arabistes (qu'il fait commencer beaucoup trop tôt) ; réformateurs ou érudits; médecine chi- mique, — hippocratique ; le reste par siècles : XvH° et XVII, en marquant la naissance et les principes des diverses écoles. — Pour la chirurgie (5) il distingue les grecs, les arabes, les ara- bistes; l'école italique, la francaise; la chirurgie perfectionnée, et celle des temps les plus modernes. — Enfin, pour l'anatomie (6), les divisions sont à peu près les mêmes. Du reste, quelle que soit (1) Schulze, Historia medicinae, ete. Lipsiae, 1728, in-4, (2) Schulze, Compendium hist. medicinae. Halae, 14742, in-8. (3) Clifton, The State of Physic ancient and modern. London, 1732, in-8. (4) Haller; Pibliotheca medicinae practicae. Basil,, 1776-1788, 4 vol. in-4. (5) Haller, Biblioth. chirurgica, 1774-1775, 2 vol. in-4, (6) Haller, Biblioth. anatomica. Tiguri, 1774-1776, 2 vol, in-4, 36 INTRODUCTION la branche des sciences médicales qu’on veuille envisager à ce point de vue, elle rentre dans les mêmes cadres : tout prospère ou tout languit, ou tout souffre ou tout revil à la fois. Je ne n'occuperai point du mauvais précis de BLack (1), que Coray a eu la malheureuse idée de traduire en français. A. Fr. Hecker, 1790 (2), a une division des plus étranges en neuf périodes : Origines-Hippocrate ; Hippocrate-Galien ; Galien- Constantin; Constantin-Apparition de la syphilis; Syphilis- Paracelse; Paracelse-Sylvius de le Boœ; S. de le Boæ-trium- virat ; Triumoirat-Haller ; Ha!ler-1790. KurT SPRENGEL, 1792 (3), doit nous arrêter quelque temps, plus encore à cause de sa grande réputation que pour le mé- rite réel de son œuvre. I n’y a pas d’Æistoire où l’auteur fasse plus étalage d’érudition, et pas non plus où cette érudition soit plus dépourvue de critique et d’exactitude. La classification du professeur de Halle est une des plus étroites, des plus irrégu- lières, et, par suite, des plus infécondes. L'auteur, néanmoins, dit qu'il a eu beaucoup à s’en louer dans le cours de son ou- vrage, mais Je ne sais en quoi elle a pu éclairer sa marche et lui faire saisir le vrai caractère des différentes phases par lesquelles a passé la science. De plus, Sprengel à eu le grand tort, à mes yeux, de subordonner ses périodes à certaines divisions de l’his- toire politique. Il ne me semble pas du tout logique de chercher les bases d’une classification en dehors du sujet dont on s'occupe. C'est certainement amoindrir ce sujet, et le regarder, pour ainsi dire, comme stérile par lui-même. Aussi je condamne absolu- ment les divisions fondées, soit sur l'histoire politique, soit sur l'histoire de la philosophie. Les événements de lhistoire poli- tique ou de l’histoire de la philosophie ne peuvent être pour nous qu'un terme de comparaison, très-instructif sans doute, (1) Black, An historical Sketch of Medicine and Surgery, etc. London, 1782, in-8 ; Paris, 4797 et 1835, in-8. Voy. Ch. de la Rochette, Mél., t. IT, p. 417-140. (2) Hecker, Medicinae omnis aevi fata. Erford, 1790, in-4. (3) Sprengel, Versuch einer pragmat, Geschichte der Arzneikunde. 7€ éd., Halle, 1792-1799, in-8; 3°, Halle, 1821-1828, la meilleure; 4°, Leipzig, 1846, tome [*°, publié par M. Rosenbaum. Trad. française par Jourdan, 4815-1820. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 31 mais toujours secondaire. Du reste, les divisions politiques de Sprengel ne sont pas plus puisées dans la philosophie de l’histoire générale que ses périodes médicales ne le sont dans la philoso- phie de l'histoire de la médecine. Ce sont de simples concor- dances fort grossières et qui n’apprennent rien. L’esquisse sui- vante fera reconnaitre la justesse de ma critique. [. Guerre des Argonautes : Premières traces de la médecine grecque. —U. Guerre du Péloponèse : Médecine hippocratique. — IN. Établissement du Christianisme : Ecole méthodique. — IV. Émigration des Barbares : Décadence de la science. — V. Croisades : La médecine arabe est au plus haut point de sa floraison. — NI. Réformation : Restauration de la médecine grecque et de Panatomie. —NII. Guerre de trente ans : Harvey, réforme de Van Helmont. — VII. Frédéric I: Haller. Les coupes opérées dans ces grandes sections ne sont guère plus heureuses. Dès Hippocrate, la confusion commence, et il est bien difficile de retrouver un fil conducteur. Le moindre défaut de ces subdivisions, c’est que Galien n’y figure même pas nominativement, et qu’il est englobé sous cette rubrique : De la médecine méthodique jusqu’à la chute de la science. La première période, depuisles origines de la médecine jusqu’à Hippocrate, embrasse deux phases de la médecine d’un caractère trop différent pour qu’on les comprenne sous un même chef. — L'apparition de la médecine méthodique est un fait considérable, il est vrai, mais c’est un fait accidentel qui n’empêche pas le déve- loppement de la médecine dogmatique, qui n’en est pas une pro- duction légitime, et qui n’y introduit presque aucun élément nouveau; ce n’est qu'une vue systématique de plus à enregis- trer : ajoutez que le méthodisme coexiste avec d’autres sectes qui ne sont pas non plus sans puissance. Le méthodisme est donc un événement qui peut servir à caractériser une des subdivisions d'une époque, mais qui ne la domine pas tout entière. On fausse le point de vue historique en présentant le méthodisme comme le fait Sprengel, et en faisant disparaître, pour ainsi dire, et le dog- matisme et son puissant soutien, le médecin de Pergame. D'un autre côté, Sprengel n’a connu ni le véritable intérêt qui s’atta- che au méthodisme, ni la fortune de cette secte. Et puis, quel 38 INTRODUCTION. rapport, je le demande, centre l’origine du méthodisme et celle du christianisme? À peine une concordance chronologique ! Je regarde comme une règle générale importante d’éviter autant que possible de prendre l’apparition des doctrines ou des sectes pour servir de point de départ à l’établissement des pé- riodes historiques. D'abord, des doctrines ou des sectes aussi importantes les unes que les autres apparaissent simultanément à certaines époques ; il n’en est point qui dominent tellement les autres qu’elles les effacent, et la /radition orthodoxe continue son cours. En second lieu, les doctrines ne sont, en quelque sorte, que des instruments qui facilitent ou achèvent le développe- ment de la science, mais elles ne sont pas ce développement lui-même ; elles n’en constituent que des phases transitoires. II n’y a point de doctrines qui changent complétement la face de la médecine, si elles-mêmes ne reposent pas sur des faits ou des dé- couvertes qu’on doit considérer alors comme principes de la divi- sion en périodes. Ge n’est point que je méconnaisse l’importance des doctrines qui constituent l’une des parties les plus élevées de l’histoire de la médecine envisagée dans sa généralité ; maïs il me semble qu’elles doivent surtout être acceptées comme base de divisions secondaires, et que même dans ce cas il faut tenir erand compte des circonstances où elles se sont produites. La décadence de la science est un mot banal et vide de sens qui a fourni à Sprengel un thème de déclamations ridicules ; il a perdu de vue la trace de la médecine pendant la première partie du moyen âge, et il s'est écrié : il n°y a plus de médecine ! C’est un procédé fort commode pour s’épargner la peine de dé- brouiller le chaos. La découverte de Harvey prise comme point de départ d’une grande période est, assurément, une excellente idée ; mais dans le système de Sprengel, cette idée, à peine refléchie, n’a pas la valeur capitale qu'on doit lui accorder. Le nouvel éditeur de Sprengel, M. Rosenbaum, qui s’est livré à la tâche ingrate et indigne de son talent, de reconstruire un édifice qui croule de toutes parts, n’a dû ni pu essayer de refaire la classification si défectueuse du professeur de Halle ; il ne nous a donc pas fourni le moyen d'apprécier ses vues personnelles CRITIQUE DES DIVISIONS DE L’HISTOIRE. 39 sous ce rapport. D'ailleurs, M. Rosembaum, dans ses travaux originaux, paraît s'être placé sur un terrain tout autre; con- vaincu que l'histoire de la science est encore dans l’enfance, que l’histoire de la pathologie est particulièrement arriérée, malgré les efforts de Hecker, de Haeser et de quelques autres, et que la première condition pour avoir une histoire vraiment rationnelle et organique de la médecine, est de la refaire en détail avant de la présenter dans son ensemble, il a proclamé la nécessité de mo- nographies sur toutes les parties de l'histoire de la médecine, quelque insignifiantes qu'elles paraissent. Lui-même a donné l'exemple et a produit de savants modèles. Je regrette vivement que des circonstances graves aient enchaîné cette plume si éru- dite et si féconde, et je souhaite que quelques paroles d’encoura- sement lui arrivent dans la retraite où paraît l’avoir plongé l'injustice de ses concitoyens. ACKERMANN, 1792 (1), dans un abrégé justement estimé, di- vise toute l’histoire de la médecine jusqu’à Paracelse (où se ter- mine malheureusement son livre) en trois grandes périodes : I. Medicina antiquissima. — Periodus incerta. — Certior. Il. Medicina antiqua. — Periodus 1. Hippocrates. — 2. Schola Hippocrateorum. — 3. Empirici. — h. Methodicr. HI. Medicina recentior. — Periodus 1. Galenus. — 2, Post Galenum usque ad Saracenos. — 3. Saraceni. — h. Studium Salernitanum. — 5. Arabistæ, — 6. Medicina Galeni et Hip- pocralis restaurata. Ackermann, suivi en cela par presque tous les historiens de la médecine ses compatriotes, regarde Paracelse comme la limite entre l’âge ancien et l’âge moderne, comme le point de départ de la réforme médicale. Jai déjà indiqué et je montrerai plus loin ce qu'a de vicieux cette mamière de voir qui tient essentiellement au caractère de la philosophie spéculative allemande. Cette clas- sification, purement empirique, matérielle et chronologique, ne ent aucun compte des vicissitudes réelles par lesquelles la science à passé. (1) Ackermann, Institutiones hstoriae medicinae. Norimbergae, 1792, in-8. 40 INTRODUCTION. Reprenons quelques points en particulier. La division en hippocratiques,empiriques et méthodiques est tout à fait fausse dans une classification chronologique, attendu que les trois sectes et particulièrement les deux premières ont eu longtemps une existence simultanée; en second lieu, l'expression kippocratiques est mal choisie : elle ne doit guère s'appliquer, à moins de con- fusion, qu'aux successeurs immédiats d’'Hippocrate; dès lors il vaudrait mieux se servir du mot dogmatiques. D'un autre côté, à partir de Praxagore et de Chrysippe, la médecine revêt un caractère nouveau qui domine toute la période jusqu’à Galien, et qui confond dogmatiques, empiriques, méthodiques et autres. Les subdivisions de la medicina recentior sont mal dessinées, purement accidentelles et laissent dans l'ombre beaucoup de points sur lesquels 1] fallait insister, et que je tâcherai de mettre en lumière. L'ouvrage de Scupéri, 1794 (1), très-peu lu en Italie, ne l’est guére plus en France malgré la traduction française de Pillardet; cependant cet écrit mérite moins de dédain. Scudéri a émis des vues fort raisonnables sur la philosophie de l’histoire médicale ; mais 1] ne savait de cette histoire que les parties les plus sail- Jantes, j'allais presque dire qu’il n’en connaissait que l'écorce. Sa division en périodes s’en ressent beaucoup; elles ne sont ni nettement définies ni franchement caractérisées : L. Médecine mythologique. — W. Médecine empirique depuis la querre de Troie jusqu'à celle du Péloponèse. — WI. Doygma- tisme ou Hippocrate. — WN. Méthodisme. — N. De Galien à 1600, — VI. De la médecine chimique (Nan Helmont).— VII. Médecine mécanique (Bellini, Stahl).— VIT. Médecine physique (Boerhaave, Bordeu). — IX. Médecine physiologique (Gullen, Brown). On ne sait rien de positif sur la période primitive; l’histoire réelle de la médecine ne commence qu'avec Homère, et c’est seulement après Homère que nous avons des renseignements certains sur la mythologie médicale, qui arrive au temps d'Hip- (1) Scuderi, Infroduzione alla storia della medicina antica + moderna. Napoli, 1794, in-8 ; 2° édit,, Padova, 1824, in-8 ; — Paris, 1810, in-8. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. hA pocrate à son point culminant. La deuxième période est mal déterminée et mal dénommée : la pratique médicale y était sans doute en partie livrée à l’empirisme; mais à côté de cet empi- risme, on ne peut méconnaitre le rôle scientifique que jouent les écoles de philosophie, au moins pour la physiologie, et les écoles de médecine. — La quatrième époque (méthodisme) n'est pas mieux établie chez Seudéri que chez Sprengel; l’un et l’autre auteur ont morcelé, démembré la période entre Hippocrate et Galien, période qui présente cependant un caractère d'ensemble nettement dessiné, et qui dans les ouvrages de ces deux histo- riens n'a plus de physionomie. La cinquième période est tout à fait mal comprise. Scudéri paraît n'avoir ni lu Galien, ni connu les auteurs qui l'ont suivi. — En prenant Van Helmont comme point de départ d’une grande division, au lieu de Paracelse, Scudéri se sépare de l’école alle- mande; mais ce n’est pas un progrès, car Van Helmont n’a pas même exercé une influence aussi grande que Paracelse. — La détermination des autres périodes, dont l’ensemble présente un caractère jusqu à un certain point comparable à celui qu'offre l’espace de temps compris entre Hippocrate et Galien, et que j'ai défint ailleurs, repose plutôt sur des accidents que sur l’idée même des transformations et du développement de la science. Ce sont les facettes d’une période, ou si l'on veut des manifestations souvent simultanées, mais en sens contraire et en esprit d'op- position et de secte. Je passe quelques historiens d’un ordre tout à fait inférieur, par exemple MEza (1), Korrum (2), et je serai bref sur Tourtelle, sur Cabanis et sur quelques autres qui n’ont pas travaillé d’après les sources, pour arriver à HECKER. Il ya quatre âges pour TourTELLE, 14804 (3) : Le premier âge (4) Meza, Tentamen historiae medicinae. Mafniae, 1795, in-8. (2) Kortum, Skizze einer Zeit und Litterärgeschichte der Arzneïkunst, u. s. w. Leipzig, 1810, in-8. (3) Tourtelle, Histoire philosophique de la médecine depuis son origine jusqu'au commencement du xxin® siècle. Paris, an XII (1804), 2 vol. in-8. L 5 2 INTRODUCTION. jusqu'aux Arabes. — Les Arabes. — La Renaissance. — De Van Helmont jusqu'à nos jours. Une pareille classification ne se discute pas. Les seules divisions nettement dessinées par Capanis, 1804 (1), sont les suivantes : 1° De la médecine depuis sa naissance jus- quà son introduction chez les Romains ; 2 depuis ce moment jusqu'aux Arabes; 3 de ceux-ci à la Renaissance; K° enfin découverte de la circulation. I ny a là ni principe critique, ni régularité, de plus on retrouve encore cette fausse idée qui consiste à regarder comme un fait culminant et comme caractérisant une époque, lintro- duction de la médecine à Rome. D'abord l’événement en lui- même (car pour les historiens c’est un véritable événement) n’a pas eu d'influence notable sur la marche ultérieure de la science ; en outre, la médecine resta toute grecque. Kreser, 1817 (2), s'efforce d'élever la médecine à la hauteur d’un culte. C’est un des premiers qui aient essayé une classifica- tion prétendue philosophique; il a divisé l’histoire en deux cycles : 1° le Cycle oriental, qui commence à l’origine des choses et qui s'arrête à Paracelse;, 2° le Cycle occidental, qui s’etend, avec des subdivisions, depuis Paracelse jusqu'à nos jours. L'idée est plus hardie que juste : d’abord le mot oriental est fort mal trouvé, car ce n’est pas de l'Orient proprement dit, mais seulement de la Grèce que nous vient la médecine, je le démon- trerai plus loin ; Paracelse est une mauvaise limite pour la méde- cine antique, puisque la réforme paracelsique n’eut pas d’in- fluence décisive sur la chute de la médecine galénico-arabe, car la chimie sans la physiologie est impuissante. J.Fr. K. HecKER, 1822 (3), üent le milieu entre les écoles philo- sophico-historiques de Schelling et de Hegel, et l’école historique (4) Cabanis, Coup d'œil sur les révolutions et sur la réforme dela médecine. Paris, an XII (1804), in-8. (2) Kieser, System der Medizin, u. s. w. Halle, 1817-19, 2 vol. in-8. (3) Hecker, Geschichte der Heilkunde nach den Quellen bearteitet. Berlin. 1822-29, 2 vol. in-8. E CRITIQUE DES DIVISIONS DE L’'HISTOIRE. h3 proprement dite dont Eichhorn s’était constitué le chef, et à la- quelle appartenait Sprengel, école qui, loin de se contenter de rappeler quelques traits communs, quelques influences récipro- ques s’efforçait de rattacher directement l’histoire de chaque science à l’histoire générale de la civilisation. Le professeur de Berlin cherche à pénétrer dans une voie nouvelle pour la forma- tion des époques de l’histoire de la médecine; mais elles ne répondent qu’en partie aux diverses phases du développement même de la science. Ainsi il divise notre histoire en cinq grandes périodes : 4° Depuis l'origine de la médecine jusqu'à sa constitution scientifique sous Hippocrate, 377 ans avant Jésus-Christ. — 2 Depuis la première constitution scientifique de la science jus- qu'à son complet développement théorique dans l'antiquité; c'est- à-dire depuis Hippocrate jusqu'à Galien inclusivement, 200 ans après Jésus-Christ. — 3° Depuis l'établissement des théories galéniques jusqu'à la formation des écoles chimiques, ou depuis Galien jusqu'à Paracelse, 200-1517. — 4° De Paracelse à Har- vey, 1517-1628. — 5° Depuis Harvey jusqu'à la nouvelle res- tauration des sciences, 1628-1800. Gette division me paraît pécher en plusieurs points. Outre que le savant historien n’a pas une idée très-nette des principaux mouvements de la science, et ne tient pas assez compte m des origines homériques, ni des écoles philosophiques (pour la physiologie), ni des écoles médicales antérieures à Hippocrale, il confond le développement de la science par les sectes entre Hippocrate et Galien, et Galien lui-même qui constitue définiti- vement la médecine; il connaît mal ou point les intermédiaires entre Galien et les Arabes; il donne une importance trop grande aux chimistes et en particulier à Paracelse. Dans l’ensemble du développement complet de la médecine, Paracelse et le chèmisme, comme du reste l’anatomisme, sont, il est vrai, les racines de la période moderne, mais des racines privées de séve faute de lélé- ment physiologique. La quatrième période est tout à fait factice ei mal caractérisée. Enfin, la troisième et la cinquième période sont trop compréhensives ; l'ouvrage de Hecker s'arrête vers la fin du xui° siècle, à Jean Actuarius. h4 INTRODUCTION. Trois auteurs seulement, si je ne me trompe, ont essayé d'écrire l’histoire complète de la médecine d’après les sources : deux, Le Clerc et Hecker, n’ont pas dépassé l'antiquité; un seul, Sprengel, est arrivé au bout de sa tâche. — C'est de ces trois auteurs etde quelques monographies que dérivent presque toutes nos histoires de la médecine; mais le guide qu’on suit le plus volontiers est Sprengel; or, c’est incontestablement le plus mau- vais, le plus infidèle, celui qui montre le plus de parti pris, et a le plus de préventions philosophiques, religieuses ou médicales. L'auteur le plus sincère, celui qui a le mieux lu, mais comme on savait lire de son temps, celui dont l’ouvrage est encore un miroir fidèle pour certaines parties de notre histoire, c’est Daniel Le Clerc. Certainement Hecker à plus de critique que Le Clerc, mais pas plus de lecture; il est terne, sec et la naïveté n’est pas remplacée par les idées générales ; le savant professeur était plus propre à épuiser un sujet limité qu’à écrire sur l’ensemble de l’histoire. Ses monographies sur divers sujets de pathologie sont excellentes; son histoire n’est que bonne et n’a presque rien de nouveau. CnouLanr, 1822 (1), divise la médecine en huit époques: 1° Épo- que mythique. — 2 Hippocrate et les sectes .— 3° Galien et les abréviateurs. — N° Arabes et arabistes. — 5° Restaurateurs de la médecine grecque. — 6° Réformateurs, depuis Paracelse jus- qu'a Harvey.—7° D'Harvey à Boerhaave. — 8° Ecole dynamique (Boerhaave inclus) à Cuvier. Choulant confond, sous le nom de période mythique, les écoles antésocratiques ; il réunit malencontreusement les sectes avec Hippocrate, Galien avec les abréviateurs; il reste dans le point de vue paracelsique et il ne caractérise aucune de ses périodes. VWINDISCHMANN, 1824 (2), se rattache de très-près à l’école de Schelling; il subdivise avec Kieser le cycle occidental en trois (1) Choulant, Tafeln zur Geschichte der Medizin nach der Ordnung ihrer Doctri- nen. Leipzig, 1822, in-S. (2) Windischmann, Ueber etwas, was der Heilkunst Noth thut. Ein Versuch zur Vereiniqung dieser Kunst mit der christlichen Philosophie. Leipzig, 1824, in-8. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRÉ. h5 périodes : 1° De Paracelse à Harvey. —® De Harvey à Brown. — 3° De ce dernier à nos jours. W établit un parallèle entre Paracelse et la réforme religieuse, entre Brown et la réforme politique ; c'est un point de vue ingénieux peut-être aux yeux d’un rêveur, mais parfaitement faux aux veux d’un historien. Leurocpr, 1825 (1), considère dans l'histoire de la médecine deux côtés : l'objectif, c’est-à-dire la nature humaine, le subjec- tif, c'est-à-dire l'esprit humain qui s'occupe de la santé, de la maladie et de la guérison; en d’autres termes, l'objet et le sujet réunis, l’objet qui est le substratum de l'art, le sujet qui est la médecine et ses systèmes. L'histoire lui apparait comme divisée en deux grands 7ours, l'antiquité païenne, grecque et romaine, et l'ère moderne, entre lesquels se place le moyen äge, qu'il appelle, comme tant d’autres historiens mal informés, la nuit lustorique; la chute de l'empire romain est le crépuscule, et la Renaissance l'aurore du nouveau jour qui resplendit aux xvrrre et xix° siècles. Le premier jour commence à Hippocrate (2) et finit à Paracelse; le deuxième commence par ce réformateur et se caractérise définitivement par l’idée de la philosophie naturelle, c’est-à-dire de celle de Schelling. — Suivant Leupoldt, quatre sectes se sont développées dans la médecine païenne : les dogmatiques, les empiriques, les méthodiques et les pneu- matiques; huit sectes sont nées dans la médecine chrétienne, laquelle se divise en deux cycles distincts, séparés par le trium- virat de Boerhaave, de Stahl et de Fr. Hoffmann. Ces sectes correspondent à celles de l'époque païenne : dans le premier cycle, les paracelsistes et les chinratriques, es empiriques et les ratromécaniques, les magnétistes et les psychiatriques ; dans le deuxième cycle, au contraire, les hwmoristes et les solidistes, les (4) Leupoldt, Algemeine Geschichte der Heilkunde nach ihrer objectiven und subjectiven Seite. Erlangen, 1825, in-8; 2° éd., Berlin, 1863. — Ueberblick der Geschichte der Medizin zu Preu’s Paracelsus. Berlin, 1838. (2) L'auteur, dans la première édition, néglige entièrement le temps qui précède Hippocrate; dans la seconde, il lui accorde une petite place et en fait même une période ; il en admet quatre en tout: Origines; antiquité classique grecque et ro- maine; moyen âge ; temps modernes. 6 INTRODUCTION. empiriques, les browniens et leurs successeurs, enfin les exor- cistes (1). On voit que l’auteur, partisan du système de Schelling, se rapproche de Kieser, et qu'il mérite à peu près les mêmes reproches, auxquels il faut ajouter celui d’avoir enveloppé ses conceptions dans des expressions beaucoup trop métaphysiques et quelquefois incompréhensibles. — Dans la seconde édition, les subdivisions se rapprochent beaucoup de celles de Haeser; et l’auteur, exagérant encore le mysticisme, soumet le point de vue historique pour la médecine au point de vue chrétien. L'ordre chronologique nous amène à un auteur que les Alle- mands ont appelé /e père de l'historiographie philosophique de la médecine, à DAMEROw, 1828 (2). Il admet trois grandes épo- ques dans la médecine scientifique : À D'Hippocrate à Galien inclusivernent (3).—2 De Galien à Paracelse.— 3% De Paracelse à l’époque actuelle. Vans ce système, Harvey ne sert pas même, comme dans Hecker, à marquer le point de départ d’une époque. Voici comment l’auteur, qui appartient aussi à l’école de Schelling, s'exprime (4) : « Nous voyons dans la première pé- «riode du passé (d’Hippocrate jusqu'à Galien) l'histoire de la « médecine commencer par l'intuition pure de la nature, par le € grand rien de la théorie d’où se développent les éléments uni- « versels (Hippocrate). Ces éléments prennent dans les sectes qui « se succèdent ou qui coexistent des formes organiques indivi- « duelles différentes, et l’on voit paraître successivement la ma- «ère, la forme, l’essence, l’Aumidum, le pneuma, le siccum, € l'esprit, l'empirisme pur, lempirisme rationnel, la spéculation, « l’humorisme et le solidisme, le dynamisme. On y reconnait « les premiers signes, les contours généraux des systèmes, des « fonctions et des puissances élémentaires de Ja nature humaine. (4) Lei Quitzmann (/oc. cit, p. 77) met un point d'interrogation ; je pourrais bien en mettre deux. (2) Damerow, Die Elemente der naechsten Zukunft der Medizin, u, s. w. Berlin, 1828, in-8, (3) Mème reproche que pour Hecker. (4) Page 61 et passim. Voyez aussi Quitzmann, Philosophie der Gesechichte der Medizin, p. 79. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L’HISTOIRE. 47 « Le système de la reproduction est indiqué dans la secte des « dogmatiques (et des empiriques?) par la prédominance de la « théorie des humeurs, par l'importance attachée à la bile jaune «et noire (foie et rate), enfin par l’attraction des éléments exté- «rieurs dans l’estomac ; le système de l'irritabilité dans la doc- « trine d'Érasistrate, et comme principe de mouvement chez les « méthodiques; le système de la sensibilité, enfin, par le preuma « des pneumatiques. C’est Galien qui, en réunissant, dans une «totalité organique, ces membres épars et non développés, s’est «_efforcé d'animer cette dernière par une psyché (dr) ; quoique « matérielle, c’est l’idée psychique ; dans la seconde période « (de Galien jusqu'à Paracelse) cet élément psychique se mani- « feste comme médecine scolastique (#10yen äge, Paracelse). » Jusqu’alors, comme nous venons de le voir, on constate seule- ment un développement de l’universel ; 11 ne restait donc à la troisième période (de Paracelse jusqu'à nos jours) rien autre chose qu’à développer le particulier. En conséquence, dans la première division de cette période (de Paracelse jusqu'à Stahl), la médecine commence par le système abdominal, par les vues chimiques de Sylvius, de Borelli et même de Van Helmont. Dans la deuxième division (de Stahl jusqu'à Haller), esprit dominant les différents systèmes de cette division intermédiaire se mani- fesie comme système thoracique de l'irritabilité; c’est le prin- cipe des doctrines de Stah}, de Boerhaave et de Hoffmann. « Dans « la troisième division (de Haller jusqu'à nos jours), le système « de la sensibilité, qui y prédomine au commencement (Cullen), « forme le point de transition à la délivrance de la médecine «du joug de la matière (/. Brown). C'est dans le temps « présent que fleurit le règne organique de la vie par l'unité « de la nature et de l'esprit, pénétré de l'expérience et de la « philosophie (école de la philosophie naturelle). Après ce dé- « veloppement parfait de la matière, l'dme humaine seule peut « être l'élément promis de l'avenir prochain de la médecine. » Voilà ce que les Allemandsappelaient, il y a quelques années, la philosoplue de l'histoire ! Cela a un autre no: chez les Français. L'esprit de système aveugle Damerow ; il s’abuse sur l’impor- tance de Paracelse, et il fait ressortir sa division fondamentale de hS INTRODUCTION. la médecine plutôt d’une idée mystique que du caractère positif qui à été imprimé à la science par les découvertes réelles, sur- tout par celles de la physiologie. On ne me demandera sans doute pas de prendre au sérieux l'Examen des doctrines médicales de Broussais, 1829 (1); c’est un pamphlet et non pas un examen vraiment critique. D'ailleurs, à quoi sert un ouvrage rédigé moins dans l’intérêt de la science elle-même que dans ceiui d’une théorie personnelle ? Broussais aurait dû se contenter d’être un réformateur, mais il ne devait pas se faire historien pour n’accorder que le mépris, et je dirais presque la haine, à tout ce qui Pavait précédé. Voici toutefois ses principales divisions : De la médecine avant Hippocrate. — Hippocrate. — Intro- duction de la médecine à Rome (2). — Galien. — Ce que de- vient la médecine après Galien. — Paracelse. — Découverte de la circulation (3).— Médecine mécanique, mathématique, lumorale. — Vitalisme. — Irritabilité. — Influence de Des- cartes et de Bacon. — Hippocratistes du dix-septième siècle. — Naissance de l'anatomie pathologique. — Nosologistes. — Brown. Ce qui suit échappe à toute coordination systématique. On voit que Broussais morcelle plutôt qu’il ne divise philoso- phiquement l’histoire de la médecine. Du premier coup, HamILTON, 1831 (4), montre sa critique en commençant l’histoire de la médecine à Adam; cela pouvait se tolérer encore dans Schulze, mais en plein x1x° siècle, on doit se montrer moins ambitieux, et ne pas remonter si haut : 1° époque, d'Adam à Hippocrate. — ?%, Hippocrate et ses successeurs. — 3°, De Galien jusqu'a la prise d'Alexandrie par (1) Broussais, Examen des doctrines médicales, ete., 3° éd. Paris, 1829-1834, & vol. in-8, (2) Cela est renouvelé de Schulze, de Cabanis et de bien d’autres. (3) Broussais ne pouvait manquer de reconnaitre l'importance de ce fait. (4) Hamilton, The History of Medicine, Surgery and Anatomy, ete. London, 4831, 2 vol. in-8. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. h9 les Sarrasins. — k°, Médecine des Arabes. — 5°, Médecine mo- nastique et École de Salerne. — 6°, Du dixième au seizième siècle. Depuis ce moment, l’auteur procède par siècles. On voit quel désordre règne dans cette classification; il est souvent difficile de distinguer les véritables périodes de simples coupes opérées pour la commodité de l'exposition. C. H. Scuucrz, 1831 (1), suivi en grande partie par W.J. A. Werger, 1835 (2), comme la plupart des auteurs alle- mands, aime à s'envelopper dans les nuages de l’idée; il fait en conséquence de Paracelse le point de départ de la réfor- mation moderne, et ses deux grandes périodes répondent aux deux cycles de Kieser. Il est vrai, comme il le dit, que la réforme de Paracelse (3) ne fut pas un simple rétablissement de la science antique, qu’elle avait au contraire pour but d’aller au delà des limites tracées par les Grecs et de détruire la fausse croyance en la vérité absolue, unique, des anciens. Ce fut /e réveil de la force indépendante ; mais ce réveil, je ne saurais trop le répéter, était plus fait pour embarrasser le développe- ment de la médecine que pour le hâter, puisqu'il ne reposait pas sur des connaissances positives beaucoup plus avancées que celles des anciens. LessiNG, 1838 (4), sans s'occuper du développement intérieur de la science et de la raison de ce développement, s'applique à faire connaitre le moment précis des découvertes et des inventions médicales, à relater les faits extérieurs; enfin il insiste sur tout (1) Schultz, Die homoeobiotische Medicin des Paracelsus in ihrem Gegensatze gegen die Medicin der Alten, u. s. w. Berlin, 1831, in-8. (2) Weber, Ueber Gegensatz, Wendepunkt, und Ziel der heutigen Physiologie und Medizin zur Vermittlung der Extreme besond. der Allopathie und Homoeo- pathie nach Geschichte. Stuttgart, 14835, in-8. (3) Schultz a caractérisé la médecine homæopathique en la représentant comme une tendance Ayperparacelsique ; il y a, en effet, un peu d'homæopathie dans les réveries du célèbre aventurier el dans sa constante préoccupation des spécifiques. (4) Lessing, Handbuch der Geschichte der Medizin, Berlin, 1838, in-8. DAREMBERG, 50 INTRODUCTION. ce qui se rattache aux institutions, à l’enseignement et aux sciences accessoires ; il est donc essentiellement pragmatique ; il a accepté les divisions de Hecker. Pour certaines parties, no- tamment pour l'histoire de la médecine dans le Bas-Empire, lou- vrage de Lessing n’est pas sans mérite ; 1l s’arrête vers l'an 1698, avec Harvey. Bosrock, 1835 (1), dans un précis d’ailleurs estimable, quoi- que fait entièrement de seconde main, s’en tient à peu près à la division purement chronologique en période ancienne, du moyen âge et moderne ; la période moderne commence pour lui avec la philosophie inductive (école anglaise). Bostock est Anglais ! KuEnNHOLTZ, 1837 (2), divise l’histoire de la médecine en huit époques : 1° Temps antérieurs à Hippocrate. — ?% Hippo- crate. — 3° Médecins grecs depuis Galien jusqu'à la fondation de l'Ecole de Montpellier (1220). — h° Depuis cette fondation jusqu’à Paracelse. — 5° De Paracelse à Harvey. — 6° Depuis Harvey jusqu'au dix-huitième siècle, — 7° Dir-huitième siècle, — 8° Dix-neuvième siècle. Rien d’exact ni surtout rien de nouveau dans celte classifi- cation, si ce n’est l'étrange idée de prendre comme limite ex- trême d’une période la fondation de l'École de Montpellier. M. Kuehnholtz est bibliothécaire de la Faculté de médecine de Montpellier ! QuiTzmaNN, 1837 (3), imbu des idées de Herder, de Ast et aussi de Damerow, partant de la considération du développe- (4) Bostock, Sketch of the History of Medicine, etc. (extrait de Cyclopædia of practical Medicine). London, 1835, in-8. (2) Kuehnholtz, Cours d'histoire de la médecine et de bibliographie médicale professé en 1836. Montpellier, 1837, in-8. (3) Quitzmann, Von den medicinischen Systemen in threr geschichtlichen Ent- wichklung. München, 4837, in-4. — Vorstudien zu einer philosophischen Geschichte der Medizin. Karlsruhe, 1843, in-8 (inachevé). Je me suis servi avec fruit de ce volume pour l'appréciation de certaines doctrines qui m'étaient peu familières ou pour la connaissance de quelques ouvrages que je n'ai pu me procurer. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 51 ment des organismes vivants, et en particulier des végétaux, et aboutissant à la philosophie naturelle, admet les périodes sui- vantes : La médecine paraît, dans la première période (4 son degré du yerme), comme une véritable médecine théurgique, non séparée en art et en science, ainsi qu’elle existe encore de nos jours chez les peuples de l'Orient. Dans la seconde période (à son degré de formation), la médecine réaliste de l'antiquité classique, s’élevant à une existence indépendante de la super- stition, s'occupe d'abord de rassembler et de mettre en ordre les fruits de l'expérience; elle se caractérise par une obser: vation exacte, par une conception fidèle et par un talent pra- tique : c’est l’art de quérir. La médecine réaliste prend son point de départ dans la religion (première division : médecine mystique), jusqu’à ce qu'Hippocrate, en rassemblant toutes les observations, fonde la théorie de l’humorisme (1), qui devient un système réaliste dans le dogmatisme (seconde division). Nous voyons opposé à ce dernier le so/idisme des méthodistes (troi- sième division) qui représente, dans ce degré, l’idéalisme, par sa tendance à jeter des bases scientifiques. L’éc/ectismé de Galien (quatrième division) est le produit de l'assimilation intime et de la pénétration de ces principes. La médecine réaliste, après s'être développée de cette manière, reprit sa marche rétrograde par suile de la séparation de ses facteurs. Dans la troisième période (à son degré de floraison), la médecine idéaliste de l'ère chrétienne est opposée à cette tendance réaliste- pratique de la médecine païenne. La médecine idéaliste, caracté- risée par la prépondérance partielle de la connaissance, serait la science de quérir. Elle aussi commence (à la première division) par la médecine mystique des moines jusqu’à ce que Paracelse, en aplanissant le sol par la destruction de la médecine galénico- scolastique, prépare une forme rajeunie de cette science (2). Mais comme la science manifeste deux tendances, selon qu’elle con- sidère l’objet dans son caractère réaliste-égoïste ou dans son (4) On voit, par la lecture des philosophes anté-socratiques, qu'Hippocrate n’est point l'inventeur de cette théorie, presque aussi ancienne que la physiologie, (2) La médecine de Paracelse est plus mystique et moins compréhensible que celle des moines, 52 INTRODUCTION. essence 2déale-éternelle, le matérialisme paraît (dans la seconde division), et encore sous une double face, dans les écoles chimia- trique et iatro-mécanique, suivant qu’on envisage les rapports chimiques ou mécaniques de la matière. Les écoles dynamiques (troisième division) sont opposées aux écoles précédentes, jus- qu'à ce que les unes et les autres, après s'être développées dans toutes les directions et après avoir alternativement prédo- miné, se pénètrent enfin l’une l’autre dans l'intuition et la con- naissance uniquement vraie de la nature, et élèvent la science à une organisation harmonique dans l’ëdée de la philosophie naturelle (quatrième division). Tout en admettant, avec Quitzmann, que l’idée du développe- ment organique de la science doit présider à la classification des périodes de l’histoire, je lui reprocherai, outre une prédilection marquée pour les idées aventureuses ou systématiques et une connaissance insuffisante de l’histoire, d’avoir pris son point de départ en dehors de la science elle-même; 1l lui a fallu forcer les analogies et les rapprochements, établir un paral- lélisme qui pèche trop souvent par l’inexactitude et par la confusion. Il est vrai, la science a, comme les êtres orga- nisés, des phases de développement, mais non pas les mêmes phases. Les quatre degrés de croissance reconnus par lau- teur ne répondent certainement pas à la marche ascendante de la médecine, si l’on considère les faits dans leur totalité. Il en résulte que Quitzmann a embrassé dans un même coup d'œil des périodes fort différentes d'aspect, et qu’il en a mé- connu le vrai caractère. Ainsi, l’histoire démontre que ce n’est pas dans la religion, mais dans l'observation des malades que la médecine réaliste ou positive a pris son point de départ; elle établit aussi par les monuments authentiques qui seuls méritent notre confiance que la médecine scientifique est, pour nous du moins, contemporaine de la médecine mythologique. Plus tard, au début du moyen âge, la médecine 7ystique des moines et la médecine superstitieuse des barbares jouent en quelque sorte le même rôle que la mythologie et la sorcellerie, au berceau de la médecine. Cette période de conservation et de transmission, comme je l’ai appelée, peut bien être aussi considérée comme une CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 53 période de seconde origine, mais non pas dans le sens où le prend Quitzmann; la médecine grecque avait déposé un germe qui, durant les bouleversements de l'empire, semble un moment s’en- fouir dans les profondeurs de l’histoire, et qui bientôt reparait plein de séve et de vie, même avant la domination des Arabes. D'un autre côté Quitzmann a pris pour base de périodes secon- daires quelques systèmes et non pas tous les systèmes ; il les a considérés, en quelque sorte, comme se succédant, tandis qu'ils coexistent. Les systèmes sont des manifestations de la force plas- tique exubérante de la médecine, si je puis me servir de cette expression; ils aident quelquefois, plus souvent ils nuisent à son développement; mais, je ne cesserai de le répéter, ils ne sont pas le développement lui-même. Quitzmann, qui à reconnu quatre degrés de croissance dans les organismes vivants, y admet aussi quatre degrés de décrois- sance; mais pour la médecine, quand il est arrivé au summum de la croissance, 1l est obligé de s'arrêter et de laisser le reste dans l'avenir ou le devenir. X paraît ainsi présupposer que la science passera aussi par ces qualre degrés; mais sur ce point nous ne pouvons pas même former de conjectures. FRIEDLAENDER, 1838-39 (1), est assurément un des historiens les plus systématiques ; 1l admet avec Quitzmann que la méde- cine, née de la foi religieuse, comme une idée réparatrice, est fondée primitivement sur la conception de la force médicatrice de la nature et de l'esprit. Du reste, avant lui Windischmann (voyez page A4), Ringseis (dans ses ouvrages de pathologie), et surtout M. Henschel (2), avaient admis l’idée religieuse comme fondamentale dans l’histoire de la médecine. Pour ce dernier, le besoin, le désir du salut (4ien-être) physique ne provient pas d’un besoin matériel, mais de la foi même. Cette manière de voir n'a pas servi à M. Henschel à systématiser tout l’ensemble de l’histoire de la médecine, mais seulement à caractériser la (4) Friedlaender, Vorlesungen ueber die Geschichte der Heilkunde. Leiprig, 1838-39, 2 vol. in-8. (2) Heuschel, Ueber den Charakter der Medizin bei den aeltesten Voelkern. Breslau, 1835, in-8. 54 INTRODUCTION. médecine chez les peuples les plus anciens; c’est déjà beaucoup trop. Ce principe, plus édifiant que vrai, est la transformation de laxiome qui fait le fond des premières histoires de la mé- decine : La médecine vient de Dieu (medicina ex Deo). Moi, je dirai, avec un auteur hippocratique : Tout est divin et tout est naturel. Voici comment s'exprime M. Friedlaender, qui ne fait guère que paraphraser Damerow : « La médecine de l'antiquité se caractérise par une tendance «vers le général, par une observation matérielle, grandiose. € Dans les écoles, la matière {empirisme), la forme (méthodisine) « et l'essence (pneumatisme) de la vie se mirent successivement Q à la tête de la théorie; elles se réunissent chez Hippocrate et «€ chez Galien: chez le premier, par l'intuition vivante de esprit € de Ja nature; chez le second, par la réunion artistique des «expériences et du savoir accumulés pendant le cours des ans. «Après que le xvi' siècle eut essayé de vivifier du dedans au « dehors l'essence de la nature par un principe spirituel idéal, «la tendance généralisatrice fut nécessairement suivie par la « tendance éindividualisante (vers l’individuel, le particulier); « en cela les sciences naturelles servirent de modèle, d'exemple «à la médecine. D'abord ce fut le côté matériel et superficiel « qui prévalut (chimisme ct mécanisme, Sylvius et Borelli). Enfin « la triade éminente (le triumvirat médical du xvnr° siècle) des « systèmes de Stahl, de Fr. Hoffmann et de Boerhaave, pour les- « quels le mouvement était l’expression la plus immédiate de la « vie, amenait un nouveau développement de la médecine qui € passait à une conception plus nette et plus libre de la vie. » Tout cela est très-beau, mais j'aime mieux de bons textes bien compris et bien interprétés que les rêveries d’un cerveau mal meublé. « La vie du genre humain, dit HeusiNGer, 1839 (1), n’est pas « composée d'événements, de manifestations incohérentes, mais (1) Heusinger, Grundriss der Encyclopaedie und Methodologie der Natur= und Heilkunde. Eisenach, 1839, in-8. (SA CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 5 « c’est une loi universelle qui détermine le développement de l'hu- « manité et de chaque peuple. De même que, pour le développe- « ment de chaque homme individuel, sa véritable signification Qne saurait être reconnue qu'en envisageant l'ensemble de « toutes ses manifestations, de même la véritable essence de « toute science, et par conséquent de la médecine, ne saurait se «reconnaître que par la conception consciencieuse et exempte « de préjugés de toutes les manifestations de sa Genèse et de son « Etre. L'histoire universelle du genre humain doit donc nous € fournir le fil qui nous guide à travers l'histoire de la médecine « et de ses périodes. Mais, considérant que de nombreuses divi- « sions du peuple primitif (des Ariens) se sont éteimtes sans être «parvenues à un haut degré de civilisation, l’histoire de la mé- « decine ne doit s’occuper que des peuplades de races arienne « el caucasienne, qui ont en effet contribué à la culture de la «science. La civilisation d’un peuple se manifeste dans sa langue ; « elle en est non-seulement l'expression, mais elle donne aussi à l’historien des éclaircissements positifs sur l’origine, la pa- renté et les transitions de civilisation de chaque peuple. » De là, l’auteur établit les divisions suivantes dans l’histoire de la médecine : 4° Origine de la médecine en général. — 2° Notices sur la médecine des Chinois et son rapport avec celle du peuple pri- mitif (?). — 3 Histoire de la médecine indienne. — K° Histoire de la médecine égyptienne. — 5° Histoire de la médecine grecque. — 6° Histoire de la médecine sémitique (Arabes). — 7° Histoire du développement de la médecine qçermanique jus- qu'à Paracelse et Vésale. — S° Médecine germanique jusqu'à Kant et Napoléon (!) — 9° Médecine actuelle. Ces vues ne sauraient soutenir l’épreuve d’une critique impar- tiale; l’auteur, ethnographe avant tout, n’a pas même abandonné la sphère de ses études ordinaires entraitant de l’histoire de la médecine; mais la médecine, à l'instar de toutes les autres sciences, ne se laisse pas ainsi parquer dans des régions déter- minées ; elle s'étend à peu près uniformément, elle est cosmo- polite par nature et ne change pas de caractère fondamental en passant d’un pays à un autre. Dans ce système, le grand carac- 2 ES 56 INTRODUCTION. tère d'unité de la médecine occidentale disparaît entièrement, et l’auteur semble admettre que chez un même peuple les di- verses époques de la science se ressemblent ; mais, toute l’his- toire s'inscrit énergiquement en faux contre une pareille pro- position. Un autre vice radical de la classification de Heusinger, c’est de placer au premier plan de lhistoire la médecine orientale comme origine de notre médecine, car le peu de bonne médecine qu'a su et que sait Orient lui vient de l'Occident par la Grèce. M. RAIGE-DELORME, 1839 (1), adopte une classification naturelle, simple et propre à faciliter l'exposition historique ; mais les con- tours des périodes ne sont pas assez nettement dessinés, et bien qu’on ait voulu tenir compte du développement intérieur de Ja médecine, cette classification ne représente guère que la succes- sion de quelques événements extérieurs. De plus, l’auteur, ne s’en tenant pas au même point de vue, s’appuie tantôt sur la chro- nologie et tantôt sur l’ethnographie. « Nous considérerons, dit-il, la médecine: 1° dans son ori- « gine, dans son état, chez les peuples anciens, chez ceux dont € la civilisation a été stationnaire ou qui ne sont parvenus qu’à une demi-civilisation; > chez les Grecs dans les commence- « ments, puis à l’époque des premiers philosophes jusqu’à Hip- « pocrate; 3° à l’époque de ce fondateur de la vraie science mé- « dicale; 4° depuis la fondation de l'École d'Alexandrie jusqu'à € Galien, qui a systématisé la médecine ancienne; 5° de Galien € à la destruction de l'empire romain et la décadence des sciences; « 6° chez les Arabes conservateurs de la médecine ; 7° au moyen « âge et chez les peuples occidentaux; 5° enfin, de la Renaissance (à nos Jours. » | KRuEGER, 18/0 (2), admet cinq périodes: 1° Depuis les temps les plus reculés jusqu'à Hippocrate.— ? D Hippocrate à Galien. (1) Raige-Delorme, Dictiennatre de médecine, 2° éd., 1839, article MÉDECINE. (2) Krueger, Synchronistische Tabellen zur Geschichte der Medicin. Berlin, 4816, in-4. — Voy. aussi l'excellent Tableau cluonologique de la médecine, par Lutgert. Leyde, 1852, grand in-folio, CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. E à — 3° De Galien à Paracelse. — h° De Paracelse à Harvey. — 5° Depuis Harvey jusqu'à nos jours. IsExsEE, 1840 (1), a divisé l’histoire ancienne et du moyen âge en: Période ancienne. — Époque grecque. — Moyen âge.— Époque romaine. — Époques arabico-scolastique et germano- réformatrice. Isensee suit Hegel sans le comprendre toujours suffisamment ; il a, entre autres, le tort de prendre comme point de départ de ses grandes divisions la trinité classique, mais banale : antiquité, moyen qe et äge moderne. Ces trois périodes, mal définies d’ail- leurs, ne concordent pas rigoureusement avec les changements radicaux opérés dans la science. De plus, je ne me lasse pas de le répéter, l'introduction de la médecine scientifique à Rome n’a pas plus d'importance dans l'antiquité que n’en aurait aujour- d’'hui l'introduction de la médecine française ou anglaise, soit en Algérie, soit dans quelque État d'Amérique. Quitzmaon (p.110 suiv.) juge très-durement l'ouvrage d’Isen- see; plusieurs des reproches qu’il lui adresse sont fondés, mais je ne puis souscrire à celui qu’il lui fait d’avoir comparé Para- celse à Harvey. «77 faut, dit-il (p.116), être entièrement dépourvu de tout esprit philosophique et critique pour oser mettre en pu- rallèle Paracelse, le réformateur par excellence, et Harvey, l'auteur d'une découverte secondaire, bien qu'importante. » Quoi! une découverte qui change la face de la science, une découverte qui contient en germe tous les progrès futurs de la médecine, en un mot, la vérité, la réalité ne serait pas mille fois plus im- portante que des idées 4 priori, qui n’ont eu d'écho que dans quelques cerveaux prédisposés aux aberrations! Paracelse a le mérite, Je le reconnais volontiers, d’avoir osé regarder en face la médecine ancienne, mais son regard n’était pas de ceux qui fécondent. Supposez Paracelse sans Harvey, que fût devenue la médecine? Elle eût certainement rétrogradé de plusieurs siècles ; mais admettez Harvey sans Paracelse, et dites si la science (1) Rs Geschichte der Medizin und ihrer Huelfswissenschaften, Berlin, 1840, in-8, 4 vol. 58 INTRODUCTION. eüt été arrêtée dans son essor. Que le reproche adressé à Isensec retombe donc de tout son poids sur son savant mais trop partial critique ! L’erreur des Allemands est de considérer leur compatriote Paracelse comme marquant la limite entre la médecine ancienne et la médecine nouvelle. Paracelse et Van Helmont donnent le premier assaut à la médecine grecque; à ce titre, leur nom peut servir de démarcation pour des subdivisions dans la grande pé- riode qui sépare Galien de Harvey. La chimiatrie a eu le double tort d’apparaître trop tôt et avec une allure trop mystique. Ce système n'avait presque aucun soulien véritable ni en physio- logie ni en chimie, et le bien éloigné qui a pu en résulter, il Pa produit sans conscience ; la vraie chimiatrie ne put reparaitre que bien longtemps après Paracelse, sous la forme moderne de chimie pathologique et de chimie physiologique ; encore cette nouvelle ehimiatrie, qui repose sur des connaissances réelles en chimie et en physiologie, n'oserait point se présenter comme un système qui peut rendre compte de tous les faits ; bien que quel- ques auteurs, particulièrement en Allemagne, n’aient pas craint de revenir, par une route détournée, aux rêveries paracelsiques; mais cela est un retour en arrière. C’est un sujet fort intéres- sant d’études que de suivre dans leur développement respectif et de comparer ensemble les systèmes médicaux qui dérivent de Paracelse ou de Van Helmont et ceux qui doivent leur origine à la découverte de la circulation. Dans sa brillante /ntroduction aux OEuvres d'Ambr. Paré (Paris, 1840), M. MALGAIGNE a dessiné à grands traits les diverses périodes de l’histoire de la médecine. Subordonnant presque tout à la prédominance plus ou moins absolue du principe d'au- torité, il trouve l’occasion de créer, pour l'histoire de l’Église et pour l’histoire de la médecine, un système qui ne sera, sans doute, accepté que sous bénéïice d'inventaire par les gens du métier; il montre en même temps une préférence marquée pour Ja Réforme comme un premier pas, quoique d’abord timide, vers le rationalisme; mais ce n’est pas là de l’histoire de la médecine. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 59 VAN DER HogvEN, 1842 (1), a donné une classification très-lâche et à peine formulée : Médecine ancienne. — Médecine hippocratique. — Galien et médecine post-galénique. — Du 1x° siècle à la prise de Constan- tinople.— Médecine des Arabes et des arabistes. — Renaissance el réforme de la médecine. — Pour la suite de lhistoire, les pé- riodes ne sont même plus indiquées. Son livre n’est cependani pas sans utilité; il a surtoutle grand mérile d’avoir été écrit pour inspirer aux élèves le goût de lhis- toire, et pour leur fournir les premières notions de cette branche de la littérature médicale. Iirscnez, 1843 (2), adopte les divisions généralement suivies en Allemagne : sa première période s'étend depuis les origines jusqu'à Galien ; la seconde, de Galien à Paracelse; la troisième, de Paracelse au temps présent. L'auteur a consacré une partie assez considérable du volume à l'Ecole médicale de Vienne et à l’état de la médecine du temps présent. Je ne puis, malheureu- sement, que ratifier ie jugement défavorable que M. Haeser à porté sur le livre. L'auteur ne montre qu’une médiocre aptitude à écrire l’histoire, pas plus la moderne que l’ancienne, pas plus dans sa seconde que dans sa première édition. Marre, 1844 (3), partage la médecine en trois époques: Wé- decine primitive jusqu'à Hippocrate; — Médecine ancienne, d'Hippocrate inclus. à Galilée; — De Galilée aux temps mo- dernes. C’est une division fondée, comme pour les Ailemands, sur une idée étroite de nationalité et de clocher; encore Paracelse vaut-il mieux que Galilée pour une division de lPhistoire de fa médecine. Le premier volume ne contient guère que des ta- (4) Van der Hoeven, De Aistoria medicinae liber singularis Lugd. Batav., 1842, in-8. (2) Hirschel, Compendium der Geschichte der Medizin. Dresde, 1843, in-8; 2e édit., Vienne, 1862. (3) Manfre, Sloria della medicina.… considerata sotto il riquardo delle epoche, dei luoghi et delle sue parti e specialmente per cio che risquarda gli Italiani, Parte T, vol. 1 (seul paru). Napoli, 1844, in-8. 60 INTRODUCTION. bleaux chronologiques; l’histoire proprement dite s'arrête à la médecine romaine. Ouvrage de peu de valeur. Les périodes chezHAEsER, 1845 (1), sont à peu prèsles mêmes que celles de Hecker et établies d’après les mêmes principes. Le savant professeur admet quatre périodes: Depuns les origines jus- qu'à la constitution scientifique de la médecine chez les Grecs par les Asclépiades (prêtres et médecins). — Les prêtres ne sont pour rien dans cette constitution. — Depuis les Asclépriades jusqu'à Galien (période beaucoup trop vaste et où la science a subi trop de modifications importantes pour qu'il n’y ait pas lieu à d’autres divisions). — La troisième période s'étend depuis Galien jus- qu'aux premiers essais de réforme, vers l'an 1500 (période qui me paraît encore trop vague). — Enfin, la quatrième période se termine avec le temps présent. Hecker avait pris Paracelse, c’est-à-dire le chimisme, comme le pivot autour duquel tourne la réforme médicale ; pour M. Haeser, c’est Vésale ; mais l’anatomisme a exercé, du moins dans le principe, une influence peut-être encore moins directe que la chimiatrie sur la marche de la médecine, car la chimia- trie est une sorte de physiologie, ct la physiologie, même la plus grossière, a toujours eu une action plus considérable que l’ana- tomie, bien que les progrès de l’anatomie devancent parfois et préparent ceux de la physiologie. La médecine ancienne et la médecine moderne procèdent toutes deux de la physiologie, et toutes deux, dans leur développement, se sentent de cette pre- mière origine. — Les divisions secondaires sont nombreuses ; en général régulières, elles éclairent la route et facilitent les recher- ches. Le Manuel de Haeser, peu connu en France, jouit en Alle- magne, en Hollande et en Italie d’une juste réputation. M. RenouaRp, 1846 (2), a fait quelques efforts sérieux pour arriver à une détermination philosophique des périodes de lhis- toire de la médecine, mais je n’oserais pas affirmer que ces (1) Haeser, Lehrbuch der Geschichte der Medicin, Yena, 1845, in-8 ; 2° éd,, 1893. (2) Renouard, Histoire de la médecine depuis son origine jusqu'au xix° siècle, Paris, 1846, 2 vol. in-8. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 61 efforts aient été couronnés de succès. Les dénominations ne sont pas toujours justes ; les limites sont peu exactes ; enfin la con- naissance des faits et des idées qui doivent servir à caractériser une période est trop souvent incomplète : AGE DE FONDATION, divisé en quatre périodes : Promitive ou d'insténct, finissant à la ruine de Troie. — Sacrée ou mystique, finissant à la dispersion de la société pythagoricienne. — Philo- sophique, finissant à la fondation de la bibliothèque d’Alexan- drie. — Anatomique, finissant à la mort de Galien. AGE DE TRANSITION, divisé en Période grecque, finissant à l'incendie de Ja bibliothèque d'Alexandrie; — et Période aru- bique, finissant à la Renaissance. ÂGE DE RÉNOVATION : Période érudite, x\° et xvr° siècles. — Réformation, xvn° et xvur' siècles. L’äge de fondation est beaucoup trop prolongé; 1l devrait s'arrêter à Hippocrate, qui fonde véritablement la science; elle se développe ensuite théoriquement et pratiquement dans toutes les branches, jusqu’à Galien, qui la constitue définitivement. J'admets volontiers une période primitive ou d'instinct, mais seulement par induction, puisque je ne puis rien savoir de cette période; elle commence on ne sait quand, et déjà dans Homère il y a plus qu'une médecine d’instinct. — A proprement parler, la période sacrée n'existe pas, puisqu’avant comme après la dispersion de la société pythagoricienne, on retrouve les traces non douteuses d’une médecine scientifique. — Je ne reconnais pas davantage les caractères d’une période phulosophique : quand fleurissent les écoles anté-socratiques, la médecine reste entre les mains des médecins, et n’a de rapports avec les écoles que par les doctrines physiologiques; puis c’est précisément l’école hippocratique qui cherche à rendre la médecine encore plus indépendante de cette philosophie. Dire que la quatrième période est anatomique, c’est ne repré- senter qu’un côté des choses, c’est ne voir la médecine que par une de ses faces; la physiologie fait des progrès autant que l'anatomie; la thérapeutique s'enrichit notablement ; la chirur- sie reçoit de rapides accroissements, et les sectes dissidentes prennent naissance, Toute cette période est traitée avec une 62 INTRODUCTION. inextricable confusion. M. Renouard, mû ordinairement par sa prédilection pour les vues abstraites, procède ici par une sorte de dissection qui démembre les unités les plus tranchées, qui morcelle les plus grandes renommées ; cette manière de faire se retrouve encore dans l'exposition de l'histoire moderne; je ne sache pas qu'aucun historien l'ait proposée avant M. Renouard. Du reste, M. Renouard ne donne pas les raisons de ses déno- minations. Cette période, dit-il, sera appelée de telle façon, et voilà tout. L'expression dge de transition me parait mal s'appliquer à l’espace de temps compris entre Galien et l'an 640: il n’y a là aucun des caractères d’une transition. Pendant ce laps de temps, la science reste sans se dégrader sensiblement, telle à peu près que Galien l'avait faite; elle se conserve ou s’entre- lient activement entre les mains de quelques auteurs originaux et des encyclopédistes. C’est même, comparée à celles qui vont suivre, une des époques fécondes de la littérature médicale; la première période n’est d’ailleurs ni plus ni moins grecque que celles qui l’ont précédée. Quant aux Arabes, ils jouent un rôle de conservation pure et de transmission. Si l’on veut abso- lument trouver dans notre histoire une époque de transition, il faut la chercher entre l'apparition des premiers réformateurs et le développement des systèmes purement modernes. M. Renouard ne tient aucun compte de la culture médicale, en Occident, dans les premiers temps du moyen âge; du reste, comme on le voit, il établit les périodes d’après des événements étrangers à la médecine. Remarquons aussi que le xv° siècle n’est pas plus exclusivement érudit que le x1v°, seulement l’éru- dition change d'objet. La classification que M. SaucEROTTE (1846) a proposée dans un travail estimable (1) est trop compliquée et trop longue pour que nous la rapportions intégralement. Il nous suflira de dire que, frappé d’un certain parallélisme entre le développement (1) Saucerotte, Revue médicale, janvier 1846, article reproduit dans un volume intitulé : L'histoire et la philosophie dans leurs rapports avec la médecine. Paris, 1863, in-18, p. 263 et suiv. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 63 de la philosophie et celui de la médecine, l’auteur a essayé de subordonner les époques de la seconde aux phases par lesquelles a passé la première. Ce procédé a quelque chose d'ingénieux, mais il ne faut pas le pousser trop loin, ni dépasser un pur syn- chronisme. On peut, toutes les fois que l’occasion s’en présente naturellement, établir ces sortes de rapprochements et faire res- sortir les influences réciproques, mais on doit se garder de les re- produire en toutes circonstances, et surtout de s’en servir comme base d’une division en périodes; car en agissant de cette façon, c'est-à-dire en commettant la faute de chercher ses points d'appui dans une science étrangère à la médecine, on sacrifie nécessairement, ou la philosophie à la médecine, ou la méde- cine à la philosophie; ce dernier cas est parfois celui de M. Saucerotte ; 1l ne me serait pas difficile d'en donner des exemples. J'ajoute que plusieurs époques ont été imaginées ou défigurées pour obéir aux nécessités du principe posé. Le premier volume de l’histoire de Morwirz, 1848 (1), contient l’histoire de la médecine divisée en cinq périodes : Des origines à Hippocrate; — D'Hippocrate inclusivement à Galien ; — De Galien à Paracelse (c'est toujours le centre pour les Allemands) ; — De Paracelse à Harvey ; — De Harvey aux temps modernes. — Assez bon résumé de seconde main. — Le deuxième volume contient une bibliographie systématique et chronologique de la médecine fort utile. PucciNoTrr, 1850 (2), qui dit très-bien de l’histoire : « Storia «impone la expositione rappresentativa dei fatti e del movimento « delle idee in mezzo ad essi », n’a pas cependant des divisions qui répondent très-exactement à ce programme; elles sont un peu vagues ou confuses et mal caractérisées ; Les voici : Médecine orientale; — Médecine grecque (Homère, Hippocrate et ses suc- cesseurs) ; — Médecine alexandrine ; — Médecine romaine ; — Moyen dge (saints Pères, — École philosophique d'Alexandrie ; (4) Morwitz, Geschichte der Medizin (faisant partie de l'Encyclopédie des sciences médicales de Moser). Leipzig, 1848-1849, 2 vol. (2) Puccinotti, Sforia della medirina, Livorno, 4850 et années sniv,, 4 vol, in-8, 64 INTRODUCTION. — Byzantins; — Salernitains ; — Médecine scolastique (arabe- latine) ; — xur° et x1v° siècles, et ainsi par siècle jusqu'à la fin. — Toutefois on doit reconnaître que, malgré un point de vue trop exclusivement religieux, l’auteur a fait plus que tout autre historien moderne des efforts louables et soutenus pour sortir de la routine. La médecine italienne au moyen âge et à la Renais- sance a été, pour notre savant et vénérable confrère, l’objet de recherches particulières ; les documents inédits ou peu connus publiés comme pièces justificatives ont une très-grande impor- tance. AUBER, 1553 (1), qui a prétendu donner en un volume une sorte d'Encyclopédie médicale, n’a pas manqué de faire en rac- courci l’histoire de la médecine, y compris, bien entendu, celle des principaux systèmes qui ont dominé dans la suite des temps; l’auteur ne s’est pas mis en grands frais pour l'établissement des périodes; il en a trois : Origines, où 1l ne voit que ténèbres; — Fondation (Hippocrate — jusqu’à l'École de Montpellier!) ; — Lutte et perfectionnement, c'est-à-dire depuis Montpellier jusqu’à nos jours. De telles divisions échappent à la critique. WenpERLICH, 1859 (2), qui se montre meilleur écrivain qu'his- torien bien informé, divise l’histoire en six sections : Médecine grecque; — Médecine romaine; — Médecine du moyen äge, — Médecine au temps de la réforme; — au x\n° siècle; — au XVI; — à la fin du XYHx et au xix°. — L'exposition générale est suivie de quelques appendices littéraires, biographiques ou scientifiques ; c’est la partie la plus importante de ce livre mé- diocre, car elle contient des analyses, des textes et des rensei- gnements. I n’y a rien de plus arbitraire et de plus confus que les divi- sions admises par MErYON, 1861 (3) : Médecine primitive, — (4) Auber, Traité de la science médicale. Paris, 1853, in-8. (2) Wunderlich, Geschichte der Medicin. Stuttgart, 1859, in-8. (3) Meryon, the History of Medicine, vol, T (seul paru). Londres, 1861. CRITIQUE DES DIVISIONS DE L'HISTOIRE, 65 grecque, — romaine, arabe. — Médecine occidentale du vi siè- cle au xx°. — Anatomie et jurisprudence au xN“ siècle, mage, puissance des saints. — Paracelse et Ambroise Paré ; influence de Ramus ! médecine et chirurgie en Angleterre.au xN1° siècle. — Ouvrage très-superficiel, où lon trouve seulement quelques menus renseignements sur la médecine en Angleterre. Mise, 1867 (1), qui a voulu suivre, à ce qu’il prétend, l’ordre chronologique et la succession des systèmes, partage lhistoire de la médecine en cinq périodes : la période orientale, ou platôt la période indienne (2), ou encore celle de la première branche des Aryas ; — la seconde comprend le développement de la méde- cine entre les mains des Aryas occidentaux (Grecs et Romains); — Ja période de transition où médecine arabe (3); — la période restaurative ou de compilation (copying), c’est-à-dire le moyen âge occidental; — enfin période plalusophique, du xve au xvIe siècle. — Divisions en partie arbitraires, qui ne représentent pas exactement ni l’ensemble ni la marche de la science, et aux- quelles s'appliquent la plupart des remarques que j'ai déjà faites antérieurement. Les ouvrages de MM. Brorcxx (Gand, 1837), CHINCHILLA (Valence, 1841), MoresoNn (Madrid, 1842), pe RENZI (2° édition, Naples, 1849), étant des histoires spéciales de la médecine en Belgique, en Espagne et en Italie, ne peuvent pas m'occuper ici. M. Chinchilla a mis en tête de ses Anales historicos un précis de l'histoire générale, qu’il divise ainsi : Depuis les temps anté- historiques jusqu'à Hippocrate. — ® D’Hippocrate à Galien. — 3° Arabes. — h° Restauration des sciences. — 5° Depuis cette époque jusqu'à nos jours. On voit que M. Chinchilla n’est pas sorti des voies battues. (4) Wise, Review of the History of Medicine. London, 1867, t. Ï (seul paru). (2) D'après l’état actnel de nos renseignements historiques, la médecine scienti- fique indienne est beaucoup trop récente pour constituer une période primitive ; c’est dans le Rig-Véda qu'il faut chercher cet état primitif, qui n’est rien moins que scientifique : j'ai essayé de le montrer dans la seconde leçon. (3) À elle seule la médecine arabe ne peut pas constituer une période, DAREMRERG. 6] 66 INTRODUCTION. Il ressort de cet exposé que l’histoire de la médecine a suivi les mêmes errements que l’histoire politique : à la fin du xvII° siècle et au commencement du xvii, sous la plume des Le Clerc, des Schulze, l’histoire de la médecine est étroite, mais naïve et sincère; elle tient plus compte encore des roms que des faits : c’est l’histoire de la royauté et de la noblesse médicales ; plus tard, à la fin du xvin° siècle, elle se laisse envahir par les préjugés les plus mesquins des encyclopédistes (Sprengel); le dé- dain pour les siècles obscurs du monachisme la dispense aussi de tout travail sérieux d'érudition sur ces siècles. Hecker a été à peu près le seul représentant, encore bien imparfait, de l’école histo- rique moderne. C’est celte école qui, surtout en France, comptant pour quelque chose les gens du tiers, a proclamé lutilité de l'examen de fous les textes et cherché les formules exactes et complètes du développement de la civilisation ou des progrès de l'esprit humain. Mais ce côté vraiment pragmatique et philo- sophique a été bientôt négligé en ce qui concerne la médecme : en France, on ne trouverait pas un médecin qui ait eu la pensée de traiter notre histoire, même en se tenant fort éloigné de tels modèles, à la façon des Guizot ou des Thierry ! En Allemagne, le mysticisme, sous prétexte de philosophie transcendante, obscureit les faits et ne laisse point de place aux idées. Du reste, la base fon- damentale manque : on écrit l’histoire de seconde main; on ne remonte pas aux sources, exceplé pour quelques sujets {rès- limités, et, particulièrement en Allemagne, pour l’étude des épi- démies ou des endémies (Haeser, Hirsch). Essayons de mieux faire, Messieurs. Ce seul effort me vaudra peut-être votre indulgence. Ii SomwamE: Origines de la médecine scientifique; il faut les chercher, non chez les peuples orientaux, mais en Grèce et dans Homère. — De la médecine primitive chez les Indous d’après le Rig-Véda; elle n’a contribué en rien au développe- ment de la médecine grecque. — Quelle a été l'influence des temples, des écoles de philosophie et des gymmnases sur les progrès de la médecine? — Fâcheuse Actions réciproques de la phy- siologie, de l’anatomie et de la pathologie. — Tradition médicale suivie entre Homère et Hippocrate à travers les débris de la littérature classique. action de la philosophie sur la physiologie. MESSIEURS, Durant l’année scolaire qui vient de s'écouler (1864-1865), j'ai eu l'honneur de faire devant vous quarante-huit leçons, et j'ai conduit l'histoire de la médecine depuis ses origines jusqu’au vur° siècle après Jésus-Christ, c’est-à-dire jusqu’à l'époque où la médecine ancienne, défmitivement constituée par Galien et perfectionnée en quelques points par ses successeurs immédiats, vient de passer aux mains de peuples nouveaux qui conservent soigneusement un héritage dont l’origine remonte pour nous jusqu’à Homère. Beaucoup de broussailles ont poussé sur ce champ jadis si fertile ; quelques portions même ont été aliénées, mais on reconnait toujours la forte empreinte du génie grec ; au milieu des plus grands bouleversements dont l’histoire ait con- servé le souvenir, c’est-à-dire durant le v°, le vi et le vu‘ siècles, la vieille médecine grecque reparaît vivante encore dans les traductions et les amplifications latines. Après avoir parcouru une aussi longue carrière, où tant de noms, tant de faits, tant de doctrines, se sont présentés successi- vement ànotre examen et à nos méditations, il est bon de reve- nir sur le sommet où nous nous sommes arrêtés, pour de là contempler la route que nous avons parcourue et en marquer brièvement les diverses étapes. 68 ORIGINES. PREMIÈRE ÉPOQUE, OU ÉFOQUE THÉURGIQUE ET EMPIRIQUE. Il semblerait naturel de commencer l’histoire des sciences médicales par l’histoire de la médecine qui passe pour la plus ancienne, c’est-à-dire par la médecine des Indiens et par celle des Hébreux, de laquelle on a voulu rapprocher la médecine des Colchiens, des Égyptiens, et parfois aussi celle des Chinois. Diverses raisons ne permettent pas de se conformer à cet usage : il n’est pas du tout certain que la médecine orientale (j'entends une mé- decine scientifique, ou tout au moins naturelle) soit plus ancienne que la médecine grecque; le contraire même semble établi par des preuves qui chaque jour s’augmentent et acquièrent plus de force; en second lieu, la médecine orientale n’est l’origine de rien. En effet, qui dit origine, entend un point de départ, un germe d’où quelque chose prend naissance, se perfectionne et se répand : or la médecine orientale, ou confinée dans des casies, ou entravée par la théologie, le fatalisme et la superstition, n’a exercé aucune espèce d'influence sur le développement de la science ; elle n’a fait aucun progrès notable en vertu de ses pro- pres forces, et même le contact plus ou moins prolongé de la médecine grecque n’est pas devenu pour cette médecine une cause de progrès ultérieurs et de réformes sérieuses. Ilest égale- ment hors de doute que l’Institut médical d'Alexandrie ne doit rien aux collèges des prêtres égyptiens, et presque rien aux spécialistes qui couvraient le pays. La médecine dans la Bible ne consiste guère qu’en préceptes symboliques d'hygiène ; et la médecine chinoise relève en partie de celle de l'Inde, en partie de celle de l’Occident. Donc, tout, pour la médecine occidentale, je veux dire pour notre médecine, procède de la Grèce comme d’une source inta- rissable. La puissance civilisatrice, personnifiée dans le mythe de Prométhée, commence chez les Hellènes aux extrêmes limites de l’histoire et couvre successivement le monde entier des pro- duits les plus vivaces et les plus féconds. En aucun temps nous ne retrouvons cet élat sauvage par lequel un médecin hippocra- mn tomes SOURCES DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE GRECQUE. 59 tique veut que tous les hommes aient passé avant d'arriver aux notions les plus élémentaires de la vie domestique. «Sans doute, dit l’auteur de l’Ancienne médecine (À), dans les premiers temps l'homme n’eut pas d'autre nourriture que celle qui suffit au bœuf, au cheval, et à tous les êtres en dehors de l'humanité, à savoir, les simples productions de la terre, les fruits, les herbes et le foin. La nourriture dont on se sert de nos jours me semble une invention qui s’est élaborée dans le long cours des ans. » Il n'y à pas de proposition qui soit plus contraire à l’histoire et à la physiologie : à la physiologie, car nous n'avons ni les dents faites pour broyer le foin, ni l'estomac construit pour le digérer; à l’histoire, car cette espèce de sauvagerie, pire encore que ceile de l’ancienne Amérique ou de l'Océanie, est tout imaginaire. Nous savons ce que valent et ce que peuvent les vrais sauvages; jamais ils ne sortent de leur état primitif par la propre activité de leur esprit ; tous les efforts de la civilisation suffisent à peine pour leur faire franchir quelques degrés; le fétichisme a des racines trop profondes pour que jamais une idée médicale entre et demeure dans la tête du sauvage. D'autres auteurs, loin de rabaisser l’homme comme le fait Hippocrate, cherchent les origines de notre science dans l’inter- vention directe de la Divinité, et soutiennent que les premiers médecins furent des dieux ou des prêtres. De telles opinions, je n’ai pas besoin de le dire, ne rentrent pas dans le domaine de l’histoire positive. À quoi nous servirait aussi de remonter avec Schulze (2) et Daniel Le Clerc (3) par delà le déluge pour retrouver les traces de la médecine de Tubalcain? Quel attrait pourraient nous inspirer les textes de toutes provenances et de toutes dates accumulés avee une profusion stérile par Sprengel (4), pour (4) Hippocrate, Anc. méd., $ 3,t.1, p. 575-77, éd, Littré, — Cf, Eschyle, Prom., 442 et suiv.; éd, Dindorf. Lipsiae, 1865. (2) Schulze, Histor. medic. a rerum initio, p. 1-64. (3) Le Clerc (Hist. de la médecine) ne consacre pas moins de 74 pages in-4 d'un texte assez fin, à l’histoire de la médecine et de ses progrès pendant les vingt-huit premiers siècles du monde jusqu'au temps de la guerre de Troie! (4) Sprengel, Gesch. der Arzneikunde (éd. Rosenbaum), t. I, p. 30-84; 111-128. 10 ORIGINES, édifier ses crédules lecteurs sur la science médicale de Pro- méthée, d’'Hercule, de Bacchus, de Mélampe, d’Aristée, du Cabire Casmilus, du Phénicien Sydyk, du Seythe Toxaris, d’Isis, d'Osiris, et d’autres personnages encore moins célèbres, ou sur les vastes connaissances botaniques de Médée, d'Hécate et de Circé? Le faux Orphée, dans ses Argonautiques (4), a décrit minutieusement le jardin d'Hécate, et Sprengel (2) n'apporte pas moins de soin à commenter cette description ; aussi Le Clerc et Sprengel n’ont-ils plus de place pour Homère, à qui ils accordent seulement quelques lignes. Quand s'ouvrent les annales du monde ancien, c’est-à-dire au moment où le vieil Homère chante les luttes héroïques de lOc- cident contre l'Orient, et quand déjà ont eu lieu les deux guerres de Thèbes et l'expédition des Argonautes, nous trouvons l’art médical entre des mains expérimentées, non pas entre les mains des dieux, mais entre celles des hommes (3). Au siége d’Ilion, les Grecs ont leurs médecins, qui ne sont revêtus d'aucun carac- tère sacerdotal, et dont le poëte a dit qu’on doit les tenir pour les plus utiles des humains. On vient de le voir, les sources originales nous font complé- (4) Vers. 914 suiv., éd. G. Hermann. (2) Sprengel, Geschichte der Arzneik., t. 1°*, p. 41 suiv. (3) Dans l’Jliade, Esculape n’est point un dieu, mais un simple mortel ; ses fils Po- dalire et Machaon ne sont aussi que des hommes. Dansl’hymne homérique /n Aeseula- pium (Hymn. xv, vers. 1), il n’est encore qu’un héros, médecin des maladies ; c’est la même désignation dans les Orphica (fragm. 28, vers. 12; Frag. phul., p.179, Coll. Didot). Son nom ne se trouve pas dans la Théogonie d'Hésiode, et, au fragment 87 (Catalogi), c’est toujours un homme, malgré son origine en partie divine. — Aux vers 4437-38 du Philoctète de Sophocle, Hercule promet à Philoctète de lui en- voyer Esculape qui apaise les maladies; c'est encore du médecin qu'il s'agit. Mais déjà dans Pindare (voy. les sept premiers vers de la troisième Pythique), l'auréole divine commence à briller autour de la tête du disciple de Chiron.—Lobeck (4 ylao. phamus, pp. 309 et 312) pense que la médecine augurale et hiératique a pris sur- tout naissance au siècle d’Hésiode. Il est certain que déjà, dans l'Odyssée, la magie exerce son empire, et qu’elle prépare les esprits à recevoir de bonne heure et favo- rablement la médecine des temples d’Esculape; cependant, c’est dans l'Odyssée (XVII, 374 suiv.) qu'on trouve le renseignement le plus précieux sur la médecine proprement dite exercée par des laïques ; et, d’autre part, je n’ai pas rencontré dans Hésiode de traces de la médecine d’'Esculape. SOURCES DE L'HISTOIRE DE LA MÉDECINE GRECQUE. 71 tement défaut pour la première période de l’histoire de la méde- cine grecque ; Homère est notre plus ancien témoin, les poëmes homériques constituent nos plus antiques archives. Faut-il done renoncer à donner de cette période une idée, même incomplète, et à en retrouver quelques traits caractéristiques ? Non ! Et c'est ici que nous devons faire intervenir l’histoire de la médecine indienne, en nous plaçant toutefois à un point de vue particulier et différent de celui qui a été choisi par les autres historiens. Ce n’est pas une comparaison que nous voulons établir maintenant entre la médecine grecque et la médecine indienne, d’après des ouvrages récents, d'après la compilation de Susruta, par exem- ple(4); c’est la plus ancienne période de l’histoire de la médecine crecque que nous voulons essayer de retrouver dans la plus vieille littérature de l'Inde. Aux âges primitifs, il n'y a pas d’autre littérature que la poé- sie religieuse et guerrière ; c’est là que le peuple met toute son âme, toutes ses passions, toutes ses croyances, c’est là aussi qu’on trouve le reflet de toutes ses connaissances et le germe de la civilisation des âges subséquents. Mais « où sont les hymnes des anciens Hellènes récités par les Aëèdes? Ils avaient des chants antiques, de vieux livres sacrés ; de tout cela il n’est rien par- (4) Nous reviendrons ailleurs sur cette comparaison, et nous aurons alors à discuter l'opinion des personnes qui pensent que la médecine grecque vient de la médecine indienne. Le docteur Allan Webb, résidant dans l'Inde, auteur d’un ouvrage impor- tant intitulé: Pathologia indica, a soutenu par de faibles ou même par de très-faux arguments cette dernière opinion dans un écrit qui a pour titre: The historical Relations of ancient Hindu with Greek Medicine in connexion with the study of modern medical science in India, lecture faite en juin 1850, au Coïilége médical de Calcutta, The Calcutta Review, 1850, vol. XIV, p. 541 et suiv., a donné une ana- lyse détaillée et cependant insuffisante de ce discours. — Le savant docteur Wise, dans un ouvrage récent, et où l’on trouve une excellente analyse du système de médecine d’après Susruta (Review of the History of Medicine, vol. I, Londres, 1867, le seul paru jusqu'à présent), soutient la même opinion que Webb, mais comme peut le faire un orientaliste distingué et un érudit bien connu par ses travaux sur la médecine indienne. Cependant j'avoue que je ne suis pas eucore convaincu.—M. Fr. Tredenlenburg, le fils du célèbre philologue, a soutenu, le 12 juin 1866, à Berlin, une thèse fort instructive qui a pour titre: De veterum Indorum chirurgia, 31 p. in-8, et où il incline vers l'opinion de Webb par des motifs plus raisonnables, mais que je ne crois pas mieux fondés, 72 ORIGINES, venu jusqu’à nous. Quel souvenir peut-il donc nous rester de ces générations qui ne nous ont pas laissé un seul texte écrit(T)?» Heureusement le passé d’on peuple ne meurt jamais compléte- ment; Si NOUS Ignorons ce que pensaient au moment où, quit- tant leur berceau (2), les diverses tribus qui furent plus tard con- fondues sous le nom d’Hellènes, conmmencérent à couvrir l'Asie Mineure, les îles et le continent de la Grèce, c’est-à-dire bien longtemps avant Homère, nous pouvons, à l’aide du Rig-Véda, essayer de déterminer ce que pensaient et ce que savaient leurs proches parents, les Aryas de l'Orient, il y a près de trente-cinq siècles. Comme rien n’est mieux démontré que l’étroite parenté des habitants des bords du Gange avec les populations helléni- ques ; comme, dans l’histoire de toutes les fractions de la race indo-européenne, on entrevoit dés l’origine un idiome com- mun, et, dans la suite des temps, un même culte et les mêmes usages, on arrive, par une induction à la fois légitime et natu- relle, à renouer pour un peuple les fils rompus de la tradition, en puisant dans les documents authentiques qui émanent d’un autre peuple. € À voir l'Indien tel qu’il est actuellement et avant que l’on connût les Védas, on devait avoir beaucoup de répugnance à considérer son existence comme une image des temps les plus anciens. Aujourd'hui, on peut admettre avec pleine confiance que nous avons réellement sous les veux, dans l’état des Indiens à l'époque védique, un tableau extrêmement fidèle de la vie de nos ancêtres commune aux Indo-Européens (3). » Ainsi, nous sommes autorisés à chercher dans les vieux hymnes des Védas une esquisse de l’état probable de la médecine chez les Hellènes durant une partie au moins de la période qui a précédé Homèëre. Je dis une partie, car le plus ancien des Védas, le Rig, corres- pond à une époque beaucoup plus rapprochée de la réunion (1) Fustel de Coulanges, La cité antique, 2° éd., Paris, 1866, p. 5.—Cf. Maury, Relig. de la Grèce antique. Paris, 1857, t. I, p. 237 et suiv. (2) Compris entre la mer Caspienne, les déserts de l’Asie centrale et la chaine de l’Indou-Koh. (3) Weber, Hist, de la litt. indienne, trad. Sadous. Paris, 1859, p. 15. MÉDECINE INDIENNE D'APRÈS LE RIG-VÉDA. 13 des peuples indo-européens en une même contrée que l’époque dont le chantre de la ruine d’Ilion est héritier immédiat (1). Puisque de très-bonne heure la négligence des hommes ou les injures du temps ont détruit les premiers monuments de la littérature grecque, nous avons essayé de tirer du Rig-Véda, de ces hymnes magnifiques qui célèbrent comme des divinités tantôt les forces de la nature et tantôt certains objets terrestres ou ma- tériels, tout ce qui peut servir à nous initier aux plus anciennes connaissances de nos ancêtres dans Part médical. Nous avons interrogé les Indous, ils nous ont répondu et ils ont porté témot- gnage pour leurs frères les Hellènes. Une simple lecture du Rig-Véda nous a conduit aussitôt à faire deux parts dans ce recueil d’hymnes : les six premières sec- tions contiennent évidemment les hymnes les plus anciens; les deux dernières renferment au contraire ceux qui sont relative- ment les plus récents, et qui ont le plus de rapports, ceux de la septième avec le Sama-Véda qui les reproduit à peu près entié- rement, ceux de la huitième avec l'Afharva-Véda. Cest surtout dans ces deux dernières séries que commencent à se faire Jour, comme l’a remarqué M. Max. Müller, l’anthropomorphisme et les systèmes de cosmogonie et de métaphysique. Dans les six premières sections, la médecine est tout entière et directement entre les mains des dieux; la thérapeutique n’a pas d'autre formulaire que les invocations et les prières. On ne peut pas dire qu'il y ait des dieux spéciaux de la médecine; presque tous sont invoqués contre les maladies; néanmoins les deux Aswins, ces dieux véridiques et protecteurs, ces merveilleux médecins, ces cavaliers jumeaux qui mettent les ténèbres en fuite, annoncent l'aurore et président au réveil bienfaisant de la nature, semblent plus spécialement chargés des soins de la santé. Dans le Aig-Véda, dans ce recueil d’hymnes qui, pour la plu- part, datent de la vie pastorale des Aryas, la préoccupation des affections internes l'emporte, cela semble évident, sur l’obser- vation des accidents dont la chirurgie se réserve le traitement. Or, c’est précisément le contraire dans l’{/iade, en raison de la (4) Cf. Maury, Religion des Aryas, p. 15, dans Croyances et Légendes de l'anti- quité, Paris, 1863, in-8. 74 ORIGINES. différence des situations et des époques, tandis qu'avec l'Odyssée on se retrouve dans un milieu plutôt médical que chirurgical, parce qu’alors la période héroïque est sur son déclin. Ces ré- flexions suffisent à montrer que la recherche de l’antériorité absolue de la chirurgie ou de la médecine est vaine, un peu oiseuse et s'appuie sur de faux principes de critique historique. Tout se borne à savoir apprécier le caractère des documents qu’on interroge et à en tirer des induclions sur la prédominance relative et parfois apparente seulement de l’une ou l’autre branche des sciences médicales. Wilson (1) nous semble con- fondre les époques, n’avoir pas songé au Rig-Véda et s'attacher à des légendes plus récentes, quand il avance que chez les In- dous la chirurgie a précédé la médecine. Au premier de ses jours, l’homme a été également exposé aux attaques de la fièvre et aux blessures ; de là, très-probablement, sous une forme ou sous une autre , l’origine simultanée de la médecine et de la chirurgie. Seulement 1] faut remarquer que, suivant les époques de l’histoire, et par conséquent en raison de la diversité des com- positions littéraires et des sujets qui y sont traités, c’est tantôl la médecine, tantôt la chirurgie qui est en relief. C’est dans une des sections les plus récentes du Rig-Véda qu'on rencontre un passage qui peut se rapporter aux vrais médecins. Le poëte, s'adressant à Soma, s’écrie, dans un hymne quirappelle certains mouvements de la poésie élégiaque grecque : € Nos vœux sont variés, les œuvres des hommes sont diverses : le charron veut du bois, le médecin une maladie, le prêtre des libations (2). » Dans la septième, et surtout dans la huitième section du Æig- Véda, on voit apparaître la magie ou les opérations artificieuses et trompeuses (deceptive, Wilson), mais non pas encore la magie qui usurpe les droits de la médecine. Il y en a de deux sortes: la bonne et la mauvaise; la bonne, à laquelle président les dieux, et qui sert à combattre la mauvaise, celle des Rackasas et des {1) Wilson, Recherches sur les sciences médicales et chirurgicales des Indous, tirées du Magasin oriental de Calcutta, 1823, et insérécs dans le recueil de ses Œuvres, vol. I, part. 3, p. 271. (2) VIL v, 12; 4, trad. Langlois. MÉDECINE INDIENNE D'APRÈS LE RIG-VÉDA. 75 Souras, Mais c’est surtout dans l’'Atharva-Véda que nous voyons la magie, ou du moins les jongleries sacerdotales (c’est-à-dire les imprécations et les actes conjuratoires, au lieu de la simple prière confiante et résignée), intervenir pour le traitement des maladies. Nous n'avons rencontré que trois noms de maladies, celui de la lèpre, puis la consomption ou phthisie (Raddjayakchma), puis enfin, si nous ne nous trompons, une allusion allégorique à l'effusion de sang (dournaman) qui accompagne l'avortement. Enfin, il y a quelques passages qui se rapportent à la piqûre des serpents ou autres bêtes venimeuses, piqûre très-redoutée des Aryas, qui voient du venin partout, contre laquelle il existe plusieurs conjurations, et dont les médecins, dans les siècles postérieurs, s’attachent particulièrement à combattre les consé- quences fatales. Aussi, les meilleurs médecins, comme on le voit au temps d'Alexandre, étaient ceux qui se montraient les plus babiles dans le traitement des morsures venimeuses. Peut-être pourrions-nous trouver dans cette crainte des serpents les ori- gines reculées du serpent d'Esculape; ce qui serait un souvenir des légiiimes préoccupations de nos ancêtres, car les serpents cont répandus à profusion dans l'Inde et dans les pays avoisi- nants (1). { Telle est la première période, ou, si l’on aime mieux, la pre- mière phase de la médecine chez les Aryas: quelques termes vagues d'anatomie; très-peu de physiologie ; deux ou trois noms de maladies; nulle mention de moyens thérapeutiques; une seule allusion à un médecin; mais non plus ni dieu spécial de la médecine, ni prêtres médecins, et, par conséquent, ni temples dont on essaye de faire des cliniques, ni jongleries qui simulent un traitement. Ün y remarque seulement une foi pure, simple, naive, enfantine en la puissance des agents du monde extérieur invoqués sous la personnification divine; un abandon absolu, et certainement désastreux, du malade et de la maladie, non pas aux (4) La mortalité provenant, dans l'Inde, des morsures de serpents venimeux, est même plus grande qu'on ne le suppose généralement. Ainsi le docteur Shortt, de Madras, à publié un relevé dans lequel il montré qu'en 1866, il est mort jus- qu'à 1890 personnes de cette cause, rien que dans la présidence de Madras. 76 ORIGINES. forces bien dirigées de la nature, mais à tous les hasards du mouvement pathologique. Cette première période de l’histoire de la médecine devrait plutôt s'appeler : absence de toute méde- cine. Cependant ce n’est pas, tant s’en faut, l’état sauvage; on entrevoit même, durant ces siècles sans date, quelques tentatives qui préparent à une intervention plus réelle et plus efficace de l’homme pour le traitement de ses maladies. Dans les dernières sections du Aig-Véda, l’invocation aux plantes prend un sens plus médical, quoique ce soit le prêtre qui fasse office de mé- decin et que l’action des plantes scit en quelque sorte soumise à la prière du prêtre. : La période des invocation$ nous conduit à la période de con- jurations (4), où nous voyons apparaître l'usage superslitieux de plantes et d’autres moyens physiques plus déterminés. Las d’at- tendre avec patience la bienveillance secourable des divinités protectrices, les Arvas attaquent le ciel de vive force et contrai- gnent par des charmes les dieux à leur venir en aide; le résultat n’est pas meilleur, mais l’imagination est plus satisfaite; on croit aux sorciers quand on ne croil guère où qu'on croit mal en Dieu. On objectera peut-être que ce n’est pas dans des hymnes qu’il faut chercher des documents sur l’histoire des sciences et en par- ticulier sur l’histoire de la médecine (2), et que, par conséquent, (1) Pour plus de détails, voyez nos Recherches sur l'état de la médecine durant la période primitive de l'histoire des Hindous (Paris, 1867, in-8). Voici l'indication des principaux chapitres: Dieux protecteurs de la santé, — Les médecins et la magie. — Des maladies et des pratiques médicales. — Physiologie générale; idée de la vie. — Génération; enfantement; soins aux nouveau-nés, — Anatomie, — Usage superstitieux des plantes. — Conjurations. (2) Le docteur Scohy, dans une brochure intitulée: Introduction à l'histoire générale de la médecine; études sur l'apparition et le caractère de la science chez les peuples primitifs du monde depuis la création jusqu'à l'ère grecque (Bruxelles, 1867, in-8), a prétendu refaire l’histoire primitive de la médecine sans laisser « parler ni les faits » ni les textes. Il ne connait ancune source ni de loin ni de près; il met Quinte-Curce avec Bossuet parmi les orientalistes, et cite comme des autorités Lamé-Fleury et Lefranc ! Mais ce n’est pas seulement en Belgique que des hommes, fort intelligents d’ailleurs, perdent leur temps ct le font perdre aux autres en traitant des sujets pour lesquels ils ne sont pas suffisamment préparés. MÉDECINE INDIENNE D'APRÈS LE RIG-VÉDA. 77 nous ne pouvons rien conclure du Æig-Véda touchant l'état réel de la médecine parmi les Arvas. Sans doute nous serions mieux renseionés si nous trouvions au début de la lttéra- ture indoue deux poëmes de rature différente, comme au début (début relauf, bien entendu, puisque les antécédents manquent) de la littérature hellénique. Cependant cette objection n'est pas aussi sérieuse qu’il semble à première vue. D'abord nous n’avons pas autre chose que des hymnes et nous devons bien nous en contenter; en second lieu, chez tous les peuples, la poésie popu- laire primitive est l’écho fidèle-des connaissances de ces peu- ples; en troisième lieu, les formes de la littérature correspondent assez exactement aux formes de la civilisation, et quand un peuple ne chante que les dieux, c’est qu'il n’a encore que les dieux pour auxiliaires dans toutes ie choses de la vie : c’est le propre des peuples enfants et des peuples en enfance (1). Aux premières lueurs de la civilisation, la nature étonne, charme ou épouvante, mais on n’a pas même l’idée de la soumettre, et l’on en divinise toutes les manifestations ; un peu plus tard, on commence à s’apercevoir que l’homme dispose de forces qui souvent peuvent contre-balancer avec avantage les forces du monde extérieur ; mais presque aussitôt et presque en même temps, l’homme se laisse à son tour maitriser par son semblable, par les chefs ou les rois, surtout par les ministres des dieux ; il n’a pas assez de science pour observer avec sûreté et pour diriger ses instincts vers l’em- ploi naturel de sa puissance; 1l rencontre alors plus de sujets de terreur que de motifs d’admiration et de confiance ; la théologie spontanée, naïve, devient une théologie calculée, réglementée, où la superstition pénètre de tout côté par l'influence des castes sacerdotales. L'action de ces castes, d’abord salutaire, naît directement et spontanément des sentiments religieux primitifs ; mais peu à peu elles prennent une suprémalie tyrannique en entretenant la pusillanimité de MERDE et en élouffant les libres efforts de la pensée. (1) Nous reviendrons sur ce sujet à propos des Sagas des peuples du Nord, ct quand nous aurons à nous occuper des superslitions médicaies chez les nations abâtardies, ou dans les classes mal instruites du pouvoir et des droits de la nature et de la science, 78 COMMENCEMENTS DE LA MÉDECINE SCIENTIFIQUE. Cette marche de lesprit humain, qu’il est plus facile peut-être de constater que d'expliquer, on peut la suivre pour ainsi dire pas à pas dans les Védas ; et même, d’une partie à l’autre du Rig-Véda, on observe des nuances très-sensibles et fort curieuses à étudier. Dans les hymnes qu'on tient pour les plus anciens, les Arvas ne paraissent avoir eu, en ce qui touche leurs maladies, aucun intermédiaire entre eux-mêmes et les dieux secourables; — tandis que, dans les hymnes qui passent pour les plus récents, on rencontre, en même temps que la mention expresse des mé- decins, un culte plus fortement organisé, mille détails de la vie publique ou privée, des essais de cosmogonie et de doctrines philosophiques ou physiologiques (1) qui trahissent un second degré de civilisation, des formes littéraires plus travaillées et parfois moins pures; plus tard, on entrevoit des passions plus ardentes, souvent plus mauvaises, et l’on constate empire de la magie; ce qui prouve bien que les hymnes, comme les autres genres de la littérature, peuvent être le miroir où se reflète toute la vie d’un peuple. Les différences sont si tranchées, même dans la traduction française de M. Langlois, entre les divers groupes d’hymnes du Rig-Véda, que je suis étonné de ne pas les voir plus expressé- ment marquées dans l'ouvrage de Weber (2), qui avait le sanserit à sa disposition. L'histoire de la médecine commence pour nous, chez les Grecs, dans deux poëmes épiques; puis, un peu plus tard, nous en trou- vons quelque trace dans un poëme didactique ; mais, après Ho- mère et après Hésiode, c’est la poésie lyrique ou la tragédie qui, durant un assez longtemps, sont, à peu près nos seules sources de renseignements ; cependant, même dans ces genres littéraires, en apparence si ingrats, nous pouvons reconnaitre certains pro- grès en anatomie, en physiologie et en pathologie, qui nous (4) Les recherches de M. Liétard tendent à établir une certaine relation entre les diverses ébauches des systèmes philosophiques et cosmogoniques avec les doctrines physiologiques chez les premiers Indous. Nous attendons avec impatience le déve- loppement et les preuves des idées ingénieuses qu'il a déjà émises à ce sujet dans ses Lettres historiques sur la médecine chez les Indous (Paris, 1863, in-8). (2) Voy. Hist. de la littérature indienne, p. 93-99, HOMÈRE; LYRIQUES, TRAGIQUES, COMIQUES. 19 permettent de suivre, quoique de loin, le mouvement de la science. Il n’y a donc pas de raison de marquer une défiance absolue pour les hymnographes indous, quand nous profitons si heureusement et si légitimement des lyriques grecs. DÉUXIÈME ET TROISIÈME ÉPOQUES. Je ne sais pas, et personne ne sait, ce qu’il y avait en Grèce avant Homère; mais ce que j'affirme, avec tous les critiques, c’est qu'Homère, le plus ancien écho de nos plus lointaines tra- ditions, est déjà le représentant d’une civilisation et d’une culture intellectuelle assez avancées, plus avancées sans doute qu’elles ne l’étaient au temps même de la guerre de Troie. Ce que j'af- firme aussi, en ce qui nous concerne particulièrement, c’est que l'Iiade et Y Odyssée renferment en germe une partie des connais- sances médicales des temps postérieurs ; la nomenclature anato- mique esi la même que dans Hippocrate (1); il n’y a d’autre différence que celle du plus au moins; les rares vestiges de doc- trines physiologiques qu'on remarque dans Homère sur l'essence de la vie, sur le rôle de l’air, sur les conditions de la formation du sang, prennent une forme plus arrêtée chez les philosophes et chez les médecins ; la chirurgie, du moins la détermination des régions dangereuses, le pronostic des blessures et quelques règles de pansement (2), reposent déjà sur des principes dont nous avons constaté plus tard le développement dans la collection hippocratique. Enfin nous pouvons désormais affirmer, contraire- ment à l'opinion généralement répandue, que la médecine avait, au temps d'Homère, une existence aussi réelle que la chirurgie (3). Les premières assises de la médecine sont désormais posées; que maintenant interviennent les systèmes de physiologie, que (1) Dans mon mémoire intitulé : La médecine dans Homère (Paris, 1865, in-8), on trouvera un dictionnaire des termes anatomiques qui ne comprend pas moins de cent cinquante mots. Dans Hippocrate, la nomenclature des os est presque aussi indécise que dans Homère, et plus d’une partie importante du corps n'y est pas mieux décrite. (2) Daremberg, Mémoire précité, p. 59 suiv, (3) Daremberg, Mémoire précilé, p. 84 suiv. 80 COMMENCEMENTS DE LA MÉDECINE SCIENTIFIQUE. les vrais médecins mettent la main à l’œuvre, alors nous verrons le monument dù tout entier aux eflorts de la Grèce prendre bien vite des proportions de plus en plus régulières et vraiment imposantes. La médecine grecque, cette médecine que nous connaissons surtout par Hippocrate et par Galien, et qui s’est répandue dans le monde entier avec la renommée de ses représentants les plus illustres, est donc un produit autochthone. C'est de la Grèce, et de nulle part ailleurs, que nous vient directement, et presque sans aucun alliage étranger, notre médecine actuelle ; c’est en vertu de ses propres forces que la médecine grecque s’est transformée et qu'elle a fait tant et de si belles conquêtes. Harvey, Bichat, Broussais, sont les héritiers légitimes d’'Hippocrate, d'Hérophile, de Galien, de Bérenger de Carpi et de Vésale, comme Hippocrate est l'héritier d’'Homère, comme le chantre divin de la colère d'Achille est lui-même le fils d’une civilisation antérieure que nous soupçonnons d'après celle des Indous, ou que nous connais- sons seulement par ses résultats. Quels ancêtres, Messieurs, et quels quartiers de noblesse! quel spectacle digne de respect et d'admiration que de voir ainsi le flambeau de la science passer de mains en mains depuis bientôt trois mille ans, et arriver jusqu’à nous brillant des plus vives clartés! C’est par les reflets de l'Occident qu’à son tour l'Orient, berceau primitif de la race pélasgique, a été un moment illuminé. Ce qu’il y à eu de science médicale dans l’Inde, chez les Syriens, les Arabes ou les Juifs, vient des Grecs, et les Arabes ne nous ont rapporté, après l'invasion, que ce qu’ils avaient eux-mêmes pris aux Grecs lorsque des rela- tions suivies se furent établies entre l’Orient et l'Occident. Pour celui qui envisage l’histoire dans son ensemble, l'étude de la médecine chez les Arabes n’est qu'un accident; elle n’a profité en rien à l'Orient; peut-être même a-t-elle moins aidé qu’on ne le pense au progrès de la médecine en Occident, ou du moins n'y a-t-elle pas aidé de la façon qu’on s’imagine. La médecine grecque n’est sortie n1 des temples, ni des gym- nases, ut des écoles de philosophie, mais de l’officine des méde- cins. Dans Homère, la médecine est tout humaine, et jusque sur J'Olympe, Paeon, le médecin des dieux, use des moyens qui sont PRÊTRES, GYMNASTES, PHILOSOPHES. Si familiers aux médecins de l’armée grecque. S'il est vrai qu'entre Homère et Hippocrate on trouve des traces nombreuses d’une médecine théurgique (1), il est également certain que la méde cine naturelle n’a jamais été anéantie, ni même éclipsée, pas plus qu'elle ne l’est aujourd’hui par tous les concurrents que nous suscitent la superstition, le charlatanisme, le fluide magnétique et les esprits; à plus forte raison n’est-on pas en droit de sou- tenir que la médecine des temples est la seule qui ait été prati- quée entre Homère et Hippocrate. C’est en fouillant les ruines de la littérature classique que nous avons retrouvé les débris de la médecine exercée et pratiquée par des hommes de science, et non par les prêtres d'Esculape; Hésiode, Pindare, les comiques, les tragiques, les lyriques, les historiens antérieurs à Hippocrate, ont été cités devant vous, et tous ont rendu témoignage en faveur d’une médecine laïque et scientifique (2). Nous avons, à ce pro- pos, nettement distingué, avec Théopompe, Platon et d’autres auteurs, les Ascl/épiades desservant le sanctuaire du dieu, des Asclépiades médecins descendant d'Esculape par ses deux fils Machaon et Podalire, qui n'étaient ni dieux ni prêtres ; cette dis- tinction, qui repose sur des textes inattaquables, suffirait à elle seule pour anéantir le système de ceux qui veulent à tout prix donner à la médecine scientifique une origine sacerdotale. Long- temps avant Hippocrate, 1l v a des écoles médicales laïques à Cos, à Cnide, à Rhodes, à Crotone, à Cvrène; nous rencontrons, comme médecins publics ou pensionnés, des laïques et non des prètres dans toutes les grandes villes, à Athènes, à Samos, à Égine, et jusqu’à la cour des rois de Perse (3). (1) L'histoire authentique de cette médecine, c’est-à-dire du charlatanisme exercé, pour leur plus grand profit et non pour celui des malades, par les desser- vants d'Esculape ou des autres divinités médicales, ne commence qu'assez longtemps après Homère ; mais elle prend, et cela n'a rien qui doive étonner, un très-rapide développement. Les temples se multiplient sur le sol de Ia Grèce, et les médecins trouvent partout de nombreux et redoutables concurrents : les prêtres, qui disposent de la puissance divine; les philosophes, qui se font magiciens; la foule, qui a ses superstitions et ses recettes. (2) Voyez mon mémoire intitulé : État de la médecine entre Homère et Hippo- crate, d'après les poëtes et les historiens grecs. Paris, 1868, in-8. (3) Les Asclépiades ont reçu aussi le nom de périodeutes, parce qu'ils allaient DAREMBERG. 6 82 COMMENCEMENTS DE LA MÉDECINE SCIENTIFIQUE. C’est au temps de Platon et d’'Hippocrate, quand la médecine est déjà florissante, que les gymnastes font la plus vive concur- rence aux médecins en soignant les blessures, comme nos rebou- teurs, et en s’ingérant dans le traitement des maladies, surtout des maladies chroniques, comme cela est encore pratiqué de nos jours par les maîtres de gymnastique ; par conséquent, c’est la gymnastique qui usurpe les droits de la médecine, et non la mé- decine qui s’est enrichie des enseignements de la gymnastique ; l'hygiène seule lui est redevable de quelques perfectionnements. Cest un auteur hippocratique qui laffirme (1), et il faut le croire. Nous ne devons guère plus aux philosophes anté-socratiques qu'aux prêtres d’Esculape et moins encore qu’aux gymnastes. Je tiens pour une véritable mystification d’avoir présenté ces phi- losophes aux lecteurs crédules comme des anatomistes et comme des médecins. À en juger par leur biographie, et surtout par les fragments qui nous restent de leurs œuvres, la médecine des phi- losophes consiste en jongleries ; les échantillons de leur prétendu savoir anatomique, même lorsque ces philosophes s’appellent Alemaeon, Diogène d’Apollonie, Empédocle ou Démocrite, et qu’ils s’avisent de nous donner une description de l’ensemble des vais- seaux, lorsqu'ils parlent soit des canaux (non des nerfs) des yeux, des autres sens, ou de tout le corps, soit du mécanisme de la respiration, prouvent qu'ils n’ont jamais disséqué, et que toute leur science est un produit, non de l'observation, mais de l’ima- gination ; ils doivent être placés, à cet égard, beaucoup au-des- sous d'Homère. Homère observait la nature, les philosophes l'expliquaient en fermant les yeux. Je n’ai jamais pu com- prendre l'étrange prétention des historiens qui veulent à toute volontiers de ville en ville pour exercer leur art. Les autres médecins ont imité cette coutume, qui s’est perpétuée, du reste, à Rome, chezles Arabes et en Occident jus- qu'au xvrr sièele. C'était aussi une autre coutume répandue dans l'antiquité, et parti- culièrement chez les Asclépiades, comme on le voit par le Serment, que la médecine (théorie et pratique) füt enseignée par les pères à leurs enfants, sans exclure néan- moins les étrangers. (1) Ancienne médecine, $ 4. Voyez aussi Lieux dans l’homme, 35, sur les diffé- rences de ia médecine et de la gymnastique. INFLUENCE DE LA PHYSIOLOGIE PRIMITIVE. 83 force faire des médecins avec des prêtres, avee des gymnastes ou avec des philosophes, quand ces historiens avaient sous la main tant de preuves de l’existence indépendante de la science et de la pratique médicales; surtout quand le raisonnement pouvait les convaincre que, pour faire de la médecine, il faut nécessairement des médecins. L'influence des philosophes ne s’est exercée sur la médecine que par la physiologie. On retrouve dans la Collection hippocra- tique des témoignages positifs de cette influence; déjà Hippo- crate, du moins l’auteur de l’Ancienne médecine, la trouvait per- nicieuse et voulait, comme le dit si exactement Celse, séparer les deux domaines (1). Hippocrate soutenait que la médecine ne relève que d’elle-même; il voulait l’affranchir des hypothèses enfantées par les philosophes, dans leurs cosmogonies, et la ra- mener dans ses propres voies; il est vrai qu'Hippocrate substitue trop souvent les hypothèses médicales aux hypothèses philoso- phiques; mais la séparation n’en est pas moins réelle par l’in- tention, et elle montre quelle place il faut assigner, dans l’histoire de la médecine, à la philosophie anté-socratique. Ésope disait qu'il n’y a rien de meilleur et rien de plus mau- vais que la langue; j'en dirais volontiers autant de la physiologie. Il n’y a rien de meilleur qu’une bonne physiologie, ou du moins qu'une physiologie qui, reposant sur l’expérience, porte en elle-même les principes de son perfectionnement ; une telle physiologie réforme la médecine et transforme la thérapeutique. Mais aussi il n’y a rien de plus désastreux, de plus contraire aux progrès de la pathologie, qu’une mauvaise physiologie, surtout qu'une physiologie à priori, qui chaque jour trouve en elle-même les meilleures raisons de s’enfoncer de plus en plus dans les té- nèbres et d’enchainer l’essor de la science. C’est ce que nous (4) C’est un des auteurs Îcs plus récents de ia Collection hippocratique, an décla- mateur, qui a écrit: « Il faut transporter la médecine dans la philosophie et la philosophie dans la médecine, car le médecin-philosophe est égal aux dieux. » Encore ne faut-il pas prendre le change sur ce texte de la Bienséance (8 5), car il s’agit surtout de la philosophie morale, ei des qualités communes au médecin et au philosophe. 8h COMMENCEMENTS DE LA MÉDECINE SCIENTIFIQUE. avons pu constater presque à chacune de nos leçons. En vain les observations les plus délicates et les plus difficiles se multiplient dans l’école hippocratique ; en vain aussi, à Alexandrie, les re- cherches anatomiques les plus précises dévoilent plus d’un secret de notre structure ou de celle des animaux; les idées sont plus entêtées que les faits, la physiologie résiste si bien qu'elle plie à son usage, ou plutôt qu'elle dénature, pour les ranger sous sa loi, les découvertes de l’anatomie et les conquêtes de la pathologie. Parfois même on crée une analomie de fantaisie pour se con- former aux exigences de la physiologie et, par suite, à celles de la pathologie. I y a dans la Collection hippocratique un traité qui est inti- tulé Du cœur, et où il est question de la structure et des fonc- tions de cet organe; c’est là que nous trouverons un de ces exemples décisifs qui prouvent combien et comment la mauvaise physiologie peut empêcher la bonne anatomie de tirer des faits les mieux observés les conséquences naturelles qui y sont con- tenues. L'auteur de ce traité a déterminé la forme pyramidale du cœur, logé dans une fosse du poumon comme dans un mor- tier ; il sait que c'est un muscle très-fort dont la chair est comme feutrée; il connait le péricarde et le liquide jaunâtre (il le com- pare à l'urine) qui y est contenu : si bien, dit-il, que le cœur semble s’agiter en une vessie ; — 1] a distingué les deux ventri- cules par leur ampleur, leur épaisseur, leurs positions respec- tives, et l’aspect de la face interne de leurs parois; il a trouvé le ventricule gauche vide de sang après la mort, tandis que l'aorte paraissait encore remplie de ce liquide « qu’elle buline dans le ventre » ; il a vu la communication de ces ventricules et des oreilles (même il ajoute que les oreilles ne se weuvent pas en même temps que les ventricules). l’orifice des vaisseaux pul- monaires et de l’aorte (qu'il appelle fleuves de la vie), les val- vules, leur mécanisme, leurs piliers tendineux, les colonnes charnues du cœur. Rien de plus exact que cette anatomie (1), rien de plus faux que la physiologie correspondante. (4) N'oublions pas de signaler une des premières traces de la funeste doctrine des causes finales apr liquée à l'anatomie : « Le cœur, dit notre auteur, est l’œuvre INFLUENCE DE LA PHYSIOLOGIE PRIMITIVE. 85 Le liquide du péricarde, destiné à éteindre le feu du cœur, le feu inné contenu dans le ventricule gauche, est sécrété par le cœur lui-même, qui lappe en partie la boisson lorsqu'elle arrive au poumon par la trachée (1). Ce passage de la boisson, qui se fait peu à peu, pourquoi l’auteur y croit-il? En vertu d’une ex- périence qui, du reste, «ne réussit pas entre les mains du pre- mier venu! » Vous ne le croiriez jamais si le texte n’était pas for- mel, explicite. Mais pourquoi a-t-il fait cette expérience? Ce n’est pas pour chercher simplement ce qui peut être, c’est pour ap- puyer une opinion préconçue ! Or cette idée préconçue qui vicie même la méthode expérimentale, c’est que dans l’ensemble de la physiologie du traité Du cœur, l'eau devait nécessairement passer par le poumon, qui est naturellement froid. Voici cette physiologie : l'air et l’eau, substances crues, ne sont pas un aliment pour l’homme, mais un remède qui atténue l'excès de chaleur du cœur et du poumon. L'eau lubrifie la tra- chée; une partie revient avec l'air durant l'inspiration, l’autre va au cœur, et de là dans le péricarde : quant à l’air, il s'échappe une fois qu'il a rafraichi, et ainsi toujours. Dans cette pressante nécessité d’éteindre l'incendie du cœur, il n’y avait, en eflet, rien de mieux à faire que de verser de l’eau (2); C’est là une physiologie sur laquelle l'anatomie n’a eu aucune bonne influence; voici maintenant une physiologie qui a créé toute une anatomie. Elle se trouve dans un livre (Des lieux de l’homme) qui a, du reste, comme le traité Du cœur, toutes les allures enidiennes. L'auteur établit d’abord que le corps est un cercle où il n’y a, par conséquent, ni commencement ni fin, de façon que les maladies prennent origine dans tout le corps, et d'un artiste habile. Ayant reconnu que ce viscère serait de structure solide. et qu'il était tout entier attractif, il lui adjoignit des soufflets (orerlleltes), comme le font les fondeurs aux fourneaux, de sorte que, par cette entremise, le cœur se procure la respiration. » (1) La croyance au passage d’une partie de la boisson par la trachée est défendue (Affections internes) et attaquée (IVE livre, des Maladies) dans des ouvrages qui font partie de la Collection hippocratique. (2) On voit que cette idée d'une combustion dans le cœur est bien loin de la combustion de Lavoisier dans le poumon, Dans les deux théories, l'air joue juste- ment un role contraire. 86 COMMENCEMENTS DE LA MÉDECINE SCIENTIFIQUE. que chacune d’elles retentit sur toute l’économie. Il part de là pour émettre cette proposition qu’il faut connaître la structure de l’homme pour diagnostiquer les maladies. Or ces maladies consistent particulièrement en des fluxions qui, descendant de la tête, se portent tantôt ici, tantôt là. Pour se rendre compte de ces transports, on à imaginé une distribution de plusieurs paires de vaisseaux (1) qui, partant de la tête, se rendent aux diverses parties de la face, particuliérement aux organes des sens; au cou, aux épaules, le long des vertèbres jusqu'aux reins, et aux hanches; on ne sait trop d’où vient la veine cave, qui a cepen- dant des relations avec certaines veines de la tête, et qui fournit des rameaux aux membres. Tout le système vasculaire ne fait qu'un seul réseau, et les veines s'écoulent l’une dans l’autre. À quelques siècles de distance, Galien, pour mettre d’accord la structure embarrassante du cœur et le passage des esprits dans les artères, ne trouve rien de mieux que de percer la cloison qui sépare les deux ventricules! Son autorité était telle qu'il a fallu toute celle de Vésale pour détruire cette monstrueuse erreur. Quand l’auteur des Épidémies rapporte des observations de fièvre rémittente, ou qu’il les résume dans un tableau sympto- matologique, sans y mêler d’hypothèses physiologiques, nous reconnaissons chacun des traits de la maladie et nous admirons la sûreté et la profondeur du coup d’œil d'Hippocrate; puis, lors- qu’au contraire nous étudions les ouvrages où domine la théorie des fluxions, nous entrevoyons bien, en plus d’un passage, qu’il s’agit encore de cette même fièvre, mais elle est pour ainsi dire disloquée, et l’on n’en rencontre guère que les membres épars au milieu de toutes les explications à l’aide desquelles on cherche à se rendre compte des divers symptômes; l’unité morbide a dis- paru pour faire place à des états pathologiques qu'il faut péni- (4) Il est dit que les vaisseaux des tempes battent; maïs ces vaisseaux ne sont pas reconnus pour des artères ; ils ne sont distingués des veines ni par leurs noms, ni par la description ; le battent est expliqué non par la nature du contenant et du contenu, mais par le choc de deux courants sanguins qui vont à l’encontre l’un de l’autre dans ce lieu spécial. — Voyez cependant, entre autres passages, sur la dis- tinction anatomique des artères et des veines, Épid., IL, 1v, 4. INFLUENGE DE LA PHYSIOLOGIE PRIMITIVE. 87 blement rapprocher les uns des autres si Pon veut leur restituer leur véritable signification. Ce n’est pas la connaissance de la structure du cerveau, ni l’étude patiente de la distribution des nerfs qui ont conduit Ga- lien à distinguer, mieux qu’on ne l’avait fait avant lui, des racines motrices et des racines sensitives; c’est la méthode expérimen- tale, c’est-à-dire la physiologie en action, qui, cette fois, s’ap- puyant sur des notions positives, lui ont ouvert cette voie (1). Le terrain était presque neuf : la physiologie du système nerveux absolument ignorée des très-anciens philosophes, à peine indi- quée dans les hippocratistes, méconnue par Aristote, avait fait son entrée dans le monde scientifique à Alexandrie, sans le cor- tége des vaines hypothèses et sous le patronage de médecins qui n'étaient, sur ce point, engagés par aucun préjugé. Ainsi, l'anatomie peut préparer les voies à la physiologie, mais, seule, elle est incapable d’en redresser les erreurs, de mener à des dé- couvertes, de dévoiler la nature des fonctions ou d'en expliquer le mécanisme. Ces vues sur le rôle de la physiologie m'ont beaucoup servi au- trefois dans la classification des périodes de l’histoire de la méde- cine; elles me servent chaque jour à déterminer, soit la nature, soit l'étendue des progrès de la pathologie dans la suite des sié- cles ; à juger avec impartialité les hommes et leurs écrits, à me rendre compte de la succession et de l’enchaînement des systè- mes. C’est une lumière qui n’égare jamais et qui permet toujours de retrouver son chemin au milieu de ces mille détours où se com- plaît l'esprit humain quand il manque la ligne droite. Je comprends « l’aridité d’un exposé didactique qui embrasse toutes les épo- ques de la science et promène lentement l'auditeur rebelle à tra- vers les siècles », si, dans son « exposé », le professeur se con- tente de mettre bout à bout les faits, les noms et les dates, sans chercher jamais à dominer son sujet ni à éclairer sa route ; mais alors l’aridité est à la charge de l'historien et non pas à la charge de l’histoire. (4) Voyez mon Exposition des connaissances de Galien sur l'anatomie et la physio- logie du système nerveux. Paris, 4841, in-4. 88 COMMENCEMENTS DE LA MÉDECINE SCIENTIFIQUE. L'histoire de la médecine échapperait donc seule aux con- ditions de toutes les autres histoires? Est-ce que, seule, elle per- drait à être présentée dans son ensemble? Est-ce que, seule en- core, elle deviendrait à la fois moins stérile et plus attrayante, si elle était adjugée par morceaux comme les thèses de concours ou les sujets d'examen? Pourquoi donc ne conseille-t-on pas d'enseigner ainsi la patholosie, la chimie et la médecine légale? Je ne crois pas que la compétence soit plus universelle chez un professeur de pathologie interne ou de thérapeutique, que chez un professeur d'histoire; je ne pense pas davantage que l’histoire de la médecine, lors même qu’elle ne serait pas une « panacée effi- cace » (1) pour toutes les défectuosités de la médecine actuelle, mérite moins de considération que la pathologie. (1) Béhier, Lecon d'ouverture du cours de clinique médicale, Paris, 1867, in-8, p. 21.— Nous avons vu que si l’histoire n’est pas une « pauacée » , elle est, du moins, un guide assez sùr à travers les méthodes et les systèmes ; nous savons aussi qu'elle fournirait plus d’un enseignement positif au elinicien et au pathologiste, qui croi- raient ne pas perdre tout à fait leur temps à l’étudier sérieusement. (hi Sommaire: De la place qu'Hippocrate et la Collection hippocratique occupent dans l'histoire de la médecine. — Ce que les auteurs de cette Collection ont pensé sur le médecin, la médecine, le malade et la maladie, — Ce qu'est l'anatomie dans Hippocrate, MESSIEURS, Les réflexions qui précèdent nous ramènent d’un peu loin, mais directement, à Hippocrate. Lorsqu'un médecin célèbre, M. Double, disait, au sein de l’Académie de médecine, « qu'Hip- pocrate seul, sans antécédents, sans rien avoir emprunté aux siècles qui l'avaient précédé, puisqu'ils n'avaient rien produit, ouvre à l'esprit la route de la vraie médecine », il était précisé- ment de ceux qui, étudiant l’histoire par fragments, ne savent presque rien de ce qui précède et pas grand’chose de ce qui suit, de sorte qu’ils ne peuvent porter que des jugements erronés ou incomplets. Nulle part, dans la Collection hippocratique, les au- teurs ne se donnent comme les premiers qui aient défriché le champ de la médecine; presque tous, au contraire, parlent d’une médecine beaucoup plus ancienne, et quelques-uns même ren- voient à des livres aujourd’hui perdus. Jusqu'ici et dès nos premiers pas, nous avons entrevu dans le lointain, à travers mille accidents de terrain, l’œuvre hippocratique non pas comme un éclair qui tout à coup sillonne la nue, mais comme le couronnement naturel d’un édifice dont les assises se perdent, pour les Grecs, dans la nuit de l’histoire. Tous nos efforts ont tendu à rattacher le siècle d'Hippocrate aux siècles précédents et à justifier cette parole d’un médecin de Gos (1) : «La médecine est dès longtemps en possession de toutes choses, cn possession d’un principe et d’une méthode qu’elle a trouvés; (1) Ancienne médecine, 2. 90 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. avec ces guides, de nombreuses et exceilentes découvertes ont été faites dans le long cours des siècles...» Hippocrate n’a pas été le point de départ de nos recherches; au contraire il en a été le but; le temps qui le précède a été pour nous une prépa- ration à cette époque mémorable où tout vient concourir et abou- tir en Grèce, au siècle de Périclès, le plus grand siècle peut-être dans les annales de l'esprit humain, parce qu'il est le plus com- plet et le moins artificiel. Il faut n’avoir ni étudié l’histoire grecque, ni réfléchi sur les conditions du développement de la science et des lettres, ni par- couru les Dialogues de Platon, les Comédies d’Aristophane, les Tragédies d’Euripide, ou les fragments des comiques, pour s’ima- giner que la médecine est sortie toute faite de la tête d'Hippo- crate, comme Minerve tout armée du cerveau de Jupiter. Qui donc a jamais dit que Phidias avait inventé la sculpture, Socrate la philosophie et Aristote la logique ou la rhétorique? Sans re- monter plus haut que le siècle même où a paru le chef de l’école de Cos, on reconnaît bientôt, en lisant les auteurs dont je viens de rappeler les noms, qu'Hippocrate est né en un pays et à un mo- ment où la médecine intervient dans presque toutes les circon- stances importantes de la vie publique et privée, où elle sert de termes de comparaison pour toutes sortes de préceptes moraux ou de doctrines politiques. Lors même que nous n’aurions sur l'existence florissante de la médecine avant le siècie d’Hippocrate aucun témoignage, il faudrait bien encore admettre que mi Euripide, ni Aristophane, ni Socrate n’ont pu prendre dans les écrits d'Hippocrate les renseignements qu’ils nous fournissent en si grande abondance sur la médecine et sur les médecins. Hippo- crate est né en A60; Socrate dix ans avant, en 470 (1); Euripide en A80 (2); Aristophane vers l’an 450 (3); il est par conséquent (1) On n'objectera sans doute pas que nous avons les ouvrages de Platon (né en 430) et non pas ceux de Socrate; mais le disciple n’est que l’écho de la parole du maitre ; et personne ne croira que Platon ait parlé à chaque page de médecine, si Socrate n’y avait pas fait à chaque instant allusion dans ses conversations et dans son enseignement. (2) Ses débuts sont de 455. (3) Ses débuts paraissent dater de 434. HIPPOCRATE N’A PAS INVENTÉ LA MÉDECINE. 91 de dix ans seulement plus jeune qu'Hippocrate. Entre de telles limites, ni Hippocrate, quel qu’ait été son génie, n'aurait eu le temps d'inventer la médecine, surtout de lui donner tout à coup tant d'extension et tant d'autorité; ni Socrate, ni Euripide, ni même Aristophane, quelque empressement qu’on leur suppose pour une science si nouvelle, n'auraient eu non plus le loisir de s’en instruire et de s’y intéresser à tel point qu’ils en discou- rent comme d’un sujet d'étude familière. Ce n’est donc pas seulement par curiosité, mais pour défendre une thèse historique que nous avons recherché avec un soin tout particulier ce que peuvent nous apprendre sur la con- dition du médecin et sur l’état des sciences médicales dans la société grecque, à la venue d'Hippocrate, Socrate par la bouche de Platon, Euripide, Aristophane et quelques autres auteurs de moindre conséquence. Nous avons aussi jugé le système anato- mique et physiologique de Socrate d’après le Timée, et nous avons reconnu que ce système se rapproche beaucoup plus de ceux qui ont été imaginés par les philosophes anté-socratiques qu'il ne rappelle les théories qui dominent dans la Collection hippocratique. C’est là une preuve non équivoque que Socrate n’est pas le disciple d’'Hippocrate, mais le témoin bien informé de connaissances depuis longtemps acquises. Il est plus difficile de parler simplement d’'Hippocrate que de faire écho à ces élans d’un enthousiasme de commande, qui ne manquent jamais de se produire chaque fois qu’il est question du «divin vieillard ». Ne nous laissons pas détourner du vrai chemin par la crainte, ou de manquer de déférence envers « le prince de la médecine », ou de succomber sous le poids de tous les travaux dont les écrits hippocratiques ont été l’occasion. La meilleure marque de respect qu'on puisse donner à un auteur, c'est de le lire avec assez d’attention pour le comprendre et pour découvrir ses vrais mérites; d’un autre côté, ni le nombre, ni l'importance des éditions ou commentaires ne doivent faire suspendre son propre jugement et arrêter les recherches per- sonnelles. D'ailleurs, l'embarras est aujourd’hui moins grand qu'il ne semble au premier abord. Je l’affirme parce que je le 92 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. Sais : tout, où du moins presque tout ce qui a été écrit sur Hippocrate entre Galien et M. Littré est une œuvre à peu près stérile, faute de méthode, de critique, de connaissance de l’his- toire et de science médicale. Cette méthode, c’est M. Littré qui l’a trouvée; cette critique, c’est lui qui l’a introduite ; cette his- toire, c’est lui qui en a posé les bases: cette science médicale, ce sont les modernes qui l’ont renouvelée depuis Hippocrate et depuis Galien. Il est certain que, même pour ceux qui n’ont d’autre but que de trouver « la philosophie de l’histoire », le point de départ de toute étude sur la Collection hippocratique, qui est un assem- blage de pièces évidemment disparates, doit être de classer les écrits qui la composent. Quel que soit le système de classification qu'on adopte ou qu’on crée, il faut passer par ce premier degré. Ce n’est point, comme on affecte de le dire, un délassement de philologue ; c’est le travail fondamental de l'historien. Mais pourquoi prétendre ainsi donner le change et surprendre la religion des auditeurs ou des lecteurs? Comment ! on ose dire qu'il n'importe pas de classer les écrits d'Hippocrate en différents groupes ! La doctrine étiologique est-elle donc identique dans le traité Des airs, des eaux et des lieux, et dans V'Ancienne méde- cine? Est-ce que la pathogénie est la même dans les ouvrages de Cnide et dans ceux de Cos? Est-ce que la nature médicatrice, dont on fait tant d'état, se trouve dans tous les livres de la Coi- lection? Est-ce qu’il n’y a aucun intérêt à rapprocher les notes des ouvrages qu’elles ont servi à rédiger, et à voir ici des faits particuliers qui deviennent là des propositions générales? Quoi! la philosophie de l’histoire n’a rien à gagner à tout cela! Enfin, quand vous parlez de la doctrine d’Hippocrate, qu’entendez-vous par Hippocrate, et de quoi composez-vous cette doctrine? Il a fallu la bonne volonté et le défaut absolu de critique de Galien, pour chercher et pour trouver, à force de conciliations ou de contradictions, dans la Collection hippocratique, une doctrine uniforme. En un sujet aussi compliqué, la divergence d'opinions sur les détails n’est pas une raison de dédaigner ce problème histo- 1ique : c’est, au contraire, un motif pour les hommes de bonne { \ l COMMENT ON DOIT ÉTUDIER HIPPOCRATE. 05 volonté de chercher à mener la solution aussi près du vrai que possible. Quand la méthode est trouvée, dit un auteur hippocra- tique, celui de l'Ancienne médecine, le reste se trouve dans le suite des siècles; or, c’est précisément en suivant la méthode trouvée par M. Littré que nous avons pu, en reprenant chaque traité isolément, arriver ensemble à une classification encore plus rigoureusement naturelle que celle qui a été adoptée par mon illustre maître (1). Quant à la vie d'Hippocrate, ne voulant point fatiguer votre attention à énumérer et à réfuter toutes les fables débitées sur la vie et les actions du médecin de Cos, je me suis contenté de vous renvoyer à l’étude détaillée que J'ai faite autrefois de cette légende (2), et je vous ai rappelé en deux mots ce que l’on sait de positif touchant ce grand homme : [l'est né vers l’an 460, à Cos, où il a tenu école, au temps de la splendeur d'Athènes, dans le grand siècle de Périclès, siècle qui a produit Sophocle, Ariste- phane, Euripide, Thucydide, Socrate, Platon, Phidias, Polyclète, et qui était encore tout illuminé des derniers ravons de la liberté. Sa réputation es arrivée Jusqu'à Socrate, qui parle de lui en maintes circonstances (3). On peut regarder comme ses écrits authentiques, le traité Des fractures et celui Des luxations, car ils (1) Dès l'année 1858, dans le Journal des Savants, et surtout deux ans plus tard, dans mon Introduction aux Œuvres choisies d'Hippocrate (p. LXXII-CXI), j'ai fait subir à la classification de M. Littré des modifications qu'il a approuvées pour la plupart; dans mes Leçons, j'ai encore introduit quelques changements ré- clamés par une nouvelle étude d’un texte qui ne dit jamais son dernier mot. — Aux pages vi et suiv, de la préface du II vol, de son édition d'Hippocrate ( Utrecht, 1859-1864), édition avec laquelle il faut désormais compter comme avec celle de M. Littré, M. le docteur Ermerins, un de nos plus habiles philologues, a résumé en un tableau le résultat de ses recherches ingéuieuses ou savantes sur la classification des écrits d'Hippocrate, Malgré ma déférence pour un érudit aussi distingué, il m'est impossible d'accepter cette classification, surtout pour ce qui regarde les écrits réputés cnidiens, el pour ceux qu'on peut attribuer ou refuser en toute confiance à Hippocrate. (2) Voyez mon Introduction aux Œuvres choisies d'Hippocralte, p. xxr, suiv. (3) Une étude comparative de tous les passages où Platon parle de la médecine, des médecins et des malades, avec divers traités de la Collection hippocratique, m'a beaucoup servi à déterminer, sinon l’auteur de ces traités (une telle recherche est illusoire), du moins le temps et l’école où ils ont été rédigés. 94 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. ont en leur faveur un témoignage contemporain, celui de Ctésias et, un peu plus tard, celui de Dioclès. Combien on en voudrait savoir autant sur Homère! Du reste, Messieurs, n’est pas qui veut un héros de roman ou de légende : il faut s'appeler Homère, Alexandre, Charlemagne, Hippocrate ou saint François d'Assise; il faut vivre en un pays et dans un temps où le peuple a encore le vif sentiment des existences idéales. La légende d'Hippocrate a commencé presque de son vivant. Elle se continue de nos jours, non plus, Messieurs, en ce qui re- garde sa vie, mais, ce qui est bien plus fâcheux, en ce qui touche sa doctrine. Comme il serait beaucoup trop long de faire une étude d’après nature, c’est-à-dire d’après les textes, de la Collec- tion hippocratique, on se crée un Hippocrate de fantaisie, un type imaginaire; on l'offre au public comme le représentant d’une doctrine que ni l'histoire ni l'observation moderne ne justifient ; et, cela fait, on imprime fièrement dans un journal de médecine que M. Littré, dans ses traductions et ses interprétations, défigure Hippocrate par esprit de système! Sans nous émouvoir de ces jugements sommaires, nous avons résolûment abordé la Collection hippocratique, en ayant soin de rassembler tout ce qui concorde dans les divers traités, et de faire ensuite autant de groupes distincts qu’il y a de physiono- mies caractérisées et de doctrines nettement définies.Ces groupes, pour plus de simplicité, nous les avons, ici, réduits à trois (1) : Écrits d’Hippocrate et de l’école de Cos ; Ouvrages de l’école de Cride; Traités sur les maladies des femmes et des enfants, qui peut-être aussi sortent de cette dernière école : encore avons-nous donné une attention spéciale à la distinction des écrits originaux d'avec les résumés (Aphorismes), les compilations (Coaques), et celle des ouvrages achevés d’avec les notes qui ont servi de matériaux pour la confection d’autres traités (2), Quand nous connaîtrons bien Hippocrate, nous aurons la clef de la médecine jusqu’au xvu° siècle. Les systèmes qui ont un (1) Nous avons négligé volontairement quelques opuscules, ou qui sont mani- festement apocryphes, ou qui ne peuvent rentrer dans un groupe régulier. (2) 11 s’agit surtout des livres II, IV, V, VI, VIL des Épidémies, et du livre Des humeurs. LE MÉDECIN, LE MALADE ET LA MALADIE. 95 moment balancé la fortune de la médecine hippocratique n’ont eu qu’un jour; c’est toujours Hippocrate que nous voyons sans cesse à travers l’école d'Alexandrie, derrière Galien, et par Galien dans les compilations des Arabes et des arabistes. Les pre- mières tentatives de réforme se font au nom d'Hippocrate, qu'on cherche à dégager des nuages accumulés autour de ses écrits par Galien lui-même et par tous ses successeurs. Voilà, Messieurs, ce qui justifie les quatorze leçons que nous avons consacrées à la Gollection hippocratique, etle développement que nous donnons au résumé de ces leçons. Il n’y a pas d'œuvre qui soit aussi féconde que la Collection hippocratique, pas d'œuvre dont la lecture apporte plus d'instruction, et dont on se détache plus difficilement. Pour ce qui nous reste de l'antiquité, prenez Hippocrate, prenez l'anatomie de Galien, sa physiologie, son traité Des lieux affectés, ajoutez-y les conquêtes de la chirur- gle; tenez compte aussi d’un emploi plus judicieux par les dog- matiques de certains moyens de traitement, et d’une connais- sance plus approfondie des maladies chroniques de la part des méthodiques, vous aurez toute la science antique; rien d’essentiel, rien qui change la physionomie de la science, ne se produit jusqu’au xvrr° siècle. Personne, depuis Hippocrate, n’a eu une plus haute idée de la dignité médicale; personne n’a marqué plus de respect pour les malades (1) et plus de sollicitude pour leur guérison ou du moins pour leur soulagement et leur consolation (2); personne, non plus, n'a montré plus d'admiration pour les utiles découvertes, plus de soin à les perfectionner (3); plus de déférence pour les méde- cins consciencieux qui appliquent leur intelligence à toutes les parties de l'art, si faibles qu’elles soient (4) ; plus d’indulgence (4) Voy. Officine, 3, medio: « Ne pas découvrir ni montrer aux assistants, sans nécessité, les parties qui doivent être cachées. » — Cf. Bienséance, 7. (2) «Soulager, ou du moins ne pas nuire. » (Épid., 1, 5, etp. 419 de mon éd., le Comm. de Galien). — Cf. De l'art, 3; Maladies, I, 6. Il est dit (Épid., VI, 4,7), qu'il faut avoir des gracieusetés pour les malades, flatter leurs sens et tolérer leurs fantaisies quand elles ne font courir aucun danger, — Cf. Préceptes, 5, 6, 9. (3) Anc. méd., 2, (4) Régime dans les malad, aiguës, 2. 96 COLLECTION HIPPOCRATIQUE, pour les erreurs inséparables de toute science et de tout art, car une habileté consommée se voit rarement (1). et même, pour les bons médecins, les ressemblances amènent des méprises et des embarras(2); plus d’éloignement pour les médecins qui, tout occupés de leur fortune et de leur réputation, font étalage de leur savoir, caressent les préjugés du vulgaire, et règlent leur conduite sur le profit qu'ils en retireront (3); personne, enfin, qui ait fait preuve d’autant d'expérience et de bon jJuge- ment dans les relations journalières que la profession médicale établit entre le médecin, le malade et les gens du monde (4). Le sentiment de la dignité médicale, la crainte d'échouer dans les entreprises de la pratique, le souci des jugements du public (5), ont été poussés si loin par les hippocratistes et les cnidiens, que dans l'une et l’autre école il est souvent interdit de se charger, soit des cures difficiles ou impossibles, soit de cer- (4) Anc. médec., 9 : « Tant que les mauvais médecins traitent des personnes affectées de maladies peu graves, où les fautes les plus grossières ne produisent pas d'accidents redoutables (ces maladies sont beaucoup plus fréquentes que les maladies dangereuses), leurs erreurs passent inaperçues du vulgaire; mais s'ils tombent sur une affection violente, dangereuse, leurs bévues et leur inbabileté se manifestent aux yeux de tous, et la punition ne se fait pas attendre. » (/bid.) — Nous avons adopté la traduction de M, Littré pour tous les traités ou parties de traités que nous n’avons pas nous-même traduits. (2) Épid., VI, 8, 26. (3) Articul., 35, 42, 44, 16, 70, 78 ; Fract., 1, 30. — On lit dans le traité Des fractures ($ 1): « Il ne faut pas de longues études pour remettre un bras cassé, et tout médecin en est capable; je sais cependant que certains médecins se sont fait une réputation d’habileté par le vain étalage de leurs manœuvres qui séduisent le vul- gaire, mais qui devront faire une réputation d'ignorance auprès des gens du métier. Dans notre art, bien d’autres points sont jugés de la sorte. Le nouveau, dont on ignore l'utilité, est loué plus que la méthode habituelle, dont la bonté est déjà connue, et les choses étranges sont plus appréciées que les choses évidentes de soi. » — Cf. Préceptes, 7 et 13. (4) « La médecine est un art qui a sa réalité, auquel on à recours dans les circon- stances les plus importantes, et qu’on honore surtout dans la personne des artistes habiles et des bons praticiens. Il y en a de mauvais; mais il en est aussi qui excellent particulièrement; distinction impossible, si la médecine n’avait abso- lument aucune réalité, si elle n’avait rien observé en elle-même, ni rien trouvé, et si, au contraire, tous les praticiens étaient également inexpérimentés et ignorants, et si le hasard seul réglait tout ce qui concerne le soin des malades. » (Anc. méd., 1.) (5) Articul., 67. — Voy. De l'art, 3; Des maladies, 1, 18, LE MÉDECIN, LE MALADE, LA MALADIE. 97 taines maladies (1) : interdictions renouvelées dans la suite des siècles, et qu'on retrouve chez les Arabes. Cela explique com- ment il est défendu aux médecins de tailler les calculeux : cette opération était considérée comme une œuvre compromettante et qui devait être réservée aux spécialistes. Ce passage du Serment, qui a mis les commentateurs à la torture, s’explique tout natu- rellement par la suite de l’histoire, et nous avons retrouvé, au moyen âge (par exemple, dans la Somme médicale de Gau- thier, 1250), chez les Arabes, en particulier dans Avenzoar, la même interdiction pour les raisons que nous venons d'indiquer. Ce n’est pas dans les temples d’Esculape ni dans les écoles de philosophie que les médecins de Cos où de Cnide ont puisé leurs principes si fermes contre toutes les formes du charlatanisme, leur préférence si explicite en faveur de la médecine naturelle contre la médecine extra-naturelle; ce ne sont ni les prêtres ni les philosophes qui leur ont enseigné ce dédain superbe pour les applaudissements de la foule, ou cette recherche persévé- rante de l'utile et du vrai, ni cette appréciation judicieuse de la réalité, de la puissance de la médecine et de ses limites, ou cette merveilleuse aptitude à juger toutes les questions les plus élevées comme les plus minutieuses, que soulève la pratique (2). C'est au lit du malade qu'on acquiert tant d’éminentes qualités ; c'est par une instruction régulière, par une longue méditation et par l'observation de la nature et des hommes, qu’on arrive à des conceptions si exactes, à de si nobles préceptes. Ceux qui les premiers ont sanctifié l'épilepsie furent, à mon avis, dit un auteur hippocratique, ce que sont aujourd’hui les mages, les purificateurs, les charlatans, les imposteurs, ce que sont tous ceux qui se font passer pour très-pieux et pour en savoir plus que les autres. Jetant la Divinité comme un manteau et un prétexte pour abriter leur impuissance à trouver un trai- tement efficace, ils ont imaginé un traitement qui les met à l’abri (4) Fract., 16; Prorrh., 1,42; Art, 3el13; Aff. int.,12; Femmes stér., III, 233. (2) Offic., 4: « Il faut s'exercer à exécuter toutes choses avec l’une ou l’autre main el avec les deux à la fois, ayant pour règle l'utilité, la convenance, la promp- titude, la légèreté, l'élégance, la facilité. » Voy. aussi les $$ 6 et 10 du premier livre Des maladies, sur ce qui se fait bien ou de travers en médecine, DAREMBERG. 7 98 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. de tout reproche, et à couvert de tout événement s’il échoue (ils prescrivent, en effet, des purifications, des expiations, et dé- fendent les bains et. certains aliments qui conviennent peu aux malades), et qui les couvre de gloire, s’il réussit. Ce sont les dieux qui sont responsables de l’insuccès, et les charlatans qui tirent vanité et profit de la réussite. Le vrai médecin est celui qui sait trouver un bon traitement sans purification, sans arti- fices magiques, sans tout ce charlatanisme (1). Cela n’a pas été écrit dans un temple. Au dire de la plupart des historiens, la médecine commence à Hippocrate, et cependant 1l n’y a pas de pages de ses œuvres qui ne nous révélent les misères de la profession (2), les mé- comptes de la pratique, les rivalités des confrères, les tristesses, les résistances ou l’ingratitude des malades (3), et pas de pages non plus où nous ne trouvions des discussions hardies et pi- quantes contre les anciens ou les nouveaux médecins. Est-ce là le caractère d’une science qui n’a pas de précédents, et de sa- vants qui n’ont pas d’aïeux ? Des blâmes si énergiques et si mul- tipliés pour le mal, des éloges si fortement motivés pour le bien, ne permettraient pas de douter d’une longue existence de la mé- decine avant Hippocrate, lors même que l’état si avancé de la médecine elle-même ne viendrait pas à son tour déposer en fa veur de cette haute antiquité. Tout cela ne donne-t-il pas pleine confiance dans les résultats auxquels d’autres preuves nous avaient conduits, et ne fait-1l pas (4) Malad, sacrée, 1 et 18. Voy. Airs, eaux, lieux, 22, sur les maladies naturelles. (2) Des vents, 1: « Parmi les arts, il en est certains qui sont pénibles à ceux qui en possèdent les secrets, mais avantageux pour ceux qui en usent ;. qui sont une source commune de bien-être pour le vulgaire, mais une source de peines et de maux pour ceux qui l’exercent. Au nombre de ces arts est celui que les Grecs nomment Médecine. Le médecin voit des choses pénibles, touche des objets repoussants, et, dans les malheurs d'autrui, il recueille des chagrins personnels; les patients, au contraire, par l'entremise de l’art, échappent aux maux les plus terribles, maladies, souffrances, peines et mort; car c’est coutre tous ces maux que la médecine se montre efficace. » (3) « Un médecin visite un fébricitant ou un blessé; il fait une prescription : le lendemain, si le malade va plus mal, on accuse le médecin ; si au contraire il va mieux, on glorifie la nature, et le médecin ne recueille point d’éloges. » (Ma/a- dies, 1, 8.) LA MÉDECINE. 09 naître d'avance cette conviction, qu’en abordant l'étude des écrits hippocratiques, nous avons affaire à des œuvres vraiment médi- cales, avec lesquelles il faut désormais sérieusement compter ? Suivant Hippocrate (4), l’art tout entier est constitué par {rois termes: la maladie, le malade, le médecin. Nous savons ce que devait être le médecin, quelle idée il se faisait de la maladie, et quels étaient ses rapports avec le malade; voyons maintenant ce qu'était la médecine. Le début des Aphorismes a une majesté incomparable. Il est impossible d'imaginer des expressions à la fois plus brèves et plus saisissantes, pour peindre la grandeur de la médecine et la res- ponsabilité du médecin: — « La vie est courte, l’art est long (2); Poccasion est prompte à s'échapper (3); l'expérience est trom- peuse; le raisonnement est difficile. » La vie est courte, l’art est long : combien ces propositions sont encore plus vraies de nos jours qu’à l’époque d’'Hippocrate, (1) Épid.., Ï, 5. (2) Voici un commentaire peut-être cnidien sur cette proposition: « Il n’est pas possible d'apprendre vite la médecine pour la raison suivante : Aucune doctrine ne peut y acquérir de la fixité; par exemple, quelqu'un qui apprend à écrire par la méthode qu'on enseigne, sait tout; ceux qui savent, savent tous de la même ma- nière, et cela, attendu que la même chose, faite semblablement aujourd’hui et autrefois, ne devient pas contraire à ce qu’elle était, mais elle est constamment semblable à elle-même et n’a pas besoin d'opportunité. Mais la médecine ne fait pas la même chose maintenant et l'instant d’après; chez le même individu, elle fait des choses opposées, et ces actions sont elles-mêmes opposées l’une à l’autre. Par exemple, les purgatifs n’amènent pas toujours l'évacuation intestinale ; de plus, les purgatifs ont une double action, et mème ils ne se comportent pas toujours comme contraires des resserrants. » (Lieux dans l’homme, 41.) (3) Autre commentaire également cnidien (Affections, 43) sur la troisième propo- sition du premier aphorisme: « Parmi les maladies, les aiguës sont, à vrai dire, celles qui tuentle plus vite le plus de monde et qui sont les plus douloureuses ; elles réclament le plus de précautions ét le traitement le plus rigoureux (Cf, 4ph., I, 6); celui qui les traite ne doit ajouter de son fait aucun mal à celui que cause la ma- ladie, car ce mal-là est déjà bien assez grand; le médecin doit, au contraire, y apporter tont le bien qu'il peut faire. Si le médecin traite bien, mais si le malade est vaincu par la gravité de la maladie, la faute n’en est certes pas au médecin ; si le médecin ne traite pas bien et s’il méconnait le mal, et que le patient soit vaincu par la maladie, ce sera la faute du médecin. » 100 COLLECTION HIPPOCRATIQUE, puisque vingt-trois siècles ont accumulé les faits, multiplié les doctrines et étendu dans tous les sens le domaine où doivent s'exercer l'observation et le raisonnement. Que de choses à ap- prendre, mais aussi que de choses à oublier, et quel rare discer- nement réclame un tel partage! Cependant on trouve encore trop Jong le temps exigé pour ces études, et trop de médecins, aussitôt qu'ils tiennent entre leurs mains le diplôme tant souhaité, ou- bliant l'aphorisme d'Hippocrate, laissent de côté les livres, re- cherchent Ja clientèle, moins pour y trouver un accroissement d'instruction solide et profitable, moins pour entretenir la cul- ture de l'esprit, que pour effacer leurs confrères et accroître leur propre fortune. Il faut, je le sais, que le médecin vive du malade, mais je sais aussi qu’il faut que le malade ne meure pas du médecin et n’ait pas à courir la chance de sa maladie et celle non moins redoutable de l’impéritie, de l’inexpérience ou de la précipitation de son médecin. L'occasion est prompte à s'échapper. Saisir le moment op- portun est un précepte sur lequel Hippocrate revient sans cesse, tant l’ont frappé les terribles conséquences des heures perdues et l'impérieuse urgence du moment qui s'enfuit (1). I] n’est que trop facile de comprendre l'importance de ce précepte, pour peu qu’on réfléchisse à tous les désastres qu'entraînent la négligence du malade ou celle du médecin. (1) Littré, t. IV, p. 442. Voyez aussi sur les opportunités en médecine, oppor- tunités dont les unes sont pressantes et dont les autres consistent à choisir dans ie temps le moment convenable, Maladies, 1, 5. — Voici une raison théorique de l'urgence qu'il y à à saisir l’occasion, et par conséquent de faire de fréquentes visites: « Ce qui est dans les humeurs est instable et se change aisément par la nature et le hasard. Les choses non aperçues prennent les devants et causent la mort faute des soins nécessaires. Il est difficile de triompher de ce qui vient à la fois, plus facile de dominer ce qui se succède. » — (Bienséance, 13. Voy. aussi 2, où il est dit que le médecin doit être bien disposé pour saisir l'opportunité.) — On attachait unie telle importance à ne pas manquer l’occasion qu'un médecin hippocra- tique (Préceptes, L) va jusqu’à recommander à ses confrères de négliger le soin de ses honoraires, plutôt que de s’exposer à la moindre perte de temps en discutaut avec le malade. « La médecine est un art où la mesure est difficile à saisir (voy. 4ph., I, 1); celui qui le sait a un point fixe, il comprend en même temps les réalités et les non- réalités dont la connaissance constitue la mesure en médecine. » (Lieux dans l'homme, 44,) LA MÉDECINE. 101 Que de fois ne pourrait-on pas écarter les coups de la mort! que de fois du moins ne pourrait-on pas, en gravant dans sa mé- moire les paroles du vieillard de Cos, ajouter quelques heures à des jours fatalement comptés! Quelle cruelle responsabilité pour ceux qui assistent le malade, s'ils laissent passer le moment op- portun! quels remords pour un médecin si, par sa faute, il arrive trop tard ! quelle déplorable vanité de la part de ce même mé- deein, s'il aime à se vanter d’avoir tant de malades qu’il ne sait cornment courir aux plus pressés ! et s'il arrive, comme dans les Ménechmes de Plaute, tout effaré, disant qu'il vient de remettre la jambe à Esculape et le bras à Apollon! Combien au contraire est sage cette belle parole de Celse : que le meilleur praticien est celui qui ne perd jamais de vue ses clients! Lorsqu'on prend pour règle d'interpréter les divers passages de la Collection hippocratique les uns par les autres, il est bien rare que, de cette confrontation, il ne jaillisse pas des lumières inattendues. Ainsi le début du livre des Préceptes (K 1): « Dans le temps est l’occasion, et dans l’occasion un temps bref; la gué- rison se fait dans le temps, parfois aussi dans l’occasion. Celui qui sait cela doit, pour pratiquer la médecine, s'attacher non pas d’abord à un raisonnement probable, mais à une expérience ral- sonnée. » Ce début, dis-je, a beaucoup embarrassé les anciens et les modernes commentateurs (1); tout s’éclaircit vite si l’on rap- proche de cette proposition, un peu sophistique dans les formes, la proposition si concise, mais si claire, du premier aphorisme, et si l’on y ajoute les réflexions suivantes tirées des mêmes Pré- ceptes : Il y a des maladies pour lesquelles le temps ne fait pas défaut; Qily en a d’autres qui ne présentent qu'une occasion à peine saisissable, de telle sorte que c’est par une longue et minutieuse observation, mais non par un raisonnement 4 priort, qu'on peut distinguer le temps de l’occasion. Car il arrive trop souvent que la force de la maladie ne parait pas suffisante pour tuer le malade, s’il ne s’y joint l’inexpérience du médecin (2). » (4) Voyez dans les notes 4 et 2 (t. IX, p. 250-254) de M. Littré, les gloses que à >] ) D ÿ J j'ai découvertes sur ce passage, et page 200 de mes Notices et extraits des manus- crèts médicaux, (2) Préceples, 1. 102 COLLECTION HIPPOCRATIQUE, « L’affirmation en paroles est glissante et faillible ; il n’y a de solide que ce qui s’opère par démonstration d'œuvre: cest à quoi il faut se tenir et s’attacher sans réserve, si l’on veut obtenir cette aptitude facile et sûre que nous nommons médecine. Le raisonnement est louable s’il prend son point de départ dans l'occurrence et s’il conduit la déduction d’après les phénomènes. L'intelligence qui part, non d’une direction manifeste, mais d’une construction probable, erre souvent dans une condition sans issue et douloureuse (1). » Qu’en pensent nos médecins philosophes, et qu’en disent nos médecins cliniciens ? Hippocrate montre un sens médical exquis, lorsqu'il avance que les bons médecins se distinguent surtout des mauvais dans le traitement des maladies aiguës qui sont les plus meurtrières, et de celles où l’occasion d’agir avec succès est la plus fugitive. Le public n’est pas juge du mérite de pareilles cures, et ne com- prend pas ce qu’il faut d'expérience, de sang-froid et d’à-propos pour bien diriger le traitement de telles maladies (2). Il entend tous les médecins parler des mêmes remèdes, et, ne sachant pas reconnaître ni le moment opportun ni le meilleur mode d’admi- nistration, il suppose que les bons médecins n’en savent pas plus que les mauvais, et, par conséquent, il tient la médecine pour aussi vaine et aussi hasardeuse que la science des augures où chacun interprète à sa fantaisie le vol des oiseaux ou le sens des oracles (3). L'expérience est trompeuse, le raisonnement est difficile. I ne faut pas avoir longtemps réfléchi sur la mobilité des actes vitaux, sur les différences que présente une même maladie, sur les nuances infinies des tempéraments, sur la variabilité des milieux, sur la multitude des causes et la diversité de leurs actions, pour apprécier toute la justesse de ces deux propositions. Ajoutez à ces raisons que le médecin n’est pas toujours appelé ni dans les mêmes circonstances, ni au même moment de la maladie, de sorte que l'expérience d'hier ne peut pas servir au- (4) Préceptes, 4 et 2. (2) Voyez plus haut, p. 99, note 3, et p. 100-101. (3) Régime dans les maladies aiquës, 2 et 3. LA MÉDECINE. 403 jourd’hui, à moins que le discernement le plus subtil et le plus pénétrant ne vienne corriger les dissemblances et chercher à égaliser les situations. C’est là la confirmation et le meilleur commentaire rectificatif de l’aphorisme moderne: Ars medica tota in observationibus. Cela est si vrai, que les bons médecins eux-mêmes se laissent, au dire d’Hippocrate, tromper, égarer et embarrasser par les ressemblances dans les maladies, ressemblances plus apparentes que réelles (4). Terminons par un passage du traité, probablement cnidien, Des lieux dans l’homme ($ A6), où la toute-puissance de la médecine est démontrée par une image saisissante : « Il me semble que la médecine, j’entends celle qui est arrivée à ce point d'apprendre à connaître le caractère des maladies et à saisir l’occasion, est inventée tout entière; en effet, celui qui sait ainsi la médecine n’attend rien de la fortune, mais il réus- sira, qu'il ait ou non la fortune avec lui (Cf. De l’art, A). La médecine tout entière est fortement assise, et les plus belles dé- couvertes dont elle peut disposer ne paraissent pas avoir besoin de la fortune, car la fortune est indépendante, ne se laisse pas commander et ne se rend pas au désir de l’homme ; la science, au contraire, se laisse commander ; elle mène à d’heureux ré- sullats, lorsque celui qui sait veut s’en servir; après cela, quel besoin la médecine a-t-elle de la fortune? S'il existe des remèdes qui aient une action évidente contre les maladies, ainsi que je le pense, les remèdes n’ont rien à attendre de la fortune pour procurer la santé, puisqu'ils sont remèdes. Mais s’il est utile d’avoir le concours de la fortune quand on les administre, ils n’ont pas plus d'action pour rendre la santé que ce qui, n’étant pas remède, a pour soi la fortune. » Dans Hippocrate, l'anatomie, qu’elle soit exacte ou d’inven- tion, cela r’importe pas en ce moment, a une tendance pratique que j'ai cherché à mettre en relief par des exemples nombreux trés, soit des traités de médecine, soit des traités de chirurgie. En d’autres termes, l'anatomie n’est plus une science d’occasion, (1) Épid,, VL, vi, 26. 10 COLLECTION HIPPOCRATIQUE, comme dans Homère, et n’est pas encore un domaine de lhis- toire naturelle ou de la biologie, comme chez les Alexandrins ou chez Galien ; ce n’est, à cette époque, qu'un instrument fort imparfait de la médecine pratique. Nous devons cependant remarquer que l’anatomie comparée n’est {pas tout à fait étran- gère aux hippocratistes; on en trouve des traces à propos du cerveau, du gros intestin et du cœur ({). Cest surtout par l'étude des fractures et des luxations que, dans Hippocrate, l'anatomie a fait des progrès (2); et comme il est assez difficile d’avoir des idées préconçues sur les os, sur la nature et sur l'étendue des mouvements, sur les modifications que ces mouvements peuvent subir en raison des accidents ou des maladies dont ils deviennent le siége, la physiologie des mem- bres est déjà fort avancée, et l’invasion des hypothèses n’a pas altéré le résultat d'observations anatomiques très-précises. Le reste de la physiologie ne vaut guëre mieux, malgré quelques notables différences, dans Hippocrate que dans les philosophes; nous la retrouverons tout à l'heure intimement unie à la patho- logie générale. Loin de se réformer, cette physiologie a pris pleine et entière possession de l’erreur; mais nous lisons dans la Collection hippocratique une proposition fondamentale et qui doit faire excuser bien des fautes et bien des omissions, puis- qu'elle est précisément la base de tous nos jugements pour Hippocrate et pour ses successeurs : cette proposition, c’est que la pathologie n’est rien autre chose qu’une portion de la physio- (1) Voyez la savante et très-instructive dissertation du professeur Hirsch, de Berlin : Commentatio historico-medica de Collectionis hippocraticae auctorum Anatomia qualis fuerit et quantum ad Pathologiam eorum valuerit. Berol., 1864, in-4. (2) L’anatomie des os, telle qu’elle semble apparaître tout d’un coup et en bloc, pour ainsi dire, dans Hippocrate, n'a, ce semble, d’autres antécédents que la nomen- clature homérique ; mais la critique historique ne nous permet pas d'admettre un développement aussi spontané ; les intermédiaires nous échappent, il est vrai, toute- fois ils ont existé: ainsi on surprend l’auteur du traité Des fractures (4, 2, 3)en dis- position de blämer ses contemporains ou ses devanciers à cause de leurs opinions erronées sur l’anatomie des os et la structure des membres. — Voyez aussi, pour quelques points d'anatomie descriptive, pour l'anatomie dans les rapports avec les fluxions et pour la formation des parties, Lieux dans l'homme, 5, 6, 7, 8; le traité probablement cnidien Des glandes el celui Des chairs. L'ANATOMIE. 405 logie, et qu’il faut connaître l’homme sain et tout l’ensemble des choses pour bien traiter l’homme malade (1). Le mot même de nature, appliqué à ce que nous appelons anatomie (2), montre la différence qui sépare les anciens des mo- dernes. La connaissance du corps n’est point pour eux une ques- tion d’histoire naturelle n1 une question de description, mais une question d'organisme où tout se tient : les parties, leurs fonctions et leurs maladies. Là où nous avons deux mots: ana- tomie et physiologie, 1s n’en ont qu'un: g6ce, nature. I n’y a pour l’école de Cnide, pas plus que pour l’école de Cos, ni anato- mie ni physiologie pour elles-mêmes, mais une nature qui rè- sulie de parties et de fonctions, et dont l’étude est subordonnée à celle de la pathologie interne et externe. (1) Anc. médec,, 20. — Cf. Régime, 1, 2 ; Lieux dans l'homme, 2. (2) Le mot gvaroun, auatomie, ne se trouve même pas dans la Collection, sauf en tête d’un des traités les plus apocryphes; partout ailleurs on se sert de 2564, nalure. IV SommAIRE: Quel est le caractère de la pathologie générale (étiologie, sémiologie, thérapeutique) dans Hippocrate. — Dans quels écrits il faut en chercher les prin- cipes et les applications. — Ce qu'il faut penser du naturisme d’'Hippocrate et du naturisme en général. — Sentiment de Galien sur ce sujet. MESSIEURS, On doit chercher les principes de pathologie générale de Pécole de Cos dans le I‘ livre des Prorrhétiques, surtout dans le Pro- nostic et peut-être dans les, Æumeurs (1) ; la pathologie spéciale dans les Épidémies, la thérapeutique et la diététique dans le Régime des maladies aiguës ; enfin, pour l’étiologie, je renver- rais au traité Des airs, des eaux et des lieux, si je n’avais les plus grands doutes sur l’origine de cet ouvrage, où je surprends, à côté de belles observations sur l'influence des milieux et de considérations élevées sur les rapports du physique et du mo- ral, une théorie des fluxions qui se rapproche beaucoup de celle des Cnidiens (voy. sixième leçon), sans compter une multiplicité d'espèces morbides, de nombreuses explications physiques ou physiologiques qui sont étrangères aux Hippocratistes (2). (2) Pour peu qu'on veuille parcourir dans mon édition les Aphorismes et les Coaques (voyez pour les rapports des Coaques avec le Pronostic, p. Lxxxv de mon Introduction aux Œuvres choisies d'Hippocrate), on se convainera, en considérant les nombreux passages parallèles que j'ai indiqués pour presque toutes les sentences, d’après les autres traités de la Collection, que ces deux écrits doivent être rangés dans la catégorie des résumés et des compilations ; tous deux sont destinés à pré- senter, mais à des points de vue différents, l’ensemble de la pathologie. —- Les Aphorismes sont hippocratiques dans leur ensemble, mais je crois qu'ils ont été interpolés à l’aide de divers passages tirés de livres cnidiens et d’autres sources. (2) 11 faut encore remarquer que la théorie du causus (espèce de la fièvre pseudo-continue) est la mème dans ce traité et dans l’Appendice au Régime dans les maladies aiguës. DE LA PROGNOSE; 107 C’est dans le [* livre des Prorrhétiques qu’on rencontre la plus ancienne sémiologie, et dans le livre des Æumeurs qu'on trouve les propositions fondamentales sur les mouvements spon- tanés ou provoqués des liquides du corps humain, sur leur coc- tion, sur les crises, enfin sur l'influence soit favorable, soit nui- sible que les saisons antécédentes, aussi bien que les saisons actuelles, exercent dans l'organisme par l’état où elles mettent ces mêmes humeurs. « Hippocrate se propose, dans le Pronostic, de discourir sur les maladies aiguës, non pas sur toules indistinctement, mais sur celles-là seulement qui sont accompagnées de fièvre; car il y a des maladies aiguës qui ne sont pas nécessairement accom- pagnées de fièvre : telles sont l’apoplexie, l’épilepsie, le tétanos. — Si l’on objectait qu’il s’est occupé aussi des maladies chroni- ques, puisqu'il a parlé de l’hydropisie, des empyèmes et des affections de la rate, qui sont certainement des maladies chro- niques, on répondrait à cela que cette digression même montre avec quel soin il a traité des maladies aiguës ; car il n’étudie pas les maladies chroniques pour elles-mêmes, mais comme étant la suite d’un état aigu (4). » Voilà une vue générale sur le Pro- noshie qui est vraie et qu'il faut compléter par quelques autres réflexions. Hippocrate nous découvre, dès le début du Pronoshe, com- sent il a envisagé l’étude des maladies aiguës : elle consiste, pour lui, à deviner les circonstances passées (2), à pénétrer les faits présents, et, par suite, à prévoir les phénomènes à venir, dans le but de diriger le traitement avec plus de sûreté (3): c’est ce qu'il appelle la prévision, la prescience (rpér:), Où, comme on (1) Etienne le Philosophe, in Progn. Hipp. Comm., dans les Scholia in Hipp. et Gal., éd: de Dietz, €. I, p. 51 suiv. Parmi les modernes, c’est M. Ermerins qui, dans une dissertation spéciale, a le premier et le mieux montré le caractère pro- gnostique de la pathologie d'Hippocrate. (2) Les Hippocratistes ne dédaignent pas, quoiqu’ils y mettent beaucoup de réserve, d'interroger soit le malade, soit les assistants, pour s’éclairer sur la maladie. Voy. par ex. Aph. 1,1; Préceptes, 2. — Quant aux soins à donner aux malades, ils aiment mieux les confie à un élève déjà exercé qu'aux parents ou aux serviteurs; (3) Cf. aussi Épidémies, 1, 5. 106 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. traduit généralement, la prognose, qui embrassait l'étude des signes dans loute sa généralité. Presque absolument privé des lumières fournies par l’anato- mie et la physiologie normales ou pathologiques, Hippocrate considérait la maladie comme indépendante de l'organe qu’elle affecte ou des formes qu’elle revêt, ets’attachait particuliérement à en suivre la marche, le développement et la terminaison. Néan- moins, comprenant tout aussi bien que les médecins modernes la nécessité d'établir certaines règles fixes à l’aide desquelles il lui fût possible de prévoir la succession des phénomènes et l’is- sue définitive, et de trouver des indications certaines pour régler le traitement; mais ne pouvant arriver à tous ces résultats par la considération des symptômes propres à chaque maladie, c’est- à-dire de l’état fonctionnel et anatomico-pathologique des or- ganes qu'il n'avait pas l’art d'interroger, il porta toute son attention vers l’étude des conditions générales de la vie, vers l'observation minutieuse et tout empirique des phénomènes morbides qui sont ordinairement considérés non pas comme des existences nouvelles, mais comme des exagérations ou des perversions des phénomènes physiologiques. L'observation de ces phénomènes morbides du présent ne pouvant être utilisée au profit du diagnostic local, lequel consiste à déterminer la nature, le siége et l'étendue de la maladie (1), elle servit uni- quement et de toute nécessité à éclairer sur l’état à venir, sur la marche de la maladie, sur son plus ou moins de gravité, sur le temps et le mode de solution, et, par suite, à faire prendre telle ou telle mesure pour s'opposer aux accidents prévus ou pour les diriger. C’est là ce qui constituait en réalité le dogmatisme de l’école de Cos. Quand un élève de l’école de Cos avait bien étudié l’urine, les selles, les sueurs, les crachats, la respiration, la matière des vo- (1) N'oublions pas cependant de faire remarquer deux exceptions qui sont comme des échappées instinctives vers le diagnostic local: la respiration fréquente indique un travail morbide ou une inflammation dans les régions sus-diaphragma- tiques (Pronostic, 5); il faut se mettre en garde, lorsqu'on examine les urines, contre l’état de la vessie, qui, malade, peut donner aux urines les caractères que ce liquide offre dans certaines affections aiguës (#h#47,, 12). IMPORTANCE DONNÉE A LA FIÈVRE PSEUDO-CONTINUE. 109 missements ou des déjections alvines, le sommeil, les traits du visage, la manière de se coucher, les mouvements des mains, l'état de l’hypochondre, la température du corps, les dépôts critiques, peu lui importait de savoir précisément en quoi consis- tait le mal et quel en était le siége, le siége précis. Cependant il y avait bien quelques grandes divisions : les fièvres, les affections de poitrine en général, la pneumonie en particulier, et les em- pyèmes; les affections du foie, de la vessie, de l'oreille, de la tête, du pharynx. Les dernières phrases du Pronostic ne laissent aucun doute sur le peu d’étendue et de complication du cadre nosologique des Hippocratistes : « Ne demandez le nom d’aucune maladie qui ne se trouve pas inscrit dans ce livre; car toutes les maladies qui se jugent dans les mêmes périodes que celles qui ont été indiquées tout à l'heure, vous les reconnaîtrez aux mêmes signes. Or, dans quelque année et dans quelque saison que ce soit, les bons signes annoncent le bien et les mauvais le mal, » Si nous nous arrêtions, Messieurs, à ces considérations, nous n'aurions pas l'entière compréhension de la pathologie d'Hippo- crale ; outre ces traits généraux qui dominent ses écrits, il y en a un particulier et qui achève de leur donner la véritable phy- sionomie sous laquelle l’histoire doit les présenter : ce n’est pas sur toutes les maladies aiguës, mais plus particulièrement sur une certaine classe de ces maladies que portent les observa- tions du médecin de Cos. M. Littré a découvert la fièvre pseudo- continue ou rémittente dans les Épidémies où personne ne la soupçonnait ; de mon côté j'ai appelé votre attention sur ce fait capital, que la manière dont les élèves de l’école de Gos ont envisagé la médecine résulte en grande partie de la considé- ration à peu près exclusive du caractère spécial qui domine le règne pathologique dans le milieu où les hippocratistes ont exercé. En effet, la grande maladie de la Grèce (iles et continent), celle qui met son empreinte sur presque toutes les autres affections, c’est cette fièvre rémittente ou pseudo-continue; il n’y a, pour ainsi dire, pas un traité (1) sorti de l’école de Cos qui n’en pro- (4) Par exemple, on retrouve dans les Humeurs (voy. $ 4), et dans les livres IH, IV et suivants des Epidémies, des notes prises sur la fièvre pseudo-continue, 110 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. duise quelques-uns des trails; pas un où l'esprit de l’auteur ne soit dirigé de ce côté. Si l’on se place à ce point de vue pour étudier le traité Du pro- nostic et celui Du régime dans les maladies aiguës, on est aus- sitôt frappé de la justesse de ces observations, on découvre dans ces deux traités un sens qui échappe nécessairement quand on veut les considérer comme nos traités ordinaires de sémiologie ou de thérapeutique, et même on peut surprendre la main des interpolateurs qui glissent çà et là, surtout dans le Pronostic, quelques mots disparates pour compléter ces traités, comme un maçon qui s’aviserait d'ajuster quelques pans de murs à l'œuvre achevée, mais incomprise, d'un habile architecte. À vrai dire, il n’y a point de traités généraux dans les écrits qui appartiennent à l’école de Cos; ce sont des cliniques ou des monographies rédi- gées à un point de vue particulier; or, c’est là précisément ce qui en fait la valeur et ce qui nous les rend si précieux. Au milieu des propositions qui semblent embrasser l’univer- salité des maladies aiguës, vous trouvez presque toujours un regard vers la fièvre rémittente : ainsi l’auteur du Pronostic parle-t-1l, à propos de l'abdomen, des symptômes ou des étais pathologiques (hyäropisie, ictère) qui semblent dépendre d’affec- tions toutes locales, c’est encore cette fièvre qu'il a dans Ja pen- sée, car cette fièvre se complique souvent de désordres du côté de l'abdomen quand elle se prolonge, et elle devait se prolonger par suite de l'insuffisance du traitement; s’il parle de crises simples ou de dépôts critiques gangréneux, il ne faut pas juger cette question d’après la pathologie de l'Occident, mais d’après le résultat des observations sérieusement faites dans les pays chauds marécageux (1). Tout cela nous vous l’avons prouvé en examinant comparativement la clinique moderne des pays chauds avec celle des hippocratistes. Maintenant, quelle idée doit-on se faire des livres k et HI des Epidémies? (1) La place qu'occupent les empyèmes et les abcès de foie dans cette pathologie générale, qui devient ainsi presque ane pathologie spéciale, tient à la fréquence de ces affections dans les pays chauds. CARACTÈRE MÉDICAL DES ÉPIDÉMIES. aa Si l’on considère qu'Hippocrate range sous le nom d’épidémies les maladies annuelles produites par l’intempérie des saisons, on sera porté à regarder le motépidémie commesynonyme de ce que nous entendons aujourd’hui par constitution médicale saisonnière pendant laquelle règnent, sur une foule d'individus, des maladies ordinaires, mais qui alors revêtent toutes un caractère géné- ral plus ou moins tranché, tandis que le nom d’épidémue pro- prement dit est réservé à une époque pendant laquelle règne une maladie accidentelle, tenant à des causes générales indépen- dantes des localités, sévissant sur un grand nombre d'individus à la fois, qu’elle affecte de la même manière, fidèlement repré- sentée par chaque malade en particulier dans sa marche génc- rale, se montrant sous une forme presque toujours identique, ordinairement grave, souvent nouvelle, ou, si c'est une maladie ordinaire, présentant un caractère spécial dont le traitement est la meilleure pierre de touche. La quatrième constitution ren- ferme la description de maladies qui, par quelques points, se rapprochent des épidémies, telles que nous les entendons aujour- d’hüi, toutefois ce ne sont pas là encore de vraies épidémies. Dans la description des consütutions, Hippocrate se contente d'être un narrateur, un historien exact et précis ; 1l raconte, mais il n’explique pas; il signale la cause, mais ne recherche point la manière dont elle agit, et ne va pas, comme ailleurs, invoquer des théories humorales pour combler la lacune qui existe entre les causes et leurs effets. Dans les Épidémies, l'étio- logie est à l’état d'observation pure et simple, et c’est précisé- ment ce caractère qui fait le grand mérite du livre et qui le met à l'abri de toutes les attaques. Un mot sur les observations achèvera de nous faire connaître les caractères de la pathologie spéciale d’Hippocrate: le but principal des oëservations qui sont rassemblées dans les Épidé- mies, c’est d'enseigner la arche des maladies, de faire con- naître avec précision les paroxysmes et leurs périodes, les crises, que ces crises procurent la guérison ou qu’elles entraînent la mort. Aussi, dans lénumération des symptômes, Hippocrate ne procède pas d’après un ordre rigoureux ; il ne les suit pas toujours depuis le commencement jusqu’à la terminaison; ou 412 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. platôt ce n’est pas des symptômes qu'il s'occupe, mais des signes, c’est-à-dire des phénomènes qui portent avec eux une sorte de décision médicale ou d'enseignement pratique. Cette méthode ressort tout naturellement des principes posés vers la fin du Pronostic. Le traité Du régime des maladies aiquës est un livre de polémique et de doctrine. La polémique est dirigée d’abord contre les Cnidiens, qui usent de trop de médicaments dans les maladies aiguës, et qui parlent en général des maladies comme en pourraient parler les gens du monde; car, se bornant à décrire minutieusement chaque symptôme, ils font une maladie de presque chacun de ces symptômes, tandis qu'ils ignorent ce que le médecin doit connaître en étudiant la maladie et non en interrogeant le malade ou les assistants ; — en second lieu, contre les anciens, qui ignoraient le régime des maladies aiguës. La partie dogmatique du livre comprend l'exposé des principes qui doivent servir à régler ce régime, et en particulier l'emploi de la ptisane, ou crème d'orge, dans les maladies aiguës, celles que les Hippocratistes ont principalement traitées par le régime, mot qui avait même dans Hippocrate un sens beaucoup plus large qu'aujourd'hui (1). Ces principes sont d'éviter les changements brusques, de se mettre en garde contre les écarts de régime, qui entraînent surtout du danger quand le mal a déjà quelques jours de durée; enfin, de distinguer les espèces de faiblesses : l’une tient à la vacuité des vaisseaux, il faut nourrir; l’autre à une irritation, il faut faire diète. Broussais était de beaucoup en arrière sur Hippocrate. Le traité Du régime n’est qu'un fragment d’un travail plus (4) L'auteur (cnidien) du traité Des affections (47-60) a étudié par le détail les propriétés des substances alimentaires. Les doctrines de ce traité complètent et ne contredisent pas celles du IT° livre du Régime: mais, dans ces deux ouvrages, l'hygiène est considérée à peu près comme dans nos traités, c’est-à-dire d'une facon générale et pas du tout au point de vue restreint des Hippocratistes, c'est-à- dire au point de vue des maladies aiguës. ÊÉTIOLOGIE. 413 3 étendu sur la diététique et la pharmacologie des maladies ai- guës (1), mais ce fragment est un modèle de raisonnement; l’auteur y montre un sens pratique et une profondeur de vues qui en font un des plus grands livres de l'antiquité médicale. Dans aucun des ouvrages qui peuvent être rapportés à Hippo- crate lui-même, on ne rencontre un système complet d’étiologie rationnelle (2) ; c’est dans un traité apocryphe, mais probable- ment hippocratique, dans celui De la nature de l'homme (K 9), qu’on trouve une page où sont groupés les deux ordres de causes qui paraissent avoir particulièrement attiré l'attention des Asclé- piades de Cos. « Les maladies naissent, les unes du régime, les autres de l'air que nous introduisons en nous et qui nous fait vivre. On re- connaîtra de la manière suivante lune et l’autre espèce de mala- dies: quand plusieurs individus sont attaqués en même temps par une même maladie, 1} faut penser que la cause est com- mune, et qu'elle tient à quelque chose dont tout le monde use : ce quelque chose, c’est l'air que nous respirons. Car il est évident que le régime particulier de chacun ne saurait être Ja cause d’une maladie qui s'étend sur les jeunes, sur les vieux, sur les hommes et sur les femmes, sur ceux qui boivent du vin, sur ceux qui boivent de l’eau, sur ceux qui mangent du gâteau (1) Dans les temps modernes, les deux ouvrages qui rappellent le mieux ce traité d'Hippocrate sont: l'Hygiène thérapeutique de Ribes, et surtout l’Hygiène alimentaire des malades de M. Fonssagrives. (2) Dans l’Ancienne médecine, toutes les maladies sont expliquées par le régime : et cela paraît être aussi l'opinion de l’auteur du Régime dans les maladies aiguës. Dans le III jivre du Régime, les aliments et les exercices jouent également un grand rôle dans l’étiologie. — Dans celui Des airs, l’auteur, très-paradoxal, les place toutes sous l'empire de l'air, qui agit, soit dans sa totalité pour produire les pestes, soit partiellement, en entrant dans le corps avec les aliments pour engendrer les affections sporadiques, I est difficile de rapporter aux mêmes auteurs des expli- cations aussi différentes! — J1 y a également, dans les $$ 22 et 23 de l'Ancienne médecine, d’étranges propositions sur l'influence des organes creux et de l'air inté- rieur qui les remplit pour la production des maladies. Cette étiologie fantastique, en opposition si manifeste avec le reste du traité, où tout s’enchaine, me semble interpolée. C’est une question à reprendre, — Je me suis expliqué un peu plus haut (p. 107) sur le traité Des airs, des eaux et des lieux. DAREMBERG. Au COLLÉCTION HIPPOCRATIQUE. d'orge, sur ceux qui mangent du pain de froment, sur ceux qui se fatiguent beaucoup, sur ceux qui se fatiguent peu. On ne saurait donc s’en prendre au régime, puisque tant d'individus qui en suivent d’opposés sont atieints de la même maladie : il est manifeste que la cause doit en être recherchée dans l'air que nous respirons et qui, manifestement aussi, laisse échapper quelque exhalaison de matières morbifiques qu'il contient. Au contraire, lorsque, dans le même temps, il naît des maladies de toute espèce, il est évident que le régime est la cause individuelle de chacune d’elles, qu’il faut instituer un traitement opposé à la cause apparente de la maladie, et changer le régime (4). » Nous ne quitterons pas la pathologie générale sans présenter quelques réflexions sur la nature médicatrice, où naturisme. D'abord, qu'est-ce que la nature ? Chez Hippocrate, ce mot est pris dans des sens divers: 4 Dans celui d'organisme (assemblage des fonctions et des organes) doué de mouvements vitaux qui s’exercent, soit pour le maintien de la santé, soit pour la production des phéno- mènes morbides. — Quel est le point'initial de ces mou- vements? Cela n’est dit clairement nulle part, et nulle part non plus je ne trouve la mention d’un préncipe vital (2). Au contraire, dans l’organisme, tout est commencement et fin, tout concourt et tout conspire ensemble. Je vois seulement qu’au traité Des semaines ($ 32) la vie est comparée à une flamme qui s'allume, oscille et s'éteint (3). 2° La nature est encore l’ensemble des choses extra-humaines, l'univers. De sorte que la pathologie est étudiée tantôt dans ses (4) C'est dans ce traité qu'est proclamé et défendu le principe de la guérison des maladies par leurs contraires. — Quoique cette même doctrine prévale aussi dans le traité Des lieux dans l’homme, ow y lit cependant ($ 42) une proposition sur Ja guérison des semblables par les semblables dont les homæopathes se sont emparés bien à tort pour appuyer leur système, car les points de vue sont fort différents. (2) Ni dans les oouovre (impetum facientia ; Épid. VE, vin, 7), ni dans cette phrase des Préceptes, 1, phrase isdée, sans conséquence médicale, et se rapportant, au contraire, à la psychologie : « Il faut croire que la nature est mue et enseignée par les choses nombreuses et diverses, sous l’action d'une force, » (3) Voy., sur la production de l'âme, Épid. VE w2. NATURE MÉDICATRICE. 415 rapports avec la nature humaine, et tantôt dans ses rapports avec l'univers, ou les milieux cosmiques. 3° La nature signifie parfois le naturel, l'instinct. Les milieux agissent comme cause des maladies, ou pour l'entretien de l’or- ganisme; l'instinct est le principe de certains actes conservateurs. Quel est le rôle de la nature humaine, ou de l’organisme, dans la pathologie? Sur quoi se fonde tout le bruit qu’on fait à propos de la nature médicatrice dans Hippocrate? Sur deux textes assez obscurs, isolés, et qui ont donné lieu, dans l’anti- quité, à des interprétations diverses. Voici ces deux textes : Le premier passage est celui-ci: « Les natures sont les méde- cins des maladies (1). » Suit une proposition qu'on a voulu présenter comme un com- mentaire : « La nature trouve par elle-même, non par intelli- gence, el sans savoir, les voies et moyens. Exemples : cligne- ments, offices de la langue, et autres actions de ce genre. » Ici la nature, ce n’est pas le médecin des maladies, c’est linstinct, c’est la spontanéité des mouvements pour un but (2) : cela est mani- feste par un autre passage (3) où 1l est dit que /es natures n’ont, en rien, de maître pour les instruire. — De cette notion d’his- toire naturelle, ou de physique générale, à la nature médica- trice, il y a une différence considérable. D'ailleurs, ceite pro- position n’est pas propre à Hippocrate; elle se trouve déjà, presque sous la même forme, dans Épicharme. Enfin, et je ne dis pas cela pour les besoins de la cause, il semble évident que ces mots : Les natures médecins dès maladies, sont tout sim- plement un titre marginal passé très-anciennement dans le texte et inscrit par un copiste qui n'aura pas plus compris que les commentateurs l’aphorisme : « La nature trouve par elle-même les voies et moyens. » L'autre passage se lit dans le traité De l'aliment, K 15: « La nature suffit en tout, pour tous.» La suite du texte et le commentaire de Galien font voir que celte proposition si générale ne s'applique pas à la nature mé- (4) Épid., VE, v, 1. (2) On peut remarquer une idée semblable dans Régime, 1, 15. (3) Aliment, 39, 116 COLLECTION HIPPOCRATIQUE, dicatrice, mais à ce qui se fait contrairement ou conformément à la nature, c’est-à-dire avec ou sans opportunité, à temps ou à contre-temps. De l’ensemble de la doctrine hippocratique sur le rôle de la nature, et même de deux ou trois propositions fort isolées et d’origine suspecte, il résulte tout autre chose que ce qu’on en a dit; jamais les auteurs hippocratiques n’ont prétendu que la nature suffisait à tout pour la guérison des maladies. Non-seu- lement ils ne l'ont jamais dit, mais ils ne l’ont pas laissé sup- poser. Ils appellent le médecin desservant de l'art et non pas ministre de la nature (L). Asclépiade a prétendu dans l'antiquité, et les modernes ont répété avec lui, que la médecine d'Hippocrate était une médi- tation sur la mort, et qu’il n'avait pas de thérapeutique. Cela est faux. D'abord on trouve dans le Pronostic, dans le Régime des maladies aiguës, dans les Æpidénnes (surtout dans les livres réputés apocryphes), des traces manifestes d’une thérapeu- tique; en second lieu, on oublie que nous n'avons pas de traité vraiment hippocratique de pathologie spéciale, et que ceux que nous possédons sur la pathologie générale sont parti- culièrement consacrés à l’étude des symplômes, ou du pronostic, ou de l’étiologie, ou du régime proprement dit, de sorte que même n’y eût-il dans ces livres aucune mention de thérapeu- tique, on n’en pourrait pas conclure qu'Hippocrate restait spec- lateur inactif devant les malades. Dans les traités d’origine dou- teuse ou enidienne, ce ne sont certes pas les médicaments et les médications qui font défaut (2). Hippocrate dit, je ne l’ignore pas, que la nature, par ses ten- dances spontanées, nous indique la route à suivre pour expulser es humeurs nuisibles, mais il admet, en même temps, que la (4) Épid., 1, 5. (2) Voy. Affections, 45, sur l'utilité et la difficulté de la connaissanee des médi- caments ; et, sur les procédés thérapeutiques, Épid., VI, 1, 4. — On lit dans le traité De l’art, 8 : «Si le mal est plus fort, 207 pas que la nature, mais que les instru- ments fournis par l’art ou par la nature, il ne faut pas espérer que le médecin en triomphera, » — Voyez aussi, page 99 et suiv., tout ce qui est rapporté sur la puis- sance de la médecine et sur l'insuffisance de la fortune. NATURE MÉDICATRICE. 147 nature se trompe et qu’il importe parfois de s’opposer à ses ten- dances (1). Ilajoute même qu’il ne faut ni trop se presser d'agir, ni cesser d’agir, mais qu’on doit soutenir, aider la nature. Tout en admettant les crises, il ne nie pas pour cela que la nature agisse tantôt spontanément et tantôt aidée par le médecin pour la délivrance du malade; encore reconnait-il que, parfois, les crises manquent, qu'elles sont incomplètes ou irrégulières. Ce n’est pas Hippocrate qui est déraisonnable, ce sont ses in- terprètes qui le travestissent au profit de leurs idées. Les bons médecins croient tout ce que croit Hippocrate; cependant ils ne croient pas à la guérison des maladies par les seuls efforts de la nature. Quand on a étudié les effets physiologiques des médica- ments et qu’on sait comment ces effets se changent en actions thérapeutiques, il n’est plus possible de faire profession de foi de naturisme. Suivant les Hippocratistes, les opérations physiologiques ou pathologiques résultent du mouvement de la vie; on n'admel d'intervention ni extra-naturelle, ni extra-organique ; on ne re- connaît que l’action de la nature humaine, ou celle de la nature universelle. Mais, comme la nature est inintelligente, comme elle n'a pas de savoir, pas d’instituteur, cela est dit positivement (voy. p. 115), on ne peut pas s’y fier, car elle fait mourir avec le même aveuglement qu'elle fait naître et vivre. Sans doute la nature travaille quelquefois à réparer le mal qu’elle cause; mais elle y travaille comme conséquence d’un pro- cès pathologique engagé et non en vue de la guérison. Ainsi elle refait la peau divisée: cela est vrai, parce qu’une plaie est le siége d’une transsudation plastique ; mais elle refait la peau sans se soucier des diflormités que peut causer la cicatrice ; et si elle (1) Humeurs, 4 et 4. Au $ 5, l'auteur recommande de considérer ce que produit le bénéfice de la nature ou celui de L'art, — Sur la direction à donner aux dépôts qui font fausse route, voy. Épid., I, nr, 83 VI, 1, 7; Pron. 24 ; mon édit. d'Hip- pocrate, p. 175 et 588. — M. Bouchut, naturiste décidé, mais très-bon clinicien, a remarqué (Pathologie générale, 2° éd. Paris, 1869) que la doctrine des crises doit être interprétée dans le sens restreint qui lui est assigné ici; il pense en même temps que cette doctrine des crises est aussi solidemert établie que celle des jours critiques est illusoire, 118 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. la refait ici, elle la défait la. Voyez plutôt les ulcères rongeants, les érosions fatales des membranes, ou même des parenchymes, au milieu d’une fiévre grave. Laissez faire la nature, elle crève l'intestin et enlève un malade en moins de quelques heures au milieu de la plus belle convalescence !: C'est vrai que.la nature crée parfois une + ue collaté- rale; mais c’est vrai aussi qu’elle arrête toute circulation en créant une embolie. C'est vrai qu’elle expulse parfois les corps étrangers, et qu’elle résorbe un épanchement ; mais combien de fois elle conserve ces corps étrangers, et combien de fois elle transforme en pus l’épanchement séreux ! Un hippocratiste l’a dit : la nature fait le pour et le contre, elle est une et multiple (1). Si parfois elle guérit un petit mal de tête par une grande épistaxis, combien de fois elle tue par une apoplexie, ou par la rupture d’un vaisseau! Là où il faut un grand remède, elle reste inactive pour le bien, et n’agit que pour le mal; là où le mal est sans conséquence, elle s’avise de le guérir. Elle purge quand il ne faut pas, elle accumule les humeurs nuisibles quand il faudrait les évacuer. Suivez-la donc là où elle tend, dans une incoercible hémorrhagie, dans un vomissement incoercible, dans un choléra violent (2)! Prenons donc la nature pour ce qu’elle est : pour une puissance aveugle qui obéit à des lois que nous ignorons en partie, mais à des lois qui s’enchainent si bien les unes aux autres, qu'une action conduit à une aulre action, tantôt bonne et tantôt funeste ; _ applaudissons-nous que, dans une longue suite de siècles, la réflexion, appuyée sur l'expérience, permette aux hommes de ne pas croire à la fatauté de ces lois, et leur laisse la berté d’op- poser la médecine à la nature. Voilà la vérité sur le naturisme d'Hippocrate; rien de plus, rien de moins. D'une doctrine sensée, qui a subi l'épreuve dé- (1) Aliment, 17. C'est précisément dans le même traité qu'on veut trouver la nature médicatrice ! (2) On ne pourrait même pas invoquer la méthode substitutive comme preuve des tendances toujours salutaires de la nature. NATURE MÉDICATRICE. 419 cisive du temps et des hommes, on fait une doctrine ou fausse ou compromettante. Même entre les mains de Galien, qui cependant prend à la lettre et tient pour authentique cette phrase si souvent invoquée : « La nature guérit les maladies » , le raturisme laisse encore une grande place à l'intervention des médecins. En théorie, la nature est au premier rang; en pratique, la médecine dirige toutes ses opérations. Voici le commentaire du médecin de Pergame sur le texte hippocratique: « On s’imaginera peut-être que ce sentiment (/a nature quérit les maladies) fait rejeter la médecine (1); il n’en est rien. Si quelqu'un done disait qu’on peut éloigner la maladie par le moyen d'aliments salutaires donnés dans des moments et dans des proportions convenables, par des fomentations, des cataplasmes, des lavements, des saignées ou d’autres moyens semblables, ce ne serait pas avancer une fausseté; il serait également vrai de soutenir que les médecins guérissent et que la médecine contri- bue au rétablissement de la santé; mais de même qu’on peut avancer avec vérité que les médecins remédient au mal, il est également vrai de penser que la nature règle chaque chose pour la conservation de l'animal, et que c’est elle la première qui guérit, surtout quand elle se défait des humeurs nuisibles par quelque évacuation critique, par exemple par une sueur copieuse, par l'urine, par les vomissements ou les selles. Ainsi, comme la nature, le médecin et la médecine peuvent se dire également les instruments de la cure des maladies. La seule question est de savoir auquel d’entre eux on doit donner la première place, ei qui l’on doit mettre dans le second rang, surtout parce que, d’autres choses qui contribuent à la guérison venant à s'ajouter, on doit assigner à chacune la place qui lui convient. Il nous plaît de dire que la nature guérit les maladies, mais on peut (1) J’emprunte, en la modifiant un peu, la traduction abrégée de ce passage (Comment. V in Epid. VI, 1 ;t. XVIL, p. 224-299), à M. Ravel, qui l’a inséré dans son excellente thèse intitulée : Exposition des principes thérapeutiques de Galien (Paris, 1849, in-4°). 420 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. prétendre avec vérité que là médecine, que le médecin, que ses aides, que l'ouverture de la veine et le flux de sang la guérissent aussi. Peut-être pourrait-on ajouter que le cuisinier qui apprête les aliments, l'artiste qui fait les instruments et celui qui prépare les remèdes, y contribuent chacun en quelque chose, puisqu'on se sert de ces artistes dans la préparation des agents thérapeu- tiques; cependant, dire qu'ils préparent les remèdes, ne serait pas s'exprimer avec autant de justesse et de précision que de dire qu'ils préparent les matériaux dont les médicaments sont composés; car les choses ne deviennent remèdes que par l’appli- cation faite dans le temps opportun : ainsi le vin, s’il est donné à propos, est un médicament; si, au contraire, on en fait boire au malade à contre-temps, de manière à occasionner la frénésie ou le délire, on ne peut plus l'appeler remède, mais cause de mala- die. Quel est donc celui qui fait que la substance devient médi- cament? C’est celui qui trouve et saisit l’occasion. Et qui peut-il être si ce n’est un médecin ? Aussi le médecin est-il plus néces- saire au salut du malade que le vin qu'il ordonne, car le vin n’est utile que lorsqu'on le donne à propos et en quantité convenable ; il dissipe la faiblesse. Or, le médecin connaît le temps et la ma- nière de prescrire les remèdes, non pas seulement parce qu’il est un animal doué de raison, mais parce qu'il a appris l'art de distinguer ce qui est salutaire d’avec ce qui ne l’est point; sil n'avait, en effet, cette connaissance qu’en qualité d'animal rai- sonnable, il est certain que tous les hommes seraient médecins. Il s'ensuit de là que l’art de la médecine, par sa dignité, est su- périeur au médecin, puisque c’est le secours de l’art qui le met en état de dompter les maladies; et comme les instruments qu'il emploie le servent et le secondent, lui et son art, de même la médecine ct le médecin servent et secondent la nature... De là il paraît clairement combien la nature est au-dessus de tous les arts qui contribuent en quelque manière à la conservation et au rétablissement de la santé, puisque leur office consiste unique- ment à lui fournir des matériaux qu’elle puisse emplover, de la même façon que les autres arts subordonnés au médecin lui four- nissent des matériaux. » v Sommaire : Exposition des principes de FEcole de Cnide. — Chirurgie hippocratique. — Maladies des femmes. — Rapprochement entre la pathologie hippocratique et la pathologie moderne. Messieurs, C'est dans les écrits de Cos qu’on trouve l'organisme et la ma- ladie; c’est dans les écrits des Cnidiens qu’il faut chercher les organes et les maladies. Je serai bref sur les Cnidiens (1), car il est difficile de résumer des ouvrages où domine la multitude des détails, où manquent trop souvent les vues d’ensemble. Cepen- dant il y a une théorie, celle des fluxions, qu’il faut d’abord signaler en rappelant qu'elle est liée avec une angiologie toute d'invention (2). Indiquée seulement dans le [° livre Des maladies (E, 1), dans celui Des affections (18), cette théorie est exposée tout au long dans le traité Des lieux dans l’homme; elle sert d'explication à la plupart des nombreuses espèces de maladies qui sont décrites dans le [* et le If° livre Des maladies et dans celui Des affections internes. Ces maladies sont attribuées à des flux ordinairement de pituite, quelquefois de bile, plus rare- (4) Dans la préface du III vol. de son édit. d'Hippocrate, p. xtr et suiv., M, Er- merins, résumant très-sommairement les doctrines contenues dans les écrits qui composent les divers groupes admis par lui, a divisé les ouvrages cnidiens en ou- vrages contemporains d'Hippocrate et d'Euryphon, et en ouvrages récents, ou pos- térieurs à ces deux auteurs. L'idée me paraît juste, mais elle exigerait une démons- tration que M. Ermerins indique à peine. De plus, comme je crois très-fermement, avec M. Littré, que la Collection hippocratique a été formée telle à peu près que nous la possédons, avant l'ouverture de la bibliothèque d'Alexandrie, la distance qui sépare les ouvrages anciens des plus récents n’est sans doute pas aussi grande (multo post) que le dit notre savant confrère, et doit être réduite à quelques années. (2) Voy. pages 95 et 96, 122 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. ment de sang qui, partant de la tête, se portent sur diverses parties, par exemple : reins et vessie (1), poitrine (2), mâchoires et cou, hanches, ventre (3). «Les médecins de Cnide, nous apprend Galien (4), décrivent dans les Sentences, sept maladies de la bile; un peu plus loin, ils ont distingué douze maladies de la vessie ; plus loin encore, quatre maladies des reins. Indépendamment des maladies de la vessie, ils ont signalé quatre stranquries, puis trois tétanos, qua- tre ictères, trois phthasies. Ks considéraient uniquement les va- riétés des corps, que beaucoup de causes modifient, et laissaient de côté la similitude des diathèses qu’observe Hippocrate, se ser- vant, pour déterminer ces diathèses, de la méthode qui, seule, peut faire trouver le nombre des maladies. » «Non-seulement, dit encore Galien, les médecins qui ont écrit les Sentences cridiennes n’ont rien omis des accidents que les malades éprouvent, mais encore ils en ont décrit quelques- uns d’une manière beaucoup plus étendue qu'il ne convenait. Ge n’est pas l’objet de l’art de re rien omettre des choses qui peu- vent être connues, même du vulgaire. Ce n’est pas là le but dû médecin, qui doit décrire tout ce qui est utile pour le traitement, de sorte qu'il lui faudra souvent ajouter certaines choses que le vulgaire ignore complétement, et en retrancher beaucoup que le vulgaire connaît, si elles ne paraissent pas devoir concourir à la fin que Part se propose. » Quand on ouvre les traités cnidiens qui se sont égarés dans la Collection hippocratique, on constate précisément la même ma- nière d'envisager la pathologie, et les mêmes divisions, parfois même en plus grand nombre, et portant sur beaucoup plus de maladies (5). Il n'est donc pas étonnant de trouver à travers tant de descriptions d’heureux moyens de diagnostic (bruit de (4) Malad., IX, 6. (2) Malad., U, 1, 6, 9. (3) Lieux dans l'homme, 1, 9 et 10. (4) Comiment., X, textes 1 et 7, Sur le régime dans les maladies aiguës. (5) On peut voir, par exemple, dans le T° livre Des maladies, et dansles Affections internes, toutes les espèces de phthisies, de pneumonies, d’apoplexies, d’ictères, de maladies de la rate, des reins, d’hydropisies, d’empyèmes, d’hépatites. PATHOLOGIE CNIDIENNE,. 125 frottement ou de cuir neuf, dans la pleurésie ; bruit du vinaigre qui bout, dans l’hydrothorazx) ; des descriptions très-précises (accidents dus aux pertes séminales ; angines couenneuses ou malignes ; affections scorbutiques) ; des traitements singuliers (porreaux pilés dans les narines de ceux qui ont perdu la parole ; infusions dans le poumon, ou du moins sur la glotte, pour provoquer par la toux l'évacuation des empyèmes), ou ra- tionnels (éncision des reins en cas de suppuration à la suite de calculs ; trépanation d'une côte pour évacuer les liquides épan- chés dans la poitrine afin d'éviter la pénétration de l'air), ou hardis et même téméraires (ablation ou cautérisation des poly- pes; ouvertures d'abcès de l’arrière-gorge; trépanation pour cer- taines affections du cerveau). Chez les Cnidiens, à propos des affections de la rate et du foie, nous avons de nouveau rencontré, soit les complications de la fièvre pseudo-continue, soit des maladies idiopathiques, mais tenant directement au climat, aux régions où pratiquaient les Cnidiens à côté des Hippocratistes. Toutefois dans les ouvrages des Cnidiens, de ces médecins qui considéraient les maladies non dans leur ensemble, mais dans leurs détails, qui, en d’autres termes, tenaient pour des affections distinctes les divers états organo-pathologiques, tous les éléments qui constituent ou qui compliquent la fièvre pseudo-continue, hydropisies, ictères, phre- nitis, lethargus, causus, sont présentés comme autant d'espèces morbides, de sorte que si nous n'avions que les ouvrages cni- diens, nous serions fort embarrassés pour reconstituer cette grande fièvre, ou plutôt son identité nous eût complétement échappé (1). Hippocrate, dans le Régime des maladies aiguës, reproche aux Cnidiens de prodiguer les médicaments, et d’abuser du petit-lait; il suffit, en effet, de parcourir les ouvrages que nous venons d'indiquer pour se convaincre de la justesse de ce reproche. Les formules sont irès-nombreuses; on prescrit une multitude de (1) M. Ermerins (éd. d'Hipp., t. III, p. x1) pense, et, je crois, avec raison, que les Cnidiens, du moins les plus anciens, n’avaient pas l'habitude ni de donner des observations de maladies, ni de décrire des épidémies ; cela était opposé à leur façon de considérer la pathologie. 124 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. vomitifs et de purgatifs; on répand à flots le pelit-lait dans le corps des malades, mais aussi bien pour les affections chro- niques que pour les affections aiguës. Nous reverrons à Alexan- drie cette ampleur démesurée, cette bigarrure des cadres nosolo- giques et cette polypharmacie un peu nauséabonde. Enfin, il est un fait qu'il ne faut pas oublier de signaler, c’est que plusieurs livres cnidiens, et en particulier le deuxième livre Des maladies, ont plusieurs sentences portant sur des points spéciaux et qui se retrouvent dans les Aphorismes : Exemples : Dans l’apoplexie, si la fièvre ne survient pas, le malade succombe dans les sept jours; si elle survient, il guérit d'ordinaire. — Un homme ivre pris de spasme meurt dans les trois jours si la fièvre ne survient pas. — Si un tel parallélisme ne peut pas s'expliquer par une tradition très-générale et répandue dans les deux écoles, il faudra supposer, ou que les Aphorismes ne sont pas d’'Hippo- crate, et que l’auteur a puisé indistinctement dans les livres de Cos et dans ceux de Cnide, ou qu'ils ont été interpolés. Une nouvelle confirmation de ces-doutes pourrait être également tirée de l'examen des rapports nombreux qui existent entre la cin- quième section des Aphorismes et les écrits sur les maladies des femmes, écrits qui trahissent, en tant de circonstances, une origine cnidienne. Les livres de chirurgie, ceux qui sont consacrés aux accou- chements et aux maladies des femmes, échappent, comme les livres cnidiens, et pour les mêmes raisons, à toute espèce de résumé. Voici toutefois quelques particularités relevées dans divers traités (voyez aussi page 129, note 1): Faire saigner les plaies récentes, pratique encore populaire et inutile quand il n’y a ni venin ni poison; — ne pas humecter ces plaies, si ce n’est avec du vin; — ne pas laisser le pus y séjourner ; — ramener autant que possible les plaies rondes à une forme linéaire ; — usage habituel des contre-ouvertures; — un détail de mœurs : chapitre spécial écrit en vue des plaies du dos, fréquentes chez les esclaves par suite de la fustigation ; — les hernies ventrales donnent lieu à plus d’incommodités (douleurs, nausées, vomis- sements) que les hernies inguinales; — plaies des intestins moins CHIPURGIE. 135 graves si elles sont pelites et longitudinales que grandes et trans- versales. MM. Malgaigne et Pétrequin, deux juges dont on ne saurait récuser la compétence, déclarent que les Fractures et les Luxa- tions, traités qu’on peut regarder comme étant la suite l’un de l’autre, sont les deux plus beaux livres et les plus achevés qui soient jamais sortis de la main d’un médecin (1). Malgaigne ajoute que ces traités contiennent des faits ou des préceptes qui avaient passé inaperçus ou qu’on avait oubliés, et qui doivent désormais prendre place dans les traités de chirurgie. Ajoutons, Messieurs, pour être justes, que, si l’on a découvert tant et de si bonnes choses dans ces deux ouvrages, c’est à M. Littré qu’on le doit, car 1l les à fait revivre en reconstituant et en interprétant un texte qui, avant lui, était dans le plus pitoyable état. Les préceptes suivants, relatifs aux fractures, ont surtout frappé Malgaigne en raison de leur justesse!: mettre les membres dans leur position naturelle pour la coaptation et la déligation des fractures (2); dans une fracture compliquée de plaie, s’occuper plus de la fracture que de la plaie; réduire la fracture le plus tôt possible après l'accident; se tenir surtout en garde contre l'inflam- mation ; visiter souvent le cal et renouveler l'appareil de trois en trois jours; comprimer plus fortement sur le siége de la frac- ture, doucement et uniformément pour tout le reste du membre ; (1) On lit dans le traité Des fractures ($ 31) une proposition assez étrange : « Généralement les premiers jours engendrent dans les plaies les conditions qui les empirent, inflammation, état sordide, mouvements fébriles. Auquel, parmi les points les plus importants de la médecine, ne se rattache pas cette considération ? Ce n’est pas seulement pour les plaies, mais encore pour beaucoup d’autres maladies, si même, on ne peut avancer que toutes les maladies sont des plaies ! » Je ne sache pas qu'une telle opinion se retrouve dans aucun autre traité; elle isole, sous ce rapport au moins, les Fractures et les Luxations du reste de la Collection, si elle ne prévaut pas absolument, pour la question d'authenticité, contre les témoi- gnages de Ctésias et de Dioclès de Caryste. (2) Voyez aussi Pétrequin : Vues nouvelles sur la chirurgie d’Hippocrate (An= vers, 1864); savant mémoire où je crois cependant reconnaitre que l’auteur n’a pas assez rendu justice à M, Littré, pour la détermination des poses académiques d’après Hippocrate. 426 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. ne pas ménager le nombre des altelles, mais ne pas les allonger inutilement. — Hippocrate recommande encore de ne jamais perdre de vue ni la gravité des luxations du coude, ni la facilité des récidives de la luxation scapulo-humérale. — On lui doit aussi une étude des plus savantes sur l'anatomie pathologique (au moins d’après les signes extérieurs) des luxations non ré- duites, et particulièrement de la luxation de la cuisse ; une con- naissance fort avancée des effets produits sur les membres par les gibbosités, et sur la vessie par la compression de la moelle (4); une description à peu près complète des abcès par congestion. Il soutient que les luxations des vertèbres sont plus rares que les fractures; mais il croit, contrairement à l'opinion des modernes, et en particulier de M. Richet, que les vertèbres se luxent plus souvent en avant qu’en arrière. Il n’y a, si je ne me trompe, qu’une allusion éloignée à une amputation, ou plutôt à une désarticulation, à la suite d’une gangrène effroyable causée par une trop forte compression (Articul., 69). La discussion soulevée depuis longues années sur les principes d'Hippocrate relatifs à la trépanation qu'il pratiquait très-libéra- lement, n’est pas encore close, quoique la majorité des chirur- giens soit aujourd'hui beaucoup plus réservée, trop réservée peut-être. Nous avons mis sous vos yeux toutes les pièces du procès, et, pour décider, nous attendons une enquête qui s’appuie sur une révision critique et historique de ces pièces (2). Nous n'avons pas oublié non plus de vous faire pénétrer dans l'arsenal chirurgical des Hippocratisies, dans cette boutique qu'ils regardent comme la première source de l'instruction mé- dicale, et nous avons énuméré et décrit les machines de réduc- tion, les appareils de fractures, les trépans, les cautères, les cro- chets pour l'extraction des fœtus, les sondes pour les trajets (1) I a signalé aussi ce fait, qui dénote une observation attentive, que de grands désordres du côté des vertèbres, s’il n’y a pds compression de la moelle, n’entrai- nent presque aueun accident. (2) Voy. Pétrequin, Des effets croisés dans les lésions trawmatiques du crâne, d'après Hippocrate et les médecins de l'antiquité (Gazette médicale de Paris, 1868, n°5 26, 29, 36 et 38). MALADIES DES FEMMES. 127 fistuleux, les cathéters en $, les spatules pour étendre ou intro- duire les médicaments, les tiges de plomb employées comme dilatateurs, les tiges creuses pour porter les médicaments dans l'utérus ou au fond des plaies béantes, la sonde cannelée pour les débridements, la sonde en cuvette pour doser les médica- ments, la sonde d’étain en forme de grosse aiguille pour passer le fil dans l'opération de la fistule, les clystères, les appareils pour fumigations du pharynx et du vagin, les bistouris ou couteaux de diverses formes, le phlébotome, un instrument pointu qu’on attachait au doigt pour ouvrir les abcès qu'on sup- posait siéger sur l’épiglotte, les ventouses, les aiguilles triangu- laires pour les mouchetures, les moxas, les rugines, les supposi- toires de corne, le spéculum, les tentes de charpie. Quand nous l'avons pu, nous avons mis les originaux ou les dessins sous vos yeux. Nous n’avons pas négligé non plus de vousinitier aux détails de la pharmacologie, et de vous rappeler les formes sous les- quelles les médicaments étaient conservés ou administrés. Dans l’examen des riches et volumineux traités sur les mala- dies des femmes et les accouchements (1), livres qui, dans leur ensemble, dérivent de l’école de Cnide, six points principaux ont plus particulièrement attiré notre attention: 1° Le rôle des sages-femmes, des médecins et de la patiente dont on faisait d'avance l'instruction pour qu’elle sût se soigner elle-même. La sage-femme a le gros de la besogne, mais le mé- decin intervient parfois activement, et toujours il dirige le trai- tement dans les cas un peu compliqués (2). 2° Les recherches si délicates de l’auteur du traité De la gé- nération et De la nature de l'enfant sur l'embryon, d’après l'œuf (1) Je crois qu'il y a de bonnes raisons pour ne pas considérer la Nature de la femme comme un extrait ou un abrégé des Maladies des femmes, ainsi qu'est le Mochlique par rapport aux Æractures et aux Luxations. On peut au contraire dé- montrer que les chapitres ou passages qui se lisent dans les deux traités ont été transportés, par interpolation, de la Nature de la femme dans les Maladies des fenvmes par quelqu'un qui voulait compléter ce dernier traité, exictement comme on a cherché, si maladroïtement, à compléter Soranus avec Aétius. (2) Cependant, dans les Maladies des femmes (1, 62), les médecins sont repris pour ne pas être assez instruits touchant les maladies propres aux femmes, 128 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. des oiseaux et d'après un produit d’avortement chez une cour- tisane. 3° La confrontation des théories sur la génération avec celles que nous avions exposées d’après les philosophes. h° L’examen attentif de tous les accidents qui, à la suite des accouchements, rappellent ceux de la métropéritonite puerpé- rale. 5° Les causes de la dystocie, et les opérations qu’elle néces- sile. 6° Enfin, comme complément, nous avons donné un histo- rique aussi complet que possible de toutes les médications locales dirigées contre les diverses affections de l'utérus, médications longtemps négligées et, de nos jours, reprises avec succès; à ce propos, nous avons fait connaitre les divers procédés de fumi- gations et les nombreuses variétés de pessaires solides ou mous usités dans ces temps reculés. Dans son édition d'Hippocrate, M. Littré a ouvert des ho- rizons nouveaux pour l'historien de la médecine, et il la mis en possession d’une méthode qui seule est capable de donner à l'histoire ce degré d'utilité pratique qu’on recher- che aujourd'hui avant toutes les autres utilités, même avant le plaisir désintéressé de l'étude. M. Littré a montré qu’on ne saurait ni comprendre les ouvrages des anciens, ni en tirer aucun profit (et j'entends par anciens non pas seulement Hip- pocrate, mais nos aïeux d’il!y a cent ans), si l’on ne s’attache pas à contrôler leurs observations et leurs doctrines par le rapprochement des observations et des doctrines modernes; or, c’est précisément ce moyen de contrôle qui manquait jus- qu’à une époque très-rapprochée de la nôtre, puisqu'on était asservi aux anciens et qu’on ne pensait ni ne voyait par soi- même. Je n’ai jamais manqué une occasion d'établir ce paral- lèle depuis le moment où il a été possible d’en recueillir les élé- ments dans la série des auteurs que nous avons étudiés ensemble. C’est ainsi que nous avons pu, pour choisir les exemples les plus saillants, rapprocher Hippocrate des praticiens français, anglais où allemands pour la fièvre pseudo-continue et pour les affections RAPPROCHEMENTS DES HIPPOGRATISTES ET DES MODERNES. 1429 du foie; — de M. Louis pour la phthisie aiguë ; — de M. Gri- solle pour la pneumonie, surtout pour l'emploi des bains dans cette maladie; — de M. Gosselin pour une épidémie d’érysipèle gangréneux; — de nos plus illustres chirurgiens du xvrr° et du xix° siècle, de Paris ou d'Angleterre, pour les fractures, les luxa- tions ou certaines maladies organiques des os ; — de MM. Bennet, Nonat, Bernutz et Goupil, pour les inflammations utérines; — de MM. Mélier, Trousseau, Auguste Voisin, Huguier, pour l’héma- tocèle rétro-utérine et pour le cathétérisme utérin; — de M. Gubler et d’autres observateurs modernes pour les paralysies consécutives aux affections aiguës, et surtout à diverses espèces d’angines. — Enfin, la confrontation des traités les plus récents sur les urines (en particulier ceux de Al. Becquerel, de Golding Bird, de Lionel Beale, et l'ouvrage de Rayer Sur les maladies des reins) avec divers passages du Pronostic, des Épidémies, des Coaques, des Aphorismes, etc., nous ont permis de reconnaîtrt souvent, d'une part le genre d’altération chimique des urines d’après les seules apparences extérieures indiquées par Hippo- crate, et, d'autre part, de vérifier la justesse de son diagnostic ou de son pronostic tirés de ces observations. Nous n'avons pas étu- dié, d’après cette méthode, moins de vingt-sept espèces d’urines, et nous avons insisté sur les urines écumeuses, c’est-à-dire alba- mineuses, très-reconnaissables dans divers passages, soit par elles- mêmes, soit par le groupe de symptômes dont elles font partie. Vous avez écouté avec intérêt ces rapprochements, toujours instructifs et souvent inattendus; plus d’une fois aussi vous avez pris plaisir, soit à un heureux diagnostic anatomique, médical ou chirurgical (1), soit à une multitude d’observations si exactes (1) Par exemple, un auteur hippocratique (Épid., VII, 121) diagnostique une plaie du diaphragme, parce que le malade est pris d’un rire plein de trouble ; — un autre reconnait une affection de l’épiploon et des vertèbres au pus qui s'échappe et à la direction du trajet fistuleux (Épid., V, 26); — un troisième a indiqué l’érysi- pèle pharyngien comme complication de l’érysipèle externe (voy. Coaques, 357 suiv.); — un quatrième (Épid., 11, 1, 24) signale la paralysie du voile du palais dans la paralysie faciale, — L'auteur du 1I° livre des Prorrhétiques, un des livres les plus précieux et les plus instructifs de la Collection, mentionne ($ 39) l’atrophie musculaire dans les paraiysies. — Dans Affect. internes, 1, 29, on trouve une obser- vation d'hydatides du poumon avec essai d'anatomie pathologique comparée. DAREMRERG. 9 130 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. et si délicates, que nous n’en avons retrouvé le double exem- plaire, par conséquent la vérification, que dans nos auteurs les plus récents. Quoique, sous ce rapport, les médecins de Cnide rivalisent avec ceux de Cos, cependant nous avons reconnu, d’une façon générale, la supériorité de Cos sur Cnide; la raison de cette supériorité, c’est que les médecins de Cos, plus cliniciens que les médecins de Cnide, se défendent un peu mieux contre la sé- duction des théories et des hypothèses ; ils usent avec plus de discrétion de la mauvaise physiologie traditionnelle, qu’on pou- vait oublier par instants, mais qu’il était impossible de réformer, puisque rien n'était préparé pour une pareille réforme, ni cans les méthodes d'investigation, ni dans les résultats acquis. Ce qui doit même nous étonner et commander notre respect, c’est qu'avec des instruments si peu nombreux ou si imparfaits, les auteurs de la Collection hippocratique aient fait de si grandes œuvres. Les moindres ressources sont mises à profit, et les erreurs mêmes finissent par exciter à des recherches fructueuses. C’est là une preuve sans réplique de l'efficacité de la méthode d'ob- servation partout où elle exerce son empire, car c’est au fur et à mesure que se perfectionne celte méthode que les acquisitions posilives se régularisent et que les hypothèses s’évanouissent. Une science vaine, comme quelques-uns affectent de repré- senter la médecine, ne procède pas ainsi; rien n’a changé ni dans les procédés essentiels ni dans les résultats défimtufs de la cabale, de la magie, du magnétisme ou du charlatanisme, depuis qu'on fait de la magie, du magnétisme, de la cabale ou du charlata- nisme. Au contraire, en médecine, même dans les périodes les plus obscures, jl ÿ a un progrès d’un siècle sur un autre, et les choses ne restent pas au même point. C’est avec raison que l’auteur de l’ Ancienne médecine (S 2) s’écriait: « Depuis longtemps la mé- decine est en possession d’une méthode qui assure le présent et qui prépare l’avenir. » Voilà la vraie tradition : que ceux-là qui parlent tant de cette tradition la cherchent patiemment dans les monuments écrits, qu'ils la suivent pas à pas. En pareille matière les phrases sont stériles, les textes seuls sont féconds. Tout en recueillant ces précieuses traces de diagnostic dans la Collection, il ne faut pas oublier que ce diagnostic se rapporte DIAGNOSTIC ARTIFICIEL. 331 surtout à des maladies extérieures ou chirurgicales (y compris les maladies des femmes), et que le diagnostic des maladies in- ternes reste une exceplion dans l’école de Cos. De leur côté, les Cnidiens, outre qu’ils recherchent bien ou mal, mais plutôt mal, les éléments de ce diagnostic, provoquent aussi par une méthode arüficielle exploratrice très-ingénieuse la nature à révéler les signes à l’aide desquels on peut ici trouver une indication thcra- peutique, là reconnaître l’espèce de la maladie. Ainsi on lit au 834 des Lieux dans l'homme : « Quand on a affaire à une maladie qu'on ne connaît pas, on prescrit un évacuant qui ne soit pas énergique ; si l’état s'améliore, l'indication est trouvée : il faut insister sur l’atténuation ; mais si, loin de s'améliorer, l’état em- pire, c’est le contraire; s’il ne convient pas d'atténuer, il con- viendra de rendre le phleome abondant. » Au IF livre des Ma- ladies ($ 61), l’auteur veut que, pour s'assurer si la poitrine est remplie de pus ou d’eau, on essaye de faire pénétrer un liquide dans le poumon ou qu’on prescrive soit une fomentation, soit une fumigation : « S'il y a de l’eau, ajoute-t-il, le pus ne suit pas, c’est-à-dire le pus ne s’échappe pas au dehors; par cela vous reconnaîtrez donc la nature de la maladie. » Et, chose remarquable, les mêmes préceptes se retrouvent exprimés d'une façon générale dans le traité Le l'art (À), où l’auteur prend lant de peine pour rassembler tous les moyens qui peuvent servir à distinguer les maladies les unes des autres : € Quand la nature ne manifeste pas d'elle-même les signes et les indications, le médecin a trouvé des moyens de contrainte à l’aide desquels la nature, innocemment vioientée, produit ces signes. Ainsi relâchée, elle révèle au médecin habile dans son art ce qu'il doit faire. Tantôt par l’acrimonie des alimenis solides et des boissons, 1l force la chaleur innée à dissiper au dehors une hu- meur phlegmatique, afin de pouvoir distinguer quelqu’une des choses qu'avant il s’efforçait en vain de reconnaître ; tantôt, par des marches dans des chemins escarpés ou par des courses, il force la respiration de lui fournir l'indice des maladies qu'il lui appartient de révéler; enfin, en provoquant la sueur par les (4) $ 12. — De pareils rapprochements ne peuvent pas être négligés pour la formation des groupes dans la Collection hippocratique. 132 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. moyens susdits, 1l reconnaît, à l’aide des humeurs chaudes exha- lées, tout ce qu'on juge par le feu. Il arrive aussi que les ma- tières excrétées par la vessie donnent plus de lumières sur les maladies que les matières excrétées par les chairs. » Ne vous semble-t-il pas, Messieurs, qu’il y a plus d'intérêt et plus de profit à rechercher et à mettre en lumière les nombreu- ses et viriles empreintes du génie médical dans la Collection bippocratique, qu’à brûler de l’encens devant les autels du Divin vieillard, comme les Athéniens sacrifiaient au Dieu inconnu? VI Sommaire : Des principaux systèmes sur les causes et la nature des maladies dans la Collection hippocratique. — Tout s'explique ici par des qualités inhérentes aux humeurs. — Là par la théorie des fluxions, qui elle-même repose sur l'exis- tence de quatre humeurs fondamentales. — Ailleurs tout vient de l'air. — Dans d’autres traités, tout procède, mais secondairement, du régime ou des milieux. MESSIEURS, Les considérations sommaires où nous venons d’entrer ne se- raient pas suffisantes pour vous donner une idée exacte des prin- cipales opinions qui se font jour dans la Collection hippocra- tique sur la nature ou sur les causes essentielles des maladies; 1l y a donc lieu de compléter ces considérations en rapportant les passages où sont présentées ces opinions sous une forme ordinai- rement polémique (1). Dans l'Ancienne médecine (2) le système des qualités inhé- rentes aux humeurs et des humeurs elles-mêmes, est opposé et préféré au système des qualités élémentaires : chaud, froid, sec, humide. « Si c’est le chaud, ou le froid, ou le sec, ou l’humide qui nuit à l’homme, il faut que le médecin habile guérisse le froid par le chaud, le chaud par le froid, l’humide par le sec, le sec par l’humide. Supposons un homme d’une constitu- tion non pas robuste, mais faible; qu'il mange du blé tel qu'il sort de l'aire, cru et sans préparation, des viandes éga- (1) Je n’ai pas besoin de dire qu'on retrouve dans un grand nombre de traités de la Collection l'application de ces systèmes à la description des maladies, ou à des thèses générales; mais j'ai voulu seulement donner ici l'exposé dogmatique. C'est, du reste, au développement ou à la discussion de ces systèmes que se réduit presque toute l'histoire de la pathologie générale jusqu’au xvu° siècle, (2) Ici et pour les autres extraits qui vont suivre, j’emprunte la traduction à M, Littré, 134 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. lement crues, et qu’il boive de l’eau. En suivant un pareil ré- gime, il éprouvera, j'en suis sûr, des incommodités graves et nombreuses; les douleurs le saisiront, le corps s’affaiblira, le ventre se dérangera, et certes il ne pourra vivre longtemps. Quel remède administrer dans de pareilles circonstances? Le chaud ou le froid, ou le sec ou l’humide? Évidemment l’un ou l’autre. Car si c’est l’une de ces quatre choses qui le rend malade, #/ faut y remédier par le contraire, suivant leur pro- pre raisonnement. Or le remède le plus sûr et le plus évident, c’est de changer le genre de vie dont on usait, de donner du pain au lieu de blé, des viandes cuites au lieu de viandes crues, et du vin à boire après le repas. Avec ce changement il est 1m- possible que le patient ne se rétablisse pas, à moins que sa con- stitution n’ait été profondément altérée par la durée du mauvais ré- gime. Que dirons-nous donc? Sont-ce des substances froides qui l’ont rendu malade, et des substances chaudes qui l’ont guéri? ou bien est-ce le contraire? Je pense qu’on serait embarrassé de répondre à ces questions; car est-ce le chaud, ou le froid, ou le sec, ou l’humide que l’on ôte au pain en le fabriquant? » (S 15.) «Estimant que ce n’est ni du sec, ni de l'humide, ni du chaud, ni du froid, ni d'aucune autre de ces choses que l’homme souffre ou a besoin, mais que c’est de ce qu’il y a de plus fort dans cha- que qualité et de ce qui est plus puissant que la constitution hu- maine, on a regardé comme nuisible ce dont cette même con- stitution ne pouvait triompher, et l’on a essayé de l’enlever. Or, ce qu’il faut entendre par le plus fort, c’est, parmi les quali- tés douces, la plus douce; parmi les amères, la plus amère; parmi les acides, la plus acide; en un mot, le sammum de cha- cune. Gar on a vu et qu’elles existent dans l’homme et qu’elles nuisent à l’homme. Dans le corps, en effet, se trouvent l’amer, le salé, le doux, l'acide, l’acerbe, l’insipide, et mille autres dont les propriétés varient à l'infini par la quantité et par la force. Ces choses mêlées ensemble et tempérées l’une par l’autre, ne sont pas manifestes et ne causent pas de souffrances; mais Si l’une d’elles se sépare et s’isole du reste, alors elle devient visible et cause de la douleur. Il en est de même des aliments qui ne sont pas propres à l'homme et dent lingestion le rend malade; SYSTÈMES DE PATHOGÉNIE. 135 chacun d'eux a une qualité qui n’a pas été tempérée, ou amère, ou salée, ou acide, ou toute autre qualité intempérée et forte ; c'est pourquoi notre santé en est troublée, aussi bien que par les qualités qui s’isolent dans notre corps. » ($ 14.) « Voyez, quand le suc amer qu'on appelle bile jaune prédo- mine, quelle anxiété, quelle chaleur, quelles faiblesses se mani- festent. Délivré de cette bile et évacué, soit spontanément, soit par un purgalif, le malade, si évacuation s’est faite à propos, est débarrassé des souffrances et de la chaleur fébrile; mais tant que ces humeurs sont en mouvement, sans coclion ni mélange, la médecine n’a aucun moyen de faire cesser la douleur et la fièvre. Et quand il se développe des acidiiés âcres et érugineuses, quel- les irritations furieuses, quelles douleurs mordantes dans les vis- cères et la poitrine, quelles angoisses ! Ces accidents ne prennent fin que lorsque les acidités ont été épurées, calmées, tempérées par le reste. La coction, le changement, l’atténuation et l’épais- sissement jusqu’à forme d'humeurs s’opèrent de plusieurs ma- nières différentes. Aussi /es crises ei le calcul des jours ont en ceci une grande puissance. Certes il n’est rien là qui se puisse attribuer au chaud ou au froid ; car avec le chaud ou le froid il ne se ferait ni maturation ni épaississement. Que devons-nous donc y voir? Des mélanges d’humeurs qui ont des propriétés di- verses les unes par rapport aux autres, tandis que le chaud n’a, pour perdre sa chaleur, que la mixlion avec le froid, et que le froid n’est neutralisé que par le chaud. Toutes les humeurs dans le corps sont d'autant plus douces et d’autant meilleures qu’elles ont subi plus de mélanges, et l’homme se trouve en l'état le plus favorable quand tout demeure dans la coction et le repos, sans que rien manifeste une qualité prédominante. » ($ 19.) Dans le traité De la nature de l’homme, l'auteur combat d’a- bord la théorie philosophique qui fait dépendre la constitution du corps de l’unité de composition élémentaire, théorie d’après laquelle les philosophes soutiennent qu'un des éléments (feu, air, eau, terre) est à la fois le un et le tout (1) ; en second lieu, (4) Que dirait notre auteur des histologistes modernes qui rapportent toutes les 130 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. il attaque une théorie médicale dont les partisans prétendent que tout l'homme est ou sang, ou bile, ou pituite. Voici, à l'appui de ce résumé, les principaux passages du traité De la nature de l'homme. « En opposition à ces opinions (existence d'une substance unique) et à d’autres très-voisines, que la plupart soutiennent, moi je dis que, si l’homme était un, jamais il ne souffrirait; car où serait, pour cet être simple, la cause de souffrance ? Admet- tant même qu'il soufrit, il faudrait que le remède fût un aussi. Or, les remèdes sont multiples. Il y a en effet dans le corps beau- coup de substances qui, s’échauffant et se refroidissant, se dessé- chant et s'humectant l’une l’autre contre nature, produisent des maladies; d’où il suit qu'il y a beaucoup de formes de maladies et en même temps beaucoup de traitements pour ces formes ; suivant moi, soutenir que l’homme n’est que sang et rien autre chose, oblige à montrer qu'il ne change pas de forme ni ne prend toutes sortes de qualités, et à signaler une époque, soit dans l’année, soit dans l’âge, où le sang seul paraisse existant ; car 1l faut bien qu’il y ait au moins une époque où cette humeur se fasse voir exclusivement. » (K 2. « Le corps de l’homme a en lui sang, pituite, bile jaune et bile noire ; c’est là ce qui en constitue la nature et ce qui y crée la maladie et la santé. Il y a essentiellement santé quand ces prin- cipes sont dans un juste rapport de crase, de force et de quantité, et que le mélange en est parfait ; il y a maladie quand un de ces principes est, soit en défaut, soit en excès, ou, s’isolant dans le corps, n’est pas combiné avec tout le reste. Nécessairement, en effet, quand un de ces principes s’isole et cesse de se subor- donner, non-seulement le lieu qu'il quitte s'affecte, mais celui modifications organiques à celles que subit la cellule, fondement primordial de l'organisme ? — Le principe de la dualité trouve aussi un défenseur dans la Collec- tion. On lit, en effet, au LT livre (S 3) du traité Du régime : « Les animaux et l'homme lui-mème sont composés de deux substances divergentes pour les pro- priétés, mais convergentes, inséparables, le feu et l’eau ; le feu denne le mouve- ment, l’eau l’aliment. » La prévalence, ou l'intensité des qualités de l’un ou l'autre élément sert à expliquer la diversité des tempéraments, et secondairement, des dis- positions morbides. SYSTÈMES DE PATHOGÉNIE. 137 où il s’épanche s’engorge et cause douleur et travail. Si quelque humeur flue hors du corps plus que ne le veut la surabondance, cette évacuation engendre la souffrance. Si, au contraire, c'est en dedans que se font l’évacuation, la métastase, la séparation d'avec les autres humeurs, on a fort à craindre, suivant ce qui a été dit, une double souffrance, savoir, au lieu quitté et au lieu engorgé. » ($ 4.) « Les principes qui constituent l'homme sont: lesang, la pituite et la bile jaune et noire (1). Et d’abord, remarquons-le, dans l'usage, ces humeurs ont des noms distincts qui ne se confondent pas ; ensuite, dans la nature, les apparences n’en sont pas moins diverses; ni la pituite ne ressemble au sang, ni le sang à la bile, ni la bile à la pituite. En effet, quelle similitude y aurait-il entre des substances qui ne présentent ni la même couleur à la vue, nila même sensation au toucher, n’étant ni chaudes, ni froides, ni sèches, ni humides de la même manière? Il faut donc, avec une telle dissemblance d'apparence et de propriétés, qu’elles ne soient pas identiques, s’il est vrai que le feu et l'eau ne sont pas une seule et même substance, On peut se convaincre qu’elles ne sont pas en effet identiques, mais que chacune à une vertu et une nature particulière: donnez à un homme un médi- cament phlegmagogue, il vomit de la bile; de même la bile noire est évacuée, si vous administrez un médicament qui agisse sur la bile noire ; enfin, blessez quelque point du corps de ma- nière à faire une plaie, du sang s’écoulera. Et cela se produira devant vous chaque jour et chaque nuit, l'hiver comme l'été, tant que l’homme pourra attirer en lui le souffle et le ren- voyer. » ($ 5.) « La pituite augmente chez l’homme pendant l'hiver; car, étant la plus froide de toutes les humeurs du corps, c’est celle qui est la plus conforme à cette saison. Si vous voulez vous con- vaincre qu’elle est la plus froide, touchez de la pituite, de la bile et du sang, et vous trouverez que la première est plus (4) C'est là un des systèmes hippocratiques qui ont le plus servi à la consti- tution des doctrines galéniques. Voilà pourquoi je m’y étends avec quelque com- plaisance. — Peu de traités ont eu une aussi grande fortune et exercé autant d’in- fluence que celui De la nature de l’homme. 138 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. froide que les deux autres (1); cependant, elle a beaucoup de viscosité, et après la hile noire c’est l'humeur dont l’expulsion exige le plus de force; or, ce qui est expulsé avec force, s’échauffe par la violence même de l'effort; et pourtant, malgré toutes ces conditions, la pituite se montre la plus froide en vertu de sa nature propre. L'influence de l'hiver sur l’augmen- tation de la pituite dans le corps, vous la reconnaîtrez aux signes suivants: c’est dans cette saison qu’on crache et qu’on mouche le plus de piluite et que surviennent de préférence les leuco- phlegmasies et les autres maladies pituiteuses. Au printemps, la pituite conserve encore de la puissance et le sang s’accroît ; le froid se relâche, les pluies arrivent, et le sang prévaut, sous l'influence de l’eau qui tombe et des journées qui s’échauffent ; ce sont les conditions de l’année qui sont le plus conformes à sa nature, car le printemps est humide et chaud. Faites, en effet, attention à ces circonstances: c’est au printemps et en été qu’il y à surtout des attaques de dysenterie, que des hémorrhagies se font par les narines, et que le corps est rouge et le plus chaud. En été, le sang a encore de la force, mais la bile se met en mouvement dans le corps, et elle se fait sentir jusque dans l'automne. Le sang diminue dans cette dernière saison, qui lui est contraire, mais la bile domine dans le corps en été et en au- tomne: vous en aurez pour preuve les vomissements spontanés de bile qui se font à cette époque, les évacuations éminemment : bilieuses que provoquent les cathartiques, et aussi le caractère des fièvres et la coloration de la peau. La pituite est au minimum dans l'été, saison qui, étant sèche et chaude, lui est naturelle- ment contraire. Le sang est au minimum en automne, saison sèche et qui déjà commence à refroidir le corps humain ; mais c’est alors que la bile noire surabonde et prédomine. Quand l’hi- ver revient, d’une part la bile refroidie décroît, d’autre part la piluite augmente derechef par l'abondance des pluies et la lon- oueur des nuits. Donc toutes ces humeurs existent constamment dans le corps humain ; seulement elles y sont, par l’influence de (4) En général, les humeurs sont distinguées, non comnre ici, par leurs qualités physiques extérieures, mais par leurs qualités radicales; il y a un chaud ou un froid qui n'apparait pas, mais qui est. SYSTÈMES DE PATHOGÉNIE. 139 la saison actuelle, tantôt en plus grande, tantôt en moindre quantité, chacune selon sa proportion: et selon sa nature. L’année ne manque en aucune saison d'aucun des principes, chaud, froid, sec, humide; nul, en effet, de ces principes ne subsisterait un seul instant sans la totalité des choses existant dans ce monde, et, si un seul venait à faire défaut, tous disparaîtraient ; car, en vertu d’une seule et même nécessité, tous sont maintenus et alimentés l'un par autre. De même dans l'homme, s’il manquait une des humeurs congénitales, la vie ne pourrait continuer. Dans l’année règnent tantôt l'hiver, tantôt le printemps, tantôt l’élé, tantôt l'automne; semblablement dans l’homme prévalent tantôt la pi- tuite, tantôt le sang, tantôt la bile, d’abord celle qu’on nomme jaune, puis celle qu'on nomme noire. Vous en avez la preuve la plus manifeste, en donnant à la même personne le même évacuant quatre fois dans l’année; en hiver, le vomissement est le plus pituiteux, au printemps, le plus aqueux, en été, le plus bilieux, en automne, le plus noir. » ($ 7.) « Nécessairement, les choses étant ainsi, les maladies accrues par l'hiver cessent en été, accrues par l’été cessent en hiver, celles du moins qui ne se terminent pas en une période de Jours, genre de période dont je parlerai ailleurs (1). Les maladies en- gendrées au printemps, on en attendra la solution à l'automne ; les maladies automnales, le printemps en amènera forcément la guérison. Mais pour toutes celles qui dépasseront ces limites, sachez qu’elles seront annuelles (c’est-à-dire qu’elles durent une ou plusieurs années). Le médecin, de son côté, doit traiter les maladies en se souvenant que chacune prévaut dans le corps suivant là saison qui lui est le plus conforme. » ( 8.) L'auteur du traité Des airs ou des vents tombe indirectement sous la critique de l’auteur De la nature de l’homme. En souve- nir, ce semble, de Diogène d’Apollonie, il prend un seul élément, l'air, pour expliquer toutes choses dans le monde et dans l’homme. Écoutez plutôt: (1) Il semble que ce livre soit une dépendance du Pronostic. Voy. ce traité, $ 20, et aussi Aph., 11, 23; Coaques, 1923; Épid., I, 3, 10. Cependant on n'oserait pas affirmer que les deux ouvrages viennent de la même main. 140 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. « Le corps des hommes et des autres animaux est alimenté par trois sortes d'aliments; ces aliments sont nommés vivres, boissons, souffles. Le souffle s'appelle vent dans les corps, air hors du corps. L’air est le plus puissant agent de tout et en tout; il vaut la peine d’en considérer la force. Le vent est un flux et un courant d'air; lors donc que l’air accumulé est devenu un cou- rant violent, les arbres tombent déracinés par l’impétuosité du souffle, la mer se soulève, et des navires d'une grosseur déme- surée sont lancés en haut. Telle est la puissance qu’en cela il possède. Invisible, à la vérité, pour l'œil, il est visible à la pensée; car sans lui quel effet se produirait? De quoi est-il absent, ou en quoi n'est-il pas présent? Tout l'intervalle entre la terre et le ciel est rempli de souffle. Ce souffle est la cause de l’hiver et de l'été; dense et froid dans l'hiver, dans l’été doux et tranquille. La mar- che même du soleil, de la lune et des astres est un effet du souf- fle; car le souffle est l’aliment du feu, et le feu privé du souffle ne pourrait pas vivre ; de sorte que la course éternelle du soleil est entretenue par l'air, qui est léger et éternel lui-même. Évi- demment aussi la mer est en communication avec le souffle; car les animaux nageurs ne pourraient pas vivre privés de cette communication, et comment l’auraient-ils autrement qu’en tirant l’air par l’eau et de l’eau? La terre est la base où l'air repose, l'air est le véhicule de la terre, et il n’est rien qui en soit vide. » ($ 3.) « Les vents sont, dans toutes les maladies, des agents SAR. paux; tout le reste est cause concomitante et accessoire; cela seul est cause effective, je l’ai démontré. J'avais promis de si- gnaler l’origine des maladies, et j'ai établi que le souflle, sou- verain dans tout le reste, l’est aussi dans le corps des animaux. J'ai fait porter le raisonnement sur les maladies connues (2/£us, fluxions, hémoptysies, hydropisies, ruptures, apoplexies, épr- lepsies, K 9-14), où l'hypothèse s’est montrée véritable (1). Si (4) L'explication que l’auteur donne de la formation de l’écume dans l’épilepsie, pourra faire juger des conséquences déplorables qu'entraine la manie de tout expli- quer avec une fausse physiologie appuyée sur une mauvaise anatomie : « Ce n'est pas sans raison que l'air vient à la bouche; l'air pénétrant par les veines jugu- laires, passe, il est vrai; mais, en passant, il entraine la partie du sang la plus SYSIÈMES DE PATHOGÉNIE. Al j'entrais dans le détail de toutes les affections, mon discours en deviendrait plus long, mais il n’en serait ni plus exact ni plus con- P 2 P vaincant. » ($ 15.) On pourrait placer le traité Des régions ou Des lieux dans l’homme aux confins deslivres cnidienset deslivreshippocratiques. — La pathologie dans ce traité est fondée sur ces deux principes : 1° Que dans le corpsiln’y a ni commencement ni fin, attendu que la plus petite partie a tout ce que possèdent les grandes; ce qui rappelle un peu le système des homoïioméries d’Anaxagore. Il en résulte que les maladies de quelque partie que ce soit reten- tissent sur toutes les autres. C’est la première esquisse des syner- gles et des sympathies. Le second principe, c’est que les parties sèches sont plus ex- posées aux maladies que les humides, et que les maladies y sont plus fortes et plus tenaces. Car dans les parties humides une ma- ladie est flottante, change de place, laisse des intermissions et n’est pas fixée. La conséquence de ce second principe, c’est qu'il faut connaître la structure de l’homme pour bien déterminer ses maladies, lesquelles consistent surtout en flux. Suit une anatomie grossière des vaisseaux qui, partant de la tête, communiquent tous entre eux. Ces communications rendent précisément les maladies qui dépendent des veines moins tenaces que celles qui dépendent des parties fibreuses ou musculaires : la preuve en est dans le tétanos, maladie si terrible parce qu’elle tient aux parties fibreuses ! Après cela vient une théorie des fluxions, fondée sur cette anatomie des chairs et des vaisseaux (1). Il y a deux espèces de fluxions : 4° l’une par le froid : Les chairs se resserrent et exercent une pression sur les vei- nes, lesquelles poussent alors les liquides vers certaines parties, là où le veut la chance. ténue; le liquide ainsi mélangé avec l’air blanchit, car l'air apparaît dans sa pu- reté à travers les membranes subtiles; voilà pourquoi toutes les écumes sont blanches ! » (S 14.) (1) Voyez aussi sur l'anatomie des veines : Nature de l’homme, 11; Épid., IL, 1v, 1 ; Maladie sacrée, 3. 142 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. 2 Autre espèce, par le chaud : les chairs se dilaten!, rendant les voies plus perméables ; en même temps le liquide atténué ‘par le chaud perd sa densité et coule plus volontiers. L'auteur énumère ensuite sept fluxions qui viennent de Ja tête sur les narines, les veux, les oreilles, la poitrine, la moelle, les vertèbres et les hanches. Cette description des sept fluxions, qui, subdivisées en espèces, forment presque toute la nosologie de l’auteur, rappelle tout à fait la méthode cnidienne. Transerivons maintenant la théorie des fluxions que Galien a en partie acceptée (1) : « Les fluxions surviennent, et quand la chair est refroidie en excès et quand elle est échauffée en excès et en état de subphleg- masie (accumulation de phlegme ou sucs blancs). Les fluxions pro- venant du froid (quand c’est le froid qui les produit) se font lorsque la chair qui est dans la tête et les veines sont tendues; les veines, vu que la chair frissonnant se contracte et exerce une action d'expulsion, expriment le liquide, les chairs contractées exercent une expulsion en sens inverse, et les cheveux se hérissent, étant pressés fortement de tout côté à la fois; de là, tout ce qui est exprimé s'épanche là où le veut la chance. La fluxion par la cha- leur se produit quand les chairs raréfiées ouvrent des voies et que le liquide échauffé est devenu plus ténu; en effet, tout liquide échauffé perd de sa densité, et tout s'écoule dans ce qui cède;. c'est surtout quand il y a excès de phlegmasie que la fluxion s'opère; alors, les chairs étant trop remplies, ne peuvent pas contenir tout le liquide, et ce qui ne peut être contenu s’épanche là où le veut la chance ; une fois que les conduits sont devenus coulants, la fluxion se fait sur tel ou tel lieu jusqu'à ce que les voies de la fluxion se ferment par la détuméfaction, le corps se séchant. En effet, le corps, communiquant partout avec lui-même, saisit le liquide en quelque lieu que ce soit et l'attire vers la partie qui est sèche ; et la chose n'est pas difficile, attendu que le corps est vide et détuméfié. Quand les parties inférieures sont sèches ei les supérieures humides (les vaisseaux d’en haut sont plus hu- (4) Elle est indiquée seulement dans la Nature de l’homme. SYSTÈMES DE PATHOGÉNIE. 443 mides, car les veines sont plus nombreuses en haut qu'en bar, et les chairs de la tête ont besoin d'une moindre humidité), quand donc les parties inférieures sont sèches, la partie sèche attire l'humidité de la tête: en même temps les voies sont ouvertes plutôt à ce qui arrive qu’à ce qui s’en va, car elles gagnent à cela, étant sèches; de plus, les liquides vont naturellement en bas, même pour la moindre sollicitation. » (K 9.) Si je n'ai fait que rappeler un peu plus haut (voy. p. 115) les passages des divers traités de la Collection où les maladies sont attribuées, soit au régime, soit aux influences atmosphériques, c’est que, dans ces passages, 1l s’agit, non pas de la cause orga- nique immédiate des maladies (pathogénie), mais des causes déterminantes, occasionnelles ou médiates, en d’autres termes, d’une question de simple étiologie. Ces deux ordres d'idées sont très-distincts dans l’Ancienne médecine, dans la Nature de l’homme et dans d’autres traités. Dans l’Ancienne médecine, le régime exerce son influence en altérant les qualités des hu- meurs, altération qui est la vraie cause pathogénique, et dan: la Nature de l’homme, en troublant le mouvement de ces mêmes humeurs, ou en changeant la proportion. [ei la patho- génie est plutôt dynamique, là plutôt mécanique, comme aussi dans le traité Des lieux dans l’homme, et dans celui Des airs. Pour l’auteur de ce dernier écrit, le régime est causes de mala- dies, parce qu’en accumulant l'air ou en l'écartant de sa route, il produit, soit des distensions d’où résultent la fièvre et tous ses accidents, frissons, etc., soit des changements de courants, d’où les flux et les fluxions, soit une dilatation des pores qui laissent alors arriver l'humidité (.ydropisies), soit enfin une peérturba- tion radicale du sang, régulateur de l'intelligence, perturbation qui entraîne l’épilepsie et d'autres désordres nerveux. Connaître bien ces divers systèmes, c’est tenir la clef de Ja pathogénie antique. Mais tous n’ont pas eu une évale fortune. Le pneumatisme, dont on trouve aussi quelque trace dans le traité De la maladie sacrée, à peu près oublié durant de longues an- nées, a reparu, sous une autre forme, cinquante ans aprés Jésus-Christ ; la considération des qualités élémentaires des hu- 144 COLLECTION HIPPOCRATIQUE. meurs occupe peut-être un peu moins de place dans la suite des temps que celle de leur disproportion ou de leurs mouvements désordonnés; la théorie des fluxions est, par conséquent, au premier rang. La pathogénie de Galien est un compromis, et précisément dans la mesure que j'indique, des théories humo- rales hippocratiques ou cnidiennes. VII SomMaIRE: Etat de la médecine après Hippocrate et avant sa transplantation de Grèce en Egypte. — Fondation de l’école médicale d'Alexandrie, — La méde- cine reste grecque et n'emprunte rien à la sagesse égyptienne. — Direction que prend la science entre les mains des principaux représentants de l’école d'Alexandrie, et particulièrement entre celles d'Hérophile et d’Erasistrate. MESSIEURS, Ce n’est pas sans regret ni sans le désir d’y revenir souvent que nous avons abandonné Cos et Cnide pour suivre la fortune de la médecine qui émigre de Grèce en Égypte (1). Avec Hippocrate finit la troisième période de l'histoire de la médecine, pé- riode essentiellement constitutive non-seulement pour la mé- decine, mais pour toutes les autres branches de la culture in- tellectuelle. C’est une période décisive dans les destinées du genre humain. Tous les germes du savoir des siècles futurs y sont contenus, tout en procédera désormais. Ce n'est pas une renaissance comme au temps de Charlemagne, de Léon X, de Louis XIV; c’est le mouvement spontané du génie grec, qui (1) Albut (Clifford), Essay on the Medicine of Greeks, dans British and foreign medico-chirurg. Journal, t. XXXVII, janvier 14866, p. 170; t. XXVIIL, octobre 1866, p. 483, semble s'être proposé de résumer l'histoire de la médecine jusqu’à et y compris Galien. Le premier article est particulièrement consacré à la médecine dans les temples; l’auteur n’a pas distingué les Asclépiades-prêtres des Asclépiades- médecins; il croit, mais à tort, que les périodeutes, ou médecins voyageurs, se rattachent à l'institut de Pythagore : cette coutume d’aller exercer de ville en ville est tout à fait indépendante du régime pythagoricien ; elle remonte aux temps hé- roiques. En Grèce, les artistes étaient ambulants; on le voit déjà dans l'Odyssée. Le second article renferme des notices bibliographiques ou littéraires sur Hippo- crate, et l'analyse du traité Des airs, des eaux et des lieux. C'est un travail con- sciencieux, mais dont il faut attendre la suite pour juger si l’auteur a fait des recherches originales, DAREMBERG, 10 146 SUCCESSEURS IMMÉDIATS D'HIPPOCRATE. s’épanouit dans toutes les directions et crée les meilleurs mo- dèles et les plus beaux types en tous genres; cette fécondité pre- mière, qui ne s’est jamais rencontrée aussi puissante en aucun temps, ne s’est non plus jamais arrêtée : ainsi, redescendant d’âge en âge, notre xIx° siècle est le fils légitime du grand siècle de Périclès. Ce v° siècle de l’êre antique est dans l’ordre de l'esprit ce que le premier âge du monde est dans l’ordre de la matière. QUATRIÈME ÉPOQUE. Quand naissait Aristote(384), Hippocrate touchait à son déclin, et après lui la médecine passait en des mains qui n’avalent pas la force de continuer dans les mêmes proportions l’édifice com- mencé par les hippocratistes. Quelques médecins surgissent çà et là, mais rien d’éminent n'apparaît aux horizons de l’histoire avant le moment où la médecine, quittant son foyer primitif, va se ra- viver dans un autre milieu scientifique ; là elle trouve de nou- velles excitations et la protection aussi libérale qu’éclairée des Ptolémées, surtout de Ptolémée Lagus ou Soter, qui fit pour Alexandrie ce que Périclès avait fait pour Athènes. Entre Hippocrate et la réunion des médecins à Alexandrie cent ans se passent qui seraient à peu près vides, si nous n’avions pas à enregistrer quelques noms qui appartiennent plus encore à. l’histoire de la philosophie ou des sciences naturelles qu’à l’his- toire de la médecine proprement dite : — Ctésias et Platon, con- temporains d'Hippocrate, plus tard Aristote, plus tard encore Théophraste; puis un vrai médecin, Dioclès de Caryste; puis Praxagore et Chrysippe, les maîtres d'Hérophile et d'Érasistrate. — Ciésias, médecin de l’école de Cnide et historien passablement crédule, qui prend sa revanche du traité Du régime dans les maladies aiguës en critiquant un procédé recommandé par Hip- pocrate pour la luxation de la cuisse. Platon, qui dans ses écrits reflète les doctrines médicales du temps et complète nos rensei- gnements.sur les Asclépiades, surtout sur ceux de Cos. Aristote, le génie fatal qui enchaîne la philosophie, les lettres, les sciences durant tant de siècles, et dont les opinions sur les causes finales DIRECTION NOUVELLE QUE PREND LA MÉDECINE. 147 l'ont fait ranger parmi les Pères de l’Église ; Aristote, plus grand peut-être comme naturaliste que comme anatomiste. Théophrasie, où nous avons curieusement étudié les pratiques superstitieuses pour la récolte des plantes salutaires. Dioclès de Caryste, dont Pline à dit qu'il était voisin d'Hippocrate par l’âge et par la re- nommée; Dioclès, qui a marqué dans ses commentaires une respectueuse indépendance à l'égard d'Hippocrate, et qui de plus a écrit quelques livres originaux dont il nous reste de nombreux fragments sur l'hygiène, la pharmacologie, les causes, les cures, les complications ou associations de maladies internes, enfin sur l'anatomie, la chirurgie et les maladies des femmes. Praxagore de Cos, le dernier des Asclépiades, qui s'attache à suivre et à développer la doctrine d’Hippocrate, quoiqu'il ait écrit sur la distinction des maladies aiguës (1). Enfin, Chrysippe de Cnide, qui rejetait la saignée ; Chrysippe, dont les livres étaient déjà au temps de Galien menacés d’une entière destruction, et dont les disciples, sauf Érasistrate, n’ont guère plus de réputation que leur maitre. Ainsi nous apercevons les radicules de la médecine dans Ho- mère, les fortes racines dans les philosophes pour la physiologie, et dans les médecins pour la médecine proprement dite. Le tronc se façonne entre les mains d'Hippocrate, et ses branches finissent, après une culture suivie, par couvrir le monde civilisé; mais ce tronc produit à son tour toutes sortes de rejetons, ou, si vous me permettez de suivre ma comparaison, toutes sortes de gour- mands qui auraient fini par compromettre l'existence de l'arbre primitif, si la sève n’en avait pas été aussi puissante et si la hache de Galien ne l’eût pas émondé. Il s’est produit après la mort d’Hippocrate un phénomène qui n’est pas sans analogie avec celui qui s’est passé après la mort (1) On lui doit aussi des ouvrages sur le pouls, sur les humeurs, sur l'anatomie et la physiologie; il niait la chaleur innée, regardait la digestion comme une putré- faction ; donnait cours à cette funeste doctrine qui met l’air dans les artères et le sang dans les veines, et, chose remarquable, considérait le cerveau comme un épanouissement de la moelle, I1 a eu des disciples distingués, Hérophile, Philo- time, Plistonicus, Xénophon et Mnésithée, Ce dernier a laissé le premier modèle d’une encyclopédie médicale et d’une classification des maladies, 118 SUCCESSEURS IMMÉDIATS D'HIPPOCRATE. d’Aristote. — La médecine et la philosophie, après la forte impul- sion qu’elles avaient reçue, se sont lancées dans toutes sortes de directions, ont développé, étendu, modifié, mais, commeil arrive toujours après les grandes créations qui tombent dans le domaine public, affaibli les principes reçus; aux grandes écoles ont suc- cédé les petites sectes. Pour les unes, Platon, Aristote, Hippo- crate, restent les maîtres du savoir; pour les autres, la rupture est complète, et ce sont des vues nouvelles et indépendantes qui se font jour. Toutefois, durant la période active de l’histoire de la philoso- phie et de la médecine, période pendant laquelle se continue la force créatrice, on ne regarde pas plus Hippocrate, que Platon et Aristote, comme un oracle; on le tient seulement pour un guide dont il est permis de discuter les opinions ou de vérifier les observations. Ainsi, à côté d’'Hippocrate, il y a place encore pour la nature, tandis que plus tard, vers le xm° siècle, entre Hippocrate, Galien, Avicenne et quelques autres Arabes, il n’y a plus que la soumission aveugle et la crainte de voir autrement que n’avaient vu ces demi-dieux. Pendant la durée de l’école médicale d'Alexandrie, le nom d'Hippocrate est un drapeau autour duquel se livrent presque toutes les batailles, mais ce nom ne représente pas une doctrine personnelle comme pour Galien; c’est le drapeau d’une doctrine plus générale : le dogmatisme; si bien que pendant cette longue période un seul médecin est appelé ippocratique. Ce sont au contraire les deux premiers fondateurs de l’école d’Alexan- drie, Hérophile et Érasistrate, qui, tout en partant du dogma- tisme hippocratique, créent chacun une secte à leur profit; il y a des Hérophiléens et des Érasistratéens durant plusieurs siècles. Hérophile et Érasistrate se croyaient de trop grands personnages et des auteurs trop originaux pour s’enrôler sous un chef; d’autre part, Hippocrate n'avait pas encore excité cetle admiration su- perstitieuse qui eùt permis de créer une secte hippocratique à l'exclusion de toute autre. Hippocrate avait un rôle plus re- levé, puisqu'il représentait l’idée la plus compréhensive, celle du dogmatisme ou du raisonnement appuyé sur l'observalion ; de sorte que sous son égide il y avait place pour toutes les doc- ne DIRECTION NOUVELLE QUE PREND LA MÉDECINE. 119 trines, excepté pour une doctrine hippocratique proprement dite. N'allez pas croire non plus que le principe d'autorité, et je parle surtout ici de la médecine, ait prévalu partout et en tout point immédiatement après la mort de Galien. Dans l'empire de Byzance, où la culture intellectuelle décroit rapidement, par suite du malheur des temps, jusqu’au xv° siècle, la lettre tue l'esprit, encore pourrait-on signaler deux exceptions assez remarquables (1); mais, en Occident, soit que la forte organi- sation de l'empire ait maintenu pendant assez longtemps dans les écolesle goût des recherches et l'amour de l'étude, soit que plus tard l’élément barbare ait fait circuler une vie nouvelle, soit qu’un peu de hasard s’en soit mêlé, il est certain que la médecine n’était point asservie ni à Hippocrate ni à Galien; les vieilles traductions d'auteurs hétérodoxes et l’enseignement même de l’école de Sa- lerne à son début en portent témoignage (2); il en est à peu près de même pour la philosophie. Encore une fois, c’est avec les Arabes que s’efface presque toute indépendance dans l’étude des sciences; la scolastique s'empare de la philosophie et de la médecine; elle met Aristote et Galien avec Avicenne sur un autel. Aussi, tandis qu'au x siècle, au plus fort de l'invasion arabe, l'esprit humain, dans le domaine des lettres proprement dites, recouvre presque toute sa spontanéité, il la perd à peu près complétement. dans le domaine des sciences. Iln’v a paslieu cependant d’être fort étonné de cette dissemblance, si l’on veut bien se rappeler que la science, en raison de sa nature et de ses instruments, a toujours été, quoi- qu'elle semble plus cosmopolite, moins indépendante que les lettres des temps, des milieux, etsurtout de l'autorité. Quand la médecine arrive de Grèce en Egypte, le changement (1) Ici nous faisons allusion au traité de médecine d'Alexandre de Tralles, et, pour une époque un peu plus rapprochée de nous, à la virulente réfutation que Siméon Seth a faite de quelques doctrines de Galien. (Voy. mes Nofices et extraits des manuscrits médicaux, p. 229.) (2) Au 1v° siècle, pour Oribase, Galien l'emporte, il est vrai, sur tous les autres auteurs par l'excellence de sa méthode et la sûreté de ses définitions. Néan- moins le médecin de l'empereur Julien fait appel, pour la seconde édition de sa Collection médicale, à plus de vingt auteurs qui ne sont pas toujours de même opinion ni entre eux ni ayec le médecin de Pergame, 150 ÉCOLE MÉDICALE D'ALEXANDRIE. n’est ni aussi grand ni surtout aussi brusque qu’il semble au pre- mier abord. Nous avons vu, en étudiant les fragments qui nous restent de Dioclès et de Praxagore (1), s'ouvrir devant nous de nouvelles perspectives, et nous étions préparés aux transformations heureuses ou compromettantes, mais plus décisives, que la méde- cine allait subir à Alexandrie; surtout nous avons pu constater que ses progrès ou ses écarts tenaient uniquement à son propre développement régulier et naturel. Tout est grec dans la méde- cine à Alexandrie : elle ne doit rien, absolument rien à la sagesse égyptienne, rien à l'Égypte, si n’est un milieu plus propice, des excitations plus vives et une protection plus active et plus libé- rale, sous le sceptre puissant des successeurs d'Alexandre, que dans la Grèce divisée et affaiblie. De même, un peu plus tard, la fille d'Esculape n’emprunte aucun vêtement étranger quand elle semble abandonner sa seconde patrie pour arriver, à la suite des vainqueurs, c’est-à-dire à la suite de ceux qui pouvaient désor- mais dispenser la gloire et l’argent, sur le sol de l'Italie qu’elle ne doit plus quitter, tandis que la Grèce et l'Orient devront atten- dre de longs jours et de nombreuses révolutions pour voir re- fleurir l'antique médecine. Jusqu'ici c’est par hasard, par occasion ou par nécessité, qu’on a fait de l’anatomie; mais, d’une part l'impulsion donnée par Aristote, d'autre part la curiosité scientifique des rois d'Égypte, enfin le mouvement naturel de esprit humain, changent le cours des choses. On étudie l'anatomie pour elle-même ; on déssèque, on compare l’homme et les animaux, et l’on cherche à se rendre compte de l’ensemble et des détails de l'organisme vivant (2); dés {ors le diagnostic local se perfectionne et la chirurgie, surtout, prend de rapides accroissements. De son côté, la physiologie suit le mouvement; on commence à faire des expériences: mais ici encore les anciennes hypothèses biologiques aveuglent les plus habiles; les erreurs relatives à la respiration et à la circula- tion se perpétuent, malgré toutes les découvertes anatomiques qui (1) J'ai retrouvé dans deux manuscrits grecs et je compte publier bientôt des fragments complétement inconnus de Praxagore et d’autres médecins anciens. (2) Entre les premiers Alexandrins et les maitres de Galien, il semble que l’ana- tomie ait été un peu délaissée, ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE, 151 devaient les ébranler et peut-être les détruire ; la raison en est simple : ces erreurs, qui ont leurs racines jusque dans Homère, tenaient à toute une théorie à priori sur la distribution de l'air dans le corps; sans aucune notion chimique, il était impossible de comprendre l’action vivifiante de ce fluide autrement que par un contact immédiat et universel. Quand l'anatomie eut ruiné sans relour les hypothèses d'Empédocle, de Diogène ou de Dé- mocrite sur la distribution et le rôle des prétendus canaux aériens, la physiologie n’eut pas d'autre ressource que de prendre les artères pour leur faire jouer le rôle de ces canaux imaginaires et pour les mettre directement en rapport avec les bronches, sans oublier cependant d'attribuer une certaine part de respiration à la peau. Les recherches entreprises sur des points encore inexplorés, et dirigées par l'esprit d'observation, conduisirent, au contraire, à des résultats que la science actuelle a confirmés en grande par- tie. Ainsi le cœur se trouve dépossédé deses fonctions sensorielles en faveur du cerveau, dont Hérophile a décrit diverses parties, mais plutôt chez les animaux que chez l’homme : par exemple, la dure-mère et la pie-mère, la choroïde, le rets admirable, le con- fluent des sinus de la dure-mère, le calamus scriptorius, Vin- fundibulum, etc. ; on entrevoit les relations de l’encéphale et de la moelle, on tient ces deux organes pour les centres du mou- vement et des sensations (1). D'abord Hérophile distingue (ce qu’Aristote n'avait pas fait) les nerfs des autres tissus qui ont avec eux quelque analogie; puis Érasistrate (peut-être aussi Hérophile) va même jusqu’à reconnaitre, en mêlant d'énormes erreurs à cette découverte, deux ordres de nerfs, ceux du mouve- ment et ceux du sentiment; cependant il existe, malgré la divi- sion opérée par Hérophile, d’après les caractères les plus exté- rieurs, de très-regretlables confusions, au point de vue de ja structure et des fonctions, entre les nerfs et toutes les for- mes du tissu fibreux (2). — Hérophile nomme le duodé- (1) Déjà Érasistrate cherchait à déterminer le degré d'intelligence par l’étude des circonvolutions du cerveau. (2) Galien a consacré cette confusion ; cependant il a fortifié par de belles expé- riences les vues d’Érasistrate. 152 ÉCOLE MÉDICALE D'ALEXANDRIE. num ; il parait avoir décrit les organes génitaux femelles sur des cadavres humains; il voit comme Érasistrate, mais, comme son rival, sans en reconnaître l'origine et la terminaison, les vaisseaux lactés remplis de chyle; enfin, il énumère dans un bon ordre la succession des divers mouvements de la respiration. Hérophile et Érasistrate poussent très-loin l'anatomie des vais- seaux, mais déjà en rattachant les veines au foie et en mettant de l'air dans les artères, on avait retardé pour de longs siècles la découverte de la circulation. Avec les progrès de l'anatomie, avec les premiers essais de physiologie expérimentale, la pathologie du cerveau se dessine, mais celle du cœur reste longtemps à l’état rudimentaire ; car, c’est surtout pour cette portion de la pathologie qu’on ne peut rien ou presque rien sans l’interven- tion des moyens physiques de diagnostic. Si le diagnostic anatomique a fait pour certaines maladies de notables conquêtes, la médecine s’écarte des voies qu'Hippocrate lui avait ouvertes. D'abord la polypharmacie prend des propor- tions sieffrayantes, qu'il n’y a plus de maladie, plus de symptôme qui ne trouve un remède à son adresse ; puis, ce qui est plus fà- cheux, c’est qu’au lieu de recueillir des observations, on décrit des types de maladies où s’effacent à peu près entièrement les individualités morbides : il n’y a plus de grands cliniciens, mais des nosologistes; on a des cadres factices et des descriptions de fantaisie qui ne représentent aucune réalité substantielle, et cette méthode règne à peu près exclusivement jusqu’au xv° siècle, où commencent les consilia ou consultations. Les médecins d’Alexan- drie se montrent surtout en défaut dans importante question des fièvres ; 1ls ont perdu de vue cette grande unité morbide qui se traduit par la rémittence; ils n’ont plus la notion de la fièvre pseudo-continue, qui se fractionne alors en phrenitis, letharqus et causus ou fièvre ardente ; en d’autres termes, les formes par- ticulières de la fièvre rémittente, si bien établies par Hippocrate dans les livres I, I, IE, IV, VI et VII des É pidémies, deviennent des maladies spéciales; on ne comprend plus Hippocrate, soit qu'on n’exerce plus dans le même milieu que lui, soit surtout qu'on ait changé de point de vue. PATHOLOGIE. 159 La prépondérance que l’école de Cnide paraît avoir prise à Alexandrie sur l'école de Cos nous aide encore à comprendre cette transformation de la médecine : la méthode de Cnide est plus ac- cessible et, pour ainsi dire, plus vulgaire que celle de Cos; les particularités sont plus aisées à saisir que les généralités, lors même que ces généralités, et c’est le cas pour les Hippocratistes, proviennent moins d’une idée systématique que de la préoceu- pation d’un ensemble de faits bien définis; elles sont plus dans la pratique ordinaire de la vie et plus dans les habitudes de l'esprit. IL est vrai que si Érasistrate appartenait à Cnide par son maître Chrysippe, Hérophile rappelait Gos par son maître Praxa- gore; mais Hérophile est plus connu comme anatomiste et Éra- sistrate plus célèbre comme médecin ; en sa qualité d’anatomiste, il ne fait guère que perfectionner et appliquer les découvertes d'Hérophile. La secte d'Érasistrate est aussi plus ferme en ses principes que celle d'Hérophile (1); nous en avons la preuve jusqu’au temps de Galien ; l'influence d’Érasistrate se fait donc sentir à longue distance ; on peut même admettre que ses doctrines sont une préparation à celles d’Asclépiade et du méthodisme. Dans la constitution élémentaire du corps, Érasistrate ne lient compte ni des humeurs ni des esprits. Tout consiste en une intrication de nerfs, de veines et d'artères dont il n'ya pas une parlie du corps qui ne soit tissue : le sang est nour- riture; le pneuma est un auxiliaire pour les actes physio- logiques; les muscles, la pulpe cérébrale, le foie, la rate, ne sont que des parenchymes,. c’est-à-dire des coagulations par extravasation de l'aliment, comme la graisse. La bile, le phlegme, ne sont pas autre chose que l'urine; ce sont de simples excré- ments : les humeurs, le sang en particulier, ne rendent pas (1) Hérophile ne recherche pas les explications ni les hypothèses sur les causes et la nature des maladies; il appelle, comme dit Scribonius Largus, les médica- ments, les mains de Dieu; il a une grande confiance aux spécifiques; aussi n’y a-L-il rien d'étonnant que l’empirisme s'échappe du sein même de la secte héro- philéenne. Le maitre et les disciples se sont surtout attachés à commenter Hippo- crate et à étudier les médicaments; on compte parmi leurs écrits peu d'ouvrages originaux importants sur la médecine. 4154 ÉCOLE MÉDICALE D'ALEXANDRIE. malade en s’altérant, mais en obstruant les conduits où ils s’'égarent (1). On voit, d’un autre côté, par les titres et par quelques frag- ments de certains ouvrages de Praxagore, que, très-peu de temps après Hippocrate, les médecins de Cos négligeaient déjà l'étude de l’état général pour multiplier le nombre des maladies, et parfois même pour transformer les symptômes en véritables espèces morbides. C’est probablement à cette tendance de plus en plus prononcée, et aussi à l’abus que les dogmatiques faisaient du raisonnement, enfin au développement qu'avait pris la phar- macologie, qu'est due la naissance de l’empirisme. (4) Celse fait cette remarque : « Érasistrate, expliquant la fièvre par le passage anormal du sang dans les artères, qui ne doivent contenir que de l’air, et trouvant que ce passage a lieu lorsqu'il y a pléthore, ne saurait dire pourquoi de deux sujets également pléthoriques, l’un tombe malade, tandis que l’autre est à l'abri de tout danger; et c’est précisément ce que nous observons tous les jours. Il est permis d’en conclure que cette transfusion du sang, toute réelle qu’elle puisse être, ne survient pas uniquement dans les cas de plénitude, mais lorsqu’à la pléthore sont venues se joindre d’autres causes énoncées déjà. » (Préamb. du livre I, trad. des Etangs.) APPENDICE TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES MÉDECINS ALEXANDRINS AVEC UN SOMMAIRE DE LEURS ŒUVRES (1). La période alexandrine est une des plus compliquées et des pius difficiles de l’histoire. Tous mes efforts devaient donc tendre à répandre la lumière au milieu de ce chaos que per- sonne encore n'avait cherché à débrouiller. Dans le tableau qui suit, je me suis efforcé de marquer d’une façon régulière la succession ou la contemporanéité des auteurs, afin de faire ressortir la marche générale de la science, le caractère et le développement de chaque secte. Un très-petit nombre d’au- teurs s’est montré rebelle à toute classification, pour quel- ques-uns je ne suis arrivé qu'à des probabilités; enfin, pour un assez grand nombre, j'ai pu agir avec toute la certitude qu’on cherche en pareille matière. Après ce premier travail, j'ai essayé de rapporter chaque auteur ou chaque série d'auteurs à des dates plus ou moins exactes. Pour dresser ce tableau, il m'a fallu partir de données très-diverses, puisque je n’avais à ma disposition que quelques dates approximatives ; j'ai donc pris tour à tour en considération la succession des disciples aux maitres, les citations des auteurs les uns par les autres, les té- moignages des écrivains autres que ceux de la série, qu'ils soient ou non médecins, enfin la concordance de certains faits médi- caux avec quelques faits de l'histoire politique ; de toutes ces (1) J'ai publié pour la première fois ce tableau en 1848; pour cette seconde édition, je l'ai augmenté et corrigé, 456 TABLEAU CHRONOLOGIQUE données, il est résulté une série régulière que j'ai pu mesurer en quelque sorte sur une échelle chronologique (1). Comme je me suis surtout appuyé sur la succession des disciples aux maitres, J'ai admis (ce qui du reste est un principe assez genéralement reçu) que la période d’activité qui fonde la répu- tation d’un homme est ex moyenne de trente ans, entre trente et soixante ans; et que pour ie disciple, cette période commence dix ans avant le déclin de celle du maître. Je n’ai dévié de cette mesure qu’en présence de dates fixes qui m’étaient fournies par les relations de l’histoire politique avec l’histoire médicale. Un exemple fera comprendre ce procédé. Entre les deux chefs de l’école médicale d'Alexandrie et Andréas, il ne se trouve aucune date même approximative ; eh bien, pour rattacher ensemble ces deux jalons, pour combler l'intervalle qui sépare ces deux époques, j'ai adopté la marche suivante : Hérophile et Érasis- trate étant placés entre 305 et 280 (2), les disciples commen- çant leur carrière indépendante dix ans avant le déclin de la pé- riode d'activité de leurs maitres, j'ai placé Bacchius et Straton entre 290 et 260, et ainsi de suite; il en est de même pour les disciples de Philinus, etc. Dans certains cas, il ne m'a pas élé possible de déterminer si les auteurs cités étaient contempo- rains de ceux qui les citaient, ou s'ils leur étaient antérieurs de quelque temps; je me suis décidé à les mettre dans une catégo- rie à part, immédiatement avant les auteurs par qui ils sont ci- tés; en sorte qu’on pourra les rattacher à la génération qui les suit et à celle qui les précède; car, en tous ces cas, il ne parait pas possible de remonter plus haut qu’à une génération. Quel que soit le parti qu'on adopte, la marche générale de l’histoire n'est pas notablement troublée, et lon n’exigera sans doute pas un autre résultat avec aussi peu de renseignements. (4) Pour la chronologie politique, je m'en suis ordinairement rapporté à Heeren. (2) J'ai réduit, pour ces deux médecins, la période à vingt-cinq ans. Il est pro- bable, en effet, qu'ils ne furent appelés à Alexandrie que quelque temps après l’arrivée dans cette ville de Démétrius de Phalère (308), qui donna la première impulsion au mouvement intellectuel en Egypte; d’ailleurs, pour mériter cet honneur, Hérophile et Érasistrate avaient dù jouir déjà, dans leur pays, d’une certaine renommée. DES MÉDECINS ALEXANDRINS. 457 Comme moyen mnémonique et comme point de repère, j'ai mis l’histoire médicale en concordance avec l’histoire politique. Le théâtre principal de l’histoire médicale à cette époque est l'Égypte; mais cette histoire est aussi mêlée quelquefois à celle des rois de Syrie, dont l'empire était, en Orient, le plus considé- rable après celui des Ptolémées; j'ai donc cru devoir donner la série chronologique des rois d'Égypte et de Syrie, en la mettant, par des empiétements et des rappels successifs, en concordance avec mes époques artificielles. J’ai remplacé cette série par celle des empereurs, quand l’empire romain est resté seul debout sur les ruines du monde ancien. J’ai placé dans la dernière colonne du tableau l'indication des principaux sujets traités par les auteurs dont on possède main- tenant la liste régulière, de sortie qu'on embrasse d’un seul coup d'œil la chronologie biographique et scientifique. I n’est pas très-conforme, ce semble, à la chronologie de pour- suivre isolément l'histoire de chacune des trois sectes, et de re- venir ensuite aux médecins qui n’ont appartenu à aucune d'elles; mais celte marche m'était en quelque sorte commandée par la nécessité d'établir de l’ordre dans mon exposition, et par lin- convénient qu'il y aurait à passer incessamment d’un sujet à un autre. (est du reste, 11 me semble, le seul moyen de faire res- sortir dans leur ensemble les rapports et les oppositions qui existent entre chaque secte, et de suivre ces sectes dans leur complet développement. Il est encore une autre irrégularité que je dois justifier. Je conduis l'histoire des sectes jusqu’à Galien, qui les absorbe toutes et en tire un système uniforme; au contraire, pour l'histoire des médecins qui ne sont ni Hérophiléens, ni Érasistratéens, ni empiriques, et qui ne s'appellent pas non plus dogmatiques, je m'arrête vers quatre-vingts ou soixante-dix ans avant J. C. J'ai cru devoir agir ainsi parce que ces médecins forment une catégorie à part et qu’ils appartiennent presque tous à cette classe de spé- cialistes appelés chirurgiens : Nicandre et Crateuas ne sont pas médecins. Après eux les médecins que je pourrais appeler éndé- pendants, et que je rencontre dans la suite de l’histoire jusqu’à 158 TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES MÉDECINS ALEXANDRINS. Galien, forment à leur tour une catégorie bien distincte; ce ne sont plus des spécialistes, mais des médecins dans toute l'étendue du terme; sans porter de dénomination particulière, ils repré- sentent assez nettement le dogmatisme qui se dégage de plus en plus des discussions nées au sein des sectes diverses entre lesquelles est partagé le domaine de la science. On n’oubliera pas non plus qu'entre les mains de quelques-uns de ces méde- cins l'anatomie et même la physiologie reprennent l’impor- tance qu’elles avaient perdue depuis les travaux d’Hérophile et d'Érasistrate. Ce n’est qu'aux époques où tous les événements humains paraissent marcher de concert, où l'humanité tout entière se mo- difie, et quelquefois même se transforme, que la science change aussi sur tous les points et dans presque tous les sens; alors seulement commencent et finissent les périodes dans l’histoire. TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES MÉDECINS ALEXANDRINS 160 TABLEAU CHRONOLOGIQUE ! SÉRIE CHRONOLOGIQUE es DES ROIS D'ÉGYPTE, SÉRIE CHRONOLOGIQUE 5 OLYMPIADES DE SYRIE, | HÉROPHILÉEN! ROMAINS, Av. J.-C. ÉGYPTE : Ptolémée J La- } ae gus, 323-284; Ptol. II ( HékoPmme(G)-, .-.....20 HÉROPHILE. . .. | 305— 2201 exvur, &-cxxv, 1. Philadelphe, 984-246. . | ERASISTRATE ® 85 JC A CCC EEE | | SYRIE : Sélenc usI Nicator, $ Simon CPR. | 0 CORRE 1 312-981 ; Antiochus I So= N Cr RASE ter, 981 - 62 DO . ICIAS ( 122 son De ojnio © 51e ser Pielriore » fs CALLIMAQUE (3)........... CALLIMAQUE | CaLIANAx (4)... CALLIANAX. .... ÉGYPTE : Ptol. 1; Ptol.II. | BAcCHIUS (5)......... +. |BACCHIUS. . +. 290—260 cxxn,3-exxx, 1. . . À SYRIE: Sél.: Ant. 1: Ant.ll B)- Théos, 262-247. . : . | SIRATON(B) Rec OS XÉNOPHON (W)---- re ra 1 PHtHNUS de Cos (8) CR ICE Er... D. (RPTORÉMER (0) .2...e secret - CHENSIPPE 2 eee: -E MRC. : APÉMANTE. . .... sereneertile rene CR . CHARIDIME. Le AL PEN EEE HERMOGÈNES. ...... cle ree : 5. ARTÉMIDORE.. -2- ee ie ile 0 es #4 08 AMHENIONC---------- cr DS Di - . ; berne (LD): 2230 sovsl---ctt 000 l ArocLoxius SrraTONICUS(11). AS Oo SÉRAPION d'Alexandrie (12)..|.......... Æ Re Ptol. II : Ptol. Li GLaucras (13). Du ce à ssseralesceb+rs sec Évergètes, 2 de. 24. 270—240 |exxvn,3-exxxr,1.. À SYRIE : Ant. l: Ant. IL;) 7ev TE CR 1 sél. 11, 247-297. . . .. HR PET 0e [ Mann (6)... MANTIAS......, | © se [A G\ r& | | CunyseRME (16)..,.......[CHRYSERME.. . . | Démerrius (1). .c0."e DÉMÉTRIUS. . . . M CUS EEE) SRE CrDtS, 5.50 ÉYSIMAQDEL à 5 us sed ele Sc 4 Morris\(19)".-:0- 7... Mo oo NITEUS. - - Drouin se ee : *ANYMPHODORE, : : see + elle: "CECI PHILOXÉNE. 2 + - so e ele CCC CCE a: HORGAS = ie cesse cc PO RC » SOSTRAEEL ec AOC ATOS OLD - : ÉTÉRON. 2.200 e cc: CPE APOLLONIUS la Bête ou le SeTPENL:.-.- ec 5 lce-coe DU APOLLONIUS de Pergame.. 55-00. . 9 y FRS + ÉGYPTE : Ptol. I: Ptol.II: / ZÉNON (20).............. [Zévox.. PR Ptol. IV Philopator, 221- 204........... HérACLIDES de Tarente (21).|............ a - 250—220 | exxxn,3-ext., SYRIE : Ant. II: Sél. IT: È (21) L Sel. TIT, 227-224; Ant.) 4 ; 5 le Grand, 224-187. . . .| HérACLIDES d'Erythrée (22). [HÉRACLIDES d'E | AporLoxivs l'Empirique (23).|..... ....... | i DES MÉDECINS ALEXANDRINS. 461 SECTE INDICATION ÉRASISTRATÉENS | EMPIRIQUES DES PRINCIPAUX SUJETS TRAITÉS PAR LES AUTEURS ÉNUMÉRÉS NDÉTERMINÉE, NOR DANS CE TABLEAU. EE ler ee Ta Noyer notes ae SIMON as: à 0 Maladies des femmes. une .. ...... Rt T4 sboacoroltooseoctdeoeoo lINIES 6 046 abrabe | L'ECEnEte | acooc one 06o RER TRS “ssssesseseeese. | Commentateur où glossateur d'Hippocrate. { Connu par sa rudesse et sa grossièreté envers les 2 COCCOIOREOOOD! OMATORIOOOICIO IOSIOINCIONOIOIOICIONCECIICEC malades. Avec Callimaque, mais surtout avee Bacchius, qui a joui d’un plus grand renom, commence l’histoire des commentateurs ou glossateurs d'Hippocrate. 5 2 TOC OO OO] (SSIAP SOC. IOICOIOTOIORIO CIC CC Ils sont surtout hérophiléens. B. admettait quatre espèces d'hémorrhagie: rupture, putréfaction, anastomose (débouchement des vaiss.), transsud. STRATON à Re LAN RDA 1 pour l'éléph. et l’épil., ete.—Proscrivait comme DS TRES.) | ORACLE son maître la saignée, pour de très-futiles raisons. LÉGER 0) OO Re ELUAU hu des parties du corps; chirurgie ; maladies des femmes. Den oouecce | EHILINUS:. .. . ee les se eo ee serseis ee Fondateur de l'empirisme. D ÉEMERS ES eareslebe se cc essor... | Nie l'utilité de la paracentèse. Matière médicale, CHRYSIPPE. .... ss onmsons nl... .. 2.141. NSurla matière médicale et alimentaire, DR MANIIEeRE RE le ne cn mt. ts 4 Contre ln saionce. RD ER ER EE A PS A ere ste dcr ay a oie Soutenait l'antiquité de la rage. MIERMOGENES: mel. lle ns se © à c soosolossose.sssse.... | Sur les sectes? d'aprés Galien. ARTÉMIDORE, ...|........,...,.|:+++.+.......... | N'admettait la nouveauté pour aucune maladie. M ATHÉNION. . .... Dec ee Es ceteem-1-2..e.. | Malaties des femmes. MDEMADE- uen ee nadeteleleletalilerle 212 27. AI Maladiestdes femmes. ee Sur les plantes, sur les luxations, les définitions mé- APOLLONIUS STR..|..........4 MR UTA IE) À SLT { dicales, la pathologie interne. snosesessse.e]SÉRAPION. ......leseseseseseese. | Second fondat. de l’empirisme. Pathol. int. et ext, . À commenté Hippocrate, auquel il s'efforce de rap- eeohpocct | GTATGIAS,....- metier fftes. ee porter l'invention de l’empirisme. Avait aussi écrit sur la médecine et la chirurgie. De ssoseene ee ]ZEUXIS.. os colcseemessee see + | Avait commenté Hippocrate. Connu par ses ouvrages sur la chir., la matière mé- dicale et la pharmacologie. — A le premier réuni les formules pharmac. en un corps d'onvrage. Travaux sur la pathalogie et sur le pouls. Presque tous les Hérophiléens attribuent la pulsation des artères à une cause dynamique. Pathologiste. On voit que dans ses éerits la phrenitis et le lethargus ne sont plus des variétés de la fièvre continue, mais des affections spéciales. — Sur les maladies des femmes. Glossateur d'Hippocrate Commentateur ou glossateur d'Hippocrate. LYSIMAQUE. ......, terprétation des mots d’Hippocrate, et sur Ja chi- | : écrit contre Cydias et contre Démétrius sur l’in- rurgie (fractures, luxations). Mozpis......... = FMI LE RINIÉEUS eee | tiens spécialistes (fractures, luxations). NYMPHODORE. ..... MT Cuers cs otre CR en PE IP HI OXENEs 0 se noces ss vel scceesctisees ou sur la chirurgie ; quelques-uns sont peut- ue ROM OS TRATE: ee etes être des spécialistes. Mrlaieldle)o o,e 0e se elle à o10:5 +10 01e RADEON. ee moe Dunes nre see selle es. o..e....es)APOLLONIUS la Bête. su Hippocrate. Chirurgie, Mnnsossssssoolssssssesspe ee. |APOLLONIUS de Perg. ( Chirurgie. Sur les médicaments. M emenvielervieln he ee siatanie sa lfels etailetole oo lele erete s 1510 05e Ï i Un des plus illustres de la secte comme médecin, chirurgien et commentateur d'Hippocrate. A beau- coup écrit aussi sur les médicaments, entre autres une Pharmacopée militaire. | LOST CEOODND) CC COOP CO| MAO RER EES lie sur le pouls, sur Hippocrate, sur Héroph, D... PANOLEONIUSl'eMP. 2. 2... « . «4 >< + Commentaires sus Hippocrate. M --- -. --- - lÉRACLIDES de le ICE DARE"BERG, 11 162 TABLEAU CHRONOLOGIQUE AYANT | OLYMPIADES DE SYRIE, Hétu ss C5 ET DES EMPEREURS È ROMAINS, DES AUTEURS. \ AMMONIUS (24)... ......... AT A en ÉGYPTE : Ptol.UE Ptol.IV; ne Ÿ Épiphanes, 24) A poLLONIUS BiBLAs CES DNA 1 FRE 9 «+ 20 VE ‘sél 11; Sél, 11: | ANDRÉAS l’Hérophiléen (26).|ANDRÉAS.. ....... Ant.lllle Grand. ; : . ÉGYPTE : Ptol. IV; Ptol. V; Ptol. VI Philométor, 181- 145........... APOLLOPHANES (27)... 0102 "20 50 Sél. iv, 230—200 |cxxxvir, 3-cx1v, 1. 210—180 |cxin,3-c1,1. ÉGYPTE : Ptol. VI. . . . SYRIE : Sél. IV; Ant. IV Épiphanes, 476 - 164 ; Ant. V Eupator, 164-461; Démétrius I Soter, 161- » SÉRIE C HRONO PROC ANNEES DES ROIS D'ÉGYPTE, | SÉRIE CHRONOLOGIQUE 180—150 cz, 1-czvnr, 3. ne CURE , ÉGYPTE : Ptol.VI; Ptol. VII Physcon, 145-117... . . las, 150-145; Démét, II czvu,3-CLxv, À Nicator, 145-126. — Ici\ NICANDRE (28). ..........|......... 2: 541 s ’arrête la chron. régu- lière; l’an 64,1 empire est réduit en province ro- | SYRIE : Démét. I; Alex, Ba- 150—4120 |ezvu, ÉGYPTE : Ptol. VILI et IX, { ZOPYRE (29)............. 5025 RUE 400— 70 {cuxx,1-czxxvu, 3... À 446-84; Ptol. X, 81- 73 Ptol. Xi Aulétes, 73-59. : | CRATEUAS (30)... .........|::............° S'Hicésrcs (81): ::: Elec loc ee Fe COR l MÉNODORE (32)........... Hir:t422 re | ÉGYPTE : Ptolémée XI: Aie ce CO) ARCELL EC EL | Ptol. XII, Cléopâtre, 52-N'AMYNTAS: : -4-::.::.200 05. ce 60— 30 euxexdexxxvn,3. À 30. Le royaume d'Égypte! PÉRIGÈNES. . ,............l.4............. | est réduiten province ro- ’ * “ | HEnes Re 1-0 APoLLONIUS de Cittium (34).1.,........... | Posiponius (35). ....... A sense as 5 2 \D10SCORIDES Paacas (36)... |Dioscortne Paacas. M Zeuxis l’Hérophiléen (37). . ZE Eee. 0 20 av.J.C. Domination d'Auguste, 30 | 10 exc, Î-exevn,8, . «ans avant 3. C., 44 ans! Apoyronrus Mys.oul’Héroph.|ArozLonius Mys… ap- après CIN TET CI CCR | Apr. J.-C. te ACLIDES l’Hérophiléen. . | HéRACLIDES Hérop. }N A— 30/|cxev, 2-ccu, 3. Auguste; Tibère, 14-37. À ALEXANDRE PHiLALÈTHES (38). | ALEXANDRE PHIL... [M 20— 50{cc, 1-cevn, 3 … frère: Caligula, 37 re : ( DÉMOSTHÈNES PHILALÈTHES. . | DÉMOSTHÈNES Pair. Claude, 41-54. ARISTOXÈNES (39). ........[|ABISTOXÈNES...... | big) CÉSAR GaTUS. : :. . SEsSN Claude, 41-54 ; eu La # ve 68 ; Galba, 68-6 Othon 40— 70fccv, 1-ccu, 3. et Vitellius, 693 Vespa- [RE LU PRE - LISA ETES sien, FE) MEL EX \ 70— 90 {ccxn, 3-cexvn, 8. 2 fespasien; Titus, TE À \ Domitien, 81-96. HS ; Domitien ; Nr 96- , 90—120{cexvu, 3-cexxv,1.-2 Trajan, 98-147 RP LA { MHEUDAS: di. oo 46409232 AIT TITI SATA TR UE 24e { MÉNODOTE (42)... 53:42 2 AVIS 3 2 5 re 420—140 |cexxv,1-ccxxx,1. . | Hadrien ; Antonin,138-161. | veus (43)... 11 Miorrassoroshare 440—170 [ccxxx, 1-cesxxur, 3. A ER RION . L.. . . 4. NU =. cc4c 440 22 | CATLICLRS... 0 2200272000 2 L té Ê ai ÉRASISTRATÉENS ......... CRC ie ns eo © e 1e THicésius.. . MÉNODORE. EMPIRIQUES. DES MÉDECINS ALEXANDRINS. .. APOLLONIUS Posipoxius. . CE DioDorE, . THEUDAS... MÉNODOTE. EYCuS ÆSCHRION, .. CALLICLÈS. .. de Cit, . .. SECTE INDÉTERMINÉE, AMMONIUS. . NICANDRE., CRATEUAS. . P ASICRATES. AMYNTAS... PÉRIGÈNES . . 163 INDICATION. DES PRINCIPAUX SUJETS TRAITÉS PAR LES AUTEURS ÉNUMÉRÉS DANS CE TABLEAU, Sur la chirurgie. Lithotomiste. -. | Sur Hippocrate et sur les médicaments. + | Sur les médicaments, sur les opinions d'Hérophile. + | Sur les médicaments et la pathologie. Thériaques, alexipharmäqués, géorgiques; pronos- tices. Recueil de traitements ? ur les médicaments. Avait écrit sur la chirurgie Trash la doctrine d'Hippocrate, Description des plantes. Fonde à Smyrne une école d’ Érasistratéens.— A écrit sur la matière alimentaire et les médicaments. 44 A écrit sur les médicaments et sur les aliments. Chirurgiens spécialistes (fractures et luxations), ou mécaniciens. Commentaire sur les Articulations d'Hippocrate. Traités de médecine d’après Soranus, CI irurgie, À écritsur les plantes, et réfuté les glossateurs d'Hip- pocrate. + | A commenté Hippocrate, fs écrit sur les propriétés des médicaments et donné des recettes (Euporistes) pour les maladies à capite ad calcem. Ouvrage volamineux sur la secte d'Hérophile, — Célèbre pour la préparation de l'huile de riein. -+ | Ouvrages inconnus, Sur les sectes et probabl. sur la pathologie, - | Sur le pouls et sur les maladies des yeux. + | Sur le pouls et sur la secte d'Hérophile. + | Sur l'hydrophobie. + | Sur les médicaments, é E Sur la secte empirique. Anatomiste, commentateur d’Hippocrate. + | Sur les médicaments. + | Ouvrages inconnus, NOTES JUSTIFICATIVES DU TABLEAU CHRONOLOGIQUE (a} Pour la liste des ouvrages et pour la collection des fragments d'Hérophile, voy. Marx, Herophilus. Ein Beitrag zur Geschichte der Medicin. Carlsruhe, 1839, in-8. (ë) Un semblable travail n'ayant pas été fait sur Érasistrate, nous renvoyons à Sprengel (édit. de Rosenbaum), t. 1, p. 521 et suiv., et particulièrement à la note 78 de la page 538, (1) Simox, cité par Soranus (Maladies des femmes, éd. de Dietz, p. 1400), peut- ètre comme contemporain d'Hérophile ou un peu antérieur. (2) Nicras, condisciple d'Érasistrate et ami de Théocrite, d'après Denys d'Éphèse, dans sa Liste des médecins (Schol. in Theocr., Arg. d'Idyl., XI). (3) CALLIMAQUE était, suivant Erotien (Gloss, in Hippocr., pp. 7 et 31, édit. de Klein, Lips., 4865), de la famille ou plutôt de la maison d'Hérophile, d'où il suit qu'on doit le placer au même rang que les disciples immédiats de ce médecin, (4) CaLrranax, cité par Bacchius, et d’après Bacchius par Zeuxis (Gal., Comm. IV, in Hipp. Epid. NA, $ 9,t. XVII, p. 144, éd. Kuehn). C’est l’auteur le plus ancien qui porte le nom d’hérophiléen ; on doit, en conséquence, le regarder comme dis- ciple et non comme contemporain d'Hérophile ; car il est établi par Galien que les sectes hérophiléenne et érasistratéenne ne furent constituées et ne reçurent leur dénomination qu'après la mort d'Hérophile (Gal., De diff, puls., IV, 2, t. VII, p. 715). — Où placer l’hérophiléen HÉGÉTtOR (qui est bien un nom propre, quoi qu’en pense Rosenbaum, t. I, p. 520 de son édit. de Spreugel), mentionné et blämé trois fois à propos des luxations de la cuisse par Apollonius de Cittium, p. 34, 55 et 41 de son Commentaire sur les Luxations d’Hippocrate ? Peut-être au temps de Philoxène, alors que la chirurgie, d’après Celse (Prooëm. libri VIT), prit ses plus grands développements. (5) Bacemivs, contemporain de Philinusde Cos, lequel était élève (äxcvarrs) d'Hé- rophile (Erot., Lib. sup. laud., p. 31 ;—Gal.,Introd.s. Med.,cap.1v,t. XIV, p.683). (6) Srrarox, disciple d’Érasistrate, d’après Rufus (dans Oribase, Collect, med., XLV,28, t. IV, p. 63); élevé par Érasistrate lui-même, il l'accompagnait toujours et travaillait dans sa maison, suivant Diogène de Laërte (V, 3, 6, 61) et suivant Galien (Adv. Erasist. Romae degentes ; 2, t. XI, p.197). (7) XÉNopnox est placé par Galien avant Apollonius de Memphis (/ntrod. s. Med., 10, t. XIV, p. 699, 700); je le regarde donc comme contemporain de Straton, —C'est sans doute le même que citent Soranus (7, /., p. 257, 1.18) et un NOTES JUSTIFICATIVES DU TABLEAU CHRONOLOGIQUE. 165 scholiaste d'Oribase (t. IV, p. 527, 1.), qui lui attribue un traité Des maladies ex- ternes. En tout cas, il ne doit pas être confondu avec Xénophon de Cos, contempo- rain de Praxagore, (8) Pairinus de Cos, disciple d'Hérophile, est contemporain de Bacchius (voy. ce nom). (9) Prorémér, etc. Il est impossible, avec les données que nous possédons, de déterminer d’une manière exacte l'age des médecins compris dans cette catégorie et qui sont tous Érasistratéens ; j'ai cru cependant pouvoir leur assigner cette place par les considérations suivantes: PTOLÉMÉE est cité par Cælius Aurelianus immédia- tement après Érasistrate (Chron., IL, 8, p. 479, éd. Almel).—Galien cite également APÉMANTE immédiatement après Érasistrate, en même temps que Straton (Ad. Erasistr. Romae deg., 10, t. XI, p. 451). — Diogène de Laërte regarde Cary- siPrE comme un élève d'Érasistrate (VII, 7, 10, 86), et l’on suppose que c’est le même auteur qui est cité par Pline en plusieurs endroits et par le scholiaste de Nicandre (Ther. vers 838), comme ayant écrit sur la matière médicale et alimentaire, eten particulier sur l’emploi médical du chou, légume qui a donné lieu à tant d’écrits. D'après une inscription trouvée à Smyrne, CHARIDÈME serait père d’'HERMOGÈNES, D'un autre côté, il ne paraît pas que les Érasistratéens, malgré la persistance de la secte, aient beaucoup fait parler d'eux rnominativement longtemps après la mort de leur chef. Par toutes ces raisons, qui établissent au moins des probabilités, j'ai cru pouvoir considérer ces Érasistratéens comme contemporains, soit de Straton, soit d’Apollonius de Memphis; pour marquer cette incertitude, je les ai placés dans une catégorie à part, afin qu’on puisse les rattacher à l’un ou l’autre de ces auteurs. — ATHÉNION n’est cité, avec l’épithète d’érasistratéen, que par Soranus (ZT, p. 210; voy. Celse, V, 25, 9). (10) MivriAne est également cité par Soranus (7. Z., p. 210), à côté d’Athénion, et certainement comme érasistratéen, non comme asclépiadéen. (411) Aporconus Sfratonicus, disciple immédiat de Straton (Gal., De differ, puls., IV, 17,t. VIII, p. 759), Cet Apollonius ne me parait pas devoir être distingué d'Apollonius de Memphis.—L'histoire des Apollonius est restée des plus obscures, malgré les recherches de Harless (4nalecta hist. critic., 1816), de Russemaker (dans son éd, du XLIV® livre d’Oribase, 1835), de Greenhill (Dict. de biogr. de Smith) et les miennes. (12) Séraprow, successeur de Philinus de Cos (Gal., Introd, s. Med., cap. 1, t. XIV, p. 683). (43) Graucras, qui avait embrassé la doctrine de Sérapion (Celse, 1, Prooëm. init.), écrivait très-peu avant Zeuxis, Héraclides de Tarente et Héraclides d'Érythrée (Gal., Comm. 1, in Epid. prooim., t. XVIIe, p. 793-4); il a été critiqué par Zeuxis (Gal., Comm. I, in Epid, VI, $ 45, t XVII, p. 992). Galien le place habi- tuellement après Bacchius. Regardant donc Glaucias comme contemporain, soit de Bacchius, soit de Zeuxis (car je ne crois pas qu'il soit possible de trouver place pour une génération entre ces deux médecins), je l'inseris dans un rang intermé- diaire, — Faut-il placer Épicrës à côté de Glaucias, qu'il semble, d’après Érotien 166 | NOTES JUSTIFICATIVES (pb. 31), avoir imité en abrégeant, par ordre alphabétique, le Lexique de Bacchius des mots obscurs d'Hippoerate ? 14) Zeuxis l'emprrique, distingué pour la première fois par la chronologie et par les doctrines, de Zeuxis l’hérophiléen (voy. plus bas), vivait après Glaucias, et par conséquent après Bacchius, comme on l’a vu plus haut; il est antérieur à Zénon (Érot., p. 87), à Héraclides de Tarente, et sans doute il écrivait avant Ptolémée III Évergètes, ainsi que je l'ai établi par une série de rapprochements qu'il serait trop long d'énumérer ici. Je dirai seulement que Galien (Comm. 1, in Prorrh., 1, $ 58, t. XVI, p. 638) l'appelle un très-ancien empirique, et qu'il ne donne cette qua- lification de frès-ancien à aucun autre empirique, - (45) Mawrias, maître d'Héraclides de Tarente (Gal, Sec. loc,, VI,9, t. XIL, p.988-9). (46) Canvserme, maître d'Héraclides d'Érythrée (Gal., De diff. puls., AV, 10, t. VII, p. 743). (17) Démérrius d'Attale, d'Apamée ou de Bithynie, a été critiqué par Lysimaque de Cos (Érot., p. 32), par Héraclides de Tarente (Gal., Med. sec, gen., IV, 7,t. XI, p. 722-24); il est donc leur contemporain ou de très-peu antérieur à eux.—Est-ce le même que Démétrius l'épicuréen, cité par Érotien, p, 81 ? (18) Gynras a été réfuté aussi par Lysimaque de Cos (Érot., p. 32). Je range done ces trois médecins dans une catégorie à part, comme je l'ai fait pour Glaucias et par les mêmes motifs. (19) Morris, Nizgus, NYMPHODORE étant cités par Héraclides de Tarente (Gal., Comm. 11, in Hipp. de Articul., $ 40, t. XVIIT4, p. 736), je les place dans le voi- sinage de Démétrius. — Voici maintenant les motifs qui m'ont déterminé à ranger les quatre médecins suivants dans la même catégorie : Celse (VIT, Prooim.) nomme ces médecins dans l’ordre que je leur ai assigné; il nomme après eux les deux Apollonius (qu'on regarde comme les mêmes personnages qu'Apollonius l’empi- rique et Apollonius Biblas, lesquels, à leur tour, correspondent sans doute aux deux Apollonius père et fils d’Antioche et empiriques, nommés par Galien (/ntr. seu Med., 4) et Ammonius /e lithotomiste (vo. plus bas). Comme Celse nomme ordi- nairement les auteurs par ordre chronologique, j'ai pensé qu'il fallait regarder Pri- LOXÈNE (cité par Soranus, p. 36, ou plutôt par Aétius, XVI, 43, à propos des can- cers des mamelles), GorGrAs, SOSTRATE et HÉRON comme contemporains d’Apollonius l'empirique dont nous savons l’âge, ou du moins comme le précédant de très-peu ; je les ai donc placés dans la même catégorie que Nymphodore et les autres, puisque Apollonius est contemporain d'Héraclides de Tarente.— Je n'ai pu frouver aucune donnée sur l'âge d’ArozLoxius /a Béte ou le Serpent et d'ArorLonws de Pergame , trois noms qu'on s'accorde assez généralement à attribuer à un même personnage. Remarquons toutefois qu'Oribase cite Apollonius de Pergame pour les searifications (Eupor., 1, 9; Collect, med.; VII, 49) et Apollonius la Bête pour un bandage (Collect. med., XLVIWI, 44), et qu'Érotien (p. 52) distingue Apollonius /a Béte d’Apollonius /e Serpent. Si je les ai rangés dans cette accolade, c'est qu'ils nous sont connus comme chirurgiens, Le premier est cité par Érotien (p. 34) entre Bacchius et Dioscoride Phacas; mais lors même que cette place représen- DU TABLEAU CHRONOLOGIQUE. 167 terait l’ordre chronologique, ce qui est probable, les limites seraient encore vagues et bien étendues. (20) Zéxox. IL ne me parait pas possible de déterminer avec certitude si Zénon l’hérophiléen doit être distingué de Zénon de Laodicée, ou s’il s'agit du même personnage, Quoi qu'il en soit, Zénon l’hérophiléen est placé par Celse (V, Prooim.) avant Andréas, et l’on voit par Galien (Com. 1, in Epid. WI, $ 5, t. XVII, p. 618) qu'il était jalousé par Héraclides de Tarente ; d’où l’on doit conclure que ces deux médecins étaient contemporains. (21) Héracunes de Tarente, contemporain de Zénon et disciple de Mantias, ainsi qu'on l'a vu à ces deux noms. (22) Héracuines d'Érythrée, disciple de Chryserme (Gal. De diff. puls., IV, 10, t. VIII, p. 743), est distingué pour la première fois d’un autre Héraclides ap- partenant à la même secte, et désigné par Strabon comme son contemporain et avec l’épithète d’hérophiléen (Geogr., XIV, p. 558, 742). Galien (Comm. 1, in Epid. V1, prooim., t. XVIIa, p. 794) place Héraclides d'Érythrée parmi les an- ciens qui ont les premiers commenté les Épidémies d'Hippocrate, après Bacchius et Glaucias. Ailleurs (Comm. I, în Epid. WI, $ 14, t. XVII, p. 608) Galien nomme également Héraclides d'Érythrée avec Héraclides de Tarente; il me semble très- logique de tirer de cette double circonstance la conclusion que ces deux Héraclides sont à peu près contemporains. (23) Arozconius l’empirique vivait du temps d’Héraclides de Tarente (Celse, I, Prooim.,init.), et de Zénon, car il y a eu entre eux une discussion (Gal., Comm. I], in Epid, WI, $ 5, t. XVIIa, p. 618). Cet Apollonius, Glaucias, Zénon, Héraclides (peut-être le plus jeune), devaient, ce me semble, se suivre de très-près par l’âge dans la contemporanéité, — Apollonius Ze Vieux, cité par Érotien (p. 52), est peut-être un des deux empiriques, le père. Quant à Apollonius de Pruse, men- tionné par Soranus (p. 95), je ne saurais dire quel il est, (24) Aumoxivs est mentionné par Celse (/oc. sup. cit.) après Apollonius l’empi- rique ; je le place donc entre cet Apollonius et Apollonius Biblas, car il peut être contemporain de l’un et de l’autre. Il est cité par Aétius et Paul pour des topiques. (25) Arorconius Biblas a continué la polémique engagée entre Zénon et Apollo- nius l'empirique, qu'on tient, mais sans preuves, pour son père. (26) Axpréas. Ilest difficile dele distinguer d’Andréas de Caryste. Gelse(V, Prooim.) place Andréas entre Zénon et Apollonius Mys; il est vraisemblable que cet ordre représente la série chronologique ; seulement avec cette seule donnée Andréas flot- terait dans un espace de plus de centans; toutefois, si l’on considère que Polybe (V,81) nomme un Audréas comme médecin de Ptolémée Phïlopator qui régnait entre 221 et 204, si l’on se rappelle en même temps que cette date se rapporte au beau temps des hérophiléens, et à l’époque où l’on s’occupait avec ardeur de médicaments, sujet de prédilection pour Andréas, on aura de très-fortes raisons de croire qu’An- dréas l’hérophiléen et celui dont parle Polybe sont le même personnage. — Mais quel est l’Andréas cité par Celse et par Oribase à propos des moyens de réduction? Faut-il le mettre près de Nilée et de Nymphodore ? 168 NOTES JUSTIFICATIVES (27) ArorLornanes, cité par C. Aurelianus (Acut,, I, 33), est peut-être le même que celui qui est mentionné par Polybe (V, 56) comme médecin d’Antiochus le Grand, lequel régnait entre 222 et 186. (28) Nicaxpre a dédié un de ses poëmes à Attale IT, dernier roi de Pergame, qui a régné entre 138 et 133 (voy. Vie de Nicandre, en tête des Scholies sur les Thériaques); j'ai donc pris une moyenne, et je crois la date 150-120 très- approximative ; Nicandre n'étant vraisemblablement pas médecin, on a le tort de le ranger parmi les empiriques. (29) Zopvre. On voit, par un passage de Galien (De antid., WW, 8, p. 190, t. XIV), que Zopyre était contemporain de Mithridate, puisqu'il lui à envoyé un médicament de sa facon pour l'essayer ; or, Mithridate a régné de 123 à 65 (voy. aussi Apoll. de Cittium dans Scholia in Hipp., éd. Dietz, t. I, p. 2). (30) GrarTeuas est contemporain de Zopyre, puisqu'il a eu également des rap- ports avec Mithridate ; il a donné à plusieurs plantes le nom ou le surnom du roi de Pont ; il lui a même dédié un livre sur les plantes. Crateuas était rhrzotome et non médecin ; c’est done à tort qu’on le range parmi les empiriques. J'ai retrouvé un assez grand nombre de fragments de son ouvrage, (31) Hicésius vivait une génération avant Strabon, ainsi que cet auteur lui-même le témoigne (I, 12, p. 245) ; or, Strabon a vécu entre l'an 50 avant J. C. et l'an 20 ou 30 après.— Voyez aussi Athénée, III, 33. On ne sait rien sur un de ses disciples nommé HÉRACLIDE par Diogène de Laërte, V, 94. (32) MÉNODORE, ami d'Hicésius (Athénée, Deipnosopl., 1, 53, p. 58-59). (33) PasicraTes. Un médecin de ce nom était frère de Ménodore, si l'on peut s’en rapporter à une vieille inscription trouvée à Ancyre et conçue en ces termes : À Capiton, fils de Pasicrate, Pasicrate et Ménodore, ses fils. Mais n'y a-t-il pas deux Pasicrates cités par les auteurs, et étaient-ils parents? Un Pasicrate avait com- menté le Mochlique d'Hippocrate (Érotien, p. 12), et Oribase (Collect. med., XLIX, 7,t. IV, p. 358) désigne un Pasicrate comme un mécanicien : il avait pour fils Aristion qui s’occupait aussi de machines.— Comme Amvnras et PÉRIGÈNES sont cités ordinairement avec Pasicrates el qu’ils ont traité des mêmes sujets, je les ai mis ensemble; il n’est pas certain du reste que tous deux aient été médecins ou chirurgiens, Érotien (p.53) appelle aussi Périgènes un mécanicien. (34) Arozconivs de Cittium était, comme il le dit (voy. son Comment. dans Schol. in Hipp. et Galen., éd. Dietz, t, !, p. 2), disciple de Zopyre et condisciple de Posi- donius ; il est donc à peu près du temps d’Hicésius, qui a pu être contemporain des dernières années de Zopyre. Ptolémée à qui il a dédié son Commentaire sur les Ar- ticulations d'Hippocrate, est peut-être Ptolémée XI Awlètes (80-52 ans avant J. C.). (35) Posinoxivs, disciple de Zopyre l'empirique, condisciple d'Apollonius de Cittium (Apoll. de Cittium, Scholia in Hipp., t. I, p. 2, éd. Dietz), me semble devoir être placé à côté de ce dernier. — Il ya un Posidonius cité par Rufus, à propos de la peste (Oribase, Co//, med., XLIV, 17) et qui est peut-être le même que le sciple de Zopyre, Aétius donne, sur les maladies cérébrales, de nombreux ex- DU TABLEAU CHRONOLOGIQUE. 169 traits de Posidonius; mais si la mention d’Archigène, qui se trouve dans un de ces extraits (II, 11, 42) lui appartient, la chronologie force à le distinguer de notre Posidonius. (36) Dioscorines Phacas vivait, au dire de Suidas, au temps de la reine Cléo- pâtre (52-30 ans avant J. C.); il était donc à peu près contemporain d’Apollonius de Cittium. Il faut probablement le distinguer de Dioscoride d'Alexandrie, et surtout de Dioscoride /e jeune, cités par Galien dans son Glossaire (t. XIX, p. 105-106). (37) Zeuxis Aérophiléen, contemporain de Strabon (XII, p. 244, 245), ainsi que les deux auteurs suivants ApoLLonIuSs Mys et HÉRACLIDES l’hérophiléen (Stxab., XIV, p. 558 et 742). (38) ALexanDRE Philalèthes succéda à Zeuxis dans l’école de Laodicée (Strab., XIT, 244, 245). (39) Démosrnèes et ARISTOxÈNES, disciples d'Alexandre (Galien, De dif. puls., IV,.4, t. VIN, p. 747, et 40, p. 746). (40) Gaïus. On ne sait rien sur cet auteur; il est cité comme Aérophiléen par C. Aurelianus (Acut., IL, 44, p. 225); son nom tout latin fait supposer qu'il vivait à une époque assez récente ; voilà pourquoi je l'ai placé après Alexandre. Ce Gaius ou Caïus est-il alexandrin ou bien le même que Gaius l’oculiste ou le Napolilain, cité assez souvent par Galien dans ses traités sur les médicaments ? (41) Dionore, nommé par Galien (Meth. med., 1, 7, t. X, p. 143) comme empi- rique, n’est cité que par Asclépiade pharmacion (Gal., Sec. gen. V, 15, t. XUT, p. 857 ; — Sec. loc. IX, 2,t. XIII, p. 237 ; sbid., X, 3, t. XIII, p. 361), et par Griton (Sec. Loc. V, 3, t. XII, par 834); or, cet Asclépiade, plus ancien que Criton, vi- vait entre 60 et 90 après J. C, Je crois en conséquence pouvoir placer Diodore entre 40 et 70 de notre ère. (42) Tueunas et Ménopote. On voit par Sextus Empiricus, que ces médecins vivaient au temps de Trajan, qui a régné entre 98 et 117. (43) Lycus était disciple de Quinrus, et condisciple de Saryrus et de PHECIANUS, qui avaient été comme PreLcors et Numesraxus, les maîtres de Galien. IL parait que Lycus était un peu plus ancien qu'eux. Peut-être devrait-on le placer entre 430 et 160. — Je suppose que Quintus lui-même était empirique, mais je manque de données positives pour l’affirmer. — Il y a aussi un Lycus de Naples, glossateur d'Hippocrate (Érotien, p. 47), et qui s'était aussi occupé de thérapeutique (Pline XX, 83). On croit, mais sans preuve, qu'il vivait dans la première moitié du 1‘* siècle après J. C.— Arscariox était compatriote et maître de Galien (Simp. med., XI, 1, 24, t. XII, p. 356). — CarucLés ne m'est connu jusqu'à présent que par son nom et par sa qualité d’empirique (Gal., Meth. med. 1, 7,t. X, p. 142-145). VII SOMMAIRE : Les principes fondamentaux de la médecine sont mis en discussion à Alexandrie. — Naissance de l’empirisme, — Ses caractères. — Ce qu'il faut penser de cet empirisme historique et de l’'empirisme en général. — Seconde migration de la médecine qui passe d'Égypte et de Grèce à Rome. — Ce qu'était la médecine à Rome avant la venue d'Asclépiade. — Origines, développements, transformation et persistance du méthodisme, doctrine qui est née sur le sol de l'Italie. MESSIEURS , Dans l'étude de la Collection hippocratique, nous avons vu bien des théories se produire ; nous avons assisté à l’éclosion de plusieurs systèmes de pathologie générale; mais les médecins de Cos ou de Cnide ne différaient pas sur les premiers principes de l’art de guérir: la méthode (c’est-à-dire le raisonnement appli- qué aux faits réels ou supposés) était partout la même; c’est à Alexandrie, et dès les premiers jours de son arrivée, que la mé- decine se mutine et se partage en deux grandes fractions, les dogmatiques et les empiriques : ceux qui raisonnent en prenant pour base une multitude de systèmes; ceux qui rejettent toute espèce de raisonnement. Il y a trois espèces d’empirisme : un empirisme vulgaire, ce- lui de tous les temps, de tous les pays, qui est exercé par les fourbes et protégé par les sots : cet empirisme-là n’est point une doctrine; je ne veux pas le discuter, je le flétris; — lem- pirisme historique, fondé par Philinus de Cos, développé par Sérapion et que nous devons vous faire connaitre rapidement ; — enfin, l’empirisme de nos jours, celui de MM. Renouard ou Trousseau, mais que nous n'avons pas à discuter ici. Toutes ces espèces d’empirisme ont cela de commun que le raisonnement est banni de la médecine, ici par ignorance et là par calcul. Le ÉCOLE MÉDICALE D'’ALEXANDRIE, — EMPIRISME. WE vulgaire déraisonne ou ne raisonne pas du tout; le médecin em- pirique raisonne de la façon la plus subtile pour prouver l’ina- nité des raisonnements, si bien que l’empirisme devient sans le savoir ou sans le vouloir un véritable dogmatisme. Dans toutes les espèces d’empirisme, la médecine se réduit à une question de thérapeutique plus ou moins élevée suivant Île degré de l’empirisme, comme si la thérapeutique était séparable de la pathologie. Il s’agit, une maladie étant donnée(mais donnée par les dogmatiques !),de trouver un remède qui guérisse. Pour la plupart des empiriques vulgaires, il v a un remède unique contre tous les maux; pour les empiriques d'Alexandrie, il y a autant de remèdes que de maladies, car le raisonnement étant banni de la médecine, il ne peut y avoir ni médication fondée sur les analo- gies des affections et sur celles des médicaments, ni groupes pa- thologiques, parce qu’on ne peut ni rapprocher ce qui se res- semble, ni séparer ce qui diffère, attendu qu’on se guide seulement sur les apparences extérieures, et que ces apparences, variant à infini, mulüplient les espèces morbides ; on ne tient compte ni des causes, ni des lieux affectés, ni de mille autres circonstances qui fournissent les indications et déterminent les médications ; point de classification ni pour les remèdes ni pour les maladies. L'empirisme est, entre les mains des médecins, comme entre celles du vulgaire, la négation de toute pathologie et de toute théra- peutique générales. Il n’y a plus que des maladies isolées et des médicaments spécifiques avec des étiquettes correspondantes. Le cadre nosologique et les formulaires sont également sans limites, puisqu'il n'existe plus ni unité morbide ni indications ration- nelles. L’empirisme primitif, celui des peuples sauvages, n’a jamais rien produit, quoi qu’en dise Bordeu, l'empirisme des peuples civilisés, loin d’être l’origine d’un développement scientifique quelconque, est au contraire l’enfant bâtard et dénaturé de la médecine dogmatique, aux dépens de laquelle il vit. Oui, on peut admettre qu'il y a quelques remèdes précieux fournis par l’empirisme, mais jamais l’empirique n’usera judicieusement de ces remèdes ; en tout cas, il n’y a pas une médecine empirique régulière. Quelque effort que fassent les médecins pour enno- 172 ÉCOLE MÉDICALE D'ALEXANDRIE blir l’empirisme prétendu scientifique, il leur est difficile de se retenir sur la pente glissante du charlatanisme. Arrivons maintenant à l’empirisme de Sérapion et de Phili- nus, à l'empirisme alexandrin. Il y a deux sources principales pour son histoire : Celse, qui est un juge; Galien, qui est un accusateur (1). Qu'il nous suffise de chercher les traits caracté- ristiques de l’empirisme dans ces deux écrivains. Trois voies ont constitué l’art : [. Faits naturels ou d'expérience (épistaxis, sueurs, diarrhée), qui, en se produisant spontanément, ont entraîné soulagement ou nuisance. Faits du hasard ou d'observation, mais non spontanés : hé- morrhagie à la suite d’un coup; prendre dans une maladie un breuvage ou un aliment qui ait nui ou soulagé, Ces deux espèces d'expériences n’en font qu’une, puisqu'il n’y a nulle intervention de médecins. IL. Partant de ces données, on essaye par expérience improvi- sée ou analogisme, dans un cas semblable, le remède qui a réussi et qui a été découvert, soit par un mouvement spontané de la nature, soit par le hasard. IT. Expérience imitative. — Celle-là est le vrai fondement de l’art; elle consiste à essayer à diverses reprises les choses qui ont nui ou soulagé, et qui ont été suggérées par la nature, le hasard, ou de propos délibéré (analogisme). Entre la seconde et la troisième voie la différence est, comme on voit, peu considé- rable, puisqu'elle ne porte que sur le propos délibéré. Tout cela constitue l’autopsie ou l'expérience. Mais, d’abord, on ne peut pas tout voir par soi-même, et alors on s’en fie aux relations des autres : c’est l’histoire. Puis on peut avoir affaire à des maladies qu’on n’a pas encore vues ou pour lesquelles le pays où l’on exerce ne fournit pas de médicaments déjà expéri- mentés; alors on passe du semblable au semblable, c’est-à-dire on passe d’une maladie, ou d’un remède, ou d’une partie à une maladie, ou à un remède, ou à une partie qui ont de l’analogie. (4) Chose bizarre, on a mis parmi ses œuvres le traité De subfiquratione empi- rica, celui-là même qu'il réfute mot pour mot. | EMPIRISME. 173 Exemple : de l’érysipèle à l’herpès, de la pomme à la nèfle, de la jambe au bras. L’horreur des empiriques pour le raisonnement était telle qu'ils avaient la prétention d'observer le traitement en même temps que la maladie ; observer un pleurétique, c'était observer la saignée qui doitle guérir : de sorte qu’au lieu de se servir du mot indication, ils avaient imaginé celui d'observation sur les phénomènes. Mais comment observaient-ils la pleurésie? Tout simplement en additionnant les symptômes, caractéristiques sui- vant eux; c’est ce qu’ils appelaient concours de symptômes ; de sorte que Galien leur reproche avec raison de faire un choix dans les symptômes, de ne pas tenir compte de tous, par consé- quent de raisonner pour éliminer les uns et conserver les autres. Même avec ce secours ils couraient grand risque de se tenir aux plus grossières apparences, et jamais ils ne pouvaient faire un diagnostic différentiel, puisqu’à l'horreur du raisonnement, de la recherche des choses cachées, is joignaient la négation absolue de l'utilité de la recherche de la nature des maladies, de leurs causes et aussi de l’étude de l'anatomie; en d’autres termes, ils agissaient à l’aveugle, à peu près comme nos empiriques actuels. Jugé par rapport à l'antiquité, par rapport au niveau scienti- fique où il s’est produit, l’empirisme alexandrin est une dévia- tion et un abaissement considérable de la médecine. — Déjà Ja grande médecine d’Hippocrate, celle qui consiste à reconnaître des groupes pathologiques et des médications correspondantes, avait beaucoup souffert par la prédominance de la méthode cnidienne; mais les empiriques, loin de respecter ni les groupes ni les médications, loin de rattacher, comme les Cnidiens, les affections à leurs causes, loin de les rapprocher les unes des autres à l’aide de théories même insuffisantes ou fausses, par exemple par celle des fluxions, laissent chacune de ces affec- lions à l’état de complet isolement l’une par rapport à l’autre, et par rapport à l'organisme lui-même. La médecine empirique est exactement une dissection où l’on séparerait cha- que partie, et dont on dirait pour chacune d'elles : Voilà le corps! Avec le légitime emploi de la méthode expérimentale il n’y à 174 MÉDECINE PRIMITIVE DES ROMAINS. plus d’empirisme possible; il n’y a plus que l'observation et l’ex- périence secondées par un raisonnement discret et sévère. Heureusement l’empirisme n’a pas eu une meilleure fortune dans l’antiquité que de nos jours, et le dogmatisme même le plus outré, comme était celui de Galien, ou plus restreint, comme était celui des méthodiques, a sauvé la médecine dans les siècles de bouleversement social, en rattachant toutes les parties de cette science par un lien solide, quoique artificiel. C’est encore aux diverses influences que je viens de signaler, et non pas, je crois, à la condition antérieure des médecins en Égypte,qu'il faut attribuer l'origine des nombreuses spécia- lités qui s’établirent à Alexandrie; ce qui n’a pas empêché que l'art de guérir n’ait été étudié et pratiqué dans toutes ses parties par la majorité des médecins. C’est en effet bien à tort, comme je vous l’ai démontré (1), qu’on a voulu trouver, dans un passage de Celse, le partage matériel et systématique de la médecine entre trois ordres de praticiens, dont les uns traitaient par les médicaments, les autres par le régime, et les derniers par les opérations. Je ne voudrais pas trop médire des spécialistes ni les com- parer aux empiriques; mais je crois qu'ils amoindrissent et épuisent plutôt qu'ils n’étendent et fertilisent le champ de la médecine. Déjà l’éclat que la médecine avait jeté à Alexandrie commen- çait à pâlir, quand elle prit possession de Rome, dont Asclépiade, le médecin et l'ami de Cicéron, venait de lui ouvrir les portes. Là elle prit un nouvel essor, comme il arrive à un arbre qu’on arrache d’un sol fatigué pour le transporter sur une terre encore vierge. Cette expression de sol vierge demande quelques explications, et c’est 1ci le lieu d’examiner rapidement ce qu'était la médecine à Rome avant la venue d’Asclépiade. Il semble, d’après les affirmations réitérées de Pline, que Rome, « comme tant d’autres milliers de peuples », vécut assez long- temps sans médecins, mais non pas sans médecine : — sans mé- (1) Voyez plus loin, page 193, ce que je dis sur cette question à propos de Celse. CATON. — PLINE. 475 decins, si l’on entend par ce mot des hommes préparés à l’exer- cice de l’art par des études spéciales et formant une classe distincte; — non pas sans médecine, si l’on décore de ce nom une série de recettes plus ou moins superstitieuses, venues de divers côtés, et transmises par la voix populaire. De cet état de choses, sur la durée duquel nous allons revenir, 1l résulte qu’un certain nombre de connaissances empiriques se répandirent dans les familles ; que les noms des maladies, des remèdes et des par- ties du corps s’introduisirent dans la langue commune, et plus tard dans celle des écrivains, de ceux surtout qui recherchaient les suffrages de la foule. Ajoutez à cela que même avant l'empire, et quand la médecine grecque eut pris droit de domicile dans Rome, chaque famille avait un et quelquefois plusieurs méde- cins attachés spécialement à son service en qualité d'esclaves. Quel était le caractère de cette médecine domestique, et pen- dant combien de temps exerça-t-elle son empire exclusif? Il n’est pas inutile de le dire en peu de mots. L’empirisme et la supersti- tion n’ont pas besoin d’une culture étrangère pour germer et pour grandir; il paraît cependant certain que même l’empirisme et la superstition romaine ne sont pas autochthones; les Étrusques envoyérent à Rome leur déesse Salus et des charlatans de toute espèce; les Marses et les Sabins se dessaisirent en sa faveur de quelques-uns de ces enchanteurs si renommés qui avaient le pouvoir de bouleverser ou de rappeler la raison. Ergo negatum vincor ut credam miser, Sabella pectus increpare carmina Caputque Marsa dissilire nenia (1). Cette médecine primitive profita si bien sur le sol romain, qu’elle finit par avoir un législateur et un historien. L'historien de cette médecine, c’est Pline, dont nous parlerons tout à l'heure ; le législateur, c’est le farouche Caton, cet esprit étroit et routinier, Romain du vieux parti, ennemi acharné des Grecs, et qui aurait tant applaudi à ce vers célèbre : Quidquid id est, timeo Danaos et dona ferentes (2). (1) Hor., Epod. XVII, 26. (2) Virg., Æn., II, 49. 476 MÉDECINE PRIMITIVE DES ROMAINS. Il poursuivait de sa haine les médecins parce qu'ils étaient Grecs, et les Grecs parce qu'ils ne manqueraient pas d'amener avec eux des médecins. Après Carthage, Rome, suivant lui, n'avait pas d’ennemis plus redoutables que les médecins. « Les Grecs, écrivait Caton à son fils Marcus, les Grecs sont une race perverse et indocile. Croyez qu'un oracle vous parle quand je vous dis : Toutes les fois que cette nation apportera ses connais- sances, elle corrompra tout. Ce sera bien pis si elle nous envoie ses médecins : ils ont juré entre eux de tuer tous les barbares à l'aide de la médecine.— Nous aussi ils nous appellent barbares. Je vous ai interdit les médecins (interdixi de medicis). » IL faut que le vieux Caton soit bien naïf pour supposer que les médecins soient assez sots pour vouloir tuer les malades qui les font vivre! Au moins si on les accusait d’entretenir la maladie pour remplir leur bourse, cela pourrait se comprendre. Mettons de la vraisemblance même dans les calomnies. Caton détestait les médecins, mais non pas la médecine; il a passé sa vie à médicamenter lui, les siens, ses amis, ses esclaves, son bétail; et cela non sans succès, il faut le reconnaître : il a vécu quatre-vingt-cinq ans, et sa femme est arrivée à un âge très-avancé. Il a déposé dans plusieurs ouvrages les fruits de son expérience ; elle égalait pour le moins celle de nos plus habiles gardes-malades et des rebouteurs les plus en renom. Nous en avons d'assez nombreux spécimens dans son Traité d'agricul- ture ; et Pline, historien fanatique de cette médecine populaire, admirateur de la science de Caton, même après que Celse avait écrit son beau Traité de médecine, nous a conservé de nombreux extraits de livres aujourd’hui perdus. Je voudrais croire, pour l'honneur des Romains et dans l’inté- rêt de leur santé, que le règne de cette médecine, où les règles de l'hygiène ne trouvent presque aucune place, n’a pas été de longue durée; mais Pline affirme que son empire a dépassé six cents ans, c’est-à-dire qu’il a duré jusqu’à la naissance de Cicéron, et que jamais le sénat et le peuple ne se sont mieux portés. Certes, on ne saurait donner une preuve plus évidente de la force de ré- sistance et en même temps de l’état à demi barbare d’une na- tion. Si les premiers Romains étaient des barbares, ils n'étaient ARRIVÉE DES PREMIERS MÉDECINS GRECS. 477 pas des sauvages, et il est difficile d'admettre qu’il n’y ait pas eu de vrais médecins, attirés des pays étrangers, ou formés sur le sol italien ; les écoles médicales de la grande Grèce étaient aux portes de Rome; il semble même, par les propres témoignages de Pline, que tout ce qu’il dit de la médecine se rapporte encore plus aux étrangers qu’aux indigènes. Je ne puis cependant discuter historiquement avec Pline que de quelques années. Antérieurement à l'an 535 de Rome (219 av. J. G.), je ne trouve nulle mention, ni d’un médecin romain, ni d’un médecin grec ayant exercé régulièrement à Rome. Denys d’Halicarnasse dit, il est vrai, à propos d’une peste qui ravagea Rome en 301, que les médecins ne suffisaient pas au nombre des malades; mais il y a peut-être dans cette mention plus de rhéto- rique que de vérité. Cassius Hémina, « auteur des plus anciens», et dont le témoignage est par conséquent d’un grand poids, rap- porte, au dire de Pline lui-même « que le premier médecin qui s’établit à Rome fut Archagathus du Péloponése, fils de Lysa- nias, en l’an 535. On lui accorda le droit de cité, et on lui acheta des deniers publics une boutique dans le carrefour Acilien. II fut appelé vulnerarius (médecin des plaies), à cause de sa spécialité. Sa venue fut d’abord merveilleusement agréable, puis sa cruauté à couper et à brûler lui fit donner le nom de bourreau (carnifex), et dégoûta de la médecine aussi bien que des médecins. » La proscription ne peut avoir élé ni aussi rigoureuse ni aussi radicale que Pline le veut bien dire. Cet exil dont les médecins auraient été frappés longtemps encore après Caton, au rapport du même auteur, me paraît fort problématique. Rome fut vain- cue par la Grèce qu’elle venait de subjuguer; elle dut, malgré elle et malgré Caton, recevoir les sciences, les lettres et les arts, € ces dons corrupteurs ». Les médecins furent certainement des premiers à envahir et à occuper de vive force une ville riche, populeuse et déjà livrée au luxe, à la débauche, à tous ces vices enfin que P. Syrus a appelés les nourriciers de la médecine. Dès le temps de Sylla, c’est-à-dire avant l'époque fixée par Pline, nous voyons que la médecine grecque a pris définitive- ment possession de Rome ; on se crut même obligé d’en régler DAREMBERG. 12 178 MÉDECINE GRECQUE A ROME. l'exercice et de porter une loi sévère contre la négligence ou l'impéritie des médecins, dont plusieurs commençaient à désho- norer la profession et à compromettre gravement la vie des ma- lades. À peu près à la même époque, comme l’a remarqué Daniel Le Clerc, Asclépiade pratiquait à Rome; il préféra le sé- jour de cette ville aux offres brillantes de Mithridate, se la d’ami- tié avec l’orateur Crassus, devint le médecin, le familier de Cicéron, qui nomme aussi plusieurs autres médecins. Asclépiade tint si bien un serment passablement téméraire, qu'il ne fut jamais malade et qu’il mourut d’une chute dans un âge fort avancé. Nous savons encore par Suétone et par Plutarque que César avait un médecin (esclave ou de condition libre, peu im- porte) qui l’accompagnait dans ses expéditions; même pour attirer et fixer à Rome les médecins et tous ceux qui enseignaient les arts libéraux, le dictateur leur donna le droit de cité. Cette mesure prouve que depuis longtemps on était en commerce ré- gulier avec la médecine et avec les médecins. S'il est vrai qu'Archagathus fut le premier médecin grec qui vint tenter la fortune à Rome, il paraît également certain que la brèche qu’il avait ouverte, ne se referma plus derrière lui; et dès cette époque Pline aurait déjà pu dire : « Nous n’avons que ce que nous méritons. Personne ne veut plus savoir ce qui est né- cessaire à son propre salut. Nous nous promenons par les jambes d’autrui., nous ne vivons que par autrui. Les biens précieux de la nature et les instruments de la vie sont perdus pour nous; nous ne gardons comme à nous que nos délices. Nous périssons sous la multitude des médecins. » Quoi qu'il en soit, les méde- cins, une fois établis à Rome, ne quitierent plus la place, qui de- vint bientôt des plus lucratives ; ils payèrent du reste leur dette de reconnaissance à la ville éternelle, par la juste renommée dont plusieurs d’entre eux furent entourés. Une circonstance particulière ne contribua pas peu, dans cette seconde migration de la médecine, à lui donner une vigoureuse impulsion : je veux parler de la naissance du méthodisme, qui suscita des luttes violentes et tint les esprits en éveil. J'ai beau- coup insisté sur le caractère et sur l’histoire de cette secte, non MÉTHODISME. 179 que je la croie, pour le temps où elle s’est produite, préférable à celle d’'Hippocrate ou de Galien, mais pour plusieurs autres rai- sons que je rappelle brièvement : les origines du méthodisme sont assez mal connues; on n’a pas donné une exposition complète et raisonnée de cette doctrine ; — non-seulement le temps a épar- gné quelques-uns des ouvrages rédigés par le plus savant et le plus sensé des médecins méthodiques, Soranus, mais les manuscrits grecs ou latins nous ont conservé de précieux débris anonymes de la littérature méthodique; — dans les ouvrages de Soranus, nous rencontrons des renseignements historiques de grande va- leur et des esquisses de maladies d’une vérité saisissante ; — la traduction, par Cælius Aurelianus, du traité Des maladies aiquèës et de celui Des maladies chroniques, corrigée, restaurée, con- frontée avec tout ce qui reste du méthodisme, s’est, j'ose le dire, transformée dans nos entretiens ; — grâce à des recherches d’un ordre différent, le traité Des maladies des femmes a repris, en grande partie, sa physionomie primitive, qu’il avait perdue sous la main des copistes et des compilateurs (1) ; — un opuscule nou- veau (2) est venu grossir encore le bagage littéraire du même Soranus; — enfin, les écrits des méthodiques ont beaucoup servi, par l’intermédiaire des traductions latines, à l'éducation médicale de la première période du moyen âge, de sorte que l'influence du méthodisme s’est fait sentir plus longtemps que ne le soupçon- (4) En 1844, j'ai trouvé à Bruxelles, et depuis à Florence et à Oxford, une tra- duction abrégée du texte de Soranus Sur les maladies des femmes. La seule inspec- tion de cette traduction me prouva bien vite que le traité de Soranus, publié par Dietz pour la première fois en 1838, ne pouvait pas représenter le texte ori- ginal; puis, en comparant ce traité avec le XVI® livre d’Aétius sur le même sujet, je n’eus pas de peine à reconnaitre d’abord (la préface le démontre du reste) que l’ordre primitif de Soranus avait été changé, en second lieu que son texte avait été, dans le dessein de donner un ouvrage complet sur les maladies des femmes, interpolé à l’aide de ce XVI livre d’Aétius : il a été plus long que difficile de dé- mêler le texte au milieu de ces interpolations, la plupart manifestes, De son côté, en 4864, mon ami M. Ermerins, professeur à l’université de Groningue, arrivait par une autre voie à des résultats à peu près identiques, (2) Abrégé du traité Des médicaments que j'ai découvert en traduction latine dans un très-vieux manuscrit de Bamberg. De plus j'ai recueilli et imprimé tous les fragments déjà connus ou inédits de l'ouvrage de Soranus intitulé : Étymologies du nom des parties du corps humain. 180 MÉDECINE GRECQUE A ROME. nent les historiens. J'ai mis sous vos yeux les preuves de toutes ces assertions, el vous avez pu juger par vous-mêmes si mes décou- vertes à cet égard sont des illusions de mon esprit ou des témoi- gnages authentiques fournis par les textes imprimés et manuscrits. De même qu'Hérophile, par son aversion pour les explications et son goût pour les médicaments, avait préparé les voies à l’em- pirisme, de même Asclépiade, qui se rattache indirectement à Érasistrate (1), par la théorie de l’enclavement (2), semble avoir mis Thémison, son disciple, sur la voie du méthodisme par cette même théorie et par quelques-unes de ses médications altérantes et perturbatrices (3) que les méthodiques ont cependant appli- quées plutôt aux affections chroniques qu'aux maladies aiguës. (4) Voyez plus haut, page 153, sur l'erreur de lieu d'Érasistrate. (2) La stase de quelque corpuscule que ce soit, où qu'elle se fasse, et de quelque facon qu’elle se manifeste dans les parties, trouble tout le corps et produit des mala- dies, la fièvre en particulier : les gros corpuscules causent la fièvre quotidienne; les petits, la tierce ; les plus petits, la quarte. La diarrhée tient au concours des atomes, Les autres maladies étaient également expliquées par la stase des corpuscules ou par la disproportion des pores. Asclépiade parle aussi du trouble des liquides et de l'esprit (d’après Cælius Aurelianus), mais ce trouble n'agissait que secondairement. — Galien, en divers endroits (Méthode thér., 1, 6 ; IV, 4), a marqué les différences qui séparent la doctrine d’Asclépiade, surtout en ce qui touche la thérapeutique (on sait que les méthodiques faisaient un fréquent usage des sangsues), de celle de Thémison. Il ressort aussi du second des deux passages indiqués que Thémison avait surtout changé la théorie, et Thessalus modifié la pratique; c'est Thémison qui a inventé le diacode : c’est très-probablement Thessalns qui a imaginé ces deux cycles théra- peutiques si fameux : le résomptif, pour préparer et nettoyer le corps (et non pour le restaurer), et le métasyncritique ou récorporatif, pour reconstituer les pores (méta- poropoiesis). Daniel Le Clerc a fait connaitre assez exactement ces deux cyeles. (3) Il les avait surtout tirées des pratiques de la gymnastique (/rictions, gesta- tion, ete.), ou empruntées au régime, usant peu de médicaments internes, pro- scrivant les vomitifs et les purgatifs, se laissant en cela guider moins par les bons principes de la clinique que par réaction contre l'abus qu'on en faisait, ou pour exercer son esprit frondeur. — Cependant il n’a pas imité Erasistrate jusqu’au point de proscrire la saignée, et il a eu la hardiesse de donner le vin dans les fièvres pseudo-continues où intermittentes, Il voulait qu'on guérit strement, rapidement, agréablement, précepte plus facile à donner qu’à suivre, et auquel Asclépiade lui- même ne s’est guère conformé dans la pratique, au moins pour les deux derniers points. Il faut un peu se garder de Pline et ne pas se borner à Celse pour juger Aselépiade ; on doit surtout chercher sa méthode thérapeutique dans Çælius Aurelianus, je veux dire dans Soranus. MÉTHODISME. 181 Si les antécédents du méthodisme se trouvent dans Asclé- piade (1), et par Asclépiade dans Érasistrate, ni la formule, ni le nom de la secte ne se lisent encore dans les écrits du mé- decin de Cicéron, c’est Thémison qui, dans sa vieillesse, imagina la formule et imposa le nom. — Le méthodisme comme l’asclépiadéisme sont, ne loubliez pas, Messieurs, des branches du dogmatisme ; car si les méthodiques ne veulent pas rechercher les causes cachées, ni rien de ce qu’il y a d’incer- tain, cependant ils raisonnent sur la pathologie générale, puis- qu’ils admettent diverses classes d’états pathologiques, le genre reläché, le genre resserré, le genre mixte. Qu'est-ce que le res- serrement et le relâchement? qu'est-ce surtout que le mixte, et comment l'expliquer? Peut-être entendait-on l'inflammation avec flux. Certes il n’y a rien de plus conjectural, de plus caché, de plus incertain. C’est bien là un système médical, tandis que l'empirisme est la négation de tout système; et c’est bien de l’'empirisme qu’on peut dire, au contraire, que c’est seulement une méthode, une voie pour arriver à la cure des maladies (2). Peu de doctrines ont eu des phases et des fortunes plus di- verses (3); il en est peu aussi que les circonstances purement extérieures aient aussi bien servies pour en perpétuer le règne, alors que tout semblait devoir la faire oublier. Les trois principales sources pour l’histoire du méthodisme sont Celse, Galien et Soranus : Celse, qui tient exactement la balance entre les parties, et qui, dans son appréciation, montre (1) Ou, comme dit un auteur ancien, celui de l’Introduction ou le Médecin, 4 : Thémison trouva dans les doctrines de son maitre Asclépiade des provisions pour con- stituer le méthodisme. Soranus (dans Cælius Aurelianus, Malad. chron., 1,1, p. 287) reproche même à Thémison d’être encore engagé dans les erreurs d’Asclépiade, (2) Il y a cela de commun entre l’empirisme et le méthodisme, que, dans les deux camps, on repousse la recherche des causes cachées, l'anatomie, même le diagnostic local, et qu’on se laisse guider par le concours des symptômes; les em- piriques ne dénomment pas ce concours, et n’admettent pas de raisonnement entre le concours et le traitement; les méthodiques l'appellent strictum ou lazum et cherchent une relation entre l’un ou l’autre de ces états et les indications. (3) Au rapport de Galien ( Des différences du pouls, UK, 4), Magnus, disciple d’A- thénée, avait écrit un livre Sur les choses découvertes en médecine depuis Thémison : mais on ignore s’il s’agit uniquement des innovations d'Athénée lui-même, ou, en même temps, des transformations du méthodisme. 182 MÉDECINE GRECQUE A ROME. un jugement aussi ferme que droit; Galien (1), accusateur pu- blic, qui ajoute beaucoup d’injures et des discussions dialectiques interminables au peu de renseignements nouveaux qu’il donne après Celse, enfin, Soranus, qui appartient à la secte dont il fait la gloire, mais qui juge avec indépendance et équité les adeptes ou les dissidents. C’est à lui surtout qu’on doit les détails tech- niques et les applications du système à la pathologie. Celse nous fait connaître le méthodisme à son origine, à son éclosion, au moment où il se dégage du système d’Asclépiade; l’auteur de l’Introduction ou le Médecin, peut-être Galien, résume les diverses modifications que le méthodisme a subies au sortir des mains de Thémison en arrivant entre celles de Thessalus (2), qu l'a perfectionné, ainsi que dit le texte, et qui a multiplié les communautés dans les maladies, communautés imaginées par Thémison (3). (4) Voyez surtout Contre Julien, Méthode thérapeutique, Des sectes, De la meil- leure secte. J'ai donné ces deux derniers ouvrages dans ma traduction des OEuvres choisies de Galien. (2) Galien a de véritables emportements contre Thessalus ; il lui inflige les épi- thètes les plus blessantes, entre autres celle d'ône (Méth. thér., 1, 3). Voici ces aménités : « On déteste, dit-il, les tyrans et même on s’en défait, parce qu'ils im- posent leurs volontés ; on respecte les législateurs qui dictent des lois; Thessalus n’est qu'un tyran (voy. Méth. thér., I, 3), qu'il faut dénoncer au mépris et à la haine (Méth. thér,, 1, 4, 4,5); Thessalus s'élève un théâtre etse couronne dans ses livres ridicules (Contre Julien, 6).» IL paraît, du reste, à peu près certain, par Pline, par Soranus aussi bien que par Galien et par la propre dédicace de Thessalus à Néron, que le réformateur du méthodisme était fort présomptueux, passablement charlatan, et qu’il se vantait d’être le vainqueur des médecins passés et présents. Ce médecin gaucher ruinait tous les fondements de l’art; il osait (avec Asclépiade) nier qu'il y ait des médicaments hépatiques, néphrétiques, pleurétiques (Médic., simples, V, 13), et qu'il existe des phlegmagogues et des cholagogues qui expulsent le phlegme ou la bile préexistants et qui ne créent pas ces humeurs (Contre Jul., 8)! Presque tout le traité De la méthode thérapeutique est dirigé contre le méthodisme dont Thé- mison a fait pousser la détestable racine; doctrine absurde où la maladie n’est même pas définie (Méth. thér., 1, 7, 8 ; voy. Contre Jul., 1). Dans sa haine aveugle, Galien ne craint pas de faire quelques avances aux empiriques (voy. par exemple Méth. thér., X, 4), pour mieux marquer le mépris qu'il professe pour les sectateurs de Thessalus, ce prince de la folie, qui, retournant l’aphorisme d'Hippocrate : « La vie est courte, l’art est long », se vantait d'enseigner la médecine en six mois, lui qui, cependant, a écrit une multitude de livres. (3) Contre Julien, 5. MÉTHODISME. 183 Comme je ne puis ni ne veux reproduire ici tous les dévelop- pements dans lesquels je suis entré pour vous faire bien com- prendre les nuances parfois fugitives et les nombreuses contra- dictions du méthodisme, je reproduirai la traduction du pas- sage de GCelse (1) et de celui de l’/ntroduction ou le Médecin, qui concernent cette doctrine, et j'y ajouterai quelques éclaircisse- ments ou compléments tirés de Soranus et de Galien. Maintenant je donne la parole à Celse : « Des médecins de nos jours, jaloux de mettre en avant l’autorité de Thémison, sou- iennent qu’il n’y a pas une seule cause dont la connaissance importe à la pratique (2), et qu’il suffit de saisir ce que les ma- ladies ont de commun, c’est-à-dire les communautés des ma- ladies (3). Ces conditions sont de trois genres : la première consiste dans le resserrement, la seconde dans le relächement, et la troisième est mixte. En effet, tantôt les malades n’évacuent pas assez, et tantôt ils évacuent trop, ou bien leurs évacua- lions, insuffisantes dans telle partie, seront exagérées dans telle autre (4). Les maladies ainsi divisées peuvent être aiguës ou chroniques, devenir plus graves, rester stationnaires, ou dé- cliner. Il faut donc, lorsqu'on a reconnu l’un de ces états, tenir le corps relâché s’il y a resserrement; s’il y a relâche- ment, amener l'effet contraire; et si l'affection est du genre mixte, pourvoir au mal le plus pressant. Il faut aussi varier le traitement, suivant que les maladies sont aiguës ou chroni- (4) J'ai suivi la traduction de M. des Etangs. (2) En principe, les méthodiques s’abstenaient de rechercher, non-seulement les causes, mais aussi le siége du mal; cependant Soranus lui-même tient bien compte des parties malades qu'il met la mélancolie dans l'estomac, et la folie dans la tête; ce qui ne l'empêche pas de reprocher à Thessalus de rechercher le siége du mal dans l’iléus. (3) La Méthode est définie (Galien, Des sectes, 6) : la connaissance des commu nautés apparentes, conséquentes avec le but de la médecine et s’accordant avec lui ; ou plus simplement, comme Thessalus : connaissance des communautés qui touchent à la santé et lui sont nécessaires. (4) I s’agit, comme on voit, non pas seulement des évacuations alvines, mais de toute espèce de flux. Suivant Galien (Des sectes, 9), parmi les méthodiques, les uns considèrent les flux, en excès ou en défaut; les autres, l'état mème des pores relàchés ou resserrés. 18 MÉDECINE GRECQUE A ROME. ques, qu’elles sont dans leur période d’accroissement, demeurent stationnaires ou touchent à leur déclin. Pour eux, la médecine réside dans l’observation de ces préceptes, car elle n’est, d’après leur définition, qu'une certaine manière de procéder que les Grecs nomment méthode et dont le but est d'observer les rapports des maladies entre elles. Ces méthodistes ne veulent être con- fondus ni avec les dogmatiques, ni avec les empiriques; ils se distinguent des premiers en ce qu’ils n’admeitent pas que les conjectures sur les causes occultes puissent servir de base à la médecine, et se séparent des seconds parce qu'ils estiment que l'art ne doit pas être réduit à la seule expérimentation. » Pour les disciples de Thémison, s’ils sont fidèles à leurs prin- cipes, ils méritent plus que personne le titre de dogmatiques, et quoiqu’ils n’admettent pas toutes les opinions de ces derniers, il n’est pas nécessaire de leur donner une autre dénomination, puisqu'ils sont d'accord avec eux sur ce point essentiel, que la mémoire seule est insuffisante et que le raisonnement doit inter- venir. Si, au contraire, comme cela paraît être, la médecine ne reconnail pas pour ainsi dire de préceptes immuables, les mé- thodistes alors se confondent avec les empiriques, d’autant plus facilement que l’homme le moins éclairé est comme eux en état de juger si la maladie dépend du resserrement ou du relâche- ment. Est-ce le raisonnement qui leur a fait connaître ce qui peut relàcher le corps ou le resserrer (1)? Ils sont dogma- tiques. N’ont-ils pris que l'expérience pour guide? I] faudra bien qu'ils se rangent parmi les empiriques qui répudient le raison- nement. Ainsi, d’après eux, la connaissance des maladies est en dehors de l’art, et la médecine est renfermée dans la pratique : encore sont-ils inférieurs aux empiriques, car ceux-ci embras- sent beaucoup de choses dans leur examen, tandis que les métho- (1) Galien (Méfh. thér., V, 15) reproche aux sectateurs de Thessalus de saigner à tort et à travers. Ainsi, lorsqu'ils saignent pour le crachement de sang, et avec raison, ils sont en contradiction avec eux-mêmes, car l’hémoptysie est un /axum et la saignée est aussi un /arum ; ils agissent donc comme les empiriques qui sai- gnent parce qu'ils ont vu que cela est bon! C’est surtout à propos des indications thérapeutiques que Galien a gain de cause dans sa discussion contre les métho- diques. MÉTHODISME. 185 diques se bornent à l'observation la plus facile et la plus vulgaire. Ils agissent comme les vétérinaires qui, ne pouvant apprendre d'animaux muets ce qui est relatif à chacun d’eux, insistent seu- lement sur les caractères généraux. C’est ce que font aussi les nations étrangères, qui, dans leur ignorance de toute médecine rationnelle, ne vont pas au delà de quelques données générales. Ainsi font encore les infirmiers qui, ne pouvant prescrire à chaque malade un régime convenable, les soumettent tous au régime commun. À coup sûr les anciens médecins ne négligeaient pas l'étude des communautés, mais ils allaient plus loin; et Hippo- crate nous dit que pour traiter les maladies, il faut connaître les symptômes qui les rapprochent et ceux qui les séparent. Les mé- thodistes eux-mêmes ne sauraient maintenir leurs principes ; car lors même que les maladies dépendent du resserrement ou du relà- chement, elles offrent certainement des différences entre elles, et ces différences sont encore plus faciles à saisir dans les maladies par relâchement. Autre chose, en effet, est de vomir du sang ou de la bile, ou de rejeter ses aliments ; d’être tourmenté par des évacuations abondantes ou par des tranchées; d’être épuisé par des sueurs ou miné par la consomption. Les humeurs peuvent aussi se Jeter sur certains organes, comme les veux et les oreilles, ou sur toute autre partie du corps sans exception. Or, le même traitement n’est pas applicable à ces affections diverses. De sorte que le principe général du relâchement se réduit en pratique à la considération d’une maladie spéciale, à laquelle il faut souvent trouver un remêde particulier; car, même dans les cas sembla- bles, les mêmes moyens n’ont pas un effet constant. Et bien qu'on ait en général des ressources assurées contre le resserrement ou le relâchement du ventre, il y a cependant des personnes sur lesquelles ces remèdes agiront d’une manière différente. Ici donc on n’a que faire d'examiner l’état général, et l’appréciation des signes particuliers est seule importante. » Souvent aussi il suffira de connaître la cause du mal pour le guérir. C’est ce que nous avons vu faire depuis peu à Cassius (1), (4) Cet auteur, qu’il faut distinguer de Cassius Félix et de Cassius l’iatrosophiste, est souvent cité par Galien et par Scribonius Largus à propos de compositions mé- dicamenteuses. 186 MÉDECINE GRECQUE A ROME. un des plus habiles médecins de notre temps. Appelé chez un malade aux prises avec la fièvre et très-altéré, et reconnaissant que la maladie n’était venue qu’à la suite d’un état d'ivresse, il lui fit boire aussitôt de l’eau froide; or, dès que cette eau, par son mélange avec le vin, en eut tempéré la force, il se manifesta du sommeil et de la sueur qui emportèrent la fièvre. En agissant avec tant d'opportunité, ce médecin ne s’occupait pas de savoir si le corps était resserré ou relâché, mais il se réglait sur la cause qui avait précédé l'invasion du mal. Les méthodistes d’ailleurs conviennent qu'il faut tenir compte des saisons et des climats; et dans leurs discussions relatives à la manière dont les personnes en santé doivent se conduire, ils prescrivent, dans les localités et les saisons malsaines, d’éviter plus soigneusement le froid, la chaleur, l'intempérance, le travail et l'abus des plaisirs; si l'on ressent quelque malaise, ils conseillent le repos et ne veulent pas qu’on provoque ni vomissements ni selles. Il y a certaine- ment de la vérité dans ces préceptes, mais ici encore leurs prin- cipes généraux fléchissent devant les considérations particulières; à moins qu’ils n’entreprennent de nous persuader que les remar- ques sur l’état du ciel et les époques de l’année, utiles aux hommes bien portants, sont de nulle valeur pour les malades, tandis que l'observation des règles est d'autant plus nécessaire à ces der- niers que leur faiblesse les prédispose davantage aux influences morbides. Ne voit-on pas ensuite les maladies affecter chez les mêmes personnes des caractères différents, et tel qu’on traitait vainement par des moyens convenables, être guéri souvent par des remèdes contraires ? Que de distinctions à établir aussi dans le régime alimentaire! Je n’en veux signaler qu’un exemple. On supporte mieux la faim dans la jeunesse que dans l'enfance, quand l'air est épais que lorsqu'il est léger ; on la supporte mieux l'hiver que l'été, lorsqu'on ne fait habituellement qu’un repas que lorsqu'on en fait deux, et quand on garde je repos que lors- qu'on prend de l'exercice. Enfin, il est souvent nécessaire d’ac- corder de bonne heure des aliments à ceux qui tolèrent plus dif- ficilement l’abstinence. D’après ces considérations, je conclus que si l’on ne peut tenir compte des circonstances particulières, il faut se borner aux vues générales; mais que si l'on peut ap- MÉTHODISME. 487 précier chacune d’elles, il faut s’y arrêter avec soin, sans oublier toutefois les caractères communs; et c’est pour cela qu’à mérite égal il vaut mieux avoir un ami qu’un étranger pour médecin. Je reviens à mon sujet, et je pense que la médecine doit être rationnelle, en ne puisant cependant ses indications que dans les causes évidentes; la recherche des causes occultes pouvant exer- cer l'esprit du médecin, mais devant être bannie de la pratique de l’art, Je pense aussi qu’il est à la fois inutile et cruel d'ouvrir des corps vivants, mais qu'il est nécessaire à ceux qui cultivent la science de se livrer à la dissection des cadavres, car ils doivent connaître le siége et la disposition des organes. Quant aux choses qui ne se révèlent que pendant la vie, lexpérience nous en instruira dans le pansement des blessures d’une manière plus lente, il est vrai, mais plus conforme à l'humanité. » Complétons maintenant l’exposé de Celse par quelques rensei- gnements tirés de l’/ntroduction ou le Médecin. Les méthodiques s’attachent aux communautés ou à la con- templation du semblable ; tous les états morbides particuliers sont ramenés à deux (1) : Le resserré (strictum, areywér) et le relâché (lazum, toëdes). Ce sont là leurs communautés qu’ils nomment évidentes (2); ils les reconnaissent aux caractères manifestes (4) Galien (Méth. thér., À, 3) compare la méthode dichotomique des méthodistes à celle qui consisterait à marquer la différence des animaux par l'opposition de deux caractères, qu’on pourrait multiplier à l'infini, et qui toujours ne donneraient qu’un des côtés des différences et des analogies. Il n’y aurait en tout que deux ami- mauæ, mais il n’y aurait pas la multitude des animaux, différenciés par leurs carac- tères propres. Dire qu’il y a des animaux doux et féroces, cornus et non cornus, ce n'est pas marquer la différence de tous les animaux; dire qu'il y a des voyelles et des consonnes, ce n’est pas indiquer tous les éléments de la voix; de même, dire qu'il y à des maladies lâches et d’autres serrées, des maladies aiguës et d’autres chroniques, ce n’est pas faire connaître la différence des maladies, ce n'est que marquer les différences premières et les plus générales; mais il faut pousser la di- vision jusqu’à une espèce indivisible, opération très-difficile et qui a souvent arrêté les plus grands philosophes ou naturalistes. — C’est là une réfutation excellente parce qu'elle est directe et logique. (2) Celles aussi qu’on a appelées primitivement communautés eu égard au régime, ce qui était le fondement de la thérapeutique, au moins dans les maladies aiguës (voy. Méth. thér,, WE, 4, et I, 3). D'où l’on voit que Thémison n'avait d'abord eu égard qu'aux maladies qui se guérissent par le régime. — Voyez plus loin, ce que je dis de la division de la médecine, d’après une phrase de Celse. 188 MÉDECINE GRECQUE A ROME. qui se remarquent dans le corps sans avoir besoin de sémiolo- gie : ainsi, ils diagnostiquent le srictum à ce que toutes les sé- crétions sont suspendues et empêchées; le /azum aux phéno- mènes contraires. En conséquence, ils admettent deux modes de traitement : relächer, resserrer ; ou s’il y a complication, courir au plus pressant. Les communautés passives se rappor- tent à la maladie, les communautés actives au traitement; il y en a encore de temporaires relatives au début, à l’accroissement, à l’état, au déclin (1). — Les communautés chirurgicales consis- tent en trois choses : 1° ôter ce qui est étranger; or il y a deux sortes d’étranger : ce qui est hors du corps, épine, trait et autres choses; cela est simple, et n’exige que l’avulsion; — ou ce qui est dans le corps : déplacement, épanchement, luxation, frac- ture ; cela indique le rétablissement dans le lieu naturel; — 2° excès en volume, comme les tumeurs qu’il faut ouvrir ou en- lever; — 3° défaut : pertes de substance congénitales ou acciden- telles, ulcères, fistules; 1l faut donc réparer en ramenant les par- ties à leur état naturel, en remplissant le vide et en suppléant à ce qui manque (2).— Outre ces communautés chirurgicales, il y en a une qu'on appelle prophylacthique ; elle regarde les poisons et les venins; celle-là n’a rien à faire avec la communauté du lazum où du strictum, ni avec celle du traitement qui y con- vient, car elle se rapporte à des affections dont on ne sait pas ce qu’elles sont. Il faut s’en préserver, et les guérir par des spé- cifiques lorsqu'on en est atteint. Les méthodiques s’attachent à la similitude, mais dans les choses évidentes et non dans les choses cachées, comme le font les dogmatiques : voilà la différence essentielle ; la seconde diffé- rence, c’est qu'ils réduisent toutes les particularités au général : les affections, les remèdes et les opportunités. Plus haut il est cependant question des communautés temporaires! Toutefois (4) Il est probable, d’après Galien (Méth. thér., V, 1 ; cf. IV, 4) que Thessalus est l'inventeur des communautés secondaires rapportées par l’auteur de l’Introduction ou le Médecin, et particulièrement des communautés chirurgicales. Il y avait encore des communautés pharmaceutiques pour les maladies qui se traitent par les médi- caments. (2) C'est là une partie des communautés admises spécialement par Thessalus pour les ulcères, MÉTHODISME: 189 les méthodiques n’observent pas les choses évidentes comme les empiriques, qui isolent tous les cas loin de les généraliser; enfin les méthodiques tirent des communautés les indications théra- peutiques, mais ils ne tiennent pas compte des causes comme les dogmatiques, et ils ne se contentent pas, comme les empi- riques, de l’observation sur le concours de symptômes qui ca- drent avec l'expérience (1). En étudiant les divers systèmes que nous avons vus se pro- duire, soit à Alexandrie, soit à Rome, j'ai eu soin de vous prému- nir contre les assimilations trop rigoureuses que les historiens ont voulu établir entre les systèmes anciens et les systèmes mo- dernes. Sans doute on peut trouver certaines analogies appa- rentes entre les théories d’Érasistrate, ou d’Asclépiade, ou de Thémison, et celles de Boerhaave, de Brown ou de Broussais; mais comme ni l'anatomie, ni surtout la physiologie ne sont plus les mêmes, les détails sont fort dissemblables, et l’idée pre- mière repose sur des conceptions toutes différentes; autant vau- drait comparer la preumalose de quelques médecins du xvur sié. cle avec le pneumatisme d’Athénée, que de rapprocher l'erreur de lieu d'Érasistrate, l’enclavement d'Asclépiade ou le sérictum et le lazum de Thémison, de l’irritation de Broussais. La méde- cine a longtemps tourné dans le même cercle, en ce sens qu’elle a cherché à expliquer les maladies tantôt par les liquides, tantôt par les solides et tantôt par les esprits; mais à cela se bornent les analogies des systèmes, tout le reste diffère d’une époque à l’autre. De même que la splendeur de Cos et de Cnide efface, au siècle de Périclès, toutes les autres renommées, et que plus tard l'éclat jeté par l’école médicale d'Alexandrie fait oublier tous les méde- cins qui en même temps pratiquaient en Grèce, de même, après la venue d’Asclépiade (2), il semble qu’on ne trouve plus de méde- (1) Ces dernières remarques ont une analogie frappante, même pour la rédaction, avec celles de Celse. Peut-être le médecin romain et l’auteur de l’{ntroduction ont puisé à la même source. (2) « Asclepiades multarum rerum, quas ipsi quoque secuti sumus, auctor bo- nus. » (Celse, IV, 9.) — « Asclepiades maximus auctor medicinae, » (Scrib. Largus, Epist. ad Callistum.) —«Asciepiades, inter præcipuos medicorum, si unum Hippo- 190 MÉDECINE GRECQUE À ROMf. cine qu’à Rome; c’est là, du moins, que se donnent rendez-vous les médecins les plus savants ou les plus ambitieux; c’est là que s’accomplissent les destinées de notre science. Les plus grands noms de la médecine, après ceux d'Hippo- crate, d'Hérophile et d'Érasistrate, se trouvent à Rome : Asclé- piade, Thémison, Celse, Soranus (?); Athénée, le chef des pneu- matistes; Archigène, Rufus (2); Galien, Oribase, peut-être avant lui Antyllus. J’y voudrais joindre encore Arétée, mais il y a trop d’incertitudes sur la vie de ce médecin. C’est aussi à Rome qu’a pris naissance le méthodisme, c’est-à-dire la doctrine la plus puissante après le dogmatisme, et qui a tenu en échec la renommée d'Hippocrate, plus tard même celle de Galien; c’est à Rome, enfin, que la médecine ancienne arrive à son plus haut degré de perfection et qu’elle reçoit sa forme définitive; jus- qu'aux premiers réformateurs, elle ne gagne presque plus rien, et j'ose ajouter qu'elle ne fait pas non plus de très-grandes pertes, tant les anneaux de la chaîne sont restés solidement unis au milieu des temps qui passent pour les plus troublés, les plus barbares et les moins conservateurs. cratem excipias, ceteris princeps. » (Apul., Florid., IV, 19.) — Pline, tout en l'admi- rant (VII, 37,124), reconnait (XKXVI, 3, 16) que les circonstances, que certaines mauvaises pratiques de ses confrères, à quoi on peut ajouter beaucoup d’audace, une rare faconde (XXVI, 3, 12), et la grande quantité de ses volumineux ou- vrages, lui ont beaucoup servi. — Quant à Galien, il ne manque pas une occasion de marquer sa mauvaise humeur ou d'user d'épithètes blessantes envers Asclépiade ; il ne saurait lui pardonner ses irrévérences à l'égard d'Hippocrate ou des autres an- ciens, et son mépris pour les jours critiques. — Nous pouvons tirer un double ensei- gnement de la polémique d’Asclépiade et du jugement qu'on a porté de ce médecin avant la venue de Galien. Il est évident qu’en attaquant surtout Hippocrate et ses doctrines, Asclépiade nous apprend quelle était l'autorité du chef de l’école de Cos, et en même temps les témoignages flatteurs qu'il a néanmoins recueillis prouvent que cette autorité n’avait pas encore passé à l’état de fétichisme. (2) Mes recherches dans les bibliothèques m'ont permis, soit d'améliorer les traités déjà connus de Rufus, soit d’en augmenter le nombre. — Crateuas, Diosco- ride, Métrodore, Soranus, Aelius Promotus, Galien, et quelques-uns des plus anciens médecins alexandrins, sont les auteurs pour lesquels les manuscrits grecs m'ont fourni le plus de textes inconnus ou négligés. IX SommaIRE : De Celse et du rôle qu'il a joué dans l’histoire de la médecine. — Caractère de son ouvrage. — Il résume toute la période ancienne, — Comment il faut interpréter un passage de ce traité sur la division de la médecine. — Distinction à établir entre la pharmaceutique, la pharmacopolie et la rhizotomie, — Que Pline l’ancien doit être considéré comme un des plus précieux historiens de la médecine populaire grecque et romaine, et comme un important auxiliaire pour l’histoire de la médecine scientifique. MESSIEURS, Dans l’histoire de la médecine à Rome, on a beaucoup vanté Celse pour des mérites qu’il n’a pas, et l’on n’a pas reconnu ceux qui rendent l’étude de son traité si profitable pour nous. Je ne partage ni l’avis des historiens qui soutiennent que Celse était un médecin dans la véritable acception du mot, ni celui des personnes qui lui refusent absolument le titre de médecin. J’adopte une opinion intermédiaire et que je crois la seule admissible (1). — Celse était un de ces philiatres dont Galien fait mention, et qui, soit à Alexandrie, soit à Rome, soit même plus tard en Italie ou dans les Gaules, avaient étudié la médecine plus dans les livres qu'auprès des malades, mais avec assez de soin pour en parler pertinemment, et pour traiter eux, leur famille et leurs amis, absolument comme le faisait le vieux Caton, à la différence près d’une instruction plus solide et d’un esprit tout à fait éloigné de la superstition. Le Traité de médecine n’est pas l’œuvre d’un pra- (4) L'opinion que M. des Étangs a exprimée dans l’Introduction qu’il a mise en tête de son excellente traduction de Celse me paraît être celle qui se rapproche le plus de la mienne; il admet, en effet, que Celse n’est pas seulement un compila- leur, il le surprend même (pour me servir de son expression) en flagrant délit de pratique; en même temps il est porté à croire que notre auteur n’a pas exercé la médecine, en vue du profit qu'on en retire. 199 CELSE. ticien fort occupé ni d’un simple amateur; l’inexpérience se trahit surtout dans les chapitres consacrés à la chirurgie; on entrevoit que Celse n’est pas un opérateur consommé et qu’il n’a pas toujours bien compris ce qu’il traduit ; dans les livres qui regardent la médecine, l’auteur ne donne guère son avis sur des questions compliquées, il expose bien plus qu’il ne décide(1); c’est à propos de l'hygiène, où tout homme instruit comme l'était Celse, pouvait avoir une opinion, qu’il parle avec le plus d'autorité. J'ai de plus établi, soit par la confrontation des textes, toutes les fois qu’elle a été possible et elle l’est beaucoup plus souvent qu'on ne le croit généralement (2), soit par une induction légi- time, quand manquaient les passages parallèles, que le Traité de médecine n’a presque rien d'original, et que c’est à peu près, d’un bout à l’autre, une traduction libre du grec, entremêlée de quelques réflexions propres au traducteur. Donc ce qui recom- mande surtout cet ouvrage, c’est qu'il est un résumé de la mé- decine et de la chirurgie des hippocratistes et des Alexandrins, résumé très-bien fait, d’un style excellent et venu fort à point, c’est-à-dire au moment où les derniers efforts de la période créa- trice venaient d’être tentés par l'insurrection des méthodiques. En l'absence du Traité de médecine, une partie de l’histoire de l’école d'Alexandrie, surtout en ce qui regarde la chirurgie, nous échapperait (3). (1) Voyez-en les preuves dans Kissel, Cornelius Celsus. Giessen, 1844, p. 124- 122: (2) Ainsi j'ai poursuivi cette confrontation, non pas seulement avec les ouvrages d’Hippocrate, mais avec tous les fragments de médecins alexandrins qui nous ont été conservés, par Soranus, par Galien, Oribase, Aétius, ou par des manuserits encore inédits, de sorte que j'ai pu reconnaitre très-souvent les sources auxquelles Celse a puisé. Quand tous ces emprunts ont été constatés, il ne reste pas grand’ chose à l'écrivain romain, si ce n’est le cadre, le style et l’admirable sûreté de jugement. Pour ma part, je n’oserais jamais dire, pas plus de Celse que de Paul d'Égine, ou de tant d’autres compilateurs plus ou moins habiles : / a trouvé; il a inventé ; il est le premier qui ait imaginé. (3) Voyez, dans le Journal général de l'instruction publique, année 1847, et dans la Gazette médicale de la même année, mes études sur Celse, et en particulier celles qui concernent la chirurgie (instruments, taille, autoplastie, luxations, ete,). DIVISION DE LA MÉDECINE. 193 Celse semble avoir un faible pour l’empirisme ; cependant ses sources principales sont les auteurs orthodoxes. Celse et Galien sont pour nous la clef de voûte de l'histoire de la médecine. Celse rassemble en un solide abrégé les faits et les systèmes anciens avec impartialité, mais non pas avec indifférence ; il a le calme et la dignité du juge. Galien au contraire est un doctrinaire qui veut fondre en une seule, et à son profit, toutes les théories de l'antiquité ; aussi il expose et discute avec cette passion, souvent même avec cette injustice que donnent l'intérêt personnel et l’ar- deur de la lutte. Gelse a été peu lu et peu cité jusqu’au xv° siècle ; ce n’est pas lui, mais Cælius Aurelianus, c’est-à-dire le traducteur de Soranus, que Cassiodore recommande à ceux qui veulent s’instruire dans la médecine (1). Cependant, Celse n’a pas été aussi oublié qu'on le croit généralement. J'ai retrouvé d'assez longs extraits de son ouvrage dans les plus anciens manuscrits de la première période du moyen âge, notamment dans une très-vieille traduction du Synopsis d'Oribase (2). Siles Grecs n’ont fait presque aucune men- uon de Celse, c’est, non par mépris pour les Latins, qu'ils citent quelquefois, mais probablement parce qu'ils n’ont jamais pris l’encyclopédiste romain pour un médecin, et que d’ailleurs ils possédaient les originaux où lui-même avait puisé. Je ne voudrais pas, Messieurs, abandonner Gelse, un de nos guides les plus précieux avec Galien et Soranus, sans dire un mot d'une question importante touchant la division de la médecine dans l’antiquité, etsoulevée par un passage du Traité de médecine. Cette question se rattache trop intimement à l’histoire générale de la médecine, la bonne ou la mauvaise solution qu’on en donne éclaire ou obscurcit trop manifestement cette histoire, pour que nous la négligions. (1) Je m'en suis assuré en. collationnant le manuscrit prototype du traité De Jastit. div. litt. de Cassiodore, qui se trouve à la bibliothèque royale de Bamberg, (2) L'édition d’Oribase, publiée à Büle en 1529, et qui contient une partie du Synopsis et du livre A4 Eunapium, contient aussi quelques additions tirées de Celse, mais qu'on m'avait pas remarquées, DAREMBERG. 43 194 CELSE. Après avoir parlé d'Hérophile et d’Érasistrate, l'écrivain ro- main ajoute : « lisdemque temporibus #n tres partes medicina « diducta (À) est, ut una esset quæ victu, altera quæ medica- « mentis, tertia quæ manu mederetur, Primam Sarrnrixiy, SeCun- « dam ocpnaxeurixis, ertiam yercvcyexrs Græci nominarunt. » — « La médecine fut, vers cette époque, divisée en trois parties : « l’une traitant par le régime, la seconde par les médicaments, « la troisième avec le secours de la main. Les Grecs appelérent « la première diététique, la seconde pharmaceutique, la troi- « sième chirurgique. » Suivant Daniel Le Clerc (2), 1l s'agit d’une division matérielle de la médecine en trois branches, qui firent l’occupation de trois catégories de praticiens ; en d’autres termes, il y eut, sinon trois ordres, trois degrés de médecins, au moins trois espèces de gens traitant les malades. Les uns s’occupaient des affections qui récla- maient le régime dans toute l'étendue ancienne de ce mot; les autres se réservaient les maladies dont le traitement consistait principalement dans l'application des moyens externes; enfin, les opérations élaient du domaine d’une troisième classe. Ceite opinion, qui ne s’appuie même pas sur le texte de Celse rigoureusement traduit, est également partagée, au moins en partie, par Sprengel (3), par Choulant (4) et par presque tous les historiens de la médecine. Hecker (5) professe une opinion mixte. La médecine, dit-il, fut, il est vrai, comme cela arrive dans toutes les sciences qui ont (4) Kuehn (De loco Celsi in praef. male intellecto, dans Opuscula, 1. IF, p. 227 et suiv.) a établi que le mot diducere ne pouvait se prendre que dans le sens de diviser, séparer, distinguer, et non dans celui d'augmenter, d'amplifier (Cf. aussi Facciolati, sub voce), comme quelques auteurs, entre autres Schulze et Weber (voy. p. 203), l'ont prétendu. — Dans les Programmes où Kuehn examine le texte de Celse, il marque un sentiment très-voisin du mien; seulement la critique des opinions de ses devanciers tient dans le travail du célèbre professeur de Leipzig plus de place que les arguments à l’aide desquels il veut appuyer son propre sentiment. (2) Le Clerc, Hist. de la méd,, p. 334. (3) Sprengel, Versuch einer pragm. Geschichte der Arzneik., éd. Rosenbaum, tome [, p. 540. (4) Choulant, Tafeln zur Gesch. der Med., p. 2. (5) Hecker, Gesch, d. Heilhunde, t, Y, p. 314. DIVISION DE EA MÉDECINE. 195 prisun grand développement, divisée en trois parties, la diététique, la pharmacie (voy. plus bas) et la chirurgie ; mais chacune de ces branches ne devint pas le domaine de trois classes d'hommes, seulement il résulta de ce partage que chacun, suivant la ten- dance de son esprit, s’attacha à l’une de ces branches plus par- ticulièrement qu'aux autres, et contribua ainsi à leur perfection- nement. Comme les développements dans lesquels je suis obligé d'entrer pour réfuter l'opinion tranchée de Le Clerc, serviront en même temps à démontrer l’inexactitude de la seconde proposition de Hecker, il convient de s'attaquer d’abord à l'historien de Genève; mais, avant d’opposer le témoignage de l’histoire à celte interprétation du passage de Celse, il est nécessaire de se faire une idée nette des matières comprises dans chacune des trois branches de la médecine. Cette seule exposition contribuera déjà à montrer l'impossibilité pratique de la division matérielle admise par Le Clerc. Pour savoir à quoi nous en tenir sur ce point, nous n'avons pas besoin d’aller bien loin : le livre même de Celse, dans lequel se trouve cette phrase, objet de tant de controverses, nous fournit les renseignements désirables sur la première question, puisque toute l’économie de ce livre repose précisément sur cette division de la médecine en trois sections inégales. Indiquer le plan général du Traité de ‘médecine, c’est donc résoudre en partie la difficulté. La première section, composée de quatre livres, comprend presque toutes les maladies dites #nternes, lesquelies, suivant les anciens, ne réclamaient guère que l'emploi du régime. Dans la seconde (livres v et vi) sont rangées les maladies pour la plupart externes et qui exigent les topiques. Enfin la troisième (livres vu et vin) renferme ce que nous appelons la #nédecine opératoire, et, de plus, tout ce qui regarde le traitement des fractures et des luxations. De même que la diététique comprend l'étude des objets mêmes du régime, de même la pharmaceutique renferme, dans de certaines limites, l’étude des médicaments eux-mêmes, de leurs vertus et de leur préparation; le livre de Gelse le témoigne. Ainsi, dans les deux premières parties, il traite de la matière de l'hygiène et de la matière médicale, avant d'aborder l’histoire 196 CELSE. des maladies; et pour la pharmaceutique, il ne se contente pas d'indiquer la composition et l’action des topiques, il décrit aussi les préparations destinées à être prises à l’intérieur, soit contre les maladies internes, soit contre les maladies externes; et même en tête de la pharmaceutique, il a soin de nous dire, comme sil voulait éviter toute fausse interprétation : «Ce qu’il importe avant « tout de savoir, c’est que toutes les parties de la médecine sont «tellement liéesentreelles, qu'ilest impossible deles séparer com- « plétement, et le nom qui les distingue indique seulement la pré- « dominance des méthodes; celle, par exemple, qui est fondée « sur le régime, s'adresse aussi quelquefois aux médicaments, et celle qui s'applique principalement à combattre les maladies par l’action de ces agents thérapeutiques, est obligée d’y join- « dre l’observation du régime dont lutihité se fait si vivement « sentir dans toutes les affections du corps (4). » Ces réflexions de Celse n’établissent-elles pas clairement qu'il s’agit pour lui d’une division des maladies purement scientifique et nosologique fondée sur la thérapeutique, division imaginée À A (4) Livre v, Préamb., trad. de M, des Étangs. Cf. aussi le Préamb. du livre vis — Scribonius Largus (Composit. med., chap. 68, comp. 200, éd. de Rhodius, p. 409), qui a pu être contemporain des dernières années de Celse, exprime la même opinion à peu près dans les mêmes termes. Son texte prouve de plus que cette division théorique de la médecine en trois branches était une des plus répan- dues; mais on ne voit pas dans ce passage que les trois branches répondissent pour lui, pas plus que pour Celse, à trois classes de médecins, — Voici ce texte impor- tant: « Implicitas medicinae partes inter se et ita connexas esse constat ut nullo » modo diduci sine totius professionis detrimento possint. Ex eo intelligitur quod » neque chirurgia sine diaetetica, neque baec chirurgia (id est sine ea parte quae » medicamentorum utilium usum bhabet) perfici possunt : sed aliae ab aliis adju- » vantur et quasi consummantur. » — Le même auteur (Ad. Callist. epist.) re- marque que de son temps beaucoup de médecins, par ignorance, encore plus que par système, ou pour imiter Asclépiade, répudiaient l'emploi des médicaments, el se bornaient au régime diététique; puis il ajoute, ce qui confirme encore mon senti- ment sur le passage de Celse : « Nam primum cibis ratione aptoque tempore datis, » tentat [medicina] prodesse languentibus; deinde, si ad hos non responderit cu- » ratio, ad medicamentorum decurrit vim... post ubi ne ad haec quidem cedunt » difficultates adversae valetudinis, {um coacta, ad sectionem vel ultimo ad ustionem » deveuit.» — Je n’ai pas besoin de rappeler que le recueil de recettes de Scri- bonius renferme de curieux documents pour l'histoire de la médecine populaire ou domestique. DIVISION DE LA MÉDECINE. 197 pour soulager la mémoire et pour permettre une classification plus ou moins régulière des objets d’étude d’après leur manière d’être la plus générale, en tenant compte des empiétements ré- ciproques ? Mais oublions pour un instant le propre commentaire de Celse, et considérons les choses en elles-mêmes : ne vous semble-t-il pas comme à moi, Messieurs, qu’il serait déjà très-difficile de concevoir, au point de vue de la pratique, une division de la médecine telle que Le Clere veut l'établir, surtout en ce quitouche la délimitation des deux premières parties qui se pénêtrent in- cessamment l'une l’autre, ainsi que Gelse lui-même le déclare ? Toutefois, comme les modernes eux-mêmes ont partagé la science en médecine et en chirurgie d’après des règles arbitraires, il est vrai, mais que ces deux divisions correspondent assez bien, la première à la diététique de Celse, et la seconde à la pharmaceu- tique et à la chirurgie, abstraction faite de la partie purement phar- macologique sur laquelle je reviendrai tout à l'heure, rien n’em- pêcherait d’une manière absolue d'admettre que la division de Celse était toute matérielle; les réflexions du médecin romain sur les empiétements réciproques des diverses parties, et particulière- ment des deux premières, ne feraientmême pas obstacle à cette opi- nion ; Car nous voyons tous les jours les chirurgiens recourir tant bien que mal à la médecine proprement dite, et les médecins, à leur tour, entrer à main armée sur le terrain des chirurgiens, si le cas l'exige, lors même que les uns et les autres n’embrassent pas ordinairement la science dans toute son étendue. Mais en présence de l’histoire, une pareille question n’a que faire de raisonnements, de suppositions et de comparaisons. In- terrogeons donc l’histoire, et voyons si, dans l'antiquité, il y a eu en réalité trois classes de médecins correspondant aux trois grandes divisions, appelées vulgairement diététique, pharmaceu- tique et chirurgie. Eh bien ! pas un texte ne vient, à ma connais- sance, répondre par l’affirmative; tous, au contraire, permettent de conclure dans le sens opposé. D'abord il n’y à aucun témoi- gnaze direct sur lequel on puisse s'appuver, et Celse lui-même n’eût pas manqué de remarquer cette particularité si elle eût existé, En second lieu nous voyons, par les citations, par les 198 CELSE. fragments qui nous font connaître les médecins de cette longue période comprise entre Érasistrate et Celse, que tous, les plus obscurs comme les plus illustres, aussi bien parmi les dogmati- ques que parmi les empiriques, ont pratiqué en même temps les trois branches de l’art de guérir. Pour vous en convaincre, vous n'avez qu’à ouvrir les Bibliothèques médicales, chirurgicales et botaniques de Haller, vous trouverez précisément la confirmation de mon assertion, et cependant, chose étonnante, Haller lui-même partage l'opinion de Le Clerc, de sorte qu’il détruit d’une main ce qu'il cherche à édifier de l'autre ; car vous trouvez dans l’une et l’autre bibliothèque, Mantias, Andreas de Caryste, Hicésius, Zénon, Glaucias, Apollonius, Sérapion, Héraclide, et tant d’autres qu'il serait trop long d’énumérer (1). Dire avec Hecker que, par suite du partage purement scienti- fique de la médecine en trois branches, il est arrivé que chacun, suivant son goût particulier, s'est plus spécialement attaché à l’une ou à l’autre de ces branches, c’est dire trop ou ne rien dire du tout. Dans le premier cas, c’est revenir au sentiment de Le Clerc par une voie détournée, d'une manière moins explicite et dans un sens moins absolu; mais cette simple prédilection ne ressort même pas de l’histoire, et l’on ne voit pas qu’il y ait eu, du moins d’une façon générale, des médecins qui se soient plus occupés de la seconde que de la première partie. On voit, au contraire, qu’ils étudiaient avec un soin égal tout ce qui concer- nait l’art de guérir. — Prétendre que quelques individus se sont plus particulièrement attachés à une partie qu’à une autre, c’est, je le répète, ne rien dire du tout, car cela ne constitue pas une division pratique et consacrée de la médecine ; il n’y a là qu’une tendance individuelle sans influence sur l’ensemble de la pratique. Je tomberais moi-même dans une grave erreur si je n’admet- tais aucune division dans l’exercice de l’art de guérir ; mais cette division ne répond pas du tout à celle de Le Clerc, de Haller ou de ceux qui ont partagé leur sentiment. Celse lui-même dit, dans le préambule du livre vu, qu'après Hippocrate, la chirurgie, dis- (1) On trouvera une nouvelle confirmation de cette vniversalité des médecins alexandrins, en consultant, pages 164 et 163, la dernière colonne du Tableau chro- nologique de ces médecins, DIVISION DE LA MÉDECINE. 199 tinguée des autres branches de l'art de guérir, à cause de la grande extension qu’elle avait prise, fut enseignée dans des livres spéciaux (4abere professores suos cœpit). L'histoire nous à conservé quelques renseignements sur plusieurs de ces praticiens appelés chirurgiens (4); mais entre le fait de la séparation de la chirurgie (et surtout de la chirurgie opératoire ou mécanique) au profit de quelques individus, tandis que l’art de guérir était étudié et pratiqué dans toutes ses parties par la majorité des médecins, et un partage réel de la médecine en trois branches exercées par trois classes de praticiens, il y a une distance im- mense sur laquelle il n’est pas besoin de s'arrêter davantage. Ces chirurgiens sont précisément les gens qui ont été poussés par un goût particulier ou par la nécessité vers une partie de l'art de guérir plutôt que vers une autre. D'ailleurs nous voyons que ces praticiens peuvent être le plus souvent rangés dans la classe des spécialistes proprement dits, je devrais presque dire des rebouteurs ou des mécaniciens, classe qui n'était pas moins nombreuse dans l'antiquité que dans les temps modernes, ainsi qu'on le voit par Galien (2). Si Galien est forcé d'admettre les spécialités, il s'élève contre les spécialistes, en tant que ces demies ou ces quarts de médecins, ainsi qu’il le dit, voulaient considérer leurs spécialités comme des parties distinctes de la médecine, qui est ne, quelles qu’en soient les divisions (3). On voit, d’après ce que nous raconte le médecin de Pergame, qu’il y avait des oculistes, des opérateurs de la cataracte, des den- listes, des chirurgiens herniaires, des gens qui pratiquaient uni- quement la paracentèse, la lithotomie (4), l'opération du cathété- (4) Au rapport de Celse, dans le même passage, c’est à Philoxène (d’après le manuscrit du Vatican) que sont dus les grands développements de la chirurgie opératoire. (Voyez plus haut, p. 160 et suiv,, le Tableau chronologique.) (2) L'hygiène est-elle une parte de la médecine ou de la gymnastique ? chap. 24, t. V, p. 846, suiv.— Cf. Des parties de la médecine, chap. 2, t. IV (in Spuriis libris), { 16, éd. des Juntes. (3) Miaz 7 22 338 CONSULTATIONS MÉDICALES AU XV° SIÈCLE. hernies ventrales;, mais cette affection est déjà indiquée dans Avicenne (voy. par ex. IE, 22, 1, 2). Notre auteur a un long et important chapitre sur les diverses espèces de Aernies (nom commun sous lequel il désigne, avec les anciens et les Arabes, outre les hernies proprement dites, des affections qui différent essentiellement de ce que les modernes appellent une hernie). Pour retenir dans l’abdomen les parties herniées, 1l se contente de topiques astringents, de larges pelotes médicamenteuses main- tenues en place, pendant assez longtemps, à l’aide d’une bande qui passe sur les épaules, et du repos absolu; puis il rejette en ces termes les bandages solides: « Ego autem dimitto hanc fan- ctasiam lumbarium vel cingulorum quae fiunt cérculis ferreis «cum appenditio super inquinem (1). Similiter hic dimitto fan- «tasiam Gentilis qui credit has dispositiones (hernias) curari per « limaturam calybis interius et magnete exterius apposito cum « sua bagatella. Sunt enim baec talia fantasticae imaginationis, «ridiculum magis quam fructum parientia. » (Fol. 239, ve.) Montagnana rapporte qu’il ya trois manières de procéder à la cure radicale des hernies: la castration, qu’il blâme comme inu- tile; la simple incision, qu’il préconise, puisqu'elle permet de faire rentrer l'intestin et de le maintenir ; la cautérisation actuelle ou potentielle : c’est cette dernière qu’il préfère. La castration est encore plus nettement rejetée dans la Practica de Benedictus, ainsi que l’a fait remarquer M. Malgaigne. Les Consilia de Baverius de Baveriis (2) ne sont pas moins curieux que les précédents. Notons des accidents de semi-para- lysie chez une femme enceinte et dont la colonne vertébrale est mal conformée ; le vertige stomacal ; une carie des os du rocher; divers cas de chlorose traités avec succès par les ferrugineux ; la (4) Jean de Concorreggio (dans sa Practica seu Lucidarium), qui vivait dans la première moitié du xiv® siècle, parle aussi de bandages de fer et à pelotes pour maiutenir les hernies, Il en est également question dans les Salernitains. En 1365, Bernard de Gordon mentionne, pour maintenir les bernies, le brachale ferreum cum ligula ad modum semi cireuli. (2) Médecin du pape Nicolas V (4447-1455); était encore professeur à Bologne en 4480. BAVERIUS. — UGO BENTIUS. — M. FERRARIUS DE GRADIBUS. 339 catalepsie très-bien distinguée de l’hystérie, de l’épilepsie, de la syncope ; un exemple caractéristique de paralysie alternante des membres supérieurs, avec embarras de la parole et affaiblisse- ment de la mémoire, à la suite d’une affection catarrhale aiguë de la gorge; enfin, une mention de la prostate. Dans les Consilia d'Ugo Bentius (1), nous pouvons signaler, entre autres faits, les suivants : aliénation mentale intermittente; pertes séminales involontaires, sous la rubrique catarrhe de la tête; vertige stomacal; polype mou des fosses nasales avec fistule lacrymale ; épilepsie causée par la rétrocession d’une tumeur aux jambes trop vite guérie. Une jeune fille accouche à seize ans, avorte à dix-sept; est prise d'accidents chlorotiques, et depuis cette époque, quoi qu’elle fasse, elle reste stérile. Puis, à côté de ces faits si bien observés, nous voyons une hernie prise pour un catarrhe qui descend de la tête aux testicules; et, si je ne m’abuse, une syphilis constitutionnelle prise pour une scia- tique avec pustules. Voici le fait : Jeune homme de vingt ans; vive céphalalgie ; la nuit, sueurs fétides et douleurs souvent intoléra- bles dans les membres; pustules sur le dos, la face et la tête; abcès à la jambe d’abord, puis au pied, puis se déclarant un peu partout ; taches rougeûtres sur le dos et les jambes (2). — Qu'on se souvienne que nous sommes au milieu du xv° siècle, c’est- à-dire bien avant le début qu’on assigne ordinairement à la syphilis ! Sprengel, à propos des Consilia de Baverius et de ceux de Mat- thaeus Ferrarius de Gradibus (3), déclare que ces recueils ne (4) Florissait sous le pape Eugène IV (1431-1447). (2) Un autre individu présentait les symptômes suivants : gonflement douloureux des jointures, amaigrissement des muscles, altérations graves du nez et de la bouche. — Dans le livre posthume et très-rare de Menghus, De omni genere febrium (Ve- nise, 1486, in-folio), on peut relever plus d’un trait qui rappelle les accidents syphilitiques et qui sont rapportés par l’auteur à un rapprochement impur. On y trouve aussi, sous ie nom de Sere, une affection qui ressemble fort à l’urticaire, et la description d’une autre maladie de la peau où l’on ne peut guère reconnaître autre chose que la miliaire. (3) Mort en 4472. — M. Malgaigne (/0oc, cit., p. xciv) a « feuilleté le méchant 340 CONSULTATIONS MÉDICALES AU XV° SIÈCLE. contiennent rien d’intéressant, rien qui mérite louange ou at- tention. Voilà qui est bientôt dit, plus tôt dit, en effet, que de lire des milliers de pages in-folio à deux colonnes en petit texte gothique! Comment! en tant de pages, pas une consultation, pas une ligne, pas un mot sur quoi on puisse appeler l'attention de ses auditeurs ou de ses lecteurs? Il n’est donc pas intéres- sant de dire que les Consilia de Matthaeus Ferrarius sont autant de commentaires des chapitres correspondants d’Avicenne? Il n’est donc pas intéressant non plus de nous faire connaître, d’après le premier Consilium, la manière de vivre et le genre d'études des écoliers de ce temps? Il ne l’est sans doute pas da- vantage de distinguer très-neltement avec notre auteur l’épilepsie essentielle de l’épilepsie symptomatique ; — de signaler un cas de paralysie ou mieux de crampe des écrivains aux deux doigts de la main droite chez un jeune homme trop occupé à écrire, maladie dont la cause est cherchée non dans les doigts eux-mêmes, mais à la nuque, comme Galien le recommande pour un cas analogue; — de savoir que Gaston, prince de Navarre, était atteint d’une aflec- ton rhumatismale chronique intermittente liée à une gravelle qui occasionnait des hématuries? — Les observations de paralysie du nerf facial avec distorsion d’une partie du visage; les halluci- nations de la vue; un cas de ptyalisme opiniâtre ; les hémopty- sies jugées peu graves quand elles viennent à la suite de sup- pression accidentelle des menstrues ; le prurit intense de la vulve noté aux approches de l’accouchement ; des faits de stérilité rap- portés très-nettement à des déviations de l’utérus; des détails recueil des Consilia de Cermison, et il n’y a pas trouvé une idée qui mérilat d’en être extraite ! » — Il n’a pas, dit-il, tiré beaucoup plus de profit de la lecture de Matthieu de Gradi (1bid.). — Cependant, «en feuilletant cet énorme fatras », on y découvre plus d’une page curieuse. M. Malgaigne lui-même y a rencontré trois « faits assez intéressants pour l'histoire de la chirurgie ». Seulement il ne fallait pas attribuer à cet auteur l'invention des «pessaires solides » pour maintenir l'utérus en place. On en trouve de nombreux exemples dans Hippocrate, dans Soranus, dans les Salernitains, dans les traités du moyen âge. — Sa Practica est un commentaire sur le ix° livre du traité de Rhazès à Almansor, traité qui a si souvent servi de texte aux glossateurs du moyen âge. Après avoir expliqué les paroles de Rhazès, Matthaeus parle en son propre nom, donne quelques observations personnelles, et fournit d'assez nombreux renseignements bibliographiques. MALGAIGNE, AVICENNE ET GATENARIA. 341 sur la pose des sangsues, tout cela n’a rien d’intéressant? Il ne nous importe pas non plus de savoir que Matthaeus à donné ses soins aux plus illustres personnages du temps, entre autres au duc de Milan, à la duchesse Blanche-Marie de Sforza (affectée d'asthme); enfin, à la Majesté sacrée du roi de France Louis XI, qui, toute sacrée qu'Elle était, n’en avait pas moins des hémor- rhoïdes fort opiniâtres et fort douloureuses ? Le grand secret pour écrire l'histoire au moins en sûreté de conscience, sinon avec pleine garantie contre les chances d'erreur, c’est de lire, de lire beaucoup, de se rappeler et de comparer. Il y a surtout deux auteurs que non-seulement on devrait lire et relire, mais qu’il faudrait presque savoir par cœur quand on aborde l’histoire de la médecine au moven âge, deux auteurs avec lesquels il faut toujours compter, Galien et Avicenne (1). J'en pourrais trouver des preuves à l'infini ; en voici une décisive: _ Notre chirurgien le plus érudit et le plus disert, M. Mal- gaigne, de très-regrettable mémoire, a écrit (2): « Ce qui doit assurer à Gatenaria une juste et impérissable renommée, c’est qu'il est l'inventeur de cet instrument si simple à la fois et si ingénieux, si bien apprécié, qu’il est devenu chez toutes les na- tions d’un usage vulgaire, et que par là même les médecins ont cru de leur dignité de ne plus en souiller leurs mains: la serin- eue, en un mot... Gatenaria décrit la seringue sous le nom d'in- strument à clystère, et il jauge même nécessaire d'en donner la figure (3); mais, comme la plupart des inventeurs de cette épo- que (?), il n'ose pas de sa propre autorité introduire une si grande innovation dans la pratique ; et il se réfugie derrière Avicenne qui en a donné la description, dit-il, mais qui a été mal compris par plusieurs. Cette déclaration du modeste auteur (4) Aussi rien ne serait plus utile que de donner une bonne traduction du Canon, si horriblement défiguré dans les versions latines imprimées ; car il yen à de manuscrites qui sont meilleures. J'ai souvent engagé mon savant confrère M, le doc- teur Leclerc, si familier avec l'arabe, à entreprendre cette tâche méritoire. Puisse le gouvernement lui fournir libéralement les moyens de l’accomplir ! (2) Introd. aux Œuvres d’ Ambroise Paré, p. xCIx. (3) Page 41, v°, de l'édit. de 1532, citée par M. Malgaigne ; page 70, v°, de l'édition de 1517. 342 nous oblige cependant à déclarer qu’il n'y a rien de semblable dans Avicenne (1). » Évidemment, M. Malgaigne a été victime d’une double distrac- tion quand il a fait cette déclaration et quand il a assimilé l’in- strument décrit par Gatenaria à la seringue actuelle. D'abord, il est de toute évidence que Gatenaria a en vue le chapitre d’Awvi- cenne auquel précisément renvoie M. Malgaigne, car il s’agit des deux côtés d’un c/ystère disposé de telle façon qu’une double ca- nule, disposée d’une manière particulière, serve à la fois à l’entrée du liquide et à la sortie des vents, et, des deux côtés aussi, de l’em- ploi de cet instrument dans le traitement de la colique froide ou venteuse. En second lieu, pas plus chez Gatenaria (la figure le prouve) que chez Avicenne, il n’est question de notre pompe aspirante et foulante, mais d’une vessie ou d’une outre fixée sur une canule, instrument usité de toute antiquité; les deux textes à cet égard sont formels. Si M. Malgaigne avait dit qu’il est malaisé de mettre d'accord la traduction latine si obscure et si peu exacte d’Avicenne avec le texte suffisamment clair de Gatenaria, je serais de son avis (2); mais même dans cette tra- duction on retrouve en gros l’instrument décrit et figuré par le médecin italien. Voici la traduction d’Avicenne et le texte de Gatenaria : MALGAIGNE, AVICENNE ET GATENARIA. AVICENNE. Melior quidem cannae clysteris figura quam antiqui dixerunt, est, ut sit con- cavitas cannae (canule) ejus divisa per tertias, et duas tertias, et sit positum inter utramque velamen de corpore de quo facta esl canna, et sit consolidatum cum canna consolidatione vehementi; sit ergo velamen ejus duarum partium di- versarum, et sit uter decenter aptatus in parte quae duarum partium major est, et GATENARIA, Hæc est forma clysteris quam non in- telligunt multi et quam describit Avic, : secundum quodque pars superior seu canna (canule) ejus, sit duplex [usque] ad partem inferiorem, et mediet inter has partes medium unum sicut paries dividens partes illas sicut est in duabus fistulis conjunctis; et habeat pars minor unum foramen in parte quae est prope conjunctionem bursae clysteris, et aliud (4) Et en note: «Avicenne a traité de l'instrument à clystère en usage de son temps au chapitre xr du livre III, fen. 16, traité 3 (lisez traité 4). Ce n’est autre chose que l'instrument des anciens : une vessie ou une outre fixée à une canule. » (2) Jacques des Parts, égaré sans doute par la mauvaise traduction, ne me pa- rait pas avoir compris Avicenne ; il donne, du moins, de curieux détails sur la forme des clystères en usage de son temps. MALGAIGNE, AVICENNE ET GATENARIA. sit in parte minore apertus, et quando uter decenter aptatus est super totam cannam, stringatur caput partis minoris cum consolidatione forti, ut non ingre- diatur ipsam aer. Et sit sub outre in loco qui non ingreditur anum meatus per quem egrediatur ventositas,. 343 in opposito directe secundum longitu- dinem quod sit apud foramen partis grossioris, per quam partem majorem cui contiguatur maxima bursa, transeat aquositas enematis imposita per utrem; per inferiorem vero Cannam sive mino- rem pulsa ab anemate ventositaie, per utris compressionem ipsa ventositas egre- diatur. Et hoc patet in figura, ef reddit litteram Avicennae obscuram claram. Ce qui rend Avicenne encore beaucoup plus clair, c’est la tra- duction littérale faite sur l'arabe, et que je dois au savoir et à l'obligeance de mon docte confrère M. Leclerc; là il n’y a plus ni ambiguité ni obscurité. À elles seules, ces quelques lignes suffisent à démontrer l’impérieuse nécessité d’une traduction d'Avicenne : € Quant à la canule de l'instrument (du clystère); les « anciens en ont relaté la forme la plus avantageuse. La canule « a son calibre partagé en deux parties, l’une d’un tiers et l’au- «tre de deux tiers : entre est une cloison faite de la même ma- « tière que la canule, parfaitement soudée et les isolant l’une de « l’autre. La vessie est appliquée sur l’orifice de la grande ca- « nule; celui de la petite reste ouvert (fig. A). &i la vessie est « appliquée sur la totalité de la canule (petite et grande portion), bouchez (préalablement) avec soin la tête (c est-à-uire la partie «inférieure, celle qui donne dans la vessie) de la petite canule, « afin que le liquide n’y entre pas; mais il y aura au-dessus de « la vessie un trou percé sur la partie de la petite canule, en un « point qui n'arrive pas dans l'anus; ce trou servira pour la « sortie du vent (fig. B) : si l’on administre le lavement et que le « vent soit poussé fortement, il sortira par la partie dans laquelle «ne pénètre pas le lavement, et le lavement restera un temps « convenable (1).» A (1) Le texte d’Avicenne est en partie confirmé par le chap, 83 de la Chirurgie d’Abulcasis (voy. trad. Leclerc, p.195). — Voici la représentation des deux canules : 34h MALGAIGNE, AVICENNE ET GATENAPIA.' Je n’ai pas insisté sur un sujet, en apparence si minime, pour le triste plaisir de prendre en faute un habile professeur dont personne plus que moi n’admirait la verve entrainante, l'esprit orné et ingénieux, mais pour montrer, par l’exemple d’un homme distingué dans l’érudition médicale, à quels dangers on s'expose en portant un jugement sans avoir lu avec un soin scrupuleux et comparé les différent textes. La lecture et le rapprochement des textes, c’est pour l'historien ce que sont pour le savant les expé- riences répétées, vérifiées, comparées, Si on lisait, n’aurait-on pas relevé dans la Pratique de Guai- nerius (1) deux cas d’aphasie : un vieillard ne pouvait prononcer que trois mots; un autre, dans l'impossibilité où il était de dire le vrai nom d’une chose ou d'un être, répétait toujours chose, homme, etc.? N’aurait-on pas rapporté aussi des exemples de céphalalgie due à l'usage de pain chargé d’ivraie, et rappelé les nombreux détails sur les superstitions relatives aux incubes et aux succubes, sur les moyens employés pour constater la mort, enfin sur les traitements barbares ou bizarres auxquels on avait recours contre l’apoplexie, ou la paralysie, ou le spasme, ou l’aliénation mentale ? On ne doit pas négliger non plus les renseignements que le même Guainerius nous donne, soit sur des espèces très-singu- lières de folie (2), soit sur la pratique des Parisiens qui, déjà bien avant Botalet Gui Patin, tiraient jusqu’à trois livres de sang d’un seul coup. Mais on ne peut se défendre d’un sourire quand on voit un si savant docteur donner la prescription suivante (4) Florissait dans la première moitié du xv° siècle. (2) On dit vulgairement d’un fou ou d’un homme qui a l'esprit un peu détraqué : «I à une araignée dans la tête, ou une araignée dans le plafond. » Je trouve dans la Pratique de J. de Concorreggio (1, 23) queles fous ont été comparés au catebut où araignée d’eau, qui a de grandes pattes, et fait toutes sortes de mouvements désor- donnés et ridicules. N°y aurait-il pas quelque analogie entre le dicton populaire et cette comparaison? — Cette même comparaison est appliquée par Bernard de Gor- don aux individus affectés de paralysie générale avec tremblement ; l'animal est ici appelé chevre d’eau. — C'est aussi J, de Concorreggio qui signale des épilepsies sans chute, mais seulement avec un vertige «qui dure le temps de réciter un Ave Maria». OBSERVATIONS DE GUAINERIUS. — JACQUES DES PARTS. 345 contre les piqûres venimeuses : Prendre un poulet dont on a arraché les plumes autour de l'anus, puis placer ledit anus dépouillé sur le lieu de la piqûre, en même temps qu’on tient le bec fermé pour que le malheureux poulet aspire ainsi le venin par l'anus! Aujourd’hui encore un poulet blanc ou noir, je ne me souviens pas exactement de la couleur, fait merveille, coupé en deux tout vivant et mis en cataplasme, surtout dans les fièvres malignes. Autre histoire plus sérieuse, plus instructive malgré son triste dénoûment. Un écuyer du duc de Savoie était atteint d’une pleu- résie trés-grave. Les médecins }#ifs à qui il avait confié le soin de sa personne répétaient sur tous les tons qu'ils répondaient de sa vie, puisque l'urine conservait bonne apparence. Guainerius, appelé en consultation, soutenait au contraire que l'urine ne fournit aucun signe certain dans la pleurésie (A), et que le pauvre malade était en grand danger de mort. Et voilà que tout à coup, au milieu de ces altercations (on était au onzième Jour), l'écuyer fut pris d’étouffement et que son côté devint livide (2): il était déjà mort depuis longtemps, que les juifs affirmaient en- core qu’il dormait profondément! J'en passe et des meilleures ; surtout je ne voudrais ici ni rapporter toutes les pratiques im- mondes (3) que l’on conseille sans rougir pour différentes affec- tions sexuelles, même pour les personnes engagées dans les liens de religion, ni raconter toutes les superstitions relatives à la stérilité ou à la conception : de pareils détails seraient plus à leur place dans un livre que dans un cours. Tout le monde parle de Jacques des Parts, mais personne ne le connaît, parce que personne ne l’a lu (4), ni Quesnay, ni Spren- (4) Jacques des Parts insiste aussi sur le peu de confiance qu'on doil avoir dans l’aspect des urines, surtout quand il s’agit de maladies épidémiques graves. (2) Cela rappelle les frappés dont Hippocrate parle à propos de la pleurésie. (3) Jean de Concorreggio, dans sa Practica nova où Lucidarium, indique aussi les plus étranges et les plus hideux procédés pour détourner de l’objet de sa flamme un amant passionné, mais éconduit. (4) A propos des Anciennes écoles de médecine à Paris(voy.note 2 de la page 307), M. le docteur Chéreau a donné une bonne notice sur une partie de la vie de J. des Parts. En lisant les Commentaires, on peut ajouter plusieurs faits ignorés. Je revien- drai sur ce personnage et sur ses œuvres, 346 JACQUES DES PARTS gel, ni Hazon suivi par la Biographie médicale, ni Eloy copié par le Dictionnaire historique de la médecine ancienne et mo- derne, ni les écrivains les plus récents qui s’en sont occupés. Non, le Commentaire sur Avicenne en cinq immenses volumes in-folio (y compris ceux de Gentilis et d’autres) n’est pas seulementçun tissu de lambeaux pris de Galien, de Rhazès et de Haly »,c’estun livre très-érudit, où sont cités une foule d'auteurs ; c’est un livre très-instructif par tous les renseignements qu’il fournit sur la pratique médicale du temps, sur les épidémies contemporaines ou antérieures (par exemple, /a peste noire), sur les opinions en faveur, que J. des Parts critique assez librement, même sur les su- persttions dont il se moque parfois. Je crois vous avoir prouvé, dans les trois leçons que je leur ai consacrées, que ces Com- mentaires ne sont ni aussi fastidieux, malgré leur prolixité, ni aussi dénués d'intérêt qu’on affecte de le répéter pour se dis- penser même de les parcourir. Voulez-vous une preuve entre cent de mes allégations ? 13 voici évidente, palpable : À la page 19 des Pisanae Praelectiones de Mercuriali, on lit : « Nec mihi placet eorum sententia qui adeo recenter ortlas fa- « ciunt peticulas.. Jacobus de Partibus, medicus non incele- «bris... ipsarum clarissime meminit in Comm. ad Avicen. € prima quarti tract. h, cap. secundo, ubi appositissime eas « describit atque similes morsibus non culicum, sed proprie « pulicum...…. facit. » En 1651, Riolan, à la page 218 de ses Curieuses recherches sur les escholes en médecine, écrivait : « Je ne puis souffrir que Fracastor, médecin italien très-docte, parlant de la fièvre pour- pre (éyphus pétéchial), dise qu’elle n’était pas connue en France l’an 1529... A la fin du xv° siécle, un médecin de Paris, nommé Jacques des Parts, en a le premier écrit assez clairement et doc- tement, employant les saignées pour la guérison. » En 1718, Hazon, dans sa Notice des hommes les plus célèbres en la Faculté de médecine, répète à peu près les mêmes choses, mais, comme Riolan, sans indiquer le passage. Borsieri, à son tour (en ses {nstitutiones medicinae practicae, 1. KE, p. 294, éd. Becker), s’en rapporte à Mercuriali et ne remonte pas à la source. ET LA FIÈVRE PÉTÉCAIALE. 3h47 Sprengel (dernière édition allemande de son Histoire pragma- tique de la médecine) déclare qu’il n’y a pas un mot de la fièvre pourprée dans le Commentaire de Jacques des Parts. Mon savant ami M. Haeser, influencé sans doute par l'autorité si usurpée de Sprengel ; M. Haeser, qui semble cependant avoir pris la peine d'ouvrir le Commentaire, confirme (dans ses Matériaux pour servir à l'histoire des épidémies, p. 167-168) le jugement de l'historien de Haile, et soutient que Borsieri n’a pas lu le cha- pitre auquelil renvoie, car on n’y trouve aucun trait qui se rap- porte à la fièvre pourprée (1). Je ne fais pas difficulté de recon- naître que personne, pas plus Mercuriali, qui donne cette fausse indication, que Borsieri, qui ne la rectifie pas, ne trouvera rien à Canon IN, tractatus 1V, fen. x, caput 2. Ni moi non plus, je n'aurais rien trouvé à cet endroit, si la suite d’une lecture atten- tive ne m'eût amené au premier chapitre (2) avant de me con- duire au chapitre second. Voilà tout le mystère dévoilé ! (est dans le chapitre premier que Jacques des Parts mentionne la fièvre pourprée. Une erreur de Mercuriali lui-même ou des imprimeurs a mis nos historiens en déroute. Le texte que je transcris ne laisse, ce me semble, rien à désirer. (1) J'ai vu, au moment où je relisais cette leçon, que M. Haeser, averti par un de ses amis, le docteur Pfeufer de Zurich, donne dans les additions du second vo- lume de l’ouvrage ci-dessus indiqué le vrai passage de Jacques des Parts. Toutefois il n’en tire aucune conclusion contre Sprengel et en faveur de Borsieri; il ne croit même pas qu’il s'agisse de la fièvre pétéchiale, mais des éruptions cutanées dans les maladies fébriles (voy. p. 317 de son Hist. de la méd. — Lehrbuch der Gesch. d. Medicin, 1853, 2° éd,, où il cite de nouveau le vrai passage), opinion que je ne saurais partager. — Consulté par moi il y a peu de temps, M. Haeser me répond : « Nunc in loco Jacobi de P. duo symptomata in cute apparentia ab Avicenna des- « cribi puto. 4° Sudamina febrilia et forte roseolam typhosam (pustulae albae sa- « niosae, quandoque rubeae, etc.) ; — 29 petechias quae in omnibus febribus exan- « thematicis oriri possunt ex. gr. in variola haemorrhagica, in morbillis et scarla- « tina, in typho, praesertim in peste genuina. Hac de causa (quia veras petechias « exanthematicas a Jacobo vel Avicenn daescriptas esse nego)in libro meo De bistoria « morborum epidemicorum, p. 338 seq., de loco nominato verba non feci. » — Je « reprendrai cette importante question dans l’histoire de la pathologie. (2) Voyez encore IV, I, 1, 3, une épidémie de typhus des camps au siége d’Ar- ras. Cf. aussi Monstrelet, chap. 427 (dysenterie), t. ILE, p. 32 de l’édit. de la Société de l'histoire de France, et Coyttarus, De febre purpurea epidemiali, p. 169. 318 JACQUES DES PARTS. Parmi les vingt-six signes de la pestilence (ce mot comprend beau- coup de maladies épidémiques fort diverses, et la plupart des pré- tendus signes communs à toute peste correspondent à des espèces particulières), on lit au dix-septième : « Decimum septimum est « quod in febre pestis aliquando accidit bothor subalbida et ru- « bea, id est parve pustule in superficie corporis. quandoque Qalbe santose, quandoque rubee, similes variolis ex ebullitione « putrefacti sanguinis. Et circa istas pustulas notat (Avicenna) « quod interdum velociter apparent, et etiam interdum cito oc- « cultantur et delitescunt, secundum quod putridus sanguis ebul- € liens nunc foras erumpit, nunc intra retrahitur. Et sub hoc & Signo quedam cutis macule intelliquntur nigre aut virides « aut violacee vel subrubee similes illis que cuti continqunt ex € Mmorsibus pulicum que vulgariter solent dici plane (A); et sunt « de signis malis et mortalibus, precipue nigre vel violacee vel « coloris viridis, quoniam attestantur super magna humorum « corruplione non emendabili. » Lorsqu'on voit un personnage aussi considérable qu'était Jac- ques des Parts, si légèrement apprécié, quelle place pouvaient avoir des auteurs du second ordre comme Sermoneta (Questions très-subtiles sur les Aphorismes), Bagellardus (Sur les maladies des enfants (2), Villalobos (Sommaire de médecine, en espagnol, tiré d’Avicenne en conservant même l’ordre des chapitres), Ardoynus (De venenis), Christophorus de Honestis (Sur Mésué), Saladinus (Compendium aromatariorum), Manlius de Bosco (Luminare majus apothecariorum (3), YAmicus medicorum, (4) « Vulgus lenticulas aut puncticula appellat, quod maculas proferant lenticulis «aut puncturis pulicum similes. » (Fracastor, Morbi contag. NX, 16; cf. II, 6.) — On les appelait aussi peficulae, pestichiae (d'où pétéchies), peut-être diminutif de pestis. — Voyez aussi Coyttarus, De febre purp. epidem., p. 5, 45-46, 464, 469, 470. — Rapprochez d'Avicenne et de J. des Parts le chapitre (Pustulue infebribus) emprunté à Hérodote par Aétius, V, 129. (2) Il faut noter un chapitre sur la hernie ombilicale, et l'emploi de la poudre d’amidon pour les échauffements chez les enfants. (3) I y à peu d'ouvrages aussi instructifs que celui d’Ardoynus pour l’histoire de la toxicologie : une foule d'auteurs y sont cités ; il contient toutes sortes de rensei- + MATIÈRE MÉDICALE, TOXICOLOGIE, PRATIQUES AU XV° SIÈCLE. 349 livre tout entier consacré à l'astrologie, par Ganivetus, les trai- tés d'hygiène de Benedictus de Nursia, de Marcile Ficin, d’Aldo- brandini, de Gazius, lequel rend pour l'hygiène les mêmes ser- vices qu'Ardoynus pour la pharmacologie, et de beaucoup d’autres qu’il serait trop long d’énumérer ? Les Pratiques de Gatenaria et du très-érudit, très-didactique et parfois indépendant Matthaeus Ferrarius de Gradibus; celle d’Ar- culanus, l’Expositio de Sillanus, la Clarification de J, de Torna- mire, ne sont guère que des commentaires, les uns courts, les autres plus longs, du IX° livre du traité dédié par Rhazès au ca- life Almansor. Arculanus dit même que ce traité est le plus utile du monde, qu’il faut tout lui sacrifier, puisqu'il procure tous les biens, pourvu qu’on ne marchande ni le temps ni la peine qu’on prend à le commenter (1). La Pratique de Michel Savonarole est une œuvre méritoire, car elle résume les opinions, les doctrines, les théories qui avaient cours au milieu du xv° siècle; à ce titre, elle répond très-exactement aux vœux de l’auteur, qui se propo- sait d’épargner la peine et le temps aux médecins en leur présen- tant, dans un seul volume, le résumé de ses lectures ou de sa propre expérience (c'est la plus mince partie de louvrage), et en prenant Avicenne pour modèle et pour guide ; il espère que son livre rendra plus de services à ses confrères que toutes les enements sur les pratiques médicales où populaires relatives aux poisons; on y voit, par les précautions recommandées, combien les empoisonnements étaient fré- quents et combien aussi il était facile de se soustraire à la justice ; à côté de cela, on trouve dans ce traité de bonnes descriptions des symptômes qui caractérisent les empoisonnements par les substances tirées du règne végétal. — Le Commentaire de Christ. de Honeslis est une véritable histoire de la matière médicale et de la pharmacologie.— Le Compendium aromatariorum renferme beaucoup de préceptes moraux, une bibliographie assez étendue, une intéressante description de la récolte * des plantes, et le catalogue des objets qui doivent faire partie d’une boutique d’apo- thicaire, — On consultera encore avec fruit, pour l'histoire de la pharmacologie, Jacobus de Manliis de Bosco, surtout dans l’édition (elle est rare) de Mutonus, ainsi que les ouvrages analogues de Quiricus de Augustis et de Paulus Suardus ; ce dernier renferme toutefois moins de détails intéressants. Eh bien, les auteurs d’une Histoire de la pharmacie qui à été publiée en seconde édition à Madrid, en 4867, en un volume in-4°, par Chiarlone et Mallaina, ne paraissent pas même avoir ouvert ces divers ouvrages ! Voilà comment on écrit l'histoire. (1) Arculanus a une description assez exacte du delirium tremens potatorum. 300 LITTÉRATURE CHIRURGICALE AUX XV° ET XVI‘ SIÈCLES. discussions dialectiques auxquelles se livrent les médecins aw coin des rues ou sur les places. Ce n’est pas là, en effet, dit Savonarole, que vont étaler leur longue barbe ceux qui ambi- tionnent le titre et la réputation de vrai médecin praticien. Que d'erreurs à rectifier, que d’omissions à réparer, que d’inexactitudes à signaler dans l’histoire de la chirurgie au xv‘etau xvr° siècle (1) ! Les historiens qui passent pour le mieux informés, ou n’ont même pas lu intégralement les traités spéciaux écrits à cette époque, ou ne se sont pas souvenus de tout ce que les au- teurs ont emprunté aux Arabes (2), à Gui de Chauliac, aux chi- rurgiens italiens des xmi° et xIv* siècles ; ou, enfin, ils n’ont pas assez cherché en dehors de ces traités spéciaux tous les rensei- gnements précieux que renferment les Pratiques médicales, les Commentaires, les Consilia, sur l'état de la chirurgie à l’épo- que dont nous nous occupons. Disons à l’honneur des chirur- giens du xv° siècle que, s'ils n’ont pas su s'affranchir entière- ment des préjugés de leur temps, ils sont cependant beaucoup moinssuperstitieux et plus positifs que les médecins. Auxvr' siècle, (4) Ainsi, à propos de Pierre d’Argelata, M. Malgaigne dit que le HIS livre est le plus original par le nombre et par Le choix des observations; puis, quelques lignes plus bas, on lit à propos de ce mème livre, que Pierre a tout pris à Guy, même le texte ; or c’est cette seconde rédaction qui est la vraie :— à propos des plaies du nez, par exemple, là où Guy met ego, Pierre s’approprie cet ego et tout le reste ! Pierre n’est pas plus Aardi opérateur que ses devanciers ou ses contemporains ; il se con- tente le plus souvent de piller tout le monde, je vous l’ai démontré. Néanmoins j'ai signalé comme étant peut-étre de lui un cas de bubou survenu à la suite d’une ulcération du pénis; la méthode d'exploration pour reconnaitre la fluctuation (inundatio) profonde; — uniquement chirurgien, il renvoie aux physiciens pour les maladies internes, — Quelques inventions et quelques bonnes pratiques se rattachent aux noms des chirurgiens espagnols, Fr. Arcaeus, Andr. Alcazar, et Fr. Diaz (xvi® siècle). — J'ai réservé pour une autre partie du cours (celle où je traiterai des institutions médicales) les détails sur la querelle des médecins avec les chirurgiens, et sur celle des chirurgiens avec les barbiers, étuvistes, etc. (2) Toutes ces Chirurgies sont rédigées sur le plan d'Avicenne ou d’Abulcasis; le cadre nosologique est presque toujours le même; on ne voit pas ordinairement figurer plus de maladies ni plus d'opérations dans les unes que dans les autres, La chirurgie de Bertapaglia n’est guère qu’un commentaire sur Avicenne tout rempli de superstitions et de formules de médicaments, DE LA SUETTE ANGLAISE ET DE LA SYPHILIS. 351 nous trouverons également les maîtres en chirurgie plus instruits et moins ridicules que les docteurs en médecine. Nous avons consacré six leçons à l’histoire de la suette et quatre aux origines de la syphilis, laissant pour le moment de côté la discussion des problèmes de pathologie que l'étude de cette maladie soulève dès les premières années du xvi° siècle. Les textes anciens relatifs à la suette, maladie dont on trouve les premières traces en 1486, sont très-peu connus en France, mal- gré l'important recueil publié il y a vingt-deux ans par M. Haeser, d’après les papiers de Gruner (1). On a cité, mais le plus souvent sans les lire, un grand nombre de monographies ou d'articles de journaux écrits depuis le xvn° siècle en France ou à l'étranger ; nulle part je n’ai trouvé un résumé satisfaisant de ces nombreux travaux. Le résultat capital de mes recherches et des confronta- tions auxquelles nous nous sommes livrés ensemble, c’est que la maladie dite suette anglaise est la même maladie que la swette mailiaire des modernes, autrement dite suette des Picards. Au- cun caractère essentiel ne manque; notre suette n’est donc pas une maladie nouvelle, et la suette anglaise n'est pas une ma- ladie perdue (2) ; il n’y a de différence que dans le chiffre de la mortalité : encore ai-je montré, par des statistiques aussi rigou- reuses que possible, que cette différence tenait beaucoup moins à un changement de nature dans la maladie, qu’à un change- ment dans les conditions hygiéniques et dans le traitement pour les malades. À ce propos, j'ai cru pouvoir manifester quelques (1) Scriptores de sudore anglico superstites, ete, lenæ, 1847, grand in-8, Le même savant a publié, en 1866, dans une revue allemande (Az. f. Kunde der deutsch. Vorzeit), comme supplément, un Regimen istius morbi (Sud. angl), anonyme. (2) L'opinion contraire est soutenue avec talent et conviction, mais par des ar- guments qui ne me paraissent pas suffisants, dans un livre érudit et d’une lecture agréable : Étude sur les maladies éteintes et les maladies nouvelles, par M. le professeur Ch. Anglada, de Montpellier (Paris, 1869). La préface est datée du 8 octobre 1868. J'ai reçu le volume au moment où je corrigeais ces feuilles. — Plusieurs médecius, les uns pour un motif, les autres pour un autre, partagent aussi . mon sentiment, 32 DÉ LA SUETTE ANGLAISE ET DE LA SYPHILIS. doutes sur la validité des assertions de certains médecins qui prétendent que la suette bien traitée, c’est-à-dire traitée d’après leur méthode, n'est Jamais mortelle. Quant à la syphilis, il y a longtemps que j'ai nié l’origine américaine et que J'ai soutenu l’origine ancienne. Depuis que j'ai lu les auteurs du moyen àge ; depuis que j'ai étudié les des- criptions données par les contemporains (1) de la grande épidé- mie des dernières années du xvy° siècle (à dater de 4493, surtout de 1496), cette opinion n'a fait que grandir et passer à l’état d’une entière conviction; J'ai même, si je ne m’abuse, réussi à porter également celte conviction dans votre esprit. En premier lieu, nous avons soigneusement relevé et discuté les textes antérieurs à l’an 1493, et qui se rapportent manifeste- ment à des cas de syphilis vraie dans ses formes primitive, se- condaire ou conslitutionnelle (2), puis les dires des contempo- rains de l'épidémie. Cet inventaire rétrospectif nous donnait déjà gain de cause ; mais nous ne pouvions nous arrêter dès ce pre- mier pas. Poursuivant notre marche, nous avons trouvé, dans les ouvrages contemporains de l'épidémie, des descriptions qui, prises en elles-mêmes, ne vaudraient pas mieux et ne prouve- raient pas plus que celles du xu1°, du x1v° ou du commencement du xv° siècle, si elles n'étaient pas groupées et si elles ne se rap- portaient pas à un plus grand nombre de malades : c’est par ces deux points seulement qu’elles se rattachent avec sûreté aux des- criptions subséquentes, tandis que par leur insuffisance elles servent d’intermédiaires entre les observations rares et isolées (3) (4) Voy. l'Aphrodisiacus de Luisinus et les suppléments de Gruner et d’autres érudits. — Les premiers traités publiés en Allemagne sur la syphilis (1495-1510) ont été réunis par Fuchs, en 4843, avec un supplément en 1850. (2) Voyez un savant mémoire de M. Corradi, alors professeur à l’université de Palerme (aujourd'hui à l’université de Pavie), intitulé: Caso di sifilide constituzio- nale nel trecento (Milano, 14866, in-8). (3) Encore cette rareté, cet isolement, sont, suivant moi, relatifs ; ils tiennent, d’une part, à toutes sortes de préjugés sur les affections des organes génitaux, préjugés d'autant plus forts et plus répandus, qu’on s'enfonce davantage dans le moyen âge, et, d'autre part, à la difficulté à peu près invincible d'établir, dans un grand nombre de cas, un diagnostic rétrospectif, parce que les traits caractéristiques de la maladie ont été généralement séparés les uns des autres et défigurés par les auteurs de cette. SYPHILIS. 333 des siècles précédents, et les faits innombrables qui, dès les pre- miéres années du xvr siècle, sont enfin mis au compte d’une con- tagion directe, et sur lesquels la forme épidémique n’avait pres- que plus de prise. Cela est si vrai, que de graves auteurs ont pensé que les premières descriptions qu’on rapporte à la sy- philis ne s’y rapportaient réellement pas, ce qui est une grosse erreur commise par défaut de critique historique. D’un autre côté, plusieurs écrivains contemporaiss fort sérieux donnent sur la marche de la syphilis des renseignements qui ne permettent absolument pas ni de la croire née, pour ainsi dire, du sol vers 1493 ou même avant, suivant quelques-uns, ni de la faire venir d'Amérique. La chronologie et le silence absolu de ces mêmes auteurs contemporains s'opposent énergiquement à cette der- nière supposition, mise en avant pour la première fois par Oviedo, écrivain suspect de partialité contre les Indiens, ainsi que l'ont établi l'auteur anonyme de La America vindicada de la calum- nia de haber sido madre del mal venereo (Madrid,1785, in-4°), et Hensler, dans Geschichte der Lustseuche (Alona et Hamb., 1783- 1759). De plus, les déclarations formelles, après sérieuse enquête, de deux célèbres historiens américains, Prescott et Irving (1), époque. C’est là un point de vue que j’ai signalé aux historiens, dès l’année 1845, dans les Annales des maladies de la peau et de la syphilis. — Surtout n'oublions pas que, dans les premières descriptions de la fin du xv° siècle. les causes déter- minantes de la syphilis sont, comme dans presque toutes les observations anté- rieures, cherchées partout ailleurs que dans la contagion directe. Enfin, ce n’est pas seulement que la syphilis qui se prète à de telles considérations; le diagnostic rétrospectif de presque toutes les autres maladies, des plus simples comme des plus compliquées, est aussi difficile, et à ce titre, presque toutes les maladies pour- raient être réputées nouvelles; nous l'avons prouvé aussi bien pour l'antiquité que pour le moyen âge. (1) Les résultats de cette enquête ont été consignés dans l'Histoire de Christophe Colomb et dans l'Histoire de Ferdinand et d'Isabelle, surtout, dans une communi- cation spéciale que le New-York Journal of Medicine a publiée en mars 1844. Il m'a été impossible de me procurer ce journal en France, ni d’acheter le numéro en Amérique, ni de le faire venir d'Angleterre; j'ai pu du moins obtenir d’abord et en même temps un extrait, par M. Norris, de Philadelphie, et par M. le doc- teur Milroy, de Londres, enfin une copie intégrale et fidèle, par l'entremise de M. d'Abzac, attaché au consulat général de New-York, et de M. le docteur Goul- den. Je prie ces messieurs d’agréer mes remerciments. — Récemment Gaskoin, DAREMBERG. 23 354 VUES GÉNÉRALES SUR LE XVI° SIÈCLE. prouvent jusqu’à l’évidence que les compagnons de Christophe Colomb n’ont pas exporté la syphilis d'Amérique, mais que les Européens l'y ont au contraire importée. Avec la dernière leçon sur la syphilis (1) finissait l’histoire du xv° siècle, qui ne nous a pas demandé moins de vingt-neuf leçons ; l’histoire du xvi° nous a retenus pendant quinze autres leçons. L'œuvre du xv° siècle peut être comparée à l’œuvre de Galien : le xv° siècle rassemble, conserve, cimente les connaissances ac- quises par tous les siècles antérieurs, de même que Galien avait écrit la somme de la médecine grecque depuis Hippocrate; au contraire, l’œuvre du xvr' siècle consiste précisément à commen - cer le siége de toutes les fortifications élevées par le xv°. Si ces fortifications, en apparence fortement cimentées, ont retardé la marche de la médecine, elles l'ont du moins protégée contre des attaques parfois intempestives, contre un élan mal calculé et du reste encore mal servi par les circonstances (2). Quelque important que soit le rôle du xvi‘ siècle, surtout quand on considère qu'il nous apporte la première déclaration des droits de la science, l'étude de la médecine durant ce siècle est cependant, j'ose le dire, au risque de provoquer une exclama- dans le numéro de juillet 4867 de Medic. Times and Gaz. (Notes on the history of syphilis), et Brehm, dans une monographie sur Ruiz Diaz de Isla (Ein Beitrag zur Geschichte der Syphilis; dans Lecpoldina. Amtl. Organ der K. Leopoldino-Carol. deutschen Acad. der Naturf., 1866), ont défendu l'origine américaine par des ar- guments plus spécieux que solides et irréfutables. (1) Je reprendrai ces deux importants sujets, la syphilis et la suetfe, dans mon histoire des maladies, et alors je donnerai une bibliographie critique sur ces deux sujets, dont le premier a été, depuis quelques années, l'occasion de publications historiques qui méritent d’être étudiées avec soin ; les auteurs de la plupart de ces publications sont favorables à l’origine ancienne. — Je n’ai point insisté non plus jusqu’à présent, ni sur l’histoire de la petite vérole, de la scarlatine, du feu Saint- Antoine, de la peste, et en particulier de la peste noire, ni sur plusieurs autres affec- tions épidémiques, réservant tous ces sujets pour le cours que je fais actuellement. (2) Argentier est l'adversaire le plus sérieux de la routine, et Cardan eût égale- ment rendu des services, s’il n'avait pas gàté un savoir réel par une insupportable jactance et par des idées ridicules. VUES GÉNÉRALES SUR LE XVI SIÈCLE. — PARACELSE. 354 lion de surprise, moins attrayante que celle du xv°. L'histoire générale du xvi° siècle se réduit à trois points : les humanistes qui discutent sur les textes, — les anatomistes qui scrutent la nature, — Paracelse qui rêve en plein midi et délire en pleine santé. — Si je n’y voyais la marque certaine de l'émancipation de l'esprit humain et la préparation à la critique des textes, je ne prendrais aucun plaisir aux injures que les humanistes se jettent à la face; leurs attaques, souvent mal dirigées, contre les Arabes, où leurs admirations mal justifiées pour les Grecs, m'instruisent moins que les Consilia, même que les Commen- laires si prolixes du xv° siècle. Le galimatias de Paracelse ne pouvait guère nous récréer; il n’y avait pas non plus grand profit à tirer des disputes sur la valeur comparative des médi- caments galéniques et dés médicaments chimiques. Du moins, sans compter l’immense, ke véritable intérêt qu'offre l'anatomie à celle époque, nous avons trouvé quelque délassément et quelque solide instruction dans l'esprit et la verve de Joubert, le bon latin de Fernel, les précieuses observations de Septalius, de Mercatus et d’autres; dans les belles descriptions de Bail- lou; dans le suprême bon sens de notre Ambroise Paré, de ce chirurgien à la fois hardi et prudent qui invente et perfectionne ; enfin dans le développement de cette admirable proposition avancée, deux siècles trop tôt, par J. Crato de Kraftheim (1519- 1586), « qu'on ne peut pas comprendre Hippocrate si l’on n’a pas l'habitude des malades ». La vie érrante, pour ne pas dire vagabonde, des héros, ou, si vous préférez, des athlètes du xvr° siècle, avait aussi un côté pi- quant et presque romanesque que J'ai essayé de mettre en relief, pour bien vous faire comprendre quels étaient alors l’ardeur des convictions, l’âpreté des caractères, le zèle batailleur pour la restauration de l'antiquité, et ce besoin de locomotion qui corres- pondait exactement à un mouvement parallèle de la pensée tou- jours en quête de nouveautés. Il y a un petit grain de folie dans toute la raison du xvr' siècle; les esprits font émeute et sont en proie à un certain delirium tre- mens. Le mysticisme chimique est une des formes de cette ré- 296 VUES GÉNÉRALES SUR LE XVI‘ SIÈCLE, — PARACELSE. volte et de cette folie ; il règne partout, moins en France, plus en Angleterre, mais beaucoup dans les pays germaniques; et il se trouve qu'un médecin, Paracelse (1493-1541), résumant en lui ce mysticisme, cette folie, a pu dire qu’il était possédé par l’Ar- chée de l'Allemagne, comme Hippocrate l'était par l'Archée de la Grèce. Mais combien sont différentes les deux archées! Para- celse, ridicule jusque dans ses noms, quelque légitimes qu’ils soient (Awreolus-Philippus-Theophrastus Paracelsus Bom- bastus von Hohenheim), est un philosophe sans logique, un médecin qui ne se doute pas de ce que valent les études cli- niques, de ce que peut la bonne ordonnance du régime. Je ne pardonne l'enthousiasme pour ses écrits, même pour les écrits les plus authentiques, qu’à ceux qui ne les ont pas lus, car cent pages étudiées pémiblement avec un lexique spécial (4) suffisent pour calmer les imaginations les plus ardentes et la partialité la plus décidée. On a mis à louer Paracelse autant d’aveugle passion qu'à le décrier. Paracelse ne méritait, Messieurs, Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité, Ce n’était pas un réformateur : le génie lui manquait ; il n'avait que la violence du destructeur et de l'énergumène; 1l n’a laissé qu'un disciple qui a changé de drapeau; mais ce n’est pas non plus rien autre qu’un vil charlatan. On ne réforme pas la méde- cine quand on ne sait ni anatomie, ni physiologie, quand on est un méchant chimiste et un clinicien empirique; on n’est pas rien qu’un charlatan quand on a fait la guerre aux formules de cuisine (Suppenwust), et qu'on a proposé quelques principes nouveaux de thérapeutique, ou du moins quelques nouveaux médicaments, ou, pour parler plus exactement encore, quelques heureuses applications nouvelles de moyens thérapeutiques déjà (4) Je sais que les frères Grimm ont cité plusieurs fois le texte original de Para- celse dans leur célèbre Deutsches Woerterbuch; je sais même par expérience que la traduction latine est souvent plus incompréhensible que l'allemand ; il n'en est pas moins vrai que le langage de Paracelse, se ressentant des idées qu'il. exprime, est, dans l’ensemble de l’œuvre, d’une grande obseurité, et qu'il exige une attention qu'il n’est pas toujours facile de conserver. PROGRÈS ACCOMPLIS PENDANT LE XVII‘ SIÈCLE. 357 connus. On n’est pas un grand médecin quand on prétend qu’il n’est pas nécessaire de connaître les causes des maladies pour les guérir, et quand on use trop souvent à l'aventure des sub- stances les plus actives, ayant aussi peu de mesure dans les doses que dans les paroles. On est bien près aussi de certaines rêve- ries homæopathiques, lorsqu'on avance qu’en vertu de propriétés occultes et de sympathies cachées, les maladies se guérissent par les mêmes radicaux que ceux qui existent dans le corps et donnent naissance à ces maladies; mais on n’est pas rien autre qu'un charlatan quand on réussit à former une école, cette école ne durât-elle qu’un jour, et ne comptât-elle qu’un disciple digne de ce nom. — La chirurgie de Paracelse ne vaut guère mieux que sa médecine; le peu qu’elle renferme de bon est em- prunté; le mauvais, l'absurde y abondent. Exemple tiré de la Grande chirurgie (E, ni, 1) : « Qu'est-ce que la rage? Réponse : C’est le résultat d’une double idée : le chien veut toujours mordre, et l'homme craint toujours d’être mordu; de là la rencontre au fond de la plaie de deux imaginations surexcitées ! » En quatre mots, Paracelse est un empirique doublé d'un mys- tique : deux lignes de l’Archée de la Grèce valent mieux que deux volumes in-folio de l'Archée de l'Allemagne (À). Messieurs, je mettrais votre patience à une trop rude épreuve si, après un aussi long résumé du cours de l’année passée (ré- sumé justifié cependant, j'ose du moins le croire, par l’impor- tance des sujets que nous avons étudiés ensemble), je donnais les mêmes proportions au programme du cours de cette année. Le xvri' siècle retentit du grand nom de Harvey. La décou- verte de la circulation du sang occupe, agite, passionne tous les esprits; elle se complète et se confirme par la découverte de l’ap- pareil chylifère, des vaisseaux lymphatiques, et par les recherches sur le système glandulaire (2). Tandis que l’anatomie prolonge de plus en plus les voies déjà si largement ouvertes par le (1) Je tâche de le prouver au chapitre suivant. (2, Les monographies sur ces divers sujets abondent au xvn siècle, et la polé- mique tient une grande place dans les écrits de cette époque. La solution des questions de priorité n’est pas toujours facile. 358 PROGRÈS ACCOMPLIS PENDANT LE XVII‘ SIÈCLE. xvi° siècle, et que même elle s’essaye avec succès au maniement du microscope et aux injections les plus délicates, la pathologie, ou lutte avec une désolante énergie contre les conquêtes mo- dernes de la physiologie, ou cherche ses inspirations dans la méthode a priori: tout l'esprit caustique de Gui Patin ne suffit pas à nous dédommager de toutes ses invectives contre les céreu- lateurs, ni toute l’érudition de Riolan ne saurait compenser tout son pédantisme routinier. Si nous n'avions pas les pages immor- telles de Sydenham, «l'Hippocrate anglais » (quelle gloire pour une nation d’avoir produit en un même siècle Sydenham et Har- vey !), et quelques précieux recueils d'observations ou de consul- tations, quelques bonnes descriptions de maladies épidémiques, l'histoire médicale du xvn° siècle se trouverait partagée entre une réaction idiote (particulièrement en France), et des théories plus ou moins hardies et ingénieuses, mais toutes vaines, parce qu'elles sont exclusives et sans fondements scientifiques (1): entre les théories de Van Helmont, l'héritier de Paracelse sous béné- fice d'inventaire, celles de Sylvius, disciple réservé de Van Hel- mont, et celles de Borelli, nées sous la domination des sciences mathématiques et physiques, ou celles enfin de Glisson, le vrai précurseur de Haller, L’iatrochimie de Sylvius, l’iatromécanique de Borelli, avec l’irritabilité de Glisson, représentent les deux systèmes qui se sont tour à tour disputé la pathologie générale, l’'humorisme et le solidisme, mais fort incomplétement trans- formés par une science nouvelle, la chimie, qui se dégage peu à peu de l’alchimie, et par une science renouvelée, la physio- logie.— La chirurgie vit des souvenirs du xvr' siècle; elle attend J.-L. Petit et Lapeyronie! — Le xvn° siècle, période de transi- tion, n’a plus, pour la médecine proprement dite, la pleine pos- session du passé, et n’a pas encore le juste sentiment de l'avenir ; c'est un vaisseau désemparé qui chasse sur ses ancres, et dont (1) IL faut remarquer ceci: au xvn® siècle, ceux qui ont le plus contribué à l’avancement de l'anatomie et de la physiologie étaient peu ou pas médecins; d’un autre côté, les médecins qui se sont donné la tâche de renouveler les théories mé- dicales savaient peu ou point de la nouvelle anatomie et de la nouvelle physio- logie. Quelques-uns même ont écrit avant les grandes découvertes en anatomie de structure. PROGRÈS ACCOMPLIS PENDANT LE XVII° SIÈCLE. 359 l'équipage consulte inutilement la boussole, tandis qu’il est en proie à la fureur des vents. On a beaucoup exagéré l'influence que les systèmes de philo- sophie ont exercée au xvu' siècle sur la marche et les destinées de la médecine : nous examinerons ce point avec tout le soin qu’il comporte; mais je puis affirmer par avance que les grandes théories médicales sont, pour ainsi parler, autochthones; elles sortent des entrailles mêmes de la médecine, je veux dire de la physiologie bonne ou mauvaise ; le peu que la philosophie a donné à la médecine a été, en général, un assez pauvre cadeau. — Quand la médecine s’est réformée, elle l’a fait en vertu de deux forces indépendantes de tel ou tel système de philosophie, du sensualisme comme du spiritualisme ou du scepticisme, même du rationalisme. L’une de ces forces est le développement natu- rel de la science, qui, dés la fin du xv° siècle, passe des principes de l'autorité aux principes de l'observation ; — l’autre est l’in- fluence générale du milieu que n’ont créé ni Bacon ni Descartes, mais qu’ils ont subi avec toute la génération du xvrr' siècle, seu- lement avec plus de génie que le gros des écrivains et des sa- vants. C’est moins par la puissance des méthodes de démonstra- tion que par celle des méthodes de découverte, que la médecine commence à sortir, dès la première moitié du xvr' siècle, de ses vieilles et profondes ornières. Enfin, Messieurs, pour terminer cette leçon, ou, si vous vou- lez, ce plaidoyer en faveur des doctrines historiques que je tiens pour vraies, je n’ajouterai plus qu'un mot : l'Exercitatio anato- mica de motu cordis et sanquinis in animalibus, « le plus bril- lant triomphe de la physiologie expérimentale,» — pour me servir d’une heureuse expression de M. Haeser, — a paru en 1628, à Francfort ; mais déjà, n'oubliez pas ce fait capital, depuis dix ou douze ans Harvey avait démontré la circulation, soit dans ses leçons sur l’anatomie, soit devant les membres du Collége de médecine de Londres. C’est en 1605, il est vrai, que parurent pour la première fois, en anglais, les deux premiers livres du De dignitate et augmentis scientiarum de Bacon (1); toutefois (4) Le traité, dans sa vraie forme, n’a été publié qu’en 1623. La première édi- tion du Novum organum est de 1620, 360 PROGRÈS ACCOMPLIS PENDANT LE XVII® SIÈCLE. vous reconnaîtrez que cet essai, si vous prenez la peine de le parcourir, ne pouvait avoir aucune influence décisive sur la direction des recherches de Harvey, qui, du reste, déclare hautement ne devoir rien aux philosophes. Quant à l’immortel Discours sur la méthode, 1 n’a paru qu’en 1637. Donc, ce ne sont ni bacon ni Descartes, les deux plus grands philosophes du xvire siècle, qui ont fait Harvey le plus grand novateur de ce même siècle, tandis que c’est très-certainement Harvey, disciple d’un anatomiste distingué, Fabrice d’Acquapendente, qui a pré- paré la reconstitution définitive de la médecine par la phy- siologie. XVI SOMMAIRE. — Paracelse. — Pathologie et physiologie générales, — Médecine pratique, — Maladie syphilitique, — Chirurgie. MESSIEURS, J'ai porté devant vous, sur Paracelse et sur Van Helmont, un jugement sévère, mais que j'ai longuement motivé. Quelques personnes, en France, en Allemagne et en Belgique (1), en ont marqué leur étonnement. Je voudrais défendre ce jugement, non pour le vain plaisir de soutenir mon opinion, mais dans lin- térêt de la vérité historique. J'ai lu sans parti pris d'avance, et avec une scrupuleuse attention, tous les écrits de Paracelse qui passent pour authentiques d’après Marx (2), et ceux de Van Helmont; j'ai étudié avec soin les monographies qu’on a publiées sur ces deux personnages (3); en particulier, pour Van Helmont, l’ouvrage capital et trop peu cité de Spiess (4), puis les mémoires de MM. Rommelaere et Mandon (5), couron- (1) Le résumé de cette partie du cours a été publié dans l'Union médicale de l’année 1868, et tiré à part. (2) Marx, Zur Würdiqung des Th. Paracelsus. Goetting., 1842, in-4, p. 21. (3) Pour Paracelse, on consultera avec fruit le résumé de Preu-Leupoldt, surtout la monographie de Marx; celle de Lessing est assez indigeste, et celle de Schultz est rédigée à un point de vue très-systématique (l’homæopathie). IL ne faut pas non plus oublier Maris (De Paracelso, Lugd. Bat., 1832, in-8), ni Bremer (Vita et opi- niones Paracelsi, deux parties, Hauniae, 1836, in-8), — On trouvera la liste de toutes ces publications dans la Bibliotheca medico-historica de Choulant (Lipsiae, 4842), et dans les Additamenta de Rosenbaum (Haile, 4842 et 1847). (4) Spiess, J. B. Van Helmont’'s System der Medicin., u. s. w. Frankf. à M., 14840, in-8. (5) W. Rommelaere (de Belgique), Études sur Van Helmont. — Mandon (de Li- moges), Van Helmont, sa biographie, histoire critique de ses œuvres, et influence de ses doctrines médicales sur la science et la pratique de la médecine jusqu’à nos jours. Ges deux mémoires ont été publiés dans les Mémorres des concours et des sa- vants étrangers, année 4868, in-4°, t. VII, et tirés à part. 362 PARACELSE. nés tout récemment par l’Académie de médecine de Belgique. En ce qui touche Van Helmont, je puis me contenter, à quel- ques exceptions près, des extraits qu’en ont donnés MM. Romme- lacre et Mandon; quoique leurs savants Mémoires renferment plus d’éloges que de critiques, on y trouve cependant presque tous les éléments d’un jugement raisonné, parce que les auteurs ont traduit avec impartialité de nombreux passages qui renfer- ment la doctrine du célèbre médecin belge ; mais pour Paracelse, le coryphée de la réforme médicale, au dire de plusieurs histo- riens allemands et même français, je n’ai voulu m’en rapporter qu'à moi-même. J'avais fait de ses écrits, aussi prolixes qu'indi- gestes, de très-nombreux extraits; je viens de traduire les plus importants (1) : c’est cette traduction (2) que je donne en preuve de mon jugement et en l’entremêlant de quelques réflexions (3). Si je me suis attardé si longtemps et si longuement avec Para- celse, c’est que j'ai désiré, pour en finir avec sa personne et avec ses œuvres, mettre sous les yeux de mes lecteurs les pièces du procès, porter et motiver mon jugement, pour n’y plus revenir. Les résultats de l'enquête sont trop peu satisfaisants, il y a trop d’autres questions plus importantes dans notre histoire, pour que nous nous réservions de faire ensemble de nouvelles études sur Paracelse, Ces réflexions étaient nécessaires pour justifier, ou mieux pour excuser la disproportion qui semble exister entre l’exposi- tion des doctrines du prétendu réformateur, et celle des autres systèmes. À vrai dire, comme je me propose dans le présent volume de traiter surtout les questions les plus générales, et de (1) J'ai signalé de nombreuses contradictions, mais je n’ai pas tenu compte ni des répétitions, ni des amplifications, ni des imprécations, qui, presque toutes, se ressemblent, Je me suis borné aux passages caractéristiques. (2) Pour la Grande Chirurgie, je me suis contenté de la traduction de Dariot (2° éd., Lyon, 1603, in-4), et pour la Petite, ou Berthéonée, de celle de Daniel du Vivier (Paris, 1623, in-8). (3) J'ai suivi ordinairement l'édition latine publiée à Francfort, de 1603 à 1605, et qui forme onze volumes in-4°, Pour les traités qu'elle ne contient pas, j'ai eu recours à l'édition in-folio de Genève, 14658. Toutes les fois que la nécessité s’en est fait sentir, j'ai comparé la traduction latine au texte allemand, qui est quelquefois plus clair, JUGEMENTS PORTÉS SUR SA DOCTRINE. 363 marquer les mouvements de la science, j'ai accordé jusqu'ici et j'accorderai jusqu’à la fin de ce volume la plus grande place aux idées, réservant les faits de détail pour un autre ouvrage. J'ai cité en note les travaux allemands sur Paracelse ; on me permettra de donner place dans le texte aux recherches des mé- decins français, Nos voisins n’ont pas besoin d’encouragements, mais les œuvres historiques sérieuses sont si rares en France, qu’il faut particulièrement les honorer, lors même qu'on n'est pas d’accord avec leurs auteurs. En 1847, M. le docteur Bordes- Pagès a publié une étude sur Paracelse (1). Quoique je sois loin de partager les conclusions beaucoup trop favorables de l’auteur, je me plais à rendre justice à son travail, qui a le grand mérite d’être fait d’après les sources (2), et d’être écrit par un homme qui sait manier la plume et qui n’est point étranger aux discus- sions philosophiques. Voici d’abord quelques-unes des phrases où notre sayant confrère a résumé son opinion sur Paracelse : « C’est un médecin tout à fait hors ligne ; tantôt mystique, tantôt expérimentateur habile; il a rappelé la médecine à l'expérience ; 1l a converti les alchimistes en chimistes»; — ici, mettons plusieurs points d'interrogation à chaque membre de phrase; — « quel- quefois métaphysicien fort subtil»,— si subtil en effet que souvent on ne le comprend pas ; — « on ne sait ce quidoit le plus étonner de sa sagesse ou de son extravagance. » Pour moi, l'indécision n’est pas aussi grande. « Paracelse est le roi des Arcanes », et en même temps «il ouvre l’ère de la philosophie des temps modernes ! » — « Ce n’est pas un démolisseur de doctrines. » Mais qu’a:t-il donc fait toute sa vie, si ce n’est de chercher à détruire les doctrines des autres pour y substituer les siennes? Mais aussi mauvais architecte qu'il (1) Philosophie médicale au xvi° siècle, Paracelse, sa vie et ses doctrines. — Dans Revue indépendante, avril 1847 (et non 1846), t. VIII (7° année, 2° série), p. 282-318. (2) Malheureusement, les informations de M. Bordes-Pagès ne sont pas assez nombreuses; il s’est contenté de donner des extraits traduits par lui du Parami- rum, du Paragranum, du De origine morborum ex Tartaro, et des Archidoxes, livre d’origine fort douteuse 361 PARACELSE. était impuissant destructeur, il a répandu plus d'erreurs qu’il n'en a fait disparaître. — « Ce n’est pas non plus, continue M. Bordes-Pagès, un amasseur de nuages comme Rabelais, Mon- taigne et Bayle. » — Plût à Dieu qu’il eût un grain du bon sens de ces trois personnages! « C’est le dogmatique le moins in- décis. » Je le veux bien; mais de quel dogmatisme, grand Dieu! est-il le représentant ? Enfin, il « a tenté de ranger les faits mer- veilleux sous les lois naturelles ». J’admets que Paracelse rejette pour des motifs extra-scientifiques un certain nombre de super- stitions qui ne lui convenaient pas; mais toute sa médecine astro- logique, céleste, divine, par signature, par arcanes, etc., n’est- elle pas un tissu incohérent de merveilleux? Le grand reproche que M. Bordes-Pagès fait à Paracelse, c’est d’avoir voulu expliquer l’homme par le monde extérieur, le nu- crocosme par le macrocosme ; encore trouve-t-il qu’il a tout poé- tisé en donnant esprit et vie à tout. Je ne refuse à Paracelse, ni beaucoup de verve, ni un langage pittoresque, ni une vivacité de critique parfois plaisante, trop souvent grossière ou burlesque ; cela n’est pas de la science, et derrière cette poésie, c'est-à-dire derrière ces idées vagues, sans soutien, écloses dans un cer- veau ardent, mais mal réglé, il est imprudent de chercher une vue anticipée, une sorte d’intuition des conceptions de la physio- logie et de la chimie modernes. De tels rapprochements, et M. Bor- des-Pagès y incline trop volontiers, sont d'autant plus dangereux, d'autant plus faux, que la science expérimentale est d’un côté, tandis que de l’autre on ne voit guère que des rêveries. Les vues anticipées d’un Ampère 6cnt conduit au télégraphe électrique ; l'imagination, quelque féconde qu’elle soit, d’un Paracelse n’a conduit à rien. M. Bouchut (1) suit pas à pas M. Bordes-Pagès et ne va pas au delà de ses extraits; aux honneurs que M. Rordes-Pagès rend à Paracelse, M. Bouchut joint son hommage particulier ; il le loue du respect qu'il accorde à la nature médicatrice, et du soin qu’il a mis à rechercher les médicaments spécifiques. Je crois (1) Bouchut, Histoire de la médecine et des doctrines médicales. Paris, 1864, in-8, p. 503 et suiv. JUGEMENTS PORTÉS SUR SA DOCTRINE. 369 que Paracelse a pour la nature médicatrice un respect tout pla- tonique, car il y a peu de médecins qui aient employé plus de remèdes violents et perturbateurs, tant externes qu'internes. Il serait du reste encore plus naturiste qu’il ne l’est, Paracelse n’en acquerrait pas un titre de plus à mes yeux. Quant à la recher- che des spécifiques, il me semble que c’est la marque, non pas du progrès, mais de l'enfance de l’art. En fait, il n’y a pas un seul médicament spécifique, pas même le sulfate de quinine, mi le mercure, ni l’iode (1), non certes parce qu'ils ne guérissent pas toujours toutes les maladies contre lesquelles on les dirige, mais parce qu’ils en guérissent plusieurs d’un genre très-différent, — en théorie, il n’y a pas davantage de spécifiques, car la phy- siologie moderne tend à expliquer l’action des médicaments par des lois générales et des actes biologiques, qui éloignent l’idée de spécificité proprement dite. D'ailleurs Paracelse n’est pas l’inven- teur de cette recherche des spécifiques; Galien parle souvent des médicaments qui agissent par leur substance entière et non par leurs qualités élémentaires, sur une maladie déterminée, et (4) M. Finckenstein, dans de très-bons articles: Ueber den Eïinfluss der Chemie auf die Medicin des x\1® und xv\€ lahrh (Deutsche Klinik, années 1866 et 1867), dit de la médecine spécifique de Paracelse, que c’est une des idées les plus malheureuses qui puissent jamais entrer dans la tête d’un homme, surtout d'un homme comme Paracelse, qui ne savait guère la chimie positive, et encore moins la physiologie, l’anatomie, et qui, sur la pathologie, n'avait que peu d'idées réellement fondées. — M. Chevreul (Journal des savants, nov. 14849, p. 665 el suiv.) n’est pas moins sévère pour Paracelse, considéré comme chimiste : « Paracelse, cet homme bizarre, n’a rien d’original au point de vue de la science; il tient de la manière la plus in- time à Basile Valentin et aux deux Isaac hollandais, par les principes qu'il met en avant, aussi bien que par ies remèdes qu'il préconise, et, d’un autre côté, comme applicateur de la chimie à la médecine, il ne vient qu'après Rhazès et les autres médecins arabes. » M. Chevreul aurait pu dire après Galien, car il suffit de lire sa Méthode thérapeutique et ses ouvrages sur les médicaments, pour être assuré que la médecine métallique n’est pas une invention du xvi® siècle ; seulement le point de vue était différent. Stabl est, au dire de M. Chevreul, le fondateur de la première théorie chimique ; le même auteur explique très-bien tout le bruit qu'a fait Para- celse, plus par le savoir-faire que par le savoir. On est en droit d’ajouter qu'il doit une partie de sa réputation à l'habitude, à la nécessité où il se trouvait, faute d’in- struction suffisante, de parler et d'écrire dans la langue vulgaire. Son style, émaillé de mots bizarres, tantôt animé, tantôt burlesque, toujours provocant, atlirait et retenait la foule. 366 PARACELSE. les alchimistes prédécesseurs de Paracelse, pour ne pas parler des charlatans, avaient aussi leurs spécifiques. La guintessence elle-même, qui est, avec quelques observations justes sur les maladies dites tartariques, un des meilleurs fleurons de la cou- ronne dé théâtre de Paracelse, ne lui appartient pas en propre. Toutefois M. Bouchut a bien fait d’insister sur ce point, avec M. Bordes-Pagés ; 1l y avait là une échappée vers la vraie chimie. En 1857, M. le docteur Louis Cruveilhier à donné, dans la Revue de Paris (4), et toujours avec la prétention de nous faire assister à une révolution scientifique, une étude sur Paracelse. Une seule phrase peut faire juger des opinions de l’auteur : « Pa- racelse, qu’on a si libéralement taxé d’extravagance et de folie, est le type de ces novateurs hardis qui, bravant les obstacles, s’élan- cèrent à travers mille chimères et mille rêves à la conquête d’un idéal nouveau.» Pour ma part, je n'ai jamais vu que les chimères et les rêves aient mené à quelque chose de bien; ni Vésale et ses émules, ni Harvey et ses successeurs, n’étaient des rêveurs. Ils cherchaient, non un «idéal nouveau », mais des faits nouveaux ; ces faits, la nature observée attentivement les a révélés d’elle- même, ou bien:ils en ont provoqué la manifestation par l’applica- tion intelligente de la méthode expérimentale. M. Cruveïlhier est, Jui aussi, plus attentif à trouver un idéal historique qu’à chercher l'histoire vraie, et s’il a recours aux textes, ce qui lui arrive souvent, il est tellement préoccupé de l’idée que Paracelse est la source de tout progrès, et le chef de toute réforme médicale, qu’il tire de ces textes les conséquences les plus inattendues ou les rapprochements les plus hasardés. Ce n’est certes pas la con- science qui manque à cette Étude, mais l'indépendance du juge- ment. Ainsi, M. Cruveilhier déclare que «la chirurgie de Para- celse, jugée au point de vue moderne, n’a pas le sens commun, — et que ses théories médicales ont au premier abord aussi peu de sens que sa chirurgie »; néanmoins, « sa chirurgie renferme des signes avant-coureurs du nouvel esprit d'observation qui va bientôt surgir et des révolutions qui se préparent; sous le fatras d’incohérences qui distingue sa médecine se cache (mais (4) Numéros des 1% et 44 juillet: Philosophie des sciences. — Étude sur Para- celse, et la révolution scientifique du XVI siècle. JUGEMENTS PORTÉS SUR SA DOCTRINE. 367 bien profondément !) une doctrine scientifique parfaitement coor- donnée. Quelque absurde qu’en soit le point de départ, on ne saurait contester à la doctrine de Paracelse d’être conforme aux lois constitutives de la science. » Accorde qui pourra les pré- misses et les conclusions. Jamais je ne pourrai reconnaître dans les œuvres du célèbre aventurier ni «la notion de l'unité orga- nique », ni «l’analyse des principes constituants du corps humain par la chimie ». Lorsque M. Cruveilhier esquisse le portrait de Paracelse, lors- qu’il raconte sa vie errante, quand il peint les enivrements de sa folie sublime, et qu’il rapporte avec complaisance ses invec- tives contre la médecine et les médecins, il a presque des larmes pour les « nobles souffrances » de son héros. Paracelse a été ou- tragé, calomnié même; mais il subissait la peine du talion; ja- mais personne ne s’est montré plus injurieux, plus provocant contre ses adversaires, ou ses contradicteurs, ou contre les sim- ples dissidents. Il semble que l’énergumène d’Einsiedeln ne s’est abaissé à lire quelques livres, à écouter quelques professeurs, que pour dissimuler ses larcins sous un torrent de grossières déclama- tions (1). | L'histoire des sciences est, comme la vie des nations ou des individus, partagée entre le positif et l'imaginaire; il n’y a pas de siècle où l'imagination ait joué un aussi grand rôle que le xvr'; personne dans ce siècle n’a plus sacrifié que Paracelse à la folle du logis, et par conséquent plus caressé les préjugés et les passions populaires. On peut, de prime abord, apprécier ce que vaut la médecine de Paracelse par la manière dont 1l l’a apprise. Son procédé est trés-expéditif; il consiste à se passer de tout maître vivant et de tirer la science de Dieu seul, car toute la médecine vient de Dieu et est en lui (2). Tous les livres écrits avec une plume étant (1) M. le docteur Clément Jobert a pris Paracelse pour sujet de sa Thèse (Paris, 4866, in-4); mais, comme cette thèse est rédigée, en grande partie, de seconde main, je ne puis que la signaler. (2) Labyrinthus, préface. Dieu lui-même, dit-il au premier chapitre, est le Livre, parce qu'il est la Sagesse. 368 PABACELSE. défectueux, le premier Hivre de la médecine doit être la Sagesse ou Dieu lui-même. On objectera peut-être que Paracelse a beaucoup voyagé, el l'on citera à ce propos un passage de la préface du premier traité de la Grande Chirurgie ; mais il suffit de lire avec quelque atten- tion ce passage, pour voir que Paracelse a voyagé comme les circum/foranet ; il parle comme eux, entre deux coups de grosse caisse, et non comme parlent les voyageurs savants : « Ayant voyagé par la France, l'Alemagne et l'Italie, et visité les vni- versitez pour sçauoir leurs preceples et fondemens, il m'a semblé toute- fois qu'il n’estoit encores loisible de m'arrester à leurs opinions pour plusieurs causes : mais ayant marché plus outre, et trauersé l'Espagne, Portugal, Angleterre, Dannemarc, Pologne, Lituanie, Prusse, Hongrie, Transsiluanie, voire visité presque toutes les nations de l’Europe, j'ai dili- gemment cerché et me suis enquis non seulement des Medecins, ains aussi des Chirurgiens, maistres d’estuues, femmes, mages, Alchymistes, aux monasteres et maisons nobles et ignobles, quels estoient les meilleurs et plus excellens remedes, desquels ils vsoyent et auoyent usé pour guérir les maladies. Mais ce faisant ie n'ay esté que plus incité à croire que la medecine estoit incertaine, inconstante et defendue, ayant opinion que c’estoit illusion diabolique, tellement que je la quittois entierement pour m'adonner à suiure autre estat, iusques à ce que lisant ceste sentence de lesus Christ qui dit en l'£uangile, les sains n’auoir besoin de Medecins mais les malades : j'ay lors commencé d'entendre, qu'il ne se pouuoit faire suyuant ces paroles de [esus Christ que cest art ne fust, voire certains ferme, veritable et perpetuel : et qu’en luy il ne faloit attribuer aucune chose à l’aduenture, à la superstition ni au Diable. Parçuoy ayant dere- chef reprins puis delaissé ce que j’auois autrefois oui des professeurs d’icelle, et ce que les anciens en auoyent laissé par escrit: l’ay cognu que la vraye source de medecine, et la racine d’où elle procedoit, n'auoit esté cognue par aucun d'eux et ne l’auoyent escrite, et qu ils s’estoyent arrestez aux ruisseaux seulement, sans monter iusques à la source, de façon qu'eux-mesmes n’entendoyent pas ce qu'ils enseignoyent en leurs escoles, ni ce qu'ils disputoyent pour les malades en leurs consultations, n’ayans aucune cognoissance des remedes propres à guerir leur mal: mais bien ay recognu qu'il n’y auoit autre chose en eux qu'orgueil et ambition, de façon qu’à bon droit ie croy qu'on les peut appeller (auec l’Apostre) parois blanchies. Estant donc poussé et solicité, à cercher la source et fontaine de la vraye medecine, ren ay fait l’essay en chirurgie, parce que iusques à cette heure ïi’ay creu et aprins, qu’elle estoit plus certaine qu'aucune autre partie de medecine. » DES SIX LIVRES DE LA MÉDECINE. 369 Voyons maintenant quel fruit Paracelse a tiré de ses voyages et de son illumination par l'Evangile (1) : « Quoique la médecine (les remèdes ou la thérapeutique) elle-même soit naturelle, puisqu'elle se trouve parmi nous dans la terre, comme le vif-argent, le gaïac, etc., c’est cependant dans le très-haut Livre de la Sagesse (c'est-à-dire en Dieu) que nous devons l’étudier pour connaître ce qui est en elle, et comment cela s'y trouve, comment on doit tirer telle chose de la terre, comment et à quelles maladies on doit en faire l'application. Le corps, en effet, n’est pas médecine, c'est (ou il est) la terre ; la médecine qui est dans le corps est ce que ni la terre, ni le sang, ni la chair ne connaissent. D'où il suit que la médecine doit découler de cet esprit qui est dans l’homme. Celui qui vient de cet esprit auquel il retourne est le vrai disciple de la médecine. Il est donc clair que le pre- mier principe de la sagesse consiste à chercher d’abord le royaume de Dieu. » (Chap. 1; cf. Petite Chir., IL, 1.) Le deuxième livre de la médecine est le Firmament ou Astro- nomie; le troisième consiste dans les affinités de l’homme avec les éléments, car les humeurs ne sont rien qu’un produit de l’imagination des Hippocratistes. Comprenez maintenant, si vous le pouvez, ce que sont les éléments pour Paracelse : « Tout élément (feu, terre, eau, air) se divise en trois parties, lesquelles cependant existent sous la même apparence, la même forme, la même couleur, la même figure et la même manière d’être, à savoir, le sel ou baume, la résine ou soufre, et la partie liquoreuse ou gotaronium (mer- cure). Ces trois parties produisent toutes choses, c’est-à-dire les procréa- tions des éléments du corps limon et semblablement celles du corps phy- sique [lequel vient du corps limon]. Chaque corps est constitué par ces trois parties et n’en a ni plus ni moins. Elles produisent les métaux, les minéraux, les pierres, les arbres, les plantes; en un mot, tout ce qui a la vie ou ne l’a pas. La manière d'être est autre pour les métaux, pour la chair, le sang, le bois, etc.; le médecin ne considère pas cela, mais seu- (1) Les extraits qui suivent sont tirés de : Labyrinthus medicorum (Opp., L. 1, p. 442 et suiv.). — La note 3 de la page 362 était déjà imprimée, lorsque, après plusieurs vérifications, j'ai cru devoir relire sur le texte allemand ma traduction faite sur le latin, et la corriger partout où le latin m'a paru soit trop vague, soit trop s’écarter du texte original, — Les citations, quant aux pages, se rapportent ïéanmoins aux éditions latines mentionnées dans cette même note 3; la division par livres et chapitres est la même dans l'allemand et dans le latin. DAREMBERG, 24 370 PARACELSE. lement l'intérieur qui est son subjectum, et qui naît des éléments... L'homme est le corps physique (c'est-à-dire subjectum naturae) el les élé- ments sont le corps du limon ; le corps physique vient du corps du limon ; en conséquence il retient l'essence du limon, comme le fils retient dans sa chair et dans son sang l'essence de son père. Or, comme les quatre éléments sont les matrices du corps physique et de tout ce qui naît, bon ou mauvais, l'homme retient également quelque chose du chardon, du lis, du vif-argent, etc. Aussi le médecin doit, pour connaître les maladies qui en naissent et leur traitement, avoir la science de ces généralions du corps physique et du corps du limon... C’est la nature qui fournit le texte et le médecin qui donne la glose. » (Chap. 3, p. 148.) Vient ensuite le quatrième livre, ou Livre physique, qui nous initie à la € grande anatomie si nécessaire au médecin ». Gette anatomie, en quoi consiste-t-elle ici? En rien autre chose qu’à reconnaître les éléments et leurs composés dans le corps, comme on les reconnaît dans la nature. — Disséquer est une méthode de paysan : il faut pénétrer bien plus avant (mais par l’imagination, non par l'analyse chimique), jusqu’à l’intime composition de l'homme. L’anatomie, c’est tout dans Paracelse, excepté ce que nous appelons anatomie ; c’est l'effigie astrale extérieure, où l’on re- garde comme dans un miroir ; c’est la connaissance de l’origine minérale des maladies; c'est la ssygnature pour les remèdes, la forme ou effigie des maladies, la concordance de celte effigie avec celle des remèdes; celte anatomie est particulièrement recommandée. C’est aussi la constitution des corps en général, la force, la vertu de chaque être, sa figure, sa forme, ses parties (anatomia localis indicat effiqiem hominis, ejus proportionem el naluram ; quid 0$S4, vende, caro Sint, quan sedem occupent ; sed hoc omnium minimum est) ; enfin, c'est la méthode alchi- mique qui conduit à trouver comment se compose le corps vivant, quelle est la matière première (anatomia materials, ou anatomie vivante), et comment il se décompose après la mort (anatomia mortis), lanatomie de la mort (1). C’est bien comme (4) Vos. Paramir. 1, seu De origine morborum ex tribus substant., cap. 5 et 6; Paragran. alter. 1, initio ; Labyr., cap. 9, et surtout Chir, magna, pars IV, seu De morbo gallico (en dix livres), IT, 4-8. SON ANATOMIE. 3714 cela que Du Vivier a compris, à la page 26 de sa traduction de la Berthéonée, le mot anatomie dans Paracelse ; puis il ajoute : la confusion ou amas de toutes choses non distinguées les unes des autres, ou la masse indigeste de matière brute est dite chaos, mot qui désignait aussi l’air ; dans ce dermier cas, Paracelse, en son jargon, lui substituait l’expression #/24de ou #astre. C'est cn vain que Lessing voudrait établir (1) que Paracelse a rendu quelque service à la physiologie et à l'anatomie, et qu'il en a peut-être aussi tiré quelque chose d’utile pour les principes de la médecine théorique ou pratique (2). Pour le prouver, il renvoie spécialement au second livre du traité Sur le mal fran- cais; mais, là comme ailleurs, son héros marque un souverain mépris pour cette habitude puérile de disséquer des cadavres, habitude dont se glorifient les « prestidigitateurs ilaliens », et de laquelle viennent la plupart des erreurs en médecine ; habi- tude d'autant plus inutile à suivre que la mort ne peut rien dévoiler pour la vie. C’est l'anatomie vivante, l’anatomie essen- lielle (ou matérielle, où chimique, ou plutôt spagyrique) qu'il faut apprendre; c’est elle qui enseigne comment les maladies se dispersent dans le corps, et quels lieux ou régions conviennent à chaque maladie. De même que le monde entier est un seul corps, de même toutes les maladies des hommes forment un seul Corps; mais tous les hommes n’ont pas une seule et même maladie; eh bien, c’est l'anatomie vivante qui apprend les divers gisements des maladies, comme la métallurgie apprend ceux des divers filons de l’or qui, tout dispersés qu'ils sont, ne forment qu’un seul corps! (4) Lessing, Paracelsus, sein Leben und Denken, $ 98. (2) La critique historique ne permet pas non plus de conclure, de quelques obser- vations empruntées çà et là sur la présence de corps étraugers dans certaines ca- vités, aux connaissances anatomo-pathologiques de Paracelse; d’ailleurs ces obser- vations se lisent dans des livres d’origine douteuse (De morbis ex tartaro oriundis, FE, 1, 1), et dans un autre encore plus apocryphe, le deuxième des Paragraphes. On ne peut pas regarder non plus comme résultant d’autopsies régulières quelques vagues paroles sur les désordres que le {artare produit dans le corps, ni rapporter à l'anatomie les idées fantastiques de Paracelse sur la différence du cerveau, du cœur, etc., de l’homme et de la femme (Param., IV, Liber de matrice) (livre faux d’ailleurs) . 37 PARACELSÉ, Le cinquième livre estlA/chimie ou l'Art de Vulcarn, qu'on ne peut pas, dit-il, rejeter à cause de l'abus que quelques-uns en font, car c’est l’alchimie qui conduit du rien à l’intégrité finale : Dieu crée tout (c’est-à-dire la semence, la matière première de toutes choses) de rien, et l’Alchimiste, ou la nature, ou Vulcain déter- mine les formes. — Le sixième livre est l'Expérience. On a donné Paracelse comme un partisan décidé de l'expérience ; mais, si l’on veut bien prendre la peine de lire le passage ci-dessous, on reconnaîtra promptement que, malgré quelques belles phrases sur la science, l'expérience tant vantée de notre auteur se réduit à un empirisme parfois grossier, souvent superstitieux et qui ne peut pas conduire à la science. Aussi, malgré tout le désir que j'aurais de me ranger du parti d’un homme aussi sagace qu'était M. Malgaigne, je ne puis avec lui (/ntrod. aux OEuvres d’Ambr. Paré, p. cex1) proclamer Paracelse « un des précurseurs de Bacon et de Descartes ». Un précurseur de ces deux grands hommes ne pourrait pas mériter les paroles dures que le même M. Malgaigne prodigue à Paracelse, quelques lignes plus bas, à propos de la Petite Chirurgie, « fatras abominable, où le mau- vais goût, l’obscurité affectée, le charlatanisme, l'ignorance for- ment d’épaisses ténèbres à peine sillonnées de temps à autre par des éclairs de haute raison et d’éloquence. » J'avoue même n'avoir jamais été ébloui par ces éclairs. Le jugement que porte notre savant confrère sur Paracelse est très-mélangé, comme est mélangée l’œuvre même de Paracelse; mais dans Paracelse le mauvais l'emporte, à mon avis, tellement sur le bon, que, s’il y a dans cette tête « une révelution tout entière », elle n’est ni « pré- parée par l'étude attentive et par une vaste expérience, ni mürie par la méditation ». Que Paracelse ait eu de grands succès, cela n’a rien d'étonnant: lous les charlatans en ont; qu'il ait ren- contré de grands obstacles, sa façon d’agir les provoquait; mais que ses succès viennent d’études plus solides qu’on ne les faisait alors, et que ces obstacles aient été vaincus par un esprit vrai- ment supérieur, c’est ce que je nie obstinément. Voici donc ce que Paracelse dit de l'expérience: «Il est bon que le médecin ait toute l'expérience possible ; la médecine SON EXPÉRIENCE ET SA SCIENCE, 373 n'étant qu’une expérience longue et certaine, toutes ses opérations doivent avoir l'expérience pour fondement, cette expérience qui fait trouver ce qui est bon, utile et vrai. Tout médecin qui n’a pas appelé à son aide l'expérience et ne l’a pas soumise au critérium de la vérité, ne montrera qu hésitation et incertitude. On doit, en effet, admettre ou rejeter tout ce que l'expérience, qui est un juge sûr et incorruptible, admet ou rejette. Il faut donc que l'expérience accompagne la science: la science, en effet, est l'expérience. On regardera comme avantageuse l’'expérimentation qui est justifiée par l'expérience, puis ramenée à l'expérience par la science ; mais si cette expérimentation se fait en dehors de la science, alors la science fait défaut. L’expérimentation et l'expérience diffèrent en cela, L’ex périmentation sans la science procède au hasard, mais la certitude accom pagne l'expérience si la science se joint à celle-ci. La science, en effet, est la mère de l'expérience ; et, sans la science, rien de solide, Ainsi la scammonée jurge; c’est une expérimentation; la sophia quérit les fractures des jambes et les ruptures; c'est encore une expérimentation. Le saphir guérit l'anthrax, autre expérimentation (!). Voilà des expériments trouvés par l'expérience, mais la multiplicité, la diversité des maladies exi- gent que la science intervienne lorsqu'on y a recours, » (Chap. 6, p. 155.) Qu'est-ce que cette science ? Vous allez en juger : « Si la scammonée purge, c'est en vertu d’une certaine science que Dieu a mise en elle, non-seulement de purger, mais de purger ceci ou cela et de telle ou telle manière. Si, en cherchant la science de la scam- monée, vous trouvez que cette science est telle en vous qu’elle existe dans la scammonée, vous avez la science unie à l'expérience, et ce n'est plus une expérimentation. Si vous ne connaissez pas parfaitement la nature et la propriété de la scammonée, c’est une expérimentation à laquelle la science manque, et vous ne savez de cette plante que sa vertu d’exciter le ventre; c’est pour vous un mot dont vous ignorez le sens. Ainsi, le Français, entendant parler l’idiome allemand, comprend qu'on parle allemand, mais la signification lui échappe. » (Chap. 6, p. 156.) « D'où il suit que la mayie (sagesse ou science occulte de la nature) révèle et manifeste les secrets de la nature, si cachés qu'ils soient, par ses trois méthodes, à savoir, l'école des médecins, des philosophes, des astronomes et autres. Si la science ne se comporte en vous de cette façon, ce n'est qu'une idée fantastique et vide de sens, le propre des sots, et une pure confusion où la base manque. « Mais notons une différence plus grande encore entre la science et l'expérience. La science est en ceux à qui Dieu l’a donnée; l'expérience est le témoignage de ce don. Ainsi le poirier a sa science en lui, et nous qui voyons ses œuvres nous avons l'expérience de cette science. Nous portons donc, par l'expérience, témoignage que la science est parfaite dans cet arbre. » (Chap. 6, p. 157.) 374 PARACELSE. On n’a pas besoin de faire remarquer que les opérations natu- relles sont ici confondues avec les opérations scientifiques, que la science n’est rien autre qu’une évélation et n’a d’autres sou- tiens que des opérations empiriques prolongées et répétées. Ici j'interromps les extraits du Labrrinthus pour montrer, par un autre livre (Préf. de la Petite Clururgie, trad. de Du Vivier), ce qu’il faut entendre par l'expérience scientifique de Paracelse. « La medecine a prins commencement des personnes laïcs, non clercs; il n’y auoit deuant nul art d’icelle ; s’il y en a eu quelqu'un, il estoit in- cognu aux hommes laïcs, et enfin trouué par Ondam (?) selon l'experience, de sorte qu'aucun n’auoit cognu deuant l’auoir esprouué, que la cen- taurée et le harmel fussent purgatifs, ce que la pratique descouvrit; la uertu pareïllement de la consolde fut cachée iusques à ce que l'usage la fit cognoistre propre à guerir les playes, et la reduisit en medicament: ainsi ont esté decouuertes les proprietez de l’hipericon ou mile perluis, et de la sophie que les autheurs ont depuis inserées en leurs escrits, de l’vn s'auançant peu à peu à la cognoïssance de l’autre. Et certes la vertu des simples ou des autres ingrediens que la terre produict, ne pourroit mieux estre diuulguée, ny plus noblement estre cognue que par l’expe- rience qui l’a manifestée ; par le mesme moyen auons-nous cognu ce qui est purgatif, confortatif, consolidatif, mitigatif, incarnatif, etc. Bref toute sorte de medicamens, lesquels selon l’ordre de nature qui nous donne liberalement, ont esté employez auec l’vtilité par tout, sans autre recom- pense que celle de l'honneur, iusques à ce que le premier escriuain des recettes a donné moyen aux ignorans d'en abuser. Aussi tost qu'ils ont sceu que certains simples naissans ès iardins auoient la proprieté de guerir les playes, ils ont faict des cataplasmes de tous indiscretement, afin de rencontrer en ce meslange celle qui auoit la force de donner la guerison; dauantage quelques phantasques pessedez de. l'humeur melancholique, se sont ingerez de corriger cet art tres-noble, que la seule nature nous auoit donné, et sous pretexte de le reformer ou de le rendre plus parfaict, ont changé tout ce qui n’auoit procedé d'eux. » Voici maintenant le complément, le développement de cette idée mystique de la science. « Afin (1) de vous faire bien comprendre le fondement de la théorie médicale, je prends cet exemple. D'où la théologie tire-t-elle sa théorie? De Dieu. C’est donc sur Dieu que roulent son enseignement et ses défi- (4) Ici recommencent les extraits du Labyrinthus, SON EXPÉRIENCE ET SA SCIENCE. 375 nitions. Ce qu’elle trouve ou possède en lui, ou tient de lui, forme la théologie tant dans la pratique que dans la théorie, lesquelles sont insé- parables. Il en est de même pour la médecine. Où est-elle? Dans la na- ture (1). Où est la maladie ? Dans le malade. De là procède la théorie mé- dicale, laquelle se divise en deux: l’une est la théorie de l’essence du traitement, l’autre la théorie de l'essence de la cause. Ces deux théories doivent être ramenées à une seule et non rester divisées. » (Ch. 8, p. 162.) « Beaucoup ont écrit sur les causes et l’origine des maladies, et ils ont eu leurs partisans et leurs disciples; mais rien de bon n'a été dit sur le commencement. Quant au temps, il en est ainsi : La bouche même des malades l’atteste, les yeux le voient, les oreilles l’'entendent. Quant au commencement ou origine, c’est un labyrinthe trompeur. Si, en effet, la théorie ne procède [de l’idée] d’une semence, et si l’on n’élimine pas les humeurs, on perdra son temps et sa peine. Si l’on veut absolument admettre l'existence des humeurs, il faudra néanmoins dire qu'elles sont produites par les maladies, et non les maladies par les humeurs (2), comme si, par suite de leur prédominance, on devait leur attribuer les causes des ma- ladies. Je suppose, par exemple, que quelqu'un soit pris d’un flux de ventre et que la fréquence des déjections jaunes et bilieuses fatigue beaucoup ce malade. Si vous voyez ces déjections, vous les attribuez à la bile, ou- bliant la présence d’une certaine semence qui s'est mêlée tout à coup à cette matière. Cette semence se précipite d'elle-même sur la bile et la chasse ; et cette semence n'est pas la bile ; la couleur seule vient de la bile, la matière vient de la semence. » (Chap. 8, p. 164.) « Toutes les médecines (médicaments) ont aussi leurs formes : l’une est visible, l’autre invisible ; l’une est corporelle, élémentaire, l’autre spiri- tuelle, astrale. Il suit de là que tout médecin doit être pourvu d’un herbier spirituel astral pour y apprendre de quelle manière cette méde- cine subsiste dans sa forme... Supposons une racine qui contienne dans son corps astral tous les corps des hommes ; si on la prend, elle se fixe par tous ses membres correspondants dans ceux du corps de l'homme. C’est ce qui fait que les specula pennarum donnés en boisson guérissent les mamelles des femmes; cela tient à ce que leur forme est dans les ma- melles ; l’image du médicament gagnant le membre qui lui est dévolu (3). Ainsi le dactiletus donné en boisson guérit le cancer, l’image de cette plante allant vers la partie du corps à laquelle elle est destinée par sa forme. Soyez bien persuadés que ioutes les maladies chirurgicales peu- (1) Ailleurs (voy. page 369) il dit qu’elle est en Dieu et de Dieu. (2) Proposition juste en certains points, mais bien vite gâtée par des rêveries. — Il n'y a, dans Paracelse, que des lueurs, immédiatement obscurcies par des nuages. En d’autres termes, #/ ne sait pas ; il imagine, et parfois, mais rarement, son imagination n'est pas trop folle. (3) Voilà bien la signature, 376 PARACELSE. vent être guéries par les moyens physiques, si le physicien connait et comprend l'anatomie de l'essence, mais j'avoue que j'en ai peu vu qui fussent dans ce cas. » (Chap. 10, p. 169.) Ni vous, Messieurs, ni moi non plus, n'avons jamais vu un médecin possédant un tel savoir. « Ce ne sont pas les éléments qui sont la cause des maladies, cette cause est la semence (1) qui germe dans les éléments et s’y accroît jusqu'à la dernière essence et la dernière matière; c'est ce qui nous fait croître nous-mêmes, et de quoi aussi les maladies prennent accroissement, Cela même qui est accru est la maladie (2). » (Chap. 11, p. 172.) « Le médecin doit savoir que les semences des maladies sont de deux sortes : la semence iliastrum et la semence cagastrum; en d'autres termes, toute semence, ou a été semence dès le principe, comme celle de la pomme, de la noix, de la poire, etc., et cette semence est dite iliastre; ou elle est née de la corruption, et on lui donne le nom de cagastre.… Ainsi, les maladies iliastres sont l’hydropisie, la jaunisse, la goutte, etc.; les maladies cagastres sont la pleurésie, la peste, les fièvres, etc. » (Chap. 14, p- 174.) Maladies tartareuses ou tartaréennes. — «Le nom (3) que je donne à cette maladie (le calcul, ailleurs les diverses espèces de concrétions ou productions calculiformes) est tartara, ou maladie du tartare, ou maladie tartaréenne; ce qui est pris du tartare (tartre) véritable. On l'appelle tartare, parce qu'il produit de l'huile, de l’eau, de la teinture et du sel, et que, comme la géhenne, il enflamme et brûle le malade. » (Chap. 1, p. 184.) Cette partie des écrits de Paracelse est la plus célébre; là, en effet, il a entrevu quelque chose de la médecine chimique ration- nelle, et indiqué, mieux qu’on ne l’avait fait, une classe de ma- ladies, en général héréditaires (4); mais il est loin d’en avoir (1) Le sperme est la matière apparente de la génération, la semence correspond aux germes préformés qui donnent la ressemblance ; de même dans les maladies ce ne sont pas les é/éments qui sont les causes, mais la semence qui est en eux, qui arrive à l’état d'essence ou de matière première : aussi les maladies naissent du père (semence), non de la mère (éléments). Chaque semence est la source d’un produit toujours identique avec lui-même, comme sont les poires qui naissent sur un poi- rier. Cette doctrine a été reprise en partie par Van Helmont, (2) Cela ne parait pas tout à fait d'accord avec les extraits du chapitre 3, p. 369. {3) Tout ce qui suit est tiré du Liber de morbis tartareis (Opp., t. I, p. 180 et suiv.), lequel fait suite au Labyrinthus. (4) Voyez sur l'hérédité, Chr. magna, I, n, 2, MALADIES TARTARÉENNES. 377 tiré un bon pari, tant il mêle incessamment le faux à ce qui est à peu près exact. Il y a aussi sur ce sujet, parmi les œuvres de Paracelse, un autre traité en deux livres sur les maladies tarta- réennes ; mais ce traité est d’une origine douteuse (1), et d’ail- leurs ne contient rien d’essentiel qui ne se lise dans le Liber de morbis tartareis. Voyons ce qu’est le fartre ou tartare. « Toute humidité terrestre a, incorporée en elle, une matière qui a été créée par la nature et disposée pour la coagulation (2). Un exemple vul- gaire éclaircira ce point: le vin vient de la terre et porte, innée en lui, la matière susdite. Dans l'opération de la coagulation, le coagulé se sépare du vin et adhère à l’intérieur du vase ou du tonneau. Cette substance s'ap- pelle tartare du vin. L'eau contient aussi un tartare qui se sépare subti- lement de l’eau et se nomme tartare de l’eau. On appelle aussi tartare du lait ce qui se sépare du lait. On tire également un tartare du suc des fruits et des plantes, c’est le tartare des sucs et des plantes ; les légumes et toutes les choses humides que nous mangeons ou buvons dégagent (1) De morbis er tartaro oriundis. 1 se compose d’un texte et d’explications tirées des leçons de Paracelse, en 1527. IL est probable qu'Oporin, qui a publié ce texte et ces explications (le tout en latin), y a mis du sien, On y peut du moins recueillir, et aussi dans les Scholia, sur cet ouvrage, les éléments d’un lexique pour un grand nombre de mots bizarres employés par Paracelse, On trouve aussi à la suite du traité apocryphe De morbis metallicis, en trois livres, un tableau de la génération de la podagre, — Voyez encore Paramir., I : De orig. morb. ex tart. (2) En toutes choses, existe un élément mauvais (venenum, stercus seu excre- mentum) et un élément bon (essentia). Le premier est séparé des parties assimi- lables par la digestion et par les poumons, et rejeté, en vertu de la providence de l’Archée, par les organes excréteurs, à l'instar du charpentier qui rejette un mor- ceau de bois pourri; tandis que les bonnes choses s’assimilent immédiatement au corps. Lorsque le travail de la sécrétion, de la transformation est troublé, on voit se former dans les substances liquides du corps, surtout dans le sang, une nouvelle substance visqueuse, imprégnée de sels terrestres, le tartre enfin (voy. Lessing, S 48). Lorsque l'organisme opère l’excrétion avec une force constante, la nature, séparant les substances anormales, empêche la naissance de toute maladie tarta- rique. Les éléments morbides continuant à s’accumuler dans le corps, la nature a recours à des procédés impétueux, violents, c’est-à-dire à des paroxysmes tarta- riques ou podagyriques, afin de rejeter du sang la matière morbide, comme fait dans les tonneaux le vin qui fermente et donne ainsi naissance au tartre. IL y a quatre espèces de maladies tartariques ; mais cette division repose sur les caractères les plus vagues : toutefois la description des diverses espèces de goutte et des ma- ladies calculeuses est assez originale. Paracelse, enfin, a reconnu que ces maladies sont le plus ordinairement héréditaires, 318 PARACELSE. aussi un tartare (1). Telle est la génération du tartare, laquelle n’est pas la même que celle des pierres. Le nom de tartare, donné au calcul, est pris de la matière du tartare, dont les variétés sont constituées par la nature et le genre des humidités particulières; en d’autres termes, il y a autant de tarlares [pathologiques] que d'espèces de tartares [physiolo- giques] dans le microcosme (2). » (Chap. 1, p. 183.) « Une certaine espèce de tartare naît chez les femmes; il est de deux espèces, c’est-à-dire qu’il se produit de deux manières chez elles : d’abord par la manière ordinaire, c'est-à-dire par la nourriture et la boisson (3); puis en recevant et concevant le tartare des hommes [par la cohabitation et la conception] (4). » (Chap. 6, p. 198.) « Le tartare se transmet à l’enfant de la manière suivante: d’abord par la nourriture, de sorte que, par elle, le fœtus le conçoit dans le sein maternel, de la même façon que ce tartare s’engendre hors de l'utérus [chez les personnes vivantes] (5); ensuite par la force d’une semence corrompue disposée au tartare et contenant le tartare en germe (6). Quand il s’agit de la semence, on doit entendre tout cela du tartare du saDg, non du tartare étranger ; en effet, ce dernier n’est pas un héritage du sang: mais le tartare du sang se transmet héréditairement par le sang ; c'est une propriété et une affinité de l’homme, comme celles de la trans- mission (germes) du nez, des pieds, des yeux, etc. » (Chap. 7, p. 202.) (4) C'est la generatio elementina ou externa tartari quae descendit a matricibus elementorum (nourriture, boissons), par opposition à la generalio corporea ou interna, celle qui a sa source dans nos humeurs mêmes et qui tient à l’hérédilé. (De morb.ex tart.or., 1, x, 2 et 8.) En lisant ce livre, on voit que le tartare devient, pour ainsi dire, une fiction ou une abstraction, qu'il est partout, dans les viscères, sous toutes les formes, même sous celles qui ressemblent le moins à des concrétions, et qu'il explique les maladies les plus diverses. C’est ainsi que chaque idée qui vient à l'esprit de Paracelse est aussitôt transformée en cause universelle des maladies. (2) Voy. De morb. ex tart. or., XL, 1, 1. — L'auteur explique ensuite à sa facon, dans une suite de chapitres, le mode de formation de ces tartares, même leur mi- gration d’un point du corps à un autre, — Voyez aussi des développements analogues dans le livre dont je donne des extraits (chap. 2-5). (3) Voir les chap. 10 et 11, où l’auteur expose comment les aliments engen- drent le tartare, et comment les animaux que nous mangeons deviennent eux-mêmes tartareux. Au chapitre 42, il affirme qu'il n’y a pas de tartare qui ne contienne une matière de sel minéral. Les maladies et les douleurs tartareuses différent, eu égard à la nature propre du tartare, au corpus de l'esprit de sel et aux choses accidentelles. (4) J'épargne au lecteur le temps qu'il prendrait à parcourir, si je les mettais sous ses yeux, les divagations de Paracelse sur la semence ct sur les vaisseaux qui la contiennent, — Voy., aussi le chap. 8, et De morb. ex tart. or., 1, 1v, À et suiv. (5) Le tartare imprègne l'enfant du premier au troisième mois, et même plus tar- divement, suivant que la formation du fœtus est plus ou moins rapide, (Chap. 7.) (6) Voy. De morbis ex tart. or., 1, 1v, 3. MALADIES TARTARÉENNES. 319 « Après la coction, la nourriture se divise en deux parties: l’une passe dans la chair et le sang (ou se transforme en chair et en sang); elle devient une liqueur familière à toutes les parties ou à tous les membres; l’autre partie est excrémentitielle, et l’homme l’expulse. Si cette opération se fait vite et bien, la nourriture ne cause aucun dommage et il ne se pro- duit aucun tartare. Mais, comme tout ne se passe pas toujours selon l’ordre établi, on voit (dans la digestion comme dans la cuisine), que beaucoup de coctions pèchent par la chaleur, quand la nourriture n’est pas trans- mutée selon l’ordre naturel, et que, par suite, elle est, pour ainsi dire, brûlée et à moitié corrompue. » (Chap. 10, p. 212.) « Quand le médecin voudra entreprendre la cure des maladies tarta- réennes (1), il devra d’abord mettre l'estomac en état de consumer tout ce qu'il recoit, comme le feu consume le bois. On devra employer pour l'estomac les rectificatifs, les confortatifs et les altératifs; autrement, on ne réussira point (2). Pour mieux me faire comprendre, je proposerai deux modes de préservation : l’un regarde le ventricule (estomac); l'autre consiste dans l’ablation du tartare externe (celui des aliments), afin d’em- pêcher qu'il ne pénètre à l’intérieur. La préservation du ventricule s’ob- tient par les acetosa esurina, c'est-à-dire par les acides artificiels ou natu- rels (eaux minérales) qui provoquent l'appétit (3). » (Chap. 16, p. 235.) Après avoir blâmé l'emploi de prétendus dissolvants des pro- ductions tartaréennes disséminées, il vante ses mysteria, ses arcana, c’est-à-dire des solutions alcooliques de certaines sub- stances dans l'alcool, lesquelles opèrent en raison de la scientia Signata (signature), ou science des analogues: (4) Paracelse comprenant des maladies fort différentes, calculs, goutte, affections viscérales, donne des signes et des pronostics très-confus. (Voy. chap. 13-14.) (2) Le premier traité du livre I De morbis ex tart. or., est en partie consacré au slomachus tartareus et aux moyens de le rectifier, — Le reste du livre n’a que des rapports très-éloignés avec les #aladies tartareuses ; Vordre n'y règne guère ni le bon sens; on peut s’en assurer en lisant ce qui regarde la peste (s2a/adie arsenicale), les jours critiques mis en rapport avec les sels, les fièvres du foie et des reins expli- quées cette fois par le tartare (II, 11, 3, 4, 7, et 11, 4). (3) Paracelse recommande les bains d'Égendin près Saint-Mauritz, ceux de Pfef- fers, de Toeplitz, suivant les degrés et les formes du tartare, Ces prescriptions ne s'accordent guère avec celle du De morbis ex tart, or.: Non bibet vinum acetum » reddens vel feces ponticas cum acetositate; nam in eo subjecta est tartari natura » per spiritum congelanda {[, v, 2). » L'auteur défend également l’usage du lait, du fromage et des eaux alealines. De telles différences, portant sur des points si précis, semblent prouver que les deux ouvrages ne viennent pas de la même main, 380 PARACELSE. « Les médecins (ch. 19, p. 243) citent ce vers en forme de proverbe: Nescit nodosam medicus curare podagram ; proverbe absurde et sans raison; la goutte n’est pas noueuse, mais tarta- réenne. Ces grains, en effet, sont des grains de tartare; et l’on devrait plutôt les appeler tartare. Puis, dans ce vers, le mot médecin est oiseux. Ceux qui se disent médecins et ne savent pas guérir le tartare, ne sont pas des médecins, mais des rhoades, ou médecins vétérinaires (Rossärtze), qui ne sont pas encore arrivés à la maturité, comme des prunes sauvages avant l'automne (1). Done, si, ce que je ne suis pas du tout, j'étais poële, je corrigerais ainsi ce vers : Nescit tartaream rhoades curare podagram. «Quant au traitement du calcul vésical qui vient de cause interne (2), et de ceux qui s’engendrent dans tout autre lieu, vous savez que c’est du tartare seul, duquel naît le calcul, que la médecine tire son efficacité (3); en d'autres termes, le mystère de l’arcane qui résout cette pierre et la ramène à sa matière primitive, réside dans le sang. En conséquence, le sang doit être immédiatement coagulé dans une fiole de verre au moyen d'eau bouillante, puis bien calciné ; on l'extrait avec son eau propre et on le rend volatil, afin qu'il ne reste rien en lui qui tende à monter. Ajoutez à cette préparation, par moitié, le liquide de la glace dure, et administrez avec une seringue [dans la vessie]. La subtilité de ce remède est telle qu'il ne peut pénétrer dans les boissons (?), mais qu’il se dissipe et ne monte pas! Il est bon et convenable de prescrire un régime et des bains, et, en outre, d'observer le processus du tartare étranger dans la vessie et les reins. Mais on ne doit point négliger les injections par la seringue; c'est, en effet, l’arcane principal dans la pierre tartaréenne du sang natal. » (Chap. 21, p. 248.) (1) Au chapitre 10, il se moque des médecins subtils, ces Aumoristes qui s’ima- ginent expliquer avec leurs humeurs, même épaissies ou corrompues, ce que Jui explique si merveilleusement avec son tartare, ne s’apercevant pas qu’il se paye de mots comme les anciens, n’ayant pas d’autres moyens qu'eux (et encore moins) de changer les explications qu’on donne des maladies. (2) Dans le chapitre 20, Paracelse appelle la médecine une caverne de voleurs, car les baigneurs, les barbiers, les chirurgiens, et autres gens de même volée, méprisent les spécifiques contre la pierre dans la vessie qui vient des aliments (le meilleur est : Oleum fellis terrae, liquor lyncis, spongia, judaicus, cancri), taillent à tort et à travers, ayant soin, toutefois, de se faire payer moitié d'avance, car ils sont bien surs de l’insuccès dans la plupart des cas. (3) En vertu de la science de signature ou des semblables par les semblables, mais dans un sens différent de celui des homæopathes, COLONNES DE LA MÉDECINE. 381 « Tout ce qui liquéfie l'or et le réduit en résine (et ce ne sont pas seu- lement les corrosifs) peut aussi réduire les tartares siliceux, marmo- réens, etc., tels qu'ils sont engendrés dans les reins et la vessie, » (Chap. 21, p. 248.) Contre le tartare goutteux, granuleux (que les rhoades ap- pellent noueux), il y a cinq arcanes souverains : la gomme, la résine, le mariyana, le masticatorium olivum, l'extrait de téré- niabin (graisse de manne) ; is résolvent cette espèce de tartare en liqueur et aquosité. (Chap. 19, p. 244.) Des véritables fondements ou colonnes de Ia médecine, — «Nous sa- vons (1) qu'il est libre à chacun, en mettant en avant, sur quelque point que ce soit, des idées plus saines et meilleures, d'attaquer en même temps les opinions contraires comme fausses et dangereuses, et de les réfuter.Mes écrits renferment des choses tout à fait supérieures à celles qu’on lit dans les autres auteurs. Ce n’est, en effet, qu'après une longue observation et une aussi longue expérience (!) que j'ai tracé la dernière lettre de mes ouvrages. Je me crois donc assez garanti contre toute attaque. Selon moi, j'ai trop peu écrit; mes adversaires trouvent que j'ai trop écrit. J'ai écrit surtout contre les imposteurs et contre les remèdes grossiers et sans valeur que les médecins tirent des bois, du vif-argent et autres ingrédients vio- lents (2). J'ai attaqué les chirurgiens pour la témérité et la cruauté avec laquelle ils corrodent, coupent ou brûülent (3), et, par amour du bien public, j'ai dévoilé l'ignorance des uns et des autres. J'ai aussi écrit d’autres ouvrages que la calomnie n'a pas épargnés, mais dont mes adver- saires rongent les miettes sans oser mettre la main jusque dans le plat. A cause de cela, ils me couvrent d'un tel mépris et d'une telle ignominie, que peu s'en faut qu'ils ne me relèguent aux îles de Ponce-Pilate. Mais étant en sûreté dans la Germanie et croyant pouvoir être utile à ma patrie, j'expose devant vous tous la base et le fondement sur lequel s’élè- vent et s'appuient les colonnes de ma médecine. » (Préf., p. 2.) C'est bien là le ton d’un professeur de place publique. « L'art lui-même, ajoute notre énergumène, ne crie point contre moi. Il est, en effet, immortel et s'élève sur un fondement tellement solide, (1) Ce qui suit est tiré du Paragranum (Opp., t. 1, p. { et suiv.). (2) Paracelse lui-même se sert de tous ces remèdes. (3) Nous verrons tout à l'heure ce qu'il faut penser de la chirurgie de Paracelse, dont Haller (Bb. chir.) a dit: « Certe arti plurimum nocuit, cum a mascula manus opera ad emplastra et alia medicamenta animos hominum revocaret. » 382 PARACELSE. que la terre et le ciel seront anéantis avant qu’il périsse et disparaisse. Mais, puisque la médecine elle-même m'offre la paix, pourquoi serais-je ému par les clameurs de médecins caducs ? » (Préf., p. 5.) Le ciel et la terre demeurent, et les rêveries de Paracelse ont passé. « Cet écrit repose sur quatre colonnes, à savoir: la philosophie, l'astro- nomie, l'alchimie et la verrou. Mes adversaires méprisent la philosophie, l'astronomie, l’alchimie et les vertus. Comment done le malade ferait-il cas de ceux qui rejettent ce qui doit le guérir ? La mesure dont ils se ser- vent sera employée contre eux, et ils seront confondus par leurs propres œuvres. Le Christ était le fondement du salut, et cependant il était mé- prisé. Mais ce méprisé finit par si bien opprimer ses contempteurs, qu'ils furent anéantis et Jérusalem avec eux.» (Préf., p. 3.) On ne saurait montrer une plus profonde humilité; elle se révèle encore dans les lignes suivantes : « La même raison qui me fail proposer ces quatre colonnes doit vous les faire admettre aussi, Vous me suivrez et je ne vous suivrai pas. Vous me suivrez, dis-je, toi Avicenne, toi Galien, toi Rhasès, toi Montagnana, toi Mésué. Ce n’est pas moi qui vous suivrai, mais vous qui marcherez à ma suile, vous médecins de Paris, de Montpellier, de Suède, de Misnie, de Cologne, de Vienne, des bords du Rhin et du Danube, des iles mari- times, médecins italiens, dalmates, athéniens, grecs, arabes, juifs. Je ne vous suivrai pas, mais vous me suivrez, et aucun de vous, en quelque lieu qu'il se cache, n’évitera que le chien ne lève la cuisse sur lui. Je serai monarque, j administrerai une monarchie. Voilà ce Cacophraste, comme il vous plait de m'appeler. Vous mangerez de cette m...…. » (Préf., p. ki.) Le mot y est; mais il faut être Paracelse ou poëte pour oser l'écrire. « Je le dis une bonne fois: vous n'êtes pas des médecins, mais des sophistes; et je le prouve par ce seul fait que vous tous ensemble, et à l’aide de tous vos livres, vous serez embarrassés pour juger ce que présage la moindre partie d'urine qui vous sera présentée. Si vous ignorez la science uroscopique, que serez-vous, sinon des serviteurs qui recevez d’une dame docteur des aumônes pour acheter des sandales, ce qui est aussi le propre de l’entremetteur? La nature de la médecine est telle qu'elle exclut toute ambiguïté et tout mensonge. — Rien de ee qui vient de Dieu n’est imparfait ; il a créé le médecin parfait, il ne l’a pas livré à l'incertitude (1). » (Préf., p. 7.) PS Re COLONNES DE LA MÉDECINE : PHILOSOPHIE. 383 Qui en pourrait douter, puisque Paracelse est le monarque de la médecine, et que Dieu lui en a remis l'exercice souverain entre les mains? PREMIÈRE COLONNE : la philosophie.— « De la philosophie, dès son berceau, est née la mousse; bientôt ont paru les champignons, comme sont les glandes dans le corps. Aristote et ses disciples ont imité, pour la philoso- phie, l'action de la lie dans le vin, laquelle en extrait la terre. L’écume, quoiqu’elle soit la partie la plus impure de ce que contient une marmite, nage cependant à la superficie et couvre ce qui se trouve de meilleur en dessous; comme elle en reçoit même un certain goût, on la compte parmi les choses qui se mangent ; mais elle est réservée aux chiens et aux chats. On doit dire la même chose de l’ancienne philosophie. » (P. 13.) Après ce portrait flatteur de l’ancienne philosophie, contem- plons les traits de la philosophie de Paracelse. Au moins le pit- toresque ne manque pas, ni la verve non plus. « Pour connaître le véritable fondement de la médecine, il faut d’abord revenir à la philosophie. En dehors de cette philosophie, tous les autres moyens de recherche et d'investigation ne sont qu'imposture. En effet, l'intellect, qui est renfermé dans le crâne, est impuissant à produire un médecin. On peut expliquer la philosophie de la médecine en disant que les yeux eux-mêmes la comprennent ; qu'elle est non moins sonore et bruyante à l'oreille que le Rhin dans son cours rapide ou le vent déchainé sur l'Océan ; que la langue perçoit en elle un goût identique à celui du miel ou du fiel. Oui, ma philosophie admet que la nature elle-méme est la maladie (!) ; d’où il suit qu’elle connaît seule ce qu'est la maladie. Puisque seule elle est la maladie, elle sait comment dompter les maladies. Qui peut devenir médecin en dehors de la connaissance de ces deux choses? car aucune maladie, aucune affection ne procède du médecin, aucun remède ne vient non plus de lui... Qu'est-ce que la phi- losophie, sinon la nature invisible (1)?» (P. 14.) « Cette philosophie est l'existence, d’une manière définie, dans l’homme intérieur comme hors de lui, de ces astres (le soleil et la lune), de même que si quelqu'un se regardait dans un miroir. Comme, en effet, on saisit ainsi jusqu'aux moindres traits, de même, et avec non moins d’exacti- tude, le médecin doit connaître l’homme d’après le miroir des quatre éléments. L’homme doit être visible et transparent pour le médecin, (1) La philosophie est aussi la science des éléments du Grand monde, ou de l'univers ; elle est divisée en plusieurs branches qui embrassent toutes les sciences physiques et magiques, (Chir. magna, WE, 1, 19.) 384 l PARACELSE. comme brille la rosée distillée qui ne renferme rien que le regard n’aper- çoive. L'œil du médecin doit pénétrer à travers l’homme comme à travers une source limpide dans laquelle on distingue jusqu'aux petits cailloux et le sable avec leurs couleurs naturelles et leur forme. Non moins vi- sibles doivent être pour le médecin tous les membres du corps, dans un cristal poli où un poil même ne pourrait se dérober à la vue. » (P. 45.) C’est là ce que Paracelse appelle aussi son anatomie (voy. page 370), où l'imagination dévergondée joue, comme on voit, un plus grand rôle que le scalpel. « De cette philosophie, le médecin tire ses connaissances ; il faut, comme nous l'avons dit, qu'il l’étudie dès le berceau ; il y trouve son cœur, la joie et la douleur de son cœur : il y trouve le cerveau et ce qui est utile ou nuisible au cerveau, le bon ou le mauvais état des reins, les désirs ou les répugnances du foie, enfin les affections de toutesles autres parties. 11 lui reste cependant à savoir quel est le mal qui affecte à l'in- térieur tel ou tel membre. Ici la foule des médecins s'élève contre moi. D'eux sont sortis ces noms: bile, mélancholie, flegme et sang, qui n’ont pour fondement qu'une vague et vaine spéculation (1). Qui, en effet, a jamais vu la bile dans la nature? Qui a trouvé la mélancholie dans la philosophie? Qui a jamais pris le flegme pour un élément? Comment le sang est-il jamais devenu semblable à l’air ? » (P. 16.) A ces vaines spéculations des anciens, Paracelse oppose les théories les plus exemptes d’hypothèses; lisez plutôt ce qui suit: « D'où il résulte que vous avancez à tort que ceci est de la bile, cela de la mélancholie. Il fallait dire: Ceci est de l'arsenic, cela de l'alun. Et aussi, Celui-ci est sous l'influence de Saturne, celui-là de Mars, et non, Celui-ci est mélancholique, celui-là bilieux. Une partie, en effet, vient du ciel, une autre de la terre ; puis, mélangées ensemble, comme le feu et le bois, chacune perd son nom; de deux choses il n’en reste qu'une. Ainsi, si l’on dit: cette maladie est acorine, celle-là est anthère, le médecin naturel comprendra que, dans le macrocosme comme dans le microcosme, il faut connaître l'anatomie (2). Si vous dites : cette maladie est de pouillot, (1) Les mots se, soufre, mercure, comme corps élémentaires, n’ont pas dans Paracelse une signification plus précise; ils ne répondent à aucune substance réelle; il suppose seulement que les principes constitutifs des éléments ont de l’analogie avec ces corps, qui pour lui ne sont pour ainsi dire que des esprits ou des essences. (Cf. p. 369.) (2) Celle de Paracelse, bien entendu, (Voy. plus haut, p. 370,) COLONNES DE LA MEDECINE : PHILOSOPHIE. 385 celle-là de mélisse, cette autre de sabine, ces noms vous indiquent d’une manière certaine le traitement à suivre. Autant il y a de matricaires, autant de maladies de la matrice. Un seul remède (Recept) donc, et non plu- sieurs ensemble, doit étre employé contre une seule maladie. Ne vous laissez pas tromper par les visions, et désigner par une vague spéculation la pro- priété et le nombre des maladies. Vous dites aussi: Ceciest un vice du sang, cela un vice du foie. Mais quel est, je vous prie, celui qui vous a donné de tels yeux de lynx, que vous sachiez si bien que le sang ou le foie sont en cause, quoique vous ignoriez entièrement la nature du sang? Dans la GRANDE ANATOMIE, le sang n’est pas autre chose que le bois. Le bois n’a qu’un nom, et cependant il existe plusieurs centaines d'espèces de bois. Le sang n'a pas moins d'espèces; de même que le ciel éveille les arbres pendant l'été et les endort pendant l'hiver, ainsi et par une action semblable il soumet le sang à un semblable régime suivant les saisons. D'où il suit qu'un médecin doit dire: cette maladie est terpentine, celle-ci du céleri de mon- tagne, cette autre helléborine; et non : ceci est du flegme, ceci est un enrouement, un rhume, un coryza, un catarrhe (1). Ces noms ne reposent pas sur un fondement médical. Le semblable doit, en effet, porter un nom semblable: car de cette similitude procèdent les opérations, c’est- à-dire les arcanes qui se manifestent dans leurs maladies correspon- dantes (2). Il n’y a pas une seule colique, il y en a plusieurs, et autant qu'il y a d’arcanes dans la colique ; d’où la colique ziberine, la colique musquée, non la colique venteuse, la colique du fiel, et autres semblables, que vous désignez d'après leurs causes supposées.» (P, 17.) « Qu'est-ce que la Vénus du monde, sinon la matrice du ventre? La Vénus du monde donne le médecin matrice. Que sera la conception du ventre, si la Vénus du monde n’y coopère pas? A quoi servent les vaisseaux spermatiques si ceux de Vénus ne s’y accommodent pas? Qu'est le fer si ce n'est Mars? qu'est Mars sinon le fer? Mars est l’un et l’autre, le fer aussi. Quelle différence y a-t-il entre les soleils, entre les lunes, entre les Mercures, entre les Saturnes, entre les Jupiters? Aucune, quant à l’homme, si ce n’est dans la forme. Il n'y a donc pas quatre arcanes, mais un seul, quadrangulaire cependant et comme une tour regardant les quatre vents.» (P. 19.) Il y a, Je serais tenté de le croire, aussi peu de raison à pro- clamer, en plein xix° siècle, Paracelse un réformateur, qu'il y (4) Rien de plus aisé que de critiquer ces dénominations traditionnelles, rien de plus difficile que de les remplacer par des termes qui répondent effectivement à la nature de la maladie ; les substitutions de Paracelse sont tout simplement absurdes. (2) Homæopathie par similitude supposée entre les remèdes el les causes des maladies, non entre les symptômes que produisent les remèdes, et ceux des maladies, DAREMBERG. 25 386 PARACELSE. avait de folie chez Paracelse lui-même à se déclarer le monarque de la médecine. Mais poursuivons, pour qu’il ne reste plus de doute sur l’état mental, au moins intermittent, de Paracelse. « Ce n’est point par les facultés de notre cerveau que nous comprenons cela, mais par la lumière naturelle fournie par le Saint-Esprit qui illu- mine la science et l’intellect de ses disciples d’une splendeur si grande, que les plus idiots ne peuvent pas ne pas les admirer ou les voir sans stupeur. C’est là le principe de toute science fondamentale. La médecine et la philosophie doivent être si parfaites et si entières que, par elles, on puisse dire ce qu'est ce qui se liquéfie dans le plomb, ce qu'est la dureté dans le fer. Pour comprendre tout cela en une même connaissance, il faut être éclairé par une lumière saine qui nous montre visiblement et de science certaine tous les objets. » (P. 21.) « Et vous, que d'efforts vous avez dû faire pour trouver votre art de formuler les recettes (1) ! Cet art est dans la nature, et c’est la nature elle- même qui les prépare. Si elle a donné à l'or et aux violettes leurs qua- lités, quelle nécessité y a-t-il que vous y ajoutiez du sucre ou du miel? vos soins pour ajouter aux qualités des violettes sont aussi inutiles que ceux que vous prendriez pour ajouter aux qualités de l'or. Si la nature a pro- duit les perles sans votre aide, elle a aussi sans vous fait naître la ver- veine pour arrêter le sang, et il n’est nul besoin que vous y ajoutiez la bourse ou la barbe de Jupiter. » (P. 25.) Paracelse a raison quand il blâme les recettes compliquées dont on abusait de son temps, mais lui-même ne s’en est pas privé en associant au hasard toutes sortes de médicaments; d’ailleurs, il fait suivre cette critique de sophismes ridicules ; il invoque la prévoyante nature pour couvrir son ignorance. Tous les argu- ments, même les plus opposés, lui sont bons. « L’axiome, que les contraires guérissent les contraires, c'est-à-dire que ce qui est froid expulse ce qui est chaud, est entièrement faux et n’a jamais été admis comme vrai en médecine. On doit bien plutôt dire : l’arcane et la maladie, voilà les contraires; l'arcane est la santé; la ma- ladie est contraire à la santé. La santé et la maladie s’expulsent mutuel- lement, l’une agissant sur l’autre. Ces choses sont contraires qui s’ex- cluent mutuellement, et quand l’une repousse l’autre jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de son contraire; mais cette destruction complète n'arrive pas dans le froid et le chaud. L'art de l'expulsion est que ce qui a été chassé ne revienne plus. Mais quand a-t-on vu l'hiver ou l’été ex- (4) Modus componendi; die Kunst zusetzen die Recepten ; die Suppen Gesetz. E COLONNES DE LA MÉDECINE : ASTRONOMIE. 387 pulsés sans relour? jamais et nulle part... les Éléments ne sont pas malades, mais le corps est malade. Ainsi le scorpion guérit son scorpion, le réalgar son réalgar, Mercure son mercure, la mélisse sa mélisse, le cœur le cœur, la rate la rate, le poumon le poumon; non le cœur d’un porc, la rate d’une vache, le poumon d’une chèvre; mais membre à (pour) membre de l’homme lui-même et aussi de l’intérieur (de l’homme exté- rieur et intérieur ?). » (P. 27.) DEUXIÈME COLONNE DE LA MÉDECINE : As/ronomie. — Après avoir montré que l’homme est semblable aux astres, que le ciel opère en nous, que le médecin doit connaître le ciel et les astres; aprés avoir tourné en dérision les kumoralistes, qui se plaisent dans la sentine des humeurs, n’étudient que les excréments, et dont toute la science est dirigée vers les clystères, les purgations et autres remèdes semblables, Paracelse s'efforce charitablement d'élever leurs regards vers le ciel (1). C’est là qu'est caché le principe fondamental de la médecine; c’est là que, jusqu'alors dévoyés, les humoralistes trouveront le chemin qui conduit à la vraie thérapeutique et les détournera des traitements pleins de déception qu’ils ont appris de leurs maîtres. Puis il ajoute : « Quoi de plus beau, en effet, quoi de plus honnête, de plus excellent: qu'un médecin certain et pénétré de son art? Ce ne sont ni une parole ronflante, ni le capuchon, ni un nom prétentieux qui constituent l’art; cela ne sert qu'à écorcher les malades ; aussi, à votre honte, vous appelle- t-on bourreaux et corrupteurs. Ne croyez pas que, par Avicenne, vous soyez suffisamment instruits, que par Galien tout vous soit Connu, que par Mésué rien ne vous échappe. Avec tout cela, vous ne devenez pas, à beau- coup près, aussi utiles (et vous en conviendrez, si vous voulez être francs), que Pierre de Crescentiis, aux paysans; c'est exactement comme si, pour devenir musicien, on se contentait d'étudier Dannhauser (Tannhauser), ou la noble dame de Weissembourg. » (P. 33.) Tout cela serait peut-être bon si ce n’était pas Paracelse qui voulüt se substituer à Galien; les vrais réformateurs, ceux qui ont détrôné Galien, ont opposé des faits et des expériences aux raisonnements, et non pas des diatribes et de pures rêveries. « Nous en sommes venus, s'écrie Paracelse (comme autrefois Pline, poursuivant les médecins grecs de sa haine et de son mépris); nous en sommes venus, par le fait des écrivains, à être forcés d'aller chercher au (4) Voyez plus loin, page 395, ce qui est dit de l’exs astrale. 388 PARACELSE. delà des mers la rhubarbe et les dattes (hermodactyles). De ce beanisme est née la témérité des apothicaires qui négligent la nature et la science des médicaments. Il en est de cela comme de quelqu'un qui prendrait un avocat, lorsque lui-même a une bouche et une langue suffisantes, parce qu'il lui manque l’habileté et l'habitude de la parole. Mais la gentiane peut devenir rhubarbe, comme un rustre peut devenir docteur. N’ou- bliez pas que, de même que l’organe de chacun peut être formé et dirigé, de même la nature peut être disciplinée. Les médicaments poussent dans les jardins près des maladies auxquelles ils conviennent. Lorsque parurent les expérimentateurs et les humoralistes, ils osèrent imposer aux Alle- mands la médecine grecque. Mais il en est de cela comme des étoffes : plus elles viennent de loin, plus elles sont estimées; celles que nous avons sous la main et qui garantissent également du froid, sont négligées et à vil prix. En quoi les unes sont-elles préférables aux autres? L'opinion et la volonté, ou plutôt la stupidité y trouvent seules une différence; ce n’est également que par suite d’une illusion d'optique qu'on sait discerner une plante qui naît à une distance de plusieurs centaines de milles et qu’on ne voit pas celle qui est à ses pieds. Mais le ciel est aussi bien à nos pieds qu’à mille milles plus loin. L’Ascendant peut trouver le malade pour l’é- trangler, l’Ascendant peut aussi trouver le malade pour le sauver. Ces deux termes : là où est la maladie, là est le remède; là où est le remède, là est la maladie, sont similaires. » (P. 40.) — Voy. plus loin, p. 398. Tous ces mots, à peu près vides de sens, sont faits pour toucher les sots et les ignorants, mais non les médecins, qui sont fort heureux d’avoir le quinquina contre les fièvres intermittentes ; Paracelse lui-même se servait de trop de substances étrangères pour avoir parlé sérieusement. Ce sont vaines déclamations de charlatans, éclats de voix ronflants dont Paracelse se moquait tout à l'heure (1). TROISIÈME COLONNE DE LA MÉDECINE : Alchimie. — « Sans une connais- sance parfaite de l’alchimie, le médecin emploiera en vain toutes les ressources de son art (2). La nature est tellement active et subtile dans ses œuvres, qu’elle ne se laisse pénétrer qu’au moyen d’un art profond (1) Bremer (p. 49) remarque que Paracelse, d’une insupportable prolixité, forge ou emploie souvent les mots, comme le font les enfants, sans que ces mots, qui ne dérivent de rien, représentent aucune essence des choses. — A. F. Hecker avait dit, de son côté, qu'on ne fonde pas un système quand on se sert d’un pareil langage et qu’on n’a pas de culture scientifique. (2) ILy a bien, au dire de Paracelse, quatre colonnes pour soutenir la médecine ; mais il semble que chacune de ces colonnes suffisait à soutenir l'édifice, car, à propos de chacune d'elles, il dit que c’est tout l’art. men 4 COLONNES DE LA MÉDECINE : ALCHIMIE. 389 et sublime. Elle ne produit rien qui soit instantanément parfait, mais elle laisse à l’homme le soin de perfectionner. On donne à cette per- fection le nom d’alchimie (1). Le boulanger est alchimiste en ce qu’il cuit le pain; le vigneron, en ce qu'il fait du vin; le tisserand, en fabriquant des étoffes. Ainsi, celui qui prépare, pour l’usage auquel elles sont des- tinées, toutes les productions que la nature fournit à l'homme pour son utilité, celui-là est un alchimiste.» (P. 45.) « Puisque la médecine (le remède) n’est rien sans le ciel, il faut qu’elle soit dirigée par le ciel; et cette direction n’est autre chose que la destruc- tion par toi de la terre qui existe en elle; le ciel, en effet, n’aura d'influence sur la médecine qu'après la disparition de cette partie terrestre. Après cette séparation, la médecine, entrant sous la dépendance des astres, est régie et protégée par eux. Ainsi, celle qui a trait au cerveau est conduite au cerveau par la lune; celle qui concerne la rate y est amenée par Saturne; celle qui est consacrée au cœur y est conduite par le soleil. Vénus régit les reins, Jupiter le foie, Mars la bile. Il en est de même des autres organes. Car, remarquez: que sera le traitement que vousemployez pour la matrice d'une femme, si ce traitement n’est pas dirigé par Vénus; le traitement du cerveau, s’il se fait sans l'influence de la lune? De même pour tout. En dehors de ces influences, les remèdes resteraient dans l'estomac, et, rendus par le bas, ne produiraient aucun effet. D'où il suit que, si le ciel l’est moins favorable et se refuse à diriger ton trai- tement, tes soins seront inutiles. Le ciel doit en être le modérateur. Puis- que l’art est ainsi constitué, il ne faut donc pas dire: la mélisse est une plante matricale ; la marjolaine est capitale ; c’est le langage des ignorants. Ces qualités viennent de Vénus et de la lune. Voulez-vous avoir ces qualités telles que vous les souhaitez, il faut que le ciel vous soit clément el propice; autrement l'effet sera nul.» (P. 45.) « Puisque le ciel, et non le médecin, dirige par les astres, il faut que la médecine (le remède) soit réduite en air pour qu'elle puisse être conve- nablement régie par les astres. Quelle pierre est attirée par les astres ? Aucune, mais seulement ce qui est volatile. D'où plusieurs ont cherché, par l’alchimie, un cinquième être qui n’est autre chose que la séparation des quatre corps élémentaires d'avec les arcanes ; ce qui reste est un arcane (2). (1) Les mots sont presque toujours détournés, sans doute à dessein, par Paracelse, de leur signification ordinaire. (2) La quintessence ou esprit de vie. On a voulu voir, dans cette recherche de la quintessence, un des principes fondamentaux de la médecine moderne, qui oppose aux éléments morbides les éléments des remèdes ; mais de quels nuages impéné- trables cette idée n'est-elle pas enveloppée dans le cerveau de Paracelse ? Pour lui, c’est plutôt une question de spécifiques ou remèdes secrets : Une seule chose est nécessaire, dit-il, faites des arcanes et dirigez-les vers la maladie ; avec cela on guérit l’apoplexie, la paralysie, la léthargie, le mal caduc, la manie, la phrénésie 390 __ PARACELSE. « Que mes écrits ne soient point pour vous une pierre d’achoppement, parce que je suis seul, que mon enseignement est nouveau, et que je suis Allemand; c’est par mes écrits el non par d’autres qu'on peut apprendre l’art de la médecine; tout ce que je vous demande, c’est de les lire avec attention. » (P. 57.) C’est ce que nous avons fait, et cette lecture ne nous a pas en- gagé à souscrire pour la couronne que Paracelse se tresse. QUATRIÈME COLONNE DE LA MÉDECINE : De la propriété, c'est- à-dire des qualités, des vertus du médecin. — Je n'ai point à m'arrêter sur ce chapitre. On y voit que Paracelse possédait toutes les qualités requises pour constituer le bon, le vrai mé- decin; ces qualités, il les refuse tout naturellement à ses con- frères, présents, passés et même futurs. — Des colonnes nous passons aux sectes de la médecine. « Nous (4) nous attacherons d’abord au traitement des maladies avant de chercher à connaître leurs causes, puisque le traitement nous montre ces causes comme avec le doigt. » (Libellus prologorum, I, 1, 1.) Hippocrate a dit que quelquefois le traitement démontrait la nature ou la cause de la maladie, mais ce n’est qu’un moyen accidentel de diagnostic et non pas l’application d’une règle générale de pathologie. D'ailleurs Paracelse est très-infidèle à son principe, puisqu'il passe tout son temps à chercher les causes morbides dans le ciel et dans le sein de la terre : je veux dire dans son imagination. et la mélancolie, maladies contre lesquelles n’ont jamais rien pu les drogues des apothicaires, les cuisines des parfumeurs, doublement ânes, eux et leurs maïtres. (P.52.)— Ce qu'il dit sur les vertus qu'acquièrent les substances médicamenteuses en raison de leur changement de couleur (p. 51) est à peu près incompréhensible ; ce qu’il ajoute sur la puissance des médicaments métalliques et sur la nécessité de les faire passer par le feu ne révèle pas non plus des connaissances chimiques bien avancées ni bien nettes. D'ailleurs, rien de cela n’était nouveau. On pourra lire, pour avoir une idée complète de cette doctrine de la quintessence, le traité para- celsique intitulé Archidoxres. (4) Les extraits suivants, jusqu’à indication du contraire, sont tirés du Parami- rum ; De medica industria (Opp., t. K, p.{etsuiv.). Comme les chapitres sont courts dans ce livre, je n’ai pas indiqué les pages. LES CINQ SECTES DES MÉDECINS. 391 « Il existe cinq modes de fraitement, en d’autres termes, cinq méde- cines (cinq espèces de traitement), où cinq arts, ou cinq facultés, ou cinq médecins. Chacune de ces cinq médecines, prise en soi, est capable de guérir toutes les maladies (4). » (Libell. prol. , 1,1.) « D'abord, si vous voulez être médecin, réfléchissez qu'il y a deux mé- decines : la médecine du corps ou physique, et la médecine chirurgicale : non qu'elles aient deux origines, mais en raison d’une division (au moins apparente); chacune a sa cause en elle-même. La fièvre, en effet, et la peste (2), quoique ayant la méme origine, sont cependant distinctes; une partie produit la pourriture à l’intérieur, comme dans les fièvres, et rentre dans la médecine du corps (médecine interne); l’autre se tourne en peste, c’est-à-dire quelle va du centre vers le dehors. Toute affection qui va du centre à la périphérie est du domaine du physicien (médecin) ; celle qui va de la circonférence au centre est dans les attributions du chirurgien. » (Prolog., I, 2.) Il semble que ces deux propositions devraient être justement retournées, car la chirurgie s'occupe encore plus des affections qui vont du centre à la circonférence que de celles qui suivent la route contraire. Mais, pour Paracelse, la chirurgie consisté particulièrement dans le traitement des blessures et des plaies; or les blessures et les plaies se dirigent, en effet, de la circonfé- rence au centre, tandis que les affections médicales se révèlent par les symptômes qui marchent du centre à la périphérie. L'auteur dit lui-même un peu plus bas : Ce qui va vers les émonctoires naturels est médical, ce qui occupe les émonctoires non naturels est chirurgical; tout ce qui est visible, eu égard à sa place, est réputé vu/nus (c’est-à-dire blessure et plaie) et chi- rurgical ; tout ce qui est caché dans la profondeur ee parties appartient au médecin (physicus). (1) C'est-à-dire passe pour guérir toutes les maladies ; car, ainsi qu'on va le voir, Paracelse n’admet pas les cinq sectes. Au Pro! 2, il est dit que les cinq genres de traitement répondent aux cinq genres de causes. — Voy. l'explication, p. 392. (2) Dans le traité De peste ad civitatem Sterzingensem, qui figure, mais peut-être à tort, parmi les œuvres de Paracelse, on distingue deux pestes : l’une (ce n’est pas la peste) est intérieure ; elle est combaitue par des moyens qui ne diffèrent guère de ceux dont on se moque; l’autre, la peste à bubons, contre laquelle on vante le crapaud (voyez p. 424) et autres arcanes. La prophylaxie consiste moins dans la purification de l'air que dans la confortation du corps. Les chances de salut sont calculées d’après les astres. 392 :_ PARACELSE. _ « Quant aux sectes des médecins, la chose demande à être examinée avec beaucoup d'attention. Ils sont partagés en plusieurs ordres; mais les sectes sont au nombre de cinq, et par conséquent il existe cinq mé- thodes de traitement. Il ya même, pour les causes de toutes les maladies, cinq origines; mais, à cet égard, il n’y a qu'une secte : c'est-à-dire que chaque secte prise isolément doit connaitre ces cinq origines. Remar- quons cependant que c’est seulement en raison du traitement que l’on compte cinq sectes; quant à l'intelligence et à la connaissance des causes, il n’y a qu'une secte. » (Prolog., I, 2.) On voit qu'ici, à quelques pages de distance, Paracelse tient un langage assez différent sur l'importance des causes. « On appelle naturels les médecins qui appartiennent à la première secte, parce qu'ils fondent leur traitement sur la nature des plantes, eu égard à la concordance harmonique de leurs vertus (opposition des con- traires entre le remède et la maladie). Ainsi ils traitent le froid par le chaud, l’humide par le sec, la plénitude par la diète, l’inanition par la plénitude, selon que la nature leur apprend à combattre chaque chose par son contraire. Avicenne, Galien, Rhasès, leurs commentateurs et leurs parti- sans ont appartenu à cette secte. — Les médecins spécificiens forment la deuxième secte; on les appelle ainsi parce qu'ils traitent toutes les mala- dies par la forme ou par l'être spécifiques. De même que l’aimant attire le fer non par l'effet de ses qualités élémentaires, mais par une force spécifique, ainsi ces médecins guérissent toutes les maladies par la force spécifique des médicaments. Dans cette même classe sont compris les expérimentateurs que, par raillerie, quelques-uns appellent empiriques(1); on donne aussi cette épithète de spécificiens aux médecins naturels en ce qui concerne la purgation, car ils changent de secte en admettant la spé- cificité occulte de ces médicaments sur chaque humeur. « La troisième secte se compose des caractéraux. 1s fondent leur trai- tement sur certains caractères qu'ils trouvent ou dans leurs livres, ou que le traitement lui-même apprend à connaître. Leur action peut s’ex- pliquer par cette similitude : si l’on dit à une personne de courir et qu'elle coure, cette opération se fait par la parole; de même aussi la cure par les caractères. Albert le Grand, les astrologues, les philosophes et d’autres en grand nombre ont été les auteurs et les praticiens de cette secte. « La quatrième est celle des spirituels. Cette dénomination vient de ce que ces médecins savent si bien maîtriser et contraindre les esprits des herbes etdes racines, qu'ils guérissent etsauvent la personne que ces esprits ont envahie et rendue malade ; comme le juge qui a fait mettre quelqu'un dans les fers est le seul médecin de ce captif, car les fers et les clefs sont (1) C'est dans cette secte que se range Paracelse, LES CINQ SECTES DES MÉDECINS. — LES CINQ ÊTRES. 393 du ressort du juge, et il les ouvre quand il veut. Ainsi les malades, liés pour ainsi dire, sont délivrés par les esprits des herbes, si ceux-ci se pu- tréfient ou sont consumés, ainsi qu'on le dira dans un livre spécial. Hippocrate et d’autres qu’on ne nomme pas firent partie de cette secte. » (Prolog., 1, 3.) Non, mille fois non, ce n’est pas Hippocrate, mais Paracelse qui fait partie de cette secte. Voici encore d’autres monstrueuses hérésies historiques : « Quoiqu'on ne trouve rien dans vos livres qui s'accorde avec ce que j'ai avancé, sachez cependant qu'Hippocrate, bien qu'il ne le dise pas, penchait beaucoup plus vers la secte spirituelle que vers la secte naturelle. Galien aussi avait plus de goût pour la médecine caractérique que pour la médecine naturelle. On peut en dire autant des autres. Ces facultés ou mystères sont vraiment les merveilles de l’art, et cependant on les met sous le boisseau; on prend la voie la plus longue, que ceux-ci mâchent et ruminent. » (Prol., I, 1.) « On donne le nom de fidèles aux médecins de la cinquième secte (dans laquelle encore on doit ranger Paracelse), parce que c’est par la foi qu'ils expulsent et guérissent les maladies, comme la croyance à la vérité peut rendre la santé. Jésus-Christ et ses disciples ont mis ceci en pratique. Plus tard je ferai paraitre, sur ces cinq sectes, cinq livres conclusionnels, et vous y trouverez les enseignements nécessaires pour les bien com- prendre. » (Prol., 1, 3.) Ces livres n’ont pas été publiés, et nous n’y perdons sans doute pas grand’chose. Les idées que trois au moins de ces sectes représentent ont germé dans quelques cerveaux fêlés, mais jamais elles n’ont fait partie de la science régulière; quant à l'emploi des spécifiques (deuxième secte), il est consacré dans la médecine galénique, comme dans celle qui l’a remplacée, mais seulement comme une fraction de la thérapeutique, et non pas à titre de secte spéciale, si ce n’est dans les mains de Paracelse ou des charlatans. « LE LIVRE DES ÊTRES, — Apprenez aussi qu'il existe cinq étres (entia) par lesquels sont faites et produites toutes les maladies. Ces cinq êtres désignent cinq origines. Il y a cinq origines d’où sort une certaine ori- gine respective, laquelle a assez d'efficacité en soi pour la production de toutes les maladies passées, présentes ou futures. » (Prolog. IL, 2.) En d’autres termes, chaque ens peut produire chaque maladie. Ainsi, il y a cinq pestes, cinq hydropisies, cinq jaunisses, cinq 394 PARACELSE. fièvres, cinq cancers, et le reste, non eu égard à leur genre, à leur forme, à leur essence, à leur espèce, mais eu égard à leur origine ou dépendance de l’un ou l’autre des cinq êtres, attendu que notre corps est soumis aux cinq êtres, et que chaque étre contient toutes les maladies, ainsi que notre corps, sous sa domi- nation. On verra plus loin que cette division quinquennaire n'avance pas beaucoup la connaissance des caractères différen- tiels des maladies et de leurs subdivisions, et qu’on en a tiré pour la thérapeutique les plus étranges conséquences. Mais pour- SUIVONS : « L’être (ens) est une cause ou une chose qui a le pouvoir de régir le corps... Chaque être est ainsi constitué, que toutes les maladies, sans ex- ception, en dépendent. Des feux quintuples régissent notre corps ou le menacent, car il est constitué de manière qu'il peut être envahi et rendu malade tantôt par l’un, tantôt par l’autre. Ainsi, lorsqu'un médecin se trouve en présence d’un paralytique, il doit avant tout chercher par quel feu, par quel étre est produite la paralysie (!). Le résultat prouvera l’aveu- glement du médecin qui ne comprend pas ce qui vient d’être dit, puisque la guérison ne se trouve que là. » (Prolog., IX, 3.) Bien aveugle en effet serait le médecin qui ne verrait pas clair dans ce galimatias! « Notre premier fraité du Paramire enseigne quelles sont l'essence et la vertu des astres. Cette vertu agit sur notre corps de telle façon, qu'il est soumis à toutes leurs impressions ou actions. Cette vertu des astres s'appelle étre des astres (ens astrorum, ou astrale); et c’est le premier de ceux qui nous régissent. —La deuxième vertu ou puissance qui nous remue violemment et nous jette dans la maladie, est l’étre du poison (ens ve- neni). À propos de cet être, vous remarquerez que, quoique l'être astral lui- même ait une influence salutaire sur nous, et qu'il ne nuise en rien au corps, cependant l'être du poison peut nous être préjudiciable ! Étant, en quelque sorte, sous sa dépendance, il nous faut subir son influence, et nous ne pouvons l’éviter. — Il y a une troisième vertu qui abat et affaiblit notre corps, quoique les êtres dont on a déjà parlé aient sur nous une influence salutaire et favorable. Cet être se nomme étre naturel (ens naturale). Il se manifeste quand notre corps nous rend malades par son dérangement ou sa mauvaise complexion. C’est done par lui que sont produites en grand nombre des maladies diverses ; je dirai même, toutes les maladies sans exception, quoique les autres êtres soient bien disposés. — Le quatrième être s'entend de l'être des puissants esprits (ens de poten- LE LIVRE DES ÊTRES : ÊTRE ASTRAL. 395 tibus spiritibus), lesquels troublent et rendent malade notre corps d'après le pouvoir qu'ils en ont; nous devons nous attendre à prendre les ma- ladies sur nos corps suivant l'impression qu'ils reçoivent des esprits. — Le cinquième être qui, tous les autres étant dans de bonnes con- ditions, agit sur nous, est l’étre de Dieu (ens Dei). Cet être demande un examen particulier, afin qu'on puisse comprendre comment se comporte chaque maladie. Notez soigneusement que, comme nous l'avons déjà dit, chacun de ces êtres a sous sa domination toutes les maladies. Et, en ce sens, il y a cinq espèces de pestes: l’une venant de l'être de l’astre, l’autre de l'être du poison, la troisième de l'être de nature, la quatrième de l'être des esprits, la dernière de l'être de Dieu. Il en est de même pour toutes les autres maladies, et c’est à quoi vous devez faire attention et en conclure que les maladies viennent absolu- ment de cinq principes et causes, et non d'un seul principe, comme jus- qu'ici vous l'avez cru sans fondement et par une erreur palpable, en n’admettant qu’un être unique. » (Prolog., I, 4.) Eh bien, soyons francs, quel est le médecin allemand ou français qui ne regarde pas ces conceptions comme l'œuvre d’un esprit en délire? C’est là cependant la vraie pathologie gé- nérale de Paracelse, aussi faut-il la montrer dans tout son jour. I. De ente astrorum (De l’étre astral). — « Noire dessein étant d'en- seigner comment l'être astral peut nous nuire, je dois d’abord vous apprendre que les astres, les planètes ou les étoiles du firmament, quelles qu’elles soient, ne créent rien de notre corps, ni pour la couleur, la beauté, les habitudes, les vertus, ni pour les autres propriétés. Et vous devez renoncer enfin à porter des jugements sur les hommes, et à faire des hommes même (1), d’après la nature et la position des étoiles ; ce que nous ne pouvons rappeler sans rire. » (Param.; Lib. entium, 1, 2.) Pourquoi donc tant rire de l'astrologie judiciaire quand on est si fort partisan de l'astrologie médicale ? « Maintenant que vous avez compris que nous ne tenons des astres ni notre nature ni nos autres propriétés, portez votre attention sur un autre point, c’est-à-dire par quel moyen ces astres rendent malades et tuent nos corps (2bid)..—Vous devez croire que les hommes et les créatures animales ne peuvent absolument subsister sans le firmament et les astres (2); mais (4) C'est-à-dire imprimer certains caractères moraux, produits de la conception, en raison des astres sous lesquels ils naissent. (2) Voyez cependant plus bas, page 396, ligne 16 et suiv. Il y a (voy. aussi p. 403) sept membres principaux : cerveau, cœur, poumons, [vésicule du] fiel, 396 PARACELSE. ni les hommes ni les animaux ne sont créés par les astres. Prenons un exemple : la semence confiée à la terre produit son fruit d'elle-même ; elle a, en effet, en elle l’étre de la semence: cependant, sans la chaleur du soleil, elle ne germerait pas. Vous ne penserez pas sans doute que le scleil ou lg firmament, ou toute autre chose engendre cette semence; ce qui est vrai, C’est que la chaleur du soleil constitue un temps, de ma- nière que, si vous voulez amener une chose à coction et faire qu’elle pro- duise son effet, c'est par une digestion que vous y parviendrez. Ainsi, c’est par le temps seul que se produit la digestion (1). La chose qui est digérée a son action en elle-même. Apprenez ainsi ce qu'est la digestion : Le fœtus ne peut prendre de croissance sans la digestion, car c’est la digestion qui le fait croître dans la matrice. Pour cela, le fœtus n’a besoin d'aucun astre, d'aucune planète; la matrice lui tient lieu de planète et d'étoile. La semence a besoin de la digestion ; elle se fait dans la terre; mais, dans la terre, il n’y a pas de digestion sans le soleil: dans la matrice, au con- traire, il y a digestion sans le secours d'aucun astre. Quand bien même le soleil ne luirait jamais, quand même Mercure ferait son mouvement en arrière, des enfants seraient néanmoins engendrés et prendraient de l'accroissement, ils ne seraient privés ni de leur soleil ni de leur diges- tion (2). En effet, les astres ne peuvent plier l'homme d’après leur nature, et rien ne force l'homme à subir cette action. » (Chap. 3.) On pourrait croire que, suivant Paracelse, les astres n’agis- sent pas en tant qu'asfres, mais comme source de quelque chose, par exemple, le soleil, comme source de la chaleur; au milieu d’une telle logomachie, il est difficile de débrouiller le vrai sens; d’ailleurs en plusieurs autres passages il invoque la puissance occulte des astres. Dans ses écrits il y a satisfaction pour toutes les opinions, même pour les plus opposées. Ici ilrefuse aux astres une cerlaine puissance conjecturale, et là il leur accorde une autre espèce de puissance non moins mystérieuse, non moins inexplicable. Tout échappe bientôt au moment où l’on croit saisir quelque chose de raisonnable dans son système. « Il y a une chose qu'on ne voit pas, qui nous défend et nous conserve dans notre vie, et, avec nous, tout ce qui vit et sent. Cette chose vient foie, reins, rate, qui sont en harmonie astrale avec Lune, Soleil, Mercure, Mars, Jupiter, Vénus et Saturne. Chaque membre a un estomac et rend des excréments, (Parumir., I, De morb, ex tart., tract. IV.) (1) Dans ce chapitre, digestio (Digest) est pris dans un sens très-général et non pour la digestion stomacale. (2) Voyez plus haut, page 395, note 2, LE LIVRE DES ÊTRES : ÊTRE ASTRAL, 397 des astres. Le feu qui brûle a besoin de bois, sans lui il n'est pas feu. Le feu est vie et cependant il ne peut pas vivre sans bois. Prenons un exemple assez bien approprié, quoique vulgaire et gros- sier: le corps est du bois, le feu est sa vie; or, la vie vit du corps, le corps, à son tour, a besoin d’avoir quelque chose pour n'être pas absorbé par la vie et rester dans sa substance. C'est cela même dont nous vous exposons l'être, et cela vient des astres ou du firmament. Vous dites, et avec raison, que sans l'air tout serait précipité et que tout ce qui a vie périrait. Mais apprenez cependant qu'il y a encore un autre soutien pour le corps : c’est le corps lui-même qui, à son tour, soutient la vie. L'insuffi- sance ou le manque de ce soutien n’est pas plus tolérable que la perte de l'air. L'air, en effet, est contenu en lui et hors de lui (1). Si cela n'était pas, l’air se dissiperait. Le firmament en vit ; si cela n'était pas dans le fir- mament, le firmament périrait. Nous appelons cela le grand M. C’est ce qui donne la vie à toute créature, en quoi et de quoi est la vie. (Chap. 6 et 7.) — Les astres eux-mêmes ne donnent pas l’inclination, mais leur influence corrompt et souille le M, lequel nous transmet cette corrup- tion. Et c’est ainsi que se comporte l'être astral qui dispose par cette voie nos corps tant au bien qu’au mal. Si la nature du sang est telle qu'elle soit en opposition avec ce souffle, l’homme devient malade; celui-là n’en éprouve aucun dommage dont la nature ne lui est pas contraire: il en est de même de celui dont le tempérament est si fort, qu'il peut re- pousser ce souffle empoisonné par la pureté de son sang, ou qui a pris un remède capable de lutter contre les vapeurs délétères d'en haut. » (Chap. 8.) On voit que si Paracelse a eu quelque idée des 2nfluences naturelles, 1 en use au profit d’une physiologie ridicule, et d’une pathologie générale non moins extravagante. « Apprenez comment le souffle des planètes nuit à nos corps. Il y a des influences astrales par lesquelles M devient trop chaud, trop froid, aigre, amer, doux, arsénieux, et s’imprègne d’autres qualités en nombre infini. Cette altération produit celle des corps... Les astres contiennent plus de poisons que la terre. Sachez, médecins, qu'il y a toujours un certain poison dans la production d'une maladie. Le poison, en effet, est le principe de chaque maladie, et {outes, sans exception, tant à l’extérieur qu'à l’inté- rieur, en viennent. Ceci admis, vous trouverez qu'on peut attribuer à l’arsenic seul d’abord cinquante maladies, puis cinquante encore, dont (4) Ces propositions vulgaires sur la nécessité de l'air pour vivre, ou sur l’influence qu'il exerce en bien ou en mal, sont entourées et gâtées par les idées les plus saugrenues. Paracelse, quand par hasard il tombe juste, semble prendre plaisir à obscurcir aussitôt sa pensée, afin de mieux captiver l’auditoire ou le lecteur. 398 PARACELSE. aucune n'est semblable à l’autre, quoique toutes viennent de l’'arsen seul. Les maladies produites par le sel sont en plus grande quantité; puis viennent celles plus nombreuses qui sont causées par le mercure; enfin celles beaucoup plus fréquentes encore que font naïîlre le réalgar et le soufre (1). Je vous dis cela pour vous faire comprendre que c’est en vain que vous étudierez une maladie, si vous ne connaissez pas son origine, puisqu'une seule substance peut être la cause de tant de maladies.» (Ch. 9.) Que pensez-vous maintenant, après cette phrase, de la pre- mière proposition du Paramire (Voy. p.390) touchant la recherche des causes? Mais qui sait si Paracelse ne joue pas ici et ailleurs sur les mots origine et cause? Quoi qu'il en soit, tout finit par être pour lui une cause universelle de l’universalité des maladies. « Pour avoir une idée plus claire de cela, il faut savoir que nous n’accusons pas seulement l'hiver et l'été de nuire à nos corps, maïs que nous rendons aussi responsable une planète, une étoile quelconque, lorsque, dans son exaltation, elle pénètre dans M et le rend conforme à sa propre nature; ainsi, par quelques étoiles, M devient salé outre mesure; par d’autres, il devient arsénieux, ou sulfureux, ou mercuriel. En effet, les ascensions des étoiles sont favorables ou nuisibles à notre corps, si la distance n'empêche pas cette vapeur d'arriver jusqu’à nous, » {Chap. 10.) « Sous un certain point de vue, nos corps représentent un lac, nos membres les poissons. Que si la vie qui circule dans le corps et dans tous les membres reçoit le souffle empoisonné des astres (comme cela arrive à l’eau d’un lac), alors les parties intérieures (les poissons) sont affectées par le poison. D’autres êtres astrals sont doués d'une certaine malignité qui fait que les uns nuisent seulement au sang, comme les réalyariques ; les autres à la tête, comme les mercuriels; quelques-uns aux os seulement et aux veines, comme les se/s; plusieurs produisent l'hydropisie et l’enflure, comme les operimenta (?); d’autres, enfin, causent la fièvre, eomme les amers. » (Chap. 11.) II. De ente veneni (De l'étre du poison). — « Nous avons reçu un corps exempt de poison; or, l'aliment que nous fournissons au corps (et qui lui donne accroissement et force) est mêlé de poison (2) : done le corps a été créé parfait, mais le reste non. Remarquez aussi que nous nous nout- (4) Trois substances composent tout l'homme : ce sont le soufre, le mereure et le sel; leur réunion forme la vie et l’homme; d'elles sortent les causes, les ori- gines, la connaissance des maladies ; elles ont la double propriété de guérir et de rendre malade. (Opus Paramirum, p. 57-60.) (2) L’essence est ce qui soutient l’homme, le poison est ce qui le rend malade, (Chap. 8.) Voyez aussi plus loin, page 412, De nat. rerum. LE LIVRE DES ÊTRES : ÊTRE DU POISON. 399 rissons des autres animaux et des fruits, par conséquent de poison. Ils ne sont pour eux-mêmes ni aliments ni poisons, mais, comme créatures, ils partagent avec nous en eux-mêmes la perfection ; ils sont du poison pour nous, en tant que nous en faisons notre nourriture ; c’est pour cela que ce qui est poison pour nous, ne l’est pas pour eux-mêmes, » (IL, 4.) Puis accordez ce qui suit comme vous pourrez : « Sachez que le Créateur n’enlève rien aux créatures, mais qu’il laisse chacune dans sa perfection ; et, quoique tel aliment, dont on est forcé de se servir, soit un poison pour tel homme, le Créateur ne doit pas en être responsable ni blâmé. » (Chap. 3.) « Le paon dévore le serpent, le lézard et le stellion. Ces animaux sont en eux-mêmes parfaits et ne sont pas nuisibles, mais, relativement aux autres animaux, ils sont un véritable poison, si l’on excepte le paon. Cette différence tient à ce que l’alchimiste (4) du paon est tellement subtil, que l’alchimiste d'aucun autre animal ne concorde avec lui, cet alchi- miste séparant avec fant de soin le poison de ce qui est bon, que le paon peut se nourrir impunément de ces animaux (2). Sous un autre point de vue, il est également vrai qu'un aliment particulier a été as- signé à chaque animal pour sa conservation, et, de plus, un alchimiste spécial qui est chargé de séparer le bon du mauvais. L’alchimiste donné à l'autruche sait isoler le fer, c'est-à-dire l’excrément du fer, de ce qui convient à l'alimentation, ce que nul autre ne pourrait faire. Le feu est la nourriture de la salamandre, et un alchimiste lui a été donné pour cela. Le cochon se nourrit d’excréments, quoique ce soit du poison, et que, par cette raison, ils soient exclus du corps de l’homme par l’alchi- miste de la nature. C’est cependant l'aliment du cochon, attendu que l'alchimiste du cochon, étant beaucoup plus subtil que celui de l’homme, sépare dans les excréments ce que celui de l’homme n’a pu en extraire. Aussi, aucun animal ne se nourrit des excréments du cochon.» (Chap. 4.) «Maintenant que nous avons discouru sur l’alchimiste, il me reste à vous dire que c'est Dieu seul qui l’a créé, afin qu'il sépare dans notre corps le bon de ce qui lui est contraire, lorsque, selon la disposition divine, ce corps prend de la nourriture pour soutenir sa vie. » (Chap. 5.) Voilà beaucoup de paroles pour dire que chaque être a en lui un principe propre de conservation. Encore Paracelse gâte-t-il (4) C’est un succédané ou un adjoint de l'Archée, c'est-à-dire un nouvel étre très-mal limité et dont la fonction se rapporte à peu près uniquement à la diges- tion ou à la nutrition. Il est tantôt un suppléant, un aide, et tantôt un rival de la nature, (2) C'est à peu près le mot de Molière : L’opium fait dormir parce qu'il a une Yél{tu dormitive. L00 PARACELSE, tout cela en accordant une intelligence à son alchimiste, intelli- gence qui est à chaque instant mise complétement en défaut. Pour la doctrine où l’on ne voit que les mouvements de la na- ture, 1l n’y a ni bien ni mal dans le corps, mais seulement des résultats naturels. Du moment qu’un Archée préside, il n’y a plus que contradiction entre l'inspiration directe de l’Archée ou de l’alchimiste, et les résultats de leur intervention trop souvent désastreuse; de plus il ne reste aucun moyen d’expliquer un acte physiologique quelconque. « Toute maladie engendrée dans l’homme par l'être du poison découle d’une digestion putréfiée, lorsqu'elle devait rester tempérée (1), afin que l’al- chimiste ne sentit aucune flèche du Parthe. La digestion étant interrompue, l'alchimiste n'est plus parfait dans son instrument {ne peut exercer conve- nablement son office). La corruption, qui est la mère de toutes les maladies, devra donc s’en suivre. L'eau, qui est claire et transparente, peut recevoir la coloration par tous les côtés. Le corps est comme l’eau; la corruption est une coloration, et toute couleur vient d'un poison, car elle en est le signe et la marque. » (Chap. 8.) Dans notre auteur, la chimie et la physique ne valent pas mieux que la médecine. « La corruption se fait de deux manières: localement et émonctorialement (emunctorialiter), de la façon suivante. Localement : si, comme nous l’avons dit, la corruption est dans la digestion, et que l’alchimiste, dans l’opé- ration de la séparation, succombe par le vice de cette digestion, alors la pourriture, qui estun poison, se produit à la place d’un bon produit. En effet toute pourriture est un poison pour le lieu où elle naît, et mère d'un poison certainement mortel. » (Chap. 9.) Pourquoi l’alchimiste laisse-t-il la digestion se vicier ? il n’est donc pas à son poste et fidèle à sa consigne ? Parce que les astres, plus malins que lui, l’affaiblissent, le rendent comme mort, et ne lui permettent plus de remplir son office ! « Ce qui se fait émonctorialement est produit de la manière suivante, par une aberration de la force expulsive : quand l’alchimiste expulse chaque (4) Ce mot est charmant ! Pourquoi donc n'est-elle pas restée tempérée, ei pour- quoi le fameux alchimiste et l’Archée se voient-ils réduits à l’impuissance? L’ani- misme, même le vitalisme, sous certaines formes, donnent lieu aux mêmes réflexions que l’archéisme, LE LIVRE DES TRES : ÊTRE DU POISON. A poison par l'émonctoire qui lui est propre, le soufre blanc par les narines, l’arsenic par les oreilles, l'excrément par l'anus, et les autres poisons de même par leur émonctoire ; si, dis-je, un de ces poisons, soit par la fai- blesse de la nature, soit qu’il trouve un obstacle en lui-même ou dans d'autres choses, n’est pas expulsé, il produit toutes les maladies qui sont sous sa dépendance. » (Chap. 9.) « Parlons maintenant des diverses espèces de poisons. Tout ce qui transsude substantiellement par les pores de la peau est une dissolution de mercure; un soufre blanc sort par les narines; un arsenic par les oreilles; un soufre dissous dans une eau, par les yeux; un soufre dissous, par la bouche ; un sel dissous, par la vessie ; un soufre putréfié, par l’anus. Et, quoiqu'il vous importe de savoir la forme et l'apparence de chacun de ces poisons, ce n’est pas ici le lieu de vous en instruire; mais vous trouverez dans le livre Sur la construction humaine (1) les fondements de la philosophie qu'il est nécessaire à un médecin de connaître; vous ÿ trouverez aussi les remèdes convenables dans plusieurs cas, et beaucoup de détails sur les putréfactions. Vous apprendrez aussi comment le poison se cache dans ce qui est bon (les aliments). » (Chap. 12.) Ici quelques réflexions à peu près justes sur l'indépendance primordiale de chaque créature : « Le bœuf a été créé avec la forme que nous lui voyons, pour lui d'abord essentiellement, puis pour servir de nourriture à l'homme. Mais remarquez que le bœuf est pour l’homme un demi-poison. S'il avait été créé à cause de l'homme seulement, et non aussi à cause de lui-même, il n'aurait pas alors besoin de cornes, d'os ni de sabots, car il n’y a pas d'aliments à en tirer, et leur usage ne serait pas indispensable (2). Vous voyez donc que le bœuf a été créé sagement pour lui-même, et qu’il n'ya rien de trop en lui, ou dont il puisse se passer. » (Chap. 13.) Bientôt les rêveries recommencent : « Si l'homme fait servir le bœuf à sa nourriture, il mange en même temps ce qui lui est contraire et empoisonné, mais qui ne l’est aucunement pour le bœuf (3). Ce poison doit être séparé de la nature de (4) Ce livre est peut-être le même que le De natura rerum dont on trouvera ci-après (p. 412 et suiv.) des extraits relatifs à quelques-unes des questions que Paracelse indique ici, (2) Sans os, le malheureux bœuf ne serait plus qu’une monstrueuse limace. (3) C’est comme si Paracelse disait: La chair qui constitue le bœuf n’est pas un poison pour le bœuf; ou, si le bœuf mangeait sa chair, il ne serait pas empoi- sonné ! Il dit aussi quelque part (Defensio 3), que tout, même la nourriture, est poison ; que rien n'est sans poison (voyez le début de l'Ens veneni, p. 398). Il n'y a que la dose qui fasse que le poison ne soit pas poison. DAREMBERG. 26 h02 PARACELSE. l’homme, c’est l'office de l’alchimiste, Chaque poison est envoyé par l'al- chimiste dans ses émonctoires, et ceux-ci en sont remplis. Si, parmi les hommes, un alchimiste peut faire ce qu'exécute l’alchimiste dans le corps, celui-là est arrivé à la perfection de l'art. » (Chap. 13.) Voilà tout le secret de la thérapeutique de Paracelse, être un bon alchimiste, c’est-à-dire savoir isoler et neutraliser les poi- sons morbides, et par conséquent conjurer toutes les maladies, puisque toutes viennent du poison. II. De ente naturali (De l'étre naturel). — « L’astronomie apprend à con- naître les influences, le firmament et tous les astres, les étoiles, les pla- nètes et le génie du ciel (4). Ceci nous conduit à dire que cette constel- lation, ce firmament et le reste que vous étudiez dans le ciel, se retrou- vent dans l’homme. Vous appelez l’homme microcosme, et nous ne rejetterons pas cette dénomination: elle est juste, mais vous ne la com- prenez pas bien; votre interprétation est obscure et pleine de ténèbres. Écoutez la nôtre: Comme le ciel, avec son firmament, ses constellations et le reste, est en lui et par lui-même, ainsi l’homme sera conslellé puissamment en lui-même et pour lui-même. De même que le firma- ment, dans le ciel, est pour lui et n’est régi par aucune créature, ainsi le firmament qui est dans l'homme n'obéit pas à d’autres créatures, mais il est par lui-même un puissant et libre firmament ; d'où vous induirez qu'il y a deux espèces de créatures: d’un côté le ciel et la terre, de l'autre l’homme. » (I, 4.) Ïl y a ici ou une énigme ou une contradiction : l'indépendance des deux firmaments, celui du macrocosme ou du monde et celui du microcosme ou de l’homme, n’est pas absolue dans la pensée Ge Paracelse, du moins en rapprochant de celui-ci tous les autres passages où il est question des astres. Cette indépendance est admise par l’auteur pour l'astrologie judiciaire, mais non pour l'astrologie médicale; les astres ne président ni à la formation ni aux qualités de l’homme, mais ils sont en correspondance incessante et irrésistible quant à la production des maladies et même à la manifestation de leurs symptômes ou au succès de leur traitement. Ailleurs (2) il dit qu'on ne doit pas plus s'occuper des sym- (4) « On ne peut pas être bon médecin si l’on n’a pas appris l'astronomie. » (M, 2.) (2) Chir. magna, pars I, tract. 1, cap. 8; Liber respons., defensio 2 ; — Chir. magna, pars Il; lib. VII du traité De ulceribus (De fist.). LE LIVRE DES ÊTRES : ÊTRE NATUREL. 103 ptômes des maladies pour les guérir, qu’on ne s'occupe de la fumée pour éteindre le feu ! Ce sont les médecins qui, prétendant guérir les contraires par les contraires, prennent les symptômes en considération, Il ne s’enquiert pas du pouls, dont il dit seule- ment : Dans le pouls gît le corps de la vie. Lui, si habile chi- miste, il ne sait pas interroger les urines ; il ne tient aucun compte du diagnostic différentiel des maladies; il ne se doute même pas de ce qu'est le diagnostic. Reconnaître les origines et le traitement des maladies, et faire concorder les noms avec celte double notion; s'occuper surtout des formes apparentes et de la forme intime ou nature minérale (on sait ce que cela signifie pour notre auteur) des maladies, cela suffit au médecin pour adapter la forme et la nature des médicaments. « Le corps est double : firmamental et terrestre. Je vous le dis en vé- rité, l’homme se compose de deux espèces de créatures : de celles qui [se] nourrissent et de celles qui manquent de nourriture. (Chap. 2.) — La nourriture se comporte dans le corps comme le fumier dans un champ. Le fumier réchauffe et engraisse le champ d’une manière occulte; la nourriture produit le même effet dans le corps d’une manière corporelle, mais elle n’agit pas sur ce qui est dans le corps. » (Chap. 3.) « Il y a sept membres dans Le corps qui ne demandent aucun aliment, mais se suffisent à eux-mêmes, comme lessept planètes qui se nourrissent elles-mêmes, sans que l’une demande son aliment aux autres etsans rien emprunter aux astres. La nature de la planète de Jupiter est telle, qu’elle n’a pas besoin de fumier pour entretenir son corps ; elle a reçu dans la création assez de subsistance. De même, le foie n'a pas besoin d’être fumé : il possède sa substance sans aucun fumier... Après ce que nous ayons dit de Jupiter et du foie, il faut croire également que le fiel est Mars, que le cerveau est la lune, le cœur le soleil, la rate Saturne, le poumon Mercure, les reins Vénus (1). Et, comme les fir- maments supérieurs ont leurs mouvements, de même les firmaments inférieurs. Si vous voulez apprendre à connaitre la crise, il vous faut d’abord observer le cours (mouvement) naturel qui a lieu dans le corps; sice mouvement vous est inconnu, vous ne pourrez jamais amener les maladies naturelles de l’étre naturel à la crise. Il y a, en effet, deux crises: l’une pour les maladies terrestres, l’autre pour les maladies célestes; or ces crises sont tout à fait distinctes. » (Chap. 4 et 7.) (4) L'action de Vénus est dirigee vers les productions de la terre, et la vertu des reins vers le fruit humain (chap. 7). Paracelse sait si peu d'anatomie et de physio- logie, qu'il attribue aux reins des fonctions qu’ils n’ont pas, n04 PARACELSE. Suivent des considérations parfaitement ridicules sur les mou- vements de ces sept parties en rapport avec les sept planètes correspondantes. Avouez, Messieurs, qu'il faudrait un bien grand miracle pour que quelque semblant de réforme puisse sortir d’un cerveau qui enfante de telles conceptions. « Le cœur, continue notre auteur, répand son esprit dans tout le corps, comme le soleil sur tous les astres et sur la terre elle-même. Cet esprit est seul utile au corps pour sa subsistance, et non les sept membres. Le cerveau pénètre seulement jusqu'au cœur, et du cœur regagne son centre spirituel; ce but est le seul auquel il tende. Le foie, par son esprit, marche seulement vers le sang et n’atteint pas autre chose. La rate se dirige vers les flancs et les viscères. Les reins s'ouvrent un passage à travers les lombes, les parties voisines et les voies urinaires; le poumon autour de la poitrine et de la gorge; le fiel a son mouvement vers l'estomac et les intestins. A l’aide de ces indications, vous connaîtrez si l’un de ces organes s’écarte de sa route et pénètre dans une voie étran- gère, par exemple, la rate dans celle du fiel, car alors, de toute nécessité, il s'engendre des maladies. Il en est de même pour les autres conduits. Mau tout cela vous sera présenté plus clairement (?) dans le livre Sur la génération des maladies. » (Chap. 8.) Si l’on veut bien ramener ce verbiage à sa plus simple expres- sion, on y reconnaîtra quelques débris de la vieille physiologie galénique. Au chapitre 10, Paracelse attribue aux humeurs à peu près les mêmes qualités que Galien leur attribuait, seule- ment il ajoute des explications plus inacceptables que celles du médecin de Pergame. Dans un même chapitre (le 11°), il attri- bue les bonnes ou les méchantes qualités morales non à une étoile quelconque, mais à une humeur fictive, et la gaieté ou la tris- tesse à un esprit igné également fictif : deux causes pour des effets si analogues ! « 11 y à dans le corps quaire espèces de courants (Leuff, ou Lauff) : le firmament, les éléments, les complexions et les humeurs. Là est la cause et l’origine de toutes les maladies. Car c’est selon l’étre naturel que se fait la division de toutes les maladies en quatre espèces: l’une est celle des astres, ce sont les maladies chroniques; l’autre espèce vient des élé- ments, ce sont les maladies très-aiguës; la troisième est produite par les complexions, ce sont les maladies naturelles; la quatrième vient des humeurs, ce sont les maladies colorantes (fingentes), Et vous devez LE LIVRE DES ÊTRES : ÊTRE SPIRITUEL. 05 apprendre à disposer (zusetzen) les maladies de l’étre naturel d’après la manière d’être de ces quatre espèces de maladies. » (Chap. 41 ; partic. 4.) On conviendra que cette nosologie est bien digne de la il siologie dont elle découle. IV. De ente spiritualis (De l'étre spirituel). — « Pour définir l’étre spiri- tuel, nous dirons que c’est une puissance parfaite ou complète (1) par la- quelle tout le corps peut être affecté et précipité dans toutes sortes de ma- ladies. Quels que soient les assauts qu’on ait tentés et les objections qu’on ait faites contre cette définition, nous leur montrons... le dos, car elles se réfutent elles-mêmes (!) En commençant la définition de l'étre spirituel, nous vous engageons à quitter la manière de parler que vous appelez théo- logicale. On ne peut, en effet, nommer saint tout ce qui porte le nom de théologie, ni pieux tout ce dont elle se sert, ni vrai tout ce qu'emprunte à la théologie celui qui ne la comprend pas. Mais il est vrai que les théo- logiens définissent cet être avec plus de puissance que personne. La con- naissance de cet être ne vient pas de la foi chrétienne ; il est pagoyum (païen) pour nous; mais il n’est pas non plus opposé à cette foi qui fait que nous mourons chrétiens. Vous devez reconnaître en vous-mêmes et savoir que vous ne devez concevoir aucun être parmi les esprits, comme si vous disiez, par exemple, que tous sont des diables. Ce discours est in- sensé et inspiré par le diable. Réfléchissez que ni le diable, ni aucun effet ou inspiration venant de lui, ne peut être compris ici (2). En effet, le diable n'est pas un esprit, un esprit n’est pas non plus un ange. Ce qui est esprit, c'est ce qui se produit dans le corps vivant de notre pensée sans matière. Ce qui naît de notre mort, cela est l'âme (3). » (IV, 1.) « Les trois êtres précédents regardent le corps, tandis que l'étre spi- rituel et l’étre déal (de Dieu) se rapportent à l'esprit. N'oubliez pas que si l'esprit souffre, le corps souffre en même temps. Cet être se manifeste à la vérité dans le corps, et cependant il n’est pas dans le corps. Pour ex- pliquer ceci, nous dirons qu'il y a en tout deux sortes de maladies (4), les maladies matérielles et les maladies spirituelles (5): les matérielles sont (1) C'est-à-dire sans bornes. — Les autres éfres ont des puissances qui ne sont guère moins étendues et souveraines, Chaque étre devient ainsi cause de tout, chacun au même degré l’un que l’autre, — Voy. page 388, note 2. (2) « L'homme ne trouve rien, ni le diable non plus; mais Dieu trouve tout, » (Paragr., columna IV.) (3) C'est-à-dire, sans doute, ce qui se sépare après notre mort. (4) Plus haut il dit: « subjecta, id est materias, morborum dupliciaesse. » (») A chaque page, Paracelse déplace les bases de sa nosologie ; à chaque ligne il subdivise les maladies de facons différentes; mais il ne réussit pas à trouver une bonne classification. 106 PARACELSE. celles qui sont teintes (imprégnées, formées ?) matériellement, comme le: trois premiers êtres; les spirituelles, celles qui ne sont pas teintes maté- riellement; ce sont les spirituelles et les déales. » (Chap. 2.) « Nous avons dit que l’esprit infligeait des maladies aux corps. Cela se peut faire de deux manières: l’une, quand les esprits s’attaquent mu- tuellement, sans la volonté ou l’assentiment des hommes, excités par la haine ou l'envie qu'ils se portent (1), ou par les autres stimulants du mal. La seconde voie par laquelle les esprits envoient les maladies est celle-ci: par nos pensées, par nos sens, par notre volonté; lorsque tout cela est bien d'accord, nous cherchons à infliger (et nous pouvons le faire) quelque dommage à autrui. Cette volonté ferme et déterminée est la mère qui engendre l'esprit [malfaisant]. » (Chap. 5.) Cette manière de jeter les sorts et les charmes, car ilne s’agit pas d’autre chose, est développée un peu plus loin : « Vous savez que, selon la volonté d’un esprit en lutte avec un autre esprit, si l'on couvre de terre et de pierres une image en cire, l’homme en vue duquel l’image a été faite est inquiet et tourmenté dans le lieu où les pierres ont été amoncelées, et n’est soulagé que lorsque l'image a élé remise au jour; alors il est délivré de ses anxiétés. Notez encore que si l'on brise une jambe à cette image, l’homme se ressent de cette frac- ture; il en est de même des piqûres et autres blessures semblables faites à l’image. Maintenant, apprenez la cause de ce phénomène; elle est dans la nécromancie, qui ne vous est sans doute pas inconnue. La nécromancie peut façonner des figures et des images qui paraissent réelles et ne le sont pas, mais elle ne peut nuire à un corps, à moins que l’esprit d’un autre homme ne soit en lutte avec l’esprit de ce corps. Aiïrsi le nécromancien fabrique un arbre et le plante en terre : celui qui frappera cet arbre se blessera lui-même, parce que son propre esprit est blessé par l'esprit de l'arbre, supérieur au sien. Cet esprit a, comme toi, des piedset des mains; si tu le frappes, il te frappe, car toi et ton esprit vous n'êtes qu’un. » (Chap. 7.) «Vous ne devez ni ignorer ni oublier que l'opération de la volonté est d’une grande importance en médecine. En effet, il peut se faire que celui qui se haït lui-même souffre réellement le mal qu'il s’est souhaité. La malédiction, en effet, dépend de l'esprit, et il peut arriver aussi qu'après des imprécations les images soient attaquées de maladies, comme de fièvres, d'épilepsies, d’apoplexies, etc., si ces images ont été bien prépa- rées. Ce n'est pas une plaisanterie, à médecins! vous ne connaissez aucu- nement la force de la volonté : la volonté est la mère de ces esprits avec (1) Mais, en vérité, il s’agit ici de vrais combats de diables, de ces diables aux- quels, plus haut (pag 405), Paracelse ne reconnaissait aucune puissance, et qu'il sé- parait si rigoureusement des esprits. Î | | | | | | | LE LIVRE DES ÊTRES : ÊTRE DE DIEU. 107 lesquels l'esprit rationnel n’a rien de commun. Cette même opération a lieu aussi dans les animaux, et beaucoup plus facilement que chez l'homme , l'esprit de l’homme résistant plus fortement que celui des bêtes (1). » (Chap. 8.) « Vous savez aussi qu’à l’aide des caractères un voleur est forcé de re- venir à l'endroit d’où il avait fui, et qu’il peut être percé de coups quoi- que éloigné de plusieurs milles (2). La cause de cela est bien digne de votre attention, car c’est le fondement de l’être spirituel. Si l’on peint sur un mur une image à la ressemblance d'un homme, il est certain que tous les coups et les blessures qu’on portera à cette image seront reçus par celui dont l’image offre la ressemblance (3); c’est le cas du voleur dont nous avons parlé. Cela tient à ce que l'esprit du voleur, par la volonté d’un autre esprit qui l’a peint ainsi, passe dans cette figure. Surtout n'oubliez pas que ces esprits, comme les hommes, sont très-belliqueux entre eux. Ainsi quel que soit le châtiment que vous demandez contre ce voleur, il le subira si vous l’infligez à cette image, parce que votre esprit a fixé l'esprit du voleur dans cette figure, de sorte qu'il est de- venu votre sujet et qu'il est forcé de subir tout ce qu'il vous plaira de lui infliger. » (Chap. 9.) C'était vraiment bien la peine de maudire les diableries et de tonner contre l’astrologie judiciaire! Voilà cependant l’homme qu’on a appelé le grand réformateur de la médecine! Et encore, de combien de passages semblables je vous épargne la lecture ; j'en tiens cent autres, que j'ai également traduits, à la disposi- tion de ceux qui ne seraient pas encore convaincus. V. De ente Dei (De l’étre de Dieu). — « Quoique (4) ies maladies soient produites par la nature, selon les quatre étres précités, il nous était cependant permis d’en chercher la guérison dans la foi et non dans la nature. Nous ne craignons donc pas de parler des quatre êtres, quoiqu'ils (1) Comparant encore ailleurs l'homme et les animaux, il dit que les animaux sont moins sujets au tartare que les hommes, attendu que chez eux l'esprit de coagula- tion est moins puissant que chez l'homme, qui se nourrit de toute chose et de tout esprit; il ajoute que c'est presque exclusivement le tartare du sang (inné, congénital, naturel), et non le tartare étranger (celui qui vient des aliments), qu’on observe chez les animaux. (De morbis tart., 8, et surtout 11.) (2) Toutes ces recettes sont plus vieilles que Paracelse, Caton, Pline et bien d’autres les ont données, et elles n’en valent pas mieux pour cela, (3) Si au moins on avait eu la photographie à sa disposition ! (4) L'auteur nous avertit, en tête de cette cinquième partie, qu'il quitte le style païen pour prendre le style chrétien ; l'avertissement était bon à donner, car on ne voit pas grande différence. 08 PARACELSE. aient quelque chose de païen, mais on trouvera le vrai fondement de la guérison dans ce cinquième livre, où est exposée la médecine véritable, les quatre autres livres de la Pratique étant écrits pour les païens et non pour les chrétiens. Nous voulons, en effet, que les fondements de la mé- decine soient connus de tous les hommes ; que les Turcs, les Sarrasins, les Chrétiens et les Juifs participent chacun à cette connaissance.» (V, 1.) «Maïs ayant en vue leschrétiens dans ce commentaire, nousles prierons de lire avec attention cette cinquième parenthèse (partie). [ls y appren- dront comment ils doivent chercher et traiter toutes les maladies, et cela de la manière suivante : Vous savez que ce ne sont pas les hommes, mais Dieu qui envoie la santé et les maladies (voy. plus haut, p. 369). Vous devrez ranger les maladies en deux ordres: la natureet le fléau. L'ordre naturel correspond aux premier, second, troisième, quatrième êtres; le fléau est le cinquième êire. » (Chap. 2.) Cette proposition ne s’accorde pas très-exactement avec celle-ci du même chapitre, qui, elle, ne laisse guère de prise à la théra- peutique naturelle « Il faut savoir que Dieu dispense la santé, envoie les maladies et montre les remèdes qui leur conviennent. Aussi les maladies se guéris- sent à leurs heures et non à notre gré et pensée. Aucun médecin ne sait le moment de la santé; cela est dans la main de Dieu; car la maladie est un purgatoire qu'il faut que Dieu remette. » On voit que ce n’est pas d'aujourd'hui qu’il y a deux méde- cines, l’une païenne, l’autre religieuse ; lune positive, l’autre mystique. Seulement, on a oublié de nous dire s’il y avait aussi deux espèces de maladies correspondantes. Hélas ! les rêveurs sont de tous les temps. — De la doctrine sur l’ens divinum dé- coule tout naturellement le fatalisme en médecine. « Nous avons dit que toute maladie était un feu de purification ou pur- gatoire ; que tout médecin se garde donc d'être assez téméraire pour se croire certain de l’heure de la guérison ou de la puissance de son opéra- tion médicale. L'une et l’autre, en effet, sont dans la main de Dieu. Si la prédestination n'est pas telle que vous la supposez, médecins, tous vos remèdes seront inutiles; mais si l'heure de la prédestination est proche, vous guérirez le malade. Notez ceci : si un malade se présente à vous, et que vous le guérissiez, c'est Dieu qui vous l’a envoyé; si vous ne le gué- rissez pas, il n’a pas été envoyé par Dieu. Car si le temps de la rédemption est venu, alors Dieu envoie le malade au médecin ; jamais avant ce femps: LE LIVRE DES ÊTRES : ÊTRE DE DIEU. 09 et ce qui arrive avant ce temps est en dehors du principe posé (1). Les médecins ignorants sont les démons du purgatoire envoyés par Dieu aux malades; le médecin intelligent est celui des malades pour qui l'heure de la guérison a sonné par l’ordre de Dieu. Sachez bien que la prédesti- nation ne saurait être précipitée, quelque empressé, quelque habile que soit le médecin; il faut (pour la guérison) que la fin du purgatoire soit proche. Celui à qui Dieu n’envoie pas un médecin messager de bonheur et de guérison, Dieu ne lui a pas donné de recouvrer la santé, » (Chap. 3.) Mais voilà que les conclusions ne répondraient guère aux pré- misses, si le miracle ne venait pas sauver les apparences de la contradiction : « Et quoique Dieu, puisque c’est lui qui nous a envoyé la maladie, puisse nous en délivrer sans médicaments d'aucune espèce, si l'heure en était venue et si la fin du purgatoire était proche, cependant il ne le fait pas, par la raison qu’il ne veut rien faire sans les hommes ou sans leur concours. S'il produit des miracles, c’est aussi humainement et par des hommes qu'il les manifeste; s’il guérit miraculeusement, c’est par des hommes, et il le fait aussi par les médecins. Mais comme il y a deux sortes de médecins : ceux qui guérissent miraculeusement et ceux qui emploient pour cela les médicaments, il faut les distinguer ainsi : celui qui a la foi guérit miraculeusement ; mais comme la foi n’est pas aussi forte chez les uns que chez les autres, si l’heure du purgatoire est écoulée et que cependant la foi ne soit pas venue, alors le médecin produit (ver- bringt-gaspille) le miracle que Dieu ferait merveilleusement si le malade avait la foi. » (Chap. /.) « Le malade en effet qui place sa confiance dans la médecine n’est pas chrétien; celui qui s’en rapporte à Dieu pour le résultat, qui lui laisse le soin de sa guérison, qu’elle se fasse miraculeusement par l'entremise des saints, soit par l’industrie particulière du malade, soit par les méde- cins, soit par les bonnes femmes, celui-là est chrétien ! » (Chap. 5.) « Dieu est le maître de la nature : il s'ensuit que :e médecin, servi- teur de la nature, ne peut guérir personne si Dieu ne l'envoie. Ainsi notez avec soin que l’ellébore conduit au vomissement. Mais il est faux de penser qu'on puisse être soulagé s’il est pris de la main d’un médecin quelconque; la raison en est que l'efficacité du remède n’a pas été pré- destinée au premier médecin venu; en effet, l’art du vrai médecin vient de Dieu, ainsi que la dose, la pratique et le principe. Alors le malade est envoyé au médecin et le médecin au malade. Toute cité qui nourrit un (1) C'est-à-dire, comme on pensait au xvn* siècle : le malade a guéri contre toutes les règles ; donc il doit toujours être malade, ou du moins il doit une répa- ration à la médecine orthodoxe, 110 PARACELSE. médecin habile qui a guéri plusieurs de ses habitants, a le droit de vanter son bonheur bien plus que celle qui accueille un mauvais médecin. En- tendons cela aussi des saints médecins que nous n'excluons nulle- ment (1). » (Chap. 7.) « Quant à chercher pourquoi Dieu a créé la médecine et les médecins, tout en guérissant lui-même par l'entremise des médecins, et pourquoi il ne guérit pas directement sans leur secours, ce sont là les secrets de Dieu : il ne veut pas que le malade sache que lui Dieu est médecin, afin que l’art et la pratique fassent des progrès, et pour que l’homme ne sente pas son aide seulement dans les miracles, maïs aussi par les créatures qui guérissent au nom du grand Créateur de la médecine, toujours avec sa permission et en son temps, comme nous l’avons déjà dit! » (Chap. 8.) On ne pouvait rien trouver de plus ingénieux pour maintenir la science des médecins devant l’omnipotence de Dieu. « Si l’on objecte, à propos des médecins païens, qu'ils soient chrétiens ou non croyants (car tous ceux qui ne suivent pas la vraie foi ne forment qu'une secte), qu'ils guérissent aussi bien les malades que les médecins fidèles, cette objection ne peut ni détruire ni affaiblir notre étre divin. En voici la raison : Si quelque chose doit cesser ou arriver, ceux-là doivent l’opérer (muss verbracht werden) qui en ont le pouvoir et qui sont là. Il y a cette différence entre le médecin païen et le médecin chré- tien que celui-ci n'opère pas contre la nature comme le païen. L’infidèle impose sa volonté, insiste, que le remède réussisse ou non, comme s’il était Dieu. Le médecin chrétien, après avoir fait le nécessaire pour le traitement, s’il ne réussit pas d’abord, laisse à l'heure et au temps de produire ce qu'il plaira à Dieu, » (Chap. 8, partic. 2.) En vérité, je crois qu’à ce compte un médecin païen vaut cent fois mieux qu'un médecin chrétien. Paracelse est, du reste, aussi païen que possible: car, plus que personne, il impose sa volonté et force les doses des remèdes quand le malade et la maladie résistent. On a dit de son christianisme qu’il était aussi faux que le catholicisme affiché par Voltaire en quelques occasions (2). À la suite du Paramirum, on place l'Opus Paramirum (1, X, p. 58 et suiv.), qui est d’une authenticité très-douteuse, Dans le premier livre, intitulé De origine morborum ex tribus substantiis, et qu'on tient pour plus paracelsique que les autres, l’auteur, (1) Ailleurs (voy. pages 432-335) il se montre moins accommodant. (2) Voyez Bremer : Vita et opiniones Paracelsi. Hauniae, 1836, in-8, p. 61. __ Orne DES TROIS SUBSTANCES PRIMORDIALES. hat quoiqu'il déclare que la première matière du monde est le FIAT prononcé par Dieu, entrevoit cependant, dans celte création de rien, trois substances primordiales : le soufre, le mercure et le sel (1), qui se trouvaient dans le limon dont l’homme est formé; l’homme n’est que ces trois substances et ces trois substances sont l’homme (voy. p. 369); c'est par elles, d’elles et en elles qu’existent le bien et le mal dans le corps physique; elles donnent la mesure de la santé et le poids de la maladie. « L’alchimie, ou le feu de Vulcain, en dégageant ces substances après la mort (car pendant la vie elles restent combinées et à l’état latent), embrasse ainsi trois éléments (2), trois substances, quatre astres, quatre terres, quatre eaux, quatre feux, quatre airs,et toutes les conditions, les habitudes, les propriétés et les natures de l’homme sans lesquelles il n'y a pas de maladie ; notion que vous avez perdue de vue, à médecins, lorsque vous écriviez que les maladies naissent des quatre humeurs, les- quelles cependant n’ont jamais eu rien de commun avec les éléments et les quatre ou les trois choses.» (1,2, p. 64.) L'auteur s’élève ensuite contre la doctrine des complexions ou des qualités chaudes, froides, etc., appliquées aux hommes sains ou malades. Si ces complexions existaient, elles ne seraient pas du ressort du médecin, car c’est la vie qui les donnerait, et la vie n’est pas du ressort du médecin (chap. 4.). Il faut s'attaquer aux maladies par des arcanes dirigés contre ce qui les caracté- rise ; ainsi l’instrument tranchant est l’arcane du calcul vésical, comme ce qui enlève la constipation est l’arcane de ia colique causée par la constipation. « La manie, n'est-ce pas par l'ouverture de la veine qu'on la guérit ? Et c’est là l’arcane de la manie, non le camphre, le nénufar, la sauge, la marjolaine, non les clystères, non les réfrigérants, non ceci, non cela, mais la saignée seule. Si ceci est vrai pour la manie, il en sera de même pour les autres maladies, car elles ne sont pas régies par d’autres lois. » (Chap. 4.) (1) Au chapitre 3, il est dit que ces trois substances sont des humeurs. Le corps est une humeur aussi. Mais ce ne sont pas les humeurs qui causent les maladies, c’est l’ens substantiale. Ce n’est pas la cause de la maladie qui est l’objet du trai- tement, mais le corps lui-même. Tout cela est à peu près incompréhensible, (2) « L'élément est la matrice de son fruit (de ce qui nait et existe), comme la terre est la matrice de son fruit, » (Chap. 4.) 4142 PARACELSE, Quant aux noms des maladies, il faut donner ceux qui repré- sentent l’origine ou le traitement ; ainsi il n°y a pas de mélanco- liques, mais des saturnins (chap. 4); il n’y a pas d’épilepsie, mais un Mnorbus viridellus, parce que la viridelle guérit certaines espèces d’épilepsie (chap. 6). La chaleur fébrile n’est pas matière ou cause de la fièvre; cette chaleur n’en est que le signe. La fièvre est l'inflammalion du nitre sulfureux, laquelle produit le trem- blement, le frisson et l’intermittence (chap. 6.—Voy. p. 384-385). DE NATURA RERUM (De la nature des choses): « La putréfaction (1) est le premier degré et le premier principe de la génération. Or la putréfaction est produite par la chaleur humide (2), car une telle chaleur change la forme primitive, l'essence, les forces et l'efficacité des choses naturelles. De même, dans le ventricule (estomac), la putréfaction transmute et réduit tous les aliments en excréments. Il est manifeste aussi, l'expérience de chaque jour le prouve, que plusieurs choses bonnes en soi, salubres et données comme remèdes, deviennent après la putréfaction mauvaises, insalubres, poison véritable. » (1, De generat, rer. nat., p. 200.) « Des hommes aussi pourront être produits de cette manière, sans père et mère naturels, c’est-à-dire sans le concours d’une femme selon les lois de la nature, comme les autres enfants; par l’art et l'industrie d’un ha- bile spagyrique, un être humain pourra naître et croître (3). Il n’est pas contraire même aux lois de la nature que des hommes naissent des ani- maux, et cela par des voies naturelles, mais non sans impiété et hérésie ! Il est possible également, et non contre les lois de la nature, qu’un homme et une femme engendrent un animal privé de raison. Et ici qu'on n’aille pas, à cause de cela, tenir la femme pour hérétique, comme si elle eût commis un acte contre nature ; c’est à son imagination qu'il faut at- tribuer ce résultat. » (I, p. 204.) « On ne doit pas ignorer que les animaux qui naissent de la putréfaction contiennent tous quelque poison et sont venimeux (4), les uns cepen- dant plus que les autres, et sous telle forme plus que sous telle autre, par exemple les serpents, les vipères, les crapauds, les grenouilles, les scor- pions, les basilics, les araignées, les abeïlles sauvages, les fourmis (5). » (I, p. 202.) (1) Ce qui suit est tiré, sauf indication contraire, du livre De natura rerum (Opp., t. VI, p. 198 et suiv.). (2) Voilà de bien vieilles idées pour un réformateur si implacable. (3) Les partisans les plus hardis de la génération spontanée n’en sont pas encore là. — Voyez aussi plus loin une opinion analogue de Van Helmont. (4) Voyez plus haut, page 398 (exs veneni). Tous les animaux, sans exception, ont relativement vénéneux. (5) Suivent les plus étranges idées sur les monstres et leur origine, Dieu les GÉNÉRATION, DESTRUCTION, RÉSURRECTION DES CHOSES NATUR. 413 Ce n’est pas l’air proprement dit qui vivifie tout corps ou toute substance, c’est une essence spirituelle, invisible, impalpable, un esprit occulte (je pense qu’on ne songera pas à l'oxygène), mais qui n’est cependant guère plus immatériel que l'esprit de sel. « Que serait le corps sans l'esprit? Rien absolument. L'esprit donc et non le corps contient cachées en soi la vertu et la puissance. Car la mort est dans le corps; il est le sujet de la mort, et l’on ne doit chercher autre chose dans le corps que la mort; il peut, en effet, périr et souffrir de diverses manières, mais il n'en est pas de même de l'esprit. L’esprit est toujours vivant et il est le sujet de la vie; il conserve aussi son corps vivant, mais, quand celui-ci périt, il s’en sépare, le laissant mort, et retourne au lieu d’où il est venu, c'est-à-dire dans le chaos, dans l’air du firmament inférieur et supérieur. Il y a les esprits du ciel, de l'enfer (1), de la terre, des métaux, des minéraux, du sel, des pierres précieuses; les esprits arsenicaux, des substances potables, des racines, des liquides, des chairs, du sang, des os (2), etc. Sachez donc que l'esprit est vraiment la vie et le baume de toutes les choses corporelles .» (IV, De vita rerumnat., p. 215.) « La vie des hommes n'est donc autre chose qu'une sorte de baume astral, une impression balsamique, un feu céleste et invisible, un air renfermé, une teinture d'esprit de sel. Je ne puis en donner de défini- tion plus claire, quoique plusieurs autres et avec d’autres expressions puissent en être proposées.» (IV, p. 114). Cela est vraiment malheureux, car une meilleure explication de la vie ne gâterait rien. « La vie des métaux consiste en une viscosité terrestre cachée qu'ils reçoivent du soufre, ce que démontre leur fusibilité, car tout ce qui est fusible par le feu le doit à cette graisse latente. Si elle n'existait pas, aucun métal ne serait fusible, » (IV, p. 214). La chimie vaut la physiologie. « La vie des os est la liqueur de mumie (3); celle de la chair et du déteste et les hommes les ont en horreur. — Les deux livres suivants ont pour titre : De crescentibus et De conservatione rerum naturalium. Je n’y ai rien trouvé à noter ici. (4) Mais voyez page 405. (2) Voilà l’anatomie de Paracelse ! (3) C'est ou la synovie, ou quelque autre liqueur gluante, indéterminée, que Paracelse désigne par ces mots (cf. p, 437, note 2). — Voyez, pour ce terme mumie et h1% PARACELSE. sang n'est autre que l'esprit de sel qui les préservé de la mauvaise odeur et de la putréfaction, et qui de lui-même, comme l’eau, se sépare d’eux. » (IV, p. 245.) « Quant à la vie des éléments, on saura, par exemple, que la vie de l’eau consiste dans son courant. En effet, lorsque, par suite du froid, ellese solidifie et se couvre de glace, alors elle meurt et tout moyen de nuire lui est Ôté, puisque personne ne peut plus s’y noyer ! — Le feu vit d’un certain air; l’air vit de lui seul et donne la vie à toutes les autres choses. La terre par elle-même est morte ; mais ses éléments ont une vie invisible et occulte. » (IV, p.215.) « La mort de toutes les choses naturelles n’est autre que l’altération et la destruction de leurs forces et de leurs vertus; la prédominance du mal et l’anéantissement du bien; la destruction de la nature première et l’origine d’une nature nouvelle (1). On doit savoir, en effet, que beau- coup de choses qui, pendant leur vie, étaient douées de qualités bonnes et utiles, après leur mort n'en gardent rien ou presque rien et ne sont plus d'aucun usage. » (V, De morte rerum naturalium, p. 215.) «La mort de l’homme n'est autre chose que la fin du travail de chaque jour, la suppression de l’air et du baume, l'extinction de la lu- mière naturelle, et la grande séparation des trois substances, corps, âme, esprit (2), et le retour dans le sein maternel. Puisque, en effet, dans la nature, l'homme terrestre vient de la terre, la terre aussi sera sa mère, et il faut qu'il retourne en elle et qu'il y laisse sa chair terrestre naturelle, pour renaître, au dernier jour, avec une chair nouvelle bril- lante d’une clarté céleste, comme le Christ le dit à Nicodème lorsqu'il vint à lui durant la nuit; on doit, en effet, entendre ces paroles de la régénération. — La mort et la mortification des métaux est la désagréga- tion de l’assemblage de leur corps propre et de la graisse sulfureuse; ce qui peut avoir lieu de diverses manières : par calcination, réverbération, résolution, cémentation et sublimation (3) ». « Il existe une grande différence entre les mots mort (Sterben) et mor- tification (tôdten), et l'on ne doit pas les confondre, car leur signification est tout à fait différente. Voyez en effet un homme qui meurt (stirbet) pour beaucoup d’autres, Rulandus, Lexicon alchemiae; Dornaeus, Dictionarium Pa- racelsi; Johnson, Lexicon chymicum. Quoique fort incomplets, ces ouvrages four- nisseut des renseignements utiles. (1) Cette idée n'appartient pas à Paracelse, mais à Aristote. (2) On voit par ce passage, et par les précédents, que Paracelse se rapproche plutôt des vitalistes que des animistes, puisqu'il admet un principe particulier pour expliquer la vie. Mais il faut se garder de chercher les rapprochements entre des idées aussi vagues et sans conscience d’elles-mêmes avec des systèmes plus ou moins définis. (3) Suivent des détails sur ces diverses opérations. GÉNÉRATION, DESTRUCTION, RÉSURRECTION DES CHOSES NATUR. 15 de la mort naturelle et prédestinée, que reste-t-il en lui de bon et d’utile ? Rien : qu'il serve seulement de pâture aux vers. Mais il n’en est pas de même d’un homme mort (getüdten) par le glaive ou de toute autre ma- nière violente ; tout son corps, en effet, est bon et utile, et l’on peut en tirer une mumie très-précieuse. Car quoique l'esprit de vie se soit retiré de son corps, le baume cependant y demeure et avec lui une vie latente, ce baume qui préserve les autres corps humains de pourriture !.... Pour tous les animaux qui n’ont pas de naissance propre, mais que produit la putréfaction, comme les mouches, s'ils périssent dans l’eau de telle sorte qu'aucune apparence de vie ne se voie plus en eux, et s'ils sont laissés ainsi, ils demeurent morts et ne reviendront jamais d'eux-mêmes à la vie. Que si on les couvre de sel ou qu'on les expose à la chaleur du soleil ou d'une fournaise, ils reviennent à leur vie première, et c’est là leur résuscitation. Sans cela ils restent morts (1). Vous voyez la même chose chez le serpent. Si on le coupe en tronçons, qu’on les mette dans une courge, et qu’on laisse le tout dans le ventre d'un cheval jusqu’à putré- faction, le serpent renaîtra tout entier dans le verre, sous la forme de petits vers ou de semence de pcissons ! Que si ces petits vers sont nourris et élevés, comme il convient, dans la putréfaction, on verra sou- vent d'un seul serpent en naître cent, dont chacun est aussi grand que le premier; ce que la putréfaction peut seule produire. Comme je l’ai dit du serpent, beaucoup d'animaux peuvent être rappelés à la vie et re- formés. C’est d’après ce procédé que Hermès et Virgile ont essayé, à l’aide de la nécromancie, de revenir à la vie après leur mort, et de renaître enfants, mais ils ne réussirent pas dans leur tentative qui tourna mal!» (VI, De resuscitatione rerum natur., p. 224.) Si l’on veut avoir une idée exacte de l’anatomie (2) et de la chi- mie organique de Paracelse, il suffira de lire le passage suivant, où l’on voit en même temps que la thérapeutique de notre réfor- mateur n’était pas moins extravaganie que sa physiologie. Encore Je vous fais grâce de tout ce qu’il dit sur la phystognomonie, la chiromancie, la signature des animaux et des plantes, la manière de préjuger de leurs astres; cela remplit le [X° et dernier livre. (1) Une vue assez juste sur la révivification, immédiatement suivie de contes de vieilles femmes, Paracelse a pris pour des résurrections de serpents, sous la forme de vers, les vers qui naissent sur leurs tronçons pourris; il croit aussi que les lionceaux naissent morts, et qu'ils sont ressuscités par les cris formidables de leurs parents. (2) Voyez aussi page 370 et suiv. Les livres VI, VII et une partie du VII du traité De natura rerum, se rapportent à peu près exclusivement à la résurrection, à la éransmutation et à la séparation des métaux. 416 PARACELSE. Si cette partie de l'ouvrage est de Paracelse, il y a oublié ses imprécations contre lastrologie judiciaire, ou du moins il ne rejette là qu'une certaine parte de cette astrologie. « De la séparation des animaux. — La séparation des animaux doit pré- céder les opérations anatomiques, de sorte que le sang soit d’un côté, de l’autre la chair, d’un autre les os, puis la peau, les intestins, les ten- dons (haarwachss) ; ensuite chacune de ces choses doit être divisée par l’art spagyrique. Il y a quatre divisions principales. La première sépare du sang l'humidité aqueuse et flegmatique (serum). Le sang étant ainsi traité, il est préparé pour une admirable mumie, ce spécifique si puis- sant qu’en vingt-quatre heures il guérit et consolide, avec une seulé ligature, toute blessure récente ! « La seconde opération consiste à séparer la graisse de la chair. Après cette séparation se produit ce baume souverain qui apaise les douleurs de la goutte, de la contracture et d’autres affections de même nature, si on l’emploie chaud pour en oindre les membres affectés; il est également utile en onctions pour les foulures des tendons des mains et des pieds; il guérit même la gale et toutes les espèces de lèpre.Ce spécifique chirur- gical est irrésistible dans tous les cas et convient à toutes les blessures. « La troisième séparation est celle de l'humidité aqueuse et flegma- tique d’avec la graisse extraite des os. En effet, si par l’art spagyrique, au moyen d’une distillation graduée, ces deux matières ont été séparées des os et qu'on ait réduit les os en cendre blanche par la calcination; qu’enfin ces trois substances soient de nouveau unies d’une manière convenable, de façon à prendre l'aspect du beurre, on arrivera à posséder un grand et souverain arcane et un spécifique avec lequel on pourra guérir sans douleur toute fracture avec seulement trois ligatures pourvu qu'on traite et dispose la fracture selon les règles de l’art chirurgical (voy. p. 450 et suiv.) ; alors on appliquera le spécifique sous forme d’em- plâtre, etc. Il guérit aussi en peu de temps les blessures du crâne et toute autre espèce de contusion des os. « La quatrième et dernière séparation est l'extraction des résines el des sommes de la peau, des intestins et des parties tendineuses. En effet, la résine qu'on en retire par l’art spagyrique, coagulée aux rayons du soleil, devient une glu brillante et transparente. Après cette extraction faite selon les règles, on obtient un secret et un spécifique styptique d’une grande puissance qui cicatrise en peu de temps une plaie ou un ulcère et en rapproche et réunit les lèvres de même que deux planches sont réunies par de la colle forte. Il suffira d’injecter dans la plaie deux ou trois gouttes de ce spécifique après qu’on l'aura fait dissoudre. C’est aussi un remède excellent pour la perte de la peau, la chute, la congélation des ongles, et pour faire repousser une peau solide sur la chair dénudée, si l’on enduit les parties avec une plume. » (VIII, p. 245.) PHARMACOLOGIE ET THÉRAPEUTIQUE. h17 Puis vient le jugement dernier, après la dissolution naturelle de toutes les choses terrestres. PHARMACOLOGIE ET THÉRAPEUTIQUE. — Les principes de la pharmacologie de Paracelse sont longuement exposés dans le livre De gradibus et compositionibus receptorum ac natura- lium (1). L'auteur réduit les quatre complexions ou diathèses des anciens à deux, le chaud et le froid, attendu que tout ce qui est chaud est sec et que tout ce qui est froid est humide; il insiste sur la relation qu’il suppose exister entre la couleur et les vertus des substances médicamenteuses; il admet aussi des degrés dans les maladies, les couleurs, la chaleur. « Outre les essences dont j'ai fait mention äans les livres précédents, il existe une autre nature ou essence des corps qui est dite quintessence, ou, comme parlent les philosophes, accident élémentaire, ou encore, comme disent les anciens physiciens, forme spécifique. On l'appelle cinquième essence parce que les trois premières en comprennent quatre (2), par conséquent celle qu'on nomme ici cinquième est un accident élémen- taire (3); sa nature n’est ni chaude ni froide et en dehors de toute com- plexion en elle-même. Un exemple nous fera mieux comprendre : la cinquième essence est la seule qui affermisse la santé; de même que dans un homme la force ou la santé est menée à bonne fin en dehors de toute complexion (?), ainsi la vertu est latente dans la nature. Car tout ce qui chasse les maladies n’est autre chose qu’une sorte de confortation, de même qu’on repousse un ennemi par la force. » (IL, 4.) (1) Opera, t. VIT, p. 5 et suiv. — De cet ouvrage on ne possède qu'une traduc- üon latine. (2) Si l’on compare entre eux les chapitres 2 à 8 du [°® livre, les chapitres 1 et 6 du IT, enfin les chapitres 1 et 2 du ILE®, on trouvera, si je ne me trompe (cette ré- serve est de rigueur en pareille matière), que les trois premières essences (accidents innés) sont les complexions chaudes et froides (les seules que Paracelse admette : voyez ci-dessus, même page, 1. 6), et le relolleum (virtus ex complexionc), la qua- trième essence est peut-être le degré qui correspond à l’un des quatre éléments (I, 4). — Voyez aussi pages 369 et 411. (3) Les idées que Paracelse se faisait de la quintessence (un extrait parfait, pur, incorruplble, dégagé de tout élément) ne sont pas fort éloignées de celles que Galien avait sur certains médicaments qui agissent, non par leurs propriétés élémentaires, mais par foute leur substance. Ce sont aussi des espèces de spéci- liques. (Voyez aussi pages 392-393 et page 389. Cf Archidox., particulièr, le livre IV.) Le reste, dans Paracelse, est à peu près incompréhensible, ou, mutatis mutandis, se rapproche de la doctrine galénique. DAREMBERG. 27 h18 F Fe PARACELSE. « Tout ce qui fortifie est tempéré. Tout spécifique est une quintessence sans aucune corruption dans son corps. En outre la quintessence seule est tempérée; tous les corps sont élémentés dans leur nature et leur acci- dent. » (III, 4.) Laissons de côté tout ce qui regarde les tableaux fantas- tiques des degrés (on n’en trouverait pas de semblables dans Galien), et les calculs employés pour le mélange des drogues ou la composition des recettes; notons seulement, au milieu de tout ce fatras, les remarques suivantes : « Sachez que les choses de la nature (les remèdes) ne sont pas graduées, quant à la dose, dans un rapport [proportionnel] exact (ex aequo) avec la maladie ; mais chacune de ces choses a son degré égal à sa maladie eor- respondante; c’est le degré de la dose... Du reste, dans les choses de la nature et dans les maladies, il y a de chaque côté un degré... Il faut sur- tout chercher l'égalité entre la maladie et le médicament... La quantité (copia) de la maladie montre la quantité de la dose (1); en conséquence, le médecin doil savoir quel est le poids (pondus) de la maladie, car il faudra un poids équivalent pour remède. On administre le poids, non le degré ; c’est là le principe à l’aide duquel on trouve la dose... Quand la maladie est amenée à l'égalité, il en résulte aussitôt que la nature guérit ee qui lui est coniraire (2). » (VI, 1 et 2.) Appliquant ces beaux raisonnements sur la vertu des plantes, sur leurs arcanes ou quintessences, sur leurs degrés, à la théra- peutique spéciale, Paracelse se montre aussi détestable clini- cien (3) que mauvais pathologiste. (1) S'il y a une règle de proportion à établir entre la maladie et la dose du mé- dicament, on doit encore tenir compte, quant à la dose du médicament, de la forme sous laquelle il est administré, pour la déterminer et établir la proportion. Cela ressort, ce me semble, des chapitres suivants, (2) Paracelse n’est pas homme à persévérer longtemps dans les mêmes idées, et comment le pouvait-il faire, puisque ses idées viennent de la fantaisie, non de la science ? Ainsi dans le traité Des causes et de l’origine des maladies vénériennes (voy.11 et 12, s’il est vrai toutefois que cet appendice de la Grande Chirurgie soit absolument de lui), on lit cette phrase : que l’action d’un médicament dépend non de la quantité, mais de la vertu (or, il ne semble pas probable, malgré beaucoup d’obscurité, que dans le passage du De gradibus, dose soit synonyme de vertu), il compare l’action thérapeutique à un incendie allumé par une étincelle ; c’est pres- que de la vraie homæopathie, eu égard au système infinitésimal. (3) Dans toutes les œuvres authentiques de Paracelse, il n’y a pas une seule xéri- able observation ; les Consilia qui portent son nom ne paraissent pas authentiques, PHARMACOLOGIE ET THÉRAPEUTIQUE. 119 .« On compte plus de deux cents espèces de fièvres, et cependant il n'y a en somme (per omnia) qu'une seule et même fièvre [par excellence]; d'où l’on inférera que le traitement doit être de même nature que l’es- pèce pour chacune d'elles (?); car autant il y a d'espèces d’une maladie, aulant il y a de simples du même qui lui sont opposés. Il en résulte deux espèces de remèdes, les nalurels et ceux qui viennent de l’expérimenta- tion (empiriques). Ce qui importe, c’est que la vertu aille à l’arcane. En effef, autant de maladies, autant d’arcanes (1). » (VII, 1.) « La lavandule est le souverain magistère dans la paralysie; la mélisse aussi, mais à un degré moindre. Il peut se faire cependant que dans uné autre circonstance, contre la paralysie elle-même, la mélisse l'emporte par ses vertus sur la lavandule, Il arrive donc souvent que dans une ma- ladie le même simple soulage l’un et non l’autre; qu’il enlève quelque chose à la maladie sans la guérir entièrement. Dans la paralysie, en effet, l'or, s’il est bien administré, est un remède, ainsi que la viticelle, la bétoine, la masorée et plusieurs autres plantes : quelquefois en effet on donne la bétoine avec succès, d’autres fois sans succès. » (VIT, 2.) Et ainsi pour cent autres médicaments. Alors sur quoi se fonder pour choisir s’il n’y a pas plus de certitude sur leurs effets? Il y a quelque chose d’un peu moins déraisonnable dans ce qui suit; mais on voit que c'est le hasard qui amène ces sortes de demi-vérités. « L'art d’un bon médecin ne consiste pas à savoir ce qu'il veut ou doit purger, la bile, le sang, le phlegme ou l’atrabile, mais il doit seulement veiller à ce que l'anatomie laxative (la vertu laxative) soit mise en pré- sence de l’anetomie (de la nature) de la maladie et la eombatte. D'où il suit qu'on ne doit évacuer que ce qui, dans l'anatomie (/e corps) (2), est contraire et nuisible. Car ce n’est pas en purgeant comme il a plu au médecin, que le traitement réussit, mais comme il a plu à la nature qui agit sur elle-même. Que le médecin se conforme donc à cela : qu'il ne s'attache pas à expulser quelqu’une des choses susdites, comme la bile et le phlegme, mais cela seulement qui est contraire à la nature. » (VII, Chap. 5.) Après avoir dit ce qu'est la faculté purgative, Paracelse expose (1) On sait que Paracelse, outre les arcanes généraux, avait quelques prépara- tions plus ou moins mystérieuses dont il se disait l'inventeur : par exemple, un laudanum qui n’a rien de commun avec celui de Sydenham, des opiats, un 0po- deldoch. (2) On voit encore ici combien de sens, excepté le bon, a ce mot anatomie. v 20 PARACELSE, ce que sont les autres facultés, par exemple la faculté confor- tative. « La nature peut pécher quelquefois par la vertu appétitive. En effet, avant que Mars (Ares : la guerre déclarée ?) soit produit toutentier, Archeus entretient en soi par son #lech (son principe occulte) une inimitié cachée contre le Microcosme. Il en est ainsi pour celui à qui plaît une femme et point une autre, quoique dans toutes deux soit l’un et le même. Mais le médecin ne doit point s’occuper de cela, car partout où Archeus simule du dégoût et prend en haine sa nature et son propre ouvrage,le médecin, comme son ministre, ne peut réprimer cet éloignement archéique. En conséquence il faut savoir que dans la manière de préparer les compo- sitions, il arrive souvent qu'Archeus veut que son anatomie (1) soit com- posée en une chose et point en une autre (2). Ce mode de composition se connaît par les degrés spagyriques : car si Archeus est vaincu, à savoir dans son ilech, il en est comme d’une femme qui ne plaît à quelqu'un qu'ornée de vêtements brillants et multicolores. On sait en effet par la philosophie que les arcanes n’ont été constitués que pour se servir envers Archeus de ces ornements pompeux ; souvent même il ne permet aucune opération aux arcanes avant qu'il ne défaille en lui-même. Ainsi, dans ce que nous ayons dit, on doit entendre seulement la force et l'énergie tant d’Archeus que de l’arcane. » (VIE, 7.) Paracelse a une théorie fort pieuse (mais peu charitable envers ses confrères) pour expliquer les vertus curatives des bains (3). «Comme la Providence divine voyait d'avance, dansle miroir de la prophé- lie, la venue de cesimposteurs(les médecins), elle envoya la charité envers le prochain ; pour soigner le blessé de Jéricho elle chercha des médecins non dans les académies, mais chez les Samaritains laïques, et par le vin et l'huile elle sauva et guérit le blessé en dehors des recettes perfides des imposteurs. Dieu fait donc éclater sa puissance pour empêcher les faux médecins de tromper les malades, et aussi pour que ceux qui ont été trompés depuis longtemps soient directement, par lui, rendus à la santé, à l’aide des compositions divines que fournissent les thermes ou bains chauds, par exemple ceux de Piperino. » (Préf. 1, p. 200.) «Toutes les productions de la terre, et tout ce qui s’y voit, consistent en trois choses: le soufre, le sel et le mercure (h). La philosophie le dé- (4) Voyez plus haut, p. 419, note 2, et p. 370. (2) Si cela est quelque chose, c’est plutôt du vifalisme que du naturisme. (3) De thermarum Piperinarum (Bad zu Pfeffers) in superiori Helvetia sitarum virtutibus, operationibus, ortu et scaturigine explicatio (Opp.,t. VIT, p.200 etsuiv.). (&) Voyez page 411. THÉRAPEUTIQUE. — BAINS DE PIPERINO. L24 montre dans la génération des métaux, des pierres et des fruits qui nais- sent de la terre: d’où il suit qu'on doit trouver dans les dernières ma- tières les trois principes qui forment la matière première; et de cette connaissance suivra celle des forces et des facultés. J'avance ceci parce que les bains qui se trouvent en Europe, du moins ceux qui me sont connus, trahissent d'eux-mêmes la nature de leur matière première et de leur corps. » (Chap. 1, p. 201.) Paracelse explique ensuite l’intermittence des jaillissements des thermes de Piperino. « Tout ce que Dieu a créé est destiné à renaître : par la mort le jeune renaît du vieux. Aussi à chaque créature a été fixé un terme qu'elle ne peut dépasser, qu’elle soit bonne ou mauvaise. La lune se renouvelle toutes les quatre semaines... Si l’ortie dépassait le terme à elle fixé, de quelle äcreté, de quel feu ne serait-elle pas douée ! De même pour Ha rose, qui pourrait supporter son parfum ? Dieu a donc fixé des bornes tant aux bonnes qu'aux mauvaises choses, afin qu'aucune ne s’élevât trop haut; cela en effet serait nuisible. Il en est ainsi du renouvellement : des eaux dans le bain de Piperino ; elles doivent renaître, et cela dans le but de conserver leur vertu à un degré égal, de façon à n'être ni meil- leures ni plus mauvaises. La renaissance des eaux commence avec le printemps et finit avec l'hiver, c’est-à-dire en même temps que naissent et meurent les plantes sous l’action du soleil. » (Chap. 1, p. 205.) Après avoir parlé des diverses espèces de chaleur, de la variété des actions correspondantes et des putréfactions qui en résultent, l’auteur indique le mode d’action de ces bains. Ce petit livre est tenu pour un de ses meilleurs; je dirai qu’il est un des moins extravagants et qu'il renferme quelques observations justes, mais toujours enveloppées des hallucinations d’un esprit déréglé. « Il faut convenir que la chaleur attractive de l’eau dans le bain de Piperino l'emporte de beaucoup sur celle des autres attractifs. En effet, l'essence de la chaleur augmente la force attractive, et dans cette opéra- tion aucun autre médicament ne peut lui être comparé. La chaleur doit donc être prise en grande considération et à l'instar d’un arcane.—Notons en outre qu'il est des maladies qui ne sont pas ramenées aux purgations externes, comme la goutte des pieds, la goutte des articulations, la con- tracture, les blessures, ete. Voyons pour quelles raisons les bains sou- lagent ces maladies. Le bain de Piperino offre toutes les vertus que l'on trouve dans la Terpentine subtile ou les liqueurs des mâchoires (liquores der Mendibel). Cet effet ne résulte ni de la chaleur ni du froid, mais d’une 122 PARACELSE. autre vertu particulière donnée par Dieu pour le salut des malades. On trouve en éffet ici la vertu de l’va potable {médecine contre les contractures), Dans cé cas le médecin tie peut donc expulser la maladie présente ni par les purgations internes, ni par les purgations externes, mais il doit la ra- mener aux arcanes de l’/va arthétique (médecine contre les membres con- tractés) qui se trouve ici en assez grande abondance. La chaleur innée est aussi ici très-utile, car par sa douceur elle approche beaucoup de la cha- leur humaine. La chaleur innée produit en effet des choses merveilleuses, comme on lé voit dans la poule dont la Chaleur fait éclore les poussins. C’est aussi la chaleur qui donne la vie aux vers à soie. Ainsi la chaleur des vierges ou des femmes prolonge la vie dans le corps des vieillards ! Puisque donc cette chaleur est innée, l’eau de Piperino sera d’une effica- éité merveilleuse et surpassant tous les simples de même nature qui n’ont aucune chaleur sensible. » (Chap. 2, p.205.) : «L'effet de cé bain sur les maladies se produit de deux manières : d'abord par l'extraction, puis par consomption de la matière morbi- fique. Prenons un exemple : De même que Dieu a donné à l’aimant la vértu d'attirer le fer, ainsi il a doué ces eaux d'une force attractive pour extraire des membres du corps (1) toutes les maladies qui sont du do- Maine de la chirurgie. Cette eau est un remède dont le chirurgien doit faire usage dans tous les cas désespérés. Si la nature ne suffit pas à l'opé- ration, ce bain la remplace. Comment? demanderez-vous : Par la vertu magnétique. » (Chap. 8, p. 205.) Suit une longue et curieuse liste des maladies contre lesquelles il convient de conseiller les bains de Piperino, qui guérissent aussi sûrement que la piscine de Siloë. La cure durait de neuf à dix jours. L’opuscule se termine par l'indication du régime à suivre quand on prend les eaux de Piperino (2). La Réponse à quelques accusations (3) est un des écrits les plus curieux de Paracelse. Le caractère de l’homme s’y montre dans (4) C'est-à-dire, d’après le glossaire qui se trouve à la fin de l’opuscule : /es ca- vités de la chair et du corps. (2) C'est peut-être le seul livre, avec ceux qui sont consacrés aux maladies tarta- réennhes, où l’on trouve une certaine ordonnance de régime ; partout ailleurs notre auteur-en parle beaucoup, mais il n’a pas l'air d’en tenir grand compte, même dans la Grande Chirurgie, où il blâme si amèrement celui que prescrivaient ses con- frères. — Du reste, il n’y a rien dans Paracelse qui rappelle, même de loin, les ad- mirables préceptes d'Hippocrate. (3) Responsio ad quasdam accusationes et calumnias suorum aemulorum et obtrec- tatorum (Opp., t. IL, p. 112 et suiv.). SA DÉFENSE. ATTAQUES CONTRE LES AUTRES MÉDECINS. 123 son plein jour ; on y trouve sur sa vie aventureuse beaucoup de détails qui révèlent le désordre de son esprit et l’extrava- sance de son caractère. Il est le Christ de la médecine ; ses côn« frères sont les faux prophètes et les Antechrists qui tiennent du diable le pouvoir de faire des miracles et de tromper le public. Lui qui, tout à l'heure, ne voulait pas qu'on brusquât la volonté de Dieu dans la cure des maladies, il s'emporte contre leurs len- teurs qu’il prétend être calculées en vue du gain. — Il se vante d’avoir décrit le premier, et guéri le premier aussi, avec des remèdes spécifiques, la danse de Saint-Vit, l’apoplexie, l’épilepsie, la manie du suicide, les maux qui viennent de maléfices, d’in- cantalions, de possessions. — Il doit toutes ses connaissances et ses succés à sa science en astronomie. Les recettes et les déno= minations nouvelles qu’on lui reproche sont nécessitées par les révélations qu'il a eues. « Ce que je dis des obsessions parait à mes confrères fort confus. Mais voici pourquoi j'ai écrit ainsi : Puisque le jeûne et la prière chassent les esprits immondes, je pense que le médecin doit avant tout chercher le royaume de Dieu, ensuite se servir de ses propres ressources. S'il lui est donné de guérir un malade par des prières, qu'il ne méprise pas ce moyen de guérison. S'il lui est donné de guérir par des jeûnes, ce sera pour lui un confortatif précieux. Répondez-moi : La médecine n'est-elle contenue que dans les plantes, les arbres et les pierres, et non aussi dans les paroles ? « [Si vous voulez agir en conformité] alors je vous expliquerai ce que sont les paroles. Quel est ce mot, Ne fais pas (Nicht thue)? Réponse : telle est la maladie, tel est le remède. Si la maladie est confiée aux plantes, les plantes la guérissent ; si aux pierres, les pierres soulagent ; si au jeûne, le jeûne la chasse (1). L'obsession est une très-grande maladie. Si le Christ lui-même en indique le traitement, pourquoi ne scruterais-je pas l'Écriture qui contient et donne les recettes pour cette maladie ? Le ciel engendre les maladies, le médecin les chasse. » (Def. 2, p. 119.) Puis Paracelse ajoute, sur l’usage thérapeutique des poisons, quelques réflexions, les unes qui ont un semblant de raison, les autres qui sont tout à fait fausses, et qui toutes, du moins, ne dépendent d'aucun principe scientifique, malgré les réflexions (4) Voilà une thérapeutique bien simple et bien commode, 24 ; PARACELSE. de l’auteur sur les changements que les préparations amènent dans l’action des substances vénéneuses et médicamenteuses. — Du reste, cela avait été dit avant lui. « Outre les accusations dont j'ai parlé jusqu'ici, les médecins inhabiles et ignorants me poursuivent encore de leurs clameurs en disant que mes recettes sont des poisons, des corrosifs et un extrait de toutes les mali- gnités toxiques de la nature. Pour repousser cette accusation, je leur de- manderais, au cas où ils fussent eux-mêmes capables de répondre, d'abord s’ils savent ce qui est poison et ce qui ne l’est pas, ou si aucun mystère de la nature ne se cache dans le poison. Sur ce point, en effet, et sur les vertus naturelles ils sont eux-mêmes tout à fait ignorants. Parmi les choses créées par Dieu, quelle est celle qu'il n’a pas douée de qualités étonnantes et en même temps salutaires ? Pourquoi en exclure le poison, quand surtout ce n’est pas du poison lui-même, mais de la nature qu'on s’enquiert? En confirmation de mon dire, prenons cet exemple : Jetez les yeux sur un Crapaud; quelque venimeux et horrible à voir qu'il soit, la grande vertu mystérieuse qu'il renferme est souveraine pour le traite- ment de la peste ! Si l’on oubliait cette vertu à cause du venin du cra- paud et de l'horreur qu'il inspire, quelle honte, je vous le demande ? Qui est l’auteur de cette recette naturelle? N'est-ce pas Dieu ? Pour- quoi donc en dédaignerai-je, en rejetterai-je la composition ? Et si Dieu en est l’auteur, qu'y pourrai-je trouver à reprendre ? C’est lui dont la main renferme toute sagesse et qui sait à qui il doit donner chaque mystere. Pourquoi done m'étonner ou avoir horreur de ce qui contient quelque poison, mais en même temps un précieux mystère ? « Celui qui dédaigne le poison ignore ce qui se cache dans le poison. En effet, telle est la bénédiction et l'efficacité de l’arcane du poison, que le poison lui-même ne peut rien en enlever ni y ajouter. Mais comme je ne vous crois pas encore assez COnvainCcus, je veux pour ma défense m'étendre davantage, puisque j'ai entrepris une fois pour toutes de trai- ter des poisons. « Vous savez que la thériaque est tirée du serpent vipère : pourquoi donc n’attaquez-vous pas voire thériaque qui contient le venin de ce ser- pent? Mais vous gardez le silence parce que vous avez éprouvé que la thériaque est utile et n'est pas dangereuse. Maintenant, si ma médecine est comme la thériaque, pourquoi la rejeter uniquement parce qu'elle est nouvelle ? Pourquoi son efficacité n'égalerait-elle pas celle d’un système ancien ? Et si vraiment il vous convenait d examiner chaque poison, que trouverez-vous, je vous le demande, qui ne soit pas un poison ? Tout est poison et rien n'existe sans poison (1). La dose seule fait que le poison est insensible. Prenons un exemple : La nourriture et la boisson, quelles (4) Voyez pages 398 et 412. SA DÉFENSE. ATTAQUES CONTRE LES AUTRES MÉDECINS. 125 qu’elles soient, si vous dépassez une juste quantité, seront du poison. L'événement le prouve. Bien plus, j'accorde que le poison est du poison, mais je n’accorde pas qu’à cause de cela on doive le rejeter. Pourquoi donc n’existe-t-il rien qui ne soit du poison? et pourquoi le corrigez-vous ? Afin que le poison ne nuise pas. Que si moi aussi je le corrige dans ce but, pourquoi me blâmez-vous ? Vous savez, je pense, que le vif-argent est un poison; l'expérience de chaque jour le prouve. Cependant vous avez cou- tume d’en frotter le corps des malades (contre la syphilis) avec plus de soin que les cordonniers n’en mettent à oindre de graisse le cuir qu'ils emploient. Vous faites des fumigations avec le cinnabre du vif-argent, vous lavez avec son sublimé, et cependant vous ne voulez pas qu’on nomme poison ce qui est du poison et que vous introduisez dans le corps de l’homme en disant que c’est quelque chose de bon et de salutaire, quand il est corrigé par la céruse, comme s’il cessait ainsi d’être poison. Faites examiner à Nuremberg mes recettes et les vôtres, vous saurez alors qui de nous administre des poisons. Vous ne connaissez ni la dose ni la cor- rection du mercure, mais vous frottez jusqu'à ce qu'il pénètre. «Je vous demanderai encore une chose : à savoir, si vos recettes, que vous dites ne pas contenir de poison, peuvent guérir le mal caduc ou ne peuvent pas le guérir? ou la goutte ? ou l’apoplexie ? Est-ce avec votre sucre aux roses que vous guérirez la danse de Saint-Vit, ou les lunatiques et autres maladies semblables ? Jamais ! Que si donc il faut d’autres re- mèdes, pourquoi me blâmer parce que j'emploie ce que je dois employer, c'est-à-dire ce qui est destiné au traitement de ces maladies ? « Si le bien peut produire le mal, le bien peut aussi naître du mal. On ne doit point rejeter un produit dont on ne connaît pas la transmutation et dont on ignore comment s'opère la séparation. Si tel produit est un poison, cependant il peut être facilement ramené à quelque chose qui n’en soit pas (1). L'’arsenic, par exemple, est le plus grand des poisons, Car une seule drachme d’arsenic fait périr un cheval. Brûlé avec du sel de nitre, il cesse d être un poison. Si vous en prenez dix livres après cette modification, vous ne sentirez aucun mal. Voyez la différence et ce que pro- duit la préparation.» (Def. 3, p.121.) « Quant à mes recettes, remarquez seulement que tout ce que j'em- ploie dans leur composition contient un arcane qui sert à expulser ce qui est contraire. Voyez aussi comment je procède. Je sépare ce qui est arcane de ce qui ne l’est pas, et j'assigne à l’arcane lui-même la dose fixée. Il me parait maintenant certain que j'ai suffisamment défendu mes recettes; ce n'est que par jalousie que vous les calomniez, leur préférant les vô- tres quoiqu'elles ne soient bonnes à rien. Si votre conscience était loyale, (4) Un peu plus haut, lignes 13 et 14, il avait presque dit le contraire à propos du mélange du mercure et de la céruse. La logique n'est pas dans les habitudes de Paracelse. 26 PARACELSE. vous vous abstiendriez désormais de cetté manière d'agir, » (Def. 8, p. 125.) Pour excuser sa vie errante, Paracelse dit, dans un langage assez vif et coloré: « Les arts n’ont point de pieds au moyen desquels on puisse les con- duire vers vous comme le boucher conduit les moutons. On ne peut non plus vous les offrir enfermés dans des vases. Vous devez suppléer à ce qui leur manque. Les Anglais n’ont pas les mêmes humeurs que les Hongrois, ni les Napolitains que les Prussiens. Pour vous en assurer, il faudra vous transporter parmi eux. Plus vous les verrez de près, plus le jugement que vous en rapporterez sera sûr (1). — Maintenant le médecin doit aussi se montrer alchimiste; pour cela il faut qu'il voie la mère qui donne naissance aux minéraux. Les montagnes ne viendront pas à lui, il doit aller aux montagnes (2). Là où se trouvent les minéraux, on trouve aussi ceux qui les mettent en œuvre. Cela étant ainsi, qui me fera un crime d’avoir étudié tous les minéraux, d’avoir, pour ainsi dire, pénétré dans leur cœur et dans leur esprit, et dérobé leurs secrets de mes propres mains? C'est d'eux, dis-je, que j'ai appris à dégager le métal pur de la scorie, prévenant ainsi bien des maux autrement inévitables. » (Def. 4, p. 126.) L’extraction et la purification des métaux étaient connues bien avant Paracelse. Paracelse se vante ensuite de son désintéressement, et, s’adres- sant aux médecins de son temps, il les provoque en ces termes: « Aujourd'hui les médecins ont coutume (j'ignore sur quel passage de l'Écriture ils se fondent) de demander un florin par chaque visite. L’exa- men de l'urine a sa laxe, ainsi que beaucoup d’autres choses. Cette exi- gence né s'accorde pas avec la charité; elle est même contraire aux lois; mais on ne connaît plus qu’une loi: Prends, prends toujours, que cela te sieie ou ne [e sieie pas (es reim oder nicht). Ainsi ils prennent des colliers, des añneaux d’or; puis ils se parent d’étoffes de soie, donnant ainsi à tout (1) C'est pour cela que le médecin doit être voyageur (c’est-à-dire vagabond), philosophe et astrologue. (2) Tout raisonnable que cela parait, il n’en est pas moins vrai que c'est pré- cisément le langage dont se servent les charlatans, célébrant leurs voyages lointains pour captiver les badauds. Les médecins qui, eux aussi, connaissent la diversité des tempéraments, n’en discourent pas ainsi ; d’ailleurs cette diversité n’est pas telle qu’elle exige qu’on coure le monde comme le Juif errant, SA DÉFENSE. ATTAQUES CONTRE LES AUTRES MÉDECINS. 427 le monde le spectacle de leur honte; puis, comme si ce spectacle était à leur honneur, ils s’'avancent parés comme des châsses, Ce qui n’est que grande abomination aux yeux de Dieu, » (Def. 5, p.150.) «Lorsqu'on voit le Juif menteur et perfide exercer l’art sacré de Ta mé- decine, et être tenu en grande estime par des hommes pharisaïques, qui maintenant, je le demande, honorera une profession exercée par de tels adeptes ? Mais comme, par une loi fatale, les hommes veulent être trompés, il arrive que la corruption envahit jusqu’à la vraie médecine. Les sages s’abstiennent de tels procédés; et si les hommes ne préféraient ceux qui se moquent d'eux d'une manière ou d’une autre, la médecine aurait certainement des représentants plus dignes et plus purs. C'est une loi éternelle du monde qu'il ne puisse supporter ceux qui sont bons, ha- biles et sages dans leur art.» (Def. 5, p.130.) Tout cela n’est malheureusement que trop vrai de notre temps, comme cela l’était du temps de Paracelse. — Que lui ne mérite pas de tels reproches, je le veux bien, mais 1l ne suffit pas d’être charitable pour être un vrai et bon médecin, il faut encore avoir le sens commun. Voici encore un passage dirigé contre les médecins juifs, si fort recherchés au moyen âge, plus peut-être pour leur science cabalistique que pour leur science médicale; je trouve ce pas- sage dans la préface du Labyrinthe (1). « Les Juifs aussi vantent leurs connaissances en médecine, et ne rou- gissent pas de dire faussement que cet art est très-ancien chez eux. Ces impudents sont à la vérité le plus ancien de tous les peuples. Mais quelle est leur médication? que savent-ils, que donnent-ils, que tirent-ils de leurs livres ? Tout leurart consiste dans l’imposture.Ennemis autrefois de Dieu et de son Fils, ils le sont encore. Et comment, je le demande, la nature leur serait-elle si favorable, quand Dieu leura retiré sa grâce et a fait d’euxle rebut du genre humain, comme il punit dans leurs corps et dans leurs biens ceux qui les protégent ou ont quelque commerce avec eux ? Ce qu'ils ont de bon vient des étrangers. Dieu ne les a pas créés pour exercer la médecine, mais pour l’honorer et le servir. Telle était leur vocation. En dehors de là, tout ce qu'ils ont tenté n’est que dol et imposture. La méde- cine à été donnée aux Gentils. C’est chez eux qu'on trouve les premiers et les plus anciens médecins. Il en est résulté que les Grecs ont em- brassé la médecine à l’envi et par des causes diverses. Mais ils ont fait de tels progrès dans le mensonge, qu'après eux les Arabes voulurent, eux (4) Tome IL, p. 140. L28 PARACELSE. aussi, trafiquer de cet art,comme toutes les autres nations. Le résultat fut cependant, comme il arrive en toutes choses, que plus il y eut de sagesse (Witz), plus il y eut de fausses voies. » Après les plus belles phrases sur les qualités et le rôle des vrais médecins (parmi lesquels il se range, bien entendu), Para- celse nous trace un tableau pittoresque, mais peu flatteur, des autres médecins de son temps (c’est celui des charlatans d’au- Jourd'hui), où il faut cependant reconnaître l'exactitude de plus d'un coup de pinceau (1). «[IL y a beaucoup de gens qui, sans être médecins, se mettent à l'ombre de la médecine par pure gloriole et pour paraître savants.] Semblables medecins charlatanesques (surtout d'ordinaire riches et bien à leur aise) sont et se font valoir dans des monasteres, et parmi ces gens oisifs qui ont de coustume de se vanter, estant tres-pleins de vaine gloire, et u’espargnent leur peine et leur industrie à la guerison des religieux, sans autre apparence de guerdon que celle de leurs prieres. « Il s’en trouue d'autres qui exercent la medecine comme on mène la charrue, ou pour des présens, et pensent faire tort à leur dignité s'ils reçoiuent quelque argent de leurs malades; ils me font souuenir des luifs baptisez : tels sont aussi certains moynes apostats, ou ceux qui d’autres fois ont esté bouchers, bourreaux, où mareschaux, qui refu- sent les dons qu'on leur présente en qualité de medecins, se croyant indignes d'en porter le titre, vu qu'ils ont leu fort peu de liures, mais qu'ils ont appris ce qu'ils en sçauent d'vn tel roy, d'vn tel empereur, d'vn tel prince : courroye digne d’un si beau soulier. Tout cela n’est que fumée et vanité, encore bien que leur finesse n’est pas des moindres ; car si le malade vient à mourir (estans aduoüez des grands) leur faute est excusable, et c'est contre l'experience ordinaire qu'un tel accident est arriué ; que s’il recouure la santé, quels cris de ioye n’entend-on pas, combien haut font-ils resonner la certitude d’vn art qui ne sçaurait estre mauuais! et comme ils procèdent de l’authorité du serenissime prince, les voila après puissamment establis, et bandés sur les estrieux, comme un escuyer de Franconie. Telle est la condition de ceux qui veulent faire la medecine, etne veulent estre medecins, comme ceux qui veulent estre moynes et medecins sous un habit bastard, manquant la condition de l’vn et de l’autre : ceux-cy ont accoustumé de se seruir de personnes apostées, qui disent, ce medicament couste beaucoup à monsieur mon maisire, (4) Petite Chirurgie, Préface. — J'ai cru devoir, pour ces anciennes traductions naives, mais paraphrastiques, changer certaines expressions, rajeunir quelques formes, et même les modifier d'après l'allemand, SA DÉFENSE. ATTAQUES CONTRE LES AUTRES MÉDECINS. 429 c'est pourquoy dy à ton maistre qu'il face present en recompense d’vn cheual, ou de quelque abbaye ou prioré, et non pas de l'argent, dont l'v- sage est infame et defendu. Quelquefois ils feindront que leur maison est grandement pauure, qu'il faudroit achepter quelques bons carpillons pour en faire faire collation le vendredy soir aux freres auant s’aller coucher, pour les ayder à supporter l’austérité du ieusne ; ainsi Monsieur le doc- teur medecin (fait à la haste, Fültz Hüttlin??) pourra se rendre plus soi- gneux et plus diligent apres le malade. « Après ceux-cy suiuent quelques vas dont les habits et la bource sont plus pertuisez qu’un crible, et pourtant ne sont pas moins prompts à extor- quer le teston (pièce de monnaie) que le coupeur de bources : ils se van- tent d'auoir esté grandement riches d'autrefois, mais maintenant par l’in- jure de la fortune ont perdu toutes leurs commoditez : au cabaret, sans doute. Il y en a d’autres qui se vantent d’auoir autrefois {tenu rang parmy lesseigneurs de marque à fort beau train, qui toutefois se sont remis au ser- uice des princes, ayant à la suite de quelque bataille perdu tous leurs moyens demeurez pour butin au vainqueur. Les autres ont été chassez par le Turc de la Vallachie et de la Transiluanie ; d'autres, comme les apostres allantplanterl'Euangile, ont abandonné leursfemmes, leurs enfans et mai- sons : d’autresse voüent à vne pauureté volontaire, parce qu'ils ne trou- uent personne qui leur face du bien !Le nombre n’est pas petit d’iceux qui changent bien souuent d‘habits pour se rendre incognus : l'vn marche les pieds nuds, l’autre porte la here à demi vestu, celuy-cy se dit de tel ou tel ordre religieux, celuy-là porte des sandales ou des sabots, l’un ne mange point les os de la viande, l’autre faict abstinence, et n'oserait manger les arestes des poissons de peur qu'elles ne l’étranglassent ; l’vn faict son lict sur vn banc ou sur vne table, l’autre change de logis chaque nuict, etc. Ces Messieurs là, quand ils parlent de la medecine, disent la posséder par l'inspiration du sainct Esprit (1), et veulent faire a croire qu'il ya plus de vertus aux plantes que dedans le ciel, ou dans le paradis mesme. Ne sont- ce pas là de braves medecins ? « Il s’y en trouue d’autres qui meslent à leurs receptes, et se seruent en leurs cures de l’astronomie, les autres de la geomance, pyromance, chi- romance, hidromance. D'autress’essorant plus haut en leurs speculations, comme plus mysterieux, usent de la narromance, c’est-à-dire necromance, ou lourdomance, et stultomance, comme ces vagabonds et coureurs du mont de Venus, qui venant au lieu où ils aubient appris leur art, l'ont baptisé du vin de Rhetie, ont chanté matines auec frere Eckart, et mangé du boudin rouge et des saucisses grasses auec les Danhutiens. Depuis ils ont eu la science de guerir les bestes et les hommes de toutes fieures, {1) Paracelse oublie, dans le feu de ses railleries, qu'il est précisément de ceux qui se disent médecins par la grâce de Dieu, et croient non-seulement à la souve- raineté médicale des simples, mais encore à l'efficacité des paroles, (Voy. p. 423.) h30 PARACELSE. maux cadues, et autres maladies, de descouurir les thresors enfouis sous terre, qui n’est pas peu d'honneur à si venerables medecins. Quel- ques-uns ne se seruent absolument d’aucun aromate, d'aucune herbe, ni des escrits de Valescus ; le simple papier suffit à leurs receptes, sur le- quel ils escriuent, pour desguiser les mysteres de leur art, iris pro fixis tetragrammaton, loannes in Dolio, I1od, vau, ante postque, au haut et au bas, au pied et à la teste marquent une croix à la fin, de peur que le diable n’emporte celuy qui le peint. Parmy les villageois ils parlent latin ; parmy les Alemans, italien, Quelques-uns d’entre eux ont eu le foüet en Italie, apres auoir esté bannis des Alemagnes ; d'autres au contraire chassez de l'Italie ont reçeu le mesme traitement en Alemagne ; quelques autres, apres auoir esté chassez au delà du Rhin, ont esté derechef rechassez apres auoir eu le foüet,et certains au delà et au deçà du Danube. Les aduan- tures de ces caualiers errans sont merueilleusement plaisantes, et me font enuie de rire : ils se disent Ebrieux chez les Grecs; chez les Ebrieux, natifs de Grèce ; chez les curez de village ils sont des theologiens, et des docteurs en medecine auec les maistres d'estuues et bains ; chez les iuges, iuriscon- sultes ; deuant les commediens, poëtes ; auec les artisaus, historiographes ; en Alemagne ils se disent d'Italie, en Italie d'Alemagne, en Portugal ils sont Hongrois, en Hongrie Portugais : enfin en ce lieu-cy natifs de ce lieu- là, en celui-là de l’autre, tousiours de bonne et illustre maison, peu ri- ches toutesfois, certes de noble race, à sçauoir de celle qui n’a produiet que de la canaille, remplis de ruses et de tromperies, qui leur font gai- gner beaucoup d'argent. «Il y en a encore une autre secte outre celles dont nous auons faict men- tion, qui est des luifs conuertis au christianisme, plus fins et pires que tous les autres; j'y comprends aussi les Mon baptisés, dont aucun ne sait éteindre le mercure dans la graisse d'ours (1). Des luifs, nos medecins ont apprins aussi à connaître les pustules de la grande et petite verolle, eux qui de- sirent et taschent d’estre beaucoup plus excellens et experts que leurs mai- tres, encore que couuerts de mesme peau,et que l'yn se moque de l’autre ; les medecins Juifs rougissent le mercure auec du sandal, et le rendent odorant auec le macis ou fleur de canelle : ce qui les faict estimer capa- bles de traiter toutes sortes de maladies. Si par hazartils viennent à guerir yn, ou deux,ou trois de ceux qui se mettent entre leurs mains, ils ont aus- sitost priuilege et pouuoir d'en abuser deux ou trois cens. Ils font acroire aux foibles esprits que la source et le fondement de la medecine est en la langue hebraïque, sans cependant considerer qu'entre les Juifs il n'y a ia- mais éu nul medecin. Ils mettent en ieu, pour prouuer leur dire, le rabin Moyse,et le livre de Nebulohn, quicontiennent descanons tres-excellens,par lesquels il enseigne de cueillir dans les prez les racines de réponces pour en faire des salades. Maintenant ils disent que la cognoissance de la mé- decine est en leur seule race comme hereditaire, encore que tous ceux qui (4) Le latin dit juste le contraire, et, je crois, non sans raison. (Cf, p. 457.) ee me cts SA DÉFENSE. ATTAQUES CONTRE LES AUTRES MÉDECINS. 434 ensont descendus ayent esté des fols, des sots, et sans esprit quelconque.Les autres disent, que leurs ancestres la tiennent du bon père Adam, quel- ques vns que le bon homme Noé la cacha dans un trou qu'il fit entre la paroy et la fenestre de l’arche. O fols que vous estes ! que ceste ostenta- tion et que ceste vaine gloire vous mesciet, et s'accorde mal auec vostre gueuserie ! Tantost vn vieux luif se présente, tantost vn ieune, la mere du- quel tient bourdel ouuert, et faict gain d’vne si sale marchandise, Ceste marmaille errante me fait souuenir des boëmiens, qui disent auoir appris leur art en Égypte. « Il s’en trouue d’autres, imitateurs des precedens, et toutefois de plus grande consideration qu'eux, qui sçauent beaucoup de logique vulgaire, mais de rhétorique point; tels sont les vendeurs de thériaque et mi- thridat, qu'on appelle vulgairement batheleurs, theriacleurs. Ceux-ey, si la vipere leur manquoit, ne feroient point scrupule de mettre en son lieu des chauue souris. Ils vendent pour un remede souuerain contre la fieure la coloquinte, pour les poulmons et maladies d'iceluy le rapontic, du guy de chesne pour les infirmitez des femmes, et quelques remedes tres-cachez pour toute sorte de maux plus dangereux, lesquels toutefois apres eux Dieu et tout le monde ignorent, et qu'ils n’enseignent qu'à l'oreille, sous pacte de ne les reueler, C’est la gentiane qui faict ees miracles là, Quelques vns sçauent chasser et faire sortir les vers, comme un certain qui en Silesie, à Breslau, chassa un vers du corps d’un ma- lade, qui fut apres trouué à la foire de Strasbourg, l'ayant porté enfermé dans une boëte depuis là jusqu à Basle, de sorte qu'il se pouuoit vanter, non seulement de l'auoir chassé, mais encore de l’auoir poussé et envoyé à quatorze mille loin. Il y a des vers qui sont de deux ou trois aulnes de long, plus ou moins, plus gros que le trou duquelils les disent estre sortis, qu'ils ont prins dans des hayes et des buissons, puis se van- tent de les auoir chassez des intestins ou de l'estomach des hommes. Apres eeux-là marchent ceux qui guerissent les escroüelles, par la com- position d’vn sel magistral qu'ils sçauent faire ; ou les autres qui sçauent chasser le ver panaris des doigts (1), pourueu qu'il ne face ny soleil ny pluye ; sans preiudice des arracheurs, ou plutost maistres briseurs de dents, qui en laissent les racines aux genciues, au lieu de les tirer. Bref à peine s y peut-il voir d’autres médecins auiourd'hui que de ceste façon, à qui la disme des mouches appartient iustement. Quelques uns d’entre- eux esleuez en l’eschole des bateleurs ou ioüeurs de farces, se sont acquis le pouuoir de mentir impudemment, par vne perpetuelle habitude d’en conter au monde, et par l'usage continu de l’enjolerie. (4) Dans le livre III, chap. 47, de la Petite Chirurgie, si toutefois ce IIT° livre est bien de lui, Paracelse parle aussi du ver qui constitue le panaris, qui se nourrit de soi-même, et qui doit son origine au sel de nitre. Seulement, il rejette les re- mèdes superstitieux des songe-creux et s'en tient au traitement naturel, par exem- ple à la fiente de pourceau ! 32 PARACELSE, « 11 y en a d'autres qui, n'ayant l'esprit de mentir d'eux-mesmes, s'en vont à Montpelier pour en apprendre l’art des escrits d’Auicenne, ou à Paris la doctrine de Galien. Quelques vns sont de si bon esprit, que sans autre instruction que de celle de leur nature cauteleuse, deuiennent parfaicts en la science de donner du plat (de la langue donner de belles paroles). Il ne servira pas peu non plus à l’vn d’auoir esté maistre és arts pour s’'aduancer en médecine, à l’autre d'auoir esté apothicaire, à cestuy- cy d’auoir esté un mathématicien, à l’autre physicien. Montagnana est agréable à l’vn, Viaticus plaist à l’autre, et entre tous autres autheurs lean de Garlandia. A les oüir parler il n’y en a point de plus employez. Toutefois en leur boutique faineans, ne sçachant que faire, semblables à ces sépulchres blanchis, qui sont beaux au dehors, et dedans sont pleins d'infection et de pourriture, ceux d’entre eux qui se plaisent naturelle- ment à la vanité disent : Sans moy en Hollande vn comte se feust rompu le col du plus haut des degrez en bas; un autre : J'ai esté vingt trois ans ou enuiron au seruice d'un tel prince en qualité de medecin, qui se fust bien trouué en peine, et nese fust iamais bien porté sans Conrad des Roses etmoy. Vn autre aura professé par l’espace de vingtcinq années dedans les vniversités, etinterpreté les bons autheurs, qui se fussent bien passés de lui, s'ils eussent peu estre expliquez par d’autres. Tantost pour faire les capa- bles, et se faire estimer grands Grecs, ils appellent le haut mal epilepsie; quelquefois pour montrer leur suffisance en la langue arabique, ils nom- ment la coloquinte alhendal. Ils sçauent iusques à treize langues, outre celles dont les Pandectes font mention, et celle qui leur est la moins co- gnue est l’alemande. Maintenant ils n’ont d'occupation qu’à descouurir la nature des choses, et d'icy à quelque temps ils seront gueux et miserables à la suite de quelque chetif regiment. Quelquefois ils changent plustost les yeux des dames bleus ou pers en couleur de charbon qu’en noir; des laides ils les rendent belles; de brunettes blanches, et de teint delicat; de boyteuses et contrefaictes, de taille droicte et bien proportionnée ; enfin ils leur ostent la morve du nez. Maintenant ils font des pomes d’am- bre odoriferantes, et semblables ioliuetés des petits presens propres à attirer les sois et badaux, auec lesquels ils s’introduisent dans les palais des grands. Aux académies ils veulent estre attentiuement escoutez; on les entend s’écrier (cela est en latin dans le texte allemand) : In calendris meis tuis, domini auditores, quarta fen primi, de porcis, scripsit noster Avicenna. R. theriacae (cum longa descriptione scilicet Galeni), etc. » Molière n'a rien imaginé de plus plaisant que cette spirituelle boutade de Paracelse. . Dans cette même Petite Chirurgie (W, 7, De curis patentium ulcerum) on trouve une page curieuse par la colère que Para- celse montre contre les saints qui lui faisaient une concurrence SA DÉFENSE. ATTAQUES CONTRE LES AUTRES MÉDECINS. 433 qu'il ne peut pas supporter plus que celle de ses confrères laï- ques (1). Cela ne semblerait guère s’accorder ni avec sa grande dévotion, ni avec cette proposition du Paramire (De origine morborum ex tribus primis substantiis, chap. 7, p. 74), que des liens indissolubles unissent la théologie et la médecine, ni avec l'explication mystique de la nutrition (zbèd., chap. 7 et 8, p. 77); mais la dévotion et la théologie de Paracelse sont une dévotion et une théologie qui ne souffraient pas la concurrence active ; il accepte l’intervention de Dieu, parce qu’elle ne s’exerce qu’à distance et qu’elle n’éloigne pas le médecin. « En la médecine la plus grande imposture est exercée par les pretres ou vicaires des saincls qui metamorphosent les viceres ouuerts, qui sont produicts des defauts de nature, en la penitence de sainct lean, les autres en la vengeance de sainct Kyriac, ou au feu de sainct Anthoine, et sem- blables choses. Ils enioignent de dire des messes, de faire des ieusnes et oraisons, odorer ou sentir la main du sainct sur l'eau des fons baptis- maux, luy faire très-humblement des offrandes, luy voüer vn perpetuel service, et luy promettre de lui allonger la main tous les ans selon leur pouuoir et facultez, et estre de leur confrairie. Ils prescriuent de voir le saiuct tous les ans, pour sçauoir s’il vit, s’il ne veut pas qu’on luy face des nopces, et s'il n’a point enuie de se marier! Quelques vns embrassent si auidement semblables meschancetez spirituelles, feignent les saincts médecins, et se font des apotiquaires de leurs eaux, pourquoy cela me déplait. La raison de cette deplaisance en peut estre fort facilement cog- nuë : si ceux qui commettent telles choses veulent être medecins, qu'ils souhaitent d’estre plustost bons, vrais et honorables medecins, qu’enta- chez et chargez de telles malices et folies. Que i'excuse les sainets, et que l'appelle un tel vicaire sainct, la cause en est, qu'il a parfois tant soit peu cognoissance de la medecine, comme de faire la décoction de chelidoine, de l’eau des fueilles de chesnes et autres semblables, par lesquelles la nature peut en partie guerir ces trous et vlceres. Mais afin qu'ils satisfa- cent à leurs impostures, ils font de l'honneur aux saincts, et lauent leurs mains aussi innocentes que celles de Pilate. Cependant ie tais quelque chose de beaucoup plus grand, et qui seroit plus digne de reuelation (quelle touchante charité !), par exemple, qu'ils vsent de plusieurs ope- rations magicques, par lesquelles ils font quelques vnes de leurs bonnes œuvres. Si Theophraste Paracelse n’eust couché en cet Hostel Dieu, il eust dementy aussi souuent ces charlatans qu'il en eust esté de besoin. » (1) Aussi du Verdier écrit-il en marge : « Paracelse semble sentir en ce lieu un peu le fagot. » Voyez aussi un écrit paracelsique : De imposturis in morbo gal- dico, I, 18. DAREMBERG . 28 L3h PARACELSE. Ailleurs (1), Paracelse a une façon toute partuculière, mais assez amusante, de justifier la grossièreté de son langage et la violence de ses attaques. — Cependant, de ce qu'on est de la Suisse allemande, ce n’est pas une raison pour s’enorgueillir d’être mal élevé. « La nature ne m'a pas tissé d’un fil subtil et l’on ne file guère la soie dans ma patrie. Les figues, le vin miellé cuit et autres douceurs nous sont étrangers; nous nous nourrissons de fromage, de lait et de pain d'avoine. Cela conviendrait-il à des hommes délicats ? Nous restons atta- chés pendant toute notre vie à ce qu'on nous a appris à aimer dès Île berceau ; régime bien grossier si on le compare aux délicatesses de nos voisins. Nous qui sommes nourris dans les montagnes couvertes de pins, nous ne pouvons ressembler à ceux que l’on élève mollement dans les gynécées. Il s'ensuit que l’on regarde comme grossier celui qui l’est en effet, quoiqu'il soit, à ses propres yeux, assez délicat et assez aimable (!) Ceci s'applique aussi à moi; ce qui est de la soie pour moi n'est, pour eux, qu’un lin grossier. « Quant à mes réponses dures et austères, voici ce que je dirai pour m'en excuser : Les médecins mes adversaires sont peu versés dans leur art. Pour compenser cette insuffisance, ils s’étudient à la politesse et emploient les paroles caressantes, les discours légers, et mettent dans tout une grande amabilité ; ils congédient poliment les visiteurs en leur disant : Cher monsieur, revenez bientôt me voir; ma chère femme, viens ici et donne la pièce au monsieur, etc. Moi au contraire je m'écrie : Que demandez-vous ? Je n’ai pas le loisir. La chose ne presse pas. En ce mo- ment, in patrios cineres minæi (2}. Ils ont tellement ébloui, par leurs pres- tiges, les yeux des malades, que ceux-ci sont persuadés que l’art ne con- siste que dans les flatteries et les paroles caressantes. Ils sont appelés gentilshommes quand ils sentent encore le trafiquant; seigneurs, quand ils ont encore quelque chose du cordonnier, ou peut-être d’une profession moins relevée encore, » (Def. 6, t. IL, p. 132.) « On m'objecte que quelques-uns de mes serviteurs et de mes disci- ples, fatigués de ma rudesse, se sont séparés de moi. Je réponds : mes disciples au nombre de vingt et un sont morts de la main du bour- reau (3). Dieu les assiste! Mais comment pouvaient-ils demeurer avec moi, eux que le bourreau attendait? En quoi mes rigueurs leur ont- elles nui? L'art véritable pour eux aurait été d'éviter les rigueurs du (4) Responsio ad quasdam aceusationes . (2) Tiré d’Horace, Ars poetica, 71. Le texte donne une autre locution prover- biale équivalente (#unc in piper cacavi) : Tetzt hab ich in den Pfeffer gehoffiert. (3) Belle recommandation, en vérité! SA DÉFENSE. ATTAQUES CONTRE LES AUTRES MÉDECINS. 439 bourreau lui-même. Que si d’autres miens serviteurs, pareils aux pre- miers, qui ont su se soustraire jusqu'ici à ses mains, se plaignent de mes emportements, qu'importe ? Comment ne pas s’emporter lorsque le serviteur refuse de faire son office de serviteur et veut se donner des airs de maître? S'ils me remplacent en secret auprès des malades en médisant de moi, et pour un honoraire de moitié moindre, alléguant qu'ils con- naissent tous mes secrets, comment ne serais-je pas indigné d’une telle conduite ? C'est ce dont se sont rendus coupables envers moi docteurs, chirurgiens-barbiers, baigneurs, disciples, serviteurs et garçons. Et après tout cela je devrais être un agneau ? Il y a lieu de s'étonner au contraire que je ne sois pas devenu plus cruel qu'un loup. En attendant je vais à pied, tandis qu'ils ont des chevaux. Ce qui me consolera toujours, c’est que je puis me montrer tel que je suis, tandis qu'ils sont obligés de prendre la fuite chargés de forfaits énormes. » (Def. 6, p. 133.) Les mêmes reproches à ses disciples ou confrères et à ses amis les apothicaires (décocteurs) sont reproduits, sous une autre forme, dans la Préface déjà citée de la Petite Clururge (À) : « Je me puis à iuste tiltre vanter d’auoir fait par mes veilles et par mon trauail de tels medecins (c'est-à-dire des médecins qui n’ont pas su où voulu imiter leur maître et profiter de ses leçons). De cent escholiers que j'ay eus il s’en est seulement trouué deux tres-capables de Pan- nonie, des confins de Polongne trois, du païs de Saxe deux, un seul de Sclauonie, autant de Boëme, de l’vne ef l’autre Alemagne yn, de Sueue point du tout, ni d’ailleurs non plus, bien que j'en eusse de toutes nations, parce que chacun s’est voulu seruir de ma doc- trine à sa mode, l’vn pour remplir sa bource, l’autre pour acquerir de la reputation, et satisfaire à son orgueil. Un autre interprete cette doctrine par des gloses et des commentaires que j'ay trouués bien esloignés de mes conceptions; quelques-uns presumoient d’eux-mesmes au-dessus la portée de leurs esprits, les autres se vantoient de sçauoir ce qu ils n’ont iamais entendu ; plusieurs d’entre eux l’ont entendu, mais le meilleur leur a manqué. Il est bien difficile de sçauoir ce qu'ils peuuent auoir appris, mais il est aysé de sçauoir ce qu'ils pratiquent fidelement, car plusieursayant penetré dansles secrets de mon artet de ma medecine, ont ensuite tiré d’icelle quelque faux fondement, et deuiennent vagabonds et triacleurs, chacun desquels gesne le malade, selon qu'il a de la pa- (4) Voyez aussi De tumoribus, pust. et ulc. morbi gallici, VW, 9. Cf. L, 7, et sur- tout De impostur., X, 22. Dans un traité attribué à Paracelse : De peste ad civita- tem Herzingensem, il est dit qu'on ne lui reprochait que probitas et egestas. La rime y est, mais que faut-il entendre par probitas medica? 11 semble que Paracelse n'avait que celle des illuminés qui agissent comme les sangliers à travers les chiamps. 436 PARACELSE. tience. Or de ma patrie, que je nomme la derniere, il n’en a reussi aucun: quoy qu'ils s’estiment d'ordinaire fort capables, ie les mets au pair auec ceux de Sueue, et de ces medecins perdus qui ne peuuent iamais rien valoir. » CHIRURGIE. — Je pense que les anatomistes, les physiologistes et les médecins sont suffisamment édifiés sur la science de Para- celse et sur le rôle qu’il a joué comme réformateur. Il n’est pas un médecin, ce me semble, qui ne reconnaisse tout d’abord que le sens pratique lui manque absolument, qu’il ignore la science des indications, et qu’on trouverait à peine, dans tous ses livres, quelques directions absolument bonnes pour le traitement d’une maladie quelconque. Il ne suffit pas, en effet, comme quelques personnes se complaisent à le faire, de rassembler les belles sen- tences de Paracelse sur l'art, la nature, le médecin et la puis- sance des médicaments, il fallait rechercher si la théorie et la pratique correspondent aux paroles. Ce n’est pas le verbe, ce sont les œuvres qui font le médecin (1). Voyons maintenant quelle pourra être l'opinion des chirur- giens. « Venez donc ici(2), à vous tous chirurgiens, parmi lesquelsje n’en ai pas jusqu'ici trouvé un seul qui mérite ce titre; hâtez-vous d’accourir tous ensemble, 0 imposteurs, afin d'apprendre à connaître chaque degré sépa- rément selon la prescription, dont vous vous êtes éloignés depuis quel- ques siècles, pour vous livrer à la composition de vos réceptioncules men- diées successivement de porte en porte aux Baucis couvertes de haillons et qui ne valent pas une écale de noix. Venez, je vous en conjure, à rési- piscence, et, laissant vos onguents, vos sparadraps et vos cataplasmes, que l’on trouve çà et là dans un mélange confus, revenez à la vraie manière de guérir. » Voici les extraits de la Petite Chirurgie ou Berthéonée, dont j'emprunte la traduction à Daniel du Vivier (Paris, 1623) : (4) Il faut remarquer, du reste, que dans les ouvrages de Paracelse réputés au- thentiques, excepté pour les maladies tartaréennes, et les affections chirurgicales, il n'y a que très-peu et de très-brèves descriptions de maladies. Il perd son temps et ses paroles en vaines spéculations. Il serait également facile de prouver que la bonne partie de sa chirurgie est presque toujours empruntée, (2) De gradibus et compositiontbus, liv. 1IL, chap. 8 (Opp., t. VII, p. 23). CHIRURGIE : LA MUMIE. 137 «Je ne veux pas que ceste mienne chirurgie soit intitulée le liure des playes, mais liure de mumie ou de la mumie. Que le liure des apostemes soit dit tel, mais le liure du baulme. Et je veux que le liure des vlceres, s’inecriue le liure des liqueurs. Et le liure des esthiomenes, celuy du real- gar (1).» (Petite Chir., Préf. p. 3.) « Qu'est-ce que mumie? — La mumie est une liqueur esparse par tous les membres du corps, de telle vertu et force qu'il est requis, diuisée tou- tefois de ceste façon : en la chair selon la nature de la chair, en l'os selon la nature d'iceluy, aux arteres et ligaments selon leur nature, en la moëlle, aux veines et au cuir, comme és autres (2). » « D'où s'ensuit que la mumie de la chair guerit les playes de la chair, la mumie des ligaments les playes d’iceux, de sorte que chaque partie a besoin de sa propre mumie; car de là prouient la contracture (para- lysie, estropiement), des ligamens et des arteres, si elle doit estre gua- rie d'vne mumie d'autre nature, ou estrangere; de là aussi naissent les inflammations et pourritures des playes, à sçauoir si vne autre mumie est attirée à la chair, que celle de la chair, car chasque partie ne se guarit et ne se conserue que par sa propre mumie (3). » (I, 1, $ 2, p.10.) « le vous proposeray cet exemple, par lequel vous vous pourrez mieux fier à la propre nature : considerez le chien qui guerit sa playe en la le- chant de sa langue, à cause qu’en lechant il conserue la mnmie en son humidité et temperature. C'est pourquoy toutes les fois que la mumie est contrainte de se corrompre à cause de la secheresse de l'air qui l'entoure et de l’accident, le chien la leche derechef, et ce faisant il entretient la mumie en sa temperature iusques à la guerison (4).» (I, 15, p. 11.) « L'intention et fondement que ie me propose en la cure des playes est, que les medicamens s'appliquent seulement aux playes à raison des accidens, non pour ayder la nature du corps, mais pour repousser et (4) C’est l'application du principe par lequel débute le Paramire, à savoir, qu'il faut surtout considérer le traitement et non les causes. — C'est aussi de ces trois substances que les maladies chirurgicales tirent leur origine. (2) Si mumie signifiait autre chose qu'une humeur visqueuse des chairs ou une liqueur balsamique hypothétique qu'il appelle mercure doux, ce serait la lymphe plastique (voy. plus haut, p. 413, note 4); mais cette lymphe semble plutôt désignée très-vaguement, aux chapitres 6 et 12, sous le nom de synovie ou humeur visqueuse des nerfs (gaines tendineuses). Paracelse regarde son épanchement comme un accident qu'il faut combattre (chap. 7), et qui se rapporte peut-être aux fausses membranes auxquelles il donne quelque part le nom d’esquinancie de plaies. (3) Quand elle n’est pas flétrie, comme chez les vieillards, ainsi que notre auteur le dit plus loin. (4) Paracelse, à propos des bœufs, se figure que, chez ces animaux, les blessures comme les maladies se guérissent en général par la nature, 138 PARACELSE. chasser les choses qui ont esté infectées par les elements externes. soil par les metaux ou autres mineraux, par l'air ou par tous ceux-là ensem- ble. C'est pourquoy pour oster cet accident il y a un plus ample fonde- ment de cest œuure en toute la chirurgie, non pour engendrer par art les chairs. » (I, 2, p. 25.) « Les chirurgiens anciens ont failly en ce qu'ils ont creu que l’aris- toloche ronde, la grande consolde, la serpentine (1), etc., engendroient les Chairs ou les faisoient croistre : comme lors que quelqu'un mange des herbes, racines, semences, pain, choux, chair, etc., il sen engendre de la chair humaine, ou bien elle s’augmente : ils ont de mesme pensé qu’il y auoit un estomach [et un foie] aux playes, qui auoit la vertu de conuertir en chairs les medicamens qui y sont mis dessus selon les conditions de l’Archée. » (I, 1,7, p.16.) Je ne sais où Paracelse a vu cela, si ce n’est dans les livres de médecine populaire, où l’on dit que les chancres se nourrissent de la chair qu'on met dessus. Les chirurgiens ont toujours pensé que les médicaments aidaient les mouvements de la nature, comme incarnalifs, cicatrisants, etc., mais ne produisaient pas directement, et par eux-mêmes, les chairs et les cicatrices. « La preparation des playes est que le sang soit arresté cependant qu'il sort encores d’icelles, et que la mumie y soit apres mise; et ne te doibs soucier que les fragmens des os ou autres choses y soyent demeurées, les- quelles tu n’essayeras en façon quelconque d'’oster auec ferrements, à cause qu'il faut laisser la charge de pousser hors et purger ces choses à la mumie: car icelle chasse plus à propos les choses qu'on veut arra- cher que les fers ou instrumens. » (1, 3, p. 44.) Je crois que pas un chirurgien, à moins de circonstances spé- ciales, ne ferait une pareille recommandation. — Suivent quel- ques préceptes assez bons sur le temps pendant lequel peuvent demeurer les emplâtres ou poudres qui recouvrent les plaies ; puis l’auteur ajoute que, si l’on veut extraire les corps étrangers, on doit le faire avant la manifestation des accidents inflamma- toires, car il faut tout abandonner à la mumie. Quand ces accidents se sont développés, il conseille d’élargir la plaie avec des sub- (4) Paracelse ne se prive pas cependant d'employer toutes ces substances et même la glu des vers de terre, après quoi il dit à ses confrères : Allez au diable! je fais cas de vous comme d’un fétu de paille. Avez-vous des recettes pareilles aux miennes ? (Chap. 3.) CHIRURGIE ; HÉMORRHAGIES. 39 stances qui putréfient et corrodent les chairs, si ces corps étran- gers ou fragments d'armes ne cèdent pas à la moindre traction ; il est, en tout cas, difficile de savoir s’il permet jamais une incision, Les moyens employés par Paracelse contre les hémorrhagies témoignent qu’au moins sur ce point, il ne mérite guère le titre de réformateur. « Pour ce qui est de la suppression et retention du sang, lorsqu'il boult, il faut donner en breuuage vn scrupule de bon laudanum (voy. p. 419, note 14) et bien preparé, et certes c’est par luy que l’ébullition estesteinte, et le sang arresté, ou vne once et demie de semence preparee d’yuraye blanche dans du laict, de semence de chanure. Semblablement ceste ebul- lition s’esteint auec des linges trempez et imbus de la decoction d'escorce de iusquiame appliquez sur la partie. Il ne faut nullement reprimer le sang en ces flux là, mais pour ce qu'est de l’autre flux, ie le commets aux forces de la cornaline, pierre sanguine à la mousse, et de plusieurs autres qui sont communs, c'est pourquoy ie ne les mets pas en ce lieu.» ([, 7, p. 62.) Comme complément, voici un passage tiré du chapitre 10 du Il: traité de la première partie de la Grande Chirurgre : « Si le sang ne s’arreste par ces remedes (poil de lapin, mousse des crânes des cadavres, cendre de grenouille, carneolus suspensus velin manu detentus), principalement par les deux premiers (crocus Martis, aes ustum), à grand peine S’appaisera-il jamais : parquoy il ne faut rien essayer plus outre, ains faut attendre qu il s’arreste soy-mesme (!), Cependant il ne faut pas mespriser les operations celesies qui se font par caracteres, qu'il sera permis d'essayer aux dernieres extremilez, où les autres remedes ne pro- fitent pas. Il faut encore diligemment obseruer, si lors que tu veux ar- rester le flux de sang, tu vois point qu'il veuille couler aux parties inte- rieures et s’y retirer, Car si tost que tu l'en aperceuras, cesse incontinent de l’arrester et le laisse couler, de peur qu'il ne face quelques absces és parties interieures. » Il suffira de lire les extraits suivants du chapitre de la Petite Chirurgie sur les fractures et les luxations, pour juger de ce qu’on peut attendre d’un chirurgien qui écrit de telles choses. « 11 faut donc que le chirurgien sache qu'en toute fracture d'os il faut rechercher toute la douleur qui vient de la cause premiere en la Lh0 PARACELSE. fracture; car la nature ou condition de telles fistules et fragmens est telle qu’elles attirent à soy toutes les douleurs. C’est pourquoy aux fractures des os il ne faut auoir nul esgard aux symptomes, chaleurs, froideurs ny autres, ny se soucier si les medicamens sont humides ou chauds : car entre toutesles cures celles qui sont semblables aux fracturessont tres-faciles et desquelles on doit auoir moins de soin, à cause que la nature garde de soy mesme l’ordre d'icelles, et que le dommage est situé au milieu d’iceluy, auquel il n’arriue rien de mal, d’où vient que les humeurs qui sustentent ceste partie soyent elles-mesmes les medecins de l'os. Tu en- tendras cela en ceste façon: il n’y peut arriuer aucun danger à l'os rompu (!), mais il doit necessairement estre pansé et guery par la mumie du corps qui est dans la chair, ligamens et moëlle : au milieu desquels l'os est situé et enfermé, par tous lesquels il est aussi guery : d'autant qu'il n’y a rien d'ouuert, par où les accidens externes puissent estre portez. C'est pourquoy estant bien duëment liez, et nature estant en son repos, il y a en eux un certain medicament, et une guerison asseurée. « Que si toutefois il y a fracture auec playe, par lesquelles quelques fragmens apparoistroient disioincts et déplacez des tuyaux des os, tache de les tirer par les medicamens vulneraires, et ne tache en façon quel- conque de les tirer par ferremens, ou quelques autres instrumens en les perçant (voy. plus haut, p. 438-439). Car la vraye mumie peut attirer tout ce qui est contraire à la nature, laquelle mumie guerit aussi de soi les demy-fentes. » (1, 8, p. 65.) « La douleur qui est aux iointures disloquées, ne vient d’ailleurs que de la liqueur qui est sortie hors du lieu de son anatomie, et les douleurs des parties naissent de cette aigreur, car lors que les liqueurs des arti- cles se corrompent, elles se tournent en feu : pareillement l'anatomie du corps ne peut sans douleur supporter les dislocations ou offences des par- ties, à cause qu’elle reçoit une bonne disposition en sa santé, et sa hature est telle qu’estant enchainee aux nerfs, arteres, veines, elle veut et y doit demeurer selon cest ordre, duquel si elle est troublée, elle reçoit une dou- leur semblable à celle qui se fait de la playe, fodication, ou de la fracture. » (1, 40, p. 69.) Paracelse explique ensuite les accidents qui surviennent aux plaies par le combat que se livrent les éléments minéraux internes et les mêmes éléments externes. Voici maintenant un spécimen des remèdes souverains que notre auteur employait dans les affections chirurgicales. Ce qu'il y a de bon dans ces nombreuses recettes se retrouve dans les traités de chirurgie du temps. « Pour la contorsion, spasme, et tetane. —; 2% Sandal de mer, amigdales CHIRURGIE : FRACTURES, PLAIES, ULCÈRES. ha ou amandes de lieures ; soit faicte poudre, de laquelle on donne à boire auec de l’eau de basilic : si les spasmes vouloient revenir apres la premiere potion, donne leur la seconde, {u la pendras au col du malade, et luy don- neras en la main iusques à ce qu’elle soit bien chaude. » (1, 13, D. 85.) Ces absurdités sont heureusement rachetées par quelques conseils relatifs au régime des blessés et qu’on trouve dans le chapitre dix-septième. Au chapitre dix-neuvième, il y a aussi un assez bon traitement pour les brülures, avec le blanc d'œuf, la cire et l'huile; mais il était déjà connu. La théorie des ulcères, contenue au livre IT de la Petite Chi- rurgie, repose sur la supposition qu'il existe naturellement et originellement dans le corps des sels plus ou moins corrosifs, terreux ou réalgaux; mais Paracelse a une façon à peu près incompréhensible d'expliquer la formation des ulcères, en raison de la présence des sels. Voici, en effet, ses propres paroles : « Un vleère ne peut pas être produit, si ce n’est par les corrosifs, et il n’y a pas de corrosifs en dehors des sels. II est necessaire que tous vl- ceres prennent leur origine des sels, mais non certe de ceste façon que le sel se change, qu'il devienne meilleur ou pire, comme on se l’imagine pour les temperaments : c’est pourquoy il faut que vous sachiez que rien n'est rendu pire au corps, mais que le mal qui s’y trouue vient de la naissance. Le sel peut demeurer (c’est-à-dire sans produire de maladies) en son temperament, de façon que sa substance n’est nullement mani- festée. » (II, 1, p. 134.) Si les sels ne changent pas, ne se corrompent pas, ne devien- nent pas pires, alors comment survient-il un ulcère? Para- celse ne le dit pas; d’ailleurs, l'eût-il dit, nous ne serions pas beaucoup plus avancés. Cependant il semble, quelques lignes plus loin, vouloir donner une explication à propos de certains sels, mais 1l n’est pas aisé de la raccorder avec le passage très- absolu que je viens de citer. « L'origine de quelques autres vlceres se faict de ceste sorte : il y a quel- ques sels subtils et liquoreux qui se corrompent par leur propre subti- lité, à cause qu'ils sont en des autres liqueurs, ou sont separez par apres en ceste façon. Le vin semble entier et bon et son sel n’est pas recognu en luy, à cause qu'il est doux, bon et tres-puissant en sa substance; le sel h42 PARACELSE. est produict par apres en son tems par luy, et produict le tartre aux costez du vaisseau; ce tartre est un sel tres-aigu. Pareillement au corps la liqueur qui luy est necessaire, par progrès de tems se tourne en telle sepa- ration ; sa peau est le vaisseau auquel le tartre s'attache comme au ton- neau, toutesfois auec sa difference ,et ronge le corps. De même, le vin s’enai- grit à cause que sa substance se sépare de luy, car il arriueautrementaux liqueurs du corps qui sont diuersifiées cent fois au double; lors qu'elles tombent en semblable aigreur, incontinent le corrosif s’y trouue. « Et ne faut pas que quelqu’vn s’estonne de la multitude des sels du corps, veu que la varieté des vlceres du corps le demonstre également, ce corps dans lequel toutes les generations des elements se trouuent. » (Ibid., I, 4, p. 136.) À chaque espèce de sel correspond, non-seulement pour la nature, mais pour la forme même, une espèce d’ulcère ; et si l’on veut avoir une idée des assimilations les plus grossières en ce genre, on n’a qu’à lire le passage suivant, extrait d’une des an- nexes de la Peñite Chirurgie, annexe qui vient probablement des leçons de Paracelse, et où l’on a décrit chaque ulcère en parti- culier, du moins les affections rangées sous ce nom. « Les écrouelles viennent du sel de millet; chaque trou a son centre particulier ; et son opération est semblable à celle du sel lapille de grêle. Lorsque l’alun se résout en eau il retourne en sa matière première et en- suite se cristallise de nouveau en grains; chaque goutte fait son trou, et l’alun demeure ramassé en la partie. » (III, 28, p.285.) Les ulcères sont guéris (au moins en théorie, car Paracelse commet, dans la pratique, beaucoup d’infidélitésà ses principes), par l’usage des sels mêmes qui leur ont donné naissance. Cette proposition pourrait être regardée comme une des origines de l’homæopathie, mais origine très-détournée. En tout cas, un tel père ne serait pas une bonne recommandation. Je conseille aux homæopathes de chercher des ancêtres moins compromettants. M. Malgaigne a dit, dans son sntroduction aux œuvres d'Am- broise Paré, que la Grande Chirurgie est « plus calme et plus sensée » que la Petite Chirurgie où Berthéonée. Plus calme, ce n’est même pas juste, comme nous l'avons déjà vu ci-dessus (1) (4) Page 368, et Grande Chir., I, n, 41 et 12, à propos de l’Archée qu'il ap- pelle aussi Vulcain ou le fondeur, le destructeur des corps. CHIRURGIE : PLAIES, ULCÈRES, LUE] et comme on peut s’en assurer dans maints chapitres où Paracelse compare sés confrères à des pourceaux; plus sensée, cela n'est pas acceptable non plus, car cette Grande Chirurgie repose sur les mêmes principes que la Petite: ce sont toujours les sels qui engendrent et guérissent les ulcères; c’est toujours aussi l’exal- tation de la vertu curative essentielle du baume naturel ou mu- mie, à laquelle les médicaments servent d’aliment pour qu’elle remplisse bien son office. Les extraits suivants, relatifs également aux ulcères, le prouvent surabondamment (1). Après avoir rappelé que le chirurgien, comme le médecin, doit être parfait en philosophie, astrologie, alchimie et méde- cine, Paracelse continue en ces termes : « Finalement (2) ie monstreray comment le ciel est cause efficiente de plusieurs vlceres par sa puissance attractrice. Nous voyons que l’aimant, l’ambre, le mastie, les resines et plusieurs autres choses, attirent le fer, la paille et choses semblables. Ainsi il y a plusieurs esloiles au ciel qui attirent et amenent de l'interieur de l’homme iusques à l'exterieur ce qui estoit caché au dedans qui leur est familier, soyent humeurs ou autre chose : car il est bien certain qu'il n’y a rien dedans la concauité de la lune, qui ne soit contraint de communiquer aux estoiles quelque chose de sa nature, à son grand detriment et dommage, de même que nous voyons que le soleil tire l’humide des choses humides, et les seiche par ce moyen, ainsi chacune estoile tire quelque chose du corps sur le- quel elle domine, et cela fait on voit que le corps se meurt. Il est bien cer- tain que ceux qui y prennent garde ne couppent iamais le bois, et ne fouyssent la terre qu’ils n’ayent premierement consideré la position du ciel, d'autant qu'ils n'ignorent pas que la vermoulure et autres vices en dependent. L’experience à aussi enseigné que la pierre de saphir ouure l'antrax ou le charbon par son attraction iusques à faire vlcere manifeste. Or si la nature de ces pierres est telle, pourquoy n’attribuera-t-on pareille force aux astres, assauoir qu'ils font le charbon, l’antrax, les apostumes et autres maladies, veu que les pierres n’ont telle vertu que des astres. » L'implacable ennemi des anciens, Paracelse, recommande pour les ulcères une pratique qui se rattache directement à la (4) J'emprunte, en la modifiant parfois, la traduction à Dariot (28 édit, Paris, 1603). Comme les chapitres sont courts, je n’ai pas indiqué les pages. Le premier chiffre indique le Zivre, le second le traité ou partie, le troisième le cha- pitre. (2) Grande Chirurgie, H, , 14, — Voyez aussi plus haut, p. 373. hhh PARACELSE, théorie des flux catarrhaux. Comme on voit souvent, dit-il (1), que les parties supérieures envoient leurs excréments aux inférieures, et qu'ainsi il arrive que des ulcères naissent aux jambes, quand l’origine du mal est en haut, il convient d’arrêter le flux, soit en incisant, soit en cautérisant, soit en liant les veines, et même les nerfs (parties fibreuses), au-dessus-du genou. Il y met toutefois une restriction : on a recours à ce moyen seulement dans les cas où les matières des parties supérieures pêchent par quantité, et non par une qualité vénéneuse; autrement ces excréments vénéneux, n'ayant plus de cours, pourraient ou remonter au cœur, ou s’exaspérer sur place et mettre l’individu en danger de mort, inconvénient qui n’a pas lieu si les matières ne sont que surabondantes. Voici un autre échantillon des théories de Paracelse sur les ulcères qui sont produits par le chaos ou l'air qui est en nous : « La thbeorique (2) et speculation du grand monde nous enseigne que la retention des vents et de l'air peut faire des vlceres. Or l'air est vn cer- tain chaos qui contient en soy la cause de corruption. Donc l’air exte- rieur qui est enuironné par le firmament, est reserré dedans sa circonfe- rence, et là en trauersant toutes choses qui y sont contenues, il agit en l’homme pareillement : car puis qu’il est cause de la corruption, voire que luy mesme estant corrompu, conçoit vn venin, lequel il communique apres à tous les corps qu'il attouche : de là, la pourriture vient és pommes, la vermolure au bois, les vlceres aux hommes. Ainsi la peau de l’homme est le firmament du petit monde, dedans lequel le chaos (l'air) est con- tenu, chaos qui est corruptible tant de soy-mesme que par celuy du grand monde. Les vlceres des parties interieures naissent de ceste corrup- tion, lesquelles sont plus frequentes et plus malignes que ne sont celles du dehors : car le sentiment y est plus aigu, ioinct que les excremens et immondicitez s’y amassent plus aisement. Or la generation de la putrefac- tion se faict quasi en ceste maniere : aussi tost qu'vne partie a conceu ce venin, aussi tost elle commence à s’enflammer et à suppurer, et de là l’vl- cere demeure, toujours à l’intérieur, sans soy manifester au dehors, ce qui faict que telles maladies sont perilleuses, et sont estimees estre incu- rables et mortelles. » Les opinions de notre auteur sur la lèpre ne sont pas plus acceptables : (1) Grande Chirurgie, XX, i° traité, im° partie, chap. 5, (2) Grande Chirurgie, U, n, 21. CHIRURGIE : ULCÈRES. hh5 « Pour auoir plus ample intelligence de la ladrerie (1), il faut auant toute chose obseruer la difference qui est entre la putrefaction lepreuse et les autres. Car le corps ladre est pourry, priué de baume et de sel : ayant ueantmoins la vie auec le soufre et la liqueur. Mais les autres pour- ritures aduienent sans la mort du baume, ou du sel, ce qui est cause qu'on les estime moins perilleuses. Il faut donc sçauoir que quand le baume n’a plus de vie, que le sel est aussi perdu, les autres deux, assauoir la liqueur et le soufre commencent de trauailler selon leur naturel et condition, et engendrent ainsi Ce que nous nommons lepre et la- drerie. L’affection toutefois et maladie de lepre est telle, que combien qu'elle puisse de sa nature aduenir à tous les animaux et les appre- hender, toutefois elle a coustume de s’attacquer à l'homme seul : ou parce que l’homme seul est destiné à telle corruption, ou parce que c’est l'effect de certaines viandes : d’où nous voyons que les pourceaux, les- quels entre tous les animaux aprochent l'humaine nature de plus pres en temperament, ne sont pas pour cesle occasion asseurez de ce mal. le n’estendray pas d'auantage ce discours touchani la ladrerie de l'homme, parce qu'on ne l'en peut preseruer, ni la guerir quand elle est faite. » Écoutez maintenant comment et avec qui Paracelse a fait son éducation pharmaceutique : « Dés ma ieunesse (2) desirant fort d’aprendre, i'ay diligemment es- tudié sous des maistres excellens, qui estoyent exactement versez en la plus retiree et secrette philosophie, qu'ils nomment philosophie adepte ou acquise. Or mes maistres ont esté premierement Guillaume Hohen- hemius mon pere, qui a eu tres-diligent soin de moy, et plusieurs au- tres, qui m'ont fidelement enseigné sans rien me cacher. Mais auec ce l'ay esté aidé par les escrits de plusieurs grands personnages, la lecture desquels m'a beaucoup profité, assaucir ceux de Scheyt Euesque de Ser- gach, d'Erard Lauantal, Nicolas Euesque d'Hypponense, Matthieu Schacht, le suffragant de Phreysinge, l'abbé Spanhair, et ceux de plusieurs autres grands chimistes. l'ay esié auec ce beaucoup enrichi par plusieurs et diuerses experiences, que j'ay aprins des chimistes, desquels pour hon- neur, ie nommeray le tres-noble Sigismond Fucger de Schwek, lequel a beaucoup adiousté à la chimie, et la fort enrichie, ayant entretenu à grans frais plusieurs seruiteurs, qu il y à fait trauailler. le ne reciteray pas les autres, de peur que je ne -"is trop long. Parquoy puisque ie suis premie- rement fourni d'experiences, et que j’ay la cognoissance tant de la vraye philosophie que de l'art vulcanique et du corps phisic, i’ay à bon droit entreprins de corriger les fautes. » (1) Grande Chirurgie, WU, n, 20. — Voyez, pour l’affinité de la lèpre et de l4 syphilis, la préface de la IIT* partie de la Grande Chirurgie. (2) Grande Chirurgie 1 in, 1. hh6 PARACELSE. « S'ensuiuent les simples desquels on prepare la teincture : l'or, le mercure, l’antimoine, le sel des philosophes, le baume, le coral rouge, la mumie, la melisse, la chelidoine, la valleriane, la germandree, la chi- chorée, l'asclepias. » Voici maintenant quelques passages du même ouvrage relatifs aux plaies récentes : « Parquoy le chirurgien se souuiene, que ce n’est pas luy qui guerit les playes, mais que c’est le propre baulme naturel, qui est en la partie mesme. Ce ne seroit donc pas faute legere, si le medecin s’atribuoit la guerison : car l'office du chirurgien est d’auoir soin de conseruer nature en la partie offencee, et garder que la playe ne soit point irritee par les causes externes, tellement que la puissance curatrice du baulme ne soit point empeschee, ains qu’elle estant aydée par l’industrie du medecin puisse faire son office sans empeschement aucun : et qu'on puisse iustement dire, que le chirurgien est seur et bon gardiateur du baulme naturel (1) : et parce nous dirons que le chirurgien est la garde et defence de la nature du baulme radical, à l’encontre de l’action des elements exterieurs. » (Grande Chir., WE, 1, 2.) Le précepte d’écarter des plaies tout ce qui peut les irriter, et, plus bas, celui de les tenir en grand état de propreté, sont excel- lents, mais ne sont pas nouveaux. Puis il faut remarquer qu'il semble bien inutile, pour un chirurgien qui a tant de confiance dans les effets de la nature, de substituer aux vieilles formules des formules qui ne sont guère moins compliquées (2). Les chi- rurgiens modernes sont beaucoup plus conséquents avec leurs principes en cherchant, autant que possible, à obtenir la réunion immédiate des plaies simples, et, en évitant, autant que possi- ble, pour les plaies récentes compliquées, l'emploi des formules (4) « le desire encores que tu sçaches, qu'il ne se peut ni doit faire aucune gue- rison par putrefaction : parquoy les playes se doiuent guerir par choses qui resistent à la pourriture, d’autant que les remedes qui guerissent les playes, representent le sel, Or le sel est un certain baulme exterieur, lequel se doit preparer et extraire des choses qui contiennent la nourriture de la partie blessee, soit des entrailles, des nerfs, des os ou des iointures. Voila nostre diuine methode (une vraie humilité cette fois!) sans laquelle il est impossible qu'aucun acquiere honneur en medecine. » (E, 1, 5.) {2} Voyez, pour ces formules et leur préparation, la plus grande partie du livre II. CHIRURGIE : PLAIES RÉCENTES. A7 galénico-arabiques. Aussi nos modernes ne pourraient sanction - ner le précepte suivant : « Le desire aussi que cy apres les chirurgiens quittent leur commune façon de coudre les playes, et de les couurir apres cela de blancs d'œufs auec bol ou farine, parce que telle façon est entierement contraire à na- ture (1). C’est donc folie de s’y arrester veu que nature requiert seulement que la playesoit preseruée de pourriture, et aydée par medicamens comme a esté dict, pour estre dechargée de ces excremens chacune fois qu’on visite. » (EL, 1, 2. — Voy. aussi le Chap. 14.) Trouvera-t-on la preuve d’une connaissance de l’anatomie et d’une science chirurgicale dans ce calcul ridicule sur la profon- deur des plaies où il n’est pas question de la nature des parties entamées? « IL est certain que le membre qui est entierement couppé, ou telle- ment qu'il ne tient plus qu’à la peau, ne se guerit iamais. Toutefois le _ iugement des playes profondes sera tel : le diametre du bras (pour seruir d'exemple) estant diuisé en dix parties, si le bras est couppé outre le neu- fiesme point, on ne s'en pourra iamais aider encores qu'on le fist re- prendre : mais il y aura plus d’esperance de salut, si la profondeur de la plaie n'atteint iusques au neufiesme point, ains qu'elle ne penetre qu’au huictiesme ou au septiesme ou encore moins. » ([,1, 3.) Que dire encore des réflexions de Paracelse sur les plaies des nerfs, des tendons et des jointures ? « Les playes des parties nerueuses ne sont jamais cause de paralisie, si ce n’est par la faute du medecin : car le nerf couppé, ni le ligament, ni le tendon, n'est point de resolution comme estant nerf, ligament ou tendon, ains par faute qui a esté commise en la façon de vivre, adminis- tration des medicamens, ou autrement. Celles qui sont aux iointures se (4) « l’ay souuenance d’auoir vne fois esté present à la cure d’vne playe, où l’oyois les barbiers qui disoyent et concluoyent de la coudre auec du filet de cor- donnier et des sayes de porceau, parce qu'ils craignoyent que la soye ne fust pas assez forte : par où on peut iuger et cognoistre l'ignorance et stupidité de tels per- sonnages. Mais quant à toy, voici que tu feras : donne ordre à ce que tu sois fourni de bons remedes suiuant nos preceptes, et en vsant comme l'auons enseigné tu laisseras faire nature, ettu luy verras coler et faire reprendre les nerfs, ligamens, tendons, la peau, et la chair, sans y faillir, pourueu que tu y appliques nos remedes legitimes. » (1,1, 14.) Lh8 PARACELSE. | guerissent aisement, pourueu qu'il n’y ait point de perte d'os ; toutefois il les faut soigneusement garder à ce qu’inflammation et flegmon n’y sur- uienne, parce que si cela aduenoit, il osteroit l’esperance d’vne entiere guerison. » (I, 1, 3 et ar 17 ; HI, 1, 1.) On pourrait au moins approuver notre auteur lorsque, dans le même chapitre, il semble conseiller de traiter les diathèses en même temps que les plaies qui viennent les compliquer ou qui en sont la conséquence, si sa phrase était plus claire et s’il ne mettait pas aussitôt de la partie les spéculations astrologiques (, 1, 4, 5 et 6; et II, 8, 14) (1). On remarquera aussi (L, 1, 8) des idées de bonne femme plutôt que de médecin sur les plaies empoisonnées ou venimeuses. Lors même que la Grande Chirurgie serait, comme le dit M. Mal- gaigne, plus calme que la Petite, elle n’est certes pas plus modeste: « Encores donc qu'aucune fois les playes semblent estre difficiles et re- belles au traictement, toutefois vous cognoistrez qu'elles obeiront toutes à mes remedes et seront gueries. le desire encore d’auantage, que le chi- rurgien aye des propres remedes aprestez pour {outes les parties du corps : Car les empiriques ont toute gastée la medecine en appli- quant à vne partie du corps les remedes qui ont gueri vne playe en vne autre partie (2). Ces bonnes gens en mesprisant mes remedes se de- fenden!, disans qu'auant que ie fusse on guerissoit les playes. Je ne nie pas qu’on ne l’aye fait deuant moy, mais ie dy que de mile blessez que j'ay traicté auec mes remedes en vne armée apres vne grande bataille, il n'y en a pas vn (autant que nature le peut permettre) qui ait esté frustré de son attente, ou que j'aye perdu. Les médecins ou barbiers au contraire en ont à grand’peiae gueri van sur vingt. Pour ceste cause j'ay opinion que ce mien dessein sera approuué par les gens sages. » (1, 1, 10.) «le publie et presche l’alchymie qui prepare les medecines secretes par lesquelles on guerit les maladies qu'on lient pour desesperées ; puis donc qu'ils en sont ignorants, mes confreres ne doiuent estre appellez ni chymistes ni medecins. Car les remedes sont entre les mains et en la puissance des alchymistes ou des medecins : si en celles des medecins les (1) « L'intention de celui qui veut guerir doit être de combattre les étoiles, et non de purger les humeurs. » (Grande Chir., W, 1, 11.) Voilà certes qui n’est pas sensé. Cela est précédé par toutes les rêveries sur la relation des ulcères minéraux avec les remèdes minéraux de toute sorte. (2) Comme si c'était d’après la partie seulement qu'on déterminait le genre de remèdes ! CHIRURGIÉ ALCHIMIQUE. h49 alchymistes les ignorent : mais si c'est en celles des aichymisles, les me- decins ne l'ont pas aprinse et ignorent les remedes par consequent. Comment meritent-ils donc d’estre louez. » ([, 1, 45.) « Les anciens alchymistes(1) ont esté si diligens cet industrieux à cercher el trouver des remedes, qu'il me semble n’estre impertinent, ni mal fait d’en discourir : car encores qu'ils n’ayent pas tousiours atteint le but auquel ils visoyent, toutefois il est manifeste, que leur labeur a descouuert de grans secrets en la médecine. Ils ont essayé de changer les plus vils metaux en autres plus précieux, c’est assauoir en or et en argent, ce qu’encores que ie ne die pas estre impossible à nature, il est certain toutefois que telle transmutation est enueloppee de plusieurs difficultez. I n’y a personne qui doute, et qui ignore que le fer ne soit changé et transmué en cuiure, et le cuiure en plomb (!) Eux donc ayans obserué ceste admirable transmutation, ils l’ont voulu transferer en l’art de medecine : et comme il aduint vne fois qu’estans mal soigneux de leur teinture, ils en laisserent tomber en terre, laquelle fust {ost apres deuorec et auallee par des poulles, ausquelles les plumes tomberent dans peu de temps, mais puis apres il leur en reuint des nouuelles plus belles que les premieres : (ce queie peux moi-même tesmoigner.) Ils voulurent scauoir et experimenter si elle consumeroit ainsi ce qui seroit de mauvais et superflu au corps humain, et ensemblement osteroit et arracheroït la cause et racine des vleères : lequel essay n’a esté infructueux. » HE1, 5.) I est certain que, dans divers chapitres, on trouve un emploi très-hardi, et quelquefois rationnel, des corrosifs minéraux ; mais rien de cela n’est dirigé par la science des indications et par une clinique régulière; surtout rien de tout cela n’est aussi nouveau que Paracelse le prétend parfois. L’usage des huiles chaudes est également très-peu recommandable (2). « Tu ouyras souuent des chirurgiens qui se vantent de pouuoir remettre le nez qui aura esté trouué en la neige trois iours apres auoir esté couppé, ou bien les doigts, et autre chose admirable. Et me souuient qu'estant en certain lieu, ie vis un barbier qui remit et attacha auec certain ciment l'oreille d’vn à qui elle auoit esté couppee, de quoy plu- (1) Si Paracelse ne rend pas justice aux médecins, il montre quelque égard pour les alchimistes. Voy. aussi ch. 8, sur l'abus du mercure employé contre toute espèce d'ulcères qui ne sont pas des ulcères véroliques. (2) On sait que le hasard à conduit Ambroise Paré (OEuvres, édit, Malgaigne, & II, p. 127) à proscrire l'emploi de ces huiles dans le traitement des plaies par arquebuses. DAREMBERG. 29 h59 PARACELSE, sieurs s’esmerveilloyent, mais la gloire et renommee dudit barbier ne dura guere qu’elle ne fust tournee en blasme et moquerie : car le troi- sieme jour l'oreille tomba lors qu’elle commença de suppurer, tellement que le barbier fut faict la fable du peuple. Mais qui pourroit approuuer vne telle iaclance ? » (Grande Chir., 1, HE, 4, HI, 1, 1.) Paracelse, qui plaisante si bien ses confrères, devait se rap- peler qu’il traite de três-graves maladies par des amulettes; la jactance est de son côté autant que de celui des barbiers. L'appareil que Paracelse préconise pour maintenir les frac- tures, et les préceptes qu'il donne pour leur pansement, ne me semblent pas devoir être pris en grande considération par nos chirurgiens; 1ls y découvriront toutes sortes d’inconvénients. « Nous desirons et requerons que la fracture soit traictee et bandee chacun iour deux fois, tout ainsi que les autres playes, et qu'on n'yse point de cuissinets ni d’atelles, ains de nos instrumens, c’est assauoir des cercles de fer attachez à des auis (comme l’auons monstré à aucuns de nos disciples et qui ne se peuuent aisement declairer par escrit), Auec ces instruments, {u conserueras les rompures apres qu'elles sont re- mises, fort aisement en leurs places. Car ceci sera vn precepte general en toutes fractures simples ou composees : assauoir qu'il les faut des- bander et y appliquer les medicamens et puis les rebander deux fois chacun iour, afin de vantiller la chaleur et donner air au membre plessé : et toutefois il ne faut pas que la fracture se remue, ni qu'elle soit serrée auec astelles : car si d’auanture on meprise nos preceptles, et qu'on ne les obserue pas, ains qu'on astelle le membre suiuant la com- mune façon, et qu'on le lie serré, il y a danger qu'il n’en aduienne beaucoup de maux, comme il faict bien souuent, assauoir inflammation en la partie; voire aucunefois gangrene et pourriture ou la mort, selon la diversité des lieux offencez, la grandeur du mal et des accidens (1): Or il faut garder sur tout, que le membre ne tombe en discrasie et intemperature, parce que difficilement on oste la pourriture qui la suit, ains se tourne souuent et conuertit en fistules ou vlceres profondes et puantes. Ce qui sera commodement évité, si (apres auoir donné ordre à la maniere de viure), on visite et desbande le mal deux fois chacun jour, sans attendre à le debander iusques au troisieme iour, comme ont coustume de faire les vulgaires chirurgiens. Et encore qu'aucuns gue- rissent en ceste façon, ii vaut mieux toutefois suiure nostre methode, (1) Sans doute teus ces accidents peuvent résulter d'une déligation mal faite, mais non d'un pansement pratiqué suivant les règles de l’art, et bien surveillé, CHIRURGIE. — FRACTURES. h54 pour euiter les grans maux qui en aduiennent quelquefois. La cause pourquoy nous desirons qu'on n'astelle point le membre duquel l'os est rompu, est, que nous les pouvons mettre et remuer facilement, sans oster l'os de sa place en laquelle il auoït eslé remis : outre que l’vsage des astelles, requiert une forte et estroicte ligature, et la quantité et force d’icelles excite presque touiours des intemperatures et phleg- mons. Outre ce il aduient souuent, que l’enflure qui aura esté faicte et excitee par le phlegmon sera abaissee le matin, quoy aduenant, il est impossible, que les bandages ne se laschent, et que l’os (par ce moyen) ne sorte de sa place... Au reste, sçachez qu’il n’y a pas fort grand artifice à guérir les coupures des os, principalement en ceux qui sont jeunes, el que la simple racine de consolde cuite, broyée et appliquée sur le membre, engendre le callus.» (LE, 1, 4.) « L’instrument sera mis en usage comme s’en suit. Premierement, il faut bien environner les anneaux de cotton ou de soye, ou autres linges mols et délicats, principalement par le dedans, afin qu'on ne blesse le membre en le serrant. Puis il faut accommoder lesdits anneaux avec les verges et potences, ensorte qu'il ne faille qu'ouvrir les deux anneaux pour embrasser le membre. Et après qu’on aura estendu ledit membre blessé, et que les os seront remis en leur place, il le faut embrasser avec ledit instrument avant que le lascher, accommodant proprement les anneaux selon la commodité du lieu, en mettant le bout des verges qui passe les anneaux et est en la vis, devers le haut ou le bas selon la plus grande commodité ; et à ceste cause il faut que les appendices des anneauxsoient tellement percez, qu’on y puisse mettre tel bout des verges qu’on voudra. Et l’ayant accommodé en sorte que les deux anneaux soient proches des deux extrémités de l’os rompu, alors il les faut serrer avec leur vis et escroue, autant qu’on verra estre nécessaire, pour garder que l’instru- ment ne passe outre la teste de l’os...— Le membre estant ainsi tendu, il est bien aisé de voir si l'os est bien mis et arresté, et de le mettre bien si ja il ne l’est; d'y appliquer les médicamens propres, à ‘elle heure et en tel temps qu'on voudra sans crainte que l'os se remue, et le bander et le desbander sans addition d’astelles, — Il ne faut pas oster l’instru- ment de sa place, ains faut lascher un peu les vis des anneaux seulement (après avoir pareillement lasché celles des verges), afin que la chaleur influente et le sang pour la nourriture puissent passer librement, et que la partie ne demeure trop longuement serrée, tellement qu’à ceste occa- sion il n'y survinst des douleurs ayec les autres inconvéniens qui sont à craindre...—Il faut encore noter qu'on pourra faire fabriquer les verges qui ne seront pas droictes, ains courbes par le milieu selon la figure du membre auquel on applique l'instrument, tellement qu'entre la verge el le membre il y ait distance d'environ deux doigts, afin qu’on le puisse bander commodément ; et se pourront faire en cette forme, » (Extrait de Dariot, p. 94.) h52 PARACELSE. Pour plus de clarté je donne, d’après Dariot (p. 93), la figure de l'appareil. Has Explication des fiqures : A représentent les anneaux. — B sont les appendices qui sont à l’opposite l'une de l'autre, et sont chascune percées pour recevoir la pointe des verges. — C est la vis pour serrer l'anneau autant qu'on vou- dra, moyennant l’escroue qui est au bout. — D représente l’une des verges de fer, — E monstre les deux potences pour soustenir les anneaux quarrement. — F monstre l’escroue avec laquelle on pourra hausser l'anneau autant qu'il sera expédient. —- G est le petit [escroue] avec lequel la verge est arrestée en l’un des anneaux. — H monstre les anneaux adjancez avec les verges et potences, comme il doit estre quand on en veut user. — 1 représente l'instrument appliqué à une jambe pour tenir la greve qui estoit rompue, rs CHIRURGIE. — EMPIRISME ET RAISONNEMENT, 53 Je ne multiplierai pas les extraits de la Petite ni de la Grande Clururgie. Geux que j'ai donnés établissent suffisamment ce qu’on doit penser de ces deux ouvrages ; le seul intérêt qu'il y aurait, mais c’est un intérêt d’érudition ou de curiosité, serait d’a- bord de déterminer ce qui est authentique ou faussement attri- bué à Paracelse dans les appendices de ces deux ouvrages, puis de rechercher ce qui vient des écrits composés, sur la chirurgie, par les contemporains ou les prédécesseurs de Paracelse.— D'un autre côté, comme les deux chirurgies sonttraduites en français, il sera très-facile d'en prendre, si on le désire, une plus ample connaissance. Je veux du moins terminer par un passage qui prouve à quel point on peut se faire illusion sur ses propres défauts etsur ses mérites. Paracelse se vante d’être empirique, et, en même temps, 1l blâme le raisonnement dont personne n’a plus abusé que lui, malgré son « empirisme ». « Comme il y a deux methodes, il y a aussi deux sortes d’escholiers : car les vns s’adonnent aux fantaisies et suiuent la leur, les autres ne suiuent que l’empirie (empirisme) qui seule est ioincte à la verite, au lieu que ce qu'on collige par ratiocination chancelle bien souuent : car nature peut et veut estre cogneuë par les seuls obiets des sens, sans qu’elle aye besoin de ratiocination, comme nous ne cognoissons pas par raison ce qui est caché dedans les entrailles de la montagne, ains par les sers, qui sont esmeus par ce qui se voit, et nous manifestent aussi et declairent la na- ture des choses. « Ainsi il y a des ars admirables qui ont esté reuelez par le moyen de l'experience aux choses minerales, ausquels on n’eust jamais sceu par- uenir par raison : d'où est aduenu quêé les metaux ont engendré plusieurs ars. Puis que donc la medecine demeure et s’arreste en nature, telle- ment qu'elle-mesme est la medecine, il ne la faut cercher ni aprendre autre part qu'en nature mesme, car tout ainsi que l’art du potier de terre a son estre de la terre et du feu: et celui du forgeur de fer est du fer mesme et du feu par le moyen du marteau : l’artifice de faire le verre est du feu et de la cendre : celui du drapier ou façonneur de draps est de la laine et du fuseau : celuy des orfeures est de l’argent ou de l’or et du feu : pareillement nature produit et engendre la medecine et tous les ars par l'experience sans l’aide de la raison. le desirerois que les sophistes qui forgent tout par leurs raisons en délaissant l'experience conside- rassent diligemment ces choses, afin qu'ils cessassent finalement d’offus- quer et obscurcir la lumiere de nalure : et qu’ils se souuinsent que le medecin à esté crée de nature par le feu: car le feu et le labeur des- 5h PARACELSE. couurent les secrets de nature. Parquoy tout ainsi que les fondeurs tirent l'or et l'argent de la mine par le moyen du feu, ainsi les medecins doivent tirer des corps les secrets, les misteres, et excellentes essences par la sépa- ration du pur d’auec l’impur, moyennant le feu et autres ars vulca- niques. L'homme aussi qui plus est, aide beaucoup à la generation du medecin : Car il descouure de quels principes il est composé, par le moyen de la resolution qu'il fait des corps par le feu. Le medecin aprent du feu que c'est que l’homme et que c’est que medicament, et n'y a autre escolle que le feu, où on puisse aprendre la medecine. Parquoy possible qu'on cognoistra que nous n’auons pas dit sans cause au commencement de nostre traicté, qu’il y a double methode pour aprendre la medecine, el pensons auoir persuadé aux medecins et leur auoir donné occasion de penser à repurger la medecine des fautes qui la maculent (4). » Il me reste maintenant à faire connaître deux traités, celui de la grosse vérole, en dix livres (2), et celui qui a pour titre : Des ulcères et tumeurs contre nature, en sept livres (3), traités que le texte original ou la traduction latine donnent comme des annexes ou des parties (pars tertia et pars quarta) de la Grande Chirurgie. Vans le second traité, la théorie mi- nérale, touchant l’origine et la cure des ulcères, a reçu les plus amples développements; on y trouve également la signature et l'astrologie. Ce simple énoncé nous dispense de réunir ici les extraits que nous avions préparés ; disons seulement que les char- latans et les rebouteurs semblent avoir puisé à pleines mains dans les livres que Paracelse a écrits sur les ulcères ou dans ceux qu'on à mis sous son nom. L'importance du sujet m'engage à m’étendre davantage sur le premier traité. « Pour réprimer et comprimer l'audace de ceux qui, depuis plusieurs siècles, par leur étalage orgueilleux, par leurs clameurs insensées et les (1) Grande Chirurgie, H, n, 1. (2) Le traité en huit livres: De l'origine, des causes, du traitement du mal français, paraît apocryphe. - (3) De tumoribus, pustulis ac ulceribus morbi gallici. — De ulceribus et tumo- ribus præter naturam, seplem libris, —Les préfaces de ces deux traités sont datées de Colmar, 1528. J'ai suivi l'édition latine de Genève, 1658, in-fol, MALADIE SYPHILITIQUE. 55 titres extraordinaires dont ils se parent (4), se sont sottement arrogé la direction de la médecine, j'ai résolu, lecteur bénévole, de dévoiler les erreurs innombrables qu'ils ont commises dans le diagnostic et le traite- ment du mal francais. Quoique l’inutité de leurs remèdes soit si bien connue de tous aujourd'hui que, même si je m’abstenais d'écrire, per- sonne n'aurait plus confiance en eux ; cependant, pour mieux mettre en lumière la vraie méthode de reconnaître et de traiter le mal français, je crois qu'il ne sera pas inutile de relever quelques-unes de leurs erreurs. «J’appelle cette espèce de maladie mal français, du nom du pays où l'on rapporte qu'il a pris naissance; les écrivains ont, en effet, coutume d'imposer aux grands événements un nom tiré de celui du lieu où ils se sont passés. On ferait preuve d’igoorance dans l’art médical si l’on pré- tendait que j'aurais dû donner à ce mal le nom de pustules, et on mon- trerait qu'on ne comprend pas que ce dernier est une appellation géné- rique. Joignez à cela qu'il ne conviendrait pas d'adapter à une maladie nouvelle (tel qu'est le mal français) un nom ancien ; il ne m’appartenait pas non plus de substituer un nom nouveau à celui qui est en usage (2) : en conséquence, à l’imitation des Latins, qui appellent ce mal semen gallicum, je l'ai appelé, d’après les Français, chez lesquels il a pris nais- sance, mal français. « Voici maintenant, en peu de mots, l'exposition du dessein que j'ai en vue, J’emploie les remèdes en usage et ceux qui me sont particulière- ment connus, dont peu de personnes cependant sauront se servir avec succès. J'écris dans l’idiome allemand, parce que telle est l'instruction de nos médecins que c’est seulement à grand'peine qu’ils me comprendront dans cette langue, loin de pouvoir me comprendre si je me servais du * Jatin ou d'un idiome étranger (3). Cestyle est inusité, mais ilest ainsi que le veut mon expérience. La néce:sité me force aussi d’avoir recours aux re- mèdes et aux simples exotiques (4) si ceux qui sont en usage trompent mon attente. Ce n’est pas sans motif, enfin, que j'emploie des mots nouveaux. Les différences dans la médecine et la nouveauté du sujet l’exigent; en elfet, une maladie nouvelle entraîne, avec un nom nouyeau, un nouveau remède et un nouveau médecin, » (Morb, gallic. praef., t. IN, p.102.) (4) I serait difficile de trouver, dans toute l’histoire, un médecin qui mérite plus ‘de tels reproches que Paracelse lui-même, (2) Quelle réserve pour un homme habitué à changer tous les noms, ou à les prendre tous dans une acception soit détournée, soit bizarre! Voyez même quelques lignes plus bas, où notre auteur revient à sa prédilection pour les mots nouveaux. (3) Quelle charité et quelle modestie : des médecins qui ne comprennent pas même leur langue maternelle ; un Paracelse dont on doute si jamais il a recu une véritable éducation libérale ! (4) Contrairement aux principes exposés dans le Paragran (voy. p, 387-888). h56 PARACELSE. Après quelques colonnes d’inveclives contre la pratique des médecins de son temps (1), eu égard soit à toute la médecine, soit en particulier à la maladie vénérienne et à son traitement, surtout par Je sain-bois, qui est devenu un objet de henteuse spéculation, soit à la recherche de ses causes humorales, Para- celse déclare que ces médecins aliemands ou italiens sont incor- rigibles pour trois raisons: ceux-ci, trop vieux, ne veulent plus rien apprendre; ceux-là s'occupent plus de remplir leur escar- celle que de guérir leurs malades; les autres, ennuyés par une nouveauté, sont si jâches, qu'ils ne veulent pas se déranger pour en prendre connaissance ; puis 1l continue en ces termes: « D'abord, sachant par les charlatans et les empiriques que le mercure était pour ces maladies un mystère souverain, vous avez mis toute votre confiance en lui ; et pour dire la vérité, c'est au mercure seul que toute guérison est due (2), car la vertu mercurielle est seule apte à guérir, (4) Voyez aussi, VIE, 1, les accusations portées contre Ics moines ambiticux el avides, particulièrement contre les Chartreux et les Observants, qui propagent le mal en vendant des remèdes détestables et impuissants. (2) « Les vertus et proprietez du Mercure estans cognues et publiees, des sophistes sont incontinent suruenus, lesquels y ont adiousté beaucoup de choses pour obseur- cir ces vertus, encores qu'ils dient que ce soit pour le corriger, mais elles y sont du tout inutiles: car la gucrison entiere (et ie te prie de me croire) gist et consiste entierement au Mercure qui n'a besoin de correctifs. [ls ont ainsi chassé el osté son vray vsage, hors des mains de ceux qui exercent la medecine, tellement qu'on prend à ceste heure, le remede de la verolle, pour guerir toutes les ulceres : toute- fois ie croy que chacun peut cognoistre auec quel danger cela se faict : car puis que cere sont pasulecres de verolle, on ne les peut guerir auec les remedes qui luy sont propres. l'ay ditceci expres, pour monstrer qu'il ne faut pas vsurper les remedesde la grosse verolle, pour gucrir les ulceres, auec tel et si grand dommage du public, ains qu'il leur faut appliquer et à chacune autre maladie, leur propre et peculier remede. Car combien que les ulceres se changent aussi et se meslent auec autres maux, tou- tefois si ce n’est auec la verolle (voy. p. 458), il ne les faut jamais traicter auec ses propres remedes. le dy plus, qu'encores qu'on y vist quelque changement à cause de l'abus des femmes, toutefois il se faut abstenir de l’vsage du Mercure, tant qu'on ne voye point de manifestes signes de verolle en l'ulcere, parce qu'elle ne vient pas de causes naturelles seulement, ains elle a prins son commen- cement de la permission de Dieu: car tout ainsi que la peste n’est pas seulement cruelle naturellement, ains est enuoyee de Dieu pour punir son peuple, ainsi 11 faut estimer que la grosse verolle a esté enuoyee de Dieu pour punir cruellement les paillars, et villains adolteres; tellement que ie pense que çes faux Medecins sophistes MALADIE SYPIHLITIQUE, h57 qu'on la lire des plantes (voy. plus bas) ou d'autres choses; mais c’est dans la préparation que vous vous trompez. Comprenant avec raison que le mercure doit d'abord être éteint, vous ignorez cependant comment doit se faire cette opération : en effet, tant qu’il conserve la vertu d’en- tamer l'or, le mercure reste vif, et il est évident que ce n'est pas avec la graisse d'ours ou la salive qu’on peut l'éteindre; mais comme ce sont les seuls moyens qu'on vous ait enseignés dans les Académies de France et d'Italie, jugez vous-mèêmes si vous êtes dignes du titre de docteurs. Vous ne pouvez nier le mal que vous faites aux malades quand vous les traitez avec du mercure mal préparé, Car si vous ne les tuez pas, vous les rendez paralytiques.… C'est encore une preuve d’ignorance que vous ne pouvez dissimuler, d'attribuer au vif-argent seul cette vertu minérale, comme si elle n'existait pas naturellement dans toutes les plantes et qu’elle appar- tint uniquement à ce métal : ne se trouve-t-elle pas dans le tereniabin, dans les sauterelles, dans le galbanum (1)? Mais je parlerai des autres choses qui concernent la puissance: du mercure quand je traiterai de sa préparation (2). Passons maintenant aux autres erreurs : la première qui s'offre consiste dans l'abus des médecines laxatives qui, en se mêlant au mercure, loin d'être utiles dans la déclinaison de la maladie, ne font qu'augmenter le mal et amènent enfin la mort. Par leur vertu, en effet, l’'euphorbe et la scammonée, en pénétrant peu à peu dans l'intérieur du corps, dissolvent les facultés vitales, et la diminution successive des forces amène la mort. Non contents de cela, quelques-uns ont osé joindre l’ar- senic aux laxatifs, et pour en corriger la vénénosité, ils ajoutent des préparations de pierres précieuses dont ils connaissent l'usage. » (Morb. Gall., X, 8.) Paraceise s'élève, dans les chapitres suivants, contre les fumi- galions de cinnabre, en grande faveur parmi les médecins de Montpellier et de Salerne (?), contre l’abus des lotions mercu- rielles, contre les corrosifs, qu’il emploie cependant lui-même (voy. liv. X); enfin, contre le gayac. ont esté aussi enuoyez comme executeurs des peines diuines, pour tourmenter dauan- age ces paillars infames par leurs fausses guerisons. Au contraire il est certain qu'il n'y a que les causes naturelles qui agissent aux vlceres, » (Grande Chir., IL, 1, 8, trad. Dariot.) (4) Cf. aussi VIT, 1.— On voit bien par ce passage, et par plusieurs autres du même traité, que Paracelse, à de justes réflexions sur l'emploi du mercure, mêle aussitôt les propositions les plus étranges et qui tiennent à tout son système soit sur les propriétés occulles, soit sur la théorie minérale. (2) Ces préparations se trouvent, mais en termes peu clairs, dans les livres VIII, IX et X; les mélanges sont souvent extraordinaires, Le point important à signaler, c'est que Paracelse veut qu'on prenne le mercure à l'intérieur (voy. p. 462). h58 PARACELSE. Le deuxième livre est consacré à l'exposition des idées de Para- celse sur l'anatomie (1) et sur les relations de cette anatomie avec la recherche de la cause matérielle des maladies. Dans le troisième, notre auteur parle, sous le nom de /ransplantation, en parte de l’origine éminemment contagieuse (2) du morbus qallicus, qui renaît de lui-même, car la transplantation (3) de la maladie vénérienne vient toujours de la luxure; toutefois, ajoute-t-il malencontreusement (Ch. 1), il faut observer que la nature de ce mal est telle, qu’il ne se transplante jamais dans aucun corps, à moins que ce corps ne soit disposé à quelque autre maladie, soit externe, comme sont l’esthiomène, le cancer, la morphée, l’alopécie ; soit interne, comme la fièvre, l’arthrite, la paralysie (voy. plus loin, p. 460) d’où il prend naissance : il n’est pas né- cessaire que la maladie préexistante apparaisse aux yeux; une seule et toute petite étincelle suffit pour allumer l’incendie ; en conséquence, c’est la luxure qui #ransplante une maladie en une autre. D'où il résulte qu’il y a des pustules esthioméniques de vérole, d’autres paralytiques, quand les deux maux se rencon- trent, Suivent des considérations, ou plutôt des divagations sur (4) Voy. p. 370, (2) « Considerons en la verolle d’où c’est qu’est venu son commencement, c'est assauoir de l’impudique conionction et paillardise, d’un ladre avec une fille, qui estoit desia infectee de bubons venereiques, laquelle a puis apres infecté tous ceux qui se sont joints à elle: ct ainsi ceste contagion s'est esparse par tout, tout ainsi que les mulets sont issus de l’accouplement des asnes auec les iumens, Mais au commencement, le mal n’a esté contagieux que par le seul attouchement de la conionction venereique. Et qui niera qu'à l'exemple de ceste verolle, il n’y ait eu d’autres maladies meslees et accouplees ensemble, par la conionction impudique ? Veu qu'il est manifeste à tous, que l’vsage des femmes est cause, voire est la mere et racine de plusieurs et diuerses maladies hereditaires. Parquoy si se ioignent auee les ulceres, il faut vser de distinction, afin qu’elles soyent plus aisement gueries, par les propres remedes qu’on y appliquera. Car l'experience a desia aprins, que le Mercure est le souucrain et vnique remede, pour guerir toutes les vleeres qui sont meslees auec la grosse verolle, et partant qu'il faut auoir recours à luy. » (Grande Chir., IL, 1, 7.) (3) C'est-à-dire la communication d'un individu infecté à un autre qui ne l’est pas encore. Ce mot transplantation signifie à la fois fransmission et transformation ; le vice de luxure étant transmis, et se compliquant avec une autre maladie pour devenir le mal francais; c’est une véritable greffe, — Voy. p, 360-361, | | | | | | P" MALADIE SYPHILITIQUE, 159 les divers genres de transplantations ou greffes ; sur les trans- formations naturelles ou par putréfaction des espèces végétales et animales, sur les monstres, etc. Le quatrième livre est in- titulé : De morborum transmutatione; j'en extrais les passages suivants : « Il ne faut pas dire que le corps soit privé d’un generatum (faculté de produire); en effet, comme le monde extérieur, il fournit sa moisson, sa vendange, sa neige, son minerai (Ertz) d'où se forme cette impression renfermée sous la peau, qui fait les maladies internes, par exemple, la pleurésie au lieu de la putréfaction des fruits. De là vient qu’en tels temps de l’année, telles maladies apparaissent, de même qu'en certains temps la gelée et la grêle mettent en danger les produits de la terre (1). Comme une pomme sur l'arbre, ou autrement, se conserve en santé, ainsi en est-il du generatum du corps humain. » (IV, 1.) « Maintenant (2) que je puis, comme médecin, faire connaître les causes et l’origine de l'épidémie vénérienne, d’après la nature du microcosme (vers laquelle j'ai coutume de tendre, comme à un but) et les véritables sources de la vraie médecine, je dis que le mal français, comme toutes les autres maladies, vient primitivement du temps, puis de la corruption du sperme ; alors (quand apparut la maladie), en effet, diverses espèces de métaux reçurent une certaine corruption du sperme, Ce qui le prouve, c’est que, depuis la création du monde, on n’a jamais vu une luxure plus grande, une plus grande licence et plus de déréglement dans les mœurs que dans le siècle où l’on observa pour la première fois chez l’homme ce genre de mal : ce temps se rapporte à environ l’année du salut 1478, « À moins de vouloir contredire à l'expérience, personne ne niera que la luxure ne soit la cause de ce mal. Disons done dès à présent, et comme fondement certain de notre discussion, que le mal français vient, comme d’une cause sine qua non, du déréglement des mœurs ; sur ce fon- dement nous établirons le reste de ce que nous avons à dire, en style médi- cal, c’est-à-dire modeste et conforme à la lumière de la nature,» (IV, 8.) « La communication du mal se fait ainsi : de même qu'une petite quantité de safran mêlée à l’eau contenue dans un vase change la cou- leur de toute l’eau, ainsi le mal contracté par les organes génitaux se répand peu à peu dans toute la substance du corps et le dévore tout entier (3). Mais on m'objectera qu'avant le temps dont nous parlons, les (1) Rarement Paracelse peut trouver une idée juste, par exemple, qu'il y a des maladies saisonnières, sans y mêler des idées extravagantes. (2) En allemand le texte est beaucoup plus long dans tout le traité, mais le sens est le même, cependant j'ai cru parfois devoir compléter le latin par l'allemand. (3) Ce sont là des vues justes ; celles qui suivent n’ont aucune valeur; mais Pa- racelse n’est ni plus ni moins instruit.que ses contemporains sur les origines du mal 160 PARACELSE, hommes et les femmes se sont communiqué mutuellement, par les rap- prochements sexuels, des maladies contagieuses, et que cependant on n'avait rien vu de semblable au mal français; je réponds en peu de mots que de mémoire d'homme on n'avait vu un pareil déréglement dans l'usage de Vénus, et capable de faire naître un tel mal, que dans ce siècie où apparurent pour la première fois les pustules francaises. Il est donc bors de doute que le mal français est un mal formé d’affections conta- gieuses de toute espèce, de même que nous voyons quelquefois les peintres former une seule couleur du mélange de plusieurs autres. Que si quel- qu'un prétend que ce mal a été infligé par le ciel aux hommes, je n'y contredirai pas entièrement (1), mais ici nous traitons des causes natu- relles, non de celles qui sont supérieures à la nature. » (IV, 4.) « Puisqu'il est convenu que cette maladie est produite par la réunion d'autres maladies, il est évident qu'une personne saine ne peut être atteinte de ce mal, mais qu'il faut nécessairement qu'elle soit dans un état morbide (2); et il n’est pas nécessaire qu'elle soit affectée de pus- tules; toute autre maladie y suffit, quelle qu'elle soit : car la luxure facilitant la complication par la contagion, la maladie se transforme en pustules (3). Quelques exemples éclairciront ce sujet. Soit un goutteux qui s’unisse à une femme dont l'utérus soit en proie au mal, le goutteux pendant l’acle attirera à lui le poison injecté par son prédécesseur : il s'ensuivra des nodosités, des paralysies, et les symptômes qui accompa- gnaient la paralysie deviendront ceux du mal français ; si les symptômes de la goutte durent plus ou moins, rapportons-en la cause à la gravité de Ja transformation. Si quelqu'un est en proie à un ulcère rongeant et a commerce avec une femme infectée, comme l'effet de l’ulcère est d'ul- cérer, il naîtra des ulcères français. De même le mal français change la colique en paralysie, la teigne en pustules, etc. Réciproquement, si une autre maladie contagieuse, comme la matière goutteuse, la salure ou la douceur de l’ulcère, ou autres choses de cette espèce, se communiquent par le congrès, le mal deviendra composé et apparaîtra accompagné de divers symptômes, de pustules, ulcères, duretés, etc. Il en est de même de la morphée et de la lèpre, car toutes les matières se transforment sui- vénérien, On voit seulement par son livre, et par ce qu'il dit du gayac, que l’idée de l’origine américaine n'était pas encore très-répandue, 11 ne semble pas croire non plus que la maladie puisse venir de la seule influence céleste ; c'était, dit-il quelque part, un bruit que les personnes intéressées avaient fait courir au début de la maladie, pour dissimuler leur paillardise, — Voy. p. 461, (1) Voy. p. 407, et p. 456, note 2. (2) Voy. plus haut, p. 458 et note 2. (2) IL est difficile de trouver ici une idée nette des complications de la vérole avec d'autres diathèses, — Paracelse eatrevoit parfois, mais il n’est pas assez instruit et il est trop prévenu par son système pour sir, MALADIE SYPHILITIQUE. a61 vant la variété de la luxure, et doivent nécessairement produire l'infec- tion du sperme, qu'elle vienne d’une maladie physique ou d'une maladic chirurgicale : car si d’aberd on n’y voit qu’un prurit, un érysipèle, une gonorrhée (profluvium dans le texte) ou une cambuca (bubon), bientôt cette transmutation se résout dans la semence; par cette résolution en effet et ce mélange, en vertu d’une sorte de conjonction, elles se transforment en un produit médian, c'est-à-dire en pustules, sans perdre cependant les signes, la forme, la nature, etc., de l'affection qui s’est mêlée. » (LV, 5.) « Il y a des maladies qui pendant vingt ans s'étant manifestées par des signes douteux, mais étant négligées par les malades eux-mêmes et les médecins, font explosion tout à coup; d'autres, quoique ayant couvé longtemps, ne se montrent pas complétement et sont absorbées sponta- nément par la nature, ou bien elles setransfigurent en une maladie ana- logue. Si une maladie de cette espèce se présente, il sera du devoir du médecin de reconnaitre sa nature d’après les signes qu'elle fournit. Comme la luxure est pour quelque chose dans l'acte, alors les maladies qui occupent le corps se résolvent ouse dissolvent par l'appétit [vénérien], et passent avec le sperme dans un autre corps, celui de la femme; mais ce n’est que par la force qu’on peut les résoudre. Après donc que le mal a pénétré ainsi dans le sperme ou dans ce qui a été produit par le sperme, il devient héréditaire jusqu'à ce qu'il soit peu à peu absorbé après plusieurs générations : je dis absorbé peu à peu, parce qu'il n'y a rien sur la terre qui ne prenne fin, ni la santé, ni la maladie, ni la mort même. Notons donc que la semence contient le sperme avec toute sa malignité, et que de ce sperme naissent toutes les maladies et les im- pressions; c’est par conséquent un principe de maladie dans l'enfant, et c'est pour cela que les enfants sont attaqués de maladies qui devaient se montrer chez leurs père et mère /1) : de sorte que la lèpre, le mal fran- çais, l'asthme, la péripneumonie et mille autres maux que la plume est impuissante à décrire et qui attaquent les enfants, sont un signe certain de la santé des parents.» (IV, 7.) « Nous recommandons instamment à ceux qui voudraient discuter les causes du Morbus Gallicus, comme nous l'avons fait jusqu'ici, de s’in- struire d'abord à fond sur les causes des autres maladies; puis ils expli- queront par des principes pris de la nature même des choses, comment la transformation se fait [en mal français] par la luxure; car il n’est pas question maintenant des maladies envoyées par le ciel. de ne puis admettre qu'une seule cause de ce mal, notre déréglement dans les actes vénériens, puisque l’expérience nous apprend qu’il n’attaque que ceux qui usent immodérément de ces actes (2). » (IV, 9.) (4) Voilà au moins quelques bonnes paroles ! (2) Encore une réflexion fort sensée, malheureusement contredite dans d'autres ouvrages. 162 PARACELSE, Au chapitre 6 du livre V, on parvient à déméler cette proposi- tion remarquable : « Toutes les fols qu'une maladie quelconque [de la peau surtout] pré- sente un caractère de malignité plus grand que de raison, il faut soup- conner l'intervention du mal français. » Les livres cinquième et sixième sont consacrés à l'étude des symptômes ou complications que présentent les diverses formes de la syphilis. On remarquera d’abord que la forme pustuleuse a conservé toute son importance, puis au chapitre second du livre VI il est évidemment question de la gonorrhée (per penem lacteus succus vel pus redditur); le nom n’y est pas, mais la chose est indiquée: ce nom se trouve au chapitre septième du même livre (gonorrhoea |gamorrhoea dans le texte]... an 1psa pus- tulosa esse queat; dein, si possit, quatenus cum lue gallica consistat, quibus locis, qua forma, etc. — Voy. aussi plus haut, p. 461). — Astruc rapporte ce second passage, qu’il eroit in- terpolé, mais il ne dit rien du premier. Dans les descriptions données par Paracelse, il y a de telles fantaisies, un emploi si singulier d'expressions consacrées ordinairement à tout autre chose qu’à la maladie vénérienne, qu'il n’est pas toujours aisé de discerner ce que l’auteur a prétendu dire. Au livre sep- ième, recommençant le procès à la thérapeutique, il divise, mais d’une façon assez bizarre (voy. livres VIII et IX), les affec- tions syphilitiques en physicales (internes) et chirurgicales (externes). Contre les premières, et surtout en vue de purger le corps, il préconise le mercure bien préparé (1), pris à l’intérieur, comme on prend le vin et les aliments, et non point en lotions ou en fumigations; contre les secondes 1l admet l'emploi du mer- cure en topiques, non +7/, mais après qu'il a subi diverses com- binaisons ou préparations. — Il indique, aux livres VIIL IX et X, la cure spéciale pour chacune des manifestations de la syphilis, et donne de nombreuses formules. Je relève ce passage dans le livre VIÏ; il résume, mais sans (4) Cette préparation ou purification se trouve assez clairement indiquée dans un livre tout à fail paracelsique : De correctione imposturar. in curat. luis Gallicue, 11,4 et 5, (Voy. aussi plus loin, p. 463.) MALADIE SYPHILITIQUE. h63 l’éclaircir beaucoup, la doctrine de Paracelse sur l'emploi du mercure : « Le mercure produit son opération par son chaos (1); or, en employant le mercure, vous admettez non-seulement le chaos, mais toute sa sub- slance, causant ainsi de la nuisance aux malades, car il doit être em- ployé de façon que son corps n'entre pas dans le corps humain. De là vient l'usage des anneaux en vif argent, dont l'effet fut admirable : le mercure, en effet, devenu métallique et contourné en anneau, expulsait chaque jour la pituite chez celui qui le portait, cette purgation s’opérant par le chaos de l'anneau. Bien plus, on a observé que lorsqu’on ne pou- vait rendre le mercure métallique, on obtenait le même résultat en l’en- fermant dans de petits sacs qu'on lie autour des articulations ; il conserve aussi cette facullé si, après l'avoir éteint, on l'approche des narines au moyen d'une pomme d'ambre. On a vu aussi des personnes à qui la fumée du mercure chaud a fait rendre une abondante pituite. Votre grande erreur consiste donc en ce point, qu'employant le corps du mercure, qui contient une certaine léprosité, vous négligez son chaos, » (VII, 1.) Les extraits qu’on vient de lire, je ne les ai pas triés pour les besoins de la cause, mais je les ai recueillis au milieu d’autres passages non moins nombreux, non moins caractéristiques, qui fourmillent dans les écrits de Paracelse (2); ou plutôt, pour me (1) «Chaos omnium rerum confusio, congeries etinformis materia ; sumitur pro Iliade vel Iliastro ; » Rulandus, Lexicon alchémiae, Francof., 1612. D'après l’au- teur inconnu, mais paracelsique, du De origine luis Gallic. , 4 (Cf. aussi 2), Chads est l'esprit qui dans chaque corps dirige les actions internes, définition qui n'avance guère la solution du problème, (2) Je reçois de mon savant ami, le docteur Haeser, de Breslau, une brochure extrêmement rare: Theophrastus Paracelsus; Saint-Pétersb,, 1821, in-8, et dans laquelle l’auteur, le docteur AL.-Nic. Scherer, directeur de la Société de pharmacie de Saint-Pétersbourg, après avoir retracé la vie de Paracelse, s'efforce de présenter ce médecin comme un vrai réformateur. Mais, loin de chercher dans toute l’œuvre . de Paracelse des textes positifs à l’appui de cette opinion, il se contente de rassem- bler les passages que j'ai en partie rapportés moi-même, où notre héros vante son expérience, sa science, sa pratique, ses vertus, et où il déclame contre la mauvaise médecine de ses confrères. J'ai montré que c'étaient là de vdines paroles tuxqueiles les faits ne répondaient pas du tout. D'ailleurs, M. Scherer n'a établi aucune dis= tinetion entre les œuvres authentiques et les ouvrages supposés de Paracelse. — Je répare ici une omission : si l'on veut avoir une idée exacte de la signature avant, après Paracelse et dans Paracelse lui-même, on doit consulter la thèse (inspirée par M. Haeser) de Herm. de Gohren: Medicorum priscorum de signatura imprimis plantarum doctrina, Xenae, 1840, in-8. 464 PARACELSE. servir d’une comparaison qui est familière à ce prétendu réforma- teur, le microcosme, l’abrégé que j'ai mis sous les yeux du lecteur, est la fidèle représentation du macrocosme, je veux dire de l’œuvre entière de Paracelse. Après avoir lu tous ces extraits, loin de me trouver trop sévère pour Paracelse, on pensera peut- ètre que J'aurais pu, à l'exemple de Haller, dans sa Bibliothèque médicale, me dispenser de fournir tant de preuves de l’extrava- gance et de linanité de pareilles théories; mais il y a des répu- tations si bien établies, soit parmi les historiens quine se donnent pas la peine de remonter aux sources, soit parmi ceux qui ont un part pris d'avance, qu’il importe de mettre la pleine vérité dans tout son jour, d'en finir avec les panégyristes de clocher ou de convention. On a dit spirituellement (1) de Paracelse qu'il était à la fois Çun tribun et un despote », deux mots qui généralement vont fort bien ensemble. Le propre des tribuns, c’est d’exciter les passions de la foule et de ne supporter ni la discussion ni la con- tradiction. Dans la politique, les tribuns bouleversent la société : dans la science, ils en ruinent les bases et la livrent aux aven- tures : aussi faut-il toujours qu'après les uns comme après les autres la calme et saine raison vienne réparer les désastres. (1) Gubler, Leçon sur Sylvius de le Boe, dans Conférences historiques de lu Fa- culté de inédecine de Paris. 1865, p. 304. XVII SOMMAIRE, — Van Helmont. — Son éducation, son caractère. — Jugement général sur sa doctrine. — Comparaison avec Paracelse. — Mysticisme répandu dans la plupart de ses ouvrages. — Physiologie générale, — Physiologie spéciale. — Pa- thologie générale et spéciale, — Matière médicale et thérapeutique. — Conclu- sion. MESSIEURS, Quoique la chronologie les sépare, j'ai rapproché de Paracelse Van Helmont et Svlvius de le Boe, afin de rassembler sous un même coup d'œil les origines, les développements et les trans- formations de ia médecine chimique ou chimiatrie. Née dans le creuset des alchimistes, cette médecine, « imprégnée de rêveries » et qui reposait sur des données ou fausses ou tout à fait incomplètes, ne pouvait conduire à rien de bon, ni de solide, ni de profitable. Ce n’est pas l'alchimie, mais la chimie qui devait servir aux progrès de la science; encore fallait-il que la physiologie pût intervenir avec sûreté dans l’explication des phé- nomènes chimiques de la vie et dans celle des actions thérapeu- tiques. Loin de considérer l'invasion de Ja chimiatrie comme le point de départ des heureuses et fécondes réformes de la méde- cine, je regarde, au contraire, celte invasion comme une des causes qui ont le plus contribué à retarder ces réformes, en pré- cipitant les esprits dans les aventures, en les plongeant dans le mysticisme des arcanes. Sans la physiologie, une chimie exacte eût été infructueuse, à plus forte raison une chimie en partie imaginaire devait être désastreuse; la médecine n’a été pré- servée d’un véritable naufrage que par les études cliniques qui, déjà prenant faveur, ont fini par dissiper beaucoup d'illusions et par ramener à l’observation de la nature. C’est seulement avec DAREMPERG. 30 166 VAN HELMONT. Boyle (1), Stahl, et surtout avec Lavoisier, qu’une meilleure chi- mie, appuyée déjà sur une physiologie moins hypothétique, mais naturellement restreinte (2), put commencer à rendre de vrais services et prendre rang parmi les instruments de la biologie et de la pathologie. Au xvur' siècle comme au xvi', le spectacle est partout le même; partout on se révolte : ici contre les Arabes, là contre Galien, ailleurs contre tout le monde, comme Paracelse, et contre Para- celse lui-même ou ses sectateurs; mais nulle part on ne ré- forme ; partout on détruit, nulle part on ne fonde un établisse- ment durable, car les bases manquent encore : l'observation et l'expérimentation appliquées à l’étude des maladies (3). Ni Van Helmont, ni même Sylvius n’échappent, pas plus que Paracelse, à cette règle générale : chez les uns comme chez les autres les faits manquent et les 2dées dominent. Je ne vois pas n1 que Van Helmont « rappelle à la fois Hippocrate et Aristote », ni « que son système dynamique soit une conception sans rivale », ni « que sa doctrine soit la meilleure des doctrines», ou « une des plus belles conceptions de la médecine » , ni qu’on puisse tant célébrer son « esprit lumineux », ni enfin «que la science actuelle tienne de lui une grande part de ses progrès » (4), (4) Il est à remarquer qu'au xvu* siècle les chimistes les plus habiles ont été, comme le célèbre Boyle, pour n’en citer qu’un exemple, les adversaires les plus décidés de la chimiatrie. La raison en est simple : le positif de la chimie ne peut pas s’accorder avec les rêveries ou les hypothèses de l'alchimie. — Du reste, Boyle, si âpre contre les alchimistes, propose des remèdes ridicules dans ses Medicinal experiments, 1696. Les esprits les plus vigoureux ont toujours un côté faible, (2) Jusqu'alors la physiologie s'était surtout occupée des phénomènes mécaniques ou dynamiques. (3) Je vois dans Van Helmont des expériences chimiques quelquefois bien con- duites et des observations pathologiques presque toujours insignifiantes ouinexactes. (4) Il reste certainement plus de Van Helmont que de Paracelse ; mais ce plus west encore pas grand'chose. — Lors même que, dans quelques circonstances, Van Helmont aurait rencontré juste, il faudrait à peine lui en tenir compte ; en tout cas il ne faudrait en tirer ni la preuve d’une science réfléchie, ni surtout aucun rapprochement avec la science moderne, puisque ces idées ne reposent sur rien et n'ont mené à rien de bon. — Van Helmont a engagé la médecine dans des voies nouvelles ; mais ces voies sont des chemins de traverse, remplis de brous- sailles et mal fréquentés. SON ÉDUCATION MÉDICALE, 67 comme l'affirment MM. Mandon, Rommelaere (1) ou Tallois (2) mais je reconnais volontiers qu’il « se présente tout inspiré de l'esprit de son siècle », c’est-à-dire du mauvais esprit, de l’es- prit systématique. Harvey a devancé son siècle et lui a résisté; Van Helmont a fait écho aux idées dominantes; il a suivi la foule, loin de lui barrer le passage ou de la diriger. Il n'entre pas dans mon plan ni de retracer la vie d’abord agitée, errante, incertaine, puis presque cloîtrée de Van Hel- mont (3), ni de raconter les persécutions auxquelles il fut en butte de la part des galénistes, qui le dénoncèrent à l’inquisi- tion (4), comme, vers la même époque, les péripatéticiens livraient Galilée au saint-office : galénistes et péripatéticiens, également hypocrites, qui, sous l’ingénieux prétexte de servir la foi, calomniaient et persécutaient un confrère dont la doc- trine leur était importune. J'emprunte à M. Mandon une page qui suffit à montrer que Van Helmont sort de la même école que Paracelse, je veux dire de l’école des illuminés (5), et j'ajoute, sans plus de commen- taires, que les vrais médecins ne sortent pas de ces écoles-là. (4) Voyez, pour les citations que je fais de MM. Mandon et Rommelaere, la note 5 de la page 364. (2) Rapport sur le concours relatif à Van Helmont. Bruxelles, 1866. (3) Il faut, si l’on veut connaitre cette vie dans tous ses détails, recourir au Mé- moire de M. Rommelaere, où la biographie, fort bien étudiée, occupe quarante pages, La bibliographie analytique comprend vingt-cinq autres pages.— Van Hel- mont, né à Bruxelles en 1577, est mort le 30 décembre 1644. (4) Voyez, sur ce sujet, les savantes publications de M. le docteur Broeckx, d'Anvers: Notice sur le manuscrit intilulé : Causa J. B. Helmontii, Anvers, 1852, in-8; Interrogations du docteur J, B, Van Helmont sur le magnétisme animal. Anvers, 1856, in-8, — La persécution alla si loin qu'il ne fut pas même permis à Van Helmont de soigner ses enfants à leur lit de mort, et que l’érvidia medicorum pessima porta le raffinement jusqu’à refuser à ce malheureux père la seule conso- lation qui lui restät, celle de faire traiter ses enfants par les remèdes chimiques ! M. Broeckx a réveillé en Belgique le culte de Van Helmont par d'importantes pu- blications, et il est un des promoteurs du concours ouvert, en 1866, à l'Académie de médecine de Belgique. (5) Les livres de la jeunesse de Van Helmont, publiés pour la première fois par M. Broeckx, mais aussi, et particulièrement son traité De magneticavulnerum naturali et legitima curatione, qui a vu le jour en 1624, portent Pempreinte d’un mysticisme 168 VAN HELMONT, « Les jésuites de Louvain venaient d'ouvrir une école de phi- losophie malgré les grands, l'université, ie roi et le pape Clé- ment VIII, Van Helmont entra chez eux, étudia la magie, et en sortit avec une abondante récolte de vaines spéculations. Pour utiliser son temps, il lut Sénèque et Épictète, et crut trouver dans la morale /e suc de la vérité. Les capucins lui paraissaient être les stoïciens du christianisme ; mais l’austérité de leur ordre élant trés-grande et sa santé délicate, il demanda à Dieu de l’éclairer. Après une fervente prière, il se vit transformé en une sphère creuse dont le diamètre s’étendait de la terre au ciel. Au-dessus de lui était un sarcophage, et au-dessous, à la place de la terre, un abime de ténèbres. Je fus saisi d’épouvante, dit Van Helmont, et perdis la conscience des choses et de moi-même. Ayant repris connaissance, Je compris que le stoïcisme me retiendrait, comme un monstre furieux, entre l’abime des enfers et une mort immi- nente. Je vis qu’il cachait l'ignorance sous une apparente humi- lité. Je lus Dioscoride afin de changer mes lectures, et vis qu’il s’occupait trop de la description des plantes et pas assez de leurs propriétés. La médecine l’attira à son tour. Après avoir dévoré les auteurs grecs, latins, arabes et modernes, il s’apercut que tous les livres répétaient la même chanson : omnes libros ca- nentes eamdem cantilenam. Le droit ne satisfit pas mieux que la médecine sa soif de la vérité ; même déception en histoire natu- relle. Enfin, le cœur chagrin, Van Helmont se prosterna la face contre terre et demanda ardemment à Dieu la science. Bientôt tout l'univers lui apparut comme un chaos informe devant la vérité; et ces paroles frappérent ses oreilles : « Ce que tu vois » et toi vous n'êtes rien; ce que tu fais est moins que rien; Dieu » seuls ait la fin des choses ; occupe-toi de ton salut. » Je résolus de le faire, dit-il, en étudiant et pratiquant la médecine. Il laissa sa fortune à sa sœur, qui était veuve, et quitla sa patrie pour extravagant, Plus tard, dans le traité De la lithiase (1, 10, 45, p. 651 et 653), Yan Helmont, s'appuyant sur des textes da Psalmiste et de l'Évangile (Convertit ruges in stagna aquarum. — Dic ut lapides isti panes fiant), explique la pétrifi- cation et la dissolution des calculs. Il croit (voy. p. 652-653) que l'aura seminalis de la pierre, aidée par la terreur, peut pétrifier des hommes, même des régiments entiers avec armes et bagages. — Voy. aussi Natura contrar, nescia, p. 130 et suiv. SON ÉDUCATION MÉDICALE. h69 s’instruire, préférant, dès la plus tendre enfance, la science aux richesses : Teneris adhuc ossibus, scientiam ante divitias habui. Une épidémie de peste lui donna l’occasion de l’étudier; il courut porter aux malades /a joie et l'espérance. Ses insuccès le firent douter de la médecine. Cependant, plus il la détestait, plus les malades l’appelaient. » P. 556-557. Ainsi Van Helmont, esprit vagabond, mécontent de lui-même et surtout des autres, dirigé par le fictif bien plus que par le positif, avant l’âge de vingt-trois ans, avait déjà traversé succes- sivement la théologie, la philosophie, la magie, les sciences ma- thématiques, l'astrologie, la médecine, le droit, pour revenir à la médecine. Comme Paracelse, fort âpre, parfois même grossier dans sa polémique (1), Van Helmont veut créer l’art de toutes pièces, parce qu’il n’a rien trouvé de bon ni dans Hippocrate, n1 dans Galien, ni dans les six cents auteurs grecs, latins, arabes ou du moyen âge qu’il a lus! Le désespoir le déprime et l’exaltation religieuse le relève tout à tour; enfin, l’ange Raphaël l’em- porte, et notre héros reçoit le bonnet de docteur en médecine en 1599. Son inquiétude prend alors une autre forme. Au lieu de continuer à s’agiter dans sa propre pensée, il se met à cou- rir le monde (1600-1605). C’est au retour d’un premier voyage qu'il fut pris de la gale, accident (/elir culpa) qui décida, sui- vant lui, de la direction de ses recherches. Cet épisode est trop comique et a exercé trop d'influence sur Van Helmont pour que nous n’en empruntions pas ici la traduction à M. Littré (2). « J'appelai, dit-il, deux fameux médecins de notre ville, (1) Ses contemporains ne lui ont pas ménagé non plus les injures; voici l’oraison funèbre prononcée par Guy Patin: « Van Helmont était un méchant pendard fla- mand qui est mort enragé depuis quelques mois ; il n’a jamais rien fait qui vaille ; j'ai vu tout ce qu'il a fait ; il s’inscrivait fort contre la saignée, faute de laquelle pourtant il est mort frénétique. » (2) Journal hebdomaduire de médecine, t. VI, année 1830, p. 512 et suiv., article intitulé: Du système de Van Helmont, — Dans cet article, M. Littré a très-judi- cieusement remarqué combien le travail dela pensée avait été libre dans l'antiquité, et combien il avait été borné au moyen âge par cette fatale tendance à transformer en dogmes absolus les moindres données d’une science traditionnelle qu’on ne com- prenait même pas très-bien, C'est là l'explication des révoltes même injustes et passionnées de Van Helmont. 470 VAN HELMONT. joyeux d’éprouver bientôt sur moi-même si la pratique répon- dait à la théorie. Ceux-ci, en voyant cette gale purulente, pen- sèrent aussitôt qu’il y avait abondance de bile brûlée avec une pituite salée, et que l’hématose était troublée dans le foie. Cette réponse me satisfit beaucoup, en me montrant confirmés, par deux praticiens expérimentés, les axiomes des auteurs, axiomes que je croyais aussi vrais que ceux des mathématiques. Mais une curiosité qui m'était naturelle me fit demander quelle était cette intempérie du foie qui enflammait la bile et produisait un excès de pituite ; car dans le même viscère, et dans le même temps, il ne pouvait se faire deux produits si différents, une pituite froide et une bile ardente. Ces savants hésitèrent en fronçant le sour- cil; enfin, après qu'ils se furent longtemps regardés, le plus jeune répondit que la même intempérie du foie échauffé don- nait, non une vraie pituite, mais une pituite salée, et que la na- ture du sel est chaude et sèche. Pressé par une autre objection, le plus vieux répondit : Ge sont des choses qu’il faut proposer dans les écoles, et non à des praticiens dont les heures sont comptées. Il me demanda aussitôt quels auteurs j'avais lus, et ce que, d’après mes études, je croyais convenable de faire dans ce cas. Je dis que pour rafraichir le foie et le sang, il fallait ouvrir la veine du bras droit au-dessous de la céphalique, puis procéder par des apozèmes réfrigérants, à cause de la bile ardente, de telle sorte cependant qu'on mêélât les incisifs et les atténuants modérés, à cause de la salure de la pituite. Je montrai, dans Rondelet, un apozème qui contenait environ cinquante ingré- dients, et qui promettait de remplir ces deux indications. Ce fut aussi leur avis. En effet, après une abondante saignée faite dans toute la force de la jeunesse et de la santé, à part la gale, je pris pendant trois jours l’apozème de Rondelet; le quatrième et le cinquième, j'y ajoutai de la rhubarbe et de l’agaric, si bien que l’économie commença d’obéir à l’appel du remède, et que les deux humeurs peccantes furent mises en mouvement. Mes mé- decins approuvèrent tout et me louërent d’être docile et aussi avide d'instruction. Le sixième jour, j eus au moins quinze selles, on me félicita fort d’avoir si bien préparé les voies. Deux Jours après, la gale n’ayant rien perdu de sa violence, même traite- SON CARACTÈRE COMME MÉDECIN ET COMME HOMME, 74 ment et mêmes évacuations. Les médecins disaient que l’âge de dix-huit ans est propre à la génération de la bile; et, voyant que les pustules et la démangeaison ne diminuaient pas, ils preseri- virent un troisième purgatif; mais, sur le soir, j'étais épuisé, mes joues étaient tombées, la voix rauque, la maigreur extrême, les genoux chancelants, et j'avais gardé ma gale. » (P.544) (4). Il n’y avait pas de quoi relever le courage de Van Helmont; aussi éprouva-t-il un moment de véritable prostration; il n’en sortit qu’en reprenant le bâton de pélerin, il visita successive- ment l'Espagne, la France, l'Angleterre, et finit par rentrer dans sa patrie, où il se maria, et dès lors il resta confiné dans sa terre de Vilvorde (2). Van Helmont fit ses premiers essais de médeciné pratique avec lés remèdes chimiques, « remèdes inaccoutumés et inconnus », à ce qu'il prétend, comme Paracelse l'avait prétendu avant lui; comme Paracelse aussi (3), il ajoute que ses détracteurs publics s'étaient fort empressés de lui dérober ses remèdes et d'en user en secret; comme lui encore il se vante de son zèle, de son dé- vouement pour les malades, de son désintéressement pour les pauvres, de sa modestie. Certes, ni le dévouement, ni le désinté- ressement ne lui ont manqué; seulement il aurait pu laisser à d’autres le soin de lui en faire un mérite. Cé n’est pas là tout au moins de la modestie. En écartant de son jugement les préventions et les partis pris de clocher, on ne peut manquer de reconnaître à la fois dans Van Helmont des qualités supérieures et des défauts qui tien- nent un peu à son temps et beaucoup à son caractère. C'était, comme Paracelse, un mystique, mais plus savant; un ennemi de la tradition (4), mais plus érudit; un empirique, mais plus (1) Ce passage se trouve dans Scabies et ulcera scholarum, 2-6, p. 255-256.— Je cite toujours l'édition des œuvres de Van Helmont, Amsterdam, 4652. (2) Van Helmont, seigneur de Mérode et autres lieux, épousa Marguerite Van Ranst, alliée à la puissante famille des de Mérode. (3) Voyez, plus haut, page 434 et suiv, (4) « Nunquam in alicujus viri verba proterve jurasse, et auctoritates semper postposuisse rationibus, » Commentaire sur le 1° livre du Régime d’'Hippocrate. h72 VAN HELMONT. clinicien, plus observateur ; un polémiste violent, mais plus gentilhomme (1); un écrivain obscur aussi et prétentieux, mais avec un peu moins de divagations. Des deux côtés manque l’ori- ginalité des conceptions; Paracelse pille tout le monde et crie au voleur; Van Helmont, quoiqu'il s’en défende et quoi qu’on en dise, emprunte beaucoup de détails et l’idée générale à Para- celse, qu'il dénigre plus qu’il ne le loue(2). Van Helmont n’a pas imaginé les rouages de son système, mais il a su en faire une machine plus régulière, moins ridicule que celle de Para- celse, car il y a entremêlé quelques connaissances plus exactes qui ont servi pour ainsi dire de liens et de moteur. Il n’a pas réformé la médecine, mais seulement allégé et épuré la chimia- trie. Je suis bien sûr que parmi les nombreux panégvyristes ac- tuels de Van Helmont, il n’y en a pas un, s’il est médecin, et s’il suit attentivement le mouvement de la science, qui voulût si- gner aucun des écrits de Van Helmont, même le meilleur. En somme, malgré toutes ses ressemblances avec Paracelse, Van Helmont lui est de beaucoup supérieur, comme homme, comme Anvers, 1849, p. 12. Cet ouvrage a été publié pour la première fois par M. Broeckx. — Cf. aussi De febribus, xv, 2, p. 777 : «C’est un fondement peu solide et tou- jours ruineux depuis l'antiquité, d’aller où ont été les autres, non où il fallait aller, et de suivre toujours la foule de ceux qui nous précèdent, en souscrivant aveuglé- ment à leurs jugements. » (4) Il n’est pas moins injuste, car il abuse trop souvent de l'impossibilité où les anciens étaient de lui répondre (voy. par ex. Phys. Arist. 21, p. 42); parfois il les défigure à plaisir, ou les réfute par des arguments qui ne sont pas toujours très-so- lides. Aussi, je ne saurais souscrire à ce jugement de M. Rommelaere : « La partie critique des œuvres de Van Helmont estune page admirable dans l’histoire de la mé- decine ; jamais on n’a démontré avec plus de talent et de bonheur l'inanité de ces doctrines humorales qui régnèrent si longtemps dans les écoles de médecine. » — Jei se place une remarque fort judicieuse de M. Littré, article précité ; voy. p. 469, note 2: « Van Helmont n'avait pas vu que, derrière le fatras des écoles, ces hy- pothèses gratuites et cette servilité des esprits, il y avait un vieux fonds d’expérience grecque qui ne pouvait pas complétement mentir. Les remèdes sont trouvés par l'observation ou le raisonnement ; les premiers sont bons, les seconds sont suspects : il y avait des uns et des autres dans la pharmacie galénique. Van Helmont rejetait tout sans restriction. Remarquons toutefois que, s’il ne faut pas faire comme lui et rejeter l'expérience des siècles, il faut prendre garde aussi de ne pas accepter comme vraies des règles traditionnelles par cela seul qu’elles ont une longue possession. » (2) J'ai établi plusieurs rapprochements qui le prouvent. SON CARACTÈRE COMME MÉDECIN ET COMME HOMME. 473 médecin, comme chimiste (1), comme physiologiste (2), enfin comme anatomiste (3); il aimait véritablement la science et les malades. Malgré les emportements de son caractère et de son 1ma- gination, il avait, autant qu’on pouvait l'avoir de son temps, le sentiment de la dignité médicale ; mais la nature de son esprit, le peu de solidité de ses connaissances, ne pouvaient le faire sortir (4) Je n’oserais pas affirmer qu'il soit, en ce genre d’études, un grand inventeur ; toutefois il avait, plus que Paracelse, Le sentiment des combinaisons et des dissolu- tions des corps. Fraenkel (Vita et opiniones Helmontii, Lipsiae, 1837, p. 15) écrit : «Chemia disciplinarum sola est cui certe non attulit damna, si non vera emolumenta ‘ tribuit, » — Après avoir rendu hommage aux recherches de Van Helmont sur les gaz et à l'usage qu’il a fait de la balance, M. Chevreui ajoute: « Tout en recon- naissant ce que la science doit à Van Helmont, il importe d’insister sur le peu de place que les faits donnés par l'expérience y occupent; ce sont de faibles lueurs dans un système d'idées classées conformément à l'esprit le plus absolu que puisse manifester la méthode a priori. » (Journal des Savants, février 4850, p. 74 et suiv.) M. Hoefer, dans son Histoire de la chimie (2° édit.), Paris, 4869, t. II, p. 134, est plus favorable à Van Helmont. Il pense aussi qu'il a eu l’idée du thermomètre. (2) Van Helmont n’est certes pas un physiologiste dans la rigoureuse acception du mot; il est même, sous ce rapport, bien au-dessous de Galien ; on peut seulement dire qu'il est plus sensé que Paracelse, mais non pas plus vrai, dans l'idée qu'il se faisait de la vie; quant à la connaissance des fonctions spéciales dont Paracelse n’a- vait pas la plus petite notion, Van Helmont est souvent, quoiqu'il le nie et quoi qu'il fasse pour le déguiser, le disciple de la tradition ; quand il s’en écarte, c’est pour se laisser guider par des théories a priori, non par l’observation ou les expériences. (3) Van Helmont ne donne pas, comme Paracelse, le change sur le mot ana- tomie ; il sait ce que désigne ce mot, mais non pas précisément ce que vaut la science qu'il représente ; il estime grandement Vésale (Jus duumviratus, 32, p. 245 ; De flatibus, 43, p. 340), moins peut-être pour lui-même qu'en reconnaissance de sa polémique contre Galien. Toutefois, il semble bien que l’anatomie n'était aux yeux du médecin brabançon qu'une étude purement spéculative : il croit en principe que l'anatomie, après mille ans et plus d'existence, n'a pas appris aux modernes à mieux connaitre et à combattre plus sûrement les maladies (Zgnotus hospes, 90, p. 404; cf. Praefatio, 12, p. 388); il admet à peine qu'on puisse en tirer un meilleur parti; même il attaque l'anatomie descriptive au nom de sa physiologie (/gnota actio regimins, 32 et suiv., p. 269). Dans Jgnotus hydrops (9 et suiv., p. 408 et suiv.), il prouve qu'il ne sait, lui, user de l'anatomie pathologique ni pour le dia- gnostic différentiel ni pour le traitement des hydropisies, quoiqu'il fasse, au milieu d’une foule de distinctions subtiles, quelques bonnes remarques dans ce traité où il rapporte l'histoire d’une épidémie caractérisée par le développement de l’hydropisie. — Il ose affirmer que, sur des centaines d’'hydropiques, il n’en à pas vu un seul chez qui le foie fût affecté ! 474 VAN HELMONT. du cercle où l'avait renfermé son amour exclusif (1) de la pyro- technie (Philosophus per ignem). N'oublions pas non plus de re- marquer que l’idée d’une réforme est entrée dans l'esprit de Van Helmont, comme dans celui de Paracelse, bien plus par la thérapeu- tique que par la pathologie. C’est l'insuffisance réelle ou suppo- sée des moyens de traitement conseillés par les anciens; c’est en même temps l'engouement pour l’alchimie, panacée universelle, qui les a conduits l’un et l’autre à bouleverser la pathologie, de telle sorte qu’ils avaient changé arbitrairement, et à priort, le traitement traditionnel, sans connaître mieux que les anciens ni la nature des maladies, ni le rapport qui existe entre les actes pathologiques et les actes physiologiques (2). Une telle réforme peut être comparée à un véritable sépulcre blanchi! Elle est aussi frappée de discrédit par son origine même : c’est à la suite d’un rêve que Van Helmont s’est décidé à embrasser la carrière médi- cale ; c’est à la suite d’un autre rêve qu'il renonce à jeter ses ou- vrages (3) au feu; c’est encore en rêve qu’il a construit toute sa doctrine thérapeutique (A); jamais Galien, qui avait toujours un songe à son service, n’a été aussi loin. Ce ne sont nilesexpériences sur les médicaments, quoiqu'il vante l’optica notro, ni la physio- logie, ni même l'anatomie pathologique, dont il n’a tiré presque aucun parti, qui ont guidé Van Helmont ; c’est Dieu, c’est le père des lumières qui lui a ouvert les yeux de l’âme, Dieu qui a in- (1) « Louange à Dieu très-bon, qui m'a appelé à la pyrotechnie, en dehors de la lie des autres professions. La chimie, en effet, a des principes qui ne reposent pas sur des syllogismes, mais que la nature apprend à connaitre et qui se manifestent par le feu, » Pharmacopolium ac dispens. modernum, 32, p. 371. Voyez aussi Lithias., 11, 4,sur la puissance occulte du feu. — Cf. aussi Physica Aristotel., 9-14, p. 41. (2) On doit remarquer que Van Helmont a plus innové en physiologie qu’en pa- thologie ; c’est par son idée de la vie, quoique souvent étrange, qu'il domine Para- celse et même ses contemporains, Paracelse a plus insisté sur les explications chi- miques de la vie, Van Helinont sur les explications dynamiques. (3) Van Helmont ne donne point de titre précis: « Cum perlegissem hunc #euwm laborem, contentumque libri, uno velut puncto, comprehendissem in Intellectu ab- stracto, etc. » [Confessio autoris, 1, p. 11); et, plus loin, 13, p. 43: « Decrevi hune librum igni sepelire... nisi altera intellectualis visio se mihi obtulisset, » (4) Ce rêve se trouve non dans le Pharmacopolium, mais dans Potestas medica- minum, 3 et suiv., p. 377 et suiv. ORIGINES DE SA RÉFORME. h75 struit Adam, Salomon et sainte Thérèse, Dieu qui, pour punir les hommes, a laissé périr les livres de Salomon, et qui semble ajourner la pleine connaissance des simples à la venue d’Elie (1)! Je voudrais maintenant justifier l'opinion que je me suis for- mée de Van Helmont, après une lecture attentive de ses œu- vres, et que je viens de résumer. Eh bien! les preuves à l'appui de cette opinion, on pourrait les trouver, sans difficulté ni sans aucune violence, dans les deux Mémoires que MM. Rommelaere et Mandon ont, sur l'invitation de l’Académie de médecine de Bel- gique, consacrés à la gloire du célèbre médecin de Bruxelles (2). Ces deux Mémoires sont un éloge bien plus qu’une étude critique; mais la conscience des deux auteurs est telle qu'ils ont eux- mêmes fourni des arguments contre leur trop favorable impres- sion. Cependant il est difficile de comprendre qu’on s’obstine à maintenir des réputations qui ne reposent sur aucune réalité. L'histoire et la médecine s’y opposent également. Même pour leur siècle, Van Helmont et surtout Paracelse sont loin de tenir la première place (3). (4) Pharmacopolium, etc., 14, 15. Quoique, dans ce traité, Van Helmont blâme parfois Paracelse, il ne fait guère que répéter tout ce que ce dernier a dit contre les formules et en faveur de la vertu souveraine des simples, pourvu qu'ils soient employés chacun isolément et non mélangés. Il croit aussi que la Providence a distribué les remèdes suivant les besoins de chaque pays, de sorte qu'il est inutile d’en chercher au loin, comme si la plupart des remèdes minéraux employés par les iatrochimistes n'étaient pas tirés des pays étrangers (voy. p. 388). Toutes ces rê- veries sont plus anciennes que Paracelse ; elles se trouvent tout au long dans Pline. — Van Helmont, dans le même livre et ailleurs, professe également cette malheu- reuse idée de la subordination de la nature à l'homme pour lequel tout a été créé. Il n’y a rien qui entrave plus complétement les recherches indépendantes. (2) Je ne m'explique pas bien pourquoi M. Rommelaere semble regarder comme ut ouvrage, ou commé une sérié d'ouvrages à part, l'Ortus medisinae. Ce titre prétentieux et peu modeste représente, si je ne me trompe, toute l'œuvre de Van Helmont, les ouvrages publiés de son vivant et avec son assentiment (réunis sous le titre de: Opuscula medica inaudita : la dédicace est datée d'octobre 1643; volume rare) et ses papiers confiés aux soins de son fils (farm cruda et ncorrecta quam pe- nitus expurgata). (3) M. Mandon a publié, non un travail critique, mais un véritable dithyrambe, tout d’une haleine, à la gloire de Van Helmont; ni l'esprit, ni là verve, ni la finesse de certains aperçus ne manquent dans cé morceau, où l’enthousiasme dépasse de h76 VAN HELMONT. Assurément ce n’est pas dans le Traitement magnétique des plaies qu'il faut chercher les fondements de la renommée de Van Helmont; c’est là qu’il explique les miracles des saints par une vertu magnétique, trahissant ainsi la science pour ne pas être accusé d'incrédulité ou regardé comme un esprit-fort. Ce faux-fuyant ne l’a pas sauvé de l’inquisition. « C’est à l'influence du magnétisme animal, conservé dans l’étole de saint Hubert, qu’il attribue la guérison miraculeuse et la préservation de la rage par l'imposition de cette étole sur le malade (4). C’est à l'existence du magnétisme animal encore qu'il attribue la puissance malfaisante des sorcières. » QUne dame sujette à de fréquents accès de goutte faisait dis- paraître la douleur aussitôt qu’elle allait s’asseoir sur la chaise beaucoup, à mon avis, la mesure permise, ct les rapprochements des idées de Van Helmont avec les idées modernes sont souvent hasardés, Puis on voudrait trou- ver plus de citations et surtout des renvois précis aux divers ouvrages de Van Hel- mont, car l’auteur se contente, en tête de chaque chapitre, d'indiquer d’une manière générale les écrits dont ces chapitres sont un résumé, de sorte que, si l’on ne connait pas bien Van Helmont, il faut le relire presqu’en entier pour contrôler les dires de M. Mandon. — M. Rommelaere procède tout autrement, quoiqu'il ne soit pas un admirateur moins passionné, moins partial ; il cite tous les textes sur lesquels il s’ap- puie ; il a multiplié les divisions et donné de l’œuvre de son héros une idée plus complète. Cependant, bien des détails essentiels auraient pu figurer encore dans ce travail vraiment érudit ; le lien des idées, les intermédiaires qui font mieux com- prendre l’ensemble de la doctrine manquent assez souvent. — Je crois que l’Aca- démie de médecine de Belgique rendrait un vrai service à l’histoire, et même à Van Helmont, si elle provoquait la publication d’une nouvelle édition de ses œu- vres, où l’on prendrait soin d'indiquer tous les antécédents de Van Helmont, où l’on discuterait le bien ou le mal fondé de sa critique des anciens, où l’on rapprocherait sans cesse ses idées de celles de Paracelse, où l’on ferait, en un mot, la part exacte de ce qui appartient à ses prédécesseurs ou à ses contemporains et de ce qu'il peut revendiquer légitimement comme conception originale ou comme meilleur emploi. Cette édition, imprimée en caractères moins fatigants que ceux d'Elzévir, devrait être accompagnée d’un index, ou plutôt d’un lexique complet, et contenir l'indication de tous les passages parallèles d’un bout à l’autre de l’œuvre. Van Helmont vaut la peine qu’on prendrait, car il est un document historique d’une tout autre valeur que Paracelse, Si l’on réimprimait Paracelse, ce serait bien plus pour la langue que pour les idées; par son langage et malgré une détestable syntaxe, il appartient au grand mouvement national provoqué en partie par Luther. (1) De magnet, vuln, curat., 39, p. 601. SON MYSTICISME. L77 de son frère. Cet effet, suivant Van Helmont, est dù à l'influence du magnétisme animal et nullement à l'imagination de la ma- lade (1). » « Un Bruxellois, ayant perdu le nez dans un combat, se rendit chez un chirurgien nommé Tagliacozzi. Ce dernier eut recours, pour le guérir sans difformité, à l’autoplastie, et emprunta le lambeau de chair au bras d’un domestique. Le blessé revint chez lui avec son nez d'emprunt. Treize mois plus tard, 1l fut tout à coup désagréablement surpris en voyant cet organe se refroidir et finir par se putréfier. Qu’était-il arrivé? Après bien des la- meñtations et des recherches, on apprit que le domestique au bras duquel le Bruxellois avait emprunté son nez, était mort au moment où cet organe se refroidit. » Van Helmont ajoute : «Il y a encore à Bruxelles des témoins oculaires de ce fait (2). » Ce n’est pas seulement dans la Cure magnétique des plaies que Van Helmont paye un large tribut aux idées superstitieuses ; il faut bien, par exemple, admettre, quoi qu'en puisse souffrir sa réputation (3), qu'il croit à la génération spontanée non-seule- ment des pucerons, des vers, des scorpions, etc., mais aussi des souris (A), ce qui ne l'empêche pas de se moquer de Paracelse (5), qui croyait qu'une cigogne cuite peut se changer en serpents, etc. Il admet une vertu toute spécifique dans les pierres, et souscrit aux cures merveilleuses de l'Écossais Butler (6). Il accorde, comme Paracelse, toutes sortes de vertus merveilleuses au cra- paud contre la peste et l’hydropisie. Van Helmont tourne en ridi- cule les anciens, qui prescrivaient du poumon de renard dans les affections catarrhales du poumon (7), espérant que le pou- (1) De magnet. vuln. curat., 33, p. 599. (2) De magnet. vuln. curat., 22, p. 598. (Citations extraites de Rommelaere, p. 331 et 332.) — Sur Tagliacozzi, voy. plus haut, p. 333: (3) Aussi je ne comprends pas pourquoi M. Mandon, p. 682, s’indigne contre « l'ignorance ou l'injustice des historiens », qui prêtent de pareilles idées à Van Helmont après « l’éclatante réhabilitation » du médecin de Bruxelles par Bordeu, (4) Imago fermenti impraegnat massam semine, S et 9, p. 91-92; Cf. Schol, hum. passiva deceptio, 64-66, p. 797. (5) Schol. hum. passiva deceptio, 65, 67, p. 797. (6) Butler, p. 466 etsuiv.; Cf. Natura contrar. nescia, A5, p. 141. (7) Custos errans, 37, 38, p. 322-323 : « Ah! et miserum subiit remedium de h78 YAN HELMONT. mon d’un animal si rapide et si persévérant à la course rendrait l'activité au poumon du malade, ne craint pas (1) de prescrire et de prendre pour lui-même, contre la pleurésie, de la poudre de verge de cerf ou de taureau, et du sang de bouc, pourvu que ce sang soit tiré par la castration, l'animal étant suspendu par les cornes et les pieds de derrière étant attachés aux cornes! Ailleurs (2), il recommande un anneau métallique comme un re- mède souverain contre les hémorrhoïdes, la suffocation, les affec- tions utérines (hystérie?) et beaucoup d'autres maladies. Certes, Van Helmont (3) pouvait affirmer que c’est une grâce surnatu- relle qui donne de telles propriétés; la science n’a pas de ces prétentions-là. Ouvrez les ouvrages des grands cliniciens, des vrais réformateurs de ce même xvir° siècle, vous ne trouverez rien de pareil. Pour expliquer ces cures merveilleuses, et sans doute pour encourager ceux qui y ont recours, Van Helmont s’écrie : « Les remèdes enlèvent les maladies non par la puissance de la con- trariété, ni en raison de la similitude, mais en vertu d’un pur don de la Divinité, qui aide la nature, laquelle du reste est mé- dicatrice d'elle-même (4).» Enfin Van Helmont a toute une classe assez nombreuse de maladies envoyées par Satan et par ses sup- pôts, les sorciers et sorcières : /njecta a sagis et a diabolo. Faut-il tant louer le Supplément sur les eaux de Spa? Mais, en vérité, il n’y a dans ce traité rien de bien neuf. Au moyen âge, du temps de Paracelse, au temps de Van Helmont lui-même, on trouve, je vous l’ai prouvé, plusieurs auteurs qui recommandent les eaux ferrugineuses précisément dans les mêmes cas que ceux qui sont indiqués par Van Helmont (5). Ces excès d'admiration pulmone vulpis, quo animalculum diuturni sui cursus potestatem quam vivum pos- sidebat, saccharo post suam mortem impertiatur, » (A) Pleura furens, 32-35, p. 210-211. Cf. Sexfuplexz digestio, 75, p. 479. Voyez aussi les notes des pages 480-481 à propos de la peste. (2) De febribus, 1, 39, p. 745. — Voyez le traité /n verbis, herbis et lapidibus est magna virlus, p. 458. (3) Pharmacop., 5, p. 367. (4) Cf. natura contr. nescia, A2 et suiv. Voy. p. 500. Là, j'ai réuni plusieurs pas- sages où le naturisme est beaucoup moins explicite; encore ici est-il très-mystique. (5) Notre auteur, comme chimiste, triomphe aisément du Spadacrene de Henry SA GRANDE RÉPUTATION MAL ÉTABLIE. 179 viennent trop souvent de ce qu’on ne compare pas; un auteur isolé est toujours plus grand ou plus petit que sa vraie mesure. Dans Déception passive et ignorance des écoles humoristes, œuvre moitié polémique (1), moitié doctrinale, Van Helmont proscrit la saignée pour les raisons les plus futiles (2), et donne une théorie fantastique de l’ictère (3). de Heer; mais cela ne prouve pas que son Supplementum soit lui-même pur de toute immixtion d'idées fausses et de véritables rêveries religieuses ou alchimiques. — « Les systématiques de tous les temps arrangent les faits d’après leurs axiomes et non leurs axiomes d’après les faits, Quand Van Helmont attaquait ses adversaires, il sentait le vide de leurs hypothèses et les renversait sans peine; quand il voulait y substituer son propre système, il ne s'apercevait plus qu'il s’éloignait sans cesse des règles sévères qu'il venait de tracer, » (Littré, art. précité; voy. p. 469, note 2.) Van Helmont, qui, après s'être vauté de nettoyer les écuries d’Augias, avait écrit cette phrase si remarquable : « Naturae cognilio duntaxat ex eo desumitur, quod actu, et re ipsa est; quippe quae fictis nuspiam meditationibus consistit » (Causae et initia naturalium, 4, p. 27), prend rarement la nature sur le fait. — Ailleurs, Promissa authoris, 1, 15, p. 9, il dit même : « Naturae cognitio per conjecturas pueriles tentata quidem ab Ethnicis est, et minime unquam adepta! » etil se prend de commisération pour ces malheureux paiens. (4) IL combat la théorie des humeurs à peu près avec les mêmes armes que Paracelse ; cependant il y ajoute quelques raisonnements de plus, mais quine valent guère mieux, malgré sa prétention de les appuyer sur l'observation de la nature, Voici un de ces raisonnements (1, 25, p. 792): « J'ai montré dans mes PAysica (ne se trouve pas dans les PhAysica Aristotelis) que, ni par art ni par nature, l’eau ne pouvait être changée en air, et réciproquement l'air en eau, Si donc, dans le sang, la pituite représente l’eau, attendu que le cruor contient l'air (esprits ?), jamais on ne pourra admettre l'existence d'aucune pituite mélangée dans le cruor; il n'y a par conséquent rien de vrai dans ce qu'on a enseigné jusqu'ici sur l'union des hu- meurs et des éléments, leur similitude, leur mélange, leur complexion et leur néces- sité. » La théorie ancienne est inadmissible, cela est certain, mais il fallait plus que les arguments subtils de Van Helmont pour la renverser. (2) Scholar. humorist. passiva deceptio, 1, 86 et suiv., p. 801, 802; Cf. Pleura furens, 31, p. 321, où il proscrit la saignée, au lieu d'en combattre seulement l'abus ; Promissa authoris, 8, p. 8. (3) Après une distinction tout à fait arbitraire entre le fiel et la bile, la bile in- vention futile, pernicieuse, humeur fictive qui n'existe jamais dans la nature, l’au- teur continue (v, 13 et suiv., p. 822 ; 34, 35, p. 824) : Tout ce qu'ils appellent bile, n’est ni de la bile ni du fiel, ni aucune des quatre humeurs fictives ; mais, le fiel étant mis de côté, la bile n’est jamais qu’un véritable excrément stercoraire, et même tout à la fois défectueux et virulent, Le fiel est une viscosité d’une grande puissance dans la nature de la liqueur primordiale, vitale au suprême h8Ù VAN HELMONT. Du moins il a le réel mérite d’avoir ébranlé, par quelques bonnes raisons anatomiques et médicales, la théorie ancienne des catarrhes (1), que Schneider devait ruiner, mais cette fois par des arguments sans réplique. Le tombeau de la peste, écrit sous l’influence d’un songe (2), renferme, au milleu des discussions les plus oiseuses, une réfuta- tion de l'influence astrale (3), une apparence de distinction des di- verses espèces de contagia ou virus pestilentiels (k), enfin des degré et tout à fait nécessaire. — L'ictère est dû à un ferment contre nature, c'est-à-dire à un virus excrémentitiel particulier différent du fiel et de la bile, et qui s'appelle cholera ou ictericus; cette maladie, que Van Helmont consi- dère toujours comme une affection essentielle, non comme un symptôme, a son #14 depuis le commencement du pylore jusqu’à la fin du duodénum, quelquefois même un peu plus loin, car elle résulte d’un vice de la seconde digestion (Voyez aussi Sextuplex digestio, 19 et suiv., p. 469 et suiv.). Suit une histoire étrange d’un poisson en confirmation de ces opinions. (4) Voyez une partie du chapitre 2 de la Deceptio et tout l’opuscule Catarrh deliramenta. Dans cet opuscule et dans Custos errans, 10 et suiv., p. 208, on peut signaler quelques bonnes observations sur la sécrétion du mucus ou latex, et tout le chapitre intitulé : Xesexton. On trouve aussi, dans le chapitre 4 de Schol. hum, pass. deceptio, quelques expériences à vérifier sur le poids comparatif des urines. (2) « Puisque la nuit instruit la nuit, j'ai pensé qu'un songe pouvait contenir la science. Je soumets volontiers mes songes au jugement du lecteur (p. 830), » (3) «Dieu n’a pas créé la mort; leciclne contient donc nila mort, ni la maladie, ni le poison ou leurs causes effectives, » Mais Van Helmont croit aux amulettes (voyez Tumulus pestis, p. 879), aux paroles (voyez le commencement de l’opuscule In verbis, herbrs et lapidibus est magna virtus) ; il admet des pestes divines ou diaboliques, p. 871-873 ; puis, en divers passages, non pas seulement du traité De la curation magnétique des plaies, il tâche d'expliquer l'efficacité des amulettes par quelque vertu magnétique ou occulte. Les plantes et les métaux sont toujours des arcanes, et il leur attribue plus d’une fois des vertus imaginaires; il ne répudie une superstition que pour en épouser bien vite une autre. Van Helmont est né, a vécu, est mort mystique. Sa vie a été un long rêve, avec quelques réveils où l’on entrevoit le praticien et le savant. (4) Voici un passage (Proprietas pestis dans Tumulus, p. 871) qui prouve quelles idées Van Helmont se formait de la peste, et par ce mot, il entend généralement la peste à bubon : « La peste est originellement venue de la terreur de l'homme, et ce souffle (aura) qui, sortant d’un corps pestiféré, parvient jusqu’à nous, dans son impétuosité première se précipite sur la rate, laquelle s’en débarrasse aussitôt et le transmet, comme avec la main, à l’orifice de l'estomac. D'où viennent la perte de l'appétit, les vomissements, les maux de tête, le délire, les défaillances, la soif, l’as- soupissement,.. Tant que l’image de la terreur de l’Archée n’est pas présente, la SA GRANDE RÉPUTATION MAL ÉTABLIE. L81 remarques historiques intéressantes sur certaines affections épi- démiques. On y trouve aussi cette proposition, en partie juste, que le poison absorbé n’est pas lui-même maladie ou mort, s’il n'a élé accepté et rendu comme familier; encore ne peut-il pas pénétrer aux sources cachées de la vie, à moins que la qualité vénéneuse, en agissant sur la vie, n’ail provoqué l’Archée à une sorte de duel dont le salui ou la destruction de l’économie sont le dénoûment (1). Voilà pourquoi, malgré son extrême subtilité, la peste ne frappe pas tout le monde comme un glaive, et que certaines personnes y échappent parce qu’elles n’ont pas admis le poison, c'est-à-dire parce qu'elles sont réfractaires. Les deux ouvrages les plus renommés de Van Helmont et ceux qui, en effet, méritent en partie, mais pour une petite partie seu- lement, leur réputation, sont les traités De la lithiase où forma- tion des calculs, et le traité Des fièvres. Nous nous arrêterons donc particulièrement sur ces deux ouvrages. 11 y faut faire deux parts : la critique des Écoles humoralistes, comme s'ex- prime notre auteur, et sa propre théorie. S'il a facilement raison des anciens, il n’a ni aussi aisément, ni aussi constamment raison aux yeux des médecins modernes. Soyons de bonne foi, Mes- sieurs, et après avoir entendu les extraits que j’emprunterai tout à l'heure, soit directement à ces deux ouvrages, soit à M. Rom- melaere lui-même, dites si Van Helmont peut légitimement être célébré comme le plus grand réformateur, comme un génie incomparable « qui aurait surpris le secret de la vie, si ce secret se laissait pénétrer ». peste ne se montre pas. Il y a des pestes que la seule crainte enfante, plus promptes et bien plus terribles que celles qui viennent d’un souffle pestilentiel. » Outre leur vertu propre pour tuer le poison, les amulettes mettent l’Archée en belle humeur et combattent ainsi, comme préservatif, une des causes les plus puissantes de la peste (voy., plus haut, p. 478, 480). (4) Page 853. — Dans la peste il y a deux choses: la matière (silvester gaz, seu spirilus veneno tinctus, — Est-ce ici l'acide carbonique?) et l’efficient, ou Archée, — Un peu plus loin, Van Helmont dit: « La peste n'est pas une qualité isolée ; c'est un être, un virus naturel, subsistant par lui-même en nous, et qui à sa ma- tière, sa forme et ses propriétés.» (P. 853. Cf. aussi p. 865,) — Voilà bien de l’on- tologisme s’il en fut jamais. (Voyez plus loin, p, 501 et note 2.) DAREMBERG:, 31 isa. mit. enseutte uns 482 VAN HELMONT. Mais voyons d’abord si véritablement Van Helmont a surpris e secret de la vie, puis s’il a expliqué ce que c’est que la maladie de façon à nous satisfaire. Van Helmont admet deux causes pre- mières internes, et ne reconnait pas d'autre dépendance pour toute espèce de corps naturel, si ce n’est celle qui se rapporte à ces causes. Or ces deux causes sont la matière et l’efficient ou cause efficiente, auxquelles s'associe le plus souvent une cause externe irritante (1). Les principes initiaux des corps (prima initia) et des causes ecrporelles ne sont ni les quatre éléments d’Aristote, ni ies trois de Paracelse, mais seulement deux; l'élément de l’eau {éutium ex quo — matière première) et le ferment ou principe séminal (én2fèum per quod) dans la matière (2). Il semble bien que la cause