JE + re pr Dr dre RE r héros Le LYCÉE LOUIS-LE-GRAND; 0 — Améer$colaire 1897-1870 DISTRIBUTION SOL SE : ÊLE DES PRIX forte Le f 7 Xoût 187 ) Classe de Depersdl Deuision Ve Moss. | ee06Pe2É€ À L'Eve . ? ? LL 74 æ obteuu Le EE Du sr CAT D 4 PT. HD ZLTLAL on af ES A Le Proviseur, eee8ee ) 7) OE K e9)2e8 > DeSceeee ceceeeseseeeoes E eee ceeeee0ereeeeee COCO ici à >| .28@%) 4 0220 6 HISTOIRE DES TRAVAUX DE GEORGES CUVIER A] D LA CL C] nn sé de. nn 0 né , le # 4 un é + . PAUIS, — IP. SIMON RACON ET COMPes t! LE HISTOIRE DES TRAVAUX EORGES CUVIER P. FLOURENS MEMBRE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE ET SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE CELLE DES SCIENCES (INSTITUT DE FRANCF) MEMBRE DES SOCIÉTÉS ET ACADÉMIES ROYALES DES SCIENCES DE LONDRES, ÉDIMBOURG, STOCKHOLM, SAINT-PÉTERSBOURG, MUNICH, PRAGUE, TURIN, MADRID, BRUXELLES, ETC», ETC+ PROFESSEUR AU MUSÉOM D'HISTOIRE NATURELLE FT AU COLLÉGE DE FRANCE TROISIÈME ÉDITION AUGMENTÉE ET EX PARTIE REFONDUE PARIS GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS 6, RUE DFS SAINTS-PÈRES, ET PALAIS-ROYAL, 215 1858 Digitized by trot rnet Archive in 2010 with funding from e University of Ottawa » ‘ Ce volume se compose de quatre chapitres : le premier sur la Zoococr, le second sur A- NATOMIE COMPARÉE, le troisième sur la PaLéox- TOLUGIE, le quatrième sur lHisroire NATURELLE PHILOSOPITIQUE. Dans les deux éditions précédentes”, 1l s'ou- vrait par l'Éloge historique de Cuvier. Dans l'édition actuelle, j'ai substitué à l'Éloge® une simple Notice biographique; et, quant aux parties scientifiques de l’Éloge, je les ai transportées et fondues dans chacun des articles auxquels elles se rapportaient. J'ai pu donner ainsi à chaque article son 1 La première, publiée en 1841. — La seconde, publiée en 1845. ? Le lecteur le trouvera dans le premier volume de mes Elages historiques, Paris. 1856. développement complet, et à l'ouvrage entier plus d'ordre et plus d'unité. J'ai ajouté, enfin, quelques articles nou- VEAUX. Je livre, encore une fois, celte suite d’'£tu- des à l'examen des hommes sérieux qui lisent el qui pensent. TABLE DES MATIÈRES AVERTISSEMENT... Norice BIOGRAPHIQUE SUR GEORGES Cuvirr. 0 ren 7 A on, I. Classification du règne animal. . If. Histoire naturelle des poissons. . HIT. Méthode. , , ANATOMIE COMPARÉE., I. Lois de l’organisation animale. , lb. $ TABLE DES MATIÈRES. I. Physiologie des animaux à sang blane., . JS. Physiologie générale. . IV. Symétrie des organes. . V. Théories ostéologique:, . . . . . . . PALÉONTOLOGIE... ..... OR. I. Du livre intitulé : Recherches sur les ossements fos- SES, 5 à + à SOCCER IT. Coup d’æil historique sur l'étude des êtres perdus. . If. Reconstruction des espèces fossiles. , . , . . . . IV. Rapports des espèces fossiles avec les couches du globe. . . . . OC V. De la dernière révolution du globe. . , , . . HISTOIRE NATURELLE PHILOSOPHIQUE. . Application de l'anatomie à l'histoire naturelle générale. . I. De l'échelle continue des êtres . II. Unité de structure. — Unité de composition. — Unité de type. — Unité de plan. . MT. Impossibilité de certaines combinaisons organiques. — Nécessité de certaines interruptions dans l'échelle des êtres. . IV. Fixité des espèces. . V. Caractères particuliers de l'espèce et du genre. . VI. Caractères particuliers de l'espèce et du genre. (Suite). VIT. Transformation de la théorie des causes finales en théorie des conditions d'existence... . TABLE DES MATIÈRES. VII. Des leçons de M. Cuvier sur lhistoire des sciences naturelles. . APPENDICE. DU MOT NATURE, . I. Du mot nature défini par M. Cuvier, . . IL. Du mot xarure défini par Buffon. III. Exposition critique de la PHILOSOPHIE LE LA NATURE par M. Cuvier. . . . REMARQUES SUR QUELQUES POINTS PARTICU- LIERS. . I De l'échelle des êtres. 1. De l'unité de composition. . II. De la répétition des parties les unes par les autres dans le même animal. 1V. Du principe des événements successifs, et du principe des êtres simultanés. . LisTE DES -OuvRAGES DE M. Cuvier. . FIN DEF LA TABLE 265 281 283 ë ' \ + ER . . 4 m7 M HAUTES GAGUNEURER | TE TR A rtlé-d ” sa 4 y + 1 = D + ; æ | M "A Fe ” 1 Ml if L LA x La Ji + 3 CR Me RO EE si ion Ù vi 1P w n< ein #j ui ‘ ar cape FA 4 ! | ; st us fi _—_ x DS \ 3 Ro 7) #ra- : nus sas" 44 LL NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR GEORGES CUVIER Georges Guvier ? naquit, le 25 août 1769, à Montbéliard, ville qui appartenait alors au duc de Wurtemberg, mais qui depuis a élé réunie à la France. Sa famille était originaire d'un village du Jura, qui porte encore le nom même de Cuvier. A l'é- poque de la réforme elle s'établit dans Ia petite principauté de Montbéliard, où quelques-uns de ses membres ont occupé des charges distinguées. { I1se nommait Léopold-Chrétien-Frédéric-Dagobert. 11 ne prit le prénom de Georges que vers l’époque où il commença à écrire. | 12 NOTICE BIOGRAPHIQUE Le grand-père de M. Cuvier était d'une branche pauvre ; il fut greffier de la ville. De deux fils qu'il eut, le second s'engagea dans un régiment suisse au service de France ; et devenu, à force de bonne conduite et de bravoure, officier et che- valier de l'Ordre du mérite, il épousa à cinquante ans une femme assez jeune, el dont le souvenir sera cher à la postérité, car elle a été la mère de Cuvier et de plus son premier maitre. Femme d'un esprit supérieur, et mère pleme de tendresse, l'instruction de son fils fil bientôt toute son occupation. Bien qu'elle ne sût pas le latin, elle lui faisait répéter ses leçons; elle le fai- sait dessiner sous ses yeux; elle lui faisait lire beaucoup de livres d'histoire et de littérature ; et c'est ainsi qu'elle développa, qu'elle nourrit dans son jeune élève cette passion pour la lecture et cette curiosité de toutes choses qui, comme M, Cu- vier le dit lui-mème’, ont fait le ressort princi- pal de sa vie. On remarqua, de bonne heure, dans cet en- fant une prodigieuse aptitude à {ous les travaux 1 Voyez, dans le premier volume de mes loges historiques (Pa- ris, 1856), un extrait des Mémoires que M. Cuvier a écrits sur sa vie. SUR GEORGES CUVIER. 15 de l'esprit. Tout éveillait, tout excitait son activité. Un exemplaire de Buffon qu'il trouve, par ha- sard, dans la bibliothèque d'un de ses parents allume son goût pour l'histoire naturelle. I s'ap- plique à en copier les figures, et, ce qui révèle encore mieux jusqu'où va déjà son goût naissant, à les enluminer d'après les descriptions. L'admission du Jeune Cuvier dans l'Académie de Stuttgard fut, pour lui, le premier sourire de la fortune. Le souverain d'un petit Etat, Charles, due de Wurtemberg, semblait s'être proposé de montrer dès lors à de plus grandes nations ce qu'elles pourraient faire pour l'instruction de la Jeunesse. Îl avait réuni dans un magnifique établissement près de quatre cents élèves, qui y recevaient des leçons de plus de quatre-vingts maitres. On v formait tout à la fois des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des diplomates, des jurisconsultes, des médecins, des militaires, des professeurs dans toutes les sciences. Il y avait cinq facultés supt- rieures : le droit, la médecine, l'administration, l'art militaire et le commerce. 14 NOTICE BIOGRAPHIQUE Le cours de philosophie terminé, les élèves de Stutluard passaient dans une des cinq facultés supérieures. Cuvier choisit l'administration; et le molif qu'il en donne doit être rapporté: « C'est, « dit-il, que dans cette faculté on s'occupait beau- « coup d'histoire naturelle, et qu'il y aurait par « conséquent de fréquentes occasions d'herboriser «et de visiter les cabinets. » Tout intéresse dans la vie d’un grand homme; mais on v cherche surtout ce qui peut jeter quelque jour sur la marche de ses travaux. On voudrait le suivre dans tous les progrès par où il a passé pour changer la face des sciences; on vondrait démêler jusque dans ses premiers pas quelque chose de la tournure de son esprit et du caractère de ses pensées. On vient de voir comment, dès les premiéres figures d'histoire naturelle qui lui tombent entre les mains, notre naturaliste, encore enfant, con- çoit l'idée de les enluminer d'après les descri- plions. Étant à Stuttgard, un de ses professeurs, dont il avait traduit les leçons en français, lui fait pré- sent d’un Linnæus. C'était la dixième édition du SUR GEORGES CUVIER. 15 Système de la Nature. Ce livre fut à lui seul, pendant plus de dix ans, toute sa bibliothèque d'histoire naturelle. Mais, à défaut de livres, il avait les objets; et celte étude directe, exclusive, des objets les lui gravait bien mieux dans la tête que s'il avait eu à sa disposition, je me sers de ses propres termes, beaucoup d'estampes et de descriptions. Cependant toutes ces excursions dans l'histoire naturelle n'avaient point nui aux études prescrites: il avait remporté presque tous les prix; il avait obtenu l’ordre de chevalerie, qui ne s'accordait qu'à cinq ou six parmi tous ces jeunes gens; el, selon toutes les apparences, il devait prompte- ment obtenir un emploi. Fort heureusement pour lui, et plus heureuse- ment encore pour l'histoire naturelle, car ces deux destinées sont désormais inséparables, la position de ses parents ne lui permettait pas d'attendre. I lui fallut donc prendre un parti: une place de précepteur lui ayant été offerte dans une fa- mille de Normandie au moment où il quittait Stuttgard, il se hâta de l'accepter, et il partit aus- sitôt pour Caen, où il arriva au mois de juillet 1788, âgé d'un peu moins de dix-neuf ans. 16 NOTICE BIOGRAPHIQUE Dès ce moment sa passion pour l'histoire natu- relle prit une nouvelle vigueur. La famille d'Hé- rici, chez laquelle il était, alla bientôt résider dans une campagne du pays de Caux, à une pelite lieue de Fécamp. C'est là que notre jeune naturaliste passa les années de 91 à 94, entouré, comme il le dit lui-même, des productions les plus variées que la mer et la terre semblaient lui offrir à l'envi, toujours au milieu des objets, presque sans livres, n'ayant personne à qui communiquer ses ré- flexions, qui, par là, n'en acquéraient que plus d'énergie et de profondeur. C'est dès lors, en effet, que son esprit com- mence à s'ouvrir de nouvelles routes; c'est dès lors qu'à la vue de quelques térébratules, déter- rées près de Fécamp, il concoit l'idée de compa- rer les espèces fossiles aux espèces vivantes; c'est dès lors que la dissection de quelques mollusques lui suggère celle autre idée d’une réforme à in- troduire dans la distribution méthodique des ani- maux: en sorte que les germes de ses deux plus importants travaux, la comparaison des espèces fossiles anx espèces vivantes et la réforme de la classification du règne animal, remontent à cette époque. SUR GEORGES CUVIER. 15 C'est aussi vers cette époque qu'il faut placer ses premières relations avec M. Tessier ‘, que les _ orages de la Révolution retenaient alors à Fécamp, et qui depuis quelque temps y occupait l'emploi de médecin en chef de l'hôpital militaire. M. Tessier ne put voir le jeune Cuvier sans ètre frappé de l'étendue de son savoir. IT l'en- gagea d'abord à faire un cours de botanique aux médecins de son hôpital; il écrivit ensuite à tous ses amis de Paris pour leur faire part de l'heureuse découverte quil venait de faire; il en écrivit surtout à ses amis du Jardin des Plantes, qui eurent aussitôt l'idée d'y appeler et d'y atta- cher le jeune Cuvier en qualité de suppléant de Mertrud, alors chargé de l'enseignement de l'ana- lomie comparée. « Je me suis sans cesse rappelé, dit à cette oc- « casion M. Cuvier, une phrase de M. Tessier dans « sa lettre à M. de Jussieu : Vous vous souvenez, « disait-il, que c'est moi qui ai donné Delambre « à l'Académie; dans un autre genre, ce sert aussi = «un Delambre. » ? Dont la longne vie n'a 6t6 qu'une suite de travaux utiles et de bonnes actions, 18 NOTICE BIOGRAPHIQUE Fontenelle a dit que c'était un bonheur pour les savants, que leur réputation devait appeler à la capitale, d'avoir eu le loisir de se faire nn bon fonds dans le repos d’une provinée. Le fonds de M. Cuvier était si ban, que quelques mois après son arrivée à Paris, en 1795, sa répu- lation égalait déjà celle des plus célèbres natura- listes, et qu'en effet, dès cette année même, qui est celle de la création de l'Institut national, il fut immédiatement nommé pour être adjomt à Dau- benton et à Lacépède, qui formaient le noyau de la section de zoologie. Dès l'année suivante, il commença ses cours à l'Ecole centrale du Panthéon *. En 1799, la mort de Daubenton lui laissa une ! Cours qui nous ont laissé un livre excellent : le Tableau élé- mentaire de l'histoire naturelle des animaux (Paris, an VI). — « L'étude de l'histoire naturelle, qui n'eutrait point dans l’ancien « système de l’enseignement publie, ayant été substituée aux par- « ties de cet enseignement qui n'étaient point d'accord avec les « principes du gouvernement républicain, on a senti le besoin « d’un ouvrage élémentaire qui présentàt aux maîtres et aux élèves, « d'une manière abrégée, mais solide, l’état actuel de cette science; «et c'est dans celle vue que je me suis déterminé à publier le « précis des leçons que j'ai faites à l'École du Panthéon pendant le « courant de l'an V. » (Préface, p. v.) SUR GEORGES CUVIER. 19 chaire beaucoup plus importante, celle d'histoire naturelle au Collége de France. Enfin, en 1802, Mertrud étant mort, M. Cuvier devint professeur titulaire au Jardin des Plantes. Les fonctions des secrétaires de l'Institut étaient d'abord temporaires. M. Cuvier fut appelé un des premiers à remplir ces fonctions dans sa Classe ; et bientôt après, en 1805, une nouvelle organisa- tion de ce corps savant ayant rétabli la perpétuité de ces places, il fut nommé secrétaire perpétuel pour les sciences physiques ou naturelles, à la presque unanimité des voix. Ce fut en cette nouvelle qualité de secrétaire perpétuel qu'il écrivit son beau Rapport sur les progrès des sciences naturelles depuis 1789. De- lambre avait été chargé du rapport sur les scien- ces mathématiques; et chaque Classe de l'Institut ut ainsi en présenter un sur les sciences ou sur les arts dont elle s’occupait. L'Empereur exprima par un mot heureux la sa- lisfaction particulière que lui fit éprouver celui de M. Cuvier. « Il m'a loué comme j'aime à l'être, » dit-il, « Cependant , ajoute M. Cuvier, je m'étais 20 NOTICE BTOGRAPHIQUE « borné à l'inviter à imiter Alexandre, et à faire « lourner sa puissance anx progrès de l'historwe « naturelle, » Le A loutes ces occupations d'hislorien des scien- ces, de secrélaire perpétuel. de professeur au Mu- séum et au collège de France, M. Cuvier en joi- gnait plusieurs autres. 11 avait été nommé membre du conseil de l'Université en 1808, et maitre des requêtes en 1815. La Restauration s'empressa d'adopter une grande renommée. M. Cuvier conserva sa posi- lion ; et même il ne tarda pas à se voir revêtu de fonctions nouvelles. Nommé successivement con- seiller d État, président du comité de l'intérieur, chancelier de l'instruction publique, enfin, en ISST, pair de France, l'étendue de son esprit em- brassait tous les ordres d'idées et se prètait à tons les genres de travaux. Il était membre, comme on pense bien, de toutes les Académies savantes du monde ; car quelle Aca- démie eût pu omettre d'inscrire un pareil nom sur sa liste? Et, ce qui est un honneur dont il y a eu peu d'exemples avant lui, il appartenait à trois SUR GEORGES CUVIER. 21 Académies de l'Institut, l'Académie francaise, celle des Sciences, et celle des Inscriptions et Belles- Lettres. Sa grande renommée Ini amenait, de toutes parts, tout ce qui se faisait d'observations et de dé- couvertes. C'était d'ailleurs son esprit, c'étaient ses lecons, ses ouvrages qui animaient tous les ob- servateurs et qui en suscitaient partout, et jamais on n'a pu dire d'aucun homme avec plus de vérité: que de lui que la nature s’entendait partout inter- roger en son nom. Aussi rien n'est-il comparable à la richesse des collections qu'il a créées au Muséum, et qui toutes ont élé mises en ordre par lui. Et quand on songe à celte étude directe des objets qui fut l'occupation principale de sa vie, et de laquelle il a fait sortir ant de résultats, on n'est point étonné de ce mot qu'il a répété souvent: « Qu'il ne croyait « pas avoir été moms utile à la science par « ces collections seules que par tous ses autres « OUVFAges, » Quand on songe aux nombreux emplois de M. Cuvier, à lous ses travaux, à tous les ouvrages 92 NOTICE PIOGRAPHIQUE qu'il a produits, et à l'étendne, à l'importanec de ces ouvrages, on est étonné qu'un seul homme y ait pu suffire. Mais cet homme avait une curiosité passionnée qui le portait, qui le poussaità tout : une mémoire dont l'étendue tenait du prodige; une facilité, plus prodigieuse encore, de passer d'un travail à un autre, immédiatement, sans effort : faculté smgulère, et qui peut-être à plus contri- bué que toute autre à multiplier son temps et ses forces. D'ailleurs, aucun homme au monde ne s'était jamais fait une étude aussi suivie, et, si je puis ainsi dire, aussi méthodique, de l'art de ne perdre aucun moment. Chaque heure avait son travail marqué ; chaque travail avait un cabinet qui lui était destiné, et dans lequel se trouvait tout ce qui se rapportait à ce travail: livres, dessins, objets. Tout était pré- paré, prévu, pour qu'aucune cause extérieure ne vint arrêter, retarder l'esprit dans le cours de ses méditations et de ses recherches. M. Cuvier avait une politesse grave, et qui ne se répandait point en paroles; mais il avait une SUR GEORGES GUVIER. 95 bonté intérieure et une bienveillance qui allaient droit aux actions. On aurait dit qu'en ce genre il eraignail aussi toute perte de temps. Georges Cuvier est mort le dimanche 15 mai 18392. ms hs “à : che LR dd ne... 07 VIF" en re pate rt en NES solutté if situe (it 772 LL "3 ut 2 Hood A e à + A PUR 2 M > , E K | sorasg ot 4hrtdy ANT vie Jophn Pr VIT TEE ° « «= CM r e 4 #4 rhanr Br Phil BFNITUMEHE VV 'TENA : L ==. ne s +. 434 + L Li æ è 4 tepot HISTOIRE DES TRAVAUX DE GEORGES CUVIER :ZOOLOGIE. Du livre intitulé : Le règne animal distribué d'après son organisation. POUR SERVIR DE BASE À L'IHISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX, ET D'I\TRODUCTION A L'ANATOMIE COMPARÉE !. L'histoire naturelle a proprement deux objets : l'un, de faire connaitre les êtres de la nature pris en eux-mêmes ; l'autre, de faire connaitre les rap ports de ces êtres comparés entre eux. Le premier point serait donc d'avoir le cata- ! La première édition est de 4817, La seconde est de 1K99. 96 ZOOLOGIE. loque complet des êtres de Ta nature ; le second point serait d'en avoir une classification exacte. Or, cette vaste et double entreprise du cata- logue et de la classification des êtres, Linnæus est le premier des hommes qui l'ail tentée; et c'est là ce qu'il a rendu si célèbre sous le nom de Système de la nature. Le Système de la nature de Linnæus n'a sans doute été qu'une ébauche ; mais une na- lion qui reprendrait aujourd'hui l'ébauche de Linnæus, et qui la reprendrait avet les movens de (out genre, matériels et scientifiques, qui se sont accumulés depuis ce grand homme, cette nation élèverait à l'histoire naturelle un monument capable de caractériser et d’immortaliser à ni seul une nation et un siècle. Voici du moins un ouvrage qui, pour la +0olo- yie, laissera peu à faire, sinon comme catalogue complet des animaux, du moins comme classifica- tion exacte, el comme determination préeise du plus grand nombre de leurs espèces. A vouloir pénétrer un peu dans le détail du livre que j analyse, ce serait la matière de vingt chapitres, et non d’un seul. Je me bornerai done à qualre points prmeipaux, savoir : la dis- CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 97 _{ tribution générale du règne animal, laquelle mon- trera mieux que tous les détails l'étendue de la nouvelle réforme; la formation des genres, faits avee un tel art que leurs sous-genres ne compren- nent que des organisations parfaitement confor- mes ; l'exposition des caractères, qui, par cet arl même qui a présidé à la formation des genres, ont pu être exprimés avec une brièveté dont on n'avait point encore d'exemple ; enfin la critique, la détermination, la distinction précise des espèces, lesquelles font toujours, comme chacun sait, l'ob- jet définitif de l'histoire naturelle d’un règne quelconque. Linnæus partageait le règne animal en six classes : les quadrupèdes, les oiseaux, les reptiles, les poissons, les insectes et les vers. Ajoutez que toutes ces classes, regardées comme étant de même ordre, c’est-à-dire comme étant séparées les unes des autres par un même intervalle, se réunissaient en deux grandes divisions, celle des animaux à sang rouge et celle des animaux à sang blanc, ou, comme les a dénommées plus tard M. de Lamarck, celle des animaux vertébrés el celle des animaux sans vertèbres : deux grandes divi- 28 ZOOLOGIF. sions regardées encore comme étant de même ordre, on comme équivalant l'une à l’autre. Ainsi, une première coupe partageait le règne animal en deux grandes moitiés supposées pareil- les : les animaux à sang rouge ou à vertèbres; et les animaux à sang blanc ou sans vertèbres; et une seconde coupe parlageait ces deux moitiés en six classes, supposées pareilles encore : les quadru- pèdes, les oiseaux, les reptiles, les poissons, les in- sectes et les vers. D'ailleurs, aucune limite précise ne circonseri- vait ces classes ; les cétacés se trouvaient parmi les poissons : les poissons cartilagineux parmi les rep- tiles ; les crustacés, les vers articulés, tous animaux qui ont une vraie circulation, se trouvaient parmi les insectes qui n'en ont point; et les vers intesti- naux, les polypes, les infusoires, les mollusques, jusqu'à des poissons même, se trouvaient réunis el confondus dans la classe des vers, la dernière et la plus informe de toutes. Cette classe des vers élait, en effet, ce qui avait été le moins étudié. On n'avait que quelques ob- servalions éparses de Swammerdamm, de Redi, CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 29 de Yonro sur la seiche, de Pallas sur les aphrodi- tes et les néréides, elec. Aussi, dans la classe de Linnæus, l'actinie, qui est un z0ophyte, se lron- vait à côté de l'uscidie, qui est un mollusque ; la méduse se trouvait éloignée de l'astérie, qui pour- tant est une méduse, ele. Pans cette classe des vers, Linæus avait donc mis la confusion partout, et Bruguières la laissa partout où Linnæus l'avait mise. On songeait en- core si peu à consulter l'intérieur de l'organisa- lion de ces animaux, que ce dernier auteur, par exemple, prenant pour mollusques lout ce qui n’a pas de coquilles, en sépare, sous le nom de testa- cés, loul ce qui a des coquilles, comme si le petit caractère extérieur d'avoir des coquilles empèchait les testacés d'être de vrais mollusques par loute leur nature ou organisation interne. Ce fut en 1795 que M. Cuvier fit remarquer l'extrème différence des êtres confondus dans cette classe, et qu'il les sépara nettement les uns des autres, d'après un examen détaillé et d'après des caractères puisés dans leur organisation même. Cet examen détaillé produisit une nouvelle dis- Wibution générale des animaux à sang blane en 50 ZOOLOGTIE. six classes : les mollusques, les crustacés, les vers. les insectes, les échinodermes et les x00phytes. De cette nouvelle distribution des animaux à sang blane date Ja révolution de la zoologie. Plus tard, M. Cuvier rapprocha les crustacés des insectes, à cause de la symétrie commune de leurs parties, et de la structure articulée, pareillement commune, de leurs membres et de leur corps; il sépara les annélides ou vers à sang rouge des vers intestinaux, car il fit voir que les premiers ont une vraie circulation, un système nerveux distinct, un corps articulé, tandis queles autres n'ont ni cir- culation, ni système nerveux distinct, ni corps pro- prement articulé. Il montra que les mollusques, qui ont une organisalion si riche, un cerveau, des veux, et des yeux souvent très-compliqués, quel- quefois des oreilles, toujours des glandes sécré- Loires nombreuses, une circulation double, etc., devaient d'abord être élevés fort au-dessus des po- lypes et des autres z00phytes, dont la plupart n'ont pas même des organes.distincts, et à côté desquels on les avait pourtant si longtemps laissés, et en- suite que l'ensemble de ces mollusques formait un groupe qui, par l'importance de ses caractères CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 51 sénéraux et par le nombre des espèces qui le com- posent, répondait non à telle ou telle classe ou fraction des verlébres, mais à tous les vertébrés joints ensemble ; et, reprenant alors chacune des grandes masses du règne animal, 11 vit que presque aucune des divisions générales, jusque-là admises, ne pouvait plus subsister, du moims avec les attri- butions et les limites qu'elle avait jusque-là re- çues. Par exemple, on opposait les animaux verte- brés aux animaux sans vertèbres, comme si ces deux divisions eussent été de même ordre; on appelait également du nom de classe, et l'ensem- ble dés mollusques el une fraction quelconque des vertébrés, comme si, en effet, l'ensemble des mol- lusques n'eûl équivalu qu'à une fraction ou subdi- vision des vertébrés, ele, Assurément, depuis que l'organisation si variée des animaux sans vertèbres élait enfin connue , personne ne pouvait plus prétendre qu'il n'y eût, entre tous ces divers animaux, infiniment plus de différences qu'iln'y en a d’un vertébré, quel qu'il soit, à un autre. Or, si de ces deux divisions, l'une comprenait des structures infiniment plus variées 32 ZOOLOGIE. que l'autre, l'une n’équivalait donc pas à l'au- tre, elles n'étaient donc pas de mème ordre. elles ne devaient donc pas être appelées de même nom. De même, depuis que l'organisation des mol- lusques était connue, on ne pouvait plus préten- dre qu'il n'y eût, entre tous ces animaux, beau- coup plus de différences qu'entre les animaux d'une seule classe de vertébrés ; et par conséquent encore, puisqu'il n'y avait pas parilé entre les êtres compris dans ces deux divisions, 1] n°y avait donc pas parité de division, il ne devait pas v avoir parité de nom. Mais ce n'était pas tout. À comparer toujours les structures, et à se régler par elles, il n'était pas moins évident que les crustacés réunis aux in- sectes, et ces deux groupes à celui des vers à sany rouge où articulés, formaient, par leur importance, par le nombre de leurs espèces, par leurs struc- lures si essenficllement diverses, une troisième division pareille ou à celle des vertébrés ou à celle des mollusques, el que tous les autres animaux, réunis dès lors sous le nom de xoophytes, en for- maient une quatrième, pareille à chacune des trois précédentes. CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 55 Considéré sous ce nouveau point de vue, le règne animal offre donc quatre grandes divisions ou embranchements : celui des vertébrés, celui des mollusques, celui des articulés, et celui des x00- plytes. Chacun de ces embranchements est formé sur un plan particulier, distinct, c'est-à-dire qui ne se laisse point ramener à celui des autres; et ils sont Lous pareils les uns aux autres ou de même ordre, c'est-à-dire que les êtres qu'ils renfer- ment offrent, dans leur structure, des ressem- blances ou des différences pareilles où équiva- lentes. Ainsi les vertébrés ont leur plan; les mollusques ont leur plan: les articulés, les xoophytes, ont le leur; et lous ces plans sont également circon- serits, c'est-à-dire qu'aucune nuance, qu'aucun intermédiaire, qu'aucun lien, ne peut faire pas- ser de l'un à l'autre sans rupture, sans hiatus, sans saut. Une sorte de circonvallation les sépare. On peut aller, par des modifications plus où moins gra- duées, de l’homme, considéré dans son organisa- lion aux autres mammifères, des mammifères aux oiseaux, des oiseaux aux reptiles, des reptiles aux 54 | ZOOULOGIE. poissons ; mais, des poissons aux mollusques, des mollusques aux articulés, des articulés aux 290- phytes, 1 n°v a plus de nuance, de gradation, de passage. Tout à coup le plan change, et une nou- velle forme se montre; mais, prise en elle-même, cette nouvelle forme, ce nouveau type, estégale- ment constant, dominant, uniforme : {ous les mollusques répèlent aussi exactement leur type, le Lvpe mollusque, que les vertébrés, les articulés, les 300phytes, répètent le leur, le type vertébré, arti- culé ou :oophyte. Dans la chaine immense des êtres du règne ami- mal, 11 y a donc quatre grandes formes, quatre grands types ; el iln'y en a que quatre. Ce grand fait, le plus élevé de tous, est égale- ment beau, soit qu'on le considère. du côté par lequel 11 montre qu'à quelques modifications se- condaires près Lous les animaux rentrent exacte- ment dans lune ou l'autre de ces grandes formes, soit qu'on le considère par le côté qui montre qu'entre chacune de ces grandes formes il n'y à nulle nuance, nul degré, nulle forme intermédiaire. Les verlébrés seuls ont une moelle épinière, Li CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 55 long cône médullaire duquel partent les nerfs, el qui s'épaissit, à son bout antérieur, pour former l'encéphale; seuls ils ont un double système nerveux, celui de la moelle épinière et celui du grand sympathique; seuls ils ont un canal composé de vertèbres osseuses ou cartila- gineuses. Mais tous ont cette moelle épinière, ce grand sympathique, ces vertèbres; ils ont tous des sens au nombre de cinq, des mâchoires au nombre de deux et horizontales, le sang rouge, un cœur musculaire, un système de vaisseaux chylifères et absorbants, un foie, une rate, un pan- créas, des reins, ete. En un mot, plus on examine toute leur organisation, plus on leur trouve de ressemblances. Mais plus aussi on leur trouve de différences avec ous les autres embranchements. Les mol- lusques, par exemple, ont bien encore un cerveau, quoique infiniment réduit; mais ils n’ont plus de moelle épinière, et par suite plus de vertèbres : ils u'ont plus de grand sympathique; et leur système nerveux unique, au lieu d'être placé au-dessus du canal digestif, comme dans les vertébrés, est tou- Jours placé, au contraire, sauf le seul ganglion qui représente le cerveau, au-dessous de ce canal, 2 56 ZOOLOGIE. et relégué parmi les viscères ; enfin, ils n’ont mi vrai squelette, ni vaisseaux absorbants, ni rate, ni pancréas, n1 veine porte, ni reins; l'organe de l'odorat manque à tous; celui de la vue à plusieurs; une seule famille possède celui de l'ouie, etc.; mais 1ls ont tous un système complet et double de circulation, des organes respiratoires circonscrits, un foie, etc. En un mot, si, par le manque de moelle épinière, de vertèbres, de sque- lette, de grand sympathique, etc., ils différent essentiellement des vertébrés, ils semblent, par la richesse de leurs organes vitaux, par leur double circulation, leur respiration, leur foie, etc., venir immédiatement après eux, el mériter de former ainsi le second des quatre embranchements du règne animal. Le troisième, ou celui des articulés, ne diffère pas moins de celui des mollusques que ceuxsei ne différent des vertébrés. Les animaux de E 24 branchement ont un petit cerveau comme les mol- lusques, et ce petil cerveau est aussi placé sur l'œsophage ; mais, ce qui manque aux mollusques, ils ont une sorte de moelle épinière, composée de deux cordons qui règnent le long du ventre et s'y unissent d'espace en espace par des nœuds ou gan- CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 37 glions, d'où partent les nerfs; et toutefois cette moelle épinière, qui les éloigne des mollusques, ne les rapproche pas des vertébrés, car, à l'inverse de celle des vertébrés, loujours placée au-dessus du canal digestif, elle est toujours placée au-des- sous. Par une inversion opposée, de cœur, qui est au-dessous de ce canal dans les vertébrés, est au- dessus dans les articulés; et ce que je viens de dire de leur moelle épinière peut se dire de leur squelette, quand ils en ont : c'est que ce sque- lette, tout en les éloignant des mollusques, n'est pas un trait qui les rapproche des vertébrés; car, à l'inverse de celui des vertébrés, qui est intérieur el recouvert par les muscles, il est extérieur etre- couvre les muscles. En un mot encore, les traits qui séparent les articulés des mollusques sont es- senliels, profonds, sont de ces traits qui décident de la nature des êtres ; et les traits qui semblent les rapprocher des vertébrés ne les en rapprochent qu'en apparence. Le quatrième embranchement n'offre pas des caractères moims circonscrits, moins déterminés que les trois autres. Le premier de ces caractères est que toutes les parties y sont disposées autour d'un centre comme les ravons d'un cercle ; le se- 58 ZOOLOGIF. cond est la dégradation, la simplification sueces- sive de leur structure, Du premier caractère vient le nom d'animaux rayonnés, où d'animaux dont toutes les parties sont en rayons, en étoile; et du second vient celui de xoophytes, où d'animaux plantes, d'animaux qui, par la simplicité de leur organisation, se rapprochent le plus des plantes. : Ainsi le règne animal a quatre grandes formes, quatre grands types : le type vertébré, le type ar- tieulé, le type de masse ou mollusque, le type rayonné ou d'étoile; et l'on reconnait bientôt, pour peu qu'on y réfléchisse, que chacune de ces formes générales du corps dépend de la forme même du système dominant de l'économie, c'est-à-dire du système nerveux. Les animaux vertébrés ont un tronc de chaque côté duquel se rangent symétriquement toutes leurs parties; c'est que leur système nerveux forme un cône médullaire central de chaque côté duquel partent, en ordre symétrique, les nerfs de toutes ces parties. Les mollusques ont un corps en masse : c'estque leur système nerveux n'a qu'une disposition confuse; le corps des articulés reprend plus de symétrie, mais c'est que leur système ner- CPE CLASSIFICATION DU RÉGNE ANIMAI. 39 veux en à déjà repris ; ce corps est articulé à l'exté- rieur, c'est que le système nerveux l’est à l'inté- rieur; enfin, et jusque dans les animaux rayonnés, les dermers vestiges du système nerveux qu'on distingue encore dans quelques-uns ont cette mème forme éloilée qu'affecte leur corps entier. La forme du système nerveux détermine donc la forme de tout l'animal, et la raison en est sim- ple : c’est qu'au fond le système nerveux est tout l'animal en effet, et que tous les autres systèmes ne sont là que pour le servir et l’entretenir. Il n'est donc pas étonnant que, la forme de ce système restant la même pour chaque embranchement, la forme générale de chaque embranchement reste la même, et que, cette forme changeant d'un em- branchement à l'autre, la forme de chaque embran- chement change. L'unité, la multiplicité de forme du système nerveux, voilà ce qui décide de l'unité, de la multi- plieité des formes du règne animal. En d'autres termes, ce dont chaque type, pris en lui-même, lire, si je puis ainsi dire, son litre d'unité, d'uni- formaté, c'est le système nerveux: et c’est encore du système nerveux que les divers types, compa- 2 40 ZOULOGIE. rés entre eux, tirent leur titre de distinction et de différence. Le système nerveux ne varie donc, du moins dans sa forme générale (car il ne saurait être ques- tion ici de ses variations secondaires), que d'un type à l’autre. Tous les autres systèmes, placés au-dessous de lui, varient dans chaque type; mais leur variation est toujours graduée d'après leur importance, et c'est encore ici l'une des plns belles lois de l'économie animale. On peut déterminer d'avance quelle sera la varia- lion d'unorgane donné, d'après sa seule importance connue; et l'échelle graduée de ces variations, pour les divers organes, est ce qu'on nomme la subordi- nation des caractères, laquelle n’est done que l'ex- pression de la subordination même des organes. Or, nous venons de voir que les modifications du système nerveux donnent les premiers groupes, les premières divisions on les embranchements ; les modifications des organes de la circulation et de la respiration, lesquels viennent immédiate- ment après le système nerveux par leur impor- tance, donneront donc les premières subdivisions ou les classes. CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAT. #1 Les animaux vertébrés offrent ou une respira- tion complète, mais simple, et une circulation double, ce qui est le cas des mammifères ; ou une respiration et une circulation doubles, ce qui est le cas des oiseaux ; ou une respiration simple, mais complète, puisqu'elle est toujours aérienne, combinée avec une circulation simple, ce qui est le cas des reptiles; ou une circulation double, combinée avee une respiration incomplète, c'est- à-dire aquatique, ce qui est le cas des poissons. Les animaux vertébrés se parlageront done, d'a- près leurs organes de la ciréulation et de la res- piration combinés, en quatre classes : les mum- mifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons. De même pour les moilusques : les uns ont trois cœurs, les autres deux, les autres un; de ces cœurs, il y en a qui n'ont qu'un seul ventricule et une seule oreillette; d'autres, un seul ventrieule et deux oreillettes; d'autres, un seul ventricule sans oreillette, elc.; enfin, certains mollusques res- pirent par une cavité pulmonaire, d'autres, par des branchies, etc.; et l'on conçoit que la combi- naison de toutes ces variations des organes cireu- latoires el respiratoires nous donnera les classes des mollusques, comme elle nous a donné les clas- 42 ZOOLOGIE. ses des vertébrés. Ces classes des mollusques, ainsi déterminées, sont au nombre de six : les céphalo- podes, les gastéropodes, les acéphales, les ptéro- podes, les brachiopodes et les cirrhopodes. La combinaison des organes qui nous dirigent nous donnera de mème, et même d’une manière bien plus tranchée encore, la subdivision du troi- sième embranchement en quatre classes : les anné- lides, dont le sang est rouge, comme cel des vertébrés; les crustacés, dont le sang est blane, comme celui de tous les autres animaux sans ver- tèbres, qui, de plus, ont un cœur placé dans le dos, etc.; les arachnides, qui n'ont plus, pour cœur, qu'un simple vaisseau dorsal qui envoie des branches artérielles et en recoit de veineuses; et les insectes, qui n'ont plus de vaisseaux du tout, ni artères, ni veines, qui n'ont qu'un veslige de cœur, et dont la respiration ne se fait plus par des organes circonscrits, mais par des trachées ou vaisseaux élastiques répandus dans tout le COS. Dans cet embranchement des articulés s'observe donc le passage des animaux qui ont une circula- tion à ceux qui n'en ont point, et le passage cor- respondant de ceux qui respirent par des branchies CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 43 circonseriles à ceux où les trachées distribuent l'air à toutes les parties. C'est dans le quatrième embranchement, ou ce- lui des z00phytes, des rayonnés, que s'observe la disparition, la fusion graduée et successive de tous les organes dans la masse générale. Ainsi quel- ques-uns de ces animaux ont encore des vaisseaux clos, des organes de respiration distincts, etc.; d'autres, qui n'ont plus ni de pareils vaisseaux pour la circulation n1 de pareils organes pour la respiration, ont encore des intestins visibles; ce n'est que dans les derniers que tout semble se ré- duire à une pulpe homogène; et c'est sur ces di- vers degrés de complication de leur structure que se fonde leur subdivision en cinq classes : les échi- nodermes, les vers intestinaux, les acalèphes, les polypes et les infusoires. Le système nerveux avait donné les embranche- ments; les organes de la circulation et de la res- piration combinés donnent les clusses; et ces clas- ses, comparées entre elles, ne sont pas moins circonscriles, pas moins closes, que les embran- chements, comparés entre eux. n'y a pas plus, toute proportion gardée, de 44 ZOOLOGIE. passage d'une clusse à l'autre que d'un embran- chement à l'autre. Entre un mammifère et un oiseau, entre un oiseau et un reptile ou un pois- son, il y a un intervalle, un hiatus aussi marqué, quoique moins profond, qu'entre un vertébré et un mollusque, un mollusque et un articulé, un arti- culé et un z0ophyte. 11 y a des mammifères qui volent (la chauve-souris), À v en a qui nagent (les cétacés); mais ces exemples-là même montrent qu'entre un mammifère et un oiseau, entre un maimmifère el un poisson, c'est tout autre chose que la pelile circonstance de nager ou de voler qui fait la différence : une modification des pattes, une modification de la queue, ont suffi pour faire voler la chauve-souris, pour faire nager le cétacé ; mais, entre un mammifère el un oiseau, entre un mam- mifère el un poisson, ce n'est plus de simples modifications pareilles qu'il s’agit, c'est tout l'es- sentiel de l'être qui a changé. On aurait beau se rejeter sur la composition, el vouloir y trouver cette unité générale que n’a pas le plan : l'unité de composition change plutôt que l'unité de plan. Ainsi, parmi les mammifères, plusieurs ont une clavieule, el d'autres n'en ont pas; quelques-uns CLASSIFICATION DU RÉGNE ANIMAL. 45 ont au-devant du bassin un os particulier, appelé os marsupial, et 1 n’y a rien de pareil dans la plupart; le plus grand nombre a quatre mem- bres, et les cétacés n'en ont que deux, elc. ; ainsi, parmi les reptiles, quelques-uns, comme les cou- leuvres, ont plusieurs centaines de vertèbres, et d'autres n'ont que neuf vertèbres, comme la gre- nouille ; 1 y en à qui ont quatre membres, comme les lézards, et d'autres qui n’en ont point, comme les serpents, etc. Rien ne varie donc plus que l'u- nité de composition. c'est-à-dire que Le nombre des matériaux. Au contraire, l'unité de plan subsiste beaucoup plus. Par exemple, il y a des mammifères qui ont une clavicule complète et d'autres qui n'en ont point; mais, entre les uns et les autres, on peut placer des mammifères qui ont un vestige de cla- vicule. Les cétacés manquent d'extrémités posté- rieures, mais ils conservent un vestige de ces extrémités dans deux petits os suspendus dans les chairs; l'orvet, qui est un lézard sans membres apparents, conserve un vestige de ces membres caché sous la peau, elc.; et tous ces vestiges sont autant de preuves qui témoignent du plan primitif, #5 ZOOLOGIE de l'unité de ce plan, de la tendance profonde qu'il a à se reproduire. Mais ce ne sout pas des passages : tout au con- traire; car, après les mammifères, qui n'ont pas de clavicules, viennent les oiseaux, qui en ont deux de chaque côté, ou quatre; après les cétacés, qui n'ont pas de membres postérieurs, viennent les oiseaux chez qui ces membres ne manquent jamais, ete. Enfin, si jamais quelque chose a pu faire croire à un passage d'une classe à une au- tre, c'est assurément ce qui se voit dans certains reptiles, les batraciens, qui, pendant une partie de leur vie, respirent par des branchies, et qui, pendant l'autre partie, respirent par des poumons. On pouvait croire, en effet, que ces branchies par lesquelles l'anjmal respire dans le jeune äâge, sont le mème organe que ces poumons par lesquels 1l respire dans l’âge adulte: el qu'ainsi on avait là un organe qui, par une simple modification, se- rait passé de l’élat d'organe de poisson à l'état d'organe de reptile ; mais il n'en est rien. Les ba- traciens ont, en même temps, pendant tout leur jeune âge, des branchies et des poumons: et d'au- tres reptiles, tels que les sirènes et les pratées, CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL #7 conservent, pendant toute leur vie, ce double ap- pareil intérieur et extérieur de respiration; et rien ne montre plus clairement que l'un de ces appareils n'est pas l'autre, que l'un ne se trans- forme pas en l'autre, qu'il n'y a pomt passage de l'un à l'autre. On a vu comment le système nerveux donne les embranchements, comment les organes de la cireulation et de la respn'ation donnent les classes; on conçoit que des organes, de plus en plus sub- ordonnés, donneront successivement les ordres, les familles, les tribus, les genres, les sous-gen- res, en un mot, tout l'échafaudage de la mé- thode. Ainsi, pour les mammifères, par exemple (car il serait trop long de suivre le déroulement de la méthode dans toutes les classes), les organes com- binés du toucher et de la manducation partagent celle classe en neuf ordres : l'homme, qui a les trois sortes de dents (molaires, canines et inci- sives), et qui a le pouce opposable aux deux extré- inités antérieures seulement; les quadrumanes, qui ont les trois sortes de dents aussi, el, de plus, le pouce opposable aux quatre extrémités: les 4 ZOOLOGIE. carnassiers, qui ont encore les trois sortes de dents, mais qui n’ont plus de pouce opposable, par conséquent plus de mains, qui n’ont que des pieds, mais des pieds dont les doigts sont encore mobiles; les rongeurs, dont les doigts diffèrent peu de ceux des carnassiers, mais qui n'ont plus que deux sortes de dents, les molaires et les in- cisives; les édentés, dont les doigts sont déjà moins mobiles, plus enfoncés dans de grands ongles, qui n'ont jamais que des molaires et des canines, quelquefois que des molaires, et quelquefois point de dents du tout; les marsupiaux, où animaux à bourse, petite chaine collatérale aux trois ordres précédents, c'est-à-dire dont les uns répondent aux carnassiers, les autres aux rongeurs, et les autres aux édentés; les ruminants, qui forment un ordre si distinct par leurs pieds fourchus, leur mâchoire supérieure sans vraies INCISIES , leurs quatre eslomacs; les pachydermes, qui comprennent tous les autres quadrupèdes à sabots; et les cé- tacés, qui n'ont point du tout d'extrémités posté- rieures. Les modifications principales des organes com- binés du toucher et de la manduecation avant nn CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. in donné les ordres, des modifications secondaires de ces mèmes organes donneront les familles ; el des modifications, de plus en plus subordonnées, donneront tous les autres groupes, les tribus, les yenres, les sous-genres, jusqu’à ce qu'on arrive enfin aux espèces pour lesquelles tout l'échafau- dage est fait. Ainsi, et pour nous borner encore à un seul or- dre des mammifères, celui des carnassiers, par exemple, on vient de voir que l'un des caractères de cet ordre est d'avoir des doigts mobiles. Or, supposez ces doigts devenus très-longs et réunis par des membranes de manière à former un or- gane de vol, comme dans la chauve-souris, et vous aurez la famille des chéiroptères ; supposez que, ces doigts restant libres, l'animal appuie en marchant sur toute la plante du pied, et vous au- rez la tribu des plantigrades ; supposez qu'il ne iwarche que sur le bout des doigts, et vous aurez celle des digitigrades, elc.; et pareillement pour les organes de la manducation : on à vu que cel ordre a les trois sortes de dents, et c'est là ce qui constitue son caractère comme ordre ; Mais sup- posez maintenant que les dents molaires (lesquelles décident toujours par leur forme du régime de 5) ZOOLOGIE. l'animal) soient faibles et hérissées de pointes co- niques, et vous aurez la famille des insectivores : supposez ces mêmes molaires devenues plus fortes et hérissées, au lieu de simples pointes coniques, de parties plus ou moins tranchantes, et vous au- rez la famille des carnivores; et, dans cette famille des carnivores, selon que les molaires seront ou en- hièrement tranchantes, où plus ou moins méêlées de parties à tubercules mousses, vous aurez ou le yenre des ours, dont presque toutes les dents sont tuberculeuses; ou celui des chiens, qui n'ont plus que deux tuberculeuses; ou celui des chats, etc., qui n'ont plus de tuberculeuses du tout, qui n’ont plus que des dents tranchantes, qui sont eæclusive- ment carnivores par conséquent, tandis que les chiens peuvent mêler encore quelques végétaux à leur régime, et que les ours peuvent se nourrir entièrement de végélaux; car (et c'est ie l'un de ces rapports nécessaires entre les organes, rap- ports sur lesquels je reviendrai bientôt) on peut presque calculer la proportion du régime de ces animaux, c'est-à-dire les proportions mêmes de leur canal alimentaire, d'après l'étendue de la surface tuberculeuse de leurs dents, comparée à la partie tranchante. CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 5t Ce que je viens de dire des familles, des tribus, des genres que j'ai pris pour exemples, je pour- rais le dire de toutes les autres familles, de toutes les autres tribus, de tous les autres gen- res; et l'on voit dès lors comment la seule place d'un être dans l'un de ces groupes nous apprend, aussi exactement que la description la plus détaillée, tout ce qui se rapporte à l'organisation de cet être, ou au degré d'orga- nisation qui correspond au groupe où il est placé. Qu'on me dise d'un être, par exemple, qu'il est placé dans le genre chat, et j'en conclurai aussi- (ot non-seulement qu'il a foutes ses molaires tran- chantes, comme chat, mais encore qu'il a les trois sortes de dents, les doigts mobiles, elc., comme carnassier ; mais qu'il a une circulation double et une respiration complète, comme mammifère ; mais qu'il a une moelle épinière, un canal com- posé de vertèbres, cinq sens, elc., comme verté- bré. Je connaîtrai donc tout l'ensemble de son or- ganisation par sa seule place ; et ce qui me restera à en dire se réduira nécessairement à quelques mots, à l'indication de ses caractères propres ou spécifiques. 52 ZOOLOGIE. Or, comme le nombre des êtres connus est im- mense, et que, tout immense qu'il est, il ne peut manquer de s’accroitre beaucoup encore, on sent tout l'avantage de pouvoir substituer ainsi quel- ques mots à une description complète ; de n'avoir à dire de chaque espèce que ce qui lui est propre : de pouvoir suppléer, par sa seule place, à tout ce qu'elle a de commun avec lont le reste du règne ; mais on sent aussi que, pour que la méthode offre cet avantage, il faut, et que tous ses groupes soïent rigoureusement subordonnés entre eux, et que chacun d'eux ne comprenne que des êtres de même structure. Des groupes bien faits permettent seuls des propositions générales. Sans propositions géné- rales, il n'v a pas de méthode; sans méthode, 1l n'y a pas de brièveté, mérite suprême de toute science où le nombre des faits est immense, comme dans toute branche de l'histoire des êtres de la nature. Un genre, une fumille, un ordre, mal faits, s'opposent à toute proposition générale relative à ce genre, à cette famille, à cet ordre. Ainsi, en placant la sirène et l'anguille dans le même genre. CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAL. 55 Gmelin avait rendu impossible de dire rien de général sur ce genre; en plaçant la seiche et le polype d'eau douce dans le même ordre , 1 avait rendu impossible de dire rien de général sur cel ordre ; et, en plaçant les mollusques, les vers, les zouphytes dans la même classe, Linnæus avait rendu toute proposition générale, relative à cette classe, impossible, etc. Des groupes bien faits permettent donc de dire, en une seule fois, pour toutes les espèces qu'ils contiennent, ce qu'il aurait fallu, sans cela, ré- péter autant de fois qu'il y aurait eu d'espèces demeurées éparses et détachées. Mais, au milieu de tous ces groupes, et sous le pomt de vue qui m'occupe ici, les genres ont une importance qui leur est propre. C'est qu'étant le premier rappro- chement des espèces, tout le reste de l’échafaudage est, pour ainsi dire, fondé sur eux; et qu'il suffi- rait d'un genre mal fait pour rompre l'unité d'une famille, d'un ordre, d'une classe entière. D'ailleurs, étant plus près des espèces, plus ils n'en rapprocheront que de conformes entre elles, moins il restera à dire pour chacune d'elles ; et c'est ici que se voient bien et tout l'inconvénient de ces grands genres, où, naguère encore, on en- 54 ZOOULOGIE. tassait tant d'espèces si disparates, et tout l’avan- tage de couper ces genres par des sous-genres: artifice heureux qui prévient la confusion, en rap- prochant d'une manière plus étroite les espèces qui ont entre elles des ressemblances plus parti- culières ou plus intimes. Aussi, grâce à cet art de ne former ses genres que d'espèces à organisations parfaitement con- formes : grâce à cet autre art de couper les genres trop vastes par des sous-genres qui, plus rappro- chés encore des espèces, en marquent mieux aussi tous les degrés de ressemblance ; grâce à cet art, enfin, de procéder par des généralités graduées, de régler le développement de chaque proposition sur son importance, de ne jamais répéter pour une espèce ce que l'on peut dire pour tout un genre, ni pour un genre ce que l’on peut dire pour tout un ordre, etc., l'auteur est-il parvenu à res- serrer dans un court espace une matière qui, sans tous ces moyens d'abréviation, aurait pu remplir bien des volumes. Mais tout ce travail des genres, des sous-yen- res, etc., que l'on vient de voir, suppose un autre travail non moms considérable, je veux dire l'éta- CLASSIFICATION DU RÈGNE ANIMAI. 59 blissement positif des espèces : dernier point sur lequel le règne animal n'offrait pas moins de con- fusion que sur tous les autres. Il ne suffisait donc pas d'avoir refait ou créé presque toutes les divisions de ce règne; il fal- lait encore revoir toutes les espèces, les revoir une à une, el revoir jusqu à leurs synonymes, car tantôt plusieurs se trouvaient confondues sous le même nom, lantôt, au contraire, une seule comp- lait pour plusieurs sous différents noms; et cette critique de tant de noms, imposés à tort ou à rai- son à un si grand nombre d'espèces, n’est assuré- ment ni la parte de l'ouvrage qui a dû offrir le moins de difficultés à l’auteur, ni celle qui aura sauvé le moins d'embarras à ses successeurs. Il suffit, en effet, de jeter les veux sur les écrits d'histoire naturelle qui ont paru depuis la pre- mière édition du Règne animal pour voir com- bien ce travail de synonymes, dont je parle ici, et cet art d'établir des divisions dans les grands genres, dont je parlais tout à l'heure, ont déjà porté d'heureux fruits. J'ai dit, à propos des embranchements, et j'ai répété, à propos des classes, que chacun de ces J, 56 ZOOLOGIE. groupes est nettement circonserit et clos : on peul en dire autant de tous les autres groupes de tous les degrés. Linnæus a dit que la nature ne fait pas de sauts. el Bonnet que l'échelle des êtres ne forme qu'une seule ligne continue. Le contre-pied de ces deux propositions serait beaucoup plus exact. La vérilé est que les différents groupes sont sé- parés entre eux par des intervalles plus ou moins inarqués, plus ou moins profonds : et il y a même, dans l'organisation des animaux, une raison évi- dente de Lous ces intervalles. L'organisation d'un animal n'est, en effet, qu'une certaine combinaison d'organes ; mais toutes les combinaisons d'organes ne sont pas possibles, Par exemple, un estomac de carnivore suppose nécessairement des dents tranchantes pour dépecer une proie, des doigts mobiles pour la saisir, ete.; par la même raison, les animaux à sabot sont tous de nécessité herbivores, parce que leurs pieds sans doigts mobiles ne leur permettraient pas de saisir une proie vivante, parce que leurs molaires à couronne plate ne leur permettraient pas de la dépecer, ete. I y a done une harmonie nécessaire qui règle CLASSIFICATION DU RÉGNE ANIMAI. 57 la combinaison des organes; il y a de ces organes qu s'exeluent ; il y en a qui se nécessitent; en- core une fois, toutes leurs combinaisons ne sont donc pas possibles; et, de cela seul que toutes les combinaisons d'organes ne sont pas possibles, il sit nécessairement qu'il doit y avoir de certaines lacunes, de certains vides, de certains hiatus, entre les combinaisons possibles et les combinai- sons impossibles, ou entre les différents groupes, entre les différents êtres; et que ces hiatus sont déterminés par les lois on conditions d'existence de ces êtres mêmes. La première édition du Règne animal (laquelle suecédait au Tableau élémentaire de l'histoire na- turelle des animaux’, ouvrage où se trouvent déjà presque tous les premiers germes des idées développées plus tard dans les deux éditions du Règne animal) n'avait que quatre volumes ; la seconde en a cinq. Le premier contient les mammi- fères et les oiseaux ; le second contient les reptiles et les poissons; le troisième les mollusques, les annélides, les xoophytes ; et les deux autres, les crustacés, les arachnides et les insectes. ! Publié en l'an VE Voyez. ci-devant, la note de la page 18. 58 ZOOLOGIE. Ces deux-ci sont de M. Latreille, « l'homme de « l'Europe qui, dit M. Cuvier, avait le plus pro- « fondément étudié ces animaux. » Un ouvrage de la nature de celui-ci, devenu, dès son apparition, le guide de tous les z00l0- yistes, devait bientôt être traduit dans toutes les langues. I l'a été, en effet, en anglais, par M. Griffith; en italien, par M. l'abbé Ranzani : el en allemand, par M. Sehimz. HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. 29 Il Du livre intitulé : Histoire naturelle des Poissons. Ce livre peut être considéré sous deux rap- ports très-distmets : sous le rapport du grand nombre d'espèces nouvelles dont il a enrichi la zoologie, et sous le rapport de l'application que l'auteur y a faite à une classe déterminée du règne animal des lois empiriques de la méthode. Je ne dirai que quelques mots sur l'ouvrage considéré sous le premier point de vue, lequel se prêlerait peu, d'ailleurs, aux études philosophi- ques qui m'oceupent ici. Aristote avait connu el nommé cent dix-sept espèces de poissons; Pline n'en connut que quatre- ! Le premier volume est de 1828. L'ouvrage doit avoir vingt volumes. Huit avaient déjà paru avant la mort de M. Cuvier; plu- sieurs autres ont paru depuis-par les soins de M. Valenciennes. collahoratenr de M. Cuvier pour l'onvrage entier. 60 ZOOLOGIE. vingt-quinze ou quatre-vmgt-seize; Oppien en nomme cent vingt-cinq; Athénée, cent trente; Élien, cent dix; Ausone nomme, pour la première lois, la truite saumoncée, la truite commune, le bar- beau, et quelques autres poissons d'eau douce. En tout, les anciens avaient distingué et nommé cent cinquante espèces de poissons : une quarantaine d'espèces, à peu près, avaient donc seules échappé aux recherches d’Aristote; et, quant à la structure de ces animaux, on n'ajouta rien à ce qu'il en avait dit. # Au milieu du seizième siècle paraissent Ron- delet, Belon, Salviani, ces trois auteurs originaux qui ont fondé l'ichthyologie. Or, Belon décrit et nomme environ cent (rente poissons ; Salviani en nomme quatre-vingt-dix- neuf; et Rondelet jusqu'à deux cent quarante- quatre, dont cent quatre-vingt-dix-sept de mer el quarante-sep{ d'eau douce. Enfin, si, négligeant quelques auteurs secon- daires, nous venons à Ray et à Willughhi, nous trouvons que le nombre des poissons connus esl déjà de plus de quatre cents : il est à peu près le même dans Artedi et dans Linnæus ; il est d'en- viron quatorze cents dans Bloch et dans Lacépède: HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS &l il est de plus de eng mille dans l'ouvrage de M. Cuvier. Et ce grand enrichissement ne frappe pas moins, si l'on s'attache à une famille en particulier, que si l'on embrasse la classe entière, Ainsi, par exem- ple, Artedi n'avait connu que neuf espèces de perches; et M. Cuvier en décrit près de quatre cents espèces. C'est, dans une seule famille, hean- coup plus de poissons que n'en connut l'antiquité entière; cest autant qu'en connurent Artedi et Linnæus; c'est près du tiers de ce qu'en ont connu Bloch et Lacépède, les denx ichthvologistes les plus récents. Mais je me hâte d'arriver à la partie philoso- phique de l'ouvrage de M. Cuvier, je veux dire à la distribution des espèces, ou plutôt à l'esprit qui a dirigé l'auteur dans cette distribution. Aristote avait déjà reconnu que les vrais carac- tères des poissons consistent dans les branchies el dans les nageoires. Les animaux vertébrés, à branchies et à nageoï- res, forment donc la classe des poissons. Des vertèbres, ou, plus exactement, un sque- lette intérieur, car les vertèbres ne composent pas 62 ZOOLOGIE. ” ” à elles seules ce squelette, des branchies et des # nageoires, voilà les traits communs. Les traits différentiels sont : un squ elett seux ou cartilagineux; des branchies fixes; des nageoires molles ou épineuses; des. | nageoires ventrales, tour à tour placées devant. derrière ou sous les pectorales ; des dents, tour 1 tour placées à l'inter-maæillaire, aux maxil- laires, au vomer, aux palatins, à la langue, aux arceaux des branchies, elc.; la forme de ces dents, en plaque, en velours, en pointes, ete. des opercules ou couvercles des branchies, lisses, écailleux, dentelés, où aiqus et armés d'épines, on oblus et sans armures, elc., ele.; et rl la combinaison variée de ces traits différentielsr on caractères que porten! loutes ces méthodes di- verses qu'on à successivement imaginées pour le classement des poissons. On conçoit que qui n emplotierait qu'un ou deux de ces caractères n'aurait qu'une méthode artifi- cielle, c'est-à-dire incomplète, comme Linnæus ; que qui les emploierait tous indistimetement n'au- rait qu'une méthode confuse, comme tant d'ichthvyo- logistes ; el que la méthode naturelle, c'est-à-dire exacte et complète, consiste à les emplover tous, et M HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. 65 + à n'en employer aueun que selon l'ordre relatif de furelle : l'un, de n'employer que des caractéres _ wrais: l'autre, de n’accorder à chacun de ces ca- ractères que le degré précis de son importance. Mais, pour n'employer que des caractères vrais, c'est-à-dire pour ne pas attribuer à telle ou telle espèce tel ou tel caractère qui lui manque, et ré- ciproquement, pour ne pas la supposer dépourvue de tel ou tel autre qu'elle possède, on sent qu'il faut connaître toutes les espèces. D'un autre côté, pour n'attribuer à chaque ca- ractère que le degré de son importance, on sent que celte connaissance complète des espèces, déja si vaste et si difficile par elle-même, ne suffirait pourtant pas, et qu'il faut encore avoir comparé ces caractères sous tous leurs rapports, qu'il faut avoir varié, multiplié, épuisé toutes leurs combi- naisons. Or, sur ces deux points, qui, au fond, sont toute l'ichthyologie, c'est-à-dire, et pour la détermina- lion des espèces, et pour l'évaluation des caractères 64 ZOOLOGIE. d'après lesquels on rapproche ou distribue ces espèces, tout, jusqu'à M. Cuvier, était presque également à faire. On ne connaissait pas les espèces des poissons : les preuves en sont dans toutes les pages du livre que j'analyse. On ne se faisait aucune idée juste des caractères qui décident de leur rapprochement ou distribution : la preuve en est dans ces trans- positions perpétuelles que l'on voit subir aux mêmes espèces dans les différents cadres des au- leurs. Tout n’est pas également important dans une méthode. IT importe peu sans doute que, dans une distribution ichthyologique, les poissons cartila- gineux précèdent ou suivent les poissons osseux ; que les poissons à nageoires épineuses viennent avant ou après les poissons à nageoires molles, etc. Ce qui importe, c'est que, dans une famille, dans un genre de poissons donnés, on n'intercale aucune espèce qui ne participe à l'organisation commune du genre ou de la famille, c'est qu'on n’exclue aucune des espèces que cette organisation com- mune rassemble. . Bernard de Jussieu a, le premier, vu pour les HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. 65 végétaux, et M. Cuvier a, le premier, montré pour les animaux, que toute méthode générale qui ne respecte pas les familles et les genres naturels. c’est-à-dire le rapprochement des espèces fondé sur l'ensemble de leurs organes, n'est qu'un jeu d'imagination. Ainsi done la première condition est de déter- miner les espèces ; la seconde est de les rapprocher d’après l'ensemble de leur structure : la troisième est de subordonner toute méthode ou distribution générale à ces déterminations et à ces rapproche- ments. Mais c'est ici la guerre perpétuelle de l'esprit d'observation et de l'esprit de système. L'esprit de système part d’un caractère, pris à priori, el soumet violemment la distribution des espèces à ce caractère. Linnæus ne voit, en botanique, que les étamines, et il rapproche le chêne de la pimprenelle; Bloch ne voit, en ichthyologie, que le nombre des nageoires, et il met la raie près du brochet. L'esprit d'observation suit une marche in- verse. Il détermine d'abord les espèces ; les es- pèces connues, il les rapproche en genres, en 66 ZOOLOGIE. familles; ces rapprochements opérés, il lie les croupes qui en résultent par une distribution sénérale; et cette distribution générale, 11 la sou- met partout à la condition de ne rompre ou de n'altérer aucun de ces groupes. En un mot, l’es- prit de système classe sans connaître; Vesprit d'observation, au contraire, cherche d'abord à connaître, et 1} ne fait ensuite de toute classifica- lion générale que l'expression abrégée de ce qu'il connail. On voit par là que le mérite essentiel de toute bonne méthode générale, réduite à n'être qu'une méthode empirique, comme cela a lieu 1e, n'est qu'un mérite négatif !; car il consiste surtout à ne pas rompre le rapprochement naturel des es- pèces. Au lieu donc de chercher, à l'exemple de tant d'ichthyologistes, à ajuster, si je puis ainsi dire, les espèces à la classification, M. Cuvier a, ! Le mérite de la distribution générale, dans une méthode ra- tionnelle, es tout aussi positif, au contraire, que celui du rappro- chement des espèces; et l'Analyse du règne animal a suffisam- ment montré. C’est que la distribution générale nd alors sur la subordination des organes, et que la subordination des organes donne, directement et par elle-même, la dépendance des groupes de la Méthode. {Voyez l'article qui suit, où je cherche à pos. r les caractères précis qui distinguent les méthodes empiriques des mé- thodes rationnelles. HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. 67 pour là première fois, renversé le problème ; 11 à cherché une classification qui s'ajustät enfin aux espèces. Une prenuère coupe lui donne d'abord les deux urandes classes des poissons cartilagineux et des poissons osseux. Une seconde sépare des poissons osseux ordinaires tous les poissons à structure anomale, les syngnathes, les tétrodons, les dio- dons, etc. Restent les poissons osseux ordinai- res qu'une (roisième coupe partage en poissons à nageoires molles où mulacoptérygiens, et en poissons à nageoires épineuses où acanthopté- r'ygiens. Des divisions d'un degré moims élevé distin- guent ensuite les poissons cartilagineux : en sturioniens, dont les branchies sont libres, el en plagiostomes et cyclostomes, dont les branchies sont fixes; les poissons anomaux : en lophobran- ches, dont les branchies sont en forme de houppe, et en plectognathes, dont l'intermaxillaire est soudé avec le maxillaire et l'arcade palatine avec le crâne; les malacoptérygiens, en subbrachiens, abdominaux et apodes, selon que le bassin est attaché aux os de l'épaule, ou qu'il est simplement 5 ZOOLOGIE. suspendu dans les chatrs du ventre, ou que les nageoires ventrales manquent; et, quant aux acanthoptérygiens, comme ils lui paraissent tous se lier les uns aux autres par des rapports sui- vis, M. Cuvier n'en forme qu'un seul ordre, si vaste, il est vrai, qu'il renferme plus de pois- sons, à lui seul, que tous les autres ordres en- semble. : ÿ Ainsi les poissons cartilagineux où chondrop- Lérygiens, divisés en deux ordres : les sturioniens, d'une part, les plagiostomes et les eyclostomes, de l'autre; les poissons anomaux, divisés aussi en deux ordres : les lophobranches et les plectogna- thes; les malacoptérygiens en trois : les subbra- chiens, les abdominaux, les apodes; et les acan- thoptérygiens ne formant qu'un seul grand ordre : voilà les huit ordres, ou groupes principaux, dans lesquels M. Cuvier distribue ensuite par familles, par genres, par sous-genres, c'est-à-dire par grou- pes de plus en plus circonscrits, toutes les éspèces de poissons connues. Il y a loin sans doute de cette classification, si rigoureusement exacte dans toutes ses parlies, à ces erreurs singulières d’Artedi, qui mélait les cé- HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. 69 lucés aux poissons ; de Linnæus, qui mêlail les poissons Cartilagineux aux reptiles ; de Lacépède, qui fondait, sur l'absence des opercules, un ordre entier de poissons qui {ous avaient ces oper- cules, etc. Et toutefois, considérée en soi, et indépen- damment de toute comparaison avec celles qui l'ont précédée, on ne saurait guère da regarder que comme un essai provisoire. Une classifica- üon qui laisse dans un seul ordre, celui des acanthoptérygiens, plus des trois quarts des pois- sons connus, plus de quatre mille poissons sur elnq ou six mille, n'est presque plus une clas- sification ‘. Les vues qui ont présidé à la formation des genres et des familles sont, de tout l'ouvrage, la partie la plus nette, la mieux conçue, celle qui appelle le plus l'attention des naturalistes. L'histoire de chaque famille commence par un examen général des espèces qui la constituent, el 1 J'en faisais un jour la remarque à M. Cuvier, qui me ré- pondit : « Cela ëst vrai; j'en ferai très-probablement une autre « avant la fin de mon livre. » ‘ 30 ZOOLOGIE. des genres, ou familles plus circonscrites, en les- quels ces espèces S'y réparlssent. Puis vient l’histoire des genres, en commençant par le plus counu, par celui qu'on peut regarder comme le type de la famille; et puis l'histoire des espèces, en commençant toujours par l'espèce la plus con- nue, par celle qu'on peut regarder comme le {ype du genre. Ainsi, par exemple, dans les percoides, l'hus- toire de la famille commence par les perches pro- prement dites, qui sont le type de la famille; et, dans les perches proprement dites, l'histoire du genre commence par la perche ordinaire, qui est le type du genre. Et, dès ces premiers pas, se mon- tre la vue générale qui domine l'ouvrage entier. Cette vue consiste à chercher des espèces à formes tranchées : ces espèces sont comme des types; à grouper 1utour de ces types toutes les espèces que l'ensen ble de leur organisation en rapproche : ces groupes sont les genres; à lier ensuite les genres les un: aux autres, comme on a lié les espèces entre elles : et ces genres, amsi rapprochés, ce sont les familles. HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. 71 La perche ordinaire donne le genre des perches, et le genre des perches donne la famille des per- codes; le maigre, ou sciène proprement dite, donne le yenre des seiènes, elle genre des sciènes donne la famille des sciénoïdes, ete., etc. Et c'est loujours cette vue des analogies gra- duées qui, dans chaque famille, assigne la place des genres, des sous-genres, de toutes les espèces. On voit amsi les perches, qui reproduisent la per- che commune, veffir après elle: les bars, les va- rioles, qui reproduisent les perches. venir après les perches; à cès modifications immédiates, on voit succéder des modifications de plus en plus marquées, les serrants, les diacopes, etc.; puis les trichodons, auxquels il faut joindre les silago ; puis les myripristis, les holocentres ; puis les ur«- +. les vives ; puis, mais déjà à un certain intervalle, les sphirènes ; et enfin, mais à un inter- valle plus grand encore, les polynèmes : et avec celles-ci on voit finir la famille des percoïdes, ou, en d’autres termes, les espèces qui reproduisent, tout en le modifiant plus ou moins, et toujours de plus en plus, le type des premiéres et véritables perches. 72 = LOO0LOGIE. La distribution des espèces, considérée sous ce point de vue, est le renversement complet des me- thodes artificielles. Dans ces méthodes, on descend du général au particulier : de la classe à l'ordre, de l'ordre à la famille, de la famille au genre, du genre à l'es- pèce. Ici, au contraire, on remonte du particu- lier au général : de l'espèce au genre, du genre à la famille, de la famille à V'ordre, de l'ordre à la classe. LL L'espèce donne le genre, car le genre n'est que la réunion de toutes les espèces les plus sembla- bles à une espèce prise pour type; le genre donne la famille, car la famille n'est que la réunion de tous les genres les plus semblables à un genre pris pour type; et ainsi de suite pour tous les autres groupes: la famille donne l'ordre, l'ordre donne la classe. Tous les groupes se fondent donc les uns sur les autres, et tous sur l'espèce. Le rapprochement di- rect des espèces est donc ici le premier fait, le fait auquel tout le reste se subordonne. MÉTHODE 75 IT De la Méthode considérée en soi. MÉTHODES RATIONNEILLES. — MÉTHODES EMPIRIQUES. La méthode est une partie de la logique; c’est le rapprochement des choses semblables, et l'écar- tement des choses dissemblables. Réunir les choses à considérations communes , séparer les choses à considérations opposées, c'est tout l'art, toute la méthode. On a donc toujours eu des méthodes, surtout en histoire naturelle où le nombre des objets est si grand. Buffon à beau se révolter contre les méthodes: à mesure que, passant des quudrupèdes aux oi- seaux, 1 voit le nombre des espèces s'accroitre, il fait lui-même des rapprochements méthodiques. il rapproche les espèces semblables il fait des 74 ZOULOGIE. genres : « il se soumet facilement, dit M. Cuvier, « à la nécessité où nous sommes tous de classer « nos idées pour nous en représenter clairement « l'ensemble. » Aristote avait déjà une méthode, et même excel- lente, du moins pour les classes *. Il savait que les cétacés sont des mammifères *; 1l distingue, dans les animaux à sang blanc, les mollusques, les crustacés, les insectes, etc.”. ! Voici le bel éloge que M. Cuvier lui-même a fait des prin- cipes d’Aristote. « Loin de nous, dit-il, l’idée de rien ôter à la gloire du grand « philosophe que nous rappelons. Nous pensons au contraire qu'il « faut faire revivre ses principes, si l’on veut donner à l'histoire « raturelle toute sa perfection, et nous voyons avec satisfaction « qu’ils commencent, en effet, à revivre. » {Rapport historique sur les progrès des sciences naturelles, etc) 2? « Le dauphin, dit-il, a des mamelles, et le petit tète la mère.» (Histoire des animaux, liv. I.) Les différences extérieures ne lui masquent pas les ressemblances internes ; il met le serpent, qui n’a pas de membres, à côté du lézard, qui en a. « Le serpent ressemble « en tout au lézard, en supposant au lézard plus de longueur et en « lui retranchant les pieds. » (Ibid.) 5 Seulement l'enveloppe pierreuse des coquillages lui fait illu- sion , et aux quatre classes naturelles des mollusques, des crustacés, des insectes et des 200phytes, il joint mal à propos celle des 1esta- cés. Au reste, une lecture attentive du livre d’Aristote y fait décou- vrir, avec étonnement, une foule de notions justes, même dans ce qu'on pourrait appeler l'anatomie de détail. « L'oreille, dit-il, n'a o | er MÉTHODE 15 Après la renaissance des lettres, on se contenta d'abord de la méthode d'Aristote ; mais on senti bientôt qu'il fallait l'étendre. L'histoire naturelle se résout toujours en des objets spécifiques. La méthode ne sert done réelle- ment qu'autant qu'elle conduit à l'espèce. Et puis- qu'elle doit conduire à l'espèce, il faut nécessaire- ment quelle embrasse toutes les espèces. Avant Linnæus on s'arrêtait, dans plusieurs classes, aux genres ; dans d'autres classes, on al- lait jusqu'aux espèces, mais on ne parlait que de quelques-unes. Linnæus voulut que la méthode, ce cataloque distinctif des êtres, les embrassät tous. On ne nt- gligea donc plus aucune espèce; on les étudia toutes , indépendamment de leur taille, de leur grandeur, de leur utilité relative; on les nomma toutes. Vingt ans après Linnæus, le nombre des êtres connus était quintuplé. « point d'ouverture dans le cerveau, mais dans le palais de la bou- DE « che. » (Histoire des animaux, Wv. 1 \ C'était indiquer la trompe d'Enstache. 76 ZOOLOGIE. D'un autre côté, les noms spécifiques n'exis- (aient pas encore; on n'avait que des noms géné- riques. Linnæus fonda la nomenclature. Chaque espèce ent deux noms: un nom substantif pour le genre, un nom adjectif! pour l'espèce. Le nom de l'espèce ne changea plus, car l'espèce est une chose fixe et qui ne change pas; mais le nom du genre put changer, car le genre ne donne que des rapports, el les rapports peuvent varier à mesure que le nombre des espèces varie. Ces idées simples n'a- vaient pas été comprises jusque-là. Mais Linnæus, qui a rendu ces deux grands services, est peut-être, de tous les naturalistes. celui qui a le plus contribué à faire prévaloir, du moins pour un certain temps, l'emploi des métho- des artifici-lles. Or une méthode artificielle ne donne que le nom des espèces ; la méthode natu- relle seule donne le nom etles rapports des espèces. Une méthode artificielle peut conduire aux noms, tout en rapprochant les objets les plus-dis- ! C'est ce sécond nom, nom propré de l'espèce et ordinairement adjectif, que Linnæus appelle le nom trivial. MÉTHODE. 77 semblables ; el c'est pour cela même qu'elle ne donne que le nom des objets. Une méthode artificielle n'est pas une méthode dans l'ordre logique, car les connexions n’y sont pas suivies. Une méthode où les espèces les plus semblables sont placées à côté les unes des autres, et où les espèces les plus dissemblables sont les plus éloi- gnées les unes des autres, est seule une méthode logique. Chaque groupe x à le plus grand nombre possible de propriétés communes. Et si les diffé- rents groupes sont contenus les uns dans les au- tres, si l'on remonte des uns aux autres par une suite de propositions de plus en plus générales, on a la science entière. La méthode logique ou na- turelle n’est que la science ordonnée. … Mais quels sont les moyens d'arriver à cette me- thode? Ces moyens sont de deux ordres: ration- nels où empiriques. Un être organisé est un tout : ses différentes parties ont done Entre elles des rapports néces- saires. 75 Z0O0LOGIE Or, plus une partie est importante, c'est-à-dire essentielle par l'ordre de ses fonctions, plus ses modifications en entraînent de correspondantes dans toutes les autres. Tout consiste donc à connaitre l'importance rela- live des parties, et à les #Mordonner les unes aux autres dans la méthode, comme elles le sont dans l'organisation elle-même. C’est là tout le principe rationnel de la méthode. Ainsi les centres nerveux, le cerveau, Va moelle épinière, par lesquels l'animal est essentiellement, donnent les premiers groupes de la méthode ; les . centres respiratoires et circulatoires, les poumons, le cœur, par lesquels il vif de sa vie présente, donnent les seconds ; les centres digestifs, par les- quels il entretient cette vie, donnent les troisièmes, et ainsi de suite. Nous avons vu, dans l'Analyse du Règne animal. tout cet enchainement de groupes qui se subordon- nent les uns aux autres, el sont compris les uns dans les autres. Les naturalistes ne sont arrivés que par de longs tâtonnements à conduire la distribution des ani- maux au point de perfection où elle est aujour- d'hui; ils n'y sont arrivés qu'à posteriori: Us au- MÉTHODE. 19 raient pu y arriver à priori, par la détermination directe de l'importance relative des organes. Or, tant que l'importance relative des organes est connue, on a une méthode rationnelle, une mr- thode à priori. Quand l'importance relative des organes n'est plus connue, on se dirige par leur constance ; on n’a plus qu'une méthode à poste- riori, une méthode empirique. L'organe le plus constant est regardé comme le plus important : la constance d'un rapport, prise comme fait, supplée à la raison de ce rapport, jusqu'à ce que cette raison soit connue. Ainsi, par exemple, tous les animaux ruminants ont le pied fourchu; tous les animaux qui ont des cornes ruminent, etc. Voilà des rapports con- stants: mais quelle est la raison de cette con- stance ? On l'ignore. Et cependant, puisque ces rapports sont constants, on peut les employer avec confiance dans la méthode. La constance représente donc l'importance. Il y a donc deux espèces de méthodes, ou, à parler plus exactement, il y a, pour la méthode, deux états distincts : l'état rationnel et l'état empi- rique. Et comme la méthode est toujours tenue 80 ZOOLOGIE. d'être naturelle, quand elle n'a plus, pour le de- venir, la voie rationnelle, elle le devient par la voie empirique ; quand elle n’a plus, pour se diriger, l'importance connue des organes, elle se dirige par leur constance. ANATOMIE COMPARÉE. Lois de l'organisation animale. L'objet de l'anatomie comparée est la détermi- nation des lois de l'organisation animale. Or ces lois ne sont qu'une déduction des faits. Mais, pour que des faits puissent douner les lois qu'ils contiennent, il faut qu'ils soient com- parés selon leurs véritables analogies. La première question, dans toute science, est donc toujours une question de méthode. Aristote, guidé par un génie supérieur, avait indiqué déjà la véritable marche à suivre en ana- tomie pour la comparaison des faits, car il les range selon les organes, et non selon les espèces. Mais, ce qui manque à Aristote lui-même, ce & ANATOMIE COMPARÉE. sont les faits; je veux dire des faits suffisamment détaillés, développés, précis. Ces faits exacts, ces faits sûrs, manquent bien plus encore aux premiers qui écrivirent sur l'his- toire naturelle, après la renaissance des lettres : gens pour la plupart sans critique, sans méthode, qui empruntaient de toutes mains, qui compi- laient partout, qui adoplaient fout. Le premier point était donc de revenir aux faits particuliers, dont les lois générales ne sont jamais, de quelque mamière qu'on les entende, qu une dé- “duction. Or, ce besoin d'une nouvelle étude, d'une étude plus rigoureuse, plus crconstanciée, plus complète des faits particuliers, ne parait guère avoir été bien compris que vers le milieu du dix-septième siècle ; et, ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'il parail l'avoir été, à ce moment même, pour loutes les seiences naturelles à la fois. On voit en effet, vers cetle époque, un nouvel esprit animer foutes ces sciences ; le besoin de rechercher, de rassembler, de multiplier les faits particuhers, dominer partout; de ce besoin naitre celui des Académies, car, pour ce vaste rassemble- ment de matériaux, des efforts isolés ne suffisaient LOIS DE L'ORGANISATION ANIMALE. 85 plus; et ces Académies, se partageant toutes les sciences, les recommencer, et les renouveler toutes, comme le voulait Bacon‘. Pour l'anatomie comparée eu particulier, c'est dans les Éphémérides des Curieux de la nature ; cest dans les Transactions philosophiques de lu Société royale de Londres, etc.; c'est surtout dans les Mémoires de l'Académie des sciences de Paris, qu'il faut en rechercher les premières bases. Je dis : surtout dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Paris. C'est, en effet, des Mémoires de Claude Perrault ? sur l'anatomie des animaux, que date la véritable renaissance de l'anatomie compurée. Ce qui caractérise essentiellement les Mémoi- res de Perrault, c'est que l’auteur n'y parle Ja- ! Frustrà magnum exshertäur augmentum in scienbis CXsSuperin- ductione et insitione novorum super vetera : sed instauratio fa- cienda est ab imis fundamentis, nisi libeat perpetud cireumvolvi in orbem eum exili et quasi contemnendo progressu. (Nov. Org., Aphor. xxx1.) ? Ces Mémoires sont de Perrault pour l’esprit général et la ré- daction, et de Duverney pour le plus grand nombre des faits anato- miques. 84 | ANATOMIE COMPARÉE. mais que de ce qu'il a vu, et soigneusement vu. Son attention à n'avancer que des choses avé- rées est telle, que, à l'appui de son témoignage, il cite toujours le témoignage de l'Académie, de cette Académie qui, dès son origine, porta si loin l'esprit d’exactitude dans les recherches, et à qui, comme il le dit lui-même, « l'assurance «de s'être trompée dans quelque observation « n’apportait guère moins de satisfaction qu'une « découverte curieuse et importante : tant, ajoute- « t-il, l'amour de la certitude y prévaut sur toute « autre chose! » La forme que Perrault a donnée à ses Mé- moires ne mérite pas moins d’être remarquée. La manière la plus constante d’Aristote est de procéder par propositions yénérales, ne etant guère de faits particuliers que pour servir de preuves à ces propositions. La manière de Per- rault est tout opposée. Il ue parle jamais que singulièrement, qu'individuellement. Si indique une proposition générale, il l'indique sans en répondre; il ne répond que des faits, ces faits sont les seules forces sur lesquelles 11 compte. On avait donc enfin des fuits particuliers exacts, LOIS DE L'ORGANISATION ANIMALE. 85 sûrs, complets. Gràce à Daubenton, on eut des faits comparables. Les descriptions de Daubenton sont toutes faites sur un même plan : uniformité de plan qui per- met de les comparer toutes les unes aux autres, et par tous les points, parce que chaque point est présenté de la mème manière dans chacune, et que chaque point de chacune se retrouve dans toutes. Mais un troisième pas restait à faire encore. II restait à rapprocher toutes ces descriptions, à former de leur ensemble un corps de science ; et, pour cela, il fallait trouver d'abord le véri- table ordre selon lequel le rapprochement devait être fait. Il ne devait pas l'être selon les espèces, à la ma- mère de Daubenton, mais selon les organes, à la manière d'Aristote; et Vicq-d'Azyr est le premier des modernes qui l'ait senti *. L'organe est évidemment l'objet à comparer en anatomie, comme, en zoologie, c'est l'espèce. 1 Voyez son Tableau d'un Cours d'anatomie et de phystologie. Œuvres de Vicq-d’Azyr, tome IV, page 43. Paris, 1805.) 86 ANATOMIE COMPARÉE. Chaque organe a sa fonction propre, son rôle dis- tinct, ses lois spéciales et déterminées ; €'est donc l'organe qu'il faut déméler et suivre, c'est l'or- gane qu'il faut comparer d'une espèce à l'autre, dans le règne animal entier. Le véritable ordre de comparaison, en anatomie, est donc la comparaison des organes. (Gr, les Leçons d'anatomie comparée", de M. Cu- vier, soñt le premier ouvrage où ce véritable ordre ait réellement paru. C'est là que chaque organe, pris à part, se montre, pour la première fois, rigoureusement comparé à lui- même dans toutes les modifications qu'il éprouve en passant d'une espèce à l'autre; c'est là que se voient, pour la première fois, rangés sur une même ligne, tous ces cerveaux qui, pour me servir des expressions animées de Vicq-d'Azyr, semblent dé- croître comme l'industrie, lous ces cœurs dont la structure devient d'autant plus simple qu'il y a _ 1 Leçons d'anatomie comparée est le üitre même de l'ouvrage. il se compose de cinq volumes. Les deux premiers sont de 1800; les trois autres de 1805. Pour les deux premiers, le collaborateur de M. Cuvier a été M. Duméril ; et pour les trois autres M. Duver- noy. — M. Duvernoy a publié depuis une seconde édition de l'ou- vrage entier. LOIS DE L'ORGANISATION ANIMALE, S7 « . moins d'organes à vivifier et à mouvoir ; el c'est de cet ouvrage, c'est-à-dire des faits ainsi dispo- sés, pour la première fois, selon leur véritable ordre, qu'on a pu remonter enfin, avec certitude, jusqu'aux lois générales qui régissent l'organi- sation entière. Deux grandes lois dominent et comprennent toutes les autres : la première est celle des cor- rélations organiques ; la seconde est celle de la subordination des organes. LOI DES CORRÉLATIONS ORGANIQUES. Une corrélation nécessaire lie toutes les fonc- lions les unes aux autres. La respiration, quand elle se fait dans un or- gane respiratoire circonscrit, ne peut se passer de la circulation, car il faut que le sang arrive dans l'organe respiratoire, dans l'organe qui re- coit l'air, et c’est la circulation qui l'y porte; la circulation ne peut se passer de l'irritabilité, car cest l'irritabilité qui détermine les contractions du cœur, el par suite les mouvements du sang ; l'irritabilité musculaire ne peut se passer, à son tour, de l’action nerveuse. k 88 ANATOMIE COMPARÉE. Et si l’une de ces choses change, il faut que toutes les autres changent. Sila circulation manque, la respiration ne peut plus être circonscrite; 11 faut qu'elle devienne gé- nérale, comme dans les insectes : le sang n'allant plus chercher l'air, il faut que l'air aille chercher le sang. IL y a done, comme je l'ai déjà dit’, des condi- lions organiques qui s'appellent; il y en a qui s’exeluent. Une respiration circonscrite appelle nécessaire - ment une circulation pulmonaire; une respira- tion générale rend une circulation pulmonaire inutile et l'exclut. Tout se règle et se détermine par des rapports nécessaires. Le mode de respiration est dans une dépen- dance constante de la circulation, laquelle porte le sang à l'air ou à l'organe qui reçoit l'air ; la force des mouvements est dans une dépendance con- stante de l'étendue de la respiration, car c’est la respiration qui rend à la fibre musculaire son ir- ritabilité épuisée. ! Vovez, ci-devant, p. 56 et 57. LOIS DE L'ORGANISATION ANIMALE. 8) La quantité de respiration décide partout de la vigueur, de la rapidité, et même de l'espèce du mouvement. Le mouvement qui demande le plus d'énergie musculaire est celui du vol, et l'oiseau a une res- piration double. Le mammifère a des mouvements plus bornés, et il a une respiration simple. Le replile a des mouvements plus faibles encore, et il n'a qu'une respiration incomplète. L'oiseau respire par ses poumons et par tout son corps. L'air, après avoir traversé les pou- mons, qui sont percés comme un crible, se rend dans les cellules de l'abdomen, dans les cavités des os, etc. Ce n'est donc pas seulement le sang des poumons, c'est le sang de tout le corps qui respire. Le mammifère n'a qu'une respiration simple, car il n'y a que le sang de ses poumons qui res- pire, ses poumons sont clos; mais cette respira- lion simple est complète, car tout le sang du corps passe par les poumons avant de retourner aux parties. Enfin, les reptiles n'ont qu'une respiration in- complète; leur circulation pulmonaire n’est qu'une fraction de la circulation générale : il n°v a qu'une 90 ANATOMIE COMPARÉE. partie de leur sang qui respire, ou qui, revenu des parties au cœur, passe du cœur aux poumons avant de retourner aux parties. Aussi les reptiles n'ont-ils qu'un sang froid, que des mouvements lents et interrompus par de longs repos; ils sont tous soumis à la torpeur hi- bernale, etc. D'un autre côté, les poissons ont une cireula- tion pulmonaire complète ; mais ils n’ont qu'une respiration aquatique, c'est-à-dire imparfaite , puisqu'ils n'ont, pour respirer, que la petite quan- tité d'air contenue dans l’eau. C’est tout le contraire de ce qui vient d'être dit des reptiles, lesquels ont une respiration aérienne ou parfaite et une circulation pulmonaire incom- plète. Or, ces deux choses se compensent l'une par l'autre : une respiration aérienne ou parfaite par une circulation pulmonaire incomplète, et une circulation pulmonaire complète par une respira- tion aquatique ou imparfaile. Les poissons n'ont donc qu'un sang froid , comme les reptiles ; ils n'ont que des mouvements qui demandent peu d'énergie musculaire, etc. LOIS DE L'ORGANISATION ANIMALE. 91 I y a donc, dans les animaux vertébrés, quatre degrés déterminés de respiration : la respiration double des oiseaux ; la respiration simple, mais complète des mammifères ; et la respiration in- complète, et incomplète par deux moyens diffé- rents, des reptiles et des poissons. Etil y a quatre espèces de mouvements qui cor- respondent à ces quatre degrés de respiration : le vol de l'oiseau, qui répond à la respiration double; là marche, le saut, la course des mammifères, qui répondent à la respiration complète, mais simple; le rampement du reptile, mouvement par lequel l'animal ne fait plus que se trainer à terre; et le nagement du poisson, mouvement pour lequel l'animal a besoin d'être soutenu dans un liquide dont la pesanteur spécifique est presque égale à la sienne. Il en est de la digestion comme des mouve- ments. Plus la respiration est étendue; plus là digestion est rapide. La digestion la plus rapide est celle de l'oiseau, la digestion la plus lente est celle du reptile ; l'oiseau nous étonne par la fré- quence de ses repas, le reptile nous étonne par la longueur de ses jeünes, etc. 99 ANATOMIE COMPARÉE. 2 Tout, dans l'oiseau, est fait pour le vol. II lui fallait une aile d'une grande surface pour frapper l'air; il fallait à cette aile de grands muscles pour la mouvoir ; il fallait à ces muscles des os très-larges pour leur insertion. Et l'oiseau a un sternum qui se développe en lame saïllante, en crête ; il a un inusele pectoral énorme, etc. Voilà pour l'extérieur. A l'intérieur, il a une respiration double, une chaleur animale, une énergie musculaire qui répondent à celte respira- tion ; et, pour cette respiration double, 1l a des poumons percés comme un crible, des cellules aériennes qui sont comme des appendices de ses poumons, efc. Et tout cela ne suffisait pas encore. Mes expé- riences ont montré que l’encéphale se compose de trois parties essentiellement distinetes : le cer- veau proprement dit, siège exclusif de l'intelli- gence; le cervelet, siège du principe qui règle ou coordonne les mouvements de locomotion; la moelle allongée, siège du principe qui règle les mouvements de respiration { Voyez mes Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du système nerveux. ete. Seconde édition, Paris, 1842. LOIS DE L'ORGANISATION ANIMALE. 93 Or, dans l'oiseau, la partie de l'encéphale qui, relativement à l'encéphale des autres animaux ver- tébrés, domine, est précisément celle qui règle ou coordonne les mouvements de locomotion, c'est le cervelet. Toutes les parties, toutes les fonctions, toutes les modifications des parties et des fonctions, sont donc faites les unes pour les autres, el toutes pour un but donné. On vient de le voir, en particulier, pour la res- piration, pour le vol, etc. H est aisé de le faire voir pour la digestion. Ce n'est pas non plus, en effet, une chose arbi- traire que le régime d’un animal. Ce n’est pas par hasard que des dents tranchantes coïncident avec un estomac simple ; des dents plates, avec un es- tomac multiple; des dents plates, un estomac multiple, avec un régime herbivore, etc. Une seule de ces choses suppose nécessairement tou- tes les autres, ou les exclut toutes. Un animal à intestins longs, à estomac multiple, à dents plates, est nécessairement herbivore. Un animal carni- vore a nécessairement des dents tranchantes, un estomac simple, des intestins courts : il a de plus, 94 ANATOMIE COMPARÉE. et. tout aussi nécessairement, des doigts divisés, mobiles, pour saisir sa proie : il a, jusque dans le cerveau, un instinct particulier qui le pousse à se nourrir de chair. Jamais un pareil instinct, jamais une dent tran- chante et faite pour découper la chair, ne coexis- teront, dans un même animal, avec un pied enve- loppé de corne; car ces choses sont incompatibles et se contredisent ; car l'animal qui les offrirait ne pourrait subsister. Pour qu'un animal puisse subsister, 1l faut que toutes ses fonctions se coordonnent entre elles de manière à rendre son existence possible. Il y a donc entre toutes les fonctions une harmonie né- cessaire. Les lois des corrélations organiques, bien vues, sont les conditions mêmes de l'existence des êtres. LOI DE LA SUBORDINATION DES ORGANES. Après la loi des corrélations organiques, vient la loi de la subordination des organes. Une subordination démontrée soumet partout certains organes à d'autres: les organes de la /o- comotion à ceux de la digestion, les organes de la LOIS DE L’OR GANISATIGN ANIMALE. 95 cireulation à ceux de la respiration, toutes les fonc- lions, tous les organes au système nerveux. La circulation est partout soumise à la respira- tion. La circulation est où n'est pas, selon que la res- piration se fait de telle ou telle manière. Tous les animaux à respiration circonscrite (les vertébrés, les mollusques, les crustacés, elc.) ont nécessaire- ment une circulation. Les insectes, au contraire, n'ont pas de circulation, parce qu'ils n’ont pas une respiralion circonscrite, parce qu'ils ont une res- prration générale, etc. ". La même subordination lie les organes de loco- motion. ou de préhension à la digestion. Et telle est la force de cette subordination, que l'un de ces organes semble ne pouvoir faire un progrès qui ne se trahisse par un progrès sembla- ble dans l'autre. Ainsi, par exemple, les animaux ruminants n'ont, en général, ni canines ni incisives à la mà- choire supérieure, et 1l n'y a que cinq os à leur tarse ; le chameau a des canines et même deux ou Vovez, ci-devant, les p. 88 et 89. 96 ANATOMIE COMPARÉE. quatre incisives à la mâchoire supérieure, et déjà il a un os de plus à son farse, parce que le scu- phoïde n'v est pas soudé avec le cuboïde; ainsi en- core les ruminants ordinaires n’ont pour tout pé- roné qu'un petit os articulé au bas du tibia, et les chevrotains, qui ont des canines très-développées, ont un péroné distinct et complet, etc., ete. PHYSIOLOGIE DES ANIM. A SANG BLANC 97 Il Physiologie des animaux à sang blanc. Haller avait donné l'exemple de l'apphcation de l'anatomie comparée à la physiologie. Mais cel exemple fut peu suivi. On le voit par Bichat. Ses Recherches sur la vie et la mort sont le plus brillant résumé de la phy- siologie du dix-huitième siècle ; et la science «y trouve réduite, d'une part, à l'étude de l'homme, et, de l'autre, à quelques expériences faites sm les animaux les plus voisins de l'homme. Les travaux de M. Cuvier sur les animaux à sang blanc! ouvrent une physiologie nouvelle. 1 Mémoires pour servir à l'histoire el à l'anatomie des mollus- ques. 4817. — Mémoire sur la manière dont la nutrition se fait 98 ANATOMIE COMPAPRÉE. Mollusques. Parmi ces travaux, le plus important par ses résultats comme par son étendue est celui qui à pour objet les mollusques. L'organisation de ces animaux, dont l'anatomie était si peu connue avant M. Cuvier, que Linnæus les confondait, ainsi que nous l'avons vu ‘, avec les polypes et les méduses, est très-compliquée. Is ont toujours une circulation double; cette fonction est toujours aidée par un ventricule charnu, par un cœur, quelquefois par deux, quel- quefois par trois. Ils ont de véritables glandes conglomérées : un foie, des glandes salivaires, etc. ; plusieurs ont des veux; quelques-uns, les céphalo- podes, des veux aussi compliqués que ceux des animaux vertébrés; ces mêmes céphalopodes (le poulpe, la seiche, etc.) ont un organe de l'ouie, un cerveau entouré d'une boite cartilagineuse parti- culière, elc. Les travaux de M. Cuvier ont donné, pour la dans les insectes. 1799. — Mémoire sur les vers à sang rouge. dans lequel l’auteur réunit ces vers en une classe distinete. 4802. — Mémoire sur l'organisation de la méduse. 4800. 1 Ci-devant, p. 29. PHYSIOLOGIE DES ANIM. A SANG BLANC. 99: première fois, une idée des modificalions remar- quables qu'éprouvent les organes et les fonctions dans l’embranchement des mollusques. Le système nerveux est le même pour tous les mollusques : c'est, en effet, la forme du système ner- veux qui détermine, ainsi que je l'ai déjà dit, ces grandes et premières divisions du règne animal que M. Cuvier nomme les embranchements. Le mollusque est, en tout, le contre-pied de l'a- nimal articulé, et particulièrement de l'insecte. Tout, dans l'insecte, semble fait pour la vie de relation, pour les sens, pour les instincts, pour les mouvements. Tout semble fait, dans le mollusque, pour la vie organique. L'insecte se soutient et remplit son rôle dans l'économie générale de l'univers par ses merveil- leuses industries, objet des études de Réaumur, de Bonnet, de De Geer; le mollusque a des instincts peu développés, il a peu d'industrie, il ne se dé- fend et ne se soutient que par la Lénacité de sa vie. Et toutes ces différences de structure générale. d'instincts, d'habitudes, etc., que donne l'obser- vation, la comparaison directe des systèmes ner- 100 ANATOMIE COMPARÉE. veux de l'insecte el du mollusque aurait pu les donner à priori. Le système nerveux de l’insecte est surtout un système nerveux des sens et des mouvements. Le système nerveux du mollusque est surtout un sys- tème nerveux des viscères. Dans l’insecte, un premier ganglion, placé au- dessus de l'œæsophage, représente le cerveau. D'autres ganglions, placés au-dessous du canal di- gestif, et régnant, d'espace en espace, le long d’un double cordon nerveux, représentent la moelle épinière. Dans le mollusque, il n'y a point de moelle épinière. À l'exception du ganglion supérieur ou cerveau, et d’un ou deux autres, dont la position est constante, les divers ganglions sont dispersés en différents points du corps et mêlés parmi les viscères. En un mot, si l’on se règle par les viscères, par la ciréulation, par les sécrétions, elc., le mollusque a l'avantage sur l'insecte el prend rang après l'ami- mal vertébré; et, si l'on se règle, au contraire, par le système nerveux, par les sens, par les in- stinct{s, etc., l'insecte vient après l'animal vertébré et se place avant le mollusque. PHYSIOLOGIE DES ANIM. A SANG BLANC. 101 Sous un système nerveux qui seul ne varie pas, du moins dans sa forme générale, les mollusques offrent toutes les sortes de digestion, de généra- tion, etc. : une respiration {antôt aquatique, tan- tôt aérienne; des organes respiratoires placés, tour à tour, sur presque toutes les parties du corps, etc., etc. La respiration se fait tantôt par des poumons, tantôt par des branchies placées à l'extérieur, tantôt par des branchies renfermées dans une cavité, dans un sac, elc. Les céphalopodes (les poulpes, les seiches, les calmars, etc.) ont leurs branchies renfermées dans un sac. Plusieurs gastéropodes ont des poumons (le colimacon, la limace, la parmacelle, etc.); d'au- tres ont des branchies (les tritonies, les doris, les phyllidies, les patelles, elc.). EL ces branchies prennent, tour à tour, les positions les plus va- riées : les tritonies, les thétys, etc., les ont ran- sées sur deux lignes tout le long du dos; les doris les ont rangées en cercle autour de l'a- nus, etc. Tous les acéphales respirent par des bran- chies. Dans l'huître, dans la moule d'étang, ete. 102 ANATOMIE COMPARÉE. les branchies forment quatre feuillets dis- tincts, etc., etc. La cireulalion offre des modifications plus re- marquables encore. Les céphalopodes ont trois cœurs : un aortique, et deux pulmonaires; et ces trois cœurs sont sépa- rés l’un de l’autre : l'aortique est placé sur la ligne médiane du corps, et chacun des cœurs pulmo- naires à la base de chaque branchie. Mais aucun de ces cœurs n'a d’oreillette ou de cavité veineuse : ce sont trois cavités artérielles, ou ventricules. : Les gastéropodes n'ont qu'un seul cœur, mais complet, c’est-à-dire composé d'une oreillette et d'un ventricule. Et cette circulation des gastéro- podes à cœur unique est, de tout point, l'inverse de celle des poissons. Le cœur unique des pois- sons reçoit le sang du corps pour le porter aux poumons‘, c'est un cœur pulmonaire : celui des gastéropodes, au contraire, reçoit le sang des poumons pour le porter au corps, c'est un cœur uortique. 1! Poumons, ou plus exactement branchies; poumon est ici terme générique et synonyme d’organe respiratoire, PHYSIOLOGIE DES ANIM. A SANG BLANC 105 ” Le cœur de tous les mollusques, quand il n'y en a qu'un, est toujours «aortique. Celui de plusieurs acéphales a deux oreillettes : celui des ptéropodes n'en a qu’une comme celui des gastéropodes ; les brachiopodes ont deux cœurs uortiques et séparés, elc., etc. L'embranchement des mollusques offre donc autant de modifications dans les organes de Ja circulation que l'embranchement des vertébrés; de plus, cette circulation est toujours double, ce qui n'a pas lieu dans les vertébrés, où une classe entière, celle des reptiles, n'a pour circulation pulmonaire qu'une fraction de la circulation ge- nérale; de plus encore, quand il n'y a qu'un cœur, il est toujours aortique, ce qui est l'inverse des poissons, dont le cœur unique est toujours pulmo- naire; enfin, ce qui ne se voit dans aucun animal vertébré, quand il y a plusieurs cœurs, 1ls sont toujours détachés et séparés l'un de l’autre. » L'estomac des mollusques est tantôt simple, tui- tôt multiple, souvent muni d'armures particu- lières, etc. L'estomac du poulpe, par exemple, a un véri- 104 ANATOMIE COMPARÉE. table jabot, comme celui des oiseaux ; un véritable yésier; et ce gésier est garni de muscles presque aussi forts que celui des gallinacés, etc. Le colimaçon, la limace, la parmacelle, les do- ris, les tritonies, les phyllidies, etc., ont un esto- mac simple et membraneux. Le bulime des étangs, l'onchidie, ete., ont, comme le poulpe, un estomac double, composé d'un gésier et d'un jabot. L'estomac est quadruple dans l'a- plysie, etc. Les organes de la génération ne varient pas moins que ceux de la respiration et de la diges- tion. Plusieurs mollusques se fécondent eux-mêmes (les acéphales); d’autres, quoique hermaphrodites, on! besom d’un accouplement réciproque (le limu- con et la plupart des gastéropodes): beaucoup ont les sexes séparés (les céphalopodes, ete.); enfin, les uns sont vivipares ‘, les autres ovipares, etc., etc. Insectes J'ai déjà parlé, à plusieurs reprises, du Mé- ! L'helic vivipara, Linn., etc. PHYSIOLOGIE DES ANIM. A SANG BLANC. 105 moire de M. Cuvier sur la nutrition des insectes. Il me suffit ici de le rappeler. M. Cuvier y prouve : 1° Que les insectes n'ont pomt de vaisseaux san- guins ‘; 2 Qu'ils ne doivent pomt en avoir, puisque toute leur respiration est faite précisément pour se passer de circulation ; 3 Et que, n'ayant point de circulation, ils n'ont point, non plus, d'organes sécrétoires compactes, de glandes conglomérées. Tous les animaux qui ont une circulation ont ou peuvent avoir des glandes conylomérees, de vé- ritables glandes. Les mammifères, les oiseaux, etc., tous les ani. maux vertébrés, lous les animaux mollusques, ont ! Les belles recherches de M. Carus, en lni découvrant une sortie de circulation dans certaines larves, lui ont aussi montré que cette circulation disparaît à mesure que l'animal passe de Pétat de larve à celui d’insecte parfait, Voici ce qu'il dit : In perfectis insectis, in quibus talis aeris respiratio in tolo corpore instiluta est, sanguinis circulationem pariter incompletam, quæ eorum larvis propria est, sensim prorsus cessantem, id est eo majori modo disparentem, t'i- debimus, quo magis respiratio evolritur. — Voyez l'ouvrage de MM. Carus et Otto : Tabulæ anatomiam comparativam illustran- Les, ete., part. VI, p. 7 106 ANATOMIE COMPARÉE. des glandes conglomérées, un foie compacte, ete. Mais, si l'on passe des mollusques aux insectes. tout à coup la structure change. Les organes sé- crétoires ne sont plus que de simples tubes, dé- liés, détachés, flottant dans l'intérieur du corps. Le foie, par exemple, ne se compose plus que des vaisseaux biliaires, dégagés de tout parenchyme ; ces vaisseaux ne sont plus fixés que par des tra- chées, etc. Quelle est la raison de ce changement”? Cette raison est évidente. Quand le cœur, quand la circulation existent, le sang est porté jusque dans les points les plus profonds des glandes. Mais, quand il n’y a plus de circulation, comme dans les insectes, le sang ne pourrait plus être porté jusqu'aux vaisseaux propres ou sécrétoires", s'ils étaient enveloppés d’un tissu épais. En un mot, et de même que, pour la respira- tion, l'air va chercher le sang quand le sang ne va pas chercher l'air, il fallait aussi que, lorsque le sang ne peut plus être poussé jusqu'aux vaisseaux sécrétoires, les vaisseaux sécrétoires se portassent 4 Où il faut pourtant qu'il arrive, car c’est le sang qui fournit les mrlériaux de toute sécrétion. PHYSIOLOGIE DES ANIM. A SANG BLANC. 107 en quelque sorte vers le sang et se plongeassent dans ce fluide. Et tel est, en effet, le mécanisme général de toute l’organisation des insectes : le fluide nourri- cier n'étant plus porté par la circulation dans les parties, toutes les parties se plongent dans le fluide nourricier et s'en imbibent. La nutrition des insectes ne se fait donc que par imbibition. Vers à sang rouge. En se livrant à ses études sur l'anatomie des aumaux à sang blanc, M. Cuvier trouva bientôt une espèce qui le força de changer cette dénomi- nation générale : c'était la sangsue. La sangsue à du sang rouge, non celui qu'elle a sucé, et qui serait contenu dans le canal intesti- nal où 1l s'altère presque aussitôt, mais un véri- table fluide nourricier, contenu dans des vaisseaux propres, et y circulant au moyen d'un mouvement de systole et de diastole. Les recherches commencées sur la sungsue fu- rent continuées sur les lombrics, les naïdes, les néréides, les aphrodites, les amphitrites, les ser- pules, etc. C'est surtout dans l'arénicole (lombric 6 108 ANATOMIE COMPARÉE. marin de Linnæus) que M. Cuvier étudia le sys- tème vasculaire propre à ces animaux. L'arénicole respire par des branchies extérieures. Ces branchies se développent et deviennent rouges, puis s’affaissent et pälissent. C'est l'effet ordinaire du mécanisme respiratoire. Mais ici ce n’est point l'air, ce n’est point le sang qui vont l'un vers l’autre par un double mou- vement et par des conduits différents, comme dans tous les animaux vertébrés", comme dans la plu- part des mollusques, etc. Ce n'est pas non plus l'air qui va chercher le fluide nourricier en se distribuant dans tout le corps au moyen de trachées, comme dans Jes in- sectes. Ici, comme dans tous les animaux qui ont les branchies libres et flottantes à l'extérieur, le fluide nourricier, le sang, est seul en mouvement : il va chercher l'air ou l'eau qui entoure l'animal, el il revient aux parties après avoir respiré. Ajoutez que dans tous les animaux dont Je parle, ! Dans les poissons, l'eau {el par suite l'air contenu dans l'eau est sans cesse attirée sur les branchies par le jeu des mâchoires. de l'appareil hyoïidien et des opercules. Voyez mes Expériences sur le mécanisme de la respiration des poissons, dans mes Mémoires d'anatomie et de physiologie comparées, 1. 3, p. 75. Paris, 1844. PHYSIOLOGIE DES ANIM. A SANG BLANC. 409 dans tous les vers à sang rouge, aucune goutte de sang ne revient aux parties sans avoir été mise en contact avec l'air ou l'eau qui entoure l'ani- mal, sans avoir respiré. La circulation est double ou complète. Zoophutes. Un des points les plus curieux des études phy- siologiques de M. Cuvier sur les 400phytes est ce qu'il nous à appris de la simplicité d'organisa- tion du rhizostome*, animal qui n’a pas même de bouche. Le rhizostome à La forme d'un champignon. La partie qui correspond au pied du champignon se termine par huit feuilles triangulaires et dentelées. A chacune de leurs dentelures est un petit trou; et il y a près de huit cents de ces petits trous. L'animal n’a point d'autre bouche. C'est par tous ces trous qu'il suce le liquide qui le nourrit. De chacun nait, en effet, un petit vais- seau qui, réuni aux autres, en forme un grand pour chaque feuille. Les huit vaisseaux se réunissent deux à deux, et " Le rhizostome bleu. 410 ANATOMIE COMPARÉE. les quatre vont directement à l'estomac que l’on pourrait aussi nommer le cœur, puisque, après avoir reçu, par ces quatre vaisseaux, le suc nourri- cier, ille distribue dans toutes les parties du corps par seize aulres vaisseaux, lesquels se rendent directement à toute la circonférence du chapeau. Ces seize vaisseaux communiquent ensemble par un vaisseau circulaire, concentrique au bord du chapeau; et tout l'intervalle entre ce vaisseau et le bord du chapeau est rempli d’un réseau vascu- laire très-compliqué. PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 111 pal Application de l'anatomie comparée à la physiologie générale. uche de tant de faits que lui a fournis l'anato- mie comparée, la physiologie a pris de nos jours un nouvel essor : elle ne se borne plus à l'étude de quelques espèces; elle embrasse le règne ani- mal entier ; elle s'attache surtout à chercher, dans les espèces dont la structure est la plus simple, la solution de ses principaux problèmes, réduits en effet dans ces espèces à leurs conditions les plus essentielles. IL suffira de quelques exemples pour rendre ce que je dis ici plus sensible. L oreille est un organe très- compliqué dans l'homme et dans les mammifères. Déjà, dans les oiseaux, celle grande complica- tion diminue ; elle diminue plus encore dans les 6. 112 ANATOMIE COMPARÉE. reptiles; plus encore dans les poissons; et plus encore dans les animaux sans vertèbres qui ont une oreille. Dans l'homme et dans les mammifères, l'oreille externe se prolonge en une sorte de pavillon, de conque; l'oreille moyenne à quatre osselets dis- tinets, un fympan, une trompe d'Eustache, etc.; l'oreille interne a un limaçon, un labyrinthe, etc. Les oiseaux n'ont plus de pavillon, de con- que", les quatre osselets des mammifères y sont réduits à un, etc.; les reptiles n'ont plus de méal auditif externe, à peine s'il en est quelques-uns où s'aperçoive un vestige de limacon, etc.; les poissons n'ont plus ni oreille externe m oreille moyenne. ils n'ont ni fympan, ni osselets, ni trompe d'Eustache, is n'ont plus de Zlimaçon : toute leur oreille se réduit au labyrinthe ; les mol- lusques céphalopodes, enfin, n’ont plus même de labyrinthe, c'est-à-dire de canaux semi-cireulai- res : toute leur oreille n'est plus qu'un sac mem- braneux. Mais ce sac renferme une pulpe gélatineuse, el dans cette pulpe se rendent les rameaux du nerf ! Les oiseaux de nuit ont seuls une conque extérieure, el qui cependant ne fait point saillie comme celle des mammifères. PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. 113 acoustique, pulpe et rameaux qui existent par- tout. C'est donc cette pulpe, ou plutôt ce sont les nerfs qui se rendent dans cette pulpe, qui sont les parties essentielles de l'oreille : {outes les autres parties ne sont que des parties acces- soires. | La digestion proprement dite, c'est-à-dire lac- tion particulière de l'estomac et des intestins sur les aliments, se complique, dans l’homme et dans les animaux supérieurs, de plusieurs fonctions auxiliaires et secondaires, de la mastication, de l'action des glandes salivaires, de celle du pancréas, de celle du foie, etc. Elle se réduit dans le polype, dans le rhizostome, etc., à l'action de la cavité ali- mentaire ou de l'estomac. Le mécanisme de la respiration, dans les ani- maux supérieurs, est très-compliqué ; 1l s'y com- pose du jeu des narines, de celui du larynx, de celui du thorax, etc. Dans les animaux infé- rieurs, qui respirent par des branchies libres el placées à l'extérieur, il suffit que l'animal soit placé dans l’eau pour que la respiration se fasse. Les squilles, par exemple, crustacés qui portent 114 ANATOMIE COMPARFE. leurs branchies à leurs pattes, n'ont besoin que de remuer ces pattes pour renouveler l’eau, et par conséquent l'air contenu dans l’eau. La res- piration est plus simple encore quand l'animal n’a plus d'organe respiratoire distinct, quand il res- pire par sa peau, comme les lombrics, comme les nudes, parmi les annélides, comme les polypes, parmi les x00phytes. A mesure qu'on passe donc des classes supérieu- res aux classes inférieures, les fonctions les plus compliquées se simplifient, et leurs conditions fon- damentales se montrent : la condition fondamen- tale de l'audition se montre dans l’action du nerf qui se rend à la pulpe du labyrinthe; celle de la digestion dans l’action de la cavité alimen- taire, où de l'estomac ‘; celle de la respiration, dans l’action de l'air sur le sang, car tout méca- nisme respiratoire, quelque compliqué, quelque varié qu'il soit, n'a jamais qu'un seul objet : de conduire l'un à l'autre, de mettre en rapport l'un avec l’autre, le sang et l'air. ! Ou, plus exactement, du fluide sécrété par l'estomac, du fluide gastrique. SYMÉTRIE DES ORGANES. 415 IV Symétrie des organes vitaux ! Bichat, se réglant d’après ce qu'il voit dans l'homme et dans les animaux voisins de l'homme, fait une loi générale de la non-symétrie des or- ganes vitaux. « La plus éssentielle des différences, dit-il, qui « distinguent les organes de la vie animale de ceux « de la vie organique, c'est la symétrie des uns « et l'irrégularité des autres ?. » Bichat se trompe. La loi générale est la syme- trie. À considérer l'ensemble des animaux (et de- puis les travaux de M. Cuvier sur les anunaux à sang blanc, c'est l'ensemble des animaux qu'il faut considérer en physiologie), les organes de la vie ! Voyez mes Études sur les lois de la symétrie dans le règne animal (dans mes Mémoires d'anatomie et de physiologie com- parées). 1. I, p. 1. Paris, 1844. ? Voyez ses Recherches sur la vie et la mort, article second, 16 ANATOMIE COMPARÉE. organique ne sont pas moins soumis à la symétrie que ceux de la vie animale. Le poumon est presque symétrique dans l'homme, dans plusieurs mammifères ; le lama, le rhinocéros, le marsouin; il l'est tout à fait dans tous les oiseaux, dans la plupart des reptiles : les chéloniens, la plupart des sauriens, tous les batra- ciens ; les branchies sont symétriques dans tous les poissons, dans les mollusques, dans les crustacés, dans les annélides, etc.; les trachées sont symé- triques dans les insectes. Au milieu de cette symétrie générale parais- sent, il est vrai, quelques irrégularités remar- quables. Par exemple, les mollusques, qui respirent l'air en nature, n'ont qu'une cavité pulmonaire. Dans la classe des reptiles, quelques sauriens, et pres- que tous les ophidiens ou serpents, ont un pou- mon très-petit par rapport à l'autre: et mème, dans quelques ophidiens, le petit poumon disparait tout à fait : il n'y a plus qu'un seul poumon dans ces animaux. Parmi les vrais serpents, les boas ont le petit SYMÉTRIE DES ORGANES. 517 poumon de moitié plus court que l'autre : il est quatre fois plus court que l'autre dans les ty- phlops; il manque tout à fait dans les amphisbènes, dans les rouleaux, etc. Dans le bipède lépido- pode, le petit poumon est de moitié plus court que l’autre : dans le bimane cannelé, le petit poumon n’est plus qu’en vestige, etc., etc. Il y a deux cas de symétrie: dans un cas, l'or- sane est double; il y a deux organes, et chaque organe est placé de chaque côté du corps ; dans l'autre cas, l'organe est simple: il est placé sur la ligne médiane du corps, et se compose de deux moitiés semblables *. Toutes les fois, par exemple, que les divers cœurs sont réunis en une seule masse, cette masse est placée sur la ligne médiane. Dans l'homme, dans les mammifères, dans les oiseaux, où les { C'est ce que Winslow a très-bien vu pour les os. « IL y à des os, dit-il, qui seuls sont symétriques, c'est-à-dire qui ont une « certaine réciprocité de côté et d'autre. Ces os sont impañs et « placés dans le milieu qui distingue la partie droite du corps de la « partie gauche. Tous les autres os, pris séparément, n'ont poin' « de symétrie; mais chacun d'eux, pris avec celui qui lui répond a de l'autre côté, fait une figure régulière : ces os sont pairs et « placés à droite et à gauche. » (Exposition anatomique de la struc- ture du corps humain. 118 ANATOMIE COMPARÉE. deux cœurs ne sont séparés que par une cloi- son commune, le cœur est placé sur la ligne mé- diane. Dans les mollusques céphalopodes, 1 v a deux cœurs pulmonaires, el ils sont latéraux ; 1] n'y à qu'un cœur aortique, et il est médian. Dans les insectes, enfin, où 1l n'y a plus, pour dernier vestige de cœur, que le vaisseau dorsal, ce vestige de cœur, ce vaisseau dorsal, est tou- jours placé sur la ligne médiane. Le foie est symétrique dans les oiseaux, et S'v compose de deux moitiés latérales. Il est symétrique dans le crocodile; 11 Fest, à peu de chose près, dans les mollusques céphalo- podes, etc. La rate elle-mème n'échappe pas entièrement à la symétrie, car elle est placée sur la ligne médiane dans les oiseaux. Bichat ne pouvait se dissimuler que, dans l'homme lui-même, les appareils séeréteurs de l'urine, du lait, des larmes, l'appareil généra- teur, l'appareil salivaire, sont exactement symé- triques. SYMÉTRIE DES ORGANES. 119 Ainsi done, à considérer Ie règne animal entier, c'est-à-dire à considérer l'ensemble des espèces pour chaque organe, la symétrie forme, mème pour les organes de la vie organique, la loi géné- rale. La physiologie proprement dite, la physiologie humaine, ne donne que des vues parliculières , bornées; la physiologie comparée donne seule les vues générales. 120 ANATUMIE COMPARÉE : à Théories ostéologiques ‘. L'ostéologie comparée, née des travaux de Dau- benton, de Camper, de Pallas, est devenue, entre les mains de M. Cuvier, un instrument nouveau : c'est par l'ostéologie comparée qu'il a reconstruit les espèces perdues; et ce qui est à remarquer, c'est que, dans cette longue et laborieuse suite de recherches et d'efforts, aucun de ces savants hommes n’est jamais sorti du domaine des faits positifs. ! J'intitule cet article Théories ostéologiques, bien que je n'y ex- pose que la {héorie de M. Cuvier. Celle-ci, la plus rigoureuse de toules, pourra servir de terme de comparaison pour les autres. Car toutes varient, M. Cuvier, M. Oken, M. Gcoffroy-Saint-Hi- laire, M. Spix, chacun a la sienne. Nul n’est d'accord avec les autres, ni sur les analogies, ni mème sur le nombre des os. Chacun déeide de ces analogies et de ce nombre, d'après des principes qu'il s’est faits, et qu'il est seul à admettre. Je donne ici les principes de M. Cuvier. On les éludiera avec fruit, C'étaient ceux d’un grand maitre. THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 121 Tel est, effectivement, l'empire de ces faits sur l'esprit humain, que ce n'est guère qu’à leur dé- faut qu'il se jette dans le domaine des conjectures et des hypothèses. Presque en tout genre, ce n’est que lorsque les faits ne sont pas connus, ou qu'ils commencent à être épuisés, que l’on a recours aux systèmes ; et ce qui est affligeant pour l'histoire des sciences, ce n'est pas la manie des systèmes qui règne avant la connaissance des faits, c'est celle qui cherche à se reproduire après. Le grand ouvrage de M. Cuvier sur les osse- ments fossiles" montre qu'il n'est pas un seul os, une seule partie d'os, dont l'étude ne soit pré- cieuse, nécessaire, souvent indispensable pour la distinction des espèces fossiles d'avec les espèces actuelles. Cet ouvrage semble partout la preuve vivante de cette parole d'un écrivain célèbre, que ce n'a jamais été que dans l'étude approfondie des détails que l'on a surpris les secrets de Ja nature; et l'on voit avec peine que, tant qu'il reste à découvrir quelqu'un de ces faits dont les moindres circonstances ont une telle importance, ! Voyez, dans le chapitre suivant, l'analyse de cet ouvrage. 122 ANATOMIE COMPARÉE ant d'auteurs se détournent de eetle recherche curieuse et solide pour tant d'autres recherches si vaincs el si oiseuses : ceux-ci voulant à toute force, par exemple, retrouver toutes les parties dans chacune, le corps entier dans la tête, les membres dans les mächoires, le thorax dans le nez!, ctc.; ceux-là faisant passer, tour à tour, les pièces d'un appareil dans un autre, pour parvenir ainsi à une unité de nombre que ce bouleverse- ment même de toutes choses ne leur donne pas. L'objet de M. Cuvier n'a point été, on le conçoit aisément, de suivre les auteurs dont il s’agit dans ces recherches, si peu limitées; il ne prétend uulle part trouver dans un appareil, ni des re- présentalions des parties étrangères à cel appa- reil, ni des nombres constants de pièces ou d'os; mais 1] cherche jusqu'où va la correspondance de ces pièces el où elle s'arrète. On n'a pu, à aucune époque, comparer entre 1 Ces exagérations sont de M. Oken, qui pourtant avait débuté par une trè--belle et très-judicicuse analogie, Panalogie du crâne avec les vertèbres. Le crâne est une verlèbre, ou plutôt R réunion de trois ou quatre vertèbres, disposées et développées pour contenir l'encéphale, comme les autres vertèbres le sout pour loger la moelle épinière. - THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 495 eux les divers êtres qui composent le règne animal, sans remarquer, tout à la fois, leurs ressemblan- ces et leurs différences ; et la difficulté n’a jamais été que de poser la limite précise entre les analo- gies qui constituent, d'une part, les caractères plus ou moins généraux des espèces, et les différences qui en constituent, de l'autre, les caractères plus ou moins distinclifs, et particuliers. De là, deux branches d’une même étude, qui, toutes deux, datent des premiers âges de la science : l’une, la recherche des analogies; l’autre, la recherche des différences. Or on conçoit que, selon les époques, telle ou telle de ces recherches a dû paraître plus ou moins importante par rap- port à l'autre ; mais, au fond, il est aisé de voir que l'une suppose toujours l’autre ; et que ce ne sont ni les analogies, ni les dissemblances évidentes qui ont jamais pu être le sujet de discussions sérieuses , mais bien les dissemblances réelles cachées sos des analogies apparentes, ou réci- proquement les analogies cachées sous des dissem- blances. En un mot, de même qu'on ne peut marquer le point où commencent les dissemblances sans marquer celui où cessent les analogies, de mène 12% ANATOMIE COMPARÉE. à on ne pouvait porter aussi loin que l'a fait M. Cu- vier l'étude des différences, sans marquer le point où commencent les analogies ; et peut-être fallait-il, en effet, épuiser d’abord l'étude des dif- férences pour être bien sûr de ne laisser subsister ensuite que des analogies réelles et incontes- tables. Quoi qu'il en soit, ce sentiment profond qu'une immense analogie, ou plutôt, que des analogies de tout genre lient plus ou moins entre eux tous les êtres du règne animal, est un sentiment qui, comme Je le disais tout à l'heure, date des pre- miers âges de la science. Tout l'ouvrage d’Aristote porte sur le rappro- chement des diverses espèces entre elles, et de toutes avec l'homme, pris pour terme commun de comparaison. Buffon admirait « cette conformité « constante, ce dessein suivi de l'homme aux qua- « drupèdes , des quadrupèdes aux cétacés, des « cétacés aux oiseaux, des oiseaux aux replies, « des reptiles aux poissons, etc. ‘. » Il se demande «si cette ressemblance cachée n’est pas plus mer- « veilleuse que les différences apparentes?. » Dau- 1 Voyez mon édition de Buffon, t.IT, p. #15. ? Ibid. THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 495 benton avait démêlé cette conformité de structure dans la plupart des parties du squelette, et sur- tout dans le pied, c'est-à-dire dans celle des par- ties du squelette qui varie le plus”. On a de Camper deux Discours, études ingé- nieuses, sur « l'étonnante analogie qui se trouve, « dit-il, entre la structure du corps humain et « celle des quadrupèdes, des oiseaux et des pois- « SONS *. » Il montre comment, par les seuls changements gradués de l'attitude horizontale en attitude ver- ticale, «on peut changer une vache en oiseau, un « quadrupède en homme, ete. * ; » et, bien avant lui, il avait suffi à Belon de placer verticalement un squelette d'oiseau pour y rendre saillants une foule de rapports, jusque-là inaperçus, avec le squelette humain *. Enfin, on voit partout cette grande idée domi- ner dans les œuvres de Vicq-d'Azyr, « que la na- « ture semble opérer toujours d’après un modèle « primitif et général dont elle ne s’écarte qu à 1 Description du cheval. ? Deux Discours sur l'analogie qu'il y a entre la structure du corps humain et celle des quadrupédes, etc. * Jbid. * Histoire de la nature des oiseaux, ele. 196 ANATOMIE COMPARÉE. «regret, et dont on rencontre partout des tra- « ces... ; qu'on observe partout ces deux carac- «tères que la nature semble avoir imprimés à « tous les êtres, celui de la constance dans le « type et celui de la variélé dans les modifica- « tions, etc. ‘. » Toutefois (les termes mêmes que je viens d’em- prunter à Buffon, à Camper, à Vicq-d'Azvr, le font assez voir), cette opinion d'un dessein suivi?, d'une analogie étonnante*, d'un modèle primitif et général*, ne portait encore que sur un sentiment vague et plus ou moins confus. Et c'est de nos jours seulement que la question si complexe de l'analogie de structure dans les animaux s'est enfin débrouillée, divisée, qu'elle a pris, pour champ de discussion, des faits déterminés, précis, et que, devenue queslion positive, elle a pu être débattue d'une manière rigoureuse et détaillée. On a appelé cette question, la question de l'u- ! Voyez surtout son Mémoire sur le parallèle des extrémi- tés, etc. ? Buffon. 5 Camper. % Vicq-d'Azvr THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 127 nilé d'organisation ; on aurait pu l'appeler tout aussi bien la question de la variété d'organisa- tion : tout dépend, en effet, du point de vue sous lequel on la considère ; car, puisqu'il v a des es- pèces animales diverses, l'unité suppose nécessai- rement ici une certaine variété; et puisque, d'un autre côlé, ces espèces diverses se ressemblent toutes, du moins par ce fonds commun qui les fait être du même règne, il est évident que cette va- riété suppose aussi nécessairement une certaine unité ou conformité. Le véritable titre de la ques- tion, ou plutôt, son véritable objet était donc la délermination des limites où s'arrêtent, tour à tour, et les ressemblances et les différences dans l'organisation, tout à la fois si semblable ct si va- riée, des animaux. Une fois divisée, comme je viens de le dire, la question a pris un tout autre aspect. La ressem- blance générale des animaux n'a plus été conclue de quelques ressemblances particulières, ou bor- nées à certains embranchements, à certaines classes. Pour le système osseux, par exemple, on a bien- tôt senti que, n'appartenant qu'aux animaux ver- Ti 498 ANATOMIE COMPARÉE. tébrés, ce système ne peut donner que des ré- sultats bornés à cet embranchement, à ce type. Les ressemblances du système osseux qui témoignent si hautement d'un fonds commun, d'une unilé de structure, ne témoignent donc, et de ce fonds com- mun et de cette unité de structure, que pour le seul fype qui ait un système osseux, que pour le type des vertébrés. Considéré dans son ensemble, le système osseux forme le squelette, lequel se divise en plusieurs parties ou appareils! : l'appareil des vertèbres, celui du crâne, ceux de la face, de l'oreille, de l'hyoïde, des opercules, des côtes, du sternum, de l'épaule, du bassin, desmembres. Or il n'est pas un seul de ces appareils qui, dans les diverses classes, ne varie par la forme, par le nombre, par la complication des pièces qui le constituent. Pour la plupart, et sauf les varia- tions que je viens de dire, ils se reproduisent dans toutes; ilen est cependant qui manquent à telle ou telle classe ; ilen est qui sont l'attribut exclusif ! Considérés également ici dans l’ensemble des animaux ver- lébrés. THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 1929 d'une seule. La question est de voir quel est le caractère particulier de chaque appareil dans chaque classe, c'est-à-dire de quelles pièces il s'y compose, et quelle y est la forme, quelle y est la combinaison de ces pièces. Orun pareil examen montre bientôt que, parmi toutes ces parties dont est composé le squelette, les unes sont essentielles, et par là même plus con- stantes ; les autres accessoires, el par là même plus variables ; que les vertèbres, que le crâne, qui lo- gent la moelle épinière, l'encéphale, peuvent bien varier par le nombre, par la forme de leurs os, d'une classe à l'autre, mais se retrouvent dans toutes ; qu'au contraire les osselets de l'oreille, les opercules, les membres, ete., tou'es parties ac- cessoires et subordonnées, peuvent manquer, el manquent en effet, dès que les conditions de l'au- dition, de la respiration, de la locomotion, ne sont plus les mêmes. - Il ya donc des analogies graduées comme l’est l'importance même des parties quiles présentent ; chaque partie a donc ses limites propres et de va- riélé et d'analogie ; chacune doit donc être étudiée à part; et, si l'on peut s'exprimer ainsi, il y a une ostéologie comparée particulière de chaque appa- D 130 ANATOMIE COMPARÉE. reil osseux, comme il y à une ostéologie comparée générale de tout le système. Ê Le crâne, ce premier, ce plus compliqué des appareils du squelette, offre, dans tous les mam- mifères, une composition à peu près semblable : on peut y suivre chaque os, de l'homme aux qua- drumanes, des quadrumanes aux carnassiers, aux rongeurs, aux édentés, aux pachydermes, aux ru- minants, aux célacés; on y reconnait partout les frontaux, les pariétaux, les occipitaux, les tempo- raux, le sphénoïde, l'ethmoïde ; et on les y recon- nait partout à leur position comme à leurs usages. C’est à peine si les interpariétaux paraissent man- quer dans quelques espèces. Îl en est de même de la face. Les os du nez, des pommeltes, des mâchoires, du palais, etc., ne man- quent jamais. Les seuls lacrymaux manquent dans les phoques, dans les dauphins, etc. Toutes les autres différences de nombre ne sont qu'apparen- tes, et ne tiennent qu’au plus ou moins de promp- titude avec laquelle, selon les espèces, les os ou les parties d'os, constamment séparés dans le pre- mier âge, s'unissent el se confondent dans l’âge adulte. # THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 151 C'est ainsi que, selon les espèces, loccipital, le pariétal, le sphénoïde, le temporal, etc., pa- raissent tantôt simples, tantôt doubles, tantôt tri- ples, tantôt quadruples; mais c'est que, dans le fœtus, l'occipital est toujours divisé en quatre parties, le pariétal en deux, ou plutôt en quatre, en comptant les interpariétaux qui finissent con- stamment par s'y réunir, le temporal en quatre, le corps du sphénoïde en deux, etc. I y a done, dans les mammifères, un nombre normal pour les os du crâne; et, lorsque ce nombre parait masqué par l'oblitération des sutures à l'état adulte, la division primitive de l'état fœtal le reproduit toujours et le restitue; ut ce que je dis des os du crâne doit être dit aussi, et des os de la face, el de leurs subdivisions plus nombreuses dans les premiers âges. On sent combien il était curieux de voir si celle singulière analogie se soutiendrait dans les autres classes, dans les oiseaux, dans les reptiles, dans les poissons; si un même nombre d'os s’y reproduirait partout; si, masqué dans l'état adulte, il y reparaitrait à l'état fœtal; si, ehfin, les rep- tiles et les poissons, où les os du crâne sont tou- Là 132 ANATOMIE COMPARÉE. jours beaucoup plus nombreux, pourraient être regardés comme répondant, sous ce rapport, aux premiers âges des oiseaux et des mammifères. Cette grande question, M. Cuvier l'a traitée suc- cessivement par rapport aux repliles' et aux poissons *; il me suffit d'indiquer ici la ma- nière dont il l'a résolue relativement aux rep- tiles. Le reptile dont la tête présente les traits de conformité les plus sensibles avec celle des mam- mifères est le crocodile; du crocodile M. Cuvier passe successivement aux tortues, aux lézards, aux serpents; il finit par les batraciens, qui con- duisent des reptiles aux poissons, comme le croco- dile conduit des reptiles aux mammifères. « La tête du crocodile se compose d'un nombre d'os beaucoup plus grand que celle du mammi- fère adulte; mais, en remontant jusqu'au fœtus de cette dernière classe, on finit par reconnaitre, à la tête du crocodile et à celle du mammifère, un nombre d’os à peu près pareil. Ainsi M. Cuvier. après avoir retrouvé dans 4 Recherches sur les ossements fossiles, tome Y. ? Histoire naturelle des poissons, tome I. THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 133 le crocodile, et à la même place que dans les mammifères, les intermaxillaires, les maxillaires, les nasaux, les lacrymaux, les jugaux, les pala- üins, l'ethmoïde ‘, le corps du sphénoïde, le pariétal, retrouve aussi, et toujours à la même place, l’occipital, mais divisé en quatre parties, comme il l'est dans le fœtus des mammifères, les grandes ailes du sphénoïde, des vestiges de ses petites ailes, ses ailes ptérygoides internes, ses ailes ptérygoides externes, mais toutes ces parties séparées du corps de l'os, comme elles le sont toutes, excepté la dernière*, dans le mammi- fère à son premier âge, enfin un temporal, mais un temporal composé de quatre os, comme il l'est dans le premier âge des mammifères, l'écail- leux, le mastoïdien, la caisse et le rocher. Il ne reste plus à ramener à l'analogie que les os qui répondent au frontal; mais ces os sont au nom- ! Avec sa lame cribleuse, ses ailes latérales, ses cornets supé- ricurs, sa lame verticale; mais Loutes ces pièces ou dépendances de l'ethmoïde, en grande partie, à l’état cartilagineux. * C'est pourquoi M. Cuvier nomme d’un nom spécial, (os trans- verse) l'apophyse ptérygoïde externe, laquelle n’est effectivement séparée à aucun âge de la grande aile temporale dans les mammi- fères. Ce n’est done pas proprement un os nouveau, mais un dé- membrement du sphénoïde, comme les os frontaux, antérieurs et postérieurs, sont des démembrements du frontal. [Æ 134 ANATOMIE COMPARÉE. bre de six dans le crocodile; et, comme le frontal des mammifères n’est jamais divisé qu'en deux, M. Cuvier est obligé d'admettre ici un démem- brement parliculier de cet os, démembrement qui, dans le crocodile, ou, à parler plus généra- lement, dans la plupart des vertébrés ovipares, sub- divise chacun des deux frontaux des mammifères en trois autres, les frontaux principaux, les anté- rieurs et les postérieurs. Cette détermination des os de la tète du croco- dile, comparés à ceux de la tête des mammifères, une fois établie, il est aisé d'y rapporter comme à une sorte de type les os de la tête de tous les autres reptiles, particulièrement des tortues, des lézards et des serpents. Ainsi, et sauf, comme on pense bien, toutes leurs différences de forme et de proportion, la plupart des os de la tête du crocodile se repro - duisent dans la tête de la tortue : les maxillaires, les intermaxillaires, le vomer, les frontaux prin- cipaux, les antérieurs, les postérieurs, les pala- tins, les Jugaux, etc. ; mais cette tête manque de nasaux, lesquels n'y sont représentés que par des lames carlilagineuses, d'os transverses ou plé- THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 135 rygoidiens externes, de lacrymaux. D'un côté, le pariétal, qui était simple dans le crocodile, est double dans la tortue: mais ce même pa- riélal redevient unique dans les lézards; le la- crymal, l'os transverse, y reparaissent; un os nouveau s'y montre, que M. Cuvier nomme colu- melle, elc. : toutes differences légères, et qui n’empêchent pas qu'on ne reconnaisse partout avec évidence la prédominance d'un même plan dans les têtes des crocodiles, des tortues et des lézards. Une nouvelle et plus difficile étude commence avec les batraciens. D'abord, la composition gént- rale du crâne s'y simplifie singulièrement. I n'y a plus que les deux occipitaux latéraux, sans occi- pital supérieur ni basilaire ; un seul sphénoïde sans ailes temporales ni orbitaires; un seul os y rem- place à la fois le frontal principal et l'ethmoïde ; iln'ya point de frontaux postérieurs ; mais il y a deux frontaux antérieurs, deux pariétaux et deux rochers. La face n'est pas moins simplifiée : car le transverse n'y fait qu'un avec le ptérygoïdien, le temporal n’y fait qu'un avec le tympanique,etiln'v a point de mastoïdien. 136 ANATOMIE COMPARÉE. Le crâne de la grenouille n'a donc que dix os : un ethmoïde, deux frontaux, deux pariétaux, deux occipitaux, un sphénoïde, deux rochers; sa face n'en a que seize : deux intermaxillaires, deux imaxillaires, deux nasaux, deux palatins, deux vomers, deux ptérygoïdiens, deux tympaniques et deux jugaux; en tout, sa tête n'a que vingt- six os, ct celle du crocodile en a près de qua- rante : deux intermaxillaires, deux maxillaires, deux nasaux, deux lacrymaux, deux jugaux, deux palatins, un ethmoïde, six frontaux , quatre occipitaux, quatre temporaux, un sphénoïde, deux grandes ailes, deux ptérygoïdiens imternes, deux ptérygoïdiens externes ou os transver- ses. téic. Et cette différence de nombre se reproduit jus- que dans chaque appareil particulier de la face : ainsi la mâchoire inférieure du crocodile a six os de chaque côté; et chaque côté de la mâchoire de la grenouille n’en a que trois, etc. J'ai dit que l'appareil des vertèbres est, avec celui du crâne, le plus constant; chaque vertèbre peut même être considérée comme un petit appa- reil distinct, ef qui se compose d'un certain nom- THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 137 bre d'os, lequel n'est pas le même pour toutes les vertèbres dans chaque espèce, ni pour chaque verlèbre dans toutes les espèces : l’atlas du cro- codile a six os; son axis en a cinq; l'atlas de la tortue n’en à que quatre; celui du monitor, trois, elc. Mais c'est surtout par leur nombre total que les vertèbres varient d'une classe à l'autre, et jusque dans les différents ordres, dans les différents genres de chaque classe. Pour ne pas sortir ici des repli- les, le crocodile, par exemple, a vingt-six vertèbres, sept cervicales, douze dorsales, cinq lombaires et deux sacrées; on en compile plus de deux cents dans les couleuvres, dans les boas, etc.; la gre- nouille n'en à que neuf. Quant aux autres appareils, comme ils ne sont qu'accessoires, la plupart peuvent manquer, et manquent en effet dans telle ou telle classe, dans tel ou tel ordre, dans tel ou tel genre, ete. Les extrémités postérieures manquent aux célacés, les extrémités antérieures et postérieures manquent aux serpents ; les côtes manquent à la grenouille, l'appareil auriculaire manque aux poissons, etc. Rien n'est plus fait pour donner une idée juste 158 ANATOMIE COMPARÉE. de la manière dont une certaine conformité géné- rale se combine dans certains cas avec toutes les varlalions de détail, que ce qui se voit dans l'épaule, dans le sternum. L'épaule, qui ne se compose dans le mammi- fère que d'un os, l'omoplate, ou de deux, l'omo- plate et la clavicule, en a toujours trois dans l'oiseau : l’omoplate, la clavicule et l'os coracoï- dien ; elle n'en a que deux dans le crocodile, l'omoplate et l'os coracoïdien, la vraie clavicule y manque; elle en a de nouveau trois dans les lé- zards, l’omoplate, l'os coracoïdien, la clavicule ; elle en a deux dans la tortue, l'omoplate, l'os co- racoïdien, et peut-être trois, car on peut y admet- tre une clavicule ; elle en a sûrement quatre dans la grenouille, la clavicule, l'os coracoïdien et une omoplate divisée en deux pièces; et, chose re- marquable, c'est précisément de ces deux pièces de l'omoplate que se compose l'épaule dans les poissons. | Le sternum n'a d'osseux qu'une seule pièce dans le crocodile ; il se compose toujours de neuf pièces dans les tortues; il se rapproche, dans les lézards, de la simplicité qu'il a dans le crocodile; il n'a dans la grenouille que deux pièces ossifiées; TiRÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 159 c'est à peine si l'on retrouve une espèce de ster- num dans quelques poissons ; 1} est, au contraire, très-développé dans les mammifères; on y comple jusqu'à sepl, huit, neuf pièces, placées ordinairement sur une seule ligne ; et, quant aux oiseaux, il a cinq pièces dans les gallinacés, il n'en a plus que deux dans les canards : sa com- position change encore dans les pigeons, dans les passercaux, dans les oiseaux de proie, etc. Ainsi ie sternum ne varie pas seulement d'une classe à l'autre : il varie dans la même classe, et cela jusque dans la classe même des o1- seaux, où néanmoins l'unité, la conformité d'or- ganisation est, en général, si constante et si pro- noncée. Mas, relativement à cecte queshon de l'unité ostéologique des animaux vertébrés, deux appa- reils surtout ont une importance particulière; ce sont les appareils auriculaire et hyvidien. On nomme appareil auriculaire une chaine de petits os placés dans la caisse de l'oreille, et qui vont de la membrane du tympan à la fenêtre ovale. Dans les mammifères, on compte toujours quatre 140 ANATOMIE COMPARÉE. de ces petits os : le marteau, l'enclume, le lenti- culaire et l'étrier; déjà, dans les oiseaux, il n'y en a plus qu'un, formé de deux branches, dont l'une adhère au tympan et dont l'autre s'appuie sur la fenêtre ovale; un seul osselet remplace pareille- ment, dans le crocodile, les quatre petits os de l'oreille des mammifères: c'est un étrier encore plus simple que celui des oiseaux ‘; il n'y a qu’un seul osselet dans les tortues, dans les lézards, dans les serpents; dans la grenouille, la chaîne auricu- laire paraîtrait se compliquer un peu, si elle n'y reslait en grande partie cartilagineuse; enfin, dans les salamandres, dans les sirènes, dans les pro- tées, le dernier osselet auditif lui-même, l'étrier, se réduit à une simple plaque cartilagineuse. Il y a loin de là, sans doute, à l'appareil com- pliqué des mammifères; et quand on suit ainsi, pas à pas, cette simplification successive, quand on arrive ainsi à cette réduction finale de tout l’ap- pareil à une simple plaque cartilagineuse, on sent toute la force de l'opinion de M. Cuvier, que cet ! On pourrait, à la vérité, nommer marteau la branche qui, dans les oiseaux, dans le crocodile, est enchässée dans la mem- brane du tympan; mais toujours n'y aurait-il ni enclume, ni osselet lenticulaires THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 14 appareil, après avoir disparu dans les vertébrés aériens, ne renait pas, tout à coup, dans les pois- sons pour y former les opercules, et que ces oper- cules sont, par conséquent, un appareil spécial et propre à cette dernière classe. Les faits qui concernent la marche inverse de l'appareil hyoïidien, c'est-à-dire son développe- ment graduel des mammifères aux poissons, sont encore plus importants, et, relativement aux thco- ries ostéologiques, plus décisifs. Dans l'homme, cet appareil se compose de cinq parles : d'un corps, de deux branches ou cornes antérieures qui suspendent l'hyoïde au crâne, et de deux branches ou cornes postérieures qui sus- pendent le larynx à l'hyoïde. Dans les mammifères, l'appareil éprouve déjà de notables modifications, dépendant de la forme du corps, de la plus ou moins promple soudure qu'il contracte avec les cornes postérieures, du nombre, de la forme, de la proportion des pièces des cornes antérieures. Dans les oiseaux, les-cornes antérieures ne s’atta- chent plus au crâne, mais elles se bornent à le contourner par derrière; à l'arrière du corps de l'os se soude un os grèle, impair, sur lequel re- 142 ANATOMIE COMPARÉE. pose le larynx, et qui représente, à lui seul, les deux cornes postérieures ; à son avant est un au- tre os qui pénètre dans la langue, c'est l'os lin- qua. L'hyoide du crocodile est un des plus simples. Son corps consiste en une grande et large plaque carlilagineuse, sans vestige bien prononcé de cornes postérieures, et dont les cornes antérieures n'ont d'osseux qu'une seule pièce. - L'hyoïde des lézards est beaucoup plus compli- qué. II a généralement un corps simple; mais il porte quelquefois jusqu'à trois paires de cornes. L'hyoïde des tortues est plus compliqué encore. Le corps lui-même de l'os s'y subdivise quelque- fois en plusieurs pièces; il y porte quelquefois jus- qu'à trois paires de cornes dont chacune se subdi- vise également en plusieurs os, et dans les trionyx, par exemple, la totalité de l'appareil ne comprend pas moins de vingt-cinq pièces osseuses différen- les. Ajoutez que les tortues ont un os Jingual, comme les oiseaux, comme les lézards. Mais c'est surtout dans les batraciens que l'hyoide prend de l'importance, et conduit ainsi, par degrés, à l'hyoïde si riche et si compliqué des THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 145 poissons. On avait eu recours, pour expliquer cette richesse de l'hyoïde des poissons, à une prétendue intercalation qui s'y serait faite de pièces emprun- tées tout à la fois au sternum, au larynx, aux côtes. On sent que la métamorphose de la yre- noulle, qui, dans son premier âge, respire par des branchies, comme les poissons, qui, plus tard, respire par des poumons, comme les animaux terrestres, et dont l'appareil branchial se change petit à peut, et à vue d'œil, en un hyoïle vé- ritable, devait, à cet égard, trancher toute dif- ficulté. M. Cuvier a donc étudié toute cette singulière métamorphose ; il l'a suivie dans tous ses progrès; il a vu successivement tomber les branchies, les arcs branchiaux; il a vu se dessiner, à mesure, l'hyoïde propre de la grenouille adulte; et dans aucun temps, même au temps de la plus grande complication, au temps où existaient les arcs branchiaux, les branchies, ni le sternum, ni le larynx, n'ont pris ni pu prendre aucune part à toute cette composition; car l'appareil branchial subsiste fort nettement encore, et avec toutes ses pièces, avec ses arcs branchiaux, ses branchies, que l'on voit déjà très-bien le larynx avec les pou- 8 144 ANATOMIE COMPARÉE. mons qui en dépendent et le sternum avec les os qui s’y appuient. L'hyoïde de la salamandre se métamorphose comme celui de la grenouille; et de même l'ap- pareil branchial y subsiste fort distinctement en- core que déjà le larynx, les poumons, le sternum se montrent; et tout cela prend une nouvelle force par ce qui se voit, avec tant d'évidence, dans l'axo- lotl, dans le protée, dans la sirène, animaux où l'appareil branchial existe simultanément, et d'une manière constante, avec le larynx, la trachée- artère, etc. L'appareil branchial n'est donc qu’un appareil hyoïdien plus compliqué, et non un ap- pareil résultant de la combinaison de pièces étran- sères et provenues d'appareils voisins. Chaque appareil a donc sa constitution propre, il a ses accroissements, ses décroissements mar- qués; ses parties changent d'une classe à l'autre, de forme, de nombre, de complication, et ce sont ces changements rèmes qui déterminent les carac- tères organiques des classes, des ordres, des gen- res, des espèces. Que doit-on donc entendre par unité, ou, à parler plus exactement, par confor- milé d'organisation, par conformité de plan, dans THÉORIES OSTÉOLOGIQUES. 445 les animaux vertébrés, du moins en ce qui con- cerne leur système osseux, smon un ensemble d'a- nalogies graduées, plus constantes dans les appa- reils essentiels, plus variables dans les appareils accessoires, et dont la limite ne peut être donnée, pour chaque appareil, que par l'étude directe et suivie de toutes les modifications de cet appareil dans toutes les classes ? Or cette étude suivie d’un appareil dans toutes les classes, et de toutes les modifications graduées qu'il éprouve d'une classe à l’autre, est précisé- ment ce qui constitue le trait le plus prononcé de la méthode de M. Cuvier, et le point qui doit peut- être fixer le plus l'attention des bons esprits; car c'est toujours de la seule rigueur, et, pour dire quelque chose de plus, de la seule adaptation spé- ciale de la méthode à son objet, que dépend toute l'exactitude des résultats. Or de quoi s'agit-il ici? de suivre, de recon- naitre un appareil à travers toutes ses métamor- phoses de nombre, de forme, de complication de parties. Et, dès lors, n'est-il pas visible qu'il suffi- rait de perdre une seule métamorphose intermé- diaire pour ne plus se reconnaitre dans les sui- 146 ANATOMIE COMPARÉE. vantes, pour perdre le fil qui les lie les unes aux autres, pour perdre l'appareil lui-même? Le prin- cipe des modifications suivies el graduées, em- ployé par M. Cuvier, est donc un des moyens d'in- vestigation les plus féconds, les plus ingénieux dont il ait enrichi la science, et le seul qui puisse donner, d'une manière sûre et précise, et la déter- mination de chaque appareil, et la limite de ses analogies ou de ses dissemblances dans chaque classe. Le principe des modifications suivies et g'aduées est le seul criterium assuré des théories ostéolo- giques. TM 'e PALÉONTOLOGIE". Du livre intitulé: Recherches sur les ossements fossiles OU L’ON RÉTABLIT LES CARACTÈRES DE PLUSIEURS ANIMAUX DONT LES RÉVOLUTIONS DU GLCBE ONT DÉIRUIT LES ESPÈCES. La première édition de ce grand ouvrage*, pu- al” bliée en 1812, n'était guère que la réunion des mémoires insérés successivement par l'auteur 1 M. Cuvier n’a jamais employé le mot paléontologie. H a créé la chose, c’est-à-dire la science, et non pas le mot. 1 a dit: Recherches sur les ossements fossiles, cl non paléontologie, de ième que Buf- fon disait: Histoire des animaux, et non zoologie, Histoire de la terre, el non géologie. On ne songe à faire un nom pour une seience que lorsque cette science est déjà assez avancée; mais alors ce nom arrive bientôt, car il est nécessaire. ? La troisième édition, la dernière qui ait paru du vivant de l’au- teur, se compose de sept volumes (ou parties de volumes) grand in-4°. M. Frédéric Cuvier (frère de Georges) en a publié, de 1834 à 1856, une nouvelle édition en dix volumes in-8. Pr. 148 PALÉONTOLOGIE dans les Annales du Muséum d'histoire naturelle. La seconde parut de 1824 à 1824 : elle est non- seulement enrichie d'un grand nombre de faits nouveaux, mais l'ouvrage entier s'y montre re- fondu dans son ensemble, et mis dans un ordre plus méthodique. La troisième est de 1828, et se distingue de la seconde par quelques développe- ments ajoutés à l’Introduetion, morceau plusieurs fois imprimé à part, et devenu célèbre sous le titre de Discours sur les révolutions de la surfuce du globe. Tout, dans ce grand ouvrage, est presque èga- lement neuf, les faits, les résultats, la méthode; et trois sciences à la fois, la géologie, la zoologie, l'anatomie comparée, semblent s'y être réumies pour produire le plus bel ensemble de lois géné- rales que possède l'histoire naturelle, et pour jeter un jour inattendu sur les populations antiques du globe. ÉTUDE DES ÊTRES PERDUS. 149 II Coup d'œil historique sur l'étude des êtres perdus ‘ Tout le monde sait aujourd'hui que le globe que nous habitons présente, presque partout, des traces irrécusables des plus grandes révolutions. Les productions de la création actuelle, de la nature vivante, recouvrent partout les débris d'une création antérieure, d'une nature détruite. D'une part, des amas immenses de coquilles et d'autres corps marins se trouvent à de grandes distances de toute mer, à des hauteurs où nulle mer ne saurait atteindre aujourd'hui; et de là sont venus les premiers faits à l'appui de toutes ces traditions de déluges, conservées chez tant de peuples. D'autre part, les grands ossements découverts à divers intervalles dans les entrailles de la terre, dans les cavernes des montagnes, etc., ont fait naitre ces autres traditions populaires, non moins ! Je tire ce Coup d'œil historique de mon Éloge de Cuvier. (Voyez le premier volume de mes Æloges historiques. 150 PALÉONTOLOGIE. répandues et non moins anciennes, de races de géants qui auraient peuplé le monde dans ses premiers âges. Les traces des révolutions de notre globe ont donc frappé de tout temps l'esprit des hommes; mais elles l'ont frappé longtemps en vain, et d'un étonnement stérile. Longtemps même l'ignorance a été portée à ce point qu'une opinion à peu près générale, el je ne parle plus d'une opinion populaire, je parle de l'opinion des savants et des philosophes, regardait les pierres chargées d'empreintes d'animaux ou de végétaux, et les coquillages trouvés dans la terre, comme des jeux de la nature. « Il a fallu, dit Fontenelle, qu'un polier de terre, « qui ne savait ni latin n1 grec, osât, vers la fin du « seizième siècle, dire dans Paris, et à la face de « tous les docteurs, que les coquilles fossiles étaient « de véritables coquilles déposées autrefois par la « mer dans les lieux où elles se trouvaient alors, « que des animaux avaient donné aux pierres figu- « rées loutes leurs différentes figures, et qu'il dé- « fiàt hardiment toute l'école d'Aristote d'attaquer « SES Preuves. » Ce potier de terre élait Bernard Palissy, immor- e À ÉTUDE DES ÊTRES PERDUS. 151 tel pour avoir fait à peine un premier pas dans celte carrière, parcourue depuis par {ant de grands hommes, et qui les a conduits à des dé- couvertes si élonnantes. A la vérité, les idées de Palissy ne pouvaient guère être remarquées à l'époque où elles parurent: etce n'a été que près de cent ans plus tard, c'est-à- dire vers la fin du dix-septième siècle, qu’elles ont commencé à se réveiller, et, pour rappeler encore une expression de Fontenelle, à faire la fortune qu'elles méritaien£. Mais dès lors aussi on s'est occupé avec tant d'activité à rassembler les restes des corps or- ganisés enfouis sous l'écorce du globe, à étudier les couches qui les recèlent; et, sous ces deux rapports, les faits se sont tellement el si rapide- ment multiphés, que quelques esprits élevés et hardis n'ont pas craint dès lors même de chercher à en embrasser la généralité dans leurs théories, et d'essayer de remonter ainsi à leurs causes. C'est en effet à partir de la fin du dixseptième siècle et de la première moitié du dix-huitième qu'ont paru successivement les systèmes fameux de Burnet, de Leibnitz, de Woodward, de Whiston, de Buffon; efforts prématurés sans doute, mais 152 PALÉONTOLOGIE qui eurent du moins cet avantage d'accoutumer l'esprit humain à porter enfin une vue philoso- phique sur ces étonnants phénomènes, et à oser se mesurer avec EUX. Un autre avantage, et plus précieux encore, c’est que tous ces efforts, excitant les esprits, ame- nèrent bientôt, de toutes parts, des observations plus nombreuses, plus précises, plus complètes, dont le premier effet fut de renverser ce que des conceptions trop précipitées avaient d'imaginaire et d'absurde; et le second, de fonder sur leurs débris mêmes la véritable théorie, l'histoire posi- tive de la terre. Le dix-huitième siècle, qui a marché si vite en tant de choses, n'a rien vu peut-être de plus ra- pide que les progrès de la science qui nous occupe. Ce même siècle, qui, dans sa première moitié, avait vu ou s'élever ou tomber tous ces systèmes dont je viens de parler, édifices brillants et fragiles, a vu poser dans la seconde, par les mains des Pal- las, des Deluc, des de Saussure, des Werner, des Blumenbach, des Camper, les premiers fondements du monument durable qui devait leur succéder. Parmi ces progrès, je dois surtout rappeler ici ÉTUDE LES ÊTRES PERDUS. 155 ceux qui se rapportent aux dépouilles fossiles des corps organisés. Ce sont en effet ces restes des corps organisés, témoins subsistants de tant de révolutions, de tant de bouleversements éprouvés par le globe, qui ont fait naître les premières hypothèses de la géologie fantastique; et ce sont encore ces restes qui ont fini par donner, entre les mains de M. Cuvier, les résultats les plus évidents, les lois les plus assu- rées de la géologie positive. Les recherches de M. Cuvier ont eu principale- ment pour objet les ossements fossiles des quadru- pèdes : partie du règne animal jusqu'alors peu étudiée sous ce nouveau point de vue, et dont l'étude devait néanmoins conduire à des consé- quences bien plus précises, bien plus décisives que celle de toute autre classe. J'ai déjà parlé de ces grands ossements fossiles découverts à différentes époques, et de ces idées ridicules de géants, qui se renouvelaient à chaque découverte qu'on en faisait. Daubenton, a, le premier, détruit toutes ces idées; 1l a, le premier, appliqué l'anatomie com- parée à la détermination de ces os; mais, ainsi qu'il l'avoue lui-même, cette science était loin d'être 154 PALÉONTOLOGIE assez avancée encore pour donner dans tous les cas, et donner avec cerlitude, l'espèce ou le genre d'animal auquel un os inconnu, un os isolé, pou- vait appartenir ; et tel était pourtant le problème à résoudre. Le mémoire où Daubenton a tenté, pour la pre- mière fois, la solution de ce problème important est de 1762. En 1769, Pallas publia son premier mémoire sur les ossements fossiles de Sibérie. On n'y put voir sans étonnement la démonstration de ce fait que l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, tous animaux qui ne vivent actuellement que sous la zone torride, avaient habité autrefois les con- trées les plus septentrionales de nos continents. Le second mémoire de Pallas dut beaucoup plus élonner encore; car il y rapporte ce fait, qui parut alors à peine croyable, d'un rhinocéros trouvé tout entier dans la terre gelée, avec sa peau et sa” chair ; fait qui s’est renouvelé, depuis, dans cet éléphant découvert en 1806 sur les bords de Ja mer Glaciale, et dont toutes les parties étaient si bien conservées que les chiens et les ours purent s’en disputer et en dévorer les chans. L'éveil une fois donné par Pallas, on trouva ÉTUDE DES ÊTRES PERDUS 155 bientôt de ces dépouilles d'animaux du Midi, non- seulement dans les pays du Nord, mais dans tous les pays de l'ancien comme du nouveau monde. Buffon se hâta d'en déduire son système du refroidissemont graduel des régions polaires et de l'émigration successive des animaux du Nord au Midi. Mais le dernier fait observé par Pallas, et que je viens de citer, renversait déjà ce système. Ce fait démontre effectivement que le refroidissement du globe, loin d'avoir été graduel, a nécessaire- ment été, au contraire, subit, instantané, sans aucune gradalion ; 1} démontre que le même instant qui a fait périr les animaux dont il s'agit a rendu glacial le pays qu'ils habitaient, car, s'ils n'eussent été gelés aussitôt que tués, ils n'auraient pu nous parvenir avec leur peau, leur chair, toutes leurs parties, el toutes ces parties parfaitement conservées. L'hypothèse du refroidissement graduel ne pou- vant plus être soutenue, Pallas y substitua celle d'une irruption des eaux venues du sud-est ; irruption qui, selon lui, aurait transporté dans le Nord les animaux de l’Inde. Mais cette seconde hypothèse ne s'est pas 9 156 PALÉONTOLOGIE. trouvée mieux fondée que la première; car les animaux fossiles sont très-différents de ceux de l'Inde, et même de tous les animaux aujourd'hui vivants : dernier fait qu'il était réservé à M. Cu- vier de mettre dans tout son jour. Nous avons vu comment, vers la fin du seizième siècle, Bernard Palissy avait osé, le premier parmi les modernes, avancer que les ossements, les empreintes, les coquillages fossiles, regardés pen- dant si longlemps comme des jeux de la nature, étaient les restes d'êtres réels, les véritables dé- pouilles de corps organisés. En 1670, Augustin Scilla renouvela l'opinion de Palissy et la soutint avec force. Peu après, en 1683, Leibnitz lui donna l'autorité de son nom et de son génie. Enfin, dès la première moitié du dix-.s huitième siècle, Buffon la reproduisit avec plus d'éclat encore, et la rendit bientôt populaire. Mais ces êtres organisés, dont les débris innom- brables se montrent répandus partout, sont-ils les analogues de ceux qui vivent aujourd'hui, soit sur les lieux mêmes où l'on trouve ces débris, soit dans d'autres lieux? ou bien leur espèce, leur ÉTUDE DES ÊTRES PER DUS. 157 senre, ont-ils péri, et sont-ils entièrement perdus? C'est là qu'est toute la difficulté, et l'on peut croire que celte difficulté n'aurait jamais été ré- solue, du moins avec une certitude complète, tant que l’on s'en serait tenu, par exemple, à l'étude des coquilles fossiles ou des poissons. On aurait eu beau trouver, en effet, de nou- velles coquilles, de nouveaux poissons inconnus, on aurait pu toujours supposer que leur espèce vivait encore, soit dans des mers éloignées, soit à des profondeurs inaccessibles. I n'en est pas, à beaucoup près, ainsi pour les quadrupèdes. Leur nombre est beaucoup plus borné, surtout pour les grandes espèces; on peut done espérer de parvenir à les connaitre toutes; -ilest donc infiniment plus facile de s'assurer si des os inconnus appartiennent à l'une de ces es- pèces encore vivantes, ou s'ils viennent d'espèces perdues. C'est là ce qui donne à l'étude des quadrupédes fossiles une importance propre, el aux déductions que l'on peut en tirer une farce que ne sauraient avoir les déductions tirées de l'étude de la plupart des autres classes. 158 l'ALÉONTOLOGIE. Buffon semble l'avoir senti. C'est priucipale- ent, en effet, sur les grands ossements fossiles de la Sibérie et du Canada qu'il chercha d'abord à appuyer la conjecture (car, vu l'état de l'anatomie comparée à l'époque où il écrivait, ce ne pouvait ètre encore qu'une conjecture) de certaines es- pèces perdues. Et d'ailleurs cette conjecture même était si peu établie dans son esprit, qu'après avoir regardé, dans sa Théorie de la Terre, tous les animaux auxquels ces os extraordinaires ont appartenu comme des animaux perdus, 1l déclare ensuite, dans ses Époques de la Nature, qu'il ne reconnait plus qu'une seule espèce perdue, celle qui a été nommée plus tard mastodonte, et que tous les autres os dont il s’agit ne sont que des os d’élé- phants et d’hippopotames. Camper alla beaucoup plus loin; et cela devait être, car l'anatomie comparée n'avait cessé de marcher à grands pas depuis Buffon. Aussi, dès 1787, dans un mémoiré adressé à Pallas, Camper énonce-t-il hautement l'opinion que certaines espèces ont été détruites par les catastrophes du globe; et il fait plus: il l'appuie des premiers faits réellement positifs, quoique fort ÉTUDE DES ÊTRES PERDUS. 159 incomplets encore, qui aient été avancés pour la soutenir. Ainsi donc, à mesure que la détermination des ossements fossiles a fait des progrès, l'idée d’ani- maux perdus en à fait aussi, et c'est toujours à la lumière de l'anatomie comparée que ces progrès ont été faits. C’est, en effet, cette lumière de l'anatomie com- parée qui avait jusque-là manqué à tant de recher- ches laborieuses de tant de naturalistes. Mais il est aisé de voir que vers l’époque dont je parle, c’est: à-dire vers la fin du dix-huitième siècle, tout se préparait pour amener la solution cherchée depuis si longtemps, et qu'on touchait enfin, sur ces étonnants phénomènes , au moment de quelque découverte, de quelque résultat complet et dé- finitif. Le 1” pluviôse an IV, jour de la première séance publique qu'ait tenue l'Institut National, M. Cuvier lut devant ce Corps assemblé son mé- moire sur les espèces d'éléphants fossiles, compa- rées aux espèces vivantes. C'est dans ce mémoire qu'il annonce, pour la première fois, ses vues sur les animaux perdus. | 160 PALÉONTOLOGIE. Et, en effet, il ne se borne pas à y démontrer que l'éléphant fossile est une espèce distincte des espèces actuelles, une espèce éteinte, une espèce perdue; il déclare nettement que le plus grand pas qui puisse être fait vers la perfection de la théorie de la terre serait de prouver qu'aucun de ces animaux, dont on trouve les dépouilles répandues sur presque tous les points du globe, n'existe plus aujourd'hui. Il ajoute que ce qu'il vient d'établir pour l'élé- phant, 1 l'établira bientôt, d'une mapière non moins incontestable, pour le rhinocéros, pour l'ours, pour le cerf, etc., fossiles, toutes espèces également distinctes des espèces vivantes, toutes espèces également perdues. Enfin, il termine par cette phrase remarquable, et dans laquelle il semblait annoncer tout ce qu'il a découvert depuis. « Qu'on se demande, dit-il, pourquoi l'on trouve = « tant de dépouilles d'animaux inconnus, tandis « qu'on n'en trouve aucune dont on puisse dire = « qu'elle appartient aux espèces que nous connais- «sons, el l'on verra combien il est probable « qu'elles ont toutes appartenu à des êtres d’un « monde antérieur au nôtre, à des êtres détruits ÉTUDE DES ÊTRES PERDUS. 461 « par quelques révolutions du globe, à des êtres « dont ceux qui existent aujourd’hui ont rempli la « place. » L'idée d’une création entière d'animaux anté- rieure à la création actuelle, l'idée d'une création entière détruite et perdue, venait donc enfin d'être conçue dans son ensemble ! Mais, pour transformer en un résultat positif et démontré cette vue si vaste et si élevée, il fallait rassembler de toutes parts les dépouilles des ani- maux perdus ; il fallait les revoir, les étudier toutes sous ce nouvel aspect; il fallait les comparer toutes, et l'une après l'autre, aux dépouilles des animaux vivants; il fallait, avant tout, créer et déterminer l'art même de cette comparaison. Or, pour bien concevoir toutes les difficultés de cette méthode, de cet art nouveau, il suffit de re- marquer que les débris, que les restes des ani- maux dont il s’agit, que les ossements fossiles, en un mot, sont presque toujours isolés, épars; que souvent les os de plusieurs espèces, et des espèces les plus diverses, sont mêlés, confondus ensemble; que presque toujours ces os sont mutilés, brisés, réduits en fragments. 162 PALÉONTOLOGIE. Il fallait done imaginer une méthode de recon- naitre chaque os, et de le distinguer de tout autre avec certitude; il fallait rapporter chaque os à l'es- pèce à laquelle il appartient ; il fallait reconstruire enfin le squelette complet de chaque espèce, sans omettre aucune des pièces qui lui étaient propres, sans en intercaler aueune qui lui fût étrangère. Que l'on se représente ce mélange confus de débris mutilés et incomplets, recueillis par M. Cu- vier; que l’on se représente, sous sa main habile, chaque os, chaque portion d'os allant reprendre _sa place, allant se réunir à l'os, à la portion d'os à laquelle elle avait dû tenir ; et toutes ces espèces d'animaux, détruites depuis tant de siècles, re- naissant ainsi avec leurs formes, leurs caractères, leurs attributs, et l'on ne croira plus assister à une simple opération anatomique, on croira assis- ter à une sorte de résurrection, et, ce qui n'ôlera sans doute rien au prodige, à une résurrection qui s'opère à la voix de la science et du génie. Je dis à la voix de la science : la méthode em- ployée par M. Cuvier pour cette reconstruction merveilleuse n'est en effet que l'application des règles générales de l'andtomie comparée à la déter- mination des ossements fossiles. ÉTUDE DES ÊTRES PER DUS. 465 On a déjà vu‘ comment un principe ralion- net, celui de la subordination des organes, partout appliqué, partout reproduit dans l'établissement des groupes de la méthode, avait changé la face de la classification du règne animal. Le principe qui a présidé à la reconstruction des espèces perdues est celui de la corrélation des formes*, principe au moyen duquel chaque partie d'un animal peut être donnée par chaque autre, et toutes par une seule. Dans une machine aussi compliquée, et néan- moins aussi essentiellement une, que celle qui constitue le corps animal, il est évident que toutes les parties doivent nécessairement êfre disposées les unes pour les autres, de manière à se corres- pondre, à s'ajuster entre elles, à former enfin, par leur ensemble, un être, un système unique. - Une seule de ces parties ne pourra donc changer de forme sans que toutes les autres en changent nécessairement aussi. De la forme de l’une d'elles on pourra donc conclure la forme de toutes les autres. Supposez un animal carnivore, 1 aura nécessai- Au chapitre intitulé : ZooLocir. ? Voyez le chapitre intitulé : ANATOMIE COMPARÉE. 164 PALÉONTOLOGIE. rement des organes des sens, des orgunes du mou- vement, des doigts, des dents, un estomac, des in- testins, disposés pour apercevoir, pour atteindre, pour saisir, pour déchirer, pour digérer une proie; et loutes ces conditions seront rigoureusement enchainées entre elles ; car, une seule manquant, toutes les autres seraient sans effet, sans résultat ; l'animal ne pourrait subsister. Supposez un animal herbivore, et tout eetensem- ble de conditions aura changé. Les dents, les doigts, l'estomac, les intestins, les organes du mouvement, les organes des sens, toutes ces parties auront pris de nouvelles formes, et ces formes nouvelles seront toujours proporlionnées entre elles, et relatives les unes aux autres. De la forme d'une seule de ces parties, de la forme des dents seules, par exemple, on pourra donc conclure, et conclure avec certitude, la forme des pieds, celle des mächoires, celle de l'estomac, celle des intestins. Cette méthode précise, rigoureuse, de démêler, de distinguer les os confondus ensemble; de rap- porter chaque os à son espèce; de reconstruire enfin l'animal entier d'après quelques-unes de ses TS ————————— ÉTUDE DES ÊTRES PERDUS. 165 parties, cette méthode une fois. conçue, ce ne fut plus par espèces isolées, ce fut par groupes, par masses, que reparurent toutes ces populations éteintes, monuments antiques des révolutions du globe. , On put dès lors se faire une idée non-seulement de leurs formes extraordinaires, mais de la multi- tude prodigieuse de leurs espèces. On vit qu'elles embrassaient des êtres de toutes les classes : des quadrupèdes, des oiseaux, des reptiles, des pois- sons, jusqu'à des crustacés, des mollusques, des zoophytes. Je ne parle ici que des animaux, et cependant l'étude des végétaux fossiles n'offre pas des consé- quences moins curieuses que celles que l'on a t- rées du règne animal lui même. Tous ces ètres orgomsés, toutes ces premières populations du globe, se distinguent par des ca- ractères propres, et souvent par les caractères les plus étranges, les plus bizarres. Parmi les quadrupèdes, par exemple, se présen- tent d'abord le paléothérium, Y'anoplothérium, ces genres singuliers de pachydermes, découverts par M. Cuvier dans les environs de Paris, et dont au- _" 166 PALÉONTOLOGIE. cune espèce n’a survécu, dont aucune n'est parve- nue jusqu'à nous. Après eux venait le mammouth, cet éléphant de Sibérie, couvert de longs poils et d’une laine gros- sière; le mastodonte, cet animal presque aussi grand que le mammouth, et que ses dents, hérissées de pointes, ont fait regarder pendant longtemps comme un éléphant carnivore; et ces énormes paresseux, animaux dont les espèces actuelles ne dépassent pas la taille d’un chien, et dont quelques espèces perdues égalaient, par la leur, les plus grands rhinocéros. Les reptiles de ces premiers âges du monde étaient plus extraordinaires encore, soit par leurs proporlions gigantesques, car 1l y avait des lézards grands comme des baleines; soit par la smgularité de leur structure, car les uns avaient l'aspect des cétacés où mammifères marins, et les autres le cou, le bec des oiseaux et jusqu'à des sortes d'ailes. Ajoutons que tous ces animaux ne vivaient point à une même époque. M. Cuvier compte jusqu’à trois générations, jusqu'à trois populations successivement créées et détruites. ÉTUDE DES ÊTRES PERDUS. 167 La première comprenait des mollusques, des poissons, des reptiles, tous ces reptiles monstrueux dont je viens de parler; il s'y trouvait déjà quel- ques mammifères marins, mais 1l ne s’y trouvait aucun ou presque aucun mammifère terrestre. La seconde se caractérisait surtout par ces genres singuliers de pachydermes que je rappelais tout à l'heure; et c'est dès lors seulement que les mammifères terrestres commencent à dominer. La troisième est celle des mammouths, des mas- todontes, des rhinocéros, des hippopotames, des paresseux gigantesques. Un fait bien remarquable, c'est que, parmi tous ces animaux, on n'a point trouvé l’homme ‘. L'es- pèce humaine n'a donc été la contemporaine ni de toutes ces races perdues, ni de toutes ces catastrophes épouvantables qui les ont détruites. Après l'âge des reptiles, après celui des pre- miers mammifères terrestres. après celui des mammouths et des mastodontes, est donc venue une quatrième époque, une quatrième succession d'ê- tres créés, celle qui constitue la population actuelle, 1 M. Cuvier croyait aussi qu'il n’y avait point de singes, de qua- drumanes. On y en a trouvé depuis. 168 PALÉ ONTOLOGIE. celle que l'on peut appeler l'âge de l'homme, car c'est de cet âge seulement que date l'espèce hu- maine. La création du règne animal a done éprouvé plusieurs interruptions, plusieurs destructions successives; et ce qui n’est pas moins étonnant, cest qu'il y a eu une époque, et la première de toutes, où aucun être organisé, aucun animal, aucun végétal, n'existait sur le globe. Ainsi il y a eu une première époque où les êtres organisés n'exislaient point, car les terrains pri- milifs ou primordiaux ne contiennent aucun de leurs restes; ainsi les reptiles ont dominé dans l'époque suivante, car leurs restes abondent dans les terrains qui succèdent aux primitifs; ainsi la surface de la terre a été plusieurs fois recouverte par les mers, et plusieurs fois mise à sec, car les restes d'animaux marins recouvrent tour à tour les restes d'animaux terrestres, et sont tour à tour recouverts par eux. RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 169 III Reconstruction des espèces fossiles. Le grand objet de M. Cuvier a été la recons- truction, la restitution des espèces fossiles. Dans celte vaste étude, son attention s’est prin- cipalement portée sur deux classes des animaux vertébrés : les mammifères et les reptiles. Il commence par les pachydermes; 11 continue par les ruminants, les carnassiers, les rongeurs, les édentés, les cétacés; 11 finit par les reptiles. Le résultat fondamental de tout son livre! est qu'aucune ? espèce fossile, du moins dans les deux classes dont il s'agit, n’a son analogue parmi les ! Voyez ce que j'ai déjà dit de ce livre, p. 147 et suivantes. ? Ou presque aucune. Voyez ce que je dis plus loin de quelques espèces, par exemple des bœufs et des chevaux fossiles, qu’on n’a pu distinguer encore par des caractères bien sûrs des bœufs et des chevaux d'aujourd'hui. 470 PALÉONTOLOGIE. PT, espèces vivantes, ou, en d'autres termes, que toute espèce fossile est une espèce perdue. Je commence, avec M. Cuvier, cette grande revue des espèces perdues, par les pachydernes. Cetle famille, si remarquable, des pachydermes avait été presque entièrement méconnue par Lin- næus. Storr, qui l'avait beaucoup mieux sentie, la caractérise par cette définition : mammüfères à sa- bots, à plus de deux doigts. Mais, sans parler de l'anoplothérium, genre fossile qui n'a que deux doigts seulement, et qui n'en est pas moms un vrai pachyderme, il est évident, à consulter l'en- semble de la structure, que les solipèdes doivent être réunis aux pachydermes ordinaires. Le nombre des doigts ne peut donc pas plus être pris en con- sidéralion dans cette famille que dans les autres. M. Cuvier la définit : animaux à sabots, non rumi- nants. Jusqu'à lui, l'ordre ou la famille des pachy- dermes ne comprenait que cinq genres: les élé- phants, les rhinocéros, les hippopotames, les tapirs et les cochons. M. Cuvier y fait rentrer deux autres genres, les chevaux et les damans : 1 en détache RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 471 un de celui des éléphants, les mastodontes ; deux de celui des cochons, les pécaris et les phacochæ- res ; et il en ajoute six entièrement inconnus, les palæothériums, les anoplothériums, les lophiodons, les anthracothériums, les chæropotames et les ada- pis: ce qui porte, en tout, le nombre des genres de pachydermes, découverts ou décrits par lui, à seize. Considérés dans leurs rapports avec les révolu- tions du globe, les pachydermes fossiles forment deux groupes, savoir : les pachydermes des ter- rains meubles et d'alluvion, et les pachydermes des carrières de pierre à plâtre, si abondamment ras- semblés dans les environs de Paris. Les premiers sont les éléphants, les mustodon- les, les hippopotames, les rhinocéros, les che- vaux, elc., fossiles. Les seconds sont les palæothe- riums , les anoplothériums , les lophiodons , les anthracothériums, les chæropotames, les adapis. Toutes les espèces du premier de ces deux groupes sont aujourd'hui perdues, mais la plu- part de ses genres subsistent. Il n'en est pas de même du second, où tout, genres et espèces, est également perdu. lei, comme dans le reste de son ouvrage, l'au- 172 PALÉONTOLOGIE. teur ne s’est nullement astreint ni à un ordre ri- goureusement géologique ni à un ordre rigou- reusement zoologique. En plaçant, par exemple, les pachydermes des terrains meubles avant les pa- chydermes des carrières à plâtre, il renverse l’or- dre géologique ; en les séparant les uns des autres, il rompt, jusqu'à un certain point, l'ordre z0olo- gique ; mais, ce qui était bien autrement impor- tant, il nous conserve la suite, le fil de ses idées et de ses recherches. En effet, c'est par l'étude des éléphants, des rhinocéros, des hippopotames fossiles, que M. Cu- vier a commencé la démonstration de ce grand fait, que des générations entières d'animaux ont été successivement détruites par les catastrophes du globe; et cette démonstration, 1l l'avait déjà fort avancée avant de connaitre les pachydermes fossiles des ehvirons de Paris, « avant de se dou- « ter, comme il le dit lui-même, qu'il marchait «sur un sol rempli de dépouilles plus extraordi- « naires que toutes celles qu'il avait vues Jjus- « que-là. » Je viens de dire que l'histoire des pachydermes fossiles commence par les pachydermes des ter- RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 175 rains meubles et d’alluvion. Le premier de ces animaux qui ait été étudié par M. Cuvier, sous ce nouveau point de vue de la comparaison des espèces fossiles avec les espèces vivantes, est l'éléphant. Jusque-là, presque tout était également mconnu sur ce singulier quadrupède. On ne savait, du moins avec quelque précision, ni s'il n'y avait qu'une seule espèce d’éléphants, ni s’il y en avait plusieurs, ni, à plus forte raison, si les ossements fossiles se rapportaient ou non aux espèces vi- vantes. La première distinclion vraiment spécifique de ces animaux, celle qui se fonde sur la structure de leurs dents molaires, remonte seulement à Camper. Blumenbach avait aussi vu cette diffé- rence de la forme et du nombre des plaques des dents molaires, qui distingue l'éléphant d'Afrique de l'éléphant des Indes ; mais tout se réduisait en- core là ; et c'est à M. Cuvier que l'on doit la déter- mination de toutes les autres différences, tirées des os du crâne, de ceux de la face, de ceux du squelette entier. On sent, en effet, que ce n'était qu'après avoir 174 | PALÉONTOLOGIE, fait connaitre l'ostéologie des espèces vivantes, que ce n'était qu'après avoir rigoureusement démêlé ces espèces elles-mêmes, qu'il pouvait se livrer, avec sûreté, à l'étude des espèces fos- siles. Il montre que les deux espèces vivantes, celle des Indes et celle d'Afrique, se distinguent par tout leur squelette, et surtout par leur crâne, leurs dents, leurs oreilles, etc. Ainsi l'espèce des Indes a la tête longue et le front plat ou même concave, tandis que celle d'Afrique a la‘tête ronde et le front convexe ; la première a les plaques de ces dents molaires en forme de rubans ondoyants ou feston- nés, la seconde à ces mêmes plaques en losanges; celle-ci a ses défenses plus grandes, ses oreilles plus larges que la première, etc. Quant à l'espèce fossile, ou mammouth des Russes, elle se distingue essentiellement des deux espèces vivantes, et en particulier de l'espèce des Indes, dont elle est pourtant la plus voisine, par ses molaires dont les rubans sont plus étroits et plus droits, par lesalvéoles de ses défenses quisont plus longs, par sa mâchoire inférieure qui est plus ob- tuse, elc.; enfin, l'individu entier, découvert en 1806, sur les côtes de Sibérie, nous à appris RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 155 qu'elle avait deux sortes de poils, une lame rousse, grossière, touffue, et des crins roides el Noirs *. Ajoutez qu'on ne trouve les os de celte dernière espèce qu'à l'état fossile, et que l'on ne trouve Jja- mais, au contraire, à cet état fossile les os d'au- cune des deux autres espèces. L'espèce fossile est donc une espèce perdue. Ajoutez encore que ces os, répandus dans presque tous les pays du monde, se trouvent toujours dans les mêmes couches que ceux des mastodontes, des rhinocéros, des hippo- potames. Toutes ces espèces sont done du même âge, de la même époque ; et toutes, comme nous le verrons bientôt, sont également perdues. Parmi ces espèces, celle qui se rapproche le plus de l'éléphant est le mastodonte. H en avait la taille, la forme ; il avait des pieds de même struc- Lure ; il avait comme lui une trompe, de longues défenses ; mais 1l en différait essentiellement, par 1 Les os qui furent montrés à Paris, vers le commencement du dix-septième siècle, par un chirurgien de Beaurepaire, nommé Mazurier, comme étant les os du roi Teutobochus; ces os, sujet fa- meux des longues disputes d’'Habicot et de Riolan, sont aujourd'hui au Muséum. Ils n'appartiennent pas à l'éléphañt, aimsi que l'avait cru Riolan, mais au mastodonte. 476 PALÉONTOLOGIE. ses dents molaires, qui, au lieu d'être formées de lames transversales, offraient une couronne simple et toute hérissée de tubercules ou mame- lons. Le mastodonte est le plus grand des animaux fossiles‘. C'est à propos de cet animal que Buffon a écrit ces mots remarquables : « Tout porte à croire que cette ancienne espèce, qu'on doit re- garder comme la première et la plus grande de tous les animaux terrestres, n'a subsisté que dans les premiers temps et n'est point parvenue jus- qu'à nous. » se Cependant Daubenton avait cru pouvoir rap- porter une partie de ses os à l'éléphant, et une ! Depuis M. Cuvier, on a découvert un pachyderme fossile plus grand encore que le mastodonte : c’est le dinothérium, dont M. Kaup a trouvé, en 1829, une mächoire inférieure dans les sablières d'Ep- pelsheim, et M. Klipstein, en 1856, un crâne entieg dans ces mêmes sablières. Le dinothérium portait deux défenses, mais à la mâchoire infé- tieure, et recourbées vers la terre. Les défenses de l'éléphant et du maslodonte sont à la mâchoire supérieure et recourbées en haut. M. Cuvier qui n'a connu, du dinothérium, : que les dents mo- laires, l'avait pris pour un énorme lapir, et l'avait nommé {apir gigantesque. On connaît déjà plusieurs espèces de dinothérium: le dinothérium giganteum, le dinothérium Cuvieri, ete. osé RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 177 autre partie à l'hippopotame. W. Hunter fit voir que le mastodonte diffère sensiblement de l'un et de l’autre de ces deux animaux; Camper montra ‘qu'il se rapproche plus du premier que du se- cond ; mais W. Hunter tomba dans une double erreur, d'abord en confondant le mastodonte avec le mammouth, et ensuite en le prenant, à cause des tubereules de ses dents, pour un animal carni- vore; et c'est encore Camper qui, le premier, a eu le mérite de combattre et d'ébranler cette dou- ble erreur. Enfin, M. Cuvier a complétement démontré que le mastodonte n'est ni l'éléphant ni l'hippopo- lame, et que, quoique plus rapproché du premier, il s'en distingue néanmoins essentiellement par ses mâchelières, el non-sculement à litre d'espèce, mais à litre de genre. Ce genre comprend même déjà jusqu'à six es- pèces. La plus célébre est le grand mastodonte, où l'animal de l'Ohio, qui n’a laissé de ses os que dans l'Amérique septentrionale. Une autre espèce, longtemps confondue avec celle-ci, en a été distinguée par M. Cuvier : c'est le mastodonte à dents étroites, dont on retrouve les 178 lALÉONTOLOGIE. os dans les deux continents. Des quatre autres espèces, deux ont appartenu à l'Amérique et deux à l'Europe. Le genre des éléphants ne nous avail montré qu'une espèce détruite’. Le genre entier des mas- todontes est perdu. Celui des hippopotames, qui ne possède jusqu'ici qu'une seule espèce vivante, en compte déjà plu- sieurs fossiles. La première, ou la plus grande, et la seule d'ailleurs dont on eût quelques notions imparfaites avant M. Cuvier, différait à peu près autant de l'espèce vivante que l'éléphant fossile diffère des éléphants vivants. Une seconde, le petit hippopotame fossile, en différait beaucoup plus. Les autres sont encore peu connues. Les os d'hip- popotames accompagnent dans plusieurs endroits ceux des éléphants et des mastodontes ; mais 1ls sont beaucoup plus rares; le Val d’Arno supé- rieur est même jusqu'ici le seul lieu où l'on en ait trouvé avec quelque abondance. Après le genre des hippopotames, vient celui 1 On connait anjourd'hui (mais encore avec quelques doutes sur leur détermination définitive) plusieurs espèces d’éléphants fossiles. 0 RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 179 des rhinocéros. Ici, comme pour les éléphants, comme pour les hippopotames, l'ostéologie et la distinction des espèces vivantes sont toujours les deux points de comparaison auxquels se rapporte toute l'étude des ossements et des espèces fossiles. On connait aujourd'hui jusqu'à quatre espèces vivantes de rhinocéres. La première est le rhinocé- ros bicorne du Cap, lequel n'a que des molaires, et point d'incisives ; la seconde est le rhinocéros uni- corne des Indes , lequel a des incisives séparées des molaires par un espace vide; la troisième, le rhinocéros de Sumatra, parait former comme une espèce intermédiaire entre les deux précédentes, car elle a deux cornes comme le rhinocéros du Cap, et elle a des incisives comme celui des Indes. La quatrième est le rhinocéros unicorne de Java. Voilà donc quatre espèces vivantes', deux uni- cornes, savoir, le rhinocéros des Indes et celui de Java; et deux bicornes, savoir, le rhinocéros du Cap et celui de Sumatra, Le nombre des espèces fossiles n’est pas encore clairement établi. La plus 1 Aux quatre espèces de rhinocéros vivants, connus de M. Cuvier, il faut en ajouter aujourd'hui trois autres : les rhinoceros Bru- cii, Gordoni et Simus, etc. Ces nouvelles espèces ne sont pourtant pas encore aussi rigoureusement délinies que les quatre autres. 10 180 PALÉONTOLOGIE. célèbre, celle dont les narines sont séparées par une cloison osseuse, se trouve en Sibérie et en différents endroits d'Allemagne. La seconde, celle dont les narines ne sont point séparées par un os, n'a été jusqu'ici trouvée qu'en Italie. Elles étaient l'une et l'autre à deux cornes, et elles paraissent avoir manqué toutes deux d'incisives. Quant aux autres espèces, au nombre de deux ou trois", elles ne sont indiquées encore que par quelques frag- ments. C'est à l'espèce à narines cloisonnées qu'appar- tenait le rhinocéros entier, retiré de la glace sur les bords du Wilhoui, en 1770. Ce rhinocéros était couvert d’un poil épais, à peu près comme l'éléphant fossile, ce qui semble prouver qu'ils ont pu, l'un et l'autre, vivre au nord. « Ainsi, dit « à cette occasion M. Cuvier, les contrées froides « qui entourent le pôle auraient done eu, à l'é- « poque qui a précédé la dernière révolulion du « globe, de grands pachydermes, comme elles ont « aujourd'hui de grands ruminants, le bœuf mus- « qué, le bison, l'élan, le cerf du Canada, le renne; « de grands carnassiers, l'ours blane, le morse et = « tant de grands phoques. » !Onena ajouté, depuis M. Cuvier, plusieurs autres. | | ” RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 181 On ne connait encore que la mâchoire inférieure de l'élasmothérium, genre fossile de Sibérie, dé- convert par M. Fischer, genre entièrement perdu comme le mastodonte, et dont, à en juger par cette mâchoire, la taille et la forme devaient se rapprocher beaucoup de la taille et de la forme du rhinocéros. Le genre des chevaux a laissé une grande quan- tilé de ses os, mêlés à ceux d'éléphants et de rhi- nocéros. On ne peut donc pas douter qu'il n'y ait eu des chevaux fossiles; cependant on n'a trouvé jusqu'ici aucune différence ostéologique entre ces espèces fossiles et les espèces vivantes; el ce qui n'est pas moins singulier, c’est qu'on n’en trouve non plus aucune, du moins assez fixe, assez tranchée, pour être réellement caractéristique, entre les diverses espèces vivantes du genre cheval : le cheval, l'âne, le zèbre, le couugga, etc. Le genre des cochons n'a point encore montré de ses os ‘ dans des couches aussi anciennes que les éléphants, les chevaux, les rhinocéros. M. Cuvier n'en donne pas moins l'ostéologie de ce genre, car son livre a partout deux objets également impor 1 1] en a montré däns ces derniers temps. 182 PALÉONTOLOGIE {ants : l'un, Ja détermination même des espèces fossiles, et l'autre, les règles, les éléments, les moyens de cette détermination, c'est-à-dire les lois géncrales de l'ostéologie comparée, lois sur les- quelles repose en effet, comme je l'ai déjà dit‘, toute cette détermination. C'est uniquement aussi pour établir ce grand ensemble de faits et de lois ostéologiques que M. Cuvier donne la description du daman, car on n'a point trouvé non plus de ses os parmi les osse- ments fossiles. Le duman, petit animal d'Afrique ct d'Arabie, passait pour un rongeur. M. Cuvier montre que c'est un vrai pachyderme, et même celui de tous qui se rapproche le plus du rhino- céros. Un genre non moins singulier que celui du da- man, et dont l'ostéologie n'était pas moins incon- nue, est celui des fapirs. On en compte aujour- d'hui trois espèces vivantes : deux d'Amérique et une des Indes; et M. Cuvier décrit plusieurs aui- maux fossiles voisins des tapirs”. | ! Voyez, ci-devant, p. 120. > Quant à son fapir gigantesque, j'ai déjà dit que c’est un animal très-dilférent des tapirs : le Dinothérium giganteum. (Voyez ci-de- vant, la Note de la page 476). RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 485 Ces éléphants, ces rhinocéros, ces hippopola- mes fossiles, ces mastodontes, etc., tels étaient les pachydermes des terrains meubles. On voit que toutes leurs espèces sont distinctes des espèces vivantes; qu'elles sont toutes perdues, détruites, et qu'elles ont toutes été détruites à la même époque et par la même catastrophe, car leurs os se trouvent partout dans les mêmes cou- ches. Les pachydermes fossiles, que nous allons voir, sont (ous, au contraire, d'une autre époque, d'une époque beaucoup plus reculée ; et presque tous ont élé découverts par M. Cuvier dans ces platriè- res des environs de Paris, devenues par là si fa- meuses. Ce sont les palæothériums, les anoplothé- riums, les lophiodons, les anthracothériums, les chæropotames, les adapis. Les os de tous ces genres, ou plutôt de toutes ces espèces, car la plupart de ces genres en ont plusieurs, les os de toutes ces espèces étaient mè- lés, confondus ensemble. Il à fallu commencer par les déméler; il a fallu rapporter ensuite cha- que os à son espèce ; il a fallu reconstruire enfin le squelette entier de chacune d'elles; et c'est ici 40. 2e ms = 7 DR 184 PALÉONTOLOGIE. que se montre dans toute sa force la méthode imaginée par l'auteur pour cette reconstruc- tion, En fait d'espèces fossiles, les dents sont tou- jours la première partie à étudier, et la plus im- portante; car on détermine par les dents si l'ani- mal est carnivore ou herbivore, et même, dans quelques cas, à quel ordre particulier d’herbivores ou de carnivores il appartient. M. Cuvier, ayant donc rétabli la série complète des dents qui se trouvaient les plus communes parmi celles qu'il avait recueillies, vit bientôt qu'elles provenaient de deux espèces différentes, dont l'une était pour- vuc de dents canines saillantes, et dont l’autre en manquait. La seule restitution des dents donnait donc ainsi deux espèces de pachydermes : l’une, à ca- nines saillantes, est le palæothérium ; l'autre, sans canines saillantes, ou à série de dents continue, est l'anoplothérium. De plus, cette seule restitu- tion montrait déjà, dans chacune de ces espèces, le type d'un nouveau genre : deux genres voisins des tapirs et des rhinocéros, mais deux genres entièrement perdus, car aucun pachyderme vivant | di RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 185 ne reproduit, même génériquement, leur système dentaire. Et telle, d’un autre côté, était la rigueur des lois zoologiques suivies par l'auteur, que, les dents lui ayant donné deux genres distincts, il ne pouvait douter que toutes les autres parties du squelette, la tête, le tronc, les pieds, ne fussent aussi de deux genres différents. Il prévit donc aussitôt, pour chacun de ces genres, une tête, un tronc, des pieds d'une forme particulière, comme il leur avait trouvé un système dentaire propre ; et il ne tarda pas à trouver tout ce qu'il avait prévu. Les dents étant rétablies, il fallait s'occuper de la restitution des têtes; et bientôt il fut évident qu'il y en avait aussi de deux genres. Les pieds sont, après les dents et la tête, les parties les plus caractéristiques du squelette; et leur restitution donna de même deux genres. Il ne restait donc plus qu’à rapporter chaque pied à sa tête, et cha- que tête à son système dentaire. Or la restitution des pieds de derrière en avait donné de deux sortes, les uns à trois doigts, et les 186 PALÉONTOLOGIE. autres à deux seulement; et la restitution des pieds de devant en avait pareillement donné de deux sortes, les uns à trois doigts, les autres à deux. S'aidant, tour à tour, de l’analogie générale des espèces qu'il reproduit avec les espèces vivantes les plus voisines, et des rapports particuliers de proportion et de grandeur des diverses parties dont il s'agit, les unes avec les autres, M. Cuvier réunit d'abord les pieds de derrière à deux doigts à ceux de devant qui en ont deux; il réunit ensuite les pieds de derrière à trois doigts à ceux de de- vant qui en ont trois aussi ; et, toujours guidé par la même analogie, par les mêmes rapports, il réunit les premiers au système dentaire sans ca- nines saillantes, et les seconds au système den- taire à canines saillantes. Il réunit successivement ainsi, pour chaque genre, tous les os du crâne, du trone, des extrémités; 1l refait, enfin, leur sque- lelte entier; et à peine ce grand travail est-il ter- miné, que, par un hasard singulier, un squelette à peu près complet de l'un d'eux, trouvé à Pantin, vient confirmer tous les résultats déjà obtenus. Dans ce squelette, tous les os étaient réunis, joints ensemble, comme les avait réunis M. Cu- vier. RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 187 Une première espèce de chaque genre étant ainsi reconstruile, et, en quelque sorte, de nou- veau rendue à Ja lumière, leur nombre ne tarda pas à s'accroitre : M. Cuvier compla bientôt jus- qu'à cinq espèces d'anoplothériums, et jusqu’à onze ou douze palæothériums. Tous les anoplothériums, qui ont été connus de M. Cuvier, sont des environs de Paris. Le plus commun était de la taille d’un âne; un autre était dé la taille d'un cochon ; un troisième, de la taille d'une gazelle; un quatrième, de la taille d'un lièvre ; le cinquième était plus petit encore. Parmi les palæothériums, 11 y en avait, à Paris seulement, jusqu'à sept espèces : une de la taille du cheval, une de celle du tapir, une de celle du mouton, une de celle du lièvre, etc.; une autre espèce, découverte près d'Orléans, égalait à peu près le rhinocéros, etc. Le palæothérium qui, à Paris, est toujours accompagné de l’anoplothérium, l'est, presque partout ailleurs, d'un autre genre non moins remarquable, le lophiodon. Ce nouveau genre se rapprochait aussi beaucoup des tapirs, comme le palæothérium, comme l'anoplothérium ; il est, 188 PALÉONTOLOGIE, comme ces derniers, entièrement perdu, et, comme eux, déjà riche en espèces. M. Cuvier en a fait connaître jusqu à douze, toutes de France. Le genre chœropotame, le genre adapis, ne comptent chacun qu'une espèce". Le genre anthra- cothérium en compte cinq*, dont une approchait du rhinocéros par sa taille. Avec ces nombreux pachydermes, première po- pulation de mammifères terrestres, M. Cuvier a recueilli quelques débris de carnassiers du genre des chiens, de celui des genettes, de celui des ra- tons, etc.; une chauve-souris du genre des ves- pertilions; une espèce de sarigue, voisine de la marmose ; deux rongeurs, l'un du genre des loirs, l'autre de celui des écureuils; jusqu'à six espèces d'oiseaux de divers ordres; des crocodiles, des trionyæ, des émydes; et quelques espèces de pois- sons d'eau douce. Mais, pour nous en tenir ici aux seuls pachy- dermes, lesquels forment la partie, sans aucune ! Depuis M. Cuvier, le genre chæropotame en compte deux de plus. ? Depuis M. Cuvier, il en compte quelques autres. Re RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 181 comparaison, la plus importante de cette antique population du globe, voilà près de quarante espè- ces, et jusqu à cinq genres entièrement perdus ; et, ce qui n’est pas moins notable, aucune de leurs espèces ne se trouve mêlée avec les espèces de la population des éléphants et des mastodontes. Ces deux populations appartiennent donc à deux âges essentiellement distincts. Les ruminants, dont M. Cuvier fait succéder l'étude à celle des pachydermes, nous ramènent aux animaux des terrains meubles: ce n’est, en effet, que dans ces terrains que leurs os abondent. Deux genres surtout s y montrent en grand nom- bre, Les cerfs et les bœufs. LS M. Cuvier commence toujours par l'ostéologie et la détermination des espèces vivantes ; il passe ensuite aux espèces fossiles. La plus célèbre de ces espèces, dans le genre cerf, est lé cerf à bois gigantesque, si commun en Irlande, et par cela mème connu pendant quelque temps sous le nom d’élan fossile d'Irlande, mais retrouvé de- puis en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, etc. Avec celle grande espèce, dont la taille surpas- 190 - PALÉONTOLOGIE. sait même celle de l'élan, vivaient deux espèces très-voisines du renne : la première, des environs d'Étampes et de la caverne de Breugue, la seconde, de Scanie; une espèce de daim gigantesque, trouvée dans la vallée de la Somme et en Allemagne; une espèce de chevreuil, à peu près de la taille de celui d'Europe, trouvée à Montabusard ; enfin, les cerfs des brèches osseuses de Gibraltar, de Cette, de Nice, etci. Le genre des bœufs compte huil espèces vi- vantes : le bœuf commun, l'aurochs, deux espèces distinguées pour la première fois l’une de l'autre par M. Cuvier; le buffle, dont une variété à lon- oues cornes est l'arni, le bison, le yack ou buffle à queue de cheval, le buffle musqué, le bufile du Cap, et le bœuf des Jongles. Les espèces fossiles sont moins nombreuses. M. Cuvier n’en a connu que {rois : une très-voisine de l'aurochs, l’autre du bœuf commun, et la troi- sième du buffle musqué*. 1 M. Cuvier comptait déjà huit espèces de cerfs fossiles. On n'a cessé, depuis, d'en découvrir de nouvelles. On en compte aujour- d'hui près de cinquante. ? On croit pouvoir en admettre aujourd’hui quelques-unes de plus. d'Eva RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 191 Les brèches osseuses donnent quelques débris d'une espèce de mouton ou d'antilope : c'est l'antilope ou mouton de Nice. Les autres genres de ruminants, les chèvres, les girafes, les cha- meaux, les lamas, les chevrotains, n'ont offert à M. Cuvier aucun de leurs os à l'état fossile *. C'est dans les cavernes d'Allemagne, d'Angle- terre, de France, etc., qu'abondent surtout les restes fossiles des carnassiers. Après avoir débrouillé la détermmation, jusque- là si confuse, de leurs espèces vivantes, M. Cuvier décrit les espèces fossiles des carnassiers : quatre espèces d'ours, l'ours des cavernes, l'espèce de toutes la plus nombreuse, l'ours arctoïde, l'ours intermédiaire, et l'ours à dents comprimées; une hyène, presque aussi abondante que l'espèce d'ours qui l'est le plus: deux tigres ou panthères, un loup, un renard, une mouffette, deux belettes, un glouton, etc. Les rongeurs fossiles sont peu nombreux. Les grandes couches de terrains meubles n’ont même ! Depuis M. Cuvier, on a découvert quelques os de chameaux et de girafes fossiles. £ 11 à toi. 192 PALÉONTOLOGIE. donné jusqu'ici qu'une grande espèce de castor, nommée trogonthérium par M. Fischer; les brè- ches osseuses montrent deux espèces de lagomys, deux espèces de lapins, des campagnols, des rats, etc. L'ordre des édentés n'a offert à M. Cuvier que deux espèces fossiles, mais gigantesques : le mé- galonyx, de la taille des plus grands bœufs, et le mégathérium, de la taille des plus grands rhinocé- ros. Ces deux énormes espèces sont d'Amérique". Une phalange onguéale, trouvée dans un canton de l’ancien Palatinat, non loin du Rhin, lui en a indiqué une troisième voisine du pangolin, et tout aussi gigantesque que les deux autres. Ici finit la population des terrains meubles. Les cétacés appartiennent tous à des couches essen- tiellement marines : et il en est des mammifères dits amphibies, c'est-à-dire des phoques et des morses, comme des célacés. ! Au mégathérium, au mégaloniæ, il faut ajouter aujourd'hui le genre #»7ylodon de M. Owen, son genre scelidothérèum, ete., el sur- tout son glyptodon, gigantesque fatou à carapace énorme des plaines sablonneuses ou pampas de la Plata. RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 195 Un premier groupe de ces mammifères marins, dont l'ostéologie et les espèces vivantes _elles- mêmes étaient encore si peu connues, un premier groupe a précédé tous les mammifères terrestres. Ses dépouilles ont montré à M. Cuvier des os de dauphins, de lamantins, de morses. Un second groupe a succédé aux palæothériums ; M. Cuvier y a reconnu un dauphin, voisin de l'épaulard; une baleine, voisine des rorquals; el tout un genre en- tièrement perdu, les xiphius, voisin des cachalots et des hypéroodons. J'arrive aux reptiles. M. Cuvier étudie successi- vement les crocodiles, les tortues, les lézards, les batraciens ; 1 finit par la famille si extraordinaire des ichthyosaurus et des plésiosaurus. Les crocodiles fossiles sont très-nombreux. M. Cuvier en décrit jusqu'à quinze espèces, dont quatre appartiennent au sous-genre des gavials : le gavial de Monheim, crocodilus priscus de Sæmmer- ring, le gavial de Caen, et les deux gavials de Hon- fleur ; les autres sont des crocodiles proprement dits, tels que celui de Sussex, celui d’Argen- ton, etc. Les tortues fossiles sont plus nombreuses encore 14 PALÉONTOLOGIE. que les crocodiles; il y en a déjà jusqu'à seize ou dix-sept espèces, dont plusieurs tryonix, plusieurs émydes où lortues d'eau douce, plusieurs chélo- nées ou tortues de mer, et quelques tortues ter- resires. La famille des batraciens nous offre une espèce fossile énorme, la salamandre gigantesque d'OEnin- gen, ou le prétendu homme fossile, Me Gibuvii testis de Scheuchzer. L'ordre de reptiles qui donne les espèces fossi- les Les plus extraordmaires est celui des sauriens. D'abord, la plupart étaient gigantesques. Une pre- mère, le grand saurien dé Monheim, le lacerta qi- gantea de Sœmmerring, le géoscurus de M. Cuvier, avait jusqu'à douze ou treize pieds de longueur; une seconde, le mosasaurus, le grand saurien des carrières de Maestricht, pris longtemps pour un crocodile, en avait plus de vingt-quatre; et une troisième, vraiment gigantesque, le megalosaurus, en avait plus de soixante-dix. Voilà donc un lézard qui surpassait les plus grands crocodiles, et qui approchait même, par sa taille, d'une baleine. Ce grand lézard à été découvert par M. Buckland, dans les bancs d’oolithe de Stonesfield, près d'Ox- ford. ' RECONSTRUCTION DES ESPÈCES, 195 M. Cuvier fait connaitre encore quelques débris de monitors fossiles de Thurmge, d’un grand sau- rien de Honfleur, d'un saurien gigantesque des carrières de Caen, etc. Le genre des ptéroductyles, ou lézards volants, nest plus remarquable par sa taille, mais il l'est singulièrement par une structure des plus bizar- res: une queue {rès-courte, un cou très-long, un bec d'oiseau, enfin un doigt très-prolongé, et qui ne se prolongeait ainsi que pour porter une sorte d'aile. M. Cuvier a décrit deux espèces de ptéro- dactyles': une de la grandeur d’une chauve-souris, l'autre un peu plus grande. I est inutile d'ajouter que le genre est entièrement perdu. Mais quelque chose de plus étrange encore en fait de structure, c'est ce que présentent les deux autres genres de sauriens également perdus, les téhthyosaurus et les plésiosaurus : les premiers, réumssant tout à la fois un museau de dauphin, des dents de crocodile, une tête et un sternum de lézard, des pattes de cétacé, mais au nombre de quatre, et des vertèbres de poisson; et les seconds joignant à. ces mêmes palles de cétacé une tête de ! On en connaît aujourd’hoi jusqu'à neuf. ee PS 196 PALÉONTOLOGIE. lézard, et un cou d’une longueur si démesurée qu'on y compte plus de trente vertèbres. L'ichthyosaurus et le plésiosaurus ont été trou- vés, pour la première fois, en Angleterre ; ïls ont élé retrouvés depuis en Allemagne et en France. La découverte du premier de ces deux genres est due à Éverard Home, et celle du second à M. Co- nybeare. On connait déjà jusqu'à quatre espèces d'ichthyosaurus, et jusqu'à cinq de plésiosaurus. Ces reptiles si nombreux et si variés, ces croco- diles, ces tortues, cette énorme salamandre, ces sauriens bizarres ou gigantesques, tous ces reptiles, joints à des crustacés, à des mollusques, à des zoophytes, à des poissons, à des mammifères ma- rins, formaient la première population animale qui ait couvert le globe; la seconde est celle des palæothériums : la troisième est celle des masto- dontes ; la quatrième est la population actuelle. Il y à donc eu, ainsi que je le disais tout à l'heure, et cela sans compter l'époque actuelle, trois populations animales distinctes: celle des reptiles, celle des palkæothériums, celle des masto- dontes; et, après chacune de ces populations, la RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 497 mer est venue s'emparer du sol que cette popula- tion occupait, pour le céder ensuite à une popula- tion nouvelle; car constamment des couches marines succèdent à des couches terrestres, con- stamment des animaux qui ont vécu dans les mers succèdent à des animaux qui ont vécu sur la terre sèche. Tel est l'ensemble des espèces fossiles recon- struites par M. Cuvier. On connait’ les lois précises sur lesquelles se fonde cette reconstruc- tion; et l’on a vu comment, d'après ces lois, on peut d'une seule partie conclure toutes les autres. Par exemple, cette phalange de pangolin trou- vée dans l’ancien Palatinat, et dont je parlais 1l n'y à qu'un instant, cette phalange énorme dé- montre, à elle seule, une espèce perdue. « Rien ne prouve mieux, dit à cette occasion M. Cuvier, l'importance des lois de l'ostéologie = R comparée que Loutes les conséquences qui peu- 2 vent légitimement se tirer de ce seul fragment ; 2 a = et cependant aucune des personnes qui ont lu mes chapitres précédents ne doutera de Ja jus- = = 1! Voyez, ci-devant, pages 165 et suivantes. ? Page 192. 198 PALÉONTOLOGIE. « « « « = € « tesse de ces conséquences. A lui seul, ce mor- ceau prouverait qu'il a existé autrefois des ani- maux aujourd'hui inconnus, qu'une catastrophe quelconque à fait disparaitre des pays qu'ils habitaient, et a probablement anéantis sur toute la surface du globe. » RECONSTRUCTION DES ESPÈCES. 150 IV Rapports des espèces fossiles avec les couches du globe. Les rapports des couches du globe avec les êtres qu’elles recèlent constituent la base de toute la théorie de la terre. | M. Cuvier lui-même s'exprime ainsi : «C'est aux « fossiles seuls qu'est due la naissance de la théo- « rie de la terre: sans eux, l'on n'aurait peut-être « jamais songé qu'il y ait eu, dans la formation du « globe, des époques successives et une série « d'opérations différentes. Eux seuls donnent la = « certitude que le globe n'a pas toujours eu la « même enveloppe, par la certitude où l'on est « qu'ils ont dû vivre à la surface avant d'être en- « sevelis dans la profondeur. » La vie n'a pas toujours existé sur le globe. Les rapports des couches du globe avec les êtres 11 de 200 PALÉONTOLOGIE. organisés marquent le point où elle a commencé, ils montrent, de plus, que depuis qu'elle existe, elle a souvent été troublée par des catastrophes terribles ; ils montrent enfin qu'à chacune de ces catastrophes elle a pris de nouvelles formes, c’est- à-dire que les espèces alors subsistantes ont dis- paru, et qu'il en a paru de nouvelles, La vie, considérée d'une vue générale, a donc eu ses phases de développement, ses progrès, ses interruplions, ses reprises. « Commençant notre revue des couches du globe par les formations les plus anciennes, les granits, les gneiss, les marbres et les schistes primitifs, ces antiques fondements de l'enveloppe actuelle du globe *, nous remarquons que, dans cette première époque, la vie ne se montrait point encore. Passant aux terrains de transition, nous voyons paraitre des z0ophytes, des mollusques, des crusta- 1 J'expose ici les idées de M. Cuvier. Il admeltait des créations successives. Après de longues médilalions sur ce grand sujel. j'ai cru pouvoir prendre la thèse contraire. Je publierai bientôt un livre sous ce titre : DE L'UNITÉ DE CRÉATION. ? Expressions de M: Cuvier: RAPPORTS DES COUCHES. 201 cés, peut-être même des os et des squelettes de poissons. Traversant les couches de houille, ces restes des premières richesses végétales qui aient orné la face du globe‘, et arrivant au schiste cuivreux placé sur ces couches, nous découvrons, parmi d'innombra- bles poissons d'un genre aujourd'hui inconnu, les premières traces des reptiles; remontant jusqu'au calcaire dit du Jura, nous voyons la classe des reptiles prendre tout son développement; et ce n'est que dans le calcaire grossier qui repose sur les argiles placées au-dessus de la craie, que com- mencent à se trouver des os de mammifères : en- core appartiennent-ils tous à des mammifères ma- rins, à des dauphins inconnus, à des lamantins, à des morses. Les couches qui ont succédé au calcaire gros- sier sont donc les premières où se montrent des mammifères terrestres. Là est toute cette popula- tion si remarquable de pachydermes découverts par M. Cuvier dans les gypses, mêlés de calcaire, des environs de Paris: les palæothériums, les lo- phiodons , les anoplothériums, les anthracothé- raums, etc., etc. l Expressions de M. Cuvier 202 : PALÉONTOLOGIE. Nous avons vu plus haut qu'avec ces pachyder- mes vivaient des carnassiers, des rongeurs, des oisedux , des crocodiles et des tortues, des pois- “sons, elCe #* d Toute celte population, que M. Cuvier appelle d' âge moyen, a été détruite : de grands dépôts de ; formation marine en recouvrent partout les dé- bris ; set à ces dépôts appartiennent quelques céta- ces déjà plus semblables à ceux de nos jours, un dauphin, voisin del épaulard, une baleine, voisme des rorquals, etc. ? L.: La mer dans laquelle vivaient ces célacés, s'é- tant retirée, laissa la place à une population nou- velle, à celle dont les dépouilles remplissent les couches sablonneuses et limoneuses de tous les pays connus, population composée d'éléphants ou mam- mouths, de rhinocéros, d'hippopotames, de masto- dontes , d'innombrables chevaux, de plusieurs grands ruminants, de carnassiers de la taille du lion, du tigre, de l'hyène, de l'ours, d'énormes édentés, le mégathérium, le mégalonyx, de ron- geurs, ele, ete., «€ population dont le caractère, « dit M. Cuvier, ressemble, même dans l'extrême «nord et sur les bords de la mer Glaciale d’au- RAPPORTS DES GCOUCIES. 205 « jourd'hui, à celui que la seule zone torride nous « offre maintenant ; et toutefois, ajoute-t-il, aucune « espèce n y élait absolument la même. » Telle est la population qui nous a-été conservée dans ces amas de terres, de sables, de limons, dans ce diluvium, comme l'appelle M. Buckland, débris immense de la dernière des catastrophes du globe, lequel recouvre partout nos grandes plai- nes, remplit nos cavernes, obstrue les fentes de nos rochers, etc. Parmi tous ces animaux perdus de l'avant-der- nier âge de la vie sur le globe, M. Cuvier n'avait trouvé aucun débris de quadrumane. On y en a trouvé depuis ". M. Cuvier n'y avait trouvé, non plus, aucun débris d'homme; et, malgré loutes les recherches qui ont été faites depuis, aujourd'hui encore on n'y en connait point *. Il y à donc eu, dans la nature animale, non- seulement une succession de variations, mais aussi une progression de formes. Car les premiers ani- maux qui paraissent sont des 40ophytes, des mol- lusques, des crustacés, des poissons; les reptiles ! Voyez ci-devant, p. 167. ? Voyez ci-devant, p.167. 204 l'ALÉONTGLOGIE. ne viennent qu'ensuite; les mammifères ne vien- nent qu'après les reptiles; el ces mammifères ont déjà paru Jusqu'à deux reprises différentes, que l'homme ne se montre point encore: il ne se montre que dans la population actuelle. Ajoutez que tous ces mammifères terrestres sont distincts de genre ou d'espèce des animaux actuels, et qu'il y a encore ici une progression: presque tous les animaux de l'âge des palæothériums, com- parés à ceux d'aujourd'hui, diffèrent de genre ; au contraire, les animaux de l’âge des mammouths, comparés toujours à ceux d'aujourd'hui, ne diffè- rent plus que d'espèce; mais tous, ou presque tous, diffèrent d'espèce *. ! Parmi les espèces de l’époque du mammouth, \ n’y a de doute que pour les chevaux, pour les bœufs, et pour quelques espèces de cerfs : pour tous les aulres animaux, la différence spécifique est cerlaine; et encore vous remarquerez qu'ilne s'agit ici que de la comparaison des squelelles. Or, nommément pour les chevaux, l'identité du squelette n’est pas une preuve absolue de Pidentité de l'espèce. On n’a pu découvrir jusqu'ici, comme je l'ai déjà dit p. 181), aucune différence spécifique entre le squelelte de l'âne et celui du cheval; et cependant l’êne et le cheval sont deux es- pèces distinctes et bien tranchées, RAPPORTS DES COUCHES 205 V De la dernière révolution du globe. Cette dernière révolution n’est sûrement pas très-ancienne. Ce qui le prouve, c'est l’état de con- servation que présentent les débris fossiles renfer- més dans les couches les plus rapprochées de la superficie du globe. Ou a retiré de la gélatine des os fossiles de ce dernier âge. J'ai mis une défense d'éléphant fossile dans de l'acide hydro-chlorique étendu d'eau, et elle m'a restitué son cartilage presque aussi complétement que l'aurait fait une défense d’éléphant vivant. Enfin, l'éléphant, le rhinocéros fossiles, saisis par la glace, et dont j'ai parlé plus haut, étaient si bien conservés, que, comme je l'ai déjà dit aussi, les ours et les chiens ont pu s'en disputer et en dévorer les chairs !. \ Voyez, ci-devant, p.154 206 PALÉONTOLOGIE. Quant à la quatrième et dernière population, à la population actuelle, elle n'a pas été elle-même à _ = … = = 2 l'abri de toute grande catastrophe. «Je pense avec MM. Deluc et Dolomieu, dit M. Cuvier, que, s'il ya quelque chose de con- staté en géologie, c'est que la surface de notre globe a été la victime d'une grande et subite révolution, dont la date ne peut remonter beau- coup au delà de cinq ou six mille ans ; que cette révolution a enfoncé et fait disparaitre les pays qu'habitaient auparavant les hommes et les es- pèces des animaux aujourd'hui les plus connus; qu'elle a, au contraire, mis à sec le fond de la dernière mer, et en a formé des pays aujour- d'hui habités; que c'est depuis cette révolution que le petit nombre des mdividus épargnés par celle se sont répandus et propagés sur les ter- rains nouvellement mis à sec, el par conséquent que c'est depuis cette époque seulement que nos sociétés ont repris une marche progressive. qu'elles ont formé des établissements, élevé des monuments, recueilli des faits naturels. et com- biné des systèmes scientifiques. » d | HISTOIRE NATURELLE PHILOSOPHIQUE. APPLICATION DE L'ANATOMIE À L'HISTOIRE NATURELLE GÉNÉRALE. Bonnet avait porté l'histoire naturelle dans la philosophie : c'est là sa gloire. Mais il restait à porter l'anatomie dans l'histoire naturelle géné- rale, et c'est ce qu'a fait M. Cuvier. L'anatomie comparée est le grand ressort par lequel il a, comme nous avons vu, renouvelé la zoologie et fondé l'étude des ossements fossiles. En introduisant l'anatomie comparée dans l'histoire naturelle générale, il a rendu un service non moins important peut-être, quoique d'un ordre très-différent. 208 HISTOIRE NATURELLE C'est par là qu'il a soumis à l'emptre des faits positifs et des idées précises toutes ces questions de l'Échelle continue des êtres, de l'Unité de structure, de la Fixité des espèces, elc., questions pleines d'intérêt et qui occupent si fort les esprits depuis un siècle. PHILOSOPHIQUEF. 209 De l'échelle continue des êtres. Rien n'est plus célèbre, en histoire naturelle, que l'échelle des êtres, développée par Bonnet. Leibnitz, inspiré par une vue philosophique , semblait avoir prédit la découverte du polype. « Les hommes, avait-il dit, tiennent aux ani- « maux, ceux-ci aux plantes, et celles-ci aux fos- « siles.. La loi de continuité, avait-il dit encore, « exige que tous les êtres naturels ne forment « qu'une seule chaine, dans laquelle les différen- « tes classes, comme autant d'anneaux, tiennent « si étroitement les unes aux autres, qu'il soit im- « possible de fixer précisément le point où quel- « qu'une commence ou finit, toutes les espèces qui « occupent les régions d'inflexion et de rebrousse- « ment devant êlre équivoques et douées de carac- 210 HISTOIRE NATURELLE … EN « tères qui se rapportent également aux espèces voisines. Ainsi l'existence de z0ophytes, par exemple, d'animaux-plantes, non-seulement n'a rien de monstrueux, mais il est même con- venable à l’ordre de la nature qu'il y en ait‘. » Enfin, il avail ajouté ces paroles remarquables : Telle est chez moi la force du principe de conti- nuilé, que non-seulement je ne serais point étonné d'apprendre qu'on cût trouvé des êtres qui, par rapport à plusieurs propriétés, par exemple, celles de se nourrir ou de se multi- plier, pussent passer pour des végétaux à aussi bon droit que pour des animaux, et qui renvér- sassent les règles communes, bâlies sur la sup- position d'une séparation parfaite et absolue des différents ordres des êtres simultanés qui remplissent l'univers; j'en serais si peu étonné, dis-je, que même je suis convaineu qu'il doit y en avoir de tels, et que l'histoire naturelle par- viendra à les connaitre un jour, quand elle aura étudié davantage cette infinité d'êtres vivants que leur petitesse dérobe aux observations com- munes, et qui se trouvent cachés dans les en- 1 Lettres de Leibnitz. Voyez l'Appel au public de Kænig, Ap- pendice, p. 45 PHILOSOPHIQUE. 211 « lrailles de la terre et dans l'abime des eaux". » Or ces êtres annoncés par Leïbnitz, ces êtres qui devaient tenir également de l'animal et du vé- gétal, les expériences de Trembley, bien plus étonnantes que l'espèce de prédiction de Leibnitz, semblèrent enfin les avoir découverts. Le polype, si admirablement étudié par Trem- bley, pousse des bourgeons comme une plante ; il se reproduit par section, par bouture, comme une plante ; il est donc, tout à la fois, animal par sa mobilité, par sa sensibilité, par la manière dontil se nourrit, et végétal par la manière dont il se re- produit et se régénère. Le chainon qui lie le règne végétal au règne animal, ce chainon qui jusque-là avait manqué à la chaine continue des êtres, ce chainon était donc trouvé. La découverte des propriétés singulières du po- lype est assurément une des plus belles que l'his- toire naturelle ait jamais faites. Mais ce qui frappa surtout Bonnet dans cette découverte, c'est qu'elle ne semblait être que la conséquence d'un prin- 1 Lettres de Leibnits. Voyez FAppel au public de Kœnig, Ap- pendice, p. 46, ie 212 HISTOIRE NATURELLE cipe déjà posé, du principe de la continuité des êtres. C'est donc à ce principe que s’attacha Bonnet.” Cette échelle, si je puis ainsi dire, métaphysique, qu'avait proposée Leibnitz, Bonnet voulut la trans- former en une échelle réelle et matérielle. Il rangea donc les êtres sur une seule ligne, en allant du plus simple au plus compliqué, ou du règne minéral au règne végétal, du règne végétal au règne animal, du règne animal à l'homme ; et cette ligne unique, 11 voulut, de plus, qu'elle fût partout continue, c'est-à-dire qu'elle n'offrit nulle part des interruptions, des hiatus, des sauts. Deux idées principales le dirigèrent donc : l'une, que les êtres ne formaient qu'une seule ligne ; l'autre, que cette ligne était partout con- tinue. Or, de ces deux idées, l'une ‘ne pourrait pas plus être soutenue aujourd'hui que l'autre. Les êtres, et, pour nous borner tout de suite au règne animal, qui seul nous occupe ici, les animaux ne forment pas une seule ligne , ils en forment mille. Si vous remontez des espèces inférieures vers As PHILOSOPHIQUE. 215 les supérieures, vous trouverez autant de lignes de complication que vous trouverez d'organes. Ki vous considérez le système nerveux, vous meltrez les insectes au-dessus des mollusques; si vous con- sidérez la circulation, les sécrétions, etc., vous mettrez les mollusques au-dessus des insectes ; si vous considérez la respiration, l'oiseau aura le pas sur le mammufère ; si vous considérez l'mtelligence, le mammifère aura le pas sur l'oiseau ; le reptile est au-dessus du poisson par la respiration, il esl au-dessous par la circulation, etc., etc. Il n'y a donc pas de développement graduel, uniforme, de la totalité des organes. La gradation se fait tantôt par une partie, tantôt par une autre. Imaginez une série par les sens, une par la circu- lation, une par la respiration, etc.; aucune ne sera tout à fait semblable. Ki vous prenez la respi- ration, l’nsecte et l'oiseau l'emporteront sur tous les autres animaux, car ils ont, l'un et l'autre, la respiration la plus étendue possible, une resparu- tion générale, une respiration double; voilà donc l'oiseau placé tout près de l'insecte : prenez à pré- sent la circulation, et tout cet ordre sera renversé; l'insecte el l'oiseau seront placés aux deux bouts opposés de l'échelle, car l'un a la circulation la 214 HISTOIRE NATURELLE plus complète possible, et l'autre n’en a point du ou. Supposer une seule ligne de gradations organi- ques, c'est supposer un seul plan de structure. Mais il y a plusieurs plans de structure, et c’est pourquoi il y a plusieurs gradations parallèles. I y a des plans de structure qui sont inverses. La respiration générale et la respiration circon- scrite sont, en tout point, des structures in- verses; ele "'elc: En cherchant l'unité dans les organes, les na- turalistes se sont trompés. Ce n'est pas dans les organes que réside l'unité, c'est dans les fonc- tions. Et encore ne faut-il regarder ici que les fonctions générales et essentielles. Or les fonctions générales et essentielles sont au nombre de quatre : la sensibilité, le mouve- ment, la nutrition, la reproduction. Ces quatre fonctions se retrouvent partout, car 11 n'y a pas d'animal possible sans elles. Ce sont là, si je puis ainsi dire, les conditions abso- lues de l’animalité ; mais il y a mille moyens de salisfaire à ces conditions. ” PHILOSOPHIQUE. 215 La question de l'unité de ligne dans l'échelle des êtres se résout donc en celle de l'unité de structure, question dont on s'est beaucoup occupé aussi, el jusque dans ces derniers temps, et dont l'examen fera l'objet d'un autre chapitre. Je viens à la seconde idée qui a dirigé Bonnet dans la furmation de son échelle des êtres. H veut que cette échelle soit partout continue. Pour passer d'une espèce à l’autre, d'un groupe à l’autre, d'une nature à l'autre, sans saut, sans hiatus, 11 lui faut donc des espèces qui tiennent des deux espèces, des deux groupes, des deux natures qu'il veut rapprocher. C'est ce que Leib- nilz avait appelé espèces équivoques, et que Bon- net appelle, tour à tour, espèces miloyennes ou passages. Or ces passages proposés par Bonnet, ces pus- sages qui sont le point fondamental de sa théo- rie (et de quelle théorie”? de la théorie, peut-être, qui a le plus exercé d'influence sur la parte plulo- sophique de l’histoire naturelle pendant un siècle), ces passages peuvent à peine être rappelés aujour- d'hui d’une manière sérieuse. 12 216 HISTOIRE NATURELLE « Le polype, dit Bonnet", unit les plantes aux «insectes. Le ver à tuyau conduit des insectes _ = « aux coquillages. La limace touche aux coquil- + « lages et aux reptiles. L'anguille forme un passage = « des reptiles aux poissons. Le poisson volant est = < un milieu entre les poissons et les oiseaux. La « chauve-souris enchaine les oiseaux avec les qua- = « drupèdes ?. » Le polype, selon Bonnet, fat donc le passage du règne végétal au rèyne animal. Or, si l'on en- tend dire par là que le polype, à ne considérer que la simplicité de structure, est l'animal qui se rap- proche le plus de la plante, on a raison. Mais, si lon entend dire que le polype est une espèce mitoyenne, équivoque, qu'il est moitié anmmal, moitié végétal, on se trompe. Le polype est ani- mal et n'est qu'animal. Il sent, il se meut, il di- gère, etc. Il se reproduit, à la vérité, par bou- ! Je m'en tiens toujours à la seule partie de son échelle des êtres qui concerne le règne animal. 11 convient d’ailleurs lui-même que: « Sile polype nous montre le passage du végétal à l'animal, « on ne découvre pas également celui du minéral au végétal. » Con- sidérations sur les corps organisés, p. 175. OEuvres de Bonnet, Neuchâtel, 1779. ? Principes philosophiques sur la cause première et sur son effet, p. 226. Voyez aussi sa Contemplation de la nature, 5° parlie. ; PHTILOSOPHIQUE. 2 1] ture, comme la plante; mais cette propriété même, il la partage avec des animaux d'une structure bien plus compliquée, et dont le caractère exclusif d'animalité ne saurait être mis en question, par exemple, avec des vers (le lombric ou ver de terre, les naïdes ou vers d'eau douce), animaux qui ont un estomac, des intestins, une circulation com- plète, des artères, des veines, un système nerveux distinet, ete., etc. La salamandre, qui est un ani- mal vertébré, un reptile, reproduit sa queue et ses pattes, et les reproduit autant de fois qu'on les coupe. Le polype n’est donc pas un étre équivoque ; c’est un animal dont la structure est plus simple que celle des autres, et voilà tout. IL est curieux de voir sur quelles bases fra- ailes Bonnet se fonde pour établir les autres pas- sages. Ainsi, par exemple, la limace fait passage des coquillages aux reptiles, parce qu'elle rampe : l'anguille, des reptiles aux poissons, parce qu'elle a un corps allongé; le poisson volant (l’hirondelle de mer, etc.), des poissons aux oiseaux, parce qu'il peut s'élever et se soutenir dans l'air; la chauve-souris, de l'oiseau au mammifère, parce qu'elle vole, etc. 248 HISTOIRE NATURELLE C'est donc toujours par une circonstance exté- rieure, et qui ne fait rien au fond des structures, à la nature intime de l'animal, que Bonnet se décide. Toute la structure intérieure. profonde, sépare la limace, qui est un mollusque, du reptile, qui est un animal vertébré : mème cette action de ramper, qui leur est commune, se fait par des moyens très- différents dans le reptile ct dans la limace: la limace rampe par la simple contraction d'un dis- que charnu placé sous le ventre; le reptile par le jeu de vertèbres à facettes articulaires très-com- pliquées, etc. L'anguille, qui-a les nageoires, les branchies, les vertèbres, etc., des poissons, n'a rien du reptile; le poisson volant, qui est un vrai pois- son, n'a rien de l'oiseau ; la chauve-souris, qui est vivipare, qui a des mamelles, qui allaite ses pelits, qui à une respiration simple, ete., vole, ilest vrai, et n'en est pas plus viseau pour cela, car elle vole par des moyens tout différents de ceux de l'oiseau". A considérer la nature intime des choses, il n'y a done nulle espèce mitoyenne, équivoque, nul ! L'oiseau vole par tout son bras, et n'a de doigts qu'en vestige ; la chauve-souris vole par des doigts très-développés, an contraire, et réunis l’un à Fautre par des membranes. —— EE M M ES Se + SE 7 PHILOSOPHIQUE. 219 # Glre mi-par!i de deux natures diverses. Les pré- tendus passages de Bonnet n'en sont donc point ; et, si Bonnet les propose pour tels, c'est qu'il s'en lient à l'extérieur, à la surface des êtres; c'est que, comme il le dit lui-même, «il se borne à « contempler et n'entreprend pas de disséquer .» Et ce dernier mot dit tout : c'est qu'il n'est pas anatomiste, ou qu'il néglige de l'être. 1 Contemplation de la nature, ? partie, p. 27 220 HISTOIRE NATURELLE Il Unité de structure, — Unité de composition. — Unité de type. — Unité de plan. Ya-t-1l wnité de structure? En d'autres termes, en termes plus simples et dégagés de toute abstrac- tion, tous les animaux ont-ils la même structure ? Évidemment non. Le polype , qui n’a pas un seul organe distinct, dont l'estomac n'est qu'une simple cavité, creusée dans la substance commune et homogène de son corps, le polype n'a pas la structure du mollusque*, lequel a des organes des sens, des veux, des oreilles, un système nerveux, un cerveau, une circulation complète, des artères, des veines, plusieurs cœurs, des glandes sécrétoires, ete. Le mollusque, qui n'a pas de moelle épinière, dont le cerveau n'est qu'une petite masse de substance { Le polype à bras, par exemple. ? Du poulpe, de la seiche, par exemple. PHILOSOPHIQUE. 221 "nerveuse, etc., le mollusque n'a pas la structure de l'animal vertébré, qui a une moelle épinière, un cerveau composé de plusieurs masses distinctes, et dont chaque masse a sa fonction propre, l'une étant le siége de l'intelligence, l’autre du prin- cipe qui règle les mouverñents de locomotion, une troisième du principe qui règle le mécanisme de la respiration, etc. ‘; le mollusque qui n'a pas de squelette n'a pas la structure de l'animal vertébré qui a un squelette ; l'insecte qui n'a pas de circula- hon n'a pas la structure des animaux qui ont une circulation, elc., etc. Y a4-il unité de composition? Pas plus qu'unité de structure. I ya des animaux ? qui n'ont point d'organes distincts, dont toutes les fonctions, la nutrition, la sensibilité, le mouvement, se font par une sub- stance homogène et commune. Tout est si homo- gène dans le polype, que chaque partie de l'animal reproduit l'animal entier, que l'animal, retourné ? Voyez mes Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du système nerveux dans les animaux vertébrés, seconde édition. Paris, 1842. ? Par e, le polype, etc - PL, CPE OS OT 22 HISTOIRE NATURELLE comme un doigt de gant, continue à vivre : dans son état ordinaire, il respirait par sa face externe, il digérait par sa face interne; dans ce nouvel élat, qui est l’inverse de l’autre, il respire par sa face interne, qui est devenue l'externe, il digère par sa face externe, qui est devenue l'interne. I y à des animaux, au contraire, les animaux vertébrés, par exemple, dont toutes les fonetions, jusqu'aux plus délicates, se spécialisent et se lo- calisent. La sensibilité se localise dans le nerf: la contractilité, dans le muscle; chaque sensibilité spéciale, dans chaque nerf des sens ; l'intelligence elle-même se localise dans une partie déterminée de l’encéphale, etc. Si par unité de composition vous entendez un méme nombre de matériaux, c'est-à-dire, de par- ties constitutives de chaque appareil ou de chaque organe, ce même nombre de matériaux ne.se re- trouve nulle part. Les animaux dont tous les sens se réduisent au toucher n'ont pas le même nombre de matériaux que ceux qui ont des veux, des oreilles, un organe pour l'odorat, un pour le goût; les animaux qui n'ont pas de squelelte n'ont pas le même nombre de matériaux que ceux qui en ont unsset parmi PHILOSOPHIQUE. 995 ceux qui ont un squelette, ceux qui n’ont que quelques vertèbres * n'ont pasle même nombre de matériaux que ceux qui en ont des centaines ? ; ceux qui n'ont pas de membres * n'ont pas le méme nombre de matériaux que ceux qui en ont, etc., ete. Y at-il unité de type ? Dire qu'il n'y a qu'un seul type, c’est dire qu'il n’y à qu'une seule forme du système nerveux, car c'est la forme du système nerveux qui décide du type”, c'est-à-dire de la forme générale de l'animal. Or peut-on dire qu'il n’y ait qu'une seule forme du système nerveux? Peut-on dire que le système nerveux du £00phyte soit le même que celui du mollusque; le système nerveux du mollusque, le même que celui de l'articulé ; le système nerveux de l'articulé, le même que celui du vertébré? Et, si l'on ne peut pas dire qu'il n y ail qu'un système nerveux, peut-on dire qu'il nv ait qu'unseul type? a grenouille, qui n’en a que neuf. Le boa, le python, etc. ? Les cétacés, parmi les mammifères, n'ont pas de membres pos- lérieurs ; les serpents, parmi les reptiles, n'ont point de membres du tout. * Le système nerveux est proprement le modèle primitif, le type du corps entier. Voyez, ci-devant, p. 39 et suivanies. 1 E ns 224 HISTOIRE NATURELLE Enfin, y at-il unité de plan ? Le plan est la position relative des parties. On conçoit très-bien l'unité de plan sans l'unité de nombre : il suffit que les parties, quel qu’en soit le nombre, gardent toujours, les unes par rapport aux autres, les mêmes positions données. Mais peut-on dire que le vertébré, dont le système ner- veux est placé sur le canal digestif, soit fait sur le même plan que le mollusque, dont le canal digestif est placé sur le système nerveux? Peut-on dire que le crustacé, dont le cœur est placé par-dessus la moelle épinière, soit fait sur le même plan que le vertébré, dont la moelle épinière est placée par- dessus le cœur ? etc. La position relative des par- ties est-elle gardée? N'est-elle pas, au contraire, évidemment renversée? Et, s'il y a renversement dans la position des parties, y a-t-il unité de plan? | Tous les vertébrés forment un seul plan. Le nombre des parties a beau varier, les parties sub- sistantes conservent toujours leur position rela- tive, leur ordre. Le cœur est double dans le quadrupède, dans l'oiseau ; il se compose d'un seul ventrieule et de deux oreillettes dans la plupart des reptiles ; 11 ne Le ‘ PHILOSOPHIQUE. 295 2 se compose que d'un seul ventricule et d'une seule oreillette dans les poissons. Mais ce cœur, dont le nombre des cavités varie, et varie du double au simple, conserve toujours sa position donnée; il est toujours placé sous le canal digestif ; le canal digestif est toujours placé sous la moelle épinière. Rien ne varie plus, dans les animaux vertébrés, que le nombre des os, mais les os subsistants con- servent toujours leur ordre. Le crâne a toujours la même posilion par rapport au rachis, le rachis par rapport aux membres, toutes les parties des membres les unes par rapport aux autres. Le nombre total des vertèbres, la forme particulière de chaque vertèbre, tout cela peut varier, et varie en effet, et varie beaucoup; mais les vertèbres, quel qu'en soit le nombre, se rangent toujours en série, en suite, forment toujours un rachis, une épine du dos, une colonne vertébrale, un ensemble de parties enfin, dont la disposition générale est toujours la même. Le plan, c'est-à-dire la position relative des par- lies, se conserve donc dans les vertébrés : 1l se conserve de même dans les mollusques, dans les 296 HISTOIRE NATURELLE articulés, dans les 2400phytes ; mais il change du vertébré au mollusque, du mollusque à l'arhiculé, de l'articulé au z0ophyte; et c'est pour cela qu'il y a quatre plans, comme il y a quatre types dans le règne animal, el non un seul plan, un seul type. - A MD «, hs tt a 12 1 PHILOSOPHIQUE. III Impossibilité de certaines combinaisons orga- niques. — Nécessité de certaines interruptions dans l'échelle des êtres. Ceux qui veulent une échelle continue des êtres supposent toutes les combinaisons organiques pos- sibles. « Toutes les combinaisons, dit Bonnet, qui ont « pu s'exécuter avec les mêmes particules de la « matière, ont été exécutées et ont produit au- « tant d'espèces différentes. D'autres partieules , « jointes à celles-là, ont donné naissance à de nou- « velles combinaisons, el conséquemment à de « nouvelles espèces. Par là tous les vides ont « été remplis, toutes les places ont été occu- « pées". » La limite des combinaisons ne dépend donc, selon Bonnet, que du nombre des particules. Et 1 Principes philosophiques sur la cause première el sur son effet, p. 227. 15 12 t we) HISTOIRE NATURELLE la cause de son erreur est ici évidente. C’est qu'il veut combiner les parties organiques d'après un calcul abstrait. Mais les combinaisons organiques ne sont pas libres ; tous les rapports y sont déterminés, néces- saires. Certaines parties s'appellent, d’autres s’ex- cluent : tout ce qui est incompatible ou contradic- toire s'exclut nécessairement. Toutes les combinaisons, possibles pour l'esprit, ne le sont donc pas physiologiquement ou physi- quement. L'instinct qui pousse un animal à se nourrir de chair et de sang exelut un canal digestif d’herbi- vore; un estomac simple, et fait pour digérer la chair, exclut des dents à couronne plate et faites pour broyer des substances végétales, ete. Et si, d'une part, toutes les combinaisons ne sont pas possibles, il y a, d'autre part, des comhi- naisons obligées. Des dents d'une certaine espèce appellent nécessairement des intestins d'une cer- taine espèce ; des dents à couronne plate appellent nécessairement un estomac et des intestins d'her- bivore; un estomac et des intestins de carni- * PHILOSOPHIQUE. 229 vore appellent nécessairement des dents tran- chantes, etc. Je l'ai déjà dit, un estomac de carnivore appelle nécessairement un cerveau fait pour être le siége d'un certain instinct, de l'instinct qui porte l’ani- 1 . mal à se nourrir de chair. Il faut, de plus, que ce è x cerveau ait un certain développement, car il faut à l'animal carnivore, et qui doit se rendre mai- tre de l'herbivore, un certam degré d'intelligence dont l'animal herbivore peut, à la rigueur, se passer. Le cerveau d’un carnassier, qui serait ré- duit aux proportions du cerveau d'un rongeur, serait un cerveau qui ne suffirait pas. Il y a donc des combinaisons impossibles, et il “ y a des combinaisons nécessaires. Par conséquent toutes les complications n'exis- - {ent réellement pas, puisqu'il y a des combinaisons impossibles, ni toutes les simplifications, puisqu'il y a des combinaisons nécessaires. Par conséquent encore, si les combinaisons sont bornées, il y a nécessairement des interruptions, des hiatus. Encore une fois, vouloir qu'il n'y ait pas des an- HISTOIRE NATURELLE terruplions, des hiatus, c'est vouloi que ou combinaisons soient possibles. Or, de cela seul que certains ort il y a des combinaisons Ps et de » qu'il y a des CR il a hiatus. FU - LS + % L 2 Es à ef tt Ÿfe RE # æ _ PHILOSOPHIQUE. 251 à: | sas LR « Der. IV L _Fixité des espèces. _ De même qu'on a voulu ramener, d'un côté, toutes les structures à une, tous les organismes à : un seul organisme, on a voulu ramener, de l'autre, loutes les espèces à une, on a voulu tirer toutes les espèces d'une seule espèce. L. Maillet est l’un des premiers qui aient tenté part de ce fait, plus ou moins confusément ; par lui, que la mer a commencé par cou- rir la terre. Or, dit Maillet, si la mer a commencé par cou- | terre, tous les animaux ont donc commenc* par être des animaux marins. 1 Voyez son Telliamed \Telliamed est l'anagramme de son nom | De Maillet) ou Entretiens d'un philosophe indien avec un mission: naire français sur la diminution de la mer. OT RTE. 232 HISTOIRE NATURELLE \ La mer a des animaux qui nagent à la superficie de ses eaux; elle en a d’autres qui rampent dans son fond’. Des premiers sont venus les oiseaux ; des seconds sont venuis les reptiles et les mammi- fères. Rien n'arrête Maille. Si, par exemple, un pois-. ; son volant s'élance dans l'air et va tomber sur la terre, sur des roseaux, sur des herbages, ses na- geoires antérieures se dessèchent , se fendent, se déjettent par la sécheresse ?, prennent un tuyau, des 4 barbes, se transforment en ailes, etc.; les nageoi- res postérieures ou ventrales se transforment en pieds; le cou, le bec s’allongent, etc.; le poisson volant devient un oiseau. À Des idées aussi bizarres ne sauraient être 5 jet d'un examen sérieux , pas plus que celles de iobinet, lequel ne voit, dans les différents êtres, M que des essais”, que des études de la nature qui 1 ’ LA à frise P 4 apprend à faire l'homme *. 3 ! Expressions de Maillet. ? Expressions de Maillet. 5 C'est le litre même de son livre: Considérations philosophi- | ques sur la gradation naturelle des formes de l'être, ou les Essais | de la nature qui apprend à faire l'homme. Paris, 1768. | “I cite et prend à la lettre ce joli mot de Pline sur le liseron : À : Er TA PHILOSOPHIQUE, 255 + Tous les êtres ne sont que des ébauches succes- sives, que différents âges les uns des autres, et tous d’un seul, qui est le plus parfait de tous, qui est l'homme. Je dis les différents âges, et, si ce n'est l'expres- sion même de Robinet, c’est sa pensée. « Un ver, dit-il, un coquillage, un serpent sont « comme autant de chrysalides du prototype, qui « passe de l’état de plante à celui de scarabée, de « l'état de scarabée à celui de crustacé, et de l’état « de crustacé à celui de poisson ‘. » « On connait les idées de M. de Lamarck. Et ces idées étonnent dans un homme d'un si grand Savoir. que le liseron est l'apprentissage de la nature qui apprend à faire un dis — Convolvulus tirocinium naturæ lilium formare dis- centis. 1 Considérations philosophiques, elc., p. 81. Vous trouverez aussi, dans Robinet, l'idée que le squelette intérieur du vertébré n’est que la conversion, la transformation de la substance calcaire qui recouvre la peau du crustacé. « Le casque et les cornes du « crustacé sont employés, dit-il, à composer les os de là tête, le “ crâne, les mâchoires, etc. ; la cuirasse et les tablettes de la « queue se roulent suivant leur longueur, se divisent et se façon- « nent en un très-grand nombre de vertèbres attachées bout à « bout. Les fourreaux des pattes rentrés dans le corps vont s'unir « aux vertèbres dorsales, et deviennent des côtes, Les croûtes se « convertissent ainsi en os, » etc. p. 79. _ 274 HISTOIRE NATURELLE Selon M. de Lamarck !, les circonstances font tout. Des circonstances naissent les besoins, des be- soins les désirs, des désirs les facultés, des facul- tés les organes. L'habitude d'exercer un organe le développe ; ce même organe, faute d'habitude, se rapetisse de plus en plus et finit par disparaitre. La taupe, qui, vivant sous terre, n'avait pas A soin de ses yeux, finit par les perdre, ou à } eu près. Les quadrupèdes, qui, comme les édentés, avalent leur nourriture sans la mâcher, per leurs dents. C’est pourquoi les oiseaux n'en ont pas, car ils ne mâchent pas non plus. Les quadru- pèdes, que les circonstances ont conduits à brouter l'herbe, n’ont pas de doigts divisés ; ceux qu'elles ont conduits à se nourrir de chair, de proie vi- vante, ont les doigts divisés: « l'habitude d'enfon- « cer leurs doigts dans l'épaisseur des corps qu'ils « voulaient saisir, favorisant la séparation de ces | « doigts, a graduellement formé, dit M. de La- | 1 Recherches sur l'organisation des corps vivants, et parliculié- | rement sur leur origine, sur la cause de ses développements el des progrès de sa composition, ele. Voyez aussi sa Philosophie 200- logique. PHILOSOPHIQUE. 935 « marck, les griffes dont nous les voyons ar- « més !. » De nos jours, on à renouvelé quelques-unes de ces idées, particulièrement celles de Robinet. On a donc prétendu que toutes les classes ne sont que le développement d'une seule classe ; que les classes inférieures ne sont que les premiers âges des elasses supérieures ; que le ver est lem- on du vertébré ; le vertébré à sang froid, l'em- du vertébré à sang chaud, etc. Réduisons ces propositions à des termes clairs et précis. Vous remarquez, dans l'embryon d'un animal vertébré, un moment où son corps allongé et sans membres, du moins visibles, ressemble par là au corps du ver qui n'a pas de membres, et vous en concluez que cet embryon est alors à l’état de ver. Mais ce n'est là qu'une apparence extérieure et grossière. Pénétrez à l'intérieur, et vous verrez que tout diffère. Le ver (un ver articulé, un anné- lide, par exemple) a sa moelle épinière placée sous ! Recherches sur l'organisation des corps vivants, ete., p. 59. 13. 236 HISTOIRE NATURELLE son canal digestif, son canal digestif placé sous sa grande artère. Or, y a-t-il un moment, dans l'embryon de l'a- nimal vertébré, où la moelle épinière soit sous le canal digestif, le canal digestif sous le cœur ? Non, sans doute. Tout es! placé dans l'intérieur de l'em- bryon de l'animal vertébré, comme il le sera plus tard dans l'animal vertébré adulte. L’embryon de l'animal vertébré a donc toujours la structure de l'animal vertébré, il n'a jamais la structure du ver, il n'est jamais à l'état de ver. J | # Mais laissons les systèmes, et venons aux faits. Considérons, un moment, la fivité des espèces sous un autre point de vue, sous un point de vue plus immédiat, plus direct, et sous le rapport des preuves mêmes sur lesquelles s'appuie M. Cuvier pour la démontrer. M. Cuvier commence par poser les limites de ce qu'on appelle variété ou race, dans une espèce proprement dite. r Or, il voit, d'une part, les causes qui détermi- nent les variétés d'une espèce être toutes acciden- telles, la chaleur, la lumière, le climat, la nourri- 4 r PHILOSOPHIQUE. 257 ture, la domesticité ; il voit, de l'autre, ces causes accidentelles n'agir que sur les caractères les plus superficiels, la couleur, l'abondance du poil, la taille de l'animal, etc. « Le loup et le renard habitent, dit-il, depuis « la zone torride jusqu'à la zone glaciale, et, dans « cet immense intervalle, ils n'éprouvent d'autre « variété qu'un peu plus ou un peu moins de « beauté dans leur fourrure. Une crinière plus « fournie fait la seule différence entre l’hyène de « Perse et celle de Maroc. Que l’on prenne, ajoute- Ë «t-il, les deux éléphants les plus dissemblables, « et que l’on voie s'il y a la moindre différence « dans le nombre ou les articulations des os, « dans la structure des dents, etc. » Les variations sont, il est vrai, beaucoup plus grandes dans les animaux domestiques, mais elles sont toujours superficielles. Celles du mouton portent principalement sur la laine, etc.; celles du bœuf sur la taille, sur des cornes plus ou moins longues où qui manquent, sur une loupe de graisse plus où moins forte qui se forme sur les épaules, etc.; celles du cheval sont moindres en- core. L'extrême des différences dans les herbivo- £: TT 238 HISTOIRE NATURELLE res domestiques est donné par le cochon; et cet extrême se borne à des défenses plus ou moins développées, ou à des ongles qui se soudent dans quelques races. L'animal Mn aqur: : sur lequel la main de l’homme a le plus appuyé est le chien. Les chiens varient par la couleur, par l'épaisseur du poil, etc., par la taille, par la forme du nez, des oreilles, d: la queue, par le développement du cerveau, et, ce qui en est une suite, par la forme de la tête. HI y a des chiens qui ont un doigt de plus au pied de derrière, comme il y a des familles sexdigitaires dans l'espèce humaine. Dans un s curieux sur les veriétés des chiens, M. Frédéric Cuvier a constaté ce fait singulier, savoir, qu'il se trouve des individus à une dent de plus ‘, soit d'un côté, soit de l’autre. Là est le maximum des varialions connues dans le règne animal; et quant à l'opinion de quelques naturalistes qui se rejettent sur l'effet du temps pour changer le type des espèces, non-seulement celle opinion est sans preuves, mais elle a même 1 La dent surnuméraire est une fausse molaire, PHILOSOPHIQUE. - 239 contre elle des preuves formelles et décisives. « L'Egypte nous a conservé, dans ses catacom- « bes, dit M. Cuvier, des chats, des chiens, des « singes, des têtes de bœufs, des 1bis, des oiseaux « de proie, des croccdiles, etc., et certainement «on n'aperçoil pas plus de différence entre ces « êtres et ceux que nous voyons qu'entre les mo- «amies humaines et les squelettes d'hommes « d'aujourd hui. » * : =, Mais voici quelque chose de plus décisif encore. Il y a deux espèces qui sont les plus voisines qu'il soit possible, si voisines, que, comme je l'ai déjà dit, on n’a pu jusqu'ici trouver aucune différence caractéristique entre leurs squelettes. Ces espèces sont l'âne et le cheval. L'âne ne diffère du cheval que par les proportions d’un petit nombre de ses parties, de ses sabots, de ses oreilles, de sa croupe, de sa queue, etc. De plus, les deux espèces s’unis- sent et produisent ensemble depuis des siècles. Assurément, si jamais on à pu imaginer une réunion complète de toutes les conditions les plus favorables à la transformation d'une espèce en une autre, cette réunion se trouve ici. Et cepen- dant, va-t-il eu transformation? L'espèce de l'âne 240 s HISTOIRE NATURELLE s’est-elle transformée en celle du cheval, ou celle du cheval en celle de l'âne? Ne sont-elles pas aussi distinctes aujourd'hui qu'elles l'aient jamais été? Au milieu de toutes ces races, presque in- nombrables, qu'on a tirées de chacune d’el en a-{-il une seule qui soit passée de l'e cheval à celle de l'âne, ou, réciproque l'espèce de l'âne à celle du cheval "? L'espèce est donc fixe. Les variétés de chaque espèce, déterminées par des circonstances exté- rieures (la chaleur, la lumière, le climat, la nour- riture, la domeslicité), ont leurs limites. Les variations qui résultent du croisement des espèces voisines ont aussi les leurs : car, d’une part, si les métis, c'est-à-dire les individus provenant de ces ! On peut en dire autant de l’espèce du boue et de celle du bé- lier. Le bouc s’accouple avec la brebis, le bélier se joint avec la chèvre; mais, ainsi que le dit très-bien Buffon, « quoique ces accou- plements soient assez fréquents et quelquefois prolifiques, il ne « s'est point formé d’espèce intermédiaire entre la chèvre et la brebis. Ces deux espèces sont distinctes, demeurent constamment séparées et toujours à la même distance l’une de l’autre; elles n'ont donc point été altérées par ces mélanges, elles n’ont point fait de nouvelles souches, de nouvelles races d'animaux miloyens, «elles n'ont produit que des différences individuelles, qui mi fluent pas sur l'unité de chacune des espèces primitives, et « confirment au contraire la réalité de leur différence « tique. » (Histoire de la Chèvre.) a D D: É PHILOSOPHIQUE. 2 unions croisées, s'unissent entre eux, ils devien- nent bientôt inféconds, et de l'autre, s'ils s'unis- sent à l’une des deux espèces primitives, ils re- tournent à cette espèce. e mulet, produit de l'union de l'âne avec la du cheval avec l'ânesse, est généra- nt infécond dès la première génération, du moins dans nos climats. Les métis du loup et du chien, de la chèvre et du bélier, cessent d'être fé- conds, dès les deux ou trois premières générations. De plus, si l'on unit ces métis à l’une ou à l'autre des deux espèces primitives, on les ramène promp- tement, comme je viens de le dire, à celle des deux espèces à laquelle on les unit. De quelque côté que l'on envisage la question qui nous occupe, Fimmulabilité des espèces esl donc le grand fait, le fait qui ressort de tout, et que tout démontre. Mais, la constance des espèces actuelles une fois établie, une autre question se présente. Les es- pèces des âges précédents avaient-elles aussi leur constance ? ou bien ont-elles varié, et nos espèces les peuvent-elles être regardées comme n'é- tou une modification de ces espèces perdues? 1, 249 HISTOIRE NATURELLE Les faits rassemblés dans le grand ouvrage de M. Cuvier sur les ossements fossiles répondent à cette question. Les animaux des divers âges du globe ne sont- ils que des modifications les uns des autres? Par exemple, les animaux de l'âge actuel ne sont-ils que des modifications des animaux de l’âge qui avait précédé, de l'âge des manunouths et des mus- todontes ; les animaux de l'âge précédent, les mammouths, les mastodontes, etc., n'étaient-ils que des modifications des animaux d'un âge plus ancien encore, de l’âge des palæothériums et des lophiodons? «Mais, comme le dit très-bien M. Cuvier, si « cette transformation a eu lieu, pourquoi la terre «ne nous en a-t-elle pas conservé les traces ? « Pourquoi ne découvre-t-on pas, entre le palæo- « thérium, le mégalonix, le mastodonte, etc., et _ «les espèces d'aujourd'hui, quelques formes im- « termédiaires ? » Il ya plus. Pour concevoir la transformation d'une espèce en une autre, on est forcé d'admettre des modifications lentes et graduées, et par consé- quent des événements, des causes qui aient agi craduellement aussi. Or, de telles causes n'ont PHILOSOPHIQUE. 245 point existé. Les catastrophes qui sont venues couper les espèces ont été subites, instantanées. La preuve en est dans ces grands quadrupèdes du Nord, saisis par la glace, et conservés jusqu’à nos jours avec leur peau, leur poil, leur chair. Lors donc qu'on irait jusqu'à accorder que les espèces anciennes auraient pu, en se modifiant, se transformer en celles qui existent aujourd'hui, cela ne servirait à rien, «car, comme le dit encore « M. Cuvier, elles n'auraient pas eu le temps de « se livrer à leurs variations. » Nos espèces actuelles ne sont done point de simples modifications des espèces perdues ; ces espèces perdues n'ont point changé; et nos espèces actuelles, prises en elles-mêmes, sont constantes et immuables. 244 HISTOTRE NATURELLE Caractères particuliers de lespèce et du genre. Buffon définit l'espèce « une succession con- « stante d'individus semblables et qui se repro- « duisent ! : » par où il mêle deux Ms le fait de la reproduction et celui de la ressemblance. Or, il avait déjà remarqué, et fort judicieusement, # que la comparaison de la ressemblance n° ‘une idée accessoire *. Reste donc le fait de la r'eproduc- lion, et par conséquent l'espèce n’est, pour lui, ! Voyez mon édition des Œuvres de Buffon, t. M, p. 416. # « La comparaison du nombre ou de la ressemblance des indivi- dus n’est, dit Buffon, qu'une idée accessoire et souvent indépen- dante de la première (la succession constante des individus par la génération) ; car l’âne ressemble au cheval plus que le baebet au lévrier, et cependant le barbet et le lévrier ne font qu'une même « espèce, puisqu'ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d'autres; au lieu que le cheval et « l'âne sont certainement de différentes espèces, puisqu'ils ne « produisent ensemble que des individus viciés et inféconds. » Ibid., p. A5. = PHILOSOPHIQUE. 245 que la succession des individus qui se reproduisent. M. Cuvier définit aussi l'espèce : « La réunion des individus descendus l’un de l'autre ou de pa- rents communs ‘. » L'espèce n'est donc pour M. Cuvier, comme pour Buffon, que la succession des individus qui se reproduisent et se perpétuent. Voilà donc l'espèce définie par le fait : l'espèce est la succession des individus qui se reproduisent. Mais n'y a-t-il pas aussi quelque fait par lequel on puisse définir le genre? C'est cette définition que je cherche. Que deux individus, mäle et femelle, semblables entre eux, se mêlent, produisent, et que leur pro- duit soit susceptible à son {our de se reproduire, et voilà l'espèce : la succession des individus qui se reproduisent et se perpétuent. À côté de ce pre- mier fait, que deux individus, mâle et femelle, ‘Il ajoute : « Et de ceux qui leur ressemblent autant qu'ils se « ressemblent entre eux. » Mais ce n’est là encore, même pour lui, qu'une idée accessoire, car il dit ailleurs : « Les différences appa- « rentes d’un mâtin et d'un barbet, d’un lévrier et d'un doguin, « sont plus fortes que celles d’aucunes espèces sauvages du même « genre. » L'idée fondamentale de l'espèce est donc la succession par la génération. « Ge caractère seul, dit éncore Buffon, constittte _« la réalité et l'unité de ce que l'on doit appeler espèce. » Voyez mon édition des Œuvres de Buffon, 1. W, p. 457 246 HISTOIRE NATURELLE moins semblables entre eux que n'étaient les deux précédents, se mélent, produisent, et que leur produit soit infécond, ou immédiatement, ou après quelques générations, et voilà le genre. Le carac- tère de l'espèce est la fécondité qui se perpétue, le caractère du genre est la fécondité bornée. La géné- ration donne donc ainsi les espèces par la fécondité qui se perpétue, et les genres par la fécondité bornée. Je sais bien que le groupe que je propose, et qui résulterait du croisement fécond des espèces, ne répondrait plus exactement aux genres ordi- naires des naturalistes, formés par la seule com- paraison des ressemblances ; mais on pourrait donner à ce groupe tel nom qu'on voudrait, le point essentiel ici est de le constater. Je sais bien encore que les expériences nécessaires pour en généraliser l'établissement sont loin d'être faites, et ne le seront peut-être jamais : « Le plus grand « obstacle qu'il y ait à l'avancement de nos con- « naissances, disait Buffon, est l'ignorance pres- « que forcée dans laquelle nous sommes d'un «très-grand nombre d'effets que le temps seul «n'a pu présenter à nos veux, et qui ne se dé- - PHILOSOPHIQUE. 247 « voileront même à ceux de la postérité que par « des expériences et des observations combinées. « En attendant nous errons dans les ténèbres, ou « nous marchons avec perplexité entre des pré- « jugés et des probabilités, ignorant même jusqu'à = « la possibilité des choses, et confondant à tout « moment les opinions des hommes avec les actes « de la nature ‘. » Toutefois on a déjà quelques faits. On sait que les espèces du cheval, de l'âne, du zèbre, peuvent se mêler et produire ensemble; celles du loup et du chien se mêlent et produisent aussi; il en est de même de celles de la chèvre et de la brebis, de la vache et du bison. Le tigre et le lion ont pro- duit à Londres, fait remarquable et qui renverse ce principe que l’on s'était trop hâté de poser, savoir, que, pour que le croisement de deux es- pèces füt fécond, il fallait au moins que l'une d'elles fût domestique. Je m'en tiens à ces exemples certains, tirés de la classe des mammifères. On connaît, dans celle des oiseaux, les unions croisées de plusieurs espè- LT. II, p. 454. 245 HISTOIRE NATURELLE ces, du serin avec le chardonneret, avec la h- 1 nolle, avec le verdier, etc., des faisans dorés , argentés et communs, soit entre eux, soit avec la poule, etc. Au milieu de tous les autres groupes de la me- thode, l'espèce et le genre se distinguent donc en ce qu'ils ne se fondent pas seulement sur la comparaison des ressemblances, mais sur des rap- ports direels et effectifs de génération eb de fé- condité. PHILOSOPHIQUE,. 249 VI Caractères particuliers de l'espèce et du genre (SUITE. L'arucle qui précède est de 1841, date de la première édition de ce livre. J'ai commencé, en 1845, des expériences, con- üinuées depuis sans interruption, sur les unions croisées du loup avec le chien et du chien avec le chacal. Buffon avait déja vu des métis de chien et de loup", et, sous la surveillance de Frédéric Cuvier, notre Ménagerie en a eu souvent. . On n’en peut dire autant des métis de chacal et de chien. Je crois être le premier qui les ait fait connaitre. L'accouplement d'un chacal avec une chienne me donna, en 1845, trois petits. L'un d'eux avait le pelage gris-fauve du père ; le pelage des deux autres était un peu , 4 la mère était noire. 1 Voyez mon édition des Œuvres de Buffon, 1. IV, p. 197. 250 HISTOIRE NATURELLE Ces Lrois métis, élevés au milieu de petits chiens de leur âge, en différaient d’abord par des allures brusques, farouches. C’étaient trois sauvages éle- vés au milieu d'un peuple civilisé. D'un autre côté, leur première dentition mar- cha beaucoup plus vite que celle des petits chiens. Mais ce qui les distinguait surtout de ces petits chiens, c'est qu'ils avaient les deux poils de tout animal sauvage : le poil soyeux et le poil laineux, tandis que les petits chiens n'avaient qu'un poil, le poil soyeux *. Buffon avait déjà constaté que le renard ne s ac- couple point avec la chienne?. Mes expériences ont confirmé celles de Buffon. Jamais le renard n'a voulu s'accoupler avec la chienne, ni le chien avec la renarde. Je suis même convaincu que leur accouplement, s'il a jamais lieu, sera sans effet. Des animaux qui diffèrent par quelque carac- tère marqué, soit dans les dents, soit dans les or- vanes des sens, ne sont plus du même genre. ! Tout quadrupède sauvage a deux poils : le soyeuæ ct le laineux. Par un contraste singulier, ie mouton domestique a perdu son poil soyeux, et le chien domestique son poil laineux. 2? Voyez mon édition des Œuvres de Buffon, LA, p. 488. 7 FT PHILOSOPHIQUE 951 Le chien a la pupille en forme de disque, le re- nard a la pupille allongée”; le chien est diurne, le renard voit mieux la nuit que le jour. Avec une telle différence, et relative à un tel organe, il ne peut y avoir unité de genre. Le chien, le loup, le chacal, ont toute leur struc- ture semblable ; la forme de leur pupille est Ia même. Aussi le loup etle chien, le chien et le cha- cal, produisent-ils ensemble, comme on vient de voir. « La parenté des espèces, dit Buffon, est un des mystères profonds de la nature que l'homme « ne pourra sonder qu à foree d'expériences aussi réltérées que longues et difficiles. Comment « pourra-t-on connaître, autrement que par les ré- « sultats de l'union mille et mille fois tentée des « animaux d'espèce différente, leur degré de pa- « renté ? L'âne est-il parent plus proche du cheval « que du zèbre ? Le loup est-il plus près du chien « que le renard et le chacal*? » Mes expériences répondent à cette dernière ques- AR 2 1 Quand la pupille se ferme, elle forme une fente verticale comme dans les chats. ? Voyez mon élilion des Œuvres de Buffon, t. IV, p. 210 14 ps + 252 HISTOIRE NATURELLE ton. Le loup et le chacal sont plus près du chien que le renard, car le loup et le chacal produisent avec le chien, et le renaxd et le chien ne produisent point ensemble. Quant à la première, on peut répondre que l'âne est parent aussi proche du cheval que du zè- bre, ear il a produit également, dans notre Ména- gerie, avec l’un et avec l’autre. « L'union des animaux d'espèces différentes, dit « très-bien Buffon , est le seul moyen de reconnai- « tre leur parenté”. » On ne peut marquer la limite de l'espèce que par la limite de ses croisements féconds. Buffon a fait, sur la reproduction du ehien et du loup, une série d'expériences ?. Il n’a jamais pu passer la troisième génération. Frédéric Cuvier, qui a été, pendant trente ans, le surveillant de la Ménagerie du Jardin-des-Plantes, n’a pu aller plus loin que Buffon. Moi-même je n'ai pu obtenir da- van{tage. Sur le chacal et le chien, j'ai pualler jusqu'à la quatrième génération: mais je n'ai pu la dépasser. ! Voyez mon édition des OEuvres de Buffon, t. IV, p. 211: 2 1bid., & AV, p. 214 et suivantes, PHILOSOPHIQUE. 253 Grâce à mes expériences sur les métis, persévé- ramment poursuivies, nous avons donc enfin les caractères précis de l'espèce et du genre. Le caractère de l'espèce est la fécondité continue. Le caractère du genre est la fécondité bornée. Dé: bd AR fi am R.i LIN “, HISTOIRE NATURELLE LE) ct LS VII Fransformation de la théorie des causes finales en théorie des conditions d'existence, Un des plus grands services que M. Cuvier ail rendus à l'histoire naturelle a été d'y ramener la théorie des causes finales. J'ai parlé bien souvent, dans cet ouvrage, de la loi des corrélations organiques : on a vu que, dans un animal, toutes les parties tiennent les unes aux autres, se donnent les unes les autres, tranchons le mot, ont été faites les unes pour les autres. La loi des corrélations organiques est la loi des conditions d'existence (nul être ne pourrait exis- ler, si toutes ses parties n'étaient pas faites les unes pour les autres); la loi des conditions d'exis- tence est la loi même des causes finales. « L'histoire naturelle, dit M. Cuvier, a un prin- « cipe qui lui est particulier ; c'est celui des con- « diions d'existence, vulgairement nommé des causes finales. Comme rien ne peut exister, PHILOSOPHIQUE, 255 « S'ilne réunit les conditions qui rendent son exis- « tence possible, les différentes parties de chaque « être doivent être coordonnées de manière à ren- « dre possible l'être total, non-seulement en lui- « même, mais dans ses rapports avec Ceux qui « l'entourent *. » C'est au moyen de la loi des conditions d’exis- tence, de la loi des corrélations organiques, que, comme Je l'ai déjà dit tant de fois, M. Cuvier a ré- tabli toutes les espèces perdues. Il y a un emploi niais des causes finales. Mais, à ne parler ici que de l'emploi sensé, on se trompe de marche. On veut aller des causes finales aux faits ; il faut aller des faits aux causes finales *. Plus je pénètre dans l'étude de la nature, plus ! Il dit ailleurs: « Il ne suffit pas que les parties de chaque être « soient entre elles dans cette harmonie, condition nécessaire de « l'existence ; il faut encore que les êtres eux-mêmes soient entre « eux dans une harmonie semblable pour le maintien de l'ordre « du monde. Les espèces sont mutuellement nécessaires, les unes « comme proie, les autres comme destructeur et modérateur de « propagalion. On ne peut pas se représenter raisonnablement un « état de choses où il y aurait des mouches sans hirondelles, et ré- « ciproquement. » 2 Voyez ce que j'ai dit des Causes finales dans mon Histoire des travaux et des idées de Buffon, chap. xiv, p. 259 el suivantes (se- conde édition). 1 256 HISTOIRE NATURELLE je trouve partout la preuve d'un dessein suivi: ce dessein suivi est la preuve des causes finales, c'est- à-dire des causes qui se rapportent aux fins, c'est- à-dire de la MAIN suerèME qui à établi ces fins et ces causes. Et remarquez bien que je ne conclus pas le des- sein suivi des causes finales ; je conelus, au con- traire, les causes finales du dessein suivi. PHILOSOPHIQUE, Le Qr + VIII Des Leçons de M. Cuvier sur l'histoire des seiences naturelles. Je ne dirai qu'un mot de ces Leçons. On sait que M. Cuvier est mort sans avoir eu le temps de les réunir en un corps d'ouvrage *. Il y suivait l'histoire des sciences naturelles de- puis leur première origine jusqu’à l'état brillant où nous les voyons aujourd'hui; et il divisait cette histoire en trois grandes époques. La première est celle de l'Orient : c'est l'époque religieuse où mystique ; la seconde est celle de la Grèce: c'est l'époque philosophique ; la troisième est l'époque moderne : M. Cuvier la nommait l'é- poque de la division du travail. ! Une partie de ces Leçons a été recueillie et publiée par M. Mag- d. leine de Saint-Agy, sous ce titre : Histoire des sciences natu- relles, depuis leur origine jusqu'à nos jours, chez tous les peuples connus, profes. au Collége de France par Georges Cuvier 258 HISTOIRE NATURELLE Arrivé à celle troisième époque, qui est l'époque vraiment scientifique de l'histoire des hommes, il suivait la marche particulière de chacune des bran- ches de l'histoire naturelle: de l'anatomie, de la zoologie, de la botanique, de la minéralogie, de la chimie, marquant, pour chacune, la chaine des efforts qui l'ont conduite, de ses premières erreurs à ses prenuères vérités, des hypothèses aux faits, des systèmes à la méthode expérimentale”. Jamais nos chaires n'ont eu d'enseignement plus haut; et l'on peut appliquer à M. Cuvier ces belles paroles qu'il appliquait lui-même à Bacon : [l instruisait le monde en théorie. H l'a aussi instruit en pratique, comme Galilée; car il a consacré sa vie entière à recueillir des faits, et à faire sortir de ces faits les méthodes ct es théories les plus élevées. C'est aux faits qu'il demandait toujours la raison des théories, et à l'observation, la raison des faits. ! «I résulte de l'histoire des science:, dit M. Cuvier, deux avan « tages, celui de faire naître des idées nouvelles qui multiplient PHILOSOPHIQUE 959 I disait que : « chaque fait à une place déter- « minée, et qui ne peut être remplie que par lui « seul. » 11 disait encore : « On doit considérer l'édifice « des sciences comme celui de la nature: tout v «est Imfini, mais tout y est nécessaire. » Il a eu la gloire, gloire très-réelle dans un siècle aussi savant que le nôtre, de donner à l’ensei- gnement une forme nouvelle’. On se bornait à « les connaissances acquises, et celui d'enseigner le mode d’inves- « ligation qui conduit le plus sûrement aux découvertes. « Ce dernier enseignement est de la plus haute importance, car « telle est l'influence de la méthode dans les sciences naturelles « que, pendant les trente où quarante siècles qui ont déjà été em- « ployés à leur développement, tous les systèmes à priori, toutes « les pures hypothèses, se sont détruits réciproquement et ont laissé « avec eux, dans les obseurités du passé, les noms de ceux qui les . @avaient imaginés; tandis que, au contraire, les observations, les « faits qui ont été décrits avec exactitude et avec clarté sont venus « jusqu’à nous et subsisteront aussi longtemps que les sciences, ac- « compagnés du nom de leurs auteurs pour lesquels ils sont des « titres éternels à la reconnaissance des hommes. » 1 « Il n’est pas de science, dit M. Cuvier, dont l’histoire ne soit « utile aux hommes qui la cultivent; mais l'histoire des sciences « naturelles est indispensable aux naturalistes. En effet, les notions « dont ces sciences se composent ne sauraient être le résultat de « Chéories faites à priori. Elles sont fondées sur un nombre pres- « que infini de faits qui ne peuvent être connus que par l’obser- « vation. .... Nous sommes donc obligés de recourir à l'histoire « où sont consignées ces observations. Mais à cette histoire des LS * 260 HISTOIRE DES SCIENCES NATURELLES. l'histoire des choses : il a joint à l'histoire des choses celle des hommes ; à l’histoire de chaque doctrine, celle de son auteur ; à l'histoire du fait, celle de l'observateur. Son génie semblait avoir reçu la mission de nous révéler la marche des autres génies. « faits, il faut joindre celle des savants, car la valeur de leur té- « moignage dépend souvent beaucoup des circonstances de lieux, « de temps et de position dans lesquelles ils se sont trouvés. » F1] Œ =) = ee LA En — — + ÿ= 7 M. Ve û VER DU MOT NATURE DU MOT NATURE DÉFINI PAR M. CUVIER. « Le mot xarune ', dit M. Cuvier, comme tous « les termes abstraits qui passent dans le langage « commun, a pris des sens nombreux et divers. « Primitivement, et d'après son étymologie, il « signifie ce qu'un être tient de naissance, par « opposition à ce qu'il peut devoir à l'art. Ainsi, « la nature de l'oiseau, la nature du lion, la na- « ture du chêne, embrasse tout ce qui appartient « à ces espèces, lant que l'homme n'a point agi « sur elles, les éléments qui les composent, la « structure et la disposition de leurs parties, et « les effets qui en résultent, soit dans leur exis- « Lence et ses diverses phases, soit dans leurs 1 Voyez le Dictionnaire des sciences naturelles : article Nature. 15 264 DU MOT « rapports avec les autres espèces : dans ce «sens, le mot s'entend au moral aussi bien « qu'au physique. I est dans la nature du chêne « de croitre trois siècles, d'avoir le bois dur, « d'attendre à une grande hauteur, ele. II «est, dans celle de l'oiseau, de s'élever dans les « « à gm . s FE So Les — + . es >. Ps Fe nr = ‘ ” = . a un rh nn - RSS Le 24. > “a ee mm - PRE lee" “ue CRE MA _ Ton ne em 7 . Re en at ee peu - D RS ms ae 3 ” La” Dines pur re SE a ne" « eur hole ne à ue En x * Te en Eee = EE 1 nr Le DO Er Ce PQ Le ee bn 7n RL . 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