Sjtbranj Itttwrrattg of f tttaburglî Darlington Mémorial Library (Elaas look.. Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from University of Pittsburgh Library System http://www.archive.org/details/histoireetdescri03char HISTOIRE DE LA NOUVELLE FRANCE TOME III. JOURNAL D'UN VOYAGE FAIT PAR ORDRE DU ROI DANS L'AMERIQUE SEPTENTRIONNALE5 Adressé a Madame la Duchesse DE LESDIGUIERES. Par le P. De ChARLEVOIX , de la Compagnie de JESUS. TOME TROISIEME. A PARIS, Chez ROL LIN Fils ^ Quai des Auguftins, à Saint Athamfc 7 & au Palmier. M. D C C. X L I V. AVEC APPROBATION ET PRIVILEGE DU ROL dont la connoiffance ne peut que faire plaifir. Avant de quitter Terre-Neuve , il eft bon d'avertir , qu'il s'eft glilTé une faute dans l'impréfîion de cet Ouvrage , tom. i , page 8. En parlant de cette Iile , le Cap de Bonneviftey ejl dit Jîtué par les 46. de- grés de latitude 3 il faut lire 49. degrés 30. minutes : & un peu rjlus bas on trouve , il descendit au Sud Sud-EJl 6. degrés , il faut lire 6. lieues.- 20. L'Ifle Royale & le Golphe Saint Laurent font travail- lés avec foin ; mais pour le faire connoître , je ne puis que répeter ce que je viens de dire. Ce font toujours des latitu- des obfervées ; des diftances eftimées par les Navigateurs , cV conclues de leurs routes -, des releyemens de differens points , &e. J'obferverai cependant que la latitude du Cap de Nord en l'Ifle Royale , eft de 47. degrés 5. minutes ; celle des Mes aux Oifeaux de 48. degrés , & celle du Cap des Rofiers de 49. degrés : qu'entre 1'IfîedeS. Paul& le Cap de Raye , il n'y a que 14.315. lieues, & qu'ils gifent entr'eux Nord-Eft-quart- Eft , & Sud-Oueft-Quart-d'Oueft , &c. Voyons comment la Carte Angloife marque ces- Parties. On y trouve entre l'Ifle de S. Paul & le Cap de Raye 25. lieues de diftance , & leur gifement Nord-quart de Nord-Eft , 8c Sud-Quart de Sud-Ouelt. : quelle prodigieufe différence , quatre rumbs de vent fur un gifement, & dix lieues de trop fur une diftance de 14. lieues ! Mais ce qui doit furprendre , e'eft d'y voir par 50. degrés 20. minutes de latitude , le Cap des Rofiers, que nous avons dit ci-devant être par les 49. degrés ; de forte que cette Carte met plus de 60. lieuë's des Ifles aux Oifeaux , au Cap des Rofiers , lorfqu'il nyen a que 42. ou 43. au plus. L'Ifle Royale & l'Ifle de S. Jean, de même que toute la Côte voifine , jufqu'à l'entrée du Fleuve S. Lau- rent , n'ont aucune précifion dans la Carte Angloife , ni les détails néceffaires pour donner des idées un peu jufles de ces Pays : pour en être convaincu , il ne faut que la comparer avec la mienne. L'Ifle Royale m'a paru mériter une Carte particulière ; celle vj REMARQUES DEM. BELLIN que l'on trouve ici , a été drefTée fur les divers Manufcrits du Dépôt , & fur les Journaux des plus habiles Navigateurs : ainu je crois , qu'on peut y avoir quelque confiance : & com- me cette Ifle nous intéreffe , j'y ai joint le plan du Port & de la Ville de Louyfbourg , qui eft la Capitale de Une ; & un plan du Port Dauphin & de fa Rade , dont la ûtuation eft des plus belles. On fera peut-être furpris de ne pas trouver des fondes fur mes plans ; c'eft-à-dire , la quantité de braffes , ou de pieds d'eau ; je fçais que ces détails font extrêmement utiles , & il m'auroit été facile de les remplir avec exactitude : mais des raifons particulières , qui n'ont rien de commun avec la Géo- graphie , m'en ont empêché. A l'égard des plans des Ports , qui n'appartiennent pas â la France , j'y ai mis des fondes. J'ai placé l'ifle de Sable à environ 30. lieues au Sud de Louyfbourg , par la latitude de 44. degrés 10. an. minutes. Cette pofition ne s'accorde point avec ce qui eft dit à la page 109. du tome premier , que l'ifle de Sable efl éloignée de l'ifle Royale, d'environ zb. lieues au Sud- Efl ; ni avec ce qui eft dit 2. lignes plus bas , Quelle efl à 3b, lieues Nord & Sud de Camceau. Ces deux gifemens le détruifent l'un l'autre ; mais l'Auteur , en les rapportant , n'a eu en vue , que o'e faire connoître deux fentimens différens , fans y avoir égard ; & la preuve , c'eft qu'enfuite il .nous donne la latitude de l'ifle de Sable très-exaâement , & telle que je l'ai trouvée dans les meilleurs Journaux de navigation. 3°. J'ai fait toutes les recherches poffibles fur l'Acadie ; j'ai tiré des Journaux des différentes Campagnes , que les Vaif- feauxduRoy y ont faites, des latitudes de la Pointe Orien- tale & de la Pointe Occidentale ; j'ai réduit leurs routes , & j'ai trouvé que d'une Pointe à l'autre , elles donnoient 80. lieues ; par ce moyen le gifement & l'étendue de la Côte font déterminés. J'ai détaillé l'intérieur du Pays , dont il paroît par toutes les Cartes Géographiques , qu'on n'avoit eu juf- qu'ici aucune connoiffance ; & j'ai tâché de conferver aux Bayes & aux Ports leurs véritables figures. JEt pour rendre ces détails plus fenfibles , j'ai fait une Carte particulière de l'Acadie..Sur quoi je remarquerai , que dans cette Carte , j'ai donné environ 1 5 . lieues de trop du Cap Camceau , au Cap 4e Sable. Le détail m'a jette infenfiblement dans cette erreur f SUR LES CARTES. vij & y jettera prefque toujours ; car en voulant exprimer la con- figuration des Ports , & tous les contours des Pointes & des Ifles , il eft impoflible , lorfque la Carte eft fur une petite échelle , qu'on ne leur donne un peu plus d'étendue , qu'elles rt'en ont réellement. C'eft le cas , où je me trouve , puifque l'échelle de ma Carte ne porte qu'une ligne au plus , pour la grande lieue' de France de 2853. toifes : mais j'ai corrigé cette erreur dans ma Carte de la Partie Orientale du Canada , & j'y ai réduit la prefqu'Ifle de l'Acadie à fes juftes bornes , com- me on l'a vu ci-devant. Et pour fatisfaire davantage la curio- fïté du Public , j'ai joint ici des Plans particuliers des princi- paux Ports. Ces Plans font celui de la Baye de Chedabouclou , appellée aujourd'hui le Havre de Milford. Celui de la Baye de Chibouclou 3 le Port de la Heve _, & le Port Royal 3 aujour- d'hui Annapolis Royale. Je les ai tirés desManufcrits de notre Dépôt , où l'on fçait qu'il y en a de toutes les parties de l'Uni- vers , ck à plus fortes raifons de celles , que nous avons pof- fedées. Avant que de quitter l'Acadie , jettons les yeux fur la Carte' Angloife de Popple , je trouve qu'elle marque affez bien les latitudes & la longueur de cette Peninfule , quoiqu'elle mette le Cap de Camceau 20. minutes trop Nord. Mais il n'y a rien d'exact fur la figure des Ports , ni fur le contour particulier de la Côte. A l'égard de l'intérieur du Pays , il n'en eft pas quef- îion fur cette Carte. Le cours des Rivières , & les Lacs , qui font les communications des divers Cantons de cette pref- qu'Ifle , n'y font point marqués : elle a cela de commun avec toutes les Cartes , que je connois. 40. Le cours du Fleuve Saint Laurent, & les Pays , qut en font au Nord & au Sud , demanderaient une Differtatiorc beaucoup plus étendue , que celle , qu'il m'eft permis de faire ici. J'aurois même fouhaité de pouvoir donner une Carte parti- culière de ce fameux Fleuve, & de le faire connoître dans tout fon cours , qui a plus de 250. lieues , depuis fa fortie du Lac Ontario , iuiqu'à fon embouchure dans le Golphe de Saint Laurent , Se dont la moitié eft navigable pour de gros Vaif- feaux , de faire voir la quantité prodigieufe d'Ifles de toutes grandeurs , dont il eft femé ; fes Ports & (es mouillages ; les- dangers , qu'il faut éviter ; les Rivières , qui s'y déchargent ; les Lacs , qu'il forme ; les Rapides , ou Saults % & ks Porta^ viij REMARQUES DE M. ÈELLIN ges ; en un mot , mille détails Géographiques auffi intereffans, que curieux , & entièrement ignorés. Mais pour exécuter un pareil projet , il auroit fallu multiplier les Cartes , & les faire d'une grandeur fuffifante ; or celaneconvenoitpas à la nature de l'Ouvrage , pour lequel je devois travailler , ck auroit jette les Libraires dans une trop grande dépenfe , car mon projet ne fe feroit pas borné au Fleuve de Saint Laurent. J'aurois fait la même chofe pour le Fleuve Miciffipi , dont j'aurois donné plus de 400. lieues de cours , ce qui auroit entraîné le détail de diverfes parties de la Louyiiane , de la Nouvelle France , &c. Quoique je dife que j'aurois pu entrer dans un plus grand détail , il ne faut pas croire , que j'aye rien négligé de ce qui peut contribuer à l'intelligence de FHiftoire , & à la fatisfac- tion des Lefteurs , pour laquelle on voit que les Libraires n'ont rien épargné. Car comme dans ma Carte de la Partie Orientale du Canada , le Fleuve Saint Laurent devient un peu petit , j'ai fait des Cartes particulières de certaines Par- ties , qui m'ont paru inté rendantes. On trouvera une Carte de tljle d'Orléans , & d'un paffage difficile , qui en eft proche , qu'on appelle la Traverfe ; une Carte contenant le Baffin de Québec & fes environs , le Plan de la Ville de Québec , une Carte de l'Ifle de Montréal & des Ifles voifînes ; une Carte de la Rivière de Richelieu &du Lac Champlain , enfin une Carte du Cours du Saguenay depuis Checoutimi 3 jufqu a fon embou- chure dans le Fleuve de Saint Laurent. Ce font des morceaux de détails , que je puis affûrer être curieux , & avoir quelque cxa£titude , les ayant travaillés fur de bons Mémoires. Donnons quelques momens à l'examen de ce travail. Les Vaifleaux du Roy , qui font tous les ans la Campagne de Québec , me fourniffent les remarques néceffaires pour dref- fer une Carte du Fleuve depuis Québec jufqu a la Mer, J'aj des latitudes , des routes , des r.elevemens , des mouillages. Les Pilotes les plus habiles &les plus pratiques, avec lefquels je fuis en relation , m'ont communiqué leurs obfervations. Voilà mes matériaux , & les fources , où j'ai puifé. Que l'on compare à préfent la figure de mon Fleuve , avec celle , que Popple lui donne dans fa Carte , on fera furpris de la différence , qui fe trouve entre nous. Par exemple , la largeur du Fleuve devant Matane eft d'environ 12. lieues, h Carte Angloife la fait de 1$. Elle place les fept Ifles au Nord SUR LES CARTES. ix Nord de Matane , elles en font au Nord - Eft. Tout le refte du Fleuve eft auffi défe&ueux ; près de la moitié des Mes n'y font pas marquées , & celles , qu'on y trouve , ne font , ni dans leurs proportions , ni dans leur vrai gifement. La plupart des Rivières y font oubliées , les autres y font jettées au hazard , & fans aucune précifion géographi- que : en voici la preuve. Qu'on regarde fur ma Carte ce grand nombre de Lacs Se de Rivières , qui font entre la Rivière du Saguenay , & le Lac des Miftamns ; elles ont toutes des noms. On trouvera plus de 80. Lacs , dont la plupart ont 5 . & 6. lieues de tour , & plufîeurs bien davantage : ils ont auffi prefque tous des; noms, ou Sauvages , ou François. Rien de tout cela dans la Carte Angloife , ni dans aucune autre. Le Lac des MiflaJJins y eft marqué , mais il y eft mal ; fur ma Carte on voit qu'il forme trois Lacs différens , qui fe communiquent par des Dé- troits , & chaque Lac a fon nom. Le plus grand eft le Lac des Miftaflïns , le fécond le Lac Alhand , & le plus petit le Lac JPauphïn. Au Nord & à l'Oueft du Lac de S. Jean , iî y a des Rivières remarquables, & fingulieres par le nombre de leurs chutes, & plusieurs Lacs , dont la Carte Angloife ne donne pas la moin- dre connoiffance. Je ne crois pas devoir pouffer plus loin l'Analyfe de la Carte de la Partie Orientale du Canada : ce qu'on vient de voir fuffit pour faire connoître les recherches ., que j'ai été obligé de faire ; le travail , qui en a réfulté ; & le degré de confiance , qu'on y peut avoir : je dis le degré de confiance ? car il s'en faut bien , que ma Carte foit au point , où je fou- haiterois : les connoiffances fuffifantes m'ont manqué dans quantité d'endroits : mais je ne crois pas qu'il foit poffible de faire mieux , quant à préfent. Ainiiil ne me refte plus qu'à dire un mot fur les longitudes. L'Obfervation Aftronomique de Bafton, & celle de Que- bec , font les points fixes , aufquels je me fuis affujetti. J'au- rois fort fouhaké d'avoir une bonne Obfervation à rifle de Terre-Neuve , ou à l'Ifle Royale. On fent de quelle impor- tance elle feroit pour fixer la longitude de ces Parties , de fa- çon , qu'on ne pût y rien oppofer. Je fçai que quelques Géographes ? ôc fur-tout les Anglois f Tçm. IIL h x REMARQUES DE M. BELLÏN prétendent, que Québec eft plus Occidental , que Ballon , d'environ 40. ou 45.. minutes: mais je ne vois pas fur quel fondement. J'ai examiné l'Obfervation de l'éclypfe de Lune , faite à Québec par M. Deshayes , fur laquelle la longitude de cette Place a été déterminée 72. degrés 1 3. minutes , plus Occiden- tale que Paris ; 6k je l'ai comparée avec celle de Bafton , qui eft de 72. degrés 55. minutes. J'ai trouvé que cette différence s'accordoit fort bien avec celle , qui réfultoit des Remarques des Voyageurs , avec les routes , que nous avons de Québec à Bafton ; & enfin avec la difcumon géographique la plus exacte , qu'on puiffe faire aujourd'hui. MonûeurDelille, dans fa Carte de l'Amérique de 1722 , a fuivi ces longitudes. Mai- gré cela , je fuis prêt d'abandonner mon fentiment , & de me rendre à toute autre longitude pour Québec , dès qu'elle me paroîtra prouvée. A l'égard de la longitude de Bafton , elle eft univerfellement reçue. Il eft bon de remarquer que , partant de Bafton , & fuivant les Côtes d'Acadie & de Terre-Neuve , jufqu'au Cap de Rafe, les routes & les diftances tirées des Journaux des meilleurs Navigateurs , déterminent ce Cap par les 53. degrés 10. mi- nutes à l'Occident du Méridien de Paris , tandis que la Carte Angloife de Popple le met par les 56. degrés à l'Occident du Méridien de Londres , ce qui revient au 58e. degré 25. minu- tes de celui de Paris. C'eft une différence en longitude de 5. degrés 1 5. minutes. Ce n'eft pas là le feul endroit , où l'on trouvera des diffé- rences considérables en longitude , entre la Carte Angloife & la mienne ; en voici une bien plus forte encore. Entre Québec & le Fort de Rupert , qui eft dans la Partie Orientale du fond de la Baye d'Hudfon , je n'ai trouvé qu'en- viron 6. degrés de différence en longitude ; la Carte de Pop- ple en marque 14. J'avoue, que cette prodigieufe différence me furprend : je voudrois fçavoir fur quels Mémoires il a tra* vaille , & ce qui peut l'avoir jette dans une pareille erreur. Je puis affûrer , que j'ai difcuté cette Partie avec toute l'at- tention , dont je fuis capable. Tous mes Manufcrits (a) s'ac- ( a ) J'ai les Remarques de Louis Jol iet , UÎ a fait le voyage de Tadoufïac à la Baye 'Hudfon en 1678. par le Lac des Miftaf- fîns & la Rivière de Rupert , & qui a dsefTc une Carre de fa roure. J'ai le voyage de Pierre Allemand , qui SUR LES CARTES. xj cordent à ne donner que 6. à 7. degrés entre Québec & le fond de la Baye d'Hudibn. Le fieur Franquelin , Géographe du Roy , qui a paffé fa vie dans le Canada 3 qui a parcouru plufîeurs Parties de ce grand Pays , & qui a vécu & converfé avec ceux , qui en faifoient les découvertes ; dans fes Mé- moires & dans les Cartes , qu'il envoyoit aux Miniftres , n'a jamais mis que 6. degrés de longitude entre Québec & la Baye d'Hudibn : d'où il réfulte , que le Fort de Rupert eft au plus par les 78. degrés 20. ou 30. minutes de longitude Occi- dentale ; au lieu que la Carte Angloife le met par 87. degrés 30. minutes. La Baye d'Hudibn eft affez confiderable , pour mériter d'être connue ; & comme on n'en a point de Cartes exa&es , j'en donne ici une , que j'ai dreffée fur les Mémoires & les Journaux de plufîeurs Navigateurs : & pour rendre plus fon- fibles toutes les Ifles , qui font au fond de cette Baye , j'en ai fait une petite Carte particulière. Je ne ferai point l'Analyfe de cette Partie ; je remarquerai feulement , que la Partie Occidentale de cette Baye depuis le 6omç. degré de latitude en allant vers le Nord , a été jufqu'ici inconnue : on croyoit même qu'il pouvoir y avoir un paf- fage par-là , pour aller dans la Mer du Sud. Les dernières dé* couvertes des Anglois ont éclairci ce point de Géographie , ainfi qu'on le peut voir fur ma Carte. C'eft fur le Journal & la Carte du Pilote Midleton , qui a été chargé de cette décou- verte en 1741 , & qui m'a été envoyée d'Angleterre , que j'ai travaillé. Panons à la Partie Occidentale du Canada , je veux dire , à la Carte des Lacs. On fera peut-être furpris de me voir avan- cer que je n'ai pu tirer aucun fecours de nos Géographes les plus habiles ; ni des fieurs Sanfbn , ni du P, Coronelli , ni du lieur Delille , tous Géographes du premier ordre , & à qui nous fommes redevables des meilleures Cartes , que nous avons aujourd'hui. Ils ne m'ont rien fourni dans leurs Ouvra- ges , dont j'aye pu faire ici le moindre ufage. Pour en être convaincu , il ne faut que jetter les yeux fur ma Carte , & la comparer avec ce que chacun d'eux a donné fur cette Partie. a fait la route par les terres de Québec à la Baye d'Hudfon , & qui eu a envoyé la parte à M. de Seignelay en 1688. Ce même Voyageur 3 fait aufll deui autres Voyages de Québec à la Baye d'Hudfon par Mçr. bij %\) REMARQUES DE M. BELLIN Quoique je n'aye pas envie de faire une Analyfe particu- lière de cette Carte , je crois devoir m'y'arrêter quelques inf- ftans pour la fatisfa£tion de ceux , qui aiment la Géogra- phie , & me juftifier en quelque façon de n'avoir pas fuivi d'auffi grands Maîtres , qui avoient bien plus d'acquit que moi , en ce genre d'étude. Rien de plus commun & de plus facile , que de faire des Cartes; rien de fi difficile , que d'en faire de paffables. Un bon Géographe eft d'autant plus rare , qu'il faut que la nature & l'art fe réuniffent pour le former. Il doit tenir de la première la mémoire , l'amour pour le travail , la patience , Se un efprit d'ordre & d'arrangement; de l'autre des connoiffances fuffifantes dans la Géométrie & dans l'Aftronomie , après les- quelles viennent l'étude longue & fterile des Voyageurs , la difcufîion critique de leurs Relations & de leurs Journaux , fources continuelles d'incertitudes & d'erreurs , que fouvent le travail le plus afîidu ne fçauroit vaincre : joignez à cela quelque intelligence des Langues Etrangères. Eft-il aifé de réunir toutes ces Parties , fans lefquelîes ce- pendant on ne peut guère fe flatter de réuffir ? On doit donc quelque indulgence aux fautes , qui échapentàceux , qui fe livrent à cette Science ; & je fçais que j'en ai plus de befoin qu'un autre. Revenons à ma Carte des Lacs. J'ai tiré du Journal du R.P. de Charlevoix , la plus grande partie de ce qu'on y trouvera de bon. Cet Hiftorien Voyageur a traverfé dans toutes leurs longueurs le Lac Ontario , le Lac Eric , le Lac Huron Se le Lac Michigan. Par-tout la Bouffoie à la main , il a relevé les principaux gifemens de pointe en pointe ; toutes les fois , que le tems lui a permis , il a obfervé la hauteur du Pôle , il a eftimé avec le plus de précifion , qu'il étoit poflible , les dif- îances d'un lieu à un autre ; enfin il n'a rien négligé de tout ce qui pouvoit fervir à la connoiffance de ce Pays.- Qu'on ne foit donc point furpris de voir que je fars courir le Lac Ontario Eft & Oueft , tandis que la Carte de la Louy- fiane de M. Delille le fait courir Eft Nord-Eft & Oueft Sud- Oueft ; & la Carte de Popple , Nord-Eft &Sud-Oueft. Cette dernière marque le Fort de Catarocoui à l'entrée du Lac Onta- rio , près d'un degré trop Septentrionnal. On trouvera fur ma Carte feize Rivières , qui fe déchar- SUR LES CARTES. xiij gent dans l'étendue de la Côte méridionnale du Lac Ontario , parmi lefquelles il y en a une , qu'on prétend avoir cent lieues de cours , & dont il n'y a pas la moindre trace fur la Carte Angloife , ni fur celle de M. Delille. J'ai travaillé avec le même foin le Lac Erié & le Lac Hu- ron : cependant la Côte du Sud du premier , & celle du Nord du fécond , ne me paroiflent pas trop bien connues , & je ne fuis point content de ce que j'en ai donné : mais il ne m'a pas été poffible de faire mieux. Au Sud du Lac Erié , j'ai marqué quatre Rivières , qui n'en font éloignées, que d'une lieuë ou deux , par lefquelles on peut defcendre dans XOhio 3 ou la belle Rivière : il n'y a point de Cartes , où elles foient marquées.' J'ai changé auffi le cours de l'Ohio & de la Rivière Ouabach-e. Je dois ces connoiffan- ees aux Manufcrits du Dépôt , parmi lefquels il y en a quel- ques-uns de M. de la Sale , que l'on fçait avoir traverfé plu- sieurs fois ces Cantons : & ceux , qui me manquoient , m'ont été communiqués par M. le Baillif , Auditeur des Comptes r arriere-Neveu de ce fameux Voyageur , qui a facriflé fon bien' & fa vie pour la découverte de la Louyfiane. Le Pofte de MichillimakinaC & le Détroit du Sault Sain- te Marie , qui fait la communication du Lac Huron avec le Lac Supérieur , m'a paru curieux , & entièrement ignoré des Géographes. Cela m'a engagé d'en faire une petite Carte par- ticulière , celle des Lacs n'étant pas en allez grand point y pour rendre ces détails géographiques bien fenfibles. Le Lac Michigan eft aifujetri aux Obfervations de latitude , qui ont été faites à l'entrée du Détroit _, qui fait fa jonftion avec le Lac Huron, & auprès de la Rivière de Saint Jofeph , ce qui détermine fa longueur du Nord au Sud. J'ai des Remar- ques fur le gifement de la Côte Orientale, & furies Rivières , qui s'y déchargent ; & ce font les fruits du voyage de notre Auteur , aufîi-bien que les latitudes ; de forte que j'ai fait courir cette Côte au Sud Sud-Eft : au lieu que la Carte de M. Delille l'a fait courir au Sud Sud-Oueft , d'où il réfulte plus de 60. lieues de diftance entre le Lac Erié & le Lac Michigan , tan- dis qu'il ne peut y avoir qu'environ 45 . lieues. Je remarquerai ici , que dans le Journal , page 3 1 2. en par- lant de la Côte Orientale du Lac Michigan , on trouve : Je travcrfai une Baye } qui a trente lieues de profondeur i il faut xivREMARQUES DEM. B E L L I N lire trois lieues. L'infpe£tion de la Carte fera fentir la nécéfiité de lacorre&ion {a). Le cours de la Rivière de S. Jofeph , les fources du Thea- kihi , & celles de la Rivière Ouabache , ne font pas bien dans la Carte de M. Delille : j'ai changé tout cela , & je fuis en état de rendre compte de ces changemens. Je ne dis rien ici de la Carte Angloife , qui dans toute cette Partie n'eft qu'une copie un peu défigurée de celle de M. Delille. Le Lac Supérieur , le plus grand & le plus confidérable de ceux , que nous connoiffons dans l'Amérique , n'eft pas bien fur toutes les Cartes , & l'on peut voir du premier coup d'œil, combien j'y ai fait de changemens. Les Mémoires particuliers, qui font au Dépôt, m'ont donné les moyens de le repréfenter un peu plus fidèlement , qu'on ne l'a vu jufqu'à préfent. Ce- pendant je crois , qu'il faut attendre encore d'autres éclair- chTemens , car toutes les Parties ne m'en paroiffent pas égale- ment conftatées ; mais c'eft toujours beaucoup pour la Géo- graphie de ces Pays-là , que de commencer à fe développer. Il eft inutile de remarquer , que les François font les feuls , qui puiiTent donner des connoiffances fidèles de ces Lacs j les noms des Mes , qui y font répandues , & des Rivières , qui s'y déchargent , qui font les unes & les autres en grand nombre, font voir que ce n'eft qu'à nos Voyageurs, çV fur-tout aux Millionnaires , qu'on eft redevable de leurs découvertes. Avant que de quitter la Carte des Lacs , il eft bon d'ob- ferver , que j'ai donné plus de 2.1 . dégrés de longitude depuis l'entrée du Lac Ontario jufqu'au fond du Lac Supérieur ; je crois que c'eft un peu trop : c'eft le détail des routes & l'efti- me des Voyageurs , qui m'ont jette fi fort vers l'Oueft. J'ai re- marqué que dans tout le Canada les lieues font très - peti- tes , la difficulté des chemins en eft fans doute la caufe : d'ail- leurs le nombre de détours , qu'il faut faire en remontant une Rivière , ou en côtoyant un Lac , augmentent de beaucoup le chemin , fans augmenter les diftances. Ainfi il n'eft point étonnant que le Géographe , qui a fuivi fes Itinéraires , ne fe trouve trop d'étendue , lorfqu'il veut rapporter fa Carte au (a) L'ciTeur efl: dans le mot àc prof on- I auiîî,quc]nBaycne fuivepas tou jours le mê- deur,au lieu duquel il faut dire de èircuitic&i me Rhumb de vent , & quede l'Orient elle l'Auteur fçait très-bien , que s'il avoit été | tourne au Midi , & alors il n'y aura poinj obligé de faire le tour de cette Baye, il lui au- I d'erreur, roit fallu faire trente licut;. Il le peut faire I SUR LES CARTES. xv Ciel , c'eft-à-dire, y marquer les latitudes & les longi- tudes. Le feul moyen d'y remédier , eft d'avoir quelques Obfervations de latitudes & de longitudes. Ce font des Points fixes , dont la Géographie ne peut Te parler , & fa perfeftion dépendra toujours du nombre de ces fortes d'Ob- ier vations. Il ne me refte plus qu'à dire un mot fur la Carte de l'Améri- que Septentrionnale , que j'ai mife à la tête de cet Ouvrage. On auroit peut-être fouhaité de trouver ici une grande Carte, où toutes les Parties euflent été plus fenfibles , & mieux déve- loppées ; & j'aurois été bien plus fatisfait, û j'avois pu la faire: mais on a vu les raifons , qui m'ont forcé de me borner aux grandeurs convenables à un in-quarto & un in-douie. Il ne faut donc regarder cette Carte , que pour y voir la fituation , que les diverfes Parties , que nous avons données féparémenr, ont entr'elles , le tout , qu'elles forment fur le globe de la Terre , & leur rapport au Ciel. Cependant je puis dire que , quoiqu a petit point , & par conféquent peu fufceptible de ce détail , elle mérite quelque attention , tant par les chofes neuves , qui s'y trouvent , que par les correftions , qu'on a faites fur les précédentes. i°. Le Golphe du Mexique & les Ifles de l'Amérique y font afïujettis à plufieurs Obfervations fûres de longitude & de latitude. Les Journaux des Navigateurs m'ont fourni le gifement des Côtes & des Mes de proche en proche ; de forte que je fuis en état de prouver la juftefTe de la plupart des por- tions. Ainfî qu'on ne foitpas furpris de trouver cette Partie de ma Carte fî différente de tout ce qui a paru, & fur-tout de celle de M. Popple. Je n'ai point envie défaire la critique de cette dernière 3 je remarquerai feulement , qu'entre Carthagene & Portobelo , elle marque 6, degrés de longitude , & qu'il n'y en a que 4. & 10. minutes au plus. C'eft affûrément une grande erreur en Géographie , que de mettre 1 20. lieues d'un endroit à un autre , lorfqu'il n'y en a guère plus de 80. La Havane y eftparles 83. degrés 10. minutes du Méridien de Londres , ce qui revient 385. degrés ,35. minutes , du Méri- dien de Paris. L'Obfervation Agronomique , qui y a été fai- te -, la détermine à 84. degrés , c'efi un degré 35. minutes de différence. L'Ifle de S. Domingue n'a qu'environ 100. lieues de longueur de l'Ifle à l'Oueft , la Carte de Popple y met 130. xvj REMARQUES DE M. BELLIN lieues. Elle donne à l'IAe de Cuba 240. lieues de la pointe d* Mefy au Cap Saint Antoine , & il n'y en a que 200. au plus. La Vera-Cruz , au fond du Golphe du Mexique , eft déter- minée par Obfervation Agronomique à 100. degrés à l'Occi- dent du Méridien de Paris. Cette Carte met la Vera-Cruz par les 1 01. degrés db Méridien de Londres , ce qui revient au 103. degrés 25. minutes , de celui de Pans. Enfin je ne fini- rois point , fi je voulois rele-ver toutes les erreurs , qui fe font gliffées dans cette Carte fur le Golphe du Mexique , & les Ifles de l'Amérique. Un de mes étonnemens , c'eft qu'un de nos plus habiles Géographes fe foit laiffé prévenir en fa- veur de cette Carte , au point de publier une Copie de cette Partie, qu'il a prétendu rendre à l'ufage des Navigateurs, où il a laiffé fubfifter toutes les fautes mêmes les plus préjudi- ciables à la navigation , lefquelles , avec le moindre examen, ne pouvoient manquer de fauter aux yeux d'un Homme de l'art. 20. La Louyfiane & le cours du Fleuve Micifîipi auroient mérité un tout autre détail , que celui , qu'il m'a été poffîble de faire entrer dans une Carte générale ; & je m'y ferois livré avec d'autant plus de plaifîr , que j'ai beaucoup de matériaux à pouvoir mettre en œuvre : mais comme cela m'auroit jette un peu loin , & auroitmultiplié les Cartes , je me fuis con- tenté décharger en quelques endroits ma Carte générale , de façon , qu'on y trouvât ce qui m'a paru de plus intéreffant & de plus néceffaire à l'intelligence de l'Hiftoire. J'ai fait plus ; j'ai donné quelques morceaux particuliers , que j'ai cru devoir faire plaifîr au Public. Par exemple , on trouvera une Carte d'une partie de la Côte de la Louyfiane & de la Floride , de- puis la Nouvelle Orléans jufqu'à Saint Marc d'Apalache , une petite Carte des embouchures du MicifTipi , un Plan dé la Nouvelle Orléans 3 & un de la Baye de Penjacole. Les Obfervations Agronomiques , qui ont été faites à la Nouvelle Orléans .& àl'Ifle Dauphine , m'ont fervi à placer la Côte de la Louyfiane par fa véritable latitude & longitude; M. Baron nous a donné celle de la Nouvelle Orléans par 92, degrés 1 6. minutes , à l'Occident du Méridien de Paris. Et la Société Royale de Londres nous donne celle de l'Ifle Dau- phine , de 90. degrés 25. minutes. Cette dernière eft fort différente de celle 5 quiréfultoit des Obfervations Agrono- miques, SUR LES CARTES.1 xvjj miques , que le Père Laval y avoit faites en 1720 , & qui étoit de 103. degrés. Mais on a fçu depuis , que l'erreur venoit du dérangement de fa pendule , ce qu'il ignoroit alors ; erreur , dont M. Delille s'apperçut par Tes détails géographiques , Se fur laquelle il donna un fort bon Mémoire , qui eft inféré dans les Mémoires de l'Académie de l'année 1726. Cependant M. Delille n'avoit point alors d'Obfervations immédiates „ comme nous les avons aujourd'hui ; & voilà pourquoi dans fa Carte de la Louyfiane , qu'il a publiée en 1718. il a mis la Nouvelle Orléans par 94. degrés 1 5. minutes , à l'Occident du Méridien de Paris , c'eft-à-dire , 2. degrés trop à l'Occi- dent. La Carte de Popple la met par 93. degrés 40. minutes, du Méridien de Londres , qui revient au 96. degré 5. minu- tes , du Méridien de Paris erreur bien plus considérable , & qui ne fe peut exeufer dans M. Popple , qui devoit avoir çonnoifTance , en dreflant fa Carte, des deux Obfervations Agronomiques , que nous venons de rapporter. Je ne parlerai point du détail de la Côte depuis la Nouvelle Orléans jufqu'à Saint Marc d'Apalache , que j'ai tiré de nos meilleurs Navigateurs , & fur-tout du Journal du R. P. de Charlevoix : on verra que j'ai profité des Remarques , qu'il a eu occafion de faire fur plusieurs endroits de cette Côte, dont avant lui on n'avoit prefque point de connoiffance. Il nous fait connoître , par exemple , XIfle des Chiens , à 10, lieues de Saint Marc d'Apalache ; & le paffage , qui eft entre la Terre ferme & cette Iile , laquelle a 9. à 10. au moins de longueur , ce qui n'eft marqué fur aucunes Cartes. J'aurois beaucoup de chofes à dire fur ces vaftes Contrées , qui font à l'Orient &" à l'Occident du Fleuve Miciftipi ; fur les Rivières , qui les arrofent ; les Nations , qui les habitent ; les Voyageurs. , qui les ont parcourues ; & la manière , dont les Cartes nous les repréfentent. Mais cela demanderoit une Differtation particulière , & je fuis obligé de finir celle-ci , qui n'eft déjà que trop longue : peut-être quelque jour aurai-je occafion de travailler fur cette Partie , & de m'étendre autant que le fujet me paroît l'exiger. Cependant avant que de finir , il faut néceffairement dire un mot fur les Pays , qui font à l'Oueft & au Nord de nos Lacs du Canada , dont la Géogra- phie eft très-imparfaite, pour ne pas dire entièrement ignorée. Il n'eft pas douteux , félon moi , qu a l'Occident du Ca^ Jbms III, ç xviij REMARQUES DEM. BELLIN nada , on ne trouve la Mer , qui fépare cette Partie de l'Amé- rique de l'Afie , que nous nommons Mer de COuefl , mais qui eft proprement la Mer du Sud ; & j'ai lieu de croire qu'elle n'eft pas éloignée de plus de 300. lieues du Lac Supérieur. Il eft même prefque certain qu'il y a une fuite de Lacs & de Rivières , par lefquelles on peut communiquer du Lac Supé- rieur avec cette Mer. Ce n'eft pas d'aujourd'hui , que l'on a raffemblé diverfes conjectures , qui fembloient prouver l'exiftence & la décou- verte d'une Mer dans cette Partie : il ne faut que voir ce que dit Gornara(liv. é.chap. 18.) des Efpagnols , qui virent la Mer , quand lis furent à Qiiïvira 3 & qui apperçurent même des Vaiiïeaux fur la Côte. Jean de Laët , ( chap. du Nouveau Mexique ) parlant du voyage de Vafq Coronat , dit que les Habitans de Cibola , qui font un peu à l'Occident du Nouveau Mexique , vont quérir des cuirs de Bœufs à huit journées de chez eux du côté du Nord ; &Ramufio, ( tom. 3. pag. 359. ) qui rapporte aum* ce voyage , dit que les Plaines , dans lef- quelles ils les vont quérir , font du côté de la Mer. Witfliet , ( dans fa Defcription du Nouveau Monde , au titre Quivira & Anïan) marque une Mer au Nord de la Californie , & du Nouveau Mexique , ajoutant que les Côtes de Quivira ne font connues , qu'en quelques endroits , parce qu'elles font hors de toutes les routes des Navigateurs. Nicoloii , dans fon Hercule Sicilien , marque aum" une Mer au Nord du Nouveau Mexique : j 'ignore fur quels Mémoires cet Auteur a travaillé , mais je fçai qu'il a eu communication de ceux , que l'on en- voyé à la Congrégation de la Propagande. On peut encore voir ce que dit Purchas fur cette Mer , ( tome 3 . de fes navi- gations. ) Joignez à ces diverfes Relations , celle du voyage de Martin d'Aguilard , & de l'entrée , qu'il découvrit au Nord de la Californie. De tout cela il me paroît , qu'on doit hardi- ment conclure l'exiftence d'une Mer au Nord de la Califor- nie & du Nouveau Mexique , & par conféquent à l'Oueft du Canada. Je pourrois encore rapporter les connoiffances , que nos Voyageurs François & des Mifiïonnairesont eu de cette Mer par leur Comrn' rce avec les Sauvages ; mais cela feroit trop long. 11 fuffit que l'on fçache que c'eft de quelques Mémoi- res particuliers , & qui ne font point encore publiés ? que j'aâ XIX SUR LES CARTES. tiré les noms & les fituations de ces Rivières & de ces Lacs _, que j'ai marqués à l'Oueft du Lac Supérieur , & fur lefquels j'attends des éclairciffemens. A l'égard du Lac des AJfinïboïls & de celui des Crifiinaux , les Relations , que l'on en a , font très-incertaines , pour ne pas dire fabuleufes : & il me paroît , que c'en: aum" le fentiment du Révérend Père de Charlevoix page 184. de fon Journal , où il parle du Pays des AfTini- boils. Cependant je n'ai pas laiffé de les marquer , les ayant trouvés fur une Carte manufcrite du Sieur Franquelin , dont j'ai parlé ci -devant, & qui de voit connoître ces Parties, mieux que perfonne. Ainiî l'on y ajoutera telle foi , que l'on jugera à propos (a). ( a) L'Auteur de l'Hiftoire Se du Journal a de bonnes raifons de croire que ce n'eft point par cette route , que l'on ira plus fûre- ment Se plus promptement à la Mer , doat il s'agir. Il s'en eft expliqué en plufîeurs en- droits de fon Journal , & il apporcede bon- nes preuves de ce qu'il avance. TABLE DES SOMMAIRES. J f x x x x x x &x x x x xf TABLE DES SOMMAIRES POUR LE TROISIEME VOLUME. DISSERTATION PRELIMINAIRE Sur l'Origine des Ameriquains. C^Vr/MEVi' <& plusieurs fçavans Auteurs , tfwi o/zr traité i3 />/*« û« /o/zfi- cette Queftion. Ce qiie Jean de Laet penfe de celui du Père de Acofla , de ceux de Lefcarbot 3 de Breverood , & de Grotius. Ses démêlés avec ce Dernier. Son fentïment par- ticulier. Ce qu'il dit de celui de Morae^. Sentiment de George de Hornn. À quoife doit réduire la Quejflion propofée _, & com- ment on peut y répondre. JOURNAL D'UN VOYAGE dans l'Amérique Septentrionale. LETTRE PREMIERE. FOyAGE de Paris à Rochefort. Danger, que courut l'Au- teur fur la Loire, Tome III. a ij TABLE LETTRE II. X' Auteur s'embarque & met à la voile. Deficription-du grand Banc de Terre- Neuve. Caufes des vents & des brumes , qui y régnent. Tempête. Des Morues , & de la pêche de ce Poifibn. Combat de la Baleine & de l'EJpadon. Du Flettan. Erreur des Pilotes > & le dang:r , ou elle met le Vaijfieau du Roy. Du Cap de Raie. Des IJles de S. Pierre. Du Golphe de S. Laurent , & des IJles aux Oijéaux. Du Cap des Rojiers. De Gafpé , & de Ventrée du Fleuve S. Laurent. Dcfcription de ITfle d' Anticofly* Du Saguenay & de Tadoufiac. De l'IJle aux Coudres , & du Goufre. De la Baye de S. Paul. Des Marées du Fleuve 3 & de la déclinaifon de la BouJJble. De l'IJle d'Orléans. LETTRE III. ORigine du nom de Québec. Du Sault de Montmorenci. Situation de Québec. Description de cette Ville , défis principaux Edifices. L'Eveché , la Cathédrale & le Séminaire, Du Fort 3 & du Cap aux Di amans. Des Recollets & des Urjulines } du Collège des Jéjuites 3 de f Hôtel-Dieu, de l'Hôpi- tal Général , des Fortifications , des Habitans de Québec , dif- férence des Colonies Angloijes & Francoifis. LETTRE IV. A Venture d'un Navire Provençal. Deficription de la ^/j|. Mijfion de Lorette. Ferveur des Sauvages. Idées faufi- fes 3 qu'on s'efifiait en France du Canada. Fautes 3 qu'on a faites dans V EtabliJJément de cette Colonie. Mauvaije conduite par rapport au Commerce des Pelleteries. Des Congés 3 & de leurs abus. Divers cha.ngemens dans les Monnoyes. DES SOMMAIRES. LETTRE V. Y*\Ifference du Caflor du Canada, & de celui de l'Eu- Jl>/ rope. Du poil du Caflor. Defcription anatomique de cet Amphibie. Du Caftoreum. Du Caflor gras , & du Caflor fec. Differens ufages du poil de Caflor. îndujlrie & travaux du Caf- tor , fa prévoyance. Des Caflors Terriers. De la Chafle du Caf- tor. Quelques particularité^ fur cet Animal. Du Rat mufqué, LETTRE VI. MANIERE de courir la pofle en Traîne. Des Seigneuries du Canada. Du droit de Patronnage. Le Commerce per- mis aux Gentils-Hommes. Situation de Beckancourt. D'où étoit venu lenomdeRivlerQ puante à la Rivière de Beckancourt. Du Village des Abénaquis de Beckancourt. Situation de la Ville des Trois Rivières. Du Lac de S. Pierre. Defcription de la Ville des Trois Rivières. Origine de fon Etablijfement. Du Cap de la Magdeleine. De la Chaffe de l'Ours. L'Ours paffe fix mois fans manger & fans boire. Manière _, dont on chafle cet Animal. Cérémonie ridicule , qui fe pratique 3 quand on a tué un Ours. Réception , qu'on fait aux Chaffeurs à leur retour 3 quelques particularité^ fur les Ours. Des Chiens de chaffe. LETTRE VII. DEs Ifles de Richelieu & de S. François. Du Village des Abénaquis de S. François. Du Suc d'Erable 3 du Fort de de Richelieu. Autres Forts dans les Paroijfes. Belles actions d'une Dame & d'une Demoifelle Canadiennes. De-l'Elan , ou de l'Orignal. En quel tems il faut le chaffer. Diverfes manières de le chaffer. Comment le Carcajou lui donne la chaffe. Du Cerf & du Caribou. De la chafle du Bœuf. Defcription du Bœuf Sauvage , & du Bœuf mufqué. Du Chevreuil. Du Loup Servier s & du Renard. De ce qu'on appelle la menue Pelleterie. iv TABLE LETTRE VIII. lT\Es IJles de Richelieu. Différence du Pays de Québec y JL-?J & de celui de Montréal. Defcription de ITJle de Mont- e al. Defcription de la Ville. De l'IJle de Jefus , & de la Ri- vière des Prairies. Du Sault au Recollet. Des Environs de Montréal. Du Sault S. Louis. Des Iroquois de la Montagne, Défordres caufés par la Traite de VEau-de-Vie dans les Villages du Sault S. Louis ,& de la Montagne. De la Foire de Mont- réal. Calomnie du Baron de la Hontan à cefujet. De la Pêche du Loup Marin. Defcription du Loup Marin. Ses diverfes es- pèces. Ufage de la chair & de la peau de cet Animal. Particula- rités des Loups Marins. Des Vaches Marines. Marfouins de deux couleurs. De la Pêche du Marfouin. Des Baleines. LETTRE IX. Ois SONS duGolphe & du Fleuve S. Laurent. Du Lancor- net. De la Goberge 3 de la Truite faumonée. De la Tortue , &c. Du PoiJJbn armé : comment ce Poijjôn chaffe aux Oifeaux. Mariage de la Seine. De la Pêche de l'EJlurgeon. Poiffons par- ticuliers au Canada. Aigles de deux ejpéces.. Perdrix de trois efpéces. Autres Oifeaux. Des Cardinaux. De tOifeau-Mou- che : en quoi il diffère du Colibry des IJles. Du Serpent à Son- nettes. Des Bois du Canada. Des Pins de deux ejpéces. Qua- tre efpéces de Sapin. Deux fortes de Cèdres. Des Chênes 3 Era- bles , &c. Arbres particuliers au Canada, LETTRE X. T\OuRQUOi on ne connoît en France le Canada 3 que par JL jon mauvais côté. Excès du froid. Ses inconvêniens. Ré- flexions fur fes caujes. De la Pêche des Anguilles. Du paffage des Tourtes. Heureujes conditions des Colons du Canada : piu- fleurs nefçaventpas en profiter. Bonnes & mauvaifes qualités de ces Créoles. DES SOMMAIRES. LETTRE XI. T"\ E la Bourgade Iroquoife du Saultfaint Louis. Ferveur JLJ de fes premiers Habitans. Des Habitans de Terre-Neuve. Des Eskimaux. Des Peuples des Environs du Port Nelfon. Etendue de la Nouvelle France. Des Sioux. Des AJJiniboils, Du Lac des AJJiniboils. Des Peuples de la Langue Algonquine. Des Nations Abènaquifes. Des Algonquins inférieurs. Des Sauvages du Nord. Des Algonquins. Des Outaouais. Des Pouteouâtamis 3 & des autres Sauvages des environs de la Baye. Des Outagamis _, des Mafcoutins , & des Kicapous. Des Mia- mis & des Illinois. Des Peuples de la Langue Huronne, LETTRE XII. f \ E s Rapides du Fleuve faint Laurent. Réflexions fur Ca- JL>/ tarocoui , & fur le chemin, qu on prend pour y aller. Def- cription des Canots d'écorce. Du Lac de faint François. De l'Ifle Tonihata. Defcription du Fort de Catarocoui. Caractère de la Langue Huronne. Caractère de la Langue Algonquine. En quoi différent les Peuples de ces deux Langues. Origine de la Guerre,, que les Algonquins & les Hurons ont eu àfoutenir contre les Jro^ quois. Les fuites de cette Guerre.. LETTRE XIII. T> OuTE de Catarocouy à VAnfe de la Famine. Defcription J\ du Pays. Des Vignes du Canada. Defcription de VAnfe de la Famine. Du flux &é du reflux des Lacs. Pourquoi en Ca- nada les Arbres n ont point encore de feuilles au mois de May. Manière de chanter la Guerre parmi les Sauvages. De leur Dieu de la Guerre. De la déclaration de Guerre. DigreJJïon fur la Porcelaine du Canada. Des Bracelets & des Coliers de Porce- laine. De leurufage. Du Calumet, de fin ujàge & de fin origine, V TABLE LETTRE XIV. B *\Es agremens & incommodités des Voyages en Ca- j_^jr nada. Defcription de la Côte du Sud du Lac Ontario. Motifs , qui engagent les Sauvages à faire la Guerre. De quelle manière on s'y réjout. Préparatifs du Chef Délibération du Con- feil. Mefures } qu'on prend pour avoir des Prifonniers. Chants, Danfes _, & Feflins de Guerre. Idée s que ces Peuples ont du courage ; épreuves 3 oit l'on met les Guerriers pour connoître s ils en ont. Précautions pour les Bleffés. Comment les Miamisfe préparent à la Guerre. Defcription des Raquettes pour marcher fur la neige , & des Traînes pour porter le Bagage. Adieux des Guerriers. Leurs Armes offenfives & dejfenjives. Du foin _, qu'ils ont de porter leurs Dieux. Defcription de la Rivière de Cafcon- chiagon , & de deux Fontaines finguliere s. Description de la Baye des Tfonnonthouans , & de la Rivière de Niagara. LETTRE XV. ITlRojET d'un Etabliffement à Niagara. Oppojîtion inutile Ji des Anglois à cet Etabliffement. Defcription du Pays de Niagara. Defcription de la Danfe du Feu. Hijloire à ce fujet. Autre fait fingulier. Defcription duSaultde Niagara. Ob fer va- lions fur cette Cafcade. Circonftances de la marche des Guerriers. Du "Campement : de l'entrée dans le Pays Ennemi. Des appro- ches & de l'attaque. De la manière de combattre. Inflinct des Sauvages pour connoître les traces de leurs Ennemis. Desfgnes, qu'on laijfe de la Victoire. P récautions pour affûrer la Victoire ,, & pour garder les Prifonniers. Comment on annonce la Victoire dans les Villages. LETTRE XVI. PREMIERE réception des Prifonniers. Leurs Bravades. Ce qu'on leur fait fouffrir à leur entrée dans le Village. Diflri- bution 3 qu'on en fait. Comment on décide de leur fort. De l'a- DES SOMMAIRES. vij doption d'un Captif. De ceux 3 qui font deflinés au feu. Princi- pes de la barbarie s qu'on exerce envers eux. Courage d'un Capi- taine Iroquois brûlé par les Hurons. Habileté des Sauvages dans leurs négociations. LETTRE XVI I. Y^Escription du Lac Erié. De la Côte Septentrio- È J nale de ce Lac. Agrémens de ces Voyages. Des Cèdres blancs & rouges. Arrivée au Détroit,, de la nature du Pays. Des Sauvages établis auprès du Fort du Détroit. Confeil de trois Nations che^ le Commandant du Détroit. Quel en fut le réful- tat. En quelle difpofuion l'Auteur trouve les Hurons du Détroit, Réception 3 que lui font les Pouteouatamis. Du Jeu du Plat ou des Ofielets. Ufage fuperflitieux de ce Jeu pour la guèrifon des Malades. De l'herbe à la Puce , & défis effets. Des Citrons du Détroit. LETTRE XVIII. TyOuRQUOl les Sauvages font plus aifés à convertir 3 que JL les Nations policées, idée générale de leur Gouvernement. Divifion des Nations en Tribus. Obfervation fur les noms des Chefs. De lafucctjfion & de l'élection des Chefs. De leurs pou- voirs. Des Afpftans 3 ou Confeillers. Du Corps des Anciens. Des Chefs de Cuerre. Pouvoir des Femmes dans quelques Na- tions. Sagcffe des Confeils. Des Orateurs. Des intérêts de ces Peuples. Politique des Iroquois. Du gouvernement des Villa- ges. Ses défauts. Principes de ces défauts. De quelle manière les Hurons pumfjènt l'Affajfinat. Punition des Magiciens. Rè- glement pour les chofes trouvées. Trait fingulier à cette occafion, Combien les Sauvages font jenfibks au point d'honneur* viij TABLE LETTRE XIX. TT\Eva R T du Détroit. Soin , que les jeunes Sauvages pren- y J nent de fe parer. Defcription de la Cote Occidentale du Lac Huron. Situation de Michillimakinac. Defcription du Lac fuperieur. Fable des Sauvages touchant ce Lac. mines de Cuivre. Traditions des Sauvages fur Michillimakinac. Abon- dance de la Pêche dans ce Canton. Des Ifles & de la Nation du Caftor. Du Mariage des Sauvages, De la pluralité des Fem- mes j des degre^ de parentés 3 qui empêchent les Mariages. Loix particulières touchant les Mariages. Jaloufie des Sauvages. De quelle manière fe traitent les Mariages. Des Cérémonies du Ma- riage. Avantages des Mères fur les Pères. Des Accouchemens 3 & de leurs fuites. Du foin , que les Mères prennent de leurs En- fans. De Vimpoftion du nom. Obfervation a ce fujet. LETTRE XX. T"\ E la Baye des Noquets. Des Ifles des Pouteouatamis. JL/ Des Malhomines , ou Folles Avoines. Des Peuplé ap- pelles Puants. Du Fort & de la Mifjion de la Baye. Ejpagnols défaits par des Sauvages du Miffouri, Confeil des Sakis , & à quel fujet. Danfe du Calumet. Danfe de la Découverte. Des Traités , qui fe font par le moyen de la Danfe du Calumet. Autres Danfes. Danfes ordonnées par les Médecins. Supervi- sons des Peuples voifins de la Baye. Diverfes Nations au Nord &àrOueft, LETTRE. XXI. OBSERVATION fur les Courans des Lacs. Portrait des Sauvages. Leur force } leurs vices : pourquoi ils ne Je mul- tiplient pas. Avantages 3 au ils ont fur nous. Leur mémoire, leur pénétration , & leur jugement. Leur grandeur d'ame ; leur confiance dans les douleurs : leur valeur. Les égards , qu'ils ont Us uns pour les autres. Leur fierté & leurs autres défauts. Des qualités DES SOMMAIRES. lx qualités du cœur. Du peu de naturel des En fans pour leurs Pa- rents. Sociétés particulières de deux Sauvages. De la couleur de ces Peuples. 'Pourquoi ils n'ont point de poil fur le corps. LETTRE XXII. J~\ Anger de la navigation du Lac Michigan. Obferva- JL^J tion fur les Rivières _, qui s'y déchargent du coté de l'O- rient. Rivière du Père Marquette. Aventure arrivée à l Auteur dans la Rivière de Saint Jofeph. Du Gin-Seng du Canada. Du F évier & du Safjajras. Secret des Sauvages fur les Simples & fur les Mines de leur Pays. Du Jeu des Pailles. Autres Jeux. Suites funejles de l'yvrognerie. Bonheur des Sauvages. Mé- pris 3 qu'ils font de notre manière de vivre. Du foin 3 que les Mères prennent de leurs Enfans. Figures ridicules a que quel- ques - unes leur donnent. LETTRE XXIII. CE qui fortifie les Sauvages 3 & les rend fi bien-faits. Leurs premiers exercices , & leur émulation entreux. A quoi fe réduit l'éducation 3 qu'on leur donne. Leurs paffions. Leur habillement. Comment & pourquoi ils fe peignent & fe picquent le corps & le vifage. Ornemens des Hommes : ornemens des Fem- mes y leurs occupations. De la culture des Terres. Des f menées & des récoltes. Des différens grains & légumes _, que les Sauva- ges cultivent y de leur faconde les accommoder , de leurs autres vivres. Ouvrages des Hommes & des Femmes. De leurs outils. Forme de leurs Villages. Leur manière de fe fortifier. De leurs hyvernemens , & de ce qu'ils y ont àjbuffrir. Leur malpropreté, incommodité de l'Eté. Portrait en racourci des Sauvages. LETTRE XXIV. DEs Traditions des Sauvages. Origine des Hommes félon eux. Ce qu'ils entendent par les Ej'prits. Des bons & des mauvais Génies. Difpofitions requifes pour avoir un Génie tuté- Tome III. b x TABLE laire.Ihen changent quelquefois , & pourquoi De leurs facri- fces. Des jeûnes , des vœux. Rapport des Sauvages avec les Hébreux. Leurs Prêtres. Ce qu'ils penfent de ^immortalité de V Ame. Leur idée fur ce quelle devient > quand elle efl féparée du corps. Pourquoi on porte à manger fur les Tombeaux. Prê- fens s qu'on fait aux Morts. Du Pays des Ames. Comment ils prétendent quon mérite d'être éternellement heureux. Des Ames des Bêtes. De la nature des Songes félon les Sauvages. Hifloire à ce fujet. Manière , dont on fe débarraffe d'un rêve , quand il en coûte trop pour y fatisf aire. Defcription de la Fête des Songes. LETTRE XXV. S \ Es mauvais Génies , & des Sorciers. Des Jongleurs : S J leurs preftiges. De la Pyromancie. Injlallation des Jon- gleurs. Des Prêtres. Maladies ordinaires parmi les Sauvages, JJfage , qu'ils font de leurs Simples. Divers autres remèdes. De la Sueur. Principes , fur quoi roule la Médecine des Sauvages. Idée extravagante fur les Maladies. Impoflure des Jongleurs. Leur cruauté à l'égard des Malades défefperés. Des Autmoins de l'Acadie. D LETTRE XXVI. EpaRT du Fort de la Rivière de Saint Jofeph. Des r Sources du Theakiki. Ce qui fe paffe à la mort des Sauva- fes. Leur gênérofitê à l'égard des Morts. Des Funérailles. Des "ombeaux. Des Revenans. Diverfes pratiques au fujet des Morts. Ce qtfifi pajfe après l'Enterrement. Du Deuil. Du Veu- vage 3 & des Secondes Noces. Idée des Sauvages fur ceux , qui meurent de mort violente. De la Fête des Morts. LETTRE XXVII. DESCRIPTION du Theakiki. De la Rivière des Illinois Réception des Prijonniers parmi les Illinois. Manière 3 dont ils les brûlent. P articulantes Jur les Partis de Guerre. Chant DES SOMMAIRES. xj lugubre des Illinois. Des Perroquets de la Louyfiane. Du Vil- lage de Pimiteouy. L 'Auteur fe trouve entre quatre Partis enne- mis. Son embarras. Hifloire finguliere du Chef de Pimiteouy. Manière , dont les Illinois pleurent les Morts. Attentions du. Chef pour la fureté de lAuteur , qui baptife fa Fille. LETTRE XXVIII. /Ndv STRIE des Sauvages pour furprendre leurs Ennemis. Cours de la Rivière des Illinois. Son entrée dans le Micijfipi. Village des Tamarouas. Des Mines de la Rivière Marameg. Defcription des Kaskaskias. Arbres Fruitiers de la Louyfiane. Differens Peuples établis fur le Mijfouri & aux' environs. Def- cription du Micijfipi au-dejfus des Illinois. Différentes Tribus des Illinois. Tradition du Péché de la première Femme , & du déluge. Idées des Sauvages fur les Afires. Comment ils connoif fent le Nord _, quand le Ciel efi couvert. Ce qu ils penfent des Ec- clipfes & du Tonnerre. Leur manière de divifer le tems. LETTRE XXIX. T" TTlLJTÈ du Pofte des Illinois. Froid extrême. Manière de (L/ naviger fur le Micijfipi. Pourquoi les Feuilles tombent fi tôt & pouffent fi tard aux Arbres de la Louyfiane. De la Rivière Ouabache. Mines de Fer. Chats fauvages. Noyers > & leurs Pro- priétés. Marques des Guerriers. Des Chicachas. Rivière des Chicachas. Forêts de la Louyfiane. Rivière des Akanfas. Diffé- rentes Tribus de ces Sauvages. Conceffion de M. Law. Morta- lité parmi les Akanfas. LETTRE XXX. DE la Rivière des Yafous. Du Fort des François fur cette Rivière. Des Caimans. Conceffion mal placée. Goufre 3 Carrière. Defcription du Pays des JNatchez. Succès du Tabac dans ce Canton. Cotton , Indigo. Defcription du grand Village & du Temple des Natche^. Particularités fur cette Nation. Du bij xij TABLE Grand Chef, ou Soleil , & de la Femme-Chef. Ce qui arrive à leur mort. Mœurs des Natche^ : Leur Police. Defcription d'une Fête. Prémices offertes dans le Temple. De leurs Mariages. De la levée des Soldats , des Provifions. Des Marches & des Campemens. Comment les Prifonniers font traités. Changement de noms. Récompenfe des Guerriers. Des Jongleurs. Du Deuil. Des Traités. Audience donnée aux Ambaffadeurs. Religion du Feu dans toute la Floride. LETTRE XXXI. JT\Escription de /a Nouvelle Orléans. Miffionnaires J_^S aux Natche-^ fans fruit. Les François dépourvus de fe cours fpirituels aux Natche^. Defcription de la Baye & du Village des Tonicas. Du Chef des Tonicas. Etat de cette Nation. De la Rivière Rouge. Concevions mal placées. Seconde Pointe coupée. Autres Conceffions en mauvais état. Obfervations. Des Baya-» goulas,<&5 Oumas, des Chetimachas , des Colapiffas. Au- tres Conceffions. Des Taenfas , des Chapitoulas. LETTRE XXXII. TJ EMARQUEsfur lafituation de la Nouvelle Orléans. Terres XV nouvelles , & changemens arrivés à V embouchure du Fleu- ve. Etat de la Nouvelle Orléans. Des Chaouachas. Des Paffes du Micijfipi. De ITfle Touloufe, ou de la Balife. Salines. Def- cription des Embouchures du Micifjîpi. De la principale Em- bouchure du Micifjîpi : des autres Paffes. Moyen de creufer la principale. Où il faut placer les Habitations.. Difficulté de na- vigerjur ce Fleuve. D'où vient l 'idée peu jufle 3 qu'on a en Fran- ce de la Louyfiane. LETTRE XXXIII. ARRIVÉE au Biloxi. Defcription de la Côte , de la Rade î jT% & de ce Pofle. De la Caffîne , ou Apaladune. De la Cire de Myrthe. De la Rivière de la Maubile. De la Baye de Sains DES SOMMAIRES. xiij Bernard. Les François y font -prévenus par les Efpagnols. Dé- part du Biloxi. Obfervations Jur cette Côte. Tempête & fes fuites funefles : Du Lac de Pontchartrain. L' Auteur s embarque fur l'Adour. Ce Navire mal gouverné. Difficulté de naviger fur le MiciJJïpi en le défendant. LETTRE XXXIV. X'ADOUR met à la Voile. Obfervation fur l'Eau du Micifi fipi. Defcription de la Côte Septentrionnale de l'IJIe de Cu- ba.Mauvaife manœuvre faite fur l'Adour. Naufrage de ceNavire. Mefures de l'Equipage pour fefauver. Sauvages fur les Ifles des Martyrs. Ce qui fepaffe entr'eux & les François. Les Pafjagers entrent en défiance de l'Equipage. Plufieurs P affager s fauves par un coup de la Providence. Embarras caufés par les Sauvages. Qui étoient ces Sauvages. Diffenfion dans l'Equipage. Fermeté des Officiers. Un Navire Anglois tâche en vain' de Jecourir l'E- quipage. Defcription des Martyrs. Vifite du Cacique des Sauva- ges. Autorité de ce Cacique. Il refufe des Guides pour aller à Saint Auguflin. On délibère fur le parti , qu'on doit prendre : on fe divife. Le plus grand nombre retourne au Biloxi. Défefpoir des Matelots. Incommodités de cette Côte de la Floride : les vivres manquent. Deux fortes d'Huitres. Rencontre d'un Equipage Efi pagnol j qui avoit aufjl fait naufrage. Danger d'être dégradé Jans reffiburce. Arrivée à Saint Marc d'Apalache. Defcription du Pays. Départ de Saint Marc. Marées du côté de Penfacole. Fauffe allarme. Arrivée à Saint Jofeph. Defcription de ce Pofle* Politeffes du Gouverneur Efpagnol. Départ de Saint Jofeph. Defcription de la Côte. Canal & Ifiede Sainte Rofe. Arrivée à Penfacole. Etat de ce Pojle. Arrivée au Biloxi. LETTRE XXXV. PEnsacole rendu aux Efpagnols. Ordre de tranfporter le Quartier Général à la Nouvelle Orléans. Interlope Anglois au Biloxi. Défertions fréquentes dans la Louyfiane. Confpira- tion découverte. Les Anglois tâchent d'attirer à eux nos Alliés, Départ du Biloxi. Obfervations furie chaud, & fur les hauteurs, xiv TABLE. Defcription du Ponde la Havane. Sort de V Interlope Anglois. Le Gouverneur de la Havane refufe au Navire François la per- miffwn d'entrer dans fin Port. Defcription de la Baye deMz- tance. Débouquement du Canal de Bahama. Route , qu- il faut prendre pour aller de- là à Saint Domingue. Erreur des Pilotes. Embarras , ou nous jette cette erreur. Quel Parti on prend. Defcription de la grande Calque. Succès inefperé du parti 3 qu'on av oit pris. Arrivée au Cap François de Saint Domingue. LETTRE XXXVI. DESCRIPTION du Cap François. De la Plaine du Cap. O bfervations . Remarques fur les Dorades. Départ du Cap. Rencontre d'un Navire Anglois _, & ce qui fepaffe entre ce Capi- taine , & celui du Navire François. Arrivée à Plymouth. Def- cription de ce Port. Induflrie des Anglois pour furprendre les Forbans. Arrivée au Havre de grâce. Fin de la Table des Sommaires» JOURNAL Carte de eOcean Occp Que le R. P. de Charlevoix de la ( A.ifaJfi. JOURNAL D'UN VOYAGE FAIT PAR ORDRE DU ROY dans l'Amérique Septentrionnale; OÙ L'ON TROUVERA LA DESCRIPTION Géographique , & l'Hiftoire Naturelle des Pays , que l'Au- teur a parcourus , les Coutumes , le Cara£tere , la Religion , les Mœurs , & les Traditions des Peuples , qui les habitent. Addrejfe à M'le la DucheTsse de Lesdiguieres (a). DISSERTATION PRÉLIMINAIRE, Sur l'Origine des Amériquains. Pre's avoir lu prefque tout ce qui a été écrit fur la manière , dont l'Amérique a pu être peu- plée , il me paroît qu'on eft auffi peu avancé , qu'on pouvoit l'être, avant qu'on eût agité ce .te grande queftion. Cependant on feroit un jufte Volume , li on vouloit feulement rapporter les différentes [et) Gabrielle-V iétoire de Rochechouart Mortemarc, morte 6111741. Tome III. A Carte de i'Ocean Occidental et Partie de lAme'rique Septentrionale Dressée PoUr i'inte%nce du jo,.mai dnVoyage Que le R. P. Ae Cnarlevok de la Compagnie de Jésus a fait en 1720. au Canada, à la Louisiane, & "a Sr Domingue. Par N. BdLn I,ycme„r A, la Sbriu. 174.4. N° Les Routes dans les Terres sont marquées par des Points; (J sur Mer par des Lignes. \ % 4- l l A.JaJf, . JOURNAL D'UN VOYAGE FAIT PAR ORDRE DU ROY dans l'Amérique Septentrionnale; OÙ L'ON TROUVERA LA DESCRIPTION Géographique , & l'Hiftoire Naturelle des Pays , que l'Au- teur a parcourus , les Coutumes , le Cara£tere , la Religion , les Mœurs , & les Traditions des Peuples , qui les habitent. Addreffe à Mde la DuCHE'SSE DE LESDIGUIERES {a). DISSERTATION PRÉLIMINAIRE, Sur l'Origine des Amériquains. Pre's avoir lu prefque tout ce qui a été écrit fur la manière , dont l'Amérique a pu être peu- plée , il me paroît qu'on eft auffi peu avancé , qu'on pouvoit l'être, avant qu'on eût agite ce .te grande queftion. Cependant on feroit un jufte Volume , li on vouloit feulement rapporter les différentes {<*_) Gabridle-Viftoire de Rochechouart Mortemart, morte 6111741. Tome III. A 2 DEL' ORIGINE opinions des Sçavans fur ce fujet. Mais la plupart ont telle- ment donné dans la chimère ; prefque tous ont appuyé leurs conjectures fur des fondemens fî ruineux , ou ont eu recours à des convenances de noms , de mœurs , de Coutumes, de Religion & de langages, fi frivoles , qu'il eft , ce me fem- ble , auffi inutile de les réfuter , qu'impofïïble de les con- cilier. Il n'eft peut-être pas étonnant que les Premiers , qui ont traité cette matière , fe foient égarés dans une route , qui n'étoit pas frayée , & où ils marchoient fans guide. Ma fur- prife eft que ceux , qui ont le plus approfondi la chofe , & ont eu pour cela des fecours , que n'avoient pas ceux , qui les ont précédés dans ce travail , ayent donné dans de plus grands travers encore : ils auroient pourtant pu les éviter , s'ils s'étoient attachés à un petit nombre de principes cer- tains , que quelques-uns ont affez bien établis ; les confé- quences {impies & naturelles , qu'on en doit tirer , fuffifoient à mon avis pour fatisfaire & fixer la curiofité du Public , que le grand étalage d'une érudition mal placée , & qui fouvent porte à faux , ne fait que rejetter dans fes premières incer- titudes, C'eft ce que je me flatte de rendre fenfible par le peu , que j'en vais rapporter. On fut fans doute fort étonné dans notre Hemifphere , lorfqu'on y apprit que l'on avoit découvert un Nouveau Monde dans l'autre 3 où jufques-là on n'avoit imaginé qu'une vafteMer , fur laquelle on ne croyoit pas qu'il fût de la pru- dence de s'expofer. Cependant , à peine Chriflophe Colomb y eut reconnu quelques Ifles , & furtout celle , qu'il nomma YJJIe Efpagnole , où il trouva des Mines d'Or , que lui-même fe perfuada que cette Ifle étoit , tantôt YOphir de Salomon , tantôt le Zipangri^ ou le Clpango de Marc Pol deVenife. Vatable & Robert Estienne ont cru auili que c'étoit dans l'Amérique , que Salomon envoyoit fes Flottes chercher de l'or , & Colomb a cru voir des reftes de fes Fourneaux dans les Mines de Cibao , les plus belles & les plus abondantes de l'Ifle Efpagnole , & peut-être de tout le Nouveau Monde. Arias Montanus non-feulement a placé Ophir & Par- vàim dans le Nouveau Monde , mais il donne pour Fonda- teur à Juktan y Ville chimérique du Pérou , Jectan, Fils d'HEEER ; à l'Empire même du Pérou , & à celui du Mexique , DESAMERIQUAÏNS. 3 qu'il prétend être Ophir , un des Fils de Je&an , qui portoit ce nom. Il ajoute qu'un autre Fils du même Patriarche 3 nom- mé dans l'Ecriture Jobab , fut le Père des Peuples de la Côte de Paria ; que la Montagne Orientale Sephar , jufqu'où Moyfe dit que les Enfans de Jeâan s'avancèrent , en partant de Mejfa , eft la fameufe Chaîne des Andes , qui s'étend du Nord au Sud le long du Pérou & du Chili. L'autorité de ce fçavant Interprète de l'Ecriture a entraîné dans le même fen- timentPosTEL , Becan , Possevin", Genebrard, & quan- tité d'autres. Enfin les Efpagnols ont avancé qu'au tems de l'invaiion de leur Pays par les Maures , une partie des Habi- tans fe réfugia en Amérique. Ils prétendirent même au quin- zième fiécle y retrouver des Provinces de leur Empire , que le malheur des tems leur avoit enlevées , & fur lefquelles ils avoient, difoient-ils , des droits inconteftables. Oviedo , un de leurs plus célèbres Auteurs , n'a pas craint d'avancer que les Antilles font les fameufes Hefpérides , fi vantées par les Poètes , que Dieu , en les faifant paffer fous la domination des Rois Catholiques , n'a fait que leur reftituer ce qui leur avoit appartenu trois mil cent cinquante ans auparavant, du tems du Roy Hesperus , de qui elles avoient reçu le nom , qu'elles fortoient , & que Saint Jacques & Saint Paul y ont prêché Evangile : ce qu'il appuyé de l'autorité de Saint Grégoire dans fes Morales. Si on ajoute à cela ce que Platon a dit qu'au- de-là de fon Me Atlantide _, il y avoit un très-grand nombre d'Mes , derrière ces Mes un très-vafte Continent , & derrière ce Continent la vraie Mer , il fe trouvera que le N. Monde n'étoit rien moins que nouveau pour les Anciens. Et que deviendroit alors l'opinion deTHEOPRYRASTE Paracel- SE , qui a foûtenu que chaque Hemifphere avoit eu fon Adam } Poftel , que j'ai déjà cité , & qui s'eft rendu fameux par fes opinions hafardées , a cru que toute l'Amérique Septentrion- nale avoit été peuplée]par les Atlantides , Habitans de la Mau- ritanie , & il eft le premier , qui ait féparé tellement les deux Amériques à l'Ifthme de Panama , que les Habitans de l'une , félon lui , & ceux , qui l'ont fuivi , n'ont rien de commun dans leur origine avec les Habitans de l'autre. Mais dans ce cas , j'aimerois mieux encore mettre , comme afait Budbecks l'Atlantide dans le Nord , aufîi bien que les Colonnes d'Her- cules , & dire que c'eft la Scandinavie , qui a peuplé l'Amé- Aij 4 DEL' ORIGINE rique Septentrionnale , que d'y envoyer les Maures des Cô- tes d'Afrique. D'autre part , Gomara & Jean de Lery font defcendre tous les Amériquains des Cananéens chaffés de la Terre promife par Jofué : quelques - uns au contraire font paffer par le Nord de l'Afie en Amérique les Ifraëlites , que Salmanazar emmena Captifs dans la Médie. MaisTHE vet, qui croyoit comme eux que les Ifraëlites ont peuplé le N. Monde , conclut qu'ils fe font répandus par toute la Terre , de ce qu'on a trouvé dans une des Açorres une efpece de Tom- beau avec des caractères Hébraïques. Cet Auteur n'étoit pas bien inftruit du fait. Ce n'eft pas un Tombeau , qu'on a trouvé dans rifle de Corvo y la plus Septentrionnale des Açorres , mais une Statue Equeftre , montée fur un pied d'eftal., où il y avoit des caractères , qu'on n'a pu déchiffrer. Auguftin Torniel eftimoit que c'étoit par le Japon , & par le Continent , qui étoit au Nord de cet Archipel , que les Def- cendans de Sem 6k de Japhet ont paffé en Amérique , & de-là dans les Terres , qui font au Sud du Détroit de Magellan. Un Sicilien , nommé Marinceus ., fur ce qu'on publia de fou tems qu'on avoit trouvé une Médaille d'Augufte dans une des Mines du Pérou , ne douta point que les Romains n'euffent envoyé une Colonie dans ce Pâys-là , comme s'il n'eût pas été plus naturel de croire que quelque Efpagnol avoit laiffé tomber cette Médaille , en vifitant les Mines. Paul Jove a rêvé que les Méxiquains étoient venus dans les Gaules , Se fondoit cette opinion bifarre fur ce que l'un & l'autre Peuple facrifioit des Hommes à fes Fauffes Divinités. Mais fi cette prétendue reffemblance pouvoit faire une preuve , n'auroit-il pas mieux valu envoyer au Mexique des Gaulois , qu'on fçait avoir eu de tout tems beaucoup de goût pour les Voyages , & peuplé un très-grand nombre de Provinces de leurs Colonies ? Les Frifons ont aufîî eu leurs Partifans au fujet de l'Ori- gine des Amériquains. Suffridus Pétri & Hamconius ont écrit que les premiers Habitans du Pérou & du Chili étoient fortisdelaFrile. Jacques Charron & Guillaume Poftel font le même honneur aux Gaulois; Abraham Milius aux an- ciens Celtes ; le Père Kirker aux Egyptiens ; & Robert le Comte aux Phéniciens , chacun à l'exclufion de tous les au- tres. Je pafTe quantité d'autres opinions , beaucoup moins foûtenables encore , & qui font toutes également fondées DES AMERIQUAINS. 5 fur de fimples[conje£tures , dénuées de vraifemblance, pour venir à ceux , qui ont le plus creufé la matière. Le Premier eft. le P. Gregorio Garcia , Dominiquain Efpa- gnol , qui après avoir lontems travaillé dans les Miffions du Pérou & du Mexique , imprima en 1607 à Valence un Traité en Efpagnol de l'Origine des Indiens du Nouveau Monde ; où il rapporte & difcute un très-grand nombre d'opinions diverfes fur ce fujet. Il prorjofe chaque opinion , comme on fait une Queftion en Philoibphie : il nomme fes Auteurs & fes Parti- fans , il apporte leurs preuves , il répond aux obje£tions , & ne décide point. Il y a joint les traditions des Péruviens , des Méxiquains , & des Infulaires d'Haïti, qui eftl'Ifle Efpagnole , & qu'il avoit apprifes fur les lieux mêmes. Il dit enfuite fon fentiment , qui eft que plusieurs Nations différentes ont con- tribué à peupler l'Amérique : il auroit pu s'en tenir là. Ce fentiment a quelque chofe de plus , que de la vraifemblance , & il devoit , ce femble , lui fuffire de l'appuyer 3 comme il fait, de quelques preuves tirées de la variété des Langues, des Caractères , des Coutumes , & des Religions , qu'on a remarquée dans les différentes Contrées du Nouveau Monde. Mais il en admet un fi grand nombre de celles , dont les Au- teurs des autres opinions avoient fait ufage , qu'il affoiblit la fienne , en voulant la fortifier. En 1729 Dom André Gonza- lez de Barcia fit réimprimer à Madrid l'Ouvrage de ce Reli- gieux, confidérablement augmenté ; mais en y ajoutant beau- coup d'érudition , il n'a pas mis {qs Le&eurs plus en état de prendre leur parti. Le Second eft le Père Jofeph de Acosta , Jefuite Efpagnol, qui a aufîi paffé une grande partie de fa vie dans l'Amérique , & duquel nous avons deux excellens Ouvrages ; l'un en Caf- tillan , intitulé : Hijloria Naturaly Moral de las Indias ; l'au- tre en Latin , fous ce titre : De promulgando Evangelio apud Barbaros , five de procurandâ Indorum Salute. Cet Auteur , dans le Premier Livre de fon Hiftoire , après avoir rapporté le fentiment de Parmenide, d'ARiSTOTE,& de Pline, qui ne croyoient pas qu'il y eut des Hommes entre les deux Tro- piques , ni qu'on eût jamais navigué à l'Occident de l'Afrique , plus loin que les Canaries , regarde la prétendue Prophétie de Medée dans Seneque , comme une fimple conje£ture de ce Poète , qui ne pouvant fe perfuader qu'il n'y eût point d e 6 DEL' ORIGINE Terre au-delà de l'Océan Occidental, & voyant que la navigation commençoit à fe perfeftionner , jugeoit qu'on ne feroit pas lontems fans faire de ce côté - là quelque décou- verte. Quant à ce que j'ai déjà cité du Ti mée de Platon , Cela paroît à l'Hiftorien Efpagnol une pure fi£tion , dans laquelle des Difciples de ce Philofophe , zélés pour fa gloire , s'effor- çoient , pour fauver fon honneur , de trouver quelque ingé- nieufe allégorie. Au Chapitre feiziéme , le P. de Acofta commence à exami- ner par quelle voie les premiers Habitans de l'Amérique ont pu paffer dans ce grand Continent , & il rejette d'abord la voye dire&e & préméditée de la Mer , par la raifon qu'aucun an- cien Auteur n'a parlé de la Bounole. Il ne trouve pourtant point d'inconvénient à dire que des Bâtimens ont pu être jettes fur les Côtes de l'Amérique par quelque tempête , & fur cela il cite (a) _, comme un fait confiant, la Fable du Pilote , qu'un vent forcé avoit pouffé vers le Brefil , & qui laiffa en mourant fes Mémoires à Chriftophe Colomb. Il rapporte en- fuite ce que Pline a écrit de quelques Indiens , qu'un mauvais tems avoit dégradés fur les côtes de la Germanie , & dont le Roi des Sueves fit prefent à Quintus Metellus Celer. Il ne trouve non plus rien que de croyable dans ce qui eft rapporté fous le nom d'Ariftote , qu'un Navire Carthaginois ayant été pris d'un Vent d'En: forcé , qui le porta fort loin à'IOccident , l'Equipage y découvrit des Terres , jufques-là inconnues ; & il conclut de ces faits , que félon toutes les apparences , l'Amé- rique a reçu par de femblables voyes une partie de fes Habi- tans : mais il ajoute qu'il en a fallu néceffairement chercher une autre , pour peupler cette Partie du Monde , quand ce ne feroit que pour y tranfporter certains Animaux ; qu'on ne peut pas raifonnablement fuppofer avoir été embarqués fur des Navires _, ni avoir fait à la nage de fi grands Trajets. Ce Paffage , continue le Père de Acofta , ne peut être que par le Nord de l'Afie ou de l'Europe , ou par les Terres , qui font au Sud du Détroit de Magellan , & de ces trois routes , n'y en eût-il qu'une de pratiquable , c'en eft affez pour com- prendre comment l'Amérique s'eft peuplée peu à peu , fans avoir recours à la navigation, dont on ne voit nulle trace dans les Traditions des Amériquains, Pour fortifier ce rai- . (*) Chapitrç XIX. DES AMERIQUAÏNS. 7 fonnement , il obferve que les Mes , qui font trop éloignées du Continent , pour fuppofer qu'on puiffe y aller dans les pe- tits Bâtimens , dont fe fervent les Peuples du Nouveau Monde , telle qu'eft la Vermude , fe font trouvées défertes ; que la première fois , qu'on apperçut des Vaiffeaux à la Côte du Pérou , les Péruviens en témoignèrent une furprife extrême , & que les Animaux , qui vraifemblablement y font allés par Terre , ou en traversant tout au plus de petits Détroits , com- me les Tygres & les Lyons , étoient inconnus dans les Ifies de cet Hemifphere , même les plus peuplées. Dans le Chapitre XXII. il revient à l'Atlantide de Platon , & réfute, peut-être un peu trop férieufement , l'opinion de quelques-uns , qui ont voulu réalifer cette chimère; car il ne balance pas à la traiter ainfî , & qui s'étoient mis dans la tête , que de cette Me prétendue il n'y avoit qu'un très-court trajet en Amérique. Dans le Chapitre fuivant , il rejette le fenti- ment de ceux , qui s'autorifant du Quatrième Livre d'Efdras , ont avancé que ce grand Pays a été peuplé par les Hébreux. Il leur objecte , i°. que les Hébreux avoient des Caractères , & qu'aucun Peuple Amériquain n'en connoiffoit l'ufage : 2°. que ceux-ci ne faifoient aucun cas de l'argent , & que ceux-là en ont toujours été fort avides: 30. que les Defcen- dans d'Abraham ont de tout tems été fort attachés à la Cir- concifîon , qui n'eft pratiquée en aucun endroit de l'Amé- rique : 40. qu'ils ont toujours confervé avec un grand foin leur Langage , leurs Traditions , leurs Loix , leurs Cérémo- nies , qu'ils n'ont jamais cefle d'attendre un Meiîîe ; que de- puis leur difperfion dans toutes les Parties du Monde , ils ne fe font relâchés en rien de toutes ces chofes, & qu'on n'a point de raifon de croire qu'ils y euifent plutôt renoncé en Amérique , où l'on n'en voit aucun veftige , que par-tout ailleurs. Dans le vintquatriéme Chapitre , il obferve qu'il eft beau- coup plus aifé dans cette difcuffion de réfuter les fyftêmes des autres , que d'en établir un nouveau ; que le défaut d'Ecri- ture & de Traditions certaines dans les Amériquains rend leur origine très-difficile à découvrir , &: qu'on ne peut rien affûrer fur cela fans témérité : que tout ce qu'on y peut per- mettre à la conjecture , c'eft que ce grand Continent s'eit peu- plé peu à peu par les voyes , dont nous avons fait mention : qu'il ne peut croire que ces tranfmigrations foient anciennes ; 8 DEL' ORIGINE & que félon toutes les apparences , les Premiers , qui ont ten- té ce Paffage , ont été plutôt des Chafleurs , ou des Peuples errans , que des Hommes civilifés ; mais que quand bien mê- me les premiers Colons du Nouveau Monde auroient été tels , il n'y auroit pas lieu de s'étonner que leurs Defcendans euf- fent dégénéré , & altéré la Religion & les Mœurs de leurs Ancêtres : que le manque de plusieurs chofes iuffifoit pour leur faire perdre leurs anciens ufages , & que faute de fecours pour fe tranfmettre leurs Traditions d'âge en âge , ils ont dû les oublier infenfiblement , ou les défigurer de manière à les rendre tout à fait méconnoiffables ; que ^exemple de plufïeurs Peuples de l'Efpagne & de l'Italie , qui femblent n'avoir de l'Homme , que la figure , donne à tout ceci un grand air de vraifemblance : que le Déluge , dont les Amériquains ont confervé le fouvenir , ne lui paroît pas être celui , dont il efr. parlé dans l'Ecriture , mais quelque inondation particulière , dont de très-habiles Gens prétendent qu'il refte dans l'Amé- rique des preuves certaines : enfin qu'on ne fçauroit démon- trer que les plus anciens monumens de l'Amérique foient anté- rieurs au treizième, ou au quatorzième fiécle, & qu'en remon- tant plus haut , on ne trouve que des Fables & des Contes û puériles , qu'il n'eft pas pofiible d'en tirer même une conjec- ture raifonnable. Jean de Laet , le troiiiéme Auteur , dont je dois rappor- ter le fentiment, trouve qu'il y a bien du bon & du folide dans celui du Père de Acofla. Voici ce qu'il n'en approuve point. i°. Il prétend que ce Jéfuite fuppofe mal à propos qu'on ne peut faire de longs trajets fur Mer fans le fecours de l'Aiguille aimantée , puifqu'abfolument parlant , on peut na- viger en obfervant le cours des Affres : qu'il femble même fe contredire en foûtenant que la Bouffole eft une invention ré- cente , après avoir rapporté lui-même que l'ufage en étoit an- cien au Mofambique dès le quinzième fiécle : qu'il avance fans le prouver , que les Orientaux ne l'avoient pas , avant qu'elle eût été trouvée par les Occidentaux : qu'il falloit bien enfin qu'on pût s'en paffer , ou qu'elle fut connue dans les premiers tems , puifque dans notre Hemifphere même plufieurs Mes affez éloignées du Continent, ont été peuplées peu de tems après le Déluge. 2°. Qu'il donne pour des faits certains l'Hifloire du Pilote , dont DES AMERIQUAINS. 9 dont on a prérendu que les Mémoires avoient appris la route du Nouveau Monde à Chriflophe Colomb , & celle des In- diens envoyés par le Roi des Sueves à Metellus Celer ; qu'on fçait que les Efpagnols n'ont publié la première, que par jalou- sie contre le Grand Homme , à qui ils avoient obligation de la polTeffion de tant de riches Pays , mais qui avoit le mal- heur de n'être pas né en Efpagne ; & qu'ils n'ont donné cours à la féconde , que pour enlever aux Portugais la gloire d'a- voir les Premiers ouvert un chemin aux Indes, en faifant le tour de l'Afrique : qu'il fe trompe , s'il croit poffible le paffage des Terres Auflrales jufqu'au Détroit de Magellan , fans tra- verfer la Mer ; puifque la découverte du Détroit de le Maire en a fait voir Fimpo/îibilité. Mais l'erreur du P. de Acofra , û c'en eft une , étoit excufable , car lorfqu'il écrivoit , le Maire n'avoit point encore trouvé le Détroit , qui porte fon nom. 3Q. Qu'il fait peupler l'Amérique trop tard , & qu'il eft contre toute apparence que ce vafte Continent , & quel- ques-unes des Mes , qui l'environnent , ayent eu un û grand nombre d'Habitans à la fin du quinzième fiecle , fî on n'avoit commencé à les habiter, que depuis deux cent ans. Jean de Laê't prétend qu'il ny a aucune raifon de juger que le Déluge, dont la tradition s'en confervée parmi les Amériquains , n'eft pas le Déluge Univerfel , dont Moyfe nous a décrit l'Hiftoire dans la Genefe. . ? Outre le Jéfuite Efpagnol , trois autres Ecrivains ; un Fran- çois , un Anglois , & un Hollandois , qui ont traité le même fujet , ont parle par l'examen du do£te Flamand. Ce font Lescarbot , Breverood ,.& Grotius. Il ne connoiffoit apparemment pas l'Ouvrage du P. Garcia, dont j'ai déjà parlé, non plus que celui de Jean de Solorzamo Pereyra , Jurif- eonfulte Efpagnol 3 qui a pour titre : De Jure Indiarum , dont le premier Volume , où l'Auteur rapporte toutes les opinions des Sçavans fur l'Origine des Amériquains , fut imprimé en 1629. Quoiqu'il en foit, Marc Lefcarbot, Avocat au Parlement de Paris , étoit un Homme d'efprit , & qui avoit de l'érudi- tion , mais qui donnoit un peu dans le merveilleux. J'ai parlé de lui en plufieurs endroits de mon Hifloire. En rapportant les diverfes opinions fur la'queflion prefente, qui étoient en vogue de fon tems , il rejette comme frivoles les applica- Tome III, B io DE L' 0 R I G I N E tions , que l'on faifoit de quelques Prophéties à ce fujet , fur- tout de celle d'ABDiAS à la converfion des Indes Occiden- tales par le miniftere des Efpagnols & des François , les feules Nations , qui ayent véritablement entrepris ce grand œuvre ; car les Portugais , qui ont converti le Brefil , peuvent être compris fous le nom d'Efpagnols , & les Millionnaires des autres Nations de l'Europe , qui ont eu part à la Publication de l'Evangile dans le Nouveau Monde , n'y font allés que fous la Bannière des Couronnes de France , d'Efpagne & de Portugal. En effet Abdias n'a eu certainement en vue que les Iduméens , & il n'y a pas un mot dans fa Prophétie, qui puiffe, avec quelque forte d'apparence , être appliqué à l'Amérique. Lefcarbot panche un peu plus vers le fentiment de ceux , qui ont tranfporté dans le Nouveau Monde les Cananéens chaffés de la Terre promife par Jofué.Il y trouve au moins quelque vraifemblance , en ce que ces Peuples , auffi-bien que les Amériquains , avoient la coutume de faire fauter leurs Enfans par-defliis le feu , en invoquant leurs Idoles , & de manger la chair humaine. Il approuve ce que le Père de Acofta dit des accidens , qui peuvent avoir fait aborder quel- ques Navires en Amérique , & du paifage par le Nord de l'Eu- rope & de l'Afîe. Il croit que toutes les Parties du Continent fe touchent , ou du moins que , s'il y a quelque Détroit à paffer , comme celui, de Magellan, qu'il fuppofoit féparer deux Continens , il fe pourroit bien faire qu'ils n'euffent point arrêté les Animaux , qu'on trouve dans le Nouveau Monde , puifque Jacques Cartier a vu un Ours de la groffeur d'une Vache , faire à la nage un trajet de quatorze lieues. Enfin il propofe fon fentiment propre , qu'il ne paroît pourtant don- ner, que comme une fimpie conje£lure. Efï-il croyable , dit-il , que Noé , qui a vécu trois cent cinquante ans après le Déluge , ait ignoré qu'au-delà de l'O- céan Occidental il y a une grande partie du Monde; & s'il l'a connu , manquoit-il de moyens pour la peupler ? Y avoit- il plus de difficulté à paiTer des Canaries aux Açorres , & des Açorres au Canada, ou des Mes duCap-Verd au Brefil, que du Continent de l'Aiie au Japon , ou à d'autres Ifles encore plus éloignées ? Il rapporte à ce fujet tout ce qu'on trouve dans les Anciens, fur-tout dans Elien & dans Platon, des vefliges , qui reftoient , dit-il, encore de leur tems , de laconnoifiance DES AMERIQUAINS. n de l'Amérique. Une voit rien , qui empêche de dire que les Hefperides des Anciens font les Antilles , & il explique la Fa- ble du Dragon , qui , félon les Poètes , en gardoit les Pommes d'or, des differens Détroits , qui ferpentent autour de ces Mes , & que de fréquens naufrages ont pu faire regarder comme irnpratiquables. Il ajoute à cela beaucoup d'autres obferva- tions géographiques , qui ne font pas toutes fort éxa£tes , & que Jean de Laët réfute très-bien. Ce Critique remarque auffi avec raifon que , fi les Cana- néens facrihoient leurs Enfans à leurs Idoles , on ne lit dans aucun endroit des Livres Saints qu'ils fuffent Anthropophages. Il convient de la poffibilité & de la vraifemblance du partage des Hommes & des Animaux par le Nord dans l'Amérique , & il avoue qu'il eft aifé de comprendre comment des Hom- mes ainfi tranfplantés dans un Pays défert, & fi éloigné , y font devenus Sauvages & Barbares ; mais il regarde comme un vrai Paradoxe , il trouve même du ridicule à imaginer que Noë ait jamais penfé à peupler ce grand Continent. Sa mau- vaife humeur , excitée fans doute par quelques-unes des preu- ves de Lefcarbot , qui véritablement ne font pas de trop bon alloy , l'a empêché de voir ce qu'il peut y avoir de (enfé dans cette conjefture. Il eft aiTez ordinaire aux Sçavans d'en ufer de la forte : comme fi la vérité & la vraifemblance ceffoient d'être telles , parce qu'on mêle de mauvaifes preuves parmi celles , dont on les appuyé. Edouard de Breverood , fçavant Anglois , après avoir réfuté le fentiment infoûtenable , qui fait descendre tous les Tartares des Ifraëlites , & montré que l'ignorance de la véritable étymologie du nom de Tartares 3 laquelle vient , non de l'Hébreu , ni du Syriaque , mais du Fleuve Tartar ; veut que ce foit uniquement cette nombreufe Nation , qui ait peuplé le Nouveau Monde : & voici fes preuves. i°. L'A- mérique a toujours été plus peuplée du côté de l'Afie , que du côté de l'Europe. 2°. Le génie des Amériquains a un très- grand rapport avec celui des Tartares , qui ne fe font jamais appliqués à aucun Art ; ce qui n eft pourtant pas univerfelle- ment vrai. 30. La couleur des uns & des autres eft à peu près la même : il eft certain que la différence n'eft pas confidera- ble , & peut être l'effet de celle du Climat , & des Drogues , dont les Amériquains fe frottent. 40. Les Animaux féroces , il DE L'ORIGÏNE qu'on voit en Amérique , & qu'on ne peut raifonnablement juger y avoir été tramportés par Mer, ne peuvent y avoir paffé que par la Tartane. ïl répond enfuite à une objection , qu'.on lui peut faire fur ce que les Tartares font circoncis , & il foûtient que la circonciflon n'a jamais été en ufage parmi les Tartares , qu'après qu'ils eurent embrafîe le Mahornétifme. De Laët fe contente d'expofer cette opinion du do£te An- glois , laquelle confifte à rejetter le fentiment , qui fait defcendre les Tartares des Ifraëlites , transférés par Salma- nafar ; & à donner à tous les Amériquains les Tartares pour Ancêtres. Nous verrons ce qu'il penfe lui-même de cette origine , lorfque nous expoferons fon fentiment propre. Mais il faut auparavant examiner ce qui fe paffa entre lui & le fameux Hugues Grotius , fur le fujet que nous traitons. La difpute fut très-vive de part & d'autre , & ne fit guéres qu'em- brouiller la queftion. En 1642. Grotius publia un petit Ouvrage in-quarto fous ce Titre : De Origine Gentium Americanarum , où il com- mence parfuppofer que Flfthme de Panama fut jufqu'au tems de la découverte du Nouveau Monde par les Efpagnols une barrière regardée comme impénétrable entre les deux parties de l'Amérique ; d'où il conclut , que les Habitans de l'une & de l'autre n'avoient rien de commun dans leur Origine. Milius , qu'il ne cite point , avoit avancé ce Paradoxe avant lui. Or , û on en croit le do&e Hollandois , à l'exception de l'Yucatan , & de quelques autres Provinces voifines , dont il fait une claffe à part , toute l'Amérique Septentrionnale a été peuplée par les Norvégiens , qui y paiTerent par l'Iflande , le Groenland , l'Eftotiland , & la Norimbegue. Il avoue néanmoins qu'ils y furent fuivis quelques fiécles après par des Danois , des Suédois , & d'autres Peuples Germani- ques. Il tire la plus grande partie de fes preuves de la confor- mité des mœurs & de la reffemblance des noms ; mais il faut convenir , que rien n'eft plus forcé que ces prétendus rap- ports , dont il paroît néanmoins fort perfuadé , & qu'il ne perfuade à perfonne. Ce qui l'oblige de mettre à part l'Yuca- tan , c'eft l'ufage delà Circoncifion , dont il s'eft mis dans la tête qu'on a trouvé des traces dans cette Province , & une prétendue Tradition ancienne des Habitans , qui portoit que DES AMERIQUAINS. 13 leurs Ancêtres avoient été fauves des flots de la Mer ; ce qui a fait croire à quelques-uns , ajoûte-t'il , qu'ils étoient mus des Hébreux. Il réfute néanmoins cette opinion avec les mêmes argumens à peu près , dont s'eftfervi Breverood ,& il eftime , avec Dom Pierre Martyr d'Anglerie , que les Premiers , qui peuplèrent l'Yucatan , furent des Ethiopiens jettes fur cette Côte par une tempête , ou par quelque autre accident. Il juge même' que ces Ethiopiens étoient Chrétiens , ce qu'il infère d'une efpéce de Baptême uftcé dans le Pays» Il ne fçaurok difconvenir 9 que le langage des Amériquains Septentrionnaux n'eft proprement ni Ethiopien , ni Norvé- gien , mais cette difficulté ne l'arrête point : il en cherche , comme il peut , la folution dans le mélange des Peuples di- vers , quife font établis dans la fuite^des tems dans cette partie, du Nouveau Monde , &l dans leur vie errante , qui les a obligés , dit-il , de fe faire de nouveaux jargons. Il paffe de-là aux Nations les plus voiiines du Détroit da Magellan , & s'imaginant voir beaucoup de reffemblance en- tre celles , qui font établies en-deçà dans le Continent de l'Amérique Méridionnale ; & celles , qui demeurent au-delà y il décide que les Premières tirent leur Origine des Dernières ; & que celles-ci , auffi-bien que les Habitans de la Nouvelle Guinée , font venues des Moluques & de l'Ifle de Java. Néanmoins le génie particulier des Péruviens , leurs Loix , leurs Coutumes , leur Police , les fuperbes édifices , qu'ils avoient conftruits , & les débris des Navires Chinois , que des Efpagnols , dit-il , ont aperçus à l'entrée de la Mer Paci- fique , au fortir du Détroit de Magellan , ne lui permettent point de douter , que cette Nation ne foit originairement une Colonie Chinoife ; ce qui fe confirme , ajoûte-t-il , par le culte du Soleil également établi dans l'un & dans l'autre Empire ., par la refïemblance de leurs caractères & de leur manière d'écrire , & par la réputation , qu'ont eu les anciens Chinois , d'exceller dans la Navigation. Enfin il rejette l'O- rigine Tartare ou Scythe des Amériquains par le peu de con- formité , qui fe trouve , félon lui , entre les moeurs & les cou- tumes des uns & des autres : il inilfte principalement fur ce que ceux-ci n'ont point de chevaux , dont on fçait , dit-il , que les Schythes ne peuvent abfolument fe paiTer. Pour faire tomber ce fyilême , il fuffit de montrer , qu'il i4 DEL' ORIGINE porte prefque toujours à faux , & c'efr. ce que le Critique Flamand rend très-fenfible. Il ne prouve pas moins bien que Grotius n'eft pas plus heureux à attaquer les fentimens des autres , qu'à établir le fien. En effet il obferve que tous les Scythes n'ont pas l'ufage des chevaux , puifque plusieurs habitent des Pays , qui n'en peuvent pas nourrir ; à quoi il ajoute , que dans le fentiment de ceux , qui prétendent que c'efl par la Scythie , que l'Amérique a été peuplée , il n'eft pas néceffaire de dire , que tous ceux , qui ont pénétré par-là dans le Nouveau Monde , étoient Scythes ou Tartares; que les Pays , qu'il a fallu traverfer , n'étoient nullement propres pour les chevaux ; que la coutume des Scythes , quand ils fe voyent contraints de palier quelque Détroit de Mer , eft de tuer leurs chevaux , de les écorcher , & de couvrir de leurs peaux les Bâtimens , fur lefquels ils s'embarquent. Il foû- tient enfin que , félon toutes les apparences , ces tranfmi- grations fe iont faites affez peu de tems après la difperiion des petits-fils de Noë , &: qu'alors les Scythes & les Tartares pouvoient bien ne pas encore faire ufage de Chevaux. Il prouve l'antiquité de ces Colonies par la multitude des Peuples , qui habitoient l'Amérique Septentrionnale , lorf- qu'on en fit la découverte ; & quant à l'impofîibilité pré- tendue de franchir l'Ifthme de Panama , il en fait voir l'ab- furdité par le peu d'obftacles , que les Européens ont trouvés dans ce partage. Il entreprend enfuite de montrer , que les Amériquains les plus Septentrionnaux ont beaucoup plus de refTemblance , foit dans les traits du vifage , foit dans la couleur , foit dans la manière de vivre avec les Scythes , les Tartares & les Samojedes , qu'avec les Norvégiens & les Peuples Germaniques ; & fur ce que Grotius fait partir ceux- ci de riflande , il remarque fort bien que cette Ifle n'a com- mencé d'être peuplée par les Norvégiens qu'à la fin du IXe. fié- cle de l'Ere Chrétienne ; qu'alors même il n'y paffa que quel- ques Familles , & qu'ainfi elle ne fut pas fi-tôt en état d'en- voyer en Amérique des Colonies affez nombreufes , pour avoir produit tant de milliers d'Hommes , qui dans le quin- zième fiécle rempliffoient ces vaftes Contrées. La route , que Grotius fait prendre à fes Norvégiens , fournit encore à fon Adverfaire de puiffantes armes pour Je combattre. Il lui fait obferver , que le Groenland eft en- DESAMERIQUAINS. 15 trecoupé de vaftes & profonds Détroits de Mer , prefque toujours glacés , que tout le Pays eft couvert de neiges très- hautes , & qui ne fondent jamais entièrement ; que la Frif- lande , fi elle exifte , ne peut être qu'une partie du Groenland, ou de Finaude ; Se qu'il n'y a nul fond à faire fur tout ce qu'en ont débité les deux "Frères Zanis : que l'Eilotiland ,, iuivant le rapport de ces deux Nobles Vénitiens , eft fort éloigné de la Friflande, puifque de leur tems il n'y avoit au- cun Commerce entre ces deux Pays , & que ce fut par un pur hafard , que des Pêcheurs eurent connoiffance de ce Der- nier : que ce Royaume enchanté , dont le Souverain avoit une fi magnifique Bibliothèque , a difparu depuis qu'on a parcouru le Nord de l'Amérique ; que la Norimbegue , où Grotius conduit les Norvégiens , n'eft gueres moins fabu- leufe ; que ce nom , dans lequel ce Sçavant trouve avec complaifance un fi grand rapport avec celui de Norvège , n'eft pas le nom du Pays , mais un nom fa£Hce , dont per- fonne. ne connoît le Parrain ; que les Naturels du Pays l'ap- pelloient Aggwicia ; que ce Pays eft bien éloigné au Sud de l'endroit , où l'on avoit fuppofé qu'étoit l'Eftotiland , puifqu'ii fait partie de la Côte Méridionnale de la Nouvelle France , entre l'Acadie & la Nouvelle Angleterre. Grotius avoit beaucoup appuyé fur la terminaifon en are > fi commune dans l'Ancien & le Nouveau Mexique. Laët le tire de ce retranchement , en faifant voir que prefque tous ces nom§, font modernes , & de la façon des Efpagnols. Il renverfe avec la même facilité l'argument ? que Grotius ti- roit des Traditions des Méxiquains , en obfervant que quand ces Peuples fe font placés aux environs du Lac de Mexico , ils y ont trouvé quantité de Barbares , qui parloient toutes fortes de Langues , entre lefquelies il n'y avoit aucune affi- nité , ni aucune forte d'analogie ; de forte qu'après les avoir fubjugués , ils furent contraints d'établir des Interprètes pour les pouvoir gouverner. Cette vaine reffemblance de noms avoit encore fait imaginer à Grotius dans la Californie un Peuple Alavard s qu'il fait defeendre des Lombards ; Laê't lui répond que le nom & Alavard pourroit bien n'avoir point d'autre fondement , que celui SAlvarado 3 Capitai- ne Efpagnol , qui avoit fuivi Fernand Cortez au Mexi- que , &. peut-être auffi dans la Californie ? dont on fçait que 16 DE L'ORIGINE ce Conquérant en a fait la première découverte. Laët fait voir enfuite que Grotius ne réufiitpas mieux à mon- trer une conformité de Mœurs , de Coutumes , de Tradirions , & de Forme de gouvernement entre les Amériquains Sep- tentrionnaux & les Norvégiens ; prefque tout ce qu'il en rapporte , étant fondé fur de faux Mémoires. Puis il vient à l'argument > que tire fon Adverfaire de la Circoncifion & du Baptême prétendu des Peuples derYucatan.il foûtient d'a- bord qu'il eft contre toute vraifemblance d'aller chercher un Pays renfermé entre des Colonies Norvégiennes , pour y placer des Afriquains , qui auroient dû plus naturellement prendre Terre au Brefil , ou du moins s'arrêter aux An- tilles , qu'il auroient rencontrées fur leur pafïage , en fup- pofant qu'ils auroient paffé le Tropique. 11 avoue que D. Pierre Martyr d'Anglerie en parlant des Peuples de l'Yuca- tan , dit que plufieurs étoient circoncis , mais il prétend que cet Auteur Italien a été mal informé , puifque , ni Antoine de Herrera , ni le Père de Acofta , ni Oviedo , dont l'au- torité eft fort fupérieure à la fienne , n'ont parlé , ni de cette Circoncifion , ni de ce Baptême , ni des Croix drefîees fur les Tombeaux , que comme de pures Fables. Enfin , pour faire pafler des Abyffins en Amérique , il falloit les faire partir de la Côte Occidentale d'Afrique , & Laët affûre que Grotius s'eft trompé , en avançant que les Etats du Roi d'Ethiopie s'étendoient jufques - là. Il eft cependant certain par des Relations Portugaifes que le Roi de Benia relevoit du Monarque Abyffin. Laët dit peu de chofes fur la manière , dont Grotius pré- tend que l'Amérique Méridionnale a été peuplée par les Ha- bitans des Terres , qui font au Sud du Détroit de Magellan ; il fe contente de remarquer que ces Terres ne font que des Ides , & qu'au-delà 3 jusqu'aux Terres Auftrales , il y a une étendue immenfe de Mer : qu'on ne fçait pas encore au jufte ce qu'il y a entre ces Terres & la Nouvelle Guinée , & que tous les Amériquains Méridionnaux , fans en excepter les Peuples, qui étoient fournis aux Incas du Pérou , parloient une infinité de Langues différentes. Les preuves, fur lefquel- les Grotius établiiïoit l'Origine Chinoiie des Péruviens , ne pàroiffent pas beaucoup plus folides à fon Cenfeur. Premièrement , dit-il , le cara&ere des deux Nations , 6c leur DES AMERIQUAINS. i7 leur goût pour les Arts font extrêmement oppofés. En fé- cond lieu , perfonne n'a encore dit que les Chinois ayent ja- mais adoré le Soleil ; & quand cela feroit , ce culte eft com- mun à tant de Peuples , qu'on nen peut tirer aucun argument dans la queftion préfente. Il eft vrai que les Incas du Pérou , auffi-bien que les Monarques Chinois , fe difoient les Fils du Soleil ; mais combien d'autres Princes ont pris ce titre , ou l'ont reçu de leurs Sujets ? Les Méxiquains ne le donnèrent- ils pas même à Cortez , foit pour lui faire honneur , foit parce qu'il venoit de l'Orient. En troifiéme lieu , Grotius s'eft en- core plus groffiérement trompé , enaffûrantque les Péruviens fe fervoient de Caractères figurés , comme les Chinois , & les f)laçoient comme eux , en lignes perpendiculaires ; puifque e Père de Acofta , qui a demeuré lontems au Pérou , & Garcilaffo de la Vega , qui y étoit né du Sang même des Incas (a) , affûrent qu'on n'y connoifïbit ni Cara£teres , ni l'ufage d'aucune forte d'écriture. Ce que le Docle Hollandois avoit ajouté , que Mango Capa , le Premier des Incas , étoit Chinois , ne pouvoit être qu'une conjecture , ou une fable in- ventée par quelque Voyageur ; car il n'en eft fait aucune mention dans les Traditions du Pérou. Enfin , Laët déclare qu'il n'a jamais lu dans aucun Auteur qu'on ait trouvé des débris de Navires Chinois dans la Mer Pacifique. La chofe lui paroît même allez difficile à croire , par la raifon , que, pour aller de la Chine au Pérou, les Vents font toute l'année tellement contraires , qu'il feroit plus court de prendre le grand détour par l'Occident , que la route di- recte. Il ajoute que , fi les Péruviens defcendoient des Chi- nois , ils auroient confervé du moins quelques veftiges de l'art de naviguer , & l'ufage du fer , au lieu qu'ils ne connoif- foient ni l'un , ni l'autre ; qu'il étoit donc bien plus naturel de faire venir les Péruviens & les Peuples du Chili , leurs Voifins , de quelque Nation Indienne. Il y en a toujours eu d'affez policées , pour être capables de donner naiffance à un Empire tel , qu'étoit celui du Pérou. Grotius répliqua ; mais en Ambafladeur , & en Sçavant étonné de ce qu'on avoit ofé le contredire. Laët un peu pi- qué , le ménagea moins dans fa repartie : il lui fît voir qu'il ne difoit rien de nouveau , que des injures , & prétendit que («) Il en defcendoit par fa Mère. Tome III. C i8 DE L'ORIGINE dans une difpute purement littéraire , le caraclere d'Ambaf* fadeur ne donnoit aucun avantage à un Ecrivain , ni aucun poids àfes raifons. Grotius triomphoit de ce que fon Adverfaire étoit convenu que le Groenland avoit été peuplé par les Norvégiens : voilà donc , difoit-il , une partie de l'Amérique : donc les Habitans tirent leur origine de la Norvège. Or qui auroit empêché ces Norvégiens Groenlandois d'aller plus loin ? Il ne s'agit pas , répond de Laët , de fçavoir fi quelques Peuples du Nord ont paffé en Amérique par le Groenland; mais fi tous les Améri- quains viennent de la Norvège ; & je foûtiens que cela eft. impoffible. Angrimus Jonas , Mandois , affûre que la pre- mière découverte du Groenland n'a été faite qu'en 964. Her- rera & Go m ara nous apprennent que les Chichimeques s'é- tablirent fur le Lac de Mexico en 721. Ces Sauvages ve- noient du Nouveau Mexique & du voifinage de la Califor- nie. Telle eft la Tradition confiante des Méxiquains : l'Amé- rique Septentrionnale avoit donc des Habitans plufieurs fié— clés avant qu'elle en ait pu recevoir de la Norvège par le Groenland. Il n'eft pas moins confiant que les vrais Méxiquains fon- dèrent leur Empire en 902 , après avoir fubjugué les Chichi- meques , les Otomias 3 & les autres Barbares, qui s'étoient emparés des environs du Lac de Mexico : & le Père de Acofta nous affûre que chacun de ces Peuples avoit fa Lan- gue particulière. On fçait d'ailleurs que les Méxiquains ve- noient eux-mêmes de la Californie , ou du Nouveau Mexi- que , & qu'ils avoient fait , du moins pour la plupart , le voyage par Terre. Us ne font donc point venus de la Nor- vège. Grotius ayant ainfi erré dans le principe par un Anachro- nifme évident , tout ce qu'il bâtit fur ce fondement , n'eft plus qu'une fuite de ce premier égarement : & fon Antagonifte 9 qui avec toute la liberté Belgique , croit être en droit de ne le regarder que comme un Sçavant , dont le fyftême lui pa- roît ruineux , & qui , offenfé à fon tour de ce que l'ayant at- taqué avec affez de modération , il n'en avoit pas reçu le re- tour de politeffe , qu'il en attendoit , le fuit pas à pas dans tous fes écarts , & les lui remet fans ceffe devant les yeux. Le do£te Ambaffadeur s'imaginoit avoir lu dans Herrera DES AMERIQUAINS. i^, que les Infulaires de Baccalaos reffemblent parfaitement aux Lappons. Laët 3 après avoir protefté qu'il n'a pu trouver ce fait dans l'Hiftorien Efpagnol 3 répète ce qu'il avoit déjà dit , qu'il ne nie point que quelques Amériquains n'ayent pu avoir tiré leur origine de l'Europe ; puis ramenant fon Adverfaire au Mexique , il lui demande ce que peuvent avoir de com- mun les Mexiquains avec les Habitans de l'Ifle Baccalaos ■? Il avoue enfuite qu'Herrera parle d'une efpece de Baptême , & de Confeffion ufîtée dans l'Yucatan & dans les Ifles voi- sines , mais il foûtient que le Culte de ces Barbares étoit mêlé de tant d'impiétés , & fi manifestement Idolâtre , qu'on ne peut raifonnablement fuppofer qu'ils l'euiTent reçu des Abyffins Chrétiens. Il ajoute qu'il eft bien plus naturel d'attribuer toutes ces marques équivoques de Chriftianifme & de Judaifme , qu'on a cru appercevoir en plufieurs Pro- vinces du Nouveau Monde , au Démon , qui a toujours af- fe£té de contrefaire le Culte du Vrai Dieu. Cette remarque eft de tous les bons Auteurs ,, qui ont parlé de la Religion des Peuples nouvellement découverts , & fondée fur l'autorité des Pères de l'Eglife. Sur ce que Grotius ne trouvoit point de difficulté à dire que les Ethiopiens avoient pu , avec le tems , changer leur cou- leur fous un Soleil moins brûlant , que celui , qu'ils avoient quitté , Laët lui répond que les Peuples Blancs peuvent bien perdre un peu de leur blancheur fous un Climat plus chaud , que celui , où ils font nés ; mais qu'il eft fans exemple que les Defcendans d'un Noir foient devenus blancs dans un Pays froid, & que la couleur des Nègres ne vient pas feulement de l'ardeur du Soleil , puifque les Braftliens & tant d'autres , qui habitent fous les mêmes parallèles , ne l'ont point. Enfin , il relevé une dernière erreur de Grotius , qui s'étoit perfuadé que les Chinois ne connoiffoient point l'Imprimerie avant l'arrivée des Portugais dans leur Pays , & par- là vouloit fe tirer d'une obje£tion , qu'on auroit pu faire contre fon fyftême de l'Origine Chinoife des Péruviens. Il me paroît qu'il n'y a rien à ajouter à la Critique , que Jean de Laët a publiée du fentiment du célèbre Grotius ; il faut voir maintenant , s'il a été auftî heureux à bien établir le rien. Il rapporte d'abord , fur l'autorité de quelques Auteurs cités par Piine , mais qui ne paroiffent pas avoir été fort C ij 2o DE L'ORIGINE habiles Géographes , que dans quelques Mes peu éloignées de l'Afrique , & du nombre defquelles font les Canaries , on a vu des Edifices anciens , preuve certaine qu'elles avoient été habitées avant leur découverte par les Européens. Il faut convenir , dit-il , que puifqu'elles ont été dans la fuite en- tièrement défertes , les Habitans fe font retirés ailleurs , & il y a bien de l'apparence qu'ils ont paffé en Amérique , le trajet n'étant ni long , ni difficile. Cette Tranfmigration , fuivant le calcul de ces Auteurs , doit être arrivée il y a environ deux mille ans : alors les Efpagnols étoient fort inquiettés par les Carthaginois , & peu de tems après ils ne le furent pas moins par les Romains. Or n'eft-il pas naturel de penfer que plufieurs d'entre eux fongerent à fe réfugier en des Pays', où ils n'euffent pas à craindre qu'on vînt encore troubler leur repos ? Et qui a pu les empêcher de fe retirer dans les Antilles , en paffant par les Açorres , qui font à moitié chemin ? Les Bâtimens des Car- thaginois étoient fort propres pour cette navigation , & pou- voient fervir aux Efpagnols de modèles pour en conftruire de femblables. Ils avoient devant les yeux l'exemple affez ré- cent du célèbre Hannon , Carthaginois , qui avoit navigué fort loin à l'Occident. 11 n'y a pas moins de vraifemblance à dire que des Ifles du Cap Verd on ait traverfé au Brefil. Les Autoloks 3 que Pline a placés dans leur voifinage , étoient Getules , & non pas Ethiopiens ; leur couleur & leurs mœurs conviennent affez avec celles des Brafîliens. La Grande-Bretagne , l'Irlande , & les Orcades paroiffent aufîî au Sçavant d'Anvers très-propres à fonder une conjec- ture toute femblable en faveur de l'Amérique Septentrion- nale. Il rapporte à ce fujet ce qui eft marqué dans l'Hifloire du Pays de Galles , écrite par le Dofteur David Powel , fous l'année 1 170. Madoc , dit cet Hiftorien , un des Fils du Prince Oven Guyneth , las & rebuté des Guerres Civiles , qui s'étoient élevées entre fes Frères après la mort de leur Père , arma plufieurs VaifTeaux , les pourvut de tout ce qui étoit néceffaire pour un voyage de long cours , & alla chercher de nouvelles Terres à l'Occident de l'Irlande. Il en trouva de très-fertiles , & qui n'étoient point habitées : il y débarqua une partie de fon Monde , puis retourna en Angleterre , où il fit de nouvelles Recrues , qu'il mena dans fa Colonie. Laè't DES AMERIQUAINS. 21 paroît faire beaucoup de fond fur cette Hiftoire , & il en conclut qu'on a pu former de pareilles Entreprifes dans toutes les Ifles Britanniques. Il feroit à fouhaiter , ajoûte-t'il , qu'on fe fût appliqué à comparer les Langues de quelques-unes des Régions de l'Amérique Septentrionnale avec celles de l'Ir- lande & du Pays de Galles. De-là il vient aux Scythes , & fait un parallèle de leurs mœurs avec celles des Amériquains. Il prouve d'abord par le témoignage de Pline ,, que ce nom etoit autrefois com- mun à toutes les Nations Septentrionnales de l'Afie & de l'Europe ; & qu'on le donnoit même quelquefois aux Sar- mates & aux Germains, quoique dans la fuite on l'ait ref- traint aux Peuples , qui habitoient à l'extrémité du Nord , où plufieurs ont été lontems ignorés du refte du Monde. Il prétend que parmi eux il y avoit beaucoup d'Anthropo- phages ; que tous ont pu envoyer des Colonies en Amérique , & que fi on lui obje&e qu'il ny a d'Antropophages , que dans l'Amérique Méridionnale , c'eft que tous ceux , qui étoient dans ce déteftable ufage y ont pafle. Il pouvoit fans doute s'épargner la peine de répondre fi mal à une objeftion , que Perfonne ne lui auroit apparemment faite , puifque plufieurs Amériquains Septentrionnaux ont toujours été , & font encore Anthropophages : mais continuons de le fuivre dans l'expofition de fon fyftême. Je dis fon fyftême , car où les Mémoires manquent pour constater le vrai , c'eft une néceflité pour lui , comme pour tous ceux , qui traitent cette queftion , d'avoir recours au vrai-femblable , & il doit fuf- fire de ne s'en pas éloigner. Pline , à la vérité , dit que les Scythes fe picquoient d'avoir beaucoup de Chevaux ; mais il ne le dit point de tous les Scythes. Strabon parle de plufieurs , qui étoient au Nord de la Mer Cafpienne , & dont une partie menoient une vie errante : ce qu'il rapporte de leurs mœurs & de leur façon de vivre , s'accorde en bien des chofes avec ce qu'on a re- marqué dans les Sauvages de l'Amérique : & il n'eft pas fort étonnant , ajoute Laët , que ces rapports ne foient pas abfo- lument parfaits ; car ces Peuples , avant même que de fortir de leur Pays , differoient déjà les uns des autres , & ne por- toient pas le même nom : le changement de demeure a fait le refte. On trouve les mêmes rapports entre plufieurs Nations 22 DEL' ORIGINE Amériguaines , & les Samojedes établis fur le grand Fleuve Oby , tels que les Ruffiens nous les ont repréfentés ; & il effc bien plus naturel de fuppofer que des Colonies de ces Peu- ples ont paffé en Amérique , en traverfant la Mer Glaciale fur leurs traînes , que de faire faire aux Norvégiens tout le chemin , que Grotius leur a tracé. Outre que les Améri- quains tiennent beaucoup moins de ceux-ci , que des Sa- mojedes & des Scythes Nomades. De l'Amérique Septentrionnale Laët pafïe à la Méridion- nale , & examine fi elle a pu recevoir des Habitans par la Mer Pacifique. Les Ifles de Salomon font à huit cent lieues des Côtes du Pérou , & on fçait aujourd'hui qu'elles font féparées des Terres Auflrales par une Mer , dont on ne con- noît point encore toute l'étendue. Le Père de Acofta ne les croyoit pas fort éloignées de la Nouvelle Guinée , qu'il ju- geoit être un Continent : mais le Chevalier Richard Haw- kins Anglois , prétend avoir vérifié quec'efr. une Ifle. Il faut donc , continue le do£te Flamand , que l'Amérique Méri- dionnale ait été peuplée par cette grande Terre Auftrale , la même que Dom Pierre Ferdinand Giros , Portugais , & Dom Ferdinand de Quiros , Efpagnol , rangèrent l'efpace de huit cent lieues en 1609. & en 1610. (a) Ce Dernier, qui a donné fon nom à une partie de cette Terre , marque dans fa Lettre au Roy Catholique que le Pays , où il dé- barqua en plufieurs endroits , étoit fort peuplé , & qu'il y avoit vu des Hommes de toutes les couleurs. Mais n'eft-il as étrange que Laët aime mieux faire peupler l'Amérique "éridionnale par une Terre , qui en eflféparée par une Mer immenfe , & beaucoup plus que du refte du Monde , que par la Septentrionnale , laquelle , en fuppofant qu'elle a été peuplée la première , doit naturellement avoir fourni des Ha- bitans à tout le Nouveau Monde. Pour appuyer ce qu'il avoit déjà dit , que l'Amérique n'a pu être peuplée par la Mer Pacifique , il obferve que les vents de la partie de l'Eft , qui y régnent toujours , ne per- mettent point de naviguer d'Occident en Orient ; puis il examine plufieurs Langues Amériquaines pour les confron- ter , & ce n'eft point-là le meilleur endroit de fon Ouvage ; ( j ) Voyez dans les Faftes Chronologiques à quoi il faut réduire ce Voyage de Qui- Cqs , §c quelle eft la vraie fituation dès Ifles de Salomon, S DES AMERIQUAINS. 23 au moins fi nous en jugeons par l'Extrait , qu'il nous donne d'un Vocabulaire Huron , pour oppofer cette Langue à celle du Mexique ; car il l'a tiré du Frère Gabriel Saghart , Re- collet , qui entendoit très-peu le Huron. Il ne paroît pas mieux inftruit de la Religion des Sauvages du Canada , dans laquelle il tâche de trouver des vertiges , qui le puiffent conduire à leur première Origine ; & en effet tout cet étalage d'érudition ne le mené pas bien droit à fon but. D'ailleurs , quoique Perfonne de fon tems n'ait fait une étude plus fuivie , & n'ait parlé plus exactement que lui des Indes Occidentales , il trouveroit aujourd'hui bien des cho- {es à réformer dans fon Ouvrage. Il finit par l'expofition _, quil fait en peu de mots du fenti- ment d'Emmanuel de Moraez , Portugais , tiré du vintiéme Livre de fon Hiftoire du Breiîl , laquelle n'eft pas encore im- primée. Suivant cet Auteur, ce font les Carthaginois & les Ifraëlites , qui ont peuplé toute l'Amérique. Sa preuve , à l'é- gard des Premiers , eft qu'ils ont fait des découvertes bien loin de l'Afrique , Se que le Sénat de Carthage en interrom- pit le cours > d'où il eft arrivé que ceux , qui fe trouvoient alors dans les Pays nouvellement découverts , n'ayant plus aucun commerce avec leurs Compatriotes , & manquant de beaucoup de chofes , font tombés dans la barbarie. Quant aux Ifraëlites , Moraëz prétend que , pour trouver un rapport parfait entre eux & les Brafiliens , il ne manque à ceux - ci que la Circoncifîon. Ce feroit encore beaucoup , fi on confé- déré l'attachement invincible de ceux-là à cette pratique, Mais il y a bien d'autres points au/Ti effentiels , en quoi ces deux Nations différent , & je puis affûrer que cette prétendue reffemblance , qui a tant frappé l'Hiflorien Portugais , eft tout au plus un faux air , qui faifit au premier coup d'œil , & dif- paroît , quand on y regarde de près , & qu'on ne s'eft pas laiffé prévenir. Jean de Laët ayant donc bien réfuté les opinions , qu'on avoit avancées jufqu'à lui; & n'ayant pas prouvé lafienne avec le même fuccès , un Sçavant Hollandois , nommé Geor- ges de Kornn , entra dans la lice ; & il y entra avec d'autant plus de confiance , qu'il crut tirer un grand avantage des nouvelles découvertes , que fes Compatriotes & les Anglois venoient de faire au Nord de l'Aiie , de l'Europe , et: de l'Amérique. 24 DEL' ORIGINE Après avoir rapporté tout ce qu'on a jamais imaginé , c'eft-à-dire , tout ce qu'on trouve clans le Père Garcia , & dans Solorzano fur le fujet , qu'il entreprend de traiter , il met dans tout fon jour la difficulté de prendre Ton parti ; diffi- culté fondée fur le peu de connoiflance , que nous avons des extrémités de la Terre , du côté du Nord & du côté du Sud , & fur ce que les Efpagnols , qui les Premiers ont découvert le Nouveau Monde , en ont ruiné les plus anciens monu- mens : témoin ce grand Chemin double de Quito à Cuzco ; Entreprife , à laquelle les Romains mêmes n'ont rien exécuté de comparable ( a). Il ne craint pourtant pas de fe promettre un heureux fuccès de fes recherches , & trouve que le Père de Acofta décide bien légèrement qu'on ne peut fans témé- rité fe répondre de réuffir dans cette Entreprife. Voyons s'il n'a pas lui-même juftifié ce qu'il blâme dans l'Auteur Ef- pagnol, Il déclare d'abord qu'on ne croit pas pofnble que l'Amé- rique ait été peuplée avant le Déluge , vu le peu de tems , qui s'eft écoulé depuis la Création du Monde , jufqu'à ce grand événement. De très - habiles Gens ont pourtant cru que dès-lors il y avoit autant d'Hommes fur la Terre , qu'il y en a aujourd'hui , du moins la chofe eft-elle poffible , & c'en eft allez pour ne point afïurer le contraire. Il faut avouer néanmoins que de Hornn n'eft pas feul de fon fentiment ; mais ce qu'il ajoute , ne donne pas une grande idée de fon exa&itude , ou de fa bonne foi. Selon lui , Lefcarbot fait naî- tre Noè' dans le Nouveau Monde ; cependant l'Hiftorien François n'a rien écrit , qui approche de ce Paradoxe. Il pofe enfuite pour principe qu'après le Déluge , les Hom- mes & les Animaux Terreflres ont pénétré dans l'Amérique par Terre , par Mer , de deffein formé , & par hafard ; que les Oifeaux y ont pafTé en volant ; ce qui ne doit point pa^ roître étrange , puifqu'on en a vu fuivre pendant trois cent lieues des Vaiffeaux , fans s'arrêter, & qu'il fe "rencontre par-tout des Rochers , & des Mes , où ils peuvent fe repofer. Ainfi , félon lui , Jean de Laët a eu raifon de dire que l'arti- cle des Oifeaux ne fait aucune difficulté. Tout le monde ne fera pourtant pas de leur avis , car combien connoiiïbns- nous de Volatilles , qui ne peuvent ni nager , ni voler fi loin ? ( a ) Voyez M. Bergïer , fur les Grands Chemins des Romains. Le DESAMERIQUAINS. 25 Le Père de Acofta a auflî très-bien obfervé , au jugement du do£te Hollandois , que les Bêtes Fauves ont pu trouver un paffage libre par les Terres , & que , û l'on n'a rencontré dans le Nouveau Monde , ni Chevaux , ni Bœufs , il pouvoit ajou- ter , ni Elephans , ni Chameaux , ni Rhinocéros , ni beau- coup d'autres ; c'eft que les Nations , qui y ont paffé , n'en avoient point l'ufage , ou n'ont pas eu la commodité de les y conduire. Il y a cependant des Bœufs en Amérique, mais d'une efpece très - différente de tous ceux, que nous connoiffons dans notre Hémifphere. Pour ce qui eft des Hommes , de Hornn exclut de l'Amé- rique, i°. Les Ethiopiens , & tous les Noirs , tant de l'Afîe que de l'Afrique : le peu de Nègres , qu'on a trouvé dans la Province de Careta, y ayant fans doute été conduits par quel- que accident , ou par quelque hazard peu de tems auparavant. 20. Les Norvégiens , les Danois , les Suédois , les Celtes , en un mot , tous les Peuples du Nord & du milieu des Terres de l'Europe & de l'Afîe. Cependant les Celtes & les anciens Bretons étoient grands Navigateurs & autant à portée qu'au- cun autre Peuple de fe tranfporter en Amérique. 30. Les Sa- mojedes & les Lappons. Sa raifon pour exclure toutes ces Nations , eft qu'en Amérique on ne voit perfonne , qui air les cheveux blonds & frifés , ni qui porte de la barbe , fi ce n'eft lesMiges, dans la Province de Zapoteca, les S chéries , vers Rio de la Plata 3 & les Malopaques , dans le Brefil. Les Efquimaux ont aufîi les cheveux blonds ; & ces exceptions ne biffent pas d'embarraffer. Tous les Indiens de l'Aiie , continue de Hornn , croyent la Métempfycofe : donc ils n'ont point paffé en Amérique , où. on ne la connoît point. Cependant de bons Auteurs , & fur- tout le Sçavant Kœmpfer , prétendent que la Métempfycofe n'a été portée aux Indes , que par Xaca , qui vraifemblable- ment étoit un des Prêtres Egyptiens , que Cambife chaffa de leur Pays , quand il en eut fait la conquête. Avant lui , la Religion du Feu , & le Culte du Soleil , étoient répandus dans la Perfe & dans les Indes , & l'un & l'autre font fort anciens dans une bonne partie de l'Amérique. Autre preuve, qui ne me paroît pas plus convainquante , quoiqu appuyée de l'au- torité de Diodore de Sicile. Les Indiens n'ont jamais , dit- on , envoyé de Colonies hors de chez eux ; donc ils n'ont Tome II I. D 16 DEL' ORIGINE point contribué à peupler le Nouveau Monde. Ces propor- tions générales font bien difficiles à démontrer , fur-tout par rapport à un Pays tel que les Indes , occupé par tant de Na- tions , de mœurs , d'ufages , & de génies fi differens. Les Grecs & les Latins font encore exclus du Nouveau Monde. Ils ne pou voient pas , félon notre Auteur , naviguer au-delà de Cadix , par la raifon , que les Carthaginois , puif- fans fur la Mer Atlantique , ne les y auroient pas foufierts. Cette preuve me paroît bien foible , fur-tout par rapport aux Grecs , qui ayant fondé Cadix , pouvoient y être affez forts pour tenir la Mer malgré les Carthaginois. J'aimerois mieux dire qu'HERCULES s'étant perfuadé qu'il n'y avoit rien au-de- là de cette Mer , il n'eft pas venu à l'efprit de fes Compa- triotes de s'y embarquer , ce qui ne feroit pourtant qu'une conje£ture affez aifée à détruire. Enfin , les Chrétiens , les Hébreux , les Mahométans , fi on en croit de Hornn , ne fe font point établis dans le Nou- veau Monde ; & fi ce Sçavant ne rejette pas abfolument tout ce qu'on a publié des Croix, du Baptême, de la Circoncifion , de la Confeffion , des Jeûnes , & des autres pratiques de Religion , dont on a prétendu avoir trouvé des vertiges dans l'Yucatan & ailleurs , nous allons voir quel égard il y a eu dans l'arrangement de fon fyftême , dont voici le plan. Il fuppofe d'abord que l'Amérique a commencé d'être peu- plée par le Nord ; & regardant comme une fuppofition dé- nuée de fondement , la Barrière de FIfthme de Panama , que Grotius a cru n'avoir point été franchie avant les Efpagnols , il foûtient que les premières Colonies font allées beaucoup au-delà , puifque l'on rencontre dans toute l'étendue de ce Continent , dans la Partie Méridionnale , comme dans la Septentrionnate , des traces certaines du mélange des Nations du Nord avec celles , qui font venues d'ailleurs. Il croit que les premiers Fondateurs de ces Colonies font des Scythes ; que les Phéniciens &les Carthaginois ont abordé enfuite en Amérique par l'Océan Atlantique , & les Chinois par la Mer Pacifique , mais que de tems en tems d'autres Peuples ont pu y paffer par quelqu'une de ces voyes , ou y avoir été jet- tés par la Tempête ; enfin , que quelques Chrétiens & quel- ques Juifs ont pu s'y trouver tranfportés par quelque événe- DES AMERIQUAINS. 27 ment femblable , mais dans un tems , où tout ce Nouveau Monde étoit peuplé. 11 obferve , ce me femble , très-bien que les Géans , qu'on a pu voir en quelques endroits de l'Amérique , ne prouvent rien ; que fi dans les premiers fiécles ils étoient moins rares , on ne peut pas dire qu'ils ayent jamais fait un Corps de Na- tion ; que comme leurs Defcendans n'ont pas tous hérité de leur taille , des hommes d'une ftrufture ordinaire ont pu pro- duire , & produifent encore aujourd'hui de ces Colotes , ainfi qu'on le peut voir dans les Relations modernes de la Virginie, & du Sénégal. Jufqu'ici il ne dit rien de nou- veau , & la plupart de fes observations avoient été faites avant lui : mais voici du neuf, qui lui eft propre : il paffe de la poffibilité au fait , & des conje£tures aux aliénions , & cet effor une fois pris , il va fort loin : fuivons-le , il nous divertira , & de tems en tems il nous dira d'affez bonnes- chofes. Laiffant à part les Scythes , qu'il fuppofe avoir paffé par le- Nord en Amérique , & y avoir formé les premières Peupla- des , il établit une première tranfmigration de Phéniciens , en pofant pour principe que dès les premiers tems ils ont été Navigateurs, & ont rempli tout notre Hemifphere de leurs Colonies : mais il eft bon d'obferver , que fous le nom de Phéniciens , il comprend aufïi les Cananéens. Il trouve dans Strabon que les Phéniciens font entrés dans la Mer Atlanti- que, & ont bâti des Villes au-delà des Colonnes d'Hercules. Appien , continuè'-t'il , & Pausanias ont écrit que les Car- thaginois , qui étoient originaires de Phénicie , ont couvert toutes les Mers de leurs Flottes : Hannon a fait le tour de l'A- frique ; les Canaries étoient connues des Anciens. On fçait d'ailleurs que les premiers Phéniciens établis en Afrique y ont eu à ioûtenir de grandes guerres contre les Naturels du Pays , qui leur ruinèrent plus de trois cent Villes dans la Mauritanie. Erastothene eft ici fon garant, & il préfère l'autorité de cet ancien Ecrivain à celles de Strabon & d'AR- TEMIDORE , qui le contredifent. Où ces Phéniciens , ajoû- te-t'il , auroient-ils pu fe retirer , après de fi grandes pertes , que dans l'Amérique ? Cette première Tranfmigration lui paroît certaine , dès qu'elle eft poffible , & il la juge très - ancienne ; mais il fe D ij i8 DE L'ORIGINE mocque d'OPMÉER, qui a avancé que les Afriquains des en- virons du Mont Atlas ont navigué en Amérique avant le Dé- luge. Il croit bien que tout ce que Platon a dit de l'Atlantide y n'eft pas exa£t , mais il prétend qu'il y a du vrai dans la des- cription , qu'il en fait. Il obferve qu'on a nommé Atlantides toutes les Mes , qui font à l'Occident de l'Afrique , & il efti- me vraifemblable que l'Atlantide de Platon étoit dans l'Amé- rique , & qu'elle a été fubmergée par le Déluge , dont il refte encore quelque léger fouvenir parmi les Amériquains. Il dit encore que , félon Pierre Martyr d'Anglerie , les Infulaires des Antilles racontoient que leurs Mes avoient été autre- fois jointes à la Terre-ferme, & n'en avoient été féparées , que par des Tremblemens de Terre , & de grandes Inonda- tions : qu'on trouve encore dans le Pérou des vertiges d'un Déluge , & que toute l'Amérique Méridionnalc eft pleine d'eau. Il auroit pu y joindre la Septentrionnale , où la Nou- velle France feule a plus d'eaux , que tout le refte de ce grand Continent. Diodore de Sicile a écrit que les Phéniciens avoient navi- gué fort loin dans l'Océan Atlantique , & forcés par des Tempêtes , avoient pris Terre à une grande Me , à l'Occident de la Lybie , où ils avoient trouvé un Terrein fertile, des Fleuves naviguables , & de fomptueux Edifices. De Hornn explique ceci de la féconde Tranfmigration de ces Peuples en Amérique. Diodore ajoute que dans la fuite les Cartha- ginois , vexés par les Tyriens & par les Habitans de la Mau- ritanie , qui ne leur donnoient ni paix , ni trêve , menèrent dans cette Me des Colonies , & tinrent la chofe fecrette , afin d'avoir toujours de ce côté- là une retraite affûrée , en cas de difgrace. D'autres Auteurs, que de Hornn ne nomme pas , ont prétendu que ces Voyages fe faifoient à l'infçû des Magiftrats , lefquels s'appercevant que leur Etat fe dépeu- ploit , & ayant découvert la fource de ce défordre , défen- dirent cette navigation fous de très - griéves peines. Enfin , la troifiéme Tranfmigration des Phéniciens dans le Nouveau Monde fut occaftonnée , félon notre Auteur , par un Voyage de trois ans , que fit la Flotte Tyrienne , qui étoic au fervice de Salomon. D'abord, fur l'autorité de Jofeph , il affûre qu'Afion-Gaber , où fe fit l'embarquement , eft un Port de la Méditerranée. La Flotte 9 ajoûte-t'il , alloit chercher DES AMËRÏQUAINS. 19 des Dents d'Eléphans & des Paons fur la Côte Occidentale d'Afrique , qui eft Tharjis : c'eft auffi le fentiment de M. Huet % puis de VOrkOpkir, qui eft Haïti, l'Ifle Efpagnole : Chrifto- phe Colomb l'avoit dit avant lui , félon quelques-uns , & Vatable a certainement été du même fentiment. De Hornn revenant enfuite aux Mes Atlantiques , veut nous perfuader que les Phéniciens y ont eu en divers tems des- Colonies , &: que la Cerné des Anciens eft la Grande Canarie 3 laquelle doit fon nom aux Cananéens , qui s'y réfugièrent. Une des Canaries s'appelle la Gomera : le do&e de Hornn ne doute point qu'elle ne doive fon nom aux Amorrhéens , qui vinrent l'habiter , après avoir été chaffés de la Paleftine par les Hébreux. Faut-il s'étonner après cela , s'il retrouve k Cham des Phéniciens dans les Cheme^ de l'Ifle Haïti , dans les Camïs du Japon , & dans le C/ii/e Campai de l'Yucatan ■? Tout eft à peu près de la même force & du même goût dans le détail , où il entre enfuite pour découvrir des traces de la Religion & des Mœurs Phéniciennes dans le Nouveau Mon- de. Mais il fait ici une remwque , que je ne dois point paffer fous ftlence , c'eft que les premiers Phéniciens , qui s'établi- rent dans l'Afrique , & dans les Mes Baléares , n'avoient ni Carafteres , ni aucun ufage de l'Ecriture , & que Cadmus , qui étoit Phénicien , porta dans la Grèce , non les Cara£te- res , dont fa Nation s'eft fervie depuis , mais ceux , dont fe fervoient de fon tems les Egyptiens. Toutes cesTranfmigrations ont précédé de plufieurs fiécles la Venue de Jefus-Chnft : en voici de plus modernes. Notre Auteur diftingue trois fortes de Scythes , qui ont pafTé dans le Nouveau Monde , des Huns , des Tartares du Cathay , ôk des Chinois. A coup fur., les Partifans de l'Antiquité de la Nation Chinoife ne lui pafferont pas que ce grand Empire a eu des Scythes pour Fondateurs , & ceux mêmes , qui n'ad- mettent point ce qu'il y a d'incertain dans les prétentions de quelques Chinois , ne feront pas de fon avis. Il eft aujourd'hui confiant que l'Empire Chinois n'eft pas fort poftérieur aux Petits -Fils de Noë. Mais nous ne finirions point, fi nous- voulions relever toutes les fuppofitions fauffes & hafardées de l'Ecrivain Hollandois. Sous le nom de Huns , il comprend des Nations fans nom- bre , qui occupoient un Pays immenfe ; & l'occafion du paf- 3o DEL' ORIGINE fage de plusieurs en Amérique fut , félon lui , leur multitude & leurs guerres inteftines. Pour ce qui eft de la route, qu'il leur fait prendre , il prétend qu'ils pafferent par l'extrémité du Nord , où ils trouvèrent des Mers glacées. Puis oubliant ce qu'il venoit de dire du nombre infini de ces Barbares , que leurs vaftes Contrées ne pouvoient plus contenir ; com- me il avoit déjà oublié ce qu'il avoit dit d'abord , que les premières Peuplades de l'Amérique s'étoient formées par les Scythes , il nous avertit que fi les Quartiers Septentrion- naux de l'Amérique font les moins peuplés , c'eft que le Pays des Huns l'a été fort tard , &: qu'encore aujourdhui il ne l'eft pas beaucoup. Mais , aiierent-ils tous par le même chemin ? Non , car tandis que le plus grand nombre tournoit à droite , vers l'O- rient , ceux , qu'on appelloit Firmes , & que Corneille Ta- cite place dans la Finlande , les Samojedes , & les Caroliens prirent à gauche par l'Occident , traverferentla N. Zemble „ la Lapponie , & le Groenland , d'où il juge aufTi que des Nor- végiens , qui avoient été autrefoifdébarqués dans le Groen- land , & dont on ne trouva plus un feul en 1 348 , ont pénétré dans le Nord de l'Amérique , pour y chercher des Pays plus habitables. Rien dans le fond n'empêche de croire que les Eskimaux & quelques autres Nations voiiines de la Baye d'Hudfon , tirent leur Origine des Norvégiens Groënlandois , s'il y en a jamais eu. Ce qui eft certain, c'eft que les Eski- maux n'ont rien de commun , ni pour le langage , ni pour les mœurs , ni pour la manière de vivre 3 ni pour la couleur du Corps & des .Cheveux avec les Peuples du Canada même, leurs plus proches Voifins. Quant à certains Animaux , tels que les Lions & les Ty- gres , qui , félon toutes les apparences , ont paffé de la Tar- tarie & de FHircanie dans le Nouveau Monde , leur paffage pourroit bien être une preuve que les deux Hemifpheres le touchent par le Nord , du côté de l'Afie , & ce n'eft pas la feule , que nous en ayions , fi ce que j'ai fouvent oui racon- ter , comme un fait certain , du Père Grellon , Jéfuite Fran- çois , eft véritable. Ce Père , dit-on , après avoir travaillé quelque tems dans les Minions de la Nouvelle France , pafTa à celles de la Chine. Un jour, qu'il voyageoit enTartarie, il rencontra une Femme Huronne , qu'il avoit connue en DES AMERIQUAINS, 31 Canada : il lui demanda par quelle aventure elle fe trouvoit dans un Pays fi éloigné du Sien ? Elle répondit qu'ayant été prife en guerre , elle avoit été conduite de Nation en Nation jufqu a l'endroit 3 où elle fe trouvoit. On m'a encore affûré qu'un autre Jéfuite paffant par Nantes au retour de la Chine , y avoit rapporté un trait affez femblable d'une Femme Efpa- gnole de la Floride : elle avoit été prife , difoit-il , par des Sauvages, & donnée à une Nation plus éloignée, & par celle- ci à une autre ; elle avoit ainfi fuccefnvement parle de Pays en Pays, traverfé des Régions très-froides , & s'étoit enfin rencontrée en Tartarie , y avoit époufé unTartare , qui avoit paffé en Chine avec les Conquérans , & s'y étoit établi. A la vérité ceux , qui ont navigué le plus loin à l'Orient de l'Afie 3 en fuivant les Côtes d'Yeffo , ou de Kamtfchatka , ont prétendu appercevoir l'extrémité de ce Continent , & ont conclu qu'entre l'Afie & l'Amérique , il n'y avoit point de communication par Terre ; mais outre que François Guella, Efpagnol, fi on en croit Jean Hugues de Linschooten , a vérifié que cette féparation n'étoit qu'un Détroit de cent mil- les de large , les dernières navigations des Japonnois donnent lieu de juger que ce Détroit n'eft qu'une Baye , au-deffus de laquelle on peut pafîer par Terre. Revenons à Georges de Hornn. Cet Ecrivain ne s'exprime pas exa&ement , lorsqu'il dit que l'Amérique Septentrionnale eft remplie de Lions & de Tygres. On trouve bien dans le Pays des Iroquois une efpece de Tygres , dont le poil eft de petit gris, qui ne font pas mouchetés, dont la queue eft fort longue , & dont la chair eft bonne à manger : mais à cela près , ce n'eft que vers le Tropique , que l'on commence à voir de vrais Tygres & de vrais Lions , ce qui ne prouve pourtant point , qu'ils n'y foient point venus de la Tartarie & de l'Hircanie : mais comme en avançant toujours au Sud , ils y ont trouvé des Climats , qui leur convenoient davan- tage , on peut croire qu'ils onttout-à-fait abandonné les Pays Septentrionnaux. Ce que Solin & Pline rapportent , que les Scythes Anthro- pophages ont dépeuplé une grande étendue de Pays , jufqu'au Promontoire Tabln : & ce que Marc Pol de Venife nous ap- prend, qu'au Nord-Eff de la Chine & de la Tartarie il y a de vaft.es Pays inhabités , pourroient bien confirmer la conjec- 3z DE L'ORIGINE ture de notre Auteur touchant la retraite d'un grand nombre de Scythes en Amérique. On trouve dans les Anciens les noms de quelques-uns de ces Peuples : Ptolémée parle des Tabiens ; Solin nomme les Apaléens , qu'il dit avoir eu pour Voifins les Meffageees , & que Pline aflure avoir difparu. Am- mien Marcellin dit expreffément que la crainte des An- thropophages obligea plulieurs des Habitans de ces Contrées à fe réfugier ailleurs. Toutes ces Autorités forment, ce me femble , au moins une forte conjecture , que plus d'une Na- tion Amériquaine a une Origine Scythe ou Tartare. Jufques-là de Hornn ne s'égare donc pas fi loin de fon but , qu'il n'y revienne de tems en tems , & l'on reconnoît le Sça- vant jufques dans fes écarts. Mais à la fin on diroit qu'à force de vouloir conjecturer fur des convenances de noms , la tête lui a tourné. Qui ne riroit, par exemple, en lui voyant avancer férieufement que les Apalaches , Nation Floridienne , font les Apaléens de Solin , & que des Tabiens de Ptolémée font defcendus les Tombas du Pérou ? Ce qui fuit eft encore plus rifible. Il y a, dit-on, un Peuple Voifin des Mogols , qu'on appelle Huyrons. Voilà les Hurons du Canada : Héro- dote donne aux Turcs le nom d'Yrcas. Voilà les Iroquois & les Sourïquois de l'Acadie. Par malheur pour de fi rares dé- couvertes , la conje&ure porte à faux : car tous ces noms des Sauvages de la Nouvelle France , ou prefque tous , font de la façon des François. Il y a plus , les Hurons & les Iroquois , à qui notre Auteur donne des Origines fi différentes , parlent à peu près la mê- me langue ; l'une eft une Dialecte de l'autre : au lieu que les Souriquois , auxquels de Hornn donne les mêmes Ancêtres , qu'aux Iroquois , n'ont abfolument rien de commun avec eux dans le Langage , ni dans le caractère d'efprit. La Lan- gue , qu'ils parlent eft une Dialecte Algonquine , & le Huron eu auffi différent de l'Algonquin, que le Latin l'efl de l'Hé- breu. Ne faut-il pas aufli avoir l'imagination bien frappée, pour fe perfuader que le Meyra Humona des Brafiliens , & le Païeuma des Habitans de Santa-Cruz , viennent de Saint Thomas , & font dérivés de la Langue des Turcs , qui avant ue de paifer en Amérique , avoient eu quelque connoilfance e cet Apôtre ? I*a confiance abandonne notre Auteur , lorfqu'il femble qu'ellg 1 DES AMERIQUAINS. 3i qu'elle devroit moins lui manquer; il n'ofe décider , fï l'Amé- rique Méridionnale a peuplé les Terres Auftrales , ou fi elle en a reçu fes Habitans : mais il la tetrouve bientôt , & elle lui fait entreprendre de débrouiller l'Origine des Empires du Pérou & du Mexique. Il convient avec plufïeurs Hiftoriens 3 que ces Monarchies n'étoient pas fort anciennes , lorfque les Éfpagnols les détruifïrent 3 & que leurs Fondateurs ont eu à combattre des Peuples Barbares , établis depuis lontems dans les Pays , qu'ils avoient choifïs , fur-tout dans le Mexique , où les mœurs étoient bien moins douces au tems de Cortez , que parmi les Péruviens. Cette différence venoit apparem- ment de ce que les Conquerans du Mexique n'étoient pas au/fi policés , que ceux du Pérou. Les uns & les autres , fi on en croit de Hornn , font néan- moins fortis des mêmes lieux : ce font , dit-il , les Peuples du Cathay ; les Japonnois , qui en font originaires; les Chinois , qu'il fuppofe toujours defeendus des Scythes ; quelques Egyp- tiens & quelques Phéniciens , de qui ces deux Empires ont reçu toute leur Police , leur Religion , & les Arts. Voilà af- fûrement une Origine bien mélangée , & bien bifarrement af- fortie. Mais enfin le Scayant Hollandois veut que tous ces Peuples ayent envoyé des Colonies en Amérique , & pour le prouver , il n'eft pas concevable où il va chercher des noms Cathayens , Coréens , Chinois , & furtout Japonnois dans toutes les Parties du Nouveau Monde. Il y a fouvent entre ces noms à peu près le même rapport , qu'entre Y'Alfana&c YEquus xle Ménage ; mais aum* on leur fait faire un fï long chemin 3 qu'on ne doit pas être furpris , s'ils ont fï fort changé fur la route. Il n'y a pas jufqu'aux Chiquites du Paraguay , dont il ne fafTe dériver le nom , lequel eft purement de la façon des Ef- pagnols , de celui de Cathay. Le nom Slncas 3 qui étoit ce- lui de la Famille Impériale du Pérou , a , félon lui , trop de reffemblance avec le même nom de Cathay , pour qu'il foit permis de douter que ces Souverains ne tiraffent leur Origine de ce grand Pays. En un mot , chercher des Catayens en Amérique , c'efl , dit-il, chercher des Grecs en Italie , & des Phéniciens en Afrique. Les Coréens appellent leur Pays Cao- Il : donc la Californie a été peuplée par une Colonie Coréen- ne: Ckiappa , Province du Mexique, peut-il venir d'ailleurs Tome IIL E 34 DEL' ORIGINE que de Giapan 9 nom , que quelques-uns donnent au Japon ? Motezuma , Empereur du Mexique , avoit une Barbe â la Chinoife : il n'en faut pas davantage pour le faire Originaire de la Chine. Ce n'eft pourtant pas fans fcrupule, que notre Auteur quitte les étymologies pour la figure de la Barbe : mais cette Barbe eft fort finguliere dans un Méxiquain. D'ailleurs il trouve que le nom du Monarque a beaucoup d'affinité avec celui de Motu^aïuma 3 qu'il prétend , je ne fçai fur quelle au- torité 3 être un titre d'honneur au Japon : ainfi ce Prince pourroit bien tirer fon Origine de ces lues. Cependant ce ne font ni les Cathayens , ni les Japonnois , qui ont fondé la Monarchie Méxiquaine : de Hornn en fait honneur à Facfur , Roy de la Chine , qui , détrôné par Cublay , Grand Cham des Tartares , s'enfuit avec cent mille Hommes fur mille VaifTeaux en Amérique , & y devint le Fondateur d'un nouvel Empire. Manco , autre Prince Chi- nois , Originaire du Cathai , avoit fondé deux fiécles aupa- ravant celui du Pérou. Voilà bien des noms , que Jes Pères Couplet , le Comte & du Halde ne fçavoient pas. Manco avoit porté les Arts à une très-grande perfection , & ce fut lui , qui éleva ces Edifices fomptueux , qui éton- nèrent fi fort les Efpagnols. Il ne mena point de Chevaux en Amérique , parce que de fon tems , dit Marc Pol de Ve- nife , il n'y en avoit point à la Chine. Mais pourquoi les Chinois du Pérou n'ont -ils pas confervé leurs cara£teres ? c'eft , répond de Hornn 3 qu'ils étoienttrop difficiles à écrire ; ils ont trouvé qu'il étoit plus court & plus aifé d'y fuppléer par des figures fymboliques. Voilà une partie de ce qui a été écrit fur la queftion pré- fente , & je fuis bien trompé , fi la fimple expofttion de tant d'opinions diverfes n'eft pas fuffifante pour fournir à tout Le£teur attentif les lumières , dont il a befoin pour prendre le feul parti , qui convienne fur cette grande controverfe , qu'on n'a fait qu'embrouiller , en voulant l'éclaircir. Il me paroît qu'elle fe réduit à ces deux points. i°. Comment le Nouveau Monde a-t-il pu être peuplé ? 2°. Par qui , & par quelle voye l'a-t'il été ? Rien , ce me femble , n'eft plus aifé que de répondre au premier. L'Amérique a pu être peuplée , comme les trois autres parties du Monde. On s'eft formé fur cela des diffi- DES AMERIQUAINS. 35 cultes , qu'on croyoit infolubles , & qui ne l'étoient point. Les Habitans de l'un & de l'autre Hemifphere, font certai- nement les Defcendans d'un même Père. Ce Père commun avoit reçu du Ciel un ordre précis de peupler toute la Terre , & elle l'a été. Il a fallu pour cela franchir des diffi- cultés , & on les a franchies. Y en avoit-il de plus grandes pour les extrémités de l'Aiie , de l'Afrique , & de l'Europe ; pour fe tranfporter dans des Mes affez éloignées de ce grand Continent , que pour paffer en Amérique ? non fans doute. La navigation, qui s'eftfi fort perfeftionnée depuis trois ou quatre fiécles , étoit peut-être plus parfaite dans les premiers tems , qu'elle ne l'eft aujourd'hui. Du moins ne peut-on pas douter qu'elle ne fût alors dans le degré de perfe&ion né- ceiïaire , pour le deffein , que Dieu avoit de peupler toute la Terre. Tant que les Auteurs , que j'ai cités , s'en font tenus à cette poflibilité , qu'on ne fçauroit nier , ils ont raifonné fort jufte > car s'il n'eft pas démontré qu'il y ait un paffage par Terre en Amérique, foit au Nord de l'Afie & de l'Europe , foit au Sud ; le contraire ne l'eft point : d'ailleurs des Côtes de l'Afrique au Brefil ; des Canaries aux Açorres , des Açorres aux Antil- les , des Mes Britanniques & des Côtes de France en Terre- neuve , la Traverfée n'eft ni longue ni difficile : j'en pourrois dire autant de la Chine au Japon , du Japon & des Philippi- nes aux Mes Mariannes , & de-là au Mexique. Il y a dans l'A{ie des Mes auffi éloignées de tout Continent , où l'on n'a pas été furpris de trouver des Hommes ; pourquoi le feroit- on d'en avoir trouvé dans l'Amérique ? & peut-on concevoir que les Petits-Fils de Noë , lorfqu'ils furent obligés de fe fépa- rer , & de fe répandre , félon les deffeins de Dieu , par toute la Terre , ayent été dans l'impoffibilité de peupler prefque la moitié de l'Univers ? Il falloit donc s'en tenir là ; mais la queftion^toit trop (im- pie , & la réponfe trop aifée a faire. Les Sçavans veulent dif- cuter , & ils ont cru pouvoir décider comment , & par qui l'Amérique a été peuplée : & parce que les Hiftoires ne leur fourniffoient rien pour cela , plutôt que de demeurer court , ils ont réalifé les conje£tures mêmes les plus frivoles. Une fimple convenance de noms , une légère apparence leur ont paru des preuves , & fur ces fondemens ruineux ils ont bâti Eij 36 DEL' ORIGINE des fyftêmes , dont ils fe font entêtés , dont les plus ignorans peuvent appercevoir le faux , & qu'on renverfe fouvent par un feulfait , qui ne peut être contefté. De-là il eft arrivé que la manière , dont le Nouveau Monde a reçu Tes premiers Ha- bitans , demeurant fort incertaine , on a imaginé des difficul- tés , où il n'y en avoit point; on a 'porté l'extravagance juf- qu'à fe perfuader que les Amériquaius n'étoient point iffus du premier Homme , que nous reconnoiffons pour notre Père commun ; comme fi l'ignorance de la manière , dont un fait eu arrivé , devoit le faire juger impoiTible , ou lui donnoit même un degré de difficulté. Ce qu'il y a en ceci de plus fingulier, c'eft qu'on n'a pas pris , pour fçavoir ce qu'on cherchoit , le feul moyen , qui nous reftoit : je veux dire , la confrontation des Langues : en effet dans la recherche , dont il s'agit , il me paroît que la connoiffance des Langues principales de l'Amérique , & leur comparaifon avec celles de notre Hemifphere , qui font re- gardées comme Primitives , pourroient nous faire parve- nir à quelque heureufe découverte ; & que. ce moyen le moins équivoque de tous , de remonter à l'origine des Na- tions , n'eft pas auffi difficile , qu'on pourroit le croire. Nous avons eu , & nous avons encore des Voyageurs & des Mif- fionnaires , qui ont travaillé fur les Langues , qu'on parle dans toutes les Provinces du Nouveau Monde. Il ne faudroit que faire un Recueil de leurs Grammaires & de leurs Voca- bulaires , & les rapprocher des Langues mortes , ou vivantes de l'ancien Monde , qui parlent pour être originales. Les Dialectes mêmes 3 malgré l'altération , qu'elles ont fouffertes , tiennent encore affez. de la matrice , pour nous fournir de grandes lumières. Au lieu de ce moyen , qu'on a négligé , on a cherché dans les Mœurs , les Coutumes , la Religion , & les Tradi- tions des Amériquains , leur première Origine : cependant je fuis perfuadé que cet examen ne peut produire qu'un faux jour , plus capable d'éblouir & d'égarer , que de conduire fûrement au but , qu'on fe propofe. Les anciennes Tradi- tions s'effacent de l'efpritde ceux , qui n'ont , ou qui pendant pluiieurs fiécles n'ont eu aucun fecours pour les conferver ; & la moitié du Monde eft dans le cas. De nouveaux événe- mens , un nouvel ordre de chofes , font naître d'autres Tra- DESAMERIQUAINS. 37 ditions, qui effacent les premières, & font effacées à leur tour. Au bout d'un {iécle ou deux on n'a plus rien , qui puiffe fer- vir de guide pour retrouver la trace des premières Tra- ditions. Les Mœurs dégénèrent en très-peu de tems par le Com- merce avec d'autres Nations , par le mélange de plufieurs Peuples, qui fe réunifient ; par le changement de domination, toujours fuivi d'une nouvelle forme de gouvernement. A combien plus forte raifon cette altération de mœurs & de caractère doit-elle être fenfible parmi des Peuples errans , devenus Sauvages , vivant fans principe , & fans règles , qui les rappellent aux' Mœurs antiques , telles que font l'édu- cation , & la fociété. Les Coutumes s'aboliffent encore plus aifément. Un nouveau genre de vie en introduit de nou- velles , & l'on a bientôt oublié celles , que l'on a abandon- nées. Que dirai-je de la privation des chofes les plus nécef- faires à la vie ? La néceffité , où l'on eft de s'en paffer , en fait perdre les noms avec l'ufage. Enfin rien n'a effuyé de plus promptes , de plus fréquentes & de plus étranges révolutions , que la Religion. Quand une fois on a renoncé à l'unique véritable , on ne tarde point à la perdre de vue , & on s'engage dans un labyrinthe d'er- reurs ii peu liées entr'elles , parce que l'inconféquence & les contradictions font l'appanage effentiel du menfonge , qu'il ne refte pas le moindre fil , qui puiffe ramener à la vérité. Nous en avons vu dans le fiécle précédent un exemple bien fenfible. Les Boucaniers de S. Domingue étoient Chrétiens , & n'avoient de commerce qu'entr'eux : toutefois en moins de trente ans , par le feul défaut d'exercice de Religion , d'inftruftion , & d'une autorité, qui les retînt dans le devoir , ils en étoient venus jufqu à n'avoir plus du Chrétien que le Baptême. S'ils avoient fubfifté feulement jufqu a la troifiéme génération , leurs Petits-Fils auroient été auiîi peu instruits des principes du Chriffianifme , que les Habitans de la Nou- velle Guinée, ou des Terres Auftrales. Peut-être auroient- ils confervé quelques pratiques , dont ils n'auroient pu ren- dre raifon, & n'eft-ce pas de cette forte que tant de Nations In- fidèles fe font; trouvées avoir mêlé dans leur Culte Idolâtre, des Cérémonies , qui paroiffoient copiées d'après les nôtres ? Il n'en efl pas de même des Langues. Je conviens qu'une 38 D E L' O R I G I N E Langue vivante eft fujette à de continuels changemens , Se comme toutes l'ont été , on peut dire qu'aucune ne s'eft con- servée dans fa pureté originale. Mais il n'en eft pas moins vrai , que malgré les changemens , que l'ufage y a faits , elles n'ont pas perdu tout ce qui les diftinguoit des autres , ce qui fuffit pour ce qu'il nous faut dans le cas préfent ; & que des ruiffeaux , qui font fortis des principales fources , je veux dire des dialectes , on peut remonter jufqu'aux Lan- gues Mères, comment cela? c'eftque, fuivant la remarque d'un fçavant Académicien ( a ) , les Langues Mères fe re- connoiffent en ce qu'elles font plus énergiques , que celles , qui en font dérivées , parce qu'elles ont été formées fur la nature ; qu'elles contiennent un plus grand nombre de mots imitatifsdes chofes , dont ils font les lignes; qu'elles doivent moins au hazard , &: que le mélange , qui a formé les dia- lectes , fait toujours perdre à celle-ci une partie de l'énergie , que leur donnoit le rapport naturel de leur fon avec les cho- fes , dont ils étoient les lignes inftitués, De-là je conclus , que fi l'on trouve dans l'Amérique des Langues , qui ayent ces caraâeres , il n'eft pas permis de douter qu'elles ne remontent à la première origine des Lan- gues ; & par conféquent que les Nations , qui les parlent , n'ayent palTé dans cet Hemifphere afTez peu de tems après la première difperfion des Peuples ; furtout, fi dans notre Conti- nent elles font entièrement inconnues. J'ai déjà obfervé , qu'on fuppofe gratuitement que les arriéres Petits - Fils de Noë , ou n'ont pu paner dans le Nouveau Monde •, ou n'y ont pas penfé. Je ne vois en effet aucune raifon , qui puifl'e autorifer une pareille fuppofition ; & qui peut croire de bonne foi , que Noë & fes Enfans en fçavoient moins que nous : que l'Artifan & le Pilote du plus grand Navire , qui ait jamais été , d'un Navire , qui devoit voguer fur une Mer , laquelle n'avoit plus de bornes , & qui avoit à fe garantir de tant d e- cuëils , ait ignoré , & n'ait pas communiqué à ceux de fes Defcendans , qui ont vécu avec lui , & par qui devoit s'exé^ cuter l'ordre du Créateur , de peupler l'Univers , ne leur ait pas , dis-je , communiqué l'art de naviguer fur un Océan plus calme , & renfermé dans fes anciennes limites ? Eft - il même bien décidé , que l'Amérique n'a point eu ( ») H- l'Abbé Dusos , Hijhire de U Peinture 0> de la Poijîe. DES AMERIQUAINS. 39 cfHabitans avant. le Déluge? Eft il vraifemblable que Noë & Tes Enfans n'ont connu que la moitié du Monde ; & Moyfe ne nous apprend-il pas que toutes les Terres & les Mes les plus éloignées ont été peuplées ? Comment accorder cela avec la prétention de ceux , qui foûtiennent que les Premiers Hommes ignoroient l'art de naviguer ; & peut-on bien dire férieufement , contre l'autorité d'un témoignage fi refpeclable , comme a fait Jean de Laët , que la navigation eft un effet de l'audace des Hommes ; qu'elle n'entroit point dans les vues direftes du Créateur , & que Dieu avoit aban- donné la Terre aux Hommes , & l'Eau aux Poiffons ? D'ail- leurs les Mes ne font-elles point partie de la Terre , & n'y a- t-il point des endroits du Continent , où il étoit plus naturel d'aller par Mer , que par de longs détours , fouvent imprati- quables , ou du moins d'une difficulté capable de faire tout entreprendre pour les éviter ? Il eft certain que l'art de naviguer a eu le fort de quantité d'autres , dont on n'a aucune preuve que nos premiers Pères ont été privés , dont quelques-uns font perdus , & d'autres n'ont été confervés que dans un petit nombre de Nations : mais qu'eft-ce que cela prouve ? Il faut toujours en revenir à ce principe , que les Arts nécefTaires aux deffeins de Dieu n'ont point été ignorés de ceux , qui les dévoient remplir. L'induftrie en a peut-être fait inventer , qui n'étoient qu'uti- les ; & la cupidité en a fait découvrir , qui ne pôuvoient fer- vir, qu a fatisfaire nos paffions. On peut croire aufîi que ce qui en a fait tomber plusieurs dans l'oubli , c'eft qu'ils n'é- toient plus nécefTaires , & que telle a été la navigation de long cours , dès que toutes les parties de la Terre ont eu des Habitans. Il fuffifoit pour le Commerce de ranger les Côtes , & de traverfer aux Mes les plus proches. Faut -il s'étonner que , faute d'ufage , on ait perdu le fecret de faire de longues courfes fur un Elément fi inconftant , & fi fouvent orageux ? Qui peut même affûrer qu'on l'ait perdu fi-tôt ? Strabon dit en plufieurs endroits que les Habitans de Cadix & tous les Efpagnols avoient de grands Vaiffeaux , & excelloient en l'art de naviguer. Pline fe plaint de ce que de fon tems la navigation n'étoit pas auffi parfaite , qu'elle l'avoit été plufieurs fiécles auparavant ; les Phéniciens &: les Carthagi- nois ont eu lontems la réputation d'être habiles & hardis 4o DE L' O R I G I N E Navigateurs. Le P. de Acofta convient que Vafco de Gama trouva parmi les Habitans du Mozambique l'ufage de la Bouf- foie. Les Infulaires de Madagafcar ont une Tradition } qui porte que les Chinois ont envoyé une Colonie dans leur Me. Rejetter cette Tradition fur l'impofîibilité de naviguer û loin fans Bouffole , n'eft-ce pas une pure pétition de prin- cipe ? Car enfin fi la Bouffole eft néceffaire pour aller de la Chine à Madagafcar , j'ai autant de droit de dire , fur la foi d'une Tradition confiante dans une grande Ifle ; les Chinois ont paffé à Madagafcar , donc ils connoiffoient l'u- fage de la Bouffole ; qu'on en a de raifonner ainfi : les Chi- nois ignoraient l'ufage de la Bouffole , donc ils n'ont point paffé à Madagafcar. Je n'entreprends pourtant pas de foûte- nir le fait , quoique je puiffe le faire avec de bons Auteurs ; mais je ferais auffi fondé à l'avancer , que d'autres à le re- jetter. Les Chinois , dont l'Origine remonte aux Petits-Fils de Noë , ont eu anciennement des Flottes ; c'eft un fait affez bien établi dans l'Hiftoire : Qui a pu les empêcher de palTer au Me- xique par les Philippines ? Les Efpagnols font tous les ans cette route. De-là ils ont pu en rangeant la Côte peupler toute l'Amérique du côté de la Mer cru Sud. Les Mes Mariannes , & tant d'autres , qu'on découvre tous les jours dans l'efpace de Mer , qui fépare la Chine & le Japon de l'Amérique , ont pu être peuplées de la même manière , les unes plutôt , & les autres plus tard. Les Habitans des Mes de Salomon , ceux de la Nouvelle Guinée , de la Nouvelle Hollande , & des Terres Auftrales reffemblent trop peu aux Amériquains , pour qu'on puiffe imaginer qu'ils ayent la même origine, fi on ne remonte pas aux tems les plus éloignés. Leur ignorance ne permettra jamais de fçavoir d'où ils la tirent ; mais enfin tous ces Pays font peuplés : il efl bien vraifemblable que quel- ques-uns l'ont été par accident. Or s'ils l'ont pu être de cette manière , pourquoi veut-on qu'ils ne l'ayent pas été dans le même tems & par la même voye , que les autres parties de la Terre ? Les anciens Celtes & les Gaulois , fi renommés par leur habileté dans la Navigation , qui ont envoyé tant de Colo- nies jufqu'aux extrémités de l'A fie & de l'Europe , & dont on nefçauroit prefquç nier que l'Origine ne remonte jufqu'aux Enfans DES AMERIQUAINS. 4* Enfans de Japhet , n'ont-ils pas pu pénétrer par les Açorres jufqu'en Amérique ? & fi on obje&e que les Açorres étoienfc fans Habitans au quinzième fiécle , je réponds que ceux , qui les Premiers ont découvert ces Mes , les ont fans doute négligées , pour aller s'établir dans de plus grandes , de plus fertiles, & dans un Continent immenfe , dont elles ne font pas fort éloignées. Les Eskimaux & quelques autres Nations de l'Amérique Septentrionnale reffemblent fi fort à ceux du Nord de l'Europe & de l'Ane , & fi peu aux autres Peuples du Nouveau Monde , qu'il n'eft pas difficile de reconnoître qu'ils defcendent des Premiers , & qu'ils n'ont rien de commun dans leur Origine moderne avec les Seconds ; je dis leur Ori- gine moderne , car il n'y a guéres d'apparence qu'elle foit an- cienne ; & il n'y a aucun inconvénient à fuppofer que des Pays fï peu habitables, ont été habités plus tard que les autres. Il n'en eftpas de même du refte de l'Amérique ; on ne me perfuadera jamais qu'une partie fi confidérable de la Terre ait été ignorée ou négligée des premiers Fondateurs des Nations; & la raifon , qui fe tire du caraftere des Amériquains , & de la peinture affreufe , qu'on en a faite d'abord , ne prouve rien contre leur antiquité. Il y a trois mille ans au plus , que l'Europe étoit pleine de Peuples auffi Sauvages & auffi peu policés , que la plupart d'entr'eux , & elle en a encore quel- ques reftes. L'Afie , le premier féjour des Hommes , & par conféquent le premier fiége de la Religion , des bonnes moeurs , des Sciences & des Arts , & le centre des plus an- ciennes & des plus pures Traditions , ne voit-elle pas encore fes plus floriffants Empires environnés de la plus épaiffe bar- barie ? L'Egypte , qui s'efl vantée d'avoir été la fource des plus belles connoiffances , & qui eft retombée dans l'igno- rance la plus profonde ; l'Empire des Abyflins fi ancien , & autrefois fi floriffant ; laLybie , qui a produit tant de Grands Hommes ; la Mauritanie , d'où font fortis tant de Sçavants en tout genre , n'ont-ils pas toujours eu dans leur voifinage des Peuples , qui fembloient n'avoir de l'Homme que la figure ? Pourquoi s'étonner que les Amériquains , fi lontems ignorés du refle du Monde , foient devenus Barbares & Sauvages , & que leurs plus floriffants Empires fe foient trouvés dénués de tant de chofes , qu'on croyoit d'une néceffité indifpenfable dans notre Hemifphere. Tome III. F 42 DEL' ORIGINE Qu'on recherche ce qui avoit rendu fi féroces les Monta- gnards des Pyrénées , dont plufieurs le font encore ; quelle eft l'Origine des Lappons & des Samojedes , d'où font venus les Cafres & les Hottentots. Pourquoi fous les mêmes paral- lèles il y a des Noirs en Afrique , & il n'y en a point ailleurs ; & on pourra trouver de quoi répondre aux mêmes queftions touchant les Eskimaux & les Algonquins , les Hurons & les Sioux , les Guayranis & les Patagons. Que fi on demande pourquoi les Amériquains n'ont point de barbe , ni de poil par tout le corps , & pourquoi la plupart font de couleur rougeâtre , je demanderai à mon tour pourquoi la plupart des Afriquains font noirs ? Cette queftion n'entre pour rien dans la difpute fur l'Origine des Amériquains. Les Nations Primitives fe font mêlées & divifées à diver- fes reprifes ; les guerres étrangères & domeftiques , auffi an- ciennes que la pafîion de dominer; lanécefîité de fe féparer & de s'éloigner , foit parce qu'un Pays ne pouvoit plus con- tenir fes Habitans , qui fe multiploient à l'infini , foit parce que les plus Foibles étoient obligés de fuir devant les plus Forts ; l'inquiétude & la cufiofité , fi naturelles aux Hom- mes , mille raifons , qu'il eftaifé d'imaginer , & qui entroient toutes dans les deffeins de la Providence ; la manière , dont fe font faites ces tranfmigrations ; la difficulté de conferver les Arts & les Traditions parmi des Fugitifs tranfplantés dans des Pays incultes , & hors de portée d'avoir quelque Com- merce avec les Nations civilifées : tout cela eft aifé à conce- voir. Les accidens imprévus , les tempêtes & les naufrages ont certainement contribué à peupler toute la Terre habita- ble ; & faut- il s'étonner après cela de certains rapports , qu'on apperçoit entre des Peuples aujourd'hui fi éloignés les uns des autres , & de la différence , qui fe trouve entre des Nations voifines ? On peut comprendre encore qu'il a du arriver qu'une partie de ces Hommes errants , ou forcés par lanécefîité de fe réunir pour fe défendre , & fe fouftraire à la domination d'un Peuple puiffant , ou entraînés par l'éloquence & l'habileté d'un Lé- giflateur , ayent formé des Corps de Monarchies , fe foient fournis à des Loix , fe foient raffemblés en Corps de Nations, Tels ont été les commencemens des plus anciens Empires dans l'Ancien Monde; tels ont pu être ceux du Pérou & du Mexique DES AMERIQUAINS, 45 dans le Nouveau ; mais les monumens biftoriques nous man- quent pour en fçavoir davantage , & il n'y a , je le répète , que la connoiflance des Langues primitives , qui puifTe porter quelque jour dans ces ténèbres. Il eft affez étonnant qu'on ait négligé jufqu'àpréfentun moyen fi naturel , & d'une exécu- tion fi facile , de faire des découvertes auffi intéreffantes pour le moins, que la plupart de celles, qui occupent les Sçavans depuis deux fiécles; On connoîtroit du moins parmi ce pro- digieux nombre de Peuples divers , qu'on voit dans l'Amé- rique , & differens entr'eux de Langage ,„quels font ceux, qui parlent des Langues totalement différentes de celles de l'An- cien Monde, & qui par conféquent doivent être cenfés avoir paffé en Amérique dans les premiers teins , & ceux , qui , par l'Analogie de leur Langue avec celles , qui font en ufage dans les trois autres Parties du Monde , donnent lieu de juger que leur Tranfmigration eft plus récente , & doit être attribuée , ou à quelque naufrage , oui quelque accident femblabie à ceux , dont j'ai parlé dans le cours de cette Difîertation, 44 JOURNAL HISTORIQUE D U N VO Y A G E DE L'AMERIQUE. Addrejfé à M* la Duchesse DE Lesdiguieres, ï 720, Juin. PREMIERE LETTRE. A Rochefort, ce trentième de Juin9 ijzo, ADAME, Vous avez fouhaitté que je vous écriviffe régulièrement par toutes les occafions , que j'en pourrois trouver , & je vous l'ai promis 3 parce qu'il ne m'eft pas permis de vous rien refufer : mais je crains fort que vous ne vous laffiez bientôt de recevoir mes Lettres : car je ne puis me perfuader que vous les trouviez auffi intéreffantes , que vous avez cru qu'elles le dévoient être.Eneffet,c'eft fur un Journal fuivi,que vous avez compté ; mais en premier lieu , je prévois que les Meffagers , dont je me fervirai, pour vous faire tenir mes Lettres, ne feront pas tous bien fidèles , ni des plus exa&s ; & fi cela cft , vous n'aurez qu'un Journal tronqué & fans fuite : d'ail- I 7 1 c. VOYAGE DE L'AMERIQUE. Let. î. 45 leurs je ne fçai pas trop de quoi je les remplirai. Car vous n'ignorez pas que l'on m'envoye dans un Pays , où je ferai fouvent cent lieues , & davantage , fans rencontrer un Hom- Juin. me , & fans voir autre chofe que des Bois , des Lacs , des Rivières & des Montagnes. Et quels Hommes encore , que ceux , qu'on y peut rencontrer ? Des Sauvages , dont je n'entends point la Langue , & qui ne fçavent pas la mienne. De plus , que me diroient-ils ? Ils ne fçavent rien ; & que leur dirai-je ? Ils ne font pas plus curieux d'apprendre des nouvelles d'Europe , que vous ni moi , Madame , ne le fom- mes d'être inftruits de leurs affaires. En fécond lieu , quand je ferois Homme à ufer du privilège des Voyageurs ; je vous connois trop , pour ofer prendre cette liberté avec vous , & pour me flatter de vous en faire accroire. Mais ne craignez rien , je ne me fens point d'incli- nation à forger des aventures ; j'ai déjà fait l'expérience de ce que dit un Ancien qu'on ne change point de caraftere en panant la Mer, ni en changeant de Climat, & j'efpere con- ferver celui de fincérité, que vousme connoiffez , en parcou- rant l'Amérique , & les Mers , qui la féparent de nous. Vous étiez en peine de ma fanté , qui ne vous paroiffoit pas en affez bon état pour entreprendre un Voyage fi pénible ; grâces au Seigneur , elle fe fortifie de jour en jour, & je voudrois bien être auffi fur d'avoir toutes les autres qualités néceffaires , pour m'acquitter , comme il faut , de la Commiffion , dont on m'a chargé. Mais croiriez-vous bien , Madame , que j'ai déjà penfé périr à moitié chemin de Paris à Rochefort ? Vous n'avez , peut-être pas oublié que je vous ai fouvent dit que nos Ri- vières de France ne font que des RuifTeaux, en comparaifon de celles de l'Amérique : il s'en efl peu fallu que la Loire n'ait été vengée de cet outrage. Pavois pris une Cabanne à Orléans avec quatre ou cinq Officiers du Régiment de Conti , Infanterie. Le feize , étant vis-à-vis de Langets, & ne pouvant avancer à caufe d'un vent contraire affez fort , nous voulûmes gagner cette Bourgade pour nous afTûrer d'un bon gîte , au cas qu'il fallût y paffer la nuit. Il falloit pour cela traverfer la Rivière , & nous le propofâmes à nos Bateliers , qui y témoignèrent de la répu- gnance ; mais c'étoit de jeunes Gens , & comme nous infirmâ- mes , ils n'oferent nous contredire. Nous n'étions pas encore 46 JOURNAL HISTORIQUE au milieu du Canal , que nous aurions bien voulu être à i 7 2 °« recommencer ; mais il n'étoit plus tems , & ce qui me fâchoit Juin. le plus , c'efl que c'étoit moi , qui avoit ouvert l'avis , qu'on fe repentoit fort d'avoir fuivi. Nous étions véritablement en grand danger , & on le voyoit bien fur le vifage de nos Con- ducteurs ; ils ne fe démontèrent pourtant point , & manœu- vrèrent fi bien , qu'ils nous tirèrent d'affaire. Le danger paffé , quelqu'un de la Compagnie , lequel avoit été plufieurs fois fur le point de fe déshabiller pour fe jetter à la nage , fe mit à crier de toute fa force , mais d'un ton , qui faifoit voir que le Cœur lui battoit encore , que j'avois eu grand'peur. 11 difoit peut - être plus vrai , qu'il ne penfoit ; mais à coup fâr , il devinoit , car pour écarter les reproches , que l'on commençoit à me faire , & pour tâcher de perfuader les autres , qu'il n'y avoit pas de danger , j'avois fait affez bonne contenance. On rencontre allez fouvent de ces faux Braves , qui , pour cacher la frayeur , dont ils font faifîs , veulent faire diverfion , en donnant fur ceux , qui font beau- coup plus raffûrés qu'eux-mêmes. Cependant , Madame , û je croyois aux préfages , voilà bien de quoi augurer mal d'un Voyage , où je dois faire plus de trois mille lieues fur Mer , & naviguer en Canot d'Ecorce fur deux des plus grands Fleuves du Monde , & fur des Lacs prefque auffi grands & pour le moins aufli orageux , que le Poilt Euxin & la Mer Cafpienne, La Loire ne fut point traitable tout le refte du jour , & nous couchâmes à Langets ; nos Officiers , qui avoient à leur tête leur Lieutenant de Roi , étoient de fort honnêtes gens , & d'un aimable commerce. Ils avoient d'ailleurs beaucoup de Religion , & ils en donnèrent une preuve , qui n'avoit rien d'équivoque. Une efpece d'Aventurier , moitié Petit- Maître , & moitié Bel-efprit , s'étoit joint à eux à Paris : juf- qu a Orléans il s'étoit affez contenu , mais du moment que nous fûmes embarqués , il commença de s'émanciper un peu , &: infenfiblement il tint des propos fort libres fur la Religion. J'eus la confolation de voir que tous nos Officiers en furent offenfés au point , qu'aucun ne voulut loger avec lui à Lan- gets. Ce fut un jeune Lieutenant, qui lui en fît la déclaration , & qui l'obligea d'aller chercher ailleurs un gîte. J'arrivai ici le dix-neuf; on m'y attendoit ? parce que j'é- D'UN VOYAGE DE L'AMER;IQ. Let. I. 47 tois chargé âes Pacquets de la Cour ; mais on y attendoit auffi in zo, de l'argent , & il n'eft arrivé qu'aujourd'hui. Je vais demain T . m'embarquer fur le Chameau , grande & belle Flûte du Roi , *um' laquelle eft en Rade fous Y lue d'Aix , & j'y ferai en pays de connoiflance. J'ai déjà fait Campagne avec M. de Voutron, qui la commande , & avec Chaviteau , fon premier Pilo- te : j'ai eu à Québec pour Difciple M. le Comte de Vau- DREUIL , fon Capitaine en fécond , & j'ai vécu en Canada avec quelques-uns des Officiers & des Paffagers. On nous affûre que nous avons un très-bon Equipage , & il n'eft point d'Officier de Marine , qui ait plus d'expérience pour la na- vigation , que nous allons faire , que notre Commandant. Ainfî je ne pouvois rien défirer de mieux , & pour la fureté du Navire , & pour l'agrément de la Société. Je fuis , &c. SECONDE LETTRE, juiikt Voyage de la Rochelle à Québec : Quelques Remarques fur cette Navigation , fur le Grand Banc de Terre-neuve 3 & fur le Fleuve Saint Laurent. A Québec, ce vint-quatre Septembre, 1720, M ADAME , J'arrivai hier en cette Ville , après quatre-vint-trois jours d'une lente & allez fâcheufe Traverfée : nous n'avions pourtant que mille lieues à faire ; ainfî vous voyez qu'on ne va pas toujours fur Mer per la via délie P ofte s comme difoit M. l'Abbé de Choisy. Je n'ai point fait de Journal de ce Voyage , parce que le mal de Mer m'a beaucoup fait fouffrir pendant plus d'un mois. Je m'étois flatté d'en être quitte , parce que j'avois déjà payé deux fois le tribut ; mais il y a des tempérammens , qui ne peuvent fympathiïèr avec cet Elément , & le mien eft de cette efpece. Or, dans l'état 3 où ce mal nous réduit , il n'eft pas poflible de faire attention à 48 JOURNAL HISTORIQUE ce qui fe paffe fur ie Vaiffeau. D'ailleurs rien n'eft plus ftérile 1 7 2 °' qu'une Navigation comme celle-ci ; auffi n'y eft-on occupé Juillet, qu'à examiner d'où vient le Vent , combien on avance , & fi l'on eft en route : car pendant les deux tiers du chemin , on ne voit que le Ciel & l'Eau. Je vais néanmoins vous marquer ce que ma mémoire me fournira de plus propre à vous amu- fer pendant un quart-d'heure , pour tenir , autant qu'il m'eft pofiible , la parole , que je vous ai donnée. Nous reftâmes en Rade tout le premier de Juillet , & le fécond nous appareillâmes à la faveur d'un petit foufle du Nord-Eft. Les trois premiers jours les Vents furent toujours du bon côté , mais bien foibles , & on s'en confoloit , parce qye la Mer étoit belle. Il fembloit qu'elle voulût nous ama- douer , avant que de fe montrer dans toute fa mauvaife hu- meur. Le quatrième , ou le cinquième le Vent tourna & nous mit à la Bouline {a). La Mer devint groffe , & pendant près de fix femaines nous fûmes fecoués de la bonne manière. Les Vents ne faifoient que tourner , mais ils nous prenoient bien plus fouvent par devant que par derrière , & nous étions pref- que toujours au plus près (£). Defcription Le neuvième d'Août nos Pilotes fe croyoient fur le Grand duerandBanc. ■*% / t q .. ~ J. , , ' nanc de 1 erre- neuve , oc ils ne le trompoient pas de beau- 1720. c°up. Us étoient même en règle ; car un bon Pilote doit tou^ A , jours être un peu de l'Avant de fon Vaiffeau ( c ) ; mais de^ V puis le neuf jufqu'au feize, nous ne fîmes prefque point d§ chemin. Ce qu'on appelle le Grand Banc de Terre-neuve , eft proprement une Montagne cachée fous les Eaux , environ à fix cent lieuè's de France du côté de l'Occident. Le Sieur Denys , duquel nous avons un très-bon Ouvrage fur l'Amé- rique Septentrionnale , & un Traité fort inftru&if de la Pê- che de la Morue , donne à cette Montagne cent cinquante lieues d'étendue du Nord au Sud ; mais , félon les Cartes Ma- rines les pius exactes ? fon commencement , du côté du Sud , eft par les quarante & un dégrez de Latitude Nord , & fon extrémité Septentrionnale eft par les quarante-neuf dégrez , vint-cinq Minutes, (*) Aller à la Bouline, c'elt prendre le Vent de biais. {b) Etre au plus près, c'efk quand on pince le Vent, çn le prenant de biais , parce qu'il vient prefque de devant. (c) C'eft-à-dire , fe croire plus avancé qu'il n'eft. La D'UN JOURNAL DE L'AMERIQ. Let. IL 49 La vérité eft que fes deux extrémités fe terminent telle- l 7 2 Q oient en pointe, qu'il eft mal aifé d'en marquer exa&etnent . „ les bornes. Sa plus grande largeur, d'Orient en Occident, Août, eft d'environ quatre -vint -dix lieuë's Marines de France & d'Angleterre , entre les quarante & les quarante- neuf dégrez de Longitude. J'ai oui dire à des Matelots qu'ils y avoient mouillé l'Ancre à cinq braffes ; ce qui eft encore contre le Sieur Denys , lequel prétend qu'il n'y en a jamais trouvé moins de vint-cinq. Mais il eft certain qu'en plufieurs en- droits il y en a plus de foixante. Vers le milieu de fa Lon- gueur , du côté de l'Europe , il forme une efpece de Baye , qu'on a nommée la Fojfe ; & c'eft ce qui fait que de deux Na- vires , qui font fur la même ligne , & à la vue l'un de l'autre 9 l'un trouvera fond , & l'autre ne le trouvera pas. Avant que d'arriver au Grand Banc , on en rencontre un plus petit , qui s'appelle le Banc Jacquet. Il eft par le travers du milieu de fa longueur : quelques-uns même le font pré- céder d'un autre , auquel ils donnent la figure d'un Cône : mais j'ai vu des Pilotes , qui des trois n'en font qu'un , & fe tirent des objections , qu'on leur fait , en difant , qu'il y a fur le Grand Banc des cavités , dont la profondeur a trompé ceux , qui n'en diftinguent trois , que pour n'avoir pas filé af- fez de Cable. Quoiqu'il en foit de la grandeur & de la figure de cette Montagne , dont il n'eft pas poffible d'être inftruit au jufte , on y trouve une quantité prodigieufe de Coquilla- ges , & plufieurs efpéces de Poiffons de toutes grandeurs ; la plupart fervent de nourriture ordinaire aux Morues , dont le nombre femble égaler celui des Grains de Sa- ble , qui couvrent le Banc. Depuis plus de deux fiécles on en charge tous les ans deux à trois cent Navires , & il n'y paroît prefque point. On ne feroit pourtant pas mal de dis- continuer de tems en tems cette Pêche , d'autant plus que le Golphe de Saint Laurent , le Fleuve même , pendant plus de foixante lieues , les Côtes de l'Acadie , celles de l'Ifle Royale & de Terre - neuve , ne font guéres moins fournies de ce Poiffon , que le Grand Banc. Ce font là , Madame , de vraies Mines , qui valent mieux , & demandent beaucoup moins de frais , que celle du Pérou & du Mexique. caufcs de» Nous eûmes beaucoup à fouffrir tout le tems , que les Vents Vents & des contraires nous retinrent fur les Frontières du Royaume des ?™n™"' qul)t Tome IIL G g 172.0. 5o JOURNAL HISTORIQUE Morues; car c'eft bien le plus défagréable & le plus in- commode Parage de tout l'Océan. Le Soleil ne s'y montre Août, prefque jamais , & la plupart du tems l'air y eft couvert d'une Brume froide & épaiffe , qui fait connoître les approches du Banc, de manière à ne s'y pas méprendre. Quelle pourroit être la caufe d'un Phénomène fi marqué & fi confiant ! Se- roit-ce le Voifinage des Terres & des Forêts , qui les cou- vrent ? Mais outre que le Cap de Ra^e , qui eft la Terre la plus proche du Grand Banc, en eft éloigné de trente -cinq lieues , la même chofe n'arrive point de tous les autres côtés de l'Ille ; & de plus , l'Ifle de Terre-neuve n'eft embru- mée, que du côté du Grand Banc : par-tout ailleurs fes Côtes jouifTent d'un air pur, & d'un Ciel ferein.il eft donc vrai- femblable que c'eft la proximité du Grand Banc , qui caufe les Brouillards , dont le Cap de Raze eft ordinairement en- veloppé , & il en faut chercher la caufe fur le Banc même. Or voici fur cela ma conjecture , que je foumets à la décifion des Sçavans. Je commence par obferver que nous avons un autre figne de l'approche du Grand Banc : c'eft que fur toutes fes extré- mités , qu'on appelle communément fes E cotres 3 la Mer eft toujours glapiflante , & les Vents impétueux. Ne pourroit-on point regarder cela comme la caufe des Brouillards , qui y régnent , & dire que l'agitation de l'Eau , dont le fond eft mêlé de Sable & de Vafes , épaifîit l'Air & J'engraiffe , & que le Soleil n'en attire que des Vapeurs grofîieres , qu'il ne peut jamais bien réfoudre ? On me demandera d'où vient cette agitation de la Mer fur les Ecorres du Grand Banc , tandis que par-tout ailleurs , & fur le Banc même , il règne un calme profond ? La voici , fi je ne me trompe. On éprouve tous les jours dans ces Parages des Courans , qui portent tantôt d'un côté , & tantôt d'un autre. La Mer irrégulièrement pouffée par ces Courans , & heurtant avec impétuofité contre les bords du Banc , qui font prefque partout à pic , en eft re- pouffée avec la même violence , ce qui caufe l'agitation , qu'on y remarque. Que fi la même chofe n'arrive point aux approches de tous les Hautsfonds , c'eft que tous n'ont pas une aufîi grande éten- due , que celui-ci ; qu'il n'y a point de Courans aux envi- rons , qu'ils n'y font pas fi forts , ou qu'ils ne s'y croifent pas , D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. II. 5r qu'ils ne rencontrent pas des bords auffi roides , & n'en font ' Î joint repouffés avec autant de force. Il eft certain d'ail- * 7 2 o» eurs , comme je l'ai déjà obfervé d'après les Marins , que Août, l'agitation de la Mer, & les Vafes, qu'elle remue , contri- buent beaucoup à épaiffir l'Air , & à engraiffer les Vents ; mais que ces Vents , quand ils n'ont point d'autre caufe , ne s'étendent pas bien loin , & que fur le Grand Banc , à quel- que diftance des Bords , on eft tranquille comme dans une Rade , à moins d'un Vent forcé , qui vienne d'ailleurs. Ce fut un Vendredi, feiziéme d'Août , à fept heures du Tempêta foir , que nous nous trouvâmes fur le Grand Banc , par foi- xante & quinze B rafles d'eau. Arriver au Grand Banc , cela s'appelle bancquer ; enfortir , c'eft débancquer; ce font deux mots , dont la Pèche des Morues a enrichi notre Langue. C'eft la coutume , quand on a trouvé fond } de crier : Vive le Roi 3 & on le fit de bon cœur. Notre Equipage foupiroit après la Morue fraîche ; mais le Soleil étoit couché , le Vent étoit bon , & on jugea à propos d'en profiter. Vers les onze heures du foir , Vent forcé de Sud-Eft , lequel, avec la feule Miféne , nous auroit fait faire trois lieues par heure. S'il ny avoit eu que cela , en ferrant , comme on ht dans la minute , toutes les autres Voiles , nous n'aurions pas été à plaindre ; mais il furvint une Pluie fi abondante , qu'on auroit dit que toutes les Catara&es du Ciel étoient ouvertes. Ce qu'il y eut de pis , c'eft que le Tonnerre commença par où il finit ordi- nairement ; il tomba fi près de nous , que le Gouvernail en fut engourdi , Se que tous les Matelots , qui faifoient la Ma- nœuvre 3 en reflentirent le contre-coup. Il redoubla enfuite , & cent Pièces de Canon n'auroient pas fait plus de bruit. On ne s'entendoit point ; un coup n'attendoit pas l'autre ; on ne fe voyoit point au milieu des Eclairs , parce qu'on en étoit ébloui. Enfin pendant une heure & demie, il fembloit que nous étions à la Tranchée ; le Cœur battoit aux plus intrépi- des ; car le Tonnerre reftoit toujours fur notre tête, & s'il étoit tombé une féconde fois , nous aurions pu aller fervir de pâture aux Morues , aux dépens defqueiles nous avions compté de faire bientôt bonne chère. Caftor ou Pollux , car je ne fçai lequel des deux étoit en fa£tion , fous le nom de Feu Saint Elme ( a ) , nous avoit bien avertis de tout ce fra- (a) On ne manque guéres de voir ces Feux fur les. Vergues, à l'approche d'une Tempête» G ij 52 JOURNAL. HISTORIQUE Tr ■ cas , & fans cela , nous aurions bien pu être furpris , & tour- ' h ' ner fous Voiles. Août. Au bout d'une heure & demie , la Pluye ceffa, le Tonnerre ne grondoitplus que de loin, & les Eclairs n'étoient plus que de foibles lueurs à l'Horifon. Le Vent étoit toujours bon , & n'étoit plus fi brutal , & la Mer paroiffoit unie comme une Glace. Chacun alors voulut aller fe coucher , mais tous les Lits étoient inondés , la Pluye ayant pénétré par les fentes les plus imperceptibles , ce qui eft inévitable , quand le Vaif- feau eft fort agité. On fit comme on put , & on. fe trouva encore très-heureux d'en être quitte à fi bon marché. Tout ce qui eft violent ne dure point , fur-tout le Vent de Sud-Eft , au moins dans ces Mers. Il n'eft confiant, que lorfqu'il fe fortifie peu à peu, & fouvent il finit par une Tempête. Le Calme revint avec le jour ; nous n'avancions pas , mais nous nous défennuyâmes en péchant. Des Morues, Tout eft bon dans la Morue, quand elle eft fraîche; elle: à dcpaiffche ne Per^ m^me Y1Qn de fa bonté , & elle devient un peu plus on. £erme} qUancl elle a été deux jours dans le Sel ; mais ce font les Pêcheurs feuls , qui en mangent ce qu'elle a de plus ex- cellent , c'eft-à-dire , la Tête , la Langue , & le Foye , qui délayé dans l'Huile & le Vinaigre, avec un peu de Poivre, lui fait une Sauffe exquife. Pour conferver tout cela, il fau- droit trop de Sel : ainfi on jette à la Mer tout ce qu'on n'en peut pas confommer dans le teins de la Pêche- La plus grande Morue , que j'aye vue , n'avoit pas trois pieds : cependant celles du Grand Banc font les plus fortes : mais il n'y a peut- être point d'Animal , qui , à proportion de fa grandeur , ait. la Gueule plus large , ni qui toit plus vorace. On trouve de tout dans le Corps de ce Poiffon , jufqu'à des têts de Pots caftes , du Fer, & du Verre. On s'éîoit imaginé qu'il digeroit tout cela , mais on eft revenu de cette erreur, qui n'étoit fon- dée que fur ce qu'on lui avoit trouvé des morceaux de Fer à moitié ufés. On eft perfuadé aujourd'hui que le Gau ; c'eft le nom , que les Pêcheurs ont donné à l'Eftomach de la Morue ,. fe retourne comme une Poche , & que ce Poiffon fe dé- charge , en le retournant , de tout ce qui l'incommode. On appelle en Hollande Cabeliau 3 une forte de Morue , qui fe pêche dans la Manche & dans quelques autres en- droits , & qui ne diffère des Morues de l'Amérique , que par- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. IL 53 ee qu'elle eft plus petite. On fe contente de faler celle du Grand Banc , & c'eft ce qu'on appelle Morue Blanche 3 & plus communément , Morue Verte. M. Denys dit à cette oc- casion qu'il a vu faire en Canada d'auffi beau Sel , que celui ,, qu'on y porte de Brouage , mais qu'après qu'on en eut fait l'eflai dans des Marais creufés exprès , on les reboucha. Ceux , qui ont le plus crié que ce Pays n'étoit bon à rien , ont été plus d'une fois ceux mêmes , qui ont empêché qu'on n'en retirât aucun avantage. La Morue féche , ou la Merluche ne fe peut faire que fur les Côtes : cela demande de grands foins , & beaucoup d'ex- périence. M. Denys , qui convient que tous ceux , qu'il a vu faire ce Commerce en Aeadie , s'y font ruinés , prouve- parfaitement , & rend très-fenfible qu'on a eu tort d'en con- clure que la Morue n'y eft pas abondante. Mais il prétend que pour y faire la Pêche avec fuccès , il faut que les Pê- cheurs foient établis dans le Pays ; & voici quel eft fort rai- fonnement. Toute Saifon n'eft pas propre pour cette Pèche 5 on ne la peut faire que depuis le commencement du Mois de Mai jufqu'à la fin du Mois d'Août. Or fi vous faites venir des Matelots de France , ou vous les payerez pour toute l'an- née , &: les frais abforberont les profits , ou vous ne les payerez que pendant la Pêche , & ils n'y trouveront pas leur compte. Car de dire qu'on les employera le refte du tems à fcier des Planches , & à couper du Bois , c'eft une erreur ; ils n'y gagneront certainement pas ce qu'ils dépenferont ; ainfi , ou il faudra qu'ils ruinent l'Entrepreneur , ou ils mour- ront de faim. Mais s'ils font Habitans , on en fera mieux fervî , & il ne tiendra qu'à eux d'être à leur aife. On connoîtra les bons Ou- vriers -, ils prendront leur tems pour la Pêche , ils choisiront les bons endroits , ils gagneront beaucoup pendant quatre mois j & le refte de l'année ils travailleront pour eux dans leurs Habitations. Si on s'y étoit pris de cette forte il y a cent cinquante ans , l'Acadie feroit devenue une des plus^ puifïantes Colonies de l'Amérique. Car tandis qu'on publioit en France , avec une forte d'affeûation , qu'il n'étoit pas pof- fible d'y rien faire , elle enriehiffoit la Nouvelle Angleterre par la feule Pêche , quoique les Anglois n'y euffent pas tous les avantages , que nous y pouvions avoir. 54 JOURAL HISTORIQUE ~TT7~~* Quand on eft forti du Grand Banc , on en rencontre plu- ' \ ' fleurs autres plus petits , 6k tous prefque également poiffon- Août. neux. La Morue n'eft pas même le feul Poiffon , qu'on trouve dans cette Mer. On y voit à la vérité peu de Requins , point du tout de Dorades , de Bonites , ni de tous ces autres Poif- fons , qui demandent des Mers plus chaudes : mais en ré- compenfe elle eft remplie de Baleines , de Soufleurs , d'Efpa- dons , de Marfoiiins , de Flettans , & de quantité d'autres de moindre valeur. Nous y avons eu plus d'une fois le plaifîr du Combat de la Baleine contre l'Efpadon, & rien n'eft plus amufant. L'Efpadon eft de la groffeur d'une Vache , long de fept à huit pieds , & fon Corps va toujours en rétréciïfant vers la queue. Son nom vient de fon arme , efpece d'Efpadon long de trois pieds , & large de quatre doigts. Il eft pofé fur fon nez , & de chaque côté il a une fuite de Dents de la lon- gueur d'un pouce , rangées dans une diftance égale les unes des autres. Ce Poiffon fe met à toute fauçe , & c'eft un ex- cellent manger. Sa Tête eft plus cfélicate , que celle du Veau , plus groffe & plus quarrée. Il a les yeux extrêmement gros. Combat mais la coutume eft de paffer au Nord , & la coutume eft une loi fouveraine pour le commun des Hommes. De la Baye Au-deffus du Goufre , dont je viens de parler , eft la Baye de Saint Paul, de Saint Paul , où commencent les Habitations du côté du Nord , & où il y a des Pinieres , qu'on eftime beaucoup ; on y trouve furtout des Pins rouges d'une grande beauté , & qui ne caffent jamais. Mefïïeurs du Séminaire de Québec font Seigneurs de cette Baye (a).. Six lieues plus haut eft un Pro- montoire extrêmement élevé , où fe termine une Chaîne de Montagnes , qui s'étend plus de quatre cent lieues à l'Oueft. (a) On y a découvert depuis peu une fort belle Mine de Plomb. 66 JOURNAL HISTORIQUE — — taire , qu'on pourroit faire tranquillement dans un Fleuve ; ' * & celle , qu'on va faire fur les Côtes du Groenland avec tant Septem- Je rifques & de dépenfes ! kre« Les deux jours fuivans point de Vent de Terre , & nous regrettons fort notre premier mouillage , auprès duquel il y avoit des Habitations Françoifes ; au lieu qu'ici on ne voit ni Hommes , ni Bêtes. Enfin le troifiéme jour à midi nous le- vons l'Ancre , & nous franchisons le Paffage de VlJIe Rouge ; qui n'eft pas aifé. Il faut d'abord porter fur cette Ifle , comme fi on vouloit y aborder ; c'eft pour éviter la Pointe aux Al- louettes , qui eft à l'Entrée du Saguenay , fur la gauche , & qui s'avance beaucoup dans le Fleuve. Cela fait^ on revire de bord. Le Paffage au Sud de l'Ifle Rouge eft beaucoup plus fur; mais il auroit fallu pour cela retourner fur nos pas, & le Vent auroit pu nous manquer. L'Ifle Rouge n'eft qu'un Rocher prefqu'à fleur d'Eau , qui paroît véritablement rouge , & fur lequel plus d'un Navire a fait naufrage. De rifle aux Le lendemain , avec un peu de Vent & de Marée , nous al- Coudrcs,&du lâmes mouiller au-deffus de L'Ifle aux Coudres, qui eft à quinze lieues de Québec & de TadoufTac. On la laiffe à gauche , & ce Paffage eft dangereux , quand on n'a pas le Vent à fouhait. Il eft rapide , étroit, & d'un bon quart de lieue. Du tems de Champlain il étoit beaucoup plus aifé; mais en 1663 un Tremblement de Terre déracina une Montagne , la lança fur l'Ifle aux Coudres , qu'elle aggrandit de moitié , & à la place ^ où étoit cette Montagne , il parut un Goufre , dont il ne fait pas bon de s'approcher. On pourroit paffer au Sud de l'Ifle aux Coudres , & ce Paffage feroit facile & fans danger , il porte le nom de M. dlberville, qui l'a tenté avec fuccès , mais la coutume eft de paffer au Nord ,, & la coutume eft une loi fouveraine pour le commun des Hommes. De la Baye Au-deffus du Goufre , dont je viens de parler , eft la Baye de Saint Paul, de Saint Paul , où commencent les Habitations du côté du Nord , & où il y a des Pinieres , qu'on eftime beaucoup ; on y trouve furtout des Pins rouges d'une grande beauté , & qui ne caffent jamais. Meffieurs du Séminaire de Québec font Seigneurs de cette Baye ( a ). Six lieues plus haut eft un Pro- montoire extrêmement élevé , où fe termine une Chaîne de Montagnes , qui s'étend plus de quatre cent lieues à l'Oueft. {<*) On y a découvert depuis peu une fort belle Mine de Plomb. CARTK DE \] ISLË D'ORLEANS Kl DU l'ASSAl'.K 1)K EA TRAVERSE dans hc Fleuve S.Laurcn Dressée ECHRI.LI.S \2 P« de Long-ilude OcitU-iitale ■ gro de Lon^.i iAeuïs Qrmm 2 ÏW.'.V ( 3 "V U — "Tb " » " Dfisu//aru/ Jcutyt D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. IL qui en Langue Algonquine fignifie Retrécijfement. Les Abénaquis , dont la Langue eft une Diale&e Algonquine , le nomment Quelibec , qui veut dire ce qui, eft fermé , parce que de l'entrée de la Petite Ri- vière de la Chaudière , par où ces Sauvages venoient à Que- bec du voifinage de l'Acadie, la pointe de Levi 3 qui avan- ce fur l'Ille d'Orléans , cache entièrement le Canal du Sud; rifle d'Orléans cache celui du Nord , de forte que le Port de Québec ne paroît de-là qu'une grande Baye. Du sault La première chofe , qu'on apperçoit en entrant dans la Rade , eft une belle Nappe d'Eau , d'environ trente pieds de large , & de quarante de haut. Elle eft immédiatement à l'En? de Montmo rend, 70 JOURNAL HISTORIQUE TROISIEME LETTRE. Description de Québec _, Caractère de fis Habitans > & de la façon de vivre dans la Colonie Françoife. M A Québec, ce vint-huit O&obre, 1720. ADAME de renci J e vais vous parler de Québec ; toutes les Defcriptions , que j'en ai vues jufqu'ici _, font fi défectueufes , que j'ai cru vous faire plaifir , en vous repréfentant au vrai cette Capitale de la Nouvelle France. Elle mérite véritablement d'être con- nue , n'y eût-il que la fingularité de fa fituation ; car il n'y a au Monde que cette Ville , qui puiû*e fe vanter d'avoir un Port en Eau douce , à fix-vint lieues de la Mer , & capable de contenir cent Vaiffeaux de ligne. Auffi eft-elle placée fur le Fleuve le plus naviguable de l'Univers. Origine du Ce Fleuve , jufqu'à l'Ille d'Orléans ; c'eft-à-dire , à cent m de Que- fax ou douze lieues de la Mer , n'a jamais moins de quatre à cinq lieues de large ; mais au-deffus de l'Ifle il fe rétrécit tout-à- coup de telle forte , que devant Québec il n'a plus qu'un mille de largeur ; c'eft ce qui a fait donner à cet endroit le nom de Quebeio 3 ou Québec , qui en Langue Algonquine fignine Rétréci ffement. Les Abénaquis , dont la Langue eft une Dialefte Algonquine , le nomment Quelibec , qui veut dire ce qui eft fermé , parce que de l'entrée de la Petite Ri- vière de la 'Chaudière 3 par où ces Sauvages venoient à Que- bec du voifinagede l'Acadie, la pointe de Levi , qui avan- ce fur l'Ifle d'Orléans , cache entièrement le Canal, du Sud; l'Ifle d'Orléans cache celui du Nord , de forte que le Port de Québec ne paroît de-là qu'une grande Baye. Du sauk La première chofe , qu'on apperçoit en entrant dans la Montmo- Raje ? efj- une beue Nappe d'Eau , d'environ trente pieds de Jarge , & de quarante de haut. Elle eft immédiatement à l'En- PJLAN DI7 BASSIN DE QUEBEC Echelle Je quinze œns Toise, D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. III. 71 trée du Petit Canal de l'Ifle d'Orléans , & on la voit d'une longue Pointe de la Côte Méridionnale du Fleuve , la- quelle , comme je l'ai déjà obfervé , paroît fe recourber fur fille d'Orléans. Cette Cafcade a été nommée le Sault -de Montmorenci, & la Pointe porte le nom de Levi. C'eft que la Nouvelle France a eu fucçeflivement pour Vice-Rois l'A- miral de Montmorenci , & le Duc de Ventadour , fon Ne- veu. Il n'y a perfonne , qui ne crût qu'une Chute d'eau fi abondante , & qui ne tarit jamais , ne foit la décharge de quelque belle Rivière : elle ne l'eft pourtant que d'un chetif Ruiffeau , où en quelques endroits on n'a pas de l'Eau jufqu'à la cheville du pied ; mais il coule toujours , & il tire fa Source d'un joli Lac éloigné du Sault d'environ douze lieues. La Ville eft une lieue plus haut , & du même côté , à l'en- droit même , où le Fleuve eft le plus étroit. Mais entr'elle , & l'Ifle d'Orléans il y a un Baffin d'une bonne lieuë en tout fens, dans lequel fe décharge la Rivière de S. Charles,, qui vient du Nord-Oueft. Québec eft entre l'Embouchure de cette Rivière , & le Cap aux Diamants , lequel avance un peu dans le Fleuve. Le mouillage eft vis-à-vis, il a vint-cinq braffes d'Eau , & l'Ancrage y eft bon : toutefois , quand le Nord-Eft foufle violemment , les Vaiffeaux chaffent quelquefois fur leurs Ancres , mais fans danger. Lorfque Samuel de Champlain fonda cette Ville en 1 608, la Marée montoit quelquefois jufqu'au pied du Rocher. De- puis ce tems-là le Fleuve s'eft retiré peu à peu 3 & a enfin laiffé à fec un grand Terrein, où l'on a bâti la Baffe Ville, laquelle eft préfentement affez élevée au-deffus du Rivage , pour raffûrer les Habitans contre l'inondation du Fleuve. La première chofe , qu'on rencontre en débarquant , eft une Place de médiocre grandeur , & de figure irréguliere , la- quelle a en face une fuite de Maifons affez bien bâties , & ad- doffées contre le Rocher , ainfi elles n'ont pas beaucoup de profondeur. Elles forment une Rue affez longue , qui oc- cupe toute la largeur de la Place , & s'étend à droite & à gauche jufqu'aux deux Chemins , qui conduifent à la Haute Ville. La Place eft bornée fur la gauche par une petite Eglife, & fur la droite par deux rangées de Maifons placées paralel- lement. Il y en a une de l'autre côté entre l'Eglife & le Port y & au détour du Cap aux Diamants , il y a encore une fuite 1720. Oftobrc, Situation de Québec. Defcriptïoffi de Québec, 72 JOURNAL HISTORIQUE ■ — affez longue de Maifons fur le bord d'une Anfe , qu'on appelle 1720. Yjin/è des Mères. On peut regarder ce Quartier comme une O&obre. efpece de Fauxbourg de la Baffe Ville. Entre ce Fauxbourg & la Grande Rue on monte à la Haute" Ville par une Pente il roide , qu'il a fallu y faire des Dégrez , de forte qu'on n'y peut monter qu'à pied. Mais en prenant de la Place fur la droite , on a pratiqué un Chemin , dont la pente eft plus douce , & qui eft bordé de Maifons. C'eft à l'endroit , où les deux Montées fe réunifient , que commence la Haute Ville du côté du Fleuve ; car il y a encore une Baffe Ville du côté de la Rivière Saint Charles. Le premier Bâti- ment de remarque , qu'on trouve à droite du premier côté , eft le Palais Epifcopal : toute la gauche eft bordée de Mai- fons. Vint pas plus loin on fe trouve entre deux Places affez grandes : celle de la gauche eft la Place d'Armes , fur la- quelle donne le Fort 3 où loge le Gouverneur Général : les Kécollets font vis-à-vis , & d'affez belles Maifons occupent une partie du contour de la Place. Dans celle de la droite on rencontre d'abord la Cathédrale , qui fert aufTi de Paroiffe à toute la Ville. Le Séminaire eft à côté , fur l'Angle , que forment le Fleuve & la Rivière Saint Charles. Vis-à-vis de la Cathédrale eft le Collège des Je- fuites , & dans les entredeux il y a des Maifons affez bien bâties. De la Place d'Armes on enfile deu*Ruës, qui font traverfées par une troifîéme , & qui forme une affez grande Ifle , toute occupée par l'Eglife & le Couvent des Recollets. La féconde Place a deux Descentes à la Rivière Saint Charles , l'une fort roide , à côté du Séminaire , & où il y a peu de Maifons ; l'autre , à côté de l'Enclos des Jéfuites , laquelle tourne beaucoup , a l'Hôtel-Dieu à mi-côte , eft bordée de Maifons affez petites , & aboutit au Palais , où demeure l'In- tendant. De l'autre côté des Jéfuites , où eft leur Eglife , il y a une Rue affez longue , où font les Urfulines. Au refte toute la Haute Ville eft bâtie fur un Fond , partie de Marbre , & partie d'Ardoife {a). Defcription Telle eft , Madame , la Topographie de Québec , qui , de Ces princi- comme vous voyez , a une affez grande étendue , dont pref- paix e j ces. ^ue toutes |es Maifons font bâties de Pierres , & où l'on ne (^) On peut voir par le Plan grave de cette Ville qu'elle a crû allez çonfidérablement depuis vint ans* somptê fej; %. jEc JEU V> S 72 JOURNAL HISTORIQUE allez longue de Maifons fur le bord d'une Anfe , qu'on appelle i 7 2 °« Y Anfe des Mères. On peut regarder ce Quartier comme une Octobre, efpece de Fauxbourg de la Balfe Ville. Entre ce Fauxbourg & la Grande Rue on monte à la Haute* Ville par une Pente fi roide , qu'il a fallu y faire des Dégrez , de forte qu'on n'y peut monter cju'à pied. Mais en prenant de la Place fur la droite , on a pratiqué un Chemin , dont la pente eft plus douce , & qui eft bordé de Maifons. C'eft à l'endroit , où les deux Montées fe réunifient , que commence la Haute Ville du côté du Fleuve ; car il y a encore une Baffe Vilie du côté de la Rivière Saint Charles. Le premier Bâti- ment de remarque , qu'on trouve à droite du premier côté , eft le Palais Epifcopal : toute la gauche eft bordée de Mai- fons. Vint pas plus loin on fe trouve entre deux Places affez grandes : celle de la gauche eft la Place d'Armes , fur la- quelle donne le Fort, où loge le Gouverneur Général : les Récollets font vis-à-vis , & d'affez belles Maifons occupent une partie du contour de la Place, Dans celle de la droite on rencontre d'abord la Cathédrale , qui fert auiïi de ParoifTe à toute la Ville. Le Séminaire eft à côté , fur l'Angle , que forment le Fleuve & la Rivière Saint Charles. Vis-à-vis de la Cathédrale eft le Collège des Je- fuites , & dans les entrpdenx il y a des Maifons affez bien bâties. De la Place d'Armes on enfile deu*Ruë's, qui font traverfées par une troifîéme , & qui forme une affez grande Ifle , toute occupée par l'Eglife & le Couvent des Récollets. La féconde Place a deux Descentes à la Rivière Saint Charles , l'une fort roide , à côté du Séminaire , & où il y a peu de Maifons ; l'autre , à côté de l'Enclos des Jéfuites , laquelle tourne beaucoup , a l'Hôtel-Dieu à mi-côte , eft bordée de Maifons affez petites , & aboutit au Palais , où demeure l'In- tendant. De l'autre côté des Jéfuites , où eft leur Eglife , il y aune Rue affez longue, où font les Urfulines. Au refte toute la Haute Ville eft bâtie fur un Fond , partie de Marbre , & partie d'Ardoife (a). Dcfcriptîon Telle eft , Madame , la Topographie de Québec , qui , ie Ces Princi- comme vous voyez , a une affez grande étendue , dont pref- fm E l ces' que toutes les Maifons font bâties de Pierres , & où Ton ne (a) On peut voir par le Plan grave de cette Ville qu'elle a crû allez considérablement ^depuis vint ans. compté à\ Plan do la Ville de Québec i /vrt, RZniâ kJla&lft<& C.,f .»< n„m„„: l rovaL; du M,u/,n \Ze.'Jleee/c/, p! ;■'-';• c /,,.<•..,«>,.. .-/ ./.y..;,Uv., C La Vhdmu. f 1 l.Zalhwwvavee I.Se'mmm, m et (UpaÀmcer Vrlliveche'. i EBStduiai . fc JXtyfj 1 LtJhu/tauJUbtelot m Intendance 0 #,/£..• <£ & Abu* /•'« o Ha&ni y.- VauJraml. p flatterie Duiithuu ^Batterie Royale -Batterie du Château s It.L'twn S1 Lotus. % t .Basuon de la Glacurc ■ m v Demi fîaJùoa d Jcubert :... x. Redoute S.' Carde ■ -, f Redoute ou Btmraut . zRcaoute Jf Rock bc Coteau de /ci R^ùuse . D'UN JOURNAL DE L'AMERIQ. Let. III. 73 compte pourtant qu'environ fept mille Ames. Mais pour ache- 1720. ver de vous donner une jufte idée de cette Ville, je vais vous ^^ 1 faire connoître plus particulièrement fes principaux Edifices. ^ctobre* Je vous parlerai enfuite de Tes Fortifications. L'Eglife de la Baffe-Ville a été bâtie en conféquence d'un Vœu fait pendant le Siège de Québec en 1690. Elle eft dédiée fous le nom de Notre-Dame de la Victoire, & elle fert de Succurfale pour la commodité des Habitans de la Baffe Ville. Sa ftrufture eft très-fimple , une propreté modefte en fait tout l'ornement. Quelques Sœurs de la Congrégation , dont je vous parlerai dans la fuite , font logées entre cette Eglife & le Port : elles ne font que quatre ou cinq , & tiennent une Ecole. Le Palais Epifcopal n'a de fini que la Chapelle , & la moi- L'Evêché. tié des Bâtimens , que porte le Deffein 3 fuivant lequel ce doit être un Quarré long. S'il eft jamais achevé , ce fera un très-bel Edifice. Le Jardin s'étend jufques fur la Croupe du Rocher , & domine toute la Rade. Quand la Capitale de la Nouvelle France fera auffi floriffante que celle de l'Ancien- ne ( & il ne faut défefpérer de rien , Paris a été lontems beaucoup moins que n'eft Québec aujourd'hui ) qu'autant que les yeux pourront porter , ils ne verront que Bourgs , Châteaux , Maifons de Plaifance , & tout cela eft déjà ébau- ché : que le Fleuve de Saint Laurent , qui roule majeftueu- fement fes Eaux , & les amené de l'extrémité du Nord , ou de l'Oueft , y fera couvert de Vaiffeaux : que l'Ifle d'Or- léans & les deux Bords des deux Rivières , qui forment ce Port, découvriront de belles Prairies , de riches Coteaux & des Campagnes fertiles , & il ne leur manque pour cela que d'être plus peuplées : qu'une partie de la Rivière Saint Charles , qui ferpente, agréablement dans un charmant Val- lon , fera jointe à la Ville , dont elle fera fans doute le plus beau Quartier : que l'on aura revêtu toute la Rade de Quays magnifiques: que le Port fera environné de Bâtimens fuperbes, & qu'on y aura trois ou quatre cent Navires chargés des ri- cheffes , que nous n'avons pas encore fçu faire valoir , & y apporter en échange celles de l'Ancien &: du Nouveau Mon- de , vous m'avouerez , Madame , que cette Terraffe offrira un point de vue , que rien ne pourra égaler , & que dès à pré- fpnt ce doit être quelque chofe de fort beau. tl^&ks'A1"' La Cathédrale ne feroit pas une belle Paroiffe dans un des naire. Tome III. K mants. 74 JOURNAL HISTORIQUE ï 7 2 o. plus petits Bourgs de France ; jugez fi elle mérite d'être le O&cbre Siège du feul Evêché , qui foit dans tout l'Empire François de l'Amérique , beaucoup plus étendu , que n'a jamais été celui des Romains. Son Archite&ure , fon Chœur , fon Grand'Autel , fes Chapelles fentent tout-à-fait l'Eglife de Campagne. Ce qu'elle a de plus pafTable , eft une Tour fort haute , folidement bâtie , & qui de loin a quelque apparence. Le Séminaire , qui touche à cette Eglife efl un grand Quarré, dont les Bâtimens ne font point encore finis. Ce qui eft fait i eft bien confirait, & avec toutes les commodités néceffaires en ce Pays-ci. C'eft pour la troifiéme fois qu'on bâtit cette Mai- fon. Elle fut brûlée toute entière en 1703. Et au mois d'Oc- tobre de l'année 1705 , comme on achevoit de la rétablir , elle fut de nouveau prefque toute confumée par les flammes. Du Jardin on découvre toute la Rade , & la Rivière de Saint Charles , autant que la vue peut s'étendre. DuFon&du Le Fort eft un beau Bâtiment, qui doit être flanqué de Cap aux Dia- deux Pavillons faillans ; mais il n'y en a encore qu'un de fait. On va, dit-on , travailler inceffamment à l'autre (a). On y entre par une Cour affez fpacieufe & régulière , mais il n'y a point de Jardin , parce que le Fort eft conftruit fur le bord du Roc. Une belle Galerie avec un Balcon , qui règne tout le long des Bâtimens , y fupplée en quelque forte. Elle commande la Rade , au milieu de laquelle on peut fe faire entendre aifément avec un porte-voix , & on y voit toute la Baffe Ville fous fes pieds. En fortant du Fort , & prenant fur la gauche , on entre dans une affez grande Efpla- nade , & par une pente douce on arrive à la cime du Cap aux Diamants , qui eft une fort belle Plate-forme. Outre l'a- grément de la vue , on refpire en ce lieu l'air le plus pur ; on y voit quantité de Marfouins , blancs comme la Nége , jouer fur la furface des Eaux , & on y ramaffe quelquefois des Diamants , plus beaux que ceux d'Alençon. J'y en ai vu d'aufli bien taillés , que s'ils fuffent fortis de la main du plus habile Ouvrier. Autrefois ils y étoient fort communs , & c'eft ce qui a fait donner au Cap le nom , qu'il porte. Préfentement ils y font fort rares. La Defcente du côté de la Campagne eft encore plus douce, que du côté de l'Efplanade. Les Pères Récollets ont une grande & belle Eglife , & qui (a) Il eft achevé. Des Récollets & des Urfuli- 720. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. IIL 75 leur feroit honneur à Verfailles. Elle eft proprement lambrif- fée , ornée d'une large Tribune ; un peu mafîive , & d'une Boiferie bien travaillée , qui règne tout au tour , & dans la- WttoiJtê, quelle font pris les Confemonnaux. C'eft l'Ouvrage d'un de leurs Frères Convers. Enfin rien n'y manque , mais il faudrait en ôter quelques Tableaux , qui font fort groffierement peints ; Le Frère Luc y en a mis de fa façon , qui n'ont pas beioin de ces ombres. La Maifon répond à l'Eglife : elle eft grande , folidement bâtie , commode , accompagnée d'un Jardin fpa- cieux & bien cultivé. Les Urfulines ont efïliyé deux incen- dies , aufïi-bien que le Séminaire ; avec cela elles ont fî peu de Fonds ,• & les Dots , qu'on reçoit des Filles de ce Pays , font fi modiques , que dès la première fois que leur Maifon fut brûlée , 011 penfa à les renvoyer en France. Elles font néanmoins venues à bout de fe rétablir toutes les deux fois , & l'on achevé a£tuellemeut leur Eglife. Elles font propre- ment , & commodément logées : c'eft le fruit de la bonne odeur , qu'elles répandent dans la Colonie , de leur cecono- mie , de leur fobriété , & de leur' travail : elles dorent , elles brodent , toutes font utilement occupées , & ce qui fort de leurs mains eft ordinairement d'un bon goût. Vous aurez fans doute vu , Madame , dans quelques Rela- Du Collège. tions que le Collège des Jéfuites eft un très-bel Edifice. Il eft certain que, quand cette Ville n'étoit qu'un amas informe de Barraques Françoifes & de Cabannes Sauvages, cette Maifon, la feule , avec le Fort 3 qui fût bâtie de Pierres , faifoit quelque figure : 'les premiers Voyageurs , qui en jugeoient par com- paraifon, l'avoient reprefentée comme un très-beau Bâtiment ; ceux , qui les ont fuivis , & qui , félon la coutume , les ont copiés , ont tenu le même langage. Cependant les Cabannes ont difparu , & les Barraques ont été changées en Maifons , la plupart bien bâties , de forte que le Collège dépare au- jourd'hui la Ville, & menace ruine de toutes parts (a). La fituation n'en eft pas même avantageufe ; il eft privé du plus grand agrément , qu'on eût pu lui procurer , qui eft ce- lui de la vûë. Il avoit d'abord celle de la Rade en perfpe£tive , & (qs Fondateurs avoient été affez bons , pour s'imaginer qu'on les en laifferoit jouir ; mais ils fe font trompés. La Ca- thédrale & le Séminaire leur font un mafque , qui ne -leur ( a) On a depuis peu rebâti tout le Collège , & il eft. maintenant fort beau. K ii ï 7 io. 76 JOURNAL HISTORIQUE laiffe plus que la vue de la Place, laquelle n'a pas de quoi les dédommager de celle , qu'ils ont perdue. La Cour de ce Col- Octobre. |ege efj. p€tjte & mal-propre , rien ne refïemble. mieux à une Cour de Métairie. Le Jardin eft grand & bien entretenu , & il eft terminé par un Petit Bois , refte précieux de l'antique Forêt , qui couvroit autrefois toute cette Montagne. L'Egliie n'a rien de beau en dehors , qu'un affez joli Clo- cher : elle eft toute couverte d'Ardoifes , & c'eft la feule du Canada , qui ait cet avantage ; car tout eft ici couvert de Bardeaux. En dedans elle eft fort ornée. Une Tribune hardie , légère, bien pratiquée , & bordée d'une Baluftrade de Fer , peint, doré , & d'un bon Ouvrage : Une Chaire de Prédi- cateur toute dorée , & bien travaillée en Fer & en Bois : trois Autels bien pris ; quelques bons Tableaux ; point de Voûte , mais un Lambris plat allez orné ; point de Pavé , mais un bon Plancher , qui rend cette Eglife fupportable en Hyver , tandis qu'on eft tranfi de froid dans les autres. Jen® vous parle point des quatre grandes Colonnes cilyndriques & maffives , d'un feul Bloc d'un certain Porphyre noir comme du Geay 3 fans taches & fans fils , dont il a plu au Baron de la Hontan d'enrichir le Grand' Autel : elles y feroient beau- coup mieux fans doute , que celles , qu'on y voit , qui font creufes, & grofîierement marbrées. On pardonneroit pour- tant volontiers à cet Auteur , s'il n'avoit défiguré la vérité , que pour donner du luftre aux Eglifes. L'Hôtel-Dieu a deux grandes Sales , l'une pour les Hom- De l'Hôtel- mes ? & l'autre pour les Femmes. Les Lits y font bien tenus , les Malades bien fervis , &: tout y eft commode & d'une grande propreté. L'Eglife eft derrière la Sale des Femmes , & n'a de considérable que le Maître-Autel , dont le Retable eft fort beau. Cette Maifon eft deffervie par desReligieufesHof- pitalieres de Saint Auguftin , de la Congrégation de la Mi- féricorde de Jefus , & dont les premières font venues de Dieppe. Elles ont commencé à fe bien loger ; mais félon tou- tes les apparences elles n'achèveront pas fitôt, faute de fonds. Comme leur Maifon eft fituée à mi-côte , fur un platon , qui avance un peu fur la Rivière de Saint Charles , elles jouiflent d'une affez belle vue. La Maifon de l'Intendant fe nomme le Palais , parce que le Confeil Supérieur s'y affemble. C'eft un grand Pavillon 5, i 7 2 c- Général. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. III. 77 dont les deux extrémités débordent de quelques pieds , & où l'on monte par un Perron à double Rampe. La Façade du Jardin , qui a la vue fur la Petite Rivière , & qui y conduit Oftobre. de plein pied , eft beaucoup plus riante , que celle de l'Entrée. Les Magafins de Roi font fur la Cour à droite , & la Prifon eft derrière. La Porte d'entrée eft mafquée par la Montagne , fur laquelle eft la Haute Ville , & qui ne préfente en cet en- droit, qu'un Roc efcarpé fort défagreable ià la vue, C'étoit bien pis encore avant l'incendie , qui réduifit , il y a quelques années , tout le Palais en Cendres ; car il n'y avoit point d'Avant-Court , & les Bâtimens étoient fur la Rué* , qui eft affez étroite (a). En fuivant , cette Rûë , ou pour parler plus jufte , ce Che- ^e FH6pAal min , on entre d'abord dans la Campagne , & au bout d'un demi quart de lieuë on trouve l'Hôpital Général. C'eft la plus belle Maifon du Canada, & elle ne dépareroit point nos plus grandes Villes de France. Les Pères Récollets occu- poient autrefois le Terrein,où elle eft fituée. M. de Saint Vallier , Evêque de Québec les a transférés dans la Ville , a acheté leur Emplacement , & y a dépenfé cent mille écus en Bâtimens , en Emmeublemens & en Fondations. Le feul défaut de cet Hôpital eft d'être bâti dans un. Marais ; on ef- père y remédier,' en defféchant le Marais ; mais la Rivière de S. Charles fait en cet endroit-là un Coude , où les Eaux ne coulent pas aifément , & c'eft ce qu'on ne pourra jamais bien corriger. Le Prélat Fondateur a fon Appartement dans la Maifon -» & y fait fa réiidence ordinaire ; il a loué fon Palais , qui eft encore fon Ouvrage, au profit des Pauvres. Il ne dédaigne pas même de fervir d'Aumônier à l'Hôpital , aufti-bien qu'aux Religieufes , & il en remplit les fondions avec un zélé & une affiduité , qu'on admireroit dans un fimple Prêtre , qui vi- vroit de cet Emploi. Des Artifans , ou autres y à qui leur grand âge , ou leurs infirmités ôtent le moyen de gagner leur vie , font reçus dans cet Hôpital jufqu'à la concurrence du nombre de Lits , qui y- font fondés , &c trente Religieufes font occupées à les fervir. C'eft un Effein de l'Hôtel-Dieu de Québec ; mais pour les diftinguer , l'Evêque leur a donné quelques Réglemens particuliers , & leur fait porter une {a} Ce Palais fut encoie entièrement brûlé en 1716, cations, 78 JOURNAL HISTORIQUE i 7 2 o. Croix d'Argent fur la Poitrine. La plupart font Filles de Con- ~ r , dition , & comme ce ne font pas les plus aifées du Pays , le O&obre. préla£ en a doté plufieurs# DesFortifi- Québec n'eft pas fortifié régulièrement , mais on travaille depuis lon-tems à en faire une bonne Place. Cette Ville n'eff. pas même facile à prendre dans l'état , où elle elt. Le Port eft flanqué de deux Battions , qui dans les grandes Marées font prefqu'à fleur d'Eau , c'eft-à-dire , qu'ils font élevés de vint- cinq pieds de Terre , car la Marée , dans les Equinoxes , monte à cette hauteur. Un peu au-defTus du Baftion de la droite , on en a fait un demi , lequel eft pris dans le Rocher , Se plus haut , à côté de la Galerie du Fort , il y a vint-cinq Pièces de Canon en batterie. Un petit Fort quarré , qu'on nomme la Citadelle 3 eft encore au-defTus , & les Chemins , pour aller d'une Fortification à l'autre , font extrêmement roides. A la gauche du Port, tout le long.de la Rade , juf- qu'à la Rivière de Saint Charles , il y a de bonnes Batteries de Canon & quelques Mortiers. De l'Angle de la Citadelle , qui regarde la Ville , on a fait une Oreille de Baftion , d'où l'on a tiré un Rideau en équerre , qui va joindre un Cavalier fort exhauffé , fur lequel il y a un Moulin fortifié. En defeendant de ce Cavalier, on rencon- tre à une portée de Fulil , une première Tour baftionnée , & à la même diftance de celle-ci , une féconde. Le defTein étoit de revêtir tout cela d'une Chemife , qui auroit eu les mêmes Angles , que les Baftions , & qui feroit venue fe ter- miner à l'extrémité du Roc , vis-à-vis le Palais , où il y a déjà une petite Redoute , auffi-bien que fur le Cap aux Dia- mants. Je ne fçai pourquoi cela n'a pas été exécuté. Tel étoit, Madame , à peu près l'état de la Place en 171 1 , lorfque les Anglois firent pour la conquête du Canada un grand Arme- ment , qui échoua par la témérité du Général de la Flotte , lequel , contre l'avis de fon Pilote , s'approcha trop près des Sept Mes , y perdit tous fes plus gros Navires , & trois mille Hommes de les meilleures Troupes. Québec eft encore aujourd'hui dans le même état , ce que vous pourrez juftifier fur le Plan en Relief , que Monfieur de Chaussegros de Léry , Ingénieur en Chef, envoyé cette année en France , pour être mis au Louvre avec les autres. Mais après vous avoir parlé du matériel de notre Capitale , D'UN VOYAGE DE L'AMERÏQ. Let. III. 7Q il faut vous dire deux mots de fes principaux Habitans ; c'eff. ~~i 7 2 c~~ fon bel endroit , & fi , à ne confidérer que fes Maifons , Tes n « , Places , Tes Rues , fes Eglifes & fes Edifices Publics , on Uttofcrc- pourroit la réduire au rang des plus petites Villes de France , la qualité de ceux , qui l'habitent , lui affûre le titre de Ca- pitale. J'ai déjà dit qu'on ne compte guéres à Québec , que fept Des Habi. mille Ames ; mais on y trouve un petit Monde choiii , où il tans- ne manque rien , de ce qui peut former une Société agréable. Un Gouverneur Général {a) avec un Etat Major, de la No- blette , des Officiers , & des Troupes. Un Intendant (b) , avec un Confeil Supérieur , & les JurifdiÉtions Subalternes ; un Commiffaire de Marine (c) , un Grand Prévôt {d), unGrand- Voyer , & un Grand-Maître des Eaux & Forêts ( C'eft ainfi , dit-il , que de tout tems nous avons fait des levées » de Boucliers , que nous nous fommes portés avec ardeur à de „ nouvelles Entreprifes , que nous avons projette de beaux » commencemens , & puis que nous avons tout quitté ..... de » vérité , pour faire de telles Entreprifes , il faut de l'aide' & du » fupport ; mais auffi faut-il des Hommes de réfolution , qui ne » reculent pas, & qui ayent ce point d'honneur devant les yeux, » Vaincre ou Mourir , étant une belle & glorieufe mort celle, » qui arrive en exécutant un beau deffein , comme pour jetter » lesfondemens d'un Royaume nouveau, & établir la Foi Chré- » tienne parmi des Peuples , entre lefquels Dieu n'eft pas con- >> nu. " Je pourrois , Madame, pouffer beaucoup plus loin ces réflexions ; mais je craindrois de m'engager trop loin dans des difcuffions , où je ne dois , ni ne puis entrer , avec les feules connoiffances , que j'ai préfentement. Je viens au Commerce. Il a roulé lontems en Canada uni- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. IV. 87 quement fur la Pêche & la Pelleterie. La Pêche des Morues fe j faifoit fur le Grand Banc , & fur les Côtes de Terre-neuve , . * lontems avant qu'on eût découvert le Fleuve Saint Laurent , * evner. mais on s'avifa bien tard de faire un EtablifTement dans l'Ifle , & nous nous y biffâmes prévenir par les Anglois. Nous y oc- cupâmes enfin le Port & la Baye de Plaifance , où l'on a vu plus d'une fois des Efcadres du Roi : nous y avons foûtenu des Sièges , & les Milices Canadiennes y ont fait des exploits de guerre , qui ne le cèdent point à ceux des plus braves Fli- buftiers de Saint Domingue. Ils ont fouvent défolé les Habi- tations , & ruiné le Commerce des Anglois dans cette Ifle ; mais ceux-ci , à qui on enlevoit aifément leurs plus fortes Pla- ces , connoiffoient trop bien leurs Ennemis , pour fe décon- certer. Accoutumés à voir le feu Canadien s'allumer dans les Glaces du Nord , & s'éteindre de lui-même au milieu de ce qui devoit lui donner plus d'a£tivité , ils fe comportoient à l'approche de nos Braves , comme fait un habile Pilote à la vue d'une Tempête inévitable. Ils cédoient fagement à l'Ora- ge ; ils réparoient enfuite fans obftacle le dégât , qu'il avoit caufé dans leurs Portes , & par cette conduite , toujours bat- tus en Terre-neuve , foit qu'ils attaqualfent , ou qu'ils fe dé^ fendifTent , ils y ont toujours fait incomparablement plus de commerce , que leurs Vainqueurs , & ils en font enfin de- meurés les feuls Maîtres , & Pofîefïeurs tranquilles. On s'eft encore plus mal comporté en Acadie : cette grande & riche Province a été lontems partagée entre differens Par- ticuliers , dont aucun ne s'y eft enrichi , tandis que les An- lois faifoient fur fes Côtes un profit immenfe par la Pêche, es Etabliffemens, que ces Propriétaires y ont faits, man- quant de folidité , & eux-mêmes manquant de vues , & fe détruifant les uns les autres , ils ont laillé le Pays à peu près dans le même état , où ils l'avoient trouvé , & dans un décri , dont il ne s'eft bien relevé , qu'au moment , que nous l'avons perdu. Ce font nos Ennemis , qui nous ont fait comprendre ce qu'il valoit. Le feul Commerce, auquel on s'eft lontems borné dans cette Maavaïtè Colonie , eft celui des Pelleteries , & on ne fçauroit dire les £"d"1trea„par r ■> r ■ t -a i'-J rappoit au fautes, quon y a faites. Jamais peut-être le génie de notre Commerce de» Nation n'a mieux paru qu'à ce fujet. Lorfque nous découvrî- Pelleteries, mes ce vafte Continent , il étoit rempli de Bêtes Fauves. Une i i 7 2 x 88 JOURNAL HISTORIQUE poignée de François eft venue à bout de les faire difparoître prefqu'entierement en moins d'un fiécle ; & il y en a ^ dont Février. j'Efpéce manque tout à fait. On tuoit les Orignaux , ou Elans , par le feul plaifir de les tuer, & pour faire montre de fon adreffe. On ne s'avifoit pas même d'interpofer l'Autorité du Prince , pour arrêter un défordre fi criant. Mais le plus grand mal eft venu de l'infatiable avidité des Particuliers , qui s'appliquoient uniquement à ce Commerce. Ils arrivoient pour la plupart de France comme Simonides , c'eft-à-dire , ne pofledant que ce qu'ils avoient fur le Corps , & ils étoient dans l'impatience d'y reparoître dans une meil- leure fituation. Dans les commencemens cela étoit aifé : les Sauvages n'ont connu le tréfor , que renfermoient leurs Bois , que par la fureur , avec laquelle on leur arrachoit des mains leurs Pelleteries , & on en tira d'eux une prodigieufe quan- tité , en leur donnant des chofes , que bien des gens ne vou- draient point ramafler. Depuis même qu'ils ont eu les yeux ouverts fur les prix de cette Marchandife , & qu'ils fe font un peu plus attachés au folide , il fut encore lontems très-aifé de les fatisfaire à peu de frais : avec un peu de conduite , pu auroit pu continuer ce Commerce fur un allez bon pied. On feroit néanmoins affez embarrafle à nommer aujour- d'hui une feule Famille , que ce Trafic ait enrichie. On a vu des fortunes aufîi immenfes , que rapides , s'élever & difpa- roître prefqu'en même tems , comme ces Montagnes mou- vantes , dont parlent quelques Voyageurs , & qu'un Tour- billon de Vent élevé & applanit dans les Plaines fablonneufes de l'Afrique. Rien n'a été plus ordinaire dans ce Pays-ci , que de voir des Gens traîner dans la mifere & dans l'oppro- bre une langui/Tante Vieillerie , après "avoir été en état de fe faire un EtablifTement honorable. Après tout, Madame, ces Fortunes manquées par des Particuliers , qui ne les méritoient point , ne feroient nullement dignes des regrets du Public , fi le contrecoup n'en étoit pas retombé fur la Colonie , qui s'eft bien-tôt trouvée réduite au point de voir prefqu'abfolu- ment tarir , ou détourner ailleurs une fourçe , d'où il pou-» voit couler tant de richefïes dans fon fein. Sa ruine commença par fon abondance. A force d'accumu- ler les Peaux de Caftor , qui ont toujours fait le principal ob- jet de ce Commerce , il s'en trouva une fi grande quantité dans D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. IV. 89 dans les Magafins , qu'on n'en pouvoit plus avoir le débit ; ■ d'où il arriva que les Marchands nen voulant 'plus recevoir, * 7 2 * • nos Aventuriers , qu'on appelle ici Coureurs de Bois 3 prirent Février, le parti de les porter aux Anglois , & que plusieurs s'établi- rent dans la Nouvelle York. On fit plufieurs tentatives pour arrêter le cours de ces défertions , mais elles eurent très-peu de fuccès ; au contraire , ceux , que l'intérêt avoit conduits chez nos Voifins , y furent retenus par la crainte du châti- ment , & les Vagabonds , qui avoient pris du goût pour la liberté d'une vie errante & pour l'indépendance , réitèrent parmi les Sauvages , dont on ne les diftinguoit plus , que par leurs vices. On eut recours en divers tems aux Amnifties , pour rappeller ces Transfuges , & d'abord elles furent affez inutiles : à la fin cependant ce moyen , ménagé avec fageffe , eut une partie de l'effet , qu'on en avoit prétendu. On en employa un autre , qui fut plus efficace encore ; Des CoiWs mais les Perfonnes zélées pour le bon ordre , & pour le pro- & difent-ils , pour ne point irriter les efprits de ces Animaux , qui empêcheroient qu'une autre fois la Chaffe ne fût heureufe. Mais je crois que cette raifon eft venue après coup ; & c'eft ainfi que la fuperftition a fouvent pris la place des caufes na- turelles , à la honte de l'Eiprit Humain. Au refte , Madame > je m'étonne qu'on n'ait pas encore eilayé de tranfporter en D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. V. 107 ■ France quelques-uns de ces merveilleux Amphibies: nous 1721. avons affez d'endroits % où ils pourroient trouver de quoi Mars vivre & bâtir , & je crois qu'ils y multiplieroient en peu de tems. Nous avons encore ici un petit Animal de même nature , DuRacMuf- à peu-près , que le Caftor , qui , à bien des égards , en paroît 1uéi un Diminutif, & qu'on nomme Rat Mufquê. il a en effet pres- que toutes les Propriétés du Caftor : la ftru£ture du Corps , & fur-tout de la Tête de l'un & de l'autre , eft fi fembla- ble , qu'on prendroit le Rat Mufqué pour un petit Caftor , fi on lui avoit coupé la queue , en quoi il diffère peu des nôtres ; & fi on lui avoit ôté les Tefticules , qui renferment un Muïc très-exquis. Cet Animal , qui pefe environ quatre livres , eft aufiï affez femblable à celui , que M. Rai a dé- crit , fous le nom de Mus Alpinus. Il fe met en Campagne au mois de Mars , 6k fa nourriture eft alors de quelques mor- ceaux de Bois, qu'il pelé, avant que de les manger. Après la fonte des Néges il vit de racines d'Orties , puis des tiges & des feuilles de cette Plante. En Eté il ne mange guéres que des Fraifes & des Framboifes , aufquelles fuccedent d'autres Fruits dans l'Automne. Durant tout ce tems-là on voit rare- ment le Mâle fans la Femelle. A l'entrée de l'Hy ver ils fe féparent , & chacun va de fon côté fe loger dans un trou , ou dans le creux d'un Arbre , fans aucunes Provifions , & les Sauvages affûrent , que tant qu'il fait froid, ils ne mangent quoi que ce foit. Ils bâtiffent auffi des Cabanes à peu-près de la forme de celles des Caftors ; mais il s'en faut beaucoup qu'elles foient fi bien travaillées. Quant à leur fituation , elle eft toujours au bord de l'eau ; ainfi ils n'ont pas befoin de faire de Chauffée. On dit que le poil du Rat Mufqué entre dans la Fabrique des Chapeaux avec celui du Caftor , & n'y gâte rien. Sa chair n'eft pas mauvaife , fi ce n'eft , lorfqu'il eft en rut ; car alors il n'eft pas poffible de lui ôter un goût de Mufc , qui ne flatte point le Palais auffi agréablement que le Nez. J'étois , Madame , fort en train de vous parler des autres Chaffes de nos Sau- vages , & des Animaux , qui font particuliers à ce Pays : mais il faut remettre la partie à une autre fois , on vient de m'avertir que ma Voiture eft prête , & je pars. Je fuis , &c. Oij 1 J2 I, Mars. 108 JOURNAL HISTORIQUE SIXIEME LETTRE. Voyage de Québec aux Trois Rivières. Comment on peut courir La Pojlefur la Nége. Des Seigneuries de la Nouvelle France. Defcription de Beckancourt. Tradition fur le nom de la Rivière Puante. Defcription des Trois Rivières. Suite des ChaJJes des Sauvages. Aux Trois Rivières, le fixiéme de Mars, 1721. M ADAME Manière de J'arrivai hier en cette Ville, après deux jours de marche 5 courir la Pcite & quoiqu'elle foit éloignée de Québec de vint-cinq lieues , en Traîne. j'aurois pu fort aifément faire ce chemin en douze heures , parce que j'avois pris la voye d'une Cambiatura , que la Nége & la Glace rendent très-facile en ce Pays pendant l'Hy ver , & qui ne coûte pas plus que les Voitures ordinaires. On fe fert pour cela d'une Traîne , ou , comme on parle ici , d'une Cariole , qui coule Ci doucement , qu'un feul Cheval fuffit pour la traîner , & va toujours le galop. On en change de tems en tems , & à bon marché. Dans un befoin on feroit ainfi en vint-quatre heures foixante iieuè's , beaucoup plus commodément , que dans la meilleure Chaife de Porte. Des Sei- Mon premier gîte fut à la Pointe aux Trembles 3 à fept lieues Sn "d" dU ^e ^a Capitale , d'où je n'étois parti qu'une heure avant la nuit. C'eft une des bonnes Paroiffes du Pays. L'Eglife efr. grande , & bien bâtie , & les Habitans y font fort à leur aife. En général les anciens Habitans font ici plus riches que les Seigneurs , & en voici la raifon. Le Canada n'étoit qu'une grande Forêt , quand les François ont commencé de s'y éta- blir. Ceux , à qui l'on a donné des Seigneuries 3 n'étoient pas gens à les mettre par eux-mêmes en valeur. C'étoit des Offi- ciers , des Gentilshommes , des Communautés , qui n'avoient pas des fonds affez conlidérables , pour y loger afTez d'Ou- vriers pour cela. Il a donc fallu qu'ils y établirent des Ha- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VI. 109 bitans , qui avant que de pouvoir y recueillir dequoi fub- "* — fifter , ont été obligés de travailler beaucoup , & de faire ' même toutes les avances. Ainfi ils n'ont pu s'engager envers Mars. les Seigneurs , qu'à une Redevance fort modique. De forte qu'avec les Lods & Ventes , qui (ont ici bien peu de chofes , le Droit du Moulin , & la Métairie , une Seigneurie de deux lieues de front , & d'une profondeur illimitée , n'eft pas d'un grand revenu dans un Pays fi peu peuplé , & où il y a fi peu de Commerce au-dedans. C'eft-là fans doute une des raifons , qui ont engagé le feu DuDroitde Roi Louis XIV. à permettre à tous Nobles & Gentilshommes coZS U habitués au Canada 3 de faire le Commerce , tant par Mer , que permis aux par Terre , fans qu'ils puijfent être recherchés , ni réputés avoir GentlIshom- dérogé. Ce font les termes de l'Arrêt , qui fut rendu par le Confeii le dixième de Mars t 685 . Au refte , il n'y a en ce Pays aucune Seigneurie , même de celles , qui font Titrées , à laquelle le Droit de Patronnage foit attaché : car fur la prétention de quelques Seigneurs , fondée fur ce qu'ils avoient fait bâtir l'Eglife Paroifliale , Sa Majefté étant en fon Con- feii, prononça la même année 1685. que ce Droit n'appar- tenoit qu'à l'Evêque , tant parce qu'il eft plus en état , qu'au- cun autre , de juger de la capacité des Sujets , que parce- que la portion congrue des Curés eft payée fur les Dixmes , qui appartiennent à l'Evêque. Le Roi dans ce même Arrêt déclare , que le Droit de Patronnage n'eft point cenfé Ho- norifique. Je partis de la Pointe aux Trembles le quatre avant Je jour situation de avec un Cheval Borgne , je le changeai enfuite contre un B"Kancouu, Boiteux , & celui-ci contre un Pouffif. Avec ces trois Re- lais je fis dix-fept lieues en fept ou huit heures 3 & j'arri- vai de très-bonne heure chez le Baron de Beckancourt, Grand Voyer de la Nouvelle France , lequel ne voulut jamais me permettre d'aller plus loin. D'ailleurs ce Gentilhomme a fur fes Terres un Village d'Abénaquis , gouverné, pour le Spi- rituel , par un Jéfuite , que j'étois bien aife de faluer en paf- fant. Le Baron demeure à l'entrée d'une petite Rivière , qui vient du Sud, qui coule toute entière dans fon Domaine , & qui porte fon nom. Ce n'eft pourtant pas cette grande Terre , qui a été érigée en Baronnie ; mais celle de Portneuf , qui eft de l'autre côté du Fleuve. no JOURNAL HISTORIQUE La vie , que mené M. de Beckancourt dans ce Défert , car l7 ll' on n'y voit point encore d'autre Habitant que le Seigneur , Mars, rappelle afïez naturellement le fouvenir de ces anciens Pa- triarches , qui ne dédaignoient point de partager avec leurs Domeftiques le travail de la Campagne , & vivoient pref- que aufîi lbbrement qu'eux. Le profit , qu'il peut faire parle Commerce avec les Sauvages , fes Voifins , en achetant d'eux les Pelleteries de la première main , vaut bien les Redevances , qu'il pourroit tirer des Habitans , à qui il auroit partagé fes Terres. Avec le terns il ne tiendra qu'à lui d'avoir des Vaf- faux , & il fera des conditions beaucoup meilleures , quand il aura fait défricher tout fon Terrein. La Rivière de Beckan- court fe nommoit auparavant la Rivière Puante : je m'infor- mai de la caufe de ce nom , car l'Eau de la Rivière me pa- rut fort belle , on m'affûra qu'elle eft très-bonne , & il n'y a aucune mauvaife odeur dans tout ce Canton. Les uns me dirent néanmoins , que cette caufe étoit la mauvaife qualité des Eaux : d'autres l'attribuoient à la grande quantité de Rats Mufqués , qu'on y trouve , &dont les Sauvages ne peu- vent foufrrir l'odeur ; mais voici une troifiéme Veriion , que ceux , qui ont fait plus de recherches fur l'Ancienne Hiftoire du Pays , prétendent être la véritable. D'où ctok Des Algonquins étoient en Guerre contre les Onnontcha- vcnu le nom ronnons , plus connus fous le nom de Nation de l'Iroquet , %ifme%e\\z & dont l'ancienne demeure étoit , dit-on , dans l'Iile de Rivière de Montréal. Le nom , qu'elle porte , prouve qu'elle étoit de EccKaacourt. ja Langue Huronne : cependant on prétend que ce font les Hurons , qui l'ont chaffée de leur ancienne Demeure , & qui l'ont même en partie détruite. Quoiqu'il en foit , elle étoit , au tems , dont je parle , en Guerre contre les Algonquins , qui , pour finir d'un feul coup cette Guerre , dont ils commen- çaient à fe lafTer , s'aviferent d'un ftratagême , qui leur réufîit. Us fe mirent en embufcade fur les deux bords de la petite Rivière , qui porte aujourd'hui le nom de Beckan- court. Enfuite ils détachèrent quelques Canots , dont les Conducteurs firent femblant de pêcher dans le Fleuve. Us fçavoient que leurs Ennemis n'étoient pas loin , & ils ne doutoient point qu'ils ne couruffent d'abord fur les préten- dus Pêcheurs : en effet , ceux-là ne tardèrent pas à voir fondre fur eux une flotte de Canots ; ils firent femblant d'avoir 17 2,. rs, D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VI. i.n peur , prirent la fuite , & gagnèrent la Rivière. Ils y furent îiiivis de fort près par un Ennemi , qui croyoit avoir bon marché de cette poignée d'Hommes , & pour l'engager plus ^a avant , ils affectèrent de paroître fort épouvantés. Cette fein- te leur réufïït ; ceux , qui les pourfuivoient , avancèrent toujours , & jettant , félon la Coutume de ces Barbares , des cris effroyables , ils fe croyoient au moment de tomber fur leur proye. Alors une grêle de Flèches décochées de derrière tous les Buiffons , qui bordoient la Rivière , les jetta dans une con- fufîon , dont on ne leur donna point le tems de fe remettre. Une féconde décharge , qui fuivit de fort près la première , acheva leur déroute. Ils voulurent fuir à leur tour , mais ils ne pouvoient plus fe fervir de leurs Canots , qui étoient percés de toutes parts. Ils fe lancèrent dans l'eau , efperant de fe fauver à la nage ; mais outre que la plupart étoient bielles , ils trouvèrent , en arrivant à terre , la Mort , qu'ils fuyoient , & pas un feul n echapa aux Algonquins , qui ne pardonnèrent à Perfonne , & ne s'amuferent pas même à faire des Prifonniers. La Nation de l'Iroquet ne s'eff. point relevée de cet échec , & quoi qu'on ait encore vu quelques- uns de ces Sauvages depuis l'arrivée des François en Cana- da , il n'en efr. plus du tout queftion aujourd'hui. Cepen- dant la quantité de Corps morts , qui refferent dans l'eau , & fur les bords de la Rivière , l'infecla de telle forte , que le nom de Rivière Puante lui en eÛ demeuré. Le Village Abénaqui de Becknncourt ri eu. pas préfente- ment aufîi peuplé , qu'il l'étoit , il y a quelques années. Il ne laifferoit pourtant pas de nous être d'un grand fecours , û la Guerre recommençoit. Ces Sauvages font les meilleurs Partifans du Pays , & toujours difpofés à faire des courfes dans la Nouvelle Angleterre , où leur nom feul a fouvent jette l'épouvante jufques dans Bafton. Ils ne nous ferviroient pas moins bien contre les Iroquois , à qui ils ne cèdent point en valeur , & qui ne font pas auffi bien difeiplinés qu'eux. Us font tous Chrétiens , & on leur a bâti une jolie Cha- pelle , où ils pratiquent avec beaucoup d'édification tous les Exercices du Chriitianifme. Il faut pourtant avouer que leur- ferveur n'eft plus au point , où on la vûë les premières an- nées de leur Etablifï'ement parmi nous. On leur a porté de Du vitim Abénaqui mt BecKaiKou-i'. I 7 2 !• Mars. 112 JOURNAL HISTORIQUE l'Eau-de-Vie , ils y ont pris goût , & les Sauvages ne boivent jamais , que pour s'enyvrer. Cependant une funefte Expé- rience nous a appris , qu'à mefure que ces Peuples s'éloignent de Dieu , ils ont moins de déférence pour leurs Parleurs , •&.fe rapprochent des Anglois. Il eft bien à craindre que le Seigneur ne permette qu'ils deviennent nos Ennemis , pour nous punir d avoir contribué, par un fordide intérêt , aies rendre vicieux , comme il eft déjà arrivé à quelques autres Nations, situation de Après avoir embrafTé le Millionnaire de Beckancourt ( a ) 3 la ville des viiité fa Bourgade , & fait avec lui de trifr.es réflexions , que Trois Rivie- lle peut manquer de fournir le défordre , dont je viens de parler , & dont il eft fouvent réduit à gémir devant Dieu , je traverfai le Fleuve Saint Laurent , pour me rendre en cette Ville. Rien n'eft plus charmant , Madame , que fa fitua- tion. Elle eft bâtie fur un Coteau de Sable , qui n'a guéres de ftérile , que l'efpaçe , qu'elle peut occuper , fi elle devient jamais une Ville confidérable : car à préfent c'eft fort peu de chofes. Du relie , elle efl environnée de tout ce qui peut ren- dre une Ville agréable & opulente. Le Fleuve , large de près d'une demie lieuë , efl à îqs pieds. Au-delà on ne voit que Campagnes cultivées , fertiles , & couronnées des plus belles Forêts du Monde. Un peu au-deffous , & du même côté , que la Ville , le Fleuve reçoit une affez belle Rivière , qui , avant que de confondre fes Eaux avec les Siennes , en reçoit en même tems deux autres , l'une à fa droite , & l'autre à fa gauche , & c'eft ce qui a fondé le nom de Trois Rivières 3 que porte la Ville. Da Lac de Au-deffus , & prefqu'à la même diftance , commence le Lac Saint Pierre, de Saint Pierre, lequel a environ trois lieuê's de large, & fept de long. Ainfi rien ne borne la vûë de ce côté-là , & le Soleil paroît fe coucher dans les Ondes. Ce Lac, qui n'eft qu'un élargiffement du Fleuve , reçoit plufieurs Rivières. Il y a affez d'apparence que ce font ces Rivières , qui avec le tems ont mangé le Terrein bas & mouvant , à travers duquel elles couloient ; cela efl furtout fenfible à l'égard de celle de Saint François , dont l'Embouchure eft femée de plufieurs Ifles , qui pourroient bien avoir été jointes au Continent. D'ailleurs dans tout le Lac , fî ce n'eft au milieu du Canal , dont la force (*) Le Père Euftache Le Su eus, du D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ.Let. Vî. ir3 du Courant du Fleuve a confervé toute la profondeur , on ' ne peut aller qu'en Canots, encore y a-t'il des endroits , d'où les $2? fie remphfTant ainfi de Fumée la Gueule & le Gofier de fa Bête Praciciueci,uanJ il conjure ion Llpnt de n avoir aucun reflentiment de ce qu'il ouïs. n8 JOURNAL HISTORIQUE — — vient de faire à ion Corps , & de ne point lui erre contraire 1 7 2 1 ' dans toutes les Chaffes , qu'il fera dans la fuite. Mais comme Mars. l'Efprit ne répond point , le Chaffeur , pour fçavoir fi fa prière a été exaucée , coupe le Filet , qui eft. fous la Langue de l'Ours , & le garde jufqu'à ce qu'il foit de retour au Village. Alors tous jettent en grande cérémonie , & après bien des invocations , ces Filets dans le Feu. S'ils y pétillent , & fe retirent , comme il ne peut guéres manquer d'arriver , cela eft pris pour une marque certaine que les Efprits des Ours font appaifés : finon , on fe perfuade qu'ils font irrités , & que la Chaffe de l'année fuivante ne fera pas heureufe , à moins qu on ne trouve le fecret de fe les réconcilier : car enfin il y a remède à tout. „ , . Les Chaffeurs font bonne chère , tant que dure la Chaffe , Réception, . , » T. que ion fah & pour peu qu elle ait reulli , ils emportent encore avec eux aux chaflèurs je qUOj régaler leurs Amis , & nourrir lontems leurs Familles. a eur retour, ç^ ^,^ ^ ^ ^ vérité un grand ragoût que cette Viande bou- canée , mais tout eft bon pour des Sauvages. A voir la récep- tion , qu'on leur fait ; les louanges , qu'on leur donne ; l'air content & fuffifant , qu'ils prennent , vous diriez qu'ils re- viennent de quelque grande Expédition , chargés des dé' pouilles de toute une Nation détruite. Il faut être Homme , leur dit-on , & difent-ils fans façon eux-mêmes , pour com- battre & pour vaincre ainfi les Ours. Une autre chofe , qui ne leur attire pas de moindres éloges , & dont ils ne tirent pas moins de vanité , c'eft de ne rien laiffer du grand Repas , que leur donne encore au retour de la Chaffe celui , qui y a com- mandé. On y préfente , pour premier Service , le plus grand Ours , qui ait été pris , & on le fert tout entier avec fes En- trailles : il n'eft pas même écorché ; on s'eft contenté de lui griller la Peau , comme on fait aux Porcs. Ce Feftin eft voué à je ne fçai quel Génie , dont on croiroit s'attirer l'indigna- tion , fi on ne mangeoit pas tout. Il ne faut même rien laiffer du Bouillon , où les Viandes ont été cuites , & crui n'eft gué- res qu'une Graiffe fondue , & réduite en Huile. Rien n'eft plus mauvais : auffi y a-t'il toujours quelqu'un , qui en crève , & plufieurs en font fort incommodés. Qnelquespar- Les Ours ne font méchants , en ce Pays , que quand ils ont ticuiarités fur fajm } ou quand ils ont été bleffés. On prend néanmoins tou- ksOurs. jours- fes précautions, quand on les approche. Rarement ils D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VI. 119 attaquent ; ils fuyent même , dès qu'ils voyent quelqu'un ; & —- ■ il ne faut qu'un Chien pour les taire courir bien loin. S'ils 7f font donc partout comme en Canada , on auroit pu répon- Mars. dre à la demande de M. Defpreaux , que c'eft l'Ours , qui a peur du Paffant , & non le Paflant de l'Ours. Au mois de Juil- let, l'Ours eft en rut. Il devient alors fi maigre , fa chair eft fi fade , & d'un fi mauvais goût 3 que les Sauvages mêmes , eux qui mangent fouvent des chofes , qui nous feroient bondir le cœur , ont de la peine à y toucher. Qui le croiroit , que cette paffion maigrit plus en un mois un Animal de cette efpece & de cette figure , que ne fait une abftinence totale de fix mois ! Il eft moins furprenant qu'il foît alors fi farouche & de fi mau- vaife humeur , qu'il ne fait pas bon de fe rencontrer fur fon. chemin. C'eft un effet de fa jaloufie. Ce tems-là paffé , il reprend fon embonpoint , ck rien n'y contribue davantage , que les fruits , qu'il trouve partout dans les Bois , & dont il eft extrêmement friand. Il aime fur- tout le Raifinjck comme toutes les Forêts font remplies de Vi- gnes , qui s élèvent jufqu'à la cime des plus hauts Arbres , il ne fait aucune difficulté d'y grimper. Mais fi un Chaffeur l'y ap- perçoit , fa friandife lui coûte la vie. Quand il a ainfi bien mangé des fruits , fa chair a un très-bon goût , & elle le con- ferve jufqu'auPrintems. Elle a néanmoins toujours un grand défaut ; elle eft trop huileufe , & fi on n'en ufe pas modéré- ment , elle donne la dyfenterie. A cela près , elle eft nourrif- fante ; & un petit Ourfon vaut bien un Agneau. J'oubliois , Madame , de vous dire que les Sauvages me- D« Cfafeas nent toujours à leurs Chafïes un grand nombre de Chiens ; ^ages! dê* ce font les feuls Animaux domeftiques , qu'ils, élèvent ; & ils ne les élèvent, que pour la ChafTe. Tous paroifTent de la mê- me efpece : ils ont les oreilles droites , & le mufeau allongé à peu près comme les Loups : mais ils font fort fidèles , & fort attachés à leurs Maîtres , qui les nourriffent pourtant affez mal , & ne les carefïent jamais. On les drefïe de très-bonne- heure à l'efpece de ChafTe , à laquelle on les deftine , & ils font excellents Chaffeurs. Je n'ai pas le tems de vous en dire da- vantage , parce qu'on m'appelle pour m'embarquer. Je fuis , &c. no JOURNAL HISTORIQUE Mars- SEPTIEME LETTRE. Defcription du Pays & des IJles de Richelieu & de Saint Fran- çois. Du Village Abénaqui. De l'Ancien Fort de Richelieu , & de ceux , qu'on avoit conflruits dans chaque Faroiffè. Belles Actions de deux Dames Canadiennes. Des autres Chaffes des Sauvages. A Saint François , l'onzième de Mars , 1721. M ADAME, Je partis le neuf des Trois Rivières. Je ne fis quetraver- ferleLac de S. Pierre, en tirant au Sud; je fis ce Voyage en Carriole , parce que la Glace étoit encore affez forte pour toutes fortes de Voitures ; & j'arrivai vers le midi à S. Fran- çois. J'employai l'après-dîné & toute la journée d'hier à vifi- ter ce Canton , & je vais vous rendre compte de ce que j'y ai obfervé. Des Mes de A l'extrémité Occidentale du Lac de S. Pierre, il y a un JeVaît irait' nombre prodigieux d'Ifles de toutes grandeurs , qu'on appelle çois. les IJles de Richelieu ; & en tournant fur la gauche , quand on vient de Québec 3 on en trouve fîx autres , qui bordent une Ance allez profonde , dans laquelle fe décharge une jolie Ri- vière , dont la Source eft au voiftnage de la Nouvelle York. Les Mes , la Rivière , & tout le Pays , qu'elle arrofe , portent le nom de S. François. Chacune des files a plus d'un grand quart de lieue de long ; leur largeur eft inégale : la plupart de celles de Richelieu font plus petites. Toutes étoient autrefois remplies de Cerfs , de Daims , de Chevreuils & d'Orignaux -, le Gibier y foifonnoit d'une manière étonnante , & n'y eft pas encore trop rare ; mais les grandes Bêtes ont difparu. On pêche auffi d'excellents Poiffons dans la Rivière de S. François & à fon Embouchure. L'Hy ver on fait des trous dans la Glace , on y pafte des Filets de cinq ou fix braffes de long , & on ne les retire guéres à vuide. Les Poiffons , qu'on 7 I. Lars. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VIL 121 y prend plus communément , font les Bars , les PoifTons do- 1 7 2 rés , les Achigans , & fur-tout les Mafquinongez ; efpece de vj. Brochets , qui ont la Tête plus grofle , que les nôtres , & la Bouche fous un Mufeau recourbé , ce qui leur donne une figure aiïez finguliere. Les Terres de S. François , à en juger par les Arbres, qu'elles portent, Se par le peu , qu'on en a déjà cultivé, font fort bonnes. Les Habitans y font néanmoins affez pauvres , &piuileurs feroient réduits à la dernière indigence, fi le Commerce avec les Sauvages , leurs Voifins , ne les foû- tenoit un peu. Mais ne feroit-ce pas ce Commerce-là même , qui les empêcheroit d'être plus à leur aife , en les rendant fainéans ? Les Sauvages, dont je parle, _font des Abénaquis, parmi lef- Du Village quels il y a quelques Algonquins , des Sokokis & des Mahin- * Abéna- gans, plus connus fous le nom de Loups. Cette Nation étoit au- trefois établie fur la Rivière de Manhatte , dans la Nouvelle York, & il paroît qu'ils en font originaires. Les Abénaquis font venus à S. François des Côtes Méridionnales de la Nou- velle France , les plus proches de la Nouvelle Angleterre. Leur première Station , en quittant leur Pays , pour venir de- meurer parmi nous , fut une petite Rivière , qui fe décharge dans le Fleuve Saint Laurent , prefque vis-à-vis de Sylleri ; c'eft-à-dire, environ une lieue & demie au-defTus de Québec , du côté du Midi. Ils y étoient placés aux environs d'une chute d'Eau , qu'on nomme le Saultde la Chaudière. Ils font préfen- tement fur le bord de la Rivière de Saint François , a deux lieues de fon Embouchure , dans le Lac de Saint Pierre. L'en- droit eft fort agréable , & c'eft dommage : ces Peuples ne goû- tent pas les agrémens d'une belle foliation , & des Cabannes de Sauvages, fur-tout d'Abénaquis , n'embellirTent pas un Pays. Le village eft nombreux , &: n'eft habité , que par des Chrétiens. Cette Nation eft docile , & de tout tems affection- née aux François : mais le Millionnaire (a) n'a pas de moindres inquiétudes à leur fujet , que fon Confrère de Beckancourt. Les raifons en font les mêmes. On me régale ici d'Eau d'Erable : c'en: la faifon , où elle Du suc d'E- coulé. Elle eft délicieufe , d'une fraîcheur admirable , & fort raWe- faine. La manière de la tirer eft fort fîmple. Lorfque la Sève commence à monter aux Arbres , on fait une entaille dans le „ ( a) Le Père Jofeph Aubery. Tome III. Q _m JOURNAL HISTORIQUE i 7 2 i . Tronc de l'Erable , & par le moyen d'un morceau de bois ? •w qu'on y infère , fur lequel l'Eau coule , comme fur une Gout- rs* tiere , cette Eau eft reçue dans un Vaiffeau , qu'on met def- fous. Pour qu'elle coule avec abondance , il faut qu'il y ait beaucoup de Néges fur la Terre , qu'il ait gelé pendant la nuit , que le Ciel foit ferein , & que le Vent ne foit pas trop froid. Nos Erables auraient peut-être la même vertu , fi nous avions en France autant de Néges qu'en Canada , & îi elles y duroient auffi lontems. A mefure que la Séves'épaimt , elle coule moins , & au bout de quelques tems , elle s'arrête tout- à-fait. Il eft aifé du juger qu'après une telle Saignée , l'Arbre ne s'en porte pas mieux ; on afTûre cependant , qu'il la peut fouffrir plufieurs années de fuite. On feroit peut-être mieux de les faire repofer un ou deux ans , pour lui laifier le tems de reprendre fes forces. Mais enfin, quand il eft épuifé , on en eft quitte pour le couper , & fon Bois , fes Racines , fes Nœuds font propres à bien des chofes. Il faut que cet Arbre foit ici bien commun , car on en brûle beaucoup. L'Eau d'Erable eft affez claire , quoiqu'un peu blanchâtre : elle eft extrêmement rafrakhiffante , & laifle dans la Bouche un petit goût de Sucre fort agréable. Elle eft fort amie de la Poitrine ; & en quelque quantité , qu'on en boive , quel- qu'échauffé que l'on foit, elle ne fait point de mal. C'eft qu'elle n'a point cette crudité , qui caufe la Pleuréfte ; mais au con- traire , une vertu balfamique , qui adoucit le Sang , & un cer- tain Sel , qui en entretient la chaleur. On ajoute , qu'elle ne fe criftalife jamais ; mais que fi on la garde un certain tems , elle devient un excellent Vinaigre. Je ne garantis point ce fait , & je fçai qu'un Voyageur ne doit point adopter indiffé- remment tout ce qu'on lui dit. Il y a bien de l'apparence que les Sauvages , qui connoiÊ- fent fort bien toutes les vertus de leurs Plantes , ont fait de tout tems de cette Eau l'ufage , qu'ils en font encore aujour- d'hui ; mais il eft certain qu'ils nefçavoient pas en former le Sucre , comme nous leur avons appris à le faire. Ils fe con- tentoient de lui donner deux ou trois Bouillons , pour l'épaif- ftr un peu , & en faire une efpece de Sirop , qui eft affez agréa- ble. La façon , qu'on y ajoute , pour en faire du Sucre , eft de la laiffer bouillir , jufqu a ce qu'elle prenne une confiftance fuffifante , & elle fe purifie d'elle-même , fans qu'on y mêle D'UN VOYAGEDEL'AMERIQ. Let. VII. 123 tien d'étranger. Il faut feulement avoir foin de ne pas trop 1 7 2 1. faire cuire le Sucre , & de le bien écumer. La plus grande Mars faute , qu'on y fait , c'eft de le biffer trop durcir dans fon Si- rop , c'efl ce qui fait qu'il efl trop gras , & qu'il conferve tou- jours un goût de Miel , qui le rend moins agréable au goût , à moins qu'il ne foit purifié. Ce Sucre fait avec attention , & il en demande beaucoup moins que le nôtre , eft naturel , pe&oral , ne brûle point Fel- tomach. Outre que la façon en eft d'une très-petite dépenfe , on penfe affez communément qu'il eft impoffible de le rafiner , comme celui , qu'on tire des Cannes. Je n'en vois point la raifon , & il eft certain qu'au fortir des mains des Sauvages , il eft plus pur , & beaucoup meilleur , que celui des Mes , qui n'a pas reçu plus de façons. Enfin, j'en ai donné à fondre à un Rafineur d'Orléans , qui ny a trouvé d'autre défaut , que celui que j'ai déjà remarqué , & qu'il attribuoit uniquement à ce qu'il n'avoit pas été furfifamment égouté. Il le croyoit mê- me de meilleure qualité que l'autre , & il en fit des Tablettes que j'ai eu l'honneur de vous préfenter , & que vous trouvâtes, Madame , fi excellentes. On objeftera que s'il étoit d'une bon- ne nature , on l'auroit fait entrer dans le Commerce : mais on n'en fait pas affez pour que cela devienne un objet , & peut- être a-t-on tort ; il y a bien d'autres chofes , que l'on néglige dans ce Pays-ci. Le Plane , qu'on appelle ici Plaine , le Merifier , le Frêne , & les Noyers de différentes efpeces , donnent auffi de l'Eau , dont on fait du Sucre : mais elle rend moins , & le Sucre nen eft pas fi bon. Quelques-uns néanmoins donnent la préféren- ce à celui , qui fe tire du Frêne ; mais on en fait fort peu. Au- riez-vous cru , Madame , qu'on trouve en Canada ce que Vir- gile dit en prédifant le renouvellement du fiécle d'Or , que le Miel couleroit des Arbres (a) ? Tout ce Pays a été lontems le Théâtre de bien des Scènes D;^a,Forl: 5e fanglantes , parce que pendant la Guerre des Iroquois , il étoit le plus expoié aux incurfions de ces Barbares. Ils defcendoient dans la Colonie par une Rivière , qui fe décharge dans le Fleuve de Saint Laurent , un peu au-deffus du Lac de Saint Pierre , du même côté que celle de Saint François , & à la- quelle pour cette raifon , on avoit d'abord donné leur nom : {a) Et ditr&iQxercus [udubunt refiida lleila? Richelieu, i24 JOURNAL HISTORIQUE TT[\ e^e a porté depuis quelque tems celui de Richelieu 3 & on la ' nomme préfentement la Rivière de Sorel. Les Ifles de Riche- Mars, lieu , qu'ils rencontroient d'abord , leur fervoient également , &: pour les Embufcades , & pour la Retraite ; mais quand on leur eut fermé ce Paiïage par un Fort , qu'on bâtit à l'entrée de la Rivière , ils prirent leur chemin par les Terres au-defllis & au - deflbus , & fe jetterent fur -tout du côté de Saint Fran- çois , où ils trouvoient les mêmes commodités pour exercer leurs brigandages , & ils y ont commis des cruautés } dont le récit feroit horreur. } Autres Forts \[s fe répandoient de-là dans toute la Colonie , & il fallut y i -.uoiflw!" C" pour fe garantir de leur fureur , conftruire fur chaque Paroif- ie des efpeces de Forts , où les Habitans puffent fe réfugier à la première allarme. On y entretenoit nuit & jour un ou deux Fa£tionnaires , & tous avoient quelques Pièces de Campagne, ou tout au moins quelques Pierriers , tant pour écarter l'En- nemi , que pour avertir les Habitans d'être fur leurs gardes v ou pour demander du fecours. Ces Forts n'étoient que de grands Enclos fermés de Paliffades , avec quelques Redoutes : l'Eglife & la Maifon du Seigneur y étoient renfermées , & il y avoit encore allez d'efpace, pour y retirer, en cas debefoin , les Femmes , les Enfans , & les Beftiaux. C'en étoit affez pour fe mettre hors d'infulte , & je ne fçache pas que les Iroquois ayent jamais pris aucun de ces Forts. Ils fe font même rarement arrêtés à les tenir bloqués , plus rarement encore les ont-ils attaqués à force ouverte. L'un eft trop périlleux pour des Sauvages , qui n'ont aucune arme défenfive , & n'aiment point une Victoire teinte de leur Sang. L'autre ne convient pas à leur manière de faire la Guerre. Deux attaques du Fort deVercheres font néanmoins fameufes dans les faftes Canadiens , & il femble que les Iroquois ne s'y foient attachés par deux fois , contre leur coutume , que pour faire éclater la valeur & l'intrépidité de deux Amazones. Belles Ac- En 1690. ces Barbares ayant fçu que Madame de Verche- men& d'une*" res ^t0^ Pre^ïue ^eu^Q dans f°n Fort , s'en approchèrent , fans Demoifelie être apperçus , & fe mirent en devoir d'efcalader la Paliffade. Canadiennes. Quelques coups de Fufil , qu'on tira fort à propos au premier bruit , qu'ils firent , les écartèrent ; mais ils revinrent bientôt : ils furent encore repoufîés , & ce qui leur caufoit plus d'éton- nement , c'eft qu'ils ne voyoient qu'une Femme , & qu'ils la D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VII. 125 voyoient par-tout. C'étoit Madame de Vercheres , qui faifoit T7TT paroître une contenance au/fi affûrée , que fî elle avoit eu \r une nombreufe Garnifon. L'efperance , que les Aflîegeans arS avoient conçue d'abord, d'avoir bon marché d'une Place, qu'ils fçavoient être dégarnie d'Hommes , les fit retourner plu- sieurs fois à la charge ; mais la Dame les écarta toujours. Elle fe battit de la forte pendant deux jours , avec une bravoure & une préience d'Efprit , qui auroient fait honneur à un vieux Guerrier ; & elle contraignit enfin l'Ennemi de fe retirer , de peur d'être coupé , bien honteux d'être obligé de fuir devant une Femme. Deux ans après , un autre Parti de la même Nation , beau- coup plus nombreux , que le premier , parut à la vue du mê- me Fort , tandis que tous les Habitans étoient dehors , & la plupart occupés dans la Campagne. Leslroquois les trouvant ainfi difperfés & fans défiance , les faifîrent tous les uns après les autres , & marchèrent enfuite vers le Fort. La Fille du Sei- gneur , âgée de quatorze ans au plus , en étoit à deux cens pas. Au premier cri , qu'elle entendit, elle courut pour y rentrer : les Sauvages la poursuivirent , & l'un d'eux la joignit , dans le tems , qu'elle mettoit le pied fur la Porte ; mais l'ayant fai- fie par un Mouchoir , qu'elle avoit au Col , elle le détacha , & ferma la Porte fur elle. Il ne fe trouva dans le Fort , qu'un jeune Soldat , & une Troupe de Femmes , qui , à la vue de leurs Maris , qu'on garrotoit , & qu'on emmenoit Prifonniers , jettoient des cris lamentables : la jeune Demoifelle ne perdit ni le jugement, ni le cœur. Elle commença par ôter fa Coëffure , elle noua fes Cheveux , prit un Chapeau , & un Juiïe-au-Corps , en- ferma fous la clef toutes ces Femmes , dont les gémiifemens & les pleurs ne pouvoient qu'infpirer du courage à l'Ennemi ; puis elle tira un coup de Canon , & quelques coups de Fufil , & fe montrant avec fon Soldat, tantôt dans une Redoute , & tantôt dans une autre , changeant de tems en tems d'Habit , & tirant toujours fort à propos , dès qu'elle voyoit les Iro- quois s'approcher de la Paliûade , ces Sauvages fe perfuade- rent qu'il y avoit beaucoup de Monde dans le Fort ; & lorf- que le Chevalier de Crifafy , averti par le coup de Canon , parut pour fecourir la Place , l'Ennemi avoit déjà levé le Camp. ii6 JOURNAL HISTORIQUE 1721. Revenons à la Chaffe. Celle de l'Orignal ne feroit guéres Mars, moins avantageufe aujourd'hui pour nous , que celle du Caf- De l'Elan ou tor , fi ceux , qui nous ont précédés en ce Pays , avoient fait Orignal £2 l'Ori plus d'attention aux profits , qu'on en pouvoit tirer , & nm avoient pas prefqu'entierement détruit l'Efpece , au moins dans les endroits , qui font à portée de nous. ^ Defcription Ce qu'on appelle ici Orignal, c'eft ce qu'en Allemagne , en Pologne & en Mofcovie on nomme Elan> ou la Grand' - Bête. Cet Animal eft ici de la grofleur d'un Cheval , ou d'un Mulet d'Auvergne. Il a la Crouppe large , une Queue de la longueur d'un Doit feulement , le Jarret fort haut^ des Jam- bes & des Pieds de Cerf; un long Poil lui couvre le Garrot , le Col , & le haut du Jarret. Sa Tête a plus de deux pieds de long , & il la porte de longueur , ce qui lui donne un mau- vais air. Son Mufle eft gros & rabbatu par-deiïus à peu près comme celui du Chameau ; & fes Nafeaux font fi grands , qu'on y peut aifément fourrer la moitié du Bras. Enfin fon Bois n'eft guéres moins long, que celui du Cerf, & il eft beaucoup plus large ; il eft plat & fourchu , comme celui du Daim , & il fe renouvelle tous les ans ; mais je ne fçai 3 û en fe renouvellant , il prend un accroiffement , qui marque les années de l'Animal. On prétend que l'Orignal eft fujet à l'Epilepfie » & que quand fes accès le prennent , il les fait paffer en fe grattant l'Oreille de fon Pied gauche de derrière , jufqu a en tirer du San°- ; ce qui a fait regarder la Corne de ce Pied , comme un Spécifique contre le Haut-Mal. On l'applique fur le Cœur du Malade , & on fait la même chofe pour la Palpitation : on la lui met dans la Main gauche, & on lui en trotte l'Oreille. Mais pourquoi ne lui en pas tirer du Sang , comme fait l'Ori- gnal ? On juge aufTi cette Corne très-bonne contre la Pleu- réfie , les Douleurs de Colique , le Cours de Ventre , les Vertiges & le Pourpre , en la pulvérifant , & la faifant boire dans de l'Eau. J'ai oui dire que les Algonquins , qui faifoient. autrefois leur nourriture ordinaire de la Chair de cet Ani- mal , étoient fort fujets à l'Epilepfie , & n'ufoient point de ce remède. Ils en avoient, peut-être, de meilleurs. Le Poil de l'Orignal eft mêlé de gris-blanc , & de rouge- noir. Il devient creux, quand la Bête vieillit, ne fe foule pas } & ne perd jamais fa Vertu élaftique : ainfi on a beau le D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VIL n7 battre , il fe redreffe toujours. On en fait des Matelats & des j _ ~ ~ Selles de Chevaux. Sa Chair eft d'un très-bon goût , légère , & nourriffante ; ce feroit dommage qu'elle donnât le Haut- Mars, mal; mais nos Chaffeurs , qui en ont vécu des Hy vers en- tiers , ne fe font point apperçus qu'elle eût aucune mauvaife qualité. Sa Peau eft forte , douce , moë'leufe : elle fe pafle en Chamois , & fait d'excellens Bufles , qui péfent très-peu. Les Sauvages regardent l'Orignal comme un Animal de bon augure, & fe perfuadent que ceux, qui y rêvent fré- quemment , peuvent fe flatter d'une longue vie : C'eft tout le contraire pour les Ours , excepté le tems , où l'on fe difpofe à la Chafle de ces Animaux. Il court aufîi parmi ces Barbares une allez plaifante tradition d'un grand Orignal , auprès du- quel les autres paroiffent des Fourmis. Il a, difent-ils, les Jambes fi hautes , que huit pieds de Nége ne l'embarrafTent point : fa Peau eft à l'épreuve de toutes fortes d'Armes , & il a une manière de Bras , qui lui fort de l'Epaule , & dont il fe fert , comme nous faifons des nôtres. Il ne manque jamais d'avoir à fa fuite un grand nombre d'Orignaux , qui forment fa Cour , & qui lui rendent tous les fervices , qu'il exige d'eux. C'eft. ainiî que les Anciens avoient leur Phénix & leur Pégafe ; & que les Chinois & les Japonnois ont leur Kirin , leur Foë, leur Dragon d'Eau, & leur Oifeau de Paradis. Tutto' l Mondo e Paefe. L'Orignal aime les Pays froids : il broutte l'Herbe en Eté , Etfqneftms & l'Hyver il ronge les Arbres. Quand les Néges font hautes , jj &.ut cha]î ou Quincajou , efpece de Chat , dont la Queue J°nnelaCluU eft Ci longue , qu'il en fait plufieurs tours fur fon Corps , & d'un Poil roux-brun. Dès que ce Chaffeur peut joindre un Orignal , il faute deffus , & s'attache à fon Col , qu'il en- toure de fa longue Queue , après quoi il lui coupe la Veine jugulaire. L'Orignal n'a qu'un moyen d'éviter ce malheur , c'eft de fe jetter à l'Eau , dès qu'il fe voit faiiî par cet Ennemi dangereux. Le Carcajou , qui ne peut fouffrir l'Eau , lâche jDrife fur le champ. Mais fi l'Eau eft trop loin , il a le tems de faire périr l'Orignal , avant qu'il puiffe y arriver. Ordinaire- ment le Chaffeur, qui n'a pas l'Odorat des plus fins, mené trois Renards à cette Chaffe , & les envoyé à la découverte. Dès qu'ils ont éventé un Orignal , deux vont fe ranger à fes côtés , ie troifiéme fe place derrière lui , & tous trois manœuvrent fi bien , en harcelant la Bête , qu'ils l'obligent d'aller , où ils ont laiffé le CarCajou , avec lequel ils s'accommodent enfuite pour le partage du Gibier. Une autre rufe du Carcajou pour atraper fa Proye , eft de grimper fur un Arbre : là , couché de fon long fur une Branche avancée , il attend qu'il paffe un Orignal, & faute deffus, dès qu'il le voit à fa portée. Bien des Gens , Madame , fe font mis dans l'efprit que les Rela- tions du Canada donnent aux Sauvages plus d'efprit , qu'ils n'en ont. Ce font pourtant des Hommes 1 fous quel Climat trouvera-t'on des Brutes , qui ayent l'inftirifît plus induftrieux , que le Caftor , le Carcajou & le Renard ? Le Cerf .en Canada eft abfolument le même , qu'en France , Du Cerf & peut-être communément un peu plus grand. Il ne paroît pas duCaribou- que les Sauvages l'inquiètent beaucoup. Je ne trouve pas du nioins qu'ils lui faffent la guerre dans les formes , & avec ap- pareil. Il n'en eft pas de même du Caribou. C'eft un Animal un Tome III. R i3o JOURNAL HISTORIQUE l?1 lt peu moins haut que l'Orignal, qui tient plus de l'Aine, que du Sj Mulet pour la figure , & qui égale pour le moins le Cerf en rs* agilité. Il y a quelques années , qu'il en parut un fur le Cap aux Diamans , au-deffus de Québec ; il fuyoit apparemment des Chafleurs , mais il s'apperçut bientôt qu'il n'étoit pas en lieu fur , & il ne fit prefqu'un faut de-là dans le Fleuve. C'eff. tout ce qu'auroit pu faire un Chamois dans les Alpes. Il paiîa enfuite le Fleuve à la nage avec la même célérité , mais îi n'y gagna rien. Des Canadiens , qui alloient en Guerre, & qui étoient campés vers la Pointe de Levi , l'ayant apperçu , l'at- tendirent à l'on débarquement , & le tuèrent. On eftime fort la Langue de cet Animai , dont le vrai Pays paroît être aux environs de la Baye d'Hudfon. Le fieur Jéremie , qui a palïé plufieurs années dans ces Quartiers Septentrionnaux , dit qu'entre la Rivière Danoife & le Port Nelfon pendant tout l'Eté il en paffe des quantités prodigieufes , qui , chafi.es des Bois par les Maringoins & les Tons 3 viennent fe rafraîchir au bord de la Mer , & que dans l'efpace de quarante ou de cinquante lieues on en rencontre continuellement des Trou- peaux de dix mille au moins. Il paroît que le Caribou n'a jamais beaucoup peuplé dans les lieux les plus fréquentés du Canada ; mais les Orignaux y étoient par-tout à foifon, lorfque nous découvrîmes ce Pays ; & ils pouvoient faire un objet pour le Commerce , Se une douceur pour la Vie , fi on les avoit mieux ménagés. C'eft ce qu'on n'a point fait ; & foit qu'à force d'en tuer , on en ait apauvri l'efpece ; foit qu'en les effarouchant , on les ait obligés de fe retirer ailleurs , rien n'eft plus rare aujourd'hui. De ïa charte Dans les Quartiers Méridionnaux & Occidentaux de la du Bœuf. Nouvelle France , en deçà & au-delà du Micifîipi , la ChafTe la plus célèbre efi celle du Bœuf, & voici de quelle manière elle fe fait. Les Chaffeurs fe rangent fur quatre Lignes , qui forment un très-grand Quarré , & commencent par mettre le feu aux Herbes , qui font féches alors , & fort hautes ; puis , à mefure que le feu gagne , ils avancent en fe referrant. Les Bœufs , qui craignent extrêmement le feu , fuyent toujours , & fe trouvent à la fin fi ferrés les uns contre les autres , qu'on les tuë ordinairement jufqu'au dernier. On prétend qu'il ne revient jamais un Parti de ChafTe , qui n'ait ainfi jette par xerre quinze cens ou deux mille Bœufs. Mais de peur que les D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VIL 131 différentes bandes de Chaffeurs nefenuifent les uns aux au- — ; — * très , tous conviennent auparavant de leur Marche , & du " Lieu, où ils chafferont. Il y a même des Peines ftatuées contre Mars. les Tranfgreffeurs de ce Règlement , auffi-bien que contre ceux , qui en quittant leur Polie , donnent moyen aux Bœufs d'échaper. Ces Peines confident en ce que chaque Particu- lier a droit de dépouiller les Coupables , de leur ôter jufqu'à leurs Armes , ce qui eft le plus grand affront, qu'on puiffe faire à un Sauvage _, & de brifer leurs Cabannes. Les Chefs y font fournis comme les autres ; & qui entreprendroit de les y fouf- traire , s'expoferoit , dit-on , à fufciter une Guerre , qui ne finirait pas htôt. Le Bœuf du Canada eft plus grand que le nôtre. Il a les Defcription Cornes baffes , noires , & courtes ; une grande Barbe de crin 4? Bœuf Sau- fous le Mufeau , & autant fur la Tête , d'où elle lui tombe fur va^ les Yeux , ce qui lui donne un air hideux. Il a fur le Dos une Boffe , qui commence fur les Hanches , & va en aug- mentant jufques fur les Epaules. La première Côte de devant eft plus haute d'une coudée , que les autres au-deffus du Dos , & large de trois Doits , & toute la Boffe eft couverte d'un Poil un peu rouffàtre & fort long ; le refte du Corps l'eft d'une Laine noire , qui eft fSrt eftimée. On affûre que la dépouille d'un Bœuf eft de huit livres de Laine. Cet Animal a le Poi- trail fort large , la Croupe affez fine , la Queue fort courte , & on ne lui voit prefque point de Cou; mais fa Tête eft plus groffe que celle des nôtres. Il fuit ordinairement, dès qu'il ap- perçoit quelqu'un , & il ne faut qu'un Chien , pour faire pren- dre le galop à un Troupeau entier. Il a l'odorat fin , & pour l'approcher , fans qu'il s'enapperçoive , d'affez près pour le tirer , il faut prendre le deffous du Vent. Mais quand il eft bleffé , il eft furieux & fe retourne fur les Chaffeurs. Il n'eft pas beaucoup plus traitable , quand les Vaches ont des Veaux nouvellement nés. Sa Chair eft bonne , mais on ne mange guéres que celle des Vaches , parce que celle des Taureaux eft trop dure. Quant à fa Peau , on nen connoît guéres de meil- leure, elle fe paffe aifément , & quoique très-forte, elle de-, vient fouple & moëleufe comme lejneilleur Chamois. Les Sauvages en font des Boucliers , qui fout très-légers , & que les Baies de Fufil ne percent pas aifément. On trouve aux environs de la Baye d'Hudfon un autre Du Bœof R ij M*/2«/. i3i JOURNAL HISTORIQUE i 7 2 i . Bœuf, dont le Cuir & la Laine ont les mêmes avantages que Mars, ceux des Bœufs , dont je viens de parler. Voici ce qu'en dit » M. Jeremie : » A quinze lieues de la Rivière Danoife fe » trouve la Rivière du Loup Marin , parce qu'effe£tivement il y » en a beaucoup dans cet endroit. Entre ces deux Rivières , il » y aune efpece de Bœufs , que nous nommons Bœufs mufcjués, » à caufe qu'ils fentent fi fort le Mufc , que dans certaine Saifon, » il eft impomble d'en manger. Ces Animaux ont de très-belle » Laine ; elle eft plus longue , que celle des Moutons de Bar- » barie. J'en avois apporté en France en 1708. dont je m'étois » fait faire des Bas , qui étoient plus beaux que des Bas de » Soye. . . . Ces Bœufs , quoique plus petits que les nôtres , » ont cependant les Cornes beaucoup plus greffes & plus lon- » gués. Leurs Racines fe joignent fur le haut de la Tête , & def- » cendent à côté des Yeux prefqu'aufîi bas que la gueule ; en- » fuite le bout remonte en haut , qui forme comme un CroifTant. » Il y en a de fi grofles , que j'en ai vu étant féparées du Crâne , ,> qui pefoient les deux enlemble foixante livres. Us ont les Jam- » bes fort courtes , de manière que cette Laine traîne toujours „ par terre , lorfqu'ils marchent ; ce qui les rend fi difformes , >} que l'on a peine à diftinguer d'un peu lojn , de quel côté eft la Tête. Il n'y a pas une grande quantité de ces Animaux , ce t> qui feroit que les Sauvages les auroient bientôt détruits , fî on en faifoit faire la Chaffe. Joint à ce que , comme ils ont les jambes très-courtes , on les tuë , lorfqu'il y a bien de la Nei- ge , à coups de Lances , fans qu'ils puiffent fuir. Le Quadrupède le plus commun aujourd'hui en Canada, eft le Chevreuil , lequel ne diffère en rien des nôtres. On dit qu'il jette des larmes , lorfqu'il fe voit pouffé à bout par les Chaf- feurs. Quand il eft jeune , fon Poil eft rayé de plufieurs cou- leurs en long : dans la fuite ce Poil tombe , & il en revient un autre , qui eft de la couleur des Chevreuils ordinaires. Cet Animal n'eft point farouche , & s'apprivoife aifément ; il pa- roît naturellement ami de l'Homme. Une Femelle devenue domeftique fe retire dans le Bois , quand elle eft en chaleur , & dès qu'elle a été couverte , elle revient au Logis de fon Maî- tre. Lorfque le tems eft venu de mettre bas , elle retourne dans le Bois , & y demeure quelques jours avec fes Petits , puis elle revient fe montrer à fon Maître : elle vifîte afliduë'ment Ces Petits. On la fuit , quand on le juge à propos , on prend fes Du Chevreuil. D'UN VOYAGE DE L'A ME RI Q. Let. VII. 133 Nourriffons , & elle continue de les nourrir dans la Maifori. Il ' eft affez étonnant que toutes nos Habitations n'en ayent pas J 7 2 J • desTroupeaux entiers : les Sauvages ne leur donnentla chaffe, Mars, que par occafîon. Il y a aufli dans les Bois du Canada beaucoup de Loups , Des Loi] ou plutôt de Chafs fervïers ; car ils n'ont du Loup , qu'une ef- Servira &°d« pece de hurlement ; en tout le refte , ils font , dit M. Sarrafîn , RenarJs- ex génère felino. Ce font de vrais ChafTeurs , qui ne vivent que des Animaux , qu'ils peuvent attraper , & qu'ils pourfuivent jufqu'à la cime des plus grands Arbres. Leur Chair eft blan- che , & bonne à manger. Leur Poil & leurs Peaux font fort connus en France : c'eft une des plus belles fourures de ce Pays , & qui entre le plus dans le Commerce. On eftime en- core plus celle de certains Renards noirs , qui font dans les Montagnes du Nord. J'ai cependant oui dire que les Renards noirs de Mofcovie , & ceux du Nord de l'Europe , font plus eftimés. D'ailleurs ils font ici fort rares , apparemment à caufe de la difficulté de les avoir. Il y en a de plus communs , dont les uns ont le Poil noir ou gris , mêlé de blanc ; les autres font tout gris , d'autres d'un rouge tirant fur le roux. On en trouve , en remontant le Mi- ciffipi , d'une grande beauté , dont le Poil eft argenté. On y rencontre auffi des Tygres & des Loups plus petits 3 que les nôtres. Les Renards donnent la chaffe aux Oifeaux de Rivière d'une manière fort ingénieufe. Ils s'avancent un peu dans l'Eau , puis fe retirent , & font cent cabrioles fur le Rivage. Les Canards , les Outardes , & d'autres Oifeaux femblables , que ce jeu divertit , s'approchent du Renard ; quand il les voit à fa portée , il fe tient fort tranquile d'abord , pour ne les point effaroucher , il remue feulement fa Queue , comme pour les attirer de plus près , & ces fots Animaux donnent dans le piège , jufqu'à becquetter cette Queue. Alors le Renard faute deffus , & manque rarement fon coup. On a dreffé des Chiens au même manège avec affez de fuccèi* , Se ces mêmes Chiens font rudement Ta Guerre aux Renards. Une forte de Fouine , qu'on a nommée Enfant du Diable 3 De ce qu'on ou Bête Puante 3 parce que fon Urine , qu'elle lâche , quand aP?e!le ,!a roe- elle eft pourfuivie , empefte l'Air à un demi-quart de lieuë à nuc PdiecïlKa la ronde , eft d'ailleurs un fort joli Animal. Elle eft de la grandeur d'un petit Chat , mais plus groffe , d'un Poil luifant , i34 JOURNAL HISTORIQUE ~ tirant fur le gris , avec deux lignes blanches , qui lui forment 1 7 2 * • fur le Dos une figure ovale depuis le Col jufqu'à la Queue. Mars. Cette Queue eft touffue , comme celle du Renard , & elle la redreffe comme fait l'Ecureuil. Sa Fourure comme celle des Pékans, autres Chats Sauvages à peu près de la grandeur des nôtres , des Loutres , des Fouines ordinaires , des Pitois , du Rat de Bois , de l'Hermine , des Martres , font ce qu'on ap- pelle la Menue Pelleterie. L'Hermine eft de la groffeur de nos Ecureuils , mais un peu moins allongée ; fon Poil eft d'un très -beau blanc, & elle a une longue Queue, dont l'extrémité eft d'un noir de Jay. Nos Martres font moins rou- ges , que celles de France , & ont le Poil plus fin. Elles fe tiennent ordinairement au milieu des Bois , d'où elles ne for- tent que tous les deux ou trois ans , mais elles en fortent tou- jours en grandes Troupes. Les Sauvages font perfuadés que l'année , où ils les voyent fortir , fera bonne pour la Chaffe ; c'eft-à-dire , qu'il négera beaucoup. Les Peaux de Martres fe vendent ici actuellement un Ecu Pièce , j'entends les commu- nes, car celles, qui font brunes, vont jufqu'à vint -quatre francs & plus. Le Pitoi ne diffère de la Fouine , qu'en ce qu'il a le Poil plus noir , plus long & plus épais. Ces deux Animaux font la Guerre aux Oifeaux , même aux plus gros , & font de grands ravages dans les Poulaillers & dans les Colombiers. Le Rat de Bois eft deux fois de la groffeur des nôtres. Il a la Queue velue , & fon Poil eft d'un très-beau gris argenté. On en voit mêmes , qui font tout blancs , & d'un très-beau blanc. La Femelle a fous le Ventre une Bourfe , qui s'ouvre & fe ferme , quand elle veut : elle y met fes Petits , quand elle eft pourfuivie , & fe fauve avec eux. Pour ce qui eft des Ecureuils 3 on les laiffe affez en repos , auffi y en a-t'il en ce Pays un nombre prodigieux. On en dif- tingue de trois efpeces ; les rouges , qui ne différent point des nôtres ; les Suiffes 3 qui font un peu plus petits , & qu'on a ainfi nommés , parce que leur Poil eft rayé en longueur de rouge , de blanc & de noir , à peu près comme les Suiffes de la Garde du Pape ; & les Ecureuils Volans % à peu près de la même taille que les Suiffes , & qui ont le Poil d'un gjris obf- cur. On les appelle Volans 3 non pas qu'ils volent véritable- ment , mais parce qu'ils fautent d'un Arbre à l'autre , l'efpace D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VII. 135 de quarante pas au moins. De haut en bas , leur faut pourroit I72I être du double. Ce qui leur donne cette facilité de fauter , *, ce font deux Peaux , qu'ils ont des deux côtés , entre les Pattes Marù- de derrière , & celles de devant , & qui s'étendent de la lar- geur de deux pouces. Elles font fort minces , &ne font cou- vertes que d'un Poil folet. Ce petit Animal s'apprivoife faci- lement; il eft fort vif, quand il ne dort point; mais il dort fouvent , & par-tout , où il peut fe fourrer,; dans les Poches , dans les Manches , dans les Manchons. Il s'attache d'abord à fon Maître , & le diftingue parmi vint Perfonnes. Le Porc Epy du Canada eft de la grofTeur d'un moyen Chien , mais plus court , & moins haut. Son Poil , d'environ quatre pouces de longueur, eft gros comme une Paille des plus minces , blanc , creux , & très-fort , particulièrement fur le Dos. C'eft fon Arme , & elle eft offenftve & deffenfïve. Il le lance d'abord fur ceux , qui attentent à fa Vie , & pour peu qu'il entre dans la Chair , il faut l'en retirer à l'inftant , linon , il s'y enfonce tout entier. C'eft pour cette raifon , qu'on eft fort attentif à empêcher les Chiens d'approcher de ces Animaux , dont la Chair eft bonne à manger. Un Porc- Epy à la Broche , vaut bien un Cochon de Lait. Les Lièvres &: les Lapins font ici comme en Europe , ex- cepté qu'ils ont les Jambes de derrière plus longues. Leurs Peaux ne font pas d'un grand ufage , parce qu'ils muent con- tinuellement : c'eft dommage , car leur Poil eft très-fin , & ne gâteroient rien dans la Fabrique des Chapeaux. L'Hyver , ces Animaux grifonnent , & fortent rarement de leurs Tan- nieres , où ils vivent des plus jeunes Branches du Bouleau. L'Eté , ils ont le Poil roux. Les Renards leur font une cruelle guerre en toute Saifon , & les Sauvages les prennent en Hy- ver, fur laNége avec des Collets , quand ils vont chercher des Vivres. J'ai l'honneur d'être , &c. I72I. Mars. 136 JOURNAL HISTORIQUE HUITIEME LETTRE. Defcription du Pays entre le Lac Saint Pierre & Montréal: En quoi il diffère de celui de Québec. Defcription de Vlfle & de la Ville de Montréal 3 & des Environs. De la Pêche du Loup Marin 3 de la Vache Marine 3 du Marfouin 3 & des Baleines. M A Montréal, ce vintiéme de Mars, 172 ADAME Des llles de Richelieu. Je partis le treizième de Saint François , & le lendemain j'arrivai en cette Ville. Je n'ai pas eu dans ce Trajet, qui eft d'environ vint lieues , le plaifir , que j'avois eu autrefois en faifant la même route en Canot , par le plus beau tems du Monde , de voir s'ouvrir devant moi , à mefure que j'avan- çois , des Canaux à perte de vue , entre ce prodigieux nom- bre d'Ifles , qui de loin , ne fembloient faire qu'une même Terre avec le Continent , & arrêter le Fleuve dans fa çourfe : Ces agréablesPoints de vue, qui changeoient à chaque inftant , comme des Décorations de Théâtre , & qu on croiroit avoir été ménagées exprès pour récréer les Paffans : mais je ne laif- fai pas d'en être un peu dédommagé d'abord parla fingula- rite du fpe£tacle d'un Archipel devenu en quelque façon un Continent , & par la commodité de fe promener en Carriole fur des Canaux entre des Ifles , qui paroiffent avoir été plan- tées à la ligne, comme des Orangers. „- j Pour le coup d'œil, il n'eft pas beau dans cette Saifon. D:fiereHCedu ,ni-n tji ' i o Pays de Que- Rien n eft plus tnlte , que ce blanc répandu par-tout , oc qui bec & de celui prencl la place de cette belle variété de couleurs , le plus ic Montrea " grand agrément des Campagnes ; que des Arbres , qui paroif- iënt plantés dans la Nége , & ne préfentent aux yeux , que des Têtes chenues , & des Branches chargées de Glaçons. Au relie , Madame , le Lac de Saint Pierre eft ici ce qu'en: la Ri- vière de Loire en France. Du coté de Québec , les Terres font bonnes , D'UN VOYAGEDEL'AMËRIQ.Let. VIII. i37__ bonnes , mais on n'y voit ordinairement rien , qui puifie ré- 1 7 2. 1 . créer la vue : d'ailleurs le Climat y eft fort rude ; car plus on Mars defcend le Fleuve , & plus on avance au Nord , plus par conféquent le froid eft piquant. Québec eft par les quarante- fept Degrés cinquante-iix Minutes d'Elévation du Pôle ; les Trois Rivières par les quarante-fix Dégrés & quelques Minu- tes , & Montréal entre les quarante-quatre & les quarante- cinq , le Fleuve , au-deflus du Lac de Saint Pierre , faifant un Coude au Sud. Il femble donc , loifqu'on a paffé les Ifles de Richelieu , qu'on foit tout-à-coup tranfporté fous un au- tre Climat. L'Air eft plus doux , le Terrein plus uni , le Fleuve plus beau : fes Bords ont je ne fçai quoi de plus riant. On y rencontre de tems en tems des Ifles , dont quelques-unes foiit habitées , les autres , dans leur état naturel , offrent aux yeux les plus beaux Payfages du Monde : en un mot , c'eft la Tou- raine & la Limagne d'Auvergne comparées avec le Maine & la Normandie. L'Ifle de Montréal , qui eft comme le Centre de ce beau Defcriptiou Pays , a dix lieues de long , de l'Eft à FOueft , & près de qua- de nfle de tre lieues dans fa plus grande largeur. La Montagne , d'où elle Montiea ■ tire fon nom , & qui a deux Tètes , de hauteur inégale , eft prefque dans le milieu de la longueur de FIfle , mais elle n'eft qu'à une demie lieuë de la Côte Méridionnale , fur laquelle on a bâti la Ville. Cette Ville a été nommée Ville-Marie par fes Fondateurs , mais ce nom n'a pu paffer dans l'ufage ordi- naire, il n'a lieu, que dans les A&es publics, & parmi les Seigneurs , qui en font fort jaloux. Ces Seigneurs , qui ont le Domaine, non -feulement de la Ville , mais encore de toute FIfle , font Meilleurs du Séminaire de Saint Sulpice ; & comme prefque toutes les Terres y font très-bonnes , & en valeur , Se que la Ville n'eft guéres moins peuplée , que celle de Québec , on peut affûrer que cette Seigneurie vaut du moins une demie douzaine des meilleures du Canada. C'eft le fruit du travail & de la bonne conduite des Seigneurs de cette Ifle , & certainement vint Particuliers , entre lef- quels on l'auroit partagée , ne l'auroient pas mife dans l'Etat , où nous la voyons , & n'y rendroient pas les Peuples auffi. heureux. La Ville de Montréal a un afpecl: fort riant ; elle eft bien Dcfcriptio» iituée, bien percée, & bien bâtie. L'agrément de fes envi- deIa ville' Tome III. S I72L Mars. 138 JOURNAL HISTORIQUE rons & de Tes vues infpirent une certaine gayeté , dont tout le Monde fe reffent. Elle n'eft point fortifiée , une fimple Pa- liffade baftionnée , & affez mal entretenue , fait' toute fa dé- fenfo , avec une affez méchante Redoute fur un petit Tertre , qui fert de Boulevard , & va fe terminer en douce pente à une petite Place quarrée. Ceft ce qu'on rencontre d'abord en ar- rivant de Québec. Il n'y a pas même quarante ans , que la Ville êtoit toute ouverte , & tous les jours expofée à être brûlée par les Sauvages , ou par les Anglois. Ce fut le Che- valier de Callieres , Frère du Plénipotentiaire de Rifwick , qui la fit fermer , tandis qu'il en étoit Gouverneur. On pro- jette depuis quelques années de l'environner de Murailles fa), mais il ne fera pas aifé d'engager les Habitans à y contribuer. Ils font Braves & ils ne font pas riches : on les a déjà trouvé difrlcilesa perfuader de la néceffité de cette dépenfe , & fort convaincus que leur valeur eft plus que fuflifante pour défen- dre leur Ville contre quiconque oferoit l'attaquer. Nos Cana- diens ont tous , fur cet article , affez bonne opinion d'eux-mê- mes , & il faut convenir qu'elle n'eft pas mal fondée ; mais par une fuite de la confiance , qu'elle leur infpire , il n'eft pas ii mal aifé de les furprendre , que de les vaincre. Montréal eft un quarré long , fîtué fur le bord du Fleuve , lequel s'élevant infenfiblement , partage la Ville dans fa lon- gueur en Haute & BafTe ; mais à peine s'apperçoit-on que l'on monte de l'une à l'autre. L'Hôtel-Dieu , les Magafins du Roi & la Place d'Armes , font dans la BafTe Ville ; c'eft aufli le Quartier de prefque tous les Marchands. Le Séminaire & la Paroiffe , les Récollets , les Jéfuites , les Filles de la Congré- gation , le Gouverneur & la plupart des Officiers font dans la Haute. Au-delà d'un petit Ruiffeau , qui vient duNord-Oueft, & borne la Ville de ce côté-là , on trouve quelques Maifons , & l'Hôpital Général ; & en prenant fur la droite au-delà des Récollets , dont le Couvent eft à l'extrémité de la Ville du même côté , il commence à fe former une efpece de Faux- bourg , qui avec le tems fera un tr^-beau Quartier. Les Jéfuites n'ont ici qu'une petite Maifon; mais leur Eglife qu'on achevé de couvrir , eft grande & bien bâtie. Le Cou- vent des Récollets eft plus vafte, & la Communauté plus nombreufe. Le Séminaire eft au centre de la Ville : il parok ' ( a ) Ce Projet eft ptéfentement exécute. I 7 2 i D'UN VOYAGE DE L'AMERÎQ. Let. VIÏÎ. 139 qu'on a eu plus en vue de le rendre folide & commode 3 que magnifique ; on ne laifTe pourtant pas de fentir que c'eft la Maifon Seigneuriale , elle communique avec l'Eglife Paroif- Mars. fiale , qui a bien plus l'air d'une Cathédrale , que celle de Québec. Le Service s'y fait avec une modeftie & une digni- té , qui infpirent du refpeft pour la Majefté du Dieu , qu'on j adore. La Maifon des Filles de la Congrégation , quoiqu'une des puis grandes de la Ville , eft encore trop petite pour loger une h nombreufe Communauté. C'eft le Chef d'Ordre & le No- viciat d'un Inftitut , qui doit être d'autant plus cher à la Nou- velle France , & à cette Ville en particulier , qu'il y a pris naiffance, & que toute la Colonie fe relient des avantages, que lui procure un fi bel Etabliffement. L'Hôtel-Dieu eft deffervi par des Religieufes , dont les premières ont été tirées de celui de la Flèche en Anjou. Elles font pauvres , cependant il n'y paroît ni à leur Sale , qui eft grande , bien meublée , & bien garnie de Lits ; ni à leur Eglife , qui eft belle & très-ornée ; ni à leur Maifon , qui eft bien bâtie , propre & commode ; mais elles font mal nourries , quoique toutes infatiguablement oc- cupées , ou de l'inftru&ion de la Jeuneffe , ou du foin des Ma- lades. L'Hôpital Général doit fon etabliflement à un Particulier, nommé Charron , qui s'étoit affocié pluiieurs perfonnes de pieté , non-feulement pour cette bonne œuvre , mais au/fi pour fournir les Paroiffes de la Campagne de Maîtres d'Ecole, qui fiffent pour les Garçons ce cjue les Sœurs de la Congréga- tion font pour les Filles : mais la Société fe diflipa bientôt ; des affaires furvenuë's aux uns , l'inconftance des autres , ré- duifirent le Sieur Charron à lui feul. Il ne fe découragea pour- tant point; il vuida fa bourfe , il eut le fecret de faire ouvrir celles de quelques perfonnes Puiffantes ; il a bâti , il a affemblé des Maîtres & des Hofpitaliers ; on s'eft fait un plaifir d'aider & d'autorifer un Homme , qui n'épargnoit , ni fon bien , ni fa peine , &: que rien ne rebutoit. Enfin , avant fa mort , qui arriva en 171 9 , il a eu la confolation de voir fon projet hors de tout rifque d'échouer , au moins cjuant à l'Hôpital Général. La Maifon eft belle , & l'Eglife fort jolie. Les Maîtres d'Ecole ne font pas encore bien établis dans les Paroiffes , & la défen- fe , qu'ils ont eue de la Cour , de prendre un Habit uniforme , Sij ï4o JOURNAL HISTORIQUE i 7 i i . & de s'engager par des Vœux (impies , pourra bien les em- Mars. pêcher de le perpétuer. De rme de Entre ™e de Montréal & la Terre Ferme , du côté du jefus, & de la Nord , il y a une autre Me d'environ huit lieues de long , & Rivière des - a kjen ^QUX \\qUqS dans fa plus grande largeur. Elle fut d'abord nommée VIfle de Montmagny , du nom d'un Gouver- neur Général du Canada : elle fut enfuite concédée aux Jé- fuites, qui l'appellerent rijlede Jefus , & elle a confervé ce dernier nom , quoiqu'elle ait paffé des mains des Jéfuites en celles de Meilleurs du Séminaire de Québec , qui ont com- mencé d'y mettre des Habitans ; & comme les Terres en font bonnes , il y a lieu d'efperer qu'elle fera bientôt toute défri- chée. Le sault aux Le Canal, qui fépare les deux Ides , porte le nom de Rivière Récollets. des Prairies , parce qu'elle coule au milieu de fort belles Prai- ries. Son Cours eft embarraffé vers le milieu par un Rapide, qu'on appelle le Saut au Récollet, en mémoire d'un Religieux de cet Ordre , qui s'y eft noyé. Les Ecciéfiaftiques du Sémi- naire de Montréal ont eu lontems affez près de-là une Miffion de Sauvages , qu'ils ont depuis peu transportée ailleurs. Le troifiéme Bras du Fleuve eft femé d'un nombre d'Ifles fî prodigieux , qu'il y a prefque autant de Terre que d'Eau. Ce Canal porte les noms de Milles- Mes ou de Rivière de Saint Jean. A la Tête de l'Hle de Jefus , eft la petite IJle Bi^ard, ainfi appellée du nom d'un Officier Suifle , à qui elle appartenoit , & qui eft mort Major de Montréal. Un peu plus haut vers le Sud , on trouve VIfle Perrot , ainfi nommée par M. Perrot , qui a été le premier Gouverneur de Montréal , & qui étoit le Père de Madame la Comteffe de la Roche-Allard , & de Mdela Préfidente de Lubert. Cette Ifle a prefque deux lieues en tout fens , & les Terres en font bonnes. On commence à la défricher. L'ïfle Bizard termine le Lac des deux Montagnes , & l'ïfle Perrot fépare ce même Lac de celui de Saint Louis. Le Lac des deux Montagnes eft proprement l'Embouchure de la grande Rivière , autrement appellée la Rivière des Ou- taouais dans le Fleuve Saint Laurent. Il a deux lieues de lon- gueur , & à peu près autant de largeur. Celui de Saint Louys eft un peu plus grand , ce n'eft encore qu'un élargîffement du Fleuve Saint Laurent. Jufqu a préfent , la Colonie Françoife n'alloit pas plus loin à l'Oueft ; mais on commence à faire de Des Envi tous de Mont D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. VIII. 141 nouvelles Habitations un peu plus haut,& les Terres font par- i 7 2 1 . tout excellentes. Mars. Ce qui a fait la fureté de Montréal & de tous fes Environs Du s.mlt s pendant les dernières Guerres , ce font deux Villages d'Iro- Louys. ' quois Chrétiens , & le fort de Chambly. Le premier des deux Villages , eft celui de Sault Saint Loiiis , fitué dans le Conti- nent du côté du Sud , trois lieues plus haut que la Ville de Montréal. Il eft fort peuplé , & a toujours été regardé comme une de nos plus fortes Barrières contre les Iroquois Idolâtres , qui a fait donner à ce Serpent le nom , qu'il porte. Sa morfure eft mortelle , 11 on n'y remédie fur le champ , mais la Providence y a pourvu. Dans tous les endroits , où fe rencontre ce dangereux Reptile , il croît une Plante , à la- quelle on a donné le nom & Herbe à Serpent à Sonnettes 3 & dont la Racine eft un Antidote fur contre le Venin de cet Ani- mal : il ne faut que la piler , ou la mâcher , & l'appliquer comme un Cataplafme fur la Playe. Cette Plante eft Délie & facile à reconnoître. Sa Tige ronde , un peu plus grolfe , qu'u- ne Plume d'Oye , s'élève à ia hauteur de trois ou quatre pieds , & fe termine par une Fleur jaune de la figure , & de la gran- deur d'une Marguerite fimple. Cette Fleur a une odeur très- douce. Les Feuilles de la Plante font ovales , étroites , foûte- nuës cinq à cinq en Patte de Poule-d'Inde , par un pédicule d'un pouce de long. Il eft rare que le Serpent à Sonnettes attaque les PaiTans , qui ne lui cherchent point noife : j'en ai eu un à mes Pieds , qui eut affûrément plus de peur , que moi , car je ne Tapper- çus , que quand il fuyoit. Mais fi on marche fur lui , on eft piqué d'abord , & fi on le pourfuit , pour peu qu'il ait le loifîr de fe reconnoître , il fe replie en rond , fa Tête au milieu , & s'élance d'une grande roidèur contre fon Ennemi. Les Sauva- ges ne biffent pas de lui donner la chaffe , & trouvent fa Chair très-bonne : j'ai même oui dire à des François ,. qui en avoient goûté , que ce n'étoit pas un mauvais manger. Mais c'étoit des Voyageurs, & ces Gens -là trouvent tout bon, parce qu'ils ont fbuvent faim. Du moins eft-il certain qu'elle ne fait point de mal. Je ne fçai , Madame , fi je dois entreprendre de vous parler D« fois & Canada». i6o JOURNAL HISTORIQUE ■ des Bois du Canada. Nous fommes au milieu des plus grandes 1 7 2 J • Forêts du Monde ; félon toutes les apparences , elles font Avril, auffi anciennes que le Monde même , & n'ont point été plan- tées de Mains d'Hommes : à la vue , rien n'eft plus magnifi- que , les Arbres fe perdent dans les Nues , & il y a une variété d'efpeces différentes fiprodigieufe., que parmi ceux mêmes, qui fe font le plus appliqués à les connoître , il n'eft peut-être perfonne , qui n'en ignore plus de la moitié. Quant à leur qualité , & à l'ufage , où on les peut employer , les fenti- mens font (i differens , & dans le Pays , ou nous fommes , & dans celui , où vous êtes , que je défefpere même d'être jamais en état de vous inftruire , autant que je le fouhaiterois , fur cet article. Au moins pour le préfent dois-je me borner à quel- ques obfervations fur ce que j'ai vu par moi-même , & fur ce que j'ai oui dire à Gens ," qui ont , & plus d'expérience » &: plus d'habileté que moi en cette matière. De? pins de ^e 'F* a d'abord le plus frappé mes yeux , en arrivant la dcu.; efpeces. première fois en ce Pays , ce font les Pins , les Sapins , & les Cèdres , qui font d'une groffeur & d'une hauteur furpre- nante. Il y a ici deux fortes de Pins , tous produifent une Réfïne fort propre à faire le Bray & le Godron. Les Pins Blancs , au moins quelques-uns , jettent aux extrémités les plus hautes une efpece de Champignon femblable à du Ton- dre , que les Habitans appellent Guarigue 3 & dont les Sau- vages fe fervent avec fuccès contre les Maux de Poitrine , & contre la Dyffenterie. Les Pins rouges font plus gourmeux & plus maflifs , mais ne viennent pas ii gros. Les Terroirs , qui produifent les uns & les autres , ne font pas les plus pro- pres à produire du Grain ; ils font ordinairement compofés de Gravier , de Sable , & de Terre-Glaife. Quatre ef- Il y a quatre efpeces de Sapin en Canada. La première ref- pcccsdeSapin. femble à la nôtre; les trois autres font l'Epinette blanche, l'Epinette rouge, & laPeruffe. La féconde & la quatrième s'élèvent fort haut , & font excellentes pour la Mâture , fur- tout l'Epinette blanche , dont on fait auffi de bonne Char- pente. Elle croît ordinairement dans des Terres humides & noires , mais qui étant defféchées , peuvent porter toutes for- tes de Grains. Son Ecorce eft unie & luifante , & il s'y forme de petites Veffies de la groffeur d'une Fève de Haricot , qui contient une efpece de Térébenthine fouveraine pour les Playes , D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. IX. igi Playes , qu'elle guérit en très-peu de tems , & même pour les « m - Frattures. On affûre qu'elle chaffe la Fièvre , & guérit les !72 !• Maux d'Eftomach & de Poitrine. La manière d'en ufer eft Avril, d'en mettre deux gouttes dans Un Bouillon. Elle a aufîi la 5ualité de purger. C'en: ce qu'on appelle à Paris le Baume Manc. L'Epinette rouge ne reffemble prefque en rien à l'Epinette blanche. Son Bois eft maffif , & peut être d'ufage pour la Conit.ru£t.ion & la Charpente. Les Terres , où elle croît ne font que Gravier Se Argile. La Peruffe eft gommeufe , mais elle ne jette pas affez de gomme , pour qu'on en puiffe faire ufage : Son Bois dure lontems en Terre fans fe pourrir , ce qui le rend très-propre à faire des Clôtures. Son Ecorce effc fort bonne pour les Tanneurs , & les Sauvages en font une Teinture , qui tire fur le Turquin. La plupart des Terres , où croît cet Arbre , font Argilleufes , j'en ai pourtant vu de très- gros dans des Terres Sablonneufes , mais peut-être que fous le Sable il y avoit de l'Argile. Les Cèdres font de deux fortes , blancs & rouges. Ceux-là Deux fortes font les plus gros : on en fait des Clôtures , & c'eft le Bois , de cédKS- qu'on employé plus ordinairement pour faire des Bardeaux , à caufe de fa légèreté. Il diftile une efpece d'Encens , mais il ne porte point de Fruits femblables à ceux du Mont Liban. Le Cèdre rouge eft plus petit, & moins gros à proportion. La différence la plus feniible , qui fe remarque entre l'un & l'autre , c'eft que toute l'odeur du Premier eft dans fes Feuil- les , & celle du Second dans le Bois ; mais celle-ci eft beau- coup plus agréable. Le Cèdre, au moins le blanc , ne vient que dans de très-bonnes Terres. Il y a par-tout en Canada des Chênes de deux fortes , dif- Des CK iene"î, tingués par les noms de Chênes Blancs , & de Chênes Rouges. J^s Nove« Les Premiers fe trouvent fou vent dans des Terres baffes , hu- Hêcr'es, &c. mides , fertiles , & propres à produire des Grains & des Lé- gumes. Les Rouges , dont le Bois eft moins eftimé , croiffent dans les Terres féches & Sablonneufes. L'un & l'autre portent du Gland. L'Erable eft aum* très-commun en Canada , & il y en a de fort gros , dont on fait d'affez beaux Meubles. Le Terroir , qui le produit , eft élevé , & le plus propre aux Ar- bres Fruitiers. On appelle ici Rhene l'Erable Femelle, dont 1$ Bois eft fort onde , mais plus pâle que le Mâle ; d'ailleurs , Tome III. X Avril. 161 JOURNAL HISTORIQUE ! y 2 1. il en a toute la figure & les propriétés ; mais il lui faut un Ter- roir humide & fertile. Le Mérifier , qui fe trouve pêle-mêle avec l'Erable , & avec le Bois Blanc , eft très-beau pour faire des Meubles ; il jette beaucoup plus d'Eau que l'Erable , mais elle efl amere , & le Sucre , qu'on en fait , ne perd jamais fon amertume. Les Sau- vages fe fervent de fon Ecorce contre certaines Maladies , qui furviennent aux Femmes. Il y a en Canada trois fortes de Frênes ; le Franc , le Metif & le Bâtard. Le Premier , qui vient parmi les Erables , eft propre pour la Charpente , & pour faire des Futailles deftinées aux Marchandifes féches. Le Second a les mêmes propriétés , & ne vient , non plus que le Bâtard , que dans des Terres baffes & fertiles. On compte auffi dans ce Pays trois efpeces de Noyers ; le Dur , le Tendre , & un Troifiéme , qui a l'Ecorce très-fine. Le Noyer Dur produit de très-petites Noix , bonnes à man- ger , mais difficiles à vuider. Son Bois n'eft bon qu'à brûler. Le Noyer Tendre a des Noix longues , & aufïi groffes que celles de France , mais les Coques en font très-dures. Les Cer- neaux en font excellens. Le Bois n'en efl pas fi beau que le nôtre ; mais en récompenfe il eft prefque incorruptible , & en Terre , & dans l'Eau , & difficile à confumer par le Feu. Le Troifiéme produit des Noix de la groffeur de celles du Premier, mais en plus grande quantité , ameres , & renfer- mées dans des Coques fort tendres : on en fait de très-bonne Huile. Cet Arbre produit de l'Eau plus fucrée que celle de l'Erable , mais en petite quantité. Il ne vient, non plus que le Noyer Tendre , que dans les meilleures Terres. Les Hêtres font ici fort abondans par Contrées : j'en ai vu fur des Coteaux fablonneux , & dans des Terres baffes très- fertiles. Ils portent beaucoup deFaynesr dont il feroit aifé de tirer de l'Huile. Les Ours en font leur principale nourri- ture , auffi-bien que les Perdrix. Le Bois en eft fort tendre, & bon à faire des Rames pour les Chaloupes : mais les Avi- rons de Canots fe font de Bois d'Erable. Le Bois Blanc , qui croît parmi les Erables & les Mérifiers , eft très-abondant. Ces Arbres viennent fort gros , Se droits ; on en peut faire des Planches & des Madriers , & même des Futailles pour les Marchandifes féches. Il eft doux , & fort aifé à mettre en œu- vre. Les Sauvages en lèvent les Ecorces pour couvrir leurs Cabannes, D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. IX. toutes chofes égales d'ailleurs , la gelée eft plus rude , quand le Ciel eft pur ,, & que le Soleil a raréfié l'Air. De la pèche L'Hyver paffé , la Pêche & la Chaffe fourniffent abondâm- es Anguilles. ment dequoi vivre à ceux , qui veulent s'en donner la peine '9 outre les Poiffons & le Gibier , dont je vous ai déjà parlé , le Fleuve Saint Laurent & les Forêts fourniffent aux Habitans deux fortes de Manne , qui leur font d'une grande reffource. Depuis Québec jufqu'aux Trois Rivières , on pêche dans le Fleuve une quantité prodigieufe de groffes Anguilles , qui def- cendent , à ce qu'on prétend , du Lac Ontario , où elles pren- nent naiffance dans des Marais , qui font au bord de ce Lac du côté du Nord, & comme elles rencontrent, ainfi que je l'ai déjà remarqué , des Marfouins blancs , qui leur donnent la Chaffe, la plupart veulent retourner fur leurs pas , & c'eft ce qui eft caufe qu'on en prend un fi grand nombre. Voici de quelle ma- nière fe fait cette Pêche. Dans l'étendue du Terrein , que couvre la haute Marée , & qu'elle laiffe à fec en fe retirant , on difpofe des Coffres de di~ ftance en diftance , & on les appuyé contre une Paliffade de Clayes d'Ofier,qui ne laiffe aucun paffage libre aux Anguilles. De grands Eperviers de même matière & de même ftru&ure font enchâffés par le bout le plus étroit dans ces Coffres , & l'autre extrémité , qui eft fort large , eft adoffée contre les Clayes, fur lefquelles on met par intervalle des Bouquets de verdure. Lorfque le tout eft couvert par la Marée , les An- guilles , qui cherchent toujours les bords , & que la verdure attire , fe trouvent en grand nombre le long de la Paliffade , entrent dans les Eperviers , qui les conduifent dans les Pri- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. X. i7x fons, qu'on leur a préparées ; & fouvent d'une feule Marée les ' Coffres s'en trouvent remplis. ' Ces Anguilles font plus groffes , que les nôtres , & rendent Avril* beaucoup d'Huile. J'ai déjà obfervé qu'à quelque Sauffe , qu'on les mette , elles confervent toujours un goût fauvage , auquel on ne s'accoutume pas fans peine. C'eft. peut-être la faute de nos Cuisiniers. Leurs Arrêtes fe terminent toutes en pointe un peu recourbée , ce que je ne me fouviens pas d'a- voir jamais vu dans celles de France. La meilleure manière d'aprêter ce Poiffon , eft. de le fufpendre dans la Cheminée , & de l'y laifTer cuire lentement dans fa Peau. Cette Peau fe levé d'elle-même , & toute l'Huile s'écoule. Comme on en fait de grandes provisions pendant trois mois , que dure cette Pêche , on les fale , & on les met en Barriques , comme les Harengs. L'autre Manne , dont j'ai parlé , eft une efpece de Ramiers , D„ paflage qui pafTent ici dans les mois de Mai & de Juin : on dit qu'au- des Tourtes.0 trefois ils obfcurcifToient l'Air par leur multitude ; mais ce n'eft plus la même chofe aujourd'hui. Il en vient encore néan- moins jufqu'aux environs des Villes un alTez grand nombre fe repofer fur les Arbres. On les appelle communément Tour- tes , & ils différent en effet des Ramiers , des Tourterelles & des Pigeons d'Europe, afTezpour en faire une quatrième ef- pece. Us font plus petits que nos plus gros Pigeons , dont ils ont les Yeux , & les Nuances de la Gorge. Leur Plumage eft. d'un brun obfcur , à l'exception des Ailes , où il y a des Plu- - me« d'un très-beau bleu. On diroit que ces Oifeaux ne cherchent qu'à fe faire tuer; car s'il y a quelque Branche féche à un Arbre , c'eft: celle-là , qu'ils choififfent pour s'y percher , & ils s'y rangent de ma- nière , que le plus mal-adroit Tireur en peut abbatre une de- mie douzaine au moins d'un feul coup de Fufîl. On a auflï trouvé le moyen d'en prendre beaucoup en vie : on les nour- rit jufqu'aux premières Gelées ; alors on leur coupe la Gorge , & on les jette au Grenier , où ils fe confervent tout l'Hyver. Il s'enfuit de-là , Madame , que tout le Monde a ici le né- HeureufeCon- ceffaire pour vivre: on y paye peu au Roi; l'Habitant ne ditiondësHa., connoît point la Taille ; il a du Pain à bon marché ; la Viande £*&£ du Ca" & le Poiffon n'y font pas chers ; mais le Vin , les Etoffes , & tout ce qu'il faut faire venir de France , y coûtent beaucoup, Y ij i7i JOURNAL HISTORIQUE 1721. Les plus à plaindre font les Gentilshommes , & les Officiers , a m qui n'ont que leurs Appointemerrs , ôc qui font chargés de Familles. Les Femmes n'apportent ordinairement pour Dot à leurs Maris que beaucoup d'efprit , d'amitié , d'agrémens , & une grande fécondité ; mais Dieu répand fur les Mariages dans ce Pays la bénédiction , qu'il répandoit fur ceux des Pa- triarches : il faudroit pour faire fubfifter de fi nombreufes Fa- milles , qu'on y menât aum* la vie des Patriarches ; mais le tems en eft paffé. Il y a dans la Nouvelle France plus de No- blefle , que dans toutes les autres Colonies enfemble. Le Roi y entretient encore vint-huit Compagnies des Troupes de la Marine , & trois Etats-Majors. Plufieurs Familles y ont été annoblies , & il y eft refté plufieurs Officiers du Régiment de Carignan-Salieres , ce qui a peuplé le Pays de Gentilshom- mes , dont la plupart ne font pas à leur aife. Ils y feroient en- core moins , fi le Commerce ne leur étoit pas permis , & fi la Chaffe & la Pêche n'étoient pas ici de droit commun. riufieurs ne Après tout , c'eft un peu leur faute , s'ils fouffrent de la di- ^oS.paSCn fette: la Terre eft bonne prefque par-tout, & l'Agriculture ne fait point déroger. Combien de Gentilshommes dans tou- tes les Provinces envieroient le fort des fimples Habitans du Canada, s'ils le connoiffoient ? Et ceux, qui languiffent ici dans une honteufe indigence , font-ils excufables de ne pas embraffer une Profeffion , que la feule corruption des mœurs y & des plus faines maximes a dégradée de fon ancienne no- bleffe ? Nous ne connoiffons point au Monde de Climat plus fain , que celui-ci : il n'y règne aucune Maladie particulière , les Campagnes & les Bois y font remplis de Simples merveil- leux , & les Arbres y diftilent des Baumes d'une grande vertu. Ces avantages devroient bien au moins y retenir ceux , que la Providence y a fait naître ; mais la légèreté , l'averfiort d'un travail affidu & réglé , & l'efprit d'indépendance en ont toujours fait fortir un grand nombre de jeunes Gens , & ont empêché la Colonie de fe peupler. Bonnes & Ce font-là , Madame , les défauts , qu'on reproche le plus, fflauvaifesema* g^ avec pjus je fondement aux François Canadiens. C'eft lues des Créo- — . ï. _ ,. 1» • •> r • les du Canada. aum ce»UI des Sauvages. On diroit que lair, quon relpire dans ce vafte Continent , y contribué' , mais l'exemple & la- fréquentation de fes Habitans naturels , qui mettent tout leur bonheur dans la liberté 6k l'indépendance , font plus que fufîU D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let* X. i73 fans pour former ce cara£tere. On accufe encore nos Créoles d une grande avidité pour amaffer , & ils font véritablement l 7 2 I ' pour cela des chofes , qu'on ne peut croire , û on ne les a Avril. point vues. Les courfes , qu'ils entreprennent ; les fatigues , qu'ils effrayent ; les dangers , à quoi ils s'expofent ; les efforts , qu'ils font , paflent tout ce qu'on peut imaginer. Il eft cepen- dant peu d'Hommes moins intéreffés , qui diflipent avec plus de facilité ce qui leur a coûté tant de peines à acquérir , & qui témoignent moins de regret de l'avoir perdu. Auffi n'y a-t'il aucun lieu de douter qu'ils n'entreprennent ordinaire- ment par goût ces courfes fi pénibles & fi dangereufes. Ils ai- ment à refpirer le grand air , ils fe font accoutumés de bonne heure à mener une vie errante ; elle a pour eux des charmes , qui leur font oublier les périls & les fatigues paffés , & ils mettent leur gloire à les affronter de nouveau. Ils ont beau- coup d'efprit , fur-tout les Perfonnes du Sexe , qui l'ont fort brillant , aifé , ferme , fécond en reffources , courageux , & capable de conduire les plus grandes affaires. Vous en avez connu , Madame , plus d'une de ce cara&ere , & vous m'en avez témoigné plus d'une fois votre étonnement. Je puis vous afTûrer qu'elles font ici le plus grand nombre , & qu'on les trouve telles dans toutes les conditions. Je ne fçai fi je dois mettre parmi les défauts de nos Ca- nadiens la bonne opinion, qu'ils ont d'eux-mêmes. Il eft cer- tain du moins qu'elle leur inlpire une confiance , qui leur fait entreprendre & exécuter , ce qui ne paroîtroit pas pofîible à beaucoup d'autres. Il faut convenir d'ailleurs qu'ils ont d'ex- cellentes qualités. Nous n'avons point dans le Royaume de Province , où le Sang foit communément fi beau , la Taille plus avantageufe , & le Corps mieux proportionné. La force du Tempéramment n'y répond pas toujours , & fî les Cana- diens vivent lontems , ils Font vieux & ufés de bonne heure. Ce n'eft pas même uniquement leur faute ; c'eft auffi celle des Parens , qui , pour la plupart, ne veillent pas afïez fur leurs Enfans , pour les empêcher de ruiner leur famé dans un âge, où , quand elle fe ruine , c'eft fans reffource. Leur agilité & leur adreiïe font fans égales : les Sauvages les plus habiles ne conduifent pas mieux leurs Canots dans les Rapides les plus dangereux , & ne tirent pas plus jufte. Bien des Gens Font perfuadés qu'ils ne font pas propres aux i74 JOURNAL HISTORIQUE ■ " — ""- Sciences , qui demandent beaucoup d'application , & une étu- 1 7 2 1 ' de fuivie. Je ne fçaurois vous dire fi ce préjugé eft bien ou Avril, niai fondé ; car nous n'avons pas encore eu de Canadien , qui ait entrepris de le combattre , il ne l'eft peut-être que fur la diffipation , dans laquelle on les élevé. Mais perfonne ne peut leur contefter un génie rare pour les Méchaniques ; ils n'ont prefque pas befoin de Maîtres pour y exceller , & on en voit tous les jours , qui réufliffent dans tous les Métiers , fans en avoir fait d'apprentiffage. Quelques-uns les taxent d'ingratitude , ils m'ont néanmoins paru avoir le cœur affez bon ; mais leur légèreté naturelle les empêche fouvent de faire attention aux devoirs , qu'exige la reconnoiffance. On prétend qu'ils font mauvais Valets ; c'eft qu'ils ont le cœur trop haut , & qu'ils aiment trop leur liberté , pour vouloir s'affujettir à fervir. D'ailleurs ils font fort bons Maîtres. C'efl le contraire de ce qu'on dit de ceux, dont la plu- part tirent leur origine . Us feroient des hommes parfaits, fi avec leurs vertus ils avoient confervé celles de leurs Ancêtres. On s'eft plaint quelquefois qu'ils ne font pas Amis conftans : il s'en faut bien que cela foit général , & dans ceux , qui ont donné lieu à cette plainte , cela vient de ce qu'ils ne font pas accou- tumés à fe gêner , même pour leurs propres affaires. S'ils ne font pas ailés à difcipliner , cela part du même principe , ou de ce qu'ils ont une difcipline , qui leur eft propre , & qu'ils croyent meilleure pour faire la Guerre aux Sauvages ; en quoi ils n'ont pas tout-à-fait tort. D'ailleurs il femble qu'ils ne font pas les maîtres d'une certaine impétuoiité , qui les rend plus propres à un coup de main , ou à une expédition brufque , qu'aux opérations régulières & fuivies d'une Campagne. On a encore obfervé que parmi un très-grand nombre de Braves , qui fe font diftingués dans les dernières Guerres , il s'en eft trouvé affez peu , qui euffent le talent de commander. C'en: peut-être , parce qu'ils n'avoient pas affez appris à obéir. Il eft vrai que, quand ils font bien menés , il n'eft rien , dont ils- ne viennent à bout , foit fur Mer , foit fur Terre ; mais il faut pour cela qu'ils ayent une grande idée de leur Commandant. Feu M. d'Iberville , qui avoit toutes les bonnes qualités de fa Nation , fans en avoir les défauts , les auroit menés au bout du Monde. Il y a une chofe , fur quoi il n'eft pas facile de les excu- DTJN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. X. 175 fer : c'eft le peu de naturel de pluiieurs pour leurs Parens , — qui de leur coté ont pour eux une tendreîle afîez mal enten- 17 2 î- due. Les Sauvages tombent dans le même défaut , & il pro- Avril. duit parmi eux les mêmes effets. Mais ce qui doit fur toutes chofes faire eftimer nos Créoles , c'eft qu'ils ont un grand fonds de piété & de religion , & que rien ne manque à leur éducation fur ce point. 11 eft vrai aufîi que hors de chez eux ils ne confervent prefqu'aucun de leurs défauts. Comme avec cela ils font extrêmement braves & adroits , on en pourroit tirer de grands fervices pour la Guerre , pour la Marine & pour les Arts , & je crois qu'il feroit du bien de l'Etat de les multiplier plus qu'on n'a fait jufqu'à préfent. Les Hommes font la principale richeffe du Souverain , & le Canada, quand il ne pourroit être d'aucune utilité à la France , que par ce feul endroit , feroit encore , s'il étoit bien peuplé , une des plus importantes de nos Colonies. Je fuis , &c. ONZIEME LETTRE. De la Bourgade Iroquoife du Sault Saint Louys. Des differens Peuples 3 qui habitent le Canada. Au Sault Saint Louys , ce premier de May ,1721. May. jYLadame, Je fuis venu ici pour y paffer une partie de la Quinzaine de Pâques. C'eft un tems de dévotion, & tout infpire la piété dans cette Bourgade. Tous les exercices de la Religion s'y pra- tiquent d'une manière très-édifîante , & on y renent encore l'impreffion , qu'y a laiffée la ferveur de fes premiers Habi- tans : car il eft certain qu'elle a été lontems le lieu du Cana- da , où l'on voyoit les plus grands exemples de ces vertus héroïques , dont Dieu a accoutumé d'enrichir les Eglifes naif- fantes. La manière même , dont elle a été formée , a quelque chofe de fort merveilleux. i76 JOURNAL HISTORIQUE 1721. Les Millionnaires , après avoir lontems arrofé les Cantons « May. Iroquois de leurs Sueurs, & quelques-uns mêmes de leur origine de Sang , perdirent enfin toute efperance d'y établir la Religion la Bourgade du Chrétienne far des fondemens iolides ; mais non pas de rédui- Sau c . ouys. ^ ^ ifigi grand nombre de ces Sauvages fous le joug de la Foy. Ils avoient reconnu que Dieu avoit parmi ces Barbares des Elus , comme il y en a dans toutes les Nations ; mais ils étoient perfuadés que , pour ajfûrer leur vocation & leur élec- tion , il falloit les féparer de leurs Compatriotes , & ils pri- rent la réfolution d'établir dans la Colonie tous ceux , qui fe trouveroient difpofés à embraffer le.Chriftianifme. Ils propo- férent leur deffein au Gouverneur Général & à l'Intendant , qui portant leurs vues plus loin, non-feulement l'approuvèrent , mais comprirent que cet Etabliffement feroit très - utile à la Nouvelle France , comme il l'a été en effet , aufli-bien qu'un autre tout femblable , qui a été fait depuis dans l'Ifle de Mont- réal, fous le nom de la Montagne, & dont MM. du Sémi- naire de Saint Sulpice ont toujours eu la dire&ion. Pour revenir à celui , qui a fervi de modèle à l'autre , un des Millionnaires des Iroquois s'ouvrit à quelques Agniers de fon deffein ; ils le goûtèrent , & c'eft particulièrement de ce Can- ton , de tout tems le plus oppofé aux Miniftres de l'Evangile , & où ils avoient été le plus cruellement traités , que s'eft for- mée cette Peuplade. Ainfi , au grand étonnement des Fran- çois & des Sauvages , on vit ces redoutables Ennemis de Dieu & de notre Nation , touchés de cette Grâce viftorieufe , qui fe plaît à triompher des Cœurs les plus durs & les plus rebel- les , abandonner ce qu'ils avoient de plus cher au monde , pour n'avoir plus rien , qui les empêchât de fervir le Seigneur en toute liberté : Sacrifice plus héroïque encore pour des Sau- vages 3 que pour tout autre Peuple , parce qu'il n'efl point d'Hommes plus attachés qu'eux à leurs Familles , & à leur Pays natal. * Ferveur de Leur nombre s'accrut beaucoup en peu de tems , & ce pro- fes premiers gr£s fut en bonne partie l'effet du zélé des premiers Néophytes, Habuans. . comp0férent ce Troupeau choifi. On les voyoit dans le fort même de la Guerre , parcourir , au péril même de leur vie, tous les Cantons , pour y faire des Profely tes , & quand ils tomboient entre les mains de leurs Ennemis 3 qui fouvent étoient leurs plus proches Parens , s'eftimer heureux de mourir au D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XL i77 au milieu des plus affreux Supplices , par la raifon qu'ils ne s'y i 7 2 1. étoient expofés , que pour procurer la gloire de Dieu & le fa- M lut de leurs Frères. Ainfi penfoient des Meurtriers mêmes des ^' Minières de Jefus-Chrift , & l'on ne vit peut-être jamais s'ac- complir plus à la lettre cet Oracle de Saint Paul , ubh autem abundavit deliUum , fuperabundavit gratia. (a) Leplusfouvent on leur laiflbit le choix , ou de renoncer à Jefus-Chrirt , & de retourner dans leur Canton , ou de fouffrir la Mort la plus cruelle , & il n'y a point d'exemple qu'aucun ait accepté la vie à cette condition. Quelques-uns mêmes ont péri, confumés de miféres dans les Cachots de la Nouvelle York , d'où ils pouvoient fortir , en changeant de Croyance , ou du moins en renonçant à vivre parmi les François , ce qu'ils ne croyoient pas pouvoir faire , fans s'expofer à perdre la Foi. Des Néophytes , qui dans des occafions pareilles faifoient paroître tant de fidélité & de grandeur d'Ame , dévoient afîu- rement s'y être préparés par des vertus bien pures : on ne peut en effet révoquer en doute certains traits , qui ont éclaté dans toute la Colonie , & qui rendent bien croyables ceux , qui n'ont eu pour Témoins , que les Sauvages mêmes & leurs Parleurs. Voici ce qu'en écrivoit en 1688. M. de Saint Va- lier , qui gouverne encore aujourd'hui cette Eglife. » La vie * commune de tous les Chrétiens de cette Mi/lion n'a rien de * commun , & l'on prendroit tout ce Village pour un Mona- u ftere. Comme ils n'ont quitté les commodités de leur Pays , « que pour aflurer leur Salut , on les voit tous portés à la prati- * que du plus parfait détachement ; & ils gardent parmi eux un * h bel ordre pour leur fan&ification , qu'il feroit difficile d'y H rien ajouter. « Cette Bourgade fut d'abord placée à la Prairie de la Ma- deleine , environ une lieuë plus bas que le Sault Saint Louys , du côté du Sud. Les Terres ne s'y étant pas trouvées propres pour la culture du Maïz , on la tranfporta vis-à-vis le Sault même , d'où elle a pris fon nom , qu'elle porte encore , quoiqu'elle ait été transférée de - là , il y a peu d'années , une autre lieuë plus haut. J'ai déjà dit que la fîtuation en efl charmante , que l'Eglife & la Maifon des Millionnaires font deux des plus beaux Edifices du Pays , & que c'efl ce qui fait juger qu'on a pris de bonnes mefurespour n'être plus («) Ad Rom. Cap. îo. Tome III, Z 1721. May. Des Habi- tons de Terre- neuve. Des Eski- maux. 178 JOURNAL HISTORIQUE obligé de faire de nouvelles tranfmigrations. J'avois compté en arrivant ici d'en partir immédiatement après les Fêtes ; mais rien n'eft plus fujet aux contretems de toutes les efpeces, que ces fortes de Voyages. Je fuis donc encore incertain du jour de mon départ , & comme ii faut tout mettre à profit , quand on fait des courfes , comme les mien- nes , j'y ai mis ce retardement. J'ai paffé le tems à entretenir quelques anciens Millionnaires , qui ont vécu lontems avec les Saiiva-ges , & j'en ai tiré plusieurs connoiffances touchant les Peuples divers , qui habitent ce vafte Continent , Se dont je vais , Madame , vous faire part. La première Terre de l'Amérique , que l'on apperçoit en venant de France en Canada , eft l'Ifle de Terre-Neuve , une des plus grandes , que nous connoiffions. On n'a jamais pu fçavoir au jufte , fi elle a des Habitans naturels , & fa ftérilité , fût-elle par-tout auffi réelle , qu'on la fuppofe , n'eft pas une raifon pour prouver qu'elle n'en a point. Car la Pêche & la Chaffe fufflfent à des Sauvages pour fubfîfter. Ce qui eft cer- tain , c'eft qu'on n'y a jamais vu que des Eskimaux , qui n'en font pas originaires. Leur véritable Patrie eft la Terre de La- borador, ou Labrador ; c'eft-là du moins , qu'ils paffent la plus grande partie de l'année ; car ce feroit , ce femble , profaner le doux nom de Patrie , que de le donner à des Barbares errans y qui ne s'affeftionnent à aucun Pays , & qui pouvant à peine peupler deux ou trois Villages , embraflent un Terrein im- menfe. En effet , outre les Côtes de Terre-Neuve , que les Eskimaux parcourent pendant l'Eté 3 dans tout ce vafte Con- tinent , qui eft entre le Fleuve Saint Laurent , le Canada , & la Mer du Nord, on n'a encore vu que des Eskimaux. On en a même trouvé affez loin en remontant le Fleuve Bourbon , qui fe décharge dans la Baye d'Hudfon , venant de l'Occident. L'origine de leur nom n'eft pas certaine ; toutefois il y a bien de l'apparence qu'il vient du mot Abénaqui Efquimantjic , qui veut dire , Mangeur de Viande crue. Les Eskimaux font en effet les feuls Sauvages , que nous connoiffions , qui man- gent la Chair crue , quoiqu'ils ayent auffi l'ufage de la faire cuire , ou fecher au Soleil. Il eft encore certain que de tous les Peuples connus de l'Amérique , il n'en eft point , qui rem- plifïe mieux , que celui-ci , la première idée , que l'on a eue en Europe des Sauvages. Il eft prefque le feul , où les Hon>- May. D'UN VOYAGEDEL'AMERIQ. Let. XI. i79 rrtes ayent de la Barbe , & ils l'ont il épaiffe jufqu'aux Yeux , i 72 qu'on a peine à découvrir quelques Traits de leur Vifage. Ils ont d'ailleurs je ne fçai quoi d'affreux dans l'Air , de petits Yeux effarés , des Dents larges & fort fales , des Cheveux ordinai- rement noirs , quelquefois blonds , fort en défordre , & tout l'extérieur fort brute. Leurs Mœurs & leur Cara£tatre ne démentent point cette mauvaife phy fionomie. Ils font féroces , farouches , défiants , inquiets , toujours portés à faire du mal aux Etrangers , qui doivent fans ceffe être fur leurs gardes avec eux. Pour ce qui eft de leur Efprit , on a 11 peu de com- merce avec cette Nation , qu'on ne fçait pas encore de quelle trempe il eft : mais on en a toujours allez pour faire du mal. On les a fouvent vu aller la nuit couper les Cables des Na- vires , qui étoient à l'Ancre , pour les faire périr fur la Côte , & profiter de leur Naufrage : ils ne craignent pas même de les attaquer en plein jour , quand ils ont reconnu que leurs Equi- pages font foibles. Il n'a jamais été poffible de les apprivoiser, & l'on ne peut encore traiter avec eux , qu'au bout d'un long bâton. Non-feulement ils ne s'approchent point des Euro- péens , mais ils ne mangent rien de ce que ceux-ci leur préfen- tent ; & en toutes chofes , ils prennent à leur égard des pré- cautions , qui marquent une grande défiance , & en infpirent réciproquement beaucoup de tout ce qui vient de leur part. Ils ont la Taille avantageufe, & font affez bien faits. Ils ont la Peau du Corps auffi blanche que nous, ce qui vient, fans doute de ce qu'ils ne vont jamais nuds , quelque chaud qu'il faffe. Leurs Cheveux blonds , leurs Barbes , la blancheur de leur Peau , le peu de reffemblance & de commerce , qu'ils ont avec leurs plus proches Voifins , ne laiffent aucun lieu de douter qu'ils n'ayent une origine différente de celle des autres Ame- riquains ; mais l'opinion , qui les fait defcendre des Bafques , me paroît peu fondée , fur-tout s'il eft vrai , comme on me l'a affûré , qu'il n'y a aucun raport entre les Langues des uns Se des autres. Au refte , cette alliance ne fçauroit faire honneur à aucune Nation ; car s'il n'eft point fur la Terre de Région moins propre à être habitée par des Hommes , que Terre- Neuve & Labrador , il n'eft peut-être pas un Peuple , qui mé- rite mieux d'y être confiné, que les Eskimaux. Pour moi je fuis perfuadé qu'ils font originaires du Groenland, (a) {*) Voyez l'Hiftoire de la Nouvelle France, Livre I. page 17. & fuiv. Z ij I J 1 1 May 180 JOURNAL HISTORIQUE Ces Sauvages font tellement couverts , qu'à peine on leur voit une partie du Vifage , & le bout des Mains. Sur une ef- pece de Chemife faite de Veflies , ou d'Inteftins de Poiffons , coupées par bandes , & affez proprement coufuës , ils ont une manière de Cafaque de Peau d'Ours , ou de quelque autre Bête fauve , quelquefois même de Peaux d'Oifeaux , un Capuchon de même Etoffe que la Chemife , & qui y eft attaché , leur couvre la Tête , du haut de laquelle fort un Toupet de Che- veux , qui leur offufque le Front. La Chemife ne defeend que jufqu'aux Reins , la Cafaque pend par derrière jufques fur les Cuiffes , & fe termine par devant en pointe plus bas que la ceinture ; mais aux Femmes , elle defeend des deux côtés juf- qu'à mi-Jambe , & elle eft arrêtée par une ceinture , d'où pen- dent de petits Offelets. Les Hommes ont des Culotes de Peaux, dont le Poil eft en dedans , & qui font revêtues en dehors de Peaux d'Hermines , ou d'autres femblables. Ils ont auffi aux Pieds des Chauffons de Peaux , dont le Poil eft pareillement en dedans , & par deffus une Botte fourée de même , puis de féconds Chaufions & de fécondes Bottes. On prétend que ces Chauffures font quelquefois triplées & quadruplées , ce qui n'empêche pas ces Sauvages d'être fort leftes. Leurs Flèches, qui font les feules Armes , dont ils ayent l'ufage , font armées de pointes faites de Dents de Vaches Marines , & ils y ajou- tent encore du Fer , quand ils en peuvent avoir. Il paroît qu'en Eté ils font à l'Air la nuit & le jour ; mais l'Hy ver ils fe logent fous Terre dans des efpeces de Grottes , où ils font tous les uns furies autres. Des Peuples On connoit peu les autres Peuples , qui font aux environs 3 onlir°?Si & au-deffus de la Baye d'Hudfon. Dans la partie Méridionna- le de cette Baye le Commerce fe fait avec les Miftaflîns , les Monfonis , les Criftinaux & les Affiniboils ; ceux-ci y viennent de fort loin , puifqu'ils habitent les bords d'un Lac , qui eft au Nord, ou au Nord-Oueft des Sioux , & que leur Langue eft une Dialecte Sioufe. Les trois autres font de la Langue Algonquine. Les Criftinaux ou Killiftinons , vien- nent du Nord du Lac fuperieur. Les Sauvages des environs du Fleuve Bourbon , (a) & de la Rivière de Sainte Therefe , du Port Nel ion. (a) On dit que quand on a remonté ce Ileuve cent lieues , on le trouve imprati- cable pendant cinquante > mais qu'on prend à côté par des Rivières Se des Lacs , qui s'y déchargent , & qu'enfuite il coule au milieu d'un très-beau Pays , & que cela dure juf- 72I D'UNVOYAGEDE L'AMERIQ. Let. XL 181 n'ont aucune affinité de Langage , ni avec les uns , ni avec les autres. Peut-être s'entendent-ils mieux avec les Eskimaux, qu'on a rencontrés 3 dit-on , affez loin de l'Embouchure du ^a^ Fleuve. On a remarqué qu'ils font extrêmement fuperftitieux, & qu'ils ont quelque forte de Sacrifices. Ceux, qui les ont plus fréquentés , alîûrent qu'ils ont , comme ceux du Canada , l'idée d'un bon & d'un mauvais Génie , que le Soleil eft leur grande Divinité , & que quand ils veulent délibérer fur une Affaire importante , ils le font fumer , ce qui fe pratique en cette manière. Ils s'affemblent à la pointe du jour dans la Ca- banne d'un de leurs Chefs , qui , après avoir allumé fa Pipe , la préfente trois fois au Soleil levant , puis la conduit des deux Mains d'Orient en Occident , en priant cet Aftre d'être favo- rable à la Nation. Cela fait , tous ceux , qui compofent l'Af- femblée , fument dans la même Pipe. Tous ces Sauvages , quoique de cinq ou fix Nations différentes , font connus dans les Relations Françoifes fous le nom générique de Savanois 3 parce que le Pays , qu'ils habitent , eftbas , marécageux , mal boifé , & qu'en Canada on appelle Savanes ces Terreins mouillés , qui ne font bons à rien. En remontant au Nord de la Baye , on trouve deux Riviè- res , dont la première fe nomme la Rivière Danoife , & la fé- conde la Rivière du Loup Marin ; il y a le long de ces deux Rivières des Sauvages , aufquels on a donné , je ne fçai pour- quoi , le nom , ou plutôt le fobriquet de Plats côte^ de Chiens. Ils font fouvent en Guerre contre les Savanois ; mais ni les uns , ni les autres ne traitent leurs Prifonniers avec cette bar- barie , qui eft en ufage parmi les Canadois ; 'ils fe contentent de les retenir dans l'efclavage* La mifére réduit quelquefois les Savanois à d'étranges extrémités ; foit pareffe de leur part, foit que leurs Terres ne puiffent abfolument rien produire , ils fe trouvent , lorfque la Chaffe & la Pêche leur manquent , fans aucunes Provifions , & alors on prétend qu'ils ne font point difficulté de fe manger les uns les autres. Les plus chetifs paf- fent les premiers ; on affûre que la coutume eft parmi eux 7 que quand un Homme efl parvenu à un âge , où il ne peut plus être qu'à charge à fa Famille , il fe paffe lui-même un Cordon au- tour du Cou , & en préfente les deux extrémités à celui de fe& qu'au Lac des Aflmiboils , d'où il fort. On I depuis quinze ans qu'on a un peu plus battu peut çn avoir des nouvelles plus certaines, l ces Pays Septentrionnaux. i8-2 JOURNAL HISTORIQUE 7721. Enfans , qui lui en: le plus cher , & qui l'étrangle le plus prom- ti| ptement qu'il peut : il croit même faire en cela une bonne ac- '' tion , non feulement parce qu'il met fin aux fouffrances de fon Père , mais encore parce qu'il eft perfuadé qu'il avance fon bonheur ; car ces Sauvages s'imaginent qu'un Homme , qui meurt vieux, renaît dans l'autre Monde à l'âge d'un Enfant à la Mamelle ; & qu'au contraire , ceux qui fmiiïent leurs jours de bonne heure , font vieux , quand ils arrivent au Pays des Ames. Les Filles parmi ces Peuples ne fe marient , que quand ., & avec qui il plaît à leurs Parens , & le Gendre eft. obligé de de- meurer chez fon Beau-Pere , & de lui être fournis en tout , jufqu'à ce qu'il ait des Enfans. Les Garçons quittent de bonne heure la Maifon Paternelle. Ces Sauvages brûlent les Corps morts , & en envelopent les Cendres dans une Ecorce d'Ar- bre , qu'ils mettent en Terre. Ils dreffent enfuitefur la Tombe une efpece de Monument avec des Perches , aufquelles ils at- tachent du Tabac , afin que le Défunt y trouve dequoi fumer ■dans l'autre Monde. Si c'étoit un Chaffeur , on y fufpend auffi fon Arc & fes Flèches. Les Mères pleurent leurs Enfans pen- dant vint jours , & l'on fait des préfens au Père , qui y répond par un Feftin. La Guerre eft bien moins en honneur chez eux , _que la Chaffe ; mais pour être eftimé un bon Chaffeur , il faut jeûner trois jours de fuite , fans rien prendre abfolument , & avoir pendant tout ce tems-là le Vifage barbouillé de noir. Le jeûne fini , le Candidat fait au grand Efprit un Sacrifice d'un morceau de chacune des Bêtes , qu'on a accoutumé de chaf- fer , & c'eft ordinairement la Langue & le Mufle , qui hors de ces occafions , font la part du Chaffeur. Ses Parens n'y tou- chent point , & fe laifferoient plutôt mourir de faim , que d'en manger ; il n'en peut régaler que fes Amis , ou les Etrangers. Au refte , on affûreque ces Sauvages font d'undefmterreffe- ment parfait , &. d'une fidélité à toute épreuve ; qu'ils ne peu- vent louffrir le menfonge , & qu'ils ont la fourberie en hor- reur. Voilà,, Madame., tout ce que j'ai pu apprendre de ces Peuples Septentrionnaux,avec lefquels nous n'avons jamais eu un Commerce bien réglé , & que nous n'avons vus qu'en paf- fant. Venons à ceux , qui nous font plus connus. On les peut; divifer en trois Claffes distinguées par leurs Langues , & par leur génie particulier, D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XI. 183 Dans cette étendue de Pays , qu'on appelle proprement la A 7f2 * * Nouvelle France , qui n'a de bornes au Nord , que du côté de ivlav* la Baye d'Hudfon , laquelle en a été démembrée par le Traité , ?Ttcndul!j de utt J t • ■> • J' > UT>n 1 1* 1 'a Nouvelle dUtrecht, qui n en a point d autre a lbit, que la Mer, les France. Colonies Angloifes au Sud , la Louyfiane au Sud-Eft , & les Terres des Espagnols à l'Oueft ; dans cette étendue, dis-je , de Pays , il n'y a que trois Langues Mères , dont toutes les autres font dérivées. Ces Langues font la Sioufe , l'Algonqui- ne , & la Huronne ; nous connoiffons peu les Peuples , qui appartiennent à la Première , & perfonne ne fç ait jufqu'où elle s'étend. Nous n'avons eu jufqu'ci de commerce , qu'avec les Sioux & les Affiniboils , & ce commerce même n'a pas été fort fuivi. Nos Millionnaires ont tenté de faire un Etablifïement par- Des sioux. mi les Premiers , & j'en ai connu un , qui regrettoit fort de n'y avoir pas réuffi , ou plutôt de n'avoir pas pu demeurer plus lontems avec ce Peuple , qui lui paroiffoit docile. Il nen eu peut-être pas non plus , de qui nous puifiions tirer plus de lumières fur tout ce qui eft au Nord-Ouefl du MicilTipi y par la raifon qu'ils font en commerce avec toutes les Nations de ces vaftes Contrées. Ils habitent ordinairement dans des Prairies fous de grandes Tentes faites de Peaux , & bien tra- vaillées; ils vivent de Folle- Avoine , qui croît en abondance dans leurs Marais & dans leurs Rivières , & de Chaffe, fur- tout de celle de ces Bœufs , qui font couverts de Laine , 8c qui font par milliers dans leurs Prairies. Ils n'ont point de de- meure fixe , mais ils voyagent en grandes Troupes à la ma- nière des Tartares , & ne s'arrêtent en aucun lieu , qu'autant que la Chaffe les y retient. Nos Géographes distinguent cette Nation en Sioux Er- rans _, & Sioux des Prairies 3 en Sioux de i'EjI , & en Sioux de VOuefl. Ces divifions ne me paroiffent pas trop bien fondées. Tous les Sioux vivent de la même manière , d'où il arrive que telle Bourgade, qui étoit l'an paffé fur le Bord Oriental du Miciffipi , fera l'année prochaine fur la Rivière Occidentale ? & que ceux , qu'on a vus dans un tems le long de la Rivière de Saint Pierre , font peut-être préfentement aifez loin de-là dans une Prairie. Le nom de Sioux , que nous avons donné à ces Sauvages , eft entièrement de notre façon , ou plutôt ce n'eft que les deux dernières fy llabes de celui de NadoueJJioux , IJ 11 boils. 184 JOURNAL HISTORIQUE que plusieurs Nations leur donnent. D'autres les appellent N'a- douejfis. C'eft le Peuple le plus nombreux , que nous connoif- May. fions en Canada. Il étoit affez paifible & peu aguerri , avant que les Hurons & les Outaouais fe fuffent réfugiés dans Ton Pays , en fuyant la fureur des Iroquois. Ils voulurent fe mo- quer de fa {implicite , & ils l'aguerrirent à leurs dépens. Les Sioux ont pluueurs Femmes , & ils puniffent févérement cel- les , qui ont manqué à la fidélité conjugale. Ils leur coupent le bout du Nez, ils leur cernent en rond une partie de la Peau fur le haut de la Tête , & l'arrachent enfuite. J'ai vu quelques Perfonnesperfuadées que ces Sauvages ont l'Accent Chinois ; il ne feroit pas difficile de vérifier ce fait , ni de fçavoir fi leur Langue a quelque rapport avec celle de la Chine, Des Affinî- Ceux , qui ont pratiqué les Afîiniboils , difent qu'ils font is. grands , bien faits , robufles , agiles , endurcis au froid & à toutes fortes de fatigues ; qu'ils fe piquent par tout le Corps, & y tracent des figures de Serpens,ou d'autres Animaux;& qu'ils entreprennent de très-grands voyages. Il n'y a rien en cela, qui les diftingue beaucoup des autres Sauvages de ce Conti- nent , que nous connoiflbns ; mais ce qui les cara&érife par- ticulièrement , c'eft qu'ils ont beaucoup de flegme , du moins ont-ils paru tels au prix des Criftinaux , avec qui ils font en commerce; ceux-ci font en effet d'une vivacité extraordi- naire ; on les voit toujours danfans & chantans , & ils parlent avec une volubilité de Langue , & une précipitation , qu'on n'a remarquées dans aucune autre Nation Sauvage. Du Lac des ^e véritable Pays des Afîiniboils eft aux environs d'un Lac , qui porte leur nom , & que l'on connoît peu. Un François , que j'ai vu à Montréal , m'a affûré y avoir été , mais il l'avoit vu , comme on voit la Mer dans un Port , & enpafTant. L'opi- nion commune eft que ce Lac a fix cent lieues de circuit ; qu'on ne peut y aller que par des chemins prefqu'impratiqua- bles ; que tous les Bords en font, charmans ; que l'Air y efl fort tempéré , quoiqu'on le place au Nord-Ouefl du Lac Su- périeur , où il fait un froid extrême , & qu'il comprend un fi grand nombre d'Ifles , qu'on l'appelle dans le Pays , le Lac des IJles. Quelques Sauvages le nomment Micninipi-, qui veut dire la Grande Eau , & il femble en effet qu'il foit le Réfervoir des plus grandes Rivières , & tous les grands Lacs de l'Amérique Septentrionnale : car on en fait fortir fur plu^ fieurs Afîiniboils. D'UN VOYAGE DE L'AMERÎQ.Let. XL 185 Rieurs indices le Fleuve Bourbon, qui fe jette dans la Baye 1 721. d'Hudfon ; le Fleuve Saint Laurent , qui porte des Eaux dans «» l'Océan ; le Miciffipi , qui a fa décharge dans le Golphe Mé- •May* xique ; le Miffouri , qui fe mêle avec ce Dernier , & qui jus- qu'à leur jondion ne lui eft inférieur en rien , & un cinquiè- me , qui coule , dit-on , à l'Oued , & par conféquent ne peut fe rendre , que dans la Mer du Sud. C'eft bien dommage que ce Lac n'ait pas été connu des Sçavans , qui ont cherché par- tout le Paradis Terreilre ; il auroit été pour le moins auffi- bien placé là que dans la Scandinavie. Je ne vous'garantis pourtant pas , Madame , tous ces faits , qui ne font appuyés que fur rapports de Voyageurs; encore moins ce que des Sauvages ont rapporté , qu'aux environs du Lac des Affini- boils, il y a des Hommes femblables aux Européens , & qui font établis dans un Pays , où l'Or & l'Argent font 11 com- muns, qu'on les employé aux ufages les plus ordinaires. Le Père Marquette , qui découvrit le Miciffipi en 1673 ■> dit dans fa Relation que des Sauvages , non-feulement lui avoient parlé de la Rivière , qui fortant de ce Lac coule à l'Oueft , mais lui avoient encore ajouté qu'on avoit vu de grands Na- vires à fon Embouchure. Il paroît au relie que les Affiniboils font les mêmes Peuples , qui font marqués dans de vieilles Cartes fous le nom de Poualaks , & dont quelques Relations difent que le Pays eft limitrophe à celui des Criftinaux , ou ou Killiftinons. Les Langues Algonquine & Huronne partagent toutes les Des Peuples Nations Sauvages du Canada , avec lefquelles nous fommes 1e, la L*nsu« Sk • 1 r • 1 • l 1 • Algonquine, en commerce, (^ui les lçauroit bien toutes deux pourroit par- courir fans Interprète plus de quinze cent lieues de Pays , 3c fe faire entendre à plus de cent Peuples divers , qui ont cha- cun leur Langage propre. L'Algonquine fur-tout a une éten- due immenfe. Elle commence à l'Acadie & au Golphe de Saint Laurent, & fait un circuit de douze cent lieues , en tournant du Sud-Eft par le Nord jufqu'au Sud-Oueft. On pré- tend même que les Loups , ou Mahingans, & la plupart des Peuples de la Nouvelle Angleterre & de la Virginie parlent des Diale£les Algonquines. Les Abênaquis , ou Canlbas Voifins de la Nouvelle An- a§mSs" gleterre , ont pour plus proches Voifins les Etechcmins , & des aw- ou MaUcltes , aux environs de la Rivière de Pentagoet, & gjjj| lnfé_ Tome III, A i.86 JOURNAL HISTORIQUE Des Sauva- ges du Nord. plus à l'Eft font les Micmaks , ou Souriquois } dont le Pays J ' propre eft l'Acadie , la fuite de la Côte du Golphe de May. Saint Laurent jufqu'à Gafpé , d'où un Auteur les a appelles Gafpifiens , & les Ifles , qui en font proches. En remon- tant le Fleuve Saint Laurent , on ne rencontre plus aujour- d'hui aucune Nation Sauvage jufqu'au Saguenay. Cepen- dant, lorfque le Canada fut découvert, & bien des années après , on comptoit dans cet efpace plufieurs Nations , qui fe répandoient dans l'Ifle d'Anticofty , vers les Monts Notre- Dame , & le long de la Rive Septentrionnale du Fleuve. Cel- les, dont les anciennes Relations parlent plus fouvent, font les Berfîamites _, les Papinachois , & les Montagne^. On les appelloit aufTi , fur-tout ces derniers , Algonquins Inférieurs , parce qu'ils habitoient le bas du Fleuve par rapport à Québec : mais la plupart des autres font réduits à quelques Familles , que l'on rencontre tantôt dans un endroit , & tantôt dans un autre. Il y en avoit , qui defcendoient dans la Colonie des Quar- tiers du Nord , quelquefois par le Saguenay , & plus fouvent par les Trois Rivières, & dont on n'entend plus parler de- puis lontems. Tels étoient entr'aiîtres les Attikamegues : ces Sauvages venoient de fort loin , & ils étoient environnés de plufieurs autres Peuples , qui s'étendoient aux environs du Lac Saint Jean , & jufqu'aux Lacs des MiftaJJins & Nemif- cau. Prefque tous ont été détruits par le Fer des Iroquois , ou par les maladies , fuite de la mifere , où la crainte de ces Barbares les avoient réduits : c'eft bien dommage , ils étoient fans vice , d'une gfande douceur , on n'a voit eu aucune peine à les gagner à Jefus-Chrift , & à les affectionner aux François. Entre Québec & Montréal on rencontre encore vers les Trois Rivières quelques Algonquins , qui ne forment point un Village , & qui trafiquent avec les François. Dans les pre- miers tems cette Nation occupoit tout le Bord Septentrionnal du Fleuve , depuis Québec , où M. de Champlain les trouva établis , & fit alliance avec eux , jufqu'au Lac de S. Pierre. DesAlgon- Depuis l'Ifle de Montréal , en fuivant toujours le Nord , on nSuaisï au- rencontre quelques Villages de Nipiffîngs, de Temifcamings , tresAlgon- de 1 "êtes de Boule , à'Amikoués & à'Outaouais {a). Les pré- vins iupé- mjers 9 qUi font les vrais Algonquins , & qui ont feuls con- {b) Plufieurs écrivent & prononcent OUTAOU AKS. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XI. 187 fervé la Langue Algonquine Tans altération , ont donné leur x 72 1 nom à un petit Lac fitué entre le Lac Huron , & la Rivière M des Outaouais. Les Temifcamings occupent les Bords d'un May. autre petit Lac , qui porte aufîi leur nom , & qui paroît être la vraie fource de la Rivière des Outaouais. Les Têtes de Boule n'en font pas loin , leur nom vient de la figure de leur tèœ ; ils trouvent dans cette figure une grande beauté , & il y a bien de l'apparence que les Mères la donnent à leurs En- fans , lorfqu'ils font encore au Berceau. Les Amikoués , qu'on appelle aufîi Xi Nation du Caflor, font réduits prefqu'à rien : on en trouve les r elles dans Fille Manitoualïn , qui eft dans le Lac Huron vers le Nord. Les Outaouais , autrefois très-nombreux, bordoient la grande Rivière , qui porte leur nom , & dont ils fe prétendoient les Seigneurs. Je n'en connois aujourd'hui que trois Villages allez peu peuplés , dont je parlerai dans la fuite. Entre le Lac Huron 8c le Lac Supérieur , dans le Détroit même, par où le fécond fe décharge dans le premier, il y a un Rapide , que nous avons appelle le Sault Sainte Marie. Ses environs étoient autrefois peuplés de Sauvages , qui y étoient venus , dit-on , de la Rive Méridionnale du Lac Supérieur, & qu'on appelle Saultcurs 3 c'eft-à-dire , Habitons du Sault. On leur a apparemment donné ce nom , pour s'épargner la peine de prononcer celui , qu'ils portoient , car il n'eft pas poiîible d'en pouvoir venir à bout , fans reprendre deux ou trois fois haleine (a). Il n'y a aucune Nation établie, au moins que je fçache , fur les Bords du Lac Supérieur ; mais dans les Portes , que nous y occupons , on fait la Traite avec les Crif- tinaux., qui y viennent du Nord-Eft , & qui appartiennent à îa Langue Algonquine , & avec les Aiîiniboils , qui font au Nord-Oueft. Le Lac Michigan 3 qui eft prefque parallèle au Lac Huron , DcsPouteou*- dans lequel il fe décharge , & qui n'en eft féparé que par une t?mis & aucres Peninfule de cent lieues de long, laquelle va toujours en fe |aay^ges de la rétréciffant vers le Nord , a peu d'Habitans fur fes Bords ; je ne fçai même ft aucune Nation y a jamais été fixe , & c'eft fans fondement , que dans plufieurs Cartes on le nomme Lac des Illinois. En remontant la Rivière de Saint Jofeph 3 dont il reçoit les Eaux, on trouve deux Bourgades de différentes (a>) PAÛOIRIGOUEIOUHAK. A a ij _____ 188 JOURNAL HISTORIQUE ' Nations , qui y font venues d'ailleurs , il n'y a pas même Ion- 17 ' tems. Ce Lac a du côté de l'Oueft une grande Baye , qui s'é- May. tencj vint-huit lieues au Sud , & qu'on nomme la Baye des Puans 3 ou Amplement la Baye. Son entrée efl fort large ,- & femée d'Ides , dont quelques-unes ont jufqu'à quinze ou vint lieues de circuit. Elles étoient autrefois habitées par les Pou- teouatamis , dont elles portent le nom , à l'exception de quel- ques-unes , qu'on laiffe à droite , où il y a encore quelques Sauvages , appelles Noquets. Les Pouteouatamis occupent au- jourd'hui une des plus petites de leurs Mes , & ils ont encore, deux autres Villages , l'un dans la Rivière de Saint Jofeph , & l'autre au Détroit. Dans le fond de la Baye il y a des Sakis & des Otchagras. Ce font ces derniers , qu'on appelle Puans , je n'en fçai point encore la raifon; mais avant que d'ar- river chez eux , on laiffe à droite une autre petite Nation , qu'on appelle Malomines , ou Folks Avoines. DesOutaga- Une petite Rivière, fort embarraffée de Rapides, fe dé- mis, des Mai- c]large dans le fond de la Baye : elle efr. connue fous le nom Ëcapous* CS de Rivière des Renards, à caufe du voifinage des Outagamis t vulgairement appelles les Renards. Tout ce Pays eft fort beau, & plus encore celui , qui s'étend au Sud jufqu'à la Rivière des Illinois : il n'eft pourtant habité que par deux Nations très- peu nombreufes , qui font les Kicapous & les Mafcoutins. Il a plu à quelques-uns de nos Géographes d'appeller ces derniers la Nation du Feu s & leur Pays , la Terre de Feu. Une équivo- que a donné lieu à cette dénomination. DesMiamis U Y a cinquante ans , que les Miamis étoient établis à l'ex- &dcsilimois. trémité Méridionnale du Lac Michigan, en un lieu, nommé Chicagou , du nom d'une petite Rivière , qui fe jette dans le Lac , & dont la Source n'eft pas éloignée de celle des Illinois. Ils font préfentement féparés en trois Bourgades;dont l'une efl fur la Rivière de Saint Jofeph ; la féconde , fur une autre Ri- vière , qui porte leur nom , & fe décharge dans le Lac Erié ; & la troifiéme , fur la Rivière d'Ouabache , qui porte fes Eaux dans le Micifîipi : ces derniers font plus connus fous le nom d'Ouyatanons. On ne doute prefque point que cette. Nation , & celle des Illinois ne fuffent , il n'y a pas trop lontems , un même Peuple , vu la grande affinité , qui fe remarque dans le Langage des uns & des autres. Je pourrai vous en parler plus fûrement , lorfque je ferai fur les lieux. Au relie x la plupart nonne. D'UN VOYAGE DE I/AMERIQ. Let. XI. 189 des Nations Algonquines s û on en excepte celles , qui font ~~~. """ plus avancées vers le Midi , s'occupent arfez peu de la Culture 7 2 * • des Terres , & vivent prefque uniquement de Chafle & de May. Pêche; aufïi font-elles peu fédentaires. La pluralité des Fem- mes eft en ufage parmi quelques-unes ; cependant bien loin de multiplier , elles diminuent tous les jours. Il n'y en a pas une feule , où l'on compte fîx mille âmes ; quelques-unes n'en ont pas deux mille. Il s'en faut bien que la Langue Huronne s'étende auffî loin , Des pcuprcs que l'Algonquine ; ce qui vient fans doute de ce que les Peuples, de •« Langue qui la parlent , ont toujours été moins errans que les Algon- Hu*lr" quins. Je dis la Langue Huronne , pour me conformer au ien- timent le plus communément reçu ; car quelques-uns foutien- nent encore , que c'eft l'Iroquoife , qui eft la Matrice. Quoi- qu'il en foit , tous les Sauvages , qui font au Sud du Fleuve Saint Laurent , depuis la Rivière de Sorel , jufqu'à l'extrémité du Lac Erié ,. & même affez proche de la Virginie , appartien- nent à cette Langue ; & quiconque fçait le Huron , les entend tous. Les Dialettes s'en font extrêmement multipliées, & il y en a prefqu'autant , que de Bourgades. Les cinq Cantons , qui compofent la République Iroquoife , ont chacun la leur , '& tout ce qu'on appelloit autrefois indifféremment Huron , n'a- voit pas le même Langage. Mais il eft bon d'obferver que comme la plupart des Sauva- ges du Canada ont été de tout tems en Commerce entr'eux , tantôt Alliés , & tantôt Ennemis , quoique les trois Langues Mères, dont j'ai parlé , n'ayent entr'elles aucune forte d'affi- nité , ni d'analogie , ces Peuples ont néanmoins trouvé le moyen de traiter enfemble fans avoir befoin de Truchement ; foit que le long ufage leur donne la facilité de fe faire entendre par fignes; foit qu'ils fe foient formé une efpece de Jargon commun , qu'ils apprennent par habitude. On vient m'aver- tir qu'il faut m'embarquer , je finirai cet article à mon pre*- mier loiûr* J'ai l'honneur d'être ? &c. i9o JOURNAL HISTORIQUE 7777 DOUZIEME LETTRE May. Voyage jufqu à Catarocoui. Defcription du Pays 3 & des Ra- pides du Fleuve de Saint Laurent. Defcription & fituation. du Fort. Du Caractère des Langues du Canada 3 & des Peu- ples , qui les parlent. Origine de la Guerre entre les Iroquois & les Algonquins. M A Catarocoui , le quatorze de May , 1721, ADAME J e partis du Sault Saint Louys le premier de May , après avoir fermé ma dernière Lettre , & j'allai coucher à la pointe Occidentale de Tille de Montréal , où je n'arrivai qu'à minuit. Le lendemain j'employai toute la matinée à vifiter le Pays , qui eft fort beau. L'après-midi , je traverfai le Lac de Saint Louys , pour me rendre aux Cafcades , où je trouvai ceux de mes Gens , qui y étoient allés en droiture , occupés à recou- dre leur Canot , qu'ils avoient laifTé tomber , en le portant fur leurs Epaules , & qui s'étoit fendu d'un bout à l'autre. Voilà , Madame , l'agrément & l'incommodité de ces petites Voitu- res : il ne faut rien pour les brifer ; mais le remède eft prompt & facile. Il fuffit de fe fournir d'Ecorces , de Gommes , & de Racines : encore eft-il bien peu d'endroits 3 où l'on ne trouve des Gommes , & des Racines propres à coudre les Ecorces. Defcription Ce qu'on appelle les Cafcades , eft un Rapide , fitué précifé- ï^vfw ment au-deffus de l'Me Perrot , qui fait la féparation du Lac de Laurent. Saint Louys , & du Lac des deux Montagnes. Pour l'éviter , on prend un peu à droite , & l'on fait paffer les Canots à vuide dans un endroit , qu'on appelle le Trou : on les tire enfuite à Terre , & on fait un portage d'un demi quart de lieue ; c'eft-à- dire , qu'on porte le Canot & tout le Bagage fur ks Epaules, C'eft pour éviter un fécond Rapide , appelle le Buiffon ; celui- ci eft une belle Nappe d'Eau , qui tombe d'un Rocher plat , élevé d'environ un demi pied. On pourroit fe délivrer de cet D'UN VOYAGE;DE L'AMERIQ. Let. XII. 191 embarras , en creufant un peu le Lit «l'une petite Rivière , qui — — fe décharge dans une autre au-deffus des Cafcades. La dépen- l 7 2 1 * fe n'en feroit pas confiderable. May. Au-deffus du Buiffon , le Fleuve a un grand quart de lieue Réflexion fut de large , & les Terres des deux côtés font excellentes & bien le Fort de ca- boifées. On commence à défricher celles , qui font fur la Ri- Ja™«-oni;&fi" ve Septentrionnale , & il feroit très-aifé d'y faire un grand cju'on^rend Chemin depuis la Pointe , qui eft vis-à-vis de l'Ifle de Mont- pour y aller. real , jufqu'à une Anfe , qu'on a nommée la Galette. On évite- roit par-là quarante lieues d'une Navigation , que les Rapides rendent prefqu'impratiquable , & toujours fort longue. Un Fort feroit même beaucoup mieux placé , & plus néceffaire à la Galette , qu'à Catarocoui , par la raifon qu'il n'y fçauroit paffer un feul Canot , qu'on ne le voye ; au lieu qu'à Cataro- coui , on peut fe gliffer derrière des Ifles , fans être apperçu. D'ailleurs , les Terres des environs de la Galette font très- bonnes , & on pourroit par conféquent y avoir toujours des Vivres en abondance , ce qui épargneroit bien de la dépenfe. Outre cela , une Barque pourroit aller en deux jours de bon Vent , de la Galette à Niagara. Un des objets , qu'on a eu en vue' , en conftruifant le Fort de Catarocoui , a été le Commer- ce avec les Iroquois ; mais ces Sauvages viendroient auffi vo- lontiers à la Galette , qu'à Catarocoui. Ilsauroient, à la vé- rité, un peu plus de chemin à faire ; mais ils éviteraient une Traverfe de huit ou neuf lieues , qu'il leur faut faire dans le Lac Ontario ; enfin , le Fort de la Galette couvriroit tout le Pays , qui eft entre la grande Rivière des Outaouais & le Fleu- ve Saint Laurent ; car ce Pays n'eft point abordable du côt4 du Fleuve , à caufe des Rapides , & rien n'eft plus aifé , que de garder les bords de la grande Rivière. Je tiens ces Obfer- vations d'un Commiffaire de la Marine , {a) qui fut envoyé de la part du Roi en 1706. pour viftter tous les Poftes éloignés du Canada. Le même jour , troiftéme de May , je fis trois lieues , & j'ar- rivai aux Cèdres. C'eft le troisième Rapide , qui a pris fon nom de la quantité de Cèdres , qu'il y avoit en ce lieu là ; mais on les a prefque tous coupés. Le quatrième , je ne pus aller que jufqu'au quatrième Rapide , qu'on appelle le Coteau du Lac , quoiqu'il ne foit éloigné du précèdent que de deux (a) M. de Cl er am b a u t ©' A i qre mo^t. i9i JOURNAL HISTORIQUE — lieues & demie, parce qu'un de mes Canots s'y creva. Vous 1 7 2 T ' ne ferez pas furprife , Madame , de ces fréquens Naufrages , May. quand vous fçaurez comment font faites ces petites Gondo- les. Je crois vous avoir déjà dit qu'il y en a de deux fortes ; les uns d'Ecorce d'Ormes , plus évafés , affez grofTierement confiants; mais ordinairement plus grands. Je ne connois que les Iroquois , qui en ayent de cette efpece. Les autres font d'Ecorces de Bouleau , d'une largeur moins proportionnée à leur longueur , & beaucoup mieux travaillés. C'eft de ceux-ci, que je vais vous donner la Defcription , parce que tous les François & prefque tous les Sauvages s'en fervent. Defcription On étend les Ecorces , qui font fort épaiffes , fur des Varan- ^esCanotsd'E- gUes p}attes & très-minces , faites de Bois de Cèdre. Ces Va- rangues font affujetties fur toute la longueur par de petites Barres de traverse , qui font la féparation des Places dans le Canot ; deux Maîtres , ou Précintes de même matière , auf- quels font coufuës ces petites Barres , affermhTent toute la Machine. Entre les Varangues & les Ecorces , on infinuë de petites Cliffes de Cèdre , moins épaiffes encore que les Varan- gues , & qui ne laiffent pas de fortifier le Canot , dont les deux extrémités fe relèvent peu à peu , & font infenfîble- înent terminées en pointes tranchantes & rentrantes. Ces deux extrémités font parfaitement femblables ; enforte que pour changer de route , & retourner en arrière , il fuffit que les Canoteurs changent de Main. Celui , qui fe trouve der- rière , gouverne avec fon Aviron , en nageant toujours , & la plus grande occupation de celui , qui eft fur le devant , eft de prendre garde que le Canot ne touche rien , qui puiffe le cre- ver. Tous font affis à plat, ou fur leurs Genoux , & leurs Avirons font des Pagayes de cinq à fix pieds de long , ordi- nairement de Bois d'Erable. Mais quand on va contre un Courant un peu fort , il faut fe fervir de la Perche , & fe tenir de bout, & cela s'appelle picquer de fond. Il eft befoin d'un grand ufage pour bien garder l'Equilibre dans cet exercice ; car rien n'eftplus léger , par conféquent plus facile à tourner , que ces Voitures , dont les plus grandes , avec leur charge , ne tirent pas plus d'un demi pied d'Eau. Les Ecorces , dont elles font compofées , aufïi-bien que les Varangues & les Barres,, font coufuës avec des Racines de Sapin , lefcpelles font plus pliantes , & féchent beaucoup moins D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XII. 193 moins que l'Ofier. Toutes les Coutures font gommées en de- l 7 2 j ' dans & en dehors ; mais il faut les vifïter tous les jours , pour M voir û la Gomme ne s'eft point écaillée. Les plus grands Ca- May. nots portent douze Hommes , deux à deux , & quatre milliers pefant. De tous les Sauvages les plus habiles Conftrufteurs font les Outaouais , & en général les Nations Algonquines y réuffiffent mieux, que les Huronnes. Peu de François font ve- nus à bout de les faire même paffablement ; mais pour les con- duire, ils font pour le moins aufîî fûrs , que les Naturels du Pays , aufli s'y exercent-ils dès la Bavette. Tous ces Canots , jufqu'aux plus petits , portent la Voile , & avec un bon vent peuvent faire vint lieues par jour. Sans Voiles , il faut avoir de bons Canoteurs pour en faire douze dans une eau morte. Du Lac d„ Du Coteau du Lac au Lac de Saint François il n'y a qu'une Saint François" bonne demie lieuë. Ce Lac , que je paflai le cinquième , a fept lieues de long , & tout au plus trois dans fa plus grande lar- geur. Les Terres des deux cotés font baffes , mais elles pa- roiffent affez bonnes. La route depuis Montréal jufques-là tient un peu du Sud-Ouert. , & le Lac de Saint François court Oueft-Sud-Oueft , & Eft-Nord-Eft. Je campai immédiate- ment au-deffus , & la nuit je fus éveillé par des cris affez per- çans , comme de gens , qui fe plaignoient. J'en fus d'abord ef- frayé , mais on me raffûra bientôt , en me difant que c'étoit des Huars , efpece de Cormorans. On ajouta que ces cris nous annonçoient du vent pour le lendemain , ce qui fe trou- va vrai. Le fïxiéme je paffai les Chefnaux des Lacs. On appelle ainfi -Autres Ra- '- mois de Juillet ? Cela vient fans doute de ce que la Terre , fcui-11'f ,? 11 1 TM ' 1 1 f> * • , s, mois de May. qui a ete couverte de Meges pendant plulieurs mois , neft pas encore allez échauffée pour ouvrir les pores des racines , & faire monter la fève. Au refte la Grande & Petite Famine méri- tent bien peu le nom de Rivières : ce ne font que des Ruiffeaux, fur-tout la dernière , mais elles font allez poiffonneufes. Il y a ici des Aigles d'une groffeur prodigieufe , mes Gens viennent d'en abbattre un Nid , où il y avoit la charge d'une Charrette de bois , & deux Aiglons , qui n'avoient pas encore de Plu- mes , & qui étoient plus gros que les Poules d'Inde les plus grandes. Ils les ont mangés , & les ont trouvés fort bons. Je reviens à Catarocoui , où la nuit , que j'y paffai , je fus té- moin d'une fcene allez curieufe. Vers les dix ou onze heures du foir , comme j etois fur le Manière de point de me retirer , j'entendis un cri , qu'on me dit être un chanter la cri de guerre , & peu de tems après je vis une Troupe de Mif- fasawSL • fifaguez , qui entroient dans le Fort en chantant. Depuis quel- ques années ces Sauvages fe font laiffés engager dans la guer- re , que les Iroquois font aux Cheraquis , Peuple affez nom- breux , qui habite un très - beau Pays au Sud du Lac Erié ; & depuis ce tems-là les points démangent à leurs jeunes gens. Trois ou quatre de ces Braves , équippés comme s'ils avoient voulu faire une mafcarade , le Vifage peint de manière à inf- pirer de l'horreur , & fuivis de prefque tous les Sauvages , qui demeurent aux environs du Fort , après avoir parcouru les Cabannes en chantant leurs chanfons de guerre , au fon du Chichikoué ( a) > venoient faire la même chofe dans tous les Appartemens du Fort , par honneur pour le Commandant & pour les Officiers. Je vous avoùeMadame,que cetteCérémonie a quelque chofe, qui infpire de l'horreur, quand on la voit pour la première fois, êc que je n'avois pas encore fenti jufques-là , comme je fis alors , que j'étois parmi des Barbares. Leur Chant a toujours quelque chofe de lugubre & de fombre ; mais ici j'y trouvai je ne fçai quoi d effrayant, caufé peut-être uniquement par l'obfcurité de la nuit , & par l'appareil de la Fête ; car c'en eu une pour les Sauvages. C'eft aux Iroquois , que s'adreffoic {a) Ceft une efgece d& CalebafTe remplie de petits Cailloux* io8 JOURNAL HISTORIQUE — cette invitation ; mais ceux-ci , à qui la Guerre des Chera- 1 r 2 ! * quis commence à devenir à charge , ou qui n'étoient pas en May. humeur , demandèrent du tems pour délibérer , & chacun s'en retourna chez foi. Du Dieu de ^ paroît , Madame,, que dans ces Chantons on invoque le la Guerre. Dieu de la Guerre , que les Hurons appellent Areskoui , & les Iroquois Agreskoué. Je ne fçai pas quel nom on lui donne dans les Langues Algonquines. Mais n'eft-il pas un peu éton- nant que dans le mot Grec Ap»f ? qui eft le Mars oc le Dieu de la Guerre dans tous les Pays , où l'on a fuivi la Théologie d'Homère , on trouve la racine , d'où femblent dériver plu- (ieurs termes de la Langue Huronne & Iroquoife, qui ont rapport à la Guerre ? Aregouen fignifie faire la Guerre , & fe conjugue ainfi : Garego , je fais la Guerre ; Sarego _, tu fais la Guerre ; Arego , il fait la Guerre. Au refte , Areskoui n'eft pas feulement le Mars de ces Peuples , il eft. encore le Souve- rain des Dieux , ou , comme ils s'expriment , le Grand Efprit , le Créateur & le Maître du Monde , le Génie , qui gouverne tout ; mais c'eft principalement pour les expéditions Militai- res , qu'on l'invoque , comme fi la qualité , qui lui fait le plus d'honneur , étoit celle de Dieu des Armées. Son nom eft. le Cri de Guerre avant le Combat , & au fort de la Mêlée : dans les Marches même on le répète fouvent , comme pour s'en- courager , & pour implorer fon afiiftance. DelaDéda- Lever la Hache , c'eft. déclarer la Guerre : tout Particulier 6uew de la a ^v01t ^e ^e ^a*re » ^ans 'î11011 puiffe y trouver à redire ; fi ce n'eft. parmi les Hurons , & les Iroquois, où les Mères de Famil- les ordonnent & défendent la Guerre , quand il leur plaît : nous verrons en fon lieu jufqu'où s'étend leur autorité dans ces Nations. Mais fi une Matrone veut engager quelqu'un , qui ne dépend point d'elle , à lever un Parti de Guerre , foit pour appaifer les Mânes de fon Mari , de fon Fils , ou de fon proche Parent , foit pour avoir des Prifonniers , qui rempla- cent dans fa Cabanne , ceux que la mort , ou la captivité lui a enlevés ; il faut qu'elle lui préfente un Colier de Porcelaine , & il eft rare qu'une telle invitation foit fans effet. Quand il s'agit d'une Guerre dans les formes , entre deux ou plufieurs Nations , la façon de s'exprimer eft , Jufpendre la Chaudière fur le feu ; & elle a fans doute fon origine dans la coutume barbare de manger les Prifonniers , &ceux , qui ont çté D'UN VOYAGE DE L'A ME Ri Q. Let. XIÏI. 209 été tués, après les avoir fait bouillir. On dit même tout fïm- plement qu'on va manger une Nation , pour lignifier qu'on veut lui faire la Guerre à toute outrance , & il eft rare qu'on May. la faffe autrement. Quand on veut engager fon Allié dans fa querelle , on lui envoyé une Porcelaine , c'eft-à-dire , une grande Coquille , pour l'inviter à boire le Sang , ou , comme portent les termes dont on ufe , du Bouillon de la Chair de les Ennemis. Après tout , cette pratique pourroit être très- ancienne , fans qu'on puiffe en inférer que ces Peuples ont toujours été Anthropophages. Ce n'étoit peut-être dans les premiers tems , qu'une façon de parler allégorique , telle que l'Ecriture même nous en fournit plufïeurs. David n'avoit ap- paremment pas à faire à des Ennemis , qui fuffent dans l'ufage de manger de la Chair humaine , lorfqu'il difoit : Dum appro- piamfuperme nocentes , ut edant carnes meas. (a) Dans la fuite certaines Nations devenues Sauvages & Barbares , auront fubftitué la réalité à la figure. J'ai dit que les Porcelaines de ces Pays font des Coquilles : Digreffio» elles fe trouvent fur les Côtes de la Nouvelle Angleterre , & frrkPoiceiai- fur celles de la Virginie : elles font cannelées , allongées , un neduCanada- peu pointues , fans oreilles & affez épaiffes. La Chair du Poif- fon renfermé dans ces Coquillages , n'eft pas bonne à manger; mais le dedans eft d'un fi beau Verni , & a des Couleurs u* vives , que l'Art ne peut rien faire qui en approche. Quand les Sauvages alloient toutnuds, ils enfaifoient l'ufage auquel nos premiers Pères employèrent les feuilles de Figuier , quand ils s'apperçurent de leur Nudité , & qu'elle leur caufa de la honte. Ils les pendoient auffi à leur Cou , comme la chofe la plus pré- cieufe qu'ils euffent , & c'eft encore aujourd'hui une de leurs plus grandes richefTes,& leurs plus belles parures ; en un mot, ils en ont la même idée que nous avons de l'Or & de l'Argent & des Pierreries : en cela d'autant plus raifonnables , qu'ils n'ont , pour ainfi dire , qu'à fe baifter pour fe procurer des Tréfors auffi réels que les nôtres ; puifque tout cela dépend de l'opinion. Jacques Cartier parle dans les Mémoires d'une ef- pece de Coquillage fait en Cornibot, qu'il trouva, dit-il, dans Tille de Montréal : il le nomme Efurgni , & affûre qu'il avoit la vertu d'arrêter le faignement du Nez. Peut-être eft-ce Ja même dont il s'agit ici ; mais on n'en ramaffe point fur les (#) Pfeaume %6. %. Tome III. D d no JOURNAL HISTORIQUE i 7 2 i . bords .de l'Ule de Montréal , & je n'ai pas oui dire que les Co- May. quillages de Virginie ayent la propriété dont parle Cartier. _ g II y en a de deux fortes , ou pour parler plus jufte , de deux ches&desCo- Couleurs , l'une blanche & l'autre violette. La première eft lier? de Force- plus commune , & peut-être pour cela même , moins eftimée. iaine" La féconde paroît avoir le grain un peu plus fin , quand elle eft travaillée. Plus fa couleur eft foncée , & plus elle eft re- cherchée. On fait de l'une & de l'autre de petits Grains cilin- driques ; on les perce , & on les enfile ; c'eft dequoi on fait les Branches & les Collers de Porcelaine. Les Branches ne font autre chofe, que quatre ou cinq fils, ou petites lanières de Peaux d'environ un pied de long , où font enfilés les Grains de Porcelaine. Les Coliers font des manières de Bandeaux ou de Diadèmes formés de ces Branches , affujetties par des fils , qui en font un tiffu de quatre , cinq , fîx ou fept rangées de Grains , & d'une longueur proportionnée ; cela dépend de l'importance de l'affaire, qu'on veut traiter, & de la dignité des perfonnes 3 à qui on préfente le Colier. Par le mélange des Grains de différentes Couleurs , on y forme telle figure & tel cara&ere , que l'on veut , ce qui fert fouvent à diftinguer les affaires, dont il eft queftion. On peint même quelquefois les Grains: du moins eft-il certain qu'on en- voie fouvent des Coliers rouges , quand il s'agit de la Guerre. Ces Coliers fe confervent avec foin , & non-feulement ils compofent le Tréfor public , mais ils font encore comme les Regiftres & les Annales , que doivent étudier ceux , qui font chargés des Archives, lefquelsfontdépofés dans laCabanne du Chef Quand il y a dans un Village deux Chefs d'une autori- té égale , ils gardent tour à tour le Tréfor & l'Archive pen- dant une nuit; mais cette nuit , du moins à préfent , eft une année entière. Deleumfa- Il n'y a que les affaires de conféquence , qui fe traitent par £e- des Coliers ; pour les moins importantes , on fe fert de Bran- ches de Porcelaines , de Peaux, de Couvertures, deMaïz , ou en Grains , ou en Farine , & d'autres chofes femblables : car il entre de tout cela dans le Tréfor public. Quand il s'agit d'in- viter un Village, ou une Nation à entrer dans une Ligue, quel- quefois au lieu de Colier, on envoyé unPavillon teint deSang : mais cet ufage eft moderne, & il y a bien de l'apparence que les Sauvages en ont pris l'idée à la vue des Pavillons blancs des 2 I D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XIII. 211 François , & des Pavillons rouges des Angîois. On dit même que nous nous en fomnies fervis les premiers avec eux , & r ? qu'ils ont imaginé d'enfanglanter les leurs , lorfqu'il eft que- May. ftion de déclarer la Guerre. Le Calumet n'eft pas moins facré parmi ces Peuples , que le Dll Calumet Colier de Porcelaine : il a même , fi on les en croit , une origi- & de fon ufa- ne Célefte ; car ils tiennent que c'eft un préfent que le Soleil §e" leur a fait. Il eft plus en ufage chez les Nations Meridionnales & Occidentales , que dans celles du Nord & de l'Eft , & on l'employé plus fouvent pour la Paix, que pour la Guerre. Calumet eft un mot Normand , qui veut dire Chalumeau ; & le Calumet des Sauvages eft proprement le Tuyau d'une Pipe ; mais on comprend fous ce nom la Pipe même & fon Tuyau. Dans les Calumets de parade , le Tuyau eft fort long , & la Pipe a la figure de nos anciens Marteaux d'Armes : elle eft or- dinairement faite d'une efpece de Marbre rougeatre , fort aifé à travailler , & qui le trouve dans les Pays des Ajoue^ , au-de- là du Micifîipi. Le Tuyau eft d'un Bois léger , peint de diffé- rentes Couleurs, & il eft orné de Têtes , de Queuës,& de Plu- mes des plus beaux Oifeaux ; ce qui , félon toutes les apparen- ces n'eft qu'un pur ornement. L'ufage eft de fumer dans le Calumet , quand on l'accepte , & il eft peut-être fans exemple qu'on ait jamais violé l'engage- ment, que l'on a pris par cette acceptation. Les Sauvages font du moins perfuadés que le Grand Efprit n'en laifferoitpas l'in- fraction impunie. Si au milieu d'un Combat l'Ennemi préfente un Calumet , il eft permis de le refufer ; mais fi on le reçoit , il faut mettre fur le champ les Armes bas. Il y a des Calumets pour tous les différens Traités. Dans le Commerce , quand on eft convenu de l'échange , on préfente un Calumet pour le cimenter , ce qui le rend en quelque forte facré. Quand il s'a- git de la Guerre, non-feulement le Tuyau, mais les Plumes même , dont il eft orné , font rouges : quelquefois ils ne le font que d'un côté , & on prétend que fuivant la manière , dont les Plumes font difpofées , on reconnoît d'abord à quelle Na- tion en veulent ceux , qui les préfentent. On ne peut guéres douter que les Sauvages , en faifant fumer De fon Ow- dans le Calumet ceux, dont ils recherchent l'alliance, ou le corn- gine- merce,n'ayent intention de prendre leSoleil pour témôin,& en quelque façon pour garant de leurs Traités ; car ils ne man- . Dd ij i y il. m JOURNAL HISTORIQUE quent jamais de pouffer la fumée vers cet Aftre : mais que de cette pratique , & de l'ufage ordinaire des Calumets on doi- May. ye inferer,comme ont fait quelques-uns, que cette Pipe pour- roit bien dans fon origine être le Caducée de Mercure , c'eft ce qui me paroît d'autant moins vraifemblable , que ce Ca- ducée n'avoit aucun rapport au Soleil , & que dans les Tra- ditions des Sauvages on n'a rien trouvé , qui puiffe faire juger qu'ils ayent jamais eu aucune connoiffance delà Mythologie des Grecs. Il feroit, à mon avis, beaucoup plus naturel de penier que ces Peuples , inftruits par leur expérience que la fumée de leur Petun abbat les vapeurs du Cerveau , rend la Tête plus libre , réveille les efpriis , & nous met plus en état de traiter d'affaires , en ont pour cette raifon introduit l'ufage dans les Confeils,où effectivement ils ont fans ceffe la Pipe à la Bouche, & qu'après avoir mûrement délibéré & pris leur parti, ils n'ont pas cru pouvoir trouver de fymbole plus propre pour mettre le fceau à ce qu'ils ont arrêté , ni de gage plus capable d'en affûrer l'exécution , que l'inftrument , qui a eu tant de part à leurs délibérations. Peut-être même vous paroîtra-t'il plus fimple , Madame, de dire que ces Peuples n'ont point imaginé de fignes plus naturels pour marquer une étroitte- union , que de fumer dans la même Pipe , fur-tout Ci la fumée qu'on en tire , eft offerte à une Divinité , qui y mette le fceau de la Religion. Fumer donc dans la même Pipe en figne d'al- liance , eft la même chofe , que de boire dans la même Cou- pe , comme il s'eft de tout tems pratiqué dans plusieurs Na- tions. Ce font-là de ces ufages , qui viennent trop naturelle- ment à l'efprit , pour y chercher du myftere. La grandeur & les ornemens des Calumets , qui fe préfen- tent aux Perfonnes de diftinftion , & dans les occasions im- portantes , n'ont rien non plus , dont il faille chercher bien loin les motifs. Pour peu que les hommes ayent de commerce entr'eux , & fe refpeâent mutuellement , ils s'accoutument à avoir certains égards les uns pour les autres , principalement dans les occafions , où il s'agit d'affaires publiques , ou quand on veut gagner la bienveillance de ceux , avec qui l'on traite , & de-là le foin , qu'on apporte , pour donner plus de décora- tion aux préfens , qu'on leur fait. Au refte c'eft aux Panis, Nation établie fur les Bords du Miffouri , & qui s'étend beau- coup vers le Nouveau Mexique , qu'on prétend que le Caiu- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XIII. 213 met a été donné par le Soleil. Mais ces Sauvages ont apparem- ment fait comme beaucoup d'autres Peuples. Ils ont voulu * 72 lm relever par le merveilleux un ufage , dont ils étoient les Au- May. teurs ; & tout ce qu'on peut conclure de cette tradition , c'eft que les Panis rendent au Soleil un culte plus ancien , ou plus marqué que les autres Nations de cette partie du Continent de l'Amérique, & qu'ils fe font avifés les premiers de faire du Calumet un fymbole d'alliance. Enfin fi le Calumet étoit dans fon inftitution le Caducée de Mercure , il ne feroit employé , que pour la Paix , ou pour le Commerce ; & il eft confiant qu'il efl d'ufage dans les Traités , qui ont la Guerre pour objet. Ces Notions , Madame , m'ont paru néceffaires pour vous donner une connoiffance parfaite de ce qui regarde la guerre des Sauvages , dont je vous entretiendrai dans mes Lettres , jufqu'à ce que j'aye épuifé ce fujet , ou , fi ce font des digref- fîons , elles ne font pas tout-à-fait étrangères à mon fujet. D'ailleurs un Voyageur tâche de placer le moins mal qu'il peut tout ce qu'il apprend fur fa route. Je fuis , &c. QUATORZIEME LETTRE. Defcription du Pays depuis l'Anfe de la Famine jufquà la Rivière des Sables. Motifs des Guerres des Sauvages. Départ des Guerriers , & tout ce qui précède leur départ. Leurs Adieux. Leurs Armes offenfves & défenfîves. Le foin , qu ils ont de porter avec eux leurs Dieux Tutélaires. Particularités du Pays jufquà Niagara. A la Rivière des Sables, ce dix-neuf May , 1721, M ADAME M E voici encore dégradé par un vent contraire , qui vient D«%r£j j r 1 ° r 1 ■ 11 *' ■ « mens & ln~ de ie lever au moment que nous étions le plus en train d a- commodités vancer. Il nous a même furpris fi brufquement ? que nous au- de ces v°y** 2i4 JOURNAL HISTORIQUE rions été fort en peine , fi nous n'euffions très-à-propos ren- 1 7 2 l ' contré cette petite Rivière , pour nous y réfugier. Vous m'a- May. vouerez , Madame , qu'il y a bien des défagrémens & des in- commodités à efluyer dans un voyage tel que celui-ci. Il eft fort trifte de faire cent , & quelquefois deux cent iieuës , fans trou- ver une Maifon , ni rencontrer un Homme ; de ne pouvoir s'engager dans une traverfe de deux ou trois lieues , pour éviter d'en faire vint inutilement , fans rifquer fa vie par le caprice des Vents ; de fe voir arrêté , comme il arrive quel- quefois, des femaines entières , fur une Pointe , ou fur un Rivage ftérile , où , fi la Pluye furvient , il faut refter fous un Canot , ou fous une Tente : fi le vent eft impétueux , il faut chercher un abry dans le Bois , où l'on n'eft pas fans danger d'être écrafé par la chute d'un Arbre. On auroit paré à une partie de ces inconvéniens , en conftruifant des Bar- ques pour naviger fur les Lacs ; mais il faudroit pour cela que le Commerce en valût un peu plus la peine. Nous fommes ici fur la lifiere des Cantons Iroquois , & c'eft un fort beau Pays. Nous nous embarquâmes hier de grand matin par le plus beau tems du monde. Il ne faifoit pas un foufle de vent , & le Lac étoit uni comme une Glace. Defcription Vers les neuf ou dix heures nous pafTâmes devant l'Embou- de la côte. c]lure de la Rivière d'Onnontagué, & elle me parut avoir un arpent de large. Les Terres y font un peu baffes, mais très-bien boifées. Prefque toutes les Rivières , qui arrofent les* Cantons Iroquois , fe déchargent dans celle-ci , dont la Source eft un fort joli Lac , appelle Gannentaha , fur le bord duquel il y a des Salines. Vers les onze heures & demie un petit vent de Nord - Eft nous fit mettre la Voile , & nous pouffa en peu d'heures jufqu'à la. Baye des Goyogouins , qui eft à dix lieues de la Rivière d'Onnontagué. Toute la Côte dans cet efpace eft variée de Marais & de Terres hautes , un peu fablonneufes , couvertes de très-beaux Arbres , & fur- tout de Chênes , qui femblent avoir été plantés à la main. Un vent de Terre violent , qui nous accueillit par le tra- . vers de la Baye des Goyogouins , nous obligea de nous y ré- fugier. C'eft un des plus beaux endroits , que j'aye jamais vu. Une prefqu'Ifle bien boifée s'avance au milieu , & forme comme un Théâtre. Sur la gauche en entrant, on apperçoit dans un enfoncement une petite Ifle , qui cache l'entrée d'une. D'UN VOYAGEDE L'AMERIQ.Let. XIV. 215 Rivière , par où les Goyogouins defcendent dans le Lac. Le 1 7 2 1 . vent ne dura point ; nous nous remîmes en route , & nous ,, fimes encore trois ou quatre lieues. Ce matin nous nous fom- a^° mes embarqués avant le Soleil levé , & nous avons fait cinq ou fix lieues. Je ne fçai' combien le vent du Nord-Oueft nous retiendra ici. En attendant je vais reprendre mon récit fur les guerres des Sauvages , où je l'ai interrompu. Il eft rare , Madame , que ces Barbares refufent de s'enga- Morifs, qui eer dans une guerre, quand ils y font invités par leurs Alliés, engagent k» P, , D« t. r • 1» i- i>- • • Sauvages a fa»- lls n ont pas même beioin pour 1 ordinaire d invitation pour re la guerre. prendre les Armes; le moindre motif, un rien fouvent les y dé- termine.La vengeance fur-tout: ils ont toujours quelque injure ancienne ou nouvelle à venger ; car le tems ne referme point ces fortes de playes , quelque légères qu'elles foient. Aufîine doit-on jamais compter que la Paix foit folidement établie en- tre deux Nations , qui ont été lontems ennemies ; d'autre part le defir, de remplacer des Morts par des Prisonniers , ou d'ap- paifer leurs ombres ; le caprice d'un particulier ; un fonge , qu'on explique à fa façon , & d'autres raifons , ou prétextes auflî frivoles , font qu'on voit fouvent partir pour la Guerre une troupe d'Aventuriers , qui ne fongeoient à rien moins le jour précèdent. Il eft vrai que ces petites Expéditions , fans l'aveu du Con- feil , font ordinairement fans conféquence , & comme elles ne demandent pas de grands préparatifs , on y fait peu d'at- tention ; mais généralement parlant , on n'eft pas trop fâché de voir la JeuneiTe s'exercer & fe tenir en haleine , & il fau- droit avoir de grandes raifons pour s'y oppofer ; encore y em- ploye-t-on rarement l'autorité , parce que chacun eft le maî- tre de fes démarches : maison tâche d'intimider les uns par de faux bruits, qu'on fait courir; on follicite fous main les autres ; on engage par des préfens les Chefs à rompre la partie , ce qui eft fort aile ; car il ne faut pour cela qu'un Songe vrai , ou pré- tendu. Dans quelques Nations , la dernière relTource eft de s'adrefler aux Matrones , & elle eft prefque toujours efficace , mais on n'y a recours, que quand l'affaire eft d'une grande con- féquence. Une Guerre , qui interrefTe toute la Nation , ne fe conclut De queffe pas il aifément : on en balance avec beaucoup de maturité les ^aîers oa*'Y inconveniens & les avantages , & tandis qu'on délibère , on 7* n6 JOURNAL HISTORIQUE apporte un très-grand foin à écarter tout ce qui pourroit don- ner à l'Ennemi le moindre fujet de foupçonner qu'on veut May. rompre avec lui. La Guerre une fois réfoluë., on penfe d'a- bord aux Provifions & à l'Equipage des Guerriers , & cela ne demande pas beaucoup de tems. Les Danfes , les Chants , les Feftins , quelques Cérémonies fuperftitieufes , qui varient beaucoup félon les différentes Nations , en demandent beau- coup davantage. ■c Celui qui doit commander ne fonee point à lever des Sol- Preparatits ri, , . . . A , , r . or i-in du chef, dats , qu il n ait jeune plulieurs jours , pendant leiquels il elt barbouillé de noir , n'a prefque point de converfation avec perfonne , invoque jour & nuit fon Efprit tutelaire , obferve fur-tout avec foinfes Songes. La perfuafion où il eft , fuivant le génie préfomptueux de ces Barbares, qu'il va marcher à une Vi&oire certaine , ne manque guéres de lui caufer des Rêves félon fes defirs. Le Jeûne fini , il affemble fes Amis , & un Colier de Porcelaine à la Main, il leur parle en ces termes ; Mes Frères , le Grand Efprit autorife mes fentimens , & m'a infpiré ce que je dois faire. Le Sang d'un tel n'eft point effuyé , fon Corps n'eft point couvert, & je veux m'acquit- ter envers lui de ce devoir « . Il expofe de même les autres motifs , qui lui font prendre les Armes. Puis il ajoute : » Je fuis » donc réfolu d'aller en tel endroit lever des Chevelures , ou » faire des Prifonniers ; ou bien je veux manger telle ou telle » Nation. Si je péris dans cette glorieufe entreprifë , ou Ci » quelqu'un de ceux , qui voudront bien m'accompagner , y » perd la vie , ce Colier fervira pour nous recevoir , afin que >, nous ne demeurions pas couchés dans la PouiTiere , ou dans » laBouë «. C'eft-à-dire, apparemment, qu'il fera pour celui qui aura foin d'enfévelir les Morts, En prononçant ces dernières paroles , il met le Colier à terre , & celui qui le ramaffe, fe déclare par-là fon Lieutenant ; puis il le remercie du zélé, qu'il témoigne pour venger fonjFre- re , ou pour foûtenir l'honneur de la Nation. On fait enfuite chauffer de l'Eau , on débarbouille le Chef, on lui accommo- de les Cheveux , & on les graiffe , ou on les peint. On lui met différentes Couleurs au Vifage , & on le revêt de fa plus belle Robe. Ainfi paré , il chante d'une voix fourde fa Chan- fon de Mort -, fes Soldats , c'eft-à-dire , tous ceux , qui fe font offerts à l'accompagner , (car on ne contraint perfonne ) en- tonnent D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XIV. 217 tonnent enfuite l'un après l'autre leur Chanfon de Guerre ; l7ZÏ car chacun a la fienne , qu'il n'eft pas permis à nul autre de ^ chanter : il 7 en a aufîi d'affe£tées à chaque Famille. May. Après ce préliminaire , qui fe pafle dans un lieu écarté , & Délibération fou vent dans une Etuve , le Chef va communiquer fon projet da Confiai* au Confeil , lequel en délibère , fans jamais admettre à cette délibération l'Auteur de l'Entreprife. Dès que fon projet a été accepté , il fait un Feftin , dont le principal & quelquefois l'unique Mets doit être un Chien. Quelques-uns préten- dent que cet Animal eft offert au Dieu de la Guerre , avant que d'être mis dans la Chaudière , & peut-être qu'on le prati- que ainn* parmi quelques Nations. Je fuis même bien aife de vous avertir ici , Madame , que dans ce que je vous dirai fur cet article , je ne garantis pas que tout foit d'un ufage général parmi toutes les Nations. Mais il paroît certain que dans Foc-' cafion , dont il s'agit ici , on fait quantité d'invocations à tous les Efprits bons & mauvais, & fur-tout au Dieu de la Guerre. Tout cela dure plufieurs jours, ou plutôt fe réitère plufieurs Mefures . jours de fuite : mais quoique tout le monde femble unique- <îuon Pre!ld ment occupé de ces Fêtes , chaque Famille prend fes mefures PnTonniers.Ûe pour avoir fa part des Prifonniers , qu'on fera , afin de réparer fes pertes , ou de venger fes Morts. Dans cette vue , on fait des préfens au Chef, qui de fon côté donne fa parole &: des gages. Au défaut des Prifonniers , on demande des Chevelu- res , & cela eft plus aifé à obtenir. En quelques endroits , comme chez les Iroquois , dès qu'une expédition Militaire eft réfoluë , on met fur le feu la Chaudière de Guerre , & on aver- tit fes Alliés d'y apporter quelque chofe , pour faire connoître qu'ils approuvent l'Entreprife , & qu'ils y prendront part. Tous ceux, qui s'enrôlent , donnent auïTi au Chef, pour figne de leur engagement , un morceau de Bois avec leur mar- que , & quiconque après celaretireroitfa parole , ne feroitpas en fureté de fa vie ; du moins il refteroit deshonoré pour tou- jours. Le Parti étant formé , le Chef de Guerre prépare un nouveau Feftin , où tout le Village doit être invité , & avant qu'on touche à rien , il dit , ou un Orateur pour lui & en fon nom : » Mes Frères , je fçai que je ne fuis pas encore un Hom- <* me ; mais vous n'ignorez pourtant pas que j'ai vu quelquefois « l'Ennemi d'affez près. Nous avons été tués ; les Os de tels & « çle tels font encore découverts , ils crient contre nous , il faut « Tome III. E e JOURNAL HISTORIQUE 1721. » les fatisfaire. Cetoient des Hommes ; comment avons-nous May. » pu fitôt les oublier , & demeurer fi lontems tranquilles fur nos » Nattes ? Enfin , l'Efprit , qui s'interreffe à ma gloire , m'a inf- » pire de les venger. Jeuneue , prenez courage , rafraîchirez » vos Cheveux , peignez-vous le Vifage , remplilTez vos Car- » quois , faifons retentir nos Forêts de Chants Militaires , def- » ennuyons nos Morts , & apprenons -leur qu'ils vont être » vengés, chants se Après ce difeours , & les applaudifTemens , dont il ne man- Danfes & Fcf- ^g pas d'être fuivi , le Chef s'avance au milieu de l'Affem- riers. " blée , le Caffe-tête à la Main , & chante ; tous Tes Soldats lui répondent en chantant , & jurent de le bien féconder , ou de mourir à la peine. Tout cela eft accompagné de geftes très- exprefîifs pour faire entendre qu'ils ne reculeront pas devant l'Ennemi ; mais il eficà remarquer quil n'échappe à aucun des Soldats aucune expreffion , qui dénote la moindre dépendan- ce. Tout fe réduit à promettre d'agir avec beaucoup d'union & de concert. D'ailleurs , l'engagement qu'ils prennent , exi- ge de grands retours de la part des Chefs. Par exemple , à chaque fois que dans les Danfes publiques un Sauvage frap- pant de fa Hache un Poteau dreffé exprès , rappelle à rAffem- blée fes plus belles A£t'ons, comme il arrive toujours, le Chef, fous la conduite duquel il les a faites , eft obligé de lui faire un préfent , du moins parmi quelques Nations, idée, que Les Chants font fuivis de Danfes ; quelquefois ce n'en: " qu'une démarche fiere , mais en cadence ; d'autres fois ce font des mouvemens affez vifs , figurés & repréfentatifs des opéra- tions d'une Campagne , & toujours cadencés. Enfin le Fe- ftin termine la Cérémonie. Le Chef de Guerre n'en eft que fpectateur la Pipe à la Bouche ; c'eft même aflez l'ordinaire dans tous les Feftins d'appareil , que celui , qui en fait les hon- neurs , ne touche à rien. Les jours fui vans , & jufqu'au départ des Guerriers , il fe pafFe bien des chofes , dont le récit n'a rien d'interreffant , & qui ne font pas même d'une pratique uniforme & confiante : mais je ne dois pas oublier une coutu- me affezfinguliere, dont les ïroquois fur-tout ne fe difpen- fent jamais : elle paroît avoir été imaginée pour connoître ceux, qui ontl'efprit bien fait, & fçaventfe commander à eux- mêmes ; car ces Peuples , que nous traitons de Barbares , ne conçoivent pas qu'on puiffe avoir un véritable courage 5 fi ces Peuples ont du Couraçre, D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XIV. 219^ l'on n'eft pas maître de Tes paffions , & fi on ne fçait pas fou- 1 7 2 1 . frir ce qui peut arriver de plus fenfible. Voici de quoi il w s'agit. '' Les plus anciens de la Troupe Militaire font aux jeunes Epreuves ; Gens , principalement à ceux , qui n'ont pas encore vu FEn- où l'on met les nemi , toutes les avanies , dont ils peuvent s'avifer. Ils leur ueUJ jettent des cendres chaudes fur la tête ; ils leur font les repro- ches les plus fanglans ; ils les accablent d'injures , & pouffent ce jeu jufqu'aux plus grandes extrémités. Il faut endurer tout cela avec une insensibilité parfaite ; donner dans ces occa- sions le moindre Signe d'impatience , c'en feroit afïez pour être jugé indigne de porter jamais les armes : mais quand cela Se pratique entre gens de même âge , comme il arrive allez fouvent , il faut que l'Agreffeur foit bien affiûré de n'avoir rien fur fon compte , fans quoi , le jeu fini , il feroit obligé de réparer l'infulte par un préfent. Je dis , le jeu fini , car tout le tems qu'il dure , il faut tout foufrir fans fe fâcher , quoique le badinage aille fouvent à fe jetter des tifons de feu à la tête , & à fe donner de grands coups de bâton. Comme Fefperance de guérir de fes bleSïures , Si on a le précautions malheur d'en recevoir , ne contribue pas peu à engager les ppur les bief- plus braves à s'expofer aux plus grands périls , après ce que je es' viens de dire , on prépare les drogues , dont les Jongleurs font chargés. Je vous dirai une autre fois quelle forte de gens font ces Jongleurs. Toute la Bourgade étant afTemblée , un de ces Charlatans déclare qu'il va communiquer aux Racines & aux Plantes , dont il a fait bonne provision , la vertu de gué- rir toutes fortes de pkyes , & même de rendre la vie aux morts. Aufli-tôt il fe met à chanter ; d'autres Jongleurs lui ré- pondent , & l'on fuppofe que pendant le concert , qui ne vous paroîtroit pas fort mélodieux , & qui eft accompagné de beaucoup de grimaces de la part des Afteurs , la vertu médi- cinale fe répand fur les drogues. Le principal Jongleur les éprouve eniiiite : il commence par fe faire faigner les lèvres ; il y applique fon remède ; le fan g , que l'impoSleur a foin de fuccer adroittement , celle de couler , & on crie : miracle. Après cela il prend un Animal mort , il laiSTe aux Affiftans tout le loilir de bien s'affûrer qu'il éft fans vie , puis par le moyen d'une canule , qu'il lui a inférée fous la queue , il la fait re- muer , en lui fouflant des herbes dans la gueule , & les cris Ee ij 220 JOURNAL HISTORIQUE j ?2 It d'admiration redoublent. Enfin toute la Troupe des Jongleurs fait le tour des Cabannes en chantant la vertu des remèdes. May. Ces artifices dans le fond n'en impofent à perfonne , mais ils amufent la multitude , & il faut fuivre l'ufàge. Pratiques En voici un autre , qui efl particulier aux Miamis , & peut- propres aux être à quelques autres Nations du Voifinage de la Louyfiane. fcSrJàïa ^e ^ tir^ des Mémoires d'un François , qui en a été témoin. Guerre. Après un feftin folemnel on plaça, dit-il , fur une efpece d'Autel des figures de Pagodes , faites avec des Peaux d'Ours , dont la tête étoit peinte de couleurs vertes. Tous les Sauvages parlèrent devant cet Autel en faifant des génufle- xions , & les Jongleurs conduifoient la Bande, en tenant à la main un fac , où étoient renfermées toutes les chofes, dont ils ont accoutumé de fe fervir dans leurs évocations. C'étoità qui feroit plus de contorfions , & à mefure que quelqu'un s'y difîinguoit , on lui applaudiffoit par de grands cris. Quand on eut ainii rendu fes premiers hommages aux Idoles , tout le monde danfa avec beaucoup de confufion , au fon du Tam- bour & du Chichikoué , & pendant ce tems-là les Jongleurs faifoient femblant d'enforceler divers Sauvages , qui paroif- foient expirer : puis en leur mettant d'une certaine poudre fur les lèvres , ils les faifoient revivre. Quand cette farce eut duré quelque tems , celui , qui pré- iîdoit à la Fête , ayant à fes côtés deux Hommes & deux Fem- mes , parcourut toutes les Cabannes , pour avertir que les Sacrifices alloient commencer. Lorfqu'il rencontroit quel- u'un en fon chemin , il lui mettoit les deux mains fur la tête , celui-ci lui embrafToit les genoux. Les Vi£times dévoient être des Chiens , & l'on entendoit de toutes parts les cris de ces Animaux , qu'on égorgeoit , & les Sauvages , qui hur- loient de toutes leurs forces , fembloient leur faire paroli. -Dès que les viandes furent cuites , on les offrit aux Pagodes , puis on les mangea, & on brûla les os. Cependant les Jon- gleurs ne cefToient point de refufciter de prétendus morts , & le tout finit par la dilfribution , qui fut faite à ces Charlatans de ce qui fe trouva le plus à leur bienféance dans toute la Bourgade. Defcriptîon Depuis la réfolution prife de faire la guerre, jufqu'au dé- des Raquettes part des Guerriers , toutes les nuits on chante , & les jours fria;Sech&; *e Paffen^ à faire les Préparatifs. On députe des Guerriers pour £ D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XIV. 22: aller chanter la Guerre chez les Voifins & les Alliés , qu'on î 7 2 *• a fouvent eu foin de difpofer , par des Négociations fecrettes. May. Si la Marche fe doit faire par eau , on conftruit , ou l'on ré- des Tlaînes . pare les Canots : û c'eft lHyver , on fe fournit de Raquettes Bagage? " & de Traînes. Les Raquettes , dont il faut néceffairement fe fervir , pour marcher fur la Neige , ont environ trois pieds de long , & quinze ou feize pouces dans leur plus grande lar- geur. Leur figure eft ovale , à cela près , que l'extrémité de derrière fe termine en pointe ; de petits bâtons de traverfe , paffés à cinq ou fix pouces des deux bouts , fervent à les ren- dre plus fermes , & celui , qui eft fur le devant , eft comme la corde d'une ouverture en arc , où l'on met le pied , qu'on y affujettit avec des courroyes. Le tiffu de la Raquette eft de la- nières de cuir de la largeur de deux lignes , & le contour eft d'un bois léger durci au feu. Pour bien marcher fur ces Ra- quettes , il faut tourner un peu les genoux en-dedans , & te- nir les jambes écartées. Il en coûte d'abord pour s'y accoutu- mer ; mais quand on y eft fait , on marche avec facilité & fans fe fatiguer davantage , que fi on n'avoit rien aux pieds. Il n'eft pas poiîible d'ufer de ces Raquettes avec nos Souliers ordi- naires ; il faut prendre ceux des Sauvages , qui font des efpe- ces de Chauffons de Peaux boucannées , pliffés en-deffus à l'extrémité du pied & liés avec des cordons. Les Traînes , qui fervent à porter le Bagage , & dans un be- foin , les Malades & les Bleues , font deux petites Planches fort minces de la largeur d'un demi-pied chacune, fur fîx ou fept de long. Les devans en font un peu relevés , & les côtés font bordés de petites bandes , où l'on attache des courroyes , pour affujettir ce qui eft fur la Traîne. Quelque chargées que Soient ces voitures , un Sauvage les peut tirer fans peine , à l'aide d'une longue bande de cuir , qu'il fait paffer fur fa poi- trine , & qu'on appelle Coliers. On en ufe auffi pour porter des fardeaux , & les Mères s'en fervent pour porter leurs En- fans avec leurs Berceaux ; mais alors c'eft fur le front, & non pas fur la poitrine qu'ils font appuyés. Tout étant prêt, & le jour du départ venu , les adieux fe Adieux des font avec de grandes démonstrations d'une véritable tendreffe. Guerriers. Chacun veut avoir quelque chofe , qui ait été à l'ufage des Guerriers , & leur donne des gages de fon amitié , & des af- fûrances d'un fouvenir éternel. Ils n'entrent dans prefqu'au- 222 JOURNAL HISTORIQUE — ■ — cime Cabanne , qu'on ne leur prenne leur Robe , pour leur 1721. en donner un autre meilleure , ou du moins aufïï bonne. En- Mav. ™i tous fe rendent chez le Cher. Ils le trouvent armé comme le premier jour, qu'il leur a parlé; & comme il a toujours paru en public depuis ce tems-ia. Eux-mêmes le font peints le vi- fage , chacun fuivant ion caprice , & tous ordinairement de manière a taire peur. Le Cher leur fait une courte harangue , puis il fort de ia Cabanne , en chantant fa chanfon de mort. Tous le fuivent à la file , gardant un profond fiience , & la même choie fe pratique tous les matins , quand on fe remet en marche. Ici les Femmes prennent les de vans avec les provi- fions , & quand les Guerriers les ont jointes , ils leur remet- tent en main toutes leurs hardes , & relient prefque nuds : au- tant néanmoins que la Saifon le peut permettre. Autrefois les armes de ces Peuples étoient l'Arc , la Flèche , Leurs Armes g^. une çÇqqqq de javelot , lune & l'autre armées de pointes dé&ofives. d'os travaillées en difierentes taçons , »,& de deux ieaux y pourroient être a flot. A deux neues de ion Lmbou- Fontaines fic- chure , on eft arrêté par une Chute , qui paroît bien avoir guli«es* iption 2i4 JOURNAL HISTORIQUE u foixante pieds de haut , & deux arpens de large ; une portée de Fufil au-deffus , on en trouve une féconde de même lar- May. geur 9 mais moins haute des deux tiers ; & une demie lieuë plus loin , une troisième de cent pieds de haut bien mefurés , & de trois arpens de large. On rencontre après cela plusieurs Rapides , & après avoir encore navigué cinquante lieues , on apperçoit une quatrième Chute , qui ne cède en rien à la troi- fîéme. Le cours de cette Rivière eft de cent lieues , & quand on l'a remontée environ foixante lieues , on n'a que dix lieues à faire par terre , en prenant à droite , pour arriver à l'Ohio , furnommé la belle Rivière. Le lieu , où on la joint , s'appelle Ganos , où un Officier digne de foi , (a) & le même , de qui je tiens tout ce que je viens de vous dire , m'a afîuré avoir vu une Fontaine , dont l'Eau eft comme de l'Huile , & a le goût de Fer. Il m'a ajouté qu'un peu plus loin , il y en a une autre toute femblable , & que les Sauvages fe fervent de fon Eau , pour appaifer toutes fortes de douleurs. Defcriprïon La Baye des Tfonnonthouans eft un lieu charmant : une ïfonnon- * ioue Rivière y ferpente entre deux belles Prairies , bordées de thouans. Coteaux , entre lefquelles on découvre des Vallées , qui s'é- tendent fort loin , & tout cela forme le plus beau point de vue du monde , borné par une grande Forêt de haute-Futaye : mais le terrein me paroît un peu léger & (ablonneux. Nous nous remîmes en route à une heure & demie , & nous voguâ- mes jufqu a dix heures du foir. Nous avions deffein de nous retirer dans une petite Rivière , qu'on appelle la Rivière aux Bœufs ; mais nous en trouvâmes l'entrée bouchée par les Sa- bles , ce qui arrive fouvent aux petites Rivières , qui fe dé- chargent dans fes Lacs , par la raifon qu'elles entraînent beau- coup de Sable avec elles : car quand le Vent vient du large , ces Sables font arrêtés par les Vagues > & forment peu à peu une Digue fi haute & fi forte , que le courant des Rivières ne la fçauroit franchir , ft ce n'eft quand les Eaux groffiffent par la fonte des Neiges. De la Rî vie- Je fus donc obligé de paffer le refte de la nuit dans mon Ca- rs de Niagara. not ^ Qu j'effUy£j une affez forte gelée. AufTi à peine voyoit-on les Arbriffeaux bourgeonner. Tous les Arbres étoient comme dans le milieu de l'Hy ver. Nous partîmes de-là à trois heures & demie du matin , le vint-deux , jour de l'Afcenfton , & j'al„ ( a ) M. de Joncaire , aujourd'hui Capitaine dans les Troupes de la N. France. lai DU N VOYAGEDE L'AMERIQ. Iêt. XIV. n5 ai dire la Méfie à neuf heures dans ce qu'on appelle le Grand — ' Marais. C'eft une Baye affez femblable à celle des Tfonnon- l711 thouans , mais où les Terres m'ont paru meilleures. Vers les May. deux heures après midi , nous entrâmes dans la Rivière de Niagara , formée par la grande Chute , dont je vous parlerai bientôt , ou plutôt c'eft le Fleuve Saint Laurent , qui fort du Lac Erié , & paffe par le Lac Ontario après quatorze lieues de détroit. On J'appelle Rivière de Niagara depuis la Chute , & cet efpace eft de fix lieues. On fait le Sud en y entrant. Quand on y a fait trois lieues , on trouve fur la main gauche quelques Cabannes d'Iroquois Tfonnonthouans & de Miffi- faguez , comme à Catarocoui. Le Sieur de Jonquaire , Lieutenant dans nos Troupes, y a auffi fa Cabanne, à laquelle on donne par avance le nom de Fort {a) : car on prétend bien qu'avec le tems elle fera changée en une véritable Fortereffe. J'ai trouvé ici plufteurs Officiers , qui doivent retourner dans quelques jours à Québec. C'eft ce qui m'oblige à fermer cette Lettre , que j'enverrai par la même voye. Pour moi , je prévois que j'aurai après leur départ le tems de vous en écrire encore une , & le lieu même me fournira prefque de quoi la, remplir , avec ce que je pourrai apprendre d'ailleurs des Offi- ciers , dont je viens de parler. J'ai l'honneur d'être , A Niagara 3 ce vintrois May , îjiz. i été bâti depuis à l'Entrée I nonville en avoit bâti un Niagara, du même côté, lifté lontems. Il comment... Si prccifémenc à l'endroit , ou M. de Dé- | «mer une Bourgade Irançoife. ( a) Le Tort a été. bâti depuis à l'Entrée I nonville en avoit bâti un , qui n'a pas fub- de la Rivière de Niagara , du même côté , lifté lontems. Il commence même à s'y for- Tome IIL Ff n6 JOURNAL HISTORIQUE 172 1 May. QUINZIEME LETTRE. Ce qui fe pajfe entre les Tfonnonthoucms & les Anglois à Toc- cafion de notre Etabliffement cl Niagara. Defcription du Pays* JDanfe du Feu ; Hifloire à cette occafîon* Defcription du, Sault de Niagara. M Au Sault de Niagara , ce vint-fix May , 172 1 .. ADAME , J'ai déjà eu l'honneur de vous dire que nous avons Projet d'un ici un projet d'EtablifTement : pour bien entendre ce qui SSelra1"" Y a d°nné Ueu •> ^ ^aut fçavoir que les Anglois prétendent , en vertu du Traité d'Utrecht , avoir la Souveraineté fur tout le Pays Iroquois , & par conféquent n'être bornés de ce côté -là, que par le Lac Ontario; cependant on a com- pris que , fi leur prétention avoit lieu , il ne tiendrait bien- tôt plus qu'à eux de s'établir puifTamment dans le centre de la Colonie Françoife , ou du moins d'en ruiner absolument le Commerce. On a donc jugé à propos de parer à cet inconvé- nient s en évitant néanmoins de donner atteinte au Traité , & on n'a rien trouvé de mieux , que de nous placer en un lieu , qui nous affûrât la communication libre des Lacs , & où les Anglois ne fuffent pas les maîtres de s'oppofer à notre Etablif- fement. LaCommiflion en a été donnée àM.dejQNCAiRE,le- quel ayant été dans fà jeunelTe Prifonnier desTfonnonthouans, gagna fi bien les bonnes grâces de ces Sauvages , que même dans le plus fort des Guerres , que nous avons eues contr'eux ,. & quoiqu'il y ait très-bien fervi , il a toujours joui des privilè- ges attachés à fon adoption. Dès qu'il eut reçu fes ordres pour l'exécution du Projet > dont je vous ai parlé , ilfe rendit chez eux , affembla les Chefs9 & après les avoir affûrés qu'il n'avoit point de plus grand plai- ûr au monde que de vivre avec fes Frères , il ajouta qu'il les vifiteroit. bien plus fouvent, s'il avoit chez eux une Cabanne, où il pût fe retirer , quand il voudroit être en liberté. lis lui; répondirent qu'ils n'avoient jamais ceffé de le regarder comme 172 D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ.Let. XV. 227 un de leurs Enfans ; qu'il étoit le maître de fe loger par-tout, où bon lui fembleroit , & qu'il pouvoit choifïr le lieu , qu'il juge- roit le plus commode» Il n'en demandoit pas davantage , il May. vint aufti-tôt ici , choifit pour fon emplacement le bord de la Rivière , qui termine le canton de Tfonnonthouan , & y dreffa une Cabanne. La nouvelle en fut bientôt portée dans la nou- velle York , & elle y caufa d'autant plus de jaloufie , que les Anglois n'avoient jamais pu obtenir dans aucun canton Iro- quois , ce qui venoit d'être accordé au Sieur de Joncaire. Ils fe plaignirent avec hauteur, & leurs plaintes appuyées de _ Oppofuion préfens , mirent d'abord les quatre autres Cantons dans leurs inu»letks An- * a • m » r 1 i 1 gloisa cet tta- jnterets : mais ils n en turent pas plus avances , parce que les Bliflement. Cantons Iroquois font indépendans les uns des autres , & fort jaloux de cette indépendance. Il falloit donc encore gagner celui de Tfonnonthouan , & les Anglois n'omirent rien pour y réufîir ; mais ils s'apperçurent bientôt qu'ils ne viendroient jamais à bout de déloger Joncaire de Niagara. Alors ils fe ré- duisirent à demander , qu'au moins il leur fut permis d'avoir aufïi une Cabanne au même lieu : mais cela leur fut encore refufé. » Notre Terre eft en paix , leur dirent les Tfonnon- « thouans , les François & vous n'y pourriez pas demeurer en- « femble , fans la troubler. Au refte , ajoûterent-ils , c'eft fans « conféquence , que Joncaire y demeure. Il eft Enfant de la Na- « tion , il jouit de fon droit , & il ne nous eft pas permis de l'en « fruftrer. « Il faut avouer , Madame , qu'il n'y a gueres que le zélé du _ . . . bien public , qui punie engager un Orhcier , a demeurer dans duPaïsde Nia- un Pays tel que celui-ci , il n'eft pas poffible d'en voir un g^*. plus fauvage & plus affreux. D'un côté on voit fous fes pieds, & comme dans le fond d'un abîme , un grand Fleuve à la vé- rité, mais qui en cet endroit, reffemble plus à un torrent par fa rapidité, & par les Tourbillons , qu'y forment mille Rochers , au travers defquels il a bien de la peine à trouver paffage , & par l'écume , dont il eft toujours couvert : de l'autre , la vue eft mafquée par trois Montagnes pofées les unes fur les autres , & dont la dernière fe perd dans les Nues. C'eft bien là que les Poètes auroient pu dire , que les Titans avoient voulu ef- calader le Ciel. Enfin de quelque part que les yeux fe tour- nent , ils ne découvrent rien , qui n'infpire une fecrette -hor- reur, Ff ij i 7 2 ï ii8 JOURNAL HISTORIQUE Il eft vrai qu'il ne faut pas aller bien loin pour voir uni grand changement. Derrière ces Montagnes incultes & inha- May. bitables , on apperçoit un Terrein gras , des Forêts magnifi- ques , des Coteaux agréables & fertiles ; on refpire un air pur , & on jouit d'un Climat tempéré , entre deux Lacs , dont le moindre (a) a deux cent cinquante lieues de circuit. Il me paroît que , fi de bonne heure on avoit eu la précaution de s'af- sûrer par une bonne ForterefTe , & par une Peuplade raison- nable , d'un Porte de cette importance ; toutes les forces des Iroquois & des Anglois jointes enfemble , ne feroient pas au- jourd'hui capables de nous en chafler ; que nous ferions nous- mêmes en état de donner la Loi aux Premiers , & d'empêcher la plupart des Sauvages , de porter leurs Pelleteries aux Se- conds , comme ils font impunément tous les jours. La Compagnie, que j'ai trouvée ici av.ec M. de Jonc aire, étoit compofée du Baron de Longueil , Lieutenant de Roy de Montréal ( b ) , du Marquis de Cavagnal , fils du Mar- quis de Vaudreuil , aftuellement Gouverneur Générai de la Nouvelle France , de M. de Senneville , Capitaine , & du Sieur de la Chauvignerie Enfeigne , & Interprète du Roy pour la Langue Iroquoife : ces Meilleurs vont négocier un Accommodement avec le Canton d'Qnnontagué , & avoiem ordre de vifiter l'Etabliffement du Sieur de Joncaire , dont ils ont été très-contens. Les Tfonnonthouans. leur ont renouvelle la parole , qu'ils avoient donnée de le maintenir. Cela s'eft fait dans un Confeil , où Joncaire , à ce qu'ils m'ont dit , a parlé avec tout l'efprit d'un François , qui en a beaucoup , & la plus fublime Eloquence Iroquoife. Dcfcriptîon La veille de leur départ , c'eft - à - dire , le vint - quatre , un leu! a" C U Miffifagué nous régala d'une Fête , qui a quelque chofe d'af- fez fîngulier. Il étoit tout-à-fait nuit quand elle commença ; & en entrant dans la Cabanne de ce Sauvage , nous trouvâ- mes un feu allumé , auprès duquel un Homme battoit en chantant , fur une efpece de Tambour : un autre fecouoit fans cefTe fon Chichicoué , & chantoit auiTi : cela dura deux heu- res , & nous ennuya beaucoup , car ils difoient toujours la même chofe , ou plutôt ils formoient des fons à demi arti- culés , qui ne varioient point. Nous priâmes le Maître du. (a) Le Lac Ontario. Le Lac Erié en a I (t) U cft mort Gouverneur de cetts Mois cent. I Ville. i 7 2 i D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XV. 229 Logis de ne point pouffer plus loin ce Prélude , & il eut bien de la peine à nous donner cette marque de complaifance. f '" ' Nous vîmes alors paroître cinq ou fix Femmes , qui fe ran- May géant côte à côte fur une même ligne , fe tenant fort ferrées , & ayant les bras pendans , danferent & chantèrent ; c'eft-à- dire , que fans rompre la ligne , elles faifoient quelques pas en cadence , tantôt en avant , & tantôt en arrière. Quand elles eurent fait ce manège environ un quart d'heure , on étei- gnit le feu , qui feul donnoit du jour à la Cabanne , & on n'apperçut plus rien, qu'un Sauvage, qui avoit dans la bouche un charbon allumé , & qui danfoit. La Symphonie du Tam- bour & du Chichicoué , ne difcontinuoit point ; les Femmes reprenoient de tems en tems leurs Danfes & leur Chant : le Sauvage danfoit toujours , mais comme on ne le diflinguoit , qu'à la lueur du charbon allumé , qu'il avoit dans la bouche v iiparoiffoit unSpe£tre, & faifoit horreur à voir. Ce mélange de Danfes , de Chants , d'Inftrumens , & ce feu , qui ne s'é- teignoit point , avoient quelque chofe de bizarre Se de fauva- ge , qui nous amufa une demie heure , après quoi nous for- tunes de la Cabanne ; mais le jeu dura jufqu'au jour : & voilà, Madame , tout ce que j'ai vu de la Danfè du feu % je n'ai pu fçavoir ce qui fe palfa le refte de la nuit. La Mufique, que j'en- tendis encore quelque tems , étoit beaucoup plus fupporta- ble de loin , que de près. Le contrafte des voix d'Hommes Se de Femmes , faifoit à une certaine diftance , un affez bel ef- fet; & on peut dire , que ri les Femmes Sauvages avoient de la Méthode , il y aurait bien du plaifîr à les entendre chanter. J'avois fort envie de fçavoir , comment un homme pouvoit Hîftoire àce tenir fi lon-tems un charbon allumé dans fa bouche, fans la fuJec° brûler , & fans s'éteindre ; mais tout ce que j'en ai pu ap- prendre , c'en: que les Sauvages connoiffent une Plante , qui rend infeniible au feu la partie ,. qui en eflr frottée , & qu'ils n'en ont jamais voulu donner la connoiffance aux Européens. Nous fçavons que l'Ail & l'Oignon peuvent produire le mê- me effet , mais pour très peu de tems ( a }. D'ailleurs , comr ment ce charbon peut-il relier fi lontems allumé ? Quoiqu'il en foit , je me fouviens d'avoir lu dans les Lettres d'un de nos anciens Miffionnaires du Canada une chofe , qui a quelque; ( a) On prétend que la Feuille de la Plan- I cauftique , a cetve Yerttfc. te. de l'Anémone de Canada , d'ailleurs fou 1 i3o JOURNAL HISTORIQUE rapport à ceci- , & qu'il avoit appris d'un autre Milîion- 1 7 2 l' naire , lequel en avoit été témoin. Celui-ci lui montra un May. jour une pierre , qu'un Jongleur avoit jettée dans le feu en la préfence , & l'y avoit laiiiée jufqu'à ce qu'elle en fût toute pénétrée. Après quoi entrant dans une el'pece de fureur , il î'avoit prife entre les dents , & la portant toujours ainfi , étoit allé voir un Malade , où le Millionnaire I'avoit fuivi : en entrant dans la Cabanne , il jetta la pierre par terre , & le Père l'ayant ramaffée , il y trouva empreintes , les marques des dents du Sauvage , dans la bouche duquel il n'apperçût aucun indice de brûlure. Il ne dit point ce que le Charlatan fit enfuite , pour foulager le Malade ; mais voici en ce même genre un fait , qui vient de la même fource , & dont vous por- terez tel jugement , qu'il vous plaira. Autre fait Une Femme Huronne , après une Viiion vraye , ou imagi- finguikr d'une naire , fut attaquée d'un tournoyement de tête , & d'une UCfI n* contraction de nerfs prefque générale. Comme depuis le com- mencement de cette maladie elle ne s'endormoit jamais , qu'el- le n'eût quantité de Rêves , qui la fatiguoient beaucoup , elle y foupçonna du myftere , & fe mit dans l'efprit , qu'elle gué- riroit par le moyen d'une Fête , dont elle régla elle - même le Cérémonial , fuivant qu'elle fe fouvenoit , difoit - elle , de l'avoir vu pratiquer autrefois. Elle voulut d'abord qu'on la portât dans le Village, où elle étoit née, & les Anciens qu'elle fit avertir de fon deffein , exhortèrent tout le monde à l'y accompagner. En un moment , fa Cabanne fe trouva remplie de gens , qui venoient lui offrir leurs fervices ; elle les accepta , les inltruiflt de ce qu'ils dévoient faire , & auffi- tôt les plus Vigoureux la mirent dans une efpece de hotte , & la portèrent tour à tour , en chantant de toutes leurs forces. Quand on la fçût proche du Village , on y affembla un grand Confeil , & par honneur on y invita les Millionnaires, qui firent inutilement tous leurs efforts , pour diffuader une chofe , où ils foupçonnoient avec raifon autant de fuperfti- tion , que de folie. On écouta tranquillement tout ce qu'ils voulurent dire à ce fujet , mais quand ils eurent celle de par- ler , un des Chefs du Confeil entreprit de réfuter leurs dis- cours , il n'y gagna rien non plus , puis laiffant là les Million- naires , il exhorta tout le monde à s'acquitter exactement de tout ce cjui feroit preferit , & à maintenir les anciens Ufages. i 7 2 i D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XV. 231 Comme il parloit encore , deux Députés de la Malade entrè- rent dans l'Afïemblée , donnèrent avis qu'elle alloit arriver , & prièrent de fa part , qu'on envoyât au devant d'elle deux May. jeunes Garçons & deux jeunes Filles , parés de Robes & de Coliers , avec des Préfens , qu'elle marquoit , ajoutant qu'elle déclareroit Tes intentions à ces quatre Perfonnes. Tout cela fut exécuté fur le champ , & peu de tems après- les quatre jeunes gens revinrent les mains vuides , & prefque nuds ; la Malade s'étant fait donner tout ce qu'ils avoient , jufqu a leurs Robes. Ils entrèrent en cet état dans le Confeil , qui étoit toujours affemblé , & y expoferent les demandes de cette Femme ; elles contenoient vint -deux Articles , parmi lefquels étoit une. Couverture bleue , qui devoit être four- nie par les Millionnaires ; & il falloit que toutes ces chofes fuffent livrées à l'heure même : on mit tout en ufage pour obtenir la Couverture , mais elle fût conftamment refufée , Se il fallut s'en palier. Dès que la Malade eut reçu les autres Préfens , elle entra dans le Village , toujours portée , comme j'ai dit. Sur le foir , un Crieur Public avertit par fon ordre , de tenir des feux allumés dans les Cabannes , parce qu'elle devoit les vifîter toutes , ce qu'elle fit , dès que le Soleil fut couché , foûtenuë par deux hommes , & fuivie de tout le Village. Elle paffa au milieu de tous les feux , les pieds & les jambes nuds , & ne fentit aucun mal; tandis que fes deux Supports , quoiqu'ils s'ecartaffent du feu , autant qu'il leur étoit pofîible , en fouffroient beaucoup ; car il fallut la con- duire ainfi , au travers de plus de trois cent Brafiers : pour elle , on ne l'entendit jamais fe plaindre , que du froid , & à la fin de cette courfe , elle déclara qu'elle fe fentoit fou- lagée. Le lendemain au lever du Soleil on commença , par fon or- dre encore , une efpece de Bacchanale , qui dura trois jours. Le premier jour tout le monde courut par les Cabannes bri- fant & renverfant tout ; & à mefure que le bruit & le défordre augmentoient , la Malade afïuroit que fes douleurs dimi- nuoient. Les deux autres jours furent employés à parcourir tous les Foyers , par où elle avoit paiTé , & à propofer fes dé- iîrs en termes énigmatiques ; il falloit les deviner , & les ac- complir fur le champ. Il y en avoit d'une obfcenité à faire hor- reur. Le quatrième jour la malade fit une féconde, vifite de iji JOURNAL HISTORIQUE toutes les Cabannes , mais bien différente de la première. Elle ' étoit au milieu de deux bandes de Sauvages , qui marchoient May. à la file d'un air trifte & languiffant , & gardoient un profond filence. Il n'étoit permis à perfonne de fe trouver fur ion che- min , & ceux , qui avoient la tète de fon efcorte , avoient foin d'écarter tous ceux , qu'ils rencontroient. Dès que la Ma- lade étoit entrée dans une Cabanne , on la faifoit affeoir , on fe plaçoit autour d'elle; elle foupiroit, faifoit le récit de fes maux d'un ton de voix fort touchant , & donnoit à entendre que fa guérifon parfaite dépendoitde l'accompliffement d'un défir , fur lequel elle ne s'expliquoit point , & qu'il faMoit de- viner. Chacun y faifoit de fon mieux ; mais ce défir étoit fort compliqué ; il comprenoit beaucoup de chofes ; à mefure qu'on en nommoit une , il falloit la lui donner , & pour l'ordi- naire elle ne fortoit point d'une Cabanne , qu'elle n'en eût prefque tout enlevé. Lorfqu'elle voyoit qu'on ne pouvoit rencontrer jufte , elle s'exprimoit un peu plus clairement , & quand on eut tout de- viné , elle fit rendre tout ce qu'elle avoit reçu. Alors on ne douta plus qu'elle ne fût guérie ; on en fit une Fête , qui con- fifta en des cris , ou plutôt des hurlemens affreux , & des ex- travagances de toutes les fortes. Enfin elle fit fes remercimens , & pour mieux témoigner fa reconnoiffance , elle vifita une troifiéme fois toutes les Cabannes , mais fans aucune cérémo- nie. Le Miffionnaire témoin de cette ridicule fcene , dit que la Malade ne fut pas entièrement guérie ; mais qu'elle fe por- toit beaucoup mieux : cependant une perfonne faine & ro- bufte y auroit péri. Ce Père eut grand foin de faire obferver que fon prétendu Génie lui avoit promis une guérifon par^ faite , & ne lui avoit pas tenu parole. On lui répondit que dans une fi grande quantité de chofes commandées , il étoit bien difficile qu'on nen eût omis quelqu'une. Il s'attendoit qu'on infifleroit principalement fur le refus de la couverture bleue ; à la vérité on lui en dit un mot , mais on ajouta qu'a- près ce refus le Génie s'étoit fait voir pendant la nuit à la Ma- lade , & lui avoit affûré que cet incident ne lui cauferoit au- cun préjudice , parce que les François n'étant pas Naturels du Pays , les Génies navoient aucun pouvoir fiir eux. Je reviens à mon voyage, pcfcrî^ion Meffieurs nos Officiers étant partis , je montai ces affreu- ks D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XV. 233 _ fes Montagnes , dont je vous ai parlé , pour me rendre au fa- * 7 2 * • meux Sault de Niagara , au-deffus duquel je devois m'embar- May. quer. Ce voyage eft de trois lieuè's ; il étoit autrefois de cinq, ** SauIt dc parce qu'on paffoit de l'autre côté de la Rivière , c'eft-à-dire , NiaSara- à l'Occident,& qu'on ne fe rembarquoit, qu'à deux lieues au- deffus de la chute. Mais on a trouvé fur la gauche , à un demi quart de lieue de cette catara&e , une Anfe , où le courant n'eft pas fenfible , & où par conféquent on peut s'embarquer fans péril. Mon premier foin , en arrivant, fut de vifiter la plus belle Cafcade , qui foit peut-être dans la Nature ; mais je reconnus d'abord que le Baron de la Hontari s etoit trompé , fur fa hauteur & fur fa figure , de manière à faire juger qu'il ne l'avoit point vue. Il eft certain que , û on mefure fa hauteur par les trois Mon- tagnes , qu'il faut franchir d'abord , il ny a pas beaucoup à rabattre des fix cent pieds , que lui donne'la Carte de M. De- lifle , qui fans doute n'a avancé ce paradoxe , que fur la foi du Baron de la Hontan ,.& du Père Hennepin : mais après que je fus arrivé au fommet de la troifieme Montagne , j'obfervai que dans l'efpace des trois lieues , que je fis enfuite jufqu'à cette chute d'eau , quoiqu'il faille quelquefois monter , il faut encore plus defcendre , & c'eft à quoi ces Voyageurs paroiffent n'avoir pas fait affez d'attention. Comme on ne peut approcher la Cafcade que de côté , ni la voir que de profil , il n'eft pas aifé d'en mefurer la hauteur avec les inftrumens ; on a voulu le faire avec une longue corde attachée à une lon- gue perche , & après avoir fouvent réitéré cette manière , on n'a trouvé que cent quinze , ou fix vint pieds de profondeur : mais il n'eft pas pofllble de s'affûrer fi la perche n'a pas été ar- rêtée fur quelque Rocher , qui avançoit : car quoiqu'on l'eût toujours retirée mouillée , auffi-bien qu'un bout de la corde , à quoi elle étoit attachée , cela ne prouve rien , puifque l'eau , qui fe précipite de la Montagne, rejaillit fort haut en écu- mant. Pour moi , après l'avoir confiderée de tous les en- droits , d'où on peut l'examiner plus à fon aife , j'eftime qu'on ne fçauroit lui donner moins de cent quarante ou cinquante pieds. Quant à fa figure , elle eft en fer à Cheval , Se elle a envi- ron quatre cent pas de circonférence ; mais précifément dans fpn milieu elle eft partagée en deux par une lue fort étroite , Tome III, G g i34 JOURNAL HISTORIQUE ■ & d'un demi-quart de lieuë de long , qui y aboutit. Il eft vrai 1 ' ' que ces deux parties ne tardent pas à fe rejoindre. Celle , qui May. étoit de mon côté , & qu'on ne voit que de profil , a plusieurs pointes , qui avancent , mais celle , que je découvrois en face , me parut fort unie. Le Baron de la Hontan y ajoute un Tor- rent, qui vient de l'Oueft, mais s'il n'a pas été inventé par cet Auteur, il faut dire que dans le tems de la fonte des Né- ges , des eaux iauvages viennent fe décharger là par quelque ravine. Vous pouvez bien juger , Madame , qu'au-deiïbus de cette chute la Rivière fe refient lontems d'une fi rude fecouffe ; aufli n'eft-elle naviguable qu'au bout de trois lieues , & précifé- ment à l'endroit , où M. de Joncaire s'eft placé. Elle ne devroit pas être moins impratiquable au-defïiis , puifque le Fleuve y tombe perpendiculairement dans toute fa largeur. Mais outre Tille , qui la divife en deux , plufieurs écueils femés çà & là à côté & au-deffus de cette Ifle , ralentirent beaucoup la ra- pidité du Courant. Il eft néanmoins fi fort malgré cela , que dix ou douze Outaouais ayant un jour voulu traverfer à lifte , pour éviter des Iroquois , qui les pourfuivoient , furent entraî- nés dans leprécipice,quelqu'effort qu'ils fiffent pour fe foûtenir. Observations J'avois oui dire que les Poiffons , qui fe trouvoient enga- fur cette Caf- gés dans ce Courant , tomboient morts dans la Rivière , & que des Sauvages établis dans ces quartiers -là en faifoient leur profit ; mais je n'ai rien vu de femblable. On m'avoit en- core affûré que les Oifeaux , qui s'avifoient de voler par-def- fus , fe trouvoient quelquefois enveloppés dans le tourbillon , que formoit dans l'Air la violence de ce Rapide ; mais j'ai remarqué tout le contraire. J'ai vu de petits Oifeaux voltiger affez bas directement au-deflus de la chute , & s'en tirer fort bien. C'eft fur un Roc , que cette nappe d'eau eft reçue , & deux raifons me perfuadent qu'elle y a trouvé , & peut-être creufé avec le tems une Caverne , qui a quelque profondeur. La pre- mière eft que le bruit , qu'elle fait , eft fort fourd , & comme d'un tonnere éloigné. A peine l'entend-on de chez M. de Jon- caire , & peut-être même ce qu'on y entend n'eft que les bouillonnemens caufés par les Rochers , qui rempliffent le lit de la Rivière jufques-là. D'autant plus qu'au-deffus de la Cataracte , on ne l'entend pas à beaucoup près de fi loin. La DUN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XV. 235 féconde eft qu'il n'a jamais rien reparu , dit-on , de tout ce — qui y eft tombé , pas même les débris du Canot des Outaouais , \. dont je parlois tout-à-1'heure. Quoiqu'il en foit , Ovide nous May. donne la defcription d'une femblable Catara&e , qu'il dit être dans la délicieufe Vallée de Tempe. Il s en faut bien que le Pays de Niagara foit aufîi beau , mais je crois fa Catara&e beaucoup plus belle (a). Au refte je n'ai apperçû de brouillard au-deffus, que par derrière ; de loin on le prendroit pour une fumée , & il n'eft perfonne , qui n'y fût trompé , s'il arrivoit à la vue de l'Me , fans être prévenu qu'il y a en cet endroit une Catara&e aum* furprenante que celle-là. Le terrein des trois lieues , que j'ai faites à pied pour venir ici , & qu'on appelle le Portage de Niagara _, ne paroît pas bon ; il eft même affez mal boifé , & l'on n'y fçauroit faire dix pas , fans marcher fur une Fourmilière , & fans rencon- trer des Serpens à Sonnettes , fur-tout pendant la chaleur du jour. Je crois , Madame , vous avoir dit que les Sauvages mangent par délices la chair de ces Reptiles. En général les Serpens ne caufent point d'horreur à ces Peuples : il n'eft au- cun Animal , dont on voye plus fouvent la figure marquée fur leur vifage , & fur d'autres endroits de leur Corps , & ils ne leur donnent ordinairement la chaffe , que pour les man- ger. Les Os & les Peaux des Serpens fervent aufti beaucoup aux Jongleurs & aux Sorciers pour faire leurs preftiges , & ils fe font des bandeaux & des ceintures de leurs Peaux. Il eft en- core vrai qu'ils ont le fecret de les enchanter , ou , pour par- ier plus jufte , de les engourdir ; qu'ils les prennent tout vi- vans , les manient , les mettent dans leur fein , fans qu'il leur en arrive aucun mal , & que c'eft ce qui contribue davantage à leur donner le crédit , qu'ils ont fur ces Peuples. J'allois fermer cette Lettre , lorfque l'on m'eft venu dire circonftan- que nous ne partirions pas demain , comme je m'y attendois. ^.^ la^lar- 11 faut bien prendre patience , & mettre le tems à profit : je riers, vais donc reprendre l'article des guerres des Sauvages , qui [ ( a ) Eft Nemus H&moni& , pr&rupta quod undique cl an dit, Sylva > vacant Tempe , fer qu& Penêus ab imo Effufus Vindo jpumofis volvitur \Jndis , Dejtcîisque gravi tenues agitantia Fumos Nubila conducit , fummifque afpergine Syîvas Impluit , & [onitn pltifqwm vkina fatigctt, Métamorph. Liv. x, Ggij 236 JOURNAL HISTORIQUE ■ ne fera pas fitôt épuifé. Dès que tous les Guerriers font em- 1 ^ 2 l ' barques , les Canots s'éloignent d'abord un peu , & fe tien- May. nent fort ferrés fur une même ligne; enfuite le Chef fe le- vé & tenant en main fon Chichikoué , il entonne fa Chanfon de guerre , & fes Soldats lui répondent par un triple hé , tiré avec effort du creux de la poitrine. Les Anciens & les Chefs du Confeil , qui font reftés fur le Rivage , exhortent alors les Guerriers à bien faire leur devoir, & fur tout à ne pas fe biffer furprendre. C'eft de tous les avis , qu'on peut donner aux Sauvages , le plus néceffaire , & celui , dont , pour l'or- dinaire , ils profitent le moins. Cette exhortation n'interrompt point le Chef, qui chante toujours. Enfin les Guerriers con- jurent leurs Parens & leurs Amis de ne les point oublier , puis pouffant tous enfemble des hurlemens affreux , ils partent de la main , & nagent avec une telle vîteife , qu'on les voit dif- paroître dans l'iuftant. Les Hurons & les Iroquois ne fe fervent point du Chichi- koué, mais ils en donnent à leurs Prifonniers, de forte que cet infiniment , qui eft pour les autres un inftrument de guerre , femble être parmi eux une marque d'Efclavage. Les Guerriers ne font prefque jamais que de petites journées, fur-tout quand ils font en grande troupe. D'ailleurs ils tirent des préfages de tout ; & les Jongleurs , à qui il appartient de les expliquer , avancent & retardent les marches comme il leur plaît. Tant qu'on n'eft point en Pays fufpe£t , on ne prend aucune précau- tion , & fouvent on ne trouveroit pas deux ou trois Guer- riers enfemble , chacun étant de fon côté à chaffer ; mais quelqu'éloigné que l'on foit de la route , tous fe rendent ponc*. tuellement au lieu & à l'heure marqués pour fe réunir. Du Campe- On campe lontems avant le Soleil couché , & pour l'or- dinaire on laiffe devant le Camp un grand efpace environné d'une Paliffade , ou plutôt d'une efpece de Treillis , fur le- quel on place les Manitous , tournés du côté , où l'on veut aller. On les y invoque pendant une heure , & on en fait au- tant tous les matins , avant que de décamper. Après cela on croit n'avoir rien à craindre , on fuppofe que les Efprits fe chargent de faire feuls la Sentinelle , & toute l'Armée dort tranquillement fous leur fauve - garde. L'expérience ne dé- trompe point ces Barbares , & ne les tire point de leur con- fiance préfomptueufe. Elle a fa fource dans une indolence meut. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XV. 237 & dans une pareffe , que rien ne peut vaincre. 1721. Tout eft Ennemi fur le chemin des Guerriers. Si néanmoins May. ils rencontrent de leurs Alliés , ou des Partis à peu près de De Ja ren- forcé égale de Gens , avec qui ils n'ont rien à démêler , on fe §£2 p^" fait amitié de part & d'autre. Si les Alliés , qu'on rencontre , de Guerre. S étoient en guerre contre les mêmes Ennemis , le Chef du Parti le plus fort , ou de celui , qui a armé le premier , donne à l'autre quelques Chevelures , dont on ne manque jamais de faire proyifîôn pour ces occafions-là , & lui dit : » Vous ave7 « coup ici , c'eft-à-dire , vous avez fatisfait à votre engage- « ment , votre honneur eft à couvert , vous pouvez vous en « retourner &,. *f Cette formule , qui eft proprement la Sentence de mort , va- rie beaucoup pour les termes , mais quant à la fubftance , elle eft à peu près toujours la même. Un Crieur fait enfuite fortir le Captif de la Cabanne, déclare à haute voix les intentions de celui ou de celle , à qui il appartenoit , & finit par exhor- ter les Jeunes Gens à bien faire. Un autre furvient , qui ad- dreffe la parole au Patient, & lui dit : Mon Frère , prends courage y tu vas être brûlé , & il répond froidement : cela eft bien , je te remercie. Il fe fait aufti-tôt un cri dans tout le Vil- lage , & le Prifonnier eft conduit au lieu deftinéàfon fup- plice. Ordinairement on le lie à* un Poteau par les deux mains & par les pieds , mais de manière , qu'il puiiTe aifément tourner tout autour. Quelquefois néanmoins , quand l'exécution fe fait dans une Cabanne , d*où il n'y a pas de danger qu'il fe fauve , on ne le lie point , & on le laiffe courir d'un bout à l'autre. Avant que l'on commence à le brûler , il chante pour la dernière fois fa chanfon de mort , puis il fait le récit de fes prouefTes , & prefque toujours de la manière la plus inful- tante pour ceux , qu'il apperçoit autour de lui. Il les exhorte enfuite à ne le pas épargner , & à fe fouvenir qu'il eft Homme ,. & Guerrier. Je fuis bien trompé au refte , ou ce qui doit le plus étonner dans ces fcenes tragiques & barbares , n'eft pas qu'un Patient chante à pleine tête , qu'il infulte & qu'il défie {qs Bourreaux , comme ils font ordinairement tous jufqu'au dernier foupir ; car il y a là une fierté , qui élevé l'efprit , que le tranfporte , qui le diftrait un peu de la penfée de ce qu'il, foufre , & qui l'empêche même de marquer trop de feniibi^ 248 JOURNAL HISTORIQUE 1 lité. D'ailleurs les mouvemens , qu'ils fe donnent , font diver- ' ' fion, émouffent le fentiment , produifent le même effet, & May. quelque chofe de plus , que les cris & les larmes. Enfin on fçait qu'il n'y a point de grâce à efperer , & le défefpoir donne des forces , &: infpire de la hardiene. Principe de Cette efpéce d'infenfibilité n'eft pourtant pas auffi univer- qu'on'exerce ' ^e^e •> <ïue &en ^es 8e,1S ^'ont CrL1* ^ n>e^ Pomt ™*Z de VOir en ces occa- pouffer à ces Miférables des cris capables de percer les cœurs flons' les plus durs ; mais qui n'ont d'autre effet , que de réjouir les A£teurs & les AiMans. Quant à ce qui produit dans les Sau- vages une inhumanité , dont on n'auroit jamais cru que des Hommes fuffent capables , je crois qu'ils y font parvenus par degrés , que l'ufage les y a accoutumés infenfiblement ; que l'envie de voir faire une lâcheté à fon Ennemi , les in- fultes , que les Patiens ne cefîent point de faire à leurs Bour- reaux , le défir de la vengeance , qui eu. la paflion dominante de ces Peuples , & qu'ils ne croyent pas fumYamment affou- vie , tandis que le courage de ceux , qui en font l'objet , n'eft point abbatu ; la fuperftition enfin , y encrent pour beaucoup : car quels excès n'enfante point un faux zélé guidé par tant de pallions. Je ne vous ferai point, Madame, le détail de tout ce qui fe paffe dans ces horribles exécutions. Il m'engageroit trop loin , parce qu'il n'y a point fur cela d'uniformité , ni d'autres règles , que la férocité & le caprice. Souvent on y voit au- tant d'A£teurs que de Spe£tateurs , c'eft-à-dire , que d'Habi- tans de la Bourgade , Hommes , Femmes &: Enfans , & cha- cun fait du pis qu'il peut. Il n'y a que ceux de la Cabanne , à laquelle le Prifonnier avoit été livré , qui s'abftiennent de le tourmenter ,'au moins eft-ce la pratique de plusieurs Nations. Communément on commence par brûler les pieds , puis lés jambes , & ainfi en remontant jufqu a la tête ; & quelquefois on fait durer le fupplice une femaine entière , comme il eft arrivé à un Gentilhomme Canadien parmi les Iroquois. Les moins épargnés font ceux , qui ayant déjà été pris , & adoptés, ou mis en liberté , font repris de nouveau. On les regarde comme des Enfans dénaturés , ou des ingrats , qui ont fait la guerre à leurs Parens , ou à leurs Bienfa£teurs , & on ne leur fait aucune grâce. Il arrive quelquefois que le Pa- tient , lors même qu'il n'eft point exécuté dans une Cabanne » n'eft D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XVI. 249 n'eft point lié , & qu'il lui eft permis de fe défendre , ce qu'il ■ ■ fait , bien moins dans l'efpérance de fauver fa vie , que pour x 7 2 J • venger par avance fa mort , & pour avoir la gloire de mourir May. en Brave. On a vu dans ces occasions combien de force & de courage ces parlions peuvent infpirer : en voici un exem- ple , qui a pour garans des témoins oculaires & dignes de foi. Un Capitaine Iroquois , du Canton d'Onneyouth , avoit Coura(Tcd.un mieux aimé s'expofer à tout , que de fe déshonnorer par une capitaine On- fuite , qu'il jugea d'une conféquence dangereufe pour tes Jeu- ney°uth brûlé nés Gens , qui étoient fous fes ordres. Il fe battit lontems en par es uron'' Homme, qui vouloit mourir les armes à la main , mais les Hu- rons , qu'il avoit en tête , vouloient l'avoir vif, & il fut pris. Par bonheur pour lui & pour ceux , qui furent faits Prifon- niers avec lui , on les mena dans une Bourgade , où il y avoit des Mifîionnaires , qui eurent toute liberté de les entretenir. Ces Pères les trouvèrent d'une docilité, qu'ils regardèrent comme un commencement de la grâce de leur convertion ; ils les inftruifirent , & les baptiferent : ils furent tous brûlés peu de jours après , & témoignèrent jufqu'à la mort une forte de confiance , que les Sauvages ne connoifïbient pas encore , 6k que les Infidèles mêmes attribuèrent à la vertu du Sa- crement. • Le Capitaine Onneyoûth crut néanmoins qu'il lui étoit en- core permis de faire à les Ennemis tout le mal , qu'il pourroit , & de reculer fa mort autant qu'il lui feroitpoiïible. On l'avoit fait monter fur une efpéce de Théâtre , où l'on commença à le brûler par tout le corps fans aucun ménagement , & il parut d'abord auffi infenfible, que s'il n'eût rien lbuffert : mais com- me il crutappercevoirun de fes Compagnons, qu'on tourmen- toit affez près de lui , donner quelque marque de foiblefïe , il en témoigna une très-grande inquiétude, & il n'omit rien de ce qui pouvoit l'encourager à la patience , par l'efpérance du bonheur , qui les attendoit dans le Ciel -, & il eut la confola- tion de le voir expirer en Brave & en Chrétien. Alors tous ceux, qui avoient fait mourir celui-ci , retom- bèrent fur lui, avec tant d'acharnement, qu'on auroit cru qu'ils alloient le mettre en pièces. Il n'en parut pas plus ému , & on ne fçavoit plus par où il pouvoit être fenïible , lors- qu'un de fes Bourreaux lui cerna tout-autour la peau de la Tome III. I i 172 zfe JOURNAL HISTORIQUE tête , & la lui arracha avec violence. La douleur le fit tomber fans connoiffance , on le crut mort , & chacun fe retira. Un * ay* moment après il revint de Ton évanouiffement ,& ne voyant autour de lui , que le cadavre de ion Compagnon , il prend un tifon des deux mains , quoiqu'il les eût toutes écorchées & brûlées , rappelle (es Bourreaux , & les défie de s'approcher.- Sa réfolution les effraya , ils pouffèrent des cris affreux , s'ar- mèrent , les uns de tiions embrafés , les autres de fers rougis dans le feu , & fondirent tous enfemble fur lui : il les reçut en Brave & les fit reculer. Le feu , dont il étoit environné lui fervoit de retranchement ; il s'en fit un autre avec les Echel- les , dont on s'étoit fervi pour monter fur l'Echafaut , & can- tonné ainfi dans fon propre Bûcher , devenu le théâtre de fa valeur , armé des inftrumens de fon fupplice , il fut quelque tems la terreur d'une Bourgade entière , perfonne n'o'fant ap- procher d'un Homme plus qu'à demi brûlé , & à qui le fang découloit de toutes les parties de fon Corps. Un faux pas , qu'il fit en voulant éviter un tifon , qu'on lui lançoit , le livra de nouveau à fes Meurtriers , & il n'eft pas néceifaire de vous dire qu'ils lui firent payer bien cher la frayeur , qu'il venoit de leur caufer. Après s'être laffés de le tourmenter, ils le jetterent au milieu d'un grand brafier, & l'y laifferént , ne pouvant fe perfuader qu'il s'en relevât : on fut trompé ; lorfqu'on y penfoitle moins , on le vit , armé de- tifons , courir vers le Village , comme s'il eût voulu y mettre le feu. Tout le monde étoit glacé d'effroi , & perfonne n'eut l'affûrance de fe préfenter devant lui pour l'arrêter : mais- comme il approchoit des premières Cabannes , un bâton , qu'on lui jetta entre les jambes , le fit tomber , & on fut fur lui , avant qu'il eût pu fe relever. On lui coupa d'abord les pieds & les mains , on le roula enfuite fur les charbons em- brafés ; enfin on le jetta fous un tronc d'Arbre , qui étoit en- feu. Alors tout le Village fe rangea autour de lui , pour goû- ter le plaifir de le voir brûler. Le fang , qu'il perdoit , éteignoit prefque le feu ; mais on; n'appréhendoit plus aucun effort de fa part. Il en fit pourtant un dernier, qui épouvanta les moins timides. 11 fe traîna fur les coudes & fur les genoux avec un air menaçant & une vigueur , qui écarta les plus proches , plus a la vérité d e- tonnement, que de crainte; car que pouvoit-il leur faire. I72 dons D'UN VOYAGE DE L'A ME RI Q. Let. XVI. 251 mutilé comme il étoit? Dans ce moment les Millionnaires , xjui ne Tavoient point perdu de vue , s'étant approchés , & lui ayant remis devant les yeux les vérités éternelles , dont il May. avoit été fi pénétré d'abord ; il rentra en lui-même , & ne parut plus occupé que de Ton falut. Quelque tems après un Huron le prit à Ion avantage ," & lui coupa la tête. Cependant , Madame , fi ces Peuples font la guerre en Habileté de Barbares , il faut convenir que dans leurs Traités de paix , & c,es ^euPles , /■ri'^i 11 / •• -irr a dans leurs Nc- general£ment dans toutes leurs négociations , ils font paroi- gOCi«L tre une habileté , & une noblefTe de fentimens , qui feroient & honneur aux Nations les plus policées. Il ne s'agit point entre eux de conquérir , & d'étendre leur domination. Plufieurs Nations mêmes ne connoiffent point de domaine proprement dit , & celles , qui ne fe font point éloignées de leur Pays , Se- qui fe regardent comme les Maîtrefles de leurs Terres , n'en font point jaloufes jufqu a trouver mauvais qu'on vienne s'y établir, pourvu qu'on n'entreprenne point de les inquietter. il n'eft donc queftion dans leurs Traités , que de fe faire des Alliés contre des Ennemis puiflans , de mettre fin à une guer- re , qui devient onéreufe aux deux Partis , ou plutôt de fuf- pendre les hoftilités , car j'ai déjà obfervé que les guerres font éternelles parmi les Sauvages , quand elles font de Nation à Nation. Auffl ne faut-il pas compter fur un Traité de Paix, tant qu'une des deuxv Parties peut donner de la jaloufie à l'autre. Tout le tems qu'on négocie , & avant même que d'entrer en Négociation , le principal foin eft de ne point paroître faire les premières démarches , ou du moins de perfuader à fon Ennemi , que ce n'efr. ni par crainte , ni par néceflité , qu'on les fait ; & cela eft manié avec la plus grande dextérité. Un Plénipotentiaire ne rabat rien de fa fierté , lors même que les Affaires de fa Nation , font dans le plus mauvais état ; & il réuffit fouvent à perfuader ceux , avec qui il traite , .qu'il eft de leur intérêt de mettre fin aux Hoftilités , quoique Vainqueurs. Auffi y va-t-il de tout pour lui, d'y em- ployer tout ce qu'il a d'efprit & d'éloquence ; car fi fes Pro- pofi.tions ne font pas agréées , il faut qu'il fe tienne bien fur fes gardes. Il n'eft point rare qu'un coup de Hache , foit l'unique lléponfe , qu'on lui fait. Il n'eft pas même hors de danger , quand il a évité la première furprife , il doit s'attendre à être iiij i52 JOURNAL HISTORIQUE pourfuivi , & à être brûlé , s'il eft pris , & qu'une telle vio~ 1 7 ll' lence puiffe être colorée de quelque prétexte , comme de May. Représailles. Cela eft arrivé à quelques François , chez les Iroquois , où ils avoient été envoyés de la part du Gouver- neur Général ; & pendant bien des années , les Jéfuites , qui demeuroient parmi ces Barbares , quoiqu'ils y fuffent ibus ra Sauve-garde Publique , & en quelque façon , les Agents or- dinaires de la Colonie , fe trouvoient tous les jours à la veille d'être facrifiés à un reffentiment , ou d'être les viftimès d'une intrigue des Gouverneurs de la Nouvelle York. Enfin il eft furprenant que des Peuples , qui ne font nulle- ment la guerre par intérêt , & qui portent même le défintéreffe- ment jufqu'au point que les Guerriers ne fe chargent jamais des dépouilles des Vaincus , ne touchent pas même aux ha- bits des Morts , & s'ils rapportent quelque butin , l'abandon- nent au premier , qui veut s'en emparer ; en un mot , qui ne prennent les armes , que pour la gloire , ou pour fe venger "de leurs Ennemis : il eft , dis - je , étonnant de les voir aufîi exercés , qu'ils le font dans le manège de la plus fine politi- que , & entretenir des Pétitionnaires chez leurs Ennemis. Ils ont même , par rapport à ces fortes de Miniftres , une coutume , qui paroît d'abord affez bifarre , mais qu'on peuc néanmoins regarder comme l'effet d'une grande prudence : c'eft qu'ils ne font jamais aucun fond fur les avis , qu'ils re- çoivent de leurs Penfionnaires , fi ceux-ci ne les accompa- gnent de quelque préfent. Ils ont compris fans doute , que pour pouvoir fagement compter fur de pareils avis , il faut r non-feulement que celui , qui les donne , n'ait rien à efpérer -, mais qu'il lui en coûte même pour les donner , afin que le feul intérêt du bien public puiffe l'y engager , & qu'il ne le faffe pas trop légèrement. Je fuis , &c» D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XVII. 253 DIX-SEPTIEME LETTRE. ,7.21- Juin. Defcription du Lac Eriê. Voyage jufquau Détroit. Projet a un Etablissement en ce lieu- là. Ce qui Va fait manquer. Confeil che^ le Commandant du Fort de P ontehartrain 3 & de quoi il s'agijfoit. Des Jeux des Sauvages. Au Fort de Pontchartrain du Détroit, ce huit Juin, 1 721 . JVLadame i J E partis le vint-fept de l'Entrée du Lac Erié , après avoir Defcriptlon fermé ma dernière Lettre , & quoiqu'il fût fort tard , je fis duLacEn«- encore trois lieues ce jour-là , à la faveur d'un bon Vent , & du plus beau tems du monde. La route eft en côtoyant la côte du Nord , & elle eft de cent lieues. Depuis Niagara , en pre- nant par le Sud, elle eft beaucoup plus agréable , mais plus longue de moitié. Le Lac Erié a cent lieues de longueur de l'Eft à l'Oueft. Sa largeur du Nord au Sud eft de trente , ou environ. Le nom , qu'il porte , eft celuf d'une Nation de la Langue Huronne , qui étoit établie fur fos Bords , & que les Iroquois ont entièrement détruite. Erié veut dire Chat , & les Eriés font nommés dans quelques Relations la Nation du Chat. Ce nom vient apparemment de la quantité de ces Ani- maux , qu'on trouve dans ce Pays. Ils font plus gros que les nôtres , &^leurs Peaux font fort eftimées. Quelques Cartes modernes ont donné au Lac Erié le nom de Conti ; mais ce nom n'a pas fait fortune, non plus que ceux deCondé , de Tracy 3 & ^Orléans donnés au Lac Huron , au Lac Supé- rieur , & au Lac Michigan. Le vint-huit je fis dix-neuf lieuè's , & je me trouvai vis-à-vis De la côte de la Grande Rivière , qui vient de l'Eft , par les quarante- Septentrion- deux dégrez quinze minutes. Cependant les grands Arbres nalc' n'étoient point encore verts. A cela près , le Pays me parut fort beau. Nous fîmes peu de chemin le vint-neuf, & point du tout le trentième. Nous nous embarquâmes le lendemain 254 JOURNAL HISTORIQUE — avant le lever du Soleil , & nous avançâmes beaucoup. Le 1 7 2 * • premier de Juin , jour de la Pentecôte , après avoir remonté Juin, pendant une heure une jolie Rivière , qui vient , dit-on , de tort loin , & coule entre deux belles Prairies , nous fîmes un Portage d'environ foixante pas , pour éviter de faire le tour d'une Pointe , qui avance quinze lieues dans le Lac ; on la nomme la Longue P ointe , elle efr. fort fablonneufe , & porte naturellement beaucoup de vignes. Les jours fuivans je ne vis rien de remarquable , mais je côtoyai un Pays charmant , caché de tems en tems par des rideaux affez défagréables , mais de peu de profondeur. Par-tout , où je mis pied à terre , je fus enchanté de la beauté & de la variété d'un Payfage, terminé par les plus belles Forêts du monde. Avec cela , le Gibier d'Eau y foifonne partout ; je ne vous dirai pas û la Chaffe eft aufli abondante dans le Bois : mais je fçai que du côté du Sud il y a une quantité prodigieufe de Bœufs fau- vages. Agrément de Si l'on voyageoit toujours, comme je faifois alors ,'avec un «•es voyages. Ciel ferein , & un climat charmant , fur une eau claire , comme la plus belle Fontaine ; qu'on rencontrât partout des campe- mens fûrs & agréables , où l'on pût avoir à peu de frais le plaiflr de la Chaffe , refpirer à fon aife un Air pur , & jouir de la vue des plus belles Campagnes , on pourroit être tenté de voyager toute fa vie. Je me rappellois ces anciens Patriarches , qui n'avoient point de demeure fixe , habitoient fous des Ten- tes , étoient en quelque façon les Maîtres de tous les Pays , qu'ils parcouroient , & prontoient paifiblement de toutes leurs productions , fans avoir les embarras inévitables dans la pof- fefîïon d'un véritable domaine. Combien de Chênes me re- prefentoient celui de Mambré ? Combien de Fontaines me faifoient fouvenir de celle de Jacob ? Chaque jour nouvelle fîtuation à mon choix : une Maifon propre & commode ., dreffée & meublée du néceffaire en moins d'un quart d'heure , . jonchée de fleurs toujours fraîches fur un beau tapis verd : de toutes parts des beautés {impies & naturelles , que l'art n'a £oint altérées , & qu'il ne fçauroit imiter. Si ces agrémens ibuffrent quelqu'interruption , ou par le mauvais tems , ou par quelqu'accident imprévu , ils n'en ont que plus de viva- cité , quand ils reparoiifent. Si je voulois moralifer , j'ajoûterois que ces alternatives de D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ.. Let. XVII. 255 plaifirs & de contretems , que j'ai déjà afiez efïïryés , depuis — w que je fuis en route , font bien propres à faire fentir qu'il n'eft * 7 2 T » point de genre de vie plus capable de nous remettre fans ceffe Juin. devant les yeux que nous fommes fur la terre comme des Pè- lerins ; que nous ne pouvons ufer , qu'en parlant , -des biens * de ce Monde ; qu'il faut peu de chofes à l'Homme , pour le rendre content , & que nous devons prendre en patience les maux , qui furviennentà la traverfe , puifqu'ils paffent éga- lement ,^c avec la même rapidité. Ennn combien de chofes nous y rendent fenlîble la dépendance , où nous vivons d'une Providence divine , qui ne fe fert point , pour ce mélange de bien & de mal, des parlions des Hommes, mais de la viciflitude des Saifons , qu'on peut prévoir , & du caprice des Elemens , auquel on doit s'attendre : par conféquent quelle facilité , ék combien d'occafions n'y a-t'on pas de mériter par fa confiance & fa réfignation aux volontés de Dieu ? on dit ordinairement . que les longs voyages ne fanftifient pas ; rien ne feroit pour- tant plus capable de fanâifier , que la vie , qu'on y mené. Le quatrième , nous fûmes arrêtés une bonne partie du Des rj&fres jour fur une Pointe, qui court trois lieues Nord & Sud , & qu'on appelle la Pointe Pelée. Elle eft cependant afTez bien boifée du côté de l'Oueft , mais celui de l'Eft n'a fur un terreïn fablonneux que des Cèdres rouges , affez petits , & en mé- diocre quantité. Le Cèdre blanc eft d'un plus grand ufage, que le rouge, dont le bois fe caife aifément , & dont on ne peut faire que de petits Meubles. On prétend ici que les Fem- mes enceintes n'en doivent point ufer pour leurs Bufcs. La verdure de ce Cèdre n'a point d'odeur , mais le bois en a. C'eft tout le contraire du blanc. Il y a beaucoup d'Ours dans ce Pays , & l'Hyver dernier il en fut tué fur la feule Pointe Pelée plus de quatre cent. Le cinquième , vers les quatre heures du foir , nous apper- çûmes la Terre du Sud , & deux petites Ifles , qui en font très- proches. On les nomme les IJIes des S erpens à Sonnettes „ Se on affûre qu'elles font tellement remplies de ces Animaux , que l'Air en eft infeclé. Nous entrâmes dans le Détroit une heure avant le Soleil couché , & nous parlâmes la nuit au- deffus d'une très-belle lile , appéiiée Ylfle du Bois Blanc. De- puis la longue Pointe jufqu'au Détroit , la route ne vaut gué- res que l'Oueft : depuis l'entrée du Détroit-jufqu'à l*3jfi de blancs 6c reu-- ges. Arrivée au Dtcroic, 1^6 JOURNAL HISTORIQUE Sainte Çlmre 3 qui en eft à cinq ou fix lieues , & de-là jufqu'au 1 7 2 L* Lac Huron , elle prend un peu de l'Eft , par le Sud. Ainfi Juin, tout le Détroit , qui a trente - deux lieues de long , eft entre les quarante-deux Degrés , douze ou quinze Minutes , & les quarante -trois & demi de Latitude-Nord. Au deflus de 1'Ifle de Ste Claire , le Détroit s'élargit , & forme un Lac , qui a reçu fon nom de Tille , ou qui lui a donné le lien. Il a environ iix lieues de long , fur autant de largeur en quelques endroits. De b nature On prétend , que c'eft ici le plus bei endroit du Canada , & du Pays. véritablement, à en juger par les apparences , la Nature ne lui a rien refufé de ce qui peut faire un Pays charmant : Co- teaux , Prairies , Campagnes , Boisée Furaye , Ruiffeaux , Fontaines , Rivières , tout cela eft d'une fi bonne qualité , & dans un affortiment fi heureux , qu'on ne fçauroit prefque rien- délirer de plus. Les Terres n'y font pourtant pas éga- lement bonnes pour toutes fortes de Grains , mais la plu- part font d'une fertilité admirable , & j'en ai vu , qui ont porté dix-huit ans de fuite du Froment , fans avoir été fumées. D'ail- leurs toutes font bonnes à quelque chofe. Les Mes femblent y avoir été placées à la main , pour l'agrément de la vue ; le Fleuve & le Lac font fort poilfonneux , l'air pur , & le Glimat tempéré , & fort fain. . Des sauva- Avant que d'arriver au Fort , qui eft fur la main gauche, ?cs établis au- une lieuë au-deffous de l'hle de Sainte Claire , on trouve prèsduFort. fur ja même main , deux Villages affez nombreux , & qui font fort proches l'un de l'autre. Le premier eft habité par des Hurons Tionnontatez , les mêmes , qui après avoir km- tems erré de côté & d'autre , fe font fixés d'abord au Sault Sainte Marie , & enfuite à Miçhillimakinac. Le fécond l'eft par des Pouteouatamis. Sur la droite , un peu plus haut , il y en a un troifiéme d'Outaouais , Compagnons inféparables des Hurons , depuis que les Iroquois ont obligé les uns & les autres , à abandonner leur Pays. Il n'y a point de Chrétiens parmi eux , s'il y en a parmi les Pouteouatamis , ils font en très -petit nombre : les Hurons le font tous, mais ils n'ont point de Millionnaires. On dit qu'ils n'en veulent point, mais cela fe réduit à quelques-uns des Principaux , qui n'ont pas beaucoup de Religion, & qui empêchent qu'on n'écoute tous les autres , lefquels en demandent depuis lontems ( a). (a) On leur en a enfin donne un depuis pîuiîcurs années. Il D'UN VOYAGE DE L'AME RIQ. Let. XVII. 257 * Il y a lontems que la fituation , encore plus que la beauté 1 ~ 2~ f du Décroit , a fait fouhaïter qu'on y fît un Établiifement con- T . fîdérable ; il étoit affez bien commencé , il y a quinze ans , lla mais des raifons , qu'on ne dit point , l'ont réduit à très peu de chofes. Ceux qui ne lui ont pas été favorables , difent : i°. Qu'il approcherait trop les Pelleteries du Nord des Anglois , qui donnant leurs Marchandifes aux Sauvages à meilleur marché que nous , attireraient tout le Commerce dans la Nouvelle York. i°. Que les Terres du Détroit ne font pas bonnes , que toute leur fuperficie , jufqu a neuf ou dix pou- ces de profondeur , n'eft que de Sable ; & que fous ce Sable , il y a une Terre glaife fi dure , que l'Eau ne la fçauroit péné- trer ; d'où il arrive , que les Plaines & l'intérieur des Bois , font toujours noyés ; qu'on n'y voit que de petits Chênes mal tournés , & des Noyers durs , & que les Arbres ayant tou- jours le pied dans l'Eau , les Fruits y mûriffent fort tard. Mais ces raifons n'ont pas été fans réplique. Il eft vrai qu'aux environs du Fort Pontchartrain les Terres font mêlées de Sable , Se que dans les Forêts voifines , il y a des, fonds pref- & alla droit au Fait. Il parla lontems , & pofément , s 'arrê- tant à chaque Article , pour donner moyen à l'Interprète, D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ. Let. XVII. 259 d'expliquer en François , ce qu'il venoit de dire en fa Langue. Son air , le fon de fa voix , & Ton a£ion , quoiqu'il ne fit * 7 2 * * aucun gefte , me parurent avoir quelque chofe de noble & Jum« d'impofant , & \\ falloit que ce qu'il difoit , fût bien éloquent , puifque dépouillé dans la bouche de l'Interprète , qui étoit un Homme ordinaire , de tous les ornemens du Langage , nous en fûmes tous charmés. Je vous avoue même que , quand il auroit parlé deux heures , je ne me ferois pas ennuyé un moment. Une autre preuve , que les beautés de fon Difcours ne venoient point de l'Interprète , c'eft que jamais cet Hom- me n'eût ofé prendre fur foi , tout ce qu'il nous dit. Je fus même un peu furpris , qu'il osât répeter fi fidellement , qu'il faifoit , certaines chofes , qui ne dévoient pas plaire au Com- mandant. Quand le Huron eut fini , Onanguicé , Chef & Orateur Pouteouatami , reprit en peu de mots , & d'une ma- nière très-ingenieufe , tout ce que le Premier avoit expofé plus au long , & conclut comme lui. Les Outaouais ne par- lèrent point , & parurent approuver ce qu'avoierrt dit les autres. • La Conclufion fut , que les François étoient les maîtres de Quel en fut: ne plus vendre d'Eau-de-vie aux Sauvages ; qu'ils auroient lerérulcat* très-bien fait de ne leur en avoir jamais vendu , & il ne fe peut rien imaginer de plus fort , que ce que dit l'Orateur Hu- ron, en expofant les défordres, qu'a caufés cette Boiïîbn , & le tort , qu'elle a fait à toutes les Nations Sauvages. Le plus zélé Millionnaire n'en auroit pas dit davantage : mais il ajouta qu'ils y étoient tellement accoutumés , qu'ils ne pouvoient plus s'en palier ; d'où il étoit aifé de juger , qu'au défaut des François, ils s'adrefferoient aux Anglois. Quant à ce qui concernoit la Guerre des Outagamis , il déclara , qu'on ne pouvoit rien réfoudre , que dans un Confeil Général de tou- tes les Nations, qui reconnoiffent Ononthio (a) pour leur Père ; qu'elles conviendroient fans doute de la neceffité de cette Guerre , mais qu'elles auroient bien de la peine à fe fier une féconde fois aux François ; qui les ayant déjà réunies , pour les aider à exterminer l'Ennemi commun , lui avoient accordé la paix , fans confulter leurs Alliés , & fans qu'on pût fçavoir les raifons d'une telle conduite. Le jour fuivant j'allai vifiter les deux Bourgades Sauvages , £» quelle { a ) C eit le nom , que les Sauvages donnent au Gouverneur Général. Kkij i6o J O U R NA L HISTORIQUE 1 ^ *L ' ^ ^0nt vo*mies ^u ^ort ? &- ie commençai par les Hurons; Juin. je trouvai toutes les Matrones , parmi lefquelles étoit l'Ayeule l'Auteur trou- je $a{\:ercLtû , fort affligées de fe voir fi lontems privées des vêles Hurons r r ■ ■ ' , Tt- b , -, - r ., ." duDétrok. fecours ipirituels. bien des choies, que j appris en même tems , me confirmèrent clans la penfée , où j'étois déjà , que des intérêts particuliers étoient les feuls obftacles à ce que , déliraient ces bonnes Chrétiennes. Il faut efperer que l^s der- niers ordres du Confeil de la Marine lèveront toutes ces op- pofitions. M. de Tonti m'affûra qu'iL-alloit y travailler effica- cement (a). Ceux , qui rn'avoient conduit dans ce Village , m'affûrerent que fans les Hurons les autres Sauvages du Détroit mour- raient de faim. Ce n'eft certainement pas la faute du Terrein , qu'ils occupent , pour peu qu'ils vouluffent le cultiver , ils y trouveraient au moins le nécefïaire : la feule Pêche leur en fournirait une bonne partie , & elle ne demande pas un grand travail. Mais depuis qu'on leur a fait goûter de l'Eau-de-vie , ils ne fongent plus qu'à amaffer des Pelleteries pour avoir de quoi s'eny vrer. Le Huron plus fage , plus induftrieux , plus laborieux , plus prévoyant , & plus accoutumé à la culture des Terres , penfe plus au folide , & par fon travail eft en état , non-feulement de fubfifter, fans avoir befoin de perfonne , mais encore de faire fubfifter les autres : ce qu'il ne fait pas à la vérité gratuitement , car parmi fes bonnes qualités , il ne faut pas compter le défintéreffement. Re'ceptîon , Je fus encore mieux reçu des Pouteouatamis Infidèles , que qu'on lui fait des Hurons Chrétiens. Ces Sauvages font les plus beaux Hom- ?eouatamis°U" mes ^u Canada , ils font d'ailleurs d'un naturel fort doux , & nous les avons toujours eu pour Amis. Onanguicé,leur Chef, me traita avec une politefîe , qui me donna bien auffi bonne opinion de fon efprit , que le difcours , qu'il nous avoit fait dans le Confeil. 11 eft véritablement Homme de mérite , & tout-à-fait dans nos intérêts. En repaffant par un Quartier du Village des Hurons , j'ap^- perçus une troupe de ces Sauvages , qui paroiffoient fort ani- més au jeu ; je m'approchai & je vis qu'ils jouoient au Plat. C'eft celui de tous les jeux , qui attache le plus ces Peuples : ils en perdent quelquefois le repos , & en quelque manière la (a) Les Hurons du Détroit ont enfin ob- I parmi eux leur première ferveur, tenu un Millionnaire , qui a renouvelle l 7* DTJN VOYAGE DEL'AMERIQ. Let. XVII. 261 j-aifon : ils y rifquent tout ce qu'ils ont , & plusieurs ne le quittent , qu'après s'être mis prefque tout nuds , & après avoir perdu tout ce qu'ils avoient dans leurs Cabannes. On en a Juin, vu y engager leur liberté pour un tems. Cela prouve bien la paflion , car il n'eft point d'Hommes au monde plus jaloux de leur liberté , que nos Sauvages. Le jeu du Plat, qu'on appelle aufîi le jeu des Offelets , ne Du Jeu du fe joue qu'entre deux perfonnes. Chacun a fix ou huit OfTe- Plat°udesC< lets , que je pris d'abord pour des noyaux d'Abricots : ils en ont la figure , & font de même grandeur : mais en les regar- dant de près , je m'apperçus qu'ils étoient à fix faces inégales , dont les deux principales font peintes , l'une en noir , l'autre en blanc tirant fur le jaune. On les fait fauter en Faïr , en frap- pant la terre , ou la table , avec un Plat rond & creux , où ils font , & qu'on fait pirouetter auparavant. Quand on n'a point de Plat , on fe contente de jetter en l'air les OfTelets avec la main ; fi tous en tombant préfentent la même couleur , celui , qui a joué , gagne cinq points , la Partie efl en quarante , & on défalque les points gagnés , à mefure que l'adverfaire en gagne de ion côté. Cinq OfTelets d'une même couleur ne don- nent qu'un point pour la première fois , mais à la féconde on fait rafle de tout. En moindre nombre on ne gagne rien. Celui , qui gagne la Partie , continue de jouer ; le Perdant cède fa place à un autre, qui eft nommé par les Marqueurs de fa Partie. Car on fe partage d'abord , & fouvent tout le Village s'intérefTe au jeu : quelquefois même un Village joue contre un autre. Chaque Partie choifk fon Marqueur , mais il fe retire quand il veut , ce qui n'arrive , que quand lachofe tourne mal pour les fieiis. A chaque coup , que l'on joue , fur- tout , û c'eft un coup décifif , il s'élève de grands cris: les Joueurs paroifTent comme des forcenés , & les Spe£tateurs ne font pas plus tranquilles. Les uns & les autres font mille contorfions , apoftrophent les OfTelets , chargent d'impré- cations les Génies de la Partie adverfe , & tout le Village re- tentit de huriemens. Si tout cela ne fait pas revenir la chanfe ,. les Perdans peuvent remettre te Partie au lendemain , il ne leur en coûte que de faire à toute l'AfMance un repas de peu de valeur. On fe prépare enfuite pour retourner au combat , chacun invoque fon Génie , & jette en fon honneur du tabac dans i6i JOURNAL HISTORIQUE le feu. On lui demande fur-tout des lèves heureux. Dès aue 1 7 2 l ' le jour paroît , on fe remet au jeu ; mais fi les Perdans fe font Juin. mis dans la tête que ce font les meubles de leur Cabanne , qui leur ont porte malheur , ils commencent par les changer tous. Les grandes Parties durent ordinairement cinq ou fix jours , & louvent la nuit même ne les interrompt pas. Ce- pendant , comme tous les Affiftans , du moins ceux , qui font mtérefîes au jeu , font dans une agitation, qui lès met hors d'eux-mêmes , qu'on fe querelle , qu'on fe bat , ce qui n'ar- rive jamais parmi les Sauvages , que dans ces occafions , & dans l'yvrefle , on peut juger , fi à la fin de la Partie les uns & les autres ont beioin de repos. Ufa e fu- Il arrive quelquefois que ces Parties de jeu fe font par or- peiftkfeux de donnaiice du Médecin , ou à la prière d'un Malade : il ne faut ce jeu pouL la pour ceia qu'un rêve de l'un , ou de l'autre ; ce rêve eft tou- «ruérifor» des r . *■ 111 r~> 1 • c>_ .vaiades. jours pris pour un commandement de quelque Génie ; oc alors on fe prépare au jeu avec un très-grand foin. On s'affem- ble pendant plulieurs nuits pour s'eflayer , & voir qui a la main plus heureufe. On confulte fon Génie , on jeûne , les Perfonnes mariées gardent la continence , ck le tout pour obtenir un fonge favorable. Tous les matins on raconte ceux , qu'on a eus , ck de toutes les chofes , qu'on a rêvées , & qu'on s'imagine pouvoir porter bonheur , on en fait un amas , & on les met dans de petits fachets , qu'on porte fur foi. Si quel- qu'un a la réputation d'être heureux , c'eft-à-dire , dans le fens de ce Peuple , d'avoir un Génie familier plus puiffant , & plus enclin à faire du bien , on ne manque point de le faire approcher de celui , qui tient le Plat. On va même quelque- fois le chercher bien loin , & fi la vieilleffe , ou quelqu'infir- mité né lui permettoit pas de marcher , on le porteroit fur fes épaules. On a fouvent preffé les Millionnaires de fe trouver à ces jeux , dans la perfuafion , où l'on eft , que leurs Génies tuté- laires font les plus puifïans de tous. Il arriva un jour dans un Village Huron qu'une Malade ayant fait appeller un Jon- gleur, ce Charlatan lui ordonna le jeu du Plat , & marqua un autre Village que le fien "pour jouer. Elle envoya auflitôt demander au Chef de ce Village fon agrément ; il fut accordé , on joua , & le jeu fini , la Malade fit aux Joueurs de grands remercimens de la guérifon , qu'ils lui avoient , difoit-elle > D'U N V OYA G E D E L'A M E R I Q. Let. XVII. i63 .procurée. Il n'en étoit pourtant rien , au contraire elle étoit — — — plus mal , mais il faut toujours paroître content , lors même '721- qu'on a moins fujet de l'être. Juin* La mauvaife humeur de cette Femme & de Tes Parens tom- ba fur les Miflionnaires , qui avoient refufé d'aflïfter au jeu , quelque infiance , qu'on leur eût faite pour les y engager , 8c dans le chagrin de leur peu de complaifance en cette occafion , on leur reprocha que depuis leur arrivée dans ce Pays , les Génies des Sauvages n'avoient plus aucun pouvoir. Ces Reli- gieux ne manquèrent pas de profiter de cet aveu pour faire fentir à ces Infidèles la foibleffe de leurs Divinités , Se la fu- périorité du Dieu des Chrétiens ; mais outre que dans ces rencontres il eft rare qu'on foit affez bien difpofé pour enten- dre raifon , ces Barbares répondent froidement : « Vous avez ,; fance eft des plus néceffaires aux Voyageurs , non pas pour e es £C'S fes bonnes qualités , car je ne lui en ai encore vu attribuer aucune , mais parce qu'on ne fçauroit trop l'éviter. On l'ap- pelle V Herbe à la Puce 3 mais ce nom n'eft pas affez expreffif pour marquer les effets , qu'elle produit. Ces effets font, plus ou moins fenfibles , félon Ie'tempéramment de ceux , qui la touchent : il en eft même , fur qui elle ne fait rien : mais les uns , en la regardant feulement , font attaqués d'une fièvre violente, qui dure plus de quinze jours, & qui eft accom- pagnée d'une gale fort incommode , & d'une grande deman- .geaifon par tout le Corps. Elle n'opère fur d'autres , que quand ils la touchent ; & alors la partie attaquée paroît comme toute .«ouverte de Lèpre. On en a vû7qui en avoient les mains toutes i64 JOURNAL HISTORIQUE 1 7 2 *• perdues. On n'y connoît point encore d'autre' remède , que Juin, la patience ; au bout de quelque tems tout fe difîipe. Des citrons « cro^ au^* au Détroit des Citronniers en plein fol , dont du Déaok. les fruits ont la forme & la couleur de ceux de Portugal , mais ils font plus petits , & d'un goût fade : ils font excellens con- fits. La racine de cet Arbre eft un poifon mortel & très-fubtii, & en même-tems un antidote fouverain contre la morfure des Serpens. Il faut la piler & l'appliquer à l'inftant fur la playe : ce remède eft prompt & immanquable. Des deux côtés du Détroit le Pays conferve , dit-on , toute fa beauté jufqu'en- viron dix lieues dans la profondeur, après quoi on trouve moins d'Arbres fruitiers , & moins de Prairies. Mais au bout de cinq ou ilx lieues , en tirant vers le Lac Erié au Sud-Oueft , on découvre d'immenfes Prairies , qui s'étendent plus de cent lieues en tout fens , & qui nourriffent une quantité prodi- gieufe de ces Bœufs, dont je vous ai déjà parlé plus d'une fois. Je fuis , &c. DIX-HUITIEME LETTRE. Plujîeurs traits du caractère , des ufages 3 & du gouvernement des Sauvages. , M Au Détroit ce quatorzième de Juin, 1711, ADAME, Apre's avoir fermé ma dernière Lettre , & l'avoir remife à une Perfonne , qui defcendoit à Québec , je me difpofois moi-même à pourfuivre mon Voyage , & je m'embarquai en effet le lendemain. Mais je n'ai pas été bien loin , & par le peu de précautions de ceux , qui me conduifent , me voici de re- tour au Fort de Pontchartrain , où je crains beaucoup d'être obligé de refter encore plufieurs jours. Ce font de ces contre- tems , aufquels il faut s'attendre avec les Voyageurs Cana- diens , ils ne font jamais prefîes, & font fort négligens à pren- dre D'U N V OYA G E DE L'A M E R ï Q. Let. XVIIî. 265 dre leurs mefures. Mais comme il faut tirer partie de tout , je. vais profiter de ce retardement , pour commencer à vous en- tretenir du Gouvernement des Sauvages , & de leur façon Juin, de fe conduire dans les Affaires. Cette connoiffance vous mettra plus en état de comprendre bien des chofes , que j'au- rai occafîon de vous dire dans la fuite. Je m'étendrai pourtant le moins que je pourrai fur ce fu- jet : premièrement , parce que tout n'y efl pas fort intéreffant ; en fécond lieu , parce que je ne veux rien vous écrire , qui ne foit appuyé fur de bons témoignages , & qu'il n'eft pas aifé de trouver des perfonnes , dont la fincerité foit hors de toute atteinte , au moins d'exagération ; ou qu'on ne puiffe foup- çonner d'avoir trop légèrement ajouté foi , à tout ce qu'on leur a débité ; ou qui ayent enfin allez de discernement , pour faifir les chofes dans leur vrai point de vue ; ce qui deman- de un long féjour dans le Pays , & une longue habitude avec fes Habitans. Je ne vous dirai donc rien de moi , fur cet arti- cle , & cela m'empêchera de mettre beaucoup de fuite dans ce que je dirai : mais il ne vous fera pas difficile de rafTembler > & de faire un tout affez régulier des traits , dont je parfemerai mes Lettres , à mefure , que j'en ferai inftruit. Il faut convenir , Madame , que plus on voit nos Sauvages" les Sauva- de près , & plus^on découvre en eux de qualités efïimables. f^a^Ss^ifés convertir La plupart des Principes , qui fervent à régler leur conduite, les Maximes générales , fur lefqueiles ils fe gouvernent , & iue ks Na* le fond de leur Cara&ere , n'ont prefque rien , qui fente le policées" F U* Barbare. D'ailleurs les idées , quoiqu'entierement confufes , qui leur font refiées d'un Premier Etre , les veftiges prefque effacés du Culte Religieux , qu'ils paroiffent avoir autrefois rendu à cette Divinité fuprême ; & les foibles traces , qu'on remarque, jufques dans leurs avions les plus indifférentes, de l'ancienne Croyance, & de la Religion primitive , peu- vent les remettre plus facilement qu'on ne croit , dans'le che- min de la Vérité , & donner à leur Converfion au Chriftia- nifme des facilités qu'on ne rencontre pas , ou qui font contre - balancées par de plus grands obftacles , dans les Na- tions les plus civilifées. En effet l'expérience ne nous ap- prend - elle pas , que la Politeffe , les lumières , les Maximes d'Etat, forment dans celles-ci un attachement & une préven- tion pour leur fauffe Croyance ; que toute l'habileté , & tout Tome III. L 1 i66 JOURNAL HISTORIQUE ij il, le zèle des Ouvriers Evangéliques , ont bien de la peine à « • détruire , & qu'il faut que la Grâce agiffe plus puiffamment * ' fur des Infidèles éclairés , que leur préfomption aveugle pref- que toujours , que fur ceux , qui ne lui oppofent que des lumières bornées. raicIddeSkuï ^a plûpart des Peuples de ce Continent ont une forte de- Gouverne- Gouvernement Ariftocratique , dont la forme varie prefque à wienc l'infini. Car encore que chaque Bourgade ait fon Chef indé- pendant de tous les autres de la même Nation , 6k de qui les Sujets dépendent en très peu de chofes , néanmoins il ne fe conclut aucune Affaire de quelque importance ,' que par l'a- vis des Anciens. Vers l'Acadie , les Sagamos étoient plus ab- folus , & il ne paroît pas qu'ils fuifent obligés , comme les- Chefs le font prefque partout ailleurs , de faire des libéralités aux Particuliers. Au contraire , ils tiroient une efpece de Tribut de leurs Sujets , & ne mettoient nullement leur gran- deur , knsfe rien réferver pour eux. Mais il femble , que la? difperfion de ces Sauvages Acadiens , & peut-être aum leur Commerce avec les François , ont apporté beaucoup de changement à leur ancienne façon de fe gouverner , dont Lescarbot & Champlain font les feuls , qui nous ayent donné quelque détail. DjvHïondes Plufieurs Nations ont chacune trois Familles , ou Tribus Nations en • • i . /r- • \ *-i a i s\ • principales , auiii anciennes , a ce qu il paroît , que leur Ori- gine. Elles ont néanmoins une même Souche , & il y en a du moins une , qui eft regardée , comme la première , qui a une forte de prééminence fur les deux autres , où l'on traite de Frères , ceux de cette Tribu ; au lieu qu'entre elles , on ne ié traite que de Couiins. Ces Tribus font mêlées , fans être confondues , chacune a fon Chef féparé dans chaque Vil- lage ; & dans les Affaires , qui intereffent toute la Nation , ces- Chefs fe réunifient pour en délibérer. Chaque Tribu porte le nom. d'un Animal , & la Nation entière a aufTi le lien , dont elle prend le nom , & dont la Figure eff fa Marque , ou fi- l'on veut fes Armoiries. On ne figne point autrement les Trai- tés , qu'en traçant ces Figures ; fi ce n'efl: que des raifons par- ticulières en raffent fubilituer d'autres.- Ainfi la Nation Huronne , eft la Nation du Porc-Epi : fa première Tribu porte le nom de XOurs , ou du Chevreuil , les Auteurs varient fur cela ; les deux autres ont pris pour leurs Tribus. noms D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let.XVIIL i67 Animaux le Loup , & la Tortue ; enfin chaque Bourgade a 1 auiïï le fien , & c'eft apparemment cette variété , qui a défo- I721' rienté les Auteurs des Relations. D'ailleurs il eft bon d'obfer- ^uin* ver qu'outre ces diftin&ions de Nations , de Tribus , de Bour- gades par les Animaux , il y en a encore d'autres , qui ont leur fondement dans quelque ufage , ou dans quelque événement particulier. Par exemple, les HuronS Tèonnontàu^ qui font de la première Tribu , s'appellent ordinairement là Nation du Petun , & nous avons un Traité , où ces Sauvages , qui étoient alors à Michillimakinac , ont mis pour leur marque la iîgure d'un Caftor. La Nation Iroquoife a les mêmes Animaux , que la Miron- obfervatio» ne , dont elle paroît être une Colonie , avec cette différence fur les nc néanmoins , que la Famille de la Tortue y eft diviiée en deux , es C '" s" qu'on appelle la grande & la petite Tortue. Le Chef de chaque Famille en porte le nom , & dans les actions publiques on ne lui en donne point d'autre. Il en eft de même du Chef de la Nation , & de celui de chaque Village. Mais outre ce nom , qui n'eft , pour ainfi dire , que de repréientation , ils en ont un autre , qui les diftingue plus particulièrement , & qui eft comme un titre de dignité. Ainfi l'un eft appelle le plus noble , l'autre , le plus ancien , Sec. Enfin ils en ont un troifiéme , qui leur eft perfonnel. Mais je croiroisaffez que cela n'eft en ufage que dans les Nations , où la qualité de Chef eft héréditaire. Ces impofitions de titres le font toujours avec de grandes cérémonies ; le nouveau Chef, ou , s'il eft trop jeune , celui , qui le repréfente , doit faire un feftin & des préfens , pronon- cer leloge de fon Prédéceffeur , & chanter fa chanfon. Il y a néanmoins tel nom perfonnel fi célèbre , que nul n'ofefe l'ap- proprier , ou qui eft du moins fort lontems fans être relevé ; quand on le fait, cela s'appelle refufeiter celui, qui le portoit. Dans le Nord, & par-tout, où règne la Langue Algon- Dc fa qwine , la dignité de Chef eft éle£tive ; mais toute la cérémo- rEkaio? dis nie de l'élecnon & de l'inftallation fe réduit à des feftins , ac- chefs, compagnes de danfes & de chants. Le Chef élu ne manque aufti jamais de faire le panégyrique de celui , dont il prend la place , & d'invoquer fon Génie. Parmi les Hurons , où cette dignité eft héréditaire , la fucceflion fe continue par les Fem- mes , enforte qu'à la mort du Chef ce n'eft pas fon Fils , qui lui fuccéde , mais le Fils de fa Sœur , ou à fon défaut , fon Ll ij Suc- voir, Ï6i JOURNAL HISTORIQUE T plus proche Parent en ligne féminine. Si toute une Branche 7 . 1 ' vient à s'éteindre , la plus noble Matrone de la Tribu , ou de Juin. ja Nation choifit le Sujet , qui lui plaît davantage , & le dé- clare Chef. Pc leur pou- Il faut avoir un âge mûr pour gouverner , & fi le Chef hé- réditaire n'y eft pas encore parvenu , on lui donne un Régent , qui a toute l'autorité , mais qui l'exerce fous le nom du Mi- neur. En général ces Chefs ne reçoivent pas de grandes mar- ques de refpeft , & s'ils font toujours obéis , c'eft qu'ils fça- vent jufqu'où ils doivent commander. Il eft vrai même qu'ils prient ou propofent plutôt qu'ils ne commandent , & que ja- mais ils ne fortent des bornes du peu d'autorité, qu'ils ont. Ainfi c'eft la raifon , qui gouverne , & le gouvernement eft d'autant plus efficace , que l'obéiffance eft plus libre , & qu'on n'a pas à craindre qu'il ne dégénère en tyrannie. r>cs Afïïftans II y a plus , chaque Famille a droit de fe choifir un Con- euConfeiikrs.' feiller , & un Afiïftanf du Chef, qui doit veiller à fes inté- rêts , & fans l'avis duquel le Chef ne fçauroit rien entrepren- dre. Ces Confeillers font fur-tout obligés d'avoir l'œil fur le thréfor public , & c'eft particulièrement à eux , qu'il appar- tient d'en marquer l'emploi. Leur réception fe fait dans un Confeil général ; mais on n'en donne point avis aux Alliés , comme on le fait aux élevions , & aux inftallations des Chefs. Dans les Nations Huronnes , ce font les Femmes , qui nom- ment les Confeillers , & fouvent elles choififfent des perfon- nes de leur Sexe. Ce Corps des Confeillers , ou Affiftans eft le premier de tous; le fécond eft celui des Anciens , c'eft-à-dire, de tous ceux , qui ont atteint l'âge de maturité. Je n'ai pu fçavoir quel eft précifément cet âge. Le dernier eft celui des Guerriers. Il comprend tous ceux , qui font en état de porter les armes. Ce Corps a fouvent à fa tête le Chef de la Nation , ou celui de la Bourgade ; mais il faut qu'auparavant il fe foit diftingué par quelque a£tion de valeur ; finon il eft obligé de fervir en qua- lité de Subalterne , c'eft-à-dire , de (impie Soldat , car il n'y a point de grades dans la Milice des Sauvages. Des chefs A la vérité un grand Parti peut avoir plufieurs Chefs , parce de Guerre. qu'on donne ce titre à tous ceux, qui ont déjà commandé; mais ils n'en font pas moins fournis au Commandant du Parti, efpece de Général fans caractère , fans autorité réelle , qui ne i Corps des iens. D'U N V O Y A G E D E L' A M E R I Q. Let . XVIII. i69 peut ni récompenfer , ni punir , que fes Soldats peuvent quit- ter , quand il leur plaît , fans qu'il ait rien à leur dire , & qui l 7 2 ! * néanmoins n'eft prefque jamais contredit : tant il eft vrai que Juin, parmi^es Hommes , qui fe conduifent par la raifon , & qui font guidés par l'honneur & le zélé pour la Patrie , l'indépen- dance ne détruit point la fubordination , & que fouvent l'o- béiffance libre & volontaire eft toujours celle , fur laquelle on peut plus fûrement compter. Au refte les qualitez requifes pour un Chef de Guerre font, d'être heureux, brave, & défîn- térefle. Il n'eft pas étonnant qu'on obéiffe fans peine à un Homme , en qui l'on reconnoît ces trois cara&eres. Les Femmes ont la principale autorité chez tous les Peu- Pouvoir des pies de la Langue Huronne , fi on en excepte le Canton Iro- F^njmes ^n3 quois d'Onneyouth , où elle eft alternative entre les deux nonsT" Sexes. Mais fi tel eft le droit , la pratique y eft rarement con- forme. Dans le vrai les Hommes ne parlent aux Femmes , que de ce qu'ils veulent bien qu'elles fçachent , & rarement une affaire importante leur eft communiquée , quoique tout fe faffe en leur nom, & que les Chefs ne foient que leurs Lieu- tenans. Ce que je vous ai dit , Madame , de l'Ayeule du Chef héréditaire des Hurons du Détroit , qui n'avoit jamais pu ob- tenir un Miffionnaire pour fa Bourgade , eft une bonne preu- ve que l'autorité réelle des Femmes fe réduit à bien peu de chofes. On m'a pourtant affûré que ce font encore elles , qui délibèrent les premières fur ce qu'on propofe dans le Confeil , & qu'elles donnent enfuite le réfultat de leur délibération aux Chefs , qui en font le rapport au Confeil Général , compofé des Anciens ; mais il y a bien de l'apparence que tout cela fe fait pour la forme & avec les reftnetions , que je viens de dire. Les Guerriers confultent aufli entre eux fur tout ce qui eft de leur reffort , mais ils ne peuvent rien conclure d'im- portant , ni qui intereffe la Nation ou la Bourgade. Tout doit être examiné & arrêté dans le Confeil des Anciens , qui juge en dernière inftance. il faut convenir qu'on procède dans ces Affemblées avec Sa„errc j5 une fagefïe , une maturité , une habileté , je dirai même , cesCoafcils. communément une probité , qui auroient fait honneur à l'A- réopage d'Athènes , & au Sénat de Rome dans les plus beaux jours de ces Républiques. C'eft qu'on n'y conclut rien avec précipitation , & que les grandes paffions, qui ont fi fort altéré 72I Des Gra teurs. 270 JOURNAL HISTORIQUE la politique ., même parmi les Chrétiens , n'ont point encore prévalu dans ces Sauvages fur le bien public. Les Intéreffés ne Juin. laifïent pas de faire jouer bien des reflorts , & d'employer un manège , dont on auroit peine à croire capables des Barbares , pour venir à bout de leurs deffeins. Ileft encore vrai qu'ils ont tous au fouverain degré le grand art de cacher leur marche ; mais pour l'ordinaire la gloire de laNation^ck les motifs d'hon- neur font les principaux mobiles de toutes leurs Entreprifes. Ce qu'on ne peut excufer en eux , c'eft que le plus fouvent ils mettent leur honneur à fe venger , & qu'ils ne donnent point de bornes à leur vengeance, Défaut , que le feul Chriftianif- me peut bien corriger , & que toute notre politeffe & notre Religion ne corrigent pas toujours. Chaque Tribu a fon Orateur dans chaque Bourgade , & il n'y a guéres que ces Orateurs , qui ayent droit de parler dans les Confeils publics , & dans les Affemblées générales. Ils parlent toujours bien , & à propos. Outre cette éloquence naturelle , que nul de ceux , qui les ont pratiqués , ne leur contefte , ils ont une connoiffance parfaite des intérêts de ceux , qui employent leur miniftere , & une dextérité à met- tre leur bon droit dans tout fon jour, qui ne peut aller plus loin. En quelques occafions les Femmes ont un Orateur , qui parle en leur nom , & comme s'il étoit uniquement leur In- terprète. Désintérêts ]}es Peuples, qu'on peut dire ne polfeder rien, ni en public, "ni en particulier , & qui n'ont point l'ambition de s'étendre , devroient , ce femble, avoir peu de chofes à démêler les uns avec les autres. Mais l'efprit de l'Homme naturellement in- quiet ne fçauroit demeurer fans a£tion , & il eft ingénieux à fe procurer de quoi s'occuper. Ce qui eft certain, c'eft que nos Sauvages négocient fans celle , & qu'ils ont toujours quelque affaire fur le tapis. Ce font des Traités à conclure , ou à re- nouveller , des ofres de fervice , des civilités réciproques , des alliances , qu'on ménage , des invitations à la Guerre , des complimensfur la mort d'un Chef, ou d'une Perfonne con- fidérable. Tout cela fe fait avec une dignité , une attention , j'ofe même dire , une capacité digne des affaires les plus im- portantes ; &: elles le font quelquefois plus qu'il ne paroît ; car ceux , qu'on députe pour cela ont prefque toujours des jnftru&ions fecrettes , & le motif apparent de leur députa- Ac ces Peu pies D'UN VOYAGE DE L'A ME RI Q.Let. XVIII. 271 iïon n'eft fouvent qu'un voile , qui en cache un autre plus 1 7 2 l • férieux. Juin. La Nation du Canada , qui depuis deux fiécles y fait la pre- Politique de* miere figure , eft l'Iroquoife. Ses fuccès à la guerre lui ont fcoquois, donné fur la plupart des autres une fupériorité, qu'aucune d'elle n'eft plus en état de lui difputer , & de pacifique qu'elle étoit autrefois , elle eft devenue fort inquiette & fort intri- guante. Mais rien n'a plus contribué à la rendre formidable , que l'avantage de fa Situation , qu'elle fçut bientôt reconnoî- tre , & dont elle a très-bien fçu profiter. Placée entre nous &' les Anglois , elle a compris d'abord que les uns & les autres feroient obligés de la ménager, & il eft vrai que la princi- pale attention des deux Colonies, depuis leur Etabliffement, a été de la gagner , ou de l'engager au moins à demeurer neu- tre. Perfuadée de fon côté que , fi l'une des deux Nations pré- valoit fur l'autre , elle en feroit bientôt opprimée , elle a- trouvé le fecret de balancer leurs fuccès , & fi l'on fait réfle- xion que toutes fes forces réunies n'ont jamais monté qu'à cinq ou fix mille Combattans , & que depuis lontems elles ont diminué de plus de moitié , on conviendra qu'elle n'a pu y fuppléer que par beaucoup d'habileté & d'adreffe. Pour ce qui eft des Particuliers , & de l'intérieur des Bout*- Du gouver- gades , les affaires s'y réduifent à très-peu de chofes , ck font ne"JeiK dcs bientôt terminées. L'autorité des Chefs ne s'étend point , ou Vl agCS" s'étend rarement jufques-là , & généralement parlant ceux , qui ont quelque crédit , ne font occupés que du Public. Uns feule affaire , quelque peu importante qu'elle foit , eft lontems en délibération ; tout fe traite avec beaucoup de flegme & de lenteur , & rien ne fe décide , qu'on n'ait entendu tous ceux , . qui veulent y entrer. Si l'on a fait fous main quelque préfent à un Ancien pour s'affûrer de fon fufrage , on eft fur de l'obte- nir , dès que le préfent eft accepté. Il eft prefque inoui qu'un Sauvage ait manqué à un engagement de cette forte , mais il ne le prend pas aifément , & jamais il ne reçoit des deux mains., Les Jeunes Gens entrent de bonne heure en connoiffance des affaires , ce qui lesrend férieux & mûrs dans un âge , où nous fommes encore enfans ; cela les intéreffe dès leur première jeuneffe au bien public , & leur infpire une émulation , qu'on a grand foin de fomenter , & dont il n'eft rien, qu'on ne puiffe fe promettre. i7i JOURNAL HISTORIQUE 1 7 } ï ' Le plus grand défaut de ce Gouvernement , c'eft qu'il n'y a Juin, prefque point de Juftice Criminelle parmi ces Peuples ; à la scsDéfauts. vérité , ce défaut n'a point dans ce Pays les mêmes fuites , qu'il auroit parmi nous ; le grand reffort de nos parlions , & la four- ce principale des défordres , qui troublent le plus la Société Civile , c'eft-à-dire , l'intérêt , n'ayant prefque point de force fur des Gens , qui ne fongent point à théfaurifer , & s'embar- raffent fort peu du lendemain. On peut encore leur reprocher avec juftice la manière , dont ils élèvent leurs Enfans : ils ne fçavent ce que c'eft , que de les châtier ; tant qu'ils font petits , on dit qu'ils n'ont point de raifon , & les Sauvages ne font point dans le principe , que la punition fait venir le Jugement ; quand ils font dans un âge à pouvoir raifonner , on prétend qu'ils font maîtres de leurs actions , & qu'ils n'en doivent répondre à perfonne. On pouffe ces deux Maximes , jufqu a fe laiffer maltraiter par des Yvrognes , fans même fe défendre , de peur de les bleffer : Pourquoi leur faire du mal , difent-ils , quand on veut leur montrer le ridicule de cette conduite , ils ne fçavent ce qu ils font. En un mot, ces Amériquains font parfaitement convaincus , que l'Homme effc né libre, qu'aucune Puiffance fur la Terre n'a droit d'attenter à fa liberté , & que rien ne pourroit le dé- dommager de fa perte. On a même eu bien de la peine à dé- tromper fur cela les Chrétiens , & à leur faire entendre que , par une fuite de la corruption de notre Nature , qui eft l'effet du Péché , la liberté effrénée de faire le mal diffère peu d'u- ne efpece de neceffité de le commettre , vu la force du pen- chant , qui nous y porte ; Se que la Loi , qui nous retient , nous rapproche de notre première liberté , en paroiffant nous la ravir. Heureufement pour eux , l'expérience ne leur fait pas fentir , fur bien des articles effentiels , toute la vivacité de ce penchant, qui produit ailleurs tant de crimes. Leurs connoiffances étant plus bornées que les nôtres , leurs défirs le font aufïï davantage : réduits au (impie néceffaire, auquel la Providence a fufmamment pourvu , à peine ont - ils l'idée du fuperflu. Après tout . c'eft un grand défordre que cette tolérance , & cette impunité ; c'en eft un auffi , que ce défaut de fubordi- nation , qui fe remarque dans le Public , & encore plus dans le D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let. XVIII. 173 ïe Domeftique , où chacun fait ce qu'il veut : où le Père , la — Mère , &: les Enfans vivent fouvent comme des perfonnes 1 7 2 * ' raflemblées par hazard , & qu'aucun lien n'unit entre eux ; Juin, où déjeunes gens traitent des affaires de la Famille , fans ert rien communiquer à leurs Parens , non plus que ri c'étoient des Etrangers ; où les Enfans font élevés dans une indépen- dance entière ; & où on s'accoutume de bonne heure à n'é- couter , ni la voix de la Nature , ni les plus indifpenfables de- voirs de la Société. Si dans les Nations les plus fagement gouvernées , & qui font retenues par le frein d'une Religion toute fainte , on ne laiffe pas de voir quelquefois de ces Monftres , qui deshono- rent l'humanité , ils y font du moins horreur , & les Loix les répriment , mais ce qui n'eft que le crime d'un Particulier , quand il eft fuivi du châtiment , devient le crime de la Na- tion , qui le laifle impuni , comme le parricide même l'eft , parmi les Sauvages ; y fut-il encore plus rare , qu'il ne Tell, cette impunité en une tache , que rien ne peut laver, & qui fent tout-à-fait la Barbarie. Il y a pourtant en tout ceci quel- exceptions , dont je parlerai bientôt j mais en général , fefprit de nos Sauvages e$. tel. Non-feulement ils font perfuadés qu'une perfonne, qui n'eft principes , pas en fon bon fens , n'eft point réprehenfîble , ou du moins rur ,.quoi ^ ne doit pas être punie ; mais ils s'imaginent encore , qu'il eft eftécabhe- indigne d'un Homme , de fe défendre contre une Femme , ou contre un Enfant ; bien entendu apparemment , Iorfqu'il n'y va point de la vie , ou qu'il n'y a point de rifque d'être eftro- pié , encore prend-on alors , s'il eft poftible , le parti de fuir. Mais qu'un Sauvage en tue un autre de fa Cabanne , s'il étoit Yvre , & fouvent fait- on femblant de l'être , quand on veut faire de femblables coups , on fe contente de plaindre & de fleurer le mort ; c'eft un malheur , dit-on , le Meurtrier ne lç avoit pas ce qu'il faifoit. S'il étoit de fang froid , on fuppofe aifément , qu'il avoit de bonnes raifons , pour en venir à cette extrémité. S'il eft évi- dent qu'il n'en avoit point , c'eft à ceux de fa Cabanne , com- me les feuls intereffés , à le châtier ; ils peuvent le faire mou- rir , mais ils le font rarement , & s'ils le font , c'eft fans au- cune forme de Juftice ; de forte que fa mort a moins l'air d'une punition légitime , que d'une vengeance d'un Parties Tome III, M m 274 JOURNAL HISTORIQUE. 72 i. ' ner ' quelquefois un Chef fera bien aife de profiter de l'occa- fion de fe défaire d'un mauvais Sujet. En un mot , le crime- Juin, n'eft point puni d'une manière , qui fatisfafle à la Juftice , & qui établiffe la sûreté & la tranquillité publiques. Un Affaflinat, qui interefferoit plufieurs Cabannes , auroit cependant toujours des fuites fâcheufes , fouvent il n'en faut pas davantage pour mettre en combuftion toute une Bour- gade , & même toute une Nation. C'eft pourquoi dans ces rencontres le Confeil des Anciens ne néglige rien pour ac- commoder de bonne heure les Parties , & s'il en vient à bout, c'eft ordinairement le Public , qui fait les Préfens , & toutes les démarches néceffaires auprès de la Famille offenfée. La prompte punition du Coupable finiroit d'abord toute l'affaire, & fi les Parens du Mort , peuvent l'avoir en leur puiffance , il leur eft permis d'en faire ce qu'ils veulent ; mais la Caban- ne croit qu'il n'eft pas de fon honneur de le facrifier , & fouvent le Village , ou la Nation , ne juge pas à propos de l'y contraindre. De quelle J'ai lu dans une Lettre du P. de Brebeuf , qui a lontems vécu parmi les Hurons , que ces Sauvages avoient accoutu- rAfSràfli- mé de punir les Affafîïns , en cette manière. Ils étendoienî le corps mort fur des Perches , au haut d'une Cabanne , & le Meurtrier étoit obligé de fe tenir plufieurs jours de fuite immédiatement au deffous , & de recevoir tout ce qui décou- loit de ce Cadavre , non - feulement fur foi , mais encore fur fon manger , qu'on mettoit auprès de lui , à moins que par un préfent confidérable , fait à la Cabanne du Défunt , il n'obtînt de garantir fes Vivres de ce Poifon. Mais le Mifiion- naire ne dit point , fi cela fe faifoit par Autorité Publique , ou fi c'étoit feulement une Réprefaille , dont ufoient les Interef- fés , quand ils pouvoient avoir l'Affaflin en leur puiffance. Quoiqu'il en foit. , le moyen le plus ufité parmi tous les Sauvages pour dédommager les Parens d'un Homme , qui a été affaffiné , c'eft de le remplacer par un Prifonnier de Guer- re : alors ce Captif eft prefque toujours adopté : il entre dan3 tous les droits du Défunt, & fait bientôt oublier celui, dont il occupe la place. Il eft néanmoins quelques crimes odieux , qui font fur le champ punis de mort , du moins parmi quel- ques Nations , tels font les Maléfices. M^mcSsn(ks Quiconque en eft foupçonné , n'eft en sûreté nulle part y Jïîaniere les Hurons punif- lent liât. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XVIII. 275 l on- lui fait même fubir , quand on s'eft faifi de lui , une forte 1 7 2 1 . de queftion , pour l'obliger à nommer fes Complices , après Juin, quoi il eft condamné au Supplice des Prifonniers de Guerre ; mais on demande auparavant le confentement de fa Famille , qui n'oferoit le refufer. Les moins criminels font afïbmmés , avant que d'être brûles. On traite à peu près de même , ceux qui deshonorent leurs Familles , & pour l'ordinaire , c'en: la Famille même , qui en fait juftice. Parmi les Hurons , qui étoient fort enclins à dérober , & Reniement qui le faifoient avec une dextérité , dont nos plus habiles pout-ièschofes Filoux fe feroient honneur , il étoit p'ermis , quand on avoit uouvées- découvert le Voleur , non - feulement dé lui reprendre ce u'il avoit pris , mais encore d'enlever tout ce qui étoit dans a Cabanne , & de le dépouiller tout nud , lui , fa Femme & fes Enfans , fans qu'ils puffent faire la moindre réfiftance. D'ailleurs , pour éviter toutes les conteftations , qui pou- voient naître à ce fujet, on étoit convenu de certains points , dont on ne s'écartoit jamais. Par exemple , toute choie trou- vée , n'y eût-il qu'un inftant , qu'elle eût été perdue , étoit à celui , qui l'avoit trouvée , pourvu que celui , à qui elle étoit auparavant , ne l'eût point déjà reclamée. Mais pour peu qu'on remarquât de la fupercherie de part du Premier , on l'obligeoit de reflituer ; ce qui occafionnoit quelquefois des dùTenfions affez difficiles à terminer : Voici un trait affez firi- gulier en ce genre. Une bonne Vieille n'avoit pour tout bien au monde, qu'un Trait fingu- Collier de Porcelaine , qui valoit environ dix Ecus de notre lier à îocca- Monnoye , & elle le portoit partout avec elle , enfermé dans jjj?°roUu^ccho" un petit Sac. Un jour qu'elle travailloit aux Champs , elle avoit fufpendu fon Sac à un Arbre ; une autre Femme , qui s'en apperçut , & qui avoit grande envie de lui efeamoter fon Collier , crut l'occafion favorable de s'en faifir , fans qu'on Eût l'accufer de Vol : elle ne le perdit point de vue , & au out d'une heure ou deux , la Vieille étant parlée dans le Champ voifin , clic courut à l'Arbre , prit le Sac , & fe mit à crier , qu'elle avoit fait une bonne trouvaille. La Vieille à ce cri tourne la tête , & dit que ce Sac lui appartient , que c'eft elle , qui l'a fufpendu à l'Arbre , qu'elle ne l'a ni perdu , ni oublié , & que fon intention étoit de le reprendre à la fin ,4e fon travail j fa Partie lui répond ? qu'on ne juge pas des Mm ij i76 JOURNAL HISTORIQUE — -* intentions , & qu'étant fortie de fon Champ , fans avoir repris 1 ^ 2 * fon Sac , elle étoit cenfée l'avoir oublié. Juin. Après bien des conteftations entre ces deux Femmes , qui ne fe dirent pourtant pas un mot défobligeant , l'affaire fut portée devant un Arbitre , qui fut le Chef du Village , & dont » voici quelle fut la décifîon : « A juger dans la rigueur , dit-il , » le Sac appartient à celle, qui l'a trouvé; mais les circonstances » font telles , que , fi cette Femme ne veut pas être taxée d'ava- » rice , elle le doit rendre à celle , qui le réclame , & fe conten- » ter de quelque petit préfent , que celle-ci ne peut fe difpenfer » de lui faire „. Les deux Parties acquiefcerent à ce Jugement; & il eft bon d'obferver que la crainte d'être notée d'avarice a bien autant de pouvoir fur l'efprit des Sauvages, qu'en auroit la crainte du châtiment , & qu'en général ces Peuples fe condui- fent beaucoup plus par les principes d'honneur , que par tout autre motif. Combien les Ce que je vais vous ajouter, Madame, vous en donnera Sauvages fonc une nouvelle preuve. J'ai dit plus haut que pour empêcher les point Cdhon- fuites d'un meurtre , le Public fe charge de faire les foumif- Eeur. {ions pour les coupables , & de dédommager les Intéreffés : croiriez-vous bien que cela même a plus de force pour préve- nir ces défordres , que les Loix les plus féveres ? Rien n'efl pourtant plus vrai : car comme ces fatisfaftions coûtent beau- coup à des Hommes , dont la fierté paffe tout ce qu'on en peut dire , le Criminel eft. plus fenfible à la peine , où il voit le Public à fon fujet , qu'il ne le feroit à la fienne propre , & le zélé de l'honneur de la Nation retient beaucoup plus puif- famment ces Barbares , que ne pourroit faire la crainte de la mort & des fupplices. D'ailleurs il eft certain que l'impunité n'a pas toujours régné parmi eux , autant qu'elle a fait depuis , & nos premiers Mif- iionnaires ont encore trouvé des traces de l'ancienne rigueur , avec laquelle ils fçavoient réprimer les crimes. Le vol en par- ticulier a toujours été regardé comme une tache , qui déshon- noreroit une Famille , & chacun étoit en droit d'en effacer la honte avec le fang du Coupable. Le Père de Brebœuf apper- çut un jour un jeune Huron, qui affommoit une Fille; il cou- rut à lui pour l'arrêter , & lui demanda ce qui le portoit à cette ^ violence. « C'eft ma Sœur , lui répondit le Sauvage , elle a „ volé , je veux expier par fa mort l'affront ? qu'elle m'a fait p Fort deo Ablhhia ac tin Lahi-utte Pays des N I P I S S ihï G S *--**S&**e«*t puscammg- Pays ^^'^Zpes _ j Clnce a. la Mine Temis\J çamin g s Lac Camu/iayatTitc li^fcwa». M wliong Sault Laci/l Wipissing- tUlapideduGi-enaèier aa^" Mataouan ^ , **?, V» V> •vy ^ ,„<> ,/ t&^pJSP >^^<<^V7 ior Toronto 'dejllRtu 0T v^ ^y * s des Outaoùaïs -Lac Quenào a "O IV i76 JOURNAL HISTORIQUE — c intentions , & qu'étant fortie de fon Champ , fans avoir repris 1 ? 2 1 ' fon Sac , elle étoit cenfée l'avoir oublié. Juin. Après bien des conteftations entre ces deux Femmes , qui ne fe dirent pourtant pas un mot défobligeant , l'affaire fut portée devant un Arbitre , qui fut le Chef du Village , & dont » voici quelle fut la décifîon : ** A juger dans la rigueur , dit-il , » le Sac appartient à celle, qui l'a trouvé ; mais les circonftances » font telles , que , fî cette Femme ne veut pas être taxée d'ava- » rice , elle le doit rendre à celle , qui le réclame , & fe conten- » ter de quelque petit préfent , que celle-ci ne peut fe difpenfer » de lui faire „. Les deux Parties acquiefcerent à ce Jugement; & il efi: bon d'obferver que la crainte d'être notée d'avarice a bien autant de pouvoir fur Fefpritdes Sauvages, qu'en auroit la crainte du châtiment , & qu'en général ces Peuples fe condui- fent beaucoup plus par les principes d'honneur , que par tout autre motif. Combien les Ce que je vais vous ajouter, Madame, vous en donnera Sauvées font une nouvelle preuve. J'ai dit plus haut que pour empêcher les point Cd'hon- fuites d'un meurtre , le Public fe charge de faire les foumif- «eux. fions pour les coupables , & de dédommager les Intéreffés : croiriez-vous bien que cela même a plus de force pour préve- nir ces défordres , que les Loix les plus féveres ? Rien n'eft pourtant plus vrai : car comme ces fatisfaftions coûtent beau- coup à des Hommes , dont la fierté paffe tout ce qu'on en peut dire , le Criminel eft plus fenfible à la peine , où il voit le Public à fon fujet , qu'il ne le feroit à la tienne propre , & le zélé de l'honneur de la Nation retient beaucoup plus puif- famment ces Barbares , que ne pourroit faire la crainte de la mort & des fupplices. D'ailleurs il eu certain que l'impunité n'a pas toujours régné parmi eux , autant qu'elle a fait depuis , & nos premiers Mif- fionnaires ont encore trouvé des traces de l'ancienne rigueur , avec laquelle ils fçavoient réprimer les crimes. Le vol en par- ticulier a toujours été regardé comme une tache , qui désnon- noreroit une Famille , & chacun étoit en droit d'en effacer la honte avec le fang du Coupable. Le Père de Brebœuf apper- çut un jour un jeune Huron , qui affommoit une Fille ; il cou- rut à lui pour l'arrêter , & lui demanda ce qui le portoit à cette ^ violence. « C'eft ma Sœur , lui répondit le Sauvage , elle a „ volé , je veux expier par fa mort l'affront ? qu'elle m'a fait p D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XIX. 277 ' & à- toute notre Famille >,. On me demande ma Lettre , & 1721, je finis en vous affûrant que je fuis , &c. juiru DIX-NEUVIÉME LETTRE. Voyage du Détroit à Michillitnakinac. Defcription du Pays* Du Mariage, des Sauvages. . A Michillitnakinac , ce trentième de Juin , 1 72 u M ADAME, C E fut le dix-huitiéme de ce mois que je partis enfin tout Départ parce que des Sauvages de cette Nation s'y réfugièrent pendant la guerre des Iroquois. Sur la droite , 8c prefque vis-à-vis , il y en a une autre , dont l'en- trée eft une fois plus large , & qu'on remonte quatre-vint lieues fans rencontrer aucun Rapide , ce qui eft rare dans les Rivières de ce Pays : on n'a pu me àhe fon nom. La route depuis le Fort du Détroit jufqu'à la fin de la tra- verfe , eft Eft - Nord - Eft : de - là on tourne au Nord par FEft jufqu'au Sud pendant quatre lieues , au bout defquelles on trouve à main droite un Village de Miffiffaguez , placé fur un terrein fertile , à l'entrée de très-belles Prairies , oc dans la plus agréable fituation , qui fe puiffe voir. De-là jufqu'au Lac Huron , on compte douze lieues , & le Pays eft toujours char- mant. C'eft un Canal magnifique , tiré au cordeau , bordé de Bois de hautes Futayes , féparées par de belles Prairies , & I 7 2. I Soin les jeunes Sau .iges pien 278 JOURNAL HISTORIQUE femées dlfles^ont quelques-unes font affez grandes. Ony fait toujours le Nord -quart Nord- Eft, & en entrant dans le juin. Lac Huron , la route eft au Nord pendant douze autres lieues. <£* En faifant la traverfe du Lac de Sainte Claire , j'avois dans mon Canot un jeune Sauvage , fort & vigoureux , & fur les nent de fe pa- bras duquel j'avois fort compté , en lui accordant le paffage , rer- qu'il me demandent : mais il ne me fut que d'un médiocre fe- cours* En récompenfe il me divertit beaucoup , jufqu'à ce qu'un orage , qui s'éleva fur notre tête , commença à m'in- quietter. Ce jeune-Homme s'étoit mis à fa toilette , avant que de s'embarquer , Se il ne donnoit pas trois coups d'aviron , qu'il ne prît fon miroir, pour voir û le mouvement de fes bras n'avoit rien dérangé dans l'ceconomie de fon ajuftement , ou il la fueur n'avoit pas altéré les traits , qu'il s'étoit formés fur fon vifage avec le rouge , ■& les autres couleurs , dont il l'avoit peint. Je ne fçai s'il efperoit d'arriver au Village des MifTiiTaguez avant la nuit, pour s'y trouver à quelque Fête ; mais nous ne pûmes pas aller fi loin. L'orage creva , comme nous touchions prefque à une lfle , où fe termine la traverfe du Lac , & il fallut y refter. Le jeune Sauvage ne parut pourtant pas fort déconcerté de ce contretems , car ces Gens-là fe confolent aifément de tout. Peut-être aufîl n'avoit -il prétendu que fe montrer à nous dans toute fa beauté ; mais fi c'étoit là fon deffein , il avoit bien perdu fa peine , je l'avois vu dans fon naturel peu de jours auparavant , & je l'avois trouvé beaucoup mieux , qu'avec ce bifarre affortiment de couleurs , qui lui avoit tant coûté. On voit ici peu de Femmes fe peindre le vifage , mais les Hommes , & fur-tout les Jeunes-Gens , font fort curieux de cef te parure ; il y en a , qui employent une demie journée à fe farder ainfi , uniquement pour aller de porte en porte fe faire regarder , & qui s'en retournent en- fuite fort contens d'eux-mêmes , quoiqu'on ne leur ait pas dit un mot. Nous entrâmes dans le Lac Huron le vint-uniéme vers les dix heures du matin , & nous y eûmes d'abord le divertiffe- ment de la Pêche de l'Efturgeon. Le lendemain, malgré le Tonnerre , qui gronda tout le jour , mais qui fe contenta de nous menacer , j'avançai jufqu'à près de vint-cinq lieues dans D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XIX. 279 le Lac , mais le vint-troifiéme une brume épahTe , qui nous • empêchoit de voir à quatre pas devant notre Canot , nous 7zl* obligea d'aller plus lentement , parce que nous navigions fur Juin. un Banc de Roche , qui en bien des endroits n'eft pas couvert d'un demi pied d'Eau : il s'étend bien loin au large , & a dix lieues de long : nos Canadiens l'ont appelle les Pays Plats. situation fo Le jour fuivant nous gagnâmes la Baye de Saguinam > la- Mkhiliimakl- quelle a cinq ou fîx lieues d'ouverture , & trente de profon- .nac" deur. Les Outaouais ont un Village dans le fond de cette Baye , que l'on affûre être un très-beau Pays. De-là jufqu'à Michillimakinac on ne voit rien de beau , plus de Vignes , mauvais Bois , fort peu de ChaiTe. Dix lieues au-deffus de la Baye du Saguinam on apperçpit deux Rivières affez grandes à une lieuë l'une de l'autre, & quatre ou cinq lieues plus loin XAnfe au Tonnerre, qui a trois lieues d'ouverture, & allez peu de profondeur. Michillimakinac ( mais ceux , qui les ont le plus pratiqués , af- fûrent qu'ils font jaloux à l'excès. Quand une Femme a dé- couvert que fon Mari a une inclination , fa Rivale doit bien fe tenir fur fes gardes , d'autant plus que l'infidèle Epoux ne peut , ni la défendre , ni prendre en aucune manière fon parti. Un Homme , qui maltraitteroit fa Femme pour ce fujet , fe- roit déshonnoré. C'eft uniquement entre les Parens , que fe traitent les Maria- Dequelicma- 2es : les Parties intéreffées n'y paroiffent point du tout, & s'a- nicr* ^ tn,i"" •pi ./ J r 1 , ,r 1 • m" "1 * cent les Mana- bandonnent aveuglement aux volontés de ceux , dont ils de- ges, pendent. Mais admirez la bifarrerie de ces Barbares , qui ne fe rendent dépendans de leurs Parens , que dans la chofe même , où il leur feroit plus permis de n'en point dépendre. On ne conclut pourtant rien fans leur confentement , mais ce n'eft qu'une formalité. Les premières démarches doivent être faites par les Matrones; mais il n'eft pas ordinaire qu'il fe faffe au- cune avance du côté des Parens de la Fille. Ce n'eft pas que , fi quelqu'une tardoit trop à être recherchée , fa Famille n'agît fous main pour faire penfer à elle, mais on y apporte de grands ménagemens. En quelques endroits les Filles ne font pas pref- fées de fe marier , parce qu'il leur eft permis de faire , autant qu'elles veulent, l'effai du Mariage , & que la cérémonie des Noces ne change leur condition , que pour la rendre plus dure. \ Ordinairement on remarque beaucoup de pudeur dans la manière , dont les Jeunes-Gens fe comportent , tandis qu'on traite de leur Mariage , & l'on dit que c'étoit encore toute autre chofe dans les premiers tems. Mais ce qui eft prefque IJ 1 l. i%6 JOURNAL HISTORIQUE incroyable , & qui eft néanmoins attefté par de bons Auteurs » c'en: qu'en plusieurs endroits les nouveaux Epoux font enfem- Juin. femble une année entière, vivant dans une parfaite conti- nence : c'eft , dit-on , pour faire voir qu'ils fe font époufés par amitié , ck non point pour fatifaire leur pafTion. On mon- trerait même au doit une jeune Femme , qui feroit enceinte la première année de fes noces. Après cela on doit avoir moins de peine à croire ce qui fe raconte de la manière , dont les Jeunes Gens fe comportent pendant la recherche dans les lieux , où il leur eft permis de le voir en particulier. Car quoique l'ufage leur accorde de très-grandes privautés , toutefois dans le plus prefTant danger, où puiiïe être expofée la pudeur , & fous les voiles mêmes de la nuit , on 'prétend qu'il ne fe paffe rien contre les règles de la plus auftere bienféance , & qu'il ne fe dit pas une parole , qui puiffe tant foit peu bleffer la modeftie. Vous trouverez bon fans doute , Madame , que je n'entre pas ici dans le dé- tail , où font entrés quelques Auteurs ; il vous feroit paroître la chofe encore moins vraifemblable. Des céiémo- Je trouve dans tout ce qu'on a écrit des préliminaires & des cérémonies du Mariage de ces Peuples bien des variétés ; foit qu'elles viennent des différentes Coutumes des Nations di- verfes , ou du peu de foin , que les Auteurs des Relations ont eu de s'en inftruire exactement : d'ailleurs tout m'y a paru fi peu digne de votre curioiîté , que je n'ai pas cru devoir m'y arrêter beaucoup. C'eft au futur Epoux à faire les préfens , & en cela , comme dans tout le refte , il ne fe peut rien ajouter aux manières refpe&ueufes & à la difcrétion , qu'il fait paroî- tre à l'égard de fa future Epoufe : dans quelques endroits le jeune Homme fe contente d'aller s'affeoir à côté de la Fille dans fa Cabanne , & fi elle le foufre , & refte à fa place , on le prend pour fon confentement , & le Mariage eft fait. Mais à travers ces déférences & ces refpe&s il ne laiffe pas de faire fentir qu'il fera bientôt le Maître. En efFet parmi les préfens , qu'elle reçoit , il y en a , qui doivent moins être regardés comme des témoignages d'amitié, que comme des fymboles & des avertifTemens de l'efclavage , où elle va être réduite ; tels font le Collier ( a ) } la Chaudière ( a ) Ce Collier eft celui , dont j'ai parlé I bande de Cuir , qui fert à porter les Fai> ailleurs , c'eft-à-dirc , une longue &. large 1 deaux. nies du Maria- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XIX. 287 & une Bûche , qui fe portent dans fa Cabanne. C'eft pour lui ~" 2 - faire entendre que ce Fera à elle à porter les fardeaux , à faire . la cuifine , & à fournir la provision de bois. Juin. La coutume eft même en quelques endroits qu'elle porte d'avance dans la Cabanne , où elle doit demeurer après fes Noces , tout le bois , dont on aura befoin pour l'Hy ver fui- vant. Et il eft à remarquer qu'en tout ce que je viens de dire , il n'y a aucune différence entre les Nations , où les Femmes ont toute l'autorité , & celles , où elles n'entrent pour rien dans le gouvernement : ces mêmes Femmes , qui font en quel- que façon les Maîtreffes de l'Etat , du moins pour la forme , & qui en font le Corps principal , quand elles font parvenues à un certain âge , & qu'elles ont des Enfans en état de les faire refpe&er , n'ont avant cela nulle confidération , & font dans le domeftique les Efclaves de leurs Maris. En général il n'eft peut-être point de Peuples au Monde , a vamaçe* qui méprifent plus le Sexe. Traiter un Sauvage de Femme , jdes pMeres fuï c'eft le plus fanglant affront, qu'on puiffe lui faire. Cepen- dant, oc^cela eft encore bien bizarre, les Enfans n'ap- partiennent qu'à la Mère , & ne reconnoiffent qu'elle. Le Père eft toujours comme Etranger par rapport à eux , tel- lement néanmoins , que , s'il n'eft pas regardé comme Père , il eft toujours refpe&é comme le Maître de la Cabanne. Je ne fçai au refte fi tout cela eft univerfel parmi tous les Peuples , que nous connoiffons en Canada , non plus que ce que j'ai en- core trouvé dans de bons Mémoires , que les jeunes Femmes , outre ce que leurs Maris ont droit d'exiger d'elles pour le fer- vice de la Cabanne , font encore obligées de fournir à tous les befoins de leurs propres Parens , ce qui doit apparemment s'entendre de ceux , à qui il ne refte plus perfonne pour leur rendre ces fervices , & «çui ne font plus en état , à raifon de leur âge , ou de leurs infirmirés, de s'aider eux-mêmes. Quoiqu'il en foit, le nouveau Marié ne laiffe pas d'avoir aufîi fes charges : outre la ChafTe & la Pêche , dont l'obliga- tion dure autant que fa vie , il doit d'abord faire une Natte pour fa Femme , lui bâtir une Cabanne , ou réparer celle , qu'ils doivent habiter , & tandis qu'il demeure avec fon Beau- Pere & fa Belle-Mere , faire porter chez eux le produit de fa Chaffe. Parmi les Iroquois la Femme ne fort jamais de fa Ca^ banne, parce qu'elle eft cenfée en être la Maîtreffe , ou du i88 JOURNAL HISTORIQUE 1 7 2 î • moins l'Héritière. Dans d'autres Nations elle va au bout d'un Juin. OL1 deux ans de Mariage loger avec fa Belle-Mere. DesAccou- Les Femmes Sauvages pour l'ordinaire, accouchent fans chemcns,&de p'ejne 9 & fans aucun fecours. Il s'en trouve pourtant quelque- fois , qui font lontems en travail , & foufrent beaucoup. Quand cela arrive , on avertit la Jeunefïe , qui tout d'un coup , & lorfque la Malade y penfe le moins ,*vient faire de grands cris à la Porte de fa Cabanne , & la furprife lui caufe un fai- fiffement, qui lui procure fur le champ fa délivrance. Cen'eft jamais dans leurs propres Cabannes , que les Femmes font leurs Couches ; plufieurs font furprifes , & accouchent en travaillant , ou en voyage : aux autres , dès qu'elles fe fentent près de leur terme , on dreffe une petite Hutte hors du Villa- ge , & elles y reftent quarante jours après qu'elles font accou- chées. Je crois pourtant avoir oui dire que cela ne fe pratique , que pour les premières Couches. Ce terme expiré , on éteint tous les Feux de la Cabanne , où elles doivent retourner ; on en fecouë toutes les hardes , & à leur rentrée on allume un nouveau feu. On obferve à peu près les mêmes formalités à l'égard de toutes les Perfonnes du Sexe dans le tems de leurs Ordinaires ; & non-feulement tant que durent ces incommodités , mais encore pendant qu'u- ne Femme eft enceinte ou nourrice , &: elles nourriffent pour l'ordinaire trois ans , leurs Maris ne les approchent point. Rien ne feroit plus louable que cette coutume , fî l'un & l'au- tre fe gardoient alors la fidélité , qu'ils fe doivent ; mais fou- vent on y manque de part & d'autre. Telle eft la corruption du Cœur de l'Homme , que les plus fages B églemens font fouvent i'occafion des plus grands défordres. On prétend mê- me que l'ufage de quelques Simples , qui ont la vertu d'empê- cher dans les Femmes les fuites de leur infidélité , eft affez fa- milier dans ce Pays. Du foin, que II ne ^e peut rien imaginer au de-là du foin 9 que les Mères Mcrespren- prennent de leurs Enfans , tandis qu'ils font au Berceau ; mais du moment qu'elles les ont fevrés , elles les abandonnent ab- folument à eux-mêmes ; non par dureté , ou par indifférence , car elles ne perdent qu'avec la vie la tendreffe , qu'elles ont pour jeux ; mais parce qu'elles font perfuadées , qu'il faut laif- fer faire la Nature , & ne la gêner en rien. L'atle , qui termine la première enfance , eft l'impofition du nom , qui eft pour ces Peuples une affaire importante. La fient de leurs Eufans. D'UN VOYAGE D EUA ME RI Q. Let. XïX. 289 La Cérémonie s'en fait dans un Feftin , où il ne paroît que * 7 2. 1 . des Perfonnes du même Sexe , que l'Enfant , qu'on doit nom- Juin, mer. Pendant le repas , cet Enfant eft fur les genoux de fon De rimpo- Père , ou de fa Mère , qui ne ceffent point de le recommander fitiondunoia- aux Efprits , fur-tout à celui , qui doit être fon Génie tutélaire , car chacun a le fien , mais il ne l'a point en naiffant. On ne crée jamais de nouveaux noms , chaque Famille en conferve un certain nombre , qui reviennent tour à tour. Quelquefois même on en change avec l'âge , & il y en a , qui ne peuvent être portés au-delà de certain âge , mais je ne crois pas que cela fe pratique par-tout ; & comme parmi quelques Peuples en prenant un nom , on fe met à la place de celui , qui l'a porté le dernier, il arrive quelquefois qu'un Enfant fe voit traiter de Grand-Pere par celui , qui pourroit être le fien. On n'appelle jamais un Homme par fon nom propre , quand obfeiratiom on lui parle dans le difcours familier, ce feroit une impoli- foies noms. teffe ; on lui donne toujours la qualité , qu'il a à l'égard de celui , qui lui parle ; mais quand il n'y a entre les deux ni parenté , ni affinité , on fe traite de Frères , d'Oncles , de Ne- veux , ou de Coufins , fuivant l'âge de l'un & de l'autre , ou félon l'eftime , qu'on fait de la Perfonne , à qui on âdreffe la parole. Au refte ce n'eft pas tant pour rendre les noms immortels , fi j'ofe ainfi m'exprimer , qu'on les relevé , que pour engager ceux , à qui on les donne , ou à imiter les belles aftions de ceux , qui les ont portés , ou à les venger, s'ils ont été tués , ou brûlés , ou enfin à foulager leurs Familles. Ainfi une Fem- me , qui a perdu fon Mari , ou fon Fils , & ne fe trouve plus appuyée de perfonne , diffère le moins qu'elle peut à faire paffer le nom de celui , qu'elle pleure , fur quelqu'un , qui puiffe lui en tenir lieu. Enfin on change encore de nom en plufieurs autres occafions , qu'il feroit trop long de détailler : il fuffit pour cela d'un fonge , ou d'une ordonnance du Méde- cin , ou de quelque raifon auffi frivole. Mais en voilà affez fur cette matière , & voici un Voyageur , qui vient me de- mander , fi je ne veux point le charger de quelque commiffion pour Québec. Je vais donc fermer ma Lettre pour la lui donner. Je fuis , &ç. Tome III. O o ijo JOURNAL HISTORIQUE -T7T77 VINT IE ME LETTRE. J uillet. Voyage à la Baye. Defcription de la route 3 & de la Bay$. Irruption des Efpagnols vers les Mijfouris > & leur défaite. Danfes des Sauvages. A Michillimakinac , ce vint-uniéme de Juillet , 1721 » Mad AME, Depuis ma dernière Lettre écrite , j'ai fait un voyage à la Baye , éloignée de ce Pofte d'environ quatre-vint lieues. Je profitai pour cela de l'oçcafion de M. de Montigni , Capi- taine d'une Compagnie des Troupes , que le Roy entretient en Canada , Chevalier de Saint Louys , & dont le nom efl célèbre dans les Faftes de la Colonie , mais pour le moins aufîl eftimable pour fa probité , & fon caractère plein de droiture & de franchife , que pour fa valeur & fes exploits de guerre. De la Raye Nous nous embarquâmes le deux de Juillet après midi , Noquets. nous côtoyâmes pendant trente lieues une Langue de terre , qui fépare le Lac Michigan du Lac Supérieur ; elle n'a en bien des endroits que quelques lieues de large , & il n'eft gué- res pofîible de voir un plus mauvais Pays ; mais il efl terminé par une jolie Rivière , nommée laManijlie , fort poiffonneufe , & qui abonde fur-tout en Efturgeons. Un peu plus loin, en tirant au Sud-Ouefl , on entre dans un grand Golphe , dont l'entrée efl bordée d'Ifles , on le nomme le Golphe > ou la Baye des Noquets. C'efl une très-petite Nation , venue des Bords du Lac Supérieur, & dont il ne refte plus que quelques Familles difperfées çà & là , fans avoir de demeure fixe. iftesJcsPou- La Baye des Noquets n'efl: féparée de la Grande Baye , que par les îfles des Pouteouatamis s & j'ai déjà remarqué que c'eft îà l'ancienne demeure de ces Sauvages. La plupart font très- bien boifées ; mais la feule , qui foit encore peuplée , n'eft ni la plus grande , ni la meilleure , il n'y refte même qu'un affez petit Village , où , malgré que nous en eulîions , il nous fallut icouatarcm, D'UN^VOYAGEJDE L'A ME RI Q. Let. XX. 291 paner la nuit : nous ne pûmes jamais le refufer aux inftances - ' des Habitans. Aullî n'y a-t'il point en Canada de Nation , qui ' 7 2 J • ait toujours été plus uncérement attachée aux François. Juin, Le fixiéme nous fûmes arrêtés prefque tout le jour par les vents contraires , mais Je foir , le calme étant revenu , nous nous embarquâmes un peu après le coucher du Soleil par un très-beau clair de Lune , & nous marchâmes vint-quatre heu- res de fuite , n'ayant fait qu'une très-petite paufe pour dire la Mené , & pour dîner. Le Soleil étoit fi ardent , & l'Eau de la Baye fi chaude, que la Gomme de notre Canot fe fondit en plufieurs endroits. Pour comble de difgrace, l'endroit, où nous nous arrêtâmes pour camper fe trouva tellement infe£té de Maringouins (a) & de Brûlots ( b) 3 qu'il ne nous fut pas poflible de fermer l'œil , quoique nous n'euffions pas dormi depuis deux jours ; & comme le tems étoit beau , Se que la Lune nous éclairoit , nous nous remîmes en route dès les trois heures du matin. Après avoir fait cinq ou fîx lieues , nous nous trouvâmes Des Maiho- par le travers d'une petite Ifle, qui n'eft pas loin de la Côte mines, ouFoi- Occidentale de la Baye, & qui nous cachoit l'entrée d'une es vojnes> Rivière , fur laquelle eft le Village des Malhomines , que nos François ont appelléFo/ks ^voi/zé^apparemment parce qu'ils font leur nourriture ordinaire de ce légume. Toute la Nation confifte dans ce Village , qui n'eft pas même fort nombreux. C'eft dommage , car ce font de très-beaux Hommes , & des mieux faits du Canada. Ils font même plus grands que les Pou- teouatamis. On m'a affûré qu'ils avoient la même origine, & à peu près la même langue, que lesNoquets & les Saulteurs. Mais on ajoute qu'ils ont encore un Langage particulier , qu'ils ne communiquent à perfonne. On m'a fait aufll fur leur compte certains récits , comme d'un Serpent , lequel va tous les ans dans leur Village , & y eft reçu avec de grandes cérémonies , qui me font croire qu'ils fe mêlent un peu de fortileges. Un peu au-deffous de l'Ifle , dont je viens de parler, le Des peu- Pays change tout-à-coup de face , & d'affez fauvage , qu'il Pîes appeHés eft jufques-là , il devient le plus charmant du Monde. Il a mê- ?mm' me quelque chofe de plus riant , que le Détroit , mais quoi- qu'il foit par-tout couvert de très-beaux Arbres , il eft beau- (a) Ce font des Coufins un peu plus I (b) Moucherons beaucoup plus petits, & gros que les nôtres, I dont la piquûre met tout le Corps en feu. Oo ij i9i JOURNAL HISTORIQUE coup plus fablonneux & mSins fertile. Les Otchagras , qu'on 1 7 2 * • appelle communément les Puans 3 demeuroient autrefois fur Juin, les Bords de la Baye , dans une très-charmante fituation ; ils y furent attaqués par les Illînois , qui en tuèrent un très-grand nombre ; les autres fe réfugièrent dans la Rivière des Outa- gamis, qui fe décharge dans le fond de la Baye. Ils s'y placèrent fur les Bords d'une efpéce de Lac ; & je ne fçai , h" ce n'eft pas là que vivant de Poiflbns , dont le Lac leur fourniffoit une grande abondance , on leur donna le nom de Puans , parce que tout le long du Rivage , où étoient bâties leurs Cabannes , on ne voyoit que Poiflbns pourris , dont l'air étoit infe&é. II paroît du moins que c'eft là l'origine de ce nom , que les autres Sauvages leur avoient donné avant nous , & qui s'eft communiqué à la Baye , dont ils ne fe font jamais écartés beaucoup. Quelque tems après qu'ils eurent quitté leur ancien Pofte , ils voulurent avoir leur revanche de l'é- chec , qu'ils avoient reçu des Illinois , mais cette Entreprife leur caufa une nouvelle perte , dont ils ne fe font point re- levés. Six cent de leurs meilleurs Hommes s'étoient embar- qués pour aller chercher l'Ennemi ; mais comme ils traver- sent le Lac Michigan , ils furent furpris d'un furieux coup de vent , qui les nt tous périr. DuFort, & Nous avons dans la Baye un Fort , qui eft placé fur la rive la B^vcf °n Occidentale de la Rivière des Outagamis , à une demie lieue de fon Embouchure ; & avant que d'y arriver , on laiffe à main droite un Village de Sakis. Les Otchagras font venus depuis peu fe placer auprès de nous , & ont bâti leurs Ca- bannes tout-au-tour du Fort. Le MifTionnaire , qui eft logé affez près du Commandant , efpere , quand il aura appris leur Langue , de les trouver glus dociles que les Sakis , auprès def- quels il travaille affez infru&ueufement. Les uns & les autres paroiffent de très-bonnes Gens , fur-tout les Premiers , dont le plus grand défaut eft d'être un peu Voleurs. Leur Langue eft fort différente de toutes les autres , ce qui me fait croire qu'elle ne tient à aucune de celles du Canada. Aufli ont-ils toujours eu plus de commerce avec les Peuples Occidentaux , qu'avec ceux , que nous connoiffons en ce Pays. Des Sakis. Les Sakis , quoiqu'en petit nombre, font divifés en deux Factions , dont l'une eft attachée aux Outagamis , & l'autre aux Pouteouatamis. Ceux, qui font établis dans ce Pofte, font D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XX. i93 pour la plupart de ce dernier parti , & par conféquent dans - nos intérêts. Ils reçurent le nouveau Commandant avec de 'y l* grandes démonftrations de joye : dès qu'ils le fçurent près Juillet, d'arriver , ils fe rangèrent en armes fur le Rivage , & au mo- ment qu'ils le virent paroître , ils le faluerent d'une décharge de leurs Fufils , qu'ils accompagnèrent de grands cris d'alle- greffe. Enfuite quatre des Principaux entrèrent dans la Ri- vière, où ils en eurent bientôt jufqu'à la ceinture, abordè- rent (on Canot , & le reçurent dans une grande Robe com- pofée de plusieurs Peaux de Chevreuils bien coufuës enfem- ble , dont ils tenoient chacun un bout. Ils le portèrent ainfi jufqu'à fon Logis , où ils le complimentèrent , & lui dirent des chofes extrêmement flatteufes. Le lendemain , les Chefs des deux Nations me rendirent vilite , & un Otchagra me préfenta un Piftolet Catalan , une paire de Souliers Efpagnols , & je ne fçai quelle Drogue , qui me parut une efpece d'Onguent. Il avoit reçu tout cela d'un Aïouei , & voici à quelle occafion ces chofes étoient tom- bées entre les mains de celui-ci. Il y a environ deux ans , que des Efpagnols , venus , dit-on, Efpa^noh du Nouveau Mexique , à deffein de pénétrer jufqu'aux Illi- ^faks Par k; nois , & d'en chaffer les François , qu'ils voyoient avec une extrême jaloufie s'approcher fi fort du Miifouri , dépendi- rent ce Fleuve , & attaquèrent deux Villages ÏÏOclotatas , Peuples Alliés des Aiouez , dont on prétend même qu'ils tirent leur origine. Comme ces Sauvages n'avoient point d'Armes à feu , & qu'ils furent furpris , les Efpagnols en eurent bon marché , & en firent un grand carnage. Un troifiéme Villa- ge de la même Nation , & qui n'étoit pas éloigné des deux au- tres , averti de ce qui fe paffoit , & ne doutant point que ces Conquérans ne vinllent à eux , leur dreffa une Embufcade , où les Efpagnols donnèrent étourdiment. D'autres difent , que les Sauvages ayant fçû , que les Ennemis s'étoient prefque tous enyvrés , & dormoient profondément , tombèrent fur eux pendant la nuit ; & ce qui eft certain , c'eft qu'ils les égorgèrent prefque tous. Il y avoit dans ce Parti deux Aumôniers , dont l'un fut tué d'abord , & l'autre fe fauva chez les Mijfourues , qui le retin- rent Prifonnier , mais il leur échappa fort adroitement. Il avoit un très-beau Cheval , & les Mmourites prenoient plai- Sauvages di Miiîouri, 7 294 JOURNAL HISTORIQUE 1 fir à lui voir faire le Manège , où il étoit fort habile ; il profi- ta de leur curiofité pour le tirer de leurs mains. Un jour Juillet. qU'ji caraco)oit en leur préfence , il s'éloigna infenfiblement, puis piquant des deux tout à coup , il difparut bientôt. Com- me on n'avoit point fait d'autre Prifonnier , on n'a point fçû au jufte , ni de quel endroit du Nouveau Mexique étoient partis ces Efpagnols , ni quel étoit leur deffein ; car ce cjue je vous en ai dit d'abord , n'étoit fondé que fur des bruits de Sauvages , qui peut-être ont voulu nous faire leur cour , en publiant que par cette défaite ils nous avoient rendu un grand 1er vice. Tout ce qu'on m'apporta , étoit de la dépouille de l'Aumô- nier , qui avoit été tué , & on lui trouva encore un Livre de Prières , que je n'ai point vu : c'étoit apparemment fon Bré- viaire. J'achetai le Piftolet , les Souliers ne valoient rien , & le Sauvage ne voulut jamais fe défaire de l'Onguent , s'étant mis dans la tête , que c'étoit un remède fouverain contre tou- tes fortes de maux. Je fus curieux de fçavoir comment il pré- tendoit s'en fervir , & il me répondit , qu'il fuffifoit d'en ava- ler un peu , & que de quelque Maladie qu'on fût attaqué , on étoit guéri fur le champ ; il ne m'afsûra pourtant pas qu'il en eût encore fait l'expérience , & je lui confeillai de ne la point faire. On commence ici à trouver les Sauvages bien groffiers ; il s'en faut beaucoup qu'ils foient aufR fpirituels , ou du moins qu'ils ayent l'efprit aufïï ouvert que ceux , qui ont plus de commerce avec nous. Confeil des Le jour fuivant les Sakis vinrent en affez grand nombre saïas.&aquel ^^ jg ^iffionnaire , avec qui je logeois , & me firent prier de me trouver à une efpece de Confeil , qu'ils vouloient te- nir. J'y confentis , & quand tout le monde eut pris fa place , le Chef mit un Collier à terre devant moi , & l'Orateur pre- nant la parole , me pria au nom de tous d'engager le Roy ( a ) à les prendre fous la proteftion , à purifier l'air , qui depuis quelque tems , difoient-ils , étoit corrompu ; ce qui paroiflbit par le grand nombre de Malades , qu'ils avoient dans leurs Villages , & à les défendre contre leurs Ennemis. Je leur répondis , que le Roy étoit bien puiflant , & peut- être plus qu'ils ne croy oient , mais que fon pouvoir ne s'éten- doit pas fur les Elemens ; & que quand les Maladies , ou ( n) Ces Sauvages prononcent toujours le nom de Roi en François. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XX. 295 d'autres accidens femblables défoloient fes Provinces , il s'a- — — dreffoit , pour les faire ceffer , au grand Efprit , qui a créé le ! 7 2 l • Ciel & la Terre , & qui feul eft le Maître Souverain de la Juillet. Nature : qu'ils en fiffent de même , & qu'ils s'en trouveroient bien ; mais que pour mériter d'en être exaucé , il falloit com- mencer par le reconnoître , & lui rendre le Culte & les hommages , qu'il a droit d'attendre de toutes les Créatures raifonnables : qu'ils ne pouvoient rien faire de mieux , ni-de plus agréable au Roy , que d'écouter le Père ( a ) , que fa Majefté leur avoit envoyé , & de fe rendre dociles à fes inf- tru£tions ; que c'étoit un Homme chéri du Ciel ; que la ma- nière , dont il vivoit parmi eux , ne pouvoit manquer de leur avoir fait concevoir une grande eftime pour lui ; & que fa charité envers les Malades , & tous ceux , qui ont eu befoin de fon fecours , devoit les avoir convaincus de la tendre & fincere amitié , qu'il leur portoit : enfin que je ne recevrois point leur Collier, qu'auparavant ils ne m'euffent promis de fe comporter à l'égard de ce Miffionnaire tout autrement , qu'ils n'avoient fait par le paffé , & de lui ôter déformais tout fujet de fe plaindre de leur indocilité. „ Quant à la prote£tion du Roy , que vous demandez , & « à la prière , que vous me faites de l'engager à prendre votre h défenfe contre vos Ennemis ; ce grand Prince a prévenu vos « fouhaits , il a donné fur cela de bons Ordres à Ononthio ( b ) , « déjà porté de lui -même à les exécuter avec un zélé & une « affe&ion de Père ( c ). C'eft de quoi vous ne fçauriez douter, « fi vous faites attention au Commandant , qu'il vous envoyé. « Il n'efl: pas poffible que vous ignoriez , & vous me paroilfez « en effet bien inftruits , que parmi les Capitaines François il y « en a peu , qui l'égalent en valeur , & vous l'aimerez bien-tôt « encore plus , que vous ne l'eftimez déjà. Cette réponfe parut « les contenter , & ils me promirent beaucoup plus , qu'appa- remment ils me tiendront. Cependant je pris leur Coilier , & le Miffionnaire fe flatta que cette a&ion produiroit un bon effet. L'après-midi du même jour , les deux Nations nous donne- Les Ssim^ ges de la Baye ( a) Le Père Pierre Charbon, Jéfuice. ( b ) C'eft le nom, que les Sauvages don- nent au Gouverneur Général , il veut dire. Grande Hlomagne , & vient du Chevalier de Montmagny , qui a été le fécond Gou- danfent le Ci Yerneur du Canada. lûmes, (c) Ils appellent toujours les Gouver- neurs & les Commandans leurs Pères. Defcription de cette Danfe. 296 JOURNAL HISTORIQUE rent l'une après l'autre , le divertiffement de la Danfe du Ca- 1 7 ~ l ' lumet dans une grande Efplanade , fur laquelle donne le Juillet. Lo^is du Commandant. Il y eut quelque différence dans la manière , dont les uns & les autres exécutèrent cette Danfe , mais elle ne fut pas considérable. Elle me fit feulement con- noître que ces Fêtes varient beaucoup : ainii il n'eft pas pof- (ible d'en donner une Defcription , qui convienne à toutes. Les Othagras diverfifient un peu davantage leur Jeu , & firent paroître une agilité extraordinaire ; aufîi font-ils mieux faits , & plus leftes que les SaKis. Cette a£tion eft proprement une Fête militaire , les feuls Guerriers y font Auteurs , & l'on diroit qu'elle n'a été infti- tuée , que pour leur donner occaiïon de publier leurs beaux faits d'armes. Je ne fuis pas l'Auteur de cette opinion , laquelle ne cadre pas bien avec le fentiment de ceux , qui ont foûtenu que le Calumet tiroit fon origine du Caducée de Mercure , & que dans fon institution il fut regardé comme un fymbole de Paix. Tous ceux, que je vis danfer , chanter, & jouer du Tambour & du Chichikoué , étoient de Jeunes Gens équi- pés , comme quand ils fe préparent à marcher en Guerre ; ils s'étoient peint le vifage de toutes fortes de couleurs ; leurs têtes étoient ornées de Plumes , & ils en tenoient à la main en guife d'Eventails : le Calumet en étoit aum* paré, & on l'avoit placé dans le lieu le plus apparent : l'Orcheftre & les Dan- feurs étoient tout-au-tour , les Spectateurs répandus çà & là par petites troupes , les Femmes féparées des Hommes , tous affisà terre , & parées de leurs plus belles Robes , ce qui fai- foit d'un peu loin un affez beaucoup d'œil. Entre l'Orcheftre & le Commandant, qui étoit afîls devant la Porte de fon Logis , on avoit drefle un Poteau , auquel , à la fin de chaque Danfe , un Guerrier venoit donner un coup de fa Hache d'arme ; à ce fignal il fe faifoit un grand filence , & cet Homme racontoit à haute voix quelques-unes de fes proueffes ; il en recevoit enfuite les applaudiffemens , puis alloit fe remettre à fa place , & le jeu recommençoit. Cela dura deux bonnes heures pour chacune des deux Nations , & je vous avoue, Madame, que je n'y pris pas grand plaifir, non-feulement à caufe de la Monotonie , & du peu d'agrément de la Mufique , mais parce que tout fe réduifoit dans les Dan- fes à des contorfions , qui , à ce qu'il me fembloit , n'expri- moient D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XX. 297 nioient rien , & n'avoient rien de divertiffant. 1 7 2 1 La Fête fe faifoit en l'honneur du nouveau Commandant , T .,, toutefois on ne lui fît aucun des honneurs , dont parlent quel- ^ ""la- ques Relations. On ne vint pas le prendre , pour le mettre fur une Natte neuve , on ne lui fît point de préfent , au moins que je fçache ; on ne lui paffa point de Plumages fur la tête , je ne lui vis point préfenter le Calumet ; Se il n'y eut point d'Hommes abfolument nuds , peints par tout le corps , parés de Plumes Se de Porcelaines , oc tenant un Calumet à la main. Peut-être que ce n'eft point l'ufage de ces Peuples , ou que M. de Montigny les avoit exemptés de ce cérémonial. Je re- marquai feulement que de tems en tems toute l'Aftiftance jet- toit de grands cris pour applaudir aux Danfeurs , principale- ment durant la Danfe des Otchagras , qui, au jugement des François , eurent tout l'honneur de cette journée. J'aurois apparemment eu plus de plaifir à voir la Danfe de Danfe de la la Découverte. Elle a plus a'aftion , & on y exprime beau- Découverte. coup mieux , que dans la précédente , la chofe , dont elle eft le fujet Se la figure. C'eft une représentation au naturel de tout ce qui fe fait dans une Expédition de Guerre , Se comme j'ai déjà obfervé que les Sauvages ne cherchent ordinairement qu'à furpendre leurs Ennemis , c'eft fans doute pour cette rai- fon , qu'ils ont donné à cet exercice le nom de la Découverte. Quoiqu'il en foit , un Homme y danfe toujours feul , Se d'abord il s'avance lentement au milieu de la place , où il de- meure quelque-tems immobile , après quoi il repréfente tout de fuite le départ des Guerriers , la marche , les campemens ; il va à la découverte, il fait les approches ; il s'arrête , comme pour reprendre haleine, puis tout-à-coup il entre en fureur , Se on diroit qu'il veut tuer tout le monde ; revenu de cet accès , il va prendre quelqu'un de l'Affemblée , comme s'il le faifoit Prifonnier de Guerre ; il fait femblant de cafler la tête à un autre ; il couche un troifîéme en joue ; enfin il fe met à courir de toute fa force. Il s'arrête enfuite , & reprend fes fens : c'eft la retraite , d'abord précipitée , puis plus tranquille. Alors il exprime par divers cris les différentes Situations , oùs'eft trou- vé fon efprit pendant fa dernière Campagne , Se finit par le récit de toutes les belles a&ions , qu'il a faites à la Guerre. Quand la Danfe du Calumet a pour objet, comme c'eft Des Trakés , l'ordinaire , la conclufion d'une Paix , ou d'un Traité d'allian- ïtlt^K Tome III. p p Danfe du Ca- Junier, fes. i98 JOURNAL HISTORIQUE 1 7 2 * * ce contre un Ennemi commun , on grave un Serpent fur le } f*i manche ou tuyau de la Pipe, & l'on met à côté une planche , où font repréfentés deux Hommes des deux Nations confédé- rées , ayant fous les pieds l'Ennemi , défigné par la marque de fa Nation. Quelquefois à la place du Calumet , on met un CafTe-tête. Mais s'il ne s'agit que d'une fîmple alliance , on repréfente deux Hommes le tenant d'une main , portant de l'autre un Calumet de paix , & ayant chacun à fes côtés la marque de fa Nation. Dans tous ces Traités on fe donne mu- tuellement des gages , comme des Colliers de Porcelaine , des Calumets , des Efclaves : quelquefois des Peaux de Cerfs , & d'Elans bien paffées,ornées de figures faites avec du Poil de Porc-Epy , & alors c'eft fur ces Peaux , que fontrepréfentées les choies , que j'ai dites , foit avec le Poil du Porc-Epy , foit avec de fimples couleurs. Autres Dan- Il y a d'autres Danfes plus {impies , où l'on n'a eu en vue que de donner aux Guerriers les occasions de raconter leurs belles actions. C'eft toujours ce que les Sauvages font le plus volontiers , & ils ne s'en laffent jamais. Celui , qui donne la Fête , y fait inviter tout le Village au fon du Tambour , & c'eft dans fa Cabanne , qu'on s'afl'emble , fi elle peut contenir tous les Conviés. Les Guerriers y danfent fuccemVement , puis frappent fur un Poteau ; on fait filence , ils difent tout ce qu'ils veulent , & s'arrêtent de tems en tems pour recevoir les félicitations des Auditeurs , qui ne les épargnent point. Mais fi on s'apperçoit que quelqu'un fe vante à faux , il eft permis à quiconque de prendre de la terre , ou des cendres , de lui en frotter la tête , ou de lui faire quelqu'autre avanie , qu'il voudra. Ordinairement on lui noircit le vifage , en lui difant : » Ce que j'en fais , c'eft pour cacher ta honte , car la première fois que tu verras l'Ennemi , tu pâliras. „ C'eft ainfi que tous les Peuples font perfuadés que c'eft le propre des Poltrons , que de fe vanter. Celui , qui a ainfi puni ce Fanfaron , prend fa place , & s'il tombe dans la même faute , l'autre ne manque pas de lui rendre la pareille. Les plus grands Chefs n'ont fur cela aucun privilège , & il ne faut point fe fâcher. Cette Danfe fe fait toujours pendant la nuit. Daufe du Dans fes Quartiers Occidentaux il y en a une autre , qu'on f- appelle la Danfe du Bœuf. Les Danfeurs forment plufieurs cercles , & la Symphonie ? toujours compofée du Tambour Bœuf. D'UN VOYAGE DE L'A ME RI Q. Let. XX. 299 & du Chichikoué , eft au milieu de la place. On y obferve de - ne point féparer ceux d'une même Famille; on ne fe tient I721* point par la main , & chacun porte à la main (es armes & fon Juillet. Bouclier. Tous les cercles ne tournent pas du même côté , Se quoiqu'on faute beaucoup , & qu'on s 'élève extrêmement haut , on ne fort jamais de mefure ni de cadence. De teins en tems un Chef de Famille préfente fon Bouclier, tous frappent deifus , & à chaque fois il rappelle le fou- venir de quelqu'un de fes beaux faits , il va enfuite cou- per un morceau de Tabac à un Poteau , où l'on a eu foin d'en attacher une certaine quantité , & il le donne à un de fes Amis. Si quelqu'un peut prouver qu'il a fait de plus belles a£tions que lui , ou qu'il a eu part à celles , dont il vient de fe vanter , il eft en droit d'aller prendre le morceau de Tabac , dont celui-ci vient de faire un préfent , & de le donner à un autre. Cette Danfe eft fuivie d'un Feftin , mais je ne vois pas bien d'où lui eft venu le nom , qu'elle porte , fi ce n'eft à caufe des Boucliers , fur lefquels on frappe , & qui font couverts de Peaux de Bœuf. Il y a des Danfes ordonnées par les Jongleurs pour la guéri- Danfes or fon des Malades ; mais ellesfontordinairementfortlafcives.il données*" par y en a de pur divertiflement , & qui n'ont rapport à rien. Elles lesMédeciiïs- le font prefque toujours en rond , au fon du Tambour & du Chichikoué , & les Femmes font toujours féparéf s des Hom- mes. Ceux-ci y danfent les armes à la main , & quoiqu'on ne ne fe tienne point , on ne rompt jamais le cercle. Pour ce qui eft de ce que j'ai déjà dit , qu'on ne fort point de mefure ? cela ne doit point être difficile à croire , parce que la Mufique des Sauvages n'a que deux ou trois tons , qui reviennent fans cène. Auflî s'ennuye-t'on beaucoup à ces Fêtes , dès la pre- mière fois qu'on y aflifte , parce qu'elles durent lontems , & qu'on entend toujours la même chofe. Comme les Nations voifînes de la Baye , fi on en excepte Su erft. . les Pouteouatamis , font beaucoup plus groffieres que les au- des" ÇcupSs"8 très , elles donnent aufli beaucoup plus dans toutes fortes de voifins de la fuperftitions. Le Soleil & leTonnere font leurs principales Di- ^ vinités , & elles femblent être plus perfuadées que celles , que nous fréquentons davantage , que chaque efpéce d'Animal a un Génie , qui veille à fa confervation. Un François ayant un jour jette une Souris , qu'il venoit de prendre , une petite Ppij Baye. 3oo JOURNAL HISTORIQUE ~~17 2 I# Fille la ramaffa pour la manger : le Père de l'Enfant , qui T .,, i'apperçut la lui arracha , & fe mit à faire de grandes careffes à Juillet, l'animal , qui étoit mort : le François lui en demanda la rai- „ (on : « C'efl, répondit-il , pour appaifer le Génie des Souris , » afin qu'il ne tourmente pas ma Fille , quand elle aura mangé » celle-ci. >, Après quoi il rendit l'Animal à l'Enfant, qui le mangea. Ils ont furtout beaucoup de vénération pour les Ours : dès qu'ils en ont tué quelqu'un , ils font un Feftin accompagné de cérémonies affez fingulieres. La tête de l'Ours peinte de tou- tes fortes de couleurs eft placée pendant le repas fur un lieu élevé , & y reçoit les hommages de tous les Convives 9 qui célèbrent en chantant les louanges de l'Animal , tandis qu'ils mettent fon corps en pièces , & s'en régalent. Non-feu- lement ces Sauvages ont , comme tous les autres , la coutume de fe préparer aux grandes Chaffes par des jeûnes , que les Outagamis pouffent même jufqu'à dix jours de fuite , mais en- core , tandis que les Chaffeurs font en campagne , on oblige fouvent les Enfans de jeûner , on obferve les fonges , qu'ils ont pendant leur jeûne , & on en tire de bons ou de mauvais augures pour le fuccès de la Chaffe. L'intention de ces jeûnes eft d'appaifer les Génies tutélaires des Animaux , qu'on doit chaffer , & l'on prétend qu'ils font connoître par les rêves , s'ils s'oppof^ront , ou s'ils feront favorables aux Chaffeurs. La Nation , qui depuis vint ans a plus fait parler d'elle dans ces Pays Occidentaux , eft celle des Outagamis. La férocité naturelle de ces Sauvages , aigrie par plusieurs mauvais trai- temens , qu'on leur a faits, quelquefois affez mal à propos, & leur alliance avec les Iroquois , toujours difpofés à nous fuf- citer de nouveaux Ennemis , les ont rendus redoutables. Us fe font encore depuis étroitement unis avec les Sioux , Na- tion nombreufe , qui s'eft aufli aguerrie peu à peu , & cette union nous rend aujourd'hui prefqu'impratiquable la naviga- tion de tout le haut du Miciflipi. 11 n'y a pas même trop de fu- reté à naviguer fur la Rivière des Illinois , à moins qu'on ne foit en état de ne pas craindre une furprife , ce qui fait beau- coup de tort au Commerce réciproque des deux Colonies. DiverfesNa- J'ai rencontré à la Baye quelques Sioux , que 'j'ai fort quef- nons au & a ..Oueftda ticn11^ fur les Pays, qui font à l'Oueft , & au Nord-Oueft Canada. du Canada , & quoique je fçache qu'il ne faut pas toujours 721 D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XX. 301 prendre à la lettre tout ce que difent les Sauvages , en compa- rant ce que ceux-ci m'ont rapporté , avec ce que j'ai oui dire à plufieurs autres , j'ai tout lieu de croire qu'il y a dans ce Con- Juillet, tinent des Efpagnols , ou d'autres Colonies Européennes , beaucoup plus au Nord , que ce que nous connoifîbns du Nouveau Mexique & de la Californie , & qu'en remontant le Miflburi aufli loin , qu'il eft poflible d'y naviguer , on trouve une grande Rivière , qui coule à l'Ouefr. , & ie décharge dans la Mer du Sud. Indépendamment même de cette découverte, que je crois plus facile par-là , que par le Nord ; je ne puis douter , vu les indices , que j'ai eus de plufieurs endroits , & qui font aflez uniformes , qu'en eflayant de pénétrer jufqu'à la fource du Miflburi , on trouvera de quoi fe dédommager des frais & des fatigues , que demande une telle Entreprife. Je fuis , &c. VINT-UNIEME LETTRE. Départ de Michillimakinac . Obfervations fur les Courans des Lacs. Portrait des Sauvages du Canada. Leurs bonnes & leurs mauvaifes qualités. Du Lac de Michigan, ce trente-unième de Juillet , 1721. M ADAME J E partis de Michillimakinac avant-hier à midi , & me voici dégradé depuis hier dans une petite Ifle , qui n'a point de nom ; un Canot , qui vient de la Rivière Saint Jofeph , où je vais , ne fçauroit en fortir , non plus que nous , quoiqu'il ait le vent favorable ; mais il le trouve , dit-il , trop bourru , & le Lac trop agité , ce qui me fournit une nouvelle occafion de vous écrire. Quoique j'euffe le vent contraire , lorfque je m'embarquai obfcrvation le vint-neuf, je ne laiflai pas de faire ce jour-là huit bonnes furlesComans lieues ; ce qui prouve que les Courans me pouflbient. J'avois to Lacs' déjà obfervé la même chofe en entrant dans la Baye , & j'en 3o2 JOURNAL HISTORIQUE avois été furpris. Il n'eft point douteux que cette Baye , qui 1 7 1 l ' eft un cul-de-fac , ne fe décharge dans le Lac Michigan , & Juillet. qUe le Michigan , qui eft auffi un cul-de-fac , ne porte fes Eaux dans le Lac Huron , d'autant plus que l'un & l'autre ; je veux dire , le Michigan & la Baye , reçoivent plufieurs Ri- vières, le Michigan fur-tout, qui en reçoit un très-grand nombre , dont quelques-unes ne font guéres inférieures à la Seine : mais ces grands Courans ne fe font fentir qu'au milieu du Canal , & produifent fur les deux bords des remouts , ou contre-courans , dont on profite , quand on va terre à terre , comme font obligés de faire ceux , qui voyagent en Canot d'Ecorce. Je fis d'abord cinq lieues à l'Oueft , pour gagner le Lac Michigan , enfuite je tournai au Sud , & c'eft la feule route , que nous avons à faire pendant cent lieues jufqu'à la Rivière Saint Jofeph. Rien n'eft plus beau , que le Pays , qui fait la féparation du Lac Michigan & du Lac Huron. Hier je fis en- core trois lieues , & un vent forcé m'obligea de m'arrêter dans cette Ifle. Je vais m'y déiennuyer en achevant de vous faire connoître les Habitans Naturels de ce vafte Pays , dont j'ai déjà parcouru une bonne partie. Portmt des Les Sauvages du Canada font communément bien faits , & sauvages. d'une taille avantageufe ; il y a néanmoins quelques Na- tions, où il n'eft point rare d'en voir d'une taille médiocre; mais il l'eft infiniment d'en rencontrer , qui foient contrefaits , ou qui ayent quelque défaut extérieur. Ils font robuftes , & d'une complexion faine. Ils vivroient très-lontems , s'ils fe ménageoient un peu plus ; mais la plupart ruinent leur tem- péramment par des marches forcées , par des jeûnes outrés , par de grands excès dans le manger ; outre que pendant leur enfance ils ont fouvent les pieds nuds dans l'eau , fur la nei- ge, & fur la glace. L'Eau-de-vie , que les Européens leur ont portée , pour laquelle ils ont une fureur , qui pafTe tout ce qu'on peut dire , & qu'ils ne boivent que pour s'enyvrer , a achevé de les perdre , & n'a pas peu contribué au dépérif- fement de toutes ces Nations , qui fe trouvent aujourd'hui ré- duites à moins que la vintiéme partie de ce qu'ils étoient , il y a cent cinquante ans. Si cela continue , on les verra difparoître entièrement. Leiu force. Leurs corps ne font point contraints au Berceau , comme D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXI. 303 les nôtres , & rien n'eft plus propre à les dénouer , & à leur donner cette foupleffe de tous leurs membres , que nous ad- * 7 2 * • mirons en eux , que cette liberté , & les exercices , aufquels Juillet, les Enfans s'accoutument d'eux-mêmes de très bonne heure : les Mères les nourriiTent lontems , & l'on en voit quelquefois, qui à fix ou fept ans prennent encore la mamelle. Cela n'em- pêche pourtant pas , que dès la première année on ne leur donne toutes fortes de nourriture : enfin le grand air , au- quel ils font continuellement expofés ; les fatigues, qu'on leur fait effuyer , mais peu à peu , & d'une manière proportion- née à leur âge ; des alimens fimples & naturels , tout cela forme des corps capables de faire & de foufFrir des chofes in- croyables , mais dont l'excès , ain(i que je viens de le dire , en fait périr plufieurs avant l'âge de maturité. On en a vu , qui avoient l'eftomach enflé de quatre doits , manger encore d'aum* bon appétit , que s'ils n'euffent fait que commencer ; quand ils fe tentent trop chargés , ils fument , puis s'endor- ment , & à leur réveil la digeflion eft faite. Quelquefois ils fe contentent de fe faire vomir , après quoi ils recommencent à manger. Dans les Pays Méridionnaux ils gardent peu de mefures Lears vices, fur l'article des Femmes , qui de leur côté font fort lafcives. C'eft de - là qu'eft venue la corruption des mœurs , qui de- puis quelques années a infe£té les Nations Septentrionnales. Les Iroquois en particulier étoient affez chattes , avant qu'ils euffent Commerce avec les Illinois , & d'autres Peuples voi- fins de la Louyfiane : ils n'ont gagné à les fréquenter , que de leur être devenu femblables. Il eft vrai que la moleife & la lubricité étoient portées dans ces Quartiers-là , aux plus grands excès. On y voyoit des Hommes , qui n'avoient point de honte d'y prendre l'habillement des Femmes , & de s'af- fujettir à toutes les occupations propres du Sexe , d'où s'en- fuivoit une corruption, qui ne fe peut exprimer. On a pré- tendu que cet ufage venoit , de je ne fçai quel principe de Religion ; mais cette Religion avoit comme bien d'autres , pris la naiflance dans la dépravation du cœur , ou fi l'ufage , dont nous parlons , avoit commencé par l'efprit , il a fini par la chair : ces Efféminés ne fe marient point , & s'aban- donnent aux plus infâmes paillons ; aufli font -ils fouverai- nement meprifés. 3o4 JOURNAL HISTORIQUE i 7 2 i . D'autre part les Femmes , quoique fortes & robuftes , font Juillet. p£U féconcles. Outre les raiions , que j'en ai déjà touchées , Pourquoi le à. fçavoir , le tems qu'elles mettent à nourrir leurs Enfans , Pays ne re peu- rufage de nQ point habiter avec leurs Maris tant que cela du- p epaS" re , & le travail excefTif , qu'elles font obligées de faire , en quelque îituation qu'elles fe trouvent ; cette fterilité provient encore de la coutume établie en plufieurs endroits , qui per- met aux Filles de fe proftituer , avant que d'être mariées : ajoutez à cela l'extrême mifere , où ces Peuples fe trouvent fouvent réduits , & qui leur ôte l'envie d'avoir des Enfans. Avantages, Du refie il eft certain qu'ils ont fur nous de grands avan- qu'ik ont fur tages , & je mets pour le premier de tous , la perfe£tion de nJUS' leurs fens , foit intérieurs , foit extérieurs. Malgré la Neige , qui les éblouit , & la fumée , qui les accable pendant fix mois de l'année , leur vue ne s'affoiblit point ; ils ont l'oiive extrê- mement fubtil , & l'odorat (i fin , qu'ils fentent le feu , lon- tems avant que de l'avoir pu découvrir. C'eft par cette raifon, qu'ils ne peuvent fouffrir l'odeur du Mufc , ni aucune fenteur forte ; on prétend même , qu'ils ne trouvent d'odeur agréable, que celle des chofes comeftibles. Leur imagination tient du prodige , il leur fufîît d'avoir été une feule fois dans un Lieu , pour en avoir une idée jufte, qui ne s'efface jamais. Quelque vafte & peu battue , que foit une Forêt , ils la traverfent , fans s'égarer , dès qu'ils fe font bien orientés. Les Habitans de l'Acadie , & des environs du Gol- phe de Saint Laurent , fe font fouvent embarqués dans leurs Canots d'écorce , pour paffer à la Terre de Labrador , & chercher les Eftcimaux , avec qui ils étoient en Guerre : ils faifoient trente & quarante lieues en pleine Mer fans Bouffole, & alloient aborder précifément à l'endroit , où ils avoient projette de prendre terre. Dans les tems les plus nébuleux, ils fuivront plufieurs jours le Soleil , fans fe tromper : le Ca- dran le plus jufte , ne nous inftruit pas mieux de la marche de ce bel Aftre , qu'ils ne le peuvent faire par la feule infpeclion du Ciel ; aufli quoiqu'on puiffe faire pour les déforienter , il eft bien rare qu'on vienne à bout de leur faire perdre leur route. Ils naiffent avec ce talent , ce n'eft point le fruit de leurs Obfervations , ni d'un grand ufage ; les Enfans , qui ne font point encore fortis de leur Village , marchent aufTi sûrement que ceux , qui ont le plus parcouru de Pays. La D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Le t. XXL 305 La beauté de leur imagination en égale la vivacité , & cela 1 7 * l ' paroît dans tous leurs difcours. Ils ont la repartie prompte , Jui"et« & leurs Harangues font remplies de traits lumineux , qui.au- q[1^ é'°' roient été applaudies dans les Affemblées Publiques de Ro- me Se d'Athènes. Leur éloquence a cette force , ce naturel, ce pathétique , que l'art ne donne point , que les Grecs ad- miroient dans les Barbares ; & quoiqu'elle ne paroilTe point foûtenuë par l'a&ion , qu'ils ne gefticulent point , qu'ils n'é- lèvent point la voix , on fent qu'ils font pénétrés de ce qu'ils difent , & ils perfuadent. Il feroit furprenant qu'avec une fi belle imagination , ils .Leur mé- n'euffent point la mémoire excellente. Ils font dépourvus de ^l^-J^ tous les iecours , que nous avons inventés pour fouiager la leurjugement! nôtre , ou pour y fuppléer : cependant on ne peut dire de combien de chofes , avec quel détail de circonftances , & avec combien d'ordre ils traitent dans leurs Confeils. En quelques occafions néanmoins ils fe fervent de petits bâtons , pour fe rappeller les articles , qu'ils doivent difeuter , & ils s'en forment une manière de mémoire locale fi sûre , qu'ils parleront quatre ou cinq heures de fuite , étaleront vint pré- iens , dont chacun demande un Difcours entier , fans rien oublier , & même fans héfiter. Leur narration eft nette & précife , & quoiqu'ils ufent beaucoup d'Allégories , & d'au- tres figures , elle eft vive , & a tous les agrémens , que com- porte leur Langue. Us ont le jugement droit & folide , & vont d'abord au but , fans s'arrêter, fans s'écarter, & fans prendre le change. Ils conçoivent aifément tout ce qui eft à leur portée , mais pour les mettre en état de réuflir dans les Arts , dont ils fe font paf- fés jufqu'à préfent , comme ils n'en ont pas la moindre idée , il faudroit travailler lontems ; d'autant plus qu'ils méprifent fouverainement tout ce qui ne leur eft pas néceffaire , c'eft-à- dire , ce dont nous faifons le plus de cas. Ce ne feroit pas non plus une petite affaire , que de les rendre capables de con- trainte & d'application aux chofes purement fpirituelles , ou qu'ils regarderoient comme inutiles. Pour ce qui eft de celles, qui les intéreffent , ils ne négligent & ne précipitent rien ; & autant qu'ils font paroître de flegme , avant que d'avoir pris leur parti , autant témoignent-ils de vivacité & d'ardeur , lorf qu'il faut exécuter ^ cela fe remarque furtout dans les Hurons Tome III. Q. q 3o6 JOURNAL HISTORIQUE & leslroquois. Non feulement ils ont la repartie prompte, Î71Î' majs encore ingenieufe. Un Outaouais , nommé Jean k Juillet. Blanc , mauvais Chrétien & grand Yvrogne , interrogé par le Comte de Frontenac , de quoi il penfoit qu'étoit compofée l'Eau de vie , dont il étoit fi friand , dit , que c'étoit un extrait de langues & de cœurs : car , ajouta-t-il, quand j'en ai bû , je ne crains rien , & je parle à merveille. leur gran- La plupart ont véritablement une nobleffe , & une égalité fe» d'ame. ^.dmQ ? a laquelle nous parvenons rarement avec tous les fe- cours , que nous pouvons tirer de la Philofophie , 6k de la Religion. Toujours maîtres d'eux-mêmes , dans les difgraces les plus fubites , on n'apperçoit pas même fur leur vifage la moindre altération. Un Prifonnier , qui fçait à quoi fe termi- nera fa captivité , ou , ce qui eft peut-être encore plus furpre- nant , qui eft encore dans l'incertitude de fon fort , n'en perd pas un quart d'heure de fommeil ; les premiers mouvemens mêmes ne les trouvent jamais en défaut. Un Capitaine Kuron fut un jour infulté & frappé par un jeune Homme , ceux qui étoient préfens , vouloient fur le champ punir cette audace : >, Laiffez - le , reprit le Capitaine , n'avez - vous pas fenti la » Terre trembler , il eft fuffifamment averti de fa fottife. Leur confiance dans les. douleurs eft au-denus de toute ex- preffion. Une jeune Femme fera une journée entière en tra- vail d'Enfant , fans jetter un cri ; fi elle faifoit paroître la moindre foiblene , on la jugeroit indigne d'être Mère , par la raifofi qu'elle ne pourroit , dit- on , enfanter que des lâches, Rien n'eft plus ordinaire , que de voir des Perfonnes de tout âge , & de tout fexe , fouffrir pendant plufieurs heures , & quelquefois pendant plufieurs jours de fuite , tout ce que le feu a de plus cuifant , & tout ce que la plus induftrieufe fu- reur peut inventer pour le rendre plus fenfible , fans qu'il leur échappe un foupir ; ils ne font même le plus fouvent oc- cupés pendant leur fupplice , qu'à irriter leurs Bourreaux par les plus fanglans reproches. Un Outagami , que des Illinois brûloient avec la dernière barbarie , ayant apperçu un François parmi les Spectateurs , le pria de vouloir bien aider fes Ennemis à le tourmenter ; & celui-ci lui ayant demandé pourquoi il lui faifoit cette prière : » C'eft, répondit -il, que j'aurois la confolation de mourir par la main d'un Homme, Mon plus grand regret , ajouta-t-il,. ILenrconn-.fn ce dans les douleurs. DTJN VOYAGE DE L'AMERIQ. Le t. XXI. 307 c'eft de n'avoir jamais tué un Homme. Mais , reprit un Illi- « 1721. nois :. Tu as tué un tel & un tel. Pour des Illinois , répliqua « Juillet. le Patient , j'en ai affez tué , mais ce ne font pas des Hom- « mes ». Ce que j'ai remarqué ailleurs , Madame , pour diminuer la furprife , qu'une telle infenfibilité pourroit caufer , n'empêche point qu'on ne doive y reconnoître un grand courage. Il faut toujours , pour élever l'ame au-deffus dufentiment à ce point là , un effort , dont les Ames communes ne font point capa- bles. Les Sauvages s'y exercent^^te leur vie , & y accoutu- ment leurs Enfans dès l'âge le jffls tendre. On a vu depe- tits Garçons & de jeunes Filles fe lier les uns aux autres par un bras , & mettre entre les deux un Charbon allumé , pour voir qui le fecoueroit le premier. Enfin il faut encore con- venir , que félon la remarque de Ciceron , l'habitude au tra- vail , donne de la facilité à Tupporter la douleur ( a ) . Or il n'eft peut-être point d'Hommes au Monde , qui fatiguent plus que les Sauvages , foit dans leurs Chaffes , foit dans leurs Voyages. Enfin ce qui prouve que cette efpece d'infenfibilité eft dans ces Barbares l'effet d'un véritable courage , c'eft que tous ne l'ont pas. Il n'eft point étonnant qu'avec cette fermeté d'ame , & des Leur valeur. fentimens fi élevés , les Sauvages foient intrépides dans le danger , & d'une valeur à toute épreuve. Il eft vrai néan- moins que dans leurs Guerres , ils s'expofent le moins qu'ils peuvent , parce qu'ils ont mis leur gloire à n'acheter jamais bien chèrement la Vi£toire , & que leurs Nations étant peu nombreufes , ils ont pour maxime de ne point s'affoiblir : mais quand il faut fe battre , ils le font en Lions , & la vue de leur fang , ne fait qu'augmenter leur force & leur courage. Ils fe font trouvés plufieurs fois dans l'a&ion avec nos Braves , qui leur ont vu faire des chofes prefqu'incroyables. Un Millionnaire ayant accompagné des Abénaquis dans une Expédition contre la Nouvelle Angleterre , & fçachant qu'un grand Parti d'Anglois les pourfuivoit dans leur retraite, fit tout ce qu'il put pour les engager à faire diligence : il n'y gagna rien ; toute la réponfe, qu'il en reçut, fut qu'ils ne crai- gnoient point ces gens - là. Les Anglois parurent enfin , & ils étoient pour le moins vint contre un. Les Sauvages , fans (a) Confuetudo enim laborum perpejfîonem Aolorum ejficit façiliorem. z. Tufc. it. 3o8 JOURNAL HISTORIQUE ■ s'étonner , mirent d'abord leur Père en fureté , puis alle- 1 7 2 l ' rent attendre de pied ferme l'Ennemi dans une campagne , où Juillet, il n'y avoit que des fouches d'Arbres. Le combat dura prefque tout le jour ; les Abénaquis ne perdirent pas un Homme , 6c mirent en fuite les Anglois , après avoir couvert de Morts le champ de bataille. Ceft du Miflionnaire même O) 3 que je tiens ce fait. Les égards, Mais ce qui furprend infiniment dans des Hommes , dont uns'5 our les tout l'extérieur n'annonce rien que de barbare , c'eft de les araeT" " voir fe traiter entr'eux aveulie douceur & des égards , qu'on ne trouve point parmi lWeuple dans les Nations les plus civilifées. Cela vient fans doute en partie de ce que le mien & le tien , ces paroles froides , comme les appelle Saint Gré- goire Pape , mais qui en éteignant dans nos cœurs le feu de la charité , y allument celui de la convoitife , ne font point encore connus de ces Sauvages. On n'eft pas moins charmé de cette gravité naturelle & fans fafte , qui règne dans toutes leurs manières , dans toutes leurs actions , & jufques dans la plupart de leurs divertiffemens ; ni de cette honnêteté & de ces déférences , qu'ils font paroître avec leurs égaux , ni de ce refpeft des Jeunes Gens pour les Perfonnes âgées , ni enfin de ne les voir jamais fe quereller entr'eux avec ces paroles in- décentes , & ces juremens fi communs parmi nous. Toutes preuves d'un efprit bien fait , & qui feait fe poffeder. J'ai dit qu'un de leurs principes , & celui , dont ils font le plus jaloux , eft qu'un Homme ne doit rien à un autre ; mais de cette mauvaife maxime ils en tirent une bonne conféquen- ce , à fçavoir , qu'il ne faut jamais faire tort à perfonne > quand on n'en a reçu aucune offenfe. Il ne manque à leur bonheur que d'en ufer de Nation à Nation , comme ils font prefque toujours de Particulier à Particulier , de n'attaquer jamais des Peuples , dont ils n'ont aucun fujet de fe plaindre , & de ne pas pouifer la vengeance fi loin. Leur fierté & D'ailleurs il faut convenir que ce qu'on admire le plus dans les Sauvages , n'eft pas toujours vertu pure; que le tempé- ramment & la vanité y ont beaucoup de part , & que leurs plus belles qualités font obfcurcies par de grands vices. Ces Hommes , qui nous paroiffent fi méprifables au premier abord , font les plus méprifans de tous les Mortels , & qui ( a ) Le Père Vincent Bigot. leurs autres dé- fauts. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXI. 309 s'eftiment davantage. Les plus fuperbes de tous étoient les -1 Hurons , avant que les fuccès euffent enflé le cœur des Iro- quois , & euffent enté en eux une hauteur , que rien n'a en- Jui^et« core pu rabattre , fur une grofîiereté féroce , qui faifoit au- paravant leur caractère diftin&if. D'un autre côté ces Peuples fi fiers & fi jaloux de leur li- berté , font au-delà de ce qu'on peut imaginer , efclaves du refpeâ humain. On les accufe aufîi d'être légers & inconftans , mais c'eft. plutôt par efprit d'indépendance , que par carac- tère , comme je l'ai remarqué des Canadiens. Us font ombra- geux & foupçonneux , furtout à notre égard ; traîtres , quand il y va de leur intérêt; diffimulés, & vindicatifs à l'excès : le tems ne ralentit point en eux le défir de fe venger ; c'eft. le plus cher héritage , qu'ils laiffent à leurs Enfans , & il fe tranf- met de génération en génération , jufqu'à ce qu'on ait trouvé l'occafion de l'exécuter. Quant à ce qu'on appelle plus particulièrement les quali- Des qualités tés du cœur , les Sauvages ne s'en piquent pas , ou pour mieux du cœur" dire , elles ne font point en eux des vertus : il femble même qu'ils ne les fçavent pas envifager fous ce point de vue ; ami- tié , compaffion , reconnoiffance , attache , ils ont quelque chofe de tout cela , mais ce n'efr. point dans le cœur , & c'eft moins en eux l'effet d'un bon naturel , que de la réflexion , ou de l'inftinft. Le foin , qu'ils prennent des Orphelins , des Veu- ves , & des Infirmes ; l'hofpitalité , qu'ils exercent d'une ma- nière fi admirable , ne font pour eux qu'une fuite de la per- fuafion , où ils font , que tout doit être commun entre les Hommes. Les Pères & les Mères ont pour leurs Enfans une tendreffe , qui va jufqu'à la foibleffe , mais qui ne les porte point à les rendre vertueux , & qui paroît purement animale. Les Enfans de leur côté n'ont aucun retour de naturel pour leurs Parens , & les traitent même quelquefois avec indigni- té , principalement leurs Pères. On m'en a raconté des exem- ples , qui font horreur , &: qu'on ne peut rapporter : mais en voici un , qui a été public. Un Iroquois , qui a lontems fervi dans nos Troupes contre E*eitlPIe *J r tLt s O, * v ' PA/r • r peu de naturel la propre Nation , & même en qualité d Officier , rencontra des Enfans fon Père dans un combat, & l'alloit percer, lorsqu'il le re- PourleursPa- connut. Il s'arrêta, & lui dit : « Tu m'as donné une fois la vie, f*ns' je te.la donne aujourd'hui , mais ne te retrouves pas une au- « ticulicres en tic les Sauva 310 JOURNAL HISTORIQUE 1721. » tre fois fous ma main, car je fuis quitte de ce que je te devois >>. Juillet ^en ne Prouve mieux la néceffité de l'éducation , & que la nature feule ne nous inftruit pas fuffifamment de nos plus ef- fentiels devoirs. Et ce qui forme , fi je ne me trompe , une dé- monftration encore plus fenfible en faveur de la Religion Chrétienne , c'eft qu'elle a produit dans le cœur de ces Bar- bares à tous ces égards un changement , qui tient du miracle. Sociétés par- Mais fi les Sauvages ne fçavent pas goûter les douceurs de l'amitié , ils en ont au moins reconnu l'utilité. Chacun parmi eux a un Ami à peu près de fon âge , auquel il s'attache, & qui s'attache à lui par des liens indifïblubles. Deux Hommes ainfi unis pour leur intérêt commun , doivent tout faire & tout rifquer pour s'entr'aider & fe fecourir mutuellement : la mort même , à ce qu'ils croyent , ne les fépare que pour un tems : ils comptent bien de fe rejoindre dans l'autre Monde pour ne fe plus quitter , perfuadés qu'ils y auront encore be- foin l'un de l'autre. J'ai fur cela oui raconter qu'un Sauvage Chrétien , mais qui ne fe conduiioit pas félon les maximes de l'Evangile , étant menacé de l'Enfer par un Jéfuite , demanda à ce Millionnaire , s'il croyoit que fon Ami décédé depuis peu fût allé dans ce lieu de fupplices : le Père lui répondit qu'il avoit lieu de ju- ger que Dieu lui avoit fait miféricorde : je n'y veux donc pas aller non plus , reprit le Sauvage , & ce motif l'engagea à faire tout ce qu'on fouhaitoit ; c'eft-à-dire , qu'il auroit été auffi volontairement en Enfer , qu'en Paradis , s'il avoit cru y retrouver fon Camarade ; mais Dieu fe fert de tout pour le falut de fes Elus. On ajoute que ces Amis , quand ils fe trou- vent éloignés les uns des autres , s'invoquent réciproquement dans les périls, où ils fe rencontrent ; ce qu'il faut fans doute entendre de leurs Génies tutélaires. Les préfens font les nœuds de ces afïbciations , l'intérêt & le b^bin les fortifient ; c'eft. un fecours, fur lequel on peut prëfque toujours com- pter. Quelques-uns prétendent qu'il s'y gliffe du défordre ; mais j'ai fujet de croire qu'au moins cela n'eft. pas général. Cou- La couleur des Sauvages ne fait point , comme plusieurs fe font perfuadés , une troifiéme efpéce entre les Blancs & les Noirs. Ils font fort bafanés , & d'un rouge fale & obfcur , ce qui eff. plus fenfible dans la Floride , dont la Louyfiane fait partie : mais cela ne leur eft point naturel. Les fréquentes fri- dcs Sau poils. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXL 3n xions , dont ils ufent , leur donne ce rouge , &: il eft étonnant i 7 2 i . qu'ils ne foient pas encore plus noirs , étant continuellement j .,, expofés à la fumée en Hyver , aux plus grandes ardeurs du Soleil en Eté , & dans toutes les Saiïons à toutes les intempé- ries de l'Air. Il eft moins aifé de rendre raifon de ce qu'à la réferve des Pourquoi ils Cheveux , que tous ont fort noirs ; des cils & des fourcils , n'°™ PoilK dc que quelques-uns même s'arrachent , ils n'ont pas un poil fur "" tout le corps ; & prefque tous les Amériquains font dans le même cas. Ce qui étonne le plus , c'eft que leurs Enfans naif- fent avec un poil rare , & affez long par toupie corps , mais qui difparoît au bout de huit jours. On voit auiïi dans les Vieillards quelques poils au menton , comme il arrive parmi nous aux Femmes d'un certain âge ; j'ai vu attribuer cette fin- gularité au continuel ufage qu'ont les Amériquains de fumer, & qui eft commun aux deux Sexes : il paroît plus naturel à d'autres de dire , que cela vient de la qualité de leur fang , qui étant plus pur , à caufe de la {implicite de leurs alimens , produit moins de ces fuperfluités , dont le nôtre, plus grofiier, fournit une fi grande abondance ; ou qui ayant moins de fels, eft moins propre à ces fortes de productions. Il n'eft pas dou- teux au moins , que c'eft cette {implicite des alimens , qui rend les Sauvages ii légers à la Courfe. J'ai vu un Infulaire , voifin du Japon , qui n'ayant jamais mangé de pain , m'afsûra qu'il faifoit fans peine à pied ordinairement trente lieues par jour ; mais qui ayant commencé d'en ufer , n'avoit plus la même facilité. Ce qui eft certain , c'eft que nos Sauvages trouvent une très-grande beauté , à n'avoir point de poil ailleurs qu'à la Tête , que ft quelquefois il leur en vient quelqu'un au men- ton , ils l'arrachent d'abord : que les Européens , quand ils les virent pour la première fois , leur parurent hideux avec leurs longues Barbes , comme on les portoit alors ; qu'ils ne trouvent point belle notre couleur blanche , & que la chair des François & des Anglois , quand ils en ont voulu manger, leur a paru de mauvais goût , parce qu'elle étoitfalée. Ainfi , Madame , l'idée , qu'on fe formoit autrefois en Europe des Sauvages , qu'on y repréfentoit comme des Hommes tout velus , non - feulement ne leur convient en aucune manière ,- mais eft précifément celle, qu'ils ont d'abord eue de nous, parce 31a JOURNAL HISTORIQUE qu'ils crurent que nous avions tout le corps , comme le l7 î X ' menton & l'eftomach VINT-DEUXIEME LETTRE. Voyage à la Rivière de Saint Jofep h. Obfervation fur les Ri- vières 3 qui fe jettent dans le Lac Michigan , du côté de VE(l. De celle du P. Marquette 3 & de V origine de ce nom. Des Jeux des Sauvages. Quelques traits du Caractère de ces Peuples. De la Rivière de S. Jofeph , ce feiziéme d'Août 1721 . M ADAME, Il y eut hier huit jours , que j'arrivai dans ce Pofte , où nous avons une Miffion ; & où il y a un Commandant avec une petite Garnifon. La Maifon du Commandant , qui eft très - peu de chofe , s'appelle le Fort , parce qu'elle eft envi- ronnée d'une allez mauvaife Paliffade , & c'eft à peu près le même partout , à l'exception des Forts de Chambly & de Catarocouy , qui font de véritables Fortereffes. Il y a néan- moins dans tous quelques petits Canons , ou des Pierriers , qui dans un befoin fufment pour empêcher un coup de main , & pour tenir les Sauvages en refpeft. Danger de Nous avons ici deux Villages de Sauvages , l'un de Mia- la Navigation mis a &- l'autre de P outeouatamis , les uns & les autres font la plupart Chrétiens , mais ils ont été lontems fans Pafteurs , & le Millionnaire , qu'on leur a envoyé depuis peu , n'aura pas peu à faire , pour les remettre dans l'exercice de leur Reli- gion. La Rivière de Saint Jofeph vient du Sud - Eft fe dé- charger dans le fond du Lac Michigan , dont il faut ranger toute la Côte Orientale , qui a cent lieues de long , avant que d'entrer dans cette Rivière. On le remonte enfuite vint lieues pour gagner le Fort , cette Navigation demande de grandes précautions , parce que , quand le vent vient du large , c'eft- à-dire , de l'Oueft , les lames y font de toute la longueur du Lac ; or les Vents d'Oueft y font fort fréquens. Il y a bien de l'apparence du Lac Mich gaa D'UN VOYAGEDE L'AMERIQ. Let. XXII. 313 l'apparence aufii que la quantité de Rivières , qui fe déchar- gent dans le Lac , fur la Côte Orientale , contribuent par le * 7 2 l ' choc de leurs courans avec les vagues , à rendre la Naviga- Août. tion plus périlleufe : ce qui eft certain , c'eft qu'il eft peu d'endroits dans le Canada ; où il fe foit fait plus de Naufra- ges. Mais je reprends mon Journal , où je l'ai interrompu. Le premier jour d'Août , après avoir traverfé à la Voile Observations une Baye, qui a trente lieues de profondeur , je laifTai à droite fur les Rivie- les IJles du Caflor , qui me parurent fort bien boifées ; 6c contre f"-10"" quelques lieues plus loin fur la gauche , j'apperçus fur une tcKowc' ° éminence de Sable une efpece de BuifTon , lequel , quand on eft par fon travers , a la figure d'un Animal couché : les François l'ont nommé , YOurs qui dort ; & les Sauvages , YOurs couché : Je fis vint lieues ce jour-là , & je campai dans une petite Me , qui eft par les quarante-quatre degrés , trente minutes de Latitude - Nord ; c'eft à peu près la hauteur de Montréal. Depuis l'entrée du Lac Michigan jufqu'à cette Ifle, la Côte eft fort fablonneufe , mais pour peu qu'on avance dans les Terres , le Pays paroît fort bon , du moins à en juger par les magnifiques Forêts , dont il eft couvert. Il eft d'ailleurs très-bien arrofé , car nous ne faifions pas une lieuë , fans dé- couvrir , ou quelque gros Ruifîeau , ou quelque jolie Riviè- re , & plus on avance au Sud , plus les Rivières font grandes, aufTi viennent-elles de plus loin , la Prefqu'Ifle , qui fépare le Lac Michigan du Lac Huron , s'élargifîant à mefure qu'on avance au Midi. La plupart néanmoins de ces Rivières font affez peu larges , & ont peu de profondeur à leur embou- chure : ce qu'elles ont de fingulier , c'eft qu'on y trouve pref- que d'abord des Lacs de deux , de trois , ou de quatre lieues de circuit ; cela vient fans doute de la quantité de Sables , qu'elles charient ; ces Sables étant repouffés par les vagues du Lac , qui viennent prefque toujours de l'Oueft , s'accumu- lent à l'embouchure des Rivières , dont les eaux arrêtées par ces Digues , qu'elles ne franchiftent qu'avec peine , fe font creufé peu à peu ces Lacs , ou Etangs , qui empêchent que tout le Pays ne foit inondé à la fonte des Neiges. Le troifjéme , j'entrai dans la Rivière du P. Marquette , Rivière àa pour examiner fl ce qu'on m'en avoit dit, étoitvrai. Cen'eft p* Maquette. d'abord qu'un Ruiffeau , mais quinze pas plus haut on entre dans un Lac , qui a près de deux lieues de tour, Pour le faire Tome III. R r 3i4 JOURNAL HISTORIQUE décharger dans le Michigan , on diroit qu'on a coupé avec le i 7 2 i . pjc un gros morne , qu'on laiffe à gauche en entrant , & fur la Août, droite la Côte eft très-baffe , environ Fefpace d'une bonne portée de Fufil , puis tout d'un coup elle s'élève fort haut» On me l'avoit véritablement repréfentée ainfî ; & fur cela r voici la Tradition confiante de tous nos Voyageurs , & ce que d'anciens Miflionnaires m'ont raconté. Le P. Jofeph Marquette , natif de Laon en Picardie j où fa Famille tient encore aujourd'hui un rang diftingué , a été un des plus illuftres Miflionnaires de la Nouvelle France ; il en a parcouru prefque toutes les Contrées , & il y a fait plufieurs Découvertes , dont la dernière eft celle du Micifîipi, où il entra avec le Sieur Joliet en 1673. Deux ans après cette Découverte , dont il a publié la Relation , comme il alloit de Chicagou , qui eft au fond du Lac Michigan , à Mi- chillimakinac , il entra le dix-huitiéme de May 1675 dans la Rivière , dont il s'agit , & dont l'embouchure étoit alors à l'extrémité du Terrein bas , que j'ai dit qu'on laiffe à droite en y entrant , il y dreffa fon Autel , & y dit la Meffe. Il s'é- loigna enfuite un peu pour faire fon A£tion de Grâces , & pria les deux Hommes , qui conduifoient fon Canot , de le laif- fer feul pendant une demie - heure. Ce tems paffé , ils allèrent le chercher , & furent très-furpris de le trouver mort ; ils fe fouvinrent néanmoins qu'en entrant dans la Rivière , il lui étoit échapé de dire qu'il finiroit là fon voyage. Cependant comme il y avoit trop loin de - là à Michilli- makinac , pour y porter fon Corps , on l'inhuma affez près du bord de la Rivière , qui depuis ce tems-là s'eft éloignée peu à peu , comme par refpeft , jufqu'au Cap , dont elle baigne préfentement le pied , & où elle s'eft fait un nouveau paffa- ge. L'année fuivante un des deux Hommes , qui avoient ren- du les derniers devoirs au Serviteur de Dieu , retourna à l'endroit, où ils l'avoient enterré, en tira ce qui en reftoit y & le porta à MichillimaKinac. Je n'ai pu fçavoir , ou j'ai ou- blié le nom , que portoit auparavant cette Rivière ; mais au- jourd'hui les Sauvages ne l'appellent point autrement , que la Rivière de la Robe noire ( a ) , les François lui ont don- né le nom du P. Marquette , & ne manquent jamais de Fin- ( a) Les Sauvages appellent ainfi les Je- I blancs ; & les RécolktS , les Ikobes gri» fuites. Ils nomment les Prêtres , les Collets \ /es* A vanturc ar- rivée à l'Au- teur dans ia Rivière de S, D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let.XXII. 315 voquer , quand ils fe trouvent en quelque danger fur le Lac "~ — Michigan. Plufieurs ont afsûré qu'ils fe croyoient redevables * 7 2 lm à fon intercefîion ., d'avoir échapé à de très-grands périls. Août. Je fis encore trois lieues ce jour-là , & j'allai camper à l'en- Des Pins trée de la Rivière de Saint Nicolas 3 fur le bord d'un joli Lac, rouges & plus long & moins large que le précèdent. J'y trouvai une blailcs- grande quantité de Pins rouges & blancs , ceux-ci ont l'écor- ce plus rude , mais le bois en eft meilleur , & il en fort une Gomme aflez fine ; ceux-là ont l'écorce plus douce , mais le bois en eft plus pefant : on en tire le Bray , dont on fait le meilleur Godron. Je naviguai ainfî fort agréablement jufqua la Rivière de Saint Jofeph , où j'entrai le fixiéme fort tard , ou le feptiéme de bon matin , car il étoit environ Minuit , lorf- que nous y arrivâmes ; nous étant repofés deux bonnes heu- res au bord du Lac de la Rivière noire , qui en eft à huit lieues , & où il y a beaucoup de Ging-Seng. La Rivière de Saint Jofeph a plus de cent lieues de cours , & fa fource n'eft pas loin du Lac Erié ; elle eft naviguable pendant quatre - vint lieues , &: dans les vint - cinq , que je la remontai pour me rendre au Fort , je n'y ai vu que de bon- Jo%h nés Terres , couvertes d'Arbres d'une hauteur prodigieufe , fous lefquels il croît en quelques endroits de très - beau Ca- pillaire. Je fus deux jours à faire ce chemin , mais le foir du premier , je courus grand rifque de n'aller pas plus loin ; je fus pris pour un Ours , & il ne s'en fallut rien, que je ne fuffe tué en cette qualité par un de mes Condu&eurs : Voici com- ment. Après le Soupe & la Prière , comme il faifoit fort chaud , j'allai me promener en fuivant toujours le bord de la Rivière. Un Barbet , qui me fuivoit partout , s'avifa de fe lancer dans l'eau , pour y chercher je ne fçai quoi , que j'y avois jette fans réflexion : mes Gens , qui me croyoient retiré , d'autant plus qu'il étoit fort tard , & que la nuit étoit obfcure , entendant le bruit , que fit cet Animal , crurent que c'étoit un Chevreuil, qui pafïqit la Rivière , & deux d'entr'eux partirent de la main avec leurs Fufils chargés ; par bonheur pour moi un des deux, qui étoit un étourdi , fut rappelle par les autres , de peur qu'il ne fît manquer la proye , mais il auroit bien pu fe faire que par étourderie il ne m'eût pas manqué. L'autre avançant au petit pas , m'apperçut à vint pas de lui, Rrij 3i6 JOURNAL HISTORIQUE & ne douta point que ce ne fût un Ours , qui fe dreffoit fur •I721, fes Jeux Pattes de derrière , comme ces Animaux font tou- Août. jours , quand ils entendent quelque bruit. A cette vue le Chafleur bande fon Fuftl , où il avoit mis trois poft.es , & fe courbant prefque à terre , fait fes approches le plus douce- ment qu'il peut. Il alloit tirer , lorfque de mon côté je crus voir quelque chofe , mais fans pouvoir diftinguer ce que c'é- toit : ne pouvant néanmoins douter que ce ne fût quelqu'un de mes Gens , je m'avifai de lui demander , fi par hafard il ne me prenoit point pour un Ours ; il ne me répondit point , & lorfque je l'eus joint , je le trouvai tout interdit , & comme faifi de l'horreur du coup , qu'il avoit été fur le point de faire. Ce furent fes Camarades , qui m'apprirent ce qui s'étoit parlé. La Rivière de Saint Jofeph eft (i commode pour le Com- merce de toutes les Parties du Canada , qu'il n'eft pas éton- nant qu'elle ait toujours été beaucoup fréquentée par les Sau- vages. D'ailleurs elle arrofe un Pays très-rertile , mais ce n'eft point là ce que ces Peuples eftiment le plus. C'eft même bien dommage de leur donner de bons Terreins ; ou ils n'en font aucun ufage , ou ils l'ont bientôt dégraifTé en y femant leur Maïz. Les Mafcoutins avoient , il n'y a pas lontems , un Eta- bliffement fur cette Rivière , mais ils font retournés dans leur Pays , qui eft , dit-on , encore plus beau. Les Pouteouatamis y ont occupé fuccefîivement plufieurs Poftes , & y font en- core ; leur Village eft du même côté que le Fort , un peu au deffous , & fur un très-beau Platon : celui des Miamis eft de l'autre côté de la Rivière. Du Ging-Seng Les Sauvages qui fe font de tout tems plus appliqué que de Canada. ^ autres à la Médecine , font grand cas du Gin-Seng , & font perfuadés que cette Plante a la vertu de rendre les Fem- mes fécondes. Je ne crois pourtant pas que ce foit par cette raifon , qu'ils l'ont nommée Abefoutchenia , qui veut dire un Enfant ; elle doit ce nom à la figure de fa Racine , au moins parmi leslroquois. Vous avez vu fans doute, Madame , ce que le P. Laffitau , qui le premier l'a portée en France , en a écrit fous le nom SAureliana Canadaifis : elle eft au moins pour la figure , abfolument la même que celle , qui nous vient de la Chine , & que les Chinois tirent de la Corée & de la Tartarie. Le nom qu'ils lui donnent , & qui iignifie la rejfem- blance de l Homme i les vertus ? qu'ils lui attribuent , & qu'ont D'UN VOYAGE DE L'A ME RI Q. Let. XXII. 317 expérimentées en Canada ceux , qui en ont fait ufage , & la \ t 2 — conformité du Climat ( a ) font un grand préjugé , que fi 7A •' nous la prenions comme venant de la Chine , elle feroit auffi ^out« eftimée que celle , que les Chinois nous vendent ; peut-être n'a-t-elle fait fi peu de fortune parmi nous ,' que parce qu'elle croît dans un Pays , qui nous appartient , & qu'elle n'a pas le relief de nous être tout-à-fait étrangère. En remontant la Rivière de Saint Jofeph , je remarquai DnFé»icr, quelques Arbres , que je n'avois point vu ailleurs. Le plus fin- &duSa.fefrasî gulier , que je pris d'abord pour un Frefne à fes feuilles , vient extrêmement gros , & porte des Fèves , qui font très- belles à la vue , mais on a beau les faire bouillir , elles n'en font que plus dures , & il n'a jamais été poffible d'en faire au- cun ufage. Les Campagnes , qui environnent le Fort , font tellement couvertes de SalTafras , que l'air en eft embaumé ; mais ce n'eft point un grand Arbre , comme à la Caroline ce ne font que de petits ArbrilTeaux , qui rampent prefque à terre ; peut-être auffi ne font-ce que des rejettons des Arbres , qu'on a coupés , pour défricher les environs du Fort , & des Bourgades Sauvages. Il y a ici quantité de Simples , dont on prétend que les Sau- secret deS vages ufenjjùn peu à l'aventure , fans autre principe que l'ex- Sauvag" r„t périence harardée légèrement , & qui les trompe quelquefois : iTfoKiV caries mêmes Remèdes n'agiffent pas également fur toutes «es "de" leur fortes de Sujets , attaqués des mêmes Maladies , mais ces Peu- PaySl pies ne fçavent pas faire toutes ces différences. Une chofe , qui m'étonne toujours , c'ell: l'impénétrable fecret , qu'ils gar- dent fur leurs Simples , ou le peu de curiofité des François , pour en avoir la connoiflance. S'il n'y a point de la faute de ceux-ci,rien ne montre mieux, ce mefemble, que les Sauvages ne nous voyent pas volontiers dans leur Pays : mais nous en avons d'autres preuves , auffi peu équivoques que celles - ci. Il fe pourroit bien auffi qu'ils fuflent au fujet de leurs Sim- ples dans la même opinion , où l'on afsûre qu'ils font par rapport à leurs Mines ; à fçavoir , qu'ils mourroient , s'ils en découvroient quelques-unes aux Etrangers. (a ) La Rivière noire eft par les quaran- te-un degrés , cinquante miilures ; c'efl: par cette même Latitude , qu'on tire le Gin- Seng de Corée , pour l'Empereur de la Chi- ne. On en a porté à la Chine, & préparé par les Chinois , ils l'ont vendu comme ve- nant de Corée , ou de Tartarie. Au reftc cette préparation n'y ajoute lien. 3tS JOURNAL HISTORIQUE — — : — Les Sauvages de ces Quartiers font naturellement voleurs, ' * ' & regardent comme de bonne prife , tout ce qu'ils peuvent Août, attraper. Il eft vrai que fi l'on s'apperçoit de bonne heure , Dts Miamis. qu'on a perdu quelque chofe , il fumt d'en avertir le Chef, on eft afsûré de la retrouver ; mais il faut donner à ce Chef plus que la valeur de la chofe , & il demande encore quelque ba- gatelle pour celui , qui l'a retrouvée , & qui eft apparemment le Voleur même ; je fus dans le cas dès le lendemain de mon arrivée , & on ne me fit point de grâce : ces Barbares foû- tiendroient une Guerre , plutôt que de fe relâcher fur ce point. Quelques jours après je fus rendre vifite au Chef des Mia- mis , qui m'avoit prévenu ; c'eft un grand Homme bien fait , mais fort difgracié , car il n'a point de Nez : on m'a dit que ce malheur lui étoit arrivé dans une débauche. Quand il fçut que je venois le voir , il alla fe placer au fond de fa Cabanne, fur une manière d'Eftrade , où je le trouvai afTis les jambes croifées , à la façon des Orientaux. Il ne me dit prefque rien, & me parut affecter une gravité fiere , qu'il foûtenoit affez mal ; c'eft le premier Chef Sauvage , à qui j'ai vu obferver ce Cérémonial , mais on m'avertit qu'il faut lui rendre la pareil- le , fi on ne veut pas en être méprifé. Du jeu des Ce jour - là les Pouteouatamis étoient venus^uer au Jeu. des Pailles chez les Miamis ; on jouoit dans la Cabanne du Chef, & dans une Place , qui eft vis-à-vis. Ces Pailles font de petits Joncs de la groffeur des tuyaux de Froment , & de la longueur de deux pouces. On en prend un paquet , qui eft ordinairement de deux cent un , & toujours en nombre im- pair. Après qu'on les a bien remués , en faifant mille contor- fions , & en invoquant les Génies , on les fépare avec une efpece d'aleine , ou un os pointu , en paquets de dix : chacun prend le fien à l'aventure , & celui , à qui échoit le paquet de onze , gagne un certain nombre de points , dont on eft con- venu : les Parties font en foixante , ou en quatre-vint. Il y a d'autres manières de jouer ce Jeu , & on a voulu me les expliquer , mais je n'y ai rien compris , finon que quelque- fois le nombre de neuf gagne toute la Partie. On m'a ajouté qu'il y avoit autant d'adreife , que de hafard à ce Jeu , & que les Sauvages y font extrêmement frippons , comme dans tous les autres ; qu'ils s'y acharnent fouvent jufqu a y palier les Pailles D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ.Let.XXII. 319 jours & les nuits , & que quelques - uns ne ceffent point de 1 7 2 1 , jouer , que quand ils font tout nuds , & n'ont plus rien à per- Août, dre. Ils en ont un autre , qui ne pique point par l'envie de gagner ; c'eft un pur divertiffement , mais il a prefque tou- jours des fuites funeftes pour les mœurs. A l'entrée de la nuit on dreffe au milieu d'une grande Ca- Autre Jeu* banne plufieurs Poteaux placés en rond , au milieu font les Inftrumens ; on pofe fur chaque Poteau un paquet de duvet , & il doit y en avoir de toutes les couleurs. Les jeunes gens des deux Sexes mêlés enfemble , danfent en rond autour des Poteaux , les Filles ayant aufîi du duvet , de la couleur qu'el-* les aiment : de tems en tems un jeune Homme fe détache , & va prendre fur un Poteau du duvet de la couleur , qu'il re- connoît être au gré de fa MaîtrefTe , & fe le mettant fur la îètQ , il danfe autour d'elle , & lui donne par ligne un Rendez- vous : la Danfe finie , le Feftin commence , & dure tout le jour ; le foir tout le monde fe retire , & les Filles font ri bien leur compte , que malgré la vigilance de leurs Mères , elles fe trouvent au lieu qui leur a été afligné. Les Miamis ont encore deux Jeux , dont le premier fe nom- me , le Jeu de la CroJJe. On y joue avec une Baie & des Bâ- tons , recourbés & terminés par une efpece de Raquette. On dreffe deux Poteaux , qui fervent de Bornes , & qui font éloignés l'un de l'autre , à proportion du nombre des Joueurs» Par exemple , s'ils font quatre-vint , il y a entre les Poteaux une demie lieuë de diftance. Les Joueurs font partagés en deux bandes , qui ont chacune leur Poteau , & il s'agit de faire aller la Baie , jufqu'à celui de la Partie adverfe , fans qu'elle tombe à terre , & fans qu'elle foit touchée avec la main ; car fi l'un ou l'autre arrive , on perd la Partie, à moins que celui , qui a fait la faute , ne la répare , en faifant aller la Baie d'un feul trait au But , ce qui eft fouvent impoffible=. Ces Sauvages font fi adroits à prendre la Baie avec leurs CrofTes 3 que quelquefois ces Parties durent plufieurs jours de fuite. Le fécond Jeu approche beaucoup de celui-ci , & n'eft pas fi dangereux. On marque deux Termes , comme au premier, & les Joueurs occupent tout Tefpace , qui eft. entre deux. Ce- lui qui doit commencer , jette en l'air une Baie le plus per- pendiculairement qu'il eft poffible , afin qu'il puifTe plus aifé- 32o JOURNAL HISTORIQUE ' ment la rattraper , & la jetter vers le But. Tous les autres ont lJ \ ! ' les bras levés , & celui , qui faifît la Baie , fait la môme Ma- OLlt* nœuvre , ou jette la Baie à quelqu'un de fa Bande , qu'il efti- me plus alerte , ou plus adroit que lui ; car pour gagner la Partie , il faut que la Baie , avant que d'arriver au But , ne foit jamais tombée entre les mains d'aucun des Adverfaires. Les Femmes jouent aufli à ce Jeu , mais rarement ; leurs Ban- des font de quatre ou cinq , & la première , qui laiffe tomber la Baie , perd la Partie. Du chef & Les Pouteouatamis ont ici un Chef & un Orateur, qui àc rorateur font gens de mérite. Le premier, nommé Pirémon3 eft un niis.tCOUaCa " Homme de plus de foixante ans , fort fage , & d'un bon con- feil ; le fécond , appelle Ouilamek ^ eft plus jeune ; il eft Chrétien , & bien inftruit , mais il ne fait aucun exercice de fa Religion. Un jour , que je lui en faifois des reproches , il me quitta brufquement , alla dans la Chapelle , & fit fa Prière à haute voix , de forte que nous l'entendions de chez le Mif- fionnaire : il eft difficile de voir un Homme , qui parle mieux, & qui ait plus d'efprit ; d'ailleurs il eft d'un caractère fort ai- mable , & fincerement attaché aux François. Pirémon ne l'eft pas moins , & je les ai entendu tous deux parler dans un Confeil chez le Commandant , où ils nous dirent de très-belles chofes. suites fune- Plufieurs Sauvages des deux Nations , qui font établies fur ftes deiTvro- cette Rivière , ne font que d'arriver des Colonies Angloifes , £neue* où ils étoient allé vendre leurs Pelleteries , & d'où ils ont rap- porté beaucoup d'Eau - de- vie. Le partage s'en eft fait à la manière accoutumée ; c'eft -à-^dire , que chaque jour on en diftribuoit à un certain nombre de Perfonnes , autant qu'il en falloit à chacun pour s'enyvrer , & tout a été bû en huit jours. On commençoit à boire dans les deux Villages, dès que le Soleil étoit couché , & toutes les nuits les Campagnes re- tentiffoient de cris & de hurlemens affreux. On eût dit qu'une Efcouade de Démons s'étoit échapée de l'Enfer , ou que les deux Bourgades étoient acharnées à s'entr'égorger ; il y eut deux Hommes d'eftropiés , j'en rencontrai un , qui s'étoit cafTé le Bras en tombant ; & je lui dis , que fans doute une au^ tre foisilferoit plus fage : il me répondit , que cet accident n'étoit rien , qml feroit bientôt guéri , & qu'il recommence- roit à boire , dès qu'il auroit dequoi. Jugez 3 I D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let.XXÏÏ. 321 Jugez , Madame , ce que peut faire un Millionnaire au mi . lieu de tout ce défordre , & ce qu'il en coûte à un honnête * 7 2 *• Homme , qui s'eft expatrié pour gagner des Ames à Dieu , de Août. fe voir obligé d'en être le témoin , & de n'y pouvoir apporter de remède. Ces Barbares connoiffent eux - mêmes , que i'Y- vrognerie les ruine & les détruit ; mais quand on veut leur perluader, qu'ils devroient être les premiers à demander qu'on leur retranche une-Boiffon, qui a pour eux des fuites fi fâ- cheufes , ils fe contentent de répondre : » C'eft vous , qui nous y avez accoutumé , nous ne pouvons plus nous en paf- fer , & fi vous refufez de nous en donner \ nous en irons chercher chez les Anglois. Cette Liqueur nous tue , & nous * dépouille, il eft vrai, mais c'eft vous, qui avez fait le mal, & il " eft fans remède ». Ils n'ont pourtant pas raifon de s'en pren- * dre ainfi à nous feuls , fans les Anglois je crois qu'on auroit dû faire ceffer ce Commerce dans la Colonie , ou le réduire à es juftes bornes ; on fera même peut - être obligé bientôt de le permettre aux François , en prenant des mefures pour en empêcher l'abus , d'autant plus que l'Eau de vie des Anglois , eft beaucoup plus mal-failante , que la nôtre. Un défordre , qui attaque les mœurs , ne va jamais feul ; il eft toujours le principe , ou la fuite de plusieurs autres. Les Sauvages , avant que d'être tombés dans celui , dont nous par- lons , à la Guerre près , qu'ils ont toujours faite d'une manière barbare & inhumaine , n'avoient rien , qui troublât leur bon- heur ; l'Yvrognerie les a rendus.intéreffés , & a troublé la douceur, qu'ils goûtoient dans le domeftique , & dans le com- merce de La vie. Toutefois , comme ils ne font frappés que de l'objet préfent , les maux , que leur a caufé cette paflion , n'ont point encore tourné en habitude ; ce font des orages , qui paffent^ & dont la bonté de leur caraclere , & le fond de tranquillité d'ame , qu'ils ont reçue de la Nature , leur otcnt prefque le fouvenir , quand ils font paffés. Il faut avouer que du premier coup d'œil la vie qu'ils me- Bonheur des nent , paroît bien dure , mais outre qu'en cela rien ne fait Sauvages. peine , que par comnaraifon , & que l'habitude eft une fécon- de nature , la liberté dont ils jouiffent , eft pour eux un grand dédommagement des commodités , dont ils font privés. Ce que nous voyons tous les jours dans quelques Mandians de profefTion , & dans plufieurs Perfonnes de la Campagne , Tome III, S s 322 JOURNAL HISTORIQUE ■ nous fournit une preuve fenfible , qu'on peut être heureux dans le fein même de l'indigence. Or , les Sauvages le font Août, encore plus réellement ; premièrement , parce qu'ils croyent l'être ; en fécond lieu , parce qu'ils font dans la poffeflion pai- fible du plus précieux de tous les dons de la Nature ; enfin parce qu'ils ignorent parfaitement , & n'ont pas même en- vie de connoître ces faux biens , que nous eftimons tant , que nous achetons au prix des véritables , & que nous goû- tons fi peu. Effectivement en quoi ils font plus eftimables , ck doivent être regardés comme de vrais Philofophes , c'eft que la vue de nos commodités , de nos richeffes , de nos magnificences , les ont peu touchés , & qu'ils fe fçavent bon gré de pouvoir s'en palier. Des Iroquois , qui en 1 666 allèrent à Paris , & à qui on fit voir toutes les Maifons Royales , &: toutes les beau- tés de cette grande Ville , n'y admirèrent rien , & auroient préféré leurs Villages à la Capitale du plus floriffant Royau- me de l'Europe , s'ils n'avoient pas vu la Rue de la Huchette, où les Boutiques des Rotiffeurs , qu'ils trouvoient toujours garnies de Viandes de toutes les fortes , les charmèrent beau- coup. Mépris qu'ils On ne peut pas même dire qu'ils ne font enchantés de leur W de notre f^qon de vivre , que parce qu'ils ne connoiffent point la dou- maineredevi- j i * Vi *V ? • /r j u vie. ceur de la notre. Des François en allez grand nombre, ont vécu comme eux , & s'en font fi bien trouvés , que plufieurs n'ont jamais pu gagner fur eux , quoiqu'ils puffent être fort à leur aife dans la Colonie , d'y revenir ; au contraire , il n'a pas été poflible à un feul Sauvage de fe faire à notre manière de vivre. On a pris de leurs Enfans au Maillot , on les a éle- vés avec beaucoup de foin ; on n'a rien omis pour leur ôter la connoiffance de ce qui fe paffoit chez leurs Parens : toutes ces précautions ont été inutiles , la force du fang l'a empor- té fur l'Education : dès qu'ils fe font vus en liberté , ils ont mis leurs Habits en pièces , & font allés au travers des Bois chercher leurs Compatriotes , dont la vie leur a paru plus agréable , que celle qu'ils avoient menée chez nous. Un Iroquois nommé la Plaque 3 celui - là même , dont je vous ai dit , Madame , qu'en fauvant la vie à foniPere dans un Combat , il s'étoit cru dégagé de tout ce qu'il lui devoit , a vécu plufieurs années avec les François ; on l'a même fait que D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let.XXII. 323 Lieutenant dans nos Troupes , pour le fixer , parce que c'é- — toit un très - brave Homme. Il n'a pu y tenir , il eft retourné * 7 2 * • clans fa Nation , n'emportant de chez nous que nos vices , Se Août. n'ayant corrigé aucun de ceux , qu'il y avoit apportés. Ilai- moit éperduëment les Femmes , il étoit bien fait , fa valeur & fes belles aëtions lui donnoient un grand relief, il avoit beaucoup d'efprit , & des manières fort aimables ; il fit bien des infldelles , & fes défordres allèrent n' loin , qu'on délibéra dans le Confeil de fon Canton , il on ne s'en déferoit pas. Il fut néanmoins conclu à la pluralité des voix qu'on le lailfe- roit vivre , parce qu'étant extrêmement courageux , il peu- pleroit le Pays de bons Guerriers. Le foin , que les Mères prennent de leurs Enfans , tandis Du foin, qn, qu'ils font encore au Berceau , eft au. - deffus de toute expref- les Meres P'e fion , & fait voir bien fenfiblement que nous gâtons fouvent ïnfansf IeUtS tout , par les réflexions , que nous ajoutons à ce que nous inf- pire la Nature. Elles ne les quittent jamais , elles les portent partout avec elles , & lorfqu'elles femblent fuccomber fous le poids , dont elles fe chargent , le Berceau de leur Enfant n'eft compté pour rien : on diroit même que ce furcroît de fardeau eft un adouciffement , qui rend le refte plus léger. Rien n'eft plus propre que ces Berceaux , l'Enfant y eft commodément & mollement couché : mais il n'efr. bandé que jufqu'à la ceinture , de forte que quand le Berceau eft droit, ces petites Créatures ont la tête & la moitié du corps pen- dant ; on s'imagineroît en Europe qu'un Enfant , qu'on laiffe- roit en cet état, deviendroit tout contrefait , mais il en ar- rive tout le contraire , cela leur rend le corps fouple , & ils font en effet tous d'une taille &: d'un port , que les mieux faits parmi nous envieroient. Que pouvons - nous oppofer à une expérience fi générale ? Mais ce que je vais dire , n'eft pas aum* aifé à juftifier. Il y a dans ce Continent des Nations , -qu'on nomme Têtes * Figures rï- plates , & qui ont en effet le front fort applati , & le haut de dicuIes> lae la tête un peu allongé. Cette conformation n'eft point l'ou- donn"" ment a vrage de la Nature , ce font les Meres , qui la donnent à leurs leurs Enfans Enfans , dès qu'ils font nés. Pour cela elles leur appliquent fur le front , & fur le derrière de la tête deux maifes d'argile , ou de quelqu autre matière pefante , qu'elles ferrent peu à peu, jufqu'à ce que le crâne ait pris la forme , qu'elles veulent lui Ssij 3i4 JOURNAL HISTORIQUE donner. Il paroît que cette opération fait beaucoup fouffrir 1 ^ 2 J * ces Enfans, à qui on voit fortir par les narines une matière Août, blanchâtre aflez épaiffe ; mais ni ces accidens , ni les cris que font ces petits Innocens , n'allarment point leurs Mères , ja^- loufes de leur procurer une bonne grâce , dont elles ne con- çoivent pas qu'on puiffe fe paner. C'eft tout le contraire par- mi certains Algonquins , que nous avons nommés Têtes de Boule , & dont je vous ai déjà parlé , car ils font confirmer la beauté à avoir la tête parfaitement ronde , & les Mères s'y prennent auffi de très-bonne heure , pour donner cette figure à leurs Enfans. Je voulois , Madame , profiter du loifîr , que j'ai ici , & qui fera peut-être plus long, que je ne le voudrois, pour finir tout ce que j'ai à vous dire fur cette matière 5 mais quelques em- barras , qui me font furvenus , & le départ prochain d'un Voyageur , qui s'en retourne dans la Colonie , m'obligent à interrompre ce Récit , que je reprendrai au premier jour. Je fuis , &c. VINT-TROISIEME LETTRE,. Suite du Caractère des Sauvages 3 & de leur manière de vivre. De la Rivière de S. Jofeph , ce huitième Août 172 1 M A D A M E F, Je reprends , la fuite de mes Mémoires , 011 je l'ai inter- rompue , vous trouverez peut - être que je n'y mets pas affez d'ordre , mais on excufe du moins dans une Relation , ce qu'on admire dans une Ode ; ce qui dans un Poète Lyrique eft un effet de l'Art , eu une neeeffité dans un Voyageur , qui ne peut raconter les chofes , qu'à mefure qu'il les apprend , & qui eft obligé d'écrire ce qu'il voit dans la crainte de les oublier. tifide?sâavT. Les Enfans des Sauvages , au fortir du Berceau, ne font D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXIII. 32? gênés en aucune manière , & dès qu'ils peuvent fe rouler fur — - • les pieds & fur les mains , on les laifle aller où ils veulent tout 1 ? 2 l ' nuds , dans l'Eau , dans les Bois , dans la Boue , & dans la Août. Neige ; ce qui leur fait un Corps robufte , leur donne une ges,& les rends grande foupleffe dans les Membres , les endurcit contre les {i bka faics" injures de l'Air ; mais auffi , comme je l'ai déjà remarqué , leur caufe des foiblefles d'eftomach & de poitrine , qui les ruinent de bonne heure. L'Eté ils courent , dès qu'ils font le- vés , à la Rivière , ou dans les Lacs , & y demeurent une par- tie du jour à batifoler , comme on voit les PoifTons fe jouer , quand il fait beau tems , vers la furface de l'Eau. Il eft certain que rien n'eft plus propre que cet exercice , à les dénouer , & à les rendre agiles. On leur met aufli de très-bonne heure TArc & la Flèche en Eeurs pi main , & pour exciter en eux cette émulation , qui eft la meil- miers excrci- leure maîtrefTe des Arts , il n'eft pas néceffaire de placer leur éSuiatSnen? déjeuner au haut d'un Arbije , comme on faifoit aux jeunes «'eux. Lacédémoniens , ils naiffent tous avec cette paftïon pour la gloire , qui n'a pas befoin d'être aiguillonnée ; aufîi tirent- ils leurs Flèches avec une jufteffe étonnante , & il ne leur a pref- que rien coûté pour en acquérir une femblable dans l'ufags de nos Armes à teu. On les fait encore lutter enfemble , & ils s'acharnent tellement à cet exercice , que fouvent ils fe tue- roient , fi on n'avoit pas le foin de les féparer ; ceux qui ont du defTous en conçoivent un fi grand dépit , qu'ils ne fe don- nent pas le moindre repos , qu'ils n'ayent eu leur revanche; En général on peut dire , que les Pères & les Mères ne né- a quoi re- gligent rien pour infpirer à leurs Enfans certains principes re'liuic l'&uea- d'honneur , qu'ils confervent toute leur vie 3 mais qu'ils ap- d°n^'°aleur pliquent fouvent affez mal , & c'eft à quoi fe réduit toute l'é- ducation , qu'ils leur donnent. Quand ils les inftruifent fur cela , c'eft toujours d'une manière indire&e ; la plus ordinaire eft de leur raconter les belles Avions de leurs Ancêtres , ou de ceux de leur Nation : ces jeunes Gens prennent feu à ces Récits , & ne foûpirent plus qu'après les occafions , d'imiter ce qu'on leur a fait admirer. Quelquefois pour les corriger de leurs défauts , on employé les prières & les larmes , mais. jamais les menaces ; elles ne feroient aucune imprefïïon fur des efprits prévenus , que perfonne au monde n'eft- en droit & donnent , félon ces Peuples , autant de bonne grâce, que la picqûre. Les Guerriers fe peignent, lorfqu'ils fe mettent en campagne pour intimider leurs Ennemis , peut- être auffi pour cacher leur peur , car il ne faut pas croire qu'ils en foient tous exempts, Les Jeunes-Gens le font pour couvrir un air de jeuneffe , qui les feroit moins eftimer des vieux Soldats , ou la pâleur , qui leur feroit reftée d'une ma- ladie , & qu'ils craindroient qu'on ne prît pour un effet de leur peu de courage : ils le font encore pour fe rendre plus beaux , mais alors les couleurs font plus vives , & plus va- riées : on peint les Prifonniers défîmes à la mort ; je n'en fçai pas la raifon : c'eft peut-être pour parer la vi&ime , qui doit être facrifiée au Dieu de la Guerre. Enfin on peint les Morts D'UNVOYAGEDEL'AMERïQ.Let.XXIII. 329 Morts pour les expofer couverts de leurs plus belles robes , j - z ~ & c'eft fans doute pour couvrir la pâleur de la Mort , qui les . A défigure. Aout- Les couleurs , dont on fe fertdans ces occafions , font les omemcns mêmes, qu'on employé pour teindre les Peaux, & elles fe des Hommes, tirent de certaines Terres , & de quelques écorces d'Arbres. Elles ne font pas bien vives , mais elles ne s'effacent pas aifé- ment. Les Hommes ajoutent à cette parure du duvet de Cy- gnes ou d'autres Oifeaux , qu'ils fement fur leurs cheveux graiffés , en guife de poudre. Ils y joignent des plumes de toutes les couleurs , £v des Bouquets de poil de differens Ani- maux , tout cela bifarrement placé. La figure des cheveux , tantôt hériffés d'un côté , & applatis de l'autre , ou accom- modés en mille manières différentes ; des pendans aux oreil- les , &: quelquefois aux narines , une grande coquille de porcelaine , qui pend à leur cou , ou fur leur eftomach , des couronnes de plumes" d'Oifeaux rares , des griffes ou des on- gles , des ferres , des pattes , ou des têtes d'Oifeaux de proye , de petites cornes de Chevreuils , tout cela entre auffi dans leur ajuftement. Mais ce qu'ils ont de plus précieux eft tou- jours employé à parer lesCaptifs, lorfque ces Malheureux font leur première entrée dans le Village de leurs Vainqueurs. • Il eft à remarquer que les Hommes n'ont guéres foin de on&mens parer que leur tête. C'eft tout le contraire pour les Femmes, des Femmes, Elles n'y mettent prefque rien ; elles font feulement jaloufes de leurs cheveux , & elles fe croiraient déshonnorées , fî on les leur coupoit. Auffi , lorfqu'à la mort de leurs Parens elles s'en coupent une partie , elles prétendent leur marquer la plus grande douleur , dont elles font capables. Pour les con- ierver elles les graiffent fouvent , les poudrent avec de le- corce de Péruffe réduite en pouffiere , & quelquefois avec du vermillon , puis elles les enveloppent d'une Peau d'An- guille ou de Serpent , en manière de cadenettes , qui leur pendent jufqu'à la ceinture. Pour ce qui eft du vifage , elles ie contentent d'y tracer quelques lignes avec du vermillon , ou d'autres couleurs. Leurs narines ne font jamais percées , & il n'y a que parmi quelques Nations , qu'elles fe percent les oreilles. Alors elles y infèrent comme font auffi les Hommes , ou elles y laiffent pendre des grains de porcelaine. Lorfqû'elles font dans leurs Tome III. T t I 7 2. 1 330 JOURNAL HISTORIQUE plus beaux atours , elles ont des robes , où il y a toutes fortes de figures peintes , de petits colliers de Porcelaine attachés Août, fans beaucoup d'ordre & de fymétrie , & une efpece de bor- dure affez paffablement travaillée avec du poil de Porc-Epy , qu'elles peignent auffi de différentes couleurs. Elles ornent de la même manière les berceaux de leurs Enfans , & elles les chargent de toutes fortes de colifichets. Ces berceaux font d'un bois léger , & ont à leur extrémité d'enhaut un ou deux demi-cercles de bois de Cèdre , afin qu'on puiffe les couvrir fans toucher à la tête de l'Enfant. Leurs occu- Outre le foin du Ménage , & la provifion de Bois , les parions. De la pemmes font prefque toujours chargées feules de la culture terre!re * de leurs Champs ; fitôt que les neiges font fondues ,.& les eaux fuffifamment écoulées , elles commencent à préparer la Terre , ce qui confifte à la remuer légèrement avec un Bois recourbé , dont le manche eft fort long , après avoir mis 1$ feu aux tiges féches de Maïz , & aux autres Herbes , qui étoient demeurées depuis la dernière Récolte. Outre que les Grains , dont ces Peuples font ufage , font des Grains d'Eté , on prétend que la nature du Terroir de ce Pays-ci , ne permet pas d'y rien femer avant l'Hy ver. Mais je crois que la vérita- ble raifon pourquoi les Grains ne poufferoient pas , fi on les femoit en Automne , c'eft qu'ils fe gâteroient pendant l'Hy ver, ou qu'ils pourriroient à la fonte des Neiges. Il fe peut faire aufîi , & c'eft l'opinion de plufieurs , que le Froment , qu'on recueille en Canada , quoiqu'originairement venu de France, ait contracté avec le tems la propriété des Grains d'Eté , qui n'ont pas affez de force pour pouffer plusieurs fois , comme il arrive à ceux , que nous femons en Septembre & en Oâobre. DesSemen- LesFéves, ou plutôt les Féverolesfefement avec le Maïz, dont ces & des Rc- [% tjge ieur fert d'appui ; je crois avoir oui dire que c'eft de nous , que les Sauvages ont reçu ce légume , dont ils font grand cas , & qui ne diffère effectivement en rien du nôtre. Mais je fuis furpris qu'ils ne faffent point , ou qu'ils faffent peu d'ufage de nos Pois , qui ont acquis dans le terrein du Canada un degré de bonté fort fupérieur à celle, qu'ils ont en Europe. LesTour- nefols , les Melons d'eau , & les Citrouilles fe mettent à part , & avant que d'en femer la graine , on la fait germer à la fumée dans une terre noire & légère. Pour l'ordinaire les Femmes s'aident mutuellement dans i 72 i D'U N V OYA G E D E L'A M E R ï Q. Iet. XKUL ni le travail de la Campagne , & quand il eft tems de faire la. récolte, elles ont quelquefois recours aux Hommes , qui ne dédaignent pas d'y mettre la main. Le tout finit par une Fête, Août. & par un feftin , qui fe fait pendant l'a nuit , les grains & les autres fruits fe confervent dans des trous , que l'on creufe en terre , & qui font tapi/Tés de grandes écorces. Plufieurs y laif- fent le Maïz dans fes épys , qui font trèfles , comme parmi nous les Oignons , & les étalent fur de grandes perches au- deffus de l'entrée des Cabannes. D'autres l'égrainent, & en rempliffent de grands Paniers d'écorce , percés de toutes parts , pour empêcher qu'il ne s'échauffe. Mais lorfqu'on eft obligé de s'abfenter pour quelque tems , ou qu'on appréhende quel- qu'irruption de l'Ennemi , on fait de grandes caches en terre , où ces grains fe confervent très-bien. Dans les Quartiers Septentrionnaux on feme peu, Se en DuMaï?^ plufieurs endroits on ne feme point du tout. Mais on acheté le Maïz par échange. Ce légume eft fort fain , il eft nourrif- fant , & ne charge point l'eftomach. La plus ordinaire façon de l'accommoder parmi nos Voyageurs François eft de le léciver, c'eft-à-dire , de le faire bouillir quelque tems dans une efpéce de lécive. En cet état il fe garde lontems , on en fait fes provi- fions pour les voyages de long cours , & à mefure qu'on en a befoin , on achevé de le faire cuire dans l'eau , ou dans du bouillon , fi on a de quoi en faire , & on y met un peu de fel. Ce n'eft pas un manger défagréab-le , mais bien des gens font perfuadés que le trop grand ufage en eft nuifible à la fau- te , parce que la lécive lui laifle une qualité corrofive , dont on fe reffent avec le tems. Lorfque le Maïz eft en épi , & en- core verd , quelques-uns le font griller fur le charbon , & il a un très-bon goût. Nos Canadiens le nomment Bled groulé. Il y en a une efpéce particulière , qui s'ouvre , dès qu'il a fenti le feu , on l'appelle Bled fleuri , & il eft fort délicat. C'eft de quoi on régale ordinairement les Etrangers. On le porte en quelques endroits chez les Perfonnes de confidération , qui arrivent dans un Village , à peu près comme on fait en France le préfent de Ville. Enfin c'eft de ce légume , que fe fait la S agami té ., qui eft De la s^ga- la nourriture la plus commune de nos Sauvages. Pour cela mité" on commence par le griller , enfuite on le pile , & on en ôte la paille , puis on en forme une efpéce de bouillie affez infî- Ttij jji JOURNAL HISTORIQUE j 72 u pide , quand on.n'a pas de viande, ou de pruneaux pour en A * relever le goût. On le réduit quelquefois en farine, que Août. |»Qn appglJe ici Farine froide , & c'eft une des plus commodes & des meilleures provifions , qu'on puiffe faire pour les voya- ges. Les Gens de pied ne fçaui oient même en porter d'autres. On fait auffi bouillir le Maïz dans fon épi , lorfqu'il eft. en- core tendre, puis on le grille un peu , on legraine , & on le laine ficher au Soleil , on le garde lontems , & la Sagamité ,' qu'on en fait , a un très-bon goût. Le détail de ces mets vous fera comprendre , Madame , que les Sauvages ne font point délicats dans leur manger : nous trouverions même qu'ils ont le goût fort dépravé , s'il étoit poffible de fixer le goût. Ils aiment la graiffe , & elle do- mine dans tous leurs apprêts , quand ils peuvent en avoir : quelques livres de Chandeles dans une Chaudière de Saga- mité, la leur font trouver excellente: ils y mettent même quelquefois des chofes , qu'on ne peut dire ," & contre les- quelles ils font furpris de nous voir nous révolter. Les Nations Méridionnales n'avoient pour toute batterie de Cuifine , que des VaifTeaux de terre cuite. Dans le Nord on fe fervoit de Chaudières de bois , & on y faifoit bouillir l'eau , en y jettant des cailloux rougis au feu. Nos Marmites de fer ont paru aux uns & aux autres plus commodes que tout cela, & c'eft la Marchandife , dont on eft plus afîuré d'avoir le débit , quand on trafique avec eux. Dans les Nations Oc- cidentales la Folle Avoine prend la place du Maïz : elle eft bien aufîî faine , & fi elle eft moins nourriffante , la ChafTe du Bœuf, qui eft abondante dans ces Quartiers - là , y fupplée. DekTrip- Parmi les Sauvages errans , & qui ne cultivent point du pe de Roche. tout ja Terre , lorfque la ChafTe & la Pêche leur manquent , pourn' leur unique reffource eft une efpéce de MoufTe , qui croît fur certains Rochers , & que nos François ont nommée Trippe de Roches : rien n'eft plus infipide que ce mets , lequel n'a pas même beaucoup de fubftance ; c'eft bien là être réduit au pur nécefîaire pour ne pas mourir de faim. J'ai encore plus de peine à comprendre , ce qui m'a pourtant été attefté par des Perfonnes dignes de foi , que des Sauvages mangent par dé- lices une efpéce de Maïz , qu'on laifTe pourrir dans une eau donnante , comme nous fanons le Chanvre , & qu'on en re- D'UNVOYAGEDE L'AMERIQ. Let. XXIII. 333 tire tout noir & puant. On ajoute même que ceux , qui — ■ ont pris goût à un mets aufîi étrange que celui-là , ne veulent rien perdre de l'eau , ou plutôt de la fange , qui en découle , Août. & dont l'odeur feule feroit capable de faire bondir le cœur à tout autre. C'efl apparemment la nëcefîiré , qui a fait décou- vrir ce fecret , & fi elle n'en fait pas encore tout l'affaifonne- ment , rien ne prouve mieux qu'on ne doit point difputer des goûts. Les Femmes Sauvages font du Pain de Maïz , & quoique n „ . . ce ne loit qu une malie de pâte mal petne , lans levain , oc Maïz. cuite fous la cendre , ces Peuples le trouvent très-bon , & en régalent leurs Amis ; mais il le faut manger chaud; il ne fe conferve point, quand il efl froid. Quelquefois on y mêle des Fèves , divers fruits , de l'Huile &: de la Graifle , il faut de bons eftomachs pour digérer de tels falmigondis. Les Tournefols ne fervent aux Sauvages , qu'à leur donner Differens Lé- une huile , dont ils fe frottent : ils la tirent plus communément gum« , & de la graine, que de la racine de cette Plante. Cette racine leurs ufaSes- eft un peu différente de ce que nous appelions en France To- pinambours s ou Pommes de Terre. Les Patates , fi communes dans les Iiles& dans le Continent de l'Amérique Méridionna- le , ont été femées avec fuccès dans la Louyfiane. L'ufage con- tinuel , que faifoient toutes les Nations du Canada d'une ef- péce de Petun , qui croît partout dans ce Pays , a fait dire à quelques Voyageurs qu'ils en avaloient la fumée, & qu'elle les nourrifîbit ; mais cela ne s'efl point trouvé vrai , & n'étoit fondé que fur ce qu'on les a fouvent vu refter fort lontems fans manger. Depuis qu'ils ont goûté de notre Tabac , ils ne peuvent prefque plus fouffrir leur Petun , & il eft fort aifé de les contenter fur cela , car le Tabac vient fort bien ici , & l'on prétend même qu'en choififfant bien les terreins , on en auroit d'excellent. Les petits ouvrages des Femmes , & ce qui les occupe or- ouvragesdes dinairerhent dans les Cabannes , font de faire du Fil des pelli- Femmes. cules intérieures de l'écorce d'un Arbre , qu'on appelle le Bois Blanc } & elles le travaillent à peu près , comme on fait parmi nous celui de Chanvre. Ce font encore les Femmes , qui font les teintures : elles travaillent auffi à pluîieurs ouvrages d'é- corce , où elles font de petites figures avec du poil de Porc- Epi ; elles font de petites TaiTes , ou autres Uflencilles de ^ 334 JOURNAL HISTORIQUE i 7 2 i. bois , elles peignent & brodent des Peaux de Chevreuils , Août e^es tr'cotent ^es ceintures & des jarretières avec de la Laine de Bœuf. nOZS dCS Pour les Hommes > iIs t™1 gloire de leur oifiveté , & oaf- fent en effet plus de la moitié de la vie fans rien faire , perfua- dés que le travail journalier dégrade l'Homme , & n'eft d'o- bligation que pour les Femmes. L'Homme , difent-ils , n'eft que pour la Guerre , la Chaffe, & la Pêche. C'eft cepen- dant à eux à faire tout ce qui eft néceffaire pour ces trois exercices : ainfi les Armes , les Filets , & tout l'Equipage des Chaffeurs & des Pêcheurs les regardent principalement , auffi- bien que les Canots , & leurs Agrets , les Raquettes , la bâ- tiffe & la réparation des Cabannes , mais ils fe font fouvent aider par les Femmes. Les Chrétiens s'occupent un peu da- vantage , mais ils ne travaillent que par efprit de pénitence. Leurs du- Ces Peuples , avant que nous leur ayions donné des Ha- ches , & nos autres Outils , étoient fort embarraffés pour couper leurs Arbres , & pour les mettre en œuvre. Ils les brû- laient par les pieds , & pour les fendre & les couper, ils fe fervoient de haches faites avec des Cailloux , qui ne caffoient Î)oint , mais qu'ils mettoient un terris infini à aiguifer. Pour es emmancher , ils coupoient la tête d'un jeune Arbre , & comme s'ils euffent voulu le greffer , ils y faifoient une entail- ' lure, dans laquelle ils inferoient la tête de la hache. Au bout de quelque tems l'Arbre , en fe refermant , tenoit la hache fi ferrée , qu'elle ne pouvoit plus fortir : alors ils coupoient l'Ar- bre de la longueur , dont ils vouloient avoir le manche. Forme des Les Villages n'ont point ordinairement de figure régulière : Villages, la plupart de nos anciennes Relations nous les repréfentent de figure ronde , & peut-être leurs Auteurs n'en avoient-ils vu que de cette forte. Du refte imaginez- vous , Madame , un amas de Cabannes fans ordre & fans alignement : les unes comme des Hangarts , les autres comme des Tonnelles , bâ- ties d'écorces , foûtenues de quelques pieux , quelquefois re- vêtues en dehors d'un bouzillage de terre affez grofiier; en un mot conftruites avec moins d'art , de propreté , & de fo- lidité , que celles des Caftors. Ces Cabannes ont quinze ou vint pieds de large , & quelquefois cent de long. Alors elles ont plufieurs Feux , car un Feu n'occupe que trente pieds. Quand le Rez de Chauffée ne fuffit pas pour coucher tout D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let.XXIII^S le monde , les jeunes Gens ont leurs Lits fur une efpece d'Ef- "■" trade , élevée de cinq ou fix pieds , qui règne tout le long de ' la Cabanne ; les Meubles & les Provifions font au-defius , Août. pofés fur des pièces de Bois nnfes en traverfe fous le Toit. Pour l'ordinaire il y a devant l'entrée une manière de Vefli- bule , où les jeunes Gens dorment pendant l'Eté , & qui fert de Bûcher pendant l'Hyver. Les Portes ne font que des écor- ces fufpenduës , comme des Stores , & jamais elles ne ferment bien. Ces Cabannes n'ont , ni Cheminées , ni Fenêtres , mais on laiffe au milieu du Toit une ouverture , par où la fumée fort en partie , & qu'on eft obligé de boucher quand il pleut , ou quand il neige ; alors il faut éteindre le feu , fi on ne veut pas être aveuglé par la fumée. Les Sauvages fe fortifient mieux , qu'ils ne fe logent ; on Leur manière voit des Villages allez bien paliffadés avec des Redoutes , où de fe fomfier- l'on a toujours foin de faire de bonnes provifions d'Eau & de Pierres. Ces Paliffadés font même doubles , & quelquefois triples , & ont ordinairement des Crénaux à la dernière en- ceinte. Les Pieux , dont elles font compofées , font entrelaf- fés de Branches d'Arbres , qui ne laiffent aucun vuide. Il ne falloit rien de plus pour foûtenir un allez long Siège , lorfque ces Peuples ignoroient l'ufage des Armes à feu. Chaque Vil- lage a une allez grande Place , mais il eft rare qu'elles foient régulières. Autrefois les Iroquois bâtifîbient leurs Cabannes beaucoup mieux que les autres Nations , & qu'ils ne font eux - mêmes aujourd'hui ; on y voyoit des Figures en relief, mais le tra- vail en étoit fort grofîier ; depuis qu'en diverfes Expéditions on a brûlé prefque toutes leurs Bourgades , ils ne fe font pas donné la peine de les rétablir dans leur premier état. Cepen- dant fi ces Peuples font fi peu curieux de fe procurer les com- modités de la vie dans les Lieux de leur réfidence ordinaire, que peut-on penfer de leurs Campemens dans leurs Voyages, & dans leurs Hyvernemens. Un ancien Millionnaire (a)9 qui pour fe mettre dans la neceilité d'apprendre la Langue des Montagnais , les voulut fuivre dans une Chaffe pendant l'Hy- ver , nous en a fait une Defcription , que je vais vous transcri- re prefque mot à mot. Ces Sauvages habitent un Pays extrêmement rude & in- DeieursHy- («JLe Père Paui.h Jeune. mnemens. 336 J OURNAL HISTORIQUE — culte , mais il ne l'eft pas encore autant que celui , qu'ils choi- 1 7 2 l' fiflent pour leurs Chattes. Il faut marcher lontems pour y Août, arriver , & porter fur fon dos tout ce dont on peut avoir befoin pendant cinq ou fix mois, par des Chemms quelque- fois fi affreux , que l'on ne comprend pas comment les Bêtes Fauves peuvent y pafler ; fi on n'a voit pas la précaution de fe fournir d'Ecorces d'Arbres , on ne trouveroit pas de quoi fe mettre à couvert de la Pluye & de la Neige pendant le Che- min. Dès qu'on eft parvenu au terme, on s'accommode un peu mieux , mais ce mieux ne confifte , qu'en ce qu'on n'y eft pas fans ceffe expofé à toutes les injures de l'air. Tout le monde y travaille , & les MifTionnaires , qui dans ces commencemens n'avoient perfonne pour les fervir , & pour qui les Sauvages n'avoient aucune confidération , n'é- toient pas plus épargnés que les autres , on ne leur donnoit pas même de Cabanne feparée , & il falloit qu'ils fe logeaf- fent dans la première , où Ton vouloit bien les recevoir. Ces Cabannes , parmi la plupart des Nations Algonquines , font à peu près de la figure de nOs Glacières rondes , & terminées en Cône : elles n'ont point d'autres foûtiens , que des Perches plantées dans la Neige , attachées enfemble par les extrémités, & couvertes d'Ecorces aflez mal jointes , & mal attachées : aufîi le vent y entre-t-il de toutes parts. Leur fabrique eft l'ouvrage d'une demie heure au plus , des Branches de Sapin y tiennent lieu de Nattes , & on n'y a point d'autres Lits. Ce qu'il y a de commode , c'eft qu'on peut les changer tous les jours : les Neiges ramalfées tout au- tour forment une efpece de Parapet , qui a fon utilité , les vents n'y pénètrent point , c'eft le long & à l'abri de ce Para- pet , qu'on dort auflï tranquillement fur ces Branchages , cou- verts d'une méchante Peau , que dans le meilleur Lit ; il en coûte à la vérité aux Miffionnaires pour s'y accoutumer , mais la fatigue & la néceflité les y réduifent bientôt. Il nen eft pas tout-à-fait de même de la fumée , qui prefque toujours remplit tellement le haut de la Cabanne , qu'on ne peut y être de bout , fans avoir la tête dans une efpece de tourbillon. Ce- la ne fait aucune peine aux Sauvages , habitués dès l'enfance à être affis à terre , ou couchés tout le tems qu'ils font dans leurs Cabannes ; mais c'eft un grand fupplice pour les Fran- çois , à qui cette ina&ion ne convient pas. D'ailleurs 2 D'U N V O YA G E D E L'A M E R I Q. Let. XXIII. 3 37 D'ailleurs le vent , qui entre , comme je l'ai remarqué , par tous les côtés , y foufïle un froid , qui tranfït d'une part , tan- î ? dis qu'on étouffe , & qu'on eft grillé de l'autre. Souvent on ne Août. fe voit point à deux ou trois pieds , on perd les yeux à force de pleurer , & il y a des tems , où , pour refpirer un peu , il faut fe tenir couché fur le ventre , Se avoir prefque la bouche collée contre la terre : le plus court feroit de fortir dehors , mais la plupart du tems on ne le peut pas ; tantôt à caufe d'u- ne Neige û épaiffe , qu'elle obfcurcit le jour , & tantôt parce qu'il foufïle un vent fec , qui coupe le Vifage , & fait éclater les Arbres dans les Forêts. Cependant un Miffionnaire eft obligé de dire fon Office , de célébrer la Mette , 6c de s'acqui- ter de toutes les autres fondions de fon Miniftere. A toutes ces incommodités il en faut ajouter une autre , qui d'abord vous paroîtra peu de chofe , mais qui eft réelle- ment très-confidérable ; c'eft la perfécution des Chiens. Les Sauvages en ont toujours un fort grand nombre , qui les fui- vent partout , & leur font très-attachés ; peu careflans , par- ce qu'on ne les careffe jamais , mais hardis & habiles Chaf- feurs : j'ai déjà dit qu'on les dreffe de bonne heure pour les différentes Chattes , aufquelles on veut les appliquer ; j'ajoute qu'il faut en avoir beaucoup pour chacune , parce qu'il en périt un grand nombre par les dents & par les cornes des Bê- tes fauves , qu'ils attaquent avec un courage , que rien ne re- bute. Le foin de les nourrir occupe très - peu leurs Maîtres , ils vivent de ce qu'ils peuvent attraper , & cela ne va pas bien loin , auffi font-ils toujours fort maigres , d'ailleurs ils ont peu de poil , ce qui les rend fort fenfibles au froid. Pour s'en garantir , s'ils ne peuvent approcher du feu , où il efl: difficile qu'ils puiffent tenir tous , quand même il n'y auroit perfonne dans la Cabanne , ils vont fe coucher fur les pre- miers qu'ils rencontrent , & fouvent on fe réveille la nuit en furfaut , prefque étouffé par deux ou trois Chiens. S'ils étoient un peu plus diferets , & fe plaçoient mieux , leur compagnie ne feroit pas trop fâcheufe , on s'en accommoderoit même affez , mais ils fe placent où ils peuvent ; on a beau les chaf- fer , ils reviennent d'abord. C'eft bien pis encore le jour ; dès qu'il paroît quelque chofe à manger , il faut voir les mouve- mens , qu'ils fe donnent pour en avoir leur part. Un pauvre Miffionnaire eft à demi couché auprès du feu pour dire fon Tome III, V u 338 JOURNAL HISTORIQUE Bréviaire , ou pour lire un Livre , en luttant de fon mieux 1 7 2 *• contre la fumée , &: il faut qu'il efïuye encore l'importunité Août, d'une douzaine de Chiens , qui ne font que pafler & reparler futr lui , en courant après un morceau de viande , qu'ils ont apperçû. S'il a befoin d'un peu de repos , à peine trouvera-t-il un petit recoin , où il foit à l'abri de cette vexation. Si on lui apporte à manger , les Chiens ont plutôt mis le mufeau dans fon Plat , qu'il n'y a porté la main ; & fouvent , tandis qu'il eft occupé à défendre fa Portion contre ceux , qui l'attaquent de front , il en vient un par derrière , qui lui en enlevé la moitié , ou qui en le heurtant , lui fait tomber le Plat des mains , & répandre fa Sagamité dans les cendres. AfTez fouvent les maux , dont je viens de parler , font effa- cés par un plus grand , & au prix duquel tous les autres ne font rien ; c'en: la faim. Les Provifions , qu'on a apportées , ne durent pas lontems , on a compté fur la ChafTe , & elle ne donne pas toujours. Il eft vrai que les Sauvages fçavent en- durer la faim avec autant de patience , qu'ils apportent peu de précautions pour s'en garantir ; mais ils fe trouvent quel- quefois réduits à une fi grande extrémité , qu'ils y fuccom- bent. Le MifTionnaire , de qui j'ai tiré ce détail , fut obligé dans fon premier Hyvernement , de manger des peaux d'An- guilles & d'Elans , dont il avoit rapetafféfafoutanne ; après quoi il lui fallut fe nourrir des jeunes branches, & des plus tendres Ecorces des Arbres. Il foûtint néanmoins cette épreu- ve 3 fans que fa fanté en fût altérée , mais tous n'en ont pas eu la force. Malpropreté La feule malpropreté des Cabannes , & l'infe£tion , qui en dessauvages. eft une fuite nécefTaire , font pour tout autre qu'un Sauvage un vrai fupplice ; il eft ailé de juger jufqu'où l'une & l'autre doivent aller parmi des Gens , qui ne changent de Hardes y que quand les leuis tombent par lambeaux , & qui n'ont nul foin de les nettoyer. L'Eté ils fe baignent tous les jours , mais ils fe frottent aufïi - tôt d'Huile , ou de Graiffe d'une odeur forte. L'Hy ver ils demeurent dans leur crâne , & dans tous les tems on ne peut entrer dans leurs Cabannes , qu'on ne foit empefté. Non feulement tout ce qu'ils mangent eft fans apprêt , & ordinairement fort infipide , mais il régne dans leurs Repas une malpropreté , qui parle tout ce qu'on en peut dire : ce D'UN VOYAGEDELA.MERIQ.Let. XXIII. 339 que j'en ai vu , & ce qu'on m'en a raconté , vous feroit hor- î7 2 I# ' reur. Il y a bien peu d'Animaux , qui ne mangent plus propre- . * ment , & quand on a vu ce qui fe paffe en cela parmi ces Peu- Aout* pies , on ne fçauroit plus douter , que l'imagination n'ait beaucoup de part à nos répugnances , que bien des Mets , qui nuifent réellement à notre fanté , ne produifent cet effet par la force même de ces répugnances , & par le peu de courage , que nous avons à les furmonter. Il faut néanmoins convenir que les chofes ont un peu chan- gé fur tous ces points , depuis notre arrivée en ce Pays ; j'en ai même vu chercher à fe procurer des commodités , dont ils auront peut-être bientôt de la peine à fe paffer. Quelques- uns commencent aum* à prendre un peu plus leurs précau- tions pour ne pas fe trouver au dépourvu , quand la Chaffe leur manquera ; & parmi ceux , qui font domiciliés dans la Colonie , il y a bien peu à ajouter pour les faire arriver au point d'avoir un néceffaire raifonnable. Mais qu'il eft à craindre que , quand ils en feront là , ils n'aillent bientôt plus loin , & ne donnent dans un fuperflu , qui les rende plus malheureux encore, qu'ils ne fontpréfentement dans le fein de la plus grande indigence ? Ce ne fera pas au moins les Millionnaires , qui les expofe- ront à ce danger ; perfuadés qu'il eft moralement impoffible de bien prendre ce jufte milieu , & de s'y borner , ils ont beaucoup mieux aimé partager avec ces Peuples ce qu'il y a de pénible dans leur manière de vivre , que de leur ouvrir les yeux fur les moyens d'y trouver des adouciffemens. Aufli ceux mêmes , qui font tous les jours témoins de leurs fouf- tirances , ont-ils encore bien de la peine à comprendre com- ment ils y peuvent réfifter , d'autant plus qu'elles font fans relâche , & que toutes les Saifons ont leurs incommodités particulières. Comme les Villages font toujours fîtués , ou auprès des Bois , ou fur le bord de l'Eau , & fouvent entre les deux , dès dites" de S que l'Air commence à s'échauffer , les Maringouins , & une des sauvages. quantité prodigieufe d'autres Moucherons excitent une per- fécution beaucoup plus vive encore , que celle de la fumée , qu'on eft même fouvent obligé d'appeller à fon fecours ; car il n'y a prefque point d'autre remède contre les piqûres de ees petits Inieftes , qui vous mettent tout le Corps en feu , V uij 340 JOURNAL HISTORIQUE T & ne vous permettent pas de dormir en repos. Ajoutez à cela 1 7 V* les Marches fouvent forcées , & toujours très -rudes , qu'il A°ut' faut faire à la fuite de ces Barbares, tantôt dans l'eau jufqu a la ceinture , & tantôt dans la fange jufqu aux genoux ; dans les Bois, au travers des ronces & des épines, avec danger d'en être aveuglé ; dans les Campagnes , où rien ne garantit d'un Soleil aufli ardent en Eté , que le vent eft piquant pendant l'Hyver. Si l'on voyage en Canot , la pofture gênante , où il faut s'y tenir , & l'appréhenfion , que caufe dans les commencemens l'extrême fragilité de cette Voiture ; l'ina£tion , où l'on eft , & qu'il eft impoffible d'éviter ; la lenteur de la marche , que la moindre pluye , ou un vent un peu trop fort retarde ; le peu de focieté , qu'on peut avoir avec des Gens , qui ne fça- vent rien , qui ne parlent jamais , quand ils font occupés , qui vous infeftent par leur mauvaife odeur , & qui vous rem- pliffent de faletés & de vermine : les caprices & les manières brufques , qu'il en faut effuyer ; les avanies , aufquelles on eft expofé de la part d'un Yvrogne , ou d'un Homme , que quelque accident inopiné , un fonge , un fouvenir fâcheux , font entrer en mauvaife humeur ; la cupidité , qui naît aifé- ment dans le cœur de ces Barbares , à la vûë d'un objet ca- pable de les tenter , & qui a coûté la vie à plus d'un Miffion- naire : & fi la Guerre eft déclarée entre les Nations , parmi lefquelles on fe trouve , le danger , que l'on court fans ceffe , ou de fe voir tout-à-coup réduit à la plus dure fervitude , ou de périr dans les plus affreux tourmens. Voilà , Madame , la vie, qu'ont menée furtout les premiers Millionnaires : ft depuis quelque tems elle a été moins rude à certains égards , il y a pour les Ouvriers de l'Evangile d'autres peines intérieures , & par conféquent plus fenfibles , qui bien loin de diminuer avec le tems , croiffent à mefure que la Colonie augmente , & que les Naturels du Pays ont plus de communication avec toutes fortes de Perfonnes. Enfin , pour vous tracer en racourci le Portrait de ces Peu- Portraîten pies : avec un extérieur fauvage , des manières & des ufages , racourci des qUi fe fentent tout-à-fait de la barbarie ; on remarque en eux sauvages. ung focjet£ exempte de prefque tous les défauts , qui altèrent ft fouvent la douceur de la nôtre. Ils paroiffent fans pafîion , mais ils font de fang-froid , & quelquefois par principe , ce que la paffion la plus violente &: la plus effrénée peut infpirer I72 D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let. XXIII. 341 à ceux, qui n'écoutent plus la raifon. Ils femblent mener la vie du monde la plus miférable , & ils étoient peut-être les feuls heureux fur la Terre, avant que la connoiflance des objets , Août, qui nous remuent & nous féduifent, eût réveillé en eux une cu- pidité , que l'ignorance retenoit dans l'afîbupiflement , & qui n'a pourtant pas encore fait de grands ravages parmi eux. On apperçoit en eux un mélange des mœurs les plus fé- roces & les plus douces , des défauts de Bêtes carnacieres , & des vertus & des qualités de cœur & d'efprit , qui font le plus d'honneur à l'Humanité. On croiroit d'abord qu'ils n'ont au- cune forme de gouvernement , qu'ils ne connoiflent ni loix 5 ni fubordination , & que vivant dans une indépendance en- tière , ils fe laiffent uniquement conduire au hafard & au ca- price le plus indompté ; cependant ils jouiflent de prefque tous les avantages , qu'une autorité bien réglée peut procurer aux Nations les plus policées. Nés libres & indépendans , ils ont -en horreur jufqu a l'ombre du pouvoir defpotique , mais ils s'écartent rarement de certains principes & de certains ufa- ges , fondés fur le bon fens , qui leur tiennent lieu de Loix , &: qui fuppléent en quelque façon à l'autorité légitime. Toute contrainte les révolte , mais la raifon toute feule les retient dans une efpéce de fubordination , qui pour être volontaire , n'en atteint pas moins au but , qu'ils fe font propofé. Un Homme , qu'ils eftimeroient beaucoup , les trouveroit aflez dociles , & leur feroit faire à peu près tout ce qu'il vou- droit ; mais il n'eft pas aifé d'avoir leur eftime à ce point. Ils ne la donnent qu'au mérite , & à un mérite fupérieur , dont ils font aufli bons Juges , que ceux , qui parmi nous fe pic- quent le plus de l'être. Ils fe prennent furtout par la phyfiono- mie , & il n'eft peut-être pas d'Hommes au Monde , qui s'y connoiflent mieux : c'eft qu'ils n'ont pour qui que ce foit nul de ces égards, qui nous féduifent, & que n'étudiant que la nature , ils la connoiflent. bien. Comme ils ne font point EC- claves de l'ambition & de l'intérêt , & qu'il n'y a guéres que ces deux parlions , qui ayent arToibli dans nous ce fentiment de l'humanité , que l'Auteur de la Nature avoit gravé dans nos cœurs , l'inégalité des conditions ne leur eft pas néceflaire pour le maintien de la fociété. Ainfi , Madame , on ne voit point ici , ou du moins on rencontre rarement de ces efprits hautains , qui pleins de leur 342 JOURNAL HISTORIQUE grandeur , ou de leur mérite , s'imaginent prefque qu'ils font 1 ^ z I* une Efpéce à part, dédaignent le refte des Hommes, dont Août. par conféquent ils n'ont jamais la confiance & l'amour ; ne connoiffent point leurs femblables , parce que la jalouse , qui règne entre les Grands , ne leur permet pas de fe voir d'afîez près ; ne fe connoiffent pas eux-mêmes , parce qu'ils ne s'étu- dient jamais, & qu'ils fe flattent toujours ; ne font pas réfle- xion que pour avoir entrée dans le cœur des Hommes , il faut en quelque façon s'égaler à eux ; de forte qu'avec cette pré- tendue Supériorité de lumières , qu'ils regardent comme une propriété effencielle du rang éminent , qu'ils occupent, la plupart croupiffent dans une fuperbe & irrémédiable ignorance de ce qu'il leur importe le plus de fçavoir , & ne jouiflent jamais des véritables douceurs de la vie. Dans ce Pays tous les Hommes fe croyent également Hommes , & dans l'Homme ce qu'ils efliment le plus , c'eft l'Homme. Nulle diftin&ion de nailîance ; nulle prérogative attribuée au rang,- qui préjudicie au droit des Particuliers ; point de prééminence attachée au mérite , qui infpire l'orgueil , & qui fane trop fentir aux autres leur infériorité. Il y a peut-être moins de dé- licateffe dans les fentimens , que parmi nous , mais plus de droiture , moins de façons , & de ce qui peut les rendre équi- voques ; moins de ces retours fur foi-même. La feule Religion peut perfectionner ce que ces Peuples ont de bon , & corriger ce qu'ils ont de mauvais : cela ne leur eft point particulier , mais ce qu'ils ont de propre , c'eft. qu'ils y apportent moins d'obftacles , quand ils ont commen- cé à croire , ce qui ne peut être que l'ouvrage d'une grâce fpé- ciale. Il en: encore vrai que pour bien établir l'empire de la Religion fur eux , il faudroit qu'ils la viffent pratiquer dans toute fa pureté , par ceux , qui la profeffent : ils font très- fufceptibles du fcandale , que donnent les mauvais Chrétiens , comme le font tous ceux , qui font inftruits pour la première fois des principes de la Morale évangélique. Vous me demanderez , Madame , s'ils ont une Religion ? A cela je réponds qu'on ne peut pas dire qu'ils n'en ont point , mais qu'il eft affez difficile de définir celle qu'ils ont. Je vous entretiendrai plus au long fur cet article au premier loifîr que j'aurai ; car quoique je ne fois pas ici extrêmement oc- cupé , je fuis fi fouvent interrompu , qu'à peine puis-je rç- DUNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let.XXIV. 343 pondre de deux heures par jour , où je fois entièrement à 2 ~ moi. Cette Lettre, aufli bien que la plupart de celles, qui A Font précédée , vous fera allez connaître que je n'écris pas Août, de fuite. Je me contente préfentement de vous ajouter , pour achever le portrait des Sauvages , que jufques dans leurs dé- marches les plus indifférentes , on apperçoit des traces de la Religion primitive , mais qui échapent à ceux , qui ne les étu- dient pas affez , par la raifon qu'elles font encore plus effacées par le défaut d'inftruction , qu'altérées par le mélange d'un culte fuperflitieux , & par des traditions fab;uleufes. Je fuis , &c. VINT -QUATRIEME LETTRE. Des Traditions y & de la Religion Ms Sauvages du Canada. Au Fort de la Rivière de S. Jofeph, ce huit Septembre, 1 721 ; M ADAME 2 Cette Lettre fera bien longue , s'il ne me furvient pas - quelqu'empêchement imprévu , qui m'oblige de remettre à l 7 une autre occafion à vous entretenir de ce que j'ai pu recueil- Septem- lir touchant la Croyance , les Traditions & la Religion de bre. nos Sauvages. Rien n'eft plus certain , mais rien n'eft en même-tems plus De porîgi- obfcur que l'idée , que les Sauvages de ce Continent ont d'un ne des Hom- Premier Etre. Tous s'accordent en général à le regarder 3^^,°" k9 comme le premier Efprit, le Maître & le Créateur du Monde, mais quand on les preffe un peu fur cet article, pour fçavoir ce qu'ils entendent par le Premier Efprit , on ne trouve plus que des imaginations bifarres , des fables fi mal conçues , des fyf- ternes fi peu digérés , & fi peu d'uniformité , qu'on nen peut rien dire de fuivi. On prétend que les Sioux approchent beau- coup plus que les autres de ce qu'il faut penler de ce premier Principe , mais le peu de commerce , qu'on a eu jufqu'ici 344 JOURNAL HISTORIQUE avec eux , ne m'a point permis de m'inftruire de leurs Tradi- 1 7 2 * • tjon5 9 autaiït qu'il eût été à défîrer , pour en parler avec quel- Septem- que forte de certitude. bre. Prefque toutes les Nations Algonquines ont donné le nom de Grand Lièvre au premier Efprit , quelques-uns l'appellent Michabou ; d'autres , Atahocan. La plupart difent qu'étant porté fur les Eaux avec toute fa Cour , toute compofée de Quadrupèdes comme lui , il forma la Terre d'un grain de fable , tiré du fond de l'Océan; & les Hommes , des Corps morts des Animaux. Il y en a aum* , qui parlent d'un Dieu des Eaux , lequel s'oppofa au deffein du Grand Lièvre , ou re- fufa du moins de le favorifer. Ce Dieu eft, félon les uns , le Grand Tygre , mais il faut obferver qu'il n'y a point de vrais Tygres en Canada ; ainfî cette tradition pourroit bien venir d'ailleurs. Enfin ils ont un troifîéme Dieu , nommé Matco- mek 3 qu'on invoque pendant l'Hyver , Se dont je n'ai rien appris de particulier. \2Areskoui des Hurons , Se YAgreskoué des Iroquois eft dans l'opinion de ces Peuples le Souverain Etre , 6k le Dieu de la Guerre. Ceux-ci ne donnent point aux Hommes la mê- me origine , que les Algonquins , ils ne remontent pas même jufqu'à la première Création. Ils font paroître d'abord fix Hommes dans le Monde , & quand on leur demande qui les y a placés , ils répondent qu'ils ne le fçavent pas. Ils ajoutent qu'un de ces Hommes monta au Ciel , pour y chercher une Femme , nommée Atahentjîc , avec laquelle il eut commerce , Se qui parut bientôt enceinte : que le Maître du Ciel s'en étant apperçu , la précipita du haut de l'Empirée , & qu'elle fut reçue fur le dos d'une Tortue : qu'elle accoucha enfuite de deux Enfans , dont l'un tua l'autre. Il n'eft plus queftion après cela , ni des cinq autres Hom- mes , ni même du Mari d'Atahentfic , laquelle , félon quel- ques-uns , n'eut qu'une Fille , qui fut Mère de Tahouitfaron & de Jouskeka. Celui-ci , qui étoit l'aîné , tua fon Frère , & peu de tems après fon Ayeule fe déchargea fur lui du foin de gouverner le Monde. Ils difent encore qu'Atahentfic eft la Lune & jouskeka , le Soleil. Il y a , comme vous voyez , Madame > bien peu de fuite dans tout ceci ; car le Soleil eft fouvent pris pour Areskoui , en tant qu'il eft le Grand Génie ; mais y a-t'il moins de contradiction dans la Théologie des Egyptiens D'UN VOYAGE DE L'A ME RI Q. LET.XXlV.345 Egyptiens & des Grecs , qui font les premiers Sages de l'An- 1 7 2 1 . tiquité Païenne ? C'eft qu'il eft de l'eilence du menfonge de Seotem- fe contredire , & de n'avoir aucun principe. k " Les Dieux des Sauvages ont des corps , & vivent à peu près de la même manière que nous; mais fans aucune des qu^LSprits CIA incommodités , aufquelles nous fouîmes fujets. Le terme à'Ef- panni prit ne fignifie chez eux qu'un Etre d'une nature plus excel- lente que les autres. Ils nen ont point pour exprimer ce qui paffe la portée de leur intelligence , extrêmement bornée fur tout ce qui n'eft pas fenfîbie , ou d'un ufage commun. Ils donnent néanmoins à leurs prétendus Efprits une efpéce d'im- menfîté , qui les rend préfens partout , car en quelque lieu , qu'on fe trouve , on les invoque , on leur parle , on fuppofe qu'ils entendent ce qu'on leur dit , & qu'ils agiflent en confé- quence. A toutes les queftions , qu'on fait à ces Barbares , pour' en fçavoir davantage , ils répondent que c'eft là tout ce qu'on leur a appris ; il n'y a même que quelques Vieillards initiés aux Myfteres , qui en fçachent tant. Selon les Iroquois , la Poflérité de Joufqueka ne paiîa point la troifiéme Génération : il furvint un déluge , dont perlonne ne fe fauva , & pour repeupler la Terre , il fallut changer les Bêtes en Hommes. Au refte , Madame , cette notion d'un dé- luge univerfel eft allez répandue parmi les Amériquains ; mais on ne fçauroit guéres douter qu'il n'y en ait eu un autre bien plus récent , qui fut particulier à l'Amérique. Je ne fini- rois point , Ci je voulois m'arrêter à tout ce que les Sauvages débitent fur le compte de leurs principales Divinités , & fur l'origine du Monde ; mais outre le premier Etre , ou le Grand Efprit , & les autres Dieux , qui fe trouvent fouvent confon- dus avec lui , il y a une infinité de Génies , ou d'Efprits fubal- ternes , bons & mauvais , qui ont tous leur culte particulier. Les Iroquois mettent Atahentfic à la tête de Ceux-ci , & Des bons & font Jufqueka le Chef des Premiers ; ils le confondent même 1" . m3uvais quelquefois avec le Dieu , qui chaffa du Ciel fon Ayeule , emes* pour s'être laiffé féduire par un Homme, On ne s'adreife aux mauvais Génies , que pour les prier de ne point faire de mal ; mais on fuppofe que les autres font commis à la garde des Hommes , & que chacun a le fien. Dans la Langue Huron- ne on les nomme Okkis , & dans i'Algonquine Manitous : on a recours à eux dans les périls , où l'on fe trouve , dans Tome IIL X x 72 nie tutélaiie. 346 JOURNAL HISTORIQUE les Entreprifes , que l'on fait , &" quand on veut obtenir quel- que grâce extraordinaire ; il n'eft rien , qu'on ne croye pou- Septem- voir leur demander , quelque déraifonnable, & quelque con- tre, traire même , qu'il foit aux bonnes mœurs. Mais on n'eft pas fous leur protection en naiffant , il faut fçavoir manier l'Arc & la Flèche , pour mériter cette faveur , il faut même bien des préparations pour la recevoir ; c'eft la plus importante affaire de la vie ; en voici les principales circonftances. Difpoficîons On commence par noircir le Viiage de l'Entant , puis on requifes pour \e fait jeûner pendant huit jours , fans lui donner quoi que ce avoir un Gé- r • \ o 1 r 1 1 \ r r /~« / ioit a manger , oc il faut que pendant ce tems-la ion futur Gé- nie tutélaire le manifelte à lui par des Songes. Le cerveau creux d'un pauvre Enfant , qui ne fait que d'entrer dans l'A- dolefcence , ne fçauroit manquer de lui fournir des Rêves , & tous les matins on a grand foin de les lui faire raconter» Souvent néanmoins le Jeûne finit avant le terme marqué , peu d'Enfans ayant la force de le pouffer li loin , mais cela ne Fait pas une difficulté ; on connoît ici , comme partout ail- leurs , l'ufage commode des Diipenfes. Le Génie tutélaire eft. toujours la chofe , à quoi l'Enfant a le plus fouvent rêvé , & dans le vrai cette chofe n'eft que comme un fymbole , ou une figure , fous laquelle l'Efprit fe manifefte ; mais il eft ar- rivé à ces Peuples , comme à tous ceux, qui fe font écartés de la Religion primitive , de s'attacher à la figure , & de perdre de vue la réalité. Cependant ces fymboles ne fignifient rien par eux-mêmes ^ tantôt c'eft une tête d'Oifeau , tantôt le pied d'un Animal , ou un morceau de Bois ; en un mot tout ce qu'il y a de plus commun , & de moins précieux. On les conferve néanmoins avec autant de foin , que les Anciens en apportoient à la con- fervation de leurs Dieux Pénates. Il n'eft même rien dans la Nature , fi on en croit les Sauvages , qui n'ait fon Efprit , mais il y en a de tous les Ordres , & tous n'ont pas la même vertu. Dès qu'ils ne comprennent pas une chofe , ils lui attri- buent un Génie fupérieur , & la manière de s'exprimer alors 9 eft de dire : C eft un Efprit. Il en eft de même à plus forte rai- fon des Hommes , ceux qui ont des talens finguliers , ou qui font des chofes extraordinaires , ce font des Efprits ; c'eft-à- dire , ils ont un Génie tutélaire d'un Ordre plus relevé que le Commun, DUNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let.XXIV. 347 Quelques-uns , & furtout les Jongleurs , tâchent de per- " ' iuader à la Multitude, qu'ils fouffrent des tranfports extati- l711- ques ; cette manie a été dans tous les tems , & parmi tous Septem- les Peuples , & a enfanté toutes les fauffes Religions : la va- bre. nité, fi naturelle aux Hommes , n'a point imaginé de refforts plus efficaces pour maîtrifer les Simples , la Multitude entraî- ne à la fin ceux , qui fe piquent le plus de fageffe. Les Im- pofteurs Amériquains ne doivent rien aux autres fur ce point , & ils fçavent en tirer tout l'avantage , qu'ils prétendent. Les Jongleurs ne manquent jamais de publier que durant leurs prétendues Extafes leurs Génies leur donnent de grandes connoifTances des chofes les plus éloignées , & de l'avenir ; 8c comme le hafard , fi on ne veut pas que le Démon s'en mê- le , les fait quelquefois deviner , ou conjefturer afTez jufte , ils acquièrent par-là un grand crédit ; on les croit des Génies du premier Ordre. Dès qu'on a déclaré à un Enfant ce qu'il doit déformais re- On chan-r» garder comme fon Génie Prote£teur , on Finftruit avec foin JLu,elquef°is re de l'obligation , où il eft de l'honorer , de fuivre les avis , qu'il re"" VpouJl e,n recevra pendant fou fommeil , de mériter fes faveurs , de quoi* mettre en lui toute fa confiance , & de craindre les effets de fon courroux , s'il néglige de s'acquitter de ce qu'il lui doit. La Fête fe termine par un Ferlin , & l'ufage eft auffi de faire piquer fur le corps de l'Enfant , la figure de fon Okki , ou de fon Manitou. Il femble qu'un engagement fi folemnel , & dont la marque ne peut jamais être effacée , doive être invio- lable , il faut néanmoins bien peu de chofes pour le rompre. Les Sauvages ne conviennent pas volontiers qu'ils ont tort, même avec leurs Dieux , & ne font nulle difficulté de fe jus- tifier à leurs dépens : ainfi à la première occafion de fe con- damner foi-même, ou de jetter la faute fur fon Génie tutélaire, c'eft toujours fur celui-ci , qu'on la jette ; on en cherche un autre fans façon , 6k cela fe fait avec les mêmes précautions , que la première fois. Les Femmes ont auffi leurs Manitous , ou leurs ÛKkis , mais elles n'y font pas autant d'attention , que les Hommes , peut-être parce qu'elles leur donnent moins d'occupation. On fait à tous ces Efprits différentes fortes d'Offrandes , Sacrifices d* qu'on appellera , fi Ton veut , des Sacrifices. On jette dans les Sauvages. Rivières & dans les Lacs du Petun , du Tabac , ou des Oi- Xxij 7* 348 JOURNAL HISTQRIQUE féaux , qu'on a égorgés , pour fe rendre propice le Dieu des Eaux. En l'honneur du Soleil , & quelquefois même des E£ Septem- prjts fubalternes, on met dans le feu de toutes les chofes,dont t>re. on fait ufage , & qu'on reconnoît tenir d'eux. C'eft quelque- fois par reconnoifiance , mais plus fouvent par intérêt ; la re- connoiffance même eft intéreffée , car ces Peuples ne con- noiffent point les fentimens du cœur envers leurs Divinités. On remarque auffi en quelques occafions des efpeces de Li- bations , & tout cela eft accompagné d'Invocations en termes Myftérieux , que les Sauvages n'ont jamais pu expliquer aux Européens ; foit que dans le fond ils ne fignifient rien , foit que le fens n'en ait pas été tranfmis par la Tradition avec les paroles ; peut-être auffi nous en font-ils Myftere. On voit encore des Colliers de Porcelaine , du Tabac , des Epis de Maïz , des Peaux , & âes Animaux tous entiers , fur- tout des Chiens , fur les bords des Chemins difficiles , ou dan- gereux , fur des Rochers , ou à côté des Rapides ; & ce font autant d'Offrandes, qu'on a faites aux Efprits,qui prérident en- ces Lieux ; j'ai dit que le Chien eft la Vi&ime la plus ordi- naire , qu'on leur immole ; on les ftifpend quelquefois tout vivans à un Arbre par les Pattes de derrière , & on les y laifîe mourir enragés. Le Feftin de Guerre , qui fe fait toujours de Chiens , peut bien auffi paffer pour un Sacrifice. Enfin on rend à peu près les mêmes honneurs aux Efprits malfaifans , qu'à ceux ,qui paffent pour propices5quand on a quelque cho* fe à craindre de leur malice. OesJeûnes. Ainft , Madame, parmi ces Peuples , qu'on a prétendu n'avoir aucune idée de Religion , ni de Divinité , prefque tout paroît l'objet d'un Culte Religieux , ou du moins y avoir ?uelque rapport. Quelques - uns fe font imaginé que leurs eûnes n'avoient point d'autre but , que de les accoutumer à fupporter la faim , & je conviens que ce motif y pourroit bien entrer pour quelque chofe ; mais toutes les circonftances , dont ils font accompagnés , ne biffent aucun lieu de douter que la Religion n'y ait la principale part ; ny eût-il que cette attention , dont j'ai parlé , à obferver les fonges pendant ce tems-là ; car il eft certain que ces fonges font regardés com- me de véritables oracles , & des avertiffeniens du Ciel. Des Vœux. H eft encore moins douteux que les vœux font parmi ces Peuples de purs a&es de Religion , & l'ufage en eft abfolu- D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let.XXIV. 349 ment le même, que parmi nous. Par exemple , lorfqu'ils fe — — voyent fans vivres , comme il arrive fouvent dans les voya- 1 7 2 ï ' ges & pendant les ChafTes , ils promettent à leurs Génies de Septem- donner en leur honneur une portion de la première Bête , bre. qu'ils tueront , à un de leurs Chefs , & de ne point manger , qu'ils ne fe foient acquittés de leur promette. Si la chofe. de- vient impoffible , parce que le Chef eft trop éloigné, ils brû- lent ce qui lui étoit deftiné , & en font une efpéce de fa- crifice. Autrefois les Sauvages voifins de l'Acadie avoient dans leur Pays fur le bord de la Mer un Arbre extrêmement vieux 9 dont ils raeontoient bien des merveilles , & qu'on voyoit tou- jours chargé d'offrandes. La Mer ayant découvert toute fa ra- cine , il fe foûtint encore lontems prefqu'en l'air contre la violence des vents Se des flots , ce qui confirma ces Sauvages dans la penfée qu'il étoit le liège de quelque grand Efprit : fa chute ne fut pas même capable de les détromper , & tant qu'il en parut quelque bout de branches hors de l'eau , on lui rendit les mêmes honneurs , qu'avoit reçus tout l'Arbre , lorfqu'il étoit fur pied. La plupart des feftins , des danfes & des chanfons me pa- Rapports des roiffent avoir auffi leur origine dans la Religion, & en con- fauJ?rhes avec ferver encore diverfes traces ; mais il faut avoir de bons w e 1CUX* yeux , ou plutôt une imagination bien vive pour y apperce- voir tout ce que certains Voyageurs prétendent y avoir dé- couvert. J'en ai rencontré , qui ne pouvant s oter de l'efprit que nos Sauvages font defeendus des Hébreux , trouvoient partout des rapports entre ces Barbares & le Peuple de Dieu, 11 y en a véritablement quelques-uns , comme de ne point fe fervir de couteaux dans de certains repas , & de ne point bri- fer les Os des Bêtes , qu'on y mange ; telle eft encore la ré- paration des Femmes dans le tems de leurs infirmités ordinai- res ; on leur a même , dit-on , entendu , ou cru entendre pro- noncer le mot Alleluya dans quelques-unes de leurs chanfons : mais à qui perfuadera-t'on ,que quand ils fe percent les oreilles & les narines, ils le font en vertu de la loi de la Cireoncifion ? D'ailleurs ne fçait-on pas que l'ufage de la Cireoncifion eft plus' ancien que la loi , qui en fut faite pour Abraham & pour fa Poftérité ? Le feftin ,qui fe fait au retour de la ChafTe , & donc il ne faut rien biffer 3 a encore été pris pour un efpéce d'hcla- 3JO JOURNAL HISTORIQUE caufte , ou pour un refte de la Pàque des Ifraëlites , d'autant ' * plus , dit-on , que quand quelqu'un ne fçauroit venir à bout Septem- de fa portion , il peut fe faire aider par fes voifins , comme il bre. fe pratiquoit parmi ie Peuple de Dieu , quand une Famille ne fumfoit pas pour manger l'Agneau Pafchaltout entier. Leurs rie- Un ancien Millionnaire ( a. ) , qui a beaucoup vécu avec tres' les Ôutaouais , a écrit que parmi ces Sauvages un Vieillard fait l'office de Prêtre dans les Ferlins , dont je viens de parler , qu'il commence par remercier les Efprits du fuccès de la Chaf- fe ; qu'enfuite un autre prend un pain de Petun , le rompt en deux , & le jette dans le feu. Ce qui eft certain , c'eft que ceux, qui les ont cités en preuve de la poflïbilité de l'Atheifme proprement dit , ne les connoiffoient pas. Il eft vrai qu'ils ne raisonnent jamais fur la Religion , & que leur extrême indo- lence fur ce point a toujours été le plus grand obftacle , qu'on ait rencontré à leur converfion au Chriftianifme , mais pour peu qu'on les pratique , on auroit tort d'en conclure qu'ils n'ont point d'idée de Dieu. L'indolence eft leur caractère dominant ; elle paroît jufques dans les affaires , qui les inté- reffentle plus , mais malgré ce défaut, malgré même cet ef- prit d'indépendance , dans lequel ils font élevés , nul Peuple au monde n'eft plus dépendant des idées confufes , qui leur font reftéesdela Divinité , jufques-là qu'ils n'attribuent rien au hafard , & qu'ils tirent de tout des préfages , qui félon eux font , comme je l'ai déjà remarqué , des avertifTemens du Ciel. VeflaiesSau- J'ai ^u dans quelques Mémoires que plusieurs Nations de ce vages. Continent ont eu autrefois des Filles , qui vivoient féparées de tout commerce avec les Hommes , & ne fe marioient ja- mais. Je ne puis ni garantir , ni contredire ce fait. La Virgi- nité eft par elle-même un état fi parfait, qu'on ne doit pas être furpris qu'elle ait été refpecltée dans tous les Pays du Monde ; mais nos plus anciens Millionnaires n'ont point par- lé , que je fçache , de ces Veftales , quoique plusieurs con- viennent de l'eftime , qu'on faifoit du Célibat dans quelques Contrées. Je trouve même que parmi les Hurons & les Iro- quois on voyoit , il n'y a pas encore lontems , des Solitaires , qui gardoient la continence , & l'on montre certaines Plantes fort falutaires ,qui n'ont point de vertu , difent les Sauvages 9 Ç\ elles ne font employées par des mains viergesP ( a ) Le Père Claude Allouez, Jéfujte. DTJNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let. XXIV. 351 ___ La Croyance la mieux établie parmi nos Amériquains , eft l 7 2 1 • celle de l'immortalité de l'Ame. Ils ne la croyent pourtant pas Septem- purement fpirituelle , non plus que leurs Génies , & il eft e* vrai de dire qu'ils ne fçauroient bien définir ni les uns , ni les Ce qu'ils pen- autres. Quand on leur demande ce qu'ils penfent de leurs momHté^ Ames , ils répondent , qu'elles font comme les ombres & les l'Ame. images animées du corps, & c'eft par une fuite de ce prin- cipe , qu'ils croyent que tout eft animé dans l'Univers. Ainfl c'eft uniquement par tradition , qu'ils tiennent que nos Ames ne meurent point. Dans les différentes exprefîions , qu'ils em- ployent pour s'expliquer fur ce fujet , ils confondent fouvent l'Ame avec fes facultés , & les facultés avec leurs opérations 9 quoiqu'ils fçachent fort bien en faire la diftin&ion , quand ils veulent pavler exaclement. Ils difeni auffi que l'Ame féparée du corps conferve les mê- leur liez fat mes inclinations , qu'elle avoit auparavant , & c'eft la raifon ce c]udlc d£; ... * , »/ . , . . . vient, quand pourquoi ils enterrent avec les Morts tout ce qui etoit a leur elfe eft féparcs ufage. Ils font même perfuadés qu'elle demeure auprès du du««ps- Cadavre jufqu a la Fête des Morts , dont je vous parlerai bien- tôt ; qu'enfuite elle va dans le Pays des Ames , où, félon quel- ques-uns j elle eft transformée en Tourterelle. D'autres reconnoiffent dans tous les Hommes deux Ames ; Pourquoi 01$ ils attribuent à l'une tout ce que je viens de dire , ils préten- ï°"fur feT" dent que l'autre ne quitte jamais le corps , fi ce n'eft pour paf- Tombeaux, fer dans un autre ; ce qui n'arrive pourtant gueres , difent-ils , qu'aux Ames des Enfans , lefquelles ayant peu joui de la vie , obtiennent d'en recommencer une nouvelle. C'eft pour cela qu'ils enterrent les Enfans le long des grands Chemins , afin que les Femmes puiffent en paffant recueillir leurs Ames. Or ces Ames , qui tiennent fi fidèle compagnie à leurs corps , il faut les nourrir , & c'eft pour fatisfaire à ce devoir , qu'on porte fur les Tombes de quoi manger ; mais cela dure peu , & il faut que ces Ames s'accoutument avec le tems à jeûner. On a quelquefois alfez de peine à faire fubfifter les Vivans , fans fe charger encore de fournir à la nourriture des Morts- Mais une chofe , fur laquelle ces Peuples ne fe relâchent _, ,r jamais, en quelqu extrémité quils le trouvent, ceft quau qu on fa* au* lieu que parmi nous la dépouille des Morts enrichit les Vi- Mëm* vans , chez eux non-feulement on emporte dans le tombeau tout ce qu'on poffedoit, mais on y reçoit encore des préfens 352 JOURNAL HISTORIQUE ■'■>'. ' " de fes Parens & de tes Amis. Auiîi ont-ils été extrêmement 1 72 I# fcandalifés, quand ils ont vu les François ouvrir les fépul- Septem- cres , pour en tirer les Robes de Caftor , dont on avoit revêtu bre. les Défunts. Les tombeaux font tellement façrés dans ce Pays, que les profaner , c'eft la plus grande hoflilité , qu'on puiffe commettre contre une Nation , & la plus grande marque qu'on ne veut plus rien ménager avec elle. Du Pays des J'ai dit que les Ames , lorfque le tems eft venu qu'elles doi~ Araes. vent fe féparer pour toujours de leurs corps , vont dans une Région , qui eft deftinée pour être leur demeure éternelle. Cette Région , difent les Sauvages , eft fort éloignée vers l'Occident , & les Ames mettent plufieurs mois à s'y rendre. Elles ont même de grandes difficultés à furmonter , & elles courent de grands rifques , avant que d'y arriver. On parle furtout d'un Fleuve , qu'elles ont à paffer , & fur lequel plu- fieurs font naufrage ; d'un Chien , dont elles ont beaucoup de peine à fe deffendre ; d'un lieu de fouflrances , où elles ex- pient leurs fautes ; d'un autre , où font tourmentées les Ames des Prifonniers de guerre , qui ont été brûlés , & où elles fe rendent le plus tard qu'elles peuvent. Cette idée eft caufe qu'après la mort de ces Malheureux , dans la crainte que leurs Ames ne demeurent autour des Ca- bannes , pour fe venger destourmens, qu'on leur a fait fouf- frir , on a grand foin de vifïter partout , & de donner fans ceffe des coups de baguette , en pouffant des cris affreux , pour obliger ces Ames à s'éloigner. Les Iroquois difent qu'A tahent- fic fait fon féjour ordinaire dans ce Tartare , & qu'elle y eft uniquement occupée à tromper les Ames , pour les perdre , mais que Juskeka n'omet rien pour les prémunir contre les mauvais deffeins de fon Ayeule. Parmi les récits fabuleux , qu'on fait de ce qui fe paffe dans ces Enfers , fî reffemblans 3. ceux d'Homère & de Virgile , il y en a un , qui paroît co- pié d'après l'aventure d'Orphée & d'Eurydice ; il n'y a pref- que rien à y changer que les noms. comment ils Au re^e -> Madame , le bonheur , dont les Sauvages fe prétendent ^ flattent de jouir dans leur prétendu Elifée , ils ne le regardent Semell dêtre Pas Précifément comme la récompenfe de Ja Vertu : avoir été iieureux. bon Chaffeur , brave à la Guerre , heureux dans toutes fes Entreprifes , avoir tué & brûlé un grand nombre d'Ennemis , ce font-là les feuls titres ? qui donnent droit à leur Paradis , dont D'UN VOYAGE DEL'AMERIQ.Let. XXIV. 3n dont toute la félicité confifte à y trouver une Chaffe & une i 7 2 i f" Pêche , qui ne manquent jamais , un Printems éternel , une ^ grande abondance de toutes chofes , fans être obligé de tra- , ePtem~ vailler , & tous les plaifîrs des fens. C'eft aufli là tout ce re' qu'ils demandent à leurs Dieux pendant la vie. Toutes leurs Chanfons , qui font originairement leurs Prières , ne roulent que fur les biens préfens , il n'y eft jamais queftion , non plus que dans leurs Vœux , de la vie future ; ils fe croyent affûré d'être heureux dans l'autre monde , à proportion de ce qu'ils l'auront été dans celui-ci. Les Ames des Bêtes ont auffi leur place dans les Enfers , Des Ames car 3 félon les Sauvages , elles ne font pas moins immortelles des Bêtes, que les nôtres ; ils leur reconnoiffent même une forte de rai- fon , & non feulement chaque efpece , mais chaque Animal , fi on les en croit , a auffi fon Génie confervateur. En un mot ils ne mettent de différence entre nous & les Brutes , que du plus au moins. L'Homme, difent-ils, eft le Roy des Animaux , 3ui tous ont les mêmes attributs , mais l'Homme les pofféde ans un degré fort fupérieur. Us tiennent encore que dans les Enfers il y a des modèles d'Ames de toutes les efpéces , mais ils s'embarraffent peu de développer cette idée , & en géné- ral toutes celles , qui font de pure fpéculation , ne les occu- pent pas beaucoup : les plus fages Philofophes de l'Antiquité payenne , qui fe font tant tourmentés pour les éclaircir, ont- ils beaucoup plus avancé qu'eux ? On ne peut marcher fûre- ment dans ces obfcurités , qu'avec le flambeau de la Foi. Il n'y a rien , fur quoi ces Barbares ayent porté plus loin la Dela Mturc fuperftition , & l'extravagance , que ce qui regarde les Son- des songes fc- ges ; mais ils varient beaucoup dans la manière , dont ils ex- lon les Sauva* pliquent leurs penfées fur cela. Tantôt c'eft l'Ame raifonna- seS" ble , qui fe promené , tandis que l'Ame fenfïtive continue d'a- nimer le corps. Tantôt c'eft le Génie familier , qui donne àes avis falutaires fur ce qui doit arriver : tantôt c'eft une vifite , qu'on reçoit de l'Ame de l'Objet , auquel on rêve ; mais de quelque façon, que l'on conçoive le Songe , il eft toujours re- gardé comme une chofe facrée , .& comme le moyen le plus ordinaire , dont les Dieux fe fervent pour faire connoître aux Hommes leurs volontés. Prévenus de cette idée , ils ne peuvent comprendre que nousn'en fafTions aucun cas. Le plus fouvent ils les regardent Tome III, Y y6 354 JOURNAL HISTORIQUE . comme des défirs de l'Ame infpirée par quelqu'Efprit, ou un . '721- ordre de fa part ; & en conféquence de ce principe ils fe font Septem- un devoir de Religion d'y déférer ; un Sauvage ayant rêvé bre. qu'on lui coupoit un doit 5 il fe le fit réellement couper à fon réveil , après s'être préparé à cette importante action par un: ferlin. Un autre s'étant vu en fongePrifonnier entre les mains de fes Ennemis , fut fort embarraffé ; il ccnfulta les Jongleurs , & par leur confeil il fe fit lier à un poteau , & brûler en plu- fieurs parties du corps. Il y a des Songes heureux , & il y en a de funeftes. Par exemple , rêver qu'on voit beaucoup d'Elans , c'eff. , dit-on , fîgne de vie : fi l'on a vu des Ours , c'eff. figne qu'on mourra bientôt. J'ai déjà dit qu'il en faut excepter les tems , où l'on fe prépare à la Chaffe de ces Animaux. Mais pour vous faire voir , Madame , jufqu'où ces Barbares portent l'extravagance au fujet des Songes , je vais vous raconter un fait attefté par deux témoins irréprochables , & qui ont vu la chofe de leurs propres yeux» Hiftoke à Deux MifTiounaires voyageoient avec des Sauvages , & une nuit , que tous leurs Conducteurs dormoient profondé- ment , un d'eux s'éveilla en furfault tout hors d'haleine , pal- pitant , faifant effort pour crier , & fe débattant , comme s'il eût été agité de quelque Démon. Au bruit , qu'il fit , tout le Monde fut bientôt fur pied : on crut d'abord que cet Homme étoit tombé dans un accès de phrénéfie ; on le faifit , & on mit tout en ufage pour le calmer ; mais ce fut inutilement : fes fureurs croifToient toujours , & comme on ne pouvoit plus l'arrêter , on cacha toutes les armes , de peur de quelque accident. Quelques-uns s'aviferent enfuite de lui préparer un breuvage avec de certaines herbes d'une grande vertu; mais lorfqu'on y penfoit le moins , le prétendu Malade fauta dans la Rivière. On l'en retira fur le champ , & il avoua qu'il avoit froid 9 cependant il ne voulut pas approcher d'un bon feu , qu'on avoit allumé dans Imitant : il s'affit au pied d'un Arbre, Se comme il paroiffoit plus tranquille , on lui apporta le bouil- lon , qu'on lui avoit préparé. C'eft à cet Enfant , dit-il , qu'il faut le donner , & ce qu'il appelloit un Enfant , étoit une Peau d'Ours , qu'on avoit remplie de pailles : on lui obéit ,& l'on verfa tout le bouillon dans la Gueule de l'Animal. On 2 I D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ.Let. XXIV. 3H lui demanda alors quel étoit fon mal ? J'ai rêvé , répondit-il , qu'un Huart m'étort entré dans l'eftomach. On fe mit à rire , î 7 mais il ralloit guérir fon imagination bleffée , & voici la ma- Septem- mère , dont on s'y prit. bre. Tous le mirent à contrefaire les infenfés , & à crier de tou- tes leurs forces qu'ils avoientaufli un Animal dans l'eftomach , mais ils ajoutèrent qu'ils lieraient pas d'humeur de fe jetter dans la Rivière , par le froid qu'il faifoit , pour l'en déloger ; «ju'ils aimoient mieux fe faire fuer. Notre Hypocondre trouva l'avis fort bon ; on dreffa fur le champ une Etuvf , & tous y entrèrent en criant à pleine tête , enfuite chacun fe mit à con- trefaire l'Animal , dont il feignoit avoir l'eftomach chargé , qui une Oye, qui un Canard, qui une Outarde, qui une Grenouille : le Rêveur contrefit auffi fon Huart. Le piaifant eft que tous les autres battoient la mefure , en frappant fur lui de toutes leurs forces , à delïein de le laffer & de l'endor- mir. Pour tout autre , que pour un Sauvage , il y avoit de quoi le mettre en un état à ne pouvoir fermer l'œil de plu- heurs jours ; toutefois ils vinrent à bout de ce qu'ils vou- loient. Le Malade dormit lontems , & à fon réveil il fe trou- va guéri ; ne fe fentant , ni de la lueur , qui aurait dû l'épui- fer , ni des coups , dont il avoit le corps meurtri , & ayant perdu jufqu'au louvenir d'un fonge , qui lui avoit tant coûté. _ Mais ce n'eft pas feulement celui , qui a rêvé 3 qui doit fa- Manière ; tisfaire aux obligations , qu'il s'imagine lui être impofées par donc on fe dé- fon fonge : ce ferait un crime pour tous ceux , à qui il s'ad- réve^aaS dreffe , que de lui refufer ce qu'il a défiré en rêvant , & vous en œâe^rop jugez bien, Madame, que cela peut tirer à conféquence. Mais Pouryra"sfai- comme les Sauvages ne font point intéreffés , ils abufent beau- re' coup moins de ce principe , qu'on ne ferait ailleurs ; & puis chacun peut avoir fon tour. Si la chofe délirée eft de nature à ne pouvoir être fournie par un Particulier , le Public s'en charge*; fallut-il l'aller chercher à cinq cens lieuë's , il ia faut trouver à quelque prix que ce foit , & on ne fçauroit dire avec quel foin on la conferve , quand on eft venu à bout de l'avoir. Si c'eft une chofë inanimée , on eft plus tranquille , mais fi c'eft un Animal, fa mort caufe des inquiétudes étonnantes. L'affaire eft plus féneufe encore , fi quelqu'un s'avife de ré- ver qu'ft calïe la tête à un autre , car il la lui cafte en effet , s'il le peut : mais malheur à lui , fi quelquautre s'avife à fon tour Yyij 35* JOURNAL HISTORIQUE 1 7 2 l • de fonger qu'il venge le Mort. D'ailleurs avec un peu de pré- Septem- fence d'efprit , on fe tire aifément d'embarras ; il ne faut que bre. fçavoir oppofer fur le champ à un tel rêve un autre fonge , qui » le contredife. „ Je vois bien , dit alors le premier Rêveur , » que ton Efprit eft plus fort que le mien , ainfî n'en parlons » plus ". Tous ne font pourtant pas Ci faciles à démonter ; mais il en eft peu , qu'on ne contente , ou dont on n'appaife le Gé- nie par quelque préfent. De la Fête Je ne fçai. pas , û la Religion a jamais eu part à ce que l'on des Songes. appene communément la Fête des Songes , & de ce que les Iroquois & quelques autres ont beaucoup mieux nommé le renversement de la Cervelle. C'eft une efpéce de Bacchanale , qui dure ordinairement quinze jours , & fe célèbre fur la fin de l'Hyver. Il n'eft point -de folie , qu'on ne faffe alors ; & chacun court de Cabanne en Cabanne , déguifé en mille ma- nières , toutes ridicules : on brife , & on renverfe tout , & perfonne n'ofe s'y oppofer. Quiconque ne veut pas fe trouver dans une telle confufion , ni être expofé à toutes les avanies , qu'il y faut effuyer , doit s'abfenter. Dès qu'on rencontre quelqu'un , on lui donne fon rêve à deviner , & s'il le devine > c'eft à fes dépens , il faut qu'il donne la chofe , à quoi l'on a~ rêvé. A la fin on rend tout , on fait un grand feftin , & Ton- ne penfe plus qu'à réparer les triftes effets de la Mafcarade » ce qui le plus fouvent n'eft pas une petite affaire : car c'eft en- core là une de ces occasions , qu'on attend fans rien dire y pour bien frotter ceux , dont on croit avoir reçu quelque offenfe : mais la Fête finie , il faut tout oublier. Defciïption Je trouve la defcription d'une de ces Fêtes dans le Journal tes.nedCCesFe" ^'un Millionnaire (a) ., qui en fut bien malgré lui le fpe£tateur à Onnontagué. La voici. Elle fut proclamée le 22e de Février, & ce furent les Anciens , qui firent la proclamation avec le même férieux , que s'il eût été queftion d'une affaire d'Etat. A peine furent -ils rentrés chez eux, qu'on vit partir de la main Hommes , Femmes , Enfans , prefque tout nuds , quoi- qu'il fit un froid intolérable. Ils entrèrent d'abord dans toutes les Cabannes , puis ils furent quelque tems à errer de tous côtés , fans fçavoir où ils alloient, ni ce qu'ils vouloient: on les eut pris pour des Perfonnes y vres , ou pour des fu- rieux , qu'un tranfport avoit mis hors d'eux-mêmes» ( a ) Le Père Claude DabiOn, D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ.Let. XXIV. 357 Plulieurs bornèrent là leur folie , & ne parurent plus. Les — — - autres voulurent ufer du privilège de la Fête , pendant la- ' quelle on eft réputé hors de fens , par conféquent n'être point Septem- refponfable de ce qu'on fait , & venger (qs querelles parti- bre. culieres. Ils ne s'épargnèrent affûrement pas. Aux uns ils jettoient de l'eau à pleine cuvée , & cette eau , qui fe glaçoit d'abord , étoit capable de tranfir de froid ceux , qui la rece- voient. Ils couvroient les autres de cendres chaudes , ou de toutes fortes d'immondices ; quelques-uns prenoient des ti- fons , ou des charbons allumés , & les lançoient à la tête du premier , qu'ils rencontraient ; d'autres brifoient tout dans les Cabannes , fe ruoient fur ceux , à qui ils en vouloient , 6k les chargeoient de coups. Il falloit , pour fe délivrer de cette perfécution , deviner des fonges , où fouvent l'on ne conce- voit rien. Le Millionnaire & fon Compagnon furent fouvent fur le point d'être plus que témoins de ces extravagances : un de ces Phrénetiques entra dans une Cabanne , où il les avoit vu. fe réfugier dès le commencement. Heureufement pour eux , ils venoient d'en fortir ; car il y avoit tout lieu de croire que ce Furieux vouloit leur faire un mauvais parti. Décon- certé par leur fuite , il s'écria qu'il vouloit qu'on devinât fon fonge , & qu'on y fatisfît fur l'heure : comme on tardoit trop , il dit : je tue un François ; auffitôt le Maître de la Cabanne jetta un habit François , que ce furieux perça de plusieurs coups. Alors celui , qui le lui avoit jette , entrant à fon tour en fu- reur y dit qu'il vouloit venger le François , & qu'il alloit ré- duire en cendres tout le Village : il commença en effet par mettre le feu à fa propre Cabanne , où cette fcene s'étoit paf- fée , & tout le monde en étant forti , il s'y enferma. Le feu y qu'il avoit allumé en plufieurs endroits , ne paroiffoit point- encore au dehors , quand un des Millionnaires fe préfenta pour y entrer : on lui dit ce qui venoit d'arriver , & il crai- gnit que fon Hôte ne fût plus le maître d'en fortir , quand il le voudroit ; il enfonça la porte , faifit le Sauvage , le mit dehors , éteignit le feu , & s'enferma dans la Cabanne. Son Hôte cependant couroit tout le Village en criant qu'il vouloit tout hrûler : on lui jetta un Chien , dans l'eipérance qu'il af- fouviroit fa rage fur cet Animal ? il dit que ce n'étoit pas allez 9. 358 JOURNAL HISTORIQUE j 72 I# pour réparer l'affront , qu'on lui avoit fait , en tuant un Fran- çois dans fa Cabanne : on lui jetta un fécond Chien , il le mit Septem- en pièces , & dans le moment toute fa fureur fe calma, bre. Cet Homme avoit un Frère , qui voulut aufîi jouer fon rôle. Il s'habilla à peu près , comme on repréfente les Satyres , fe couvrant de feuilles de Maïz depuis la tête jufqu'aux pieds : il fit équipper deux Femmes en vraies Mégères , la face noir- cie , les cheveux épars , une Peau de Loup fur le corps , & un pieu à la main. Ainfi efcorté il va dans toutes les Caban- nes , criant & hurlant de toute fa force ; il grimpe fur le toit, y fait mille tours avec autant de foupleffe , qu'auroit pu faire le plus habile Danfeur de Cordes , puis il jette des cris épou-, vantables, comme s'il étoit arrivé quelque grand malheur; enfuite il defcend , marche gravement précédé de fes deux Bacchantes , qui furieufes à leur tour , renverfent avec leurs pieux tout ce qui fe rencontre fur leur paflage. Elles étoient à peine délivrées de cette manie , ou laflés de faire leur perfon- nage , qu'une autre Femme prit leur place , entra dans la Ca- banne , où étoient les deux Jéfuites , & armée d'une Arque- bufe , qu'elle venoit de gagner en faifant deviner fon rêve , elle chanta la guerre , & fit contre elle-même mille impréca- tions , û elle ne ramenoit pas des Prifonniers. Un Guerrier fuivit de près cette Amazone , l'Arc & une Flèche d'une main , & de l'autre une Bayonnette. Après qu'il fe fut bien égofillé à crier , il fe jetta tout à coup fur une Fem- me , qui ne penfoit à rien , lui porta fa Bayonnette à la gorge , la prit par les cheveux , lui en coupa une poignée , & fe re- tira. Un Jongleur parut enfuite , ayant à la main un bâton orné de plumes , par le moyen duquel il fe vantoit de deviner les chofes les plus cachées. Un Sauvage l'accompagnoit por- tant un vafe rempli de je ne fçai quelle liqueur , dont il lui donnoit de tems en tems à boire ; le Charlatan ne l'avoit pas plutôt à la bouche , qu'il la rejettoit , en fouflant fur fes mains 6c fur fon bâton , & à chaque fois il devinoit toutes les éni- gmes , qu'on lui propofoit. Deux Femmes vinrent après , & firent entendre qu'elles avoient des déflrs ; l'une étendit d'abord une Natte , on devi- na qu'elle demandoit du Poiffon , & on lui en donna. L'autre avoit un Hoyau à la main , on comprit qu'elle vouloit avoir un Champ pour le cultiver ; on la mena hors du Village , & D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let.XXV. 359 on la mit à même. Un Chef avoit rêvé , difoit-il , qu'il voyoit t- 1 1#~ deux Cœurs humains ; on ne pût expliquer fon Songe , & ^ cela mit tout le Monde en grande peine. Il iit bien du bruit , iePte^ on prolongea même la Fête d'un jour ; tout fut inutile , & il 3 fallut qu'il le tranquillisât. Tantôt on voyoit des Troupes de Gens armés , qui faifoient mine de vouloir fe battre ; tantôt des Bandes de Baladins , qui jouoient toutes fortes de Farces. Cette manie dura quatre jours, 6k il parut que c'étoit par con- sidération pour les deux Jéfuites , qu'on en avoit ainfi abrégé le tems ; mais on y fit bien autant de défordres , qu'on avoit accoutumé d'en faire en quinze. On eut cependant encore cet égard pour les Millionnaires , qu'on ne les troubla point dans leurs fondions , & qu'on n'empêcha point les Chrétiens de s'acquiter de leurs devoirs de Religion. Mais en voila allez; fur cet article ; je ferme ma Lettre pour la donner à un Voya- geur , qui retourne dans la Colonie , en vous afsûrant que je fuis , &c. VINT-CINQUIEME LETTRE. Suite des Traditions des Sauvages. Au Fort de la Rivière de S. Jofeph , ce 1 4 Sept, 1 72 1 * Mad A M E .,: Il y a trois jours que je partis d'ici pour me rendre à Chi- cagou , en côtoyant la Rive Méridionale du Lac Michigan ; mais nous trouvâmes ce Lac fi fort en fureur , que nous prî- mes le parti de revenir ici 3 & de choifir une autre Route pour gagner la Louyfiane. Notre départ eft fixé au feize , & je vais profiter de ces deux jours de retardement pour repren- dre mon Récit fur les Ufages & les Traditions de nos Amé- riquains. Les Sauvages , dans ce que je vous ai dit dans ma dernière Dermanvai* Lettre , ne reconnoiffent que l'opération des Bons Génies ; Génies, & des- les (Seuls Sorciers , & c^ux % qui ufent de maléfices ? paffent SomeîS- 3<5o JOURNAL HISTORIQUE . — pour être en commerce avec les Mauvais , & ce font fur- i 7 2 ï • tout les Femmes , qui exercent ce déteffable métier. Les jon- Septem- gleurs de proreffion , non feuiement ne s'en mêlent pas , au kre# moins ouvertement , mais ils font une étude particulière pour fçavoir découvrir les Sorts , ik en empêcher les pernicieux effets. Dans le fond , il n'y a gueres dans tout ce qu'on m'a raconté fur cela , que de la charlatanerie ; ce font des Ser- pens , dont on exprime le venin ; des Herbes cueillies en cer- tains tems , & en prononçant de certaines paroles ; des Ani- maux , qu'on égorge , & dont on jette quelques parties dans le feu. Chez les Illinois & dans quelques autres Nations , on fait de petits Marmouzets pour repréfenter ceux , dont on veut abréger les jours , & qu'on perce au cœur. D'autre fois on prend une Pierre , & par le moyen de quelques invocations on prétend en former une fembiable dans le cœur de fon Ennemi. Je fuis perfuadé que cela réuiiit rarement , fi le Dia- ble ne s'en mêle pas ; toutefois on appréhende tellement les Magiciens , que le moindre foupçon fuffit pour mettre en pièces quiconque eft tant foit peu foupçonné de l'être. Mais quoique cette Profeffion foit fi dangereufe , il fe trouve par- tout des Gens , qui n'en ont point d'autre. Il efl même vrai que les plus fenlés & les moins crédules de ceux , qui ont le plus pratiqué les Sauvages , conviennent qu'il y a quel- quefois du réel dans leur Magie. Ces Infidèles , Madame , feroient-ils les feuls , en qui on n'auroit pas reconnu l'opération du Démon ? Et quel autre Maître que cetEfprit mal-faifant , & homicide dès le commen- cement du Monde (a) , auroit appris à tant de Peuples , qui n'ont jamais eu de commerce les uns avec les autres , un art , que nous ne fçaurions regarder comme abfolument frivole , fans contredire les Divines Ecritures ? Il faut donc avouer que les PuifTances Infernales ont quelques Suppôts fur la Terre , mais que Dieu a mis des bornes très - étroites à leur malignité , & ne permet quelquefois quon reflente les effets du pouvoir , qu'il a jugé à propos de leur laiffer , que pour fervir tantôt fa Juffice , & tantôt fa miféricorde. Des jon- P ^aut ^re à Peu Pr^s k même chofe des Jongleurs du Ca- gjeurs. nada , qui font profeffion de n'avoir de commerce qu'avec ce ( a) hw> 8. 44- qu'ils D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Le t. XXV. 361 qu'ils appellent Génies bienfaifans , & qui fe vantent de con- -— noître par leurs moyens ce qui fe paffe dans les Pays les plus 1 7 2 I * éloignés , ou ce qui doit arriver dans les tems les plus reculés ; Septem- de découvrir la fource & la nature des Maladies les plus ca- bre. chées , & d'avoir le fecret de les guérir ; de difcerner dans les Affaires les plus embrouillées le parti , qu'il faut prendre ; d'expliquer les Songes les plus qbfcurs ; de faire réuffir les Négociations les plus difficiles ; de rendre les Dieux propi- ces aux Guerriers & aux ChafTeurs. Ces prétendus bons Gé- nies font , comme tous les Dieux du Paganifme , de vérita- bles Démons , lefquels reçoivent des hommages , qui ne font dûs qu'au feul vrai Dieu , & dont les Preftiges font encore plus dangereux que ceux des mauvais Génies , parce qu'ils contribuent davantage à retenir leurs Adorateurs dans leur aveuglement. Il eft hors de doute que parmi leurs Suppôts , les plus har- dis font les plus refpe£tés , & qu'avec un peu de manège ils perfuadent aifément des Peuples élevés dans la Superftition. Quoiqu'on ait vu naître ces Impofteurs , s'il leur prend en- vie de fe donner une naiffance furnaturelle , ils trouvent des Gens , qui les en croyent fur leur parole , comme s'ils les avoient vu defcendre du Ciel , & qui prennent pour une ef- pece d'enchantement & d'illufion de les avoir cru d'abord nés comme les autres Hommes ; leurs artifices font néanmoins pour l'ordinaire fi greffiers & fi ufés , qu'il n'y a que les Sots , & les Enfans , qui s'y laiffent prendre ; fi ce n'eft lorfqu'ils agif- fent en qualité de Médecins : car qui ne fçait que, lorfqu'il eft queftion de recouvrer la fanté , la crédulité la plus exceffive ^ft de tous les Pays, de ceux, qui fe piquent le plus de fageffe , comme de ceux , dont les lumières font plus bornées ? Après tout , Madame , je le répète , il eft. difficile de ne pas Leurs rcf- tomber d'accord que parmi ces Infidèles il fe paffe quelquefois tiges. des chofes très - capables de tromper , au moins la Multi- tude , pour ne rien dire de plus. J'ai oui dire à des Perfon- nes , dont je ne pouvois foupçonner , ni la bonne foi , ni la prudence , que lorfque ces Impofteurs s'enferment dans les Etuves pour fe faire fuer , & c'eft - là une de leurs plus ordi- naires préparations pour faire leurs preftiges , ils ne différent £11 rien desPythoniffes, telles que lesPoè'tes nous les ont repré- fentées fur le Trépied : qu'on les y voit entrer dans des convul- Tome II I. Z z 72I 362 JOURNAL HISTORIQUE '. fions & des enthoufiafmes , prendre des tons de voix , & faire des a&ions , qui paroiffent au-deflus des forces humaines, Septem- & qui infpirent aux Spe&ateurs les plus prévenus contre bre. leurs impoftures une horreur & un faififfement , dont ils ne font pas les maîtres. On afsûre encore qu'ils fouffrent beaucoup dans ces occa- iîons , & qu'il s'en trouve , qu'on n'engage pas aifément , mê- me en les payant bien , à fe livrer ainh à l'Efprit , qui les agi- te. Mais il ne faut pas croire qu'il y ait du furnaturel en ce qu'au fortir de ces fueurs violentes , ils vont fe jetter dans l'eau froide & quelquefois glacée , fans en reffentir aucune incommodité. Cela leur eft commun avec tous les autres Sau- vages , & même avec d'autres Peuples du Nord (a). C'eft une expérience , qui déconcerte un peu la Médecine , mais à la- quelle le Diable n'a certainement aucune part. Il eft encore vrai que les Jongleurs rencontrent trop fou- vent jufte dans leurs Prédirions , pour croire qu'ils devinent toujours par hazard , & qu'il fe parle dans ces occasions des chofes , qu'il n'eft prefque pas pofTible d'attribuer à aucun fe- cret naturel. On a vu les pieux, dont ces Etuves étoient fer- mées , fe courber jufqu'à terre , tandis que le Jongleur fe te- noit tranquille , fans remuer , fans y toucher , qu'il chantoit , & qu'il prédifoit l'avenir. Les Lettres des anciens MifTionnai- res font remplies de faits , qui ne laiffent aucun doute que ces Séducteurs n'ayent un véritable commerce avec le Père de la fédu&ion & du menfonge. Plufieurs François m'ont par- lé fur le même ton , je ne vous en citerai qu'un trait , que je fçais de fource. Vous avez vu à Paris Madame de Marson , & elle y eft encore ; voici ce que M. le Marquis de Vaudreuil fon Gen- dre , actuellement notre Gouverneur Général , me raconta cet Hyver , & qu'il a fçû de cette Dame , qui n'eft rien moins qu'un efpritfoible. Elle étoit un jour fort inquiette au fujet de M. de Marfon, fon Mari , lequel commandoit dans un Pof- te , que nous avions en Acadie ; il étoit abfent , & le tems qu'il avoit marqué pour fon retour , étoit parlé. Une Fem- me Sauvage , qui vit Madame de Marfon en peine , lui en demanda la caufe , & l'ayant apprife , lui dit , après y avoir ( a) Le Poè'te Rïgnarb nous affûre dans fon Voyage de Lapponie, qu'il a vu faire la même choie en Bothnie. 2 D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ. Let. XXV. 363 un peu rêvé , de ne plus Te chagriner , que fon Epoux re- ' l71l" viendroit tel jour & à telle heure , qu'elle lui marqua , avec un Chapeau gris fur la tête. Comme elle s'apperçut que la , ^ePlem- Dame n'ajoûtoit point foi à fa prédiftion , au jour & à l'heure, * qu'elle avoit aflignée , elle retourna chez elle , lui demanda 1 elle ne vouloit pas venir voir arriver fon Mari , & la prefTa de telle forte de la fuivre , qu'elle l'entraîna au bord de la Ri- vière. A peine y étoient-elles arrivées , que M. de Marfon parut dans un Canot , un chapeau gris fur la tête ; & ayant appris ce qui s'étoit pafTé , affûra qu'il ne pouvoit pas com- prendre comment la Sauvageffe avoit pu fçavoir l'heure & le jour de fon arrivée. Cet exemple, Madame, & beaucoup d'autres, que je DelaPyro* fçai , & qui ne font pas inoins certains , prouvent qu'il y a niî»ncie. quelquefois de l'opération du Démon dans la magie des Sau- vages ; mais il n'appartient, dit -on, qu'aux Jongleurs de faire les évocations , quand il s'agit des affaires publiques. On prétend que tous les Algonquins & les Abénaquis prati- quoient autrefois une efpéce de Pyromancie , dont voici tout le myftere. Us réduifoient en une poudre très-fine du charbon de bois de Cèdre ; ils difpofoient cette poudre à leur manière , puis y mettoient le feu , & par le tour , que prenoit le feu en courant fur cette poudre , ils connoiffoient , difoient-ils , ce qu'ils cherchoient. On ajoute que les Abénaquis , en fe con- vertiffant au Chriftianifme , ont eu bien de la peine à renon- cer à un ufage , qu'ils regardoient comme un moyen très-in- nocent de connoître ce qui fe paffoit loin de chez eux. Je n'ai pas oui dire que les Particuliers , qui vouloient pof- inftaUàtio« feder ces fortes de fecrets , euffent befoin, pour y être ini- des jongleurs, tiés , de parler par aucune épreuve ; mais les Jongleurs de profeffion ne font jamais revêtus de ce cara&ere , qui leur fait contracter une efpéce de pafte avec les Génies , & qui rend leurs perfonnes refpe&ables , qu'après s'y être difpofés par des jeûnes , qu'ils pouffent très-loin , & pendant lefquels ils ne font autre chofe , que battre le tambour , crier , hur- ler , chanter , & fumer. L'inftallation fe fait enfuite dans une efpéce de Bacchanale , avec des cérémonies û extrava- gantes , & accompagnées de tant de fureurs , qu'on diroit que le Démon y prend dès-lors poffeiîion de leurs perfonnes. Us ne font néanmoins les Miniftres de ces Dieux prétendus , Des Prêtres. Z z ij 3^4 JOURNAL HISTORIQUE ' que pour annoncer aux Hommes leurs volontés , & pour être 1 7 ll- leurs Interprètes : car 11 l'on peut donner le nom de facrifices Septem- aux offrandes , que ces Peuples font à leurs Divinités , les bre. Prêtres parmi eux ne font jamais les Jongleurs : dans les cé- rémonies publiques , ce font les Chefs , & dans le domefti- que , ce font ordinairement les Pères de Famille , ou à leur défaut le plus confîdérable de la Cabanne. Mais la principale occupation des Jongleurs , ou du moins celle , dont ils reti- rent plus de profit , c'eft la Médecine : ils exercent cet art avec des principes fondés fur la connoiffance des Simples , fur l'expérience , & fur la conjecture , comme on fait par-tout, mais il eft rare qu'ils n'y mêlent pas de la fuperftition , & de la charlatanerie , dont le Vulgaire eft toujours dupe. Maladies or- Il n'y a peut-être point d'Hommes au Monde , qui le foient dinaires parmi p]us ^Q ces Impofteurs , que les Sauvages , quoiqu'il y en ait uvages. ^ ^ ^. ayent mojns befoin de recourir à la Médecine. Non- feulement ils font prefque tous d'une complexion faine & ro- bufte , mais ils n'ont connu la plupart des Maladies , aufquel- les nous fommes fujets , que depuis qu'ils nous ont fréquen- tés. Ils ne fçavoient ce que c'eft que la Petite Vérole , quand ils l'ont reçue de nous, & l'on ne doit attribuer les grands rava- ges, qu'elle a faits parmi eux, qu'à cette ignorance. La Goûte, la Gravelle, la Pierre, l'Apoplexie, & quantité d'autres Maux, û communs en Europe , n'ont point encore pénétré dans cette partie du Nouveau Monde parmi les Naturels du Pays. Il eft vrai que les excès , qu'ils font dans leurs feftins , &l leurs jeûnes outrés , leur caufent des douleurs & des foiblef- fes de poitrine & d'eftomach , qui en font périr un grand nom- bre. Il meurt aufli quantité de Jeunes-Gens de Phtiiie , & l'on prétend que c'eft une fuite des grandes fatigues , & des exer- cices violens , aufquels ils s'expofent dès leur enfance , & avant qu'ils foient en état de les fupporter. C'eft une fottife de croire, comme font quelques-uns, qu'ils ont le fang plus froid que nous, & d'attribuer à cela leur infenfibilité prétendue dans lestourmens ; mais ils l'ont extrêmement balfamique , & cela vient fans doute de ce qu'ils n'ufent point de Sel, ni de rien de ce que nous employons, pour relever le goût des Viandes. Il eft rare qu'ils regardent une Maladie comme purement Tirage, qu'ils naturelle , & que parmi les remèdes ordinaires, dont ilsufent^ simples. kUrS *k en reconnoiffent > qui ayent par eux-mêmes la vertu, de DUNVOYAGEDEL'AMERIQ. Let.XXV. 56 305 guérir. Le grand ufage , qu'ils font de leurs Simples , eft pour — les playes , les fra&ures , les diflocations , les luxations ç & les ruptures. Ils blâment les grandes incifions , que font ^ePtem~ nos Chirurgiens pour nétoyer les playes , ils expriment le fuc ' de plusieurs Plantes , & avec cette compofïtion ils en attirent tout le pus, & jufqu'aux efquilles , les pierres , le fer , & gé- néralement tous les corps étrangers , qui font demeurés dans la partie bleffée. Ces mêmes fucs font toute la nourriture du Malade , jufqu a ce que fa playe foit fermée : celui , qui le panfe , en prend auffi , avant que de fuccer la playe , quand ïï eft objigé d'en venir là : mais il y vient rarement , le plus fou vent il Te contente de feringuer de ce jus dans la playe. Tout cela eft dans les règles , mais comme il faut à ces Peu- ples du furnaturel par-tout , fouvent le Jongleur déchire la playe avec les dents, & montrant enfuite un morceau de bois , ou quelqu'autre chofe femblable , qu'il avoit eu la pré- caution de mettre dans fa bouche, il fait croire au Malade qu'il l'a tiré de fa playe , & que c'étoit le charme , qui caufoit tout le danger de fa Maladie. Ce qui eft certain , c'eft qu'ils ont des fecrets & des remèdes admirables. Un os rompu eft bien repris , & folide en huit jours. Un Soldat François , qui étoit en garnifon dans un Fort de l'Acadie , tomboit du Haut- Mal , & Tes accès étoient devenus prefque journaliers , & très- violens : une Femme Sauvage , qui fe trouva préfente à un de les accès , lui alla faire deux boles d'une racine pulvérifée y dont elle ne dit point le nom; recommanda qu'on lui en fît prendre un à la fin du premier accès, qu'il aûroit; avertit qu'il fuëroit beaucoup, cV qu'il auroit de grandes évacuations par le vomiffement & par les felles, & ajouta que fî le premier bol n'emportoit pas tout le mal , le fécond le guériroit parfai- tement : la chofe arriva , comme elle l'avoit dit ; le Malade eut encore un accès après la première prife , mais ce fut le dernier. Il jouit dans la fuite d'une fanté parfaite. Ces Peuples ont encore des remèdes prompts & fouverains Divers au- contre la Paralyfîe , l'Hydropifie , & les Maux Vénériens. trcsRem=cî-& Des rapures de Bois de Gayac & de Saffafras font leurs Spéci- fiques ordinaires contre les deux dernières Maladies ; ils en font une boiffon , qui en guérit & en garantit , pourvu qu'on en faffe un ufage continuel (a). Dans les Maux aigus , corn- ai) On a parlé depuis d'une Poudre , compolee de trois Simples , qu'un Sauvage a don~ 7,66 JOURNAL HISTORIQUE ■ me dans la Pleuréfie , ils travaillent fur le côté oppofé à la 1 72 I# douleur; ils y mettent des cataplâmes , qui attirent, & em- Septem- pèchent les dépôts. Dans la Fièvre ils ufent de lotions froides , bre. avec des décodions d'Herbes , & préviennent par-là l'inflam- mation & le tranfport. Ils vantent furtout la diète , mais ils ne la font confifter, qu'à s'abftenir de certains alimens , qu'ils eftiment leur être nuifibles. Ils n'avoient pas autrefois l'ufage de la Saignée , & ils y fuppléoient par des Scarifications aux endroits , où ils fen- toient du mal : ils y appliquoient enfuite une manière de ven- toufe avec des courges , qu'ils rempliffoient de matières corn- buftibles , aufquelles ils mettoientle feu. Les Cauftiques , les Uftulations , les Boutons de feu leur étoient familiers ; mais comme ils ne connoiffoient point la Pierre Infernale , ils fe fervoient à fa place de bois pourri. Aujourd'hui la Saignée leur tient lieu de tout cela. Dans les Quartiers du Nord on ufoit beaucoup de Lavemens ; une Veflie leur fervoit de Se- ringue. Us ont contre la Dyfenterie un remède , qui a pref- que toujours fon effet ; c'eft un jus , qu'ils expriment des extrémités des branches de Cèdre , après les avoir fait bien bouillir. De la sueur. Mais leur grand remède , & leur grand préfervatif contre tous les Maux , eft la Sueur. Je viens de vous dire , Ma- dame , qu'au fortir de l'Etuve , & lorfque l'eau leur découle de toutes les parties du corps , ils vont fe jetter dans la Ri- vière ; û elle eft trop éloignée , ils fe font arrofer de l'eau la plus froide. Souvent ils fuent uniquement pour fe délaffer, Ïiour fe tranquillifer l'efprit , & pour être plus en état de par- er d'affaires. Dès qu'un Etranger arrive dans une Cabanne , on lui fait du feu , on lui frotte les pieds avec de l'huile , & tout de fuite on le conduit dans une Etuve , où fon Hôte lui tient compagnie. Ils ont même une autre manière de provo- quer la fueur , qu'on employé dans de certaines Maladies '. elle confifte à étendre le Malade fur une efpéce de Couche un peu élevée , fous laquelle on fait bouillir dans une Chau- dière du bois d'Epinette , & des branches de Sapin. La va- peur , qui en fort , caufe une fueur des plus abondantes : on prétend même que l'odeur en eft très-falutaire ; la fueur des née à un de nos Millionnaires , & qui guérit radicalement en peu de jours le Mal de Na- pies le plus invétéré. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let.XXV. 367 - Etuves , qui n'eft procurée que par la vapeur de l'eau verfée 1(71 lm fur des Cailloux , n'a point cet avantage. , oeptem- Dans l'Acadie , une Maladie n etoit cenfée bien férieufe , que quand le Malade ne vouloit abfolument rien prendre , r Prîn.cîPes> A s* r -».t • r 1 iur quoi roule oc plusieurs autres Mations font encore dans cette erreur : toute la Méde- quelque Fièvre , qu'on ait , fi l'on veut manger , on mange de «ne des Sau- tout , comme les autres. Mais dès que la Maladie paroît dan- vases' gereufe , c'eft-à-dire , quand le Malade rejette toutes fortes de nourriture , on y apporte beaucoup d'attention. Il eft vrai que les principes, fur lefquels eft fondée toute la Médecine des Sauvages , font fort extraordinaires , on ne refufe rien au Malade de ce qu'il demande , parce que , dit - on , {es défirs en cet état font des ordres du Génie , qui veille à fa conferva- tion ; & quand on appelle les Jongleurs , c'eft moins à caufe de leur habileté , que parce qu'on fuppofe , qu'ils peuvent mieux fçavoir des Efprits la caufe du mal , & les remèdes , qu'il y faut appliquer. D'ailleurs , on ne veut rien avoir à fe reprocher , il femble que la Moft perde une partie de ce qu'elle a d'affreux , quand elle vient à la fuite des Remèdes , dût-elle en être l'effet. Nos Sauvages fe font en cela fournis à la loi commune , & au pré- jugé général de toutes les Nations & de tous les Siècles ; & ils font d'autant plus excufables , ce femble , de porter fi loin la crédulité , que reconnoiffant du furnaturel dans toutes les Maladies , & faifant entrer la Religion dans l'Art de les gué- rir , ils fe croyent moins obligés de raifonner , & fe font un devoir de fe biffer conduire à l'aveugle. Souvent le Malade fe met dans la tête que fon mal eft l'effet idée extra- d'un Maléfice , alors toute l'attention fe porte à le découvrir, ^g,aiYe (ur lcS & c'eft le devoir du Jongleur. Il commence lui - même par fe faire fuer , & quand il s'eft bien fatigué à crier , à fe débattre, & à invoquer fon Génie , la première chofe extraordinaire , qui lui vient en penfée , il lui attribue la caufe de la Maladie. Piufieurs , avant que d'entrer dans l'Etuve , prennent un Breuvage compofé , fort propre , difent - ils , à leur faire re- cevoir l'imprefîion Célefte , & l'on prétend que la préfence de l'Efprit fe manifefte par un Vent impétueux , qui fe levé tout à coup ; ou par un Mugiffement , que l'on entend fous terre ; ou par l'agitation & l'ébranlement de l'Etuve. Alors , plein de fa prétendue Divinité , & plus femblable à un Ener- 68 JOURNAL HISTORIQUE 1721. gumene , qu'à 'un Homme infpiré du Ciel , il prononce d'un Septem- ton affirmatif fur l'état du Malade , & rencontre quelquefois' bre. affez jufte. importée Mais ces Charlatans ont imaginé un moyen affez fingulier des jongleurs. je n'être jamais refponfables des événemens. Dès qu'ils voyent un Malade tourner à la Mort , ils ne manquent jamais de faire uï\q Ordonnance , dont l'exécution eft. fi difficile , qu'ils ont à coup sûr leur recours fur ce qu'elle n'a pas été exactement fuivie. Il n'eft pas concevable à quelles extrava- gances ils fe portent en ces occafions ; il y a des Malades à qui ils commandent de contrefaire les foux ; dans certaines Maladies ils ordonnent des Danles , qui font ordinairement fort lafcives : prefque toujours on dirait qu'ils ont bien moins en vue de guérir le Malade , que d'avancer fa mort ; mais ce qui fait voir la force de l'imagination fur les Hommes , ces Médecins avec toutes leurs folies , guériffent auffifouventque les nôtres. Leur cruauté II y a des Pays , où , quand le Malade eft défefperé , on à l'égard des l'achevé pour l'empêcher de languir. Dans le Canton d'On- Maïades dé- nontagUé on fait mourir les petits Enfaas , qui perdent leurs Mères , avant que d'être fevrés ; on les enterre même tout vivans avec elles , parce qu'on eft perfuadé qu'une autre Fem- me ne pourroit pas les nourrir , & qu'ils mourroient de lan- gueur ; je ne fçais pourtant pas fi depuis quelque tems , ils n'ont pas renoncé à cette barbare coutume. Quelques autres abandonnent les Malades , dès que le Médecin n'en efpere plus rien , & les laiffent mourir de faim & de foif. Il y en a , qui pour empêcher ie Moribond de faire des grimaces en ex- pirant , lui ferment les yeux 6k la bouche , dès qu'ils le voyent entrer dans l'agonie. Des Aut- Dans l'Acadie les Jongleurs s'appelloient Autmoins , & c'é- psoins de l'A- t0-t orciinairement le Chef du Village , qui étoit revêtu de cette dignité ; auffi avoient-ils beaucoup plus d'autorité , que les autres'Iongieurs , quoiqu'ils ne fuflent , ni plus habiles , ni moins impofteurs. Dès qu'ils étoient appelles pour voir un Malade , lis commençaient par le confidérer affez lontems , puis ils fouffloient fur lui. Si cela ne produifoit rien , » C'eft t que le Diable , difoient-ils , eft au dedans ; il faudra pourtant bien qu'il en forte : mais que chacun foit fur fes gardes , car ce méchant Efprit pourroit bien de dépit fe jetter fur quel- qu'un D'UMVOYAGEDEL'AMERIQ.Let. XXV. 369 qu'un des Afîiftans». Alors ils entroient dans une efpece de « 1721?^ fureur , ils s'agitoient , ils crioient , ils menaçoient le pré- c tendu Démon ; ils lui parloient , comme s'ils Feuffent vu de ^ ePtem~ leurs yeux , ils lui pouflbient des eftocades ; mais tout cela fe* n'étoit qu'un jeu , pour cacher leur fourberie. En entrant dans la Cabanne ils avoient toujours la précau- tion d'enfoncer dans la terre un morceau de bois attaché à une corde ; ils préfentoient enfuite le bout de la corde à tous les Spe&ateurs , en les invitant à retirer ce bois , &; comme prefque jamais Perfonne n'en pouvoit venir à bout , ils ne manquoient pas de dire , que c'étoit le Diable , qui le rete- noit ; puis , feignant de vouloir percer ce prétendu Diable , ils détachoient peu à peu le bois en fouillant la terre tout au- tour , après quoi ils le retiroient fans peine , & chacun criok Victoire. A ce Bois étoit attaché en defïbus un petit Os , ou quelque autre chofe femblable , qu'on n'avoit point apperçu d'abord , & les Charlatans le faifant remarquer aux Afliftans. » Voilà , s'écrioient - ils , la caufe du Mal , il a fallu tuer le a Diable pour l'avoir ». H Cette farce duroit trois ou quatre heures , au bout defquel- les le Médecin avoit befoin de repos & de rafraîchiffement ; il s'en alloit , en afsûrant qu'infailliblement le Malade guéri- roit , fi le Mal n'avoit pas encore pris le deiîus ; c'eft-à-dire , fi le Diable , avant fa retraite , ne l'avoit pas déjà bleffé à mort. Et comment le fçavoir ? l'Autmoin prétendoit le con- noître par les Songes , mais il fe donnoit bien de garde de par- ler clairement , qu'il ne vît \e tour que prendroit la Maladie. Dès qu'il la jugeoit incurable , il fe retiroit , & à fon exem- ple tout le monde abandonnoit le Malade. Si au bout de trois jours il vivoit encore ; » Le Diable , difoit le Médecin , ne « veut pas qu'il guériffe , & l'empêche de mourir ; il faut par « charité mettre fin à fes maux ». Auflitôt les meilleurs Amis « du Malade alloient chercher de l'Eau froide , & lui en ver- foient fur le Vifage , jufqu'à ce qu'il expirât. L'enchantement étoit tel , qu'on faifoit encore de grands remercimens à l'Aut- moin , & qu'on le payoit graffement. Quelques Nations Méridionales ont des Maximes toutes contraires , on n'y paye le Médecin qu'après la guérifon ; & fi le Malade meurt , celui qui l'a traité , n'eft pas en sûreté es fa vie. Selon les Iroquois , toute Maladie eit un défïr de Tome III. A a a 370 JOURNAL HISTORIQUE l'Ame , & on ne meurt , que parce que le défir n'eft pas ac- 1 7 2 u compli. Je finis , Madame , parce que l'article des Morts me Septem- meneroit trop loin , & que tout fe difpofe pour mon Voyage -9 bre. je retrouverai apparemment bientôt le loifir de vous écrire de nouveau , mais vous n'en ferez pas plus avancée , car d'i- ci aux Illinois il n'y a nulle apparence que je rencontre au- cune occafion de vous faire tenir mes Lettres , de forte que fi je vous en écris quelqu'une avant que d'y arriver , vous la recevrez peut-être auffi tard , que fi je ne vous écrivois qu'au terme. Je fuis , &c. VINT-SIXIEME LETTRE. Départ du Fort de la Rivière S. Jofeph. Sources du TheakikL ï>e ce quife pajfe à la mort des Sauvages 3 de leurs Funérailles s de leurs Tombeaux. Du Deuil 3 du Veuvage, De la Fête des Morts. De la Source du Theakiki, ce dix-fept Septembre , 17 21» Mad AME , Je ne m'attendois pas de reprendre fitôt la plume pour vous écrire , mais mes Conducteurs viennent de brifer leur. Canot , & me voici arrêté pour tout le jour dans un endroit , où je ne trouve rien , qui puiffe piquer la curiofîté d'un Voya- geur ; ain{i je n'ai rien de mieux à faire , qu'à me livrer au plaifir de vous entretenir. Je crois vous avoir fait entendre dans ma dernière que j'a- vois à choiftr de deux Routes pour gagner les Illinois ; la pre- mière étoit de retourner au Lac Michigan , d'en côtoyer tou- te la Côte Méridionale , & d'entrer dans la petite Rivière de Chicagou. Après qu'on l'a remonté cinq ou ftx lieues , on parle dans celle des Illinois par le moyen de deux portages r dont le plus long n'a que cinq quarts de lieues ; mais comme cette Rivière n'eft encore qu'un Ruifleau en cet endroit , on I72 D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let.XXVÏ. 371 m'a averti que dans la Saifon , où nous Tommes , je n'y trou- verois pas aflez d'eau pour mon Canot ; j'ai donc pris l'autre Route , qui a bien aum (es incommodités , & n'eft pas à beau- Septem- coup près aum* agréable ; mais elle eft plus sûre. bre. Je partis hier du Fort de la Rivière de Saint Jofeph , & je Départ du remontai cette Rivière environ fix lieues. Je débarquai fut Fort de Sainc la droite , je marchai cinq quarts de lieues , d'abord en cô- °epî* toyant le bord de l'eau , enfuite à travers champ dans une Prai- rie immenfe , toute femée de petits Bouquets de Bois , qui font un très-bel effet ; on l'appelle la Prairie de la Tête de Bœufy parce qu'on y a trouvé , dit-on , une Tête de Bœuf, qui étoit monftrueufe pour fa groffeur. Pourquoi n'y auroit - il pas aufli des Géans parmi ces Animaux ? Je campai dans un fort bel endroit , qu'on appelle le Fort des Renards 3 parce que les Renards , c'eft-à-dire , les Outagamis , y ont eu , il n'y a pas lontems , un Village fortifié à leur manière. Ce matin j'ai encore fait une lieue' dans la Prairie , ayant prefque toujours les pieds dans l'eau , enfuite j'ai rencontré une efpece de Mare , qui communique avec plufieurs autres de différentes grandeurs , & dont la plus grande n'a point cent pas de circuit. Ce font-là les fources d'une Rivière , appellée Theakiki , & que par corruption nos Canadiens nomment Kiakiki. Theak veut dire un Loup , je ne me fouviens plus dans quelle Langue , mais cette Rivière porte ce nom , par- ce que les Mahingans , qu'on appelle aufîi les Loups s s'y étoient autrefois réfugiés. Nous mîmes notre Canot , que deux Hommes avoient porté jufques-là , dans la féconde de ces fources , Se nous nous y embarquâmes ; mais à peine y avions nous affez d'eau pour y être à flot. Dix Hommes feroient en deux jours un Canal droit & naviguable , qui épargneroit bien de la peine , & dix ou douze lieues de chemin ; car la Rivière , au fortir de fa fource , eft fi étroite , & il y faut continuellement tour- ner fi court , qu'à chaque inftant on eft en danger de brifer fon Canot , comme il vient de nous arriver. Mais revenons aux Sauvages , & après avoir vu de quelle manière on les traite dans leurs Maladies , voyons-les mourir , & ce qui fe paffe après leur Mort. Pour l'ordinaire , quand ils fe croyent hors d'efpérance de £[ jjjjjjj guérir , ils prennent leur parti avec une réfolution vraiement desSauvagcs, Aaaij 37* JOURNAL HISTORIQUE 1 Stoïque , & ils fe voyent avancer leurs jours par les Perfon- 1 7 2 l * nés , qui leur font les plus chères , fans en témoigner le moin- Septem- dre chagrin. A peine a-t-on prononcé l'Arrêt du Médecin bre. à un Moribond , qu'il fait un effort pour haranguer ceux , qui font autour de lui. Si c'eft un Chef de Famille , il fait par avance fon Oraifon Funèbre , qu'il finit en donnant à fes En- fans de très-bons avis ; il prend enfuite congé de tout le mon- de , ordonne un Feftin , où il faut employer tout ce qui refte de provifions dans fa Cabanne , puis il reçoit les Préfens de fa Famille. Pendant ce tems-là on égorge tous les Chiens , qu'on peut attraper , afin que les Ames de ces Animaux aillent donner avis dans l'autre Monde qu'un tel va bientôt partir pour s'y rendre , & tous les Corps fe mettent dans la Chaudière pour renforcer le Ferlin. Après le Repas , les pleurs commencent ; on les interrompt pour faire au Mourant les derniers Adieux, lui fouhaiter un heureux Voyage , le confoler fur ce qu'il va fe féparer de fes Parens & de fes Amis , & l'afsûrer que fe3 Enfans foûtiendront toute la gloire , qu'il s'eft acquife. Il faut convenir , Madame , que le fang-froid , avec lequel ces Peuples envifagent la Mort , a quelque chofe d'admirable ; Se cela eft û univerfel , qu'on n'a peut-être jamais vu un Sau- vage fe troubler , en apprenant qu'il n'a plus que quelques heures à vivre ; c'eft partout le même principe & le même génie , quoique les Ufages varient beaucoup fur tout ce que je viens de vous dire , félon les diverfes Nations. Par-tout il y a des danfes , des chants , des invocations , des feftins or- donnés par les Médecins , prefque toujours des remèdes plus propres , félon nos idées , à faire mourir un Homme , qui fe porteroit bien , qu'à guérir un Malade. En quelques endroits même on n'en fait aucun : on fe contente d'avoir recours aux Efprits , & fi le Malade recouvre fa fanté , ils en ont tout l'honneur ; mais le Mourant eft toujours le plus tranquile fur fon fort. leur Gêné- D'autre part , fi ces Peuples font paroître fî peu de jugement rofitéà l'égard dans la manière , dont ils traitent les Malades , il faut avouer des Morts. qu'ils fe comportent à l'égard des Morts avec une générofité , ck une affection , qu'on ne peut trop admirer. On a vu des Mères garder des années entières les cadavres de leurs Enfans > & ne pouvoir s'en éloigner ; & d'autres fe tirer du lait de la D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let.XXVI. 373 Mamelle , & le répandre fur la Tombe de ces petites Créatu- — res. Si le feu prend à un Village, où il y ait des corps morts , 1 7 2 l ' c'eft la première chofe , qu'on met en fureté : on fe dépouille Septem* de ce qu'on a de plus précieux , pour en parer les Défunts : bre. de tems en tems on découvre leurs Cercueils pour les changer d'habits , & l'on s'arrache les morceaux de la bouche , pour les porter fur leur fépulture , & dans les lieux , où l'on s'ima- gine que leurs Ames fe promènent. En un mot on fait beau- coup plus de dépenfe pour les Morts , que pou,r les Vivans. Sitôt que le Malade a rendu les derniers foupirs tout reten- Des Funé- tit de gémifTemens , & cela dure autant que la Famille eft en raiIles< état de fournir à la dépenfe , car il faut tenir table ouverte pendant tout ce tems-là. Le Cadavre paré de fa plus belle robe , le vifage peint , fes armes , & tout ce qu'il poifedoit à côté de lui , eft expofé à la porte de la Cabanne dans la pof- ture , qu'il doit avoir dans le Tombeau , & cette pofture en plusieurs endroits eft celle , où l'Enfant eft dans le fein de fa Mère. L'ufage de quelques Nations eft que les Parens du Dé- funt jeûnent jufqu'à la fin des funérailles, & tout cet inter- valle fe paife en pleurs , en éjulations , à régaler tous ceux, dont on reçoit la viïite , à faire l'éloge du Mort , & en com- plimens réciproques. Chez d'autres on loue des Pleureufes , qui s'acquittent parfaitement de leur devoir. Elles chantent, elles danfent , elles pleurent fans ceffe , & toujours en ca- dence : mais ces démonftrations d'une douleur empruntée ne préjudicient point à ce que la nature exige des Parens du Défunt. Il me paroît qu'on porte fans aucune cérémonie le corps au Des tàma lieu de fa fépulture , du moins n'ai-je rien trouvé fur cela dans beaux- aucune Relation ; mais quand il eft dans la FofTe , on a foin de le couvrir de telle manière , que la terre ne le touche point : il y eft comme dans une Celiule toute tapiifée de Peaux , beau- coup plus riche & mieux ornée qu'une Cabanne. On dreife enfuite un poteau fur la Tombe , & on y attache tout ce qui peut marquer l'eftime , qu'on faifoit du Mort. On y met quel- quefois fon portrait, & tout ce qui peut ferviràfaire connoître aux Paffans qui il étoit , & les plus belles actions de fa vie. On y porte tous les matins de nouvelles proviiions , & comme les Chiens , & d'autres Bêtes ne manquent point d'en faire leur profit , on veut bien fe perfuader que c'eft 374 JOURNAL HISTORIQUE i 7 2 i. l'Ame du Défunt , qui eft venue y prendre fa réfection. Septem- H n'eft pas étonnant après cela que les Sauvages croyent bre. auxRevenans : aufll en font-ils des contes de toutes les façons. Des Rêve- J'ai vûunpauvre Homme , qui à force d'en entendre parler , na»s- s'étoit imaginé qu'il avoit toujours une troupe de Morts à (qs troufles , & comme on avoit pris plaifir à augmenter fa frayeur , il en étoit devenu fou. Cependant au bout d'un cer- tain nombre d'années , autant qu'on avoit d'abord pris à tâche de couferver le fouvenir de ceux , qu'on a perdus , autant prend-on de précaution pour les effacer de fon efprit , & cela uniquement pour mettre fin à la douleur , qu'on a reffentie de leur perte. Des Miiîîonnaire's demandant un jour à leurs Néophytes , pourquoi ils fe privoient des chofes les plus néceïfaires en fa- » veur de leurs Morts ? » C'eft , répondirent-ils , non-feulement » pour témoigner à nos Proches l'amour , que nous leur por- >, tions , mais encore pour n'avoir pas devant les yeux , dans • » ce qui a été à leur ufage , des objets , qui renouvelleroient » fans ceffe notre douleur >,. C'en: auffi par cette raifon , qu'on s'abftient pendant un certain tems de prononcer leurs noms , & que fi quelqu'autre de la Famille le porte , il le quitte pen- dant tout le tems du deuil. C'eft encore apparemment la raifon , pourquoi le plus fanglant outrage , qu'on puiffe faire à quel- qu'un , c'eft de lui dire : ton Père eft mort 3 ou ta Mère ejl morte. Diveifespra- Quand quelqu'un meurt dans le tems de la Chafle , on ex- iguës au fujet pofe fon corps fur un Echafaut fort élevé , & il y demeure des Morts. jufqU'au départ de la Troupe , qui l'emporte avec elle au Vil- lage. Il y a même des Nations , qui en ufent ainfî à l'égard de tous leurs Morts , & je l'ai vu pratiquer aux Miflifaguez du Détroit. Les corps de ceux , qui meurent en guerre , font brû- lés , & leurs cendres rapportées , pour être mifes dans la Sé- pulture de leurs Pères. Ces Sépultures font , parmi les Na- tions les plus fédentaires, des efpéces de Cimetières près du Village. D'autres enterrent leurs Morts dans les Bois au pied d'un Arbre , ou les font fécher , & les gardent dans des caif- fes jufqu'à la Fête des Morts , dont je vais bientôt parler ; mais on obferve en quelques endroits pour ceux , qui fe font noyés , ou qui font morts de froid , un cérémonial affez bifarre. Avant que de vous en donner la defeription , il eft bon , D'UN VOYA GE D E L'AME RI Q.Let, XXVI. 375 Madame , de vous dire que les Sauvages croyent que , quand ' ces accidens arrivent , les Efprits font irrités , & que leur * 72 *• colère ne s'appaife , qu'après que les corps font retrouvés. Septenv Alors , les préliminaires des pleurs , des danfes , des chants & bre, des feftins étant achevés , on porte le corps au lieu de fa fé- pulture , ou , fi on en eft trop éloigné , à l'endroit , où il doit demeurer en dépôt jufqu'à la Fête des Morts. On y creufe une FofTe très-large , & on y allume un feu. De Jeunes-Gens- s'approchent enfuite du Cadavre , coupent les chairs aux par- ties , qui ont été crayonnées par un Maître des cérémonies , & les jettent dans le feu avec les vifceres : puis ils placent le Cadavre ainfi déchiqueté dans le lieu , qui lui eft deftiné. Durant toute cette opération les Femmes , & furtout les Pa- rentes du Défunt , tournent fans celle autour de ceux , qui travaillent , les exhortent à bien s'aaquitter de leur emploi 9 & leur mettent des grains de Porcelaine dans la bouche , comme on y mettroit des dragées aux Enfans pour les enga- ger à quelque chofe , qu'on fouhaiteroit d'eux. L'enterrement eft fuivi des préfens , qu'on fait à la Famille Ce -qui fepaC affligée , & cela s'appelle couvrir le Mort. Ces préfens fe font fe aprês 1£nw au nom du Village , & quelquefois au nom de la Nation. Les Alliés en font aufîi à la mort des Perfonnes confîdérables. Mais auparavant la Famille du Défunt fait un grand feftin au nom du Défunt , & ce feftin eft accompagné de jeux , pour lefquels on propofe des prix. C'eft une efpéce de Joute , qui fe fait en cette manière : un Chef jette fur la tombe trois bâ- tons de la longueur d'un pied , un jeune Homme , une Fem- me, & une Fille en prennent chacun un , & ceux de leur âge, de leur fexe , & de leur état , s'efforcent de leur arracher des mains. Ceux , à qui ils demeurent , font viâorieux. Il y a auffi des courfes , &: l'on tire quelquefois au blanc ; enfin par un ufage , que nous voyons établi dans toute l'Antiquité Payenne , une a£tion toute lugubre eft terminée par des chants , & des cris de vi&oire. Il eft vrai que la Famille du Mort ne prend aucune part à Da-DéoïR ces réjouiffances , on obferve même dans fa Cabanne, après hs obféques un deuil , dont les loix font fort féveres. Il faut avoir les cheveux coupés , & la face noircie ; fe tenir debout , la tête enveloppée dans une couverture , ne regarder perfon- ne ? ne faire aucune vifite ,. ne rien manger de chaud 3 fe pri^ 376 J O U R N AL HISTORIQUE ver de tous les plaifirs , n'avoir prefque rien fur le corps , & 1 7 2 l ' ne fe point chauffer , même au cœur de l'Hyver. Après ce Septem- grand deuil , qui eft de deux ans , on en commence un iecond, bre. pjus modéré , qui dure deux ou trois autres années , & qu'on peut encore adoucir peu à peu ; mais on ne fe difpenfe de rien de ce qui eft prefcrit , qu'avec l'agrément de la Cabanne , à laquelle le Veuf ou la Veuve appartiennent ; ces permifîions, aufïi-bien que la fin du deuil , coûtent toujours un Feftin. Du Veuva- Enfin , on ne peut fans le confentement de ceux , de qui on ge, & des se- dépend , en vertu des loix du Veuvage , convoler à de lecon- «oades Noces. des Nôces# S'ils n'ont point de Mari à donner à la Veuve, elle n'eft point embarraffée , quand elle a des Garçons en âge de la foûtenir ; elle peut demeurer dans l'état de viduité , fans . craindre de manquer jamais de rien. Si elle veut le remarier , elle peut choifir , & celui , qu'elle époufe , devient le Père des Enfans , qu'elle avoit : il entre dans tous les droits , & dans toutes les obligations du premier Mari. L'Epoux ne pleure point fa Femme , parce que , félon les Sauvages , les larmes ne conviennent point aux Hommes ; ce qui n'eft pourtant pas univerfel dans toutes les Nations : mais les Femmes pleu- rent leur Mari pendant un an , elles l'appellent fans ceffe , & remplirent le Village de cris & d'éjulations , furtout au lever Se au coucher du Soleil , à Midi , & en quelques endroits , lorfqu'elles vont au travail , & qu'elles en reviennent ; les Mères font à peu près la même chofe pour leurs Enfans. Les Chefs ne gardent le deuil que fix mois , & peuvent enfuite fe remarier, idée des Enfin le premier , & fouvent le feul compliment , qu'on falTe ccuxfquimca- >d un Am* ' ^ même à un Etranger , qu'on reçoit dans fa Ca- ' e mon banne , eft de pleurer ceux de Tes Proches , qu'il a perdus de ren: violente. pUjs qU'on ne l'a vu. On lui met la main fur la tête , & on lui fait entendre celui , qu'on pleure , mais on ne le nomme pas. Tout ceci eft fondé fur la Nature , & ne fent point le Bar- bare , mais ce que je vais vous dire ne me paroît excufable par aucun endroit : c'eft la conduite , que ces Peuples tiennent à l'égard de tous ceux , qui ont péri de mort violente , même en guerre , & pour le fervice de la Patrie, Ils fe font mis 'dans la tête que leurs Ames n'ont' dans l'au- tre Monde aucun commerce avec les autres , & fur ce prin- cipe ils les brûlent , ou les enterrent d'abord ? quelquefois même DUN VOYAGE DE L'A MERIQ.Let. XXVI. 577 même avant qu'ils ayent expiré. Ils ne les mettent jamais ~* — -^~- dans le Cimetière commun , & ils ne leur donnent aucu- . ne part à cette grande cérémonie , qui fe renouvelle tous Seprem- les nuit ans parmi quelques Nations , & tous les dix ans chez ^re* les Hurons & les Iroquois. On l'appelle la Fête des Morts , ou le Feflin des Ames ; Se De Ia îèts voici ce que j'ai pu recueillir déplus uniforme & de plus desMorts- remarquable touchant cette a£tion , la plus finguliere & la plus célèbre de toute la Religion des Sauvages. On commen- ce par convenir du Lieu , où fe fera l'Aftemblée , puis on choifit le Roy de la Fête , dont le devoir eft de tout ordonner, Se de faire les invitations aux Villages voifins. Le jour mar- qué étant venu , tous les Sauvages s'affemblent , & vont pro- ceffionnellement deux à deux au Cimetière ; là , chacun tra- vaille à découvrir les Corps , enfuite on demeure quelque tems à confidérer en ftlence un fpectacle fi capable de fournir les plus férieufes réflexions. Les Femmes interrompent les premières ce religieux filence , en jettant des cris lamentables, qui augmentent encore l'horreur , dont tout le monde eft pénétré. Ce premier a£le fini , on prend ces Cadavres , on ramaiTe les oflemens fecs Se détachés, on les met en paquets, & ceux, qui font marqués pour les porter , les chargent fur leurs épau- les. S'il y a des Corps , qui ne foient pas entièrement corrom- pus , on les lave , on en détache les chairs pourries , Se toutes les ordures , & on les enveloppe dans des Robes de Caftors toutes neuves. Enfuite on s'en retourne dans le même ordre , qu'on avoit gardé en venant , & quand la Proceffion eft ren- trée dans le Village , chacun dépofe dans fa Cabanne le dépôt, dont il étoit chargé. Pendant la marche les Femmes conti- nuent leurs éjulations , Se les Hommes donnent les mêmes marques de douleur , qu'au jour de la mort de ceux , dont ils viennent de lever les triftes reftes ; Se ce fécond a£te eft fuivi d'un Feftin dans chaque Cabanne , en l'honneur des Morts de la Famille. Les jours fuivans on en fait de publics , & ils font accom- pagnés , comme le jour de l'Enterrement , de Danfes , de Jeux Se de Combats , pour lefquels il y a aufîi des Prix pro- pofés. De tems en tems on jette de certains cris , qui s'appel- lent les cris des Ames 3 on fait des Préfens aux Etrangers , par- Tome III Bbb 378 JOURNAL HISTORIQUE mi lefquels il y en a quelquefois , qui font venus de cent cin- 1 7 2 !• qUante lieues , & l'on en reçoit d'eux. On profite même de Septem- ces occafions , pour traiter des Affaires communes , ou pour bre. réle&ion d'un Chef: tout fe paffe avec beaucoup d'ordre , de décence , & de modeftie ; & chacun y paroît pénétré des fentimens les plus conformes à l'a&ion principale ; tout , juf- qu'aux Danfes & aux Chants , y refpire je ne fçai quoi de lugubre , & l'on y fent des cœurs percés de la plus vive dou- leur ; les plus indifferens en feroient faifis , à la vue de ce fpec- îacle. Au bout de quelques jours on fe rend encore proceffion- nellement dans une grande Salle de Confeil dreffée exprès , on y fufpend contre les Parois les Offemens & les Cadavres dans le même état , où on les a tirés du Cimetière , & on y étale les Préfens deftinés pour les Morts ; fi parmi ces trift.es reftes il fe trouve ceux d'un Chef, fon Succeffeur donne un grand repas en fon nom , & chante fa Chanfon. En plusieurs endroits les Corps font promenés de Bourgade en Bourgade , font reçus partout avec de grandes démonftrations de dou- leur & de tendreffe , & partout on leur fait des Préfens ; en- fin on les porte à l'endroit , où ils doivent être dépofés pour toujours : mais j'ai oublié de vous dire que toutes ces mar- ches fe font au fon des Inftrumens , accompagnés des plus belles Voix , & que chacun y marche en cadence. Cette dernière & commune fépulture eft une grande foffe, qu'on tapiffe des plus belles Pelleteries , & de ce qu'on a de plus précieux. Les Préfens deftinés pour les Morts , font pla- cés à part : à mefure que la Proceffion arrive , chaque Fa- mille s'arrange fur des efpeces d'Echaffauts dreffés autour de la foffe , & au moment que les Corps font dépofés , les Femmes recommencent à crier , & à pleurer. Enfuite tous les Affiftans defcendent dans la foffe , & il n'eft Perfonne , qui n'en prenne un peu de terre , qui fe conferve précieufement ; on s'eft imaginé que cette terre porte bonheur au Jeu. Les Corps & les Offemens font arrangés par ordre 3 couverts de Fourures toutes neuves , & par deffus , d'écorces fur lefquel- les on jette des pierres , du bois , & de la terre. Chacun fe retire enfuite chez foi , mais des Femmes reviennent pendant quelques jours verfer au même endroit de la Sagamité. Je fuis , &c D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ.Let.XXVIÏ. j79 VINT-SEPTIEME LETTRE. "77177 Voyage jujhuà Pimiteouy. De la Rivière des Illinois ; Récep- tion des Prifonniers parmi ces Peuples. Manière , dont ils les brillent. Quelques particularités fur leur manière de vivre* A Pimiteouy , ce cinquième d'O&obre , 1721, Mad AME, La nuit du dix-fept au dix-huit de ce mois , la Gelée , qui Defcriptioi depuis huit jours fe faifoit fentir tous les matins , augmenta du Théa!cikL confidér ablement ; c'étoit de bonne heure pour le Climat où nous nous trouvions , car nous étions par les quarante & un degrés quarante minutes d'élévation du Pôle. Les jours fuivans nous voguâmes depuis le matin jufqu'au foir , favori- fés par le Courant , qui eft affez fort , & quelquefois par le Vent ; nous faisons en effet beaucoup de chemin , mais nous avancions fort peu : après avoir fait dix ou douze lieues , nous nous trouvions fi proches de notre dernier Campement, que de l'un à l'autre on auroit pu fe voir , & fe parler même , au moins avec un Porte -voix. Ce qui nous confoloit un peu , c'eft que la Rivière & fes bords étoient couverts de Gibier engraiffé par la Folle Avoi- ne , qui étoit pour lors dans fa maturité. J'y cueillis aufîi du Raifin mûr , de la groffeur & de la figure d'une balle de Mouf- quet , & affez tendre , mais d'un mauvais goût. C'efl appa- remment le même , qu'on appelle dans la Louyfiane Raijîn- Prune. La Rivière peu à peu prend un cours plus droit , mais fes bords ne font agréables qu'après , cinquante lieues depuis fa fource. Elle eft même dans tout cet efpace fort étroite , & comme elle eft bordée d'Arbres, qui ont leurs racines dans l'eau , quand il en tombe quelqu'un il barre toute la Rivière, Se il faut perdre un tems infini à fe faire un paffage pour ie Canot. Tous ces embarras paffés , la Rivière , à cinquante lieues de Bbb ij \yi\ 38o JOURNAL HISTORIQUE fa fource forme un petit Lac , & s'élargit ensuite confidéra- blement. Le Pays devient beau. Ce font des Prairies à perte Octobre, de vûë , où les Bœufs vont par troupeaux de deux à trois cent , mais il y faut être fur fes gardes , pour ne point fe laiffer fur- prendre par des Partis de Sioux & d'Outagamis , que le voifi- nage des Illinois , leurs Ennemis mortels , y attire , & qui ne font pas plus de quartier aux François , qu'ils rencontrent fur leur route. Le mal eft que le Theakiki perd de fa profondeur , à mefure qu'il gagne en largeur , de forte qu'il faut fouvent décharger le canot , & marcher à pied , ce qui ne fe fait ja- mais fans quelque rifque , & que j aurois été fort embarraffé , fi on ne m'avoit donné une Efcorte à la Rivière de Saint Jofeph. Ce qui m'a furpris , en voyant fi peu d'eau dans le Theakiki , c'efî que de tems en tems il reçoit d'affez jolies Rivières ; j'ea ai vu une entr'autres , qui a plus d'un arpent de large à fou embouchure , & qu'on a nommée la Rivière des Iroquois y parce que ces Braves s'y biffèrent furprendre par les Illinois , qui leur tuèrent bien du Monde. Cet échec les humilia d'au- tant plus , qu'ils méprifoient fort les Illinois , lefquels ordinai- rement ne tiennent point devant eux.. De k Ri- Le vint-fept de Septembre nous arrivâmes à la- Fourche , ■vîere des illi- c'eft. le nom , que les Canadiens ont donné à l'endroit , où le Theakiki & la Rivière des Illinois fe joignent. Celle-ci , quoi- qu'après foixante lieues de cours , yeft encore fi peu de cho- ies , que j'y vis un Bœuf la traverfer , n'ayant pas de l'eau jufqu a mi-jambe. Le Theakiki au contraire , outre qu'il y amené fes eaux de cent lieues , eft une belle Pciviere. Cepeii'- dant il perd ici fon nom , fans doute parce que les Illinois ayant été établis en plufieurs endroits de l'autre , lui ont don- né le leur. Enrichie tout-à-coup par cette jonction , elle ne le cède en largeur à aucune , que nous ayons en France, & j'ofe vous aflïirer , Madame, qu'il n'efr. pas pofîible de voir un meilleur , ni un plus beau Pays , que celui , qu'elle arrofe , au moins jufqu 'à l'endroit , d'où je vous écris. Mais ce n'eft que quinze lieues au-deffous de la Fourche , quelle acquiert une profondeur ,. qui réponde à fa largeur ; quoique dans cet intervalle elle reçoive plufieurs autres Rivières. La plus grande fe nomme Pifticoui , & vient du beau Pays des Mafcoutins. Elle a à fon embouchure un Rapide , qu'on & jlOlS. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ.Let. XXVII. 381 nommé la Charbonnière , parce que l'on trouve beaucoup de charbon de terre aux environs. On ne voit fur cette route ' 2 l" que des Prairies immenfes , femées de petits bouquets de bois , Octobre, qui paroiffent y avoir été plantés à la main , les herbes y font ii hautes , qu'on s'y perd , mais on rencontre partout des ren- tiers aufTi battus , qu'ils le pourroient être dans les Pays les plus peuplés , cependant il n'y parle que des Bœufs], & de tems en tems quelques troupeaux de Cerfs-, & quelques Che- vreuils. Une lieue au-deiTous de la Charbonnière on apperçoit fur la droite un Rocher tout rond , extrêmement élevé , dont le fommet eft en terrafïe ; on l'appelle le Fort des Miamïs 3 parce que ces Sauvages y ont eu un Village. Au bout d'une autre lieuë fur la gauche on en voit un tout femblable , qu'on a nommé Amplement le Rocher. C'eft la pointe d'un Platon fort élevé, qui tourne l'efpace de deux cent pas , en fuivant tou^ jours le bord de la Rivière , laquelle s'élargit beaucoup en cet endroit. Il eft partout à pic , & de loin on le prendroit pour une ForterefTe. On y voit même encore quelques ref- tes de Palinades. , parce que les Illinois y avoient fait autre- fois un Retranchement , qu'il leur eft aifé de réparer en cas de quelqu'irruption de la part de leurs Ennemis. Leur Village eft au pied de ce Roc dans une Me „ qui avec plufieurs autres , toutes d'une fertilité merveilleufe , féparent en cet endroit la Rivière en deux Canaux affez larges. J'y débarquai le vint-neuf vers les quatre heures du foir , & j'y rencontrai quelques François , qui y trafjquoient avec les Sauvages. A peine avois-je mis pied à terre , que je fus vilîté par le Chef de la Bourgade : c'eft un Homme d'environ qua- rante ans , bienfait , doux , d'une phyfionomie aimable , &: dont les François me dirent beaucoup de bien. Je montai enfuite fur le Rocher par un chemin allez aifé „ mais fort étroit. Je trouvai une terraûe fort unie, d'une grande étendue , & où tous les Sauvages du Canada ne forceroient pas vint Hommes., qui auroient des armes à feu , s'ils pou- voient y avoir de l'eau ; car on n'en peut tirer que de la Ri1- viere ,'& pour cela il faut fe découvrir. Toute la reflource de ceux, qui y feroient aftiégés , eft l'impatience naturelles ces Barbares. Dans les petits Partis ils attendront fans peine huit & dix jours derrière un Buiffon ,. dans l'efperance qu'il 382 JOURNAL HISTORIQUE 51 — ~T pafTera quelqu'un , à qui ils pourront caffer la tète , ou pour " avoir un Prifonnier : mais quand ils font en corps de Guer- Octobre. rjers 9 s'jls ne réuffilTent pas d'abord , ils fe laffent bientôt , & prennent le premier prétexte pour fe retirer : ils n'en manquent jamais , car il ne faut pour cela qu'un fonge vrai , ou prétendu. Réception La pluye , & plus encore un fpeftacle , qui me fit horreur , desPnfonnicK m,ei-npêcha de faire le tour de ces Rochers , d'où j'efperois de parmi les Illi- . , * . , T, T, i i»' "./'••;■ b • • ' ' nois. découvrir un grand Pays. J apperçus a 1 extrémité , ix immé- diatement au-defTus du Village , deux corps de Sauvages , qu'on y avoit brûlés peu de jours auparavant , & qu'on avoit abandonnés , félon la coutume , aux Oifeaux de proye , dans la même pofture, où ils avoient été exécutés. La façon de brûler les Prifonniers parmi ces Nations Méridionnales a quel- que chofe de fingulier , & elles ont auffi quelques coutumes différentes des autres dans la manière , dont elles en ufent en- vers ces Malheureux. Quand elles ont fait quelqu'expédition militaire , qui leur a reuffi , les Guerriers ménagent tellement leur marche , qu'ils n'arrivent jamais à leur Village , que le foir. Dès qu'ils en font proches , ils s'arrêtent , & quand la nuit eft venue , ils dépu- tent deux ou trois Jeunes-Gens au Chef, pour lui faire part des principales aventures de la Campagne. Le lendemain à l'aube du jour ils parent leurs Prifonniers de robes neuves , leur accommodent les cheveux avec du duvet , leur peignent le vifage de différentes couleurs, & leur mettent à la main un bâton blanc , environné de queues de Chevreuils. En même-tems le Chef de guerre fait un cri , & tout le Village s'affemble au bord de l'Eau , h* l'on eff près d'une Rivière. Dès que les Guerriers paroiffent, quatre Jeunes-Gens bien parés s'embarquent dans une Pirogue ( a ) , les deux Premiers portent chacun un Calumet , & vont en chantant chercher les Prifonniers , qu'ils amènent , comme en triomphe , jufqu a la Cabanne , où ils doivent être jugés. Le Maître de la Ca- banne , à qui il appartient de décider de leur fort , commence par leur donner à manger , & pendant ce repas il tient con- FeiL Si on accorde la vie à quelqu'un, deux Jeunes-Gens vont le délier , le prennent chacun par une main , & le font cou- ( a ) C'cft un Battcau long , fait d'un feul tronc d'Arbre. On fe fert peu de Canots d'Ecorces dans ces Quartiers-là. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXVÏÏ. 383 rir à toutes jambes à la Rivière , où ils le jettent la tête la pre- I72 1. miere. Ils s'y jettent eux-mêmes après lui , le lavent bien , & ^ t le conduifent à celui , dont il doit être Efclave. Uctonre. Quant à ceux , qui font condamnés à mourir , fitôt que Manière de la Sentence eft portée , on fait le cri pour affembler le Vil- les bn"ller- lage , & l'exécution n'efl différée , qu'autant de tems , qu'en demandent les préparatifs. On commence par dépouiller le Patient tout nud ; on plante en terre deux poteaux , aufquels on attache deux traverfes , l'une à deux pieds de terre , l'autre à fix ou fept pieds plus haut , & c'eft ce qu'on appelle un ca- dre. On fait monter le Patient fur la première traverfe , à la- quelle on lui attache les pieds , un peu écartés l'un de l'autre : on lui lie enfuite les mains aux angles , que forme la féconde traverfe , & en cette pofture on le brûle par-tout le corps. Tout le Village , Hommes , Femmes & Enfans s'attroupe autour de lui , & chacun a droit de lui faire tout le mal , dont il peut s'avifer. Si aucun des Aifrff ans n'a point de raifon parti- culière pour le faire fouffrir lontems , fon fupplice dure peu > & ordinairement , on l'achevé à coups de Flèches , ou bien on l'enveloppe d'écorces d'Arbres , aufquelles on met le feu* On le laiffe enfuite dans fon cadre , &fur le foir on parcourt les Cabannes , en frappant avec des baguettes fur les meubles ,. fur les murailles , & fur le toit , afin d'empêcher fon Ame d'y refter , pour fe venger du mal, qu'on a fait à fon corps. Le refte de la nuit fe pafle en réjouifTances. Si le Parti n'a point rencontré d'Ennemis , ou s'il a été con- Panïcuîari- traint de fuir , il rentre de jour dans le Village , en gardant un tés fur les Par- profond filencç : mais s'il a été battu , il rentre le ibir , après us e sume" avoir annoncé fon retour par un cri de mort , & nommé tous ceux , qu'il a perdus , foit par maladie , ou par le fer de l'En- nemi. Quelquefois les Prifonniers font jugés & exécutés avant qu'on arrive au Village , furtout quand on a lieu de craindre qu'ils ne foient enlevés. Il y a quelque tems qu'un François ayant été pris par des Outagamis , ces Barbares tinrent con- feil pendant la route pour fçavoir ce qu'ils en feroient. Le ré- sultat de la délibération fut de jetter un bâton fur un Arbre > & s'il y refioit , de brûler leur Prifonnier , mais de ne le jetter qu'un certain nombre de fois. Par bonheur pour le Captif y quoique l'Arbre fût extrêmement touffu y le bâton retomba toujours à terre» 384 JOURNAL HISTORIQUE 1721. Je reftai vint-quatre heures au Rocher, & pour faire plaiiîr Octobre, aux Sauvages , ck leur témoigner une entière confiance , quoi- Chants lu- que tous mes Conducleurs fuffent campés de l'autre côté de wbrades il- la Rivière, je couchai dans une Cabanne au milieu du Vil- lage. J'y paffai la nuit allez tranquillement , mais je fus réveillé de bon matin par une Femme , qui demeuroit dans la Caban- ne voifine ; à fon réveil , le fouvenir d'un Fils , qu'elle avoit perdu quelques années auparavant , lui revint à fefprit , & aufîi-tôt elle fe mit à pleurer , ou à chanter fur un ton fort lugubre. Les Illinois ont la réputation d'être hardis & habiles Filoux, & c'eft la raifon pourquoi j'avois fait tranfporter tout le Ba- gage à l'autre Bord ; mais malgré cette précaution , & la vigilance de mes Gens , lorfqu'il fallut partir , nous trouvâ- mes qu'il nous manquoit un Fufil , & quelques bagatelles T qu'il ne nous fut jamais pofîïble de recouvrer. Le même foir nous pafsâmes le dernier endroit de la Rivière , où l'on foit obligé de traîner le Canot ; après cela elle a partout une lar- geur & une profondeur , qui l'égalent à la plupart des plus grands Fleuves de l'Europe. Des rcrro- Je vis aufTi ce jour-là pour la première fois des Perroquets : quets de la jj y en a l^long du Theakiki , mais en Eté feulement , ceux-ci etoient des traineurs, qui le rendoient iur le Micimpi, ou 1 on en trouve dans toutes les Saifons ; ils ne font gueres plus gros que des Merles , ils ont la tête jaune , avec une tache rouge au milieu , dans le refte de leur Plumage c'eft le verd , qui domine. Les deux jours fuivans nous traversâmes un Pays charmant , & le troifiéme d'Oftobre vers le Midi , nous nous trouvâmes à l'entrée du Lac Pimiteouy ; c'eft la Rivière , qui s'élargit , & qui pendant trois lieues en a une de large. Au bout de ces trois lieues on trouve fur la droite un fécond Village d'Illinois , éloigné de quinze lieues de celui du Ro- cher. Du village pjen n'efl. pjus agréable que fa fituation , il a vis - à-vis , imitcouy. comme en p£rfpe£tive , une très - belle Forêt , qui étoit alors de toutes les couleurs , & derrière une Plaine d'une étendue immenfe , bordée de Bois. Le Lac & la Rivière fourmillent N°uven" ' de Poiffons , & leurs bords de Gibier. Je rencontrai encore dans ce Village quatre François Canadiens , qui m'apprirent que j'étois entre quatre Partis Ennemis , & qu'il n'y avoit au- cune ^ue j'y appris. DTTN VOYAGE DE L'AMERIQ.Let.XXVÏL 3§5 cune sûreté pour moi , ni à avancer , ni à Retourner fur mes t „ 2 K pas ; ils m'ajoutèrent que fur la route , que je venois de faire , _ . il y avoit trente Outagamis en embufcade , qu'un pareil nom- octobre, fere des mêmes Sauvages rodoit autour du Village de Pimi- teouy, & que d'autres , au nombre de quatre- vint , fe tenoient au bas de la Rivière , féparés en deux Bandes. Ce récit me rit faire attention à ce qui nous étoit arrivé la veille ; nous nous étions arrêtés au bout d'une îfle , pour chercher des Outardes , fur lefquelles quelques-uns de mes Condufteurs avoient tiré ; & nous entendîmes quelqu'un , quicoupoitduBois dans le milieu de l'Ifle. La proximité du Village dePimiteouynous avoit fait juger que c'etoit quelque Illinois , & nous nous en étions tenus là ; mais il y a bien de l'apparence que c'étoient des Outagamis , qui nous ayant dé- couverts , & n'ofant nous attaquer , parce que j'avois douze Hommes bien armés , vouloient attirer quelqu'un de nous dans le Bois , comptant apparemment avoir bon marché des autres ; mais notre peu de curiofité nous garantit de ce mal- heur , que je n'aurois pas évité fans doute , il je n'avois pas eu une Efcorte commandée par un Homme , qui n'étoit pas d'hu- meur à s'arrêter inutilement. Ce qui nous confirma encore les avis des quatre François ," c'en1 que trente Guerriers de Pimiteouy , commandés par le Chef même du Village étoient en Campagne , pour tâcher d'avoir des nouvelles plus certaines des Ennemis , & que peu de jours avant leur départ il y avoit eu une A&ion dans le voiiinage , où les deux Partis avoient fait chacun un Prifon- nier ; l'Outagami avoit été brûlé à une portée de Fufïl du Vil- lage , & il étoit encore dans fon Cadre. Les Canadiens , qui avoient a/Tiflé à fon fupplice , me dirent qu'il avoit duré cinq heures , & que ce Malheureux avoit foûtenu jufqu'à la mort qu'il étoit Illinois , qu'il avoit été pris dans fon enfance par des Outagamis , qui l'avoient adopté. Il s'étoit pourtant très-bien battu , & fans une bleffure , qu'il avoit reçu à la Jambe , il n'auroit pas été pris ; mais comme il n'avoit pu donner des preuves de ce qu'il avançoit, & que peu s'en étoit fallu qu'il ne fe fût fauve , on ne l'en avoit pas voulu croire fur fa parole. Il fit voir au milieu des tourmens que la bravoure & le courage à fupporter la dou- leur , font des Vertus bien différentes , & qu'elles ne vont pas Tome III, C ce 386 JOURNAL HISTORIQUE toujours enfemble; car il jettoit des cris lamentables , qui ne 1 7 2 * ' faifoient qu'animer fes Bourreaux ; il efl vrai qu'une vieille Oftobre. Hlinoife , dont le Fils avoit été tué autrefois par les Outaga- mis , lui fit tous les maux , que la fureur infpirée par la ven- geance , peut inventer ; à la fin cependant on eut pitié de fes cris , on l'enveloppa de paille , à laquelle on mit le feu, & comme il refpiroit encore , après qu'elle eut été confu- mée , les Enfans le percèrent de Flèches: ordinairement, quand un Patient ne meurt pas en Brave , c'efl une Femme , ou des Enfans , qui lui donnent le coup de la mort ; il ne mérite pas , dit-on , de mourir de la main d'un Homme. Embarras , Cependant , Madame , je me trouvai fort embarraffé. D'un oùjemetrou- cfa£ mes Condu&eurs ne croyoient pas , qu'il fût de leur pru- dence de pafler outre , & de l'autre il ne convenoit nullement à mes affaires , d'hyverner à Pimiteouy , j'aurois même été obligé de fuivre les Sauvages dans leur hyvernement , & cela m'auroit fait perdre une année entière. Enfin deux Canadiens, des quatre , que j'avois trouvés à Pimiteouy , s'offrirent à grofîir mon Efcorte , & tout le monde reprit cœur. Je vou- lois partir dès le lendemain , quatrième d'O&obre , mais la pluye , & quelques embarras , qui nous furvinrent , m'arrê- tèrent tout le jour. L'après-midi les Guerriers , qui étoient allés à la découver- te , revinrent , fans avoir fait aucun cri , parce qu'ils n'a- voient rien vu. Ils défilèrent tous devant moi d'un air afTez fier ; ils n'étoient armés que de Flèches , & d'une Ronda- che de cuir de Bœuf, & ils ne firent pas femblant de me voir : c'efl la coutume des Guerriers de ne faluer perfonne , quand ils font en corps d'Armée ; mais à peine furent-ils ren- trés chacun chez eux , que le Chef s'étant mis fur fon pro- pre , vint me rendre une vifite de cérémonie. C'efl un Hom- me d'environ quarante ans , affez grand , un peu maigre , d'un caractère doux , & fort raifonnable. C'efl d'ailleurs le plus brave Soldat de fa Nation, & il n'efl point d'Illi- nois , qui mérite mieux que lui le furnom (a) 3 qu'Ho- mère donne par préférence au Héros de fon Iliade. C'efl beau- coup dire , car les Illinois font peut-être les Hommes du Mon- de les plus légers à la courfe ; il n'y a que les Mifïburites , qui pourroient leur difputer cette gloire. Hiftoîre fin- Comme j'apperçûs une Croix de cuivre , & une petite figure giuierc ou * * (a) Uh$~#.$ Ùms, DUNVOYAGEDEL'AMERIQ. Let. XXVII. 387. de la Vierge , qui pendoient au cou de ce Sauvage , je crûs 1711. qu'il étoit Chrétien , mais on m'affûra qu'il ne l'étoit point , Oftobre. & qu'il ne s'étoit mis dans l'équipage , où je le voyois , que chef de rimi- pour me faire honneur : on m'ajouta ce que je vais vous rap- teouy- porter , fans exiger que vous y donniez plus de croyance , que n'en méritent mes Auteurs ; ce font des Voyageurs Cana- diens , qui n'ont afïïirément pas inventé ce qu'ils me racon- tèrent , mais qui l'ont oui dire , comme une chofe confiante. Voici le fait. L'Image de la Vierge , que portoit le Chef, lui étant tom- bée entre les mains , je ne fçai comment , il fut curieux de fçavoir qui elle repréfentoit : on lui dit que c'étoit la Mère de Dieu , & que l'Enfant , qu'elle tenoit entre fes bras , étoit Dieu même , qui s'étoit fait Homme pour le falut du Genre humain : on lui expliqua en peu de mots le Myftere de cette ineffable Incarnation , & on lui dit que les Chrétiens s'adref- foient toujours à cette divine Mère dans tous les périls, où ils fe trouvoient , & que rarement ils le faifoient en vain. Le Sau- vage écouta ce difcours avec beaucoup d'attention , & quel- que teins après , comme il chaffoit feul dans le Bois , un Ou- tagami , qui s'y étoit mis en embufcade , fe montra à lui , dans le moment,qu'il venoitde tirer fon coup, & le coucha en joue. Il fe fouvint alors de ce qu'on lui avoit dit de la Mère de Dieu, il l'invoqua, & l'Outagami ayant voulu tirer , fon fufil ne prit point feu. Il le rebanda , & la même chofe arriva jufqu'à cinq fois. Pendant ce tems-là l'Illinois chargea le fien , & coucha à fon tour en joue fon Ennemi , qui aima mieux fe rendre , que de fe laifïer tuer. Depuis cette aventure le Chef Illinois ne fort jamais de fon Village , fans porter avec lui fa Sauve-garde , avec laquelle il fe croit invulnérable ; fi le fait eft vrai , il y a bien de l'apparence que le feul défaut de Mil- lionnaire l'a jufqu'ici empêché de fe faire Chrétien, & que la Mère de Dieu , après l'avoir préfervé d'une mort temporelle , lui obtiendra la grâce d'une fincere converfion. {a) A peine ce Chef m'eut-il quitté , qu'étant forti moi-même M . pour vifiter les environs du Village , j'apperçus deux Sauva- pleurer les ges , qui alloient de Cabanne enCabanne , pleurant à peu Morts. Palaii près fur le même ton , que la Femme du Rocher , dont je vous es Illinois- ai parlé. L'un avoit perdu fon Ami dans le dernier combat , • ( a ) Il s'eft en effet converti depuis. C ccij iVirctt-, 388 JOURNAL HISTORIQUE — l'autre étoit le Père du Mort. Ils marchoient à grands pas , & 1 7 2 ï ' mettoient les deux mains fur la tête de tous ceux , qu'ils ren- 0£fcobre. contrôlent ; apparemment pour les inviter à prendre part à leur douleur. Ceux , qui ont cherché des convenances entre les Hébreux & les Ameriquains , n'auront pas manqué fans doute de faire attention à cette manière de pleurer , que quel- ques expreffions de l'Ecriture pouvoient donner lieu à ces fai- feurs de conjectures de juger avoir été en ufage parmi le Peuple de Dieu. Attemîonsck Sur le foir le Chef me fit prier de me trouver dans une chef pour ma maifon s ou U11 de 110s Miffionnaires avoit logé quelques an- nées auparavant , & où apparemment on avoit accoutumé de tenir le Confeil ; j'y allai , & je l'y trouvai avec deux ou trois Anciens. Il commença par me dire qu'il vouloit m'inftruire de la grandeur du péril , auquel je m'expofois , en continuant ma route : que tout bien confideré , il me confeilloit d'atten- dre pour partir que la Saifon fût un peu plus avancée ; qu'il efpéroit qu'alors les Partis ennemis fe retireroient, & me laif- feroient le chemin libre. Comme il pouvoit avoir fes vues en m'arrêtant à Pimiteouy , je lui témoignai que je n'étois pas fort touché de fes raifons , & j'ajoutai que j'en avois de meil- leures pour preffer mon départ. 11 me parut que ma réponfe lui faifoit de la peine , & je reconnus bientôt qu'elle ne ve- noit que de fon affe£tion pour moi , & de fon zélé pour notre Nation. rH » Puifque ta réfolution eft prife , me dit-il , je fuis d'avis que „ tous les François ,qui font ici , fe joignent à toi pour fortifier „ ton efcorte : je leur ai même déjà déclaré ma penfée fur cela , „ & je leur ai fortement repréfenté qu'ils feroient à jamais per- H dus d'honneur , s'ils laiffôient leur Père dans le danger , fans „ le partager avec lui. J'aurois bien fouhaitté pouvoir t'ac- „ compagner moi-même à la tête de tous mes Soldats , mais tu „ n'ignores point que mon Village eft tous les jours à la veille „ d'être attaqué , & il ne me convient pas de m'en abfenter , ni H de le dégarnir dans de pareilles conjonctures. Pour les Fran- » çois , rien ne peut les arrêter ici , qu'un intérêt , qu'ils doi- y> vent facrifier à ta confervation. C'eft ce que je leur ai fait „ entendre , & je leur ai ajouté que fi quelqu'un d'eux tomboit » entre les mains des Ennemis , ce ne feroit que la perte d'un. a Homme , au lieu qu'un Père en valoit lui feul pluiieurs ,, 6k. D'UN VOYAGE DE L'A MERIQ.Let. XXVII. 389 qu'il n'y avoit rien , qu'ils ne dûffent rifquer , pour prévenir « 1721 . un fi grand malheur. * « Octo- Je fus charmé , Madame , de la fageffe de cet Homme , & bre. plus encore de fagénérofité, qui le portoit à vouloir bien, par considération pour moi , fe priver de quatre Hommes , dont le fecours ne devoit pas lui être indifférent dans la fituation , où il fe trouvoit. Je n'avois pas même douté qu'en voulant me retenir chez lui , il n'eût eu en vue de fe fervir de mon Ef- corte dans le befoin. Je lui témoignai beaucoup de reconnoif- fance de fon bon cœur & de fes attentions , & je l'affûrai que j'étois fort content des François : que je voulois les partager avec lui : que je lui en laiflerois deux pour le défendre , en cas qu'il fût attaqué ; que les deux autres m'accompagneroient jufqu'à ce que je fuffe en lieu de fureté , & qu'avec ce ren- fort je me croyois en état d'aller par tout fans rien craindre. Il n'infifta point davantage , & je me retirai. Ce matin il eff. venu me rendre une féconde vifite , accom- n fak bap* pagné de fa belle-Mere , qui portoit entre fes bras un petit "fer fa FiI1^ Enfant. » Tu vois , me dit-il en m'abordant , un Père bien * affligé. Voici ma Fille , qui fe meurt , fa Mère eft morte en la « mettant au monde , & aucune Femme n'a pu encore réùfïir u à la nourrir. Elle rejette tout ce qu'elle prend , & elle n'a « peut-être plus que peu d'heures à vivre : tu me feras plaifir * de la baptifer , afin qu'elle puiffe aller voir Dieu après fa « mort. * L'Enfant étoit effectivement très-mal , & abfolument « hors d'efpérance de guérifon , ainfi je ne balançai pas à lui conférer le Baptême. • Mon Voyage dût- il être d'ailleurs tout-à-fait inutile , je vous avoue , Madame , que je n'en regretterois pas les fati- gues & les dangers , puifque félon toutes les apparences , fi je n'étois pas venu àPimiteouy , cette Enfant ne feroit jamais entrée dans le Ciel , où je ne doute pas qu'elle nefoit bientôt. J'efpere même que ce petit Ange obtiefidra pour fon Père la même grâce , qu'il lui a procurée. Je parts dans une heure 9, & je confie cette Lettre aux deux François , que je laiffe ici , & qui comptent de profiter de la première occafion pour re- tourner en Canada.. Je fuis , &-C* 39° JOURNAL HISTORIQUE VINT-HUITIEME LETTRE. Voyage de Pimiteouy aux Kaskafquias. Du Cours de la Ri- vière des Illinois. Des Mines de Cuivre. Du Miffouri. Des Mines de la Rivière de Marameg. Defcription du Fort de Chartres , & de la MiJJion des Kaskafquias. Des Arbres Fruitiers de la Louyfiane. Defcription du Micijfipi au- deffus des Illinois. Différentes Tribus de cette Nation. Quel- ques Traditions des Sauvages. Leurs idées fur les Aftres , les Eclypfes 3&le Tonnerre : leur manière de calculer le tems. 1 7 2 * • Aux Kaskafquias , ce vintiéme d'Octobre ,1721 Oftobre. M ADAME, J e vous avoue , de bonne foi , que je n'étois pas auffi raf- fûré en partant de Pimiteouy , que je le feignois de l'être , au- tant pour mon honneur , que pour ne pas achever de décou- rager ceux , qui m'accompagnoient , & dont quelques-uns diffimuloient affez mal leur frayeur. Les allarmes , où j'avois trouvé les Illinois , leur chant lugubre , la vue des cadavres expofés dans leurs cadres , objets affreux , qui me repréfen- toient fans ceffe à quoi l'on doit s'attendre , fi l'on a le mal- heur de tomber entre les mains de ces Barbares , tout cela faifoit fur moi une impreffion , dont je n'étois pas le maître , & pendant fept ou huit jours je ne dormis pas fort tranquil- lement. induftrks Je n'appréhendois pas à la vérité que l'Ennemi nous atta- aes sauvages , quât ouvertement , parce que j'avois quatorze hommes bien rU1icursPEn" armez » & ^lQtl commandez ; (a) mais il y avoit tout à uSnis?" "" craindre des furprifes , n'y ayant point d'induftrie , dont les Sauvages ne s'avifent , pour attirer leurs Ennemis dans les pièges , qu'ils leur tendent. Un des plus ordinaire eft de con- trefaire le cri d'un Animal , ou le chant d'un Oifeau , & ils {a) M. de S. Ange, qui s'eft depuis fort diftingué contre les Renards, commandoiç mon Efcortç. D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXVIII. 39r les imitent fi parfaitement , que tous les jours on y eft pris, j Z 2 K On eft campé à l'entrée d'un Bois , on croit entendre un Bœuf, ~ un Cerf, un Canard , deux ou trois Hommes y courent dans ^"°hre. l'efpérance de faire capture , & fouvent ne reviennent pas. Cours de la On compte foixante & dix lieues de Pimiteouy au Micif- Rlvi.eredes11- iipi : ) ai dit qu il y en avoit quinze du Kocher a Pimiteouy ; le premier de ces deux Villages eft par les quarante & un de- grez , l'entrée de la Rivière des Illinois eft par les quarante ; ainft depuis le Rocher cette Rivière coule à l'Oueft , en pre- nant un peu du Sud , mais elle fait plusieurs circuits. D'efpace en efpace on y rencontre des Ifles , dont quelques-unes font allez grandes : les bords font allez bas en plufieurs endroits ; dans le Printems elle inonde la plupart des Prairies , qu'on trouve à droite & à gauche , & qui font enfuite couvertes d'herbes très-haures. On prétend qu'elle eft par tout fort poif- fonneufe , mais nous n'avions pas le tems de pêcher , ni des Filets tels , qu'en demande fa profondeur. Nous avions plutôt fait de tuer un Bœuf, ou un Chevreuil , & nous avions à choifir. Le fixiéme , nous apperçûmes quantité de Bœufs , qui tra- verfoient la Rivière à la nage avec beaucoup de précipita- tion , & nous ne doutâmes prefque point qu'ils ne fufTent chaffés par un des Partis ennemis , dont on nous avoit parlé ; ce qui nous obligea de naviguer toute la nuit , pour nous éloi- gner d'un fi dangereux voifinage. Le lendemain avant le jour nous parlâmes le Saguimont , grande Rivière , qui vient du Sud ; cinq ou fix lieues plus bas nous en laifTâmes fur la même main une autre plus petite , appellée la Rivière des Macopines: ce font de grottes racines , qui mangées crues, font un poifon , mais qui étant cuites à petit feu , pendant cinq ou fîx jours & plus , n'ont aucune mauvaife qualité. Entre ces deux Ri- vières , à diftance égale de l'une & de l'autre , on trouve un Marais , nommé Machoutin 3 qui eft précisément à moitié chemin de Pimiteouy au Miciffipi. Peu de tems après avoir pafTé la Rivière des Macopines , Emr environ à quarante lieues de fa jonftion avec le Miciffipi , aux environs, envoyent tous les ans une ou deux fois chanter le Calumet chez les Kaskafquias , & ils y font actuellement. Je viens de voir auffi une Femme MifTourite , qui m'a dit que fa Nation. eft la première , que l'on rencontre en remontant le MifTouri , d'où lui vient le nom , que nous lui avons donné , faute de- fçavoir fon nom propre. Elle eft à quatre-vint lieues du con- fluant de cette Rivière avec le Miciffipi. Plus haut on trouve les Çanfii 3 puis les Ocïotatas 3 que: quelques-uns nomment Mactotatas ; enfuite les Aioue^ , puis, les Panis 3 Nation très-nombreufe , divifée en plufieurs Can- tons , qui portent des noms afTez differens les uns des autres». Cette Femme m'a confirmé ce que j'avois appris desSioux,, que le MifTouri fort de Montagnes Pelées , fort hautes ., der- rière lefquelles il y a un grand Fleuve , qui en fort apparem- ment aufîi , & qui coule à l'Oueft. Ce témoignage eft de quel- que poids, parce que de tous les Sauvages , que nous con- noiffons , aucuns ne voyagent plus loin que lesMiffourites. Defcnption Tous les Peuples , dont je viens de parler , habitent le Sa Miciflipi , bord Occidental du MifTouri , excepté les Aïouez , qui font à SrQisflUSdCS lEft' Voimis des Sioux, &t leurs Alliés. Parmi les Riviè- res , qui tombent dans le Miciffipi , au-deffus de la Rivière des Illinois , les plus coniidérables font la Rivière aux Boeufs x qui en eft éloignée de vint lieues , & qui vient de l'Oueft ; on a découvert dans fon voifînage une très-belle Saline. On en a trouvé de femblables fur les bords du Marameg , & à vint lieues d'ici. Environ quarante lieues plus loin on laiffe VAJJè- nejîpi , ou Rivière à la Roc/ie , parce qu'elle eft vis-à-vis d'u- ne Montagne placée dans le Fleuve même , & où des Voya^ geurs ont affûré qu'il y avoit du Criftal de Roche. Vint -cinq lieues plus haut on trouve fur la main droi- DUN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXVIII. 397 te YOuifconJing , par où le Père Marquette & le fieur ~ Joliet entrèrent dans le Miciflipi , lorfqu'ils en firent la pre- ' 7 2 l ' miere découverte. Les Aïouez , qui font par cette hauteur , Octobre» c'eft-à-dire , par les quarante-trois dégrés & environ trente minuttes d'élévation du Pôle , qui voyagent beaucoup , & qui font, à ce qu'on affûre, vint-cinq à trente lieues par jour, quand ils n'ont point leurs Familles avec eux , difent qu'en partant de chez eux on arrive en trois jours chez des Peuples , nommés Omans , qui ont la peau blanche & les cheveux blonds , furtout les Femmes. Ils ajoutent que cette Nation eft continuellement en guerre avec les Panis , & d'autres Sauva- ges plus éloignés vers l'Occident , & qu'on leur a oui parler d'un grand Lac fort éloigné de chez eux , aux environs du- quel il y a des Peuples , qui reffemblent aux François, qui ont des boutons à leurs habits , qui bandent des Villes , qui fe fervent de Chevaux pour la Chaffe du Bœuf , & qu'ils cou- vrent de Peaux de Bufles , mais qui n'ont point d'autres ar- mes , que l'Arc & la Flèche. Sur la gauche environ foixante lieues au-deflus de la Ri- vière aux Bœufs , on voit fortir du milieu d'une immenfe 8c magnifique Prairie , toute couverte de Bœufs & d'autres Bê- tes Fauves , le Moingona : à fon entrée dans le Miciffipi il a peu d'eau , & il eft même affez étroit ; il a néanmoins , dit- on , deux cent cinquante lieues de cours en tournant du Nord à l'Oueft. On ajoute qu'il prend fa fource dans un Lac ,. & qu'il en forme un Second à cinquante lieues du Premier. De ce fécond Lac on tire à gauche , & on entre dans la Ri- vière bleue j ainfi nommée à caufe de fon fond , qui eft une terre de cette couleur. Elle fe décharge dans la Rivière de Saint Pierre. En remontant le Moingona , on trouve beau- coup de Charbon de terre , & quand on l'a remonté cent cin- quante lieues , on apperçoit un gros Cap , qui fait faire un détour à la Rivière r dont les eaux font rouffes & puantes en cet endroit. On affûre qu'on a ramaffé fur ce Cap quantité de Pierres de Mines , & qu'on en a rapporté ici de l'Antimoine. Une lieuë au-deffus de l'embouchure du Moingona il y a» dans le Miciffipi deuxRapides affez longs, où il faut décharger & traîner la Pirogue : & au-deffus du fécond Rapide , c'eft-à- dire , à vint & une lieues du Moingona , on trouve des deux côtés du Fleuve des Mines de Plomb, découvertes autrefois. 398 JOURNAL HISTORIQUE ~ — par un fameux Voyageur du Canada, nommé Nicolas P E R- 1 72 * rot , & qui portent Ton nom. Dix lieues au-deilus 'de Octobre. l'Ouifconfing, du même côté commence une Prairie de foixan- te lieues de long , bordée par des Montagnes , qui font une perfpective charmante ; il y en a une autre du côté de l'Oueft , mais qui n'eft pas fi longue. Vint lieues plus haut que l'extré- mité de la Première , le Fleuve s'élargit , & on a nommé cet endroit le Lac de bon Secours. Il a une lieuë de large , & fept lieues de circuit , & il eft encore environné de Prairies. Ni- colas Perrot avoit bâti un Fort fur la droite* Au fortir du Lac on rencontre Yljle Pelée , ainfi nommée , parce qu'elle n'a pas un feul Arbre ; mais c'eft une très-belle Prairie : Les François du Canada en ont fouvent fait le cen- tre de leur commerce dans ces Quartiers Occidentaux , & plufieurs y ont même hy verné , parce que tout ce Pays eft très-propre pour la Chaffe. Trois lieues au-deffus de Fille Pelée on laiffe à main droite la Rivière de Sainte Croix /qui vient des environs du Lac Supérieur ; on prétend avoir trou- vé du Cuivre allez près de fon embouchure. Quelques lieuè's plus loin on laiffe à la main gauche la Rivière de Saint Pierre 3 dont les bords font peuplés de Sioux , & dont l'embouchure n'eft pas éloignée du S ault Saint Antoine. On ne connoît gueres le Micifîipi , que jufqu'à cette grande Cafcade. .?lffJeaîf Pour revenir aux Illinois , s'il eft vrai , ce qu'on m'a alîuré liiiois.S " " en plufieurs endroits , & ce que la Femme Miffourite , dont je vous ai parlé, Madame , m'a confirmé , qu'eux & les Mia- mis , viennent des bords d'une Mer fort éloignée à l'Oueft (a) 3 il paroît que leur première ftation , lorfqu'ils defcendirent en ce Pays , fut le Moingona : du moins eft-il certain qu'une de leurs Tribus en porte le nom. Les autres font connues fous les noms de Peorias , de Tamarouas , de Caoquias , & de Kaskafquias : mais ces Tribus font aujourd'hui fort mêlées , & réduites à très-peu de chofes. Il ne refte plus qu'un très-pe- tit nombre de Kaskafquias , & les deux Villages , qui portent leurs noms , fontprefqu'uniquement compofés de Tamarouas , & de Mctchigamias 3 Nation étrangère , fortie des bords d'u- (a) Une Femme Miamife, Captive I Nouvelle France, qu'elle a été conduite des Sioux, a afluié au Père de Saint P e' , par les Sioux dans un Village de fa Na-« aujourd'hui Supérieur des Minions de la 1 tkm , qui étoit fort près de la Mer» D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXVIII. 399 ne petite Rivière , que nous trouverons en defcendant le -*• Miciflipi , & que les Kaskafquias ont adoptée. 7 2 x • Voilà , Madame , tout ce que je puis préfentement vous ap- Octobre» prendre de la Louyfiane , où je ne fais que d'entrer ; mais avant que de finir cette Lettre , il faut vous faire part de quel- ques notices , qui ferviront de fupplément à ce que je vous ai déjà dit des Sauvages en général , & que j'ai apprifes fur ma route depuis la Rivière de S. Jofeph jufqu'ici. Vous avez pu voir dans la Fable d'Atahentfic chaffée du Tradition? Ciel quelques vertiges de l'hiftoire de la première Femme , du péché de la exilée du Paradis Terreftre , en punition de fa défobéiffance , me™&da Dél & la tradition du Déluge , auffi-bien que de l'Arche , dans la- luge- quelle Noé fe fauva avec fa Famille. Cette circonftance m'empêche d'adhérer au fentiment du P. de Acofta , qui pré- tend que cette tradition ne regarde pas le Déluge Univerfel , mais un déluge particulier à l'Amérique. En effet , les Algon- quins, & prefque tous les Peuples , qui parlent leur Langue , fuppofent la création du premier Homme , difent que fa poffce- rité ayant péri prefque toute entière par une inondation géné- rale , un nommé Mejfou , d'autres l'appellent Saketchak , qui vit toute la Terre abymée fous les eaux par le débordement d'un Lac , envoya un Corbeau au fond de cet abîme , pour lui en rapporter de la terre : que ce Corbeau ayant mal fait fa commiffion , il y envoya un Rat mufqué , qui réufïit mieux ; que de ce peu de terre , que l'Animal lui avoit ap- porté , il rétablit le Monde dans fon premier état : qu'il tira des flèches contre les troncs des Arbres , qui paroiffoient en- core , & que ces flèches fe changèrent en branches : qu'il fit plufieurs autres merveilles , & que par reconnoiffance du fer- vice , que lui avoit rendu le Rat mufqué , il époufa une fe- melle de fon efpéce , dont il eut des enfans , qui repeuplè- rent le monde : qu'il avoit communiqué fon immortalité à un certain Sauvage , & la lui avoit donné dans un petit paquet , en lui défendant de ne le point ouvrir , fous peine de perdre un don fi précieux. Les Hurons & les Iroquois difent que Taronhiaouagon 3. le Roi du Ciel , donna un coup de pied à fa femme , fi rude , qu'il la fit fauter du Ciel en Terre ; que cette Femme tomba fur le dos d'une Tortue , qui en éloignant les eaux du Déluge avec fes pattes , découvrit enfin la Terre , & porta la Femme 4oo JOURNAL HISTORIQUE i 7 2 i. au P'ed d'un Arbre , où elle accoucha de deux Jumeaux , ~ i . ' & que Ton Aîné , qu'ils nomment Tahouiskaron , tua fon Octobre. cJeu Leurs idées jj n'efl pas étonnant que des Peuples , fi indifférens fur le ur esA s. g^ ^ & qUe l'avenir même inquiette fort peu , ne connoif- ient quafi rien dans le Ciel , & ne mettent point de différence entre les Planettes & les Etoiles fixes ; fi ce n'eft qu'ils parta- gent celles-ci , comme nous , en Conftellations. Ils nomment les Pleyades , les Danfiurs & les Danfeufes. Ils donnent le nom d'Ours aux quatre premières de ce que nous appelions la grande Ourfe ; les trois , qui compofent fa queue , ou qui font le train du Chariot de David , font , félon eux , trois ChafTeurs , qui pourfuivent l'Ours ; & la petite Etoile , qui accompagne celle du milieu , efl la Chaudière , dont le fécond eft chargé. Les Sauvages de l'Acadie nommoient tout fim- plement cette Constellation & la fuivante , la grande & la petite Ourfe ; mais ne pourroit-on pas juger que quand ils parloient ainfi au fieur Lefcarbot , ils ne répétoient que ce qu'ils avoient oui dire à plufieurs François ? Comment ils La plupart des Sauvages appellent l'Etoile polaire , l'E- Nord°lffCuand tOHe ' ^u* ne marcne Pas- C'eft e^e ■> qui ^es guide dans leurs kcieîcftcou- voyages pendant la nuit , comme le Soleil leur fert de Bouf- ven. {0\Q pendant le jour. Ils ont encore d'autres marques pour connoître le Nord. Ils prétendent avoir obfervé que la cime des Arbres panche toujours un peu de ce côté là , & que les pellicules intérieures de leurs écorces font plus épaifles du même côté. Ils ne s'y fient pourtant pas fi abfolument, qu'ils ne prennent d'ailleurs leurs précautions pour ne point s'éga- rer, & pour retrouver leur chemin, quand ils doivent retour- ner fur leurs pas. Ce qu'ils pen- Quant à ce qui regarde le cours des Aftres , les caufes des fent des Eciyp- phénomènes , la nature des Météores , & autres chofes fem- blables , ils font fur tout cela , comme fur ce qui ne les tou- che pas fenfiblement , d'une ignorance profonde , & d'une parfaite indifférence. S'il arrive une Eclipfe , ils s'imaginent qu'il fe fait dans le Ciel quelque grand combat , & ils tirent quantité de flèches en l'air , pour écarter les prétendus Enne- mis du Soleil & de la Lune. Les Hurons , quand la Lune s'é- clipfoit , étoient perfuadés qu'elle fe trouvoit mal , & pour la faire revenir de cette foibleiTe , ils faifoient beaucoup de bruit , fes, & du Ton- D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXVIII. 401 bruit , & accompagnoient ce tintamarre de beaucoup de ce- —" — - - rwnonies & de prières. Ils ne manquoient pas furtout de don- 7 2 I * ner fur les Chiens à grands coups de bâton & de pierres , pour 0£tobre. les faire crier , parce qu'ils croyoient que la Lune aime ces Animaux. Ces mêmes Sauvages , & plusieurs autres , ne pouvoient fe mettre dans Pefprit qu'une Eclipie fut une chofe indifférente & purement naturelle : ils en auguraient bien ou mal , fui- vant l'endroit du Ciel , où cet Aftre paroiffoit obfcurci. Rien ne les.étonna davantage , que de voir avec quelle jufleffe les Millionnaires prédifoient ces Phénomènes , & ils en con- cluoient qu'ils dévoient auffi. en prévoir les fuites. Ces Peuples ne connoiffent pas mieux la nature du Ton- nerre ; quelques-uns le prenoient pour la voix d'une efpéce particulière d'Hommes , qui voloient dans les airs : d'autres Hifoient que ce bruit venoit de certains Oifeaux , qui leur étoient inconnus. Selon les Montagnais , c'étoit l'effort , que faifoit un Génie pour vomir une Couleuvre , qu'il avoit ava- lée ; & ils appuyoient ce fentiment fur ce que , quand le Tonnerre étoit tombé fur un Arbre , on y voyoit une figure affez approchante de celle d'une Couleuvre. Tous comptent les mois par les Lunes ; félon la plupart , Leur manière l'année n'en a jamais que douze , & quelques-uns lui en don- Mad AME , Ma dernière Lettre eft partie pour le Canada , d'où l'on mit affûré qu'elle iroit plutôt en France par l'Iile Royale. Au refte , fi elle s'égare fur la route , la perte ne fera pas grande. Je commence encore celle-ci aux Kaskafquias , mais , félon toutes les apparences , je ne l'y achèverai pas. Il y a près d'un mois que j'y fuis , & je hâte mon départ le plus qu'il m'eft Utilité au poffible. Pofte des nu- Comme je n'ai encore vu de la Louyfiane y que ce pofte , D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXIX. 403 le premier de tous par droit d'Antiquité , je ne peux encore — — ■ - en juger par comparaifon avec les autres. Ce qui me paroît l 7 z l' certain , c eft qu'il a deux avantages , dont l'un ne lui fera ja- Novem- mais difputé , & l'autre le rend , quant à préfent , nécefïaire à kre. toute la Province. Le premier vient de fa îituation , qui l'ap- proche beaucoup du Canada , avec lequel il aura toujours une communication également utile aux deux Colonies. Le fécond eft , qu'il peut être le grenier de la Louyfiane , à la- quelle il pourra fournir des Bleds en abondance , quand bien même elle feroit toute peuplée jufqu a la Mer. Non-feulement la terre y eft propre à porter le Froment , mais elle n'a encore rien refufé de tout ce qui eft néceftaire à la nourriture de l'Homme. Le climat y eft fort doux , par les trente-huit degrez trente-neuf minutes de latitude Septentrio- nale ; il fera fort aifé d'y multiplier les Troupeaux ; on y pourra même aprivoifer les Bœufs fauvages , dont on tireroit une grande utilité pour le commerce de la Laine & des Cuirs, & pour la nourriture des Habitans. L'air y eft bon , & fi on y voit quelques maladies , il ne les faut attribuer qu'à la mi- iere , au libertinage , & peut-être un peu aux terres nouvel- lement remuées ; mais ce dernier inconvénient ne durera pas toujours , & le changement de climat ne fera rien pour ceux , qui y naîtront dans la fuite.. Enfin on eft affûré des Illinois plus qu'on ne l'eft en Canada d'aucune Nation fauvage , fi on en excepte les Abenaquis. Ils font prefque tous Chrétiens , d'un naturel doux , & de tout tems très - affe&ionnés aux François. Me voici , Madame , à cent cinquante lieues de l'endroit , ., .; où j'ai commencé cette Lettre : je vais l'achever ici , & la con- fier à un Voyageur, qui compte d'être beaucoup plutôt que moi à la Nouvelle Orléans , parce qu'il ne s'arrêtera nulle part , & que je dois faire quelque féjour aux Natchez. D'ail- leurs j'avois compté fur deux chofes en partant des Illinois ; la première , qu'ayant à defcendre un Fleuve très-rapide , & fur lequel je n'avois pas à craindre d'être arrêté par ces Saults & ces Rapides fi fréquens dans les Rivières du Canada , je ne ferois pas lontems dans mon Voyage , quoique j'euffe près de quatre cens lieues à faire à caufe des circuits , que fait le Fleuve ; la féconde , que ma route étant toujours au Sud , il n'étoit nullement befoin que je me précautionaffe contre le E e e ij me. m 404 JOURNAL HISTORIQUE "|7 froid : mais j'ai été trompé des deux côtés. Je me fuis vu con- ^_ traint de naviguer plus lentement encore , que je n'avois fait iN'ovem- Jans ies Lacs ? qU'ji m'a faUu traverfer, & j'ai efïuyé un froid ■bre« auffi picquant , que ceux , que j'avois jamais foufferts à Québec. Il eft vrai que ce fut encore toute autre chofe aux Kaskaf quias , d'où j'étois parti peu de jours auparavant , puifque le Fleuve,àceque j'ai appris fur ma route, y fut d'abord glacé de manière, qu'on a couru defTus en charetie.U a cependant en cet endroit une bonne demie lieuë de large , & il y eft plus rapide encore que le Rhône. Cela eft d'autant plus furprenant , que pour l'ordinaire , à l'exception de quelques gelées paffageres , caufées par les vents du Nord , & du Nord-Oueft , l'Hyver en ce Pays n'eft prefque pas fenfîble. Le Fleuve n'a point gelé où j'étois , mais comme je demeurois tout le jour dans une Pirogue découverte , par conféquent expofé à toutes les in- jures de l'air 3 & que je n'avois pris aucune précaution contre un froid , que je ne prévoyois pas , je l'ai trouvé bien dur (a). Manière de Si j'avois pu faire plus de diligence, j'en aurois éprouvé fi" chaque jour une diminution fenfîble ; mais il faut naviguer fagement fur le MicifTipi. On ne fe hazarde pas aifément à s'y embarquer fur des Canots d'écorce , par la raifon que ce Fleuve entraînant toujours un grand nombre d'arbres , qui tombent de deffus fes bords , ou que les Rivières, qu'il reçoit, lui amènent ; plufieurs de ces Arbres font arrêtés en paffant fur une pointe , ou fur une batture ; de forte qu'à chaque moment on eft expofé à heurter contre une branche , ou con- tre une racine cachée fous l'eau , & il n'en faudroit pas da- vantage pour crever ces frêles voitures ; furtout quand pour éviter un Parti ennemi , ou pour quelque autre raifon 3 on veut marcher de nuit , ou partir avant le jour. On eft donc contraint de fubftituer aux Canots d'écorces des Pirogues , c'eft-à-dire , des troncs d'Arbres creufés , qui ne font pas fujets aux mêmes inconvéniens , mais qui font fort lourds, & ne fe manient pas comme l'on veut, j'en ai une de bois de Noyer fi étroite , qu'elle ne peut pas porter la voile ; & mes Condudeurs , accoutumés à ces petites Pagayes, dont on fe fert pour les Canots , ont bien de la peine aie faire ,(*) Cela a dmé près de deux mois. nav le MïciiHpi D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXIX. 405 à la rame. De plus , pour peu que le vent foit fort , l'eau en- 1 7 2 1 . tre dans la Pirogue , & cela arrive fouvent dans la Saifon , Novem- où nous fbmmes. hre. Ce fut le dixième de Novembre , au Soleil couchant , que pourc]UO; jra es coin. je m'embarquai fur la petite Rivière de Kaskafquias ; je n'a- Feiii sfth que deux lieues à faire pour gagner le Miciffipi , cepen- !)fnt fit°:> & 1 • r i i- / 1 v • • / 1 • o 1 • Vr • viennent li oant je rus oblige de camper a moitié chemin , & le jour lui- tard aux Ar- vant je ne pus faire que fix lieues dans le Fleuve. Les feuilles £rcs Aans !* tombent en cet endroit plutôt qu'en France , & n'en repren- ouylan • nent de nouvelles , qu'à la fin de May ; il y neige néanmoins fort rarement , & j'ai déjà obfervé que les hyvers y font ordi- nairement fort doux. Quelle peut donc être la raifon de ce re- tardement ? Pour moi , je n'en vois point d'autre , que le- paiffeur des Forêts , qui empêche la terre de s'échaufîer allez tôt , pour faire monter la fève. Le douzième , après avoir fait deux lieues , je laiffai le Cap Des Cannes. de S. Antoine à la main gauche. C'eft là , que l'on commence à voir des Cannes : elles font affez fembiables à celles , qui croiffent en plusieurs endroits de l'Europe , mais elles font plus hautes & plus fortes. On prétend qu'elles ne paroifTent ja- mais , que dans les bonnes Terres ; mais il faut que ces Terres foient mouillées , & par conféquent plus propres à porter du Ris , que du Froment. On ne fe donne pas la peine de les ar- racher , quand on veut défricher le terrein , où elles fe trou- vent : la chofe d'ailleurs ne feroit pas aifée , leurs racines noueufes étant très-longues , & cramponnées par un grand nombre de filamens , qui s'étendent fort loin. Ces racines ont naturellement un affez beau vernis , & approchent de celles des Bambous du Japon , dont on fait ces belles Cannes , que les Hollandois vendent fous le nom de Rottangs. On fe contente donc , quand on veut cultiver un Champ Fpoulq«oi iG couvert de ces Cannes , de les couper par le pied : on les point îéuîn laiffe enfuite fécher , puis on y met le feu , les cendres fer- ^ 'a Louy- vent d'engrais , le feu ouvre les pores de ia terre , qu'on re- lane' mue légèrement , & on y féme tout ce qu'on veut ; du Ris , du Maïz , des Melons d'eau , en un mot toutes fortes de grains & de légumes , excepté le Froment , qui dans ces ter- res graffes s-'épuife en pouffant beaucoup d'herbes , & ne produit point de grains. On pourra remédier à ce défaut en jettant du fable fur ce terrein ? & en y femant du Maïz pen- dant quelques années. I 7 2. I :ffi£ Ao6 JOURNAL HISTORIQUE Pour ce qui eft des hauteurs , & des autres Terroirs , qui ne font point expofés à l'inondation du Fleuve ; ils font dès- Novem- à-préfent très-propres à porter du Bled , & (i les effais , qu'on hre. en a faits en quelques endroits , n'ont pas réuffi , parce que la rouille mangeoit le grain , c'eft que le Pays n'étant pas découvert , l'air n'y eit pas afTez libre pour diffiper les brouillards , qui engendrent la rouille. La preuve de ceci efl qu'aux Illinois , où il y a plus de Prairies que de Bois , le Froment pouffe & mûrit comme en France. Froid ex- Le treizième , après une nuit très-chaude , nous fîmes en» viron trois lieues , malgré un vent du Sud , qui croiffoit tou- jours , & qui devint enfin fi violent , qu'il nous obligea de nous arrêter. Une groffe pluye le fit tomber fur le foir , & vers le minuit il s'éleva un vent de Nord-Oued , qui com- mença ce froid exceffif, dont je vous ai parié. Pour comble de malheur , un accident nous arrêta tout le jour fuivant , quoiqu'il n'y eût point de sûreté à demeurer où nous étions. 11 n'y a pas lontems que des Cheraquis y tuèrent trente Fran- çois , qui avoient à leur tête un Fils de M. de Ramezai , Gou- verneur de Montréal , & un du Baron de Longueuil , Lieu- tenant de Roi de la même Ville. Outre ces Sauvages , qui ne font point encore réconciliés avec nous , les Outagamis, les Sioux , & les Chicachas nous renoient en grande inquié- tude , & je n'avois avec moi que trois Hommes. Le quinzième , le vent tourna au Nord , & le froid aug- menta. Nous fîmes quatre lieues au Sud , puis nous trouvâ- mes que le Fleuve retournoit quatre autres lieues au Nord, Immédiatement après ce grand détour , nous laiffâmes à gau- che la belle Rivière Ouabache 3 par laquelle on peut aller juf- ques chez leslroquois , quand les eaux font hautes. Son en- trée dans le MicifTipi n'a guère moins d'un quart de lieuë de large. Il n'eft point dans toute la Louyfiane de lieu plus pro- pre à mon avis pour un Etabliffement , que celui-là , ni où il importe davantage d'en avoir un. Tout le Pays , qu'arrofent Ouabache , & ÏOhio , qui s'y décharge , efl très-fertile ; ce font de varies Prairies bien arrofées , où les Bœufs fauvages paillent par milliers. D'ailleurs , la communication avec le Canada n'y eft pas moins facile , que par la Rivière des Illi- nois , & le chemin eft beaucoup plus court. Un Fort avec une bonne Garnifon y tiendroit en bride les Sauvages , fur- hreOua- D'UN VOYAGE DE L'A ME RIQ. Let. XXIX. 407 tout les Cheraquis , aujourd'hui la plus nombreufe Nation de ce Continent. 1 7 2 1 . Six lieues au-deffous de l'embouchure d'Ouabache , on Novem- trouve fur la même main une côte fort élevée , d'une terre bre. jaune , fur laquelle on prétend qu'il y a des Mines de Fer. Mines de r«. Nous fîmes bien du chemin ce jour là , qui étoit le feiziéme , mais nous foufrîmes extrêmement du froid : il augmenta en- core les jours fuivans , quoique le vent fe fût tourné au Sud- Sud-Ouefr. : il nous falloit même pour avancer , cnTer une glace , fort mince à la vérité , qui fe formoit fur la fuperfkie de l'eau. Le dix -neuvième nous fîmes quatre lieues , après quoi un vent de Sud nous arrêta tout court. Je n'ai jamais fenti de bife plus piquante que ce vent de Midi. Il y a bien de l'apparence que c'étoit toujours le vent de Nord-Oueft , qui foufloit , mais que les terres refléchiffoient tantôt d'un côté 9 & tantôt de l'autre , à mefure que nous tournions avec le Fleuve. On rencontre fur toute cette route une efpece de Chats Cfcra fa*. fauvages , appelle Pïjoux } & qui reffemblent beaucoup aux vag,es- Noycn nôtres , mais qui font plus grands. J'en ai remarqué , qui SfrietéT ***" avoient la queue plus courte , & d'autres , qui l'avoient confidérablement plus longue , & plus grofïe : ils ont auffi la mine extrêmement flere , & on m'a affûré qu'ils font fort carnaciers , & bons chaffeurs. Les Forêts font remplies de Noyers femblables à ceux du Canada , & leurs racines ont plufieurs propriétés , qu'on ne m'a point fait obferver dans les autres. Elles font fort tendres , & leurs écorces teignent en noir ; mais leur principale utilité efl pour la Médecine. Elles arrêtent le flux de ventre , & font un excellent vo- mitif. Le vintiéme , il neigea tout le jour , & nous ne bougeâmes point : le tems s'adoucit , mais la nuit fuivante leSud°Oueft nettoya le Ciel , & le froid recommença de plus belle. Le lendemain matin de l'eau-de-vie , qu'on avoit laifle dans la Pirogue pendant la nuit fe trouva épaiffe , comme de l'Huile gelée , & du Vin d'Efpagne , que j'avois pour la Méfie , étoit glacé. Plus nous defeendions , plus nous trouvions que le Fleuve tournoit , le vent fuivoit tous ces détours , & de quelque côté qu'il vînt , le froid étoit toujours exceffif. lie mémoire d'Homme on n'avoit rien vu de femblable en ce Pays. ch 40S JOURNAL HISTORIQUE Ce jour là nous apperçûmes fur le bord du Fleuve à droite 1 7 2 1 • un Poteau dreiTé ; nous en approchâmes , & nous reconnû- Novem- mes que c'étoit un Monument dreffé par des Illinois pour une bre. Expédition faite depuis peu fur les Chicachàs. Il y avoir deux Marques des figures d'Hommes fans tête , & quelques-unes dans leur entier. Guerriers. Les premières marquoieiit les Morts, & les fécondes , les Captifs. Un de mes Conducteurs m'apprit à cette occafion que , quand il y a des François parmi les uns & les autres , on leur appuyé les bras fur les hanches , pour les diftinguer des Sauvages, à qui on les laifle pendants. Cette diftinction n'eft point purement arbitraire ; elle vient de ce que ces Peu- ples ont obfervé que les François fe tenoient fouvent dans cette pofture , qui n'eft point en ufage parmi eux. Des chica- Garcilasso de la Vega parle des Chicachàs dans Con as- Hiftoire de la Conquête de la Floride , & il les place à peu près au même endroit , où ils font encore préfentement. Il les compte parmi les Peuples de la Floride , qui fe fournirent aux Efpagnols , mais cette prétendue foumiffion n'a duré qu'autant de tems , que les Efpagnols ont été dans leur voifï- nage , & il eft certain qu'ils vendirent cher la Victoire , qu'on remporta fur eux. Ce font encore les plus braves Soldats de la Louyfiane : ils étoient beaucoup plus nombreux du tems de Ferdinand de Soto , qu'ils ne font aujourd'hui , mais pour les richeffes , que fon Hiftorien leur attribue , je ne com- prends pas trop , ni d'où ils les avoient pu tirer , ni ce qui en auroit pu tarir la fource , car ils ne font ni plus opulens , ni plus policés que les autres Sauvages. C'eft notre alliance avec les Illinois , qui nous a mis en guerre avec les Chicachàs , & les Anglois de la Caroline atti- fent le feu. Notre Etabliffement dans la Louyfiane fait grand mal au cœur à ceux-ci : c'eft une barrière , que nous mettons entre leurs puiffantes Colonies de l'Amérique Septentrionale, & le Mexique , & nous devons nous attendre qu'ils employe- ront toutes fortes de moyens pour la rompre. Les Efpagnols , qui nous voyent avec des yeux 11 jaloux nous fortifier dans ce Pays , ne fentent pas encore l'importance dufervice,quenous leur rendons. Peu de jours après que j'eus paffé par l'endroit , où nous avions vu le poteau des Illinois , les Chicachàs eu- rent leur revanche fur deux François , qui me fuivoient dans une Pirogue. Ces Sauvages s'étoient embufqués dans des» Cannes D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXÏX. 409 Cannes fur le bord du Fleuve , & quand ils virent les Fran- î7 z lt' çois vis-à-vis d'eux , ils remuèrent les Cannes , fans fe mon- trer ; les François crurent que c'étoit un Ours , ou quelqu'au- Novem- tre Bête , & s'approchèrent pour faire capture ; mais au mo- ®re* ment qu'ils fe difpofoient à débarquer , les Chicachas firent fur eux une décharge de fufils, qui les étendit morts dans leur Pirogue. Je fus fort heureux qu'ils ne m'eulTent pas apperçu , car mes gens ne vouloient manquer aucune occafion de challer. Le vint-troifiéme , après une nuit très-froide , nous eûmes Rivière des une fort belle journée , & quoique la terre (ût couverte de chicachas, neige , le froid étoit fupportable. Le lendemain nous paffâmes devant la Rivière des Chicachas, qui eft allez étroite, mais qui vient de fort loin* Son embouchure eft Nord & Sud. On compte de là quatre-vint-fîx lieues aux Kaskafquias ; mais le chemin feroit de moitié plus court par terre. Rien ne fe- roit plus agréable que cette navigation , fi la Saifon étoit plus douce : le Pays eft charmant , & il y a dans les Forêts une quantité d'Arbres toujours verds : le peu de Prairies, qu'on rencontre , confervent auffi leur verdure , & un nombre con- sidérable d'Ifles bien boifées , & dont quelques-unes font allez grandes , forment des Canaux très - agréables , où les plus grands Navires pourvoient parler : car on prétend qu'à plus de cent cinquante lieues de la Mer on a trouvé dans ce Fleuve jufqu'à foixante braffes de fond. Pour ce qui eft des Forêts , qui couvrent prefque tout ce Forêts de u grand Pays , il n'en eft peut-être pas dans la Nature , qui leur Louyfîane. ibient comparables , foit que l'on confidere la grofTeur & la hauteur des Arbres , foit qu'on ait égard à leur variété , & à l'utilité , qu'on en peut retirer , car à la réferve des bois de couleur , qui demandent un fol plus échauffé , & qui ne fe trouvent qu'entre les Tropiques , on nefçauroit dire de quelle forte d'Arbres on n'y voit pas. Il y a des Cyprieres de huit à dix lieues d'étendue , tous les Cyprès y font d'une grofTeur proportionnée à leur hauteur , qui parte tout ce que nous avons en France de plus grands Arbres. On commence à connoître en Europe cette efpéce de Laurier toujours* verd , que nous avons appelle Tulipier , à caufe de la figure de fa fleur. Il s'élève plus haut que nos Maroniers d'Inde , & a la feuille encore plus belle. Le Copalme eft encore plus grand fmnc III Fff I7H- Novem- bre. 1721. Décem- bre. Defciiption de la Rivière des Akanfas. Différentes Tribus d'A- kanfas. 410 JOURNAL HISTORIQUE & plus gros , & il en diftile un baume , qui n'eft peut-être pas beaucoup inférieur à celui du Pérou. Toutes les efpéces connues de Noyers y font aufli en très-grande quantité , & tous les bois de conftru&ion & de charpente , que l'on peut fouhaitter : mais pour les mettre en œuvre , il faut avoir at- tention de ne point prendre ceux , qui croiiïent fur le bord du Fleuve , ni dans tout l'efpace , qu'il inonde dans fes déborde- mens , parce qu'ayant continuellement leurs racines dans l'eau , ils feroient trop pefants , & fe pourriroient bien-tôt. Enfin j'arrivai hier 2. Décembre au premier Village des Akanfas {a) vers les dix heures du matin. Ce Village en: bâti dans une petite Prairie fur la rive Occidentale du Micif- fipi. Il y en a trois autres dans l'efpace de huit iienës , & cha- cun compofe une Nation , ou Tribu particulière ; il y en a même un des quatre , qui réunit deux Tribus , mais toutes font comprifes fous le nom générique d' Akanfas. On ap- pelle Oayapes les Sauvages , qui habitent le Village , d'où je vous écris. La Compagnie d'Occident y a un Magafin , qui attend des Marchandifes , & un Commis , qui fait mauvaife chère en attendant , & qui s'ennuye beaucoup. La Rivière des Akanfas , qu'on prétend venir de fort loin 9 fe décharge dans le Fleuve par deux embouchures éloignées l'une de l'autre de quatre lieues. La première eft à huit lieues d'ici. Cette Rivière vient , dit-on , du Pays de certains Sau- vages , qu'on appelle Panis noir, & je crois que ce font les mêmes , qui font plus connus fous le nom de Panis Ricaras* J'ai avec moi un Efclave de cette Nation. On remonte diffi- cilement la Rivière des Akanfas , parce qu'elle eft. fort embar- raffée de rapides , & qu'en plufieurs endroits les eaux y font fou vent 11 baffes , qu'il y faut traîner les Pirogues. La féparation de fes deux branches fe fait à fept lieues au- deffus de la féconde & de la plus petite de fes deux embou- chures ; mais à deux lieues au-deffus de la première. Elle reçoit une belle Rivière , qui vient du Pays des Ofages , Se qu'on appelle la Rivière Blanche. Deux lieues plus haut font les Torimas, & les Topingas , qui ne font qu'un Village. Deux autres*lieuës au-deflus font les Sothouis. Les Kappas font un peu plus loin. Cette Nation étoit très - nombreufe au tems de Ferdinand de Soto , & même , lorfque M. de la Sale ( a ) Ou Akanfeas. D'UN VOYAGE DE L'A MER IQ. Le*. XXIX. 41 1 acheva la découverte du Miciffipi. Vis-à-vis de leur Vil- iage on voit les triftes débris de la Conceffion de M. Law , 1 7 2 1* dont la Compagnie eft reftée Propriétaire. Décem- Cetoit là , qu'on devoit envoyer les neuf mille Allemands , kre. qui avoient été levés dans le Palatinat , & c'eft bien dom- Conceffion mage qu'ils n'y foient point parvenus. Il n'eft peut-être pas deM>Law'- dans toute la Louyfiane de Pays plus propre , après celui des Illinois , à produire toutes fortes de grains , & à nourrir des Beftiaux. Mais M. Law a été mal fervi , auffi-bien que la plu- part des autres Conceffionnaires. Il y a bien de l'apparence que de lontems on ne fera de pareilles levées d'Hommes , on en a befoin dans le Royaume , & puis c'eft allez l'ordinaire parmi nous de fe régler fur le fuccès de pareilles Entrepri- ies , au lieu d'obferver ce qui les a fait échouer , pour corriger ce qui a été mal fait. J'ai trouvé le Village des Ouyapes dans la dernière défola- Mortalité tion. Il y a quelque-tems qu'un François en paffant par ici parmi les a- fut attaqué de la petite vérole : le mal s'eft communiqué d'à- Kanfas' bord à quelques Sauvages , & bientôt après à toute la Bour- gade. Le Cimetière paroît comme une Forêt de Perches & de Poteaux nouvellement plantés , & d'où l'on voit pendre toutes fortes de chofes : il y a de tout ce qui eft à l'ufage de ces Barbares. J'avois dreffé ma Tente afTez près du Village , & toute la nuit j'ai entendu pleurer ; les Hommes s'en mêlent auffi-bien que les Femmes : ils répétaient fans ceffe Nihahani s comme font les Illinois , & fur le même ton. J'avois auffi apperçû le foir une Femme , qui pleuroit fur la Tombe de fon Fils , & qui y répandoit force fagamité. Une autre avoit allumé du feu au- près d'une Tombe voifine , apparemment pour réchauffer le Mort. Les Akanfas paffent pour être les plus grands & les mieux faits de tous les Sauvages de ce Continent , & on les appelle par diftinftion les beaux Hommes. On croit j peut- être par cette raifon , qu'ils ont la même origine que les Canfez du MifTouri , & les Pouteouatamis du Canada. Mais voici ma Pirogue chargée , & je n'ai que le tems de fermer ma Lettre , après vous avoir affûré que je fuis , &c. Aux Akanfas ce g, de Décembre ijzi. Fff ij IJ 11. Décem- bre. 412 JOURNAL HISTORIQUE TRENTIEME LETTRE. Voyage depuis les Akanfas jufquaux Natche^. Defcription du Pays , de la Rivicre des Yafous ; des Mœurs ,, des Uja-> ges & de la Religion des Natche^. Aux Natchez , ce vint-cinquiérne de Décembre 1721» M ADAME, Je partis le 3. de Décembre un peu tard du Village des Ouyapes , cependant j'allai camper un peu plus bas que la première embouchure de la Rivière des Akanfas , qui me parut avoir tout au plus cinq cent pas de large. Je parlai le lendemain la féconde , qui eft fort étroite , & le cinquième je pouffai jufqu'à la Pointe coupée. C'étoit une Pointe allez haute , qui avançoit dans le Fleuve du côté de l'Oueft ; le Fleuve Ta coupée , & en a fait une Ifle , mais le nouveau Ca- nal n'eft encore praticable , que dans les grandes eaux. On compte de cet endroit à la principale branche de la Rivière des Akanfas , vint-deux lieues , mais il n'y en a peut-être pas dix en droite ligne , car le Fleuve ferpente beaucoup pendant les foixante & dix lieues , que l'on fait pour aller du Village des Ouyapes à la Rivière des Yafous (a) , où j'entrai le neuf après midi. Il n'a point neigé ici , comme aux Illinois , & à Ouabache , mais il y eft tombé un verglas , qui abrifé tous les Arbres tendres , dont les pointes baffes, & les terres mouil- lées font couvertes : on diroit qu'on auroit pris plaifir d'en caffer toutes les branches avec un bâton. Rivière des L'entrée de la Rivière des Yafous eft Nord-Oueft , & Sud- Yafous. Eft & a environ un arpent de large : fes eaux font rouffes , & on prétend qu'elles donnent le flux de fang à ceux , qui en boivent. D'ailleurs , l'air y eft très-mauvais. Il me fallut faire trois lieues pour gagner le Fort , que je trouvai tout en deuil par la mort de M, Bizart , qui y commandoit. Par tout , où ( a ) Ou ïacboiix, D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXX. 413 j'avois rencontré des François dans la Louyfîane , j'avois en- """ — tendu faire des éloges infinis de cet Officier , né en Canada jj - ' d'un Père Suifle , Major de Montréal. On me dit aux Ya- Lfe fous des chofes extraordinaires de fa Religion , de fa pieté , de fon zèle , dont il a été la vi&ime. Tous le regrettoient comme leur Père , & tout le monde convient que cette Co- lonie a fait en lui une perte irréparable. Il avoit mal placé fon Fort , & il fongeoit , lorfqu'il mou- Du r°" &s rut , à le tranfporter une lieue plus loin dans une fort belle YafouSi Prairie , où l'air efc plus fain , & où il y a un Village d'Fd- fous , mêlés de Couroas , & ÙOfogoulas , qui tous enfemble peuvent mettre tout au plus deux cens hommes fous les ar- mes. On vit arTez bien avec eux , mais on ne s'y fie pas trop à caufe des liaifons , que les Yafous principalement , ont tou- jours eues avec les Anglois. Il y a beaucoup de Caïmans dans cette Rivière , & j'en ai Des Caïman;, vu deux , qui avoient bien douze à quinze pieds de long. On ne les entend guère que pendant la nuit, & leur cri ref- femble tellement au meuglement des Taureaux , qu'on y fe- roit trompé. Nos François ne laiffent pas de s'y baigner auffi librement , qu'ils feroient dans la Seine. Comme je leur en témoignois ma furprife , ils me répondirent qu'il n'y avoit rien à craindre ; qu'à la vérité , dès qu'ils étoient dans l'eau , ils s'y voyoient prefque toujours environnés de Caïmans , mais qu'aucun n'approchoit d'eux , qu'ils fembloient feule- ment les guetter pour fejetter fur eux au moment qu'ils for- tiroient de la Rivière ; qu'alors pour les écarter , ils re- muoient l'eau avec un bâton , dont ils avoient la précaution de fe prémunir , que cela faifoit fuir ces Animaux arTez loin , pour leur donner le tems de fe mettre en sûreté. La Compagnie a dans ce Pofte un Magafîn d'attente , Conceflûm comme aux Akanfas ; mais le Fort & le Terrein appartien- mal placée. nent à une Société compofée de M. le Blanc , Secrétaire d'E- tat , de M. le Comte de Belle-Iïle , de M. le Marquis d'Af— feld , & de M. le Blond , Brigadier-Ingénieur. Ce dernier eft dans la Colonie avec la qualité de Directeur Général de la Compagnie. Je ne comprends pas trop ce qui leur a fait choifîr la Rivière d^s Yafous , pour y placer leur Concef- fîon. Ils avoient afîurément à choifîr , & de meilleurs Ter- reins y & des fituations plus avantageufes. Il eft vrai qu'il eâ 4i4 JOURNAL HISTORIQUE 1721. important de s'affûrer de cette Rivière , dont la Source n'eft Décem- pas loin de la Caroline , mais il fuffiibit pour cela d'un Fort bre. avec une bonne Garnifon , pour contenir les Yafous , qui font Alliés des Chicachas. Ce n'eft pas le moyen d'établir folidement une Concefîion , que d'être obligé de fe tenir tou- jours fur fes gardes , contre des Sauvages voifins des Anglois. Goufre.Car- Je partis des Yafous le dixième, & le treizième : fans un riere. Sauvage Natché , qui m'avoit demandé le paffage pour re- tourner chez lui , je me ferois perdu dans un goufre , qu'au- cun de mes Condu&eurs ne connoiffoit , & dont on ne s'ap- perçoit , que quand on g eft tellement engagé , qu'il n'eft plus poffible de s'en retirer. Il eft fur la main gauche , au pied d'un crros Cap , où l'on allure qu'il y a de très-bonnes pierres : c'eft de quoi l'on craint plus de manquer dans cette Colonie , mais en récompenfe on y fera autant de Barques que l'on voudra. Dcfcription Le quinzième nous arrivâmes aux Natcher^ Ce Canton , du Pays des le plus beau , le plus fertile , & le plus peuplé de toute la Nichez. LOUyfiane , eft éloigné de quarante lieues des Yafous , & fur la même main. Le débarquement eft vis-à-vis une butte affez haute , & fort efcarpée , au pied de laquelle coule un petit RuiiTeau , qui ne peut recevoir que des Chaloupes & des Pirogues. De cette première Butte on monte à une fé- conde , ou plutôt fur une Colline , dont la pente eft affez douce , & au fommet de laquelle on a bâti une efpéce de Re- doute fermée par une fimple Paliffade. On a donné à ce re- tranchement le nom de Fort. Plufieurs Monticules s'élèvent au-deffus de cette Colline , & quand on les a paifées , on apperçoit de toutes parts de grandes Prairies , féparées par de petits Bouquets de bois , qui font un très-bel effet. Les Arbres les plus communs dans ces Bois font le Noyer & le Chêne , & par tout les terres font excellentes. Feu M. d'Iberville , qui le premier entra dans le Miciftipi par fon embouchure , étant monté jufqu'aux Nat- chez trouva ce Pays fi charmant , & fi avantageufement fitué , qu'il crut ne pouvoir mieux placer la Métropole de la nouvelle Colonie. Il en traça le Plan , & lui deftina le nom de RoJàlie3qui étoit celui de Madame laChanceliere dePont- chartrain. Mais ce Projet ne paroît pas devoir s'exécuter fi-tôt , quoique nos Géographes ayent toujours à boa D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXX. 4iy compte marqué fur leurs Cartes la Ville de Rofalie aux "7 7 2 1 . Natchez. ~ , Il eft certain qu'il faut commencer par un EtablifTement , ^eceiîî- plus près de la Mer ; mais fi la Louyfiane devient jamais une ° Colonie Floriffante , comme il peut fort bien arriver , il me femble qu'on ne peut mieux placer fa Capitale qu'en cet en- droit. Il n'eft point fujet au débordement du Fleuve , l'air y eft pur , le Pays fort étendu , le Terrein propre .à tout , & bien arrofé ; il n'eft pas trop loin de la Mer , & rien n'empê- che les Vaiffeaux d'y monter. Enfin il eft à portée de tous les lieux , où l'on paroît avoir defTein de s'établir. La Compa- gnie y a un Magafin , & y entretient un Commis principal , qui n'a pas encore beaucoup d'occupation. Parmi un grand nombre de Concernons particulières , qui font déjà ici en état de rapporter , il y en a deux de la pre- mière grandeur , je veux dire de quatre lieues en quarré , l'une appartient à une Société de Maloins , qui l'ont achetée de M. Hubert , CommifTaire Ordonnateur , & Préfîdent du Confeil de la Louyfiane : l'autre eft à la Compagnie , qui y a envoyé des Ouvriers de Clerac pour y faire du Tabac. Ces deux Conceflions font fituées de manière , qu'elles forment un triangle parfait avec le Fort , & la diftance d'un angle à l'autre eft d'une lieue. A moitié chemin des deux Concevions eft le grand Village des Natchez. J'ai vifité avec foin tous ces lieux , & voici ce que j'y ai remarqué de plus confîde- rable. La Conceffion des Maloins eft bien placée , il ne lui man- que, pour tirer parti de tout fon Terrein , que des Nègres , ou des Engagés. J'aimerois encore mieux les Seconds que les Premiers; le tems de leur Service expiré , ils deviennent des Habitans , & augmentent le nombre des Sujets naturels du Roi ; au lieu que ceux-là font toujours des Etrangers : & qui peut s'afsûrer qu'à force de fe multiplier dans nos Colonies , ils ne deviendront pas un jour des Ennemis redoutables ! Peut-on compter fur des Efclaves 3 qui ne nous font attachés que par la crainte , & pour qui la Terre même , où ils naif- fent , n'a jamais le doux nom de Patrie ? La première nuit , que je parlai dans cette Habitation , il y eut vers les neuf heures du foir une grande ailarme ; j'en de- mandai le fujet , & on me répondit qu'il y avoit dans le Voi- 4i6 JOURNAL HISTORIQUE — finage une Bête d'une efpéce inconnue , d'une grandeur ex- 1 ^ 2 1 ' traordinaire , & dont le cri ne reffembloit à celui d'aucun Décem- Animal , que nous connoiffions. Perfonne n'afsûroit pour- bre. tant l'avoir vue , & on ne jugeoit de fa taille , que par fa force ; elle avoit déjà enlevé des Moutons & des Veaux , &C étranglé quelques Vaches. Je dis à ceux , qui me faifoient ce récit , qu'un Loup enragé pouvoit faire tout cela , & quant au cri , qu'on s'y trompoit tous les jours. Je ne perfuadai per- fonne ; on vouloit que ce fut une Bête monftrueufe ; on ve- noit de l'entendre , on y courut armé de tout ce qu'on trouva fous fa main , mais ce fut inutilement. succès du La ConcefTion de la Compagnie eft encore plus avanta- Tabac dans ce geufement fttuée , que celle des Maloins. Une même Ri- vière arrofe l'une & l'autre , & va fe décharger dans le Fleuve à deux lieues de celle-là , à laquelle une magnifique Cypriere de fix lieuë's d'étendue fait un rideau , qui en couvre tous les derrières, Le Tabac y a très-bien réuni , mais les Ouvriers de Clerac s'en font prefque tous retournés en France. Cotton, la- J'ai vu dans le Jardin du fieur le Noir , Commis principal , <%°° de fort beau Cotton fur l'Arbre , & un peu plus bas on com- mence à voir de l'Indigo fauvage. On n'en a pas encore fait l'épreuve , mais il y a beaucoup d'apparence qu'il ne réunira pas moins que celui , qu'on a trouvé dans l'Iile de Saint Do- mingue , où il eft aufîi eftimé , que celui , qu'on y a trans- planté d'ailleurs. Et puis l'expérience nous apprend qu'une terre , qui produit naturellement cette Plante , eft fort propre à porter l'étrangère , qu'on y veut femer. Deferipûoti Le grand Village des Natchez eft aujourd'hui réduit àfort du grand Vi!- peu qu'ils ne remporteraient plus aucun avantage fur leurs Ennemis. Si le Soleil commande fes Sujets en perfonne , on a grand foin qu'il ne s'expofe pas trop , moins peut-être par zèle pour fa confervation , qu'à caufe que les autres Chefs de Guerre , & les Principaux du Parti feroient mis à mort , pour ne l'avoir pas bien gardé. Des ion- Les Jongleurs des Natchez reffemblent affez à ceux du Ca- glems. nacja ^ &- traitent les Malades à peu près de la même façon. Ils font bien payés , quand le Malade guérit ; mais s'il meurt y il leur en coûte fouvent à eux-mêmes la vie. Il y a dans cette Nation une autre efpéce de Jongleurs , qui ne courent pas moins de rifques , que ces Médecins. Ce font certains Vieil- lards fainéans , qui pour faire fubiifter leurs Familles , fans être obligés de travailler , entreprennent de procurer la pluye , ou le beau tems , félon les befoins. Vers le Printems on fe cotife pour achetter de ces prétendus Magiciens un tems fa- vorable aux biens de la terre. Si c'eft de la Pluye , qu'on de- mande , ils fe rempliffent la bouche d'eau , & avec un chalu- D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXX. 427 meau , dont l'extrémité eft percée de plusieurs trous , comme un entonnoir 5 ils fouflent en l'air du côté , où ils apperçoi- * 7 2 * • vent quelque nuage , tandis que , le Chichikoué d'une main , Décem- & leur Manitou de l'autre , ils jouent de l'un , & lèvent Tau- kre. tre en l'air , invitant par des cris affreux les nuages à arrofer les campagnes de ceux , qui les ont mis en œuvre. S'il eft queftion d'avoir du beau tems , ils montent fur le toit de leurs Cabannes , font ligne aux nuages de paffer outre , & fi les nuages paffent , & fe diffipent , ils danfent & chan- tent autour de leurs Idoles , puis avalent de la fumée de ta- bac , & préfentent au Ciel leurs Calumets. Tout le tems que durent ces opérations , ils obfervent un jeûne rigoureux , & ne font que danfer & chanter ; Ci on obtient ce qu'ils ont pro- mis , ils font bien récompenfés ; s'ils ne réuffiffent pas , ils font mis à mort fans miféricorde. Mais ce ne font pas les mê- mes , qui fe mêlent de procurer la pluye & le beau tems ; leurs Génies , difent-ils , ne peuvent donner que l'un ou l'autre. Le deuil parmi ces Sauvages confifte à fe couper les che- Du Deuil. veux , à ne fe point peindre le vifage , & à ne fe point trou- ver aux Affemblées ; mais j'ignore combien il dure. Je n'ai pu fçavoir non plus s'ils célèbrent la grande Fête des Morts , dont je vous ai donné la defeription ; il paroît que dans cette Nation , où tout eft en quelque façon efclave de ceux , qui commandent , tous les honneurs mortuaires font pour ceux- ci , fur-tout pour le Soleil , & pour la Femme-Chef. Les Traités de paix & d'alliance fe font avec beaucoup Des Traités, d'appareil, & le Grand Chef y fouirent toujours fa dignité en véritable Souverain. Dès qu'il eft averti du jour de l'arri- vée des Ambaffadeurs , il donne fes ordres aux Maîtres des cérémonies pour les préparatifs de leur réception , & nomme ceux , qui doivent nourrir tour à tour ces Envoyés. Car c'eft aux dépens de fes Sujets , qu'il fait tous les frais de l'Am- baffade. Le jour de l'entrée des Ambaffadeurs , chacun a fa place marquée félon fon rang , & quand ces Miniftres font à cinq cent pas du Grand Chef, ils s'arrêtent , & chantent la paix. Ordinairement l'Ambaffade eft compofée de trente Hom- mes & de ftx Femmes. Six des meilleures Voix marchent à la tête du cortège , & entonnent , les autres fuivent , & le Chi- chikoué fert à régler la mefure. Quand le Soleil fait ligne aux Hhhij bre. 4*8 JOURNAL HISTORIQUE j y 2 lm AmbafTadeurs d'approcher , ils fe remettent en marche ; ceux £ ^ , qui portent le Calumet , danfent en chantant , fe tournent de m" tous côtés , fe donnent de grands mouvemens , & font quan- tité de grimaces & de contorfions. Ils recommencent le même manège autour du Grand Chef, quand ils font arrivés auprès de lui ; ils le frottent enfuite avec leur Calumet depuis les pieds jufqu a la tête , puis ils vont rejoindre leur Troupe. Commence Alors ils rempliffent un Calumet de tabac, & tenant du Soidi donne feu d'une main , ils avancent tous enfemble vers le Grand Chef, AmbaSde*11* ^ ^ul Pr^entent ^e Calumet allumé. Ils fument avec lui , pouf- fent vers le Ciel la première vapeur de leur Tabac, la féconde vers la Terre , & la troifiéme autour de l'Horifon. Cela fait , ils préfentent leurs Calumets aux Parens du Soleil , & aux Chefs fubâlternes. Ils vont enfuite frotter de leurs mains l'efto- mach du Soleil , puis ils fe frottent eux-mêmes tout le corps ; enfin ils pofent leurs Calumets fur des fourches vis-à-vis le Grand Chef, & l'Orateur de l'Ambaffade commence fa ha^ rangue , qui dure une heure* Quand il a fini , on fait figne aux AmbafTadeurs , qui juf- ques-là étoient demeurés debout , de s'afTeoir fur des bancs placés pour eux près du Soleil , lequel répond à leur dit- cours , & parle aufîi une heure entière. Enfuite un Maître des cérémonies allume un grand Calumet de paix , & y fait fumer les AmbafTadeurs , qui avalent la première gorgée^ Alors le Soleil leur demande des nouvelles de leur famé ; tous ceux , qui affiftent à l'audience , leur font le même compli- ment , puis on les conduit dans la Cabanne , qui leur eft def- tinée , & où on leur donne un grand repas. Le foir du même jour le Soleil leur rend vifite ; mais quand ils le fçavent prêt à fortir de chez lui pour leur faire cet honneur , ils le vont cher- cher , le portent fur leurs épaules dans leur logis , & le font afïeoir fur une grande peau. L'un d'eux fe place derrière lui , appuyé fes deux mains fur fes épaules , oc le fecouent affez lontems , tandis que les autres , affis en rond par terre , chan- tent leurs belles actions à la guerre. Ces vifites recommencent tous les matins & tous les foirs ; mais à la dernière , le cérémonial change. Les AmbafTadeurs plantent un poteau au milieu de leur Cabanne , & s'afTeoient tout autour : les Guerriers, qui accompagnent le Soleil, pa- rés de ieurs plus belles robes , danfent 3 & tour à tour frap- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXX. 429 pent le poteau , & racontent leurs plus beaux faits d'armes ; j - après quoi ils font des préfens aux AmbafTadeurs. Le lende- ;> main ceux-ci ont pour la première fois la permiffion de fe -Ltecem- promener dans le Village , & tous les foirs on leur donne des "re* Fêtes , qui ne confiftent que dans des danfes. Quand ils font fur leur départ , les Maîtres de cérémonies leur font fournir toutes les provifions , dont ils ont befoin pour leur voyage , & c'eft toujours aux dépens des Particuliers. La plupart des Nations de la Louyfiane avoient autrefois itenfeîbffA leur Temple , auffi-bien que les Natchez , & dans tous ces Feu dans la Temples il y avoit un feu perpétuel. Il femble même que les FloricJe' Maubiliens avoient fur tous les Peuples de cette Partie de la Floride une efpéce de primatie de Religion , car c'étoit à leur feu , qu'il falloit rallumer celui , que par négligence , ou par malheur on avoit laiffé éteindre. Mais aujourd'hui le Temple des Natchez eft le feul , qui fubfifte , & il eft en grande véné- ration parmi tous les Sauvages , qui habitent dans ce vafte Continent , & dont la diminution eft auffi considérable , & a été encore plus prompte , que celles des Peuples du Canada , fans qu'il foit poftible d'en fçavoir la véritable raifon. Des Nations entières ont abfolument difparu depuis quarante ans au plus. Celles qui fubfîftent encore , ne font plus que l'om- bre de ce qu'elles étoient , lorfque M. de la Sale découvrit ce Pays. Je vous quitte , Madame , pour des raifons , que j'aurai l'honneur de vous expliquer bien-tôt» Je fuis , &c. TRENTE-UNIEME LETTRE. Voyage depuis les Natcher jufquà la Nouvelle Orléans. Des- cription du Pays & de plufîeurs Bourgades des Sauvages 3 & de la Capitale de la Louyfiane. A la Nouvelle Orléans , ce dixième de Janvier , 171.2. Mad 1722. Janvier» AME , Me voici enfin arrivé dans cette fameufe Ville , qu'on a Defaipïo» I 7 2 2« Janvier. de la Nouvel- le Oilcans. 430 JOURNAL HISTORIQUE nommé la Nouvelle Orléans. Ceux , qui lui ont donné ce nom, croyoient qu'Orléans eft du genre féminin : mais qu'importe ? l'uf âge eit établi , & ileft au-deiïus des régies de la Grammaire. Cette Ville eit la première , qu'un des plus grands Fleuves du Monde ait vu s'élever fur Tes bords. Si les huit cent belles Maifons , & les cinq Paroiffes , que lui donnoit le Mercure il y a deux ans , fe réduifent encore aujourd'hui à une cen- taine de Barraques, placées fans beaucoup d ordre"; à un grand Magaiin , bâti de bois ; à deux ou trois Maifons , qui ne pareroient pas un Village de France ; & à la moitié d'un méchant magaiin , qu'on a bien voulu prêter au Seigneur , & dont il avoit à peine pris poffeifion , qu'on voulut l'en faire fortir , pour le loger fous une tente ; quel plaifîr d'un autre côté de voir croître infenfiblement cette future Capitale d'un beau & vafte Pays , & de pouvoir dire , non pas en foupi- rant , comme le Héros de Virgile en parlant de fa chère Patrie confumée par les flammes : & les Champs s où fut la Ville de Troye (a) : mais rempli de l'efpérance la mieux fondée; ce lieu iauvage & défert , que les Cannes & les Arbres couvrent en- core prefque tout entier, fera un jour, & peut-être ce jour n'eft- il pas éloigné , une Ville opulente , & la Métropole d'une grande & riche Colonie. Vous me demanderez , Madame , fur quoi je fonde cetteef- Ï)érance ? Je la fonde fur la fituation de cetteVille à trente-trois ieuës de la Mer, & au bord d'un Fleuve naviguable, qu'on peut remonter jufques-làenvint-quatre heures : fur la fertilité de fon terroir; fur la douceur Se la bonté de fon climat, par les trente dégrez de latitude-Nord ; fur l'induftrie de fes Habi- tans ; fur le voifinage du Mexique , où l'on peut aller en quinze jours par Mer ; fur celui de la Havane , qui eft encore plus proche , des plus belles Mes de l'Amérique & des Colo- nies Angloifes. En faut-il davantage pour rendre une Ville floriffante ? Rome & Paris n'ont pas eu des commencemens û confidérables, n'ont pas été bâtis fous de fi heureux aufpices, ôc leurs Fondateurs n'ont pas rencontré fur la Seine & fur le Tybre les avantages , que nous avons trouvés fur le Miciffipi , auprès duquel ces deux Rivières ne font que des ruiffeaux. Mais avant que de m'engager à vous parler de ce qui peut ici exciter votre curiofité , je vais , Madame , pour aller par or- ( a ) Et Çampot , ubi Iroja fuit. D'UNVOYAGEDEL'AMERIQ. Let. XXXI. 431 — . dre , reprendre mon Journal , où je l'ai interrompu. 1722. Je reliai aux Natchez beaucoup plus lontems,que je ne m'y Janvier, étois attendu , & ce fut l'abandon , où j'y trouvai les François MîffionnaU par rapport aux fecours fpirituels , qui m'y retint jufqu'après «s aux n«- Noël. La rofée du Ciel n'eft point encore tombée fur ce beau chezfansftult* Pays , qui plus qu'aucun autre , peut fe vanter d'avoir en partage la graiffe de la terre. Feu M. d'Iberville y avoit defti- né un Jéfuite {a) 3 qui l'accompagnoit au fécond voyage, qu'il fit à la Louyfiane , dans le defïein d'établir le Chriftianif- me dans une Nation , dont il ne doutoit pas que la conver- fion n'entraînât celle de toutes les autres ; mais ce Million- naire , en parlant par le Village des Bayagoulas _, crut y trou- ver des difpoiitions plus favorables à la Religion , & comme il fongeoit à fixer fa demeure parmi eux , il fut rappelle en France par des ordres fupérieurs. Dans la fuite un Eccléiiaftique {b) du Canada fut en- voyé aux Natchez , & il y demeura affez lontems , mais il n'y fit point de Profélytes , quoiqu'il eut gagné les bonnes grâces de la Femme-Chef, qui par confidération pour lui donna fon nom à un de fes Fils. Ce Millionnaire ayant été obligé de faire un voyage à la Maubile , fut tué en chemin par des Sauvages , qui ne vouloient apparemment que profi- ter de fon bagage , ainfi qu'il étoit déjà arrivé à un autre Prê- tre (c) du côté des Akanfas. Depuis ce tems-là toute la Louy- fiane au-deffous des Illinois eft demeurée fans Prêtre , fi on en excepte les Tonicas 3 lefquels ont eu pendant pluïieurs années un Eccléfiaftique (d) , qu'ils aimoient , qu'ils eftimoient , qu'ils ont même voulu faire leur Chef, & qui cependant n'a pu perfuader à un feul d'embraffer le Chriilianifme. Mais comment fongeroit-on à prendre des mefures pour i« François la converfion des Infidèles , tandis que les Domeftiques feécp0°u"rsvCJs • ds mêmes de la Foi font prefque tous fans Pafteurs. J'ai tS" pUi~ déjà eu l'honneur de vous dire , Madame , que le Canton des Natchez étoit le plus peuplé de la Colonie ; cependant il y avoit cinq ans qu'aucun François n'y avoit entendu la Méfie > ni même vu un Prêtre. Je m'apperçus bien à la vérité que la privation des Sacremens avoit produit dans la plupart cette indifférence pour les exercices de la Religion , qui en eft le ( a ) Le Père Paul d u R u. 1 (f) M. Foucault. (èj M. mS. Cosue. I (i)M.DAïiOK. 4yi JOURNAL HISTORIQUE plus ordinaire effet ; toutefois plufieurs me témoignèrent 1 7 2 2* beaucoup d'empreffement de profiter de l'occafion de mon Janvier, voyage pour mettre ordre aux affaires de leur Confcience , & je crus qu'il étoit de mon devoir de ne me pas faire prier pour leur procurer cette confolation. La première propofition , que l'on me fît , ce fut de vou- loir bien marier en face d'Eglife des Habitans , qui en vertu d'un contrat civil , dreffé en préfence du Commandant & du Commis principal, habitoient enfemble, fans aucun fcrupule , alléguant , aufîi-bien que ceux , quiavoient autorifé ce con- cubinage , la nécefîité de peupler le Pays , & l'impofîibilité d'avoir un Prêtre. Je leur représentai qu'il y en avoit aux Ya- fous & à la Nouvelle Orléans , & que la chofe valoit bien la peine de faire le voyage ; on me répondit que les Contra&ans n etoient en état , ni de s'éloigner , ni de fournir à la dépenfe néceffaire pour faire venir un Prêtre. Enfin le mal étoit fait ; il n'étoit plus queftion que d'y remédier, & je le fis. Je con- feffai enfuite tous ceux , qui le préfenterent , mais le nombre n'en fut pas auffi grand que je l'avois efperé. Départ des Rien ne me retenant plus aux Natchez . j'en partis le vint- fix de Décembre affez tard , accompagné de M. D e Pauger , Ingénieur du Roi , qui vifitoit la Colonie pour examiner les endroits , où il étoit à propos de conftruire des Forts. Nous fîmes quatre lieues , & nous campâmes fur le bord d'une pe- tite Rivière , que nous rencontrâmes à gauche , nous nous rembarquâmes le lendemain deux heures avant le jour, avec un vent contraire affez fort. Le Fleuve fait en cet endroit un circuit de quatorze lieues , & à mefure que nous tournions, le vent tournoit avec nous , réfléchi par les terres & par les Mes , que nous trouvâmes en grand nombre , de forte que nous l'eûmes tout le jour dans le nez. Nous ne laiffâmes pour- tant pas de faire encore dix lieues ; & nous entrâmes dans une autre petite Rivière , qui eft fur la même main gauche. Toute la nuit nous entendîmes un fort grand bruit , & je ne doutai point que ce ne fût l'effet du vent , qui s'étoit renforcé , mais on m'affûra que la Rivière avoit été fort tranquille , & que le bruit , qui m'avoit éveillé , avoit été caufé par des Poiffons , qui battoient l'eau de leur queue. Dcjaiption Le vint-huit , après avoir fait deux lieues , nous arrivâmes TonicatF " à la Rivière des Tonicas , qui ne paroît d'abord qu'un ruiffeau ; mais Natchez. Du Chef des D'UN VOYAGE DE L'AMER.' Let. XXXI. 435 maïs à une portée de fufil de fon embouchure elle forme un ï712 — très-joli Lac. Si le Fleuve continue à fe jetter , comme il fait _ de l'autre côté, tout cet endroit deviendra inabordable. La •'anvier* Rivière des Tonicas prend fa fource dans le Pays des Tchac- tas , & fon cours eft fort embarraffé de Rapides. Le Village «ft au-delà du Lac fur un terrein. afTez élevé ; cependant on affûre que l'air y eft. mauvais , ce que l'on attribue à la qua- lité des eaux de la Rivière ; mais je croirois plutôt que cela vient de ce que ces eaux croupifTent dans le Lac. Ce Village eft bâti en rond autour d'une très - grande Place , fans en- ceinte, & médiocrement peuplé. La Cabanne du Chef eft fort ornée en-dehors pour une Cabanne de Sauvage : on y voit des figures en relief, qui ne Toiilcas" font pas aufli mal faites , qu'on s'attend de les trouver. Le de- dans eft obfcur , & je riy remarquai que des cofres , qu'on m'affûra être remplis de hardes & d'argent. Ce Chef nous re- çut très-poliment ; il étoit vêtu à la Françoife , & n'étoit nul- lement embarrafTé dans cet habit. C'eft de tous les Sauvages de la Louyfiane celui , fur lequel nos Commandans comptent le plus : il aime notre Nation , & n'a pas lieu de fe repentir des fervices , qu'il lui a rendus. Il négocie avec les François , aufquels il fournit des Chevaux & des Volailles , & il entend très-bien fon commerce. Il a appris de nous à théfaurifer , Se il pafTe pour être fort riche. Il y a lontems qu'il ne paroît plus habillé en Sauvage , & il fe pique même d'être toujours bien mis. Les autres Cabannes de ce Village font partie de fleure r- j i 1 1 1 r^ i r ° • F & Etat dC CettQ quarree , comme celle du Cher , partie rondes , comme aux Naùou. Natchez ; la Place , fur laquelle elles donnent toutes , a envi- ron cent pas de diamètre, & malgré un chaud étouffant, qu'il faifoit ce jour-là , les Jeunes-Gens fe diverthToient à une ef- péce de truc afTez femblable au nôtre. Il y a deux autres Vil- lages de cette Nation , peu éloignés de celui-ci , & c'eft tout ce qui refte d'un Peuple autrefois très-nombreux. J'ai dit qu'ils avoient un MifTionnaire, qu'ils aimoient beaucoup ; j'ai appris qu'ils l'avaient chaffé , il y a quelque tems , parce qu'il avoit brûlé leur Temple , qu'ils n'ont pourtant point rebâti , ni ral- lumé leur feu , preuve certaine de leur peu d'attachement à leur faufïe.Religion ;ils rappellerent même bientôt le Miffion- Saire , mais ils écoutoient tout ce qu'il vouloit leur dire avec Tome IIL I ii 434 JOURNAL HISTORIQUE 1722. une indolence , qu'il n'a jamais pu vaincre , & il les a aban> Janvier, donnés à fon tour. De la Rivière Du fond du Lac , ou de la Baye des Tonicas , on pourroit , Rouge. fj i'OI1 naviguoit avec des Canots d'Ecorces , faire un portage de deux lieues., qui en épargneroient dix fur ce Fleuve; mais avec des Pirogues cela n'eft point pratiquable. Deux lieues plus bas que la Rivière des Tonicas on laiffe à main droite la Rivière rouge , ou Rio Colorado 3 à l'entrée de laquelle le fa- meux Ferdinand de Soto , le Conquérant de la Floride , ter- mina fes jours & fes exploits , ou plutôt fa courfe vagabonde. Cette Rivière court Eft & Oueft pendant quelque tems , puis tourne au Sud. Elle n'eft guéres navigable pour les Pirogues , que pendant quarante lieues , après quoi on ne trouve plus que des Marais impratiquables. Son embouchure me parut avoir environ deux cent toifes de large. Dix lieues au-defîus elle reçoit fur la main droite la Rivière Noire , autrement ap- pellée la Rivière des Ouatchitas , laquelle vient du Nord , & n'a prefque point d'eau pendant fept mois de l'année. Concertions On n'a pourtant pas laiffé d'y placer plufieurs Conceffions ,. mal placées, qui félon toutes les apparences n'y feront pas fortune ; le mo- tif de cet Etabliffement eft le voifinage des Efpagnols , qui de tout tems a été un appas funefte à cette Colonie ; dans l'efpé- rance de trafiquer avec eux , on laiffe en friche les meilleurs terreins du Monde. Les Natchitoches font établis fur la Ri- vière Rouge , & nous avons jugé à propos de bâtir chez eux un Fort , pour empêcher les Efpagnols de s'établir plus près de nous. Nous campâmes le vint-neuf un peu au-deffous de l'embouchure de la Rivière Rouge dans une fort belle anfe. Pointecou- Le trentième, après avoir fait cinq lieues, nous parlâmes pée. une féconde Pointe coupée : le Fleuve taifoit en cet endroit-là un fort grand détour; des Canadiens , à force de creufer un petit ruiffeau , qui étoit derrière une pointe , y ont fait entrer les eaux du Fleuve , lefquelles fe répandant avec impétuofité dans ce nouveau Canal , ont achevé de couper la pointe , 8c ont épargné aux Voyageurs quatorze lieues de chemin. L'an- cien lit eft actuellement à fec , & n'a d'eau , que dans le tems de l'inondation , preuve évidente que le Miciffipi fe jette ici du côté de l'Eft , & c'eft à quoi on ne fçauroit faire trop d'at- tention , en s'établiffant fur l'une & l'autre rive du Fleuve. On a depuis peu fondé ce nouveau Canal , & on y a filé D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXï. 435 trente braffes de corde , fans trouver le fond. 1722. Immédiatement au-defïbus , & fur la môme main gauche , Janvier. nous vîmes les foibles commencemens d'une Conceffion , qui Conceffion porte le nom de Sainte Rey ne , & à la tête de laquelle l'ont «JeSaimeRey- MM. deCoetlogon&Kolli. Elle eft fituée fur un mJL^ £ terrein très-fertile, & où l'on n'a point à craindre le déborde- Mezieres. ment du Fleuve ; mais avec rien on ne fait rien , furtout quand les Hommes manquent au travail , & l'amour du travail aux Hommes; & c'eft l'état , où nous parut cette Conceffion. Nous fîmes encore une lieuë ce jour-là , & nous gagnâmes la Con- ceffion de Madame de Mezieres, où la pluye nous ar- rêta tout le jour fuivant. Quelques Huttes couvertes de feuil- les de Lattaniers , & une grande Tente de coutil forment pré- fentement cette Conceffion ; on y attend des Hommes oc' des Marchandifes de la Rivière Noire , où font les MagaCins , & qu'on ne veut pas abandonner. J'ai' bien peur qu'en voulant faire deux EtablifTemens à la fois , on ne les manque tous deux. Le terrein , fur lequel on a commencé celui-ci , eft fort bon , mais il faut bâtir à un quart de lieuë du Fleuve , derrière une Cypriere , dont le fond eft marécageux , & dont on pourroit tirer parti en y femant du Ris , & en y faifant des Jardinages. Deux lieues plus avant dans le Bois il y a un Lac de deux lieues de circuit , dont les bords font couverts de gi- bier , & qui fournira peut-être du poiffon , quand on en aura exterminé les Caïmans , qui y fourmillent. J'appris en cet endroit quelques fecrets , que je vais , Madame , vous don- ner pour le prix qu'ils m'ont coûté ; car je n'ai pas le loifir d'en faire l'épreuve. Le Cyprès mâle porte en ce Pays une gouffe , qu'il faut , t Obfem- dit-on , cueillir verte , & dans laquelle on trouve un baume tlons# fouverain pour les coupures. Celui , qui diftile du Copalme , a entr'autres vertus , celle de guérir de FHydropiiîe. La ra- cine de ces grands Cotonniers , dont j'ai parlé ailleurs , & qu'on ce ceffe point de trouver dans toute la route , que j'ai faite depuis le Lac Ontario , eft un remède affûré contre tou- tes fortes d'écorchures : il en faut prendre la pellicule inté- rieure , la faire bouillir dans l'eau , baffiner la playe de cette eau , & y mettre enfuite de la cendre de la pellicule même. Le premier jour de l'année 1722 nous allâmes dire la MeiTe m0^!,011'13 I ii ij 43fdas, un peu au.deffous des Bayagoulas , que nous avions laiffés à main droite , après y avoir vifité les ruines de l'ancien Villa- ge , dont je vous ai parlé. Il étoit très-peuplé il n'y a que vint ans ; la Petite Vérole a fait périr une partie de fesHabitans , les autres fe font éloignés & difperfés , on n'en a même au- cune nouvelle depuis plufieurs années , & on doute qu'il eia refte une feule Famille. Le terrein , qu'ils occupoient eft ma- gnifique ; MM. Paris y ont une Concefîion , où l'on a planté à la ligne quantité de Mûriers blancs , & on y fait déjà de fort belle Soye. On commence auffià y cultiver avec fucr ces le Tabac & l'Indigo. Si on travailloit partout de même , les Propriétaires des Concernons feroient bien-tôt plus que dédommagés de leurs avances. Des Oumas ^e tr°ifiéme de Janvier nous arrivâmes vers les dix heures & des cbeti- du matin au petit Village des Oumas , qui eft fur la gauche., mâchas,. & ou \\ y a quelques Maifons Françoifes. Un quart de lieue plus avant dans les terres eft le grand Village.. Cette Nation nous eft fort affe£tionnée. Le Miciffipi commence à fourcher deux lieues plus haut ; . il s'eft creufé fur la droite , où fa pente le porte toujours , un Canal , qu'on appelle la Fourche des. Chetimachas (h) 3 & qui avant que de porter fes eaux à la Mer , forme un Lac allez grand. La Nation des Chetimachas- eft prefque entièrement détruite , le. peu, quienrefte, eft En- clave dans la Colonie.. (a) Il efr. mort depuis peu Lieutenant I gue. & Roi au Cap François de Saint Domin- I ( b) Ou Sitimftchns» DTTN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXI. 437 Nous fîmes encore ce jour-là fix lieues au-delà des Oumas, * 72 2« & nous allâmes parler la nuit fur le bel Emplacement , où l'on Janvier» avoit établi la Concefîion de M. le Marquis d'Ancenis (a) 3 qu'un incendie du Magafin Général , & plufieurs autres acci- dens arrivés coup fur coup ont réduite à rien. Les Colapiflasy ^Js avoient formé un petit Village , qui n'a pas fubiîfté lontems. Le quatrième nous arrivâmes avant midi au grand Village des Colapiffas. C'eft le plus beau de la Louyftane , toutefois on n'y compte que deux cent Guerriers , qui ont la réputation d'être fort braves. Leurs Cabannes ont la figure d'un Pavillon , comme celle des.Sioux , aufîl n'y fait-on du feu que rarement. Elles ont une double couverture ; celle du dedans eft un tiffu de feuilles de Latanniers , celle du dehors eft compofée de Nattes. La Cabanne du Chef a trente-fix pieds de diamètre : je n'en avois pas encore vu de fî grande ; car celle du Soleil des Nat- chez n'en a que trente. Dès que nous parûmes à la vue de ces Villages, on y battit la quaiffe , & nous fûmes à peine dé- barqués, qu'on vint me complimenter de la part du Chef.- Je fus affez furpris en avançant vers le Village, de voir le Tambour vêtu d'une longue robe partie rouge , & partie blan- che avec les manches rouges du côté du blanc , & blanches du côté du rouge. Je demandai l'origine de cetufage , & on me répondit qu'il n'étoit pas ancien ; qu'un Gouverneur de la Louyfiane avoit fait préfent d'un Tambour à ces Sauvages,- qui ont toujours été nos Alliés fidèles, & que cette efpéce d'habit de Bedeau étoit de leur invention. Les Femmes font ici mieux faites que celles du Canada , & leur manière de s'ha- biller a aufïi quelque chofe de plus propre. L'après-dîner nous fîmes encore cinq lieues , & nous nous* conceflîbn arrêtâmes aux Cannes brûlées, où la Concefîion de M. le Com- de m. ieCom- te d'Art agn an a une Habitation , qui doit lui fervir d'entre- te tasuap pôt , fi elle n'a pas le fort de prefque toutes les autres. Cette Habitation eft fur lagauche, & le premier objet , qui fe préfen- ta à ma vue , fut une grande Croix élevée fur le bord du Fleu^ ve, autour de laquelle on chantoit actuellement les Vêpres.. C'eft le premier endroit de la Colonie , depuis les Illinois, où j'aye trouvé cette marque de notre Religion. Deux Mous- quetaires , Meilleurs d'Artiguiere, & de B é~ ( a ) Aujourd'hui Duc de Bethune.. 43S JOURNAL HISTORIQUE 1 na c (a) font les Directeurs de cette Conceffion , & c'étoit 1 7 l 2- M. de Benac , qui avoit la direction de l'Habitation des Can- Janvier. "es brûlées , avec M. Chevalier , Neveu du Maître de Mathématiques des Pages du Roi. Ils n'avoient point de Prê- tre , & ce n'étoit pas leur faute : on leur en avoit donné un , dont ils ont été obligés de fe défaire , parce que c'étoit un yvrogne , & qu'ils ont bien jugé qu'un mauvais Prêtre eft plus capable de faire du mal dans un nouvel Etabliffement , où il n'a point de Supérieur , qui veille fur fa conduite > qu'on n'en peut tirer de fervice. DcsTaenfas. Entre les Colapifïas & les Cannes brûlées on laiffe à main droite le Terrein , où étoient autrefois les Taenfas 3 qui du tems de M. de la Sale faifoient une grande figure dans ce Pays-ci , & qui ont entièrement difparu depuis quelques an- nées. C'eft le plus bel endroit , & le meilleur Terroir de toute la Louyfîane. M. de Meufe , à qui il a été concédé , n'y a encore rien fait : il y entretient néanmoins un Directeur , qui n'a ni Hommes ni Marchandifes. DcsChapi- Le cinquième nous nous arrêtâmes pour dînera un en- droit , qu'on appelle les Chapitoulas , & qui n eft éloigné que de trois lieues de la Nouvelle Orléans , où nous arrivâmes à cinq heures du foir. Les Chapitoulas & quelques Habitations voilines font en très-bon état ; le terrein en eft fertile , & il eft tombé entre les mains de Gens habiles & laborieux. C'eft le fïeur duBreuil & troisFreres Canadiens, nommés Chauvins: ceux-ci n'y ont apporté que leur induftrie, laquelle s'eft perfec- tionnée par la néceflité de travailler pour fubftfter. Ils n'ont point perdu de tems , ils ne fe font épargnés en rien , & leur exemple eft une leçon pour ces Fainéans , dont la mifere décrie mal-à-propos un Pays , qui peut rendre au centuple tout ce qu'on y fémera. Je fuis , &c. (a) Ce Dernier eft préfenteraenr Capitaine dans les Troupes Je la Louy liane. toulas DTJNVOYAGEDE L'AMER. LET.XXXn. 4j9 TRENTE-DEUXIEME LETTRE. Voyage de la Nouvelle Orléans à V embouchure du Miciffipi y defcription de ce Fleuve jufqu à la Mer. Réflexions fur les Concevions. A rifle Touloufe , ou de la Balife , ce 16 de Janvier 1 72 2» M AD A ME, 172 z. Les Environs de la Nouvelle Orléans n'ont rien de fort remarquable. Je n'ai pas trouvé cette Ville aufli-bien fituée T , *■ ,, . »• L ir r • • 1 janvier», quon me lavoit dit: d autres penient autrement , voici les Remarques; raifons , fur quoi ils fe fondent ; je vous expoferai enfuite les fur la fitu*- miennes. La première eft qu'à une lieuë de-là , en tirant au tI0n * '" _T1T-,n r 1 / n • r> • > nouvelle Or- Nord-Eft , on a découvert une petite Kiviere , qu on a nom- kans. mée le Bajoue de S. Jean (a) , laquelle au bout de deux lieues fe décharge dans le Lac Pontchartrain , qui commu- nique à la Mer ; par ce moyen , dit-on , il eft aifé d'entrete- nir un Commerce fur entre la Capitale , & la Maubile , le Biloxi , & tous les autres poftes , que nous occupons près de la Mer. La féconde eft qu'au deffous de la Ville, le Fleuve fait un très-grand détour , qu'on a nommé le détour aux An- glois , lequel peut caufer un retardement , qu'on a jugé très- avantageux pour éviter une furprife. Ces raifons font fpécieufes , mais elles ne me paroiffent pas folides ; car en premier lieu , ceux mêmes 3 qui ont ainiî rai- fonné,fuppofoient que l'entrée du Fleuve ne pouvoit recevoir que de petits Bâtimens : or dans cette fuppofttion qu'a-t'on à craindre de la furprife , pour peu que la Ville foit fortifiée £ comme je fuppofe à mon tour qu'elle le fera bien-tôt ? Vien- dra-t'on l'attaquer avec des Chaloupes , ou avec des Bâti^ mens , qui ne peuvent point porter de Canons ? D'ailleurs „ en quelque endroit que la Ville foit placée , l'embouchure du Fleuve ne doit-elle pas être défendue par de bonnes Batteries „ ( et ) Bajoue en Langue Sauvage veut dire JLiùJJeau.. 44o JOURNAL HISTORIQUE & par un Fort , qui donneront au moins le tems d'être averti» 1722. & de fe tenir prêts à recevoir les Ennemis ? En fécond lieu , Janvier, quelle nécemté d'avoir cette communication , qui ne peut être que par le moyen des Chaloupes , avec des Portes , qu'on ne pourroit pas fecourir , s'ils étoient attaqués ; dont récipro- quement on ne pourroit tirer que de foibles fecours , & qui ne font bons à rien pour la plupart ? J'ajoute que quand il faut faire remonter à un Vailfeau le détour aux Anglois , il faut d'un moment à l'autre changer de vent , ce qui peut les arrêter des femaines entières pour faire fept ou nuit lieues. Peu de pro- ijn peu au-deffous de la Nouvelle Orléans , le terrein com- Pay/au-def- mence à n'avoir pas beaucoup de profondeur des deux cotez fous de la du Micimpi , & cela va toujours en diminuant jufqu'à la Nouvelle Or- jy[er# C'eft. une pointe de Terre , qui ne paroît pas fort an- cienne ; car pour peu qu'on y creufe , on y trouve l'eau , & la quantité de battures & de petites Ifles , qu'on a vu fe for- mer depuis vint ans à toutes les embouchures du Fleuve , ne laiffe aucun doute que cette langue de terre ne fe foit for- mée de la même manière. Il paroît certain , que quand M. de la Sale defeendît le Micimpi jufqu'à la Mer , l'embouchure de ce Fleuve n'étoit pas telle , qu'on la voit aujourd'hui. changemens Plus on approche de la Mer, plus ce que je dis devient arrivés à îem- fermDle : Ja Barre n'a prefque point d'eau dans la plupart de bouchure du . • rr ■ r 1 1 11 » /1 Q ■ r ileuve. ces petites mues , que le fleuve s elt ouvertes , oc qui ne le font fi fort multipliées , que par le moyen des Arbres , qui. y font entraînés avec le courant,, & dont un feul arrêté par {qs branches , ou par fes racines dans un endroit , où il y a peu de profondeur , en arrête mille. J'en ai vu à deux cent lieues d'ici des amas , dont un feul auroit rempli tous les Chantiers de Paris. Rien alors n'eft capable de les détacher , le limon , que charie le Fleuve , leur fert de ciment , & les couvre peu à peu ; chaque inondation en laiffe une nouvelle couche ,& après dix ans au plus les Cannes & les Arbriffeaux commencent à y croître. C'eft ainfi que fe font formées la plupart des Pointes & des Mes , qui font fi fouvent changer de cours au Fleuve. ©gpatt de Je n'ai rien à ajouter à ce que je vous ai dit au commence- la Nouvelle ment de la Lettre précédente , de l'état préfent de la nouvelle Orléans. L'idée la plus jufte , que vous puifîiez vous en for- mer , eft de vous figurer deux cent Perlonnes , qu'on a en- voyées D/ieul/cuu-t Saik 1 7 2. 2. chas. ' D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXII. 44i voyées pour bâtir une Viile , & qui font campée au bord d'un grand Fleuve , où ils n'ont fongé qu'à fe mettre à cou- vert des injures de l'air , en attendant qu'on leur ait dreffé Janvier. un Plan , & qu'ils ayent bâti des maifons. M. de Pauger , que j'ai encore l'honneur d'accompagner , vient de me mon- trer un Plan de fa façon : il eft fort beau , & fort régulier ; mais il ne fera pas auffi aifé de l'exécuter , qu'il l'a été de le tracer fur le papier. Nous partîmes le vint-deux de Juillet pour nous rendre au Biloxi , où eft le Quartier général. Entre la Nouvelle Orléans & la Mer , il n'y a point de Concevions ; elles auroient trop peu de profondeur, mais feulement de petites Habitations particulières , & des Entrepots pour les grandes Concefîions. Derrière une de ces Habitations , qui eft fur la droite , im- BesCW**- médiatement au-deffous du Détour aux Anglois , on voyoit il n'y a pas lontems un Village de Chaouachas s dont j'ai vifîté les ruines. Je n'y trouvai d'entier que la Cabanne du Chef, qui reffembloit affez à une Maifon de nos Payfans de France , avec cette feule différence , qu'elle n'avoit point de fenêtres. Elle étoit conftruite de branches d'Arbres , dont les vuides étoient remplis de feuilles de Lataniers ; la couverture étoit de même ftru&ure. Ce Chef eft très-abfolu , comme le font tous ceux de la Floride ; il ne chaffe que pour fon plaifir , car ûs Sujets font obligés de lui faire part de leur Gibier. Son Vil- lage eft préfentement de l'autre côté du Fleuve , une demie lieue plus bas , & les Sauvages y ont tranfporté jufqu'aux offemens de leurs Morts. Un peu au-deffous de leur nouvelle demeure la Côte eft beaucoup plus élevée , que par tout ailleurs , & il me paroît que c'eft là, qu'il falloit placer laVille. Elle n'y feroit qu'à vint lieues de la Mer , & avec un vent de Sud , ou de Sud-Eft médiocre , un Navire y monteroit aifément en quinze heu- res. Le foir du vint-troifiéme nous quittâmes la Chaloupe , qui nous avoit amenés jufques-là , & nous nous embar- quâmes dans un Brigamin , fur lequel nous nous laiffâmes dériver toute la nuit. Le lendemain au point du jour nous avions paffé un nouveau circuit , que fait le Fleuve , & qu'on appelle le Détour aux Piakimines. Nous nous trouvâmes peu de tems après au milieu des paffes du MiçiiTipi ;.il y faut manoeuvrer avec bien de l'attention , Tome lit Kkk 7 chas. ' ÎTUN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXII. 44I voyées pour bâtir une Ville , & qui font campée au bord d'un grand Fleuve , où ils n'ont fongé qu'à fe mettre à cou- vert des injures de l'air , en attendant qu'on leur ait dreffé Janvier. un Plan , & qu'ils ayent bâti des maifons. M. de Pauger , que j'ai encore l'honneur d'accompagner , vient de me mon- trer un Plan de fa façon : il eft fort beau , & fort régulier ; mais il ne fera pas aum* aifé de l'exécuter , qu'il l'a été de le tracer fur le papier. Nous partîmes le vint-deux de Juillet pour nous rendre au Biloxi , où eft le Quartier général. Entre la Nouvelle Orléans & la Mer , il n'y a point de Conceffions ; elles auroient trop peu de profondeur, mais feulement de petites Habitations particulières , & des Entrepots pour les grandes Conceffions. Derrière une de ces Habitations , qui eft fur la droite , im- DcsC^««- médiatement au-defïbus du Détour aux Anglois , on voyoit il n'y a pas lontems un Village de Chaouachas s dont j'ai vifité les ruines. Je n'y trouvai d'entier que la Cabanne du Chef, qui reflembloit affez à une Maifon de nos Payfans de France , avec cette feule différence , qu'elle n'avoit point de fenêtres. Elle étoit conftruite de branches d'Arbres , dont les vuides étoient remplis de feuilles de Lataniers ; la couverture étoit de même ftru&ure. Ce Chef eft très-abfolu , comme le font tous ceux de la Floride ; il ne chafTe que pour fon plaifir , car {es Sujets font obligés de lui faire part de leur Gibier. Son Vil- lage eft préfentement de l'autre côté du Fleuve , une demie lieuë plus bas , & les Sauvages y ont tranfporté jufqu'aux offemens de leurs Morts. Un peu au-deffous de leur nouvelle demeure la Côte eft beaucoup plus élevée , que par tout ailleurs , & il me paroît que c'eft là, qu'il falloit placer laVille. Elle ny feroit qu'à vint lieues de la Mer , & avec un vent de Sud , ou de Sud-Eft médiocre , un Navire y monteroit aifément en quinze heu- res. Le foir du vint-troifiéme nous quittâmes la Chaloupe , qui nous avoit amenés jufques-là , & nous nous embar- quâmes dans un Brigantin , fur lequel nous nous laiffâmes dériver toute la nuit. Le lendemain au point du jour nous avions paffé un nouveau circuit , que fait le Fleuve , & qu'on appelle le Détour aux Piakimïnes. Nous nous trouvâmes peu de tems après au milieu des pafTes du Miciffipi ;.il y faut manoeuvrer avec bien de l'attention , Tome lit Kkk 44* JOURNAL HISTORIQUE 1722. pour ne pas être entraîné dans quelqu'une , d'où il feroitr Janvier, prefque impoffible de fe tirer. La plupart ne font que des petits ruiffeaux , & quelques - unes mêmes ne font féparées que par des hauts fonds prefque à fleur d'eau. C'eft la barre du Micifîipi , qui a fi fort multiplié ces parles ; car il eft aifé. de concevoir par la manière , dont j'ai dit qu'il fe formoit tous les jours de nouvelles terres , comment le Fleuve cher- chant à s'échaper par où il trouve moins de réfiftance , fe fait un paffage , tantôt d'un côté , & tantôt d'un autre : d'où il pourroit arriver , fi l'on n'y prenoit garde , qu'aucune de ces ifTuê's ne fût pratiquable pour les Vaiiïeaux. Le foir du vint- quatre nous mouillâmes aude-là de la Barre , vis-à-vis la Balife. De rifle Le vent contraire nous y retenant encore , nous voulûmes Touioufe ou mettre à profit ce retardement. Hier vint-cinq , qui étoit un Dimanche , je commençai par chanter une grand -Méfie dans l'Ifle , qu'on nommoit de la Balife > à caufe d'une Balife , qu'on y avoit plantée pour la commodité des Navires. Je la bénis enfuite , nous la nommâmes IJIe Touioufe , êv nous* chantâmes le Te Deum. Cette Ifle n'a gueres plus d'une demie lieue de circuit , en y comprenant même une autre Ifle , qui en eft féparée par une Ravine , où il y a toujours de l'eau. D'ailleurs elle efr. très-baffe , excepté un feul endroit , où l'i- nondation ne monte jamais , & où il y a affez d'efpace , pour y conftruire un Fort & des Magafins. On pourroit y déchar- ger les VaifTeaux , qui auroient de la peine à paffer la Barre avec toute leur charge. salines. M. de Pauger fonda cet endroit avec l'aiguille de fonde , & en trouva le fond affez dur, & de terre glaife , quoiqu'il en forte cinq ou fix petites Sources , qui ne jettent pas beaucoup d'eau ; mais cette eau laiffe fur la terre , où elle coule un très- beau fel. Quand le Fleuve eft le plus bas , c'eft-à-dire , pen- dant trois mois des plus grandes chaleurs de l'année , l'eau eft: falée autour de cette Ifle : dans le tems de l'inondation , elle eft tout-à-fait douce , & le Fleuve conferve fa douceur une bonne lieuë dans la Mer» Dans le refte du tems on la trouve un peu faumatre , quand on a paffé la Barre. Ainfi c'eft une pure fable , que ce qu'on a débité , que pendant vint lieues, le Micifîipi ne mêle point (es eaux avec celles de la Mer. De la princî- Nous paffâmes le refte du jour M. de Pauger & moi 3 avec D'UN VOYAGE DE L'AMEPJQ. Let. XXXîI. 443 îe Pilote Kerlafio , qui commandoit le Brigantin , à fonder l ~ 2 & à relever la feule embouchure du Fleuve , qui foit navi anvier. gable ; & voici au jufte nos obfervations fur l'état , où nous Jc l'avons trouvée , car je ne réponds point des changemens , PaIe embou- qui pourroient y arriver. Elle court Nord-Oueft & Sud-Eft ^Z.du Mi" l'efpace de trois cent toifes en montant de la pleine Mer juf- qu a l'Ifle Touloufe , vis-à-vis de laquelle il y a trois petites Mes , qui n'ont point encore d'herbes , quoiqu'elles foieht allez hautes. Dans tout cet intervale , fa largeur eft de deux cent cinquante toifes, fa profondeur de dix-huit pieds au mi- lieu , fond de vafe molle : mais il faut y naviger la fonde à la main , quand on n'eft pas pratique. De-là en remontant , on fait encore le Nord-Oueft l'efpace de quatre cent toifes , au bout defquelles il y a encore quinze pieds d'eau , même fond : & il eft à obferver que par tout là l'ancrage eft fur , & qu'on y eft à l'abri de tous les vents , excepté de ceux du Sud , & du Sud-Eft , qui pourroient , quand ils font violens , faire chaffer les Navires fur leurs an- cres , mais fans danger , parce qu'ils iroient échouer fur la Barre , qui eft aufli de vafe molle : on fait enfuite le Nord- Oueft , quart de Nord-Eft pendant cinq cent toifes. C'eft-là proprement la Barre , douze pieds d'eau , moyenne profon- deur , encore faut-il y manœuvrer avec attention , car on y rencontre des Bancs , cette Barre a deux cent cinquante toi- fes de large entre des terres balles , & couvertes de rofeaux. Dans la pajfe de VEfi 3 qui eft immédiatement au-defïus , Autres pafïb. on fait l'Oueit en plein pendant une lieuë : elle a deux cent cinquante toifes de largeur , & depuis quatre jufqu'à quinze pieds de profondeur. Puis tout à coup on ne trouve plus de fond. En reprenant la grande pafle au fortir de la Barre , on fait encore le Nord-Oueft l'efpace de trois cent toifes , & on y a toujours quarante-cinq pieds d'eau. On laille à droite la pajfe à Sauvole , par où les Chaloupes peuvent aller au Bi- loxi , en faifant le Nord : elle a pris fon nom d'un Officier , que M. d'Iberville établit Commandant de la Colonie , en re- tournant en France. Il faut enfuite retourner à l'Oueft , quart Nord-Oueft , pendant cinquante toifes , & dans une manière de Baye , ru on laiffe à gauche , au bout de cet efpace , il y a trois pât- es , une au SudSud-EJl ^ une autre au Sud 3 & la troifiéme à Kkkij l 444 JOURNAL HISTORIQUE « VOueJl-Sud-OueJl. Cette Baye n'a néanmoins que dix toife£ 1 7 2 2* de profondeur , & vint de diamètre ; mais ces paiTes ont peu Janvier. J'eau. On continue" de fuivre le même rhumb de vent , & au bout de cinquante autres toifes il y a fur la même main une féconde Baye , qui a vint toifes de diamètre , & cinquante de profondeur. Elle contient deux petits paffes , d'où les Canots d'écorce auroient bien de la peine à fe tirer , aum* ne les compte-t'on pas pour l'ordinaire. De-là on tire à l'Oueft pendant l'efpace de cinq cent toifes ,. & on fe trouve vis-à-vis de lapajje à la Loutre. Elle eft fur la> main droite , & tournée au Sud-Sud-Eft. Elle a cinq cent toifes de large , mais il n'y peut entrer que des Pirogues. En- fuite on tourne au Sud-Oueft pendant vint toifes ; on revient à l'Oueft pendant trois cent , puis à l'Oueft , quart de Nord- Oueft , l'efpace de cent : à l'Oueft-Nord-Oueft autant , au Nord-Oueft huit cent ; alors on trouve à gauche lapajje diL Sud 3 laquelle a deux cent cinquante toifes de large , neuf braffes d'eau à fon entrée du côté du Fleuve , & deux pieds- feulement à fa fortie dans la Mer. , Deux cent cinquante toifes plus loin eft lapajje du Sud- Ouejl , même largeur à peu près ; jamais moins de fept à huit pieds d'eau. Par ce travers le Pays commence à n'être plus h marécageux , mais il eft noyé pendant quatre mois de l'année. Il eft borné à gauche par une fuite de petits Lacs , qui font au bout de celui des Chetimachas , & à droite , par les IJles delà Chandeleur: on croit qu'entre ces Mes il y a paffage pour les plus grands Navires , & qu'il feroit aifé d'y faire un très-bon Port. De grandes Barques peuvent remonter de la Mer jufqu'au Lac des Chetimachas , & rien n'empêche d'y aller couper les plus beaux Chênes du monde , dont toute cette Côte eft couverte. Moyen de Je ferois auffi d'avis qu'on bouchât toutes les paffes , à l'ex- creufer la ceptioii de la principale , & rien ne feroit plus aifé ; il n'y au- puncsp c ro-t ^u„ y £a-re entrer \QS Arbres flotans , dont le Fleuve eft prefque toujours couvert. Il arriveroit de-là en premier lieu que le Fleuve ne feroit abordable , même aux Barques & aux Canots , que par un côté , ce qui mettroit la Colonie à l'abri des furprifes ; en fécond lieu, que toute la force du courant du Fleuve étant réunie , fon unique embouchure fe creuferoit d'elle-même aufli-bien que la Barre, Je fonde cette con- 7 2 2. Largeur du D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXIï. 445 je£hire fur ce qui eft arrivé aux deux Pointes coupées , dont je vous ai parlé. Il n'y auroit plus alors qu'à entretenir le Canal , & à empêcher que les Arbres flottans n'y caufent au- cun embarras , ce qui ne me paroîtpas bien difficile. Pour ce qui eft de la largeur du Fleuve entre les paffes , c'eft-à-dire , pendant les quatre lieues qu'il y a de i'Ifle Tou- Fleuv^entre loufe à la paffe du Sud-Oueft , elle n'eft jamais plus que de lesPafres' cinquante toifes : mais immédiatement au-deffus de cette paffe , le Micifîîpi reprend infenfiblement fa largeur ordi- naire , qui n'a jamais moins d'un mille , & rarement plus de deux milles. Sa profondeur va aufîi toujours en augmen- tant depuis la Barre , ce qui eft le contraire de tous les autres Fleuves , qui font ordinairement plus profonds à mefure qu'ils approchent de la Mer. Ce feroit ici , Madame , le lieu de vous entretenir fur ce qui a fait échouer ces nombreufes Concefîions , qui ont fait tant de bruit en France , & fur lefquelles tant de perfonnes avoient fondé les plus grandes efpérances ; mais j'aime mieux remettre cela à notre première entrevue , & me borner pré- fentement à vous faire part des réflexions , que j'ai faites fur la manière de s'établir en ce Pays , fi le mauvais fuccès de tant d'efforts & d'avances inutiles nen dégoûte pas no- tre Nation. Il me paroît que ce n'eft point fur le bord du Fleuve , qu'il où n £lu~ faudroit placer les Habitations ; mais je voudrois qu'on les drok Placer reculât au moins d'un quart de lieuë , ou même d'une demie rions!**1'**' lieue. Je n'ignore pas qu'il eft poffible de fe garantir des dé- bordemens ordinaires par de bons Foffés ; mais je trouve que c'eft une grande incommodité que de fe loger fur un terrein , où , pour peu que l'on creufe , on trouve l'eau d'abord : par conféquent l'on ne peut avoir ni Cellier ni Cave. Je penfe même qu'on gagneroit beaucoup en abandonnant le champ libre à l'inondation annuelle du Fleuve furtout le terrein, qui n'eft pas bien fec , & ce terrein ne refteroit pas inutile. Le limon , qui y demeure , quand les eaux fe font retirées , le renouvellent & l'engraiffent ; on pourroit en employer une partie en pâturages , on femeroit fur l'autre du Ris , des Légumes , & généralement tout ce qui demande des terres graffes & mouillées. Avec le tems fur les deux Rives du Miciffipi on ne verroit plus que des Jardins ? des Vergers & 4a6 journal historique " j 2 des Prairies , qui fuffiroient pour nourrir le Peuple , & four- " . * niroient même la matière d'un commerce utile avec nos Mes , Janvier. &■ jes autres Colonies voifines. Enfin je crois pouvoir répon- dre , pour avoir mis pied à terre deux ou trois fois tous les jours , dans le tems que je defcendois le Fleuve , que prefque par tout , à très-peu de diftance des bords , on trouve des ter- reins élevés , où l'on pourroit bâtir fur un fond folide , & oîi le Froment viendroit fort bien , quand on y auroit donné de l'air , en éclairciffant les Bois. Difficulté de Pour ce qui eft de la navigation fur le Fleuve , elle fera tou- navjger fur -^ difficile , quand il s'agira de le remonter , à caufe de la le fleuve. K , "J . . ,. <=> A , ' force du courant, qui oblige même a une grande attention en defcendant , parce qu'il porte fouvent fur les pointes avan- cées , & fur les battures. Ainfi pour y naviger fûrement , il faut des Bâtimens , qui aillent à la voile & à la rame. D'ail- leurs , comme il n'eft pas pofTible de marcher la nuit , quand le tems eft obfcur , ces voyages feront toujours fort longs & fort coûteux , du moins jufqu'à ce que les bords du Fleuve foient peuplés de proche en proche dans toute l'étendue du Pays , qui eft entre les Illinois & la Mer. D'où vient Voilà , Madame , quel eft ce Pays , dont on a tant parlé l'idée peu juf- depuis quelques années , & dont fi peu de perfonnes ont en 'France de une ^ée ju^e' Nous n'avons pas été les premiers Européens ce Pays. à en reconnoître la bonté , & à le négliger : Ferdinand de Soto l'a parcouru pendant trois années entières , & fon Hif- torien ( a ) n'a pu lui pardonner de n'y avoir point fait un EtablifTement folide. » Où pouvoit-il aller, dit-il , pour trou- ver mieux ? « Enfin , je n'ai encore oui parler peu avantageufement de la Louyfiane , qu'à trois fortes de perfonnes , qui ont été fur les lieux , & dont il eft certain que le témoignage n'eft nulle- ment recevable. Les premiers font les Marins , qui de la rade de l'Iile aux Vaifleaux , ou de lifte Dauphine , n'ont pu voir que cette Ifle toute couverte d'un fable fterile , & la côte plus fablonneufe encore du Biloxi , & fe font faille perfuader que l'entrée du Micifîipi étoit impratiquable aux Navires d'une certaine grandeur , ou qu'il falloit faire cinquante lieues dans ce Fleuve , pour y trouver un terrein , qu'on pût habi- ter. Ils auroient bien changé de fentiment , s'ils avoient pu ( a ) GarcillalTo de la Yega , Hiftoire de la Conquête de la Floride. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXII. 447 fe défier de ceux , qui leur tenoient ce langage , & pénétrer — les motifs , qui les faifoient parler ainfi. ' Les féconds font des Malheureux , qui chattes de France Janvier, pour leurs crimes , ou leur mauvaife conduite , vraye ou iuppofée , ou qui pour éviter les pourfuites de leurs Créan- ciers , fe font engagés dans les Troupes & dans les Concef- fions. Les uns & les autres ne regardant ce Pays , que comme un lieu d'exil , tout les y rebute : rien ne les intérefTe au pro- grès d'une Colonie , dont ils ne font membres , que malgré eux , & ils s'embarrafTent fort peu des avantages , qu'elle peut procurera l'Etat : la plupart même ne font pas capables de les connoître. Les troisièmes font ceux , qui n'ayant vu que de la mifere dans un pays , pour lequel on a fait d'excemves dépenfes , lui attribuent fans réflexion , ce qu'il faut uniquement rejet- ter fur l'incapacité , ou fur la négligence de ceux , qu'on avoit chargés de l'établir. Vous n'ignorez pas non plus les. raifons , qu'on avoit eues de publier que la Louyfiane pofle- doit dans fon fein de grands tréfors , & qu'elle nous appro- choit des fameufes Mines de Sainte Barbe , & d'autres plus riches encore, dont on fe flattoit de chafler aifément les Pof- feffeurs : & parce que ces contes ridicules avoient trouvé créance dans Fefprit des Sots , au lieu de s'imputer à eux-mê- mes l'erreur , où les avoit engagés leur folle crédulité , ils ont déchargé leur mauvaife humeur fur ce Pays , où ils n'ont rien trouvé de ce qu'on leur avoit promis. Je fuis 5 &Co i 448 JOURNAL HISTORIQUE TRENTE-TROISIEME LETTRE. Defcription du Biloxi. De la CaJJlne , ou Apalachine. De la Cire de Myrthe 3 de la Maubile , des Tchaclas , de la Baye S. Bernard. Voyage du Biloxi à la Nouvelle Orléans par Le. Lac de Pontchartrain. M A bord de l'Adour , ce cinquième Avril 1722. ADAME, ! 7 2 2. Arrivée au IUloxi. Le vint-fix , après avoir fermé ma Lettre , je m'embarquai , t- f & nous appareillâmes , mais après avoir couru une bordée février. c j 1 * j *'• c j au Sud , le vent redevenu contraire nous força de retourner à notre mouillage , & nous y restâmes encore les deux jours fuivans. Le vint-neuf, nous levâmes l'ancre de bon matin , mais le Vent étoit fi foible , & la Mer fi groffe , qu'en vint- quatre heures nous ne fîmes que quatorze lieues , c'étoit la moitié du chemin , que nous avions à faire. Le trente nous n'eûmes ni le Vent plus favorable , ni la Mer plus tranquille jufques vers les quatre heures du foir , qu'une pluye déchar- gea le tems , qui étoit fort embrumé , & calma la Mer : mais au bout d'une heure ou deux la brume recommença , & de- vint fi épaiffe , que ne voyant pas à nous conduire ; nous prî- mes le parti de mouiller l'ancre. Le lendemain la brume ne fe difîipant point , nous nous mîmes dans la Chaloupe , M. de Pauger & moi , pour gagner la rade de l'Ifle aux Vaiffeaux : nous y vifitâmes quelques Navires de France , & nous nous rendîmes vers les cinq heures du foir au Biloxi. Defcription Toute cette Côte eft extrêmement platte ; les Vaiffeaux de la côte & Marchands n'en fçauroient approcher plus près , que de qua- tre lieues , & les plus petits Brigantins de deux. Il faut même que ceux-ci s'éloignent , quand le vent vient du Nord , ou du Nord-Ouefl , ou bien ils demeurent entièrement à (ec , comme il arriva la nuit même après que je fus débarqué. La rade eft tout le long de l'Ifle aux Vaiffeaux , qui s'étend une petite D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXm. 449 petite lieue de l'Eft à l'Oueft , mais qui a très-peu de largeur. *""" A l'Eft de cette Me eft flfle Dauphins , autrefois VIfie Maf- p72?\ facre , où il y avoit un Port affez commode , qu'un coup de *evner- vent ferma en deux heures , il y a un peu plus d'un an , en comblant de fable fon entrée. A l'Oueft de l'Iue aux Vaif- feaux font tout de fuite VIfle des Chats 3 ou de Bienville^ l'IJle à Corne ^ & les I (le s de la Chandeleur. Ce qu'on appelle le Blloxi eft la Côte de la Terre-Ferme , Du BiïoxïV qui eft au Nord de la rade. Ce nom eft celui d'une Nation Sauvage , qui étoit là autrefois , & qui s'eft retirée vers le Nord-Oueft , furies bords d'une petite Rivière , appellée la Rivière des Perles , parce qu'on y a péché d'affez méchantes Perles. On ne pouvoit choifir un plus mauvais endroit , pour y établir le Quartier général de la Colonie ; il ne peut , ni recevoir aucun fecours des Vaiffeaux , ni leur en donner , pour les raifons , que j'ai dites. D'ailleurs , la rade a deux grancjs défauts , l'ancrage n'y eft pas bon , & elle eft pleine de vers , qui perdent tous les Navires : la feule utilité , qu'on en peut tirer eft de s'en fervir à mettre à couvert les Vaiffeaux d'un coup de vent , lorfqu'ils viendront pour reconnoître l'embouchure du MicifTipi , laquelle n'ayant que des terres baffes , il feroit dangereux d'en approcher dans un mauvais tems , fans l'avoir* reconnue. Le Biloxi ne vaut pas mieux pour la Terre , que pour la De ucaflîne. Mer. Ce n'eft que du fable , oc il n'y croît guère que des Pins & des Cèdres. La CaJJîne 3 autrement nomrrjée Apala- chine , y pouffe auflî par tout en abondance : c'eft un très- petit arbriffeau , dont la feuille , infufée comme celle du Thé, paffe pour un bon diffolvant , &• un excellent fudorifîque : mais la principale qualité eft d'être diurétique. Les Efpagnols en font un grand ufage dans toute la Fldride ; c'eft même leur boiffon ordinaire. Elle commençoit à faire quelque fortune à Paris , lorfque j'en fuis parti : mais nous étions dans un tems de mauvais augure pour les fortunes ; elles paffoient auffi rapidement , qu'elles étoient promptes. Je fçai pour- tant que bien des perfonnes , 'qui font ufage de FApalachine , > s'en louent beaucoup. Il y en a de deux efpéces,qui ne différent,que par la grandeur des feuilles. Celles de la grande efpéce ont plus d'un pouce de longueur , les autres font prefque de moitié plus petites. Tome III. LU 450 JOURNAL HISTORIQUE ' Leur figure & leur fubftance font à peu près comme celles 1722. des feuilles de Bouys , excepté quelles font plus arrondies Février, par les extrémités , & d'un verd plus clair. Le nom d'Apala- chine , que nous avons donné à cet ArbrifTeau , vient des Apalaches 3 Peuples de la Floride , de qui les Efpagnols en ont appris l'ufage , '& voici la manière de la préparier parmi les uns & les autres. On met fur le feu dans un pot de terre une certaine quan- tité de feuilles , & on les y fait griller jufqu'à ce que la cou- leur en foit devenue roimâtre ; on y verfe enfuite lentement de l'eau , jufqu'à ce que le pot foit plein. Cette eau prend Ja couleur des feuilles , & moufle , quand elle eft verfée , comme de la bierre. On la prend la plus chaude , qu'il eft poflible , & les Sauvages fe parferaient plutôt de manger, que d'en boire le foir & le matin ; ils croiraient tomber malades , s'ils s'en abftenoient , & on prétend que les Efpagnols de la- Floride font dans le même principe. Une demie heure après , qu'on l'a prife*., on commence à la rendre , & cela dure une heure. Il eft difficile de concevoir comment une boiflbn , qui ne fait prefque que couler , peut- être auffi nourriflante, qu'on affûre qu'elle l'eft : on comprend mieux qu'elle nettoyé tout ce qui embarafTe le paflage des uri- nes , & caufe les maux de reins. Quand* les Sauvages veu- lent fe purger , ils y mêlent de l'eau de Mer , & cela produit de grandes évacuations ; mais fi la dofe d'eau de Mer étoit trop forte , ils en pourraient mourir , & cela n'eft pas fans exemple. Je l'ai vu prendre en France fans tant de façon , & comme on fait le Thé , mais en doublant la dofe , & en la faifant bouillir près d'un demi quart d'heure , & je ne doute pas qu'alors elle n'ait beaucoup effet. De la cire On trouve encore ici une efpéce de Myrthe à larges feuil- & Myrthe. \es ? qUe je fçavois déjà être fort commune fur les Cotes de l'Acadie , & des Colonies Angloifes de ce Continent. Quel- ques-uns lui donnent le nom de Laurier , mais ils fe trompent, fa feuille a l'odeur du Myrthe , & les Anglois ne l'appellent point autrement que le Myrthe à chandelle. Cet ArbrifTeau porte une petite graine , qui dans le Printems eft remplie d'une matière balfamique , laquelle étant jettée xlans l'eau bouillante , y fumage , & devient une cire verte , moins gluante , & plus friable ? que celle «des Abeilles , mais auffi I722. rier. D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXÎII. 4n bonne à brûler. Le feul inconvénient , qu'on y a remarqué , eft qu'elle fe caffe aifément , mais on la pourroit mêler avec «' une autre cire extrêmement liquide , qu'on recueille dans les Bois des Mes de l'Amérique , ce qui n'eft pourtant néceffaire , que fuppofé qu'on en voulût faire des Cierges. J'en ai vu des Bougies , qui donnoient une auffi belle lumière , & qui du- roient autant que les nôtres. Nos Miffionnaires du Voifinage de l'Acadie y mêlent du fuif ,ce qui les rend fujettes à couler, parce que le fuif ne s'allie pas bien avec cette cire. Le fleur Alexandre , qui eft ici au fervice de la Compagnie en qua- lité de Chirurgien & de Botanifte , n'y met rien du tout , & {es bougies n'ont point ce défaut , la lumière en eft douce & fort claire , & la fumée , qui en fort , quand on les a fouflées, a une odeur de Myrthe fort agréable. Ilefperemême venir à bout de la blanchir , & il m'en a montré unemaife , qui étoit plus qu'à demie blanche (a). Il prétend que fi on lui donnoit cinq ou fix Efclaves de ceux , qui font les moins propres aux travaux ordinaires , pour cueillir la graine dans la faifon , il en feroit affez de cire pour en charger un VaifTeau • tous les ans. A treize ou quatorze lieues du Biloxi , en tirant à l'Eft , on De la Mau- trouve la Rivière de la Maubile, qui coule du Nord au Sud,& dont l'embouchure eft vis-à-vis de l'HleDauphîne. Elle prend faffource dans le Pays des Chicachas , & fon cours eft d'en- viron cent trente lieues. Son lit eft très-étroit , & elle fer- pente beaucoup , ce qui n'empêche pas qu'elle ne foit fort ra- pide : mais il n'y a guère que les petites Pirogues , qui puif- fent la remonter , quand les eaux font baffes. Nous avons fur cette Rivière un Fort, qui a été lontems le Pofte principal de la Colonie ; les terres n'y font pourtant pas bonnes , mais on y étoit à portée de trafiquer avec les Efpagnoîs , & c'étoit alors uniquement ce qu'on cherchoit. On prétend qu'à quelques lieues au-delà du Fort , on a découvert une Carrière ; h cette découverte eft réelle , & que la Carrière foit abondante , elle pourra bien empêcher l'aban- donnement entier de ce Pofte , que plufieurs Habitans com- mencent à quitter , ne pouvant fe réfoudre à cultiver plus lontems un terrein , qui ne répond pas aux peines, qu'ils pren- (a) On y a renoncé , dit-on , parce que cette Cire en blanchiflant s'altère confidera,. blement. Lllii bile. S. Bernard, 452 JOURNAL HISTORIQUE nent pour le faire valoir. Je ne crois pourtant pas qu'on Te dé- ' ' termine aifément à évacuer le Fort de la Maubile , quand il Février. ne ferviroit qu'à entretenir dans notre Alliance les Tchaftas , Peuple nombreux , qui nous font une barrière néceffaire con- tre les Chicachas , & contre les Sauvages voilins de la Caro- line. Garcilaffo de la Vega , dans fon Hiftoire de la Floride , parle d'une Bourgade appellée Mauvllla^^xtWo, a fans doute donné fon nom à la Rivière , Si à la Nation , qui étoit établie fur fes bords. Ces Mauviliens étoient alors très-puiffans ; à peine en refte-ul aujourd'hui quelques veftiges. De la Baye On -err. préfentement occupé à chercher à l'Oued du Mi- ciflipi un endroit propre à faire un Etabliffement , qui nous approche du Mexique , & on croit l'avoir trouvé à cent lieues de l'embouchure du Fleuve , dans une Baye , qui porte tantôt le nom de Sainte Magdeleine , tantôt celui de S, Louis, & plus communément celui de S. Bernard. Elle reçoit plu- fieurs Rivières , dont quelques-unes font aiTez grandes , & c'eft-là , que M. de la Sale prit terre , quand il eut manqué l'embouchure du MicifTipi. On y a envoyé depuis ^peu un Brigantin pour la reconnoître , mais on y a trouvé des Sauva^ ges , qui paroiffent peu difpofés à nous recevoir , & qu'on n'a pas traites de manière à les gagner. J'entends même dire qua les Efpagnols viennent de nous prévenir- Il y a dans le vrai quelque chofe de plus preffé , Se de- meil- leur à faire , que cette Entreprife. Je fçai que le Commerce eft lame des Colonies , qu'elles ne font même utiles à un Royaume tel que le nôtre , que par cet endroit , & pour em- pêcher nos Voiims de fe rendre trop puirTants ; mais fi on ne commence pas la culture des terres , le Commerce , après avoir enrichi quelques Particuliers , tombera bientôt , & la Colonie ne s'établira point. Le voifmage des Efpagnols peut avoir fon utilité , mais laifTons-les s'approcher de nous tant qu'ils voudront , nous ne fommes point en état , & nous n'a- vons, aucun befoin de nous étendre davantage. Ils font allez pacifiques en ce Pays-ci , & ils n'y'feront jamais allez forts pour nous inquiéter ; il n'eft pas même de leur intérêt de nous chaffer de ce Pays ; & s'ils ne comprennent pas en- core , ils comprendront fans doute bien-tpt qu'ils ne fçau- roient avoir de meilleur barrière ? que la Louyiiane ? contre les Angiois.. Climat dit Biloxi. Biloxi. D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXIII. 453 Les chaleurs étoient déjà bien incommodes au Biloxi dès 1722 la mi-Mars , & je conçois que quand le Soleil a une fois em- Mars brafé le fable fur lequel on y marche , le chaud doit y être exceflif. On dit en effet que fans la brife , qui s'élève allez ré- gulièrement tous les jours , entre neuf & dix heures du ma- tin , & ne tombe qu'avec le Soleil , il ne feroit pas pofïîble d'y vivre. L'embouchure du Micifïipi eft par les vint-neuf degrez de latitude , & la Côte du Biloxi par les trente : nous y eûmes dans le mois de Février quelques froids affez pic- quants , lorfque le vent foufloit du Nord & du Nord-Oueft , mais ils ne duroient pas ; ils étoient même quelquefois fuivis de chaleurs affez vives , de tonnerres & d'orages , de forte que le matin nous étions en H/ver , & l'après-rnidi en Eté. Avec quelques petits intervales de Printems & d'Automne , entre deux : la brife vient ordinairement de l'Eft ; quand elle vient du Sud , ce n'eft qu'un vent réfléchi , lequel r-afraîchit beaucoup moins , mais c'eft toujours du vent , & quand il manque tout-à-fait, on ne refpire point. Le vint-quatre de Mars je partis du Biloxi , où j'avois été Départ du arrêté par une jauniffe , qui me dura plus d'un mois , & je re- pris la route de la Nouvelle Orléans , où je devois m'embar- quer fur une Flûte de la Compagnie , nommée ÏAdaur. Je fis ce voyage dans une Pirogue , & je n'en avois point encore fait de plus défagréable. A cinq lieues du Biloxi le vent d'Oueft , qui en trois heures m'avoit amené jufques-là , fît place à un vent de Sud fi violent , que je fus contraint de m'arrêter. J'avois eu à peine le tems de dreffer ma Tente , qu'une pluye épouvantable, accompagnée de tonnerre , nous- inonda. Deux petits Bâtimens , qui étoient partis en même-tems que moi , voulurent profiter du vent , qui leur fît faire bien du chemin en peu d'heures , & je regrettois fort de nen pouvoir pas faire autant , mais j'appris bien-tôt que leur fort avoit été plus digne de pitié que d'envie ; le premier fut dans un conti- nuel danger du naufrage , & fes Paffagers arrivèrent à la Nou- velle Orléans plus'morts que vifs. Le fécond échoua à moitié chemin , & cinq Perfonnes fe noyejrent dans une Prairie s dont l'orage avoit fait un étang. Le vent dura toute la nuit avec la même violence , & la pluye ne ceffa que le lendemain à midi. Elle recommença le foir , & continua jufqu'au jour avec le tonnerre, 1712. 454 JOURNAL HISTORIQUE Quand on range cette Côte à la vue , elle paroît très-agréa- Mars' kle » mais ^e ^us Pr^S ce n'e^ Pas ^a même cho^e- C'eft tou- jours un fond de fable , comme au Biloxi , & on n'y trouve fu?«tteCôw" que ^e médians Bois. J'y ai remarqué une efpéce d'ozeille , qui a le même goût que la nôtre , mais dont les feuilles font plus étroites , & qui caufe , dit-on , la dyfenterie. Il y a auffi dans ces quartiers-là une efpéce de Frefne , qu'on appelle Bois d'amourette , & dont l'écorce , qui eft pleine de pic- quants , pafTe pour être un remède fouverain , & très-prompt contre le mal de dents. Le vint-fix il plut tout le jour , & quoique la Mer fût cal- me , nous fîmes peu de chemin. Nous avançâmes un peu plus le vint-fept , mais la nuit fuivante nous nous égarâmes autour de l'Ille aux Perles. Le lendemain nous allâmes camper à l'en- trée du Lac Pontchartrain , ayant laiffé peu de tems aupa- ravant fur la droite la Rivière aux Perles , qui a trois embou- chures. La réparation de ces trois branches fe fait à quatre lieues de la Mer , & c'eft un peu au-delfus que les Biloxis fe font placés. Du Lac de Après midi nous traverfâmes le Lac de Pontchartrain, cette Pontchartrain. traverfe eft de fept à huit lieues , & à minuit nous entrâmes dans la Baye S. Jean, Ceux , qui les premiers naviguèrent fur le Lac , le trouvèrent , dit-on , tellement rempli de Caï- mans , qu'ils ne pouvoient prefque pas donner un coup d'a- viron , fans en toucher quelqu'un. Ils y font préfentement très- rares , & nous en vîmes feulement quelques traces à notre campement , car ces Animaux font leurs œufs à terre. Après m'être un peu repofé à la fortie du Lac , je pourfuivis mon chemin par Terre , & j'arrivai avant le jour à la Nou- velle Orléans. Difficulté de Je n'y trouvai plus l'Adour , mais elle n'étoit pas loin , & naviguer fur le je la joignis le lendemain premier Avril. L'inondation étoit rk d^r def" dans fon plein , par conféquent le Fleuve beaucoup plus ra- e pide , que je ne l'avois trouvé deux mois auparavant. D'ail- ï 7 2 2. leurs un Navire , furtout une Flûte , ne fe manie pas aufîi ai- jlyxiL ornent qu'un Traverfier , & comme notre équipage n'étoit pas accoutumé à cette navigation , nous eûmes bien de la peine à fortir du FleuTe. Le Navire entraîné tantôt fur un bord , & t^itôt fur un autre , engageoit fouvent fes vergues & fes manœuvres dans les Arbres , & il fallut plus d'une D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIII. 455 fois couper des manœuvres pour fe tirer de cet embarras. 1722," Ce fut bien pis encore , quand nous eûmes gagné les paffes, Avril, car les courants nous entraînoient toujours dans la première avec une violence extrême. Nous nous enfournâmes même dans une des plus petites , & je ne conçois pas même encore comment nous pûmes nous en tirer. Nous en fûmes pourtant quittes pour un ancre , que nous y laifiames ; on en avoit déjà perdu un deux jours auparavant , de forte qu'il ne nous en reftoit plus que deux. Un fi fâcheux début ne laiffa point de nous donner à penfer , mais la jeuneffe & le peu d'ha- bileté de ceux , à qui on nous avoit confiés , nous inquietoit encore davantage. L'Adour eft un très-joli Bâtiment , du port de trois cent le Navire Tonneaux ; cette Flûte étoit partie de France avec un bon JJal comma!> Equipage , fous la conduite d'un Capitaine , qui fçavoit fon Métier , & d'un Lieutenant , dont on difoit auffi beaucoup de bien. Celui-ci étoit refté malade à S. Domingue : le Capi- taine , peu après fon arrivée au Biloxi , fe brouilla avec un des Directeurs de la Compagnie , qui le démonta. Pour rem- placer ces deux premiers Officiers , on a jette les yeux fur un jeune Maloin , qui eft venu , il y a trois ans , à la Louy- fiane en qualité de Pilotin , ou apprentif Pilote , & qui de- puis ce tems là eft parvenu à commander un Traverser dans la rade du Biloxi % pour aller tantôt à la Maubile , & tantôt à la Nouvelle Orléans , y porter des provifions. Il paroît avoir tout ce qu'il faut pour devenir habile Homme ; il aime fon métier , & il s'y applique , mais nous nous paierions bien de voir fon apprentiffage , furtout dans une navigation, qui a de grandes difficultés. Il a pour fécond l'Officier , qui eft venu de France en qua- lité d'Enfeigne , c'eft encore un jeune homme , fort propre à être Subalterne fous des Chefs expérimentés , qui ne lui laif- feroient que le foin d'exécuter leurs ordres. Il feroit difficile de trouver un Matelot plus brave contre la Tempête , qu'il a dès l'enfance affrontée dans les pénibles Pêches de Terre- Neuve , & deux ou trois naufrages , dont il s'eft tiré heureu- fement , lui ont infpiré une conisance , dont je ferai fort fur- pris , fi à la fin il n'eft pas mauvais marchand. Notre premier Pilote paroît un peu plus mûr , que ces deux Officiers , & l'on fait furtout bien valoir la conrioifTance,qu'il 456 JOURNAL HISTORIQUE 1722. a du Canal de Bahama , qu'il a déjà parle une fois. C'eft ce- a '•} pendant bien peu pour connoître ce paiïage , le plus dange- Vrl ' reux , qui foit dans les Mers de l'Amérique , où Ton compte les naufrages par milliers. D'ailleurs je crains fort qu'un petit air fuffifànt , que je lui trouve , ne produife quelque effet fu- nefte. Il a deux Subalternes , qui font de bons Enfans ; nous avons cinquante Matelots Bretons , un peu mutins , mais forts & vigoureux , prefque tous ont été à la Pêche de la Morue , & c'elt une bonne école : leurs Officiers-Mariniers me pa- roiflent gens de tête & d'exécution. Cependant , malgré tous les retardemens , dont je vous ai parlé , nous mouillâmes le deuxième au loir en de-çà de la Barre ; nous la paflames le trois , & faute de vent , nous ne pûmes aller plus loin. Hier , nous fûmes encore arrêtés tout le jour , & cette nuit nous avons effuyé une tempête de vent du Sud , qui nous a fait remercier le Seigneur de n'avoir pas été en Mer fi près de la Côte. J'efpere , Madame , vous écrire dans peu de S. Domingue , où notre Flûte va -prendre une Cfrgaifon de Sucre , qui y eft toute prête. Je profite de l'oc- cafion d'un Traverser , qui remonte à la nouvelle Orléans , pour vous envoyer cette Lettre par un VaifTeau , qui doit aller en France en droiture, Je fuis , &c. TRENTE-QUATRIEME LETTRE. Voyage jufquau Canal de Bahama. Naufrage de VAdour $ retour à la Louyfiane le long de la Côte de la Floride : JDefcription de cette Côte. M Au Biloxi , le cinquième de Juin 1722, ADAME, Je vous avois promis de vous écrire inceffamment de Saint Domingue. M'en voici après deux mois aufîi loin , que j'en étois alors ; le récit du trifte événement, qui m'a ramené dans cette D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIV. 457 cette Colonie , & qui n'a que trop juftifié mes preflentimens , 1722. avec quelques obfervations fur un Pays , que je n'avois pas Avril. compté de parcourir , vont faire la matière de cette Lettre. Je ne fuis pas au refte autant à plaindre , que vous croyez. Je fuis bien délaffé de mes fatigues , j'ai couru de grands dan- gers , mais je m'en fuis heureufement tiré ; lemaipaffé n'eft que fonge , & fou vent un fonge agréable. Il y avoit une demie heure au plus , que j'avois fermé ma L'Adour mçt Lettre , lorfque le vent s'étant rangé au Nord-Oueft , nous à la voile, appareillâmes. J'aurois crû que le refpeâ: dû au faint Jour de Pâques auroit engagé le Capitaine à différer au lendemain , d'autant plus qu'il étoit midi paffé ; mais il avoit peu de vi- vres , & un jour de retardement peut avoir des fuites fâcheu- fes. Notre précipitation en a eu de plus funeftes encore. Nous perdîmes bientôt la Terre de vue , & au bout d'une heure , après avoir eu le plaifir de voir les eaux de la Mer & celles du Fleuve fe mêler fans fe confondre , nous n'apper- çûmes plus aucune différence , & nous ne trouvâmes plus que de l'eau falée. On me dira , peut-être , que nous avions quitté le droit Canal , & je conviens que cela étoit peut-être , mais ce com- bat , que nous avions obfervé fi près de l'embouchure , ne marque pas un Fleuve victorieux , qui s'ouvre un libre paf- fage , & fait pendant vint lieues la loy à l'Océan. D'ailleurs , h* ce fait étoit vrai , du moins dans le tems de l'inondation , où nous étions alors , comment auroit-on eu tant de peine à trouver l'embouchure du Fleuve ? La feule différence de la couleur des eaux l'auroit indiquée aux moins attentifs ? A propos de cette couleur ; j'ai dit que le Micifîipi , après fa obfervatîo* jonftion avec le Miffoury,prenoit la couleur des eaux de cette fur. }"*** du Rivière, qui font blanches : mais croiriez-vous bien, Madame, MlcllllPi- que de toutes les eaux, qu'on peut embarquer pour la provifîon des Vaiffeaux, il n'y en a point, qui fe conferventfi lontems que celles-ci fans fe corrompre? D'ailleurs , elles font excellentes à boire , quand on les a laiffé repofer dans des Jarres , au fond defquelles on trouve une efpéce de tartre blanc , qui , félon toutes les apparences , fert également à leur donner la couleur , qu'elles ont , à les purifier , .& à les conferver. Le douzième à midi , après avoir effuyé pendant plufieurs Defcription jours des chaleurs exceffives , & plus intolérables encore la deiacôcesep- Tome III. Mmm 458 JOURNAL HISTORIQUE i 7 2. i. nuit » <îue Ie Jour j 110US découvrîmes le Cap de Sed 3 qui eft Avril. ^ur ia Côte Septentrionale de l'Ifle de Cuba , & fort élevé, tentrionai de ^u Soleil couchant nous étions par fon travers , nous mîmes Cuba. le Cap à l'Eft , & nous rangeâmes la Côte à la vûë ; le len- demain au point du jour nous étions vis-à-vis de la Havane ; cette Ville eft à dix-huit lieues du Cap de Sed , & à moitié chemin on découvre une Montagne affez haute , dont le fommet eft une efpéce de platon : on l'appelle la Table à Marianne. Deux lieues plus loin que la Havanne , il y a fur la Côte un petit Fort , qui porte le nom de la Hougue 3 & de-là on commence à découvrir le Pain de Matance. C'eft une Mon- tagne , dont le fommet a la forme d'un four , ou filon veut , d'un pain. Elle fert à reconnoître la Baye de Matance , qui efl éloignée de quatorze lieues de la Havane. Le chaud augmen- toit toujours , auffi étions-nous fur les confins de la Zone Tor- ride : avec cela nous n'avions prefque point de vent , & nous n'avancions qu'à la faveur du courant , qui porte à l'Eft. Maavaife Le quatorzième , vers les fix heures du foir , on apperçut du haut du grand Mât la Terre de la Floride. Il n'eft point de Navigateur prudent , qui à cette vûë , s'il n'a pas du moins fix à fept heures de jour à courir , ne revire de bord , & ne fe foûtienne au large jufqu'au lendemain , n'y ayant point de parage au monde , où il foit plus important de voir clair , à caufe de la diverfité des courants s qu'il ne faut jamais fe flat- ter de bien connoître. Nous avions l'exemple affez récent des Galions d'Efpagne , qui y périrent il y a quelques années , pour n'avoir pas pris la précaution , que je viens de dire. Le Chevalier d'Hère , Capitaine de Vaiffeau , qui les accom- pagnoit , fit tout fon pofïible pour engager le Général de la Flotte à attendre le jour pour entrer dans le Canal : il n'y réufïit pas , & ne jugea point à propos de fe jetter avec lui dans le précipice. Notre Capitaine , à qui on avoit donné fur cela de bons avis , étoit bien réfolu d'en profiter : mais trop de docilité fit fur lui le même effet , qu'avoit produit la préfomption du Général Efpagnol. Son premier Pilote , qui fe croyoit le plus habile Homme du monde . & fon Lieutenant , qui ne fçavoit douter de rien , furent d'avis de continuer la route , & il n'eut pas la force de leur réfifter. Il propofa de faire au moins le manœuvre. D'UN VQYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXIV. 459 Nord-Eft, & la fuite nous a montré que,fi Ton fentiment avoit *"" *" prévalu , nous aurions échapé au naufrage. Mais il ne put l7 V2.* obtenir que le Nord-Nord-Efr. , le Pilote affûrant que les cou- ' rants portoient avec impétuofité à l'Eft. Il difoit vrai , mais ce n'eft que quand on efr. près des terres de ce côté-là , comme ils portent à l'Ouefr. de l'autre côté , où nous étions alors. A fept heures la terre parohToit encore afïez éloignée , & Naufrage de on ne la pouvoit même découvrir que de la Hune ; mais au ' Adour" bout d'une demie heure , le tems s'étant couvert , un Matelot remarqua à la faveur des éclairs que l'eau avoit changé de couleur. Il en avertit , mais fon avis fut reçu avec rifée , on lui dit que c'étoit les éclairs , quifaifoientparoitre l'eau blan- che. Il ne fe rebuta point , plufieurs de fes Camarades furent bientôt de fon fentiment : on voulut encore fe mocquer d'eux, mais ils crièrent fi haut , & ils étoient en fi grand nombre, que le Capitaine fit jetter la fonde. On ne trouva que fix braffes d'eau ; l'unique parti sûr , qu'il y avoit à prendre , étoit de mouiller dans le moment , mais il n'y avoit point d'ancre paré. On vouloit revirer de bord , & peut-être qu'il en étoit encore tems , fi on eût fait diligence j mais on s'amufa à fonder de nouveau , & on ne trouva plus que cinq braffes. On jetta tout de fuite une troifiéme fois la fonde , & il n'y en avoit plus que trois. Imaginez-vous , Ma- dame , des Enfans , qui fe voyant entraînés dans un précipice, font uniquement attentifs à en connoître la profondeur , fans prendre aucune mefure pour l'éviter. Alors il s'éleva un bruit confus , chacun crioit à pleine tête, les Officiers ne pouvoient fe faire entendre , & deux ou trois minutes après le Navire échoua , il furvint dans l'inftant une efpéce d'orage , & la pluye , qui fuivit de près , fit tomber le vent : mais il fe releva bientôt , fe rangea au Sud , & devint plus fort qu'auparavant. Le Navire commença aufîi-tôt à ta- lonner fur fon gouvernail ; on craignit avec raifon que le grand Mât , qui à chaque fecoufle fautoit affez haut , ne fît ouvrir le Navire , & fon procès lui fut fait dans les formes or- dinaires : il fut condamné & abbatu fur le champ , après que le Capitaine lui eut donné le premier coup de hache , félon la régie. Le Lieutenant s'embarqua enfuite dans la Chaloupe , pour tâcher de découvrir en quel lieu nous étions , & en quel état Mmmij 46o JOURNAL HISTORIQUE fe trouvoit le Vaiffeau. Il remarqua que fur le devant nous 1 7 2 2,' n'avions que quatre pieds d'eau , & que le banc , fur lequel nous étions échoués , étoit fi petit , qu'il n'y avoit quafï que la place du Navire , & que tout autour il auroit été à flot. Mais quand nous l'aurions évité , nous ne pouvions manquer de donner fur un autre , car il en étoit environné , & à coup sûr , nous n'en aurions pas rencontré un fi commode. Le vent foufloit toujours avec violence ; notre Flûte con- tinuoit à talonner , & à chaque fecouffe nous nous attendions qu'elle alloit s'ouvrir. Tous les effets de la frayeur étoient peints furjes vifages , & après le premier tumulte formé par les cris des Matelots , qui manœuvroient , & par les gémif- femens des Paffagers , qui fe croyoient au moment de périr , un morne & profond filence fe répandit fur tout le Bâtiment. Nous fçûmes depuis que quelques - uns prenoient fecrette- ment leurs mefures pour n'être point furpris , au cas que le Vaiffeau fe brisât : non-feulement la Chalouppe , mais en- core le Canot étoient à l'eau tout parés , & des Matelots affi- dés , avertis fous main de fe tenir prêts au premier fignal. On m'affûra dans la fuite , qu'on avoit bien compté de ne me pas laiffer dans le danger. Ce qui eft certain , c'eft que je parlai la nuit fans fermer l'œil , & dans lafituation d'un homme , qui ne s'attend point à revoir le jour. Il parut néanmoins , & il nous découvrit la terre à plus de deux grandes lieues de nous. Cen'étoit point celle , que nous avions découverte d'abord , & que nous appercevions encore dans un grand éloignement , mais une terre baffe , & qui nous fembloit très-peu propre à être habi- tée. Cette vûë ne laiffa pourtant pas de nous faire plaifîr , & de nous raffûrer un peu. Mefures , On examina enfuite s'il y avoit quelque apparence de pou- quon prend voir remettre l'Adour à flot , & parce qu'il étoit bon d'avoir e au" plufieurs cordes à fon arc , on fongea en même-tems aux moyens de fe tirer d'un aufîi mauvais endroit , fuppofé qu'il fût impoffible de relever le Navire. On fe fouvint alors qu'on avoit embarqué un Batteau plat en botte , dans le deffein de s'en fervir à S. Domingue , pour charger les Sucres , qu'on y devoit prendre. C'étoit une précaution fort fage du Capitaine, qui avoit été averti qu'en ce Pays-là le chargement retient fouvent les Navires en rade beaucoup plus lontems , qu'il ne. pour ■ver D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIV. 46i convient aux intérêts des Armateurs , & à la famé des Equi- — pages ; mais la Providence avoit eu fans doute une autre I 7 2 2* vue , en lui infpirant cette penfée. Ce Batteau fut notre Avril, falut. Je ne fçai pas bien ce qui fe parla le même jour entre les Officiers & le Pilote , mais on ne parla plus de relever le Bâ- timent. Plusieurs ont prétendu qu'on auroit fait pour y réufîir des efforts inutiles ; mais le Capitaine s'eft plaint plus d'une fois à moi de ce qu'on n'avoit pas voulu lui biffer faire cette tentative , comme îl le fouhaittoit. On réfolut donc dès le même jour de tranfporter tout le monde à terre , & l'on tra- vailla tout le matin à conftruire un Radeau , pour n'être par obligé de faire plufieurs voyages. On ne jugea pourtant pas à propos d'abandonner encore le Navire , & il n'y eut même que les Paffagers , qui furent embarqués dans la Chaloupe & fur le Radeau. A une portée de Canon du Bâtiment nous trouvâmes la Mer fort haute & le Bifcuit, que l'on portoit à terre , fut mouillé ; une petite Pirogue , qui fuivoit la Chaloupe , eut bien de la peine à fe foûtenir , & le Radeau , qui portoit vint-deux hommes , fut emporté fi loin par le courant , qu'on le crut perdu. La Chaloupe , où j'étois , faifoit diligence pour arriver , Sauva(TP< Cur afin d aller eniuite au fecours des autres , mais comme nous les iflcs des étions prêts à débarquer , nous apperçûmes une alTez grande Martyrs, troupe de Sauvages armés d'Arcs & de Flèches , qui s'appro- choient du rivage. Cette vue nous Rt faire réflexion , que nous nous étions embarqués fans armes , & nous nous arrê- tâmes quelque-tems fans ofer avancer. Nous crûmes même tout bien confideré , qu'il étoit contre la prudence d'aller plus loin. Les Sauvages s'aperçurent de notre embarras , &: en comprirent aifément la caufe. Us s'approchèrent , & nous crièrent en Efpagnols qu'ils ctoient amis. Comme ils virent que cela ne nous raffûroit pas , ils quittèrent leurs armes , & vinrent nous trouver ayant de l'eau jufqu'à la ceinture. Nous en fûmes bientôt environnés , & il eft certain qu'em- Ce quJ fe barrafTés , comme nous étions de hardes dans une Chaloupe , &û*0 sei" '" où nous ne pouvions nous remuer , il leur étoit fort aifé de fe défaire de nous. Ils nous demandèrent d'abord fi nous étions Anglois : nous leur répondîmes , que non , mais Alliés & bons Amis des Efpagnols : ils en témoignèrent beaucoup - 11 1 i eux 46i JOURNAL HISTORIQUE ' de joye , nous invitèrent à débarquer dans leur Me , & nous 1 7 2 2* afïurérent que nous y ferions auffi fûrement que dans notre Avril. Bord. La défiance en certaines occafions ne fert qu'à marquer de la foibleffe , & fait naître des foupçons dangereux. Nous crûmes donc devoir nous rendre à l'invitation de ces Barba- res , & nous les fuivimes dans leur. Ifle , que nous reconnûmes être une des Martyrs. Ce qu'il y eut de plaifant , eft que ce qui acheva de nous déterminer à prendre ce parti , fut que la Pirogue , où il n'y avoit que quatre ou cinq Hommes , nous joignit , tandis que nous parlementions avec les Sauvages : nous rifquions apu- rement beaucoup à nous livrer fans armes entre les mains de ces Floridiens , & nous le reconnûmes bien dans la fuite : quatre ou cinq Hommes de plus n'étoient pas capables de leur faire changer de fentiment , fuppofé que ces Barbares eufTent eu de mauvais deffeins contre nous ; & je ne penfe point à la confiance , que nous infpira un renfort Ci léger , que je ne me repréfente ces Perfonnes , qui n'oferoient marcher feuls dans les ténèbres , & que la préience d'un Enfant raffûre d'abord , en occupant leur imagination , qui feule caufe toute leur frayeur. Les pafla- Cependant nous ne fûmes pas plutôt débarqués dans l'Ifle , gers entrent, qu'affés peu raffûrés de la part des Sauvages , nous entrâmes ^Equipage? e encore en défiance contre nos Officiers. Le Capitaine de l'A- dour nous avoit conduit jufques-là ; mais dès qu'il nous eut mis à terre , il prit congé de nous , difant qu'il étoit obligé de retourner à fon Bord , où il avoit encore bien des arrange- mens à prendre , & qu'il nous enverroit inceffamment tout ce qui pouvoit nous manquer , fur tout des armes. 11 n'y avoit rien en cela que de raifonnable , & nous concevions bien -que fa préfence étoit néceffaire fur fon Navire : mais nous fîmes réflexion qu'il n'en avoit fait fortir que les Paffagers , & que tout l'Equipage alloit être réuni à bord , dès que cet Officier y feroit retourné. Cela nous fit foupçonner que le Batteau , dont on nous avoit parlé , n'étoit qu'un leurre pour nous amufer , & qu'on ne nous avoit conduit à terre , que comme des Perfonnes , dont on étoit embarraffé , afin de pouvoir profiter de la Cha- loupe & du Canot pour parler à la Havane , ou à S. Auguftin de la Floride. Ces foupçons fe fortifièrent dans chacun de D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIV. 463 nous , quand nous vîmes que nous avions tous eu la même penfée , ce concert nous fit juger qu'ils n'étoient point fans l 7 l 2' fondement : fur quoi il fut réfolu entre nous que je retourne- Avril, rois au Navire avec le Capitaine , afin d'empêcher les réfolu- tions violentes , fï on étoit tenté d'en prendre quelqu'une. Je déclarai donc au Capitaine que , puifque fon Aumônier vouloit demeurer dans Mile , il ne convenoit point que j'y de- meurante auffi : qu'il étoit plus à propos de nous partager , & que j'étois réfolu de ne point découcher du Bord, tandis qu'il y refteroit quelqu'un. Il parut un peu furpris de mon difcours , mais il ne fit aucune réfiflance , & nous partîmes. Je trouvai en arrivant au Vaiffeau , qu'on avoit éventé les voiles , pour voir , difoit-on , s'il y avoit moyen de le dégager : mais il y avoit bien d'autres manœuvres à faire pour cela , & on ne jugea pas à propos de les employer. Au bout d'une demie heure le vent fe jetta à l'Eft , & devint PM&m très-fort , ce qui obligea de ferrer les voiles ; mais cet orage p?%ers lau- fut le falut de ceux, qui étoient fur le Radeau , & qui avoient SpdeTaPn£ été emportés bien loin à la dérive. Les lames les rechafTerent vidence. vers nous , & dès que nous les apperçûmes , le Capitaine leur envoya fa Chaloupe , qui remorqua le Radeau , & nous les ramena. Ces Malheureux , qui pour la plupart étoient de pauvres PafTagers , n'attendoient plus que la mort , & de no- tre côté nous commencions à délefperer de les pouvoir fau- ver, lorfque la Providence excita cette petite tempête pour les garantir du naufrage. Au refte ma préfence étoit plus nécefTaire encore fur le Déïonfra Vaiffeau , que je ne l'avois cru. Nos Matelots Bretons , pen- dans rEtiul~ dant l'abfence du Capitaine, avoient voulu noyer dans le vin pa§e' leur chagrin & leurs inquiétudes : malgré le Lieutenant , qu'ils ne refpe&oient pas beaucoup , & que plufieurs n'aimoient point , ils avoient enfoncé la Cantine , & nous les trouvâmes prefque tous yvres-morts. J'entrevis même dans l'Equipage quelques femences de divifîon & de révolte , dont je crus qu'on devoit tout appréhender , fi l'on n'y remédioit pas de bonne heure ; d'autant plus que le Capitaine , quoiqu'affez; aimé des Matelots , ne fçavoit pas fe faire obéir des Officiers- Mariniers , la plupart fort portés à la mutinerie , & qui ne pouvoient fouffrir fon Lieutenant» Pour furcroît d'embarras , une troupe de Sauvages nous Embarras & 464 JOURNAL HISTORIQUE 1 7 2 2* avoit fui vis de près , & nous comprîmes que , fi nous n'avions Avril. p0jnt à craindre de violence de leur part , il ne nous feroit la pan des sau- pas facile de nous délivrer de leurs importunités , furtout qu'il vages* faudroit bien garder ce que nous ne voulions pas perdre. Le plus apparent fe faifoit nommer Dom Antonio 3 & parloit affez bien Caftillan. Il avoit encore mieux pris la gravité & les ma- nières des Efpagnols. Dès qu'il voyoit quelqu'un bien mis , il lui demandoit s'il étoit Cavalkro , & il avoit commencé par nous dire qu'il l'étoit lui-même, & des plus diftingués de fa Nation. Il n'avoit pourtant pas les inclinations fort nobles;tout ce qu'il voyoit , lui faifoit envie , & fi on ne l'eût empêché , lui & fa troupe ne nous auroient rien laiffé , que ce qu'ils n'au- roient pu emporter. Il me demanda ma Ceinture ; je lui dis que j'en avois befoin , il comprit qu'elle ne m'étoit néceffaire que pour ma Soutane , & il me la demanda avec de grandes inftances. Quiétoient Nous apprîmes de cet Homme que prefque tous les Sauva- ces Sauvages. ges de fa Bourgade avoient été baptifés à la Havane , où ils faifoient tous les ans un voyage. Ils en font éloignés de qua- rante-cinq lieues , & ils font ce trajet dans de petites Pirogues fort plattes , fur lefquelles on n'oferoit affû rément fe rifquer pour paffer la Seine à Paris. Dom Antonio nous ajouta qu'ils avoient un Roi, qui fe nommoitDom Diego, & que nous verrions le lendemain. Il nous demanda enfuite quel parti nous voulions prendre , & s'offrit à nous conduire à Saint Au- guftin. Nous témoignâmes lui fçavoir gré de fon offre , on le régala bien & tous ceux de fa fuite , & ils s'en retournèrent affez contens en apparence. Ces Sauvages ont le corps plus rouge *qu'au eu n de ceux , que j'aye encore vus : nous n'avons jamais p'u fçavoir le nom de leur Nation : mais quoiqu'ils n'ayent pas trop bonne répu- tation , ils ne nous ont point paru affez méchans , pour être de ces Calos s ou Carlos 3 fi décriés par leurs cruautés , & dont le Pays n'eft pas loin des Martyrs. Je ne crois pas même ceux- ci Antropophages ; mais peut-être ne nous parurent-ils fi trai- tables , que parce que nous étions plus forts qu'eux. Je ne fçai ce qu'ils ont eu à démêler avec les Anglois , mais nous eûmes tout lieu de juger qu'ils ne les aimoient pas. La vifite de Dom Antonio pouvoit bien n'avoir eu d'autre motif, que d'exami- ner fi nous n'étions pas de cette Nation , ou s'ils ne rifqueroient pas trop en nous attaquant. Le I D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXIV. 4tf5 - Le feiziéme je crus devoir aller raffûrer ceux , qui étoient 1 7 2 2* reftés dans l'Ifle , & à qui on tint la parole , qu'on leur avoit Avril, donnée la veille : je paifai prefque tout le jour avec eux , & DMen'fio.. le foir à mon retour je trouvai tout le Navire en combuftion. *ns EcJulPa- Les Auteurs du défordre étoient des Officiers Mariniers , & tout ce qu'il y avoit de meilleurs Matelots s'étoient rangés de leur parti. Us en vouloient au Lieutenant, qui jufques-là , di- foient-ils , les avoient traités avec beaucoup de hauteur & de dureté. Le vin , qu'ils avoient à difcrétion , leur échauffoit de lus en plus la tête , & il n'étoit prefque plus poffible de leur :aire entendre raifon. Le Capitaine montra en cette rencontre une fageffe , une Fermeté des fermeté > & une modération , qu'on n'auroit pas dû attendre officlers- de (on âge , de fon peu d'expérience , & de fa conduite paffée : il fçut fe faire aimer & craindre de Gens , qui n'écoutoient prefque plus que leur fureur & leur caprice. Le Lieutenant de fon côté étonna les plus mutins par fon intrépidité , & ayant trouvé moyen de les féparer & de les occuper , il vint à bout de s'en fure obéir. On avoit enfin tiré du fond de Calle le Batteau tant promis , & on l'avoit porté dans l'Ifle; il falloit le monter 4 le loger en attendant qu'il fût prêt , tirer du Na- vire les .provisions de bouche , & les munitions , fe fortifier contre les furprifes des Sauvages ; le Capitaine employa à ces travaux tous ceux , dont il étoit plus néceffaire de s'afîurer , & me pria de refter à bord , pour aider au Lieutenant à con- tenir les autres. Le dix-feptiéme à la pointe du jour il parut une voile à Un Navire deux bonnes lieues de nous. Nous mîmes Pavillon en ber- Ang^is ]âchc , x o 1 v » •,•! • en vain defe- rie ( a) , & quelque tems après nous remarquâmes qu il avoit Courk l'Equi- mis en panne pour nous attendre. Auffi-tôt le Lieutenant s'em- Pagc- barqua dans le Canot , & alla à bord demander au Capitaine s'il voudroit bien nous recevoir tous. Mais ce n'étoit qu'un Brigantin de cent tonneaux, qui avoit été pillé par les Forbans, & qui depuis trois jours faifoit bien des efforts pour fe tirer de cette Baye , où les Courans , difoit-il , plus forts cette an- née, qu'on ne les avoit jamais vus , l'avoient entraîné malgré lui , & quoiqu'il eut fait l'Eft-Nord-EH:. Il eft vrai que nous n'avons feu cela que par lOfficier , que quelques-uns. foup- ( a ) Mettre Pavillon en Berne, c'eft l'é- I ployer : cela fe fait pour demander du fe- iever au haut de fon bâton , fans le dé- l cours. Tome III. N nn 466 JOURNAL HISTORIQUE 1722. çonnerent d'avoir imaginé ce récit , afin de pouvoir rejetter Avril ^ur *a ^orce ^ Irrégularité des Courans , le malheur , où fort * obftination nous avoit précipités. Quoiqu'il en foit , le Patron Anglois confentit à embarquer vint Perionne4S , pourvu qu'on lui donnât des vivres & de l'eau , dont if avoit un extrême befoin. La condition fut ac- ceptée , & le Patron s'approcha en effet à deffein de mouiller un ancre le plus près de nous , qu'il feroit poffible : mais un gros vent du Sud s'étant levé tout-à coup , il fut contraint de Faire fa route , pour ne pas s'expofer à périr lui-même , en voulant nous fecourir. Le dix-neuviéme on apperçut encore trois Eâtimens à la voile ; on alla leur faire les mêmes propo- sitions , qu'au Premier , mais on n'en put rien obtenir. C'étoit encore des Anglois , qui fe plaignoient d'avoir été pillés par les Forbans. Ce même jour , comme il ne reftoit plus rien fur l'Adour , que nous puffions emporter , nous lui dîmes le dernier adieu , avec d'autant plus de regret que depuis quatre jours , qu'il étoit échoué , il n'y étoit pas encore entré une goutte d'eau , & nous nous rendîmes tous à terre après le Soleil couché. Nous y trouvâmes des Tentes , qu'on y avoit dreflees avec les Voiles du Navire , un Corps-de-Garde en bon état , où, nuit & jour on faifoit exa£tement la fentinelle ; & des vivres , bien arrangés dans un Magafin , où l'on faifoit auffi la garde. Défection Llfle , où nous étions , pou voit avoir quatre lieues de cir- Martyrs. Cp[tm \\ y en avoit à droite & à gauche de différentes gran- deurs , & celle , où les Sauvages avoient leurs Cabannes , étoit la plus petite de toutes , & la plus proche de la nôtre» Ils y vivoient uniquement de pêche , & toute cette Côte eft aufîi abondante en Poiffon , que la terre y eft incapable de rien fournir pour la vie. Quant à leurs vêtemens, quelques feuilles d'Arbres , ou un morceau d'écorce leur fuffifent ; ils n'ont de couvert , que ce que la pudeur enfeigne à tous les Hommes de couvrir. Le fond de toutes ces Ifles eft un fable très-fin , ou plutôt une efpéce de chaulx calcinée, & toute femée d'un corail blanc , qui s'écrafe fans peine. Auffi n'y voit-on que des brof- failles , & quelques Arbriffeaux. Les bords de la Mer font couverts d'affez beaux coquillages , & on y trouve quelques Eponges , qui paroiffent y avoir été jettées par les vagues D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXÏV. 467 dans les gros tems. On prétend que ce qui y retient les Sau- j _ 2 2 ' vages , ce font les naufrages , qui arrivent allez fréquemment . .. " à l'entrée du Canal de Bahama , & dont ils profitent toujours. Avril. On ne voit pas même une feule Bête dans ces Mes , qui pa- roiffent maudites de Dieu & des Hommes , & où il n'y auroit aucun Habitant , s'il ne fe trouvoit pas des Hommes unique- ment attentifs à tirer avantage du malheur des autres , & fou- vent à y mettre le comble. Le vintiéme Dom Diego nous rendit vifite. C'eft un vifaeduCa- jeune Homme d'une taille au-deffous de la médiocre , & d'af- c,cîue des Sau~ fez mauvaife mine. Il s'en falloit peu qu'il ne fut aufïi nud que $* {es Sujets , & le peu qu'il avoit de hardes fur le corps , ne va- loit pas la peine d'être ramaffées. On lui voyoit autour de la tête une efpéce de bandeau de je ne fçai quelle matière, Se que certains Voyageurs n'auroient pas manqué de prendre pour un diadème. Il n'avoit point de fuite , nulle marque de dignité, rien en un mot, qui annonçât ce qu'il étoit. Une jeune Femme affez bien faite , & décemment vêtue en Sauva- gerie , l'accompagnoit , & on nous dit que c'étoit la Reyne ion Epoufe. Nous reçûmes Leurs Majeftés Floridiennes affez cavalière- ment : nous leur fîmes cependant amitié , & elles parurent affez contentes de nous ; mais nous ne reconnûmes point ces Caciques , dont l'Hiftorien de la Floride nous vante fi fort la puiffance & les richeffes. Nous dîmes deux mots à Dom Die- gue de l'offre , que Dom Antonio nous avoit faite de nous conduire à Saint Auguftin,& il nous donna lieu d'efperer qu'il nous rendroit tous les fervices , qui dépendroient de lui. Pour l'y engager davantage , je lui fis prêtent d'une de mes Chemiies , & il la reçut avec beaucoup de reconnoiffance. Il revint le lendemain ayant par-deflus fes haillons ma che- Autorité de mife , qui lui traînoit prefqu'à terre ; & il nous fit entendre ce Caci(îue- qu'il n'étoit pas proprement le Souverain de fa Nation , mais qu'il relevoit d'un autre Cacique plus éloigné. Une laiffe pour- tant pas d'être abfolu dans fon Village , & il venoit d'en don- ner une bonne preuve. Dom Antonio , qui paroiffoit bien avoir deux fois fon âge , & qui en auroit battu fans peine deux comme lui , nous vint voir peu de tems après , & nous dit que Dom Diégue l'avoit repaffé de la bonne manière , parce qu'il s etoit enyvré fur l'Adour , où l'on avoit apparemment N un ij 468 JOURNAL HISTORIQUE _21 oublié quelques reftes d'Eau- de-vie. La différence la plus fen- fîblerqui Te trouve entre les Sauvages du Canada & ceux de la Avril. Floride, eft cette dépendance , où ceux-ci font de leurs Chefs, & le refpect , qu'ils leur portent. Aufîi ne voit-on point en eux , comme dans les Premiers , ces fentimens élevés , Se cette fierté , que produit l'indépendance , & à laquelle onfup- plée dans les Etats civilifés par les principes de religion & d'honneur , que donne l'éducation. Dom Diégue Le vint-deux Dom Diégue vint dîner avec nous fans façon , s'exeufe de vêtu comme la veille. Il fembloit prendre beaucoup de com- d« Gufdcs1" Ç^a^ance dans cette parure , qui lui donnoit pourtant un air pourSaintAu- fort ridicule , ce qui joint à fa mauvaife mine , le faifoit jufte- guftia, ment reflembler à un Homme , qui va faire amende honora- ble. Soit religion , foit répugnance , nous ne pûmes jamais l'engager à manger de la viande ; nous avions encore un refte de Poiffon , que lui-même nous avoit envoyé la veille : il en mangea , & but de l'eau. Après le repas- nous voulûmes parler d'affaires ; mais il nous dit d'abord , qu'après avoir bien réfléchi à ce que nous lui avions propofé , il ne pouvoit nous donner , ni Dom An- tonio , ni aucun de fes Gens pour nous conduire à S. Auguf- tin, parce que fur la route , qu'il nous faudrait tenir, il y avoit de nombreufes Nations , avec lefquelles il étoit en guer- re. Je ne fçai fi alors on ne fe repentit pas d'avoir abandonné fî légèrement l'Adour , car après que Dom Diégue nous eut quittés , on y envoya le Canot ; mais ceux qui vifiterent ce Bâtiment, nous dirent à leur retour que les Sauvages y avoient tout brifé , & qu'il s'empliûoit d'eau. On délibère Le vint-trois le Batteau fe trouva achevé, & on fongea P?m> tout-de-bon à prendre un parti. Il s'en préfentoit deux , & il y eut deux fentimens , les uns étoient d'avis de hafarder le tra- jet à la Havane , les- autres vouloient fnivre la Côte jufqu'à Saint Auguftin. Ce dernier avis paroiffoit le plus fur , le pre- mier étoit le plus court ; mais s'il avoit pu être pris fagement , il auroit fallu le prendre dès le lendemain de notre naufrage , ou plutôt faire partir la Chaloupe pour la Havane , afin d'à»- venir le Gouverneur de notre iituation, & le prier de nous envoyer un Brigantin. Les feuls agrès de l'Adour auroientété plus que fuffifans pour le dédommager de fes frais, ©n f« diviffc- Quoiqu'il en foit , la plus grande partie del'Equipage étoit Jur cjii.'on dpic prendre, D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIV. 469 de ce dernier avis > il ne fut pas pofîible de leur en faire pren- dre un autre. Ils étoient quarante , ils demandèrent la Cha- ' . * loupe & le Canot , & il fallut les fatisfaire, l'Aumônier de Avril. l'Adour étoit de ce nombre : fans cela je me ferois cru obli- gé de les accompagner; mais il falloit partager les fecours spirituels , comme on fit les vivres , & les autres provisions. Le lendemain matin , après la Méfie , l'Aumônier , qui étoit un Père Dominiquain, voulut que je bénîfTe les trois Bâtimens ; j'obéis & je baptifai le Batteau , auquel je donnai le nom de Saint Sauveur. Le foir après la prière je fis un dernier effort, pour ramener tout le Monde à l'unité : j'obtins fans peine que le jour fuivant on partiroit tous enfemble, qu'on iroit cam- per dans l'Ifle la plus avancée au large , & que là on fe déter- mineroit félonie vent. Nous partîmes en effet le vint-cinq fur le midi , & nous vo- guâmes de concert pendant plufieurs lieuè's , mais vers le cou- cher duSoleil, nous vîmes la Chaloupe enfiler le Canal, qu'ilfal- loit traverfer pour gagner la Havane , fans fe mettre en peine du Canot , dont elle portoit les vivres , & qui ne pouvant la fuivre , fut contraint de fe joindre à nous. Nous le reçûmes avec bonté , quoique parmi ceux , cjui y étoient , il y en eût , dont on n'avoit pas fujet d'être content, Nous débarquâmes dans l'Ifle , où nous avions compté de nous réunir, & où une bande de Sauvages setoit déjà rendue, je ne fçai à quel def- fein. Nous fûmes fur nos gardes toute la nuit , & nous partî- mes de grand matin. Le tems étoit charmant , la Mer belle , & notre Equipage te i&ttbav commença à envier le fort de la Chaloupe. Il en vint même Pre"d la-.rplIta: bientôt aux murmures , & nos Chefs crurent qu'il falloit au d - °xu moins faire femblant de les contenter. On prit donc la rout-i du Canal. Au bout de deux heures lèvent devint plus fort , & on s'imagina voir les apparences d'un orage. Il n'y eut alors perfonne , qui ne convînt qu'il y auroit de la témérité à s'en- gager dans une fi longue traverfe avec des Bâtimens tels que les nôtres : car rien n'étoit plus foible que notre Batteau , & l'eau y entroit déjà de toutes parts : mais comme pour aller à Saint Augufiin ,. il auroit fallu refaire tout le chemin , que ' nous avions fait jufques-là , on prit afTez unanimement la ré- folution de tourner du côté du Biloxi. Nous fîmes donc l'Ouefi , mais nous n'avançâmes pas beau- D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIV. 469 de ce dernier avis > il ne fut pas pofïible de leur en faire pren- — — - dre un autre. Ils étoient quarante, ils demandèrent la Cha- ' loupe & le Canot , & il fallut les fatisfaire, l'Aumônier de Avril. l'Adour étoit de ce nombre : fans cela je me ferois cru obli- gé de les accompagner -, mais il falloit partager les fecours fpirituels , comme on fit les vivres , & les autres provisions. Le lendemain matin , après la Méfie , l'Aumônier , qui étoic un Père Dominiquain,voulut que je bénîfTe les trois Bâtimens ; j'obéis & je baptifai le Batteau , auquel je donnai le nom de Saint Sauveur. Le foir après la prière je ris un dernier effort, pour ramener tout le Monde à l'unité : j'obtins fans peine que le jour fuivant on partiroit tous enfemble, qu'on iroit cam- per dans l'Ifle la plus avancée au large , & que là on fe déter- mineroit félonie vent. Nous partîmes en effet le vint-cinq fur le midi , & nous vo- guâmes de concert pendant plufieurs lieues , mais vers le cou- cher duSoleil, nous vîmes laChaloupe enfiler le Canal, qu'il fal- loit traverfer pour gagnci la Havane , fans fe mettre en peine du Canot , dont elle portoit les vivres , & qui ne pouvant la fuivre , fut contraint de fe joindre à nous. Nous le reçûmes avec bonté , quoique parmi ceux , qui y étoient , il y en eût , dont on n'avoit pas fujet d'être content» Nous débarquâmes dans Tille , où nous avions compté de nous réunir, & où une bande de Sauvages s'étoit déjà rendue, je ne fçai à quel def- fein. Nous fûmes fur nos gardes toute la nuit , & nous partî- mes de grand matin. Le tems étoit charmant , la Mer belle , &: notre Equipage te fèntew commença à envier le fort de la Chaloupe. Il en vint même Pre"d la?nucs: bientôt aux murmures , & nos Chefs crurent qu'il falloit au moins faire femblant de les contenter. On prit donc la route du Canal. Au bout de deux heures lèvent devint plus fort , & on s'imagina voir les apparences d'un orage. Il n'y eut alors perfonne , qui ne convînt qu'il y auroit de la témérité à s'en- gager dans une fi longue traverfe avec des Bâtimens tels que les nôtres : car rien n'étoit plus foible que notre Batteau , & l'eau y entroit déjà de toutes parts : mais comme pour aller à Saint Auguftin ,. il auroit fallu refaire tout le chemin , que nous avions fait jufques-là , on prit affez unanimement la ré- folution de tourner du côté du Biloxi. Nous fîmes donc l'Oueft , mais nous n'avançâmes pas beau- 470 JOURNAL HISTORIQUE 1 7 2 2« coup ce jour-là , & il nous fallut paffer la nuit dans le Batteau,' Avril. ou i| s'en falloit bien que chacun eût affez de place pour s'é- GrandsCou- tendre. Le vint-fept nous campâmes dans une Ifle, où nous m" T& !" trouvâ-mes des Cabannes abandonnées , des chemins frayés , Tortues. & des vertiges de fouliers Efpagnols. Cette Ifle eft le commen- cement des Tortues. C'eft le même terrein qu'aux Martyrs : je ne comprends pas ce que des Hommes viennent faire dans un fî mauvais Pays , & ii écarté de toute Habitation humaine. Nous faifions toujours l'Ouefr. , & nous voguions avec une rapidité , qui ne pouvoit venir que des Courans. Nous fîmes encore bien du chemin le vint-huit jufqu'à mi- di : quoique nous eufîions très-peu de vent , il fembloit que les Illes couroient la pofte à côté de nous. A midi nous prîmes hauteur , & nous trouvâmes vint-quatre dégrez , quinze mi- nutes. Si nos Cartes Marines étoient exa£tes,nous étions à l'extrémité occidentale des Tortues : c'étoit beaucoup nous engager en pleine Mer , & il n'avoit pas tenu à moi que nous n'euflions laiffé toutes ces Mes à gauche ; mais nos Officiers craignoient de ne pas trouver de partage entr'elle & le Conti- tinent. Ils eurent tout lieu de s'en repentir , car nous fûmes enfuite deux jours fans voir de terre , quoique nous fiffions toujours le Nord ou le Nord-Eft. Défcfpok de Alors le défefpoir faifit notre Equipage , & il ne falloit en l'Equipage. effet qu'un coup de vent , tel que nous en avions déjà effrayé plus d'un , pour nous faire périr. Le calme même avoit fes in- "~j 7 2 2. convéniens , il falloit ramer tout le jour , & la chaleur étoit M exceffive. Les Matelots n'avoient pas tort d'être mécontens , ay* l'obftination de deux ou trois Personnes nous avoit expofés au danger, où nous nous trouvions; mais le mal étoit fait, & demandoit un autre remède , que des murmures. Depuis notre départ de la Louyfiane je n'avois pu gagner fur la pluT part qu'ils approchaffent des Sacremens , très - peu même avoient fatisfait au devoir Pafchal. Je profitai de l'occaiîon , pour engager tout le monde à promettre de fe confeffer & de communier , fi-tôt que nous aurions retrouvé la terre ; à peine la promefTe étoit faite , que la terre parut devant nous. ïncommo- Nous courûmes defïus , & nous y arrivâmes avant midi. dites de cette Le quatrième à midi nous étions par les vint-fîx dégrez , cin- cô:e- quante-fix minutes. Nous avions toujours la grande terre en perfpective , fans pouvoir en approcher , parce qu'elle eii D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXÏV. 471 bordée d'Ides & de prefqu'Ifles , la plupart très-baffes , ftéri- les , entre lefquelles à peine y a-t'il paflage pour des Canots l 7 2 2* d'écorce. Ce qui nous raifoit le plus lbuffrir , eft que nous n'y May. trouvions point d'eau. Les jours fui vans nous fûmes fou vent arrêtés par les vents contraires , mais nous trouvions par-tout des abris , & quelquefois un peu de chaffe & de pêche. L'eau feule nous manquoit; je profitai de ce retardement pour faire tenir à tout notre monde la promeffe , qu'ils avoient faite de s'approcher des Sacremens. 11 paroît qu'il y a peu de Sauvages dans tout ce Pays. Nous tes vivres en vîmes feulement un jour quatre , qui venoient à nous dans manquent.' "*' une Pirogue : nous les attendîmes ; mais quand ils nous eu- rent reconnus , ils n'oferent approcher , & regagnèrent au plus vite le Rivage. Le dixième on fut obligé de retrancher la ration d'eau-de-vie , qu'on avoit jufques-là donnée tous les jours à l'Equipage , n'y en ayant plus que très-peu , qu'on ju- gea à propos de réferver pour les plus preffans befoins. On commença auffi à ménager beaucoup les vivres , furtout le bifcuit , dont une partie avoit été gâtée : de forte que nous fûmes réduits au pur néceffaire ; n'ayant fouvent à chaque re- pas qu'une poignée de ris , qu'il falloit faire cuire dans de l'eau faumâtre. Mais cette Côte efr. le Royaume des Huîtres , comme le Deux forces grand Banc de Terre-neuve , le Golphe & le Fleuve Saint *Huy«*s. Laurent font ceiui des Morues. Toutes ces terres baffes , que nous rangions le plus près , qu'il étoit poffible , font bor- dées deMangliers , aufquels s'attachent une prodigieufe quan- tité de petites Huîtres , d'un goût exquis : D'autres, beaucoup plus grandes & moins délicates , font dans la Mer même en il grand nombre , qu'elles y forment des Ecueils , qu'on prend d'abord pour des Rochers à fleur d'eau. Comme nous n'ofions nous éloigner de la terre , nous entrions fouvent dans des An- fes affez profondes , dont il falloit faire le tour , ce qui pro- longeoit beaucoup notre chemin ; mais dès que les terres dif- paroiffoient , nos Gens fe croy oient perdus. Le quinzième au matin , nous rencontrâmes une Chaloupe Rencontre Efpaenole , où il y avoit environ quinze Perfonnes : c'étoit d'EfPaSnol.s » une partie de i Equipage d un Mavire , qui avoit fait naufrage hic Nauf^, vers la Rivière de Saint Martin. Il y avoit vint-cinq jours que ce malheur étoit arrivé , & pour quarante-deux Perfonnes 72 2. 472 JOURNAL HISTORIQUE ils n'avoient qu'une affez petite Chaloupe , dont ils fe fer- voient les uns après les autres , ce qui les obligeoit à faire de May. très-petites journées. Cette rencontre fut pour nous un coup du Ciel, car fans les inftruftions , que nous donna le Capi- taine Efpagnol , nous neuffions jamais trouvé la route , qu'il nous falloit tenir , & l'incertitude de ce que nous pouvions devenir auroit peut-être porté nos Mutins à quelque violence , ou à quelque coup de défefpoir. Danser d'ê- ^a nuit fuivante nous courûmes un grand danger. Nous mc dégradés étions tous couchés dans une petite Jfle , à la réferve de trois fansa-dlbiu-ce, 0U qUatre Perfonnes , qui gardoient le Batteau. Un d'eux après avoir allumé fa pipe , mit imprudemment fa mèche fur le bord du Batteau , précifément à l'endroit , où les armes , la poudre , & les vivres étoient renfermées dans un Cofre couvert d'une toile godronnée. Il s'endormit enfuite , & tan- dis qu'il dormoit , le feu prit à la toile. La flamme le réveilla , auflï-bien que fes Camarades , mais un moment plus tard , le Batteau fautoit , ou s'entrouvroit , & je vous biffe à penfer ce qu'il feroit arrivé de nous , n'ayant plus qu'un Canot , qui ne pouvoit pas contenir la fixiéme partie de ce que nous étions , fans vivres , fans munitions , fans armes , & dans une Ifle de fable , où il ne croiffoit que quelques herbes fauvages. Le lendemain feiziéme le Canot nous quitta pour aller join- dre les Efpagnols. Nous avions le vent contraire , & nous ne pouvions aller que la Sonde à la main , parce que la Côte étoit fi platte , & tellement pavée de cailloux pointus , qu'à fix lieues au large notre Bâtiment , qui ne tiroit que deux pieds d'eau , étoit à chaque inftant en danger de toucher , & de fe crever. Nous fûmes encore dans le même embarras les deux jours fuivans , & le vintiéme nous campâmes dans une Me , qui fait la pointe orientale de la Baye des Apalaches, Toute la nuit , nous apperçûmes des feux dans la grande terre , dont nous étions fort proches , & il y avoit quelques jours , que nous obfervions la même chofe. Arrivée à Le vint - unième nous partîmes avec un brouillard fort saint Marc épais , lequel s'étant bientôt difîipé , nous apperçûmes des Balifes,que les Efpagnols nous avoient avertis de fuivre. Nous les fuivîmes en fàifant le Nord , & nous reconnûmes que fans ce fecours il auroit été impofnble d'éviter des bancs de fable , dont toute cette Côte eft femée , & qui pour la plupart font couverts jî'Apalachc- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXIV. 473 couverts d'Huitres. Sur les dix heures nous apperçûmes un — : petit fort de pierre , quarré & baftionné affez régulièrement , î ? 1 z* nous arborâmes auffi-tôt le Pavillon blanc , & un moment May. après on nous cria en François de ne pas avancer davantage. Nous nous arrêtâmes , & dans le moment nous vîmes ve- nir à nous une Pirogue , où il y avoit trois Hommes : un des trois étoft Bafque ; il avoit été Canonnier à la Louyfiane , & il avoit le même Emploi à Saint Marc. Après les demandes ordinaires , le Bafque fut d'avis que le Capitaine de l'Adour 3c moi allaiîions feuls parler au Commandant : nous y allâ- mes , & nous fûmes bien reçus. Ce Commandant étoit un iimple Lieutenant , Homme d'efprit ; il ne fit aucune difficulté de faire avancer notre Batteau vis-à-vis du Fort , & il invita nos Officiers & les principaux Pafîagers à dîner : mais ce ne fut qu'après avoir fait vifiter le Batteau , & en avoir fait tranf- porter dans fon Magafin les armes & les munitions s avec pa- role de nous les rendre , quand nous voudrions partir. Ce Pofte , que M. Débile a marqué dans fa Carte fous le Defcripcion nom de Sainte Marie a Apalache } n'a jamais porté que celui duPays- de Saint Marc. Les Efpagnols y ont eu autrefois un EtablifTe- ment confidérable , mais qui étoit déjà réduit à peu de cho- fes , lorfqu'en 1704 il fut entièrement détruit par les Anglois de la Caroline , accompagnés d'un grand nombre de Sauva- ges Alibamons. La Garnifon Efpagnole , qui étoit de trente- deux Hommes , fut faite Prifonniere de guerre ; mais les Sau- vages en brûlèrent dix-fept, parmi lefquels il y avoit trois Religieux de Saint François ; & de fept mille Apalaches , qui étoient dans ce Canton , & qui avoient prefque tous em- braffé le Chriftianifme, il n'en refta à S. Marc que quatre cent , qui fe retirèrent du côté de la Maubile , où ils font encore pour la plupart. Les Forêts & les Prairies voifines du Fort font remplies de Bœufs & de Chevaux , que les Efpagnols y avoient laiffés courir , & à mefure qu'on en a befoin , on envoyé des Sau- vages , qui les prennent avec des lacets. Ces Sauvages font encore des Apalaches , qui s'étoient apparemment éloignés dans le tems de l'irruption des Anglois , & qui revinrent après que ceux-ci fe furent retirés. Au refte cette Baye efr précifé- ment ce que GarcilajTo de la Véga appelle dans fon Hiftoire de la Floride le Port &Auté. Le Fort eft bâti fur une petite Tome III. O 00 474 JOURNAL HISTORIQUE éminence environnée de Marécages, & un peu au-de/Tous 1 ? 2 2* du Confluent de deux Rivières , dont l'un vient du Nord-Eft , May. & l'autre du Nord-Oueft. Elles font peu larges, & remplies de Caïmans , & néanmoins allez poiftonneufes. Des Apah- Deux lieues plus haut il y a fur la Rivière du Nord-Oued ches. un Village d'Apalaches , & dans les terres à l'Oueft , à une lieuë & "demie du Fort, il y en a un fécond. Cette Nation , autrefois très-nombreufe , & qui , partagée en plufieurs Can- tons , occupoit un très-grand Pays , eft aujourd'hui réduite à très-peu de chofes. Elle a embraffé le Chriftianifme , il y a lontems : toutefois les Efpagnols ne s'y fient pas , & font très- bien : car outre que ces Chrétiens , deftitués de tous fecours Spirituels depuis un très-grand nombre d'années , ne le font plus ouéres que de nom , leurs Vainqueurs les ont traités d'a- bord avec tant de dureté , qu'ils doivent toujours les regar- der comme des Ennemis mal réconciliés. Il eft difficile qu'on fane de bons Chrétiens de Gens , à qui l'on a commencé par rendre le Chriftianifme odieux. On nous a dit à Saint Marc que la réfolution étoit prife de rétablir ce Pofte dans fon premier état , & qu'on y attendoit cinq mille Familles: c'eft beaucoup plus que les Efpagnols de la Floride n'en peuvent fournir. Le Pays eft beau , bien boifé, bien arrofé , & on prétend que plus on avance dans la pro- fondeur des terres , plus on les trouve fertiles. On nous con- firma dans ce Fort , ce que les Efpagnols , que nous avions rencontrés , nous avoient déjà dit , que les Sauvages des Mar- tyrs & leur Roi Dom Diégue ne valoient rien , & que fi nous n'euiîions été bien fur nos gardes , ils nous auroient fait un mauvais parti. On nous ajouta qu'un Brigantin Efpagnol s'étant brifé depuis peu vers l'endroit , où nous avions trouvé quatre Sauvages dans une Pirogue, tout l'Equipage avoit été empalé & mangé par ces Barbares. Saint Marc dépend de Saint Auguftin pour le Militaire & pour le Civil , & de la Havane pour le Spirituel : cependant c'eft le Couvent des Cordeliers de Saint Auguftin , qui eft chargé d'y envoyer un Aumônier ; j'y en rencontrai un , qui étoit un très-aimable Homme , & qui nous rendit un grand fervice : il nous avertit que le Commandant de Saint Marc vouloit nous retenir , jufqu'à ce qu'il eût donné avis de notre arrivée au Gouverneur de Saint Auguftin , & reçu fes ordres> D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIV. 475 Je le priai de demander à cet Officier s'il étoit en état de nous ■ nourrir tout le tems , que nous ferions chez lui , puifque ce ' 3ui nous reftoit de vivres , fuffifoit à peine pour nous con- May. uire à la Louyfiane. Il s'acquitta fort bien de fa commiffion, & fon difcours , accompagné de quelques préfens , qu'on nous infirma qu'il - falloit offrir au Commandant , eut tout l'effet , que nous en avions efperé. Cet Officier nous accorda même de bonne grâce des Guides , que nous lui demandâmes pour faint Jo- feph , qui eft à trente lieues de Saint Marc , & dont on nous avertit que le chemin n'étoit pas facile à trouver. Cela nous obligea de féjourner le lendemain , & je n'en fus point fâché , parce qu'outre que j'étois affez bien logé dans le Fort avec le Père Cordelier , ( diftinclion , qui ne fut faite qu'à moi, & dont je fus redevable à mon habit , ) j'étois bien aife de par- courir un peu les environs du Fort. On va par terre de Saint Marc à Saint Auguftin , le voyage eft de quatre-vint lieues, & le chemin fort mauvais. Nous partîmes le vint-trois au matin , & le vint-cinq vers Départ de les dix heures nos Guides nous firent entreprendre une tra- Saint Marc, verfe de trois lieues , pour entrer dans une efpéce de Canal formé d'uncôté par le Continent, & de l'autre par une fuite d'Ifles de différentes grandeurs. Sans eux nous n'aurions ja- mais ofe nous y engager , & nous aurions manqué la Baye de Saint Jofeph. Cependant nous étions au bout de nos vi- vres , & la difficulté de trouver de l'eau croiffoit tous les jours. Un foir que l'on avoit creufé à dix pas de la Mer fur un terrein affez élevé , nous ne tirâmes que de l'eau fau- mâtre , dont il étoit impoffible de boire. Je m'avifai de faire un trou affez peu profond fur le bord même de la Mer & dans le fable ; il fe remplit d'abord d'une eau auffi douce & auffi claire , que fi on l'eût puifée dans la plus belle Fontaine ; mais après que j'en eus rempli un Pot , la Source en tarit entière- ment , ce qui me fit juger que c'étoit de l'eau de Pluye , qui s'étoit amaffée en cet endroit, ayant rencontré un fond dur, & je conçois que cela doit arriver fouvent. Dès que nous eûmes gagné la tête des Ifles , nous allâmes à Marées da la voile jufqu'à dix heures du foir. Alors le vent tomba , mais côtéde Penfa- la Marée , qui commençoit à defeendre , y fuppléa , & nous co e* marchâmes toute la nuit. C'eft la première fois que j'ai vu des O oo ij 7 2 2, 476 JOURNAL HISTORIQUE Marées réglées dans le Golphe Mexique , & nos deux Efpa- gnols nous dirent que depuis cet endroit jufqu'à Penfacole , le May. flux efl de douze heures , & le reflux d'autant. Le lendemain vint-fix , le vent contraire nous retint jusqu'au foir dans une Ifle allez bien boifée , qui a dix ou douze lieues de long , Se où nous tuâmes tant que nous voulûmes d'Allouettes Se de BecafTes. Nous y vîmes auffi quantité de Serpens à Sonnettes. Nos Guides la nommoient \IJIe des Chiens , & de fon com- mencement ils cemptoient dix lieues à S. Marc , & quinze à S. Jofeph ; mais à coup fur ils fe trompoient pour ce der- nier article , car il y en a au moins vint 3 & bien longues. Le vint-fept , à onze heures de nuit , nous échouâmes fur un Banc d'Huitres larges comme la forme de mon Chapeau , & nous fûmes plus d'une heure à nous en tirer. Nous allâmes de-là palier le relie de la nuit dans une Maifon de campagne appartenante à un Capitaine de la Garnifon de S. Jofeph , nommé Dioni^ , où à notre arrivée on nous débita les plus étranges nouvelles. Fautes a!- On nous afîïira que toute la Louyfiane étoit évacuée par larmes. les François ; qu'un grand Navire de France avoit paru à l'Ifle aux Vaiffeaux , & y avoit embarqué le Commandant , les Directeurs & tous les Officiers ; qu'après leur départ les Sauvages avoient fait main-baffe fur tout ce qui étoit relié d'Habitans & de Soldats , à la réferve d'un petit nombre , qui s'étoient fauves fur deux Traverfiers ; que manquant de vi- vres , ils étoient allés à la Baye S. Jofeph ; que les premiers venus y avoient été bien reçus , mais qu'on n'avoit pas voulu permettre aux autres de débarquer , dans la crainte que tant de François fe trouvant réunis , ils ne fuffent ten- tés de fe rendre maîtres de ce Porte , que nous avons autrefois occupé. Tout ce narré avoit fi peu de vrai-fembîance , qu'il ne aie fut pas poffible d'y ajouter foi y mais il étoit fi bien circonf- tancié , & fait par des Gens , qui avoient fi peu d'intérêt à nous en impofer , & qui n'étant qu'à fept lieues de S. Jofeph , pouvoient en avoir tous les jours des nouvelles , qu'il paroif- foit difficile qu'il n'eût quelque fondement. La plupart des Nôtres en furent concernés ; j'éprouvai même que ces cons- ternations générales fe communiquent au cœur malgré toutes les lumières de l'efprit , & qu'il efl aufîi impoffible de ne pas D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIV. 477 reffentir quelque frayeur au milieu des Gens , qui en font fai- 1722. fis , que de ne pas s'affliger avec ceux , qui pleurent. Je ne May. croyois nullement ce qu'on venoit de nous dire , malgré cela je n'étois pas trop raffûré. Cependant notre Equipage , malgré fon défefpoir , trou- vant des vivres en quantité , & les Domeftiques du fieur Dioniz très-gracieux , fit bonne chère pendant tout le refte de la nuit : le matin nos Guides prirent congé de nous , fui- vant l'ordre , qu'ils en avoient. Nous n'avions plus befoin d'eux , car outre qu'il n'y avoit plus à s'égarer pour gagner S. Jofeph , nous avions rencontré chez M. Dioniz un Fran- çois , Soldat dans fa Compagnie , & ancien déferteur de la Maubile , qui s'ennuyoit fort du Service des Efpagnols , par- mi lefquels il mouroit fouvent de faim , difoit-il , quoiqu'il fût bien payé : ainfi nous n'eûmes point de peine à l'engager de nous fuivre à S. Jofeph , &: de-là à la Louyfiane , fuppofé qu'il pût avoir fon congé. Nous arrivâmes fur les cinq heures du foir à S. Jofeph , où Arriv tout des Européens , qu'à S. Jofeph. La fituation de cette Baye , fes Rivages , fon Terroir , tout ce qui l'environne , rien ne peut faire comprendre les raifons d'un tel choix. Une Côte platte & en plein vent , un Sable flérile , un Pays perdu , & qui ne peut avoir aucune forte de Commerce , ni même fervir d'Entrepôt , voilà où la jaloufie que les Efpa- gnols ont eue jufqu'ici de notre Etablifïement à la Louyfiane , les a conduits. Nous en avions fait la folie avant eux , mais 722. 478 JOURNAL HISTORIQUE elle a été courte. Il y a lieu de croire qu'ils fe corrigeront auffi bientôt , & que quand on leur aura reftitué Penfacole , May. ils y tranfporteront tout ce qu'ils ont à S. Jofeph. Ce n'eft pas dans la Baye même , qu'eft fitué le Fort , mais dans le retour d'une Pointe recourbée , & qui renferme une Me. Ce Fort n'eft que de terre , mais bien revêtu de Paliffa- des , & défendu d'une bonne Artillerie. Il a une affez nom- breufe Garnifon , un Etat Major complet , & prefque tous les Officiers ont leurs Familles avec eux. Leurs Maiions font propres & commodes , pas trop mal meublées , mais dans les rues on enfonce partout dans le fable jufqu'à la cheville du pied. Les Dames ne fortent que pour aller à l'Eglife , & c'eft toujours avec un appareil , & une gravité , qu'on ne voit que parmi les Efpagnols. Le lendemain de notre arrivée , qui étoit le vint-neuf, il y eut un grand Dîner chez le Sergent Major. On avoit vu cet Officier à la Louyfiane , & on lui avoit fait grande chère , il fut ravi de trouver cette occasion , de nous rendre la pa- reille. poïitefles du II avoit furtout lié amitié dans fon Voyage de la Louyfiane Gouverneur. avec M. Hubert , qui y étoit alors Commiffaire-Ordonna- teur , & que nous avions avec nous : il fçut qu'une Fille de fon Ami , âgée de trois ans , & que fon Père ramenoit en France , n'étoit qu'ondoyée , il fouhaitta qu'on lui fuppléât à S. Jofeph les cérémonies du Baptême , & voulut être fon Parrein. Cela fut fait avec grand appareil & au bruit du Ca- non; la Maraine fut une Nièce du Gouverneur , lequel donna le foir un. Souper magnifique , & par un excès de politefTe , affez rare chez les Efpagnols , voulut que les Dames en fuf- fent. Il mit le comble à tant de bonnes manières , en nous fourniffant abondamment des vivres pour continuer notre route , quoiqu'il n'eût pas encore reçu le Convoy , qui devoit lui apporter des provifions de la Havane , & que par cette raifon il en eût refufé aux Officiers du Biloxi : mais notre fituation l'avoit extrêmement touché. Dôpart de Nous partîmes le trente avec les deux Chaloupes , & le Fort nous falua de cinq coups de Canon. Nous fîmes fept lieues ce jour-là , & nous mouillâmes à l'entrée d'une Rivière , qui fort d'une Baye ouverte au Sud-Eft. A onze heures de nuit, le vent étant devenu bon , nous en profitâmes , & nous fîmes l'Oueft- S. Meph 17 2.1, IJ12. lin» D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXIV. 479 Nord-Oueft ; toute la Côre court fur le même air de vent pen- dant vint lieues , jufqu'à Ïl/Ie de Sainte Roje , & l'on n'y trouve pas un feul endroit , où l'on puiffe fe mettre à l'abri ^'ay° d'un coup de vent , qui viendroit du large. Le trente-unième , à quatre heures du loir , nous avions fait les vint lieues , & nous mouillâmes derrière une Me , qui ferme la grande Baye de Sainte Rofe , dont l'entrée eft dangereufe , quand la Mer eft grofTe. Un moment plus tard nous aurions été fort embar- rafles , car le vent tourna tout-à-coup du Nord-Eft au Sud- Oueft , & les lames devinrent fi grofles dans le même infiant y qu'il nous eût été impoflible de pafler. Le premier de Juin , vers les deux ou trois heures du ma- tin , la Marée commençant à monter , nous nous rembarquâ- mes , & après avoir fait une petite lieuë , nous entrâmes dans ^U1 le Canal de Sainte Rofe , qui en a quatorze de long. Il eft for- , CanaI * I& me par llile de bainte Koie , qui a toute cette longueur , mais qui eft fort étroite , qui paroît toute couverte de fable , & qui néanmoins n'eft pas mal boifée : le Continent eft fort élevé ,. & porte des Arbres de toutes les efpéces ; le Terrein y eft prefque aufli fabloneux qu'à S. Marc , mais pour peu qu'on y creuie , on rencontre l'eau , aufli le bois y eft fort dur , & fe pourrit aifément. Toute cette Côte fourmille de Gibier , & la Mer de Poiflbns. Ce Canal eft étroit àfon entrée , il s'é- largit enfuite , & conferve jufqu a la Baye de Penfacole une largeur de demie lieuë ; le courant y eft fort , & nous étoit favorable. Vers les onze heures nous doublâmes la Pointe aux Che- Arrivée à vreuils , au détour de laquelle commence la Baye. On y p^fn,cole- E." tourne au Nord , puis au Nord-Eft. Le Fort eft une petite « Eoftï. * lieuë plus loin , &on l'apperçoit de la Pointe aux Chevreuils. Nous y arrivâmes à midi , & nous fûmes étonnés de le voir en fi mauvais état : il paroît bien qu'on ne s'attend point à le garder. Le fleur Carpeau de Montigni , qui y commande y étoit allé au Biloxi , & nous n'y rencontrâmes que quelques Soldats. Le Fort des Efpagnols , qui fut pris , il y a deux ans , par le Comte de Champmêlin , étoit derrière , & il n'en refte qu'une fort belle Citerne , laquelle a , dit-on , coûté quatorze mille Piaftres à bâtir. L'un & l'autre ont été conftruits dans une lue , qui tient prefque à la Terre-Ferme , qui n'a pas quinze toifes de long , & dont le Terroir ne paroît pas des meilleurs. 48o JOURNAL HISTORIQUE La Baye de Penfacole feroit un affez bon Port , u les Vers 1722. n'y perçoient pas les Navires , & fi fon entrée avoit un peu Juin, plus d'eau; mais X Hercules , que montoit M. de Champmêlin, Défection y toucha. Cette entrée eft direftement encre l'extrémité occi- re la Baye, dentale de l'Ille de Sainte Roie , où les Efpagnols avoient encore bâti un petit Fort , & un Récif. Elle eft fi étroite , qu'il n'y peut palier qu'un Navire à la fois : fon ouverture eft Nord & Sud. De l'autre côté du Récif il y a une autre parle , où il n'y a de l'eau , que pour des Barques , & qui efl ouverte au Sud-Oueft. Elle eft auffi fort étroite. Le mouillage des Navires dans la Baye de Penfacole eft le long de Hiie de Sainte R.ofe , où l'ancrage eft fur. Arrivée au Nous partîmes de Penfacole à minuit , & fur les quatre heu- Biloxi. res du matin , nous laiffâmes à droite Rio de los Perdidos : cette Rivière fut nommée ainfi , parce qu'un Bâtiment Efpa- gnol y fit naufrage , Se que tout l'Equipage y périt. L'îile Dauphine eft cinq lieues plus loin , fur la main gauche , & elle a cinq lieues de long , mais peu de largeur. Il y a au moins une moitié de cette Me , où on ne voit pas un Arbre , & l'au- tre ne vaut guère mieux. Le Fort & la feule Habitation, qui y reftent , font dans la partie Occidentale. Entre cette lile & l'Ifle à Corne , qui en eft éloignée d'une lieuë , il y a peu d'eau. Au bout de celle-ci, il y en a une autre fort petite , qu'on appelle X Ifle Ronde } à caufe de fa figure : nous y paffâ- ines la nuit. Vis-à-vis eft la Baye des Pafcagoulas 3 où Madame de Chaumont a une Conceffion , qui n'eft pas prête de la dé- dommager de fes avances. Une Rivière du même nom , & qui vient du Nord , fe décharge dans cette Baye. Le lende- main vers les dix heures , il nous mourut un Matelot d'une efquinancie. Ceft le feul Homme , que nous avons perdu dans notre pénible & périlleufe Campagne. Une heure après nous mouillâmes auBiioxi , où l'on fut étrangement furpns de nous voir. J'allai fur le champ célébrer la iainte Mefl'e , pour re- mercier Dieu de nous avoir foûtenus au milieu de tant de fa- tigues , 6k délivrés de tant de dangers. Je fuis , &c. TRENTE- Bai ^^ ï 48o JOURNAL HISTORIQUE La Baye de Penfacole feroit un affez bon Port , fi les Vers 1722. n'y perçoient pas les Navires , & fi fon entrée avoit un peu Juin. plus d'eau; mais 1 Hercules 3 que montoit M. de Champmêiin, Defcription y toucha. Cette entrée eft dire&ement entre l'extrémité occi- «k la Baye. dentale de l'ifle de Sainte Roie , où les Efpagnols avoient encore bâti un petit Fort , & un Récif. Elle eft fi étroite , qu'il n'y peut palier qu'un Navire à la fois : fon ouverture eft Nord &L Sud. De l'autre côté du Récif il y a une autre parle , où il n'y a de l'eau , que pour des Barques , & qui eft ouverte au Sud-Oueft. Elle eft auffi fort étroite. Le mouillage des Navires dans la Baye de Penfacole eft le long de l'iiïe de Sainte Pcofe , où l'ancrage eft fur. Arrivée au Nous partîmes de Penfacole à minuit , & fur les quatre heu- Biloxi. res du matin , nous biffâmes à droite Rio de los Perdidos : cette Rivière fut nommée ainfi , parce qu'un Bâtiment Efpa- gnol y fit naufrage , & que tout l'Equipage y périt. L'ifle Dauphine eft cinq lieues plus loin , fur la main gauche , & elle a cinq lieues de long , mais peu de largeur. Il y a au moins une moitié de cette Me , où on ne voit pas un Arbre , & l'au- tre ne vaut guère mieux. Le Fort & la feule Habitation, qui y reftent , font dans la partie Occidentale. Entre cette Ifle & l'ifle à Corne , qui en eft éloignée d'une lieue , il y a peu d'eau. Au bout de celle-ci , il y en a une autre fort petite , qu'on appelle Xljle Ronde, à caufe de fa figure : nous y paffâ- mes la nuit. Vis-à-vis eft la Baye des Pafcagoulas 3 où Madame de Chaumont a une Conceffion , qui n'eft pas prête de la dé- dommager de fes avances. Une Rivière du même nom , & qui vient du Nord , fe décharge dans cette Baye. Le lende- main vers les dix heures , il nous mourut un Matelot d'une efquinancie. C'eft le feul Homme , que nous avons perdu dans notre pénible & périlleufe Campagne. Une heure après nous mouillâmes auBiloxi , où l'on fut étrangement furpns de nous voir. J'allai fur le champ célébrer la iainte Méfie , pour re- mercier Dieu de nous avoir foûtenus au milieu de tant de fa- tigues , ck délivrés de tant de dangers. Je fuis , Sec. TRENTE- Plan de la Uyk DE PaNSACOLA P.ifN.1 Tiycnieiu- ./.-/.> . ILirmc ! J/44 Echelles c '///,/ ji, //.-.■■ Toi.™ :<.™ 4*„ s™*!. i.i Uf* communes ./.■/•,'„„.-<• h O L EH E D ï 211 E X I Q U E D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXV. 481 TRENTE-CINQUIEME LETTRE. Voyage du Blloxï au Cap François de S. Domingue, Au Cap François , ce fixiéme de Septembre 1722. JVl ADAME, Je n'avois pas ofé vous annoncer dans nia dernière , 1722™ comme je d'avois fait dans la précédente , que je ne vous écri- T . rois plus que du Cap François , de peur d'être encore obligé n-° de me dédire , & peu s'en eft fallu que ma crainte n'ait été jus- tifiée par l'événement. M'y voici enfin , dans ce Port fî lon- tems defiré , après foixante-quatre jours de navigation , & nous y fommes entrés dans le tems , que nous avions prefque perdu toute efpérance d'y parvenir. Mais avant que d'enta- mer le récit des aventures de ce Voyage , il faut reprendre la fuite de mon Journal. La première nouvelle , que nous apprîmes en arrivant au Penfacole Biloxi , fut celle de la Paix conclue avec l'Efpagne , & de la re»du aux E-r- double Alliance entre ces deux Couronnes. Un des Articles Fgn°! de la Paix étoit la reftitution de Penfacole , & cet Article avoit été apporté à la Louyfiane par D. Alexandre Walcop, Irlandois , & Capitaine de Vaiffeaux dans la Nouvelle Efpa- gne. Il s'étoit embarqué à la Vera-Cruz , fur un Brigantin de cent cinquante Hommes d'Equipage , monté de quatorze piè- ces de Canon , & commandé par D. Auguftin Spinola. On prétend que le deffein des Efpagnols eft de faire un grand Etabliffement à Penfacole , & d'y tranfporter la Garnifon , & tous les Habitans de S. Jofeph. On ajoute que D. Alexandre Walcop en eft défigné Gouverneur : c'eft un Homme de très- bonne mine , extrêmement fage , & plein de religion. D. Auguftin Spinola eft un jeune Homme plein de feu , interlope an- d'un caractère très-aimable > dont les fentimens annoncent g,0!s au iU- ià haute Naiffance , & font dignes du nom qu'il porte. Il eft 0X1* jLieutenant de Vaiffeau , & s'eft engagé àfervir trois ans dans Tome III p p p iy il. Détenions réquentes 482 JOURNAL HISTORIQUE le Mexique , après quoi il compte de retourner enEfpagne ? 7 f 2" & d'y faire fou chemin. Il fut bien mortifié d'apprendre qu'un Juin. Interlope Anglois , nommé Marshal, ne s'étoit retiré de la R.a- de du Biloxi , où il avoitfaitun Commerce confidérable avec les François , que quand il y étoit entré lui-même. Cet Ar- mateur ne vouloit pas même s'éloigner , difant qu'il ne crai- gnoit point les Efpagnols,mais M. de Bienville l'y obligea, ne voulant pas être fpe&ateur d'un Combat , dont nos Officiers prétendoient que le fuccès n'auroit pas été favorable aux Ag- greifeurs , quoique fuperieurs en forces. Nous verrons bien- tôt qu'ils fe trompoient dans l'idée avantageufe, qu'ils avoient de Marshal. Cependant , quoique depuis le départ de l'Adour , quelques Navires de la Compagnie euflent un peu ravitaillé la Louy- iiane , la mifere ne laiffoit pas d'y être encore bien grande , & le mécontentement y croifToit tous les jours : malgré les foins , que fe donnoit M. de Bienville pour y foulager les Habitans , on n'entendoit parler que de complots pour défer- ter. Outre le Batteau , que nous avions rencontré fur la route de S. Marc à S. Jofeph; tous les SuifTes , qui étoient au Bi- loxi , le Capitaine & les Officiers à la tête , ayant eu ordre de paiTer à la Nouvelle Orléans fur un Traverser , armé ex- près pour eux , & qu'ils avoient eu foin de bien fournir de vivres , au lieu de prendre la route du Micifîipi , avoient tourné , Enfeignes déployés , à l'Eft , & on ne doutoit point qu'ils n'euffent pris la route de la Caroline , parce qu'étant Proteftans , il n'y avok nulle apparence qu'ils le fuffent arrê- tés chez les Efpagnols (a). Enfin , je découvris le huitième de Juin une confpiration formée pour enlever le Brigantin Efpagnol. Il étoit fept heures du foir , lorfqu'on m'en donna fecretement avis , & l'on m'af- fûra qu'avant neuf heures le projet feroit exécuté, le Comman- dant du Brigantin n'ayant pas accoutumé de fe retirer à fon Bord avant cette heure-là. Les Conjurés étoient au nombre de cent cinquante , & leur projet était , s'ils réuffiïToient dans leur entreprife , de fe faire Forbans. J'envoyai fur le champ avertir M. de Bienville , qui étoit à table avec D. Auguflin Spinola , lequel fe leva auiîi-tôt , & fe rendit à fon Bord , & le Major du Biloxi eut ordre de commencer inceifamment fa ronde. ( a ) On a fçû depuis qu'ils étoicut allés à la Caroline- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXV. 483 Ces mouvemens firent comprendre aux Conjurés que leur ' defTein étoit éventé , & le Major n'apperçut que quatre ou l ? 2 2 cinq Hommes attroupés , qui difparurent , dès qu'ils le vi- Juin, rent , & dont il ne put joindre aucun , de forte qu'on crut que j'avois donné une faillie allarme : mais outre que les jours lui- vans on n'entendit parler que d'Habitans & de Soldats , qui avoient difparu , quelques-uns de ces Déferteurs , ayant été repris , déclarèrent le complot , dont j'avois donné avis. Le douzième , un Chef des Tchactas vint dire à M. de Bien- Tille , que les Anglois leur faifoient de grandes promettes , pour fe les attacher , & pour les engager à ne plus avoir de commerce avec les François : le Commandant donna en cette occasion une grande preuve du talent , qu'il a de manier à fon gré les efprits des Sauvages. Il fçut fi bien cajoler ce Chef , qu'avec quelques préfens de peu de conféquenceille renvoya très-difpofé à demeurer ferme dans notre alliance. Cette Na- tion nous cauferoit de grands embarras , fi elle fe déclarait contre nous ; les Chicachas , les Natchez & les Yafous lui donneraient bien-tôt la main , & il n'y aurait plus de fureté à naviger fur le Miciffipi , quand bien même ces quatre Na- tions n'entraîneraient pas toutes les autres , ce qui , félon tou- tes les apparences, ne manquerait pas-d'arriver. Sur la fin du mois un Habitant des Illinois , qui étoit allé en traite dans le MifTouri , arriva au Biloxi , & rapporta , que lui & un ou deux autres François ayant pénétré jufqu'aux Q£totatas , qui en 1719. défirent les Efpagnols , dont je vous ai parlé , ils en avoient été bien reçus , & que des Marchan- difes , qu'ils leur avoient portées , ils en avoient tiré pour fept ou huit cent francs d'argent , partie ouvragé , & partie en lingots ; que quelques-uns de ces Sauvages les avoient ac- compagnés jufqu'aux Illinois , & avoient affûréàM. de Bois- brillant que les Efpagnols , à qui ils avoient enlevé cet ar- gent , le tiraient d'une Mine peu éloignée du lieu , où il les avoient rencontrés , & qu'ils lui avoient offert d'y mener des François , ce que ce Commandant avoit accepté. Le tems nous apprendra , fi ces Sauvages ont parlé plus lîncerement que tant d'autres , qui depuis lontems ne cherchent qu'à atti- rer les François chez eux par l'appas des Mines , dont aucune ne s'efl encore trouvée réelle (a). ( a ) On n'a plus entendu parler de cette Mine depuis ce tems- là. Ppp ij 4«4 JOURNAL HISTORIQUE 1722. Le vint-deux je m'embarquai fur la Bellone , qui mit à la T -ii voile le trente. Le fécond de Juillet nous nous eftimions Nord d»1 art* du & ^uc* ^e Pen^ac°le î d'où nous voulions affûrer notre point iiloxi. de longitude , parce que celle de l'embouchure du Micifïipi n'eft pas encore bien fixée. Depuis ce tems-là jufqu'au ving- tième , il ne fe paffa rien de particulier. Nous avions alors le Soleil dire£tement fur notre tête , & dans notre voyage des Martj'rs au Biloxi , nous avions effrayé les plus grandes cha- leurs du Solftice , fans pouvoir nous en garantir en aucune manière , non plus que des rofées , qui tomboient en abon- dance pendant les nuits. Croiiïez-vous bien cependant , Ma- dame , que nous fouffrîmes beaucoup moins du chaud dans cette Saifon , que nous n'en avions fouffert au mois d'Avril avant notre naufrage ? Rien n'eft pourtant plus vrai , & je me fouvins alors , que j'avois été plus d'une fois fort furpris de voir des perfonnes nées fous la Zone fe plaindre beaucoup des grandes chaleurs de France. Nous étions dans le même cas au mois d'Avril , nous avions les mêmes chaleurs qu'on reïTent en France , & même en Italie au mois de Juillet ; dans le mois de Juillet , pendant la Canicule , nous étions fous la Zone , & la chaleur étoit affûrément plus grande , mais elle étoit plus fupportable, Cette différence ne venoit pas des vents ; nous eûmes les mê- mes , & nous en eûmes toujours dans les deux Saifons. Ce n'étoit pas non plus feulement que nous y fumons plus accou- tumés , car nous n'étions pas fujets à ces fueurs continuelles , qui nous avoient fi fort incommodés au mois d'Avril. Il en faut donc chercher une autre raifon , & voici celle , qui fe préfente à mon efprit. Dans le Printems l'air eft encore rempli de vapeurs , que l'Hyver y affemble. Ces vapeurs , quand le Soleil fe rapproche . en font d'abord embrafées , & voilà ce qui caufoit ces chaleurs pefantes , & ces abondantes fueurs , dont nous étions accablés au mois d'Avril ; nous étions prefque toujours au Bain Marie. Au mois de Juillet ces vapeurs étoient diiîipées , & quoique le Soleil fut beau- coup plus près de nous , le moindre vent fuffifoit pour nous rafraîchir , en émouffant la vivacité de fes rayons prefque perpendiculaires fur notre tête. Or en France le Soleil ne dif^ iipe jamais bien les vapeurs , comme il fait entre les Tropi- ques , du moins elles font ici beaucoup moins groffieres , 6k. D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXV. 485 c'eft ce qui produit, non la différence du chaud , mais celle de la fenfation de la chaleur. Le vintiéme nous découvrîmes la Terre de Cuba , ce que nous avions fait en fept jours , trois mois auparavant. Deux chofes cauferent ce retardement. La première eu qu'on ne hauteurs- fçauroit compter fur les hauteurs , quand le Soleil eft fi pro- che , parce que fes rayons ne forment point d'angle fenfible. Cela fait que, dès qu'on a le moindre foupçon de la proximité des terres , on n'ofe porter*beaucoup de voiles pendant la nuit. La féconde eft. que le Capitaine de la Bellone vouloit aller à la Havane , & dans la perfuafion , où il étoit , que les courants portoient à l'Eft , il fit l'Oueff. autant qu'il le jugea néceffaire , pour ne pas manquer fon but. II s'en fallut pourtant bien peu qu'il ne paffât devant la Havane fans le fçavoir. On vint me dire de grand matin qu'on voyoit la terre ; je demandai comment elle paroiffoit , & fur la réponfe , qu'on me fît , j'affûrai que c'étoit le Cap de Sed. On fe mocqua de moi , & les deux Officiers de l'Adour, qui étoient avec nous , furent les premiers à foûtenir , que je me trompois. Je montai fur le Pont , & je perfifhi dans mon fentiment contre celui de tout le Navire ; nos Pilotes afïïirant que nous étions foixante lieues plus à l'Oueft. Au coucher du Soleil je reconnus la Table à Marianne , mais je fus en- core feul de mon avis : cependant nous avions le vent con- traire , & toute la nuit nous ne fîmes que courir des bordées au large & à terre. Le lendemain à midi nous étions encore à la vue des deux terres , qui faifoient le fujet de notre conteftation , lorfque nous étant un peu plus approchés de terre , nous apperçûmes la Havane devant nous, ce qui fit grand piaifîr au Capitaine, le- quel avoit une bonne Pacotille , fur laquelle il efperoit de faire un grand profit avec les Efpagnols. Son intérêt me touchoit peu , mais fi nous eumons été plus au large , & que le vent ne nous eût pas contrariés pendant la nuit , l'erreur & l'entê- tement de nos Pilotes & de nos Officiers nous auroient coûté bien cher. Le vent étoit bon pour entrer dans la Havane , & à cinq heures du foir nous n'en étions qu'à une lieue ; nous ti- râmes alors deux coups de Canon , l'un pour affûrer notre Pa- villon , l'autre, après qu'on eut mis le Pavillon en berne > pour demander un Pilote du Port, 486 JOURNAL HISTORIQUE Rien ne parut , & il fut réfolu d'envoyer le Canot pour de- mander la permiffion d'y entrer : mais comme il étoit déjà Juillet. tarcj ^ ia partie fut remife au lendemain , & toute la nuit nous nous foûtînmes en courant des bordées. Le vint-trois un Of- ficier de la Bellone s'embarqua pour aller prier le Gouverneur de vouloir bien confentir que nous fiffions de l'eau dans fon Port , & que nous y achetafîions des vivres , parce que l'on n'avoit pu nous en donner fuffifamment au Biloxi. Ce n'étoit qu'un prétexte , mais je ne le fçavois pas , & le Capitaine m'ayant prié d'accompagner fon Officier , je ne crus pas de- voir le refufer. Description L'entrée du Port de la Havane regarde le Nord-Oueft- rfu Port de la Quart-d'Oueft : fur la gauche , en y entrant , on trouve un Havane. ^^^ J^â-ti fur un Rocher , au pied duquel il faut paffer : on l'appelle le Fort du More. Il eff folidement conftruit , & a trois bonnes batteries de Canons de Fonte l'une fur l'autre. A la droite il y a une fuite de Battions , qui me parurent nouvelle- ment achevés , ou réparés depuis peu. L'entrée n'a en cet en- droit que cinq ou fix cent pas de largeur , & on la ferme par une chaîne de fer , qui peut arrêter un Navire affez lontems , pour qu'il foit criblé de coups de Canons , avant qu'il foit ve- nu à bout de la couper. La paffe s'élargit enfuite un peu jufqu a la Ville , c'eft-à-dire ^ pendant trois ou quatre cent pas. Le Canal tourne de-là à gau- - che beaucoup au-delà de la Ville , qui eft fur la droite. C'eft tout ce que j'en puis dire , n'ayant pas été plus loin. Je fçai feulement que la Ville occupe la tête d'une prefqu'Ifle , & que le côté de la terre , qui eft toute fa longueur , eft fermé d'une bonne muraille baftionnée. L'afpecl en eft fort agréable , & bien développé , dès qu'on a paffé le Fort du More. Les Rués y font bien percées , le Quay large & bien entretenu , les Maifons bien bâties pour la plupart : des Eglifes en affez grand nombre, & qui paroiflent affez belles. Mais je ne fuis entré dans aucune. En un mot une Ville de vint miile Ames n'a point plus d'apparence ; mais la Havane , m'a-t'on 'dit , n'en a pas tant à beaucoup près. soit del'iii- Je rencontrai en débarquant plusieurs des Matelots de l'A- teriope Mars ^Qur ^ tant je }a Chaloupe , que du Canot. Les Premiers me dirent que de l'endroit, où nous avions fait naufrage, ils avoient été cinq jours à fe rendre dans ce Port, & prefque D'UN V O YA GE D E L'A M E R I Q. Let. XXXV. 487 toujours à deux doits de la mort. Je n'eus pas le tems de m'in- former par quelle aventure les Seconds étoient venus là. Mais 1712 le Sergent , qui étoit entré dans notre Canot au pied du Fort Juillet du More , pour nous conduire , eut grand foin de nous mon- trer le Brigantin de l'Interlope Marshal , dont je vous ai parlé au commencement de cette Lettre. Il étoit mouillé auprès d'un Batteau fi petit, qu'à peine pouvoit-il contenir quinze ou vint Hommes , qui cependant avoient enlevé ce Brigantin à l'abor- dage. Il faut avouer que les Armateurs de Cuba & des Mes voifines font braves : nos Flibutiers les ont aguerris ; mais vu la difproportion des forces , la valeur & le Canon des An- glois , il talloit que ceux-ci euffent été furpris. Le Gouverneur de la Havane nous reçut froidement , & te GouVt après nous avoir entendus , il nous dit qu'il auroit été charmé neurdeiaH de pouvoir nous accorder ce que nous lui demandions , mais u ver- van c refufe la permiflïon d'entrer dans ,Jorto que le Roi fon Maître lui avoit lié fur cela les mains , & qu'il avoit furtout des défenfes exprerTes de recevoir dans fon Port fon pc aucun Bâtiment venant de la Louyllane.il ajouta qu'il y avoit fur la même Côte plufieurs endroits , où nous pourrions nous arrêter fans aucun rifque , & où l'on nous fournirent tous les rafraîchiffemens , dont nous avions befoin. Il fallut nous con- tenter de cette réponfe , & après avoir été faluer le Refteur du Collège , que nous avons dans cette Ville , je me rem- barquai. Le lendemain vint-quatre à fîx heures du matin nous étions Nord & Sud du Pain de Matance , & à onze heures & demie , par le travers de Rio dé Czroca , où il y a une Habitation Es- pagnole. Mais comme le Capitaine vouloit voir s'il réuffiroit mieux à Matance , qu'il n'avoit fait à la Havane , & que nous avions encore fept iieuës à faire pour y arriver , il prit le parti de louvoyer toute la nuit , & le vint-cinq au point du jour nous nous trouvâmes à l'entrée de la Baye , qui a deux lieues d'ouverture. Pour y entrer il faut d'abord doubler une Pointe , qui n'a- Description vance pas beaucoup dans la Mer , puis faire l'Oueft pendant de la Baye ^ une lieue : on apperçoit enfuite fur la même main droite une Matance' autre Pointe , derrière laquelle eft le Fort ; & un grand quart de lieue plus loin le Bourg de Matance entre deux Rivières , qui baignent fes murs des deux côtés. Vers les dix heures du matin on y envoya le Canot avec un Officier, qui ne trouva 488 JOURNAL HISTORIQUE \ y 2.1. point le Commandant du Fort dans fa Place. Il expof a au Lieu- f .,, tenant le prétendu befoin , où nous étions ; mais cet Officier Juillet. ju| jjt »jj n'0f0jt prendre fur foi de lui accorder la permif- {ion, qu'il demandoit; que tout ce qu'il pouvoit faire pour fon fervice , étoit d'envoyer un Courrier à la Havane , pour fçavoir les intentions du Gouverneur de cette Ville , qui étoit fon Général , & que , fi ce parti nous convenoit , nous pou- vions en attendant mouiller de l'autre côté de la Pointe, où nous ferions plus en fureté. Cette réponfe (k la déclaration , que nos Pilotes s'aviferent alors de faire , qu'ils nefe chargeroient pas d'entrer le Navire dans la Baye de Matance , par la raifon qu'ils ne la connoif- foient pas affez , déterminèrent enfin le Capitaine à continuer fa route avec toute fa Pacotille , pour laquelle il nous avoit fait perdre au moins quinze jours d'un tems précieux. Le len- demain à fix heures du matin nous avions encore derrière nous à la vûë le Pain de Matance , dont nous nous eftimions éloi- gnés de douze à quinze lieues, & le vint-fept à cinq heures du matin on découvrit du haut des Mâts la terre de la Floride. Débouque- A cette vue on mit le Cap au Nord Nord-Eft : deux heures au Canal apres on revira de bord, pour prendre un peu plus de l'Eft; à neuf heures on fe remit en route , & nous nous trouvâmes dans le vrai Courant , qui va au Canal de Bahama , car nous parlions comme un trait. Nous vîmes en ce moment YAdour, qui montroit encore un bout du Mât , mais dont la çarcaffe étoit prefque toute couverte d'eau , & nous reconnûmes qu'il s'en falloit bien qu'elle eût échoué vis-à-vis de la plus fep- tentrionnale des Martyrs, comme quelques-uns Favoient cru ; car nous l'avions par notre travers à dix heures & de- mie , & à une heure ol demie la dernière de ces Mes nous reftoit au Nord. Vers les trois heures on apperçut de la Hune un brifant , que nous allions ranger de bien près , & plus loin une bat- ture , qui avançoit beaucoup au large. Cette batture étoit apparemment la fin des Martyrs, & pour la parer nous reprî- mes le refte du jour du Sud & de l'Eft. , le courant nous por- tant toujours au Nord , & fur le foir nous fîmes le Nord-Eft. Le vint-huit à midi , le Pilote s'eflimoit à l'entrée du Canal , par les vint-cinq degrez trente minutes , à fept heures & de- mie du foir il craignît d'être trop près de terre , & mit le Cap au ment de Bahama D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXV. 489 au Sud-Sud-Eft jufqu'à minuit , avec un très-bon vent. A mi- ' " nuit il reprit fa route , & le vint-neuf nous ne vîmes plus de ? ? } 2* terres. Le foir on fe crut hors du Canal , mais pour plus Aou£* grande fureté on continua jufqu'à dix heures du foir à faire le Nord-Nord-Eft. Dans tout le refte de notre navigation , jufqu'au Cap Fran- Roufe ( ^ çois , nous eûmes prefque toujours des vents roibles , cV fou- fa"t prendre vent des calmes. De tems en tems il s'éleyoit des orages , le qJJJj*!1"^11 Ciel & la Mer étoient en feu , & le Navire, panché d'un côté, hama à s. Do- alloit comme le vent , mais cela ne duroit pas , & une pluye minSue- d'un quart-d'heure déchargeoit le Ciel , & abaiffoit les vagues de la Mer , laquelle reffembloit à ces perfonnes d'un carac- tère doux & tranquille , qui ont quelquefois des accès de co- lère allez vifs , mais qui s'apaifent d'abord. Je crois que ce qui contribue à calmer la Mer fi promptement , après ces agi- tations fi violentes , ce font les courants. Ils font en effet très- fenfibles dans ces parages , d'ailleurs ils varient fans ceffe , ce qui déconcerte toute l'habileté des Pilotes. Quand on eft forti du Canal de Bahama , la droite route pour gagner rifle de S. Domingue , feroit le Sud-Eft. Mais les vents , qui fouflent prefque toujours de la partie de l'Eft , ne permettent pas de la prendre , & il faut par une ligne para- bolique s'élever jufqu'à la hauteur de la Vermude t qu'il feroit même à propos de reconnoître , s'il étoit poffible , afin d'affû- rer fon point de longitude. Faute de cette connoiffance on eft quelquefois obligé d'aller jufqu'au grand Banc de Terre- Neuve , avant que de pouvoir s'affûrer d'être affez à l'Eft de tous les écueils , qui font au Nord &: à l'Orient de rifle de S. Domingue. On n'a pourtant pas toujours pris ce grand détour pour Vieux Canal aller du Golphe Mexique à cette Ifle. Dans les premiers tems dcBahama- de la découverte du nouveau Monde , après avoir fuivi la Côte Septentrionale de l'Ifle de Cuba , jufqu'à la Pointe d'I- taque 3 qui en eft l'extrémité Orientale , à quatorze lieues de Matance , on tournoit à droite , & on laiffoit à gauche toutes les Ifles Lucayes , dont celle de Bahama eft du nombre. C'eft ce qu'on appelle Le vieux Canal de Bahama. Il y a de l'eau pour les plus grands Navires , mais on y rencontre tant d'écueils , qu'aujourd'hui il n'y a plus que des Barques , qui ofent s'y engager. Tome III. Q q q 49o JOURNAL HISTORIQUE Après nous être élevés jufqu'aux trente degrez & demi , 1 ? 2 2* nos Pilotes fe jugèrent fuffifamment à l'Eft , pour n'avoir plus Août, à craindre en faiîant le Sud , de donner fur aucun des écueils, Erreur des dont j'ai parlé. On porta donc avec confiance au Sud , & en Pilotes dans peu de jours nous finies beaucoup de chemin , voguant fur leurefhme. ung ]y£er toujours belle , & conduits par les vents Alifés. Le vint-fept d'Août, à huit heures du matin , le Matelot, qui étoit en vigie fur la Hune , cria Terre , ce qui caufa une grande joye , mais elle fut courte , car ce Matelot étant defcendu , on lui demanda fi cette terre étoit haute , & il répondit , qu'elle étoit fort baffe , par conféquent ce ne pouvoit être qu'une des Caïques 3 ou des IJles Turques. Nous étions encore bien heureux de les avoir vues de jour , car le naufrage étoit inévitable , ii nous euffions donné def- fus pendant la nuit , & perfonne n'en feroit échapé 3 par la raifon que toutes ces Mes font fans rivages , que la plupart font bordées de récifs , qui avancent beaucoup au large , & qu'elles font entrecoupées de petits canaux , où il n'y a pas affez d'eau pour des Chaloupes. D'ailleurs , elles font fort baffes , & on ne les apperçoit de nuit , que quand on eft deffus. Embarras, où Mais pour avoir reconnu le danger , nous n'étions pas fau- en a/couvrant v^s ' la Terre , que nous avions devant nous , paroiffoit une k Terre. Ifle affez grande , & affez bien boifée en quelques endroits -9 cela nous fit juger , que c'étoit la grande Caïque , par con- féquent , que nous étions quarante ou cinquante lieues trop à l'Oueft. Pour nous remettre en longitude , il auroit fallu peut- être remonter au Nord plus de deux ou trois cent lieues , & compter fur cinq ou fîx femaines de navigation. Mais nous avions à peine de l'eau & des vivres pour quinze jours , en économisant beaucoup. Le Capitaine étoit fort embarraffé ; il voyoit fes Pilotes en défaut , & il avoit à fe reprocher de s'être trop repofé fur eux , de n'avoir pas pris hauteur lui- même plus de deux ou trois fois , & d'avoir toujours préféré l'eftime du fécond Pilote , jeune Homme fort étourdi , & fort préfomptueux , à celle du premier, qui étoit plus habile & plus expérimenté , & qui n'avoit jamais approuvé la manœu- vre , qu'on faifoit. Quel panï Cependant il falloit prendre fon parti fur le champ : un on prend. coup du vent du Nord , qui nous auroit accueilli , & nous D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXV. 49i auroit jette fur ces terres baffes, nous auroit immanquablement 1 fait périr. Mais comme on ne pouvoit prendre de réfolution , l ? 2 2* [ui n'eût Tes inconvéniens ; le Capitaine voulut avoir l'avis Août. e tout le monde. Quelqu'un propofa d'aller au plus fur , & de faire vent arrière pour gagner la Caroline , où l'on pouvoit arriver en dix ou douze jours , & y acheter des provisions. Cet avis fut rejette , & on en fui vit un autre , où il y avoit tout à rifquer , & qu'il me parut que le feul défefpoir pouvoit infpirer , ce fut de ranger la grande Caïque de fort près juf- qu'au débouquement , c'eft-à-dire , jufqu'à la féparation de tous ces écueils , & d'avec les Lucayes. C'eft par-là , que paffent tous les Vaiffeaux , qui fortent de S. Domingue pour retourner en France , & alors il n'y a rien à craindre , parce qu'on peut prendre fon tems pour débou- quer,& que ce paffage étant ouvert au Nord-Oueft,on eft pref- que affûré d'avoir le tems favorable pour en fortir. Mais pour y entrer du côté , où nous étions , il faut compter fur le Nord- Eft , & c'eft un grand hazard , que de trouver ce vent à point nommé. Auffi perfonne , que l'on fçache ,n'a encore tenté ce paffage. Enfin on voulut bien s'expofer à tous les hazards , & on s'approcha de la grande Caïque. A deux heures après midi nous n'en étions plus qu'à une bonne Defcrip'ion portée de Canon, & nous fommes peut-être les premiers , qui, de la grande fans une néceflité indifpenfable,ayions ofé la vifiter de fi près auiue* fur unVaiffeau. La Côte en eft pourtant fort faine, élevée, a ce qu'il m'a paru, de fept ou huit pieds, quelquefois d'un peu plus , mais elle eft à pic , & fans aucun rivage. Son terroir n'a point du tout l'apparence d'être fterile. Les Géographes la placent directement fous le Tropique , & c'eft ce que nous ne pûmes pas vérifier , parce que le tems étoit couvert ; mais je la crois un peu plus au Sud , car il n'y a certainement pas trois degrez de différence entre cette Ifle & le Cap François. Nous côtoyâmes la grande Caïque jufqu'à quatre heures du Succès î»ief- foir , ayant pour nous le vent & les courants. Alors on fit Per,é du P.arti monter un Matelot au haut du Mât , pour obferver ce que T™ avou nous avions devant nous , & il revint bientôt nous dire qu'il avoit vu l'extrémité de l'ifle , mais qu'au de-là on ne décou- vrait que des terres encore plus baffes , entrecoupées de Ca- naux , où les eaux paroiffoient toutes blanches. Sur ce récit, on jugea à propos de revirer de bord, & on mit le Cap au 49* JOURNAL HISTORIQUE Nord-Nord-Eft. A minuit on fit le Sud-Sud-Eft , & il fem- 1722. bloit que le vent tournât à notre gré ; mais il étoit bien foible, Août. & les courants nous entraînoient avec tant de violence à l'Oueft , qu'au point du jour les terres baffes & les hauts • fonds , que nous avions la veille fi loin devant nous , étoient prefque auffi loin derrière , & que le paffage , que nous cher- chions commençoit à s'ouvrir. Nous touchions au moment décifif de notre fort , & ce qui nous faifoit bien efperer , c'eft que le vent fe rangeoit peu à peu au Nord-Eft. A onze heures nous faifions le Sud-Eft , quart de Sud ; peu après nous eûmes le Cap au Sud-Eft , mais les courants nous faifoient tellement dériver , qu'à peine la route nous valoit le Sud. A midi nous ne pûmes prendre hau- teur , & la Pointe Occidentale de la Caïque nous reftoit au Nord , quart de Nord-Eft. Enfin à une heure nous étions pa- rés , & je ne puis mieux vous exprimer ce qui paroiifoit fur tous les vifages , à mefure que nous avancions dans le débou- quement , que par la comparaifon de ce qui arrive à ces Ani- maux , qu'on a mis dans le récipient de la machine pneu- matique,qui y paroiïîent morts, quand on en a pompé prefque tout l'air , & à qui on rend la vie peu à peu , en le faifant ren- trer lentement. Nous n'ofîons néanmoins nous flatter encore de pouvoir gagner le Cap François , qui nous reftoit au vent , mais nous avions le Port de. Paix , ou du moins Léogane s que nous ne pouvions pas manquer , & après le péril extrême , que nous venions de courir , tout nous étoit bon , pourvu que nous trouvaflions un Port. A minuit nous efTuyâmes un grain de vent du Sud affez violent , mais de peu de durée , & le lende- main , fur les neuf heures au matin , nous apperçûmes laTerre de S. Domingue , mais fans y pouvoir rien diftinguer de tout le jour , parce qu'elle étoit fort embrumée. Un Navire , qu'on jugea à fa manœuvre pouvoir être un Corfaire , nous occupa une bonne partie de l'après-dîner : nous nous préparâmes fé- rieufement à le combattre , ou plutôt à nous défendre , s'il lui prenoit envie de nous attaquer , car nous n'aurions pas changé une voile pour l'aller chercher. Arrivée au A la fin nous reconnûmes que ce n'étoit qu'un petit Bâti- .np xançois. ment fe cent cinquante Tonneaux au plus , ex il avoit eu ap- paremment plus de peur que nous. Nous jugeâmes à fa ma- D'UN VOYAGE DE L'AMERIQ. Let. XXXVI. 493 nœuvre qu'il fortoit du Cap François , & il paroiffoit bien chargé. Toute la nuit nous courûmes des bordées au Nord- l 7 2** Eft , en variant un peu , ce qui nous éleva , & dès qu'il fut Septem- jour , nous reconnûmes avec bien de la joye , que nous étions bre. au vent du Cap François. Nous le voyions à plein , nous y touchions prefque , mais nous avions fi peu de vent , que nous ne pûmes y entrer que le premier de Septembre , à quatre heu- res du loir. Depuis ce tems-là je n'ai pas encore eu un mo- ment à moi pour vous entretenir de ce Pays , & on me demande ma Lettre pour la porter à un Vaiffeau , qui ap- pareille pour Nantes. Je compte de partir moi-même dans quinze jours pour le Havre de Grâce , d'où j'aurai l'honneur de vous écrire encore une fois. Je fuis , &c. TRENTE-SIXIEME LETTRE. Defcription du Cap François de Saint Domingue. Retour en France s relâche en Angleterre. M A Rouen, ce cinquième Janvier 1723, ADAME , Je n'ai été qu'un jour au Havre , parce que je ne voulois pas manquer le CarofTe de Rouen , & je fuis venu ici me délafler à mon aife du plus long & du plus rude Voyage , que j'eufle encore fait fur Mer. Enfin il n'y paroît plus , & je vais profiter d'un peu de loifir , qui me refte en attendant le Coche de Paris , pour achever de vous inftruire de toutes mes aventu- res , depuis deux ans & demi , que je cours le Monde. Le Cap François de S. Domingue , d'où ma dernière Lettre Defaiprion étoit dattée . eft un des Ports de toute l'Amérique , où les du. CaP Fraa? François faffent un plus grand Commerce. Ce n'eft à propre- C° ment parler qu'une Baye , qui n'a pas tout-à-fait une heuë de profondeur , & dont l'ouverture eft fort large : mais cette Ç01S. >e bre 494 JOURNAL HISTORIQUE i j 2 i. ouverture eft femée de récifs , entre lefquels on ne fçauroit ç • naviger avec trop de précaution. Pour y entrer il faut pren- ' eP " dre à droite le long d'une Pointe , où il y a une Redoute & du Canon ; mais l'ufage eft qu'avant que de s'engager dans ces Pâlies étroites , où deux Navires ne fçauroient aller de front , on appelle un Pilote du Port ; & pour empêcher que l'envie d'épargner une piftole , qu'il lui faut donner , ne faffe rifquer le falut d'un Equipage , il a été fagement ordonné que , quand bien même on feroit entré fans ion fecours , on ne laiffera pas de le payer, La Ville eft dans le fond de la Baye , fur la droite. Elle n'eft pas confidérable , parce que prefque tout ce qui n'eft pas Artifan , Marchand en détail , Soldat , ou Cabaretier , de- meure dans la Plaine , autant que le Service le permet aux Officiers , la Juftice aux Magiftrats , & les affaires du Com- merce à ceux, qui y font interefTés , c'eft-à-dire , à prefque tout ce qu'il y a ici d'honnêtes Gens : de forte que , pour voir le beau Monde , il faut aller à la Campagne. Aufli rien n'eft plus charmant que la Plaine , & les Vallées , qui font entre les Montagnes , dont elle eft bordée. Les Maifons n'y font pas magnifiques , mais elles font propres & commodes , les Che- mins tirés au cordeau , d'une belle largeur, bordés de hayes de Citronniers , quelquefois plantés de grands Arbres , & d'efpace en efpace coupés de ruiffeaux d'une eau claire , fraî- che & fort faine. Toutes les Habitations paroiffent bien cul- tivées , & ce font réellement de très-belles Maifons de plaifan- ce : par tout on voit un air d'aifance , qui fait plaiftr. De laPlainc Cette Plaine eft l'extrémité du Nord-Oueft de cette fameufe du Cap. Vega-Real 3 dont il eft tant parlé dans les Hiftoires Caftilla- nes de S. Domingue , qu'on afïïire avoir quatre-vint lieues de long , & que le célèbre Evêque de Chiappa , Barthélémy de las Cafas , prétend être arrofée de vint -cinq mille Ri- vières. Les grands noms ne coûtent rien aux Efpagnols ; ces prétendues Rivières ne font pour la plupart que de petits Ruif- feaux , dont le nombre eft effectivement incroyable , & qui feroient de cette Plaine royale quelque chofe de plus charmant & de plus délicieux , que la Vallée de Tempe, ft vantée par les Grecs , fi elle n'étoit pas fous la Zone Torride. 11 y a même des Cantons , où l'air eft très-fain , & la chaleur fupportable , tel que celui , où a été bâtie la Ville de Sant- ïago de Los D'UN VOYAGE DE L'AMER. Let. XXXVÏ. w Cavalleros ; & on peut dire la même chofe des Vallées , qui ■ font entre les Montagnes , dont la Plaine du Cap eft bornée * 7 2 2* au Midi. Elles commencent à fe peupler , & elles le feront Septem- bien-tôt plus que la Plaine même , parlaraifon qu'on y voit kre. peu de Malades , & que ceux , qui y viennent d'ailleurs , y guériffent en peu de tems de maladies , que tous les remèdes n'avoient pu furmonter. J'ai parcouru les Habitations les plus proches de la Ville , obfervations, mais je n'ai pas eu le loifir d'y faire beaucoup d'obfervations. D'ailleurs , pendant le jour le chaud étoit extrême, & le foir , dès que le Soleil étoit couché , les Couftns & d'autres Mou- cherons femblables , ne me permettoient pas de me promener lon-tems. Ces petits Infe&es s'attachent furtout aux nouveaux venus , qui ont la peau plus tendre , & le fang plus frais. On m'a afluré , que dans la partie Efpagnole de l'Ifle , on eft exempt de cette incommodité , mais en récompenfe nous n'a- vons point de Serpens venimeux , & ils en ont beaucoup. On m'a fait aufn remarquer , qu'à l'exception de la Laitue , tous les Légumes fe doivent renouveller tous les ans dans cette Ifle avec des graines d'Europe. Ce que j'y ai vu de plus curieux , font les Moulins à Sucre. Je ne vous en dirai rien , parce que le P. Labat en a parlé beaucoup mieux , que je ne pourrois faire. Après le Sucre , la plus grande richefre de cette Colonie eft l'Indigo , dont le même Auteur a aum* très-fçavamment traité. Cette Plante a une ennemie irréconciliable , & qui fait fur elle bien d'autres ravages, que l'Yvroy e dans nos Bleds. C'eft une herbe , qu'on appelle Mal-nommée 3 & qui en fortant de la terre porte fa graine , qu'elle répand par tout. Elle vient en touffe , & par fon volume , & fa prodigieufe fécondité , elle étouffe telle- ment l'Indigo , qu'elle le fait mourir : de forte que , quand elle a fait le moindre progrès dans un champ , il eft entière- ment perdu , & qu'il en faut défricher un autre. Les Côtes de Saint Domingue ne font pas abondantes en Remarque Poiffons , mais pour peu , qu'on aille en pleine Mer , on y fa les DorV en trouve de toutes les fortes. Nous péchâmes furtout , en y des* venant de la Louyfiame, beaucoup de Dorades, fur lefquelles nos Marins prétendent avoir fait une obfervation allez fingu- liere. C'eft que , quand on prend ce Poiffon dans le Croiffant de la Lune , la chair en eft ferme , & d'un goût exquis 5 au 49 & (uiv. Ce qu'il dit des Peuples que les Mexiquains trou- vèrent autour du Lac Mexico , 18. Il a cru que la Nouvelle Guinée éroit un Continent peu éloigné des Mes de Salomon , 22. Il rapporte que Vafco de Gama trouva l'ufnge' de la BoufTole établi au Mozambi- que, 40. Il fe rrompe au fujet de la tradition du Déluge, confervée par' les Amériquains , 399, Adoption. Droits des Prifonniers- de Guerre , qui fonr adoptés , 245V Réception , qu'on leur fait dans la- 5o2 T A B Obanne,où ils font adoptés , 246. Comment ils font traités } s'ils fe fauvent , & qu'ils foient repris, 248. Adour. Flûte de la Compagnie d'Occident, en quel état elle arrive à l'embouchure du Miciflipi.Pat qui elle eft commandée. Etat de fon Equi- page, 4J4-J6. Naufrage de ce Bâti- ment , & fes caufes , 458. & Juiv. Il eft abandonné par l'Equipage , 466. On paroît fe repentir de l'avoir abandonné, mais on le trouve rem- pli d'eau, & brifé par les Sauvages , 468. En quel état l'Auteur le trouva en repatîànt par l'endroit , où il étoit échoué, 488» Agnier. Le Canton Iroquois d'A- gnier a été celui , qui a le plus per- fecuté les Millionnaires , & qui a produit un plus grand nombre de feivens Chrétiens , 176- Aigles. Deux efpeces d'Aigles en Canada , & leur defcripcion , 155. Aiglons d'une grolîeur extraordi- naire , i07- Aigremont. ( M. de Clerambaut d') Commiflaire Général de Marine en Canada , 79. Ses Obfervations fur le Fort deCatarocouy , 191. Abuez,. Nation Sauvage , fitua- tion de leur Pays. Ce qu'on y trouve de particulier, 211. 396. Ils font grands Voyageurs, font trente lieuë's par jour , ce qu'ils dilent des Omans, 397- Akjmfa- Sauvages de la Louyda- ne , leurs Tribus , leur Rivière. On les appelle les beaux Hommes. Beau- té du Pays , 41 °- &fav. Alexandre. ( le Sr ) Botanifte & Chimifte de la Compagnie d'Occi- dent à la Louyfiane. Ce qu'il dit à l'Auteur au fujet de la Cire deMyr- the, 45 1- Algonquins. Srratagême de ces Sau- vages pour vaincre la Nation de l'I- roquet, 1101 1. Ce qui empêche des Algonquins de quitter le voifinage des Trois Rivières, 1 14. Algonquins L E dans la Million de S. François, 121. On prétend qu'a force de manger de la chair d'Orignal , ils croient lu- jets à l'épilepfie , 1 26. De la Langue Algonquine , & de ceux, qui la par- lent, 1 8 5 . & juiv. De la Langue Algonquine , 196. & futv. Ils fai- foient autrefois la première figure dans le Canada. Origine de leurs Guerres avec les Iioquois , 200. & fuiv. La dignité de Chef eft élective parmi tous les Sauvages de la Lan- gue Algonquine , 267. Ils ont deux fortes de Femmes, 285. De quelle forte dePyromancieils ufoientpour connoître les choies éloignées , 363. Tradition des Nations Algonqui- nes fur la création du premier Hom- me , 399. Alibamons. Sauvages de la Louy- fiane. Ils fe joignent aux Angiois pour détruire l'htablilTement desEf- pagnols à S. Marc d'Apalache ; cruautés, qu'ils y exercent , 473. Allemands. Neuf mille Allemands levés dans le Palatinat , deftinés à établir la Conceflion de M. Law aux AKanfas , font prefque réduits à tien , 411. Allouettes. Pointe aux Allouettes, où elle eft , 66. Alloua. ( le P. Claude) Jéfuite , ce qu'il dit des Prêtres Outaouais , 3jo. Almanaik des Sauvages pour con- noître la durée des Hy vers , 102. Alvarado. Un des Capitaines de Cortez. Conjecture de Lact fur cet Officier, 1 $. Ame'tique. Auteurs , qui ont cru qu'avant les Efpagnols il n'y avoic aucune communication entre l'A- mérique Septentrionale . & la Méri- dionale , 12. Grotius & Laët ont eu tott de fuppofer qu'il n'y avoit point d'Antropophages dans l'Amé- rique Septentrionale, 21. DeHornn prétend mal-à-propos que l'Améri- que n'a pu. être peuplée avant le Dé- DES MA luge, 24. Les deux Amériques font pleines d'eau , 28. Les Amériquains n'ont point de baibc ni de poil fur le corps , 42. Ames. Idée des Sauvages fur les Ames , & les conféquences , qu'ils en tirent ,351. & jura. Ce que les Sauvages penfent de l'ame des Bêtes, 3S3- Ami. Tous les Sauvages ont cha- cun un Ami. A quel delîein. Quel eft le nœud & le but de cette So- cieré , 510. Amik.ottes, Nation Sauvage , dite la Natim du Cajîor. Son origine, fé- lon les Sauvages. Où ils demeurent, 187283. Amonhe'ens. De Hornn prétend qu'ils ont peuplé la Gomara , une des v^anaiies , 29. Amie'. Montagnes de l'Amérique crues par Arias .\ ontanus la Mon- tagne S'cphar de Moyfe , ?. Nouvelle A iglererre , s'eft enrichie par la Pêche fur les Cous de l'Aca- die, n. Anglois. Rencontre d'un Navire Anglois , y $• . Autre Navire Anglois, 56. Leur Flotte delhnée à prendre Québec , périr en partie dans 'e Fleuve , 78. Parallèle de leur maniè- re de vivre dans leuis Colonies , 8c de celle des François , 80. Ils ont prévenu les François en Terre-Neu- ve : comment ils s\ font îuûrenus , quoiqu'ils y ayent toujours étébat- lus. Ce font eux , qui ont fair com- prendre aux François ce que valoir î'Acadie,87. Comment ils ont peu- plé leurs v olonies ,91. Leurs pré- tentions au fujer des Cantons Iro- quois , 226. Ils fe plaignent de ce que les Tfunnonrouans ont accordé lin hofpice chez eux au C, eur de Jon- caire : en demandent aufli un & ce qu'on leur répond , 227. Pourquoi ils auronr roirours la préférence pour le Commerce de la part des Sauvages , 257. Un grand Parti TIERES. ï°3 d' Anglois défait par les Abénaquis, quoiqu'ils fullent vint contie un , 3^8. Ils exciient les Chicathas à faire la Guerre aux François, & pourquoi , 408. Détour aux Anglois, ce que c'eft , 439. Voyez* le jeconâ Tome de t'Hijloire. Les Sauvages des Martyrs haillenr les Anglois ,461. 464. Quelques Navires Anglois pa- roillent à la vûëdel'Adour échouée, ôc ce qui les empêche de fecourir les François , 465-66. Ils détruifenc S. Marc d'A palache, 47$. Ils veu- lent nous débaucher les Tchacïas y 483. Induftne d'un Capitaine An- glois , qui manquoit de vivres , pour engager le Capitaine d'un Navire François à lui en céder, 496. Indus- trie des Anglois pour attraper les Foibins, 4 99* Anguilles. Abondance de cesPoif- fons , comment on en fait la pêche. Leur qualité , manière de les accom- moder , 170 7F. Anthropophages. Grotius & Lact ont fuppofé mal-à-propos qu'il n'y en avoit point dans l'Amenque Sep- tentrionale, 21. Anticojli. Danger, que le Vaifïeau du Roy court d'échouer furla pointe de cette Ifle , 62. Sa Dcfcnprion. On croyoit y avoir trouvé une Mine d'argent , & fur quoi on fe fondoir. Cette lfîe eft concédée au fieur Tô- lier , 6j. Am'lles. lfles de l'Amérique 3 crues lesHefperides des Anciens, $, Antimoine. On en trouve en re- monrant le Moingona , 597. Antoine. Mineur envoyé pat la Compagnie d'Occident , ne réniîic point . ' j9fi. Antonio. Sauvage des Martyrs , qui fe faifoit nommer D. Antonio. Son avidité pour tout ce qu'il voir. Il offre à l'Equipage de l'Adour de le conduire à fainr Auguftin , 464. Il eft bien frotté par fon Piince pour s'être enyvré fur l'Adour. Pourquoi 504 il n'.i pas permifiioft les François à faine Auguftin , 467. ApaUcbes. Peuples de la Flonde. De Hornn les fait defcendie des Apaléens , dont parle Solin , 32. Les Efpagnols ont appris d'eux l'u- fage de l'Apalachine. Baye des Apa- laches , 471. Sept mille Apalaches tués , ou diilîpés par les Anglois. Voyez, S. Marc. Quelques-uns re- tournent à S. Marc , & pourquoi on ne s'y fie pas , 474. Apalacbine , ouCafJine. Arbrilîeau tic la Floride. D'où vient le premier de ces deux noms. Vertus de fes feuilles. Manière d'en ufer. Voyez, la defeription des Plantes , 4 49- 5 o. Apaléens. Peuples du Nord , Voi- fins des Mefïageres , félon Solin. Pline dit qu'ils ont difparu , & ce qu'on en peut conclurre. De Hornn alTùre que les Apalaches de la Flori- de en tirent leur origine , 32. Arbre fingulier en Acadie , & l'ob- jet du culte des Sauvages , 349. Pourquoi Jes Arbres de la Louy- fiane pouirent leurs feuilles fi tard , 40f, Archives. QntUes font les Archives des Sauvages , 210. Aresiïoui , ou Agreskpue'. Le Dieu de la Guerre parmi les Iroquois & les Huions , & leur fouverain Dieu. Son étymologie grecque , 208. 344. Ariftote a cru que la Zone Tor- ride n'étoit point peuplée ,& qu'on n'avoit point navigé à l'Occident de l'Europe au-delà des Colonnes d'Hercules , y. On lui attribué' l'Hif- toire des Carthaginois , qui furent portés fort loin à l'Occident par un vent forcé , &c y découvrirent de nouvelles Terres , 6. Armes. Anciennes Armes des Sau- vages , _ 222. Afion-Gaber. De Hornn écrit que ce Port étoit fur la Méditerrannée , 28. Ajfajffinat. Quand & comment les TABLE de conduire Sauvages le puniiïbient , *73-74' 276. Affiniboils. Peuple Sauvage de la Langue Sioufe , vont trafiquer à la. Baye d'Hudion , 180. Leur vérita- ble Pays, 184. Nom, qu'on leur donne dans les Cartes , 185. Lac des AJJiniboils. Particularités de ce Lac , 1 84. & fuiv. Atabentjic. Divinité des Sauva- ges , ce qu'ils en difent , 344-4J. . . . , 348. Atahocan. Divinité des Sauvages , ?44- Atlantide. Ce que penfoit le P. de Acofta de cette prétendue Ifle de Platon , 6. 7. Budbeck la place dans le Nord, 3. De Hornn croit qu'elle étoit dans l'Amérique , & qu'elle a été fubmergée par le Déluge , 28. Atlantides. Pofiel a cru que les Atlantides, Habitans de la Mauri- tanie , avoient peuplé l'Amérique Septentrionale , 3. Atoca. Sorte de Fruit du Canada, dont on fait des Confitures , 163. Attikamegttes. Leur Pays propre , 1 $6. Voyez, le premier Volume. Aubery. ( le P. Jofeph ) Jéfuite s Millionnaire à faint François , izi. Avoine. Folle Avoine , Légume ; ufage , qu'on en fait en Canada , 3 32» Aute. Port de la Floride , le mê- me,qui porte aujourd'hui le nom de faint Marc d'Apalache , 47c Autololes. Peuples voifins des Car- thaginois, félon Pline3qui ils étoient, leurs Mœurs reilemblent beaucoup à celles des Brafiliens , 2c. B 7} ACCALAOS. Peuples de l'Ille iJ Royale , ou de Terre-Neuve ; Grotius prétend qu'ils reiîèmblenc auxLappons, 19, Babama. Débouquement du Ca- nal de Bahama , 488. Vieux Canal de DES MATIERES. Âe Bahama. Pourquoi on l'a aban- donné , 489. Bain. Commenc les Sauvages fe baignent, iij. Baleine. Quantité de ce Poiflon dans la Mer du Canada , & dans Je Fleuve faint Laurent. Combat de la Baleine contre l'Efpadon , 54. Fort communes dans le Fleuve faint Laurent : où l'on en peut faire plus commodément la pêche } 65. Ce qui l'a fait difcontinuer aux Bafques , 14S. Baitfe* Ifle de la Balife , fa fuua- tion , fa defcription. Avantages , qu'on en peut retirer. Autre nom , qu'on lui donne , 441. Banc. Le Grand Banc de Terre- neuve , fa defcription , 48. & fuiv. Caufes des mauvais tems , qu'on eC- iuye vers les Ecornes du Grand Banc> SO-ji. Baptême.* En quoi les Sauvages reconnoiflent la vertu du Baptême, . 249. Barbe. Amenquains , qui ont de la barbe , 25. Barda. ( D. André Gonfalez de ) fait réimprimer l'Ouvrage du P. de Garcia fur l'origine des Ameri- qtiains, /. Bars. Quantité de ce Poifïbn dans le Lac de faint Pierre, m. Bafques. Ifle aux Bafques, fa fîtua- tion. Les Bafques y ont fait avec fuc- cès la pêche de la Baleine, 65. Pour- quoi ils ont difcontinué. La pêche des Baleines dans le Fleuve S. Lau- rent, 149. On a cru fans fondement, que les Eskimaux font Bafques d'o- rigine , 179. Batteau. Un Batteau plat embar- qué fur l'Adour eft le falut de l'E- quipage, 460-61. Il eft mis en état, 468. Il eft béni & baptifé , il fait beaucoup d'eau , 469. Bayageulas. Sauvages de la Louy- iîane. Voyez, le fécond Volume de l'Hif- $oire. Unjéfuite veut s'établir parmi Tome III. 50î eux , & pourquoi ,451. Cette Na- tion eft réduite à rien , 456. Baye des Tfonnanthoiians. Sa fitua- tion , 223. Sa defcription , 224. La Baye des Puants , ou la grande Baye. Sa defcription, 292. & fuiv. Les Sauvages y font plus fupeifti- tieux qu'ailleurs , 299-300. s Becan donne dans les idées d'A- rias Montanus fur le nouveau Mon- de , 3. Beckancourt. ( M. Robineau , Ba- ron de ) Grand Maître des Eaux 8c Foiêts de la Nouvelle France , 79. La vie, qu'il mène dans fon Habi- tation ,110. Rivière de Beckan- court , fa iituation, fon ancien nom, 110. Begon. ( M. ) Intendant en Cana- da , 79. Moniteur &C Madame Be- gon vont en Pèlerinage à Lorette , réception, qu'on leur fait, 83.6* fuiv. Bellone. Navire de la Compagnie d'Occident. Elle part de la Louy- ilane pour Saint Domingue , 484. Mauvaife manœuvre du Capitaine , & quelles en furent les fuites , 48 f . Danger, que court ce Bâtiment fur les Caïques , 490. Comment il s'en tire ,491. H périt dans le Port, yoo. Benac. ( M. de ) Moufquetaire , & enfuite Officier dans la Louyfia- ne. Sa pieté , 457 - 38. Voyez* le fé- cond Tome de l Hiftoire. Berthelot (François.) achette l'Ifle d'Orléans , & obtient qu'elle foie érigée en Comté fous le nom de S. Laurent , 67. Bêtes. Les Sauvages croyent leurs âmes immortelles , & qu'elles ne différent de nous , que du plus , ou moins, 353. Bête puante , ou Enfant du Dia- ble. Efpéce de Fouine , fa defcrip- tion , 133. Bienville ( M. de) Il oblige un Interlope Anglois à s'éloigner à l'ac* SU 506 TABLE rivée d'un Brigantin Efpagnol , ôc pourquoi. Avis , que lui donne l'Auteur, 48 2. Il regagne les Tchic- tas , que les Anglais vouloient nous débaucher , 485. Bievre. Nom que l'on donnou aux Caftors en Europe. Leur diffé- rence d'avec ceux du Canada , $§,. Endroits de l'Europe, où on en a trouvé, 104. Bigot ( le P. Vincenr ) Jéfuite. Témoin d'un coup de vigueur des Abénaquis , contre les Anglois , 308. Biloxi. Defcription de ce Porte , de la Côte Ôc de la Rade , 4y8. & [. Biloxis.. Nation Sauvage de la Louyfiane , qui a donné ion nom au Pofbe ci-deiïus : où ils fe font re- tirés, _ 449. 454. Biz,art. Officier Canadien, Com- mandant aux Yafous , fa mort , ôc ion éloge , 412-13. Blanc. Jean le Blanc. Sauvage Ou- îaouais. Sa répartie ingériieufe au Comte de Frontenac , 306. Bleuet. Eft le même en Canada , qu'en Europe , fes propriétés , 163. Blond ( M. le. ) Brigadier- Ingé- nieur , Directeur de la Compagnie des Indes Occidentales à la Louy- fiane ; Se d'une Conccllion , où il eft aflbcié , 413. Bœuf. De la Chafïe du Bœuf en Canada. Defcription de cet Animal. Sa laine , 130-31. Bœufs mufqués , leur defcription , 132. Ouvrages , que font les Femmes îllinoifes de la laine de Bœufs, 294. Bois blanc. Qualités de cet Arbre, & l'ufage , qu'on en fait, 162. Boisbi'uint (le fieurduGué de.) Com- mandant aux Illinois, 394. Ses dili- gences fur l'avis de ladécouverte d'u- ne Mine d'argent, » ' 483. Bois d'amourette. Efpéce de Fref- me de la Floride, fes vertus , 4H* Bonaventure ( Ifle de. ) Sa litua- nien , 61. Moucaniers, Prodigieux changement. arrivé parmi eux fur îa Religion , & fur les Mœurs à S. Domingue, 37. Boucliers des Sauvages , 212.. Boulanger ( le P. le. ) Millionnaire aux Illinois, 394. Bourbon. Fleuve de l'Amérique. Les Eskimaux le remontent allez; loin ,178. Voyez, VHijh'iïe. Boujfolc. Le P. de Acofta prétend qu'aucun ancien Auteur n'a parlé de la Boulfole , 6. Ilparoît fe contre- dire lur l'antiquité de cette inven- tion , 8. Ufage de laBoufïole établi au Mozambique avant l'arrivée des Portugais dans cette Ifle, 40. Brejjarii ( le P. Jofeph ) Jéfuite. Voyez, la L ijte & l'Examen des Auteurs. Son fentiment fur la durée & la ri- gueur des froids du Canada, 167. & fuiv. Breverood ( Edouard de ) Anglois. Son fentiment fur l'origine des Amériquains , & le jugement, qu'en porte Jean de Laët , 11-12. Breuil ( le fleur du.) Met fon Fla- bitation des Chapitoulas en bon état. 458. Brifans contre lefquels le Cha- meau fut en danger d'échouer, 56» 61, Brolle, Cap Brolle , fa (ituation > 57- Brumes. Caufes & effets des Bru- mes aux environs du grand Banc de Terre- neuve , 50. Budbeck.. Sçavant du Nord , place l'Atlantide de Platon , 6c les Co- lomnes d'Hercules dans le Nord, 3. Buiffon , rapide , 190, CABEL1AU. Petite Morue, qu'on pêche dans la Manche &C ailleurs. y2. Caïmans dans la Louyfiane. Leur grofîèur , leurs cris, danger, qu'on court de leur part en fe baignant, &C comment on s'en garantit, 413* DES MATIERES. Quantité de Caïmans dans un petit Lac, 43 y. Ils étoient autrefois par milliers dans le Lac Pontchartrain , ilsy font fortrares aujourd'hui, 454. Catques. lfles, qui bordent en pairie la Côte Septentrionnaldde l'Ifle Ef- pagnole. Defcription oe la grande Caïque, 490-91. Californie. Prefqu'ifle de l'Améri- que, où Grotius trouve un Peuple Alavard , qu'il fait descendre des Lombards, 15. Cortès a le premier découvert ce Pays, 16. Les premiers Habitans du Mexique venoient de la Californie , 18. Callieres. (Le Chevalier de) Voyez, l'Hifl. Etant Gouverneur de Mont- réal il a fermé la Ville dePaliflàdes, 138. Calumet. Ce que c'eft. Ses diffé- rens ufages ,fon origine vraie 8c pré- tendue. N'eft point le Caducée de Mercure , 2 1 1 . & fuiv. Danfe du Ca- iumet, zyô.&fuiv. Canada ou Nouvelle France. Idée fauflTe , qu'on s'en fit d'abord, 8c ce qu'elle produifit, 85. & fuiv. Son Commerce, & fautes, qu'on y a fai- tes, 86. & fuiv. [Comment on auroit pu le peupler , 9 1 . Comment le déran- gement des monnoyes a fait tomber fon commerce. Sur quoi ce com- merce rouloit en mil fept cent fix , 93. Ce qui a ruiné fes Habitans, 94. D'où vient l'idée délavanta- geufe , qu'on a en France du Ca- nada, 164. & fuiv. Rigueur de l'hy- ver, i6ç . & fuiv. En quoi elle eft compensée, 166. Avantages 5c déf- avantages du Canada pour la vie , 1 70 3 & fuiv. Combien il feroit im- portant de le peupler , 175;. Eten- due du Canada , ou de la Nouvelle France, 183. On n'a pu fçavoir en quel état il étoit , lorsqu'on en fit la découverte, 199. Canadiens. Creols du Canada , leur caractère, 79. Paralelle de leur ma- nière de vivre avec celle des Créoles S°7 Anglois, 80. Leur inconftance leur fait abandonner ce qu'ils ont con- quis avec le plus de facilité, 87. La bonne opinion, qu'ils ont de leur bravoure, fait qu'il eft plus aifé de les furprendre, que de les vaincre , 138. Avantages , dont ils jouiifenc : leur caractère, 171. & fuiv. Eloges des Canadiennes , 171. Gentilhom- me Canadien brûlé pendant huit jours par les Iroquois, 248. Ils ne fçauroient plus goûter la vie réglée, quand ils ont goûté celle des Sauva- ges, 322. Cananéens. Quelques Auteurs pré- tendent que ces Peuples , chaifés de laPaleftine par Jofué, ont palTé en Amérique, &ont feuls peuplé cette Partie du Monde, 4. De Hornn les comprend fous le nom de Phéni- ciens , 27. Canards. Grand nombre d'efpéces de Canards en Canada. Du Canard bran chu , ij6. Canaries. Preuves, qu'on a qu'el- les ont été autrefois peuplées, & ce qu'en conclut Jean de Laet , 20. De Hornn croit que la grande Cana- rie eft la Cerné des Anciens , & que toutes ces lfles ont été peuplées par les Cananéens , 29. Cannes. Defcription de celles , qu'on trouve dans la Louyfiane. El- les ne croitfènt que dans les bonnes Terres. Comment on peut les extir- per , 40 f. Canots. Manière de les porter , 190. Leur defcription , 192. & fu iv, Caoquias.Tnhu lllinoife. Sont réu- nis avec les Tamarouas , 392. Cap François. Defcription du Port de la Ville, Se de la Plaine du Cap François dans l'Ifle de Saint Domin- gue. Précautions , qu'il faut prendre pour entrer dans lePort, 493. & f. Cap Saint Antoine. Sa fùuation , Se ce qu'on y remarque , 40J. Capillaire, 164.. Voyez, U Defcrip- tion des Planta. Il s'en trouve beau- Sffij 5o8 T A B coup fur la Rivière de Saint Jofeph , ; 3«f- Carcajou ou Quincajou. Efpéce de Char , fa defcription. Comment il fait la guerre à l'Orignal , 1 29. Cardinaux. Efpéce d'Oifeaux. Sa defcriprion, 157. Caribou. Manière finguliere de le chafTer, 118. Sa defcriprion. Où, il s'en trouve davantage , 119-30. Carthaginois. Ce qui a pu les en- gager à pafler en Amérique, 10. Cartier. ( Jacques. ) Navigateur Malouin , a vu un Ours de la grofïeur «Tune Vache faire quatorze lieues de fuite à la nage , 10. Nom, qu'il donne à l'Ifle d Orléans, & pour- quoi, 69. Il ne faut pas fe fier à fes Vocabulaires, 196. Ce qu'il dir d'un coquillage, qu'il trouvai Montréal» 209, Cafas. (Dom Barthélémy de las j Evêque de Chiappa. Comment il faut entendre les vint-cinq mille Ri- vières, qu'il. dit arrofer la Vega Real de l'Ifle Efpagnole , 494. Cafcades. Rapide, fa fituation, 190. Cafconchiagon. Rivière, qui fe jette dans le Lac Ontario. Ce qu'elle a defingulier, 213-24, Cajfetéte.Cequeccft, 222.238. Caftor. Les Peaux de Caftor ont toujours fait le principal cbjet du commerce de la Nouvelle France. Leur abondance ruine ce commerce, 88. & fuiv. Hiftoire & defcriprion des Caftots , 94. & fuiv. .Caftors ter- riers, 95. 103, Leur chair eft décla- rée viande de Carême. Erreur de M. Lemery à ce fujer, 97. Ce que c'eft que le Caftor gras, &c le Caftor fec, 99. Manière, dont ils bâtiffent, j 00. & fuiv. Chafïè du Caftor , 1 04. &fuiv. Particularités fur les Caftors , 106. Ijles du Caftor. Leur fituation ,313. Des Outaouaiss'y érablillent, 281. Caftoreum.Ccque c'eft , py. Quel eft le meilleur. Ses propriétés , 1 00. L E Catarocoul. Voyez, VETifioire. Le Forf deCatarocoui auroit été mieux pla- cé à la Galette , 191. Situation ÔC defcription de ce Fort, connu lon- tems fous le nom de Frontenac , 194-9;,- Cavagual. Voyez, Vaudreuil. Cèdres. Deux fortes de Cèdres en Canada, 160-61. Leur différence, 525. Ufagej qu'on en fait, 255. 366. Les Ce'dres. Rapide. Sa fituation , 191. Cerfs. Manière finguliere de les chafïer 3 128. Leur defcriprion r 129. Chambly. ( M. de ) Fondateur da Fort deÇhambly, 1 50-^1. Situation & defcription de ce Fort, 1 yo. Cbampigny. (M. de) Voyez, les deux premiers Volumes. Pourquoi ik donna cours à des billets , qui te* noient lieu de monnoye, 92. Em- barras; où il fe trouva à cette occa- fion , 93, Champlain. Voyez, le premier Volu- me. Comment il vouloit s'y prendra pour peupler le Canada, 91. Def- cription , qu'il fait d'une chafTe des Sauvages, 1 28. Ce qu'il dit du Poif- fon armé du Lac Champlain ,152- Lac Champlain. Sa fituation , 1 yo. Chandeleur. Iflesde la Chandeleur- Leur fituation. On prétend qu'on y pourroit faire un très -bon Port, 444-49. Chanfon de Guerre. Chacun a la fienne, qu'il n'eft pas permis à d'au- tres de chanter, 217. Quel eft le fens de ces Chanfons , 245. Chaouacbas. Ancien Village des Chaouachas abandonné. Defcription de la Cabanne du Chef. Ils empor- tenr avec euxlesofîèmensdesMorts. Où ils fe font placés, 44r- Chupeau rouge. Ce que c'eft. Sa fi- tuation, y8. Chttpitouks. Quartier de la Louy» DES MA fianeenbofiétat, 438. Charbon de Terre. On en trouve beaucoup fur le Moingona, 397. Charbonnière. Rapide, ba fituation , & pourquoi on l'a ainfï nommé , 380-81. Chardon. (Le Père Jean) Million- naire à la Baye, fait peu de fruit par- mi les Saicis, 292. Ce qui lui fait efperer qu'ils feront plus dociles , 295. Charlevoix. (LePerede) Auteur du Journal. Danger, qu'il court vis-à- vis de Langets , 4; , au Cap de Ra- ze, 56 parla rencontre d'une glace énorme, j8. A la pointe d'Anticof- tie, 61. A la pointe de la Trinité, 64. Son arrivée à Québec, 69. Dan- .ger, qu'il courut fur le Lac Ontario, 206. Les Saicis de la Baye l'invitent à un Confeil, & de quoi il s'agifïbit, 294-95. Danger, qu'il courut d'être tué par un de fes Gens, 315-16. Il fe trouve entre quatre Partis enne- mis : le parti , qu'il prend , &c ce qui fe parTé à ce.fujet entre lui & le Chef des Illinois de Pimiteouy , 5 84. & ftiiv. Il baptife la Fille de ce Chef, 389. Ce qui l'oblige à refter quelque rems aux Natchez, 437. Il eft arrêté par une JaunifTe au Biloxi. Il évite une tempête, 45 3. Il s'embarque fur l'Adour. Sespreflentimensdecequi arriva dans la fuite , Se fur quoi ils étoienr fondés, 455^6. Il débarque dans une des Ifles des Martyrs , & pourquoi il retourne au Navire , 462. & fuiv. Il bénit & baptife le Batteau , fur lequel une partie de l'Equipage de l'Adour s'embarque, 469. Danger, qu'il court avec une partie de l'Equipage. Il va trouver le Commandant de Saint Marc d'Apa- lache Un Père Cordeliei le loge avec lui dans le Fort, 473 Deux autres Religieux du même Ordre le logent , 477. Il découvre une confpir.uion de plufîeurs François, qui dévoient enlever un Brig^min Espagnol, 482.. T I E R E S. 509 Ses réflexions fur les chaleurs de la Zone, 484. Danger, que court la Bellone , parce que l'Equipage ne veut pas le croire fur le Cap de Sed, Charron. (Jacques) a cru que les feuls Gaulois avoient peuplé l'Amé- rique, 4. Charron. (Le fieur) Fondateur de l'Hôpital Général de Montréal. Son zèle, fa confiance, fon défîntérefle- ment,; 139. Chartres. Fott de Chartres aux Illi- nois. Sa fituation , 394» Chajfe. Elle eft auffi noble parmi les Sauvages, que la guerre. Devoir des ChafTeurs. Ce qu'il faut faire pour être eftimé Chaffeur, 1 14. Elle eftdedroitçommun en Canada, 172. Chats. Voyez Erie, &c Carcajou. Chat. huant. Particularités fur le Chat-huant du Canada , 155. Chaviteau. Premier Pilote du Roi fur le Chameau, 47. Il devine jufte ou il doit être après une brume de plufîeurs jours, 57. Il veut rifquer un partage pendant la nuit, & on ne le lui permet pas, 59. Chauvignsrie; ( Le fieur de la ) Of- ficier , Interprète pour la Langue Irc- quoife , eft envoyé à Niagara & à Onnontagué, & pourquoi , 228, Chauvin. Quatre Frères Canadiens établis aux Chapitoulas. Leur éloge , 458.. C/>^o«/««;'.Peninfule.Sa fituation. Comment & quand elle fut formée, 68. Les Directeurs de la Compagnie des Indes y raifemblent plufîeurs Sauvages fous la conduite d'un Jé- fuite , iî4„ Chefs. Des differens Chefs des Sau- vages , de leur fuccefïîon , de leur élection. De leurs noms, de leur au- toritéi 166. & juiv. Les Chefs après fix mois de deuil peuvent fe renia-, lier , 376. Des Chefs & de la Fem- me-Chef des Natchez, 420. & fuiv,- Chemin. Grand Chemin double de- 5io T A. Quito à Cuzco ruiné par les Efpa- gnols , . M- Chenaux du Lac. Rapide, 193. Chênes. Deux forces de Chênes en Canada , 1 6 1 . Belle Chêniere autour du Lac des Checimachas , 444. Cheraquis. Peuple Sauvage du Ca- nada. Situation de leur Pays. Les Iro- quois ont engagé les Milfiflagués à leur faire la guerre , èc s'en font eux-mêmes lallés, 107-08. Ils tuent un grand nombre de François, 406. Chetimachas. Nation fauvage de la Louyfiane, prefque détruite. Ce qui en refte elt efclave des François. Fourche des Chetimachas , 434. Chevalier. ( Le fieur ) Directeur de la ConceffiondeM.d'Artagnan, 436. Chevreuils. Particularités des Che- vreuils du Canada, 1 3i_35- Cbicachas. Sauvages de la Louy- fiane, infectent les Chemins, 40e. Ils reçoivent un échec de la part des Illinois. Garcilalîo de la Vega n'en parle pas exactement. Les Anglois les animent contre nous. Ils tuent deux François, & comment ils les furprennent, 408-09. Situation de la Rivière des Chicachas , 40p. Les Tchadtas nous forment une barrière néceflaire contre eux dans la Louy- fiane , 4^- C/;/V4go«. Situation de ce Poite. In- commodité de prendre par-là fa rou- te pour aller aux Illinois, 370. Chichimeques. En quel tems cette Nation s'établit fur le Lac de Mexi- co 5 d'où ils venoient , 18. Chiens. Des Chiens des Sauvages. Comment ils les drelTent, 1 19. On les diefle aifément à donner lachalTe aux Lièvres ôc aux Lapins, & ils la font rudement aux Renards, 133. On les ftile à la Pêche des Loups Marins, 146. On tue les Chiens, quand quelqu'un eftpiêt de mourir, & pourquoi, 37Z. Les Sauvages bat- tent les Chiens, quand la Lune eft éclipfée , & pourquoi , 40 1 . BLE Chili Auteurs, qui ont avancé que fes premiers Habitans venoient de la Fnfe , 4. Chinois. Grotius ne doute point qu'ils n'ayent fondé l'Empire du Pé- rou. Ses preuves, 13. Elles font ré- futées par Jean de Laé'c, 16. 17. Il n'eft pas vrai qu'ils ayent jamais adoré le Soleil , ni qu'on ait trouvé des débris de leurs Navires dans la Mer du Sud, 17. Grotius a eu tort de dire qu'ils ne connoilToient point l'Imprimerie avant l'arrivée des Por- tugais chez eux, 19 Ils ont eu autre- fois des Flottes, & la tradition des Infulaires de Madagafcar porte que ce font les Chinois, qui ont peuplé cette Ifle , 40. Chougtten. Voyez Rivière tfOnnon- tague. Cibao. Mines de Saint Domingue, crues l'Ophir deSalomon.Ce qu'^n a dit que Colomb y avoit trouvé ,2. Cigde. Ce que c'eft que fon chanr, Citronniers du Détroit. Leur bonne & leur manvaife qualité , 264. Citrouilles. Petites Citrouilles de Canada , qu'on mange cuites fous la cendre , ou dans l'eau , 164. Cloches. Uïage , qu'on fait des Cloches en Angleterre; & leur har- monie , 498. Colapijjas. Sauvages de la Louy- fiane fort braves. Voyez, le fécond Vo- lume de l'Hifioire. Deux Villages de ces Sauvages , leur fituation. Poli- telTe de leur grand Chef. Sa Caban- ne. Singularité d'un Tambour, 43 j. Colliers. Defcription des Colliers de Porcelaine & leur ufage, 2 1 o.Col- liers, dont on fefert pour porter des fardeaux, & pour tirer les Traînes, 221. Colomb. (Chriftophe) Ses idées fur l'Ifle Efpagnole , 2 . Le Père de Acofta regarde comme vraie l'Hiftoire du Pilote , qu'on difoit lui avoir laiflTé -des Mémoires fur la découverte du DES MAT Nouveau Monde, 6. Jean de Laëc la réfute , & à qui il attribue cette calomnie , 9. Commerce. Sur quoi il a roulé lon- tems en Canada, Se fautes, qu'on y a faites, 86. & fuiv. Ce qui l'a fait tomber en Canada, 93. Sur quoi il rouloit en 1706, 9$. Il eft permis aux Gentilshommes en Canada , 109. 17 2. De quelle manière fe fai- fok le Commerce des Pelleteries à Montréal , i42.Ilferoit à fouhaiter qu'on eûtcontinué'à le faireià } 143. Compagnie des Indes, Elle rafle m- ble à Checoutimi plufieurs Sauvages fous la conduite d'un Jefuite, 114. La Compagnie d'Occident envoyé des Mineurs à la Louyfiane , 393. Sa facilité à faire de grandes dépen- fes pour les Mines, & fon peu de précaution pour bien choifir les Mi- neurs, 394. Son Magafin aux Aican- fas, 410. Elle eft Propriétaire de la Conceflion de M. Law , 411. Son Magafin aux Yafous, 413. Sa Con- ceflion aux Natchez , 415-. Comte ( Robert le ) a cru que les Phéniciens avoient feuis peuplé l'A- mérique, 4, Concejjions dans la Louyfiane > & en quel état elles font, 434. & fuiv. 480. Condé. Nom, qu'on avoit donné au Lac Supérieur, ôc qu'il n'a point gardé, 153, Congés. Ce que c'eft , 89. Leurs Inconvéniens, 90. Congrégation. Maifon des Filles de la Congrégation à Québec , 73. à Montréal. Eloge de ces Filles , Confeil de trois Nations au Dé- troit. Idée de ces Affèmblées, 157. & fuiv. SaçefTc d^sConfeils des Sau- vages , 169-70 Confeil chez les Sa- xis , & ce qui s'y parle 29495. Conti. Eloge de quelques Officiers, du Régiment de Conti Infanterie, 4& I E R E S. 5iï Nom, que l'on avoit donné au Lac Erié, ôc qu'il n'a point gardé, 2)3. Copalme. Defcription de cet Ar- 'bre, 409. Vertus du Baume de Co- palme, 455. Corbeaux. Différence des Cor- beaux du Canada Se de ceux d'Eu- rope. On prétend que ceux-là font bons à manger, 155. L'Oifeau- Moucheleur fait rudement laguerre, 158. Fable des Sauvages du Canada fur un Corbeau, à l'occafion du Dé- luge, 399. Cortez,. (Fernand) Eft le premier, qui ait découvert la Californie , 1 j, 16. Pourquoi les Méxiquains le nom- merent Fils du Soleil , 17. Corvo. La plus feptentrionnale des Açorres. Monument, qu'on y a trouvé , 4. Coteau du Lac. Rapide , 192. Coton. Il réuffit fort bien à la Louy- fianne, 416. Cotonnier. Plante du Canada. Ce qu'elle a de fingulier, d'où lui vient le nom, qu'elle porte , 163. Cotonnier, Arbre. D'où lui vient ce nom, 206. Vertus de fa racine 3 43f- Coudres. Ifle aux Coudres. Sa fitua- tion. Changement , qu'y a produit un tremblement de terre, 66. Courage. Idée, que les Sauvages ont du véritable courage , 2 1 8„- Courans. Inconftance Se force des Courans aux environs du grand Banc de Terre- neuve, Se leurs ef- fets, 50. Courans des Lacs, leurs fources Se leurs effets , 298-99. le long des Ifles des Tortues, 471. dans le Canal de (ainte Roze, 479, Effets des Courans danslesMers des Ifles de l'Amérique, 489. Coureurs de Bo s. Ce que c'eft. Plu» fieurs vont s'établir chez les Anglois, d'autres demeurent avec les Sauva- ges. Ce qu'on fait pour s'oppofer à- ce déforcWj $$+ Plufieurs relieur 5 ri T A B L parmi les Sauvages, & vivenc com- me ces Barbares , ( 312. Couroas. Sauvages alliés des Ya- fous, 41 3. Voyez, le fécond Volume. Crifajy. (Le Chevalier de) Voyez, VHift. vient au fecours du Fort des Vercheres, «3c le trouve délivré, 1 2 y. Criftal de Roche. Où l'on en trou- ve, 396- Criftinaux ou Killijlinons. Peuples , avec qui on trafique à la Baye d'Hud- fbn, ôc d'où ils y viennent, 180. ÔC dans le Lac Supérieur, 1&7. Cuiraffes. Defcription des Cuiraf- fes des Sauvages, 222. Cuivre dans le Lac Supérieur. Ima- gination des Sauvages à ce fujet , 28 1 . à l'entrée de la Rivière des Illi- nois, dans leMiciflîpi, 392. Mines .de Cuivre à l'Embouchure de la Ri- vière de Sainte Croix , 398. Cyprès. Vertus de cet Arbre dans la Louyfiane, 43 ;• D DA B LON (Le Père Claude) Jéfuite. Récit, qu'il fait d'une Bacchanale Iroquoife , 3 58. £>rf«/^desSauvages&leurChant. Cequec'eft , 84. Danfe du Calumet, 2.9 y. & fuiv. Danfe de la Découver- te, 297. Danfe du Bœuf & autres, 298-99. Dantzk. Le Caftoreum de Dant- zic eft le plus eftimé de tous, 98. Duvion. ( M.jEccléfîaftique,Mif- fionnaire aux Tonicas , fort aimé des Sauvages , qui veulent même le choifir pour leur Chef; mais il ne peut perfuader à aucun de fe faire Chrétien , 431. Il eft chaflTé pour avoir brûlé leur Temple. Il eft rap- pelle , 43 3 . Il fe retire , ôc pourquoi , Dauphine. Situation & defcription dz l'Ifle Dauphine , 480. Debeaubois. (Le Père Nicolas-Igna- ce) Jéfuite, Curé des François aux &af#afqujas , 394. Déclinaison. Obfervation fur la dé- clinaifon de la Boudble, depuis les Ports de France jufques bien avanc dans le Canada, 68. Delille. M. Delille s'eft trompé fur la hauteur du Sault de Niagara , 233. Déluge. Le Père de Acofta croie que le Déluge , dûnt la tradition s'eft conièrvée en Amérique, n'eft pas le Déluge Univerfel , 8. Laët penfe le contraire, 9. Si l'Amérique avoir eu des Habitans avant le Déluge, 24. Traces du Déluge en Amérique, 28. Notion du Déluge communef4 tous les Peuples. Déluge particulier à l'Amérique, 345-. Ce n'eft point ce Dernier, que regarde la tradition des Sauvages , 396". Denys. (M.) Voyez, la Lifté & l'E- xamen des Auteurs. Son Traité de la Pêche des Morues. Ce qu'il dit du Grand Banc, 48. Il prétend qu'on n'a jamais trouvé moins de vinteinq bralïès d'eau fur le grand Banc, ôc s'eft trompé , 49. Il dit qu'il a vu •faire de très - beau Sel en Canada ; mais qu'on n'a pas voulu continuer, 55. Son fyftême pour la Pêche en Acadie, y 3. 54. Ce qu'il dit des Loups Marins de l'Acadie, 144. Ce qu'il dit des Corbeaux de l'Acadie , 1 j5.Sonfentiment fur la fonte des Neiges critiqué. 167. Désertions fréquentes à la Louyfia- ne , 482. Détroit. L'entre-deux du Lac Erié & du I ac Hurcm. Sa fituation, fon étendue , fa defcription ,2^6. &fuiv. Objections contre l'Etabliflement du Détroit, ôc les réponfes, 257. Ses Simples, ôc fes autres productions , 26V <>4' Les airs de vent, que coure le Détroit , beauté du Pays. , 277. Diego. (Dom) Cacique des Sau- vages des Martyrs, rend vifire aux François avec fa Femme. Son Equi- page. Il refufe des Guides pour allée à £aint Auguftin, ôc pourquoi. Il re- parlé DES MA paflë Dom Antonio pour s'être eny- vré. Son abftinence, 4(37-68. Opi- nion, que les Efpagnols avoient de lui 474- Diodore de Sicile. Il prétend que les Indiens n'ont jamais envoyé de Colonie hors de chez eux, i$. Ce qu'il dit des navigations des Phéni- ciens , 28. Dorades. Obfervation fur cePoif- fon , 49 5-9^ Dragon. Lefcarbot entend par le Dragon , qui gardoit les Pommes d'or des Hefpérides , les diffetens Se dangereux Détroits , qui ferpentent autour des Antilles , 11. ECLIPSES. Idée des Sauvages fur les Eclipfes, 400. Ecureuils. Trois efpéces d'Ecureuils en Canada -, leur defcriprion, 134. Egyptiens. Le Père Knker a cru qu'ils avoient feuls peuplé l'Amé- rique , 4. Elien. On croit trouver dans cet Auteur quelques vertiges de la con- noiffance de l'Amérique. 10. Engages. Pourquoi il ert: plus à propos d'envoyer des Engagés dans nos Colonies, que des Nègres, 41 ç. Enrollement. En quoi il confifte pour les Sauvages , à quoi il les en- gage , m--m 217-18. Enfeignes. Defcription des Enfei- gnes des Sauvages , 222. Epinette. Sapin de Canada. Il y en a de deux efpeces. Laquelle fournit la Térébenthine, ou Baume blanc du Canada, 160. Ses qualités, 161. Equipage de l'Adours'enyvre après le naufrage, Se fe mutine , 463. Il fe divife, une partie veut aller à la Ha- vane, l'autre à faint Auguftin. Ces derniers fe repentent de n'avoir pas fuivi les Premiers, 468-69. Ils veu- lent abfolumenr aller à la Havane, Tome III. T I E R E S. yij Se ce qui les fait changer de fenti- ment. Ils tombent danslede(efpoir, Se pourquoi. L'Auteur en profite pour les obliger à s'approcher des Sacremens, 470. Danger, qu ils cou- rent. Une partie fe joint à des Efpa- gnols , 472. Equipage Efpagnol man- gé par les Sauvages de la Floride, 474. Un feul Matelot de l'Adour meurt en arrivant au Biloxi, 480. Erable. De l'eau Si du fucre d'Era- ble, 1 2 j.& fuiv. Erable mâle Se Era- ble femelle , 161. Erie". Defcription du Lac Erié : d'où vient ce nom , Se ce qu'il figni- fi'e. 2.ç 5. Eskimaux. Sauvages du Nord de l'Amérique, n'ont rien de commun avec ceux du Canada , 30. 41. Leur caractère , leur manière de fe vêtir , leur langue, leur origine, 178. & fuiv. Efpadons. Figure de ce Poiflon , fon combat contre la Baleine. Il s'en trouve beaucoup dans les Mers du Canada , 54. Efpagnols. Leurs idées fur les Hef- pérides, 3. Pourquoi ils avoient in- venté la fable du Pilote, qui avoit laiffé des Mémoires à Chriftophe Co- lomb pour la découverte du Nou- veau Monde, Se celle des Indiens envoyés par le Roi des Suéves à Mé- telius Celer, 9. Pourquoi on attri- buoit auxEfpagnols Se aux François une Prophétie d'Abdias , 9. Laè't croit que plusieurs Efpagnols inquié- tés par les Carthaginois & les Ro- mains, ont paffé en Amérique, 20. Us ont détruit les plus beaux monu- mens anciens de l'Amérique , 24. Hiftoire d'une Efpagnole de la Flo- ride transférée en Tartaiïe ,31. Des Efpagnols détruifenr deux Villages d'Odtotatas. Us font furpris Se mafTa- crés par lesHabitans d'un troisième. D'où ilsvenoient, & quel étoit leuc defTein, 293. Comment un de leurs Aumôniers fe tire des mains des Ttc 5i4 T A B Miflburites, 293-94- On croit qu'il y a des Efpagnols au haut du Miflou- ri , 397. Ils ont tort d'être jaloux de notre Erabluîement fur le Miciflipi , Ôc pourquoi , 408. Ufage , qu'ils font de l'Apalachine, 449- ^qui ils l'ont appris , 450. Ils ont intérêt à ne point nous inquiéter dans la Louyfiane , & pourquoi. Ils fe faififlent de la Baye faint Bernard, ôc nous y pré- viennent, 45 2. Les Sauvages des Martyrs fe difent Amis des Efpa- gnols ,461. Des Efpagnols , qui avoient fait naufrage, font rencon- trés par l'Equipage de l'Adour , uti- lité de cette rencontre , 47 } - 7*« Quelques François vont les joindre , 471. Ils font chalfés de faint Marc d'Apalache, 47 5-lls s'y rétablirent, & projettent d'y faire un grand Eta- blilTement. Tout un Equipage d'Ef- pagnols, qui avoient fait naufrage à la Côte de la Floride , eft mangé par les Sauvages, 474. En quel état ils font à la Baye de faint Jofeph, 477. & fuiv, Ejprits , ou Génies tutélaires. Idée des Sauvages fur les Efprits. Des bons & des mauvais Génies. Dispo- sitions requifes pour avoir un Génie îutélaire. Pourquoi on en change quelquefois. Tout dans la nature a fon génie tutélaire félon les Sauva- ges, 54 s ■ &fuiv. Les Sauvages croient qu'ils ont tous leurs Génies tuté- laires , } 5 3 . Des mauvais Génies , & qui font ceux , qui ont commerce avec eux, . . 5 59-60. Efiotiland. Pays imaginaire, dont les deux Frères Zanis ont publié des merveilles , Ôc qui a difparu : Gro- tius y fait paflèr les Norvégiens pour aller en Amérique, 12-15.- Efturgeon. Defcription de ce Poif- fon, qui fe pêche en Canada fur les côtes de la Mer , ôc dans l'eau douce. Manière de le pêcher. Deux efpéces d'Efturgeons , 1 5 3 ~ 5 4* Efurgny, Coquillage , fa vertu , L E où il fe trouve > 209» Ethiopiens. S'ils ont peuplé l'Yu- catan , 12, 1 3-16, 19. Etienne. (Robert) a cru que ce- toit dans l'Amérique, que Salomon envoyoit fes Flottes chercher de l'or, 2> THAMINE» La grande & la pe- _£ tite Famine. Rivières , leur fi- tuation , 205. Anfe à la Famine. Defcription du Pays , d'où lui vient ce nom , 206.. Farine froide. Ce que c'eft, & fon ufage, 352. Femmes fauvages. Leur emploi à la Cha(Te,2or . Elles ont la voix fort bel- les jo.La dignité deCheffe perpétue parmi les Huions dans la ligne Fé- minine, 267. Si elleeftéreinte,c'efi: la plus noble Femme, qui choifit le Chef. Les Femmes nomment les Confeillers du Chef, 268. A quoi fe réduit , ôc en quoi confifte leur autorité , 269. Condition dure des Femmes > ôc le mépris, où elles font parmi les Sauvages , 286-87. Elles accouchent facilement, ce qui s'ob- ferve devant ôc après leurs couches, 288. Les Femmes Sauvages font fore la fcives ,305. Pourquoi elies ne font point fécondes, 304. Ornement des Femmes , 329. Leurs occupations , 330. Leurs ouvrages, 333. Les Fem- mes Sauvages font celles, qui fe mê- lent le plus de fortileges , 360. Femme-Chef des Natchez , ce que c'eft , fes droits , honneurs , qu'on lui rend pendant fa vie , ôc après fa mort , 420. & fuiv. Feftins. Dans les Feftins d'appa- reil , celui , qui en fait les honneursj ne touche à rien ,218. Feftins pour les Morts y ôc pour les Funérailles 9 372. &ftiiva. Fête des Morts , ou Fejtin des Ames. Sa defcription , 3.77. & fuiv D E S M A Feu. La Religion du Feu fort an- cienne dans les Indes , & dans l'A- mérique , zf. Danfe du Feu. Secret pour s'empêcher detre brûlé en tou- chant du feu , ii<.).& fuiv. La Reli- gion du feu établie dans toute la Louyfiane , 429. F évier. Arbre , qui porte des Fè- ves, qu'on n'a jamais pu faire cuire, Fil. Comment les Femmes Illi- noifes rirent des nerfs de Chevreuil un fil aufli beau & plus fort que le £1 de Malines , 395. Fier. Poilîon , diminutif du Flet- tan, 54. Flettan. Defcriprion & bonté de ce PoifTon , qui fe trouve en quan- tité dans la Mer du Canada, 54-55. Floride. Defcription de la Côte , 470-71* Fontaines. Deux Fontaines fingu- lieres auprès de l'Ohio , 224. Fontenay ( le Chevalier de. ) Ca- pitaine de VaifTeau , prévient l'Au- teur, & le mené fur fon Bord, 497. Son éloge, 498 Sa mort, 499. Forbans. Les Anglois leur font une plus cruelle guerre, que les autres , & en font plus haïs. Comment ils les font tomber dans le piège , 500. . Forêts. Beauté des Forêts de la Louyfiane : Arbres , qu'on y trouve, Forts bâtis dans les Habitations, en quoi ils confiftoient , pourquoi leslroquoisnelesattaquoientpoint, 124. Fojfe. Ce que c'eft que la Folle fur le grand Banc , 49. Foucaut ( M. ) Eccléfiaftique , tué par des Sauvages dans la Louyfiane, 431- Fouines. Plufieursefpéces de Foui- nes en Canada , 155-54. Fourche. On appelle la Fourche , le Confinant de la Rivière des Illi- nois & du Theakiki , 380. Francifquains. Un Père Francif- T I E R E S. 5M quain rend un grand fervice aux François à faint Marc d'Apa'lache , & fait politefïe à l'Auteur, 474-75. Deux autres logent l'Auteur chez eux à la Baye faint Jofeph , 477. _ François. Ils fe font laiifé préve- nir en Terre-neuve par les Anglois: fautes,qu'ilsont fait enAcadiej&en Canada, au fujet des Pelleteries , 87. & fuiv. Ce qui a fait périr un grand nombre de jeunes Gens en Canada, 89. Seul moyen de f ranci fer les Sauvages , 90. Voyez, Coureurs de Bois. Comment un François pris par les Outagamis évite le feu , 583. Deux François fe joignent à l'Auteur , ce que leur dit le Chef Illinois de Pimiteoui à ce fujer , 386- 88. Les François établis aux Illinois font à leur aife , 394. Peuples ref- femblans aux François , fort éloi- gnés à l'Occident du Miciffipi, 397. Comment dans les marques des Guerriers les François font repré- fentés , & pourquoi , 408. Deux François font tués par des Chica- chas, ôc comment ils furent furpris, 408-09. Abandon , où l'Auteur les trouve aux Natchez , &c dans toute la Louyfiane , 431-32. Plufieurs François déferrent de la Louyfiane, 477. 482. Plufieurs confpirent d'en- lever un Brigantin Efpagnol. Ce qui fait échouer ce delîèin , 482-83. Ftefne. Sucre de Frefne fort efti- mé , 123. Trois efpéces de Frefnes, 162. Friflande. On ne fçait bien ce que c'eftquecePays. Il ne faut pas croire tout ce qu'en ont dit les deux Frères Zanis, Nobles Vénitiens ; Jean de Laët croit qu'il fait partie duGroen- land , ou de l'Iflande , ij. Frifons. Auteurs, qui ont dit , que les premiers Habitans du Pérou , ÔC du Chili étoient Frifons , 4. Froid. Durée & rigueur du froid en Canada, 165. & fuiv. Quelles en peuvent être les caufes , 177. & fuiv. Tttij ;rff TA B Froid extrême & extraordinaire dans laLoayfiane, _ 404-406. & fuiv. Froment. Il vient fort bien aux Il- linois , 394- 4°5- Pourquoi- il ne vient pas iî bien en d'autres endroits de la Louyfiane , 6V comment on y peut remédier , 40J-06. 446. Frontenac. Lac & Fort de Fronte- nac. Voyez Catarocoui , &c Ontario , Funérailles. En quoi elles con Ci f- tent parmi les Sauvages , 373. & f. Parmi les Natchez , 410, & Juiv. G ALERTE (U ) Anfe du Fleuve faint Laurent, fa fituation. Lieu ' propre pour un Fort , 191. G allions. Naufrage des Gallions d'Efpagne, _ 4f8. Galots. Les Gaîots , rapide , 193. Jfte aux Galots , fa fituation , ■ ioy. Ganos. Lieu fitué fur l'Oliio , ce qu'on y trouve de fingulier , 214. Garcia ( le P. Gregorio.) Domini- quain Efpagnol ; fon fentiment fur l'origine des Amériquains , y. Gafpe', ou Gacbepé. Baye cV. Cap. Sa fituation , 61. Gau. L'eftomach d'une Morue, ce qu'il a de particulier 3 p. Gaulois. Paul Jcve a imaginé' qu'ils defcendoientdesMexiquains; Poltel a cru qu'ils avoient envoyé des Colonies en Amérique , 4. Ge'ants. On ne doit rien conclure des Géants,qu'on a vus dans l'Amé- rique , par rapport à l'origine des Amériquains , 27. Génebrard donne dans les Idées d'Arias Montanus fur le nouveau Monde , ?• Gin- S 'eng. Cette racine eft auâî bonne en Canada , qu'en Corée, cV. pourquoi. Où elle fe trouve. Idée, qu'en ont les Sauvages, nom qu'ils lui donnent, 3 15. &fuiv. Voyez la Defcription des Plantes. Giros ( D. Pierre Ferdinand, ) Ses L E découvertes dans la Terre Aufcrale^ 22.» Glaces énormes. Danger , qu'elles font courir fur Mer , y 8. Goberge, ou Poiffon S. Pierre. Def- cription de ce Poiflon. Pourquoi on le nomme Poilïbn S. Pierre , 1 Ç2„ Gomara. Auteur Efpagnol , fait defeendre les Amériquains des Ca- nanéens chattes de la Paleftine par Jofué , 4. En quel tems il die , que lesChichimaquas s'établilfent fur le Lac de Mexico, • 18. Goufre. Vis-à-vis l'Ifle aux Cou- dres;à quelle occafion il a paru, 660 Autre fur le Miciflîpi , 414. Goyogouins. Baye des Goyogouins,, fa defcription , 214. Grains & Légumes. Qui font ceux, que les Sauvages cultivent , & quel ufage ils en font , 3 30. & jitiv. Grellon ( le PereJ Jéfuire, ce qu'il dit d'une Huronne tranfportée en Tartarie , 30= Groenland. Grotius fait palTèr les Norvégiens parle Groenland, pour aller en Amérique , iz. Idée , que Jean de Laët donne de ce Pays, 14- iy. Laët convient , que le Groen- land avoitété peuplé par les Norvé- giens. En quel rems ce Pays a com- mencé à être peuplé , 18. Il paroîc que les Eftcimaux en font originai- res, 179, Grotius ( Hugues. ) Son fentimenr fur l'origine des Amériquains : fias démêlés à ce fu jet avec Jean de Lacs, il. & fuiv. Grues. Deux efpéces de Grues en Canada , leur defcription , 1 y£„ Guarigues.ECpéce de Champignons qui croifïenr fur les Pins blancs.; leur ufage dans la Médecine des Sauvages.,. 160. Guella (François) Efpagnol, croie qu'il y a communication par Terre entre l'Afie & l'Amérique , & fur quoi il fe fonde, 31, Guerre, Comment les Guerres, en*. DES MA tre les Sauvages ont dépeuplé le Ca- nada , 203. Manière de chanter la Guerre , 207. De la déclaration de la Guerre , 208. & fuiv. Des prépa- ratifs ,210. Des motifs, qui la font entreprendrez 1 y. & juiv. Des pré- paratifs du Chef, 216. & fuiv. Com- ment on y prépare les Guerriers, en leur faifant toutes fortes d'avanies , ôc quel eft le principe des Sauvages fur cela , 218-19. Adieu des Guer- riers , 22 1. Leur marche, leur cam- pement , leur confiance préfomp- tueufe : leur attaque , leur retraire : manière , dont ils en ufent avec leurs Prifonniers : leur arrivée à leur Village. Manière , dont ils inftrui- fent le Public de leur Vi&oire, 136. & fuiv. Leurs Guerres font éternel- les , 25-1. Quelques circonftances touchant la Guerre parmi lesSauva- ges Occidentaux , 382. & fuiv. De quelle manière les Natchez font la Guerre, n^.&fuiv. Guigues ( le Sr ) Fermier du Caf- tor. De quoi il s'avife pour faciliter laconfommation de cette Pelleterie, dont il éroït furchargé , 99 100. Guimonneau ( le P. ) Millionnaire aux Illinois , 394. Guinée. Nouvelle Guinée , crue une Ifle, reconnue Continent , 22. H H ABIT ANS. Pourquoi les Ha- bitans font plus à leur aife en Canada v que les Seigneurs, 108-09. Hnr.conius. Son fentiment fur les premiers Habitans du Pérou 8c du Chili, 4. Havane. La Havane , Ville de l'Ille. de Cuba. Sa fituation , 4^8. Defcription du Port 8c de la Ville. Le Gouverneur refufe d'y recevoir la Bel Ion e. L'Auteur y rencontre des François de l'Adour , 486-87. Havvhins ( le Chevalier Richard ) prétend avoir vérifié , que la Nou- 5*7 T I E R. E S. velle Guinée eft une Ifle, 22 Hébreux. Voyez Ifr délites. Le P. de Acofta ne croit point que les Amé- riquains en defeendent : fes preu- ves , 7. Rapports entr'eux & les Sauvages, 349-5°- Hennepin ( le P. Louis ) Récoller. Voyez l'Hiftoire & la Lifte des Au- teurs. Il s'eft trompé fur la hauteur du Sault de Niagara , 233. Herbe à la Puce. Ses effets s 16;. Hercules. Colomnes d'Hercules. BudbecK les place dans le Nord, 3. Hère ( le Chevalier d' ) Capitaine de Vaifleau , évite le naufrage , fans pouvoir le faire éviter aux Gallions Efpagnols, 4^.. Hermine. Defcription de l'Hermi- ne du Canada , 1 34, Herrera ( Antoine de. ) En quel rems il dit que lesChichimeques s'é- tablirent fur le Lac du Mexico , 18. Hefperides. Idées des Efpagnols fur ces Mes, 3. BudbecK les place dans le Nord , ibld. Hefperus. Idées des Efpagnols fur ce prétendu Roi , 3,. Hêtres. Abondans en Canada : à quoi ils font bons , i<$2. Hollandois. Ils donnent des Armes à feu aux Iroquois ,-& par là met- tent les François dans la nécefliré d'en donner auflî à leurs Alliés, 222. Hontan ( le Baron de la. ) Pb/ez, VHiftoire & U Lifte des Auteurs. Faufleré , qu'il avance au fujet du grand Autel de l'Eglife des Jéfui- res , 76. Réfutation de ce qu'il die des Femmes de Montréal, 142. Il paroît n'avoir point vu le Sault de Niagara ,233-34- C'eft une fable , que ce qu'il dir de l'exaétitude des Sauvages à accorder les années So- laires avec les Lunaires , 402, Hornn (Georges de ) Hollandois* Son fentiment fur l'origine des Améiiquains , 24. & fuiv. Ho fpit altères. Defcription de leur Hôpital à Québec, 76, 8c del'Hô* 5i8 T A B pital Général , 77. Différence entre les Religieufes de ces deux Mai- fons , 77. Hôpital des Trois Ri- vières , par qui fondé , par qui def- fervi, II?- Hougue. Fort Efpagnol dans l'ifle de Cuba , fa fîtuation , 458. Huarts. Efpéce de Cormorants. Son cri ,& ce qu'il préfage , 193. Hubert ( M. ) Commiflaire- Or- donnateur de la Louyfiane, vend fa Conceflion des Natchez , 41 ç. Amitiés , qu'on lui fait à la Baye de faint Jofcph. Sa Fille y eft baptifée avec grand appareil , 478. Hudfon. Baye d'Hudfon. Voyez, l'Hftoire. Peuples,quiy font leCom- merce, \2o.& fuiv. Huîtres. Manière de les pêcher en Acadie, 151-52; Huitres de deux fortes fur la Côce de la Floride, 47 1. 47 j . 476. Huns. Sentiment & contradiction de Georges de Hornn au fujet des Huns, 19-30. Hurons. Nation Sauvage du Ca- nada. Huronne tranfportée en Tar- tavie , 30-31. Idée de Georges de Hornn furl'originede ces Sauvages , 32. Ferveur des Huions de la Lo- rette , 81. & fuiv. Les Hurons plus naturellement portés, que les autres Sauvages, à la fierté & à l'indépen- dance, 83. De la Langue Huronne , 189- Leur génie élevé , noblefle de leur Langue , 196. Les Peuples de la Langue Huronne ont été plus occupés que les autres de la culture des Terres , cV ce qui s'en eft en- fuivi , 198. Us font encore l'ame des Confeils , 1 99. C ''était la feule Na- tion , qui put difputer la préémi- dence aux Algonquins , zoo. Com- ment ils fe font trouvés engagés dans la guerre contre les Iroquois , qui les ont prefque détruits , 202. Maladie extraordinaire d'une Hu- ronne , façon ridicule , dont elle fe guérit, 230. & fuiv. Village des L E Huions au Détroit , 256. Ils y aflîf- tent à un Confeil. Leur Orateur porte la parole félon la Coutume , 157. & fuiv. Sans eux les autres Sau- vages y mouroient de faim. Leur ef- prit intéreiTé. Les Matrones fe plai- gnent de ce qu'on empêche , qu'on ne leur donne un Millionnaire , 260. Comment la Nation eft divi- fée en Tribus , 266. La dignité de Chef y eft héréditaire dans la ligne féminine , 267. Comment ils pu- niiîoient l'aiTaflinat , 274. & le vol , auquel ils étoient fort fujets, 276. Les Mariages ne font point ftables parmi eux , 284. En quoi ils furpaf- fent les autres Sauvages, 305. 309. Ils étoient autrefois fort lafcifs,3i<î. Eftime , qu'ils ont toujours faire de la continence, 350. Leur Tradition fur la première Femme. Leur idée fur les Eclipfes , 399-400. Les Hu- rons ne fe rendent pas les Efclaves de leurs Chefs 3 comme font les Natchez, 4 1 9. Hyver. Rigueur & durée de l'Hy- ver en Canada , 164. & fuiv. /ACQUET. Le Banc Jacquet , ce que c'eft , 49. Jaloufie. Les Sauvages des deux fexes y font fort fujets , 285. Jberville (M. le Moine d'.) Il décou- vre un pafTage fur 8c commode ■■> 66. Eloge de cet Officier ; eftime , qu'en faifoient les Canadiens , 174. Il trace le Plan d'une Ville aux Nat- chez. Quel nom iMui défîgne, 414. Il deftine un Millionnaire aux Nat- chez , 43 1. Jeremie ( le fleur. ) Voyez, la Lifte & l'Examen des Auteurs , & les deux précédens Volumes : ce qu'il dit des Caribous , 1 30. & des Bœufs muf- qnés , M2* Je'fuites. Defcription de leur Col- lège de Québec, 75. & fuiv. Ils con- D E S M A duifent leurs Sauvages des Trois Ri- vières au Cap de la Magdeleine. Un Jéfuite eft établi Millionnaire à Che- coutimi ,1.4- Pourquoi , & com- ment ils ont formé la Bourgade du Sault faint Louis,- 175. & fuiv. Dan- gers, qu'ils couroient parmi les Iro- quois ,251. Danger, que coururent deux Jéiuites dans une Bacchanale Iroquoife , 3 f 7. & fuiv. Jeu. Jeu du Plat, ou des Oflèlers, en quoi il confifte , à quel point il inrérefle les Sauvages , 160. & fuiv. Jeu des Pailles , de la Crofle , Se au- tres chea les Miamis ,518. & fuiv. Jeux pour les Funérailles , 373. Jeu du Truc parmi les Tonicas , . 43?- Jeune, (le P. Paul le ) Jéfuite , fa Relation d'unhyvernement des Sau- vages 3 3 3 5 . & fuiv. Jeûne. En quoi confifte le jeûne des Sauvages, 115. Quelques uns le poulîènt fort loin , 300. Les jeû- nes des Sauvages font un exercice de Religion, 346-48. Illinois. Nation Sauvage. Voyez, VHiftoire. Elle paroît avoir la même origine , que la Miamife , 188. Ils défont un grand nombre d'Otcha- gras , 2.92. Corruption de leurs mœurs. Ils ont corrompu les Iro- quois , 303. Mépris , où ils font parmi les autres Sauvages , 307. Leurs maléfices , 360. Ils font habi- les & hardis voleurs , 384. Action entre les Illinois & les Outagamis. Chaque Parti fait un Prifonnier. Ce- lui des Illinois fe dit Illinois , n'eft point cru » & il eft brûlé ,385. Un Parti d'Illinois revient à Pimiteoui. Caractère de leur Chef. Miracle ar- rivé en fa perfonne ; ce qui fe paffà entre l'Auteur & lui , 386. & fuiv. Il prie l'Auteur de baptifer fa Fille, & il fe convertit , 389. Deux Villa- ges Illinois près du Micilîîpi. Leur commerce avec les François. Indus- trie des Femmes Illinoifes, 394-95. T I E R E S. 519 On prétend que les Illinois font ori- ginaires du Voifinage de la Mer. Leurs différentes Tribus, 398. Avan- tages du Pofte des Illinois , 401. & fuiv. Attachement de ces Sauvages pour les François, 403. Marques des Illinois après une expédition heureufe contre les Chicachas. No- tre Alliance avec eux nous a attiré les Chicachas, 408. Iïicas. Grotius prétend que le pre- mier des Incas du Pérou étoit Chi- nois , 17. Indigo. Il croît naturellement dans la Louyfïane ,416. Ce qui fait périr quantité de ces Plantes dans l'Ifle Efpagnole, 49 r. Joliet fie fieur. ) L'Ifle d'Anticof- ty lui eft conceiée au retour de la découverte du Miciffipi , & on ne lui fait pas un grand préfent, 63. Jonas ( Angrimus. ) Sçavant If- landois ; en quel tems il allure, que le Groenland a commencé d'être peuplé , 1 8. Jongleurs. Leurs charlataneries dans- la préparation & dans l'épreuve des Drogues , qu'ils fonr pour ceux, qui feront blelîés à la Guerre, Z19. & fuiv. Ils fe fervent de Serpens pour leurs preftiges 5 2^. C'eft à eux à régler la marche des Guerriers,2 3 75.. M 7iyTACH0UT/N. Marais. Sa fi- /pX tuation , 391, Macopine. Racine, les propriétés, 39i. Madagascar. Il y a apparence que les Chinois ont envoyé des Colonies dans cette Me, 40. Magddeine. (M. l'Abbé de la) Qui il étoit. Terrein , qu'il concède aux Jéfuires , 114. Cap de la Magdeleine. Les Jéfuites y conduifent les Sauvages des Trois Rivières , qui n'y relient pas lon- tems , 114. ' Maguelon. Une des Ifles de faint Pierre , 59. Mahingans. D'où ces Sauyages fonc venus dans la Million de faint Fran- çois, 121. Ce font les mêmes que les Loups. Leur ancienne habitation , 370. Maiz,. Differens ufàges , qu'en DES M font les Sauvages ôc les François , 3 3 1 . & jttiv. Pourdégraifler les Ter- res trop grades , on peut y femer du Maïz } 40 5 . Maladies. Nature des Maladies félon les Iroquois , 369. Maléfice. Crime irremiflîble par- mi les Sauvages, ôc comment ils le puniflbient , 274-7$. En quoi ils conllitent chez quelques Nations. Les Jongleurs setudient à les rendre inutiles , 360. Malbomines. Nation Sauvage , au- trement dits les Folles Avoines. Son Pays propre , 1 88. Ces Sauvages font bien faits, ont un langage myfté- ricux, ôc paflent pour un peu Sor- ciers, 291. Mal-nommée. Plante de l'Ifle £f- pagnole , ennemie de l'Indigo , 494. Mango-Capa. Le Premier des Incas du Pérou. Grotius croit (ans fonde- ment qu'il écoit Chinois , 17. Manicouagan. Batture ôc Rivière dangereufe pour les Vaifleaux. Au- tre nom de la Rivière , 64. Manitouolin. lfle du Lac Huron , 187. Manitous. Ce que c'eft. Attention des Sauvages à les.porterà la guerre, 213. Honneurs , qu'ils leur rendent , & confiance , qu'ils ont en eux , %^6.&{uiu. En quelles occafions on s'adrefle à eux, ôc pourquoi, 145. Difpofitions requifes pour avoir un Manitou , ou un Génie tutélaire. Manitous plus ou moins puiflans. On confond le Manitou avec fon fym- bole. On en change quelquefois, ôc pourquoi, 147-48. Marais. Le grand Marais, ce que c'eft, fa fituation , 22$. Marameg. Rivière , fa fituation. Ses Mines prétendues , 393. £?* fuiv. Marbre. Fort commun à Tadouf- fac , 65. Efpece de Marbre daus le Pays des Aïouez , 211. Marées. Où elles commencent à être fortes dans le Fleuve faint Lau- ATIERES. f23 rent , 64. Obfervations fur les Ma- rées du Fleuve ôc duGolphede fainr Laurent, 6j.V fuiv. Efpéce de flux ôc de reflux momentanés dans les Lacs, ôc d'où cela peut venir, 106. Marées vers Penfacole, 27Ç-76. Mariage des Sauvages , 283. & f. Marie. La Mère Marie de l'Incar- nation , Urfuline. Danger, qu'elle courut en allant en Canada pat la rencontre d'une glace énorme, j8. Marinœus. Auteur Sicilien : fur quoi il s'eft imaginé que les Romains a voient envoyé une Colonie en Amé- rique , 4. Marquette. (Le Père Jofeph) Jé- fuite. Foyexj l Hftoire cr la Lifte des Auteurs. Ce qu'il dit d'une Rivière, qui fort du Lac des Aflïniboils, i8f. D'où eft venu le nom de Rivhre du Père Marquette. Mort de ce Million- naire, ôc l'idée, que l'on a de fa fainteté , 313-14. Marsbal. Interlope Anglois , au Biloxi. On l'oblige às'éloigner à l'ar- rivée des Efpagnols, 481. Il eft pris & conduit à la Havane, 487. Marfon. (Monfieur ôc Madame de) Prédiétion finguliere d'une Sauva- gerie à leur égard , 161. Marfouins de deux efpéces. Leur defeription. Avantages , qu'on en peut tirer, 147. Ce qui a fait dis- continuer la Pêche des Marfouins blancs au-deflbus de Québec , 1 48. Martres. Particularités touchant ces Animaux. Obfervation des Sau- vages à leur fujet , 134. Martyr. D. Pierre Martyr d'An- glerie, fon fentiment fur l'origine des Peuples de l'Yucatan , 1 3. Jean de Laët réfute fes preuves , 16. Martyrs. Ifles de la Floride. L'Au- teur y débarque après fon naufrage: Il y trouve des Sauvages, 461-61. Defeription de ces Ifles , 466. Ce qui y retient les Sauvages , 467. Mafcoutins. Nation fauvage.^e* l'Hiftoire. Son Pays propre. Mal-à- Vuu i; V4 T A B propos nommés Nation du Feu, 1 88. Us ont eu un Village fur la Rivière defainrjofeph, 3 }6i Mafquinonge. Poiflon. Sa defcrip- tion , i i i • Matance. Le Pain de Marance , ce que c'eft. Sa îiruation , 458.Defciip- tion de certeBaye. Efforts inutilesdu Capitaine de la Bellone pour y être reçu, 487-88. Matanes. Mamelles de Matanes , Montagne à deux têtes , 64. Mateomek. Divinité des Sauvages, 544- Maubiliens. Sauvages de la Louy- fiane. Ils avoient une efpéce de Pri- matie parmi les autres par rapport à la Religion , 429. Ils étoient trcs- puiftans du tems de Ferdinand de Soto; préfenrement i!s font prefque réduits à rien , 452. Fort de UMau- b'tle. De quelle importance il eft de le conferver. Pourquoi les Habitans veulent quitter cerce Rivière. Car- rière au-delïus du Fort -, 451-^1. Mauville. Bourgade , dont parle Garcilaiïb de la Vega, (nuée au mê- me endroit, où eft préfentement le Fort de la Maubile, 452. Médecine. Comment les Sauvages l'exercent, de leurs principes, 364. & fuiv. Médecine de la guerre par- mi les Natchez , ce que c'eft , 42 , . Medoc. Fils du Prince de Galles. Hiftoire de fon paftage en Améri- que, 20. Melons. Deux fortes de Melons en Canada , 164. Mercier. ( M. le) Eccléfîaftique Canadien , Millionnaire aux Illinois. Son éloge, 392-?3» Mérifier. Sucre de Mérifier ,125. Il ne perd point fon amerrume. A quoi eft bon le bois de cet Arbre , 161. Merluche. Ce que c'eft , 53. Mcffou, ou Sakescbak- Repare le Monde, félon les Sauvages } après le déluge, 399, L E Metchigamias. Nation fauvage de la Louyfiane, adoptée par les Kaf- Kafquias, & confondue avec eux » 398 99, Metellus Celer. FaufTe Hiftoire de Pline de quelques Indiens envoyés à ce Romain par le Roi des Sueves, 6. Pourquoi les Efpagnols ont fait valoir cette table , 9. Mexico. Les Mexiquains, lorfqu'ils s'établirent au Mexique, trouvèrent plufieurs Nations Barbares autour du Lac Mexico, 15, Mexiquains. Ils trouvèrent en ar- rivant au Lac Mexico plusieurs Na- tions Barbares, qui y étoient établies, dont ils n'entendoient point la lan- gue, & qu'ils aflu jetaient, 1 5. Pour- quoi ils donnèrent à Cottez le nom de Fils du Soleil, 17. Leur tradir tion fur les Peuples, qu'ils trouvè- rent fur les bords du Lac deMexicok Quand ils fondèrent leur Empire : d'où ils venorent, 18. Les premiers Mexiquains étoient moins policés, que les Fondateurs de l'Empire da Pérou , 33. Miamis. Nation fauvage. Voyez, V Hiftoire. Lieux , où elle rende. Elle paroît avoir une origine communs avec les Illinois, 18S. Manière, dont ces Sauvages fe préparent à la guer- re, 220. Comment ils traitent leurs Femmes fugitives, 284. Village de Miamis à la Rivière defaint Jofeph, J12-16. Comment leur Chef reçoit l'Auteur, 318. Jeux en ufage parmi ces Sauvages , 318. & fuiv. Ils rap- portent de l'Eau- de-vie de chez les Anglois, & ce qui en arrive, 320. Fort des Miamis, ce que c'eft : fa fï- tuation, 38 1. Ces Sauvages font ori- ginaires des bords de la Mer, 398. , Michabou, ou le Dieu des Eaux , fuivanr quelques Sauvages. Ouvra- ges , qu'ils lui attribuent, 281. & fuiv. Son Tombeau, 283. Autres noms, qu'on lui donne; pouvoir, qu'on lui attribue. Comment on dit DES MA qu'il forma le Monde & les Hom- mes. Contradiction des Sauvages à fon fujet , 344. Micbigan. Le Lac Michigan. Sa Si- tuation, mal à- propos nommé Lac des Illinois, 1 87. Il n'a point confer- vé le nom d'Orléans* qu'on lui avoir donné, 253. Ce Lac &c la Baye, qui s'y déchargent, reçoivent beaucoup de Rivières,, dont la plupart font foie grandes. Ce qu'elles y produisent , 302. Singularité fur les Rivières , qui fe déchargent dans le Lac Michi- gan , du côté de l'Elt , 313. Micbillimaklnac. Defcription ôc fîtuation de ce Pofte. Son utilité pour le commerce , 279-80, Ille de Michillimaicinac, 2Sr. Sauvages de ce nom., détruits à ce qu'on croir, par les Iroquois , 282. Micijjipi. Sa jonction avec le Mif- fourij 392. CeFleuveeft peu connu au defTus du Sault faint Antoine, 398. Le Miciffipi gelé extraoïdinai- rement. Difficulté de naviger fur ce Fleuve , 404. Profondeur de ce Fleu- ve , 409. Ce Fleuve fe jette beau- coup du côté deTElt, 454. Etat, où e(î ce Fleuve au deiïbus de la Nou- velle Orléans. Changemens,qui s'y font faits depuis quarante ans , & qui en effc la caufe , 440. Des Palfes ou Embouchures du Miciffipi: leurs incommodités , le moyen d'y remé- dier , 441. & fuiv. Comment on pourroit creufer la principale de tou- tes, 444. Largeur du Fleuve , 44c. Difficulté d'y naviger,44 12. T I E R E S. 515 Milles Ifles. Leur fîtuation , 1 9 y. Mines de Fer aux environs des «Trois Rivières ,113. Des Mines de la Louyfiane, & furtout de celles de la Rivière Maramrg. 3 9 j . & fuiv. Mineurs du Roi à la Louyfiane , 39 5; & fuiv. Mines de Plomb fur le Miciffipi , au deffius du Moingona , 397. Sur le Miciffipi, 407. Avis d'u- ne Mine d'argent donné par les Oc- tatas, 48j. Miracle 547- Mifcou ( Ifle. ) Sa fituarion , 61. Particularité d'une Fontaine d'eau douce au large de cette Ifle , 62. Mifjionaires. Leur avis pour peupler le Canada de pioche en proche , 90. Des Miffionnai-res font invités à une Fête , où ils fuppo[ent , qu'il y a de la fuperfl:ition,2 3o. Ilsrefufenr une Couverture bleue, qu'on leur de- mande j & pourquoi , 231. Ils font remarquer la vanité des promefles des Génies, & ce qu'on leur répond, 232. Pourquoi les. Sauvages vou- droient , qu'ils affiftaflènt à leurs Jeux, 161. Mauvaife humeur , & reproche de ces Barbares fur leurs refus, & ce que ceux-ci répondent , 263. Ce qu'ils avoient à fouffik dans les hyvernemens des Sauvages, 3 3)-. & fuiv. Les Millionnaires ont mieux aimé fouffrir avec eux biea des incommodités , que de leur ou- vrir trop les yeux fur les commods- rezdelavie, 359. Les Sauvages fur- pris de voir les Millionnaires pré- dire les Eclipfes , & ce qu'ils en concluent , 401. Millionnaires à ki Louyfiane, & le peu de fruit, qu'ils y font, 43 Ic Mijjifiaguez,. Nation fauvage, dont une partie eft établie à Catarocour, 19 J. Ils chantent la guerre àCataro- coui , 207. Village de Miffifaguez à Niagara, 225. Un Miflifagué danfe & chante avec du feu dans la bou- che , 228-29. Village de ces Sauva- ges dans le Détroit, i-y 5i6 T A B Mijfouri. Sa jonction avec le Mi- Mijfourkes. Peuples habuans fur le Mifïburi. Un.Aumônier E(pagnol leur échape , & comment , 295-94. Sont les meilleurs coureurs des Sau- vages du Canada , 386. Raport d'u- ne Femme iMiiïourite fur la Source du Milïburi. Situation des Miflburi- tes , ces Sauvages voyagent fort loin, 396- Miftaffins. Peuple fauvage des En- virons de la Bayed'Hudfon. Quelle Langue ils parlent , 180. Moingona. Situation & descrip- tion de cette • Rivière , ce qu'on y trouve , 597. H paroît , que les Illi- nois font descendus par cette Ri- vière dans laLouyfiane, parce qu'u- ne Tribu lllinoile en porte le nom. 398. Monnoyes. Leur variation en Ca- nada , mauvais effets que cela a pro- duit , yi.Crfuiv. Monfonis. Peuple fauvage, voifin de la Baye d'Hudfon , quelle Lan- gue ils parlent , _ 180. Morues. Prodigieufe quantité de ces Pbilïons fur le grand Banc , 49. Bonté de ce PoiSTon : ce qu'il y a de meilleur. Sa voracité. Il n'eft pas vrai , qu'il digère le fer. Comment il fe décharge de ce qui l'incommo- de , 52. Ce que c'eft que la Morue verte & la Morue féche. Comment on auroit dû faire la pêche de la Mo- rue en Acadie, f J. Monftre Marin. Un Millionnaire croit en avoir vu un dans la Rivière deSorel, _ M4- Montjoîy. Sa Situation , 61. Mont-Louis. Sa Situation. De quel- le importance il feroit d'y faire un EtablifTement , 61. Montmorency. Sault de Montmo- rency , 70-7 ' • Montréal. Defcription de la Ville & de llfle de Montréal , 1 37. d^ [uïv. L E Mont Notre-Dame , 61. Montagne. Village Iroqnois de la Montagne; d'où lui vient ce nom , 141. Utilité de ce Village , par qui il eft dirigé, 176. Montanus ( Arias. ) Ses idées fur plulieurs endroits du nouveau Mon- de , 2-3. Montigny (le (leur de.) Capitaine François , commandant à la Baye. Son éloge , z^o-^. Réception , que lui font les Sakis , 293. Aloraez ( Emmanuel de. ) Por- tugais. Examen de (on fentiment fur l'origine des Amériquains, 23. Motezuma. Idée plaifante de Georges de Hornn fur ce Prince , 34- Moulm-Baude. Ce que c'eft. Sa Situation , 64. Moulin a Flanchet , auquel des CaStors fourniSTent de l'eau , 103. Moulinet rapide, 193. Mozambique. On y connoiSîoit l'ufage de la BouSTole lontems avant le XV. Siècle , 8. 40. Mûriers. Quantité de Mûriers blancs aux Illinois. Les Fhbitans en bâtifTent leurs mai fons, 39?. Myrthe a Chandelle. ArbriSieau , qui porte une racine , dont on fait de la cire. Qualité de cette cire, 450- j r . Voyez la Lijie des Plantes. N NADOUESSIS,ou Nadouef- fioux. Nom propre des Sioux , 183. Natchez. Sauvages de la Louy- Sîane. Situation Se beauté de leur pays. Ville projettée aux Natchez. Pourquoi on y doit établir la Mé- tropole de la Colonie. ConceSîions, & leur defcription, &c Situation du grand Vilhge des Natchez, 414. & ftiiv. Leur Temple, 417. & fuiv. Ca- ractère de cette Nation, 41 9. &fuiv. Leurs Mœurs , leurs Ufages, leurs D E S M A Mariages , %t$Êk.jwv. Leur ma- nière de fe préparer à la Guerre , & de la faire , 425. & fuiv. De leur Devis , 427. De leurs Traités , Se de la réception des Ambaffadeurs,427. & fuiv. Il n'y a plus que leur Tem- ple, qui fublïftedâns la Louyfiane , 42p. Natchitaches. Sauvages de la Louy- fiane. Voyez, le fécond Tome de l'Hif- toire , leur fituarion , 434. Naufrage. Voyez Adour. Navigation. Preuves que la Navi- gation étoit allez parfaite après le Déluge , pour que l'Amérique ait été peuplée peu de tems après , $8-39. Un des plusgrands dangers de laNa- vigarion pour aller en Canada , y y. Négociations. Habileté des Sauva- ges dans leurs Négociations, 2p. & fuiv. Nègres. Ne deviennent jamais blancs , fous quelque climat qu'ils foient , 19. Les Nègres , qu'on a trouvés dans la Province de Careta en Amérique , y étoient fans doute venus d'ailleurs, 25. Pourquoi il ne faudroit . pas les laitier multiplier dans no%Colonies, . 415. Niagara. Ce que c'eft que la Ri- vière de Niagara , 2 2 % . Idée du pays de Niagara, 227. Defcription de la Catara&e de Niagara , 23 3. & fuiv. Portage de Niagara , 235, Nipijfings font les vrais Algon- quins , 186. Lac Nipifiïng , 187, Voyez, le premier Volume. Origine du Lac Nipiffing félon les Sauvages, Noblefe. D'où il eft arrivé qu'elle eft devenue fort nombreufe en Ca- nada , 172. Noé. Il n'eft pas croyable , félon Lefcarbot , que Noé ait ignoré l'A- mérique , 10. Il n'a point dit, com- me le prétend de Hornn ,que ce Pa- trrarche y foit né , 24. Noir ( le fieur le. ) Commis prin- cipal de la Compagnie d'Occident T I E R E S. y17 aux Natchez, 41 ç. Il vifire avec l'Auteur le Temple des Natchez, & ce qu'il en dit , 4I5?. Noms des Tribus Huronnes , 6c Iroquoifes , & des Chefs , 166-67. De l'impofition des noms & de leurs changemens, 288-89. On ne pro- nonce pas le nom des Morts pen- dant le Deuil , &c fi quelqu'autre le porte , il le quitte, 374-376. Noms des Guerriers parmi les Natchez, 426. Noquets. Nation Sauvage , Baye des Noquets , 88. Origine de ces Sau- vages, 290. Norimbegue. Grotius y fait palfer les Norvégiens pour aller en Améri- que, 12. Nom imaginaire & factice Situation de ce Pays ; nom , que les Naturels lui donnent , 1^. Norvégiens. Grotius prétend qu'ils ont peuplé l'Amérique Septentrio- nale ,fes preuves , 12-13. En quel tems ils ont commencé à peupler l'Iflande , 14. Difficultez , qu'ils auroient eues à palier en Amérique. Foibleffè des preuves de Grotius , Noyer. Sucre de Noyer, 123. Trois efpéces de Noyers , ôc leur diffé- rence , 162. Proprietez des Noyers de la Louyfiane , 407, O OCTO TA TA S, ou Maiïotmr, Sauvages habitans fur le Mif- fouri. Deux de leurs Villages font détruits par des Efpagnols. Ceux d'un troifiéme furprennent & égor- gent tous les Efpagnols. Leur ori- gine , 293. Situation de leur Pays , 396. Des O&otatas promettent de conduire les François à une Mine d'argent, 4gh Offogoulas. Sauvages alliés des Ya- fous, 41 3. Voyez, le fécond Volume. Obio. Surnpmmée la belle Riviè- re. Sa fituation, 224», TABLE 5*8 Oifeaux. Plufieurs , mais non pas rous , ont pu paftèr d'eux-mêmes en Amérique, 24. Des principales ef- péces d'Oifeaux , qu'on voie en Ca- nada , t if}.&fiim Oifeau blanc. Efpéce d'Ortholan , fon chant , 156. Oifeau-Mouche. D'où lui vient ce nom. Sa defcription , fa différence du Colibry. Comment il fait la guerre aux Corbeaux , 1 57-* 8. Ifies aux Oifeaux. Leur fituation , leur defcription , 60-61. Okk.ii. Nom , que les Hurons & les Iroquois donnent à leurs Manitoux, 345- Omans. Peuples du Canada , dif- " férens des autres , leur fituation , , r 597-' Onangmcée. Chef Poureouatami. Il parle bien dans un Confeil , 259. Sa politerte & fon mérite , 260. Onneyoutb. Courage d'un Capi- taine Onneyouth brûlé par les Hu- rons , 249. & fuiv. Dans ce Canton l'autorité eft alternative entre les Hommes & les Femmes , 269. Onnontagué. Rivière d'Onnonta- gué , fa fituation , fa fource ,214. Barbare Coutume de ce Canton , 368. Opmier ( Pierre. ) Sçavant Hol- landois , a cru que les Afriquains des environs du Mont Atlas avoient navigé en Amérique avant le Dé- luge , 28. Orignal. Defcription de cet Ani- mal , particularités , qu'on en rap- porte. Manière de le chafîer , 116. & fuiv. Comment le Carcajou lui i donne la charte , 129. Il eft devenu rare en Canada , 130. Orléans, ifle d'Orléans. Sa fitua- tion , fon étendue ; érigée en Comté fous le nom de faine Laurent , 67. Par qui découverte , (on premier nom , 69. Lac d'Orleam. On avoit ainfi nommé le Lac Michigan , 253. ^ Nouvelle Orléans? En quel état elle étoit en 1721. Incommoditez de fa fituation. Réponfe à ceux , qui la croyent bien placée , 439 40. Où elle feroit mieux placée , 441. Ormes. Deux efpéces d'Ormes en Canada. Leur différence, leur grof- feur , leur ufage , 163. Ofages. Sauvages de laLouyfiane, leur fituation & leur Rivière, 396. Otcbagras. Nation fauvage. Son Pays propre , 188. Ils reçoivent un grand échec de la part des Illinois , & voulant avoir leur revanche , un grand nombre d'entr'eux périt dans le Lac Michigan. D'où vient le nom de Puants, qu'on leur a donné. Leurs différentes tranfmigrations , 290. Leur défaut , leur Langue , 292. Plaifanre idée d'un de ces Sauvages fur un onguent, qui lui étoit tombé entre les mains , 294. Leur agilité dans la danfe du Calumet , 296-97. Otomias. Peuple établi fur le Lac de Mexico , fubjugué par les Mexi- quains , 1 8. Ouabacbe. Rivière , fa fituation. Importance de bâtir un Fort à fon embouchure , * 406. Ouatcbitas. Rivière des Ouatchltas , ou Rivière noire , 434. Ovide. Defcription > qu'il fait d'u- ne Cataracte allez femblable à celle de Niagara , 235. Oviedo. Auteur Efpagnol , Les idées fur les Hefpérides , 3. Ouilameik- Orateur Pouteouata- mi , fon éloge , 320. Ouifcoufing. Situation de cette Ri- vière , 397. Oumas. Sauvages de la Louyfiane. Deux Villages de cette Nation , leur fituation j 436. Ours monftrueux , à qui Cartier vit faire quatorze lieues à la nage , fans fe repofer , ic. La charte de l'Ours eft la première parmi les Sau- vages , 1 1 j. Comment elle fe fait. Les Ours partent Phyver fans boire ni D E S M A ni maflger , 117- Vénération de quelques Sauvages pour les Ours : leur pracique pour les appaifer, ^00. L'Ours fe drellè fur les pattes de der- rière . quand il entend du bruit , & ce qui penfa arriver à l'Auteur à ce fujet , 516. L'Ours qui dort , ce que c'eft , 313. 0 ut agamis , ou les Renards. Voyez, VHifioire, Leur Pays propre , 188. On veut engager les Sauvages à re- commencer la guerre contre eux, & pourquoi ,2^8. Ils pouffent fort loin leurs jeûnes pour fe difpofcc à la chaffe. Leur caractère , ce qui les a engagés à nous faire la guerre. Ils fe font joints pour cela aux Sioux , 6c ce qui en eft arrivé, ?oi. Un Ou- tagami infulte cruellement des Illi- nois qui le bi ûloient , 3 06-07. Leur Fort auprès de la Rivière de fainr Jo- feph , nommé le Fort des Renards , 371. Ils infectent tous les paffàges pour aller du Canada à la Louy lia- ne , 380. 406. Des Outagamis pren- nent un François , & pourquoi ils nele biûlent pas, 383. Action entre eux & les Illinois. Un Outagami eft brûlé par les Illinois, 385-. Un Ou- tagami ne peur faire prendre feu à fon fufil , & il eft pris par un Illi- nois , 38^. Outaouais. Nation Sauvage du Canada. Voyez, fHifîoire. Leur an- cienne demeure , 187. Des Ou- taouais pourfuivis par des Iroquois tombent dans la Cataracte de Nia- gara , 234. Village d Outaouais au Détroit, 2 <\6. Ils y affilient à un Con- feil , & fe contentent d'aprouver ce que 1 Orateur Huron avoit dit , 259. Village dOutaouais dans le Saguinam. ils refirent feuls à Mi»- chilli-raicinac , quelques uns vont s'établir dans les Ifles du Caftor. Leur indocilité envers les Million- naires, 2.79. 280. Plufieurs fe reti- rent dans les Ifles du Caftor , Se y Tome III. T I E R E S. ?29 cultivent la terre, à l'exemple dts Huions, 282-83. Ouyapes. Tribu des AKanfas..4io, Mortalité parmi eux , caufée par la petite vérole , 411. Ouyatanons, Tribu Miamife, 188. Ozellle fauvage fur la Côte de la Floride. Sa mauvaife qualité , 45 4« P PAC ANE. Fruitier de laLouy- fiane , defciiption de l'Arbre Se de fon fruit , 397. Panama. L'Ifthme de Panama crû. impratiquable avant l'arrivée des Ef- pagnols en Amérique, 5. 12. Partis. Nation fauvage. Situation de leur Pays Sont les premiers, qui ont fait ufage du Calumet , qu'ils ont prétendu avoir reçu du Soleil. Ce qu'on doit conclure de cette Tra- dition , 111.& juiv. Panis noirs , ou Ricaras , . 410. Paracelfe ( Theophrafte ) a cru que chaque Hemifphere a eu fon Adam , 3. Puradis. Idée, que les Sauvages ont de leur Paradis , ce qu'il faut avoir fait pour ie mériter. Raport de ce Paradis avec celui des anciens Grecs , ; 5 1 . c> fuiv. Paimenldes. Ancien Philofophe , a cru que la Zone Torride n'éroit point peuplée , & qu'on n'avoit point navigé à l'Occident de l'Eu- rope , au delà des Colonnes d'Her- cules , y. Parvaim. Arias Monranus le place dans le nouveau Monde , 2. Pafagotlas. Baye & Rivière. Con- ceffion de M. de Chaumonr , 480. Paffagers. On débarque tous les Paffagers , qui éroient fur l'Adour. Danger, que courent les uns. Réfle- xion , que font les autres , 1^1 62. Paffcs, Ou embouchures du Mi- ciffipi. Voyez Miciffipi. Pauger ( M. de. ) Ingénieur du Xxx TABLE la Louyfiane , vifire le Pays ne peuvent être fuppofés defceftdtis m Roi Pour examiner où l'on pourra conf- truire des Forts. L'Auteur part avec lui des Natchez , 45 2.. Il fait un fort beau Plan pour la NouvelleOrleans, 44' . Il fonde 1'Ifle Touloufe , & les PaiTes du Micifîîpi , 442. Il arrive au Biloxi avec l'Auteur , 448. Pavillons. Ufage , que les Sauva- ges en font. De qui ils l'ont pris , 210-1 1. Pays plats. Ce que c'en:. Leur fî- Uiation, 277. Pécari, Chat fauvage , fa defcrip- îion , 134- Pelleteries. Fautes , qu'on a faites en Canada au fujet du Commerce des Pelleteries , 86. & fuiv. Pemine. ArbrifTeau. Qualité de fon fruit , 163. Pettfacole. Defcription de la Baye & du Fort de Penfacole , 479-80. Ce Porte efl: reftitué aux Efpagnols, qui propofent d'y tranfporter l'Eta- bliiTement de la Baye de S. Jofeph , 481. Penfionnaires entretenus par les Sauvages , on n'écoute point leurs avis , qu'ils ne foient appuyés de préfens , £.<. pourquoi , 252. Péorias. Tribu lllinoife , 398. Perdrix. Trois efpéces de Perdrix en Canada. Ce qu'elles ont de par- ïiculier, 15^- Perles. Rivière des Perles. Sa fi- tuarion. D'où lui vient ce nom , anflî-bien qu'à une Ifle , qu'elle for- ane, t _449«4î4- P.tiri'JJion , ce que c'étoir , 89 . Perroquets du Canada & de la Louyfiane. Leur defcription , 3S4. Pérou. Qui a cru que fes premiers Habitans éroient forris delaFrife,4. Leur furprife à la vue des VaifTeaux Efpagnols , 7. Ce que Grotius pen- foit de leur origine ,13. Comment réfuté par Jean de Laët , 16. & fuiv. Difficulté d'aller de la Chine au Pérou , Pourquoi les Péruvens des Chinois. Laët a cru que le Pé- rou a été peuplé par quelque Na- tion Indienne, 17. Les Fondateurs de l'Empire du Pérou paroifïent avoir été plus policés que ceux de la Mo- narchie du Mexique , 33, Perrot ( Nicolas. ) Voyez, les deux Volumes de l'HJloïre. Il découvre des Mines de Plomb fur le Miciflipi. Il bâtit un Fort fur la Rive droite du Lac de Bon-Secours , 398. Péruffe. Efpéce de Sapin du Ca- nada , 160. Ufages , que les Sauva- ges font de fon écorce , 16 1„ Pefcbe. La Pefjhe auroit pu enri- chir le Canada , 8c comment , 143, Elle eft de droit commun en Cana- da , 171» Pétri ( SufTiidus ) a crû que les Frifons avoicnt peuplé le Pérou &C le Chili , 4.' Petun. Erreur à l'occafion de l'u- fage , que les Sauvages faifoient de leur Petun. Ils y ont renoncé dès qu'ils ont pu avoir de notre Tabac. 333° Phéniciens. Robert le Comte a cru qu'ils avoient leuls peuplé l'Améri- que , 4. Différentes tranfmigrations des Phéniciens en Amérique, félon De Hornn , 26. & fuiv. Piakjminier . Defcription de cet Arbre & de fon fruit. A quoi font bons les pains, que les Sauvages font des Piaicimines , 395-96. Détour aux Piahimims , 44 1 „ . Picverts , ou Piquebois. Plufieurs efpéces de cet Oifeau en Canada. Ce qu'ils ont de particulier , 156. Pijoux. Efpéces de Chats fauvages- de la Louyfiane, 407» - Pilote. Un bon Pilote doit tou- jours être de l'avant de fon Vaif- feau , 48, Pimiteoui. Lac & Village des Illi- nois. Leur fituation. Defcription du Pays. L'Auteury fé' Rapide. Dans le Sagnenay , 68. Voyez. Sault S. Louis. Des Rapides du Fleuve faint Laurent , 190. & fuiv. Rapide plat j 194. Voyez, Caf- conchiagon. Deux Rapides dans le Miciffipi , ' 597. Raquettes. Defeription des Ra- quettes, avec lefquelles on marche fur la nege, 221. Rat muffue. Sa defeription , ce qu'il a de fingulier , 107» Rat de bais. Sa defeription , 134. Fable des Sauvages au fujet de cet Animal , 399. Raye. Cap de Raye» Sa Situation, • r , , *8^' Rayes. Trois efpeces de ce Poif- fon en Canada , 1 5 r. Raz,é. Cap de Raze , fa /îtuation» Le VailTèau du Roi s'y trouve af- falé, S7-58. DES MATIERES #<&0// 362. Relingues du Fletian. Ce que c'eft, Renards. Ils fe joignent aux Car- cajoux pour faire la guerre à l'Ori- gnal, 229. Renards noirs dans le Nord du Canada, 133. Les Renards font la guerre aux Oifeaux de Ri- vière , 133, aux Lièvres , aux La- pins , de tes Chiens la leur font avec fuccès ,135. Fort des Renards.^éyc* Outagamis. Renaud (le Sx.) Directeur d'une Compagnie particulière , entreprend les Mines de la Louyliane , 394. Renaudkre (te fîeur de la. ) Con- duit à la Louyfiane une Brigade de Mineurs du Roi , & ne réuflït point, 393. Revenants. D'où vient que les Sau- vages croyent aux Revenants , 374. Rhéne. Erable femelle, 16 1. Ricaras, ou Panis noirs, 410. Richelieu. Ifles & Rivière de Ri- chelieu. Autres noms de la Rivière. Commodité , que fourniffoient la Rivière «3c les Ifles aux Iroquois pour faire des courfes dans la Colonie , 124. Effet charmant , que font ces Ifles , quand on voyage par leur travers, 136. Richer (te P. PierreDaniel.J Mif- fionnaire à Lorette, 83-5. Rio de los Perdidos. Sa fituation , d'où lui vient ce nom , 480. Rio de Oroca. Rivière de l'Ifle de Cuba , où il y a une Habitation E£- 533 4S9. Rivière noire 3 64. On y trouve duGinSeng, 3^. Rivière puante , ou deBeck.incourt. Origine de fon premier nom , 1 10- 1 1 1. Rivière des Outaouais , ou grande Rivière, ,40. Rivière des Prairies , ibid. Rivière de S. Jean , ou les mille If les> 140. Rivière du Loup Marin t 132. 181. Rivière aux Bœufs. Pourquoi fon entrée fe trouve bouchée , 224. Au- tre du même nom , 3 9£. Rivières , qui fe déchargent dans le Lac Ontario , 20 r. Rivière des Hurons , 277. Rivière de la Matijîie , abondante en Efrurgeonsj 290. Rivière du P. Marquette. D'où vient ce nom. Changement arrivé à fon embouchure, 51 ^ 14. Rivière de S. Nicolas , $ , y. Rivière du Saguimont , 3 9 r . Rivière des Illinois. Pourquoi elle conferve fon nom après fa jonction avec ie Theakiki. Où elle commen- ce à être navigable , 380. Son cours. Sa jonction avec le Micifîipi , 391- 92. Rivière des Macopines , s y r , Rivière des Kafk/fkias , 3 o y . Rivière a la Roche , d'où lui vient ce nom, ^t Rivière Bleue , 397> Rivière de [aime Croix , 39g] Rivière de faim Pierre , ibid. Rivière Blanche, 410. Combien il y a de Rivières dans leVega-Real de faint Domingue , 494. Rivière Rouge , 434, Rocher. Village des Illinois. Sa deferiptiori , ^r. Roitelet. Il chante mieux en Cana- da, qu'en Europe, 156, Romains. Sur quel fondement Ma. rinœus a imaginé , qu'ils avoienc 534 . TAB envoyé une Colonie en Amérique , 4- Zto/à//V. Ville projetrée aux Nat- chez , & qui n'a jamais été qu'en projet , 4M- Rofiers. Cap des Rofiers , fa fitua- tion. L'embouchure du Fleuve faint Laurent , commence là ,_ 61. Rojfignol. Il chante moins bien en Canada , qu'en Europe , \ $6. Ru (le P.Paul du j Jéfuite. Mr. d'iberville le deftine aux Natchez. Il aime mieux relier aux Bayagoulas: il eft obligé de retourner en France , 431. S ÇIABREV01S(M. dej Com- Ù mandant au Fort de Chambly , 150. Sacrifices. Différens Sacrifices des Sauvages, Î47-48. Sagamos. Nom des Chefs des Sau- vages de PAcadie. Ils avoient plus d'autoiité que les Chefs des autres Nations, 266. Ils étoient ordinaire- ment Jongleurs ôc Médecins , 368. Saghart ( te Frère Gabriel.) Voyez, la Ltfie & l'Examen des Auteurs , & le premier Volume de l'H'ftoire. Défaut de fon Vocabulaire Huron , fut la foi duquel de Lab't a voulu juger de cette Langue . 2.3. Saguenay. Rivière , fa fituation , fa profondeur ,65. Effet de fa rapi- dité , 67-68. D'où vient en partie fa rapidité. Singularité fur les Marées dans cette Rivière, 68. Saguimont. Rivière, fa fitnation , 391. Saguinam. Baye du Lac Huron , fa fituation. Village d'Outaouais dans cette Baye, 179- Saint Ange (h fieurde.) Son élo- ge , 390. Saint Barnabe. Lac. Sa fituation , 64- Saint Charles. Rivière faint Char- les. Sa fituation , 71. L E S. Came { M. de. ) Eccléfiaftique Canadien , travaille infruétueufe- ment parmi les Natchez , quoiqu'il fût protégé par la Femme - Chef. Il eft tué par d'autres Sauvages , 431. S. Elme. Feu S. Elme , pronoftic d'une tempête , ji„ S. François. Mes, Rivière & Can- ton de faint François ,112. Des If- les , de la Rivière ôc du Canton de faint François, 120. & fuiv. Situa- tion ôc defeription du Lac de faint François , 193. S. Jean. Rivière , ou Bayouc faine Jean , fa fituation , fa delcription , 459- S. Jofepb Rivière. Sa fituation , 187. 31 2. Du Fort de la Rivière de faint Jofeph. Sauvages , qui y fonc érablis ,312. Origine ôc defeription de cette Rivière , 315-16. Baye de S. Jofepb. Sa defeription. Réception , qu'on y fait à l'Auteur ôc à ceux , qui l'accompagnoient , 477. & fuiv. DelTein d'abandonner cet Etabliflement , ôc de le trans- porter à Penfacole , 48 r, S. Laurent. Cap faint Laurent, fa fituation , 60. Fleuve faint Laurent , où com- mence fon embouchure , fa lar- geur, 6o.Jufqu'où fon eautft falée, 67. Poiflons du Fleuve faint Lau- rent ,151. On y trouve prefque tous les Poiflons de Mer ôc d'eau douce 9 154. Golphe de S. Laurent. Sa longueur, 60. Comte de S. Laurent. Ce que c'eft, pour qui érigée, 67. • S. Marc. Baye de faint Marc d'A- palache. Nom , que lui donne Gar- cilafïb de la Vega. Defeription du Pays ôc du Fort des Efpagnols, qui y avoient autrefois un plus grand EtablilTement , lequel a été détruit par les Anglois. Arrivée de PAu- teur dans le Fort , ôc réception , qu'on lui fait , 473. .& fuiv-* D E S M A S. Fml, Ifle de faint Paul , fa fi- rnation , 59. Incommodité du paf- fage entre cette Ifle Se l'Ifle Royale , 60. Baye S. Paul. Sa fituation , ce qu'elle a de particulier , qui en eft Seigneur , 66 Pefche des Marfouins dans la Baye faint Paul , 148. S. Pé ( le P. Jean B. de. ) Jéfuite, Supérieur des Millions de la Nou- velle Fiance , ce qu'il apprend d'u- ne Femme Miamiie , 398. S. Pierre. Ides de faint Pierre. leur defcription 6c leur fituation ,59. Lac de S. Pierre. Voyez Lac. Poifîon S. Pierre. Voyez Goberge. S. Simon ( M. Denis de ) Voyez, le premier volume de l'fjiltuire. Grand Pi évôt de la Nouvelle France, 79. S. Sulpice. M M. du Séminaire de faint Sulpice , Seigneurs de l'Ifle 6c de la Ville de Montréal. Le bien , qu'ils y ont fait. Nom , qu'ils ont donné à la Ville ,137. ils ont la di- rection du Village de la Montagne, compofé d'Iroquois Chrétiens , 1 76. S. Thomas. Idée de Georges de Horn fur ce Saint, 32. S. Voilier ( M. de.) Evêque de Québec. Bâtimens, qu'il a conftruits en Canada. Fondation de l'Hôpital Général. Son éloge , 77- H fonde l'Hôpital des Trois Rivières , 113. Témoignage , qu'il rend aux Chré- tiens Iroquois du Sault faint Louis , 177. Voyez, l'H lloire. Ste Claire. Ifle Se Lac de fainte Glaire, ij7.&fu;v. Ste Rofe. Irle ôc Canal de fainte Rofe , 479. Sikjs Sauvages du Canada , onc un Village à la Baye. Ils font divifés en deux Factions. Réception , qu'ils fonràM de Montigny^ 2.9Z-93. Ils invitent l'Auteur à un Confeil 6c ce qui s'y pafTe , 294-9^. Ils chan- tent le Calumet à M. de Montigry ' 296' Samojeâes. Etablis fur le Fleuve' TIERE S. 535 Oby : leur conformité avec lesAmé- riquains, 21.22. Sant-Tagode lasCava!leros.\[\\c de l'Ifle Efpagnole, fameufe par le bon air , qu'on y refpire , 494. Sapins. Quatre efpéces de Sapin en Canada , 1 60. Sarrafiit. (M.) Sa Defcription ana- romique du Caftor. Son éloge, <)j. 98. Il prétend que le Loup Servier du Canada eft un vrai Chat , 133. Sajfafras. On en trouve beaucoup fur la Rivière faint Jofcph , 317. Voyez, la Defcription des Pliures. Safteratfi. Chef héréditaire des Hurons. Afîifte à un Confeil , mais il n'y parle point , & pourquoi , x j8. Zèle de fon Ayeule pour avoir un Millionnaire , 260. Savanois. Sauvages des environs de la Baye d'Hudfoit. Particularités fur leurs mœurs, leur Religion , Se leurs Coutumes , 1 8 1 . & fuiv. Sault de ta Chaudière. Sa fituation; première ftation des Abénaquis dans la Colonie, 121. Sault au Récollet 5 1 40. Sault Saint Louis , 141. Eloge des Habiransdecette Bourgade, &com« ment elle a été établie , 17S~77- Long- Sault , 193 Sault Sainte Marie. Sa fituation. 187. Tradition des Sauvages fur la manière , dont il a été formé ,- 28 1 . Voyez, la Carte. Saufleurs. Nation fauvage , d'où leur vient ce nom : leur nom propre., 187. Sauvages. Leurs bonnes qualités, 81. Leur Mufique 6c leurs Danfes , 84. Moyen de les francifer Ôc de les rendre Chrétiens, 90. Ils difparotf- fent d'une manière incompréhei- fible , 9 i . Leur Almanach pour on- noîrre la durée du froid", 02. I curs imaginations fur les Caftois 03» 106. Leurs préparatifs 6c leur- fu- perftitions pour la Chafïe de l'Ours.- En quoiconfifte leur jeûne, n$.& 536 T A B juiv. Avantages, qu'ils onc pour la châtie. Lcui complaiïahce , uj. Leur vîteflë à la coude , i i 6. Leurs bains, i 16 Leur manière de fane la guerre, 125. Idée, qu'ils onc de l'O- rignal Ôc de l'Ours, 1 27 Comment ils oblervent par les Martres que la chafle fera bonne , 1 34. Il n'y a rien à cramdte de leur patt pour 1 hon- neur des Femmes Françoifes , ôc pourquoi, 141-45. Us font devenus infolens , quand ils fe font vu re- cherchés , 145. Ils marient la Sei- ne , avant que de l'employer pour la pefche. Leur adrefie à pelcher dans les Rapides , 15 3- Leur P1"1" eipal défaut , 171. Leur attache- ment à leurs Familles & à leur Pays natal, 176. Comment les Sau- vages de Langues différentes trai- tent entr'eux, 189. Embarras, où l'on a été pour fe faire çnçendre de ces Barbares , 197 98. Leur ftyle Afîatiquç, 598. Le peu de fonds, qu'on doit faire fur leurs tradi- tions, & pourquoi, 199. la guer- re a contribué à les réduire pref- que à rien, 103. Ce qui peut les portera entreprendre une guerre, 115. &, fhivantes. Leur confiance prélomptueufe à la guerre, ôc quel en eft le principe , 236. Ce qui les rend comme infenlîbles dans les tourmens , & comment ils font parvenus à cette inhumanité envers leurs Prifonniers , qui a tant furpris , 247-48. Leur habi- leté dans les négociations. En quel- le occafion on ne peut pas com- pter fur un Traité de Paix entr'eux , 2ji. & juif- Leurs Conlçils, 158. Leur fureur pour le jeu , 260. crjuiv. Ils conviennent de la fupériorité de nos Génies tutélaires fut les leurs, 263. Ils font plus ailés à conver- tir que les Peuples policés , 265. Idée de leur gouvernement , 266. & fuivuntes. De leurs intéiêts , ôc clé leurs Traités , ôc de la manie- L E re , dont ils s'y comportent > 270. Du gouvernement des Villa- ges ,271. Des défauts de leur gou- vernement , Ôc de leurs principes fur cela, -272. & fuiv. Principes, fur quoi ils établilTènc 1 impunité des crimes, 273. Ce qui empêche que cette impunité n'ait de plus fâ- cheufes fuites. Us craignent fuitout d'être taxés d'avarice , 276. Soin , que les jeunes Sauvages ont de fe parer, 278. De leurs Mariages, 283, C? jtdv. Ils font fore jaloux , 284. Les Sauvages de la Baye plus grof- ilerscx: plus fuperftitieux que les au- tres , excepté les Poutéouatamis, 299-300. Leur bonne conftitution , leur force: ce qui altère leur tempé- ramment, 302-03. Leurs vices. Ce qui les empêche de peupler, 303-04. Avantages > qu'ils ont fur nous. Perrecli.on de leur fens . 304. Leur éloquence, leur mémoire. De quoi ils fe fervent pour l'aider. Leur ju- gement. Pourquoi ils ne réufliioienK pas aifément dans les Arts ôç les Sciences abfbaites, 30^. Leur grandeur dame, ôc leur confiance dans les tourmens, 306. Leur va- leur, 307. Les égards, qu'ils ont pour les autres, Principe , fur quoi cela eft fondé. Leur fierté, & leurs défauts jufques dans leurs vertus, 308. Ils n'ont point les qualités du cœur, ni aucun naturel pour leurs Païens , 309. D'où vient leur cou- leur, ôc qu'ils n'ont point de poil fur le corps , 310-n. Pourquoi ils ne communiquent point aux Fran- çois leurs Simples, & ne leur décou- vrent point les Mines de leur Pays. Ils ufent de leurs Simples à l'aven- ture ,317 II faut racheter d'eux tout ce qu'ils ont trouvé ou volé , 3 8. Ce qu'ils répondent aux François , quand on leur reproche leur yvro- gnerie. Suites de ce défordre parmi eux; pourquoi elles ne vont pas plus loin. En quoi ils font heureux & ef- timables* D E S M A rimablcs. Mépris, qu'ils font de ce que nous efhmons , ôc de notre ma- nière de vivre. Soin, que les Mères ont de leurs Enfans. Figure ridicule, que quelques-unes leur donnent, 321 -24. Ce qui les fortifie ôc les rend bien faits. Leurs premiers exer- cices : leur émulation entr'eux. A quoi fe réduit l'éducation , qu'on leur donne. Leurs pallions, leur ha- billement. Comment ils fe picquent le corps, ôc fe peignent le vifage , ôc à quoi l'un ÔC l'autre leur eft uti- le. Ils peignent leurs Efclaves ôc leurs Morts, 329-30. Effets du dé- pit parmi les Sauvages. Leurs paf- fions, 326. Leur habillement ÔC leurs parures. Comment ôc pour- quoi ils fe picquent ôc fe peignent , 327. & fuiv. Leurs occupations , leurs femences èc leurs récoltes. Leur nourriture. Ouvrages des Hom- mes, Ôc leur oifiveté. Leur manière de fe loger Ôc de fe fortifier. De leurs hyvernemens pour la chafle , 330. & fuiv. Leur malpropreté ÔC fes fuites, 338. & fuiv. Leur por- trait en racourci , 340. & fuiv. Ce qu'ils penfent de l'origine des Hom- mes , de la création du Monde ; leurs Traditions différentes fur le pre- mier Etre , 343. & fuivantes. Ce qu'ilsentendentparlesEfprits, 34 c. Leurs facrifices , leurs jeûnes , leurs vœux. Rapports entr'eux ôc les Ifraë- lires, 344. & fuiv. Ce qu'ils penfent de la nature ôc de l'immortalité de l'Ame. Leur refpeét. pour les tom- beaux, jfi. Leur Paradis, ôc com- ment ils prétendent mériter d être éternellement heureux, 352. Leurs idées fur les Ames des Bêtes ôc fur la nature des fonges. Leur conduite à cetteoccafion , 3 y 3 . & fuiv. Ce qu'ils penfent des mauvais Génies ôc des Sorciers, 359. & fuiv. Leurs prefti- ges, 361. & fuiv. Maladies ordinai- res parmi eux: leurs remèdes, leurs idées extravagantes fur les Maladies, tome UL T I E R E S. n7 364. drym/.Principesde leur Méde- cine: leur cruauté à l'égard des Ma- lades défefpérés, 367-68. Comment on fe comporte dans quelques Na- tions à l'égard des Médecins, 369. Leur fermeté S torque à la mort , 371. &fuiv. Leur générofité à l'égard des Morts : leur deuil , leurs tom- beaux, leurs funérailles. Règles pour le veuvage. Différentes pratiques à l'égard des Morts, }j$.& fuiv. Idée ridicule à l'égard de ceux, qui meu- rent de mort violente , 376. Quel- ques coutumes des Sauvages Occi- dentaux par rapport à la guerre, ôc comment ils traitent leurs Prifon- niers, 382. & fuiv. Comment ils en ufentavec les Captifs, qui ne meu- rent point en Braves : leur fierté , quand ils font en corps de Guer- riers, 386. Comment ils pleurent les Morts, 3 87. Leur habileté à con- trefaire toutes fortes d'Animaux , pour attirer leurs Ennemis dans le pjége , 390-91. Différentes tradi- tions des Sauvages : leurs idées fur les Aftres. Comment ils connoiffent le Nord : leurs idées fur les Eclip- fes , 399-400. fur îeTonnere, 401. Leur manière de divifer le tems , 401-02. Ceux de la Louyfiane dépe- ndent encore plus que ceux du Ca- nada, 429. Les Sauvages des Martyrs viennent au-devant de la Chaloupe, où étoit une partie de l'Equipage de l'Adour. Ils fe difent Amis des Ef- pagnols , & paroifiènt Ennemis des Anglois , 461. Ils vont en grand nombre vifiter l'Adour échouée, ÔC ce qu'ils y font ,463-64. Ils avoient tous été baptifés à la Havane , où ils vont tous les ans, ôc dans quelle Voiture , 464. Demeure de ces Sau- vages : leur figure Ôc leur habille- ment , 466. Ce qui les retient aux Martyrs, 467. Différence de ces Sau- vages & de ceux du Canada, ôc d'où elle vient. Ils pillent tout cequi étoit refté fur l'Adour, ôc brifent ce Bâ- Yyy 538 T A B liment , 468.Hsfuiveftt les François dans leur retraite , 469. Quatre au- tres Sauvages paroiflenr à la vue du Batteau , qui portoit l'Auteur ; on les attend , & ils fe retirent, 471. Idée , que les Efpagnols ont des Sauvages des Martyrs , 474. Scythes. Grotius ne croit point qu'ils ayent peuplé l' Amérique: Tes preuves, 1 3. De Laë't les détruit, j 5. Pline prétend que le nom de Scythes étoit commun à toutes les Nations du Nord de l'A fie «Se de l'Europe , ôc qu'il y avoit parmi eux beaucoup d'Anthropophages. Ce qu'il rapporte de leurs mœurs, a beaucoup de rap- port à celles de plufieurs Améri- quains, 21. Il y a bien de l'apparen- ce que desScythes ont palléen Amé- rique , 3 t. 32. Sed. Le Cap de Sed-, fa fituation, 4^3. Danger, que court la Bellone pour ne l'avoir pas reconnu , 485. Seigneurs. Pourquoi ils ne font pas rithes en Canada, 108-09 Pour- quoi ils n'ont pas le droit de Patron- nage , 109. Seine-, Les Sauvages, avant que de fe fervir de ce Filet , le marient avec deux Filles Vierges, 1 J3. Sel. Salifie . On a fait de fort beau Sel en Canada , ôc il y a eu ordre de discontinuer , j?. Salines de Gannentaha ,214. Salines aux envi- rons de la Rivière aux Bœufs, 390 ; àl'lfleTouloufe,oude laBaiife,A4i. Sénéchal. Par qui la Jurifdittion du Sénéchal de la Nouvelle France a été abforbée , 713. Séneque le Tragique. Ce qu'on doit penferde fa prétendue" Prophétie (ur la découverte des Nouvelles Ter- res, _ y. Senneville , (Le Sieur de) Capi- taine , eft député pour négocier à Onnonragué , & pour vifiter en paf- fant l'Etabliflement du fieur dejon- caire à Niagara, 228. Serpens. Les Sauvages n'en ont point d'horreur, les manient fans L E crainte , les mettent dans leur feifs i après les avou tngouidis , & les mangent. Les Jongleurs s'en fervcfP pour leurs enchantemens , 23.. CT /«w.Ifle aux Serpensà bonnettes^ y. Serpent à Sonnâtes. D'où lui vient ce nom. En quoi il efl*dangeieux : remédecontre fa morfure , 1 58- 59. Seivicrs. Chars ou Loups Serviers. D'où vient le nom de Loup , qu'on leura donné.Celui de Chat leur con- vient mieux fclon M. San afin ,135. Simples. Les Sauvages gardent un grand fecret fur leurs Simples , ôc pourquoi. Ils en ufent un peu à l'a- venture, 317. Avec quel fuccès ils en ufenc , 364-6 ç.. Sioux. Peuples fauvages du Cana- da : leur manière de vivre. On dit qu'ils ont l'accent Chinois. Quel- ques-uns de leurs ufages: leur fitua- tion, leur nom propre, 183.0"" fuiv. leur manière de parler , 196. Ils fe joignent aux Outagamis pour nous faire la guerre. Relation des Sioux. fur lePays au-delà du M iuoiui , 300. On dit qu'ils ont une connoiffance 'plus jufrt du premier Principe, que les autres Sauvages , 343. Ils infec- tent tous les pafTages pour aller à la Louyfiane , 3S0. ^r6. Sukpkjs* Dans la Million de Saint François, 12 1 „ Soleil. Le culte du Soleil fort an- cien'dans les Indes ôc dans l'Amé- rique , 2J-. Soleil. Plante. Ufage, qu'en font les Sauvages, 163. Soleil. Nom , qu'on donne au Grand Chef des Natchez , ôc pour- quoi. Ses droits. Honneurs , qu'on lui rend pendant fa vie & 'après fa mort , 420. & fuiv. Comment il re- çoir les AmbafTadeurs, 417. & fuiv. Solorzano i\nyra. (Jean de)Junf- confuhe hfpngnol. Rapporte les di- vers fcnrim.ensfurl origine des Amé- riquains , 9. Songes. De la nature des Songes félon les Sauvages. Superftitions de D E S M A ces Barbares à ce fujet : leur manière de les éluder. De la F êce des Songes , 3 S h & fulV' ^es Médecins de l'Aca- die prérendoicnt connoître par les Songes , lî les Malades guénroienc ou non , 369. Sorciers. Voyez Maléfices. Sorti. Rivière de Sorel. Ses pre- miers noms, 124. Fort de Sorel , 150. Sotbouis. Tribu des Akanfas^io. Soto. (D. Ferdinand de) Conqué- rant de la Floride , ou il eft mort, 434. voyez, le premier volume de V His- toire. Soufleurs. Petites Baleines , fe trou- vent en grand nombre dans la Mer du Canada, 54. Souliers. Defcription des Souliers des Sauvages, 221. Souriquou. Sauvages du Canada. De qui de Hornn les fait defeendre , 32. Soye. On y travaille avec fuccès dans la Louyfiane, 436. Spinola(D. Auguftin). Vient au Biloxi apporter la nouvelle du Trai- té de paix, 481. Il court rifque de voir enlever fon Navire par des De- ferteurs François , Ôi comment il évite ce danger, 481-83. Strabon. Ce qu'il dit des Scythes , qui demeuroient au Nord de la Mer Cafpienne, 21. De Hornn lui fait dire que les Phéniciens font entrés dans la Mer Atlantique , & ont bâti des Villes au-delà des Colonnes d'Hercules ; qu'ils ont eu de gran- des guerres, Ôc fait de grandes per- tes en Afrique , 27. Il a écrit que les Habitans de Cadix ôc tous les Efpa- gnols avoient de grands Vaiiïeaux, & excelloicnt dans l'art de navi- ger, 59- Sueur, (le Père Euftache le) Jé- fuite, Millionnaire des Abéijaquisde Beckancourt , gémit fur les uéfor- dres de la Million , auxquels il ne peut remédier , 112. ^«ew.DifferensufagesdelaSueur T I E R E S, 539 parmi les Sauvages, $6i-66,& fuiv. Suijfes. Une Compagnie entière de Suides déferre de la Louyfiane , ôc va à la Caroline, 482, J'ABAC.W réuflît fort bien à la Louyfiane, 4I6. Tabiens. Peuples du Nord , donc parle Ptolomée, ôc que Pline aflure avoir dit paru; ce qu'on en peut con- clure. De Hornn en fait defeendre les Tombas du Pérou , 32. Table a Rolland. Sa fituation, ér. Table à Marianne. Montagne de l'IIle de Cuba, 458. Tadouffac. Port fur le Fleuve faine Laurent : fa fituation , fa defcrip- tion ; erreur des Géographes à ce fujet , ôc ce qui y a donné lieu , Taenfas. Nation fau vage de la Louy- fiane, autrefois fort nombreufe, au- jourd'hui détruite. Conceflion. Beau- té du Pays , 458. Tabouiskiron. Fils du Roi du Ciel , félon les Huions ôc les lroquois , 400. tue fon Frère 3 Tahouitfaron. Divinité des Sauva- ges, ;44. Tamarouas. Tribu lllinoife. Villa- ge, où iis fe font joints avec ïes Cao- quias , 352. Taronbiaomgon. Le Roi du Ciel, félon les Huions ôc les lroquois, chaiTe d'un coup de pied fa Femme du Ciel , 399. Tarrar. Fleuve , d'où eft venu le nom de Tar tares. 1 1# Tartares. Breverood détruit le fen- timent, qui les fut defeendre des Hébreux. Origine de ce nom. Breve- rood prétend qu'ils ont fculs peuplé l'Amérique: fes preuves , 11 , u. Peu de conformité des Tartares avec les Amériquains feptentrionnaux , félon Grotius. De Laè'r n'eft pas de cet avis , 14. Il y a bien de l'appa- Yyyij 5 4Q TABLE rence que plus d'une Nation Ame- riquaine a une origine Scythe ou Tartare , ( 32> Taiimur. (M.) Eccléfiaftique Ca- nadien, Millionnaire aux Illinois , 591. Tcbattas. Sauvages de la Louy- fîane , font une bonne barrière à cette Colonie conrre lesChicachas, 4j2. LesTchactas font follicités par les Anglois à n'avoir plus aucun commerce avec les François. Impor- tance de cette affaire. M. de Bien- ville les gagne par fes manières & fes préfens , 483* Teintures. D'où les Sauvages tirent les couleurs , dont ils fe fervent pour la Teinture , 529,407. Temifcamings. Nation Algonquine. Lac Temifiamitig , 187. voyez, ÏHif toire. Tempête fur le grand Banc , 5 1 , à l'entrée duGolphe, 59, fur la Côte de la Floride, & fes fuites, 453 , à l'embouchure du Miciffipi , 456. Tempêtes dans les Mers des Ifles de peu de durée , 489. Tempête dans la Manche , 499 , 500. Temple des Natchez. En quel état l'Auteur le trouva, 417. &[uiv. les autres Nations de la Louyiiane avoient leurTemple. Celui des Nat- chez fubfifte feul.Quelétoitle prin- cipal & comme la Métropole de tous , 4'9- Térébenthine , ou Baume Blanc du Canada. D'où elle fe tire : fes pro- priétés , 160-61. Terre -neuve Cette Iile ne paroît pas avoir d'Habitans naturels, 178. Têtes àe Boule . Nation Algonquine. D'où leur vient ce nom 187. Com- ment on leur donne cette figure , 3 2 3-24. Tbeak}ki. Sources de cette Rivière. D'où vient ce nom ,571. Dtfcrip- tion de cette Rivière. Pourquoi elle perd fon nom en fe joignant à celle des Illinois, 379- 80. Trésor. De quoi efl compofé le Tréfor des Sauvages , & à qui la garde en tir conriée, 210. 1 beris , Frégate du. Roi. Efl fi mal- traitée de la tempête au fortir dit Havre de Grâce, qu'elle efl obligée d'entrer dans le Port de Plimouth. Par qui elle étoit commandée, 497. Tbevet ( André) a cru que leslfraë- lites emmenés Captifs par Salmana- zar , fe font îépandus par- tout , & ont peuplé l'Amérique , 4. Tionnontatez. Voyez ïfiifloire. Ce font les vrais Huions,, 199. Village de Tionnonratez au Détroit , 256. On les appelle la Nation du Petun , 267. Tioux. Sauvages de la Louynane , Voifins & Alliés des Natchez, 416. Tombas. Peuples du Pérou. De qui de Hornn les fait defeendre , 32- Tombeaux. Combien ils font ref- peétés des Sauvages, & pourquoi , 3 5 1- yz. Des Tombeaux des Sauva- ges, 373-74* Tonicat. Sauvages de la Louy fiane, voyez, le fécond volume de /' 'H'/Jioire : leur affection pour les François. Au- cun ne veut fe faire Chrétien ,431. Rivière & Lac, ou Baye des Toni- cas, 43 1.& /mf. Situation du grand. Village desTonicas: leur Grand- Chef. Son attachement aux François. Il s habille à la Françoife. Il eft fort riche. Etat de cette Nation. Ces Sau- vageschaffentleur Millionnaire pour avoir brûlé leur Temple , qu'ils ne rérablifTént point. Ils le rappellent ; il les quitte , & pourquoi , 433 * 434- Tonibata. Ifle , fafîtuation, con- cédée à un Iroquois , qui y avoit af- femblé une Bourgade , 194. Tonnerre. Anfe du Tonnere , la fîtuation, 279. Idée des Sauvages fur le Tonner- re, 401. Tonti. (M. de) Capitaine. Coin- DES MATIERES. mandant au Détroit , y aflèrnble un Confeil , 257. Il promet de travail- ler à procurer un Millionnaire aux Hurons, 2.60. Topingas. Tribu des Aicanfas , '541 410. Torimas. Tribu des Aicanfas , 410, Tornlel. (le Père Auguftin) Bar- nabite ; Ton fentiment fur l'origine des Amériquains , 4. Tortues, en Canada & dans l'Aca- die. Ce qu'elles ont de particulier , 151. Fable des Sauvages fur une Tor- tue, 399. Tortue monltraeufe. Force de cet Animal , 456. Ifles des Tortues : leur fituation , nature du Pays , 470. Toutoufe. Ille Touloufe , voyez, Ba- life. Tourmente. Cap Tourmente , fa fi- tuation , 67. Tourtes. Efpéces de Ramiers ; font d'une grande refïource pour la vie en Canada- , 171» Ttacy. Nom , qu'on avoit donné au Lac Huron , & qu il n'a point gardé, m \ 253. Traînes. Defcription des Traînes, fur lefqueiles on met le Bagage & les Blefïés , %n. Traite de l'Eau-de-vie. Ses incon vé- ftiens à BecKancourt , voyez, Becican- court \ à faint François, voyez, faint François, à Montréal , au Sault faint Louis, & parmi les îroquois de la Montagne, 141-42.. Tort, qu'elle a fait aux Sauvages, 302, 310. Pour- quoi , & comment on pourroit per- mettre cette Traite , ?zi. Traités. Des differens Traités des Sauvages , 2.97-98 , 427. & fuiv. Tremblen\ent de Terre arrivé en 1663 en Canada. Quelques-uns de fes effets , 66 , 68. t'oyez, le I Fol. Trinité. La Pointe de la Trinicé : fa fituation. Le Vajjjc.iu du Roi court rilque de s'y b'ïïer , 63. TmiRiviereu Online de cetteViî- le, & du nom, qu'elle porte: fa defcription , m. & fuiv. Trou. Le Trou. Rapide : fa fitua- tion , 190. ï fonnonthouans . Canton Iroquois. Ces Sauvages paffent pour avoir un langage grollier, 197. Leur Village à Niagara , qui eft de leur Canton > 22. 5 . Ils y accordent un Etabliflemenc au fieur de Joncaire, & pourquoi ils en refufent un aux Anglois , 227. La pluralité des Maris en ufage dans ce Canton , 284. Tulipier. Voyez la Lifle & U Defcription des Plantes, Tygres. Inconnus dans les Ifles de l'Amérique , 7. Tygres chez les Iro- quois. D'où les Tygres ont pu palier en Amérique , 31. Tygres plus pe- tits que les autres au haut du Micif- fipi , 3 3 . Il n'y a point de vrais Ty- gres en Canada , cependant quel- quesSau vages reconnoilTent leGrand Tygre pour le Dieu des Eaux ,344. J TACHES MARINES. Leur r defcription, & leur pêche, 147. Vatable. a cru que c'étoit dans l'A- mérique, que Salomon envoyoit fes Flottes chercher de l'or ;. 2. . Vaudreuil. (M. le Comte.de) Ca- pitaine en fécond fur le Chameau , 47.IlreconnoîtlaTerre.Précaution;> qu'il prend pour ne la point appro- cher de nuit, $6, M. le Marquis de î'audreuil , Père du Précédent, Gouverneur Général, de la Nouvelle Fiance, 79. Ordres, qu'il envoyé au Détroir, ce qu'il ra- conte à l'Auteur d'une prédiction finguliere d'une Sauvageile > 362 x Le Marquis à&Cavagnal-Faudreu'â „ un des Fils du Précédent, efl: député vers les Iroquois , 228» Fga. (GarcilafTo de la J) Aiueuc EfnagnpL Voyez, la lifte & ÏExamm 542. TABLE des Auteurs, Il éroit de la Maifon des Incas du Pérou par fa Mère. Il allure qu'on ne connoillbit au Pérou avant l'arrivée des Efpagnols ni Caractères, ni aucune forte d'Ecriture, 17. Ce qu'il dit des Chicachas de la Louy- fiane, n'eft pas exact, 408. Ce qu'il dit des Natchez, 420. Ce qu'il dit du Pays de la Louyfiane , 446. Il parle d'une Bourgade appellée^B- vilU,d'où eft venu le nom de Mau- viliens, ou Maubiliens,4$2. On ne trouve point dans les Caciques In- diens les richelïes , qu'il leur attri- bue , 467. Ce qu'il appelle le Port d'Auté , 47 ?• Petits. Ce qui rend les Vents im- pétueux aux environs du Grand Banc de Terre- neuve , 50. Vents nom- més Brifes , &: leur utilité , 4 f 3. Vercheres. Les Iroquois attaquent deux fois le Fort de Vercheres , & en font repoufles par Madame & par Mademoiselle de Vercheres, 124, 125. Vermude. Il eft bon de reconnoître cette Ifle , quand on va du Canal de Bahama à S. Domingue , 489. Veflales. S'il y en a eu parmi les Sauvages, 350. Veuvage. Régies pour le Veuvage Se les fécondes Noces parmi les Sauvages, Î76« Faux. L'ufage des Vœux eft le même parmi les Sauvages , que par- mi nous, 348-49. Ils n'ont pour objet , que les biens préfens , 353. Pillages des Sauvages, leur figure , leurs Fortifications , 354-35. V\lle*M*rie. Nom , que les Fon- dateur de la Ville de Montréal lui ont donné , & qui n'a point patte dans l'ufage, M7: Vinaigrier. Arbrifïèau , d'où lui vient ce nom , < 163. Fol. Les Sauvages font enclins au vol. Règlement fur cela , & fur les chofes trouvées . 175. Comment les Huions les punifloienr , 276. Voutron ( M. de. ) Commandant le Chameau. Son expérience pour la Navigation du Canada , 47. Il donne un ordre , qui fauve ion Na- vire, 64. Voyages. Manière commode de voyager fur la glace & fur la nege , & d'y courit la pofte , 108. Incom- modités des Voyages en Canada y 220. Agrément &c utilité des Voya- ges , ij4-çy. Incommodités des Voyages pendant l'Hyver ,336. Pendant l'Eté , 3 $ 9-40. U JJRSULINES. Elles delTer- KJ vent l'Hôpital des Trois Riviè- res, 113. W WALCOP (D. Alexandre.) Capitaine de Vaifleauau fer- vice des Efpagnols. Apporte au Bi- loxi le Traité de Paix ; eft défigné Gouverneur de Penfacole , 48 1 . X "Xfl MENEZ prétend , qu'oft »/\.peut défaler de l'eau faumârre avec du Saffafras. Voyez, ta Defçrip- tion des Plantes au mot Safîàfras. TASOUS. Rivière des Yafous , fa largeur , mauvaife qualité de fes eaux, 412. Village des Ya- fous. Fort & Conceflion mal pla- cés, 413. Les Yafous alliés des Chi- cachas. Importance de s'affiner de leur Rivière, ^13-14. Tucatan. Province de la Nouvelle Efpagne. Par qui Grotius & Dom Pierre Martyr ont cru qu'elle avoir été peuplée. Leurs preuves , 12-13, De Laët les réfute, 16. Baptême 8c Confeflionufitésdansi'Yucatanjic?. DES MATIERES. ?43 peu croyables fur ce qu'ils onr dit de la Fallande & de l'Eftotiland , H. A NT S. Les deux Frères Za- nis, Nobles Vénitiens, fonc Fin de la Table des Matières du troisième Tome. Fautes à corriger dans ce Volume» PAge r8. ligne é. donc les Habîtans , lifez dont les Habitans. Page 3 1. ligne 3 6. Paieuma , lifez Piicuma. page 35. hgne 6. de plus grandes , lifez. de moins grandes» Page 4y. ligne 38. celle , lifez. celles. Page 88. ligne 18. les prix , lifez. le prix. Page loi*, ligne 18. qu'ils portent à plat , lifez. qu'ils pofent à plat. l'âge 171. ligne 5. mais , lifez. car. Ligne 3 5. Ce font là, Madame , les défauts , lifez. C'eft ià. Madame, le défaut. ~Bage 193. ligne 17, Chenaux des Lacs , lifez Chenaux du Lac. Page 101. ligne 3 7. de ce Pays , lifez de ce Pays-ci. ~Boge 111. %»e 17. Ajouez , /*/êfc Aiouez, Page 117. %»e 2.. qu'il n'eît pas permis à nul autre , lifez qu'il n'cft permis à nul autre. Page 111. ligne 15. brafTades, lifez BrafTarts. Page 2.16 ligne 14. après ce mot Sauvage , lifez qu'ils l'adoprerent , &. Page 14c. ligne 1 6. où il doit être , li'ez où il doit demeurer. Page 182. ligne 13. j'ai vu , lifez j'ai lu. Page 29 j. dans la note , le P- Pierre Chardon , lifez le P. Jean Chardon. Page 308. ligne 1 3. S. Grégoire Pape, lifez S. Chryfoftome. Prfge 3 10. ligne 16. voionrairement , lifez volontiers. Page ; t 2, ligne 18. on le remonte , lifez on la remonte. Page 3 1 5. ligne dernière , au petit pas , lifez lentement. Page 357 ligne 5. aflurément, lifez aiTûrément. Jjlage 454. la Baye S. Jean , lifez le Bay ouc S. Jean. u 1 ^J^wf Ja ■■ ffl 1 ■'/- r