HISTOIRE ET THEORIE

DU

SYMBOLISME RELIGIEUX

HISTOIRE ET THÉORIE

DU

SYMBOLISME RELIGIEUX

AVANT ET DEPUIS LE CHRISTIANISME

Contenant :

l'bXPUCATION DK tous LBS MOVENS symboliques KELIOIKUX employés dans L'AItr PLASTIQUE

MONUMEKTAL OU DÉCORATIF CHEZ LES ANCIENS ET LES MODKUNES

AVEC LES PBINCIPES DE LEUR APPLICATION A TOUTES LES PARTIES DE L*ART CHRÉTIEN

D'APRÈS LA BIBLE, LES ARTISTES PAÏENS, LES PÈRES DE L'ÉGLISE

LES LÉGENDES, ET LA PRATIQUE DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCK

PAR

M. l'Abbé AUBER

Chanoine de Poitiers

Historiographe du diocèse, Membre de plusieurs Académies

et Sociétés savantes

TOME TROISIEME

PARIS

LIBRAIRIE DE FÉCHOZ ET LETOUZEY

5, RUE DES SAINTS-PÈRES, 1884

ÏME JNSTITUTE CF Ife^EDîAFVAL STUt*:tS 10 ELMSLEV PLAC£

'^ '-^ G 1931

0

/6 63

HISTOIRE

ET THÉORIE

DU SVJIBOLISMË RELIGIEUX

TROISIÈME PARTIE. SYMBOLISME ARCHITECTURAL ET DÉCORATIF.

CHAPITRE I.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE SYMBOLISME ADAPTÉ A L'ARCHITECTURE CHRÉTIENNE , ET FAITS HISTORIQUES QUI S'Y RATTACHENT.

Quand tout venait de changer dans le monde moral , et L-Égiise devait que des hauteurs du Calvaire un Dieu , jetant à tous les pies chrétiens un peuples une parole d'unité, les conviait aune vie nouvelle n^ueV^ dans un même culte et une même foi ; quand cette douhle expression des premiers hesoins de l'humanité s'était ma- nif(îstéc par d'innomhrahles symholes , ne fallait-il pas à celte religion , qui lecueillait l'immense héritage de toutes

T. III. 1

2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

les âmes, des temples respirât, comme dans ses dogmes et ses prières , l'estliétique d'mi intime et mystérieux en- seignement? Cette religion du cœur et de l'esprit ne pouvait abjurer un droit qu'avaient usurpé sur ses primitives ins- pirations les fausses doctrines du paganisme ; et si celui-ci, comme nous l'avons établi déjà , variait les formes de son arcliitecture religieuse d'après les caractères différents de ses divinités (i) , comment les premiers maîtres du Gbris- tianisme auraient-ils pu méconnaître l'importance d'une leurs nombrcù- créatiou parallèle au profit de la véritable révélation ! Cet l'Écrittre et les idéal ludispcnsable ne s'était-il pas d'ailleurs essayé , pour ainsi dire , chez le peuple dépositaire des Prophéties , et ne semblait-il pas encore indiquer de loin aux enfants de la Promesse un tabernacle, nouveau comme tout le reste, mais plus digne par son spiritualisme du Dieu qu'on y devait adorer en esprit et en vérité (2), de ce Dieu qui réa- lisait en sa personne le type des Patriarches (3) , qui avait prescrit à Noé les moindres détails de l'arche libéra- trice , et jusqu'à ses mesures diverses , dont les nombres renferment des mystères symboliques (4) ? Devait-il faire

(1) Cf. ci-dessus, t. I, ch. ix, Symbolisme des arts chez les an- ciens.

(2) « In ppiritu et veritate oportet adorare. » [Joan., iv, 24.)

(3) Voir Huet , Démonstration évangélkiue , ou Veteris Teslamenti cum Novo parallelismus, apud Migne , Scripturœ sacrso cursus com- pletus, t. II, col. 859.

(4) S. Isidore de Séville, qui vivait de 570 à 636, développe ainsi ces rapprochements : « Noe per omnia omnesque actus ejus Christum si- gnificat... Solus justus invenilur Noe in illa geute cui septem homines donantur propter justitiam suam. Solus Christus justus est atque per- fectus, cui septem Ecclesiee (scilicet Apocalypsis, cap. i) propter sep- templicem spiritum illuminantem in unam Ecclesiam condonantur. Noeperaquamet lignum liberatur : lignum quippe et aquacruorem dé- signât et baptisma... Arca Ecclesiam demonstrabat, quse natat in fluctibus mundi hujus... Arca trecentibus cubitis longa est, ut sexties quinquaginta compleantur, sicut sex œtatibus omne hujus saeculi tem- pus extenditur in quibus Christus nunquam destitit prœdicari: in quin- que per prophetiam..., in sexta per Evangelium... —Cubitis quinqua- ginta latitudo (arcae) expanditur , sicut dixit Apostolus : Charitas Dei

SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. 3

moins pour son Église , en qui tous les hommes doivent être sauvés , et que rArclic représentait , au dire de tous les interprètes (I)? Il y avait plus : cette grande merveille qu'on appela le Temple de Salomoh , qui ne s'était élevé à si grands frais qu'afin de préfigurer l'Église et le Corps sacré du Sauveur (2) , n'offrait rien qui ne fût symbolique, depuis ses fondements inébranlables de marbre et de por- phyre , jusqu'à ses plafonds de cèdre odoriférant , depuis sa distribution extérieure jusqu'aux innombrables orne- ments qui en décoraient les murs, jusqu'aux meubles et

diffusa est in cordihus nostris per Spirituni Sanctum qui datus est 7iû bis {Rom., \, 5). Quinquagesimo eiiim die post resurrectionem suam Christus Spiritum Sanctum misit , quo corda fîdelium dilatavit... Altitudo in tringinta ciibitos surgit , quem numerum decies babet in treceutis cubitis longitude, quia Cbristus altitudo nostra qui tringinta annorum gerens setatem , doctrinam evangelicam consecravit, contes- tans Legem non se venisse solvere, sed adimplere. Legis autem cor in decem prœceptis agnoscitur. Unde decies tricenis arcse longitudo per- ficitur, unde et ipse Noe ab Adam decimus computatur. » (S. Isidori, Hispal. episc, Quxsliones in Velus Testam.; In Genesim , cap. vu, no8 1, 2, 3, 5, 6, 7 ; mihi, Migne,t. LXXXIII, col. 229 et seq.)— On n'ob- jecterait point ici qu'il s'agit précisément, dans tout ce qui précède, de l'Église comme corps moral et réunion mystique des fidèles; car on sait que l'église matérielle est aussi la figure symbolique de celle-là.

(1) S. Augustin, De Civilale J)ei, lib. XV, cap. xxvi : « Procul dubio figura est peregrinantis in hoc soeculo civitatis Dei , boc est Ecclesise, quœ fît salva per lignum in quo pependit mediator Dei et hominum, liomo Christus Jésus. » Voir encore S. Jérôme, Contra rJovianum et Gonlra Luciferum ; S. Cyprien, Serm. de Spiritu Sancto ; Origène, fn Genesim, cap. vi et vu;— et Durant de Mende : « Sane non est nova oratorii sive ecclesiœ institutio. Prœcepit namque Dominus Moysi in monte Sinaï ut faceret tabernaculum de cortinis mirifice fabricatis... Salomon œdificavit opère mirifico templum, duas habens parles...; ab utraque vero nostra materialis ecclesia formam sumpsit: in cujus parte anteriori populus audit et orat; in sanctuariovero clerus orat, pra^dicat, jubilât et ministrat. » {Ration, div. Of/ic., cap. i.)

(2) « Salomon aedificare cœperat templum Domino, in typo quidem et in figura Ecclesice et corporis Domini. » (S. August., Prœfat. in psalm.c^x\i.)^(i Non ipse David, sed ejus filius templum aedificavit... quoniam Christus, secundum carnem Davidis filius, erat aedificaturus omnes ccclesias quee sunt in toto orbe terrarum. » (Theodoret, In lib. I Paralipomenon, quœst. i.) Q. QT

V.3

/< HISTOIRE DU SYMBOLISMi:.

aux images qui servaient au culte ou à rembellissenient (I). A suivre les Pères dans l'explication minutieuse qu'ils ont donnée des particularités de cette majestueuse construction, on voit bien que tous les mystères qu'elles expriment sont applicables à des vérités spirituelles de la seconde Loi. C'est dans S. Augustin surtout qu'il faut en chercher la preuve : ce grand génie a tout résumé en quelques mots , soit de ses œuvres oratoires., soit de ses commentaires sur les Psaumes (2) ; et nous reviendrons à beaucoup de ses idées quand nous devrons reproduire les nombreuses leçons que l'Esprit-Saint a prodiguées sur cette matière.

Les traditions de l'architecture chrétienne étaient donc toutes faites depuis longtemps à l'aurore dii Christianisme ; la religion n'eut qu'à les prendre pour les continuer en les perfectionnant.

Mais, avant d'épancher sur les vastes dimensions de ses cathédrales et de ses églises monastiques les reflets de ce génie divin qui y parle une langue si riche et si variée , il lui fallut se rétrécir en de médiocres espaces. Le berceau de l'art chrétien devait s'environner de ténèbres , sans doute pour manifester d'autant plus à la lumière qui devait les suivre la gloire trop longtemps contestée de cette éter- nelle Sagesse, qui n'opère jamais plus évidemment que par les contrastes.

(1) Voir les interprètes modernes d'après les Pères : Tirin,Estius,dom Galmet , Sacy et autres. M. Bâtissier reconnaît aussi ces analogies. Histoire de Varl monumental, p. 361, in-8", Paris, 1848.— On sait par Eusèbe que Constantin avait fait construire sur ce plan, à Byzance, la magnifique église qu'il destinait à sa sépulture. Voir Eusèbe, Vila ConUant., lib. IV, cap, xviii, et Histor. eccles., lib. X, cap. iv.

(2) « Templum Régis ipsa Ecclesia. Unde struitur templum?De lio- minibus qui intraut in templum. Lapides vivi qui sunt nisi fidèles Dei? Templum Dei in unitate est, non ruinosum , non discissum , non divi- sum. Junclura lapidum viventium charitas est. Tantum autem valet junctura charitatis ut, quamvis multi lapides vivi in structuram tem- pli Dei conveniant , unus lapis ex omnibus fiât. Templum hoc Deus ubique coUocavit; fundamenta Prophetarum et Apostolorum ubique iirmavit. » (S. August., In psalm. xxxix el xliv.)

S0.\ APPLICATION A L AHT CHRETIEN. o

En effet, c'est réellement dans les catacombes qu'il faut Los catacombes,

proinier type sym-

aller chercher le prototype de nos églises chrétiennes. Pour boiiquc. de nos

1 églises ,

peu qu'on en veuille étudier le plan intérieur, on voit bien quels rapports nos monuments sacrés gardent encore avec ces lieux vénéral)les se conservent nos plus religieux souvenirs. La nefoblongue, souvent privée d'orientation , il est vrai , quand les dispositions géologiques des lieux la rendaient impossible , mais terminée par une abside cruciforme , garnie du trône épiscopal qu'entourent les siég^es du Presbytère ; l'autel élevé sur une crypte re- posent les sacrées reliques des martyrs; les vides circu- laires ménagés en voûte [monumenta arcuata) , et presque toujours terminés eu\-mémes en hémicycles dans les parois latérales, pour recevoir d'autres corps à mesure que les per- sécutions les y envoyaient, et qui sont devenus, par la suite, ces chapelles des bas-côtés inaugurées sous le vocable de tant de Saints, ou môme ces arcatures continues décorant les murs intérieurs de nos plus vieilles églises ; enfin ces vestibules [Joculi^ cubicuîa) introduisant à la pièce princi- pale, et qui représentaient fort exactement les annexées qu'on appela plus tard le diaconiciim ou sacristie : tout prête à comparer ces premiers sanctuaires à ceux qui s'ou- vrent pour nous chaque jour, et dont nous savons que le plan original n'a souffert que de légères modifications (I).

(1) Rnoul Rochette,, Tableau des Catacombes , p. 113, in-12, Paris, 1837. On retrouve cette disposiliou décorative dans la crypte de Sainte-Radégonde de Poitiers, qui date peut-être de la lin du sixième siècle. L'art gothique, qui apparaissait déjà lors de la transition, s'em- para de ce moyen et l'appliqua dans la magnifique nef de cette môme église, aussi bien que dans la cathédrale voisine qui en avait été le type. Tant de relations mystérieuses mais évidentes persuadent aisé- ment qu'un type émané des catacombes a se perpétuer jusqu'à ces intéressantes époques de l'art chrétien , d'où il est parvenu jusqu'à nous. On peut le conclure très-strictement des nouvelles observations faites dans les catacombes par M. Louis Perret, dont le beau travail a été publié en 1852. Cf. Peintures des catacombes , p. 13 et 15, in-f<'. Voir encore VArckitcttura delta Roma sotlerranea . per cura di G. Marchi, in-4", p. 177; puis la description et le plan de l'église Saint-

6 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

mieux et plus que Nous iic pouvoiis douc admettre, avec plusieurs écrivains

la basilique civile 15 i i t

des Romains. dc Hotrc teuips , que 1 architecture catholique se soit ins- pirée d'ahord des basiliques profanes de Rome païenne {]), On rencontre , il est vrai , dans nos temples de frappantes analogies avec ces édifices publics , et ce que nous venons d'en dire convient, jusqu'à- un certain point, aux uns et aux autres ; mais on a trop répété , comme fait archéologique , une erreur qui enlèverait absolument à la Rome souter- raine son antériorité de date sur nos basiliques religieuses, en la privant de l'influence directe qu'il faut lui accorder sur celles-ci. Cette influence est manifeste , et, tout en ad- mettant de frappantes ressemblances dans le plan général de ces constructions si différentes par leur but ; en avouant que rien ne dût paraître plus convenable aux exigences du nouveau culte que ces vastes enceintes si commodes pour une nombreuse assemblée , et dans lesquelles la religion prenait si avantageusement la place de la magistrature civile , on doit se garder d'oublier ces mêmes nefs , ce même hémicycle absidal , cette même position du clergé et du peuple indiqués tout d'abord dans les catacombes , dont nous avons vu l'origine dans l'Apocalypse, et à laquelle, par cette double raison, on ne put renoncer plus tard (2). Voilà , nous semble-t-il , et pour répondre à une question

Sébastien, à Rome, et des catacombes qui l'avoisiDent dans Aringhi, Roma subierranea , t. I , p. 461 , la planche de la page 471 et celle du tome II, p. 406 ; Roma, in-f», 1651, et Raoul Rochette, p. 281, note 94,. et encore Marchi, uhi suprà, p. 175, 191 et 198.

(1) Voir Bâtissier, Hist. deVart monumental^ p. 359 et454, et avec lui MM. Raoul Rochette, Renouvier, Schmitt et bien d'autres. On voit bien que tous ces honorables écrivains n'ont étudié l'art du Christianisme qu'au point de vue de la science humaine et sans comprendre le mys- ticisme de ses intentions. Quand on en est là, on ne fait aucune diffi- culté de répéter de vieilles redites , et l'on finit par faire pas.-;er pour une vérité incontestable le fruit de singulières irréflexions. Nous ver- rons d'autres singularités de cette force.

(2) Voyez ce que dit de cette abside primitive le P. Lupi, Disserla- zioni e Letterefilologiche, etc., i^^ part., §§ xxii et xxvi, in-4°, Faenza, 11155, p. 15 et suiv.

SON APPLICATION A l'aUT CHRÉTIEN. 7

émise par un de nos savants collègues de la Société fran- çaise d'archéologie, « comment il se fait que le Ghristia- » nisme inclinât vers cette forme monumentale , et qu'il » en ait même produit spontanément des spécimens durant » l'ère orageuse des persécutions. )> Et qu'on n'aille pas nous objecter que les catacombes, devenues le refuge des chrétiens persécutés , purent bien être disposées par eux sur le modèle des basiliques de la Ville supérieure. En fut- il ainsi, cela prouverait tout au plus qu'il y avait quelques rapports de hasard entre celles-ci et la description de l'Église éternelle Dieu s'était révélé à S. Jean. Mais comment appuyer cette conjecture, et auquel de ces deux objets pense- t-on que le Christianisme ait pu donner la préférence ? Nous irons plus loin : et de ce qu'il y avait dans la Rome souterraine des lieux consacrés en formes diverses , sphé- riques , oljlongs ou carrés (^1 ) , nous n'hésiterons pas à expliquer par comment ]}eaucoup d'églises ou de bap- tistères célèbres ont pu adopter ces plans symboliques dont on accuse trop légèrement la prétendue excentricité. Aussi, dès que s'interrompirent les persécutions qui avaient forcé les premiers fidèles de se cacher, les églises qu'ils purent bâtir au grand jour n'eurent point d'autres formes. Quand cette assertion manquerait des preuves positives qu'on peut lui donner (2), on le conclurait très bien par induction, puisqu'au rapport des historiens , les heux sacrés démolis ou brûlés par les persécuteurs se relevant aussitôt que la paix était revenue , les lois symbohques relatives à ces

^1) BoUari, Pillure c srMplurc sagre , eslraile dai cimitery di Ronia, t. I, ijI. iv; t. II, p. 112, pi. xciv, et t. III, p. 91, 92, pi. CLVI et

CLXXXV.

(2) Voir M. de Roisin: Origines de la basilique chrétienne , Bulletin vtonuuienUil , t. XXVI , p. 2G3. Ces édifices , en effet , devaient être assez simi)les et bien dilîérents des églises du mo3^en âge par leur beauté architecturale, puisque S. Jean Chrysoslome disait au quatrième siècle que les basiliques et les palais des princes l'emportaient de beau- coup par la splendeur et la magnificence de l'architecture sur les édifices élevés à la gloire des Saints. {Ilomil. xxvi in 2 ad Cor., no 5.)

8 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

constructions, et qui venaient des Apôtres (\) , forçaient

d'en reproduire l'ancienne ordonnance déjà consacrée (2).

Insuffisance du Rcmarquons d'ailleurs que l'ensemble si vanté des basi-

symbolisme de . , ,. ..i»i i>i i

celle-ci. liques romaines dut se plier tout d abord a de nombreuses

retouches pour s'accommoder à sa nouvelle destination, soit qu'on ait utilisé aussitôt celles que Constantin donna aux catholiques, soit qu'il ait fallu bientôt en élever d'autres sur des places plus conformes aux développements de la liturgie. Nous savons ce que devait être au quatrième siècle la cathédrale de Trêves, dont les fouilles récentes ont révélé la disposition primitive (3); ou encore cette église de S. Hippolyte martyr, dont Prudence se plaît à décrire si exac- tement les trois nefs , les chapelles latérales , l'abside avec son siège épiscopal (4). Mais, quelque beaux édifices que

(1) Les canons des Apôtres, aussi bien que les décisions qui forment l'ensemble du livre connu sous le titre de Conslituiions Apostoliques, sont, de l'aveu de tous les critiques, d'une époque bien postérieure au temps des Apôtres , et ne peuvent guère s'en rapprocher plus que le commencement du quatrième siècle ou la fin du troisième. Mais on re- connaît généralement qu'ils renferment des traditions remontant jus- qu'au berceau du Christianisme, et qu'ils furent réunis en un seul corps lorsque la paix rendue à l'Église permettait d'établir au grand jour le droit ecclésiastique jusqu'alors tenu secret, aussi bien que les uscigesde la liturgie. (Voir Biner, Apparat us juris canonici, pars 11, cap. iv.) Ainsi les règles invoquées sous le nom d AposloliquesV oni toujours pu être, et la continuité du respect qu'elles ont obtenu par toutes les Églises constate sûrement la légitimité du nôtre. On peut donc s'en faire une autorité en matière d'archéologie et d'histoire, et l'on saura désormais, quand nous devrons nous appuyer sur elles, dans quel ?ens orthodoxe nous persisterons à les citer. Voir encore Bouix, Tractal.us de Principiis ju7'is canonici, cap. m, § 3; et Fleury , InsUiiUion au droit canonique, f^part., ch. i.

(2) Eusèbe, Hislor. ecclesiasl.,\ih.yi, cap.xxviii; Origène, M Mat- theBum tractatus xxviii.

(3) Voir la description qu'en a donnée M. de Roisin, Bulletin des co- mités historiques, 1849, 1. 1, archéologie, p. 233, Paris, in-S».

(4) Stat... templum..,

Parietibus celsum sublimibus, atque superba

Majestate potens... Ordo columnarum geminus laquearia teeti

Sustinet, auratis suppositus trabibus. Adduntur graciles tecto breviore recessus,

Qui laterum seriem jugitereximiant, Et medios aperit tractus via latior alti

Culminis, exsurgens editiore apice. Fi'onte sub ad versa gradibus sublime tribunal

Tollitur, Antistes prœdicat unde Deum.

(Prudentii Peristcphanon, hymn. xi, v. 215.)

SOA' APPLICATION A LART CHRÉTIEN. 0

fussent CCS palais de justice et ces prétoires, (jiii n'en étaient pas moins quelquefois des lieux de transactions commer- ciales, et même des promenades publiques (! ), il y avait loin de ces usages de la vie pi'ofane aux grandes choses de la religion. Plus celle-ci marchait, plus elle aspirait à d'autres pensées : elle voulait avant tout que toutparlât, dansl'asile du Sacrifice et de la prière, à l'esprit et au cœur de ses enfants. Ce quadrilatère allongé, dont rien ne tempérait la sécheresse que deux rangs de colonnes à chapiteaux insignifiants ; ces fenêtres à plein cintre, distribuées symétriquement à la sur- face des murs pour donner à un intérieur sans mystère un jour dépourvu de toute éloquence religieuse ; cette achitravc grecque, dont la masse , surmontée d'une frise dessinée au hasard, alourdissait des portes aux lignes froidement per- pendiculaires ou horizontales, tracées selon les règles strictes de la ligne droite, et pesait sur des colonnes qui ne s'y rattachaient que par un système muet et absolu : tout cela n'était guère secourable à la pensée esthétique et n'expri- mait pas mal d'ailleurs le matérialisme de l'art païen. Si donc on admit d'abord des dispositions générales qu'on comment n fai-

* ^ ^ lut le compléter.

eût trouvées sans beaucoup d'efforts en sortant des souter- rains sacrés, ce ne put être qu'à condition d'en changer les dé- tails, et de tout reporter aux principes du spiritualisme nou- veau. Et voilà comment on convint tout d'abord que l'église chrétienne aurait la forme d'une nef ( de mos, vaisseau^ et non de va6ç, temple) ; que l'autel y serait, d'après les Cons- titutions Apostoliques (2), tourné vers l'orient; que l'axe

(1) Vitruve, De Arr/iitecL, lih. V, cap. i : « Uti supra basilicœ conti- gnationem ambulantes ab negotialoribus ne conspiciantur. »

(2) « Primo quidem œdes sii oblonga, ad orientem versa, ex utraque parte pastoi»horia versus orientem babens, et quœ navi sit similis. » (Con^tilvt. Apo.stolir., lib. II, cap. Lvii,apud Cotelier : Paires œvi Apo- stolki, t. I, p. 261, in-folio, 1672.)— Il faut bien ici remarquer ces im- portants détails de l'orientation, des absidioles orientées comme l'ab- side, et de cette forme de nef. Voilà tout une église comme le moyen âge nous en a tant donné qui subsistent encore. Voir S. Gregor.,

10 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

longitudinal, en sortant du sanctuaire, se briserait du nord au sud par une brusque déviation de sa ligne naturelle (^ ) ; que la forme de croix serait donnée au monument par le double prolongement du transept à droite et àgaucbe (2).

11 n'y eut pas loin, un peu plus tard, de cette ordonnance élémentaire à ses développements successifs, et ce que l'art y ajouta dans l'intérêt de la pensée doctrinale devint une conséquence de ce premier élan fondé sur les données posi- tives de l'Écriture et delà Tradition. Qui ne voit aujourd'hui l'application, aussi féconde que remarquable, de toutes ces idées et de beaucoup d'autres dans la description si connue qu'Eusèbe de Gésarée nous a donnée de l'église de Tyr, relevée de ses ruines , en 3^ 5 , par son évoque Paulin ? Il est clair, d'après ce texte, que l'importance attachée à chaque détail de ce vaste et magnifique édifice venait des symboles qui y traduisaient les vérités de la foi. C'est donc justement qu'un docte écrivain de nos jours, constatant que toutes les éghses bâties au quatrième siècle en Orient et en Occident

Turon. episc, Hist. Francor. , lib. II, cap. xvi, xvii;Ub. VII, cap. xxxvi; lib. X, cap. XXXI ; S. Venautii Fortunati opp., pars I, MiscelL, lib. I, cap. XIII ; lib. II, cap. xiv, et alibi.

(1) Ce fait, peu remarqué dans les églises des premiers temps , est fort sensible à Saint-Jean de Poitiers, qui date au plus tard du qua- trième siècle. On a donc prétendu à tort que ce symbole n'avait apparu qu'au onzième "ou douzième siècle. Voir M. Trémollière , Encyclo- pédie du dix-neuvième siècle, t. XXIII, au' mot symbolisme. Trop con- fiant dans cette assertion, nous devons nous repentir de l'avoir adoptée dans nos Reclierches sur l'église et la paroisse de So.int-Pierre-des- Eglises, p. 8, et d'en avoir tiré une fausse conséquence. Si donc on ren- contre du quatrième au onzième siècle quelques sanctuaires dépourvus de ce caractère, il faut bien plutôt attribuer cette anomalie soit à un oubli exceptionnel des constructeurs, soit à un remaniement postérieur de la nef sans intelligence du plan primitif.

(2) Dans quelques basiliques, il est vrai, la croisée semblait exister d'avance, comme on le voit dans ce qui nous reste de labasilique Émi- lienne conservée par dom Montfaucon {Anliquilé expliquée, i. III, pi. c)^ mais toutes n'admettaient pas cette particularité d'une manière aussi prononcée , et c'est vraiment l'Église (nous le verrons bientôt) qui l'a voulu comme un symbole de sa pensée génératrice.

SON APPLICATION A LART CHRÉTIEN. If

conservaient alors les formes antérieures à la paix de Cons- tantin, fait observer que les mystères cachés sous les parti- cularités de la construction étaient connus du peuple fidèle comme autant d'objets de renseignement religieux (1). En effet, Eusèbe, que nous suivons ici, n'est pas seulement l'historien de ce fait : il l'avait prêché au jour même de la dédicace de cette égUse, et en avait exposé tout le symbo- lisme devant une assistance considérable que présidaient un grand nombre d'évèques. On voit par , du moins en partie, ce qu'était le style , Caractères sym-

^ X ' 1 «j bohqucs des cgli-

architectural des églises avant le onzième siècle , auquel il ses ant.'ricures au

^ ^ onzième siècle.

faut rapporter en plus grand nombre les plus anciennes qui nous soient restées. Mais nous savons de plus quelles formes a\ aient reçues ces monuments dès les premières années du règne de Constantin. On sait, par les découvertes récentes, qu'après ce règne ce qu'on est convenu d'appeler la basilique latine persiste encore de longues années; et depuis Prudence, qui écrivait à la fin du quatrième siècle, jusqu'à S. Fortunat de Poitiers à la lin du sixième, on retrouve dans les auteurs de cette période les traces fort reconnaissables des magnificences de l'art romain ; mais il certain, par d'au- tres témoignages, qu'une théorie nouvelle allait s'établir dès lors, et il est facile de s'en convaincre par l'inspection d'un petit nombre de spécimens très-CvXplicites, tels que la Basse- œuvre de Beauvais, Saint-Eusèhe et Savenières en Anjou, le baptistère de Saint-Jean à Poitiers, Saini-Pierre-des-Églises près Chauvigny-sur- Vienne, Saint-Généroux et Saint-Jouin- de-Marnes (Deux-Sèvres), Gravant et Saint-Martin-de-Vertou en Bretagne, et d'autres encore. De ces édifices sacrés, quel- ques-uns vont se perdre dans la nuit d'époques difficiles à préciser; mais tous sont certainement de beaucoup antérieurs au neuvième siècle, et deux surtout, que nous avons pu étu-

(l) Doin Guéranger , I ns Ululions lit urgifjii es , t. I, p. 04. Fleury, IJisl. eccles., lib. X, n" 'à, ad auii. 313 ; milii, p. 20U.

J{2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

dier de plus près, appartiennent sûrement à l'architecture gallo-romaine , savoir : la petite paroissiale de Saint-Pierre- des-Églises et le baptistère de Saint- Jean de Poitiers. Le premier, avec son abside élargie en dehors des lignes de la nef, ne fait pas même exception à la règle générale du plan crucial, quoiqu'il semble manquer aujourd'hui de sa dévia- tion longitudinale , probablement effacée par des remanie- ments successifs ; le second, réunissant ces deux caractères en des traits longtemps méconnus, mais devenus enfin, et par suite de nos recherches personnelles, aussi évidents que possible. On y observe, d'ailleurs, l'orientation normale des fenêtres en meurtrières, l'abside en hémicycle (au moins intérieur) s'élève l'autel, et le soin qu'on a eu de couvrir, dès le commencement, ce môme autel d'une voûte qui d'abord fut exclusivement donnée au sanctuaire. Une rapide comparaison de tous ces monuments, dans laquelle on noterait surtout la forme générale de l'édifice, presque tou- jours dessiné en parallélogramme allongé, convaincra aisé- ment qu'il n'y eut jamais de différences considérables entre ces premiers types et ceux de l'époque mérovingienne, l'ap- pareil lui-même, composé de petit échantillon plus long que large, restant le même et complétant partout cette descrip- tion. —De ces œuvres passons à celles de la seconde race, restées encore en assez grand nombre sur les bords duRhin, vivent, de nos jours, tant d'églises construites par Gharle- magne. Nous arrivons, par ces degrés continus, à constater les frappantes relations de ces temps rudimentaires avec les travaux de l'école romane dont nous jouissons aujourd'hui, et que le style ogival n'a gracieusement modifiés que par des perfectionnements artistiques. C'est ainsi qu'en remon- tant à travers les âges on reconnaît à chaque pas les mômes et les plus incontestables notions du symbolisme appli- quées à la demeure de Dieu. Ces caractère" Et cc u'étalt pas sculemeut dans une contrée, et sous l'in-

partout et tou- i . , i i i , . i i

jours observés, fiucnce limitée de quelques architectes imbus des capn-

SON APPLICATION A LAIIT CHUÉTIEN. -13

cieuses formalités de leurs tliéories personnelles : c'était par- tout, aussi jjien dans les Gaules qu'en Italie, en Orient qu'en Occident; et au milieu des diversités qu'imposent les pen- sées de tant d'architectes divers, c'est toujours le principe esthétique qui y dispose de tout. Ainsi , les basiliques élevées en si grand nombre par Constantin reproduisent la croix grecque ; la croix latine , déjà différente de celle- ci par le prolongement de sa partie inférieure, est adaptée à Saint-Pierre de Trêves avant le milieu du quatrième siècle (I). Les trois absides répondent au mystère du Dieu en trois personnes , et , dans chacune d'elles encore trois fenêtres symbolisent le même dogme et rappellent à tous la même vérité fondamentale. L'orientation régu- lière s'y fait aussi remarquer. Il en est de même à Sainte- Sophie de Constant! uople, achevée, en5î8,par JustinienP'"; et cette même période voit construire à Ravenne par le saint évêque Ecclesius la basili(|ue octogone de Saint-Vital , ({n'avait précédée, sous la même ichnographie symbolique, le baptistère de cette métropole (vers 451), et Sainte-Marie in Cosmcdin, achevée en 520 (2). Enfin, l'une de nos plus belles églises de France, Saint-Germain-des-Prés, recevait, dans le même teuips encore (en 558), de Childebert P'", sa forme cruciale, avec son premier vocable de Sainte-Croix, à Poccasion d'une magnifique ctoix d'or apportée par lui de Tolède, et qu'il donna à Péghse avec les reliques qu'elle contenait (3). Malheureusement ces monuments, et beaucoup d'autres mais pius oa

11», . . , , , moins riches sous

de la même époque, ne sont parvenus jusqu a nous quen rinfluence morale dépit de beaucoup d'épreuves, de reconstructions considé- ques. '^^'^^^^ ^^'^' râbles sinon presque totales, et surtout, hélas! frappés de

(1) Voir de Roisin, Notes, sur la restauration de la métropole de Trêves, par AIM.le chanoine Wilmoski et l'architecte Schmitt,/»a//6'/i,'i monumental, t. XV, p. 208.

(2') Couchaud, Églises byzantines en Grèce, in-4o, Paris, 1842.

(J; Bull, monum., t. Vil, p. lOG et 108.

44 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

restaurations dont la condition première fut trop souvent d'en oublier le style primitif. Si l'on observe, en outre, que nous n'avons bérité en ce genre d'aucune œuvre magistrale aux vastes dimensions se soient déployées les ressources d'un art mieux senti, et qu'au contraire le temps ne nous a guère laissé à examiner que des églises rurales, dont le né- gligé de bâtisse et d'ornementation accuse l'inhabileté des grossiers maçons qui les firent, on se persuadera peut-être que cette architecture avait pu être mieux traitée au sein Pauvreté du (jes ffraudcs cités que dans les campagnes {-1 ) . Ne soyons

dessin architectu- ° ^ ni, ?

rai dans la pé- douc Das trop cxplicltes contre elle : 1 ère mérovnigienne a

riode du qua- ^ ^ i t

trième siècle au pu avolr dcs chcfs-d Œuvrc plus dignes que nous ne sem-

dixième. , i / i »

blons le croire de 1 attention des archéologues ; mais n ou- blions pas que ce ne durent être que des exceptions et que, si belles qu'on puisse les croire d'après les contemporains qui les admirent, il faut reconnaître à leur faire général que tous ces spécimens portent le cachet véritable d'une époque tourmentée : édifices construits à la hâte , sous la menace presque incessante des invasions et des incendies que mul- tiphaient partout les guerres des barbares , et tout em- preinte, en un mot, des inquiétudes de la société qui les élevait. A partir de la fin du quatrième siècle, le droit de conquête remplace presque partout la paix donnée au monde par le premier empereur chrétien, et que vint trou- bler pour longtemps Julien l'Apostat, des ruines se font sous les remparts des villes comme dans les champs. L'archi- tecture romaine, avec ses colonnes de marbre, ses frontons élégants, son appareil régulier, ses bases uniformes et ses chapiteaux studieusement dessinés, n'existera plus qu'à l'état de débris réservés aux fouilles savantes de l'avenir. Le mélange de pierre et de bois qui va la remplacer sera l'ex-

(1) Dom Mabillon, Acta Ordin. Sancii-Bened., t. I, p. 256. C'est aussi l'opinion de quelques archéologues fort expérimentés. Voir Notice de M. de Glanville sur les églises consacrées au treizième siècle 'par Odon Rigaud, archevêque de Rouen; BuUet» monum.i t. XV, p. 245.

SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. I -i

pression d'une pensée tonte différente. La tristesse de ces jours malheureux s'imprimera sur ses murs lourds et épais, dans l'étroite ouverture de ces fenêtres et de ces portes une lumière parcimonieuse laissera deviner la crainte de l'ennemi.

Il est vrai qu'on voudra compenser cette pauvreté par des richesses factices. Dans quelques sanctuaires brillera le marbre disposé en marqueterie d'arabesques et de mou- lures courantes ; on tracera des sujets dogmatiques en petites mosaïques de pierres colorées ou de verres peints. Mais ces images mêmes, dégénérescence de l'art antique,- objets cu- rieux aujourd'hui de nos études, comme jalons dispersés de nos plus anciens souvenirs , restent en dehors de l'ar- chitecture proprement dite et ne font qu'un faible dédom- magement de tant de pertes les plus regrettables.

Tout près de , au lieu de ces élégantes corbeilles d'a- canthe ou de ces volutes gracieuses épanouies sous les ar- chitraves et les frises des temples anciens ; au lieu de ces diamètres absolus des colonnes mathématiquement me- surées, des triglyphes et des métopes, et de tant d'autres détails du ciseau des artistes , comme on les étudie encore dans la crypte de Jouarre et à Saint-Jean de Poitiers, vous ne verrez plus qu'un système sévère de lignes mono- tones et hésitantes, de surfaces à qui toute tentative d'orne- ments suivie est refusée. Quelques traits malhabiles, inscrits d'une main sans expérience autour d'un cône renversé , feront toute la richesse d'un chapiteau ; deux ou trois tores, arrondis au mépris du compas, seront des bases, et tout cela aura pour fut un monolithe cylindrique, trapu et froid comme tout le reste. Çà et vous verrez courir à l'archi- volte d'arcades hémisphériques certaines moulures qui se réduisent à des dents de scie, à des corbclets presque tous sans images ni significations apparentes, à des étoiles, à des roses, distrijjuées comme à regret dans le champ mal ratissé de cette composition équivoque.

46 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Il n'en a pas Et , Cependant , CCS rares motifs ont, pour la plupart,

moins ses motifs , , , x i -r» i* ^ '^n^^

symboliques. icurs caractèrcs mystérieux et des significations réelles. Ils restent comme des assertions isolées, mais sûres, d'une science qui tient à la vie qu'on semble lui disputer. On voit s'y associer parfois les feuillages enroulés de la vigne avec son raisin eucharistique (i) ; des (leurs inconnues n'en ex- priment pas moins la vigoureuse végétation de l'âme chré- tienne (2) ; la croix, et même le chrisme plus savant, s*y inscrivent dans un orbe qui est cekii du monde, dont ses branches touchent et dominent les quatre points cardi- naux (3) ; des crosses entrelacées rappellent maintefois la houlette spirituelle des Pasteurs (4). Mais combien le mérite du sculpteur est encore au-dessous de ces dessins à peine ébauchés, môme à l'Ile-Barbe, dont on croit un peu trop pouvoir attribuer les curieux détails à l'époque carlovin- gienne (5). Déjà, faute de mieux sans doute, et grâce au manque évident d'étude et de goût des maladroits ciseleurs, la forme accidentelle reste méconnue ; la pensée fondamen- tale est tout à elle seule, et l'art n'allégera plus la lourdeur de cette méthode qu'aux jours encore éloignés l'école byzantine enverra à l'Europe ses élégantes images , pour mêler ses rubans et ses perles aux symboliques expansions du roman fleuri.

(1) « Quasi vitis fructiiicavi. » {Ecoles. j xxiv , 23.) « Vitis frondosa Israël. » (Oseâe, x, 1.)

(2) « Florete, flores, et date odorem. » {Eccles., xxxix, 19.) « Plan- tât! in atriis domus Dei nostri florebunt. » {Ps., xci, 14.)

(3) (( Dilataberis ad Orientem et Occidentem. » (Gen., xxviii, 14.) t(Ab Oriente adducam».. et abOceidente.DicamAquiloni:Da; etAustro: Noli proliibere. » {Is.j xliii, iO.)

(4) « Super muros tuos, Jérusalem, constitui custodes. » (Is , lxii, 6.) « Cambuca, sive virga pastoralis...,ministerium signitîcat Doctorum, quorum studio et prœdi cation e conversio geutium facta est. » (Hug. à Sancto-Yictore, De Sacrainentis, lib. il, pars V, cap. m; apud Migne, Pairolog., t. CLXXVI, col. 441.)

(5) Voir Précis historique sur rile-BarOe, par M. l'abbé Roux, Bullet. monum., t. X, p. 80 et suiv.

SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. 47

Il n'en était pas autrement de la peinture qu'on avait Lapeintureem-

^ * ployee alors pour

toujours employée dans l'ornementation des sanctuaires. suppi<er au tra- vail du ciseau.

On prétendait certainement racheter par elle ce que la consti-uclion avait de rigide; elle suppléait même à ce que la sculpture ne pouvait qu'imparlaitement, et les Capitu- Inires de Gliarles le Cliauve ordounèient plus d'une fois de répai'er les églises maltraitées par la guerre, et de leur rendre l'éclat perdu de leurs peintures mutilées (Ij. Mais, quelque précieux que soient ces renseignements, puisés aux sources contemporaines, ils ne suffisent pas à bien déterminer pour nous la valeur de ces moyens iconogra- phiques. C'est à l'époque suivante qu'il faut demander une idée plus nette des progrès de l'art. Cette époque n'arriva que lentement toutefois, s'élabo- Ruine .les mo-

, I, ,,. Il-'» .y numents aux hui-

rant sur les malheurs publics des huitième et neuvième tième et neuvième siècles. On vit dans les sombres années de cette longue pé- riode le sol de la Gaule envahi par les Arabes, les divisions entre leè familles régnantes, le pillage des églises ruinées par les spoliateui's, les ravages des Normands, qui , sans cesse repoussés, revenaient sans cesse et n'en exerçaient que mieux leur ^ engeance sur le sol et les monuments par le double fléau du feu et de l'épée. Telles furent les causes (jui se liguèrent successivement ou à la fois pour ne laisser que des ruines calcinées à la place des plus vastes édifices chrétiens (2). Le divième siècle voit la l^'rance débarrassée de ces cruels dévastateurs , qu'elle incorpore à sa grande famille ; mais les guerres intestines n'en durent pas moins, et il faut arriver jusqu'à ses dernières années pour voir inaugurer, avec le règne de Hugues Gapet, cette paix dont l'Église va proliter pour s'élancer vers la première de ses grandes réformes architecturales.

(1) Baluze, Copilularia rcgum Francorum, t. II, p. 53 et 54, in-folio, 1G77.

(2) Voir Fleury, Uisloire du Droit français, ch. xiV; parmi ses opus- cules, t. IV, in-8", Nîmes, 1781.

T. m. 2

18 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Terreurs histori- Ici iioiis vcnoos iious lieurLcr coiilrc un fait qui nous

ques de l'an 1000, .,.,•<•< xi '• ^t^

et de leurpréten- scniblc avoii' cté piis loi't souveut trop au sérieux quant a îaRenaiÏÏance'du ccrtalnes conséqucnccs historiques accréditées parmi les onzième siècle. ^^^.^^^^^^ Q^ fj^lj. ^ quolquc étranger peut-être à l'oi3Jet de

ce livre, se rattache intimement à l'histoire de l'architec- ture chrétienne , et le lecteur nous permettra cette digres- sion en faveur d'une vérité jusqu'à présent obscurcie par de fausses appréciations.

A entendre un certain nombre d'écrivains qui en ont disserté depuis trente ans, il faudrait se persuader que l'ap- préhension de la fin du monde aurait paralysé, aux appro- ches de l'an 1000, tous les efforts des architectes, laissé sans réparations les monuments vieillis et presque ruinés , et qu'enfin un retour soudain à l'activité première serait venu reconstituer ces chefs-d'œuvre perdus , et donner à l'art des constructions sacrées un nouvel élan, quand le temps eut prouvé aux populations terrifiées qu'elles n'a- vaient plus de catastrophe à redouter (I). En tout cela, un examen plus attentif des sources contemporaines peut faire aisément la part de la vérité et de l'erreur. Témoignages, H cst bicii Vrai qu'aux approches de l'an 1000 , et même

sur ce point, des , . ., i . ••ni ' i •l^ '

meilleures auto- uii deiiu-siecle auparavaiit , une vieille donnée des millé- naires , fondée sur deux passages mal compris des chapi- tres xn et XX de l'Apocalypse , s'était réveillée en Europe. Mais il ne faut pas oubher qu'elle ne fut admise que par un certain nombre d'esprits plus crédules, comme on en voit toujours dans la foule des ignorants , et que les hautes intelligences combattaient ces craintes irréfléchies. Des prédicateurs purent bien s'en servir d'une manière plus ou moins positive comme moyen de rappeler à la vertu ou d'y maintenir : on n'en pourrait conclure que ce fut alors

(1) Voir M. de Caumoiit, Histoire de VarchiiecUire au mcijen âge, p. 52 et 63 , in-S", 1837 ; Bâtissier, Histoire de Vart monumental, p. 433.

rites contempo raines

SON APPLICATION A L ART CHRÉTIEN. ^9

une doctrine généralement acceptée , et surtout qu'elle le fut en des ternies absolus et définitifs. Nous en avons une preuve par Abbou, (jui gouvernait alors la célèbre abbaye de Fleury ou Saint-Benoît-sur-Loire. Ce saint personnage raconte que, dans sa preniière jeunesse (c'est-à-dire vers 945, il pouvait avoir vingt ans), il avait entendu prèclier dans la cathédrale de Paris l'avénenicnt prochain de l'iVntechrist, ([lie devnit suivre de près le jugement universel. « C'était, dit-il, un bruit répandu partout que le monde finirait ((uaiid lAuuoneialion coïnciderait avec le Vendredi Saint.» Ur cette rencontre se fit en 992, Pâques tombant le 27 mars , et, les faux calculs tirés de l'Apocalypse établissant que la fm du monde aurait lieu pendant le cours de la troisième année qui suivrait , on aurait , semble-t-il , se tran- quilliser dès la fin de l'an 995 ; mais le vague de la pré- tendue prophétie et la pensée persistante de l'année fatale tinrent les esprits en suspens et firent attendre encore. Abbon avait été chargé par Richard , abbé de Fleury , de réfuter ces bruits dangereux, lorsque, vers 9G2, on les avait vus s'accréditer de nouveau en Lorraine. Il y avait donc répondu en s'appuyant sur le livre de Daniel, sur les Évan- giles et sur l'Apocalypse elle-même , dont il donnait l'ex- ph cation adoptée par l'Église dans les écrits des Pères. Il renouvela son opposition à ces rumeurs publiques, lorsque, dans V Apologie publiée peu de temps avant la fin du dixième siècle pour la défense de son orthodoxie , il indiqua , au nombre des abus de cette époque, ce qu'on pensait encore sur le môme sujet (i). Nous voyons par combien les hommes graves s'éloignaient alors de la superstition po- pulaire. Nous en aurons bien d'autres preuves si nous re- cherchons dans l'histoire les traces de célèbres construc- tions élevées ou refaites jusqu'à la fin môme du dixième

(1) Abbonis Apologia, à la suite du Codex canonum velus, publié par PiUîOU, p. 400, Paris, 1687.

20 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

siècle , quand le péril suprême devait sembler plus immi- nent. Grand nombre Pour peu qu'ou veullle, (iii eiïet, recourir aux sources au- nasfè?e?éi'etés"'dê tlieutiques, OU s'étonnera du crédit si longtemps accordé à ïooo,^"^^ "^ '*" cette fabuleuse terreur de la fin du monde, laquelle n'a jamais pu frapper les esprits d'un découragement général, puis- qu'en aucun siècle peut-être on ne s'adonna plus à fonder ou à restaurer les monastères, soit en France, soit en Alle- magne, soit partout ailleurs. Pour être d'une irrépro- cliable exactitude , nous avons voulu interroger un cata- logue fidèle des établissements religieux qui furent, à celte époque, dans notre pays l'objet de ce zèle fervent. Nous n'avons pas voulu poser nos limites au delà de la seconde moitié du dixième siècle , et nous marcbons seulement de l'an 950 à l'an 1000 : c'est la période l'agitation dut se faire plus active ; et dans ce cadre si rétréci il semble, à en croire tant d'échos éperdus, que le marteau et la truelle ne devaient plus servir qu'à tailler et sceller des cercueils , nous ne comptons pas moins de cent douze des plus célèbres abbayes ou monastères divers construits ou réparés de toutes parts (-1). Dans ce nombre, nos infati- gables Bénédictins en ont, à eux seuls, plus de soixante , et l'on sait que déjà ces studieux cénobites étaient des plus éclairés , partant des plus capables d'apprécier la valeur et vers l'an 1000 tliéologique dcs Idécs populaires. Ajoutons que , sur qua- rante-buit de ces maisons dont on s occupe amsi dans le court intervalle des vingt dernières années du dixième siècle (de 980 à 1000) , dix-sept s'élèvent ou dans le cou- rant même de cette millième année, ou à ses approclies les plus immédiates , et portent dans les historiens la note formelle : « Fondé vers l'an iOOO. >> Puis ils en citent, et des mieux réputés, jusque dans les cinq dernières années,

{{) QaÎ. Annuaire h'htorique, publié par la Sociélé de l'Histoire de France, t. H de la collection, 1838, p. 02 et suiv.

SOi\ APPLICATIOIV A LMVÎ CHRÉTIKN. 21

le inoiiNciiieiit est loin de se ralentir : tels, eu 09(>,i\otre- Dame d'l^]taiiipes, Saint-Franibold de Seiilis, Saiut-Flour, qui deviut plus tard uu siège d'évôché ; en 997, Ahun de Limoges etSaiîit-André de Villeneuve-d'Avignon ; en 999, Notre-Dame de Vernaison près Carcassonne, Nauffle-le- Vieux au diocèse de Ciliartres, Saints-Gei'vais-et-Protais de Mende. C'est encore pendant qu'on se serait acheminé à la fin de toutes choses que le diocèse de Poitiers vit naître, en 96 1 , Saint-Liguaire , près Niort (alors relevant de Saintes), Airvault en 973, S. Léo- nard de Ferrières en 979 , enfin Maillezais en 990. On osa all(M' plus loin ; et quand l'année fatale se fut montrée , quand , au dire des prophètes de malheur, il n'y avait plus que deux ans et demi entre le monde et son dernier jour, on n'hésita pas à hfitir pour cette courte jouissance, à Sentis l'ahbayede Saint-Régulus, Saint-Vivant à Autun, Saint-Pierre de Générez près de Tarbes. D'autres s'exposèrent à un bail de dix-huit mois, car c'est en i OOi que la ïouraine fonda son monastère de Preuilly , et le Bigorre celui de Saint-Marthi de Cani"ou. Voilà, certes, des témoignages d'une grande se- ^a «n du mondo

^ ' ' O D O jj,ggt signalée

curité : ils expliquent fort bien comment, parmi le grand alors que dans un

^ ^ 1 o petit nombre de

nombre de chartes et autres actes publies du môme temps chartes. venus jusqu'à nous , il est relativement fort rare , quoi qu'on en ait dit, d'en voir qui invoquent la pensée de la fm prochaine de toutes choses pour motiver les donations ou œuvres pies ainsi confirmées. C'est toujours, à quelques exceptions près , leur propre mort que les donateurs voient arriver : c'est dans le désir de se racheter eux-mêmes qu'ils se montrent généreux envers les moines et le clergé (^).Et

(1) « Intérim rjum orbitca saeculi volvitur , et fabrica uniiiscujusquc corporis anhelitu s[)iritus aspirât , tractare débet mens cujusquam cor- poris (jualiler œruinuas hnjus saeculi pos-it évadera et bonis fnturi s.7;culi non caiere... Idcirco eji^o..., pro anima mea meluens articnlum

morlis, et casus bumana:; fragilitatis » Tel est, presque toi jours ou

en termes ('iiluivalents , le protocole des chartes ou actes publics do cette époque et des temps antérieurs. Celui-ci a[)particut à une dona- tion faite en 003 au chapitre de Saint-Hilaire de Poitiers. Voir Besly, IJisl. cks Cuinles de Puicluu, iu-folio, i». 292 et 293.

Rénovation de l'architecture chrétienne au commencement du onzième siè- cle;

22 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

comment eussent-ils agi de la sorte s'ils avaient cru sé- rieusement à une catastrophe qui eût confondre bientôt dans une môme ruine les héritages et les successeurs? Gomment lirions-nous encore autant de transactions , d'a- chats et de ventes , d'échanges et d'arrangements de toute espèce entre gens que la mort allait infailliblement saisir ? et toutes ces écritures portant l'empreinte et la date môme des années qui précèdent de plus près la plus redoutée de toutes , jusqu'à l'an ] 003 , après lequel la plus obstinée crédulité n'avait plus rien à craindre ?

Néanmoins la recrudescence architecturale de cette époque est incontestable ; ses écrivains en font foi , et le bénédictin Radulphe Glaber, dont la Chronique finit à l'année 1046 , étabht qu'à la fin de ^1003 la France et l'Italie brillèrent entre toutes les nations par une sainte ardeur à relever les monastères et les églises (^). Cette date si précise semble bien, il faut l'avouer, indiquer à dessein l'époque la prétendue prophétie commençait à ne plus, faire peur, et atteste qu'en effet des préoccupations antérieures avaient paralysé quelque peu le zèle qui reparut tout à coup. Mais ces timidités, peu conciliables si on les généralisait trop avec les faits historiques apportés ci-dessus, venaient bien plus, comme nous l'avons dit, des malheurs accumulés sur les populations de l'Europe occidentale depuis la mort de Gharlemagne, que de l'attente certaine d'un bouleversement universel, attente que Glaber, qui n'eût pu l'oublier, ne

(1) « Igiturinfra supra di«îtum millesimuiD, tertio jamfere imminente anno , contigit in imiverso pêne terrarum orbe, prœcipue tamen in Italia et in Galliis , innovari ecclesiarum basilicas, licet pleraeque de- center locatae minime indiguissent. iEmulabatur tamen quœque gens Christicolorum adversus alteram decentiore frui. Erat enim instar ac si mundus excutiendo semel, rejecta vetustate, passim candidam eccle- siarum vestem induceret. Tune denique episconalium sedium ecclesias pêne universas, ac caetera quaeque diversorum Sanctorum monasteria, seu minora villarum oratoria, in meliora quique permutare fidèles. » (Glabri Radulli Uislorix , lib. III , cap. iv; apud Historias Francoruni Pi bibliotheca Pitheei éditas, in-folio, FrancofurU, 1596, p. 27.

SON APPLICATION A LART CHRÉTlliPy. 23

mentionne même pas ! Mais quand l'avénenient dos Capétiens «^s causes vcrita-

bles dans les con-

a terminé tant de querelles sanglantes; lorsque la plupart quêtes du chm-

tianisinc,

des nations du Nord arrivent a la lumière pacifique du Chi-istianisme (I) ; que l'Italie renaît par la docte et pater- nelle influence de la papauté, sous Sylvestre II, Jean XVII et Sergius IV (2 ; lorsqu enfin la France voit avec admiration la piété du roi Robert s'intéresser aux choses de la liturgie et honorer d'une égale attention tout ce qui se rattache au culte de Dieu et de ses Saints, on conçoit qu'à l'abri de cette paix de toutes parts revenue, l'élan put être donné à une grande l'égénération monumentale , et comment les peuples rivalisèrent d'y contribuer (3). On voit donc combien se sont trompés quelques observateurs qui, sans craindre de contredire toutes les chroniques locales et contemporaines, ont avancé hardiment qu'à ce sujet il ne fallait pas les prendre à la lettre. Il est clair que des écrivains aussi expli- cites que ceux du onzième siècle n'ont pas voulu nous léguer des contes, et doivent être les guides naturels de tous les historiens à venir (4).

(1) Il faut rapporter à ce lemps-là la conversion des Normands , des Hongrois, des Islandais_, des Suédois, des Danois, des Norwégiens. des Polonais, etc.

(2) Duchesne, Histoire des Papes, p. 94 J, in-4", Paris, 1615.

(3) Comme Glaber, Guillaume de Malmesbury, qui écrivait peu après (au douzième siècle), se complaît dans une longue liste des églises bâ- ties au onzième en Normandie et en Angleterre, et ce qu'il dit des deux pays peut s'appliquer à touLe l'Europe: « In diebus illis maxima pacis tranquillitas lovebat habitantes in Normannia , et servi Dei a cunctis habebantur in summa reverentia. Unusquisque optimatum certabat in prœdio suo ecclesias œditicare et monachos qui pro se Deum orarent rébus suis locupletare. » (De Gestis jionlificum Angloruni , lib. III , cap. XIII ; apud Seville, Anglicar. rerum scriplorespost Bedam , in-P, Londini, J."J9G.)

(4) C'était l'opinion de M. Miclion, émise au congrès arcliéologique d'Angouléme en 1847. 11 y réclamait aussi contre ce qu'on a cru jusqu'à présent des ravages multipliés des Normands et des incendies faits par eux des églises et des monastères. C'est là, s'il en fût jamais, un so- [jhisrne, et de premier ordre. Le contraire se prouverait amplement par les curieuses reproductions d'un manuscrit du quatorzième siècle,

24 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

et les nombreuses Uiic auLi'c causc (le Cet eiiipresscmeiit se dévoile encore.

translations de re- i -^t i - i> , i

liques. Durant les guerres des Normands, si funestes aux choses

sacrées, les monastères et les églises s'étaient l'ait un devoir de porter au loin les riches et nombreuses reliques qu'ils possédaient. Beaucoup d'entre elles étaient restées dans les lieux qui les avaient protégées; d'autres s'étaient effacées du souvenir des hommes après réversion des lieux saints et la mort souvent violente de ceux qui les avaient confiées ou reçues. Quand le temps parut favorable, on les réclama, et il fallut de nouvelles éghses pour leur rendre une hospitalité digne d'elles ; il fallut de nouveaux monastères pour gi-ouper autour d'elles de fervents disciples de tant de Saints recon- quis: c'est ce que Glaber assure encore (1). Parmi les princes, le religieux successeur de Hugues Gapet entra, par des efforts et des sommes considérables, dans ce soin des constructions nationales. C'était pour lui comme une sorte

copié évidemment sur un autre bien plus ancien et qu'a publié M. Pei- gné-Delacourt à la suite de ses Normands clans le Noyonnais , in-8", Paris, 1868. Toutes les routes parcourues par ces terribles ravageurs^ toutes les églises pillées, y sont indiquées en nombre immense avec les moyens qu'on y prit de soustraire aux pillards les reliques et autres objets précieux de leurs trésors. Donc, pour s'entendre avec M. Michon, il faudrait nier la valeur de ces documents ; il faudrait oublier en- core tous les auteurs de cette époque, et surtout l'énergique résumé qu'en faisaient alors les nations chrétiennes à qui ces païens du. Nord en voulaient surtout: A furore Normannorum libéra nos, Domine. Sans doute il resta des ruines, dont les derniers débris suffisent peut- être à constater les caractères de l'architecture anlérieure au onzième siècle; mais ces débris, comme le dit beaucoup mieux ce même M. Mi- chon, servirent de bases à des constructions nouvelles. Il n'en est pas moins établi que le zèle de reconstruction était devenu un mouvement général de la société à cette période du moyen Age. Voir Séances générales de la Sociélé française d'archéologie tenues en 1847, in-8", p. 303 et suiv., Paris, Derache, 1848.

(1) « Innovatis eccle.Viarum basilicis universo mundo, subsequenii tempore,id estannooclavo post millesimumhumanœsalvationisannum, revelata sunt diversorum argumentorum indiciis quorsum diu latue- rant plurimorum Sanctorum pignora, Nam, veluti quoddam resurrec- tionis decoramcn préestolantes, Dei nutu fidelium obtutibus patuere. » (Glabri Radulfi, ubi suprà, cap. vi; mihi, p. 30.)

SON APPl.lCATIOX A L VUT CHRÉTIKN. 2:)

de seconde vocation attachée à celle de la royauté, et un de ses historiens, témoin de son activité merveilleuse, se plaît à en énumérer les fruits dans une page toute pleine de noms de nos plus célèhres étahlissements (I). Le môme entraînement se manifesta bientôt, par l'unique raison d'avoir mieux. On refît le plus grand nombre des cathé- drales; les abbayes, les prieurés, les simples paroisses de campagne furent b. l'envi réédifiés; et ce qu'il y a de plus curieux, c'est que, pour en venir là, il ne fallût pas même que ces édifices eussent besoin de réparation ou d'agrandis- sement. Les chroniques affirment que beaucoup d'entre eux ne durent leur remise en œuvre qu'à la pensée, alors dominante, d'embellir la maison de Dieu. Or en quoi cousis- Apparition du

^ grand appareil,

tèrent principalement ces améliorations univei'sellement enviées, sinon en ce que les édifices sacrés devinrent plus vastes, et furent maçonnés non plus en mélange de bois et de moellons comme auparavant, mais en fortes murailles composées d'un épais blocage de pierres et de ciment que revêtait de toutes parts un grand appareil uniforme et régulier, comme nous le voyons encore dans la plupart de nos vieilles églises. Ce genre nouveau (2), signalé alors comme une conquête de l'architecture religieuse (3), et qui devait être emprunté aux forteresses de la féodalité, attestait, par la noble et imposante fermeté de son style, les grandes et immortelles pensées de ces peuples chrétiens

(1) « In aedificatiouibus ecclesiarum Dei hic temporal! simul ac s\)iri- tuali iuunctus rex sanct'e benedictionis dono, suam potentiaiu et vo- luiitatem adimplere desiderans, et ad œlernte beatitudiuis palmam consequendam, aiihelans inter alia cogitare cœpit... Sancti Dei... qua essent hoiioraûdi et extollendi laude. » (Helgaldi^Floriacensis raonacbi, Epiloine Vilsd Roberti régis , e bibliotheca Pithaei , ubi supià; inihi , p. 77.)— Ce zèle du prince s'étendit à Paris, Orléans, Yitry, Senlis, Me- lun, Ktarn[)es, Poissy, Autim, et Ijien d'autres lieux certaines de ces églises du onzième siècle existent encore.

(2) Bulk'lin vionuinenlal, t. IV, p. 176 et suiv.; t. V, p. 134.

(.'}) M. deCaunionlj [list. somtnuire de CanliUcrlure, p. 90 et suiv., imssim.

1000.

26 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

revenus à leurs plus solides espérances. Nétait-ce pas encore un symbole de l'imniutabilité de la foi ? et des cryptes de Unc tcUc émulatiou sc prolougea bien au delà du règne

vastes dimensions. . . i » n i , > i

de Robert, qui en avait donne 1 exemple , et prépara ce beau douzième siècle les plus suaves fleurs de l'architecture mystique s'épanouirent sur notre sol. Les cryptes, qu'on n'avait guère songé à creuser encore en de grandes pro- portions sous les grandes églises, et d'après une imitation plus ou moins fidèle de leur plan, datent de ce temps de régé- nération. En ^02i, Fulbert, évèque de Chartres, en ména- geait une magnifique à sa cathédrale, reconstruite après un incendie. encore est une idée mystérieuse dont nous parlerons bientôt ('l). Aucuns symbo- Établissous cufin , commc résumé de toutes nos raisons

les ne constatent ^ ^ . x-t x^i.'"

la peur de l'an coutrc k famcusc tcrrcur, si gratuitement prêtée a nos pères à propos de Fan 'lOOO , qu'après la sécurité revenue, quand l'art sc reprit à ses droits par l'expansion plus abon- dante de ses richesses sculptées, il ne constata par aucun trait apparent le grand rôle qu'aurait eu ce sentiment dans les affaires humaines de presque tout un siècle. Pas un de ces monuments construits alors qui fasse la moin- dre allusion sym])olique à la fin du monde, au bonheur d'être éciiappé à ce naufrage redoutable! Si le onzième siècle donne quelques types du jugement dernier, c'est en de rares exemples , mais toujours sans aucun ressentiment d'un passé si proche de lui, et qui aurait bien valu qu'on en sculptât le souvenir.,.. On ne prétendait y donner qu'une leçon éloquente aux violences dont on avait souffert, aux vices qui surgissent toujours du sein de la guerre, et à toutes ces intempérances de la volonté entraînée à la suite des mauvaises passions du cœur humahi (2).

(1) Voir notre Histoire de la cathédrale de Poitiers, t. I, p. 34, in-S», Paris, 1849. Fulberti Carnot. episc, Epistola h, apud dom Bouquet. Scriptores rerum. q allie, i. X, p. 469,

(2) Voir Bulletin monumental, t. VU, p. 520, et t. XIV, p. 102 et 226.

SON APPLICATIOIN A LAKT CHHÉTIEN. 27

Cependant, notre symbolisme allait gagner de pré- .iJ^^^'^y^fbTS^ cieux éléments. Dès le milieu du onzième siècle, l'essor f,f„VlrA'?S'o®

£111 OII0I6III6 SlCCiC*

donné à l'art de construire, les plans devenus plus vastes, les niasses rendues plus imposantes , durent chercher dans la sculpture des moyens de pallier la sévérité du style nouveau. La théologie mystique \int exercer son heureuse influence sur ces nouvelles inspirations. Les portes principales ou secondaires des églises et des cloîtres commencèrent à s'enfoncer sous deux ou trois rangs d'archivoltes agréablement fouillées de dessins variés, et retombèrent sur autant de colonnes dont les chapiteaux épanchaient déjà quelques feuillages mieux galbés. Dans ce travail, qui ne brille pas encore par d'insignes ressources, et se contente souvent de sujets isolés, mais non tout à fait dénués de significations symboliques, on pressent la pro- chaine apparition de motifs plus diserts. Quelques tètes d'hommes, diverses d'expression et de pensée, apparaissent sous les corniches des façades , quelquefois môme, à l'inté- rieur, sous les pendentifs des coupoles centrales, au-dessus desquelles s'élève la tour du clocher. Bientôt des épisodes bibliques se déroulent sur les larges circonférences des cliapiteaux que charge l'arc triomphal; une végétation ex- pressive rampe en guirlande continue à la naissance de la voûte du sanctuaire ; des oiseaux y boivent à un même calice, y becquettent le raisin d'une vigne mystique, ou s'endorment paisiblement dans les branchages: âmes d'élite qui se délectent dans la solitude du saint lieu. En un mot, l'idée esthétique est se mêlant aux minces détails de la décoration, quand, depuis longtemps, la forme générale a donné à l'ensemble un langage comui de tous. A mesure que l'art se perfectioune en se transformant, et que le cise- leur rivalise avec l'architecte, on a oit se multiplier les manifestations du symbolisme, on sent que l'architecture se plie aux influences des écrivains de ce temps , et qu'en s'élevant jusqu'à la hauteur de leurs conceptions magis-

28 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

traies, elle s'étudie à les traduire sur la pierre, pour en faire autant de leçons impérissables à la foule, autant de livres pour ceux que ne pourrait aider la lecture des manuscrits. Ces caractères brillent aujourd'hui en des proportions diverses de tout le cliarme de leur vénérable antiquité dans les belles cathédrales de Nantes, d'Évreux, du Mans, de Luçon, de Bayeux, de Spire, de Worms, de Mayence ; dans les abbatiales de Saint-Benoit-sur- Loire, de la Trinité d'Ang^ers, de Saint-Étienne de Caen, de Saint-Sernin de Toulouse, de Saint-Savin-sur-Gartempe, de Saint-Georges de Bocberville, de Montierneuf de Poitiers. Cette dernière ville a aussi ses collégiales de Saint-Hilaire, de Notre-Dame et de Sainte-Badégonde, comme Gliauvigny-sur-Vienne a Saint-Pierre , comme Parthenay en Gâtine Sainte-Croix, comme partout enfin, dans nos villes et nos campagnes, d'innombrables paroisses rappellent jusque dans la modeste simplicité de leur intéressante iconographie ces temps de véritable renaissance que tant d'éléments inconnus se prê- tèrent à favoriser.

Maintenant , que conclure de ces documents positifs , sinon qu'après l'an ï 000 on vit s'établir dans la construction des églises cette extrême rigueur normale qu'attestent les savants? Mais aussi faut-il en abandonner quelques-uns, comme nous délaissons M. Lenormand lui-même, lorsqu'il affirme qu'antérieurement à cette époque les règles pro- pres des constructions sacrées furent dominées par une forte anarchie (-1). Les plans, au contraire, restèrent for- mellement les mêmes, et les mêmes règles imposées de tout temps par V Église furent constamment surveillées et maintenues par Elle. Influence excr- ^als , si Ics priiicipes dcmeurcnt intacts sous un tel

cee par la littera- ' ^

turc du douzième pati'ouage , toujours foiidé sur des vérités h répandre, la

(1) EiiairrÂnscinents sur la le^lUuHon de Véglise mérovingienne de Sainl-Marluide Tour^, p. 457 du tome l^r de la Traduction de S. Gré- goire de Tours, par MM. Guadet cl Taramie, in-S», 1838.

SON APPLICATION A L'aUT CHRÉTIEN. 2«)

pensée Imniaiuc, peu stcitioniiaire de sa nature, élai'p:it sans cesse sa carrière, et rien ne la lui agrandit au même degré que la littérature et les arts. L'Église n'a garde alors de l'entraver : elle la protège et l'encourage. Aussi , sous ses auspices, le douzième siècle, arrivant avec son grave et docte cortège d'écrivains sérieux et positifs , donne aux lettres sacrées un magnifique développement dans les écrits de ces grands génies dont nous avons analysé les œuvres hié- ratiques. Chose merveilleuse ! ce fut le signal d'un mou- vement de plus vers la perfection du style architectonique : la pensée dicta, et l'art écrivit à l'avenir ces témoignages immortels de la puissance créatrice que nous y admirons encore.

Ce douzième siècle, dont les écrivains s'étaient si stricte- Heureuses mno- ment tenus aux doctrines théologiques et scripturaires pian générai des

^ . . églises romanes.

venues directement des Apôtres, s en tient aussi, pour 1 ar- chitecture, aux règles faites : ses églises conservent leurs formes reçues, leur symholisme est complet sous ce rap- port; tout au plus, outre radjonction d'un latéral, et quel- quefois de deux ou trois, de chaque côté de la nef médiane ; outre les galeries supérieures qui les surmontent, et que couronnent une helle suite de fenêtres formant le triforium^ et pour lesquelles on marie le plein-cintre à l'ogive ; outre cela, disons-nous, on consacra d'heureuses innovations dans la plus haute partie des clochers et dans le prolongement des has-côtés autour du sanctuaire, qui commence dès lors à s'isoler de l'ahsidc et à garnir le déambulatoire de cha- pelles formant pour ce nouveau chevet soit un rayonne- ment mystique, soit les trois branches symboliques du nimbe croisé toujours donné à la tète de l'Homme-Dieu. Or, avec ces quelques éléments s'opère tout un élan vers une révo- lution architecturale. La vieille école qui règne depuis le sixième siècle laisse absorber ses principes dans celle de l'époque nouvelle, et celle-ci, à son tour, tend déjà, par d'importantes modifications de son style, vers l'école ogivale,

30 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

qui deviendra bientôt la plus haute expression de l'art. Les nombres sym- Nous ne savous jusqu'où dolt aller notre confiance en de

boliques y figii- . i, i , i i i.

rent-iis? ccrtaincs protentions d archéologues modernes qui ont

attribué aux architectes romans une mystérieuse tendance vers des combinaisons numérales ou géométriques dans le tracé de leurs plans. A les entendre, ces génies méditatifs auraient surtout clioisi le cube pour principe architecto- nique , et de son développement régulier serait née la figure d'une croix donnée à la jjasilique latine {\). S'il en était ainsi, le moyen âge n'aurait eu que le mérite bien secondaire d'appliquer le principe à des éléments qui lui furent antérieurs de toute la durée du Christianisme. Il est vrai que l'habile et regrettable dominicain Piel, dont la science architecturale s'était nourrie des plus liantes pen- sées de l'exégèse chrétienne , semble avoir eu sur ce point un système que, malheureusement, il n'a pu exposer avant de mourir (2). Mais pour lui, il ne se fut agi que d'appliquer les nombres à la construction de nos grandes cathédrales, beaucoup plus que de poser une théorie identique dans le passé. Il marcliait néanmoins sur les vestiges des Pères, et sans doute il nous eût donné en d'ingénieux rapproche-

(1) Cf. M. S<^hiiaase, Histoire de rarl,ciiè par B'idron , Annales archéologiques , t. XII, p. 323. Ce n'est pas que MM. Didrou et Schnaase ne nous paraissent pas dédaigner de beaucoup trop le sym- bolisme des nombres^ regardé comme très-sérieux partant de graves autorités citées par nous dans le premier volume de cet ouvrage; mais l'un et l'autre nous semblent dans le vrai quand ils refusent tout crédit aux raisons données jusqu'à présent par l'érudition vaporeuse d'outre-Illiin pour établir la réalité de leur système géométrique.

(2) Le 31 décembre 1837, Alexandre Piel, qui n'était pas encore entré dans l'ordre de Saint-Dominique, écrivait à son père : « Je dispose un autre travail sur les nombres impairs de l'Ancien Testament, qui me servira plus tard pour une symbolique des nombres de toutes les an- ciennes traditions, et qui conduira à dévoiler un des mystères encore cachés de la synthèse des catbédrales catholiques.» —Voir Biographie universelle de Michaud , t. LXXVII , p. 169 ; voir encore une de ses lettres, sur l'art et l'influence qu'il reçoit du Christianisme, au t. IX, p. 354, du Bulletin momimental.

SON VPPLICATION A i/aRT CHRÉTIEN, 3i

ments l'explicalioii de quchiiics mystèros peut-être encore inaperçus. Cette marche grave et partout éclairée des lu- mières de la patristiiiue n'aurait donc rien de conuTiun avec les rêveries allemandes signalées par le docte M. Schnaase, qui n'y croit pas et les bat en brèche. Gar- dons-nous comme lui de ces abstractions chimériques : le côté sérieux de la science est assez large pour nous res- treindre à ses contins. Toutefois ne faudrait-il pas attacher une importance Que dou-on re-

^ jeter ou admettre

réelle à des spéculations moins ambitieuses , et croire que <i^ ifur système

d'application ?

des calculs symboliques ont présidé aux dimensions géné- rales des églises , à celles de leurs bas-côtés , à la hauteur de leurs voûtes au-dessus du sol, à la symétrie ou à la répé- tition trinairc ou septénaire de leurs fenêtres ou de leurs portes, comme on a cru l'observer dans ce beau prieuré de Saint-Gilles, bâti en 1 1 10 sur la terre si monumentale du Languedoc (I)? Pourquoi non ?... Si l'on admet, comme il

(i) Voir la description de ce monument dans V Iconographie chré- lienne de M. l'abbé Crosuier , p. loO et suiv., in-S»^ Paris, 1848. Il ter- mine par cette observation ce qu'il nous apprend de l'intérieur : « Si nous appliquons ici le symbolisme des nombres tel que les Pères l'ont développé..., nous trouvons, dans la largeur de chaque travée, 17 pieds : la Loi accomplie par la grâce ; dans la lai geur des bas- côtés, 14: l'union de la Loi ancienne à la Loi nouvelle; dans la largeur totale de l'église, 77 : les 77 générations qui ont existé depuis Adam jusqu'à Jésus- Christ, le nombre de la miséricorde et du pardon. Les chapelles absidales nous offrent encore d'autres symboles : leur nombre septénaire se trouve divisé en deux, quatre plus petites qui ne devaient point être éclairées par des fenêtres, et trois plus grandes ayant cha- cune leurs fenêtres trinitaires. En effet, la terre, indiquée par le nombre 4, était dans les ténèbres, et si le Sauveur ne fût venu retracer dans le cœur des hommes l'image de Dieu, ils seraient encore assis à l'ombre de la mort. Les quatre chapelles obscures ont 10 pieds à leur ouver- ture : c'est le nombre de la Loi de crainte; les chapelles trinitaires en ont 14 : union de la Loi de crainte et de la Loi d'amour. »— On ne peut nier ce qu'il y a d'heureusement combiné entre ces mesures et les conséquences que le docte auteur veut en tirer. Une seule difficulté se présente naturellement à qui réfléchit sur ces relations entre les nom- bres et la matière à laquelle on les applique : c'est que le p/ec? n'avait pas certainement au moyen Age , au douzième siècle , la même valeur

32 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

le faut bien , qu'il y ait une signification adoptée par tous les symbolistes dans la plupart des nombres que men- tionnent nos Livres saints , quoi d'étonnant qu'on y ait trouvé des rapports possibles avec les parties de la maison de Dieu, si nombreuses et si diverses par leur usage ? Après ce que nous avons vu de l'arclie de Noé, rappelons-nous les dimensions données, dans l'Apocalypse, à la Cité divine, le nombre de ses colonnes, de ses portes , de ses fondements, tous mystérieux, tous avoués pour tels par l'Église et si fré- quemment reproduits dans sa liturgie si féconde : nous serons peu étonnés, dès lors, en présence de ces révéla- tions inattendues, que l'arcliitecture religieuse nuiltiplie à nos regards; et si nous rejetons les théories idéales inven- tées après coup par des chercheurs de fumée , nous n'ac- cepterons qu'avec plus de respect des pratiques recom- mandées par nos plus sérieuses traditions.

« Ge n'est donc pas assez , dirons-nous avec un archéo- logue estimable, de constater l'emploi de certains nombres : il faut les expliquer. Il ne suflit pas de prouver que les proportions de plusieurs basiliques sont identiquement les mêmes : il faut avoir établi l'unité de mesures, et découvrir la raison de leur emploi. Si on l'emprunte, comme il paraît, à la valeur numérique des lettres de l'alphabet hébreux, à la pliilosophie transcendantale des Juifs, il est essentiel de dé- montrer au préalable que ces traditions étaient connues, acceptées , réahsées par les architectes et les confréries de francs-maçons au moyen âge. Cette tâche une fois remplie,

que depuis j on sait que les mesures de longueur et de capacité, tout en retenant les mêmes noms, ont varié maintes fois selon les peuples et les époques; et, le pied n'eût41 différé que d'un pouce, que deviennent les proportions si justes qu'on assigne aux détails de la fameuse église, et comment s'y fier pour quelque autre que ce soit proposée comme exemple du symbolisme , nous ne disons pas des nombres, qu'on ap- plique justement de tant d'autres manières, mais des mesures, dont le symbolisme n'est jamais possible à établir par comparaisons? On voit qu'il faut beaucoup s'observer eu cette matière.

SOx\ APPmClTlON A L,'aRT CHRÉTIEN. 33

on pourra tirer parti des lumièi'es éparses çà et , mais pauvres daus leur isolemeat (I). »

Nous avons vu nai>uère par un écrit célèbre de S. Bernard, Fécondité .le

*^ i conograph'.o niys-

inort en 1 1 53, à quelle profusion d'images la sculpture était tique à répoque

' ^ * ^ * de s. Homard.

parvenue avant la première moitié du douzième siècle , et (luelle étonnante variété de sujets symboliques s'attachait au\ églises et aux cloîtres des monastères (2). On voit par les reproches du saint Abbé à ses religieux pour ce luxe , peu convenai)le, selon lui, à des moines, qu'il le tolérait phis volontiers dans les cathédrales et les collégiales du clergé séculier. Nous aurions assez de ces observations pour conclure, en l'absence des monuments eux-mêmes, à une richesse décorative qui ferait de cette époque une des plus belles pages de l'histoire du symbolisme. Pour nous, en effet, rien n'est perdu de ce grave et saint héritage. Après sept ou huit cents ans, ces nobles murailles, qui s'ouvrent encore pour nous chaque jour, parlent à tous le même lan- gage qu'à nos pères ; la seule différence (et elle est trop grande), c'est que le vulgaire ne le comprend plus, l'homme d'études lui-même n'en a, le plus souvent, qu'une imparfaite appréciation. Tout n'y est pas moins plein de vie morale; c'est une théologie complète, exposant l'histoire de l'âme humaine dans ses rapports a\ec son présent si court et son étei'uel avenir ; c'est la philosophie du Christianisme s'im- misçant dans toutes les affaires de la vie du temps , au pro- fit de celle, ])icn plus importante, qui viendra bientôt.

Le treizième siècle, qui devait atteindre la perfection du ce siooie pius beau dans le svelte gracieux et l'élégante légèreté de son le suivant. arcliitecture , ne dépassa point celui-ci pour l'expression de la pensée symbolique. Ses dernières années même furent témoins d'une certaine décroissance des principes, dont on

(1) M. l'abbé Godard-Saint-Jean, Essai sur le symbolisme archilec luraL p. 15, in-8o, Paris, 1847.

(2) Voir ci-dessus, t. II, cli. xvil, p. 594.

T. m. 3

34 HISTOIRE UU SYMBOLISME.

commença à négliger la pnreté sévèie , et alors se firent jour des tendances qui préludèrent insensiblement aux fautes etauxalDcrrations de la Renaissance... C'est, liélas ! le sort de toutes les grandes choses humaines de ne tomber jamais que du plus haut qu'elles pouvaient atteindre. La vie des arts, dont l'homme se montre si fier , est en cela comme celle des peuples , et c'est une des plus grandes leçons de la Providence que leur décadence et leur chute soient toujours limitrophes de leur plus grande perfec- tion. L'art y complète, Lc douzlèmc sièclc, au coutrairc , s'élève devant Fobser-

par toutes ses for- i,,.,rii o j

mes, l'embellisse - vatcur avcc toutc 1 autoritc de la science terme et sure des dlTégHsT/ "^"*' génies qui nous le donnèrent. Inébranlable dans le dogme, il le traduit partout, et les notions fondamentales y trouvent en mille façons à crayonner leurs splendides synthèses. Sous les inspirations de l'Église, mère et maîtresse de la pensée catholique , on voit le temple divin se transformer non moins dans ses parties que dans sa masse. C'est- alors qu'apparaissent avec leurs vives couleurs et parés de toute la doctrine théologique ces vitraux dont le champ, restreint d'abord à de si humbles mesures , n'avait donné jusque-là que des grisailles sans but ou des teintes sans enseigne- ments. Dans la statuaire jetée avec une ravissante profusion aux tympans et aux voussures des portails, aux chapiteaux de l'intérieur ou aux pourtours du sanctuaire, on voit revivre l'auguste Trinité , les Saints protecteurs du pays et modèles du monde , les histoires de la Bible et les scènes les plus douces comme les plus redoutables de la vie intel- lectuelle de l'humanité. Le triomphe de l'Église sur l'hé- résie , sa victoire sur le monde matérialiste , la puissance de protection divine qui la soutient contre ses adversaires abattus se manifestent aux yeux des peuples sous la figure de Sam son déchirant l'énorme tête du bon qu'il enfourche et domine , ou sous les traits du cavalier, maintenant bien connu , dont la fière monture foule la tête d'un ennemi

SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. 35

teri'assé (^). L'architecture néo-grecque, en nous apportant des plages byzantines ses inspirations locales , les marie , par un agencement gracieux, aux formes pures et austères de notre roman. Elle fait correspondre au triple portail de ses façades la triple répétition des absides, que trois fenêtres éclairent en même temps : symbole de la Trinité avec la- quelle vous entrez dans le temple, et dont la lumière révélée vous y instruit du dogme fondamental de la foi (2). Elle surmonte les toitures de coupoles hardies , assouplit les arcades en les surhaussant , et quelquefois oi'ne de lobes courants leurs intrados. Elle revêt la statuaire de riches et amples draperies aux bords galonnés , aux plis symé- Iriques , aux somptueux ornements de perles et de brode- ries orientales ; et des ciselures des tympans et des chapi- teaux , cette beUe décoration passe aux verrières devenues toutes rayonnantes de mille faits symboliques, aux surfaces mui-ales la peinture étale sur des fonds d'or ses naïves légendes , aux voûtes encore surbaissées brillent toutes les étoiles du ciel azuré : c'est l'époque de la flore monu- mentale apportant, avec les souvenirs de l'art antique dans le chapiteau corinthien, et les guirlandes courantes et la nomenclature plus vaste et plus expressive de ses plantes indigènes, de ses couronnes de fleurs; prodiguant, sous les formes les plus aimables et les plus variées, toutes les pen- sées chrétiennes avec des branches de chêne , d'olivier , de violette ou de nymphéa ; ornant les fonts baptismaux des végétations touffues de nos rivières ; plantant le bon et le mauvais arbre aux façades de l'enceinte sacrée la foule va recueilUr les fruits de la parole de Dieu ; parant enfin de

(1) On sait combien de longues discussions ont été faites à ce sujet. Quelques raisons qu'aient données de part et d'autre les soutenants des opinions les plus extraordinaires, on ne peut plus refuser d'y voir le type que nous exprimons ici et dont nous avons donné les preuves ci-dessus, t. II, ch. xv, p. 489. —Voir la Table générale, cavalier.

(•2) Cf. l'abbé Grosnier, Iconographie chrélienne, p. 153.

30

HISTOIRE DU SVMBOLISMK.

palmes , de roses et de lis les statues des Saints comme de pieux et visibles symboles de leurs humbles et énergiques et y rattache tout vertus (I ) . N'ost-ce pas eucoro un sy oibole de ce temps liiéra- damentarde l'u- tlquc par excellcnce que cette unité parfaite de l'art roman, accordant toutes les lignes de ses grandes œuvres dans un ensemble majestueux, rien de hasardé ni d'indécis ne vient altérer la pureté du style aujourd'hui si méconnu par les fades imitateurs du moyen âge ? Nous ne soutiendrons pas sans doute que la pensée de l'architecte a vouhi rappro- cher ce mérite de l'essence souvei'ainement une de Dieu ; mais le philosophe chrétien, en exaurinant, par exemple, la cathédrale de Valence , ou Saint-Sernin de Toulouse , ou tout autre chef-d'œuvre plein, comme ceux-ci, d'une poésie grave et d'une solennelle grandeur , n'élève-t-il pas son âme vers l'Être unique dont le génie humain n'est qu'une émanation sacrée? n'adore-t-il pas l'éternelle Unité qui féconda la pensée de l'homme jusqu'à vouloir qu'il eu sor- tît des temples dont l'eusemble fut l'image de Son in- comparable Grandeur (2j ?

De ces nobles éléments allait naître cependant une de ces révolutions calmes et raisonnées dont un progrès véritable est toujours la conséquence immédiate. Depuis plus de cent ans, l'élan donné à la pensée artistique avait ménagé à l'architecture une tentative nouvelle , appliquée isolément, il est vrai, mais assez bien déhnie pour faire remonter sûrement sou origine au commencement du onzième siècle (3) : forme timide et incertaine d'abord,

Apparition de l'ogive, à la fois architecturale et symbolique.

(1) Voir, pour l'explication symbolique de ces diverses plantes cl fleurs^ le chapitre xiii de ceUe troisième partie {De la Flore murale) et tous les noms d'arbres et de fleurs quelconques de la TalLe analy- ligue, à la fin de l'ouvrage.

(2) Voir l'abbé Jouve, Notice historique et descriptive sur la cathé- drale de Valence en Dauphiné,i^. 35, in-S", Paris, 1848.

(3) L'ogive nous semble dater de cette époque dans le Poitou, le plus remarquable spécimen se montre à l'arc triomplial de Sainte- Radégonde de Poitiers , qui certainement se rapproche beaucoup de

SON APPLICATIOxN A L'ART CHRÉTIEN. 37

mais bientôt appelée à devenir une loi fondamentale et à régner entin sur les rnines d'un magnifique passé : nous voulons parler de l'arc ogival, dont l'emploi a pu s'inspirer peut-tHre des réminiscences de l'Orient, dont la forme ter- naire aussi pourrait bien avoir paru un symbole divin (1) , mais qui n'en constitue pas moins un système arcbitectural, ayant sa raison d'être dans une idée artistique , et se posant comme première assise d'un genre nouveau (2). Cet art, en maintenant la simplicité naturelle et la beauté d'en- semble gardées par la méthode romane, pose régulièrement ses arcades allongées sur le chapiteau des colonnes ou des piliers, fonde ainsi une élégante unité du sol à la clef de voûte; enfin il élève la pensée avec le point culminant de ces voûtes mêmes, qui, vastes et profondes, forment un ciel à part pour chaque travée. Cette heureuse innovation con- stitue donc un mouvement en avant dans les routes de la pratique. A quelque hasard qu'on veuille en attribuer la première idée, elle n'en prend pas moins sa place dans les plus belles coupes de toute construction. La voilà destinée déjà, après s'être mêlée au plein-cintre pendant toute l'époque de transition, à remplir seule toutes les conditions

l'an 1010, selon que le constate une inscription de cette année placée au bas du p'.lier qui soutient cette arcade. M. l'abbé Cochet a cité l'église de Bures (Seiue-Inférieure), monostyle et d'un seul jet, tout ogivale par ses moindres détails, et dont une inscription, gravée sur la muraille du sanctuaire, atteste la consécration par Rotrou, arche- vêque de Roueii, l'an 1168. Cette date ne nous étonne que médiocre- ment : elle prouve de reste qu'en Normandie le style ogival, employé dans un plan d'ensemble, est antérieur à ce qu'on peut remarquer ail- leurs. Mais nous ne croyons pas qu'en dehors du Poitou on puisse re- monter jusqu'à 1010 et au delà.

(1) « Dans cet élancement des parties vers le ciel, dit Af. de Cau- monl, et dans la plupart des combinaisons usitées au treizième siècle, on ne peut méconnaître l'expression d'une idée mystique ; qui sait même si la forme triangulaire de l'ogive n'était point un symbole aux yeux des architectes?» {Ilisl. de Varcliiiecl. au moyen âge,^. 174.)

(2) Voir la Défense de l'art ogival, par M. de Villers, contre les pré- tentions malheureusement académiquesdo iM.Haoul Rochette. Uulleiin Hwnu'ucnlfd, t. XII, p.oll et suiv.

38 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de Tart : l'élégance , par le svelte hardi et gracieux de ses élancements ; la solidité , par les points d'appui que lui donnent ses nervures, ses savantes intersections et les divisions nombreuses qui s'y contre-butent , et enfin la beauté symbolique, par ses aspirations vers les sublimes hauteurs tendent toutes les âmes. Rôle gracieux L'époQuc dc S. Tliomas , de S. François d'Assise, de

qu'elle donne aux ^ ^ ' ^ '

détails architecto- g, Louis ct dc Vinccut dc Beauvais, époque si ravissante de

niques. ^ ^

son noble et gracieux mélange de poésie et de raison, ne pouvait guère s'exprimer autrement dans ses chefs-d'œuvre de construction. « Il fallait à cette vive flamme de la foi, » dirons-nous avec un grand archéologue de notre temps (4), « le moyen de se transformer en pierres , et de se léguer Esthétique de l'ar- alusl à k postérlté. Il faut aux Pontifes et aux architectes

chitecture qu'elle . t n * , i ,

inspire; quclquc combmaisou nouvelle qui se prête et s adapte a

toutes les nouvelles richesses de l'esprit catholique. Ils la trouvent en suivant ces colonnes qui s'élèvent vis-à-vis l'une de l'autre, dans la basilique chrétienne, comme des prières qui, en se rencontrant devant Dieu, s'inclinent et s'emliras- sent comme des sœurs. Par son apparition, qui ne devient un fait général qu'au treizième siècle, tout est modifié, non pas dans le sens intime et mystérieux des édifices rehgieux , mais dans leur forme extérieure. Au lieu de s'étendre sur la terre comme de vastes toits destinés à abriter les fidèles, il faut que tout jailhsse et s'élance vers le Très-Haut. La ligne horizontale disparaît peu à peu , tant l'idée de l'éléva- tion, de la tendance au ciel domine ! A dater de ce moment, plus de crypte , plus d'église souterraine ; la pensée chré- tienne, qui n'a plus rien à craindre, se produira tout entière au grand jour. » « Dieu ne veut plus, dit le Tilurel, le plus grand poème de l'époque se formule l'idéal de l'ar- chitecture chrétienne, Dieu ne veut plus que son cher peuple

(l) M. de Montalembert , Hislohx de S" Élisabelh , iutfoduclion , n. Lxvi.

S0>" APPLICATION A i/aRT CHUÉTIEX. 39

se rassemble d'une manière timide et honteuse dans des trous et des cavernes. » (I)

Et bientôt comme ce symbolisme se développe dans toutes les parties de ses incomparables productions! Si vous les examinez successivement, vous ne pouvez qu'en admirer l'harmonieuse concordance. Depuis la statuaire, qui , après la seconde moitié du douzième siècle et pendant toute la durée du treizième, unit les caractères d'une majesté suave à ceu\ de la beauté mystique , jusqu'au tiers-point des baies et à la légèreté des colonnes, plus hautes et plus légères que jamais, vous sentez que l'architecte a voulu rendre la grandeur morale par celle de la taille humaine, et que les proportions de celle-ci indiquent à tout le reste du monu- ment l'esprit de ses diverses comJjinaisons (2). Tout y est donc régulier; tout y part du principe d'unité pour arriver à la beauté morale, pour donner de Dieu, de ses Saints et de leui" culte la plus haute idée possible (3).

C'est donc lentement, et après de savantes graduations , son apogée et sa

-, 1 , . . . ,,1, , 1 <• .1 décadence,

que 1 art chrétien arriva jusqu a 1 apogée que lui reservait le treizième siècle. Le plein-cintre céda toute sa place à l'ogive ; la sculpture vit adoucir et perfectionner ses formes , et se revêtit d'une délicatesse qui n'ôta rien à la gravité calculée de son expression morale. Sans rejeter l'ornementation tradi- tionnelle de la période précédente , elle abandonne le genre

(1) Boissérée, Essai sur la descriplion du temple du Sainl-Graal, dans le 3^ chant du Tilurel, Munich, 183L (Note de M. de Montalem- bert, iibi suprà, p. lxvii.)

(2) Nulle part ces observations ne se vérifient plus complètement que dans la belle abbatiale de Saint-Julien de Tours _, profanée par la révo- lution de 1793; et que S. Ém. le cardinal Morlot racheta, après soixante ans de ruine, pour la rendre à sa sainte destination, qu'elle a eniiu obtenue.

(3) Voir ces mêmes observations inspirées par la cathédrale d'Amiens à MM. Jourdain et D\iv3.\,Bullelm monumental, t. XI, p. 300; XII, 292; à M. Digot, t. XIII, 189, par les sculptures d'un font baptisrnal du douzième siècle. Le portail de Yézelay po-sède aussi dans son beau lynipan un saint Pierre , prince des Apôtres , dont la taille dépasse de beaucoup celle de tous les personnages qui l'entourent.

.^0 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

néo-grec , se renferme en elle-même , et , remplaçant aux chapiteaux les scènes historiées par les plus vivaces expres- sions de la flore symholique, elle semhle réserver pour les tympans de ses portes et les pourtours extérieurs des murs sacrés le luxe des épisodes hibliques ou des légendes locales, les terribles scènes qui se rattachent aux dernières fins de l'homme, et la merveilleuse assemblée des Élus régnant dans l'inaltérable sécurité de leur joie éternelle autour du trône de l'Agneau. Et n'était-ce pas une convenable introduction au Temple de Dieu que la triple considération des destinées définitives de l'homme préparant à la prière humble et sérieuse aux abords mêmes du lieu elle va s'épancher? Ensuite la peinture diaphane, qui multiplia aussi ses cffoi'ts et orna tous les temples du temps de S. Louis, s'éleva au plus haut point de l'interprétation scripturaire dans les magnifiques verrières de Bourges , de Reims , du Mans , de Poitiers, d'Auxerre, de Strasbourg. Les flèches plus aériennes portèrent jusqu'aux nuages le magnifique témoi- gnage de la grandeur de Dieu et du génie de l'homme. Il n'y eut plus rien de possible au delà de ces types impéris- sables qui fleurirent sur le sol européen, et dont la France et l'Angleterre avaient donné la noble envie à l'Italie, à l'Allemagne, à la patrie de Pelage et du Gid. Mais cent ansà peine écoulés, l'art religieux laissa tomber d'abord quelque fleuron de cette incomparable couronne sous le vent empesté des opinions novatrices ; puis il abdiqua le symbolisme avec SCS traditions séculaires, ne vit plus dans la Bible que lalettre morte, au détriment de l'esprit qui est la vérité et la vie , et alla perdant chaque jour quelque chose de sa beauté simple et harmonique, jusqu'à ce qu'enfin, se dégradant sans retour, il se flétrît tout entier dans la séclieresse insi- gnifiante de l'art grec, dans les formes païennes et mor- telles du siècle de Luther, de Garlostadt et de Galvin. Examen de quel- H scralt tcuips dc rcvcuir maintenant au point de

ques opinions sur i ' , i ' ' < i t

les prétendues dcpart (Ic CCS pruicipcs gcueraux , et de nous reporter au

SON APPLICATION A L AUT CIIUÉTIEN. U

plan d'ensemble et aux détails de l'éfilise matérielle fantaisies de rart

* *- _ cliretien.

pom* en étudier le symbolisme avec ses plus intimes le- çons et scruter les nombreuses étapes de cette longue route que nous venons de parcourir. Mais d'abord, nous avons besoin d'établir, comme vérité bistorique, un point trop longtemps constesté par des boni mes auxquels des études plus spéciales eussent fait éviter d'énormes erreurs. Nous avons lu et entendu pendant de longues années des arcbéologues assez malbeureux pour soutenir, avec toute la fermeté de leurs convictions imaginaires, que l'art catbo- lique n'avait jamais eu d'autres règles, dans la plupart de ses images décoratives, que le caprice d'ouvriers sans idée. D'autres, plus subtils, voyaient tout bonnement dans cer- taines sculptures maintes satires des laïques contre le clergé; ceux-ci encore d'équivoques cbapitres de roman, exposés aux regards distraits de la foule qu'ennuyait la lon- gueur des prières ou des offices !!! Et que n'a-t-on pas dit aussi de certains obscena dont l'borreur imposait à tout le moyen âge inie note si bien méritée d'infamie et d'immo- ralité!...; sur tant de cboses, que d'excentricités ont été prodi- guées ! Mais déjà ceux-lcà mômes qui s'en firent les bouillants champions se repentent, nous l'espérons de leur bonne foi , d'avoir tranclié avec ce glaive équivoque des questions alors trop .peu méditées , et qui n'ont plus d'obscurité aujour- d'hui. Nous en réservons la preuve à ceux des chapitres suivants, nous parlerons des peintres et des sculpteurs. Ouantà l'architecture, qui nous occupe seule à cette heure, il est bonde rappeler quelle fut toujours la sainte autorité de ses règles, et de constater par combien peu fut pos- sible, jusqu'aux siècles de décadence, l'intromission de la fantaisie dansas constructions religieuses, non mohis que dans le choix des sujets d'ornementation.

L'Église, n'eùt-elle été inspirée que par ce besoin d'estlié- présh'ier^àTa^V- tique gît toute sa vie spirituelle, aurait du songer, dès le t7n,pios%utsibKn commencement do son aciion e\(érieui-e, à s'enii)arer de jï«'*^ieurconstruc-

42 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

l'art décoratif. Les Livres saints lui prouvaient de reste que la pensée divine devait s'y refléter : l'arche d'alliance n'y avait-elle pas ses mesures déterminées, ses tentures de diverses couleurs prescrites ? n'y voyait-on pas la nature des bois et celle des métaux indiquées pour chaque objet , et toutes ces prescriptions manqueraient-elles d'une signi- fication mystérieuse , non plus que les différentes parties du Tabernacle, ses chérubins d'or battu, sa table des obla- tions, et son chandelier à sept branches, et son voile pour séparer le sanctuaire du Saint des Saints (1 ) ? C'était la raison que donnait déjà le pape Félix IV, mort en 529, pour encourager les évêques à l'édification des églises (2) , et Elle y a tenu Duraut dc Mcudc l'a dit plus expressément encore (3). Les

dès le commence- . . .

ment. prcmicrs temps chrétiens avaient donc sur ce point des

règles faites ; il ne s'agissait que de se les approprier, et les Apôtres n'y manquèrent pas. Nous avons vu dans leurs Con- stitutions la forme de vaisseau assignée d'une façon doctri- nale aux éghses, qui la conservèrent toujours (4). Les exceptions qui survinrent plus tard, sous Constantin et ses successeurs, ne consacrèrent que des formes non moins symboliques. Celle de rotonde, souvent préférée par ce prince après que sa mèreS^^ Hélène l'eut inaugurée, comme

(1) « Tabernaculum vero ita faciès..., faciès et saga cilicina undecini. Longitudo sagi uniiis habebit triginta cubitos, et latitudo, quatuor... Faciès et altare de lignis sethim... » (Cf. Exod., xxvi et xxvii.)

(2) « Si enim Judaîi qui umbree Legis deserviebaut baec faciebant, multomagisnos quibusveritaspatefactaest etgratia per JesumChristum data est, templa Doinino aediticare, et prout melius possumus ornare. eaque divinis precibus et sanctis unctiouibus suis cum altaribus et vasis.vestibus quoque et reliquis addivinum cultum expleudum usteii- silibus dévote et solemniter sacrare... debemus. » (Decreti Gratiani pars III, De Consecratione , dist. i, c. tabernaculum , ia-f» , Autuerp., 1560, col. 1974.)

(3) « Quidquid autem Synagoga perLegem accepit,hoc nuncEccIesia

a Christo cujiis sponsa est per gratiam recepit et in melius commu- tavit. )i (Duranti, praesulis Mimât., Raiionale div. Of'ficior.,'De Ecclesià fit ejus partibus, lib. I; mihi, f" il, iii-4o gotb., 1494.) f4) Voir, ci-dessus, la note 2 de la page 9.

SON APPLICATIOK A L'aRT CHRÉTIEN. 43

image du monde reconquis par le Sauveur, au Saint Sépulcre de Jérusalem, était couronnée d'une coupole, pour rappeler cette grande voûte de l'univers au sommet de laquelle est placé le trône de Dieu (^ ) . La croix transversale à cette voûte, et dont nous avons vu l'idée éclore des catacombes, diffé- rencie suffisamment ces monuments chrétiens des édifices païens, dont ils auraient pu sembler une imitation. Elle n'était qu'une transmission indigène du monde latin légè- rement modifiée, et conservant sur le sol hellénique toute la force de son expression native, figurant le Sauveur étendu sur l'instrument de sa mort, ayant la tète est l'abside , les bras sont les latéraux , le corps s'étend la nef mé- diane, et quelquefois même appuyant ses pieds au suppe- daneum figuré par la porte occidentale, arrondie à l'inté- rieur du vaisseau, ou par le nartex qui la précède (2). encore, aux douze colonnes qui supportaient l'architrave, il était facile de reconnaître ces Apôtres du Christ, soutiens de l'Église catholique, fondements de l'inébranlable vérité (3) . La croix latine, qui ne diffère de celle des Grecs que par la plus grande extension de sa partie inférieure , donnait plus d'élégance aux édifices de l'Occident, outre qu'elle repré- sentait plus exactement celle du Calvaire ; mais quelles que fussent ses dimensions à Rome ou à Byzance , elle n'en représentait pas moins bien, comme le dit M. Boissérée, la base mystique sur laquelle le vaisseau spirituel devait reposer (4). Nous verrons bientôt, en recherchant les ori- gines symboliques de nos peintures sacrées, combien stricte était la règle faite par l'autorité hiérarchique aux premiers

(1) BAlissier, p. 382.

(2) « Dispositio autem materialis ecclesiae modum humani corporis tenet. Cancelliis namque, sive locus ubi altare est^caput rej^rœsentat ; crux ex utraque parte, brachia et marms ; rcliqua pars ab Occidente, quidquid corpori superesse videt. » (Guill. DxiVcmii, ubi suprà.)

(3) « Kstis fundati... super fiindamentam Apostolorum. » (Ephes., ii, 20.) « Ecclesia..., colurana et firmameiitum veritatis. » (Tim , i, 3.)

(i) Monofjra/phie de la calhcdmle de Cologne.

44 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

artistes chrétiens. Serait-il croyable, en l'absence des pres- criptions détaillées qui semblent nous manquer pour l'archi- tecture , et dont nous citerons cependant ifn grand nom- bre , que celle-ci n'eût pas été assujettie aux mêmes règles, et se fût seule émancipée des surveillants naturels que l'Église ne dut pas se dispenser de leur donner ? Premières traces Quclqucs uuagcs douc qul cnveloppcnt, à cet égard, nos l'histoire.*' *"" plus anciennes traditions, croyons bien qu'elles remontent jusqu'au premier siècle, comme celles que les découvertes de la science ont rattachées depuis trois cents ans aux autres arts du dessin. Nous savons d'ailleurs , par des contempo- rains de Trajan, quelle magnificence on admirait dans les éghses construites avec tant d'empressement pendant les quelques années qui séparèrent parfois les persécutions. Lucien, entre autres, s'extasie sur les portes d'airain sculptées et les dorures prodiguées jusqu'au plafond d'un temple chrétien il introduit un personnage de ses Dialogues {\ ). Un peu après, on voit le pape S. CaUxte dédier à S*'' Marie, au delà du Tibre, la première église que Rome ait possédée au grand jour (2). On sait qu'au siècle suivant, un autre souverain pontife, S. Sylvestre, construisit dans la Ville Éter- nelle un grand nombre de basiliques dont l'ornementation se fit par des mosaïques et des peintures indiquées par lui, et au milieu desquelles l'Agneau sans tache , accompagné de S. Jean, et tenant sous ses pieds le Livre évangélique, avait la principale place dans l'abside centrale. Il avait fait représenter ailleurs la Sainte Vierge, les apôtres S. Pierre et S. Paul, les bienheureux martyrs Processus et Martinieii, puis des palmiers chargés de leurs fruits, et qui semblaient ombrager les restes des généreux Confesseurs : images fra-

(1) « Perlransivimus ferreas portas et serea limina, multisque jam superatis scalis iu domnm auralo fastigio insignem ascendimus , qua- lem HoiTierus Menelai fingit esse. Atqne ipse quidem omnia illa contemplahar... » Cité par Baronius , Annal, ecclcsiasl., ad ann. 57,

w^ 101.

(2) Idem Baronius, Annal.. 1. II, ad ann. 224, \.

SON AIMMJCVTION A 1. VHT CIIHKTIKN. V>

«iiles, mais ploiiios d'espérances, des Iriomplies éternels promis anx Élus (1;. Gc soin des premières exigences du culte dans les chefs " «e perpétue

par les conciles.

de l'Eglise n'était certainement qu'un écoulement de Tes- Les évêques obn-

îjfts de surveiller

prit Apostoli(iue ; les Evèques du monde chrétien l'avaient ces travaux. reçu comme aux, et l'histoire se répand en laits du même genre qui, de toutes parts, attestèrent ces mêmes inspira- tions. C'est très-peu de temps après le règne pacili([iuî de Constantin (juc les conciles formulent, comme une règle indispensable, l'intervention des Évèques dans la construc- tion de nouvelles égUses : le concile de Chalcédoine, tenu en Î5I, l'exprime par son quatrième canon ; à Agde en oOG , à

(1) « Multas basilicas ijedifîcavit quas sacris imaginibus donisque, ac inunerihus exornavit. » [Breviar. roni., in festo S. Sylvestri, xxxi dec, lect. IV.) « In foriiice niajoris ake , crux mira3 niagnitudinis variis «listincta coloribus coutemplanda exhibetur, quae prœcipuum qiiidem chrisUanorum inter exsurgeutis fidei primordia signum ac ornameu- tiim esse cousueverat. Ibi pariter iu allero iiiferioris ordinis foruice Cbristi salvatoris imago, una cum sanctorum Pavli apostoli et Pro- cessi marlyris iuiaginibus od dex te r am cerniiur ; ad sinislrum autem latus B, Peiri apostoii et Martiniani marlyris effigies coloribus adum- bratur. lu cujusdam item arcuati foruicis prospectu, agnus média qui- dem parte caudidus, qui Chrisli aymbolum est , Librum sub pedibus prajferens..., quem a dexiris Joannes Prœcursor bis plane verbis velut digito prœmoustrare videtur : Eccc Agnus Dei.-. Eiimdem vero ad Ixoam Joannes Evangelisla illis itidem verbis praenotat : In pri?2cipio eral Verbum... Pr8C.terea...sacerille locus quam pluribus Deiparae ima- ginibus diversimode picLorum penicillo delineatis nobilitatur , sancta- rum item virginum... In uibus locis quœ fornicem usque pertingunt, Lres piilmarum arbores fruclibus onuslos... exbiberi : palmam quippe ,

Justorum symbolum esse nemo sanctae antiquitatis studiosus est qui nesciat... «(Aringbi, Runia suùtc7i\, lib. IV, cjp. xliv, 7.)

Nous remarquons encore ici la droite donnée à S. Paul, ce fils de Benjamin, sorti de ce peuple juif qui est passé à la droite du Sauveur (juaud il a été appelé à ne faire plus qu'un avec les enfants de la pro- messe; c'est un exemple de plus après ceux que nous avons donnés ci- dessus, t. II, ch. XIV, p. 451. Nous soupçonnons bien ici que la même raison a pu déterminer le peintre, guidé par le pontife, à idacer à droite de l'agneau blanc (candidus) S.Jean le Précurseur, le dernier des Pro- phètes de la Loi ancienne, et à gauche le disciple chéri, qui semble aimer à s'effacer aussi devant cette grande fusion que sa charité doit adorer avec bonheur.

/,(\ HISTOIRE bU SYMBOLISME.

Orléans en 51 1 , on la prescrit de nouveau ( I ), et bientôt cette disposition passa dans le droit, nous la voyons en vigueur depuis cette époque reculée , et à travers le moyen âge , jusqu'à ceux de nos derniers conciles, qui rappelèrent les Prescriptions d'u- inteutions de la discipline primitive. Cette règle, au reste,

sag^e sur ce point. ' ^

était d'une telle rigueur qu'on devait refuser de consacrer toute église pour laquelle on ne l'aurait pas suivie (2). On voulait aussi qu'en rebâtissant une église ruinée par quelque cause que ce fût, on lui conservât son emplacement pri- mitif, comme avait fait Paulin pour l'église de Tyr, dont nous avons parlé (3). On voit donc que cette règle date d'une époque bien rapprocliée des temps apostoliques : c'étaient un souvenir des premiers oratoires secrets , sur lesquels s'étaient élevés les temples publics, et une marque de respect pour des fondements qu'avaient sanctifiés les prières et les cérémonies de la liturgie. Ce respect, par la même raison, affectait jusqu'aux matériaux anciens, qui, ayant été bénis et môme consacrés par les onctions du Saint Chrême, étaient replacés avec soin dans les murs de l'édi- fice nouveau (4). Voilà bien des preuves que la foi de nos pères attachait à ces détails autant d'importance qu'on en peut mettre à de véritables titres de famille. Les monastères Mals déjà vcrs cc tciups, Ics iiiouastères commençaient qués àrart^^reil à flcuHr, ct Icur célébrité, qui leur était acquise par la culture des études, s'accroissait encore de l'habileté qu'on y montrait pour les arts. S. Benoît, premier instituteur de

(1) « Nemo eedificei aut constituât monasterium aut oratoriam do- mum sine voluntate Episcopi urbis. » (Labbe, Conc, t. I, p. 507.) Les termes sont presque partout identiques dans les autres sources que nous indiquons.

(2) « Nemo ecclesiam sedificet antequam Episcopus veniat..., et sic domum œdiôcet. » {Decreium ^ pars III, De Gonsecratione, distinctio prima, m-P, Autuerp., col. 1978.)

(3) Voir Eusèbe, Histor* eccles., lib. X, cap. m ; notre Histoire de la cathédrale de Poitiers, 1. 1, p. 6.

(4) Voir la description de l'église de Saint-Amand de Goly , en Péri" gord, Bullet. monum., t. I, p. 211.

gieux.

SON VPPI.ICVTION A l/.VRT CHRÉTIEN. '»'

la vie monastique en Occident, et ([ui acheva d'écrire sa régie vers 530, y introduisit le travail des mains comme une occupation salutaire à un religieux. Il y est parlé des arts divers auxquels on pouvait s'appliquer sous l'obéis- sance de l'Abbé ; on devait remplir ces œuvres avec humilité, ce qui doit évidemment s'entendre des travaux l'intelli- gence avait sa part, comme Fa fait observer un éminent archéologue {\] , et non de simples métiers^ comme d'autres, avant lui, l'avaient écrit sans trop de réflexion. -Mabillon n'hésite pas à dire que, dès ce temps-là même, l'enseignement des lettres llorissait au Mont-Cassin, le saint Patriarche avait fondé son Ordre (2). Nous voyons <|u'en Poitou S. Junien de Maire bâtit son premier monas- tère à' l'aide seulement de ses nombreux cénobites (3). S. Ouen, dans sa Vie de S. Éloi, parle, au sixième siècle, de l'abbaye de Solignac comme d'une école l'on s'occupait de plus d'un genre d'industrie, outre la transcription des livres, sans laquelle il n'y avait pas de congrégation reli- gieuse (4). x\lors encore, on avait élevé autour du chevet de la cathédrale de Strasbourg, fondée en 504 par Glovis, des demeures pour l'évèque et les religieux qui vivaient en commun avec lui, comme firent dans la suite les Chapitres cathédraux (5) ; et Ton pense bien que cette identité de vie

(1) Voir M. de Montalembert, L'irf et les Moines , dans les Annales archéologiques, t. VI, p. 122.

(2) VoirFleury, Hisl. écoles., lib. XXXII, n" 14, ad ann. 529; Rohr- l)acher j Ilisl.génér. de VEgl. cathoL, t. iX, p. 90; VExplicalion de la règle de S. BenoU, ch, xlviii et lvii, Paris, in-12, 1738 ; —Mabillon, Traité des éludes nionasliques, 1. 1, p. 90, in-12, Paris, 1692.

(3) Cf. Bollandus, xii aug.; nos Vies des Saints de V Église de Poitiers, p. 257, Poitiers, 1858.

(4) « Est autem congregatio magna diversis gratiarum tloribus ador- nata; habentur ibi et artifices plurimi , diversarum artium perili. » (Cité par M. de Caumont, flisl. de Van hit,, p. 59.) Cf. l'abbé Texier, Dictionnaire d'orfèvrerie chrétienne y col. 937, in-i», Migne, 1856; et Histoire des argentiers et émailleurs de Limoges, in-S", Poitiers, 1849.

(5) Bulletin du Comité des aris et monuments , t. III, p. 351 et

811 i V .

^S mSTOIRK I)L' SYMROLISMK.

religieuse, cette réunion continue d'esprits appliqués aux mêmes sujets d'études et de contemplation dut amener un concours naturel de pensées laborieuses et d'efforts pratiques au profit des constructions sacrées. On passait de la lecture des Livres saints et de leurs commentaires savants à la con- Nombreuxexem- structlou dcs plaus, aux calculs de leurs détails. Des intel- bir lcno\Vda ligences nourries de la lettre et de l'esprit de la Bible ne ^^^^^^' pouvaient manquer d'en rattacher la substance aux di-

verses parties de l'édifice matériel et de les y appliquer avec amoui", comme d'autres le faisaient dans leurs écrits : de le zèle à construire soi-même ou à diriger les travaux; de ces aptitudes d'abord exceptionnelles, et qui le furent bientôt moins, en certains évêques pour les occupations manuelles. S.Grégoire de Tours énumère dix-huit de ses prédécesseui''s qui tous s'appliquèrent pendant leur épis- copat à élever des basiliques à la gloire des saints Martyrs {\ ) . L'un d'eux, qui avait gouverné l'abbaye de Saint-Martin, excellait en plusieurs sortes de travaux, et, aimant surtout la menuiserie, utilisait ses talents à faire des tours en bois qu'il recouvrait de lames d'or pour servir de tabernacle à la Sainte Eucharistie (2). Voilà donc une relation formelle par les arts entre les monastères et lesévechés, qui, assez souvent d'ailleurs, n'étaient presque qu'une seule et même chose, l'Abbé devenant Évêque, et son monastère le Chapitre de la cathédrale. Ainsi en fut-il la plupart du temps en Angleterre, à Lobbes en Flandre , et, plus tard, à Maillczais en Poitou et à Tulle en Limousin. Et , une fois engagé dans cette vie de grosse tâche, ne croyez pas que le moine se contentât de poser sur le parchemin les lignes symétriques de ses

(1) Cf. Histor. Francor., lib. X,cap. xxxi.

(2) « Léo... fuit vir strenuiis atqae utilis in fabrica operis Hgnarii. {Ubi suprà, lib. III , cap. xvii.) Tertius decimus Léo ex Abbate ba- silicaB Saucti-Martiui ordinatur Episcopus. Fuit autem faber lignarius, faciens etiam turres holochryso tectas, ex quibus quaedam apud nos re- tinentur. In aliis etiam operibus elegaus fuit. » {Ibid.jVùi, X,cap« xxxi^ u<> 13.)

SON APPLICATION A L ART CHRÉTIEN. 49

crayons; le plan fait, il ne laissait pas à d'autres le soin de l'exécuter. Des Abbés eux-mêmes se mêlaient à l'œuvre lal)orieuse de tous les jours, heureux de contribuer à la gloire de Dieu à titre de cimenteurs, après l'avoir cherchée comme architectes, et de ne s'interrompre que pour aller à l'autel ou au cliœur : ainsi furent bâties les abbayes éter- nellement célèbres de Saint-Gall, du Bec, de Souvigny, et tant d'autres, chez nous et ailleurs, tous les arts rivali- saient avec les lettres et les sciences exactes du irivium ou du quadrivium (I).

Mais à ne considérer que les évoques, cette époque leur devrait sa véritable gloire artistique. Beaucoup s'exercent autant à la confection des vases sacrés qu'à la construction des éghses, et insistent sur des détails secondaires d'orne- mentation , de manière à nous en déceler l'importance. S. Rémi de Reims, qui avait érigé révèché de Laon en 496, y avait laissé un calice d'argent fait d'après ses idées, et sur lequel était une inscription composée par lui. Un peu plus tard, vers 533, il ordonne, par son testament, de faire d'un vase d'or qu'il a reçu de Glovis une tour pour la Sainte Ré- serve, puis un autre calice orné de ciselures et de la même inscription (2). D'autres évêques suivaient cette voie ou-

(1) Cf., pour plus de détails, le beau et intéressant travail de M. de Montalembert, « l'Art et les Moines, » dans les Annales archéologiques, t. VI , p. 121 et suiv. Nous y renvoyons également pour tous les textes ijui viennent à l'appui de ces assertions , qui sont celles du savant écrivain. Mais un fait caractéristique en cette matière se trouve consi- gné dans l'acte de consécration de l'église de l'abbaye de Champagne, dans le Maine. Cet acle, daté du l^r novembre 1269, porte que l'évêque du Mans, G. Freslon, l'abbé du monastère et plusieurs religieux avaient travaillé au saint édifice d'esprit et de corps : Qui multum laborave- runl corporaliter et spiritualiier in fabricaiura ecclesise. (Cf. M. Ru- cher, Notice sur quelques monuments de la Sarthe, Bullet. monum., t. XVI, p. 358.)

(2) « Vas aureum decem librarum, quod mihi Clodovaeus rex donare dignatus est, haeredi meae ecclesiae jubeo turriculum et imaginatum calicem fabricari, et epigrammata quae Lauduni in argenteo... ipse di- cavi in hoc quoque conscribi volo. » (Flodoard, apud Bouquet, Rerum

T. III. 4

oO HISTOIRE DU SYMBOLISME.

verte au zèle du clergé, que le père de notre histoire natio- nale n'a garde d'oublier. Ainsi Agricole, à Chalon-sur-Saône, élève des bâtiments claustraux autour de sa cathédrale les colonnes de marbre le disputent aux mosaïques ('l). A Rhodez , Dalmatius mourait sans avoir pu achever la sienne, parce qu'il l'avait recommencée très-souvent , dans le désir de faire toujours mieux (2). A Clermont, Namatius s'appliqua à faire de sa basilique épiscopale un édifice remarquable par ses dimensions et la magnificence de sa parure : le symbolisme y règne par son abside, par sa forme de croix, le nombre de ses fenêtres, de ses colonnes et de ses portes, le jour harmonieux qui s'y répand; « en sorte, dit notre auteur, que tout y respirait les plus suaves parfums de la piété. )> Et ne croyez pas que ce goût des bonnes choses artistiques n'aille bien qu'à ces Saints de profession : les femmes n'y demeurent pas étrangères. Pour qu'elles s'en oc- cupent, il suffit qu'elles aient pris le voile religieux, et s'in- téressent d'autant plus aux choses sacrées. Retirée du monde en môme temps que Namatius , l'épouse de celui-ci nous est signalée par S. Grégoire, s'occupant d'élever une autre église en dehors de la ville, et dictant aux peintres qui devaient la décorer les sujets qu'elle y voulait avoir, et dont elle expliquait les motifs en s'aidant d'un livre ouvert sur ses genoux (3 j . Que n'avons-nous encore un tel livre !

franc, scriplores, 1. 11, ad ann. 533; Fleury, lib. XXX, n" 46, ad ann. 496.)

(1) « Agricola , Cabillonensis episcopus..., liomo valde elegans..., multa in civitate aedificia fecit, domos composuit, ecclesiam fabricavit quam columnis fulcivit, variavit marmore, musivo depinxit.» (S. Greg. Turon., Hist. Franc, lib. V, cap. xlvi.)

(2) « Eo tempore (post ann. 541) et Dalmatius , Ruthenae civitatis episcopus, migravit a sseculo... Ecclesiam coiistruxit; sed dum eam ad emendatiouem ssepius destruxit, incompositam dereliquit. » {IbicL, cap. XLVii.)

(3) « S. Namatius ecclesiam quse nuiic constat..., suo studio fa- bricavit , babentem in longum pedes centum quinquaginta , in latum pedes sexagiuta, in altum infra capsam usque cameram pedes quin-

SON APPLICATION A L'aRT CHRÉTIEN. 54

L'épiscopat ne se si"-iiale pas moins au siècle suivant. Il son zèie à favo-

■^ ^ <- j risor les progrès

s'est emparé de la matière , non moins fervent que le clergé de rarciutocture. régulier, et, dans ces deux catégories , l'honnue de prière ne voit rien de plus naturel que de régler les fondements du culte public par le zèle de la maison de Dieu. Et pen- dant (jue l'Occident s'anime ainsi à l'œuvre sainte , en Orient S. Jean l'Aumônier, patriarche d'Alexandrie, envoie d'innnenses ressources à Modeste, abbé deSaint-Tliéodose, en Palestine , qui s'efforçait de relever à Jérusalem les églises détruites en 615 par les Arabes (I).

Mais alors se Ut un progrès considérable , peut-être à la présence et à l'exemple des Yisigotlis , qui régnaient depuis cent ans sur le Midi de la France. A Gahors, en 630 , S. Didier use d'énormes pierres de taille pour son église : c'est le grand appareil, qui ne cessera plus dans les con- structions , et va désormais échelonner jusqu'à nous , à travers le moyen âge et la Renaissance , toutes les périodes de l'architecture européenne (2). Aussi vit-on bientôt les peuples du Nord emprunter à la France et à l'Italie , les Goths s'étaient longtemps exercés, des ouvriers et des ar- tistes capables d'y introduire cette méthode perfectionnée

quaginta : inante absidem rotundam habens,ab utroque latere ascellas elegaiiti constructas opère, totumquefiedificium in modum crucis babet Tenestras quadraginta duas , columnas septuaginta, ostia octo. Terror namque ibidem Dei, et clarilas magna coiispicitur; et vere plerumqiie inibi odor quasi aromatum suavissimus adveuire areligiosis seutitur.» [IbicL, lib. II, cap. xvi et xvii.j Ce livre, que l'bistorien ne désigne pas, était peut-être la Bible; mais ce pouvait bien être aussi un clioix des histoires bibliques accommodé aux besoins de l'art. M. Didron a rencontré en Grèce des peintres qui travaillaient leurs fresques de la même manière, en se faisant lire par des enfants un manuscrit qui les renseignait à l'instant même, et qui n'était pas le livre sacré. (Cf. Ma- nuel d'iconographie chrétienne j introduction , p. xxv , in-S», Paris, 1843.

(i) Robrbacber, Uist, universelle deV Église calholigue, lib. XLVIII, ad ann. 615.

(2) « Non quidem nostro gallicano more, sed sicut antiquorum mu- rorum ambitus magnisque quadrisque saxis exstrui solet. y){Kxrerpla e Vita S. Desiderii; Bouquet, ubi suprù, t. HT, p. 331.)

:)2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

dont les Méridionaux avaient eu les prémices. On voit S. Wilfrid, évêque d'York, Biscops, abbé de Waremouth, venir eux-mêmes en Normandie , vers 675 , chercher des constructeurs et des verriers qui travaillèrent bientôt en Angleterre , et y laissèrent les notions et la pratique de ces deux arts {\). Ces magnifiques élans que les évêques et les moines inspiraient au monde en retour de ses religieux respects et de sa filiale soumission durent hâter le déve- loppement de l'iconographie symbolique , et de tels faits peuvent être indiqués , croyons-nous , dans l'histoire de l'art comme le point de départ de cette architecture méro- vingienne qui diffère évidemment par tous ses caractères de celle qui jusque-là n'avait donné que des édifices en bois , toujours dévorés par l'incendie peu de temps après leur construction , et qui ne se prêtaient , d'ailleurs , que fort peu aux travaux symboliques de la sculpture. Plan symbolique Uu fait intércssaut se rattache ici à la construction des abbayes. Leur plan général, tout en se dessinant d'abord à l'imitation des grandes habitations romaines , s'était plié néanmoins aux exigences différentes de la vie régulière , et le symboUsme y avait pénétré avec les austères habitants dont il remplissait la pensée. S. Éphrem , diacre d'Édesse , qui florissait dès le miheu du quatrième siècle, parle du cloître comme d'une fidèle représentation du Ciel , tout est commun , règne la paix des saintes extases et de l'unique préoccupation de Dieu. Par suite , rien d'éton- nant qu'on l'ait embelli dès lors et plus tard de sculptures éloquentes, de peintures variées reproduisant les idées exprimées dans les livres mystiques , dont la lecture s'y

(1) Émeric David, Mémoire sur la dénomination et les règles de l'ar- chitecture dite gothique , "^(irmi ceux de l'Institut, 1838, passim. L'auteur, pour le dire en passant, s'y trompe plus d'une fois sur l'âge des monuments dont il parle, et semble ne s'être pas souvenu, en écrivant ce mémoire, de ce que le concile de Nicée lui avait appris sur la direction donnée par le clergé aux architectes depuis l'origine de l'architecture ecclésiastique.

des monastères.

SON APPLICATION A L ART CHRETIEN. 53

faisait tous les jours, comme ceux, par exemple, du Pasteur d'Hermas et de V Échelle sainte de S. Jean Climaque. C'est dans ce sens qu'il est parlé des monastères par Honorius d'Autun au douzième siècle , et par Durant de Mendc au treizième. Le Sauveur avait dit que dans la maison de son Père on trouvait de nombreuses demeures distinctes les unes des autres l'VoiLà les laures de la Tliébaïde , les cabanes de branchages des solitaires de Saint-Maixent, de Ligugé et de Marmoutier, enfin les cellules chacun habite avec Dieu seul, au milieu du silence et du recueillement. S. Angil- bert, au neuvième siècle, dotait la Picardie du célèbre monas- tère de Saint-Riquier sur un plan triangulaire, et le nombre trois s'y répétait systématiquement par celui des églises renfermées dans l'enceinte sacrée , des autels , des portes et des principaux Archanges qui en avaient le patronage. Ceci était imité, dans le même temps, à Fleury-sur-Loire par les moines qui y restauraient l'abbaye de Saint-Benoît. Livrés aux considérations qui résultaient de ces dispositions mys- tiques de leurs saintes habitations , les religieux devaient regarder leur maison comme une sorte de sanctuaire , comme le Saint des Saints du Temple primitif, et ils lui en donnaient le nom , selon qu'on le voit dans les Vies de Ste Marie d'Oignies écrite par le cardinal de Vitry, de Ste Paule par S. Jérôme , et de S^e Euphrasie, contempo- raine de l'empereur Théodose {]). On voit clairement combien était érigée en principe et La surveillance

des éveque» con-

comment se pratiquait cette continuelle surveillance des statée parie deu- xième concile de

Pasteurs ; et quand bien même elle n eut pas été admise Nicée.

(l) Cf. Evang. Joan,, xiv, 2 ;— de Caumont,//û/. deVarchit. relig., [). 362 ; BuUet. mo?unn.,\l, 204;— S. Éphrero, De Compunciione cordis, cap. II, parmi ses ouvrages de piété, traduits par Le Merre; -—l'abbé Crosuier, konogr. chréi.,\). 77 et 78; Honorius Aug., Gemma animx, lib.I, cap. cxLix; Duranti Mimât. RalvmaU, lib. I, cap. vi; l'abbé Godard-Saint-Jean, Essai sur le symbolisme archilectural des églises, iu-8o, Gaen, 1847 ; Cornélius à Lapide, Comment, in Exod., cap. xxvi, V. 33.

54 HISTOIIIE UL' SYMBOLISME.

partout dès le commencement , elle serait devenue néces- saire pour préserver l'Église des imaginations de mala- droits ouvriers ; et ce fut une crainte fondée de voir déna- turer la foi dans le plus sensible de ses éléments extérieurs qui nous valut le plus décisif de tous les textes sur cette matière. On sait les discussions soulevées au huitième siècle par l'hérésie des Iconoclastes , et avec quelle énergie le ca- tholicisme lui opposa ses conciles et ses martyrs. De ces conciles , le deuxième de Nicée , tenu en 787, constate , en termes exprès , ce qui avait été de tout temps à l'égard de cette surveillance de l'Église sur les artistes qu'elle em- ployait. Les ennemis des images se faisaient une objection des erreurs possibles de quelques peintres qui , par leur peu d'habileté, eussent compromis, disait-on, la dignité du culte ou la gloire de Dieu et des Saints. « Mais comment, )) observèrent les évoques, nos peintres pourraient-ils se » tromper dans le plan et les détails de nos tableaux en » suivant la tradition conservée dans toute l'Église? et ne )) sait-on pas que tout y est dicté par les Pères dès la plus » haute antiquité , que S. Basile regarde comme une preuve » d'autorité irrécusa])le ? Eux seuls étaient les architectes » ou les constructeurs de ces lieux vénérés leurs regards » se reposaient sur les saintes images , leur cœur sa- » cerdotal offrait à Dieu des prières agréables avec le Sa- » criflce-non-sanglant. En tout cela, rien n'était du peintre » que l'art dont il usait ; mais l'ordre et la disposition des » sujets étaient bien des Pères de la sainte Église , qui déjà « avaient élevé le monument (1). » La règle était donc

(l) «Non est imaginum structura pictorum iiiventio, sed Ecclesiaj catholicse probata legisiatio et traditio. Nam quod vetustate excellit venerandum est, ut inquit divus Basilius. Testatur hoc ipsa l'ernm anti- quitas et Patrum nostrorum , qui Spiritu Sancto feruntur , doctrine. Etenim, cum has in sacris templis conspicerent, ipsi quoque anime propenso veneranclatempla exstruentes.in eis quidem gratas orationes suas etincruenta Sacrificia Deo omnium rerum Domino offerunt. Atqui consilium et traditio ista non est pictoris (ejus enim sola ars est), verum

S0> APPLICATION A l'aUT CHRÉTIEN. 55

vieille déjà , elle datait de la plus haute origine possible ; mais aussi elle était absolue. Le peintre peignait, cinsait de son art; il n'inventait pas, et, dans cette contrainte, il se trouvait préservé des inconvénients qu'aurait entraînés l'émancipation de son génie personnel , parfois peut-être plus ou moins iconoclaste... Que faudrait-il de plus que cette solennelle déclaration de l'Eglise pour signaler nos premiers évéques, et leurs successeurs par une conséquence naturelle , comme ayant eu toujours et partout la direction des artistes religieux ? Émeric David , Gori et d'autres l'avaient soupçonné sans en chercher les preuves : nous les avons maintenant, et nous remontons sans obstacle jusqu'à l'origine même des traditions chrétiennes, à la suite de ces Pères de Nicée , qui devaient bien les savoir (-1).

ordinatio et dispositio Patrum nostroDim qui œdificaverunt. » (Labbe, Conc, t. VU, col. 831; Synoct. Nicœna, ii.)

(1) Cf. Ém. David, ubisuprà, p. 73, il cite Gibbon, historien de La Décadence de Vempire romain , qui outre de beaucoup, sans en com- prendre la cause esthétique, les difformités de la peinture religieuse des Grecs au hiùtième siècle. Gori s'exprime avec plus de respect et de justesse dans sa Description de la chapelle de Saini-Anlonin , in-f», 1728, et dans son Symbole liUéraire , t. II, in-8°, 1748, Floreutiae. M. nidron, que nous aimions beaucoup, mais dont nous ne pouvons adopter ici toutes les idées, se trompe aussi peut-être lorsqu'en avouant que nos artistes occidentaux du moyen âge ont toujours eu une véri- table liberté dans leur allure artistique , il accuse l'Église d'Orient de les avoir com[)rimés en d'étroites limites dont il croit trouver la preuve dans le canon de Nicée. N'y voit-on pas, au contraire, que l'artiste grec a pour lui son art, ejus enim sala ars est, c'est-à-dire l'exposition du sujet désigné, ce qui est beaucoup pour son talent? Quant au dogme, quant à l'exégèse scripluraire, c'est autre chose, et rien ne peut l'auto- riser à les traiter de lui-même. Nous verrons que Rome ne se distingua pas en cela de Byzance, puisque d'ailleurs ce n'est guère qu'au sixième ou septième siècle que les deux écoles commencent à se donner quelques points de divergence. Durant de Mende, que M. Didron n'aimait pas assez, n'a donc pas tort d'appliquer aux peintres chrétiens la maxime d'Horace : Qaidliiet audendi... 11 est clair que Durant, qui savait par- faitement de quoi il parlait et ce qu'on prétendait de son temps, ne donne pas à ces mots: Divcrsx kistoria^ tam Novi quam Veleris Testa- menti pro volunlate pictorum depingimtur , un sens aussi large que notre savant et estimable ami paraissait le croire. Il dit cela après avoir

56 histoiup: du symbolisme.

Elle fortifie et Au milieu des ébranlements subis au dixième siècle par

perpétue ainsi les ^ . , i i a i i

traditions. l'empire d Occident, la cliame de nos souvenirs bistoriques

ne perd pas un seul de ses anneaux. C'est encore le même académicien qui nous l'affirme. Il nous montre l'art se penchant vers sa décadence et menacé d'une ruine com- plète si des évêques vertueux , de pieux cénobites ne l'a- vaient protégé avec sollicitude dans les cloîtres pour l'orne- ment des temples et des autels. Il se complaît à dresser une liste d'évêques et d'abbés tout appliqués à orner et à con- struire des sanctuaires; c'est à leur voix que s'élèvent les murs sacrés, que se décorent (îes intérieurs de basiliques rivalisent de leur vif éclat les verres de couleur , les vastes pages de peinture , les retables en orfèvrerie et les étoiles d'or multipliées aux coupoles des absides et aux plafonds des nefs. Auxerre, Autun , Reims, Fulde, Toul, Constance, Rome et Milan , York et Cantorbéry , Aix-la-Chapelle et Saint-Gall, prouvaient à l'envi qu'une pensée unique prési- dait aux magnifiques éclosions de la pensée chrétienne (^l). c'était tout le génie de l'ornementation ; ailleurs, comme à Paris, à Clermont, à Angoulême , l'architecture s'éver- tuait sur l'abbatiale de Saint-Germain-des-Prés, pour Notre- Dame-du-Port, pour la belle cathédrale byzantine de Saint- Pierre , et les architectes étaient encore les prélats, inspi- rateurs des plans normaux , de l'imagerie sculptée aux portails , des chapiteaux chargés de légendes locales, d'en- roulements botaniques ou d'animaux hybrides préposés à

rappelé succinctement de quelle façon on représente le Paradis, l'Enfer, la Synagogue. Quant aux scènes historiques, elles sont laissées au choix peut-être, mais certainement à l'agencement du peintre, qu'on n'a pas intérêt à diriger dans la distribution des scènes et la position des per- sonnages. On se fût bien gardé de lui laisser la même liberté dans les peintures le symbolisme devait dominer la matière.— Voirie Manuel d'iconographie cliréliemie , introduction, p. vu et viii; Durant, Ralio- nale divin. Offic, lib. I, cap. m.

(1) Ibid., p. 81 et suiv., et Mémoire sur Varchileciure gothique , ubi suprà.

SON APPLICATIOIV A l'ART CHRÉTIEN. -37

renseignement de qiiel(|ucs austères vérités (^). M. de Montalembcrt a fait observer , à propos de cette application du clergé aux choses de l'art , qu'en plein dixième siècle l'éducation d'un clerc était assez complète en tout ce qui regardait le bon goût de l'intelligence et l'habileté d'exé- cution pour faire honte au pédantisme moderne, qui n'af- fecte qu'un grossier mépris pour la prétendue ignorance de ces temps méconnus (2). Ceci nous amène à l'époque les Chapitres, constitués .^^s chapitres

^ ^ ' ' entrent dans le

depuisl'origine en un corps diocésain et faisant vie commune mouvement artis-

l ^ ^ tique.

avec l'évèque, commencent à se faire des intérêts distincts, séparent leur mense de la sienne, et s'appliquent d'eux- mêmes aux soins de l'église cathédrale , qui devient la leur propre autant que celle de leur chef hiérarchique (3). L'épiscopat continue à se faire architecte , d'autant plus entraîné vers les développements de l'art , que de toutes parts les écoles d'architecture se sont recrutées , et qu'à leur observance fidèle du symbolisme elles ont ajouté le grandiose des formes architectoniques dans les admirables constructions créées par les monastères les plus renommés.

(1) Reuouvier, Essai de classification des églises d'Auvergne, Bullet. mouum., t. III, p. 377 et suiv.

(2) S. Bernard, évêque de Hildesheiin, avait été élevé, vers 950, dans le monastère des bénédictins de cette ville. L'annaliste de l'Ordre, noire célèbre Mabillon, indique en ces termes à quels arts s'appliquaient les jeunes gens instruits à cette école et, bien entendu, dans toutes celles qui vivaient sous les inspirations de la même règle : « In scribendo apprime enituit; picturam etiam limate exercuit. Fabrili quoque scien- tia et arte clusoria , omnique structura mirifice excelluit. » {Acia Ord. Sancti Bcned., t. VIII, p. 181.) Voici donc un seul homme, et avec lui tous ceux qui venaient se soumettre à la même discipline, appliqué en même temps aux travaux de la calligraphie, de la peinture, de l'or- fèvrerie, y compris l'art d'j^ enchâsser les pierres précieuses, et enfin l'architecture. De telles notions, il faut bien l'avouer, expliqueraient seules comment a pu naître et se perpétuer le canon invariable suivi si longtem[>s parnos artistes religieux. Cf. Annales archéologiques, t. VI, iihi suprà.

(3) Cf. l3ouix, Traclalus de Capilulis, pars 1, cap. i, §j5 5, G, 8; Fleury, Institution, Impart., ch. xvii.

58 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Cette influence monastique , vivante dans toute la période romano-byzantine, qui s'étend du sixième siècle au dou- zième , se termine pendant le cours de celui-ci aux vastes et saisissantes abbatiales des Glunistes et des Cisterciens, dont on sait la supériorité incontestable {\). Mais pour ces laborieux solitaires, un temps d'arrêt se fait ici, soit parce qu'ils ont doté leurs nombreuses maisons conventuelles d'églises aussi durables que magnifiques , soit parce que la plus grande partie des Sièges épiscopaux occupés par des membres de ces grandes familles tendent naturellement dès lors à remplacer les abbayes dans l'impulsion que l'art religieux doit encore recevoir. Voilà donc les évèques et les chapitres unissant leurs efforts et leurs ricliesses pour élever, à côté de Cluny , de Moissac et de Saint-Denis, de Vézelay, de Fontverault et de Lerins, les basiliques épisco- pales de Chartres, de Paris, de Rouen et de Poitiers. De tous côtés, on voit surgir de nouveaux chefs-d'œuvre et s'épanouir les nouvelles fleurs de l'architecture , d'autant plus belles que l'art, parvenu à la possession de toutes ses ressources possibles, se complète chaque jour par ses char- mantes productions de tout ce que le compas de l'archi- tecte peut offrir au pinceau intelligent de ses peintres et au ciseau vraiment original de ses sculpteurs. Preuves de ce qui La part cxclusive que le clergé a toujours prise dans la

"DPGCGcic dmis les

sculptures mêmes surveillancc , la direction , et fort souvent dans l'exécution

de nos églises , . , . , i j i

même des travaux, ne se voit pas seulement dans ces par- faites ressemblances de types qu'on remarque partout fut le catholicisme : on la retrouve dans les plus minces détails d'ornementation sculptée aux façades de nos temples ou sous les corniches de leur intérieur (2). Là, maintes fois,

(1) Cf. Notice sur les écoles cfarchiieclure au mryen âge , par M. l'abbé Crosnier, p. 2 et suiv.,iri-8% Caen, 1849.

(2) En Normandie , les modillons ornent rarement l'intérieur de l'église, mais ils s'y trouvent souvent dans celles de l'Anjou, du Maine, du Poitou, de la Touraiue et de beaucoup d'autres provinces.

S0> APPLICATION A L'aUT CHRÉTIEIN'. oO

au milieu des têtes grimaçantes et des personnages diver- sement occupés qui soutiennent en longues rangées les arcatures ou les entablements, on aperçoit certaines figures placides attentives à un phylactère qu'elles déroulent , ou assises près d'un volumen déployé , ou tenant le compas et l'équerre , ou avoisinécs enfiu d'une petite église finement taillée qu'elles contemplent avec amour ; presque toujours ces figures sont couvertes de la cuculle du religieux ou du capuce du chanoine. Non loin d'elles , un évéque revêtu de ses insignes habituels , appuyé sur sa crosse , ou assis et calme devant ces grandes nefs il semble présider encore, surveille , et assiste de son regard à tout ce qui s'est fait autour de lui (^1). Soyez certain que ces témoins d'un autre âge sont les créateurs de la pensée première qui a rassemblé d'abord et dressé bientôt après tous ces matériaux. est le maître de l'œuvre , ici le maître maçon , encore le consécrateur qui a donné leur valeur suprême à ces murs bénis. Ne voyez-vous pas aussi, dans un costume plus dans phistoiie

" . , -11* toutes ces fon-

simple , tenant d une main quelque attribut plus ou moins dations par les

11, II . 1 1 1 , confréries de ma-

intact de leur honorable mestwr , ces hommes obscurs de- çons; pûtes , pour y vivre en leur nom , par les ardentes con- fréries qui bâtirent tant de sanctuaires sous la conduite des prêtres : hommes de peine, au cœur chrétien , fouillant les carrières , s'attelant aux chariots des transports , enthou- siastes de leur tâche consommée pendant des années en- tières au chant des cantiques et aux accents de leur compo- sition ; généreux indigents payant de leurs peines sérieuses à l'édifice commun cette riche souscription que le noble lui-même et le seigneur ne secondent pas moins de leurs généreuses fatigues (2)! Personne, en aucun temps, n'a

(1) Voir notre Histoire de la cathédrale de Poitiers, 1. 1, de la p. 210 à la p. 281 ; et pi. viii, nos lo, 28, 44, 45, 50, 53 et 54.

(2) Cf., sur les confréries de frères-maçons dirigées par le clergé aux onzième, douzième et treizième siècles, le livre du docteur Schnaase, déjà cité, et qui a trait à ce fait si intéressant de l'histoire architecturale

60 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

connu ni ces prolétaires ni ces prélats ; rien ne dit à côté d'eux le moindre souvenir de leur vie privée. Mais eux- mêmes suffisent à cette place , modestement enviée peut- être, pour remplacer la théorie non écrite de leurs idées artistiques ; ils disent hautement qu'ils ont pris part , dans la sphère relative de leur zèle et de leur intelligence , à ce travail commun dont vous voyez autour d'eux les saintes et brillantes conceptions. Que dire déplus pour attester cette collaboration sacrée? Voici les Docteurs et leurs disciples; autour d'eux et de vous se déroulent les pages merveilleuses de leur livre, tout se lit, excepté leur nom ; mais, pour ces doctes et sublimes chrétiens, un tel silence n'est qu'un mérite de plus. et l'exacte res- Ghosc étoniiantc ! l'architecturc n'a pas eu, dans toutes

semblance de tant

de types muiti- CCS cncyclopédies si curieuses et si savantes dont le moyen

plies à l'infini sans , . .

aucunes règles âgc sc glorihc a SI justc titrc , une seule page consacrée à

écrites. . . , / i i ^t ?

ses principes et a ses méthodes. Vous n en trouverez rien ni dans Bède, ni dans Isidore de Se ville, ni dans Hugues de Saint- Vicor, ni dans Vincent de Beauvais. Et cependant quels rapports de ressemblance entre tous les monuments con-

daus le onzième volume des Annales archéologiques , p. 323. C'est une grosse erreur de ne dater l'apparition des frères-maçons que du treizième siècle, comme l'a fait M, Weyer au congrès archéologique de Strasbourg en 1842; et c'était encore un mauvais argument pour cette thèse que le témoignage qu'on prétendait tirer des signes lapidaires inconnus, disait-on, avant le treizième siècle: nous savons beaucoup de monuments dans le Poitou ils figurent dès le douzième; et d'ail- leurs ces signes n'étaient que des marques de tâcherons, comme nous l'avons expliqué ailleurs , et non des indices secrets se rapportant à quelques idées d'une société travaillant eu dehors du clergé. C'est donc plus de deux cents ans avant Erwin de Steiubach qu'il faut regarder l'origine des associations d'ouvriers maçons; elles se formèrent sous la direction des ecclésiastiques pour suppléer à l'insuffisance des ouvriers- moines formés dans les monastères par les Abbés, et furent dès lors un corps de métier ayant ses règles constitutives et ses droits reconnus. Voir encore HisL de la calhédrale de Poitiers , t. I, p. 286, pi. ix; Bâtissier, Hist. de l'art monume?iial , p. 466 et suiv.; Renouvier et Ri- card, Des Maîtres de pierre et autres artistes gothiques de Montpellier, in4% p. 3, MontpelL, 1844.

SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. <*»!

struits à tant d'époques diverses ! Quelle identité évidem- ment calculée des dispositions principales et secondaires ! (domine il a fallu nécessairement que l'uni des règles lût acceptée de toutes parts pour produire partout ce résultat commun d'une pensée dominante ! Affirmons-le donc : ce fait acquis consacre l'existence d'une maîtrise générale d'autant moins soucieuse d'écrire, que le simple ouvrier, ne sachant pas lire, n'eût eu que faire de manuscrits, et que rarchitecte , pouvant communiquer de vive voix les prin- cipes fondamentaux, n'avait pas de meilleurs moyens que la pratique même pour introduire à la connaissance de l'art les nombreux élèves formés par lui dans le silence du cloître et la contemplation des monuments. Il en était ainsi dans le système général d'ornementation comment les mi-

niatures des ma-

par l'imagerie , soit peinte, soit sculptée. Point de Guides nuscrits ont pu

suppléer aux tex-

composés pour ces travaux, la pensée a presque toujours tes spéciaux pour

/ ^ ^ , . les arts d'orne-

le plus beau rôle ; et cependant que d ninombrables sujets, mentation. toujours les mêmes partout quant au sens mystérieux qu'ils représentent, diffèrent à peine çà et par le faire du peintre et du sculpteur ! Il est vrai qu'on possédait depuis les pre- miers temps des modèles qu'il ne fallait qu'imiter : les manuscrits étaient pleins de miniatures variées, le sym- bolisme des anciens ou des contemporains s'était exercé , et qui, pour beaucoup d'expressions à rendre, étaient des sources abondantes et sûres. Combien on y rencontre de fleurs , d'animaux , de bons et de mauvais anges qui se re- produisent sur nos chapiteaux, dans nos verrières, aux reliefs des bases et des entablements ! C'était toujours d'a- près les notions de l'esthétique , reçues et sans cesse pro- fessées dans les cloîtres , que travaillaient à ces images précieuses de nos vieux parchemins les cénobites de l'un et de l'autre sexe. C'est ainsi que furent composés la Bible d'Alcuin et VOrtus deliciarum de l'abbesse Herrade de Hohenbourg. Sans ces habiles mains, les ornementistes eus -ont manqué de modèles , devenus autant de règles

62 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

permanentes et qui portaient avec elles leur professorat de la pensée artistique. Voilà sans doute pourquoi, parmi tant de livres recherchés dans les obscurités de nos bibliothèques sur l'art et ses règles au moyen âge, on en trouve à peine deux qui traitent de la partie technique de certaines indus- tries ; et encore ne faut-il pas remonter au delà du douzième siècle pour lire ces pages attachantes qu'on doit au moine Théophile , l'humble et savant auteur de V Essai sur divers arts {{) , ni s'éloigner beaucoup du quinzième pour tirer du Guide grec de la peinture les procédés manuels et l'éco- nomie spirituelle des saintes images (2). Caprices dei'ar- Pour demièrc assertion nous voulons faire observer quelle

cliitGCtur6 civile

en regard de cette différeucc cxlstc cutrc l'architecture religieuse du moyen lière des formes âgc ct l'arcliitecture civile de la même époque s'exerçant aux habitations particulières, aux hôtels de ville ou aux palais. Souvent , il est vrai, des rapports très-apparents se manifestent entre ces éléments opposés, entre certains bâtiments de grandes dimensions et quelques églises voi- sines. Alors il faut, presque sans exceptions, considérer les

(1) Cf. Schedula diversarum artiiim, traduit par M, de l'Escalopier, et ce qu'en dit l'intéressant article que notre regrettable abbé Texier en a inséré dans son beau Dictionnaire d'orfèvrerie chrétienne, vo Théophile.

(2) Le Guide de la peinture est du moine Denys, pieux et intelligent artiste du couvent de Fourna, au Mont-Athos. Les moines grecs^ qui s'en servent encore pour l'exécution des tableaux sur mur de leurs églises, le croient du dixième ou du onzième siècle. Nous pensons, avec M. Didron^que ce serait un peu haut. Mais le savant archéologue le regarderait comme du quinzième ou du seizième siècle, et nous crai- gnons que ce ne soit un peu bas. 11 y a, en effet, dans la diction de l'au- teur grec une naïveté de pensée et d'expression qui se perd déjà par- tout, nous semble-t-il^ au quatorzième. Au reste, on est forcé en lisant ce livre de reconnaître une foule de traditions hiératiques rendues delà même façon que nos peintres de l'Occident l'ont fréquemment compris. C'est une raison de plus pour attribuer cette unité de méthode à une source canonique très-ancienne. Gela prouve encore qu'entre tant de différences par lesquelles on voudrait parfois distinguer les deux grandes Écoles de peinture chrétienne, il en est beaucoup de fort conjec- turales, et sur lesquelles il faut revenir de l'assurance qui les avait fait affirmer.

SON APPLICATION A l'aRT CHRÉTIEN. 03

premiers comme étant l'œuvre des religieux qui construi- sirent les secondes et qui les ont reliés mutuellement par un air de famille; le style, des deux côtés , se rapproche plus ou moins par quelques détails. C'est également , pour les ouvertures , l'arcade cintrée ou ogivale , quelquefois la colonne cylindrique et son chapiteau à feuillage ; parfois aussi , dans les constructions purement nohiliaires, l'orne- mentation s'élève par phis de luxe et de recherche ; mais regardez hien , et toujours des traits saillants viendront trahir à vos yeux la destination laïque de ces édifices et en indiquer l'origine : ainsi le plus grand nombre d'entre eux est en Lois ou en briques , au moins dans les villes ; de même qu'ils y sont relativement très-peu vastes , l'enceinte murale des fortifications ayant restreindre l'espace de la cité. On voit bien encore, surtout au douzième siècle, comme à Bazas, et au treizième, comme à Gluny, une arca- ture continue formant galerie au second étage , puis une projection de la toiture s'avançant en dehors du plan comme un appendice destiné à garantir de la pluie les accoudoirs des fenêtres et le seuil de la porte d'entrée. Mais toutes les façades sont plates et sans aucun retrait ; les fenêtres, par- fois à plein cintre, sont le plus souvent carrées , et coupées par une croisée en pierre; enfin les faîtages à pente plus ou moins rapide , les épis ne paraissent pas encore , des tuyaux de cheminée, rivalisant d'une élégance arbi- traire, signalent surtout l'action de la vie civile : voilà, certes, des caractères bien éloignés de ceux d'une église , et qui ne permettent pas de confondre les mains qui les édifièrent. C'est donc le capi'ice de chacun qui a présidé à ces con- structions laïques , si nombreuses et si variées , et c'est raison , chacun se logeant selon son droit , et la société n'ayant aucun intérêt à lui imposer des formes préférées. Là, d'ailleurs, point de symbolisme à observer nécessaire- ment , point de règles canoniques à suivre ; la rigoureuse loi de l'alignement, qui, de nos jours, est parfois si ridicule-

6/| HISTOIRE DU SYMBOLISME.

ment absolue , n'empêche même pas le bâtisseur vulgaire ni d'empiéter sur la voie publique ni de reculer vers son jardin. L'église, au contraire, maison de tous, mais lieu sacré destiné à la prière commune , doit se distinguer tout d'abord au regard qui la rencontre ; elle frappe et saisit par ses lignes et ses dessins convenus ; elle s'annonce à tous par des tracés qui ne sont qu'à elle , par la môme raison qu'une fois installés dans son enceinte vénérée, ses enfants ont besoin que tout y parle à leur esprit et à leur cœur, que tout arrive par le regard à ces deux moitiés de la vie morale. Rësumé et ré- i\ était douc indispeusablc de s'arrêter à un archétype

sultat logique . , .^ .

des considérations univcrscl , qul uc chaugcât poiut quaut aux significations

précédentes. . . »■ i

plus ou moins nombreuses, mais toujours nécessaires, dont la foi se nourrit. Donc, pour l'architecture chrétienne , non plus que pour ses moyens d'ornementation et d'ameuble- ment, point de ces prétendus caprices auxquels des préten- tions irréfléchies ont quelquefois voulu faire croire ; point de banalités dans ce plan des monuments, en tout le même, et parlant toujours le même langage des traditions aposto- liques sous l'influence du prêtre ; point de vagues étran- getés dans cette flore pendante aux bords des chapiteaux , dans ces couleurs murales disant les mystères des faits bibliques aux parois du temple ou à la voûte du sanctuaire ; nulle fantaisie dans ces légendes sculptées , dans ces ver- rières empreintes des histoires symboliques de tant de générations , non plus que dans ces types consacrés , mais inexplicables à l'ignorance qui n'y peut lire, à l'incrédulité qui les nie , à la demi-science laïque s'égarant en des sen- tiers qu'elle ne peut explorer complètement toute seule. Ce sont autant d'empreintes qui ne se voient en aucune habitation séculière dans les siècles de foi , pas plus que de notre temps , et qui , en constituant une différence tout hiératique entre les monuments civils et ceux de l'ordre religieux , attestent aussi bien pour les uns l'exemption

SON APPLICATIOiN A L*ART CHRÉTIEN. 65

complète de toutes règles positives que pour les autres uue soumissiou normale à des conditions symboliques dont le clergé seul était l'auteur et le gardien.

Ce que nous venons d'exposer pour établir cette influence absolue et irrécusable de la pensée sacerdotale sur les diC- férentcs brandies de l'art catholique se prolongerait à l'in- fini; mais tout ce qui va suivre, en s'appuyant sur cette vérité, ne fera qu'en multiplier les preuves. C'est que, pour résumer ici avec de grands maîtres tout ce qui regarde cette question , « dès le siècle des catacombes l'art chrétien devint une religion comme tout le reste; il semble qu'une main souverainement maîtresse ait tracé alors le premier mo- dèle, que tant de mains serviles répétèrent depuis {\) ; )> et, « quant aux moyens d'exécution, il est certain que les ecclé- siastiques les plus distingués et les plus instruits faisaient de l'architecture l'objet de leurs études : ils donnaient eux- mêmes les plans de leurs églises, ils travaillaient à les con- struire (2). » Je ne terminerais pas si je voulais citer tous ceux qui, pour cette sainte et noble tâche, vouèrent toute leur vie aux œuvres de l'équerre, de la palette et du ciseau.

{{) Raoul Rochelle, Tablean des Catacombes, j). 165. (2) M. de Caumont, f^ist. de Varchil., p. 59, 60.

T. m.

CHAP1TRI2 H.

L'ÉGLISE DANS SON ORIENTATION.— CIMETIÈRES.

Revenons maintenant sur nos pas : il est temps de con- sidérer la maison de Dieu dans son plan d'ensemble , et pour ainsi dire à l'extérieur, nous apparaissent les formes générales du lieu sacré, après quoi nous passerons le seuil, nous aborderons le sanctuaire, nous parcourrons ses nefs , nous visiterons son transsept, ses absides et ses cbapelles ; enfin nous chercherons encore dans tous les membres de ce corps mystérieux les leçons silencieuses mais fécondes de l'Épouse du Christ. Préliminaires de G'cst dc lolu quc CCS Icçous préparent le saint édifice , et La'^cîo^iï'pianté^ lougtemps avaut que les murs bénis n'aient reçu même d'ï^i'rS^aS!"* leur première assise. Nous avons vu comme Fassentiment de l'Évêque est nécessaire à l'érection du moindre espace se doit célébrer le Saint Sacrifice , la plus auguste des fonctions religieuses, et vers laquelle toutes les autres con- \ ergent. C'est à lui également qu'il appartient de désigner ou d'accepter le terrain; car il est bon que, toujours par une pensée mystique , le sol sera posée cette Jérusalem terrestre domine l'espace qui l'entoure , appelle de loin les regards de l'humanité, et ouvre le cœur de l'homme aux can- tiques de son exaltation éternelle. Nous savons, du reste, que l'ÉgUse universelle , la société chrétienne tout entière est figurée par ce temple : en réalité , c'est la Jérusalem d'En- Haut. Il y a donc entre elle et lui des relations tropologiques et morales qui doivent élever l'un, dans toute son existence

l'église dans son orientation. 67

ici-bas , vers le règne siuiiatiiiel et inébranlable de l'autre. Les Prophètes sont pleins de cette similitude, qui leur revient sans cesse (1), et, quoiqu'on n'en ait guère tiré une pres- cription absolue quant à ces exhaussements du lieu choisi pour une égUsc , on la verra cependant comprise et suivie de toutes parts. Pour peu qu'on l'examine , dans le plus grand nombre de nos monuments actuels on reconnaîtra souvent que , lorsqu'elle semble oubliée , ce n'est que par suite des transformations du sol modifié à travers les siècles, et l'importance n'en a jamais été méconnue, puisqu'au sei- zième siècle encore S. Charles prescrivait d'y obéir. On comprend bien aussi que cette disposition nécessitait, pour aborder le Lieu saint , l'usage de quelques degrés : c'était un caractère de plus pour compléter le symbolisme de cette ascension du chrétien vers le séjour de la paix ; il se trouvait d'autant plus séparé du monde, et, par une autre raison tirée du respect qu'impriment aux nombres impairs l'unité et la trinité de Dieu, ces marches devaient être au nombre de trois , de cinq , de sept , etc. Cette re- marque , confirmée encore par S. Charles , ne s'applique pas moins aux chapelles baptismales et aux autels (2), dont

(1) « Fiindatur exsultatione universae terrae mons Sion...,civitas Dei magni. » {Ps., xlvii, 3.)— « Fundamenta ejus in montibus sanctis. » {Ps., Lxxxvi, 1.) Voir S. Méliton, sur le mol mo?i< j apud Spiciley. Solesm., t. U, p. 142.

(2) « Qua in re valde spectetur ut ubicumque (ecclesia) exstrualur, loco editiori aliquanto fiât. » (S. Caroli Borromaei, Inslructionum fa- bricx ecclesiasliccohh. l, cap. i, De Situ ecclesiee.) Le saint évêque, doué de ce zèle éclairé qui s'échappe toujours d'un cœur sacerdotal, va plus loin, et n'abdique pas le droit de choisir lui-même ou d'approu- ver l'architecte destiné à une œuvre de cette importance : « Ecclesia cum œdificauda est, primum episcopi judicio, et de architecti quemis adhibueril probarilve consilio, locus accommodatior eligi débet. » {lbid.) Qu[ ne comprendrait, en effet, que l'architecte dût dépendre de celui qui a par son caractère la première et la plus haute surveil- lance du tels travaux ? On était loin encore de nos architectes diocé- sains... — Voir les notes très-judicieuses données par M. l'abbé Van Drivai dans l'édition de S. Charles publiée par lui, Paris, 1855, in-l8.

68 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

les degrés sont comme les Apôtres et les Martyrs , la parole des uns et l'héroïque fermeté des autres ayant été comme les fondements du dogme et la double voie des peuples (1) pour arriver au salut, lyempiacement; L'euccinte ayaut été ainsi désignée au préalable, et le

la première pierre, ,,•, ,. .i %i i»»»

et ses conditions, plau gcueral tracc suivant les règles canoniques , 1 eveque doit planter une croix à l'endroit même devra s'élever l'autel , image sensible de la Victime crucifiée. Cette croix doit donc être nécessairement de bois , afin de représenter plus vivement celle du Calvaire, centre de toutes les pensées catholiques , symbole primitif d'où tous les autres ont dé- coulé (2). C'est encore un souvenir des premiers autels employés dans les catacombes , dont le bois fut remplacé nécessairement ensuite par la pierre , comme nous aurons à l'expliquer bientôt. Mais de toutes les pierres qui forme- ront l'édifice , la première de toutes sera bénie ; on lui donnera des dimensions et des ornements mystiques; sa forme carrée sera celle de la Cité éternelle décrite dans

(1) « Gradus quibus ascenditur ad altare spiritualiter deraonstrant Apostolos et Martyres Christi.qui pro amore Ejussanguinem suum fu- derunt. » (Hug. à Sancio-Yiciore, Spéculum de mysteriis Ecclesim , cap. i; Migne, t. GLXXVII, col. 537.)— Durant ajoute, pour compléter cette explication : « Quia... Sponsa in canticis amoris vocat eos ascen- sum purpureum. » {Ration., cap. ii; mihi, f" vi.)

(2) « Pridie igiturlignea crux in loeo ubi débet esse altare, flgatur. » {Pontificale romanum, pars II, p. 282, in-12, Mechliniœ, 1845.) Cette prescription était déjà vieille de plusieurs centaines d'années quand le Pontifical en maintint la vigueur. Elle vient des Novelles de Justinien, mort en 565, lesquelles étaient adressées soit à des magistrats, soit à des évêques, et, dans la cent trente et unième, qui est de ces dernières, le prince indique à observer une particularité qui prouve assez quel intérêt les évêques attachaient à l'orientation : Episcopus, dii-i\, veniatj ibidem crucem figat, puhlice atrium designet. (Gan. Nemo, De Gonse- crat., distinct, i )— Désigner Valrium, le vestibule ou porche toujours établi au-devant de l'église, c'était bien par cela même fixer l'orienta- tion. A la fin du sixième siècle, on était donc revenu sur la prohibition provisoire faite par le pape S. Léon le Grand , de 440 à 461 , unique- ment pour déjouer les idées des Manichéens. —Voir De Perrière, Histoire du droit romain, p. 307 , in-12, 1788; Labbe , Concil., t. 1, p. 1480.

l'église dans son orientation. 69

l'Apocalypse (1), dont toutes les proportions se rapportent, par le nombre quatre, h la perfection et à l'unité. Son plus bel ornement sera la croix, profondément gravée à sa partie centrale, éloquent témoignage de la foi nniverselle (2). Elle sera posée ainsi dans un angle , pour répondre à la pensée du Christ qu'elle représente, du Christ fondateur de l'Église , pierre angulaire et base certaine de la société catholique (3).

Toutes ces observances ne sont pas nouvelles : l'histoire du quatrième siècle nous les montre suivies, avec quelques autres tout aussi mystérieuses , par le pape S. Sylvestre , lorsqu'il présida à la fondation de la basihque vaticane par l'empereur Constantin. Ce prince , tout plein encore de la ferveur récente de son baptême, déposa son diadème en signe d'humilité, s'arma d'une pioche avec laquelle il ouvrit la terre , et , en ayant retiré douze corbeilles en souvenir des douze Apôtres , il les répandit sur l'emplacement que devait occuper le nouveau temple (4). On comprend de reste toutes ces allégories.

Le plan par teire, ou ichnographie d'une église, en tourne Encore l'onen.

11 1-11 AT tation; son his-

le chevet au soleil levant. Nous avons vu que cette près- toire, «t ses rai-

.• . 4 A , TVT . 1 son» d'être.

cription remonte aux Apôtres. Nous savons aussi que les païens eux-mêmes attachaient une idée religieuse à l'orien- tation de leurs temples et de leurs tombeaux. Ces faits sont tellement vulgarisés aujourd'hui, que nous n'aurions

(1) Cf. ci-dessus , t. II , ch. xiii , notre explication du 16^ verset du ch. XXI de l'Apocalypse.

(2) « Débet episcopus, seu sacerdos de ejus licentia, et primarium lapidem cui impressa sit crux in fundamento ponere. » (Duranti, episc. Mimât., Halionale, lib. 1 , cap. i; Pontificale romanum, ubi siiprà.)

(3) « Angularis petra, Christus fundat urbis mœnia,» disait notre ancienne prose de la Dédicace ; et le rit romain : « Bene fundata est dômus Domini supra firmam petram. » {Offic. in Dedical. Eccle- six.)

(4) Cf. Breviar. roman., 18 novemb. , in Dedicatione basiiicaruni SS. apostol. Pétri et Pauli, lect.v.

70 HISTOIUE DU SYMBOLISME.

que faire d'en citer les preuves qui abondent partout , et nous pouvons renvoyer, d'ailleurs , pour les connaître , à ce que nous en avons dit ci-dessus {]). La question doit donc se réduire ici à ce qui regarde l'Église chrétienne. Il semble , selon la remarque d'un interprète moderne , que Dieu ait tenu à garder pour les temples du Christianisme cette coutume , toute relative à Celui que les Prophètes nommèrent I'Orient par excellence; car, les Gentils se tournant vers l'Orient pour leurs adorations superstitieuses, les Hébi'eux ne pouvaient imiter ce rite sans partager en apparence leur idolâtrie , et c'est pourquoi la Loi divine dirigeait vers l'Occident les autels portatifs , comme plus tard ceux du Tabernacle et du Temple de Jérusalem (2). Mais aussi les Hébreux , toujours fidèles à la pensée de leur Dieu , se tournaient , qu'ils fussent pour la prière , vers ceTemple,qui devenait le point central de leur plus légitime affection , comme on le voit faire Daniel quand il veut protester contre les impiétés de Darius (3). De leur côté, les Apôtres, dispersés sur toute la terre, durent s'inspirer du même sentiment; la Bible est pleine d'allusions qui les y portaient. C'est donc à eux qu'il faut attribuer l'intro- duction de cet usage , de ce langage si élevé du sanctuaire chrétien , et nulle trace n'en existe avant celle qu'on leur attribue si justement. « L'Orient , dit un judicieux obser- vateur, n'était-il pas regardé comme la région des prodiges? C'est de que l'Étoile apparut aux Mages ; c'est que le Verbe s'est fait chair, et, s'il est la Lumière du monde , l'Orient est le symbole de cette Lumière incréée. » Sur la

(1) Voir t. 1, ch. IX, p. 223.

(2) Cf. Sacy, Comment . sur le c/i. viii cVÉzéchiel, et dom Calmet, ibid.

(3) « Daniel..., fenestris apertis in cœnaculo suo contra Jérusalem tribus temporibus in die flectebat genua sua et adorabat. » [Dan., \i, 10.)— Durant : « Daniel quoque in Babilonica captivitate et Judœi similiter versus Templum orabant. » {Ralionale, lib. V, cap. ii; mihi, fo vo cxx.)

F. ÉGLISE DV.\S S0.\ ORIEMATIO'. 7<

croix, Jésus regardait l'Occident , d'où il invitait les peuples à venir à lui : ainsi encore, la croix, placée du côté de l'Est, soit au jubé , soit à l'arc triomphal , soit dans la verrière de l'abside , fait face aux fidèles réunis dans la nef occi- dentale, et leur rappelle ainsi la mystérieuse disposition du Calvaire. Au jour de la Pentecôte , les flammes célestes descendirent de l'Orient dans le Cénacle ; enfin , suivant une tj-adition innnémorialc , c'est de ce côté que le Christ viendra au dernier jour présider à la Résurrection et au Jugement {\).

N'est-ce pas aussi de ce côté qu'avait été le Paradis ter- restre ? N'est-ce pas de qu'est venue toute l'humanité , aussi qu'elle est rappelée et qu'elle revient à travers les régions de l'exil? A tant de raisons généralement recon- nues , ajoutons-en une autre qui motive expressément la pose d'une église dans le sens qu'on lui a toujours donné. (iOmme l'Orient figure le règne de Dieu et de Jésus-Christ son Fils , splendeur de la lumière éternelle (2) , étoile Lui-

(1) cr. .Iules GondoD, Du Mouvement religieux en Angleterre, p. 63, iu-b° , Paris, 1842; Durant, Ration, divin. Offic, ubi suprà ; Socrate, llist. ecLes., lib. II, cap. xxii ; Bergier , Dictionnaire de théologie, Église.

(2) « Gandor est enim Lucis aeternsB, et spéculum sine macula Dei majestalis. » (Sap., \u, 26.) « Deus... locutus est nobis iD Filio...,qui cum sit spleudor gloriae... » (IJebr., i . 3.) L'Église , dans toutes les fêtes de Noire-Seigneur, renouvelle ceUe pensée avec la plus riche va- riété d'images et d'expressions. Elle dit à Noël : Deus qui hanc sacra- tissima}n nocte\a veri Luminis fecisti illustralione clarescere... (Col- lect. ^\iss.); quia per Incarnati Verbi mysterium 7iova mentis nos- trs oculis lux lux ciaritatis infulsit (Preefat. Miss.) ; à l'Epiphanie : Nova nos immorlalitalis luce reparavit (Praefat. Miss.). S. Am- broise a développé cette pensée, avec toute la douceur habituelle de sou style et toute l'abondance de son génie vif et fécond, au commen- cement de son Commentaire sur S. Luc : « Magi de thesauris suis offe- runt munera. Vultis scire quam bonum meritum habeant? Stella ^) his videtur; et ubi Herodes est, non videtur : ubi Christus est, rursus videtnr, et viam demonstrat. Ergo Stella haec via est, et via Christus ; quia secundum Incarnationis mysterium Christus est Stella. Orietur euim Stella ex Jacob, etexsurget Homo ex Israël. Denique ubi Christus, fit Stella est, Ipse enim est stella splendida et matutina. Sua igitur Ipse

72 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

même montrant la route de la vie ; comme l'étoile des Mages

indiqua le chemin qui menait à Lui {]) , l'Occident désigne

fréquemment le règne de Satan, prince des ténèbres (2).

Le Nord et le ^nc autrc opposltiou sc fait dans le même sens du Nord

Sud considères i a

quant à leur sym- g^^ ^|j(ji ^ar Ic Nord , u'cst jamais le soleil, représente le règne du mal, parle froid qui y domine, et la mort de toute germination , qui ne peut y prospérer sans chaleur. C'est qu'au témoignage d'Isaie , l'Esprit infernal avait choisi sa demeure préférée , comme étant , par rapport à la Cité sainte , le pays de l'idolâtrie et de l'infidélité (3). L'Esprit- Saint , au contraire, est le souflle du Midi, habite toute chaleur fécondante , d'où le soleil atteint à sa plus haute élévation. Par analogie, l'Aquilon fut le côté des méchants; les Justes gardèrent celui du Sud, et d'innombrables textes scripturaires , commentés dans le même sens par l'univer- salité des interprètes, dictèrent ainsi à l'iconographie sacrée la distinction, qu'elle a toujours faite dans ses œuvres, des symboles destinés au Sud ou au Nord de nos églises (4). On

luce se signât. » (S. Ambros., In Luc., lib. II, cap. ii.) Par suite de cette acception symbolique de l'étoile, elle signifie aussi, selon les dif- férents passages des Ecritures on la prend comme terme de compa- raison j tantôt les Anges et les âmes justes de la terre , tantôt la Sainte Vierge et les Pasteurs de l'Église. Enfin, et par opposition , elle peiit figurer encore le démon et ses satellites_, quelques Anges étant devenus mauvais , puis les mauvais chrétiens , les hérétiques et autres dissi- dents, le dragon (dans l'Apocalypse, viii, 12) ayint précipité sur la terre la troisième partie des étoiles (voir ci-dessus, t- II, notre exposit. de l'Apocalypse, p. 193 et suiv.)— Ainsi s'expriment à cet égard S. Méliton dans sa Clef, S. Euclier dans ses Petites Formules, et l'auteur des Dis- tinclions monastiques. (Cf. SpicHeg. Sol'sm. , t. II, p. 67; t. III, p. 405,451 et 483.)

(1) « Vidimus stellam Ejiis in Oriente, et venimus adorare Eum...;et Stella antecedebat eos. » (Malth., i, 2, 9.) ^(2) « Induite vos armaturam Dei, ut possitis stare adversus insidias diaboli, quoniam... estnobis colluctatio adversus mundi rectorestene- brarum. » {Ephes., vi, 11, 12.)

(3) « Ponam sedem meam ad Aquilonem. » (/5.,xiv, 13.)

(4) Cf. Vitraux de Bourges, p. 94 et 95 , les PP. Martin et Cahier citent savamment, selon leur habitude, des textes fort complets d'Ho- noriiis d'Autun, de S, Isidore de Séville, de S. Ambroise et de S. Jérôme

l'église dans son orientation. 73

conçoit, dès lois, coniiiieiit on a pu trouver indispensable que le prêtre à l'autel, et les peuples en s'uuissant à lui pour prier, pussent élever leurs regards vers le point du ciel le plus favorable à la piété, et y diriger leurs sentiments d'une manière facile en queloue sorte et plus directe. Il y a ^ Régie normal.^

11 «J de rorientation

môme une règle d'orientation qui exprime parfaitement d'«nc église; cette intention liturgique : c'est que le cbevet du saint édifice se dirige, par une ligne droite, non vers le point du ciel le soleil se lève à répo(jue du solstice , mais vers celui qu'il occupe lors de i'équateur. C'est que l'Église , vivante Épouse du Christ, dont l'église matérielle n'est que le symbole , marchant ici-])as entre les prospérités de la grâce et les rigueurs de l'épreuve, doit se tenir ferme , sans incliner de côté ni d'autre , se préservant également des régions de l'ennemi et des vaines attaches aux douceurs de la terre. La ligne équinoxiale forme pour elle une stricte limite de séparation enti-e ces deux excès. Ce sont de grandes autorités qui le disent, au moyen âge comme à présent (i). On cite quelques exceptions, il est vrai, à cette règle si pourquoi on en

trouve des excep-

généralement comprise relies ne font que la confirmer, tionsenitaiie, puisque, chaque fois qu'il s'en présente une seule, on a grand soin de la faire remarquer et d'expliquer pourquoi on se trouve alors en désaccord avec la pratique ordinaire (2).

qui établissent clairement ce même priûcipe. Voir aussi dom Pitra, SpicUeg. Soksni.,i. II, Clavis Melitonis, cap. m. nosxvii, xviii, xix, xx, avec les commentaires qui s'y rattachent; et le résumé de Théodulphe d'Orléans, 4, ibid., p. lxix.

(1) « Débet quoque sic fuiidari (ecclesia), ut caput recte iuspiciatur versus Oricntem , verum vers;is ortum solis œquinoctialem, ad deno- tandura quod Keclesia^qurTe in terris militât, temperare se débet aeqna- nimiter in prosperis et in adversis; et non versus solstilialem , ut fa- ciiint quidam. » ('Duranti, Mimât, episc, Ralinir., cap. i, il v.) Voir encore la dissertation des PP. Martin et Cahier, Mélanges d'ar- chéoligie , t. I . p. 78 , avec les sources nombreuses qu'ils indiquent ; et M. ral)bé Godard-Saint-Jean, Aor/rx^ sur Véglise de Vignory, in-S», 18'i9, p. 5.

(2) Cf. Encyclopédie du dix-neuvième siècle, symbolisme, par M. Trémolière. Cet auteur, que nous avons déjà cité, est un des pre-

74 HISTOIRE Ul" SYMBOLISME.

Nous indiquerons môme sinon toute l'Italie, comme on Ta prétendu à tort (^), au moins la ville éternelle, Rome , re- gardée à la fois comme la terre normale des usages litur- giques et comme celle se rencontrent de plus fréquentes négligences à cet égard : mais ces négligences fort nom- breuses ne sont qu'une règle de plus. Dès le principe, on put s'apercevoir qu'outre les païens qui adoraient Apollon et quatre ou cinq autres soleils, certains philosophes, plus nombreux à tlome qu'ailleurs, donnaient dans les rêveries de Zoroastre et de Mithra, puis dans les erreurs analogues de l'école d'Alexandrie. Les premiers hérétiques s'adon- naient aussi à des superstitions venues de l'Egypte et de la Perse, adoraient l'astre auquel ils attribuaient la vie de la nature et se tournaient vers lui pour leurs coupables prati- ques. Les Manichéens, au témoignage de l'éloquent évêque d'Hippone, allaient jusqu'à regarder l'astre comme étant

miers qui aient traité cette question enhomrae d'études sérieuses, malgré certaines réserves que nous devons faire sur quelques points de dé- tail. Il cite, à propos de ce que nous disons ici, une de ces exceptions mentionnées par S. Paulin de Noie (lettre xxx^ à S. Sulpice Sévère), et relative à l'église de Saint-Félix qui s'ouvrait en face d'une autre régu- lièrement orientée, et ne pouvait par conséquent l'être de la même manière. Le P. Cahier expose aussi les développements curieux de cette question avec beaucoup de lucidité et de conviction dans son JJée cfune basilique chrétienne des premiers siècles , travail remar- quable inséré dans les Annales de philosuphie chrétienne , t. XIX, p. 342.

(1) Ainsi le racontent toutes les histoires ecclésiastiques : c'est ce que n'ont pas assez compris ceux qui se sont étonnés, sans se les expliquer, de ces exceptions plus nombreuses à notre règle qu'on remarque à Rome, peut-être on s'est accoutumé à ne plus appliquer ce symbo- lisme aux monuments plus modernes parce qu'on le voyait négligé dans ceux de la plus haute antiquité. Car c'est du temps de S. Sylvestre et de Constantin que furent bâties en plus grand nombre les églises non orientées. De on vit les idolâtres et les hérétiques du quatrième siècle prétexter leur opposition formelle et énergique. Un mot de S. Jérôme, contemporain de cette défense (331 à 420), prouverait seul qu'elle n'était que locale et toute restreinte à la cité impériale : Sic versi ad Orientera, dit ce Père, pactum inimus cw)i Sole justitix. [Comment, in 'proph. Amos, VI, 15, lib. 111.)

L ÉGLISE DANS SOA ORIENTATlOxN. 7:>

Jcsus-Glirist lui-même (I). (Ven dut être assez pour inter- dire aux chrétiens toute ressemblance avec eux dans l'orien- tation des nouvelles églises (2) ; car, pour certaines âmes encore trop accessibles aux e\tra^ agances du paganisme , il fallait préférer l'intégrité de la foi à l'observance trop scru- puleuse des meilleures théories symboliques. x\ussi, quel- que évidente que fût l'intention des Apôtres sur ce point, elle dut rester inappliquée jusqu'au sixième siècle, puisque ce fut le pape Vigile qui exigea le premier (de 537 à 555) qu'on revînt à une pratique dont l'importance n'avait appa- remment diminué en rien par le laps des temps (3).

(1) « Non desit qui dicat apud semetipsum : numquid forte Domiuus Christus est sol iste qui ortu et occasu peragit dietn ? Non enim de- fuerunt liaeretici qui ista senserunt. Manichaei solem istum oculis car- neis visibilem, expositum et publicum non tautum honiiuibus, sed etiaui pecoribus ad videndum Christum Dominum esse p itaverunt. » (S. Aug., Tract, xxuv in Joan., post initium.)

(2) Cf. Bâtissier, Ilisi. de Vart. monum., p. 362. On sait que les empereurspaïeus, qui dominèrent l'Église pendant plus de trois siècles, se vantaient de représenter le soleil; qu'ils furent plus d'une fois inau- gurés sous ses traits dans leur apothéose , comme ils l'avaient été vivants sur les monuments et les médailles. Parmi ces dernières, on a des spécimens d'Héiiogabale et d'Aurélieu portant pour inscriptions : Sancto Oeo soli, et Sol Dominas impcrii Romani, ou Domino soli. Un obélisque, cité par Ammien Marcellin, portait cette consécration : Sol Deus tnagnus, despotes cœ/i. Constantin lui-même, avant sa conversion, bien eutendu, c'est-à-dire avant l'an 313, eut des types le soleil figure entouré des mots : Soli invicto Comiti. On comprend que c'était un souvenir trop récent ou un exemple trop dangereux pour que l'Église ne cherchât point à eu détruire les moindres traces. —Voir Gruter, Inscriptinnes a?itiqUcC,Vû).XX\U],cai\i. iv; Ammiani Mar coll., Hislo?nai\ lib. XVII.

(3) C'est notre liturgiste du treizième siècle qui atteste l'action du pape Vigile sur ce fait, de sorte que, dans les églises mêmes dont la porte était ouverte à l'Orient , le prêtre ne devait pas se tourner vers le peuple pour le saluer avant les oraisons de la Messe; ce qui se faisait, au contraire, dans celles ouvertes à l'Occident. C'était toujours une orientation liturgique, et l'on suppléait ainsi très-symboliquement à l'éfablissemeut régulier du plan par terre : « fJcet Deus sit ubique, tamen sacerdos in altari, et in divinis Offl'iis, débet ex inslilutione Vi- fjiliipapaj versus Orientem orare.n (Ubi suprà, lib. V, cap. ii.)— N'om'et- tons pas , d'ailleurs, d'observer qu'en Italie même, à Anagui, j)ar exemple, lorsqu'une nécessité du terrain a forcé de tourner malle plan

76 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Depuis ces temps reculés, ce même principe s'est perpétué dans nos traditions sans jamais s'y endormir. C'est dans ce sens que le Pontifical romain, recueilli à la fin du quinzième siècle par ordre du pape Innocent YIII, mais dont les pres- criptions et les formules sont de la plus haute antiquité, fait tourner les douze prêtres qui contribuent avec l'évêque à la confection des saintes Huiles vers l'autel majeur, toujours placé lui-même vers l'Orient (1). qui ne sont plus Dc taut dc documcuts, que nous abrégeons de tout ce

acceptables au- ., -i /. . i ^ < i

jourd'hui. qu'on a écrit sur cette matière, il faut bien conclure a la

nécessité liturgique de l'orientation pour une église catho- lique. On sait donc pourquoi cette loi se rattache à toutes les constructions anciennes. Mais il ne suffit pas à l'ÉgUse que cette loi ait été portée et suivie autrefois : son esprit demeu- rant le même. Elle exige toujours le même respect pour ses pensées, et rien n'autoriserait aujourd'hui l'oubU et, à plus forte raison, le mépris de ses saintes prescriptions. C'est pour- tant ce qui se fait quelquefois encore en certaines contrées, absolument comme si les pieux désirs de nos pères n'avaient pas traversé dix-neuf siècles pour venir jusqu'à nous. Nous le comprenons, liélas! pour la Hollande, le catholicisme est traité sous Fiiifluence de tous les mauvais vouloirs d'un gouvernement persécuteur, quoique en Angleterre, les idées religieuses ne valent guère mieux, les architectes ca- tholiques prennent un meilleur soin de la loi chrétienne et de leur propre réputation (2). Mais d'où vient qu'en France

de l'église, on s'en est dédommagé en orientant vers le point liturgique l'autel, le prêtre fait face dès lors aux fidèles et offre en leur nom vers le point normal le Sacrifice pour tout le peuple, qu'il personnifie devant Dieu. Voir V Histoire de la cathédrale d'Anagni, par M. Bar- bier de MontauU, chanoine de cette église, in-i», 1856, eh. n.

(1) « Posita siût scamna pro duodecim sacerdotibus , ita ut ibidem sedentes faciès vertant ad altare... Faciès semper ad altare vertentes. » {Pontificale ronumum , p. 606 et 607). Cf. aussi Zacharia, De Usu librorum Lilargicir., cap. ii.

(2) Cf. le livre de M. Pugins, traduit par M. Jules Gondon, Du Mouvement religieux en Angleterre, Q,\iè plus haut, et la Revue de l'art chrétien , t. I, p. 175.

L'ÉGLISE DANS SON ORIENTATION. 77

on prend si peu de souci, trop souvent, d'un principe qu'on y connaît mieux que partout ailleurs, et que, pour le moin- dre caprice d'une fabrique rurale ou d'une municipalité ignorante, on consente à bouleverser l'orientation que de- vrait prendre une église nouvelle, ou à déserter pour la re- bâtir ses vieux fondements, dont il faudrait au moins garder toujours la plus grande partie? D'où vient encore qu'on est si peu attentif au principe, en certains Ordres religieux sur- tout, dans le sein desquels on devrait s'attendre à trouver pour cet objet un zèle qu'ils ne refusent à aucun autre? Supplions nos évèques d'interposer en cela leur autorité souveraine. L'iiistoire cite plus d'un de leurs pi'édécesseurs combien les é-

j 1,1 ' 1 i » X 1 vêques y ont tou-

dans 1 iierilage des x\potres qui tnirent a garder en ce pomt jours tenu. les antiques prescriptions ; elles vont jusqu'à exiger une per- mission épiscopale, dont la formule même est consacrée par le droit, pour la démolition d'une église, ni plus ni moins que pour la reconstruction d'un autel (^). Hors de là, en effet, tout peut se déranger dans l'économie symbolique de la Maison divine, et ce dérangement est presque une liérésie contre laquelle s'élèvent nos plus respectables traditions. L'orientation une fois méprisée, est le Nord, sont le Graves incon- Midi et l'Occident, dont nous venons de voir l'importance? abandon. sont toutes les idées corrélatives qu'un principe reliait comme le ciment unit les pierres mêmes de ce temple ? Le grand Dieu que cherche l'âme chrétienne ne réside plus que dans un sanctuaire de convention. Il n'y est plus éclairé dès le matin par l'astre dont il a fait son tabernacle (2) ; il semble privé de son nimbe le plus éclatant. Et, en suivant jusqu'en ses dernières déductions ce sophisme d'une archi-

(1) A la fin du dix-septième siècle, Paultier de Novion, évêque d'É- vreux, refusa longtemps de consacrer l'église des capucins de sa ville épiscopale parce qu'elle n'était pas orientée. {Histoire du comté iCÉvreuXy par Le Brasseur, ad ann. 1696.) Voir encore Le Parfait Notaire apostolique, t. I, p. 659 et 660, in-4o, Lyon, 1775; d'Héricourt, Loï'.v ecclésiastiques de France.

(2; « In sole posuit tubernaculum suum. » [Ps., xviif, G.)

78 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

lecture inintelligente, on peut regarder comme rejeté de l'enceinte sacrée cliacun de ses symboles les plus chers : « Le grand arc au-dessus de l'ambon n'est plus l'arc de » triomphe ; on ne sort plus de la nef comme d'un ordre )) inférieur pour entrer dans l'ordre suprême figuré par le » chœur et le sanctuaire tendant vers l'Orient ; vous ne ferez )) plus regarder l'Orient à vos morts quand, au son de la » trompette du grand jour, ils lèveront la tête et demande- » ront réside leur espoir. Ils ne trouveront pas la vallée » de Josaphat ; ils regarderont du côté de Valparaiso et de » Surinam : —et les sauvages se riront de vous (4 )!...»— Et vous n'aurez plus une égUse chrétienne ! L'orientation ne N'abaudonnous pas ce sujet sans parler d'un autre qui y mSs'ïx cime! ticut daus Ic Ghristianismc par des relations nécessaires. "^'"*''' L'Éghse, qui ne se sépare pas dans ses prières des âmes

qu'elle a guidées pendant cette vie, s'en préoccupe encore après la mort : elle a donc toujours voulu que le séjour des défunts ne fît qu'une môme demeure a^'cc celui la prière est plus solennelle; elle a placé ses cimetières soit dans les temples mêmes, soit à l'abri de ces murs bénis, et l'orien- tation est encore de principe, sinon toujours observée au- tant qu'il serait convenable depuis que- la liturgie y est malheureusement déléguée aux soins exclusifs d'un fos- soyeur. Son intention fut toujours de nous rappeler , par cette identité ou ce voisinage, que la prière est un hen, une communion entre nous et nos frères trépassés. Sur ce point comme sur tant d'autres, les usurpations de la société civile ont imposé l'abandon des règles vénérées de nos pères, et bouleversé, avec le sol des cimetières, ce qu'ils avaient de à l'égard desquels profondémcut rchgicux (2). Qu'eussent dit les païens de

(1) M. Fabbé Corblet , Revue de l'art chrétien, t. J , p. 176. Voir aussi M. Puglns, Du Mouvement religieux en Angleterre, p. 62.

(2) Les encyclopédistes du dix-huitième siècle, qui savaient donner à leurs projets contre la religion un vernis d'ulililarisine (pardon de ('6 mot créé parleurs successeurs!), prétendaient qu'inhumer dans les

CIMETIÈRES. 79

rÉe-vpte, de la Grèce et de Rome, si fidèles à cette obser- eiie fut observée

chez les anciens,

vance, et dont les morts ne devaient être coucliés qu'en face ^t que les chré-

tiens appliquent

du soleil levant? Les Gaulois eux-mêmes tournaient leurs aux leurs. dolmens vers ce point mystérieux, et le plus grand nombre de ces monuments observés en France, en Bretagne, dans les îles de la .Alancbe et, au delà de notre Océan, dans celles de la Scandinavie et de l'Irlande, conservent cette position ; de sorte que les exceptions, comparativement restreintes, ne peuvent s'attribuer qu'à des causes inconnues mais très- probablement symboliques, aussi bien que la règle géné- rale (^]. Nous pouvons même nous persuader, envoyant cette diversité affectée selon quelques lieux à cette obser- vance des Geltes , que des raisons mystiques poussaient les diverses peuplades vers tel ou tel point du ciel qui répondait le mieux à une de leurs idées théologiques. Les chrétiens, au contraire, partout et toujours, s*orien- Pourquoi nos ci-

metières avoisi-

tent dans la tombe comme dans leurs églises. Ils semblent nent nés églises. chercher du regard de leur âme immortelle les plages d'où est venu le Sauveur ; ils aspirent toujours, en attendant leur résurrection promise^ aux rivages d'où jaillira pour eux l'éternité : rangés autour de la croix de pierre ou de bois

églises c'était « profaner les temples et souiller le sanctuaire » (t. VllI , in-4°j "vo Cimetière). Passe encore d'avoir ainsi l'avis de tels juges; mais comment ne pas regretter l'engouement qui se fit dans ce sens, même parmi les hommes sincèrement religieux, dont la simplicité trop peu prévoyante croyait devoir, avec d'excellentes intentions, seconder ces attentats contre l'autorité et l'esprit de l'Église ? C'est ainsi qu'on marchait docilement aux grandes réformes de 1789 et à la Constitution civile de 1791. Un'yeut pas jusqu'aux évêques eux-mêmes qui consen- tirent à sanctionner par des mandements cette mesure qui devait éloi- gner les maladies, assurer la louQéwiié de l'espèce humaine..., et prouver que la France avait à la fin du règne de Louis XV plus d'esprit et de bon sens que dans ses âges d'honneur et de foi. Plus tard on verra Paul-Louis Courier vanter dans sa Gazette de village les exploits de la Bande-Noire, démolissant à plaisir sous la Restauration les églises et les monastères épargnés par les apôtres de 93...

(i) Voir BullHin monumental, t. I, p. 54: III, 2, 347, 349; XII, 320; XVI, 316, 31 7; XIX, 370.

80 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

qui symbolise encore leurs espérances, ils dorment du som- meil de la paix sous des tombes de calcaire ou de tufau, dans des sarcophages monolithes ou cloisonnés avec le mar- teau et la truelle. Ce sont toujours les siècles chrétiens qui, tout en variant la forme et l'ornementation de ces cercueils impérissables, se sont préoccupés, comme d'un soin pieux, de la conservation indéfinie de ces corps qui furent animés Cercueils de bois par Ic soufilc dlvlu ct dcstliiés à une seconde vie. Les cer-

et de pierre.

cueils de bois, qui, employés à toutes les époques depuis qu'on abandonna l'incinération (vers le commencement du quatrième siècle), étaient cependant, autant que possible, revêtus d'un sarcophage de pierre ( I ),ne furent adoptés seuls et sans cet accompagnement si convenable que depuis la décadence de nos mœurs religieuses, vers la fin du quin- zième siècle. C'était abandonner aussi la marque la plus sensible de la respectueuse tendresse des survivants envers la génération qui s'écoulait devant eux, et dont la dispa- rition préludait à celle de tant de principes sacrés et de louables sentiments. Symbolisme de Q'est éfifalemciit à nos temps modernes qu'il faut repro-

leur forme a deux '-' i x r

pentes. cher ces pierres plates qui ferment le coffre funèbre et qui

semblent une caricature dérisoire de l'affaissement de la pensée symbolique, échappant au monde à mesure qu'il se matérialise et s'endort. Au commencement, il n'en fut pas ainsi. L'homme a semblé monter dans la vie , de l'enfance à l'âge mûr, puis redescendre à l'opposite de sa carrière vers le déclin de ses derniers jours. Gomme le soleil, il a eu son lever et sa décadence : ainsi , reposant au fond de sa demeure sépulcrale , on l'abrita d'un couvercle mystérieux qui par son double versant rend bien encore cette dernière ascension dont la certitude lui fut donnée, et cette autre ab- sorption qui doit la suivre, et l'immergera bientôt dans une

(1) Voir BoUandus, Vilse S^<^ BadpgvniHs, ad xiii aug., et 6'*'» BathiUis XXVI januar.

CIMETIÈRES. 81

vie de joie ou d'expialioii. Nous ne voyons guère eomment expliquer, en dehors de ce synil)olisnie, cette persévérance générale et reconnue à imposer aux sépulcres cette forme unique si longtemps respectée, et dont nos cimetières nou- veaux Regardent plus que des spécimens incompris et sans conséquence mystique (I). Nous avons, au reste, parlé des autres formes de tombeaux en décrivant la résurrection des morts dans l'exposition du vingtième chapitre de l'Apoca- lypse (2). Il V avait, dès les premières années de la liberté de cimetièroscom-

" muas des premiers

l'Eglise, des cimetières communs ces sarcophages repo- siècles chrétiens, sent encore en grand nombre, mais qui s'en trouvent privés (le plus en plus à mesure que triomphe la cupidité spécu- lant sur les cendres jusqu'à l'oubli de la dignité humaine, (^es grands rendez- vous de la mort étaient pourvus d'une chapelle funéraire presque toujours dédiée à S. Pierre es Liens, ce libérateur fidèle à qui les clefs du royaume d'En- Haut étaient confiées , et qui, délivré autrefois par l'Ange des fers d'Hérode , était imploré pour une délivrance bien autrement importante par les captifs des ombres de la mort. Ou bien, quand ce n'était pas au Prince des Apôtres, c'était pî-o^tectioirde s! à rarchange S. Michel que la chapelle était dédiée , parce jifcbd .^" "^^ ^'

(1) CeUe forme des sarcophages à deux pentes s'observe depuis les pre- miers temps chrétiens jusqu'au quinzième siècle. Elle avarié dans ses dé- tails, se pliant maintes fois auxbesoins des cadavres par le rétrécissement de la partie inférieure, par l'élargissement du côté de la tête, qui avait elle-même son lieu de repos indiqué par un évasement arrondi; enfin ([uelquefois par une dépression dans la partie médiane, s'apuyait i'arrière-corps. Mais on trouve fort rarement une surface extérieure en- lièrement plate et horizontale. Celles qui semblent l'avoir laissent tou- jours apercevoir une sommité de l'axe longitudinal qui sauvait le prin- cipe quanti la pierre n'avait pas toute l'épaisseur désirable. Il y a néces- sairement exception, on le comprend bien, pour les tombeaux que re- couvrirent, à partir du douzième siècle^ des statues funéraires à la lête desquelles un coussin était soutenu par des anges, comme aux pieds l)ar un lion pour les chevaliers, dont il symbolisait la valeur guer- rière, et par un chien pour les femmes, en signe de leur fidélité conju- gale.

(2) Ci-dessus, t. II, ch. xil, p. 344.

T. III. 6

82 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

que, dans l'Offertoire de la messe des défunts, il est supplié, comme vainqueur du démon, d'ouvrir aux âmes les portes du Ciel (\). Ainsi consacrés par un vocable protecteur, ces lieux de repos et de prières furent d'abord privés de tout ombrage ; car les superstitions des païens pour les arbres les avaient fait bannir des cimetières comme pouvant y deve- nir, pour quelques-uns , l'objet d'un culte réprouvé : on le plantés d'arbres volt daus la Vie dc S. Martin (2). Plus tard, et vers le hui- syrabo iques. x[q^q sièclc , quaud on n'eut plus à craindre les grossières erreurs , on se montra moins difficile sur les plantations ; on aima à s'abriter, aux abords de l'église, sous des arbres qui jetaient une teinte de mélancolie autour des tombeaux et semblaient y protéger le recueillement de la prière. De préférence, on cboisit ceux qu'une verdure plus durable ou un bois plus vivace rapprochait plus de nos désirs d'immor- talité : c'étaient le cliene, dont la feuille flétrie parles hivers ne tombe que pour faire place immédiatement à une végé- tation nouvelle ; le cyprès au bois incorruptible , l'if dont le pyramide s'élève vers le ciel, tous deux revêtus d'une ver- dure foncée , mais plus forte que les frimats. Quelques-uns de ces arbres sont devenus célèbres par leur vie de plusieurs siècles : Saint-Pierre-des-Ifs, près Pont-Audemer, en con- serve qui sont devenus énormes (3). Des traditions respec- tables, et admises par de graves écrivains, attribuent à cer- tains d'entre eux une vie non moins longue que celle de l'église du onzième siècle qu'ils avoisinent. Si l'on en croit ^ quelques autres, on en trouverait encore du quatrième,

j ^ dont on peut suivre l'existence à travers ces quinze cents

ans par une suite non interrompue de documents aussi in- téressants que sérieux (4).

(1) « Signifer S. Micbael repraesentet eas in lucem sanctaru.))— Voir l'abbé Lebœuf, Disserl. sur les anc. cimet.

(2) Bolland., xi novemb.

(3) Voir M. Raymond Bordeaux, Traité de la réparât, des égt.f în-42, p. 75.

(4) Voir Dubreuil, Cours d'arboriculture; et Gadebled, Dictionnaire statistique de l'Eure, cités par M. R. Bordeaux, iibisiq^rà.

CIMETIÈRES. 83

Le moyen Age avait aimé aussi à placer ses morts dans n^J/i^^'""'' ™°" l'enceinte des forêts, lorsqu'après leur avoir emprunté, un vaste emplacement pour une église ou un monastère , le cimetière était pratiqué autour d'eux sous les fraîches voûtes de ces feuillages pleins de vie : c'est l'origine la plus ordinaire des lieux appelés Épinay l'Épine (spinetum). se retrou- vent le plus souvent des cimetières francs ou gallo-romains, comme à l'Épinay , près de Dieppe , la chapelle sépul- crale est encore dédiée à S. Pierre es Liens {\).

Outre la croix centi-ale, et non loin d'elle, s'élevaient, dans i^antemes des le champ des morts, ces colonnes creuses connues sous le nom de lampadaires, de fanaux ou de lanternes des morts , plus fréquentes dans le Poitou, l'Auvergne et les contrées méridionales de la France. Quels motifs et quelles fonctions u'a-t-on pas attrihués à ces monuments longtemps incon- nus ! Ce qui n'était qu'un simple ohjet de dévotion ton- fau^fef^'opfnion, chante, un honneur rendu aux défunts du Christianisme, émises à leur sujet, n'aurait été, au dire de quelques chercheurs, qu'un reste de superstitions grecques ou romaines, éclairant des danses religieuses et mystiques auxquelles se livraient des femmes <m certaines fêtes funéraires qu'on a hien soin de ne pas déterminer ; ou hien c'était une sorte d'évocation de l'âme des morts ; enfin c'était un feu toujours prêt les habitants d'un village venaient puiser tour à tour celui du foyer do- mestique dans les temps de contagion, chacun s'isolait des habitudes de la vie commune (2). Voilà ce que c'est que d'écrire des choses sacrées sans en avoir étudié les éléments. . . Mieux inspirés furent ceux qui, venus plus tard et s'adon- toui?''chiS' nant à une étude plus sérieuse, reconnurent dans ces cippes "®^* élégants , dans la croix qui les [surmonta toujours avant certains accidents qui les en privèrent, dans l'autel surtout que les générations contemporaines avaient adapté à leur

{{) M. l'abbé Cochet, Sépultures trouvées à Saint-Pierre d' Épinay, in-8o, iSil,passim. (2) Voir M. Tailhaut, DulleL monura., t. V, p. 433.

84 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

base, les signes non équivoques de la religion , qui n'aime pas moins les morts que les vivants (i). Au point supérieur du petit édifice, en effet , était entretenue une lumière con- tinuelle où l'huile se consumait comme celle du sanctuaire, pareille à l'âme fidèle, vivant pour Dieu et s'élevant sans cesse vers lui par les élans de sa pensée et de ses désirs. C'était encore un honneur rendu aux corps couchés dans le cercueil avec l'attitude de la prière, les mains jointes sur la poitrine et les yeux tournés vers la lumière de l'aurore à venir : c'était un avertissement aux habitants de la terre , lorsque le soir, attardés aux environs du village, ils se sen- taient pressés par cette flamme éloquente de donner un pieux souvenir de leur cœur à ceux qui dormaient sous la colonne de feu. Le jour des Morts , ou à certains anniver- saires, le curé offrait fadorable Victime sur cet autel rustique, orné momentanément des chandeliers et de la croix de métal. Enfin c'était le rendez-vous des diverses stations faites au cimetière, soit lorsqu'après l'évangile des Rameaux on attachait à la croix principale ïozane bénite, soit lorsqu'à l'occasion de quelques services pour certains défunts de la paroisse, le pasteur, s'élevant de cinq ou six degrés au-dessus de la foule, lui recommandait les âmes de ses frères et ra- menait ses pensées au seuil de son éternité. Des symboles Dcs symbolcs s'attachaieut aussi à la pierre môme des sirTes tomSux! tombeaux et y devenaient un langage extérieur en forme ^ig^n^diTopuia" d'hiéroglyphes sacrés. Nous ne parlerons pas de Vascia, ce tions païennes. fameux iustrumeut jusqu'à présent incompris , de l'aveu même des plus savants (2), en dépit de toutes les explications

(1) Voir M. le comte de Cha.sieiguev,Mém.des antiquaires de l'Ouest, t. X,p.275.

(2) C'est l'opinion de M. de Caumont, qui fait observer que Vascia fut usité dans les Gaules beaucoup plus qu'on ne le pense communé- ment, mais qu'on ne le trouve que relatif à une époque ou l'incinéra- tion était en usage. Le Christianisme n'a donc rien à voir ici. Voir, sur l'ascia^ Bulletin monumental , t. XVII, p. 152, et notre Table des vingt premiers volumes. Nous croyons aussi avoir démontré dans le

riMETlÊRES. 85

(ju'on eu a voulu douuer : c'était un signe païen repré- sentant, d'ailleurs, beaucoup moins une idée mystique qu'un usage destiné à diversifier l'importance de quelques sépultures romaines : nous n'en voulons d'autre preuve que le silence gardé sur son compte par toute l'antiquité catlio- li([ue avant et pendant le moyen âge. Mais nos tombes chré- tiennes étaient bien autrement éloquentes. Dès l'âge des Quels furent, dès

. .le principe, ceux

catacombes, et tout d abord dans ces glorieux souterrams du christianisme. dépositaires des corps ou des membres mutilés des martyrs ou de simples fidèles échappés à la persécution, les inscrip- tions touchantes qui parlaient du mort s'accompagnaient de quelques images, qui nous redisent dans un langage mys- térieux et les combats de cette vie périssable, et les vertus qu'on y avait pratiquées, et les espérances qui en avaient consolé la lin. Le chrisme, la palme, l'olivier, la croix , les instruments variés du martyre, les couronnes de laurier ou de chêne, le poisson, la colombe, l'abeille (i), y devenaient autant d'attributs dont nous savons l'explication (2). Quant unedessignm-

vol. XI des Bvl/etins des antiquaires de l'Ouest, p. 214 et 305, que l'inhumation sub ascia, qu'on ne trouve jamais dans les cimetières chrétiens, était une recommandation spéciale aux soins de quelque employé funéraire , chargé de prendre un soin pieux de cette sépul- ture. M. Guénebault s'est bien trompé à cet égard, p. 950.

(1) L'abeille est, par son vol très-éievé, le symbole du Christ res- suscité : Apis Mherea, Christiis, dit Pierre de Capoue. Mais elle devient aussi le symbole des juifs persécuteurs : Circumdederunt me sicut apes, dit Is psaume 118. Dans Isaïe, elle est le type de l'hérésie : Sibi- lavit apis assvrÇwu, 18); mais, laborieuse, prévoyante, produisant son miel, aimant les fleurs, détestant toute souillure, elle ne représente plus que des idées douces, gracieuses, aimables. Elle est le Christ, la Vierge par excellence, la femme forte, l'Esprit de Dieu : Spiritus meus super met dulcis {Ecclis., xxiv, 17). Elle passe pour ne pas dormir dans le Physiolocfue des Annéni-ns (n» xxxiv), et devient par l'exemple de la vigilance chrétienne et du zèle pour l'acquisition de toutes les vertus : llorrea replet ex 0)}inifjena omnium florum suaveolentia. (Cf. Spicil. Solesia., Il, 512; III, 390.) Et S.Ambroise n'appelle-t-il pas la jeune vierge S" Agnès apis argumentosa , l'abeille pleine de sagesse?

(2) Voir les chapitres XLvn et xLviii du Homa subterranea , liv. VI, passim.

86 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

catîona du pois- ail poisson Cependant, il ne faut pas le regarder unique-

SOUa

ment comme le symbole du Christ ou du chrétien , que la rédemption lui associe : souvent il devient , pour ceux qui survivent, une leçon des incertitudes et de la brièveté de la vie humaine, toujours exposée à quelque hameçon de La résurrection l'ennemi ct aux subites épreuves de l'adversité fO. L'une

de Lazare aux ca- ^ ^ ^

tacombes. dcs plus curieuscs de ces épitaphes est citée par Aringhi , à

qui nous l'empruntons, pour faire comprendre ici, d'un seul coup d'œil, jusqu'à quel système de complication allaient ces grands enseignements de la mort dans le mystérieux lan- gage de nos pères. Dans un cadre oblong, tant d'objets muets en apparence figurent cependant avec leurs rapports mutuels , nous voyons d'abord , au-dessous du chrisme , placée avant tout par une consécration préalable, l'image de Lazare cnsuairé à la manière du temps et couché dans son tombeau : c'est à la fois la mort et la résurrection ; vient ensuite le chandelier à sept branches, lumière symbolique par laquelle le Seigneur doit scruter tous les recoins obscurs de Jérusalem (2), et manifester aux yeux de tous sa justice sur chacun de nous. Tenant le milieu , et comme la place principale de cet ensemble, une maison sans ornements quelconques, sans perspective aucune , à Içi toiture plate , dont la façade ne présente pour toute ouverture qu'une porte et deux fenêtres : c'est la dernière demeure de l'homme, telle que la mort la lui a faîte , dépourvue de tout ce qui n'est pas absolument indispensable à ce suprême abri d'une humanité déchue , qui ne peut plus rien goûter ni sentir ; c'est même le symbole du corps humain emprunté à S. Paul et à divers endroits de l'Écriture (3). Au-dessus planent dans

(1) « Nescit hoino finem suum ; sed sicut pisces capiuntur hamo, sic capiuntur homines in tempore malo cum eis extemplo superveoerit » (EccL, IX, 12.)

(2) « Scrutabor Ilierusalem in lucernis. » (Sophon., xii.)

(3) «Terrestris domus nostra hujus habltationis dissolvitur.»(2 Cor., V.) « Ibit homo in clomum eeternitatis suse. » (Ecdis., xri.) - « Se- pulcra eorum domus illorum in eeteruum. n{Ps., xlviif.)— Cf. Aringhi

CIMETIÈRES. 87

un strict équilibre les deux plateaux de cette balance dont le Propbète avait dit à Baltbasar qu'il y avait été pesé et trouvé sans poids (!) : terrible arrêt qui menace chacun de nous. Enfin le poisson termine cette mystérieuse scène, et proclame que, tôt ou tard, après la course agitée de cette vie l'homme n'a pas de repos, l'hameçon de la mort nous prendra, et que cette pensée doit nous remplir d'une sainte crainte et de salutaires précautions. Cette seule cita- tion et cette explication si simple et si naturelle ne suffiraient- elles pas à autoriser, pour les moins crédules , le système interprétatif de S. Méliton, contemporain de ces vivantes images, et dont le'i planches turent certainement dans les catacombes avant d'être ailleurs ? En fait de symboles, les sarcophages chrétiens n'en ont La croix et ses

jir, £''-' <ji 1 différentes for-

pas de plus Irequemment répètes, surtout dans les premiers mes. instruments

, 1 I 1 1 T * ^^^^ diverses pro-

temps, que la croix simple ou le chrisme. Le moyen âge, y fessions. compris l'ère mérovingienne, y varia les sujets et leur donna quelquefois de vastes développements, de sorte que, dans les cimetières , les églises ou les cloîtres , souvent , à côté d'une croix plus ou moins ornée, on put voir une épée che- valeresque, ou des instruments plus humbles de l'artisan

loc. cit., lib. VI, cap. xlvii, 7. Complétons maintenant l'inter- prétation de cette curieuse lecture par la traduction du texte épigra- phique, pour ceux de nos lecteurs qui sont peu familiers avec ce genre d'érudition, et qui d'ailleurs ne la pourraient chercher dans Aringhi : Calcvius (ou Calidius) a vendu à Avinius (ou Avienus) Remplacement de trois sépultures reposaient dans la poix Vinius (ou Vinicius), Calvinius et Lucius, sous le consulat de Stilicon. Cette dernière par- ticularité reporte ce petit monument à l'an 400 ou 405 de l'ère chré- tienne, Stilicon ayant été consul deux fois. On voit encore dans ce terme trisoinum, sépulture à trois places, un composé, quoique assez mal dérivé, du mot domus. Ces places données à chacun étaient donc dans les catacombes autant de maisons, de demeures suprêmes : c'est bien le domum œlernilafis de l'Écriture. D'autres ont fait venir ce mot de bis-homn; il faudrait donc tirer aussi trisomum de ter-fiomo? Même dans les plus mauvais temps les étymologies ne se sont pas faites de la sorte.

(1) « Appensus es in statera et inventus es minus habens, » (/?ano v, 2o.)

nées

88 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

OU du lajjoureur, comme on domia à l'architecte Libergier, dans l'église de Reims : la règle, l'équerre et le compas, avec une petite représentation de l'église même dans sa main droite. Cet usage de rattaclier à la mémoire du mort les objets qui avaient occupé sa vie est aussi ancien pour ainsi dire que le monde, et s'est trouvé dans toutes les religions, comme sur toutes les plages : Homère et Virgile ne se font faute d'en orner leurs poèmes, dont l'un est un beau reflet de l'autre. Maison doit se garder de confondre ces données toutes païennes avec l'imitation que tout naturellement les nations chrétiennes s'en sont permise , sans négliger toute- fois le symbolisme inséparable d'autres images que presque toujours elles mêlèrent à celles du spirituahsme le plus pur. Scènes histo- Maîs Ics plus rcmarquablcs de ces souvenirs cédèrent de beaucoup, dans les monuments funéraires proprement dits, au luxe des grandes familles et des hommes illustres qu'elles voulurent honorer. On représenta souvent sur les sarco- phages de véritables tableaux sculptés en bas-reliefs, la mort d'un personnage célèbre et quelques-unes de ses occu- pations favorites : comme la chasse de Jovien, à Saint-Agri- autant de sym- colc dc Rclms (t ) . Sous CCS envcloppcs agréables, les sujets les beiïx. "^^^ *°°' phis mondains en apparence réservaient toujours quelque leçon mystérieuse , et prouvaient de plus en plus, selon la pensée d'un de nos guides les plus sûrs , que rien n'était oiseux, pas un enseignement n'était oublié dans ce grand nombre de faits iconographiques toujours offerts aux re- gards du chrétien (2). Résultat moral La pcuséc dc k uiort triomphait ainsi, pendant la vie du

de ces enseigne- , ,,. i ^ . i '4.

meuts élevés. chrctieu, dcs répugnances d une nature condamnée, et ne se présentait jamais à l'homme qu'entourée des secours visibles qui en adoucissaient l'amertume en multipliant les

(1) Voir t. H, ci-dessus, ch. viii, p. 457.

(2) « Ex quibus imaginibus, ut videre est, nil prorsus apud antiques «"hristianos otiosum exstitisse, quod peculiare mysterium non pree- ferret, probe lector ediscit. » (Aringhi, ubi suprà.)

CIMKTIÈRES. 89

souvenirs des proiiiesscs (Ji\iiics. Esl-cc que la croix sur- montant le tombeau de nos proches et de nos amis ne con- sole pas immédiatement de leur perte, éloignement passager, exil d'un jour? Le matérialisme terrestre, le sensualisme égoïste et charnel peuvent seuls demeurer froids et insen- sibles devant ces catéchismes de la foi. Le paganisme lui- même, qui se couronnait de roses tout en pensant à la mort, était plus raisonnable que ce philosophisme digne de la Renaissance. Xe croyant à rien, ou n'ayant que de vagues incertitudes sur l'avenir de l'homme , il jouissait du présent sous les inspirations d'Anacréon ou d'Horace, et s'en allait , victime aveugle d'une folie intrépide, rejoindre les disciples de Sénèque et de Gicéron. Cette belle morale fut celle de nos philosophes, jusqu'au moment leur triomphe devint le signal des sanguinaires orgies dont la fumée enivre en- core leurs dociles amis (i). Le chrétien fit toujours mieux. La mort ne devait pas le La pensée chré-

, , r»p i . /■ •< » -11 tienne de la mort

surprendre et ne 1 enraya jamais. Accoutume a s agenouiller amène i-art jusque sur des tombes tant de traits divers, et jusqu'au majes- tières. tueux silence de leurs ombrages , l'identifiaient à ceux qui n'étaient plus, il voulut ajouter à ces symboles, à ceux que les cérémonies funèbres remettaient à chaque instant sous ses regards , des traits plus vastes et plus durables. Dans ses chapelles funéraires, la large surface des voûtes ou des murailles se couvrit des énergiques leçons de l'éter- nité , et les cloîtres , encore si remarquables , qui entou- rèrent quelques cimetières monastiques, reçurent du pin- ceau des plus grands artistes les plus émouvantes pages de la chute de l'homme, de sa punition par la mort, mais aussi de sa réhabilitation par celle du Fils de Dieu. Ce sont

(1) ... Jouissons, vivons, mon cher Horace!

Sur le boni du tombeau je mettrai tous mes soins A suivre les le(;ons de ta philosophie, A mépriser la mort en savourant la vie, A lire tes écrits pleins de verve et de sens

Comme on boit d'un vin vieux qui rajeunit les sens

(Voltaire.

90 HISTOIRE 1)L SYMBOLISME.

ces magnifiques scènes que la main d'iial)iles artistes jeta «tÏ8%ro?s%?ïd« ^^^ milieu de ces arcades gothiques. En Poitou, une chapelle régUged'Aatigny, ^q l'églisc parolsslalc d'Antigny (Vienne) , fondée en ^42-1, par les seigneurs de Boismorand, voit encore ses voûtes cou- vertes, entre autres peintures, de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ , qui se termine par la pesée des âmes à laquelle correspond , dans un autre compartiment de la voûte , une scène un peu dégradée par le temps, mais qu'on reconnaît aisément pour l'épisode alors si populaire des Trois morts et des trois vifs. Une inscription en lettres gothiques y fait lire : « Vous qui passez.. ., priez pour nous ! w Ce sont, en effet, trois morts qui sortent de leurs cercueils et se jettent, en pronon- çant ces paroles, à la suite de trois cavaliers chevauchant devant eux, et qu'à leur costume différent on reconnaît pour un chevalier, une dame et un varlet. La dame donne sur son poing l'appui à un faucon : c'est le signe de la vie noble et riche ; et pendant que ces grands du monde , oublieux peut-être des grands intérêts du ciel, vont lestement à quelqu'une de leurs joies mondaines , la voix sévère du trépas , les supplications lamentables des âmes qui souf- frent en expiation des mêmes folies , leur deviennent , en présence de Dieu et en face de son autel, un salutaire aver- tissement. C'était une digne et généreuse pensée qui avait persuadé à ces nobles seigneurs de laisser ainsi à leur postérité , dans la chapelle elle prierait après eux , une exhortation à mépriser la vie et à se souvenir de ses ancê- tres qui ne seraient plus. Variante de cette A Joulié, uou lolu dc là, sur Ics mêmcs bords delà

sceno dans la cha-

pelle de jouhQ, Gartcmpc , et isolé de l'église près de laquelle il servait de chapelle au cimetière , aujourd'hui disparu , un autre oratoire s'élève encore, et contient une scène, bien plus 'complète et bien mieux conservée, de la même moralité. Là, encore, le tal)leau de la mort est précédé de tous les autres, dont il est le complément inévitable, depuis la création jusqu'au dernier Jugement ; après quoi vient le

CIMETIKUES. 01

dict (les Trois morts ci des trois vifs. Cette fois, il n'v a pas lc dict des Trois

•^ \ morts et des trois

de dame; ce sont trois jeunes seigneurs, dont l'un se croise vifs. avec les autres sur une route commune qui n'est que la traversée large d'un cimetière. Leur costume élégant, le bel harnachement de leurs chevaux indiquent toujours la même pensée de cette félicité périssable dont la mort profite tôt ou tard ; chacun , d'ailleurs , a son chien qui l'accom- pagne; le faucon s'est déjà séparé de l'un d'eux, qui semble le rappeler, tout en s'éloignant au galop d'une scène que lui et son second compagnon paraissent s'empresser de fuir. C'est que , en arrière du grand crucifix qui s'élève à quelques pas d'eux , trois morts subitement sortis de leur cercueil de pierre semblent les interpeller avec une ex- . pression de sévérité à laquelle se mêle une évidente ironie. Nos deux jouvenceaux ne se sauvent que plus vite , répon- dant à ces importuns par un geste assez dédaigneux , pen- dant que le troisième , calme et du pas le plus réglé de sa monture, prend le chemin opposé et s'avance vers ces étranges apparitions , que peut-être il ne voit pas. N'y a-t-il pas , en effet , une grande portion de l'humanité qui ferme les yeux pour ne pas voir, et marche aveuglément à sa dernière heure, dont elle apporte la certitude en nais- sant? ou bien est-ce vers la croix qu'il prétend s'ache- miner ainsi, la regardant comme son refuge et cédant aux bonnes inspirations qui lui viennent d'elle ? Quatre ou cinq cartouches, autrefois chargés d'inscriptions, qui sans doute exprimaient les dicts de chaque personnage, nous eussent complété la légende si la disparition des caractères, de- venus illisibles , ne nous forçait à en chercher le sens. Ces peintures paraissent de la fin du quinzième siècle , et sont probablement contemporaines de la fondation de la chapelle la noble et ancienne famille des Moussy de la Contour avait sa sépulture. Si elles eussent été d'une époque plus hiératique , du douzième siècle par exemple, nous y trouverions, outre le symbolisme de cette moralité gêné-

92 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

raie , d'autres idées signiiicatives prises dans les couleurs employées par le peintre. Les chevaux eussent eu les leurs, choisies conformément à quelques caractères divers donnés aux jeunes hommes , tels que certains vices plus particu- liers à cet âge quand il vient à se séparer de la loi de Dieu. Leur^ vêtements aussi n'eussent pas manqué d'avoir leur même analogie symbolique. Ici le peintre s'est contenté de vise;r à l'effet par les couleurs, dont l'agencement général est du moins bien plus heureux que le dessin, et ne manque pas d'une certaine harmonie {]). mendie r^oZl ^^^^ ^^^^ chapclle de l'ancienne abbatiale de Fontenay- RenaSncJ'^' ''^ sur-Omc (Calvados), aujourd'hui démolie, le même sujet avait été peint au seizième siècle, avec des détails beaucoup meilleurs d'exécution grapliique. C'était avec celui de Jouhé toute la différence que pouvaient mettre dans leur œuvre deux artistes, dont l'un possédait le talent que l'autre n'avait pas. Mais, chose remarquable, le sentiment reli- gieux l'emporte évidemment dans cette dernière, quoique aux dépens delà vérité des poses et de la pureté du dessin. A Fontenay, avec plus d'élégance et de savoir, les chevaux qui se cabrent, l'habile tenue des cavaliers, leurs coiffures em- panachées ou affectant le pittoresque d'un costume à effet, donnent à l'ensemble un air de cavalcade populaire un peu ^harlatanesque. Les squelettes, mieux anatomisés, ont un peu l'air de certaines gens arrêtant un voyageur au coin d'un bois; le second, surtout, semble éprouver un refroi- dissement qui le fait trembler. Ce que le seizième siècle a touché de nos affaires est décidément tronqué dans l'essence môme de la pensée religieuse.

Les danses nui- ^ "

cabres en général; Outrc cct luiposaut sujct dcs 7'rois mofts et (Us trois vifs

(1) M. de Longuemar , de la Société des antiquaires de l'Ouest, a publié en 1852 une bonne planche lithochromiée de ces fresques re- marquables dans un Essai sxir la chapelle de Jovlié. Nous différons quelque peu dans l'appréciation de certains détails relativement aux intentions du peintre.

CIMETIÈRES. 93

que M. Paulin Paris a retrouvé dans trois poèmes du trei- zième siècle ( I ), on trouve au quatorzième la fameuse danse des morts ou danse macabre, qui ne fut, à l'époque des mys- tères ou moralités en action, que la mise en scène du poème primitif. C'est, à proprement parler, la darise des cime- tières (2), l'on sait qu'à partir du (juatorzième siècle on commença à prèclier par des représentations qu'inspiraient des moralités fréquentes, les grands enseignements de la mort. Un de ces drames les plus célèbres fut joué, en \ \l\,-àn cimetière des Imiocents à i^aris. Beaucoup d'autres le sui- virent, et il n'y eut guère d'églises, surtout dans les cime- tières, où ne fussent répétés aux voûtes ou aux mui'ailles ces actes solennels qui s'y épancliaient en d'innombrables allé- gories, dont le fond était une danse fantastique et dans lesquelles les acteurs rivalisaient par leurs déguisements à exprimer les plus lugubres idées. On peut s'en faire une ceiiodeiachaise-

*^ ^ " ^ Dieu en particu-

complète de cet ensemble, moins bizarre en réalité qu'en ner, apparence, par la danse peinte sur le nuu' du cbœur dans le collatéral nord de l'abbatiale de la Gbaisc-Dieu, en Au- vergne. Elle se compose de soixante-sept couples alternés de morts et de vivants. le pape et le moine, l'enfant et le vieillard, l'empereur et le bûclieron, prennent un rôle en face d'Eve, qui enfante la Mort au pied de l'arbre d'Éden. Nous Youdiionsque certains symbolistes de liasard, comme thétiques.

(1) Voir Bulletin monumental, xy, 137.

(2) De magbarahou magabir, qui en arabe si^mûeui cimetière. Celte étymologie, rappx^ocliéo de bien d'autres données par Ducange, et qu'a proposée en dernier lieu M. Van-Praët dans sou Catalogne des livres imprimés sur vélin, nous paraît la seule raisonnable ; parce qu'elle est la plus naturelle.— Voir une excellente dissertation de M. Branche dans le Bulletin monumental , viii, 326. Nous lui avons emprunté ce que nous disons sur ce sujet comme à celui qui nous semble l'avoir étudié avec le plus de succès. On s'était tellement persuadé pendant longtemps que le mot macabre venait des Machabées, qu'à la cathé- drale d'Amiens on s'était accoutumé à appeler chapelle des Machahées ceili' une dan.se macabr.' apparaissait sculptée au-dessus de la porte. Celte sculpture était aussi du quatorzième siècle.

Oi tilStOmE DU SYMBOLISME.

il s'en rencontre toujours parmi les écrivains qu'un parti pris porte à dénigrer le clergé du moyen âge et ses institu- tions religieuses, dont ils parlent avec d'autant plus de pré- jugés qu'ils en ont une plus grande ignorance; nous vou- drions que ces érudits qui ont aimé à voir des satires ardentes des moines et des prêtres dans l'iconograpliie des mystères et des légendes étudiassent, avec ce morceau re- marquable que la litliochromie nous a conservé, ce qu'il y a de variantes significatives dans ces physionomies si di- verses; et comme, en découvrant les sentiments qui s'y expriment, on voit, à côté de l'effroi, de l'indifférence ou de l'étonnement de chaque mortel saisi par son cruel parte- naire, combien le peintre s'est efforcé de laisser au pape, aux évêques, aux moines et aux religieuses le contraste facial du calme placide, de la douceur pieuse, du recueil- lement de la prière, et de la résignation du cœur. Quelle dignité dans leurs gestes, dans leurs poses et jusque dans la marche tranquille que leur imprime cet ennemi de tous, que seuls ils semblent ne pas redouter! C'était une élo- quente leçon, mais aussi c'est un beau modèle pour les

•artistes chrétiens Nous ne croyons pas qu'aucune de

nos fameuses expositions annuelles nous ait donné depuis leur retour périodique aucune toile qui , pour le senti- ment religieux, vaille ces fresques si malheureusement per- dues {\).

Voilà sans contredit l'esthétique de l'artiste. Mais ce n'est encore qu'une portion du vaste tableau. Voyons le reste.

Non loin de la mère des vivants, un Docteur, dans une chaire, fait ressortir à l'intelligence de cette foule attentive la justice divine et le sort qui attend l'humanité. Puis la danse s'ébranle en une immense ronde, soit qu'on voulût rappeler ainsi certaines maladies convulsionnaires de ce

(1) \o\T r Auvergne et le Vélay,aihs,\i]. 119, 120 et 121.

CIMETIKRKS. 95

temps, causes de deuils uonihreiiv dans les i'amilles, soit, comme nous le croirions plus volontiers, qu'on prétendît symboliser cette fatalité providentielle qui emporte tout si rapidement en une sorte de tourbillon irrésistible. Quoiqu'il en soit, l'action scénique avait besoin d'interprètes, et les poètes du temps se cliargeaient de l'expliquer aux contem- porains et, heureusement aussi, à la postérité, pour laquelle les manuscrits sont plus durables que la peinture. Des car- touches épars au-dessus de chaque scène en faisaient l'ap- plication morale à chaque assistant, à toutes ces conditions sociales qui se pressaient sur le théâtre, ou autour de lui, pour en saisir les sérieuses admonitions. M. Branche nous a copié les vers suivants, comme texte d'un poème de la même époque : ils conviennent très-bien aux fresques de la Chaise-Dieu, et ils sont le résumé de toutes les autres.

0 créature raysonnable Qui désires vie éternelle, Tu as cy doctrine notable Pour bien fixer vie mortelle. Cy lalf'dnse des morts t'appelle. Que chascun a dancer aprent; A home, à fême est naturelle: Mort n'épargne petit ne grant.

En ce miroer chascun peut lire Qui le convient ainsi danser : Saige est celui qui bien s'i mire ; La mort le vif fait avancer. Tu veois les plus grauts commencer, Car il n'est nul que mort ne fière ; C'est piteuse chose y panser....

Jusque-là nous n'avons vu que les préliminaires ; mais voici qu'un mort porte une bière à l'assistance effrayée : alors la danse se met en train. Prières, menaces, rires, pleurs s'exhalent à la fois de toutes parts : c'est l'étrange mu- sique de cette ronde forcenée. Les cris, les plaintes, la ter- reur s'expriment à la fois dans une confusion se mêlent ton les les appi'éhensions de chacun sur sa vie passée ; une

96 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

confession générale sort de la bouche de tous ces hommes, de toutes ces femmes, qui exposent ainsi à la grande famille l'examen détaillé des fautes possibles dans chaque \ocation. Après quoi la Mort a la parole : elle résume tout, elle pro- nonce ses arrêts , et quand le sort de chacun est décidé, ehe termine par une tirade poétique :

Rien n'est d'hôme, qui bien y panse, , C'est tout vent, chose transitoire;

Ghascun le veoit par ceste dance : Pour ce, vous qui voyez l'histoire, . Retenez-la bien en mémoire... Le panser en est prouffitable : Tel est huy qui mourra demain...

. . Mais aucuns sont à qui n'en chault. Comme s'il ne fut paradis Ne enfer. Las ! ils auront chault I . . . Acquitez-vous qui cy passez! Et faictes des biens. Plus n'eu diz : Bienfait vault moult aux trépassez.

Autre variante Gcttc poéslc cst éncrgiquc ct élcvéc ; ces peintures, ces

donnée par la , , ,• , 1,1.. at

Chronique de Nu- represeutatious sont morales et reiigiefises. Nous avons vu,

V€}YlbBVQ ,

nous verrons encore ce qu'en aura fait la Renaissance^ en qui l'esprit du protestantisme souffla l'abandon de toute dignité surnaturelle. En attendant, voici un abrégé de la danse macabre, que nous empruntons à la Chronique de Nuremberg. Pendant qu'un mort se lève à peine de son tom- beau, quatre autres ont déjà commencé le spectacle. L'un d'eux, encore revêtu de son suaire, joue de la flûte. Les trois autres dansent à grande force de contorsions. De ces trois, deux sont de purs squelettes ; le dernier a encore sa chair ; un long" et étroit linceul le drape fort économique- ment de la tête aux pieds, il a le ventre ouvert, d'où s'échappent ses entrailles en méandres horribles, dont l'effet n'est comparable qu'à la grimace de sa tête déchar- née. Au-dessous de l'image sont dix vers latins qui, pour apporter leur contre-partie chrétienne à ce qu'on voit ici

CIMETIÈRES. 97

de répugnant à la nature, vantent les bienfaits du trépas, qui remet tout à sa place et couronne la vie vertueuse des récompenses qu'elle a su conquérir.

Morte nihil melius; vita nil pejus ioiqua. Optima mors, bominum requies œterna laborum. Tu seuile jiiguui, Domino voleute^ relaxas , Viuctorumque graves adimis cervice cateiias, Kxiliumque levas, et carceris ostia frangis.

Eripis indignis, justis bona partibus œquans ,

Alque immola maues, uulla exorabilis arte.

A primo preeûxa die, tu cuncta quieto

Ferre jubés animo, promisso fine laborum.

Te sine supplicium vita est, carcerque perennis (i).

Avant d'en finir avec ce qui regarde la mort et les lieux convenance des

^ '^ ^ monuments lune-

chrétiens qu'elle consacre, ne devons-nous pas nous expri- maires dans lea

* ^ églises ,

mer sur la convenance des monuments funéraires dans nos églises? Le symbolisme a perdu beaucoup , puisque la sculpture est un de ses meilleurs éléments, à voir bannir de nos temples les sépultures, qui n'y sont plus tolérées : non que nous voulussions faire de cliaque église un lieu profane , comme le Westminster de l'anglicanisme, le musée de l'bérésie remplace le tabernacle des temps chré- tiens, où tout fatigue les yeux sans que rien parle au cœur. Nous regrettons surtout ces tombes qui, sans encombre- ment, élevées de quelques pieds au-dessus du sol, dans un

(1) C'est-à-dire : « Rien de meilleur que la mort, rien de pire qu'une mauvaise vie. Chère mort, repos éternel des travaux de l'humanité, c'est toi qui, sur un ordre divin, délivres le vieillard de son joug, romps les lourdes chaînes des captifs, termines leur exil et brises les portes de leur prison. Tu ravis au méchant ses biens mal acquis, exerçant une impartiale répartition envers les justes : ta fermeté inébranlable ne se laisse séduire par aucune prière. Annoncée à l'homme dès son premier jour, tu lui enseignes à tout souffrir avec patience, en lui promettant la fin de ses maux. Sans toi la vie ne serait qu'un long supplice et une interminable captivité. »

Nous doutons que Gicéron ou Sénèque pussent offrir en aussi peu de lignes autant de hautes pensées et d'aussi philosophiques consola- tions, et que qui que ce soit les eussent rendues en de meilleurs vers. T. m. 7

98 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

ciifeu aux arcades sévèrement ornementées, laissaient voir

aux vivants, dans une belle statue couchée les mains jointes,

les yeux fermés, les traits nobles et l'honorable souvenir

mal comprise de des bienfaiteurs du lieu saint. Nous redemandons ces ex-

l'art moderne. ,,.,,, i ^ i

pressions touchantes de la piete de nos pères, plus que ces flatteuses prétentions de nos statuaires nouveaux, qui con- fondent le grandiose de la pensée avec les dimensions d'un monument, et qui croient avoir- tout fait quand ils garnis- sent une éghse d'une scène massive en l'iionneur du maré- chal de Saxe, comme à Saint-Thomas de Strasbourg, ou d'une autre dont le dessin et le plan vont juqu'au ridicule, sous prétexte d'immortaliser M^^' Affre , à Notre-Dame de Paris {{). Ceci est digne tout au plus de ce pauvre cimetière du Père-Lachaise , les morts, entassés pele-mele, sans distinction de juifs ou de chrétiens, de luthériens ou de musulmans, semblent n'avoir plus au service de leurs espérances que des pierres qui s'usent chaque jour, qu'un i)ronze plus ou moins solide, le tout accompagné de poses dramatiques et superbes, que rehaussent des inscriptions

(1) Sans doute le monument de Pigalle est un beau travail et se re- commande surtout par l'harmonie et la noblesse du plan; mais à le considérer dans ses détails, quoi de plus froid et de plus faux à la fois que cette banale personnification du temps empêchant la mort d'up- procher d'un héros qu'elle a déjà vaincu? quoi de plus commun que ce lion qui pleure? et que dire de ce luthérien sybarite qui ne lève les yeux au ciel qu'après son trépas?— Quanta l'œuvre de M. Debay,c'est du paganisme s'il en fût, c'est du marbre sans vie et sans idée, la croix n'arrive qu'à la cachette, pour ainsi dire, et ne surmonte même j as le cippe gréco-égyptien, qui manque autant de caractère monumental que de dignité chrétienne. La pose forcée de la statue , dont la draperie affectée augmente la lourdeur, n'est même pas rachetée par la ressem- blance de sa figure. Le bas-relief n'a qu'un mouvement vulgaire, comme son expression générale, et la distribution des personnages y est mal calculée , isolant beaucoup trop du prélat les ecclésiastiques, dont il ne devait pas être séparé. Pour le symbolisme, M, Debay ne s'est pas douté qu'il existât. Il le fallait bien pour imposer ces formes grecques à une cathédrale gothique ! De sorte qu'après avoir examiné ce triste ensemble que les camarades ont cru louer en le qualifiant sobre de détails, on se trouve aussi touché que devant un autel de Ju- piter ou un peulven druidique...

CIMKTIKTÎKS. 90

françaises, dont trop souvent le nom de Dieu même est exilé. 0 art moderne, tu ne symbolises que trop une époque d'orgueil aveugle et de scepticisme mesquin! Avouons (fue encore la vie est dans le catholicisme, contraste ae ce

style païen avec

A travers tous les siècles, sa doctrine, toujours la même, l'importance et

•^ ' l'honneur que l'E-

resplendit au milieu des ténèbres de l'esprit humain, giisc donne à «o*

> Il 1 cimetières.

Elle explique tout, elle sanctifie tout, elle tient l homme élevé sans cesse au glorieux niveau de sa nature régénérée et de sa divine vocation. N'en jugeons que par ses pensées à l'égard du cimetière chrétien. A l'instar même de ses églises, elle le consacre (I), et, comme pour celles-ci, elle ne man([ue pas d'inviter ses enfants, témoins de ces planta- tions de croix, de ces encensements, de ces aspersions et de ces lumières répandus sur la terre de leur repos, à goû- ter le sens de sa helle et touchante liturgie : « 0 Dieu qui Beiie litur-ie de

A.i , . 1 . «T „.■ leur bénédiction.

êtes le créateur de cet univers, et qui disposez parfaitement (le toutes vos créatures, nous vous supplions humblement, et dans toute la pureté de noîre cœur, de purifier, de bénir et de sanctifier ce lieu destiné, après la fin de cette vie, à réunir dans un repos commun les corps de vos serviteurs et de vos servantes... Donnez la consolation éternelle à ceux qui attendent la trompette de votre premier Archange... Vous qui avez béni la terre achetée aux enfants d'Hébron par Abraham pour sa sépulture, et accordé à Israël la terre de promission pour en faire son héritage, soyez le gardien de tous ceux dont les corps viendront chercher ici un lieu de repos... Vous qui êtes le Pasteur éternellement glorieux, lumière et honneur de toute sagesse; protecteur inébran- lable de toute prudence, salut des infirmes, santé des forts, consolation des affligés, vie des justes, gloire des humbles, daignez purifier de toute souillure et des embûches des es- prits immondes ce lieu dormiront les corps de vos fidèles;

(1) « Hanc terram... ad usum sepultura? consecrare digneris. » [Oral, in Pont if. Rom.)

^00 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

que tous ceux qui auront eu part au saint Baptême et per- sévéré jusqu'à la fin dans la foi catholique reçoivent , quand ils y seront éveillés par les trompettes de vos Anges, le gage du bonheur éternel promis à leurs âmes et à leurs corps... Ce corps, Seigneur Jésus-Christ, vous l'avez formé de la terre pour réparer la perte des anges révoltés ; vous l'avez pris vous-même pour notre Rédemption ; vous le réduisez en poussière par une condition de sa chair périssable, et vous le relèverez de cette terre pour ne plus mourir. Bénis- sez-la donc, cette terre, et accordez-nous d'y dormir dans ces saintes espérances, puisqu'elle a été achetée de votre Sang. N'est-ce pas vous qui êtes notre jour sans fin, la splendeur indéfectible, l'éternelle clarté? C'est vous qui avez recommandé à qui veut vous suivre de marcher dans la lumière, d'éviter ainsi les ténèbres de la nuit sans bornes, et d'arriver heureusement à la lumineuse patrie. Votre humanité a pleuré Lazare, votre divinité l'a rappelé à la vie, comme elle a ressuscité le genre humain, accablé des quatre coins du monde sous l'énorme poids de ses péchés. Faites donc, ô Vie véritable et éternelle, que tous ceux qui seront ensevelis dans cette enceinte consacrée se sentent, au son de la trompette de vos Anges, délivrés des liens de leurs fautes, et que, rendus à l'éternelle félicité, admis dans l'assemblée de vos Saints, ils y célèbrent à jamais avec eux les louanges qui vous sont dues comme à Fauteur de la vie {\)\ »

Comme tout cela parle au cœur et à l'esprit ! Il manque un sens à qui n'y sent pas le souffle de Dieu.

(1) Pontificale romanum, De cœmeterii Benedictione, passîm.

CHAPITHE m.

EXTÉRIEUR DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE.

De quelque distance qu'on aperçoive une église, et sur- L'Égiis© chré- tienne «.toutes les tout si on la considère à vol d'oiseau , rien de plus facile à marques spéciales

d'un édifice con-

l'observateur instruit que d'y reconnaître un ensemble sacré à Dieu, d'idées toutes surnaturelles et dignes de la maison du Sei- gneur. Le Dieu caché au fond du sanctuaire s'y révèle , y parle , et de si loin s'attire déjà l'adoration des hommes. Un premier fait à remarquer, indépendamment des raisons qui ont pu, à travers les siècles, en modifier l'évidence sensible , c'est le point relativement élevé choisi pour y établir les fondements du saint édifice. Si l'on tient compte des surexhaussements accidentels ou calculés qu'a subis autour de lui le terrain qui le supporte , on verra bientôt que les abords n'ont pu être changés que par des révolu- tions successives et des bouleversements dont la cause est plus ou moins appréciable , mais fort souvent historique. Soit qu'on aborde l'éghse par une nombreuse suite de degrés, soit qu'on n'en franchisse le seuil que par des marches intérieures , destinées à corriger les inégalités du sol , on se persuade , à l'examen des piHers, dont les bases n'ont pas toujours la même hauteur au-dessus du pavé , que le niveau a céder plus d'une fois à des remanie- ments. Les terres rapportées , l'adjonction des cimetières , les constructions qui sont venues se grouper plus tard autour des murs sacrés, sont autant de causes qu'il ne faut pas oublier quand on veut bien juger de la question.

^02 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

par l'élévation du ^out d'abord, donc, c'est l'éminence relative du plateau de

Kol qui la sup- porte, l'église qui frappe les regards. Presque partout on constate

ce fait, qui n'a pu être négligé que par quelques raisons locales et exceptionnelles. On s'est appliqué parfois à ce symbolisme , jusqu'à créer en sa faveur , pour une église à construire , une butte de terre rapportée , comme on le voit au village de Souain , en Champagne {]). C'est que l'église chrétienne est si bien la continuation morale du temple de Jérusalem posé sur la montagne de Sion (2) , qu'en s'y dirigeant le chrétien s'élève dès lors vers le Ciel; que de sa pensée et son cœur doivent planer au-dessus de tous les intérêts de ce monde et quitter tout contact vo- lontaire de son esprit avec les intérêts matériels d'une terre dont il doit se détacher (3). Ce soin symbolique de s'établir bien haut garde, d'ailleurs, le saint lieu contre le bruit extérieur, contre les eaux, les boues et les autres inimon-

(1) Voir Bullet. m.onum., XVII, 576,

(2) « Levavi oculos meos in montes unde veniet auxilium mihi. » (Pu., cxx, 1). Si les montagnes sont, par leur hauteur, le symbole de Vorgueil, de Vamhition, et de la dureté du ("œîrr par les rochers qu elles renferment^ elles ont aussi, par la bonne direction que l'âme peut donner à sa fermeté et au sentiment de sa dignité religieuse , uue signification favorable que les commentateurs ont savamment déve- loppée. L'auteur, entre autres, des Disiinclions monasliques (liv. 111, ch. cLxxvi), y trouve l'image de Jésus-Christ, des Anges, de la sainteté , de la vie religieuse, de r^.7/t'ie, de l'éminence des vertus. Certaines montagnes souvent nommées dans l'Écri ure ont aussi leur enseigne- ment spécial : la monlogne de Sion, ce sont les Elus; des Olives, c'est la miséricorde; du Liban, la chasteté; du Cnrmel, la tempérance ; du Thabcr, la glorification ; VOreb , c'est l'abstinence ; Gelboé est le séjour des démons. On comprend tout de suite ces allégories, si l'on se re- porte aux passages scripturaires ces divers lieux sont rattachés à des événements historiques. (Voir S. Melitonis Clavis , De Mundo, cap. XV.)

(3) Voir à cet égard les instructions de S. Charles déjà citées (Ffl- bricx ecclesiaslicsd instruction. , lib. I, cap. i) : « Cautio item sit , ut situs ejus modi quaeratur, ubi ecclesia exœdificari queat, insulee instar. » Il y a beaucoup d'exemples de cette situation, comme on peut le voir en particulier dans le Bullet. monum,, t. XVII, p. .*i70 , 571, 576 etsuiv., etXX, 305,

EXTÉRIEUR DE L ÉGLISE CHRÉTIENNE. i03

dices nui s'y écoulent plus facilement. Autour de lui, tout «^ sa séparation

1 «^ 1 ' norinalo des au-

devient plus digne de lui, et cet isolement, d'ailleurs, dont très habitations. on ne doit plus faire une question, puisqu'elle a toujours été résolue à son avanlage , cette séparation de toute habi- tation humaine à l'égard de la demeure sacrée témoigne d'une bien plus haute vénération pour celui qui daigne y habiter avec nous (I). Quelque distinction qu'on puisse objecter sur ce point entre les églises séculières et celles des monastères , et tout en avouant que celles-ci , aussi bien que les cathédrales, quand les Chapitres vivaient en commun avec les Kvèques, avaient des motifs irrécu- sables d'attenance a\ec les cloîtres ou autres lieux se passait la vie commune ; tout en reconnaissant que ces conditions n'avaient rien qui blessât le respect au sanc- tuaire devenu comme une portion même de la grande maison ; sans oublier endn que les prescriptions de plusieurs conciles éloignaient des murs sacrés toute appartenance extérieure, qui devait en être séparés par quelque espace (2), nous reconnaîtrons de combien de malheurs on se fût affranchi maintes fois, combien d'incendies eussent épargné la maison de piières, si le feu dévorant les bâtiments ad- jacents avait trouvé un vide infranchissable entre eux et la plus sainte partie d'eux-mêmes. Quand des constructions en bois s'attachaient à des églises, le bois est absolument

(1) Nous avous vu des églises auxquelles s'étaient accolées en cer- taines villes des échoppes plus ou moins considérables que l'adminis- tration municipale non plus que les fabriques n'y devraient jamais permettre. Ces voisins , par trop entreprenants , creusaient des caves au détriment des fondements de l'église; ils se procuraient des pla- cards en démolissant l'épaisseur des murs ou des contreforts; ils bou- chaient des fenêtres du monument et quelquefois en perçaient sur une tribune intérieure. On ne saurait trop s'élever contre ces excès, qui ne sont pas moins un scandale qu'un abus d'un prétendu droit de propriété. Voir nos Inslrur lions de la Commission archéologique diocésaine de Poitiers, p. 9o, et le Trailé d'i la réparation des églises, de AI. R. Bordeaux, ch. iv (Bullet. monum. , XVII, p. 537).

(2) GonciL Carlh., IV, can. xiv.

\0/t HISTOIRE DU SYMBOLISME.

nécessaire , ne fût-ce que pour la charpente , il était diffi- cile d'échapper à ces funestes accidents. Et combien d'au- tres raisons combattent encore ce mauvais système d'ad- jonction ! Nous en avons parlé ailleurs, et ne nous arrêterons ^ pas davantage ici sur une question qui n'en peut plus être une (1). Les églises de gj ^ant dc couvenauces portaient à bâtir les églises sur

Samt-Michel ba- ^ ...

ties de préférence (jes poluts culmlnauts, il V avait une autre cause qui faisait

sur des hauteurs. ^ ' <i x

rechercher surtout cette position pour celles qu'on voulait dédier à S. Michel ou à d'autres Anges. On sait le combat de cet Archange et de la milice céleste contre les anges ré- voltés , et l'opposition qu'il continue de leur faire dans leurs tentatives contre l'innocence de l'homme (2) . Nous avons vu dans l'Apocalypse (xii , 9) ce grand guerrier de Dieu terrasser le dragon après un grand combat célébré par le prophète de Pathmos. Le démon vaincu n'a pas cessé de vouloir le mal ; il s'attache de préférence , et par un reste de ses instincts orgueilleux autant que par ses regrets du Ciel , aux lieux élevés , aux espaces aériens , ce qui le fait nommer par S. Paul « le prince de l'atmosphère, » de cet air ambiant dont il se sert comme d'un véhicule pour ses mauvaises inspirations et ses doctrines perfides (3) : c'est donc là, dans ces régions supérieures dont l'Archange a dépossédé l'ennemi de Dieu et le nôtre, qu'il fallait placer les églises dédiées à cet invincible défenseur. Un autre motif a pu se trouver en certains endroits dans les sou- venirs mythologiques de Mercure , qui , en qualité de m£s- sager des dieux, et pourvu d'ailes comme on en a donné

(1) Voir nos Instructions de la Commission archéologique diocé- saine de Poitiers, in-S», Poitiers^ 1851.

(2) « Princeps regni Persarum restititmihi.,., et ecce Michael, unus de principibus primis, veûit in adjutorium meum. » [Dan., x, 13.)

(3) «... Peccatis vestris, in quibus aliquando ambulastis, secundum... principem potestati? aeris hiijus. » (Ephes.,iï, 2.) Voir S. Hilaire sur ce passage , Spicileg, Solesm. , [ , 107.

EXTERIEUR DE L EGLISE CHRÉTIENNE. 105

aux Anges, dont le nom signifie envoyé, avait ses temples sur les hauteurs {\). L'église de Saint-Michel-Mont-Mercure, en Vendée; celle du Mont-Saint-Michel, en Normandie,

attestent encore la consécration de ce principe, et montrent comment le catholicisme a su ramener les populations au culte de la vérité en les purifiant de leurs fausses croyances dans le centre même des plus grossières superstitions. La forme de croix n'est pas moins sensible à l'œil de ^a 'orme de

croix et fi66 Tft~

l'observateur dans le plan général que nous examinons, riétés.' Deux grandes ailes, prolongeant le transsept au delà des li- mites latérales tracées par les murs , donnent , en effet , à l'édifice , qu'ils coupent par deux moitiés égales dans les églises grecques , ou au tiers supérieur de sa hauteur dans celles des architectes latins , une ressemblance frappante avec l'instrument sacré du salut des hommes. C'est dès la première constitution de la grande société chrétienne que nous voyons cette forme placée au nombre des prescriptions liturgiques : elle figura le plan envoyé, au quatrième siècle, par Eudoxie, femme de l'empereur Théodose II, ài'évêque de Gaza, S. Porphyre , qui lui avait demandé de faire cons- truire une église pour sa ville épiscopalc sur les ruines d'un temple des faux dieux (2). S. Grégoire de Tours nous parle

(1) Il est aisé de voir dans ce Mercure une défiguration de l'idée primitive des Anges, dont le nom même et les fonctions de messager (à-j'-^-iXc;) ont été attribués à celui qui est venu, dans la raison humaine abaissée par les passions grossières , les remplacer aux yeux des géné- rations détournées des enseignements divins.— Mais, à cette confusion de la matière et du spiritualisme, les hommes semblaient avoir tou- jours soin de mêler encore des caractères inséparables de l'erreur : ce demi-Dieu qui faisait les plus détestables commissions et se rendait l'intermédiaire des plus sales intrigues de la Cour céleste , était en même temps, nous l'avons déjà observé, le protecteur du commerce... et des voleurs! Le symbolisme n'est pas moins frappant en cela qu'en bien d'autres choses; et quand nous serons complètement revenus au paganisme, si les espérances de certains sages *se réalisent, le dieu ancien n'aura pas besoin de revendiquer sa place, que no» mœurs modernes lui ont gardée soigneusement à la Bourse et dans les boutiques.

(2) « Erat intra litteras descripta forma ecclesise in figurain crucis..., ut convenieuter dictae figurée sancta conderetur ecclesia. Laelatus est

106 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de la cathédrale de Glermont , bâtie à la lin du cinquième siècle selon cette même prescription (^), puisée, au reste, dans les traditions apostoliques. Nous comprendrons mieux, dans l'intérieur du vaisseau , le sens profond de cette dis- position mystique ; toujours est-il que , dès à présent , nous en constatons l'apparence , et , si elle n'est pas également sensible dans tous les monuments, s'il y a même un grand nombre d'entre eux qui consistent dans une simple nef, longue et étroite , sans aucune indication d'un retrait au sud et au nord (2) , on ne rencontre guère ces rares ex- ceptions que dans les églises qui précédèrent les neuvième et dixième siècles. Après cette époque, la renaissance ar- chitecturale , qui multiplie les signes mystiques au service du culte , reprend généralement toutes ses traditions et n'en rejette aucune. Les lignes cruciales ne s'effacent plus sous aucun prétexte ; elles se dessinent partout entre la nef et le sanctuaire , quelquefois encore à peine exprimé par un retrait d'une profondeur très-peu considérable; mais c'est le point de départ de ce progrès , qui bientôt , le onzième siècle ari'ivant , se développe jusqu'à une figure parfaitement accusée, et devient le type indispensable d'un monument catholique. Ce type le distingue de toute construc- tion séculière ; il l'élève par une dignité propre au-dessus de tous les bâtiments profanes, et, si l'impiété des mauvais jours le souille et le méconnaît , cette croix , incompatible avec ces déplorables souillures, restera toujours un reproche aux suppôts de l'esprit du mal (3).

autein S. Porphyrius ciim... vidisset formam descriptam : sciebat enim hoc qiioque factum fuisse ex divina revelatione. » (Bollaiid. in Vila S. Porphyr., xxvi februar.)— Ces derniers mots indiquent bien quelle importance on attachait dès lors à ce symbole. S. Porphyre mourut en 420.

(1) S. Gregorii Turon. Hùtoria Francorum , lib. II, cap. xvi.

(2) « Les premiers architectes de nos églises avaient emprunté aux plus anciennes de Rome leur plan basilical, modifié ensuite en croix latine par le symbolisme reHgieux. » (L'abbé Jouve : Notice sur la catliédr. de Valence, Bullei. monum., XIV, 559.)

(3) Il n'y a pas d'archéologues à qui cette forme, pour peu qu'ils

EXTÉRIEUR DE LÉGLISE CHRÉTIENNE. 107

Vous rencontrez cependant çà et là, et à peu près dans ^■^f^l^^^l^^^"''"''' toutes les régions de l'Occident, des églises circulaires, dont le dessin a été presque toujours conçu en souvenir du Saint-Sépulcre de Jérusalem, Ceci était remarquable dans notre magnifique et regrettable abbatiale de Gbarroux, si célèbre par ses reliques du Sauveur, dont elle portait le vocable; dans celle de Sainte-Croix de Quimperlé, dans la cbapelle sépulcrale des Augustins de Montmorillon, et dans plusieurs autres bâties par les Templiers à Metz , à Reims près Carcassonne, à Cambridge, à Nortliampton et au Saint- Sépulcre de Londres {]). Aussi ces monuments ne datent- ils pas d'avant le douzième siècle , et plusieurs sont du treizième, et se sont renouvelés en certain nombre à l'épo- que des croisades. C'est l'opinion de M. de Caumont et

s'en aperçoivent dans un inonuinent , ne doive révéler son origine chrétienne, en dépit des fausses attributions qu'ont pu lui donner des traditions erronées. Avec un peu d'observation et de connaissance de l'esthétique religieuse, ou n'aurait pas cru et répété si longtemps que l'église Saint-Laurent de Grenoble était un temple d'Esciii'qie, ni l'église Saint-Jean de Poitiers le tombeau de Claudia Varenilla.

Le serpent d'Adam et d'Eve ressemblait à celui du fils d'Apollon et de Coronistout autant que l'inscription latine de la dame romaine prou- vait, unefois transportée dans une enceinte catholique, la destination païenne qu'on s'efforçait de prêter à celle-ci. —"V oir encore Biill.monuin ., XX, 210, et la Di -sertation de M. Schweighauser sur l'église de Saint- Matthias de Cobern (près Coblentz), même ouvrage , t. IX , p. 1 17.

(1) Voir notre Histoire de l'abbaye et des reliques de Charroux. M. de Lamonneraye, de l'Institut des provinces, a très-bien conjecturé que l'abbatiale de Charroux avait reçu la forme circulaire de son chœur des traditions de la Palestine, et ses observations ne s'y appliquent pas moins justement qu'à celles des autres églises sur lesquelles il avait des renseignements précis et qu'il cite dans son excellent Essai sur l histoire de l'architecture en Bretagne. (Voir Bulletin monuin. , t. XV, p. 531.) Sauf erreur, il nous semble que Sicardi, qui était Italien, a le premier signalé, au commencement du treizième siècle, la l'orme ronde comme une signification de l'expansion de l'Église dans l'univers, et comme un encouragement pour nous à tendre du cercle de ce monde à celui de la couronne éternelle. QuiV fiunt inmodum circuli, Eccksiam dilataiam p(-r circtilum. orhis Hfjnifîrant: unde : In fines orbis terrse verba eorum (ps. xviii); vel quod de circulo orbis pervc- niamus ad circulum corons œlernilatis. (Mitrale, lilj. I , cap.iv.)

^08 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

d'architectes distingués (i ) . L'Italie en a plus que nous , et presque toujours ce sont d'anciens temples païens, donnés au Christianisme vers le temps de Constantin, et dont les idoles chassées furent remplacées par la Croix. Le baptistère de Florence, ceux de Saint-Jean de Latran, de Sainte-Constance et de Sa,mt-ÈiiQnne-le-Rond à Rome, sont de ces conquêtes dont on s'empara d'autant plus volontiers qu'elles repré- sentèrent fort bien l'image de cet univers (orbis), à qui le baptême devait être annoncé comme la bonne nouvelle de ce monde (2). S. Augustin interprète par le monde cette roue dont parle le Psalmiste : Vox tonitrui tui in rota (3). Le plan octo- Unc autrc raison fit établir des plans octogones, comme

gont , et sa signi-

fication mystique, aux baptistèrcs dc la métropole à Ravenne, à Sainte-Marie in Cosmedin et à Saint-Vital de la même ville, et ailleurs. Cette raison a échappé à M. de Lassaulx, habile architecte prus- sien, qui attribue simplement l'existence de ces églises au désir qu'on eut d'abord de conserver ou d'imiter plus tard, comme plus commodes pour placer la foule, les petits tem- ples romains qu'on destinait au nouveau culte (4). Pour qui s'est occupé du symbolisme des nombres, il est facile d'arriver à une explication plus élevée. On sait ce que nous Le nombre Awi« en avous dit, l'ou pcut y recourir (5). Qu'il nous suffise

(1) M. de Caumont, Histoire sommaire de V architecture au moyen âge, p. 96 et suiv.— Bullet. monum., IV, 460, et VII, 305.

(2) \oiT Notes surles monuments de quelques villes d'Italie, i)3LTM.'Re- iiouvier, in-S", 1841.— Voir aussi VBistoire de Vart de M. Schnaase, et particulièrement ce chapitre dans les Annales archéologiques^ t. XII,

p. 320.

(.3) « Euntes in mundum universum , praedicate Evangelium omni creaturae. » {Marc, xvi, 15.) Le monde est symbolisé par un cercle ou une roue : Rota, orbis, dit S. Eucher {Formulai minores, 288), et S. Augustin : « Vox sacrée doctrinse quœ terribiliter sonat... in toto mundo, quia in omnem terram exivit sonus Apostolorum. » (S. Aug., opp. t. IV, p. 981, éd. Bened.)

(4) Voir Ballet, monum., IX, 118.— Montfaucon, dont l'époque était fort peu archéologique, prenait l'octogone de Montmorillon pour un temple de druides , et y trouvait à honorer les huit dieux de leur mythologie ! {Anliq. expliq., préf. du Supplém. I^'- vol., et t. II, p. 223.)

(5) Voir ci-dessus, t. i, ch. vi.

EXTÉRIEUR DE l' ÉGLISE CHRÉTIENNE. -109

ici de rappeler le soin qu'a toujours mis l'Édise à célé])rer est encore appii-

i ^ i J o quo à d'autres

pendant une octave ses principales solennités. C'était monuments. comme une prolongation de la joie sainte que suscitait la pensée de l'Éternité, et dès le temps du concile de Nicée (en 325), un auteur inconnu dont un court traité sur les têtes hébraïques a été retrouvé par le cardinal Pitra, faisait observer ([ue par la grâce des sept dons du Saint-Esprit nous arrivons à mériter les huit béatitudes (I). Le regret- table P. Martin, à qui la* théologie ne manqua pas plus que le sens archéologique, a parfaitement compris ce symbo- lisme, avant même que ce fragment ne nous fût connu. Décrivant le dôme d'Aix-la-Chapelle, élevé parCharlemagne, il en signale le plan comme un octogone inscrit dans un po- lygone de seize cotés (2). Cet octogone semble avoir servi de point de départ à toute l'ornementation dont les détails variés se reproduisent par huit, tels que les chapelles circu- laires, fermées chacune par un chancel paré de mosaïques contemporaines de l'œuvre. La grande couronne de lumiè- res, donnée par Frédéric Barberousse pour être suspendue sur la châsse, forme dans ses quatre mètres de diamètre une rose a huit lobes, dont les angles rentrants et les parties saillantes sont armés de petits édifices romans renfermant autrefois huit statuettes d'argent qui ont disparu; au des- sous, liuit plaques de cuivre représentant en ciselures les huit béatitudes, et huit des mystères de la vie du Sauveur.

(1) « Ab omni opère malo quieti par septiformis Ppiritus gratiam in * octavae Beatitudinis numéros pervenire mereamur. » (Anonymus, De Solemnitaiibus, Sabbatis el Neomeniis; ap. Spicileg. Solesm.,i.l,p. 12.)

(2) Ces seize côtés, que n'explique pas ce savant antiquaire, n'en avaient pas moins aussi leur signification mystérieuse. Snze est un nombre sacré; il indique, en multipliant 4 par 4, la propagation de3 quatre Évangiles aux quatre points du monde. Si on le compose autre- ment de six ajouté à dix, il symbolise la Loi parfaite, car toutes les œuvres du Seigneur se sont accomplies en six jours et étaient parfai- tement bonnes, valde bona, et l'usage de toutes créatures a été réglé par le Décalogue. Tout ceci est de S. Augustin, dans son commentaire Dt Qcncn ad lit If ravi.

>HÔ MlSTOIftE DU SYMBOLISME.

(( Des vers gravés sur les huit lobes de la rose indiquent qu'en faisant suspendre cette couronne au-dessus du tom- beau de Charlemagne, la pensée de l'empereur Frédéric II et de Béatrice, son épouse, était de rendre l'image de la béatitude du Ciel (i). )> Un fait de cette importance établit suffisamment l'intention des édifices à huit pans. C'est probablement dans le même but symbolique qu'on trouve un assez grand nombre d'églises des onzième et douzième siècles dont l'abside est ainsi coupée. Églises hexago- Sojcz assuré qu'à Saint-Matthieu de Gobern, l'hexagone

nés, et mysticisme . , .

du nombre s*ap. a aussi pour priucipc, comuic dans un certain nombre d'autres églises de cette forme, un sens arithmétique dont le mystère nous est bien connu. se manifeste encore une consécration des six jours du grand œuvre de Dieu. Ce nombre six est devenu, par cela même, un symbole de per- fection et présidait, pour ainsi dire, à l'existence du monde resté intact avant le péché. Quand cette règle est violée par la désobéissance du premier homme, un autre nombre six r se retrouve dans la réparation qu'en a faite le Fils de Dieu : c'est à la sixième heure du jour, selon la méthode ancienne de le diviser, que le Sauveur commença le Sacrifice qui effaçait les péchés du monde (2). Nous avons vu beaucoup d'absides qui, au douzième siècle, l'époque hiératique par . excellence, ont pris la forme triangulaire, ce qui amenait naturellement au fond du sanctuaire une triple ouverture presque toujours d'é-gales dimensions,, pour rappeler les trois personnes divines et leur parfaite égalité entre elles : Très sunt qui testimonium dant in cœlo {\ Joan., v, 7). Nous reviendrons sur ce symbole en examinant l'intérieur de l'église.

(1) Voir une très-intéressante description de ce beau meuble et leâ magnifiques planches qui l'accompagnent dans les Mélanges d'archéo- logie des PP. Cahier et Martin, t. III, p. 1 et suîy., ou l'abrégé de ce mémoire, Bullei. monum., t. X, p. 224.

(2) Voir S. Ambroise, Commentar. in Luc, lib. V, cap. v.

EXTÉRIEUR DE l'ÉGMSE CHRÉTIENNE. ^H

D*après le plan général ainsi reconnu pour avoir son Fomiem»nts.

r 1 o r Première pierre.

langage, se sont posés les rondements qui figurent, iné- branlables et fixes , la foi cbrétiennc, adliérant sans aucune hésitation ni faiblesse aux dogmes de la doctrine aposto- li([ue (I). L'église nionuinentale s'y appuie, comme TÉglise morale, sur le Christel les Apôtres, seuls et uniques fonde- ments possi])les de funité et de la vérité (2). C'est donc sur cette base solide dont la première pierre, nous l'avons dit tout d'abord , a été bénite , incisée du signe de la Croix , et posée dans un des angles des premières assises de l'en- ceinte, pour y tenir la place de Jésus-Christ lui-même, que tout fédifice devra s'élever; car Jésus-Christ , c'est la pierre angulaire^ fondement immuable des choses divines ici-bas, leui" commencement et leur (in, principe^ accroissement et consommation de toute œuvre louable (3). On voit, d'après

(1) La foi repose aussi, comme les fondements, sur des vérités cachées, dit Durant de Mende : Fides quœ est de re non visa. {Hationale, lib. 1; mihi, p. 4.)

(2) « Fundauieulum aliud nemo potest ponere prœter id quod posi- tum est (1 Cor., m, H).— Estis cives Sanctorum, superaedifîcati super fundamentum Apostolorum. » {Ephes., n, 19.) Et enfin notre pensée à cet égard est toute dans celte autre parole du même Apôtre : « Ut sapiens architectus, per gratiam quae data est mihi fundamentum in ea pono.))(l Cor., m, 10.) Tous les Pères adoptent cette explicatiou_, et, comme toujours, ils donnent à ce symbolisme favorable (qui cache sous ses traits matériels Jésus-Christ, la foi, les Apôtres, et même les prédi- cateurs qui leur succèdent et continuent leur tâche) son opposition morale dans les ruissances ambitieuses de l'orgueil humain, dans les délectations terrestres j({u\ n'aspirent qu'aux choses basses, tout en dis- simulant leur origine. {Spicileg. Solesm., m, 187.) 11 est bien clair que ce n'est aucun des sens pris en mauvaise part qui doivent s'appliquer au sujet qui nous occupe; c'est bien plutôt de cette maison de désordres et de passions mauvaises des âmes infidèles et réprouvées qu'il est dit: « Orientur in domibus eorum spinaî et urticœ, et replebunlur domus eorum draconibus. » (Is., xiii, 21.)

(3) « Domine Jesu Christe qui es lapis angularis de monte sine ma- nibus abscissus, etimmutabile fundamentum, et Tu qui es principium

et finis sis, quaesumus, principium et iiicrementura et consummatio

ipsius operis quod débet ad laudem et gloriaiii tui nominis inchoari. » (Pontificale roman. , pars II, De Benedict. primarii Japidis; mihiy p. 288.) lingues de Saint-Victor, moins connu, mais (out aussi explicite, dit

\\2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

cette importance des fondements, et par les mystères qu'ils expriment, combien fut motivée la loi déjà si ancienne qui conservait à toute église reconstruite ses fondements pri- mitifs et son premier emplacement (1). C'est donc un grand tort, de la part de ceux que l'Église charge de maintenir ses prescriptions et leur esprit, que de négliger une règle aussi sérieuse. Ces murs cachés, étant eux-mêmes un symbole sacré, ne doivent pas être abandonnés légèrement à l'oubli et à la démolition. Murailles, Maintenant, les murs n'ont plus qu'à se construire. Quels

mystères encore! Ce vaste appareil, ^ans son ensemble, c'est l'humanité prise par le Verbe apparaissant à la terre et, par le seul aspect de sa Personne et de sa mission, inspi- rant l'admiration de l'esprit et le respect de l'âme qui le voit, à travers ces masses épaisses , humilié mais tout-puis- sant dans le martyre de l'autel. Que si nous considérons les

aussi : « In spiritaali templo structura parietum est processus yirtu- tum. » {De Clausi7'o oniinx, lib. III, cap. xix, opp. t. II, col. 1122.)— On voit que la place même à donner à cette première pierre ne peut être qu'un angle des fondements, et non pas toute autre qui ferait mentir le texte de la Loi. Nous avons plusieurs exemples d'églises l'on n'a pas craint, par un arbitraire inexplicable, de poser cette pierre angu- laire soit à la base extérieure et visible d'une colonne, soit sous l'autel majeur, chacun peut encore en lire l'inscription. C'est un abus que l'autorité diocésaine ne peut tolérer, puisqu'il va à dénaturer le sens d'une cérémonie dont le caractère antique est tout dans la pierre angulaire, qui est le Christ. Sicardi, Durant et tous les litur- gistes sont unanimes sur ce point, qui vaut bien la peine qu'on le res- pecte. Pour ne citer que le premier : « Pontifex, cruce impressa, lapidem m fundamento ponat, juxta illud : Super hanc Petram aedificabo Eccle- siam meam » (Matth., xvi).— 11 est clair aussi que, puisqu'on commence l'église par le chevet, la première pierre doit se placer à l'angle sud-est, sans quoi elle ne serait pas la première ni angulaire. Écoutons encore Adam de Saint-Victor chantant au douzième siècle dan» une séquence pascale :

Lapis iste nunc elcctus In tropheeum état orectus Et in caput anguli.

Cf. D. Guéranger, Temps pascal, ii, 136.

(1) Voir Eusèbe, Histor. eccles., lib. X, cap. m;— notre Hist. de la cathédrale de Poitiers, t. F, ch. i,— -et un fait analogue dans le Bulletin monumental, t. I, p. 208.

EXTÉRIEUR DE l'ÉGLISE CHRÉTIENNE. ^^3

quatre côtés Ibrmant un parallélogramme de dimensions plus ou moins inégales, les murs deviennent l'emblème des quatre vertus cardinales, basées sur la foi, et non moins sur la cbarité du Fils de Dieu ; elles enveloppent la vie spiri- tuelle d'un quadruple rempart qui la rend inaccessible aux attaques des mauvaises passions; ou bien on peut y voir, avec un des plus anciens commentateurs du poète Prudence, les quatre Évan^élistes, fondements véritables et principaux appuis de cet édilice, qui ne s'est construit que comme une consé(iuence de leurs enseignements (Ij.

Mais les murs se composent de pierres, et celles-ci, réu- «tieurappareu. nies de tant de carrières différentes ouvertes en tant de lieux divers, expriment les gentils appelés des quatre points du monde vers Jésus-Christ, et en même temps les fidèles prédestinés à la vie et prenant leur place dans cette con- struction de l'Église universelle, qui se continuera jusqu'à la lin du monde. Hugues de Saint-Victor y voit la double per- sonnalité des clers et des laïques, dont la réunion constitue la société chrétienne, et qui se tiennent à la droite et à la gauche du Christ, dont le corps est figuré par la longueur du vaisseau sacré (2). Dans les grands édifices du moyen âge, on dispose d'abord de beaux parements taillés et polis au centre desquels se jette une masse compacte de pierres brutes et plus petites : ce sont, avec les maîtres de la doc- trine participant au travail commun et soutenant la vie sociale par l'enseignement de la vérité, les âmes moins

(1) « Per quatuor igitur frontes non inconvenienter quatuor Evange- listas intelligere possumus, x^raisidio quorum nisi hœc domus fulciatur, procul dubio sui ruinam patitur. » (S. Prudentii, Trecensis episcopi, Traclalus super œdificiuub Prudentii.)— Ce Saint fut évêque de Troyes de 846 à 861, et fit un Commentaire sur la description qu'avait faite d'une église le poète Prudence, son homonyme du quatrième siècle. Cf. Spicileg. Solcsm., III, 421, se trouve ce fragment poétique avec une explication du saint prélat qui n'est pas moins solide qu'ingénieuse.

(2j 0pp. t. Il, col. 417 : « De duobus parietihus Fxclesiœ, clericis et laïcis, quasi duo latera corporis unius. »

T. m. 8

lu ce.

UA HISTOIRE DL SYMBOLISME.

fortes, qui ont besoin d'appui et le reçoivent toujours du zèle dévoué de l'Église. Mais, à quelque degré d'utilité ou d'édification que ces pierres mystérieuses soient appliquées, elles ne seraient rien sans la cliarité qui doit les unir, et cette cliarité est le ciment qui relie entre elles tant de parties naturellement séparées (1).

Les contreforts. L'égllsc matérielle étant l'image de l'âme chrétienne, ses contreforts que nous voyons s'élever le long des murs jus- qu'à l'entablement , et les soutenir contre la pesée des voûtes ou les ébranlements accidentels, rendent bien l'es- pérance qui nous élève vers le ciel et la force morale qui nous soutient contre les tentations de la vie. Des litur- gistes y ont vu aussi « les puissances temporelles appelées à protéger le pouvoir spirituel de leur épée et de leur in- lluence (2). »

La nef et sa (oi- Et k ucf elle-môme, ce vaste espace allongé qui paraît unique, lors môme qu'à l'intérieur il est accompagné de nefs secondaires, parce' qu'une seule toiture ordinairement recouvre le tout, cette nef n'a-t-elle pas la forme générale d'un vaisseau, comme son nom l'exprime, et ne reproduit- elle pas sur la mer de ce monde l'arche salutaire la famille des hommes évita le déluge sous la protection de Noé (3) ? Il n'y a pas jusqu'à la toiture qui ne nous figure par sa hauteur la sublimité de la contemplation, et ne nous engage à y demeurer avec Dieu en dehors des affaires du monde , comme le prophète se comparait au passereau demeurant solitaire sur le toit qu'il s'est choisi (4) . C'est pour-

(1) Cf. Durant, Ration, divin. Offlc, lib. I, De Ecclesia et ejus par- tibus; inihi,î^ 3;— M. l'abbé God-àrd-^fiint-JeSin, Essaisur le symbolisme architectural, dans le Ballet, monum., t. XIII, p. 408.— C'est S. Paul qui a dit (1 Cor., xiii^ 2) : Charitatem si non hahuero, nihil sum.

(2) L'abbé Ricard ^ Résumé du sijmbolisme architectural , dans la Revue de Vart chrétien, 1. 111, p. 61; et tous les symbolistes.

(3) Voir l'opuscule de Hugues de Saint-Victor^/^e Arca Noe mystica, opp. pars II, col. 681 (Migne).

(4) « iSicut passer solitarius in tecto. » (Ps., ci, 8.)

EXTÉRIFA'R DE l/ÉGLISE CHRÉTIENNE. M 5

(Iiloi S. Mélitoii, et après lui l'Anonyme anglais du douzième siècle, nous l'épètent cette parole du Sauveur : « Que celui qui est sur le toit de sa maison n'en descende pas, quand viendra le jugement dernier, pour y rien prendre,» la pensée de Dieu devenant alors la seule vraiment digne d'attention (I). On en a fait aussi le symbole de la charité, qui couvre la multitude des péchés, car c'est dans cet inté- rieur, protégé contre les intempéries du monde visible, que le cœur , après s'être régénéré dans l'onde baptismale , vient se puritier encore dans celle de la réconciliation, et jeter sur ses fautes un voile que nul ne déchirera jamais (2). C'est que le manteau de l'Église met ses enfants à l'abri de la vengeance céleste. Il y a plus: les tuiles mêmes ou les ardoises qui recouvrent la charpente et la gardent contre les pluies , la grêle et les autres inconvénients de l'at- mosphère, sont regardées comme autant de soldats pré- posés à défendre l'Église contre les païens, les hérétiques et ses autres ennemis (3j. Bien au-dessus de ce tout si éloquent, s'élèvent, dans leur i^es tours et les

. clochors.

élancement aérien, les tours romanes, les flèches gothiques, dont les formes ajoutent à l'auguste majesté et à la gra- cieuse beauté de l'édifice. D'abord, c'est du centre et d'au- dessus du transsept qu'elles semblent porter à Dieu l'hom- mage de la prière universelle , et comme cette portion de

(1) « Tectum, iDtentio cœlestis operationis (S. Melit. Clavis, cap. xi, xvi). Tectum sublimitas est contemplatiouis; uncieistud : Qui in tecto est non descendat tollere de domo sua quidquara (Malth., xxiv, 17); quia qui in otio est vitse contemplative, nuUius terreni commodi causa descendere débet ad laborem vitœ activas. » (Distinct, inoîiasl., lib. V, De Tecto.)

(2) « Tectum , charitas , quae operit multitudinem peccatorum. » (Durant. Mimât., ubi suprà.) Voir encore, pour le résumé de tous ces aperçus ra[tides mais sûrs, Beautés du culte catliolique3^a,v M. l'abbé Raffray, 1. 1, p. 123.

(3) « Tegulae tecti quae imbrem a domo pellunt, sunt milites qui Ecclesiam a paganis et al» ho^libus protegunt. » (Dur. Mimât.; mihi, Huhrica i.)

JiH) HISTOIRE UU SYMBOLISMK.

l'église, qui représente par son plan cruciforme le Sauveur crucifié, correspond à la poitrine de Tauguste V'^ictime, on voit tout de suite l'analogie qui s'est présentée aux symbo- listes quand ils ont fait du clocher et des cloches elles- mêmes le symbole des prédicateurs, dont les voix, écho de la Voix divine, expression des enseignements du Cœur divin, ont épanché de si haut sur le monde la grande pensée de la foi intime et de la piété en action. N'est-ce pas aussi la vigi- lance pastorale qui se révèle au monde par cette élévation des tours et des flèches dominant les villes et les campa- gnes, portant le signe de la croix qui les surmonte aussi loin que le regard peut le saluer, et rappelant aux âmes que les pasteurs veillent pour elles dans leur solhcitude active et dans la prière de leur cœur? La parole sacrée est donc naturellement figurée aussi par ces élégantes portions du saint monument, car elle protège et défend comme une tour fortifiée ; elle proclame sur les toits les vérités annon- cées d'abord à un petit nombre, et dont le silence laisserait retomber le monde dans la nuit de l'erreur et les incerti- tudes de la philosophie païenne (^l) ; enfin, on a voulu en- core , par ces appendices si magnifiques et si dignes d'at- tention, indiquer l'Église même, qui remplit toutes ces fonc- tions près de nous, et la S^e Vierge, qu'on voit toujours dans les allégories l'Éghse est engagée avec le même caractère et les mêmes attributs (2).

(1) «Turres ecclesiee praedicatores suntet praelati, qui sunt muDiraen et defensio ejus. Uûde Sponsus ad Sponsam in canticis amoris sic lo- quitur : Gollumtuum sicut turris David cum propugnaculis.» (Durant,, Ration.; mihi, m.)— Pierre de Capoue a développé tout cela fort net- tement, ad. litler. xix, art. 101.

(2) « Turris, Virgo Maria, vel Ecclesia : Et tu sicut turris gregis per- feeti, nebulosa fiiia Siou {Mich., iv, 8). Quidam autem hanc turrim Vir- ginem Mariam intelligunt. » (S. Meliton. Clavis, De Givitate, cap. xi, no 5.) Et le même Pierre de Capoue : « Turris illa cœlestis, id est Virgo Maria, construcla est ex lapidibus etiam politis, id est sanctis personis quaeponantur ingenealogia ipsius... A Deoerecta est hsec tur- ris, et ascendit in altum, ut in utero suo susciperet Unigenitum Dei Yerbum manens in sinu Patris. » (Petr. Gap., ubi suprà.)

EXTÉRIEUR DE l/ÉGLISE CHRÉTIENNE. ^^7

Au point culminant, voyez encore, s'élevant même ylZ.^^"^-' '"'■^''1'

r ' j ' diverses signinca-

au-dessus de la croix (I), dont son chant semble annon- tio^s- cer le triomphe , l'oiseau, que , dès le cinquième siècle, S. Eucher , et après lui tant d'autres autorités avouées, citait dans ses Formules au nombre des symboles de la surveillance zélée , de la prédication pastorale et de

(i) Cette place au-dessus de la croix fut, en 1859, le sujet d'une polé- mique eutre M. Joseph Bard, de Lyon, qui, pour être archéologue, n'en traitait pas moins de travers beaucoup de questions liturgiques em- brassées par lui sans une instruction suffisante , et tous les journaux, de quelque opinion qu'ils fussent en politique, se rangèrent contre lui d'une voix unanime. Mgr Crosuier, vicaire général de Nevers, le réfuta victorieusement dans un mémoire la vivacité du style n'ôte rien à la solidité des raisons, et dans lequel, tout en =.'appuyant sur les textes originaux des Docteurs dont s'autorisent les symbolistes modernes, il cite tour à tour S. Ambroise, S. Grégoire le Grand, le V. Bède, Hono- rius d'Autun, S. Bouaventure, Durant , Altiati, Aringhi; puis il venge, contre les appréciations plus que hasardées de M. Bard, le célèbre évêque de Jlende, qui, suivant sa bonne habitude , explique pourquoi le coq doit surmonter la croix Vjrga ferrea in qua gallts sedet, rectum représentai pr.vrticanli's sermonem vl non l quatur ex spi- rilu hominis, sed Uei,juxla illud : Si quis loquitur, quasi sermones Dei. Quod vero virga est supra crucem sea summitatem ecvlesix po- sita, innuit sermonem S'ripturarum consummalum. esMe et confirma- tum; unde Domiaus in passione : Consummatum est. » {Ration.; mihi, f" III.) Il suffit évidemment de ce passage pour établir solidement qu'au treizième siècle on faisait ainsi et l'on raisonnait l'usage préféré; et, s'il n'y a pas de loi positive imposant aux architectes cette place à donner au coq, on voit qu'il y a des raisons valables pour ne pas la lui ôter, et, qui plus est, beaucoup d'exemples, comme nous en avons remarqué en beaucoup de lieux, en Normandie, en Poitou et ailleurs. Ce qui est indubitable, c'est que le coq en lui-même a été prescrit au sommet des clochers par des statuts diocésains et des canons des conciles. Le Pastoral de Ghâlon-sur-Saône (IV" part., tit, m, ch. xxii) le recommande absolument; S. Charles Borromée le veut aussi dans ses Instructions (liv. II, ch. xxvi) prescrites à tout son clergé; il est vrai qu'en requérant en cela l'observance du mystère symbolique, ut mys- terii ratio pnslulat, il n'exige pas que le coq domine la croix ; il suppose môme, d'après plus ou moins d'exemples de son pays, ou peut- ^tre parce qu'il n'avait pas eu occasion de se préoccuper du contraire, que la croix doit être appuyée sur le coq : mais ce fait ne peut infir- mer notre argumentation en général. On aura plaisir, du reste, à étu- dier cette intéressante question dans les mémoires déjà cités, auxquels il faut ajouter, comme étant l'un des plus concluants, celui du savant vicaire général de Nevers^ Dullel. inonum., X\, 577.

us HISTOIRE DU SYMBOLISME.

l'apostolat évangélique, de Texcitation matinale à sortir d'un sommeil, image de la mort, « revêtu de sa parure d'or , résistant à tous les souffles du vent, qu'il brave sans défaillance ; plus rapproché du ciel qu'aucune des parties du saint édifice, caché môme souvent dans les nuages qui s'abaissent jusqu'au-dessous de lui. Cette admirable créa- ture de Dieu est l'intelligente figure de ce prêtre qui pré side au soin de la paroisse et se pose en sentinelle contre les irruptions plus ou moins prochaines du mal ; elle rap- pelle également au troupeau qu'il faut songer aux choses du ciel, aimer la conversation des Anges et secouer toutes les atteintes des paroles qui offenseraient le Seigneur (1). »

(1) Tous nos amis du moyen âge, S. Eucher, Pierre de Capoue, Ra- ban-Maiir^ S. Grégoire, Pierre le Chantre, l'Anonyme anglais et celui de Clairvaux, enfin S. Eucher et Honorius d'Autun, nous ont laissé d'admirables commentaires sur la valeur symbolique de cette « admi- rable créature de Dieu , » dont le rôle , contesté par quelques archéo- logues moins éclairés , a été savamment défendu par d'autres mieux inspirés et plus instruits. C'est pour les premiers que semblait écrire l'auteur inconnu d'un poème trouvé dans un manuscrit de la cathé- drale d'OErhingen. On croit ce manuscrit des premières années du quinzième siècle, mais nous croyons personnellement le poème plus ancien par sa facture et la tournure générale de sa versification. Nous empruntons ce fragment à l'excellent livre de M. Bordeaux, que nous avons déjà loué plusieurs fois {Principes (Varchéologie pratique , part. II, ch. m) :

Multi sunt presbyterî qui ignorant quare Super domum Domini gallus solet stare ; Quod propono breviter vobis explanare Si vultis benevolas aures mihi dare .

Gallus est mirabilis Dei creatura, Et rara presbyteri illius est figura Qui prœest parochiae animarum cura, Stans pro suis subditis contra uocitura.

Supra ecclesiam positus gallus contra ventum , Caput diligentius erlgit extentum ; Sic sacerdos ubi scit dœmonis adventum, Illuc se objiciat pro grege bidentuui.

Gallus inter caetera altilia cœlorum Audit super sethera concentum Angelorum ; Tune monet nos cxcutere verba malorum, Gustare et percipere arcana supernorum.

Voir encore Spicileg. Solesm., II, 488; Bullet. monument., t. XI, p. 158, 162, 199 ;XiII,358 ; XIV, 216, 290, 500, et beaucoup d'autres mé-

EXTÉRIKIK l)i: l'K(;LISE CHKÉTIENNK. M 9

On sait romhion la place assignée aux clochors avarié ,.î''«»™';^ •»"'/'

* c? pliees des clo-

pendant les phases diverses du moyen âge. A de légers cam- chers; paniers figurant une ou deux arcades, quelquefois trois dont une superposée aux autres, et assez économiquement ornementées de quelque colonnes passablement simples, on voit succéder en plus grand nombre, au onzième siècle, ces loui's carré(^s ou pol\ gones qu'une raison mystique dressa au-dessus de la croisée de l'église (d); on les vit bien aussi, en c(» temps, se poser au-dessus de l'entrée, leur base forma un porche ou nartex,et remplaça l'antique parvis pour les néopiiytes et les pénitents. C'est encore que doivent s'arrêter les enfants qu'on présente au baptême, jusqu'après les exorcismcs qui, en les délivrant de la puissance de Satan,

moires de cet intéressant recueil, cités dans nos Tables analytiques, t. I, p. 89, et II, p. 175 ; enfin Hugues de Saint-Victor, qui, dans son Spéculum de mysteriis Ecrlesix, cap. présume tous ses devanciers et semble avoir été copié littéralement par Durant de Mende, ce qui lave- rait celui-ci des rigueurs de certains puristes, et l'autorise, au contraire, dans les prétendues subtilités qu'ils lui reprochent. Mais nous indi- quons surtout un très-bon Mémoire de M. l'abbé Barraud , dans le sei- zième volume, p. 277, de ce même Bulletin ;— et le Rational de Durant : « Gallu? supra ecclesiam positus praedicatores désignât... Profundœ noctis pervigil horas ejus cantu dividit; dormientes excitât, diem ap- propinquantem praecinit , sed prius seipsum alarum verbere ad can- taudum excitât. Haec singula mysterio non carent. Nox enim est hoc sœcuhim; dormientes sunt filii huj us noctis in peccatis jacentes. Gallus significat praedicatores, qui distincte prsedicant, et dormientes excitant ut abjicinnt opéra tenebrarum clamantes: Vx dormienlibusl exsurr/e qui dormis! lucem venturam pronuiitiant dum diem judicii et futurani gloriam pncdicaut, et prudenter, antequam virtutes aliis praedicent, se a sumno peccati excitantes corpus suum castigant. » (Ubi suprà , !'• m.) Voir enfin Hugues de Saint-Victor, Spéculum de mysteriis Ec- clesix, cap. i (Migne, t. CLXXV^II).

(1) Celte raison est tirée de la ressemblance qu'on avait voulu trouver entre le transsept de l'église et la poitrine du Sauveur crucifié. En pla- çant au-dessus de cet espace la tour d'où s'échappait la voix sym- bolique de la cloche, c'était comme du cœur même du Christ ((ue pa- raissait sortir cette prédication aérienne. Nous ne savons plus d'où nous vient cette explication, mais nous la tenons de nos études, et nous la trouvons très-naturellement déduite des principes posés ci- dessus.

!20 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

leur donnent le droit de s'avancer vers les fonts pour y rece- voir le titre auquel ils aspirent. C'est donc une place d'au- tant plus normale assignée au clocher, qu'en la lui choisis- sant on ne s'est presque jamais départi d'en ajouter un autre enté sur le transsept et portant une sonnerie moins solen- nelle. leur place nor- Hs'cu faut qu'aux époqucs suivautcs Ic postc qui Icur cst

maie, trop souvent . , . , , , , .

dérangée. douné corrcspoude aussi bien a une pensée théorique. Si

l'on suit encore, aux douzième et treizième siècles, les belles traditions qui consacrèrent les temps hiératiques ; si alors on avance les tours qui se doublent sur la façade de l'église, comme pour en faire une sorte de rempart mystérieux et de défense symbolique à la Jérusalem nouvelle, on aban- donne bientôt ces considérations précieuses qui complé- taient si poétiquement le plan de la Cité divine, et le sym- bolisme, en s'en allant, laisse à l'ignorance dédaigneuse le choix du point si important s'élèveront ces organes si éloquents des rendez-vous catholiques. Dès lors, on les voit promener leurs incertitudes du nord au midi; nous en avons vu même, par un oubli incroyable des plus sérieuses considérations, appliquées de nos jours à l'abside d'une église romane, retouchée en grande partie au quinzième siècle : tant il est vrai qu'une fois un principe -abandonné, il n'est pas d'absurdité dont l'intelligence humaine ne soit ca- pable! S. Charles (mais il vivait à une époque presque toutes les églises ne se construisaient plus que sous l'in- fluence des nouvelles données) écrit nettement que le clo- cher doit se construire au-dessus de V atrium ou porche, et, s'il n'y a pas de porche, à main di'oite de la porte d'entrée, en observant de le séparer tellement de la masse de l'église, qu'on puisse facilement circuler autour de lui {\). On ne voit pas trop la raison de cet isolement qui détache du tout, sans aucun profit pour la grâce monumentale, un annexe

(l) s. Caroli Jusiruct., pars II, cap. xxvj.

EXTÉRIEIIK DE LÉGLISE CHRÉTIENNE. VU

qui en est inséparable. Le service des cloches n'en pouvait être plus commode, et l'architecture y perdrait un de ses effets les plus gracieux. Nous aimons mieux, quoique nous n'en voyions pas la raison symbolique, ces puissantes et majestueuses masses flanquant l'un des côtés de l'édifice, comme on l'a liiit souvent depuis le treizième siècle : elles y contribuent au moins à la grandiose idée que doit tou- jours donner d'elle-même la maison de Dieu.

Mais les voix sonores qui s'échappent de ces hautes sta- Los^ciochcs. tions partagent avec elles le droit d'exprimer des choses saintes. Comme Moïse avait donné aux prêtres des trom- pettes d'argent dont ils devaient sonner pendant le Sacrifice pour y réunir les tribus, et pendant sa durée afin d'exciter leurs adorations ; comme féclat retentissant de cette mu- sique sacrée, continuée devant l'arche d'alliance, fit tomber les murs d'une viUe rebelle, il fallait au nouveau peuple de Dieu un moyen de s'unir aussi dans une commune pensée, de manifester ses triomphes sur l'ennemi des âmes, et de marcher ensemble pour les combats de son voyage vers la terre promise (I). Les cloches, d'abord si modestes par leurs formes restreintes, devenues, dès le dixième siècle, bien plus

(1) « Deus qui per beatum Moysen... tubas argenteas fieri praBcepisti, quibus.dum sacerdotes tempore Sacrificii clangerent.sonitu dulcedinis populus monitus ad Te adorandum fieretpraiparatus, etadcelebranduni sacrificia conveuiret , quarum clangore hortatus ad bellura molimina prosterneret adversantium... ; Deus, qui ante arcam fœderis per clan- gorem tubaruna rauroslapideos, quibus adversantium cingebatur exer- citus, cadere fecisti, Tu hoc tintinnabulum cœlesti benedictione per- funde , ut ante sonitum ejus longius effugantur ignita jacula inimici, percussio fulminum, impetus lapidum, lœsio tempestatum...» (Pontif. roman., De Benedictione campanaî, /7r7.v.sim.) On volt que l'Église de- mande ici, par le son delà cloche, l'éloignement et l'innocuité des orages; mais bien entendu qu'KUe n'entend pas, avec cette physique de fort bon aloi,et quoi qu'eu aient dit quelques docteurs qui n'ont pas de plus grande joie ({ue de la contredire, favoriser les superstitions elles maladresses dont on voit tant de victimes dans nos campagnes, lorsqu'en dépit des enseignements, et oppositions du curé lui-même, des paysans, imbus d'une routine entêtée, s'obstiueut à fendre, au lieu de l'éloigner, la nuée d'où la foudre se précipite et les écrase.

^22 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

considérables (I ), et dont la fonte habile est enfin parvenue à faire d'énormes chefs-d'œuvre, ont aussi leurs sens multiples et populaires, comme le dit un archéologue de mérite, et que le monde profane est peut-être fort peu disposé aujourd'hui à recevoir sans sourire (2). Il n'en faut pas moins accepter, avec les maîtres delà science, des interprétations dont nous savons du reste comment apprécier la raison et la force. Symbolisme do Volcl douc cc ouc discut Hugucs de Saint-Victor, le savant

leurs moindres i i- i i

parties. cucyclopédiste du douzième siècle , et , à sa suite, beau-

coup de hturgistes plus rapprochés de nous : « Les clo- ches, dont les sons éclatants convoquent le peuple à l'église, sont la signification mystique des prédicateurs. Fermes comme le métal, ces grandes voix se multiplient en proportion de la multiplicité de leurs œuvres. Le battant est comme leur langue qui, frappantaux deux bords, annonce àla fois les vérités des deux Testaments. Le mouton de la cloche qui la tient en suspens, c'est la croix ; les bandes de fer qui rattachent l'une à l'autre sont la charité, que le prédicateur ne ressent jamais mieux pour son auditoire que s'il est épris de Jésus crucifié. La corde, toujours agitée, est la vie surna- turelle et l'humilité du prédicateur. Comme elle, il s'élève jusqu'à Dieu par la pensée, redescend jusqu'à son auditoire par la parole, qu'il lui choisit simple et douce : l'Apôtre n'a- t-il pas dit aux Corinthiens : « Soit que nous nous élevions vers Dieu, soit que nous redescendions vers vous? » Enfin, les nœuds de la corde , ou l'anneau final qui en facihte

(1) Ou a des preuves historiques des progrès qu'avait faits l'art du foudeurde cloches.bieii avant cette époque. Il est mention dans les Actes de S. Pirmin, évêque régionnaire d'Al'einagne,morten 738, d'une cloche remarquable par sa matière , sa grosseur et la beauté de ses sons : « Campanum , quod ob electae materiae massam , et rite mixti metalli temperaturam , magnam liabuit sonoritatis elegantiam , ora- torio almo auferri... prœcepit... » (Mabillon. Annal. Ord. Bened. , saec. VIII. Apud Novarini Schediasmata sacro-profana_, p. 29.)

(2) M. l'abbé Godard, Essai sur le symbolisme archilectural des églises, Bullet. monum.,Xlll, 408.

EXTÉKIEUH DE l'ÉGLISE CHRÉTIENNE. 423

l'usage , c'est la persévérance à annoncer la vérité ou la cou- ronne qui en sera le prix (I).

Ces hautes sianilications ont été adoptées par tous les Estime qucn fait liturgistes : l'évèque de Mende ne les a pas négligées, et y ajoute, dans nn chapitre spéciale de son livre, des dévelop- pements aussi ingénieux qu'attachants (2). De on com- prend quel cas l'Église a toujours fait des cloches, et pour- quoi elle en consacre l'usage par des hénédictions solen- nelles. C'est la doctrine des maîtres qu'elle y confesse par ses prières et ses chants ; et il n'est pas sans utilité à certains esprits avances^ qui la regardent comme un peu arriérée, de puhlier ([u'aucune des ^ ieilles croyances de nos pères sur la cloche, ni les raisons de ses divers usages, ni les effets qu'on a le droit d'en attendre, ne sont aholis dans les rituels ou fornuilaires catholiques. Ce qu'on prétendait au moyen âge ^i^'H"^ '"y^té-

* ^ ' ^ '^ rieubcs de leurs

des vertus de ces sons mystérieux envoyés dans les airs sons. contre les esprits mauvais qui y suscitent les tempêtes, les tonnerres et toutes les calamités qui les suivent (3) ; cette

(1) « Gampanœ, quarum sonoritate populus ad ecclesiam convo- catur, praedicatores mysticant , qui, quia ad inulta sunt necessarii , multis designantur vocabulis. Plectrum, quod ex utraque parte souuiii elicit, lingua praedicatoris est, quae utrumque Testauaentum resonare facit. Lignum, unde peudet carapaaa , crucem significat; ligatura cha- ritatem, per quam proedicator cruci adstrictus gloriatur, juxta illud : Mihi aulem absit gloriarinisi in cruce (Gai., vi). Chordavita est et huniilitas praedicatoris. Unde Apostolusqui propter alios eondescendit: Sive excedimus propter Deum , sive condescendimus propter vos (2 Cor., V, 13). Anuuli, lu Une, perseverantia vel corona praemii. » (Hug. à S.-Vict. Spéculum, ubi suprà.) Nous avons cité ci-dessus, t. II, p. 521, les mêmes termes , quoique abrégés, de Jean Béleth,litur- giste du douzième siècle, et uu autre passage de Hugues de Saint-Victor.

(2) Lib.I, Rubrica iv, Ralinn. div. Ô/yïc.— Il peut se faire qu'on trouve tout cela plus édifiant et plus ingénieux que solide, comme le dit M. l'abbé Lecanu {Histoire de Saian , p. 2G1). Mais encore une fois, ces efforts mêmes de quelques liturgistes, et (ju'il ne faut pas attribuer seulement à Durant , puisque nous lui voyous bien d'autres complices , prouvent cerlainemeut que le symbolisme existait en ce temps dans tous les esprits, et nous aurons oi;casion d'établir que M. Lecanu a été trop loin, dans un sens contraire, quand il a nié la plupart des ensei- gnements mystiques de nos pierres sculptées.

(3) C'est la croyance universelle de l'Kglise : que le son des cloches

Rites de leur baptême.

124 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

joie des Anges mêlant leurs cantiques célestes aux saintes émotions de la foule quand les modulations aériennes l'ap- pellent aux solennités du Temple ou s'y mêlent aux accents du Magnificat et du Te Deum., tout cela vit encore comme aux jours de foi simple et fervente, furent rédigés les Eucologes et les Pontificaux (^). Ce sont autant d'assertions que l'Eglise répète en bénissant ces vases admirables (hoc vasculum) que le Pontife lave d'eau consacrée, qu'il honore

est utile à repousser la grêle, la foudre et les tempêtes qui les accompa- gnent. Trop souvent on a répété que c'étaient autant d'effets naturels dus aux sons fortement réitérés del'airain agité dans les airs, et séparant les nuages amoncelés sur les moissons ou les villages qu'ils menacent. Dans la pensée liturgique, ces fléaux ne cèdent en réalité qu'à la prière, à laquelle la cloche invite alors les fidèles, à l'usage d'un instrument béni qui a de lui-même sa vertu propre et comme des effets sacra- mentaux. C'est dans ce sens que les conciles en ont parlé , et c'est une des raisons qu'ils donnent des cérémonies sacrées dont s'entoure la bénédiction des cloches. (Voir Concil. Mediol., tenu par S. Charles en 1576, constit. la part., de oratione; Concil. Coloniens. ann. 1536, De constitut. ecclesiee, art. 4.) Ces excellentes vues n'empêchent pas l'abus qu'on fait trop souvent dans les campagnes de ce moyen, qui, pris trop strictement par suite de fausses opinions populaires, et sans égard au principe chrétien, attire et fait éclater le danger qu'on voulait éloigner. Les choses saintes doivent se traiter saintement, et Dieu ne s'oblige pas à des miracles de sa bonté en faveur d'actes purement hu- mains où l'on prétend ne se servir que de la matière. En pareil cas , la matière n'opère que selon sa nature ; et ce qu'il y a de plus simple et de plus naturel quand on sonne en volée pendant qu'un nuage flotte sur l'église qu'on eu veut préserver, c'est précisément que les ébran- lements violents de l'atmosphère produisent l'effet contraire et soient la cause immédiate de grands malheurs. Les exemples n'en manquent pas, et seraient bien plus rares si l'on se contentait en pareil cas de tinter pour exciter à une prière commune.

(1) « Domine..., ubicumque sonuerit hoc tintinnabulum, procul re- cédât virtus insidiantium , umbra phantasmatum , incursio turbinum , percussio fulminum, lœsio tonitruorum , calamitas tempestatum , omnisque spiritus procellarum. Et cum clangorem illius audierint fîlii christianorum , crescat in eis devotionis augmentum , ut festi- nantes ad pise matris gremium, cantent Tibi in Ecclesia Sanctorum canticum novum, déférentes in sono prseconium tubœ, modulationem psalterii, suavitatem organi, exsultationem tympani, jucunditatem cymbali; quatenus in templo sancto gloricc tuai suis obsequiis et pre- cibus invilare valeant multitudinem exercitus Angelorum.» [Pontificale TOmanum, De Beuedictione campante, passim.)

EXTÉRIEUR DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE. 425

d'onctions mystérieuses, soit avec l'huile des infirmes pour effacer du métal les souillures que le péché originel a com- muniquées à la matière, soit avec le Saint Chrême pour lui imposer une sainteté qui le rende plus digne de son ohjet; puis des encensements lui sont donnés dont la fumée ahon- danle remplit l(î n ide entier de l'instrument glorieux de tant de grâces. N'est-ce pas lui qui annoncera par de joyeuses volées que des milliers d'âmes sont nées à l'Épouse du Christ; qui par ses lamentations pourvoira aux secours de la dernière heure de riiomme ; qui se mêlera à toutes ses fêtes rehgieuses , et, par ses accents périodiquement répétés, ou réitérés aux plus subUmes moments du Saint Sacrifice, avertira, auprès et au loin, tout cœur fervent de redire la Salutation angélique, ou de s'unir au cœur du prêtre immolant la sainte Victime, aux chants d'actions de grâces qui la célèbrent et aux supplications qui l'implo- rent ? Tels sont les motifs qui ont fait des cloches un des plus magiiitiques auxiliaires du culte; aussi l'Église n'a rien omis dans les honneurs qu'elle leur rend de ce qui peut relever leur dignité et en inspirer le respect. C'est pourquoi leur bénédiction a certains caractères d'un bap- tême: le signe de la croix leur est imposé et fait corps avec leur matière précieuse ; elles reçoivent un nom que des par- rains et marraines leur donnent; elles sont revêtues, pen- dant leur inauguration, de la robe blanche des néophytes ; on chante des psaumes de joie, auxquels viennent bientôt se mêler leurs premiers accents. La cloche, en un mot, est presque une personne, car elle ne se séparera plus de la personnalité humaine; elle est comme son âme, amie et dévouée, qui exhalera entre la terre et les cieux toutes les émotions de la vie et de la mort. Avec tout ce qui précède, l'extérieur de notre église n'est symbolisme de*

sculptures mu-

pas encore complètement apprécié. Ces murs, cette laçade, raies. ces clochers eux-mêmes, ont leur parure et leurs beautés de détails, dont le symbolisme est aussi vivant que partout

126 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

ailleurs. Que font au-dessous de ces entaJ)lements et de ces corniches ces longues rangées de figures animées, aux ex- pressions si diverses , aux poses si variées et parfois si Variété de hurs étraugcs ? pourquol ces chapiteaux imposés aux colonnes ïft. plus ou moins élancées qui servent de contreforts à l'abside,

ou à d'autres qui, plus légères, semblent soutenir, adroite et à gauche des fenêtres, les ordres successifs de la construction, se parent-ils de tôtes qui rient , qui pleurent , qui grincent des dents, qui se doublent sur un seul corps; qui, tenant de la nature humaine , s'associent à un quadrupède, ou, par un caprice contraire, relient la face d'un lion, d'un léopard ou d'un oiseau au torse et aux jambes d'un chevalier ou d'un moine, d'une femme ou d'un enfant? Nous dirons les signi- fications multiples de ces singulières natures... D'autres se présentent encore dont nous avons pu voir déjà le but sym- bolique et le rôle avoué de tous. C'est le moment de nous en expliquer. Ici nous voyons une chasse, et un sagittaire perce de son trait un cerf qui l'emporte dans ses flancs ; là, comme à l'abside de la cathédrale d'Angouleme, au milieu des feuillages un autre cerf fuit à toutes jambes devant un chien, et trouve un autre chien qui lui coupe le passage : c'est l'âme faible et poursuivie de part et d'autre par ses ennemis acharnés, se jetant de périls en périls : ceux-ci profitent de sa timidité pour la perdre. Le bas-rehef du douzième siècle, très-bien exécuté, est borné, de droite et de gauche, par deux bons dans l'attitude de fimpassibilité ; ils regardent cette scène sans en être émus et d'un air de majesté calme qui rend bien, avec leur pose, l'état contraire de l'âme que fortifient sa foi et son espérance (1). Ailleurs, une meute haletante poursuit un lièvre innocent qu'elle va atteindre peut-être, mais qui fuit vaillamment et pourra bien échapper aux dents qui le menacent : n'est-ce pas encore cette autre âme qui, plus avisée, évite la chute en fuyant devant la tentation?

(1) Voir BvUet. moniim., XIII, 353, 356; XV , 574; XIX, 141.

EXTÉRIEUR DE l'ÉGLISE CHRÉTIENNE. 427

Le singe sans pudeui-, le serpent astncieux, le chien refrogné se trouvent réunis comme en un congrès équivoque de mal- faiteurs privilégiés, pendant que, d'un autre côté, on remar- que une pacifique série de mines gracieuses, de joyeux volatiles, de Heurs épanouies, et jusqu'à des anges aux grandes ailes éployées essayant, dirait-on, sur mille instru- ments les louanges de Dieu et l'expression , suave comme leurs traits, de leur éternelle béatitude!

En effet , ces hôtes des recoins obscurs des saintes savantes th^o- murailles, ou de leurs protîls qu'éclaire le soleil de œuvrot,-^^ cha([ue jour, sont comme autant de sentinelles pour crier au passant de la vie humaine une leçon de vertu, jusque dans les vices dont quelques-uns se font l'emblème liideux. Ceux-ci apparaissent au côté nord de l'édifice ; ils naissent d'un souffle de Satan, dont le cœur, privé de l'amour de Dieu , inspire le froid de la mort à ses suppôts avec ses affections coupables (I ). Au midi, les créa- leur distribution

calculée au sud et

tures bénies qui se réchauffent au soleil de justice, et pro- »« »or<L duisent des œuvres pleines d'amour et de fécondité. M. de Roisin, dans sa Description de la cathédrale de Cologne, atrès- bien fait remarquer cette distinction, qu'avait signalée avant lui M. Boissérée, aussi judicieux en cela qu'éminent archi- tecte. Il y a plus: on a semé ordinairement moins de sculp- tures sur ce côté fatal ; et, si d'assez nombreuses exceptions se firent à ce qui nous semble , sur ce point, une règle bien arrêtée, ce n'a été qu'à condition d'y installer le péché et le vice exerçant leur redoutable empire sur les âmes qui les préfèrent au bien.

On ne s'est pas départi de ce système pour le dehors de l'ab- Di^monoio^ie. side. Comme, à l'intérieur, l'autel et le Saint des Saints repo- sent le plus souvent dans l'hémicycle qui en est formé, et que se trouvent avec Lui de charmantes images qui l'y hono-

(1) Nous avons exxjliqu»^ ci-desus, t. Il , p. 200, 442 et 452, cette diff»'- rence «le l'aquilon et du ?ud , et ses motifs symboliques.

-128 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

rent, à l'extérieur le démon semble s'y installer de préfé- rence, et c'est lui, nous l'avons dit, qui, à la cathédrale d'Aii- goulcme, à Saint-Pierre de Ghauvigny et bien ailleurs, se déguise en chasseur pour faire sa proie des pauvres bêtes qui, il faut leur rendre cette justice, détalent de toutes leurs jambes à son aspect. Il est vrai aussi que, tout près de là, l'auguste Patron de cette dernière collégiale se présente de- bout avec ses deux clefs, comme pour protéger la faiblesse des victimes contre la puissance du fort armé. Ici donc la pensée est complète, et l'âme qui fuit l'ennemi ne manque jamais du secours d'En-Haut. Les vices ot les ^gg vlccs ct Ics vcrtus sc soiit fait une vie considérable

vertus.

dans l'ornementation du saint lieu : tour à tour ou simul- tanément , ou par contraste et parallélisme , on les y voit catéchiser le peuple, prêcher le sentiment du bien , l'hor- reur du mal, et donner la plus juste idée des remords de la conscience , des tourments finals du pécheur, comme de la joie et du prix éternel donné aux Justes. Mais le vice ex- clusif, le mal vu à nu dans sa laideur morale, agissant seul, sans opposition de cette portion morale de l'existence hu- maine qui console ici-bas et y représente les inspirations de Dieu, ce vice, livré à ses instincts détestables et montré dans tout le hideux de sa forme , fut presque toujours et exclusivement gardé pour les parties du temple exposées aux regards de l'homme extérieur : c'est, le plus souvent, une traduction sur pierre soit des anathèmes de l'Apôtre excluant de l'enceinte sacrée tous ceux dont le cœur de- meure empreint d'impuretés , de blasphèmes , d'idolâtries et d'homicide (^J, soit de ces âmes dont un autre ne parle qu'en versant des larmes, et qui se font en tout les ennemis Le chien dévo- dc k croix (2). Uii des exemples les plus frappants, et peut-

(1) « Foriscaues, et venefici; et impudici, et homicidœ , et idolia servientes, et omnis qui amat et facit mendacium. » {Apoc, xxii , 15.)

(2) « Mulli ambulant quos ssepe dicebam vobis. nunc autem et flens dicOj inimicos crucis Ghristi. » (Ephes., ni, 18.)

AlllTH^

i:\TERiKiK i)K i/kglisi: chrétienne. 129

être les moins compris de l'une de ces multiples excom- ''^'^^^Jf ^"'" '^*' imiuicalions qui relèguent le mal au dehors du sanctuaire, se retrouve souvent dans les églises de la Guienne. En Poitou , nous en connaissons beaucoup : cherchez atten- tivement parmi les modillons (jui décorent parfois la façade au-dessus de la porte occidentale, mais plus fréquemment le côté nord des églises de campagne, nous verrez une tète de chien tenant en gueule un objet presque toujours mutilé et qui, [)ai- cela même, dissimule sa nature véritable. Cet objet ressort de côté et d'autre de cette gueule, fermée comme si elle tenait entre ses dents la moitié d'un disque. On ne de\ ine pas d'abord : l'objet et sa signification échap- pent à l'analyse. Que de fois nous avons cherché à nous en rendre compte î Mais un jour nous découvrîmes au nord de l'église de Gourgé (Deux-Sèvres) ce même quadrupède , dont le disque saisi entre ses dents était parfaitement rond, et de l'extrémité, restée entière, qui dépassait les lèvres de l'animal , nous reconnûmes une ligne perpendi- culaire qui partait du centre et descendait jusqu'au bord inférieur. Gela ne manquait pas encore d'obscurité; mais le nuage se dissipait, et c'était un pas de plus vers une dé- couverte; car non loin de , sur la façade principale , un dis(jue figurait dans la série des douze ou quinze modillons rangés au-dessous du premier cordon horizontal, et cette fois il était timbré d'une croix à quatre branches égales , dégagé de tout appendice , fort visible, et donnant enfin la fidèle reproduction des pains eucharistiques, tels que les onzième et douzième siècles nous les exposaient dans toute leur iconographie. Notre chien du voisinage en tenait donc un dans sa gueule, qu'une mutilation cachait à l'observa- teur, mais qui, d'abord, avait été des plus reconnaissables. Il n'y avait pas moyen de se défendre du texte biblique fohs canes , dont l'imagier s'était emparé pour rendre , sous des traits sensibles, la communion sacrilège , ni d'ou- blier la parole du Sauveur, (ju'on ne doit pas donner aux T. m. 9

<|30 HISTOIRE DU SYMBOLISMK.

chiens « le pain des enfants (-l) », paroles que S. Thomas

d'Aquin rendait expressément dans sa helle hymne de

l'Eucharistie :

Ecce panis Angelorum... Non inittendus canibus.

Lebaruduvin Nous uc jctous ici quc des aperçus généraux sur cette ique. gpn^j^fjg thèse des vertus et des vices , des hons anges et des démons ; et nous n'en parlons que pour expliquer , avant de passer outre, et dès qu'ils se présentent à nos regards dans l'architecture du temple, le mystère de cette présence, sur laquelle nous reviendrons bientôt en étudiant l'inté- rieur. Mais n'omettons pas cependant de signaler, à cette occasion , que , non loin de ce pain eucharistique invitant le fidèle à la Table sainte , on voit souvent un charmant petit baril dont le langage s'y associe très-convenablement, car c'est encore le vin de l'Eucharistie , et c'est bien la pensée du sculpteur, puisqu'après le treizième siècle , la communion sous une seule espèce devint générale , on ne rencontre plus ce dernier motif (2). Poursuivons donc ,

(1) « Non est bonum sumere panem filiorum et miltere canibus. » (Matih., XV, 26.) Nous avons vu déjà l'attribution faite aux héréti- ques, aux gentils et aux juifs, de la nature morale du chien, qui est sans vergogne , sale, gourmant, querelleur. C'est dans ce sens que le Sau- veur l'emploie à éprouver la foi humble et patiente de la pauvre Ghana- néenne. S. Paul dit aussi aux Philippiens : Videte canes, viclete malos operarios{iu ,2); et la Sagesse des Proverbes lui compare l'apostat retournant, loin de la vérité qu'il avait reconnue et embrassée, aux dégoûtantes erreurs et aux blasphèmes que sa bouche avait vomies d'abord: Sicut canis rêver tilur ad vomilum , sic siultus ad stulti- tiam. (Prov., xvi, 11.) Voir les commentateurs dans S. Méliton , ch. IX, De Besliis, lix.)

(2) Deux barils, dont l'un est doré et l'autre argenté, sont disposés aussi, avec deux pains parés de la même manière, pour l'offertoire de de la messe lors de la consécration d'un évêque {Pontifie, roman., De Consecr. in episc.) : ils y sont le symbole de la puissance radicale de consacrer résidant en l'évêque comme dans sa source. Le Blanc {Traité historiq. des monnaies, p. 157) dit qu'il en était ainsi dans un cérémonial du sacre des rois de France , dressé au douzième siècle par ordre de Louis VII, et que l'usage s'en observait encore sous Henri II,

KXTKRIKIU \)K l/lUiLISK CHRÉTIENNE. ^3-1

cl, après a\oir promené nos études sur le chevet et sur les murs latérau.v , arrêtons-nous devant ces façades que nous connaissons déjà , il est vrai , par beaucoup de particula- rités de leur plan général, mais beaucoup d'autres aussi nous restent à comprendre. Et d'abord , les plus simples églises i-urales ont eu un . ]i^ p*""*^'»? ''^^

' l r D nglises rurales, et

porche ou auvent s'élevant un peu plus haut que la porte "^onusagre. d'entrée qui s'y encadre, lequel, installé depuis le neu- vième siècle surtout , lorsqu'on commença à baptiser dans toutes les églises paroissiales, servit dès lors comme de lieu d'attente au néophyte. se faisaient les exorcismes pré- liminaires du sacrement , souvent en face même de ces tètes de démon qui frémissent de rage à la vue de ces conquêtes du Sauveur : c'était comme le vestibule de ce ciel mystique ouvert à l'homme régénéré. La croix en surmontait le faîte , comme le signe qui résume tout le Christianisme. Au quatorzième siècle et au quinzième, on la ^^ '"^<^" sculpté remplace souvent par une fleur à trois feuilles nommée chou , et dont le choix ne reste pas étranger à la notion fondamentale de la Trinité divine. Quelquefois la maison de Dieu s'ouvre au sud , rarement ^ i^«»'^s ^l^ y^^'^'-

^ ' fice, et cote ou

au nord, (juand sa porte principale n'est pas à l'occident, pnes souvrent de

'■ i i 1 i preferonco.

Cette dernière position est la seule normale, puisqu'elle s'inspire de l'orientation symljoHque du chevet : toute autre n'a été qu'une anomalie imposée tantôt par une impossi- bilité matérielle, tantôt par une raison particulière. Quant aux monastères, par exemple, il y avait nécessairement d'au- tres règles à suivre : les préaux ou cloîtres qui entouraient ordinairement l'église indiquaient naturellement des portes d'entrée à y percer selon la plus grande commodité des religieux, qui s'y rendaient de rniit et de jour.

en 1545. (Voir Vély, Hist. de Fr-^u, 467.) Dans ceUe dernière céré- monie , c'était le signe de la promesse faite par le prince de protéger la foi contre l'hérésie; ily communiait sous les deux espèces, usage qui s'est perpétué jusqu'à Charles X.

1 ave siècle .

132 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Le parvis, Il n'est pas rare que le porche antérieur à l'église y foruie

un véritable vestibule ou parvis couvert, le symbolisme étale toutes ses richesses aux chapiteaux et aux cintres des arcades avec une profusion pleine de magnificence. Les abbayes, surtout en France , se sont donné cette belle et éloquente distinction, qui n'empêche pas d'orner des plus or notamment ce- bclles sculpturcs le portall qul introduit de dans la nef. Ce

lui (îo Saint-Be-

noît-sm-Loire. beau pérlstylc, qui n'a pas moins, à Saint-Benoît-sur-Loire, de quinze mètres de large sur une profondeur égale, est soutenu et divisé en trois nefs, que séparent seize colonnes rangées par quatre. Ces colonnes se couronnent de chapiteaux d'un grand luxe de sculpture, dont les scènes animées reprodui- sent, avec certains faits historiques, comme la Fuite en Egypte et la Visitation, des symboles évidents des tentations de la sujeis variés de vlc extéricurc. On voit la main divine sortant d'un nua^e

SOS belles sculp- ^

iu douzième pour protéger pendant sa marche la Sainte Famille, à ren- contre de laquelle un satelhte d'Hérode , sinon lui-même , vient se jeter, armé d'un glaive et d'une lance. Derrière les saints voyageurs, S. Michel terrase le dragon infernal qui les poursuivait. Ici des moines enchaînent par le cou deux horribles spécimens du diable s'efforçant de saisir aux che- veux un petit être humain debout sous un arbre et à moitié caché par la gueule béante de l'enfer d'où les deux monstres viennent de sortir, et ils voudraient plonger leur victime ; plus loin , ce sont des mondains prêtant l'oreille à des ser- pents et à des quadrupèdes équivoques leur persuadant le mal ; ou bien un ange disputant une petite créature sans sexe, une âme quelconque , à un démon qui la tire à soi ; puis diverses scènes de l'Apocalypse : S. Jean se prosternant au pied du trône de Dieu, ou recevant le livre de ses révé- lations ; enlin l'Agneau immolé, et, au-dessous de l'autel, « les âmes de ceux qui avaient été tués » pour sa cause. On voit qu'ici des enseignements chrétiens, soit comme his- toires, soit comme symboles, deviennent une sorte d'intro- duction à la vie illuminative que le fidèle va cliercher dans

FATÉRIEUR DR L ÉGLISE CHRÉTIEiVNE. ^ 33

l'enccinl(^ sacrée. Ce livre de S. Jean qui révèle les plus hauts mystères de la vie sociale et individuelle ; cette Visi- talion que nous allons faire Dieu et à sa Mère quand l'heure de la prière nous ramène en face de Tautcl; ce pèle- j'ina^^e de la Sainte Famille, devant laquelle tombèrent les idoles de l'Egypte, et le vrai Dieu commença d'être connu ; ces épreuves de la terre dont Satan se fait l'instrument actif et perpétuel, et cette défense du bon Ange, image la plus douce et lapins vraie de la i^rovidence, dont la grâce ne permet pas à notre faiblesse de succomber, ni à l'ennemi de i-égner sur nous : ne sont-ce pas autant de pages d'une doctrine supérieure, et dont la méditation nous prépare I)ien ^ rentrer, quand nous quittons la foule oublieuse , dans le sein du Père, qui nous attire chez Lui pour nous y bénir? Parfois, et pour mieux condenser toutes ces idées en une i/ima-e .i;-.

,1,. 1 1 r-, /■ . •< 1 Sauveur devaut

seule, Innagc en pied du Sauveur se présentait seule aux la porte dcn'nv. regards de la foule abordant le lieu saint. Elle garnissait la porte principale, comme on le voyait, au dixième siècle, à l'entrée du palais impérial de Gonstantinople, bâti sur les plans des basiliques. Une telle statue semblait répéter à chacun la parole du Maître rapportée au dixième cbapitre de S. Jean : Ego sum ostium; per me siquis introierit, salva- bitiir {\). Devant certaineséglisesqui n'avaient pas ces beaux «^n?nw, Parais des ra

'^ ^ ^ thcdralps et des

on ménageait un parvis découvert, espace qui ne dépassait autres é-uses -

jeures.

pas ordinairement la largeur de la façade, et dont la pro- fondeur égale donnait, par conséquent, un carré parfait. C'était surtout un annexe des cathédrales, des abbayes et des collégiales, quelquefois aussi des prieurés. se ren- daient, à certains jours désignés, les décisions judiciaires ; se faisaient les monitoires et autres annonces. Les té- ^^^^ principal

emploi svmboli^»'

moms y étaient entendus , les causes jugées, et c'est à celte paricsiiJns. M) Laharle, /ifscription fin palais impén'ol de Gimslanlinoplfi,\),f):h

434 HISTOIRE DU SYMBULISiMi:.

juridiction de haute, basse ou moyenne justice que se rap- portaient ces figures délions qui, de côté et d'autre du juge et de ses assesseurs, symbolisaient la justice, comme autrefois au trône de Salomon. Ce souvenir du grand roi n'était pas le seul qu'eût emprunté le moyen âge, il finit par devenir commun. Edouard II, roi d'Angleterre de ^307 à ^327, avait un sceau il était assis sur un trône dont deux lions grim- pants formaient les côtés : ses pieds reposaient sur deux autres {\). Canova, en docte sculpteur qu'il était, n'avait pas négligé cette idée. Il décora de deux lions le tombeau de Clément XIII , et comme le Pontife avait résisté avec cou- rage pendant tout son pontificat aux entrepi-ises et aux vio- lences de la puissance laïque , l'un de ces lions, empreint d'une douleur magnanime, verse les larmes de la souffrance et de la tendresse outragée ; l'autre respire dans ses traits une royale fermeté, et semble dire que l'athlète n'a pas été vaincu (2). Mais pour ce qui touche aux parvis, dès le onzième siècle on rencontre ces imposantes bêtes couchées sur le mur d'enceinte de ce plaid respecté, ou assises à la porte principale de l'église, ou supportant ses deux colonnes latérales, pour indiquer que la justice est la base et le fon- dement de l'édifice social. Quelquefois aussi le fier quadru- pède retient sous ses griffes puissantes le serpent, génie de la ruse perfide qui n'a rien à faire dans une conscience de juge, et se replie vainement en efforts qui ne le peuvent délivrer ; ou bien c'est un bouc ( et non un bélier, comme on l'a trop répété), symbole des pécheurs et des réprouvés, qu'il écrase de son poids et maintient en respect : voilà donc le triomphe du Sauveur, du lion de Juda, sur l'injustice, la méchanceté et la fraude (3j.

(1) Voir Ryiner, Fœdera, 1. 1, 1'^' part., pi. i.

(2) Le P. deRRvignsin,CléineiUXIII et Clà}ne?itXIV,-p.2'ô3, in-8'',1854.

(3) \oiT Spicileg. Solesm., t. III , 15 et suiv. ; 51 et suiv. On voit encore, Sur les bases de deux colonnes soutenant une des archivoltes du portail méridional à Saint-Marc de Venise, deux griffons couchés

EXTERIEIR DK L EGLISE CHRÉTIENNE.

135

On a vu quelquefois aussi le lion, accompagné d'un bœuf, ,i/bœufVTdu non servir parallèlement, sur la façade d'une édise, de base à ''"^ fa';adps de

'■ 7 ^ o ' quelques églises.

qui tiennent daii.s leurs paUes, luo uu homme, dans les yeux elle visage duquel il enfonce ses griffes; l'autre, un bœuf moins maltraité que l'homme. (M. .lulien Durant, Annal, archéologiq., XV, 403.)— Le griffon est ici l'image de Satan maltraitant l'homme perverti au mo- ment où il se disposait à entrer dans le lieu saint, dont il n'était pas digne. Le traitement imposé au bœuf, image des Juifs, d'après S. Gré- goire, et aussi du démon, d'après le même Docteur, ou enfin des ri- chesses terrestres et animales, est un analogue et un parallélisme facile à comprendre. (Voir Spicileg. Solesm. ,Ul , io.) Mais toujours c'est l'action infernale exerçant la tentation sur l'âme voyageuse , ou le châ- timent sur l'âme arrivée à son terme. Enfin, nous voyons aussi quel- quefois des lions accroupis sous une colonne qui sert de support à un bénitier ou à un chandelier pascal, comme dans la basilique d'Anagni, en Italie. Là, il faut bien changer la signification de l'animal symbo- lique; il y est pris en mauvaise part, et il représente, à notre sens , l'esprit infernal obligé de s'abaisser sous les bénédictions de l'Église qui l'y exorcise en une certaine manière, ou sous la lumière évangé- lique , laquelle n'est pas autre que Jésus-Christ. (Voir Annal. archéoL, ubi suprà, p. 244.) Il est vrai que Mabillon, cité dans ce même endroit, et que suit M. l'abbé Barbier, regarde le lion comme l'emblème de la résurrection, figurée aussi par le cierge pascal: c'est une de ces in- terprétations multiples par elles-mêmes et auxquelles les archéologues peuvent s'arrêter diversement sans abandonner les principes fonda- mentaux de la science. Quant au bouc, il est le symbole des pé- cheurs, placés à la gauche du Juge souverain au dernier jour, en opposition avec les brebis fidèles qui passent à la droite (Matth., xxv, 33).— Voir S. Méliton,Z)e Besliis, n" xviii; et, quant aux parvis, beaucoup de détails sur leurs divers emplois, dans notre Histoire de la cathédrale de Poitiers, 1. 1, p. 173; pour le lion, voir Hisloire symbolique et iconographique du lion, par M. l'abbé Cros>uïer,BuUeL inonum. ,XIX, 283 et suiv. On voit deux lions supportant les colonnes d'un tom- beau à la cathédrale de Trêves. (Bullet. monum., XII, 699.) Il est clair (]ue le sens de ces animaux n'est plus ici le même. C'est bien le démon vaincu par les vertus du défunt, d'autant plus que cette règle d'opposition est parfaitement autorisée par les aii'reuses grimaces de ces faces hideuses et refrognées. Voir encore, sur les oppositions symboliques et les significations diverses du lion, Bullet. monum., XIV, 328; XVI, 491 ; XX, 555. Il pourrait bien se faire aussi que cette signification de la justice, qui fut donnée dès le principe à ces lions siégeant au parvis des églises, se fût détournée plus tard de ce sens primitif et se transportât jusqu'aux simples portes d'entrée sans aucun rapport à aucune juridiction , car la plupart des églises eu étaient dépourvues ; mais alors le lion n'était plus qu'un symbole de Jésus-Christ lui-même, pierre fondamenlale et force morale des institutions chrétiennes.

i36 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

des statues, et le portail en ruines de l'ancienne abbaye de Moreaux, non loin de Poitiers, offre ce spécimen d'un façon très-remarquable. Ge sont deux évêquesqui se sont succédé sur le siège de cette ville au douzième siècle, et qui, ayant fait du bien au monastère, reçurent des moines l'bonneur de cette belle effigie {\). Une inscription tracée sur l'une des voussures du tympan explique la présence des deux ani- maux qui leur servent de piédestal par une réminiscence du temple de Salomon, lestions et les bœufs se répétaient fréquemment dans l'ornementation monumentale, comme dans celle du mobilier.

ut fuit introitus tenipli sancli Salomonis^ Sic est istius in inedio bovis atque leoni-.

Cette intention de reproduire un symbolisme de l'antique monument des Juifs ne laisse aucun doute sur la signifi- cation qu'il faut donnera celui-ci. Tous les auteurs s'accor- dent à regarder dans le bœuf la force, la patience, l'amour du travail utile, la gravité, la sociabilité douce et complai- sante ; on comprend qu'avec la force parfois sévère du liou on puisse composer de ces deux symboles un ensemble de vertus sur lequel s'appuie solidement la vie des évêques et des prélats, quels qu'ils soient. C'est cette pensée qu'ex- primait dans ce distique un bénédictin du moyen âge qui avait à se plaindre de son abbé :

Es leo terribilis, sed non es bos socialis, Unde decens basis non es, bobus tibi rasis.

Formule : inter Pour cu rcvcuir à uotrc lion , cette attribution d'un tel symbole à la juridiction judiciaire ne nous parait pas con- testable, quoique d'érudits arcbéologues aient paru en douter. La formule inter leones, qui se lit dans beaucoup d'actes publics des onzième , douzième et treizième siècles, n'est pas toujours, il est vrai , le témoignage de cette juri-

(1) Voir tlalM. nioriiuii. , l. XI , i>. .^03.

lennes.

i:xtkriei:r uk l'églisk chrétienne. 437

diction; mais elle est comme rindication d'un lieu pins véné- rable , une sentence a quelque caractère plus solennel et plus sacré. C/est la seule explication possible du soin qu'on avait parfois d'inscrire le mot leones au-dessus ou à côté de la figure de ces animaux. A Saint-Porcliaire de Poitiers, par exemple, le sculpteur qui a orné les cbapiteaux du poi'tail de ces deux tètes majestueuses a écrit sur le tailloir qui les domine : leones , en belles lettres onciales. Quelques mécbanlsontpunous ranger de leur avis en sou- tenant que cet artiste n'avait fait que prévoir le cas ces lions seraient pris, aux traits qu'il leur avait donnés, poui' de simples cliats poitevins ; mais à prendre la cbose au sé- rieux, nous pensons que le mot qui fait toute l'explication de cette zoologie, en effet un peu équivoque, est comme mention d'un lieu consacré à des arrêts et décisions ayant force de loi ; il y rentre dans les babitudes de ces tribunaux dont nous pai-lions tout à l'beure, et ne peut être interprété autrement. Nous ne pouvons donc adopter l'idée un peu trop matérielle de M. Didron , expliquant nos lions aux portes du temple dans le sens prosaïque d[i cave canem des anciens, et faisant là, d'une façon un peu plus relevée pai- la nature de l'animal , le rùle domestique et conventionnel du quadrupède païen {\). ]l nous semble y avoir entre ces deux symboles toute la différence d'une cbose comnunie et sans dignité à une figure pleine d'enseignement et de no- blesse. Si l'on a mis parfois des beurtoirs à tète de lion à la porte de quelques églises, c'était plus prol)al)lement dans la pensée qui avait amené les lions dévorant le serpent ou le bouc, et le cave canem n'y avail rieii à faire, pas même de loin et par analogie.

Un Jàit intéressant s'ajoute, sur cette même façade de Saint-Porcbaire, à celui que nous \enous de décrire. Au- dessus de l'un de nos deux lions, un médaillon ovale sert de

(1) Annal, archênlnii., \\ . p. 2')i.

Image de la ic- sistance aux ten- tations sous l'ein- blème duprophète Daniel.

Ce même sujet reproduit à Chau- vigny,càTonBeri-o,

et à Amienr-; ,

lâS HISTOIRE DU SYMBOLISME.

cadre à l'image que voici : un homme debout prie les bras en croix, comme on faisait encore au moyen âge, et comme on le voit fréquemment dans les fresques des catacombes. En dehors du médaillon, qui pourrait bien être une auréole, un lion lèche doucement , de chaque côté , les pieds de cet homme, qui est signalé par une inscription gravée autour de cet ovale : Hic Daniel Domino [favente) vincit cœtum leoni- num. A côté, le prophète Habacuc tient deux vases conte- nant la nourriture qu'il avait préparée pour ses moisson- neurs , et que , sur l'ordre de Dieu manifesté par la main divine sortant du nuage au-dessus de sa tête, il avait portée au prophète captif. On reconnaît parfaitement le trait historique rapporté par le prophète lui-même au quator- zième chapitre de son livre [\). Or, on le voit bien, les lions n'auraient que faire ici de leur rôle reconnu de judicature : c'est bien plus pour rendre aux yeux du fidèle la puissance de la prière contre les périls des tentations, qu'ils oublient leur férocité naturelle, et rien n'allait mieux que cette pensée aux abords d'une église. Aussi ne l'a-t-on pas exclu- sivement consacrée à l'extérieur. On la retrouve souvent , surtout en Poitou , dans le sanctuaire même, d'où la prière s'élève plus directement vers le Saint des Saints ; telle on la voit sur un chapiteau de Sainte-Radégonde de Poitiers et sur un autre de Saint-Pierre de Ghauvigny. Le tympan de la porte occidentale de Saint-Pierre de Tonnerre encadre un autre Daniel, qui prie comme celui de Poitiers ; les lions, posés et calmes, semblent lécher ses mains en signe de leur soumission miraculeuse (2). Au portail d'Amiens ,

(1) Nous avons A'u plnsieur.-^ descriptions de ce bas-relief hasardées par des laïques à qui il ne manquait que d'avoir étudié un p£u leur chapitre xiv de Daniel. L'un s'embarrassait fort des deux ampoules portées par Habacuc ; l'autre voyait dans cette main nimbée un oiseau dont quelques plis des nuages faisaient des ailes, etc. Et l'on impri- mait de telles clioses!... Et Tonne se doutait pas du sens mystique trouvé par les Pères dans cette image, les lions ont bien leur motif d'être, mais Daniel et Habacuc n'ont pas moins le leur,

{^) M.. LQwmxive, Ammaire de V Yonne, Wi%.

EXTEKIEUU DE L EGLISE CHUETlENiNE.

139

un des médaillons si remarquables qui ornent la belle façade de Notre-Dame, Daniel est assis, plus conformément au texte sacré (I) , et quatre lions reposent placidenitint à sa droite et à sa gaucbe , comme s'ils craignaient de troubler sa mé- ditation (2). Enfin, comme dernier terme de comparaison, voici une agrafe en bronze, qu'on peut croire du buitième ou du neuvième siècle, représentant le même sujet, et oij les lions, comme on les voit partout ils doivent signifier les mauvaises passions assujetties à l'iiomme par le saint usage de la grâce, s'inclinent devant le Propbète et lècbent ses pieds. Ceci est d'autant plus à considérer qu'on ne peut refuser d'y voir l'explication de ces autres images les animaux, s'accolant de droite et de gauclieàun liomme de- bout, tiennent absolument le môme rôle qu'on leur voit ici. Ainsi s'élucident, les uns par les autres, les faits symboli- ques pour l'étude desquels il faut procéder toujours pai' l'esprit d'observation et de rapprociiement (3).

Mais après ces traits de détail qui nous ont retenu autour de notre basilique plus ou moins spacieuse, il nous reste encore à contempler la grande page qui annonce tout l'in- térieur, et se développent encore les austères catécbèses de la religion. La variété des tableaux , le nombre des baies y sont toujours proportionnés à l'importance de l'édifice. Si modeste qu'il soit, un ou deux symboles au moins y appa- raissent, et il est rare qu'une entrée d'église, si res- treinte qu'on l'ait construite , ne signale pas une idée

rapproché de quelques autres pour confirmer nos déductions iconographiques.

Façades des js^randes églises et leur décoration jriiindiose.

(1) « Surgeiisque DaDÎel, comedit. » (xiv, 38). « Venit Rex..., ut ecce Daniel sedcnx in medio leoniim. » (fb., 39.)

(2) Les sept lions figurent rarement dans les sculplures des cliapi- leaux, nécessairement restreints par leurs dimension*, non pins que dans des médaillons quadrilobcs, comme ceux d'Amiens. Mais le nombre ne fait rien ici dans la pensée du tailleur d'images , et l'on citerait, en pareil cas , maints pasteurs se tenant auprès d'un troupeau représenté par une brebis, un porc : l'histoire fait deviner le reste.

(3) Voir M. l'abbé Crosnier, Ico?iographie chrétienne , p. 78.— Cf. ce que nous avons dit d'après un texte de S. Isidore de Séville, ci-dessus, t. I, p. 235 et 236 ; t. II , p. bOl, note 2.

UO HIvSTOIRE DU SYMBOLISME,

chrétienne par les oiseaux , ou les serpents , ou les figures grimaçantes qui ramènent, sur le seuil môme qu'on va franchir , aux religieuses préoccupations de la conscience chrétienne. Mais afin de grouper sous les yeux du lecteur la généralité de ces sujets instructifs , supposons que nous avons jusqu'à présent examiné une de nos vastes et antiques cathédrales des onzième, douzième ou treizième siècles; arrêtons-nous devant ces étonnantes sculptures , en qui la déhcatesse du travail le dispute à ce que peut avoir de plus énergique l'enfantement de la pensée. Quels grandioses tahleaux que ces façades de Reims, d'Amiens, de Paris, de Chartres , de Bourges , de Poitiers ! Trois portes , dont deux moyennes, s'y ouvrent immauquahlement, correspon- dent à la triple nef de l'intérieur. C'est tout d'ahord , dans cette unité pleine de tant d'harmonie, l'image préliminaire de l'auguste Trinité, qui reviendra plus d'une fois dans ce vaste ensemhle d'iconographie tout parle de Dieu et de he trumeau de l'âmc U). La plus amplc de ces haies, la porte royale , la

la porte médiane : i J '

ce qu'il fifiruic. porte médiane, est presque toujours partagée dans sa hau- teur, pendant et après le douzième siècle , par un trumeau orné d'une statue qui lui est adossée , et qui est ordinaire- ment celle de Notre-Seigneur , de la Sainte Vierge ou du patron. Quant au trumeau lui-même , il indique les deux voies qui s'offrent à l'homme et qui mènent à deux vies hien différentes sur la terre et au delà... Ce piher, que couronne un chapiteau, ne doit donc jamais être supprimé, comme on l'a fait maladroitement, sous prétexte de faire entrer et sortir plus aisément l'énorme dais que nos ancêtres

(1) Voir les détails de l'église de Paray-le-Monial(Saône-et-Loire),où toutest rédnitau nombre trois (Icon. c/ir., p. 77).— S. Paulin, décrivant deux églises de son temps, dont l'une était agrandie par ses soins, signale cette triple porte avec le symbolisme quenousy reconnaissons:

Aima domus ti'iplici patet ingredientibus arcu Testaturque piam janua trina fidem.

, . . Una fides trino sub nomine quœ colLt unum, Unanimes trino suscipit introitii.

(S. Paulin. Epist. xxxiil ad Sttlpit. Severum.)

EXTÉRIELU DE L ÉGLISE CHRÉTIENNE. \Ai

n'avaitMit pas le boiiJiour de comiailre. Ce qu'on a J^agné à . cette suppression, c'est trop souvent rafïaisseinent de la plate- bande ou linteau supérieur, et de une dislocation inévi- table dans cette iniportantci portion de la façade Au- dessus de ces meneaux se déroule le tympan principal avec ses voussures nombreuses jetant autour des scènes bi- bli(|ues leurs profondeurs, semblables à des liorizons diffé- rents et que garnissent les savantes allégories des Vices domptés par les Vertus, des Ordres de la biérarcliie sacrée, des cliœurs des anges, ou d'oiseaux et de quadrupèdes, ou des arbres ou des (leurs variées aux gracieux festons, aux guirlandes délicatement fouillées par un ciseau cinq ou six fois séculaire. Mais ce n'est qu'une couronne de glorieux assistants, et les courtisans célestes, ces nobles combattants des jours d'épreuves, entourent le Roi des rois et procèdent avec Lui au jugement éternel des grands et des petits de la terre (-1). Au-dessus des morts qui ressuscitent, des Élus, séparés déjà des impies, le Juge est assis. Son bras levé est le signe de la puissance (jui va venger les mépris de la croix, qu'il soutient de l'autre main ; à sa droite , côté le plus digne et celui des brebis fidèles , Marie agenouillée supplie. Mère de miséricorde; à gauche, S. Jean l'Évan- géliste unit ses prières , et semble répéter avec la xMère du Christ, devenue la sienne sur le Calvaire : Dieu est la charité. Mais Dieu n'est pas moins la justice. Les pécheurs, qui étaient condanuiés d'avance, s'en vont , traînés par les maîtres horribles qu'ils ont préférés, au lieu éternel des crimes et des aveuglements volontaires ; les Justes, passés à la droite, entrent, sous la conduite de S. Pierre muni de ses clefs ^'Mî ouvrent sans que personne puisse fermer^ dans la Cité du bonheur, dont on voit, sur un autre plan, les tran- quilles demeures, avec leurs tours éternelles et leurs reni-

Voussures sculp- tée» dea tympans;

lour Jugement flernier.

(1) « Sedebitis et vos super sedes, judicante.-* tribus Israël.» {Matlh., XIX, 28.;

^42 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

parts que nulle main ne peut abattre ni ébranler. Au reste, tous ces types sont inspirés par l'Apocalypse , et représen- tent tous, avec d'heureuses variantes, les images que nous en avons décrites dans le précédent volume de cet ouvrage (4). Autres motifs D'autrcs fois et ailleurs, la scène principale, le jugement,

iconographiques

partout répétés, gc modific par ses accesson^es : à Fribourg en Brisgaw, c'est l'histoire du Christ , son crucifiement , avec la Syna- gogue aux yeux bandés ; ou bien les Vierges sages et les Vierges folles ; à Bazas, c'est le Pèsement des âmes, comme à Autun , au Mans et à Amiens ; à Vézelay , c'est le Christ triomphant qui verse de ses mains des rayons lumineux sur la tête de ses Apôtres tenant chacun le Livre de la doc- trine qu'ils doivent répandre. Ailleurs, il siège encore au milieu des Douze, placés debout et tenant soit l'instrument de leur martyre, soit un phylactère s'inscrit l'article du symbole que la tradition donne à chacun d'eux : ils sont les vrais fondements et les portes véritables de l'Église mystique, comme les appelle S. Augustin (2). Symboles et àt^ Ici uous dcvous ajoutcr, aux notions éparses déjà données

Apôtres. ^^ ""^'^ sur les Apôtres, l'explication des attributs fournis à chacun d'eux par les artistes, et la place qu'ils occupent respective- ment quand on les destine à une grande représentation d'en- semble. Au portail principal de Chartres, ils accompagnent l'image de Jésus-Christ; les Prophètes , véritables Apôtres de l'ancienne Loi, posent un peu plus loin, mais sem- blent tenir à leur droit de se survivre autour de Celui qu'ils ont fidèlement attendu. Comme tous les Saints, les Apôtres doivent toujours avoir leurs attributs spéciaux et l'instru- ment de leur supplice ; quelquefois ils portent en même temps, sur un parchemin déroulé, un des points dogmati- ques de leur symbole. L'étude de leur représentation per- sonnelle ferait un livre. Disons seulement ici, avec MM. Gros-

(1) Voir ci-dessus, t. II , ch. \\ et XIL

(2) « Apostoli fundaraenla et portse Ecclesiœ, » in Psatm. passim.

EXTÉRIEUR DE LÉGLISK CHRÉTIENNE. 143

nier et Jourdain, quels sont, pour cliacun, les attributs et la sentence que les artistes doivent leur donner , en les indi- quant dans l'ordre le plus habituel, bien plus que par tel rang spécial qu'on ait généralement imposé à chacun d'eux (^1). Les quelques diversités qui se rencontrent à cet égard dans l'imagerie du moyen âge, les légères modifications qu'on en retrouve dans les liturgistes et dans le Canon môme de la Messe, qui cependant devrait faire autorité par son antiquité plus reculée, sembleraient n'imposer aucune règle absolue sur Tordre à suivre dans le placement de ces saints person- nages ; nous préférons cependant celui que l'Église semble avoir consacré par sa liturgie, puisque la partie des prières du Saint Sacrifice le Collège apostolique est invoqué tout entier remonte au moins au quatrième siècle, comme l'in- diquent les noms des SS. martyrs Jean et Paul, qui souffrirent sous Julien l'Apostat (2) . Ce devrait être, en effet, une raison d'adopter cet ordre, qui n'a rien d'arbitraire sans doute , puisque les traditions ecclésiastiques reposent toujours sur des raisons souverainement sages, quoique nous ne les sachions pas toujours.

4" S. Pierre, les pieds nus, comme tous les autres qui le s. piekre. suivent, par la môme raison que Notre-Seigneur et les Anges (3) ; le nimbe propre à tous les Saints, et dans lequel, depuis le douzième siècle , on trouve parfois inscrit le nom du personnage; la tète presque entièrement chauve, parce qu'on lui attribue la loi ecclésiastique de la tonsure cléri- cale. Quelquefois son coq est près de lui. Il tient les deux clefs avant le quatorzième siècle ; plus tard , il n'en a souvent qu'une seule ; il a aussi la croix de sa mort dans la main droite. Sa devise est : Credo in unum Deum, patrem omnipoteniem , creatorem cœli et terrœ.

(1) Grosnier , Iconographie chrétienne, p. 213 et suiv. Jourdain, Bill!, monum., XIII, 287 et suiv. (2; Voir Benoît XIV, De Missx Sacriftcio, c-ap. xiu, 22. (3) Voir ci-dessus, t. II, p. 234.

lii HisTOiUK dl: symbolisme.

s.pAtix.. 2** s. Paul. Nous avons dit pourquoi ii réside souvent

à la droite du Sauveur, dont S. Pierre n'obtient que la gauche (^). Sa figure ovale, son nez légèrement aquilin, la fermeté de son regard, son front large et serein, sa longue barbe bien fournie comme ses cheveux, enfin la vaste ampleur de son manteau, le désignent suffisamment : c'est le grand philosophe devenu chrétien. 11 tient droite, et la pointe renversée , l'épée qui termina ses jours , ou plutôt ce glaive mystérieux auquel il compara lui-même la parole divine, dont il fut le plus éloquent prédicateur (2). Il ne . dit rien du symbole, qui , sans doute , était déjà formulé lors de sa conversion , trois ans après l'ascension du Sau- veur; aussi ne parait-il pas toujours dans les réunions plastiques des Apôtres ; il est remplacé par :

S.André. 3*" S. André n'a pas un type personnel aussi caractérisé

que celui des deux précédents. En effet, les autres Apôtres, moins connus de l'univers, dont ils n'évangélisèrent qu'une partie, n'ont eu qu'une notoriété bien moins populaire. On ne peut la comparer à celle du Chef du Sacré CoUége lais- sant son empreinte dans les catacombes, à côté de celle de son inséparable compagnon, devenu le prédicateur des Gentils. Ils ne sont donc reconnaissables qu'aux seuls attributs que leur a mérités une glorieuse mort. S.André a sa croix spé- ciale , formée de deux bois croisés en diagonale (3). Il pour-

(1) Voir ci-dessusj t, II, p. 451.

(2) « Vivus est sermo Dei et efticax, et peuetrabilior oumi gladio ancipiti, et pertingens usque ad divisiouem aniiuse ac spiritus, coin- pagum quoque ac meduUarum, et discretor cogitationum ac inten- tionum cordis. » {Heb/\, ïy, 12.) Quelle abondance! et comme on y ôent bien l'homme tout plein encore de la parole qui l'a terrassé de- vant Damas, et l'a éclairé si vivement !

(3) Il parait que la croix en sautoir dite de Saint-André ne s'est guère fait adopter que vers le quinzième siècle dans notre iconographie euro- péenne. On l'y trouve rarement avant cette époque; et le P. Giry, qui avait vu à l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, visitée par lui eu 1067, cette précieuse croix, qu'on y vénérait, dit qu'elle ne différait en rien de la croix latine {Vie de S. André, 30 nov.).

EXTÉRIKLH UK l'ÉGLISK CHRÉTlExNNE. ^45

suit, après S. Pierre, son Irère par la cliair, par l'esprit et par le supplice, le symbole de la foi, et semble dire : Et in Jesum Christum^ Filium ejus unicum, Dominum nostrum.

S. Jacques le Majeur porta d'abord le fflaive qui lui s. jacqies le

^ o X Majeur.

trancha la tète ; mais depuis la célébrité acquise au pèleri- nage de Compostelle , au neuvième siècle , on lui donne une robe de pèlerin avec un camail garni de coquilles ; il porte le bourdon et la panetière. Qui conceptus est de Spi- riiu Sancto ^ naliis ex Maria Virgine.

S.Jean est imberbe : c'est la personnification de la s. jean. virginité, de la jeunesse candide, de l'innocence des mœurs et de la pensée. Les Grecs , dont le schisme a défloré la simplicité cin-étienne , n'ont pas senti cela , et chez eux il est barbu comme les autres Apôtres, en qui la barbe est , d'ailleurs, le signe de la force , du cœur et de l'esprit {\). Il est regardé comme le premier qui ait célébré les Saints Mystères en habits sacerdotaux ; c'est pourquoi on les lui donne assez ordinairement, aussi bien que la tonsure, symbole de l'abandon des superfluités de la vie. C'est sans doute par la même raison qu'il porte toujours un calice auquel se réduisent le plus souvent ses signes distinctifs. Nous aimons mieux cette explication que celle qu'on tire de la Légende dorée, le Saint avale un poison qui ne lui fait aucun mal. Ce poison, néanmoins, pourrait bien être sym- bolisé par le petit dragon qui semble s'envoler de la coupe, et qu'on ne manque jamais de faire planer au-dessus d'elle (d'autres l'en font sortir à moitié). Ce dragon est le symbole très-avéré du démon , instigateur de tout mal, dont on peut voir l'influence mauvaise dans l'action nuisible des créa- tures sur la vie humaine , et qui doit s'en séparer forcément dès lors qu'un acte de la protection divine s'interpose entre le criminel et la victime. L'aigle du Tétramorphe est aussi le symbole de S. Jean, planant, comme cet oiseau, au-

(l) Voir BulL inonum., XI, p. 285.

T. IIJ 10

H6 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

dessus de toutes les générations humaines quand il raconte la naissance éternelle du Verbe. Cet oiseau est tantôt auprès de lui, supportant le livre de l'Apocalypse, tantôt au-dessus de sa tête , tenant en son bec la plume immortelle du dis- ciple bien-aimé. Passus sub Ponfio Pilato , crucifixus ^ mortuus et sepultus. S.Thomas. 6" S. Thomas fut lapidé, ct il coustruisît de nombreuses

églises aux Indes , qui reçurent son apostolat. Est-ce pour cela qu'il tient en main une grosse pierre? Serait-ce la raison qui l'aurait fait prendre pour patron par les archi- tectes,et armer d'une équerre qu'on lui donne parfois? Rien ne semble justifier ni condamner ces idées. Ce qui paraît juste , c'est de renoncer à cette lapidation, car on s'accorde à lui donner une lance dont ses Actes disent généralement qu'il fut percé. Dès lors la grosse pierre, bien équarrie et parfaitement régulière , que nous lui voyons en quelques miniatures , demeurerait aux architectes comme un signe de sa protection. Puisse-t-il les inspirer et donner son esprit, qu'ils n'ont pas encore , à beaucoup de ceux qui s'adressent à nos pauvres monuments ! Ici se présente une difficulté qui va prouver combien doit susciter de doutes l'arrange- ment qu'on a fait des articles du symbole avec chaque Apôtre en particulier. Durant de Mende , que nous suivons pour cette partie de nos explications, place entre S.Jean, que nous venons de quitter, et S. Thomas, dont nous par- lons, deux autres Apôtres : S. Philippe et S. Barthélémy. Il en résulte que la légende du Cr(?<io, prêtée à S. Thomas, ne serait pas celle qui suit immédiatement le passus sub Pontio , mais bien inde venturus est : c'est une interversion du cinquième article au septième. Il faut bien reconnaître dès lors ou que Durant s'est trompé , ou que la tradition est erronée. Quoi qu'il en soit , nous constatons , tout en suivant Tordre du Missel, comme plus vrai, cette contradic- tion entre lui et les errements de quelques vieux livres. On doit croire que cette erreur a eu aussi des variantes ;

EXTÉRIFAR DE l'ÉGLISE CHRÉTIENNE. 147

car, à Sainte-Cécile d'Alby, les Apôtres ne sont ni placés dans le même ordre, ni, par conséquent, porteurs des mêmes articles de foi (I). D'après le Missel, S. Thomas devrait donc dire : Descendit ad infcros , lertia die resurrexit a mortuis, au lieu de dire, comme le veut Durant : bidc venturus est judicare vivos et mort nos.

V S. Jacques le Mineur , précipité du haut du temple à Jérusalem , fut assommé par un foulon, dont la masse ou bâton est deveiui son attribut. Il y tient la neuvième place dans le Rational, et dit : Sanctam Ecclesiam catholicam, etc.; la septième, qu'il occupe ici, lui donne réellement l'a^- cendit ad cœlos, sedet ad dexteram Dei Patris Omnipofentis.

8* S. Philippe tient une croix triomphale ou à trois bran- ches, parce qu'il fut crucifié à Hiéropolis , en Phrygie. Son phylactère porte : Descendit ad inferos , tertia die resur- rexit, etc., ce qui appartiendrait à S. Thomas et devrait être remplacé ici par inde venturus est judicare vivos et mortuos,

S. Barthélémy fut-il écorché, comme le prétendaient les peintres , qui lui mirent un coutelas à la main gauche , ou crucifié sur cette croix longue et mince qu'on lui voit au portail d'Amiens? Ce sont des sujets controversés. On est autorisé à lui donner l'un de ces attributs ; nous les lui donnerions plus sûrement tous les deux. Reculant encore de deux rangs, il doit dire : Credo in Spiritum Sanctum.

10" S. Matthieu fut percé d'une pique à l'autel, et il la porte en triomplie : Sanctam Ecclesiam catholicam, Sanc- torum communionem. Rien n'irait mieux à ce Martyr expi- rant pour l'Église dans l'acte le plus solennel de la com- munion des Saints.

ir S. Simon : Remissionem peccatorum. 11 fut scié par des

s. .Jacques le

MlNEl'B.

S. Philippe.

S. Barthélémy.

S. Matthieu.

S. Simon.

(1) Ces contrariétés pourraient bien venir d'une pose inintelligente de quelques statues qui, ayant été sculptées séparément, ne furent ensuite placées, par l'inadvertance d'ouvriers maladroits, qu'en dépit des inscriptions déjà gravées peut-être sur les corniches ou linteaux qui devaient les avoisiner.

448 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

prêtres du Soleil pendant son apostolat en Perse. La scie de son supplice est entre ses mains.

s.JcDE. >i2o Sans trop savoir de quel supplice mourut S. Jude,

nommé autrement Thaddée , on a lieu de croire qu'il dût être assommé, quelques-unes de ses anciennes images le représentant avec une massue. On lui donne autrement une palme et un livre , insignes habituels du martyre et de Ta- postolit. Il prononce le carnis resurrectionem.

s. Matthias. Mals Icl uous rcstc encore S. Matthias , qui ne figure pas

au Missel parce qu'il ne fut pas des Apôtres contemporains de la mission du divin Maître , ayant été élu par les onze pour remplacer Judas (1). Nous soupçonnons un peu qu'on l'aura mis après coup dans cette liste énumérée par l'évêque de Mende , dont S. Paul était exclu, pour ne pas laisser sans emploi le vitam œfernam qui termine le symbole. Nous pourrions observer aussi que l'attribution de ces douze ar- ticles a été quelque peu arbitraire ; car on remarque , en les parcourant, qu'on a les réduire à ce nombre pour en donner un à chaque Apôtre , mais qu'on aurait pu utiliser, sans faire tort à l'ensemble, sept Apôtres déplus et livrer à chacun d'eux: une banderole eussent figuré autant de duplicata faciles à distinguer. Pourquoi , par exemple, n'avoir pas séparé, comme autant de dogmes aussi réels que distincts, les traits suivants qu'on a forcé- ment reliés à ceux qui les précèdent : Creatorem cœli et terrœ; natus ex Maria Virgine ; crucifixus ; mor- tuus ; et sepultus; resurrexit amortuis; sedet ad dexteram Dei ; Sanciorum communionem t Cet examen ébranle nécessairement la solidité d'une origine authen- tique pour cette légende (2). On n'en est pas moins autorisé,

(1) Le Missel a dédommagé le saint Apôtre, aussi bien que S. Bar- nabé, élu comme lui après l'Ascension, en les nommant, après le mt- rnento des morts, avec les premiers martyrs de l'Eglise. Ils y viennent immédiatement après S. Etienne.

(2) Ce qu'il y a d'important aussi à remarquer, c'est le peu de soin

EXTERIEUR DE L EGLISE CHRÉTIENNE.

U9

nous semble-t-il , à en prendre le fond pour orner une façade ou des verrières, mais ce ne serait qu'à condition de rentrer dans Tordre du Canon de la Messe , et d'y faire suivre, aux versets du Credo , l'ordre correspondant à chacun des per- sonnages apostoliques. L'attribut de S. Matthias est une

cognée. preuve d'une

tradition univer-

Revenons maintenant aux traits de notre façade symbo- seiie inspirée par

1. /-w. ,,i,-ii ... 11/ les mêmes pensées

lique. On voit qu a 1 aide de ces ingénieux moyens de déco- de foi, ration qui les animent et les vivifient, tous les motifs de ter- reur ou de consolation se présentent, sur ces merveilleuses pages sculptées, aux regards et aux méditations de l'homme ; le texte en est inépuisable, aussi bien que les innombrables symboles qui en surgissent. Ce que nous devons surtout re- marquer dans cette étude tropologique de nos monuments , c'est que partout , chez toutes les nations fleurit au moyen âge la pensée chrétienne , les mêmes images se retrouvent, les mêmes vérités s'enseignent par les mêmes moyens graphiques , les mêmes symboles les expriment ; et cependant il n'y avait pas de livres qui exposassent cette théorie universelle; les traditions servaient seules le senti- ment chrétien. Liberté entière était donnée à l'artiste, dont le génie rendait avec plus ou moins de naïveté ou de per- fection la longue et poétique série des sujets iconologiques ; mais le fond restait le même : le ciel , le paradis, les vertus et les péchés, les démons et les saints; l'histoire sainte et les bestiaires revenaient sans cesse sous le regard , en deçà ou au delà des mers , comme le fond lui-même des doc- trines architecturales, comme la théologie catholique, dont

qu'on avait pris, se conformer au Saint- Hubert de par des fresques articles de foi. faut bien avouer ne s'était mêlé ration.

en diverses églises ce système avait été adopté^ de moins à une donnée unique. Il n'en était rien, et à Waville, en Lorraine, les mêmes Apôtres, représentés du (juinZ'èiiie siècle, ne triaient pas du tout les mêmes Voir Bull, monnm., t. XIV, p. 220, et XX, 188. Il aussi que c'était une nouvelle pr^'uve que le clergé qu'incomplètement ou pas du tout de cette déco-

150 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

la puissante sève animait toutes les veines de l'art chrétien. . . et qui était la véri- Qu'un peuple alusl composé de tant de famille's différentes dïmoyen^T"*^ Gst fort ct dlguc a vcc cc lleu des âmes qui l'unit dans la même morale et dans la même foi ! Nos rêveurs de nationalités ne s'y tromperaient pas plus que nous-mêmes , si cette unité prétendue , qu'ils veulent créer sans l'indispensable ciment d'une foi commune , n'était pas un prétexte maudit de tout renverser pour régner sur des ruines. Après la ruine de l'art , que leurs fatales maximes ont consommée , ils ont détruit l'harmonie des âmes. Ils ne sont plus qu'en dehors de l'Égiise , ils réalisent les contorsions satani- ques des inspirateurs de leur vie de désordres et d'agita- tions. Qu'ils y demeurent, s'ils s'obstinent à n'y pas rentrer! Nous n'en franchirons pas moins les saintes barrières pour nous réjouir, dans le monde à part qui nous est fait , de ces autres harmonies qui nous y attendent encore.

CHAPITHB IV.

INTÉRIEUR DE L'ÉGLISE.

Les sens spirituels que nous avons appliqués à la lettre de Le spiritualisme

plus actif dans

l'Ecriture sainte (1) sont également applicables a 1 église rinténeur de ré-

ii-w 1 ^ •» 'iiJi fflise qu'au de-

inatérielle. Quand nous y entrons, la matière sensiJDle n est hors. plus pour nos âmes toutes spirituelles : c'est l'esprit qui la recouvre de son enveloppe spéculative, et, sous ces appa- rences visibles à l'œil du corps, quelque cbose existe de plus élevé, de plus réel, que la foi fait comprendre, comme elle fait adorer sous les espèces sacramentelles le Dieu qui réside sur l'autel, victime substantielle. Personne parfaite, Dieu et liomme à la fois, que les sens ne peuvent atteindre, mais que le cœur contemple à travers les obscurités du mystère et sous les faibles dehors d'un Pain qui n'est plus.

Ainsi, le vaisseau sacré renferme toutes les conditions sens muuipie merveilleuses d'une figure mystique. Le symbolisme qui s'at- tiennerconsidérée tache au\ moindres faits de la religion se dilate dans cet espace Dieu réside, et les enseignements doctrinaux n'y parlent pas moins que dans les livres de nos Prophètes et de nos Evangélistes. Toute église, pour peu remarquable que la fasse sa nudité relative, n'en est donc pas moins pour le fidèle une allégorie du divin Maître, et l'Église mili- tante \e signe tropologique de l'âme clirétienne, un sou- venir toujours vivant de la Jérusalem d'En-Haut à laquelle aspirent nos plus chères espérances. Si tant de caractères

(1) Ci-dessus, t. 11, ch. m.

en elle-même.

Symbolisme de la fenêtre orien- tale ,

tlu pave , d'intailles ,

^52 HISTOIKE DU SYMBOLISME.

résultent de ce que nous avons déjà dit des dehors du Temple, nous allons le voir bien plus distinctement encore en par- courant ses nefs, son sanctuaire et ses chapelles.

Et d'abord, nos yeux aperçoivent dans le lointain une vaste fenêtre d'où le soleil jaillit jusque sur nous-mêmes et inonde de ses splendeurs les mille richesses de la maison de Dieu. Prosternons-nous avant tout; et comme autrefois les pieux croisés, à l'aspect de la ville sainte, baisèrent le sol qu'avaient touché les pieds du Sauveur, inclinons notre tête, et, après avoir franchi cette porte qui nous rappelle l'obéissance aux commandements et dont le Sauveur a dit qu'il était lui- même celle par laquelle on entre dans le salut (^l), imitons dans un véritable abaissement de notre cœur ces âmes sim- ples des siècles de foi, encore imitées de nos jours plus rare- ment, mais avec d'autant plus de mérite, lesquelles n'en- traient jamais dans le lieu béni parla présence divine sans coller leurs lèvres au pavé qu'ils allaient fouler de leurs pas respectueux. Aussi bien le pavé est le signe de l'humilité; il est la plus basse composition de l'architecture, il est pressé par tout le monde et souffre volontiers toutes les sortes d'abjection. Il tient essentiellement à ces degrés de la même pierre , par lesquels nous sommes descendus peut-être sur ce plan partout égal toutes les âmes se d'ornements fout Ic mêmc ulvcau dcvaut Dieu (2). Là, selon que notre

(1) (t Ostium obedieutia , de qiia Domiiius inquit : Si vis ad vilam ingredî, serva mandata, » (Durant. Mimât.. Ralionale,Uh. I; inihi, fo III.) -- « Ostium Ecclesiee Cbristus est ; uDde : Ego sum ostium ; per me si quis iutroierit salvabitur. Nemo enim vadit ad Patrem nisi per Christum. » (Sicardi^ Cremon. episcopi, Mitrale, lib. I, cap. iv.)

(ï) « Pavimeatum quod pedibus calcatur, vulgus est, cujus laboribus Ecclesia sustentatur. » (Sicardi, iibi iwpm.)— «Pavimentumhumilitas. deqaaPsalmista: Adbsesitpaviaiento anima mea.n {DuTSiUL ,ub i sup7^à.) -La plupart de nos assertions vont être tirées de ces deux auteurs, puis d'Hugues de Saint-Victor, d'Isidore de Séville et des autres qui , dans le même temps, ont écrit sur ces matières avec une remarquable una- nimité de principes symbolistiques. Tous les détails sont expliqués par eux dans le même sens; nous n'eu citerons donc plus le texte daq^ le

INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. -153

édifice est plus ou moins ancien et qu'il a mieuv conservé «"•'^•■^ dnbordd

'■ ^ !<( IIS symbolique.

ses ornements primitifs, ou qu'ils ont été remaniés à di- verses époques de l'art, vous trouveriez des compartiments en marbre de diverses couleurs, des mosaïques en matières dures et en émail, ou, enfin, des pierres profondément gravées et rehaussées dans leurs incises de mastics colorés ou d'un coulage de plomb. Ailleurs c'était Vopus alexan- drinum, composé de figures géométriques s'alliant entre elles avec beaucoup de symétrie et de pureté, d'un grand effet, quoique insignifiantes quant à leur but symbolique , soit qu'elles nous vinssent de l'Egypte, pourtant si préoc- cupée de ses hiéroglyphes, soit qu'elles aient paru d'abord sous le règne d'Alexandre Sévère, ce que nous supposons plus volontiers : car c'est surtout dans les basiliques ro- maines , aussi bien que dans les palais, qu'on les prodigua vers la fin du deuxième siècle. Ce genre d'embellissement suppléait aux tapis, sans se détériorer aussi vite qu'eux; il n'excluait pas non plus, après avoir bordé les nefs en y sui- vant les contours des pihers et les limites naturelles des la- téraux du chœur et des chapelles, certains grands sujets représentant des hommes, des animaux, des attributs reli- gieux. A Saint-Laurent hors les murs, près Rome, le pape Adrien P' avait, au commencement du neuvième siècle, doté le pavé d'un guerrier à cheval, portant son étendard ; celui de Sainte-Marie-Majeure garde les armoiries des Papes qui la firent construire ou restaurer. Mais l'art chrétien s'empara surtout de ces orrands ï'écondité de

A o cfs compositions;

espaces vers le douzième siècle, quand, dominant toute l'en- «l'^^ sontrempia-

^ ' 1 ' cppg pyr des alle-

ceintc sacrée, il voulut, en complétant le système général »<*"^s en mosaï- de décoration qui s'attachait aux fenêtres par les vitraux coloriés, aux voûtes et aux murs par les fresques, honorer

cours de ce chapitre, réservaot ce soin pour les autorités moins con- nues.—Voir la description de la cathédrale de Bayeux, Bull, monum., XVII . 200.

J54 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

même jusqu'aux surfapes inférieures. La ferveur y pouvait alors trouver des sujets de méditation partout autour d'elle, soit qu'elle élevât ses regards vers Celui qui habite dans les deux, soit qu'elle les rabaissât vers la terre pour songer à son indignité et à son court pèlerinage : alors la mosaïque se dessine en plus larges compartiments, et le symbolisme y trouve, comme sur les fresques murales et dans l'éclat des verrières, des histoires et des légendes. On se rappelle avec quelle mauvaise humeur S. Bernard se plaignait que l'on pût cracher dans la bouche des anges et sur la face des saints. Plus convenables, à son goût, auraient été (( ces animaux tranquilles ou luttants, lions, griffons, paons et autres, » ces fleurs enfin et ces couronnes dont Pru- dence semblait parler dès le quatrième siècle, lorsqu'il décrivait, dans une église de Mérida, « les fleurs si agréable- ment colorées, qu'on semblait invité à les recueillir dans une corbeille, sur le vert tapis d'une prairie (1) ; ainsi encore ce merveilleux mélange de végétation et de zoologie versé avec tant de profusion, vers le milieu du septième siècle, sur les dalles d'une petite église byzantine des environs de l'ancienne Tyr (2). En Italie, c'est encore le grand luxe des pavés dans les parties hautes des grandes églises, comme à Novare et à Verceil. On voyait autrefois dans le chœur de Sainte-Marie-Majeure de cette dernière ville un pavé mo- saïque représentant plusieurs instrumentistes jouant et dansant devant le roi David assis sur son trône. Ailleurs les scènes des deux Testaments s'y multiphent avec une richesse étonnante ;et y représentent à l'envi toutes les figures

(1) Saxscque cassa solum variant Floribus, ut revoluta putes Prata rubescere multimodis. Carpite purpui*eas violas Sanguineosque crocos metitc.

(Cité par M. Julien Durand, Annale% archéologiques XV 224.

(2) Annal. arcJiéolog.,XX\, 151.

INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. ^ o5

bibliques du Saint Sacrifice. A la cathédrale de Sienne, le pavé n'est représenté tout entier que par des incrusta- tions d'objets symboliques, la roue de fortune joue un des principaux rôles de ce grand draine, et semble y faire tourner avec elle des hommes victimes de leurs ambitieux mais inutiles efforts. Dans celle d'Aoste, toutes les natures d'animaux sontprodiguées: l'éléphant, symbole du grand pé- cheur, l'ours toujours féroce, la chaste licorne, toutes sortes d'animauxhybrides, et jusqu'aux quatre fleuves du paradis terrestre (1). Mais surtout on y prodigue les types variés des figures allégoriques ; alors le pavé parle, à l'instar des murailles et de toute Fornementatioii sculpturale, un lan- gage connu de la foule, au moyen des fleurs et des animaux. Des oiseaux, des léopards, des cerfs, des arbres, des san- gliers, des chasseurs à pied ou à cheval, des chiens lancés à toute vitesse, tout en occupant des cases à part, mais rap- prochées les unes des autres , concourent à une scène d'ensemble dont l'intention symbolique n'est pas douteuse : c'est encore la vie humaine exprimée par une roue tou- jours mouvante, ou comparée à une chasse active pour la- quelle le démon et ses satellites poursuivent sans inter- ruption l'innocence , dont la fuite est le meilleur moyen de salut (2). Aux douzième et treizième siècles , viennent se mêler à Pierres tombales

des douzième et

cette parure les grandes pierres tombales, gravées en creux, treizième siècles. des chevaliers, des dames , des évoques et abbés , des cha- noines, des moines et des religieuses, lesquels, encadrés en de magniiiques dais gotliiques, accompagnés deleursarmoi- ries, revêtus de leurs costumes spéciaux et portant leurs

(1) Nous empruntons la plus grande partie de ces détails à M.Albert Lenoir,qui les a consignés en 1841 dans le BuUelin du comité des arts et monuments, 1. 1, p. 240,

(2) Voir la description complète et très-attachante de toute cette iconographie dans un article intéressant de Didron , Ann. archéot., XVI, 38y;XX, ii7.

J56 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

attributs distinctifs, faisaient ainsi de chaque église une sorte de registre monumental se gardaient, avec des dates certaines et des noms illustres, l'histoire et la physionomie propre de ces temps d'héroïsme et de foi. Une cause toute matérielle contribua peut-être alors à multiplier ce genre de travail dont les ateliers des architectes. Le marbre, épuisé en France, dont les carrières étaient fouillées depuis l'introduction dans la Gaule de la civilisation romaine, fut remplacé par ces belles pierres de liais dont le grain serré et homogène avait le poli du marbre sans en avoir toute la dureté, et se prêtait d'autant plus facilement au travail du ciseau ; c'est sur de larges bancs de cette pierre que furent tracés, dans les grandes nefs des églises, quelquefois les zo- diaques, dont nous parlerons , et souvent les labyrinthes, dont nous devons dire ici l'origine et la signification. Labyrinthes. - A Polticrs, à Rclms, à Arras, à Saint-Bertin, on voyait au-

Leurs plans cli-

vers; trcfois, ct l'ou volt cucorc à Chartres, à Saint-Quentin et en

quelques autres églises, comme dans la salle capitulaire de Bayeux, de grandes figures rondes, carrées ou octo- gones, de superficie plus ou moins vaste, et présentant des compartiments multipliés formés de hgnes affectant la forme générale, Ugnes dont le fond se composait de pavés en marbre ou émaillés, et qui, toutes revenant sur elles- mêmes, aboutissaient, après maints détours, à un centre ou une extrémité commune, et d'où l'on ne revenait qu'en suivant la même voie déjà parcourue, jusqu'à l'entrée qui y avait introduit. C'était ordinairement dans la nef médiane, quelquefois dans l'une de ses adjacentes, que se développait cette figure, tout d'abord énigmatique à l'observateur mo- derne, mais dont nos pères savaient faire un excellent

leur but. emploi. En effet, par ces longs sentiers ils trouvaient

incrustés, à des distances égales, des griffons, des cou- ronnes, des fleurs, des croix et d'autres symboles à l'usage des inteUigences fidèles, ils parcouraient en priant une voie mystérieuse qui leur représentait celle que le Sauveur avait

IISTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. 157

suivie du tribunal de Pilate au Golgotlia, et qui, entreprise par eux dans un esprit de pénitence et de satisfaction disci- plinaire, remplaçait, avec l'assentiment de l'Église, les peines canoniques remises depuis les croisades à ceux qui, en com- pensation, s'obligeaient au pèlerinage guerrier de Jéru- salem. Toutes ces bètes, toutes ces fleurs et ces couronnes se trouvaient successivement sous ces genoux qui se fati- guaient dans ces détours sinueux, et rappelaient à la ferveur chrétienne ses combats de chaque jour et ses espérances de l'avenir elle aspirait, comme alors elle tendait à la croix qui -terminait ce pèlerinage symbolique. Une dévotion plus lu se résument

1,, •jxi'iii 1 aujourd'hui dans

complète en apparence, mais dont le résultat ne parle pas ]e nucruds. plus au cœur du fidèle que cette marche laborieuse d'autre- fois, a pris la place, dans nos églises, de ce voyage de nos aïeux : le Chemin de la croix arrête aujourd'hui à chacune de ses stations le chrétien qui veut laver son âme dans la méditation des souffrances divines, et prêterait encore à nos saintes murailles une touchante éloquence, si nos ar- tistes, en trop grand nombre, n'ignoraient pas absolument le sens des choses surnaturelles (1) !

Ce luxe des pavés incrustés ou émaillés se manifesta sur- Spédmens de tout au douzième siècle par des progrès dont les derniers Smc siècle, restes nous sont parvenus. On conserve encore à Saint-Denis quelques fragments curieux de l'époque de Suger, c'est-à- dire de M 22 à \ \ 53 : ils sont en terre cuite, revêtus d'un solide vernis et incrustés d'entrelacs, d'arabesques et d'au- tres ornements de la seconde période romane. On voit donc qu'à mesure que l'art chrétien se développait, on abandon- nait les premiers errements qui pavaient les basiliques en marbre et suppléaient parfois au symbohsme par la richesse de la matière et les variétés des couleurs. On serait mal reçu mai suppléés par aujourd'hui, quand la renaissance des meilleures traditions brille de tout son éclat, à ramener dans nos cathédrales les

(1) Voir uotre Hiil. de la calhédr. de Poitiers, 1, pi. i.

>I58 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

pavés alternés de marbre noir et blanc, d'ardoises et de pierre calcaire, comme on le ferait dans un vestibule d'honnête maison. C'est la honte d'un architecte d'arriver à ces mai- gres et muets résultats, quand, de toutes parts, les fabriques lui offrent à l'envi d'heureuses reproductions du moyen âge les symboles revivent pour renouveler à l'inlelligence des hommes les douces et sérieuses pensées de leurs devoirs et de leur éternité. Les murailles, et Mals pcudaut quc uous prcssous de nos pieds ce sol mys-

leur sens mysti- i i i

que. ' térieux, nous nous sentons enveloppés de la paix ; nous respi-

rons un autre air, plus pur et plus léger, semble-t-il , dans cette vaste et majestueuse enceinte. Que ces murs qui cir- conscrivent notre regard ont eux-mêmes de majesté ! comme leurs magnifiques dimensions se déroulent au loin en de merveilleuses perspectives ! S'ils n'ont pas été déshonorés par ce badigeon blanc ou jaune qui a fait longtemps toutes les" déhces de nos malheureuses campagnes ; si la teinte sombre de leur appareil, savamment taillé en grandes pierres ou en petit échantillon, conserve à l'ensemble une gravité vénérable et laisse arriver à l'âme un souvenir du plus beau temple de l'univers ; si nous voyons dans ce tra- vail de l'homme consacrant ses veilles et ses sueurs à la gloire de Dieu une sensible image de cette divine charité' qui nous a faits autant de pierres vivantes destinées à l'édifice éternel, nous comprenons qu'il faut nous assoupUr à la main de l'adorable Architecte qui, après nous avoir choisis, nous élabore et nous polit dans la pénitence d'ici-bas, afin de nous insérer un jour dans l'œuvre impérissable de la céleste Cité (^). Importance des Nous avous dit quc Ic cimeut doit être considéré comme

(1) Quisquis ambit hue venîre

Inserique mœnibus, Ante duris hic probari Debuit laboribus.

(Ancienne hymne du Bréviaire de Paris et de Poitiers, aux vêpres de la Dédi- T" cace.)

INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. I o9

fîoTurant runion des anies clans la société chrétienne. A ^««8 indiquées

Y ^ par le ciment dans

l'intérieur du temple, ce symbolisme devient plus sensible ; l'apparcii. en effet, si rien ne nous le dérobe, si de méchantes cou- ches de chaux ou d'habiles peintures ne l'ont pas entière- ment effacé fet certains spécimens en restent toujours visi- bles quelque part), on le voit diviser en compartiments symétriques toutes les surfaces apparentes et témoigner de la savante patience qui superposa lentement et avec tant d'aplomb ces mille portions d'un tout si grandiose. Gomme autrefois à l'abside de l'abbatiale du Ronceray, en Anjou, aujourd'hui encore à la cathédrale de Poitiers , des lignes transversales et perpendiculaires teintées en briques indi- quent chaque pierre de l'appareil et en laissent ressortir les mesures variées sur un fond général qui se marie très- bien avec la teinte du calcaire siliceux : ainsi ressortent ces épaisses couches de mortier inaltérable qui sont un carac- tère monumental des onzième et douzième siècles.

A travers ces teintes extrêmement légères , un autre siçnes lapidai- caractèrenon moins curieux, et toujours symbolique, nous ^^^' transmet aussi un intéressant usage des maçons de nos âges de foi. Répandus en autant de spécimens qu'il y a de pierres formant le revêtement des murs, on voit d'innom- brables signes lapidaires, imprimés à la pointe , variés à l'infini par les nombreux ouvriers qui les avaient adoptés, figurer comme autant de noms propres ou de signes conven- tionnels, et attester une fois de plus, par le plus incontes- table de tous les témoignages, comme le simple artisan mettait à profit pour lui-même ses études symbolistiques, auxquelles chaque jour l'engageait sans efforts et presque à son propre insu. Au dehors ils apparaissent également, car ^^^^ but mieux

^ , ^ connu ,

ils appartiennent à des pierres taillées par diverses mains de travailleurs, et servaient moins à déterminer leur place; dans l'œuvre, comme on a pu le croire d'abord, qu'à con- stater la tâche de chacun et le salaire qu'il en devait rece- voir. Mais, quoiqu'ils y soient plus visibles parce qu'aucune

et leur emploi g'" néralisé aux di- vers genres d"iu'- chitecture.

Les croix de con- séeration.

Les portes; leur nombre symboli- que.

^60 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

couche de peinture ne nous les cache, ils y sont réellement moins apparents que le long des nefs, ils frappent plus sûrement le regard sous un jour moinsvif et mieux ménagé. C'est dans les églises du dixième au quinzième siècle que ces symboles parlants furent surtout employés ; mais on les trouve également aux édifices militaires et civils, aux châ- teaux, aux murs d'enceinte des cités, aux maisons même des particuHers, dont l'importance atteste qu'un grand nombre d'ouvriers y furent commis. Outre des lettres alpha- bétiques, véritables initiales du maçon, les instruments du métier s'y répètent souvent par des équerres, des niveaux, des crochets, des clous, des girouettes. Des animaux for- ment probablement des noms de personnes, tels que l'oiseau, le poisson, etc.; des trèfles, des étoiles, des feuilles d'eau, des dards, des nœuds enlacés, font allusion à d'autres idées : ce sont donc de simples symboles, et non, comme on avait pu le conjecturer, « un alphabet propre à éclairer un jour la science (4). »

Bien plus importantes aux yeux de tous , et nécessaires parmi les symboles d'une église , nous voyons les croix , signe de sa consécration, radier au nombre de douze, à des distances "égales, ou sur la surface des murs ou sur les piliers qui en soutiennent les voûtes. Nous en reparlerons bientôt ; disons seulement qu'elles semblent se disséminer dans l'au- guste enceinte comme la foi chrétienne dans toutes les par- ties du monde, et répéter comme l'Apôtre aux enfants de Dieu : Fides vestra annuntiatur universo mundo (2).

A ne consulter que le sens exprès des différents détails de la sainte demeure , on ne devrait y ouvrir qu'une ou trois portes au couchant, et ce dernier nombre, c'est, nous l'avons dit, un symbole de la Trinité, représentée aussi par

(1) Voir, pour plus de détails sur ce point, notre Histoire de la ca- thédrale de Poitiers, t. I, p. 287, pi. ix; Annal, archéolog., Il, 246 et251.

(2) Rom-, I, 8. Voir BuUet. moîium., XIII, 419.

INTÉRIEUR DE l'ÉGUSE. ^6^

les trois nefs qui divisent le plan intérieur; et ce nombre trois a paru d'une si haute importance comme symbole que, dans beaucoup d'églises une seule baie est ouverte à l'occident, on a souvent simulé par deu\ autres, aveuglées à droite et à gauche, le complément (jui semblait leur manquer. On a voulu, à tort , contester ce langage mystique de la Trinité , qui paraît si clairement dans une foule d'autres détails le nombre trois ne peut se répéter obstinément qu'avec une intention évidente, et ceux qui prétendent infirmer cette raison en lui opposant les cinq portes de la façade de Bourges ne prouvent pas du tout qu'en les multipliant ainsi dans un édifice à cinq nefs, on n'ait pas voulu symboliser la Trinité par une façade qui n'en a que trois (1). Mais il a fallu aussi, par d'autres raisons, ajouter aux ouvertures normales quel- ques autres absolument nécessaires. Dans les grandes basi- liques, il devient indispensable de se prêter au dégagement du local et de donner plusieurs issues à la sortie d'une foule plus considérable; peut-être d'ailleurs que les besoins du service, la prévision des incendies et des réparations ne sont pas restées étrangères à cette multiplicité d'ouver- tures. Néanmoins, quel que soit leur nombre, qu'aucune règle Riche omemen-

, . , 1 , , ,. ., -, tation tirée des

ne détermme absolument, le symbolisme qui les a ornées de faits historiques

" .ou des figures des

riches sculptures nous y montre encore des souvenirs de la deux Testaments. Cité céleste décrite dans l'Apocalypse. Là, douze portes étaient faites de douze pierres précieuses qui semblent bien être les douze Apôtres, docteurs par excellence, dont la doctrine est la seule qui puisse introduire au ciel. A chacune d'elles, un ange était préposé; et comme leurs pierres étaient sculp- tées et taillées avec un art admirable , nous pouvons bien retrouver dans cette belle ornementation le type idéal de

(1) Voir cette objection faite par Didron dans ses Annales archéo- logiques, t. XXI, p. 141.— Ce fait très-rare ne peut ici constituer une règle, ni infirmer celle déjà reconnue et presque partout ob- servée.

T. 111. H

^62 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

tous les sujets que, dans toutes les portes de nos églises, le ciseau ingénieux du tailleur d'images s'est efforcé d'en reproduire avec une infinie variété {\]. Ces sujets, au reste, encadrés ainsi dans des tympans secondaires, sont toujours quelque trait de la vie du Sauveur, ou de sa sainte Mère , ou du Patron ; ils n'étalent pas les enseignements de la vie purgative à laquelle est convié, avant tout, quiconque veut Les portes e- trouvcr Dlcu ct cutrcr dans l'intimité de son Tabernacle. Nous

trottes.

ne serions pas étonné que ces baies secondaires, bien moins larges que celles de la façade, et destinées plus habituelle- ment à l'entrée des fidèles , qui sortent plus volontiers par les plus grandes, n'eussent reproduire l'invitation du Sauveur à ceux qui cherchent la véritable vie, la porte large, la mollesse et la vie facile n'introduisent jamais (2). Les Cavaliers Ici uous dcvous uous arrêter à un sujet de décoration

dea façades.

sculpturale, dont nous avons promis de nous occuper et qu'il est temps d'éclaircir. Aucun archéologue n'ignore les chaudes discussions soulevées en diverses revues ou assem- blées scientifiques sur le fameux cavalier qui semble s'être fièrement emparé, au douzième siècle, du tympan principal de nos églises romanes.

Il était impossible, sur ce point comme sur tant d'autres, que les esprits ne se fissent pas des thèses diverses appuyées plutôt sur des conjectures que sur des recherches, sans les- quelles, en fait de symbolisme, on ne découvre jamais rien. Aussi les champions se sont-ils égarés quant au personnage princier qui figure sur tant de façades éloquentes et y tient

(1) Voir notre explication du ch. xxide l'Apocalypse, ci-dessus, t. II, ch. XIII. S. Grégoire complète et développe toutes les idées symbo- liques posées par le prophète de Pathmos : « Portas ejus posait in la- pides sculp! os. lli quippe portée sunt Ecclesiee per quorum vitam atque doctrinam intrat in eam multitude credentium. Qui pro etiam quod magnis operibus poUent, et id quod loquentes asserunt, viventes osten- dunt,nonpwri sed sculpli lapides esse memorantur. » (Moral, in Job; Milleloqidum ; mihi, p. 257, in-f''.}

(2) « Quam angusta porta et arc ta via est quee ducit ad vitam, et pauci sunt qui inveniunt eam! » {Matih., vu, i4.)

INTÉRIEUR DK LÉGLISE. -163

la place dlioiineui-. On a été de Constantin à Charlemagne, d'Héliodore à S. Martin ; on a même été jusqu'à l'Ange de l'Apocalypse : tous rapprochements auxquels on s'est aban- donné sous prétexte d'un cavalier et de son cheval , mais qui ne soutiennent pas l'examen pour peu qu'on les com- pare avec les faits historiques trop gratuitement invoqués. Mais pourquoi vouloir découvrir dans J'histoire ce qui fut exclusivement inspiré par le symbolisme? En fait, c'est vraiment le Christianisme vainqueur de ses antagonistes qu'on représente ici sous les traits du seigneur chevalier, la plus haute personnalité de la puissance humaine, défen- seur-né de l'Église, figurant par ses attributs les plus hono- rables Jésus-Clirist Im-mùme, par qui régnent les rois^ cou- ronné , sortant en vainqueur pour suivre le cours de ses victoires, et marquant ces victoires glorieuses par l'homme renversé et foulé aux pieds de la noble monture, dont l'en- colure , la marche et toute la pose semblent démontrer qu'elle sent la dignité de son rôle et celle de l'illustre guer- rier qui l'assouplit à sa main. Qui ne voit là, sans beaucoup d'efforts, cette scène que nous avons décrite au chapitre vi de l'Apocalypse (I), et partant le Sauveur lui-môme, représenté ici sous les traits humains, comme dans le Livre sacré? Et par cela ménu3 ne rentre-t-on pas dans l'esprit des convenances chrétiennes, qui, du moment que l'esthétique s'empara des façades d'églises pour y exercer le ciseau du sculpteur, s'est appliqué à les parer toujours d'images bibliques , d'hagio- graphies, de symboles enfin, mais jamais d'aucune person- nalité qui ne fût pas honorée d'un culte public? Il n'y a donc plus à douter du caractère mystique du cavalier , si controversé jusqu'à présent, et, pour en convaincre notre lecteur, sans prolonger trop ici les développements de ce sujet, nous osons le renvoyer avec confiance au travail pu- blié par nous en ^865 , et dans lequel nous avons appuyé

(!) Voir ci-dessus, t. Il, p. 266.

164 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

cette opinion de toutes les preuves données par la science de quelques-uns de nos devanciers (^). Cependant poursuivons notre enquête. Le symbolisme Q'est cu cxaminaut ce grand ensemble du Lieu saint ,

des nombres a-t-il . . i i i i -i

été appliqué aux et cucorc indépendamment des innombrables détails qui en

mesures du lieu », » i i r ^ i

saint ?— Raisons fout la parurc, qu OU cherche a comprendre comment le symbolisme des nombres a pu lui être appliqué. Nous avons émis la raison de nos doutes à cet égard; nous répétons qu'il faudrait être plus sûr que nous ne le sommes de la juste valeur du pied et de ses parties aux diverses époques de nos principales basiliques, et avoir des renseignements écrits, dont nous manquons absolument, pour adopter défi- nitivement les calculs de savants archéologues prononçant carrément sur ce fait, que nous récusons encore. Voir dans les 77 pieds de la largeur totale d'une église les 70 généra- tions écoulées d'Adam à Jésus-Christ ; dans les ] 4 pieds des latéraux, l'union de la Loi ancienne à la Loi nouvelle ; dé- duire ainsi de beaucoup d'autres dimensions des symboles qu'a multipliés à l'infini l'imagination philosophique de l'architecte , c'est certainement fort ingénieux ; nous en avons presque fait la concession , mais nous craignons que ce ne soit pas aussi vrai que hardi (2). Que serait-il de ces savantes témérités , si l'on venait à savoir un jour sûre- ment la valeur comparative des mesures des solides , qui , aussi bien que les autres, ont varié dans le cours des siècles, selon les temps et les pays, comme les coutumes locales et les monnaies ? Il faudrait bien abandonner alors un sys- tème qui, d'ailleurs, et tout d'abord, paraît évidemment inadmissible. Il y a plus : d'habiles architectes ont comparé les dimensions partielles d'un grand nombre d'éghses, et n'y

(1) Des Statues équestres sculptées au tympan de quelques églises romanes, et de leur signi/îcation dans V esthétique chrétienne, in-S», Gaen, 1865.

(2) Voir M. l'abbé Crosnier , Iconographie chrétienne , cb. xiv, p. 154.

iMÉRiEL'R f>K l'Église. ^65

ont pas trouvé cette docte et imaginaire théorie dont nous parlent quelques archéologues modernes. Et il faut remar- quer que ce système, émis d'ahord en Allemagne, les esprits révent assez facilement, y est entièrement réprouvé par M. Schnaase , dont on sait la science et l'esprit ré- fléchi.

Nous adopterions plus volontiers, avec M. le chanoine piut^^'ldEtbie Devoucoux (^), qu'on eût voulu reproduire dans la compo- P^'Jg oSvance^ sition d'un plan général certains noms sacrés dont chaque lettre, prise pour un chiffre, comme nous l'avons vu dans le nom de Dioclétien , amenât un total correspondant aux mesures linéaires de l'édifice ou de quelques-unes de ses divisions. Ainsi la cathédrale d'Autun, d'après le savant ec- clésiastique qui en a écrit l'histoire, aurait trouvé dans le nom liéhreu de Dieu, EL , le nomhre de pieds (5 et 30} qui séparent en tout sens les arcs-doubleaux de la coupole cen- trale; Adonaï (^36 pieds) ferait la largeur totale de l'église, et Jéhovah (100 pieds) celle de la nef médiane. Obligé de nous en rapporter à ces données , qu'il n'est pas facile de vérifier de loin , et sur ce que d'ailleurs l'auteur aurait fait ces mêmes expériences dans un grand nombre d'autres églises , nous ne pouvons mieux faire que de recommander aux savants ce genre d'observation, qui corroborerait d'un fait de plus, mais non absolument nécessaire, la thèse déve- loppée et soutenue dans cet ouvrage. Noiis ne trouverions, du reste , au point de vue de nos idées , rien de surprenant dans cette application à une pareille matière des principes émis de tout temps et en tous les heux la pensée des Pères a pu s'insinuer dans l'art chrétien. Quoi qu'il en soit , les dimensions en elles-mêmes ont Rapprochement

, . , ... de cette méthode

toujours sérieusement paru a nos ecrivauis ecclésiastiques avec ce qu^ensei-

,. \ , 1 , , , , . . gnent les Écritu-

londecs sur quelque mystère qii on ne doit pas ignorer, res de i-arche de

(Ij Voir Mémoire sur la cathédrale d'Autun , par M. l'abbé Devou- coux, parmi ceux de la Société Eduenne, 1838.

466 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

xoé. Opinions pas dIus Qu'oii 116 les méconnaissait au moven âffe. Au

de S. Isidore de ^ '^ ^ -^ "

séviiie, septième siècle , Isidore de Séville , comparant l'Eglise à

l'arche de Noé , portée comme elle sur les flots de ce monde, et ayant pour pilote le Juste, en qui il résume tous les traits de Jésus-Christ , expose le symbolisme des di- mensions providentielles du vaisseau miraculeux qui répara le naufrage du monde : ce vaisseau avait trois cents cou- dées de long, cinquante de large et trente de haut, c'est- à-dire que sa largeur était le sixième de sa longueur , et que le dixième de celle-ci formait son élévation totale. Ce seraient de belles et nobles proportions à suivre dans l'édification d'ime église gothique, dont les voûtes sont tou- jours plus élevées que celles du genre roman. Pour ce dernier, il ne s'agirait que de quelques modifications inspi- rées par le goût, d'autant plus que le plus grand nombre des belles éghses du moyen âge constatent , par la diver- sité de leurs mesures, qu'on se donnait à cet égard toute licence , aucune règle positive n'ayant été imposée , tant à cause des difficultés qu'y aurait parfois opposées la confi- guration du terrain , que parce qu'on ne désapprouvait point la forme ronde ou octogone , ni môme la croix grecque , auxquelles il n'était pas facile d'assigner des me- sures également réguhères partout. Mais en supposant une église construite d'après les dimensions de l'arche , rien n'empêcherait de voir dans ce vaisseau (nef, navis] qui sauve les Élus des derniers temps , et dans ses parties principales , une complète allusion à la loi de Moïse et à la loi de grâce. Dès lors, les trois cents coudées, dans lesquelles on trouve six fois cinquante (ce nombre 50 consacré par la Pentecôte chez les Juifs), représentent les six âges du monde, pendant lesquels Notre-Seigneur n'a pas cessé de prêcher soit, durant les cinq premiers, par les Prophètes, soit, du- rant le sixième, par l'Évangile. Les cinquante coudées de large sont le signe de la charité qui dilatait le cœur de l'Apôtre ; or cette charité vient dans nos cœurs par le Saint-

INTÉRIEUR DE L ÉGLISE. < 67

Esprit , qui nous a été donné cinquante jours après la résur- rection. Quant aux trente coudées de la hauteur , c'est Jésus-Glirist lui-même, par lequel l'Jiomme s'élève à toute sa hauteur morale, et qui commença cette réforme salu- taire à la trentième année de sa vie (^ ). Les mêmes interprétations se reproduisent en d'autres tie Hugues de

1 o TT. 1 1 T Saint-Victor,

termes dans Hugues de Samt-Victor, le grand symboliste du douzième siècle. A son avis, la longueur de l'arche, qui est toujours l'Ég-lise, arca Ecchsia, est^ dans ces trois cents cou- dées, la connaissance parfaite de la Sainte Trinité se manifes- tant à trois époques différentes, par l'action visible du Père seul d'abord, puis du Fils dans l'Incarnation , et enfin du Saint-Esprit quand le Fils est remonté vers son Père. La lar- geur désigne l'effet des bonnes œuvres, l'action méritante en- vers le prochain ; puis la hauteur indique l'excellence des trois principales vertus , dites théologales , parce qu'elles élèvent l'homme jusqu'à Dieu (2). Ces principes sont consa- J* ^»>"ant dn crés, à la fin du treizième siècle, par Durant, qui n'a donc pas tant inventé que suivi les prétendues exagérations qu'on lui reproche. « L'Église, dit-il, s'étend en long , en large et en

(1) « Arca Ecclesiam demonstrabat, quee natat in fluctibus mundi hnjus... Treceiifis cubitis longa est, ut sexies quinquaginta coirplean- tur, ?icuL sex a^tatibus omne hujiis saeculi tempus extenJitur, in quibiis omnibus Christus iiunquam destitit pra^dicari, ia quinque per prophe- tiam denuutiatus, in sexta per Evangelium diffamatus... Quod vero cubitis quinquaginta latitudo ejus expanditur, unde, nisi charitate spi- rituali. l'ropter quod Apostolus dicit : « Chaiiias l'ei diffusa est iii cordibus nuslris per Spirititm Sanclumqiii dalusest nobis (Rora.,v,5). Quinquagesimo enim die post resurrectionemsnam Christus SpiritHUi Siinctura luisit. Quod autem altitude in triginta cubitos surgit... quia Christus, altitudo uostra, qui triginta annorum gerens aetatem^ doctrinain evangelicam consecravit...» (S. Isid. Hispal,, Quxdt. iîi Gen., cap. vii; t. V, Migue, lxxxfii, p. 230.)

{'!) « Arca, Kcch.'sia... Longitude arca3 est coguitio perlecta per tria tempora Sanctae Trinitatis; latiliido, effectusin proximuui boni operis; altiludo, excellentia triuui principaliuiu virtutum : fidei, spei, charita- tis. » fflug. ci Sancto-Victore, Serin, lxii, Migne, t. clxxvii. col. 1090.) —Voir aussi dans ce même auteur : De Arca Noe morali, lib. I, cap. iv, sub fine.

468 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

» haut : ii faut voir dans ces trois sortes d'espaces la longa- » nimité et la patience qui soutiennent l'Épouse du Christ » dans sa marche vers la patrie, la charité qui dilate son » cœur et lui fait aimer en Dieu ses amis et ses ennemis, et » enfin l'espérance des récompenses futures qui lui fait ac- » cepter également les hiens et les maux de cette vie, jus- )) qu'au jour elle recevra l'héritage du Seigneur dans la » terre des vivants (^). » Le crucifiement Au milicu dc CCS pFoportious quî ont toutes leur langage,

du Sauveur sym- ^ i ^ i /•

boiisé dans le plan uu autrc symholc apparaît et s y rattache a la lorme cru-

général de l'É- t»,i,'i l^i.^

ghse. ciale que nous avons exphquee et dont il complète le

sens. Ce n'était pas assez d'avoir voulu rappeler que la croix était le salut et la vie : il fallait y clouer pour ainsi dire de nouveau Celui qui s'y était fait victime, et dont le Sacrifice journalier se perpétue dans le temple. Aussi regardez bien : vous verrez que la disposition matérielle du monument représente le corps d'un homme. Le chevet [caput] en est la tète ; les bras de la croix sont les bras et les mains du cru- cifié, et les jambes sont simulées par la partie occidentale de la nef (2). De la sorte se reproduit très-bien la tradition, déjà posée dans ce livre (3), que sur l'instrument de son

(1) « Ecclesia longa lataque surgit in altuni, id est in alta virtutum. Longitude cujus ionganimitas est qua patienter adversa toleret donec ad patriam perveniat. Latitudo charitas est, quae dilatione mentis ami- cos in Deo et inimicos diligit propter Deum. Altitudo vero spes est future retributionis, quia prospéra et adversa contemnit, donec vi- deat bona Domini in terra viventiuui. » [Ration., lib. I , lubr. i; mihi, yo 3.) _ Isidore de Séville applique ces mêmes mesures mystiques à la vie morale du chrétien, De Offtc. ecclfisiasl., lib. I, cap. xxx.

(2) « Dispositio autem ecclesiae materialis modum hiimani corporis tenet. Cancellus enim, sive locus ubi altare est, caput reprsesentat. »— (Du temps de l'auteur, el jusqu'au douzième siècle, l'autel était toujours dans l'abside; on ne l'en sépara que vers cette époque, commen- cèrent les déambulatoires entre le chevet et l'autel qui s'en éloigna de quelque distance.) « Crux ex utraque parle brachia et manus; re- liqua pars ab occidente quidquid corpori superesse videtur. » (Durant., ubi suprà.)

(3) Cf. ci-dessus , LU, p. 442; et aussi Pastoral de S. Charles, part. IV, tit. m", ch. vu.

INTFilRIEUR DE L'ÉGLISE. ^69

supplice le Christ a\ait le visage tourné vers roccident, d'où il appelait vers lui les nations païennes. Des symbolistes modernes ont môme regardé comme figurant les clous de de la croix ces coupoles arrondies qui signalaient au dehors les travées de la voûte; et les portes du sud, du nord et de l'occident, comme les plaies des mains et des pieds (I). Il y a plus : en certaines églises, une sorte de renflement se ma- nifeste vers le milieu du vaisseau, pour mieux rendre l'expansion de la région costale dans l'homme (2). Quoi qu'en aient dit certains penseurs à qui le symbolisme n'était pas assez connu il y a vingt ans, nous croyons avec d'autres, bien plus autorisés par leurs études, qu'il faut attribuer ce phénomène de construction bien plus à la pensée que nous suivons ici qu'à un procédé de perspective qui peut en résulter sans en avoir été le motif déterminant (3).

(1) Gretzer, De Sancla Cruce Clirisli, t. 1, lib.l, cap.xxvi, Ingolstad, 1616, in-fo. Ce livre renferme beaucoup de choses curieuses^ comme l'immense érudition de l'auteur sut en faire passer dans la plupart de ses écrits, au milieu de ce dix-septième siècle, qui pourtant s'éloignait ai fort des traditions de la vénérable antiquité. On ne lit plus ces ou- vrages du savant jésuite : mais ceux qui osent les aborder y peuvent re- cueillir une érudition solide et d'attachantes notions des choses sacrées.

(2) Ceci se rattache évidemment. à une époque où, d'après une tra- dition que nous avons vue erronée (ci-dessas, t. II, pages 439, 452), les deux pieds du Sauveur eussent été attachés à la croix par un seul clou.— C'est ici le cas de faire observer combien M. VioUet-Leduc s'est trompé dans son Dictionnaire d'architecture, lorsque, parlant de cette forme donnée à nos cathédrales, il n'indique en rien le principe d'es- thétique d'où elle est sortie. C'est uu péché de matérialisme bien involontaire sans doute dans l'habile architecte, mais il n'y apparaît que par suite d'une étude incomplète de cette im[)ortante partie de l'art religieux. Au reste , Didron avait reconnu ce symbole en traits frappants dans la cathédrale de Reims. Il remarque même que l'exigniLé du chœur et du sanctuaire , relativement à la nef, qu'on blâme à tort, faute d'en comprendre la raison mystique, représente d'autant mieux la tête et le coude l'homme. {Yolr Annal, arcliéulug., XIII, 294.)

(3) M. l'abbé Godefroy , professeur d'écriture sainte au séminaire de Nancy, attribuait ce caractère à l'un des canons apostoliques qui rap- pelle dans l'église matérielle la forme du navire, symbole de l'Eglise spirituelle. Cette explication, ôien qu'attrayante, dit-on, fut cembattue

no HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Déviation de Quelque forcés que puissent sembler à certains ces

l'axe longitudinal ^ ^ -a r

du nord au sud. apcrçus, pourtaut très-bien établis d'après maintes expé- riences, il en est un autre sur lequel personne n'hésite plus, et qui apparaît d'ailleurs trop évidemment pour n'être pas généralement adopté : c'est la déviation systématique de l'axe longitudinal qui se remarque en toutes les églises , si antérieures qu'elles soient au quatorzième siècle, et dont on a faussement attribué l'extension à l'art ogival (^1). Cette déviation, qui caractérise notre église Saint-Jean de Poitiers, justement attribuée au quatrième siècle, est une incli- naison de la ligne médiane du nord au sud, et part du chevet en se continuant jusqu'à la porte occidentale. Par ce moyen fort ingénieux, et qui parfait autant que possible l'attitude plus ou moins cambrée d'un corps qui s'affaisse- rait sur la croix, on a voulu certainement symboliser cet autre affaissement de la tête du Sauveur rendant son dernier soupir (2). La faire pencher vers le nord , c'était peut-être une touchante pensée qui rapprochait les derniers regards du Fils expirant, de ceux de sa Mère, debout, gémissante à ce côté de la croix ; c'était probablement aussi, sans que nous

par des archéolof^ues naluralisles ,. comme il y en avait encore beau- coup. Nous préférerions la pensée de M. Godefroy à la leur, parce qu'elle a du moins l'avantage de rentrer dans les principes spiritua- listes, qui ont partout et toujours présidé à l'architecture chré- tienne.

Nous voyons, dans cet accord unanime à reconnaître le renflement de la nef par le milieu , un des détails qui tiennent à l'intention si gé- néralement reconnue de figurer dans toute l'étendue de la croix archi- tecturale le corps humain, qui symbolise celui du Sauveur crucifié.— Voir le compte rendu du congrès scientifique de Nancy tenu en 1850, Annal, arrhéolng., X, 263. Un peu plus tard , en 1853 , on vit M. Di- dron, mieux inspiré par des études plus complètes, fortifier notre opi- nion par les observations que constate cette page de ses Annales.

(1) M. l'ubbé Crosnier {Iconographie chrétienne , p. 93) nie ce prin- cipe; presque toutes les églises romanes proclament le contraire, et notre savant confrère de Nevers n'a pu faire qu'une inadvertance en établissant comme un fait ce qui se trouve contredit par tous les mo- numents de notre pays.

(2) « Et, inclinato capite, emisit spiritura, » (Joan,, xix, 30.)

INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. H^

en trouvions la preuve directe, mais par une idée qui ressort bien des principes généraux admis sur le symbolisme de l'orientation, exprimer cette soif du salut des nations perdues dans les ténèbres, soif que le Sauveur venait de proclamer bien haut par une de ses dernières paroles : Sitio {\ ). Mais que dire de cette invention, par trop subtile, qui a fait certains archi-

^ i j i tectes exagèrent

croire à certains archéologues qu'on aurait pu forcer une si ce principe en

Poitou, en Berry

belle idée en l'appliquant au hasard à d autres qu'à Notre- et ailleurs. Seigneur Jésus-Christ? Il est certain que cette règle de l'in- flexion des églises, une fois généralisée, a subi quelques imperfections de la part de tels ou tels architectes qui en ont exagéré l'application, faisant subir à leurs plans une dévia- tion si brusque et si mal ménagée, qu'au lieu d'y être l'objet de réflexions sérieuses et scientifiques, elle n'accuse qu'une imperfection considérable aux yeux de l'observateur ins- truit, comme un défaut d'intelhgence architecturale pour qui n'en a pas le secret. On aura trois exemples frappants, entre un assez grand nombre, de cette aberration remar- quable, si l'on entre à Notre-Dame de Montmorillon, à l'ab- batiale de Saint-Savin ou à Saint-Génitoux du Blanc en

(1) Juan., XIX, 28. Nous n'avons vu donner nulle part cette raison, mais elle ressort trop évidemment des traditions chrétiennes sur les points cardinaux pour n'être point devinée. Au reste, il est certain que les figures de Noire-Seigneur crucifié faites au moyen âge et penchant la tête sur l'épaule droite nout presque pas d'exceptions. 11 en est de même de riuclinaison de l'axe des églises, qui toujours va du nord au sud. Un ou deux exemples contraires, à nous inconnus, n'infirmeraient pas le principe, qui s'appuie sur des notions piécises, sur d'exactes re- cherches, Comme ou peut le voir dans une notice sur ce sujet qui , sans être exempte d'erreurs qus nous combattons ici, est intéressante par le fond de ses données sur la matière (voir Ballet, nionum., IX, ooO). M. Blavignai-, auteur d'une bonne lllsloire de Varchileclure sacrée du quatrième au dix ib ne siècle, ne s'est donc pas égaré en consacrant comme une vérité cette excentricité de la ligne droite qui rejette un peu de côté le tracé des voùles déjà admis dès le quatrième siècle ; et DJdron, qui lui reproche avec raison de s'être trompé dans l'inter- prétation forcée de certains autres symboles , aurait pu lui éviter , en 1854, une observation qu'il n'exprimerait pas aujourd'hui. Voir Ann. archéolog., XIV, 63.

Fausses consé- quences qu'en ti- rent quelques ar- chéologues.

172 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Berry. on voit la ligne oblique se séparer violemment et sans ménagement de la ligne droite, et cette anomalie scienti- fique sort réellement des proportions gardées dans la généra- lité des monuments religieux. A quoi attribuer un tel excès, sinon à un léger défaut du plan, ou peut-être aune intention d'en mieux accuser le symbolisme ? Mais prêter au maître de l'œuvre une pensée qui détournerait ce motif architec- tural de sa destination sacrée ; le séparer de la forme cru- ciale de l'édifice, à laquelle il faut rattacher forcément le supplice duFils de Dieu, pour faire de ce moyen une allusion aux tourments d'un martyr, c'est ce qu'on n'admettra jamais sans dénaturer le principe même aussi bien que l'histoire de la science allégoristique, laquelle s'est fait, à l'égard de Dieu ou de chacune des Personnes de la Trinité, des théories exclusives et incommunicables : ainsi nous verrons le nimbe crucifère uniquement réservé à ces trois Personnes, à qui seules est due notre adoration, et qui, par un accord una- nime, ont correspondu à l'œuvre de la Rédemption par la croix {]). Mais se persuader que les prétendues contor- sions du plan observées à Saint-Savin soient un symbole du martyre souffert sur la roue par le patron de cette église ; croire que ces mêmes errements suivis à Saint-Génitoux du Blanc expriment, par une subite intersection entre le chevet et la nef, la décapitation du saint Patron (2), cela est plus

(1) « Divisit sibi opus reparationis nostrae misericordia Trinitatis ; ut Pater propitiaretur , Filius propitiaret, Spiritus Sanctus igniret..., quoiiiam, sicut Apostolus {Gai., iv , 6) ait : Misit Deus Spiritum Filii SUT in corda nosira. » (S. Léon pape, Serm. lxxvii; de Penlecosie, m. 0pp. 111,226.)

(2) Voir cette thèse soutenue avec trop d'ardeur au congrès archéo- logique de Poitiers en 1843 , Bull'i. nionum., IX , 552. L'auteur de cette ingénieuse invention , qu'ont adoptée avec trop de confiance d'autres archéologues de talent (ibid., XIII, 403), exagérait un peu les prétendues contorsions du plan de Saint-Savin , dont la déviation , quoique très-sensible, comme tant d'autres, ne présente cependant pas l'exagération outrée qu'il veut bien lui donner. On voit d'ailleurs très- bien, dans le curieux ouvrage de Gallonius (De Crucialibus marlyrunif p. 37, pi. ix), que les contorsions étaient impossibles au supplicié sur la roue, son corps avait forcément une position tour à tour perpen- diculaire ou horizontale.

INTÉRIEUR DE L'ÉGLISE. ilS

qu'une illusion pure, puisque, d'un côté, le martyr attaché sur la roue l'était en ligne droite, la tôte et les pieds succes- sivement abaissés ou relevés par le mouvement continu de rotation, et que, d'autre part, S. Génitoux, honoré au Blanc, n'est pas un martyr, mais seulement un saint confes- seur qui fut abbé en Berry au cinquième siècle (1). L'ima- gination est une magnifique faculté, mais elle doit se subor- donner à l'histoire, qui ne gagne rien à ses rêves les plus subtils. Cette idée ne serait jamais venue à des architectes aussi instruits des règles du mysticisme et de l'hagiologie que l'étaient ces moines des onzième et douzième siècles, dont l'œil surveillait de si près des plans travaillés par eux avec une si profonde connaissance du spiritualisme chré- tien.

Quoiqu'il en soit, on voit par tout ce qui précède quel Arcades murales. soin s'étaient donné ces pieux constructeurs d'assigner à ce vaste et bel ensemble une place d'honneur dans la théorie générale du symbolisme architectural. Tout n'est pas dit cependant sur cette merveilleuse harmonie entre les parties et le tout; nous sommes ici protégés par une voûte, éclairés par des fenêtres, entourés de chapelles laté- rales ; nous pouvons passer de la nef médiane en des bas- côtés qui, sans en être séparés, s'en distinguent au milieu de piliers sveltes et élégants; peut-être môme des arcades accolées aux murs et se répétant trois ou quatre fois sous chaque travée y font-elles une ornementation mystérieuse, à l'instar des portiques de la Cité divine dans l'Apocalypse.

(1) L'auteur , toujours dominé par la préoccupation scientifique ; avait confondu, pour établir un fait docile à ses conjectures, S. Géniton ou Genitour du Berry avec celui de Touraine. Celui-ci fut martyrisé, en effet, au quatrième siècle, avec ses sept frères et leur mère S" Maure à l'endroit fut fondée ensuite la ville qui porte ce dernier nom. Il y est honoré au 25 octobre , d'après les martyrologes de Châtelain et de Saiiit-A liais. L'autre n'est que confesseur, et son culte se fait au Blanc, dans une église paroissiale de son nom, le 30 octobre, d'après les mêmes autorités.

]1Â HISTOIRE Dl SYMBOLISME.

Quant à celles qui supportent les voûtes , et dont les arcs- doubleaux se dessinent en plein cintre ou en pointe ogivale, ne sont-elles pas aussi comme ces demeures différentes dont parle la Sagesse du Verbe et qui nous attendent, selon nos mérites, dans la maison de son Père {\ ) ?

Chapelles laté- Qj^ cu pcut dire antaut de ces chapelles qui, se révélant surtout au onzième siècle, elles apparaissent au nombre de trois au fond de l'église, se multiplient, à partir de l'époque de transition, le long des nefs latérales et s'y avancent de plus en plus vers l'ouest au quatorzième siècle, ramenant ainsi, selon les besoins d'un plus grand nombre d'autels, à l'usage consacré dans les catacombes par les confessions particu- lières et les mémoires des martyrs (2j. 11 est vrai que le grand nombre des Saints qui, dès le temps de S. Bernard, envahissent le calendrier, jusqu'à deux ou trois pour le même jour, nécessitait cette multiphcité des chapelles, qui leur sont, dès lors, dédiées dans une même basilique. Iln'en est pas moins vrai que ce sont encore comme autant de haltes sacrées sur la route du palais éternel : ce sont des retraites ménagées à la méditation au milieu de cet im- mense intérieur la foule va et vient. La piété y est plus sohtaire et plus attentive; son recueillement y est moins troublé, et le ciel qu'elle cherche y devient plus sensible à

Le» bas-côtés. SOU amour et à ses espérances.

Et ces nefs secondaires qui dépassent les chapelles pour

(1) « In domo Patris mei mansiones multae sunt, » [Joan., xiv, 2.) '2) Voir Raoul Rocbette, Tableau des catacombes , p. 91 , l'au- teur, en constatant ce fait de la multiplication des arcuala dans la Rome souterraine, comprend bien mal ce qu'elles avaient de touchant et de religieux, et leur trouve l'immense défaut d'avoir rompu la ligne droite, dont le brave académicien se montra toujours si jaloux. C'était bien préluder au système qui proscrivait , dans un rapport officiel à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, l'emploi du style ogival dans l'église projetée de Sainte-Clotilde de Paris : c'était raisonner en homme qui ignorait jusqu'aux éléments de l'esthétique chrétienne. On peut voir tout cet échafaudage de mauvaises raisons exposées par lui et réfutées par des archéologues éminents dans le Bulletin monumental, Xn, 543, 547 et suiv., 561, 564, 568; et XIII, 51.

INTÉRIEUR DE LÉGLISE. n5

mener jusqu'à Tabside destinée au tabernacle du Saint des Saints, ne sont-elles pas, à la suite de ces portes plus étroites qui y donnent accès, cette voie plus lar^e et plus facile qui conduit l'âme voyag^euse par les diverses stations de la vie humaine jusqu'au lieu de son repos pour toujours? Il n'y a pas jusqu'aux tombeaux (ju'on y a souvent élevés qui ne parlent un langaoe plein de leçons. Si de tout cela nous consi- ^o nombre trois

' ^ o 1 •■ symbolisant la

dérons maintenant l'ensemble, ne vovons-nous pas la ^^rande Trinité, toujours

ot partout.

et tbndamentale notion de la Trinité des Personnes dans un seul Dieu, lorsqu'à la fois se présentent à nos regards ces trois nefs qui, partant de trois portes, aboutissent à trois ab- sides que trois fenêtres éclairent ? Ce nombre mystérieux se reproduit ainsi toujours et partout. Une si haute conve- nance a été sentie si nécessaire, que fut une seule ab- side orientale, chacun des bras de la croix se termina pai" une autre abside, et que la lumière éternelle sembla jailhi' dans le temple par une triple voie dont il n'était pas pos- sible de méconnaître l'intention : ainsi avait-on fait, dès le i[uatrième siècle , à Saint-Jean de Poitiers. Il n'en fut pas autrement des trois nefs. Quand l'espace fut trop étroi- preuve de cette

, , , , , . , . , . - prétention dans

tement donne a une église du onzième siècle, on poussa l'é-iise de la caii-

Ior6 60, V6ndé6

l'amour du symbolisme jusqu'à lui donner des bas-côtés , ' en dépit des dimensions générales qui s'y refusaient : telle est l'église de la Gaillère, au diocèse de Luçon. , nous avons observé avec étonnement un plan régulier d'église romane à trois nefs, mais dont les deux latérales sont telle- ment rétrécies qu'un homme n'y passe qu'à peine entre les piliers et les murs d'enceinte ; les voûtes s'y dévelop- pent tout au plus en un arc de dix degrés, et les bases des colonnes se réunissent presque entièrement sur le pavé qui les supporte. Evidemment, pour façonner ainsi un si petit espace, et n'y vouloir pas sacrifier le principe ternaire, il a fallu que la règle inspiiât un grand respect.

Ouelques églises, comme Sainl-IIilairc de Poitiers et Saint- Églises à sept Sernin de Toulouse , ont reçu jusqu'à sept ou cinq nefs , à '''"'i"®»'

-176 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

l'exemple de quelques basiliques romaines. Nous ne recon- naissons aucune raison symbolique à ce nombre, qu'auront déterminé probablement les seules conceptions d'un plan plus grandiose, lequel, il est vrai, en étendant l'espace, sem- blait s'efforcer de donner une plusjuste idée de l'immensité quelquefois à lieux dc Dicu. Nous uc voyous pas assez par quelle raison les

seulement chez les ... ... ^ . ^ •^^ ^^ vi

Dominicains. Dommicaïus, origiuaircs du treizième siècle, ou les règles architectoniques étaient si respectées dans leur sens ana- logique , ont donné à leurs églises deux nefs seulement au lieu de trois , dont l'existence se rattachait à tant d'autres caractères significatifs. A Toulouse, à Paris, et bien ailleurs en France et en Espagne, cette sorte d'exception se remar- quait , et les deux nefs , séparées par un seul rang de colonnes, aboutissaient à une abside commune : c'était peut- être pour rendre plus exactement le texte de la Sagesse : Sa- pieniia... excidit columnns septem {\ ) : trois nefs en auraient nécessité quatorze... Mais ce puritanisme architectural, il faut l'avouer, a mal réussi ; on s'est bien gardé de l'imiter en Italie, les trois nefs sont toujours conservées. D'ail- leurs , l'effet d'une église à deux nefs n'est que peu com- mode et fort disgracieux. Revenons donc à celles qui ont respecté la méthode universelle. Divers systèmes Au milicu dc ccttc vastUé, commc disait Montaigne, s'élè-

sur le nombre de

piliers; vcut douzc coloiiiies dans la plupart des édifices : c'est en

souvenir des douze Apôtres , colonnes et fondements de la vérité ; quelquefois on en compte quatorze, comme à la ca-

(1) « Sapientia aedificavit sibi domum, excidit columnas septem. » {Prov., IX, 1). Ed examinant les interprétations propres à ce verset des Proverbes, on y trouverait le motif probable qui a fait adopter par les enfants de Saint-Dominique cette disposition des sept colonnes. Ce nombre ayant paru aux commentateurs le symbole'des sept dons du Saint-Esprit ou des sept sacrements que l'Église devait promulguer, il aura peut-être semblé convenable à la nouvelle famille religieuse, fondée au treizième siècle pour s'élever contre les hérésies et l'indiffé- rence du siècle, et s'appliquer aux œuvres indiquées ici parla Sagesse divine, d'en compléter l'expression en prenant à la lettre ce dernier verset.

INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. 177

tliédrale de Poitiers , peut-être alors elles symbolisent la perl'eclioii (1) ; à moins (in'on ne préfère y voir le nombre sept doublé à cbaque limite de la nef principale, et espaçant, comme les sept jours de la création, les œuvres de la vie spirituelle répandues dans le saint édilice avec une si géné- reuse profusion. En effet, s'élcvant jusqu'aux retombées leu.- symbolisme des nombreuses arcades qui séparent les nefs et les travées, embellies daiis leurs élégants chapiteaux d'une foliation dont les belles ciselures ne le disputent en mérite qu'aux intelligentes légendes qui les y remplacent parfois ou qui s'y mêlent ; ornées jusque dans leurs bases de légères den- telures , de gracieux festons , de roses épanouies, de fleurs fantastiques : soit qu'elles s'élancent, rondes et minces, sous une > oùte du onzième siècle , soit qu'à leur masse cai'rée viennent s'accoler , comme au douzième, des demi- colonnes engagées , flanquées encore de plus petites dans chacun des angles rentrants : on n'y peut méconnaître l'at- tribut de cette force supérieure qui soutient l'œuvre admi- rable du monde créé , non plus que cette vertu de l'âme chrétienne qui s'élève de la terre au ciel, et ne résiste ici-bas à toutes les tentations et à toutes les épreuves que par la ferme espérance de /a roy«i^^e5'w/;i'awrapâ[5c?e/?w. Mais à les et ceiui do lems

déUiJs.

(1) Le nombre 14 est celui de la perfection parce qu'il signifie rnnion de la Loi ancienne et de la Loi nouvelle : 10 représentant la première par le D6calogue, et 4 la seconde par les quatre Évangiles. 14 multiplié par 10 produit 140, qui est le sommet de la perfection, l'Église étant ligurée par le Tabernacle, dont Moïse compléta la déco- ration par les dix rideaux ou courtines dont il l'enveloppa (Ëxjcod., XXXVI, 8) ; et 14 renferme l'un des mystères de la génération tempo- relle du Verbe, étant le nombre des familles qui se comptent {Maith., I, 17) entre Abrabam et David. C'est encore le nombre 7 multiplié par 2 que S. Augustin appelle le nombre de la Loi de grâce {In psalin. cl). Les sept sacrements, les sept dons du Saint-Esprit, sont les sept co- lonnes élevées par la Sagesse divine dans la maison qu'Elle s'est con- struite : Sapienlia xdificavil sibi domiun, excidit columnas septem {Prov., IX, 1). Ce sont encore les sept étoiles de l'Apocalypse (i, 16), tenues dans la main du Fils de l'Homme. Voir, sur tout cela, S. Mé- liton, De Numéris, da.ns sa Clef de VEcrilure, vu (Spicileg.Solesm., IH, 285,286 et 288).

T. m. 12;

I7S inSTOlUK m SYMROI.lî^MK.

t'onsidihvr on parlicnlitM' ol dans lours ihMails , il lanl \o'\i dans (vs snpports do la \oûlo lo sxnibolo dos ô\i\]nos, suo- oossonrsdos AptMros, sonlonanl la \iodo ri\jilisopar la parolo divino , oonuno otaiont, an diro do S. Panl, Jaot]nos, Piorn^ ot .loan , los iirands ol intivpidos prôdloalonrs dos ponplos païons (O.liOsbavSossonI loshonunosaposioliipios. lospnMros qui coop^ront A l'aolion fondaniontalodo l'ôpisoopal; onlin, los ohapiloanx soni los parolos de V\\c\ iinro. (jni \ sonildont iiiscritos par \ouv parure*, poinu* ou sonlptiS\ don dosi'tMi- donlponr nons dos onstMiiiuMniMils à niodiUM" cl d(S r^iilos A suivro : oo qui prouxcMail on('()ro (rc'^s-bion, an hosoin. ijno rion do oos ornonionls ajionoos dans oos iiraoionsos oorhoillos n'a jamais inan(|nô d'nn sons moral ol [oui spirilnol 2^. Knoor«oos croix vis-;V\is (los oi)l(Mnios . SUT lo plal (los unn's , ol (inoliino-

*io oonstvnuion : i i i

fois snr K^s 0(^l(>nnos (^llos-nu^mos, ap}>araissonl , dans un oorolo an fi^nd divorS(Mn(Mi( ('olorii^ , dos omi\ i^i'i^'ipios d()nl los (•cnihMU's ol la d(>rnr(* ('(nilribnonl j^i lairt* un ri('lu» orn(Mn<Mil : oo son! K^s plaocs (\>nsa('r(N*s par Tt^nolit^n du Sainl ('lu't^no h^rs {\c la dodi(\u'(^ dn saint licMi . (M doni nous a\ons doj;"^ dil un mol; loni" n(>ml)ro do dou/.o rappollo onooro los Apoiros. (|ni, ou lo voil, ri^viomuMil sonvoni dans la ponsi^o s\mbolisti(ino. Pour rondro pins onlit'^romonl ootto ponst^'o, on a ôl(\ on mainlosôi^lisos, jns(]n'A fairo lonir oos dou/o oroi\ par los di>n/.o ootupajinons dn San\onr; ooiiosdoirt s.uni.> ainsi à la ï>ainto-('bapollo do Paris ol ;> ï^ainl-llnborl de' otaoSrtùu' ihiborî \\ ar\ illo(.VIosollo). Dans co dornior oditioo.on dobadiiioouua, (Ml iS'iT, tiHilo la soii(' dos nuMnbrosdn l'tdloiio aposloliquo. Klcvés snr \c mur à sopt ou huil piiuts an-d(*ssns du sol . obacun d'on\. los piods uns, portail nno lonuno robo ot nn

(1) « OolmniKV i\\\yV (hMimm fuK-iiuU :^unl Ispisoopi. (|ni luaohinain Kcclcsia» verbe ot vita snslentaiit... .laoobus H Coi^hu;^ ot Joainvod, ut ait Apotîtoluei {(uil., H, 0). viilobanhir os^o oohnuna\ ^> ^SioaiMi. loc. cit.)

(2) « Haiîcs columnanim t^unt, aposlolioi viri, univor^aloni KoiMoj^ia^ niaobinain supporlaiito.*... CapiloUa sunt vorba sanota* Sori\>tnra\quo- runi nuvlitatioui sub(iiiuur. ot obsorvanlia». » {l'hi supn).)

i\o \\:\r\mo.

brge mmîtm , lofdi» aakat aUemathaMat Uei» «i

é^enMie: one imcf^itm 4kul k«r MPM ea as^ksns ée kar télé. QBdfwsMns^ $, fkrre «15. tad, |arei«KfAe«fortûeBl#me mam %mr aftritatspédal; FMlre, ik im.wtajft le 4iii|ae Ii0f4é 4e f^sie» et fiiliii é( Umàn wiéei htiSÊàkaâ, ks ems d'or : ce 4mMV r/ik élail «HMé à dbaon, et fl soMMutk rM^ av^et on lefaMgf é'entraia et 4e 4içttté qoi igifiiraif, as tretzîéa^fièek, b beik^ioiiae 4erait,4»M fttft^tM» liirnlîiqpieii ; Htttf b dnss ea aiait f*^^ rcMOit 4étniJt feasenlile. ksi tpmàkÊm iiéde, <m Tarait frfnêmàf etalorai,4ait§ mtggMe 4e peartre emtnat mmuk hku tamâsnix^ que les f«été4eÉtes, «a t'était iosifvré 4e b I^gea4e, et iMize^ iMit en firéKiilaja lean eatoofées d'un €«rde ridbeMeat omé, fflrtaknt 4aas m fhjbetére rartkk4aCra4$*, dkaeiui était eewé arar ré4i^. SMunetooley et toat biennaflûné, aoiis ftétete- ma» b bctore 4a IreiziêMe »éck â cdk 4a qniityiêie. Il^,eaee4emier teoq^. b dé'^î^r: -f^ f^n^pifiilii!» ie binit senlir (l>.

Mats que ce»i>i^^v<aiéfaUesjgaiiikiKiitksfaiTb 4a _T<frMu<t teflq4e oa s'aenkat ea sfatœi aox fâien çf dl» fKnwn- nilkat far oa nooi sacié, DOS fieçud^ attires par ces haaies et gracjgaaes coioones rers ks coulas saiantes fo'die» atteâgneot prjor ks footeair, n*a4aiireat fos mcn» b buv 4ieaK ones riaâbfaablik attita4e 4es aoti». La eaoore, toot park â fcsprit et aa œor 4a dbretifa. Araot qœks routes eaoMeikiasTianeat sigaakr 4am Xn^Èà- tettare on progRS 4e Fére oi^crrîngieaae, oa o'arait fias, 4ef«i§ ks çranieslttiibiaesrMnaiacs, qae4esfbfi9aâi ea botf , fbts oo dniréi, d'un fraiafl ffais oa laoïiis altarfanif^

AOfei, «M»., XX, m et

480 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

mais auquel se mêlait toujours quelque mystérieuse donnée : des serpents en colère sortaient des murs, au- dessus de la simple et grossière corniche qui en terminait l'élévation, pour engueuler des entraits jetés sur les cliapi- Diversités de [^ux des pilicrs de la nef. Des anges semblaient, ailleurs,

leur ornementa- ^ '-'

tion peinte ou soutcuir lo faîtc de l'édifice, ils entourent, invisibles, le

spulptee.

(abernacle du Fils de Dieu; les poinçons s'élevaient en co- lonnes sculptées jusqu'au point intermédiaire de l'élégante charpente, et ce que le ciseau du sculpteur en bois n'avait pas exécuté, le pinceau l'avait représenté en coloriant les oiseaux, les quadrupèdes, les fleurs, tous symboles dont les l'ouïes s'émerveillaient, et dont on voit encore, en Bretagne plus qu'ailleurs, les traditions reproduites en beaucoup de Noûtes en bois du quinzième siècle. S. Grégoire de Tours mentionne des ouvrages de ce genre qui, de son temps, fu- rent jugés dignes d'admiration et conservés avec un soin iehgieux ('l). Notre S. Fortunat louait presque en même îemps Léontius, évêque de Saintes, d'avoir doté, dans sa ville, i'église de Saint-Eutrope d'une voûte à caissons des figures yariées, taillées dans le bois, remplaçaient avanta- geusement les effets de la peinture (2). Mais on abandonna !)ientôt cette riche et belle ornementation quand on vint à créer des arceaux de pierre dont les intervalles, remplis d'un blocage de cailloux et de ciment, constituèrent une force de plus et comme un lien ferme et stable entre les Leurs principes partlcs dc la uiassc commune. Toutefois, ce n'était encore

(1) Pepétue, évêque de Tours, le cinquième depuis S. Martin, voulut élever à ce Saint, qui n'avait qu'une petite chapelle, une église digne de lui, dont nous avons la description dans S. Grégoire, son succes- seur {Hist. Franc., lib. II, cap. xiv). Le pieux écrivain nous apprend qu'il ne voulut pas laisser périr la belle voûte en bois de cette cha- pelle, et qu'il l'adapta à une autre église , construite par lui en l'hon- neur de S. Pierre et de S. Paul.

(2) Hic sculptse camerse decus interrasile pendet;

Quos pictura solet ligna dedere jocos Sumpsit imagineas paries simulando figuras; CJuae neque tecta prias hœc modo picta nitent. - - (S. Fortun. Pictav., /tfïsce/^an., lib. 1, 113.)

\

clefs.

INTÉRIEIR DE L'ÉGLISE. ^8^

qu'une œuvre Jjîen imnarl'aito, toujours srrossièrc à l'œil, et élémentaires sr

*■ 1 .1 o perfectionnent au

dont la surface, quand les fresques ne venaient pas en dis- douzième siècle.

simuler l'irrégularité, gardaient sans façon les traces des

planches qui leur avaient servi de moules (I). Le douzième

siècle mit ordre à ces expériences malhabiles. Son génie,

en développant la théorie du symbolisme religieux, créa des

éléments nouveaux à l'iconographie ; il distribua sur ses

pierres de taille si gracieusement combinées une efflorcs-

cence inconnue d'ornements expressifs. Dans la pureté de

ses lignes architecturales, dans l'exactitude mathématique

de ses courbes, dans le faire patient de ses chapiteaux et de

ses modillons, il compléta les vues de perfection qu'allait

atteindi-e l'époque de Suger , puis de S. Thomas d'Aquin. Il Richesse des

ne pouvait refusera ses voûtes le langage qu'il imprimait quVr*eçoivent'']es

partout ailleurs, et en leur donnant ces claveaux de tuf aussi

légers que solides, il sut encore leur imposer la gracieuse

parure de ces clefs sculptées, les nervures ne semblent

aboutir que pour arrêter le regard sur une page de plus de

cet enseignement universel. ce fut la main divine sortant

d'un nimbe crucifère qui sembla épancher ses bénédictions

sur les foules priant dans les nefs, comme à notre ancienne

abbaye de la Réau ; ailleurs, comme à Saint-Pierre de Poi-

(1) Nous avons vu des églises tombées, sous prétexte de restaura- tion, aux mains de nos architectes officiels, et dont les voûtes primi- tives existent eucore, recevoir sur ces voûtes le complément d'une parcimonieuse décoration au pinceau qui suit , avec un inexplicable scrupule , les aberrations imposées à ces voûtes par l'inhabileté des ouvriers du onzième siècle. Telle est la belle collégiale de Saint-Pierre de Chauvigny , les travées laissent apercevoir à l'œil de l'observa- teur toutes les irrégularités des lignes architecturales. Il ne nous semble pas que la peinture ait pour objet de, faire ressortir les défauts d'un monument, et ce parti pris d'agir avec un puritanisme déraisonnable ne répond que trop à la raison qui ht priver le clocher d'une croix encore attendue. L'architecte s'obstina à la lui refuser, parce qu'il iw lui paraissait pas dk.monthi': qu'au douzième siècle ce symbole de toute la religion reçiit encore cette place. Pour s'appuyer de telles raisons

fallait avoir lu et vu bien peu de choses sur l'histoire de l'architec- ture religieuse, qu'on maniait cependant tous les jours!...

filières travées.

^82 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

tiers, le chardon de la pénitence, les couronnes de fleurs ou de branches de chêne, s'y mêlent aux figures aimables du Sauveur, delà Vierge Mère, du prêtre présentant aux yeux du fidèle Je Pain de la vie descendant du Ciel [\). Abaissement suc- A cc symlioUsmc, uu autre bien préférable, quoique plus Hqufde1eu?^prc: gravc, s'ajoutc cucorc, et nous prouve combien le sentiment de l'esthétique présidait aux dessins de l'architecte. Les trois premières travées qui abritent le sanctuaire et le chœur sont plus basses que les suivantes, qui couvrent la nef pro- prement dite. Par leur style de roman fleuri, elles diffèrent de ces dernières, qui ont toute la légèreté du genre go- thique, et qiielques-ims ont pu attribuer à une reprise des travaux interrompus pendant une assez longue pé- riode cette brusque transition et ce surexhaussement inattendu. Mais, admettant qu'il faille goûter cette raison ([u'autorise effectivement l'histoire de cette belle archi- tecture, il ne faut pas moins voir dans ces hauteurs iné- gales un principe qui, jusqu'à l'ère de la transition, fut con- sacré à la fois par fart et par la liturgie : l'abside était dès lors plus basse que le chœur, pour former à l'évêque et au presbytère le siège commun d'où ils présidaient à la réu- nion des fidèles. La travée suivante, un peu plus haute, sem- J)lait honorer la Sainte Réserve sur l'autel ou dans l'armoire qui l'avoisinait, et la troisième s'élevait au-dessus des chan- tres. Cette disposition se remarque en beaucoup d'éghses rurales du Poitou, de l'Anjou et de la Normandie. L'habile architecte anglais Pugins n'a eu garde, avec son entente de la liturgie et du symbolisme, de négliger cette donnée dans sa charmante église de Schéaldte. Durant dorme pour raison de cette règle que le clergé et l'évoque, en voyant s'abaisser au-dessus d'eux la plus haute partie du monu- ment sacré, étaient ramenés à des pensées d'humilité dont

(1) Voir, pour plus de développements^ notre Histoire de !a caillé- drale de Poitiers , 1 , 317 et suiv.

INTERIEUR I)K L EGLISE.

183

ils doivent donner l'exemple, en proportion de la grandeur et de l'importance de leur dignité (I). Outre ces grands moyens appliriués au plan d'ensemble, lcs modiuons,

^ J ir 1 X plus délicats en se

on savait aussi distribuer dans ce même sens les détails rapprochant du d'ornementation , et le but de l'arcliitectc, dans cette diffu- sion de ses belles sculptures soit à l'intérieur, soit à l'exté- rieur de Tégiise, est toujours d'exposer et de prouver cette pensée que tout devient plus parfait en se rapprochant de Dieu. Richard de Saint-Victor reconnaît cette gradation systématique, selon la judicieuse remarque d'un archéo- logue distingué : « En avançant vers le sanctuaire, les clefs de voûte sont mieux soignées, dit-il; les rinceaux se dérou" lent, les luoulures se rafflnent, les corbeaux sculptés se mêlent aux modillons en biseau, et à un tel point que par- fois des personnes en prennent lieu d'imaginer des construc- tions successives. La raison naturelle qui a dirigé l'ouvrier ne détruit pas la raison mystique (2j. » Cette remarque ne s'applique pas moins au caractère des modillons qu'à tout le reste de la parure sculptée. A mesure qu'on s'avance de la porte d'entrée vers l'autel dans les églises dont le pour- tour est orné d'une série de corbelets, comme à la cathé- drale de Poitiers, on devine que les sujets se rapprochent plus des divins mystères ; le péché y lutte contre la vertu secrète du tabernacle, et c'est que se déroulent de pré- férence, non plus des images à part dont chacune peut avoir une personnification propre, mais celles qui doivent se grou- per, comme pour rendi'e au Dieu du sanctuaire une ado- ration plus empressée et plus universelle. Mais que seraient ces beautés visibles ou mystérieuses si Les fenêtres

(l)« Gaucellas, id est caput ecclesiae, humilior reliquo corpore eccle- siae , myslicai quanta humilitas debeat esse in clero seu prœlato, juxta illud:Quanto majores, lantiun humilia le in omnibus. «(Durant. Mimât., Hation., lib. I, 4.) Sicardi, que Durant cite maintes fois parmi ses autorités, dit la même chose presque en mêmes termes (lib. I, cap. iv).

(2j M. l'abbé Godard-Saint-Jean , Essai sur le symbolisme a?'cliitcc- lural des éylises; BuUet. monum., XIII ^ 3o6.

184 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

sont les saintes le joui' iic les lalsalt éclatei" au double regard du corps et de l'esprit? Les fenêtres ont ce double privilège, et, tout en servant l'intelligence et la foi, elles se revêtent elles-mêmes d'un caractère qui les fait entrer dans ce concert vit tant d'iiarmonie et d'accord. Il n'y a qu'une voix parmi les symbolistes pour trouver dans ces ouvertures, d'abord si étroites et si basses de l'art roman, et bientôt après si larges, si hautes et d'une coupe si exacte et d'une ornemen- tation si variée et si riche, un symbole des saintes Écritures qui s'opposent dans le monde moral à toute invasion des

les Docteurs, choscs nulsiblcs. Comme les vitres interceptent les vents et la pluie dans la maison de Dieu, par cela môme elles sont les Docteurs résistant aux tourbillons et à la grêle des hé- résies et versant dans les cœurs fidèles une abondante lumière de doctrine et de vérité : cette môme comparaison ne leur va pas moins, parce qu'elles laissent tomber sur les assis- tants les rayons lumineux de l'astre du jour. Leur évase- ment intérieur représente le sens mystique, bien supérieur au sens littéral, et plus lumineux, quelque respectable que

if s sens de l'hom- golt cclui-ci. Ou V voit cucorc, par la môme raison, les cinq

me spirituel , ^ i. ±

sens du corps humain, qui doivent se restreindre à l'égard des choses extérieures pour mieux se refuser aux vanités de la vie, et se dilater intérieurement pour s'ouvrir plus larges aux

la^cwité frater- dous dc l'Esprit-Saint. L'art décoratif a garni de deux co- lonnes les abords intérieurs, et quelquefois même les arêtes intérieures des fenêtres : ce sont les Apôtres envoyés deux par deux à leur mission divine, et, par cela même, le double

et la force de î'É- préceptc dc k charitô envers Dieu et le prochain. Il n'y a

^! se militante. i j

pas jusqu'aux barres de fer qui protègent la fenestration contre les assauts des tempêtes qui ne soient comme des prophètes ou des docteurs de l'Église mihtante (l ).

(1) « Fenestrâe. quœ tempestalem excludunt et lumen inducunt, sunt Doctores qui haeresum turbini resistuct , et fidelibus Ecclesiœ lumen infundunt; unde : En Ipse slal pod pnheleni nuslram, respicv'ns ver feneslras » (Gant,, ii), dit Sicardi, ubi suprà. « Feuestrse ecclesiee

ÎNTÉRIKIR DE l'kGLISE. ^S5

Nous ne voyons pas, après ces grands maîtres de la science mystagogiquc, d'autres allusions un peu autorisées pour- raient se prendre sur ce suiet. donc M. Boissércc , ^ interprétations

r J hasardées de

qui, en général, a compris assez bien le symbolisme de la >'• Boissérée. cathédrale de Cologne , a-t-il pu s'éclairer sur la part qu'il donne au\ rois et aux empereurs dans l'interprétation de ses verrières ? A l'entendre , « les longues fenêtres ogi- vales , qui ne se séparent point des murailles , et n'entrent point dans l'intérieur de l'église , ce sont les rois et les empereurs, ces évoques du dehors, ces fidèles couronnés , revêtus de la pourpre des vitraux. Leur regard vigilant pénètre le temple, et, par sa noble pi'otection, rassérène la mystérieuse ol)scurité du sanctuaire M ). » Ce symbolisme ne

vitreiJB Scripturae suut divinee, quœ ventum et pluviam repellunt, id est nociva prohibent, et, dum claritatem veri Solis in ecclesiam per dieiii transmittunt , inhabitantes illuminant. » (Hug. à Sancto-Vict., Tî^adi- lionis Uieologivœ in spéculum Ecclesiœ , cap. i.) Durant expose le même symbolisme en termes identiques. Il y ajoute : « Per caneellos vero qui sunt ante fenestras, Prophetas , vel alios Doctores obscuro-^ intell igimus Ecclesiae militantis, in quibus ob duo caritatis prœcepta quandoque duae columnae duplicantur, secundum quod Apostoli bini ad praedicaudum mittuntur. » {Ration., loc. cit.)

Et quant à l'obliquité intérieure des embrasures , voici encore un curieux passage de S. Grégoire le Grand, mort en 604, et qui prouve qu'à cette époque, dont il ne nous reste qu'un très-petit nombre d'é- glises , ce système de fenestration était le môme qu'aux onzième et douzième siècles. Il y a plus : c'était celui qu'Ézéchiel , à 1700 ans de là, avait vu dans le temple de Jérusalem, dont il prophétisait la recon- struction, et S. Grégoire, qui voit ce système continué de son temps, en applique linterprétation aux choses de l'Église universelle qu'il gou- verne : « Per obliquas eteuiin fenestras lumen intrat, et fur non iu- trat; quia bi qui vere speculatores sunt, semper sensum in humilitate deprimunt, atqu3 ad eorum mentes intelligentiacoutemplationis intrat, sed jactantia elatiouis non intrat. Et patent itaque fenestrae et munitaj sunt, quia aperta est in mentibus eorum gratia qua replentur, et tamen ad se adver.-arium ingredi ad superbiam non permittant. » (S. Greg. Honiil. in Ezechiel. xvii.) Ainsi, d'après le saint Docteur, l'humilité arrive à notre âme avec la lumière évangélique; avec elle aussi on peut se défendre de l'orgueil et de la vanité, qui y mêleraient des obscu- rités nuisibles.

(1) Ce ne doivent pas être les termes de M. Boissérée, qu'il nous est impossible de vérifier, et que cite de mémoire M. Mazure dans sa

Harmonie de leur demi-jour avec la destination mys- tique du monu- ment.

^86 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

serait donc que celui de l'art ogival du treizième siècle sur- tout, où les vitraux de couleurs supposés ici parurent avec un éclat qui seul peut les faire entrer dans le plan que s'est fait le docte architecte. Tout ce que nous énonçons, au con- traire, date des époques antérieures au gotliique, et quoi- que nous en reconnaissions l'application tout aussi possible aux œuvres du treizième siècle et des suivants, nous réser- vons pour un chapitre spécial cette grande parure des fenêtres, dont nous n'avons à examiner ici que les rapports d'unité et de mysticisme avec le monument catholique.

Au reste, une remarque de haute valeur résulte de toute cette méthode de lumière si savamment ménagée dans le saint lieu : c'est que, dans ces demi-teintes tamisées par de rares et étroites baies, la prière symbolisait elle-même sa piété silencieuse et ses habituelles méditations (1). La vie plus austère d'un monde dominaient la foi et les graves pensées se retrempait aux choses du ciel dans ce jour parci- monieux tombant de bien haut sur l'âme attentive aux mys-

Philosophie des arts du dessin, excellent livre dont la thèse en faveur du spiritualisme artistique est dignement acquise au symbolisme chré- tien. (Voir son ch. vu : La cathédrale et le moyen âge, p. 287.)— Nous ne disons pas qu'il n'y ait pas beaucoup d'imagination, et qu'il ne faille pas y préférer quelque chose de plus positif sur les principes symbolis- tiques; mais la tendance en est excellente, et, sauf certaines erreurs d'appréciation dans l'étude de certains monuments que l'auteur juge- rait aujourd'hui tout autrement, ce livre continuerait d'être utile au- tant que d'une lecture attachante, s'il était ramené, clans une nouvelle édition, à des notions d'archéologie monumentale et d'esthétique, encore trop ignorées quand il fut publié, en 1838.

(1) « Horrorem... et inexplicabilem excitât pietalem , » dit S. Gré- goire, qu'Émeric David traduit mal par « la terreur que doit inspirer l'Être suprême. » U inexplicabilem pietalem se rend plus naturelle- ment par une piété qui n'est point distraite. Dérouler sa piété , la développer ,V étendre, n'est point se recueillir.— Prenons dans le même sens ce que S. Grégoire de Tours dit de l'église cathédrale de Cler- mont, bâtie par Tévêque Namatius, pour mieux faire ressortir que le grand jour donné par ses quarante fenêtres et ses huit portes n'ôtait rien à son caractère de majesté silencieuse et sombre : « Terror nam- que ibidem Dei et claritas magna conspicitur. » (fJist. Franc, lib. 11, cap. XVI.)

INTÉKIEIR DE LÉGLISE. 187

tèrcs du Christ, et ne pénétrait jusqu'à elle qu'à travers des Nitraux toute l'histoire de Dieu et dcriioinme se repro- duisait pour la préoccuper et l'instruire. A uous qui savons lire et qui voulons de V art pour l'art, il uous faut du soleil aux rayons éclatants, et partout uue égale clarté pour le vernis des toiles peintes et les dérisoires coquetteries de nos modernes ameuhlemeuts... Nous avons bien dégénéré de nos pères , et, grâce à ces progrès qu'on ne saurait assez déplorer, nous n'apportons plus que des disti'actions sans excuses la voix solennelle du chant liturgique s'al- liait avec le demi-jour et l'auguste majesté de la demeure de Dieu. \ous ornons nos églises comme nos salons, et par cela même les églises abdiquent, bien malgré elles, hélas ! ce torî mystérieux qui s'accorde si parfaitement avec l'esprit du grand Sacrifice, et qui traduit avec tant d'éloquence la vie de combats et de tristesses de l'Église, comme la vie péni- tente du chrétien.

De ce monument dont nous venons de décrire et d'expli- Les cryptes , quer, croyons-nous, toutes les parties matérielles , toutes ipurbu""^"^^ les inductions esthétiques, nous ne sortirons pas cependant sans avoir visité cette autre église souterraine que son obs- cui'ité et sa position ont fait nommer crypte, et qui fut en usage depuis les premiers temps du Christianisme jusque vers la fin du douzième siècle (I ) . Souvenirs des catacombes, formées presque toujours d'après le plan de l'église supé- rieure, quoique sur de bien moindres dimensions, ces cryptes servirent d'abord de sépulture aux Martyrs et aux Saints, dont les dépouilles sacrées furent ainsi conservées au-dessous du grand autel, de façon à reproduire le célèbre texte apo- calyptique où paraissent les âmes de ceux qui s'étaient laissé tuer pour le nom du Seigneur (2) : telle fut l'origine des

(1) Sicardi, mort eu 1215, eu parle comme d'un annexe que , de son temps, ou ne refuse pas à une église : Sic wdificalur ecclesia ut liabeut pavimenhim cum suhterraneis crypHs. (Milrale, lib. 1, cap. iv.)

(2) « Vidi subtus allare auiinas interfectoruin proi)ter Verbum Dei et propter Testimonium quod habebant.» {Apoc, \i, 9.) Voirrexplica-

^88

HISTOIRE DU SYMBOLISME.

et de la vie con- templative.

Images du Saint cryptes de Saint-Hilaire de Poitiers, reposèrent d'abord, au quatrième siècle, la femme et la fille du grand Docteur ; de Sainte-Radég'onde de Poitiers, qui reçut ses restes au sixième ; de Saint-Maixent, furent déposées, au septième, les reliques de S. Léger d'Autun , et de beaucoup d'autres. Mais le rôle symbolique était bien plus élevé , puisqu'on voyait dans chaque église souterraine un souvenir du Saint Sépulcre , le corps du Sauveur avait été enseveli : c'était une allusion au texte de S. Marc (xv , 46) : Posuit eum in monument o quod erat excisum de petra. Leur ob- scurité presque complète les a fait regarder aussi comme une figure de la vie contemplative des ermites {\). Quoi qu'il en soit , cet espace , plus ou moins vaste , est aussi plus ou moins orné. Sous de magnifiques églises, on voit des chapelles souterraines privées de toute sculpture ; d'autres en ont beaucoup , et alors la légende , les allé- gories scriptuaires ont décoré les chapiteaux des piliers qui partagent le plan en trois nefs , outre que des sarco- phages magnifiques y attestent encore , comme à Saint- Surin de Bordeaux (2), les illustres sépultures qui en aug- mentèrent la réputation à l'époque gallo-romaine ou sous les rois de la première race. En France, généralement, les cryptes sont peu remarquables ; celles de Notre-Dame de Chartres, de Saint-Eutrope de Saintes, quatre ou cinq autres, sont de belles exceptions ; mais il faut citer surtout , pour la richesse de ses détails symboliques, celle de Rolduc , de Roidu*c.°'°*^'''*' W^^ Bruxelles. Les seize colonnes qui la divisent en trois

tion de ce texte, ci-dessus, t. JI , p. 179, et Raoul Rochette, ch. ii de son Tableau des catacombes (mihi, p. 76), il décrit le tombeau ainsi disposé de S" Prisca.

(1) « Cryptée, sive specus subtenaneae quae in quibusdam fiunt eccle- siis, sunt eremitse, cultores siquidem secretioris vitee.» {Ration, divin. Offîc., ubi suprà.) On voit ici que beaucoup d'églises n'avaient pas de cryptes.

(2) Voir le beau livre de M. l'abbé Cirot de la Ville sur cette église et sur les Origines du Christianisme à Bordeaux, iu-i», Bordeaux, j869.

INTÉRIEUR DE l' ÉGLISE. i^^>

nets, en se prolongeant jnsqn'à l'auli^l , sont ornées sur leurs fats et leurs cliapiteauv de majinitkiues sujets his- toriés, entrelacés de végétations habiles et de gracieux con- tours, tels qu'on les faisait vers 1 1 20. Là, une teinte sombre et vigoureuse colore l'ensemble de l'oratoire et donne, par son vague et son indécision, une ampleur et une gravité heureusement calculées. Un certain cheval qu'un voyageur fut accusé d'avoir volé, et qui reparut tout à coup au milieu de l'assemblée le prétendu voleur allait être jugé , con- state, sur l'un des chapiteaux les mieux éclairés, un miracle dont l'abbaye fut témoin au temps des fondations (-H04), et devient un fait de plus à inscrire dans l'histoire de la sculp- ture légendaire, appliquée assez souvent par les artistes à remplacer le symbolisme proprement dit. C'est encore une preuve que l'histoire locale peut seule , en de telles circon- stances, éclairer l'archéologue sur la valeur d'un sujet ico- nographique (I). En exposant les sens mystérieux de tant de parties diffé- L'É-iise chré-

... tienne, image syiu-

rentes, reliées entre elles par une harmonie si majestueuse boiiquedeiÉgiise et si profondément philosophique , nous avons signalé par- fois, en quelques mots, le sens anagogique, reportant notre pensée de l'édifice matériel à l'âme chrétienne , et maintes fois , sans répéter ce que nous avons dit antérieu- rement de cette méthode d'herméneutique biblique , nous sommes passé indifféremment d'un sens à l'autre par rap- port au même objet, laissant à l'intelligence du lecteur à s'approprier lui-môme ce qu'il avait déjà appris en suivant les phases successives de ce livre. Mais ce qui ressort parti- culièrement de ce mysticisme aujourd'hui enfin reconnu, c'est l'existence et la vie spirituelle de cette autre Église , Épouse du Christ , vaste construction dont les extrémités atteignent aux quatre points du monde, dont Jésus-Christ est

(l, Voir Univers, 19 mai l8o2; Hevue de l'art rkrélien, l. V, p. 21 4, Ibtil; —M. de Caumout, L'ours d'antiquité monumenlalf , l, 71 et 1244

^90 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

la pierre angulaire, et les Apôtres le fondement, comme les

fidèles autant de pierres taillées (-1). Représentée d'abord

Traits mystiques par la Synagogue, dont Elle prend la couronne tombée. Elle

(le cette ressem- - ^ , , n, , i .. •. l'

biance. se parc , Epouse choisie et preteree , des attraits extérieurs

qui attestent sa royauté. Toutes les beautés du temple maté- riel se rapportent à Elle , s'animent de ses inspirations, re- présentent ses attributs , ses combats, ses victoires. Arche de Noé ou barque de Pierre, Elle vogue sur l'océan de ce monde, à travers les naufrages des âmes perdues, et, sûre de ses agrès comme de ses pilotes , Elle s'avance , en dépit des tempêtes , vers* le port Elle arrivera ferme et triomphante , pavoisée de toutes ses flammes et heureuse des dépouilles de ses ennemis.

C'est à ce point de vue si varié , si riche et non moins éloquent de significations métaphoriques ; c'est sous ces aspects si pittoresques et si attrayants , que nous allons maintenant étudier les nombreux objets qui complètent l'ornementation de l'édifice religieux, aussi bien que ses fêtes et les instruments sacrés du culte qui s'y accom- Queiie profonde pUt. Daiis ccttc aualysc de tant de beautés surnaturelles,

théologie en res- ^^^ ygrra dc plus OU pUis k malu du clergé imprimée sur les meubles du temple comme sur la distribution de son plan , et quel génie tout divin a pu seul présider à de si hautes concessions dans l'intérêt de l'humanité.

aussi bien que Qc quc uous vcuous dc dire n'est-il pas une dernière

ciergT''^ "^^ preuve irréfutable de cette vérité , déjà soutenue par nous, que des théologiens seuls pouvaient inventer et exécuter cet inimitable ensemble qu'on appelle une église catholi- que, dont pas une pierre ne reste sans un rôle à part, toute chose matérielle exprime une vérité théologique; ,

(l)«Estis cives Sanctorum, superaedifîcati super fundamentum Apos- lolorum et Proplietarum . ipso summo angulari lapide Christo Jesu ; in Quo omûis aedificatio constructa crescit in templum sanctum in Domino; in Quo et vos coaedificamini in habitaculum Dei in Spiritu. » {Ephes.,'u,2Q.)

INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. '19'f

comme dans Tblcriturc elle-mc^me, il ne l'aiU pas laiit voir des lettres , des points , des syllabes , des noms ou des per- sonnes, que des avertissements moraux cachés sous l'écorce de la lettre (I)? Or ces exigences de l'Église primitive, à laquelle a tant voulu nous ramener le protestantisme, qui s*en repcnt aujourd'hui , n'ont pas cessé de se produire jusque dans nos pastoraux mêmes du dix-septième siècle. Les prescriptions des Pères y sont rapportées, citées comme de- vant avoir encore leur exécution, et celui-là leur paraîtrait manquer de zèle qui s'y soustrairait, au mépris des opinions les plus justement vénérées (2). En présence de ces faits, de ces doctrines et de ces prin- Théories sans

,,,,..,,. ^ ^ .^1 iT fondement de M.

cipes féconds d ou jailhrent au moyen âge tant de sublimes Deiéciuse sm- choses, comment s'expliquer les théories hasardées de cer- chitecture au mo-

1 1 . , . , , yen âge ,

tains docteurs de nos jours, qui, préjugeant des causes mo- rales de ces intéressantes évolutions de l'architecture chré- tienne opérées à ces époques de foi, les regardent comme autant de phases d'un libéralisme chimérique dans lequel on se complaît assez pour lui attribuer ces admirables mer- veilles? A entendre^ par exemple , M. Deléchise dissert(H* sur la féodalité et l'art gothique, confondre les instructions chevaleresques avec la théocratie des douzième et treizième •siècles , puis assigner les mômes causes à la décadence de ces

(1) Au cinquième siècle S. Pierre Ghrysologuc; disait à son auditoire de Ravenne : « Quid tencmus, fralres? non apices , non litterœ, non syllabae , non verbuni, non nomina, non personai in Kvangelio divinis vacua suut figuris... » Et il le prouve par les expressions du prophète Osée : « Sponsabo te in justitia et judicio, et in misericordia et in mi- serationibus^ et desponsabo te mihi in fide. » {Os., \\, 19.)— Et il cite encore S. Paul [Çor.^ xi, 2) : « Sponsavi vos uni Viro virginem castam exhibere Christo. » Voir S. Pétri Chrysol., Serm. cxLvi, De Joseph Sponso.

(2) Cf. Pastoral du diocèse de Limoges, l'on explique les obliga- Lions des C'^clésiasliques et des pasteurs, t. 11, p. 140, iu-12, 1837.— Ce livre, excellent sous bien des rapports, fut publié sous l'épiscopat et par les ordres de Mgr d'Urfé, c'est-à-dire de 1676 à 1695. Il s'appuie beaucoup des décisions de S. Charles et de ses conciles de Milan tenus de 1555 à 1582.

192 HISTOIRE D€ SYMBOLISME.

grandes créations sociales pendant les deux siècles suivants, ne reconnait-on pas un homme à qui les préventions révo- lutionnaires de notre temps bouchent les yeux sur la véri- table portée comme sur l'histoire authentique des choses dont il attribue dout 11 parlc ? A propos d'architecture , il s'empare contre înents ruiu^pK nous , catliollques , au profit de ses utopies pohtiques, des tfon^ïrbémi'e'.Vp^ia modltlcations qu'elle adopte , ou plutôt des humiliations liberté humaino . ^^^,^^^^ ^^^-^^ ^^^ ^^^^^^^ ^^ l'hérésle ct du schismc ; il n'aper- çoit pas le principe de cette chute dans l'esprit d'opposition des impiétés de Philippe le Bel, continué jusqu'à la nais- sance du protestantisme en passant par les orgies de l'Arétin pour aboutir aux folies de Jean Huss et de Luther. Il vante les populations, encore si chrétiennes, d'avoir dédaigné enfin ces vieilleries artistiques en même temps que leur pensée s'émancipait au nom de la liberté !... Gomme si le laicisme, arrivant à la faveur de tant de fautes des princes et dépouil- lant l'Église de sa prépondérance maternelle, n'avait eu au- cune action sur cette dégradation de l'art rehgieux ! Ah ! n'eussions-nous eu d'autre preuve de l'influence cléricale sur nos chefs-d'œuvre plastiques du moyen âge , on serait bien forcé de l'avouer en considérant l'abaissement des idées artistiques sous la main des architectes néo-grecs et néo- méconiiaissant rouiains. Quaud la force matérielle pèse sur l'Église et lui im- rÉgîisèTt's'*" prï pose, avec la brutale maussaderie de ses violences, l'abâtar- pie force vitale, dissemeut dc sa vie extérieure et temporelle, l'Église est bien forcée de plier sa faiblesse physique à ces tyranniques pré- tentions. Mais vienne le temps (qui revient toujours tôt ou tard) son entière liberté lui est laissée , à force de revendiquer ses droits Elle les recouvre , et alors vous la voyez reprendre ses vieilles et chères traditions , resplendir des vêtements de son antique beauté à mesure qu'Elle se rapproche plus du foyer de Rome qu'on n'ose plus lui inter- dire ; et sa main impose de nouveau à celles qui relèvent ses édifices la règle et le compas de l'art roman ou gothique, les deux seules formes qu'EUe veuille, parce qu'EUe y a im-

INTÉRIEUR DE L ÉGLISE. ^ 93

primé les caractères, iiicomnuiiiicables à toutes les autres, de son spiritualisme immortel. C'est un malheur, sans doute, que les gouvernements, toujours plus ou moins jaloux de cette puissance morale, luttent contre Elle de tous les efforts de leur rationalisme révoluliounair(3; qu'ils lui impo- sent des architectes mal entendus dont l'orgueil et les intérêts tirent parti de sa pau\reté méprisée: mais c'est aussi une preuve de plus que si ou la laissait faire , de grandioses beautés renaîtraient encore sous son influence , dégagées des maladresses qu'y môle trop souvent la suffisance de nos maîtres maçons. Quel est , en effet , aujourd'hui , le diocèse deux ou trois ecclésiastiques au moins ne pussent suffire à la tache , ramener, si on voulait le leur permettre, les meilleures règles de l'art ancien trop longtemps oubliées, et prouver encore, au grand honneur de l'Église, une com- pétence qu'on ne trouvera jamais ailleurs ni aussi complète ni aussi désintéressée ? Voilà ce que M. Delécluse ne paraissait pas avoir compris. L'insuffisance

' (les GtU<i6S lîl'lOU,6^

Etranger à l'esthétique, à la théologie, au droit canonique, mène à ce» fausses autant qu'aux études sérieuses de l'architecture chrétienne, îerVommes' du il ajoute à ses réflexions sur la prétendue politique du moyen "'"^^^^ ''^^* âge les plus fausses idées sur les développements de l'art pendant les siècles hiératiques. Au lieu de voir la cause de ces magniliques progrès dans l'élan donné au monde euro- péen par la couAcrsion des nations septentrionales, par les écoles d'architecture créées dans les abbayes , par les croi- sades et le goût des voyages qu'elles éveillent , enfin par la paix intérieure qu'elles donnent à la France en unissant sous le drapeau de la croix cette foule de grands seigneurs qui s'y disputaient le territoire et s'emparaient des biens ec- clésiastiques ; au lieu, disons-nous, d'ouvrir les yeux devant ces témoignages de l'histoire, le savant critique attribue l'a- grandissement exces}iif donné par le treizième siècle à nos églises ( il oublie que Cluny, la plus vaste éghse du monde, était du douzième), iiou pas ù un élan rehgieux à un T. m. i3

i94 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

mouvement général de la pensée humaine , mais à l'accrois- sement moral du pouvoir spirituel dans la papauté de Gré- goire VII, d'Innocent III et d'Innocent IV... Gomme si ces temps de luttes contre la tyrannie impériale de Barbe- rousse et d'Henri IV étaient bien favorables pour les papes à des études d'architecture religieuse ! comme si , en pré- sence de ces prétentions antichrétiennes du pouvoir tem- porel , et au milieu des agitations des Guelfes et des Gibe- lins, la papauté n'avait pas eu assez à faire de ses préoccu- pations et de ses revers ! comme si, enfin , ces types tou- jours et partout uniformes qui régnent de 1000 à 1100, et de 4200 à 1300 dans toute l'Europe, pouvaient être sortis du même moule , ou plutôt de trois moules différents, puisque les têtes de trois papes , vivant à 1 00 et 4 50 ans de distance, en auraient fournir l'archétype et le lancer, à trois re- prises, sur ce monde étonné mais docile, qui nous en aurait légué l'héritage ! Ajoutez à ces judicieuses découvertes les graves animadversions de notre académicien contre les chapelles qui , plus nombreuses depuis la fin du douzième siècle, rayonnent autour de nos grandes églises, soit comme le nimbe de la tête divine, soit comme les épines de sa couronne miséricordieuse d'ignominie (4) ! Il les accuse de n'être qu'un défaut contre l'unité de la composition , de sorte que les détails nuiraient à l'unité d'un grand en- semble , et que les ailes de l'oiseau , par exemple, compro- mettraient sa forme et sa naturel... Ce n'est pas tout, il reproche aux architectes de ces inimitables monuments d'avoir, par un trop grand nombre d'autels , divisé la pensée cathohque du grand centre auquel elle doit se reporter, de cet autel principal , lieu de repos du Saint des Saints. Une telle objection vaut-elle mieux que les autres ? N'y avait-il pas trois autels, bien avant le style ogival, dans chacune des trois absides qui terminaient l'égUse à l'orient ? S. Grégoire

(1) Voir ci-dessus, p. 174,

INTÉRIEUR DE l'ÉGLISE. -195

le Grand, au sixième siècle, ne nientionne-t-il pas une église de son temps (|ui en avait treize , selon le besoin d'un grand nomljre de prêtres d'oiïrir chaque jour le Saint Sacrifice (Ij? Kt la liturgie, afin précisément de ne pas mullipUer la Sainte Réserve, dontrunilé dans chaque temple est une image de celle de Dieu, n'a-t-elle pas prescrit un seul tabernacle elle (lit conservée , ramenant ainsi à un centre commun les adorations des fidèles (2) ? Quelle intelligence des élé- ments chrétiens! et pourquoi s'aventure-t-on avec cette hardiesse inouïe dans une voie rien n'est laissé à l'arbi- traire , tout est positif et normal (3) ? On ne sait pas assez combien ces idées, mal cousues à la , , caractère de

*■ ' l'école rationa-

vérité, qui les réprouve, se sont implantées dans l'esprit de iiste,et desesef-

''■'■' A A forts a dénaturer

nos littérateurs,avecquelleassurance elles émerorent de leur l'histoire du ca-

* " tholioisme.

encre, et comme ils se sont faits ardents à fonder une école l'histoi re de l'art soit professée au détriment de la rehgion . Quiconque a voulu une chaire dans cette école n'a eu qu'à entrer : on s'est placé d'abord au feuilleton de la presse. De cette tribune, on a préparé l'auditoire à tout accepter sur

;i) s. Gregor. Magni , lib. I, Epist. L, ad Palladium. Cabassut, Synopsis Conciliorum, t, III, p. 419, in-S», 1838.

(2) « Licet sacrosancto Domini Qostri Jesu Christi Corpori, omnium sacramentorum fouti, prsecellentissimus ac nobilissimus omnium locus in ecclesia couveniat..., tamen valde opportunum est ut illud non collocetur in majoii vel in alio altari in quo episcopus vel alius solem- niter est Missam seu Vesperas celebraturus; sed in alio sacello, vel loco Diuatissimo, cum omui deceutiaet reverenlia ponatur. » ((7<a?remo7îiâ!/ô Episcop., lib. I, cap. xii , 8.)— Ce texte est formel et exclut nette- ment la multiplicité de la Sainte Réserve dans la même église. Que devient la désolation de M. Delécluse, qui eût pu se l'éviter en ne trai- tant point de choses qu'il ignorait?

(3) C'est dans le Journal des Débats du 19 septembre 1854 qu'on lit ces singularités de M. Delécluse à propos du Dictionnaire d'archilec- ture de M. Viollet-Leduc. C'était le tribut payé aux principes de 89 par un enfant de ce grand dix-huitième siècle qui nous a valu, on le sait, de si magnifiques théories sociales. Heureusement un rayon d'Eu-Haut est venu éclairer cet esprit, qui portait la droiture jusque dans ses igno- rances, et M. Delécluse, mourant en 18G3, est revenu à la vérité catho- lique en trouvant dans la mauvaise foi de M. Renan le plus sûr argu- ment qui pût démontrer la vie et la divinité de Jésus!

496 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

la parole du maître, et, ce premier effet une fois répandu au loin, on a fait de ces beaux discours des livres que les mômes journaux ont fraternellement recommandés. Et l'opinion s'est ainsi formée sur l'art et les tendances du moyen âge ; et, une fois de plus, les simples , incapables d'examen et de discussion, ont salué le nouvel auteur et proclamé son livre un chef-d'œuvre. Ce n'est pas que, dans ce livre, il n'y ait du bon, mêlé parfois à ce mauvais et à ce médiocre dont le poète latin ne se croyait pas exempt ('l) ; mais le mauvais apparaît surtout dans cet esprit de système qui travaille incessamment, Dieu sait par quel motif ! à dé- nigrer les âges de foi et à exprimer forcément , de la sim- plicité de leurs croyances naïves, les mensonges empoi- sonnés des idées modernes. Fausse histoire Uu autrc littérateur de notre temps n'a pas moins sacrifié

dfi ]a franc-ma- , i ' ^ •>! i-i i ..

çonnerie, inventée cl CCS idces, dcvenucs a la uiodc il y a quelque trente ans.

erreur?/ '^ "^^^ M. Vitct vcut absolunieut que l'esprit d'émancipation po- pulaire se soit fait jour jusque dans la pratique des arts, et que la franc-maçonnerie , d'a])ord si innocente de ses complots actuels , cette franc-maçonnerie si chrétienne alors , et dont le but unique était d'élever des temples et des autels que ses prétendus descendants voudraient in- cendier aujourd'hui, il veut , disons-nous, que ces grandes associations de Logeurs du bon Dieu et de Frères pontifes aient profité de je ne sais quelle nouvelle idée pour se- couer tout à coup le prétendu joug du clergé, et s'attri- buer exclusivement la gloire de travailler à ces ravis- santes cathédrales dont le treizième siècle nous a dotés. On vous citera à l'appui de ce paradoxe une douzaine (tout au plus) de noms célèbres, comme Pierre de Montreuil , Ewin de Steinbach, Robert de Luzarches, Villard de Hon- necourt, qui s'emparent del'équerreet delà truelle, et qui,

(1) Sunt bona, sunt mala, sUnt etiam medioeria plura.

(Martial. Epigr.)

INTÉRIFA'R DE l'ÉGLISE. ^^7

laïques et bourgeois, sécularisent l'architecture au grand dépit de ce pauvre clergé qui ne s'en mêlera plus. Le dom- mage devant ces assertions toutes gratuites , c'est d'abord de se trop presser de cent ans, et d'attribuer au siècle l'architecture chrétienne atteint son magnifique apogée une évolution qui ne signale i*éellement que les quatorzième et quinzième siècles , époque précisément la l'ranc- ma{;onnerie révolutionnaire prend son origine dans les réunions secrètes des Templiers et perpétue les traditions criminelles qu'avaient justement punies les bûchers de Philippe le Bel (I). C'est uniquement à partir de cette pé- riode historique, entre 1300 et ^320, que, pour être tombé aux mains des laïques, dont la pensée sortit alors, en effet, de sa dépendance reUgieuse, cet art divin que le principe d'autorité et la science sacrée avaient élevé si haut marcha rapidement vers sa décadence et abandonna peu à peu, avec sa simplicité majestueuse, le symbolisme qu'il ne comprenait plus. Si nous voyons, de 1200 à 1300, les plus et réfutée par

l'histoire même du

précieuses de nos églises arrivées à l'idéal du beau par la treizième siècle

,,,. ^ r> ' 1 qu'elle invoque.

gracieuse légèreté du style, la pureté des lignes, le fini de la sculpture etl'éléNationdc la science symbolistique, soyez sur que ces admirables caractères ne sont pas tant dus à ces admirables ouvriers de génie dont vous nous faites une si triomphante exhibition, qu'à ces traditions monacales plus

(1) Il ne faut pas oublier ceUe comcidence de l'affaire des Templiers et de l'iudépendance atï'ectée des nouveaux architectes, qui, au com- mencement du quatorzième siècle , se détachent des traditions esthé- tiques et arrivent au paganisme de la Renaissance à travers les révoltes de Jean Huss et de Luther.— C'est là, et seulement là, le berceau véri- table des affiliations modernes, qui ne peut être plus vieux de 200 ans, comme on voudrait le faire croire. Consultez Baluze , Vie des papeb d'Avignon, t. I; Rohrbacher, Hist.imiverselle de r Église, t. XV, p. 5H et suiv., et le chevalier de Malet, Recherches sur l'existence d'une S'cle révolutionnaire, in-S», 1817, p. 39.— Nous devons remarquer ici que les Bulletins des Antiquaires de l'Ouest, t. X, p. 321, ne se sont pas assez gardés contre les données fautives que nous y réfutons quelques pages plus loin.

^98 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

sérieusement gardées que jamais, el aussi à l'immixtion dans les arts sacrés du corps épiscopal qui, à cette époque, succéda presque généralement aux moines et aux chapitres dans le soin de construire les cathédrales. N'est-ce pas dans la plus belle période du treizième siècle que Guillaume d'Au- vergne, évéque de Paris (1228-1248) dirigeait la construc- tion du magnifique portail de Notre-Dame, auquel se ratta- chent des noms célèbres parmi ceux que nous avons cités? Si le fait historique de cette intervention sacerdotale n'était pas généralement admis , nous aurions pour le constater l'opinion d'un érudit qui mérite quelque confiance, et qui nous semble avoir étudié les choses de plus près que M.Vitet(l).

(1) « Si nous jetons un coup d'œil sur la période romano-byzantiue, nous sommes forcés de reconnaître pendant tout son cours l'influence des moines, en sorte qu'on pourrait l'appeler période monacale. A la fin du douzième siècle cette influence diminue et fait insensiblement place à l'influence sacerdotale ou plutôt épiscopale; puis, vers la fin du treizième, déjà on reconnaît quelques tendances laïques. » (M. l'abbé Crosnier, iVoiicc^ sur les écoles d'archileciure au moyen âge j Bullet. monum., XV, 414.)— M. Vitet, qui contrecarre nettement cesrenseipçne- ments de l'histoire et de la science, comment peut-il s'être persuadé le contraire et émettre les faux principes que nous réfutons ici ? (Voir Noire-Dame de Noyon, dans le deuxième volume des Éludas sur les beaux-arts,^. 301 et suiv., in-12, 1846.) Tout en nous trouvant obligé de rendre justice au talent d'écrivain de l'honorable auteur, il nous permettra bien de réprouver des doctrines qui tendent à promul- guer de? idées si peu admissibles. On sait que les suffrages acadé- miques ne sont pas sans appel, et qu'indépendamment du mérite intrin- sèque d'an livre de haute science , l'opinion publique trouve souvent dans ce bon grain plus ou moins d'ivraie qui en altère singulière- ment la valeur. Nous en disons autant d'un certain Mémoire sur cette question, imprimé dans les t. XIH-XIV de la Société académique de Maine-et-Loire , et qu'on a loué, sans assez de réflexion, dans les Bulletins des antiquaires de VOuesl, dont nous parlions tout à l'heure (X, 321). Sur la foi de ce qu'on y appelle « l'érudition allemande, » on ne craint pas d'y faire remonter les francs-maçons de l'architec- ture chrétienne jusqu'au nmDîè/nc siècle...-- C'est toujours de plus fort en plus fort. Mais remarquons bien que « les documents allé- » gués ne font pas connaître comment s'opéra parmi les constructeurs » d'édifices une substitution qui ne dut pas être sans des luttes , et » dont la trace se trouve petJt-êlre dans ces sculptures empreintes

INTÉRIEUR DE L'ÉGLISE. 499

On fait grand bruit, pour établir le crédit exclusif des impossibilité aux

, ..,.,,, laïques d'avoir,

arcliitet'tes laïques au treizième siècle, de ce que, pendant avec leur symbo-

, , , , lisme incomplet ,

cette longue phase de cent ans, on ne trouve que tres-peu créé les beaux mo-

,,,..., . , , , , numents de cette

darclntectos clercs signant leurs œuvres, etquau con- époque, traire beaucoup de ces noms bourgeois qu'on salue de si bon cœur se font connaître pour maîtres des grands ou- M-ages du temps. Voudrait-on nous dire combien on trouve de signatures monacales sur les constructions antérieures à cette période, et si jamais les laïques, même pendant le cours de celle qu'on leur attribue, se sont incrustés dans les pierres cimentées par eux? L'humilité du religieux se contentait d'un travail élevé à la gloire du Tout-Puissant : c'est tout le secret de ce silence gardé par eux sur leurs pro- pres églises. Le môme sentiment domine encore dans les sé- culiers, et ce ne sont pas ceux qui élevèrent un petit nombre des basiliques du ti-eizième siècle qui s'en firent connaître pour auteurs : ils ne l'auraient pu d'ailleurs sans usur-

» d'un esprit d'hostilité contie les ordres religieux. » Ainsi ou nous apporte toujours les mêmes arguments, que nous avons ample- ment réfutés dans le premier chapitre de cette troisième partie; mais, comme toujours, on s'appuie sur d'inadmissibles conjectures, et l'on n'apporte aucune preuve, « les documents du temps n'eu faisant pas connaître. » Eh bien ! ne sommes-nous pas fondé à vouloir ces preuves avant d'adopter les rêves d'une scien'ce historique trop accoutumée à plier la vérité à ses systèmes? Nous délions sans crainte ces grands accapareurs d'idées nouvelles de nous apporter un seul témoignage écrit, un seul texte décisif en faveur de leurs affirmations, et, jusqu'à ce qu'ils parviennent à le produire, nous refuserons de croire à leur pré- tendue érudition.

Ceci nous rappelle les assertions non moins équivoques d'HaIJam, qui, dans son Europe au moyen «(jrc (IV, 231), attribueaux francs-maçons, d'après l'opinion de sou devancier Hall (Essai sur Varchileclure go- thique), l'invention de l'ogive. Ce serait en Allemagne , d'après ces doctes juaitre.-, que l'architecture ogivale aurait germé et fleuri, et le premier, tout en regrettant la perte des archives primitives de la franc- raacounerie, croit qu'elles pourraient éclairer cette question d'origine, encore très-obscure pour lui-même. En conscience, qui ne voit claire- ment qu'on ne peut rien Conclure de toutes ces obscurités si nettement reconnues, sinon que pour faire une vérité, c'est toujours trop peu de myriades de conjectures?

200 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

per cette gloire à l'égard des plus beaux monuments , car ils ne firent pour la plupart que les augmenter ou les finir. Avant eux, on en avait fait le plus beau et le plus difficile. C'est aux moines eux-mêmes qu'ils doivent d'avoir sauvé leurs noms de l'oubli, soit dans les chroniques écrites seules encore par des plumes religieuses, soit par la modeste et glorieuse tombe qu'une gratitude désintéressée leur éle- vait dans un coin honorable de l'église qu'ils avaient entre- prise ou terminée (^1). Enfin peut-on avoir étudié la théorie du symbolisme catholique sans comprendre que les con- naissances théologiques pouvaient seules donner à une in- telligence humaine le plan et le sens profond de l'icono- graphie monumentale dont le treizième siècle ne se glorifie pas moins que le douzième, et oserait-on soutenir aussi que des hommes livrés aux obligations du monde et aux devoirs de la famille purent atteindre à cette hauteur de conception et à ces travaux de la pensée mystique si justement admirés dans les vitraux de Bourges, d'xVuxerre, de Chartres, de Poitiers et de Saint-Denis? On voit combien, lorsqu'on les examine de près, ces nouvelles données de nos historiens modernes du moyen âge accusent d'inattention ou de parti pris ; ce qui n'empêche pas cette prétendue science d'avoir ses adeptes et de trouver des écoliers disposés à l'applaudir généreusement. Si bien que nous serions peu étonné, pour l'audace avec laquelle nous défendons ici la vérité contre leurs attaques, de voir bientôt quelques-uns de leurs cha- leureux disciples, sinon eux-mêmes, signaler notre livre aux grandes autorités de l'ère présente comme reléguant leurs plus belles inventions dans lès ténèlji-es du temps

(1) On peut voir dans le Bulletin monumental, t. X, p. 260, une liste des monuments élevés seulement dans les provinces rhénanes aux treizième et quatorzième siècles : on y en trouve peu, relativement, qu'on puisse attribuer à des architectes laïques, et encore beaucoup de ceux-là sont-ils des monuments civils, tels que des hôtels de ville, des halles et des châteaux.

INTÉRIEL'R DE LÉGLISE. 20^

passé Nous n'avons pas une telle prétention ; nous

sommes persuadé que l'ei-reur aura toujours des défenseurs aveuglés et des victimes plus ou moins volontaires. Mais les livres restent : les faux principes y demeurent comme les plus lucides vérités. Nous laissons à l'avenir, qui jugera les uns et les autres, de voir sans passion et de se prononcer sur hi juste valeur des utopies dont on a voulu faire de la science, ou des légitimes contradictions que l'Eglise leur opposa (I).

(1) Entre autres suppositions mal fondées que M. Viteta émises dans sa Xolre-DiDne de Noyon, remarquons de quelle façon il voudrait nantir les francs-marons des quatorzième et quinzième siècles de toute la fçloire qui , en fait d'architecture , appartient aux deux précédents. Comme il a voulu leur attribuer les monuments du treizième siècle^ que jamais personne ne leur accorda, il prononce magistralement et établit pour incontestable l'hypothèse que voici : « Si ces associations n'appa- raissent pour la première fois dans l'histoire qu'à la fin du quator- zième siècle, elles n'en vivaient pas moins depuis au moins deux siècles en confréries sccrèles. 11 est vrai que pendant cette longue période de deux cents ans on ne les voit nulle part; mais il faut les deviner, jus- qu'à ce qu'enfin, /eur inditulion se relâchant, elles commençaient à divulguer elles-mêmes leur propre existence. Dans leurs nouveaux sta- tuts, lesdits francs-maç3ns ne se recommandent si sévèrement le secret que parce qu'ils se surprenaient sans doute à ne plus le garder. La for- mation des loges allemandes du quinzième siècle passe donc à tort pour la création d;s confréries maçonniques: elle nen est qu'une réorganisation motivée probablemkxï par des symptômes de déca- dence. » (Étude sur les beaux-arts, II, p. 303.) En vérité, que dire de pareilles assertions jetées à la tète du lecteur avec ces termes mêlés d'autant de doutes que de confiance ? Quel peut donc être ce secret gardé pendant 200 ans et plus par une association que personne n'au- rait soupçonnée, et qu'il fallait deviner ? Quel besoin d'un tel secret pour construire des églises et se laisser gouverner en humbles chré- tiens par les prêtres, conducteurs des travaux, lors de la construction de Notre-Dame de Chartres, par exemple, et de tant d'autres? Comment ce secret divul','ué vers la fin du quatorzième siècle a-t-il été si bien repris qu'on ri'j:nore encore de nos jours? Quelles preuves, enfin, autres que les conjectures de M. Vitet, de ces trouvailles qu'on ne doit qu a lui? Il faut avoir grande envie de former le moyen âge à l'image du nôtre pour écrire de telles idées sur l'histoire de l'art, et décidément c'est bien du temps d'Innocent lil et de Durant de Mende qu'il faut dater les principes de 89 !

Finissons-en donc avec ce fameux secret, et disons, en un mot. qu'il consistait non en des doctrines de quelque importance politique ou

202 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

tique pS'l'^Nn de ^^^ finissant ce chapitre, et après y avoir dit, comme une i^rieur d'une continuatioii dcs deux précédents , tout ce qui regarde le symbolisme de la construction , donnons encore, pour lui servir de résumé, la preuve de ce qu'on en pensait dès le cinquième siècle dans une lettre de S. Nil que nous avions promise au cinquième chapitre du tome précédent. xNémertius, homme lettré de son temps, lui avait demandé l'expUcation de plusieurs symboles relatifs à l'église maté- rielle, ce qui suppose que si quelques-uns manquaient de cette science , d'autres pouvaient s'employer à la leur donner. Le solitaire, selon sa coutume, y répond avec au- tant de précision que de brièveté : « Vous m'avez prié, dit- il, de vous donner la raison de quelques symboles de nos égUses. Je vous réponds donc que les bénitiers indiquent la purification de l'âme; les colonnes signifient les dogmes divins; l'abside, qui reçoit la lumière de l'orient, caractérise l'honneur rendu àla sainte, consubstantielle et adorable Tri- nité ; les pierres représentent l'union des âmes fortement établies et s'élevant toujours plus vers le ciel ; les sièges,

religieuse, mats dans ime suite de conseils formant un enseignement géométrique à l'usage des tailleurs de pierres, d'après lequel ils pou- vaient tracer sans calculs, avec des cercles et des ligues, certaines iîguresplus difficiles, telles que le pentagone, et déduire, avec plus ou moins de clarté et de succès, du triangle éqailatéral, ou du carré et du cercle, la hase et l'édification de toutes les parties. Et encore, n'oublions pas que le plus ancien livre qui traite de ces principes plus ou moins praticables est le Geometria Deutsch (Géométrie allemande), qu'on at- tribue à Hans Hosch de Gmûnd, et qui fut édité en J472; que le der- nier est de Rivius, médecin de Nuremberg, qui traduisit, vers 1530, une traduction italienne de Vitruve, avec des notes furent développées les prétendues doctrines secrètes des francs-maçons allemands. Voilà donc les grandes et ténébreuses théories des treizième et quinzième siècles réduites à ne vivre que dans un misérable traité d'industrie facile, donné vingt-huit ans seulement avant le seizième siècle, et deux ou" trois autres tout aussi forts qui apparaissent sous le règne de Charles Quint; le tout parfaitement oublié depuis deux cent cinquante ans au moins.— On trouvera la preuve de toutes ces assertions dans M. Schnaase : Geschichle der bildenden Kùnsle, dont un intéressant chapitre sur cette matière a été traduit dans les Annales arche dogi- quiS , t. XU, p. 320 et suiv., et 363,

FNTÉRIEIR DE l'ÉGLISE. 203

les giadins et les bancs désigiieiit la diversité des âmes vivent les dons du Saiiit-Ksprit, et rappellent celles qui en- tourèrent les Apôtres lorsqu'aux premiers jours les langues de feu reposèrent sur leurs fronts ; le trône épiscopal qui s'élève au milieu du chœur des prêtres rappelle la chaire du Pontife suprême , Xotre-Seigneur Jésus-Christ. C'est tout ce que vous m'avez demandé : je m'arrête donc après ce peu de mots (I). »

Si, dans un exposé aussi succinct, nous voyons quelques symboles exprimés dans un sens qui semble différer un peu de celui que nous avons donné déjà, on s'en étonnera peu en se rappelant que la diversité des interprétations sur un même objet n'est jamais une contradiction qui prouve contre la science ; mais on en conclura sûrement nue fois de plus que celui qui parlait un tel langage n'était pas aussi étranger au symholisme qu'ont pu le faire croire ses répu- gnances aux peintures de luxe ; et surtout ceux qui atta- quaient, sous ce prétexte, l'existence d'une théorie symbo- listique, voudront bien se souvenir qu'il s'agit encore ici du cinquième siècle, d'une époque cette théorie avait pris tous ses développements, et qui devait s'emparer, dans un prochain avenir, des moyens sensibles que la marche des arts devait mettre au servia(Jde ses pieux empressements.

(l) « Qucedam EcclesiiB symbola iiiterpretari tibi rogasti. Propter quod scribo quia luteres indicant piirgationem auimae. Goluranae autem diviua significant, dogmata. Porta vero , quae illucescit ad orientem , g'orificationem characlerizat sauclai et cousiibstanlialis ef adorandif; Trinitatis, At vero lapides stabilitaruin et proficientium ani- ma! uni protestantnr collegiuui. Porro Uironi et gradus atque sedilia diversas animas désignant, in quibus Sancti Spiritus donaliones iusi- dent, sicuti et prius in bis quae circa beatos erant Apostoios, super quo? linguaG sederunt taiiquam ignis. Caeterura episcopalis tbronus, qui in medio cunctoruni presbyteroruni est, catbedram insinuât magni Pon- titicis Domini nostri Jesu Cbrisii. Usquead bsec consuluisti, et usque ad hoc et ego couipeudio fere scripsi. » (S. Nili Senioris epist. ad Ne- mertium..,; apud D. Pitra, Spicileg. Snlesm., III, ^{08.)

CHAPITHE V.

AMEUBLEMENT DE L'EGLISE.

Sièges primitifs Du quatrième siècle au onzième, la nef simple ou triple

du clergé.

de l'église se prolonge jusqu'à l'abside. se trouve le ■presb'ijterium ou suite de bancs placés circulairement au- tour du siège de l'évêque. C'est de que celui-ci surveille et préside , selon le sens de son nom , selon le devoir et le droit de sa dignité supérieure. De côté et d'autre, une autre Places distinctes absldc plus pctitc, OU absicliole , se produit parallèlement , des femmes!"' "" à la limite des collatéraux , s'il en existe ; de ces deux nefs secondaires , celle du nord recevait les femmes, celle du sud appartenait aux hommes. Celle-ci était* surveillée par Chapelle de la dcs dlacrcs , l'autrc par des diaconesses fi). La place des rabsidioie^ ^du personnes du sexe au septentrion était naturellement as- signée par la chapelle de la Sainte- Vierge, qui était l'absi- diole de ce bas-côté, et celle-cWvait reçu une telle desti- nation de la place même qu'agit occupée Marie au pied de la croix, lorsque son divin Fils y expirait. C'est encore , des deux collatéraux, celui que S. Charles indique pour les femmes (2). Durant de Mende atteste que cette division ,

(1) Cette séparation, qui doit dater de l'église même des Cata- combes, est indiquée dans le Sacramentaire de S. Grégoire à la fin du sixième siècle. S. Cyprien, qui écrivait dans la première moitié du troisième , parle du baiser de paix qui se donnait à l'offertoire de la Messe par les hommes aux hommes, et par les femmes aux femmes {Epist.G'à). Clément d'Alexandrie le mentionne aussi dans son Péda- gogue, ch. IX. Ce rite suppose nécessairement que les deux sexes occupaient des places séparées dans l'église. Voir Fleury, Hist. écriés., liv. XXXVI , 18, et Mœurs des chrétiens , n" xl.

(2) M Pars vero mulierum septentrioualis sit. nisi quibus in ecclesiis

nord.

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 2Ô.j

tbndée sur des motifs de convenance , et que le V. Bède in- diquait de son temps comme déjà tort ancienne , avait aussi pour raison de rappeler que Marie et Joseph s'en étaient allés chacun de leur côté pour chercher Jésus, lors- qu'il s'était arrêté parmi les Docteurs. Que cette raison soit plus ou moins forcée et ^enue après coup, elle n'a pas moins une certaine justesse qu'il faut lui reconnaître. Le grand symholiste ajoute , au reste , d'autres motifs plus concluants quand il parle des convenances que nous venons d'exprimer, et alors il donne , croyons-nous, la véritable pensée de l'Église (I) : ainsi nous devons voir avec lui les deux portions de la société humaine s'acheminer, chacune de son côté, vers le Jésus du Tabernacle, qui, de cette chaire abritée dans le lieu le plus obscur de son temple , du mi- lieu de ces ténèbres sacramentelles de l'Eucharistie , parle aux doctes du monde et les attire encore , s'ils savent le comprendre , par le charme de sa doctrine et les attraits de son éloquente douceur. Par cette même raison, nous une chapeiie de

Saint-Joseph très-

voudrions que le culte de S. Joseph , qu on a trop oublié , romenabie dans

celle du sud. '

pro rationesituâ aliave causa episcopus aliter statuerit. » {Instruction. lib. II , cap. XXV, p. 121.) S. Charles suppose ici que l'évêque ordon- nerait une autre place pour les femmes que celle du nord, si quelque cause , en quelques églises , venait s'y opposer. On comprend que cette cause pourrait tHre , par exemple, le changement d'orientation devenu obligatoire par la disposition peu favorable du local, et boulever- sant avec lui une foule de conséquences liturgiques nées de son principe même. Alors il entre dans l'intention du saint cvêque de laisser toujours aux femmes le côté de la Sainte Vierge, qui leur va si bien.

(1) « In conventu ecclesiœ mulieres et viri seorsim habitant, quod secundum Bedam a vetere consuetudine derivatum accipimus; et inde fait quod Joseph et Maria Puerum derelinquoruut, quoniam alter illum quem secum non cernebant cum altero esse putabant. Causa autem divisionis est quia caro viri et mulieris, si propius ac- cesserant, ad libidines accenduutur : unde, cum ibi peccata deflere debeamus, necesse est tune eorura fomenta delectationes carnales vilari. Masculi autem in Australi, feminse autem in Boreali sive in aquilonari i)arte manent, ut firmiores sanctos debere stare contra ma- jores hujus sfficuli teulationes. » (Lib. I, f" v».)

200 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

reprît ses droits légitimes non loin de Jésus et de Marie , et que sa chapelle spéciale fût celle de l'absidiole sud. Delà, il semblerait présider au côté des hommes , auxquels il fau- drait rendre son illustre et glorieux patronage. Ce côté , qui est celui de la force , dont l'auguste chef de la sainte Famille donna de si nobles exemples, se mettrait bien sous sa protection, tandis que la faiblesse du sexe se trouve symbolisée par la nef septentrionale. A Ravenne, ou voyait à Saint-ApoUinaire , église du quatrième siècle , visitée par Mabillon en -1682, les Saints et les Saintes représentés en mosaïque dans le môme ordre, pour indiquer, selon la pensée du docte bénédictin, cette même séparation des deux sexes, que les artistes ne devraient pas oublier (\). M. Flandrin , l'habile peintre qui décora à Paris , en 185G , la façade de l'église de Saint-Vincent de Paul, a certainement suivi cette inspiration des âges chrétiens lorsqu'il a placé à gauche la longue et intéressante série des Saintes marchant vers les portes du Ciel, et qu'aux Saints tendant au même but il a réservé la droite, qui leur convenait exclusivement. D'autre part, on le voit dans l'Apocalypse, la faiblesse du sexe se trouve symbolisée par sa nef septentrionale , tout lui rappelle que les faibles doivent se maintenir plus forte- ment contre les tentations de l'esprit infernal. D'autre part, on voit dans l'Apocalypse (x, 2) que l'Ange posa sur la mer son pied droit, c'est-à-dire la nef méridionale de l'église, qui est à droite en entrant (2). Cette droite, aussi bien que la gauche , dont nous avons déjà exposé les règles normales, a donc varié parfois , selon l'idée particulière de chaque écrivain (3); il est bon de ne pas l'oublier, pour bien com- prendre les distinctions consacrées par la liturgie vraie ,

(1) Voir ChaviD de Mallan, Vie de D. Mabillon, p. 359.

(2) « Joannes viditAngelum fortem qui posuit suum pedem dextrum super mare.Nam et fortiora membra majoribus periculis opponuntur.»

(Jd., ibid.)

(3) Voir Bultet, monum., XIII, 347; XIV, 142;— Schmit, Manuel de farchileclure des monuments religieux , p. 443,

cnsties.

AMEUBLEMENT DE [/ÉGLISE. 207

(jui prond la droite pour celle du crucifix tourné de l'ab- side orientale vers la porte du couchant.

L'ahsidiole nord, dans les premiers temps, servait de Premières sa- sacraruiw, c'est-à-dire de dépôt des choses servant au culte, tels que les vases sacrés, les livres liturgi(|ues, les vêtements sacerdotaux : c'était , en un mot, ce que nous appelons depuis longtemps la sacristie. Durant le douzième siècle, les collatéraux se prolongent en hémicycle en avant du rond-point oriental, entre l'abside et le sanctuaire, qui déjà s'était séparé de celle-ci , et installé dans la chapelle absi- dale , que venaient de quitter Fautel principal et la Sainte Réserve qu'on y gardait. Alors on fit en beaucoup d'endroits la chapelle do Marie de celle n'était plus le principal autel , et, quelque bien inspirée qu'ait paru cette substitu- tion à des archéologues de grand poids , nous affirmons croire que le symbohsme n'y a rien gagné : car n'était-ce pas une touchante pensée de laisser la Mère aux abords du sanctuaire de son Fils, aux extrémités orientales du temple, n'ayant de supérieur à elle que ce Fils lui-même , dont le trône était élevé de plusieurs marches et dominait tout le reste dans l'enceinte sacrée? Elle y semblait aussi attendre le pécheur, comme une dernière assurance de la charité divine ; car on dirait qu'à cette place qu'elle avait choisie jadis au pied de la croix , elle a hérité des tendresses de Jésus pour les hommes, de la confiance que si souvent ce lieu solitaire, à demi voilé dans l'architecture générale, avait attirée et entendue en d'humbles et silencieuses prières. Toutefois, on peut avoir aussi de très-bonnes raisons de lui conserver cette extrême portion du temple. Il semble que , plus éloignée des créatures , et également du Sau- veur , l'âme pécheresse vient s'offrir dans une humble et douce espérance à la Mère de miséricorde, à la con- solatrice des affligés. On peut donc, à ce double point de vue, suivre les convenances locales, que ne contrarie d'ailleurs aucune règle précise de la discipfine sacrée.

208 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

La sacristie L'absîde , siiuple ou triple , ayant ainsi trouvé une desti- deTé^ife/" '"'* nation spéciale , et les trois autels ayant bientôt concouru à former des chapelles pour quelques dévotions populaires, il fallut chercher une autre sacristie , et l'on annexa au bâtiment un appendice ou édicule qui fut placé au sud , côté des bons Anges , dignes gardiens des objets sacrés , non moins que pour la meilleure température dont on y jouit, au grand profit des étoffes, que détérioreraient ailleurs le froid et l'humidité. Les églises, ainsi disposées par le fond , sont d'un majestueux aspect et d'une perspective ad- mirable , laissant le jour s'épanouir dans leurs vides aérés, les vitraux scintiller entre les hgnes diverses et les propor- Merveiiieux as- tious régulièrcs dc l'œuvrc. Ce sanctuaire ,.élevé de trois pectiye.''^"''''^''" marclies au-dessus du sol, et sur lequel repose encore, au- dessus de trois autres , l'autel vers lequel convergent toute l'attention et tout l'amour , s'entoure d'un ou plusieurs rangs de colonnes qui s'y multiplient en nombre mysté- rieux , s'y réunissent par des arcades , et supportent ou une coupole, comme autrefois à Saint-Sauveur de Gliarroux, ou une voûte en berceau, comme à Notre-Dame de Poitiers. Dans cette disposition , et lorsqu'on a fait de la grande abside la chapelle de la Sainte Vierge, se trouve une inten- tion mystique tout aussi digne de notre attention que bien d'autres. A travers tant de vides laissés à l'air et à la himière dans ce fond du temple règne le souvenir de Marie , on aperçoit aussi de toutes parts, et de si loin que l'œil y plonge, son image bénie , soit sculptée sur le fond du mur terminal , soit coloriée sur la verrière que frappent les pre- miers feux du matin. Ainsi, après son Dieu et le nôtre, offert tout d'abord à l'adoration des fidèles au-dessous de la coupole principale , la douce et toute sainte Protectrice de Ses enfants leur apparaît de loin et ne les invite pas moins que Lui-même à s'approcher et à prier (4).

(1) C'est une preuve sérieuse que la chapelle du Saint-Sacrement,

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 209

Mais ce précieux effet qui saisit l'àme et la pénètre , en Bénitiers et eau

11- -11 bénite.

entrant dans le Lieu saint, d une pieuse et attachante con- tiance, nous doit inipriiner aussi une crainte salutaire, et ce n'est pas sans une humble idée de soi-même que le chré- tien, toujours plus ou moins pécheur , doit frapper sa poi- trine avec le pubhcain d'autrefois, et provoquer la miséri- corde du Maître en avouant l'indignité du disciple. C'est dans ce but que l'âme introduite vers Dieu trouve, dès ses premiers pas, l'eau lustrale qui lui rappelle son baptême et l'invite à se purifier des moindres souillures contractées dans les agitations de la vie mondaine. Gomme nous avons vu aux murs extérieurs s'exercer, avec une sorte de liberté dont il abuse, l'être satanique imbu des puissances du mal ; comme l'esprit méchant est dans son élément et dévo- rant sa proie, cherchant même à interdire les abords du temple par l'effroi qu'il y inspire et ses persécutions hai- neuses, on voit souvent, dès le porche de l'église, cette action mauvaise atténuée par des symboles de l'affaiblissement de l'esprit du mal sous l'influence de la prière. Souvent l'ange déchu est là, s'efforçant en vain, comme à Saint-Denis, d'enle- ver au bonheur de laterre desvivants l'âme protégée de Dieu. c'est la Femme bénie déjouant, en s'élevant vers le ciel, le dragon qu'elle foule et méprise ; ailleurs, S. Michel pèse les âmes, que- le cruel, même en tirant de toute sa force sur un des plateaux de la balance, ne peut faire pencher à son profit. Lue autre fois l'archange terrasse de son épée redoutable le monstre, qui n'a aucun pouvoir sur l'Église de la terre, non plus que jadis contre la demeure de Dieu. C'est par une

dans les églises l'adorable mystère ne repose pas sur le grand autel, devrait toujours être l'abside orientale : c'est laque converge par les deux nefs l'afflucnce des fidèles, qui tout d'abord, en entrant dans une église, y cherchent l'Objet de leur adoration. aussi semble s'élever l'Étoile de Jacob, le Soleil de justice; là, enfin, la piété est plus recueillie, se sent plus loin du monde, et moins exposée au mouvement général qui se fait toujours plus ou moins dans les autres parties du temple qui servent d'accès à celle-ci,

T. m. 14

2-10 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

juste conséquence de ces préliminaires que Feau bénite nous est présentée dès notre premier pas dans la nef : c'est encore une de ces concessions que l'Église a su faire, dès le commencement, aux usages païens qu'Elle sanctifia en les laissant subsister pour l'Orient, les ablutions, aussi né- cessaires que religieuses, entraient pour beaucoup dans les rites sacrés. Les Juifs se lavaient les mains et la tête avant de passer le seuil du Temple, et même avant leurs prières particulières ; ces sortes de purifications paraissaient indis- pensables, et les chrétiens n'en furent pas privés, de sorte que l'Occident vit cette même coutume s'introduire dans toutes ses églises. Tertullien en fait foi au deuxième chapitre de son livre De la Prière. S. Paulin le mentionne aussi dans sa douzième Lettre. Il n'en est pas moins certain que, pour trouver l'origine de l'eau bénite, il faut remonter jusqu'aux temps apostoliques, comme Baronius le constate au premier livre de ses Annales. Le sel étant le symbole de la sagesse et de la prudence, l'eau celui de la pureté, rien ne semble plus naturel et plus convenable que de rendre l'homme, par l'usage de cette double efficacité , plus digne de paraître devant Dieu et de le prier saintement. Ce fut aussi une double raison d'orner la cuve de pierre, de granit ou de marbre, des beaux reliefs qu'on y vit surtout à partir du douzième siècle. Les feuillages des plantes aquatiques, les poissons, les colombes buvant au même calice, y font une charmante et significative bordure, tandis que, sur la cir- conférence, des traits évangéliques reproduisent les sou- venirs de la prédication primitive ou quelque purification biblique comme la Samaritaine, la Madeleine, ou le Pu- blicain justifié. Des ornements analogues décqrentles béni- tiers portatifs qui servent aux aspersions, aux bénédictions ou aux exorcismes. Le tronc des au- A côté OU au-dcssus dc cc grand vase , soit posté à cet effet à l'extrémité occidentale de la grande nef, soit accolé à chacun des deux premiers piliers qui la séparent des nefs

mones

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 2M

secondaires, est appendii le tronc des anmôncs se jette le denier de la veuve avec les générosités plus abondantes des riches et des heureux de ce monde. L'emploi de ce petit coffre, dans le but d'exciter et de recueillir les offrandes des lldèlcs, fut généralisé en ^1200 par une disposition du pape InnocentlII; mais ilavaiteu des précédents en France et en Angleterre, dès l'an ^^66, en faveur des besoins de la Terre Sainte (I). Comme l'eau benoiste, l'aumône est une sainte supplication en faveur des péchés commis : elle pré- dispose bien à la prière, elle efface les aberrations de l'âme pendant le cours de la sainte liturgie : vous donnerez donc de vos deniers à la Mère commune qui les distribue, soit que vous veniez implorer les grâces d'En-Haut, soit que vous quittiez le saint Lieu après les avoir obtenues; car l'aumône, si elle est une demande, est aussi une action de grâces. C'est pour rendre ce sentiment de la charité qu'on donnerait bien au tronc , appelant ainsi notre attention dès les abords de l'église, cette forme de pélican qu'on lui a vue à Haarlem et à Douai. Le symbole du dévoùment qui va jusqu'à se dépouiller pour autrui conviendrait bien à celui qui dépense son avoir aux besoins des pauvres (2).

(1) Voir Raoul de Dicet et autres autorités cités par Ducange , \o truncus; ce qui prouve qu'une note donnée par M. Tudot à la Revue de Vart chrétien, t. II, p. 429, établit une erreur évidente en disant que ce tronc n'avait pas de mot équivalent dans la langue latine. Il nous semble même que d'après ce nom on trouverait peut-être que le pre- mier vase employé à quelque usage analogue pouvait très-bien n'avoir été plus ou moins longtemps qu'une portion d'arbre creux dont l'art aura ensuite modifié la forme.

(2) Ce n'est pas que nous croyions beaucoup à la destination de ces deux pélicans dont parlent MM. Didron et de La Fons comme étant, l'un dans le chœur de la cathédrale d'Haarlem, l'autre dans celui de Saint- Amé de Douai [Annal, archéolog., XVI, 97 et 375). Ce n'était guère dans le chœur de deux églises collégiales , les fidèles n'avaient point d'accès , qu'on aurait placé le tronc des aumônes communes. Il nous semble plutôt que, tout en servant de lutrin au lieu de l'aigle , ces deux beaux morceaux de dinanderio. recevaient plutôt la masse des distributions à faire chaque mois ou chaque année aux membres du Chapitre , en raison de leur présence au chœur ou des absences qu'ils

2\2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Fonts baptis- A gauclie en entrant, sinon et mieux sous le porche (qui d'ailleurs n'existe pas toujours), doivent s'ouvrir les fonts baptismaux : c'est leur côté normal ; ne sont-ce pas les âmes du Septentrion que le Sauveur a introduites, par le sacre- ment de la régénération divine, dans les douces régions de Confessionnaux, la lumièrc ct dc la chaleur (^1) ? Al'opposite, un autre bap-

et leur histoire. m ^

tistère, l'âme déchue retrouve 1 honneur et la paix de sa vie spirituelle, le confessionnal en un mot, trouve sa place la mieux choisie : c'est de que le pénitent réconcihé s'a- vancera vers le sanctuaire, la Table sainte est dressée pour Jui. Rien de mieux que cette double disposition des petits espaces d'où le païen christianisé, comme le pubUcain justifié, s'élancent dans la pure région des réalités reli- gieuses. On a tort d'oublier trop souvent de si éloquentes convenances, et toute l'attention des Pasteurs devrait se porter sur ces détails, et sur tant d'autres dont l'esprit et la vie sont destinés à influencer si profondément la pensée chrétienne et à la fortifier dans les cœurs.

A ce propos, disons que le confessionnal est un meuble du plus haut intérêt et qui mérite d'autant plus l'attention de l'archéologie sacrée qu'il remonte moins haut dans l'anti- quité liturgique. Jusqu'au quatorzième ou quinzième siècle, on le voit consister en une simple escabelle qui sert de siège au prêtre ; le pénitent est à genoux à côté de lui, et si c'est une pénitente qui se confesse, un simple voile les sépare : ainsi est représentée l'administration du sacrement en de nom- breuses miniatures des Livres d'heures et des Sacrameniaires du moyen âge. Le concile de Milan de i565 exigea une grille entre les deux personnes : c'était indiquer le meuble

en avaient faites. Mais cela n'ôte rien à l'exécution possible d'un pélican comme tronc à aumônes.

(1) C'est pourquoi les anciens baptistères , lorsqu'on les bâtissait à part, et qu'ils formaient une véritable église, s'ouvraient vers le midi, ce que S. Charles recommande encore {Instruci. lib, I, cap. xix). On peut voir, raisonnant dans le même sens, Catalani, Commentaire sur le rite romain,— {Pontif, Roman., Il, 17, in-4o, 1851, Parisiis.)

AMEUBLEMENT DE LÉGLISE. 2^3

tel que nous l'avons enfin, et qu'il a se perfectionner peu

à peu (I). Il faut bien avouer que ce meuble, réduit à cette comment en

, . , . . 1 1 . *^*''"® *^® convena-

plus Simple expression, est presque toujours un hideux 7e bies quant au wg5fl75 ^î/o/ façonné d'une détestable manière, et n'offrant en permanence, dans la plupart de nos pauvres églises, que le spectacle permanent d'un instrument fort indigne de sa noble et touchante destination. Le dix-septième siècle avait commencé à en faire un objet d'ornement par les recherches de la sculpture ; mais ces recherches elles-mêmes ne parvin- rent à produire que des motifs froids, insignifiants, affectant les formes recherchées de la menuiserie, comme des cham- bres à coucher et des salons. Point d'images, aucune idée spéciale, nul symbolisme; tout était comme dans l'archi- tecture prétendue chrétienne de l'époque. Avec nos idées nouvelles et le retour général aux pensées meilleures de l'art rehgieux, il nous faut autre chose aujourd'hui, et quand on meuble tant d'égUses, on doit y vouloir des confessionnaux qui parlent de Dieu comme tout le reste. Nous ne voudrions pas qu'on s'y appliquât au style du treizième siècle, qui, si pur qu'il fût, aurait encore trop de sa légèreté naturelle. Il faut à cette enceinte mystérieuse, se déposent les plus graves secrets de la conscience et du cœur, retentit, dans le silence des plus austères enseignements, l'écho terrible et consolant de la parole divine, il faut un aspect sérieux, plein d'une dignité tempérée cependant par le sentiment de la confiance et de la charité. On préférerait donc le style du douzième siècle, qui réunit tous ces avantages soit par le plan , la sécheresse du plein-cintre est atténuée par les modestes élans de l'ogive encore timide , soit par la richesse de l'ornementation sculpturale, peuvent s'étaler à divers degrés toutes les ressources d'un symboUsme éloquent. Une porte ajourée, en ménageant de l'air au confesseur, le dérobe

(1) Voir Labbe, Concil. Mediolan., pars II, lit. i;— Didron, Annal, archéol., 1 , 265 ; Bullel. monum., XIII , 405 ; XVII , 636.

2\A HISTOIRE DU SYMBOLISME.

suffisamment, parles entrelacs de feuillages significatifs, aux regards du dehors, qui ne doivent ni l'épier ni le distraire. On pourrait très-bien, au reste, remplacer ces entrelacs par une couronne d'épines, traversée dans son diamètre des in- struments de la Passion qui s'y prêteraient le mieux, comme la croix, lalance, le roseau. Les deux compartiments latéraux, laissant entrer le pénitent par des ouvertures ménagées de biais, offriront sur leur surface une sorte d'appareil mural sur lequel se développeront les meneaux d'une grande fenêtre simulée. Les pendentifs pourront se remplir des expansions de la Vigne mystique, dont les grappes se foulent à l'intérieur sous le pressoir divin; ou bien ce seront des roses avec leurs épines, qui rappellent les parfums d'une vie nouvelle recueillis au milieu des saints efforts de la péni- tence. Couronnez le tout d'une corniche courante entre- lacée de branches de chêne et d'olivier , d'amandier, de platane : vous aurez personnifié pour ainsi dire la force et la paix, la douceur et la charité , fruits excellents qui font toute la vie chrétienne (1) ; et si vous surmontez cela d'un pignon à deux rampants qu'amortisse un élégant acrotère , comme la transition en mettait à l'extrémité supérieure de tous ses monuments, la pensée ira avec ce gracieux et sévère ensemble, sans efforts comme sans résistance, vers ce séjour de Dieu dont vous aurez, non loin de l'autel, esquissé d'avance une élégante image (2)..

(1) « Quercus, arbor dura etsolida, désignât fidei soliditatem...;» « Sancti robusti , » dit Pierre de Capoue. « Oliva , » dit Raban- Maur, (( testimonium conscientiae bonae; per amygdalum, arborera temperatae naturse , mansuetudinis lenitas figuratur,» selon l'auteur des Distinct, monastiq. Enfin le platane tzIoltoç , quod est latum) « caritatem significat, » dit le même auteur.— Voir S. Mé\iion,aiT^,Spi- cileg. Solesm., II, 361, 380, 390.

(2) Nous avons fait exécuter un tel meuble d'après ce plan, dont le point de départ a été la façade occidentale de la cathédrale de Lisieux, telle qu'on la voit dans V Abécédaire d'archéologie de M. de Caumont , p. 210. Nous y avons apporté les modifications voulues par notre but , et, somme toute, ces détails ont fait un fort beau meuble, qu'on imi- terait sans violer aucune règle d'archéologie imitative.

AMEUBLEMENT DE LÉGLISE. 2^5

Avançons. Voici la chaire : c'est une véritable tribune La chaire;

^, y , 1 1 -rw- ' HT- place normale.

(1 OU la parole de Dieu se répand sur 1 auditoire fidèle. Cette destination dirait toute seule et sa position normale , et sa forme, et son ornementation. Il n'est pas indifférent, en effet , de lui assigner une place quelconque. Source d'ensei- gnement et de lumière , c'est au sud de l'église , du côté de l'épître , qu'elle doit s'élever, pour souffler de vers les régions de rignorancc et du froid la science de l'Esprit-Saint et la féconde chaleur des inspirations divines. C'est la même raison qui fait diriger vers le nord la voix du diacre annon- çant l'Évangile, dont les homélies et les sermons ne sont que d'amples et incessants commentaires. Ce n'est pas sans avantage pour l'ameublement de l'égUse qu'on est parvenu à faire de la chaire chrétienne comme une sorte de monu- ment que son immobihté môme élève à ce titre. Quelque ancienne qu'elle soit dans les usages de l'Église, puisqu'on en voit que des traditions locales font remonter jusqu'aux temps apostoliques (4), il ne faut pas se figurer qu'on lui ait toujours donné cette importance monumentale. Mobile d'abord et essentiellement transportable, ce n'est guère qu'au treizième siècle, quand on sentit le besoin d'en faire un ornement de plus pour nos vastes et riches églises , que ses formes et son ornementation prirent des proportions mo- numentales (2) ; et encore n'en connaît-on pas de plus an- cienne que celle de la cathédrale de Strasbourg, dont l'abat- voix est cependant d'une date beaucoup plus récente.

Ici, nous ne pouvons penser comme certains archéologues qui prétendent priver les chaires d'abat-voix ou de draperies,

(1) M. Didron cite , à Salonique et à Corinthe, deux chaires l'on tient encore que S. Paul a prêché; d'autres sculptées au portail nord de la cathédrale de Paris, ou peintes dans les verrières de celle de Sens ; enfin une autre conservée depuis le douzième siècle à Saint-Bar- théleniy de Pistoie, en Italie. {Annal, archéol., XIll, 239, et XVII, 315.)

(2) Voir Notice sur les chaires à prêcher , \)B.v M. l'abbé Barraud, p. 29, in-8o, Caen, 1871 ; —M. de Cauraont, Hist. de Varchit. relig, au moyen âge, p. 21.

2^6 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

SOUS le prétexte tout gratuit que le cérémonial romain ré- serve cette distinction à la chaire de l'évêque seul (1 )• est- ce, d'abord, que l'évêque a jamais eu une chaire à part, nul autre ne montât, ce qui supposerait qu'au moins dans les cathédrales il y en aurait deux, l'une pour lui , l'autre pour les prêtres ? Mais quand cette prescription serait formelle , ne faudrait-il pas considérer qu'elle serait comme toutes les autres du même livre , d'une époque déjà fort reculée, l'art n'avait pas pris tous ses développements d'aujourd'hui, et que cette règle , comme beaucoup d'autres moins stric- tement suivies , pourrait sans inconvénients se modifier en faveur du meilleur effet qu'on doit se proposera? Que ferait au-dessous de nos voûtes élancées , au milieu des piliers sveltes qui les supportent, une cuve mesquine, à peine aper- cevable dans la vaste étendue d'un immense vaisseau , tout au plus aussi digne que celle destinée aux catéchismes d'une chapelle ? Au contraire , donnez-lui cet appendice qui la relève aux regards , qui complète sa vie monumentale , qui centuple l'importance de sa forme en se prêtant à une ornementation habile et éloquente : dès lors vous mettez cette chaire en harmonie avec tous les autres détails de l'ameublement ; vous avez une voix de plus dans le temple, voix que l'oreille du cœur écoute pendant que l'œil de l'es- prit s'y complaît , lit et approuve. Quel dommage ne serait-ce pas qu'un tel objet manquât, à peu près seul dans une église, du symbolisme que nous aimons tant à y trouver en tout !

(1) Une chaire sans couronnement, et apparaissant tout isolée et comme non achevée^ aura toujours l'air, dans une grande église, d'une chaire roulante, manquant de style et de dignité; au contraire, dans l'immobilité d'une masse monumentale , on retrouve la gravité sainte delà Parole éternelle : Ve/ritas Domini manei inœlernum (ps. cxvi,2). Nous ne concevons donc pas comment des archéologues ont pu s'élever contre un couronnement indispensable en alléguant une pré- tendue défense du Cérémonial des évêques. Ce livre ne parle que du dais ou baldaquin dont le trône épiscopal doit être recouvert, et encore pourvu que le même honneur soit rendu au maître-autel. (Voir Csere- rnon. episc, lib. Il , cap. viii; lib. III, cap. iv.)

Inconvenance des chaires en

vre.

AMEUBLEMENT DE l'ÉGUSE. 217

Nous insistons, c'est ici lo lieu de le dire, pour qu'on no s'avise jamais de construire une chaire en pierre, comme il p'^rre est arrivé trop souvent, par un caprice qui confondrait encore un meuble avec le monument môme, dont il ne doit pas faire partie intégrante. Car, dans ce système, le meuble est accolé aux parois de la nef, s'il n'y en a qu'une , et se confond avec le mur qui la soutient. On avouera, avec un peu de goût , que cet appendice se distinguera mieux de rédifice s'il est construit en chêne , qu'on se gardera bien de peindre, le temps devant se charger seul d'en foncer la teinte. Il saillira bien plus convenablement du mur, ou bien il s'élèvera entre deux des piliers qui distribuent l'église en trois nefs, et y sera d'un effet digne et religieux. Nous parle- rons plus loin de ses sculptures, qui peuvent varier à l'infini.

Vis-à-vis la chaire, on s'est évertué fort souvent à dresser J^e ^anc d'œu un autre genre de meuble utile, nécessaire même dans les grandes églises : c'est le banc d'œuvre dans lequel il est bon que le clergé ait sa place distincte pendant les sermons. Mais , comme la chaire doit s'isoler des piliers pour n'en pas interrompre la majestueuse harmonie, en coupant brus- quement les lignes architecturales qui s'y suspendent dans toute leur belle pureté, le banc d'œuvre aussi doit rester presque inaperçu dans le vaisseau, ne s'élevant donc qu'à une hauteur inoffensive aux détails qui rentoureut, et tout dépourvu de ces hauts dossiers qui restreignent le rayon visuel , et cachent tous les objets d'art que l'œil rencontre avec tant de bonheur dans l'étendue calculée de l'enceinte «acrée. De grâce, ne gâtons rien sous prétexte d'embellis- sement!

x\u delà de la chaire, s'éleva longtemps, comme un com- Lambon ou plément nécessaire, l'ambon (aAcCwK) ou jubé, galerie plus ou moins |Vaste , élevée au-dessus d'une arcade laissant communication entre la nef et le chœur : c'est que se chantaient solennellement l'épître et l'évangile. De aussi s'adressaient au peuple les enseignements de la prédication,

jubé.

24 8 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

depuis l'époque antérieure au onzième siècle, la foule com- mença à choisir ses places à Téglise, souvent sans distinction des sexes dans les deux collatéraux ; car c'est vers ce temps que se multiplièrent les églises à trois nefs : pour celles-ci, l'ambon avait été placé, comme à Saint-Clément de Rome, il l'est encore, à droite et à gauche du chœur ; on obser- vait donc la coutume normale d'annoncer l'évangile du côté nord , et l'épître, avec les leçons des Apôtres , vers le sud, comme nous continuons de le pratiquer. Jubés symboii- Un dcs plus curicux jubés qui se soient conservés jusqu'à

ques de Ravenne. ^ o x

nous , et des plus symboliques par son ornementation , est celui de la métropole de Ravenne, qui date du sixième siècle, et fut fait, comme l'indique une inscription qui lui sert de frise , par l'évoque Agnellus; il est en marbre. La vaste am- pleur de son développement a permis de diviser sa façade carrée en trente-six compartiments, dont chacun renferme un oiseau ou un quadrupède symbolique, toujours le même pour chaque rang , et dont , par conséquent , chacun est répété jusqu'à six fois , ce qui cache certainement une in- tention où le nombre six a son rôle. On distingue donc encore très-bien six agneaux , allusion au nom de l'évêque et en même temps à celui du Sauveur ; six paons exprimant l'immortalité espérée du chrétien ; six daims , rappelant le mépris du monde par leur amour de la sohtude ; six co- lombes , qui sont toujours l'innocence et la charité ; six palmipèdes , bêtes aquatiques symbolisant le baptême , et six poissons, dont nous savons l'analogie avecle chrétien(i ). Deux autres jubés du même siècle se voient encore en deux autres églises de la même ville, dont l'un reproduit la même série d'animaux symboliques donnée par Agnellus. N'omettons pas d'observer que ce prélat pourrait bien avoir travaillé de ses mains ces intéressantes sculptures , car son inscription :

SERVVS XRI AGNELLVS HVNG PYRGVM FEGIT

(1) Bullet, monum., XXY, 685,

AMEUBLEMENT DE LÉGLISE. 2^9

permet de le supposer : ce serait donc un évoque artiste à ajouter au Dalmatius et au Némertius du siècle de S. Gré- goire de Tours, qui sans doute n'avait pas à s'occuper de lui dans une Histoire des Francs. Le beau jubé de Saint-Étienne-du-Mont, à Paris, était un , ceiui de saint-

Etienne-du-Mont ,

modèle parfait sous tous les rapports, et un cbarmant spé- à Paris.

cimen de Fart gotliique. Parvenu jusqu'à nous depuis le

seizième siècle et à travers le vandalisme de l'ignorance

qui, au dix-septième, le détruisit presque tout entier, on a

parlé de le ruiner avec tant d'autres, comme obstruant le

regard des fidèles vers l'autel et séparant trop les fidèles du

clergé officiant. Ce sont précisément les deux avantages

que la vieille liturgie, trop dénaturée aujourd'hui, voulait

se ménager. Pourquoi ne sait-on plus que jadis la riche souvenirs sym-

.,,.,,, . ,, ,. boliquos qui s'y

portière du jube s ouvrait au moment de la consécration, rattachent. pour figurer le voile du Temple déchiré à l'instant solennel Jésus sauva les hommes par sa mort? N'y avait-il point quelque enseignement encore dans ce recueillement du sanctuaire, dans cette séparation entre le prêtre priant et sacrifiant dans le silence, et ce peuple agenouillé au dehors, aspirant à la possession de la Terre promise et de l'Église éternelle? Conservons donc, partout elles existent, ces clôtures éloquentes, d'ailleurs si riches presque toujours du plus beau langage sculpté ou peint; et si, dans le système actuel de nos constructions rehgieuses, on s'obstine à se passer de l'ambon et de tout ce qu'il pourrait ajouter de con- venance au culte sans gêner l'aspect des cérémonies, du moins gardons ceux qui n'ont pas été renversés par des mains barbares, et respectons la pensée qui s'y manifesta si longtemps (I).

(1) Voir l'abbé Ricard , Revue de iart chrétien, t. III, p. 282. Ne serait-il pas possible de ramener le jubé dans nos églises cons- truites d'après les meilleurs plans du style gothique , en les établis- sant au-de.-;su3 d'une vaste arcade qui laisserait une communication suffisante entre la nef et le chœur? Ce serait une clôture grandiose , fermée après les offices, et qui, sans gêner en rien dans une vaste basi- lique, en augmenterait singulièrement le caractère religieux.

Le transsept.

Le chœur.

Les stalles.

220 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Le transsept, en avant du chœur , forme les deux bras de la vaste croix qui forme le plan général. sont ordi- nairement deux chapelles , comme à la cathédrale de Poi- tiers, et, presque toujours aussi, deux portes s'ouvrant sur deux façades secondaires, mais surmontées, à l'intérieur, de verrières coloriées l'art et la liturgie ont rivalisé d'efforts pour instruire l'âme en séduisant le regard. Nous dirons quel choix de sujets convient mieux à ces baies élé- gantes dont le coloris, savamment ménagé, amoindrit convenablement le jour vers la partie supérieure de l'église, la prière a besoin de plus de mystère et de recueille- ment.

Nous arrivons au chœur, limité à son extrémité occi- dentale par une clôture quelconque, soit une simple grille depuis la disparition des jubés, grille qui doit être d'autant plus remarquable de dignité par ses proportions et son beau travail qu'elle tient à un ordre de choses plus élevé qui va se dérouler à nos méditations de chrétiens et d'ar- tistes. Au delà , sont les stalles, garnitures d'une extrême élégance, chefs-d'œuvre de menuiserie bien souvent, depuis qu'au quatorzième siècle on s'évertua à les orner de sculptures où, pendant trois cents ans, le symbolisme s'est fait un rôle si large et si varié. On sait le mérite des' magnifiques stalles de notre belle basihque de Poitiers, dont les formes, avec leur ornementation si curieuse, furent étabhes de 4236 à 4230. Ce sont les plus anciennes que l'ar- chéologie connaisse en France, et nous ne craignons pas de dire en Europe (4 ) . Durant de Mende , qui écrivait quelques années plus tard, fait des stalles un avertissement des faiblesses de cette vie, la force active a besoin de quelques intervalles d'allégement et doivent nous faire aspirer au repos inaltérable de l'éternité (2). Sicardi de

(1) Voir la description et les dessins de ce bel œuvre de menuiserie dans notre Histoire de la cathédrale de Poitiers , t. II , p. 30 et suiv.

(2) M Stalli ad sedendum in choro désignant quod aliquando corpus

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 224

Crémone fait de tant de places ditïérentes l'image de celles du ciel, qui difléreront entre elles d'après les mérites divers des Élus (1). Que dire de cette idée barbare que nous avons entendu professer à Bordeaux et ailleurs sur le renverse- ment nécessaire de cette magnifique ceinture, les cha- noines cherchèrent bien moins, quoi qu'on en ait osé dire, un abri contre le froid des nuits passées au chœur qu'un refuge contre les distractions du dehors et un recueille- ment indispensable à l'esprit de prière ? N'était-ce pas dans cet esprit que le ciseau des maîtres avait représenté sur ces vastes et merveilleuses surfaces tant d'histoires sacrées, tant de feuilles et d'animaux dont chacun savait parfaite- ment alors la signification esthétique? Et, en admettant que ces travaux de la main chrétienne n'aient point partout la même valeur, ne sont-ils pas une décoration tout à fait dans l'esprit de la chose? Voudrait-on nous dire ce que nous aurons gagné à ce dégagernent de notre enceinte si conve- nablement réservée , lorsque nos chanoines , mêlés pour ainsi dire à la foule devenue si peu respectueuse dans le Lieu saint, nous serons entraînés malgré nous, au milieu des fonctions les plus sacrées, vers un mouvement général incompatible avec les saintes préoccupations de l'âme con- templative ; lorsque l'autel même nous sacrifions sera, contrairement à Tesprit de l'ÉgUse, exposé aux regards curieux et trop souvent profanes de ces faux chrétiens, à qui l'on devrait cacher les mystères, et qui viendront, épiant nos moindres gestes liturgiques, saisir pour ainsi dire sur nos hvres les incommunicables paroles de la re- doutable Transsubstantiation? Gomment peut-on dégénérer ainsi de ses pères, et apporter ses idées personnelles à la place de si religieuses conceptions (2)?

recreandura est : quodque caret aeterna requie , durabile non est. « {Rationale, lib. I: mihi , iv.)

(P Dorsalia sedentiiira raultœ manaiones in donio Patris, sicut in Joun., XIV, legitur. n {Milrale , lib. I, cap. iv.)

(2) Nou3 aurions à signaler ici une sortie étonnante de feu l'abb^

222 HISTOIRE Dtl SYMBOLISME.

Le chœur {x<^?6ç) est l'espace destiné au clergé qui chante j comme le sanctuaire à celui qui offre le sacrifice ou y con- court par son action unie à celle du prêtre officiant. C'est pour cela que le chœur, se remplissent des fonctions plus élevées que celles des simples assistants, est distingué du sol de l'église par une élévation qui s'observe générale- ment et dont les marches, comme S. Charles le remarque, doivent toujours être en nombre impair : nous en savons la raison mystique []). Plus beau de décor que la nef, moins que le sanctuaire, on y arrive souvent, surtout dans les églises du onzième siècle, la forme cédait très-fréquem- ment à l'idée mystique, par une arcade qui se rétrécit beaucoup en comparaison de la nef, et parfois l'espace même consacré au chœur et aux saints mystères n'a que les mêmes dimensions de cette porte étroite. Une inscription placée au-dessus de cette arcade amoindrie, dans l'église de Tournebu (Calvados), exphque ce qu'il en faut penser et ailleurs : c'est la parole du Sauveur dans son discours sur la montagne, rappelant comme il faut se faire petit et mul- tiplier ses efforts pour entrer au ciel , dont la porte est si étroite^ aussi bien que la voie qui ij conduit (2). Arcade triom- Qg^g dcmière partie de l'égUse, formée du chœur et du

phale et crucifix. ^ *-"

sanctuaire, symbolise le Ciel, sont les personnes et les choses sacrées par excellence. La nef par elle-même n'est aussi que l'image du monde inférieur qu'habitent les sim-

Pascal, qui, dans ses Origines et Raisons la lituy^gie catholique y col. 317, prêche dans le sens du vandalisme moderne contre la conser- vation de l'enceinte des chœurs. Il est au moins surprenant d'entendre un prêtre parler en 1844 de l'Office canonial comme aboli et perdu , et conclure de que la raison d'être n'existe plus pour les hautes stalles, comme si les Offices capitulaireis n'avaient pas été rétablis par le con- cordat de 1802 en même temps que les Chapitres.

(1) Voir BulleU monwm., XllI, 552; XIV, 503; XVIII, 66; XX, 180, 260; S. Caroli Instruction., lib. I , cap. ix, x , xi et xii.

(2) « Quam angusta porta , et arcta via est quae ducit ad vitam , et paucisuntqui inveniunt eam ! » {Matth., vu, 14.) Voir Bullet. mo- num., XIII, 149.

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. 223

pies fidèles, figure , en un mot, de l'Église militante ; et comme on ne peut passer de ce monde à l'autre que par la croix, on avait autrefois l'habitude, aujourd'hui presque partout abandonnée en dépit de son caractère de tradition apostolique, et d'autant plus regrettable, d'encadrer au haut de l'arcade qui séparait les deux espaces un crucifix de grandes proportions qui frappait sans cesse les yeux des assistants (^) : c'est de que l'arcade susdite avait reçu le nom de triomphale , aussi bien que cette croix. En certains lieux on ajoutait, non sans avantage pour la piété, comme les architectes d'Angleterre en reprennent l'habitude dans leurs églises catlioliques, d'adjoindre au Christ crucifié .Marie et S. Jean, tels qu'on les représente sur le Calvaire (2). Dans les cathédrales et autres grandes basiliques les dispositions de l'architecture ne se prêtaient pas à cet agen- cement, on transportait ces dignes objets de la vénération chrétienne dans la verrière terminale, leurs belles cou- leurs ajoutaient à l'effet des. sain tes images: tel on le voit encore dans le beau vitrail du treizième siècle, à Saint- Pierre de Poitiers.

Tout contribue à donner au chœur le sens mystique de L'aigie ou lu- la Cité céleste. Pendant que, dans le sanctuaire siège l'Ëvèque, l'Agneau s'immole, et qu'autour de l'autel se déve- loppent en couronne mystique les lévites qui secondent l'ac- tion du Saint Sacrifice, les chants sacrés alternés ou simul- tanés rappellent le§ cantiques des Esprits célestes répétant à jamais ÏUozanna éternel, ou célébrant la paix apportée par le Christ aux hommes de bonne volonté. se balancent les couronnes de lumière jetant sur la fervente assemblée l'éclat mystérieux de ce jour d'En-Haut , qui éclaire de sa vérité quiconque aspire à la recevoir. Tci l'aigle déploie ses ailes pour soutenir les livres d'où s'échappent les notes tristes

(1) Voir S. Charles, Instruct, fahricsB eccles. Ub. I, cap. n; l'abbé HafTray, Beautés du culle catholique, H, 44. (;>) Durant, Ralionale^ ubi siiprà; Bullet. vionum., XVIII, 68,

trin.

224 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

OU joyeuses de raction de grâces ou de la prière : c'est la sublimité de ce vol de l'âme, exprimé si bien par la louange divine et les ardentes supplications. Enfin les prêtres, les clercs ont leurs places assignées par les prescriptions cano- niques dans les hautes ou basses stalles , selon qu'ils sont élevés ou non aux ordres majeurs, symbolisant l'ordre mer- veilleux de la cour céleste , et unis aux saintes aspirations de l'autel , participant de cœur "et d'esprit , par les alterna- tives du silence et des cantiques, à l'œuvre incessante de la communion des Saints. Le sanctuaire. ^j^jg \q sauctuairc va s'ouvdr . . . Trois ou cinq degrés, nous l'avons dit, y donnent accès : il est donc supérieur, par son élévation au-dessus du sol, à tout ce qui l'environne, et ainsi il témoigne de la haute supériorité des mystères qui s'y ac- complissent. Par un autre symbolisme qui a le double avan- tage d'annoncer à l'extérieur cet espace privilégié et de le distinguer aussi nettement dans l'enceinte sacrée , la voûte s'y abaisse plus encore que pour le chœur, et indique à tous un lieu à part , et comme une église plus mystérieuse dans l'église entière {\) : c'est un complément dQ la pensée qui rétrécit cet espace et l'environne de plus de solitude et de silence , de moins de mouvement et de jour. encore une clôture doit entourer l'autel : moins élevée que la grande grille du chœur , dont les dimensions doivent s'harmoniser avec la majesté qu'elles défendent, elle sert d'appui au fidèle qui vient chercher la nourriture eucharistique; mais elle n'en a pas moins le sens d'une vérité morale, car elle dit au clergé, avec l'abaissement même des voûtes, selon les litur-

(1) C'est une observation consignée dans toutes les descriptions d'é- glises anciennes : cet usage était bien antérieur au onzième siècle; on le pratique encore au douzième pendant la belle période dite de Iran- silion , comme à la cathédrale de Poitiers. Il faudrait tenir à ce point si convenable dans les constructions d'églises modernes. Nous avons fait remarquer cette importante disposition, quant à la cathédrale de Poitiers, dans VHisloire de ce monument, 1,311, et dans le Bullet. mo/iwm., II, 70, et IV, 325.

AMEIBLKMKNT DK l/ÉCLISK. 225

gistes (lu moyen âge, que plus il est élevé au-dessus du reste des hoiîTmes, plus il doit s'humilier lui-môme dans son es- prit et dans son cœur. Comme point de séparation, le chancel indique réloip:nemont des choses de la terre et le désir du bonheur qu'on ne trou\e qu'en Dieu (^). C'est aussi, entre cette table il était \enu si souventpour nourrir lésâmes, et l'autel il prenait pour elles le Pain de vie, que le curé reposait après sa mort, lorsque la pbilosophie friomphante n'était pas encore parvenue à l'en exiler." Le sanctuaire, (lue serait-il sans l'autel ? C'est vers ce der- L-amoi ef ^e*

'■ détails.

ïiier (jue se réunissent toutes les pensées de la Coi ; c'est en vue de ce qui s'y passe et de ce qu'il contient que s'est fait tout le reste. Si notre Dieu n'était pas dans sa réalité éternelle, dans son immolation qui ne cesse pas; s'il ne s'y maintenait jusqu'à la consommation des temps pour ceux à qui furent dites ses infaillibles promesses , combien de choses manqueraient à l'ensemble d'une église ! com- bien de symboles réunis à grands frais n'y eussent jamais été ! et quelle raison de donner à cet étroit asile , la Ma- jesté infinie se voile et réside humblement, tous les carac- tères de magnificence relative qui dépendent de la dévotion de l'homme ! C'est ici l'occasion de regretter qu'en voulant Le tabe.naeie

p . , . , , 11 1 «i. mal à propos isolé

se conformer trop exactement a ce qu on appelle le rit ro- .lu gmnd «utei. main, on se soit fait, dans beaucoup de paroisses, un devoir mal entendu de priver l'autel majeur et principal de ce qu'il avait de plus touchant et de 2)lus divin. En forçant le texte du Cérémonial des Évéques, (jui ne parle que des céré- monies épiscopales, on n'est parvenu qu'à isoler le Très- Saint Sacrement du trône véritable qui convenait mieux à sa gloire; les offices dont il est l'objet réel, les louanges qui

(1) « Cancellud, humilier reliquo corpore, mysticat quanla huiuilitas debeat esse in clepo, juxtaillud : (Juanlo major es , lanlum humilia le in omnibus. » (Eccli.^ ni.) Hiip;. à Sancto-Victore, Spéculum dr tnystcriis Eccksix , cap. i.— Et Durant, Ration, (uiihi, ni), ajoute : M Cancelli vero quibus altare a clioro dividitur, separationem cœles- lium significant a terrenis. »

T. ui. 13

226 HISTOiRK DL SYMBOLISME.

se rapportent toutes à lui, les cérémonies qui ont en lui leur dernier terme et la raison de leur existence n'y man- quent-elles pas de leur vie, n'y perdent-elles pas la plus grande part de leur sens pieux et de leur religieuse appli- cation ('l)?

Mais qu'il en est autrement lorsqu'on aborde en ce lieu consacré l'autel demeure le Saint des Saints ! Trois marches le surexhaussent, car il doit être la plus haute ex- pression d'un amour qui l'éponde à celui d'un Dieu, et la

(1) Le Cérémonial drs Eiêques a des prescriptions vénérables rela- tives aux moindres détails des offices pontificaux, et auxquelles il faut nécessairement s'en tenir quan J ces fonctions liturgiques s'accom- plissent. L'évêque devant ôtre tantôt paré de sa mitre, tantôt la t»;l(! nue, ou assis, on a cru plus convenable, soit pour ne pas mêler à l'action générale des génuflexions' gênantes que la présence du Saint- Sacrement exigerait, soit pour ne rien déranger à l'ordre des mouve- ments prescrits, d'éloigner la Sainte Eucharistie de l'autel majeur se font les offices épiscopaux. Toutefois il faut bien observer que le Cérémonial n'exige pas cet éloignement : il ne l'indique tout au plus que comme très-opportun : vnlde opporlunum est. Aussi cet usage n'était pas suivi en Franco, les cérémonies étaient bien plus majes- tueuses avant la reprise du rit romain, et encore , depuis cette reprise, on le néglige en certains diocèses, l'on aime mieux prier Dieu devant Dieu lui-même. Quoiqu'il en soit, ce rite n'a plus la même raisoji d'être dans les églises paroissiales, rien ne s'oppose à ce que l'autel principal conserve le pain sacré vers lequel doivent conve- nablement aller toutes les adorations, toutes les prières qui se font au <'.liœur. C'est d'ailleurs que la piété des fidèles va naturellement (chercher l'objet de ses adorations; c'est vers ce centre commun que chacun s'orienle dans toutes ses stations à l'église : In sole idosiiii ia- hernaculum suum (ps. xviii , G). Et n'est-ce pas manquer à ce sym- bolisme, dont nous avons dit le sens admirable, que de placer la Sainte Réserve, sans aucune attention à ce principe, dans la première chapelle venue, au risque de ces innombrables ^J^occs^fo^^ du Saint- Sacrement qui se répètent à chaque fois qu'on a consacré au grand autel , ou qu'on y doit avoir le sahil? (Voir Cœrcmoniale Episeopor., !ib. 1, cap. xii^ 8.) Remarquons encore que le Rituel romain recommande aux curés (Matines, 1850, in-12 , p. 70) de conserver la Sainte Réserve in allari inajori vel alio; d'où résulte certainement la pins grande liberté à cet égard. Pourquoi donc s'imposer des coutumes nonvelles , auxquelles l'Eglise n'oblige pas, quoi qu'on en dise, et qui ont toujours pour regrettable conséquence de jeter le peuple dans des incertitudes qui affligent ou ébranlent sa piété?

AMEUBLEMENT DE L*ÉGL1SE. 227

glorification de ses charitables abaissements. Ces marches sont encore, d'après Hugues de Saint- Victor, les Apôtres et les Martyrs ({ui ont répandu leur sang , en l'offrant pour ainsi dire aux pieds de Jésus-Christ (I). L'or, les pierreries, les couleurs, les images sculptées des deux Testaments , de l'Apocalypse; tout l'éclat extérieur de cette table du nou- veau cénacle , les nappes de fin lin , nouveau suaire , mais couvertes de délicates broderies, revêtent cette masse oblon- gue, véritable tombeau reposent les reliques des mar- tyrs, et consacrée par la liturgie avec autant de vénération que l'église elle-même. Comme c'est un digne appui de la \ictime céleste de chaque matin, c'est aussi le support na- turel de ce tabernacle, refuge obscur de la Souveraine Gran- deur. Si l'autel est la représentation du Sauveur lui-même , sans lequel aucune offrande n'est utilement présentée à son Père, s'il est une sorte d'Église spirituelle, d'oii s'échappent vers Lui Fencens des plus suaves prières (2), le Tabernacle est la résidence véritable de l'Agneau de Dieu ; il est l'Arche de l'alliance nouvelle qu'il a contractée avec les hommes dans son Sang ; il est la continuation et le perfectionnement de ce premier Tabernacle dont Moïse devint l'architecte par ordre de Dieu, et dont chaque partie essentielle, comme chaque ornement , devenait un souvenir des bienfaits divins et une ligure prophéticjue de Celui réside la Manne nou-

(l)«Gradus quibus ascenditur ad aUare, spocialiter demonstrant Apostolos et Martyres qui pro araore Cliristi sunguiuem suum fude- niDt. » {SpecuL de mijsler. Eccles., cap. i.) Duraut marche toujours A la suite de notre auteur et dit la mêine chose dans les mêmes termes. Ils ajoutent l'un et l'autre la cause mystique de cette signiti- l'ation: l'Épouse des Cantiques a^ipelle une inonléd de sang (ascenswn purpureum) les degrés du temple de Jérusalem, des Prophètes avaient été massacrés. (Mihi, f*» vi, v», col. 2.)

(2) « AltareChristumsiguiticat, sine quo nuUum munus Palri oirerluj- a»;ceplabile, Unde Ecclesia ad Palrem oratiunes solet dirigere per Christum. » (Hug. à Sancto-Vict, et Durant, ubi suprù.)— Voir tous les liturgistes, puis Raoul Rochette, Tableau des calacuinbes, j), GG, 72, 75 «t suiv. ; l'abbé Raflray, Beautés du culle catliulique, 11^ 42 et suiv.; L'nivcrs, feuilleton du ■'» août ISoo.

'22S HISTOIRE DU symbolisai:.

velle (l).Oii sait les magiiiiiques rapproclieiiieiits qu'a faits S. Paul entre ces deux Tabernacles, et combien il relève le nouveau au-dessus du premier (2) : c'est pourquoi nous aussi nous avons autour du corps mystique les lumières , emblèmes de l'intelligence éclairée par la foi , signe le plus expressif de la lumière indéfectible apportée par le Gbrist , entretenue par l'Église; la lumière est ici, dans la lampe du sanctuaire, la compagne fidèle et inséparable de la solitude perpétuelle du Fils de Dieu, et, soit par la cire de l'abeille, soit par l'iiuile de l'olivier, elle reproduit à son regard divin la fidèle image de la candide pureté des vierges ou de la charité qui se consume pour lui (3). Mais quelque beaux et significatifs que puissent être tous La croix. les objcts qul dépendent de l'autel et concourent à sa glori-

fication spirituelle , il n'en a pas de plus digne , de plus élo- quent que la croix, signe par excellence du salut et du bon- heur éternel. Elle brille comme l'étendard du grand Chef partout la rebgion commence, s'épanouit ou se termine : c'est notre guide du baptême à la tombe. La liturgie n'a pas de rite sans la croix ; on n'offre pas le Saint Sacrifice sur un

(1) Voir les ch. xxvi et xxvii de l'Exode, se trouve la description de ce tabernacle, pour rintelligence des rapports frappants établis entre lai et nos sanctuaires chrétiens, et de quels respects la pensée de Dieu même l'avait entouré par ses grands voiles qui dérobaient le Saint des Saints aux regards curieux et profanes. N'en conclurons- nous pas que nous dévions par trop de ces inspirations si révérencieu- sement suivies par l'antiquité catholique , lorsque nous laissons à découvert, comme des choses vulgaires, l'objet si digne de nos adora- tions et de nos hommages?

(2) « Tabernaculum factum est primum...: quee parabola est tem-

poris instanlis Christus autem, assistens Pontifex futurorum

bonorum, per amplius et perfectius tabernaculum..., per proprium sanguinem introivit semel in sancta, ceterna redemptione inventa. » (Hebr., ix, 1, 9, Il et 12. )

(3) Voir la liturgie du feu sacré dans la bénédiction du feu nouveau au samedi saint, le cierge à trois branches, allumé au foyer bénit, est appelé lumen Christi; et comment S. Grégoire interprète de la charité l'huile dont les vierges folles avaient laissé manquer leur lampe (Homil. xii in Evang, S, Matth.).

i.*'

AMKLBLEMKM DE l/ÉGLISE. 220

autel qui n'en est pas pourvu, et c'est particulièrement qu'elle est appelée à briller d'une splendeur triomphante. Sur l'autel, elle doit dominer tout ce qui l'entoure; elle couronne le tabernacle; elle y maintient la pensée visible du Fils de Dieu toujours immolé pour sa créature; elle s'é- lance même au-dessus des lumières aussi indispensables qu'elle. A l'arc tiiouiphal on a pu s'en passer et la laisser tomber en désuétude; ici cette omission n'eut jamais de prétexte : on omettrait plutôt le Saint Sacrifice, tant elle en est l'imape vive et nécessaire, destinée à expliquer au regard l'invisible immolation de la Victime pascale (1).

Sur les étroites surfaces de ce petit meuble, mille richesses s\mboliques ont étalé à l'envi leurs enseignements scrip- turaires et les recherches les plus savantes de l'art chrétien. .Vous en parlerons pour dire quels sujets lui ont convenu dans tous les âges , et doivent encore lui donner toujours son langage sacré.

Sur le gradin qui , depuis le seizième siècle , s'étend de he^ chandeliers. côté et d'autre du tabernacle, se placent des chandeliers dont le nombre a varié, étant ordinairement de six aujour- d'hui. Ils ne furent pas toujours non plus de hauteurs iné- gales, comme on s'efforce généralement de l'observer (2). Ce noml)re j-esta donc et demeura encore arbitraire : d'abord, il ne lut (jue dun seul, comme le constatent les liturgistes (lii treizième siècle, et il s'augmenta peu à peu avec la longueur de l'autel, qui n'était guère d'abord que de trois à quatre pieds , et que l'ordre actuel des cérémonies étend de six à neuf, selon les dimensions du sanctuaire. Quoi qu'il

(1) Voir tous les Uitiiels.

'2) Observons encore (jne le nombre des chîuuleliers n est porté à sept que pour le» seuls olfices épiscopaux : nous en avons dit la raison voir t. 11, (h. VI, p. l.iU). \ Home, on ne s'y astreint qu'à Saint-Pierre (.'l à l'autel (lu Pape, nul autre (\nv, lui n'y ayant les honneurs complets fie l'ôpiscopat. Tous l(;s autres autels n'ont ([ue six cierges, et de hau- teur proizressive; ils peuvent même n'en avoir que deux d'éfiale hau- teur. Tous ces détails ont été réglés par le Cérémonial des Êvêqiies, lib. I, cap. xn. n"* li* et If».

230 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

en soit, ces flambeaux sont le symbole de la lumière morale que l'apostolat a répandue dans le monde par la parole de Jcsus-Gbrist {Vj. r.piiiimircs. Entre les chandeliers , sur le gradin , et souvent dans

l'intérieur môme de ce gradin, se trouvent ménagés des jours garnis d'un cristal, on place souvent des reliquaires contenus dans de petites châsses. Ces charmants petits meubles peuvent devenir aussi l'objet de travaux remar- quables où le symbolisme a un rôle très-déterminé. Les emblèmes, les scènes historiques, les légendes du Saint ])euvenl trouver un vaste essor que la gravure, les émaux, les filigranes relèvent toujours plus ou moins richement , mais d'une façon aussi religieuse qu'attrayante. Nous avons parlé des reliques introduites dans la table même de l'autel comme indispensable condition de sa dédicace. On s'est trop habitué à placer ces reliques dans un vase quelconque, par exemple dans une boîte de ferblanc, qui s'oxyde et ex- pose à une détérioration assez prompte les vénérables restes qu'il est si important d'y conserver. Le moyen âge faisait mieux : il figurait en un métal plus ou moins précieux , mais inoxydable , une petite châsse de telle ou telle forme consacrée , et la déposait dans la pierre ouverte à cet effet, garnie des reliques voulues. Une de ces châsses fut trouvée en ^ 8^0 dans une chapelle en ruines du Loudunais ; elle avait la forme d'une petitç église romane , était de plomb , parfaitement scellée, et renfermait des ossements de S. Geor- ges , des SS. Innocents, et aliorum , que nous y trouvâmes parfaitement intacts dans leurs enveloppes de soie rouge, après sept cents ans. constatés très-bien parles caractères (lu douzième siècle qui formaient les inscriptions (2).

(1) « Opoilet et ( allai e) liabere caudelabrum uL bonis operibuà liiccat... Est opusbonum quod alios per bouiim exemplum acceudit. »

Durant. Mimat.^ iihi aw//}?'^.)— Hugues de Saint-Victor : Luminaria eccle- siuî sunt illi quorum doctrina fiilget Ecclesia, ut sole luna ; quibus voce Doinini dicitur: Vos estislux muudi «(Hug. à Saucto-Vict.,/oc. cit.)

(2) A^oir la description de celte découverte et <le ce curieux objet.

AMEIBLEMKM DE l/ÉGLlSE. 231

Nous revieiulmiis, dans notre avant-dernier chapitre, sur tout ce qui regarde dans celui-ci l'orlëvi-erie ecclésiologique. Mais à tout cela il faut un couronnement, et, dans ce lo baidaquiD on

ciboriuin.

but, l'autel est ordinairement surmonté d'un dais ou bal- daquin tait ou recouvei-t de riches étoffes, dont une partie s'échappe de tous cotés en courtines ou rideaux élégamment drapés, et se reliant àquatre colonnes de matière précieuse, bronze, marbre ou bois étranger tel que l'ébène, suscep- tible d'un beau poli, ou d'ornements que peut relever Tenrploi de l'or, des pierres , des éniaux et de l'ivoire. Cet abri , ([ui parvient avec ces conditions à composer un en- semble très-majestueux et digne , autant que possiWe, de son enqiloi , est le même que nos vieux auteurs appellent cibonum, ce qui indiqu(i très-nettement son but de servir comme de timte à la Nourriture divine. Aussi n'est-il de rigueur, dans l'Orch'e romain , que pour les autels dont le tabernacle renferme habituellement la Sainte Eucharistie. Donc, il tant s'en al)Stenir au-dessus d'un autel qui manque de tal)ernacle et de la Sainte Réserve, si en quelques églises on persiste à ne pas la garder au grand autel, par un système re- grettable, comme nous l'avons dit, à tous égards {\). Encore plus faut-il renoncer, partout le ciborium est adopté , à le suspendre à la voûte sans aucun appui inférieur, ce qui a toujours autant de mauvaise grâce que peu de dignité. Uno colombe brodée en or ou en argent sur le fond de ce pavillon symbolique rappellerait bien les anciens ciboires

liuUetiii de la Soc. des AnlUiuaires de l'Ouest, t. IV, p. 2o7,— et Revue de L'art chrétien, t. ni,p. 411. Au ciiiquiciiie concile de Garthago, en 2o4, le canon xiv décida qu'aucun autel ne serait consacré sans reliques, et ordonna de renverser ceux qu'on trouverait n'en avoir pas. Ceci fut renouvelé en 787 par le deuxième concile général de Nicée, can, VII, et s'est toujours stri(;teuu;nt observé depuis. Voir Cabassut, Syn^ps. concilior., 11, 82; Labbc, VII, col. 907.

(1) Rien ne s'oppose, dans les prescriptions liturgiques, à ce que le Saint-Sacrement soit transporté ailleurs pour la duré:^ des cérémonient épiscopalcs, et qu uu le rai)poiic à laulel central, dont il est la vie, lorsque ces niéuics Oflices sont lermiiiés.

232 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

suspendus autrefois au-dessus de l'autel sous cette forme mystérieuse; mais surtout on devrait y éviter , comme du plus mauvais goût, ces couvertures plates et carrées bizar- rement apposées , en manière de ciel de lit , et qui , aussi mesquines par leurs vieilles étoffes poudreuses que ridi- cules par leur effet, rappellent trop une chambre à coucher de la plus modeste demeure d'un maire de village. sipgo ëpiscopai. Bans les cathédrales, le siège épiscopal, d'où l'éghse prend son nom {cathedra), doit être adossé au nord , afin que le pasteur regarde et reçoive à pleins rayons la lumière céleste , image sensible du Christ, qui est la splendeur de la lumière éternelle de son Père. Ce siège, élevé de trois degrés au-dessus du sol , peut être de bois ou de marbre , ou de toute autre matière , mais ne peut être orné de drap d'or que pour les évèques cardinaux, dont, par cela même, il indique la dignité supérieure. C'est un de ses caractères d'être fixe et immobile, pour indiquer l'inamovibihté du pouvoir épiscopal , qui est celui-là môme du Sauveur {\j. C'est donc un meuble tout d'une pièce , sans parties sépa- rées , embelli de draperies , surmonté d'un dais de forme noble et élégante , à moins que l'autel n'en eût pas , car alors on ne devrait pas traiter ce siège mieux que celui s'abaisse le Seigneur lui-même (2) . Un usage des plus an- ciens faisait recouvrir le siège épiscopal d'étoffes précieuses qui le distinguaient des sièges communs, comme on le voit de S. Cyprien dont les fidèles garnirent ainsi le banc sur lequel il allait souffrir le mai'tyi'e, a afin, disent ses Actes ,

(1) s. Nil, dès le commencement du cinquième siècle, écrivait: « Epis- copalis thronus qui in medio presbyterorum est, catliedram insinuât magni pontificis Domini nostri Jesu Christi. » (Epist. ad Nemerlium, Spicil. Solesm., III, 398.)

(2) « Sedes episcopalis erit locanda a lalere Evangelii; tribus gra- dibus ad eam ascendatur. . . Forma erit prœaita et sublimis, sive ex ligno, sive ex marmore, aut alia materia fabricata in modum cathedrse et llironi immobilis... Super eam umbraculum... appendi poterit, dum- modo aliud super altari sumptiosius appendatur. » (Cceremnii. Kpis- copor. lib. 1, cap. xiii, n-' 2 et 3.)

AMELBLKMKNT DE L'KGLISE. 233

qu'il mourût avec les lioinieurs de l'épiscopat ( ly. » Tout en gardant l'emploi d'ornements de soie pour garniture d'ensemble de ce meuble important, le moyen âge lui con- servait son coussin de laine , qu'on laisse exclusivement aujourd'hui au président du parlement d'Angleterre , sans songer qu'on s'est privé, en l'abandonnant, du symbole qui lend le mieux, d'après les Écriturfts et les Pères, ce mélange de simplicité , de douceur, de pureté d'intention et de force morale (jui conviennent excellemment à celui qui, connne ré\è(|U(', doit présider, juger et conduire (2).

Nous [le pouvons omettre ici de mentionner ce double compartiment, creusé ordinairement dans le mur latéral du côté de l'Épître, et qu'on appelle piscine, pourvu de deux cuvettes conununiquant par un canal avec une sorte fie puits-perdu ; on y déverse, d'un coté, l'eau qui a servi au lavabo de la messe , de l'autre celle qui résulte de la purification des linges sacrés. Les piscines de Notre-Dame de Sénun-, de Saint-Urbain de Troyes , de Donfield en Angle- terre, de la Sainte-Chapelle de Paris , sont des modèles des treizième et quatorzième siècles qui réalisent , dans une richesse ou une simplicité plus ou moins grande , tout ce qu'on peut désirer de mieux en ce genre (3). L'architecture religieuse n'avait pas plus négligé ce petit détail que tant d'autres. 11 se rattachait , en eCfet , à des précautions dic- tées par le respect des choses saintes ; car, outre les eaux dont nous venons de parler, on y déversait encore les

,1; « Sedile erat lortuito linteo tectum, ut sub ictiini passionis ejùs- copatus honore fnieretur. » (BoUand. ytc/r/, in 16 sept.)

(2) La laine pure est blanche et sans teinture : c'est la simplicité du Juste; moelleuse et douce, on s'y repose commodément; objet du tra- vail de la femme forte {apprehendit lanaiii et fusum (Prov., xxxi), elle indique l'activité qui engeudrt; la vie utile. Voir iuibau-Maur et Pierre de Capoue dans le Commentaire de S. Mélitou, SpicUeij. Solesni., III, 152.

(.'{) Voir les dessins de (;es beaux ouvrages dans les AnnaL arclico- logiq.j l\,SH;\l\,:H};\, J8.!; XIX, 1(12 ; et <kins ftUissier, Hisl.de lari monum., p. 601.

Piscines.

234 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

cendies produites par la combustion des linges sacrés, qu'on doit brûler quand ils sont liors de service , et ne jamais employer à d'autres usages moins dignes. Les piscines, an- térieures au treizième siècle , Innocent III ordonna que les ablutions n'y fussent plus jetées, mais consommées parle prêtre, ne furent plus employées dès lors que pour les usages indiqués ci-dessus , et c'est qu'après la sainte Commu- nion le prêtre descendait se laver les doigts , comme il le fait encore à l'autel. L'iiabitude de purifier au coin de J'Épîlre les doigts consacrés se prit au quatorzième siècle ; aussi, depuis cette époque, ne voit-on que très-peu de piscines aussi ornementées. Il n'est pas moins vrai que l'emploi en est très-convenable, et constitue un des besoins du culte qu'on doit bien se garder de négliger en construis sant une église. C'est, d'ailleurs, aux abords de l'autel une parure très-digne qu'on peut y sculpter selon le style du nionument ou de l'autel lui-même , et qui convient parfai- tement à compenser la nudité liabituelle du mur. Pour ceux qui savent les choses de la foi , la piscine y gardera toujours le symbolisme de la pénitence contiante ; c'est ([ue le prêtre qui célèbre se rappelle les saintes paroles : Lavabo inier innocentes manus meas (Ps.,xxv, G) ; et il aimera mieux voir soustraire ces eaux bénites auxquelles se mêlent plus ou moins les particules sacrées de l'Eucharistie , que de les savoir exposées aux hasards d'un vase sans valeur ou sur le pavé que foulent les pas inatteutifs des subalternes d'une église (I).

Comme la piscine offre par son plan un fond et des con- tours qu'on a souvent ornés de délicates sculptures, on peut aussi l'embellir de peintures polychromes représentant

(l) « Prope altare, quod Cliiistum siguificat, collocatur pisciiia seu la- v.icrum, id estCliristi misericordia, in qua manus lavantur adnotandum <|aod in baptismo et pœnitentia, quœ per illam significantur^ a pec- catornm sordibus diluimiir. » (DuranL, lib. 1; mihi, f" iv, y^, col. 2.) Voir un travail trôs-bieu résumé de l'histoire des piscines par Mgi' Cros- nier, BullcL nionum., XV, 50 et suiv.

AMKIBLKMKM DE l'ÉGLISK. 235

soit quel(|iie Irait relatif au Saiiit-SacreiiHMil, comme celle qu'on découvrit en isriS dans l'ancienne collégiale de Saint- Uuentin ( '^ , soit de* scènes de l'Ancien ou du Nouveau Testament, relatives à la miséricorde de Dieu, ou simplement des ti2:es vivaces des plantes symbolisant ces dispositions de l'âme. En tout parlons au cœur par le regard, à l'esprit par les pieuses données de l'enseignement scripturaire et artistique.

Avant de quitter le sanctuaire, il nous reste à parler de la crédence, petite table placée non loin de l'autel, et du côté (le l'Épître, pour recevoir jusqu'à l'Offertoire le calice garni de riiostie à consacrer, et revêtu de son voile, puis les burettes qui contiennent le vin et l'eau. Ces matières du Saint Sacrifice rappellent, pour cette table à laquelle on les confie (credere) le souvenir de cette autre table qui sup- portait, dans le Tabernacle de Moïse, les pains de proposition. On y dépose aussi l'encensoir, jusqu'à ce qu'il soit garni du feu, et les livres contenant les épîtres et les évangiles, (jette petite table, (t'après l'usage romain, doit être en bois, revêtue, des fj^iatre côtés, d'une nappe qui en cache les pieds jusqu'au bas, et ne doit pas être confondue avec celle qui sert aux offices pontificaux et que le céi'éinonial romain se plaît à décrire (2}. Il est clair qu'un tel objet est essentiellement mobile et transitoire. Au contraire les crédences, dont nous devons parler ici, demeurent en permanence dans le sanc- tuaire; leur usage a précédé celui de la piscine. Embellies de plus ou moins de décors, elles ont reçu le pain et le vin

(1) Voir Revue de l'art clirélien, 11, 4:>9.

(2) « Mensa, quani crcdentiam vucaiit..., in missis tautum solem- nibus prieparari solet a latere opistola;, in piano presbyterii, si loci disposilio pnlialur. » [Cxrem, Episcop. lib. I, cap. xn, 19.) H est rlair parce texte et par tous les autres objets auxquels cette table est ilestin<''e. la mitre, la barrette, et jus({u'aux sandales épiscopales, qu'il ne peut »'tre ici question d'un meuble qui reste en permanence dans le sanctuaire, comme les (M'édences qui y servent cbaf[ue jour soit aux messes basses, «oit aux messes solennelles.

Crcdcnce.

236 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

du vSaiut Sacritice , les vases destinés aux encensements et aux ablutions. Plus tard, leurs formes se sont modifiées selon les goûts de l'artiste ou les besoins des lieux ; au- jourd'hui, elles sont devenues, pour la plupai't, de simples tablettes supportées par un ou plusieurs pieds de forme élégante ; on les a fixées au mur par des ferrures qui les consolident. Le plus souvent elles sont placées au nombre de deux, en regard l'une de l'autre, ou parallèlement à l'autel, et sont devenues un ornement de ses abords ; car on en trouve en de certaines églises qui sont de marbre précieux, de métal ou de bois doré. On comprend de quelle utilité elles sont ainsi, puisqu'elles remplacent, en quelques circonstances et pour certains objets, ces armoires pra- tiquées dans l'épaisseur de l'abside et qui renfermaient, jusqu'à l'apparition des piscines, les vases sacrés, les livres et quelquefois môme les liosties consacrées avec celles qui n'étaient encore destinées qu'à le devenir : ainsi le prati- quait-on chez les Chartreux et les Cisterciens. Mais depuis l'adoption, qui semble rationnelle, de ces petites tables aussi utiles que gracieuses, il est bon, quand on les -confectionne exprès pour le service de l'autel, qu'on les ornemente et les enrichisse de tous les genres de beautés les plus capa- bles de symboliser quelques idées analogues à leur emploi. i^'orguc. Un meuble , après cette longue énumération , semble

cependant nous manquer encore, non (|u1l soit indispen- sable, mais parce qu'il est le complément de tout le reste, et qu'outre son emploi, qui va directement au culte, il a pour but secondaire d'embellir aussi une des parties les plus apparentes de la ])asilique. Est-ce donc au fond du sanctuaire, ou sous la rose occidentale, ou dans l'un des bras du transsept, qu'il faut établir le grand et mélodieux instru- mentqui prête toutes ses voix à nos fêtes, et s'y fait Y organe éloquent de nos prières et de nos joies? Point dérègles à cet égard, sinon celle de la perspective et de l'acoustique, lesquelles sont donc subordonnées au local autant qu'aux

AMEIBLEMKM UE L ÉGLISE. 2;J7

formes plus ou uioius arlistuiues du grand bulïet et du positif. Ce (jui nous iuipoile surtout, c'est rornementation que l'orgue doit recevoii". En y évitant la peinture poly- ehrome, qui accuserait la pauvreté de la constructiou, et en lui donnant un bois solide, comme le chêne, et paré de sa seule teinte naturelle, on lait acte de bon goût; et l'on n'a plus qu'à auguienter l'effet parla sculpture, qui peut y dis- tribuer les nombreux symboles de la musique sacrée, les concerts d'esprits bienheureux, les histoires de l'Ancien Testament (jui se rapjîortent à la musique. Une condition essentielle est de conformer l'architecture de ce bel in- * strument à celle du vaisseau qui le j-eçoit , par sa forme ifénéiale, par ses moulures, ses divisions, ses amortisse- ments; eu un mot, il se pUera, pour accomplir une grande et pleine unité avec le style des voûtes, des piliers et des chapiteaux, avec celui des stalles, de la chaire et des autres meubles dont le bois est la matière obligée. Nous n'avons fait, on le voit, qu'esquisser à grands traits Quel est l'e^prit

. . . 1 M 1 tlo rÉçlise dans le

dans ce chapitre les prnicipaux détails de rameiiblemenl -oin de tout ce ecclésiologique, non sans intention de revenir, au besoin, sur chaque objet en particulier, pour en mieux compléter l'esprit et le sens, pour en indiquer les meilleures formes et tracer le cercle des Jiautes convenances religieuses et artisti([ues dont ils ne doivent jamais s'éloigner. Cet esprit a été de tous les temps dans le catholicisme ; il n'y a que ceux dont l'intelligence reste au-dessous de ces grandes choses qui n'en sentent ni le mérite ni la nécessité. Voyez cet immense catalogue du mobilier des églises des neuf premiers siècles que nous a laissé Anastliase le Bibliothé- caire sous le titre de Vies des Papes (I) : c'est un inventaire minutieux des moindres objets, liturgiques ou autres, em- ployés dans les usages ecclésiasti([ues ; on y voit comme

fl Liber Ponlificuiis, sive De Vilis smnnu Pn)Ui/ic.: <l.iiis Miiratoji, Svript. rer. ilalic., au coiniiitMicement du t. III. in-f°.

qui précède.

238 HisTomr: dl' symbolisme.

les papes attachaient une grande importance à munir leurs églises de ces objets, et quels caractères symboliques leur étaient constamment donnés par eux. L'esprit de l'Église ne change pas sur des pratiques de si haute importance, et c'est une des hontes de notre temps de l'avoir oublié si générale- ment, quoique tout près de nous encon; les Saints se soient crus obhgés de le propager et de l'entretenir. Nous avons maintes fois cité le zèle de S. Charles à l'endroit des moindres portions de l'église ^t des choses de son ameu- blement. Ce sont les mêmes principes qu'ont suivis, à la même époque, Molina, de son Instruction des prêtres (1), et le vénérable M. Ollier, l'une des dernières lumières qui nous soient restées de ce siècle la foi, encore si puissante, gardait son foyer chaleureux dans le cœur d'un certain nombre de bons prêtres , évidemmejit suscités de Dieu pour conserver le feu sacré qui s'éteiguait de toutes parts. Les siècles de la piété catholique so' maintenaient réelle- ment dans cet homme de Dieu, cherchant, par son exemple, à persuader au clergé son propre zèle en faveur de ces meubles pleins de sens mystérieux, et indiquant par dans quels sentiments on doit les considérer et s'en servir (2). Enfin, que dire des laïques de nos jours qui, en grand nombre, participant à ce zèle que Dieu a mis dans tous les cœurs touchés de l'honneur de sa maison, en cherchent la beauté, y travaillent en des veilles laborieuses, et, aussi pieux dans leur vie qu'intehigents dans leur génie de rénovation, répondent à une vocation véritable par des écrits utiles à l'Église, dont ils sont les athlètes dévoués (3) ? Marchons

(i) Traité IIL cli. xvi, in-l2, 1836; L 11, p. 235.

(2) Voir Vie de M. Ollier, in-8». Paris, 1811, t. II, p. 243, 671, et passinii

(3) Nous ne pouvons indiquer ici que bien sommairement les écrits de MAL de Montalembert, de Caumont, DidroD, Schmilt, de Linas, Raymond Bordeaux, et autres que nous sommes trop heureux de voir dans nos rangs et qui se sont fait, en ces matières, une autorité justem-^nt acquise.

AMELBLEMEXT DE LÉGLISË. 239

donc au moins avec oiix! Que nos pauvres églises si lon^i- temps muettes et si souvent, hélas! mécoiniues et incom- prises, se ravivent sous des elïorls intelligents, et ne reçoi- vent pas moins de nous le lustre sacré et la vie spirituelle dont, avant tous, nous sommes, par notre caractère et notre loi, les instigateurs et les gardiens !

CHAPITHR VI.

DECORATION ARTISTIQUE DE L'ÉGLISE PAR LA SCULPTURE.

Développements JVous avoiis VU à (fuel ffeiu'G (l'icoiioffrapliie encore res-

de l'art sculptural i o o i

au onzième siècle, treiiite Id périoclc arcliitecturale qui précéda le roman lleuri s'était bornée dans la décoration des églises. C'étaient tout au plus des ciiapiteaux à végétation élémentaire et peu variée, comme l'acanthe et les feuilles d'eau; quelques animaux aux tympans des grandes portes, rarement la tîgure liumaine, plus rarement encore riiomme en action et prenant un rôle quelconque dans la dramatique épopée de la vie du temps ou de l'éternité. Après la Renaissance du onzième siècle, quand tout se couvre d'églises nouvelles et que cette activité môme suscite, en faveur de la beauté visible des monuments, l'imagination créatrice, on ne se con- tente plus des lignes tracées par l'architecte ; celle de l'ima- gier va venir, et, sur ces pierres taillées avec soin, elle jettera Son .araetèrê Ics multiplcs Imagcs des conceptions les plus savantes. Qui

encore rudimen- i i i < , i ^

taire , u a VU CCS tmiidcs essais de sculpture encore attaches aux

nombreuses églises dont elles disent si bien la date, gri- maçant surtout aux frises de la façade et paraissant se pen- cher, avec leur expression aussi grossière de dessin que variée de forme, sur le passant qui ne s'y intéi-esse plus au- jourd'hui, faute de les comprendre, mais qui, s'il eiit vécu au temps de leur apparition, aurait compris leur langage qui a pourtant ct acccpté toutcs Icurs leçons ? figurent, en des actions ^on symbolisme, (^jy^rses, des tôtcs d'homuies et d'animaux qui, tantôt grou-

DÉCORATION SCULPTl'RVLE DE l'ÉGLISE. 24^

pées, tantôt alternées, résument dans un espace amoindri beaucoup plus qu'elles ne semblent dire, et avec leurs cou- ronnes, leurs gueules ouvertes, leurs yeux saillants ou leurs dents allongées, leur nudité complète ou leurs dra- peries équivoques, indiquent aux diiïérentes classes de ce monde leurs titres à la gloire d'En-Haut elles passions mau- vaises qui eu éloignent. Mais tout cela n'est encore qu'à l'état de tâtonnement et d'incertitude. L'expression artis- tique qui vient d'éclore est bien plus indécise que la pensée, déjà aussi ^ieille que le Christianisme, et qui ne s'est pas affaiblie comme l'art, parce que, durant le sommeil forcé- ment imposé à celui-ci par trois siècles de persécutions et six ou sept autres de dévastations et de barbarie, la science symbolique ne vivait pas moins dans les écrits des Pères et des Docteurs. Aussi l'essor se fait vite. L'art, à peine libre de reparaître, s'exerce avec un zèle qui semble se dédom- mager de ses trop longues entraves et se trouve bientôt capable de reproduire, par des images d'une perfection pro- gressive, tout ce que la science tliéologique va lui demandera l'appui de ses enseignements. A mesure que le onzième siècle Pio^rèi mcr-

. veilleux de oette

s'avance, déjà le fau'e est meilleur ; le ciseau, plus assure, époque. donne à ses œuvres un sens plus délicat et plus fin, de sorte (ju'à l'époque où. cette période fait sa jonction avec la sui- ^ante, ce douzième siècle si beau, si esthétique, si pitto- resque de formes visibles et si profond de spiritualisme, s'est peu à peu manifesté et ne marche plus, dès ses pre- mières années, qu'à la conquête assurée des plus réelles beautés de la forme et de l'esprit. C'est cette élévation de la ueau prélude de

... , , l'ère og-ivftlc.

pensée, n en doutons pas, qui inspire alors l élancement de l'arcade caractéristique, exhausse sa pointe et donne une physionomie nouvelle aux portiques et aux voûtes, et quand la transformation est achevée par l'applica- tion, devenue générale, de ce principe qui distingue enfin complètement le Christianisme des croyances païennes; quand la religion de l'Europe catholique a trouvé son art

T. III. 1()

242 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

religieux propre et exclusif, l'iconographie s'inspire à son tour, par un docile abandon, des joies triomphales de l'Église, et, célébrant par ses ogives et ses roses l'avenue de cette glorieuse période, elle exalte dans un même enthou- siasme la victoire assurée de la société moderne sur le monde païen ; elle devient autonome, et, comme si elle sur- gissait des catacombes, ses images reprennent leur place voulue dans le grandiose ensemble de constructions sa- crées, d'où elles ne disparaîtront encore, hélas! qu'à l'ap- proche de cette nouvelle ])arbai-ie dans laquelle, quatre siècles après, le protestantisme s'efforcera de nous étouf- fer (i). La scuiptuie 1^» sculpturc, ic prcmicr des arts d'imitation par son im-

progrlr '"^ ''^' portance, puisqu'elle rend, outre les traits qui caractérisent un objet, la vérité de ses contours et tout le saillant de sa pose et de ses gestes, la sculpture est restée à cette hauteur de mérite dans le soin qu'elle s'est donné de rendre, selon les exigences de la religion, la pensée mystérieuse de ses dogmes les plus abstraits. Nous l'avons vue, chez les an- ciens (2), atteindre le sublime de la beauté plastique, el montrer sous les plus saisissants dehors toutes les passions de l'humanité. Ce necplus ultra de la forme se relevait encore Ce qu'elle pieiui ^u seutimcnt moral que l'œil de l'âme y découvrait. Mais il

aior» de vie e«uié- g'^j-^ falMt blcu quc l'étudc du cœur humain y atteignît le développement dont l'art chrétien avait besoin , et qu'il s'efforce continuellement à inspirer. Nous savons comme il a réussi; quelle plus grande variété de formes et de sen- timents il a communiquée à la matière ; comme la vie s'y est plus répandue et attachée en proportion de cette multiplicité de sensations diverses qu'il fallait rendre, et de tous les secrets du cœur humain qu'il était nécessaire d'ex-

(1) Voir le développement de ces idées dans un intéressant travail de M. Aibertdingk Tliijm, catholique hollandais, inséré dans les Annal, archéolog., X1V_, 47.

(2) Voir 1. 1, ch. x, Symbolisme de la statuaire antique.

DÉCORATION SCULPTURALE DE L ÉGLISE. 243

poser. L'art des nations païennes procédait par de grandes »* supériorité sur

* ^ 1 . . 1 *.^ l'antiquité païen-

allégories, d'une action rétrécie et peu profonde.. Le public «<?. n'y comprenait pas toujours la finesse de l'artiste , et tout était dit pour son intelligence (le cœur n'y entrait jamais pour rien) quand il avait reconnu à quelques traits de con- vention Jupiter ou Vénus, Neptune ou x\pollon, oijl quel- ques-uns des demi-dieux de leur race. Chez nous, ce n'est p'*!" ^^ f^'condiié

^ ne sps enseig^iie-

pas seulement la pei'sonne qui figure et qui parle; ce sont "'«"^^ toutes les passions de l'âme, tout ce qu'elle pense et peut vouloir : le bien, le mal, les vertus, les vices, les devoirs, les occupations de la vie commune, les états multiples de la ' société chrétienne, et cette activité incessante qui agite l'homme ici-bas comme dans un chemin qui le mène à l'éternité par les mille embranchements il s'engage. On n'avait pas encore songé alors, comme nos libres penseurs d'aujourd'hui , à séparer l'Église de l'État, le Christianisme de la politique, les droits de l'homme de ses devoirs, Dieu du gouvernement de ce monde ; et partout apparaissaient, sous des traits devenus pour le philosopiiisme actuel des mythes ridicules , les leçons de la foi en images tout em- preintes d'originalité piquante et d'austères avertissements, La nature entière était conviée à cette grande prédication des âmes, et, dans tous les monuments sacrés, elle s'em- parait d'elles en allégorisant jusqu'aux moindres objets de ses trois règnes; ainsi, donnant à toutes les idées, môme les plus métaphysiques, un corps, un esprit, un visage, elle attirait l'attention par la curiosité, retenait FinteUigence par le coloris de ses images, et popularisait pour les plus simples de la foule le plus haut enseignement qui ait jamais existé ! Cherchez dans le paganisme des efforts analogues : vous n'en trouverez pas trace; tout s'y borne à des concep- tions générales, à de grands effets d'ensemble. Il ne pouvait être donné qu'à la vérité de se rapetisser jusqu'aux hum- bles détails pour élever l'homme à sa hauteur. Une autre preuve s'en trouve dans les hérésies et dans toutes les doc-

244 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

trines hétérodoxes, qui, hostiles au Christianisme, et par conséquent incapables de la charité , bornent leur zèle à parler beaucoup, mais n'agissent en rien pour rattacher à Dieu le cœur des masses par les ingénieuses inventions d'études sérieuses et dévouées. Voyez la froideur du pro- testantisme, et ce qu'il a inventé depuis l'an ^51 7. Disunction entre Nous avous à distluguer ici la statuaire de la sculpture

la statuaire et la ^ ^

sculpture propre- proprement dite , l'une représentant la figure humaine ,

ment dite. r r ' i o j

le corps de l'homme en action , et môme les animaux d'une certaine taille ; l'auti'c reproduisant les bas-reliefs qui nous rendent les scènes variées de l'histoire de la matière, et les innombrables symboles qui les spiritualisent aux frises, aux chapiteaux, aux entablements, sous le ciseau des or- nementistes : deux sortes d'artistes que le moyen âge dési- gna également sous ie nom d'imagiers , et qui ont laissé dans nos temples tant d'incontestables témoignages de leur riche et vaste imagination. L'une agit d'à- Il v a , toutcfois , ccttc différence à noter entre ces deux

près lin type con- «^ '

j^enn et invaria- genrcs dc sculpturc : c'est que le statuaire semble agir d'après ses propres inspirations , possédant en lui le type de son œuvre, qu'il comprend, dispose et perfectionne bien plus par ses idées personnelles qu'en vertu d'un thème imposé d'avance, comme il arrivait pour le simple sculp- teur. Ce n'est pas que le premier n'etit ses détails inva- riables d'après lesquels il agissait comme par autant de règles précises , indiquant pour tel personnage qui l'occu- pait la pose , les attributs distinctifs, quelquefois même le type facial, comme il arrive souvent de Notre-Seigneur, de S. Pierre et de S. Jean. Ce sont des faits dont les statuaires l'autre suit un uc sc sout jamals affraucliis. Mais , à côté de ces quelques ception prescrits pHUcipes rcçus dc tous ct dout il ne fallait s'écarter en rien, vudabSlii-infinL tout Ic rcstc s'ébauchalt et s'achevait selon le génie qui gui- dait une main plus ou moins habile. Chez le sculpteur, au contraire, avec les mêmes différences de talent dans l'exé- cution, il y a toujours l'obéissance à une pensée qui vient

DÉCORATION SCULPTURALE DE L'ÉGLISE. 24o

moins de lui que de rarcliitcctc. La variété de ses sujets , leur symbolisme absolu, supposent nécessairement un plan arrêté d'avance jusque dans ses moindres effets; les groupes et la place relative de leurs personnages, les poses toujours significatives, le fond du sujet et ses rapports avec ce qui précède ou ce qui suit, font l'objet d'une science véritable, d'une philosophie en action, qu'on s'est acquises par l'étude des Écritures et de leurs commentaires , et qu'un ouvrier ordinaire n'aurait pas jetées de lui-même sur la pierre, il n'est que le traducteur d'une vaste pensée scientifique. Mais ce traducteur rend presque toujours, surtout dans les mo- numents de premier ordre , l'intention de l'inventeur avec une précision et une entente qui vont jusqu'à la finesse du sentiment et du bon goût. Quelque fini que fût le dessin pri- mitif de telles œuvres, il fallait encore le comprendre et le sentir pour l'exécuter comme on le fit souvent ; et dans ces '

pages éloquentes inscrites ainsi sur nos surfaces de pierre , le regard n'admire pas moins l'œuvre manuelle que l'esprit n'en savoure l'idée morale et les ingénieuses conceptions. Si l'on observe la marche de la sculpture à travers les ^^ sculpture

'■ toujours et par-

âafes , on lui trouve, chez les peuples qui s'en occupent , des ^^ut empreinte

^ X i A 1 ^(.,jjj caractère na-

rapports frappants avec leur caractère national , semblable t'on^i. en cela à l'architecture elle-même , dont nous a\ons parlé dans le même sens {\). L'Egypte , n'ayant que des sciences exactes , est grave et mystérieuse dans les œuvres de ses imagiers; la Grèce communique aux sciences la finesse et le calme de sa littérature polie et tranquille; Rome, dans le sein de laquelle les lettres ne fleurissent réellement de toute leur beauté qu'au dernier siècle de sa gloire , a négligé pour la guerre les arts que la paix alimente seule, et ses vastes ouvrages d'ornementation, comme les monuments qu'ils décorent, se remai-quent par le massif de la forme et la né- gligence du travail. C'est cette lourdeur qu'on voit régner

(1) Voir t. I, chap. ix, Symbolisme des avis chez les anciens.

246 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

dans la période latine de l'art chrétien ; il conserve ce carac- tère en dépit de la pensée symbolique imposée au choix des sujets, jusqu'aux jours de résurrection , se dégageant de cette austérité quasi-barbare , il arrive au style fleuri d'où naîtront les belles sculptures des treizième et quatorzième siècles. N'allons pas plus loin , puisqu'aussi bien nous res- f tons encore dans le moyen âge, et voyons maintenant com-

ment la statuaire s'y est faite un rôle toujours digne de son emploi. pnuvreie maté- Qu s'accordc à rcgardcr l'époque de la première statuaire

lieilc de notre ^ ^ '- ^

•ratuaiie romano- chrétienne, cu taut qu'elle est une portion de l'art monu-

liyzantinc.

mental, comme n'allant pas au delà de la dernière partie du onzième siècle. Antérieurement, on se borne à la ronde- bosse, qui ne donne que des bustes enclavés dans les modil- ions des façades romanes, ou des faces humaines détachées au centre d'un groupe de feuillages : mais jamais l'homme agissant en entier et mêlant un rôle quelconque à la vie ex- térieure ou spirituelle. Et encore quelles faces humaines ! On peut, dans les nombreux monuments qui nous restent de cette école , s'extasier sur ces figures anguleuses, types de formes bizarres et incorrectes, au regard fixe, aux yeux remplis de charbons ou d'émail , la prunelle est censée rayonner de jour et de lumière. La plupart de ces demi- personnages, dont toute l'expression est barbare et repous- sante, appartiennent aux chapiteaux ou à des bas-reliefs ils ne reçurent que des proportions restreintes. C'est à peine si quelques statues assises, mais presque toujours d'une fort médiocre épaisseur , ornent alors les façades relativement assez simples de nos églises. De ces spécimens, on peut se faire une idée exacte dans la bénédiction donnée à S*« Abre par S. Hilaire au Musée lapidaire de Poitiers, et par le Christ assis qu'on voit encore sous le porche intérieur de Sainte- Radégonde de la môme ville. Bizarre ascucc- Ccs sujcts sout Ordinairement , pendant cette période ,

ment du costume ^

et (le lacirapr^iio, rcmarquablcs par les caractères byzantins de leurs formes

DÉCORATION SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 247

et de leurs détails. La rudesse donnée à la (igure Jiumainc se retrouve aussi dans les di'aperies saccadées et raides, dans les poses du corps étroit et allongé, sur lesquels se dévelop- pent d'amples vêtements dont la parure principale consiste presque exclusivement en galons frangés et en perles pro- . (liguées avec une riche abondance. Les plis de ces costumes manquent de grâce et de souplesse, ne s'arrondissent jamais qu'aux coudes et surtout aux genoux, et se distribuent de aux parties environnantes en des rayons difformes, droits et guindés , qui ne s'y effacent qu'à pe'ne, et contribuent à rendre tout ce dessin fort désagréable à l'œil. Mais sous ces disgracieuses apparences persiste encore le influences par la

manière des Grecs

svmbolisme de cette taille qui tend à s'allonger outre me- de constantino-

pie,

sui'e, et de cette somptuosité de pierreries et d'agrafes dont la richesse matérielle indique la valeur morale du person- nage ainsi affublé : telle fut , au reste, l'intention des artistes grecs, dont l'influence dut agir sur les nôtres lorsque s'opé- rèrent maintes fois, du cinquième au neuvième siècle , les migrations imposées aux catholiques par les persécutions des tyrans de Constantinople (I). C'est ici qu'il faut réfuter bien pius que par une opinion trop répandue qui attribue aux défenses faites, Franc?o!'t! ^ en 79 '«,*par le concile de Francfort, l'inaction de la statuaire chrétienne en Occident. Les Pères de ce concile avaient compris dans le sens le plus absolu Vadorafion que ceux du deuxième concile de Nicée avaient apphijuée aux images des Saints. Ils ne pouvaient pas, ignorant le grec, com- prendre comme une salutation et un honneur extérieur l'hommage conserve aux saintes imagespar le mot àffTra^oAteôa (salutamus), et ils crurent rejeter une erreur en condam- nant une vérité : de pendant longtemps peut-être l'absten- tion de toute sculpture de Saints. Mais en conclure, avec ((uelques archéologues, à une interdiction générale, ce serait se mettre en contradiction avec l'histoire , avec tous

(1) Voir BuUelin monumental, XII, 224, 405; XIV, 8, 9, 132, 539.

24^5 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

les monuments qui , nombreux avant le onzième siècle , prouvent encore, par mille exemples, qu'il faut reconnaître une autre cause à cette stagnation des arts du dessin. Voyons- la plutôt dans les guerres incessantes qui désolent l'Europe de toutes parts. L'Espagne et l'Italie envahies par les Sar- rasins, la France tourmentée par les querelles de ses dynas- ties, pouvaient-elles voir leurs artistes créer de ces chefs- d'œuvre qui n'éclosent que dans la paix (I) ? Ce que nous dirons de la peinture dans les églises et dans les manu- scrits répond victorieusement d'avance à des persuasions trop peu fondées, et si la statuaire s'est émue un peu plus et a créé tant bien que mal ses nouvelles œuvres entre les règnes de Hugues Capet et de Philippe-Auguste, nous croyons fermement devoir en rapporter la raison à ces pè- lerinages forcés des artistes d'outre-mer qui, en cherchant le repos et la sécurité sur nos plages , y apportèrent , avec leurs procédés, le type invariable qui les avait occupés dans leur pays. Action des croi- Cetlc mêmc influence se développa bien mieux encore

sades et des étu- i n i r^ oo

des littéraires et par Ics Groisaocs. En effet, quand le onzième siècle s'achève

théologiques i^*' , » n

cette époque sur ct qu clles commenccnt , 1 art prend un-nouvel essor, l'é- tude se perfectionne, et voilà notre belle statuaire byzan- tine inaugurant le douzième siècle et s'avançant avec lui vers des progrès qui font encore notre admiration. Rappro- chons, d'ailleurs, cette marche* progressive du développe- ment des études httéraires. C'est la théologie qui inspire l'ico- nographie tout entière; jamais les légendes des Pères , les symboles des commentateurs n'ont été si prodigues de détails attachants. L'expression des bas-reliefs se perfectionne dans les voussures et les archivoltes, dans les métopes, les mo- dillons et les chapiteaux. Alors la statuaire se dégage de ses formes trapues , la face humaine se rassérène, les vête- ments s'assoupKssent , les poses et les gestes prennent de

(1) Voir J5i(//. inonum., 1. V, p. 213 et suiv.

Pa/t monumental.

DÉCORATION SCULPTURALE DE l'ÉGLLSE. 2^9

la dignité, et s'élèvent parfois jusqu'au grandiose. Alors les statues surgissent de partout. On en flanque les portes des églises , on les élève sur les pignons, on les dresse dans les galeries au-dessus des principales entrées, on les adosse aux piliers et aux trumeaux. Tout cela est encore byzantin , quoique beaucoup moins, jusqu'au milieu du douzième siècle. Mais , vers la fui de cette période si remarquable , l'artiste se nationalise, abandonne les traditions étrangères, et la statuaire, suivant la marche ascensionnelle de l'archi- tecture , arrive à une imitation plus complète des formes naturelles ; malheureusement , c'est aux dépens de ces ca- ractères surnaturels qui rendaient plus visible le symbo- lisme de la grandeur spirituelle. On sent , en comparant les œuvres du treizième siècle, qui nous légua nos plus magni- fiques cathédrales, avec celles du siècle précédent, que, si l'église est plus belle , la statuaire plus séduisante , il y a dans celle-ci moins de pensée, moins de profondeur intime ; on ne s'en dédommage que par le développement, pour ainsi dire sans limites, donné au plan général de l'iconographie, le symbolisme déroule toutes ses ressources avec une ravissante prodigalité des plus hauts enseignements. Voyez les splendides façades des basiliques de Reims, de Chartres, d'Amiens, de Bourges, de Paris et decelle de Poitiers, que nous citons toujours pour la dédommager d'une trop injuste indif- férence ; comptez, s'il est possible , leurs statues éparses sur les étages magnifiquement superposés et qui semblent se multiplier à l'envipour recevoir un plus grand nombre de personnages ; étudiez ces grandes formes de la vie humaine, posées sur des bases se tordent sous leurs pieds victorieux les hideu\ symboles des péciiés ; ces médaillons s'inscri- vent les mille allégories des vices et des vertus ; cette belle llor(^ qui court s'épanouissant aux corbeilles des colonnes , ou aux gorges des arcades ogivales ; ces myriades d'animaux jouant leurs rôles divers dans cette création du génie ter- restre ; étudiez ces livres aux pages naguère oubliées ,

250 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

aujourd'hui revivant pour nous avec leur langage mieux compris : c'est la floraison de ce vaste champ de l'architec- ture dont la moisson va se lever bientôt sous nos yeux dans le dénombrement de leurs mystiques significations. Le nu, honoré à Quaud uous couiparous la statuaire antique à celle des erprosc'^rirpaÏÏe temps chrétieus, la principale différence n'est pas tant dans la beauté des formes matérielles , par lesquelles Rome et Athènes l'emportent évidemment, que dans le costume, qui d'abord est presque entièrement oublié , les mœurs païen- nes, peu difficiles, autorisant sur ce point toutes les hcences-, ([ue le Christianisme a si complètement condamnées. Les premières images des catacombes , sauf quelques-unes que nous réservons , se font remarquer par le soin du vête- ment. Là, point de nu inutile ou dangereux : hommes et femmes portent la chlamyde et la robe du temps, la saye ou le manteau , selon leur rang et profession. Per- sonne d'entre eux ne s'afflige de se trouver en une compa- gnie plus qu'équivoque : c'était digne de ces mœurs aus- tères qui se manifestaient, dès l'aurore de la loi nouvelle, sous l'influence d'un Dieu d'une Mère Vierge , et dont un Apôtre exhortait tout le monde à la continence ou à la Différence très- virgluité ('l). Nous pourHous donc établir ici cette diffé-

significative dans i , i l o

leur manière de rcucc nota])le comuie signalant, en laveur de notre loi, un

symboliser la , i t ^-\ •>•^ i

chasteté. genre de symbolisme inconnu aux anciens. (Juils aient

sculpté la chasteté sous les traits d'une dame romaine por- tant un sceptre et ayant deux colombes à ses pieds , c'est tout au plus la chasteté conjugale , modérant par son pou- voir absolu les passions, même légitimes, et prenant pour modèles les oiseaux de la fidéUté. Et puis cette vertu n'était point tellement universelle que les Grecs en aient tiré la moindre image des ateliers de leurs sculpteurs. Ce qui nous est resté de leurs Vénus nous fait honte , et , s'il est vrai

(1) « Volo enim vos omnes esse sicut meipsum... Dico non nuptis et viduis: bonum estillis si sic permaneant, sicut et ego.» (1 Cor. , vu, 7 et 8.)

DÉCORATION SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 2:^^

qu'ils aient toujours voilé Minerve sous les molles drape- ries d'un vêtement complet, c'est qu'en vérité le sentiment intime des convenances, qui n'abandonne pas môme les libertins, leur faisait un devoir instinctif de ne pas déna- turer l'idée même de la Sas^essc. Vous observerez toutefois faiias rt la

femme chrétienne.

que dans ce visage de Pallas qui garde quelque chose de viril , dans cette pose guerrière qui représente la Sagesse armée contre les mauvaises passions , on ne trouve rien de comparable à ces tètes ravissantes Giotto et Ange de Fiesole ont épanché la pudeur chrétienne sous les noms de .Marie, de Catherine de Sienne ou d'iVgnès. C'est une science qui est toute chrétienne, et qui distribue à la fois sur tout visage de femme vouée à l'amour du Christ les teintes merveilleuses de la candeur , de la placidité inté- rieure , d'une incomparable innocence , tel que la vie spi- rituelle le fait tous les jours encoi*e pour les âmes choi- sies qu'embellit la sainte pureté du cœur. Si vous ajoutez à ces traits une action propre qui détermine cette vertu plutôt qu'une autre ; si, par exemple , vous lui faites ter- rasser la luxure sous les traits d'un animal immonde, comme à Montoiré (Loir-et-Cher), ou prendre sous sa protection une licorne réfugiée en son giron , comme au portail d'Anjiens et bien ailleurs, vous aurez posé l'idée complète de la chasteté chrétienne, rayonnante d'une fierté modeste , belle de son maintien grave et digne, autant que de la limpidité de son regard virginal.

Ci'est une des plus ingénieuses inventions Ghristia- Richesse d-invcn- nismc (jue d'avoir, sans inspiration aucune de l'art antique, nôçrlpwr'^Vom- formulé sur ses monuments l'histoire du peuple de Dieu, r^^Trornte^dc'St la doctrine dogmatique et morale que nous enseigne l'auto- ^''*"^"" rite apostolique, les rites de ses cérémonies sacrées, et cette innombrable foule d'allégories qui exposent tout cet en- semble d'idées surnaturelles avec une précision d'où res- sortcnt clairemeut une lliéoi-ie convenue et des règles déterminées. Les temples païens avaient sans doute leurs

252 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

sculptures qui décoraient les colonnes et les chapiteaux, les frises et les entablements ; les métopes étalaient une symé- trie de petites figures qui avaient bien leur symbolisme spécial ; des têtes de bœufs et de lions , des serpents en spirale , des oiseaux et autres sujets , mais tous isolés et sans aucune liaison mutuelle , complétaient la série assez mesquine des ressources esthétiques de l'époque, lesquelles peuvent bien avoir renfermé en germe l'idée , devenue si féconde , de nos corbelets ou modillons. Après tout , on n'y pouvait trouver ni une série de devoirs , ni une école de vertus, ni des promesses éternelles auxquelles le monde ne croyait plus , et qu'il n'aurait pu préconiser sans se condamner lui-même. C'était à l'art chrétien de se donner un tel livre dont les pages reproduisissent à l'œil de l'intel- ligence ce que l'œil de la chair ne pouvait pas toujours lire dans les Prophètes , les Évangélistes et les Docteurs ; et il l'a fait avec une entente admirable du sens mystique des sujets sacrés , des besoins du cœur de l'homme et de l'har- monie nécessaire entre ses monuments de divers styles et l'iconographie qui leur va le mieux. Raisons contre Qu'ou uous permette de protester ici de nouveau en fa-

l'éclectisme ar- chitectural pt ar- veur des vrais principes de l'archéologie chrétienne , et de

tistique dans la ,,,.,,., . . , . .

construction des 1 objct spccial qui uous occupc mamtenant , contre une Son de ip'urs orne- écolc modcmc qul s'autorise trop de ses idées personnelles sur le beau d'un système qui transformerait, au détriment du sentiment chrétien , toutes les règles de l'imagerie mo- numentale. Il n'est pas rare de rencontrer des hommes et des livres qui professent une tendance déterminée soit à l'éclectisme architectural, soit à l'emploi exclusif des formes modernes du dessin dans l'exécution de notre statuaire religieuse. Eh bien ! nous le répétons de toutes les convic- tions de notre amour pour l'art : cette double théorie n'arri- verait qu'à une impasse toute notion du moyen âge ca- thohque se perdrait dans le vague d'un art nouveau, sans plus de signification chrétienne que celui d'Athènes et de

DÉCORATION SCLLPTIKALK DE i/ÉGLISK. 2^)3

.Memphis. Les arcliitcctes se persuadent vainement qu'ils exprimeront la pensée de l'Eglise en des leniples mélangés de toutes les inspirations de leur génie ennuyé. Les sta- tuaires , et ceux qui les suivent dans les œuvres du crayon et du pinceau, n'aboutiront qu'à de séduisantes bizarreries, s'ils veulent donner à leurs personnages le ton et le faire de notre école des beaux-arts. Les premiers ne réussiront, après des essais sur lesquels la critique aura peut-être ter- giyersé quelque temps , qu'à nous donner des Pantliéons détestables d'ii-régularité et de froideur ; les autres auront retrouvé , comme nous l'avons vu déjà, le secret d'asseoir dans une église romane ou gotliique une Vierge aussi belle que Miverve, un Père éternel qui aspirera à la majesté du Jupiter Olvmpien. Et cependant la beauté dans l'art est- i/ait doit être

1 1 ^ ' 1 ?.'n et ne le serait

elle donc si absolue qu elle ne dépende pomt de certanies pas sans un par-

t'ii i fc Êiccord

convenances à chercher entre elle et les objets qui l'envi- .^lyie entre le mo-

.- . -, nument et son

ronnent ? Gomme il y a un certain agencement de couleurs imagerie. ({ui les fait mutuellement ressortir, et produit des effets plus caressants à la vue , n'y a-t-il pas aussi entre mie statue et le milieu qui la reçoit des relations de style et de formes générales à consulter avant tout pour la bien placer ? Soutiendra-t-on , en y réfléchissant bien , que rien d'har- monique ne doit exister entre les plis de ses vêtements , les encadrements qui l'enveloppent , et les arcades , les gale- ries et les moulures qui régnent de toutes parts autour d'elle dans l'enceinte plus ou moins vaste qu'on lui a des- tinée? Ce serait méconnaître, pour des objets infiniment plus dignes , les conditions qu'on exige pour tout ameuble- ment, qui partout se subordonne au caractère de la pièce (jui l'embellit. Dès lors , on garnirait forcément une église romane de meubles gothiques^ sous prétexte que c'est plus joli; d'autres, trouvant cette qualité au roman, lui donne- raient la préférence : partant, plus aucune liarmonie dans les formes ; et tous consacreraient ainsi do déplorables anomalies nées du caprice de chacun.

imre nôtre

254 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Les anciens plus Ainsi doiic Ics ancieiis auraient eu tort de distinguer cinq

sages sur ce point . , , ^

que certains artis- ordrcs d arcliitecture telleijient rigoureux dans leurs règles

tes moderiio-f, , n* , / , i i, » ,

de proportions que si 1 on se fut égare de 1 un a 1 autre, ce qui n'eut pas d'exemple, on se fiît réclamé du singulier construc- teur qui eût donné le premier cette preuve irrécusable d'une impardonnable ignorance ou d'une hardiesse malheureuse. On le voit bien par le composite qui, en combinant les élé- ments des autres pour se créer un tout à soi, n'est parvenu quoique leurs nio- qu'à fomicr quciquc chose de fort mauvais. Or, qui ne voit, so™ent'pnvir(?,' à k uioindrc inspection d'une éghse chrétienne, que, dans '""'^'' dans" les l'architecte qui en a combiné les merveilleuses idées, les ordres sont avantageusement remplacés par les stijles , et que la classification qui les distingue en autant d'époques s'oppose nécessairement, dans l'intérêt de l'unité , qui res- tera toujours une des premières conditions de l'art , à ce mélange de proportions incohérentes , de formes inégales qui ne sont qu'une réelle confusion? Une des plus grandes beautés de l'architecture catholique, déjà si magnifique dans les vastes basiliques des onzième et douzième siècles, c'est d'avoir tendu au grandiose, de s'èti'e élevée à d'immenses hau- teurs sans manquer jamais à l'unité de plan, défaut auquel les Grecs et les Romains se voyaient forcés par les proportions normales de 'leurs colonnes et la superposition de leurs étages au moyen d'attiques, dont l'effet général étaitde mul- tipher d'autres monuments les uns sur les autres. Quand on a un aussi beau système que le nôtre , on se garde bien de le gâter; on ne fait pas mépris du style jusqu'à en brouiller les éléments; on s'en tient fidèlement aux données de chaque époque ; on ne s'essaie pas en de mauvaises ten- tatives à dresser des monuments, comme nous en voyons partout s'évertuer depuis trente ans, dans l'unique but de faire du nouveau en bravant les règles respectées des hommes sérieux. Le beau génie qu'il faut avoir pour se heurter ainsi, au hasard et sans aucun succès, à des impos- sibilités tout à la fois matérielles et morales , démontrées

DÉCORATION SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 2^5

par tant d'exemples, étalées trop nombreuses sous nos yeux pour confirmer les répugnances et les animadversions des véritables artistes ! Cette question , avouons-le , se résout donc presque toujours dans l'inintelligence des architectes; quand on voudra la ^ider,il ne faudra que mettre en regard la charmante église de Bon-Secours, près Rouen, due an talent remarquable de M. Kartliélemy , et la Sainte-Clotilde de Paris, dont le gotliique est de M. Gaud(l). Sovons donc aussi en sculpture ce qu'est le style de nos couxci doivent

«j 11'} surtout être orne»

temples, ou byzantin, ou roman, ou ogival, et sachons pré- ;'«=>« styie de

i ^ •} ^ 7 0/ j. |p„,. construction.

férer, selon les exigences des lieux, le sérieux ou la grâce, les formes courtes et ramassées ou hautes et sveltes dans notre statuaire mystique. Si vous procédez à la restauration d'une église, la première condition posée n'est-elle pas de vous conformer strictement, pour les détails à lui rendre, aux indications données par l'ensemble du monument? Irez-vous remplacer la belle et grave coupe d'une fenêtre du douzième siècle par les meneaux grêles, les minces colon-

(1) Qu'où examine encore la cathédrale et le baptistère de Pise, l'Aii- nonciadede Gêues, et, on France, Saint- Eustache de Paris, Saint-Pierre lie Dreux, mais surtout les cathédrales de Luçon et de Bazas, particu- lièi*cment dans leurs façades, et qu'on nous dise si, vraiment, ce ne sont pas de fort malheureux témoignages en faveur de ce pot-pourri de tous les styles implanté à diverses reprises sur un monument qui n'a plus rien que d'excentrique et de faux? Comparez au contraire toutes ces anomalies avec la belle cathédrale romano-byzantine de Valence ou l'abbatiale de Pontiguy, et même avec notre belle cathédrale de la transition qui fait une des gloires monumentales de Poitiers, et dites- nous si l'âme n'y est pas autant séduite que le regard par la pureté de leurs lignes, l'harmonie de leurs détails, qui tous correspondent si ma- jestueusement à l'ensemble? Pourquoi donc chercher mieux que cela? pourquoi se fatiguer à faire des livres, à dresser des théories contre les lois arrêtées et admises jusqu'à nous, au risque de tout renverser dans les nobles et gracieuses traditions de nos ancêtres? Nous le disons encore : ces essais, ces prétentions ne réussiront pas; ils n'aboutiront qu'à prouver que de petits esprits osent souvent se dresser contre le génie; et les plus sagi;s parmi les artistes seront ceux qui, au lieu de sacrifier aux idées modernes, resteront simples et fermes dans l'imi- tation des siècles le génie sut marier si noblement ses dignes aspi- rations à celles de la foi.

256 HlSTOlllK DL SYMBOLISMK.

nettes et la tète trilobée d'une baie ogivale, ou par les jlammes tourmentées du gothique fleuri ? Ainsi , donnez donc à une statue, à un bas-relief qu'appelle un sanctuaire du onzième siècle, la pose raide, les draperies sèches et an- guleuses que nous signalions tout à l'heure. Plus tard, lors (lu style de transition , yous deviendrez plus élégant, vous vous dégagerez de cette manière embarrassée pour vous conformer aux traditions du progrès ; vous arriverez, avec des formes meilleures^ jusqu'aux magnifiques développe- ments de l'ère gothique, et partout vous aurez gardé le grand principe d'unité , vous aurez associé des parties homogènes; votre éditice aura recouvré son caractère propre, et rien n'y laissera croire, au détriment de sa beauté réelle, qu'il s'est produit en plusieurs jets, à des in- tervalles éloignés, semblables à certains autres dont le plan, les matériaux , l'appareil , rornementation quelconque attestent des reprises disgracieuses séparées par des inter- valles bizarres de plusieurs siècles, reconnaissables à leurs physionomies diverses et à leurs ridicules désaccords. Les gargouiller, Uu genrc dc statuaire qui a bien son intérêt, tant par la nUi^"' '■'"''"* variété de ses formes que par les nombreux symboles qu'elles expriment, doit être signalé ici : ce sont les gar- gouilles, dont la projection en sailUe sous les corniches est un moyen de décoration aussi original qu'il est utile {\). luette sorte de clieneau, que le style roman réduisait presque ioujours à un conduit de pierre coupé dans sa plus grande simplicité , prit de l'époque gothique uhe variété d'ex- pressions dues aux nombreux symboles qu'on se plut à lui imposer. Ce fut un champ fort large à l'imagination des imagiers, qui s'évertua partout à rendre, par leur figure,

(1) Les gargouilles, dontle nom semble un peu arbitrairement formé d'une onomatopée qui a produit aussi le verbe gargariser, le substan- tif ^ar^om7/e)7îenf, et même gargarisme et gargouUer, sont effective- ment_, d'après le docte Huet, une traduction de -^'àpppa et «v-ap-jàpïtv , l'une des nombreuses étymoloo;ies que Morin a oubliées dans' son Die- liommire des mois français dérivés du grec.

DÉCOUATION SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 257

leur attitude et leur fonction même, les tortures de ces dé- mons dont nous avons parlé déjà et dont nous parlerons encore. Il est clair que les fonctions qu'on leur a données autour et aux façades de nos édifices ne sont pas moins significatives que tous leurs autres détails. Tout en déver- sant loin des murs les eaux qui ne s'écouleraient pas sans dommage sur leurs parois et dans leurs fissures , nos monstres n'ouvrent pas seulement leur l)ouclie toujours béante pour les cracher ou pour aspirer les mauvais in- stincts de cet air du monde au milieu duquel ils semblent vivre. Outre le sens favorable que nous avons vu à l'eau dans maints endroits de cet ouvrage, nous savons aussi par les Didinctlons monastiques le sens d'opposition qu'il faut souvent lui donner selon les passages de la Bible l'on parle de cet élément de vie ou de mort , de vertu ou de péché , de purification ou de souillure , de profit ou de destruction. Ici , et en rapprochant l'action des eaux de cette action des monslres qui les déversent, ne voit-on pas ([ue c'est en mauvaise part qu'il faut les prendre ? Nuisibles aux toitures et à Féconomie générale de féglise, les pluies doivent s'en écouler, et le Maître qui présida à l'établisse- ment de cette maison de prières, et sans lequel les travail- leurs eussent vainement essayé de la bâtir (I), force le dra- gon infernal ou toute autre bêle qui le représente à s'uti- liser dans ce but comme les peuples anciens employaient les esclaves aux œuvres les plus pénibles , comme, dans l'Eglise primitive, c'étaient les énergumènes qui balayaient le Lieu saint. L'eau est donc prise, en ce cas, pour la pru- dence de la chair, pour la sagesse mondaine, pour la doc- trine folle et erronée des Pharisiens, pour les enseigne- ments de l'hérésie (2) : toutes choses qu'il faut repousser

(1) « Nisi Dominus œdificaverit domura, in vanum liiboraverunt qui aediàcant eam. » {Ps., cxxvi^ 1.)

(2) « Aqua spiritualis multiplex est... Kst aqua prudentiae carnis; unde : Quid tibi cum via ÂigyptiyUt bihas aquam Geon turbidam? »

T. 111. 17

258 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

au loin, et dans lesquelles la pauvre intelligence humaine risque si souvent de se noyer; aussi l'ennemi des âmes semble-t-il s'efforcer de les inonder en dehors de l'enceinte sacrée qu'il déteste. Sous mille figures hideuses, attachées à la pierre au-dessous des entablements , entre chaque contrefort, c'est tantôt le monstre hybride, grimaçant de ses traits humains sur un corps de quadrupède fautastique ; tantôt un chien, au furieux regard, rejetant quand il pleut la bave de ses instincts hargneux, aboyant quand il ne pleut pas. Nous avons exposé ailleurs, avec un soin inspiré par nos propres observations sur la cathédrale de Poitiers, le sens identique de ces mômes personnages de l'enfer, mul- tipliés en gargouilles sous les traits variés du serpent, du lion et d'autres quadrupèdes réprouvés {\).

Toutes ces faces animées ont donc une signification par- ticulière qu'il n'y faut pas méconnaître comme l'ont fait des archéologues de mérite (2), trop facilement entraînés à des concessions que l'histoire de l'art ne nous semble pas autoi'iser. Ces respectables écrivains n'ont pas assez distin- gué le caprice de la forme , qu'il faut leur accorder bien souvent, de l'idée mère qui dominait leur intention, et nous préférons le sentiment de M. l'abbé Ricard (3) déve- loppant le rôle indubitable des démons dans ces mêmes

(Jerem., ii, 18.) « Est aqua sapientise sœcularis, quse est stultitia apud Deum : Quid tibi cuni via Assyriorum, ul bibas aquam flumi- nis?n (Ibid.) « Doctrina haereticorum : AqusB furtivx dulciores sunt (Prov., IX, 17), stultis scilicet qui adulationibus hœreticorum delectan-

Lur » Voir Distinct, monastic, lib. l, xv, De Aqua; ~ Spicileg.

Solesm., III, 454.

(1) Dans notre Histoire de la cathédrale de Poitiers, se trouve exposé en beaucoup de développements le sens de toutes les gargouilles de la belle basilique; nous devions en effet nous efforcer d'y faire une histoire de l'art chrétien aux douzième et treizième siècles, comme il convient dans un ouvrage de ce genre, la partie descriptive ne serait pas comprise si on ne l'accompagnait de notions spéciales sur les idées qui en furent le type originel (voir t. I, p. 87, 128 et 408).

(2) Voir M. l'abbé Godard, Cours d'archéologie sacrée, t. I, p. 409.

(3) Hevue de Vart chrétien, t. III, p. 66, année 1859.

DÉCORATU» SCULPTURALE DE l'ÉGLISE. 259

œuvres que nous analysions, il y a vingt ans, sous l'impul- sion de la même pensée. C'est aussi l'opinion des architectes et des savants les mieux initiés aux mystère? de nos études esthétiques (I).

C'est prohahlenient en des images hien antérieures à ces sculptures qu'il faut chercher leur origine quant à leur application architecturale. Ce même nom de gargouilles fut donné à des serpents fantastiques ou à d'autres monstres imaginaires dont la tradition avait (ait le symhole du démon dans son opposition primitive au Christianisme. En plusieurs églises, comme à Rouen et à Tarascon, des sculptures d'ani- maux hyhrides, de serpents volants et d'autres précédaient, jusqu'à une époque encore peu éloignée de nous, toutes les processions générales, et souvent même elles y étaient pré- cédées de la croix, dont elles devenaient le trophée en signe des victoires remportées enfin sur le paganisme vaincu lors de l'étahlissement de nos premiers diocèses (2).

Quant à la Statuaire des has-reliefs ou des rondes-hosses, Étude etinteiu

,,. , .. , ,., ,, . 1,./ gence de la petit»

que nous appellerions volontiers la petite statuaire, dcstmee statuaire de» bas- à se répandre sur les façades ou sur les murs latéraux , soit en épisodes de la Bible ou de la légende , soit en des modil- lons séparés , on sait combien il y a encore d'observation à exercer et de précaution à se faire. Pour les comprendre, il faut d'abord s'être exercé à l'étude des Livres sacrés, des Pères de l'Église , de l'histoire générale, des légendes locales et des Vies des Saints. La liturgie n'y est-elle pas aussi avec ses expressions si variées ? La flore symbolique , la zoologie morale n'y ont-elles pas leur rôle comme dans un vaste drame s'exercent toutes les facultés , bonnes et mau- vaises, de l'âme humaine? Que de pensées, que de souve-

(1) Voir Daly., Revue générale d'architecture, Vil, 206, - et Congrès scienlifitiue de Bordeaux en 1861, 1. 1; le P. Cahier, Mélanges d'ar- chéologie et d'histoire, l, 74 et suiv.

(2) Voir encore notre liisl. de la calhédr, de Poitiers sur la Grand- Gueule, II, 51, et ci-dessus, t. II, p. 336.

260 HISTOIRE DV SYMBOLISME.

nirs il faut évoquer, et quels rapprochements ou doit se faire pour arriver à l'intelligence de ces personnages ! Et que d'erreurs dans ces interprétations, faute des connaissances spéciales, toujours indispensables à qui veut traduire cette langue si riche, si variée et si mystérieuse ! Clefs de voûte. Eutiu, Ics clcfs dc voùtc offrcut cucorc un puissant intérêt à qui cherche le symbolisme de notre art plastique. Nous ne parlons pas de celles qui , aux quinzième et seizième siècles, modelées sur les prétentieux motifs de l'architecture abâ- tardie , se plièrent trop fidèlement aux caprices d'une trans- formation malheureuse. Il faut remonter à deux, cents ans plus haut pour délecter son regard sur de petits chefs- d'œuvre presque toujours inscrits en des médaillons circu- laires où s'épanouissent des couronnes de fleurs , de petits anges portent tantôt les symboles des souffrances du Christ, tantôt les vases sacrés de la Communion ; le Sau- veur apparaît sur les genoux de sa sainte Mère , la Co- lombe divine plane sur l'assemblée des fidèles (i). Là, rien de moins qu'ailleurs pour nos études , et tout y parle bien mieux que ces culs-de-lampe prolongés outre mesure, sculp- tés en spirales , et qui semblent tomber de la voûte , dans l'unique but d'étonner un spectateur profane ou d'offrir à ses regards des écussons armoriés. Autant les uns sont dis- tingués de pensée ingénieusement chrétienne, autant les autres sont inutiles et vains dans l'accomplissement labo- rieux de leurs tours de force. Si cela plaît à l'œil, rien n'y parle à l'âme , et tout y concorde trop bien avec ce bas- empire de l'art religieux qui s'acheminait à une déchéance dont il n'est pas encore complètement guéri.

Après avoir parlé dans ce chapitre, en termes généraux, des conditions essentielles d'une bonne sculpture religieuse, il nous resterait à exposer beaucoup de détails d'exécution

(1) Voir ce même ouvrage, nous avons décrit les charmants spé- cimens de ce genre qu'on pourrait imiter partout avec succès, I, 317: 11,210,

DÉCORATION SCULPTURALE DE LÉGLISE. 26^

qui la rendent pratique, et à compléter la théorie de ses at- tributs si nombreux. Mais ces principes se rattachent aux notions d'iconographie générale dont nous devons traiter bientôt en parlant de la peinture. Arrôtons-nous seulement, puisque c'est la sculpture seule qui les crée et les dispose , à ce qui nous reste à dire de l'ornementation et de l'ameu- blement d'une église. Le catholicisme, qui a suspendu ses gargouilles et ses modillons aux portes élevées de nos tem- ples, ne peut non plus demeurer indifférent à la forme de ses autels, de ses baptistères, de ses bénitiers et de ses tom- beaux. Étudions successivement ces intéressants détails do la vie symbolique du monument chrétien.

CHAPITRE Vil.

(Suite du précédent.)

AUTELS,— TABERNACLES, BAPTISTÈRES , TOMBEAUX.

Revenons donc sur trois des détails que nous avons sim- plement esquissés dans le chapitre V, et auxquels une place a été assignée dans nos églises par des usages toujours fondés sur des raisons symboliques. Ici, en effet, des no- tions générales ne peuvent suffire ; il faut que chaque objet en lui-même nous dévoile ses formes les plus convenables, les détails mystiques de sa confection, la pensée spiritualistc qui y préside et que le peuple , les artistes surtout , doivent y lire pour les comprendre ou les imiter. Examinons d'abord ce qui regarde les autels. Origine de l'au H est dc uotorlété conimunc que, dès le temps des cata- combes, la célébration du Saint Sacrifice se fit sur le tom- beau de quelques martyrs; c'est pourquoi nous nous per- suadons beaucoup que ces auges en marbre , creusées eu tombeaux, ornées du chrisme et d'autres sculptures sym- boliques, tels qu'on en voit dans les cryptes de Saint-Surin de Bordeaux, étaient primitivement des autels taillés à l'image exacte de beaucoup de tombeaux des catacombes. On peut s'en convaincre en jetant les yeux sur les belles et intéres- santes gravures dont Bosio et Aringhi ont orné leur Rome souterraine, et M. l'abbé Girot son Église de Saint- Surin. Nécessité (l'y Remarquons aussi que bien ailleurs on choisit poui*

iiiscrGi' des vcli*

ques. autels ces mêmes tombeaux , oii souvent les martyrs repo-

saient encore , et que cet usage leur fut maintenu stric- tement pendant les trois premiers siècles , si bien que le

Eucharistio.

4MEl'BLEMENT DE F.'ÉGLISE. AUTELS. 263

pape S. Félix (2G9-27î) en fit une règle absolue {i). De cette antique et touchante dévotion naquit cette prescrip- tion liturgique dont nous avons parlé (2), de placer des reliques de martyrs dans tous les autels , pour que l'hon- neur insigne qu'on leur avait fait d'abord fût continué au\ serviteurs de Celui qui s'était volontairement sacrifié sur la Croix. C'est pour cela aussi qu'un autel n'est jamais con- sacré sans que le Saint Sacrifice n'y soit offert aussitôt. Il y on y a mênu'

placé dos frag-

a plus : c'était une coutume reçue encore du temps de monts de la sainte Guillaume Durant que si l'on ne pouvait se procurer de ces reliques lors de la consécration d'un autel , on devait y suppléer par des fragments du Corps du Sauveur, c'est-à- dire par des portions d'une hostie consacrée (3). Ceci au- rait lieu de nous étonner s'il ne s'agissait , dans cette prescription, des seuls autels fixes, qu'aucun déplacement ne pouvait exposer à une profanation, et démontre jusqu'à quel point l'autel s'identifiait dans l'Église avec Jésus-Christ, dont il est la figure sensible (4). Des monuments anté- rieurs nous montrent cet usage sous un aspect plus singu- lier encore. Du temps d'Urbain II, qui siégeait en UOO, on prenait trois portions de l'Hostie consacrée qu'on enfermait dans l'autel avec de l'encens, et l'anonyme qui écrivit à celte époque La Fie des abbés de Marmoutiers raconte que ce pape en usa ainsi lorsqu'on 1 096 il fit la dédicace de l'église de ce monastère (5). On voit que déjà, à deux cents ans de

,1) « Conslituit supra memorias martyrum missas celebraii, » dit le Bréviaire romain , 30 mni, d'après Anastase le Bibliothécaire , Vita S. Felicis, 2.

(2) Ci-dessus, t. 11, sur le ch. vi de l'Apocalypse.

(3) « Sine Sanctorum reliquiis, aut iibi illi haberi non possunt, sine corpore Chrisli non Ut consecratio altaris fixi. » (Durant. Mimât., Ration, div. Offic, xviii.)

(i) « Altare signitîcat Chrisluai; sine quo munus nullum acceptabile j'alri offertur. » {Ihid., v" 5.)

(o) Voir doin Chardon, Uisl. des sacrements, De l'Eucharistie, ch. ix ; dom Martenne, De Antiq. Ecoles. Ritib.j t, I, p. 440.— Dans un Sacra- menlaire de S. Grégoire, écrit avant l'an 986 , se trouve le texte qui

Symbolisme du xcputcre de l'au- tel.

264 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

là, on n'avait apporté à cette rubrique qu'une très-légère modification. Nous ne pouvons découvrir à quelle époque antérieure au seizième siècle elle a disparu du Pontifical romain.

Quoi qu'il en soit,c'est par allusion à ces tombeaux sacrés, que l'autel n'a pas cessé de reproduire par son sens mysti- que, qu'on a donné le nom de sépulcre à la cavité ménagée dans la partie antérieure de sa table, et qui reçoit, pour l'y cacher, la capse les reliques sont déposées. Ce sépulcre représente l'urne d'or remplie de la manne céleste que Moïse avait placée dans l'Arche du témoignage (I) : preuve de plus entre mille que l'Église retient autant que possible quelque chose des anciens rites , qui lui semblent le type divin de la Loi nouvelle. Autels portatifs. Lc tciups dcs pcrsécutious ne permit pas toujours de cé- lébrer sur des autels fixes , tels que les Confessions des catacombes. Il fallait procurer ce plus grand des secours religieux à des populations réunies ailleurs ; les voyages de l'apostolat n'impliquaient pas moins la nécessité de trans- porter la partie essentielle du mol)ilier sacré : de les

établit formellement cette pratique comme suivie au dixième siècle : « Id nome Ptris et Fil. et Spûs S^».— Pax tibi. Respousiorum : Et cum Spu tuo. Et ponat très portiones corporis Domini intus , et très de incenso. Recludantur tune reliquiae , canentes antipham : Exsultabunt Sancti n gloria. Psalmus, Laudate Domiuum de cœlis. Antiphâ, Sub altare Dni sedes accepistis. » Ce texte, dont le manuscrit est à la Bi- bliothèque Richelieu, fond Saint-Germain latin, n^ 281 (olim Corhle, n°587 , 13) , a, été reproduit en fac-similé par M. Nat. de Wailly , Traité de diplomatique , Il , p. 234 , pi. vi. Observons qu'il y a long- temps que cette pratique ne s'usite plus, car le Pontifical romain, édité pour la première fois an seizième siècle, ne parle que de reliques in- cluses dans le petit vase à ce destiné, lesquelles sont placées par l'évêque dans le sépulcre de l'autel, pendant que les clercs chantent les mêmes antiennes Exsultabunt et Sub altare. Voir Pontif. roman., p. 409 et suiv.

(1) « Secundum Tabernaculum..., habens... arcam Testament!..., in qua... urna aurea habens manna. » (Hebr., ix, 4.)— « Sepulcrum vero, siveforamen in quo reliquiae recondi debent, significat urnam auream plenam manna quae in arca Testimonii posita erat.» (Durant,, Balion.: mihi, f" xviii.)

AMEIBLKMENT DE l'ÉGLISE. AUTELS. 265

autels portatifs, consistant le plus souvent en une sorte de stèle en bois, ou en une pierre étroite : superaltarc , altare viaticum, et quelquefois en une plaque de métal précieux appelée propitiatoire , et dont s'accompagnait le prêtre, aussi bien (rue du calice indispensable. Ce n'est pas qu'on commpnt on y

*■ supplée quclque-

n'eùt trouvé d'abord un moyen plus simple et surtout plus fois. toucliant, car on avait ^ u des Évéques et des Prêtres réduits à n'offrir les Saints Mystères que dans une solitude écartée, poser le calice et le pain sur les mains ouvertes d'un Diacre, et consommer ainsi sur un autel vivant le sacrifice auquel ils étaient peut-être eux-mêmes réservés. Mais c'était le temps d'autres, non moins saintement inspirés, pre- naient pour table sacrée, dans une prison ils attendaient le martyre, la poitrine nue d'un Confesseur étendu sur le sol, et dont des ceps retenaient les pieds et les mains [\ ). Mais ces remarquables exceptions prouvaient que les '"'^ ^"t«^« ^'^}-

1 Al ' vont être de

règles n'étaient pas encore absolument établies, et tout v'^"^- d'abord on avait du se servir d'autels de bois, les Apôtres ayant certainement consacré, connue Notre-Seigneur lui- même, sur une table imitée de celle du Cénacle. On voit encore dans l'église de Latran,àRome, l'autel dont S. Pierre s'était servi ; et nul autre que le Souverain Pontife en per- sonne n'y peut célébrer , depuis le pape S. Sylvestre, qui l'ordonna ainsi. Mais depuis ce temps aussi, et par ordre du même Pape, la liberté rendue à l'Église demandant une matière plus solide et qui restât perpétuellement à l'abri des injures de l'âge et des accidents, les autels ne purent être consacrés qu'autant qu'ils seraient de pierre : c'est ainsi que l'autel primitif ordonné par Dieu à Moïse, tout en se fai- sant de bois pour la plus grande commodité du transport , devait être de bois desétliim, par cela même incorruptible, ce qui rapprocbe, dans l'intention du divin législateur, l'idée* antique de la nouvelle f2). Ce même Pape institua aussi les

(1) Voir Surius, AcL S. St'phani, die 2 aug.

(2) « Faciès et altare de lignis sethim. » {Kxod., xxvii, 1.) Voir en-

266 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

cérémonies de la consécration des églises et des autels, dont il usa pour la première fois lors de la dédicace de Saint- Jean de Latran (i). Le droit canonique a plus d'une fois renouvelé cette prescription ; les autels portatifs eux-mêmes ne doivent plus être que de pierre, ou de marbre, ou d'ar- doise. Une petite cavité ménagée à leur intérieur doit con- tenir les mêmes reliques voulues pour les grands autels, et, comme pour ceux-ci, c'est toujours l'Évêque seul qui en peut faire la consécration (2) . Il faut même que la pierre soit une et d'un seul morceau, afin de rappeler la base so- lide de l'unité de l'Église, son inébranlable résistance aux puissances du monde et de l'enfer, et sa perfection enfin qui ne la laissera jamais diviser par les schismes et les héré- sies (3) . Il est bien clair ici que ces significations symboliques l'emportent dans l'esprit de l'Église sur toute autre consi- dération, puisque la pierre consacrée ne peut servir qu'au-

core Durant sur ce texte , Lie altaris Consecrat.; mihi, xviii. Pierre de Riga donne une autre raison également symbolique :

De lignis altare sethim contexitur ; inde Collige quod justis vita perennis erit.

(Aurora.^ in Exod., v. 1.439.)

(1) « lUtus quos in consecrandis ecclesiis romana servat Ecclesia, beatus Sylvester papaprimus instituit. Nam, etsi jam ab Apostolorum lemporeloca fuerantDeo dicata quaea quibusdam oratoria, ab aliis ec- clesise dicebautur.,., non tamen ea adeo solemni ritu consecrabantur, nec in eis adhuc in titulum erectum erat altare, quod chrismate deli- butum, Domini nostri Jesu Christi, qui altare, hostia et sacerdos noster est, figuram exprimerez. . Beatus Sylvester postea in consecratione altaris principis Apostolorum decrevit ut deinceps nisi ex lapide altaria aedificarentur. » Voir la curieuse légende des trois leçons du 2^ noc- turne de la Dédicace de la basilique du Saint-Sauveur, Breviar. Rom., IX novemb,; voir aussi Roma &ubterranea,i. \, p. 234 ; lib. il, cap. vi, n°8.)

(2) « Altaria, si non fuerint lapides, chrismatis unctione non conse- crentur. » (Cap. xxxi, De Consecrat., dist. i.)— « Lapis enim Cbristum siguificat, » dit S. Thomas, sent, iv , dist, xiii , quaest. 1 , cap. il.) << Altaria placuit non solum unctione chrismatis, sed etiam sacerdo- tali (episcopali) benedictione sacrari. » (Can. xxxi , J[)e Consecrat.. dist. I.)

(3) Durant, Béleth, et les autres rubricaires.

AMEUBLEMENT DE LÉGLISE. AUTELS. 267

tant qu'elle demeure entière, et que si les reliques s'en étaient perdues, elle deviendrait également incapable de son emploi. La multiplicité des autels dans une même église, nécessitée depuis longtemps par les variantes appor- tées dans le culte, a fait autoriser ces pierres de petites dimensions encadrées dans la table supérieure d'un autel, même de bois, qu'on tolère moyennant cette condition essentielle; car le véritable autel est toujours cette portion principale sur laquelle reposent le Corps et le Sang de la sainte Victime. Le principe est dès lors observé : la pierre est toujours pour symboliser Jésus-Christ ; aussi la dédi- cace en est faite sous les mêmes rites essentiels que celle des autels fixes, quoique avec une moindre solennité. Cette dédicace, intimement liée, nous l'avons dit, à celle , symbolisme de

' ' ' leur consécration;

de l'Église, est, comme celle-ci, pleine d'enseignements sym- boliques : tout s'y rapporte au Sauveur, dont il semble que le Corps sacré soit réellement honoré par tous les détails de la liturgie. La matière est purifiée par quatre choses très- clficaces contre le démon : l'eau, qui signifie l'effusion des saintes larmes dans la prière ; le vin, qui représente la joie spirituelle; le sel, qui est la discrétion de la conduite chrétienne, et la cendre l'humilité de la pénitence (\)\ les encensements le parfument , les onctions du chrême lui impriment la royauté du Christ et rappellent cette pierre mystérieuse que Jacob inonda à Béthel de l'huile prophé- tique qui en fit un monument sacré (2) ; les chants, les oraisons, les signes de croix se multiplient : en tout, partout,

'ly « Circaaquae benediôtiouem uolainiuuj estquod hujiismodi aquae exorcisatio fit ad efîugaudiim inde iniuiicum..., quouiam quatuor sunl qui iniaiicum expellunt: lacrymarum effusio, quae per aquam ; spiri- tualis ex.>nltatiOj per vinum; uaturalis discretio, per sal ; cinis, pœni- tentiîc liiimilitas. » (Durant. Miniat., et les autres liturgistes.)

(2) « Jacob tulit lapidem... et crevit in titulum, fundens oleum de- super..., appellavitque noinen urbis Bethel (doraus Dei). » (Gen . xxviii , 18.) Voir ces belles et majestueuses cérémonies dans le Pontifical romain, part. FI, De eccl^six... et allaris consecratione.

268 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

les allusions aux souvenirs bibliques, à la mission de l'Église, à l'immolation de l'Agneau sans tacbe. ]eur multiplicité, Jusqu'à la fiu du cinouième siècle, les ésrlises n'avaient

après le cinquième ^ ^ ' o

siècle, dans une généralement qu'un autel. On v voyait un signe d'unité, et

même église. ^ ' j d o 7

d'ailleurs on sentait moins le besoin d'en avoir plusieurs lors- qu'on n'avait chaque jour qu'une messe dans chaque église, comme il est encore d'usage en Orient. Mais dès le siècle suivant, la multiphcité des messes, soit dans les monastères, soit dans les grandes paroisses, appela celle des autels. Ma- billon nous apprend qu'à Saint-Germain-des-Prés, consacré en 358 , le roi Ghildebert en fit placer quatre, dont le plus grand était d'une riche magnificence. Avant lui, Constantin avait doté de sept autels d'argent l'église de Saint-Jean de Latran, à laquelle il avait travaillé de ses propres mains (4). Au douzième siècle , les autels secondaires furent placés surtout dans les chapelles rayonnant autour de l'abside. La dévotion aux saints et aux reliques entra pour beaucoup aussi dans cette nouveauté , car elle coïncide avec les nom- breuses translations d'objets précieux rapportés des pèle- rinages de la Terre Sainte. Mais l'autel principal , l'autel majeur, fut toujours le plus vénéré : c'est lui , en effet , qui forme le point central du temple ; vers lui se rapportent Symbolisme de les adoratious du cœur et ses pieux hommages. Il n'v a pas

leurs parements. . i t. « x

jusqu à ses parements qui ne soient pleins de significations spirituelles. Les trois nappes qui en recouvrent la pierre et la préservent des immondices et de la poussière doivent être en nombre triple, pour parer aux inconvénients d'une effusion accidentelle du Précieux Sang; mais surtout elles doivent être de toile de fil , à l'exclusion du coton ou autre matière , comme elles furent dès le commencement , parce qu'elles rappellent le linge très-pur dans lequel

(1) Mabillon, Acia ord. Sancti Bened., I, 201.— Eusèbe et Anastase le Bibliothécaire j Vita Constant. L'abbé Texier , Dictionn. (Vorfévr..

v AUTFX.

AMEL'BLEMENT DE LÉGLISE. AUTELS. 209

.losepli (rArimatliie oiisevelit le corps du Seigneur (1). Le lui est d'ailleuis, dans l'Écriture, le symbole de la pureté du corps et de l'âme (2) : c'est aussi pourquoi il est prescrit exclusivement dans les usages du Saint Sacrifice et dans certains des vêtements sacerdotaux. La pierre, indispensable comme matière, n'exclut pas i^îchesse des^u-

i ' i '1 tels au moyen âge;

cependant l'emploi d'autres substances comme accessoires ou ornements. Le moyen âge ne pouvait négliger, sur ce point , d'appeler l'art au secours du culte et d'y prodiguer toutes les ricliesses dont un objet aussi important semblait susceptible; mais la pierre n'en formait pas moins le fond, et c'était alors un massif de maçonnerie sur lequel régnait toute la table, et qu'on couvrait de toutes parts d'un revê- tement d'or ou d'argent , de bronze ou de cuivre , auquel s'appli(iuaicnt des plaques d'émail, des ornements de verro- terie ou de mosaïque , et môme des pierres précieuses. Tel était déjà, dès le quatrième siècle, la magnificence déployée par Constantin pour l'autel de Sainte-Sophie , dont les au- teurs byzantins nous ont laissé d'admirables descriptions (3j . D'autres, en grand nombre, et qui nous restent encore en leur simplicité

,.,,,,,. , , » . , ,, plus habituelle.

une loule d églises, attestent que la même richesse n était pas possible partout. Mais dans leur simphcité, que dérobaient certainement aux regards des parures que le temps leur a enlevées , le symbolisme sévère des pierres cimentées que surmontait leur table monolithe se relevait encore d'un ca- ractère qui nous les rend toujours aussi respectables , en

(1) « Accepto corpore, Joseph involvit illud in sindone munda. » {Mullk., xxvii, o9.)

(2; Ce qui indique dans la femme forte des Proverbes (QuâBsivit la- nam et linum, el operala est [xxii, 13]) les deux qualités essentielles d'une épouse : la foi , figurée par la laine , comme nous l'avons vu , et l'intiolable pureté des mœurs. Voir CiavU S. Melit., ap. Pitra, III , 132 et 403.

(3) Voir Paul le Silenciaire , chroniqueur grec du sixième siècle, commenté par Ducange, Descript. Constantinop. chrislian^e, lib. III, û" li! ; et Cedrenus, contemporain de Jiislinicn an ^^ixième siècle dans son poème grec de L Église Sainlc-Sophie.

270 HISTOIRE l)i: SYMBOLISMK.

dépit de leur nudité. Sur la tranche de cette table, et par- fois aussi sur les pilastres qui en ornaient les angles anté- rieurs, se lisaient des inscriptions votives ou historiques par lesquelles nous savons maintenant et l'âge de ces petits monuments et leur vocable primitif. Notre belle basilique poitevine de Saint-Savin (Vienne) est riche de ces pieux souvenirs, qu'on retrouve aussi tout à fait identiques dans l'abside de l'ancienne abbatiale de Saint-Denis , et un autre non moins curieux fut découvert, en 184^ , dans une chapelle ruinée de la ville de Vienne, en Daupliiné (1). D'autres fois ces inscriptions étaient symboliques, ou bien de simples sen- tences relatives aux saints mystères, et, au lieu d'être sur le bord courant de l'autel, elles se distribuaient sur le devant, sur les côtés, ou sur la base courante qui supportait la masse totale. On peut lire ce que tous les archéologues ont écrit en ce sens du célèbre autel d'or que l'empereur S. Henri donna, vers 1020 (2), à l'église du Mont-Gassin, et qui est aujourd'hui au musée de Gluny. Celui de Mazf (ju îour, uous découvrîmcs dans une petite église rurale

rolles,en Poitou. t ■. / % i i

de notre diocèse (3j un autel de pierre encore appliqué au fond de l'étroite abside où, sans doute, il avait toujours été. Cette abside était depuis longtemps cachée par un de ces re- tables que le dix-septième siècle se plut à interposer si fré- quemment entre le chœur et le sanctuaire , au grand dom- mage de ce dernier, qui s'en rétrécit d'autant plus, et afin de

(1) Dessiné dans le Ballet, monum., VII, 615.

(2) CeUe description se trouve dans le Cours d'antiquités monumen- tales, par M. de Caumont, VI, 14 et 151. Lettre de M. l'abbé Cros- nier dans les Annal, archéolog., III, 359, et IV, 245. S'il fallait dis- cuter le sens que le docte écrivain donne aux deux vers grecs-latins qu'on lit sur cet autel , nous exposerions notre pensée, qui n'est pas tout à fait la sienne, sur le mot grec oùoîaç et sur l'attribution qu'on fait de la première interprétation à Mgf Cousseau , évêqiie d'Angou- lême. Voir encore une disser talion du colonel Theubet, in-S» ; enfin l'abbé Texier, Dictionn. d'orfévr., col. 199 et suiv., ce beau et regrettable meuble est décrit avec soin dans tous ses détails.

(3) A Mazerolles, près Lussac-les-Cbâteaux (Vienne).

AMEUBLEMENT DE l/ÉGLISE. AUTELS. 271

se ménager une sacristie à peine suffisante , et qui dérobe ainsi aux regards ce que l'intérieur sacré aNait de plus sym- bolique et de plus curieux. Quoi qu'il en soit, notre petit autel me parut être au moins du neuvième siècle, et certainement n'est pas postérieur à cette épot{ue ; il pourrait même re- monter beaucoup plus haut si l'on se rapporte à la fondation du petit monastère qui était du sixième, et aux formes extrê- mement élémentaires de l'objet. Il consiste en une simple table de pierre de cinq à six centimètres d'épaisseur, longue d'un mètre au plus, encastrée dans le chevet oriental par sa partie postérieure , et posée sur deux colonnes placées quelque peu en arrière du bord antérieur. Ce rare et curieux petit monument est d'un grand prix , car il témoigne de l'usage le plus ancien et d'un temps les rites du Saint Sacrifice n'avaient pas reçu encore les développements que nous leur voyons depuis plusieurs siècles. Il est à observer que ceux qu'on retrouve ainsi sont con- remploi du

^ ^ marbre ,

stamment, et sans exception, de pierre plus ou moins polie, mais prise dans les carrières du pays. Plus tard , le luxe artisti(jue apporté à l'œuvre des églises depuis le onzième siècle lit employer pour les autels, comme pour les pavés et autres ornements , les marbres de couleurs variées , qui , alors , étaient fort communs en France. Mais dès le dou- zième, et au treizième surtout, les carrières vinrent à n'y plus suffire, et la pierre de liais, au grain délicat et poli , prêta ses surfaces élégantes au ciseau du sculpteur et aux couleurs symboliques du peintre. .\ous avons donc à peine un regret à donner au changement que nous signalons. Le p^'i arantageux

. " à roffpt ariistique.

marbre , aussi froid au regard qu au toucher, ne souffre pas la peinture, et le plus habile ciseau ne lui donne qu'un relief toujours insuffisant, dans lequel les ombres n'ont qu'un nMe trop secondaire et presque nul d'effet et de pers- pective. C'est aux autels portatifs , à ces pierres sacrées m&u très-eonve- destinées aux voyages et aux églises momdres qu il faut portatifs. laisser une telle matière , fort convenable par son poli et

272 HISTOIRE l)V SYMBOLISME.

sa dureté, et que, d'ailleurs, une règle expresse prescrit d'en- \ elopper d'une toile sous laquelle on l'abrite contre les mains profanes et les accidents. On a de nombreuses mentions, dans les inventaires du onzième au seizième siècle , de pierres sacrées en jaspe , en porpliyre et en marbres de diverses couleurs , encadrées dans des châssis d'or ou d'argent (1). Il n'est même pas sans exemple qu'en leur lieu et place on se soit servi parfois de véritables boîtes d'or ou d'argent , enrichies de gravures , de gemmes et d'émaux , dans les- quelles se renfermaient les reliques, et qui servaient d'au- tels portatifs en les encastrant dans une table improvisée au besoin (2). Mais nous dissuaderons toujours d'employer le marbre, fût-il le plus magnifique, aux autels de quelque importance : encore une fois, il est trop rebelle à toute dé- coration, par conséquent à tout sentiment artistique. Toute- fois, pour suppléer absolument à cette espèce de nuUité, nous ne voyons guère que le mélange des marbres et des pierres précieuses aux couleurs diverses , réalisant pour l'œil des mosaïques distribuées en compartiments , en y encadrant des sujets dont la science symbohque et le bon goût inspi- reraient le nombre et le choix. Mais quelles dépenses , et que de déceptions maintes fois sur l'exécution de telles œuvres , qui ne sont assez ni de notre temps ni de notre pays! Autels en orfé- L'orfévrcrlc réussirait mieux à nous donner de riches fiance ' de'^^qS- autcls , mals cucorc faudrait-il que les architectes , qui époque ^""^"^ veulent absolument s'en mêler sans connaître les plus minces éléments de la matière, se fissent un devoir d'en étudier l'esprit et le sens. Ils nous préserveraient dès lors de ces coffres insignifiants, brillants d'une dorure plus ou

(1) Voir, comme spécimen donnant une idée complète de ces mar- bres et du luxe d'ornementation qui les décore, l'autel du trésor de Conques des onzième et douzième siècles, Annal, archéolog., VIII, 77.

(2) Voir l'abbé Texier , Dictionn. d'orfévr. , autel, col. 208 et iuiv.

AMF.UBLKMENT DE L'ÉGLISE. AUTELS. 273

moins solide , guillocliés d'estampages symétriques d'un dessin pauvre et monotone , quelques fleurs sans idée se distribuent sans plus de conception que de bonheur, jurent aux yeux, ne disent rien à rànic, et dont l'ensemble, en un mot , n'offre, à quelques pas, que le spectacle inerte d'une masse jaune dépourvue de toute impression reli- gieuse, et perdant chaque jour, sous une couche de plus épaisse poussière, l'éphémère éclat de sa trompeuse beauté. En dehors de ces merveilles inabordables au plus grand inspirations plus

' . heureuses a sui-

nombre des égUses , nous pouvons trouver des somptuosités vre. (jui , pour être moins chères , n'en seront pas moins élo- (luentes. Ce que l'art moderne a pu faire depuis vingt ans au moyen du sculpteur et du peintre a réalisé , pour cer- tains sanctuaires , des plans qui méritent l'attention et rappellent aux solides pensées de la foi. Partout on ren- contre aujourd'hui des dessins et des hthochromies dont l'effet, en reproduisant les sujets du moyen âge, en reflète l'idée symbolique, et rattache à l'autel les plus douces et les plus graves pensées de la religion. La sculpture, considérée comme moyen d'ornementa- conditions sym-

I ^ «^ bohquos.

tion , est, aussi bien que tous les autres genres de décora- tion qu'on y doit employer, d'une haute importance dans l'art chrétien, et il faut nous y arrêter, le symbolisme n'ayant jamais été plus nécessaire ni plus convenablement admis (jue dans l'exécution d'un pareil objet , le plus nécessaire de toute la liturgie , et tous les jours mis en contact avec le Dieu même de l'Eucharistie. Supposé donc, et tout d'abord, le choix attentif d'une bonne pierre de liais, d'un grain On et serré, d'autant moins accessible à l'action de l'humidité et de l'air, cherchons à la décorer avec plus ou moins de richesse , mais toujours sous l'inspiration des symboles chrétiens. Combien ces symboles sont nombreux, et quelles inlinies ressources ils ont offertes aux mains iiabiles de nos vieux dessinateurs! Les Livres saints, tra- variété infinie

. . - des motifs esthé-

duits en ciselures ou en saillies; 1 Apocalypse, surtout, avec tiquea à sculpter

T. Ml. i8

274 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

ou à peindre sur ges allusioDS si claires au Fils de Dieu et aux promesses

unaulel.

éternelles; les Pères, avec leur génie iconographique , exposant en mille commentaires les vérités dogmatiques et morales ; les Saints, dans les principaux traits de leur admi- rable vie ; l'auguste Mère du Christ, les Apôtres , le Tétra- morphe; enfin les emblèmes innombrables de l'Eucharistie, ne sont-ils pas autant de sources inépuisables auxquelles ont été faits d'heureux emprunts, et qui nous prêteront généra- lement ou des imitations toujours heureuses , ou des com- binaisons nouvelles que l'étude et l'intelligence ne man- en puiser les querout pas dc s'approprier? Le champ de l'imagerie reli-

bonnes données? '- ^ ii i i u

gieuse est si vaste chez nous , que partout il peut offrir à l'artiste des motifs très-adaptables à nos autels. Les verrières, les miniatures, les fresques ne sont-elles pas autant de sur- faces à consulter , et qui se prêteront toujours , soit tout entières , soit partiellement, au besoin de nos décorations symboliques? N'avons-nous pas aussi ces sarcophages si pré- cieux des premiers jours du Christianisme , dont les côtés sont chargés de faits historiques fouillés dans le marbre , et tous se rapportant à quelques-uns des mystères évangé- liques rapprochés des faits parallèles de l'ancienne Loi ? l'adoration des Mages , Zachée regardant le Sauveur lors de son entrée à Jérusalem , le Christ donnant sa mission aux Apôtres , Daniel au milieu des lions , Moïse tirant du rocher les eaux d'Oreb , l'aveugle guéri , les pains mul- tipliés , Madeleine absoute dans sa pénitence, Jonas délivré de la baleine , Abel offrant un sacrifice , la Samaritaine écoutant le Prophète qui fui dit tout{\). Bien souvent, au lieu de ce luxe des Saints ou des riches du monde, ce sont de simples monogrammes du Christ, des palmes, des cou- ronnes, des croix, des colombes portant au bec l'olivier de la paix éternelle. Quels trésors pour les artistes ! etcom-

(1) « Venite et videte hominem qui dixit mihi omnia quaecumque feci; numquid ipse est Christus? » {Joan,, iv,29.)

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. AUTELS. 275

ment s'étonner que ceux du moyen Tige soient devenus si léconds, lorsqu'ils avaient de telles inspirations et de si beaux modèles ! C'est encore au douzième siècle qu'il faudra emprunter Beaux modèles

* à choisir dans le

les éloquents motifs que réclament nos sanctuaires pour les moyen âge-, églises romanes, dont le style s'y marie si complètement. A celte époque favorite de l'art symbolistique, on voit tantôt rélégance unie à la simplicité , tantôt la prodigalité des ornements jointe à la profondeur du sens allégorique. Toutes les ressources de la science se déploient dans des arcades savamment élaborées, et la plus séduisante har- monie se fait admirer dans l'agencement calculé de ces détails , l'iiabileté du sculpteur seconde parfaitement les plus belles lignes architecturales. La charmante éghse de Saint-Germer (Calvados) possède un autel cubique de son époque dont la table, ornée d'une élégante et épaisse moulure , repose sur une suite de quatre arcades cintrées , . séparées par des palmettes doubles qui se posent perpen- diculairement, et supportées par cinq colonnes à bases attiques dont les chapiteaux se composent uniquement de deux ou trois feuilles grasses d'un effet très-simple , mais parfaitement d'accord avec le style grave et sévère du tout. Cette sévérité est encore relevée par le fond de l'arcature , qui est plein et sans nulle ornementation aujourd'hui vi- sible. Mais qu'on se représente ce beau meuble , imposant y . appuquer comme masse , et si énei'gique dans son expression géné- rale , qu'on se le représente , disons-nous , paré de tout ce que l'or et les couleurs peuvent ajouter à la pierre trop nue par elle-même , et qui réclame toujours cette parure ; qu'on remplisse par des gemmes les petites mou- lures creuses des archivoltes ; qu'on jette la verdure sur ces feuilles palmées qui s'élèvent dans leurs intervalles ; dorez les corbeilles et les bases en revotant les tailloirs et les piédestaux de teintes plus sombres qui les fassent res- sortir ; couvrez les lïits de jaspes , de porphyres , ou de

27G HISTOIRE DU SYMBOLISME.

marqueteries , ou d'émaux ; ornez les fonds plats de quel- ques statuettes , ou de fleurs symboliques , ou de tous autres emblèmes qui y ressortent d'accord avec l'idée mère et la destination de cet autel, et nous doutons que, même dans une cathédrale, on l'accuse d'un rôle trop in- férieur. A Saint-Florent-des-Bois, en Vendée , nous l'avons fait exécuter en bois sur de plus grandes proportions, et sa forme générale y répond parfaitement , aussi bien que ses décors, aux dimensions de lédifice et au digne objet de sa destination.

A Avenas (Saône-et-Loire) , un cadre à peu près le même, sauf la division en arcades, offre un sujet d'ornementation plus riche et plus généralement adopté. Le Christ en occupe tout le milieu, assis et bénissant, sur un tronc que circonscrit un nimbe elhptique , et flanqué aux quatre côtés de l'un des animaux du Tétramorphe; puis, sur deux lignes qui se partagent horizontalement tout l'espace , à droite et à gauche de ce grand médaillon , les douze Apôtres accom- pagnent le divin Maître , assis comme lui, trois par trois {\), dans chacun des quatre compartiments. Faites encore re- vivre tout cela au moyen de la coloriation que le moyen âge lui avait certainement donnée , et vous avez un mo- dèle de plus à imiter. Des retables; Au treizième et au quatorzième siècle, l'époque gothique fit naître et maintint les retables pour les autels qui n'avaient pas cessé d'être appliqués au fond de l'abside: c'était un moyen d'ornementation dont on profita avec une profusion étonnante, que le seizième siècle surtout dé- y bien observer vcloppa puissammcut. Lcs modèlcs ne manquent pas en théologiques. cc gcurc ; il faut seulement se méfier, surtout quant à cette dernière époque, dite de la Renaissance, du laisser- aller des artistes qui abandonnent la tradition , mêlent leurs idées personnelles à celles des grands esthétiques du

(1) « Sedebitis et vos. » (Mnllh., xix, 28.)

AiMEUBLEMENT DE 'L'ÉGLISE. AUTELS. 277

moyen âge, et déraiif^ent, avec l'ordre naturel des idées, le sens si rationnel puisé par nos pères dans une plus pure théologie. Citons pour exemple la donnée si connue de l'arbre de Jessé. On en voit une gracieuse e\écution à la observation sur

un retable de

chapelle Sainte-Anne, dans l'église Xotre-Dame de Poitiers. Jessé, à Notrc-

^ . ' Dame de Poitiers.

liCrtainemcnt l'idée est fort gracieuse d'avoir choisi ce motif pour ornementer l'autel consacré sous le vocable de la mère de la Sainte Vierge. Rien de plus heureux, en pareil cas, que cette tradition de famille exaltant l'efflorescence de la sainte lignée du Fils de David. Mais une grosse faute est , mal- heureusement, diminuant la dignité de la conception artis- tique et rabaissant l'effet principal que le même sujet pro- duit mieux partout ailleurs. Pourquoi le sculpteur a-t-il pré- féré aux autres modèles si nombreux celui je ne sais quel précurseur de Raphaël et de Michel-Ange, au lieu de faire partir la racine symbolique du cœur de Jessé, la fait sortir de ses reins, an grand détriment d'une pensée élevée et chaste , et au profit d'une idée par trop naturelle et toujours prise en mauvaise part (l)?La beauté générale d'une telle composition n'est pas le seul mérite qu'il lui faille : elle perd tout son charme sans la pensée intime qui doit en dicter la donnée spirituelle, et, n'eussions-nous que

(l) Voyez, en effet, comme à cet égard le symbolisme s'est exprimé clairement. Ne dirait-on pas que c'est relativement au point qui nous occupe ici que le Psaliniste aurait chanté: Kruclavil cor vieum Verbum bonum? {Ps., xliv, 2.) S. Méliton l'a pensé , quand il ajoute : Co7\ secretum divinx generatvviis [Clavis, cap. v, De Homine, xl); et Pierre de Capoue adopte fort bien et développe dans notre sens cette interprétation {Spicileg. Solesm., U, lxxv). Au contraire, les reins sont le siège de la luxure et des passions ch irnelles : « Renés, carnalis deiectatio, » dit ce méuie S. Méliton iibicL, n"* xlvii et suiv.). D'après le Psalmiste: Ure rcn^s meos (ps. xxv, 2); « Renés mei comrautati sunt » fps. Lxxii, 11); et Jérémie (xvr, 10): R>mes veslrus accingite. Théo- «lulphe d'Orléans dit aussi : w Lumbi, luxuria. » Voir idem Spicileg., Il, 2')8. N'esl-il pas évideut (jue l'artiste ((ui traite Jessé comme nous venons de le voir s'est éloigné par troj» des véritables notions conve- nables à une image du saint Patriarche, dont le sang fut la source du sang très-pur du Sauveur et de ses parents selon la chair?

278 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

cet exemple à citer contre l'insuffisance des notions fonda- mentales d'esthétique dans certains artistes , on compren- drait parfaitement quel soin on doit prendre, pour mériter ce titre , de méditer le fond des choses , et de ne pas s'ar- rêter aux conditions matérielles du beau visible, au risque de négliger l'âme pour le corps (i).

C'est dans le midi de la France , et en Belgique surtout , que l'art gothique a laissé un plus grand nombre de ses reta- bles, vraiment attachants par la fécondité de leurs images et le symbohsme de leur conception. Les dessins en sont partout répandus, et il sera facile de leur emprunter pour les travaux modernes des idées qu'on peut modifier à l'in- fini , pourvu qu'on s'y attache strictement aux principes de l'archéologie chrétienne qu'on y aura observés , ou qu'on en rectifie les erreurs si quelques fautes étaient venues s'y mêler à d'heureuses inspirations.

Les autels du moyen âge s'étaient fait et conservèrent ^^^'^- encore, jusqu'à la fin du seizième siècle, d'ingénieuses

(1) Nous venons de décrire une planche d'un de ces livres nouveaux le luxe de l'impression et des gravures brille presque toujours à côté d'une érudition plus qu'équivoque et dont les éditeurs n'ont pas tant de souci que de ce qui peut se vendre en séduisant le regard. Pour prouver d'autant mieux sa haute intelligence du sujet, le savant re- nommé qui s'était chargé d'expliquer cette planche n'y a vu qu'un songe royal dans lequel le Psalmiste endormi écoute un concert cé- leste !... C'est M. Paul Lacroix, autrement dit le bibliophile Jacob, qui nous raconte cela au bas d'une gravure qu'il n'a pas comprise puisqu'il y prend Jessé pour David, et toute la suite des rois de Juda, échelonnée sur les rameaux de la tige symbolique, pour des musiciens célestes charmant les loisirs du prétendu roi. Et voilà un livre (d'étrennes l) qui, sous le- titre spécieux des Arts an moyen âge, « est destiné, » si l'on en croit le prospectus, « à vulgariser des connaissances aussi utiles qu'agréables , et restées trop longtemps du domaine exclusif des éru- dits... » Au reste , c'est le quinzième siècle qu'il faut accuser de ce renversement des véritables idées. On peut voir dans Didron {Annal. archéoL, VIll , 275) une fenêtre anglaise de cette époque l'arbre semble aussi s'échapper des relias du patriarche endormi. De grâce, qu'on se garde bien de se régler d'après ces pauvres exemples que notre savant archéologue n'indique, au reste, que pour en faire éclater la bizarrerie et l'inconvenance.

Parements et antipendiuvi mo-

AMEUBLEMENT DE l/ÉGLISE. TABERNACLES. 279

ressources pour varier leur parure symbolique. On les ha- billait , pour conserver ici l'expression des anciens temps , c'est-à-dire qu'on changeait à volonté l'ornementation de la partie antérieure en cachant à volonté cette môme partie au moyen de devants mobiles de soie, de tapisseries d'étoffes quelconques la broderie et même la peinture multi- pliaient à l'envi des sujets fort remarquahles et toujours symboliques. Ces tentures, connues sous le nom latin ^'anti- pendium, étaient aussi quelquefois en cuir guilloché et doré, ou bien des sculptures sur chêne , au fond d'or ou de cou- leur , qu'on appliquait, au besoin, devant l'autel même , et qui pouvaient suppléer aussi à la sculpture, toujours chère, d'un autel de prix. On pouvait encore, par ce procédé si simple et si économique, assortir aux ornements du prêtre la couleur variable des offices journaliers. On comprend de quelle riche décoration est susccptil)le , avec tous ces changements à vue, ce meuble principal de l'église, vers lequel tous les regards convergent , et que l'œil du fidèle aime tant à voir parer de toutes ses beautés hturgiques. Nous avons pu y ajouter quelquefois un cadre mobile que de simples crochets rattachaient à la masse de l'autel. On glissait alors dans des rainures de légères planchettes peintes des couleurs liturgiques, soit à fond mat , soit chargées de figures de Saints ou d'emblèmes ; on les changeait à vo- lonté , on leur faisait exprimer des scènes variées. Un grand effet résulte de ce stratagème, qui réussit merveilleusement et se prête à une foule de combinaisons artistiques. Il semble que, si l'autel exige toutes ces conditions de Des tabernacles;

leur histoire.

somptuosité relative et de pieux: embellissements, le taber- nacle a bien plus de titres encore à nos soins et à notre at- tention. Ici l'histoire est pleine d'intéressantes curiosités , et, quoique nous ne devions l'aborder que dans ses rapports avec le symbolisme , la tâche du symboliste s'y trouve am- plement unie à celle de l'historien. Et d'abord , autant que nous comprenons par tabernacle cet édicule placé au mi-

280 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

lieu de l'autel , la sainte Eucharistie est conservée , et auquel, comme nous l'avons dit, se rapporte toute la magni- ficence de celui-ci , il ne faut pas le chercher sous cette forme dans l'antiquité ecclésiastique , pas même générale- ment au moyen âge. Ce serait à l'expiration de cette période , au quinzième siècle au plus tôt, qu'il faudrait attribuer les plus anciens , selon quelques archéologues. Cependant, dès le treizième siècle , Guillaume Durant en parlait comme admis en quelques églises, et représentant sur l'autel l'Arche d'aUiance de la vieille Loi ('l). Antérieurement , ils étaient d'abord séparés, mais non pas éloignés, de l'autel majeur. Celui-ci, toujours (jusqu'au douzième siècle) placé dans l'abside, était accompagné, à droite ou à gauche, d'une petite armoire creusée dans le mur latéral, qu'il est facile encore de reconnaître en un grand nombre de nos églises romanes. étaient la Sainte Réserve et les hosties destinées à la consécration , aussi bien que les vases sacrés et les reliques (2). Devant la porte, un conopée, ou rideau de soie, orné de broderies, épanchait ses plis et indiquait l'humble demeure du Fils de Dieu; c'est de qu'est venue l'habitude, encore en vigueur, de couvrir le tabernacle d'une enveloppe d'étoffe, à laquelle on pouvait tenir encore lorsque plus tard on n'eut , en quelques pauvres églises , que des tabernacles en bois dépourvus de toute parure artistique. Combien les co- Mals uc scmblc-t-il pas qu'une fois admis et employé le luxe

nopées leui- sont

maintenant défa- si couvenablc quc Ic tabcmacle exige absolument, il n'y a pas lieu à l'entourer d'une enveloppe qui y devient un

(1) « In quibusdam ecclesiis super altare coUocatur arca seu taber- naculum inquo corpus Domini et reliquiae ponuntur.» {Rat. Off. divin., cap. V.)

(2) Ce fait a été établi de la manière la plus claire dans l'église d'Au- treville (Vosges), l'on voit du côté de l'Évangile, adossé au mur de l'abside et dans l'épaisseur dudit mur , lui petit monument dont la forme indique qu'il n'a jamais pu être placé ailleurs. Il est supporté par un cul-de-lampe sur lequel se trouve un Ange tenant un phylac- tère; on y lit : Ecce Panis Angelorum. C'est donc qu'était la Sainte Réserve. (BuUelin monumental, XVI, 508.)

AMEUBLEMEINT DE LÉGLISE. TABERINACLES. 28^

contre-sens? S. Charles, dont les précautions en matière liturgique indiquent un esprit tout sacerdotal, pieusement occupé des moindres détails de son sujet, recommande le plus grand soin et toute la somptuosité possible dans l'exé- cution de cette vénérable demeure du Dieu caché ; il n'oublie pas de prescrire l'étoffe de soie qui doit en garnir l'inté- rieur (I). Nulle part il n'indique, par un seul mot, le rideau extérieur, (jui ravirait aux regards les ornements de sculp- ture , les dorures et les pierreries. Quant à la forme, le "^ doivent se

construire d'après

saint évéque demande, par un de ces principes de bon goût rarchitecture de

^ ' ^ ' ^ l'église et de Pau-

antérieurs à toute notion d'archéologie pratique, qu on 1 as- tei. simile à celle de l'église (2) , c'est-à-dire aux dispositions générales du sanctuaire, à ses moulures, à ses baies : preuve de plus de l'excellence de notre thèse sur ce point , et du tort que se donnent les architectes qui l'oublient.

Quoi qu'il arrive depuis le treizième siècle, nous voyons. Leurs formes va- d'après un témoin oculaire, que le tabernacle reposait déjà sur l'autel , les boîtes ou pixides destinées à recevoir et à garder la sainte Eucharistie eurent des formes variées , mais toutes symboliques, sans exceptions. Nous ne savons si, dans les catacombes, le Sacrement était réservé d'un jour à l'autre et gardé dans l'intervalle des messes : ce qu'il y a d'incertain sur la liturgie du Saint Sacrifice à l'époque des origines chrétiennes nous laisse dans une profonde obscu- rité sur ce point; mais le symboUsme était déjà trop affermi dans ces églises ignorées pour n'avoir pas , si besoin était , consacré sous des formes significatives les vases sanctifiés

(1) « Panno serico rubri coloris, si Ambrosiani ritus Kcclesia sit; aut albi,si Romani, intus abomni parte vestituiii atque ornatum sit (laber- niK-ulum). » (Instruction, fubricx erclesiasticv lib. I , cap. xiir.} Nous De pouvons trop engager à lire et relire cet excellent ouvrage, «iont toutes les prescriptions sont parfaitement en riarmonie avec les principes archéologiques, et que nul archéologue ne devrait ignorer.

(2; « Forma vel o(;tangiil:i, vel sexan-^Mila^ vel quadrata, vel rotunihi, prout decentius et religiosius accommodatTa videbitur ad ecclesiae for- mani. » (S. Caroli Instruct., ubi suprà.)

282 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

par le contact du Sauveur. iVous voyons, dès le sixième siècle, S. Grégoire de Tours mentionner, aussi bien que S. Rémi, des tours d'or pur ou de bois recouvertes de feuilles d'or ; S. Fortunat de Poitiers loue S. Félix, évoque de Bourges (de 568 à o80) , d'en avoir fait exécuter une toute d'or pour , en doter son église , et , au onzième , Flodoard parle d'un autre bijou de ce genre que l'archevêque Laudon avait placé (de 645 à 649) sur l'autel de sa métropole (^1). On comprend, d'ailleurs, le mysticisme de cette forme choisie pour un em- ploi si digne et si élevé , si l'on consulte nos sources habi- tuelles. On voit nos saints ouvriers désigner , sous cet em- blème, le Christ lui-même, dont il est dit que « son nom est une tour fortifiée. » La Vierge Marie est comparée à « une tour destinée à la garde d'un troupeau précieux : » c'est pourquoi sans doute l'antiquité l'a nommée Tour d'ivoire, Turris eburnea^ et pourquoi encore les tours eucharistiques ont été façonnées quelquefois en cette matière précieuse, sym- bole elle-même de la pureté de ce sein virginal qui renferma ]'Homme-Dieu pendant les neuf mois de sa formation corpo- relle. C'est encore la vie parfaite, indiquée par la tour dont parle le Sauveur , qu'un certain homme commença sans s'être assuré des moyens de la finir ; c'est un refuge enfin.

(1) Ces faits, que nous retrouvons cités maintes fois par les archéo- logaes, et notamment par l'abbé Texier^ Diclionn. d'orfév., col. 1410 , ne manquent pas d'analogues dans les auteurs de ces premiers temps; mais on peut être embarrassé par quelques expressions des textes qu'il est bon de faire observer ici comme importantes à comprendre. Ainsi Fortunat dit dans son huitain adressé à S. Félix :

Quam bene juncta décent sacrati ut Corporis Agni Margaritum ingens aurea dona ferant !

{Mhcellanea, pars I, lib. III, cap. xxv.)

Sur ce mot margaritum , le P. Brower, qui a édité et annoté utile- ment le poète poitevin , remarque qu'on a donné , avec les Grecs mo- dernes , le nom de margaritum à la Sainte Eucharistie, qui est la perle précieuse par excellence . Mapi'apmç. - Ce mot est employé dans le même sens par Prudence in Psychomackia. Voir Flodoard , Chronic. Rem., lib. II, capjivi; Greg. Turon,, Hisior. Francor., X , 3i; De Gloria martyr. ^ lib. II, cap. lxxxvi.

AMEUBLEMENT DE L'ÉGLISE. TABERNACLES. 283

une défense, un asile l'âme qui va chercher l'amour et la confiance demeure calme et ferme, quoique entourée d'en- nemis {■{}. Tout cela n'est-il pas applicahleauPain de vie, et le symbolisme a-t-il trouvé nulle part plus que une abon- dante série de justes et faciles applications ?

S»* Claire, morte en 1258, est représentée ayant à la main une tour, parce qu'elle mit en fuite les Sarrasins qui envahissaient la ville d'Assise, elle demeurait, en se portant vers eux avec la tour eucharistique de son égUsc conventuelle (2). La tour était en ivoire, et indique bien, avec le texte déjà cité de Guillaume Durant , qu'au treizième siècle cette forme était généralement gardée.

Les tours n'étaient pas toujours posées sur l'autel. Quel- suspendues au-

■^ '' ^ dessus de l'autel.

ques-unes étaient suspendues par des chaînes au-dessus de la pierre sacrée , et devenaient ainsi visibles à tous , aspi- rant pour ainsi dire les adorations ; et ces chaînes étaient soutenues par une crosse dont la hampe partait soit de l'autel, soit de la partie supérieure du retable ou du cibo- rium. Cette crosse , que nous ne voyons signalée nulle part comme symbolique , devait l'être cependant , et nous con- firmons cette idée en observant que les ciboires ainsi sou- tenus ne paraissent l'avoir été que dans les églises cathé- drales et abbatiales. Si on a pu en voir en quelques autres , c'est probablement qu'elles y avaient été transportées depuis la fin du dernier siècle , lorsque l'interruption révolution-

M) « Turris, Christus : Turris fortissima, nomen Domini.» (Prov., xvni, 10.) « Virgo Maria vel Ecclesia : FA tu sicut turris gregis per- fecti. » [Mirh. , i\ , 8.)— « Vita perfectionis : Quis ex vobis volens turrim aedificare, non prius sedet. .?» (Luc, xiv, 28.)— AinsiS.Méliton développe cette allusion toute biblique, cli. xi, De Civitate, n°s 5 et 6.

Pierre de Capoue, qu'on peut lire parmi les commentateurs de nos saintes Ecritures, développe d'une façon charmante sous combien de face^ ce nom de Tour convient à Marie, Spicileg. Solesni., III , 175.

(2) Voir Boilaudus, Acla Sanclor. , 12 aug., et t. 111, jun., p. 27.

Consulter aussi, sur les tours d'or, d'ivoire ou d'argent servant de tabernacle, un article fort complet et très-érudit de M. l'abbé Cor- blet, notre docte collaborateur de la Rtvite de l'art chrétien, II, 337 et suiv.

284 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

naire du culte catholique ferma un si grand nombre de lieux: sacrés dont les richesses furent attribuées ensuite à ceux qui leur survécurent (I). On ne verrait, en effet, aucune raison de choisir cet insigne plutôt qu'un autre partout la juridiction d'un ordinaire n'aurait pas été en vigueur.

métl^^'etTur raîl ^^^^^ ^ ^^^^ ^^ ^^ *^"*' semble avolr été parallèlement em- son symbolique, ployéc, dès l'originc, la colombe de métal précieux dans la- quelle on suspendait aussi bien la Sainte Réserve. On en a un exemple remarquable dans la vie de S. Basile de Césarée, qui , vers 360, se servit aussi d'une colombe d'or pour ren- fermer le Pain qu'il avait consacré pendant la messe (2). On en citerait beaucoup d'autres , et toutes les industries de Fart aidèrent les orfèvres à rendre ces vases, si gracieux par eux-mêmes , dignes de la haute pensée qui les inspirait. L'or, l'argent, le cuivre doré se couvraient pour eux d'émail et de pierreries. Tout concourait à en faire un objet d'ad- miration et de respect. Nous ne savons ce qui a pu faire croire à M. Viollet-Leduc que celle qu'il a vue en Bour- gogne devait (c porter dans son bec la chaîne qui tenait suspendue la pyxide eucharistique. » C'était la colombe même qui était la pyxide dont les ailes, jouant par une charnière , ouvraient ou fermaient à volonté le saint ré- ceptacle. On peut s'en convaincre par la gravure qu'en ont

(1) Voir une note de M. An. de Barthélémy dans la Revue de l'art chrétien, II, 333. Il y est mention d'un jugement sévère porté, sur l'usage de cette suspension dans l'ancienne abbaye de Saint-Maixent, par feu M. de La Liborlière dans ses Souvenirs du vieux Poitiers d'avant 89. Il n'avait pas tenu à nous, quand notre spirituel collègue écrivit cette page, qu'il ne comprît bien l'erreur d'appréciation dans laquelle il tombait, et que nous explicâmes dès 1849 eu parlant de la suspension pratiquée dans notre cathédrale au seizième siècle (Voir notre Histoire de ce monument, t. Il, p. 219); mais on risque toujours de se tromper quand ou écrit sans études préalables sur un point inattendu et qui se lie à des connaissances auxquelles les gens du monde restent trop souvent étrangers.

(2) Voir Amphilochii, Icon. episc, S. Basilii Magni Vita, ap. Surium, 1 januar.

AMEUBLEMENT DE L ÉGLISE. TABERNACLES. 28:)

publiée si souvent les Recueils d'archéologie sacrée {\).

Quoi qu'il en soit , le symbolisme de la colombe autorisait bien le clioix de son image pour une telle destination. Type de la simplicité , de l'amour chaste , des saints désirs du ciel , de la vie intérieure et méditative , nos pères avaient saisi nettement, d'après les Livres saints et les in- terprètes ecclésiastiques, tout ce qui, dans cet oiseau, plein de douceui* et de paix, convenait si bien au Sacrement Jésus appelle les âmes ainsi disposées (2). Mais elle devint, au baptême du Christ, la forme visible de l'Esprit- Saint , et, dans ce sens , elle semble encore fixée au-dessus de nos tètes, reposer, comme l'Esprit du Seigneur, sur les humbles et les pacifiques , sur ceux qui écoutent dans une crainte respectueuse les pensées et la parole de Dieu (3j.

S'il n'est pas facile de donner cette forme d'oiseau à nos q«î les ferait

très-bien emplo-

tabernacles , tels que nous les disposons aujourd'hui sur yor aussi comme

. , T . . 1 " . 1 ciboires.

l autel, on pourrait tres-bien y revenir, du moins, pour les ciboires qu'on y renferme : on relèverait fort convenable- ment les colombes en reUef sur leur circonférence, comme sur celle des calices ou des ostensoirs , et nous ferions re- vivre ainsi une des plus touchantes allégories de nos vieilles et saintes traditions. Quant aux tabernacles en eux-mêmes , les plans, nous le Formes choisies

, ,, ' ^ V r- n •* 1 à donner aux ta-

voyons , peuvent en être varies a linnni. Le serait donc bemacies.

(1) Annales archéolog., t. V, p. 193. Revue de l'art chrétien , II, 391.

(2) Le Sauveur n'a-t-il pas dit : Etiole simplfccs sicut colwnbx ? {Malth., X.) La Sagesse Eternelle n'aime-t-elle pas à s'entretenir avec les simples de cœur : Cum simplicibus serniocinalio cjus ? (Prov., m.)

(3) « Super quem recjuiescet Spiritus meus nisi super humilem et trementem sermones meos ? » (Av., xvi, 2.) Cessiodore dit, en se servant d'une mauvaise élymologie , mais en définissant très-bien VoheaiM : » Culumha dicta est quasi cellœ aliunna, quae vitam sine alterius gravamine peragit; avis innocens , mansueta , (juee in nullum animal fellica voluntate consurgit (la colombe passait cbez les anciens pour n'avoir pas de fiel), nec escis sordidis ullatenus accpiiescit. » [In Mail II., cap. X.)

286 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

tantôt une tour, symbole de force et de sécurité, tantôt une façade d'église , car Jésus-Christ s'est appelé la porte par laquelle on entre dans le salut , et quand sommes-nous plus sûrs de ce bonheur éternel que lorsque le Sauveur descend dans notre âme et vient nous chercher? N'avez- vous pas à y frapper vous-même en sollicitant l'entrée que voulait de sa colombe le chaste Époux des cantiques {\ ) ? Puis ne voyez-vous pas à travers ce voile artistique, derrière cette porte mystérieuse , le divin Captif vous inviter au sa- crement de sa charité? N'est-ce pas encore ce seuil béni pour les Élus que distingue le Sang de l'Agneau ? Enfin n'est-ce pas en face de ce temple figuratif que vous pouvez dire dans le recueillement de votre piété, en attendant le jour des adorations éternelles : « Je vous adorerai près de votre Temple {2)h} Aimez-vous mieux le Bon Pasteur comme aux catacombes ? l'Ange de l'agonie confortant la Victime des Oliviers ? l'Hostie resplendissant d'une auréole glo- rieuse? la flamme qui brûle sans se consumer sur l'autel le prêtre doit l'entretenir en vue du sacrifice qui n'aura pas de fin (3)? les Bergers entourant de leurs hommages l'Enfant-Dieu , le Pain de vie de Bethléem? Quelle foule d'images , et comme vous pouvez les unir avec succès aux métaux , aux bois , à la pierre même , qu'enrichiront avec de gracieuses sculptures toutes les beautés accessoires que les gemmes et les couleurs rendent encore plus éloquentes, puisque chacune d'elles, nous le savons, représente une idée et parle d'une de nos vertus ! Mauvais goût Mals l'autcl seul avec son tabernacle n'est pas un tout

(1) « Ëgo sum ostium; per me si quis introierit salvabitur.» (Joan., X , 9.) « Ecce sto ad ostium , et pulso. » (Apoc, ui , 20.) « Aperi mihi, soror mea. Surrexl, et aperui Dilecto. » (Cant., y, 5 et 11.)

(2) « Compelle intrare. » (Lac, xiv, 23.) « De sanguine Agni imponent in utraque poste. » {Exoci.,xu, 7.) « Adorabo ad templum

- sanetum tuum. » [Ps., V, 8.)

(3) « Ignis autem in altare semper ardebit, quem nutriet sacerdos. » {Levit., VI , 12.)

AMEUBLEMENT DE L*ÉGLISE. TABERNACLES. 287

complet. Nous avons parlé de ces dais ou ciborium qui le >l<^^ ^iborim, ou

ir r i baldaquins no -

surmontent, et, en cela, il est*indispensal)le encore de *"^i«-

joindre aux exigences de la liturgie celle de l'art qu'elle

écoute toujours utilement. On s'évertue aujourd'hui , faute Déplorable nu- dité qu'on fait au-

de goût, et souvent aussi parce qu'on suit trop des archi- jourdhui à no3

sanctuaires.

tectes qui en manquent , à combiner autour ou au-dessus de l'autel des éléments capricieux , des matériaux hétéro- gènes, d'où naît une ornementation insignifiante ou ridi- cule. On s'éloigne ainsi, pour créer de l'arbitraire et du nouveau , des grandes inspirations de la foi éclairée et de la piété pleine d'amour. On dégage le Saint des Saints des Mauvais système

qui les découvre,

voiles qui feraient vénérer sa présence mystique. Au lieu quand iis de- de commander le respect aux peuples par cette demi-obs- deia fouie. curité du sanctuaire la prière est si calme , si douce et si aimable, on veut leur plaire en découvrant de toutes parts l'autel à leurs yeux, en leur dévoilant les profondeurs si précieuses du plus saint des rmj stères : hélas ! on n'y gagne que de trivialiser les choses célestes , d'abaisser les dogmes fondamentaux au niveau d'un spectacle vulgaire, et d'accoutumer la foule inintelligente à mesurer de son stupide regard les mouvements sacrés du prêtre et l'action divine qu'elle épie sans la deviner. Oh ! combien mieux faisaient nos ancêtres ! Ils entouraient leur autel de toute l'ombre possible , de splendides tentures , de riches étoffes qui en faisaient un autre tabernacle ayant son Arche d'al- liance , dont les moindres détails, prévus et indiqués par Dieu lui-même , montraient clairement quelle révérence devait remplir ceux qui venaient adorer en esprit et en vérité. Le chœur, réservé au prêtre, n'était pas ouvert à tout venant; ceux qui n'y devaient que prier et chanter les louanges divines ne s'y trouvaient pas confondus en quelque sorte à une foule même respectueuse et recueillie , et si l'on eût osé alors, comme aujourd'hui, parcourir une église comme une promenade publique, y regarder les rites sacrés comme un spectacle plus ou moins curieux sur lequel on

cœur.

288 HISTOIRE DC SYMBOLISME.

se l)lasc sans inconvénients et sans scrupnles , au moins d'heureux obstacles s'élevaient entre ces scandales et nos regards , et l'âme sacerdotale se réfugiait vers le Dieu caché pour y ravir sa prière aux influences malheureuses de cette tumultueuse dissipation. est maintenant le Saint des Saints. ? Voyez comme, dans toutes nos basiliques, on a renversé toute barrière entre lui et les profanateurs! ces barrières existent encore , on se dispose à les dévaster , et nous donnons dans Y esprit moderne , comme si , dans toutes ces funestes conséquences, l'Église elle-même, de sa voix magistrale et infaillible, ne l'avait pas formellement condamné ! Idée et plan Pour uous , qui voulons toujours, comme nos lecteurs le

d'un sanctuaire ,, . ^ ^ , >t i l'.i

tout parle au veulcnt mamtcuaut , trouver a lire sur chaque objet du culte une pensée qui nous y enchaîne et le fasse aimer de plus en plus , nous demandons à ceux que leur caractère a rendus compétents de donner à nos autels cette gloire im- posante qui touche les cœurs , et dont le seul aspect est un enseignement de foi active , et propage la piété dans les âmes. Que, surveillé par eux, et noblement posé à sa place triomphale , l'autel majeur s'élève dans un sanc- tuaire supérieur au niveau de l'église , sous le point d'in- tersection de la voûte abaissée à son intention et qui, toute seule , peut lui servir de pavillon sacré et d'abri liturgique, sans aucune adjonction d'autre couverture quel- conque ne prenant que l'importun caractère d'un double emploi; que toute cette travée s'entoure d'une précieuse enceinte qui protège le Dieu caché et l'honore par un silence plus complet et plus mystérieux. L'art du sculpteur et du peintre décorera d'insignes consacrés, de pieuses histoires^ cette clôture dont jadis de belles et éclatantes tapisseries recouvraient au moins la nudité. Ces saints, ces emblèmes, ces images riches d'expression, de souvenirs , de couleurs , d'or, de pierreries, de plaques ou de fleurs émaillées qui pareront la face antérieure de l'autel et son retable, se

'K>

AMEUBLEMENT DE L ÉGLISE. BAFfISTÈRES. 289

marieront, par un agencement Iiabile et des combinaisons sérieusement étudiées, au reste de l'ameublement béni. Les quatre piliers qui manfuent les limites du sanctuaire , soit ([u'ils l'isolent des bas-cotés , soit qu'ils s'engagent dans les murs latéraux d'une nef unique, supporteront la voûte abaissée symboli(iucment pourlormer la couronne du sanc- tuaire et de l'autel. Donnez-leur une action dans ce grand et bel ensemble ; couv rez leur surface des nuances variées des douze pierresprécieuses, dont cbacunea sa signification éner- gique; faites courir sur toute leur hauteur le jaspe de la foi, la sardoine du martyre , la topaze des vertus surnaturelles , et toutes les autres, qui figureront si bien autour de l'Homme- Uieu (I); donnez une vie plus abondante à leurs chapiteaux en colorant leurs oiseaux , leurs feuillages et leurs fruits ; (fue le tabernacle, de qui tout cela relève, surmonte la table sacrée de son élancement svelte ou de ses formes plus sé- vères, selon le style de l'édifice; mettez-y toute la somptuo- sité que permettent les ressources locales, pour qu'il se rapproche autant que possible de la grandeui* de son objet; que les chandeliers qui l'accompagnent, que la lampe dont la lumière n'y doit jamais cesser se mettent, par les détails de leurs ciselures et de leurs reliefs , en harmonie avec ce grand tout; et quand le fidèle, agenouillé devant lui, exha- lera son cœur vers le Dieu qui l'y attire , que l'infidèle lui- même, ignorant des saines doctrines de la foi, comprenne aussi que sous ces mystérieuses apparences qu'il admire il y a un langage secret qui touche l'ame, et que peut-être un Dieu n'est pas loin de là.

Passons au Baptistère. Des Baptistères,

encore se résume tout ce que le culte chrétien a observef'f"^ " ^

(1) « Jaspis, fldes, viror «lesiderii : Ponam jaspidis propiignacula liia. » (/5., Liv, 12.) « Sardonyx 7'ubri ùohris est et désignât (riioreui ChrislL » « Topazius, virluUhvs plena , habet duos colores, mnini sionlnunim, alleriiin (inar^i <'(nlmn. » s. Meliton. Dr M' IfiUis , ciip. Lviii (il seq.}

T. III 1!»

290 ' HISTOIRE DU SYMBOLISME.

d'intime et de pénétrant ; donc on a aimé à reproduire ipur histoire dans le luxe dcs grandioses pensées de la foi. Ce furent d'abord

l'antiquité et au . i i , t i r n i r i

moyen âge. dc Véritables églises, succursales réelles des catbedrales, dans lesquelles seules le baptême était administré par un droit réservé à l'évêque (0, et la liturgie y exigeant d'abord un vaste emplacement pour la cuve , puis pour les caté- chumènes, toujours très-nombreux, et auxquels il fallait des lieux distincts selon leur sexe, afin d'y quitter et reprendre leurs vêtements. Mais ces grandes chapelles ne pouvaient être antérieures à Constantin, et les plus anciennes qu'on ait encore , en petit nombre , ne datent pas d'avant le qua-

souvenir de celui irièiiie slèclc , coinnie l'église Saint-Jean de Poitiers. On

de Constantin à i . i / i

saint-Jeande La- sait,par Euscbc ct Ics autrcs historiens de cette époque, de quelles richesses le grand empereur avait doté le baptistère de Saint- Jean de Latran. Les murs en étaient recouverts de porphyre ; la cuve baptismale était d'argent , et recevait l'eau de la bouche d'un agneau en or dans lequel on la versait au préalable. Ce symbole de la douceur chrétienne et de l'innocence de l'âme purifiée avait à sa droite et à sa gauche deux statues en argent, l'une du Sauveur, auteur du baptême, dans lequel ses mérites nous sont appliqués ; l'autre du saint Précurseur qui avait l)aptisé en son nom ; enfin , distribués à distances égales autour de ce riche bassin, des cerfs en argent, au nombre mystérieux de sept , image des sept dons de l'Esprit-Saint reçus avec le baptême (2) , contribuaient à verser l'eau de concert avec

(1) Un concile de Verneuil, en 755 , rappelle qu'il ne doit y avoir de baptistères que dans les lieux désignés par l'évêque. C'est que dès lors, quoiqu'ils se fussent nécessairement multipliés par les conquêtes mêmes du Christianisme sur les populations païennes, on ne trouvait pas opportun de doubler ainsi les églises, même rurales, d'une seconde église, qui compliquait la surveillance épiscopale. Quand cessa le baptême par immersion, au douzième siècle, on commença à le donner plus généralement dans les paroisses. Voir Labbe , Gonc. ad ann. cit., t. VI, p. 1664; Rohrbacher, Hist. de V Église, XI, 141.

(2) « Septenarius ad septiformam gratiam Spiritus Sancti , qui siint sepiem Spiritns Dei missi per omnem terrain. » (Apoc, v, 6.) Dans

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. RAPTISTÈRES. 201

rAgncau qui efface les péchés du inonde, comme l'avait dit le fils de Zacliarie , dont la présence semblait rappeler natu- rellement ces consolantes paroles (I). Ajoutez à ce riche groupe , tout d'or et d'argent, les peintures et les mosaïques resplendissant de toutes parts au dedans et au dehors , et vous aurez une idée de l'importance qu'on mettait à re- lever le mystère sacramentel par tout ce qui pouvait flatter le regard, en attirant les méditations sérieuses de l'esprit, dans ces beaux monuments des premiers âges de la foi.

On les bâtissait toujours, d'ailleurs, près des églises mères, dans les cités épiscopales , comme on le voit par un sarco- phage fort ancien qu'a décrit Raoul Rochette (2). Tous ceux que nous possédons encore à notre époque sont des rénova- tions faites au moyen âge, et presque tous appartiennent à l'Italie. On les retrouve, datant du neuvième au quinzième siècle, à Volterra, à Lucques , à Crémone, à Padoue, à Pise, à Orviète (3). Dans ces édifices, le symbolisme s'intronisait par les peintures, comme dans tous les sanctuaires : ainsi, à Poitiers , on voit encore , non loin des chapiteaux de marbre nagent les dauphins, reproduits maintes fois sur des sarcophages primoséculaires, le paon, aussi ancien que les catacombes , et dont la signification se rattache tout aussi bien aux mystères de la naissance chrétienne que nos âmes doivent au baptême (4).

ce sens de missi, les cerfs sont pris aussi pour Jes Apôtres : « Vox Domini perficientis cervos» (Ps., xxviii, 8); et enfin pour les hommes spirituels, remplis des saints désirs de la vie éternelle : « Sicut desi- derat cervus ad fontes aquarum , ita desiderat anima mea ad le, IJeus » {Ps., XLI, 2).— On voit tout de suite quels rapports a le nombre sppt avec ces diverses catégories des Saints de la terre. Voir ce que nous avons dit de ce nombre, ci-dessus, t. 1, cli. vi, et II, passin) ;— puis S. Méliton, De Numéris j cap. vin; D. Pitra , Spicileg. Snlesni., III, G8,38o, 389 et 401.

(1) Voir Auastas. Biblioth., De Vilis Homan. Pontif., in Vita S.Si/l- veslïi.

(2) Tableau des Calac, p. 216 et suiv.

(3) Tableau stalislique el chronologique des églises d'Italie , i)ar Willis {Bullel. monuin., VII , iiO et suiv.).

(4) Le daui)liin passait pour le roi des poissons, et plein de ((ualités uiorales qui inpiuorliaicut ?(»u iuslinct de la raison Jiuniaiue guidée

292 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Soins à se don- Cgg données primitives, et tout à fait adoptées par les

ner pour la clia- .

pelle (les fonts meiHeiircs périodes du svmbolisme, indiquent assez quels

dans les églises "" , . .

de notre temps, sujets l'iconograpiiie peut choisir pour ornementer nos baptistères actuels ; car, si la discipline ecclésiastique a changer avec les temps et arriver à ne plus restreindre l'administration du premier sacrement à des enceintes privilégiées , il n'en faut pas moins , d'après les plus sages prescriptions (^), entourer de tout le respect possible cette

par le Christianisme. II aimait l'homme et le sauvait des naufrages; il recherchait les eaux les plus élevées et les plus pures , évitant le sable et la vase; il poussait sur le rivage, pour les y ensevelir, ceux d'entre les naufragés qui mouraient au sein des mers. Ces traditions, recueillies par Pline (IlisL nntur., lib. IX, cap, viii) et Aristote {De Ilisl. onimnL, lib. IX, cap. XLvni), adoptées sans examen par la bonne foi populaire, suffisaient pour autoriser à voir en de si nobles animaux le symbole des vertus chrétiennes, de la charité dévouée, de lapurelé: n'était-ce pas aussi par cela même l'emblème du Sauveur, et les eaux se pas sait leur vie ne pouvaient-elles pas représenter celles du baptême, dans lequel tst la source de tous nos biens spirituels? De son côté, le paon, considéré dans le retour de ses nuances riches et diaprées à chaque printemps, était resté pour les chrétiens ce qu'il était déjà pour les re- ligions idolâtriques, le signe de l'immortalité et de la résurrection. Celte attribution si ancienne se retrouve dans un sermon de S. Antoine de Padoue (mort en 1231) : In generali 7'esurrecAiorie qua oninrs arbo- re^,idest omnesSancli, incîpiimt virescere, pavo ille... percnlor... qvi morlaliiaiis pennas abjecil, immurialitalispennm recipiel (Serm. fe- riae v post Trinitatem). Ainsi encore ce pécheur , qui est parfois le symbole de l'orgueil et de la vanité quand il étale avec tant de com- plaisance l'éclat de son plumage renouvelé, devient , par opposition, l'idéal du plus grand bien désirable, par cette transmutation de la mort dont parle l'Apôtre : « Oportet mortale hoc induere immortalitatem » (1 Cor., XV, 53).— C'est la raison qui fait figurer des paons sur le tom- beau de marbre de Gauthier, évêque de Bemberg au treizième siècle, lequel tombeau se voit encore dans la cathédrale de cette ville. (Cf. les PP. Cahier et Martin , Mélanges d'archéologie , t. il, p. 259.) 11 pourrait se faire toutefois que ces paons fussent des perroquets ou des oiseaux du Paradis, ou tous autres, dont l'iconographie de cette époque ne se targue pas de traduire les formes très-distinctement. Nous re- parlerons de ces oiseaux et des fleurs qui s'y trouvent mêlées, en ob- servaut toutefois, dès à présent, que les paons dont M, de Caumont attribue la découverte au P. Martin ne sont réellement, d'après celui-ci Hoc. cil.) , que de véritables perroquets {BulleL monum., XI, 210).

(1) « Baptisterium cum sacrario in singulis cathedralibus , et item (ut in conciliis nostris provincialibas prœscriptum est) parochialibus,

VMRl'BLKMKNT Di: L'K(;LISI:. BAPTISTKnES. 203

portion de ('lin(|ii(^ (''^iisc l'onde rcj;énératrice rst con- servée , elle coule sur le front des nouveau~nés. Si, depuis le septième siècle, nous n'avons plus besoin d'églises spéciales, qm cessèrent alors généralement de se hàtir à pari, il n'en faut pas moins dans toute église parois- siale un lieu distinct, une chapelle consacrée au baptême, et dont la structure et l'ornementation rappellent par tous leurs détails et les premières pensées delà liturgie et les enseignements qu'elle nous conserve. Il y a à rougir de honte en présence de ces espèces d'enceintes carrées dont l'ieii n'annonce le caractère sacré, sinon une assez mauvaise toile de S. Jean-Baptiste et une cuve quelconque presque toujours aussi insignifiante que mal tenue : voilà, le plus habituellement, ce qu'on appelle une chapelle des fonts. Et vraiment, qui devinerait à cette parure sans goût, à cet espace si étroit, à ces murs poussiéreux , à ce pavé noir et humide, que s'accomplit le premier des adorables mys- tères de la vie chrétienne? Après l'autel rien ne devrait mériter nos soins à l'égal de ce lieu privilégié. Nous en devi-ions faire une petite église dans la grande et la rap- prociier autant que possible, par son plan et sa décoration, des premiers baptistères du Christianisme ; car si tout alors y indiquait, par un enseignement dogmatique , le but que le sacerdoce proposait au néophyte , le même but doit être cherché toujours, puisque rien n'a changé dans nos dogmes, pas plus que dans les conditions de son enseignement. Cii- Rcgie» symho

1 . . 15 Ti' 1 1 'j- *• liqucs à y obser-

culau'es, pour exprmier 1 universalité delà prédication ver. évangélique,dontle baptême est le premier bienfait, ou octo- gones, comme le plus grand nombre de ceux qu'a observés la science archéologique en France, en Italie et en Angleterre, cett(i dernière forme sem])le préférable, d'après le sens que lesPènîs ont donné symboliquement au nombre Aznï.Nous

atifue in aliis ftiam quibusvis enclesiis, iihi vel animarum cura geri- tur, vel faciiliaUi ah (;i>iscui)0 ol» caiiàain data, illud constitui conces- siim est.-» (S. Gtirol. Inslrucl., lil). I, cap. xix.)

294 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

savons déjà que ce nombre est celui de la Résurrection , qui s'est opérée le dimanche , premier jour de la semaine que le Christianisme a suhstitué au septième pour l'ohser- vance du quatrième commandement. S. Augustin est, sur ce point, d'accord avec S. Ambroise, qui, par la môme raison, symbolise par ce même chiffre la régénération spirituelle ; c'est d'ailleurs en lui que se trouvent aussi les l)éatitudes louées et promises par le Sauveur. Ces grandes idées, que nous avons développées et motivées (4 ), subsistent toujours et doivent garder leur influence.

Élevez donc un noble et imposant monument de cette forme préférable, soit sous le nartex de votre éghse, soit sous sa première travée de l'intérieur du côté nord, comme nous l'avons dit au chapitre précédent; ouvrez-en l'entrée au midi, vers les rayons resplendissants du Soleil de Justice, qui, tout en pénétrant l'intérieur du petit temple , pourra verser sur le néophyte sa mystérieuse lumière et sa vivifiante chaleur. Au milieu, sur une base massive et soUde, qui nous repré- sente bien la stabilité de la grâce et le droit immuable qu'elle donne à l'éternité des biens futurs, posez la piscine sacrée, source des eaux qui jaillissent jusqu'à la vie du ciel : non un de ces vases mesquins trop souvent semblables à un bénitier ou à un lavoir que soutient sans grâce un pédicule- sans dignité , mais un autre octogone dont chaque pan , aussi bien que ses bords , offre autant de surfaces à des images infiniment variées et qui parlent à tous des saints engagements de l'homme et des divines récompenses de sa fidéhté. La loi de Moïse et celle du Christ n'ont-elles pas des traits saillants que l'antiquité a savamment distribués sur ses baptistères, comme à Florence et ailleurs? Les frises, les chapiteaux de ce petit monument , ses colonnes , ses bases n'y sont-elles pas couvertes de r chefs empruntés aux

(1) Voir ci-dessus , t. J , ch. vi , Symbolisme des nombres; voir aussi une excellenle Élude sur les fonts baptismaux, par M. l'abbé Van Dri- vai, dans la Revue de Cari chrétien^ t. II, p. 18 et suiv.

AMEUHLEMEM DE l'ÉGLISE. BAPTISTÈRES. 21>5

feuilles de nos rivières, aux palmipèdes qui les fréquentent, aux poissons qui les peuplent? Ne garnira-t-on pas avec raison ses parois extérieures, ses entre-colonnements et ses arcades des mystérieuses images des vertus chrétiennes , des péchés anéantis , de la prédication évangélique , des différents haptémes céléhrés dans l'Écriture ? Il n'y a pas jusqu'au couvercle de cette piscine, devenue si précieuse , qui ne s'élève avec grâce en une pyramide sculptée, et qui ne puisse devenir encore une large page d'enseignements doguiatiques. Quant au sacellum lui-même et à son plan d'élévation , quels ornements toui* à tour gracieux et aus- tères ne recevront pas ses colonnes , ses frontons et tout cet intérieur tant de feuillets de la Bihle peuvent dépose]' un trait significatif , une leçon parlante, depuis la chute originelle jusqu'au couronnement des Élus dans la Jéru- salem céleste ! Mille modèles nous en sont donnés aujour- d'hui. Avec eux on ne peut ouhlier les règles, on n'est plus excusahle de ne pas les savoir, si , contrairement à l'esprit qui doit animer un prêtre, on n'a pas dédaigné une des ex- cellentes puhlications qui, chaque mois, en France, eu An- gleterre et en Allemagne, étahlissent sur toutes les choses archéologiques des principes trop longtemps négligés. S. Charles , dont les Instructions , nous l'avons dit , sont importance <ies

,, ,-,i,n /.. i-ii 1 ' Instructions de

d nue exactitude et d une précision admirahlcs , a donne s. charies sur ce les règles qui toutes résument, sur ce point, les hahitudes liturgiques et artistiques du moyen âge : il veut donc tout ce que nous venons d'exiger pour tous les haptistères qui ne sont pas construits en dehors de l'église et séparés d'elle, comme il n'est plus possihle que nous les ayons. Mais quant aux usages adoptés depuis longtemps, et d'après les([uels nous avons écrit ce qui précède , le Saint reste parfaitement d'accord avec l'esprit des Pères et des Docteurs, que nous ne faisons que letracer. Il n'ouhlie même pas de recommander pour la cuve haptismale la forme d'un sarco- phage ou tomheau , comme lappelant mieux le mystère de

point.

20(> HISTOIRE DU SYMBOLISME.

renseveiissement symbolique du baptisé, qui meurt au monde avec Jésus-Gbrist, et dont la triple immersion, encore suivie dans le rite ambroisien , rappelle les trois jours que le Sauveur passa dans le sépulcre. Ces principes sont conformes aux textes de S. Paul (I) et des Pères , qui Font expliqué avec S. Denis l'Aréopagite, S. Justin , Ter- tullien, Origène et toute l'École tliéologique (2). C'est donc encore une idée à réaliser que celle exprimée en ce sens par le saint évoque. N'oublions pas non plus qu'on peut établir la piscine sur un plan carré, le nombre quatre étant celui de la perfection absolue, de Dieu lui-même, égal dans tous ses attributs (3). Toutefois, n'al)andonnons jamais l'ordre recommandé par le bon goût comme par toutes nos règles d'archéologie pratique , et modelons toujours les formes de l'accessoire sur celles du principal : Forma autem sit rotonda vel ociangula, vel alia quœ cum forma capella' conveniet. Du tableau à Eufin , uu autcl proportlouné à l'intérieur de cette clia- dè''rettrchài?èîîe! P^le dolt cu complétcr le caractère et rappeler d'autant mieux les baptistères primitifs. Ses conditions seront celles de tous les autres autels quant à la matière , à la forme , à la balustrade qui l'entoure, à l'ornementation qui le décore. Surtout il doit être orienté comme l'église, et au dessus on veut un tableau de S. Jean-Baptiste versant l'eau du Jour- dain sur le Sauveur. S. Jean-Baptiste est le grand patron des baptisés, et a toujours été décoré de cet honneur. Ce tableau est indispensable , car il est l'expression la plus sensible du mystère , et il devrait toujours y figurer , lors môme que l'autel y deviendrait impossible eu égard à l'é-

(1) « Gonsepulti eiiim suiiius cum lUo per baptisimiiu in inorLem : uL quoraodo Christus sarrexit a mortuis..., ita et nos innuvilale vilèr ambulemus. » (Rom., vi, 4.)

(2) Voir S. Ca.ro\i Inslruct., iib. I^cap. xix; Dioiiys. Areopag., Z^c? Divina Hierarcli.; Tertuil., De Corouamiliiis; Origen. Iib. \ In Epist. ad Rum.

(3) Voir le ch. vi du t. 1, ci-dessus.

et des éléments de sa composition.

VMELBLEMEKT l)i: l'ÉGLISK. BAPTISTÈRES. 2!)7

troitcsse du lieu (I). D'est ce sujet, eneiïet, qu'on i'ctrou\c pour exprimer le sacrement dans les plus anciens cime- tières de Rome, particulièrement dans celui de S. Pontien, une fresque représente cette mémorable scène avec des traits qui ont mérité les éloges de Bosio et d'Aringiii (2). L'Église, sortie des catacombes, conserva cette prédilection pour le Précurseur, et, entre autres exemples, nous voyons S^® Odile , fondatrice du célèbre couvent d'Hohenburg , illustré plus tard par l'abbesse Herrade , fonder vers 61)0 une cbapelle dédiée au Saint en souvenir du miracle qu'il lui avait accordé lorsqu'elle recouvra la vue au jour de son baptême (3). On n'a plus à discuter maintenant sur la com- position d'un pareil tableau. Il faudra y éviter les eri'eurs mêmes des grands maîtres, tels que Raphaël et Poussin , qui se sont trop éloignés de la simplicité historique du fait, en posant le Sauveur sur le rivage à genoux devant le Pré- curseur, qui le baptise par infusion. On sent jjien que manque le symbolisme essentiel de cette immersion , l'c- gardée par S. Paul comme un type de notre mort spirituelle. Lebrun a mieux fait en représentant le Christ del)out au

(1) « Forma autem reliqiiorum altaniiiii;, et modo praytinilo fiât, muniatiir, sopiatur , iiislruatur, atque ornetur... ad orienlem versimi, super quo in pariete expressa sit sacra historia S. Joannis Baptist.ft Christum Domiuum baptizaiitis. Si vero ne altare (luidem exslrui polcsl, illiiis Sfiltem loco sit pictnra. » (S. CaroL, 'ubi suprà.)

(2) « Picta itidem in pariete sanctissimi Joannis Baptistae Praecur- soris Chrislum baptismatibiis aquis in Jordanis iilveo abliieutis histo- ria exprimitur. » {Iloina sublert\, t. 1, p. 370; lib. H , cap. x\n, n" 8 , et iib. VI, cap. IV, p. 526.) L'abbé Pascal, qui semblait pour les assertions les plus paradoxales, a nié qu'avant le cinquième ou sixième siècle on eût représenté le sujet que nous traitons ici comme nous le voyons partout: les catacoml)es lui donnent un démenti formel , comme l'a fait M. l'abbé Van Drivai dan^ une analyse très-concluante des « institutions de l'art chrétien» {lievue de VarlchrcLien, II, 7H)« Voyez encore ce même .M. Pascal, t. I, p. 142 et 143, démentant, parées (!xemples qu'il cite , le principe absolu qu'il a posé d'abord sur le baptême donné uniquement par immersion.

(3) Cf. M. le vicomte de Bussière, Histoire de S" Odile , in-12, I8ri3 . p. 101.

298 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

milieu du fleuve, dont les eaux montent jusqu'à sa ceinture, et Jean s'y tenant avec lui et versant l'eau sur la tôte di- vine. Cette double application de l'élément sanctifié par le contact sacré du Sauveur est autorisée par de très-anciens monuments soit peints, soit sculptés, que citent Cata- lani et Mabillon [i]. Types de scuip Lc moycu âgc ii'a pas failli à cet enseignement ; il nous

pour les fonts. a Mssé dcs clicfs-d'œuvrc de sculpture, de dinanderie, ou de peinture murale , parmi lesquels on peut choisir des motifs pour rendre ce grand sujet du baptême donné par le saint Précurseur. Citons comme modèles de fonts détachés , pour les paroisses qui ne peuvent faire de grandes dépenses, mais qui doivent toujours tenir à n'avoir que des meubles convenables, ceux de Magneville (Manche), de Chéreng (Nord) , puis celui de Saint-Evroult-de-Mont- fort (Seine-Inférieure) , dont la cuve en plomb a pour relief des sujets tirés du Zodiaque , travaux de la vie humaine indiquant à l'homme arrivé au premier pas de sa vie qu'elle devra s'écouler dans le travail ; enfin un autre fort curieux, caché dans une paroisse rurale du diocèse d'Évreux : il est du quatorzième siècle, plus ornementé et convenant bien à une église ogivale , car on y voit une suite de frontons aigus à ogives trilobées , puis des têtes sortant de feuilles d'acantlie et encore entourées du bandeau dont on garnit la tète du baptisé après l'onction du saint Chrême (2). Les fonts de [jn trait tiré de la légende de S. Jean l'Évangéliste a ins-

Liège. pii'é , au douzième siècle , le beau relief en cuivre qui

ornait autrefois Saintc-Marie-aux-Fonts , église de la ville de Liège, et qui reçoit, depuis n93 , l'hospitahté dans

(1) Voir un assez grand nombre de ces spécimens dans le Cows d'an- tiquités de M. de Camnont, sixième partie, et dans le Bulletin mo- numental, t. XI, p. 56; XII, 296 et 347; XVIII, 423.

(2) Voir un intéressant article de M. Didron sur ce sujet, enrichi de fort belles gravures dans les Annales archéologiques , t. V, p. 21 et suiv.

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. B APTISTÈUES. 2!)!>

colle de s. Barthélémy : c'est une cuve sur laquelle est re- présentée rinimersiou de Graton le Philosophe par le Dis- ciple hieii-aimé: celui-ci pose sa maiu droite sur la tète du haptisé, plongé à moitié-corps daus cette belle piscine ; une autre scène y montre le Fils de Zacharic opérant de la même façon sur le Fils de Dieu qu'ombrage la colombe et que des Anges assistent tenant ses vêtements qu'ils vont lui rendre; puis vient encore le baptême de Corneille par S. Pierre. Dans deux: de ces scènes , la colombe symbo- lique est remplacée par la main divine perçant le nuage et dirigeant vers le néophyte des rayons qui expriment la présence de la grâce donnée par l'Esprit-Saint. La cuve sur laquelle tout cela est battu et ciselé se pose sur douze bœufs de magnifique aspect, image en môme temps des douze Piophètes de l'ancienne Loi et des douze Apôtres de la nou- velle , réunissant ainsi la double pensée du baptême et d(^ la circoncision qui en était l'annonce , et faisant aussi de la belle vasque baptismale un souvenir de cette mer d'airain que Salomon avait consacrée dès l'entrée de son temple à la purification légale, se préfigurait notre baptême ciiré- ticn (1).

Ce sont de beaux motifs, et très-variés, pour créer des Liberté laisséo tableaux destinés à une chapelle baptismale ; car, tout en rE^ibè'sur toul respectant fort la scène du Jourdain et les personnages qui la composent, nous ne savons aucune loi qui ordonne de s'en tenir à elle exclusivement. Nous voyons ici comment on poui'rait bien choisir un des baptêmes devenus célèbres dans nos Livres saints. Une décoration générale de toute une chapelle appellerait avantageusement le parallélisme de l'ancien et du nouveau Testament: par exemple, l'ablution du lépreux Naaman dans le Jourdain, dont les eaux le gué- rissent (2), et (iuel([ues- unes desablutions plus merveilleuses encore dont nous venons de parlei'.En quelqueséglises, nous

(1) Voir III lU'fj., vu, ii.

(2) Voir IV liefj., v, 1 et suq.

CCS points.

300 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

avons vu S. Rcmi versant l'eau sur le (roui de Glovis ; ail- leurs, c'est encore le Précurseur, non pas baptisant, mais prêchant dans une campagne, aux bords d'un fleuve, et préparant an baptême, par la parole de Dieu , ce peuple qu'il exhorte à la pénitence : ainsi l'ont représenté S. Mat- thieu, S. Marc et S. Luc (4). Des tombeaux Gombieu CCS cîioses sont attachantes avec leur coloris

dans les églises, et

de l'esprit qu'on d'autiquité chrétienne , avec tout ce qu'elles disent à l'âme

devrait y garder. ^

religieuse , qui y rencontre les éléments primitifs de sa foi et des preuves de ses constantes traditions contre les men- songes de l'hérésie ! Ainsi se parcourt toute la vie humaine (3ntrc SOS luttes laborieuses qui commencent à son premier jour, et les saintes espérances qui la consolent par delà les appréhensions du tombeau ! C'est encore pour ramenei- l'âme à ces vérités salutaires que, sous les voûtes mêmes oîi se recevait le baptême , se multipliaient aussi les images du trépas, le souvenir des dernières fins de l'homme. Nous avons dit (2) quel esprit devait présider à ces monuments Cunéraires, que nos églises du moyen âge se gardaient bien de dédaigner, parce qu'ils y étaient une leçon non moins éloquente que la chaire évangélique. On sait, du reste, comment on y retrouvait dans tous ses caractères l'ardeur de la foi, la simplicité d'un cœur humble et la confiance cJirétienne. C'est ici le lieu d'insister pour que jamais d'au- tres idées ne viennent s'y rattacher à ces derniers souvenirs

(1) « Venit Joanneà Daptista, prœdicaus in deserto Jiida3se et dicens : Pœnilentiam agile... Timc exibat ad eum Jerosolyma , et omnis tegio circa Jordanem.» {MatUt., m , 1 et seq.) « Veuerunt autein et piiblicani..., iuterrogabant eum et milites. » {Luc, lu, 3 et seq.) Tous ces détails ont servi de motif au font qu'on voit encore dans l'église de Mousson (î\ieurthe;, que le BidUtin monumental di donné dans son treizième volume, p. 179. Il faut observer seulement que ce travail tiè5-sym')oliqiie n'est pas du onzième siècle, comme chercbe à l'établir M. Digot, mais du douzième très-certainement, d'après sa sculpture, et surtout les empattements qui relient les bases des colonnes à leurs socles.

(2) Ci-dessus, dans ce volume, cli. u, p. 89.

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. TOMBEAUX. 'M\

de riiomme sur la terre, qui doivent être en môme temps conl'ormes à sa nature coupable et au sentiment du besoin qu'il a de son pardon devant le ti'ibnnal on il a déjà paru. Il a fallu l'orgueil et le sensualisme de la Renaissance païenne, consonunée à Tépoque de Jean lluss et de Luther, pour donner à des morts ces airs de grandeur empruntée qui ne sont plus que la ridicule parodie d'une puissance à jamais perdue. Voyez-les se dressant par une vie d'emprunt, en lace même de la mort qui les lie , sur un marbi'e se lisent de fastueuses vertus qu'ils n'eurent jamais qu'à moi- Les modèles du

^ Il i moyen âofe prefe-

tié... Comparez ces immobiles prétentions, cette action im- rabies en tous

^ '■ points.

maine, ces gestes impérieux, en un mot tous ces mensonges sculptés , avec cette pose placide et naturelle de nos héros des douzième, treizième et quatorzième siècles coucliés sur la pierre connue des morts véritables et attendant, les yeux li\és vers le ciel, ce jour éternel ([u'ils ont toujours espéré. Que tout cet ensemble est chaste et respectueux! comme cette armure du chevalier, ces i*obes de la châtelaine ex- ()riment bien, dans leur noble agencement, les combats mé- ritoires de la croisade ou les vertus tranquilles du foyer féodal ! La prière n'est-elle pas dans ce cœur qui semble revivre encore sous les apparences de la piété recueillie? Ces mains, qui défendirent le faible contre le persécuteur, ou l'État contre l'Anglais , ou l'Église contre les routiers de Montfort, se joignent maintenant pour prier; et quel que soit celui que cette tombe renferme, vous reconnaissez en lui une vie surnaturelle, que ses pieds reposent ou sur le lion, emblème du courage et de la force, ou sur le lévrier docile, qui symbolise encore le sentiment de la fidélité conjugale. Là, rien de fastueux ni d'altier. Si parfois des armoiries s'\ rencontrent , elles sont bien plutôt un nom propre , un tilrt; de famille, qu'un signe d'ostentation nobiliair(\ Quant à l'épitaphe , éloge funèbi-e d'une vanité dont on n'avait pas encore le secret, vous l'y trouvez rarement, sinon pai qu(M(fU('s mois indisponsablcs (fuc termine toujours

302 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

riiiimble demande d'une prière pour l'âme qui n'est plus là. Combien il im- Nous voudrlons que , désabusés des prétextes irréligieux

porte de les imi- ^ i <^

ter. qui exilèrent nos morts de l'église ils avaient prié et

revenait plus souvent pour eux le tribut de la prière commune , leurs neveux , mieux inspirés , leur consacras- sent encore, sous le regard du Sauveur eucharistique, non d'insignifiants cénotaphes parlant moins au cœur qu'à l'imagination, mais de véritables sépulcres renfermant les dépouilles réelles et complétant dans nos temples catho- liques les sublimes leçons que l'humanité doit y trouver. Si ce vœu s'accomplit un jour pour un peuple revenu à la vérité , et glorieusement honteux de l'avoir trop longtemps délaissée , que les chefs de la prière , que les Évoques , les Chapitres veillent pour chaque diocèse , et chacun dans ses attributions respectives (^), à ranimer ces pieuses habi- tudes de nos pères ; qu'ils veillent , comme on devrait le l'aire depuis longtemps , à ne rien laisser construire dans le Lieu saint qui ne soit digne de lui , d'accord avec la sainteté du culte, et très-conforme aux pensées de l'Église sur l'état humble et suppliant des âmes du purgatoire. En vain on invoquera le progrès et des goûts modernes en fa- veur de ces monuments qui dépassent toutes les limites des convenances et insultent à l'esprit de la rehgion : ces plaintes ne viennent jamais que des mercenaires intéressés à faire beaucoup , et à qui il faut apprendre nécessairement à faire mieux. Quelques belles œuvres de ce genre ont d'ailleurs prouvé tout récemment ce qu'on gagnait à se régler sur le

(1) Nous disons dans ses atlributions respectives parce que, soit dans les cathédrales, le Chapitre doit toujours être consulté pour ce qui regarde leurs biens meubles ou immeubles, et dans les paroisses, les fabriques ont un droit légal d'administration du temporel , les évoques ne doivent exclusivement s'attribuer en rien les œuvres de réparation ou de restauration. Le droit canonique est formel sur ce point, qui, mieux observé, eût maintes fois préservé les plus belle? églises des tristes dévastations qui s'y sont faites sous prétexte d'em- bellissement.—Voir Laurenii Forum ecclesiaslicum, tit. x, in Décrétai. lib. III, quaest. 109, et Bouix , Tractât, de Capitulis, p. 388.

AMEUBLEMENT DE l'ÉGLISE. TOMBEAUX. 303

moyen âge , et comme le style roman ou ogival , dont nous ne pouvons pas sortir pour la construction de nos temples catholiques , s'allie l)ien plus heureusement avec des enfeux ou des statues couchées qu'avec ces amhitieux cénotaplies qui, dans le premier style venu, rapetissent jusqu'à l'autel et luttent de forme et de travail avec les magnificences du tabernacle ! iX'encomljrez pas le sol qui doit laisser à tout lidèle un libre passage ; ne cachez pas sous les altières sculptures de vos monuments funèbres les murs qui doi- vent se parer de fresques symboliques ; imitez plutôt ces belles et simples sépultures, aussi peu embarrassantes qu'ad- mirables d'exécution , dont s'ornèrent au treizième siècle les égUses de Cerisiers et de Dillo, dans l'Yonne (I), et encore cette belle tombe que la cathédrale de Nîmes éleva, en 1855, aux restes de son évoque, Us^ Gart , sur les plans de M. Revoit (2). Ou bien cherchez jusque dans les catacombes ces pieuses symboles qui

'' ^ A peuvent y être ap-

alléaories des agneaux , des colombes , des croix , rangés Piqués de notre

o n 7 7 o temps.

autour du chrisme antique , et les plantes vivaces des vertus les plus douces : la rose et le lis , le palmier et le cèdre , l'ancre de l'espérance et du salut , la lyre qui prélude aux concerts éternels , et le cerf altéré , et l'arche de Noé , et la

barque de Pierre Quel immense champ à récolter dans

ces chères idées des premiers âges !

Et pourffuoi , en attendant que la Loi spirituelle recon- inscriptions fu quière pour les morts , dans leur propre église , une place aux églises, f|ue chacun devrait aspirer à leur rendre , pourquoi ne pas anticiper sur cette réparation tle toute justice, en obtenant des fabriques , moyennant un droit proportionnel, la place de quelqu(;s pierres tombales à incrustations, à inscriptions funéraires qui parleraient encore, sous le regard" de Dieu ,

(1) Le Bulle lin monumental en a publié des gravures, t. Xin,p.2G2 et suiv.; XIV, 409.

(2) Voyez-en la description et le dessin dans la Hevue de Varl chré- tien, il, 70.

304 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

des âmes absentes qu'un souvenir ami viendrait soulager souvent , et entin délivrer? Ces modestes hommages de la piété s'encastreraient dans les surfaces des murs , ne ravi- raient aucun espace aux cliapelles ou aux nefs, et des noms aimés, dignes de la mémoire des lions, se perpétueraient comme un nécrologe lapidaire sous les précieuses in- fluences du sacrifice de l'autel, pour y remplacer Aiiisl OU obvlcrait, autaut que possible, aux profanations n?bres"et"7es%é- légalcs quc Ics adiiiiiiistrations urbaines répètent trop fré- putuips. quemment en bouleversant les places étroites des cime-

tières, au mépris des dépouilles dont une société affaissée méconnaît les droits sacrés ; ainsi, dans la maison de Dieu, se perpétuerait, sans aucun risque d'y être troublée, la vie de ceux qui s'aimèrent en Jésus-Christ pendant le court pèlerinage de la terre; ainsi encore l'intelligence des peuples se nourrirait chaque jour des symboles qui l'intéressent le plus, et apprendrait à y lire, comme autrefois, ses plus intimes croyances et ses plus utiles leçons.

Cette idée , qui a servi de base à une fondation de prières pour les morts à Saint-Jean-de-Montierneuf de Poitiers , s'y révèle depuis quelques années par un grand nombre d'ins- criptions funéraires. Nous louons beaucoup l'adoption de cette pensée par M. le curé de Montierneuf. On s'aperçoit déjà, en attachant ses regards aux parois d'une des chapelles de la magnifique abbatiale, combien l'attention se reposerait pieusement sur une telle série de commémoraisons , infini- ment plus désirables que beaucoup de peintures murales qu'on n'est pas toujours sûr 'd'y réussir. Puissent d'autres églises honorer ainsi la mémoire de leurs amis par un spectacle non moins utile que touchant î

CHAPITRE vm.

DES MODILLONS.

Les aperçus généraux que nous avons donnés sur les nombreuses images décoratives que la main des artistes jeta sur les murs de nos temples n'étaient , nous l'avons dit, qu'une vue d'ensemble préludant alors à ce que nous devrions exposer des intentions de l'arcbitecture cbrétienne et de ses moyens d'action sur l'intelligence (^). Mais nous avons promis de revenir sur ce vaste objet d'études sérieuses, (jui mérite notre attention et dont nous avons maintenant à développer la tliéorie.

Lorsqu'en ^849 nous donnâmes dans notre Histoire de la Études déjà an-

ciennes de l'au-

cathédrale de Poitiers (2) l'explication de tous les modillons teur sur ce bujet , qui en décorent si élégamment le pourtour intérieur , cer- tains critiques nous trouvèrent au moins ingénieux , d'au- tres nous accusèrent de trop de bardiesse... On est bien revenu aujourd'bui de ces étonnements et de ces doutes. Un savant anglais nous disait naguère que la Société des antiquaires de Londres , émue de la netteté de nos affir- mations , s'était occupée de les examiner, et nous regardait comme le premier divulgateur de ces mystères. En effet , en écrivant sur ce sujet dans un livre l'bistoire de l'art s'associait nécessairement à celle de la basilique poitevine, nous ne suivions personne qui nous eût encore précédé

(1) Ci-(lessu?, cl). III.

(2) T. I, ch. IV et .suiv.

T. m. 20 *

300 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

qui a trouvé de (jans cctte caiTière. On n'avait pas encore traité de ces petits

nombreux antago- nistes, sujets ; on n'en avait écrit que quelques lignes dédaigneuses,

uniquement pour en signaler la prétendue bizarrerie , et déclarer que , s'ils « répondaient à je ne sais quelle idée symbolique , on ne pouvait guère les interpréter que par des imaginations et des conjectures.» C'était seulement à quoi croyaient pouvoir aspirer des esprits droits, mais timides , sur un point dont rien ne leur avait révélé le fond. D'autres tâtonnaient, il est vrai ; le sentiment mieux inspiré de quelques consciences chrétiennes les avertissait que, sous ces formes difficiles à traduire , se cachaient savamment autant de pensées toutes pleines de christianisme (-1). Mais d'autres , à qui les Pères et la Bible n'étaient pas assez familiers , déclaraient ne rien entendre « à ce sens figuré, » et le présentaient « comme un vaste champ d'énigmes aux partisans du symbolisme absolu (2). » En vain, au congrès scientifique de Tours , tenu en ] 847, nous avions déjà éla- boré toute notre doctrine. Complètement opposée à celle d'un ou deux antagonistes, zélés partisans d'idées quiéblouis- saient un peu trop des yeux mal exercés , en vain nous y avions été entendu par des soutenants de bonne force , armés de raisons vraiment admissibles ; il fallut encore quelques années pour obliger au silence et probablement à des convictions nouvelles les anti-symbolistes que nous mais qui n'en peut avlous couibattus (3). Plus dc vlugt aus sc sout écoulés pusavou. depuis lors ; dans ce long espace, les études sont devenues

plus attentives , des découvertes se sont faites, et, pour ar- river au point nous sommes enfin , c'est-à-dire à l'ad- mission définitive d'une théorie qu'on ne peut plus nier et qu'on ne discute plus que sur de faibles nuances de détail,

(1) Voir une dissertation de M. de Fleury, imprimée en 1843 dans le compte rendu du Congrès archéologique de Poitiers, Bidlel. moniim., IX, 460 et suiv.

(2) Congrès archéologiques de Beauvais et de Saintes, Bullet., monum.,X, 318, 562.

(3) Congrès scientifique de Tours, t. 1, p. 102; t. II, p. 85.

DES MODILLONS. 307

il a fallu se trouver tout simplement forcé d'adopter nos vieilles leçons, de reconnaître comme triple source des modillons sculptés l'Écriture , les Pères et la Légende ; et après tout ce qu'on a dit pour ou contre notre sentiment, nous n'avons qu'cà poursuivre notre même thèse, appuyé de plus sur le curieux et décisif ouvrage de S.Méliton , avec lequel notre lecteur est déjà familiarisé, et que nous devrons avec lui retrouver encore plus d'une fois.

Nous n'avons pas à nous étendresur l'origine de ce genre origine et objet d'ornementation murale. On sait qu'au dehors ou à l'inté- rieur des temples, sous les entahlements et les corniches , il représente les extrémités des poutres qui d'ahord saillis- saient des murs pour soutenir les profds. La part du génie dans ce que nous voyons fut de trouver à utiliser ces moyens de solidité en les faisant servir comme décoration artistique, et d'ajouter par , selon la pensée dominante de l'art chrétien , un auxiliaire de plus à l'ensemhle de ses doc- trines théologiques. Ainsi , de matériaux inutiles en appa- rence, et en effet de très-mauvais goût, l'architecte se créa une nouvelle ressource. Toutes ces extrémités disgracieuses d'arhres écarris, que l'édifice ne pouvait guère dissimuler ou que des formes insignifiantes laissaient muettes et sans hut, devinrent autant d'expressions nouvelles d'une pensée philosophique, autant de phrases d'un traité de morale plus ou moins développé. On remarque surtout ce soin d'une parure ingénieuse dans les vieilles éghses de Bretagne , dans celles mêmes qui ne remontent qu'au seizième siècle, et parfois , comme nous l'avons ohservé à Vannes et à Ploërmel, les chevrons destinés à supporter les formes ou les entraits de la charpente en bois qui forme la voûte s'avancent au-dessus de la nef jusqu'à -^0 ou 50 centimètres des murs d'où ils sortent , et présentent à l'œil comme des gargouilles dont la tête varie en mille expressions diverses, presque toutes de mauvais génies et de démons. Il a sembler piqujuil à d(!s artistes imhus de leur rôle de faire

308 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

supporter le temple du Dieu vivant par l'auteur de la mort éternelle. Rien n'étonne donc rintelligence du vrai chré- tien dans ces leçons publiques, professées à l'aide de figures mystiques , il est vrai , mais bien moins obscures aux con- temporains qu'on n'a bien voulu le dire, lorsqu'elles étaient destinées, comme tant d'autres , à faire cortège à tout ce qu'avait de mystérieux dans le temple la vie cachée , et cependant très-réelle, du Dieu que la foi sait y voir, y adorer et y prier. connus des Ro- Mais cc u'cst mômc pas le Christianisme qui trouva le mains et des Juifs, pj,gj^|gj, ^g ^^^^e d'omementatiou scientifique. Les décou- vertes modernes en ont fait sortir des fouilles de Jublains , et ceux-ci prouvent que l'architecture romaine en parait l'intérieur de ses temples (^j. Quoi qu'il en soit, et pour rentrer positivement dans l'idée hiératique , le temple de Salomon , de cet écrivain dont toutes les pages restent les dépositaires de la plus haute sagesse antique, et qui aimait à proposer des problèmes à ses illustres correspondants (2), s'embellissait , mille ans avant notre ère , de sculptures qui n'étaient autres que nos modillons, et qui toutes avaient leur sens déterminé et éminemment religieux. Des murailles du temple semblaient jaillir des palmes , des figures de chérubins , et autres moulures sculptées qui se déta- chaient du fond et que, pour cela, on appelait des anaglyphes et naturellement (ccyayALiqjw) (3) . Quclquc varlés quc paraissent ces motifs, ils

(1) Voir Bullel. monum., XIX, 590. M. de Caumont y signale sim- plement des modillons trouvés dans les ruines du caslellam élevé par les Romains dans le Maine; mais il n'en donne pas la description, qu'on ne devrait jamais omettre en pareil cas , puisqu'elle ajouterait aux no- tions déjà acquises, et servirait utilement l'étude comparative^qui de- vient impossible avec de si incomplets renseignements.

(2) « Omnesque reges terrarum desiderabant videre faciem Salo- monis ut audirent sapientiam. » (III Paralip., ix, 23.) « Regina Saba venit tentare eum in aenigmatibus...; non fuit sermo qui regem possit latere, et non responderet ei. » (III Reg., x, \ et 3.)

(3) « Omnes parietes templi per circuitum scripsit variis cœlaturis et torno ; et fecit in eis cherubim, ctpalmas, et picturas varias quasi

DES MODILLONS. 30!)

faut croire qu'ils ne sont indiqués dans le li\rc biblique que cStianisme. '^ fort succinctement et seulement pour donner en quelques traits une idée du tout. Mais la religion du symbolisme par excellence , celle qui a^ait transporté dans ses premières images le parallélisme des deux Testaments, qui abritait le nom et la personnification adorables de Jésus sous les noms de Moïse , de Jonas , et déguisait enfin le divin encban- teur des âmes sous les traits factices d'Orpliée et d'Apollon, ne pouvait se contenter de si peu. Plus contemplative, plus préoccupée des rapports chrétiens entre la terre et le ciel , elle lit passer naturellement dans l'art cette métaphysique supérieure , et recula jusqu'aux limites infinies du possible le domaine de la pensée et les conquêtes de l'imagination. De cette variété inappréciable de symboles empruntés à tous les l'ègnes de la nature, à tous les ordres de l'existence humaine ou surnaturelle , et qui , toujours plus vive et plus féconde, est venue peu à peu, selon que l'architec- ture prit un essor plus vaste , blasonner de ses pièces et de ses couleurs toutes les idées qui devaient servir, dans toutes les pai-ties du temple nouveau , le dogme et la morale de l'Évangile. La marche de ce moyen plastique s'est montrée, en effet, Marche progrès

'j ^ ^ ^ give de ce moyen

presque insensible et progressive. A en juger par ce qui dans rhistoire de nous reste des églises les plus anciennes , telles que les temps primitifs de nos deux premières races en ont laissé jusqu'à nous des vestiges plus ou moins considérables , on peut certainement établir que les images produites par le symbolisme se réduisirent à un petit nombre souvent répété et ne remplissant qu'à peine des surfaces étroites. A l'époque carlovingienne , tout empreinte de ce qu'il y a de massif et

prominenles de pariete eiegredienle.s... Et sculpsit in ostiis picturam cherubim et pulmarum species , et anaglyplia valde prominenlia... » (III Re(j., VI, 33 et siiiv.)— « Anar/lypha vox est graîca, significans ima- gines etpicturas e superficie [larietis, tahiilœ vel ostii exstantes et pro- . mineules. » (Kstius, in h. loc; Cornel. à Lapide, Sanctius etaiii.)

3J0 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de lourd dans la construction architecturale , on les voit se produire sous des traits qui, pour n'avoir rien de gracieux, n'en ont pas moins un langage très-reconnaissable. Les figures d'animaux , les signes de géométrie , les fleurs , les astérisques, les entrelacs, y paraissent presque toujours isolés un à un sur chaque petite pierre dont ils ornent la surface ou les contours. Ce sont évidemment des souvenirs des textes bibliques réduits à leur {)lus simple expression. La face humaine n'y est pas rare, mais c'est un type de peu d'effet, sans expression arrêtée peut-être, mais jouant un rôle évidemment intentionnel dans l'ensemble de ces scènes dont on ne découvre pas facilement la pensée dominante : sans doute on doit ces grimaces-là à une moindre entente des artistes bien plus qu'au dessein arrêté de l'inventeur. Une période de trois ou quatre cents ans se maintient dans cette négligence de la forme. Le onzième siècle lui- même, en dépit de son élan architectural, ne prodigua point une grande variété de ces figures significatives, quoique sous le nom de iêies plates on les reconnaisse facilement dans les monuments de cette époque. Cependant, quand ce siècle est près de sa tin , on voit naître à ces premières données une agréable modification; les modillons se rejoignent par des arcades saillantes, au fond desquelles saillissent en ronde bosse d'autres sujets qui ne sont peut-être pas sans rapport avec ceux des modillons eux-mêmes : c'est ce qu'on appelle des métopes {iui.ir6nin) . Ils sont conservés de l'ordre dorique, ils représentaient les intervalles des tri- Eiie se déve- glyphcs', mals, arrivant le douzième siècle avec son efflores-

loppe surtout au r' i ^■> ^ ^ e L•^ ^ i i

douzième siècle, ccuce SI fccoudc , avcc 1 abondance fertile de ses symboles et sa théologie appliquée si savamment à la pierre , comme à la peinture murale et aux vitraux, nous sommes en présence d'immenses richesses ; les motifs antérieurs ne sont pas entièrement bannis ; on les voit encore se mêlant , par leurs caprices de végétation, avec les dents de scie , les billettes et autres fantaisies du roman , puis épanchant de

DES MODILLONS. SU

tous côtés un ordre d'idées bien supérieur et bien mieux

suivi. Toute la métapbysinuc du srenre se plie aux tentatives ^^ déchoit au qua-

" *■ torzième avec la

du ciseleur. Le treizième et le quatorzième siècle suivent simplicité chré- tienne.

la même tendance avec plus de perfection dans la forme , et , par ce dernier, avec une certaine licence qu'il ne faut pas omettre de signaler, car c'est surtout alors que la plii- losophie catholique commence à déchoir de sa pureté doc- trinale dans le choix des symboles ; la légende y pénètre avec un esprit plus mondain ; le paganisme s'y répand avec ses personnages et ses faits, qui sont beaucoup plus de l'allégorie que du symbolisme. On revient presque à ce grossier et matériel usage des Romains qui ornaient de tètes d'esclaves ou d'ennemis vaincus les frises ou les im- postes de leurs arcs de triomphe. C'est ainsi que le Lai (VAristote^ à un romancier du treizième siècle, a jeté au commencement du quatorzième, sur un chapiteau de la nef de Saint-Pierre de Gacn, à Saint-Jean de Lyon comme sur la grosse tour du château d'Amboise , le philosophe réduit à marcher sur les genoux et sur les mains, et prêtant son dos à une femme qui le mène par la bride comme un cheval.

Ainsi déjà, vous le voyez, le fait légendaire, passable , à la rigueur, dans l'ornementation du monument civil ou militaire, se glisse dans le temple , il n'avait que faire. Déjà l'esprit antichrétien préludait à multiplier les cultes et à laïciser la religion. Le Roman de la Rose a Iburni aussi son contingent aux imaginations d'artistes fourvoyés : on trouve en certaines églises le Palmerih de ce poème traversant la mer sur sa bonne épée. Évidem- ment ce sont des observations que le bon goût n'eût pas conseillées; elles sont le cachet d'une époque de décadence, et pourtant elles n'en prouvent pas moins une volonté ar- rêtée , quoique moins religieuse par l'expression , d'ensei- gnei- comment l'homme, créature raisonnable, comme un philosophe devrait l'être toujours, peut s'abaisser par ses

3^2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

passions au-dessous des conceptions les plus frivoles ; et le héros de Jehan de Meung n'est-il pas , de son côté , une allégorie de la force surnaturelle d'une âme chrétienne entreprenant, pour arriver à sa fin, les choses les plus ardues et les plus impossihles en apparence (4)? On rencontre bien d'autres légendes de cette force au quatorzième siècle , et la cause principale de ces débauches de l'esprit est sur- tout dans l'envahissement que nous avons signalé plus haut de l'œuvre sainte par la franc-maçonnerie laïque, déjà plus Le treizième est OU molus révolutiomiaire. Le treizième, encore à lui-même ,

bien plus théolo- ,, i i ai

gique. et ne ressentant qu a peme les premiers symptômes de cette

usurpation malheureuse , était bien mieux avisé. Tout en sortant quelque peu de l'idée dogmatique , préférée par le douzième , il reste cependant encore dans le cercle sévère de la piété catholique. Son iconographie se rattache aux faits des deux Testaments , à la vie des Saints , à des mi-

(1) Nous rappelons encore ici aux antagonistes du symbolisme qui se servent de certaines hardiesses pour nier toute son action raisonnable, que nous avons toujours distingué ce quatorzième siècle, l'art chré- tien s'incline vers sa décadence, de tous ceux qui l'ont précédé, et cela jusqu'à le répudier et jusqu'à promettre de venger la religion, comme nous le faisons dans ce livre , du peu d'honneur qu'il lui a fait sous ce rapport. (Voir Congrès scienlifique de Tours, l, iQi , ubi suprà.) M. de la Sicotière, qui plaidait alors contre nous, et tout en acceptant avec joie ce qu'il appelait u?ie concession nouvelle, prenait acte de notre répudiation du quatorzième siècle et nous alléguait comme parfaite- ment étrangers à l'Écriture et aux traditions religieuses les deux épi- sodes que nous citons ici. C'était trop s'en rapporter à des citations de plusieurs membres du congrès qui ne savaient pas assez considérer que leur objection et la sienne reposaient précisément sur des faits engen- drés par la période qui se trouvait reniée par nous deux. Et , pour comble d'inattention, notre adversaire ajoutait à ces traits du quator- zième siècle la licorne, qui se trouve très- peu sur les monuments de cette dernière époque, mais beaucoup sur ceux du siècle précédent, comme le prouvent S. Isidore de Séville, Hugues de Saint-Victor, Vin- cent de Beauvais, Rabaii-Maur , Pierre de Capoue , Alain d'Auxerre et bien d'autres, tous antérieurs au quatorzième siècle. (Voir Spicilfg. Solesin., III, 57.) On était donc bien préparé alors à cette grande question, dont un prompt avenir devait éclairer si vivement les obscu- rités prétendues. Qu'a-t-on trouvé depuis? tout simplement ce que nous soutenions alors.

DES MODILLONS. 3^3

racles , à des traditions niysti(|iies. Ses chapiteaux et ses inodillons (car les uns ne sont guère séparables des autres quant à l'examen de l'œuvre d'art) gardent encore le respect tidèle des règles fondamentales : tout y est pris des inva- riables notions du dogme et de la morale évangéliques ; et pour peu qu'on sache l'une et l'autre par l'étude des Pères et des commentateurs de l'Écriture, on lit sans trop de diffi- culté ces pages , dont les obscurités apparentes ne voilent qu'à demi de réelles et imposantes beautés.

C'est pourquoi , préalablement à tous détails d'iconogra- ^^S^df^a mé- phie, et avant de nous faire im classement qui divise en ca- *^«^^ ^"^^'<^' tégories distinctes les modillons qui doivent servir à notre étude, il nous faut développer quelques idées générales, qui suffiraient très-raisonnablement à expliquer les images si nombreuses dont s'étonneraient encore certaines imagina- tions arriérées. N'oublions pas , tout d'abord , le principe déjà développé plus d'une fois dans cet ouvrage : l'impossi- bilité absolue que l'Église ait jamais permis , surtout dans nos siècles les plus hiératiques, de placer au hasard , sous les yeux de la foule, des sujets d'observation qui n'y pussent être qu'une distraction frivole, et souvent môme des invita- tions aux vices les plus détestés.

Ceci bien entendu, remontons à l'origine de ces curieux dans ics mormions

,. . ,. Il 1 t ' f isolés de tous au-

dessms , mterrogeons-les tour à tour, et d abord pris sepa- très. rément et comme isolés les uns des autres. Nous disons qu'en ne les considérant qu'à ce point de vue, on trouverait dans chacun d'eux , avec l'unicjue secours de l'Écriture et des Pères , un sujet de réflexions qui ne manquerait pas d'amener à autant d'interprétations péremptoires. Sans ^ doute, la multitude des textes scripturaires exprimant les mêmes pensées feraient naître, selon le génie de rintcrprète, des explications diverses pour une même ligure; la règle d'op- position, que nous avons plus d'une fois exposée, en tirerait même avec un égal succès le germe fécond d'idées contra- dictoires; mais toujours on se rendrait compte d'une inten-

su HISTOIRE DU SYMBOLISME.

tien symbolique ; on verrait une raison à ces êtres si nom- breux et si variés. Telle fut certainement l'idée mère qui , avant toute méthode arrêtée , dut inspirer à un artiste quelconque l'envie de faire de chacune de ces pierres d'ornementation une abstraction capable de susciter dans l'esprit des souvenirs et des comparaisons relatives aux choses de la foi. Cette méthode N'était-cc pas la pensée de S. Denys l'Aréopaffite quand il

puisée dans les c i. >^ x

Pères : -S. Denys écrivalt i <( G'cst loucr Dieu diarnement que d'embrasser

l'Aréopagite ,

dans sa louange toutes les choses créées , pourvu que nous les considérions toujours dans leurs rapports avec Lui (^) ! )) Or c'est précisément ce qu'est appelé à con- sidérer celui qui examine tant de figures suspendues à nos corniches, et dont l'âme cherche toujours à se rendre compte. Ce qui doit, avant tout, lui paraître incontestable, c'est qu'elles doivent se rapporter aux liens qui rattachent Dieu à la créature. N'est-ce pas Lui, en effet, qui fit pour s. Clément d'A- ellcs, sclou la rcmarquc de S. Clément d'Alexandrie, tous

lexandrie ,

ces éléments , tous ces animaux dont le plus noble a reçu certains caractères tout divins ? n'est-ce pas Lui qui , ayant créé cet être à son image , et tant d'autres sur lesquels res- pire le souffle de sa Sagesse, s'est applaudi dans ses œuvres s. Théophile en voyant que tout y était souverainement bon (2) ? S. Théo- phile d'Antioche, donnant les preuves del'existence de Dieu,

(1) Nous ne Srivons plus d'où est tiré ce texte de S. Denys que nous trouvons parmi les notes recueillies pour ce travail, mais que nous em- pruntons à VUnivers, feuilleton du 18 juin 1851.

(2) « Ipse uamque opifex et Dominas omnium in operibus suis exsul- tat. Cœlum enim suprema sua potentia stabilivit illudque incomprelien- sibili sua sapientia ornavit. Terram quoque ab aqua quae illam ambit, separavit..., et animalia quœ in illa versantur, jussu suo praecepit esse. Mare etiam et quce in illo vivunt animalia, cum prius creasset, sua po- tentia inclusit. Prae omnibus, animal excellentissimum et intellectu maximum , hominem sacris manibus formavit, imaginis suœ charac- terem...H8ec omnia cum perfecisset,laudaviteaetbenedixit...Habentes itaque hoc exemplar, impigre ad voluntatem Ejus accedamus; exstatis viribus nostris operemur opus justitiae. » (S. démentis Ad Corinlfi. Episl., opp. t. I, p. 166.)

d'Antioche ;

DES MODILLONS. 3^5

disait, vers le même temps, à Autolycus, combien (le\ait nous convaincre cette diversité de choses muettes ou animées qui composent rensem])le de cette merveilleuse nature dont les évolutions sont aussi constantes que précises ; et chaque mot, pour ainsi dire, de cette éloquente apologie de la Pro- vidence est à lui seul un modillon (i). Ne voyons-nous et dans lÉcriture.

^ ^ "^ Variété infinie

pas ces mêmes images transportées de ces pages attachantes de ses sujets, sur les corbelets de nos églises , sur les chapiteaux , dans les archivoltes des fenêtres, dans les cintres des portails? Au onzième siècle surtout , dont il nous reste encore beau- coup d'églises , ou dans la sculpture mérovingienne , dont quelques débris se prêtent à nos recherches , voyez comme se montrent à nos regards ces nombreux sujets isolés, poissons , oiseaux , fleurs , serpents , quadrupèdes , têtes humaines, posés évidemment pour y représenter l'œuvre de Dieu et nous élever jusqu'à lui. Et le Psalmiste, dans les poétiques élans de son enthousiasme , n'avait-il pas énu- méré aussi tous ces chefs-d'œuvre de la création? ne les e\horte-t-il pas à louer leur auteur, comme s'ils avaient le sentiment et la vie morale? Et que font autre chose aux murs de nos temples ces arbres et ces collines, ces fleuves ondulés , ces soleils, ces étoiles et ces croissants , ces visages souriants de jeunes filles et de jeunes hommes, ces rois couronnés et ces juges de la terre, ces instruments de mu- sique et ces têtes d'anges (2) ? Dites-nous quel est le sens de

(1) « Considéra... tempestatum vicissituflines...,mensium et annonim rite descriptas vices, seminum, plantarum et fructuum amœnam va- rietatem, diverses pecudum fœtus, qiiadrupedum, volatilium, repti- lium, natatilium thivialiura et marinorum..., dulcium et perennoniin perenues lluxus..., corporuni cœlestium diverses motus, Lucifenim ex- orientem et perfecti astri adverituin pra;iiuutiantem...,ijuibus omnibus multiplex Dei sapientia propria noraina imposait... » (Theopliil., Antioch. episc, Ad Auioly. episl. prima, apud S. Justinum, p. 3i() et scq.)

(2) « Laudate Dominum, sol et luna..., montes et omnes colles, lijïna fructifera et omnes cedri..., bestiaî et universa pecora..., reges et omnes judices terrae..., juvenes et virgincs. » {Pf:., cxi^viii, passim.)

3^6 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

tout cela: s'il n'est pas une émanation des Livres sacrés, dont ils semblent une traduction aussi fidèle que souvent élé- gante, et si réellement le rôle qui leur est assigné sur tant de pierres n'est pas aussi digne du sculpteur que du poète divin. prêchant à toute Si VOUS doutlcz cucorc quc telle soit l'intention de

créature.

l'Eglise , et que ce ne soit pas pour nous les pages et comme les chapitres d'un livre profond qui nous enseigne et nous anime , consultez un de nos oracles qui nous a parlé tant de ibis, et rendez-vous du moins à sa doctrine : c'est S. Gré- Expiication de golrc Ic Graud. Un jour, il exposait à son peuple, avec sa

s. Grégoire le . . ,. . , . .^ . , i i o

Grand. clartc SI judicieuse, la signification des paroles du Sauveur

confiant aux Apôtres , avant son ascension , leur mission évangélique, et, sur cette parole : Prêchez V Évangile à toute créature, il disait : (c Qu'entendre ici par ces mots à toute créature ? )) Est-ce que le saint Évangile devait être annoncé aux animaux sans intelligence , aux objets inanimés? Sans doute , en quelque façon ; car c'est l'homme lui-même qui est ainsi désigné. L'homme participe réellement de toute créature : n'a-t-il pas l'existence comme les pierres , la vie végétative de la plante , les sensatious de l'animal , l'intel- ligence de l'Ange ? Or avoir quelque chose de commun avec toutes ces créatures-là , n'est-ce pas être toute créa- ture jusqu'à un certain point? Prêcher aux hommes la bonne .nouvelle , c'est donc y faire participer tous les êtres de la création (I).

«Cantate Domino canticumnovum... In choro, in tympano et psalte- rio..., in sono tuljae..., in cilhara..., in cymljalis bene sonantibus..., omnis spiritus laudetDomiiiiini. » (P5.,cxlix, passim.)

(l) « xNiimquid, fratres mei , sanctum Evangelium vel insensatis ré- bus, vel brutis animalibiis faerat prsedicandum ut de eo discipulis di- catur : Prxdicale onini crealurse ? Sed omnis creaiurx nomine signa- tar homo. Omnis autem creaturœ aliquid babet homo : babet namque commune esse cum lapidibus, videre cum arboribus, seutire cum ani- malibus, inLelligere cum Angelis. Si ergo commune habet aliquid cum omni creatura homo, jiixta aliquid omnis creatura est bomo : omni ergo creaturae prcedicatur Evangelium, cum soli homini pnedicatur. » (S. Greg. Magni IJonnl. xxix w Evanq.)

DES MODILLONS. 3-17

Voyez-vous mainlcnant la raison tliéologiquc de tant de créatures diverses rappelant à l'honinie , dans ces rangs qu'elles occupent, qu'il est l'abrégé et le complément de toute la création, et que, si le ciel et la terre racontent ainsi jusque dans une église la gloire de Dieu^ à qui ils appar- tiennent (i) , ce roi de toutes les créatures, pourvu de tant d'esprit et de raison , doit d'autant mieux se faire le fidèle adorateur de cette Providence, qui veut par-dessus tout ses louanges , et présente ici à son imitation l'exemple de cette adoration universelle ?

Gela posé , et le principe une fois admis dans ses rudi- ce pian générai

*■ ^ particularisé dans

ments les plus élémentaires , il n'y eut rien de plus naturel son application à

des idées com-

que de lui donner toutes ses conséquences relatives, comme piexes. en eurent toujours les découvertes de l'esprit humain. Bientôt donc , ce ne furent plus seulement des sujets à part qui ne présentaient la nature, pour ainsi dire, que d'un seul côté ; on ne s'en tint plus à une invitation générale de bénir l'Auteur de toutes choses ; on crut possible d'offrir aux méditations de l'âme une série abondante de considérations puisées dans tous les dogmes, dans toutes les idées morales, dans les caractères du vice et de la vertu , dans tout ce qu'il fallait croire , faire ou éviter ; ce fut une grande ex- tension donnée à la pensée primitive , et une sorte de poé- tique appliquée à la pratique du bien. Une suite étudiée de toutes ces petites consoles déroula, avec une surpre- nante variété de poses , de gestes et d'intention, des his- toires suivies, et comme de longs traités de morale qu'on n'a jamais assez voulu soupçonner ni reconnaître. On ne peut plus nier ce plan ingénieux qui dessina , à la Méthode d'étu-

, . .1, T ^^^f ^' découver-

la suite les unes des autres , ces pages vivantes d un grand tes à cet égard.

livre ouvert à tous les regards, avec ses épisodes et son imagerie. Si l'on se promène autour d'une église du dou- zième siècle , que le roman fleuri a parée de ces mille

{{] « Cœli enarrant gloriara Dei. >> {Ps., xviii, 1.) « Domini est terra, et plénitude ejus. {Ps., xxiii, 1.)

3^8 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

figures qui nous occupent, ou si on les analyse à l'intérieur en les suivant de gauche à droite comme les livres d'une bibliothèque , il sera possible , après une revue plus ou moins laborieuse, de reconnaître une suite d'idées corré- latives , déduites les unes des autres , et offrant un long discours plein de méthode et de sens. Nous osons affnmer que ce système est élaboré partout avec la même persé- vérance , quoique partout il ne soit pas également facile d'en lire les phrases ; car, deçà et delà, au milieu de ce grand nombre de petits sujets qui se succèdent sans interruption d'une travée à l'autre , comme à la Cathédrale et à Sainte- Radégonde de Poitiers , pourquoi rencontrerait-on souvent, comme nous l'avons fait observer pour le premier de ces édifices , des groupes divers dont les membres se relient nécessairement et indiquent, sans aucun doute possible, J'élaboration d'un sentiment, d'un dogme, d'une vérité consacrée par l'Écriture ou la tradition , et s'exprimant par un enchaînement de types très-reconnaissables ? Ici , en effet , un campagnard armé d'une houe en dirige un coup violent contre une tête de diable qui l'avoisine ; là, c'est le Tétramorphe s'espaçant à droite et à gauche du Christ assis et bénissant au milieu d'âmes charmantes ou hideuses, de visages radieux et de musiciens pleins d'une joie expansive ; plus loin , c'est le jugement dernier, car des Anges son- nent de la trompette autour des tombeaux d'oii les morts se soulèvent ; ailleurs , c'est encore un mélange de bons et de méchants que distinguent la douce placidité de leurs traits ou des contorsions affectées ; un homme , symbole de l'humanité tout entière, blessé au pied comme la nature humaine qui boite depuis le péché originel , et la femme divine s'échappant de la fleur de Jessé pour guérir cette blessure qui nous entrave tous ici-bas (\). N'y a-t-il pas évidence quant à un plan donné à l'artiste , et sont-ce des

(1) Hist. de la calhédr. de Poit., I, 252 et puiv.

DES MODILLONS. 3^9

jeux du hasard que tous ces détails d'une création si habile et si éloquente ? Voilà sans doute de quoi instituer la curiosité scientifi- combien ces ob-

^ " servaiions sont

(lue de plus d'un archéologue et surtout des architectes qui lignes des hom-

* "^ ^ * mes sérieux.

ne voudraient pas s'endormir sur ces importantes études. Nous en savons plus d'un, cependant, qui n'hésitent pas à traiter de bizarres et d'inintelligibles ces formes précieuses et si riches de la pensée chrétienne au moyen âge. Ils ne comprendront ce qu'ils calomnient que lorsqu'ils l'auront étudié ; mais nous craignons bien , d'après ce qui se passe depuis si longtemps sous nos yeux , que cette science ne soit ni comprise ni justement appliquée que du moment le clergé , seul compétent pour de telles études , voudra s'emparer encore de la conception , de l'édification ou de la surveillance des monuments religieux.

Quoi qu'il en soit , et puisque , dès à présent , quelques prêtres de science et de goût se donnent çà et à l'œuvre que nous recommandons à tous, il importe de vulgariser cette méthode d'enseignement iconographique dont les mo- dillons nous donnent un spécimen des plus curieux et des plus significatifs. C'est dans ce but que nous-même avons voulu en donner le premier exemplaire aux parties nou- vellement reconstruites de l'église archipresbytérale de Chatellerault.

Cette égUse , dont la façade fut renouvelée en ^ 863 , avait composition de

, , 1 1 * . 1 1 1 . l'auteur en ce sens

perdu , sous les morsures du salpêtre, la plus grande partie pour réguse s«- de sa riche ornementation. Tout en ménageant et conser- teuemuit. ^ vant avec soin les charmantes sculptures qui , dans les voussures de la porte , avaient gardé quelque chose de la pureté et des gracieuses formes du douzième siècle , on pouvait se donner , dans ce vaste champ de pierre , les éléments d'un travail éloquent et instructif. Le Clirist , assis au plan supérieur et entouré du Tétramorphe tradi- tionnel , préside le sénat des douze Apôtres , représentés comme lui de grandeur naturelle; deux clochers flanquent

320 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

majestueusement les abords de l'édifice , et se couvrent à tous leurs étages d'une efflorescence d'idées chrétiennes. Mais les zones de ces tours , savamment dessinées par un digne et intelligent architecte , M. Godineau , ne pouvaient manquer d'une parure qui leur fût propre : on ne devait pas priver d'une sorte de catéchèse les cordons de cette façade luxuriante , dont le luxe avait besoin de se spiritua- liser comme le reste ; toutefois fallait-il y attacher des sujets quelconques pris au hasard, ou en composer de nouveaux, et leur donner sous le ciseau un sens l'esthétique vînt remplir son rôle , si légitimement exigé de la pensée reli- gieuse ?

Tel architecte , comme on en voit beaucoup, n'étudiant que la matière brute à poser sur le mortier, aurait bientôt résolu cette question. Au lieu de se casser la tête sur des difficultés qu'il ne soupçonne même pas , il eût jeté à dis- tances égales , sous le cordon de chaque étage , une suite de consoles à peine ébauchées , au profil banal et ne disant rien ni à l'âme ni à l'œil. Un prêtre ne pouvait agir ainsi. Solhcité d'animer ces pierres muettes , nous nous crûmes obligé , absolument comme au moyen âge , de les faire chanter et de compléter, comme alors, par un enseigne- ment de plus , cette grande prédication qui s'épanchait de toutes parts autour de nous. Diversités des Procédaut par analogie, et appuyé sur les principes déjà dwelses'^lî'denta^ émls malutcs fols , uous avous soutenu les cordons qui se meut.-LesTons relient sur les quatre faces du clocher septentrional par des angel!^ ""^"^^'^ tôtcs dc démoiis aux côtés du nord et du couchant, et de bons Anges au sud et au levant; celui du midi a reçu de la môme manière les vices ou les péchés capitaux et les vertus. Ces motifs se rencontrent partout employés de la sorte : c'est continuer la pensée vive des temps hiératiques que de les reproduire sur les constructions qui leur succèdent. . , , Une telle donnée est d'autant plus facile à ramener que.

Le symbole des

Apôtres exécuté s'il est bou d'être fidèle aux enseignements du passé , cette

DKS MOniLLONS. -^21

liclélité n'est pas de ritiveiitioii capricieuse, elle n'a pas le îeurs'l^a'u^s'"^* mérite de la nouveauté ; mais elle vaut mieux qu'une idée nouvelle dont l'origine serait moins conforme au\ tra- ditions. Il lallait autre chose pour ce grand frontispice de moyen appareil imbriqué, sur lequel se déroule la scène imposante de ce Sénat Apostolique présidé par le Fils de Dieu. Rien ne nous a paru plus convenable à installer entre le Collège Sacré et la vaste porte qui ouvre le temple à la foule que les douze articles du Symbole, dont nous avons vu que les vieilles légendes attribuent chacun à un Apôtre différent (]).

Dans notre pensée, cette combinaison, ([uoique nouvelle, car nous ne l'avons vue ainsi rendue nulle part, a cepen- dant ses analogies dans le soin (|ue des sculpteurs du moyeu âge se sont donné , comme à la cathédrale de Poitiers que je citais tout à l'heure , de relier les uns aux autres , pour exprimer une pensée commune, d'intéressants petits sujets constituant une suite de phrases distinctes , mais con- nexes, formant un récit, ou une maxime, ou l'énoncé d'un enseignement dogmatique. C'est ainsi que l'on voit, mêlés aux modillons que j'ai décrits dans l'histoire de ce beau mo- nument, d'horribles figures de diables répandues autour de figures riantes de nos bons Anges (2). Comment niei* les rapports calculés de ces groupes si expressifs ?

Nous étions donc fondé à ressusciter ce moyen , et nous avons disposé vingt-(juatre scènes, liées entre elles par leur connexion théologique, pour rappeler au chrétien les fon- dements de ses croyances dès l'avenue du temple oii il va prier. De ce nombre, les seize premières occupent une ligne supérieure, au-dessous de laquelle courent les buit autres. Ce sont donc comme autant de chapitres du catéchisme catholique. Ces chapitres sont quelquefois doubles pour le même sujet , selon qu'il a se reiulre par l'expression

(1) Ci-dessus, p. 142 et 179.

i2j liisl. de la calhédr. de Poil., 1, 2o7 et suiv.

T. III. 21

322 HISTOIRE nu SYMBOLISME.

de deux idées , comme la création du ciel et de la terre , l'Annonciation par VAnge à Marie , le jugement des vivants et des morts ; enfin, ces deux derniers, qui, représentent la vie éternelle^ ne le peuvent qu'en offrant la béatitude des Élus dans le sein de Dieu, et les tourments des damnés pré- cipités dans les flammes. Tous les articles, ainsi sculptés d'après la touche artistique du moyen âge , sont précédés et terminés par un Ange dont l'un ouvre la série des ta- bleaux en déroulant un phylactère se lit le premier mot du Symbole : Credo; l'autre chante sur une viole l'éternel Amen des Élus , et met fin à cette longue suite des termes de la Foi. Le style de ces Et cufin , pour douucr à uos sujcts Ic caractère icono-

coinpositions nou- .

Telles à prendre grapliiquc dc ccttc graudc époque , nous avons emprunté

sur celles du mo- yen âge. aux sources originales , traduit exactement les images de

nos devanciers , et demandé communication officielle de leurs pièces aux évêques , aux abbés , aux chanoines qui , au Mans , à Poitiers , à Bourges , à Auxerre et bien ailleurs , avaient composé les verrières , les grandes laçades ou les ciselures de nos plus belles œuvres arcJiitecturales. Ce caractère pouvait seul se marier à l'ensemble de ce portai], qui tendait à retrouver sa beauté première dans la seconde ville du haut Poitou. Il fut très-bien saisi d'ailleurs par M. Bonneau , artiste modeste autant qu'ha- bile , qui plia complètement son talent de sculpteur aux Les architectes exigeuccs quc SI pcu d'autrcs veulent écouter. C'est

ne doivent pas s'en , ^

dispenser. cncorc Ic licu dc conjurcr , à ce propos , ceux qui suivent

la même carrière , les architectes surtout qui dessinent leurs plans sur des données ils oublient trop l'art chré- tien pour n'écouter que leurs rêves de progrès chiméri- ques; oui , il faut les conjurer de se reporter à la vie spi- rituelle, qu'ils doivent souffler sur la moindre pierre, et de bien se souvenir, comme base de leur succès en ce genre , qu'on doit tout au sentiment chrétien , et que sans lui rien ne marche que d'une allure impertinente et ridicule. On

DES MODHJ.ONS. 323

a gâté assez de belles églises , assez dépensé de sommes considérables sans fruits réels, pour en venir au moins, après ces coûteux et déplorables apprentissages, à des œuvres qui parlent un langage propre , et qui procurent à nos contemporains et à nos neveux autant d'édification qu'elles apportent d'argent et de bien-être i\ ceux qui trop souvent les élaborent malgré nous (I).

Mais revenons à nos modillons, en résumant avec plus de précision les diverses époques de leur existence, et répon- dons à certaines objections qu'il ne faut même pas dédai- gner malgré leur peu de valeur.

On a vu , par ce qui précède , que tout d'abord ce genre combien ce

' ^ '^ '■ ' ^ *-* g'enre de decora-

d'ornement l'ut appliqué aux édifices cbrétiens dans un but «on donne de vie

^ ^ ^ spirituelle à un

qui ne pouvait être que didactique. Autoiu* de Dieu tout monument chré- saisit, riiomme de Dieu lui-môme; l'existence de l'un ne peut se séparer de celle de l'autre , sans lequel il n'aurait ni l'être , ni le mouvement, ni la vie (2). C'est le principe qui sert de point de départ à l'œuvre que nous traitons. Mais ce principe s'est vu nécessairement subordonné, dans l'appplication, aux développements de l'art plastique : de les nombreuses variations de la forme marcliant de con-

(1) Nous avons inséré, dans la Revue de l'art chrétien , t. Jll , p. 178 et suiv. (1859), une suite d'observations sur le faire etles profits de nos architectes connus sous le nom de diocésains. Attirer l'attention du gou- vernement sur la faute qu'il avait faite en donnant le jour à cette très- nuisible institution est le devoir de quiconque sent l'importance de l'art religieux; mais les gouvernements ne reviennent pas facilement de leurs fautes, et un ministre d'alors donna pour raison de cette idée, sortie tout armée du cerveau de Jupiter, « qu'on avait ainsi trouvé en 1848 un moyen de se débarrasser de trois cents jeunes gens qui encom- braient l'école d'architecture. »— C'est un expédient de première force ! encore faudrait-il que l'emploi de ces messieurs atteignit un autre but; restaurer n'esii point gâter, comme il arrive le plus souvent, et l'on peut voir contre les résultats de cette hardiesse politique, outre ce que nout en avons noté dans la Table générale du Bulletin monumental, sé- rie, p. 34 et suiv. {Architectes modernes), ce qui est cité par l'ouvrage lui-même, t. XVI, p. 155, sur tes architectes officiels et leurs restaura- lions.

(2) « In ipso enim vivimus, raovemur et suraus. » {Act., xvii, 28.)

324 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

cert avec Fimmuable stabilité du fond. C'est donc ce fond, toujours invariable, qu'il faut étudier à travers les diverses périodes de ses reproductions sensibles. On y verra la pensée l'eligieuse dominant la matière, la pliant aux besoins de sa philosophie : c'est l'histoire de l'art tout entier réduit, dans un but de propagande spiritualiste , à ses plus minces pro- portions. Il est arrivé maintes fois qu'on ait trouvé de fort anciens corbelets sur des monuments plus modernes qu'eux de plusieurs siècles. Ce n'était pas une raison à quel- ques archéologues de prétendre à faire remonter ces mo- numents au temps qui avait vu sculpter ces figures plus ou moins grotesques. C'était tout au plus un motif de croire que le constructeur avait employé , trois ou quatre siècles après , les débris d'une église à en construire une autre , sans égard , comme on l'a vu souvent , à la différence des styles et aux progrès que l'ornementation monumen- tale avait pu faire entre ces deux époques. De même , ii faudrait attribuer à un ciseau plus récent les sculptures imposées à un monument dont la date évidente accuse une construction antérieure à ses sculptures ; car il est arrivé plus d'une fois qu'un édifice à peu près achevé n'ait reçu que bien plus tard sa parure sculpturale. Erreurs de quel- Mals OU rcconnaît facilement à quelle phase de l'art appar-

ques archéologues ,. . i , . . t,.,. , , n «i i i

appréciant certai- tiennent Ics scrics SI diilerentes que 1 œil observe sous les

nés difficultés sans i i ^ i r l^ i i

le secours de la comiclies dc iios tcmplcs. Leur caractère les rapproche tant de l'épaisseur des murs , des parcimonies de l'orne- mentation générale, de l'étroitesse des baies, de la rudesse des arcades et des voûtes encore élémentaires, qu'on peut, sans erreur possible, les attribuer aux maîtres ou aux ma- çons qui construisirent nos plus vieilles églises , sous les inspirations de l'architecture romane primitive. La séche- resse du ton , l'aridité de la pensée , qui s'cAprime à peine par monosyllabes , c'est-à-dire ne va presque jamais d'un sujet à l'autre pour continuer ou étendre l'idée préconçue ; la grossière réalisation de la face humaine , bien plus rare

science.

DKS MODILLOXS. 325

d'ailleurs que celle des animaux qui foisonnent, ressem- blant à peine à leurs similaires de la nature animée ; enfin la simple expression de toutes ces botes dont on devine à peine la nature personnelle réduite à elle seule, sans adjonction d'aucun détail de vêtements ni de harnais quelconque : voilà à quoi parvint ce premier âge des mo- dillons, qu'on distribua cependant d'une façon intelligente, en plaçant , par exemple , à la poi'te extérieure du temple ceux des animaux que les traditions bibliques présentent conmie impurs ou de mauvaise réputation , et ces têtes démoniaques et ces idoles bizarres qui se trouvent con- damnées dans les textes de Moïse et de S. Paul (i); on y reconnaît très-bien , quoique assez grossièrement traduits , le porc, le bouc, le chien, le taureau et mille autres. C'est aussi l'époque des obscena, dont nous parlerons à part , et qui , en dépit des mœurs devenues plus douces et des grands développements donnés à la théologie dans les meil- leurs siècles de notre littérature sacrée , se retrouvent jus- qu'au treizième , quoique plus rarement , mais persistent à y prouver, par leur présence , qu'ils sont nés du symbo- lisme et ne mourront qu'avec lui. Mais, à mesure que tout se purifie, que l'art reçoit un Les modiiions

, . , . . , , s'identifient com-

rayon de jour plus parlait et qu on s avance vers sa splen- piétement par leur

, " , . 1 1 / 1 , facture au style de

deur, comme on adnure aussi les délicatesses qui surgis- rédifice et à son sent de tous côtés dans la sculpture! Les modillons mêmes *^^" en acquièrent leur part, soit qu'après le onzième siècle ils participent au mouvement des croisades par l'admission des fleurs , des perles et des entrelacs qui séduisirent nos P'rancs sur les rives du Bosphore , soit qu'à la fin du dou- zième et dans toute la durée du suivant, les scènes s'ani-

(1) « Haec sunt animalia... «inae inter immunda reputabitis : chœro- gryllus, lepus et 3u=... » [Uvitic, xi, 4 et seq.) « Foris canes, et ve- nifici, et impiidici, et idolis scrvientes... » (Apoc.,\xn j i^.) Voir aussi S. Méliton, cap. ix, De BesUis; Wolfgangi Franzii Anim. hist. sncra, p. 39; —William Carpenter, Zootogia sacra, ap. Script, hisl. natuv., pars m.

326 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

ment , les personnages s'y mêlent , et que tous les règnes de la nature , avec leurs naïves persuasions et leur science un peu fantastique , viennent former, sous le regard des fidèles , une suite d'images dans lesquelles les hagiographes et les Pères salueraient autant de réminiscences de leurs doctes écrits. Objections sans Rcdisous maintenant (lue ces petits modèles ont donc

râleur opposées a , ^ *

^ïï^a^doSTè ^^^JO^''^ ^^^"' langage symbolique , et que, parmi eux , il choix des sujets, n'cu faut voir aucun qui soit privé de ce type respectable, très-propre à nous réconcilier avec l'apparente sauvagerie , avec l'espèce de négligence qui d'abord présida à leur con- fection. Laissons le champ libre aux conjectures des savants sur les causes plus ou moins probables du peu de perfection des têtes humaines ; permettons-leur de disserter sur les simihtudes ou les ressemblances qui s'établissent pour l'observateur entre les modillons de la Normandie et ceux des provinces méridionales , questions d'art et non autres. Ce que nous soutenons ici , c'est que sous ces formes d'écoles diverses réside une pensée rehgieuse. Un fruit se cache sous cette écorce plus ou moins séduisante ; il s'agit de le dé- couvrir, de le voir de près et de le goûter. Nous excepterons, si l'on veut , quelques figures historiques placées dans le coin d'une tour et qu'on appellera arbitrairement d'un nom d'architecte ou de celui d'un roi, d'un évêque ou d'un doyen qui n'a jamais pensé à s'y faire mettre : ce seront des jeux d'esprit et des énigmes capables de défrayer les imaginations des Salomons de notre temps. En effet, qu'un ouvrier qui ne comprenait pas aussi parfaitement que son maître le sens d'une image qu'il s'agissait de transporter du parchemin sur la pierre ait échappé à la surveillance et posé un de ses caprices qu'il espérait soustraire au contrôle , ce serait un fait des plus rares , une exception que la hardiesse d'un travailleur grossier pourrait expli- quer, mais que l'esprit môme du moyen âge , avec sa sou- mission chrétienne à l'autorité et au sentiment rehgieux

DES M0D1LL0>S. 327

ne permet pas d'attribuer, aussi souvent qu'on l'a fait , à

un homme payé pour l'aire tout autrement. Passons donc Le baudet d'Ar-

, , . gentan.

sur ces etrangetes sans miportance. Nous n'y tenons pas plus qu'à ce pauvre et très-honoré baudet de Saint-Germain d'Argentan, lequel, pour avoir porté les pierres et le mortier des constructeurs , reçut , avec son portrait au naturel , le droit de siéger éternellement sur un chapiteau de la nef. Qu'une tradition populaire lui donne rang parmi les tra- vailleurs, personne ne s'en scandalisera, quoique nul n'en ait la preuve authentique , et nous pourrons toujours re- courir, pour l'expliquer, à d'autres ânes bien plus illustres qui figurent dans maints chapitres de la Bible ou dans les récits de Métaphrastc et de Surius.

N'omettons pas d'observer aussi que c'est avec de telles objections que les adversaires du symbolisme se sont armés contre lui d'un ridicule par trop facile , et qu'il ne suffit pas , pour gagner une cause , d'avoir en sa faveur de tels arguments. N'a-t-on pas vu des archéologues encore peu avancés s'autoriser d'un texte de Durant de Mende rap- pelant que , de son temps comme toujours , les artistes devaient user, dans leurs œuvres , de certaines licences de leur génie, pour prouver que, par conséquent, au moyen âge , avec la permission et de l'aveu d'un grand maître , les ouvriers travaillaient au hasard les sculptures de nos éghses ? Comme si la vraie science ne prouverait pas le contraire! comme s'il ne fallait pas entendre cette liberté artistique du faire et de la disposition du sujet plutôt que du sujet lui-même! En face de ces affirmations trop hardies, on n'oubliera donc pas qu'il ne peut suffire de les énoncer; on en doit donner d'autres raisons que des conjectures , et l'on ne doit rien admettre qui ne soit attesté par un texte original ou par un dessin fidèle. Il nous est plus d'une fois arrivé, en procédant par ce moyen, de démontrer le contraire d'une thèse un peu trop vite conçue et hasardée sans assez de discernement. Nous supposons qu'il en sera ainsi très-

328 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Le poulet de soiivcnt eiicorc quand on y voudra regarder de près. Qui

Saumont. . .

ne serait curieux, par exemple, de voir à l'œil nu ce fameux poulet qu'on signalait au congrès archéologique de Falaise comme figurant sur un modillon de l'église de Saumont fCalvados) , « prêt à être mis à la broche (I)? » ni plus ni moins! Ce sont de ces choses dont on ne décide rien jusqu'à plus ample informé, et, en admettant une telle originalité sans en tirer de conséquence , nous en montrerons bien d'autres , et plus sûres et plus extraordi- naires , dont l'explication est faite depuis longtemps.

Ce sujet n'est pas épuisé ; mais, parce qu'il est identique par son iconographie à beaucoup d'autres motifs d'orne- mentation qu'il nous reste à traiter, nous y reviendrons forcément à l'occasion des chapiteaux et des autres déco- rations de l'église chrétienne , et on pourra encore leur appliquer ce que nous y dirons.

(i) Bullet.monwn.,Xl]l, ib2.

CHAIMTIIK IX.

DES CHAPITEAUX.

L'arcliitocture antique, avec toutes les ressources de ce t.ps ciiapiteaux

i ' distinguent tout

génie crui se perfectionna jusqu'à nous donner les Pronilées, 'raborrirarchitec-

" ^ ' J 1 1 ' turc païenne delà

le Panthéon d'Agrippa et tant d'autres chefs-d'œuvre dont "«*•*«• nous admirons encore les restes, cette architecture, si noble dans sa simplicité , devait une grande partie de son effet général à l'art qu'avaient eu les constructeurs d'y semer, comme supports indispensables ou coninie ornements des façades et des pourtours, un grand nombre d'élégantes co- lonnes, dont le jeu naturel ouïes ombres, jetés sur les mu- railles, remplissaient d'harmonie les abords ou l'intéi'ieui* du monument. C'étaient de magnifiques choses dont l'or- donnance générale saisissait , dont les proportions gran- dioses commandaient l'admiration , mais auxquelles on n'avait adapté le symbolisme qu'avec une certaine parci- monie qui allait souvent jusqu'à le leur refuser entière- ment. C'est un des caractères principaux qui sépai'cnt l'architecture païenne de celle qui s'inspira plus tard de toute la pensée du Christianisme.

Kt cette différence ne paraît nulle part autant que dans Fioi.if>nr4ucba

^ ^ j pitcau corinthien.

l'ornementation des colonnes. Les ordres des Grecs et des Romains, tels que Vitruve nous les a décrits, ne manquaient certes pas de dignité et d'élégance ; mais, pour ré[)ondre à ces frontons, à ces atti(|ues et à tout ce luxe qni sentait tou- jours im peu la recherche et la prétention , on est obligé d'avouer que les chapiteaux étaient d'une simplicité ex-

330 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

trême. II n'y avait que le corinthien (le composite n'en étant qu'une surcharge moins heureuse) qui s'alliât bien à la dé- licatesse des frises et se mariât dignement aux nolîles har- diesses des grandes constructions ; aussi le voyons-nous employé presque toujours de préférence pour les édifices du plus haut caractère. Le panthéon d'Agrippa, la Maison- Carrée de Nîmes, l'Arc-de-Triomphe d'Orange, et tant d'autres non moins remarquables pour la hardiesse du style, n'avaient rien pu concevoir de mieux pour leurs cha- piteaux que ces deux ou trois rangs de feuilles d'acanthe superposées , gracieuses il est vrai , mais singulièrement monotones, et se représentant invariablement sous la même forme pour tous les chapiteaux d'un même temple, et n'hé- sitant pas à passer d'un édifice à l'autre sans aucune modi- fication possible, qui fût devenue un attentat contre les in- flexibles règles de l'art. Lart chrétien le Gc systèuic d'iinmobilité ne pouvait convenir aux notions avantage, et le fai" chrétieniies. Gcs suifaccs , multipliées à l'infini dans les

entrer dans ses .,. tt iii •- xi ■«

piansd'esthétique. égliscs rcmplics dc svmbolcs, devenaient un vaste champ a d'autres symboles sans nombre, réunissant le double mérite de l'élégance artistique et d'un reUgieux enseignement. Le ciseau s'empara donc de cette révélation et en reproduisit sur des corbeilles nues les sujets, qui y figurèrent comme autant de pages nouvelles des histoires sacrées, des légendes ou de la théologie des Pères et des Docteurs ; c'était moins froid et moins insignifiant que le feuillage corinthien, c'était bien plus conforme au prosélytisme de la religion et aux besoins de ses adeptes . On dut à ce sentiment l'incroyable variété qui régna dans les motifs sculptés des chapiteaux depuis l'époque ils commencèrent à se revêtir de cette remarquable éloquence ; et quand ces motifs ne furent pas historiés, c'est-à-dire quand ils n'eurent pas pour base prin- cipale les figures d'hommes, de femmes ou d'animaux, ou dfîs scènes qui en représentaient les actions diverses, ils furent du moins remplacés, sans trop de désavantage, par la

DES CHAPITEAUX. 3S^

variété des formes données à la corbeille, laquelle, imitant les ordres antiques et s'en appropriant les détails , se para avec un succès nouveau d'un ensemble jusqu'alors inouï, soumit à ces heureux caprices les formes absolues des sys- tèmes anciens , et mêla sur une même pierre toutes les coupes inventées par la fantaisie , toutes les ressources de l'imagination européenne, auxquelles vinrent bientôt se mêler, à partir du onzième siècle, celles que les Francs r^ip- portèrent des plages orientales. Le chapiteau dorique , espèce de disque privé de tout origine de ce

^ j ' 1 -IX détail d'ornemen-

ornement et aplati sous un tailloir aussi pauvre que lui, se tation. retrouve souvent dans les ruines gallo-romaines ; mais il montre assez, par sa nudité môme, qu'il n'appartint qu'à l'architecture païenne (I). S'il a pénétré dans les cata- combes, ce n'est qu'avec certaines modifications peu impor- tantes , il est vrai , mais qui le montrent souvent allié à la corbeille corinthienne, qu'il surmonte comme unesuperfé- tation d'assez mauvais goût. Dans ces souterrains véné- rables, au reste, on ne rencontre pas encore le symholisme appliqué aux ornements de l'architecture. Il est tout dans le parallélisme colorié de l'Ancien et du Nouveau Testament, dans le rapprochement entre Jésus et les Patriarches ou les Prophètes, dans les paraboles du Bon Pasteur et de la vraie Vigne, etc. Aucun autre sujet n'y apparaît à titre d'orne- mentation d'un chapiteau ou d'une frise. Le poisson, qui s'y i^^'^, poissons ob-

*■ 1 A ^ serves comme lun

retrouve si souvent, à côté d'une épitaphe, ne figure jamais des motifs lespius

i >■ ' ^ '' anciens de notre

ailleurs. Il faut donc, pour rencontrer ce genre d'enseigne- imagerie, ment , arriver à une époque postérieure. Le quatrième siècle nous semble être le premier qui l'ait essayé. A cette époque on construit la crypte de Jouarre, dont les chapi- teaux de style roman sont d'un beau travail et habilement fouillés selon les règles des ordres composite et corinthien ; mais d'autres indiquent déjà à côté d'eux la marche nais-

(1) Dullet. monum., XVIII,243.

332 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

santé du symbolisme imprimé sur ces beaux ornements : ils portent des poissons affrontés qui semblent boire à deux vases posés au-dessus des feuilles d'acantbe f^). On ne peut méconnaître en cela l'idée du baptême, dont les poissons représentent le dogme, et cette interprétation se confirme par la présence d'autres poissons sculptés sur les chapiteaux de colonnes de marJire dressées en avant de l'abside orien- tale au baptistère Saint-Jean de Poitiers. Quant à cette avidité que les poissons de Jouarre semblent exprimer en accostant leur bouche aux vases qui les avoisinent, on voit évidemment qu'ils aspirent aux eaux sacrées de la grâce et de la vie spirituelle, unique désir du chrétien, dont ils sont la figure. C'est dans ce môme sens que nous voyons plus tard, surtout aux onzième et douzième siècles, les colombes buvant à un calice , c'est-à-dire les âmes justes participant à l'Eucharistie. H ieî ""feuiiks A ^^^^^ époquc primitive qui nous préoccupe surtout ici, ?ragses. apparalsscnt encore , soit pour décorer des lambris , soit

pour dissimuler la nudité des murailles , soit enfin pour parer des chapiteaux à surfaces plates , les entrelacs, dont l'art roman s'emparera plus tard jusqu'à en faire l'expres- sion symbolique d'idées abstraites , de bonnes ou de mau- vaises passions. Ces dessins se reproduisent également pen- dant les cinquième et sixième siècles, qu'il est bien difficile de distinguer, à cet égard, du quatrième. on voit encore les feuilles grasses , expression rudimentaire de cette bell(^ végétation qui devait se développer si magnifique , et dont les progrès furent plus rapides que ceux de la sculpture zoologique. En avançant dans les progrès de l'art, la pensée se développe et ne se contente plus de sujets dont l'intention LatétehumahiR ^estc passablcmeut coniecturale ; on voit, au neuvième

melee aux feuil- , ' ''

'«ces- siècle, une tète d'homme apparaître au milieu des feuillages,

et ce simple exposé de la vie humaine respirant le même

{{) BulU'L iHunum., iX, 18o.

DES CHAPITKALX. 333

air que les plantes, se livrant au soin de leur culture provi- dentielle , éveille d'autres imaginations qui bientôt vont attacher des histoires et des drames à toutes les parties de l'édifice sacré. Nous allons bientôt revenir sur ce fait.

Cette grande suite de scènes, bibliques ou autres , prend ^^^^ ^^'^^ '>'•^"■ son essor le plus vif au onzième siècle , à cette période de Développement

,,, y t, . il-! •! «les sujets au on-

regenerescence ou 1 art monumental sort de son sommeil zième siècle. de presque tout un siècle , et dédommage de ce trop long engourdissement l'œil et l'esprit, qui s'étaient accoutumés à ne rien deviner et à ne rien voir. Quelque talonnées, disons même quelque grossières que soient les premières œuvres du ciseau (ou de la peinture , car elle remplace parfois lo travail du sculpteur absent], on y découvre avant tout une intention bien arrêtée d'interpréter les Livres saints ou d'en reproduire les traits principaux : c'est le sacrilice d'Abraham, la chute du premier homme, Daniel et ses lions, Nabucho- donosor et son orgueil , tout cela mis en opposition avec l'humble naissance du Fils de Dieu, la foi simple des ber- gers adorateurs, la ferveur éclairée des mages, la réparation par le caUce ou par la croix. Si d'abord , et pendant la pre- mière période de La sculpture hiératique, il arrive que ces sujets soient traités à la hâte, pour ainsi dire, et l'estreints au juste nombre de personnages indispensables, peu à peu et à mesure que l'artiste est dirigé par une intelligence plus habile, comme au douzième siècle , le clergé s'adonne plus zélé aux compositions iconographiques , les scènes s'étendent, les actes se multiplient, le drame se développe et s'achèN e. C'est ainsi que nous voyons sur un chapiteau du ' L'histoire d'A- beau parv is de Saint-Denoît-sur-Loire trois scènes fort recon- nou-sm-LoIri. naissables de la pi'emière pliase du monde primitif. Trois personnages y paraissent, dont un est revêtu d'une longue l'obe et la tête entourée du nimbe ; les deux autres, homme et femme, à la nudité complète mais décente, sont devant lui et paraissent l'écouter: c'est Dieu, unissant Adam et Eve par le mariage. Derrière ceux-ci s'offre la tentation : vm pommier

33 i HISTOIRE Di: SYMBOLISME.

chargé de fruits sert de support à un serpent qui s*y allonge en spirale et s'adresse à la femme qui va succomber ; de l'autre côté est Adam, dont le sculpteur n'a pas voulu confondre le degré de culpabilité avec celle de son épouse, car elle est nue et il est revêtu d'une sorte de chlamyde. Cette idée est d'une haute théologie, qui fait déjà prévoir, à travers les formes peu harmonieuses d'une facture très-imparfaite, la méthode mystique dont le douzième siècle fut surtout l'ex- pression très-remarquable. Enfin , nous voyons un Ange , poussant devant lui hors du Jardin profané le couple déso- béissant. Au-dessus de cette trilogie , trois dragons rephés sur eux-mêmes expriment, dans l'attitude du repos, le pai- sible succès dont ils jouissent. Ils durent assez travailler ; leur proie est assurée, ils n'ont plus qu'à s'endormir dans La Fuite en Icur triomphc. Non loin de est la Fuite en Egypte : Marie, ^^^*^' portant sur ses genoux l'Enfant Dieu que désigne son nimbe

croisé, est montée sur un âne dont S. Joseph tient la bride ; au-devant de la sainte caravane , un soldat , l'un des satel- lites d'Hérode, se présente armé d'une lance et d'une épée à deux tranchants ; derrière la Vierge, un autre monstre de- vait chercher aussi à entraver les pieux pèlerins : c'est encore le dragon infernal ; mais un Ange le terrasse avec une croix. On peut bien voir d'intelUgents symboles dans les expressions diverses et très-significatives de ces six per- sonnages, dont la physionomie se prête merveilleusement au rôle de chacun ; mais le théologien a parlé avec ce lan- Lamain divine, gage d'artistc un autre langage bien plus élevé. Quelle est

symbole de pro- . . ;,, , i ' j i

tection. cette mam qui apparaît dans un angle supérieur du chapi-

teau, bénissant à la manière latine l'Enfant qui doit sauver Israël et rendant très-bien la parole du Père céleste : « Ce- lui-ci est mon Fils bien-aimé (I) ? )> N'est-ce pas une ingé- nieuse manière de rappeler la protection divine promise

(1) « Et ecce vox de cœlîs dicens : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi bene complacui. » {Matth., m, 17.)

DES CHAIMTK.vrX. 335

par l'Ange de la vision? Cet Ange, dans la pensée de l'ar- tiste, n'est-ce pas S. Michel lui-même qui tient sa promesse? Mais un autre signe complète la pensée. Au niveau de cette main et à l'autre côté du tableau , l'étoile des Mages appa- raît, large et splendide des plus beaux rayons. Rien ne parle, Beiie et savante

, 11, 11/» esthétique de tout

dans le texte sacre, de ce voyage de 1 astre subordonne a ce morceau. celui du Sauveur fugitif; mais, puisque l'étoile indiqua aux rois de l'Arabie la demeure de Bethléem et la présence de l'Enfant Dieu, elle vient ici attester aussi bien sa divinité. Elle affirme, avec tous les autres détails de cette scène, que c'est bien le récit de S. Matthieu, et cette licence du sculpteur qui ajoute à l'histoire sans manquer au sentiment de la vérité est du symbohsme par excellence et l'une des plus ingénieuses données de la science scripturaire. C'est encore le sens que nous avons appelé super historique (I).

Ce magnifique poème biblique inscrit dans le majestueux atrium de S. Benoît est une des plus riches merveilles qu'on puisse étudier en ce genre ; le symbolisme doctrinal s'y déploie avec une ravissante exubérance. Il a été assez mal compris par beaucoup d'interprètes, nous l'avons fait observer ci-dessus (2) ; nous trouverons occasion d'y revenir.

Ce que nous avons remarqué plusieurs fois de l'ornemen- Scènes des cha-

... 1,111 » »ii, piteaux graduées

tation sculpturale, plus luxueuse a mesure qu elle s avance dans leur impor-

1 -, . . 1/11»! tance en se rap-

dans le sanctuaire , ce que nous avons observe de 1 adop- prochant du sanc tion des sujets spéciaux qui apparaissent au nord ou au sud des églises, s'applique également aux sculptures des chapi- teaux. Les scènes choisies pour le sanctuaire sont ordinaire- symboiea eucha ment celles qui parlent plus éloquemment de Jésus-Christ v^gï^r' ^ ^*'"" et de sa sainte Mère , soit dans leurs rapports immédiats avec la rédemption des hommes , soit dans les types an- ciens qui symbolisent le Sacrement de l'autel, la nour- riture par excellence de l'âme chrétienne. Daniel y figure bac^o"**^ ** ***

(l) Voir ci-dessus, t. II, 238, 428, 462, 516, 559, 560, 565. (2; Voir ci-dessus, p. 132 et suiv.

330 HISTOIRE Dl SYMBOLISME.

entre ses lions, mangeant le dîner apporté par Habacuc ; et S. Ambroise y voit l'emblème de Fâme fidèle nourrie du pain des forts au milieu des tentations de la terre (4). S. Augustin exprime la même pensée et admire , à ce propos, comment le Sauveuj- se porte dans le Pain sacré à ceux qui l'envient, après s'être porté soi-même de ses propres mains dans Finstitiition du Sacrement (2). C'est dans le même esprit que ces mêmes images sont tant pro- diguées dans les catacombes, Ton dérobait aux païens Marie et l'En- la vuc dcs saliits Mystèrcs. Ce n'est donc pas sans raison qu'elles se rencontrent aux chapiteaux du sanctuaire à Saint-Pierre de Gliauvigny (Vienne) ; les chapiteaux voisins du môme côté sud y montrent la Vierge Mère présentant le saint Enfant au prêtre qui accomplit à Fautel ses grandes fonctions, puis l'étoile des Mages, et les pasteurs qu'elle éclaire pendant qu'ils veillent à la garde de leurs troupeaux. A côté est la Babylone prostituée, l'esprit du monde vaincu par la venue du Sauveur ; le diable pesant inutilement sur un des plateaux de la balance tenue en parfait équilibre par S. Michel : c'est le salut mérité par la grâce, en dépit de notre plus cruel ennemi. Du côté opposé , c'est-à-dire au nord de ce même sanctuaire et à la gauche du prêtre offi- ciant, le démon a son rôle actif; il s'impose sous des formes diverses à l'homme qu'il persécute et veut faire tomber. sont les sauterelles de l'Apocalypse , ces grandes enchante- resses qui perdent les âmes par les inspirations des héré- sies (3) ; ou deux diables hideux s'efforçant de prévaloir

La pesée de?^ âmes ; protection contre Satan.

Les sauterellfS de l'Apocalypse.

(1) tt Quam insuperabilis Daniel qui circa latera sua ragientôs non expavil leones ! Fremebant bestiee, et ille epulabaUir. » (S. Ambrosii lib. 1 Of'/lcior., cap. xxxiii.)

(2) w Vere magnus Dominus et misericordia Ejus ! Ferebatur Jésus in manibus suis, quia cum commendaret Ipsum et Sanguinem suum , accepit in manus suas quod norunt fidèles, et Ipse se portabat quodam- modo, cum diceret : Hoc est Corpus meum. » (S. Aug., Concio secundo in psalm. xxxiii.)

{2) Voir ci-dessus, t. Il , ch. viii, p. 199 et suiv., exposition du eh. ix de l'Apocalypse.

DES CHAl'ITEAL.V. 337

contre un homme qui résiste par son immobilité même; puis un autre non moins embarrassé par deux bétes iden- tiques dont l'une s'élance à sa tète et souffle à son oreille le langage des passions qui ont l'orgueil pour principe, l'ava- rice , l'ambition , la vengeance, tandis que l'autre, s'atta- cliant à dé\olopper les passions basses et dégoûtantes, ex- prime ses perlides désirs en léchant les pieds de la victime. Outre l'averiissement doinié ici de la résistance aux im- La loice contre

. 11,1. los tentations.

pressions du mal , n y voit-on pas cet éloquent parallélisme ([ui répète à tous que les blessures faites par l'ennemi peu- vent être guéries, et que notre secours doit venir de l'Agneau qui efface les péchés du monde? C'est une pensée nettement arrêtée, et que nous avons Los démons for-

cc'S de sorvir ù la

signalée à la cathédrale de Poitiers, que, pai'tout devaient gione de Dieu. être des autels, soit à l'abside oi'ientale , soit aux chapelles latérales du transsept, le sculpteur avait eu soin, en termi- nant son œuvre, d'orner les chapiteaux, aussi bien que les modillons, de sujets qui rappelaient le triomphe de la foi sur l'esprit de ténèbi'es. Cette l'ègle apparaît donc aussi à Chauvigny ; nous la retrouverons partout ailleurs. C'est par la même raison que les tympans de nos grandes portes fourmillaient de chapiteaux et de vastes pages les démons affluaient sous toutes les formes , non pas tant à l'état de tentateurs qu'en qualité de coupables, forcés, en dehors de l'église , à jouer le rôle ignominieux de malfaiteurs con- damnés au pilori : c'est le triomphe de l'Église sur l'esprit du mal; c'est la reproduction en petit des vastes bas-reliefs les morts ressuscitent pour être jugés, les bons et les méchants sont séparés par les Anges, toute vertu, comme tout vice, reçoit sa récompense ou son châtiment. Tel est le but réel du sculpteur , interprète fidèle , comme Étrange abena

,, ,| T.- iiixi'i* "o" ^^6 quelques

nous 1 avons prouve, des doctrines morales de la théologie, archéoio-u^s nu et non, comme l'ont voulu MM. Mérimée, Michelet et autres fantaisistes romantiques, l'envie d'épouvanter les popula- tions plutôt que de les persuader. Dans ces intrépides com- T. III. 22

turulistes ,

338 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

mentateurs , à qui la première idée , tant absurde soit-elle, sert de texte contre l'Église , on ne trouvera jamais plus de justesse que de bonne foi , et ce n'est pas à leurs rêveuses folies qu'il faut aller demander le sens véritable de nos mystères, qu'ils n'ont jamais sérieusement étudiés... Et ce qu'il y aurait de pire pour l'arcbéologie chrétienne , si de telles autorités pouvaient la compromettre , c'est qu'à la suite de ces étranges paladins de l'herméneutique sacrée on trouve toujours des écuyers prêts à vanter leurs exploits en se targuant d'y avoir commis leur flamberge. en opposition avec Revcnous , à l'égard de tant d'images singulières , aux

l'histoire de l'ar-

ehitecture et l'ac- principcs quc uous avons poses comme incontestables des

tivo surveillance ^ ^ ., .,.^, i^rii-

dr- l'Église au mo- le commeiicenient dc cc livrc : 1 nnpossibilite que liighse

yen âge. . .. -, , , , .

chrétienne , asile des graves et saintes pensées, inspiratrice des plus sérieuses méditations , dépositaire exclusive de

l'enseignement divin, ait pu jamais permettre un seul instant à un seul imagier, même des plus habiles , l'énorme licence de remplacer par ses idées personnelles l'expres- sion scrupuleuse du dogme irrévocable et des éternelles vérités. Si , comme on n'en doute plus, l'imagerie était au moyen âge le livre devaient lire les ignorants, on com- prend fort bien qu'elle ait répandu sur toutes les parties du temple cette science que tous y venaient chercher ; mais comment se persuader qu'à droite ou à gauche de ces théories souverainement exactes, on ait pu aller jus- qu'à semer des petitesses insignifiantes ou de grossières caricatures , ou de prétendues indécences dont nous aurons à parler? Un tel système d'opposition était une preuve d'ima- gination quand il fut exposé, il y a trente ans, par des hommes plus spirituels que bien appris. Nous nous rappe- lons parfaitement qu'à cette époque on reniait le symbo- lisme, à peine visible, disait-on ; on croyait avoir écrit un mémoire irréfutable en annonçant une longue suite de questions sur lesquelles on s'évertuaitàproclamer des non- sens. On se donnait alors le plaisir de nier l'objet de ses

I)i:S CIIAPITKAIX. 339

vives interrogations..., et la cause était entendue. 11 n'en peut être ainsi de nos jours. Outre l'intention formelle , et ([uo nous venons d'établir, de poser ses sujets dans un ordre méthodique et rationnel, consacrant au lieu le plus digne ceux qui s'y rapportent le plus naturellement, on ne sortit [)as plus de l'allégorie dans le semis ({u'on sut faire par toutes les autres portions du temple.

U ne faut pas même séparei' de celte théorie générale un Beiie louatiou

. . Il- *^^^ chapiteaux .

certam choix (fu oji lit alors pour les grands chapiteaux non moins exprès -

, , . r\ ' 11 sive que tout le

il une végétation partout expressive. On sait avec quelle reste. gracieuse abondance lurent épanchées , au fond et au dehors de ces charmantes corbeilles, les feuilles vraies ou rantasti(|ues destinées à leur belle et ricJie décoration. Un motif d'embellissement ne fut pas le seul qui patronisa ce moyen; tout en l'empruntant au profit des murailles sacrées , de ses arcatures , de ses clefs de voûtes et de leurs retombées, on prétendit bien y rattacher des mys- tt'res dont l'Église est pleine , et fournir à chacun de quoi s'instruire ou s'édifier. Les fleurs, les feuillages sont, en symbolisme des général, Temblème des grâces spirituelles et de la bonne fleurrdans .l'ÉcrT odeur des vertus (I). L'Écriture les compare tantôt aux justes rassemblés autour de la Table sacrée dans une jeu- nesse éternelle , ou à l'arbre fructueux planté le long des eaux ; tantôt aux pécheurs, qui s'élèvent et disparaissent comme l'herbe de'ssécliée (2). Les Prophètes sont pleins de ces fraîches comparaisons. Dieu dit, dans Osée , aux Juifs (|ii'il exhorte à revenir vers lui : « Je serai comme une

(1) L'évêque, en bénissant le Saint Chrême et mêlant à l'iiuile le baume qui en exprime mieux la vertu sanctifiante, dit : « Hanc odori- feram sicci corticis lacrymam, quee felicis virga; protluendo sudorem sfl^cerdotali nos firmat unguento, acceptabilem... sanctifica. » (Pontif. rninan., in-8«, p. 610.)

(2) « Filii lui sieut novellœ olivaruni in circnitu mensae tuœ. » {Ps.. cxLiii.) « Vir qui non abiit in concilio impiorum erit tanquam ligniun quod plantatum est secus decursus aquarum, quod truntum suuui dabit in tempore suo. » {Ps., i.) « Homo, sicut fenum, llos ejus..., decidel et aresoet...; peceatores sicut fenum. » {Ps., xci, 8.)

340 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

rosée sur Israël; il germera comme le lis; ses racines seront profondes comme celles des arbres du Liban ; ses rameaux s'étendront au loin ; sa gloire sera comme une abondante récolte d'oliviers ; elle aura des parfums comme ceux de ses montagnes {\). » Devant ces textes, s'étonnera-t-on de voir le ciseleur planter dans l'église les branchages et les fleurs, en entourer les autels de Dieu et de ses Saints? Quoi de plus conforme au sentiment qui faisait répandre les branches verdoyantes sous les pas du Sauveur ? quoi de plus intimement lié aux sympathiques idées de la théologie chrétienne? « La nature , dit Sacy, est l'image de la grâce; l'esprit de Dieu est une rosée divine. Toutes les vertus sont comme des lis, des blés, des oUviers , des vignes qui crois- sent dans l'âme. Ces plantes spirituelles doivent jeter leurs racines dans le cœur; elles ont besoin des ministres de Dieu qui les plantent , les arrosent , les cultivent ; mais tout dépend des pluies volontaires qui viennent de nous, et de l'influence de Dieu qui donne r accroissement (2). )) Ce que le docte commentateur voyait si clairement dans l'Écriture comme autant de symboles frappants , il ne se doutait pas que, pour le trouver traduit sur la pierre, il ne fallait que lever les yeux un peu au-dessus du Tabernacle , pour peu qu'un décorateur de son époque ne se fût pas ingénié à le voiler, à la façon moderne, sous les plastiques à demi païens d'un retable gigantesque, ou sous l'épais ba- digeon d'un ignorant barbouilleur. zachée sur le Uu dcs tvpcs Ics plus curicux donués à nos chapiteaux ,

sycomore. Signi- fication de l'un et mals aussl l'un des plus inaperçus, et dont nous ne pensons

de l'autre. -, .

pas qu'un autre que M. le comte Auguste de Bastard ait jamais donné l'interprétation avant nous (3), est cepen-

(1) « Ego quasi ros Israël; germinabit sicut lilium et erumpet radix ejus sicut libani; ibunt rami ejus, et erit quasi oliva gloria ejus, et odor ejus sicut libanus. » {Os., xiv, i, 6 et 7.)

(2) Sacy, Commentaire sur Osée.

(3) M. le comte de Bastard, dans sou Rapport sur une crosse trouvée à Tirnn , a développé son travail jusqu'à en faire, par la variété et le

DES CHMMTEUX. 341

dant répandu très-fréquemment du onzième au quinàènic siècle. Il est peu d'éf^^lises dans lesquelles la décoratio!i joue quelque modeste rôle ne se voie une figure d'Iiomme apparaissant au milieu d'un feuillage touffu. Quel mystère est caché sous cette singularité inexpliquée ? Un passage de S. Ambroise nous a fait penser à Zacliée monté sur le sycomore pour voir passer le Sauveur ; et , en effet , dans la plupart de ces représentations , le petit homme qui surgit de cette végétation lapidaire dénote par ses traits une vive attention, et de ses mains se cram- ponne fortement aux branches qui l'entourent : évidem- ment, il cherche à voir un objet quelconque, et cet objet est le Christ. Or ce Zacliée, dit le docteur de Milan, prenait place déjà, par l'élévation de sa foi , parmi les fruits des œuvres nouvelles. La fécondité des siennes paraissait déjà dans celle de cet arbre. Le Sauveur était venu pour faire naître des liommes de l'arbre do la croix, et non plus des fruits ordinaires (^ ) . Ceci s'explique encore par un passage de Bède sur le même fait évangélique : « Zacliée, dit-il, signifie justifié; il représente le peuple des croyants se séparant des Gentils en s'élevant au-dessus d'eux. Cette séparation est indispensable ; l'idée du sycomore se rattache d'ailleurs

nombre de ses observations, aussi bien que par de savantes notes^ un livre des plus intéressants et des mieuK raisonnes sur le symbolisme. Il refçarde ces hommes tenant les feuilles de l'arbre au milieu duquel ils surgissent comme une représentation du sage de l'Ecriture s'atta- chaut à l'arbre de vie et y trouvant son bonheur : Sapientia, lignum vilêp, est hU qui apprehenderinl Eam, et qui tenacrit Eam bealm (Sap., III, 18;. Rien de plus naturel que cette explication : le paradis terrestre existe encore ,en elfel, pour l'àme vertueuse, et plus celle-ci s'attache à l'arbre mystérieux, qui est l'Église, plus elle se félicite de la paix qu'elle trouve dans le saint usage de ses fruits. Voir Bulletin du comité de la l incjue, df l'histoire el des arts de la France, t. IV, p. 784. Paris, 1860.

(1) <( Zachaeus sublimi'ate fidei inler fructus novorum operum, velut fecunda altitudine eminebat... Ad hoc enim Christus advenit ut ex li- gnis non poraa, sed homiues oascerentur. » (S. Ambros.j In Lucavi) lib. Vni, sub fine.)

342 HiSTOir.K bi: syiMBOlisaie.

à celle du liguier, dont il est une espèce quoique sauvage. Cet ar])re prend un double rôle à l'égard des bons et des méchants : comme la croix, il nourrit les premiers de ses fruits pleins de saveur, et il devient pour les seconds un objet de dérision ou d'indifférence (1). Transitiondr ce Cependant cet homme dont nous parlons, qui surgit plein

sujet à lajiiandra- _ . , . , ii f t . i i ,

gore. de Vie et a mi-corps du sein d une loliation abondante , a

reçu maintes fois une variante qui des chapiteaux s'est transportée tantôt aux miséricordes des stalles , tantôt aux pendatifs des arcatures ogivales qui en décorent les hauts dossiers ou qui forment le soubassement des vastes façades de nos grandes basiliques. Là, souvent, une figure grima- çante, aux larges yeux animés, à la vaste bouche, aux joues ridées , s'épanouit an milieu d'une plante à feuilles dente- lées comme les chicoracées , et qui l'entoure comme une longue et épaisse chevelure. C'est la mandragore anthro- pomorphe, que les naturalistes anciens ont encore appelée pomme d'amour, d'après ce qu'on croyait de ses prétendues vprtus ei attri- propi'létés. Eu cffct , lls k croyaient bonne pour se faire

but^ cIb cette

plante. aimcF, ct l'cmployaient dans leurs philtres pour s'exciter à

cette passion. Julien l'Apostat écrivait à Calixène qu'il en buvait le jus dans ce dessein. Josèphe lui attribue entre autres vertus de chasser les démons, qui ne pouvaient sup- porter sa présence ni son odeur, et quittaient les possé- dés sur lesquels on s'empressait de l'appliquer. Ces faits, énoncés dans les auteurs compétents, indiquent assez que la mandragore figure dans notre imagerie à plus d'un titre , et soit comme le symbole d'un vice à éviter , soit comme

(1) « Mystice Zacliaeus^ qui inlevi^treiaitur jusiiftcatuSj credentem ex gentibus populum significat... Sycomorus... ficus fatua dieitur. Et eadem dominicacrux quœ credentes alit ut ficus, ab incredulis irridetur ut fatua.» (Bed., lib. V, JnLuc, cap. lxxvii.)— On peut voir S. Augustin d'accord avec ces pensées dans son Commentaire sur S. Luc, prope fivem: « Zachseus in sycomoro, novum videlicet temporis pomum, ut in hoc quoque compleretur illud : Arbor fici produxit grosses suos. » (Cant., II, 13.)

Oiseau dans les branches , co - lombe de la soli-

J)KS (MMPITKALX. 343

invitation d'une lorcc à se donner contre les tentations de la chair et de l'esprit. La Chine aussi a sa plante identique nommée gin-seng , et à laquelle les savants du pays attri- buent des vertus toutes particulières qui n'échappent à aucune de leurs encyclopédies (i).

Quelquefois, sur le sycomore Zachée a paru d'abord, vous voyez, au lieu d'une tète humaine, celle d'un oiseau, qui ^ , . « , ,

"i ^ ' 'A tude, signifiant la

est parfois une chouette, et semble reposer dans son nid, ^'^ "°»tive. tranquille spectateur de ce qui se passe au-dessous de lui, écliappant par la solitude aux agitations du monde : cet oiseau devient le symbole de la sagesse méditative (2). Ou bien c'est la tendre et innocente colombe réfugiée à tire d'ailes vers les hauts lieux elle cache ses petits, et qui gémit dans son exil de la terre (3). S. Méliton indique en effet la tourterelle comme le symbole de la chasteté qui craint les regards et exprime les gémissements des âmes saintes (5). Rien donc que de bien conforme aux pensées de l'Éghse dans ceux qui ont placé de tels symboles aux approches du sanctuaire l'homme semble se rapprocher davantage du Dieu qu'il y cherche, l'âme plus recueillie se livre à de plus profondes et de plus douces méditations. C'est qu'est la vie unitive; c'est elle qu'on retrouve sous ces emblèmes aussi touchants que mystérieux, dont l'étude, on le voit, ne manque pas plus de charmes que d'attraits.

Mais que dire de ces entrelacs si nombreux et si variés qu'on rencontre si fréquemment sur les chapiteaux les plus anciens , à l'état rudimentaire, n'offrant d'abord à nos re- gards qu'un ornement sans importance, et dont on ne soup-

ires entrelacs des chapiteaux, et leur» variété.^.

(1) Cf. Dom Galmet , Cunimenlaire littéral sur la Genèse , ch. xxx. V. 14.

(2) « Factus sum sicut nycticorax in domicilio. » (Ps. , ci, 7.) « Medi- labor ut colouiba. » {Is., xxxvjii, 14.)

(3) « Ecce elongavi fiigiens, et mansi in solitudine. » {Ps., liv, 8.) « luvenit turtur uidum sibi ubi ponat pullos suos. » {Ps., lxxxiii,3.)

(4) « Turtur caslilatem, vel gemitum Sanctorum siguificat.» (S. Melit., Clavis, De Avibus, cap. xi.)

341 HISTOIRE bi: SYMBOLISME.

çonrierail pas le sens ; dont ia simplicité ne llatte les yeux que par des enroulements plus ou moins agréables, mais qui, à mesure qu'on s'avance vers la belle époque, devien- nent de jolis dessins, de véritables rubans mêlés de perles, de tresses et de guirlandes qui se croisent et s'élancent avec autant d'iiarmonie que de régularité? Là, direz-vous sans doute, le symbolisme fait place à une idée moins pro- fonde, et le sculpteur s'est contenté de jeter sur sa corbeille un tissu quelconque, dont le mérite est d'en cacher la nu- dité. Mais il en est autrement si vous contemplez les entre- lacs formés par les enroulements symétriques des queues de léopards ou de lions, s'ils enveloppent de leurs contours des oiseaux fantastiques aux têtes de serpents ou de griffons qui s'y joignent : alors reconnaissez à ces traits l'hérésie, hostile à Dieu, à son Église et à ses enfants. Ce sont ces sectes rebelles excommuniées par Grégoire IX et Innocent IV, (( lesquelles, sous quelques noms qu'elles se produisent, ca- thares, pauvres de Lyon, arnaldistes ou autres, se revêtent de faces diverses , mais s'unissent en réalité par les plis de leurs queues et s'entendent très-bien à épancher les vaines théories de leurs erreurs (I). » C'est le treizième siècle qui s'exprime ainsi par la plume de deux de ses grands doc- teurs; au douzième, nous avons vu S. Bernard attribuer à des hérétiques entêtés le même caractère et des symboles semblables (2). Donc, pour tout homme de bonne foi il n'y a plus moyen d'attribuer à des caprices sans valeur ces figures demeurées jusqu'à présent sans explication. N'est-ce pas

(1) Cf. l'abbé Lecanu, Ihsioire de Salan, p. 268 et suiv., in-8", Paris, 1861.

(2) « Excommunicamus et auathematizamus iiiiiversos haerelicos, Ca- tliaros..., Pauperes de Lugduno..., Arnaldistas, et alios quibuscumque censeantur : faciès quidem habeiites diversas, sed caudas ad invictm coUigatas, quia de vanitate conveniimt in idipsum. » (Décrétai., lib. V, lit. Vil, cap. XV, Greg. IX; et Innocent. IV, In Sexl. lib. V, tit. m, cap. II, mihi, Décret., p. 1834.) -Voir aussi Densinger, Enchiridion symbolorum et definitionuin, in-12, Wirceburgi, 1856, p. 162.

DEvS {:h.vpitk\i\. 3/«:i

siu" beaucoup de nus cliapileaux (jiie ces paroles soiil copiées, ou bien ces paroles n'ont-clles pas inspii'é beaucoup des ouvriers qui, à cette époque, se sont plu à les reproduire avec des ^ariantes qui se manifestent dès lors sous des ca- prices de i'ornies si irrégulièrement fécondes? et quand les Papes du treizième siècle ont représenté les tortueuses façons de l'hérésie avec ces caractères si décisifs, pouvaient- ils ne pas faire allusion à ce type, déjà vulgarisé depuis longtemps, du mensonge liypocrite et de ses perfides efforts ? Si de ces étonnantes images, maintenant devinées, nous ij^norancc de

certains savants

passons aux grotesques peu connus encore, et si souvent en fait de religion attaqués par les petits de la science comme inexplicables ou ridicules, nous étonnerons .bien davantage en assignajit à chacun son rôle propre, et démontrant qu'il n'y a en eux , non plus que dans les plus simples, rien qui ne tende à im ])ut avéré. Ainsi, avant de dire, comme le Comité des arts et monuments dans ses Instructions, que « ces motifs étaient intligés par la théodicée bizarre et raffinée du moyen âge (I), » il aurait fallu bien comprendre les éléments mêmes de cette théodicée, exposer sa propre doctrine sur Dieu et savoir quel enseignement on opposerait bien sur ce sujet à celui des théologiens de ce moyen âge si orgueilleu- sement dédaigné. Pauvres connaisseurs! qui croient savoir leur moyen âge dont ils voudraient faire leur chose, et qui n'ont jamais su comprendre que cette belle époque delà religion et de l'art avait sa manière à elle, son école plasti- que ou chronographi(iue, s'enseignait la manière de représenter les mystères et les dogmes de la religion ! Ne serait-ce pas à ces demi-savants qu'il faudi-ait reprocher plutôt un raffinement de critique audacieuse puisée dans les préjugés qu'ont accumulés, dans certains esprits, les théo- ries du calvinisme, du jansénisme et du philosophismc? Ne

(1) ln-4", (t. 35, 82-84. Cette rédaction est de M. Mérimée.

346 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

sont-ce pas eux qui ont perdu ou abandonné, jusqu'à n'en plus rien savoir, les traces vénérables de la vérité artistique et la simplicité naïve de la foi de nos aïeux ? Quelles études ont-ils faites de ces emblèmes, si difficiles à tout autre qu'au chrétien, de ces énigmes dont l'obscurité ne disparait qu'à la lumière de l'Évangile? Quand ont-ils passé une seule de leurs nuits à méditer les rapprochements possibles entre les éléments de nos sym])oles parfois si éloignés les uns des autres, et toujours rapprochés dans un but sacré de sainte propagande et d'ardente évangélisation? Méthode (lin C'est pour n'avoir rien appris de ces principes que nos

tuilion pour cps

'Hudes, aussi diiii- scigucurs dc la prétendue science moderne se sont hasar-

ciles que sérieuses.

dés à des dissertations plus grotesques sans contredit que beaucoup des symboles qu'ils calomnient. Pour nous qui analysons ces figures de sang-froid , dans le calme d'études attentives et prolongées, nous en cherchons la pensée intime et nous la découvrons à ses vraies sources. Nous distinguons, à la faveur de cette méthode, les époques de l'art, les livres qui l'ont inspiré, l'action de l'Église dans tous les temps, et son active surveillance sur ses propres affaires, dont aucunes jamais ne lui furent plus importantes, nous l'avons prouvé, que la construction de ses temples et leur embellissement. Revenons un peu sur ce triple sujet d'observations. i/inspiration e - Quaiit aux époqucs dlvcrscs oîi l'ai't a jeté ses radieuses Idon*^"L "SèSes expansions sur la pierre des chapiteaux et des modillons , ou sur le bois des stalles aussi bien que sur le parchemin des manuscrits , nous n'entendons pas juger ici ces phases différentes par le mérite graphique et sculptural des œuvres du talent ou du génie : nous voulons parler uniquement du genre d'inspiration qui souffla sur l'artiste pour faire éclore de ses mains les images plus ou moins mystérieuses que nous lui devons. C'est une remarque indispensable au juste discernement des motifs traités par lui. Les onzième et dou- zième siècles, en effet , sont tout hiératiques et restent dans une gravité qui n'exclut ni la variété des sujets ni la richesse

qu'elle trayerse.

DES CHAPITEAl \. 347

de riniagination. Les deux siècles suivants ne conservent pas sans (luelque niodilicalion ce double caractère. Le champ se recueillent les chefs-d'œuvre lapidaires du symbolisme s'est élargi. A côté des écritures sacrées, de riiistoire du peuple de Dieu , une littérature nationale s*est faite, les artistes laï([ucs sont arrivés, et de ces deux sources nouvelles ont surgi des idées non moins instructives , non moms intelligibles, mais parées d'une sorte de dehors pro- fane et tout d'abord moins convenable, en apparence, à la sainte austérité des leçons divines. Mais, en fait et sous ce revêtement inusité, on aperçoit le fond de la pensée chré- tienne, et l'on voit bien que, si le ciseau devient l'interprète des poèmes et des fabliaux, c'est toujours au profit du déca- logue, dont le texte vit à travers ces voiles diaphanes.

La période triséculaire qui s'écoula entre l'an 1000 et les «.iie période du premières années du quatorzième siècle est certainement la STrîiè sî^cir* plus remarquable depuis l'origine du Christianisme, quant à la science théologique étudiée sérieusement dans les mo- nastères, et aux aptitudes qu'elle enfanta : c'est le temps des Pierre Damien et des Anselme de Gantorbéry, des Gra- tien et des Pierre Lombard, des Albert le Grand et des Tho- mas d'Aijuin, des Bonaventure et des Vincent de Beauvais. Ces beaux génies, familiarisés avec les plus hautes études de leur âge, pouvaient en concevoir le mysticisme, lui appli- quer les mystères des sciences pprdues aujourd'hui , telles que la cabale et la gnose, ceux même de la philosophie an- tique, dont quelques Pères , philosophes avant d'être chré- tiens, comme S. Justin et S. Clément d'Alexandrie, avaient laissé les traditions dans leurs ouvrages. On avouera que c'étaient d'immenses ressources applicables à l'icono- graphie, et que cette variété de connaissances encyclopé- diques ne put demeurer étrangère à l'art chrétien, non phis qu'à l'enseignement théologique. Ce n'est pas à dire, avec Action des scien-

, ' ccîs et de la dcmo-

un auteur moderne qui I a suppose trop gratuitement , que noio-ie sur la

, . , , . , " , sculpture de ce

des sectes cachées conservant les croyances et les mœurs temps.

348 HISTOIRE DL SYMBOLISME.

des giiustiqucs se soient appliquées à eu reproduire les er- reurs en influençant la main des artistes de ce temps : ce n'est qu'une supposition sans valeur aucune. Une telle supercherie était impossible sous les yeux vigilants qui pré- sidaient à leurs travaux. Origine des H- Mals, daus Ics cxagératious dogmatiques de ces hérésies,

"•ures bizarres . ,. .. i , «t i -

d'hommes et d'ani- qui, tout cu S Hitiltraut au uiilieu des erreurs contempo-

iiiaux répandues . .,!• i r ■^^ xi x «x

dans les nefs de rauics, avaicut bicu pcrdu réellement leur autonomie et uoscghses. ^^^^^^ ^.^ propre, on trouvait des représentations du mal ,

des expressions vives du péché, des souvenirs écrits des mauvais vouloirs et des instincts les plus blâmables du cœur humain : c'est l'origine véritable de tous ces masques d'hommes ou d'animaux qui se partagent, sous des traits si divers, l'espace abandonné aux sculpteurs soit pour les modillons des vastes murailles , soit pour les corbeilles des chapiteaux. Tant de grimaces et de contorsions , quand elles n'accompagnent pas certains signes évidem- ment démoniaques, lesquels ont encore là, nous le verrons, leur raison d'être , indiquent sans aucun doute les mille hérésies qui se sont disputé le monde spirituel depuis l'ap- parition du Christianisme. Ce sont celles dont Grégoire IX et Innocent IV disaient tout à l'heure l'excommunication. Ces princes des impies sont comme « fixés à la pierre , écrasés sur ces rocs, figure del'Éghse, pierre fatale qu'ils, ont voulu ébranler et qui les broie (^). »

Ces doctrines coupables, qui induisaient les âmes dans les plus grossières erreurs, tenaient aussi de la magie et rentraient dans celles de la cabale, qui était la philosophie occulte des Juifs, hostiles à l'Église dès son berceau. Ces chimériques recherches, toutes fondées sur des calculs erronés et de fausses traditions, n'étaient que des inspira-

(1) « Absorpti sunt juncti pétrie jiidices eorum.» {Ps., cxl, 7.)--Voir, sur ce passage et la iidèle interprélation que nous en donnons ici, Ge- uebrard, Co}niiu'?ilariuin in psalinus; et Berilùer , Notes ti réflexions sur Us psaumeSy in h. loc.

DKS CIIAIMTKALX. '^ V.)

tions diaboliques propres à détourner les hommes de la Vérité par essence, et, si les docteurs catlioliques du moyeu âge, guides inCaiHihles de l'art religieux , n'y virent qu'un fécond élément d'instruction populaire et de pures allé- gories dont le but était de dénoncer le mal et ses fauteurs , il est vrai cependant que les plus fortes têtes, à l'expi- ration du moyen âge, ne cessèrent pas d'y croire et d'en professer la valeur. Trithème, à la fin du quinzième siècle, fut l'un de ceux qui mirent leur confiance dans un art cabalistique dont quelques formules magiques pouvaient procurer la connaissance. Au seizième, Pic de laMirandole, dans sa fameuse thèse De omnire scibili, soutint un nions- ' trueux assemblage de toutes sortes de propositions tirées des livres cabalistiques. Reuchlin, qui, tout en demeurant catholique, subit quelques influences du protestantisme, cl vit condamner à Rome son traité De Arle cabalistica et ses trois livres De Verbo mirifico , avait agencé une foule de rêveries , d'après celles des rabbins, qu'il avait trop suivis {\). Or ces savants n'avaient pas inventé leurs fausses et r^a cabaip «t

. ..,-..,, . l'astrolog-ie plus

séduisantes théories ; ils n en étaient que les continuateurs, ou moins judi-

1/ ^ll•^ ^ Il 11» \ 'îiaii'e y laissent

et leurs idées saluèrent souvent a celles de 1 astrologie peut-être aussi judiciaire^ si fameuse de leur temps , et qui , beaucoup plus ancienne aussi , a pu laisser , nous ne le nierons pas absolument , quelques traces jetées par des savants de bonne foi dans cette foule d'étoiles, d'astérisques et autres phéno- mènes célestes qu'on voit encore sur nos plus vieux chapi- teaux des églises romanes. On conçoit, en effet, que, l'idée de Dieu, de la création, des études bibliques, étant insépa- rable de telles conceptions, qui en naissaient même comme de leur source plus ou moins comprise, ces savants à ima- gination mobile et ardente ont pu s'y arrêter comme à autant

(1) VoirPluquet, Dictionn. des hérésies, cabale; Au(3iu , iJiH. de Lcun X, II, 243, 249 et suiv.

leur empreinte

3o0 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

(le symboles propres à représenter les attributs de Dieu , son action sur le monde matériel et sur celui des intelli- gences. En avait-il été autrement des Pères eux-mêmes, qui acceptaient dans le môme but les erreurs populaires d'Aris- (ote , de Pline et de Platon sur la métaphysique et sur les merveilles de l'histoire naturelle? Lors donc môme qu'on n'aurait pas toujours la clef de ces figures si variées de ca- ractères et d'expressions, de ces horribles laideurs qui les distinguent de remarquables beautés placées à côté d'elles comme un contraste significatif, on aurait assez de ces don- nées de la science pour n'être jamais autorisé à taxer d'in- signifiante cette suite parfaitement calculée d'images sérieuses, trop pleines de sentiments pour n'être pas imbues d'une vérité. et jusqu'à la luy- IJuc autrc preiivc de cette influence des époques sur l'art

thologie païenne . ^ ^

qui S'y rattache, coutemporaui, qui s'y pliait tout en servant la religion, res- sort évidemment de ce qui se passa en ce genre vers la fin du quinzième siècle, et ne fit que s'accroître pendant toute la durée du suivant, avec le renouvellement des études grecques et romaines. On vit l'idée païenne, patronisée sous toutes les formes, envahir la httérature et les arts, et forcer les répugnances de ceux-ci, jusqu'à leur imposer les poé- tiques absurdités de la mythologie. On sait les travaux d'Hercule à la cathédrale de Limoges et à Saint-Michel de Dijon, le tombeau de l'évêque Jean Olivier dans la cathé- drale d'Angers, et tout cela se reproduisant au même titre dans les chapiteaux, qui n'auraient jamais s'en souiller, sous la forme d'arabesques, d'animaux capricieux ou de figures humaines. Il est vrai que, sous ces formes fabuleuses, pouvaient bien subsister, en certaine mesure, des intentions chrétiennes, et que l'Hercule, par exemple, qui figure encore dans la première église du Limousin, peut être con- sidéré comme symbole de la force, dont la foi nouvelle a fait une vertu cardinale ; ces travaux du héros, douze fois vainqueur d'obstacles jugés insurmontables, symbolisaient

DES CHAPITEAUX. 3:^1

évidemment pour la philosophie antique Ténergie humaine aux prises avec la nature et la domptant par son courage. Et le Giiristianisme, que demande-t-il de plus à l'homme entouré des mille tentations de la vie du monde et toujours assez fort par la grâce pour en triomphei- chaque jour? Mais ce n'était pas moins une condamnahle hardiesse de remplacer ainsi la doctrine des Pères par les enseigne- ments d'Ovide et de Lucien, de les reproduire en scènes peu chastes dans une église, et d'ouvrir ainsi la carrière à ces hordes de folles idées qui devaient envahir le domaine divin. De trop prochaines conséquences le firent bien voir. La fantaisie succéda bientôt à ces grossièretés impies, les égarements de l'imagination s'emparèrent avec une audace sans frein du champ le symbolisme chrétien n'était plus admis; puis bientôt l'art grec, triomphant partout avec ses froides conceptions, ramena avec lui, pour suprême expres- sion du symbolisme religieux, ce chapiteau corinthien dont la beauté originelle était si peu faite pour patronner un mé- lange bizarre autant que varié de motifs sans valeur ni convenance.

A propos de ces capricieux essais du ciseau qui s'évertue, sens véritable, quand apparaît cette décadence de l'art, à ne plus donner JSmofns'Mvoies que des futilités inexplicables, il faut bien se garder de les !?ences^"'^'* *^^* confondre avec une foule de sujets très-sérieux dont la signification a pai'u très-peu symbolique d'abord, et que nous devons néanmoins signaler comme tels. Tout en avouant que beaucoup de modillons et des chapiteaux du quatorzième siècle appartiennent bien plus à l'ordre des choses naturelles qu'à celui de la théologie mystique, on d(jit reconnaître aussi qu'un très-grand nombre ont été regardés plus tard comme de simples jouets d'une pensée arbitraire, qui ont cependant leur sens profond, dont on n'a pas suffisamment étudié l'origine et le but : c'est ainsi qu'en se plaignant du renard qui prêche les poules à Saint-Ger- raaiii-des-Prés de Paris, du singe habillé en moine el qui

352 HISTOIRE l)V SYMBOLISME.

joue de la viole à Notre-Dame de Saint-Lô, et de beaucoup d'autres non moins choquants en apparence, on retrouve, pour peu qu'on le veuille bien, le zèle iiypocrite de Fhé- t'ésie à s'attribuer la parole de Dieu, ou les futilités du monde qui se mêlent en trop de gens aux habitudes extérieures de la vie chrétienne. On n'a donc vu que le côté naturaliste de ces faits plastiques, au lieu d'en considérer le sens intime, qui n'échappe plus à personne d'instruit.

A ces observations générales, nous pourrions, on le voit hien, ajouter une foule de détails qui ne feraient qu'en main- tenir l'évidence en les confirmant de plus en plus. A défaut d'un plus large développement, elles indiquent du moins un curieux sujet d'études auxquelles de nombreux volumes s'ouvriront au besoin, et c'est ce qu'il nous faut indiquer rapidement, comme notre second moyen de discerner le tra- vail que s'imposa le moyen âge en faveur de sa doctrine symbolistique. Comment les é- Ou s'cst malutes fols étonué de n'avoir rencontré dans les mS dT^'moyeu rccherches suivies des livres techniques de cette époque 2nsnv"S^eeS aucuiie théorie du symbolisme indiquant aux adeptes une 'î"'^'- règle de faire, une méthode de composition. Mais de quoi

eussent donc servi de tels livres quand les ouvriers ne sa- vaient pas lire, comme le prouvent beaucoup de fautes sur des inscriptions qu'ils savaient à peine mieux imiter que copier, quand les clercs seuls disposaient, en les leur dictant, des sujets à sculpter à peindre? Les manuscrits peints et dorés par les calUgraphes des monastères et des univer- sités suffisaient, par leurs innombrables images, à formuler toute la partie spéculative du symboUsme, et nous savons qu'ils ne s'en faisaient pas faute. Le livre ^rt^ Là, cu cffct, 11 u'y avalt qu'à regarder pour imiter sûre- phiie'"'""' ^"'"" ment; mais il n'en fut pas ainsi de la peinture murale, à qui des règles positives devenaient indispensables quant à la variété de ses procédés, aux exigences des légendes et des traditions. O'ost pourquoi le moine qui, vers le douzième

DKS CHAPITEAUX. 353

siècle, se donna le nom syml)oli(]iie de Théophile, écrivit son curieux Traité des arts, dont la moitié se réduit à des recettes soit pour ohtenir, quant à la peinture, les couleurs et les difTérents effets qui en résulleut, soit pour le bon emploi des instruments mêmes de l'artiste (I). Nous ne par- lons ici que de cet objet, quoique daus ce beau livre, la foi n'est pas moins rcmarqual)le que le génie, tous les arts, comme ledit son titre {Diversarum artium.scJiedula), soient tour à tour éclairés, au profit de l'Eglise et de son culte, de tous les enseignements qui inspirèrent tant de chefs-d'œu- vre pour nos tabernacles et nos verrières. Les premières années du quatorzième siècle virent aussi un moine ano- nyme donuei', à la suite de Théophile, qu'il cite souvent, une sorte de compilation qu'il intitula Lumen annnœ : c'était le même but, avec moins d'étendue mais autant de détails techniques. On voit bien que la sculpture, plus simple dans ses moyens, se devait contenter de données plus nettes et plus précises; toutefois il lui fallait des sources comme à tous les arts d'imagination, et ces sources s'ouvrirent pour elles non moins larges, non moins pro- fondes. En outre des Pères et des éciivains ecclésiastiques dont ces ouvrages

doctrinaux rem -

nous avons démontré l'influence etle crédit tout-puissant sur placés par laiitui»

les conceptions artistiques, le monde savant eut d'autres

docteurs adonnés aux méditations de la philosophie catho-

li(iue, et dont la sculpture sacrée profita à certaines époques

pour agrandir le champ de ses doctes méditations. Puis

vinrent les écrivains liturgiques, qui, en dissertant sur les

cboscs du culte public, en développèrent les raisons et se-

mèient à pleines mains les gracieux symboles qui nous

charment encore dans leurs hynnieset leurs séquences. La

poésie ne manquait pas dans ces belles compositions, et ses

(1) V Essai sur les divers arts a et»'* traduit avec le texte latin en re- gard par M. de l'i^^scalopier^ iii-4", Paris, 1843. Ce livre est précédé d'une excellenle introduction par M. Giiichard.

T. m. 23

354 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

créations, aussi riches que variées, s'élancèrent bientôt de leurs livres aux modillons, aux clefs de voûte et aux cha- piteaux. Nous avons vu Durand de Mende et Vincent de Beauvais: ajoutons, à propos de celui-ci, que toutes ses in- ductions des faits historiques de la Bible se retrouvent en mille sculptures de la cathédrale de Chartres. S. Thomas d'Aquin, Adam de Saint-Victor, ne furent ni moins féconds ni moins ingénieux dans l'enthousiasme de leurs chants sacrés. Influence de Mals uuc voix cucorc incounuc , en ce qu'elle n'était

Dante sur l'orne- ^

mentationdestrei- l'écbo dc pcrsonue ct qu'uu fféuic tout personnel inspirait,

zieme et quator- x t, j i

zième siècles. à k fiu du treizième siècle, Dante, la gloire de Florence et la plus sublime expression de la poésie de ce temps, devint surtout Torgane dusymbohsme chrétien, et eut ce bonheur que ses chants furent mis en images impérissables par les sculpteurs et les peintres de la phis belle époque de l'art. Après avoir analysé au point de vue général l'ensemble symbolistique des compositions de ce grand génie (^), il est à propos de faire observer ici quels détails pleins de vie il a fournis à notre décoration monmnentale. Sa magnifique trilogie semblait faite pour inspirer les artistes de nos églises gothiques, et, dans la longue exposition des motifs prodigués de toutes parts à leur enceinte, il serait difficile de ne pas reconnaître des épisodes nombreux- empruntés au Paradis, au Purgatoire et à V Enfer. Pour ne citer que le Purgatoire, ne voit-on pas apparaître sous le voile de mystérieuses allégories, au chant xxix, les Patriarches vêtus de leurs robes blanches , les vingt-quatre Vieillards c\)u- ronnés de lis, le Tétramorphe évangéliqae, l'Éghse figurée par un char à deux roues que traîne un griffon, c'est-à-dire Jésus-Christ symbolisé dans ce mystérieux animal avec sa double nature d'aigle et de lion ? Le chant xxxii exprime les persécutions souffertes par l'Église, dont les cruels en-

(4) Voir ci-de3sus, t. II, cli. x'viii, p. 663 et suiv.

DES CHVPITKAUX. 355

nemis revotent enseinl)le ou (oui- à tour les loimes inat- tendues de l'aigle, du renard, du dragon. Que de fois beaucoup se sont ari'ctés devant des murailles trônent sur des chapiteaux ou des niodillons ces bètes terribles, sans qu'un souvenir de cette littérature brillante leur ail divulgué le mystère de ces représentations étranges ! Aux chants \\i, wii et xxv, ne reconnaissez-vous pas ces démons « féroces d'aspect , » aux défenses de sanglier, aux ailes de chauves-souris, ces damnés aux dents qui grincent, ces grenouilles se tenant à Weuv d'eau, et mille autres motifs empruntés aux mêmes livres et rappelant les déplorables allégories de l'éternité des méchants? Et, si nous pouvons dire avec le regrettable interprète de Dante, Frédéric Ozanam, a qu'au treizième siècle la poésie n'était pas réfugiée dans le cœur du citoyen de Florence, mais (jn'elle était partout (1), » le symbolisme qui prétait tant de richesse à cette poésie était donc partout aussi, et ne dépassait pas la portée des plus ordinaires intelligences. Ce n'était donc pas dans le but de faire comprendre aux savants du dix-septième siècle ces éloquentes paraholes que Flo- l'ence fondait, en l()73, une chaire de son Université pour l'explication de ces beaux poèmes (2). Alors encore, la science des choses saintes les révélait aux doctes du monde : il s'agissait, dans ces leçons puhliques, hien moins du côté religieux de La Divine Comédie que des personnages allé- goriques dont l'identité importait à l'iiistoire, et de recon-

(1) Cf. Oziinam , Dante pL la PhUosophie catholique au treizième siècle^ p. 326, in-S», Paris, 184ï. Quelques auteurs catholiques, nous le savons, ont accusé le poète d'erreurs religieuses et de passions contre queUfiies papes de son temps. .Mais ces reproches tombent, dans ce qu'ils ont plus considérable, pour peu qu'avec Ozanam on observe de {très les passages qu'on incrimine le plus. Qu'on lise surtout les cha- pitres V de la troisième partie et i de la quatrième , et l'on se réconci- liera aisément avec le poêle, qui put se tromper en quelques thèses philosophiques, mais qui demeura toujours sincèrement attaché à l'or- thodoxie catholique.

(2) Voir Binqr. univ. deMichaud, Dante.

336 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

naître, a l'aide d'études patientes et raisonnées, sous quels noms y étaient cachés les partis qui se disputaient l'Italie à la suite de l'Empire ou de la Papauté. Ce qui le prouve de reste, c'est que l'art italien eut aussi dans ses églises go- thiques, ruinées plus tard par les guerres, ses modillons et ses chapiteaux dantesques. Il n'y a pas à douter que les figures contournées qu'on remarque surtout dans les mo- numents de la Sicile ne soient pour représenter les intentions du grand poète {\]. Lutte énergique II cst vral qu'à l'époque cette nohle idole des Italiens temps'^J?ntre*')'en^ joulssalt d'uuc tellc voguc qu'ou chcrchalt de préférence

vabissement lai- ,. ,i ,, ,. .•-• ii-- »

que des francs- cu lui scul Ics decoratious artistiqucs, le laicisme s empa- maoons. ^^^^^ ^^.^ dcs coustructions sacrées, et la franc-maçonnerie

faisait irruption dans le domaine de rËghse, elle pré- ludait à hien d'autres oppositions que nous y avons vues et d'une tout autre importance (2). Mais ce n'était encore qu'une immixtion sans victoire définitive : le clergé, luttant avec énergie, ne cédait rien de ses droits ; il continuait de les exercer sur les matériaux qu'il spiritualisait; il mainte- nait donc sa suprématie séculaire, il dirigeait le crayon, il animait la pierre, il tenait ouvert le livre de Théophile sous les yeux de ses peintres, et le symholisme ne perdait, rien de l'action qu'il lui avait toujours imprimée. Gene- hrard raconte (3), à ce sujet, un fait curieux qui caractérise trop hien le temps il se passe et le crédit ahsolu que le clergé gardait encore sur les choses de l'art pour n'être Pierre de cu- pas rapporté ici. Pierre de Gugnières , dit-il , avocat

ïrjiîpfAg (ij son

marmouset. ' général au parlement de Paris, plaida en 1325, devant Phi- Uppe de Valois, en faveur du droit absolu des rois sui- l'ÉgUse, contre Bertrandi, évêque d'Autun, et Pierre Roger,

(1) Voir Gally-Kuight, Excursions en Sicile, ch. vu etxxii; BulL monum., \, p. 125 et 215.

(2) Voir ci-dessus, p. 59 et suiv.

(3) Chronogra'pliisd lib. IV, ad ann. 1329, in-f» , Paris, 1580; cité dans l'Univers, feuilleton du 27 mai 1847.

DKS CHAIMTKMX. 3:>7

arcliovèque de Sons. La victoire resta aux défenseurs de l'E^iise et de la liberté ; le roi répondit aux évoques protes- tant de leur attaclienient in\iolablc, et jusqu'à la mort même, aux principes de l'Église , « qu'il ne donnerait à personne l'exemple de la molester... » Le clergé et le peuple mirent la statue de Philippe au portail de la cathé- drale de Sens, tandis qu'une tète en marmouset, sous les traits de Pierre de Cugnières, grimaçait sous les murs de Notre-Dame de Paris, « attirant les mocqueries des clercs et des écoliers. » Le clergé alors était donc encore dans la plénitude de ses droits. Si la satire dont l'époque reflétait les tendances nées des agitations publiques trouve sa place dans ces énergiques protestations, elle n'en pronve que mieux à qni appartenait la direction des idées et que les choses de l'Église ne se faisaient qu'aux mains de ses maî- tres et de ses docteurs. Ceux-ci étaient donc les seuls juges de la méthode interprétative, les livres vivants ou les échos des livres écrits d'où sortaient les enseignements et les symboles. Donc encore, quelque étranges que puissent nous paraître aujourd'hui certains faits plastiques dont le sens nous reste muet, nous découvrons çà et là, par l'étude ou par la réflexion, ce qu'il faut en penser; les figures les plus insolites en apparence s'expliquent; le mystère s'ef- face pour laisser place à l'évidence, les ténèbres devien- nent le jour; on conçoit que tous les êtres peuvent avoir été réunis en un vaste concert pour rendre hommage à Dieu, à l'idée religieuse, à leur impression sur les sens et l'ima- gination de l'homme, et rien ne semble plus vrai, après ces intéressantes découvertes, que la pensée que nous avons déjà citée de S. Denis l'Aréopagite : « C'est louer Dieu digne- ment que d'embrasser dans sa louange tous les résultats de la création, pourvu que nous les considérions toujours dans leur rapport \érital)le avec lui. »

La suite de nos dissertations va nous faire briller ces ])rincipes d'une lumière nouvelle.

GHAPiTliE X,

DEMONOLOGIE.

Objet de ce ciia- Nos modiUoiis et nos chapiteaux, en tant qu'ils se prêtent à reproduire la vie mystique de l'ange infernal, n'offrent, dans les proportions rétrécies de chaque scène, que des pa- ragraphes très- in suffisants de son histoire générale. Il s'en faut que ce soit tout ce- que l'art nous en peut donner, tout ce que peut représenter l'action incessante de cet ennemi acharné de la race humaine. D'autres actes, aussi nombreux que suffisants, se rattachent encore à ce grand drame de notre vie spirituelle, et il faut les hre et les étudier, il faut les comprendre afin de pouvoir, au besoin, les ex- pliquer. Ne sont-ce pas autant de chapitres encore ignorés de la Bible, des légendes sacrées , des catéchèses popu- laires? Nous avons tracé rapidement déjà l'histoire fatale du mauvais Ange et de sa chute éternelle (I) ; nous l'avons retrouvé ensuite plus d'une fois dans l'Apocalypse accom- plissant son incessante et cruelle mission sur la race perdue des impies et des prévaricateurs (2). Voyons maintenant quelques-unes de ces vastes pages il se révèle sous tant de formes , et, soit par l'exposé de sa vie plastique, soit par les multiples inductions qui en peuvent naître, complétons tout ce que la théorie de l'art cathohque a pu nous ap- pi'endre de ses innombrables étrangetés.

Le démon si- Avaut dc moutrcr les gravures sur pierre consacrées à la

(1) Voir ci-dessus, t. I, ch. x, p. 247,

(2) Voir t. II, ch.ix, sur les ch. xn, xni et xiv de l'Apocalypse,

teres

DÉMOAOLOCilK. 350

mémoire de l'Ange maudit, il est bonde remonter aux smaié paries Apô-

^ très sous diverses

sources de ces inspiiations visibles, afin d'en déduire plus former et carac irrévocablement l'application dans le domaine de l'art. La révélation de S. Jean nous le représente sous mille aspects tout divers et propres à dévoiler clairement ses multiples malices. Toutes les images les plus terribles et les plus dégoûtantes y expriment ses intentions perfides et ses con- tinuelles persécutions sur l'iiomme et sur la société : c'est le dragon qui cberclie à dévorer le Fils divin de la femme bénie entre toutes (I). Un grand combat se livre entre lui et l'arcliange S. Micbel, qui le terrasse avec ses satellites et l'exile du ciel avec eux : c'est le môme que cet ancien ser- pent que tous les âges ont appelé le criminel et le calom- niateur, l'adversaire acharné, Diabolus, Satanas [2).\Jdi- pôtre S. Jude, parlant du respect sur la terre aux auto- rités constituées de Dieu, rappelle aux fidèles du premier siècle une autre altercation qui s'éleva plus anciennement, après la mort de Moïse, entre ce même Diable qui veut faire ensevelir le corps du Patriarche sur le mont Nébo, aux yeux de tout Israël, qu'il espère amener par à l'idolâtrie, et ce même Michel qui, pour éviter ce malheur, soustrait les restes vénérés à la connaissance des hommes (3). Cette même bête à sept têtes et dix cornes (4), elle devient la mon- ture féroce de l'idolâtrie personnifiée dans une audacieuse prostituée qui tyrannise l'Église et ses Saints. Les ravages

(1) « Ecce draco maguus rufus... stetit ante muliereui...^ ut cum pe- perisset, Filium Ejus devoraret. » {Apoc.,\i\, 3 et seq.)

(2j « Michacl et Angeli ejus praîliabantur cum dracoue; et draco pu- gnabat, et angeli ejus , et non valuerunt ; neque locus inventus est ani- plius eoruui in cœlo. Et projectus est... serpens autiquus , qui vocatur Diaboius al Salarias..., et projectus est in terram. » (Apoc, xn, 1 el seq.)

(3) Voir Fromond, In Episi. B. JudcB commenlarium , v. 9; apud Migne, Sacr. Scripl. cursus couipL, t. XXV, col. 987.

(4) Ces assertions étant tirées de l'Apocalypse, aussi bien que beau- coup d'autres que nous allons citer, nous renvoyons à ce que nous eu avons exposé ci-dessus, sur les cli. ix et x de ce livre.

360 HISTOIRE DU SYMBOLISM!:.

qu'elle fait sur la terre en ouvrant le puits de l'abîme, les (léaux qu'elle suscite de tous côtés parla guerre, la famine et la peste, cette nuée de sauterelles dévorantes, de cra- pauds impurs, d'oiseaux nocturnes , tant d'autres motifs enfin, seuls capables de symboliser les actes et les inten- tions de l'infatigable ennemi du bien et delà paix, tout cela s'est traduit mille fois dans les tympans de nos églises et dans les bas-reliefs qui en décorent les façades ou les contours. fva?niVro''spTres" ^^^^^ profuslou d'iiiiagcs sur un tel sujet, qui tenait de si près aux pensées intimes et habituelles du peuple chrétien, entretenait dans toutes les âmes la croyance active au dé- mon et le soin de se gardei- contre ses mahgnes influences ; la peur en était grande parmi eux, et le nom môme de l'Esprit mauvais n'était jamais prononcé sans nécessité, à plus forte raison par manière d'imprécation et de blas- phème. Nos pères du treizième siècle étaient surtout d'une grande délicatesse sur ce point, et Joinville affirme de S. Louis que « jamais ne lui ouyt nommer ne appeler le déable, si n'a voit esté en aulcun livre , il le failHst nommer par exemple (1). » C'est dans ce môme esprit que les Pères de l'Église ont affecté de le qualifier du nom de mauvais, comme on le voit dans Tertuiïien, dans S. Gyprien, dans S. Paulin et dans S. Jean Ghrysostome. Celui-ci assure, entre autres, que si nous voyions l'épouvantable figure du démon, nous en serions si éperdus et si transis que cela suffirait pour nous ftiire perdre l'esprit et même la vie (2) : c'est l'Ange déchu, d'abord d'une beauté ravissante, et per- dant cette splendeur au moment le péché est entré dans son cœur et a perverti sa volonté. Ainsi la lèpre, qui défigure liorriblement sa victime , passe pour le symbole le plus (expressif du péché , maladie suprême de l'âme. Le péché

(1) Joinville, Mémoires.

(2) /npsalm. xli.

DÉMONOLOGli:. 3(vi

obscurcit les yeu\ de l'intelligence et l'aveugle, dit Isaie (I). De tant d'aveugles parmi nos sculptures; d'autre part, le pécheur est fou, sa folie perce visiblement dans le basard auquel il expose son éternité. C'est dans ce sens qu'il faut entendre le reprocbe de Moïse : Popule stulte et insi- piens (2). Ces pensées furent très-bien comprises dès les premiers Figures bibii-

^ *^ ^ qucs dont on un

jours de la foi ; aussi dut-on prémunir les cbrétiens contre fait autant de sym

J ' boles.

cet ennemi commun en enseignant de lui tout ce qu'il en fallait savoir, et, à mesure que l'art se développa chez les peuples formés par la civilisation nouvelle, lui-même dut contribuer à la propagande de ce dogme en lui vouant tous ses genres de démonstrations ; tous les monuments en par- lèrent. Ces sujets y devinrent si fréquents, si indispensables même, qu'on les rencontre partout avec le même caractère, et que les variantes qui s'y remarquent ne sont que des modifications de cette idée, mais toujours le type (Idèle de cette idée même. Il est remarquable que l'Écriture, qui a souvent revenir aux opérations diaboliques exercées sur le monde, s'est créé, pour les réaliser à nos yeux, une foule d'images toutes fîiciles à comprendre , et dont les ar- tistes n'ont fait faute de s'empai'er : c'est en cela que Dieu est l'auteur de l'art et qu'on l'outrage en le profanant. Les deux Testaments sont pleins de ces allusions instructives. L'aspic et le basilic qui ])lessent le voyageur, le lion qui dévore, le dragon qui attaque et s'insinue, le sanglier qui dévaste un héritage, sont dans le Psalmiste autant de sou- venirs d'embûches et de tentations pour l'homme encore dans la voie (3). Job l'avait nommé bien antérieurement Béliémot, la bête démesurée, Léviathan ou la légion, de ce

(1) « Spiritum soporis et veternum. » [h., xxix, 10.)— Et Sophonie: « Ambulabunf utcœci, quia Domino peccaverunt. » (i, 17.)

(2) Dnutéronome, xxxii, 6.

(3) « Super aspidem etbasiliscum ambulabis, et conculcabis leonem fît draconem. » (P.s.. xc, Vi.) « Vineain exterminavit aper de silva. » (Ps., LXXIX, 14.)

Son culte daii!: le paganisme.

362 . HISTOIRE DU SYMBOLISME.

même nom que Satan se donne dans S. Marc, lorsque le Sauveur, qui veut nous instruire par cet aveu, lui demande quel nom le distingue de tant d'autres (I). Enfin, dès le commencement du monde, nous le voyons, dans le récit de la Genèse, se présenter à la première femme sous les appa- rences d'un serpent, le plus rusé de tous les animaux (2j ; c'est un des rôles qu'il affectera le plus, sous lequel il semble voué plus souvent aux malédictions divines, et deviendra dans l'avenir le type des impies, soit qu'on le considère comme le premier instigateur du mal, soit qu'on trouve en lui le principe de l'orgueil originel (3).

Il n'en fallait pas plus pour que l'idolâtrie en fît un de ses dieux, et ce même génie du mal qui l'inspirait y trou- vait un excellent moyen de perpétuer le trophée de sa vic- toire sur les hommes : on sait le culte qu'il recevait à Épi- daure. Les dragons sacrés deviennent communs chez les Égyptiens, en Phrygie et à Babylone, Daniel dévoila les perfides mensonges des officiers de Bel, la vieille idole, et du dragon qui la remplaça (4). Ainsi, le Maudit se plie à tous les rôles, et son règne, qui se continue chez les na- tions sauvages , s'est illustré de toutes les abominations dont s'assouvissent les âmes perverties (5) ; mais aussi on lui fera payer cher cette cruelle complaisance : cette forme qui servit son premier mensonge , on la lui prodiguera dans toutes les scènes il apparaîtra à la race humaine avec son caractère de tentateur, et les nombreux appen-

■1} « Behemoth ipse et rex super universos filios superbiije. » {Job, XLI, 25.) « Maledicunt diei fqua natus sum) qui parati sunt suscitare Leviathan, » [Ib., viii, 3.)— « Quod tibi nomeD est? Et dixit ei : Legio mihi nomeii est, quia multt suiuus. » {Marc, v, 9.)

(2) « Serpens eratcallidior cunctis animantibus. » {Gen., m, 1.)

(3) «Serpentes, genimina viperarum. » (Matlh., xxiii, 33.) « MuUer conteret caput tuum. » {Gen., m, 14.) « Supra pectus gradieris. » [Ibid.)

(4) « Et erat draco magnus in loco illo, et eolebant eum Babylonii. » [Dan., XIV, 22.)

(5) Voir Dici. de la Bible de dom Calrnet, serpent.

DKMO.NOLOGIK. 363

dices qu'il recevra do l'iconographie l'eligieiise, les embel- lissements de détail destinés à dévoiler toute sa laideur in- time, vengeront largement riuiniaiiité de ses antiques per- fidies. Toutefois d'autres symboles, en grand nombre, généi'a- Formes symbo-

. . " liques de son ico-

iiseront cette vie de crimes et de turpitudes : selon qu'on nogiaphie. \oudra rappeler un vice, une mauvaise tendance, une ex- pression quelconque de la nature corrompue, on la revê- tira des formes animales plus capables de désigner ces infernales passions; son hypocrisie se traduira, au grand singe et bouc. portail de la cathédrale d'Amiens, par un singe recevant, assis, et avec la pose et les traits d'une indigne moquerie, les adorations d'un riche personnage stupidement agenouillé devant lui. Cette insolente béte semble désignée dans Isaïe comme celle dont la race doit habiter l'Idumée après la dispersion de ses habitants. Ce serait , d'après quelques commentateurs, le pilosus du Prophète, sinon le bouc que d'autres veuleut voir sous cette robe velue et (jui ne vaut pas uiieu\, puisqu'il aurait la signification convenue des sales plaisirs de l'impureté, et celle de la réprobation in- faillible et cruelle qu'il essuie (I).

Voulez-vous retrouver un autre emblème des attaques centaures et sa- violentes du démon, de ses embûches ouvertes ou de ses inspiratious cachées? voyez ces centaures et ces sagittaires qui n'en sont qu'une variante, se déroulant au\ voussoirs des grandes portes d'entrée, comme à Verville et à Sainle- .Marie-dii-Mont, en Normandie. ils décochent leurs Hè- ches contre un cerf, emblème des aniescjui soupirent après les fontaines du Sauveur. Aux stalles de la cathédrale de Poitiers, c'est un ange qu'il va frapper d'un trait, car l'ange déchu se plaît toujours dans sa révolte contre la sainteté et la justice. (iCS diverses attaques sont toujours, en abrégé, une de ces chasses mystérieuses que nous avons déjà signa-

(1) Voir S. Jérôme, lettre 43"^ t. Il, p. 4fh

cittaires.

Renard.

Crapauds ou grc nouilles.

3(54 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

lées , et qui résument sans cesse la piste incessante du lion avide toujours prêt à nous dévorer (4).

Une autre fois, c'est la ruse qui domine et qui triomphe. Voici notre renard, déjà bien connu : on Ta vu préclier des poules innocentes, imbéciles qui se laissent prendre à ses discours, comme tant d'autres; ses merveilleux sermons les ont endormies, et le moment arrive enfin le pauvre oiseau se voit mangé par le prédicateur, comme dans quel- ques médaillons de la catliédrale d'Amiens. Ainsi, la fable d'Ésope est ici très-distinctement sculptée; d'après elle, maître renard dévaste le poulailler , comme ailleurs le fabliau l'a présenté sous une autre forme , et toujours dans le même but (2).

Nous avons vu, au chapitre xvi de l'Apocalypse, trois gTenouilles ou crapauds (c'est ici tout un) , esprits impurs jetés vers les dominateurs impies de ce monde afin d'y souf- fler la guerre et tous les maux qui doivent précéder le dei- nier avènement du Seigneur. Ces crapauds signifient , d'après S. Méliton, \es démons eux-mêmes, et on le devi- nerait aux cruelles fonctions qu'ils assument. C/est, en effet, un de ces horribles reptiles classés par le Lévitique au nombre des animaux impurs ; il a quelque chose du ser- pent dans ses habitudes les plus vitales : il rampe, il mange la terre, il est pour tous un objet d'horreur. Les autres symboles dont le côté principal est désavantageux ont tou- jours leur opposition, comme le serpent lui-même, qui, en dépit de ses caractères iniques, devient au moins quelque- fois l'emblème de la prudence, et celui de Notre-Seigneur dans le Serpent d'airain ; la grenouille, au contraire, n'a

(1) MM. .lourdain etDuval, dans leur savante monographie du grand portail de la cathédrale d'Amiens (Bulletin monumental, XI, 438), ci- tent le P. Hector Pinto comme l'un de ceux qui font cette remarque dans son Commentaire sur Isaïe,cli.xxiv. Les autres commentateurs ne sont pas moins d'accord sur la double signilication qu'on peut donner ici à ces deux animaux.

(2) \oir Ballet, monunu, XIX, 232,295; 316.

DKMONOLOGIE. M-'^

aucun bon coté qui la dédommage, et tous les commenta- teurs s'épuisent en traits hideux sur son compte sans lui rien accorder qui nous la réconcilie quelque peu ( I ). C'est de ser^pçj^'""\® f^^l telles notions que sont venues, dans nos bas-reliefs, ces ««-«pa"'!^- statues si nombreuses, qui ont si longtemps excité la curiosité des archéologues (et dont le sens n'est plus mécomiaissable enfin), de femmes allaitant ou des crapauds ou des serpents qui s'élèvent du milieu du corps à la poitrine, et par lesquels on a voulu, d'après les physiologues du moyen âge, ex- primer la débauche dans ses plus honteux excès : ainsi les voit-on à Saint-Sernin de Toulouse , à Moissac , à vSaint- André de Bordeaux , à la chapelle funéraire de Montnio- rillon (2). Mais en dehors de ces formes animales que Satan a su Le serpent -

. , homma du paradis

prendre maintes fois, et dont tant de legendau^es ont trouve terrestre, la preuve dans rÉ\angile même, le monstre a souvent aussi revêtu les apparences de l'humanité, comme lors de la ten- tation au dései-t , et môme dans la tentation du premier homme : car beaucoup d'images, par une ingénieuse com- binaison d'idées très-acceptables, ont montré Satan, au Pa- i-adis terrestre, s'enroulant à l'arbre par toute la partie infé- rieure de son corps, qui est celui d'un serpent, mais ayant tout le buste d'un homme et une tète fort gracieuse dont le i'egard est très-capable de séduire la malheureuse créa- ture qui va l'écouter. Du douzième au quatorzième siècle, les manuscrits à miniatures reproduisent fréquemment ce motif, qui résulte évidemment de l'idée que c'est encore un ange qui est , dont la déchéance n'a pas altéré toute la nature. Quelquefois même, le séducteur ainsi métamor-

(1) Voir BuUel. iiionu .-.^XII, 100; XIII; G47; XIV, 335.

(2) « Ranœ, daemones..., hœretici, qui in cœno viiissimorum sensuum commorantes, vana garrulitale lalrare non desiuunt. » (S. MclitonJB Clavis Script., De Bestiis, lxvii; apud dom Pitra, Spiciley., III, 82 (;t aeq.) « Qui tangit reptile, et quodlibet iramundura, cujustactus esl sordidus, immundus erit. » {Levitic.,xxu,o.) Ihillel. mnniun., XI, 192 .-t suiv.

Son rôlo au ju- areraent dernior :

rtu lit des niou- rant'ï.

30() IlIvSTOlRE Dr SYMBOLISME.

pliosé cueille de sa main criminelle le fruit qu'il fait accepter à Eve, comme à l'ancienne abbaye de A'ézelay, comme à Lescure , non loin d'Albi. Le \oulez-vous en liomme complet mais pauvre, malheureux, épouvantable à lorce d'attributs spéciaux ? lisez dans la Légende dorée la vie de S. Barthélémy (1 ) il'y voilà en nègre, postéi'ité de fiham réprouvée pour ses crimes ; une tète dont la chevelure en désordre retombe jusqu'à ses pieds , une longue barbe épaisse et sale, son regard animé par des charbons ardents, sa bouche vomissant des vapeurs enflammées complètent le portrait du grand criminel, dont les mains crispées sont re- tenues en arrière par des chaînes de feu. Tel est le beau génie qui animait, invisible mais forcément visible bien- tôt, l'idole d'Astarotb, et s'opposait aux succès de l'Apôtre. C'est en revanche de cette opposition satanique à la rédemp- tion des âmes que le sculpteur de la cathédrale d'Amiens a placé l'ennemi commun sous le socle qui soutient 1^ statue du premier missionnaire des Indes. « il est cornu, velu, muni d'une ignoble queue, et a deux ailes prenant nais- sance à la cheville du pied (2) » ; à ses grincements de dents, à son horrible bouche aux lèvres écartées, on devine ses rugissements.

C'est dans ce bel apparat, le corps velu comme un satyre, les cornes surmontant sa tète de chien, le postérieur garni de sa queue en trompette, l'air triomphant et le regard iiautain, qu'on le voit, dans la scène du jugement dernier, chasser devant lui ou traîner à sa suite, au moyen d'une corde, la tourbe malbeureuse des damnés qui deviennent son domaine incessible. On le trouve aussi veillant au chevet du moribond, soit pour ménager d'avance au profit de l'enfer une conquête qu'il espère, soit pour s'emparer, au sortir du corps, de cette âme qu'en effet il tire avec un crochet de fer

{\) Legenda aurea:\)e S. Bartholora.— PoH«î7 de la caih. d'Amiens, Bullet. monum., XI, 298. (2) Cf. Bullet. wonum., XI, 192 et suiv.

de la bouche béante de sa victime. D'autres fois il pèse les âmes, comme àChauvigiiy, à Bazas,ii Argelès,à Grisolles et à Autun surtout, l'imagination de l'artiste s'est évertuée à créer une scène aussi curieuse que variée; et toujours, en pareil cas, c'est une nature hybride telle que nous venons de lu dépeindre et dont l'ensemble se perfectionnera encore par une face d'homme monstrueuse qui s'étend sur toute In largeur de son ventre, et quelquefois sur plusieurs autres parties du corps. Que cette prodigalité de traits difformes Raison des di-

vorsos fiffuros dont

et révoltants soit destinée à multiplier, au grand portail de son corps est quei-

,, 1 11 » Al T f> I ' quefois couvert ;

Bourges, les allusions a cette malice nuernale qui règne dans tout l'esprit réprouvé , nous le croirions volontiers, comme l'a cru un habile observateur (I); mais il nous sem- ble aussi plus conforme à d'autres notions mieux autorisées de rattacher cette bizarrerie apparente à l'action funeste de la mandragore, dont nous avons parlé au chapitre précédent, comme employée aux philtres diaboliques: c'est donc un emblème de sa nature et de ses instincts. Que si, ou là, vous le voyez avec trois faces horril)les, doses trois têtes,

. 111 4 •• 1 ..en quelques ima-

autres syml)oles de sa triple puissance comme esprit, -es, comme tn- c'est une opposition à la pensée même de l'auguste Trinité, '"^'^ ''" '"^'' qui, étant le Bien par essence, et voyant en même temps le passé, le présent et l'avenir, trouve son principe adverse dans cette trinité du mal pourvue, en une certaine mesure, de ce même attribut. Et cette idée n'est pas seulement emblématique et de convention, c'est de bonne et pure théologie, parfaitement rendue par les artistes de nos siècles de foi savante. Satan est le principe du mal; il ne- vent que le mal, il ne fait que le mal auquel seul, dans ses intentions et ses efforts, concourent toutes les préoccu- pations de son monstrueux génie; il le voit à la fois de touï> les côtés: de ce triple regard jeté de toutes parts sur le monde physique et moral, comme on le voit dans un

»

{{] Mgr Grosnier, Iconographie chrétienne, ch. xi.

368 HISTOIRE Dl SYMBOLISME.

médaillon des Emblemata biblica que nous avons souvent interrogés et cités précédemment. Feu Didron en a repré- senté plusieurs, dont un surtout mérite notre attention parce qu'il résume plusieurs des attributs principaux donnés au malicieux personnage. Assis sur un banc à dossier privé de tout ornement, et encore assez bon pour lui , ses pieds , ornés de griffes comme ses mains , sont enchaînés au marchepied de ce siège peu commode ; de ses trois ligures sortent trois langues, tirées autant que pos- sible, et qui indiquent sa manie du mensonge hypocrite et du blasphème audacieux ; sa tète, à cheveux ras, qu embel- lissent deux oreilles de satyre, est surmontée en manière de cornes de trois bols de cerf épineux et acérés ; son corps, entièrement ^ élu, est retenu sur son trône dérisoire par une chaîne qui s'y rattache de côté et d'autre en ceignant sa taille fortement proportionnée : il est ainsi condamné à une immobilité qui repiésente ici l'éternité de son supplice. Sa poitrine, à la moitié de sa hairteur, est couverte de deux figures qui ne valent guère mieux que la sienne ; elles se répètent sur chaque genou, mais le ventre est entièrement occupé par une autre face bien plus horrible, à longue barbe, à bouche ouverte d'où la langue se répand, et uont les yeux expriment la méchanceté. Cette différence de ca- ractère entre cette physionomie et les quatre autres , sa ressemblance avec la tète principale indiquent suffisam- ment qu'à une telle place on na pas enlaidi pour rien ce masque auquel notre idée de la mandragore paraîtra d'au- tant moins étrangère. Pour comble de symbolisme, ce roi des ribauds, dont la main gauche s'appuie sur son cœur, soutient de la droite un sceptre qui se termine à une autre image de sa propre trinité : ce sont deux tètes de serpent tournées de droite et de gauche et que surmonte une figure qui paraît être , si l'on en juge d'après ses oreilles et ses cornes, celle d'un taureau, méchante bête que les interprètes nous désignent comme le type reconnu

nÉMONOLOGIE. 3(>1)

de l'orgueil , de la force ijriitale et des passions indomp- tées (1). L'histoire de ces transformations serait longue, sons quel- loono^rapi.ipdu

I , . 1 1 1 /■ " ilémon dans ses

ques traits que le mauvais se reproduise, selon les dillerents jormes diverses; i)Uts qn'il se propose. Examinons-le mainteuant dans ses diverses fonctions iconographiques.

Entre Nîmes et Aigues-Mortes, on voit encore la magni- inspirant et ven- tique abhatiale byzantine de Saint-Gilles, ancienne dépen- Kei! "^^"^"''^ dance de Cluny, dont le portail est remarquable par la beauté de ses sculptures symboliques. Dans un des nombreux mé- daillons dont cette façade est ouvragée, Abel offrant ses purs sacrifices est accompagné de son Ange gardien, qui lui uiontre le ciel comme la dernière fin de son oblation. Par opposition, Cain cède, en tuant son frère, à la jalousie que l'Ange maudit lui inspire ; et déjà le monstre qui a soufflé le crime jouit de sa perfidie. Compagnon du coupable, sous la ligure d'un énorme dragon il s'est jeté sur lui et s'acharne à le déchirer ; ses griffes aiguës s'enfoncent dans la tête du fratricide, qui cède à cette force cruelle et succombe dans une lutte inutile : voilà la tentation et les redoutables remords qui déchirent l'àme séduite par elle (2;. Mais les Saints à qui fut confié l'apostolat des peuples infidèles ont de fréquents triomphes, dans la légende, sur l'ennemi qui s'v oppose toujours. Les Bollandistes nous racontent, au soppo.ant à i-en-

"^^ . r,^ ' ' 1,' trée de S. Taurin

I \ août, comment S. laurin, premier evèque d Evreux, s'ap- à Evreux. prochant de la ville encore païenne pour la convei'tir, ren- contre aux portes mêmes trois démons prenant la figure d'un ours, d'un lion et d'un buffle; le Saint n'en a peur, il entre hardiment et malgré eux, en leur reprochant de prendre des formes de viles bêtes après avoir été de la cour du Koi des rois. Ces trois bêtes n'en étaient pas moins autant de symboles des vices que le diable allait opposer

(1) Crosnier, ubisuprà; Didron, Iconographie chi'é tienne, ip. 520 cl suiv.

(2) BuUef. moniwi., XIV, 148, t:i5, 323.

T. m. 24

370 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

à la prédication du Saint : l'orgueil, la violence et la luxure, qui en effet furent les liens dans lesquels se maintinrent ceux qui résistèrent à la grâce de sa vision (\). Labêtedei'Apo- Gctte bètc dc l'Apocalypse que nous avons montrée , au

calypse reproduite ,. , . .

avec beaucoup de dix-huitieme vcrsct du chapitre xiii, sous un nom figuré par

variantes, i i -pp

des chiffres mystérieux exprimant le nombre 06G, devient la monture de la Babylone symbolique allant par le monde pour y jeter ses influences contre la foi et la vertu : c'est la grande tentation qui résume toutes les autres. Pour comble de trahison, cette femme séduisante est couronnée; elle veut régner sur ce monde qu'elle égare ; et celui qui la produit et la pousse à ses conquêtes d'iniquité, afin de mieux tromper les regards de la foule étourdie, a re- vêtu chacune de ses pattes difformes des caractères divers que portent celles des quatre animaux évangéliques : c'est Variété de ses commc la marche générale de l'esprit tentateur. Mais

moyens et de ses 1.1 » nn . -,

attaques. cc graud ct loug voyage ne s effectue pas sans des stations

nombreuses et variées; partout donc il s'arrête, il cherche des dupes, et, pour les prendre, il essaie de nou- veaux moyens. A Vézelay, ces scènes de son métier se répè- tent sous toutes les formes. Il a pénétré jusque dans . le cloître; car personne, hélas! n'est à l'abri de ses atta- ques, et ici, personnifié par deux démons, il tourmente un moine en le tirant par la barbe. Là, c'est le démon du désespoir qui s'efforce de jeter ce sentiment coupable dans l'âme d'une femme pécheresse à laquelle s'applique le mot 'time inscrit sur le chapiteau ; mais, par un contraste qui se rattache sans doute à l'efficacité de la confession, un prêtre est là, tenant un livre, sans doute celui des formules sacrées, et lui disant : spera, langage tout divin qui fortifie l'âme tombée et la ramène à sa réconciliation, dont la con- dition essentielle est une confiance pleine d'amour. Plus loin, une femme chaste et vêtue reste calme non loin d'une

(1) Cf. Bolland., loc. cit.

DKMONOLOGir:. 371

autre toute dépouillée, li\rée au\ hupudk'ilésd'uu démon; deux musiciens célèbrent sur leurs instruments cette vic- toire immonde. Au musée de Mai"seille,on peut remarquer sur un sarcophage un serpent enroulé au tronc d'un arbre dont le feuillage abrite un nid de colombes sur lesquelles le vilain animal daide sa langue venimeuse. A Lescure, dont nous a\ons déjà parlé, un bonnne s'entretient avec une femme (jui semble la sienne ; mais vSatan n'est pas loin, et vient lui en offrir une autre que ne recouvre aucun vêtement : n'est-ce pas une tentation d'adultère, ou un avertissement contre le danger de certaines fréquenta- tions (I)? En fciit de tentation, en voici un tvpe curieux : c'est le soin ^} persuade le

' " *■ mal ;

que ce criminel inspirateur se donne de souffler le mal au cœur qu'il veut séduire en se penchant à l'oreille d'un per- sonnage quelconque. Aux portes de bronze de l'abbaye d'Hildesheim, et dans un vitrail de la cathédrale de Sens, un petit monstre posé sur l'épaule de Pilate paraît lui dicter la sentence du Sauveur. A la cathédrale de Poitiers, le portail du nord en a un dans la même position, et disant tout bas à l'oieille d'Hérode comment il doit engager les Mages à revenir lui apporter des nouvelles de l'Enfant qu'il veut égorger (2). Loin de persuadera cet ennemi insatiable une modéra- ii saisit rame du

moribond ,

tion que sa nature ne peut admettre, la mort des hommes active son zèle cruel, et lui fait livrer un dernier assaut à cette âme qu'assiste le bon Ange, mais que l'Ange prévari- cateur poursuivra jusqu'à la fin. 11 se tient au pied du lit et ne le perd pas de vue ; quelquefois il triomphe aisé- ment de la perversité du moribond que la justice de Dieu lui abandonne déjà, et il se saisit de l'àme au moment elle s'exhale de sa poiti'ine sous la forme d'une petite

(1) Grosnier, ubi suprù.

(2) Voir les PP. Martin et Cahier, Vitraux de Bourges y p. 218, 1 ; notre Hùl. de la caUiédr. de Poil., l, 105, pi. v.

372 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

figure humaine ; une autre fois, c'est l'Ange gardien qui emporte cette figure, et pendant que ses mains J3énies Télé- vent vers le ciel qui l'attend, Satan fuit désespéré, trahis- sant par d'affreuses grimaces sa colère et sa déception. Cette image est très-fréquente et ne manque pas dans les ma- nuscrits. joue de la viole Mals aussl Ic moustrc a ses joies de mauvais cœur : c'est (liade. '^ lui qui joue de la viole au portail de l'église d'Ainay, à Lyon, pendant cette danse d'Hérodiade qui va coûter la vie à S. Jean-Baptiste; ou bien, se bornant à une espièglerie dont le fond est bien plus sérieux qu'il ne le paraît, il éteint la lampe de S*^ Gudule travaillant à ourdir une tapisserie, ou le cierge de 8*^ Geneviève que rallume aussitôt un Ange béni. Ces feux étaient le symbole des bonnes œuvres, de la charité, de la lumière intérieure ; que deviendront les Saints si de telles lueurs peuvent leur être ravies ! Les tentations Mals 11 arovc Quc CCS tcntatious, déjà si difficiles à sup-

des Saints et celle ^ ' J i

de S. Antoine en portcr, sc changcnt cu d'autres bien plus cruelles. Des vies

particulier. \ " i, , i ru i

de nos Saints sont pleines d épisodes ou 1 on voit un ou plu- sieurs diables exercer la patience d'immbles anachorètes, de faibles femmes, par des violences les verges et le bâton jouent un rôle des plus importants., On sait ]a tentation de S. Antoine, immortalisée par le grotesque burin de Callot, qu'avait d'ailleurs inspiré, sans qu'on le sache beaucoup, le récit de S. Athanase (i). Beaucoup d'autres revivent dans les souvenirs historiques entourés d'attributs sem- blables ; non qu'il faille regarder comme purement emblé- matiques ces représentations innombrables de bizarreries traditionnelles : on ne peut douter de certains faits sem- blables racontés par des hommes graves dont beaucoup furent des Saints; mais il ne faut pas oublier non plus que ces mille animaux, dont chacun a sa signification par-

(1) Voir Groiset, Exercices de piété, octobre, p. 570, in-12, Lyon, 1745; Baillet. 21 octobre, p. 310, in4o ; 14 mai, p. 256.

DÉMO>OF.Or.IK. 373

ticiilière,.ces innombrahlos lutins engagés en tant d'actions inouïes, ces étranges lantônics répandus sous tant de formes diverses autour du saint solitaire, sont autant d'allé- gories contre les plus ou moins riches imaginations qui troublent la prière, et y apportent des distractions plus ou moins importunes ; c'est le côté symbolique de la chose, auquel le moyen âge avait cédé dans les représenta- tions de ces scènes ingénieuses: carCallot, Breugel, Teniers et d'autres n'ont rien inventé de ces tableaux merveilleux ; ils ne sont que la réunion des richesses empruntées çà et aux bas-reliefs des monuments, aux pages des manus- crits de nos époques calligrapliiques et aux légendes les plus respectées. On lit dans les hagiograplies les moins suspects, tels que le P. Groiset et Baillet lui-même, que S. Antoine était troublé dans son désert par les improvisa- tions les plus inattendues : c'étaient tantôt des plaintes lamen- tables de petits enfants et des pleurs de femmes désolées assiégeant la porte de sa cellule ; tantôt des bêlements de bre- bis, des mugissements de bœufs*, des rugissements de lions, des hurlements de toute nature. Un jour, s'étant mis en oraison la tête appuyée contre terre, il sentit comme le poids d'un homme qui le foulait aux pieds en lui disant d'un ton moqueur : a Eh quoi ! tu te distrais, tu t'amuses ; » des loups en hurlant, des renards en jappant, sautaient sur lui. Une fois, en chantant ses psaumes, il eut pour spectacle un combat de gladiateurs dont l'un, tombant comme mort à ses pieds, le priait de lui donner la sépulture. Vous trou- veriez dans les vies de S. Pacôme , de S. Hilarion, et dans celles de beaucoup d'autres Pères du désert, autant de faits analogues, sans lesquels on ne pourrait jamais expliquer les ti'avaux légendaires de nos cathédrales.

Mais il serait décourageant pour notre pauvre nature de commont lu y ne la montrer jamais que livrée à sa faiblesse et près de succomber à ces funestes attaques : la leçon fût restée in- complète, et ce n'est pas le défaut de l'Église de s'arrêter

374 HISTOIRE DU SYMBOLlSMIi;.

avant d'avoir fini. En beaucoup de tympans, on a sculpté un homme debout, repoussant deux griffons ou lions ailés qui s'élancent sur lui de chaque côté, la gueule béante et l'œil ardent. L'air calme et tranquille de cet homme indi- que bien qu'il compte sur la victoire. La môme résis- tance est employée à Hérouville (Calvados) contre deux dra- gons dont le vainqueur serre la tète horrible de chacune de ses mains ; une autre fois, ce sont deux bêtes hybrides s'efforçant de déraciner un arbre vigoureux, qui n'en garde pas moins sa verdure et son feuillage. Et n'a-t-on pas vu le Christ foulant aux pieds le lion et le dragon, et des Saints en grand nombre affirmant, par ce même attribut, leur force surnaturelle? C'est pour eux, dit S. Hilaire , que le Sauveur avait prononcé ces consolantes paroles : « Je vous ai donné d'écraser du pied les serpents et les scorpfons; vous foulerez sous vos pieds toute la puissance de votre en- nemi (4 j . )) On sait aussi la lutte, assez fréquemment repré- sentée, du dragon et du pélican : celui-ci, emblème du Sau- veur, reste victorieux de la haine infernale, et doit l'être toujours avec les serviteurs de Dieu. L'athéisme, s'attaquant à Dieu même avec sa cynique audace , explique bien ces combats, etn'ôte rien à la placidité de nos espérances. Tourments des U y a plus, Dlcu a daigné quelquefois manifester à ses

démons. ^ j. j.

Samts les horribles tourments des démons. S. Jérôme rap- porte, dans l'éloge de S^^ Paule, qu'elle vit dans la Palestine les démons , tourmentés de divers supplices , éclater en plaintes et en gémissements. Sous une forme humaine, ils rendaient tous les cr.is des bêtes féroces les plus exaspéi-ées : c'étaient à la fois des loups, des chiens, des lions, des ser- pents, des taureaux qui fiurlaient, aboyaient, rugissaient, sifflaient, beuglaient, selon l'espèce qu'ils avaient revêtue.

(1) « Ecce dedi vobis potestatein calcare super seipeutes el> scoi-piones , et super omnem virtutem inimici. » {Luc, x, 19.) S. Hilarius , In psalm.cxYui.

nK!\I(K\()L()GiK. 37")

D'autres, se pliant en deux, touchaient la terre de leur tète à la renverse, puis des femmes demeuraient suspendues par un seul pied et la tète en bas (^). Qui n'a vu tout cela mille fois imprimé sous nos corniches et nos entablements?

Cependant, et en dépit de ces allures publiques et offi- cielles, si nous considérons l'Ange des ténèbi-es à part lui, et dégagé de tout rapport avec la créature qu'il poursuit de ses fureurs, non lui trouverons des attributs qui font mieux ressortir ou son caractère propre ou les prétentions de son orgueil. *

Et d'abord, il affecte souvent la forme humaine, par cela Ressemblances

, , , . ,.T . 1 extérieures que

même que les bons Anges , qu il veut sniger aussi bien vxnge des ténè- que Dieu, l'ont revêtue en plus d'une occasion que men- les Anges de lu tionnc l'Écriture : témoin les trois Anges qui apparaissent à Abraham sous le chêne démembré , le Raphaël du jeune Tobie , et bien d'autres. Toutefois ce sont des beautés de premier ordre ; sur ces faces célestes brillent la lumière el la sérénité ; ils ont des ailes, comme étant d'une vie tout aérienne, toute spirituelle; leur tète se pare d'un bandeau ou d'un nimbe, diadèmes exceptionnels qui conviennent à leur titn^ de princes de la maison du Seigneur. De légers vêtements llottent sur leur corps svelte et gracieux, sur leurs pieds nus qu'on voit bien ne tenir en rien à la terre et toujours prêts à reprendre la route du ciel (2). Satan, de son côté, veut avoir tout cela, mais ce serait une usurpation; et depuis que son crime lui a ravi sa gloire, s'il conserve quel- ques attributs de son premier état, ce n'est qu'avec un mé- lange forcé de traits si différents, que personne un peu attentif ne s'y trompera. Lui aussi il aura donc des ailes, car elles indiquent sa nature spirituelle et son activité à traverser l'espace , à pénétrer jusqu'au fond du cœur insensé

(1) Crosnier, ubi suprà , ch. x. liulUL. ni muni., XII , 20 , 206 et suiv.; XIV, 114 et suiv.

(2) Bull, monunu, ihid., p. 211; XIV, 116, 68, 322;— Didrou, Iconogr, clirct.

376 HiSTOIRK DU SYMBOLISME.

Le nimbe donné q^^ s'ouvi'c à liil. 11 poi'te uii nimbe ; mais le nimbe , dési-

meme au mauvais * *■

Ange- gnant pour les Saints, par ses rayons d'or ou par ses cou-

leurs variées, d'bonorables distinctions toujours symbo- liques, sera pour lui un signe tout opposé d'opprobre et d'infamie. Nous verrons dans la suite que cet attribut n'a pas été seulement réservé à la sainteté, et que certains peintres des écoles reculées, imités par les écoles suivantes, l'ont donné même à Judas Iscariote, dont le crime n'avait pu effacer le caractère apostolique : c'est pourquoi le diable lui-même n'en est pas toujours privé; mais, par une ingé- nieuse idée qui tendait à ne pas le laisser confondre avec les Saints, des peintres, qui pouvaient en cela mieux faire que les sculpteurs, l'ont nimbé de noir, couleur du deuil, du remords et du crime confondu. Observons néanmoins que les sculpteurs ont évité cette même erreur quand ils ont nimbé leurs démons sous des formes animales ou avec des caractères diaboliques auxquels on reconnaît forcément de quel génie il est question. î^'ouveiie revue n est asscz rarc que ce génie destructeur reste isolé sur

de quelques-uns ^ ^

de ses types les nos monumcuts ct s'y voie réduit à un rôle solitaire ; le plus

plus curieux :

souvent, il s'y mêle à la vie de l'bomme, il y épanche la libre expression de ses vouloirs pernicieux. Cependant, si l'on regarde bien, on le rencontre aussi séparé de la foule, s'exerçant tout seul au mal, ou accomplissant quelque office laborieux sous des formes qui, d'abord, n'auraient pas semblé les siennes, et toujours avec des apparences qui ne

l'arbalétrier, permettent pas de le méconnaître : tel on le voit, à Saint- Jean de Nantes, planté sur un piédestal d'où il tend, avec un mélange d'efforts et de grimaces, un arc dont la flèche est dirigée vers le ciel. Orné d'une double queue dont l'une retombe de sa tète et l'autre d^ ailleurs, démesurément joufflu, griffé, armé d'un ergot de coq entre le talon et le mollet, il n'a rien d'équivoque, pas même son nez de per- l'oquetetune sorte de joie méchante que son visage ne dis-

les consoiçs, simulc pas. Tel vous le verrez au tour extérieur des églises.

soutenant, courbé et accablé de lati^ue, le poids des colonnes qu'il voudrait \ainenient ébraulei-; d'autres, obligés à faire ic=. gai^jouiiie*. l'oftice de gargouilles, l'ejetlent au loiu sur le pavé de la place, comme d'horribles chiens revenu.'; à leurs vomisse- ments (I), les eaux pUniales qui nuiraient à la maison de Dieu. Dans beaucoup d'édifices romans, comme à Fleury- sur-Loiie, on a rempli de plomb les prunelles évidées des personnages, mais le diable y a toujours un point de char- bon formaut sa prunelle et lui donnant une teinte noire qui le rend horrible; il décore même les rampants et les GogetMagog. crêtes des toitures, étant le prince de l'air, d'après S. Paul; et les architectes l'ont fixé sur ces points élevés, par allusion à ces peuples de Gog etMagogqui forment rarmée de Satan au XX® chapitre de l'Apocalypse : il est juste que l'armée soit reste le chef (2). k Moissac, le voici « en homme de ror.onniiication

^ de rhéivsie et clf»

grande taille, monté sur un animal fantastique...; il porte laïucuio. sur sa tète des serpents au lieu de cheveux, et de l'autre un crapaud (3). » Ce sout les symboles de l'hérésie et de la luxure, qui ne vont guère l'un sans l'autre. Une page à ne pas oublier dans l'iiistoire de Satan, c'est sajan animant les

loi ' idoles paionncs.

celle qui, dès les premiers temps du Christianisme, nous montre les chrétiens, imbus en cela d'un principe bien an- térieur au Christianisme, se persuadant que toutes les idoles adorées par les païens étaient animées par les démous. C'est à ces faux di(Ui\ que le Psalmiste, s'adressant aux Gentils, reprochait d'immoler jusqu'à leurs enfants; S. Paul répète ce reproche dans les mêmes termes (^), et les Pères jetaient sui' les dieux de Rome et d'Athènes un ridicule mordant

(1) « Canis qui reverlitur ad vomilurn suuiii, sic iinprudeDs qui itérât stultiliam suam. » (Prov., xxvi, 1 1.)

(2) Voir Bruno Aslensis , In Apocal. , cap. xx ; le P. Cahier, Méla)if/es darchéulngie, d'histuire cl de iitléralure, I, 76 ; Raymond Bordeaux, Principes d'a>'chéologie pratique, 2" part., cli. iri.

(3) Bullet. iiionum., WIU, 482.

(4) « Immoiaverunt filios suos et filias suas dœmoniis. » (Ps., cv, 37.) « Gentes daemonihus immolant et non Deo. » (1 Cor., X;20.)

et par le pape In- nocent 111.

378 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

quand ils répondaient aux stupides adorateurs de tant de

statues par des descriptions qu'on dirait reproduites sur nos

Ses caractères modillous et nos cliapiteaux. Les Romains s'étaient avisés

Ecologiques de- i i

peints par Tertui- de représenter le Sauveur avec des oreilles d'âne, un pied de corne, un livre à la main, et vêtu de la toge. « Nous en avons ri, leur disait Tertullien ; mais, en vérité, un tel monstre con- venait bien plus parfaitement comme dieu à ceux qui ado- rent des divinités pourvues de têtes de lion et de chien, de cornes de chèvre et de bélier : boucs depuis les reins, serpents depuis les cuisses, portant des ailes au doè ou aux pieds (1). Et le grand pape Innocent III ne semble-t-il pas avoir préparé un texte à nos sculpteurs quand, après avoir signalé le tentateur comme l'auteur de tous nos maux, il énumère de combien d'autres avanies nous sommes éprouvés ici-bas, et quels monstres semblent se hguer contre notre repos dans les limites rétrécies de la nature ? « Le sanglier de la forêt nous dresse ses embûches; chaque bête sauvage s'évertue à tout dévorer autour de nous : ici c'est le loup et l'ours, le léopard et le lion, le tigre et l'âne sauvage, le crocodile et le griffon, la vipère et l'aspic, les scorpions et tous les reptils, et jusqu'aux poissons et aux oiseaux. Dieu n'avait-il pas menacé, en effet, les rebelles à sa loi d'être livrés aux dents des bêtes, et de nous faire subir les morsures de tous Jes animaux (2) ? »

Antagonjfeme <ie Blcu antérieurement , S. Paul l'avait signalé comme

(1) « Risimus elnoiiieD et foruiam. Sed illi debebanl adorare siatim biforme numeii,quia et caiiiuo in leonino capite commistos^ et de capro et de ariete cornuto?, et a lumbis hircos, et a cruribus serpentes, et planta vel tergo alites Deos receperunt. » (Tertull.,yl/90^o^é;^,cap. xvi.) Notons ceci pour nous en souvenir quand nous reviendrons à S. Ber- nard.

(2) « Insidiatur aper de silva , et singularis férus depascitur; lupus et ursus, pardus etleo,tigris et onager^ crocodilus et gryphus, serpens et coluber, basiliscus et aspis, cerasta et draco, scorpiones et viperae..,, pisces et volucre3...Scriplum est enim [Deut., xxx) : Dentés bestiarum mittam in eos , cum furore trahentium super terrain atque serpeu- tium. » (Inuocentii papae III, De Contemplu mundi, lib. I , cap. xviii.)

nÉMONOLOGIE. 370

riiomnie de péclié , le fils de perdition se révélant à chaque *^'^^j,^^7ui. -""ce instantcomme notre ad\ crsaire, s'élevant contre toute parole j^^'^j" ^*'^"^ ^■ de Dieu, opposant au culte divin son propre culte , et pous- sant l'audace jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu comme s'il était Dieu lui-même (I). Quand le Livre de Job ot job, nous montre un juste en butte aux mécbancetés de Satan , à qui Dieu permet d'éprouver un serviteur tidèle pour faire éclater sa patience et encourager les faibles dans leurs ten- tations ; quand l'ennemi soulève contre ce juste les tem- pêtes de la nature et les plus tristes événements domesti- ques , les chrétiens ont pu se persuader justement que ce même ennemi pouvait se faire toujours un instrument de supplice pour ceux dont il voudrait vaincre la fidélité , et , haine pour haine (il n'y en eut jamais de plus légitime) , ils lui ont bien rendu ce qu'il s'est plu à leur ietei*. Si rÉglise , si suivie par toute ri-

* '^ , conographie chre-

les artistes qui Tout secondée se sont -plu à dévoiler ses lai- tienne. ' deurs et ses ruses dans son iconographie universelle , c'est autant pour le ridiculiser dans ses fonctions détestables , dont les justes n'ont jamais à redouter aucune conséquence éternelle , que pour en inspirer l'horreur et la crainte. 11 a pu rire aux dépens de la pauvre humanité, qui lui four- nit tant de victimes, et employer à loisir contre celles-ci, comme on le voit dans le vitrail du ^Mauvais Kicbe de Dour- ges (2), des raffinements de cruauté qui aillent jusqu'à infuser dans la bouche d'un avare damné de l'or et de l'argent fondus; on s'en est bien vengé, et ceux qui le connaissent l'ont chargé de rôles diversifiés à l'infini , capables peut- être, et c'était probablement leur intention, d'ajouter par la confusion de son orgueil et de sa méchanceté au sup- plice incessant de ses souffrances expiatoires. C'est dans ce but ({u'oii l'a mêlé, comme suppôt forcé et

(1) « Homo peccati , filius perditionis qui adversatr.r et extollitur supra omue quod <Hcitur Deus , aut quod coliUir , ita ut in temple Dei sedeat, ostendensse tauquaiii sit Deus. » (2 ThessaL, m, 4.)

(2) Voir Martin et Cahier, Vilr. de Boim/., j». 236, note 3,

Les reliquaires, les croix, les chan- deliers ,

et les cros&eà par torales.

380 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de très-mauvaise liumeur, à tout ce qui devait s'employer au service de Dieu, soil pour l'œuvre du Saint Sacrifice , soit pour les instruments des autres sacrements distribués aux fidèles, depuis le Baptême jusqu'à l'Extrème-Onction. En proportion que la pensée du démon et de Tenfer est très-salutaire pour interdire le péché à l'âme qui s'y abandonnerait naturellement , on la prodiguait partout par des images toutes plus horribles les unes que les autres; mais nulle part on ne la vit exprimée avec plus de prodigahté à la fois et d'énergie que sur les reliquaires, elle jaillissait des émaux ou des nielles, ou au pied des croix , dont un dragon vaincu mordait le pied de ses dents impuissantes, ou dans la composition des beaux chandeliers en bronze , on le voyait contourné en mille façons et obligé, sous un châtiment qui punissait son amour de la nuit et des ténèbres, à porter la lumière, toujours re- gardée comme un des symboles du Christ. Quelquefois ce ne sont que des pieds de dragon , de lion ou de bêtes hybri- des qui servent de supports à un flambeau privé de tout autre emblème ; mais cette simple indication suffit à expri- mer la même intention, et ne doit pas être méconnue; sous ces apparences , c'est toujours la figure du serpent qui do- mine (Ij.

Et que dire de ce même serpent et de ses enroulements de si bon goût et de si riche exécution sur les crosses épiscopales des douzième, treizième et quatorzième siècles, aussi riches de travail que de pensée? se représente toujours , avec une inépuisable diversité de ressources , la pensée fondamentale de la rédemption et du péché ori- ginel : deux dogmes inséparables que l'Agneau n'exprime jamais seul , non plus que le cerf, mais qu'il oppose, dans sa placidité pleine de douceur, au dragon, dont l'affreuse gueule

fl) Voir les belles planches i, xiv, xxi, xxin et xxiv du premier vo- lume des Mélanges cV archéologie des PP. Martin et Cahier.

DKMO.NOlXXili:,

as

s'ouvre vainement pour l'engloutir (^j ; quelquefois aussi le loup ravissant joint ses elïorts, conti'e des oiseaux inoffen- sifs, à ceux que le dragon multiplie contre la Vierge Mère et l'Enfant divin, qui le regarde sans effroi. Le bronze, l'ar- gent doré, l'ivoire ont prêté leurs surfaces à ces merveilles du ciseleur. Le moindre rôle que Satan y joue se borne à exercer sur une croix la rage de ses morsures : on le repré- sente au(5si sur les nœuds de la hampe en sirène, avec une tète de bouc ou de diable cornu Le tau, qui parfois remplace la crosse, n'était pas moins remarquable par ses bizarres inventions zoologiques à l'endroit de notre personnage ; mais c'est surtout aux fonts baptismaux qu'il convenait de l'at- tacher comme un esclave , et nous savons qu'on ne lui a pas épargné cet honneur (2). Les idolâtres mêmes, n'ayant de hii que des idées juste- satan toujours

' '' ^ "' visible dans l'art

ment acquises , préféraient pour leurs idoles des formes pai>n . plus capables d'épouvanter ses adorateurs. L'art païen , avait-il pris chez les Grecs et les Romains, qu'on aurait luoins soupçonnés de cultiver le laid, toutes ces recherches de monstruosités que tant de découvertes nous ont révélées dans les fouilles de leurs villes et de leurs musées ? Cette

(1) Il De faut pas confondre , dans ces images qui décorent la volute de certaines crosses, le dragon, ou serpent foulé par l'Agneau, avec d'autres serpents solitaires, qui alors sont toujours un symbole du Sau- veur et un emblème de simplicité, de prudence et de vie retirée, tel qu'il convient à un évoque de les pratiquer à l'exemple du divin Mo- dèle. Cette attribution est bien plus sensible si le serpent tient une croix entre ses dents ou la porte comme un diadème bienfaisant au- dessus du front, et à plus forte raison si le reptile a reçu de l'artiste une tête d'agneau, comme on l'a cru de quelques spécimens. Une telle dis- tinction, qui est d'une baute importance pour éviter toute erreur, n'a pas été né^'ligée par M. le comte Auguste de Bastard dans son beau travail, déjà cité, sur la crosse abbatiale de Tiron; non plus que par .M. l'abbé André, qui, dans l'examen de ce savant ouvrage, a fait juste- ment ressortir l'habile perspicacité du docte antiquaire. Cf. Bullelin du Comité dn la tangue, de l'histoire et des arts de ta France^ t. 1"V, 1857, p. 401 etsuiv.

(2) "Voir Mél. d'arrfiéol. , ubi ^uprd , t. IV. texte et planches de.^ p. 18 i à 250.

382 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

prédilection venait , à n'en pas douter, d'une tendance bien décidée à personnifier le mauvais génie dans toutes les occa- sions où la crainte des maîtres du monde était bonne à in- spirer au vulgaire ; ainsi , les cbaises curules , les trônes des empereurs ou des consuls ornés de têtes hideuses- de lion, de léopard, de reptiles quelconques, tenaient la foule en respect en donnant une sorte de caractère redoutable à la magistrature et à la royauté. L'Inde, l'Egypte, les différents États de l'extrême Orient, ne cultivent guère encore que de qui le transmet tcls symbolcs. C'était Satan, sous tel nom convenu, qui agi-

aux âçes modei- , ii-i n ^ i

nés. tait ses ailes étendues et dardait sa langue périme au-dessus

des casques des guerriers, comme, à l'époque franque et mérovingienne , il figurait avec d'iiorribles contorsions de ses traits grossiers sur des agrafes militaires ou sur des or- nements d'architecture destinés sans doute à des antéfixes, tels qu'on les voit dans les recherches de quelques archéo- logues (^ ). Si on le voit frappant S. Apollinaire d'une massue, aussi bien que S. Boniface, on lui rappelle sa défaite par S. Michel, qui l'envoie aux flammes préparées pour lui et ses satellites; on l'étend humilié sous les pieds de S^® Margue- rite; sa tête est écrasée par le talon de la Femme bénie qu'il ne peut éviter; il est vaincu sur le Calvaire lorsqu'il épuise en vain ses derniers efforts sur la croix Jésus va sauver ceux qu'elle attirera à sa Rédemption. Ressource contre Ccs imagcs étaient donc fort encourageantes pour les

cathoHque. ' ""^^"^ fidèlcs , Car , s'ils devaient redouter les assauts de leur en- nemi mortel , ils pouvaient aussi ranimer leur énergie en voyant que la foi leur devenait une force de résistance. De son côté, et tout près de ces démonstrations salutaires , l'É- glise avait pour ainsi dire placé sa liturgie , arsenal habi- tuel où se gardaient contre lui les armes de la prière et des sacramentaux. L'ignorance des gens du monde, celle même des chrétiens dont l'instruction religieuse n'a été soignée

(l) Voir Bullet. moniim., XXII, 487 et suiv.

DÉMONOLOr.lK. 383

qu'à demi, rit aujourd'hui au seul noiu de possédés et d'exorcismes , vieilles redites d'époques l'esprit de l'homme acceptait tout sans examen et se laissait tromper par des superstitions... On serait moins hardi peut-être à de telles négations si Fou savait que les protestants , (jui on( abandonné en tant de points la croyance quinze fois sécu- laire de leurs ancêtres, ont nié ce dogme comme tant d'au- tres, et que Becker, l'un des plus entêtés parmi eux, a vu son livre du Monde enchanté savamment réfufé par Stac- kouse dans son Traité sur le sens littéral de VÉcriture sainte, il n'emploie contre le protestantisme que l'Écri- ture même , dont Luther et Calvin font l'unique règle de leur opposition. iMais la foi antique , pour être dégénérée dans ces docteurs-là , n'en vit pas moins dans les dogmes , que rien n'a changés, et les arguments logiques ne peuvent rien perdre de leur primitive valeur.

Dès le commencement de l'Église, les énergumènes , Histoire et mar- c'est-à-dire les possédés qui ne pouvaient être délivrés du murgie à cet démon que par les exorcismes, apparaissent en grand nom- '^^"^ ' hre, proportionnémentau\ efforts que l'esprit de mensonge opposait plus énergiquemcnt à la diffusion des saintes véri- tés. L'exemple a\ait été donné de les chasser par Noti^e- Seigneur, qui expulsait le démon du corps des possédés , et donnait ce même pouvoir à ses Apôtres. A Philippes , à Éphèse, S. Paul en use, et les Pères des quatre premiers siècles, qu'on peut interroger contre les protestants, puisque ceux-ci prétendent que l'Église conserva pendant tout ce temps la vérité inaltérée , ces Pères, disons-nous, sont una- nimes à constater des faits analogues contre lesquels on ne pourrait que les accuser de mensonge, en dépit des mille témoins qu'ils attestent. Le quatrième concile de Carthage, si célèhre par ses canons de disciphne, ordonna, en 398 , que les énergumènes balayeraient le pavé de l'église (^1).

{\) Voir, pour preuves de toutes ces assertions : S. Matthieu, xu, 2G, 43 ;— .V. Lv(\ VIII, 27; ix,l; x, il ^^S . Marc, x\i, il ;—Actesdes A2)olrf s,

reproduites dans les sculptures de nos églises ,

et sur la scène des théâtres ,

384 HISTOIRE DL SYMBOLISME.

Ne seraient-ce pas ces personnages infortunés , soumis aux convulsions que le démon ne manquait pas de leur im- poser durant les exorcismes, et souvent dans les intervalles de ces cérémonies , que nos sculpteurs auraient reproduits , entre autres motifs, par ces figures si diversement carac- térisées de nos têtes démoniaques? Tant de grimaces , de contorsions , de formes hybrides , d'horribles regards jetés sur la foule qui fréquente le temple, et qui semblent autant d'insultes à sa piété , qui peuvent être aussi l'expression de leur désespoir en se voyant forcés aujourd'hui de soutenir les pierres du sanctuaire , ne sont-ce pas des symboles encore vivants de tant de scènes antérieures à leur repro- duction lapidaire, et qui se sont continuées ensuite par elle dans l'histoire du monde spirituel? Le théâtre lui-même, qui, à son origine, eut pour but de former les mœurs sur la doc- trine chrétienne, n'avait eu garde , à la fm du moyen âge ,

XVI, 16; XIX, 12 et 15 ; - S. Paulin, Vie de S. Félix de Noie;— Sulpice Sévère, dialogue m, ch. vi; —ConcAl. Co.rlhag. iv, apud Labbe, ad ann, 398, H, 1207. Voici le texte : « Paviineuto domorum Dei eriergumeni verrant. » (Gan. 91.) Beaucoup de faits plus récents, dispersés dans tous les siècles de l'histoire ecclésiastique, ne permettent pas de douter de faits semblables, reparaissant à toutes les époques et se multipliant de nouveau au seizième siècle, quand le démon se sentait réveillé en quelque sorte par les meuées du protestantisme. C'a été une des plus perfides séductions employées par l'ennemi du salut d'avoir persuadé à nos contemporains, au moyen des iniques dérisions de la philosophie, devenue enfin l'athéisme, que la magie, la sorcellerie et tout ce qui en résulte ne sont que des visions d'esprits rétrécis. Reste à prouver en- core par ces grands génies comment les tribunaux, les témoins et les hommes les plus doctes de leur temps furent tous et partout assez im- béciles pour dénoncer, condamner et exécuter des coupables qui, pres- que toujours, se dénonçaient eux-nxâmes, et comment, par conséquent, l'histoire n'eût été sur ce point qu'un tissu d'erreurs absurdes et de mauvaise foi. Ne serait-ce pas quelque chose de i)lus difficile à croire que tous les miracles du monde et les enchantements les plus merveil- leux? Ajoutons encore que les savants les plus sérieux, comme Martin del Rio dans son traité des Conlr verses et Recherches magiques, ont écrit, sur la théorie et les moyens de la démonologie,des livres rien n'échappe à leur attention, et forcé de conclure à l'existence d'une science occulte qu'il faudrait au moins étudier un peu avant d'en rire et de la ridiculiser.

DÉMONOLOGII;:. 385

de relïiserà la scène un si grand élénienl d'intérêt et d'émo- tions. Les diables y avaient nn rôle incessant de méchanceté qui Unissait toujours, il r^st vrai, par se voir déçue sous la puissance de Dieu (|ui Irionqdiait. Ils y apparaissaient en plus grand nombre que possi])le, sous une l'orme humaine modiliée des appendices que nous savons , l'air farouche et rébarbatif, tout empreints d'orgueil et de désordres, désbo- norés d'avance par les noms bébreuA qu'ils ont dans la Uible : Lucifer, Satan, Astaroth , Belzébuth, Béhal , et même par quel(|ues autres tirés de la mythologie ancienne, tels que Cerbère, Jupiter, Proserpine ; sans compter cer- taines idoles figurant au milieu de cet intéressant personnel i)0ur établir imc fois de plus que les adorations païennes se reportaient bien aux anges infernaux (i).

Mais revenons à nos sculptures.

On remarque, parmi les figures qui couvrent les mu- aussi bien que les

^ ' ^ D ^ barbares et les

l'ailles sacrées, des tètes humaines dont les cheveux , tom- persécuteurs. bant en deux tresses de chaque côté des oreilles et s'épan- ciiant jusque sur la poitrine, indiquent assez qu'on a voulu donner à l'ennemi universelles traits de ces païens conqué- rants qui, sous le titre de Germains, de Normands ou autres aussi mal famés, étaient devenus la terreur des populations chrétiennes, lesquelles s'en vengèrent un peu plus tard en leur donnant la physionomie et la place qu'ils ont méritées. H dut en être ainsi des princes persécuteurs de la foi, qui durent être classés dans nos modillons avec leurs tètes cou- ronnées et la fatale expression de douleur et de difformité donnée à leurs traits. Comment mieux assigner à Hérode , à Néron et à tous les rois iconoclastes la place qu'ils méri- taient si bien pour tant d'exilés et de martyrs? Les exorcismes figurent aussi très-souvent dans l'art de Exorcisme» des

vitraux de Bour-

cette époque , et le démoniaque placé par Raphaël sur le t^es. premier plan de sa Transfiguration n'est rien en compa-

(1) Voir AnJinles archèohgiqaes : Mystères des Apôtres, XIV, 75.

T. IM. 25

386 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

raison de ceux que le dessin du moyen âge a su imprimer dans ces œuvres pleines de génie et de verve. Sur un des vitraux de la cathédrale de Bourges , S. Denys exorcise un possédé ; celui-ci indique très-bien le moment Satan obéit aux injonctions sacerdotales en s'échappant par des- sous la robe violette de la victime qu'il est forcé d'aban- donner. On voit fort bien d'où il sort, ce qui lui est peu honorable ; de plus il semble fort éperdu et peu content de l'opération ; mais on observe du moins en action une ressource que la peinture seule pouvait se faire et qui man- quait à la sculpture : les couleurs symbohques des person- nages ajoutent à l'idée qu'il faut s'en faire. Le saint évêque est revêtu d'une chasuble blanche comme les Élus de l'Apo- calypse ; l'énergumène a une robe violette, couleur de la Couleurs sym- péuiteuce ct du dcull ; le diable qui s'échappe de son corps

boliques données ^ , , -i i . - i

aux diables selon est vcrt , commc Ic plus souvcut , car il a la tenite du ser-

leurs fonctions ico- , ^ ^ -i . .• x

nographiques. pcut , teuaut quclquc chose de la terre par ses nistmcts comme par son origine. Parfois on lui a varié un tel agré- ment; ainsi, à Bourges encore, l'histoire du Mauvais Riche nous montre un certain nombre de ces satelhtes de Satan , attirant avec des crochets l'âme de ïépulon , qui s'exhale de sa poitrine sous la forme d'une petite figure humaine. Là, un diable vert a la tête rouge couleur de feu ; un autre a la sienne blanche, par opposition à ses habitudes perfides, hypocrisie qui servit peut-être à tenter le riche avant de le tourmenter dans son malheur. Un autre, qui a la tête rouge, est fauve du corps , ce qui le range parmi les bêtes féroces ; d'autres sont tout rouges , comme les lueurs de Les mêmes cou- l'eufcr. Il cst vral que les Anges, vêtus de rouge et de vert ,

Anges par oppo- accueilleut l'âme du pauvre et bienheureux Lazare (1). Mais nous avons vu par quel système d'opposition les mêmes couleurs employées dans un sens fatal l'étaient aussi dans un sens favorable : il est fort ordinaire de voir les méchants

(1) Voir Vilraitx de Bourges, pL ix et xil.

sîtiou.

DÉMONOLOGIE. 387

coloriés de la mc'^me manière que les bons , et alors , selon le personnage qn'elles révèlent , ces teintes doivent être interprétées contrairement. Nous l'avons expliqué dans notre première partie {\), et nous savons que la confusion n'est pas possible entre les sujets que sépare une si énorme différence morale : A fructibus eoriim cognoscetis eos (2). On conçoit que l'imasination des symbolistes avait Types officiels

^ ^ ** de l'enfer et du

résumer tant de détails en un ensemble qui unît comme purgatoire. une formidable cliaîne tous ces anneaux vivants et ani- més. La pensée théologique de l'enfer, qui avait besoin aussi d'une forme saisissable, trouva dans un si grand nombre d'images de quoi se matérialiser aux regards. U En- fer et le Purgatoire de Dante offraient beaucoup à copier ; nous avons vu comment on avait su les approprier aux arts du dessin. Le Purgatoire de S. Patrice, qui eut une 2rrande Le Purgatoire

de s. Patrice.

vogue au moyen âge , mais qui n'était fondé que sur une vision plus ou moins autorisée du saint archevêque , n'en avait pas moins aussi ses données attachantes, que des mi- niatures curieuses nous ont conservées et qui se reprodui- sirent sur la pierre en plusieurs épisodes encore vivants (3). Au reste , les peines du purgatoire et celles de l'enfer ne diffèrent, d'après la foi , que par leur durée, qui n'est éter-

(1) Cf. ci-dessus, 1. 1, ch. xii, p. 303.

(2) S.MaUh.,\n, 16.

(3) Ce purgatoire était résultat d'uue vision que S. Patrice, arche- vêque d'Armach, en Irlande, avait eue, disent ses biographes, sur les tourments subis en l'autre monde par les âmes qui doivent y achever l'expiation de leurs péchés. Quoi qu'en aient dit des critiques peu com- pétents sur de telles matières, cette tradition, qu'ils attribuent à Denys le Chartreux, moine du quinzième siècle, doit cire aussi ancienne que celui dont elle porte le nom et qui évangélisa l'Irlande jusqu'en 404. Comme le Saint avait coutume de se retirer dans une caverne déserte du lue Dearg (Ulonie), le peuple s'y rassembla après sa mort, et ce qu'on savait de sa vision, rattaché ii ce lieu solitaire, fît croire plus tard que c'était l'entrée du purgatoire dont il avait parlé. Quoi qu'il en soit, le récit de notre Saint ou de tout autre contient une description des tour- ments du purgatoire, qu'on peut voir dans Le Monde enchanté j de M. Ferdinand Denys, in-32, 1843, p. 157 etsuiv.; mais surtout dans les Bollaudisles, x\ ii mars.

388 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

nelle que pour ce dernier; il n'y avait pas toujours une sen- sible différence dans l'expression plastique de l'un et de La gueule du l'autrc. Ou volt cu quclqucs manuscrits, et, entre autres,

monstre infernal.

dans un de ceux de la Bibliotiièque Richelieu, ce lieu d'ex- piation représenté par l'énorme gueule d'un monstre, au dehors de laquelle veille un démon armé d'une sorte de trident. Cette gueule est pleine de petites figures entassées derrière les dents horribles de la bete; mais, au heu de se tourmenter et d'exprimer leur désespoir par des contor- sions et des fureurs, elles gardent , comme il convient à des âmes rachetées et sûres de leur salut , une attitude paisible et calme : c'est le caractère de l'Espérance fondée qui se ré- signe et qui attend la miséricorde en se soumettant à la justice. Quant à ce gouffre béant des cavernes infernales, dont nous avons déjà dit l'idée originelle et l'expression si énergique (I), rien ne pouvait mieux rendre certai- nement et l'avidité du monstre éternel et les angoisses de la gent infortunée engloutie dans cet abîme d'où l'on ne revient pas !... On le trouve aux tympans des portes cen- trales, dans les manuscrits , aux chapiteaux, aux modillons; il n'y a pas une scène du Jugement dernier il n'ait sa place : les flammes en jaillissent, saisissant d'avance les âmes perdues , que les satellites de Satan s'empressent d'y enfourner; ces cruels serviteurs les apportent par centaines, les poussent à coups de fourche, et la bouche insatiable dé- vore tout et demande encore, sans jamais se vider ni se remplir ! Variété artisti- Duc autre causc dut multipliei', en les variant, les repré-

que des supplices it-w iit»-ii

infernaux, scutatious de suppliccs étemcls. Des passages de la Bible,

entre autres de Jérémie et de l'Apocalypse, avaient persuadé à quelques interprètes qu'il fallait attribuer aux réprouvés des supplices en harmonie avec leurs passions dépravées de la terre ; ils étaient donc punis soit par les mêmes appétits

(l) Voir ci-dessus, t. II, p. 179, 324, 337; III, 132.

DÉMONOLOGIE. 389

du corps, dont la privation leur était continuellement im- posée puisqu'ils n'étaient plus que des esprits, soit en gar- dant en eux-mêmes, pour leur propre tourment, le caractère bestial par lequel ils s'étaient avilis; et comme il y a tou- jours, d'api-ès de savants observateurs, une certaine res- semblance que nous avons reconnue nous-méme des traits de quelques personnes à ceux de certains animaux dont elles acceptent les instincts ou les habitudes, on s'était faci- lement persuadé de représenter les vices parles masques ou la pourtraicture complète des bétes dont les âmes humaines avaient imité les penchants : c'est de la sorte que Vincent de Beauvais dépeint les genres si nombreux et si divers des supplices infernaux (I). Il s'agit ici des révélations, faites à quelques Saints, de ces habitudes d'outre-tombe et de ceux à qui elles sont éternellement imposées. (( se trouvaient diverses personnes religieuses , moines , nonnes, évoques, prêtres et autres clercs, dont les uns riaient pendant que les autres pleuraient; ceux-ci s'accablaient de reproches, ceux- dévoraient sans cesse des aliments qui ne les rassasiaient jamais ; fl'autres se livraient à toutes les passions , non pas sans doute qu'après la mort il soit encore loisible de les satisfaire : ce n'était qu'une détestable représentation de leurs crimes passés, à laquelle ils étaient contraints par les démons en punition des excès qu'ils y avaient commis. Quanià ces démons, ils étaient noirs comme des charbons; leurs yeux lançaient, comme autant de lampes, des feux ardeîits ; leurs dents étaient plus blanclies que de la neige; ils avaient des queues comme des scorpions, leurs ongles étaient des crochets très-aigus, et ils portaient des ailes de vautour. » Ce morceau n'est-il pas une exacte reproduction des œuvres artistiques, et ne dirait-on pas que lesai'tistes s'en- tendaient avec le Dominicain de lîeauvais?

n) Vincent de Beauvais, Uiblioiheca mundi : De Inferno, § De Re- velutionibus, —cité par M. Lecoiutre-Dupant dans le même sens que non,> iri, Mnm. drsovfiff. th rOucaf, X, '♦56.

390 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

La magie au Quoi Qu'il Gii soit, l'Édise, qui fut toujours la dépositaire

temps de l'Eglise « -i ., , !. , i

primitive, et les dcs vcrites etemellcs, s appliqua des le berceau de sa reli-

exorcismes,

gion à protéger par elle ses enfants contre les malignités de leur ennemi et de ses suppôts ; car la magie avait reçu une étonnante activité parmi les païens, et, soit par des pactes formels établis entre quelques-uns d'eux et le démon, soit parles croyances superstitieuses qui les portaient à vénérer son crédit, ils persécutaient les chrétiens pour les porter au mal ou à l'apostasie, et ils allaient jusqu'à attribuer à des enchantements les miracles dont s'entourait si souvent la mort des martyrs. C'est contre ces attaques du démon, ou indirectes par les hommes, ou directes par ses propres et personnnelles incitations, que l'Église, appuyée sur la parole même du Sauveur, établit des ministres ayant charge expresse et pouvoir spirituel de conjurer par des prières spéciales son action momentanée sur les fidèles, action manifestée soit par l'obsession qui agit au dehors et par des moyens extérieurs, soit par la possession qui s'exerce sur l'intérieur, reste invisible dans son principe et ne se trahit que par des effets dont on n'aperçoit pas la cause sensible. Ceux qu'on honore de ce pouvoir reçoivent le troisième des Ordres mineurs ; dès le principe, ils étaient appelés exorcistes, et devaient apprendre dans le livre des exorcismes les formules dont il leur fallait user dans leurs souvent représen- fouctious. Lcs frcsqucs, Ics viti'aux, Ics manuscrlts, et aussi

tés dans les égli- ses, les sculptures, sont pleins de sujets puisés dans cette idée;

et le style même des imprécations sacrées, telles que les gardent encore nos rituels et pontificaux, montre assez quel mépris fait l'Église de l'iVnge rebelle soumis à sa puissance, et quelle autorité elle s'attribue sur ses efforts criminels. Mais elle n'emploie pas ces adjurations seulement contre la personne de Satan ou de ses complices ; elle les adapte aussi à toutes les créatures , dont elle veut user pour la sanctification des fidèles. Le sel, l'eau, l'huile , qui devien- nent la matière ou l'accompagnemerit obligé de ses sacre-

Usage très-fré- quent de ces der niers ,

DÉiMONOLOGIE. 39^

meiits, sont tout d'abord, avant de les y employer, exorcisés, comme entachés , depuis le péché originel, d'un principe mauvais qui s'empara alors de la matière et dont il faut la purifier préalablement. On exorcise aussi avant de les bénir, et par la même raison, la première pierre des églises, le mé- tal qui doit se changer en cloches, le lit nuptial, dont la pro- fanation attire de si terribles châtiments, comme on le voit dans le Livre deTobie ; les animaux eux-mêmes, dont certai- nes maladies sont justement attribuées aune invasion du dé- mon, comme on en voit des exemples dans l'Évangile; enfin les maisons habitées par l'Esprit infernal s'efforçant de jeter l'inquiétude dans une famille, d'y attirer l'attention sur son pouvoir chimérique, et de soulever toujours ainsi parmi les incrédules des discussions qui n'ont pour résultat que de les rendre plus coupables, comme on le voit par le Uvre si complet et si concluant de M. de Mij^'ville sur les manifes- tations des esprits (-1). Mais rien n'a rendu plus vivement autrefois cette grande variés encore par

d'autres moyens

excommunication jetée par l'Eglise sur l'Ange détesté que liturgiques. ces dragons monstrueux connus sous les noms de gar- gouille, de tarasque, de grand'gueule, et autres non moins signilicatifs donnés à celte illustre bête qui précédait les processions solennelles, s'avançant devant la croix, dont elle précédait la marche triomphale, et qui semblait la pousser comme un vaincu destiné à lui servir de trophée ; c'était surtout à la fête de l'Ascension et aux Rogations, qui la précèdent, car c'était la dernière victoire de la Croix et du divin Crucifié. A Rouen, à Poitiers, à Tarascon, et bien ailleurs, cette grosse vermine avait, aux yeux du peuple ,

(1) Des Esprits cl de leurs Manifeslalions diverses, 5 vol. in-8", Paris, 1863. Ce livre n'a pu, en dépit de toutes ses preuves les plus évi- dentes, arracher à rAcadéinic des sciences, que l'auteur conjura plus d'une fois de s'en occuper, aucune explication de ces faits, ([u'elle s'obs- tine cependant à regarder comme naturels. Voir encore Tobie, vi, VII et VIII, puis le Mémoire à V Académie formant l'appendice du pre- mier volume de M. de Mirville.

392 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

un rôle très-important ; car elle gardait ses traditions, variant selon le pays, et représentait réellement le gain de quelque grande bataille gagnée sur le paganisme par les premiers missionnaires de la contrée : c'est ce qui avait sans doute frappé l'iiabile dessinateur des gravures du Bréviaire de Poitiers, édité en Î765, lorsqu'il donna au dragon que terrasse et foule aux pieds le grand vain- queur de l'arianisme des traits et des contours presque iden- tiques à ceux de la grand'gueule, rééditée à neuf en t677. Ce symbole a disparu avec tant d'autres, parce qu'on avait fini par en oublier le sens, faute de notions écrites ; de lon- gues interruptions firent surgir nécessairement des erreurs et des superstitions que l'Église fit sagement d'abroger {\). Ce que nous avons à conclure ici, c'est que des faits pareils, qui se rattachent à cet ordre d'enseignements théologiques, se réitèrent très-fréquemment dans l'iconographie chré- tienne, et qu'il faut tenir compte de l'opinion et des prati- ques de l'Eglise si l'on veut en avoir le sens et pénétrer les mystères, prétendus inexplicables, de ces curieuses manifes- tations de l'art. Et comme les formes de notre héros infer- nal prises par lui en maintes occasions, ou inspirées à ses iconographes, sont toujours bonnes à reconnaître, finis- sons ce chapitre en analysant un des plus curieux ta])leaux qui puissent nous mettre sur la trace de sa pliysionomie et nous le signaler sûrement au milieu de nos laborieuses recherches. De la magie et Lgg livrcs dc maiiic ne sont pas rares ; les grandes biblio-

fle son action con- "-^ ' > cj

tre la société chré- thèoucs out eucoro tous CCS vicux traités de sciences oc-

tienne , ^

cultes, dont la plupart, en se faisant l'interprète de supersti- tions ridicules, étaient cependant plus coupables qu'on n'a voulu le croire et méritaient l'indignation publique antant que la sévéïité des magistrats. Le catholicisme, qui ne

(l) Voir notre Hisi. de lu ralhèdr. d<'. Poil., Il, 'ÙO el siiiv., nous avons tracé l'historiqnt; de cet ussLiP.

DÉMONOLOGIK. 393

semble plus mériter aujourd'liiii ni la prolectioii des souve- rains ni le respect des légistes, était alors la loi fondamen- tale de loiUes ciioses. Jésus-Christ était le Koi des rois, et l'on n'entendait laisser le di'oit de l'insulter, de le nier, à aucun de ses ennemis, qui, par la profession ouverte de riiérésie, atlacjuaientlesi-acines mêmes de l'arbre social, de- puis si longtemps fécondé par Lui ; à plus forte raison ne pouvait-on permettre à la raison humaine de pactiser avec le hideux antagoniste de Dieu et du bien. Tant que l'Église sulfit à cette tâcbe au milieu des popu- . lations dociles et confiantes, tant qu'elle ne se vit pas desti- tuée du bras séculier institué d'En-Haut pour seconder sa mission, ce qu'on sa^ait du démon et de ses menées, ce ({n'en crurent les peuples lidèles se borna aux notions nettes, précises et purement théologiques, recueillies de la chaire chrétienne et des enseignements écrits des Docteurs. Mais vim'ent les temps de foi moins vive, d'hérésies anti- sociales, comme celles des Albigeois, des Vaudois et autres illustres devanciers de nos illustres démagogues du temps présent, si dignes de leurs ancêtres, et qui ne les justifient si bien dans leurs congrès de progressistes que parce qu'ils ** se défendent eux-mêmes en les justifiant. A ces époques fatales, on \\l s'augmenter la tourbe de ces esprits égarés, qui ne mirent plus de hont(3 à s'ériger en sectes rebelles, et qui prétendirent à une résistance dont les fruits devaient être si amers. C'est surtout à la renaissance des lettres nnti([ues, et à surtout aux dixiè-

' me, quinzième et

pai'tir de la fin du (|Minzième siècle, que le génie des inno- seizième siècles. vations, nous l'avons dit, pLuia sur le monde avec les bypo- crites figures des deux grands patriarches de la Prétendue- Héforme. On vit toutes les erreurs diaboliques faire assaut de hardiesse contre l'Eglise. Trompcnirs ou ti"onq)és, des esprits perverlis ou égarés s'adonnèrent aux pratiques démoniaques, et ce devint h* jeu de hMU's adeptes de nier audacieiiscnuMit leur p;ii'ti(i[)alion réelle aux trames de

394 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

l'enfer, pendant que l'examen sérieux de leur conduite , leurs aveux même déterminaient à des condamnations capitales des juges qui n'avaient intérêt qu'à connaître et à punir d'horribles vérités, plutôt que des innocents qui ne leur étaient connus d'aucune autre part. La gent artiste, dont la tête évaporée aime beaucoup plus les passions sans frein que le calme des études sérieuses, ne manqua pas aux antagonistes de l'Église ; elle leur vint en aide au moyen de ses pinceaux et de ses burins, comme les lettres par le mensonge et la satire ; elle s'efforça, en des pages ardentes, à dénaturer le vrai en l'exagérant, et le déprécia sous les mille formes d'absurdités incroyables : de ces livres le diable feignit de se réfuter lui-même, ces gravures le crayon, en exagérant les grosses ]}estialités de Satan et en forçant le type de ses traits sous celui des monstres les plus impossibles, parvint à ne rien laisser dans un peuple frivole de ce que la foi y avait mis. En tout cela pourtant, Satan s'était fait le plus beau jeu ; on n'avait plus peur de lui dès lors qu'on se le représentait comme une simple image de fantaisie, et, ainsi, plus on se moquait de lui, plus *• il triomphait. Estampe remar- IJuc dc CCS imagcs Ics plus forcécs fut composéc au sei-

quable de cette ., .,i ,•,• t , i j -i

époque. zieme siècle par un artiste inconnu, mais dont le travail

fut évidemment inspiré par un génie satirique disposé à cet excès d'imagination qui calcule ses effets et compte sur leurs conséquences {]). Il avait voulu représenter une de

(1) Cabinet des estampes de la bibliothèque Richelieu. On la trouve aussi reproduite au premier volume du Moyen âge et la Renaissance, ouvrage dont les planches sont fort intéressantes, mais dont le texte, à côté d'une érudition souvent douteuse quand il s'agit des arts, reste trop souvent au-dessous de l'ignorance permise quand il s'agit de dogme, de morale, de croyances ou de pratiques chrétiennes. On dirait que les écrivains de cette grande et chère compilation ont voulu créer une en- cyclopédie à l'usage des demi-savants. Encore est-il que, lorsque celle du dix-huitième siècle voulut se faire une renommée, elle confia sa partie <héologiqne à un estimable théologien qui ne manqua guère à sa mis- sion. Nous protestons, pour notre compte , à l'égard de cette encyclo-

des.

DÉMOISOLOGIE. 395

CCS cérémonies cal)alistiqiics nommées le sabbat^ et il a groupé, pour cet effet, diverses scènes toutes plus ])izarres les unes que les autres, mais fort instructives pour nous. Nous y retrouvons tous nos animaux symboliques déjà connus, avec toutes les singularités de leurs allures, avec toute l'excentricité des plus drolatiques modèles. Au pre- scènes du sab- mier plan, deux sorcières, devant une chaudière profonde hombics épiso- d'où s'élève une double colonne d'épaisse fumée, s'occu- pent à confectionner un philtre; elles jettent dans le liquide bouillant des poignées de serpents, des crapauds qu'elles écartèlent, pendant qu'une troisième active d'un énorme soufflet, sous la cîiaudièi'e magique, le feu qui s'entretient par des tètes et des membres disloqués de jeunes enfants. En arrière, un homme nu, couché sur le flanc, barbu, éche- velé, semble attendre le sort qui l'appelle à subir la même opération, et déjà il en reçoit un présage dans l'attitude menaçante d'un certain reptile arrêté sous ses yeux et lan- çant vers sa personne un dard non moins formidable que toute sa nature visible, formée du lézard par sa longue queue squammée, par ses reins dont une suite d'énormes vertèbres partage le double liémicycle, et qui a dans sa tète du crapaud et du serpent. Deux scènes correspondent à celte première; le spectateur y voit à sa gauche un étang fort rapproclié de la marmite, de jolis enfants, debout ou assis au bord de l'eau, semblent préposés à la garde des gre- nouilles ou crapauds qui y fourmillent. On devine leurs fonc- tions à l'usage que chacun d'eux sait faire d'un bâton dont on les a armés, aux gestes par lesquels ils montrent fort bien

pédie nouvelle, contre les systèines ut les f.iussetés jetés par MM. Paul Lacroix et Ferdinand Denys dans les articles siiperslitùms, sciences occultes, etc. Nous en citerions bien d'autres...; mais, en conscience, pourquoi attacher des noms capal)les de mieux s'honorer à un livre qui devrait cire plus digne, et qui n'a pour lui ni l'ordre, ni la méthode, ni la véritable érudition? 11 est impossible de digérer de telles études, qui , en définitive, n'a[»portent aucun profit à l'art et ne servent de rien à la science.

396 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

que les animaux groupés sur le rivage ne doivent pas s'en éloigner , puisqu'ils sont l'ingrédient nécessaire de l'opé- ration principale. Par un raffinement de perfidie, ces en- fants aux jolies petites poses, et qui semblent prendre avec une charmante naïveté le rôle qu'on leur donne, sont des- tinés eux-mêmes à devenir bientôt les victimes de ces hor- ribles maléfices ; car à droite, autour d'une table dont les plats contiennent encore la tète et d'autres restes d'un en- fant de leur âge cuit pour ce détestable festin, siège à l'aise, dévorant ces mets impies, un pêle-mêle de diables et de gens destinés à le devenir. Femmes de toutes conditions, dans le costume de leur ordre, depuis la grande dame au col monté, au riche vertugadin et dont les cheveux s'élèvent sur le sommet du front, comme deux cornes indubitables, jusqu'à l'humble bourgeoise aux grossières étoffes, sont attablées et goûtant avec un air de satis- faction visible les délices de ces ossements décharnés qui paraissent aux mains de tous, et que la plupart sucent en- core dans l'extase de leur infernale gourmandise. Une con- versation animée semble unir d'étranges propos aux autres mérites d'un tel repas.

Pas un homme ne s'est adjoint à cette réunion féminine. Est-ce une malice à l'adresse du sexe, toujours admis de préférence dans ces réunions sataniques? Nous l'ignorons, mais il faut que ces femmes qui se rassasient ainsi de jeunes enfants ne songent guère aux leurs, surtout en voyant près de la table, dans l'attitude d'une créature fort occupée, un chien ïlévorer sa part de cette monstrueuse viande; mais si les hommes sont absents, les diables ne manquent pas ici. Grâce à la rotondité de la table, le peintre nous les montre de tous leurs beaux côtés : horribles faces de bouc sur des corps de femme, corps velus, queues de vache ou de porc, ailes de papillons nocturnes ou de chauves-souris , visages hagards l'humanité s'allie au diabohsme par un choix d'oreilles et de cornes qui accu-

DKMONOLOGIE. 397

sent dans chaque indi\idii le caractère de la bète dont il tient; voilà qui peut donner au premier plan une idée pré- liniinaii'C de ce qui va se passera tous les autres.

Le milieu du second plan s'enveloppe des nuages ascen- dants d'une fumée épaisse qui s'échappe de la chaudière inférieure. Cette fumée se divise en trois colonnes de spi- rales dont l'inégalité et les divagations laissent des espaces vides que remplissent à l'envi soit des sorciers et des sor- cières , soit des personnes ensorcelées , les unes trans- formées en diablotins qui s'amusent à faire voler au bout d'un fil des papillons, lesquels, on le sait, sont le symbole de l'âme ; les autres traversent seuls les airs, qu'ils fendent avec une indicible rapidité, ou montent des chimères qu'ils fouettent avec des nœuds de serpents ; d'autres enfin ont enfourché le balai traditionnel, se livrant sur cette étrange monture à des voyages aériens, dans un costume plus ou moins réchauffant. Deçà et delà, traversent l'atmosphère , en retombant sur le sol, quelques-uns de ces ossements que sans doute, dans la i-apidité imprévue de leur départ, les adeptes avaient emportés de la table ils participaient à l'exécrable régal. Quant au balai que nous voyons figurer ici, on l'attribue à une dégénérescence, créée par des esprits peu respectueux, du thyrse de Bacchus, jusqu'auquel on fait remonter l'origine du sabbat. Ce nom, au reste, vien- drait de 2a€dJ<os, nom phrygien du dieu Sabaz (Sahazius), avec lequel le Bacchus des Grecs et des Latins trouve dans la mythologie antique de frappants rapports d'iden- tité (I).

(1) En lisant l'article que M. Parisot a consacré à Sabaz dans sa partie mythologique de la Biographie universelle (t. LV, 406), on reconnaît qu'en effet ces assemblées démoniaques avaient précédé de longtemps l'ère chrétienne, et que , pour arriver jusqu'à nous, elles ont tra- verser les orgies du paganisme et prendre l'empreinte de ses impuretés. Les danses lascives, mentionnées dans les assemblées des païens ado- rateurs de Bacchus, se reproduisent, on le voit, dans les scènes de la Renaissance , et nous savons très-pertinemment qu'elles ne sont pas

398 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Haine du Chris- Mais cctte équitatioii excentrique n'est pas la seule qui

tianisme, de ses i, » i . > *i.'

vertus, et des in- étoiinG daus ccttc page devergonciee. Au-dessous et a cote

stitutions sociales. ,. , , » i , . . i

de ces cavaliers des deux sexes enfourchant tout ce qui leur reste du sceptre primitif du dieu des orgies, voici d'autres vestiges de ces désordres les mœurs étaient nécessaire- ment compromises autant que la raison. A droite, et dans la partie la plus élevée de notre estampe, figure Satan assis dans une sorte de trône qui ne lui laisse montrer que son buste, et au-devant duquel pendent ses deux jambes de bouc ; sa tête de chèvre est parée de quatre cornes et surmontée d'un globe aux rayons lumineux. Il est assisté par deux femmes, assises de côté et d'autre, tenant chacune uii faisceau de serpents ; Tune est couronnée comme une reine, l'autre a un simple voile qui couvre sa tête et se répand sur ses épaules ; toutes deux gardent une attitude qui ne manque pas d'une certaine dignité. Nous craignons bien que l'une d'elles ne soit une indigne parodie d'un des plus magni- fiques passages des Livres saints, la Sagesse divine exalte ses propres beautés en termes d'une suavité charmante et d'une éloquence inimitable (I ) ; l'autre nous semble moins facile à deviner. Quoi qu'il en soit, on dirait que toutes deux représentent dans la différence de leur costume, ou très-riche ou assez simple, et une reine et une femme de condition plus modeste, lesquelles feraient encore contribuer les deux extrêmes de la société humaine aux horreurs de ces abominables sorcelleries. Eu effet, au pied du trône, un petit enfant tout nu est présenté à Satan par une femme et par

étrangères aux mœurs actuelles de certaines sectes de libertins où, sans invoquer le diable, auquel ces aveugles ne croient pas, on cède à ses seules inspirations en mêlant dans les orgies ce que la déhanche la plus dégoûtante peut allier à la plus révoltante impiété.

(1) Voir au ch. viii des Proverbes, se révèle toute la science des choses physiques et surnaturelles, telle que l'Esprit de Dieu la donnait à ses prophètes plus de mille ans avant Jésus-Christ. Jamais langue humaine n'a proféré un langage empreint d'une aussi haute majesté et d'une doctrine aussi sûre. On sait que l'Église a reconnu la Sainte Vierge symbolisée dans cette Sagesse du Très-Haut.

DÉMONOLOGIE. 399

un dùnion, nus comme lui; d'une main ils lui tiennent chaque bras, et de l'autre lui montrent le prétendu dieu auquel il est évident par leur pose qu'ils veulent déterminer le pauvre petit à se consacrer pour devenir bientôt l'ali- ment de riiomicide repas que nous avons vu. La mallieu- reuse créature semble, du reste, ne céder que malgré elle : une force irrésistible la maintient ; mais on voit bien, à la tournure de sa tète baissée, qu'elle ne peut se défendre et prévoit son sort. Remarquons qu'une tonsure fort appa- rente couronne le sommet de sa tête, ce qui semble indi- quer assez clairement ou une consécration dérisoire au maître cruel qui le condamne, ou une allusion au clergé, que les Vaudois aimaient si peu.

Quoi qu'il en soit, cette infâme cérémonie va se renou- veler, car de tels sacrifices appellent des victimes nom- breuses, et en voici d'autres qu'un messager de malheur entraîne vers le tribunal on les attend : c'est une femme échevelée, les mamelles pendantes, se crispant à cheval sur une chèvre dont elle serre les flancs de ses jambes et les cornes de ses deux mains. L'animal est lancé à toute vi- tesse au milieu d'un de ces nuages de fumée fournis par la chaudière du premier plan ; il porte en croupe deux petits enfants dépouillés de tout vêtement, dont l'un passe ses mains autour du corps de la sorcière, et l'autre s'enlace à celui-ci. Ce petit couple est sans doute de ceux que nous avons vus faisant la garde de l'étang aux grenouilles, et, en effet, si l'on se reporte vers eux, on les trouve espacés au bord du gouffre de façon à laisser deviner la place vide de deux ou trois autres qui y manquent. L'un des absents est donc celui qui figure au plat du festin infernal ; les deux autres s'acheminent sur la chèvre à une même destinée. Observons ici que ce crime d'infanticide fut très- commun de la part des sectes qui vouaient leur haine à l'Église; la pensée d'un Dieu enfant leur était hostile, et ce n'est pas sans y trouver une grande force contre les philo-

'lOO HISTOIKE DV SYiMBOLlSME.

sopiies, toujours prêts à nier les crimes pourvu qu'ils soient le fait de leurs amis, qu'on voit ce signe de guerre au Christianisme apparaître si fréquemment dans les récits les plus authentiques, aussi bien que dans les légendes popu- laires. Les annales judiciaires n'en ont pas moins que la Chronique de Nuremberg {]).

Revenons à notre sabbat.

Gomme dans toutes les affaires le diable a ses entrées libres, l'immoraHté devait s'y classer à côté de l'assassinat. Rien n'y ressort mieux que ce nouveau caractère de la plus basse corruption : voilà , à l'angle supérieur du tableau et à gauche , un groupe de quatre musiciennes , les unes assises, les autres à genoux, jouant de la flûte, de la harpe, de la viole et d'une sorte de basson , et que préside une cinquième aux cheveux encouleuvrés et dont les doigts s'exercent sur une guitare. Tout ce monde-là, évidem- ment, est encore de conditions différentes, très-reconnais- sables à. la variété des costumes féminins; elles mènent une de ces rondes infernales connues chez cette nation sous le nom de grand-mezcle, et dont la condition unique, mais essentielle , est pour elles d'être entièrement nues et d'ex- primer le plus élionté libertinage. Elles ont pour pendant, à droite et non loin du tribunal de Satan indiqué naguère , une autre danse de même caractère des femmes, alter- nativement habillées ou non, sont mêlées avec aussi peu de retenue à des démons ailés affectant la forme humaine ou celle des satyres; enfin, en revenant aux premières danseuses, nous remarquons, au-dessous du plan qu'elles occupent, une sorte d'assemblée fort nombreuse les deux sexes conservent toutes les convenances de leur cos- tume habituel et complet; seulement on voit bien s'élever

(1) QAÎ.Chronic arum Liber cumfiguris et imaginibusMichaelis Wol- gemuth etWillelmi Pleydeiiwurt,p8r magistrum Harman Schedel, doo torem Patavinum , Nurebergensem, p. gcli et cclii, in-fo, Nurem- berge, 1493.

DÉMONOLOGIE. A0\

au-dessus de la foule quebjues paires de cornes et certaines poitrines découvertes qui témoignent assez que le diable s'en mêle, et que les conversations qu'on écoute de lui et de ses suppôts avec une complaisance visible se rapportent à des choses de haute importance. La princesse, avec son luxe d'atours recherchés , la paysanne , coiffée de sa simple cornette, la boui'geoise en robe retroussée, sont une fois de plus convoquées à cette réunion, destinée peut-être par le peintre à démontrer que toutes les classes partici- pent avec plus ou moins d'entrain à ces funestes œuvres de la magie noire. Il n'est pas jusqu'aux jeunes enfants signalés plus haut dont les vêtements ne trahissent ou l'humble état ou l'aisance des parents auxquels sans doute on les a ravis. Il y a plus : des costumes indiquent parfois , au milieu de ceux qu'alors on portait dans la France de Charles VIII , de Louis XII et de François I" , d'autres modes qui rappellent des peuples étrangers : ainsi on voit en première hgne , parmi les rangs de cette assemblée mondaine qui nous semble figurer le monde avec son plus ou moins de participation à l'œuvre diabolique , on voit , disons-nous , deux personnages , homme et femme , dont le costume espagnol trahit nettement dans le peintre une intention arrêtée. Ainsi, on ne peut douter que cet ensemble d'épisodes si divers , mais tous parfaitement reliés à l'idée principale, ne soit un programme complet de la démono- manie à Vusage de tous les peuples et de toutes les condi- tions sociales. Il n'en résulte pas moins, quant à nos études, que celle conséquences

* ^ ' -^ morales qm en de-

qui nous occupe dans ce chapitre a de fortes raisons dans la coulent, et ses rap-

* ^ ^ ports avec le sym-

croyance catholique au diable, dans ses manifestations per- boiisme démono-

*' 1 . ' r logique,

sonnelles et dans l'enseignement théologique des temps chré- tiens. Cette bizarre représentation que nous venons d'ana- lyser dans ses moindres détails n'est que la reproduction évidente de tant de scènes démonologiques de nos églises, qui , pour y être écrites moins largement , n'en sont pas T. ni. 26

402 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

moins les fréquentes redites de ce que la loi apprenait à nos pères sur le purgatoire ou l'enfer. Si, dans ces siècles profondément religieux, le peuple avait su lire; si les grands, qui ne le savaient guère mieux que lui, eussent pu chercher ailleurs la science des choses éternelles , nous ne les ver- rions pas aujourd'hui au nomhre de celles qu'on étudie à grand'peine et que tant d'incrédules discutent encore. Tou- jours est-il qu'on ne devra jamais confondre l'origine de ces deux catéchèses , dont l'une fut longtemps très-popu- laire au profit du bien, l'autre ne lui succédant si généra- lement que parce que, semblable en tout au génie fatal qui l'inspirait , elle tendait à patroniser son pouvoir au moyen d'une usurpation. C'est pour avoir méconnu la première que la seconde règne seule aujourd'hui sur le monde , fa- çonné par la main des factions impies. et avec l'immora- Eli réfléchissaiit sur cc tableau de la Renaissance, on y

lité de notre , i , i

temps. voit le germe des maux qu elle nous a laisses : les princes

qu'elle avait corrompus abandonnèrent la piété catholique en abdiquant la pureté des mœurs; en faillissant à l'Église, ils apprirent aux peuples à ne l'aimer plus autant, et de jour en jour ils en sont venus à no pas valoir mieux les uns que les autres. Ces modes désordonnées; ces lascivetés impies; cet homicide des âmes dans ia personne des enfants, symboles de charmante innocence et d'irréprochable vertu ; ces danses sans pudeur, ces idolâtries du dieu Satan que suivent et propagent à l'envi les écervelés du pouvoir ou la foule stupide qui les imite , tout cela n'était-il pas comme une sorte de prophétie se reflétaient d'avance les habitudes sensuelles , les nudités systématiques , les lubriques plaisirs, la perversion méthodique et gouver- nementale des esprits et des cœurs ? Oh ! grands philosophes de notre siècle , vous faites le mal en niant qu'il existe ; vous n'aspirez qu'à une vie de matériahsme et de péchés capitaux ! Vous riez des esprits mauvais et de leur chef, dont vous activez d'autant plus le triomphe! C'est que

DÉMONOLOGIE. 403

VOUS uc savez rien un (iiie vous a^ez tout oublié! Endor- mez-vous dans ces suprêmes bonheurs de riiidifférence et du mépris, jusciuà ce ([ue ces pierres suspendues à vos regards et à qui vous refusez un langage prennent une voix pour nous confondre et s'ébranlent pour vous [)unir !

CHAPITRE XI.

DES OBSGŒNA.

Jugements er- Après tciiit dc tralts saillaiits de sa vie intime et publique,

roués sur ce sujet. , o * ti i.

nous n en avons pas fini encore avec Satan. Il est un genre de prédication que l'art chrétien devait tirer de ses habi- tudes perverses, et qu'il fallait répéter à satiété pour mieux en exprimer l'horreur. Nous arrivons au point de notre travail ces grands mystères d'iniquité si peu connus, si mal compris, se vélei'ont enfin sous leur véritable jour ; le temps doit être passé l'ignorance croyait bien faire de se scandaliser, heureuse d'avoir une grave animadver- sion de plus pour ses attaques envers l'Église. Combien cependant, naguère encore, accusant le douzième siècle d'une dépravation « poussée à un degré incroyable, » au- raient dit, avec un encyclopédiste du dix-huitième, un ana- thème complet « aux livres de dévotion , aux ornements des temples et des chaires, dont les peintures et les sculp- tures étaient si obscènes qu'on serait scandalisé aujour- d'hui d'en rencontrer de pareils, même dans les mauvais lieux (1) ! ))ÎVoilà ce que c'est : les faibles se scandalisent !

(1) Ces belles phrases sont élaborées par Sulzer dans sa Théorie générale des beaux-orls, dont un fragment fut inséré dans VEncydo- pédie de Diderot, t. 111, p. 470, in-4°. Sulzer était un homme de talent, mais jugeant de telles choses à son point de vue luthérien, outre les préjugés qu'il empruntait à une époque aussi éloignée du moyen âge que nous le sommes de la primitive Église. Et voilà pourtant les maîtres que le public de notre temps a crus sur parole, et dout l'in- fluence inspire aujourd'hui les jugements sur cette matière du plus grand nombre des érudits.

DES OBSCOENA. 405

Pour s'éviter un tel inconvénient, il aurait fallu vouloir bien apprécier tout d'abord l'esprit de cette Église tant calomniée, et ensuite juger sans prévention arrêtée les temps qu'elle a traversés, le génie des peuples qu'elle a dirigés, et les résultats de cette direction par rapport aux mœurs et aux idées de ciiaque époque. On se serait con- vaincu dès lors que cette dépositaire la plus digne et la plus élevée de toute morale n'avait point méconnu la Sagesse divine qui l'inspire, et que les populations confiées de Dieu à ses maternelles sollicitudes, loin de souffrir d'un prétendu relâchement, n'avaient trouvé sous tant de formes plasti- ques injustement décriées que des leçons du bon et du bien aussi profondes que sérieuses. Ce que nous avons dit du Cantique de Salomon peut s'appliquer parfaitement à ce que nous allons examiner dans ce chapitre ; mais avant tout nous devons raisonner sur le fond des touchantes répu- gnances exprimées avec tantde persistance par nos puritains de la libre pensée. Ce que nous avons à en dire servira après tout, en temps et lieu, à raisonner sur toutes les ques- tions de ce genre.

11 faut admettre avant tout, comme une vérité incontes- La retenue du

langage humain proportionnée '( la dépravation des mœurs. Origin* , , , . de ce sentiment,

du langage, comme la convenance et la reserve des iiabi-

. langage humain

table appuvée sur les plus sévères observations de l his- proportionnée à

^ ^ " *■ ^ la dépravation des

toire, que ce qu'on appelle aujourd'iiui la pureté morale mœurs.— origine

*^ - . - . de ce sentiment.

tudes privées ou publiques, ne s'est formulé en règles aus- tères et précises que graduellement et en proportion que les mœurs ont subi les atteintes successives qui les ont amenées jusquà la décadence nous les voyons depuis trop longtemps. Cette considération vient encore prouver la justesse et la véracité de la Genèse quand, après avoir ra- conté la désobéissance des deux premiers époux, elle ajoute qu'aussitôt « leurs yeux s'ouvrirent, ils s'aperçurent d'une nudité qui jusque-là ne les avait point embarrassés, et ils se firent des vêtements. » Et encore cette première in- dustrie de la pudeur mi leur parut-elle qu'insuffisante ,

406 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

puisque bientôt après ils se cacliaient aux approclies de Dieu, et rougissaient devant lui de leur nudité (\).

Mais à côté de cette honte salutaire, qui devenait une sau- vegarde pour l'avenir contre les emportements des passions charnelles, naquit en môme temps la sainte retenue qui préludait au sixième commandement, jeté dès lors en germe dans le cœur humain : retenue qui, n'ayant pas suffi contre la corruption et ses excès, dut être formulée nettement par le législateur du Sinaï comme une des plus importantes pré- servations de la société nouvelle : de là, dans les idées sociales comme dans le plus intime sentiment des deux sexes, un respect naturel pour la chasteté ; de les moyens de protec- tion qu'elle reçut partout en face des dangers que la nature corrompue lui offrait de toutes parts. Ces moyens durent être secondés par les morahstes, et il n'est personne qui n'ait lu souvent et admiré l'éloge aussi doux que magnifique épanché dans le livre de /a Saçjesse par l'Esprit divin sur cette « famille des chastes qui brille d'une si pure splendeur aux regards de Dieu et des hommes (2). » Or il faut bien croire que ces leçons furent entendues, et qu'en présence môme des trop nombreuses exceptions dont la race d'Adam subit toujours plus ou moins les tristes entraînements, l'estime et la pra- tique delà vertu durent cependant se propager et se main- tenir : de cette retenue du langage qui n'admettait pas d'exprimer ce qu'il ne fallait pas faire ; de môme, et à plus forte raison, cette modestie secrète de la pensée et des habitudes dont les intimes rapports avec les sens conmian- daient forcément la prudence discrète et la prévoyante circonspection. Ces règles furent, à divers degrés, de tous

(i; (( Et upcrti suiit ociili amboiuiii; cumque coguovisseiit se esvse riudos, coiisuerunt fulia (icuri et feceruut .-^ibi perizomata... Yocavitqne Domicus Adam, qui ait : Timui eo qnod nudus essem, et .'bscondi me.» {Gen., ii\, 7 etseq.)

(2) «0 quaia puiclira est casiu gencralio cuiii cla;jia!e ! Iiajuortalis est enim mcmoria illius. qnuiiiain et apiid Denm nota est et apud ho- mines. » (Snp.,]v, l.)

DES OBSCŒNA. 407

les temps et chez tous les peuples ; sans elles, on n'eût \u que désordres dans le monde et confusion dans la société, la famille ne se fût jamais constituée. Et c'est pi'écisénient de ces rè"rles vénérables, toutes d'ins- modifié uécessai-

" rement par quel-

titution divine, que les sa^es durent se faire un rempart ques besoins

vie sociale,

contre l'irruption de toute pensée déslionnète dans l'exposé ou dans la discussion de certains faits matériels qui durent entrer bientôt dans le domaine delà science. La théologie, ne fùt-elle encore que la simple morale naturelle ; la mé- decine considérée comme science pratique ou spéculative ; l'esprit humain tout seul livré à ses méditations dans ses rapports de conscience avec la vertu, eurent besoin d'ex- poser des principes dont l'énoncé n'était pas possible sans des termes technicjues et spéciaux, sans des idées pro- pres et déterminées. Personne donc n'eut à s'effaroucher de telles choses traitées delà sorte et par de tels motifs. Ainsi, l'àme la plus honnête dut se familiariser avec un ordre d'idées qu'elle n'acceptait que dans un but d'utilité incontes- table. Mais à mesure (jue les mauvais penchants élargirent le mais ramené à

une plus grande

chemin du vice, et que la pasion, plus envieuse de satis- sévérité par u

dépression des

factions sensuelles, s'en préoccupa jusqu'à les cherciier, à mœurs. défaut des faits coupables, dans le langage, les livres ou les égarements de la rédexion, les habitudes s'imposèrent nécessairement plus de ménagements, le langage affecta plus de délicatesse, et la naïveté primitive s'effaça. Les crimes qui avaient amené le déluge reparurent bientôt après la dispersion des enfants de Xoé, et c'est de cette époque sur- tout qu'il faut dater la rechute des hommes et les religions

idola triques nées de cette seconde rébellion. La grossièreté superstitions im- pures des fau>se3

des mœurs, suite indispensable de l'oubli de Dieu, s'accusa reii-ions de ro-

rlent, contrastant

plus nettement chez les nations orientales, dont la pensée avecia simplicité

T ,,,,.,, 1 HT 1 *^® quelques pcu-

religieuse dégénéra jusqu a consacrer, comme dans 1 Inde, pics primihfs. l'Egypte et la Syrie, les symboles les plus étranges à la véné- ration populaire. Plus touchés de leur existence terrestre

408 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

que d'aucun autre sentiment, on vit ces peuples porter en procession avec les plus grandes marques de respect les deux organes qu'ils regardaient comme le principe de la vie. C'était pour eux le dieu Chib , et devant lui les assistantes s'évertuaient aux postures les plus indécentes. Il y avait loin de ces lascive tés superstitieuses aux naïves amours des pa- triarches, aux simples et naturelles narrations des faits bibliques en quelques chapitres de la Genèse , et au bain d'Ulysse, préparé et soigné dans tous ses détails par la vieille Eurynome (^). A cette môme époque, ne voit-on pas aussi « le jeune Télémaque conduit au bain par la belle Poly caste, la plus jeune des filles de Nestor, » puis après « l'eau pure et les parfums précieux qu'elle répand sur lui, » n'est-ce pas elle encore qui « le revêt d'une fine tunique et d'un riche manteau (2) ? » Athénée, comme le remarque Bitaubé, cite cet usage inséparable de l'hospitalité comme une preuve de la pureté des mœurs honorée à Pylos (3). Ainsi , pour que les mères se fussent décidées à suspendre le Chih susdit au cou de leurs enfants contre de certains maléfices , et à le porter elles-mêmes pour obtenir la fécondité , il fallait bien que ces remèdes, que ces objets de parures ne blessassent en rien l'honnêteté publique (4). On en était venu , et dès lors on pouvait ne plus se gêner, et de telles étrangetés n'in- fluaient en rien sur les habitudes de la vie morale. Si des païens peuvent demeurer calmes devant ces spectacles au moins scabreux , à plus forte raison les Juifs adorateurs du vrai Dieu , mais accoutumés à voir professer de telles singu- larités chez les nations de leur voisinage (ri).

(1) Voir Odyssée^ ch. xxiii.

(2) Ibid., ch. III.

(3) Voir Bilaubé^ Odyssée, t. 1, ch. m, et les notes correspondautes.

(4) Voir Mémoires de V Académie des sciences de Tovlovse, t. I, p. 110, iD-40, 1782.— Ezour Vedam, I, p. '23, 33 et 88, éd. in-12,Iver- dun, 1773.

(5) « Manus Doiuini Azolhios percnssit in secretiori parte natiiim... Et posuenmt arcam Dei super plauytrum et capsellam, quai habebat ^imilitudinesanorum... » ( I Pieg., v et vi, passini.)

DES OBSCŒNA. 409

On sait l'histoire des anus d'or racontée au premier livre des Rois, et comment les Piiilistins, frappés de Dieu par une maladie intestinale et une irruption de rats qui dévoraient tout, en punition de la violation de l'Arche, n'obtinrent leur guérison qu'en offrant en sacrifice , avec la représentation de ces animaux, celle de la partie oi!i ils souffraient (I). L'histoire profane raconte une particularité toute semblable des Athéniens, qui, ayant mal reçu les mystères de Bacchus, furent affligés par ce dieu d'une maladie honteuse , dont ils ne se guérirent qu'en portant, en l'honneur du dieu, des figures obscènes conseillées par l'oracle (2). On voit assez par ces figures ce que devaient être les mystères d'un tel dieu. Mais nous voyons aussi, par les œuvres de nos propres ancêtres, avec quelle bonhomie ils travaillèrent ces mêmes sujets bibliques. La Bible hlstoriale, manuscrit français du quinzième siècle, conservé à la Bibliothèque Richelieu (3) , montre, dans une de ses miniatures, quatre Philistins dont les rats dévorent les naches [nales]^ et le texte , sur lequel nous aurons occasion de revenir, indique sous ce symbo- lisme ceux qui « l'idole de péché aourent, et Dieu se cour- rouce à eulx , et les lessa pourrir en vils et ords crimes qui ne sont mie à nommer. » De leur côté, les Prophètes, dans les énergiques reproches qu'ils adressent au peuple de Dieu, invoquent les comparaisons dont nous nous garderions fort aujourd'hui : témoin entre autres le chapitre xvi d'Ézéchiel, Dieu expose à la fille de Sion avec quelle miséricorde paternelle il l'avait relevée de l'abjection de ses premiers jours. Les termes de cette comparaison sont des plus vifs, des plus rebutants, à en juger d'après nos idées actuelles ; mais, pour n'appeler ici qu'un témoignage , et certes des

Idée et usage des peuples de Ja Palestine sur co point.

Langage du Prophète con- forme à ces usa- ges.

Remarquable ré- flexion de Voltaire à cet égard.

(1) Voir Dom Calnet cl Smcliez in h. loc. N'était-ce pas udc contrefaçon de l'histoire biblique des habitants d'Azoth?

(2) Voir Diodore de Sicile, cité par Sabbathier, Z^ic/tVmn. des auteurs class., t. XXXV, p. 2in.

(3) F" 60. r«, n" 1 et 2.

4iO HISTOIRE DU SYMBOLISME.

moins suspects , en faveur d'une telle littérature, nous cite- rons un des plus audacieux profanateurs des pages bibli- ques pris dans un de ses bons moments, et qui pense abso- lument comme nous à cet égard. « Ces images, dit Voltaire, nous paraissent licencieuses et révoltantes : elles n'étaient alors que naïves ; il y en a trente exemples dans le Cantique des Cantiques , modèle de l'union la plus cbaste. Remarquez attentivement, poursuit-il, que ces expressions, ces images sont toujours très-sérieuses , et que dans aucun livre de cette haute antiquité vous ne trouverez jamais de railleries sur le grand objet de la génération. Quand la luxure est condamnée, c'est avec des termes peu propres, mais ce n'est jamais ni pour exciter la volupté, ni pour faire la moindre plaisanterie. Cette haute antiquité n'a rien ni de Martial, ni de Catulle, ni de Pétrone (i). » Cynisme de la Cette obscrvatiou est , en effet , de la plus grande justesse.

littérature et de i t p

l'art des anciens, Lgs autcurs païcus sout dégoûtauts de crudités aiireuses :

tout inspirés par i i t i j , > i>

leapasiions. c'cst pour le plaisu' coupablc de dire des obscénités et d en rassasier avec eux des lecteurs plongés dans les débauches de leur temps qu'ils abordent certains sujets dont un esprit décent n'a que faire. TibuUe , Catulle , Pétrone , Martial , Ovide et autres gens de cette famille éhontée ne se vautrent- ils pas pour le plaisir de le faire, et comme des pourceaux, dans la fange de leur httérature immonde? Les artistes de ces âges antiques ne valurent pas mieux très-souvent , et il est clair que leurs statues de dieux et de déesses, nus jusqu'au cynisme des représentations les plus provocantes , n'avaient pour ])ut que de favoriser de honteuses prostitu- tions. Vénus, Pan, Priape, ce dernier surtout dont on n'avait d'abord institué les honneurs divins que pour symboliser la génération et la propagation éternelle de l'espèce humaine (2) , enfin tous les satyres du monde, sans compter les scènes

^1) Quesl/ions stir r Encyclopédie, emblème.

(2) Parisot, MijUiologic dans la Biogqaphie imiverscllc de Michand.

DES OBSCŒNA. AU

niythologiffues se perpétuaient les amours de ce que

Lucien appelait la canaille céleste, ont toujours fait rougir

la vertu, et si ce sentiment était pour quelque chose dans le

cœur des mères de l'aniille de Rome et de la Grèce, on ne

voit guère cependant que ces insolences leur déplussent, au

moins pour leurs jeunes enfants, et qu'elles cherchassent

à en détourner leurs regards.

Peut-être alors l'habitude créait-elle une espèce d'in- L'habitude fa- miliarisait alors différence, ou bien de telles erreurs du sens moral n'ajou- avec los objets

d'art, qu'elle rend

taient rien à une corruption dont on ne préservait pas moins dangereux? même l'âge le plus tendre, au témoignage d'un certain passage de VAne d'or. Ce qui est certain, c'est que, plus ou moins suivie, la chasteté avait (lussi de quoi commander le respect, puisque ces nudités sans aucun voile figuraient alors, comme nous le verrons plus tard, à l'école chré- tienne, dans quelques monuments la vertu était mise en lionneur. C'est ainsi (]ue sur une urne sépulcrale, découverte et publiée par Mautfaucon, un bas-relief d'une exécution très-remarquable indique une femme attaquée, en présence de son mari et de ses serviteurs , par un audacieux criminel que ceux-ci ^iennent de terrasser et s'apprêtent à punir du glaive qu'il a trop bien mérité. Tous ces iiommes sont nus à la manière antique , sauf la feuille de liguier dont le sculpteur ne les a point privés ; mais i-ien ne protège la pudeur de la femme , qui fuit visi- blement toutefois aux ])ras de son époux qui la protège; et celui-ci, ({ui lui a survécu, en faisant représenter cette action sur la pierre funéraire, l'a surmontée d'une inscrip- tion qui célèbi'e la pudicifé incomparable et la singulière mo- destie de Li villa llarmonia (1). Un éloge si explicite d'une vertu si estimable eût contrasté singulièrement avec la mo- destie de la jeune femme, exposée d'une tout autre manière que nous ne le ferions aujoui^'liui, si la vertu eût été ])iessée

(Ij }\on\.{<xy\inn\, Anliquilc e.i:pliqnée,y , 90. pi. l.xxiii.

4^2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

alors par de telles images ; et il faut ajouter que , dans une foule de marbres du môme genre, on ne s'embarrasse plus des vêtements ou môme des plus simples voiles. Une preuve bien plus saillante que la modestie n'en était en rien bles- sée, c'est que les premiers artistes chrétiens ne songèrent témoin les pein- nullement à modifier cette méthode. Les murs des cata- combes,^* "^^ * combes reproduisent le plus souvent les Prophètes, les trois enfants de Babylone dans une complète nudité qui n'offus- que pas le regard; si Adam et Eve y ont quelque appendice, c'est comme un souvenir de leur première ceinture du paradis terrestre. Mais la différence entre les chrétiens et les païens sur cette matière n'en existe pas moins dans les mœurs , qui d'un côté gardaient toute la corruption d'une nature dégradée, et, de l'autre, élevaient jusqu'à la gloire du martyre l'honneur de la virginité, et les écrits des Lcs lubncités dc la vie païenne, la sainte vertu des fidèles

Pères de l'Église. i i i i ) i

étaient donc un double sujet d exhortations ferventes ou de sévères invectives de la part des Pères et des écri- vains ecclésiastiques des premiers temps ; et dans ces élo- quentes attaques , ils suivaient le génie de leur temps et n'avaient pas plus honte des termes que les infidèles ne rou- gissaient de leurs actions. S. Jean Ghrysostome a des homé- lies où l'expression du vice qu'il réprouve est nue et toute naïve. Dans l'une d'elles, il va jusqu'à comparer l'avare pos- sédant tout sans en jouir à une sorte d'impudique inassouvi, dont personne ne réprouvait en ce cas la mise en scène (i). Quoi de moins caché dans ce même Père que l'étonnement

(1) « QusB igitur est diviliarum voluptas? Ego molestias video. Et quse molestiae ? inquies. ^terna sitis et dolor. Num si quis puellam complectatur, nec concupiscentiam explere possit, extremo dolore cru- ciatur ? sic etiam dives rerum quidam eopiam habet, illamque com- plectitur, cupiditatem vero suam explere nequit, sed item coDtingit quod ait vir sapiens {EccL, xx, 2) : (?Gupiditas eumiclii virginitatis flo- » rem puellae eripit. Sicut eunaclius virginem amplexus ingemiscit, » sic divites omnes. » (S. Glirys., Homil. Lxxxiii in Matlh., t. VII, p. 793.)

DES OBSCOENA. 443

qu'il témoigne en termes si évidents de la naissance humaine du Fils de Dieu ( i ) ? Devant un tel prédicateur que diront les savants, qui n'ont pas eu assez d'anatlièmcs contre ceux beaucoup moins osés du seizième siècle , Barlette, le petit père André, et surtout le jésuite Garasse à qui ils en veulent bien moins qu'à sa Compagnie ? S. Épiphane dévoile, en les énumérant, les plus détestables infamies des gnostiques : « Pourquoi craindrais-jc de dire ce que vous ne craignez pas d'accomplir? en parlant ainsi j'inculquerai à mes audi- teurs l'horreur des abominations que vous commettez (2).» Ce sont à peu près les mêmes expressions qu'emploie S. Cyrille de Jérusalem pour dénoncer les crimes obscènes des Manichéens. « L'Église vous parle ainsi , disait-il ; elle fouille dans les ordures de ces impies afin de vous apprendre à ne vous en pas souiller ; elle dévoile ces blessures hideuses pour vous en garantir vous-mêmes (3). » Ne voyez-vous pas en ce peu de paroles une raison de tous les obcœna reprochés à nos modillons? Mais n'anticipons point, et voyons le lan- gage des moralistes catholiques autoriser ces dessins jusqu'à l'époque même la décadence des mœurs oblige enfin à tout voiler.

Il semblerait que le génie de la langue latine, exclusive- ment employée au moyen âge dans tout l'Occident, eût laissé une plus grande licence à la parole, et ce serait le sens du fameux vers :

Le latin dans les mots brave l'honnêtolé. Le poète aurait pu en dire autant du grec et de l'hébreu ;

(1) « Admodum stupendiim est Deum ineffabilein... Patri aequalem per Virginem venisse vulvam. » {Homil. ii in cap. i Malth., 2.)

(2) « Non erubescam dicere quee ipsi facere non erubescunt, ut modis omnibus horrorem incutiam audientibus turpia quœ ab ipsis perpetrantur facinora. » (S. Epiphan., Hxres. xxvi.)

(3, « Annuntiat Ecclesia hoc et docet, attingitqae sordes illas ut tu non polluaris, dicit vulnera ut tu non vulneraris. » (S. Cyril. Hierosol. Calech. vi, sub fine.)

Mêmes exem- ples dans la litté- rature tUi raoyen âge.

A\A HISTOIRE DU SYMBOLISME.

mais le plus ou moins de liberté tient beaucoup moins à la langue qu'au temps elle était parlée , aux idées morales des peuples qui s'en servaient et aux exigences variables de sa littérature. Voyez comme S. Augustin hésite peu à exprimer les plus vénérables mystères de la foi en décrivant ce que la nature a de plus intime et de plus épineux (I ) . Évi- demment, ce n'était pas bracer l'honnêteté, mais parler un langage clair et précis pour faire comprendre nettement qu'il n'y avait rien que de surnaturel dans l'Incat-nation du Verbe divin.

Mais pour en revenir à nous-mêmes, n'est-il pas vrai que, du moment la langue française commence à se faire et qu'on l'emploie aux fabliaux, aux mystères, aux romans et aux chansons de gestes, les traductions qu'elle se fait des auteurs latins, sacrés ou profanes, ne continueul pas moins de s'exposer à l'intelligence des auteurs a> ec la complète naïveté des âges précédents ? Nos plus vieux ma- nuscrits le témoignent à l'envi; nos premiers livres, im- primés trois ou quatre siècles après, l'attestent comme eux. Ce n'est pas à dire qu'il (aille confondre , quant au sujet et à la chasteté intentionnelle du discours, le roman de la Roue avec les Loyales et pudiques amours de Théagène , pas plus que la charmante simplicité de S. François de Sales avec les grossièretés cyniques de Uabelais ; mais toujours est-il que si l'on examine attentivement les influences simultanées de la langue et des mœurs sur notre littérature, on verra clai- ■Le Cantique àe rcmeut quc la première n'est devenue plus timide qu'en

(1) « Die mihi jam, quaîso, saiicta SaDctorum Mater, quemadmodum luaterni odoiis lilium convallium nivei coloris sine suceo liiimauaB propagiDis, et sine imbrecarnalisserainis in sinu Ecclesiaî germinasti... Qua cogitatioiie ad hocpervenisti, lit sine ulia sui mutabilitate in ute- rum tuum veuiens, ita castellum castum lui ventris incoleret, ut et ingrediens non laederet, et exiens incolumem custodiret?» ( S. Aug. Sermo ii de luflivil. Virginis.) Et encore : « Intumescunt ubera Virginis , et intacta maneiit genitalia Matris. » {Ib., De ViniinilaU; Marifg.)

DES OBSCOENV. 4-15

r)roportioii des plus grandes hardiesses de celle-ci. Il fallait, ivaueniobautrfl-

* * , zienie Biècle.

(Iiloiqu'on médise du moyen âge , une grande naïveté au treizième siècle pour qu'un poème que nous avons déjà cité de l'Allemand Frauenlob (dj, renommé cependant pour la chasteté de ses poésies , ne puisse être cité par son éditeur du dix-neuvième, grâce à des licences et à des nudités qui ne seraient plus de notre goût, parce qu'elles blesseraient outre mesure les convenances littéraires et religieuses : et ce poème, après tout, n'est qu'une paraphrase du Cantique de Salomon , devant lequel on sait que la sainte et touchante chasteté de S. Bernard n'a pas reculé, non plus que celle de tant d'autres (2). Qui ne trouverait étonnant, appliqué à notre époque, le langage de S. Louis rapporté par Joinvillc, et ce roi insistant au lit de mort, dans ses avis à son jeune lils sur cette recommandation textuelle : « Fai à ton pooir les b... et les autres malgens ch acier de ton royaume si que la terre soit de ce bien purgée (3). » Ne soyons pas plus étonnés de lire dans les bibles françaises Les traductions

, . ;, ., , . , 11. . . " <ie la Biblo du

du seizième siècle, et, qui plus est, du dix-septieme, des mots seizième siècle. et des choses dont il faut absolument nous abstenir aujour- d'hui, quand langue n'a plus ses allures aussi dégagées. Et qu'on n'objecte pas que ces livres n'étaient pas lus : les familles conservaient encore avec soin les lectures journa- lières de la doctrine et de l'histoire sacrées , et toutes nos présentes observations se rattachent à une édition du Nou- veau Testament donnée en ^632 , quoique le style en soit beaucoup plus ancien, et dédiée par Sébastien Kiivé aux Révérendes Mères Supérieures de l'Ordre de la Visitation : de sorte que voilà toute une famille de pures vierges que la moindre mauvaise pensée eût effrayées, et qui pouvaient se jeter sans le moindre péril dans les deux épîtres aux

(i) Voir ci-dessua, t. II, ch. v, p. 120.

(2j Voir feuillttoa de VUnivtrs, 5 juillet 1852, article de M. de Ge- nouiilet. (3) Mémoires de Joinvillr.

446 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

* Corinthiens et en beaucoup d'autres endroits qu'on ne sau-

rait plus rendre qu'avec l'indispensable précaution de lon- gues périphrases. Les prônes du Et CCS salutcs lîlles u'étaicut pas les seules nourries de ce q^a^ dix-^hui- style énergique. Chaque année, depuis le mois de février tieme siècle. ^ ^^^^ ^^^^ ordonuauce du roi Henri II était lue, le troisième dimanche del'Avent, au prône de chaque messe paroissiale, renouvelant les peines portées par cet édit contre les femmes enceintes qui auraient celé leur grossesse. Ordre était donné de cette lecture annuelle, et certes personne aujourd'hui ne voudrait se charger de la faire dans les termes du texte offi- ciel. Elle fut cependant maintenue jusqu'en 4 789, sans que personne réclamât jamais contre les singularités d'un lan- gage qui, en traversant plus de trois siècles, avait cependant revêtu un air d'étrangeté incontestable (I) : tels étaient alors la simplicité de la foi et le calme chrétien des consciences. C'était l'équi- De tout ce qui précède il faut conclure, avec Piérius Valé-

valent du symbo- . ,.i i i i p i

lisme des obs- riauus, qu il cst chez tous les peuples une enfance qui laisse plus de calme aux passions, pendant laquelle il n'y a aucune honte fondée plus tard les raffinements de la civilisa- tion produisent la décadence de la pensée et des mœurs. Le libertinage a donc fini par remplacer une placide et respec- table philosopl^ie, qui ne craignait pas d'énoncer et de maté- rialiser par les arts plastiques des pensées qui, môme dans le secret de l'âme humaine, ne dépassaient pas les bornes assi- gnées par l'honnêteté de la conscience aux moindres écarts de l'imagination (2). Ce que l'écriture égyptienne avait admis dans ses hiéroglyphes, ce que les nations primitives avaient adopté pour exprimer les idées les plus élevées et les plus sages dut passer avec elles dans l'Occident, sans changer de signification. Les symboles, si commodes en eux-mêmes pour exposer brièvement les profondes doctrines de la

(1) Voir Rituel du diocèse de Poitiers, in-4°. 1766^» p. 240.

(2) Voir Pierii Valeriani Hierogîyphicorum lib. XXXIII , cap. xx et seq.

DES ORSCŒNA. 4^7

métaphysique et de la morale naturelle, se tirent jour et pénétrèrent jusque dans la théologie catholique ; mais il y eut cette intention de beaucoup supérieure : on n'y pou- vait prétendre à établir par, des images spéciales une doc- trine superstitieuse et inutile sur la génération des êtres, dont le public chrétien n'avait pas tant à s'occuper que d'éviter les tentations de la chair; ce Turent celles-ci qu'il fallut combattre, et ce genre d'enseignement trouva, comme tous les autres, de graves et intelligents professeurs. En effet, quand le langage obligatoire de ces matières épineuses demeure autant innocent que possible en présence du besoin de s'en exprimer ; quand des livres comme ceux d'Arnobe, de S. Augustin, de Ratramne, de Baronius justifient par leur côté sérieux les traités écrits sur ces clioses par des plumes supérieures que nous avons invoquées ailleurs (^), il faut bien se ranger de leur parti, et l'on doit, avec de telles autorités, croire posséder le véritable sens et la droite opi- nion de l'Église : c'était celle qu'exprimait l'un de nos plus célèbres symbolistes. Durant de Mende, en plein moyen âge , et quand tous les élans de l'art religieux se portaient plus ardemment vers ce genre d'allégories. « User dans une certaine mesure , disait-il, des peintures pour repré- senter le mal à éviter et le bien à faire n'est point répré- hensible. C'est dans cette intention que le Seigneur disait à Ézéchiel : Entre dans Jérusalem, et vois toutes les détes- tables abominations qui s'y pratiquent. Et il y vit en effet d'abominables ressemblances de toutes sortes de reptiles et d'animaux, et sur les murs étaient représentées toutes les idoles de la maison d'Israël (2). »

(1) Voir notre llisloire de L'abbaye de Ctiarroux cl de ses reliques, nous avons traité cette question par rapport au saint Prépuce de Notre-Seigneur qu'on avait cru longtemps reposer dans ce monastère; eh. XI, §§ 1-ix.

(2) « Moderate vero uti picturis ad reprœsentaLdum mala vitacda et bona incitanda reprehensibile non est; undeDominus ad Ezechieleni (VIII, 9) : Ingrederc et vide abominationes pessima» quas isti faciuut.

T. ni. %1

qui deyient ponr Tan ce que le style était à une certaine littéra - ture.

Ils sont un mode d'enseignement.et rien autre cho?e

Us appartien- nent à la meil- leure époque ùe la littérature sacrée et de l'art reli- ffieux .

418 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Maintenant, il s'agit de voir appliqués par les artistes chrétiens les principes que nous venons d'exposer , et de conclure, en présence des étranges sujets devenus enfin très- intelligibles, que rien n'y blessait la chasteté , n'y attaquait la pudeur quand ils furent sculptés aux miu's de nos tem- ples; que tout, au contraire, y était utile, saint, y révélait l'expression d'un système arrêté d'enseignement moral, et une prédication de vertu par des maximes comprises et respectées de tout le monde.

Cela une fois bien établi, nous savons parfaitement à quoi nous en tenir sur les nombreuses et très-évidentes nudités offertes aux regards des fidèles en des lieux et à des époques toutes les âmes sont pénétrées d'un religieux respect pour Dieu et son culte. C'est qu'en etïet c'est Dieu, c'est le culte de la vertu dont il s'agit ; rien autre chose ne pouvait inspirer les créateurs de ces surprenantes ressemblances. En vaui des archéologues dont les études étaient trop hâtées ont voulu y ^ oir le type du relâchement moral « qui s'était introduit dans les monastères ; le résultat de certains ca- prices de quelque moine travaiUeur ayant des fantaisies comme un autre ; l'expression d'une littérature qui s'affais- sait dans le cloître comme ailleurs (1). « De telles assertions ne tiennent pas contre l'histoire, qui nous dépeint les dou- zième et treizième siècles, naît presque toute cette ima- gerie, comme ceux les lettres ont eu le plus de splen- deurs, où l'art a eu sa plus belle efflorescence, la ferveur monastique, renouvelée au souffle de S. Bernard, de S. Thomas et de tant d'autres, produit ses plus remarquables effets d'esthétique et de piété. Ainsi, point de contraste, mais au contraire , dans ces temps-là , fermes et nobles harmo- nies entre la foi et Tart , entre l'homme de la prière et

Et ingressus vidit omnem similitudinem reptilium et animalium et •ribommationeru, et imiversa idola domus Israël depicta in pariete. » fDur. Mimât., Ration, divin. Officior., lit). I, cap. m.)

(1) Voir M. ^chmià, Manuel à architecture religieuse,^. 70 et suiv., Paris, 1845.

te et-

DES ««scne^ji. 419

le scalpteor de nos plus rastes et superbes ba&îliqaes.

La conséquence abscrfoe de ce double caractère de science ^^ âerée et de piété ardente est, sans contredit, 1 estime et la pratique plus austère de la chasteté chrétienne dans la rie rdigîeuse. Or ne le perdons pas de rue : alors c'est le prêtre, c'est le nHMDe qui est artiste, et, nous ne craignons pas de le dire, tout ce que touche leur ciseau se diange en quelque chose de chaste et de pur. Consultez toutes les œuvres de cette époque, depuis les plus simples jusqu*au\ plus remar- quables par le fini de leurs détails, pas un doute ne tous sera laissé sur ce point : sculptures, ciselures, manuscrits, enluminures, étf^es, ritraux , tout ce qui est du domaine de fart rdUgKux respire le sentiment de la décence la plus scrupuleuse. Si larttste se troure parfois amené, par les nécessités de son sujet , à se passer de ces amples et riches draperies qui sont alors un de ses ]dus beaux succès, ce n'est pas sans de certaines précautions conroiues qu'il rend la nature humaine à sa condition natire. Le nu y est égale ment ménagé sdon les eiigimces de llûstoire et conformé- ment à des rè^es de décenee que le génie chrétien pourait seul iuTenter.

Aioâ, dans ce bel Ârhrt de la Vierge identifié à la cathé- uv^x% de la drak de Jiilan avec l'inimitable chandelier dont chacun "''^ * sait lliistoîre et le symbolisme, nous Toyons représentée merreiDeusement et entourée de toutes nos preuTes la scène complète de la première chute et de la perte du Paradis lerrestre. Les deux coupables y sont nus : comment faire autrement ? mais les formes les i^us redoutables à la pudeur > enlacent si bioi aux gracieux enroulements des bran- chages, que Fœfl aperçoit à peine quelques traces de la ceinture derenue Tunique Tètement du couple prèrarica- teur;et, en dehors de leur r&le, toutes les autres figures des .Vnges, des Vertus qui s'allégorisent dans leurs divers em- plois contre le démon ou contre les rices qui Tont naître de lui, sont drapées comfdélement , et arec cette exquise

420 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

retenue dont notre esthétique sacrée ne s'est jamais dépar- La Madeleine tie (I). A SaintMaximiu du Var, le Saint Pilon soutient une

du S. Pilon, à . ,

saint-Maximin. Madeleine en extase, supportée par quatre Anges au-dessus de terre; les Anges, que notre école moderne ont faits nus comme des vers, sont entièrement recouverts d'uue longue tunique, et la Sainte, que la tradition nous représente vivant dans la Sainte-Baume privée de tout vêtement, est voilée ici de sa longue chevelure , qui ne laisse apercevoir que ses

s«« Marie Égyp- tralts (2). G'cst alusi que la légende de S*^ Marie Égyptienne

tienne. , ^ , . , .

la représente vêtue de ses seuls clieveux , et priant le saint abbé Zozime qui l'aborde de lui jeter son manteau pour plus de décence avec lui (3). Les Vierges- Eu cc mèmc treizième siècle dont nous parlons , cherchez iième siècle,'^' partout pcuvcut être les images de Marie et du petit Jésus dont on la fait toujours inséparable : rien de plus chaste que cette pose de reine , que ces belles étoffes agencées avec leurs longs et vastes plis pour dissimuler toutes les formes , que ce long voile surmonté de sa précieuse cou- ronne, retombant sur les épaules et complétant autour de cette pure physionomie le beau idéal de la virginité. Et ce même respect , n'est-il pas toujours déféré au saint Enfant qui repose sur les genoux de la Mère admirable? sa petite robe ne le couvre-t-elle pas de la tête aux pieds? n'y ajoute- t-elle pas tout ce que la pensée humaine peut y mettre de douce amabilité et de charme pieux? Sans doute, s'il esta peine dans la crèche , s'il est lavé aussitôt après sa nais- sance, d'après la naïve coutume de quelques peintres , qui croient par ce détail symboliser d'autant mieux sa divinité abaissée jusqu'à nous ; s'il supporte enfin le fer de la circon- cision, la pensée de l'artiste rentre dans la vérité historique et n'entoure pas moins le petit Enfant de groupes aux cos-

(1) Voir la description et la gravure de ce beau travail, Annales ar- chéùlog.,\ni, 5 et 177; XIV, 341; - BulleL. monum., XVII, 181.

(2) Voir Bulletin des comités archéologiques, t. II, 1850, p. 108.

(3) Voir Légende dorée et tous les hagiographes.

DES OBSCOENV. 421

tiinies variés d'après leur rôle , depuis les Bergers jusqu'aux Anges du Gloria in excelsis. Quant à Marie, elle est comme Joseph , toujours le plus parfait modèle de la beauté virginale et de la majesté bénie entre toutes. Quelle diffé- rence entre ces types vénérés de la paisible innocence du cœur et ces nudités païennes de la Kenaissance, qui n'at- testent plus que le libertinage des peintres , traitant l'au- guste Mère comme une femme équivoque, et son cher petit Jésus comme un enfant-trouvé !... Ajoutons que cette et ses autres tra-

/ , . , . . -t \ 1 vaux iconogra-

réserve n est pas exclusivement observée pour ces deux phiqucs. types suréminents. Parcourez toutes les surfaces auxquelles se soient appliqués les arts du dessin, reliquaires, émaux, découpures quelconques : les personnages, quels qu'ils soient, y révèlent partout et toujours ce costume grave qui rend si dignes les personnages de ce temps , et qui associe à cette dignité magistrale les hommes eux-mêmes, toujours habillés de la douhle tunique de l'art ancien. Et Les personnages que dire encore de ce soin scrupuleux qui, presque tou- jours (car il faut reconnaître aussi sur ce point des excep- tions très-justifiables), se borne systématiquement à nous traduire la natui-e nue par des personnages sans sexe, soit dans le réveil du jugement dernier, soit dans les rôles divers qu'on doit donner à l'âme , toujours représentée ainsi? Outre ce qu'il y a de logique dans cette ingénieuse invention , fondée sans doute sur la parole du Sauveur , sur celle de Job (^), n'y a-t-il pas aussi une habileté de délicatesse dans cette mutilation morale qui concilie si étroitement l'esthétique et la pudeur? Et ne voyez-vous pas qu'il y eut un impardonnable aveuglement dans certains docteurs de l'Institut quand ils calomnièrent le moyen âge jusqu'à faire contre lui une déplorable « consommation de malpropreté (2) ? »

(1) « In resurrectione cnim ueque nubent neque nubentur, sed erunt sicut Angeli. » (Matlh., xxiii, 30.)— « Nudus egressus sum ex utero..., uudus revertar. » {Jub, il, 21.)

(2) Voir la prétendue Hc/'uUftion du livre de M. Veuillol sur le droit

sans sexe.

422 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Cause tout es- Non , la foi , Ic sciis moral , la vertu enfin qui en dé-

thétique des ob$- . . ^ •»,,■>

cœna, trop peu coulc ct qui S y appuic , uc manquèrent pomt a cette ère comprise. ^^ génie chrétien , et c'est en leur nom que cette sublime

iconographie s'empare de l'art pour en faire l'école du bien et l'éclatant reflet de ses plus augustes leçons. Donc , lorsque ces leçons eurent changé d'expression visible , lors- qu'on les étudia sous des formes qui , pour être restées longtemps insolites , n'étaient cependant ni trop nouvelles ni moins comprises , on ne les accusa point de venir sans raison se placer à côté de ce qu'on admirait de plus saint et de plus pur. On symbohsait la vertu , il fallait symbo- liser le vice , et la distance qui les sépare fut la mesure des données nouvelles , comme leur différence radicale déter- mina des moyens tout opposés : telle est la cause vraiment morale et l'origine théologique de tant de figures dont l'ignorance s'est scandahsée, et dont l'intelligence était pourtant bien facile , pour peu qu'on se fut rappelé ce que disait S. Denys d'Alexandrie : « Que la cause du péché n'est point en notre corps, mais dans le mauvais usage qu'on en fait (1) ; » mais enfin ce mauvais usage est trop fréquent, il jette trop de désordres dans la vie des sens pour ne lui opposer point des avertissements sévères et continuels. On voulut donc en inspirer l'horreur en mon- trant tour à tour la laideur du péché honteux , les détes- tables égarements il pousse, l'abime creusé par lui sous les pas de l'Juimanité quand elle s'en rassasie et

du seigneur, par Jules Delpit. C'est à propos Je cette prétendue réfu- tation que cet écrivain, qui n'est point de l'Institut, mais qui sentait peut-être le besoin d'en être, s'allie, en l'honneur de ses haines contre le moyen âge et sa civilisation, à d'autres qui en sont déjà, lesquels n'usent de leur grandeur littéraire que dans le môme but, et que le monde voltairien connaît trop pour que nous devions les nommer ici. Des romans immoraux, des opéras impies ne donnent pas le droit de dénigrer l'Église aux dépens de la justice et de la vérité. Voir aussi [q& Annales archi'ol .giques , XVH, 327. (1) Montesquieu ne disait-il pas, 1300 ans après lui, que l'imagination ^ déréglée était la première source de l'impureté ?

DES OBSCOENA. Î23

l'adore. Voilà pourquoi tous les crimes de la chair, que les prédicateurs hounissaicut devant des auditoires si nom- breux et si attentifs, durent avoir leurs images dans ces sculptures, dans ces peintures murales, dans ces verrières coloriées, sur ces pages enluminées des manuscrits , l'érudition chrétienne s'accommodait à l'œil et à l'esprit, sans plus craindre de les blesser que la parole n'avait offensé l'oreille ou affecté des cœurs naturellement do- ciles autant que chastes par devoir. En vain chercherait-on à combattre cette méthode en La crudité des

1 i-x' I t. ,. ■^ sujets est une

se recriant sur la crudité de certains sujets; ceux-là mêmes preuve de lour ne sont que d'éloquents reproches aux passions qui se four- "^'^^^*' ^' voient, ou la rigide flagellation imposée aux coupables doc- trines des hérétiques, si souvent condamnés par FÉgiise. On sait de quelles abominations se souillaient les sectes impures des adamites, des cathares et toutes les branches de gnostiques, dont le sens pervei'ti ne vivait que des plus monstrueuses incontinences. Les reproductions murales de ciie personnifie les

1/ . . 1' 1 !»• . passions et les cri-

ces orgies suppléaient aux catéchismes, que 1 imprimerie mes honteux:

ne donnait pas alors ; et ce qu'il ne faut pas oublier comme

conséquence de cette remarque , c'est qu'en voyant le

peintre ou le sculpteur attacher aux surfaces qu'il travaille

certaines représentations la nature agit sans aucun voile

ni retenue, ce n'est point le côté permis de la chose, celui

que sanctifie le sacrement du mariage que vous voyez là,

mais bien l'abus et l'excès , interdits en dehors de toute

union légitime. On s'est beaucoup effrayé, par exemple, d'un laduitère à saint-

chapiteau placé au péristyle de Saint-Benoît-sur-Loire , et ^^"^'^"^""-^""^ ?

(jui se trouve accolé à une scène de tentation d'un autre

genre. Deux personnes entièrement nues en font tous les

frais, et en considérant ce qui etitoure ce chapiteau, on ne

peut reconnaître qu'un contraste médité entre les plus

saintes leçons du dogme et les plus hideux mépris dq la

pureté conjugale ; car c'est tout près, et en regard des divins

mystères de la sainte Enfance, de la virginité de Marie et

]a prostituée de l'Apocalypse ;

424 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

des révélations célestes de l'Apocalypse, que le dessinateur expose au regard l'action môme de l'adultère ou de la for- nication (^ ) . En cela, et par la crudité même de cet acte hon- teux, rien d'étonnant pour qui étudie philosophiquement cette page inusitée de l'histoire de l'art. L'Apocalypse, nous l'avons vu, n'épuise-t-elle pas ses saintes invectives contre les prostitutions de Bahylone? La prostitution n'est-elle pas mille fois, et dans les autres Prophètes, comparée avec la fornication à l'idolâtrie , qui n'est autre chose que la né- gation du dogme, comme l'impureté ahsolue, caractérisée par cet acte que n'atténue aucune des moindres règles de la pureté, n'est que l'avilissement de la morale et la plus complète abjuration de la dignité chrétienne? Ne lit-on pas dans la Sagesse ces mêmes pensées rendues dans les mêmes termes (2j ? Jérémie n'a-t-il pas reproché à Jérusalem in- l'idèle de s'être rendue coupable de ce crime et d'en avoir les chiens et les chcrché toutcs Ics occaslous (3)? C'est dans le même but

impudiques. ,,i, -, « /-t ii i/iit

c{u a 1 un des contre-iorts méridionaux de la catliedrale du Mans, se tiennent, dans une attitude qui défie toute descrip- tion, une femme et un homme encapuchonné qui, très-certai- nement, n'y sont, et toujours en dehors de l'église, que pour stigmatiser ces chiens, et ces impudiques abominables que S. Jean ordonne d'en chasser comme autant d'idolâtres et style énergique d'empoisoiiueurs (4). S. Paul n'est pas moins pressant.

(1) Voir Marchand, Sovvenirs historiques de V ancienne abbaye de Sainl-BenoU-sur-Loire,^\.\, in-S», Orléans, 1838. Ce livre, qui n'a aucun mérite , ni comme histoire ni comme interprétation de l'iconographie du monument, que l'auteur n'a pas comprise, est inté- ressant par les planches, dont un archéologue expérimenté reconnaîtra bien mieux aujourd'hui le sens et l'origine.

(2) « Initium fornicationis est exquisitio idolorum , et adinventio eorum corruptio vitse est. » ( Sap., xiv, 12.)

(3) « Tu fornicata es cnm amatoribus multis. » {Jerem., m, 1.) « Sub omni ligno frondoso fornicata es. » {Ib., 6.)

(4) « Foris canes, et veuefici, et impudici, ethomicidae, et idolis ser- vientes !... » (yl])0'"., xxii, 15.) Nous ne voudrions pas ici répondre du personnage, dont les apparences, toutes spécifiées surtout par son capuchon, pourraient bien tromper l'observateur , cette espèce de

DES OBSCOENA. 425

et c'est de lui nircst sans doute empruntée la hardiesse de s Paui contre

* i les Koinains et les

beaucoup d'images sont traduits les crimes dont il dé- corinthiens. clare les auteurs indignes du ciel dans sa première lettre aux Corinthiens. « Ce ciel, dit-il, n'est fait pour les débauchés d'aucune sorte ; loin de lui ceux qui se livrent aux fornica- tions, aux adultères, aux abominations deSodome ('l) ! » Les Romains ne valaient pas mieux, et, privés, comme on le voit par les conseils que l'Apotre leur adresse, de tout sentiment des vertus morales, ils se déshonorent en outre par la stu- pide habitude des plus ignobles excès de la chair. Point de ciel pour de tels monstres ; ils ne méritent que la mort éter- nelle, car ils vivent dans des crimes pires que Tidolâtrie qu'ils avaient quittée (2). Que s'il en était ainsi de ces orsueilleux conquérants Leurs crimes re-

'^ ^ nouveles par les

du monde, dont la brutalité sensuelle ne s'arrêtait devant barbares envaiiis-

seurs (le l'empire,

aucun attentat, en fut-il autrement de ces hordes franques et par les Nor- mands.

et germaines qui les chassèrent, quatre siècles après, du sol qu'ils avaient déshonoré ? Ne fut-ce pas les mômes désordres qu'apportèrent les Normands aux bords de nos

couvre-chef ayant été au moyen âge d'un usage assez général en dehors du costume monastique. Quoi qu'il en soit, la suite va nons montrer qu'il est très-possible de trouver de telles images offertes en leçons mo- rales, et non pas, comme persistent à le soutenir quelques penseurs trop dociles à leurs conceptions préconçues, en preuves critiques d'une immoralité religieuse qu'on s'étudie à grossir systématiquement.

(1) « Nolite errare : neque fornicarii, neque adulteri, neque molles, neque masculorum concubitores..., regnum Dei possidebunt. ))(1 Cor., vj, 9.)

(2) «Etmutaverunt gloriam incorruptibilisDei in similitudinem ima- ginis corruptibilis hominis, et volucrum, et quadrupedium, etserpen- tium. Propler quod tradidit illos Deus in desideria cordis eurum, in immunditiam : ut contumeliisafliciant corporasua in semetinsis;prop- terea tradidit illos Deus in passiones ignominiae. Nam feminee eorum immulaveruut naturalem usum, in eum usum qui est contra naturam. Similiter autem et masculi, rcliclo naturali usu feinina:', exarserunt in desideriis suis in invicem, masculi in masculosturpitudinem opérantes, et mercedem quam oportuit erroris sui in semetipsis recipientes... Tradidit illos Deusinrcprobum sensum, ut faciant ea quœ non conve- niuut... Qui talia agunt, digui sunt morte, et non solum qui ea fa- cinut, sed ctiam qui consenliunt facientibus. » {Honi., i, 23 et seq.)

426 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

fleuves et sur tout notre littoral maritime quand ils y débarquèrent, au neuvième siècle, pour y semer avec les ruines matérielles une désolation mille fois plus terrible dans le ravage des mœurs et le renouvellement de tous les excès que le Christianisme avait effacés de la société nouvelle ? Ces abominations étaient donc revenues; il est certain qu'une recrudescence de ces crimes contre nature s'était manifestée depuis l'apparition de ces colporteurs d'immoralité, et un fait arrivé au douzième siècle, et que rapporte un de ses historiens, montre bien à la fois et jusqu'où pouvait aller le désordre du monde, et comment le peuple chrétien le détestait, puisqu'un Saint pouvait lui en parler ouvertement sans étonner en rien son nombreux auditoire. S. Bernard, ayant délivré à Nantes une femme de l'une des plus affreuses obsessions, dénonça le fait aussitôt après, dans la cathédrale, à la foule assemblée à qui il voulait en inspirer l'horreur {]). C'est un de ces mille sujets qui avaient droit trouver leur place dans quelques illustra- tions murales. Bien d'autres de genres trop variés venaient souvent augmenter les griefs de l'Église, et quoique ses efforts et ses justes sévérités y eussent mis un frein, des traces de ces funestes maux restaient toujours, et c'étaient eux qu'il s'agissait de combattre en livrant à la réprobation générale ces infamies de la chair et leur voie corrompue. Raisons de quel- Aussl k sculpturc uc fut pas iiiolus fidèlc à flétrir ces infa-

ques modillons ^ *■

spéciaux et d'au- mlcs quc Ics Doctcurs à les honnir. Gomme pour les autres

très sculptures,

expressions du mal ou du bien, l'artiste, qui n'avait pas tou- jours à travailler un champ de vaste espace, dut se borner souvent à des étendues restreintes, n'offrir qu'une pensée principale au lieu d'un drame complet, et remplaça des groupes et des faits par un objet isolé dont la vue suffisait pour rappeler un passage scripturaire avec le souvenir d'une défense divine, et sans lequel aurait manqué un cha-

(1) s. Beniardi Upii., t. 1, p. 25, edit. Horst., Lugduni.

DES OBSCOEXA. 427

pitre de haute importance au Décalogue de rarcliitecte el

du sculpteur. De là, à l'église de Goui'gé (Deux-Sèvres), trois à ciour-é,

modillous se partagent une même action au-dessous d'un

entablement qui règne sur la porte d'entrée. Celui du milieu,

composé de deux objets réunis, ne laisse aucun doute quant

à sa signification dissolue (^}; les deux autres de chaque

côté sont un homme et une femme grimaçant à loisir, et

dont le sentiment ainsi rendu ne reste pas étranger à cette

vilenie. De même à Saint-Pompain (Deux-Sèvres) , on voit à saint-Ponij)ain

1 ,. T . , •>iii»«ri/«ct ailleurs.

deux lemmes se livrant séparément a des lubricités dégoû- tantes. Ceci se passe au-dessous de trois zones arrondies en ogives et couronnant l'entrée occidentale. Ces zones offrent, parmi les motifs variés de leur riche travail, des scènes qui se rapportent à celles-là, tout en leur opposant des idées contraires, telles que deux chevaliers, la force et la pru- dence, terrassant deux anges réprouvés qu'ils foulent à leurs pieds, pendant qu'eux-mêmes reçoivent sur leur tête, des mains de deux Anges fidèles penchés sur chacun d'eux, la couronne de leur pieuse victoire. Le zodiaque est lc zodiaque. aussi avec ses signes célestes correspondant , par les occu- pations de chaque mois, à la pensée de ces travaux de la terre qui font éviter le péché en élevant l'âme vers Dieu, et mériter le ciel par la fuite des mauvaises passions. Ces idées si diverses, ces expressions si opposées du vice et de la vertu ne s'expliquent-elles pas mutuellement , et ne dévoilent- elles pas très-clairement l'intention de ceux qui ne craigni- rent pas de les réunir sous les mêmes regards? Les autres obscœna qu'on voit distribués aux modillous extérieurs de Villeneuve-d'Ornon (Gironde), dont l'église est du onzième siècle; ceux qu'a recueillis dans plusieui's églises de basse Xormandie le zélé archéologue M. Dumoncel (2),

(1) « Partes utriusqiie sexus coeuntes. »

(2) BuUelin monumental, VIII, p. 16 etsiiiv. Une planche accom- pagne ceUe liste et reproduit une suite de 130 sujets, parmi lesquels trois ou quatre à peine sont des obscœna.^ous disons à peine parce que,

Prétendus obs- cœna qui n'ont ja- mais existé.

428 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

ont évidemment le môme principe et tendent à la même fin ; ils sont tous aussi d'une époque à peu près identique, n'allant guère au delà des onzième et douzième siècles, comme à Saint-Sernin de Toulouse et à l'abbatiale de Moissac , comme aux cathédrales de Bazas et de Poitiers ; mais ils ne se prolongent guère en deçà du treizième, et déjà, dans cette dernière période, on les remarque moins qu'au siècle précédent.

Après ce que nous venons de reconnaître, il est bon cependant de constater que plus d'une fois on a cru voir des obscœna jamais il n'y en avait eu. M. Jouannet, dans une description , publiée en ] 824 , de l'église Sainte-Croix de Bordeaux , faisait justice, à l'égard de ce monument, de ce qu'on regardait alors comme un reproche mérité. Nous avons défendre contre cette même imputation , fort peu comprise encore en 1849, l'un des tympans occidentaux de notre belle cathédrale de Poitiers , de mauvais yeux avaient pris pour tout autre chose un diable jetant , tête la première , dans la gueule de l'enfer un damné qu'il y por- tait sur son dos (1); mais que feraient déplus quelques scènes mal interprétées , puisque nous savons enfin quelle interprétation leur donner ? Ce» sujets furent- Ccttc objcction rcsscmblc beaucoup à celle qui faisait

ils jamais des

satires contre le figurcr dcs évôqucs ct dcs moiucs livrés au mal dans ces

clergé? ^ ^

sur ces quatre, deux nous paraissent douteux. Quoi qu'il en soit, M. Dumoncel est de notre avis quand il pense que ce sont des moyens d'inspirer l'horreur du mal; mais nous ne pouvons être du sien lorsqu'il penche à croire qu'on aurait voulu aussi bien faire le contraste entre le bonheur si pur d'aimer Dieu et la vertu, et l'affreuse jouissance de ces plaisirs immondes. La première de ces idées est la seule admissible, car la seconde serait trop métaphysique et d'une portée trop difficile à atteindre par la foule. On voit cependant que ceux mêmes qui n'ont pas de profondes études théologiques pensent qu'on ne peut expliquer que par la théologie ce que tant d'autres aiment mieux condamner que de se taire.

(1) Voir Bullet. monum., XI, id6; Hist. de la catliédr. de Poitiers, ], 135.

DES OBSCOKNA. '«2t)

mêmes scènes que nous signalons ici, ou jetés en enter clans celles du jugement dernier. C'étaient là, d'après quelques-uns, « des satires hardies autant qu'amères des laïques constructeurs contre l'autorité et le caractère ecclésiastiques dont la puissance pressurait de trop près le pauvre peuple... » Tant il est vrai que ce peuple, si tendrement plaint par les amis qui l'exploitent en calom- niant le passé , doit être aveuglé jusqu'au bout par les démocrates de l'archéologie! Eh quoi! ils n'ont pas vu que ces justes sévérités n'étaient qu'une preuve d'impartialité du clergé lui-même , qui, au douzième siècle , encore un coup, était le maître de ces œuvres, et que les deux siècles suivants n'ont fait que les imiter dans le même but ? Ils ou- blient que la loi divine est faite pour tous , que la règle des devoirs est la mesure des châtiments comme des récom- penses, et que plus sont élevés ceux qui les méprisent, plus ils seront punis pour avoir, par leurs mauvais exemples , perdu tant d'autres avec eux? C'est l'Esprit-Saint qui a dit cela a^ec une concision aussi redoutable qu'énergique (1). Quand donc rÉghse, usant d'un des moyens les plus fruc- xon, mai? de* tueux contre les égarements du cœur humain, eût voulu vS*'"' ''^^'*' lui inspirer, par la peur des peines éternelles , et la fuite du péché et le généreux amour de la vertu, qu'y verrait-on qu'une habileté pleine de tendresse et une pieuse industrie que la charité ne lui recommandait pas moins que la foi ? Qu'était-ce autre chose que suivre dans cette tâche ferme- ment soutenue les exemples donnés par S. Bernard, dans son livre De la Considération adressé à un Pape, le véné- rable Bède , Pierre de Blois, et tant d'autres?

La preuve de cette vérité qu'avait dite S. Grégoire, au comme la peinture

*■ ^ en donnait a toua

commencement du septième siècle , sur les catéchismes donnés au peuple par les peintres et les sculpteurs, se confirme par ce que versifiait, au milieu du quinzième,

(1) « Potentes potenter lormenta patieniur. » {Sap., vi, 7.)

430 HiSTOIRE DU SYMBOLISME.

Ce qu'en disait le poètc Villoii , (laiis cctte Hymne à la Vierge, qu'il avait faite pour sa mère, et dont le style naïf ajoute singulière- ment au mérite du fond :

Femme je suis^ paiivreUe et ancienne, Qui riens ne sçays, oncques lettres neleuZj Au Moustier voy, dont suis paroissienne , Paradis peint, sont harpes et luz. Et ung enfer dampnéz sont boulluz... L'ungme fait paour, l'autre joye et liesse... (1).

Voilà donc le but de l'Église rempli par ces exhibitions partout multipliées. Les simples qui oncques lettres ne leu- rcnt , se les approprient aussi bien que les magistrats de la république des lettres. La différence entre eux est peut-être, à en juger par Villon lui-même, que les petits ont paour et liesse , et que les grands n'y songent pas assez ; mais c'est précisément la raison qui fait ranger ceux-ci en partie du et même Virgile, côté dcs âuies pcrducs. Gc uiêmc avertissement ne se don- nait-il pas du temps que Virgile écrivait le sixième livre de X Enéide :

Disciie justiiiam moniti, el non iemnere Divos?

De telles leçons furent toujours utiles, car elles sont insé- parables des notions d'une autre vie. Leur austérité ne s'af- faissa point, bien au contraire, quand s'affaiblirent les mœurs clirétiennes, et nos façades du quatorzième siècle , durant lequel tant de causes vinrent appauvrir le sens reli- gieux , en conservent de remarquables spécimens. Mais le treizième , encore si profondément imbu des principes les plus élevés, n'en avait pas moins, et jusque dans les monas- L'enfer des re- tèrcs , CCS tcxtcs quc chacuu savait lii^e et s'appliquer. A

ligieuses à Sainte- _ . i /-.i i . , .

Marie-des-cimses. Saïute-Marie-des-Ghases, en Auvergne, un prieure, aujour- d'hui effacé , avait une charmante église du douzième

(1) Voir un intéressant travail de M. Ducliallais dans la Bibiioth. de V École des Chartes,2^ série, t. IV, p. 229 etsuiv., et t. V, p. 424.

DKS OBSCOENA. A3\

siècle devenue paroissiale , et dont la paroi septentrionale avait été décorée, au treizième, d'une curieuse fresque repré- sentant, en de vastes dimensions, le jugement dernier. Elle était divisée en deux plans, dont l'un offrait la récompense donnée par le Snuveur aux religieuses fidèles que lui pré- sentait la Prieure. Dans l'autre, au dessous, on voyait les religieuses maudites et livrées au démon. Un dialile « à bec d'oiseau, aux pieds ongles, à la queue fourchue, aux écailles de flammes , à l'œil ardent , a fait un paquet des damnées qu'il traîne après lui, liées par une corde. D'autres petits diables s'agitent autour de leur chef, emportant une religieuse à califourchon sur leurs épaules, tandis qu'un autre suppôt d'enfer ouvre la gueule de la fournaise , d'où s'échappe une fumée rouge. Les religieuses prédestinées Nudité des âmes.

- . , . Symbolisme du

ont le corps entièrement nu, » mais sans aucune appa- voiie religieux. rence de sexe, comme il convient à des âmes , et la tête couverte d'un voile noir, car ce voile est le symbole con- servé de la vie cachée en Jésus-Christ, qu'elles ont sainte- ment suivie. Les religieuses damnées, au contraire, sont nues également , mais le voile dont elles ne sont plus dignes leur manque : elles ont la tète découverte et les cheveux épars, c'est-à-dire que pour elles il n'y a plus ni de modes- tie, ni de prière , à laquelle S. Paul ne voulait pas que les femmes se livrassent sans être voilées (i).

On le voit, cette fresque résume à elle seule tout ce que nous avons établi ci-dessus. En face d'une telle composi- tion , on explique la nudité symbolisant l'âme dégagée du

(1) Voir, DuUel. mmum., XII, 399, une Notice de M. Branche sur Sainte-Marie-des-Chases— L'auteur regarde comme singulier ces der- nières circonstances de ia nudité symbolique et du voile donné aux unes et refusé aux autres. Pour bien comprendre l'art chrétien il faut avoir nécessairement des éludes liturgiques, et beaucoup d'autres dont la Bible et les Pères sont la source. Le voile, qui fait l'attribut de la vie religieuse des femmes, a son origine dans celte phrase de S. Paul : Vos ipsi judicate : decel mulierem non velalam orare Deumf (1 Cor., XI, 13.)

naissance,

/|32 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

corps charnel, la damnation possible des personnes vouées au plus saint état, l'intention sérieuse qui préside à ces œuvres, toujours prises dans l'ordre des idées surnaturelles, les horribles liesses de tant de diables n'aspirant qu'à en- tasser des victimes , la joie calme et sereine des héritières du royaume éternel. Ces caractères Mals comuic CCS doctrlues théologiques eurent à souffrir

s'effacent devant ,.. ^xi •/,/ in -

la prétendue Re- dcs egaremcnts mondains nnposes a la société par la timeste époque dite de la Renaissance , il s'en faut bien que nous puissions apphquer à ce que l'art nous donna pendant les quhizième et seizième siècles les principes que nous venons d'émettre. A cette époque on voit encore, il est vrai, surna- geant çà et au naufrage de la vie morale , quelques preuves que parfois c'est encore l'Église qui s'occupe de ses affaires , le clergé qui dicte ses images aux sculpteurs (I) ; mais de toutes parts les barbares se précipitent et hâtent à l'envi , révolutionnaires précurseurs, la ruine du sens chrétien avec celle de l'art consacré à Dieu. Alors le grotes- que s'empare des églises, y envahit à la fois vitraux, stalles, peintures , sculptures ; le désordre règne partout , grâce aux grossières inspirations de Luther ; à l'immixtion de sa théologie dans le monde qu'il paganise, et aussi à ce pillage des choses saintes livrées , sous le nom de commandes, aux

et sont remplacés favoiûs débaucliés dcs priuccs chrétiens. Tout le monde s'en

par l'esprit du i »r i i

paganisme, de la môlaut, Ics profaiiateurs changeiit jusqu a la nature des

mondanité et liu . . , , , .

mauvais goût. clioscs : Ics traditious disparaissent, les règles séculaires s'oublient ; la toile, avec ses vernis chatoyants , usurpe la place des fresques et des verrières ; les plus étranges com- positions, non plus sous une forme mystique, mais s'éver- tuant à prendre leurs symboles dans la boue des passions éhontées , s'emparent du temple et en font un bazar d'ha- giologie traitée , à la façon des Romains et des Grecs , avec

(1) Voir, Ballet, monum, XXU, 292, le «Marché et description des sculptures à faire dans la clôture du chœur de la cathédrale de Chartres, » par Jean Solas, maître maçon à Paris.

DES OBSCOENA. -^33

une indécence systématique, au caprice d'ouvriers dont la vie ne valait pas mieux que la pensée, ets'inspirantpourle bon Dieu et la Madone des formes homériques ou virgi- liennes de Jupiter et de Vénus. Les nudités inutiles se mul- tiplièrent alors à la plus grande gloire des artistes , qui montraient vaniteusement, par ce moyen, leurs études anatomiques. Par un bizarre contraste, le mauvais goût revêtit les statues d'étoffes et de brocarts, dont l'effet les rendait au moins ridicules; l'art tenait ses assises chez les marchands de drap et de verroterie, heureux quand il ne descendait pas jusqu'à donner à un crucifix un costume suisse, comme il arriva plus tard à Soleure, et à d'autres une perruque par-dessus la couronne d'épines , comme l'avait vu, en Sicile, le P. Labat (-1).

Plus de cent ans passèrent sur toutes ces insultes perma- Le conciie de nentes faites au culte du Sauveur, de sa sainte Mère et de une réformation. leurs amis couronnés dans le Ciel. Et enfin, quand le mal se fut étendu jusqu'à ne plus laisser croire qu'à une décadence complète de l'art qui avait oublié ses destinées et sa fin, l'Église voulut se défendre au moins contre l'envahissement de ce barbare qui s'appropriait ses temples et ses autels, ni plus ni moins, comme les soudards de Goligny et de Gondé. Le concile de Trente, qui se termina en ioùSy s'occupa, cette année, de cette question impor- tante et voulut réformer les abus qui en avaient cor- rompu les éléments. Un de ses décrets , renouvelant sur la matière les canons du septième concile général, tenu à Nicée en 787, obligea les pasteurs à n'introduire dans les lieux saints que des images qui , en quelque matière qu'elles fussent faites , restassent conformes « aux proto- types , » c'est-à-dire aux formes adoptées par l'antiquité dès les temps apostoliques et aux règles suivies pour cha- que sujet. Le cbncile avait-il, en usant de ces termes,

(i) Cf. Voyage, d'Espagne et d'Italie, par le P. Labat, dommicain, t. V, p. 212, Paris, m-12, 1830.

T. m. 28

434 HISTOÏKK ni SYMBOLISME.

l'inteiition de prohiber pour l'avenir les oOscœna, dont le libertinage de son temps commençait peut-être à abuser V rien ne le prouve. Déjà abandonné depuis longtemps , ce genre , d'ailleurs très-bien compris par tout ce que l'uni- vers catholique avait de Docteurs les plus éclairés, ne devait pas sembler prêt à revenir , et nous verrons bientôt la preuve qu'il ne faisait encore peur à personne. En admettant donc qu'il ne fût question, dans, le langage des Pères, que des tableaux ou sculptures admissibles à tous les regards, ils rappelaient aux maîtres des âmes l'obligation d'expliquer au peuple ces images , dont elles étaient la lecture sensible et journahère ; aux évêques , elle disait la nécessité de ne laisser exposer aucune image sortant de ces règles , même dans les monastères exempts, sans qu'ils lui eussent donné leur approbation (1). Remarquons, en outre, que la sainte et docte assemblée insista dans ce même décret pour qu'on éloignât du culte vénérable des saintes images toute super- stition, et que rien n'y fût traité qu'avec la plus grande mo- destie (2). Malheureusement, le torrent qui coulait ne fut pas arrêté par cette digue , et , soit que le concile de J rente ne fût pas reçu en France, comme on disait, de quoi nous voyons qu'on eut certes, en cela comme en d'autres choses, beaucoup à se louer..., soit que les mœurs, profondément altérées, eussent fait subir à l'art une déchéance qui lepor-

(1) « Non soluin autem licere iii Ecclesia imagines habere, et illis lionorem et cultum adhibere, ostendet parochus^ cum bonos qui eis exbibetur, referatur ad yrololypa... Tanta circa heec diligentia et cura ab Episcopis adbibeatur, ut nihil iuordinatum_, aut praepostere et tu- muUuarie accomniodatum, niliil profanum nihilque inbonestum appa- reat^ «uniidomum Dei deceat sanctitudo. » [Ccncil. Tridait. ,&ess.xxy, De invocat. reliquiar. et sacris imaginibus.)

(2) « Omnis superstitio iii Sanctorum invocatione... et imaginum sacro usutollatur..., omuis denique lascivia vitetur... Quod si aliquis dubius aut difficilis abusus sit, extirpendus... Episcopus antequam controversiam dirimat, metropolitani et comproviucialium episeopo- rum in concilio provinciali sententiam exspectat ; ita tamen ut nihil, inconsulto sanctissimo romano Pontifîce, novum aut in Ecclesia hacte- nu3 inusitatum decernatur. » (/d., ibid.)

l)i:S OBSCOENA. 535

lait vers le naturalisine cl \ eutraîuail jusqu'aux concep- tions religieuses, toute cette discipline, en dépit de ces véné- rables prescriptions, fut méprisée, et les artistes, n'écou- tant plus que leurs fantaisies, les imposèrent à quiconque voulait une statue ou un tableau. De tels désordres, qui ne se signalent qu'cà la lonsue, , ,^*f ^"^"V^il"

^ '^ ^ o ' d'Urbain VIII

finirent cependant par s'attirer de nouvelles animadversions «ur le même

* ' sujet.

officielles. Quand le concile de Ti-ente était clos depuis un siècle , le pape Urbain Vlll , allligé d'en voir négliger les canons, traita la cliose plus radicalement, ordonna que les tableaux, statues et autres représentations de Notre- ^ Seigneur, de la Sainte Vierge, des Saints onde leur histoire, fussent traités, quant au costume et aux autres détails qui leur sont propres, selon les seuls usages de l'antiquité chrétienne , atin de rétabhr, par ce retour aux temps de foi, une dévotion et un respect sincères envers ces dignes objets de notre culte {^), Si cette haute sollicitude a pu relever l'honneur des arts ces prescrip-

, , . , . 111.1 1 tions ne touchent

chrétiens, c est uniquement dans le choix des sujets et la en rien aux obs-

j , , , . ,^ 1 ' ^^"^ <'6^ églises,

décence des représentations, rsous savons trop que le génie des statuaires ou des peintres n'y a rien gagné; mais ce qui n'est pas moins certain, c'est que ni ce même concile , qui reconimandaitauxévéquesla plus stricte surveillance contre les impiétés de l'iconographie moderne, ni ce pontife, si explicite dans ses prohibitions comme dans ses ordres, n'ont pas entendu comprendre dans leurs justes anathèmes lesobscœna ouïes grotesques de nos façades, de nos boiseries et de nos vitraux. On aurait eu cependant quelque prétexte de soutenir le contraire : car, tout en défendant de rien faire exécuter, à l'avenir, qui ressemblât aux choses proscrites ,

(1; «Nos abusus hujusmodi tollere pro debito pastoralis officii nos- tri volentes..., imagines Uomini nostri Jesu Christi, Deiparœ Virginis Marise,..,Sanctorum quorunicumque sculpere autpingere...,aut vestire cum alio habilu et forma quam in catholica et apostolica Ecclesia ab aiiti(iuot(nnpore consuevit...» Voir GarôeUini , Dec rel a authentica congrpg. Sancl. Hil., t. 1, p. 241, 1856.

436 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

ces grandes autorités voulaient qu'on éloignât du Lieu saint et qu'on n'y pût jamais conserver celles de même genre qu'on y avait admises jusqu'alors : Imagines... antehac sculptas , plctas et alias quomodolibet e/fictas tenere. Sans doute, si l'on eût ignoré alors le sens profond attaché depuis trois ou quatre siècles aux sculptures dont nous parlons ici, des moyens eussent été pris aussitôt d'en effacer jusqu'au sou- qu'ciies n'avaient vcuir. sout douc Ics écrlts liistoriqucs, les ordonnances condam^ef^ ^^ éplscopalcs coustalant qu'on soit parti de ce texte si précis pour condamner à une radiation générale tant d'objets si ^ onéreux à la critique moderne ? Si vous cherchez ces insi- gnes, vieillis maintenant de sept à huit siècles , aux places que leur assigna le génie de nos aïeux , vous les y trouvez encore, sauf peut-être ceux que firent hacher, par une inno- cente pruderie , d'honnêtes fabriciens aussi peu au fait de leur histoire que des Pères de Trente et du hullaire d'Ur- bain VIII. C'est qu'en effet ces éminents organes de l'Éghse ne pouvaient confondre avec un horrible péché l'éner- gique remède apposé à ses fatales amorces par la théologie architecturale du moyen âge ; c'est qu'aux seizième et dix- septième siècles, si l'art s'était corrompu un moment sous les étreintes de l'hérésie qui le chassait des temples pour le jeter dans les cours sous le patronage de prince irréligieux et débauchés , il y avait encore dans le populaire une foi profonde et un respect des choses saintes qui ne lui permet- taient pas de s'y tromper ; c'est que l'art était encore, dans nos églises, le livre de ceux qui ne savaient pas lire, et ne ces- sait pas, au milieu de ses malheurs, d'y exercer la féconde influence de ses enseignements; c'est qu'enfin, quand la science symbolistique périssait, les savants ne cessaient point de l'apprécier et n'oubliaient rien de son caractère , Ils ne seraient dc SOU kugagc ct dc SOU but. Nous uc dlsous pas que ,

pourtant pas de . «ta t i

mise aujourd'hui; mêmc abrités par ces bonnes raisons, les mêmes symboles seraient aujourd'hui reproduits sans danger et au même profit de l'enseignement chrétien dans l'architecture de nos

DES OBSCQENÀ. 437

églises modernes. Quels architectes, d'ailleurs, savent s'ins- pirer de modillons quelconques , parfaitement ignorés des plus savants, pour décorer les monuments religieux qu'ils construisent ? Mais, de grâce, messieurs les maîtres, cessez d'en accuser vos illustres prédécesseurs ; ayez assez d'esprit pour ne pas vous en faii'e un prétexte contre l'Église , à qui vous devez tout , contre cette Église qui , en proscrivant les inconvenances futures dont vous deviez être les complices faciles et intéressés, eût bien pu ordonner, s'il y en eût eu de plus anciennes, qu'on les fît disparaître aussitôt (^). Désor- mais donc, vous saurez quelle interprétation donner à ces images calomniées; celles mômes qui scandalisèrent le plus votre naïve indignation auront pour vous un sens assez raisonnable pour commander votre indulgence, sinon votre respect; et surtout vous vous garderez bien de les trouver déplacées ou insigniiîantes dans une longue série de modil- lons où elles jouent un rôle utile, elles sont une parole significative, et complètent un raisonnement ou une his- toire toujours bonne à déchiffrer et à savoir.

En résumant ce chapitre, nous sentons le besoin de nous rendre le témoignage , que notre lecteur sanctionnera sans doute, d'avoir écrit chastement, et comme il convient à notre caractère , des choses fort difficiles que l'ordre de notre ouvrage devait nous faire aborder. Mais aussi une joie nous est donnée : nous croyons avoir vengé l'Église des atta- ques de ses ennemis, et éclairé ses amis sur ce qu'ils doi- vent penser de ces prétendus scandales que beaucoup ne

ce qui n'autorisa les architectes ni à les mépriser ni à négliger l'orne- mentation par des corbelets symbo- liques.

Résumé de tout ce chapitre ,

qui se conclut en faveur de l'Église.

(1) Ce que Molanus établit à l'égard des images dont parlait le cou- cile de Trente, que pas une jusque-là n'avait été admise dans les lieux sacrés dont le sujet pût être favorable à l'hérésie, nous pouvons très- bien le dire des obscœna: Concilium Tridentinumnullam mentionem de ima(/inibus qux jam habenlur fecissc, ubi de statuendis dicit : ita ut iulUx falsi dogmaiis imar/incs, et rudibus periculosi errons occa- sionem préebenles, staluantur. Alioqui facile adjecisset : qvtae autem slaLuls SLinù aboleantur. (De HlsLoria sacrar. imaginum , lib. Il, cap. XXV, p. 7o.)

438 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

savaient comment excuser. Nous avons vu les jugements erronés publiés à ce sujet par tant d'écrivains d'une science plus qu'incertaine ; nous avons compris que l'étrangeté ap- parente des sujets en question correspondait, dans chaque période littéraire ou historique, à la naïveté du langage et , par cela même, à la simplicité des mœurs. Cette observation a clairement expliqué ce qu'auraient de surprenant, en face de nos habitudes modernes, des matières dignes de tous nos respects, traitées par les Pères dans un style aussi légitime ({u'il est clair. Nous avons enfin acquis la conviction, née de toutes les preuves possibles, querÉghse n'avait jamaisvoulu qu'élucider, au moyen de ces figures maladroitement hon- nies, le sixième des commandements de Dieu , l'un de ceux qui touchent le plus près à l'ordre social , aux premières règles de la société et de la famille. En un mot, ce ne sont que de véritables symboles mis au service de l'innocence et de la sainteté des mœurs pour les protéger, par l'hori-eur du mal , contre les attaques des plus dangereuses voluptés. L'Église s'y est-elle trompée ? a-t-elle pu s'égarer sur les résultats de son zèle ? le mal s'est-il produit , au lieu du bien qu'elle attendait de ces enseignements , devenus plus tard impossibles? Rien n'autorise à le penser. L'histoire des mœurs n'a laissé , depuis le onzième siècle jusqu'à nous , aucun vestige de cette déception, dont se fussent avidement emparés les libres penseurs. L'affaire est donc entendue et jugée. Poursuivons notre marche et abordons un sujet plus poétique et plus riant.

CHAPITRE Xll.

ZOOLOGIE.

Le symbolisme est tellement un langage universel, il est 2ooî^gfe''"da*irs 1* si bien fait pour être compris de tous , qu'il a fouillé la Jgn^''^'^"'^ ''^'■^' nature entière pour y trouver les éléments de ses spécula- tions. Rien n'a échappé à ses investigations systématiques , à ses applications aussi simples que vraies et intelligentes. Dans son ardeur de tout dire, il a observé tous les règnes de la nature, s'emparant de tous les sujets qu'ils possèdent pour s'en faire des objets de comparaison et des indices de sa pensée. Si des théories aussi compliquées et parfois aussi subtiles que les nombres et les couleurs ont pu lui fournir de si vastes champs d'application , que ne devait-il pas ren- contrer dans la nature animée, tout s'agite avec des formes aussi diverses que multiples, la plus rude intelli- gence découvre des relations mystérieuses autant que réelles entre l'homme et tout ce que le Créateur lui a soumis ! Le royaume zoologique , l'homme tient le sceptre , ne se compose pas moins d'êtres qui professent chaque jour à son égard d'utiles leçons, et les sages distributeurs de ces œuvres de pierre, attachées comme de radieux bijoux à la robe de l'Église, ont su parler de tout au moyen de ces détails ingé- nieux. Soit que nous vivions en contact avec ces innombra- bles bètes qui aident à nos travaux, partagent notre vie et participent de nos meilleures affections , soit qu'un état habituel d'hostilité de la part d'autres sujets rebelles nous sépare absolument d'eux par un sentiment de crainte irré-

440 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

fléchie ou d'horreur instinctive , nous les avons sous nos yeux ou dans notre pensée comme autant de types avoués des meilleures qualités, des vertus les plus aimables ou des vices les plus justement détestés. N'en était-ce pas assez pour leur donner mille l'ôles odieux ou attrayants dans l'iconographie symbolique ? Les animaux y Tcllc cst, cu cffct, Ic douhlc rôlc qu'ou Icur attribue , et

représentent les ,., . . . . ^

vices ou les ver- uous uc ci'oyous pas qu il puissc y en avou' un troisième , comme l'ont voulu des archéologues pourtant habiles, mais qui , accordant trop au caprice possible du ciseau et se persuadant que beaucoup de ces êtres étaient sans plus de prétention que d'importance, en concluaient que le symbo- Usme ne pouvait être partout : comme si un seul type ayant sa synonymie dans quelqu'un des bons ou mauvais senti- ments de l'hujTianité pouvait rester inutile au milieu de tant d'autres à qui l'on reconnaît forcément ces attributions ! Sans doute nous devons avouer que depuis le quatorzième siècle, à partir de l'ère nouvelle l'art s'émancipe trop de la direction chrétienne, la fantaisie se mêle pour beaucoup à ses œuvres ; mais c'est une essentielle distinction à faire : nous ne voulons pas appliquer nos principes à ces esprits révolutionnaires qui arrachent Fart à Dieu et ne veulent plus que l'art pour l'art , comme ils l'affirment dans leur ridicule jargon. Est-ce de ce temps que nous voulons défendre les traditions et accepter les écarts ? A Dieu ne plaise!... on verra au contraire quelle estime nous en fai- sons. Mais en ne prenant que le côté réel de la chose et ne consultant que les périodes les plus justement renom- mées, on n'a plus à nier l'évidente pensée qui revêt de sym- l)olisme tous les sujets que l'artiste accumule autour de lui. Pour ce qui va nous occuper , et en considérant l'accord général qui partout donne à l'élément zoologique une action vitale et déterminée , remontons, comme toujours, à l'ori- gine; voyons quelles inductions doivent naître de cette unanimité qui n'est pfas moins ici que dans tous nos autres

ZOOLOGIE. 44 ^

sujets d'études, et, convaincus par cette revue générale de la création dans ses rapports avec l'iiomme, et par ceux que nous réservent encore nos recherches sur la flore murale, nous reconnaîtrons, avec un savant anglais, que « tout ce qui reçut de Dieu le mouvement et la vie, et contrihue si mer- veilleusement à la parure du monde, devient pour nous une inépuisable source de louange et d'admiration {\). » Une rehgion divine pouvait-elle négliger un tel moyen d'élever notre cœur jusqu'à l'Auteur de ces glorieuses merveilles? La Bible, livre universel dans lequel s'élaborent avec une LaBibie est en-

^ corc la source de

miraculeuse profusion toutes les données de la science ces moyens d'exé-

^ gese publique,

lunuaine et des besoins de la conscience, est encore le plus ancien livre il nous faille chercher les notions philoso- pliiques de notre zoologie religieuse. Ce que nous en avons dit antérieurement (2), soit sur la prophétie de Jacob, soit sur plusieurs chapitres de l'Apocalypse, nous montre assez que les vices et les vertus se partagent le domaine animal dans ces pages immortelles. De cette vaste réserve, ils s'élan- cent, pour ainsi dire, charmants de gracieuseté ou effrayants de laideur, vers ces régions de vie active et spirituelle que leur ouvrent nos basiliques; delà ils planent sur le monde et lui rappellent, ensemble ou tour à tour, qu'il a le choix entre le bien et le mal, entre son bonheur et son malheur éternel. C'est afin de préciser ces deux caractères différentiels que l'architecte chrétien a toujours assigné une orientation différente à l'extérieur des édifices, ou dans leurs nefs laté- rales, aux images qui nous y parlent de Dieu , de la nature et de nos devoirs. Le Nord et l'Occident, tout reste obscur distnbu.'s au nora et languit, sont les côtés assignés aux vices, et par consé- édifices, sëiôn lÏÏ

.,. . , -o j. é- 115 '. o ^ caractères OU mau-

quent a toutes les maniiestations de 1 esprit nuernal, « qui a vais ou bons.

(1) « Ecce! Variis in nostris paginis arridet creatio, suis purissirais adornata leporibiis. Fluctus et venti, fructiis et flores, et quidquid vivit et iiiovet, aut iniindum exornat, siinul coDgregata inexhaustam admi- ratiouis etlaudis materiam afferunt. » (Moutgomery, cité par William Carpenler, daDS sa Scriplurx hisloria naturalis, init.)

(2) Voir ci-dessus, t. Il, ch. iv, vi et suiv.

442 HISTOIRE bV SYMBOLISME.

placé son tiône à l'Aquilon, » et qui éteint toute lumière dans le cœur de l'homme en y faisant les ténèbres du péché. Le Midi, avec ses chaudes ardeurs, sa lumière, l'éclat resplen- dissant qu'il épanche de toutes parts; le Levant, qui jette la joie à l'univers et lui rend chaque matin la verdure de ses feuillag-es, le chant de ses oiseaux et le parfum de ses fleurs, deviennent, sur les galeries aériennes des tours superposées, aux angles des flèches , aux frises des façades , le rendez- vous des placides vertus que personnifient les bons Anges , les animaux aimés de l'homme, et jusqu'aux étoiles du ciel et aux suaves plantes des bois. Tous les archéologues, tous les liturgistes , Honoré d'Autun, Durant de Mende, Béleth, Yves de Chartres, et ceux qui leur ont succédé, sont d'ac- cord sur ces points, qui n'ont plus besoin de preuves. C'est d'ailleurs l'Esprit de Dieu qui a formulé cette séparation et symbohsé cette différence des points cardinaux atmosphé- riques, lorsque, comparant l'homme à un arbre planté par Dieu , il nous avertit que cet arbre restera au sud ou au nord dans son état de grâce sanctifiante ou de malheur éternel, selon que sa volonté l'aura maintenu ou fait tomber à droite ou à gauche (i). Le Lévitique Ouvrous largcs les Livres inspirés, et, comme autrefois purs ou devant Adam , toutes ces natures variées vont se présenter sous notre regard avec leurs noms caractéristiques, avec les

(1) Dieu dit à Satan : « Quomodo cecidisti de cœlo, Lucifer..., qui dicebas : ... Sedebo in lateribus Aquilonis? » {Is., xiv, 12, 13.)— Il dit à son peuple dispersé que la venue du Messie le fera revenir de l'Occident : « Ab Oriente congregabo te. » {/b., xun, 5.) « Occidens, gentilitas : Quantum distat Ortus (Ghristus) ab Occidente (diabolo) dit VAno- mjme de Clairvaux.—S. Melitonis Clavis, apud Spicileg. Solesm., 11,82. a Auster, Spiritus Sanctus, fervor spiritualis, » d'après S. Grégoire le Grand et Alain de Bonneval. {Ibid., p. 79.)— « Oriens, Ghristus : Ecce vir oriens. » {Zach.,wi, 12.)— « Visitavit nos Oriens ex alto. » {Luc, i, 78.)— « Sicecideriti<îgnumad Aastrum,ubicuinque ceciderit, ibi erit. » {Eccles., XI, 3.)— Outre ce que nous en avons dit en maintes occasions, nous reviendrons encore sur les points cardinaux , qui importent beau- coup aux artistes.

a%'ec ses ani

maux

impurs

ZOOLOGlt. '«43

mœurs qui pourraient tout d'abord expliquer la place qu'ils tiennent dans nos monuments. C'est dans le Lévitique, s'exposent les fonctions des Lévites et les cérémonies de la religion, que se déroule cette longue suite des animaux que Moïse distingue en purs et impurs, désignant par ces termes ceux dont les Israélites peuvent manger et ceux dont ils doivent s'abstenir. Cette distinction, établie par le législateur, non pas tant par suite des défectuosités ou des qualités re- connues à ces diverses viandes que sur un système pratique d'abstinence religieuse, n'avait pas moins, d'après S. Aueus- , i'V«'pï*^tation

o y i ' r o fies Percs a cet

tin, S. Irénée, Origène, S. Cyrille et beaucoup d'autres com- ^s-^""'^' mentateurs, une raison symbolique ; elle n'était prescrite que pour instruire les Hébreux de ce qu'ils devaient éviter ou pratiquer dans leur conduite morale, selon que les animaux purs ou impurs symbolisaient des vices ou des vertus. Nous pouvons regretter un livre perdu de Tertullien ce péné- trant esprit nous eût probablement laissé, en traitant des animaux purs et impurs du Lévitique, des idées qui eussent été des plus anciennes. Bien d'autres, beureusement, en ont écrit et peuvent nous en dédommager (I). ïbéodoret, dit un savant bénédictin, observe que Dieu, en ordonnant qu'on lui sacrifiât tels ou tels animaux , cboisissait précisément ceux qui étaient adorés des autres peuples et qui vivaient le plus familièrement avec l'Iiomme : ainsi le bœuf, le bouc, le béliei-, la colombe. Au contraij-e, il déclarait impurs les autres animaux vivant à l'état sauvage. Qui se serait décidé, en effet , quand l'idolâtrie était de toutes parts autour du peuple racbeté, à faire des dieux soit de ces animaux qu'on immolait sur l'autel, soit de ceux (ju'on regardait comme souillés, rt dont ils ne pouvaient pas même user pour leur nouri'iturc ^'2;?

Ainsi la pureté ou l'inquirclé légale ii'affectait pas les animauv en vue de leur nature dangereuse ou nuisible, ou

({) Cf. Spiciley. SoUsni., III, 320.

(2) Cf. (loin CaliiiHf, Comnienlaire .sur Le Lévitique, ch. xi.

444 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de leur utilité à l'égard de l'homme, puisque beaucoup d'entre eux, quoique réputés impurs, eussent pu se manger impunément antérieurement à la loi ; l'interdiction n'en était donc faite qu'en vertu d'une idée morale que voulait en donner le législateur , et dont il faisait une leçon pour son peuple. Origène va plus loin : il croit que Moïse déclare impurs les animaux dont les mœurs avaient quelque con- venance avec les démons , et dont les Égyptiens et autres peuples idolâtres se servaient pour leurs augures. Il pense aussi que ces distinctions indiquées par Dieu sont évidem- ment figuratives, puisque, parmi les animaux qu'il est dé- fendu de manger , il en est qui ne subsistent point dans la nature, comme le griffon et le capricorne , la sirène et le sphynx, et dont la description n'appartient qu'à des animaux fabuleux (1). Ces opinions , plus ou moins fondées qu'elles soient, autorisent toujours à faire de toutes ces natures bes- tiales autant de symboles dont purent très-bien s'emparer les auteurs sacrés et, après eux, les Pères, qui remplirent Distinction que leui's liomélics de ces fécondes allusions. C'est, au reste, une

font quelques-uns

entre les bètes et rcmarquc à falrc, et qui s'élucide par l'examen du neuvième

le^ animaux. i t .

chapitre de La Clef m S. Méliton,que la symbolistique an- cienne a distingué nettement le sens qu'elle donne au mot hête et au mot animal. Les animaux y semblent une espèce dont les individus sont presque tous pris en bonne part : ce sont les êtres domestiques dont la douceur et les habitudes modérées commandent l'estime , quadrupèdes mis au ser- vice de l'homme et qui partagent ses voyages et ses travaux. Les bêtes , au contraire, y forment généralement une caté- gorie de mauvais aloi , tenant plus de la brute par leurs instincts désordonnés et se rapprochant d'autant plus du démon, dont elles expriment le plus souvent la méchanceté et l'esprit de destruction; tandis que dans ces animaux dont les tendances vont mieux aux habitudes chrétiennes et aux

(1) Voir Origen. lib. IV contra Gels.: PhilocaliâB, cap. i.

ZOOLOGIE. * 4^5

vertus qu'elles manifestent , on trouve presque toujours le type du Sauveur indujué par sa vie apostolique, laborieuse, dévouée, humble et patiente. Les pliysiologues latins ou grecs sont d'accord sur cette donnée et distinguent pai'fai- tement ces deux nuances, que nous ne devions pas laisser échapper. Observons entin que , pour couronner ce cha- pitre IX, dont nous indiquons ici l'un des plus saillants carac- tères, c'est au diable qu'est consacré le dernier paragraphe : il compte donc parmi les betes ; il y est désigné comme le chef des méchants ou le principe de tout mal, caput omnium malorum.. On le dissèque de façon à ne laisser au- cune partie de son corps sans nne explication emblématique à laquelle se rattache très-bien tout ce que déjà nous savons de lui (i).

Revenons au Lévitique.

En fait donc, comme l'ont observé tous les archéolo- Mauvaises bêtes

I \ 1 , 1 1 , 1, placées au sep-

gues (2), c est au nord que vous verrez attaches, pour 1 or- tentwon. nementation des colonnes, des modillons, des chapiteaux , des frises, des encorbellements ou des consoles, ces animaux déclarés impurs dans le Lévitique, et d'autres qui plus tard, en vertu du mauvais instinct qu'on leur reconnut, méritè- rent de venir s'y adjoindre ; les exceptions à cette règle sont tellement rares , s'il en existe , qu'elles ne feraient que la confirmer. C'est que le chien hargneux montre ses dents menaçantes, que le dragon exprime par ses replis les astuces de l'esprit diabolique; Téléphant, par sa masse énorme, ces pécheurs orgueilleux à qui tout doit faire place en ce monde ; les boucs et les porcs y sont la luxure et la gour- mandise ; le crapaud , le scoi'pion , de hideux personnages dont la vue ouïes attaques blessent également le corps etl'es-

(1) Voir S. Meiitonis C lavis , cap. ix, les 3G premiers paragraphes traitant de animalibus, et du 37* au 82^ qui parlent de besliis. Dom Pitr;i a merveilleusement annoté toutes ces allégories.

(2) Voir M. l'abbé Godard, Essai sur le symbolisme archileclural, § 2; liulleiin monum.jXlU, 3oG.

MO HISTOIRE 1)1 SYMBOLISMK.

prit. Ici le tigre, coiiimele chat, avec les taches multipiesdc sapeaii soyeuse elles souplesses de ses mouvements perfides, dénotel'hypocrisie aux heaux dehors et aux cœurs méchants; la taupe, la chauve-souris, le lézard deviennent à côté de lui les types de l'idolâtrie, étant le méprisahle ohjet de l'adora- tion de quelques peuplades aveugles. c'est le sanglier aux instincts iéroces et dévastateurs, s'efforçant de déraciner un arbre vigoureux qui représente l'Église de Jésus-Christ; ou bien c'est le loup qui se repaît de carnage , trop souvent sous les apparences de la brebis; le lion qui abuse de sa force pour déclarer la guerre aux hommes et aux trou- peaux ; le singe, de la famille de Satan, que de nobles pen- seurs modernes inscrivent obstinément au rang de leurs premiers aïeux ; l'onagre ou âne sauvage qui se glorifie de son indépendance et reste inutile à toutes les bonnes Certains ois. aux ŒUvrcs. Quc si VOUS voycz quelques oiseaux en compagnie

Ifup sont adjoints , i r i i m

dans la même pcn- dc CCS quadrupcdcs et de ces reptiles , ce seront ou des dé- prédateurs, comme le vautour, le milan, le faucon, l'aigle , l'autruche, ou des sots orgueilleux, comme le paon, la huppe, le coq, qui pourtant est pris en bonne part dans le plus grand nombre de ses acceptions. C'est parmi ces bêtes sep- tentrionales que vous rencontrerez aussi le plus souvent des êtres hybrides, composés de deux ou trois natures, monstres imaginaires dans lesquels on a réuni à plaisir les divers caractères mauvais qu'on voulait attribuer à un vice ou à une personne vicieuse. Cette méthode a donné lieu de com- poser, d'après le système de Loxus , dont Lavater a su pro- fiter, des physionomies mêlées des traits de l'homme et de certains animaux, qui n'ont pas peu servi à étendre des rap- ports symboliques d'une race à l'autre (i ) . Tout cela abonde à

(1 ) Loxus, médecin ciLé par dom Pitra, a éciit une physiognoraonie dont le but est moins sérieux qu'on ne le croirait, quoique au fond l'on en puisse tirer des conséquences fondées sur une certaine justesse d'ob- servations,—Voir Spicileg. Soles ni., III. p. lviii et 321. On a aussi d'Antoine Porta^ savant napolitain des seizième et dix-septième siècles,

ZOOI.OGIK. î'«7

la catliédrale de l^oitieis, à celles de Bourges, de Chartres et de Rennes ; tout cela forme une l'a m 111e qu'on ne peut jamais mieux étudier que surplace, et dont on voit chaque membre fonctionner comme complice ou antagoniste les uns des autres, menant une vie isolée ou s'alliant pour le mal. Nous en citerions bien d'autres à l'égard desquels les plus expé- rimentés symbolistes se tiennent d'accord , comme on le reconnaîtra pour peu qu'on veuille jeter un coup d'œil sur les écrits de S. Grégoire le Grand, de Raban-Maur, de Pierre de Capoue , et comparer les Distinctions du moine de Cî- teaux avec S. Méliton et les Petites formules de S. Eucher [\). Ces brutes immondes, auxquelles il n'est pas rare de voir Animaux inno-

^ * oents ou utiles pla-

superposer des tètes de démon qui les rendent d'une bor- ces au sud. rible difformité, sont dans nos églises comme les boucs, qui, au dernier jugement, doivent tenir la gauche du Juge sou- verain : c'est donc à droite, dans la partie sud du monument, sous les influences ferventes du Soleil de Justice, aussi bien qu'au levant , d'où ses premiers feux ramènent la clarté d'En-Haut sur les verrières absidales , que vous verrez se loger les bêtes aimables, quadrupèdes et oiseaux , qui s'y ébattent joyeusement. Et ne vous étonnez pas de quelques figures observées ailleurs, et que certaines bonnes qualités ont ramenées au milieu de ces élus , comme leur nature peu favorable les avait confondus parmi les boucs et les méchants. Le chien, vorace et avare, importun , impudent en beaucoup de cas, n'en est pas moins l'ami souvent fidèle

une suite d'observations d'où il concluait, de la forme et de certaines apparences données par la nature aux hommes^ aux animaux et même aux plantes , les défauts ou les qualités intimes de chacun d'eux. Il s'en faut que tant do conjectures soient toujours admissibles, mais elles sont d'une justesse plus remarquable dans les rapprochements établis entre le caractère de l'homme et celui des animaux auxquels il ressemble plus. Ce curieux livre a ]>our titre : Phyiognomonica oclo libris con- tenta, in quibiis nova facillimaque afferlur metliodus qua plantnriun, animaliiim, raelallorum , rerum dcnique omnium ex yritna extimx facici inspectione, quivis abdilas vires nssequilur, in-f», Neapoli, 1583. (1) Spicileg. Solesm., t. II et III.

/|/i8 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

et le serviteur obéissant ; le paon dont la superbe semble le défaut capital, n'en est pas moins le gardien de la ferme et du château, qu'il éveille par ses cris contre les invasions des voleurs ; les yeux si nombreux de son merveilleux éventail semblent lui attribuer la vertu de vigilance , et la contem- plation des choses divines : on l'a vu sous le bénéfice de cette pensée, et plus d'une fois, en adoration devant la croix en compagnie de l'Agneau divin ( 0 On peut donc bien l'associer au phénix, qui renaît de ses cendres et indique l'immorta- lité et l'espérance que nous en avons ici-bas , ou au pélican , qui nourrit ses petits de son sang, comme le Sauveur ses enfants dans l'Eucharistie , et devient ainsi la figure de la charité. Mais le bœuf si laborieux et si puissant, comme les Apôtres, par la fécondité de son travail ; le cerf qu'une soif ardente attire vers la fontaine sacrée ; la colombe qui médite et gémit solitaire , ou boit la coupe du bonheur éternel ; le cygne avec sa Jjlancheur virginale ; l'aigle élevant ses re- gards jusqu'au Soleil de Justice ; l'agneau, enfin , qui rap- pelle l'idée du Dieu sacrifié, de son innocence et de sa dou- ceur, voilà de quoi instruire encore et reporter à des pensées de foi , d'espérance et de charité. Union de plu- Qc u'cst pas quc taut de sujets apparaissent toujours seul mant des scènes à scul ; souvciit uu rôlc cst rempli à deux ou trois person-

d'ensemble. , . , , , i i ,

nages : deux ours qui s embrassent comme des hypocrites, prêts à se déchirer bientôt; un homme frappant de sa hache un porc qui succombe, comme on terrasse les instincts pervers de l'ivrognerie ou de la luxure , se trouvent sur beaucoup de corbelets à côté de cet âne qui joue de la harpe, de cet autre qui s'est affublé d'une chape, de cette truie qui file, et de tant d'autres sujets non moins savants, prouvant tout au plus certaines prétentions de l'orgueil ridiculisé au profit de qui voudra bien les comprendre. Et puis, voici Sam- son enfourchant le lion qu'il domine en lui déchirant la

(1) Voir un intéressant article de M. Didron sur les croix orienlales (Annales archéolog., V, 524 et suiv,).

ZOOLOGIE. LES ZODLiQLES. 449

gueule ; ou bien le Sauveur qui réalise ce type en foulant l'as- pic et le basilic du Psalmiste : tout cela se renouvelle et se modifie à l'infini. Et ce qui le rend plus remarquable, c'est que de pareils types ne sont pas d'un seul pays ni d'un seul monument : on les voit partout, en Bretagne et en Saintonge, en Provence et en Franclie-Gomté, en France comme en An- gleterre , en Espagne, en Italie, au delà du Rhin comme en Orient même, dans ce qui y reste des monuments implantés par les Latins à l'époque des Croisades. Tous les travaux: d'art, depuis la sculpture des grandes basiliques jusqu'aux mosaïques et aux émaux, revêtent les mômes caractères et aftlrment un système commun de symbolisme et d'inter- prétation. En lait de groupes, nous arrivons à l'un de ceux qu'on a Le zodiaque et

<~> i- ^ A son histoire.

le moins compris jusqu'à nos jours. N'est-ce pas une des plus curieuses exhibitions de zoologie sacrée que celle du zodiaque, dont chaque pièce, comme un modillon distinct des autres , se rattache à elles néanmoins , forme avec ses voisines un ensemble d'idées souvent interrogé, et reste presque toujours muet aux archivoltes des grandes portes de nos éghses ? C'est de quoi il nous faut parler ici pour en déterminer le sens autrement que par des suppo- sitions. Nous ne pouvons qu'ébaucher ce sujet, pour lequel nous Antiquité pré-

^ ^ Ti t<*ndue de celui de

aurions, au besoin, les matériaux d'un livre intéressant. Il Dendérah. nous faut dire pourtant, et avant d'arriver au sens religieux de ces singulières sculptures, quelques mots qu'on ne doit pas nous demander en vain. Et d'abord, que dire de l'anti- quité du zodiaque? On sait les rêveries de Dupuis, celles de la commission d'Egypte, et l'enthousiasme anti-chrétien qui saluait en ^1822 les prétentieuses dissertations sur le zodiaque de Dendérah {\). A en croire ces graves ennemis

(1) Notice sur le zodiaque de Dendérah, lue à l'Académie des inscrip- tions, par M. de Saint-Marlinj in-S». L'auteur, eu battant en brèche les opinions voltairiennes de MM. .lollois et Devilliers, dessinateurs et

T. m. 29

450 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de la foi chrétienne, on aurait découvert avec le monu- ment égyptien les plus redoutables arguments contre les assertions de Moïse. Le malheur pour cette thèse fut d'être examinée au flambeau d'une critique sévère, et de tomber devant les preuves d'une antiquité qui n'allait guère au delà de cinq à six cents ans avant l'ère chrétienne. Cette même date avait été assignée déjà à l'invention des zodia- ques par le P. Lemire, lequel la démontra en 1740 contre le système de Pluche, qui l'attribuait aux premiers des- cendants de Noé {\). Lo zodiaque fait Dc Icur côté, uos cncvclopédistes du dix-huitième siècle,

partie du calen- '^ , . .

diier des anciens, qui argumcntaieut de l'ancienneté de cet épisode scienti- fique pour conclure au rejet des Livres saints, prétendaient voir, dans certains des caractères représentatifs des bêtes zodiacales, des traces d'origine égyptienne et d'hiéroglyphes curiologiques (2) . Nous adopterions volontiers cette remar- que, en dépit de ce qu'elle a de vague et de peu prouvé (et sauf examen des conséquences qu'en voudraient tirer nos philosophes), car elle ne ferait remonter l'existence du zodiaque guère au delà de cette prophétie de Jacob citée dans notre premier volume (3), et qui prouve de reste que le patriarche faisait pour chacun de ses enfants une allu- sion évidente à cette mystérieuse zoologie déjà connue de son temps. C'est précisément en Egypte qu'eut lieu cette scène mémorable, et nous ne voyons guère ce qu'elle ap- porterait à Dupuis pour étabhr l'identité de Jésus-Christ et du soleil. Comment les Quol qu'll OU solt, l'usagc du zodiaque, employé, chez les

chrétiens le leur ttw ai < i

empruntent dès Romaïus cux-memcs, sur les monuments ou sur les mu- interprètes de la fameuse pièce, démontre contre eux et contre Dupuis, dont ils tendaient à accréditer le système, la nouveauté relative d'un œuvre qui, à leurs yeux, renversait tous les calculs de la Genèse.

(1) Cf. Journal de Trévoux , 1740, p. 1181, et Pluche, Hist. du ciel y 1. 1, p. 6-11.

(2) Encydop., t. XI, in-4o, p. 850, écriture.

(3) Ch. IV, p. 108.

ZOOLOGIE. LES ZODLVQUES. Aô\

railles peintes, pour désigner les travaux agricoles ou les los^ premiers siè- actions les plus saillantes de la vie humaine pendant les divers mois de l'année, fut adopté par les peuples chrétiens comme motif de décorations ; mais il reçut d'eux un ca- ractère d'utilité morale. Nous en trouvons un exemple dans S. Anastase le Sinaite, mort en 020, lequel expli- quait la présence des douze signes dans une église comme étant un symholisme des douze Apôtres comparés dans leur ensemhle aux douze constellations du cercle zodia- cal {\). Il paraîtrait par qu'à cette époque cette repré- sentation, au moins sous les yeux du saint solitaire, se réduisait à son expression la plus simple, étant dégagée de toute autre image secondaire, et si, comme il nous semble très-possible, cette allusion aux douze Apôtres correspon- dait à chacun d'eux pour la représentation de chacun des signes usités, il en résulterait qu'il y avait eu entre ces signes et eux des affinités symboliques dont la découverte ne manquerait pas d'intérêt. C'est un travail que nous de- vons nous contenter d'indiquer ici, et qui demande autant de perspicacité que de recherches. Nous manquerions encore de preuves pour en établir les bases. Ce qui est certain, c'est que les zodiaques abondent sur Déauctions mo-

,. - , ..,. 1»! raies qu'ils en ti-

nos portes d églises , ou dans leur mterieur , des les rent.

onzième et douzième siècles, et s'y maintiennent pendant

les deux suivants. Alors on leur crée des complications qui

en rendent l'allégorie plus sensible ; le zèle devenu plus actif

de la théologie et de l'art tire parti du motif principal, comme

il s'empare de tant d'autres, et y ajoute des accessoires au

profit de l'esthétique et de l'enseignement religieux. L'objet ii leur rappelle

, ^ . . » , 1 . 1 l'action divine sur

de cet enseignement n est pas douteux, si nous le voyons les biens de la

terre

exprimé par les auteurs contemporains , jaloux d'ap-

(1) « in ecclesia zodiacum circulum in liuuc modum explicabat S. Anastasius Sinaïta » (lib. IV Ilexameron) : « Zodiacus circulus Eccle- siœ, nempe duodecim stellarum Apostolicarum. » (Novarini Schedias- mata, lib. XI, cap. lui.)

452 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

prendre aux populations rurales que leurs travaux agri- coles sont bénis de Dieu, qui les leur impose et leur en réserve le fruit éternel. Ce principe est professé par des hommes de la plus haute valeur et dont l'autorité ne saurait être récusée. Car voici Pierre de Blois, mort en 'H 98, qui, dans un commentaire sur le Lévitique, semble avoir en vue les indications sculptées aux portes de certaines églises. (( La loi, dit-il, voulait qu'un bœuf fût offert pour le sacrifice à la porte du Tabernacle, afin que ceux qui travaiUent à cultiver le champ du Seigneur puissent en- H suite entrer librement dans les tabernacles du ciel (i). » S. Laurent-Justinien , mort au milieu du quinzième siècle, rappelle avec quelle sollicitude le Sauveur s'est représenté maintes fois sous les traits d'un laboureur, jetant dans le monde les semences de justice et de sainteté par ses prédi- et la loi du tra- catious, SCS miraclcs et ses exemples (2). Dès le quatrième

vail imposée à . i . i

l'homme. sicclc, S. Basilc avait employé la même comparaison pour

prouver que nous ne devions jamais désespérer de la con- version des pécheurs, puisqu'à force de culture et de soins entendus on pouvait ramener la fertilité dans un champ longtemps stérile (3). Enfin nous ne doutons pas que le

(1) « Lex de sacrificils praecipit ut bos offeratur ostio tabernaculi , quia qui laborant in agro dominicae culturae, libère possunt cœleste tabernaculum introire. » (Petr. Blés., Epist. ix.)

(2) « Veuit Dei Filius, tauquam agricola doctissimus, atque verbis, miraculis et exemplis in agro pressentis sseculi semina jactavit, ut sanctificaretur justitiae germen. y^ (B. Laur. Justin., Fasclculiis amoris, cap. XV.)

(3] « Nemo de homine in vitio constituto desperare velit, haud ues- cius agriculturam stirpium qualitatem mutare; curam autem ac stu- dium in consequendis virtutibus, animi omnes vincere morbos^ supe- rarequeposse. » (S. Basil., Homil. ii m Hexamer.) L'Apôtre va plus loin. Selon lui, le chrétien est le champ cultivé par Dieu, et comme une maison qu'il a élevée et construite: Dei aqriculLura eslis, Dei œdifi- catio estis (i Cor., m, 9.) N'est-ce pas à l'église qu'on vient parles sacrements cultiver ce champ mystique, cette vigne spirituelle du cœur humain, et réparer et entretenir ce temple de Dieu «qui est dans l'homme» : lem'plam Dei quocl estis vos? (1 Cor., m, 17.;

ZOOLOGIE. LES ZODLVQUES. 453

dernier venu de ces remarquables esprits, Vincent de Beau- vais, n'ait résumé toutes ces idées, qui étaient le point de départ des sculpteurs et des peintres lorsqu'ils s'occupaient d'un zodiaque.

En eiïet, le livre IV de son Miroir doctrinal traite de l'éco- nomie domestique. Il y entre dans tous les soins qui fondent une propriété rurale et la font fructifier. A partir du cha- pitre XLi, De rustici operis industria^ il parle surtout des travaux de la campagne , et, dans les suivants , jusqu'au cxLix'', qui est le dernier de ce livre, il expose les travaux agricoles qui conviennent à chaque mois ; il représente ces travaux comme une œuvre divine tombée aux mains de l'homme, mais protégée de Dieu, qui fait lever son soleil sur la terre, et sans lequel nous n'aurions pour elle ni humi- dité, ni chaleur, ni semailles, ni moissons (-1).

Ces données paraissent si bien d'accord avec les repré- convenance d'un

"^ "^ tel symbole.

sentations de nos zodiaques ; la marche supposée du soleil par les espaces successifs assignés dans la sphère aux douze constellations a toujours semblé si conforme aux résultats que l'esprit de l'homme lui attribue sur les saisons et les soins ramenés par elle annuellement, qu'on ne voit guère comment ce genre de leçon aurait pu échapper à ceux qui, de tout temps, s'efforcèrent d'élever les masses à la con- naissance de Dieu et à la sanctification de leurs devoirs d'ici-bas. En fait de symboles, on avouera que pas un ne l'emportait sur ceux-là, qui n'étaient pas seulement, comme quelques-uns l'ont pu croire, une sorte de calendrier redi- sant froidement, sous douze formes diverses, les travaux des douze mois de l'année, mais une prédication visible rappe- lant que le Dieu qu'on venait adorer dans le temple était le créateur des merveilles célestes , l'auteur de leurs in- fluences sur la terre et le premier principe de tout ce qui se faisait en haut et en bas. La conséquence était, pour

(1) Cf. Vincent. Bellov. Opp, édit. Benedict. Sanvadast., iu-f» , 1624, t. Jl, p. 502-554.

Christianisme ,

454 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

l'homme des champs, de sanctifier ses travaux en les accom- plissant comme un ordre de Celui qui devait payer ses ou- vriers à la dernière heure, d'en supporter les fatigues comme une épreuve utile autant que passagère, et d'im- plorer de ce Maître, en face de l'autel il donne l'exemple du sacrifice, ces pluies hienfaisantes du soir et du matin qui réjouissent le laboureur et préparent Faccomplissement de ses espérances {]). C'est sur quoi sont tombés d'accord tous ceux qui joignent un peu de jugement à une suffisante La partie mornie conualssance du fait. Il y a plus : les zodiaques anciens, cLilt'TantTê ceux qui nous viennent des Chaldéens ou ceux qu'élabo- rèrent les Grecs, s'en étaient tenus à la simple succession des signes consacrés partout et reçus de temps immémorial avec quelques variantes ; il n'y avaient pas ajouté, que nous sachions, ces autres images qui reproduisent les soins pro- digués à la terre dans le cours de chaque mois, ni ces dis- tractions légitimes consacrées par le Christianisme au profit de la vie de famille ; et quelque symboUstes que se fussent montrés les anciens dans leurs peintures des mois et de leurs attributs, comme on les voit dans un calendrier ro- main pubUé par Montfaucon (2), ils n'avaient pas songé à cette union de tels mythes, si ingénieux qu'ils fussent, avec cette zoologie céleste mise en rapport avec eux par la reU- gion. C'est que le travail n'était qu'une charge de la vie pour ces païens , qui l'abandonnaient aux esclaves et l'avilis-

(1) « Lsetamini in Domino..., quia... descendere faciet ad vos imbrem raatutinum et serotinum. » {Joël, u, 23.)— Et S. Jacques (v, 7) : « Ecce agricola exspectat pretiosum fructum terroe , patienter ferens donec accipiat temporaneum et serotinum... Patientes igitur estote, fratres, usque ad adventum Domiui. » Il est clair que ces textes, si souvent lus ou entendus, se rapportent clairement à l'image des zodiaques, et ce dernier semble une exhortation non plus seulement aux habitants des campagnes, mais à tous les fidèles, d'employer le temps de la vie, pendant lequel Dieu mesure pour tous le laps des mois et des saisons, il mériter, dans des travaux aussi patients que consciencieux, Varrivée du Seigneur, qui leur donnera ^^5 fruits de la terre promise. (2) Antiq, cxpliq., supplém., 1. 1, p. 27 et suiv.

ZOOLOGIE. LES ZODLVQUES. 455

salent en le méprisant. Ponr ceux qu'éclaire rÉvangile, au contraire, c'est une rançon du péciié ; il est anobli par le souvenir d'un Dieu dont la mission fut si laborieuse, et il est un devoir commun à quiconque veut marclier en toutes cboscs sur les vestiges de Jésus-Gbrist (I). Une autre preuve de cette intention doctrinale, c'est qu'en qui en fait un

moyen d'cnseig-ne-

beaucoup de monuments ornés du zodiaque, on l'accom- ment reii-ieux. pagne , comme à Saint-Marc de Venise, des vices et des vertus qui garnissent, sous leurs formes iconographiques bien connues, les archivoltes voisines (2). Il n'y a donc pas à discuter sur le but que le sculpteur s'est proposé en multipliant ainsi cette méthode d'enseignement reli- gieux. Ici une remarque est nécessaire pour éclairer les observa- Raisons de cer-

, . , . 1 T taincs intervcr-

teurs sur la série des animaux qui composent le zodiaque, sions dans lepia-

CGniCîit clos si^^HCS

Tout en demeurant assez généralement les mômes pour clia- suries mouuurcnts que mois, ils changent pourtant quelquefois de place nor- male, ce qu'il faut attribuer à une néghgence des ouvriers dans la pose des pierres, qu'ils sculptaient parfois en dehors* du plan qu'elles devaient compléter. Un inconvénient plus grave dans ce désordre, c'est que le sujet secondaire, l'image annexée au signe déplacé , ne suit pas toujours celui-ci, et reste à sa place normale ou elle se rattache sans raison à un autre signe qui n'est pas le sien. Une variante non moins sérieuse résulte d'une sorte d'interversion qui ferait parfois commencer le cercle et la suite des animaux qui le garnissent, de droite à gauche, et non de gauche à droite, comme on l'a fait généralement. Qu'il faille attribuer cette inexactitude apparente au peu d'importance attaché par l'artiste à la distinction faite dans toutes les cosmographies entre les signes du septentrion ou du midi, ce serait pos- sible ; mais ce n'est là, on le voit, qu'une anomalie de peu

(1) « Labora sicut bonus miles Chrisli Jesu. » (2 Tim, ii, 3.)— «Tu vero vigila, in omnibus labora... » {Ibid., iv, ti.)

(2) Voir DidroD, Annal, archéol., XIV, 165.

456 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de poids ; elle n'ôte rien au système adopté partout et tou- jours, et il n'en faut pas conclure qu'on ait méconnu, en la suivant, l'ordre naturel des mois, qu'on aurait mal à propos établis en sens inverse. Il s'agit tout simplement alors de commencer l'étude du sujet telle que l'a suffisamment indiquée la main de l'ouvrier (i). Enfin l'année, sur tous ces calendriers, ne commence pas toujours par les mêmes mois, ce qu'il faut attribuer à la différence qui se remarqua longtemps pour le renouvellement de l'année, laquelle s'ou- vrit, selon les pays et les époques, soit au mois de janvier, soit au mois de mars. C'est cette dernière méthode qu'on suit plus habituellement dans nos zodiaques sacrés. Vers techniques Commc prcsquc toutcs les notions à retenir étaient tra-

sur la division des ^ -, * l ^ - i ii

signes mensuels; duitcs, au moycu agc, en vers techniques, plus capables d'aider la mémoire, on avait groupé en un distique tous les animaux inscrits au zodiaque.

Sunl Aries, Taurus, Gemini, Cancer , Léo, Vij^go , Li')7'aque, Scorpius, Arcilenens, Caper, Aniphora, Pisces{2).

On voit que l'année commence au mois de mars avec le Bélier, et que les deux derniers mois représentent janvier et février. Cet ordre importe peu à notre objet. Disons donc tout de suite quels détails de la vie humaine se présentent à côté de chaque mois. autres sur les oc- D'autrcs vcrs tecliuiques y ont pourvu : ils rendent,

cupations qui se,, ,, -.i ••, -ri 11

ratt/ichent à cha- d aprcs dcs mauuscrits du quinzième siècle, et môme d après un autre du quatorzième à nous connu (3), ce que les

(1) Nous soupçonnons que ce renversement de l'usage habituel aurait pu venir d'ouvriers qui, arrivés en Europe des contrées orientales, ou copiant des dessins qui en étaient originaires, s'y seront conformés à l'usage de ces pays où, l'écriture se traçant à rebours, le dessin pou- vait se ressentir de cette habitude, autant qu'elle ne compromettait en rien la ressemblance, qui est sa première condition.

(2) C'est-à-dire: le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, l'Écrevisse, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, 1c Verseau et les Poissons.

(3) Notre bibliothèque.

ZOOLOGIE. LES ZODIAQUES. Î57

sculpteurs ont historié sur leurs pierres bien avant ces der- niers temps du moyen âge. Ces vers, au nombre de quatre, comprennent chacun une saison de l'année et sont fidèle- ment reproduits par chacun de leurs verbes actifs, soit sur les pages de parchemin des vieux livres , soit môme assez souvent sur le calcaire monumental, quand ils n'y sont pas remplacés par le nom du mois. C'est toujours ce mois qui parle, et à la première personne.

PotOj— Ligna cremo,— De vile super flaa démo ; Do gramen gratam, MM flos sei vit, Mihi praium ; Fenuni chclino, Messes melo, Yina propino; Semen huim jacto, Pasco sues, hivnUo porcos (1).

Ainsi la première saison, l'hiver, qui a commencé dès le mois de décembre, est indiquée par les trois premiers mois de l'année, qui, cette fois, s'ouvre avec celui de Janvier. Ce dernier, qui s'est toujours trouvé empêché pour les travaux de la terre, semble s'en délasser par les plaisirs de la maison, les fêtes se multiplient : Poto^ je bois, mot qui résume à lui seul les fêtes de famille, incomplètes sans lui. On voit donc un homme à table, y remplissant avec entrain ses at- trayantes fonctions, pendant qu'à coté un vase penché laisse tomber les pluies abondantes dont le gourmet semble très- peu s'inquiéter : c'est le verseau ( A quarius), qu'on a souvent dessiné à plus de frais sous les traits d'un fleuve ou d'une femme élégamment drapée, tous deux répandant les flots d'une urne antique. Amphova est le nom que lui a donné le poète du moyen âge, prenant ainsi la partie pour le tout, l'objet pour le personnage qui s'en sert. Les pluies, qui coïncident avec les jours oii ce signe revient vers notre horizon , lui ont donné le nom qu'il porte , semblable , en

Description de chaque mois :

Janvier. Fer Scan.

Le

(I) Je bois, —Je me chauffe, Je taille la vigne ;

Je donne le gazon, Jeiiie pare de fleurs,— Je verdis les prés; Je fauche, Je moisooune, Je vendange; Je sème, Je nourris les porcs, Je les tue.

458 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

effet, à une urne qui s'épanclie ou à un homme vidant sur la terre le vase qui , en lui prodiguant les flots des sources et de la mer, aide à la végétation et n'est pas moins utile à l'homme qu'à la nature. Nous ne savons quelle imagination poétique a fait de cette constellation le Ganymèdc qui devint rçchanson de Jupiter : c'est peu ingénieux , selon nous ; le maître des dieux aurait plutôt donné cette charge à Bacchus. Février. Les Ligna cTemo : Février n'est guère plus propice au labou-

Poissons

rage; on continue de se chauffer, de banqueter, et les pois- sons (Pisces), meilleurs en ce temps, défraient la table. Mars.-/.e BcHcr Mars aiTlvc, ct Ic pavsau commence à tailler la vigne, à

et le vigneron. i t

émonder les arbres : De vite super fiua démo; alors le bélier [Aries) va chercher les premières herbes des prairies à la tête des brebis nombreuses dont il redevient le chef et l'époux. Quelquefois aussi on greffe les arbres, et certains zodiaques se sont bornés à ce travail.

fVyrii.-/.c Tau- Mals Avdl rcvêt la nature d'une verdeur plus vivante : Do gramen gratum. On reprend les labours, et le taureau (Taurus) est de nouveau attelé à la charrue ; il recommence, comme avril l'indique (aperire), à ouvrir la terre, qui, grâce à lui, se divise en nombreux sillons.

Mai. Les Ce- Lcs flcurs arrivciit avec Mai : 3Iiki flos servit. Les gémeaux {Gemini) y symbolisent les penchants providentiels qui fé- condent la nature et la perpétuent : un jeune homme y tient un bouquet destiné à sa fiancée.

uïn.-Lecan- La cliassc , Ics voyagcs , les chevauchées s'organisent en Juin : Mihi pratum. On part donc sur un beau coursier, dont le cavalier jeune et ardent paraît tout fier; et cependant l'écrevisse [Cancer) , annonçant que le soleil fait déjà quelques pas en arrière de sa course, ne nous dit-elle pas aussi que la vie a un jour commence insensiblement son déclin?

Juillet.- /.c Lion Juillet appcllc aux fenaisons : Fenum declino : c'est ce que fait le fauciiciir pendant que le lion {Léo) rugit sous l'impression des chaleurs tropicales.

reau.

meuux

cer

et lea faucheurs.

ZOOLOGIE. LES ZODIAQUES. -559

Le mois de la Vierc:e ( Virno) est ce mois d'Aoûi, dérivation Août.-A« rierge

^ \ ^ I ' et les moissons.

d' Aucjustus ,ii\\q\\Q\ les Romains l'ayaicnt consacré. Chez les chrétiens, ce mois paraîtrait natnrellement porter le nom de la Mère de Dieu, dont la fête la plus solennelle se célèbre le -15; mais comme cette fête ne fut instituée qu'après le troisième concile général, tenu à Éplièse en 43^ (I), on doit se reporter beaucoup plus loin, et, scmble-t-il, à la création même du Zodiaque , pour comprendre le rôle qu'y remplit cette constellation et le caractère qu'elle y prend. Les anciens s'accordent peu sur sa personne : Hésiode, Hygin, Aratus lui donnant des origines diverses. Il suit néanmoins de leurs divergences mômes qu'elle doit sa place à la vénération des peuples anciens, qui crurent honorer en elle ou Gérés ou Éri- gone. Nous accepterions plus volontiers la première, puis- qu'on lui donne un épi de blé pour attribut en certaines ima- ges. Cependant sa virginité, toujours maintenue par les my- thologues, la ferait prendre plutôt, comme Pluche se le per- suade (2), pour une de ces jeunes glaneuses qu'on dirigeait vers les champs après la moisson afin d'y ramasser les der- niers épis. Ce titre de Vierge a, d'ailleurs, toujours paru à tous les peuples quelque chose d'auguste et de sacré : c'est ce qui avait fait donner à celle-ci le privilège d'affranchir une licorne, avec laquelle on l'a représentée quelquefois, et qui, malgré sa nature sauvage et très-offensive, se laisse prendre par elle jusqu'à se réfugier dans son sein (3). C'est pourquoi la licorne fut toujours le symbole de la pureté. Quoi qu'il en soit, le mois d'Août coupe les blés : Messes meto, et les bat, Tero , comme le disent quelques vignettes de manuscrits (4). Pourquoi Septembre a-t-il le signe de la balance (Libra)^ septomi^rc.-/.a

(1) Coi^lre Nestorius, qui aUaquait la maternité divine de Marie.

(2) Speclacle de la nature, t. IV, p. 313.

(3) Jaucourt citait eu 1778 {Ennjclop., XXXV, 423) un cam»';c du ca- hiiuit (lu duc d'Orléans éluit gravé ce symbole, représenté sur beau- coup d'autres monuments anliijueo d'après la même idée.

(4) Celui de notre bibliothèque, cité plus haut.

460 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

^ffl/aHceetiesven- sinoii pour Signifier la parfaite égalité des jours et des nuits , ou Féquinoxe , qui arrive dès que le soleil sort du signe de la Vierge ? Mais c'est le temps de la vendange, c'est pourquoi il se vante de nous verser à boire : Vina propino ; et il a raison, quoiqu'on lui reproche de se trop presser à recueillir les fruits de la vigne (i); car, à l'époque de nos curieux almanachs , la maturité ne dépassait pas la fin de septembre dans nos climats, devenus ensuite plus acces- sibles aux influences du septentrion. Octobre. - Le La récoltc est faite, il faut songer déjà à celle de l'année

Scorpion , les se- ^

mailles , et les suivautc, ctlcs enscmeucements recommencent en Octobre :

chasses d'hiver.

Scmen humijacto^ qui ouvre ainsi les travaux de l'automne. C'est l'époque des maladies, préparées par les variations des vents et de Ja chaleur ; aussi le scorpion (Scorpius) semble jeter sur la terre, en môme temps que les grains devenus son espérance, les mortelles influences du venin qu'il traîne après lui, et de ses piqûres malfaisantes qui en ont fait le symbole du démon. Et puis les feuilles tombent sur les champs dépouillés , les forêts s'éclaircissent comme le sillon : le chasseur peut donc se livrer à son plaisir avec plus de chances et sans craindre de rien endom- mager. D'ailleurs , rien ne se reproduit alors dans le règne animal , qu'il ne faut pas non plus laisser se multi- pher outre mesure, et dont la chair devient à l'homme une ressource nouvelle. Novembre.- Le Quaud Novcmbre est venu, la chasse dure toujours, et le

Sagittaire et la '.. / i •. ^ i «x -• ■> .

giandée. Sagittaire [Arcitenens] doit encore participer a cet exercice.

Quel est ce personnage que les uns ont pris pour le centaure Chiron, si maltraité par Hercule, les autres pour Procus , chasseur de profession, et fils d'Eumène la nourrice des Muses? Ce qui semble autoriser celte seconde conjecture , c'est que , dans le zodiaque de Vézelay, cet homme couvre des phs de son manteau un enfant qu'il garde contre les

(1) Didron, Annal. archèoL, W\ , 28.

ZOOLOGIE. LES ZODIAQUES. 4<>l

frimas. Ce dernier trait ressort bien de ce que dit la Fable, que les Muses firent placer leur nourricier parmi les astres. Mais d'autres soins appellent aussi Fliomme des champs : celui-ci porte sur ses épaules un fagot de bois mort ramassé dans les clairières de la foret; celui-là y surveille des trou- peaux de porcs, si nombreux au moyen âge, Pasco sues; d'autres abattent les glands au pied du chêne, comme dans notre manuscrit déjà cité. Décembre nous retient encore aux occupations del'inté- Décembre.- /,e

, . , 111. 1 , Capricorne et la

rieur; alors on tue le porc, on en sale la chair, on la pré- salaison des vian-

des.

pare pour les repas de famille, que vont ramener les solen- nités de Noël et des Rois : îmmolo porcos. Le pauvre animal est assommé d'une hache et ne sera saigné qu'après : c'est un moyen comme un autre d'éviter ses brutales résistances et ses stridentes lamentations. Pendant ces scènes sanglantes, le capricorne [Caper) ne poursuit pas moins sa course olym- pienne. Ses habitudes de chèvre sauvage aimanta grimper sur les rochers de la colline ou à tondre , en s'élevant vers eux, les derniers brins d'herbe attardés aux arbustes et aux buissons , indiquent bien les premiers mouvements de l'astre qui se relève insensiblement vers son apogée en (juittant le solstice d'hiver. Telle est la suite de nos sisrnes zodiacaux , tels ils furent , Caractères sym-

° ' boliques de cha-

créés par l'antiquité, adoptés par les chrétiens avec les quel- que figne en par- ques variantes que nous avons dites. Mais accoutumés que nous sommes à voir ressortir de notre zoologie monumen- tale des instructions qui ne pouvaient manquer de se faire jour dans l'emploi de ces bétes allégoriques, les fidèles des siècles qui les virent arriver ou revenir dans l'art religieux se contentèrent-ils d'y voir les leçons générales que nous avons signalées quant à la nécessité et à la sanctification des travaux de la vie terrestre ? Nous ne le croyons pas , et il nous reste à inscrire au front de chacun de ces animaux les caractères spirituels qu'ils révélaient à nos pères du haut de la tribune publique ils siégeaient.

462

HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Symbolsmo du Bélier,

du Taureau ,

des Gémeaux

du Cancer,

Reprenons-les donc selon l'ordre que nous leur avons re- connu, et, comme nous sommes familiarisés déjà avec beau- coup d'entre eux, soyons court autant que précis. Nous parlons d'après S. Méliton, sans répéter à satiété les volumes et les pages de cet auteur, dont la table suffirait à qui vou- drait de plus amples renseignements (1).

Le Bélier symbolise Jésus-Christ, chef du troupeau choisi, et, par conséquent, avec lui les Apôtres et les Princes des peuples.

Le Taureau est l'orgueil de la force, la confiance outrée dans sa puissance et dans ses propres conseils. Mais il est aussi le travail et le sacrifice généreux : sous ce double as- pect il est encore le Dieu se sacrifiant jusqu'à la mort.

Les Gémeaux, représentés habituellement comme deux jeunes enfants qui unissent leurs mains , ne sont-ils pas la pensée visible d'une amitié innocente, de la charité frater- nelle, de la candeur naïve qui fut bénie par le Christ et proposée par lui aux Disciples comme le modèle de la sim- plicité du cœur? Ce sont « les humbles d'esprit )) que « le Seigneur garde, parce qu'ils sont ses enfants (2) , les nou- veaux baptisés, les novices de la vie religieuse. Un père, une mère, un pasteur ne pouvaient s'y tromper.

Le Cancer ou chancre, ou l'écrevisse (les artistes ont re- présenté l'un et l'autre), sont l'image de l'hérésie, qui rétro- grade dans la voie du bien en se retirant de la vérité. En cela, ils participent du caractère des sauterelles, qui figurent le démon par leurs ravages, et les méchants par leurs allures brusques et leurs élans subits et inattendus. Avides de chair, les chancres cherchent les poissons, dont ils font leur proie. Cette chasse est encore une des occupations de Satan contre les âmes. A défaut de S. Méhton, qui ne parle pas du

(1) C'est toujours l'édition in-4o du docte cardinal Pitra renfermée dans les deuxième et troisième volumes de son Spicilegium.

(2) « Custodiens parvulos Dominus : humiliatus sum et liberavit me. » {Ps,, cxiv, 6.)

ZOOLOGIE. LES ZODIAQUES. /|()3

chancre, nous suivons ici ce qu'en a dit Franzius, que nous avons cité plus d'une fois (-1).

Que parlerions-nous du Lion, si bien compris pour ses ^u Lion, analogies et ses attributs? La force, la vigilance, la majesté, le courage, la prudence le rapprochent du Sauveur des hommes; mais il est aussi l'adversaire qui tend ses em- bûches au\^ âmes , l'ennemi qui disperse les troupeaux , l'homme méchant qui, du fond de son antre qui est le monde, en jette l'esprit autour de lui et dévore toujours ceux qu'il a vaincus : donc, il est toujours un avis utile à tous.

Nous avons parlé de la Vierge. Rien n'était fabuleux dans <ip la vier^o, son image pour des spectateurs qui ne savaient rien de la Fable et invoquaient tous les jours la Mère du Christ. Évi- demment Gérés ou Érigone, peu vierges d'ailleurs, n'avaient rien à gagner.

La Balance ne laissait rien ignorer de sa valeur morale à iieiaBi.iancp, des intelligences qui savaient la pesée des âmes (2). Balthazar pesé est trouvé trop léger (3) ; des malédictions sont pro- noncées par la loi divine contre ceux qui trompent sur le poids (4) ; on avait entendu Job demander au Seigneur d'essayer sa conscience dans la balance de sa justice (5); on comprenait donc très-bien que soi-même on serait assigné au même tribunal, et l'on voyait un élégant emblème du suprême jugement.

Le Scorpion représente Satan et ses suppôts : c'était un des du scorpion, reptiles les plus redoutables pour sa morsure; et quand le Sauveur veut affirmer aux Apôtres la toute-puissance de son assistance dans l'Église, il leur rappelle « qu'ils ont reçu de

(1) Animalium historia sacra, p. 491 et suiv.

(2) Voir ce que nous avons dit de ce symbole, ci-dessus, t. II, p. 429, et dans ce volume, p. 90, 142, 209, 336 et 367.

(3) « Appeusus es in statera , et inventus es minus habens. » {Dan., Y, 27.)

(4) « Statera dolosa abominatio est apud Dominum. » {Prov,, xi, 1.) {")) « Appendat me in statera justa. » (Job, xxxi, 0.)

404 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

lui le pouvoir d'écraser sous leurs pieds les serpents et les scorpions []). »

du sa-ittairo, Lc Sagittaire [Arciteiiens) est encore une figure du Christ

triomphant des ennemis de son Ëghse, comme nous l'avons vu au premier chapitre de l'Apocalypse , le vainqueur mystérieux est armé d'un arc par tous les iconologistes. C'est de lui que le Psalmiste a dit : Il a lancé sGs flèches, et il a dissipé ses adversaires (2) ; et encore : 0 Tout-Puissant, que vos flèches sont aiguës ! avec elles vous triompherez de tous les peuples (3).

et du capiicorno. Qul uc savait, aux temps de foi vive et de vertus austères, que la chèvre (ou Capricorne), avec ses goûts pour les lieux sauvages, était l'emhlème de la vie contemplative et péni- tente? Mais ces écarts du désert conviennent aussi aux pécheurs, qui s'éloignent de Dieu, et cette douhle leçon ne pouvait être perdue pour les âmes.

Voilà donc en quoi consistait le zodiaque chrétien et artistique du moyen âge monumental. Continuons mainte- nant à examiner les autres curiosités de notre zoologie. Origine des bêtes Nous avous slgualé uaguèrc en quelques mots l'action iconologique des hyhrides, genre mixte auquel nous devons d'autant plus d'attention qu'il prouverait à lui seul combien la théologie artistique avait besoin du symbolisme, puisque, par eux, à défaut d'une expression assez complète, elle a réuni souvent en un seul être plusieurs natures corres- pondantes au besoin de ce langage mystérieux.

Ces sortes de monstruosités , dont Horace n'avait vu que le ridicule sans en deviner l'esthétique (4) , ne prirent leur

(1) « Dedi vobis potestatem calcandi super serpentes et scorpioncs. » {Luc, 1, 9.)

(2) Ps., XVII, 15.- Cf. ci-dessus, t. II, p. 174.

(3) « SagiUae Tuse acutse, Potentissime; populi sub Te cadent. » {Ps., LXIV, 6.)

(4) Humano capiti cervicem pictor equinam Jungere si velit, et varias inducere plumas Undique coUatis membris, ut turpiter atrum Desinat in piscera mulier formosa superne,

Spectatum admissi, risura teneatis, amici? {De Art. poet., init.)

Les peintres, paraît-il, n'avaient pas encore hasardé de superposer une

ZOOLOGIE. LES HYBRIDES. 465

rôle en Europe qu'au douzième siècle , et sont évidemment d'origine orientale, conmic l'a prouvé M. le chanoine Jouve, en observant que toutes les églises de construction byzan- tine affectaient surtout ce genre d'ornementation. Les sphinx, les griffons, les sirènes, quoique admis bien anté- rieurement, comme nous l'avons vu, se représentaient infailliblement aux cathédrales de Valence , de Venise , de Périgueux , à Saint-Vital de Ravenne , à Sainte-Sophie de Gonstantiuople, point de départ dos conceptions romano- byzantines en Occident (I). Une foule de chimères sans nom rentrèrent alors dans l'immense catégorie de ces mer- \ eilleuscs singularités. On les vit partout , et partout elles s'apatrièrent, entrant dans l'ornementation générale, et pro- diguées, ce semble, de préférence à beaucoup d'autres ani- maux non moins significatifs, et dont la forme moins com- pliquée eût moins étonné le regard et l'esprit. Les peintures de Saint-Savin (Vienne) offrent de curieux spécimens de ce genre fantastique. Dans un des compartiments ménagés aux intrados des arcades, une tête de femme posée sur un corps de lion mâle indique reffronteric de l'impudeur. Non loin de là, un oiseau à long bec recourbé , à la crête démesuré- ment allongée jusqu'à l'extrémité de son bec aiguisé, est une variété diabolique.Ailleurs,des griffons appuient leurs pattes puissantes sur deux dragons qu'ils ont terrassés, et dont ils engueulent fortement la large queue : on devine bien ici la victoire de la foi sur la tentation, car, si le griffon est le sym- bole de Satan , le rôle qu'il remplit en ce cas indique net- tement que, par opposition, il a revêtu un caractère tout dif- férent. Il en est ainsi de la sirène. Si son chant renommé

U)ie de cheval h celle d'un homme, ou de la lui accoler, ce qui ne paraît guère plus beau. Mais la mythologie grecque et latine, qui avait ses faunes, ses centaures, ses satyres et ses sirèueSjdont le type est ici par- faitement décrit par le quatrième vers, n'aurait fait rien de plus extraor- difaaire en créaut un être à deux têtes si différonte.i, et dont nos artistes chrétiens se seraient aussi bien emparés que des autres. (1) Voir Biillet. })ionu>ii., XIV, ;;")S.

T. 111. 30

466 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

lui a donné souvent les funestes succès d'une enchanteresse perfide; si, dans une acception tout opposée, elle a pu repré- senter parfois le Sauveurlui-même, instituteur du baptême qui régénère l'iionime déchu, on a pu en faire aussi l'em- blème du plus redoutable ennemi du chrétien , lorsque, par exemple, on la voit au cloître de Saint-Aubin d'Angers, tenant d'une main un coutelas dont elle va frapper un pois- son qu'elle tient de l'autre, et qui n'est que le type consacré de Notrc-Seigneur Jésus-Christ ou de ses amis baptisés. L'antagonisme de l'Église et du monde se rend par un évê- que monté sur un basilic très-reconnaissable à ses traits d'oiseau et de serpent , mais qui a cela de particuher que sa tête d'homme est surmontée d'une couronne royale, ce qui répond bien à son nom de roi (Jèaaikîôç). Les exemples abon- dent, et reviennent sans cesse, de ces inépuisables imagina- tions, et, chemin faisant, nous en rencontrerons bien d'au- tres que nous expliquerons d'après les mêmes autorités invoquées ici (J).

Au reste, le paganisme, plus docile qu'il ne le croyait aux révélations de l'esprit infernal , avait prodigué ces images comme autant de démonstrations de ses adorations mons- trueuses. La vraie religion , autant pour déconcerter la curiosité impie des païens que pour nous rendre plus facile l'accès des vérités nouvelles, n'avait pas hésité d'adopter comme symboles des mythes dont le sens s'appliquait parfaitement aux personn.es ou aux mystères du Christia- nisme (2). Les Prophètes et L'cxcmplc cn était venu de bien haut , puisque les Pro-

(1) Voir même recueil, XVI, 489; XX, 555. Quoique, dans le grand nombre de rédacteurs que s'est faits cette savante revue, il y en ait dont l'autorité reste de beaucoup au-dessous de celle de quelques autres, ou peut regarder cependant leurs observations comme habituellement d'QU grand poids, et leurs opinions comme des mieux formées.

(2) Albert. Magn. opp. De Animalibus, lib. XXXI 11. Voir aussi le P. Cahier, Mélang. cVarchéol. et de lillér., t. II; Hippeau, Beslinire de Gnillatirne e Normand, p. 89 et ?uiv.

ZOOLOGIE DE L*ÉCR1TURE ET DES PÈRES. 467

phètes et le Sauveur lui-mônie s'étaient servis des ficrares les lÉvangiie four-

*■ '^ Dissent des types

plus capables de colorer leurs pensées et de graver plus pro- «^^ catacombes, fondement leurs instructions dans les esprits. Le serpent apparaît dès l'origine du monde comme l'ennemi de la race humaine qu'il a trompée, et destiné dans l'avenir à être la victime d'une femme qui lui écrasera la tète : circon- stances qui ne signifieraient rien si elles étaient prises à la lettre seulement. Isaïe, prédisant la paix que la venue du Sauveur apportera parmi les liommes, représente les ani- maux les plus opposés par leurs mœurs et leurs caractères, liabitant ensemble et changeant leurs habitudes féroces en des relations toutes pacifiques; le léopard et le chevreau , la brebis et le lion, la génisse et l'ours, n'auront plus l'un de l'autre ni crainte ni inimitié ; les carnassiers se rédui- ront à la nourriture des ruminants ; et voyez si de telles associations, si inattendues, ne vous ont point quelquefois étonné sur quelque pierre vous ne soupçonniez pas la cause de leur présence. Ézéchiel nous a parlé des quatre animaux évangéhques dont le corps était couvert d'yeux , figui'c de l'intelligence et de la foi , dit S. Eucher, indice de la nécessité de veiller sur ses pensées et ses actions d'après S. Grégoire. Nous savons que David a comparé, dans sa per- sonne, le Sauveur futur au pélican , au hibou , au passe- reau, à la colombe , au cerf altéré , et aucun de ces ani- maux n'est rare dans nos maisons de prière. Jésus-Christ lui-même , qui ne parlait jamais sans parabole , afin , dit S. Jérôme, de fixer plus solidement ses leçons dans les sou- venirs de ses disciples , s'est reconnu dans Jouas , disparu pendant trois jours, comme il disparaîtra lui-môme depuis sa mort jusqu'à sa résurrection ; il traite l'astucieux Ilérode de renard; il ne veut point qu'on jette des perles devant les pourceaux , c'est-à-dire la doctrine sainte aux Pharisiens qui n'en veulent pas ; le serpent et la colombe devienneTit , dans sa bouclie, l'attribut delà prudence et de la simplicité, et nous savons combien de fois apparaît, sous une double

M',H HISTOIRE DU SYMBOLISME.

forme de reptile et d'oiseau , cet animal à l'extérieur pai- sible, et buvant maintes fois au calice de l'Eucharistie , ou s'y préparant en ajustant de son bec les plumes de ses ailes, c'est-à-dire les dispositions intérieures d'une âme remplie de respect et de foi. Enfin, dans le langage du Seigneur, les aigles sont les âmes fidèles ; elles s'attacheront au corps mys- tique du Christ, et se retrouveront toujours il sera {]). Cette habitude des philosophes chrétiens de comparer aux botes irraisonnables l'homme qui se profane dans les dé- sordres des sens perce très-souvent dans les livres cano- niques de la nouvelle Loi. S. Paul dit que l'homme animal ne perçoit pas les choses de Dieu; S. Jacques traite de ter- restre , de diabolique et d'animale la sagesse qui s'oppose à celle de Jésus-Christ , et S. Jude taxe les impudiques de gens qui n'ont rien de l'Esprit et tout de l'animal (2j.

(1) Nous groupons tous les textes qui confirment ces assertions : « Inimicitias ponam iuter te et mulierein , et semen tuum et se- nien illius; ipsa couteiet caput tuum. » (Gen., irr , 10.) « Habitabit lupus cum aguo, et pardus cum haedo accubabit; vitulus et leo et ovis siiuul morabuntur, et puer parviilus niinabit eos Vitulus et iirsus pascentur simul; requiescent catuli eoiuni, et leo quasi bos cojnedet paleas, » {Is., xi, 6 et seq.)— « Et omne corpus, et colla , et mauus et peuuœ^plena erunt oculis.» {Ezech., i, 18 j x, 1 2.) —Voir S . Creg. inh. loc, llomil. ui, lib. 1; Moral,, lib. IX, cap. vi, et l'explication étendue de ce passage dans Sacy, t. XXX, p. 514. « Similis factus sum peli- cano solitudinis. » {Ps.,ci, 7.)— «Sicutnycticoraxin domicilio. » [Ibid.) « Sicut passer solitarius in tecto. » {Ibid., 8.) «Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum.» {Ps., xli, 1.) «Sicut fuit Jonas in ventre ceti tribus diebus, sic erit Filius hominis in corde terraj tribus diebus et tribus noctibus. » {MaUh., xii, 40.) « Ite et dicite vulpi illi : Kcce ejicio dcemonia... » {Luc, xiii, 32.) «Neque miltatis margaritas vestras ante porcosj ne forte conculcent eas pedibus suis. » {MoAth., VII, 6.)— « Estote ergo prudentes sicut serpentes, et simplices sicut columbse. » {Moith., x, 16.)— « Ubi erit corpus, illic congrega- buntur et aquilai. » {Matlh., xkî\, 28; Luc, xvii, 37.)

(2) « Animalis liouio non percipit ea quae sunt Spiritus Del; stultitia enim est illi. » (1 Cuî\, u, 14.) «Non est enim ista sapientia desur- sum descendens, sed terrena, animalis, diabolica. » {Jac, m, 15.) « Hi sunt qui segregant semetipsos..., in via Gain abierunt... Quœ- cuiïique autera naturaliter, tanquam muta animalia, norunt, in liis cor- rumpuntur... animales, Spiritum nonbabentes. » {Jud., 19.)

ZOOLOGIE DE L'ÉCRITURE ET DES PÈRES. ï60

Mais de rÉvanoilc, des écrits apostoliques, tant d'idées aussi wen «pe la

*-' 117 mythologie.

fécondes devaient passer dans la pratique de l'art, qui ne pouvait manquer de vivifier le culte nouveau. L'âge des cata- combes fut celui de ces ingénieuses inventions, qui ne se prêtaient pas, comme on l'a redit trop souvent, des con- cessions d'une valeur contestable, mais prétendaient réelle- ment utiliser, en faveur de la vérité, ce que d'antiques men- songes pouvaient avoir encore d'emblématique et, par cela môme, de fond sérieux. Orphée, dont la lyre avait charmé ses contemporains et relevé les murs de Troie , y repré- sentait le Sauveur, dont le Psalmiste avait dit : Diffma est grada in lahiis tuis (]); Andromède, dévorée par un monstre sous forme de dragon , n'était autre que Jonas englouti par la baleine (2); un berger, portant sur ses épaules une des brebis de son troupeau, rappelait le Bon Pasteur, dont la touchante parabole fait aimer le cbapitre x de S.Jean. Les sirènes, qui s'y montrent aussi, symbolisent, par leur tôte liumaine et leur arrière-corps de poisson, l'hu- manité régénérée dans l'eau du baptême; les centaures n'y étaient pas l'ares et représentaient le démon ou le péché s'identifiant à l'homme et le persécutant, comme cette béte fantastique poursuit souvent et frappe de ses traits le cerf qui Fuit de toute sa vitesse, comme le chrétien doit éviter le mal. Les plus anciens Pèies, dont nous avons les écrits, ^es pèrcs y

trouvent un mo-

n eurent donc pas de peine à employer ce système d'ensei- yen trensei^nc- gnement dont ils voyaient la source dans l'Écriture et l'ap- plication dans les plus anciens monuments de leur culte. Ils étudièrent ici cette partie si intéressante de l'histoire naturelle. Familiarisés par leurs doctes veilles avec les an- ciens qui en avaient traité, Aristote et Pline surtout, ils y trouvèrent une moisson de réflexions attachantes , et , dans leurs expositions des œuvres de Dieu, envisageant

M) P.S., XLIV.

:2) Jm., XI.

ment religieux.

Us acceptent les notions d'histoire naturelle reçues par les écrivains de renom, pour en faire une suite d'autant plus fer- tile de symboles,

suivant en cela l'exemple des poètes païens.

/|70 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

toujours le monde physique et ses détails infinis au point de vue de l'éternité, ils tirèrent d'ingénieuses comparaisons et des conséquences pratiques de tout ce que la nature leur offrit de propre à rapprocher l'homme du Giel ; ils lui révé- lèrent , avec la nohlesse de son origine , sa prééminence sur les animaux. En notant les mœurs et les hahitudes con- nues de ceux-ci , ils ne manquèrent pas d'en tirer des inductions morales et créèrent cette haute philosophie qui développe les principes absolus de la loi chrétienne de façon à en faire le code universel de la conduite humaine. Et ne les accusons pas, comme ont fait des sophistes de l'école moderne , d'avoir donné dans une crédulité inex- cusable en admettant, avec les naturalistes anciens , des notions de zoologie qui ne soutiendraient pas d'examen sérieux. Outre qu'ils ne répondaient pas des idées scienti- fiques de leur temps, suivies depuis des siècles par des hommes de génie auxquels ils pouvaient croire sans trop manquer aux exigences de leur propre réputation , il est très-probable qu'ils n'acceptèrent pas tous les on-dit de ces physiciens^ devenus plus illustres par leurs travaux que par l'exactitude de leurs assertions , et que s'ils en usèrent comme point de comparaison , et en tant qu'ils devenaient pour eux autant de symboles à introduire dans leurs caté- chèses, ce ne fut pas toujours sans en comprendre la portée scientifique; ils purent très-bien savoir, par des observa- tions subséquentes , la valeur de certaines traditions des anciens, modifier ainsi les idées qu'ils en auraient acquises, et cependant adopter ces traditions mêmes dans ce qu'elles avaient de convenable à la partie symbolistique de l'ensei- gnement public.

Nous n'en voudrions pour preuve que les habitudes de l'aigle , la plupart imaginaires , et cependant acceptées pai* les poètes, comme de saisir ses petits pour leui* faire fixer 1? soleil de leurs regards naissants, de voir lui-même du haut des airs les plus petits poissons apparaissant à la sur-

ZOOLOGIE DE l'eCRITURE ET DES PÈRES. 471

face de l'eau. Tant de merveilles et bien d'autres iravaient pas semble méprisables à Olaudien , à Silius Italicus , à Lucain; et, après eux, pourquoi les mômes idées n'eussent- elles pas souri comme termes de comparaison frappante à des orateurs dont le but était bien plus élevé, à S. Jérôme par exemple, à S. Clément d'Alexandrie, à S. Ambroise (I)? Tous pouvaient dire à cet égard comme S. Basile , qui, en expliquant, à propos de l'œuvre des six jours, les caractères des animaux dans leurs rapports avec celui de l'homme, s'en remet complètement aux notions reçues, y prend ses allégories , et, s'y croit autorisé par l'exemple des savants antérieurs , après lesquels il avoue n'avoir rien inventé (2). En effet, ces grands génies catlioliques, outre qu'ils ne se sentaient pas appelés à faire des cours d'histoire naturelle, pouvaient très-bien s'appuyer sur des croyances populaires pour en tirer des conséquences qui tournaient toutes à l'avantage de leurs moralités. Que leur importait qu'en réa- lité le coq ne s'effrayât point dulion, que le crocodile fut ac- cusé à tort de pleurer pour attirer les enfants sous sa dent cruelle, que le porphyrion d'Élien et d'Athénée ne mourut pas de compassion quand la femme de son maître était infidèle (3) ? de tout cela on n'en concluait pas moins que la vigilance nous épargne les tentations, quo les pièges trompeurs de l'ennemi des hommes doivent leur inspirer de la méfiance, et que l'adultère était un grand crime,

(1) Protinus implumcs convertit ad œthera nidos Et recto flamnias imperat ore pati.

(Claud., De tertio consul. Ilonorii, prœfat. ; mihi, p. 145.)

Voir encore Silius liai., De Dello Pun., lib. X; Lucain, Phanal., lib. IX; S. Jérôme, In Abdiam, i, 4; S. Clément d'Alex., Co/urtat. ad Gciilds, cap. x; S. Ambroise, Exameron, lib. IV, 15.

(2) « Novi leges allegoriarum , et si non a me inventas , ab aliis tamen elaboratîis teneo. » 'Jlexo mer'jn,\\om. ix, cité par M. l'abbé Cros- uier dans V Iconographie chrélienne, ch.xxxu; Bull, iiionum., XIV, 289.)

(3) Cf. Le Monde tnclwnlé, de M. Ferdinand Denis, ch. n , p. 14 et 30, in-32, 1843, Paris.

472 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

puisqu'il désolait jusqu'à la mort le cœur affectueux d'un animal domestique. C'est ainsi que les Pères ont procédé : S. x\ugustin et S. Ambroise , S. Grégoire et S. Isidore de Séville , et tous ceux qui , avant ou après eux, s'emparèrent de l'univers entier pour faire de toutes les ressources de la création un hymne à la gloire de son auteur. Les écrivains du Lcs Doctcurs du movcu âge ne furent pas plus difficiles ; ils

moyen âge les ont >j ^

uivis eux-mêiries. tendirent au même but par les mêmes moyens. Les plus fa- buleuses fantaisies de l'histoire naturelle, prise dans toutes ses branches, ne leur coûtèrent pas à vulgariser pourvu qu'ils en pussent tirer une leçon, et encore ne faudrait-il pas trop se récrier sur beaucoup de ces spécimens accueillis dans les études du cabinet par des savants dont ils séduisaient Certaines opi- l'intelligeuce. Est-il bien prouvé que tels de ces sujets dont

nions sur la zoo- , ^ -^ ^

logie pouvaient uous rious u'out jamals existé ? Est-il une limite si absolue

être plus fondées

qu'on ne le croit, aux phéiiomènss dc la nature que nous puissions la leur assigner positivement, et rejeter tout ce qui semblerait la dépasser ? La science moderne protesterait contre de sem- blables prétentions. Il y a longtemps qu'un homme de juge- ment et d'esprit disait : « Notre siècle , plus éclairé que les générations précédentes , n'a-t-il pas justifié Pline l'Ancien sur plusieurs reproches d'erreurs et de mensonges qu'on lui faisait il y a 1 50 ans (1 ) ? » Les contes qu'on a faits des dauphins sur leur amitié pour l'iiomme n'ont pu tenir contre leur abstention, aujourd'hui vingl fois séculaire, du plus petit acte d'humanité. Mais qui pourrait protester définiti- vement contre une foule d'assertions qui nous ont fait rire des naturalistes grecs et latins , quand les plongeurs de notre époque, munis de moyens jadis inconnus , peuvent observer au fond de la mer des poissons qu'on ne voit jamais à sa surface, et dont les têtes sont celles du cliat , du chien et de l'écureuil (2) ? Soyez sûr que , dans beaucoup de ces

'1) L'fihhé Dubos, Réflexions syr la poésie et la peinture , i. Il, p. 50o, Paris, in 12, 1770.

(2) Voir VUnivers du 4 novembre 1868 : Causeries scientifiques; voir aussi le P. Cahier, Vitranx de Bounjes, p. 97, n" 8, et p. 79, 98, 2.

ZOOLOGIE DU MOYEN AGE. Î73

faits transmis à nos rélloxions par les laborieux observateurs des premières époques littéraires , il n'y avait pas tant d'er- reurs qu'on veut bien le dire, et que ces botes curieuses, dont quelques espèces d'ailleurs ont pu se perdre , n'au- raient pas tous les torts qu'on leur a reprocbés s'il leur était donné de comparaître devant nous. (Test ainsi que peuvent s'expliquer maintes fois les prétendues naïvetés de S. Jé- rôme , de S. iVmbroise ou de l'auteur supposé sous son nom , de Pierre Damien , de Vincent de Beauvais et de beaucoup d'autres que nous avons nommés , lesquels, eus- sent-ils été convaincus de leurs dires , auraient toujours pour avocats devant le bon sens les auteurs sans nombre adoptés et cités par Pline et par tous ceux qui le suivirent à leur tour dans la môme carrière. Il faut sui'tout se reporter, pour comprendi'e la position littéraire faite à ces grands hommes, à l'état des sciences naturelles que de longs voya- ges et de grosses dépenses n'avaient pu élever encore jus- qu'à la hauteur que leur ont faite les observations modernes. On sait que cette espèce d'enfance enveloppa l'essor de la botanique , de la chimie et des autres connaissances pliy- siologiques jusqu'au seizième siècle de notre ère. Montai- gne, x\myot , Budé, Alciat ne furent guère plus forts qu'on ne l'était trois cents ans avant eux, et l'un de nos derniers écrivains de cette époque , S. François de Sales , à qui l'on ne refusera pas plus le jugement que le style, n'a pas hésité devant de nombreuses comparaisons que nous trouvons pleines de charme autant que de justesse , et dont le fond pourtant ne serait plus de mise devant les graves examina- 1 3urs de nos bacheliers. Cependant, et en dépit de ces crédulités d'immortels Doc- Albert le Grand

. ' . n'a;lmct pas toutes

leurs, nous ne devons pas omettre de Citer ceux qui refu- les opinions de sèrent de les partager et professèrent nettement des opi- vâis."^ nions opposées. Ceu\ qui s'occupaient exclusivement des sérieuses matières de la théologie scolasti(|ue eurent bien garde, en présence même des symbolistes les plus renom-

474 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

mes, d'adopter les contes savants qu'ils voyaient accrédités de toutes parts. Quand Vincent de Beauvais répétait sur la calandre , oiseau mystérieux qui guérissait la jamiisse en regardant ceux qu'elle affectait , toutes les merveilles qu'en racontent Élien , Suidas, S. Épiphanc , et tous les pliysio- logues du monde , son contempoi-ain Albert le Grand n'y croyait pas plus qu'aux singularités du pélican : en les indiquant , il a soin d'infirmer les faits par une déné- gation absolue. Ce savant homme ne craignait donc pas de s'élever contre les opinions reçues ; il combattait contre ses devanciers et contre ceux de son temps, dont la réputation n'a cependant souffert en rien de leurs assertions, et, tout eu les combattant, il cédait néanmoins quelque peu aux préjugés des symbolistes , puisqu'il ne croyait pas pouvoir se dispenser d'indi([uer leurs idées, tout en se refusant à les accepter (^1). Origine du bes- Dc cc qul précèdc on peut conclure sûrement que c'est

tiaire , et auteurs iii -i in ^ >

qui se sont donnés au doublc pouit dc VUS (XQ 1 enseiguemeut cliretieu et des

à la zoologie mys- ,,. . . , .

tique. arts d imitation que turent conçus ces nombreux pJnjsio-

logucs ou bestiaires devenus, pour nos artistes comme pour les théologiens et les prédicateurs, une source inépuisable d'histoires attachantes , de légendes instructives , destinées également à l'écrivain et à l'imagier. Nous avons parlé de Tatien, philosophe hérétique du temps de S. Justin , et qui fut probablement le premier rédacteur de ces listes com- parées des caractères de l'homme et des animaux. Son livre est perdu , et avec lui sans doute une foule d'attributions merveilleuses reflétées sur ses animaux par tous ses prédé- cesseurs (2). Quel qu'ait été l'esprit dans ce livre blâmé comme hérétique par le pape Gélase , il est bien clair que cette condamnation ne se serait pas adressée à un livre se lût traité uniquement un cours d'histoire naturelle ; il fallait bien que des moralités chrétiennes en ressortissent ,

(1) Cf. Albert. Magu., opp. De Aidnialibus, lib. XXXIil.

(2) Voir ci-dessus, t. Il, p. 273.

ZOOLOGIE. LES PHYSIOLOGUES OU BESïlAlUES. î / )

et avec elles des interprétations que les gnostiques et autres sectes n'auraient pas plus désavouées que Tauteui* qui par- tageait leurs principes. Après Tatien, ct.s'éclielonnant dans la suite des siècles, viennent se ranger sur la même ligne , outre les Pères déjà nommés, S. Épipîiane, auteur présumé d'une Phydolo'jic mystique^ Hugues de Saint-Victor dans ses Institutions monastiques, puis Guillaume le Normand et Robert de Fournival, auteurs l'un du Bestiaire divin, l'autre de celui des Sept Vices et des Sept Vertus. Le trouvère anglo- normand Philippe de Thaun eut aussi son Physiologue au commencement du douzième siècle ; l'abbesse Jïcrrade n'avait pu négliger ce mémo sujet dans son Ortus dclicia- rum. Il est rare d'ailleurs que les écrivains qui précédèrent Origène jusqu'à la moitié du troisième siècle ne citent pas un physiologue, qui apparaît toujours comme une autorité sans laisser aucun autre vestige de son existence et de son ori- gine. Mais, depuis ces premiers temps, beaucoup d'autres s'en sont occupés soit en prose , soit en vers, et il est pro- bable que tous ne sont que des copies plus ou moins lidèles du premier, augmentées par chaque nouvel éditeur, et devenues ainsi des sources abondantes pour les imagiers de nos édifices religieux ou de nos manuscrits à miniatures. Pour ne pas trop prolonger ici le catalogue de ces auteurs spécialistes, sur lesquels le savant cardinal Pitra sera con- sulté avec fruit dans son Spicilége (1), il nous suffira de domier, poui- bien constater la manière de ces sortes d'ouvrages, le Physiologua de Théobald , dont la forme et les commentaires sont assez lares et assez courts, pour trouver dans ce livre un asile qui évitera à beaucoup la [)eine, peut-être inutile, de le chercher ailleurs. L'identité de cet auteur serait d'abord à rechercher : ceux i'htpioio<jue de

Tliéobai'.l.

qui ont parlé de lui sont peu d'accord sur ce point. Le incortitudos bio

graphiques sur cet

P. iJeaugendre, bénédictin, (jui donna en ^08 une édition auteur. (1) Cf. t. i;i, De lie S!/rnb(jlira, cu[). il, ai t. :l, pi. lxxh et suiv.

470 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

des œuvres de Févêque du Mans Hilde])crt, mort en 1 134 , attribua ce livre à ce prélat, et l'inséra parmi ses écrits. On ne voit guère d'où .pouvait venir cette attribution, puisque le nom de l'auteur véritable était donné à son physiologue dans toutes les copies qu'on en avait, et que si le TheohaJdus eût pu devenir un Hildebertus , ce n'eût été que par une métamorphose inexplicable. Il paraîtrait, d'après plusieurs auteurs , que le manuscrit portant le nom de Thibault se retrouvait en un grand nombre de bibliothèques, ce qui s'expliquait par l'obhgation imposée aux clercs de lire, pré- férablcment à tous les autres, le Physiologue recommandé par ce nom, et qui entrait depuis longtemps dans les études ecclésiastiques , lorsque Bebelius mentionnait ce fait dans ses Opuscu/a varia (1). Dire sur quoi se fonde un manuscrit de la bibliothèque Riclielieu, cité par M. Paulin Paris, pour ajouter au nom de Théobald l'épitliète Placentinus , pour quoi d'autres, que cite sans se prononcer l'illustre cardinal Pitra, lui ont assigné le siège de Sienne, pour patrie la Lombardie , et pour époque la fin du onzième siècle, qui était le temps florissait Constantin de Garthage, ce n'est pas facile à dire, attendu que ces auteurs ne s'appuient que sur des conjectures. Si l'on nous permet d'admettre aussi les nôtres, nous dirons d'abord que rien ne prouve que Théobald, surnommé Placenfinus (de Plaisance), ou *S(?w^w.çz5 (de Sienne), ait jamais été évéque de l'une de ces deux villes, ou des deux successivement; que les savants de cette époque prenaient assez souvent le nom de la ville ils avaient étudié, aussi bien que du lieu de leur naissance, et qu'autour

(1) Opus:-iila Bebeliana, in4o, Argentor.j l.>13. Notre vieil et savant ami M. C. HippeaU; secrétaire des comités archéologiques à Paris, cite, dans l'introduction de l'édition qu'il a donnée du Bestiaire divin de Guillaume le Normand (p. 22, iu-S», Caen, 1832), ce passage de Bebe- lius, et deux ou trr^is autres auteurs de diverses dates, dont les textes prouvent que Théobald l'emportait de beaucoup par sa célébrité sur plusieurs autres auteurs qui avaient trailé le même sujet.— Voir encore SpicU {/. Soi ■snu, III, lxxi; - lHUoire littér. de la France, XIV, 407.

ZOOLOGIE. LE PIIYSIOLOGUE DE THÈOBM.D. 'i77

de ce nom ainsi produit demeurent forcément jusqu'ici toutes les obscurités possibles. Aucun biographe n'en parle, les archéologues mêmes le connaissent peu ; il n'y a pas jus- qu'à ses éditeurs qui n'aiment mieux s'étendre sur le fond de son livre, sa portée morale et le mérite relatif de son exé- cution, que sur ce qu'en pourraient attendre les érudits, curieux de connaître un homme qui les intéresse par ses études et par l'ingénieuse tournure de ses préceptes en vers. Il nous semble donc que c'est à un écrivain français opinion qu'on

peut s'en former.

quil faudrait attribuer ce nom tant controversé, et quen observant de quelle façon procède l'auteur de la pré- face, qui ne doit pas s'éloigner beaucoup de celui du texte, s'il n'est lui-même , il faudrait reporter celui-ci seulement aux onzième et douzième siècles, c'est-à-dire le rattacher à la physiologie et au style philosophique de ce temps. Ge serait donc, selon nous, ou Thibauld, évoque de Paris vers M 40, ou Thibauld, troisième du nom, archevêque de Reims de \]{yd ki 204, qui aurait composé ce poème. Prose et vers, tout nous le fait penser : la prose, en effet, de l'introduction susdite se ressent des distinctions philosophiques employées dans les disputes animées de Gilbert de la Porée , d'Abai- lard et de liérenger. L'éditeur s'étend avec une sorte de com- But de son li- plaisance sur les quatre causes de ce travail, lesquelles, dit- il, sont matérielle , formelle^ efficiente et finale. La cause finale surioni importe ici : eUe est l'exposé net et clair du but que s'est proposé le docteur : « C'est l'utihté du livre , c'est que, l'ayant lu, nous apprenions à aimer les vertus, à détester le vice et à nous former aux bonnes mœurs. Je parle ici , ajoute-t-il, des vertus cardinales : la prudence, la justice, la tempérance et la force. Quant aux vices , ce sont l'orgueil, l'avarice, la gourmandise, la luxure et les autres qui s'expri- ment par les mœurs de différents animaux. Nous y recon- naîtrons donc Jésus-Christ sous le symbole du lion , et le diable dans celui du renard ; ainsi des autres. Le but d'un tel écrit est , par conséquent, de nous apprendre la nature de

vre

forme;

478 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

douze animaux en particulier, afin que, munis de cette con- naissance, nous abordions plus sûrement l'étude des divines Écritures, dans lesquelles nous les retrouverons; c'est de dé- crire ces bêtes intéressantes , de faire jaillir de leur nature leur sens figuratif, de porter les chrétiens vers ce qui est bon, de les retirer du mal et leur faire pratiquer les vertus fon- damentales : voilà ce que l'auteur s'est proposé. )> sa matière et sa Ou Ic voît douc ! c'cst proprement un catéchisme destiné aux fidèles, à l'aide duquel le plus simple pourra saisir le sens des chapiteaux , des modillons, des verrières, des peintures sur parchemin, qui, à défaut d'être lus, seraient du moins compris aussitôt qu'exposés aux regards Certes, il est diffi- cile d'avoir un livre plus curieux en lui-même et un témoi- gnage plus irrécusable de la pensée qui, au moyen âge, pré- sidait à l'iconogi'aphie catholique. Théobald l'a écrit en vers latins, comme d'autres avaient fait en vers français. Ses vers ne sont pas toujours de même mesure. Ils se partagent, au nombre de 305, les douze petits poèmes consacrés aux douze animaux choisis par le poète, et sont composés tantôt d'hexa- mètres, tantôt de distiques, tantôt de saphiques ou d'élégia- ques. Il y est traité, d'abord et tour à tour, du bon, de l'aigle, du serpent et delà fourmi. Nous verrons comment ces quatre premiers types se rattachent, sous sa plume, tantôt à la per- sonnification du Sauveur , tantôt à celle de l'homme régé- néré par le baptême ou la pénitence, lequel s'identifie réel- lement par au Sauveur lui-même. Les huit autres repré- sentent le démon et les mauvaises passions qu'il inspire : ce sont le renard, le cerf, l'araignée, la baleine, la sirène , l'éléphant (1); enfin il faut y joindre la tourterelle et la panthère, qui ne sont prises qu'en bonne part (2). Avant

(1) Nous ne savons si M. Hippeau, qui cite l'onocentaure au lieu de l'éléphant, a eu sous les yeux une variante aussi importante et que rien n'expliquerait. Nous sommes forcé de croire de sa part à une distrac- tion, que nouo ne signalons ici que pour couvrir notre propre respon- sabilité. 11 en a eu une autre, nous semble-t-il, en donnant au poème 359 vers : nous ne lui en avons trouvé que 305.

(2) Nous n'expliquons pas comment, après n'avoir annoncé que

ZOOLOGIE. LE PIIYSIOLOGL'E DE ÏHÉOBALD. î7i)

d'aborder avec l'auteur ces matières si diverses, nous avons })csoin de dire coninient ce livre , que nous ne possédons pas, nous a donné sa substance même, assez complète, pour que nous puissions la rééditer ici.

Le pliysiologue n'est pas resté manuscrit; il fut imprimé f»» 'histoire. en caractères gothiques , in-8% vers la fin du quinzième siècle ou au commencement du seizième , autant que nous en pûmes juger, lorsqu'il y a trente ans nous le trouvâmes chez un libraire de Poitiers, auquel il n'appartenait plus. Ce ii])raire venait de le vendre à un étranger qui devait le prendre dans quelques jours, et nous n'eûmes que la res- source d'en tirer à la hâte une copie reproduite ici dans toute son intégrité. Il se composait de dix-sept ieuillets for- mant un ensemble de trente-quatre pages non chiffrées , sans nulle date ni aucun nom d'imprimeur : on sait que tous ces détails font remonter jusqu'au berceau de l'impri- merie. Il est bon de dire que , soit par cet éditeur, soit par quelque autre copiste plus ancien (et j'adopterais plus volon- tiers cette dernière conjecture), des notes et interprétations ont été ajoutées après chaque partie du poème , et nous éclairent sur quelques obscurités que tout lecteur n'eût pas dissipées. Nous n'omettrons pas ces gloses, souvent utiles, et qui d'ailleurs donnent une juste idée de la méthode exégé- tique des Pères et des physiologues qu'ils ont suivis. Elles seront indiquées dans le texte latin par des renvois en lettres italiques , et quelquefois nous y ajouterons nos réflexions personnelles, qui figureront comme autant de notes au- dessous de notre traduction.

douze animaux, Théobald en décrit quatorze : c'est son affaire, et nous ne sommes ici qu'un fidèle reproducteur de son œuvre.

PHYSIOLOGUS THEOBALBI EPISCOPI

DE NATURIS DUODECIM ANIMALIUIVI.

De Leone.

Très leo naturas, et très linic inde figuras , Qiias ego, Xp/aTÊ, tiJji bisseiio carminé scripsi. Altéra divini memorant animalia libri De qiiibus apposui quae rursiis mystica novi ; Temptans diversis, si possim, scribere metris, Et numerum solidiim complent aiiimab'a solum.

Ici commence le rôle du commentateur. Il explique son troisième vers par cette glose :

GLOSE DU PREMIER ÉDITEUR.

« Divini libri, id ost tlieologici, momorant alia animalia, scilicet duodecim Apostolos. Unde, sicut duodecim sunt Apostoli, sic duo- decim sunt animalia de quibus iii pra?senti libro peragitur. Et sicut Christus est ti-edecimus inter Apostolos , qui est eorum rex et Dominus, sic leo est rex ferarum, et est tredecimnm animal inter ista duodecim animalia. »

Gum leo stans fortis super alta cacumina montis (a) , Qualicumque via vallis descendit ad ima , Si venatorem per naris sentit odorem , Cauda cuncta linit quœ post vestigia fîgit , Quatenus inde suum non possit cernere lustrum (6).

(a) Christus in altis habitat, ut in sap.

{b) Sic Christus quando de coelo descendit in uterum Virg. Mar., sic occultavit se quod nullus diabolorura novit esse Filium Dei aut natnm ex Maria Virgë".

PHYSIOLOGUE DE L'ÉYÊQUE THÉOBALD

SUR LES DOUZE NATURES D'ANIMAUX.

Du Lion.

Le lion comporte trois caractères distincts , d*où ressor- n traite tour ù

11 . A /-.i fT,i tour du lion,

tent trois symboles, que je veux, o Christ, célébrer en votre honneur dans chacun de mes douze poèmes. Les suivants développeront les mystères d'autres animaux des Livres saints ; je les développerai en vers de différentes mesures , et me renfermerai pour eux dans un nombre parfait (i).

Quand le lion descend de la montagne dans la vallée, si son odorat lui révèle l'approche d'un chasseur, il efface des mouvements de sa queue les moindres traces de ses pas , afin qu'on ne reconnaisse aucun indice de son pas-

(1) Et numerum solidum comptent animalia solum.

Ce dernier vers est assez obscur; il signifie que le nombre douze, qa\, nous le savons, a son symbolisme comme tous les autres, forme un poème qui par lui seul ren- ferme Tessentiel de tout ce qu'on peut dire dans tous les bestiaires. Le nombre douze est appelé ici nombre solide ou parfait. Il exprime tous les Saints en général, par cela même qu'il convient aux Apôtres, aux douze tribus d'Israël, figure biblique de l'ÉgllBO

T. III. 31

482 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Natus non vigilat dum sol se tertio gyrat , Sed dans rugitum pater ejus suscitât ipsum ; Tune quasi viviscit et sensus quinque capessit, Et quotiens dormit, nunquam sua luminaclaudit (c).

Sic Tibi, qui celsi residens in culmine cœli, Cum liquit {d) tandem terrenam liseré partcm , Ut genus humanum renovares crimine lapsum, Non penitusnotum fuit ulli dœmoniorum. Viscera Marias, Tibi, Ghriste, fuere cubile, Et Qui Te genuit triduum post surgere fecit. Cum mortis vindex mortem crucis inde subires Ut nos custodes, qui nullo tempore dormis Pervigil ut pastor, ne deviat a grege rector.

(rî) Sic Christus nunquam claudit oculosmisericordiae. Ecce enim non dormitabit neque dormiet qui custodit Israël. {cl) Licuit.

De Aquila.

Esse ferunt aquilam super omne volatile primam.

Quœ se sic rénovât qn («) senecta gravât : Fons ubi sic querit que nunquam surgere desit {bj ,

It super hune cœlo fîtque propinqua Deo {c) ; Tune si sol ambas accendit fervidus alas

Et minuit grandes alleviatque graves (d), Tune quoque caligo consumitur ignepropinquo,

Quam confert oculis vita vetusta suis (e).

(a) Quando.

{b) Fontem qui nunquam cessât manare. (c) Incipit volare versus nubes, juxta spheram ignis. {d) Tune facit concussionem alarum suarum, et pennae ejus ex alarum concussione per radios solares comburuntur. {e) Oculi ejus amittunt priorem caliginem.

ZOOLOGIE. PIIYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 483

sage (^). Ses yeux restent fermés trois jours après sa nais- sance ; alors il les ouvre aux rugissements que son père fait entendre; de ce moment la vie commence pour lui, et dé- sormais il dormira toujours les yeux ouverts.

C'est ainsi, Seigneur, qu'après avoir quitté pour cette terre les hauteurs des cieux , quand vous avez voulu renouveler l'homme abîmé dans sa chute, vous avez soustrait au démon la connaissance de ce mystère. Le sein de Marie devint le lit oîi vous reposâtes, et, après vos souffrances, le Père éternel vous ressuscita au troisième jour. Depuis que vous avez opéré notre Rédemption par la croix, vous nous gardez (2); pasteur \ igilant , vous ne dormez jamais ; jamais vous ne vous séparez de votre troupeau.

De FAîgle.

L'aigle passe pour le roi des oiseaux. Voici comme il s*y dei-aigie prend dans sa vieillesse pour se rajeunir : il cherche d'abord une fontaine d'eau vive, et s'élève au-dessus d'elle jusqu'aux

et de toua ses enfants, etc. (Cf. S. Méliton, Clavis, cap. xii, De Numéris.) On voit que le nombre des douze Apôtres a déterminé l'écrivain à chercher, parmi la grande famille des bêtes symboliques , les douze qui lui paraissent avoir le plus d'analogie avec nos vices et nos vertus. Ce choix arrêté, c'est le liftn qui commence la série, parce qu'il symbolise le Sauveur, à qui s'adresse cetto dédicace. Afin de ne pas interrompre notre texte, nous lirons sous forme de glose dans la même page les observations données par le commentateur pour l'intelligence et le développement de certains vers.

(1) Le Uon, effaçant ses propres traces du fouet de sa queue pour dépister le chasseur, restant sans vie trois jours après sa naissance, et la prenant aux rugissements du père enfin dormant les yeux ouverts , ne perd rien de ces fabuleuses attributions dans les divers physiologues : elles sont empruntées des anciens. L'application que le symboliste y fait ici de la venue du Très-Haut parmi les hommes , du soin que le Verbe divin avait eu de cacher son incarnation au démon, de la résurrection du Sauveur trois jours après sa mortjCSt aussi juste que précise, et c'est cette méthode do mystiques rapprochements qui va s'adapter à tous les autres animaux dans la suite du Bestiaire de Théobald.

(2) Le mot custodes du texte latin est sans doute pour custodias, quoique le vers en devienne faux. Mais nous verron» quel 'auteur est peu scrupuleux sur ce point.

484 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Mox ruit et liquidis se mergit fontis in undis,

Utque cadit nido, sic nova fit subito. Est autem rostrum quo capitur esca rotundum ( f) ;

Vix valet ex aliquo sumerc pauca cibo. Sed feriens petram , vel mordens, ut solet, escam

Os terit obliquum : sic capitinde cibum. Est homo peccatis q~ sunt ab origine matris,

Qualis adest aquila, sed renovatur aqua (g) ; Nubes transcendit, solis incendia sentit,

Mundum cumpompis despiciendo suis. Fit novus in Ghristo inlermissus gurgite vivo ;

Desursum vivus fons fuit il le plus, Os terit obliquum per verba precantia Cbristum (h).

Cbristus petra sic format Apostolus ista , Nam novus est panis super omnia mella suavis.

Panis, id est Cbristus, sit sine fine cibus !

(f) Aquila habet quandoque rostrum rotundum et obliquum, adeo quod non potest comedere. Tune vadit ad petram, et percutit ros- trum contra eamdem, et mordet velut cibum , et sic curvitas an- tiqui rostri deciditur, et sic ipsa juvenescit et potest comedere.

(g) Per aquilam intelligitur quilibet peccator qui deformis est des- pectusque in oculis Dei propter senectam suorum peccatorum in- veteratam. Sed quum per baptismum secundam agitpœnitentiam, renovatur juventus ejus ut aquilae. Sic per alas desiderii trans- cendit ad nubes, cœlestia sapit.Tunc sentit Solis justitise incendia.

(h) Peccator, percutiendo ad petram , qu.'e est Cbristus, per ora- tionem confîtendo peccata deponit os obliquum, et post hoc valet capere cibum, id est gratiam Dei, Panemque omne delectamentum in se habentem.

De Serpente.

Jam senex serpens novus esse gaudet Atque jejunans macrum corpus perborret [a). Pellis effeta tremit evacuata ;

{a) Sorpcns, quando vult juvencscere, j(>junat quadraginta die- bus, et sic in tantum maceratur quod pellis ejus efficitur rugosa.

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. AHo

nuages; alors l'ardeur du soleil embrase ses plumes, le feu consume ce qu'elles avaient de trop épais et de trop lourd , et lui rend môme l'ancienne perspicacité de son regard ; après quoi il se précipite dans la fontaine et redevient aus- sitôt plein de jeunesse et de vigueur. La vieillesse avait ar- rondi son bec , à peine capable de saisir sa nourriture; il parvient à lui redonner sa force et son aptitude en le frot- tant contre les pierres et les rochers.

L'homme ressemble à cet oiseau. Soumis au péché dans le sein de sa mère, il se renouvelle dans l'eau du baptême ; il s'élève jusqu'au Ciel , et s'y réchauffe à la chaleur du Soleil divin par le mépris qu'il fait du monde et de ses attraits. Les eaux vives du Christ le rajeunissent, et il devient ainsi lui-même une source de vie et de piété. Sa bouche se réforme par la prière qu'il adresse souvent au Christ , la pierre fondamentale de FApostolat, et par le retour fréquent au Pain qui surpasse toute douceur. Puisse ce Pain devenir notre nourriture éternelle !

Du Serpent.

Lorsque le serpent est devenu vieux, il aspire à une nou- <Ju serpent, vellc jeunesse. Dans ce but, il jeûne si complètement que sa peau évidée n'a plus de consistance, et qu'il ne lui reste que les nerfs et les os. En cet état il ciierche dans la pierre une cavité fort étroite ; il s'y tient d'abord immobile, et enfin il

486 HISTOIUE DU SYMBOLISME.

Ossa ciim nervis sola manent ;

Quœrit angustum lapidisque foramen,

Vix movens se, veniensque tandem,

Inde pertransit, spoliât earumque vetustatem.

Quoslibet rivos repetens aquarum

Utsitim pellat, evomit ille virus ante.

In aquis ergo minus hunctimebis absque vcneno.

Si virum quemquam sine veste spectat,

Longius serpens ut ab igné recedit ;

Sed videns illum qui fert amictum, surgit in illo,

Quem viFut vincat persequiturque multum.

Colligens caput facit inde scutum

Verticis vero tenet usque curans ne moriatur.

Fonte qui sacro semel es renovatus (b) , Denuo si peccas, tune filicernus (?) extas. Ergo sis semper imitator (anguis), dum veterascis. Sit cibus parcus ut minuantur artus. Unde cum mundis pauperes juvabis ; Pœnitens defle , Dîio quoque saepe die miserere. Signât liunc callem lapidis foramen, Signât et Gliristum petra, namque per ipsum Fit novus quisquis capitatque vitam fine carentem. Cujus ad excelsum veniendo templum Utbibas sacrum beatumque verbum, Evomas primum q. habes nocivum corde venenum : Cordis sunt irœ magis angue nocivae Etvelut matres odium créantes; Corde sunt rixœ bonae non amice invidieque, Corde conceptis furiis superbis, Et coœquales superosque contemnis venenis ;

(b) Per serpentemdesignatur peccator, qui, cum desiderat inno- vari, débet, ad modum serpentis, jejunare quadraginta diebus. Doindedebet quaerere petram,idestGhristum,velsacerdotem Ejus, loco Ghristi positum, cui confiteatur omnia peccata sua : fit novu8 in Christo.

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. /|87

la traverse en y laissant sa dépouille. Aussitôt, pressé par la soif, il gagne le plus proche ruisseau et s'y débari*asse de tout son venin, en sorte que vous n'avez plus rien à craindre de lui : rencontre-t-il un homme nu , il s'en éloigne comme du feu ; au contraire, il s'élance avec colère sur celui que couvrent ses vêtements, et le poursuit de morsures ardentes; au besoin, il se roule sur lui-môme, et, pour sauver sa vie, il cache sa tète dans ses replis.

Vous qui vous êtes une fois renouvelé dans la fontaine sacrée, si vous retombez dans le péché , vous vous amoin- drissez encore (^ ) . Donc imitez le serpent à mesure que vous avancez dans la vie : sachez retrancher de votre nourriture pour nourrir les pauvres ; pleurez vos fautes , implorant la miséricorde divine. Ce sentier de la pénitence est indi- qué ici par le trou de la pierre, et cette pierre elle-même signifie Jésus-Christ. C'est se renouveler que d'aspirer à la vie éternelle. Surtout, quand vous abordez le temple sublime du Verbe incarné pour y boire à la source du Précieux Sang, commencez par vomir hors de voti'e cœur tout ce qui y serait un poison mortel. La colère y fait plus de mal qu'un serpent : elle y enfante les haines , la jalousie , les concep- tions orgueilleuses, qui font mépriser trop souvent les égaux et les supérieurs; c'est elle qui y fait naître la fraude et l'avarice. Si vous vous dépouillez de vous-même en demeu-

(1) Le mot ftlicernus mis dans le texte n'est pas latin et semble composé pour le besoin du vers. Nous croyons qu'il peut, dans la pensée de l'écrivain, avoir pour racine le mot ftlix, bruyère, plante très-petite et peu estimée. C'est donc, selon le sens do l'auteur, s'amoindrir, comme le serpent qui diminue en hiver, que de retomber dans le péché après en avoir été délivré par le baptême.

L'auteur profite ici de ce que le serpent reçoit d'extraordinaire dans les descriptions fantastiques pour trouver entre lui et le Christ des rapports qui descendent ensuite jus- qu'au chrétien. Il paraîtrait, d'après ce que dit Elien de cette bête (De Naturis anima' liiim, cap. XII), que de son temps on attribuait le bien ou le mal à certaines espèces plus ou moins nuisibles. Ainsi la vipère, par sa morsure mortelle, était Pindice d'une méchante femme; la couleuvre, timide et incapable do nuire, n'effrayait en rien et n'avait que des caractères inoffensifs et très-imitables. C'est un sujet de cette espèce que Théobald s'est plu à décrire, et il engage le chrétien à le suivre dans tous les mouvements do sa vie, à changer sa vieille nature, à aimer la solitude, l'âme se refait et se débarrasse du venin de ses péchés.

488 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Plena siiul istiis aliisque multis corda. Corde manet fraus etcupiditas ubiqiie. His quidem piirus quasi veste niidus Daemones anguis typicus fugabis , Noctes ut cœcas reprimit tenebras

Orbita solis. Sed tamen magnas patiere pugnas. Unde dum vives in agone, viges author. Unde serpentem imitare prudens verticis ; Vis novam vitam sine fine dignam , Semper illœsum caput habendum , Hocque caput dico quod babes in principe Christo.

De Formica.

Exemplum nobis prœbet formica laboris Quando suo solitum portât in ore cibum ;

In quo suis factis res monstrat spirituales, Quas quia Judœus non amat inde reus.

Ut valeat brumœ fieri secura futurœ, Dum calor in terra , non requiescit ea.

Nosque laboremus, fratres, dum tempus habemus ,

Securi fieritemporejudicii. Hœc frumenta legit; si comperit hordea, spernit :

Tuque novam Legem collige, non veterem. Sed ne de pluviis aspersum germinet udis

Aut id ne pereat esse quod hœc nequeat, Granum quodque legit prudens formica , bipartit.

Hoc est quod binas Lex habet una vias. Quœ terrena sonat simul et cœlestia donat ;

Nunc mentem pascit, et modo corpus alit. Nos ut Lex replcat, famis formido recédât

Tempore judicii, quod simile est hiemi.

ZOOLOGIE. l'HYSIOLOGUE DE THEOBALT). iSl)

raiit pur, le serpent infernal fuira devant vous ; et plus vous fuirez le monde, mieux vous dissiperez les ténèbres de votre esprit. Cependant attendez-vous à de grands combats; mais ces luttes mêmes seront la force de votre vie. Imitez la pru- dence du serpent , et si vous voulez bonorer votre vie nou- velle, gardez soigneusement votre tète de toute blessure, et souvenez-vous que votre tète c'est le Christ (i).

De la Fourmi (2).

La fourmi nous donne l'exemple du travail en transpor- «Je la fourmi, tant en de longs trajets sa nourriture de chaque joui'. iWAlc conduite est pleine pour nous d'enseignements spirituels, dont la haine rend le Juif si coupable (3). On voit donc la fourmi s'assurer des subsistances pour le temps des brumes hivernales.

(1) Cette comparaison de l'aigle s'élevant jusqu'au soleil convient également bien au baptisé ou au pénitent régénéré s'élevant jusqu'au Soleil de justice, et dont les efforts ont pour conséquence la possession de la Céleste Nourriture.

(2) Nous trouvons dans l'édition du P. Beaugendre quelques variantes avec le texte (jue nous suivons; elles sont trop peu importantes pour nous arrêter. L'essentiel est que le fond reste le même, et il consacre encore los mêmes traditions. Le moyen âge les a reçues et reproduites par tous ses physiologues. Herrade, dans son Ortus deliciarum, a douze vers que cite dom Pitra (Spicit. Solesm., m, 84) et qui diffèrent peu, parle sens et quant aux œuvres de la fourmi, de ce qu'en dit notre poète. On voit ici que, par cela même qu'elle est louée comme laborieuse, elle est opposée à la paresse, l'un des péchés capitaux. Elle devient aussi, par le choix qu'elle sait faire de ses récoltes, préférant le froment et rejetant les grains de moindre valeur, elle devient le symbole du chrétien prudent, discernant la lettre de la Loi de son Esprit, aimant à se nourrir des vérités évangéliques, et faisant dès ce monde une provision de mérites pour éviter, quand viendra l'hiver, c'est-à-dire la dernière saison de notre existence mortelle, tous les repro- ches qu'auront mérités le négligent et le tiède.

(3) Le texte porte " que le Juif est coupable de ne pas aimer. C'est ^qu'en effet la grande faute des Juifs est de no pas admettre le sens spirituel des Ecritures, qui vivifie, dit S. Paul, et de s'obstiner dans la lettre, gwi tue. C'était la pensée du Phyaio- logue d'indiquer ici tous ceux qui résistent à la doctrine chrétienne par les Juifs, qui, de son temps, étaient universellement détestés, et dont le nom offrait le synonyme de tous le» contempteurs de l'Évangile.

490 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

De Vulpe.

Plena dolis multis vocitatur subdolavulpes;

Hanc fiigat agricola, nam capit altilia. Sin habet ille famem (quia desimt), invenit artem

Qiia sibi cantantes prcndere possit aves. In terram scissam se tendit, rictumque supinum,

Et quasi sit mortua, flamina nulla trahit (a) . Gornix aut ater corvus putat esse cadaver (6).

Insidet ut comedat, morsibus excoriât : Illa levis surgit, subitoque volatile sumit

Dcntibus et tristem reddit edendo necem (c). Unde tenet duplam, quam prodest nosse, figuram :

Est Zabulo similis, par aliquando viris (d).

{a) Extendit se jacendo suprà dorsum veluti mortua, non tra- hendo anhelitum.

(b) Cadaver dicitur per etymologiam caro data vermibus.

{(■) Vulpes est qQoddam animal fraudulentum, volubile pedibus, raro roctis itineribus procodens. Et dicitur a verbo voluo et pes. In vulpecula diminutivum.

(d) Zabulus, id est diabolus, interpretatur contrarius.

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 40^

Travaillons aussi, ô mes frères, pendant que nous le pou- vons, à nous assurer contre les rigueurs du jugement qui s'approche. Gomme le petit animal choisit le froment nou- veau et dédaigne celui des récoltes passées , ainsi préférez la nouvelle Loi à l'ancienne. Gomme il a soin de préserver ses provisions de l'humidité , afin de mieux garder ce qui dépasse ses besoins , il fait deux parts de son grain ; nous aussi, nous avons à suivre ici-bas une double voie, dont l'une est celle de nos devoirs de la terre, l'autre de nos espé- rances du Giel. Dans l'une est la nourriture du corps, dans l'autre celle de l'esprit. Suivons la Loi divine : ce sera éviter la famine de ce temps d'hiver que nous figure le suprême jugement.

Du Renard.

Expert en tromperies, le renard est plein de ressources du renard, frauduleuses. Le fermier lui fait la chasse, comme au dévas- tateur de ses poulaillers. Quand il a faim , il n'y a pas de ruses qu'il n'invente pour s'emparer des chantres de la basse-cour. Il s'étend dans un sillon, s'y couche sur le dos, tient sa gueule ouverte et ne souffle pas plus qu'un mort (4). Les corbeaux et autres oiseaux de proie croient rencontrer un cadavre (2) ; ils s'en approchent et sautent sur lui pour le dévorer à belles dents : soudain la hôte se lève, s'empare des oiseaux et leur fait de tristes funérailles (3).

11 y a ici deux symboles à méditer : le renard ressembe

(1) Encore un type partout connu pour une image sensible de Satan, faux et ravisseur (les âmes, cruel et ne les cherchant que pour les dévorer. Il est comparé à Hérode par Notre-Seigneur lui-même, ce que notre physiologue n'a pas oublié. Les mêmes sources nous ont fourni, sur la nature malicieuse de cet animal, des données qui ne lui sont jamais honorables.

(2) l'iitat esse cadaver. Notre commentateur s'amuse ici à une singulière étymo- logie , si tant est que c'en soit une ; on l'avait attribuée au comte Joseph de Maistro, pour qui elle n'était sans doute qu'une réminiscence.

(3) Reddit edendo necem. Ce beau commentaire qui ferait venir vulpes de votvere pedes est encore une étymologie de mémo source que bien d'autres. Vulpes descend bien mieux d'àXo)7:r/^, rvcc lequel l'analogie est frappante.

402 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Mortuus est vere qui mortem facit habcrc ;

Nos et dissimilat qui mala non faciat. Gujus edit carne qui rem facit oris inanem ,

Hoc est peccatum quodlibet atque malum. Quam tune déglutit cum secum ad tartara ducit

Dœmon ab insidiis, vulpeculae similis 1 Et cum fraude viri sunt vulpis nomine digni.

Quales hoc omnes tempore sunt homines ,

Fautes ore bona, sed mala corde gerunt. Herodesque fuit qui Ghristum quœrere jussit ,

Credere se simulans, perdere dissimulans.

De Cervo.

Cervus habere duas naturas atque figuras

Dicitur ap%sîo, qui docet inde, logo, Namque suis grandes cum naribus attrahit angues

De caveis terrœ, de latebrisve petrae. Quos Yorat, ac, tetro mox fervescente veneno,

iEstuat ad liquidas pergere fontis aquas. Quas cum fonte bibit, liis plenus toxica vincit,

Se juvenemque facit cornua quando jacit.

Nos quoque, cum prisci serpentis fraude revincti

Virus contrahimus, orimur et facibus. Hœc tibi luxuriam profert, odiumque, vel iram,

Aut etiam nimiam ejus avaritiam. Ad fontem vivum debemus currere Ghristum ,

Qui, cum nos mundat, sumpta venena fugat. Et sumus, his demptis, juvenes, fractisque beati.

Quae quasi cornua sunt cum miseros faciunt. Gornua sunt onera quae cervi vertice portant ,

Sed non dedecori deinde yidentur haberi. Et Uuvios tranant pariter terramqueperagrant ;

Longius et pergunt pascua quando petunt ;

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUE DE TIIÉOBALD. 493

tantôt au démon (^), tantôt à certains hommes ; car celui-là est bien mort qui procure la mort aux âmes, et Fliomme lui ressemble d'autant plus qu'il s'étudie plus à faire le mal (2j. On peut dire aussi qu'il dévore la chair de celui qui commet le péché , et qu'il l'engloutit avec lui dans l'enfer. Par ses embûches, le démon ressemble donc beaucoup au renard ; mais les hommes ne sont pas moins dignes de ce nom lors- qu'on les voit, comme aujourd'hui, en si grand nombre, avoir d'excellentes choses sur les lèvres et de très-mauvaises dans le cœur : tel Hérode qui fît chercher l'Enfant-Dieu en feignant de croire en lui, afin de le trahir plus sûrement.

Du Cerf (3).

L'enseignement de notre Phtjsio-logue nous montre à *^«cerf. l'égard du cerf deux natures et deux symboles différents (4). On dit que, des puissantes aspirations de ses naseaux, il attire les serpents réfugiés dans les antres ou dans les trous des rochers, il les avale, et, aussitôt qu'il ressent l'effet de leur mortel venin, il gagne en toute vitesse quelque fontaine dont l'eau, en le désaltérant, lui sert de contre-poison. On prétend aussi qu'en changeant de bois il retrouve les forces d'une jeunesse nouvelle.

Et nous aussi , lorsqu'enveloppés dans les ruses de l'an- cien serpent nous acceptons, avec le péché, la mort de nos

(1) Zahulus , parce qu'il est le contrariant , V adversaire , car il s'attaque h tous et beaucoup, comme le marquent le mot original [^âXXo), je jette, et l'augmentatif ^a.

(2) Ces trois derniers vers, à partir de Nos et dissimilat, ne sont pas faciles à com- prendre dans un pareil latin, et il y a ici , comme bien ailleurs, plus d'une faute de co- piste. Le cinquième vers après celui-ci. Fautes ore bona, manque aussi de son hexamètre.

(3) Voir, à propos du cerf, une Notice de M. Cartier sur le sceau du chapitre de Saint- Chéron de Chartres. Le cerf y est, d'après S. Jérôme, Cassiodore et le V. Bède, l'image du chrétien qui détruit le péché par le sacrement de pénitence, ou du martyr qui obtient par son sacrifice volontaire une jeunesse éternelle. Le rapprochement entre cet opuscule et le présent traité de Théobald est fort curieux. Il est clair que celui-ci avait poétisé une idée reçue, puisque les trois auteurs susdits en avaient parlé avant lui. Mais M. Cartier n'a pas connu Théobald, qu'il n'eût pas manqué do citer. Le symbolisme donne donc encoio sa preuve qu'il était une science publique connue de tous.

(4) Dicitur a physio , qui docet inde, wQo. Originalité de construction propre à la

494 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Portant suspensum gradientes ordine mentum,

Alter in alterius clunibus impositus. Hune retinent usum si sint in ordine centum ;

Sed qui praecedit fessus ad ima redit. Sic se vertentes cuncti, mutuoque ferentes,

Nullo defîciunt, sicque vitam peragunt. Per taies mores alienos ferre labores

Cum pietate monent, sicque juvare docent. Sic lex est Ghristi nostri complenda magistri ,

Gujus qui faciat, pascua et inveniat.

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 49 >

âmes, n'avalons-nous pas ( i ) la luxure, ses haines, ses colères, ses cupidités ? Alors ne tardons pas , hâtons-nous de courir vers le Christ, la source des eaux vives qui nous guérira en chassant de notre cœur le poison fatal ; et, à mesure qu'il nous quitte , nous nous déharrassons par cela môme des superfluités (des bois ou cornes) qui nous surchargeaient. Ces bois, en effet, sont pour le cerf de véritables fardeaux, imposés à sa tète ; mais ils lui deviennent bientôt un orne- ment (2). Les cerfs nagent aussi bien qu'ils courent, et vont chercher parfois des pâturages fort éloignés. Lorsqu'ils tra- versent un fleuve dans ce but, ils se suivent tous , chacun reposant l'extrémité de sa tête sur la croupe du précédent. Ils vont quelquefois jusqu'à cent rangés ainsi à la suite les uns des autres , et quand celui qui marche le premier se sent fatigué, il passe à la suite de tous les autres. Ils se prê- tent ainsi un mutuel secours; aucun d'eux ne failUt, et cha- cun se soutient jusqu'au terme de la course commune (3). Ces intéressants animaux nous avertissent donc de nous sup- porter mutuellement, et de nous aider dans toutes les diffi- cultés de cette vie : c'est la loi du Christ notre maître ; accomphssons-la, et nous arriverons aux pâturages de notre éternité.

versification du moyen âge, qui y trouvait une ressource contre les mots que leur quan- tité ne permettait pas d'introduire dans un vers sans les démembrer, mais qui rendait rarement le vers meilleur. On verra plus loin : ut cale-se-faciant. (Voir, ci-après, De Ceto.)

(1) Orimur et/acibus. Il faudrait /aucibus; mais, par une licence qui passe les bor- nes, le poète a fait un mot qui, tout en gardant la quantité voulue, donne un non-sens au lieu de l'idée qu'il voulait exprimer. Il en est ainsi du verbe orimur, qui n'est pas latin avec une telle orthographe, et ne s'applique en rien aux circonstances. Il est clair qu'on devait lire ici : haurimus et faucibus.

(2) Ainsi no« fautes, une fois arrachées de notre cœur par la confession , servent à notre gloire dans la mesure de notre repentir. Le physiologue no dit point cela, mais il indique assez sa pensée, qui ne manque peut-être ici que faute d'un ou deux vers oubliés.

(3) Sicquevitam peragunt. Ce vitam est certainement encore pour iHatn.— Au reste, on voit ici le physiologue se plaire à tous les contes populaires et n'en manquer aucun, comme nous l'avons vu sur le renard, comme il les a répétés sur le lion. Mais aussi des moralités se tirent naturellement de ces erreurs accréditées, et ici nous n'en manquons pas.

496 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

De Aranea.

Vermis aranea («), licet exiguus, Plurima fila nectit assiduus. Texere qui studet artificiis, Quœ vivere solet liis studiis. Sunl ea retia, musca, tibi, Ut volitans capiaris ibi : Dulcis etutilis escasibi. Hinc placet illud opus tenere, Et sibi nihil valet ut fragile : Quaelibet aura trahit in patulum, Rumpitur, et radit in nihilum. Hos sequitur liomo vermiculos Decipiendo suos minimos, Quos comedit faciens miseros, Et placet sibi inde nimium Quando nocere potest alio. Ille tanien vitium^quodque facit, Gum moritur quasi tela cadit, Quam modo dictus aranea agit.

(a) Per araneam inteiligitur avarus : nam, sicut aranea eviscerat miiscas, sic avarus in acquirendo pecaniam pauperes eviscerat, et ipsos in mortem tradit.— Diabolus nobis tanquam muscis insidia- tur semper ponendo nobis in via liamos, retia et laqucos suos, ut possit nos capere per peccatum; et dum aliquem capit per con- sensum peccati mortalis, tune eviscerat et privât gratia, nisi per confessionem et pœnitentiam récupérât eam. Et sic tela diaboli est quod propria voluntate per pœnitentiam potest homo evadere eam.— Aranea timet solem : sic diabolus timet sTam EccTîam vel honiëm justum, quia soli comparatur justus.— Plus solet aranea in nocte texere quam die : sic diabolus quando homo justus minus est in custodia.

ZOOLOGIE.— PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 497

De l'Araignée.

L'araignée, quoique n'étant qu'un très-petit animal, niul- '^^ l'araignée, tiplie ses fils par l'assiduité de ses labeurs; elle passe sa vie tout entière à ces studieuses industries. Pauvre mouche !ce sont autant de filets oii ton vol s'arrête, tu te prends pour devenir sa nourriture. Cette proie devient à ton en- nemie un encouragement, et rien ne lui sourit mieux que sa toile, pourtant si fragile, que le moindre vent entraîne au large pour la rompre et la réduire à rien {\).

L'homme qui suit ce funeste exemple trompe quiconque est moins fort que lui ; il dévore les malheureux qu'il a faits, il se fait un cruel bonheur de nuire à autrui, il s'abandonne à tous les vices ; mais bientôt il meurt, il tombe, et devient semblable à la toile de notre araignée.

(1) Et radit in nihilum. C'est bien vadit et non radit qu'il faudrait ici. On Toit du reste, dans ces rapports entre l'avare et l'araignée, beaucoup de vérité, de goût et de justesse.

T. ni. 32

498 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

De Ceto.

Est super omiie peciis, qui vivit in œquora, cetus;

Monstrum grande satis dum super extat aquis. Prospiciens illum, montem putat esse marinus

Aut quod in oceano insula fit medio. Hic si quando famem, quod fert sœpissime grandem ,

AUeviare cupit : callidus os aperit, Unde velut florum sic flatus reddit odorem

Ad se pisciculos ut tradat exiguos, Exiguum tantum quum repreliendere magnum

Perfectumque nequit ; sed nec ab ore premit Parvos pisciculos, claudit déglutit et omnes,

Non sic ut quondam sorbuit ille Jonam. Si fit tempestas, cum vadit et venit œstus.

Et pelagus fundum turbidat omne suum, Gontinuo summas se toUit cetus in undas :

Est promontorium cernere non modicum. Huic religare citam pro tempestate carinam

Nautœ festinant , utque foris saliant, Accendunt vigilem quœ navis portitat ignem

Utcale se faciant aut comedenda coquant. Ille Ibcum sentit ; tune se fugiendo remergit Unde prius venit, sicque carina périt.

Yiribus est Zabulus, quasi cetus corpore, magnus (a), Ut monstrant magni, quos facit ille, magi.

{à) Magnis est viribus diabolus, seu Zabulus, ut nigromantici affir- mant, qui virtute diabolica per artem magicam magna et mirabilia iacere videntur; et etiam Yidentur esse montes diaboli in pelago , quia suas deceptiones per universum mundum diffundunt.— Dia- bolus per suse suggestionis dulcedinem, qu£e est in longa vita et con- cupiscentia carnali, attrahit sibi homines parvos et modicos in fide et in bona operatione; vel si capitales, non tenet eos,sed evomit, sicut hic cetus tenuit Jonam prophetam.

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. 499

De la Baleine (1).

La baleine dépasse par sa taille tous les habitants de la doiabaicine, mer ; elle se tient sur l'eau en des proportions monstrueuses. Les marins , la voyant de loin, la prennent pour une mon- tagne ou une île jetée au milieu de l'océan. Quand elle a faim, il lui devient diliicile de s'assouvir , et elle recourt à une ruse : elle ouvre son énorme gueule et en fait sortir un souffle semblable à un parfum de fleurs odorantes qui attire à elle les petits poissons; elle se contente de ceux-là quand elle n'en peut avoir de plus gros ; mais elle ne les écrase pas de ses dents, les avale tout entiers, comme il arriva autrefois à Jonas (2). Si, au temps des marées, il survient une tempête qui trouble la mer jusque dans ses plus intimes profondeurs, la baleine s'élève aussitôt à la surface des eaux et y apparaît comme un promontoire. Les nautonniers se hâtent d'y atta-

(1) On voit clairement, par ce qui est dit ici de la baleine, que notre versificateur n'a fait que translater, de la prose accréditée de son temps, les caractères et incidents qu'il relate. Il n'y a rien dans ces contes venus de l'Orient, amateur de merveilles, qui n'ait été dit par les bestiaires du passé. Ces exagérations n'ont pu échapper à aucun d'eux. Voir Uippeau, Best, divin., p. 153;Bochard, AnimaUa sacra, cap. vii; Wolfgangus Franzius, ytnimalium histor. sacra, lib. III, cap. vu. Nous avons remarqué plusieurs fois que, le rôle principal de ce monstre étant celui du démon, les énormes proportions de sa gueule im- mense ont paru très-convenables à exprimer l'ouverture de l'enfer, si souvent reproduite pleine de flammes et d'âmes qui s'y engouffrent, jetées par les démons, ou qui en sortent appelées par le Fils de Dieu qui frappe de sa croix la gueule du Léviathan. Nos manuscrits sont pleins de ces images, aussi bien que nos vitraux des treizième et quatorzième siècles. On les voit sculptées au portail des cathédrales d'Auxerre, de Poitiers, d'autres en grand nombre, et sur beaucoup de chapiteaux. Cette figure, ainsi dessinée partout sous les mêmes traits, prouverait assez, contre BocharJ et D. Calmet, qui font du Léviathan de Job un synonyme du crocodile, que c'est réellement à la baleine que le saint homme don- nait ce nom. D'ailleurs, il n'y a pas à se tromper sur le poisson auquel est empruntée cotte vaste gueule, et elle ne peut convenir qu'à la bête qui engloutit Jonas et le rendit sain e sauf.— Voir Btill. monum., XIV, 121, 123, 236, 304, 313, et le Dict, archéologique de la Bible, par William Carpenter, v" Léviathaîî. (Migne, Scrip. sac. cursus completus, III, col. 1071.) Voir encore, pour l'explication en elle-même de cette ouverture de l'enfer, ci-dessus, t. II, ch. xii, p. 338. Ajoutons seulement, pour ne rien laisser manquer aux notions nécessaires de ce sujet, que, quand le Sauveur y apparaît frappant de sa croix lo monstre qui rend les âmes au lieu de les engloutir, c'est la représentation de la des- cente du Fils de Dieu aux limbes et de la délivrance des âmes du purgatoire.

(2) Non sic ut quondam sorbitit ille Jnnam. Il est clair qu'il y a encore ici quelque faute de copiste, car ce vers exprimerait le contraire do ce qui arriva à Jonas, lequel fut absorbé et rendu tout entier par la baleine. Notre traduction rétablit le vrai sens de l'auteur.

•JOO HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Mentes cunctorum qui mutât ubiqiie viroruni : Esurit atqiie sitit, quosque potest perimit,

Et modicos fîdei trahit iii dulcedine verbi, Nam fide firmos non trahit ille viros.

In quo confidit quisquis, et spes sibi ponit , Ad Styga qui rapitur, quod maie deeipitur.

De Sirène.

Sirènes sunt monstra maris resonantia miris Vocibus, et moduUs cantus facientia multis. Ad quas non caute veniunt sœpissime nautœ («) : Quœ faciunt sonitum nimia dulcedine vocum, Et modo naufragium, modo dant mortale periclum. Nam qui viderunt bas, taies esse tulerunt : Ex umbilico sunt ut pulcherrima virgo, Quodque facit monstrum, pisces sunt inde retrorsum (6j. Est onocentaurus eadem natura biformis (c) : In quibus est asinus humano corpore mixtus.

Quam plures homines sic sunt in more biformes, Unum dicentes, ahud tibi mox facientes ,

(a) Per sirènes intelligatur diabolus, et per nautas homo. Sic dia- boliis dulcia promittit, et inducit quibus periclitari facit hominem in œterna damnatione.

(h) In superiori parte corporis sui sirènes habent speciem pul- chrae virginis, sed ab umbilico inferius habent speciem volucris vel piscis.

(c) Onocentaurus enim est monstrum marinam,qui suporius dis- positus est sicut homo^ et inferius siciit asinus.

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUL DE THÉOBALD. oOI

clicr leur navire, y débarquent et y allument du feu pour se chauffer ou pour faire cuire leurs aliments. La bête, qui se sent brûler, rentre alors au fond de la mer et fait périr l'équipage.

Le démon est aussi une grande baleine, remarquable par sa force, comme nous le disent ses adeptes les magiciens; il s'est toujours emparé de l'esprit des hommes, qu'il change à son gré ; il en a faim et soif, il perd tous ceux qu'il peut séduire, alléchant parla feinte douceur de ses paroles ceux dont la foi est chancelante, mais impuissant contre ceux qui restent fermes dans cette foi. Celui qui l'écoute et le croit se laisse entraîner par lui dans l'abîme, suite déplorable de sa malheureuse confiance.

De la Sirène.

Les sirènes sont des monstres marins dont la voix est de sirène, merveilleuse ; leurs chants sont pleins d'harmonie. Les nau- tonniers se laissent prendre très-souvent à la douceur de ces concerts perfides ; ils s'en approchent , et tombent au milieu d'écueils qui causent leur naufrage. Ceux qui les ont vues assurent que toute la partie supérieure de leur corps est celle d'une ])elle jeune fille, la partie inférieure est celle d'un poisson, semblable en cela à l'onocentaure, qui a aussi son double corps, d'homme et d'âne sauvage.

Que d'hommes ont ainsi comme deux natures, dont l'une parle en sens contraire des actions de l'autre : grands par- leurs de vertus, et pratiquants de débauches (4) ! Ne sont-ce pas des infamies dont le monde se fait gloire ?

(1) Ici la glose de notre étymologiste est encore en défaut: -/puao; n'est jamais entré dans la composition d'hypocrite, qui vient d Ûttcx.oÎvw, feindre, représenter un person- nage de comédie. Nous ne savons non plus le commentateur de Théobald avait pris que l'onocentaure était un animal marin. Aucun bestiaire n'en parle dans ce sens, et il l'aura mal induit du rapprochement qu'en font les symbolistes avec la sirène , qu'on regarde comme l'emblème des hypocrites, ou de ceux qui trompent par leur langage différent de leur conduite, à cause de cette double nature qu'on attribue h l'un et à l'autre. Les physiologues divers connus avant ou après lui parlent, il est vrai, de ce monstre en même temps que de la sirène, et à son occasion, parce qu'il est, comme elle, fomposé d'une double nature physique; mais ils ne l'ont jamais fait habitant de la mer . ni même amphibie, comme on peut le voir dans le deuxième volume du Spicilége du car-

502 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Qui foris ut fantur , non intus sic operantur,

Ut pote sunt muiti qui de virtute locuti,

Glunibus indulgent his ! 0 quam publica fulgent {d) !

{d) Sicetiam sunt aliqui praedicatores, hommes docentes, et pr?e- cipientes facere bona et virtuosa; ipsi vero faciunt mala et crimi- nosa. Taies dicuntur hypocritae , ab ûtto, quod est supra, et xP'^<^°m aurwn, quasi forinsecus apparentes ut aurum , et velut homo ra- tione utens; sed intrinsecus sunt similes asino, ratione carentes.

De Elephante.

Gorpore tam grandes apud Indos sunt elep liantes

Ut bene fîrmares montibus esse pares. Hi simul incedunt ut oves, dum pascua quœrunt ;

Aversi coeunt cum sibi conveniunt ; Atque semel pariunt quamvis tôt tempora vivunt ,

Hoc esttrecentum. Nec faciunt genitum, Ast unum generans et per duo tempora gestans

Cum parit, in magna, ne cadat, extat aqua ; Non babet unde surgat, quia nunquam crura recurvat.

Si qua forte ruit, hocgenitrix metuit, Dum vult pausare vel somno se recreare,

Incumbit ligno arboris exiguo, Quam notât atque secat venator, et obice celât,

Clamque sedens spectat dum requiem répétât, nie velut quondam securis ad arboris umbram,

Dum venit, incumbit cumque ruente ruit. Sin bomo non aderit, gémit, et cum denique barrit,

Tune unus currit qui relevare cupit, Sed nequit, et satagit complorans ; tune quoque barrit.

Multi vel magni tune veniunt alii ; Gum nequeunt omnes, intendunt mittere voces.

Ad quos it subitus parvulus et minimus, Gujus, et est mirum, provisio sublevat illum,

Et sicprœdictas effugit insidias.

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD. oOS

De l'Eléphant (i).

Au pays des Indes, on voit des éléphants si énormes qu'on ^^ l'éiéphant, les prendrait pour des montagnes. Ils marchent par trou- peaux...; ils vivent trois cents ans, pendant lesquels ils n'ont jamais qu'un petit qui nait dans l'eau... Gomme l'éléphant ne peut plier ses jamhes , il ne peut plus se relever s'il vient à tomber; c'est pourquoi, pour se reposer ou dormir, il s'ap- puie sur le tronc d'un arbre. Le chasseur qui l'a remarqué fait à cet arbre une large coupure qu'il dissimule ensuite ; puis il va se cacher, attendant le retour de la bote qui revient

djnal Pitra, p. 68, 350 et 381. Tons ces auteurs, latîn, grec ou arménien, traitent d'ailleurs delà sirène et de l'onocentaure comme Théolîald lui-même, à l'exception des interpré- tations morales, dont le fond est simplement indiqué par eux et longuement développé, au contraire, par celui-ci. Toutefois les interprètes arméniens sont plus abondants, aussi bien que les gnostiques , dont l'herméneutique ne diffère que très-peu de celle de notre évêque. Au reste , le prophète Isaïo avait parlé de la sirène et de l'onocentaure comme de types démoniaques imposant leurs mauvaises inspirations aux peuples punis de Dieu (voir /s., XIII, 22; xxix. 14): de tous les symboles qui s'y rapportent dans les Pères et les écrivains ecclésiastiques. Quoi qu'il en soit, on voit qu'ici le commentateur, évêque ou prêtre, ne ménage pas plus les prédicateurs infidèles à leurs convictions que ne les épargnaient les moralistes, dont nous avons observé les sévérités artistiques en par- lant de certains modillons, au ch. viii, ci-dessus.

(1) Le premier éléphant qui parut en France y fut envoyé à Chârlemftgne par le calife Aaroun-al-Raschild, en 802. Ce symbole ne pourrait donc guère se trouver dans la sculp- ture monumentale que depuis le commencement du neuvième siècle, quoiqu'on puisse bien en avoir eu quelque idée antérieure par les bestiaires mêmes. Mais cette idée fut-elle dès lors dans les monuments par la sculpture ou les autres arts du dessin ? Nous n'en avons pas d'exemple, et nous ne pensons pas qu'on en puisse citer. Il n'en est que plus curieux d'observer comme les symbolistes s'en emparèrent, y trouvèrent des ana- logies avec le Sauveur par suite des habitudes de l'animal, ici décrites avec plus ou moins de crédulité, pendant que d'autres, comme S. Mcliton, voyaient on lui le type des grands pécheurs et des orguoilloui à cause de sa taille et de sa fore», dont il lui est si facile d'abuser. Pierre de Capoue fait de l'ivoire le symbole delà chasteté et de la force morale qui résiste aux passions. Il le donne comme une sorte d'attribut à S" Agnès, à S" Agathe, qui préférèrent la mort à la perte de leur virginité ; à S. Paul pour sa fermeté apostolique; au Sauveur, enfin, demeuré incorruptibU dans U tombeau ; Non dahls

504 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

De qiio pilis ejiis si fit siil) domate fiimus,

Serpentes cedunt quaeque venena ferunt. Sic homo primus Adam per ligniim, sic cecidit jam ;

Quem Moyses voluittollere,non potiiit. Post liiinc Prophetae voluerunt, nec valuere.

Ipsoriim precibus venit ad Jiimc Dominus, Qui cum sit parviis, cum Deus est homo factiis ,

Sic relevavit eiim in comedendo reum (a) ; Gujus odorplenus de verbis (scilicet?) ejus (6),

Sic cui rite venit, ille beatiis erit ; Omne quod est vitium fugiet de corde per ipsum :

Causa dehinc lethi nulla nocebit ei.

(a) Adam cecidit in mortem cum arbore quam venator , id est diabolus, sua fraude , instigando ad transgressionem inédit. Moyses vero eum sublevare non potuit (per Legem), et alii Prophetae simi- liter non potuerunt. Hi ergo simul inceperunt barrire, id est fun- dere suas devotas orationes ad Deum, et tandem ad preces eorum venit unus Parvus Elephas, scilicet Ghristus Jésus parvus, id est maxime humilis, et sublevavit istum , dum sua morte in crucis patibulo eum redemit.

(b) Sic per odorem dulcis verbi Dei fugunt cuncta vitia, nec ulla mortis causa ad venit ei qui verbum Dei rite audit et firmiter cus- todit. Boati qui audiunt verbum Dei et custodiunt illudl

De Turture.

Turtur inane nescit amare (a), Nam semel uni juncta marito Semper adhœret cum simul ipso. Nocte dieque juncta rnanebit, Absque marito nemo videbit ; Sed viduata si caret ipso, Non tamen altro nubit amico : Sola volabit, solascdebit, Opericnsque cas ta manebit.

{a) Sed ardenti amore.

ZOOLOGIE. PHYSIOLO'viUE DE THEOBALI). iiO")

pi'oiidie son repos SOUS ce mèineai'bre(l), s'y appuie et tombe avec lui. S'il ne survient personne pour s'emparer de lui, il se meta gémir, puis ses cris deviennent perçants. Beaucoup d'autres éléphants arrivent alors, jettent de grands cris qui en attirent encore ; et tous, grands et petits, par une admi- rable entente , réussissent à soulever leur pauvre ami, qui , grâce à ce secours, parvient à éviter la mort. Le poil de l'éléphant a cette vertu remarquable que, s'il est brûlé dans une maison, il en éloigne les serpents, très-venimeux dans ce pays.

Adam, notre premier père, était tombé de la sorte. Moïse et les Prophètes ne purent réparer sa cliute ; mais leur prière appela vers lui le Seigneur, qui se rapetissa jusqu'à se faire homme et le releva de son abjection en se donnant à lui pour nourriture. Heureux donc celui qui se laissera attirer à l'odeur de sa parole ! par elle son cœur sera dégagé de toute influence vicieuse ; il n'aura plus en soi aucune cause de mort. Toutes les nations l'ont suivie par la foi ; l'ancien serpent, notre cruel ennemi , est le seul qui la fuie , qui se cache devant ce Dieu, et qui n'ose, en sa présence, attaquer ceux que daigne protéger et défendre Celui qui doit régner éternellement sur eux.

De la Tourterelle (2).

La tourteielle ne sait point aimer au hasard; car, une fois de la tomtcroiip, attachée à un époux, elle ne veut plus que lui seul ; elle lui

Sunclutn tuum videre comiptionem (ps. xxi, 10). Ce dernier trait devrait faire pré- férer de beaucoup les crucifix en ivoire à ceux de toute autre matière, indépendamment ilu prix intrinsèque de celle-ci. C'est une pensée que les artistes no doivent pas oublier. (Voir Spicit. Solesm., III, 59.)

(1) Seccris ad arboris umbravi. Il faut certainement securus.

(2) Ces vers sur la tourterelle sont charmants ; leur douceur mélancolique sied parfaite- ment au sujet; leur simplicité gracieuse n'eût pas été désavouée par Catulle. Au reste, nous avonR à observ(>r sur cet oiseau qu'il est admirablement traité comme le symbole de la chasteté conjugale, de la paix intérieure, de la douceur inaltérable, parles SS. Pères, qui virent tour à tour en lui le Sauveur, l'Eglise sa fidèle Epouse, l'âme chrétienne, dont l'amour se repose en Dieu seul, comme daiis la solitude chérie, qu'elle préfère au monde et à «es dangereuses sédu'îtions. Ce ciiarmant oiseau n'a .jamais eu son opposition chez les symbolistes; il a toujours été pris en bonne part. S. Fran<;ois de Sales rappelle, d'après les anciens naturalistes, qu'il n'a pas de fiel, et le propose comme modèle de la mansuétude chrétienne unie au saint éclat d'une chasteté incorruptible, (t^ie dévote.)

o06 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Sic anima extat quœque fidelis, Facta virili fœdere felix, Namque maritus est sibi Ghristiis, Gum sua de se pectora replet ; Si bene vivit, semper adhaeret, Non alienum quœrit amiciim. QuamliJ)et orcus sumpserit illiim , Quem superesse crédit in œthere, Unde futur um spectat eumdem Ut microcosmum {b) judicet omnem.

(b) Ici est hominem.

De Panthère.

Est quadrupes panther quo non est pulchrior alter : Qui magis ex albo conspergitur orbiculato. Diversis pastus, venatibus et satiatus , Se recipit dormitque cavo prostratus in antro; Post triduum surgit : tune vero denique rugit... Exit odor talis de gutture, tamque suavis, Qui virtute sua superabit aromata cuncta, Ad quem vox tendit quae vocem bellua sentit. Sic imitatur eum fletus dulcedine plénum : vSic faciunt omnes soli panthera dracones, Gum sonat : aut fugiunt aut segnes corpore iîunt, In caveisque latent nec longo tempore patent.

Est autem Ghristus panther allegorice dictus, Qui super est homines forma collatus ad omnes (a), Et satur ille fuit qui tôt quos vult sibi sumit ; Somnum tune cepit quum nos moriendo redemit.

(a) Siciit panther satiatus tribus diebus dormit, ita Ghristus oppro- briis et contumcliis, (^t diversis afflictionibus affectus, tribus diebus (luievitinsepu'cro.etpostquamresurrexitjVociferaiisdulcissimum odorem nmisit, dicons : Fax vobis, nolite timoré.

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGUK DE THÉOBALD. oOT

restera fidèle nuit et jour; on ne la verra jamais sans lui, et si elle en est privée par la mort, elle n'aura point d'autre ami (1), restant seule, parcourant seule les ])ois qui cache- ront le mystère de son chaste veuvage.

Ainsi l'âme tîdèle lui ressemble; heureuse des liens qui l'attachent au Christ son Époux , elle remplit son cœur de Lui seul, et garde la sainteté de sa vie dans sa fidélité, qui ne lui permet pas d'autre affection; si la mort semble l'en sé- parer, elle sait qu'il doit un jour l'appeler au Ciel , d'où il viendra juger ce petit monde qu'on appelle l'homme (2).

De la Panthère (3).

La panthère est un des plus jolis animaux; sa peau est deia panthère. taclietée de noir et de blanc; elle se nourrit surtout de sa chasse , et, après s'être rassasiée , couchée dans son antre profond et retiré , elle dort pendant trois jours , après quoi elle se réveille ; elle se met à rugir , et soudain sa gueule exhale une odeur dont la suavité l'emporte sur les parfums les plus exquis. Alors, d'aussi loin que sa voix est entendue, toutes les autres hôtes accourent vers elle, les dragons seuls s'y refusent, ou mis en fuite ou terrifiés par sa voix , qui les arrête et les fait rentrer pour longtemps dans leurs repaires.

(1) Il faut lire sans doute altro pour altero.

(2) Un ancien philosophe a dit que l'homme était un monde en raccourci.

(3) La panthère est sauvage et cruelle de son iia'urel. Il a donc fallu lui trouver des qualités éminentes pour oser l'assimiler au Sauveur, et nous les voyons ici développées au profit de l'une des bêtes les moins commodes de tout le règne animal. Quoique la panthère soit différente du léopard, dont l'Écriture parle souvent, notamment dans l'Ecclésiastique (XXXI, 24), comme étant l'emblème du démon; quoiqu'on l'ait considérée comme l'image de la persévérance dans le mal, que Jérémie désigne par l'immutabilité de sa peau (xiii, 23), on peut regarder que, dans les Livres saints, le mot do panthère ne figure pas une seule fois, ce quadrupède paraît sous le nom de léopard, et que leurs attributs sont identiques. Quoi qu'il soit dos opinions des savants, longuement discutées, sans conclusion bien évidente, dans le Hiirozoicou de Bochard, on s'accorde généralement sur tout ce qui est dit par Théobald do la panthère , dont les symbolistes n'ont voulu prendre que le bon côt«.

'J08 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Rugitum misit postquam de morte rcvixit Cœlos ascendens Qui régnât ciim Pâtre pns (6), Quem gentes cimctae sicsunt credendo secutœ (c). Qui fugit atque latet, nec in ipso tenipore patet, Serpens antiquus , qui nobis est inimicus ; Namque palam audet jam f allere multos , Quos cum defendatQui secula p"omnia régnât.

(b) Scrlens ad dextoram Patris, odorem suavissimum emisit, scili- cet Paracletum quem discipulis infudit.

(c) Homines devoti credendo Eum sequimtur, prœter soliim dra- conem diabolum qui timct Ghristum, etc.— Sicut draco abscondit se ne vocem pantlieris audiat, sic homines diabolo servientes tïigiunt et abhorrent verba Ghristi et suorum. Item , sicut pellis pantheris diversum habet colorem, ita pro omnibus bonis ope- ribus diversa habet meritoria retribuenda Spiritualis Panther.

FINIT l'HVSIOLOGUS DE DUODBCIM ANIMALIUM NATUKIS.

ZOOLOGIE. PUVSiOLOGUE DE THÉOBALD. jOI)

Le Christ est allégorisé par cette paiitliùre ; il s'est assimilé à tous les hommes en prenant leur humanité : il avait de nous une faim qu'il a rassasiée en complétant le nomhre de ses Élus , puis il nous a rachetés par son sommeil de trois jours dans le tomheau. Après sa résurrection, il a rempli la terre du vaste rugissement de la parole évangélique , et il est remonté aux Cieux, il règne tout-puissant avec son Père(l). Mais ensuite toutes les nations sont accourues vers Lui par la foi ; le démon seul , notre ennemi et le sien , a disparu et s'est caché depuis sa venue, et il n'ose plus atta- quer ouvertement ceux que défend contre ses méchancetés le Dieu dont le règne ne peut être éjjranlé (2).

(1) Régnât cum Pâtre pns, c'est-à-dire prasms , et mieux potens en dépit de la mesure.

(2) Qui taenia p mnnia régnât. Ce p est ici pour la préposition per, qui, se confon- dant avec le mot suivant, comme si on eût prononcer pomnia, laissait le ver» dans sa mesure et s'entendait fort bien par les lettrés.

FIN DU l'UYSIOLOGUE SUR LES DOUZE ANIMAUX.

5^0 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Observations sur Qi! a Comprendre à de tels vers latins que le poète y

le l'hysiotogiie et i i. i t, x i

la traduction pré- avait mis quelque négligence, et les amateurs du beau style s'y seront peut-être un peu scandalisés. Disons toutefois, à la décharge de l'auteur, que, pour expliquer les nombreuses infractions aux règles de la prosodie et de l'élégance, il faut tenir compte des nombreuses copies qui durent en être faites avant la première édition, lesquelles, en se multipliant, devinrent forcément plus ou moins fautives. Le premier éditeur qui voulut en exposer le mysticisme ne se donna point la peine d'y ajouter ses réflexions littéraires, et livra à son public , encore peu difficile sur ce point , un texte tel quel et susceptible de beaucoup trop d'errata. En dépit de ces raisons, et tout en indiquant des corrections essentielles, nous avons tenu cependant à ne pas défigurer l'original , à lui laisser autant que possible sa physionomie primitive , aidant seulement de nos propres observations l'intelligence des passages qui paraissaient offrir plus d'obscurité. Quant à notre traduction, nous l'avons faite très-librement, n'ayant pu a\oir pour but en l'écrivant que de satisfaire à la juste curiosité de quelques lecteurs à qui elle serait indispensable, et de leur rendre la pensée de l'auteur latin plutôt que le caractère de sa diction. De ce livre même Api'ès ccttc Iccturc, qu'ou pourralt regarder comme le que^iïuteu"^ "ne résumé dc toutc la théologie mystique de l'art chrétien ap- s abusait pa^^p^us pj-^^^^g ^ j^ zoologlc dc SCS monumcuts et de ses livres , on

Fa^fakur^dr leurs u'a guèrc bcsolu dc poursuivre une étude d'où jaillissent opimons zoo o-i- j^g^^^A^ l'évidencc et la nature du symbolisme et l'étendue de ses moyens d'action sur l'esprit humain. On n'en conclura pas , avec certains antagonistes des Pères , que beaucoup d'écrivains mystiques s'étaient fait une sorte de zoologie fabuleuse , pour y trouver de plus faciles allusions aux choses chrétiennes. On voit qu'ils n'ont fait qu'admettre des notions mythiques, il est vrai , mais dont ils n'étaient point dupes , afin d'en tirer le même profit que d'autres avaient fait avant eux. Les écrivains protestants, d'ailleurs, ne sont

ZOOLOGIE. PHYSIOLOGIE DE THEOBALD.

:ili

pas restés étrangers à ce mélange de vérité et d'erreur. Franzius, que nous avons souvent allégué, ne s'est pas con- tenté des données incontestables des naturalistes , il en a cité aussi les plus bizarres imaginations, et, en dépit de ses applications injurieuses contre les catboliques, et surtout contre les jésuites (que de tels adversaires avaient quelques raisons trop dogmatiques de baïr), il n'a pas moins usé, dans l'intérêt de son livre, de maintes révélations dont l'or- thodoxie scientifique n'était point sans reproche. Mais n'avons-nous pas vu les Docteurs de l'Église s'entendre universellement sur les mêmes points? L'unanimité des principes symbolistiques ressort beaucoup plus de cet ac- cord que de toutes les études possibles ; et comment douter de cette conformité de tous les temps quand on voit les types se multiplier sur les monuments de tous les âges ?

Pour en revenir à nos animaux, n'oublions pas que tous ne sont pas aussi méchants ni aussi bons que Théobald nous les représente d'après les auteurs qu'il devait suivre. Qui- conque voudra consulter les livres spéciaux que nous avons ouverts devant nos lecteurs , comme sources de preuves , verra, parles détails particuUcrs à chaque hôte, que les sym- bolistes sont parfaitement compréhensibles quand ils par- lent diversement du même sujet, en lui attribuant tantôt des quahtés, tantôt des vices qui sont parfois très-réels et par- fois seulement de convention. Pour bien établir ce genre d'opposition et comprendre complètement tout ce qui se rat- tache, dans la théorie du symbolisme zoologique, à chaque animai en particulier , il faudrait qu'une plume sérieuse écrivît, sous forme de dictionnaire, une histoire générale de ces citoyens libres de tous les mondes connus, réels ou fan- tastiques, hybrides ou naturels, créés par la toute-puissance de Dieu ou par l'imagination de l'homme. On en trouverait les éléments principaux dans La Clef de S. Méliton, dans les différents bestiaires que nous avons cités, dans les homélies et les ouvrages dogmatiques des Pères et des écrivains ecclé-

'L'opposition symbolique n'e- xiste pas moins sur ce point que sur tous les autres de noire tliéorie générale.

Utilité d'un dic- tionnaire symbo- lique d'histoire na- turelle. — Abon- dance de ses ma- tériaux.

6i2 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

siastiques. Nos travaux en ce genre nous procureraient la grande joie d'offrir à qui entreprendrait ce travail, aussi utile que curieux, d'abondantes notes que nous n'aurions pu faire entrer dans celui-ci sans le grossir considérablement : ce serait une partie très-importante de l'iconographie géné- rale. Sans accorder à ce sujet les développements que M. l'abbé Grosnier a donnés à son Histoire du lion, insérée au dix-neuvième volume du Bulletin monumental, on pren- drait cette savante composition pour point de vue; que si l'on ajoutait aux espèces vivantes ce qui regarde la bota- nique, dans laquelle nous allons entrer au chapitre suivant, puis les pierres précieuses, dont nous avons traité dans un des chapitres de l'Apocalypse (i), ce qui regarde la mer et tous ses adjacents , fleuves et rivières , la terre avec ses divers aspects et les variétés de sa forme en villes et plaines , en montagnes et en vallées , enfin les astres et les richesses astronomiques, dont le sens allégorique se repro- duit avec tant de profusion dans la Bible et dans les Docteurs des âges chrétiens , on formerait un Dictionnaire archéolo- gique d'histoire naturelle, dont les gens du monde auraient eux-mêmes beaucoup à profiter pour leur instruction reli- gieuse, presque toujours superficielle, et que ne dédaigne- raient pas les érudits, à qui un tel livre épargnerait beau- coup de recherches et de temps. Sur ce point il n'y aurait plus de questions controversées : toutes se trouveraient éclairées et résolues par le témoignage scientitîque des meilleures autorités (2). Ce genre de Cc vastc champ , tout cu Comprenant les matériaux que

beautés mamfeste ^ ^ ^

surtout dans les préscntc déjà ccttc Histoire et théorie, en recueillerait cepen-

psaumes vai et ^

txLvm. dant beaucoup plus encore dans les innombrables détails

(1) Cf. ci-dessuSj t. II, ch. xiil.

(2) On doit à Mgr de la Bouillerie, évêque de Carcassonne, des Études sur le symbolisme de la nature, qui réalisent une partie de ce plan et dont nous aurons occasion de parler encore. Le docte prélat y montre combien il serait capable d'en réaliser l'eusemble.

ZOOLOGIE.— PHYSIOLOGUE DE THÉOBALD.

513

que nous sommes forcé d'abandonner. Quelle récolte à faire, par exemple, dans les psaumes vni et cxlviii, de tout ce que la nature, l'homme, les mille espèces animées de la terre et des eaux nous y offrent de grandiose poésie et de merveilleux contrastes ! Toute la nature est inspirée de Dieu , palpitante au souffle créateur et se groupant par tous les êtres au pied de son trône pour lui rendre l'hom- mage universel de ses louanges et de ses adorations. Les oiseaux des cieux, les dragons de l'abîme viennent s'y ranger à la parole du Poète divin sous l'œil de l'homme, qui prend sa part de cet harmonieux concert, en sorte qu'on ne sait plus guère si l'univers est un temple, ou si le génie chrétien a fait de ses temples, ces magnifiques tableaux se reproduisent , un monde entier qui reflète la vie et les prodiges du dehors.

Donc , en terminant ce chapitre , résumons-le dans une profonde pensée de S. Pierre. L'Apôtre, écrivant aux pre- miers chrétiens, dont les mœui's avant leur conversion avaient été si différentes , s'efforce de les attacher plus étroitement aux vertus nouvelles en leur montrant ce que les peuples encore païens professent d'horribles habitudes, s'abandonnant à toutes les souillures des voluptés char- nelles , prostituant leurs âmes dans le vol et l'adultère , se faisant, à force de désordres, des fils de malédiction éternelle, blasphémant ce qu'ils ignorent , et s'abaissant par tant de crimes au-dessous de ces troupeaux de hôtes sans raison qui courent les campagnes sans aucun sentiment de leur Créateur (-1). Cette abjection a toujours été la grande peur

Conclusion de ce chapitre dans une leçon donnée par S. Pierre aux liommos que leui-s passions gros- sières assimilent aux animaux.

(1) « Novit Dominus... iniquos in diem judicii reservare cruciandos, magis autem eos qui post caruem iu concupisceiitia imnmuditia; am- bulant...— Illi, veliit irraliunabilia pecora..., quai ignorant blasphé- mantes, in corruptione sua peribunt, percipientes mercedem justitiae, voluptatem exisliinautes diei dulicias, coiuquinaliones, et luaeulai deli- ciis affluentes, in conviviis luxuriantes, oculos babentes plenos adulte- riis..., pellicieutes animas instabiles, cor exercitatum avaritia babentes, maledictionis filii. » (S. Pelri Epist. Il, ii, 9 et seq.)— Tout cela encore n'est-il pas comme un programme de beaucoup de nos images sacrées?

T. m.

33

:>|/i HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de l'Église ; elle ne redoute rien tant que de voir les âmes, qu'elle doit conduire à la vie par le digne usage de leurs facultés spirituelles, s'enfoncer dans le bourbier du vice par les égarements de la raison. C'est pourquoi cette Épouse du nouveau Salomon demande toujours et par-dessus tout, pour ses enfants, que rien ne les fasse déchoir du glorieux héritage de l'intelligence et de la foi. « Dieu Tout-Puissant, s'écrie- t-elle, faites-nous la grâce d'avoir toujours présents les en- seignements de la raison, afin que nos œuvres comme nos paroles restent toujours d'accord avec votre loi (-l). » Nous le voyons : tout est dans cet humble aveu de notre faiblesse et de notre premier besoin. C'est ce que l'immortelle Église de Jésus-Christ a voulu enseigner de tout temps par tous ses moyens. Dans ce but, elle a spiritualisé la matière , elle a trouvé dans toute la création de quoi rappeler la première des créatures à la dignité de son origine et de sa fin. Après avoir vu cette vérité appliquée au règne zoologique, il nous reste à la voir dans ses applications à la mystérieuse bota- nique de ses édifices sacrés.

(1) « Prsesta, quaesumus, omnipotens Deus, ut semper ralionabilia méditantes , quae Tibi sunt placita, et dictis exequamur et factis. » (Orais. du sixième dimanche après l'Epiphanie.) Soit dit en passant, voilà une preuve que l'Église, en voulant la foi, n'abdique pas la raison. Elle sait bien que la raison conduira l'homme à la foi lorsqu'elle sera dégagée des préjugés, des passions et de tous les faux prétextes que l'impie accumule contre la soumission de l'esprit à la révélation divine.

GHAPITIÎE XIII.

FLORE MURALE.

Dieu venait de tirer la terre du chaos et de l'obscurité ; Harmonie de la

végétation et du

les mers avaient reçu leurs limites, et, pour être com- cœur de l'homme. plètes , ces deux belles portions de son œuvre réclamaient une parure qui les rendit utiles à l'homme, appelé bientôt à les posséder, agréables à ses regards, qui devaient y trou- ver leurs voluptés les plus pures : et une parole nouvelle de la Providence , qui se jouait dans le monde, revêtit les plai- nes , les montagnes et les vallées de leur verdure , de leurs forets et de leurs fleurs. Quelle admirable variété ! quels charmes à l'homme appelé plus tard à jouir de ces beautés ravissantes , à les savoir créées pour lui , capables de satis- faire tous ses sens , qui n'avaient encore abusé de rien ! Longtemps peut-être il put les contempler avant la chute de son innocence , profiter de ces ombres épaisses qui tem- péraient pour lui l'ardeur de jours sans nuages , admirer les touchants contrastes des arbres majestueux et des splen- deurs modestes des roseaux de ses rivages, des touffes odo- rantes qui lui jetaient leurs parfums. Les animaux, paisi- bles et doux, mêlaient à ces diversités aimables l'élan de leurs jeunes gracieusetés. Ils remplissaient de joie et de mouve- ment ce vaste ensemble leur obéissance marquait d'un caractère suréminent le front de la seule créature que le Tout-Puissant eût faite à son image. Quel beau domaine Beauté de i'é- pour celle-ci , et quel règne tranquille que celui-là, ordonne

.516 HISTOIRE bl SYMBOLISME.

de la main de Dieu avec la miraculeuse et iuCaillible éco- nomie de toutes ses richesses, avec un empire absolu donné au roi de tant de choses sur les êtres qui partageaient son existence et contribuaient à son bonheur ! Les poissons de la mer et des fleuves préféraient par instinct leurs silencieux rivages, les oiseaux s'élevaient jusqu'à l'empyrée, ou gazouil- laient dans leurs branchages les chants interrompus de la création; les reptiles et les quadrupèdes s'agitaient sans crainte, se reposaient autour de l'homme, et tout semblait jouir avec lui, dans une heureuse dépendance, de sa supré- matie et d'une paix que rien ne devait altérer. Que de raisons pour appeler ce heu favorisé du nom de ses déhcieux om- brages , devenus le type du Paradis éternel ! Quel doux travail , quelle facile vigilance que celle imposée à l'homme contre les seules inadvertances des hôtes sans raison de ces solitudes bénies !... Culture sans fatigue, source de pure joie et de plaisir innocent au milieu de ces fleuves dont la course, lente ou rapide , versait aux bois , aux prairies et aux par- terres la perpétuelle fraîcheur de leurs fécondes sinuo- sités ('i)!

(1) Voirie premier ot le second chapitre de la Genèse commentés par S. Jean Chrysostome, et par Cornélius à Lapide d'après lui. De leur côté, S. Basile et S.Augustin expliquent le genre de conservation et de travail imposé à Adam pour le Paradis terrestre, d'une culture sans peine et d'une surveillance peu difficile sur les animaux, dont les ravages eussent pu détruire l'ordre et la beauté du Paradis terrestre. C'est, en effet, la seule interprétation possible de cet ordre divin in- diqué par la Genèse : Tulit ergo Dominus Deiis hominem et posuii eum in Paradiso voluplatis ut oyeraretur et custocliret illum. Cette surveillance était inséparable d'un travail dont elle devait protéger les conséquences : l'un était donné à l'homme comme une nécessité de sa vie, dont l'inaction absolue eût fait un ennui continuel ; l'autre comme exercice de son intelligence, qui ne pouvait abandonner le soin des choses qui l'occupaient chaque jour. Une observation qui ressort bien de notre sujet, c'est l'identité qui se trouve entre le nom donné au fleuve du Tigre, l'un des quatre du Paradis terrestre, et à l'animal ainsi nommé. D'après leur étymologie hébraïque, l'un tire cette appel- lation d'une ressemblance que la rapidité de son cours fit trouver avec celle des mouvements vifs et impétueux de l'autre : fleuve et animal

FLORK MURALE. ol7

Mais soudain tant de charmes, sans disparaître entière- «* ^* déchéance, ment, furent de beaucoup effacés parla première faute. Le printemps éternel souffrit des atteintes mortelles d'une au- tomne inattendue et d'un hiver qui le suivit, traînant avec . lui raftligeante image de la mort. La nature ne fut plus im- muable ; son éclat se ternit comme la jeunesse d'Adam. Les brutes semblèrent comprendre cette déchéance ; elles vou- lurent, à son exemple, une liberté que n'entravât aucune obéissance; elles se révoltèrent , et avec ce sentiment nou- veau se développèrent en elles et les ruses de la faiblesse et les violences de la force et de la férocité. Les plantes se ressentirent forcément de cette fatale révolution. Les épines et les ronces s'accrurent sur la terre {\], les forêts s'en rem- plirent; il n'y eut pas jusqu'à la rose, dit S. Basile , qui ne s'en entourât, comme pour nous rappeler que le péché mêla d'amertumes toutes nos délices (2). Les arbres eux-mêmes, les fleurs les plus séduisantes par l'attrait de leurs couleurs et de leurs fruits, acquirent des propriétés nuisibles : l'om-

parurent se convenir par ceUe analogie. Quant au Paradis, nous savons que les Orientaux, portés par leur climat à rechercher surtout les om- brages, appelaient ainsi un lieu planté d'arbres, ou assez herbeux pour y conserver une grande fraîcheur , ce qui revenait à VEden des Hébreux. On peut voir dans les commentaires cités plus haut le sens allégorique et anagogique donné par les Pères au Paradis terrestre, qui est tantôt l'Église de la terre et tantôt le ciel des Bienheureux. (Apud Migne, Scripl. sacr. curs., V, col, 218 et seq.)

(1) « Maledicta terra in opère tuo...spinas et tribulos germinabit tibi. » (Gen., m, 17.)

(2) Voici le charmant passage du saint évéque de Césarée que nous ne pouvons nous refuser le plaisir de citer : « Rosa hic spinis est con- juncta, tantuni non aperta nos voce contestans et dicens: Quîe jucunda vobis sunt, o homines, tristibuspermixta suut. Nam vere in humanis ita comparatum est, ut nuUum eorum sincerum sit, sed confestim laetiticB et hilaritati conglutinetur mœstitia, conjugio viduitas, puero- rum educationi cura et sollicitudo , fecuuditati abortus, vitae splen- dori ignominia, prosperis successibus dispeudia , deliciis satietas, sanitali infirmitas.Florida quidemest rosa, sed mihi tristitiam infligit. Quoties florem hune video, peccati mei admoneor, propter quod terra, ut spiuas et tribulos proferret, coudemnata est.» (S. Basil. Homilia de Paradi.so.<

518 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

brage de quelques-uns devint mortel à l'homme, et, dans les baies charmantes de quelques autres , dans leurs fibres les plus cachées, se distillèrent des poisons. Le symbolisme Douc , cucore, Ic bicu et le mal , le plaisir et le danger,

biblique des ar- i ^

bres et des fleurs, j^ distincliou eutrc Ics quaUtés bonnes ou mauvaises; et, dans l'esprit observateur de l'homme , autant de termes de comparaisons, autant d'allégories applicables aux choses de la conduite et de la foi. Et , d'abord, quoi de plus semblable à la vie humaine que cette vie végétative de la plante , nourrie des principes constitutifs de l'atmosphère, des sucs du sol , des influences du soleil et des fraîches émana- tions de l'élément humide ? Ces relations , mystérieuses dans leurs causes premières , mais saisissables au jugement de tous, n'ont pas échappé aux poètes inspirés de la Bible. Pour eux le juste, paré de l'efflorescence de sa vertu , est un arbre planté le long des eaux , auquel les feuilles ne manquent pas, et qui ne refuse jamais ses fruits à la saison qui les espère ; son épouse est « une vigne féconde aux vastes rameaux , aux pampres toujours verts tapissant les murs de sa maison ; » ses enfants, « des plants d'oliviers rangés autour du foyer domestique. » Et cette même vigne, toute glorieuse d'une signification favorable , devient l'image de l'âme stérile quand Isaïe la compare au peuple ingrat que Dieu avait planté dans la terre promise, environné de tous ses soins et de sa protection comme d'un rempart, et qui n'a donné en son temps que des raisins sauvages et amers (I). L'arbre de Na- Uue dcs plus méiiiorables applications du symbolisme

buchodonosor. , -«rv'ii.r. ii

des arbres est donnée en songe a Daniel , et ligure les deux phases si différentes du règne de Nabuchodonosor. Le pro- phète avait vu un arbre d'une hauteur excessive. La force du tronc, l'immense portée de ses branches relevaient jus- qu'aux cieux et lui faisaient couvrir toute la terre au milieu de laquelle il était planté. Ses feuilles étaient magnifiques ;

(1) Voir Ps.)i et cxxvii; Is., v, 4.

FLORE MURALE. oi9

ses fruits abondants suCfîsaient à rassasier le monde , outre les oiseaux nombreux qu'il abritait et les animaux qui se reposaient à son ombre. Mais voilà que le Saint des Saints, celui qui veille sur toutes clioses, descendit du Ciel : il donna ordre, d'une voix éclatante, de couper l'arbre par le pied, d'abattre ses rameaux ^ d'arraclier son feuillage et de disperseï' autour tous ses fruits. . . ; et en même temps on chassa les animaux et les oiseaux qui en avaient fait leur asile (i). Il y avait donc un mystère qui regardait en même temps l'état florissant de l'empire chaldéen et la décadence qui devait le frapper bientôt. C'est pourquoi, nous dit un savant , les arbres nous proposent toujours quelque sens à deviner dans les travaux d'art chrétien. Ils n'y sont pas seu- lement une parure ; il faut toujours y voir un motif d'in- struction pour notre esprit (2).

Ainsi , cet arbre dont le Psalmiste parlait tout à l'heure , dont les eaux redétaient la tête fructueuse et baignaient le pied , peut devenir stérile , et mériter par , comme l'hu- manité "sourde aux avis du Tout-Puissant , que le Maître somerain prenne la cognée et l'attaque jusque dans ses plus profondes racines. C'est le Sauveur lui-même qui emploie cette métaphore (3). N'est-ce pas Lui aussi qui condamne le figuier inutile à tomber sous la hache (A) ; qui compare la doctrine évangélique au grain de sénevé devenu un grand arbre se reposent les oiseaux du Ciel, c'est-à-dire les nations accourues dans le sein de l'Église (5)? Ainsi, dans cette bouche sacrée, cet ordre des choses appelées à l'appui de ses préceptes sert encore à en propager l'esprit et à les faire comprendre. Comment les symbohstesnes'en seraient- ils pas emparés, et , par suite , comment l'art chrétien eùt-il

(1) Voir Daniel, i\, 8.

(2) Aringlii, Roma subterr., lib. VI, cap. XLI, u' 1.

(3) \oir Matlli., m, G.

(4) Ibid., XXI, 19. (o) Ibid., XIII, 31.

320 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

délaissé un de ses motifs les plus gracieux , les plus féconds et les plus significatifs ? Les Apôtres et Lcs Pèrcs nc pouvaieut l'omettre, pas plus crue ne l'avaient

les Pères s'en em- parent, oublié les écrivains sacrés du Nouveau Testament. S. Paul

avait dit que si nous consentions à être entés en Jésus-Christ par la ressemblance de sa mort , nous lui resterions entés de la même sorte par celle de sa résurrection {\). Origène, expliquant ce passage , assure que Jésus-Christ , « la force et la sagesse visible de Dieu, » est l'arbre de vie ; que, pour rester uni à lui , il faut devenir une de ses branches, comme devant trouver la vie en lui seul et autant que nous serons insérés à ce tronc sacré (2). C'est une réminiscence de la parole évangélique : « Je suis la vigne et vous êtes les pam- pres. Celui qui s'unit à moi porte beaucoup de fruits ; mais sans moi vous ne pouvez rien (3). »

D'après S. Augustin, le sénevé que nous voyions naguère apphqué à l'Église est aussi l'image de Jésus-Christ , qui , « d'abord petit comme cette graine, par son humble nais- sance dans l'humanité , devint un arbre superbe par son exaltation dans le Ciel. Cet arbre a aussi ses rameaux , que nous devons voir dans S. Paul, dans S. Laurent, dans les Apôtres et les Martyrs (4 j . »

Ainsi , et par un symboHsme adopté universellement , les Apôtres ont eu leur part de cette touchante compa- raison. S. Ambroise, S. Hilaire de Poitiers les regardent

(1) Rom.yYi, 5.

(2) « Christus ergo Dei virtus, et Dei sapientia. Ipse est arbor vitae, cui complantari debemus, et novo quoclam atque admirabili dono mors illius arbor vitse efficitur. » (OrigeD,, in h. loc.)

(3) « Ego sum vitis, vos palmites. Qui manet in me et ego in eo, hic fert fructmn mnltum, quia siue me nihil potestis facere. » (Joan., XV, 5.)

(4) « Arbitror hoc ipsi Christo Domino dicere et rectius comparare : quia nascendo in homine, humiliatus ut granum est j adscendendo ad cœlum, exaltatus ut arbor est. Ramus est Paulus, ramus est Lau- rentius, rami sunt omnes apostoli et martyres Salvatoris. » ^S. Aug. Serin, xxviii in S. Laurcniii [est.)

ILOllK MLUALfc:. o2{

comme des branches du grand arbre cliargées des fruits de la rédemption , protégeant le monde de leur ombre. « Ces branches, dit ce dernier Père, sont quelquefois agitées vio- lemment par les tourmentes des vents furieux , c'est-à-dire par les tentations de l'enfer et les persécutions contre les Saints; mais ceux-ci n'ont rien à craindre tant qu'ils se tiennent fermes , cachés sous cet abri protecteur, et savent résister à la tempête (^ ) . » C'est pourquoi on voyait déjà sur Mystères de» ca-

ir \ J II .j j tacoinbes en ce

les murs des catacombes le Sauveiu' figuré au milieu d'un ge»«"c. arbre dont les branchages supportaient les images de ses Apôtres ; ou bien , bon pasteur et chargé de la brebis re- trouvée , il avait de chaque coté deux arbres sur lesquels se reposai(^nt des oiseaux. Le sens de ces symboles, qui échap- pait aux païens, était bien compris des fidèles; et de allait se répandre dans tout le monde , à l'exemple et sous la pro- tection de Constantin , l'art d'exprimer sous des formes et des couleurs emblématiques l'histoire, le dogme et la mo- l'ale de la doctrine qu'une lutte de trois siècles avait élevée au-dessus du trône des Césars.

Au pied de ces grands spécimens de la végétation, plantés uo|'J'^jic*^/"[J;*er par la main de Dieu pour l'utihté de l'homme et pour char- mer son exil de la terre , les (leurs créées pour son seul agrément par cette môme volonté acquéraient autant de droits à notre reconnaissance qu'à notre admiration. La poésie , qui vit toujours plus ou moins dans la pensée hu- maine , mais plus que partout ailleurs dans les Livres bibli- ques , pouvait-elle ne pas cueillir ces fraîches couronnes , inimitables de formes et de couleurs? C'est que le Christ et la Vierge Mère sont « la (leur des champs et le lis des vallées ; » les Saints sont « des fleurs qui se sont montrées à la tei're. » C'est aux vierges, « qui fleurissent dans l'Église

(l) «Apostolos ex Cliristi virtute prolensos et mundum inumbrantes, in ramis intelligiraus, in quos gentes in spera vitœ advolabant. Et auraruni turbine, id est diaboli spiritu tlaluquo vexatis, tauqiiam iii ramis arborié requiescuiit. ))(S. Ililar. Piciav., In M"lUi.. ean. lo.)

322 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

comme le lis , qui y répandent leur odorant parfum avec l'amabilité de leur parure , d'entonner les cantiques de louanges et de bénir le Seigneur dans ses œuvres ; » c'est à ces âmes qui se donnent à Dieu dès le commencement de leur vie et avec leur chaste intégrité, que l'Époux « jette à profusion les fleurs de ses parterres divins. » Mais , hélas ! ces pures images peuvent changer de caractère pour ceux qui les profanent et en abusent. L'impie se pare de roses qui se faneront avec ses plaisirs ; l'homme est une tige pas- sagère qui disparaît souvent au soir de son premier jour (\ ) . Nous n'ajoutons rien ici à ces traits généraux , les détails devant nous revenir à propos des symboles sous lesquels l'Église s'est toujours plu à reproduire les augustes 'person- nalités du Sauveur , de la sainte Vierge et des Saints. Il est temps de voir comment notre botanique surnaturelle a fait son office dans la décoration sacrée , dans la liturgie et dans la philosophie du Christianisme. Plantes des ci- Et , d'abord , pour remonter, selon notre habitude , à nos

juetières romains. , . , . i . ^

- Ornements des puis ancicus monumcuts, nous pouvons tirer des cimetières romains des trois premiers siècles d'incontestables témoi- gnages que là, soit en peinture, soit dans la sculpture prodi- guée aux sarcophages, la flore monumentale fut prodiguée, et toujours dans une intention symbolique. Il est rare que les tombeaux n'y soient pas ornés de fleurs et de guir- landes. Les bergers y apportaient à l'Enfant Jésus des cou- ronnes de fleurs ou des vases pleins de bouquets , ce qu'au- cun des textes évangéliques ne raconta jamais (2). Les palmiers, les cyprès, le laurier y croissent à l'envi de beau- coup d'autres arbres, et souvent une simple branche d'un de ces arbres verts parle de l'immortalité chrétienne sur une tombe marquée d'un seul nom. Souvent, près d'une ou deux maisons délabrées , sculptés sur une pierre sépul-

(1) Voir S. Melitonis Clavis : De Lignis et Floribus, cap. lxi. '2) Voir Arinshi, t. 1, p. 617.

FLORE MURALE. 523

craie, et qui signifient un ou deux corps qu'elle recouvre , on voit s'élever autant de cyprès, qui deviennent le symbole de l'âme, destinée comme lui à reverdir un jour. C'est au milieu ou d'un bois touffu ou de deux arbres isolés qu'ap- paraît toujours le divin Orphée du Christianisme. Les chapi- teaux des colonnes sculptées sur les sarcophages sont parés de feuilles de fougère ou de feuilles grasses plus ou moins capricieusement exécutées, comme celles de nos premières colonnes romanes , et qui , dans leur simplicité , étaient évidemment employées comme signe de vie et d'immor- talité. Le fût des colonnes y est quelquefois décoré d'une tige de vigne qui serpente en spirale dans toute sa hauteur. De môme on ne peut se tromper, quant au motif allégorique, lorsqu'on voit le divin Maître debout au milieu de ses Apô- tres , s'élançant vers lui sur un fond tapissé de pampres et de raisins murs , indice de leur union et de la fécondité dont elle est le principe. C'est de ces premiers temps que nous vient l'usage partout adopté de faire servir aux grandes fêtes les fleurs et les branches d'arbres à l'embellissement de nos temples. Dans sa troisième Lettre à lléliodore, S. Jé- rôme, louant Népoticn du zèle qu'il avait toujours mis au soin de l'Église dont il était chargé, mentionne l'empresse- ment qu'il mettait à parer les basiliques de fleurs variées , de branches d'arbres et de pampres verts. Écrivant à l^am- maque , l'auguste solitaire parle des couronnes de fleurs avec lesquelles on ensevelissait les martyrs. En leur hon- neur on parait la basilique de riantes guirlandes de roses , de lis, de sarments de vignes dont l'aspect et l'odeur con- solaient et réjouissaient les cœurs chrétiens par toutes les espérances de leur foi. Ils voyaient dans cette verdure le symbole delà victoire, comme, dans les feuilles de laurier qu'ils étendaient au fond des sépulcres, un signe de l'im- mortel héritage. On sait, enfin, que souvent on enfermait lc trèfle dans

les tombeai^jç,

dans le cercuen des grames de li-èfle qui s'y sont conser- \écs quinze siècles durant , au rapport de savants qui. les

524 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

ayant trouvées dans des sépultures des troisième ou qua- trième, les ont vues germer peu après et produire l'espèce attendue. Pouvait-on se faire un symbole plus éloquent de l'éternelle résurrection , en même temps que de la Trinité, dont on affirmait ainsi la croyance protectrice {\) ? Les plantes dé- Gcs odgincs durcut avoir leurs développements , et la

coratives empnin- 10 > , iti 'iut^t i

téesài'ait antique flore uiuralc fut créée avec la liberté de 1 Eglise, avec la

par les chrétiens. . . , , , . i ^ -• i

permission donnée par le premier empereur chrétien de construire des basiliques appelées à remplacer les temples des faux dieux. Ces temples eux-mêmes n'avaient-ils pas eu leurs frises, leurs frontons, leurs chapiteaux, leurs colonnes même chargés de festons et de palmes ? L'Inde , l'Egypte , les mythologies grecque et romaine , l'ancienne Perse, les Ismaélites , et les Arabes qui viennent d'eux , n'eurent-ils pas leur flore symbolique , dont presque tous les motifs eu- rent une origine religieuse (2) ? L'acanthe n'était-elle pas devenue le plus bel ornement de l'ordre corinthien ? Les monuments funéraires semés le long des voies romaines n'avaient-ils pas reçu, avec plus ou moins de profusion, les images fidèlement imitées des plantes symboliques de la mort et de l'éternité? Enfin le laurier, l'olive, les diadèmes de fleurs n'entouraient-ils pas jusque sur leurs médailles les empereurs et les patriciens dont la mémoire se rattachait à des hauts-faits militaires ou à des triomphes qui devaient les immortaliser? Tant de symboles étaient donc convenus et acceptés d'avance. Il ne fallait que des mains habiles pour les transporter, en les y multipliant , des édifices pro- fanes aux murs consacrés par le sacerdoce nouveau. La botanique ^{^Is CCS malus liabilcs ne s'essayèrent pas longtemps à

murale , traitée "^ ^ o i

d;abord hans suc- (Je tcllcs Œuvrcs \ admettant qu'ehes eussent existé, comme

ces artistique dans

les églises; 'i\ ji'cst pas doutcux , daiis nos premiers édifices religieux ,

les ravages des barbares les ont enfouies peu de temps après

(1) Voir Buliei, monmn., I, 138 ; XIIF, 161.

(2) Voir Portai, Couleurs njnibvliques, p. 22 et suiv.

FLORE MURALE. ^>25

dans les ruines des églises détruites par eux. Les plus an- ciens éciiantillons qui nous en restent, outre quelques débris qu'il est diflicilc de faire sûrement remonter à une époque certaine, sont quelques chapitaux ou gallo-romains ou mérovingiens, dont les feuillages fort modestes n'attestent qu'un ciseau encore peu expérimenté au sortir d'un long sommeil de l'art. Nous ne pensons pas qu'il y ait dans ces simplesfeuilles d'acanthe aucun symbolisme bien déterminé, sinon celui de la verdure en général, dont l'idée est celle de l'espérance , et qui peut bien s'être effacé sous l'intention unique de coiffer une colonne d'une riche et gracieuse or- nementation. Jusqu'à la fm du dixième siècle on se borne assez gêné- <>»e se déveiopp*

■^ au onzième siècle ,

ralement à cette foliation , dans laquelle on ne doit guère chercher de symbolisme , si ce n'est peut-être les branches courantes de la vigne , qu'on voit alors assez fréquemment mêlées à des palme ttes ou à des feuilles dont le caprice détermine , bien plus que la nature, les formes bizarres et hasardées. C'est à peine si l'on peut distinguer d'une arête de poisson la feuille de fougère, qui se répète souvent alors sur quelques chapiteaux à peine ébauchés. Le onzième siècle lui-même use peu de cette parure, que remplacent des moulures très-variées et qui parlent beaucoup moins à la pensée qu'au regard. On cherche l'effet dans les façades , on couvre les accessoires de frises et de zigzags , de méan- dres et de chevrons brisés ; quelques têtes plates se mêlent à cela et semblent préluder par leurs grimaces ou leur phy- sionomie plus que suspecte à la zoologie qui va venir. La botanique n'apparaît en rien déjà règne une cer- taine prétention à des exhibitions plus ou moins significa- tives de bêtes hybrides , aux manières contournées et aux regards peu rassurants. Il faut arriver au douzième siècle pour trouver un ensemble de motifs symboliques , d'où ressortent avec un égal succès et la zoologie mystique et la flore la plus complète et la plus attachante. C'est alors que

o2{j HISTOIRE DU SYMBOLISME.

tout a sa signification ; on voit clairement que la renais- sance des études , venue surtout du mouvement imprimé par les croisades , a provoqué et secondé la renaissance de et devient meii- fart. Mals à cctte période même il est bon de distinguer cZde moitié! * deux faires bien différents , lesquels distinguent nettement la première de la seconde moitié de cette centurie. Nous n'en voudrions pour exemple que Fancienne abbatiale de Saint-Germain-en-Bray (Oise), qui, bâtie dans la première moitié du onzième siècle, a des chapiteaux ornés de feuilles en volutes tellement douteuses et indécises , qu'on ne sait si ce sont des végétaux ou des serpents. On en citerait bien d'autres. Toutes celles, au contraire, qui datent de la fin de ce même siècle , font remarquer en elles une charmante végétation, dont le mérite n'est pas moins dans leur exécu- tion attentive que dans la pensée esthétique de leurs auteurs. Plantes aquati- lluc autrc rcmarquc à faire, c'est que les églises rurales grand nombre^sur qul uc furcut ul dcs abbaycs ni des prieurés sont ordinai-

les monimientg , i i /!•/ •<.! Ji5i.x

élevés au bord rcmcut bicu plus neghgees au point de vue de 1 art , et que des rivières. l'ornementation s'y est faite en des conditions beaucoup moins larges , et bien moins soignées ; celles qui s'échelon- nent, en grand nombre, le long des rivières, se distinguent aussi par une préférence pour les feuilles aquatiques , dont le voisinage a fourni tout naturellement des motifs de sculp- Le nénuphar, turc. Ou y voit le uéiiupliar, symbole de la charité , dont

les roseaux, le .n «r» i «n i

platane. trois OU quatrc feuilles suffisent a couvrir une corbeille; les

roseaux fleuris épanchant leurs touffes pour représenter l'efflorescence de l'âme juste , vivant des eaux de la grâce ; ou bien un de ces grands platanes du rivage toujours fer- mes et y croissant sous l'œil de Dieu pour donner au fidèle une idée de sa grandeur morale et exciter ses aspirations vers le ciel : il est presque toujours représenté facilement par une ou deux de ses larges feuilles. Le Poitou, l'Anjou et la Bretagne sont surtout favorisés de ces belles tiges lo- cales , auxquelles la déhcatesse du ciseau ajoute une grâce qu'on trouve aussi bien dans leurs épanouissements va-

FLORE MURALE. ■')'21

ries. Mais cette magnificence apparaît surtout dans les Richosso c.» o.-

point dos édifices

basiliques de nos cités ou des riches ép^lises des monas- monastiques et

. ^ de8 cathédrales.

teres. La rien de plus varié que les arbres, les fleurs et les fruits; on y en voit partout. On les admire aux chapiteaux , aux clefs de voûte , aux bases des colonnes groupées ; elles courent le long des entablements, des arcs-doubleaux, des tores, des tableaux des fenêtres : elles animent les verrières de leurs splendides couleurs. En un mot, cette belle période du moyen âge est celle qui le représente le plus dignement, tant par ce qu'y enfantent de délicat et de fini les arts du dessin , que par tout ce que repré- sentent de plus élevé Festlié tique du plan général des églises et les surprenantes ressources de son histoire natu- relle. C'est à cette époque, en effet, qu'on vit s'exercer la ^a théologie

moralo s'en em-

vive et pourtant très-sérieuse imagination de frère Laurent, pare. dominicain qui fut , pense-t-on , confesseur de Philippe le Hardi, aux treizième et quatorzième siècles. Auteur d'une Somme de théologie, ou plutôt d'un Traité spécial des péchés capitaux, il y expose dans tous leurs détails les sept péchés, indiqués chacun par une des sept tètes de la bète apocalyp- tique. Il y appelle leurs dérivations et variantes « des raci- nes, des branches et brancliètes principaus. )> On y voit même énumérés , comme symboles des simples imperfec- tions ou péchés moindres , « les moult petits rincelas ou rameaux qui en issent, » et jusqu'aux « jettons et aux feuilles qui bourgeonnent sur ces rinceaux (-i). » Ce symbohsme-là n'est-il pas copié de nos chapiteaux à feuillages et à enrou- lements ?

Mais l'étude que doit faire l'archéologue de cette belle partie de l'histoire monumentale exige , comme pour les temps antérieurs, des notions très-précises de la philosophie des sciences. Les plantes furent traitées par les natura- listes comme la zoologie elle-même, dont nous avons vu

(1) Voir Revue de l'art chrétien, \\\\, 349 et suiv.

528 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

les prodigieuses mais fécondes et curieuses aberrations. Erreurs scienti- Pliuc, daus SOU viugt-sixième livre, parle de plusieurs

fiques de certains , , , i , i i

botanistes an- plautes commc ayant ete douées par ses devanciers de

ciens.

vertus auxquelles il ne croit pas. Ceux qui l'ont suivi ont maintes fois été plus faciles ; ils se sont fait des théories soit sur la nature môme de certains arbres, soit sur leurs vertus médicinales, et l'on trouverait dans S. Isidore de Séville et dans Vincent de Beau vais de grosses persuasions que per- sonne aujourd'hui ne voudrait admettre, mais qui n'en eurent pas moins assez de crédit pour influencer générale- origine orien- meut uos Œuvrcs sculpturalcs. Une des causes les plus

taie de plusieurs. ' *■

actives de la bonne foi qui fit accepter par le moyen âge ces préjugés scientifiques se trouve dans les nombreux voyages qui se firent en Orient depuis le commencement du onzième siècle. Ces expéditions d'outre-mer, d'où nous rapportâmes beaucoup d'étoffes figuraient des animaux fantastiques aussi bien que des plantes d'imagination, implantèrent avec elles les procédés de fabrication ; et nos ateliers de tapisseries nationales , qui jouirent d'une grande réputation à l'étranger, imitèrent ces bizarreries avec assez de bonheur pour qu'on pût se passer bientôt des productions exotiques. Mais ces étrangetés n'en eurent pas moins leurs significations mystiques, et passèrent dans la sculpture sacrée, nous les retrouvons encore. Le hom , arbre Un dcs olus curicux spécimcus de ce genre est l'arbre,

dévie des Orien- ^ ' i r^

taux , naturalisé d'origluc arabc, nommé hom, et qui, pour les Orientaux,

dans la flore chré- ^ ini i-itat

tienne, était uuc traditioii dégénérée de larnre de vie du Paradis

terrestre. Déjà célèbre en Perse durant le second empire des Sassanides , qui dura de 223 à 652 , il nous arriva comme une expression de l'idée primitive de la chute de l'homme et de sa réparation, et comme l'arbre véritable recommandé à Adam. On le rattacha donc atout ce qui avait été dit de ce bois mystérieux et salutaire dans la divine Écriture, et développé dans les écrits des Pères et des Docteurs. On ferait un livre aussi intéressant que considé-

FLORE MURALE. LE HOM. 529

rable de tout ce qui s*est produit sur ce point à travers les âges de la tradition calliolique, si l'on réunissait toutes les données émises à ce sujet ; les savants auteurs des Vitraux de Bourges (1) en ont fait une remarquable moisson dans leur magnifique ouvrage, que nous nous bornons à indiquer ici sur ce point. Ce qui nous importe spécialement, c'est de comme un sym-

1 1, / , . , ^., boledelaCroix.

Signaler ces rapports entre 1 arbre persan et la croix du Fus de Dieu, rapports qui l'ont fait adopter par nos sculpteurs autant que par nos interprètes scripturaires. En effet, cet arbre, par les variantes nombreuses qu'on lui vit sur les tis- sus orientaux, mais qui toutes se rapportaient à la Croix, dut servir admirablement et l'estbétique chrétienne, toujours jalouse d'augmenter le nombre de ses expressions sym- boliques, et l'imagination du sculpteur, dont le caprice artistique, assez contraint par l'absolutisme doctrinal qu'il doit respecter avant tout , aime à opposer des formes diverses à la monotone répétition des mômes motifs. Nous sommes persuadé, pour notre compte, qu'il y avait dans cet arbre et dans ses accessoires obligés une idée de culte et d'adoration. Les Perses l'accompagnaient toujours de deux lions ou de deux léopards, dont l'attitude fière et respec- tueuse indiquait assez de quel rôle digne et sérieux ils étaient chargés. Quelquefois le hom est remplacé, au milieu de ces deux animaux, par un pyrée ou autel oii le feu sacré était adoré chez ces peuples comme symbole de Dieu lui- même, principe et auteur de la vie et de la fécondité uni- verselle. Il ne fut pas difficile de détourner quelque peu ces signes d'idolâtrie pour rattacher l'objet principal au culte du vrai Dieu et à l'adoration de la Croix, qui, d'ailleurs, on le sait, avait laissé de vagues souvenirs dans la pensée des

(1) Voir VUr. de Bourg., pour ces rapports entre la Croix et l'arbre du I*aradis terrestre, p. 40 et suiv., p. 102, n" 4, et 209, 4. 11 faudra bien que nous revenions nous-même bientôt, et en son lieu et place, sur cette remarquable union des deux Testaments en une pensée si fondamentale.

T. III. 34

530 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Orientaux idolâtres, et restait pour certaines contrées un objet d'adoration et un symbole de salut []). Spécimens va- Si le dIus aucien de ces arbres sacrés qu'on ait vu en France

ries de ce sym- , ,

boie. fut celui qui figurait sur un vase d argent doré envoyé a

Charlemagne par Aaroun-al-Raschild , vers la fin du hui- tième siècle, il était sans doute depuis longtemps populaire lorsqu'au douzième on s'avisa de le faire entrer dans l'écono- mie générale de notre ornementation ; car c'est alors qu'on fit à l'antiquité, surprise, pour ainsi dire, dans ses tendances chrétiennes, cet emprunt de plus, et les lions ou d'autres animaux symboliques apparurent dans l'imagerie romano- byzantine avec une attitude et sous des formes qu'on ne leur avait jamais vues. Accroupis devant le hom, ils sem- blaient veiller sur la plante mystérieuse ; il y a plus, on les voit souvent engueulant une de ses branches, ce que l'art ancien n'avait pas inventé : ce qui prouve de reste que dans la pensée de l'artiste chrétien l'arbre de vie était là, nourrissant les âmes généreuses de ses sucs qui donnent l'immortalité. Quand ce ne sont pas des lions, dont nous savons la signification favorable (les justes, les fidèles imi- tateurs du Lion de Juda)^ ce sont d'autres bêtes qui leur ressemblent sans en avoir les formes bien déterminées, ou quelques-uns des oiseaux qui sont toujours pris en bonne part. Il fallait bien, au reste, qu'on voulût faire de cet arbre mystique un équivalent de la Croix pour l'avoir placé au

(1) Bien antérieurement au Christianisme, la Croix, dont la pensée est rappelée maintes fois comme prophétie dans la Bible, devient pour les Chinois, les Égyptiens et autres peuples du Levant un objet de culte et de vénération. C'est le fond d'un curieux Mémoire de M. Saint- Félix Maurémont, inséré en 1840 dans le troisième volume de ceux de la Société archéologique du Midi de la France, et que nous avons ana- lysé, en 1841, dans le t. II des Bulletins des antiquaires de l'Ouest y p. 34. Des découvertes confirmant ces observations furent faites en en 1807, au Mexique, par le capitaine Duplaix, chargé par la cour d'Espagne de rechercher les antiquités de ce pays. Ce navigateur trouva dans la ville ruinée de Palanqué, que Balbi désigne sous le nom de Culfiuacen, la Croix placée dans un sanctuaire comme l'objet d'une adoration populaire.

à

FLORE MURALE.— LE HOM. 534

tympan des églises, entouré de ces témoignages de dévotion que leur rendent ces bètes intelligentes. Ainsi, à Marigny et à Collevillc, dans le Calvados, le môme sujet est rendu avec quelque différence qui n'empéclie pas d'y reconnaître la môme intention. L'un représente notre arbre, consistant, selon les données fréquemment suivies à cette époque, en un tronc vigoureux couronné de quatre belles feuilles superposées et dont les deux plus basses aboutissent à la gueule de deux lions qui appuient fortement leurs pattes antérieures sur le pied de la plante ; l'autre se compose de branches élégamment entrelacées, ornées de perles, dont les seules extrémités affectent la forme de feuilles enroulées, mais dont l'ensemble, disposé en une certaine forme de croix, atteste bien l'idée fondamentale. Deux êtres hybrides tenant du dragon et de l'oiseau, union (dont nous avons parlé naguère) de la colombe et du serpent, s'inclinent devant cette belle tige et saisissent de leur large gueule chacun l'extrémité d'une des branches. Or une remarque est à faire sur cette double composition : c'est que dans l'une et dans l'autre la queue des animaux, agréablement étalée pour remplir sur la pierre des vides que le sculpteur a voulu y éviter, se termine par une ou plusieurs feuilles de môme nature que celles de l'arbre môme. Cette attention dans le second de nos tympans a été jusqu'à garnir les enrou- lements de cette queue des mêmes perles qui pointillent le tronc. Cette particularité deux fois répétée ainsi ne peut être l'effet d'un double hasard. Elle doit indiquer une transformation de la nature animale en celle de la plante, laquelle, donnant la vie véritable, la vie du ciel, les fruits de l'éternité, comme nous l'avons vu au chapitre xxn de l'Apocalypse, communique dès ce monde à qui en cherche les fruits quelque chose d'elle-même : ce que l'artiste a fort ingénieusement exprimé par cette assimilation si curieuse et jusqu'à présent, croyons-nous, inexpliquée, de ces deux natures dans un seul individu.

532 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Iconographie des Quoi qu'il 611 soit, cettc naturalisation du hom dans l'Eu- restreinte à quel- rope du douzième siècle coïncide singulièrement avec la

qu'une de leurs , r i i , * i i

parties. fomic généralement adoptée au moyen âge pour les arnres

dans les arts du dessin. Presque toujours nous les voyons rendus par des tiges à double épanouissement avec un ap- pendice intermédiaire, enlaçant des branches contournées et perlées : arbres de convention s'il en fût, dont les feuil- lages seuls, se découpant en palmes plus ou moins touffues, n'affectent aucune forme spéciale , et sont le plus souvent chargés de fruits semblables à la pomme de pin, qui, elle- même, sert de raisin fort souvent lorsqu'on l'attache à des pampres plus ou moins fidèles, mais qui, en réalité, figure- raient bien mieux les fruits de l'arum. Réfutations du Mals l'arum n'a que faire ici. Cette fleur, ou plutôt ce

système de M. . » , i

woiiiez sur les fruit, qu OU prêterait a tous les arbres, ne leur va que fort ' gratuitement, en dépit de toute une théorie inventée il y a

quelque trente ans par uq archéologue de Picardie. M. Eu- gène Woillez, avantageusement connu par son Archéologie des monuments religieux du Beatwoisis , publiée en iSAO, donna en 4848 une Iconographie des plantes aroïdes figurées au mogen âge en Picardie. L'auteur, après y avoir posé comme base de ses idées sur le symbolisme l'idée bien arrêtée au moyen âge de représenter par des signes toutes les vérités de l'enseignement catholique, excluant le caprice si souvent objecté de toutes les œuvres des artistes, et ne reconnaissant l'arbitraire que dans l'exécution manuelle, que personne ne prétendit jamais assujettir à une méthode officielle, l'auteur, disons-nous, sortit de ces voies raisonna- bles, où nous nous trouvions dès lors fort sympathiques l'un à l'autre, pour se lancer à corps perdu dans un système ab- solu d'interprétation tout imaginaire et dont on se demande plus que jamais comment il put poindre chez un homme d'un talent incontesté. Outre que M. Woillez voulait prouver que le fruit en question était l'origine de la fleur de lis, ce qu'on ne pouvait soutenir qu'à défaut des données élémen-

FLORE MURALE. LES AROIDES. 533

taires qui la lîrciit toujours voir ailleurs, il alla jusqu'à faire de toutes ces plantes élégantes et vivaces, aux larges feuilles lancéolées, à la tige droite et ferme, à la tête molle et formée de baies purpurines serrées en grappe, l'original de toutes les ressemblances plus ou moins exactes qu'elle pou- vait trouver dans l'universalité des fruits de convention associés comme autant de gracieux appendices aux arbres de toute nature. Il y a plus : ces rêveries, jusque-là sans autre conséquence qu'une erreur archéologique le sym- bolisme n'était nullement intéressé^ s'étendirent jusqu'à des prétentions aussi insoutenables qu'inouïes, quand il s'avisa de professer que cet ensemble de forme et de couleur était le type artistique d'un obscœna, qui, en conscience, ne peut en rien être invoqué dans la cause.

Cet égarement fut signalé par de hautes autorités comme une « conclusion ridicule et peu décente (4), » et personne

(1) Ce fut le jugement et le style même de M. Lenormand et de la commission des antiquités de la France^ préposée par l'Académie des inscriptions à l'examen des ouvrages sur les antiquités nationales concourant en 1830 pour le prix annuel. Nous avouons que ce juge- ment était le nôtre, dès que nous eûmes lu, antérieurement à cette séance solennelle, les rêves symboliques du savant docteur que nous devions réfuter ici. Mais aurions-nous pu croire que des observations, sinon un blâme formel, à peu près aussi sévères que celles imposées à M. Woillez, eussent résulté d'un examen attentif de notre IHsloire de la cathédrale de Poitiers, offerte au même concours ? Si les doctes académiciens deviennent les censeurs autorisés de qui les aborde avec l'espéiance d'un succès qui ne tient qu'à leur avis, encore faudrait-il qu'ils eussent étudié les rcatières qu'ils critiquent. Nous reconnaissons tout ce que leur donnait de prise contre lui-même le système des aroïdes, et ce qu'il avait de scandaleusement inouï. Mais quel rappro- chement eût paru possible entre ses prétentions faussement scienti- fiques et la thèse développée dans VHistoire de la cathédrale de Poitiers sur les sujets symboliques répandus dans ses verrières, sur ses chapiteaux et ses modillons, dont le sens, donné par nous, fut adopté bientôt en France et en Angleterre, par les archéologues les plus compétents, comme l'expression d'une découverte dont on voulut bien nous faire honneur? Qui pouvait forcer la commission de l'Institut et M. Lenormand, qu'elle avait fait son interprète , de se récrier sur notre attribution de certains sujets à des souvenirs du gnosticisme, condamné par l'Église, et de se persuader que l'auteur, trop confiant

534 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de ceux dont ce blâme trop mérité attira Tattention ne se rangea du parti de l'auteur. Gontentons-nous ici de signaler

dans leur science, s'engageait sur une pente qui devait le conduire jusqu'aux aberrations de M. Woillez ? 11 fallait avoir bien peu étudié l'histoire du symbolisme pour ne pas savoir que l'Église , « qui avait tant de fois anathématisé les gnostiques,» s'était permis de flétrir une fois de plus leurs doctrines, en montrant aux fidèles, comme autant d'objets d'horreur, soit leurs figures repoussantes, soit des sujets ca- pables de les faire détester. Ce que nous avions dit causait « un grand étonnement » à ces messieurs; et, après avoir écrit directe- ment à M. Lenormand pour nous plaindre de ce procès de tendance, dont notre caractère bien connu aurait nous dispenser, on nous répondit très-poliment qu'on n'avait été que l'organe de la commission, qui avait chargé expressément son rapporteur d'indiquer cet écueil, et qu'on n'en persistait pas moins, après notre observation, dans ce jugement sans appel. C'est à dire que rien ne peut laisser croire au docte aréopage qu'il doive jamais se déjuger devant les meilleures rai- sons ! Voilà donc en était l'archéologie, en 1850, à l'Institut nationale de France, s'obstinant dans les vieilles doctrines archéo- logiques et architecturales, dissertant du gothique sous les données de Fénelon, ne sachant du gnostique rien de ce qu'en disaient les dic- tionnaires d'hérésies, et croyant fermement que la théologie n'était pas nécessaire à bien disserter sur les monuments inspirés par le catho- licisme. Heureusement , le public éclairé sait à quoi s'en tenir aujourd'hui, et, sur ce point, comme sur beaucoup de questions histo- riques, on a vu les membres les plus distingués de l'Institut revenir aux vérités qu'ils avaient trop longtemps combattues. Au reste , M. Lenormand devait payer un peu plus tard le tribut à la faiblesse humaine... et archéologique. Lui qui, presque toujours depuis long- temps, était choisi comme rapporteur de la commission susdite, et qui s'était fait accuser assez pertinemment d'épargner autant que possible ses éloges aux ouvrages de province ( voir Bulletin monumental, XI, 602), et de pousser quelquefois ce système jusqu'à l'excès (i&irf., XIX, 479) , M. Lenormand, disons-nous, n'a-t-il pas prouvé que lui-même pouvait tomber en une grosse erreur, quand il soutint contre tous qu'il avait découvert, nous ne savons plus où, un cimetière mérovin- gien que tous les savants lui contestèrent avec raison, et certains gra- phites ne lui ont-ils pas semblé meilleurs à prendre qu'ils ne l'étaient réellement ?

Nous devons dire en toute impartialité que M. Woillez a trouvé sinon des archéologues, au moins un que nous connaissons, à la science duquel nous aimons à rendre justice, et qui a trouvé que notre confrère de Picardie a démontré la complète analogie de ses aroïdes et de la fleur de lis (Revue de Vart chrélien. Vil, 30). Cette démonstration est peu rigoureuse, à en juger môme par les seuls termes du docte critique, lesquels prouvent que cette démonstration n'est rien moins que prouvée, et qu'on a voulu la tirer de beaucoup trop loin.

FLORE MURALE. LES AROÏDES. 535

ce qu'avait de chimérique une telle assertion : elle aurait pu s'appliquer à tous les prétendus arums du monde répandlis sur les pierres sculptées de nos temples, et dès lors il n'y aurait plus eu qu'un symbole, et quel symbole! et pour quelles raisons? G était déjcà trop de vouloir que tous ces motifs d'ornementation si nombreux, et partout si ressem- blants, se rapportent à une seule et même plante, dont rien ne justifie l'assimilation prétendue, car jamais il n'y en eut moins entre son objet et ceux qu'il lui compare. Les tiges de l'arum sont inflexibles, cannelées; les feuilles radicales hastées, légèrement sinueuses. Celles de la plupart de nos chapiteaux, qu'on les choisisse en Beauvoisis comme en Normandie ou en Poitou, sont au contraire élégamment arrondies , s'entrelacent souvent , et sont presque toujours sans découpures sur leurs bords ; rien de plus flexible que leurs tiges, rien qui y rappelle les cannelures qui distin- guent l'arum. A cet égard, les propres dessins de M. Woillez, dans lesquels il prodigue un luxe remarquable de types très-diversifiés, démentent à plaisir ses convictions person- nelles en prouvant très-bien, par cette diversité même, que la main du sculpteur n'a certainement pas voulu créer un syml>ole dont il eût le modèle invariable.

D'autres archéologues, aux opinions respectées, aux succès confondues avec largement établis, tels que M. de Gaumont et M. Gharles Des- raisilï"^ moulins (i), en dépit de leurs journalières familiarités avec la botanique , n'ont jamais vu l'arum dans cette charmante végétation, mais des variantes de la vigne ou de la pomme de pin , types communs , il est vrai , mais dont le carac- tère devient toujours reconnaissable soit par le sarment qui l'attache , soit par les arbres auquel il tient , mais qui le plus souvent représente comme ornement un fruit quel-

(1) Cf. Hist. de Varchilecture religieuse, par M. de Caumont, t. II du Bullelin monumenlal,i^.'SlS;— et les Considéralions deM. Charles DesmouliDs sur la flore monw)/?eM^«/o, dans le même recueil, XI, 'm.

536 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

conque destiné à compléter une flore de pure convention. A Bourges, comme partout , les arbres, dans les vitraux de la cathédrale, sont simplement représentés par une tige plus ou moins droite ou sinueuse à laquelle sont assujetties ou des expansions parallèles , ou des branches s'épanouissant comme le nid d'un oiseau , ou enfin des têtes rondes ou ovoïdes semées de feuilles trifoliées et mêlées de grappes nombreuses. D'autres s'élancent avec deux têtes parallèles et de couleurs variées sur un pédicule unique qui se bifur- que à son sommet. Ses bordures contiennent une suite de bouquets dont les feuilles romanes ressemblent beaucoup à celles que M. Woillez donne pour des feuilles d'aroides. A Sens, le même type se retrouve avec de gracieuses variétés. On y voit une verrière de l'Enfant prodigue avec de char- mantes bordures offrant des feuilles de vignes courantes et on ne peut mieux caractérisées, avec leurs grappes dont la forme tantôt ronde, tantôt ovale, prouve assez qu'on diver- sifiait ses contours comme la nature elle-même (4).

Cette erreur ré- Ou VOlt dOUC OU tOUS CCS CXCmplCS, Ct UOUS pOUrHoUS CU

ies^%?rTguiarués cltcr mille autres, les formes générales de la végétation menrboîaniques'. composer au treizième siècle un type un et comme absolu, en dehors duquel il ne faut chercher la nature vraie que lorsque cent ans après on s'est accoutumé à vouloir bien plus la réalité que l'esthétique, et la forme extérieure que les con- templations de l'esprit. Mais en a-t-on mieux réussi plus tard à rendre toujours le naturel de la pose et la vérité de l'expres- sion dans la flore postérieure? Hélas ! nous devons le nier, et c'est une des grandes difficultés des observations archéolo- giques que cette inexactitude de dessin qui nous jette en de si fréquents embarras sur le sens d'un grand nombre de re- présentations végétales. On connaît les excentricités si variées de l'acanthe corinthienne, la cerise équivoque, à

(1) Voir Monogr. des vitraux de Bourges, pi. ii, m, iv, étud. xi, - et pi. V, et dans les grisailles de la cathédrale de Strasbourg.

FLORE MURALE. LES AROÏDES. ^337

moitié cachée sous sa feuille dans notre beau Saint-Pierre de Ghauvigny, les faux crochets si capricieux du treizième siècle, les choux frisés et les chardons de la décadence ogivale. Qui- conque a beaucoup observé les magnilicences plastiques de nos églises ajouterait une liste prodigieuse à ces artistiques infidélités, et pourrait contester aux sculpteurs , sous pré- texte de non-ressemblance, leurs plus incontestables inten- tions. Il faut bien qu'une raison peut-être encore inconnue. Raisons de ces

, , . ,, 1 iT I infirlélités artisti-

mais que nous supposons dans le desir d embelhr leurs ques. œuvres d'innovations faites pour l'œil , ou de recourir à des moyens d'exécution qui hâtaient le travail en le simplifiant, ait séduit nos ancêtres et présidé à ce parti pris de ne donner à certains objets que telles formes convenues et immuables, puisqu'on les retrouve partout les mômes, et que nulle part à la môme époque on n'a tenté de s'y soustraire. Cette observation se fortifie de l'exacte beauté qu'on a Exactitude pius

, , . , remarquable au

donnée dans le même temps a certaines plantes devenues treizième siècle

1 '11 1 1 ? 1 qu'aux siècles pré-

irreprochables : ainsi la feuille de chêne, seul végétal, disent cédents, d'éminents archéologues que nous citions tout à l'heure , qu'on ait prodigué au treizième siècle avec une remar- quable fidéhté. D'où vient cette différence? \ notre avis, il faut la voir d'abord en ce que cette charmante feuille, plus vieille d'un siècle que la plupart des autres qui florissentau douzième, atteint un degré de perfection d'autant plus élevé qu'elle remplace presque absolument l'ornementation zoo- logique. On l'applique d'autant mieux à la flore de ce temps, qu'elle semble absorber toute l'attention et tous les efforts. Les grandes fenêtres ogivales appellent plus de jour dans les églises; on pourrait bien s'être aperçu que cette condi- tion demandait plus de soins dans le travail du ciseau ; de peut-être aura-t-on cru qu'une plus grande application à la forme devait succéder aux négligences du passé et à l'expression restreinte de ces ornements, qui, presque tou- jours destinés à une position élevée et moins favorisés du jour, ne se devaient juger qu'à distance, et ne former pour

538 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

le regard que des masses dont l'imagination se chargerait de corriger les réelles irrégularités. Et cette licence , une fois adoptée pour quelques objets, n'aura-t-elle point passé dans la pratique générale, de manière qu'on s'y soit moins occupé de la forme que de l'idée, comme on le faisait dans la statuaire des onzième et douzième siècles , dans le but avéré de rabaisser la matière au-dessous de l'esprit ? quicependantiais- Et qu'ou uc uous objcctc pas coutrc ccttc coujecturc qu'en mîde^sur ia"ïa- l'émcttaut uous oublions notre théorie symboHstique des

ture des plantes ,., , >i-' i i.*x •*

sculptées, objets; que ces a peu près adoptes par les artistes auraient

confondu tous les fruits de façon à leur enlever leur signi- fication individuelle : et que partant, plus de symbohsmeà y chercher. Une telle réflexion n'a pas de base ici, car, si accoutumé qu'on fût à cette variété si fréquente , on devait forcément reconnaître un raisin dans le fruit qui pendait aux rameaux de la vigne , à d'autres branchages un fruit quelconque avec sa signification générale de bien ou de mal, d'abondance, de récompense ou de succès. Il y a même des arbres, dans nos innombrables décorations sculptées ou peintes , qui , à leurs élancements et à ces pommes de pin qui s'échappent de leurs branches , ap- partiennent évidemment à la famille des arbres résineux. Au reste , il y a aussi des vignes qui ne seraient pas plus reconnaissables sans quelque bonne volonté que les rai- sins qu'elles portent, et que cependant on ne peut prendre

aussi bien que pour autrc cliosc. Nous n'en voulons pour exemples que

dans beaucoup . , ,i iy ^' r ^^> t .

d'objets plus an- dcux speciiîiens tres-eloquents , 1 un tire d un linteau d'une ancienne maison de la petite ville de Gluny , se trouve , au miheu des prétendues aroides , un vendangeur qui coupe de sa serpe et reçoit dans un panier des grappes pendantes , représentées sous la forme qui nous occupe ; l'autre, d'une date qui n'est pas postérieure à celle de l'art païen, est un diptyque en ivoire conservé à la bibhothèque de Sens , dont les ciselures semblent reproduire une fête de Bacchus, et dont une scène représentant des hom-

ciens :

FLORE MLRALE. LES AROÏDES. 539

mes foulant la vendange offre , dans la cuve et dans les paniers qu'ils avoisincnt , des raisins d'une ressemblance frappante avec les aroïdes-fleurs-de-lis de M. Woillez (4). Concluons de ce qui précède que le fruit que nous venons doù l'on doitcon-

t 11 ' .••^•i' 1 «». dure que M. Woil-

de décnre, et qui nitervient si souvent dans nos forets simu- lez s'est égaré

,, -l'i/ . . 1 . , 1 dans une théorie

lees ou sur nos arbres isoles , est un type adopté par les inadmissible, artistes pour embellir la foliation de leurs plantes ou pour y ajouter une idée symbolique d'agrément ou d'utilité. On voit de toutes parts des oiseaux becquetant cette grappe inclinée dans le feuillage des treilles factices , ou perchés sur des arbres ils s'en nourrissent , les uns se rassasiant déjà , les autres accourant pour prendre leur part de ce repas, qui ne peut être sans quelque portée mystique. Bien plus , son importance comme ornement n'a fait que grandir à mesure que l'art a reçu ses développements. On ne s'est pas contenté de l'indiquer aux sculpteurs , aux peintres et aux miniaturistes. L'orfèvre, le serrurier, le menuisier, l'émailleur l'ont répandu avec une profusion devant laquelle on sent bien que le système de M. Woillez est insoutenable. Yoyez-en la preuve dans les belles gravures données par M. Didron en ses Annales archéologiques, par les PP. Martin et Cahier dans leurs Mélanges d'archéologie, d'histoire et de littérature; dans toutes les Revues spéciales publiées depuis trente ans, et se multiplient à l'envi les châsses émaillées, les instruments de tout genre, les dossiers de stalles , les peintures de portes. Ces dernières surtout sont le plus sou- vent, au treizième siècle , de jobs enroulements dans les- quels se jouent les fruits dont nous parlons , et toujours ils sont d'un charmant effet. Et si nous disons, pour en finir sur cet article qui nous condamnée jus-

- . ^ que dans les cata-

a déjà retenu trop longtemps, que les peintures mêmes combes.

(1) Cf. Architecture civile et domestique au moyen âge et à la Re- 7iaissance,i[)aTM. Aymar Verdier elle Dr Cattois, p.80 et 82, in-4o, Paris, Didron, 18u5 ; et le Magasin pittoresque, XXXV, 132, 1857.

540 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

des catacombes reproduisent très-souvent ie type du moyen âge pour exprimer les fruits des arbres symbo- liques , on sera peu tenté d'y aller chercher un argument en faveur du savant que nous réfutons. Et après tout, qu'on nous permette une conjecture que ne démentirait aucun des instincts suivis depuis le commencement par les artistes chrétiens. On voit souvent, sur les premiers tom- beaux des fidèles, un cœur déposé comme l'expression d'un souvenir religieux ; ce cœur , auquel on a ajouté un appendice en forme de queue, devient facilement, sur d'autres sépulcres , une simple feuille qui dissimulait aux profanes l'intention pieuse qu'elle exprimait. On sait aussi que, chez les Romains de cette époque, les mères attachaient au col de leurs enfants un cœur d'or ou d'argent , comme emblème de la sincérité de leur âge et de la candeur qu'ils devaient toujours garder : est-on bien sûr que ce ne serait pas une véritable origine de nos expansions végétales , devenues plus ou moins semblables à la pomme de pin par les stries croisées à leur surface , ou à un raisin quand ces stries auront été plus ou moins arrondies par un effort bien facile du ciseau joint à la volonté de modifier sa pre- mière expression? Nous laissons aux compétents le soin et la grande liberté d'accepter ou de rejeter cette idée , après avoir lu néanmoins Aringhi, qui pourrait bien appuyer notre doctrine {\). Le lis et son Lcs flcurs dc lis , dout nous venons de parler par occa-

symbolisme , i t

sion, méritent que nous leur donnions quelques hgnes, car elles sont un symbole, et souvent reproduit sur les monu- ments de tout genre. Le sceptre des rois, celui de la Sainte Vierge considérée comme reine , les traverses et le haut de la croix , les vêtements princiers , les monnaies de France et beaucoup d'Angleterre , les étoffes enfin , les tapisseries et les ornements sacerdotaux , les armoiries surtout, attes-

(1) Rom.svbter., 11,690.

FLORE MURALE. LA KLEUR DE LIS. ^>41

tent quel usage on en a fait de toutes parts et toujours. Mais d'où nous viennent-elles? quelle est leur véritable origine? C'est une question qu'il ne faut aborder qu'après quelques remarques préalables sur la Heur elle-même, telle que nous la voyons dans nos jardins. Le lis est un symbole qui a l'heureux privilège de n'être dans l'antiquité

chrétienne et au

jamais pris en mauvaise part. 11 n a pas son opposition moyen âge. comme tant d'autres. Il se rattache d'abord à Jésus et à Marie sa mère , d'après les Livres saints, qui l'ont pris pour terme de comparaison, et toujours appliqué à ces deux types glorieux de toutes vertus. S. MéUton rapporte, pour le prou- ver , le texte du Cantique représentant le Bien-Aimé de l'Épouse « aimant à se repaître parmi les lis. )> Déjà , du temps de Moïse , on en parait le tabernacle , ils s'épa- nouissaient comme un indice de la béatitude céleste. Pierre le Chantre, l'illustre professeur de Paris, trouvait dans cette charmante fleur une parfaite image de Marie, car elle a sa candeur immaculée ; elle répand autour de sa tige la sua- vité de son odeur , elle guérit les blessures , elle naît sans culture et comme d'elle-même. Qui ne voit le sens notoire de ces manifestes applications ? Le moine anglais , resté in- connu , qui dans son abbaye de Cîtcaux écrivait, au com- mencement du treizième siècle, ses Distinctions monastiques^ a disserté avec autant de science que d'agrément sur la fleur dont le Sauveur avait dit que Salomon dans toute sa gloire n'avait pas atteint sa splendeur. Il établit aussi les rapports spirituels trouvés entre elle et les modèles sans tache du chrétien. 11 remarque surtout qu'elle se divise en six pétales, comme ses étamines ; que ce nombre six, étant un nombre parfait , devient dans celte fleur une note de perfection , et qu'en se doublant en elle par ses douze parties les plus appa- rentes , elle rend très-l)ien , en tant qu'elle est applicable au Christ , la double perfection de sa divinité et de son lui- C'est tour à tour manité. Le lis, ajoute-t-il, est aussi agréable par sa forme l'ÉgUse. extérieure qu'utile par ses propriétés intimes , dont l'une

o42 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

des plus importantes est d'apaiser les inflammations. C'est par qu'on en fait l'emblème de la sainte Mère de Dieu, qui , dans sa fécondité virginale, est devenue aussi utile au monde qu'aimable à chacun . Voulez- vous considérer le lis comme une allégorie de l'Église ou de l'âme fidèle ? voyez si , comme lui, l'une et l'autre ne restent pas sans tache au milieu des fanges de la terre, douces au milieu des épines du monde, et y montrant d'autant plus de mansuétude qu'elles y sont plus éprouvées par les contradictions et les revers. C'est encore la gloire de l'immortaUté : ce qui a fait dire à un poète que le Dieu ressuscité au troisième jour s'était montré comme un lis qui surgit de son germe caché dans la terre ('l).

I^l /®"''^ ^" ^^^ fleurs sont indiquées par S. Ambroise, par S. Gyprien, par TertulUen et beaucoup d'autres Pères comme le symbole de la virginité si précieuse à l'Église, si recommandable par elle-même , et que l'Esprit de Dieu relève en de si magni- fiques éloges au-dessus de tout dans nos Livres sapientiaux. « L'Église, dit le premier de ces Docteurs, est un champ riche d'une abondante végétation ; la fleur des vierges s'y pare de toutes les beautés du printemps, w

L'hymne de L'Églisc dc Polticrs couscrve une hymne du neuvième

Florence. "^

siècle, toute pleine de cette suavité, prise dans un sujet que nous ne saurions oublier ici. A cette époque , les reliques de Ste Florence, venue de Phrygie avec S. Hilaire, vers 365, et conservées depuis , mais perdues dans la cathédrale par suite des grands bouleversements qu'avait soufferts cet édi- fice, y furent retrouvées et rendues à la dévotion des fidèles. Son culte y fut renouvelé , et on lit, parmi les composi- tions liturgiques faites à cette occasion , ces gracieuses

(1) « Dilectus meus mlhi qui pascitur inter lilia. » {Cant,, il, 16.)

« Lilia ex ipso procedentia.» {Exod,, xxv, 31.) « Nec Salomon in omni gloria sua coopertus fuit sicut unum ex istis.» (Mallh., vi, 28.)

Voir encore S. Méliton et Dist. monast., apud dom. Pitra, Spicileg. Solesm., Il, 406 ; III, 475 et seq.

FLORE MURALE. LA 1-LEL'R DE LIS. 543

strophes que nous chantons encore au jour de sa fête :

« Réjouissons-nous et rendons nos louanges au Seigneur : c'est le jour qu'il a consacré la gloire de son auguste vierge Florence , dont le nom significatif convient si bien à celle qui fut toute florissante de l'iionneur de sa vertu.

» Née d'une famille païenne , elle était d'abord un arbre stérile. Elle devint fertile aussitôt qu'elle eut été transplan- tée à Poitiers.

)) Notre grand Docteur l'arracha à l'olivier sauvage , et inséra ses branches dans l'olivier franc.

)) Alors, dans l'efflorescence de sa jeunesse, elle produisit des fruits savoureux , et rendit au double à son maître le talent qu'elle en avait reçu (^). »

Thomas de Cantimpré, dominicain du treizième siècle et Le iis est encore

^ la virginité chré-

Tun des derniers interprètes de S. Méliton , n'est pas moins tienne. séduit par le charme de ces poétiques idées. « La bienheu- reuse virginité est comparée au lis, d'abord à cause de sa blan- cheur de neige , et aussi parce que le cœur de cette fleur, protégé par ses six enveloppes, semble se garder de tout con- tact des dangers extérieurs. Cette beauté si touchante devient comme nos bonnes œuvres , dont Notre-Seigneur veut que l'éclat se répande au dehors pour l'édification d'autrui , de façon qu'en réunissant les vertus de l'âme à la modestie de nos habitudes, nous donnions à tous une plus grande estime de cette virginité si pleine de dignité et de grandeur (2) . » L'ingénieux auteur se plaît à résumer ainsi en beaucoup d'autres allégories ce qu'ont dit ses doctes prédécesseurs , et peut devenir d'une lecture fort agréable à qui voudra es- saver de sa connaissance. C'est ainsi que le lis figure avec L'attribut de s.

'■ ^ Joseph,

honneur dans toutes les pages ascétiques arrive le nom

(1) Propriuin Pictav. 1 decemb., hymn. ad maliUin.

(2) « 0 quam pulchra estcasta generatio cum claritate ! procul et de ultimis finibus pretium ejus. » {Sap., iv, 10.) Cf. S. Ambroise, lib. III, De Virginitate. Thom. Cantiprat., lib. II, cap. xxix, et lib. XVII, cap. VII.

544 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

de S. Joseph, et c'est afin de montrer par lui l'homme fidèle en tout à la pureté du cœur, à la vie intérieure et au calme parfait de l'âme et des sens que les peintres lui donnentpour attribut une branche de hs. Observons toutefois que cet attri- but ne l'accompagne guère avant le seizième siècle ; c'est- à-dire qu'on le lui a donné vers le temps les traditions mystiques du moyen âge perdaient leur importance aux regards d'artistes que le positivisme envahissait. Au trei- zième siècle, on ne représente guère S. Joseph sans un ap- pendice portatif; mais aJors ce n'est pas un lis qu'il nous offre, c'est un bâton fleuri par le haut, comme serait la verge d'Aaron , et qu'une vieille légende rattache à un mi- racle qui aurait fait préférer Joseph à d'autres rivaux pour son mariage avec Marie (^i). Ce n'était donc , dans le prin- cipe, qu'un simple rameau vert, remarquable par sa florai- son : la tradition en parlait comme d'un témoignage de sa virginité, dont S. Augustin, Pierre Damien, Gerson, avec l'universalité des Docteurs, ne veulent pas qu'on puisse ctceiui des Justes, doutcr. Et quaud môme cette verge fleurie n'eût été d'abord qu'une allusion au titre de Juste par excellence que l'Écri- ture donne à S. Joseph (2), en souvenir de la parole du Psalmiste (3), ce juste n'en serait pas moins regardé avec raison comme digne de ce lis , qui ajoute à ses vertus d'homme juste l'honneur spécial de sa virginité , puisque d'un commun accord les Pères et les autorités ecclésiasti- ques conviennent que dans l'union sacrée qui s'opéra entre Marie et Joseph par un mariage devenu indispensable aux desseins de la Providence , ce fut une virginité qui s'unit à l'autre : Virginitas nupsit (4). Ce serait donc avec raison

(1) Voir Guénebaud, Dictionn. iconograph., in-S», Migne, col. 329; Bullet. monurn., XIV, 338.

(2) « Joseph autem cum esset justus... » (Matth.j ï, 19.)

(3) «Justus ut palma florebit. » (Ps., xci, 13.)

(4) Cf.Molanus, De Historia sacrarum imaginum, lib. II, cap. xxix ; mihi, p. 88. S. Augustin : « Habet Joseph cum Maria conjuge com- munera virginitatem. » {Episl. ii Nicol. papam; m cap. i Epist.

FLORE MURALE. LA FLEUR DE LIS. 545

qu'on lui appliquerait le texte prophétique d'Osée : «Israël germera comme uu lis, et ses racines s'étendront comme celles d'un cèdre sur le Liban (i). » Mais comment cette fleur si célèJDre a-t-elle passé dans et de la puissance

royale eu France.

les usages de la vie civile , et d'abord est-elle bien , dès l'époque des origines franques , un insigne de la puissance royale? Rien de plus controversé que cette question, qui ne semblerait pas devoir l'être encore ; car si nous remontons jusqu'aux premiers insignes de pouvoir public indiqués sur les seuls monuments qui nous restent des Gaulois nos an- cêtres , nous reconnaîtrons sur leurs vieilles monnaies des caractères auxquels il n'est plus possible de se méprendre. Un des savants rédacteurs de la Revue de numismatique , origine de ce M. de La Saussaye, a donné dans ce sagace recueil des types pîiîuë/"'"^' "^' de médailles gauloises , sur l'une desquelles on remarque, au-dessous du sanglier national, une fleur épanouie à trois

branches, qui n'est autre que celle du lotus ou nymphéa. On opinions diver- ses à ce sujet. a pu se tromper, après dix-huit ou vingt siècles, et par suite

d'une obhtération imposée par eux à cette monnaie, sur la

pensée du monétaire, qui voulait bien graver dans son

ad Galat.) Virginitas nnpsit est de Gerson, opusc. de conjug. Maria et Joseph. Molanus {ubi suprà) est ici trop expressif sur le côté historique de la légende. Il discute sur le bâton fleuri, comme si l'iconographie religieuse , «lui ne vit pas moins de symbolisme que des vérités écrites , ne devait pas s'emparer de tout ce qui nous récrée en nous instruisant des croyances et des habitudes des siècles passés ! C'est de la légende, et l'art ne pourra jamais s'en passer. Une telle rigueur chasserait l'allégorie au détriment de la vérité, qu'elle indique sous des voiles toujours assez transparents. Lui refuser son action dans l'art comme dans la poésie serait tuer l'un et l'autre. Molanus ne le comprenait pas assez, et par même a outré souvent des principes très-bons en eux-mêmes. L'abbé Pascal a donné dans la même erreur, mais il en est beaucoup moins excusable, ayant vécu dans un milieu son jugement aurait se former aux vrais prin- cipes de l'archéologie chrétienne. Il eût fait ainsi un bon livre de ses /nstitulions de Varl chrétien, qui n'instituent rien, sinon le renverse- ment de toutes les idées reçues en fait d'archéologie et d'esthétique.

(1) « Israël germinabit sicut lilium, et erumpet radix ejus ut Libani. » {Os., XIV, 6.)

T. m. 35

546 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

champ une fleur , et qui semblerait aujourd'hui n'y avoir vouhi qu'un fer de lance ; mais, outre que cet instrument y serait encore beaucoup trop prononcé par ses deux branches tombant de chaque côté comme une véritable expansion végétale, on trouve une telle ressemblance entre ce prétendu fer et la fleur d'une des espèces du lotus qu'on n'hésite pas à y voir l'emblème soit de la perfection que l'Egypte y voyait à cause de la forme circulaire de la feuille , s' ouvrant de plus en plus selon qu'elle recevait plus les rayons du soleil, soit de la pureté, par suite de son éclatante blancheur, qui eut toujours et partout le même sens symbolique (i).

Ne serait-on pas tenté aussi , en se rappelant un passage d'Homère, au neuvième chant de l'Odyssée, de prendre le lotus sur la monnaie et le sceptre des rois de France pour un emblème de leur première patrie, abandonnée pour la seconde qu'ilsétaientvenusfonderendeçàdu Rhin (2) ? Cette fleur, au reste, est répandue sur tous les rivages ; nos fleuves de l'Eu- rope l'ont comme le Nil ; elle abonde en France, et la médaille citée par M. de La Saussaye était frappée chez les Santons, dont le littoral en était garni. Quoi d'étonnant que les chefs venus des bords de la Sala et du Véser se soient donné pour signe de leur puissance , qui tendait toujours à s'élever , la fleur, d'ailleurs si gracieuse, qui symbolisait la perfection de l'autorité et du pouvoir ? C'est aussi la pensée de M. Adalbert de Beaumont, et c'est la seule origine que nous puissions lui reconnaître , en dépit de toutes les autres qu'on s'est plu à imaginer si souvent. Personne n'ignore quels furent sur ce point les sentiments contraires de maints auteurs. Le fer de lance des Celtes, préconisé par Lacurne de Sainte-Palaye, ne vaut pas mieux, à notre avis, que l'angon mérovingien dont Sainte-Foix veut faire le premier sceptre de nos rois, non

(1) Recherches sur rorigine du blason, cité dans la Revue de Vart chrétien, iW, 582.

(2) Voir Sanchez, Commeniaria in Andreœ Alciali emblemata, euiblem. cxiv, apud. Franc. Sanctii opp., III, 227, in-8», Geuev., 1766.

quième siècle.

FLORE MURALE. LA FLEUR DE LIS. 547

plus que les abeilles de Childéric P"", préconisées par Jacques Ghifflet , non plus enfin que les lis d'or à trois feuilles que Robert de Helsen a rêvés sur les bords du Lis (qu'il faudrait appeler la Lis), d'où Pbilippe-Auguste les aurait cueillis le premier pour en parer son manteau et son écu {\ ) . Les décou- vertes faites en \ 653 dans le tombeau de Childéric n'étaient pas tant un attribut de la royauté qu'un symbole adopté par ce prince, ou enseveli avec lui pour exprimer la sagesse, la vigilance et le travail (2). De tels symboles n'étaient point héréditaires ; ils prenaient place dans la sépulture de tout grand personnage avec beaucoup d'autres objets , et y va- riaient d'après l'objet de préférence que le défunt avait adopté pendant sa vie.

Ce que la science nous apprend de cette découverte du Le hs confondu fameux roi franc enseveli à Tournay en 48 1 a fort éclairé la fleJavecks^abeîi- question de l'origine des fleurs de lis , sur laquelle chaque chiidlric ar^cfn- historien faisait son thème. Fauche t , Du Tillet , Mézeray, les Sainte-Marthe, différaient d'opinion ou ne s'accordaient que pour se tromper mutuellement quant au fond et quant aux détails. Lors de la découverte du tombeau qui est resté jusqu'à notre époque môme un sujet de dissertation laborieuse pour les antiquaires, Jacques Ghifflet, qui exerçait la médecine avec distinction dans les Pays-Bas , fut chargé par l'archiduc Léopold, qui savait son érudition, de lui faire un rapport sur les objets qui entouraient le squelette du roi des Francs. Ce fut le docte médecin qui voulut faire des fleurs de lis des trois ou quatre cents abeilles d'or qui sans

(1) Helsen, Diction, de la France, lis.

(2) Cf. sur cette question, et pour les preuves du sentiment que noui préférons ici, Clavis S. Meliton., apud. Spicil. Solesm., II, 406 Li- lium : virtus, castitas, munditia;» etZ)e/lî;i&U5, cap. viii,no xxxviii;

ibid., Spicil., II, 512 : «Apis, forma sapientiœ...,diligentiam et sub- tilitatem significat; » un Mémoire sur le lotus, donné par M. Delille dans la Description de la grande expédition d'Egypte de 119B; Revue de numismatique, 1840, 244, et Mem. des anliq. de VOuest, V, 149 ; Lacurne de Sainte-Palaye , Mém. sur l'ancienne chevalerie, I, 294;

Saiute-Foix, Essai sur Paris, II, 84, in-12, 1769.

548 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

doute avaient orné le manteau royal. Il fallait forcer sa pensée pour en venir et s'appuyer de singulières conjec- tures. A l'entendre , les abeilles, mal rendues par les dessi- nateurs et les peintres, étaient devenues « des fleurs de lis, lorsqu'au douzième siècle, nos rois qui avaient continué de s'en parer, les prirent pour pièces définitives de leur blason.» Une telle imagination ne vaut pas mieux que celles qui voyaient trois crapauds d'or sur champ de sable , ou trois grenouilles sur azur dans un prétendu écusson qui n'exista jamais pour les rois de France (I). Tout cela fut réfuté vic- torieusement quant aux abeilles, par Ferrand, dans son Triomphe des lis contre Jacques Chifflet (2). Les lis du tom- Quoi qu'il en soit des notions plus ou moins justes émises gomieau s£èmê par Ics liistodens et les héraldistes sur ce symbole, il est *'^^'^' certain qu'au tombeau de Frédégonde , morte en 597 et en-

terrée à Saint-Germain-des-Prés, on voyait encore, avant les dévastations de ^ 793, la statue couchée de cette reine, la tête ceinte d'une couronne fleurdelisée; son sceptre même se terminait par une branche de lis au naturel. Cette œuvre , de cuivre et de marqueterie, était originale, au jugement de ceux qui l'avaient vue en ^778. Ces mêmes auteurs citaient plusieurs manuscrits de la bibliothèque du roi et de celle de Golbert , oii des peintres reproduisaient les figures de Charles le Chauve , dont la couronne portait de véritables du sceptre de Da- flcurs dc lls (3). Uu autrc fait digne de remarque est rap-

gobert au sixième,

(1) Q,i.C\Ai^e,i., Anasiasis Childerici I, Francorum régis, sive Thé- saurus sepulcralis Tornaci Nerviorum effossi, et commentario illuS' tratus, Antuerpise^ 1655, in-4o ; puis la défense de son opinion sur le lis : Lilium Francicum verilate historica, botanica el heraldica illuslratum, Antuerp., 1658, in-f» ; Sainte-Marthe, Traité historique des armes de France et de Navarre, et de leur origme, in-12, Paris, 1673.

(2) R. P. Ferrandi Epinicion pro liliis , sive pro aureis Francise liliis, adversus Jac. ChiffletiurUy Lugd., 1663, in-4o. Ce Ferrand ne figure dans aucune biographie que nous connaissions.

(3) Le chev. de Jaucourt, dans l'Encyclopédie du xyiu^ siècle, XIV, p. 612. Tout son article, à l'exception de ce qui regarde Henschenius,

FLORE MURALE. LA FLEUR DE LIS. 549

porté par le P. Henschcniiis, l'un des premiers BoUandistes. A propos d'un ancien sceau dont il parle, et sur lequel Dago- bert !'■■ (63i-638j est représenté tenant trois sceptres, ce savant religieux prétend que ces trois sceptres, liés ensemble par le bas, ressemblent à la Heur de la plante nommée iris en français, et que les AHemands , à cause de ses rapports avec le lis blanc , nommenf lisch-blume ^ c'est-à-dire fleur de lis. Si l'on ajoute, avec le même auteur, que, cet emblème une fois accepté, on le peignit d'or, parce que cette première fleur était jaune, et que, naissant ordinairement dans l'eau, qui paraît bleue, ce fut une raison de l'établir sur champ d'azur , nous avouerons toutes nos sympathies pour ces in- génieuses conjectures , sans vouloir nous y appuyer beau- coup. Toutefois nous ne saurions comment réfuter le triple sceptre de Dagobert, et nous croyons qu'il vient représenter la fleur de lis au septième siècle , comme Frédégonde et Charles le Chauve posent en faveur du sixième et du neu- et de charies le

/-w •• m- 1/1'- t t Chauve au neu-

vième. Que SI aujourd hui, maigre le témoignage des écri- vième.

vains du dix-huitième siècle, on devait infirmer le tombeau de Frédégonde détruit par les révolutionnaires de 93, avec tant d'autres , hélas, comment révoquer en doute des ma- nuscrits encore conservés à la bibliothèque de Paris ? Voilà donc les deux premières races parées de cet insigne i-is des rois de

. .la troisième race ;

qui leur appartient exclusivement. Par ce qui précède , on voit que les princes de ces lignées successives se l'étaient transmis sans interruption. Nul doute aussi qu'il ne se soit perpétué jusqu'à la troisième dynastie, puisque Louis VII , qui en avait chargé son sceau et la bannière blanche de la France , en fit semer le manteau et la cotte de mailles de Philippe-Auguste, quand il se fit sacrer à Reims de son vivant en 4179. C'était particulièrement dès les premières iis deviennent ré- années de ce douzième siècle que, les Croisades ayant fait

a été copié, sans aucune mention de cette source, par M. de Corcelies dans son Dictionnaire universel (quoiqu'il le soit très-peu) de la no- blesse de France, t. III, p, 212, in-S", Paris, 1821.

330 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

comprendre aux seigneurs bardés de fer la nécessité de se reconnaître mutuellement par leurs armures, le blason s'étendant à toutes les familles nobles , Louis VII adopta les fleurs de lis sans nombre, que Charles VI réduisit à trois en l'honneur de la Sainte Trinité. Depuis lors elles furent por- tées d'or sur champ d'azur par la plus noble et la plus an- cienne famille du monde. Ainsi le lis devint pour elle un auguste symbole de loyauté et de bravoure, comme de ma- jesté et d'honneur. Tout cela se reportait à Dieu dans la pensée du monarque. Une médaille française frappée en 4380, à l'avènement de Charles VI, porte en exergue : Cla- rescunt lilia trina {]). et de beaucoup de De l'écussou royal la belle fleur passa à quelques armoi- ries particulières, devenues de plus en plus nombreuses soit par des alliances avec les premières familles de France, soit par des concessions honorables faites pour des services ren- dus à l'État ou de belles actions dont ces familles s'étaient illustrées avec le temps. Avant même l'époque de S. Louis, qui fut celle de la plus grande élégance de cet emblème , on y avait ajouté le lien inférieur, qui en modifia la forme , et semblerait un appendice privé de toute raison d'être, si nous n'en trouvions pas l'origine dans les vitraux romans , il contribua à former les compartiments des grisailles. En effet, que l'on considère celles qu'a publiées l'abbé Texier, et qui seules nous restent de l'ancien monastère d'Obazine (Corrèze) : on verra les charmantes fleurs de lis du dou- zième siècle, dont les pétales se relient par des anneaux de plomb, évidemment destinés à en consolider les parties, mais qui ont sans aucun doute motivé , bientôt après, dans la peinture , ce même lien devenu un simple ornement (2). Cette forme , une fois consacrée, distingua si bien la belle

(1) Scévole et Louis de Sdiinte-Marthe, Hisl. généalog. delà maison de France, I, 26, iu-4o, 1619. Mézeray, Hist, de France, U, 88 ; et I, 1032.

(2) y o\v Annales archéologiques, X,81.

FLORE MURALE. LA FLEUR DE LIS. 55^

fleur française , qu'il ue lut plus possible de s'y tromper. Bientôt on la vit envahir , surtout à partir du treizième et paf5scnt ontin

dans rorncmenta-

siècle , toutes les surfaces l'art pouvait prodiguer ses t'on ^les meubics

^ ^ et des maisons ,

cliarmantes habiletés : les meubles, les tapisseries , les ma- nuscrits , les vitraux des maisons particulières, et jusqu'à leurs pavés de terre cuite et aux softîtes de leurs plafonds, en reçurent les formes gracieuses ou les vives couleurs. Il n'y eut pas jusqu'aux ornements d'église qui la reprodui- sirent presque à satiété. Nous ne pouvons nous en plaindre, «t jusque dans

celle des oblets sa~

car, outre qu'elles ne firent cette sorte d'invasion que pour crés.- Raison de

. .11 . CG dernier emploi.

y devenir la preuve et comme un souvenu' des hautes muni- ficences qui prétendaient établir ou leur juridiction ou leur droit à de certaines prières, en les brodant sur les étoffes d'or et de soie, en les gravant sur les calices, les reliquaires, et jusque sur la hampe des bâtons cantoraux , d'autres rai- sons plus élevées inspirèrent souvent cette profusion. se trouvait le symbolisme de la Trinité , application déjà fort ancienne , comme nous l'avons vu , d'un signe reconnu de tous au mystère fondamental du Christianisme. Mais aussi était une pensée de patriotisme qui aimait à identifier à la religion ce vieil emblème de la France et de cette longue suite de monarques dont le sceptre et les bannières s'en étaient embellis, et qui de avait passé et fleuri sur tous ses monuments. Il est d'ailleurs remarquable que, les formes plus ou Les types de la

. j fleur de lis divers

moins complètes, plus ou moins sveltes ou trapues de avec les époques,

rt iTP ./<' 1-ni 1. et propres à faire

notre fleur de lis française ayant ete modifiées maintes distinguer cciies-

. 1 ... . , 1 . 1 y 1 < 1 ci dans les monu-

fois par les artistes qui la reproduisirent de siècle en siècle, ments. on peut conclure de ces modifications mêmes pour affirmer l'époque approximative de ces objets, comme on l'a observé à l'égard des hermines , qui , dans l'écusson de Bretagne, ont souvent aussi changé de forme. Le treizième siècle nous la montre légère et dégagée , plus longue que large ; l'inflorescence, tout en n'offrant qu'une division du calice en trois pétales, sépare celles-ci de manière à laisser un vide

552

HISTOIRE DU SYMBOLISME.

entre chacune d'elles; comme l'architecture de cet âge, elle semble aspirer à prendre par son élancement gracieux la majesté et l'élévation du style ogival. Au quatorzième, elles s'abaissent et s'élargissent, mais conservent beaucoup d'élé- gance et de netteté. Quelque chose de plus lourd, à quel- ques charmantes exceptions près {]}, indique le quinzième ; alors, sans avoir perdu toute sa légèreté, elle tend à s'épaissir encore et perd de sa délicatesse et de son essor; on voit même le caprice du brodeur ou du sculpteur percer dans l'exécution de son caractère d'ensemble. Plus tard ce caprice prend ses aises bien plus larges, et va, au dix-septième siècle, dans l'église des Carmes de Gaen , jusqu'à rattacher à la pétale intermédiaire deux dauphins recourbés qui en for- ment les pétales accessoires. Il est vrai que cette originalité pouvait être un symbole se rattachant aux traditions de ce monastère. Enfin, du seizième siècle jusqu'au nôtre, elles se sont fait des contours et des proportions définitives qui n'en valent pas mieux pour avoir une certaine prétention à être plus classiques. Changeront-elles encore ? C'est peu probable , à moins que sous un descendant de S. Louis elles ne retrouvent encore leur forme svelte et majestueuse en rajeunissant une des plus glorieuses périodes de notre his- toire. Les artistes, Dc CCS uombreuscs mutatious il faut conclure que les

pour les repro - . , , . i i

duire , doivent peiutrcs, Ics sculptcurs ct autrcs artistes charges de repro-

donc se reporter i . n i t ^ -i

aux temps dont ils duu'c la ilcur dc hs coiTime ornement ou comme pièce de tions. ' ^'" blason, devront bien étudier ses formes afin de les accorder avec le style des œuvres caractérisées par chaque siècle. Il serait par trop ridicule de voir semer des fleurs de lis de Louis XVIII et de Charles X une chapelle du seizième siècle, ou d'y imposer les abeilles de Chilpéric, comme nous l'avons vu

(1) On en voit un fort joli spécimen dans la Revue de Vart chrétien, II, 221. Il faisait partie du pavage de l'ancien château des évoques d'Avranches, dont Louis de Bourbon avait occupé le siège vers la fin du qiiiuzièmt siècle.

FLORE MURALE. LA FLEUR DE LIS.

553

pratiquer. L'unité artistique n'est pas moins à observer en cela que dans tout autre genre de décoration , et c'est une impardonnable faute que de mêler toutes les époques de l'art dans nue confusion qui se ressentira toujours trop de l'éclectisme révolutionnaire , et tendrait comme lui à tout méconnaître et à tout ruiner. Et puis, contemporains d'une époque agitée de si étranges tempêtes, disons-le encore bien haut à ces intelligences fourvoyées qui cèdent à leur passion de vengeances démocratiques avec la même frénésie qu'aux plus grossiers emportements de leurs sens : quelles que soient les vicissitudes imposées par la Providence aux dynas- ties, leurs insignes ne doivent pas devenir comme elles les jouets de la malicieuse stupidité des hommes. A moins de déchirer l'histoire, de brûler dans les archives publiques les actes de leur puissance , le plus souvent protectrice et jus- tement honorée ; à moins d'effacer des souvenirs nationaux les longues et glorieuses traces que tant de règnes y laisse- ront à jamais, on ne voit pas quel autre motif que le barbare aveuglement d'une sotte ignorance viendrait exercer sur des monuments très-innocents par eux-mêmes un genre de mutilation dont les révolutions ne savent jamais rougir. Que de titres perdus, que de monuments outragés, parce que les lis y conservaient l'empreinte encore tout héroïque de générosités princières ou des juridictions de la féodalité! Ah ! ce sont les fleurs qu'on fait croître aujourd'hui sur la tombe des rois ou sur le chemin de leur exil !... Mais que les peuples follement victorieux de ces grandeurs déchues comprennent aussi leur décadence prochaine à ces excès d'un vandalisme hébété; plus on les y accoutume, plus l'abrutissement se consomme : outrager ses aïeux, détrôner ses maîtres, dégrader les monuments de sa patrie, c'est montrer jusqu'à l'évidence qu'on n'est plus digne d'en avoir.

Après nous être arrêté longtemps sur la ilein" royale, dont il nous semble qu'on n'avait pas encore suffisamment pré-

Grossières per- sécutions révolu- tionnaires contre cet insigne d'une ancienne royauté ,

et leurs suites fu- nestes à la science historique.

8yni))oli8nio de la flore mytholo- gique.

554 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

cisé l'origine et le rôle symbolique, revenons à notre mys- ticisme religieux , et considérons notre flore sous les mul- tiples aspects que nous en donne la liturgie catholique. Ce sont des aperçus dont il serait difficile de ne pas tenir un grand compte. Il n'était guère possible que les idées si gracieuses et si douces qui naissent de la contemplation de la nature et des plus ravissantes merveilles de son Auteur n'entrassent pas pour beaucoup dans les offrandes à lui faire et dans les embellissements de ses temples. La flore et la pomone des païens , leur Gérés , leur Triptolème et leur Janus , indiquent assez quelles étaient leurs pensées à cet égard. Ils eurent des arbres et des fleurs consacrés, par suite d'une foule de riantes allégories , aux souvenirs de leurs dieux et aux pratiques du culte public. Le chêne de Jupiter, le laurier d'Apollon sont assez connus comme symboles ; on sait la couronne d'épis de la mère de Proserpine , la verveine sacrée formant celle des druides , et que cette ingénieuse idolâtrie n'avait pas moins de protecteurs pour ses jardins que pour ses champs. C'étaient tantôt la contemplation de ces beautés visibles qui charmaient les hommes, depuis l'agri- culteur jusqu'au poète, tantôt l'usage des fruits delà terre, l'ombre de ses bois sacrés ou l'emploi des substances natu- relles aux cérémonies de la rehgion qui témoignaient du penchant de l'humanité pour ces innocentes jouissances, ou de sa gratitude envers le Ciel, qui les lui avait données comme un principe de paix intime ou des plus suaves élé- comment le vatious dc son cŒur. Ce que l'homme animal goûtait ainsi.

Christianisme dut ,^.... t , , ii <• «xi

s'en emparer. le Christianismc, qui adopte tous les bons sentiments et les purifie , ne pouvait manquer de le comprendre avec une bien plus haute intelligence. On vit ses plus grands esprits s'apphquer à saisir et à exphquer les relations morales des plantes à l'âme humaine cultivée comme eUes par la rosée de la grâce , éclairée et réchauffée aux rayons du Soleil de Justice, nourrie ici-bas des sucs fructueux des sacrements, et appelée à une terre promise, jardin de délices éternelles

FLORE MURALE. 555

couleront pour elle d'intarissables ruisseaux de lait et de miel(l). De telles méditations produisirent des œuvres litté- ses organes au

!• ij««i t -1 moyen âge.

raires pleines de iraiclieur et de naïves beautés, ecloses à l'ombre des cloîtres , dans ce moyen âge , qui l'emportait d'autant plus par le sentiment et la hauteur de la pensée qu'il connaissait moins les aspirations des scnsualistes et des libres penseurs. Les recueils de principes chrétiens ap- pliqués aux besoins de la vie spirituelle , les maximes de la Sagesse éternelle proposées aux spéculations religieuses des solitaires ou des gens du monde, s'épanouissaient au souffle des mille génies cachés dans les maisons bénies de la prière et du travail. Nous avons encore ces manuscrits précieux les symboles abondent, la lettre des Écritures exhale de toutes leurs pages les parfums de l'Esprit divin. C'est Her- rade, l'abbesse de Sainte-Odile, rassemblant dans son Jardin de délices, sous l'emblème des plus douces fleurs, tout ce qui peut parler du Sauveur, de sa Mère, de ses Saints et de leurs attributs (2) ; c'est le bénédictin Hermann de Werden , ex- pliquant dans son Jardin de délices de Salo7non, dont il emprunte l'idée à l'illustre abbesse , la morale des Livres sapientiaux (3) ; c'est Philippe le Solitaire , plus connu par son livre que par lui-môme, écrivant son Paradis spirituel et décrivant ses plantes qu'on y admire avec les fruits qu'on y goûte (4), ou bien ce sont des Vergers s'exposent les vertus des herbes , ou les douze rameaux de F arbre de vie , ou les fleurs du paradis, ou le bouquet mystique , et tant d'autres

(1) « Nunc oli'ero primitias l'rugum terrae quam Dominus dédit mihi..., qui tradidit nobis terram lacté et melle maDantera.» Dexiinr., XXVI, 9.) Tous les interprètes voient dans ces paroles une allégorie de la vie future.

(2) Nous connaissons Herrade d'Hohonbourg et sou Orius delicia- rum par ce que nous en avons dit au tome II de cet ouvrage, p. 199.

(3) Cité par dom Pitra, Spicileg. Solesm., IJ, 401.

(4) Philippe le Solitaire, De Paradiso iniellcclualij cl de planlis alque f'ruclibus qux ibi conspiciunlur.

556

HISTOIRE DU SYMBOLISME.

li^Hortus deli- ciarum d'Her - luann de Werden.

pleins d'agréments, en effet, comme ces titres le font sup- poser, et dans lesquels on sent que le rliythme, en dépit des inévitables difficultés de sa marche parfois raboteuse , est souvent aussi plein d'harmonie, et rachète toujours ses im- perfections par la poésie, la pensée et la déhcatesse du trait ; voyez-en une preuve dans cette introduction d'Her mann, que nous ne pouvons nous refuser à citer :

INGIPIT HORTUS DELIGIARUM SALOMONIS :

Auster, adesto calens, Aquilonis ut ira recédât,

Ut possit sterilis hortulus esse virens , lllius ut flores crescant, et aromata stillent ,

Et fructus faciant imbre rigata tuo. Plantavit Salomon hune Horium deliciaruiii,

Delicias capiens deliciosus homo ; « Nulla meis oculis, inquit rex, ipse negavi

» Quse cordi poterant esse décora meo. » Altior hic cedras et virgula balsama stillant;

Hic vitis, pabna, nux et oliva virent. Hic crocus, hic aloë, cinamomum, fistula, nardus,

Flos campi crescit, myrrha, cupressus ibi, Populus etlaurus, ficus et castanea, buxus

Et pirus; et malo punica mala rubenl. Hic rosa purpurea, candentia lilia, parvee

Hic violfB redolent, hyssopus, herbabrevis, Regem quidquid odore, sapore, décore potentem

Delectare potest, hortulus iste parit (1).

(1) «Vent du midi, reviens avec tes chaudes haleines, éloigne de nous les rigueurs de l'Aquilon. Remplace ainsi par la verdure la stéri- lité de mon petit jardin; ramènes-yles fleurs, fais-y couler de nouveau les gouttes de mille parfums, et qu'inondé de ta féconde humidité, il me rende les fruits de chaque année. C'est Salomon qui a fait de toi un Jardin de délices ; il y a trouvé toutes les sciences, homme vraiment délicieux. « Ah ! disait ce prince, je n'ai rien refusé à mes yeux ni à » mes désirs de ce qui pouvait les combler.» En effet, je vois s'éle- ver ici le cèdre majestueux; le baume y distille ses gouttes précieuses; la vigne y reverdit à côté du palmier, et l'olive près de la noix; c'est un mélange de safran et d'aloès, de cinnamome et de nard; la simple fleur des champs s'y trouve avec la myrrhe et le cyprès; croissent ensemble le peuplier et le laurier, la figue et la châtaigne, puis le poi- rier et le buis, avec le grenadier couvert de ses fruits vermeils. Voici la rose purpurine, le lis éclatant de blancheur; ici l'humble violette répand son odeur suave; surgit l'hysope, encore plus humble. Tout

FLUKE MURALE. 557

Est-ce que dix peintres ou sculpteurs de talent ne trou- veraient pas dans ces belles images la matière d'une char- mante ornementation ? N'y admire-t-on pas la lumière et l'ombre, les clairières et les profondeurs, l'air qui se joue à travers ces grands arbres, et ces humbles fleurs des bois et des prairies se balancer mollement aux bords des eaux silen- cieuses du vallon? Tout autre que Salomon se plairait encore dans ce jardin délicieux ; et ne voyez-vous pas que la plu- part de nos cliapitaux du moyen âge ne sont que des cor- beilles où s'est reproduite toute cette merveilleuse végé- tation ? Chez nous, tous les sculpteurs de nos éghses auraient donc pu inscrire aux chapiteaux enrichis par eux, comme au couvent grec d'Iviron : « C'est moi qui les ai fleuris (1). »

Cette antique habitude, partout répandue à cette époque , i^nteg^deTautir! d'emprunter à la botanique un titre pour les œuvres de phi- s'^e, losophie religieuse , devint une source d'allusions dont l'Église dut se servir dans l'expression de ses pensées litur- giques. Ses chants, ses offices retentissent tous les jours de comparaisons aussi justes que poétiques. Rien n'était plus naturel que d'en puiser le sentiment dans les livres bibli- ques, oi!i le pain et la vie prophétisés si longtemps d'avance étaient venus, à la dernière cène du Christ, symboliser, en la consommant, l'union intime et mystérieuse de la nature et de la substance divine avec la nature et la substance de l'humanité. De là, autour de nos tabernacles, sur nos calices <^t, à ce propos, le

bois préférable à

et nos linges d'autel , sont venus se grouper les épis et les la pierre pour les

^ ' or V tabernacles.

gerbes , les pampres et les raisins ; mais de aussi, dans l'admirable office du Saint Sacrement, qui restera le chef- d'œuvre de S. Thomas d'Aquin, l'inimitable séquence,

ce qu'un roi puissant peut souhaiter d'odeurs suaves, de fruits savou- reux et de gracieux au regard, mon petit jardin me le donne. » On voit bien qu'ici le véritable Salomon est Jésus-Christ et que toutes les plantes indiquées par le poète sont autant de symboles de ses vertus, comme il est facile de s'en convaincre en cherchant sur chacune d'elles ce que les symbolistes en ont dit, et nous-mi-me dans ce travail. (1) Voir Didron, An7ial. archéolog., XXI, 273.

558 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

les magnifiques hymnes sont préconisés le Froment des

Élus et le Vin qui protège la pureté des âmes et y fait éclore

la virginité. Tous les chrétiens comprennent cela et l'ont

Le cèdre, sur- mlllc fols admiré. Disons à ce propos que le cèdre est un bois

p7r ' soi ^^ symbo- incorruptiblc et parfumé ; il est préférable pour les taber-

lisme.

nacles de nos autels, qu'on fait trop souvent en pierre au- jourd'hui , sans songer que cette matière , très-symbolique pour les autels, ne l'est pas du tout quant au service qu'on lui demande à l'égard de la Sainte Réserve. On concevrait d'ailleurs combien un bois résineux, que n'attaquent ni les vers ni l'humidité, est préférable pour un tel emploi, quand bien môme la pierre n'y serait pas dangereuse par l'attrac- tion qu'elle a pour l'hydrogène, qui est le principe humide de l'air. Mais la meilleure raison que nous puissions donner ici, c'est que le cèdre est dans les Saintes Écritures l'image de Notre-Seigneur par l'élévation et la majesté de son port , celle de l'Église , dont la puissance spirituelle correspond bien, dans les spacieuses proportions qui embrassent toute la terre, à l'étendue de ces verts et larges rameaux. Les Justes, comparés aux oiseaux du Giel, se reposent sur ses branches ; autour de lui les peuples se multiplient comme ses fortes et vastes racines {]). .Pourquoi l'hy- Alusl Ic Gliristianisme a eu le secret de tout sanctifier en dans les aspe^r- duimant tout. Scs cérémoiiies les plus populaires, comme les plus intimes profondeurs de ses Sacrements, offrent à nos méditations des sujets aussi riants qu'instructifs. Chaque dimanche il répand sur les fidèles , comme préparation au Saint Sacrifice, l'eau purifiante nos pères avaient cou- tume de tremper l'hysope , plante modeste , dont la vertu purgative, aussi bien que la vie cachée, symbolise la péni- tence et l'humilité qui nous élèvent jusqu'à Dieu en nous

(1) « Gedrus , Christus : Sicut Cedrus exaltata sum in Libano. » {Eccles., xxiY, 17.) «Cedri Libaniquas plantasti : illic passeres nidi- ficabunt. » (Ps., cm, 18.) «Celsitudo cœlestis gloriee : Justus sicut cedrus Libani multiplicabitur. » {Ps., xci, 13.)

FLORE MURALE. ^Jo'è

purifiant. L'usage de cette plaute n'a pas été entièrement abandonnée, et elle sert encore à l'aspersion des murs d'une église nouvelle, quand l'évèque procède aux cérémonies de sa consécration. Durant de Mende l'indique ainsi dans son Rational du treizième siècle, avec les mêmes attributs sym- boliques indiqués avant lui par toutes les traditions , car c'était déjà sous l'ancienne Loi la pensée du Prophète répétée dans le chant liturgique nous comprenons, avec le sou- venir de l'hysope , que c'est Dieu qui nous purifie, et que par ce renouvellement qu'il opère en nous l'âme devient blanche comme la neige , nonobstant toutes les souillures antérieures (^l). Les sacrements n'ont de vertu qu'en Jésus-Christ, leur La flore mysti-

Quo (les SACr6~

auguste auteur ; et quand ils opèrent dans nos âmes , c'est menta.

par sa grâce, par son assistance invisible, mais sûre, autant

que nous y apportons les dispositions qui les fécondent. Les

signes sensibles, les éléments qui constituent ces sacrements

et en manifestent extérieurement l'efficacité invisible, ont

donc tous un sens mystérieux tiré des vertus et qualités de

la matière choisie par l'Église. L'olivier, qui dans nosÉcri- L'oiivier et le

,,..,„,., . , , baume du Bap -

tures désignait le Lhrist a venir comme devant porter des tême, de lacon-

firmation, de l'Ex-

iruits pleins de saveur, comme un arbre lertile, dont le nom trême^^onction et est plein d'une onction sacrée, rappelle en effet que ce nom du Sauveur, au dire des Saints , est comme une huile qui coule dans le cœur religieux avec toute la douceur qui for- tifie , qui guérit et qui console. Cette huile que le Sauveur, sous les traits du bon Samaritain , versait lui-môme sur les plaies du pauvre blessé de Jéricho , devait trouver sa place dans ces applications divines de l'infinie miséricorde aux besoins du pécheur (2) ; aussi est-elle devenue, dès les pre-

(1) « Asperges me hyssopo, et mundabor; lavabis me, et super nivera (Jealbabor. » (Ps., l, 9.) Voir Pontifie. Roman., p. 300, in-S»; Du- rant. Mim. Rationale div. Offic; mihi, f^xvi, v»».

(2) « Ego autem sicut oliva fructifera.» [Ps., li, 10.) « Sicut oliva speciosa, frucUfera, vocavit Dominas nomen tuum. » {Jerem., xi, IG.)

de l'Ordre.

560 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

miers jours , le plus actif symbole de la réconciliation hu- maine, de sa force pour bien mourir, de sa guérison même, si cette guérison doit servir à la gloire de Dieu. Cette doctrine de S. Jacques, dans laquelle la tradition perpétuelle nous a appris l'institution de l'Extrême-Onction et ses effets dans l'âme du mourant , établit l'efflcacité de l'huile tirée de l'olivC;, qui est la matière nécessaire et unique du sacre- ment (t).

Cette huile est d'abord exorcisée par l'évêque, qui supplie la toute-puissance divine de préparer dignementpar FEsprit- Saint cette liqueur onctueuse tirée de l'olive, par cette même puissance qui en a fécondé les rameaux. Et comme cette huile va bientôt devenir aussi l'un des éléments du Chrême, qui consacrera les baptisés et les rois par une sorte de sacerdoce, aussi bien que les prêtres par un caractère spé- cial et plus élevé qui leur conférera les pouvoirs de Jésus- Christ et le plein exercice de sa puissance sur les âmes, l'of- ficiant fait mention de toutes ces grandes choses dans Foraison qui bénit cette huile mystérieuse (2). Après un magnifique chant préparatoire le clergé exalte Farbre béni et lumineux qui nous a donné une si précieuse sub- stance , il offre au pontife, et au nom de la foule pieuse qui Fentoure, cette huile sacrée, comme autrefois le peuple hébreux jetait sur les pieds du Sauveur triomphant les palmes vertes qu'il venait de cueillir en son honneur, Févêque mêle à cette huile limpide une portion de baume,

« Samaritanus... alligavit vulnera ejus, infundens oleum et vinum. » {Luc, X, 34.) « Oleum effiisum nomen tuum. « {Canl., i, 1.)

(1) « Infirmatur quis in vobis..., inducat presbyteros..., et orent super eum, ungentes eum oleo..., etoratio fidei salvabit infirmum ; et alle- viabit eum Dominus, et si in peccatis sit, remittentur ei. » {Jac, y, 14.)

(2) « Emitte Spiritum Sanctum tuum de cœlis in hanc pinguedi- nem olivae, quam de viridi ligno producere dignatus es..., ut sit omni hoc unguento cœlestis mediciuee peruncto tutamen mentis et cor- poris..., unde unxisti sacerdotes, reges, prophetas et martyres, sit chrisma tuum perfectum, Domine, nobis a Te benedictum...» {Pontifie. Roman... De Ofâcio in feria v majoris hebdom.)

FLORE MURALE. 56^

autre produit d'un arbre biblique empreint d'un parfum suave et doux. C'est ce mélange qui constitue le Chrême employé dans le Baptême, dans la Confirmation et dans l'or- dination des pontifes et des prêtres. Toutes sortes d'allusions aussi justes qu'agréables ressortent ici de la parole sacer- dotale. Cet arbre précieux, dont l'écorce a laissé échapper la riche récolte de ce baume qui ornait autrefois les vignes d'Engaddiy est un heureux contraste avec cet arbre devenu pour nos premiers pères un sujet de désobéissance et un instrument de mort : l'un avait causé notre perte , l'autre nous rend le salut. Ce beau sujet d'action de grâces se dé- veloppe aussitôt dans une admirable préface que chaule l'évêquc consécrateur, il fait ressortir toutes les circon- stances de l'ancienne Loi qui semblaient prédire au peuple nouveau le saint usage de tant de plantes merveilleuses adopté par l'Église pour régénérer ou sanctifier ses enfants. N'est-ce pas cette huile que David annonçait comme un par- fum de joie destiné à remplacer nos tristesses par une douce sérénité? la branche d'olivier rapportée par la colombe du déluge , une de ces herbes indiquées par Dieu à Moïse , et dont Aaron devait composer l'aromate destiné à la consé- cration sacerdotale (I) ? Que de pensées, que d'élévation, et

(1) Cf. Pontif. Roman., ubi suprà. Quant au baume, qui nous im- porte surtout ici, c'est une substance gommeuse et de couleur rou- geâtre qu'on extiait par incision des branches d'un arbrisseau qui se cultive à peu près comme la vigne, ne s'élève guère au-dessus de la taille du grenadier, et vient surtout de l'Arabie, il croit aux environs de La Mecque et de Médine. Fort connu des anciens, il est devenu, dès l'époque des Apôtres, un des ingrédients nécessaires du Saint Chrême, parce que sans doute on y trouva des propriétés qui, par son odeur et sa nature onctueuse, rappelèrent certains passages de l'Ecri- ture où l'on peut voir de justes symboles de ses eCfets sur le corps et sur l'âme. Innocent III (I DecreLaL, tit. xv. De Sacra Unctione, cap. i) dit très-clairement : « Conficitur chrisma, quod ex oleo fit et balsamo, mystica ratioue. Per oleum euim nitor conscienciae designatur, juxta quod legitur : Prudentes virgines acceperunl uleum in vasis cum lampacUhus suis. Per balsamumodor bon.Te famac exprimitur, propter quod dicitur : SicaU balsamwu aromalicani oclorem cledi.»— S.Mé- T. ni. 30

562 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

quelle source inépuisable de spiritualisme et de science divine ! Divers symboles Le palmier est un des plus beaux arbres de l'Orient. Son

tires du palmier; ^ ^

et de la procès- trouc droit ct réffulier, srarni de son écorce rugueuse, a paru

sion des Rameaux. o o •^ ±

à s. Grégoire le Grand une image de la Croix, dont les appa- rences sont rudes et ardues , mais dont les fruits, comme ceux de l'arbre de l'Idumée, sont doux et savoureux à qui sait les goûter. Est-ce dans cette prévision que Salomon avait orné le temple de colonnes en forme de palmiers , comme semble le croire Pierre de Gapoue et Raban-Maur? Quoi qu'il en soit, l'Écriture le signale mille fois comme un symbole de victoire , de triomphe , d'immortalité , comme l'image fidèle de l'homme juste orné de ses vertus, des dis- ciples fidèles du Christ, de l'Église même dont les jours, au dire de Job , seront multipUés comme les innombrables rameaux de cet arbre aux ombrages touffus, aux fruits excellents. Dans l'Apocalypse, l'Apôtre nous montre les Élus vêtus de robes blanches et portant dans leurs mains les palmes, qui sont restées l'attribut particulier du martyre. La marche triomphale du Sauveur lors de son entrée à Jéru- salem fut honorée par les branches de palmier et d'olivier répandues sur son passage. L'Église a conservé la mémoire de cette manifestation qu'elle renouvelle chaque année au di- manche des Rameaux. Les beaux vers de Théodulfe rendent bien fenthousiasme de ce triomphe, aussi bien que le chant de l'Évangile, il est raconté avec une simplicité si tou- chante. Durant voit encore dans la dernière partie du rite observé au dimanche//e5 Palmes, quand les portes de féglise s'ouvrent enfin après la troisième injonction de l'officiant , une image de l'entrée victorieuse de Jésus dans le Ciel au

-^

liton a oublié dans sa (J/e/" le baume, dont il ne parle pas, quoiqu'il se trouve deux fois indiqué dans l'Ecclésiastique comme symbole des vertus, et de bonne renommée à laquelle nous le voyons appliqué par Innocent III. —Cf., sur le baume, Vitasse, Tract, de confirmaiione, quaest. ii, art. 3, § 11; dom Calmet, Dici. de la Bible.

FLORE MURALE. 563

jour de son ascension, lorsque les Anges, comme ici-bas les enfants munis de leurs palmes vertes, le reçurent dans le Ciel au chant de leurs cantiques et de leurs joyeuses accla- mations (I). Ajoutons ici une observation qui nous est personnelle. La Représentation

*' ^ *■ artistique de cet

plupart de nos cbapiteaux du treizième siècle sont ornés arbre dans les

^ colonnes et leurs

d'une belle chevelure de feuilles recourbées retombant chapiteaux. gracieusement autour de leur charmante corbeille , super- posée elle-même à une colonne svelte et légère qui rappelle très-bien celles de Salomon. Une telle décoration ne manque pas plus de sens que beaucoup d'autres aussi peu symbo- liques en apparence. Si la palme, comme nous venons de le voir, est un symbole de gloire et un hommage au Dieu fait homme, convient-elle mieux que plantée autour de l'au- tel où ce môme Dieu résida pour nous dans ses glorieuses humiliations de l'Eucharistie ? Il y a plus : nous la voyons, au chevet de la cathédrale de Poitiers, couronnant cette même colonne , que soutient avec effort un de ces trois démon* adjoints à la pierre [juncti peirx), et dont la rage semble se déverser sur les passants par des grimaces forcenées. C'est encore le triomphe de la force divine dominant le tentateur et l'obligeant de se courber éternellement sous le poids immense de sa majesté et de sa gloire. C'est ainsi que l'ar- chitecture et l'ornementation reçoivent en même temps les inspirations de l'esthétique et de la liturgie. Obligé de nous borner, dans l'exposé de ce qui regarde ce signification mo-

^ 7 I -1 o j,^jg ^gg plantes

sujet, à ses éléments principaux et de hâter la lin de ce cha- d'ornementation. pitre, nous aurons suffi à donner une idée complète de cette importante portion de la science symbohstique, si nous grou- pons ici, en finissant , et comme en un bouquet terminal ,

(1) « Crux Christi, quae rigida quiJem et bispida, videtur ïn osten- sione corticis, sed dulcissiinos fructus liabet iu exhibitione salutis ; unde Spiritus in cantico dicil : «Ascendam in palmam, et appreben- dam fructus ejus. » Ce texte est de S. Grégoire, cité dansle^ptci/^^gr. Solesm., II, 376 et suiv.— Le consulter pour toutes nos assertions de ce passage sur le palmier.

564 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

l'heureux assemblage des plantes destinées à répandre leurs moralités mystiques sur les monuments qu'elles doivent embellir. Nous choisirions de préférence pour les grandes églises celles qui, par leur ampleur naturelle, contribuent mieux à faire des colonnes, isolées ou engagées, comme des arbres dont la tête majestueuse avec sa chevelure ciselée semble se balancer au-dessus des nefs. Le figuier de la Pa- lestine, aux fruits savoureux , si souvent mentionnés dans l'Écriture ; le palmier, avec ses idées de fécondité et d'hon- neur ; la vigne , image de Jésus-Christ et de nous-mêmes , ses branches fidèles, vivant de Lui; le chêne aux rameaux épais, au tronc vigoureux, à la vie longue et incorruptible ; le peuplier et ses variétés si nombreuses, rappellent les eaux de la grâce et le bonheur de l'homme qui s'y abreuve ; et le lierre aussi , que les anciens cultivaient sous la forme d'un arbre véritable, et qui, paré de sa verdure éternelle et de ses mordantes attaches, ne se fait pas moins, en embrassant les élégants contours de nos piliers , le riant symbole de notre immortalité que la fidèle expression d'une charité impéris- sable. Comment la Gcs cliarmaiites expressions de tant de pensées reli-

sculpture moder- . , di ^ *x x

ne doit traiter ces gicuscs pcuvcut bcaucoup gagucr aujourd hui a être trai- deïoinîrde peT- técs par k malu de nos sculpteurs modernes. Ceux du fection que ja- j^^^gj^ ^gg ^ g^j^ ^^j. inhabileté à rendre une parfaite res- semblance de la flore usuelle, soit parce qu'ils la sculptaient souvent ou de mémoire ou sur de mauvais modèles, n'arri- vaient , à travers des tâtonnements , qu'à produire souvent de très-mauvaises copies de la nature. Il faut donc juger maintes fois beaucoup plus l'intention de l'artiste que son faire et deviner plutôt que reconnaître l'objet qu'il a voulu représenter. Nous sommes loin de ces essais. L'habi- tude d'un travail bien dirigé, exécuté par des ouvriers spé- ciaux qui excellent du moins à reproduire de beaux des- sins, sinon, hélas ! à les comprendre, sont autant de condi- tions favorables à une louable ornementation de nos églises

FLORE MURALE. ^65

nouvelles. Nous adniirous ces belles foliations, ces fouillures ^^''^ s'écarter né-

' anmoms du sym-

exquises, ces délicatesses ciselées, qui de toutes parts , en boiisme insépara-

* '1 ï^ ' ble de l'architec-

notre temps, concourent à rembellissenient de ces beaux *""•« religieuse,

édilices; nous n'en repi'ocherons pas moins aux arcliitectes

de négliger trop, en cela comme dans les grandes études

arcbitecturales, l'estbétique et le surnaturalisme, qu'ils ne

sentent jamais assez. Pourquoi, quand ils s'obstinent à faire m confondre les

fiji .. T i-n époques indiquées

au leur clans la construction proprement dite, au lieu d en par remploi de

.T l'.-ix 11 1.1 1 tels OU tels motifs

•emprunter les détails a ces grands hommes dont les plans de la flore muraie. immortels subsistent encore dans les magnifiques monu- ments de nos siècles hiératiques, s'adonnent-ils, pour les plantes d'ornement, à une minutieuse et intelligente repro- duction des feuilles grasses, qui ne disent rien à l'œil ni à l'esprit, ou de cette végétation sans éloquence qui consiste en quelques feuilles recourbées , toujours les mômes , tou- jours muettes, et dont on prodigue l'uniforme élégance sur tous les chapiteaux de deux ou trois nefs? Ce n'est pas de la vie et du spiritualisme ; c'est un effet qui , au pre- mier aspect , charme l'œil et atteste un habile ouvrier ; mais au fond tout est vide, en ce chef-d'œuvre d'adresse , d'inspiration chrétienne et du sentiment qui devait s'y attacher. Ici, cependant, le caprice ne vaudrait pas mieux qu'ail- choix despian-

^ tes , et leurs pro-

leurs , et il ne faudrait pas prendre au hasard des plantes portions à garder

selon lo plus ou

quelconques pour en faire des motifs de décoration arbi- moins d'étendue

T 1 1 T 1 1 *^®^ édifices ,

traire également applicables aux édifices de tous les styles. Comme chaque siècle a eu son genre de construction , il a aussi adopté un genre à part de parure iconographique , et telles plantes qui figurent aux douzième et treizième siècles sont remplacées pour les suivants par une tout autre végé- tation. Le treizième, par exemple, qui abandonne les sujets historiques, dont les précédents se sont fait une si riche sculpture, adopte le chêne avec ses glands , affectionne les arbres aux vastes branches , et les varie par d'élégants crochets, qui ne sont pas tant des symboles botaniques en

566 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

réalité que des espèces de draperies jetées avec d'élégants boutons sur la corbeille de ses magnifiques chapiteaux. Mais de nous nous acheminons à des modèles nouveaux qui nous apparaissent d'une époque à l'autre avec des formes tout inattendues , et qui , sans augmenter de beaucoup le champ de nos ressources esthétiques , nous donnent au moins quelques parures déplus. Tels sont le lierre avec ses baies qui couronne nos piliers du quatorzième, le houx qui revient souvent au quinzième , avec les choux frisés ; les* guirlandes , enfin, qui à la même époque courent dans les gorges et semblent le résultat de difficultés vaincues par la profondeur des fouilles et la délicatesse des détails. Ces har- diesses amenèrent, il est vrai , une ère nouvelle pour l'or- nementation ciselée. Elles arrivèrent jusqu'au seizième siècle, en perdant de plus en plus les traces naguère si res- pectées du symbohsme, et ces plantes inouïes, ces fieurs traitées à la façon de Mignard , loin de parler à l'esprit , ne s'adressèrent plus qu'aux yeux , et finirent par n'être plus que de jolis riens. et le lieu qu'elles Au rcstc, CCS graudcs compositlous que nous empruntions tout à l'heure aux ombrages de nos forêts, aux bords de nos rivières ou aux champs et aux vallées historiques de l'an- cien monde, conviennent surtout à couronner de hautes colonnes supportant les voûtes basilicales, et dont l'excessive élévation appelle de vastes branchages qui restent dans les proportions de leur nature. Nous préférerions les fleurs et les fruits pour les édifices moins vastes, l'œil peut avoir partout sa portée habituelle et bien distinguer le langage de leur luxe charmant et varié. Pourquoi la rose de Saron et de Jéricho, blanche pour les vierges, rouge pour les mar- tyrs , irait-elle se cacher , avec le joli dessin de ses feuilles dentelées, aux angles obscurs d'une travée inabordable, ou même au-dessous d'un tailloir inaccessible à l'attention ? Ces humbles et odorantes violettes qui se glissent dans la solitude, mais doivent y apparaître pour y devenir l'encou-

y doivent occuper.

FLORE MURALE. 567

rarement des âmes justes à la pratique du bien désintéressé autant qu'édifiant , pourquoi les attacher à ces fûts élancés qui llanquent les plus hautes fenêtres, le rayon visuel n'arrivera jamais à leur diamètre borné ? Ainsi , propor- tionnez par sa position chaque symbole de votre flore murale à l'étendue du saint Heu. Réservez pour les petites églises , pour les chapelles le regard se trouve borné malgré lui à des surfaces restreintes , ces roses et ces vio- lettes qui ne représentent pas moins le Christ et sa sainte Mère que la modestie des vierges et l'humble vie des con- fesseurs; jetez sur les murs avoisinant le tribunal de la pénitence et dans la sculpture du confessionnal soit la ronce piquante, soit le chardon aux mille dards, qui symbolisent le repentir avec la mortification qui l'exprime ; parez vos fonts baptismaux du nymphéa des rivières et du trèfle de la Tri- nité, vos chapelles funéraires de lierres et de cyprès; envi- ronnez les instruments de la passion des roseaux qui rap- pellent les humiliations de la royauté divine, ou du myrte qui tempère les douleurs et signifie la compassion (l),et encore de cette couronne d'épines qui fut un des supphces du Sauveur, et dont, au milieu des savantes discussions qui n'ont rien éclairci, on ignore toujours à quel arbre elle fut empruntée (2).

(1) « Rosae martyres, rubore sanguinis. » (S. Meliton.) « Rose martyrum, rosa rirginum. » (Petrus Capuanus.) « Dicitur Christus et flos violae per bumilitatem. Viola enim flos est qui terrœ adhaeret, et purpureus est... Fuit ergo flos violae in passione quando humiliavit semetipsum.... » ( Petr. Capuan.) «Violae, confessores. » (S. Melit.) « Arundo, lucarnatio, vel Scriptura. » (M.) « Spina, aculei timoris vel compunctionis. » {/d.) « Myrtus, quia temperativae virtutis est, eos significat quiafflictionibus proximorum compati sciunt, eorunique tribulalionem compatiendo tempérant. » (S. Greg. Magni Formulx ipiriluales, ap. Spicileg. Solesm., III, 413.)

(2) Les botanistes el les voyageurs ont beaucoup discuté sur l'arbuste qui fournit aux soldats la couronne d épines. Buffon croit que ce fut le r/r/mnj/.$ (nerprun) ; plus récemment on a penché pour le ziziphus; M.Hasselquist déclare que ce fut le nakba (note du vingt et unième vol. des Annales aixliéolog., p. 365). D. Calmet {Uitt. de la Bible) rap-

568 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

Gomme conclusion morale de cet exposé des principes sur la question, n'oublions pas que le caprice qu'on a tant et si mal attesté contre la théorie iconographique de nos maisons de prières ne doit jamais plus entrer dans leur décoration florale qu'il n'y fut admis autrefois. La pensée d'un homme d'autant plus compétent qu'il fut témoin oculaire du moyen âge doit être toujours pratiquée : « On peint des fleurs et des arbres dans les églises avec des fruits pour représenter les fruits des bonnes œuvres , qui poussent par les racines des vertus et s'élèvent sur leurs tiges (1). » Cette théorie Aussi Ic choix u'cst pas douteux quant aux détails de

serait le sujet d'un , i . ,

livre important, ccttc ctflorescence daus nos monuments de pierre consacres à la gloire de Dieu et aux prières de ses adorateurs catho- liques. Un livre, nous le redisons, pourrait s'écrire sur cette matière avec d'immenses développements; mais d'autres livres existent qu'il faudra toujours ouvrir pour en tirer la

porte les différentes opinions qui tiennent pour l'aubépine, le gro- seillier, le jonc marin ou l'acacia; Molanus tient pour le nerprun {7'hamnua) et l'appuie du témoignage du savant voyageur Pierre Belou, qui crut le reconnaître d'autant plus sûrement aux abords de Jérusa- lem, qu'aucun autre genre d'épines n'y croissait. Ce savant homme s'ap- puie aussi de cette raison qu'en Italie le rhamnus porte le nom popu- laire de spina sanla (voir Molanus, De Hist. sacr. imagin., lib. IV, cap. VII). Il y a plus : les Arabes eux-mêmes donnent au rhamnus le nom d'alhansegi, qui correspond à la spina sanla des Italiens. Voilà une foule d'opinions diverses qui embarasseront d'autant plus, jusqu'à ce qu'on arrive à la vérité. Si l'on y parvient, on abandoDuera la plupart de ces données, comme celle qui repose sur la prétendue découverte du triacanthos, auquel des naturalistes expérimentés , comme M. Desmoulins, ne croient plus {Bullel. monum., XI, 352). Il y aurait cependant, croyons-nous, un moyen d'arriver à une solution de ce mystère. Ce serait, puisqu'on possède en divers endroits quel- ques épines de la couronne du Sauveur, de les comparer avec celles des arbustes présumés plus haut, et de reconnaître auquel d'entre eux elles appartiennent : jusque-là on sera parfaitement libre, en peignant ou en sculptant la couronne d'épines, de la représenter, comme jusqu'à présent, sans trop s'arrêter forcément à aucun type particulier. Ce- pendant, pour ce qui est de notre avis particulier, l'opinion de Belon nous paraît mieux fondée, et nous pencherions pour le rhamnus, ou nerprun. (1) Ration, divin. Offic. , lib. I, cap. m, xxi.

FLORE MURALE. 369

botanique sacrée, dont nous ne cessons pas d'avoir besoin, et qu'il faut absolument mieux comprendre qu'on ne l'a fait jus- qu'ici depuis la renaissance arcbéologique à laquelle nous as- sistons. Ces livres, nous ne disons pas qu'ils sont partout avec de si amples caractères et im luxe àlllusfration aussi savant et aussi fécond : du moins partout on en trouve quelques pages isolées , aux traits admirables , aux planches dignes de toute notre application ; mais la perfection, l'abondance, le choix intelligent, vous les trouverez surtout en France , dans les basiliques de Reims, l'honneur de la Champagne, dans celle d'Amiens , la perle de Picardie travaillée avec tant de déli- catesse et de distinction. Si nous parcourons la première Exemple» de avec notre regrettable Didron (^), nous serons avec lui tout Reims ; immen- stupéfaits de ces innombrables arbres, plantes et fleurs distri- botanique sacrée, hués en dehors et au dedans sur les corbeilles des chapiteaux, dans les cadres du grand portail , aux clefs de voûtes, aux gorges des moulures. Le nénuphar, la fougère, le fraisier, la pariétaire et la giroflée sont transportant leurs goûts et leurs habitudes naturelles, et symbolisant l'eau , la terre et l'air qu'ils aiment, et que rappellent avec eux, en présence du Créateur, ces charmants spécimens de sa bonté toute-puis- sante. Le sculpteur parait avoir donné ses soins de préférence aux arbrisseaux, tels que le lierre, le laurier, l'olivier, le houx; le rosier et la vigne vierge, avec ses raisins déliés, s'enlacent, par une exception très-intelligente, aux crochets des chapi- teaux que le treizième siècle mettait en vogue, mais qui par- tout ailleurs sont nus et livrés à eux seuls. Le fruit et la fleur s'étalent aux branches de l'érable et du peuplier , de l'orme et du chêne , du châtaignier et du figuier. Les plus modestes herbes, les fleurs les plus délicates se mêlent aux larges lis du nymphéa , aux roses de l'églantier. Et toute cette végétation si vive et si luxeuse , c'est la campagne de Reims qui la fournit ; elle se balance aux coteaux voisins

(1) Voir Didron, Annal. nvchèoL, XIH, 292.

570 HISTCMRE DU SYMBOLISME.

de la vieille cité gauloise ; on la voit serpenter ou s'élever bien haut sur toutes les voies qui la relient aux cités pro- chaines. Et cependant on n'a pas séparé de cette prédilection patriotique l'idée du symbolisme , partout triomphante à l'époque naissait le magnifique monument. Vous n'y voyez aucune plante qui ne soit mentionnée et symbolisée dans la Clef de Méliton et dans les savants commentaires qu'a réunis à chacun de ses chapitres notre docte et labo- rieux cardinal Pitra.

at de celle d'A- Nous avous aussl parlé de la basilique d'Amiens. Consul- miens, avec les ^ ,, i i »i , n » i ,

vertus figurées par tous, sur sa florc muralc et le rôle qu elle s y est donnée, une

des fleurs , , . , i i i i '

tres-mteressante monographie de deux savants ecclésias- tiques dont le talent de description n'y brille pas moins que la doctrine sacrée. MM. Jourdain et Duval y ont observé et reconnu avec autant de sagacité que de goût l'antagonisme, établi parle sculpteur du treizième siècle, entre les animaux vicieux foulés aux pieds du Sauveur au grand portail de la cathédrale, et les gracieuses vertus qui l'entourent sous les formes charmantes de la vigne, de la rose et du lis, symbo- lisant la grâce , la vérité et le bien. Ce ne sont donc pas de simples ornements ni une parure de plus ou moins de valeur sensible. Ces branches, ces fleurs, ces fruits soit jetés sur les murs, soit plantés en des vases qui rendent plus sen- sible encore le svelte élancement de leur tige, sont évidem- ment un contraste tropologique imposé par le mysticisme chrétien. Si l'on rapproche ces aimables inventions de l'art, comme l'ont fait les théologiens que nous suivons ici , d'un traité spécial de S. Bernard {\), on rencontre et un nouvel exemple de la douceur attrayante de ce Père et une nouvelle preuve de la piété vive et touchante dont nos aïeux savaient user dans ces grands travaux de la pensée esthétique. On reconnaît le grand docteur traitant tour à tour de la fleur

(1) Vitis mystica, seu Tractalus de passione Domini super : « Ego sum vitis vera.» (In 0pp. t. II, éd. Benedict.)

FLORE MURALE. 571

des champs, du lis des vallées , de la rose de la patience et de la charité. C'est toujours la théologie catholique, dont le caractère plein d'aménité s'attache aux murs hénis, et in- troduit dans leur enceinte, est tempérée par les plus consolantes espérances l'austère sévérité d'une doctrine qui ne cède rien aux passions humaines. C'est à x\miens aussi que se trouvent le bon et le mauvais «* «a parabole <iu

^ bon et du mauvais

arbre représentés dans toute leur différence. Le premier , a'ij'f^- avec son feuillage et toutes ses fleurs qui semblent d'un olivier, tient suspendues à ses branches vigoureuses deux lampes prêtes à recevoir l'huile qui doit en découler : c'est la richesse, la prospérité, la gloire , la lumière de l'homme de bien, fidèle à Dieu et à ses devoirs. Quelle différence avec ce tronc desséché , ces branchages dénudés de toute ver- dure que l'arbre opposé nous montre comme autant de signes de sa stérilité malheureuse ! Déjà la cognée entame son tronc amaigri, dernier trait auquel on reconnaît la para- bole évangélique (i) : c'est l'homme inutile, négligeant les talents qu'il a reçus de Dieu, mauvais arbre s'il en fût, coupé par le maître et jeté au feu éternel (2). Ainsi, de toutes parts, à l'aide de cette floraison spirituelle, Ainsi la flore

murale se ratta-

surgissent des motifs inépuisables d ornementation artis- che à tout le sys-

... ^ o tènie d'ornemen-

tique et de dévotes inspirations. Sous toutes les tormes, ra- tation catholique, vissantes partout de leurs ornements natui'els, les herbes les plus tenues, les arbres les plus majestueux , les plus ai- mables fleurs, embelhssent la maison de Dieu , revêtent de leur éclat les autels, les chapelles, les fenestrations par les verrières ; les écussons nobiliaires signalent par elles les vertus antiques des familles ; les arbres généalogiques étalent leurs aUiances, et quelquefois la main d'un artiste , en créant un olivier, a posé sur chacune de ses branches un membre de cette famille auguste, alliée par l'Incarnation

(1) « Jam securis ad radicem posita est» (Mat th., m, 10, Liic.t m, 9.)

(2) Voir BiUlet. Dionuni., XI, i4o ctsuiv., XII, 96, 269 et suIt,

572 HISTOIRE DU SYMBOLISME.

divine au Ciel et à la terre, dominée par l'image du Dieu qui apporta la paix parmi les hommes (^). Rien donc que le génie humain puisse inventer , et qui ne se couronne bien de ces fraîches et immortelles guirlandes. Nous parlerons de Y arbre de Jessé et de celui de la Vierge en leur lieu, que nous allons bientôt aborder. Bornons-nous sur ce sujet si vaste, et que nous n'avons pu qu'ébaucher ici, à ces données générales, si capables pourtant de jeter la lumière sur une foule d'obscurités.

(1) Dans l'église de Touriiebu,près Falaise. Voir Bullet. monwm.^ XIII, 161.

FIN DU TOME III.

OUTRAGES DE M. LE CHANOINR AUBER.

Histoire de la cathédrale de Poitiers.— 2 volumes gros in-8^ ornés de 30 planches. Poitiers , 1848-1849. Couronné par l'In- stitut 15 fr.

Recherches historiques sur l'ancienne seigneurie de la Roclie-sur- Yon, nommée ensuite Bourbon-Vendée, puis Napoléon-Vendée.

Volume in-S°.— Poitiers, 1849 3 fr. 50

Recherches historiques et archéologiques sur Péglise et la paroisse

de Saint-Pierre-des-Églises, près Chauvigny-sur-Vienne. l vo- lume in-8% planche.— Paris, Didron, 1852.— Couronné par l'In- stitut , . . 3 fr. 50

Mélanges d'archéologie, d'histoire et de littérature. 3 volumes in-8o.— Extraits des journaux et recueils scientifiques auxquels Pauteur a coopéré, tels que les Mémoires de plusieurs Sociétés savantes, le Bulletin monumental; celui du Comité des Arts et Monuments; la Revue de Vart chrétien; VArt e7i province, et autres.

Épuisé 30 fr.

Biographie de Jacques de Hillerin, Poitevin ot consoiller-clerc au

Parlement de Paris. In-8°.— Poitiers, 1850 2 fr.

Biographie de j\I. Guerry-Champncuf, avocat au barreau de Poi- tiers.—In-8o.— Poitiers, 185-2 1 fr.

Biographie de Girouard, sculpteur poitevin. In-S». Poitiers, 1641 1 fr. 50

Recherches sur la vie de Simon de Cramaud, Cardinal, Évèque de Poitiers.— 1 volume in-8°. Poitiers, 1841, complétées (en 1857) par une relation de la découverte des restes du Cardinal dans la cathédrale de Poitiers.— In-8o.— Portrait. 4 fr.

Instruction de la Commission archéologique diocésaine établie à l'uitiers, sur la construction, les restnurations, l'entretien et la décoration des églises, adressée par Monseigneur rHvôque, Pré-

574 OUVRAGES

sident, au clergé de son diocèse. l volume in-8*. Poitiers, 1851 3 fr.

Vies des Saints de l'Église de Poitiers, avec des réflexions et des prières à la suite de chaque Vie.— In-8°. Poitiers, 1858 (avec une Table générale analytique et raisonnée, imprimée seulement pour deux cents exemplaires) 2 fr.

Table générale, analytique et raisonnée du Bulletin monumental.

1 volumes in-8°. Paris, Derache et Didron, 1846 et 1861.— Ouvrage couronné par la Société française d'archéologie. 12 fr.

Histoire de S. Martin, abbé de Vertou et de Saint-Jouin-de-Marnes, et de ses fondations en Bretagne, en Vendée et dans les pays adjacents. 1 volume in-8° de vi-'2.23 pages, avec 3 planches.

Poitiers, 1869 3 fr. 50

■— Deuxième édition, in-18 de 300 pages 1 fr. 50

Notice sur un reliquaire de l'époque romane.— In-8% planches. Poitiers, 1845; Amiens, 1860 1 fr.

Notice sur un poignard du xvi^ siècle , et sur la famille de Blac- Wood. Poitiers, in-S°, 1843, avec une planche. . . 1 fr. 50

Comme quoi la fameuse Mélusine n'est autre chose que Geneviève deBrabant. In-8''. Poitiers, 1842 1 fr.

De la Signification du mot huru, et du sens qui lui revient dans les inscriptions votives du Vieux Poitiers, d'Alise et de Nevers.

Poitiers, in-S^, 1859, avec 2 planches 2 fr.

Essai de Critique littéraire, théologi que, politique, historique et

grammaticale sur un volume de 56 pages in-8°, de M. Poupot, pas- teur, ayant pour titre : Lettre à M. l'abbé Auber, en réponse à trois articles sur Calvin insérés dans le Journal de la Vienne, etc.

In-8°.— Poitiers, 1842. .' 1 fr.

Adolphe et Mélanie, ou de la Persévérance après la première com-

munion.-lvolumein-l8.-ParisetPoitiers,1835;2«éd.,l841.1 fr. 50

Les Trois Vocations , lettres dédiées aux mères chrétiennes.

l volume in-12.— Paris, Gaume, 1837 2 fr.

Vingt Examens particuliers sur les principaux exercices de la per- fection chrétienne. 1 volume in-32.— Poitiers, 1837. . 60 c.

Aventures de Télémaque... Édition classique, réimprimée sur les plus correctes qui ont paru jusqu'à ce jour, à l'usage des collèges, séminaires et pensionnats des deux sexes, avec un discours sur l'usage de ce livre dans les classes; des notes sur l'histoire, la mythologie, la géographie comparée; la distinction, en carac- tères italiques, des maximes les plus importantes du texte ; une

Dl<: M. LK CHANOINE AUBER. TiTTi

table des discours, descriptions, narrations et portraits qui peu- vent servir do modèles do compositions françaises, et un résumé, au commencement de chaque livre , des principes moraux qui en découlent. l voîumo in-l-2.— Paris et Lyon, 1838, 1844, et

plusieurs autres éditions . . . . 1 Ir. 50

Consolations du Sanctuaire, ou Méditations avant et après la Com- munion, tirées des offices de l'Église , de l'Écriture sainte et des SS. Pères, pour les prêtres et les fidèles. Dédiées à Monsei- gneur do Beaurogard, évêque d'Orléans.— 2 volumes in-l8.— Paris et Lyon, 1839. . . : 3 fr.

Un Martyr, ou le Saconloce catholique à la Chine, poème en cinq chants, tiré des Annales des Missions étrangères.— 1 volume in-12. Paris et Lyon, 1830 2 fr.

Dissertation sur l'idsr/a. ln-8°.— Poitiers, 1860 1 fr.

Histoire et Théorie du Symbolisme religieux. 4 vol. in-8". . 24 fr.

Étude sur les historiens du Poitou depuis ses origines connues jusqu'au milieu du xixe siècle.— l volume grand in-8°, tiré à 100 exemplaires. >'iort, Clouzot, 1871 10 fr.

TABLE.

TROISIÈME PARTIE. SYMBOLISME ARCHITECTURAL ET DÉCORATIF.

CHAPITRE PREMIER.

Considérations générales sur le symbolisme adapté à rarchitecture chrétienne, et faits historiques qui s'y rattachent.

L'Église devait imprimer aux temples chrétiens un caractère symbolique, 1;— leurs nombreuses figures dans l'Écriture et les Pères, 2.— Les catacombes, premier type symbolique de nos églises, 5, mieux et plus que la basilique civile des Romains, G. Insuffisance du symbolisme de celle-ci, 8 ; comment il fallut le compléter, 9.— Caractères symboliques des églises antérieures au onzième siècle. 11; ces caractères partout et toujours observés, 1-2,— mais plus ou moins riches sous l'influence morale des diverses époques, 13.— Pauvreté du dessin architectural dans la période du quatrième siècle au dixième, li. —Il n'en a pas moins ses motifs symboliques, 16.— La peinture employée alors pour suppléer au travail du ciseau, 17. Ruine des monuments aux huitième et neuvième siècles, 17.— Terreurs historiques de l'an 1000, et de leur prétendue influence sur la renaissance du onzième siècle, 18.— T. III. 37

578 TABLE.

Témoignages, sur ce point, des meilleures autorités contempo- raines, 18. Grand nombre d'églises et de monastères élevés de l'an 950 à l'an mil, 20,— et vers l'an 1000 lui-même, 20. La fin du monde n'est signalée alors que dans un petit nombre de chartes, 21.- Rénovation de l'architecture chrétienne au commencement du onzième siècle, 22; ses causes véritables dans les conquêtes du Christianisme, 23, et les nombreuses translations de reli- ques, 24. Apparition du grand appareil, 25,— et des cryptes de vastes dimensions, 26. Aucuns symboles ne constatent la peur de l'an mil, 26.— Développements du symbolisme dans la sculp- ture au onzième siècle, 27. Influence exercée par la littérature du douzième siècle , 28. Heureuses innovations dans le plan général des églises romanes, 29.— Les nombres symboliques y figurent-i!s? 30. Que doit-on rejeter ou admettre de leur sys- tème d'application? 31. Fécondité de l'iconographie mystique à l'époque de S. Bernard, 33. Ce siècle plus riche en cela que le suivant, 33.— L'art y complète, par toutes ses formes, l'embellis- sement symbolique de l'église, 34, et y rattache tout au principe fondamental de l'Unité divine, 36.— Apparition de l'ogive, à la fois architecturale et symbolique , 36. Rôle gracieux qu'elle donne aux détails architectoniques, 38.— Esthétique de l'architecture qu'elle inspire, 38; son apogée et sa décadence, 39.— Examende quelques opinions sur les prétendues fantaisies de l'art chrétien , 40.— La religion a présider à la décoration de ses temples, aussi bien qu'à leur construction, 41 ;— elle y a tenu dès le commence- ment, 42. Premières traces de ce fait dans l'histoire, 44. —Il se perpétue par les conciles, 45.— Les évêques obligés de surveiller ces travaux, 45.— Prescriptions d'usage sur ce point, 46.— Les monas- tères non moins appliqués à l'art religieux, 46.— Nombreux exem- ples de cette double action du clergé, 48; —son zèle à favoriser les progrès de l'architecture, 51.— Plan symbolique des monastères, 52.— La surveillance des évêques constatée par le deuxième con- cile de Nicée, 53 ; —elle fortifie et perpétue ainsi les traditions, 5'6.

Les Chapitres entrent dans le mouvement artistique, 57.— Preuves de ce qui précède dans les sculptures mêmes de nos églises, 58, dans l'histoire de toutes ces fondations par les con- fréries de maçons, 59; et l'exacte ressemblance de tant de types multipliés à l'infini sans aucunes règles écrites , 60. Comment les miniatures des manuscrits ont pu suppléer aux textes spéciaux pour les arts d'ornementation, 61.— Caprices de l'architecture ci- vile en regard de cette discipline régulière des formes sacrées, 62.

Résumé et résultat logique des considérations précédentes, 64.

\

TABLE. 579

CHAPITRE IL

L'église dans son orientation. Cimetières.

Préliminaires de la construction, 66 ; la croix plantée sur l'em- placement du grand autel, 06.— L'emplacement; la première pieri-e, et ses conditions, G8. Encore l'orientation; son histoire, et ses raisons d'être , 69.— Le Nord et le Sud considérés quant à leur symbolisme, 7-2.— Règle normale de l'orientation d'une église, 73; pourquoi on en trouve dos exceptions en Italie, 73, qui ne sont plus acceptables aujourd'hui, 76. Combien les évoques y ont toujours tenu, 77.— Graves inconvénients de son abandon, 77.

L'orientation ne s'applique pas moins aux cimetières, 78, à l'égard desquels elle fut observée chez les anciens , et que les chrétiens appliquent aux leurs, 78.— Pourquoi nos cimetières avoi- sinent nos églises, 79.— Cercueils de bois et de pierre, 80. Sym- bolisme de leur forme à deux pentes, 80. Cimetières communs des premiers siècles chrétiens, 81 ,— placés sous la protection de S. Pierre ou de S. Michel, 81,— plantés d'arbres symboliques, 82.

Cimetières monastiques, 83. Lanternes des morts, 83.— Réfu- tation des fausses opinions émises à leur sujet, 83,— et leurs rai- sons toutes chrétiennes, 83.— Des symboles divers sculptés sur les tombeaux; l'ascia n'est qu'un signe des populations païennes, 84.

Quels furent, dès le principe, ceux du Christianisme, 85.— Une des significations du poisson, 85.— La résurrection de Lazare aux catacombes, 86.— La croix et ses différentes formes; instruments des diverses professions, 87.— Scènes historiées, 88: autant de symboles des tombeaux , 88. Résultat moral de ces enseigne- ments élevés, 88. La pensée chrétienne de la mort amène l'art jusque dans les cimetières, 89. Les trois morts et les trois vifs de l'église d'Antigny, 90. Variante de cette scène dans la chapelle de Jouhet, 90.— Le dict des Trois morts et des trois vifs, 91 ; autre en Normandie, moins bien traité par la Renaissance, 92. Les danses macabres en général, 92; celle de la Chaise-Dieu en par- ticulier, 93;— ses caractères esthétiques, 93. Autre variante donnée par la Chronique de Nuremberg, 96.— Convenance des mo- numents funéraires dans les églises, 97, mal comprise de l'art moderne, 98. Contraste de ce style païen avec l'importance et l'honneur que l'Église donne à ses cimetières, 99. Belle liturgie de leur bénédiction, 99.

580 TABLE.

CHAPITRE III.

Extérieur de l'église chrétienne.

L'église chrétienne a toutes les marques spéciales d'un édifice consacré à Dieu, 101, par l'élévation du sol qui la supporte, 102, —et sa séparation normale des autres habitations, 103.— Les églises de Saint-Michel bâties de préférence sur des hauteurs, 104. La forme de croix, et ses variétés, 105.— Églises de forme circulaire, 107. Le plan octogone , et sa signification mystique , 108. Le nombre huit est encore appliqué à d'autres monuments, 108.— Églises hexagones, et mysticisme du nombre six, IIO. Fonde- ments, m. Première pierre, 111.— Murailles, 112,— et leur ap- pareil, 113.— Les contreforts, 114.— La nef et sa toiture, 114. Les tours et les clochers, 115.— Le coq, et ses diverses significations, 117.— Formes multipliées des clochers, 119; leur place normale, trop souvent dérangée, 120.— Les cloches, 121.— Symbolisme de leurs moindres parties, 122.— Estime qu'en fait l'Église, 123.— Ver- tus mystérieuses de leurs sons, 123.— Rites de leur baptême, 124.

Symbolisme des sculptures murales, 125. Variétés de leurs innombrables motifs, 126.— Savantes théories de ces belles œuvres, 127; —leur distribution calculée au sud et au nord, 127.— Démo- nologie, 127.— Les vices et les vertus, 128. Le chien dévorant le Pain des Anges, 128.— Le baril du vin eucharistique, 130.— Le porche des églises rurales, et son usage, \:A. Le chou sculpté en acrotère, 131.— Portes de l'édifice, et côté elles s'ouvrent de préférence, 131.- Le parvis , 132,— et notamment celui de Saint- Benoît-sur-Loire, 132.— Sujets variés de ces belles sculptures du douzième siècle, 132. L'image du Sauveur devant la porte d'en- trée, 133.— Parvis des cathédrales et des autres églises majeures, 133;— leur principal emploi symbolisé par les lions, 133.— Action mystique du bœuf et du lion aux façades de quelques églises, 135.

Formule : inler leones, 136.— Image de la résistance aux tenta- tions sous l'emblème du prophète Daniel, 138.— Ce môme sujet reproduit à Ghauvigny, à Tonnerre, 138, et à Amiens, 138,— rap- proché de quelques autres pour confirmer nos déductions icono- graphiques, 139.— Façades des grandes églises et leur décoration grandiose, 139. Le trumeau de la porte médiane; ce qu'il figure, 140.— Voussures sculptées des tympans, 141; —iQMvJugeinent der- nier, 141.— Autres motifs iconographiques partout répétés. 142.™

\

TABLE. 584

Symboles et attributs des douze Apôtres, IW.— S. l'ierre, 143. S. Paul, 144.— S. André, 144.— S. Jacques le Majeur, 145. S. Jean, liô.-S. Thomas, 146.— S. Jacques IcMiutnir, 147.— S. Philippe, 147. S. Barthélémy, 147. - S. Matthieu, 147.— S. Simon, 147.— S. Jude, 148.— S. Matthias, 148. Preuve d'une tradition universelle inspi- rée par les mêmes pensées de toi, 149, et qui était la véritable nationalité du moyen âge, 150.

CHAPITRE IV.

Intérieur de l'église.

Le spiritualisme plus actif dans l'intérieur de l'église qu'au dehors, 151.— Sens multiple de l'église chrétienne, considérée en elle-même, 151.— Symbolisme de la fenêtre orientale; 15-2,- du pavé, orné d'intailles, 152, ou d'ornements privés d'abord de sens symbolique, 152.— Fécondité de ces compositions; elles sont remplacées par les allégories en mosaïques, 153. Pierres tom- bales des douzième et treizième siècles, 155. Labyrinthes , 156;

leurs plans divers, 156; —leur but, 156.— Ils se résument au- jourd'hui dans le Via crucis, 157. Spécimens de pavés du dou- zième siècle, 157, mal suppléés par le marbre, 157.— Les murailles, et leur sens mystique, 158.— Importance des lignes in- diquées par le ciment dans l'appareil, 158.— Signes lapidaires, 159;

leur but mieux connu , 159, et leur emploi généralisé aux divers genres d'architecture, 160.— Les croix de consécration, 160.

Los portes; leur nombre symbolique, 100.— Riche ornemen- tation tirée des faits historiques ou des figures des deux Testa- ments, 161.— Les portes élroiies , 162. Les Cavaliers des façades, 162.— Le symbolisme des nombres a-t-il été appliqué aux mesures du lieu saint? 164; raisons d'en douter, 164.— Autre système plus admissible par rapport à cette observance, 165.— Rapprochement de cette méthode avec ce que les Écritures enseignent de l'arche de Noé, 165; —opinion de S* Isidore de Séville, 166,— de Hugues de Saint-Victor, 167, et de Durant de Monde, 167.— Le crucifiement du Sauveur, symbolisé dans le plan général de l'église, 168.— Dévia- tion de l'axe longitudinal du nord au sud , 170. Certains archi- tectes exagèrent ce principe en Poitou, en Borry et ailleurs, 171.

Fausses conséquences qu'on liront quolquos archéologuos, 172.

382 TABLE.

Arcades murales, 173. ~ Chapelles latérales, 174.— Les bas-côtés, î74.__Le nombre trois symbolisant la Trinité, toujours et partout, 175. __ Preuve de cette prétention dans l'église de la Caillére , en Vendée, 175 Églises à sept et à cinq nefs, 175, quelquefois à deux seulement chez les Dominicains, 176.— Divers systèmes sur le nombre de piliers, 176; leur symbolisme général, 177,— et celui de leurs détails, 177.— Encore les croix de consécration, 178;

celles de la Sainte-Chapelle de Paris et de Saint-Hubert de War- ville, 173.— Voûtes, et leurs détails symboliques, 179.— Diversités de leur ornementation peinte ou sculptée, 180.— Leurs principes élémentaires se perfectionnent au douzième siècle, 180.— Richesse des motifs sculptés qu'y reçoivent les clefs, 181.— Abaissement successif et symbolique de leurs premières travées, 182.— Les mo- dillons plus délicats en se rapprochant du sanctuaire, 183.— Les fenêtres sont les saintes Écritures, 18 'i,— les Docteurs, 184,— les sens de l'homme spirituel, I8i, la charité fraternelle, 184, —et la force de l'Église militante, 185.— Interprétations hasardées de M. Boissérée, 185.— Harmonie de leur demi-jour avec la destination mystique du monument, 186.— Les cryptes, leur origine et leur but, 187; images du Saint Sépulcre, 188, et de la vie contempla- tive, 188.— Crypte modèle de Rolduc, 189.— L'église chrétienne, image symbolique de l'Église universelle, 189.— Traits mystiques de cette ressemblance, 190;— quelle profonde théologie en ressort, 191,— aussi bien que l'influence du clergé, 191.— Théorie sans fon- dement de M. Delécluse sur l'histoire de l'architecture au moyen âge, 191,— dont il attribue les développements à une prétendue émancipation libérale de la liberté humaine, 192, méconnaissant ainsi l'action de l'Église et sa propre force vitale, 192.— L'insuffi- sance des études laïques mène à ces fausses idées sur l'art et les hommes du moyen âge, 193.— Caractère de l'école rationaliste, et de ses efforts à dénaturer l'histoire du catholicisme, 196. —Fausse histoire de la franc-maçonnerie, inventée au profit de ces erreurs, 196, et réfutée par l'histoire même du treizième siècle qu'elle invoque, 198. Impossibilité aux laïques d'avoir, avec leur sym- bolisme incomplet, créé les beaux monuments de cette époque, 199.— Explication mystique par S. Nil da l'intérieur d'une église, 203.

TABLE. 583

CHAPITRE V.

Ameublement de l'église.

Sièges primitifs du clorgé , ^Oi.— Places distinctes des hommes et dos femmes, 20'i.— Chapelle de la Sainte-Vierge dans l'absidiole du nord, 204.— Une chapelle de Saint-Joseph très-convenable dans celle du sud, 205. Premières sacristies, 207.— La sacristie trans- férée au sud de Féglise, 208. Merveilleux aspect de cette pers- pective, 208.— Bénitiers et eau bénite, 209.— Le tronc des aumônes, 210.— Fonts baptismaux, 212. Confessionnaux, et leur histoire, 212.— Comment en faire de convenables quant au symbolisme? 213. La chaire; sa place normale, 215. Inconvenance des chaires en pierre, 217. Le banc d'oeuvre, 217.— L'ambon ou jubé, 217. Jubés symboliques de Ravenne , 218;— celui de Saint- Étienne-du-Mont, à Paris, 219.— Souvenirs symboliques qui s'y rat- tachent, 219.— Le transsept, 220.— Le chœur, 220.— Les stalles, 220. Arcade triomphale et crucifix, 222.— L'aigle ou lutrin , 223.— Le sanctuaire, 224.— L'autel et ses détails, 225.— Le tabernacle mal à propos isolé du grand autel, 225.— La croix, 228.— Les chandeliers, 229. Reliquaires, 230. Le baldaquin ou ciborium , 1i[ . Siégo, épiscopal, 232.— Piscines, 233.— Crédence, 235.— L'orgue, 236. - Quel est l'esprit de l'Église dans le soin de tout ce qui précède, 237.

CHAPITRE VI.

Décoration artistique de l'église par la sculpture.

Développements de l'art sculptural au onzième siècle, 240.— Son caractère encore rudimentaire,240,— qui a pourtant son sym- bolisme, 240. Progrès merveilleux de cette époque, 241.— Beau prélude de Père ogivale , 211. La sculpture participe de ce pro- grès, 242.— Ce qu'elle prend alors de vie esthétique, 242;— sa su- périorité sur Pantiquité païenne, 243, par la fécondité de ses enseignements, 243.— Distinction entre la statuaire et la sculpture proprement dite, 244.— L'une agit d'après un type convenu et in-

584 TABLE.

variable, 244 ; l'autre suit un plan et une conception prescrits d'avance, mais variables à l'infini, 244.— La sculpture toujours et partout empreinte d'un caractère national, 245. Pauvreté maté- rielle de notre statuaire romano-byzantine, 246.— Bizarre agence- ment du costume et de la draperie,247,— influencés par la manière des Grecs de Gonstantinole,247,— bien plus que par le concile de Francfort , 247. Action des Croisades et des études littéraires et théologiques de cette époque sur l'art monumental, 248.— Le nu, honoré à l'époque païenne, et proscrit par le Christianisme, 250. Différence très-signiflcative dans leur manière de symboliser la chasteté, 250. Pallas et la femme chrétienne, 251. Richesse d'invention de notre iconographie comparée à la froideur res- treinte de l'art païen , 251. Raisons contre l'éclectisme architec- tural et artistique dans la construction des églises et l'exécution de leurs ornements, 252. L'art doit être un et ne le serait pas sans un parfait accord de style entre le monument et son ima- gerie, 253. Les anciens plus sages sur ce point que certains ar- tistes modernes, 254, quoique leurs monuments fussent souvent privés de l'unité qu'on admire dans les nôtres, 254.— Ceux-ci doi- vent surtout être ornés dans le style de leur construction, 255. Les gargouilles, et leur symbolisme, 256.— Étude et intelligence de la petite statuaire des bas-reliefs, 259.— Clefs de voûte, 260.

CHAPITRE VIL (Suite du précédent.)

Autels. Tabernacles. Baptistères. Tombeaux.

Origine de l'autel chrétien, 262.— Nécessité d'y insérer des reli- ques, 262.— On y a même placé des fragments de la sainte Eucha- ristie, 263.— Symbolisme du sépulcre de l'autel, 264.— Autels porta- tifs, 264.— Comment on y supplée quelquefois, 265. Les autels doivent être de pierre, 265. Symbolisme de leur consécration , 267 ; —leur multiplicité, après le cinquième siècle, dans une même église, 268. Symbolisme de leurs parements, 268. Richesse des autels au moyen âge, 269; —leur simplicité plus habituelle, 269. Celui de Mazerolles, en Poitou , 270. De l'emploi du marbre , 271; —peu avantageux à l'effet artistique, 271, mais très-conve- nable aux autels portatifs, 271. Autels en orfèvrerie; insigni- fiance de quelques-uns de notre époque, 272. Inspirations plus

TABLE. 585

heureuses à suivre, •273.— Conditions symboliques , lis. Variété infinie des motifs esthétiques à sculpter ou à peindre sur un autel, 273.— en puiser les bonnes données? 274.— Beaux modèles à choisir dans le moyen âge, 275 ; y appliquer la peinture, 275. Des retables, 276; y bien observer les convenances théologiques, 276.— Observation sur un retable de Jcssé à Notre-Dame de Poi- tiers, 277.— Parements et antipendhim mobiles, 278.— Des taber- nacles; leur histoire, 279.— Comment les conopées leur sont main- tenant défavorables, 280.— Ils doivent se construire d'après l'archi- tecture de l'église et de l'autel, 281. Leurs formes variées : les tours, 281,— suspendues au-dessus de l'autel, 283.— Les colombes en métal , et leur raison t^ymbolique, 284,— qui les ferait très- bien employer aussi comme ciboires, 285,— Formes choisies à donner aux tabernacles, 285. Mauvais goût des cihorium ou bal- daquins actuels, 286.— Déplorable nudité qu'on fait aujourd'hui à nos sanctuaires, 287.— Mauvais système qui les découvre, quand ils devraient être isolés de la foule, 287. Idée et i)lan d'un sanc- tuaire où tout parle au cœur, 288.— Des baptistères, et des plans à y observer, 289.— Histoire des baptistères au moyen âge , 290.— Souvenir de celui de Constantin à Saint-Jean de Latran, 290.— Soins à se donner pour la chapelle des fonts dans les églises de notre temps, 292.— Règles symboliques à y observer , 293.— Importance des Inslruclions de S. Charles sur ce point, 295.— Du tableau à placer sur l'autel de cette chapelle, et des éléments de sa compo- sition, 296.— Types de sculptures symboliques pour les fonts, 298. Les fonts de Sainte-Marie de Liège, 29S. Liberté laissée aux ar- tistes par l'Église sur tous ces points, 299.— Des tombeaux dans les églises, et de l'esprit qu'on devrait y garder, 300.— Les modèles du moyen âge préférables en tous points, 301. Combien il importe de les imiter, 302. Symboles qui peuvent y être appliqués de notre temps, 303. Inscriptions funéraires à restituer aux églises, 303,— pour y remplacer les monuments funèbres et les sépul- tures, 304.

CHAPITRE VllI.

Des modillons.

Etudes déjà anciennes de l'auteur sur ce sujet, 305,— qui a trouvé de nombreux antagonistes, 306,— mais qui n'en peut plus

586 TABLE.

avoir, 306.~ Origine et objet des modilloiis, 307,— connus des Romains et des Juifs, 308, et naturellement adoptés par le Christianisme, 308.— Marche progressive de ce moyen dans l'his- toire de l'art, 309. Elle se développe surtout au douzième siècle, 310, et déchoit au quatorzième avec la simplicité chrétienne, 311.— Le treizième est bien plus théologique, 312.— Exposition géné- rale de la méthode suivie, 313, dans les modillons isolés de tous autres, 313.— Cette méthode puisée dans les Pères, 314 : S. Denys l'Aréopagite, 314, S. Clément d'Alexandrie, 314; S. Théophile d'Antioche, 314; et dans l'Écriture, 315. Variété infinie de ses sujets, 315,— prêchant à toute créature, 316. Explication de S. Grégoire le Grand, 316.— Ce plan général particularisé dans son application à des idées complexes, 317.— Méthode d'études, et dé- couvertes à cet égard, 317.— Combien ces observations sont dignes des hommes sérieux, 319.— Composition de l'auteur en ce sens pour l'église Saint-Jacques de Châtellerault , 319.— Diversités des sujets selon les diverses orientations du monument, 320. Les bons et les mauvais Anges, 320.— Le symbole des Apôtres exécuté en modillons près de leurs statues, 320.— Le style de ces compo- sitions nouvelles à prendre sur celles du moyen âge, 322. Les architectes ne doivent pas s'en dispenser, 323.— Combien ce genre de décoration donne de vie spirituelle à un monument chrétien, 323.— Erreurs de quelques archéologues appréciant certaines dif- ficultés sans le secours de la science, 324. Les modillons s'iden- tifient complètement par leur facture au style de l'édifice et à son âge, 325.— Objections sans valeur opposées à l'esprit général qui a dominé le choix des sujets, 326.— Le baudet d'Argentan, 327.— Le poulet de Saumont, 328.

CHAPITRE IX. Des chapiteaux.

Les chapiteaux distinguent tout d'abord l'architecture païenne de la nôtre, 329. Froideur du chapiteau corinthien, 329.— L'art chrétien le modifie à son avantage, et le fait entrer dans ses plans d'esthétique, 330.— Origine de ce détail d'ornementation, 331. Les poissons observés comme l'un des motifs les plus anciens de notre imagerie, 331, puis les entrelacs et les feuilles grasses, 332.

à

TABLE. 587

La tète humaine mêlée aux feuillages, 33-2.— Les faits bibliques, 333.— Développement des sujets au onzième siècle, 333.— L'his- toire d'Adam à Saint-Benoît-sur-Loire, 333.— La Fuite en Egypte, 33^i. —La main divine, symbole de protection , 334.— Belle et savante esthétique de tout ce morceau, 335.— Scènes des chapiteaux gra- duées dans leur importance en se rapprochant du sanctuaire, 335. —Symboles eucharistiques à Chauvigny, 335.— Daniel et Habacuc, 335. Marie et l'Enfant-Dieu, 336.— La pesée des âmes ; protection contre Satan, 336.— Les sauterelles de l'Apocalypse, 336.— La force contre les tentations, 337.— Les démons forcés de servir à la gloire de Dieu, 337. Étrange aberration de quelques archéologues na- turalistes, 337,— en opposition avec l'histoire de l'architecture et l'active surveillance de l'Église au moyen âge, 331— Belle foliation des chapiteaux , non moins expressive que tout le reste , 339. Symbolisme des arbres et des fleurs dans l'Écriture, 339. Zachée sur le sycomore, 340; signification de l'un et de l'autre, 340.— Transition de ce sujet à la mandragore, 342. Vertus et attributs de cette plante, 342.- Oiseau dans les branches, colombe de la soli- tude, signifiant la vie unitive, 343.— Les entrelacs des chapiteaux, et leurs variétés, 343. Ignorance de certains savants en fait de religion et d'art chrétien , 345. Méthode d'intuition pour ces études, aussi difficiles que sérieuses, 346. L'inspiration esthé- tique variant selon les siècles qu'elle traverse, 346.— Belle période du onzième au quatorzième siècle, 347.— Action des sciences et de la démonologie sur la sculpture de ce temps, 347. Origine des figures bizarres d'hommes et d'animaux répandues dans les nefs de nos églises, 3i8.— La cabale et l'astrologie plus ou moins judi- ciaire y laissent peut-être aussi leur empreinte , 349, et jusqu'à la mythologie païenne qui s'yrattache,350.— Sens véritable, cepen- dant, de sujets moins frivoles que leurs apparences, 351. Com- ment les écoles architecturales du moyen âge enseignaient sans livres techniques, 35-2.- Le livre Des Arts du moine Théophile, 352. Ces ouvrages doctrinaux remplacés par la liturgie et la poésie, 353.— Influence de Dante sur l'ornementation des treizième et qua- torzième siècles, 354.— Lutte énergique du clergé de ce temps contre l'envahissement laïque des francs-maçons, 356.— Pierre de Cugnières et son marmouset, 356.

588 TABLE.

CHAPITRE X.

Démonologie.

Objet (le ce chapitre, 358.— Le démon signalé par les Apôtres sous diverses formes et caractères, 358; grande peur qu'en avaient nos pères, 360.— Figures bibliques dont on lui fait autant de symboles, 361. Son culte dans le paganisme , 362.— Formes symboliques de son iconographie, 363.— Singe et bouc, 363.— Cen- taures et sagittaires, 363.— Renard, 364.— Crapauds ou grenouilles, 364.— La femme aux serpents et aux crapauds, 365. Le serpent- homme du paradis terrestre, 365; son rôle au jugement dernier, 366, au lit des mourants, 366. - Raison des diverses figures dont son corps est quelquefois couvert, 367; de ses trois têtes, en quelques images, comme trinité du mal, 367. Iconographie du démon dans ses formes diverses, 369; —inspirant et vengeant le fratricide d'Abel , 369 , s'opposant à l'entrée de S. Taurin à Évrcux, 369. Labête de l'Apocalypse reproduite avec beaucoup de variantes, 370.— Variété de ses moyens et de ses attaques, 370. Il persuade le mal, 371; il saisit l'àme du moribond, 371^ _ joue de la viole au bal d'Hérodiade, 372.— Les tentations des Saints et celle de S. Antoine en particulier, 372; comment ils y résistent, 373.— Tourments des démons, 374.— Ressem- blances extérieures que l'Ange des ténèbres se donne avec les Anges de lumière, 375.— Le nimbe donné même au mauvais Ange, 376.— Nouvelle revue de quelques-uns de ses types les plus cu- rieux, 376 : - l'arbalétrier, 37G, les consoles, 376.', les gar- gouilles, 377.— Gog etfMagog, 377. - Personnification de l'hérésie et de la luxure, 377. Satan animant les idoles païennes, 377.— Ses caractères zoologiques dépeints par Tertullien , 378 , et par le pape Innocent III , 378. Antagonistes de tous les siècles contre lui, 378; - ce qu'en disent S. Paul, 379, - et Job, 379,- sui- vis par toute l'iconographie chrétienne, 379.— Les reliquaires, les croix, les chandeliers, 380,— les crosses pastorales , 380. Satan toujours visible dans l'art païen, 381,— qui le transmet aux âges modernes, 382. Ressource contre lui dans la liturgie catho- lique, 382.— Histoire et marche séculaire de la liturgie à cet égard, 383, reproduites dans les sculptures de nos églises, 384, et sur la scène des théâtres, 384, —aussi bien que les barbares et les per- sécuteurs, 385. -Exorcismes des vitraux de Bourges, 385.— Couleurs

TABLE. :i89

symboliques données aux diables selon leurs fonctions iconogra- phiques, 386.— Les mêmes couleurs données aux Anges par oppo- sition, 386.— Types officiels de l'enfer et du purgatoire, 387.— Le Purgatoire de S. Patrice, 387.- La gueule du monstre infernal, 388.

Variété artistique des supplices infernaux, 388.— La magie au temps de l'Église primitive, et les exorcismes, 390,— souvent re- présentés dans les églises, 390. —Usage très-fréquent de ces der- niers, 390, variés encore par d'autres moyens liturgiques, 391.— De la magie et de son action contre la société chrétienne, 391,- surtout aux dixième, quinzième et seizième siècles, 393.— Estampe remarquable de cette époque, 394.- Scènes du sabbat avec tous ses horribles épisodes, 395.— Haine du Christianisme, de ses vertus, et des institutions sociales , 39 ^>.— Conséquences morales qui en découlent, et ses rapports avec le symbolisme démonologique, 401,— et avec l'immoralité de notre temps, 402.

CHAPITRE XL Des obscœna.

Jugements erronés sur ce sujet, 404.— La retenue du langage humain proportionnée à la dépravation des mœurs, 405; origine de ce sontiment, 405, modifié nécessairement par quelques besoins de la vie sociale, 407, mais ramené à une plus grande sévérité parla dépression des mœurs, 407. Superstitions impures des fausses religions de l'Orient, contrastant avec la simplicité de quelques peuples primitifs, 407. Idée et usage des peuples de la Palestine sur ce point, 409.— Langage du Prophète conforme à ces usages, 409.— Remarquable réflexion de Voltaire à cet égard, 409.

Cynisme de la littérature et de l'art des anciens, tout inspirés par les passions, 410.— L'habitude familiarisait alors avec les objets d'art, qu'elle rend moins dangereux, 411 , —témoin les peintures des catacombes , 412, et les écrits des Pères de PÉglise, 412.— Mêmes exemples dans la littérature du moyen âge, 414.— Le Can- tique de Frauenlob au treizième siècle, 414.— Les traductions de la Rible du seizième siècle, 415.— Les prônes du dimanche jusqu'au dix-huitième siècle, 416.— C'était Péquivalent du symbolisme des obscœna, 416,— qui devient pour l'art ce que le stylo était à une certaine littérature, 418.— Hs sont un mode d'enseignement, et rien autre chose, 418. Ils appartiennent à la meilleure époque de la littérature sacrée et de l'art religieux, 41S, qui resjiectent

590 TABLE.

et pratiquent le mieux la décence, 419,— et gardent une grande modeiitie jusque dans leurs nudités nécessaires, 419.— L'arbre de la Vierge à Milan, 419. —La Madeleine du Saint Pilon à Saint-Maximin- du-Var, 420.— S" Marie Égyptienne, 420.— Les Vierges-Mères du trei- zième siècle, 420,— et ses autres travaux iconographiques, 421.— Les personnages sans sexe, 421.— Cause tout esthétique des obscœna, trop peu comprise, 422.— La crudité des sujets est une preuve de leur nécessité, 423; elle personnifie les passions et les crimes hon- teux, 423 : -l'adultère à Saint-Benoît-sur-Loire, 423;— la prostituée de l'Apocalypse, 424; les chiens et les impudiques, 424. Style énergique de S. Paul contre les Romains et les Corinthiens, 424.— Leurs crimes renouvelés parles barbares envahisseurs de l'em- pire, et par les Normands, 425. Raisons de quelques modillons spéciaux et d'autres sculptures, 426, à Gourgé, 427,— à Saint- Pompain et ailleurs, 427.— Le zodiaque, 427.— Prétendus obscœna qui n'ont jamais existé, 428. Ces sujets furent-ils jamais des satires contre le clergé? 428; —non, mais des leçons sur ses devoirs, 429, comme la peinture en donnait à tous, 429. Ce qu'en disait Vil- lon, 430,— et même Virgile, 430.— L'enfer des religieuses à Sainte- Marie-des-Chases, 430.— Nudité des âmes, 431.- Symbolisme du voile religieux, 431.— Ces caractères s'effacent devant la prétendue Renaissance, 432,— et sont remplacés par l'esprit du paganisme, de la mondanité et du mauvais goût, 432. Le concile de Trente décrète une réformation, 433.— Constitution d'Urbain VIII sur le même sujet, 435. Ces prescriptions ne touchent en rien aux obscœna des églises, 435, qu'elles n'avaient aucun motif de con- damner, 436.— Ils ne seraient pourtant pas de mise aujourd'hui, 436; ce qui n'autorise les architectes ni à les mépriser ni à pri- ver nos monuments religieux de corbelets symboliques, 437.— Ré- sumé de tout ce chapitre, 437, qui se conclut en faveur de l'Église, 437.

CHAPITRE XII. Zoologie.

Raison de la zoologie dans le symbolisme chrétien, 439. Les animaux y représentent les vices ou les vertus, 440.— La Bible est encore la source de ces moyens d'exégèse publique, 441,— distri- bués au nord ou au midi des édifices, selon les caractères ou mauvais ou bons, 441.— Le Lévitique avec ses animaux purs ou

TABLE. 594

impurs, 442.— Interprétation des Pères à cet égard, 443.— Distinc- tion que font quelques-uns entre les iêtes et les animaux, 444.— Mauvaises bêtes placées au septentrion, 445.— Certains oiseaux leur sont adjoints dans la môme pensée , 446. - Animaux innocents ou utiles placés au sud, 447. Union de plusieurs types formant des scènes d'ensemble, 448.— Le zodiaque et son histoire, 449. Anti- quité prétendue de celui de Dendérah, 450.— Le zodiaque fait partie du calendrier des anciens, 450. Gomment les chrétiens le leur empruntent dès les premiers siècles, 450. Distinctions morales qu'ils en firent, 451.— Il leur rappelle l'action divine sur les biens de la terre, 451, et la loi du travail imposée à l'homme , 452. Convenance d'un tel symbole, 453. —La partie morale du zodiaque inconnue avant le Christianisme, 454,— qui en fait an moyen d'en- seignement religieux, 455.— Kaisons de certaines interversions dans le placement des signes sur les monuments modernes, 455. —Vers techniques sur la division des signes mensuels, 456 ;— autres sur les occupations qui se rattachent à chacun d'eux, 456, Des- cription de chaque mois, 457 : Janvier : le Verseau, 457 ; Février : les Poissons, 458; Mars : le Bélier et le vigneron, 458; Avril : le Taureau, 458 ; Mai : les Gémeaux, 458 ; Juin : le Cancer y 458 ; Juillet : le Lion et les faucheurs , 458 ; Août : la Vierge et les moissons, 459;— Septembre : la Balance et les vendangeurs, 459 ; Octobre : le Scorpion, les semailles, et les chasses d'hiver, 4G0; Novembre : le Sagitlaire et la glandée, 460;— Décembre : le Capri- corne et la salaison des viandes, 461.— Caractères symboliques de chaque signe en particulier, 461 : symbolisme du Bélier, 462,— du Taureau, 462, des Gémeaux, 462, du Cancer, 462, du Lion, 463 , de la Vierge, 463, de la Balance, 463, du Scorpion, 463 , du Sagittaire, 464, et du Capricorne, 464. Origine des bêtes hy- brides, 464.— Les Prophètes et l'Évangile fournissent des types aux catacombes, 466, aussi bien que la mythologie, 469.— Les Pères y trouvent un moyen d'enseignement religieux, 469.— Ils acceptent les notions d'histoire naturelle reçues par les écrivains de renom, pour en faire une suite d'autant plus fertile de symboles, 470,— suivant en cela l'exemple des poètes païens, 470.— Les écrivains du moyen âge les ont suivis eux-mêmes, 472.— Certaines opinions sur la zoologie pouvaient être plus fondées qu'on ne le croit, 472. Albert le Grand n'admet pas toutes les opinions de Vincent de Beauvais, 473.— Origine du bestiaire, et autenrs qui se sont donnés à la zoologie mystique, m.— Physiologue de Théobald, 475.— Incer- titudes biographiques sur cet auteur, 475. - Opinion qu'on peut

592 TABLE.

s'en former, 477.— But de son livre, 477; sa matière et sa forme, 478; son histoire, 479. II traite tour à tour du lion, 481, de l'aigle, 483, du serpent , 485, de la Fourmi, 489,— du renard, 491, du cerf, 493, de l'araignée, 497, de la baleine, 499, de la sirène, 601,— de l'éléphant, S03,— de la tourterelle , 505,— de la panthère, 507. Observations sur le Physlologue et la traduction précédente, 510.— De ce livre même on peut conclure que l'auteur ne s'abusait pas plus que les autres physiologues sur la valeur de ses opinions zoologiques, ^[Q.— U opposition symbolique n'existe pas moins sur ce point que sur tous les autres de notre théorie générale, 511.— Utilité d'un dictionnaire symbolique d'histoire na- turelle, 511; —abondance de ses matériaux 511.— Ce genre de beautés manifesté surtout dans les psaumes viii et gxlviii, 512. Conclusion de ce chapitre dans une leçon donnée par S. Pierre aux hommes que leurs passions grossières assimilent aux animaux, 513.

CHAPITRE XIII. Flore murale.

Harmonie de la végétation et du cœur de l'homme, 515.— Beauté de rÉden, 515, et sa déchéance, 517. Le symbolisme biblique des arbres et des fleurs, 518. L'arbre de Nabuchodonosor, 518.

Les Apôtres et les Pères s'en emparent, 520. Mystères des catacombes en ce genre, 521.— Les fleurs, symbole des vierges, 521. Plantes des cimetières romains, 522. Ornements des églises, 522.— Le trèfle dans les tombeaux, 523.— Les plantes décoratives empruntées à Part antique par les chrétiens, 524.

La botanique murale , traitée d'abord sans succès artistique dans les églises , 524 ; elle se développe au onzième siècle , 525 , et devient meilleure dans sa seconde moitié, 526. Plantes aquatiques, en plus grand nombre sur les monuments élevés au bord 'des rivières, 526. Le nénuphar, les roseaux, le platane, 526. Richesse en ce point des édifices monastiques et des cathédrales, 527.— La théologie morale s'en empare, 527. Er- reurs scientifiques de certains botanistes anciens, 528.— Origine orientale de plusieurs, 528. Le hom, arbre de vie des Orientaux, naturalisé dans la flore chrétienne, 528, comme un symbole de la Croix, 529.— Spécimens variés de ce symbole, 530. Iconographie des arbres, souvent restreinte à quelqu'une de leurs parties, 532,

Réfutations du système de M. Woillez sur les aroïdes, 532, —con-

TABLE. oî)3

fondues avoc la vigne et ses raisins, 535. Cette erreur rélutéepar les seules irrégularités de certains spécimens botaniques, 536. Raisons de ces infidélités artistiques, 537.— Exactitude plus remar- quable au treizième siècle qu'aux siècles précédents , 537, qui cependant laissent peu d'incertitude sur la nature des plantes sculptées, 538, -— aussi bien ([ue dans beaucoup d'objets plus an- ciens, 538;— d'où l'on doit conclure que M. AVoillez s'est égaré dans une théorie inadmissible, 539, condamnée jusque dans les catacombes, 539. Le lis et son symbolisme, 540, dans l'antiquité chrétienne et au moyen âge, 541.— C'est tour à tour Jésus, Marie, et l'Église, 541. Les fleurs en général, 5 i2.— L'hymne de S" Flo- rence, 542.— Le lis est encore la virginité chrétienne, 543,— l'at- tribut de S. Joseph, 543, et celui des Justes, 544, et de la puis- sance royale en France, 545.— Origine de ce symbole ainsi ap- pliqué, 545. Opinions diverses à ce sujet, 545.— Le lis confondu par Jacques Ghifflet avec les abeilles que portait Childéric au cin- quième siècle , 547. Les lis du tombeau de Frédégonde au sixième siècle, 548, du sceptre de Dagobert au sixième, 548, et de Charles le Chauve au neuvième, 549.— Lis des rois de la troi- sième race, 549.— Ils deviennent l'écusson de France, 549,— et de beaucoup de familles, 550,— et passent enfin dans l'ornementation des meubles et des maisons, 551, et jusque dans celle des objets sacrés, 551; raison de ce dernier emploi, 551. Les types de la fleur de lis divers avec les époques, et propres à faire distinguer celles-ci dans les monuments, 551.— Les artistes, pour les repro- duire, doivent donc se reporter aux temps dont ils imitent les tra- ditions, 552. Grossières persécutions révolutionnaires contre cet insigne d'une ancienne royauté, 553,— et leurs suites funestes à la science historique, 553.— Symbolisme de la flore mythologique, 553.— Comment le Christianisme dut s'en emparer, 554. Ses organes au moyen âge, 555. LHortiis deliciarum d'Hermann de NVerden, 556. Les fleurs et les plantes de la liturgie, 557, et, à ce propos, le bois préférable à la pierre pour les tabernacles, 557. Le cèdre, surtout, lui convient par son symbolisme, 558.— Pourquoi l'hysope employé dans les aspersions? 558. La flore mystique des sacrements, 559.— L'olivier et le baume du Baptême, de la Con- firmation, de l'Extrême-Onction et de l'Ordre, 559. Divers sym- boles tirés du palmier; et de la procession des hameaux, 562. Représentation artistique de cet arbre dans les colonnes et leurs chapit(!aux, 563.— Signification morale des plantes d'ornementa- tion, 563.— Comment la sculpture moderne doit traiter ces objets avec plus de soin et de perfection que jamais, 564, sans s'écarter T. III. :i8

59 i TABLE.

uc-aiimoins du symbolisme inséparable do raicliitecture religieuse, o65,— ni confondre les époques indiquées par l'emploi de tels ou tels motifs de la flore murale, 565. Choix des plantes, et leurs proportions à garder selon le pinson moins d'étendue des édifices, §65, et le lieu qu'elles y doivent occuper, 566.— Cette théorie serait le sujet d'un livre important, 568.— Exemples de la basilique de Reims, 569; immenses variétés de sa botanique sacrée, 569, et de celle d'Amiens, avec les vertus figurées par des fleurs, 570, et sa parabole du bon et du mauvais arbre, 571.— Ainsi la flore murale se rattache à tout le système d'ornementation catholique, S71.

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