HISTOIRE GENERALE
DES
TRAITÉS DE PAIX
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET,
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HISTOIRE GÉNÉRALE
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TRAITÉS DE PAIX
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QUATRIÈME PÉRIODE
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HISTOIRE DES TRAITES
DEPUIS LE COMMENCEMENT DES GUERRES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE JUSQU'AU TRAITÉ DE PARIS DE 181 K
1791—1815
XI
QUATRIÈME PÉRIODE,
OU
HISTOIRE DES TRAITES
DEPUIS LE COMMENCEMENT DES GUERRES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE JUSQU'AU TRAITÉ DE PARIS DE 181 S.
1791—1815.
CHAPITRE XXXVII (suite).
TBÀITÉS DE PAIX DE TILSITT CONCLUS, LES 7 ET 9 JUILLET 1807, E.MRE LA FnANCE, LA RUSSIE ET LA PRUSSE.
SECTION IV (suite).
SYSTEME CONTINENTAL FRANÇAIS; SYSTÈME BRITANNIQUE 1)E BLOCUS MARITIME, ET AUTRES CONSÉQUENCES IMMÉDIATES DE LA PAIX DE TILSITT.
Polémique semi-offlcielle entre les Cabinets de Londres et de Paris. — Le chevalier de Gentx, le comte d'Hauterive\ — l. Observations sur le rapport du minisire des Relations Extérieures , duc de Bassano , com- muniqué au Sénat, le 10 mars 1812. — II. Observations sur les décrets de Berlin et de Milan et les ordres du conseil britannique à l'occasion des notes du Moniteur ajoutéesà la déclaration du gouvernement anglais du 21 avril, pour servir de suite aux observations sur le rapport du mi-
' Nous avons fait allusion précédemment à une controverse qui avait eu lieu entre ces deux antagonistes. C'est qu'en effet, sous le consuiat, M. d'HAUTERivB avait écrit le livre intitulé: De l'État de la France à la fin de lan VIII, où se trouvait réfuté, mais avec courtoisie, l'ouvrage de M. de Gentz qui fut son premier titre à la célébrité, VEssai sur l'ad- ministration des finances et la richesse nationale de la Grande-Bre- tagne. Napoléon fut si satisfait de la publication de l'État de la France, qu'il 61 remettre, de sa propre cassette, une gratification de vingt-cinq mille francs à l'auteur, que plus tard il nomma conseiller d'État et créa
nislre des Relations Extérieures de France du 10 mars.— § 1". De la prétendue autorité du traité d'Ulrecht dans les questions de Droit ma- ritime.—§ 2. Des motifs et du caractère des ordres du conseil opposés par le gouvernement britannique aux décrets de Berlin et de Milan. — § 3. Des conditions exigées par le gouvernement anglais pour la révoca- tion des ordres du conseil. — § 4 . De la prétendue révocation des décrets de Berlin et de Milan à l'égard des Étals-Unis d'Amérique. — § 5. Des conditions attachées par la France à la révocation définitive des décrets de Berlin et de Milan. — §C. Des avantages que l'Angleterre aurait à espérer de la révocation des ordres du conseil. — III. Mémoire sur les principes et les lois de la neutralité maritime. — § 1". Droit public de l'Europe, relativement à la neutralité maritime avant 1756. — § 2. Droit public de l'Europe relativement à la neutralité maritime, de 1766 à 1775. —§ 3. Droit public de l'Europe relativement "a la neutralité maritime, de 1775 à 1802. — § 4. Droit public de l'Europe relativement à la neutralité maritime, depuis le renouvellement de la guerre en 1803.
I. OBSERVATIONS
S13R LE RAPPORT DU MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DE FRANCE, SER- VANT d'introduction aux décrets SUR UNE NOUVELLE ORGANISATION DE LA CARDE NATIONALE.
(Rédigées par M. de Gentz au mois de mai 1812.)
S 1".
Ce rapport, que l'on peut regarder comme le pre- mier manifeste de la grande guerre qui se prépare dans ce moment , n'est qu'un exposé des prétendus attentats de l'Angleterre contre les droits des neutres dans les guerres maritimes, et des mesures successi- Yement adoptées par le gouvernement français pour venger et protéger ces droits. L'auteur du rapport commence par mettre en fait a que les droits de la
comte de l'empire. Pour M. de Gentz, on sait que l'ambassadeur d'Au- triche à Berlin, lui ayant donné à entendre qu'un homme de son mé- trite serait le bienvenu à Vienne, il se rendit en effet dans cette ca- pitale et y fut attaché à la chancellerie d'État. Toutefois, avant de prendre des engagements, le traducteur de Buuke avait fait un voyage à Londres où les témoignages les plus flatteurs lui furent prodigués ; c'est à cette occasion qu'il recueillit les premiers fruits de ses travaux par la pension considérable que M. Pitt lui fit allouer.
neutralité maritime ont été réglés solennellement par le traité d'Utrecht, devenu la loi commune des na- tions , » et que i< cette loi a été textuellement renou- velée dans tous les traités subséquents, w II en vient de là au récit des « arrêts arbitraires et tyranniques » par lesquels l'Angleterre a violé les principes consacrés par le traité d'Utrecht, et des actes de représailles que la France a opposés à ces arrêts; et le résultat fmal est la nécessité urgente d'employer toutes les forces disponibles de la France pour exclure les neutres de certains ports à l'extrémité du continent, où de temps en temps ils pourraient introduire quelques ballots de marchandises anglaises !
Le gouvernement français doit s'imaginerj qu'avec le désir ou le pouvoir de lui résister , ses contempo- rains, plongés dans une stupidité absolue , ont perdu jusqu'au souvenir de tout ce qui s'est passé au milieu d'eux, jusqu'à la dernière trace de l'histoire et de l'ancien Droit public de l'Europe, ou jusqu'à la faculté de lire, de comparer et de réfléchir. Autrement il ne leur offrirait pas comme des oracles diplomatiques des fables si maladroitement tissues, que le plus cré- dule de leurs lecteurs devrait regarder comme uue insulte la prétention de les lui faire avaler.
Une réfutation satisfaisante de chaque partie, ou, pour mieux dire, de chaque phrase de ce rapport, ne serait pas une tâche dilïicile. Je me bornerai ici à exa- minertrès-succinctementce qui concerne les questions de Droit. J'atteindrai mon but, si je réussis à prouver:
Que le traité d'Utrecht, à l'époque même de sa si- gnature, n'a pas été j n'a pas /)u être, et n'a jamais prétendu être « la loi commune des nations pour les droits maritimes; »
Que ce traité, loin d'acquérir plus tard une auto- rité qu'il n'avait pas eue dans son origine, a été com-
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plétement étranger à tous les rapports et événements postérieurs;
Que dans la lutte qui , depuis 1806, s'est engagée entre la France et l'Angleterre , pour soumettre le commerce de tous les pays du monde à un système d'interdiction réciproque, la France a été le véritable agresseur , tandis que l'Angleterre n'a constamment agi que par voie de représailles ; enfin
Que les principes proclamés dans le manifeste du 16 mars, pour justifier la nouvelle guerre qui va em~ braser le continent, sont les mêmes, poussés cepen- dant à un excès jusqu'ici inconnu , qui ont caracté- risé la marche du gouvernement français dans toutes les époques de cette lutte fatale.
Pour qu'une loi commune des nations sur les limites entre les droits des États belligésants et des États neu- tres dans les guerres maritimes, eût pu se former, il aurait fallu que toutes les puissances indépendantes , dûment représentées dans un congrès général, se fussent concertées sur les règles à suivre dans cette branche du Droit public , et qu'un code reconnu et sanctionné par toutes les parties intéressées , eût été le résultat de leurs travaux.
Je ne puis pas m'étendre ici sur tout ce qu'il y a d'inadmissible, et même d'absurde dans une supposi- tion pareille. Il suffit de savoir qu'aucune entreprise de ce genre n'a jamais été exécutée, ni seulement ten- tée, et surtout que le traité d'Utrecht , tel qui est, n'a aucun trait de ressemblance avec un code de Droit pu- blic, ou une loi commune des nations.
Ce qu'on appelle généralement le traité d'Utrecht, n'est, comme tout le monde sait, qu'un assemblage do traités séparés , conclus entre les différentes puis- sances qui avaient pris part à la guerre de la succes- sion d'Espagne. Parmi ces traités, il s'en trouve trois
concernant la navigation et le commerce, l'un fait entre la France et V Angleterre , l'autre entre V Angle- terre et V Espagne, le troisième entre la France et la Hollande.
Dans le traité entre la France et V Angleterre, il est stipulé que , dans une guerre maritime dans laquelle l'une ou l'autre de ces deux puissances resterait neutre, le pavillon de celle-ci couvrira les marchandises ap- partenantes aux ennemis de la puissance belligérante, et de plus que, par marchandises de contrebande con- fîscables dans toute espèce de vaisseau, on n'entendra que les objets directement applicables à la guerre. Ces deux articles, déterminés de tout temps d'une ma- nière particulière et différente par chaque traité indi- viduel de navigation, constituaient à la fin du xvif et au commencement du xv!!!*" siècle à peu près la ques- tion tout entière des droits des puissances neutres dans les guerres maritimes. Par les traités antérieurs de 1 655 et 1 677 la France et l'Angleterre étaient déjà convenues à l'égard de ces articles des mêmes conces- sions réciproques qui se trouvent dans le traité d'Utrecht; et ces concessions ont été renouvelées et renforcées même en faveur de la puissance supposée neutre dans le fameux traité de commerce de 1 786.
Lorsqu'on réfléchit à la situation respective de ces deux puissances , on ne saurait s'étonner que , dans tous les traités entre elles relativement à cet objet, on ait accordé la plus grande latitude aux droits de celle des deux qui serait neutre dans une guerre maritime de l'autre. La raison en est claire : le cas supposé était si peu probable, que tout ce que l'on se promettait mu tuellement, ne revenait, pour ainsi dire, qu'à un sim- ple compliment diplomatique. Depuis la décadence de l'Espagne, et plus tard de la Hollande , la France et l'Angleterre étaient les deux puissances prépondé-
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rarites sur mer. Soit directement, soit indirectement, toute guerre maritime, tant soit peu importante et du- rable, devait ou commencer ou finir par être une guerre entre l'Angleterre et la France; et telle a été effecti- vement l'histoire de toutes celles qui ont eu lieu depuis la fin du xvii^ siècle. Une guerre maritime, dans la- quelle l'une ou l'autre de ces puissances se serait dé- clarée neutre, était très-difficile à concevoir. Elles ne risquaient rien en la supposant. Plus elles étaient ri- vales, plus même leur état de rivalité dégénérait en état d'hostilité habituelle , moins il leur en coûtait d'être libérales l'une envers l'autre dans une hypo- thèse qui, àce qu'elles comprenaient parfaitement bien, ne pouvait jamais se réaliser.
Mais les stipulations éventuelles sur les droits de la navigation neutre , consignées dans un traité entre la France et l'Angleterre, ne liaient aucune des deux par- ties contractantes dans leurs rapports avec d'autres puissances; il n'en résultait aucun principe univer- sel ; chaque partie conservait la liberté de s'arranger sur cet objet avec tout autre État aux conditions qui lui paraissaient les plus praticables ou les plus utiles.
Le traité de navigation et de commerce entre VAîi- gleterre et V Espagne, faisant suite au traité de paix et d'amitié qu'elles avaient signé à Utrecht, ne fut que la confirmation d'un traité de 1667, que l'on inséra textuellement dans celui de 1713. Dans ce traité, assez favorable d'ailleurs à la partie éventuellement neutre, le principe que le pavillon couvre la marchandise^ ne se trouve cependant point énoncé ; circonstance essen- tielle, qui prouve d'abord combien ces traités séparés étaient peu connexes l'un avec l'autre, et ensuite, combien on était loin de considérer le principe de la li- berté des marchandises ennemies sous pavillon neutre comme une loi généralement établie; car si on l'avait
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cru tel, le silence d'un traité formel sur un article d'aussi grand intérêt serait tout à fait inexplicable.
Le traité de commerce entre la France et la Hollajidey conclu à Utrecht, étant absolument étranger à V An- gleterre, il serait inutile de s'y arrêter.
Quant aux autres puissances de l'Europe, quanta celles même qui avaient eu part aux négociations d'Utrecht, ou qui furent comprises dans les différents traités, telles que le Portugal, la Prusse, la Suède, la Savoie, la Toscane, Gènes, Venise, etc., pas un mot ne fut dit pour fixer leurs droits maritimes, ou les li- mites de leur neutralité future, ni d'après un principe commun , ni vis-à-vis d'aucune des puissances qui avaient coopéré à la paix générale.
Pour savoir au juste quelle idée le gouvernement français de ce temps devait se former lui-même de la valeur de ses stipulations sur les droits de la neutra- lité, et de l'effet qu'elles pouvaient avoir comme prin- cipes généraux dans cette matière, on n'a qu'à jeter un coup d'œil sur les lois qui composaient alors le code maritime de la France,
Aucun pays n'a poussé plus loin que la France la sévérité de sa législation contre la liberté des neutres dans les guerres maritimes. Les ordonnances de Fran- çois /"(l 536et 1 543), de Henri J/(1 554), de Charles IX (1569), de Henri //i (1584), etc., avaient toutes dé- claré sans aucune restriction , non-seulement « que la marchandise ennemie était conûscable à bord d'un bâtiment neutre, » mais, ce qui était bien autrement fort, (( que la marchandise ennemie entraînait aussi dans la confiscation toute marchandise chargée avec elle, et le bâtiment lui-même, quel qu'en fût le pro- priétaire. » La célèbre ordonnance de la marine de 1 68 1 , que les Français ont regardée pendant longtemps comme un des monuments de gloire de Louis XIV,
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sanctionna les mêmes principes, en y ajoutant des ar- ticles extrêmement onéreux sur les preuves à fournir delà neutralité d'un bâtiment, sur les passe-ports, factures, certificats de toute espèce, sur les formes de procédure dans le jugement des prises. Le règle- ment pour les prises de 1704, publié dans cette même guerre que le traité d'Utrechta suivi, fut absolument conforme à ces ordonnances. « S'il se trouve sur les vaisseaux neutres des effets appartenants à l'ennemi, les vaisseaux et la charge seront de bonne prise, » dit l'article 7 de ce règlement. Celui de 1744 modifia, il est vrai, une des clauses les plus dures de ces lois, mais en conservant soigneusement tout le reste , l'ar- ticle 5 de ce règlement déclare « sujettes à la confis- cation les marchandises appartenantes aux ennemis sur des navires neutres ou alliés , » ajoutant toutefois « que les navires seraient relâchés. »
Si, comme on ne rougit pas de l'affirmer aujour- d'hui, les droits maritimes des neutres avaient été réglés solennellement par les traités d'Utrecht, il serait inconcevable que la législation maritime de la France ne se fut ressentie de ce grand événement , ni à l'é- poque où il doit avoir eu lieu , ni même trente ans après *.
' La dernière loi même qui ait paru sur cet objet avant la Révolution, le Règlement concernant la navigation des bâtiments neutres en temps de guerre, du'26 juillet 1778, n'a pas articulé le principe que le pavillon couvre la marchandise. Il est vrai qu'il n'a pas, non plus, à l'exemple des lois précédentes, annoncé le principe opposé ; mais, à en juger par l'extrême rigueur de toutes les autres dispositions de ce règlement, par la nature des preuves exigées dans l'article 2 pour justifier de la pro- priété neutre, enfin, par l'article dernier, qui maintient l'ordonnance de 1681 « en tout ce à quoi il n'aura pas été dérogé par le présent règlement, » il est évident qne jusqu'en 1788 le gouvernement fran- çais n'avait point l'intention sérieuse d'attribuer au pavillon neutre le pouvoir de couvrir la marchandise ennemie. — Ce n'est qu'à l'appari- tion de la neutralité armée de 1780 que la France a brusquement changé
— Il —
Et pour répondre à ceux qui croiraient peut-être que les ordonnances n'avaient rien de commun avec les traités , que la législation allait son train d'un côté, et le Droit des gens de l'autre, je vais citer un cas mémorable, qui ne laissera plus de doute à cet égard.
Les villes hanséatiques {Lubeckj Brime et Hambourg) jouissaient depuis le milieu du xvii^ siècle d'une fa- veur particulière de la part du gouvernement français. Le cardinal Mazarin leur avait accordé en 1565 un traité dans lequel il était dit w que, pour l'égard des villes hanséatiques. Sa Majesté, dérogeant aux ordon- nances , veut et entend que lesdits habitants soient déchargés de la rigueur d'icelles pendant quinze an- nées, en sorte que la robe de l'ennemi ne confisque point celle de l'amij et que les navires à eux appar- tenants, soient libres et rendent toutes leurs charges libres, bien qu'il y eût de la marchandise appar- tenante à l'ennemi. » En 1716, trois ans après le traité d'Utrecht! les villes hanséatiques récla- mèrent le renouvellement de ce traité. Elles l'ob- tinrent; mais voici dans quels termes l'article princi- pal était conçu : « Les vaisseaux sur lesquels se trou- veront des marchandises appartenantes aux ennemis de Sa Majesté ne pourront être confisqués, non plus que le reste de leur cargaison, mais seulement lesdites marchandises appartenantes aux ennemis, de même que celles de contrebande ; Sa Majesté dérogeant à cet égard à tous usages et ordonnances à ce contraires , même à celles des années 1536, 1584 et 1681 , qui portent que la robe ennemie confisque la marchandise et le vaisseau ami. » On leur tenait compte, comme
de langage, et qu'avec une effronterie digne de l'aurore de ses beaux jours, elle a soutenu" que le grandobjet de ses ordonnances avait toujours été le principe de la liberté des mers ! »
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d'une faveur extraordinaire, de n'avoir retranché dans ce nouveau traité que la moitié des droits que celui de 1^55 leur avait accordés' î
C'est ainsi que le gouvernement français envisa- geait et respectait lui-même le traité d'UtrechtI C'est ainsi que ce traité était devenu w la loi commune des ations pour les droits du pavillon neutre ! »
S 2.
Cette loi, continue le ministre rapporteur, textuel- lement renouvelée dans tous les traites subséquents, a consacré les principes suivants, etc.
Je crois en avoir dit assez pour faire juger si , à l'époque même de sa conclusion, le traité d'Utrecht a pu avoir la force d'une loi générale y ou consacrer des principes quelconques. L'assertion sèche et tran- chante, « que ce traité a été textuellement renouvelé dans tous les traités subséquents, » se trouve si com- plètement démentie par une quantité de documents que tout le monde peut consulter, que ceux même qui ont le mieux suivi la marche et l'esprit des pu- blications officielles du gouvernement français , doivent avoir été frappés de sa témérité. Le fait est que, parmi les nombreux traités qui, depuis 1713 jus- qu'à nos jours, ont statué sur les droits maritimes des différentes nations, on n'en rencontrera pas un où le
• Le traité que les villes hanséatiques obtinrent de la France en 1769 fut conforme en tout à celui de 1716. Mais un fait plus curieux encore, parce qu'il touche de si près à l'année climatérique de 1780, c'est qu'une convention que le gouvernement français fit signer le 18 sep- tembre 1779 avec le duc de Meckîenbourg-Schwerin, sanctionna encore une fois toute la sévérité des anciennes ordonnances, et, entre autres, déclara très-positivement sujette à confiscation toute marchandise enne mie , qui se trouverait dans un bâtiment neutre.
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traité d'Utrecht soit renouvelé, confirmé, ou cité comme modèle*. Les hommes qui négociaient ces trai- tés, savaient bien que quelques règles purement con- ventionnelles établies en 1713 entre la France et l'An- 2;leterre, ou la France et la Hollande, n'étaient point obligatoires, ni pour des puissances que ces règles ne regardaient en rien , ni pour celles même qui en étaient réciproquement convenues, dans leurs rapports politiques avec d'autres États. Sous quel titre un né- gociateur danois eût-il exigé d'un négociateur anglais d'admettre les stipulations d'Utrecht comme base des droits dont le pavillon de l'un ou de l'autre pays joui- rait pendant sa neutralité? Dans les bons temps de la Diplomatie, un contre-sens pareil ne serait entré dans la tête de personne.
Mais quand même le traité d'Utrecht aurait été, ce qu'il ne fut certainement pas, le résultat formel et avoué d'une délibération commune de toutes les puissances sur les conditions et les privilèges de la neutralité dans les guerres maritimes, et par conséquent un véritable code de lois, il est clair que les révolutions survenues dans le système politique depuis 1713 auraient néces- sité, et même à plusieurs reprises, une révision gé- nérale de ce code, à moins d'abandonner les questions les plus importantes et les plus problématiques à la décision des armes ou à des arrangements particuliers.
Ce n'est pas pour renforcer une thèse que je crois
' Le seul traité du xviii* siècle dans lequel le traité d'Utrecht, c'est-à-dire l'une ou l'autre des conventions particulières sur la navi- gation et le commerce, signées à la suite du principal et véritable traité d'Utrecht , se trouve nommé, est un traité fait entre la France et la Hollande, en <739. Mais il faut voir à quel propos et dans quel sens. C'est parce que « le traité de commerce conclu à Utrecht, etc. pour vingt- cinq années étant expiré le il d'avril de l'année dernière, les deux puissances, etc., etc. » Étrange phénomène, qu'une loi commune de^ nations qui expire 9près un rè^v.Q de vingt-cinq ans! _
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suffisamment établie , mais pour l'éclaircir et la dé- velopper, que j'ajouterai les observations suivantes sur quelques-uns des principaux changements qui ont eu lieu depuis un siècle par rapport aux intérêts respectifs des puissances neutres et des puissances belligérantes dans les guerres de mer.
Lorsque le traité d'Utrechtfut signé, plusieurs États, aujourd'hui d'une influence majeure, n'existaient pas, ou n'avaient point pris leur rang parmi les puissances maritimes. Je ne citerai que la Riissie et les États- Unis de r Amérique. Toutes les grandes discussions sur les droits du pavillon neutre , qui ont occupé et agité l'Europe depuis trente ans, furent amenées par l'une ou l'autre de ces deux puissances. Or, quel que fût le fondement de leurs prétentions, il serait extravagant de soutenir que la Russie ou les Etats-Unis de V Améri- que eussent pu faire valoir contre la France^ V Espagne, V Angleterre, etc., les principes d'un traité qui avait précédé leur maturité, ou même leur naissance poli- tique.
D'un autre côté, à mesure que le commerce des na- tions s'est augmenté ; que la sphère de leur navigation s'est étendue; que de nouveaux rapports ont été créés, non-seulement entre les pays voisins , mais entre les points du globe les plus éloignés l'un de l'autre; que la guerre maritime considérée comme guerre commer- ciale a acquis une importance égale et quelquefois supérieure à celle de la guerre continentale, dont elle n'était autrefois qu'un accessoire : les questions rela- tives aux droits des neutres dans cette guerre se sont multipliées, compliquées, agrandies, ont présenté de nouvelles faces et des problèmes jadis inconnus. A l'époque du traité d'Utrecht , par exemple , et même quarante ans plus tard, personne n'avait songé à exa- miner ou à déterminer jusqu'où pouvait s'étendre le
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droit d'un État neutre de faire le commerce avec les colonies d'une puissance belligérante. Ce n'est que dans la guerre de 1756 que cette grande et épineuse question fut discutée pour la première fois entre l'An- gleterre et la Hollande. Aucun traité ne la décida alors, et quoique, dans la guerre allumée par la Révolution de France, elle ait reparu avec plus de force que jamais, et soit devenue l'objet capital des discussions entre l'Angleterre et les Etats-Unis de l'Amérique, aucun traité ne l'a décidée jusqu'à ce jour. La question si des bâtiments neutres convoyés par un vaisseau de guerre étaient sujets à la Visitation, eut à peu près le même sort. Elle avait été partiellement agitée entre la Hollande et la Suède en 1 742, et entre l'Angleterre et la Hollande en 1762; mais on l'avait passée sous silence dans le fameux acte de neutralité armée de 1 780 ; ce n'est qu'en 1 800 que pour la première fois elle fut mise en avant d'une manière formelle et péremptoire j et le traité de Pétersbourg du 17 juin 1801 fut le pre- mier qui essaya de la fixer entre l'Angleterre et les puissances maritimes du Nord '.
Mais ce qui, dans les grands événements de la der- nière partie du siècle passé, a plus influé que toute autre cause directe sur les rapports entre les belligé- rants et les neutres, c'est le changement qui s'est opéré dans les forces respectives des deux puissances prin- cipalement intéressées à toute question de Droit mari- time. Ce que nous avons à dire sur les effets de ce changement nous conduira directement à l'examen des accusations portées contre le gouvernement anglais, « pour avoir substitué aux maximes du Droit public des règles arbitraires et tyranniques. »
' Sur le Congrès de Saint-Pétersbourg et les conventions qui s'en- suivirent, voy. t. VI, p. 377 de cette Histoire des Traités.
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S 3.
Depuis la guerre pour la succession d'Espagne, et notamment depuis la bataille navale de la Hogue , la marine française s'est trouvée dans un état de déca- dence progressive. Le rétablissement de cette marine ayant été négligé sous la longue et paisible admi- nistration du cardinal de Fleury, la France, dans la guerre de 1756 et après la paix de 1763, ne put plus se dissimuler que la supériorité maritime était acquise à l'Angleterre. Dans la guerre pour l'indépendance de l'Amérique, les forces navales de la France se relevè- rent momentanément; mais bientôt les désordres de la Révolution et l'ascendant irrésistible de la marine britannique achevèrent de les paralyser. Une pareille situation devait inspirer à la France un attachement décidé pour tout ce qui tenait à la cause de la neutralité maritime, attachement qui ne pouvait que s'accroître avec le sentiment de sa propre faiblesse. Par la nature des choses, la navigation neutre, considérée sous le rap- port du commerce, est un puissant appui pour la partie faible, et un contre-poids sensible à la prépondérance de la partie forte dans les guerres maritimes. Les hommes éclairés n'auraient jamais été dupes de ces grandes protestations philanthropiques dont le gouvernement français remplissait le monde en faveur d'un système qui touchait de bien plus près à ses propres intérêts qu'à ceux de la neutralité maritime. Cependant per- sonne ne lui aurait reproché sa prédilection naturelle pour ce système, personne ne lui aurait fait le procès pour avoir encouragé, fomenté, prôné toute réclama- tion, tout acte public, toute confédération juste ou in- juste, tendant à favoriser la navigation et le commerce des neutres aux dépens d'un rival redoutable. Jusqu'au
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cri banal de liberté des mers , quoique toujours dé- placé ou perfide, parce qu'il confond, soit par igno- rance, soit par mauvaise foi, des objets totalement distincts , lui aurait été pardonné comme ruse de guerre. Mais lorsque, sous prétexte de défendre les droits mal définis des neutres, ce gouvernement a envahi les droits les plus clairs et les plus sacrés de ses voisins, lorsqu'il s'est servi de ce cri de liberté des mers pour écraser systématiquement toute espèce de li- berté sur la terre, lorsque, après avoir lui-même dé- claré criminel, proscrit, et anéanti tout ce qui pré- tendait à un reste de neutralité, il a évoqué le fantôme de cette neutralité pour justifier les démarches les plus épouvantables, c'est alors que le sourire qu'exci- tait autrefois le charlatanisme de sa protection offi- cieuse, a dû faire place à l'indignation et à Ihorreur. De même que la France, comme partie faible dans les guerres maritimes , était intéressée à favoriser les neutres, l'Angleterre, forte et victorieuse sur mer, avait un intérêt évident à soutenir les droits des puis- sances belligérantes *. Ces droits sont dans une infi- nité de cas en contradiction directe avec ceux des neu- tres; les traités, sources et organes de toute législation entre des États indépendants, sont aussi le seul moyen imaginable pour aplanir cette contradiction. 11 ne peut
' Le cosmopolitisme de nos jours a consacré l'opinion tout à fait ab- surde qu'un homme juste et soi-disant impartial doit toujours se ranger du côté des neutres et regarder les puissances belligérantes comme les oppresseurs naturels de ces victimes innocentes. Un grand pubiiciste du XVI' siècle a déjà combattu cette chimère, en relevant avec une sa- gacité admirable la différence entre l'intérêt d'un pays neutre et celui d'un pays en guerre. Il dit: « Lucrum illi commerciorum sibi perire nolunt. Belligérantes nolunt fieri, quod contra salutem suam est. Jus commerciorum œquum est; at hoc œquius tuendae salutis; est illud privatorum, hoc est regnorum. Cedat ergo regno mercatura , pecunia saluti ! » Albericus Gentilis, De jure belli. — Voilà la philosophie et la philanthropie d'un homme d'État.
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y avoir de limite légale ni au droit d'une puissance bel- ligérante, ni à celui d'une puissance neutre, que celle qu'elles se sont réciproquement imposée par des traités, et aucune des deux n'abuse de son droit qu'autant qu'elle agit contre les traités. Le gouver- nement anglais les a constamment respectés. Dans les coalitions hostiles dirigées contre ce gouverne- ment en 1780 et 1800, dans ses longs et pénibles débats avec les États-Unis de l'Amérique, dans les dia- tribes mêmes de son ennemi mortel, la seule arme dont on ne se soit jamais servi, était l'appel à des con- ventions positives. De n'avoir pas voulu se relâcher sur des traités que les neutres et leurs protecteurs ne jugeaient plus convenables à leurs intérêts, ou bien de n'avoir pas voulu, à chaque nouvelle prétention des neutres, se lier par quelque nouveau traité sur des points que les anciens avaient laissés indécis , ce se- raient là les seuls torts de l'Angleterre, s'il était possi- ble de lui en trouver. Ses amis mêmes, en discutant ces matières, lui ont quelquefois reproché, non pas un manque de loyauté, mais un manque de générosité envers les neutres. Je n'examinerai point si, dans d'au- tres temps, et dans d'autres circonstances, il eût été facile de justifier ce reproche. Je sais bien qu'appli- qué à la situation où l'Angleterre s'est trouvée dans la guerre actuelle, il est d'une injustice choquante. Quoi! engagée dans un combat à mort, vis-à-vis d'un ennemi qui a mille fois proclamé que son exis- tence est incompatible avec la sûreté et la prospérité du continent, réduite à ses moyens individuels par la désertion ou l'asservissement de tous ses anciens alliés, l'Angleterre devait encore faire des sacrifices gratuits? Voyant quel parti la France savait tirer de la naviga- tion neutre, voyant que c'était cette navigation qui protégeait ses ennemis contre les effets de sa supériorité
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maritime, elle devait de son propre chef, ou, puisque tel était le bon plaisir de ses adversaires, resserrer la sphère des droits que ces traités lui avaient conservés, ou en accorder aux neutres au delà de ce que les trai- tés avaient consacré? Il me semble que le gouverne- ment anglais, en se soumettant aux stipulations posi- tives qui fixaient pour telle ou telle puissance l'exercice de sa neutralité légale, et en adoptant pour les points que les traités n'avaient pas déterminés un système dans lequel l'intérêt suprême de sa propre conservation était combiné, autant que possible, avec les avantages réclamés par les neutres, avait satisfait non-seulement à ses devoirs rigoureux, mais à tout ce que l'équité, la générosité et les égards pour les intérêts d'un tiers pouvaient exiger.
Ce système, pour tout dire en un mot, aurait fini par contenter les neutres, si on leur avait laissé le temps et la liberté de consulter leurs vrais intérêts; et c'est un fait que l'histoire saura maintenir contre tous les mensonges postérieurs, qu'au moment ou V ennemi de V Angleterre lançait contre elle ses premiers arrêts de •proscription f la question de la neutralité maritime avait cessé d'agiter les Cabinets, et, à l'exception de quelques discussions peu orageuses entre l'Angleterre et les Américains, n'occupait plus que les tribunaux et les spéculateurs mercantiles*. Le traité de Pétersbourg
' Use trouve à cet égard un aveu remarquable dans le rapport même qui a donné lieu à ces observations. Il y est dit qu'à l'époque de la paix d! Amiens « la législation maritime reposait encore sur ses ancien- nes bases. » Mon objet ne saurait être de relever les défauts de logi- que , de raisonnement et d'ensemble dans une pièce où la vérité et les faits sont traités avec si peu de cérémonie. Mais il est certain que cet appel inattendu à l'époque de 1803, tout en trahissant la plus profonde ignorance sur l'état de la question , admet ce qu'un ministre de France aurait toujours dû contester : que la discussion des droits maritimes était fermée à cette époque ; circonstance qui figurerait beaucoup mieux «lans un manifeste britannique.
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de 1 801 , et l'accession des Cours de Copenhague et de Stockholm à ce traité avaient mis un terme à toutes les disputes entre l'Angleterre et les puissances du Nord. La Prusse, sans avoir eu part à ce traité, profitait ce- pendant, et grandement, de tout ce qu'il contenait de favorable aux neutres. On peut donc soutenir, sans crainte d'un démenti quelconque, que pour l'Europe la question de la neutralité maritime était jugée et ex- pédiée autant qu'elle pouvait l'être au milieu des ora- ges de la guerre. Quant aux États-Unis de l'Amérique, il est vrai que, grâce à la funeste influence de la fac- tion française, qui avait empêché la ratification com- plète du sage traité négocié par M. Jay en J794, plu- sieurs articles d'une grande importance, et notamment celui du commerce neutre intermédiaire entre les co- lonies d'une puissance belligérante et la métropole ne se trouvaient pas positivement décidés, et restaient dans le vague de ce qu'on veut bien appeler le Droit des gens naturel, c'est-à-dire que le plus fort était in- dubitablement autorisé à les résoudre d'après sa vo- lonté et ses intérêts. Cependant le gouvernement an- glais, loin de se prévaloir du silence des traités, pour déclarer illégal tout commerce que les négociants de l'Amérique feraient avec les colonies de ses ennemis, se contenta de régler ce commerce par les restrictions les moins onéreuses pour les neutres. L'ordre du Con- seil du 24 juin 1 803 enjoignit aux commandants des vaisseaux de guerre et aux armateurs « de ne saisir aucun bâtiment neutre employé au commerce direct entre les colonies de l'ennemi et le pays neutre auquel appartenait le bâtiment, pourvu que la cargaison fût la propriété d'un habitant de ce pays. » Cette instruc- tion, déjà assez favorable, fut encore incalculablement étendue par les principes adoptés dans les cours d'Amirauté de Londres, d'après lesquels, lorsqu'un
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Lâtiment américain avait porté en Amérique une car- gaison de marchandises coloniales d'une des colonies de l'ennemi, il suffisait que cette cargaison eût été dé- barquée (en effet ou en apparence) dans quelque port des États-Unis , pour la faire passer immédiatement après dans les ports du pays ennemi en Europe. Les fraudes innombrables auxquelles cet excès de libéra- lité avait donné lieu , forcèrent enfin les tribunaux britanniques (au mois de juillet 1805) de déclarer que le fait seul du débarquement momentané dans un port des États-Unis, et du payement des droits pour la car- gaison, ne serait plus regardé comme preuve suffisante de la légalité du voyage d'un bâtiment portant des mar- chandises coloniales aux pays ennemis en Europe, ou des marchandises des pays ennemis en Europe à leurs colonies. Mais, à cette modification près, rien ne changea dans la marche des tribunaux; l'instruction de 1803 ne fut point abrogée; la liberté générale des négociants américains de commercer avec les colonies hostiles dans toutes les parties du monde d'un côté, et leurs ports en Europe de l'autre, resta intacte, et l'Océan ne cessa de se couvrir de vaisseaux neutres, trafiquant pour le compte des ennemis de l'Angleterre',
* D'après les registres des douanes publiés en Amérique, les habi- tants de celte nation avaient introduit en Europe, dans l'année finissant le dernier septembre 1806 , une quantité de sucre et de café , égale au produit de toutes les possessions françaises et espagnoles dans le golfe de Mexique. L'île de (2uba seule leur avait fourni un million soixante- quinze mille quintaux de sucre. Pas la dixième partie de celte exporta- tion ne fut légalement acquise par les Américains ; pour tout le reste , ils n'étaient absolument que les facteurs et colporteurs des puissances en guerre.
Pour se former une idée juste de l'énormilé des abus de celte navi- gation , des avantages que les ennemis et les neutres en tiraient, des pertes immenses qui en résultaient pour l'Angleterre, de l'esprit de jus- tice et de modération de ces tribunaux de l'Amirauté , décriés et flétris sur le continent par les plus indignes calomnies, enfin de la noire ingra-
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Il est tout simple qu'en dépit d'une conduite aussi mesurée, l'avidité insatiable de quelques individus, le& pertes bien méritées que d'autres avaient faites par des spéculations notoirement illégales, l'esprit de parti nourri par le langage habituel des feuilles françaises, et par les déclarations d'une foule de plats écrivains qui s'étaient enrôlés dans la cause de la neutralité ma- ritime, ne cessaient d'ameuter l'opinion publique con- tre le despotisme du gouvernement anglais. Mais le* hommes justes et éclairés dans l'un et l'autre continent, et particulièrement dans les endroits où on pouvait le mieux juger les besoins et les intérêts du commerce^ savaient apprécier ces clameurs. Si l'on eût pu se tromper sur les principes et sur les mesures adop- tés de part et d'autre, les effets, au moins, parlaient trop éloquemment, pour ne pas écraser toutes les ca- lomnies. Les négociants de Copenhague , de Gothen- bourg, de Pétersbourg, de Riga, de Kœnigsberg, de Dantzig, de Hambourg, d'Embden, comme ceux des ports et des villes commerçantes de toutes les côtes des États-Unis de l'Amérique voyaient bien ce que c'était que ce joug de fer que l'Angleterre imposait à la navi- gation neutre. Partout d'immenses richesses s'accu- mulèrent sous ce régime si décrié; dans les temps les plus florissants de l'Europe, le commerce de la plupart de ces villes n'avait été ni plus actif ni mieux récom- pensé ; leur prospérité, malheureusement à la veille de sa chute, se communiquait à l'intérieur des pays, ra- nimait l'agriculture, les fabriques, toutes les branches
titude des Américains, et de la nullité de leurs principaux griefs contre le gouvernement anglais, on n'a qu'à lire un ouvrage publié en automne 4805 par un des premiers jurisconsultes et publicistes de l'Angleterre, M. Stephen, sous le titre de War in disguise ( or the frauds of the neu- tral flags. London, 1806). L'importance des faits et la force des argu- ments contenus dans cet ouvrage lui assignent un rang distingué parmi les écrits politiques de notre temps.
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de l'industrie, se faisait sentir dans les parties les plus séquestrées du continent, dans les vastes plaines de la Pologne et de la Russie, dans les vallées des Hautes- Alpes, comme dans les champs et les ateliers de la Saxe, de l'Autriche, de la Prusse. Quand on se de- mande comment l'Europe a pu résister si longtemps à tant de fléaux réunis qui pèsent sur elle, sans tom- ber dans un appauvrissement total, la solution de ce problème ne se trouve que dans ce grand fonds d'opu- lence, dans ces ressources toujours renaissantes qui, malgré les ravages des guerres et des révolutions, lui étaient assurées par ses communications avec l'An- gleterre , et par ce même commerce maritime que celle-ci doit avoir cruellement opprimé.
Tel était le vrai état des choses , lorsque le décret du 21 novembre 1 806 , connu sous le nom de décret de Berlirif déclara les Iles Britanniques, non-seulement en état de blocus, mais exclues de toute espèce de com- munauté sociale, et retranchées, pour ainsi dire, du corps des peuples civilisés.
Ce décret, le plus audacieusement injuste dont This- toire conserve le souvenir', on entreprend de le justifier aujourd'hui comme un acte purement défensif, comme une simple mesure de représailles, provoquée par les attentats du gouvernement anglais. « Le décret de Ber- lin, dit le rapport, répondit à la déclaration de 1806. Le blocus des Iles Britanniques fut opposé au blocus imaginaire établi par l'Angleterre. »
' Le fameux décret du Directoire du 22 nivôse 1797 n'était après tout qu'un jeu d'enfants en comparaison de celui-ci. Il ordonnait la confisca- tion de chaque vaisseau qui porterait une seule pièce de marchandise anglaise, mais il n'attaquait pas le commerce dans ses racines. Il fit beaucoup de mal aux individus, mais il ne tarissait pas dans les trois quarts du continent toutes les sources de prospérité publique et privée. Enfin, il supposait au moins une force maritime quelconque; celui de Berlin n'était absolument calculé que sur les progrès irrésistibles d'un système d'envahissement et d'oppression.
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Que le décret de Berlin , prototype fatal d'un nou- veau genre d'hostilités, cause première d'une succes- sion de maux dont le dernier terme échappe à l'ima- gination comme au calcul, a porté un coup mortel à l'Europe, personne ne s'avisera de le nier. Si ce dé- cret funeste a été provoqué par la déclaration de 1 806, les auteurs de celle-ci sont sans contredit hautement responsables de tout ce que le décret de Berlin a en- traîné de calamités et d'horreurs. Mais quelle était donc cette déclaration de 1806? En croirons-nous le gouvernement français sur sa parole? Quelle que soit l'indifférence ou la légèreté coupable avec la- quelle les lecteurs de toutes les classes reçoivent au- jourd'hui les manifestes de ce gouvernement, sans les examiner, sans les méditer, sans vérifier aucun fait, aucune date, sans les confronter avec ce qui s'est passé sous les yeux, sans employer enfin les moyens les plus simples pour empêcher au moins que la vé- rité ne soit maltraitée dans l'asile de leur propre con- science, refuserons-nous cependant quelques moments d'attention et de recherche à une question de cette extrême importance, ou l'abandonnerons-nous, comme tant d'autres, au jugement définitif du tribunal le plus suspect qui ait jamais prononcé dans sa propre cause?
Le blocus par merdes places occupées par l'ennemi est une des opérations dont la sphère a dû naturelle- ment s'agrandir avec les moyens et les forces dispo- nibles des puissances maritimes. Autrefois on bloquait un port pour quelque but passager ou local, pour s'emparer des vaisseaux qui s'y trouvaient, pour re- tenir une escadre qui avait le projet d'en sortir, pour couper les moyens de défense à une ville qu'il s'agis- sait de prendre. Dans des vues plus vastes et plus combinées, on bloquera aujourd'hui une vingtaine de
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ports à la fois*. La légalité ou l'illégalité d'une entre- prise ne peut pas dépendre de la grandeur de l'échelle sur laquelle elle est placée. Par quels sophismes con- testerait-on à une puissance continentale le droit d'at- taquer un ennemi sur chaque point de ses possessions en même temps, si elle a un nombre de troupes suf- fisantes pour exécuter ce plan? Écouterait-on dans une occasion pareille les vaines protestations d'un voisin neutre? 11 en est de même du blocus maritime des côtes. La définition que les plus zélés avocats des neutres ont donnée d'une place bloquée, que c'est M celle dans laquelle un bâtiment étranger ne pourrait essayer d'entrer sans s'exposer à un danger réel, » n'est point du tout inapplicable à une réunion de ports sur la même côte. Tout dépend de la mesure des forces dont une puissance peut disposer pour l'exécu- tion réelle d'un dessein, légal en lui-même. Or, sans entrer dans des calculs de détail sur ce qu'il faut de bâtiments de guerre pour bloquer tant et tant de places, et telle ou telle étendue de côtes, il est évident que, si les différents blocus auxquels l'Angleterre a eu re- cours, n'avaient pas été constamment appuyés de forces considérables et suffisantes, les ennemis aussi bien que les neutres, au lieu de crier contre ces blocus, s'en seraient moqués, comme d'une pure fan- faronnade. L'effect direct et visible qui a accompagné
' La même chose a cependant eu lieu dans des temps où les forces navales des puissances étaient fort inférieures à ce qu'elles sont deve- nues plus tard. Les /foi/ondats, parunéditdu 26 juin <630, déclarè- rent en état de blocus toutes les côtes et rivières de la Flandre. Bync- KERSHOEK (unedes grandes autorités du commencement du xviu« siècle) en citant et défendaut cet édit, y ajoute même un exemple plus ancien. « Idem plane jamo/»m tempore noscentis reipublicœ sancilum fuerat. Ex edicto ordinum Hollandia; 27 jul. -loSi, exteri nonhostes ad port us Flandriœ commeantes navium mercÀtmque publicatione puniuntur. » Quest, Jur. Publ., L. I, c. ii.
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ces mesures, que d'ailleurs ne réprouvait aucun prin- cipe de Droit public, était la preuve de leur réalité'.
Mais il ne suffit pas, pour la justification d'une mesure, qu'elle n'ait aucun caractère d'illégalité ou d'injustice directe. Le droit le plus indubitable en lui- même peut devenir un instrument d'oppression. On peut en faire un usage tellement outré, tellement ré- voltant, que ceux qui en souffriraient seraient au moins complètement excusables, en saisissant tout ce qui se trouverait à leur portée, pour déjouer ou repousser ouvertement des actes incompatibles avec leurs premiers intérêts. La déclaration de 1806 se trouvait-elle peut-être dans cette catégorie?
Cette déclaration prononça le blocus contre les côtes, ports et rivières depuis l'Elbe jusqu'à Brest; mais la seule partie de ces côtes qu'elle désigna comme rigoureusement bloquée était celle comprise entre Os- tende et V embouchure de la Seine. Elle l'avait été depuis longtemps; et je présume que le partisan le plus dé- terminé du gouvernement français , s'il veut se rap- peler pourquoi elle l'était, que c'est dans les ports compris dans ce blocus rigoureux, que se firent pen- dant plusieurs années les vastes préparatifs pour une descente dans les Iles Britanniques, ne se permettrait pas de blâmer cette mesure. Quant aux ports de l'Al- lemagne septentrionale (et même de la Hollande), la déclaration portait « que l'entrée et la sortie de ces
' L'interdiction générale de tout commerce avec un grand pays dif- fère essentiellement du blocus de ses ports et de ses côtes, en ce qu'elle prétend s'exécuter sans l'emploi direct d'aucune force disponible, et as- sujettit ainsi tous ceux qui sont étrangers à la guerre , à un simple acte de volonté absolue de la part d'un belligérant. Tel fut le principe du dé- cret de Berlin, tel aussi le principe des ordres du Conseil Britannique du mois de novembre 1 807 que ce décret avait fait naître. Aucune trace d'une prétention pareille ne se trouvera dans les actes du gouvernement anglais, antérieurs à ces ordres du Conseil.
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ports ne sera point défendue aux vaisseaux neutres, pourvu que ceux qui arrivent, n'aient été frétés, ou ceux qui sortent ne soient destinés à se rendre dans un des ports de l'ennemi, et que leur cargaison ne consiste ni en propriétés de l'ennemi, ni en contrebande de guerre. » C'est ainsi que la déclaration du 1 6 mai 1 806 u anéantit d'un seul mot les droits de tous les États mari- times, » et que, « du moment de cette déclaration, l'An- gleterre ne reconnut plus de neutres sur les mers ! »
Voyons maintenant ce qui avait amené cette décla- ration, et comment elle fut jugée dans son temps. La Prusse, à l'instigation de la France, s'était emparée de tous les pays composant l'Électorat de Hanovre , et, avant même que cet acte d'iniquité fût pleinement consommé, avait notifié par un ordre du 28 mars 1 806 « que , d'après un traité conclu entre le roi de Prusse et l'empereur des Français , l'entrée des ports de la mer du Nord et des rivières qui se jettent dans cette mer, serait fermée à la navigation et au commerce britanniques , et qu'on procéderait aux arrangements nécessaires pour empêcher toute importation et tout passage des marchandises anglaises. » C'est cette me- sure hostile qui amena la déclaration du 16 mai. Ce n'est point contre les neutres, c'est contre la Prusse, agissant de concert avec la France , et excluant for- mellement le commerce anglais de tous les ports de l'Elbe, du Wéser, et de l'Ems , que cette déclaration était dirigée. Il serait inutile de discuter ici le droit du gouvernement britannique de prendre des mesures sévères contre la Prusse ; cette question au moins ne paraîtra douteuse à personne.
Aucune des puissances neutres de l'Europe n'ima- gina de se plaindre de ces mesures. Elles y voyaient l'effet direct, le contre-coup naturel d'une agression gratuite, qui fit un mal prodigieux à l'Angleterre.
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Leurs intérêts d'ailleurs n'y étaient pas sensiblement compromis, et le gouvernement anglais, pour mettre au grand jour combien il était éloigné de Tintentionde les blesser, publia, peu de jours après la déclaration du 16 mai, un ordre en date du 21 , portant « que Sa Majesté Britannique, toujours animée du désir d'éviter autant que les opérations de la guerre le rendaient possible, tout ce qui pouvait nuire au commerce des Etats en paix avec l'Angleterre, enjoignait strictement à tous ses vaisseaux, armateurs, etc., de n'arrêter aucun bâtiment quils rencontreraient dans la mer Bal- tique,» démarche d'une indulgence remarquable, vu que presque tous les ports de la Prusse se trouvaient sur la Baltique, et que l'Angleterre, en assurant la liberté de la navigation dans cette mer, favorisait les neutres à ses propres dépens. Ajoutons à tout cela que la Russie et la Suède étaient, à l'époque de la décla- ration de 1806, les alliés intimes de l'Angleterre, et que le Danemark se consolait aisément de la ferme- ture de l'Elbe et du Wéser par le profit immense qui lui en revint pour ses ports sur les côtes de Holstein et de Sleswic. Les seules victimes de cet état des choses étaient les villes de Hambourg et Brème; mais à qui devaient-elles s'en prendre de leurs souffrances, si ce ne fut au Cabinet de Berlin, instrument du gouver- nement français?
Voilà les faits dans toute leur exactitude. Mais ce qui me paraît plus remarquable que tout le reste , c'est que la France elle-même ne songea pas à se plaindre de la déclaration du 1 6 mai , et n'en a jamais fait men- tion dans aucune occasion précédente. Il faut se rap- peler qu'à l'époque où cette pièce parut, une négociation de paix était entamée avec l'Angleterre. Elle avait été conçue et mise en train par M. Fox, le seul des ministres à la tête des affaires britanniques, dont le gouvernement
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français ait toujours parlé avec des égards aussi près de l'attachement que du respect. Ce même ministre, que personne n'a jamais suspecté de projets hostiles contre les neutres, était l'auteur du système de re- présailles adopté contre la Prusse, et dont la déclara- tion du 16 mai faisait partie. Mais indépendamment de ce que les principes ou le caractère personnel de M. Fox pouvaient prêter d'appui à cette déclaration, il est évident que, comme les neutres eux-mêmes ne s'en plaignaient pas, le gouvernement français man- quait de tout prétexte pour en faire un sujet de do- léances. Après la mort de M. Fox et la rupture des négociations de Paris, le nord de l'Allemagne devenant le théâtre d'une nouvelle guerre, le gouvernement anglais eût été amplement autorisé à continuer et à renforcer môme le blocus. Au lieu de cela, il y renonça, au moment où cette malheureuse guerre allait éclater, et par une circulaire du 25 septembre , que M. le duc de Bassano a eu grand soin de ne pas citer , fit annoncer « que le blocus des côtes d'Allemagne était levé, et que la navigation entre VEms et l'Elbe était aussi libre qu'avant la déclaration c?w 16 mai. »
Le décret de Berlin n'a donc point été provoqué par la déclaration du 16 mai 1806, et n'a rien eu de com- mun avec cette déclaration. Et lorsqu'on affirme au- jourd'hui « que ce fut en 1806 que commença l'exé- cution de ce système qui tendait à faire fléchir la loi commune des nations devant les ordres du Conseil et les règlements d'Amirauté de Londres, » tout homme dont l'aveuglement n'est pas incurable, doit s'aper- cevoir que ce n'est là qu'un misérable subterfuge, inventé longtemps après coup, pour faire retomber sur son adversaire la responsabilité d'un attentat odieux, dont tous les sophismes du monde n'absoudront ja- mais le seul et véritable auteur.
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Si le décret de Berlin ne répondait pas à la déclara- tion de 1806, il est clair qu'il ne répondait à rien. Et en effet on aurait beau fouiller dans les archives des temps passés et présents, on n'en trouverait ni mo- dèle, ni prétexte. Il est sorti de la boîte de Pandore, où le génie du mal l'avait enfanté de ses propres con- ceptions. Proies sine matre creata !
Tout acte de représailles, que l'honneur, l'intérêt et la loi de sa conservation, pouvaient suggérer au gouvernement anglais, était justifié d'avance par ce décret. La neutralité ne saurait exister qu'autant que les puissances belligérantes s'accordent sur le principe général que leurs droits de guerre sont plus ou moins limités par ceux que les neutres leur opposent. Du moment qu'une des puissances belligérantes met sa volonté absolue à la place de cette règle fondamentale; que, sans consulter ni les traités, ni les intérêts par- ticuliers des neutres, ni ses propres rapports avec eux, elle défend indistinctement tout commerce et toute cor- respondance avec les possessions et les sujets de la puissance ennemie, déclare de bonne prise chaque vaisseau qui aura contrevenu à cette loi , saisit , par- tout où son bras peut les atteindre , les marchandises du pays excommunié, quel qu'en soit le possesseur actuel, il ne s'agit plus des formes ou des nuances; les bases de la neutralité sont subverties; ses attributs sont annulés en masse; son existence légale est finie. Si, dans un tel état de choses, la partie adverse res- pecte encore un droit neutre quelconque, c'est un acte d'indulgence et de générosité; car il serait in- juste et même déraisonnable d'exiger qu'elle recon- nût à elle seule ce qui n'a de sens, de réalité et de valeur, que dans la supposition d'un principe commun, admis et avoué par toutes les parties intéressées. L'An- gleterre était donc , par le fait du décret de Berlin,
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dispensée de toute obligation stricte de ménager les intérêts des neutres. Son ennemi lui avait hautement annoncé que dorénavant il ne mettrait plus aucune borne à ses hostilités ; il les poussait même par anti- cipation au delà de son pouvoir réel ; et privé de toute force maritime, il faisait pressentir le projet cruel de marcher à la destruction de l'Angleterre par la conquête et la ruine successive de tous les peuples du continent, projet dont, depuis le décret de Berlin, l'exécution s'est avancée sans relâche.
Et quelle fut la première résolution par laquelle le gouvernement anglais répondit à cette provocation inouïe? L'ordre du Conseil du 7 janvier 1807, lequel, après avoir exprimé « la répugnance du Roi à suivre l'exemple de l'ennemi , et à procéder à des extrémités nuisibles au commerce des Etats qui ne prennent pas part à la guerre, » se contente de déclarer « qu'il ne sera permis à aucun vaisseau neutre de faire le com- merce entre un port appartenant à l'ennemi ou placé sous le pouvoir de ses armes, et un autre port de la même description. » Par conséquent tout le commerce direct qui se faisait entre les pays neutres et les pays soumis à la France , y compris les colonies de ces pays, restait sur ses anciennes bases ! Cet acte d'une modé- ration extraordinaire ne portait pas trop l'empreinte d'un gouvernement qui , d'après les termes du décret de Berlin , « n'avait d'autre but que de détruire toutes communications entre les peuples, et de ramener les temps de barbarie. »
Ce ne fut qu'après la paix de Tilsitt, époque d'un acharnement redoublé et de nouveaux plans gigan- tesques contre l'Angleterre, que parurent enfin les ordres du Conseil du ]] novembre 1 807. Ces ordres por- taient, il est vrai, à l'exemple du décret de Berlin, sur des principes d'une interdiction générale de com-
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merce avec les pays soumis à l'ennemi; mais bien différents encore du modèle, ils annonçaient dans chacune de leurs clauses le désir de modifier en faveur des neutres la rigueur du principe général. A l'époque où ils furent publiés, toutes les côtes de notre conti- nent étaient en état d'hostilité contre l'Angleterre; la navigation neutre était nulle de fait en Europe, et le seul pays qui pût prétendre à quelques ménagements, c'étaient les Etats-Unis de l'Amérique. Les ordres de novembre 1807 ne privaient point leurs bâtiments de la liberté de se rendre de l'un ou l'autre de leurs pro- pres ports dans les ports des colonies ennemies, ou de ces ports-ci à un port de leur propre pays. Quant au commerce de l'Europe, leurs vaisseaux furent astreints à la condition de débarquer d'abord à un des ports de la Grande-Bretagne, sauf à continuer de là leur voyage à tel port des pays ennemis qu'ils choisiraient, et d'emporter toute leur cargaison, à l'exception de cer- taines marchandises spécifiées, qui ne seraient ré- exportées qu'avec une licence \ Des instructions pos- térieures modifièrent ces dispositions dans plusieurs points essentiels; mais aucune n'ayant satisfait les Américains, le gouvernement anglais annula en- fin les ordres de 1807, et leur substitua l'ordre du 26 avril 1809, par lequel l'interdiction du commerce fut restreinte aux ports de la France, de la Hollande, et de la haute Italie, tandis que les ports de la Baltique, du nord de l'Allemagne jusqu'à l'Ems, de l'Espagne, du Portugal , et de toute la Méditerranée, à l'exception
' Le soi-disant tribut que l'Angleterre doit avoir demandé aux Amé- ricains, n'était autre chose qu'un droit de transit, qu'on paraissait vou- loir attacher à cette dernière classe de marchandises. Mais il faut savoir que cet impôt , dont les ordres du Conseil ne font pas mention, n'a ja- mais été réalisé, pas même dans le court intervalle entre la publica- tion de ces ordres et leur abrogation en i809.
— Sa- de ceux de France et du royaume d'Italie, restaient ouverts à la navigation neutre. Les organes du gouver- nement français ont pris le parti, sans doute très- commode, d'ignorer tout à fait ce changement essen- tiel. Une réticence pareille aurait suffi pour décréditer toute autre pièce diplomatique; on n'en sera que mé- diocrement surpris dans celle que nous examinons ici.
On a vivement agité en Angleterre la question si ces ordres du Conseil ont été en dernière analyse favo- rables ou contraires aux intérêts du pays. Les avis des hommes éclairés se sont parlagés à ce sujet; mais la question étroitement liée à plusieurs autres articles du système commercial que les circonstances ont fait adopter au ministère britannique, exige de grands développements et des recherches très-approfondies. Cette question est entièrement différente de celle que nous avons discutée. Il n'appartient qu'à l'Angleterre de juger si, sous le point de vue de son propre inté- rêt, les ordres du Conseil ont été sages ou répréhen- sibles. Les ministres anglais se fussent-ils trompés dans leurs calculs, leurs ennemis n'auraient qu'à se féliciter de leurs erreurs. Le grand point qu'il s'agis- sait d'établir pour nous autres, c'est que, dans cette longue série d'actes hostiles et de réactions sinistres, la France a porté les premiers coups j que les ordres du Conseil britannique étaient des mesures de représailles dans toute la force du terme, et que le gouvernement anglais, loin de blesser gratuitement les droits et les intérêts des neutres, les a reconnus, respectés et mé- nagés, autant que le lui permettaient la loi de son propre salut, et la situation sans exemple dans laquelle son ennemi l'avait placé.
« Le décret de Berlin , )) dit le rapport , « répon- dit à la déclaration de 1806. — Le décret de Milan répondit aux arrêts de 1807. m Je crois avoir fourni X{ 3
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dans ces observations les données nécessaires pour rectifier cette généalogie. Le décret de Berlin ne fut provoqué, ne fut justifié par aucun acte antérieur. Les arrêts de 4807 répondaient au décret de Berlin. Si le décret de Milan répondit aux arrêts de 1 807, qui, sans le décret de Berlin, n'auraient jamais vu le jour, il ne fit donc que renchérir sur l'injustice de la mesure primitive qui avait provoqué les arrêts de 1807.
Le décret de Milan vient d'être solennellement pro- clamé comme base et motif de la nouvelle guerre qui va s'allumer sur le continent. «Il faut, » dit l'ora- teur du gouvernement français , « que toutes les forces disponibles de la France puissent se porter partout où le pavillon anglais et les pavillons dénatio- nalisés voudraient aborder. » Tout le monde sait que le pavillon anglais n'a pu être admis dans les ports de la puissance contre laquelle cette menace est dirigée. Le seul tort de cette puissance serait donc de ne pas avoir assez rigoureusement exclu ce que l'on nomme ici les pavillons dénationalisés. Voyons à quoi ce grief se réduit.
Le décret de Milan avait déclaré dénationalisé tout bâtiment neutre qui se serait soumis à la législation anglaise, « soit en touchant dans un port anglais» (avant de continuer sa course) , « soit en payant tribut à l'Angleterre. » 11 est clair que cette définition arbi- traire se rapportait à la clause des ordres du Conseil du mois de novembre 1807, suivant laquelle les bâti- ments neutres, voulant faire le commerce avec des pays européens soumis à la France , devaient aupara- vant débarquer dans un port britannique, et (à ce que l'on supposait faussement alors) y payer certains droits.
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Mais toute cette clause fut complètement abolie par Tordre postérieur du 26 avril 1809. Par conséquent, la définition d'un bâtiment dénationalisé, telle que le décret de Milan l'avait donnée, n'a aujourd'hui ni sens, ni objet, et avant de s'armer de toutes ses ter- reurs, pour foudroyer ceux qui se sont rendus cou- pables de l'admission dans leurs ports de bâtiments dénationalisés, le gouvernement français aurait dû au moins instruire l'Europe en quoi il fait consister main> tenant un délit qu'avec toute la mauvaise volonté du monde , personne ne 'pouvait plus commettre en 1 811 , dans le sens qui y était attaché en 1807.
Rassembler quatre cent mille hommes pour punir une puissance indépendante d'un crime, non-seule- ment imaginaire, mais encore indéfinissable, et nul d'après le code même que l'on prétend exécuter! Nous sommes familiarisés avec la marche expéditive et les formes peu conciliantes du despotisme j nous n'en avons que trop vu de ces manifestes justificatifs, tout aussi révoltants que les démarches qu'ils avaient l'air de défendre. Mais il me semble que, dans le temps même où nous vivons, on a rarement vu un acte plus directement attentatoire à tous les droits et à tous les principes, placé sur un plus frêle échafau- dage, ou attaché à un prétexte plus futile. En suppo- sant que l'empereur de Russie n'eût pas hermétique- ment fermé ses ports contre chaque navire américain ou chaque contrebandier de la Baltique, cette indul- gence, dictée par les besoins de son empire, interdite par aucun traité ni publié ni secret, innocente même d'après la lettre de ces décrets arbitraires, lancés par un tribunal incompétent, peut-elle motiver, peut-elle colorer, peut-elle expliquer seulement le projet de bouleverser encore une fois l'Europe, d'écraser les tristes débris de l'ancienne prospérité de tant de pays
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intermédiaires , et de verser le sang de tant de mal- heureux peuples, qui ont déjà payé, au prix de tout ce qu'ils avaient à perdre, ces mêmes arrêts de proscrip- tion dont cette guerre vraiment sacrilège doit prolon- ger la durée? Et tout cela, nous dit le rapport, « pour ramener les Anglais aux principes consacrés par le traité d'Utrecbt » qui n'en a jamais consacré aucun, et « pour assurer la neutralité maritime » contre laquelle l'Angleterre n'a jamais protesté !
Pour ajouter un dernier trait à ce tableau, il ne sera pas inutile de s'arrêter un moment sur la conduite gé- nérale du gouvernement français envers ces neutres qui lui ont fourni de si nombreux prétextes. Le mot de ralliement liberté des mers, proche parent des priii- cipes de la Révolution, a été légué par chaque gou- vernement révolutionnaire à ses successeurs et héri- tiers, et celui qui les a remplacés tous, n'a pas négligé cette partie de leur héritage. Cette soi-disant liberté des mers n'ayant jamais été clairement définie, chacun y attachait le sens que ses lumières ou ses intérêts lui indiquaient; mais à travers cette confusion d'idées que le sophisme et l'imposture entretenaient avec beaucoup de soin, tout le monde parvint enfin à com- prendre qu'il s'agissait de certains droits exclusive- ment applicables à un état de guerre. La liberté des mers n'avait jamais été troublée en temps de paix; ja- mais on n'avait pu accuser l'Angleterre de s'être pré- valu alors de sa prépondérance navale contre la navi- gation ou le commerce des plus faibles nations de la terre. La prétendue tyrannie qu'on lui reprocha ne consistait donc qu'à maintenir des principes et des traités établis pour limiter les avantages (assez grands malgré toutes les restrictions) dont la navigation et le commerce neutre jouissaient pendant les guerres ma- ritimes. La question de la liberté des mers enfin n'était
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autre chose que celle des droits du pavillon neutre. Mais par la plus étrange inconséquence, quels qu'en aient été la source et le motif, la France, protectrice déclarée de la neutralité, n'a jamais mis en avant cette question dans aucune de ses négociations avec l'An- gleterre. On n'en trouve pas de trace, ni dans celle de Lille en 1 797, ni dans celle de 1 801 , qui conduisit aux préliminaires de Londres, ni dans celle de 1802, qui fut terminée par le traité d'Amiens, ni dans celle de 1803, qui précéda la nouvelle rupture, ni dans celle enfin de 1806. C'est un fait, qui doit frapper et sur- prendre tout le monde, quoique (de ma connais- sance au moins) il n'ait encore été relevé par personne, qu'après tant de fureurs et de menaces , et après tant de serments solennels « de tout sacrifier pour cette cause sacrée de la liberté du commerce et des mers , » le gouvernement français ait pu traiter huit mois avec l'Angleterre , sans que l'on ait accordé aux droits du pavillon neutre , je ne dis pas une heure de discussion, mais seulement les stériles honneurs du procès-verbal ! Cet oubli inconcevable, ou cet acte de mauvaise foi sans exemple, a cependant eu lieu à la même époque où, d'après ce que l'on nous dit aujourd'hui , « la dé- claration du 16 mai 1806 venait d'anéantir d'un seul mot les droits de tous les Etats maritimes, » et peu de mois avant le décret de Berlin !
Et voilà le gouvernement qui aujourd'hui , oti , grâce à ses soins, il n'y a plus de puissance neutre sur le globe , où toute question de neutralité paraît éteinte et submergée dans le gouffre fatal qui a en- glouti le Droit public tout entier, réunit le ban et l'ar- rière-ban de l'Europe dans une nouvelle croisade contre les oppresseurs de la liberté maritime, et pour bien prouver la sincérité de ses motifs, menace la seule puissance continentale, qui ait encore accordé
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dans ses ports un dernier reste de protection aux der- niers soupirs de la navigation neutre !
Je sais bien de quel œil on envisage de nos jours les efforts solitaires et impuissants d'un écrivain pour défendre la vérité et le bon droit dans les affaires po- litiques. « A quoi sert de combattre les mauvais rai- sonnements de ceux dont on ne peut pas repousser les baïonnettes? Vos arguments, vos discussions répon- dront-elles à quatre cent raille hommes? Phrases contre phrases, le plus habile est toujours celui qui sait le mieux soutenir les siennes. » Tel est le langage com- mun et tel est l'effet naturel de cette dégradation et dépravation secrète que l'habitude d'obéir et de se taire introduit insensiblement dans tous les cœurs. Mais que ceux au moins qui ont préservé de la contagion la meilleure partie d'eux-mêmes ne cessent de protester contre ces maximes pernicieuses! Supportons avec résignation ce que nous n'avons pas le pouvoir de guérir; n'ajoutons à nos maux ni des démarches pas- sionnées et mal calculées, qui ne feraient que les rendre plus irréparables, ni des déclamations bruyan- tes, qui irritent les méchants sans les affaiblir ! Mais gardons-nous de confondre dans une lâche indiffé- rence le bien et le mal, l'innocent et le coupable, l'oppresseur et les victimes ! Démasquons le sophisme et l'imposture , ne fût-ce que pour l'instruction et la satisfaction d'un petit nombre d'élus, ou pour que la postérité ne nous suppose pas tous complices des for- faits que nous n'avons pas pu empêcher! Que dans ces moments critiques et décisifs, où de nouvelles scènes de désolation vont s'ouvrir, l'attention des hommes justes et éclairés se détourne un moment du spectacle qui les entoure, et s'arrête sur le fond du grand pro- cès. Qu'alors des réflexions sérieuses sur les auteurs des calamités publiques, sur leur marche, leur lan-
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gage, leurs motifs réels et prétendus, leurs moyens de diriger l'opinion (puissance toujours redoutable, quelque avilie qu'elle paraisse aujourd'hui) réveillent et occupent les bons esprits ! Et que surtout pour la conservation de ce qui est supérieur aux catastrophes du temps, l'amour de la vérité et l'horreur du men- songe et de l'injustice ne s'éteignent pas dans les âmes honnêtes !
u.
OBSERVATIONS
SUR LES DÉCRETS DE BERLIN ET DE MILAN , ET LES ORDRES DD CONSEIL BRI- TANNIQUE A l'occasion des notes du MONITEUR AJOUTÉES A LA DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ANGLAIS DU 21 AVRIL 1812, POUR SERVIR DE SUITE AUX OBSERVATIONS SUR LE RAPPORT DU MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DE FRANCE DU 10 MARS.
(Écrites par M. de Gentï, au commencement de juin <813.)
Le gouvernement anglais a publié, en date du 21 avril, une déclaration officielle pour exposer ses principes, rappeler sa conduite , et annoncer la marche qu'il va suivre par rapport à la révolution violente que les décrets de Berlin et de Milan ont opérée dans les relations commerciales de tous les pays civilisés. Dans cette pièce , également remarquable par la fermeté avec laquelle le ministère britannique défend et main- tient le système de justes représailles, que son ennemi l'a forcé d'adopter , et par la loyauté et la franchise avec laquelle il se déclare prêt à renoncer à ce sys- tème, aussitôt que les actes hostiles qui l'ont rendu nécessaire auront disparu, la question est replacée sur ses véritables bases , les fausses accusations et les ca-
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lomnies contre l'Angleterre rentrent dans le néant, et les habitants de l'ancien et du nouveau continent ap- prennent à quoi s'en tenir sur une des sources les plus fécondes des maux qui les affligent, et sur le seul moyen efficace d'y mettre un terme. « Du moment , dit la déclaration , que les décrets de Berlin et de Mi- lan seront révoqués sans restriction par un acte au- thentique et promulgué comme tel, les ordres du Conseil du 7 janvier 1 807 et du 26 avril 1 809 seront et sont déclarés d'avance , et sans qu'il y ait même besoin d'un nouvel avertissement, pleinement et en- tièrement abolis. »
Le Moniteur du 8 mai, en traduisant cette déclara- tion , l'a accompagnée d'une série de notes , dont le premier aspect doit faire pâlir l'homme le plus intré- pide et le plus exercé à cette lutte ; non pas , on s'en doutera bien, par la force des faits ou des arguments qu'elles contiennent; mais, au contraire, par l'absence de toute espèce de principe et de raisonnement, par le désordre absolu qui y règne, par la difficulté extrême de saisir un adversaire qui , ne pouvant soutenir au- cun combat régulier, nous jette des pierres à droite et à gauche , et nous accable quelquefois par l'excès de sa déraison plus qu'un autre ne le ferait par la dialec- tique la plus victorieuse. On ne sait, en effet, de quoi s'étonner le plus dans toutes ces incroyables rapsodies que l'on veut faire passer de ce côté-là pour des dé- ductions de Droit public. On voit bien que l'objet prin- cipal de ces pièces est toujours de dénaturer les ques- tions, de pervertir les faits, de brouiller et de confondre toutes les données , de dérouter et de fatiguer enfin tellement l'attention publique, que personne n'ait plus l'envie ou le courage d'aller à la recherche de la vérité à travers un dédale de mensonges. Mais il n'est pas moins certain que les rédacteurs de ces compositions
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bizarres paraissent souvent si peu au fait de l'objet di- rect de leurs propres sophismes, si étrangers aux ques- tions qu'ils ont à traiter, si mal informés sur les cir- constances les plus essentielles, et sur les événements les plus récents , qu'on a de la peine à tout expliquer par l'iniquité de leur but, et à ne pas attribuer à la médiocrité de leurs moyens une partie au moins de leurs égarements. Peu de pièces de ce genre présen- tent ce double caractère au point où il se retrouve dans ces notes. Si la mauvaise foi y tient le premier rang , on ne peut pas l'accuser au moins de dominer sans partage et sans rivale.
Pour porter de l'ordre dans ce chaos et jeter quelque intérêt sur une discussion qui ne serait que monotone et insipide, si je voulais suivre mon texte pas à pas , je tâcherai de réunir dans un petit nombre de cadres les points qui ont principalement besoin d'être éclair- cis , et qui en même temps méritent de l'être.
1" Obligé de rentrer encore une fois dans la ques- tion de la prétendue autorité du traité d'Utrecht rela- tivement aux droits maritimes, je tâcherai d'abord de l'expédier. Je m'occuperai ensuite : 2° des motifs, du sens et du caractère des ordres du Conseil, opposés aux décrets de Berlin et de Milan ; 3" des conditions exigées par le gouvernement britannique pour la ré- vocation de ces ordres du Conseil ; 4° de la prétendue révocation des décrets de Berlin et de Milan par rap- port aux États-Unis de l'Amérique; 5° des conditions exigées par le gouvernement français pour l'abolition définitive de ces décrets j 6° des avantages que le gou- vernement britannique pourrait espérer de la révoca- tion des ordres du Conseil.
Dans les observations précédentes sur le rapport au Sénat publié par le Moniteur du 16 mars, j'ai essayé de répandre quelque lumière sur la vraie origine des
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décrets de Berlin et de Milan , et sur celle des ordres du Conseil britannique. Mon principal objet sera, cette fois-ci, d'examiner si en effet il dépend du gouverne- ment anglais de faire cesser les uns et de supprimer les autres. Il est impossible de traiter ces questions sans toucher à la dispute entre l'Angleterre et les États- Unis de l'Amérique ; et comme les rapports entre ces deux gouvernements sont extrêmement peu connus , ou excessivement mal jugés sur le continent, les per- sonnes qui liront ces feuilles me sauront peut-être gré de leur avoir fourni quelques moyens de plus pour s'y orienter.
81".
De la prétendue autorité du traité d'Utrecht dans les questions de Droit maritime.
C'est pour me débarrasser de ce sujet aride, et non pas à cause de son importance particulière, que je lui assigne la première place. Je sens même une espèce de répugnance à rentrer dans une discussion où il ne s'agit que de rétablir des faits falsifiés sans art et sans scrupule , et de combattre des erreurs soutenues avec une mauvaise foi évidente. Dans la première partie de ces observations , j'ai fait voir combien il était faux et même absurde de présenter le traité d'Utrecht comme étant aujourd'hui, ou ayant été dans aucun temps, la loi commune des nations pour les droits de la neutralité maritime. Le Moniteur vient de repro- duire cette thèse ; mais pour le coup il s'est armé de toutes pièces ; il traîne à sa suite un arsenal formi- dable de dates et de citations. Par une trentaine de documents anciens et nouveaux (allégués dans la on- zième des notes qui accompagnent la déclaration bri- tannique ) , il prétend prouver au delà de toute objec-
— na- tion #f que le traité d'Utrecht, fondé sur les traités antérieurs , consacré par tous les traités postérieurs, pré- sentant d'une manière solennelle les principes constam- ment adoptés par tous les États de l'Europe , est à juste titre considéré comme la loi commune des nations. »
Cet étalage d'érudition apocryphe pourrait encore dérouter quelques lecteurs, et affaiblir la confiance dans les faits et les raisonnements que j'avais opposés aux rêves des publicistes français. Il me paraît donc indispensable de dévoiler la nullité absolue de ce que ces publicistes ont imaginé de nouveau pour emporter cette question dans leur sens. Indépendamment de son résultat direct, ce petit travail fournira encore un exemple curieux de ce que c'est que leur exactitude et leur véracité, lors même qu'ils s'avisent d'en appeler aux sources et de se couvrir d'arguments historiques.
Nous avons vu que quelques traités particuliers de commerce et de navigation, ajoutés à l'instrument principal de la paix d'Utrecht, avaient, parmi d'au- tres objets, réglé aussi les droits de la navigation neutre dans le cas d'une guerre maritime ; mais ces traités ne pouvaient lier que ceux qui les avaient né- gociés et signés. Ainsi non-seulement les stipulations de la France vis-à-vis de quelque puissance que ce fût , mais encore les engagements par l'Angleterre , dans ses deux traités avec la France et l'Espagne , étaient nuls et de toute nullité pour les rapports de l'Angle- terre avec d'autres puissances. Et , si le traité d'Utrecht avait été, comme on l'a faussement soutenu, renou- velé dans cent traités subséquents, il est clair qu'au- cun de ces traités n'aurait jamais eu force pour l'An- gleterre , à moins qu'elle n'en eût été partie, et qu'alors même ce qu'elle eût pu promettre à telle ou telle puis- sance n'aurait point été obligatoire pour elle vis-à-vis de telle autre puissance non comprise dans le même traité.
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D'après ce principe incontestable , nous pouvons d'abord retrancher, sans autre examen , toutes celles des conventions citées par le Moniteur, auxquelles l'Angleterre n'a pas participé' ; car, comme l'argument n'est dirigé que contre elle, elles ne font rien, abso- lument rien à la question. Reste donc à examiner les traités par lesquels l'Angleterre s'est liée. Voici, d'a- près la note du Moniteur, l'énumération de ceux dans lesquels elle doit avoir sanctionné les principes du Droit maritime consignés dans les traités de commerce d'Utrecht, et notamment celui que le pavillon neutre protège la marchandise ennemie.
Entre l'Angleterre et la France , en 1 783 et 1 786 ;
Entre l'Angleterre et la Russie, en 1734;
Entre l'Angleterre et la Suède, en 1740, 1766 et 1783;
Entre l'Angleterre et la Hollande, en 1782;
Entre l'Angleterre et la Prusse, en 1785.
Quant aux conventions entre la France et l'Angle- terre , le traité de Versailles de 1 783 , sans rien arrê- ter à cet égard , annonça seulement « qu'on travaille- rait à des arrangements de commerce entre les deux nations sur le fondement de la réciprocité et de la convenance mutuelle. » Cet article conduisit au fa- meux traité de commerce de 1 786, dans lequel les droits
* Il y aurait beaucoup de choses à dire sur l'aulhenticité et l'exacti- tude de cette partie même des citations. Le traité de 1725, par exemple, entre l'Espagne et V Autriche comme souveraine des Pays-Bas, que tout le monde peut consulter dans Dumont (vol. VIII, P. II, p. 4 14), ne dit pas un mot de la liberté des marchandises ennemies sous pavillon neu- tre, etc. Mais je m'en tiens à ce qui regarde la question directe.
Par la même raison, et pour ne pas trop m'appesantir sur un sujet très-sec en lui-même , je passerai aussi les traités antérieurs au traité d'Utrecht. Nous en aurons assez de celui-ci et de ceux qui doivent l'a- voir confirmé. En attendant le lecteur peut être persuadé qu'en remon- tant à des temps plus reculés, la thèse que je combats, ne gagnerait pas un aspect plus favorable.
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de la navigation neutre furent déterminés d'une manière extrêmement favorable à celle des deux puissances dont on supposait la neutralité dans une guerre mari- time de l'autre. Je crois avoir suffisamment expliqué , dans la première partie de ces observations, quelle était la raison particulière de la grande libéralité avec laquelle cet article se trouve rédigé dans les différents traités conclus entre l'Angleterre et la France pendant le XVIII* siècle , que le cas présumé dans ces traités ne pouvait guère se réaliser et ne se réalisa jamais, et que rien n'était moins fait pour tirer à conséquence que ces stipulations de pure étiquette'.
Des six autres traités cités dans la note du Moîii- teuTy il y en a quatre qu'on cherchera en vain dans tous les Recueils diplomatiques publiés en Europe ; et les deux qui restent sont aussi nuls pour ce qu'ils doivent prouver que comme s'ils n'existaient pas non plus. On aura de la peine, je le sens bien , à croire à une pa- reille manière de procéder; mais ceux qui connaissent l'histoire diplomatique du siècle passé, ou qui sont en état de vérifier les faits, jugeront s'il y a de l'inexac- titude ou de l'exagération dans les éclaircissements suivants.
1" Le traité de 1734 entre l'Angleterre et la Russie ne fait aucune mention du droit de la puissance sup- posée neutre en temps de guerre maritime, de trans- porter les marchandises appartenantes aux ennemis de la puissance belligérante. Il spécifie les articles qui seront réputés contrebande de guerre, et, comme tels, sujets à la confiscation , et ajoute que ni le vaisseau ,
' Le traité de 4786 ne fut au reste conclu que pour douze ans, et il est plus que probable que, même sans l'intervention de la guerre , il n'eût point été renouvelé. Ce traité était un des principaux griefs que les chefs de la Révolution alléguèrent contre l'ancien gouvernement fran- çiis.
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ni les passagers , ni le reste de la cargaison ne parta- geront le sort de ces articles. Voilà tout ce que ce traité (qui doit avoir consacré les principes de celui d'U- trecht ! ) a statué sur la navigation neutre. Le traité que les mêmes puissances conclurent en 1 766 répéta les mêmes dispositions. Après la publication solen- nelle des articles adoptés en 1 780 par les puissances qui prirent part à la neutralité armée , quoique l'An- gleterre eût constamment protesté contre ces principes, on aurait pu croire que la Russie , auteur et chef de cette association, ne consentirait plus à un traité sur les affaires maritimes, sans que le droit de couvrir indistinctement toute espèce de marchandise y fût assuré au pavillon neutre ; cependant les articles rela- tifs à la navigation neutre, dans le traité de commerce avec l'Angleterre de 1 797, étaient littéralement copiés d'après ceux des traités de 1734 et de 1766. Enfin, dans la convention de 1801, la dernière sur cet objet, non-seulement entre l'Angleterre et la Russie , mais la dernière en général à laquelle l'Angleterre ait eu part, il est expressément stipulé que les marchandises ap- partenant à l'ennemi , quoique transportées dans les vaisseaux d'un neutre , sont sujettes à la confiscation. 2" Aucun traité n'a eu lieu entre l'Angleterre et la Suède, ni en 1740, ni en 1783. Le traité de 1766, ex- clusivement calculé, à ce qu'il paraît, sur des rela- tions de paix et d'amitié, rédigé dans des termes très- généraux et très-insignifiants, n'a pas articulé une syllabe ni sur les droits, ni sur les limites de la neu- tralité dans les guerres maritimes. — • Il fallait ou une innocence, ou une effronterie peu commune, pour se permettre de citer cette pièce , et en général , de tou- cher, dans une discussion comme celle-ci, aux anciens rapports entre l'Angleterre et la Suède. Ceux même qui ne sont pas très-versés dans ces matières, doivent
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pourtant avoir entendu dire que jusqu'à ce que la Suède eût accédé à la convention de 1801 , il n'y a point eu d'autre règle pour les droits respectifs de ces deux puissances dans les guerres maritimes, que les traités de 1661 et de 1665; traités peu favorables aux prétentions des neutres, dans lesquels le dénombre- ment des articles, considérés comme contrebande de guerre , comprend jusqu'aux vivres fournis aux enne- mis de la puissance belligérante , et dans lesquels il est clairement établi que le navire ne couvrira point la cargaison.
3" Le soi-disant traité de 1 782 entre l'Angleterre et la Hollande est encore une production spontanée de la veine poétique decespublicistes. Dès l'année 1780 le gouvernement britannique, à la suite de ses lon- gues disputes avec les États-Généraux, avait formelle- ment suspendu tous les traités qui subsistaient entre l'Angleterre et les Provinces-Unies des Pays-Bas, et notamment celui de 1 674 , qui favorisait beau- coup la navigation neutre en temps de guerre. Peu après la guerre avait éclaté en 1792, l'Angle- terre , faisant faire des offres de paix aux États- Généraux, y ajouta celle du renouvellement de tous les anciens traités. Cette offre, par l'acceptation de laquelle les privilèges de la navigation neutre auraient été rétablis pour la Hollande sur le pied du traité de 1 674 , mais qui aurait aussi obligé les Hollandais à faire cause commune avec l'Angleterre , et à fournir les secours stipulés dans un grand nombre de traités, fut rejetée à deux reprises. Lorsqu'on négocia la paix en 1783, il fut de nouveau question de cette clause; mais le parti français s'y opposa avec plein succès , et il en arriva que, dans le traité de paix de 1 783, les questions relatives à la navigation neutre furent pas- sées sous silence, et que depuis aucune de ces ques-
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lions n'a été ni fixée , ni seulement discutée entre les deux États.
4° Pour terminer dignement cette liste de docu- ments imaojinaires, ils y ajoutent un traité entre l'An- gleterre et la Prusse de 1785. 11 n'y a jamais eu de traité de commerce ou de navigation quelconque entre ces deux puissances, et au surplus elles n'ont rien pu signer, puisqu'elles n'avaient rien négocié en 1785. Il est possible que les savants rédacteurs de ces notes aient eu l'idée vague d'un traité conclu en 1785 entre la Prusse et les États-Unis de l'Amérique *. Mais quelle que soit la source de leur erreur, elle achève toujours de caractériser leur démonstration.
Ainsi, au lieu de gagner du terrain, ils se sont affai- blis et battus eux-mêmes; et les citations incorrectes , controuvées , ou déplacées , par lesquelles ils ont cru renforcer leur thèse, ne serviront qu'à la décréditer davantage, et à la rendre ridicule aux yeux des hommes instruits. Il serait fort inutile d'examiner si aujour- d'hui ce qu'ils appellent le traité d'Utrecht, peut avoir force de loi pour qui que ce soit au monde. Il est cer- tain qu'il n'en a plus dans aucun sens et sous aucun rapport pour l'Angleterre. Il est également certain que si le gouvernement anglais, par quelques traités par- ticuliers de commerce et de navigation signés à Utrecht, a pris des engagements ( et des engagements rien moins que perpétuels ) avec la France et l'Espagne , ses
* Dans ce traité, qui est une vraie curiosité diplomatique, les deux puissances contractantes, pourvoyant au cas d'une guerre qui pourrait survenir entre elles, s'engageaient à n'accorder aucune commission à des vaisseaux armés en course pour prendre les vaisseaux marchands ou pour interrompre le commerce. On doit s'étonner que cette clause philanthropique, s'appliquant ici à une supposition pas beaucoup plus invraisemblable que celle de la neutralité de la France ou de l'Angle- terre dans une guerre maritime, ne soit pas élevée aussi au rang d'une loi commune des nations.
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droits et ses devoirs envers d'autres puissances n'ont jamais pu dépendre de ces engagements; que, dans les différentes conventions que l'Angleterre, à diffé- rentes époques, a négociées avec ces autres puissances, l'extension du droit de neutralité dans les guerres ma- ritimes a varié sans cesse d'après les intérêts respec- tifs , d'après les avantages réciproquement accordés , d'après des considérations particulières de toute es- pèce, locales , politiques , commerciales'; que l'Ai*- gleterre, protestant contre des règles arbitraires, et soi-disant générales , que personne n'était autorisé à lui imposer, a usé d'un droit qui appartient à toute puissance indépendante; qu'elle n'a jamais reconnu une législation universelle en fait de droits maritimes, mais qu'aussi elle n'y a pas prétendu de sa part; en- fin, que cette loi commune des nations que le traité d'Utrecht doit avoir solennellement établie, et qui doit avoir été confirmée par tous les traités subsé- quents, n'est qu'une phrase banale de plus, imaginée pour égarer l'opinion publique et pour colorer les plus injustes prétentions.
S 2.
Des motifs et du caractère des ordres du Conseil opposés par le gouvernement britannique aux décrets de Berlin et de Milan.
Il est dit dans la dernière déclaration du gouver-
• La seule des nations maritimes vis-à-vis de laquelle l'Angleterre ait constamment reconnu le privilège, considéré à faux comme un droit du pavillon neutre, de couvrir la marchandise ennemie, est la nation por- iugaise. Elle l'avait obtenu par le traité du 10 juilleHeSl, qui n'a jamais été ni modifié, ni suspendu. Cette faveur était fondée sur de bonnes raisons. La nation portugaise avait, de son côté, bien mérité de l'Angle- terre, et lui avait de tout temps donné des preuves d'une affection parti- culière.— Heureusement pour l'indépendance et la pro?péiité future du Portugal ce sentiment s'est conservé jusqu'à nos jours.
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nement anglais : « Depuis l'époque où l'injustice et la violence toujours croissantes du gouvernement français ne permirent plus à Sa Majesté de renfer- mer l'exercice des droits de la guerre dans ses limites ordinaires, etc., etc. » — A ces mots le Moniteur s'é- crie : (( A quel propos s'agit-il ici de l'exercice des droits de la guerre renfermé dans ses limites ordi- naires? La guerre donne-t-elle donc des droits sur les neutres ? — Parce que la France a conquis la Bel- gique , l'exercice du droit de la guerre ne peut être renfermé dans ses limites ordinaires à l'égard des États-Unis? etc., etc. »
11 est clair que « l'injustice et la violence toujours croissantes » dont le gouvernement anglais se plaint dans ce passage , ne se rapporte pas au système de conquête et d'agrandissement dont le continent est depuis tant d'années la victime, et que c'est une mau- vaise et plate chicane , que d'interpréter ce passage comme si l'Angleterre avait voulu justifier l'extension des droits de la guerre à l'égard des neutres, par la conquête de la Belgique, ou par tel autre envahisse- ment territorial. ■ — « L'injustice et la violence » qu'on relève ici , est celle que le gouvernement français a exercée, non pas contre l'un ou l'autre pays, mais contre toutes les nations de la terre, et contrôles neu- tres autant que contre les belligérants , par l'interdit général qu'il prononça en 1 806 sur toute communi- cation avec les Iles Britanniques. C'est cette mesure, jusque-là sans exemple, que les ministres d'Angleterre ont vue, lorsqu'ils parlent des actes d'injustice et de violence qui ont forcé Sa Majesté Britannique d'étendre l'exercice des droits de la guerre au delà de ses li- mites ordinaires.
Mais la guerre, poursuit le rédacteur des notes avec une bonhomie vraiment admirable, « la guerre
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donne- t-elle donc un droit quelconque sur les neutres? Les neutres ne sont-ils pas exceptés du droit de la guerre?» (Notes 1, 2, 7.) — Voilà le gouvernement français à une hauteur à laquelle les apôtres les plus hardis de la neutralité n'avaient jamais osé s'élan- cer. Si quelqu'un avançait de bonne foi une doc- trine pareille, il vaudrait la peine de remonter avec lui aux principes, de lui prouver par des raisonne- ments solides que l'idée d'une neutralité absolue, qu'aucun exercice des droits légitimes de la guerre ne saurait atteindre , répugne aux premières notions du Droit public, et qu'il serait aussi contraire à la lo- gique qu'à la justice, de n'admettre ni limites, ni mo- difications aux prétentions des neutres, pendant que l'on exigerait de l'autre côté que les droits des puis- sances belligérantes fussent limités et modifiés par ceux des neutres! — Mais ici, où nous ne combattons que des sophismes que le moment fait éclore, et que le moment qui suit ne retrouve plus, des armes plus simples nous suffisent.
Si les neutres sont «exceptés du droit de la guerre,» ou, pour parler plus correctement et plus intelligible- ment , si leurs droits sont au-dessus de toute restric- tion que l'état de guerre et les droits des puissances belligérantes pourraient y mettre, que signifie ce nombre prodigieux de traités par lesquels les limites de l'exercice de ces droits ont été réglées , non pas d'après un principe uniforme, mais d'après des com- binaisons toujours variées, tantôt plus, tantôt moins en faveur des neutres? Sur quoi étaient fondées et à quoi aboutissaient ces ordonnances souvent renouve- lées , par lesquelles les différents geuvernements , et celui de France plus habituellement et plus stricte- ment qu'aucun autre, indiquaient les bornes du com- merce et de la navigation neutre en temps de guerre
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maritime? — Et si « le principe fondamental des droits des neutres est que le pavillon couvre la mar- chandise » (Note 2), comment s'est-il fait que toutes ces ordonnances aient ignoré, méconnu, ou ouverte- ment rejeté ce principe?
Mais le décret de Berlin n'était-il donc pas lui- même l'acte d'hostilité le plus caractérisé et le plus outrageant contre ce qui , depuis le moment de sa publication , eût osé prétendre aux droits ou aux avantages de la neutralité? — On voudrait nous faire croire aujourd'hui, et la plus grande partie de ces notes est principalement consacrée à cette tâche, que le décret de Berlin n'était qu'un simple règlement mu- nicipal, pour exclure les marchandises anglaises des pays soumis à la France, ou occupés par ses armées, et que le gouvernement français, en portant ce décret, n'a point outrepassé le pouvoir qu'un État souverain peut légitimement exercer au temps de guerre , et même en temps de paix , lorsque des considérations d'intérêt ou de politique l'engagent à fermer son ter- ritoire contre les productions de tel ou tel peuple. Voyons s'il y a une ombre de vraisemblance dans cette explication tardive et forcée.
Le décret de Berlin s'annonce dès son préambule, non pas comme un règlement de commerce, ou comme une mesure de police administrative, mais avec toute la pompe et toute la sévérité d'un code criminel. Après avoir accusé l'Angleterre de tout ce que l'on peut imaginer de plus odieux, après avoir solennelle- ment proclamé l'intention de la punir de ses délits, il déclare « que les Iles Britanniques sont mises en état de blocus , et que toute communication et toute cor- respondance avec elles est défendue. » Sont-ce là les termes d'une loi prohibitive ordinaire? Le blocus des Iles Britanniques peut-il entrer dans la sphère d'une
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loi municipale, ou d'un régime de douaniers? La me- sure générale est-elle modifiée, est-elle adoucie par une restriction quelconque en faveur d'aucun peuple ou d'aucun individu? Qui a jamais pu jeter les yeux sur cet arrêt de proscription, unique dans l'histoire, sans y reconnaître sur-le-champ le style usurpé d'un lé- gislateur suprême, qui dans le délire d'une ambition, trop nourrie par des succès fabuleux , regardait déjà l'univers comme son patrimoine!
Il est possible que, dans un temps où on aime à ré- duire les plus hautes questions de la politique à des calculs de gain et de perte , l'opinion que j'ai formée sur cet objet, et dont je suis profondément pénétré, ne soit pas celle de beaucoup de monde; mais je me hâte de la consigner ici comme une des bases prin- cipales de mon système. J'ai toujours cru qu'indé- pendamment de toute considération de droit et de toute communication d'intérêt proprement dit, le dé- cret de Berlin appelait le gouvernement britannique aux représailles les plus prononcées et les plus vigou- reuses, sous le seul point de vue de l'honneur natio- nal mortellement blessé. Jamais, selon moi, injure plus sanglante n'a été offerte à une nation magna- nime. Les prétextes sur lesquels cet acte est fondé, ses motifs avoués, son but clairement énoncé, le caractère et la forme de ces dispositions, le langage qui les ex- prime, chaque mot, depuis le préambule jusqu'au der- nier article, ne respire que la colère et le ressentiment d'un chef irrité par la résistance d'une poignée de su- jets rebelles à ses lois, qu'un châtiment sévère doit ra- mener à la raison et à leur devoir. Je défie tout homme d'un sens droit de lire le décret de Berlin , et de ne pas être frappé de la vérité de cette observation. Il me sera donc aussi permis d'ajouter qu'aux yeux de ceux qui regardent l'honneur comme le trésor le plus sa-
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cré, l'appui le plus respectable, et la ressource la plus précieuse d'un gouvernement, le ministère britan- nique eût été complètement justifié, s'il avait répondu à un outrage aussi cruel par quelque démarche plus éclatante même que les ordres du Conseil du mois de novembre 1 807 '.
Mais quelle que soit sur cette question, morale au- tant que politique, la manière de voir et de sentir des contemporains , il suffît d'analyser les détails du dé- cret de Berlin pour juger si le plus audacieux sophiste réussirait à le présenter comme un règlement de po- lice commerciale, ou à nous donner le change sur sa connexion directe avec les plus grands rapports du Droit public, et les plus grands intérêts du monde ci- vilisé.
Le décret ordonne, « qu'aucun bâtiment venant di- ■ rectement de l'Angleterre ou des colonies anglaises , ou y ayant été depuis la publication du décret, ne sera reçu dans aucun port.» — Cela ne s'appelle pas, comme on le prétend aujourd'hui, « défendre Ventrée des marchandises anglaises , comme contraire à la lé- gislation des douanes de France. » — 'Le bâtiment, quel que soit son propriétaire , quelle que soit sa car- gaison, quel que soit le dernier but de son voyage, est proscrit pour le simple fait d'avoir touché aux côtes de l'Angleterre ou de ses colonies. Je serais curieux d'ap- prendre d'un défenseur des droits des neutres, dans quel code de neutralité se trouve le principe ou la sanction d'une mesure pareille.
(( Tout magasin , toute propriété , toute marchan- dise, de quelque nature qu'elle puisse être, apparte-
* C'est sous ce rapport-là que l'ordre du Conseil du 7 janvier 4807 m'a toujours paru peu satisfaisant, quoique le système de modération dans lequel il était conçu, pût avoir des motifs très-bien calculés à d'autres égards.
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nant à l'Angleterre, ou provenant de ces fabriques et de ses colonies, est déclarée de bonne prise, » par les articles 4 et 5 de ce décret. Je ne relèverai pas ici l'injustice révoltante de ces articles, auxquels, pour comble d'atrocité, on a donné même un effet rétroac- tif, qui a porté la ruine et la misère dans une quantité de pays jadis florissants , ni l'affreuse inconséquence de ceux qui ont imaginé ce grand acte de spoliation , tout en se récriant sur ce que la guerre maritime ne respectait pas les propriétés particulières! — Ce qui re- garde plus directement notre question , c'est que la manière dont ces articles sont rédigés, n'admet au- cune distinction, aucune modification , pour sauver les droits d'un tiers , qui ne se trouverait soumis à aucun titre aux arrêts de cette étrange législation. Que le propriétaire d'une marchandise proscrite soit sujet de l'Angleterre , de la France , d'un souverain allié, d'une puissance neutre , habitant d'un pays en- vahi par les troupes française, ou placé hors de toute atteinte de la guerre, tout cela est indifférent; pour être confisqué comme propriété anglaise, il suffit que l'objet soit censé provenir du sol, des fabriques ou des colonies de l'Angleterre'. ■ — Si des lois municipales ou commerciales peuvent s'étendre jusque-là, il eût été plus simple de déclarer que la juridiction du gouver- nement français embrassait tous les pays de la terre. « Les lettres et paquets adressés ou en Angleterre, ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'au-
• Nous voyons ici le même gouvernement qui a soutenu avec tant d'obstination, et qui soutient aujourd'hui encore, sans se déconcerter, « que le pavillon doit couvrir la marchandise, lors même qu'elle appar- tient à un ennemi, » non-seulement renverser ce principe, mais établir ce qui lui est diamétralement contraire par une fiction de droit que per- sonne n'avait encore imaginée, et moyennant laquelle des marchandises d'origine anglaise, ou supposées telles, doivent être considérées comme propriété ennemie, lors même quelles appartiendraient a un ami.
— se- ront pas cours aux postes, et seront saisis. « Serait-il possible de transformer en règlement de police inté- rieure une mesure scandaleusement tyrannique, qui frappait des personnes et des endroits sur lesquels le gouvernement français n'avait pas la plus légère ap- parence d'un pouvoir légitime? Au moment où le décret de Berlin fut publié , plusieurs pays considé- rables (tels que tous ceux qui composaient la monarchie autrichienne, etc.) dont la neutralité était claire et reconnue, se voyaient arbitrairement privés de tout moyen de communication avec l'Angleterre , et atta- qués surtout dans une partie très-sensible de leurs intérêts par l'exécution du décret dans les malheu- reuses villes de commerce du nord de l'Allemagne '. Et quand on pense que l'occupation même de ces villes, étrangères de tout temps à la guerre conti- nentale comme à la guerre maritime, neutres et paci- fiques par excellence, ne put avoir lieu qu'au mépris de tous les droits et de tous les principes, comment caractériser le front capable de soutenir que le décret de Berlin n'était qu'un acte de police territoriale , et ne compromettait en rien l'exercice de la neutralité ! Mais à quel propos, diront-ils, nous entretenir de la neutralité continentale; c'est la neutralité maritime que nous défendons. Saisir tout ce qui est suspect d'origine anglaise dans chaque endroit que nos armes ou nos menaces peuvent atteindre, piller les maga- sins, confisquer les propriétés des particuliers, fer- mer les bureaux de poste, détruire toutes les commu- nications, ruiner tous les peuples du continent, amis ou ennemis, armés ou neutres, voilà le droit de la
' Pour calculer l'effet de ce seul article du décret de Berlin, il faut savoir qu'avant cette loi barbare, le nombre de lettres remises seule- ment au bureau de poste de Hambourg pour l'Angleterre, montait chaque jour de courrier à vingt mille et au delà.
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guerre! Mais vexer sur mer « les Américains et les Ottomans , dont le territoire n'est pas occupé par la France \ » rien au monde ne saurait le justifier ! Ce langage serait insupportable, s'il était fondé même sur quelque distinction ou restriction réelle; mais il l'est d'autant plus que le décret de Berlin n'articulait pas un mot de réserve pour les droits des neutres sur mer. « Tout bâtiment (dit l'article 8) qui contre- viendra à la disposition ci-dessus, sera saisi, et le navire et la cargaison seront confisqués, comme s'ils étaient propriété anglaise. » D'après cet article, rien n'empêchait les croiseurs français de courir sus à tous les bâtiments neutres, en les accusant seulement de l'intention d'entrer dans quelque port du continent, après avoir touché à un port de l'Angleterre. 11 est certain et généralement connu qu'une quantité de bâtiments américains ont été pris et condamnés sous ce prétexte; et si le nombre n'en fut pas plus grand, ce n'est pas au moins à un manque de volonté de la part des Français qu'on doit l'attribuer.
D'ailleurs, s'il avait pu rester un doute sur cette question, le décret de Milan y exclusivement occupé des saisies en mer, aurait suffi pour le faire disparaître. Je sais bien que les défenseurs de ce décret diront qu'il était un acte de représailles contre les ordres du Conseil britannique. Mais outre que, dans la première partie de ces observations, je crois avoir suflisam- ment démasqué cette objection, je soutiens que, si elle était même juste et solide, le gouvernement français aurait perdu le droit de l'employer. Car si les neutres, comme il ne cesse de nous le répéter, « ne peuvent être assujettis à une autorité quelconque, » si une fois
' On prendrait cette phrase pour un sarcasme amer, si elle ne se trouvait pas littéralement dans le Moniteur ^ et même répétée plusieurs fois (voy. les Notes 4 et 10).
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pour toutes ils sont « exceptés du droit de la guerre , » il doit être également impossible de restreindre leur liberté par des actes de représailles, ou par des or- donnances directes.
Il faut le dire, parce que tel est le fait. Ces dis- tinctions chimériques, ces subtilités insidieuses, dont le Moniteur se décore aujourd'hui, mais qui ne datent pas de bien loin , lui ont été suggérées par les diplo- mates américains qui, parmi d'autres assertions in- soutenables, prétendaient aussi que le décret de Berlin n'avait pas positivement articulé la saisie des vais- seaux neutres en pleine mer. Les auteurs de ce pitoyable subterfuge , qui reparaît encore dans les pièces les plus récentes , avaient bien sollicité dans le temps et obtenu même du ministre de la marine de France, une espèce d'explication du décret qui avait l'air de favo- riser leur découverte. Mais lorsqu'ils demandèrent ensuite que cette explication fût sanctionnée par l'au- torité suprême, on leur fit savoir, après beaucoup de délais, que le décret serait exécuté dans toute sa rigueur.
Il faut s'aveugler à dessein contre l'évidence pour ne pas reconnaître enfin que les ordres du Conseil britannique du mois de novembre 1 807 étaient par- faitement et amplement justifiés, non-seulement par le principe, mais aussi par toute la teneur et par chaque détail du décret de Berlin, et que les ministres anglais ont pu dire en toute vérité dans leur dernière déclaration officielle : (f que Sa Majesté a cherché, par un usage restreint et modéré des droits de représailles auxquels les décrets de la France la forçaient d'avoir recours, à réconcilier les États neutres avec ces me- sures, que la conduite de l'ennemi avait rendues inévitables, n En effet , l'esprit et les dispositions de ces ordres étaient fort éloignés de toute rigueur gra-
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tuite ou excessive. Le décret de Berlin avait défendu comme une action criminelle toute communication avec les Iles Britanniques; en réponse à cet attentat violent, les ordres du Conseil se bornaient à interdire le com- merce direct avec la France et les pays soumis à son pouvoir. Si , dans les démarches de part et d'autre , il y avait eu réciprocité parfaite, la différence des motifs les distinguerait encore d'une manière décisive. La France agissait par sa propre impulsion, l'Angleterre par la nécessité de se défendre. Mais en comparant les mesures respectives telles qu'elles sont, on s'aperçoit qu'au lieu d'une réciprocité exacte, elles présentent plutôt les contrastes les plus frappants. Chaque phrase des ordres du Conseil exprime le désir du gouverne- ment anglais de soulager, autant qu'il était possible , ceux qui, sans leur faute, devaient souffrir de l'effet de ses représailles; dans le décret de Berlin, au con- traire, on ne rencontre pas la trace d'un ménage- ment; tout y est enveloppé dans la même disgrâce, et les coups portés par ce sinistre arrêt tombaient aussi directement sur l'Europe continentale et sur tous les peuples civilisés que sur les habitants des Iles Britan- niques. Dans les formes mêmes la différence se fait sentir. Les ordres du Conseil sont rédigés avec le calme et la décence qui conviennent à des actes pu- blics; les décrets de Berlin et de Milan sont les explo- sions d'un volcan révolutionnaire.
L'esprit de modération qui avait guidé les auteurs des ordres du Conseil de 1807, se fit remarquer de nouveau dans les changements que l'on y apporta de temps en temps, et qui tous avaient pour but d'en adoucir la rigueur. Par l'ordre du 20 avril 1809, qui dispensa les bâtiments neutres de toucher aux ports de l'Angleterre, et retrancha de l'interdiction du com- merce une grande étendue de côtes et de ports , les
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ordres du mois de novembre 1 807 furent entièrement abrogés. Jusqu'ici les Français, soit par mauvaise foi, soit par ignorance réelle, avaient pris le parti de se taire sur tous ces changements essentiels. Tout à coup ils trouvent plus convenable de les calomnier, de les dénigrer, d'y reconnaître une preuve de plus de la prétention monstrueuse du gouvernement anglais d'assujettir l'Océan à ses lois *.
Des déclamations contre la tyrannie des mers sont , selon eux , partout à leur place ; comment les auraient- ils négligées cette fois-ci ! « L'Océan appartient-il donc à l'Angleterre? Où est l'acte, où est l'autorité qui lui a fait concession de l'Océan ? Pourquoi les délits com- mis sur l'Océan ne sont-ils pas jugés aux assises de Westminster? etc., etc. » Une grande partie des notes est remplie de ces extravagances. Nous ne nous y ar- rêterons qu'un instant. Les ordres du Conseil n'ont rien de commun avec l'empire des mers. L'Océan n'est le domaine de personne; et l'Angleterre n'en a jamais réclamé ni la propriété, ni la souveraineté. Mais les vaisseaux qui en temps de guerre parcourent cet Océan, et leur cargaison, leur destination, leur route, les pays d'où ils viennent et où ils vont, et le
• Voici comment le Moniteur travestit dans une de ses notes le pas- sage de la déclaration ofScielle où il est question de ces changements. « Sa Majesté Britannique , par pitié pour l'Europe, voulut bien limiter les restrictions que ses arrêts du Conseil imposaient au commerce neutre. Tous les mots de ce paragraphe excitent l'indignation. » (Note 3.) — Ce qui doit bien vivement l'exciter, c'est ce mépris total pour la vérité, qui est que les rédacteurs de ces diatribes, en répétant dans une note un passage dont ils viennent de donner eux-mêmes le texte authentique, n'hésitent pas à le falsifier sur-le-champ. Dans celui qu'ils ont attaqué ici, il n'y avait pas un mot qui pût être construit en pitié pour l'Europe. Le sens même y répugne absolument. La substitution de l'ordre du Conseil de 1809 à ceux de 1807 ne tendait qu'à modifier les restrictions que ceux-ci avaient imposées aux Américains. C'est en leur faveur que le gouvernement anglais, « ayant égard à la situation où se trouvait l'Europe en 1809,» limita l'efifet des premiers ordres du Conseil.
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système politique et commercial de ces pays, et les relations qu'ils entretiennent ou qu'ils forment avec ceux qui sont engagés dans la lutte, tous ces objets regardent de bien près les droits et les intérêts d'une puissance belligérante. La guerre maritime ne serait qu'un jeu , elle deviendrait même absolument nulle, si les peuples qui la font n'étaient pas autorisés à sou- mettre à des règles et à des limites la navigation de ceux qui voudraient cultiver la paix pendant les orages. Dans ce sens, la mer n'a jamais été libre, ne le sera jamais, et ne peut pas l'être. La liberté des mers est synonyme de la neutralité absolue ; l'une et l'autre sont également impraticables, et même inconcevables. Le vrai Droit des gens, tel qu'il était avant les sophistes de nos jours, et tel qu'en dépit de leurs chimères il se maintiendra dans les têtes bien organisées , doit inva- riablement reconnaître ces principes. Leur application a pu être moins sévère, moins tranchante, moins sen- sible, tant que la guerre elle-même était contenue dans des bornes plus étroites. A mesure qu'elle s'est affran- chie de ces bornes, qu'elle a gagné soit en étendue et en variété de moyens, soit en violence et en férocité, tout ce qui l'accompagne et tout ce qui en dépend a dû subir les mêmes changements; et les neutres, quelque chose qu'ils fassent pour s'y dérober, et quelque honneur et respect que les autres puissent porter à leurs droits , doivent à un certain degré par- tager le sort commun. Jamais le gouvernement anglais n'aurait adopté de son propre chef une mesure telle que les ordres du Conseil; mais le décret de Berlin avait complètement changé la face de la guerre, et il était peu sensé de prétendre qu'au milieu d'un trem- blement de terre qui bouleversait une telle masse de pays, l'Océan, qui les entoure, conservât son calme et sa sérénité.
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S 3.
Des conditions exigées par le gouvernement anglais pour la révocation des ordres du Conseil.
On ne peut rien imaginer de plus clair, de plus po- sitif et de plus juste, que la condition à laquelle le gouvernement anglais attache la révocation de ses or- dres du Conseil. « A dater du jour où les décrets de Berlin et de Milan seront révoqués sans réserve et res- triction par un acte authentique, les ordres du Conseil seront et sont déclarés d'avance absolument et complè- tement supprimés. » Qui aurait cru qu'un langage si peu équivoque pût encore fournir matière aux inter- prétations les plus calomnieuses?
Le Moniteur s'accroche à un passage de la déclara- tion , où il est dit que Sa Majesté Britannique avait tou- jours été prête à renoncer à ses actes de représailles, si les décrets de l'ennemi, qui la forçaient d'y avoir recours, avaient été abolis, et que le commerce des na- tions neutres eût été rendu à son cours accoutumé. On aurait dit qu'il n'était pas possible de se méprendre sur le sens de cette phrase. Rendre le commerce des neutres à son cours accoutumé ne pouvait signifier ici autre chose que remettre ce commerce dans l'état où il se trouvait avant les décrets de Berlin et de Milan. Sur des millions de personnes qui liraient cette déclaration, il n'y en aurait pas une, je crois, qui l'entendrait dif- féremment.
Mais voici l'explication du Moniteur : « Les Notes de M. Foster^ au gouvernement des États-Unis nous apprennent suffisamment ce que l'Angleterre entend par rendre le commerce des neutres à son cours accoutumé,
• Alors ministre d'Angleterre près les États-Unis de l'Amérique.
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Il faut détruire les fabriques de sucre de betteraves, déraciner les pastels qui donnent au continent l'indigo indigène, défendre la culture du coton et ces nombreuses fabriques qui remplacent les produits de l'industrie anglaise, et qui font de si rapides progrès en France, en Autriche, en Saxe, dans le duché de Berg. Il faut, tandis que l'Angleterre met des droits de 50 à 200 pour 1 00 sur les vins de France, etc., recevoir les marchan- dises anglaises en France, et n'imposer à leur intro- duciion que des droits de 5 à 10 pour 100. Alors le commerce sera rendu à son cours accoutumé. Voilà ce qui a été parfaitement expliqué par les Notes de M. Foster, auxquelles le ministère américain a répondu avec autant de fermeté que de talent, etc., etc. i) (Note 2.) Un moment après ils ajoutent : « L'Angle- terre entend qu'elle se servira des neutres pour influer par leur moyen sur les tarifs municipaux de son en- nemi, que les neutres obligeront la France à recevoir les marchandises anglaises, et prêteront leur appui à l'Angleterre pour qu'elle parvienne à joindre la sou- veraineté universelle de la terre à la souveraineté des mers. Les réponses de M. Monroe à cette prétention si singulière ont un tel caractère de force et de vérité que nous n'avons rien à y ajouter. »
Les éloges prodigués ici au gouvernement améri- cain sont une critique bien plus amcre de sa conduite que tout ce que les défenseurs les plus zélés des droits de l'Angleterre peuvent avoir dit ou écrit contre lui. Les ministres des Etats-Unis ont mérité une partie de ces éloges. Il faut cependant rendre à chacun ce qui lui est dû. Les Notes de M. Monroe ne sont pas respon- sables du verbiage insensé que je viens de citer. Les betteraves y \e pastel, les tarifs, lu souveraineté univer- selle, tout cela est de la pure invention des écrivains du Moniteur. Mais lorsqu'à la suite de ce déluge d'ab-
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surdités, ils prétendent que l'Angleterre, pour révo- quer les ordres du Conseil, a exigé « que les neutres obligeront la France à recevoir les marchandises an- glaises , il est difficile de nier que c'est M. Monroe qui leur a administré ce chef d'accusation.
Ce ministre avait inféré de quelques passages des Notes de M. Poster, que l'Angleterre insistait sur l'ad- mission des produits de ses manufactures dans les ports de la France et de ses tributaires, comme sur une condition préalable pour révoquer les ordres du Conseil, et qu'elle faisait un tort aux États-Unis de l'Amérique de ce qu'ils se soumettaient aux lois qui défendaient l'importation de ces articles. M. Poster a constamment protesté contre une explication aussi peu conforme au sens de ses Notes. En dépit de ses protes- tations , on avait su accréditer l'idée que tel était le fond de ses griefs et de ses moyens d'accommodement. 11 s'en expliqua donc de nouveau dans une Note du 17 décembre 1811, et déclara formellement qu'aucun passage de celles qui l'avaient précédée n'autorisait à lui imputer la prétention que les États-Unis insistas- sent sur l'entrée des marchandises anglaises en France, ou sur des modifications dans les règlements qui la défendaient. M. Monroe y sans convenir de son erreur, paraît cependant avoir senti que la thèse n'était plus soutenablej car dans sa réponse du 14 janvier 1812, d'ailleurs aussi peu juste et satisfaisante que tout le reste delà correspondance, il abandonna cette partie du procès.
Le gouvernement français a connu les deux der- nières pièces ; il en a donné des traductions dans ses propres feuilles. N'importe ! Il était décidé à ne pas lâcher prise sur cet article , et à s'étayer « de la saine doctrine du ministère américain. » Dorénavant il n'y a plus moyen d'en sortir. Tant qu'une feuille française
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s'occupera, se souviendra de cette affaire, l'assertion de M. Monroe y retentira comme une vérité inatta- quable, et comme si elle n'avait jamais été ni relevée, ni réfutée , ni désavouée.
M. Poster (on le voit bien par les pièces publiées jusqu'ici) est un homme trop éclairé et trop versé dans les questions qu'il doit traiter, pour avoir pu con- fondre la législation commerciale de l'intérieur d'un État avec son système de conduite vis-à-vis des puis- sances indépendantes , ennemies ou neutres , ou pour avoir pu imaginer que les Américains devraient servir l'Angleterre en faisant modifier le régime prohibitif et « les tarifs municipaux » de la France. Le juste grief de M. Fosler a été que , contre tous les principes du Droit des gens jusqu'ici reconnus et suivis, les décrets de Napoléon prononçaient la confiscation d'une mar- chandise, par la seule raison qu'elle était d'origine anglaise, et quel qu'en fût le propriétaire actuel, et que d'après cette législation tyrannique, la simple possession d'un objet provenant du territoire ou de l'industrie britannique était regardée comme un acte criminel. Il s'est plaint de ce que le gouvernement des États-Unis ait pu acquiescer à un système pareil, le protéger par toutes sortes de faveurs , le seconder de tous les sophismes de sa Diplomatie, pendant qu'il accablait de reproches amers une puissance dont tout le tort consistait à avoir opposé des représailles modé- rées à ce même système inventé par son ennemi dans le but avoué de la détruire.
Pour révoquer ses actes de représailles, le gouver- nement anglais ne demande que la suppression pure et simple des décrets de Berlin et de Milan. Il n'a ja- mais demandé davantage, et je ne crois pas que, sans sacrifier ce qu'il doit avoir de plus cher, il puisse se contenter de moins. Nous examinerons tout à l'heure XI 5
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de quel droit on peut soutenir que ces décrets ont été révoqués à l'égard des Américains. Mais ils le seraient dans ce sens-là de la manière la plus complète et la plus catégorique, que le gouvernement anglais n'en serait pas moins autorisé, et même obligé par principe et par devoir, à les envisager comme subsistant dans toute leur plénitude. La question à laquelle ces actes hostiles ont donné lieu n'est pas seulement une ques- tion entre telle ou telle puissance neutre d'un côté, et la France ou l'Angleterre de l'autre; c'est une question directe entre l'Angleterre et la France. On peut dis- puter longtemps et dans tous les sens sur l'avantage réel ou apparent qui reviendrait à l'Angleterre d'une révocation 'partielle du décret de Berlin ; la moindre réparation d'un outrage pareil , c'est de le faire cesser sans réserve , d'amender l'acte qui le contient. Se con- tenter, dans une affaire de cette nature, de biais, de modifications , de demi-rétractations , serait un parti dangereux, quand ce ne serait pas un parti imprati- cable ; ici ce serait l'un et l'autre à la fois.
§4.
De la prétendue révocation des décrets de Berlin et de Milan à l'égard des États-Unis de l'Amérique.
Dans la correspondance entre l'Angleterre et les États-Unis, on a agité pendant six mois la question si les décrets français ont été révoqués, ou non, par rap- port à r Amérique. Une aussi singulière incertitude, des discussions aussi prolongées et aussi compliquées sur un point de fait prouvent au moins que, si la ré- vocation a eu lieu, elle ne peut pas avoir eu un carac- tère bien positif et bien prononcé. En effet, le peu de pièces publiées à ce sujet en France, à commencer par
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la lettre du ministre Champagny au général Arnistrong du 5 août 1 81 0, sont conçues dans des termes si va- gues, si louches, ou si conditionnels, qu'il était presque également permis de croire ou de ne pas croire à la révocation. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'a jamais été formellement annoncée par des actes authentiques et publics*.
Quoi qu'il en soit, le Moniteur assure aujourd'hui que les décrets sont révoqués par rapport à l'Amérique, sans clause ni restriction. En accordant à cette asser- tion toute l'autorité à laquelle elle puisse prétendre, en reconnaissant le Moniteur comme organe avoué du gouvernement français, il s'ensuivrait tout au plus que ce gouvernement veut enfin regarder ses décrets comme abolis à l'égard des Américains. Mais une in- sinuation pareille, appuyée sur aucun document légal et connu, suffirait-elle pour établir un fait jusqu'ici au moins extrêmement douteux? Et si elle prenait même les formes d'un document légal, pourrait -elle nous convaincre de ce qui serait ouvertement démenti par des faits d'un genre opposé ou par d'autres déclara- tions claires et formelles? Il faut savoir, avant tout, ce que le gouvernement français entend par la révocation sans clause ni restriction de ses décrets, à l'égard des Américains.
En lisant les notes du Moniteur, et en consultant, ce
* On cite (dans les notes 5 et 12) un décret du 28 atTi7 181 1 comme ne laissant plus de doute sur cette question. Personne ne connaît ce décret; il n'a pas été imprimé dans le Moniteur, et ce qui me paraît plus extraordinaire , il n'en est fait aucune mention dans les Notes de M. MoNROE, que nous connaissons pourtant (en partie au moins) jusqu'au mois de janvier 1812. Comment M. Monroe, qui attachait tant de prix à prouver la révocation des décrets, aurait-il gardé le silence sur une pièce aussi décisive? Je ne suis pas en état de résoudre ce problème. Mais on verra bientôt que l'existence ou la non-existence d'un pareil décret n'atfecterait guère mon raisonnement.
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qui est de bien plus de poids , les communicaticns officielles entre M. Monroe et M. Foster, il est impos- sible de ne pas s'apercevoir que le gouvernement des États-Unis lui-même n'a jamais envisagé la prétendue révocation des décrets de Berlin et de Milan que rela- tivement aux articles de ces décrets qui autorisaient les croiseurs français à saisir leurs vaisseaux en pleine mer, lorsqu'ils étaient suspects d'avoir communiqué avec l'Angleterre ou ses possessions, ou de porter des marchandises d'origine britannique. Mais la révoca- tion de ces articles (en la supposant parfaitement prou- vée) serait-elle une révocation des décrets, sans clause ni restriction , en ne les considérant même que dans leurs rapports avec les Américains? Mais l'article qui refuse l'entrée dans tous les ports que le gouvernement français peut atteindre, à tout bâtiment sans exception qui se serait trouvé en contact avec l'Angleterre ou quelque pays gouverné par elle, mais celui qui pro- nonce la confiscation de tout ce qui provient du terri- toire et des fabriques britanniques, quel qu'en soit le possesseur actuel, ne regardent-ils point l'Amérique ? Et peut-on citer, je ne dis pas une pièce authentique, mais le moindre indice direct ou indirect prouvant que l'abolition de ces articles-là ait jamais été réalisée ou seulement projetée? Le langage du Moniteur ne nous apprend-il pas plutôt qu'ils seront sévèrement main- tenus contre tout le monde? Et la peine que s'est don- née M. Monroe pour les défendre, comme alliés du sys- tème municipal de la France, ne prouve-t-elle pas assez que le gouvernement américain les croyait en pleine vigueur?
Supposons enfin que tôt ou tard Napoléon pousse la condescendance pour les États-Unis jusqu'à déclarer par un acte authentique que toutes les dispositions du décret de Berlin et de Milan sont révoquées à l'égard
— Go- des Américains; cet acte pourrait-il satisfaire le gou- vernement britannique? Selon ma manière de voir, aucunement. Loin d'abolir ces odieux décrets, une dé- marche pareille ne ferait que les confirmer de nou- veau. Il ne s'agit pas des faveurs et privilèges que le gouvernement français peut juger à propos d'accorder à telle ou telle nation. Les décrets ont été portés contre l'Angleterre; c'est comme tels , c'est dans toute leur étendue, c'est purement et simplement, qu'ils doivent être révoqués.
Les États-Unis, en insistant sur la révocation des ordres du Conseil, comme suite de la révocation des décrets de Berlin et de Milan, n'ont ni la raison ni la justice de leur côté. Car, dans le cas même qu'ils fus- sent en état de produire quelque document authen- tique et positif par lequel la France relevât les habi- tants de leur pays de l'effet de toutes les clauses de ces décrets, je soutiens qu'ils n'auraient aucun droit d'exiger du gouvernement anglais , soit la révocation de ses ordres du Conseil, soit un privilège analogue à celui que, dans cette supposition (peu probable) , ils auraient obtenu de la France. La révocation des or- dres du Conseil ne peut pas dépendre des rapports, quels qu'ils soient, entre la France et l'Amérique. Et entre une mesure par laquelle les décrets de Berlin et de Milan seraient révoqués ou suspendus â l'égard des Américains, et une autre qui révoquerait ou suspendrait en leur faveur les ordres du Conseil bri- tannique, il n'y aurait aucune parité d'effets, aucune réciprocité réelle. Car la France, tout en supprimant ses décrets à l'égard des États-Unis, les maintiendrait dans toute leur force contre l'Angleterre, contre l'Eu- rope, contre tous les pays qu'elle pourrait enchaîner à ses lois ; tandis que l'Angleterre , en permettant aux Américains de communiquer librement avec la
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France et tout ce qui dépend d'elle , retirerait ses or- dres du Conseil, non-seulement par rapport aux Amé- ricains, mais par rapport à tous les pays directement ou indirectement soumis à son ennemi; c'est-à-dire qu'elle renoncerait par le fait à tout son système de représailles.
Loin d'affaiblir les motifs qui jusqu'ici ont déter- miné le ministère britannique à ne pas s'écarter de ce système, la manière dont le Moniteur s'explique sur la révocation des décrets à l'égard des Américains, est plutôt faite pour les confirmer et pour les renforcer. Le gouvernement français avait le choix de faire croire qu'il se relâchait de son ancienne rigueur, ou par un esprit de justice et de conciliation, ou par respect pour les intérêts des neutres, ou par une prédilection parti- culière pour les États-Unis de l'Amérique. Mais, au lieu de se prévaloir de l'une ou de l'autre de ces supposi- tions, il les désavoue et les détruit lui-même. Il nous apprend que les décrets ont été adoucis, ou (pour par- ler avec le Moniteur) révoqués à l'égard des Américains, parce que ceux-ci se sont mis dans une attitude hostile contre VAngleterreK « Rien n'est plus dangereux qu'un imprudent ami, » dit le grand fabuliste. Il faut con- venir que les ministres américains ont plaidé avec
' Trois fois on a répété dans ces notes que les décrets sont révoqués pour l'Amérique, et chaque fois, ce qui est bien remarquable , on a immédiatement ajouté que telle était la raison de cet acte d'indulgence : « Les motifs de cette révocation sont connus de l'Europe. La législature des États-Unis a mis en interdit le commerce anglais ; les côtes ont été armées; et les compatriotes de Washington, animés de son esprit, se sont indignés du joug de plomb que l'on voulait faire peser sur eux, et se sont montrés prêts à soutenir leurs droits par les armes. » (Note 5.) — « Les décrets ont été révoqués parce que les États-Unis sont en hostilité dec/aree contre -les actes britanniques, etc. >' (Note 12.) — « La France a révoqué ses décrets pa^xe que l'Amérique, en frappant de prohibition le commerce britannique, a soutenu avec fermeté ses droits, etc., etc. » (Note 13.)
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bien plus d'adresse et de savoir-faire la mauvaise cause du gouvernement français, que celui-ci n'en a mis à plaider la leur. Si les décrets de Berlin et de Milan ne subsistent plus dans toute leur étendue par rapport à l'Amérique, c'est parce que les Américains sont pres- que en guerre ouverte contre l'Angleterre, et se prépa- rent à l'être tout à fait! Quelle excellente raison pour engager le gouvernement britannique à rétracter ses ordres du Conseil en faveur de ces mêmes Américains ! La France, pour les récompenser de l'attitude mena- çante qu'ils ont adoptée contre l'Angleterre, les affran- chit ou prétend les affranchir d'une partie des entraves que ses décrets leur avaient imposées. Fort bien. Mais à quel titre exigeraient-ils la même chose de l'Angle- terre, vis-à-vis de laquelle leurs propres amis, pour le coup témoins peu suspects , les disent « en état d'hostilité , » et « prêts à soutenir leurs droits par les armes?»
Le Moniteur ajoute encore : « Ce que la France a fait pour les Américains, elle est prête à le faire pour toute autre puissance neutre. C'est-à-dire toute autre puis- sance neutre qui se mettra en état d'hostilité contre l'Angleterre (plaisante manière, pour le dire en pas- sant, de constater sa neutralité !). Comme il n'existe plus de neutres aujourd'hui, il n'y avait pas beaucoup de risque dans cette offre généreuse. Cependant il est toujours curieux de la confronter avec les procédés réels de ceux qui la font. Si une puissance neutre mé- rite aux yeux de la France des ménagements particu- liers par cela seul qu'elle a pris une attitude hostile contre l'Angleterre, il semblerait qu'une puissance indépendante, actuellement en guerre contre elle, dût être traitée avec bien plus de faveur. Mais nous avons vu une puissance du premier ordre en Europe faire la guerre à l'Angleterre pendant quatre ans , sans quo
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jamais la plus petite clause du grand système de pro- scription ait été abrogée ou suspendue à son égard. Tout au contraire, nous avons vu cette grande puis- sance accusée, chicanée, menacée, pour la moindre déviation, réelle ou apparente, dans l'exécution de ce système; et nous l'avons vue enfin formellement attaquée pour cause de contravention à un article du traité de Milan . Quant à la mauvaise foi qui éclate dans des contrastes pareils, il ne vaut plus la peiiie de la relever; la lumière paraît enfin avoir percé sur ce point-là; mais on est surpris et confondu en en- tendant tous les jours encore vanter l'intelligence su- périeure et la politique profonde d'un gouvernement qui ne cesse de donner à l'Europe le spectacle de ces contradictions choquantes, et s'empresse de les con- signer dans ses feuilles publiques, comme s'il avait peur de les voir échapper aux contemporains et à la postérité.
S 5.
Des conditions attachées par la France à la révocation défini- tive des décrets de Berlin et de Milan.
Les conditions sur lesquelles, d'après ces notes du Moniteur, la France insiste pour révoquer les décrets de Berlin et de Milan, sont que l'Angleterre supprime ses ordres du Conseil de 1807 et de 1809, mais en même temps la déclaration de blocus du 16 mai 1806; attendu que, « sans la révocation du blocus de 1806, celle des arrêts de 1 807 et de 1 809 serait illusoire. » — « Si le gouvernement anglais, dit la note 1 3, révo- que sa déclaration du 16 mai 1806, le décret de Ber- lin, qui n'en est qu'un acte de représailles, sera révo- qué de droit. Si le gouvernement anglais révoque ses
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arrêts du H novembre 1807, le décret de Milan, qui n'est qu'un acte de représailles de ces arrêts, sera ré- voqué de droit. »
Fidèle au système audacieux et invariablement suivi par tous les gouvernements nés de la Révolution, d'ac- cuser ceux qu'il s'agissait de dépouiller ou d'écraser, non-seulement de torts et de crimes imaginaires ^ mais précisément de ces mêmes torts et de ces mêmes crimes auxquels les accusateurs allaient se livrer, ou quils ve- naient de commettre contre eux, le gouvernement fran- çais a pris le parti de représenter comme des actes de représailles les décrets éminemment agressifs de Ber- lin et de Milan. En exigeant aujourd'hui que l'Angle- terre révoque ses ordres du Conseil , avant que la France eût abrogé ses décrets, il est tout simple que l'on se serve encore de la même tactique. Car, sans employer un artifice pareil, ce serait trop insulter au sens commun et à toute idée de justice et de conve- nance, que de prétendre que la révocation des ordres du Conseil, amenés et provoqués par les décrets fran- çais, précédât la révocation de ces décrets.
Je crois avoir suffisamment expliqué, dans la pre- mière partie de ces observations, ce que c'était que la déclaration du IG mai 1806, et à quel point il fallait avoir renversé toutes les idées et dénaturé tous les faits, pour soutenir qu'elle avait été, ou qu'elle eût pu être la cause du décret de Berlin. Cette déclaration fut légalement révoquée au mois de septembre 1806; si elle a été remplacée depuis par quelque autre acte de la même nature ', il aurait fallu ou citer cet acte ,
' J'avouesincèrement que je ne sais passi la déclaration du \ ^mai\ 806 a jamais élé remise en vigueur, ou si quelque mesure analogue a sub- sisté se/jareme/U des ordres du Conseil. A en juger d'après quelques pa.-sages de la correspondance, entre M. Monrob et M. Foster, je serais presque tenté de le croire; mais privé de tous les moyens nécessaires
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ou se contenter de protester en général contre le prin- cipe de toute mesure pareille. Insister sur la révoca- tion de la déclaration du 16 mai comme telle, est aujourd'hui complètement absurde.
Il ne l'est pas moins d'annoncer que la révocation du décret de Milan suivra celle des ordres du Conseil du 1 1 novembre 1807. Ces ordres ne subsistent plus; ils sont remplacés par l'ordre du 26 avril 1809. Dans le sens même du gouvernement français, le décret de Milan, comme je crois l'avoir prouvé, est nul et de toute nullité, puisqu'il se rapportait tout entier à une clause des ordres de 1 807, qui a été supprimée dans celui de 1 809.
Mais ce qui est bien plus essentiel que tous ces anachronismes, et toute cette confusion de faits et de dates, c'est la prétention du gouvernement français de faire renoncer l'Angleterre au principe de blocus maritime, tel qu'elle l'a soutenu jusqu'ici, et tel qu'il a servi de base à la déclaration du 16 mai 1806. Il me paraît nécessaire d'ajouter encore quelques éclaircis- sements à ce que j'ai dit sur cet objet dans la première partie de ces observations.
« La Grande-Bretagne, « dit M. Poster dans une de ses lettres à M. Monroe, « n'a jamais contesté que , suivant les usages du Droit des gens, tout blocus, pour pouvoir être justifié , doit être appuyé par des forces suffisantes, et mettre en danger tout navire qui tenterait d'échapper à ses effets. Ce fut d'après ce prin- cipe reconnu que le blocus de mai 1 806 ne fut notifié par M. Fox y alors secrétaire d'État, qu'après qu'il se
pour vérifier ce fait, je ne puis ni l'affirmer ni le nier positivement. Cette circonstance, au reste, comme on le verra tout à l'heure, est peu essentielle pour la question principale. Car il ne s'agit pas de tel ou tel acte individuel, mais de savoir si l'Angleterre peut et doit renoncer au droit sur lequel la déclaration du 16 mat était fondée, et que la France lui conteste aujourd'hui.
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fût convaincu par un rapport du bureau de l'Amirauté, que l'Amirauté avait et emploierait les moyens de garder toute la côte depuis Brest jusqu'à l'Elbe, et de mettre réellement ce blocus à exécution. Le blocus du mois de mai 1806 était donc juste et légitime dès son origine, puisqu'il était appuyé, tant dans l'intention qu'en effet, par des forces navales suffisantes. — Les ordres du Conseil furent fondés sur un principe diffé- rent y etc., etc. >j
Je ne crois pas qu'il soit possible de définir le droit de blocus d'une manière plus claire, plus rai- sonnable et plus juste. L'explication de M. Foster est d'ailleurs parfaitement d'accord avec l'idée fondamen- tale du droit de blocus, admise par tous les publi- cistes et par ceux même qui ont le plus déraisonné sur les limites de son exécution. Si l'extension donnée à ce droit dans les guerres maritimes de notre temps a paru contraster avec ce que l'on avait vu autrefois, et a fait croire à des observateurs superficiels qu'elle était contraire aux anciens usages, la raison en est que l'on n'a pas assez réfléchi sur les effets naturels et nécessaires du progrès de tous les moyens mari- times. Je défie d'établir un principe quelconque auto- risant une puissance à bloquer un port de son ennemi, lorsqu'elle peut le faire avec un nombre de vaisseaux suffisant, qui n'autorisât la même puissance à bloquer toute une côte hostile, si elle peut disposer de forces suffisantes pour réaliser cette entreprise dans le sens habituel et généralement reçu de ce terme. 11 n'y a rien de plus déplacé que d'appeler une opération pa- reille un blocus sur le papier. Si les blocus déclarés et exécutés par le gouvernement anglais n'avaient été que cela, il est probable que les injures que lui ont adressées ses ennemis et quelques neutres qui avaient adopté leur langage, auraient été bien moins violentes.
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D'un autre côté, la définition du droit de blocus maritime que la France voudrait mettre en avant, est tout à fait inadmissible, et contrarie en même temps toutes les idées reçues. Elle prétend que le droit de blocus n'est applicable qu'aux « places fortes, réelle- ment investies de forces suffisantes '. » D'après cette définition, on n'aurait jamais pu bloquer un j^ort non fortifié, et les puissances qui, par l'infériorité de leurs forces navales , seraient exposées à des attaques de ce genre n'auraient qu'à raser leurs côtes, et détruire tout ce qui s'appelle fortification, batterie, etc., pour rendre nulle toute espèce de blocus maritime. On a beau analyser, disséquer, tourner et retourner dans tous les sens l'idée d'un droit de blocus, on n'y trou- vera pas le moindre fondement, pas le moindre pré- texte pour une restriction si parfaitement arbitraire.
Jamais aucun ministère britannique ne reconnaî- tra cette législation de pure fantaisie. Du jour où l'Angleterre s'y soumettrait, sa prépondérance mari- time ne serait plus qu'un fantôme sans réalité. Exiger qu'elle renferme l'exercice de ses droits dans les bornes étroites que son ennemi veut gratuitement éta- blir, c'est autant que lui dire sans détour : Nous reconnaissons et nous sentons votre supériorité; mais nous prétendons que vous n'en usiez que jusqu'au terme que nous jugerons à propos de vous fixer! Il me semble que l'Angleterre serait tout aussi autorisée à répondre ; Vous êtes aujourd'hui la première puis- sance continentale; mais, comme votre conscription militaire , et plusieurs autres moyens récemment in- ventés pour multiplier et perfectionner vos forces , nous gênent et nous déplaisent, vous reprendrez l'an- cien système militaire, tel qu'il était en usage chez vous avant la Révolution.
* Voy. \q préambule du décret de Berlin.
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Le gouvernement anglais s'est avancé aussi loin que possible, il a accordé tout ce que l'on peut rai- sonnablement prétendre, en déclarant qu'aussitôt que les décrets de Berlin et de Milan seront abolis , il révoquera et révoque dès à présent les ordres du 7 janvier 1807, et du 26 avril 1809, qui sont les seuls actes de représailles aujourd'hui en vigueur. C'est là le vrai ultimatum de cette affaire. Un pas plus loin , et la modération deviendrait faiblesse.
S 6.
Des avantages que l'Angleterre aurait à espérer de la révocation des ordres du Conseil.
On a souvent représenté, au Parlement et dans des écrits publics, le bien qui résulterait de l'abolition des ordres du Conseil pour le commerce britannique en général , et particulièrement pour les relations po- litiques et commerciales entre la Grande-Bretagne et les États-Unis de l'Amérique. Si le but de ces repré- sentations était de faire révoquer les ordres du Conseil, sans que les décrets de Berlin et de Milan fussent ré- voqués de même, elles tendaient aune mesure incom- patible avec la dignité du gouvernement anglais, à une mesure de rétractation humiliante qui, comme telle , ne méritait pas d'être discutée. Le projet d'aban- donner le système actuellement établi doit, pour ne pas être rejeté d'emblée, nécessairement porter sur la supposition que la France révoquerait ses décrets aussitôt que l'Angleterre aurait révoqué ses ordres du Conseil *.
' Les adversaires que les ordres du Conseil ont en Angleterre, sont assez d'accord sur le mal qu'ils attribuent à cette mesure; mais ils ne paraissent pas l'être sur la nature du remède; et il n'est pas toujours
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Cette supposition , fausse et chimérique de tout temps, me paraît aujourd'hui absolument inadmis- sible.
Je suis persuadé que Napoléon n'a pas nourri un instant l'intention sérieuse de révoquer ses décrets, à quelque prix et sous quelques conditions qu'il eût pu le faire. Je ne veux pas citer à l'appui de cette opinion les déclamations intarissables de ses organes sur le mal prodigieux que le système continental a fait et fera encore à l'Angleterre '. L'ineptie de ces tirades est telle, qu'il y aurait presque un manque de bonne foi à les traiter comme des raisonnements, ou à les considérer seulement comme le vrai fond des pensées de Napoléon. Je m'en tiens à ce qui est plus sérieux, plus réel et plus analogue à son caractère. Il prétend que ces décrets sont des lois fondamentales de son em- pire; il les a proclamés tels dans toutes les occasions; et quoiqu'il nous en coûte de comprendre une théo- rie pareille, c'est sa manière de voir, de penser et d'agir. Lorsqu'il a eu l'air d'accorder quelques modi- fications de ces décrets aux Américains, il ne songeait
facile de saisir avec précision le but auquel ils visent. Quelques-uns, à ea juger d'après leurs discours au Parlementou d'après leurs écrits, ontl'air de désirer l'abolition des ordres du Conseil à tout prix et à toute condi- tion. Il y en a d'autres qui, adoptant la manière de voir de MM. Maret et MoNROE, regardent les prosteslations insignifiantes du gouvernement français vis-à-vis des Américains, comme preuve que l'abolition des décrets a déjà eu lieu, et prétendent que d'après cela il n'y a plus à hésiter sur la révocation des ordres du Conseil. D'autres enfin semblent persuadés que, pourvu que l'Angleterre donnât l'exemple, la France ne pourrait pas se refuser à céder de son côté et à supprimer ses décrets. Le premier de ces avis est repoussé par des principes immuables ; le second par l'évidence des faits contraires ; le troisième est donc le seul sur lequel il soit encore permis de raisonner.
' La note 12 en offre de nouveau un tableau effrayant, où l'on voit la banqueroute des finances anglaises s'avancer à pas de géant par les betteraves, les pastels, et les progrès énormes des fabriques de l'Alle- magne.
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pas de bien loin à en altérer le fond et la substance, et jusqu'aux époques les plus récentes il a fait annon- cer avec emphase qu'ils seraient invariablement main- tenus. Je dis plus, il ne peut pas changer de système à cet égard; et dans ce moment-ci moins que jamais. Ces décrets sont les dernières armes qui lui restent contre l'Angleterre, Sa marine est réduite à une im- puissance totale; il a perdu tout ce que la France et ses alliés et tributaires possédaient d établissements et de colonies dans les différentes parties du globe; et, pour comble de mortification ^ ses armées ont été ar^ rêtées et paralysées partout où elles ont rencontré des armées britanniques. En renonçant encore à la guerre commerciale y il s'avouerait complètement vaincu. Ses ministres et flatteurs lui ont fait croire, et il a effecti- vement cru pendant quelque temps, que le soi-disant système continental , dont les décrets de Berlin et de Milan forment la base, déiruirait le commerce, l'in- dustrie, les ressources de l'Angleterre, et la forcerait à une paix humiliante. Peut-être que, malgré les rai- sons qui auraient dû l'éloigner et le dégoûter de cette espérance, il y tient encore à un certain degré. Mais qu'il y tienne ou non , il est vivement intéressé à ce que le public ne la croie pas perdue. En révoquant ses décrets , il reconnaîtrait que les coups qu'il avait médités contre le commerce de l'Angleterre ne sont pas plus exécutables que tant d'autres dont il l'avait menacée j et dès lors l'opinion des contemporains, quelque égarée et gangrenée qu'elle puisse être , ne verrait plus dans la continuation de cette guerre qu'un acharnement sans calcul et sans but, et le présage d'une défaite absolue.
Si la supposition qu'en révoquant les ordres du Conseil, le gouvernement britannique engagerait f^a- poléon à l'abolition pure et simple de ses décrets, n'a
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jamais eu de fondement réel, elle est devenue com- plètement insoutenable par le soin qu'il a mis lui- même à détromper ceux qui se livreraient encore à cette erreur.
Plus d'une fois déjà il avait fait entendre et même distinctement articuler que la révocation des ordres du Conseil ne le contenterait pas, si le gouvernement anglais ne renonçait en même temps à ses principes de blocus. Mais en dernier lieu (et nous le voyons de nouveau par les notes du 8 mai) , cet article a été élevé au rang d'une condition expresse et irrémissible de la révocation de ses décrets contre l'Angleterre. Nous savons quels sont ces principes de blocus, et ce qu'il prétend mettre à leur place. Il ne suffit donc plus au- jourd'hui d'abandonner les ordres du Conseil; il s'agit de savoir si ceux qui insistent sur cette mesure, sont préparés à abandonner de même le système de blocus maintenant en vigueur, à adopter sur ce point capital les définitions et les doctrines de Napoléon, à renver- ser, en un mot, tout le code de droits de guerre mari- time, tel que l'Angleterre l'a soutenu jusqu'à ce jour. Je ne sais s'il y aurait parmi les Anglais des per- sonnes assez éblouies par des théories spécieuses et stériles, ou assez alarmées de quelques murmures po- pulaires, peut-être mal interprétés, pour consentir à un aussi énorme sacrifice; mais je ne crois pas que l'on oserait le proposer à une assemblée comme le Parlement britannique.
Cependant, tout en reconnaissant la vérité de ce que je dis, on pourrait encore déplorer cet état des choses comme un grand malheur, et regretter amère- ment que, par l'injustice et l'obstination de l'ennemi, l'Angleterre soit privée des avantages que lui assure- rait la révocation des ordres du Conseil et le réta- blissement de l'ancien système commercial. Jusqu'à
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quel point ces regrets seraient-ils fondés? — Pour ap- profondir cette question, lors même que je m'en sen- tirais la force, il me faudrait une grande connaissance des détails, il me faudrait des données bien autre- ment abondantes et décisives que celles que je pos- sède. Je puis basarder cependant quelques réflexions générales que ceux qui sont plus instruits que moi sauront apprécier et rectifier.
Il me paraît d'abord certain que, par la révocation des ordres du Conseil, accompagnée ou suivie de la révocation formelle des décrets français (car il m'est impossible de séparer l'une de l'autre), l'Angleterre gagnerait peu de chose pour ses relations commerciales avec le continent européen. Il n'y a aucune raison de croire que les dispositions personnelles de son ennemi en deviendraient plus modérées ou plus bien- veillantes; et cet ennemi conserverait tous les moyens pour exécuter sous d'autres prétextes et dans d'autres formes son système de persécution et de proscription contre le commerce et l'industrie britanniques. Il ne serait jamais parvenu à établir et à perfectionner ce système, sans frapper de ces coups violents dont le décret de Berlin a été le premier signal. Mais ces coups une fois portés, il n'a plus besoin de mesures extraor- dinaires pour exécuter ses projets, autant que leur propre extravagance lui permettra de les exécuter. Les anciennes communications sont détruites; les an- ciens liens sont brisés ; les pays opprimés par la France ont perdu pour longtemps ce qui constitue la base et le ressort du commerce; le découragement et la terreur sont dans toutes les âmes. Aujourd'hui de simples lois prohibitives, appuyées de toute la rigueur d'une police vigilante, suffiraient pour empêcher le retour aux anciennes habitudes, et les décrets de proscription disparaîtraient entièrement, que les trois XI 6
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quarts du continent de l'Europe n'en seraient pas^ moins inaccessibles aux vaisseaux et aux marchan- dises britanniques.
Si la révocation même des décrets de Berlin et de Milan ne rétablissait pas les relations commerciales avec le continent, il est beaucoup plus diflicile d'ima- giner comment celle des ordres du Conseil, considérée séparément, pourrait produire cet effet. Les ordres du Conseil n'ont rien ajouté aux obstacles que les décrets de la France avaient créés par rapport aux communications directes entre l'Angleterre et les dif- férentes parties de l'Europe, ni par conséquent au mal que l'Angleterre a pu éprouver par la stagnation de cette branche de son commerce. Depuis que les ordres du Conseil subsistent, il n'y a plus eu en Eu- rope de neutralité légalement avouée. L'accès des côtes et des ports que les décrets français n'ont pas pu atteindre , n'a point été compromis par les ordres du Conseil; et le commerce indirect et clandestin, qui a eu lieu en dépit des décrets, a été plutôt favorisé que contrarié par ces ordres.
En soutenant que les mesures de représailles du gouvernement anglais n'ont rien ajouté aux mauvais effets que les décrets de l'ennemi ont eus pour les rapports de commerce avec l'Europe, je ne puis, ni ne désire même beaucoup pouvoir aborder la discus- sion des avantages positifs que plusieurs défenseurs des ordres du Conseil leur ont attribués sous ce même point de vue. Mais quelles que soient la nature et la va- leur de ces avantages (vivement contestés par d'au- tres), je n'y comprendrais jamais l'extension donnée en dernier lieu au système des licences. Si ce système a fait du bien au commerce anglais, il me semble que l'on ne peut point en réclamer le mérite pour les or- dres du Conseil j mais, par la même raison, je trou-
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verais extrêmement injuste de les rendre responsables des inconvénients et des abus qui ont accompagné le système des licences. Autant que j'ai pu pénétrer cette matière j il m'a paru que la question des licences n'aurait pas dû être confondue arec celle des ordres du Conseil j ces deux questions, loin de s'attacher l'une à l'autre, sont d'un caractère absolument opposé. Que le principe du système des licences soit bon ou mau- vais, nécessaire ou dangereux, conforme ou contraire aux maximes du Droit des gens et de la morale publi- que, il est toujours également étranger au principe sur lequel les ordres du Conseil étaient fondés'.
Jusqu'ici nous n'avons fixé notre attention que sur les changements que la révocation des ordres du Conseil opérerait dans les rapports directs entre l'Angleterre et le continent de l'Europe; mais il nous reste à examiner si l'effet de cette révocation ne serait pas bien plus sensible et plus marquant dans les rapports entre l'Angleterre et les États-Unis de l'Amérique.
' M. Caiwing, qui ne pouvait certainement pas se tromper sur le principe, l'esprit et les motifs des ordres du Conseil du 'mois de no- vembre 1807, s'en est expliqué dans un excellent discours, prononcé le 3 mars dernier sur la motion de M. BuoccnAM, où il dit entre autres que i( s'il s'agissait de bien caractériser les ordres du Conseil, il en dirait que ces actes étaient d'autant plus parfaits, qu'ils se rapprochaient davantage de l'esprit d'une mesure de guerre, et s'éloignaient de celui d'une mesure commerciale. »
Dans ce même discours, que je n'ai pu lire sans une satisfaction pro^ fonde, puisqu'il m'a prouvé que mes idées générales sur le principe «t le caractère des ordres du Conseil s'accordent avec celles d'un homme d'État aussi supérieur, M. Canning, en parlant des licences, soutient même, si j'ai bien saisi le sens de ses paroles, « qu'une puissance belli- gérante n'a pas le droit de permettre à ses sujets un commerce dont elle exclurait les neutres. » Je ne sais pas si celte opinion pourrait être établie en principe rigoureux; mais, dans l'application, je préférerais sans hésiter la sévérité d'une règle pareille à la trop grande facilité pour les exceptions en sens contraire.
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On est accoutumé à regarder les ordres du Con- seil comme la cause principale du mécontentement des Américains contre le gouvernement anglais; mé- contentement qui, d'abord, a produit ces malheureux actes prohibitifs par lesquels tout commerce légal entre l'Angleterre et l'Amérique se trouve suspendu, qui a dérangé toutes les relations politiques, enve- nimé toutes les discussions entre les deux États , et s'est enfin développé au point de les menacer d'une rupture ouverte. Il me paraît bien plus juste de consi- dérer les ordres du Conseil comme un des prétextes que comme la cause de ce mécontentement.
En suivant la conduite du gouvernement améri- cain , dans chaque époque de ces dernières guerres , il est impossible de n'y pas reconnaître la partialité la plus prononcée et la plus soutenue pour la cause de la France. Je ne prends pas sur moi de décider par quel motif le parti qui, depuis la mort de Washington et la retraite de M. Adams, s'est emparé de toutes les fonctions publiques , a été guidé dans cette partialité ; si c'était l'amertume que les anciens ressentiments contre l'Angleterre avaient laissée dans les esprits, ou la jalousie de sa supériorité actuelle, ou la crainte chimérique de quelque projet hostile de sa part, ou le dépit d'un gouvernement populaire, particulièrement susceptible d'être blessé par tout ce qui ressemble à un manque de procédés ou de ménagement, ou l'irri- tation contre le parti opposé , accusé de trop d'indul- gence pour l'Angleterre, et dont le tort réel n'est peut-être que celui d'aspirer à son tour aux places et au pouvoir, ou si c'était enfin l'effet réuni de toutes ces causes, ou d'autres encore qu'il est plus difficile de pénétrer*. Mais, quelle que soit la clef de l'énigme,
' Je suis loin cependant de favoriser ou de nourrir le plus léger soupçon contre l'intégrité de ceux qui dirigent les affaires des États-
le fait ne saurait être contesté. La France les a vexés de toutes les manières, les a dépouillés, maltraités, insultés dans toutes les occasions; le récit des avanies qu'ils ont essuyées de sa part depuis vingt ans , rem- plirait des volumes; ils ont tout dissimulé, tout ex- cusé, tout pardonné. Mais aussitôt qu'il a été question d'un différend quelconque avec l'Angleterre , ces hommes si doux, si tolérants, si pacifiques pour son ennemi, se sont montrés sévères, intraitables, exi- geants, pointilleux à l'excès. Dans les mesures qu'une nécessité impérieuse et l'intérêt direct de sa conserva- tion prescrivaient au gouvernement anglais, ils n'ont vu que l'intention d'opprimer l'Amérique, d'entraver son commerce, d'étouffer son industrie naissante. A une époque où tout le commerce des colonies fran- çaises, espagnoles, hollandaises passait par leurs mains , où tous les ports de l'Europe étaient remplis de leurs vaisseaux, où on n'apercevait presque plus sur l'Océan que le pavillon britannique et le leur, et où l'Angleterre observait à leur égard des principes d'une libéralité extrême, il ne fallait que quelque acte de rigueur exercé contre des abus trop violents par un tribunal notoirement incapable d'un procédé in- juste , il ne fallait que quelque désagrément momen- tané, amené par hasard, ou par la faute d'un indi-
Unis. L'idée de ce qu'on appelle vulgairement corniplion serait telle- ment déplacée ici, que je n'ai pas besoin de l'écarter une fois pour toutes; mais je n'admets pas seulement ce genre de corruption morale que l'astuce, en employant la flatterie, peut exercer contre les hommes les plus purs. Même, à cet égard, le gouvernement français ne s'est jamais mis en frais pour les Américains; il les a traités, au contraire , avec beaucoup de sécheresse et de hauteur ; et lor.-que Champa- GNY leur a assuré « que l'Empereur les aimait, » on ne conçoit pas que ce ton de protection arrogante n'ait pas soulevé toutes les âmes. Mais il n'y a « que la morgue des minisires anglais » qui puisse exciter leur colère.
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vidu, pour les faire crier au meurtre et à la tyrannie. Les motions hostiles contre l'Angleterre , les embar- gos, les actes de non-importation ^ précurseurs des actes de non-intercourse, étaient à l'ordre du jour long- temps avant les ordres du Conseil; et comme la liste de leurs griefs était inépuisable , on est bien autorisé à croire que, quand même ces ordres du Conseil n'au- raient jamais paru, ils seraient arrivés, d'aigreur en aigreur et de disputes en disputes, au point où nous les voyons aujourd'hui.
Ce qui prouve surtout que , dans cette longue carrière de prédilection pour la France et d'acharne- ment contre l'Angleterre, que le gouvernement amé- ricain vient de parcourir, les sentiments personnels doivent l'avoir emporté sur les calculs politiques, c'est que tous les principes honorables, et tous les in- térêts bien entendus , auraient dû engager ce gouver- nement dans une route diamétralement opposée. La cause de l'Angleterre était la sienne; sans compter tant de liens plus ou moins sacrés qui subsistaient entre l'Amérique et son ancienne mère patrie, celle-ci combattait pour l'indépendance générale y pour les peuples autant que pour les trônes, pour les républi- ques autant que pour les monarchies, contre une puis- sance qui avait hautement annoncé le projet de tout dominer ou de tout écraser autour d'elle. La victoire la plus décisive que l'Angleterre eût pu remporter dans cette lutte, ne pouvait jamais effrayer les Améri- cains , mais si elle succombait , V univers appartenait à la France; et il eût fallu un délire d'aveuglement et d'orgueil, pour faire imaginer à l'Amérique qu'elle se soutiendrait toute seule dans ces vastes ruines. En ad- mettant que, pendant les premières époques de la Ré- volution, malgré l'horreur que sa marche et son caractère devaient inspirer à tout ami éclairé de la li-
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berté, le nom de république, et l'affectation de quel- ques formes républicaines aient pu en imposer aux Américains, on aurait cru au moins qu'ils change- raient de sentiments et de système , lorsque tout cet échafaudage républicain fut réduit en poussihre, et Va- narchie la plus féroce remplacée par un despotisme sans bornes. Mais on s'aperçut avec étonnement que leurs affections, leurs procédés, leurs ménagements res- taient les mêmes, tandis que leurs craintes, leurs ja- lousies, leurs antipathies planaient exclusivement sur ceux qui arrêtaient les progrès de ce despotisme. Cet étonnement augmenta encore, lorsqu'on vit leur pro- fonde indifférence aux attentats cruels commis contre le peuple espagnol , et cette absence totale d'intérêt pour l'héroïsme soutenu avec lequel ce peuple défen- dait sa liberté , et ce silence d'une neutralité morale, plus choquante que toute neutralité politique, qu'ils gardaient au milieu des vicissitudes d'un spectacle aussi lugubre et aussi majestueux. Le dévouement magnanime avec lequel la nation britannique avait épousé la cause des Espagnols, loin d'arracher à ces imperturbables égoïstes un seul témoignage de satis- faction ou d'admiration, les encourageait plutôt à poursuivre avec d'autant plus de ténacité les froides chicanes dont ils accablaient le gouvernement an- glais. Enfin , voyant que l'incendie gagnait cette vaste partie de la monarchie espagnole dont ils sont voisins, ils parurent sur la scène; mais ce ne fut que pour s'assurer^ par des coups portés dans les tmebres, la possession de quelques provinces détachées de cette monarchie, et pour favoriser dans les autres la rébellion et la guerre civile.
Mais ce n'est pas tout encore que cet abandon des principes généreux, et cette persévérance dans un système si peu analogue au caractère d'un gouverne-
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nient républicain; il n'y a pas même d'intérêt direct et prochain , pas de considération d'avantage ou de perte positive, qui ait pu engager les chefs des États- Unis à changer de marche politique. Il est clair que, dans l'état actuel des choses, ils ont comparativement peu à gagner par l'amitié de la France , et peu à perdre en risquant sa disgrâce; tandis qu'ils ont beaucoup à conserver, beaucoup à espérer, et beau- coup à craindre du côté de l'Angleterre. Leur commerce seul avec les lies Britanniques était infiniment supé- rieur à celui qu'ils faisaient avec la France, et bien plus important pour eux que celui de tout le conti- nent européen. Leurs entreprises dans les autres par- ties du globe , leurs expéditions mercantiles dans les grandes Indes , leurs rapports avec tout l'archipel des Antilles , leurs spéculations sur l'Amérique méridio- nale, tout cela ne leur est assuré que par leur bonne intelli- gence avec le gouvernement anglais ; tout cela peut s éva- nouir au premier choc d\me rupture. Mais plutôt que de déplaire à la France , ils ont ou actuellement sa- crifié, ou grièvement compromis ces immenses avan- tages. Ils ont fermé leurs ports aux vaisseaux anglais, et défendu à leurs sujets, par un vrai acte de suicide politique, toute communication avec l'Angleterre. Non contents de ces mesures rigoureuses, après lesquelles on aurait cru au moins leurs comptes avec l'Angle- terre plus que soldés, ils ont continué à crier contre le gouvernement britannique, à lui demander répara- tion pour toutes sortes d'offenses imaginaires , à an- noncer dans leurs Assemblées législatives que la guerre était inévitable, à en préparer les moyens au- tant que leurs faibles ressources le permettaient. Comment expliquer une conduite aussi extraordi- naire, sans admettre que ce gouvernement est entraîné par quelque impulsion secrète, plus puissante que
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tous les principes et tous les calculs, par un esprit d'animosité et d'obstination qui lui ferait embrasser les mesures les plus contraires à ses propres intérêts, pourvu que ce ne fussent pas celles qui les mettraient d'accord avec l'Angleterre?
Les discussions sur les ordres du Conseil qui ont eu lieu entre les deux gouvernements depuis l'arrivée de M. Forster en Amérique, confirment malheureuse- ment cette conjecture. Chaque pièce sortie des bu- reaux américains porte le cachet de ces dispositions hostiles; et si les chefs des États-Unis avaient sincè- rement désiré l'amitié de l'Angleterre , ils n'auraient jamais entamé cette dispute. Us savaient parfaitement bien que la simple modification de quelques clauses des décrets de Berlin et de Milan, en faveur d'une na- tion que la France avait tant d'intérêt à ménager, ne déciderait pas lAngleterre à une démarche aussi écla- tante que la révocation des ordres du Conseil; et ils pouvaient d'autant moins s'y attendre , que le fait même de la prétendue modification ne reposait sur aucun fondement solide, sur aucun document présen- table, et que le langage et les actions du gouverne- ment français le démentaient d'un jour à l'autre. Les chefs des États-Unis ne sont pas assez égarés par les malheureuses préventions qui les guident, ils sont encore trop clairvoyants, ils connaissent trop ce qu'un gouvernement libre doit à l'opinion publique et à l'honneur national, ils sont trop instruits sur l'é- tat des choses en Angleterre, et sur ce qu'un minis- tère britannique peut ou ne peut pas faire sans com- promettre ses premiers intérêts, pour qu'ils aient pu tomber dans une erreur pareille. Leur manière de trai- ter ces objets peut les rendre suspects d'un manque de bonne foi, mais non pas de jugement et d'intelligence. Il y a bien loin des déclamations furieuses du Moni-
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teur aux sophismes adroits de M. Monroe. Or, si les mi- nistres américains n'ont pas pu se dissimuler qu'ils exigeaient du gouvernement anglais ce que celui-ci n'accorderait jamais, et ne pouvait pas accorder, il est clair que toutes leurs négociations ne doivent être considérées que comme des moyens habilement choisis pour perpétuer la querelle, et comme des préludes à de nouvelles hostilités.
On paraît généralement persuadé que cet état de crise finira par une guerre ouverte. Cette opinion a peut-être été adoptée avec trop de précipitation. La situation respective des deux gouvernements est telle que, malgré tout ce qui s'est passé au Congrès améri- cain , et toutes les résolutions qu'il a prises , et tous les armements qu'il a ordonnés, il est difficile de com- prendre de quelle manière , sous quelle forme et de quel coté cette guerre pourrait éclater. En fermant leurs ports à l'Angleterre , et se refusant à toute com- munication avec elle, les États-Unis ont fait ce qui était en leur pouvoir pour se venger des ordres du Conseil. L'Angleterre, comme de raison, a protesté et ne cessera de protester contre ces mesures; mais elle n'a jamais annoncé l'intention d'aller plus loin, et de rompre la paix avec l'Amérique, dans le cas où celle-ci ne consentirait pas à changer de système. Ce ne sera donc pas, selon toute apparence, le gouvernement anglais qui déclarera la guerre. De l'autre côté, les États-Unis ne peuvent plus se regarder comme partie purement et simplement souffrante; en admettant même que les ordres du Conseil aient été, comme ils le prétendent, une mesure attentatoire à leurs droits, ils ne sont pas restés en arrière; ils ont amplement riposté par l'acte de non-iniercourse, on ne conçoit pas sous quel titre et prétexte ils en viendraient à une déclaration de guerre, lorsque ce sont eux qui ont
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frappé les derniers coups dans ce démêlé. Et quand ensuite on réflécliit sur la situation des États-Unis, sur la disproportion extrême entre leurs moyens et ceux de la puissance qu'ils provoqueraient, sur les sacrifices énormes par lesquels ils commenceraient cette guerre, sur les pertes incalculables qu'elle leur ferait essuyer , sur la destruction de toutes les bran- ches de leur prospérité actuelle, qui en serait proba- blement le résultat final , on a de la peine à ima- giner que, sans nécessité évidente et sans espoir d'arriver par là à un meilleur ordre de choses , un gouvernement responsable de ses démarches se portât à un tel excès de démence.
Cependant, il s'en faut de beaucoup que le danger d'une guerre ouverte entre l'Angleterre et l'Amérique soit le seul motif pour désirer de voir cesser leur mésintelligence actuelle. Considérée en grand, cette guerre serait certainement funeste à l'un et à l'autre pays. Car , quoi qu'en disent les calculs rétrécis d'une cupidité mal entendue, ou d'une ja- lousie aveugle , les vrais intérêts, les intérêts durables de l'Angleterre, ne sont point et ne peuvejit pas être en opposition avec ceux des Américains , et il est im- possible que ce qui appauvrirait ou ruinerait l'Amé- rique, ne fût pas, en dernier résultat, un mal très-réel pour l'Angleterre*. Mais les inconvénients directs de cette guerre seraient au moins mêlés de quelques avantages momentanés, et les revers mêmes quelle ferait éprouver aux Américains , conduiraient peut-être à quelques changements heureux; tandis que le système de prohibition exercé aujourd'hui contre
' II n'y a pas un homme d'État en Angleterre qui ne soit convaincu de celte vérité; et si on y trouve quelques esprits bornés qui la mécon- naissent, il est Tort injuste de rendre le gouvernement et la partie éclairée de la nation responsables des erreurs de quelques individus.
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le commerce britannique , est un mal sans contre- poids et sans compensation. Il est certain que la sus- pension du commerce avec les États-Unis est non-seu- lement une privation de plus ajoutée à celles que le système continental a infligées à l'Angleterre , mais qu'elle est par elle-même plus fatale aux intérêts de son industrie, de ses manufactures, et de ses rapports pécuniaires avec les autres pays, que tout ce qu'elle a pu souffrir de l'exclusion de ses marchandises des ports et marchés du continent européen.
Mais quel remède proposer contre ce mal? La révocation des ordres du Conseil sans la révocation préalable des décrets de Berlin et de Milan , est une mesure à laquelle le gouvernement anglais ne se prê- tera jamais, ne peut et ne doit pas se prêter. La di- gnité nationale est supérieure à toute autre considéra- tion; et si on voulait la sacrifier ici, ce serait même un grand sacrifice en pure perte; car nous avons vu que, d'après les déclarations du gouvernement français, la révocation des ordres du Conseil ne suffirait pas pour faire cesser les décrets. Et, quant à l'espoir que la France pût se décider à les abolir purement et sim- plement , soit avant , soit après la révocation des or- dres du Conseil, on doit le regarder comme tout à fait nul.
Le vrai bienfaiteur commun de l'Angleterre et de l'Amérique serait celui qui découvrirait le moyen d'a- planir leurs différends, sans la révocation des ordres du Conseil. Il faudrait beaucoup de courage, beau- coup de talent, et beaucoup de bonheur pour amener un dénoûment pareil; mais c'est le seul qui concilie- rait tout et qui répondrait à tout; et par cette raison même je ne puis pas me résoudre à le regarder comme absolument impossible. Je suppose et crois pouvoir supposer que, pour obtenir un si grand bien.
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le gouvernement anglais ne s'arrêterait à aucune question accessoire , consentirait à tout sacrifice qui ne serait pas incompatible avec sa dignité, se prêterait avec cette facilité qui ne peut jamais compromettre le fort, lorsqu'elle est employée vis-à-vis du faible, à l'arrangement de tous ces objets secondaires que les Américains jugeraient essentiels à l'intérêt ou même au point d'honneur de leur pays , et leur accorderait enfin chaque modification des ordres du Conseil qui n'en altérerait pas le principe et la substance. Après cela, il s'agirait de faire comprendre au gouvernement des État-Unis combien il serait plus avantageux pour ses intérêts présents et futurs, d'accepter les proposi- tions de l'Angleterre, que d'insister sur la révocation des ordres du Conseil, en s'exposant à la durée indé- finie d'un état de choses aussi pénible pour les Améri- cains que pour l'Angleterre, ou aux dangers incalcu- lables d'une guerre dans laquelle toutes les chances seraient contre eux.
En résumant ce qui a été dit dans cet article, il me paraît qu'il y a d'assez bonnes raisons pour ne pas se livrer à des regrets excessifs sur les obstacles qui combattent la révocation des ordres du Conseil. Cette mesure , accompagnée même de l'abolition des décrets de la France, ne ferait rien ou presque rien pour le rétablissement du commerce de l'Angleterre avec la partie du continent européen qui est aujour- d'hui fermée à ses vaisseaux. 11 est très-incertain qu'elle amenât un changement efficace dans ses rela- tions avec les États-Unis de l'Amérique, et surtout dans les sentiments et les dispositions du gouvernement américain. Et, enfin , si un tel changement n'est pas devenu impossible, il doit y avoir, pour l'atteindre, une route moins opposée aux premiers intérêts de l'Angleterre, plus honorable, plus sûre, plus directe
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et plus satisfaisante, que celle qui partirait de la ré- vocation des ordres du Conseil.
m.
MÉMOIRE
SUR LES PRINCIPES ET LES LOIS DE LA NEL'TRALITÉ MARITIME ACCOMPAGNÉ DE PIÈCES OFFICIELLES JUSTIFICATIVES '.
(Rédigé par le comte (I'Hauterive , en 4812.)
S 1".
Droit public de l'Europe, relativement à la neutralité maritime avant 1756.
Le droit, parmi les hommes civilisés, dérive des lois. Le droit civil, qui garantit les propriétés parti- culières, est formé par les lois civiles; le droit public, qui règle les relations des nations policées entre elles, est également établi par des lois; mais les nations étant indépendantes, et aucune d'elles ne pouvant prescrire des lois aux autres, il en résulte que ces lois, dont l'ensemble forme le droit public, ne sont et ne peuvent être que les traités qu'elles ont conclus et si- gnés solennellement. Ainsi, demander quels étaient les droits des neutres sur mer avant 1 756, c'est, en d'autres termes, demander ce que règlent sur ce point important les traités conclus, avant cette époque, par les diverses puissances de l'Europe.
Nous allons éclaircir cette question, et résoudre toutes les difficultés qu'elle présente, en donnant l'a- nalyse de ces traités.
Nous en tirons d'abord les principes suivants, sur lesquels on ne saurait trop appuyer, puisqu'ils sont
* Voy. à la fin de ce volume Notes et Documentfi,_
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la base du droit maritime; que c'est par leur violation que les neutres ont perdu l'usage des mers, le bien de tous les peuples , et que c'est pour le rétablisse- ment de ces grands principes qu'est armé aujourd'hui le continent européen ;
1 " Le pavillon couvre la marchandise , c'est-à-dire qu'un bâtiment neutre a le droit de transporter libre- ment les propriétés ennemies, et que les propriétés amies, embarquées sur un bâtiment ennemi, se trou- vent confisquées avec le bâtiment.
T Toutes les marchandises, de quelque espèce qu'elles soient, sont couvertes par le pavillon, et peu- vent, en conséquence, être librement transportées, à l'exception des marchandises dites contrebande de guerre. Ce sont les armes, les harnais et les munitions de guerre, et il est expressément stipulé que les muni- tions navales ne peuvent être regardées comme contre- bande.
3" Les bâtiments neutres peuvent naviguer libre- ment et sans empêchement sur toutes les cotes, et d'un port à l'autre , des pays en guerre , avec la seule res- triction de ne point pénétrer dans les ports réellement bloqués. Par port bloqué, on entend un port assiégé et en prévention d'être pris.
4° Le droit de visite est né du besoin de s'assurer qu'un vaisseau neutre ne transporte pas à l'ennemi des marchandises de contrebande; mais ce point est réglé par les traités de la manière la plus avantageuse au commerce et à l'honneur des États neutres. Il y est établi que le bâtiment qui voudra visiter un vaisseau marchand, s'arrêtera hors de la portée du canon, en- verra une seule chaloupe, et se bornera à faire monter à bord deux ou trois hommes qui , dans cet état d'in- fériorité par lequel l'honneur du pavillon est suffisam- ment garanti, se feront représenter les passe-ports et
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connaissements du navire. Si, par hasard; il s'y trouve de la contrebande, elle doit seule être saisie, et le bâti- ment, avec le reste de sa cargaison^ peut continuer li- brement sa route.
Ces principes sont proclamés solennellement dans tous les traités conclus depuis la seconde moitié du XVI i" siècle, et l'Angleterre elle-même les a reconnus et sanctionnés dans ses traités avec la France, les Provinces-Unies, le Portugal, etc.
Le traité conclu le 1 0 juillet 1 654 entre l'Angleterre et le Portugal (n" 1) consacre, dans l'article 23, l'im- portant principe de la garantie de la marchandise par le pavillon.
Le traité de 1 655, entre la France et l'Angleterre (n" 2), est particulièrement remarquable. L'article 1 5 porte que le pavillon couvre la marchandise, à l'ex- ception de la contrebande : « à savoir, poudre et mousquets, et toute sorte d'armes et de munitions de guerre. » Le même article défend d'introduire des munitions de bouche dans une place assiégée, ce qui borne le droit de blocus au cas où un port se trouve réellement investi et attaqué par terre et par mer.
Dans le traité de 1 668, entre la Hollande et l'Angle- terre (n" 3), l'article l''"" énonce le principe que les neutres ont le droit de naviguer et commercer d'un port à l'autre sur les côtes de l'ennemi. L'article 2 est conçu en ces termes :
« Cette liberté de naviguer et de commercer s'éten- dra à toutes les espèces de marchandises, excepté celles qui sont déclarées de contrebande. »
L'article suivant porte que de ce nombre sont seu- lement les armes et les munitions de guerre; et dans l'article 4, il est dit que tous les autres objets peuvent être transportés partout librement, excepté dans les villes et lieux bloqués et investis.
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La manière de visiter les Lâtiments marchands pour s'assurer qu'ils ne transportent pas de contrebande , est réglée dans Tarticle 8; et enfin l'article 10 établit que le sort des marchandises est décidé par la qualité de neutre ou d'ennemi du bâtiment, c'est-à-dire que le pavillon couvre la marchandise.
Le traité de commerce signé à Utrecht le 1 1 avril 4713, entre l'Angleterre et la France (n° 4), constate, par l'article 17, la liberté qu'ont les neutres de négo- cier d'un port à l'autre des pays en guerre, et renferme le principe que le pavillon couvre la marchandise. Après avoir excepté de cette garantie les marchandises de contrebande, l'article 19 porte que les armes, les harnais et les munitions de guerre sont seuls réputés telles. L'article 20 faitl'énumération des marchandises qui ne peuvent être regardées comme contrebande, et déclare qu'elles peuvent être librement transportées partout, excepté dans les places assiégées, bloquées et investies. Enfin, l'article 24 règle le droit de visite.
Le traité du même jour (n° 5) entre la France et les Provinces-Unies, contient absolument les mêmes sti- pulations.
Les dispositions des traités d'Utrecht ont servi de règle, jusqu'en 1756, à la législation maritime : ainsi les droits des neutres étaient bien reconnus. La fran- chise de leurs pavillons, la liberté de la navigation, le caractère des marchandises de contrebande, et le droit de blocus, étaient fixés par les traités; et il était ré- servé à l'Angleterre de détruire une partie du droit public si bien établi par ses propres engagements et ceux des autres puissances de l'Europe !
XI
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S 2.
Droit public de V Europe , relativement à la neutralité maritime de 1756 à 1775.
Nous venons de voir quel était le droit public relati- vement aux droits des neutres sur les mers avant la guerre de 1756. — Nous allons examiner si, dans la période qui s'est écoulée depuis l'origine de cette guerre jusqu'en 1775, il a éprouvé quelques change- ments; nous verrons que, malgré les efforts de l'An- gleterre et ses actes arbitraires, les traités ont con- stamment renouvelé et consacré les principes de celui d'Utrecht.
En effet, à peine l'Angleterre se trouva-t-elle enga- gée dans la guerre qui éclata en 1756, qu'elle pré- tendit établir deux nouveaux principes directement 'contraires à tous les traités, mais auxquels elle met- tait une importance proportionnée aux avantages qu'elle croyait en retirer. Elle chercha d'abord à les introduire sans éclat, de peur d'appeler la résistance des puissances intéressées à les combattre; mais, après la première période de la guerre, enhardie par les succès que lui assurait sa supériorité maritime, elle ne craignit plus d'avouer qu'elle prétendait ajouter à la législation existante, des lois nouvelles en opposi- tion directe avec les lois et les obligations qu'elle s'était imposées à elle-même par les traités les plus solennels.
Elle attaqua d'abord les principes établis sur le caractère des objets de contrebande, et elle en étendit considérablement la liste, en y comprenant, sous le nom de munitions navales, tout ce qui sert à la con- struction et à l'équipement des vaisseaux; sous le prétexte de nuire à la marine de ses ennemis, prétexte
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injuste et frivole, puisque, pour nuire à ses ennemis, il aurait été aussi légitime de défendre aux neutres de commercer avec eux, et d'anéantir ainsi toute naviga- tion autre que celle des sujets de la Grande-Bretagne.
La seconde règle que l'Angleterre voulut établir est que les neutres n'ont pas le droit de faire le commerce des colonies d'un État belligérant, parce que, disait le ministère anglais, ils ne pouvaient le faire en temps de paix. — Une pareille prétention viole tous les prin- cipes du droit public. — Vouloir empêcher les neutres de faire le commerce avec une colonie, c'est agir comme si l'on en était déjà le maître; c'est anticiper sur le droit de conquête, et c'est en même temps s'arroger des droits sur les neutres, et leur prescrire des ordres comme à ses propres sujets. — Au reste, on connaît plutôt les ordres de l'Angleterre, dans cette guerre, par leurs effets et les aveux de ses ministres S que par leur teneur littérale. Les instructions données à cette époque en Angleterre, et qui y portent le nom de Règles de la guerre (Rule ofwar\ ne sont bien con- nues que des juges de l'Amirauté; en sorte que la po- sition des neutres se trouvait encore aggravée. Ils étaient non-seulement obligés de se soumettre à des lois qui pesaient sur leur commerce, et qui émanaient d'une puissance étrangère, mais encore à des lois dont le texte leur était inconnu !
Les gouvernements du continent ne pressentirent pas toutes les conséquences de ces innovations , et n'opposèrent pas aux prétentions de l'Angleterre la résistance que commandaient l'honneur de leurs na- tions et les intérêts de leurs sujets. L'attention des puissances de l'Europe était détournée par la guerre continentale : cependant les États maritimes firent des
' Voy. le n° 6, page 77 de ce volume.
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représentations; les publicistes combattirent ces maxi- mes nouvelles ; l'opinion publique se prononça; et le gouvernement anglais, ne se croyant pas encore dis- pensé d'user de ménagements et en état de braver ouvertement la voix des peuples, jugea nécessaire de faire paraître un mémoire justificatif de sa conduite*. Ce mémoire fut écrit par lord Liverpool. Quoique cet écrivain veuille défendre des principes contraires à ceux qui étaient alors adoptés en Europe, il y recon- naît cependant expressément qu'un port ne peut être bloqué légalement que lorsque la puissance qui veut en interdire l'accès, entretient devant ce port des for- ces assez considérables pour empêcher l'entrée et la sortie: mais c'est dans cet ouvrage, qui porte, en quelque sorte, un caractère officiel, que se montre pour la première fois à découvert la doctrine de l'An- gleterre, relativement à la domination qu'elle prétend exercer sur la navigation des neutres. On y voit clai- rement que jusqu'à l'époque de la guerre de 1756, le droit de transporter des marchandises ennemies sur des bâtiments neutres était bien reconnu par l'Angle- terre, et qu'alors seulement elle osa montrer l'inten- tion de violer le droit public sanctionné par les traités, et d'enfreindre tous ses engagements; et enfin, malgré tout l'art de l'apologiste, on reconnaît aisément qu'il ne s'appuie que sur de vains prétextes, et que l'An- gleterre, ne prenant dans cette circonstance d'autre guide que son intérêt, et ne se conduisant que d'après le sentiment de sa supériorité navale, n'établit pas des principes de législation maritime, mais use seu- lement du droit du plus fort. Aussi dès que la paix
' Ce travail , qui ouvrit la carrière des honneurs à Charles Jenki.vsois (comte de Liverpool en 1796), a été publié en HbS; il a pour litre : Discours sur la conduite du gouvernement de la Grande-Bretagne à l'égard des Puissances neutres.
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reparut, elle n'essaya pas même de soutenir ses pré- tentions; et le second article du traité de 1763 (n'' 7) entre la France et l'Angleterre, renouvelant et confir- mant le traité de commerce d'Utrecht, rétablit le droit publicrelativement aux droits des neutres sur mer, dans l'état où nous avons vu qu'il était avant cette guerre.
Peu de temps après, l'Angleterre consacra de nou- veau, dans son traité de commerce avec la Russie, les principes contraires à ceux qu'elle avait voulu faire prévaloir. Ce traité (n° 8 ) , conclu en 1 766 , énonce, dans l'article 1 0, le principe de la liberté du commerce des neutres sur les côtes et entre tous les ports de l'ennemi, et définit, dans l'article 11, les objets de contrebande, sans rien ajouter à ceux qui sont indiqués dans le traité d'Utrecht. La Grande- Bretagne se conformait donc au droit public reconnu de l'Europe; mais elle se réservait de reproduire ses préten- tions aussitôt que son intérêt lui en donnerait le conseil.
S 3.
Droit public de l'Europe., relativement à la neutralité maritime., de 1775 à 1802.
La guerre d'Amérique éclata en 1775. Avant que la France y fût engagée, elle proclama dans son traité de commerce avec les États-Unis, les principes que nous venons d'établir, comme ayant toujours servi de base au droit maritime. L'article 23 de ce traité (n° 9), porte que le pavillon couvre les marchandises; l'article 24 porte que toutes les marchandises autres que les objets de contrebande déterminés comme dans le traité d'Utrecht, peuvent être librement transpor- tées, si ce n'est aux places assiégées, bloquées ou in- vesties; et l'article 27 règle la manière dont pourra se
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faire la visite des vaisseaux marchands. Mais aussitôt que la France et l'Espagne furent entraînées dans la guerre, l'Angleterre reprit la marche qu'elle s'était tracée dans celle de 1756. Elle érigea en lois et en principes fixes les règles de conduite qu'elle y avait suivies, et prétendit y soumettre toutes les nations du monde. Elle alla même jusqu'à montrer sa singu- lière doctrine. sur le droit de blocus; et l'on sait, par la condamnation de quelques navires hollandais qui se rendaient à Rochefort, dont le port n'était nulle- ment bloqué, que la cour de l'Amirauté osa poser en principe que les porls de France étaient, par leur posi- tioUf tenus naturellement en état de blocus par les ports d'Angleterre. Mais les circonstances n'étaient plus les mêmes; toutes les puissances du continent étaient en paix les unes avec les autres. Leur attention se porta tout entière sur les atteintes que le système maritime adopté par l'Angleterre faisait à leurs droits. La su- périorité de l'Angleterre sur les mers paraissant de plus en plus menaçante, les puissances continentales en sentirent davantage la nécessité de se prémunir contre l'abus qu'elle ferait de ses forces pour établir un système qu'il était de leur intérêt autant que de leur honneur de repousser. L'impératrice de Russie entreprit de les réunir pour la défense de leurs droits communs : elle rappela les principes du droit public sur les mers, qui protègent également le fort et le faible; et elle réussit à faire adopter ceux qu'elle pro- clama comme règle de sa conduite, par le Danemark, la Suède, la Prusse, la Hollande, l'Autriche, le Por- tugal et les Deux-Siciles. C'est au mois de mars 1 780, que la Russie fit notifier aux Cours de Versailles, de Madrid et de Londres , les règles qu'elle se proposait d'observer, et dont elle demandait l'observation aux puissances belligérantes (n° 10). Les principes con-
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tenus dans cette déclaration, et qui ont été insérés dans tous les traités conclus alors par la Russie avec les puissances qui adhérèrent à son système et qui formèrent la ligue connue sous le nom de neutralité armée, sont les suivants :
« 1° Les vaisseaux neutres peuvent naviguer libre- ment de port, en port, et sur les côtes des nations en guerre.
« 2" Les effets appartenant aux sujets des nations en guerre seront libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des marchandises de contrebande.
« 3" On ne regardera comme marchandises de con- trebande que celles qui sont désignées comme telles dans Tarticle 1 1 du traité de commerce entre la Russie et l'Angleterre (les armes et munitions de guerre).
« 4° Pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accordera cette dénomination qu'à celui où il y a, par la disposition de la puissance qui l'at- taque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment pro- ches, un danger évident d'entrer.
« 5" Ces principes serviront de règle, dans les pro- cédures et règlements, sur la légalité des prises '. »
On voit donc que ces principes ne sont point une innovation; ce sont les principes qui, avant 1756, formaient le droit maritime de l'Europe , puisqu'ils sont consacrés dans les traités antérieurs à cette époque, et qu'ils ont été établis de nouveau dans les traités conclus depuis la guerre de 1756. — Les prin- cipes que l'Angleterre présentait comme autant de
' Voy. la résolution des États Généraux sur la déclaration de la Russie (n" \\)\ la déclaration du Danemark au sujet de la navigation neutre (n° 12); la déclaration de la Suède (n» 13); la convention entre la Russie et le Danemark (n" 14) ; la convention entre la Russie et la Suède (n° 15) ; le mémoire de la Cour de Russie (n° 16) ; la [déclara- tion des États Généraux pour annoncer leur accession à la neutralité armée (n° 17), etc.
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droits des puissances belligérantes , se trouvèrent donc formellement repoussés par la réunion de toutes les puissances neutres; et le gouvernement anglais, craignant d'armer contre lui les États qui avaient formé la neutralité armée, céda à l'opinion de l'Eu- rope. Elle sut à la vérité se dispenser de déclarer qu'elle renonçait à ses prétentions; mais elle les dis- simula jusqu'à un moment plus favorable; elle mit dans sa conduite une modération auparavant incon- nue, et sa réponse à la Cour de Russie (n" 18) fut aussi conciliante qu'elle pouvait la faire, sans admettre positivement tous les principes qu'elle cherchait à détruire.
La paix survint sur ces entrefaites, et les véritables bases du droit maritime furent de nouveau posées par l'article 2 de la paix de Versailles (n" 19), qui renou- velle et confirme le traité de commerce d'Utrecht. Les sages principes de ce traité furent proclamés encore solennellement dans tous les traités conclus à cette époque entre les différentes puissances du continent*, et même dans le traité de navigation et de commerce, entre la France et l'Angleterre, conclu le 26 septem- bre 1786 (n° 25). Les articles 20, 23 et 29 de ce traité, consacrent les importants principes que le pa- villon couvre la marchandise, et que les neutres ont le droit de naviguer et de commercer d'un port à l'autre des pays en guerre, si ce n'est aux ports as- siégés, bloqués et investis. L'article 22 donne la défi- nition des objets de contrebande, telle qu'elle est dans le traité d'Utrecht , et détruit ainsi la prétention d'y faire comprendre les munitions navales : l'article 26
» Voy. le traité entre la Russie et la Porte, de 1783 (n" 20) ; entre la Russie et l'Autriche, de 1785 (n° 21); entre la Prusse et les États-Unis, de (1785 (n'>22); entre la France et la Hollande, de 1785 (n° 23); entre la Suède et les État£-Unis, de 1785 (n» 24).
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règle la manière dont pourra se faire la visite d'un bâtiment, elle est conforme aux principes fixés dans le traité d'Utrecht.
Tel était l'état de la législation maritime dans Tin- tervalle qui s'est écoulé entre la paix de 1783 et la guerre amenée par la révolution de France. Les prin- cipes proclamés lors de la neutralité armée étaient reconnus par toutes les puissances; l'Angleterre elle- même, malgré ses efforts, en temps de guerre, pour les détruire, avait été forcée de les consacrer dans un traité avec la France : ils doivent donc être considérés comme étant la loi des nations à cette épo- que, aussi bien qu'ils l'étaient avant la guerre de 1756. Mais l'Angleterre attendait l'occasion de repro- duire son système, et elle ne devait pas tarder à la rencontrer.
La guerre, après avoir embrasé le continent, éclata en 1793 entre l'Angleterre et la France. Les princi- pales puissances qui avaient fondé la neutralité ar- mée, étaient engagées dans la lutte contre la nouvelle république; la Grande-Bretagne ne pouvait donc trou- ver un moment plus favorable pour faire renaître les droits prétendus qu'elle s'était arrogés dans les guerres précédentes. Ce système oppressif fut, cette fois, hau- tement proclamé. Les instructions du 8 juin 1793 (n° 26), et les ordres du Conseil du 6 novembre de la même année (n" 27), défendirent d'introduire des vivres dans les ports de France, et prescrivirent aux neutres la défense de faire le commerce de ses colo- nies. Les puissances de l'Europe, occupées d'autres intérêts, ne réclamèrent point contre l'application de cette nouvelle doctrine : cependant la Suède et le Danemark , qui seuls avaient conservé la neutralité, formèrent, dès le mois de mars 1794, une convention pour la protection de la libre et légitime navigation
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de leurs sujets , et pour fermer Ventrée de la Balti- que aux vaisseaux armés des puissances belligérantes (n" 28).
Les Américains étaient la nation la plus lésée par le nouveau système suivi par l'Angleterre; ils hasar- dèrent quelques représentations : l'Angleterre, sans les admettre entièrement, modifia néanmoins ses dis- positions précédentes par ses ordres du Conseil du 8 janvier 1794, et les restreignit à l'interdiction du commerce des neutres entre les colonies françaises et la France (n° 29). Mais au mois de novembre de la même année, les Etats-Unis, dirigés par une adminis- tration aveugle, signèrent un traité de navigation et de commerce avec l'Angleterre, dans lequel ils aban- donnaient tous les principes du droit maritime, et reconnaissaient toutes les prétentions de cette puis- sance. Selon ce traité (n° 30), le pavillon ne couvre plus la marchandise; la contrebande est augmentée des munitions navales. Toutefois , ce traité honteux ne peut pas plus être allégué contre le droit public de l'Europe que tous les actes arbitraires exercés par l'Angleterre; ce n'est également que l'abus de la force. Les Américains saisirent la première occasion de s'af- franchir de ces stipulations; et c'est dans les clauses injustes de ce traité qu'il faut chercher la principale origine de l'inimitié qui divise les deux peuples.
Le commerce des nations de l'Europe qui avaient pu conserver la neutralité, n'ayant pour appui que les principes des traités que l'Angleterre ne respectait plus, fut exposé à toutes les violences et à l'avidité des croiseurs anglais ; mais cet état de choses ne pouvait manquer, par l'excès du mal, de faire naître la résis- tance. Les injustices réitérées de l'Angleterre excitè- rent dans des gouvernements plus sensibles à l'hon- neur et plus capables de soutenir et de protéger les
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droits de leurs peuples , une indignation qui réveilla les idées d'où l'on avait vu dériver, vingt ans aupara- vant, le grand principe de la neutralité armée.
Dès la fin de 1799, la Cour de Danemark avait eu quelques démêlés avec l'Angleterre, à l'occasion de la saisie d'un convoi danois dont l'escorte n'avait pas voulu permettre la visite insultante d'une escadre anglaise. L'empereur Paul F' sentit qu'il était temps de s'opposer aux empiétements, sans cesse croissants, de l'Angleterre; et depuis longtemps lassé de la poli- tique arrogante de cette puissance, il posa les prin- cipes d'une nouvelle neutralité armée , appela les royaumes du Nord à leur défense, et se décida à met- tre, au mois de novembre 1800, l'embargo sur tous les bâtiments anglais qui se trouvaient dans les ports de la Russie. La Suède, le Danemark et la Prusse adop- tèrent ces principes; et ils furent insérés dans un traité entre la Russie et la Suède, conclu à Saint- Pétersbourg le 1 6 décembre 1 800 ; traité auquel accé- dèrent le Danemark et la Prusse, par des traités sépa- rés, du 16 et du 18 du même mois.
Les principes contenus dans ces traités (n"" 31 , 32, 33), sont textuellement les mômes que ceux de la neutralité armée de 1780 : les deux suivants y sont ajoutés :
« 1" Tout bâtiment naviguant vers un port bloqué, ne pourra être regardé comme ayant contrevenu à la convention, que lorsque, après avoir été averti par le commandant du blocus de l'état du port, il tâcherait d'y pénétrer, en employant la force ou la ruse.
c( 2" La déclaration de l'officier commandant le vaisseau qui accompagnera un convoi de bâtiments marchands , que son convoi n'a à bord aucune mar- chandise de contrebande, doit suffire pour qu'il n'y ait lieu à aucune visite. »
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Ces deux principes ne sont qu'une déduction de ceux qui étaient déjà adoptés par toutes les nations ; et ces traités n'étaient donc autre chose qu'une nou- velle proclamation des maximes constantes du droit maritime; mais l'Angleterre était devenue trop puis- sante pour laisser consolider ainsi les droits des neu- tres. Elle traita cette convention des puissances du Nord pour le maintien de leur neutralité, d'entreprise hoslilCy et les vieux principes qu'elles rappelaient, de systhne nouveau. Une flotte anglaise parut dans la Baltique, défit les Danois, menaça Copenhague d'un bombardement, et la Cour de Danemark conclut, avec l'amiral anglais, un armistice qui la détachait de la quadruple alliance. En même temps Paul P" cessa de vivre. Son successeur, encore mal affermi sur le trône, pris en quelque sorte au dépourvu par la menace d'une attaque de la flotte anglaise, et craignant de commencer son règne au milieu des embarras de la guerre, entra en négociation; et le résultat des circon- stances malheureuses où il se trouvait placé, fut le traité signé entre la Russie et l'Angleterre le 17 juin 1801 (n° 34). Ce traité conserve, à la vérité, les prin- cipes de la neutralité armée sur la libre navigation des neutres d'un port à l'autre des nations en guerre, sur les marchandises de contrebande, et sur le blocus; mais il abandonne l'important principe de la garantie des marchandises par le pavillon, et permet aux vais- seaux de guerre des puissances belligérantes de visiter les navires marchands, même lorsqu'ils sont convoyés. Ainsi la puissance qui avait réclamé le plus hautement les droits sacrés des neutres, non-seulement abandonna leur défense, mais sanctionna dans ce traité une clause funeste et contraire au droit public établi par tous les traités antérieurs conclus par les nations de l'Europe.
Bientôt après , la paix maritime fut rétablie par le
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traité d'Amiens. 11 n'est point question, dans ce traité, du droit des neutres, et il laissait ainsi ce point en suspens ; mais on peut dire, cependant, qu'à cette épo- que le droit public de l'Europe sur la navigation des mers était encore intact; du moins l'Angleterre, mal- gré tous ses efforts, n'avait pu faire insérer des stipu- lations qui y fussent contraires , que dans un seul traité, traité qui ne regardait que la Russie, et qui ne pouvait changer en rien les droits des autres nations.
S 4.
Droit public de l'Europe, relativement à la neutralité maritime, depuis le renouvellement de la guerre en 1803.
La guerre maritime s'étant rallumée en 1803, l'Angleterre, qui craignait de réunir de nouveau contre elle les puissances du Nord , parut vouloir du moins respecter son traité avec la Russie ; elle permit même aux neutres de commercer directement et indi- rectement avec les colonies françaises. Mais en 1805 , la face des choses changea sur le continent, et aussitôt on vi t reparaître les prétentions despotiques du système maritime de l'Angleterre.
Le 27 juin 1805, un acte du Parlement établit, dans les îles anglaises d'Amérique, des ports aux- quels on donna le nom de ports francs. Ces ports furent destinés à servir d'entrepôt pour le commerce des colonies; et il est dit dans cet acte, qu'ils servi- raient même aux sujets de la Grande-Bretagne pour y importer les produits des îles françaises (n° 35). Les ordres du Conseil, du 3 août suivant (n" 36), prescri- virent aux neutres de faire le commerce des colonies françaises exclusivement par le médium de ces ports francs. Au moyen de cette disposition arbitraire, le
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commerce neutre se trouva assujetti au régime des douanes et aux règlements de l'Amirauté anglaise. Les États-Unis réclamèrent vivement contre ces me- sures*; mais leurs réclamations n'eurent aucun suc- cès; et au mois de mai 1806, une Note de M. Fox au ministre d'Amérique , à Londres , mit enfin au jour toute l'extension que l'Angleterre voulait donner à sa tyrannie maritime. Cette Note (n° 38) annonce aux États-Unis qu'un blocus fictif, établi par un simple ordre du Conseil, depuis l'embouchure de l'Elbe jus- qu'à Brest, interdit aux neutres l'entrée de tous les ports et de toutes les rades compris entre ces deux points. L'Angleterre avait donc résolu le problème qu'elle cherchait depuis longtemps à résoudre, celui de s'affranchir de toutes les obligations que lui impo- saient les traités , et particulièrement de celles qui étaient contenues dans son traité avec la Russie. Et certes, le droit qu'elle s'arrogeait est tel, que, s'il était reconnu , l'Angleterre pourrait aussi bien décla- rer en état de blocus toutes les côtes et toutes les mers; et dès lors il serait inutile de discuter aucun des droits des neutres. Si ce prétendu droit avait existé avant cette guerre, jamais les nations ne se se- raient donné la peine de conclure un seul traité; et les Anglais n'auraient pas eu le moindre intérêt à s'arroger le droit de défendre aux neutres le transport des munitions navales et de leur interdire le com- merce des colonies. Il leur aurait suiTi de déclarer toutes les possessions de leurs ennemis en état de blo- cus. Si l'Angleterre ne l'a point fait, c'est qu'elle n'o- sait encore annoncer une pareille prétention; et il a fallu qu'elle se crût bien assurée de sa supériorité
♦ Voy. le message du président du Congrès, du 17 janvier 1806 (n^a?).
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navale , pour avouer toute l'étendue de son système maritime !
Cette violation de tous les principes , cet oubli absolu du Droit des gens , forcèrent la France à user de représailles. Elle attendit six mois pour laisser le temps aux représentations des neutres de produire l'effet qu'ils devaient en attendre; mais l'Angleterre persistant dans son système de blocus fictif, et en étendant de plus en plus l'application , le décret connu sous le nom de décret de Berlin , parut le 21 novembre 1806 (n" 39). Par ce décret, l'Empereur, ne faisant que diriger contre l'Angleterre les prin- cipes qu'elle proclamait, déclara les lies Britanniques en état de blocus; toutefois, respectant les droits des neutres, qu'eux-mêmes paraissaient abandonner, et les respectant jusque dans les mesures de légitime défense auxquelles il était forcé de recourir, l'Empe- reur fit déclarer aux Américains , par le ministre de la marine, que ce décret ne serait point exécuté en pleine mer : sage modification qui bornait son action au territoire et aux ports de la France, et le rendait, par conséquent, une simple mesure municipale, contre laquelle les nations neutres n'avaient aucun droit de réclamer.
Peu de temps après (le 7 janvier 1807), un ordre du Conseil d'Angleterre (n" 40) « défendit à tout na- vire neutre de faire le commerce d'un port à un au- tre , si ces ports appartenaient ou étaient dans la possession de la France ou de ses alliés , ou s'ils étaient assez soumis à son influence , pour n'avoir aucun commerce avec l'Angleterre. » Et par un se- cond ordre du 1 1 novembre 1 807 (n" 41 ), le gouver- nement anglais déclara en état de blocus tous les ports dépendant de la France et de ses alliés, ceux de tous les pays en guerre avec l'Angleterre, ceux des
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pays de l'Europe dont le pavillon anglais était exclu, quoique ces pays ne fussent point en guerre avec la Grande-Bretagne, et enfin tous les ports des colonies appartenant à ses ennemis : les exceptions qui furent mises à ce blocus général, permettent bien aux neutres d'entrer dans les ports qui ne sont pas effectivement anglais, mais à la cbarge de mouiller en Angleterre, d'y prendre des licences et d'y acquitter certains droits , rendant ainsi tributaires de l'Angleterre toutes les nations qui ne prenaient pas les armes contre elle!
Les bâtiments neutres qui seraient trouvés munis de certificats d'origine délivrés par des agents de la France , sont en même temps déclarés de bonne prise; et un autre ordre du même jour (n° 42) dé- clare également de bonne prise tout bâtiment qui au- rait appartenu à un ennemi de l'Angleterre, « nonob- stant toute vente qui aurait pu en être faite à des neutres. »
De même que l'acte par lequel le gouvernement britannique avait établi un blocus fictif des côtes de Brest à l'embouchure de l'Elbe avait appelé le dé- cret de Berlin; de même ces nouvelles dispositions de l'Angleterre exigèrent que la France y opposât de nouvelles mesures. Dès que l'Empereur en fut in- struit, il déclara, le 17 décembre 1807, par un dé- cret rendu à Milan (n° 43), que « tout bâtiment, de quelque nation qu'il fût, qui aurait souffert la visite d'un vaisseau anglais, ou se serait soumis à un voyage en Angleterre, ou aurait payé une imposition quelconque au gouvernement anglais, était de fait dé- nationalisé. » Le principe sur lequel est fondée cette mesure est évident. Tout comme une nation ne peut laisser violer son territoire pour exercer des actes d'hostilité contre vous sans se déclarer votre enne-
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mie, ainsi une nation ne peut laisser violer son pavillon pour l'avantage de votre ennemi , sans se dé- nationaliser, c'est-à-dire, sans perdre la protection à laquelle ce pavillon avait droit comme appartenant à une nation neutre.
Le même décret met les îles britanniques en état de blocus sur mer comme sur terre; et il y est dit qu'il sera en vigueur jusqu'au moment où l'Angle- terre reviendra à des principes conformes au Droit des gens.
Depuis cette époque , l'Angleterre n'a apporté au- cune modification à ses ordres du Conseil. Nous ne nous étendrons pas sur sa conduite envers les Amé- ricains , sur l'abus continuel qu'elle a fait de ses forces; personne n'ignore qu'elle en est arrivée à mé- connaître tous les droits des neutres. L'Europe sait les tristes résultats de ce système, auquel la France a été obligée d'opposer les décrets de Berlin et de Milan ; mais elle n'a cessé de le répéter : que l'Angleterre révoque ses ordres du Conseil; qu'elle ne regarde plus les mers, qui sont le bien de toutes les nations, comme son propre domaine; qu'elle reconnaisse le Droit maritime fondé sur les usages et les traités de l'Europe entière, et la France arrêtera ses mesures de représailles. Le Droit maritime n'est point une chose douteuse et hypothétique; les nations du Continent le redemandent tel qu'il était avant la guerre de 1756, tel qu'il était avant et après la guerre d'A- mérique. Il est suffisamment exposé dans les pages qui précèdent : nous allons les résumer, et nous en tirerons les conclusions suivantes, qui ne sauraient être contestées.
1 ° Avant la guerre de 1 75G, tous les gouvernements s'accordaient sur les droits de la navigation neutre, quant à la franchise du pavillon , au caractère des ob-
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jets de contrebande, aux principes du droit de blocus, et à la liberté de naviguer sur les côtes et aux ports ennemis; ces droits sont consacrés par des clauses for- melles dans les traités conclus avant cette époque entre toutes les puissances.
2° L'Angleterre elle-même a reconnu et consacré ces droits dans une suite de traités conclus avec les principales puissances de l'Europe.
3** Dans le cours de la guerre de sept ans, l'Angle- terre jugea à propos d'ajouter à la liste des articles de contrebande les munitions navales, et de mettre des entraves au commerce des neutres avec les colonies ennemies.
4° L'Angleterre abandonna, à la paix, ses préten- tions; mais elle les reproduisit dans la guerre de l'A- mérique, et la résistance de l'Europe à cette innovation produisit la neutralité armée de 1 780.
5° La guerre étant terminée, l'Angleterre reconnut de nouveau les principes du Droit maritime; cepen- dant elle les viola tous dès que les hostilités recom- mencèrent; et les puissances du Nord reformèrent, pour la défendre, la neutralité armée de 1 800. Malgré la malheureuse issue de cette quadruple alliance , le traité conclu à cette époque entre l'Angleterre et la Russie conserva encore aux neutres une partie de leurs droits, en consacrant le principe de la liberté de leur navigation aux côtes et ports des États belli- gérants, en restreignant la contrebande aux armes et munitions de guerre , et en fixant le caractère du blocus.
6° L'Angleterre , voulant s'affranchir de ces liens qui défendaient encore les droits des neutres, eut re- cours, en 1 806, à sa nouvelle doctrine sur le blocus.
7° Forcée de s'opposer à une innovation aussi fu- neste, la France publia, par représailles, le décret de
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Berlin, et opposa ensuite le décret de Milan aux nou- veaux ordres du Conseil britannique, qui obligeaient les bâtiments neutres à venir en Angleterre y acquitter un tribut.
8" Enfin les décrets de Berlin et de Milan n'ayant été pris que par représailles des mesures attentatoires au Droit des gens adoptées par l'Angleterre, ils ne peuvent être révoqués que lorsqu'elle sera revenue aux véritables principes du Droit maritime qu'elle ou- trage si violemment depuis le commencement de la guerre actuelle. L'Angleterre oserait-elle prétendre au privilège singulier de réclamer sur terre le Droit public qu'elle a détruit sur les mers?
A l'époque où paraissaient les trois Mémoires que Ton vient de lire, le système continental était sapé dans sa base, et la lutte européenne allait changer de théâtre. Ici donc se termine l'étude des questions maritimes. On a vu comment les systèmes de la France et de la Grande-Bretagne naquirent forcément et en concur- rence; comment ils se provoquèrent mutuellement, se fondèrent sur des nécessités semblables, et se soutin- rent par des efforts parallèles; mais, et cette remarque n'a pas échappé à la sagacité de nos lecteurs, les efforts de l'Angleterre avaient pour eux les faveurs d'un rayonnement facile ; par la destruction ou l'asservis- sement de toutes les marines de l'Europe, l'Amirauté de Londres était devenue comme présente à tous les points des mers; de plus, tandis que, au sein même de la nation anglaise , le patriotisme pouvait soutenir les projets du gouvernement, et que l'intérêt individuel pouvait s'unir presque généralement aux mouvements du patriotisme , il était encore possible et facile aux Anglais de faire accéder à leur plan le plus grand
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nombre des peuples européens; ceux-ci trouvaient presque tous un avantage direct à commercer avec l'Angleterre qui, soit en achetant leurs produits, soit en se chargeant seulement de les transporter ailleurs et de les vendre, était en état de les satisfaire au moins jusqu'à un certain point.
Au contraire, par le système de Napoléon, toute l'Europe était en souffrance'; c'était pour toutes les nations du Continent un système d'austérité et de pri- vations; en sorte que pour l'établir généralement et avec permanence, il aurait fallu imprimer à toute l'Eu- rope l'esprit modeste du christianisme , en même temps que le patriotisme ardent des Romains. Un tel effort dans sa généralité était impossible ; la France uni- quement ou du moins quelques Français, devaient en recueillir immédiatement les fruits ; comment espérer qu'en faveur d'une seule nation du Continent, toutes les autres nations mettraient leur honneur et leur force à faire abnégation de leurs plus légitimes inté- rêts? Napoléon seul était capable de se faire ù un tel point illusion.
* Un mot de Louis-Napoléon Bonaparte, père du Président actuel de la République française, et qui occupait alors le trône de Hollande, caractérise assez bien la situation. « L'on concevra aisément, dit-il en s'exprimant à la troisième personne, l'horreur que le Roi conçut pour la violente mesure du blocus , qui ruinait le pays en général et les parti- culiers, qui l'empêchait de faire aucun bien et rendait sa position si pé-, nible ; cependant on lui en voulait de tous les côtés , et quand il était mis par là à la torture, pour ainsi dire , on soupçonnait même ses in- tentions.
« Le Roi s'entretenait un jour à Amsterdam avec le ministre de Russie, prince Serge Dolgorouki, militaire distingué, dévoué à son pays et à son maître , sur la résistance inconcevable de la Hollande au manque de tout commerce.... Nous vivons d'espérance et au jour le jour, comme le ciel le permet. L'ambassadeur, qui apparemment voulait découvrir s'il y avait quelques adoucissements secrets dans les mesures du blocus, répondit en riant : Ah! sire , il e.s< avec le ciel des accommodements. — Oui, monsieur, lui répliqua le Roi, mais il n'en est point avec l'enfer; puis il changea de discours. »
CHAPITRE XXXVITI.
TRAITÉ DE PAIX DE VIENNE OU DE SCHOENBRUNN , DU 14 OCTOBRL 1809, ENTRE LV FRANCE ET L'AUTRICHE.
La paix de Schœnbriinn termina la guerre qui , improprement qualifiée de cinquième coalition contre la France, était la quatrième tentative que faisait l'Autriche pour soustraire ses peuples et l'Europe en- tière au joug de Napoléon.
L'exemple d'une nation qui, longtemps méconnue, luttait, depuis près d'une année, contre toutes les forces de la France, avait excité dans les âmes de ceux qui pouvaient apprécier tant d'énergie, un enthou- siasme qui fit croire à l'Autriche que le moment de la délivrance était arrivé. Mais cette puissance, que l'Angleterre ne put seconder comme elle l'aurait voulu, succomba sous les forces réunies du Continent, dont il semblait que les souverains fussent entraînés fatale- ment à river les fers qui les enchaînaient.
Nous diviserons ce chapitre en trois sections.
La première comprend le renversement du trône d'Espagne, la captivité de ses rois légitimes et le com- mencement de la guerre de la Péninsule; les deux autres sections sont consacrées à la guerre d'Autriche et aux transactions de Schœnbriinn.
SECTION PREMIÈRE.
RENVERSEMENT DU TRÔNE D'ESPAGNE.
« Un empire fondé comme celui de Napoléon ne peut jamais reposer sur des bases solides : une faute, un re- vers dans une campagne, l'exposent à chaque instant à des tempêtes que toute la vigueur de son chef est inca- pable de surmonter; il était donné à l'empereur des Français de fournir un mémorable exemple de cette vé- rité. C'est une ample niaiière à méditations que de voir le premier coup porté à la puissance de Napoléon, le coup qui décida par la suite de sa fortune, partir d'un point qu'il regardait , lui-môme plus que tout le monde , comme le moins dangereux. »
« Cette malheureuse guerre m'a perdu. Toutes les cir- constances de mes désastres viennent se rattacher à ce nœud fatal. Elle a compliqué mes embarras, divisé mes forces, ouvert une aile aux Anglais, détruit ma moralité en Europe. » (Napoléon , Mémorial de Las-Cases.)
Aperçu de l'ancienne puissance de l'Espagne. — Ses ministres veulent sauver le roi-marlyr.— Avènement de Charles 7F.— -Don Manuel Godoy, duc de la Àlcudia, premier ministre.— Portrait de ce favori.— Caractère du roi Charles IV.— PavU du Prince royal. — Effet produit sur le public par le mariage de Godoy avec l'infante Marie-Thérèse de Bourbon. — Asservissement de l'Espagne à la France. — Le plus grand forfait poli- tique de Napoléon, -r Son opinion erronée à l'égard des Espagnols. — Situation politique de l'Espagne au moment où Napoléon songe à s'en emparer.— Le parti de l'Opposition , ayant pour chefs le duc de l'infan- tado et le chanoine don Juan Escoiquig, trame le renversement du favori. — Le prince des Asturies adhère à ce projet.— Intrigues pour dés- unir la famille royale. — Le Prince royal sollicite la main d'une nièce de Napoléon. — Godoy apprend cette démarche par son agent, à Paris, don Eugenio Yzquierdo. —Accusation qu'il porte contre le Prince, qui est arrêté ainsi que ses partisans. — Charles IV pardonne à son fils, et les juges absolvent ses confidents. — Refroidissement de Napoléon pour Godoy. — Napoléon, à Milan, invite la reine d'Élrurie à partir pour Ma- drid. — Circonstance curieuse qui fait soupçonner à MM. deMelcy et de Labrador les projets de Napoléon sur l'Espagne. — Inquiétude de la Cour de Madrid. — Elle demande la main d'une princesse de la famille impériale. — Les troupes françaises pénètrent au cœur de l'Espagne.— Yzquierdo vient rendre compte à Madrid des projets supposés de Napo- léon. ■— La cour d'Espagne prend la résolution de passer en Amérique. — Émeute qui éclate, le 19 mars, à Aranjuez. — Godoy est arraché des mains du peuple et sauvé par le prince des Asturies. — Pillage du palais de Godoy, à Madrid.— Abdication du roi Charles IV en faveur de son
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fils, qui prend le nom de Ferdinand VIL — Il fait annoncer son avè- nement à Napoléon. — La reine d'Élrurie cnlre en correspondanco avec Murât. — Charles IV proleste contre son abdication. — Entrée de Ferdinand VII dans la capitale. — Intrigues pour éloigner le Roi de Ma- drid. — Oa prépare les appartements de Napoléon au palais royal. — Insinuations du général Saiary. —Ferdinand VII se résout à aller au- devant de A'apoie'oM.— Personnages qui accompagnent le Roi à Rayonne.
— Formation d'une Junte suprême de gouvernement. — Circonstance particulière qui détermine le départ du Roi. — Dépêche expédiée de Paris à Godoy, par Y;iquierdo. — Récit du voyage du Roi. — Déception de Ferdinand Vil en arrivant à Rayonne. — Napoléon le déclare re- belle et lui enjoint de désigner un fondé de pouvoir. — M, de Cevallos ^ refusé, est remplacé par M. de Labrador. — Négociation de M. de La- brador avec M. de Champagny. —Conférence entre Napoléon et le con- seiller d'État d'Escoiquis. — Conditions offertes à Ferdinand VII en échange de sa renonciation, — Charles IV arrive à Rayonne. — Moyens que l'on emploie pour fléchir Ferdinand VIL — Double renonciation de ce prince. — Fameux traité de Rayonne, du 6 mai 1808, entre Napoléon et Charles IV; le général Vuroc : le prince de la Paix. — Ferdinand VII adhère à la cession du trône d'Espagne faite par son père. — Con- vention du 10 mai 1808, entre Napoléon et Ferdinand VII; le général Duroc : don Juan Escoiquig. — Protestations de Ferdinand IV, roi de Naples et de Sicile, et de l'infant don Pedro. — Départ de la famille royale d'Espagne pour la France. — Le roi Cluirles IV, que Napoléon laisse dans la détresse à Marseille, est obligé de vendre ses diamants. — Représailles des Rourbons, en 1814. — M. de Varias laguna fait ren- voyer en Espagne les pierreries de la reine Marie-Louise. — Les dia- mants de la couronne enlevés à Madrid, par Murât, estimés 43 millions.— Le Conseil royal désigne Josep/t Bonaparte comme successeur au trône d'Espagne. — Convocation à Rayonne d'une junte de 160 notables. — Cette assemblée accepte, le 7 juillet, la nouvelle Constitution octroyée pariVopoieon.— Trois cent mille Français ou alliés succomberont pen- dant la guerre allumée pour soutenir le nouvel établissement.— Joseph part pour Madrid. — Traité secret de Rayonne, du 5 juillet 1808, entre Napoléon et Joseph Bonaparte ;U. de Champagny . le duc de Gallo.— Le royaume deNaplesest donné à Joachim ilurat. — Statut constitutionnel du 16 juillet 1808. — Le grand-duché de Rerg est rétrocédé à Napoléon.
— La couronne d'Espagne proposée, antérieurement, au roi Louis Bo- naparte. — Lettre de l'Empereur. — Insurrection du 2 mai à Madrid. — Décrets de Ferdinand VII, relatifs au commencement des hostilités et à la convocation des Cortès. — Lettre de ce prince au commandant de l'armée des Âsturies. — Mouvements populaires dans les principales villes. — Massacres et régime de la terreur. — Formation des juntes centrales. — La Junte suprême de Séville exerce le pouvoir souverain au nom de Ferdinand VII. — Elle déclare la guerre à Napoléon. — Proclamation du 29 mai. — Déclaration du C juin. — Adresse de Palafox à Napoléon. — Étal des forces espagnoles. — Moyens de résistance "a l'invasion. — Instructions générales pour les guérillas. — Princii)aux chefs de guérillas. — Curieux catéchisme populaire. — L'amiral Hosilly, retenu dans le port de Cadix, est obligé de capituler. — Expédition du général Moncey contre Valence. — Ralaille de Médina del Rio Seco, du
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14 juillel; maréchal Bessières sur le général Cuesta. — Combat et capi- tulation de Baylen, du 20 juillet; CastaTios sur Dupont. -~ Joseph Bona- parte abandonne Madrid le i" août. — Belle proclamation de Castanos.
— La ville de Saragosse assiégée depuis le 14 juin jusqu'au 13 août, par Lefebrre-Desnouettes, est défendue avec succès par Palafox. — Lettre fameuse de Palafox en réponse à une demande de soumission. — Le marquis de la Romana débarque à la Corogne. — Publication du gou- vernement britannique annonçant le rétablissement de la paix avec l'Espagne. — Les Portugais suivent l'exemple de l'Espagne. — Commen- cement de l'insurrection, le 6 juin, à Oporto. — Expédition de sir Artlmr Weîlesley {Wellington) contre Lisbonne. — Le général Spencer arrive de Cadix et prend part aux opérations.— Combat de Rorissa, le 17 août; sir Arthur Weîlesley sur le général Lahorde. — Bataille de Vimeiro , le 21 août; sir Arthur Weîlesley sur le duc d'Abrantès. — Sir New Dal- rymplfi prend le commandement de l'armée. — Armistice de Cintra, le 22 août, et convention de Lisbonne le 30. — Weîlesley, Murray : Kel- lermann. — Jugement porté en Angleterre sur la convention de Cintra.
— L'amiral Siniavine, par la convention du Tage, du 3 septembre, re- met l'escadre russe à l'amiral Cotton. — Elle est rendue à l'empereur Alexatidre, en 1814. — Nouveaux développements de la politique de Napoléon. — Message qu'il adresse au Sénat, le 4 septembre 1808. — Premier rapport fait à l'Empereur, le 24 avril, par le ministre des Rela- tions Extérieures, Champagny. — Second rapport, du 1" septembre. — Rapport fait à l'Empereur par le ministre de la guerre, comte d'Hune- bourg. — Motifs du sénatus-consulte exposés par le comte Regnault de Saint-Jean d'Angdy. — Rapport fait au Sénat par le comte de Lace'pède.
— Napoléon fait proposer une entrevue à l'empereur Alexandre. — Congrès d'Erfurlb, en octobre 1808. — Principaux résultats des confé- rences des deux Empereurs. — Consentement donné par l'empereur Alexandre aux projets de Napoléon sur l'Espagne. — Adhésion de Napoléon à la réunion définitive des provinces moldo-valaques à l'em- pire russe. — Motifs de cette extension de limites. — Question du par- tage de la Turquie. — Projet de reconstituer les empires d'Orient et d'Occident, — Intervention de l'empereur Alexandre en faveur de la Prusse. — Accession du duc d'Oldenbourg à la confédération du Rhin. — Au moment de son départ de Saint-Pétersbourg, l'empereur Alexandre apprend le bombardement de Baltisch-Port. — Arrivée des deux Empe- reurs àErfurth, le 27 septembre.— Les rois de Bavière, de Saxe, deWiir- temberg, de Westphalie et soixante et onze princes se trouvent réunis àErfurth.— Dignitaires et ministres d'État des premières puissances. — Circonstances diverses du séjour des souverains à Erfurlh. — Motif du changement de l'ambassade russe à Paris. — Le prince Kourakine rem- place le comte Tolstoï. — Napoléon donne audience à l'Envoyé de l'em- pereur d'Autriche. — Convention secrète d'Erfurth, du 12 octobre 1808, entre la France et la Russie; le comte de Champagny : le comte Roum antsnf. —Projet de nouer une négociation avec l'Angleterre. — Les souverains distribuent les décorations et présents d'usage.— Munificence d'^ lexandre.
— Axiome de iVapo/^on au sujet des présents diplomatiques.— Un mot de Louis Xf T. — Séparation du Congrès, le 14 octobre. — Impressions que l'entrevue d'Erfurth laisse dans l'esprit de iV^apoZe'o/i.- Négociation pour la paix maritime.— Lettres d'Alexandre et de Napoléon à George II/, 12 oc-
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tobre 1808. — Lettre d'accompagnement de MM. de Champagny et Rom- mantsofaM, Canning. — Note en réponse (28 octobre) de M. Canning, et lettre d'accompagement au comte Rouinantsof. — Notes en réponse (28 novembre) des ministres de Russie et de France. — Dernières Notes de M. Canning (9 décembre), — Rupture des négociations.— Déclaration du roi d'Angleterre du 15 novembre 1808.— Seconde campagne de 1808 dans la Péninsule. — Formation de la Junte suprême centrale. — La grande armée envahit l'Espagne. — Napoléon arrive à Rayonne le 3 novembre.
— Combat de Guenez, le 7 novembre; les Français sur Blake. — Bataille de Burgos, le 10 novembre; maréchal Sou/t sur le comte de BeMder. — Bataille d'Espinosa , les 10 et il novembre; maréchal Tictor sur Blake et la Romana. — Bataille de Tudela, le 23 novembre; maréchal Latines sur Castanos. — Bataille de Somo-Sierra, le 30 no- vembre; Napoléon sur San Juan. — A'opoîeon s'établit à Chamartin.
— Le prince de iVeu/"c^drei somme Madrid de se rendre. —Vigoureux préparatifs de défense de la part des habitants. — Don Tomas Morla et don Bernardo Iriarte sont envoyés en parlementaires. — Relation de l'audience qu'ils obtiennent de l'Empereur. — Origine des pré- ventions de Napoléon contre le président de la Junte centrale, Florida-Blanca. — Napoléon et le célèbre diplomate de Rayneial, — Occupation de Madrid par l'armée française. — L'Inquisition est abolie.
— Napoléon instruit de la marche de l'armée anglaise sur Valladolid, se porte à sa rencontre.— Retraite du général Moore sur la Corogne.— 5^a- foléon api>Tead à Benavente les armements de l'Autriche. — Le duc de Dalmatie est investi du commandement de l'armée.— Napoléon arrive à Paris le 23 janvier 1 809.— Bataille de la Corogne le IG janvier; le maréchal Soult sur le général Moore, blessé mortellement. — Capitulation de la Corogne le 19. — Le maréchal Soull est maître de toute la province. — L'Angleterre conclut une alliance intime avec l'Espagne. — Traité de Londres du 14 janvier 1809; M. Canning: don Juan Ruiz de Apodaca. — Considérations générales sur les événements accomplis dans la Péninsule.
Quelques lignes d'un grand écrivain doivent servir de préambule à notre récit. « Depuis la dernière moitié du xv* siècle jusqu'au commencement du xvii", dit M. de Chateaubriand , l'Espagne fut la première nation de l'Europe : elle dota l'univers d'un nouveau monde; ses aventuriers furent de grands hommes; ses capitaines devinrent les premiers généraux de la terre; elle imposa ses manières et jusqu'à ses vête- ments aux diverses Cours; elle régnait dans les Pays- Bas par mariage, en Italie et en Portugal par conquête, en Allemagne par élection, en France par nos guerres civiles; elle menaça l'existence de l'Angleterre après avoir épousé la fille de Hetiri VIII / elle vit nos rois
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dans ses prisons et ses soldats à Paris; sa langue et son génie nous donnèrent Corneille. Enfin elle tomba; sa fameuse infanterie mourut àRocroy, de la main du grand Condé; mais l'Espagne n'expira point avant qTÏ Anne d'Autriche n'eût mis au jour Louis XIV , qui fut l'Espagne même transportée sur le trône de France, alors que le soleil ne se couchait pas sur les terres de Charles-Quint. »
L'Espagne , sous la famille de Louis le Grand, s'en- sevelit dans la Péninsule jusqu'au commencement de la Révolution. Ses ministres^ voulurent sauver Louis XVI; « mais Dieu attirait à lui le martyr ; on ne change point les desseins de la Providence à l'heure de la transformation des peuples. »
Charles IV fut appelé à la couronne en 1778. Peu après parut sur la scène Godoy. D'abord favori de la reine Marie-Louise, il ne tarda pas à captiver la bien- veillance de Charles IV lui-même. Huit ans s'étaient à peine écoulés depuis son entrée dans les gardes, que Godoy j avec le titre de duc de la Alcudia, était déjà à la tête des affaires, et jouissait d'un crédit tel que nul autre favori peut-être n'en avait eu de semblable à la cour de Madrid, sans qu'aucun talent remarquable justifiât aux yeuxdupubliccetascendantextraordinairesur le couple
* Le comte cI'Aranda (qui venait de remplacer Florida-Blanca) et don Manuel Godoy, son successeur, au lieu de rompre toule relation avec la France, à l'exemple des autres gouvernements , et dans l'espoir de conserver quelque influence au sein de la Convention , avaient non- seulement déclaré la neutralité de l'Espagne, mais ils avaient aussi retiré les forces qui couvraient les Pyrénées. Enfin le jour même du jugement de l'infortuné monarque, au moment du dépouillement des votes, le président de la Convention annonça une communication du ministre des Affaires Étrangères qui transmettait une dépêche de l'ambassadeur d'Espagne. Le chevalier d'OcARiz oS'rait, si l'on voulait suspendre le jugement de Louis, d'expédier sur-le-champ un courrier à sa Cour pour solliciter sa médiation armée entre les puissances belligérantes ; et il se flattait du succès de cette démarche.
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royal. Ce n'était pourtant pas non plus un homme dé- pourvu de capacité; de l'aveu même de ses ennemis, son jugement était naturellement sain , son intelli- gence extrême, sa mémoire prodigieuse. Lorsque l'ha- bitude l'eut familiarisé avec les affaires, ses décisions étaient promptes et heureuses. 11 connaissait parfaite- ment les hommes et les employait avec un tact particu- lier; mais ses dispositions naturelles n'avaient point été cultivées par l'éducation. Godoy ne savait pas d'autre langue que la sienne, qu'il parlait incorrectement. Ses manières n'avaient rien de distingué ; ses expressions étaient triviales, quelquefois grossières ; son style était incorrect; il ignorait les notions les plus simples et les plus élémentaires des sciences et des arts, et ne savait pas un mot d'histoire ni de géographie. Aussi, dans la longue carrière de sa faveur, joua-t-il mal son rôle dans les scènes d'apparat. A la vérité, la fortune ne lui avait pas donné le temps d'étudier; transporté comme par enchantement d'une caserne au pinacle, sa raison n'était formée ni par l'expérience de l'âge ni par celle du malheur. 11 donnait à sa toilette une importance ridicule et soignait son teint comme aurait pu le faire une jolie femme. Avare et cupide, il s'occupait des plus petits détails de sa dépense, acceptait les plus modiques présents, était mesquin dans ceux qu'il fai- sait lui-même; il touchait les émoluments de ses moindres places. Sans aucun goût pour l'état militaire, il aimait à se chamarrer de marques distinctives et de broderies; mais il ne paraissait jamais aux revues et parades, et ne commandait jamais les manœuvres des troupes. Ses ennemis lui reprochent encore d'avoir mené une vie licencieuse, d'avoir aimé la basse flatte- rie, de n'avoir jamais donné preuve de courage, et d'avoir persécuté et exilé beaucoup de monde; on ne lui épargne qu'une seule imputation , celle d'avoir ré-
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pandu le sang. C'est sous de telles couleurs qu'on nous présente, dans une publication faite par ordre de Fer- dinand VII f rhomme auquel le faible Charles IV ^ livra les destinées de l'Espagne , qu'il éleva à la grandesse , qu'il fit généralissime des forces de terre, grand ami- ral, etc. Il avait même une garde, et il ne tenait qu'à lui de se considérer comme le vice-roi d'Espagne et des Indes. Le prince des Asturies trouvant cet homme entre lui et la Reine lui voua une haine implacable, et tous les mécontents furent dès lors du parti du Prince royal. Ce fut un spectacle révoltant pour la nation de voir la Reine préférer un favori à son propre fils. Cela seul suffisait pour faire haïr généralement le pre- mier et attirer tout l'intérêt public sur le Prince. Mais l'indignation fut au comble , quand on vit le débonnaire Charles IV pousser la condescendance pour la Reine jusqu'à forcer sa propre cousine, la fille de l'infant don Louis de Bourbon ^ à épouser le favori '.
' Ceux qui n'ont pas connu personnellement le roi Charles IV, disait un de ses ambassadeurs , n'ont pas une idée exacte de lui. Il ne man- quait pas d'esprit naturel et il avait assez d'instruction ; mais Charles III lui avait inspiré le goût de la chasse, et, lorsqu'il revenait de la chasse, il ne voulait s'occuper de rien. Aussi reçut-il comme un bienfait de la part de la Reine la présentation du jeune Godot comme ministre, et il fut encore plus enchanté lorsque la Reine demanda à être admise au Conseil ; car alors Charles IV, calculant que son avis ne pouvait pré- valoir contre l'opinion de la Reine et celle du favori, cédait à sa paresse naturelle et ne prenait aucune part aux délibérations. Plus tard , il se plaisait mieux à Naples qu'au palais Borghèse de Rome, où il habitait avec la Reine et Godoy. Il disait un jour qu'il aimait beaucoup Naples à cause de son climat; mais qu'il préférait finir ses jours eu Espagne, où il n'aurait rien à craindre, n'ayant jamais fait de mal à personne. « // n'en serait pas de même, ajoutait-il, j^our Madame et pour Godoy qui ont été la cause de la ruine de l'Espagne. »
* Afin de contre-balancer l'irritation des esprits , on voulut relever l'origine de Godoy, et des généalogistes furent chargés de lui trouver d'illustres ancêtres : un d'eux mérita la palme ; il parvint à faire re- monter la filiation de Godoy jusqu'à l'empereur Montezuma.
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Le premier acte éclatant de la politique extérieure de Godoy avait été la conclusion de la paix de Baie \ Depuis ce traité, TEspagne s'était montrée l'alliée fidèle de la France ; elle avait livré à Napoléon ses Hottes , ses troupes, ses trésors; elle s'était soumise sans mur- mure à tous les sacrifices que ce dominateur imposait à ses alliés , et avait obtempéré à toutes ses réquisi- tions. Tant de déférence fut récompensée par la plus odieuse ingratitude. Nous allons rapporter le plus grand forfait politique de Napoléon; un acte si indi- gne de la majesté souveraine, que l'Europe étonnée ne voulut pas y ajouter foi, et que les documents les plus authentiques furent à peine suilisants pour vaincre l'incrédulité de ceux qui pensaient qu'un pareil retour aux pratiques ténébreuses de l'Italie du moyen âge était impossible, au milieu de notre civilisation. « Pas plus après leur mort que de leur vivant, a dit M. Guizot , il ne faut flatter les grands hommes; et leurs er- reurs, leurs torts, leurs vices, leurs crimes, quand ils en ont commis, doivent être mis en lumière et sévère- ment jugés. C'est le droit et le devoir de l'histoire*. »
Depuis douze ans, comme nous l'avons dit, la cour de Madrid s'était asservie à don Manuel Godoy. La pusillanimité et l'inconséquence qu'il montra dans les conjonctures difficiles où se trouvait l'Espagne , con- tribuèrent à affermir l'erreur qui faisait considérer les Espagnols comme une nation dégénérée, plongée dans l'apathie et incapable du moindre effort. C'est ainsi que des observateurs superficiels nous avaient dépeint
• C'est ce traité qui lui valut le titre de itrince de la Paix (d'un domaine en Amérique, et aussi par allusion ) , chose toute nouvelle en Espagne, où l'on ne donnait le titre de prince qu'à l'héritier de la cou- ronne. Yoy. t. V, p. 305 de celle Histoire des Traités.
* Discours d'inauguration de la slalue de Guillaume ll Conqué- rant.
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une nation pleine de patriotisme, animée d'un zèle ardent pour l'honneur, attachée à son Dieu, à sa reli- gion, à ses mœurs, à ses institutions*; mais à laquelle l'incurie d'une suite de gouvernements d'intrigue et d'égoïsme n'avait pas permis de déployer ses vertus. Napoléon la supposa telle, lorsque, confondant la gra- vité avec l'indifférence , il crut qu'il lui serait facile de subjuguer un peuple, à ses yeux, incapable de manier les armes.
• La situation politique de l'Espagne , au moment où Napoléon son- gea à l'annexer à sa cause, était bien différente de celle où s'était trou- vée la France, au moment où la Révolution avait éclaté. En France, il y a soixante ans, les hommes des classes élevées n'étaient pas les seuls qui eussent ouvert leur esprit aux idées philosophiques ; ces idées avaient également gagné le peuple : ainsi c'était le corps entier de la nation qui en était pénétré, ce qui rendait inévitable le renouvellement de toutes les institutions. Il n'en était pas de même en Espagne ; les hommes des premiers rangs, qui avaient voyagé et participé à la civilisation euro- péenne, étaient seuls éclairés : c'est aussi parmi eux uniquement qu'il se forma un parti français. Or c'est par le peuple que l'on fait les révo- lutions; quand il y résiste, quand il s'y oppose, elles sont impossibles.
Deux dogmes régnaient en Espagne sur l'opinion du peuple, le dogme de la légitimité de la famille régnante et le dogme catholique, l'un et l'autre assez ardents pour repousser avec fanatisme les attaques qui leur étaient livrées, l'un et l'autre, s'ils étaient opprimés, pouvant prendre les couleurs fortes du patriotisme et les couleurs horribles de la vengeance.
Napoléon attaqua le premier de ces dogmes; aussitôt le peuple an- glais, qui a exclu de son Droit public la légitimité de droit divin, en devient le défenseur chez le peuple espagnol, et il annexe à cette cause celle du dogme catholique que cependant il repousse également de son île. On a toujours vu et l'on verra toujours que la force politique emploie les leviers de tous genres, parce que, étant la force la plus générale entre les hommes, tous les leviers humains lui appartiennent également. La conduite des Anglais, en cette circonstance, était naturelle ; elle était de droit; elle était motivée par la résistance à la destruction.
Le grand malheur pour Napoléon, à cette époque, c'est que les cir- constances lui tendirent un piège; la division, déjà très-prononcée dans la famille régnante , lui fournit les moyens de saisir un trône sans coup férir ; il crut devoir mettre à profit une situation de choses res- semblante à celle qui s'était fréquemment présentée dans l'histoire des Romains Mais il oubliait que les Romains, dont il imitait la conduite.
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Il s'était formé dans la capitale de l'Espagne un parti qui travaillait à délivrer la nation de la honte d'être gou- vernée par un homme aussi généralement détesté que don Manuel Got/oî/. Le duc de l'Jn/anfarfo, d'une des pre- mières maisons castillanes, le chanoine don Juan Es- coiquiZf qui avait élevé le prince des AsturieSy étaient à la tête de ce parti. Ils y entraînèrent l'héritier de la couronne , prince de vingt-trois ans, manquant d'ex- périence. Dès l'année 1 806 , il avait remis au duc de Vlnfantado un décret par lequel il le nommait com- mandant des troupes de la Nouvelle-Castille, pour le cas où son père viendrait à mourir. On rédigea un mé- moire dans lequel les crimes du favori étaient détail- lés, et où l'on invitait le Roi à éloigner de sa personne un ministre odieux à la nation. Le Prince avait éga- lement dressé par écrit le plan de l'association.
JVa/)o^eon n'ignorait pas les dispositions du Prince; il résolut de s'en servir afin de jeter la désunion dans la famille royale , et d'en profiter pour l'exécution de ses desseins. Le prince des Asturies communiqua son projet à l'ambassadeur de France , qui flatta ses passions pour s'emparer de son secret. Ce fut d'après le conseil de ce ministre qu'il écrivit, le 1 1 octobre 1 807 , à l'Empereur , une lettre dans laquelle il exprimait son désir de s'unir à une prin-
ne rencontraient jamais, dans leurs usurpations, d'autre obstacle à ren verser que celui de la force nationale ; le fanatisme religieux était étran- ger aux peuples leurs contemporains ; et il était rare que ceux-ci , lorsqu'ils étaient attaqués, trouvassent des appuis vigoureux dans les peuples de leur voisinage ; les communications entre peuples contig;us n'étaient pas encore devenues faciles ; et , de plus , l'histoire de l'espèce humaine, encore mal recueillie, peu connue , ne frappait ni les peuples ni les rois d'une forte prévoyance. Aujourd'hui , la facilité et la multi- plicité des communications entre les États, les a tous rendus avertis et solidaires. Napoléon était trop impatient, trop emporté pour faire de ces réflexions générales, seul guide de la prudence; dans l'impétuosité de ses désirs, il confondait tous les peuples et tous les temps.
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cesse de France *. Celui-ci ne rejeta ni n'accueillit la demande ; mais Godoy, que le traité de Fontainebleau venait de créer souverain des Algarves, fut instruit des démarches de l'héritier de la couronne par le con- seillerd'Étatdon Eugenio Yzquierdo, directeur duMusée d'histoire naturelle à Madrid, et qui, à l'ombre des recherches scientifiques auxquelles il se livrait à Paris, suivait dans cette résidence les négociations que lui confiait le favori. Ce dernier trouva moyen de se saisir des papiers du prince des Asturiesj et tel fut le pouvoir qu'il exerçait sur le couple royal , qu'il lui persuada qu'un fils avait voulu non-seulement ravir le trône à son père , mais même préméditait d'attenter à ses jours -.
Le 30 octobre 1 807 , le prince des Asluries et ses con- fidents furent arrêtés. L'audacieux favori transgressa tout respect humain jusqu'à faire signer au faible mo- narque une proclamation par laquelle il accusa son fils d'un parricide. L'indignation qu'une nation généreuse devait ressentir à la lecture d'une accusation qu'il au- rait fallu dérober au public, si elle avait été fondée, se tourna tout entière contre Godoy; on le supposait capable de consommer le crime qui paraissait être le but de cette
• Il était question ici d'une fille de Lucien Bonaparte. Don Juan EscoiQuiz , dans la célèbre conversation qu'il eut avec Napoléon, le 2 mai i 808 , et que nous rapporterons plus loin, rappela à celui-ci que la lettre de Ferdinand avait été sollicitée, au nom de Napoléon, par son ambassadeur, M. de Beadharnais. Napoléon répondit : « En ce cas , mon ambassadeur oulre-passa ses pouvoirs ; » expression vague d'un faible désaveu.
* Cette accusation était fondée sur le décret remis au duc de I'In- fantado, que nous avons cité plus haut. Le Prince, interrogé sur ce chef d'accusation, répondit qu'ayant soupçonné que Godoy pourrait s'emparer du gouvernement, si, par malheur, le Roi, son père, venait à mourir, on lui conseilla de prendre d'avance cette mesure, en confiant au duc de I'Lnfantado le pouvoir de diriger au besoin la force ar- mée, dans le cas où il faudrait soutenir l'héritier de la couronne.
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intrigue. Don Manuel, de son côté, effrayé du silence observé dans cette circonstance par Napoléon , dont les troupes entraient alors en Espagne , aux termes du traité de Fontainebleau, fit jouer à la Reine le rôle de médiatrice entre un père irrité et un fils auquel on avait arraché l'aveu de ses liaisons avec un ministre étranger.
Une proclamation du 5 novembre apprit à la nation que le cœur paternel du Roi avait pardonné au prince des Asturies. On fit cependant le procès à ses confi- dents; mais, grâce à l'intégrité des juges, l'influence de Godoy fut impuissante à leur faire reconnaître un crime dans une action qui ne méritait que d'être taxée d'imprudence, ou tout au plus d'indiscrétion. Cet événement avait affaibli la considération dont jouissait la famille royale, et porté au comble la haine publique contre le prince de la Paix; ce ministre perdait chaque jour de son autorité. Les nou- velles qu'il recevait de son agent en France le trou- blaient. Napoléon j, voyant que Godoy s'était compro- mis, et que l'opinion publique se déclarait contre le couple royal, ne répondit pas aux lettres du 29 octo- bre , par lesquelles on lui avait annoncé la prétendue conspiration; ce silence était bien fait pour exciter des inquiétudes dans l'esprit d'êtres pusillanimes; il pouvait les entraîner à quelque inconséquence dont on profiterait pour les perdre. On trouva un prétexte pour ne pas laisser approcher Yzquierdo de la personne de celui auprès duquel il était accrédité, afin qu'il ne pût pénétrer le fond de sa pensée. La précipitation avec laquelle la reine d'Éfjune* fut obligée d'abandonner
' On se rappelle que Napoléon, qui avait cédé la Toscane à l'Espagne,
au prix de la Louisiane, de trente millions de francs et de six vaisseaux
de ligne armés, jugea à propos de la reprendre en donnant à la reine
d'ÉTRiRiE, veuve depuis 1803, la ville d'Oporto et un territoire de trois
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son trône, avant d'avoir été mise en possession de l'indemnité qu'on lui avait promise, augmenta les craintes de la cour de Madrid. Godoy^ se voyant menacé de perdre les bonnes grâces de Napoléon , en-
cent mille âmes, en échange de la Toscane peuplée de plus d'un million d'habitants. Aumoment dont nous parlons, Napoléon se trouvait à Milan; il écrivit de cette résidence à la reine d'Étrurie que le traité d'échange entre laToscane et le territoire d'Oporto pour cette princesse et celui des Algarvespour le prince de la Paix, n'aurait dû s'effectuer qu'à la paix générale, mais qu'une imprudence de M. de BeauhaRiNAIS avait rendu ce traité public; que dès lors la Reine ne pouvait plus rester à Florence, et qu'il la priait de se rendre à Milan. Lorsque la Reine fut arrivée dans cette ville, Napoléon décida le voyage de cette princesse pour Madrid. Le séjour de Napoléon à Milan a été marqué par une autre circon- stance curieuse et relative aux affaires d'Espagne. Presque tous les jours il allait faire de longues visites à M. de Melcy, alors duc de Lodi ; ce ministre avait des parents en Espagne et il avait habité Saragosse, il possédait en outre le comté de Héril. On croyait que les longues visites de Napoléon avaient pour but les affaires d'Italie, mais il ne faisait que prendre quelques livres et surtout examiner la carte d'Espagne, ce qui fit penser à MM. de Melcy et de Labrador , et au général O'Farril , alors auprès de la reine d'Étrurie, que Napoléon avait des vues sur la Péninsule. Ce qui n'était qu'un soupçon devint bientôt une certitude; effectivement, un souverain, qui se trouvait aussi à Milan , dit un jour à MM. de Labrador et O'Farril qu'il était l'allié de Napoléon , mais qu'avant tout il était l'ami et le parent du roi d'Espagne; qu'il leur disait donc en confidence que, se promenant en voiture avec Napoléon, celui-ci avait demandé au général Berthier quand les cent mille hommes seraient prêts à passer les monts. Comme toute l'Italie était alors occupée par les troupes françaises, évidemment par ces cent mille hommes prêts à passer les monts , on ne pouvait entendre qu'une armée française s'apprêtant à franchir les Pyrénées.
M. de Labrador , qui était ministre d'Espagne auprès de la reine d'Étrurie, informa sa Gourde ces propos par un courrier extraordinaire; mais l'aveuglement de la reine Marie-Louise et de Godoy était tel qu'on lui répondit que jamais le Cabinet espagnol n'avait reçu autant de preuves de la bienveillance de Napoléon, à qui on donnait le titre d'intime ami et d'allié. A ce moment, le futur prince des Algarves avait encore la simplicité de croire à l'exécution du traité de Fontainebleau. Il ne comprenait pas la politique astucieuse , mais profonde, au moyen de laquelle Napoléon , en introduisant les armées françaises dans le cœur de la Péninsule, réussirait d'un seul coup à abattre le Portugal et à se rendre l'arbitre des destinées de l'Espagne.
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gagea le Roi et la Reine à lui demander pour leur ù\s la main d'une princesse delà famille impériale. Napo- léon l'accorda en termes vagues; il nia d'avoir reçu une demande semblable du prince des Asturies,
Cependant, le nombre des troupes françaises qui avaient passé les Pyrénées, sous le prétexte de se ren- dre en Portugal, augmentait journellement, et la fer- mentation s'accroissait parmi le peuple : en vain la Cour essaya-t-elle de le calmer; les proclamations qu'elle publia trahissaient l'embarras où elle se trou- vait. La seconde armée française dont Murât avait pris le commandement, dans les premiers jours de janvier 1808, s'approchait, à marches lentes, de la capitale, pendant que Napoléon exprimait son mécon- tentement de ce qu'après avoir recherché la main d'une princesse française, on ne donnait pas suite à cette demande. C'est alors qu Yzquierdo arriva de Paris ù Aranjuez, et fit part à don Manuel Godoy d'une conférence qu'il avait eue avec le prince de Talleyrand, dans laquelle celui-ci s'était montré très-courroucé contre le prince de la Paix, et avait donné à entendre que le mouvement de l'armée française sur Madrid n'avait d'autre but que l'éloignement de ce favori. Aussitôt que le Roi et la Reine eurent connaissance de cette communication, on prit la résolution, dans le plus grand secret, à l'exemple de la cour de Por- tugal, d'abandonner le royaume, de partir pour Ca- dix, et de là pour l'Amérique espagnole. C'était juste- ment le but que s'était proposé Napoléon.
Il fut convenu que l'on se rendrait d'abord à Sé- ville; mais lorsque ce projet transpira dans le public, il répandit une si grande consternation , que le Roi fut obligé de déclarer, par une proclamation du 16 mars , qu'il y renonçait.
Les préparatifs du voyage n'en ayant pas moins
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continué, un tumulte éclata à Aranjuez le 19 mars; aussitôt l'hôtel du prince de la Paix est forcé et mis au pillage; Godoy, abandonné de ses propres gardes, se cache dans un grenier, où il est découvert et arrêté après trente -six heures d'angoisses; entraîné dans la rue, blessé et couvert de sang, il n'est soustrait à la fureur du peuple que par le prince même des Astu- rieSy qui promit de lui réserver un jugement solennel.
Charles IV destitua le prince de la Paix et ses adhé- rents, des charges qu'ils remplissaient. Cette condes- cendance tardive ne servit qu'à augmenter le désor- dre, carie peuple de Madrid se crut dès lors autorisé à saccager le palais du favori; du reste, sa fureur se porta uniquement contre Godoy, et pas un cri ne s'é- leva contre le Roi.
Le jour même de l'émeute, Charles IV exhorta, par une proclamation, les habitants de la capitale à bien accueillir les troupes françaises qui, se rendant à Ca- dix, passeraient par Madrid; par un décret, il char- gea le prince des Asturies de diriger le procès du prince de la Paix; et par un second décret il renonça au trône en faveur de son fils.
On a pu dire, dans le temps, que cette démarche avait été imposée par la violence; mais on sait aujour- d'hui que rien ne coûta moins au Roi que cette réso- lution; elle fut, pour ainsi dire, une suite du dégoût que depuis longtemps il éprouvait pour les affaires du gouvernement, et qu'il n'avait surmonté que pour complaire à la Reine et à son favori *.
• Il montrait la plus grande satisfaction , et dit au nonce du Pape , monseigneur Gravina, et au comle Strogonoff, ministre de Russie, qu'il n'avait jamais rien fait avec autant de plaisir ; et, pourle prouver , il ajouta que son bonheur était tel , qu'il lui avait rendu , malgré le rhumatisme qui le tourmentait, la faculté de signer. Au reste , l'éloignement qu'avait Charles IV pour les affaires s'explique parfaitement par le genre de vie qu'avait adopté ce prince. Il ne s'était jamais occupé que de sa pas-
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Le premier soin du nouveau roi, qui prit le nom de Ferdinand VII, fut de rétablir la tranquillité à Madrid j il fallut quatre jours pour obtenir ce résultat.
Le plan de Napoléon se trouva bouleversé par l'évé- nement du 19 mars. Au lieu d'une Cour faible et per- due dans l'opinion publique, il trouvera un jeune prince, entouré de conseillers énergiques , et acclamé avec enthousiasme par son peuple. Cependant Murât et Dupont se rapprochaient de Madrid, l'un par la route de Valladolid , et l'autre par celle de Ségovie. Le 2 avril, Napoléon quitta Paris pour se rendre à Bayonne ; le nou- veau roi lui fit annoncer son avènement au trône. L'En- voyé de Ferdinand VII fut reçu avec froideur; mais Napoléon ne s'expliqua pas sur ses vues. Cependant Charles IV était mécontent de ce qu'on lui eut assigné Badajoz pour sa résidence future ; son épouse regret- tait vivement un trône auquel le désir de sauver le prince de la Paix avait seul pu la faire renoncer. A son instigation, la reine d'Etrurie, sa fille, entra en correspondance avec le grand-duc de Berg, confident supposé, mais à tort, des projets de son beau-frère ; ce prince, auquel s'offrait la perspective de la cou- ronne d'Espagne, pour lui-même, saisit avec empres- sement cette occasion pour rendre impossible une ré- conciliation entre le père et le fils. Un de ses aides de camp fut député auprès de Charles IV, qui lui remit une protestation , datée du 21 mars , mais écrite en
sion pour la chasse et de Tenfantillage appelé maison de ferme ou casa del labrador, qu'il avait fait bâtir dans le jardin d'Aranjuez, et qui n'a jamais servi pour donner un logement à la famille royale ni pour une fête quelconque. C'était tout simplement un magasin de pendules, de petits meubles et de curiosités, achetés la plupart à Paris, à des prix exorbitants. Le rez-de-chaussée de celle petite maison étant au-dessous du niveau du Tage, devenait en hiver un petit lac. Malgré cela, en 1 808, Charles IV, à qui la goutte ne permetlait plus l'amusement de la chasse, avait donné l'ordre de réunir deux millions de réaux pour agran- dir cette singulière maison de plaisance.
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réalité le 23, et dans laquelle il déclara son abdication extorquée par la violence et nulle.
Le 23 mars, Murât entra dans Madrid à la tête d'une partie de ses troupes; les autres campèrent sur les hauteurs qui entourent cette ville. Le lendemain, Fer- dinand VII qui, depuis l'abdication de son père, avait habité Aranjuez, fit son entrée dans la capitale. Sen- tant l'impossibilité de rien entreprendre de décisif, tant que le Roi se trouverait entouré de ses sujets, Murât résolut de tout tenter pour l'éloigner de Madrid. Il fut aidé dans ce dessein par des suggestions perfi- des venues d'un autre côté, et qui, trompant le jeune roi sur les dispositions de Napoléon, l'entraînèrent dans l'abîme. Ferdinand avait d'ailleurs envoyé son frère don CaWos à la rencontre de l'empereur des Fran- çais, qui, par un ordre du jour du 2 avril, annonçait à l'armée son arrivée prochaine.
c( Dès lors on lui prépara un appartement au palais royal , et aussitôt l'ambassadeur Beauharnais fit dé- poser sur une table du salon le petit chapeau et les autres attributs inséparables de son maître. Le gé- néral Savary demanda s'il ne serait pas convenable que le prince des Asturies , nom que l'on donnait au roi Ferdinand, allât au-devant de Sa Majesté Impériale. Le duc de San Carlos, grand maître de la maison du Roi, le duc de Vinfantado , ami de Sa Majesté, et le chanoine Escoiquiz, qui avait été son précepteur, dé- cidèrent facilement le roi Ferdinand à se porter jus- qu'à Buitrago pour y recevoir son auguste hôte. »
Ferdinand VII fixa son départ au 10 avril, après avoir préalablement ordonné que les ministres don Francisco Gil de Lemus, don Miguel Josef de Azanza, don Gonzalo O'Farril et don Sébastian Pinuela, pré- sidés par l'infant don Antonio formeraient une junte suprême de gouvernement , chargée d'administrer en son
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absence, autorisée à prendre les mesures d'urgence, et devant, pour les affaires ordinaires, en référer au Roi par l'intermédiaire de M. de Cevallosj secrétaire d'États
11 convient de mentionner ici une circonstance par- ticulière, qui contribua à décider Ferdinand VU à ce voyage ; c'est que peu après les événements d'Aran- juez, il était arrivé un courrier adressé à Godoy, et porteur de dépêches d'Yzquierdo. Cet agent y rendait compte des conversations qu'il avait eues avec MM. de Talleyrand et Duroc , et d'après lesquelles il paraissait que les vues de Napoléon se bornaient à se faire céder les provinces du nord de l'Èbre, contre le Portugal auquel il renoncerait. Le roi Ferdinand se flattait qu'il se rachèterait de ces prétentions par l'abandon de la Navarre ou par la concession d'un chemin militaire conduisant en Portugal.
La dépêche expédiée par don Eugenio Yzquierdo, était conçue en ces termes :
« La situation des choses ne me laisse pas le temps de rapporter dans tous les détails les conversations
' Ferdinand VII emmenait avec lui dans son voyage, outre son mi- nistre des Affaires Étrangères Cevallos, le duc de I'Infantado, le duc de San Carlos, le marquis Musquiz, le marquis de Labrador, don Juan de Escoiquiz, le cumte de Villariezo et les marquis de Ayerbe, de GuADALGAZAR et de Feria. A ce cortège royal se joignit, à Bayonne, celui qui accompagna l'infant don Carlos, et qui était composé de don Antonio Correa, don Pedro Macanaz, don Pasqual Vallejo et don Ignacio Correa : les ducs de Frias et de Medinaceli , et le comte Fernan Nunez , duc de Montellano , qui avaient élé envoyés précé- demment pour complimenter Napoléon , so réunirent au Roi dans la même ville. Quoique toutes ces personnes n'entrassent pas au Conseil privé, qui se composait principalement de celles qui étaient parties de Madrid, avec le Roi ; cependant elles jouissaient de la confiance de ce prince et pouvaient aider de leurs avis dans ces circonstances dé- licates.
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que, depuis mon retour de Madrid, j'ai eues, par ordre de l'Empereur, tant avec le grand maréchal du palais le général Dmtoc, qu'avec le vice-grand-électeur prince de Bénévent.
« Ainsi je me bornerai à rendre compte des moyens que, dans ces conversations, l'on m'a proposés, pour régler et même terminer à l'amiable les affaires entre l'Espagne et la France) moyens qui m'ont été commu- niqués, avec l'intention que mon gouvernement prenne le plus promptement possible une résolution sur cet objet.
« Qu'il y ait actuellement en Espagne plusieurs corps de troupes françaises , c'est un fait notoire.
« Lerésultatquepeut avoir la présence de ces troupes est caché dans l'avenir. Un arrangement entre les gou- vernements français et espagnol , fait à leur mutuelle satisfaction, peut arrêter les événements, et se convertir en un traité solennel et définitif sur les bases suivantes :
« 1'"^Base. Les Espagnols et les Français pourront librement et mutuellement faire le commerce dans les colonies respectives des deux nations , en payant les mêmes droits auxquels sont assujettis les naturels.
« Ce privilège sera exclusif, et nulle puissance autre que la française , ne pourra l'obtenir en Espagne , de même que la seule nation espagnole en pourra jouir en France.
« 2" Base. Le Portugal est aujourd'hui possédé parla France : la communication entre ces deux États exige une route militaire , et par conséquent un passage con- tinuel de troupes par l'Espagne, pour garnir le Por- tugal et le défendre contre l'Angleterre; ce qui serait une source de dépenses, de dégoûts, de tracasseries, et peut-être de fréquents motifs de brouilleries.
« Cet objet pourrait se réglera l'amiable, en laissant tout le Portugal à l'Espagne, sous la condition de donner
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un équivalent à la France dans les provinces espagnoles contiguès à cet empire.
« 3^ Base. Fixer une fois la succession au trône d'Es- pagne.
« 4* Base. Faire un traité d'alliance offensive et dé- fensive, dans lequel le nombre de troupes, dont les deux puissances devraient se secourir réciproque- ment, serait stipulé.
« Telles sont les bases sur lesquelles se peut conso- lider et changer en traité un arrangement capable de terminer heureusement la crise politique dans laquelle se trouvent VEspagne et la France,
« Dans des matières de cette importance, je dois me borner à exécuter fidèlement les ordres que je reçois.
« Lorsqu'il est question de l'existence de l'État, de son honneur et de celui du gouvernement, le souve- rain et son Conseil doivent seuls décider.
« Cependant, mon ardent amour pour la patrie m'oblige de dire que, dans nos conférences, j'ai fait au prince de Bénévent les observations suivantes :
« 1 ° Qu'ouvrir nos Amériques au commerce français, ce serait réellement les partager entre l'Espagne et la France, et le faire exclusivement au profit de celle-ci.
« Ce serait de plus éloigner la paix, et perdre , jus- qu'à ce qu'elle fût signée, nos communications et celles des Français avec ces contrées.
« J'ai ajouté que quand même l'on admettrait le com- merce français, l'on ne pourrait jamais souffrir, qu'au mépris de nos lois fondamentales, les sujets de la France s'établissent dans nos colonies.
«2° Pour ce qui concerne le Portugal, j'ai rappelé les conventions du 27 octobre dernier ; j'ai fait voir le sacrifice du roi d'Étrurie, le peu que vaut le Portugal sans ses colonies , son inutilité pour l'Espagne ; j'ai fait une peinture fidèle de l'horreur que causerait aux
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pays voisins des Pyrénées, la perte de leurs lois, de leurs franchises, de leurs usages, de leur idiome, et surtout la nécessité d'obéir à un gouvernement étran- ger.
« J'ai ajouté que je ne pourrais jamais signer la ces- sion de la Navarre, pour ne pas être l'objet de l'exécra- tion de mes compatriotes, comme je le serais, en effet, s'il était connu qu'un Navarrais eût apposé son nom au bas d'un pareil acte.
« Enfin, j'ai insinué que si l'on ne trouvait d'au- tres moyens, il serait possible d'ériger un nouveau royaume ou une vice-royauté d'Ibérie, en stipulant que cet État serait toujours soumis aux lois et aux règle- ments qui le régissent à présent , et que ses habitants conserveraient leurs usages et leurs privilèges. Ce royaume ou cette vice-royauté pourrait se donner au roi d'Étrurie ou à tout autre infant de Castille.
« 3^ Quant à l'article concernant la succession d' Espagne, fai développé ce que Sa Majesté m'a ordonné de dire de sa part , et je crois l'avoir fait de manière à dissiper toutes les calomnies inventées par les malveillants de notre pays, et qui avaient égaré l'opinion publique dans ce- lui-ci.
« Pour ce qui concerne l'alliance offensive et défen- sive , dans la chaleur de mon zèle patriotique , j'ai demandé au prince de Bénévent , si l'on voulait faire de l'Espagne un équivalent à la confédération du Rhin, en l'obligeant à fournir un contingent, et colorer ce tribut du nom honorable de traité d'alliance offensive et défensive ; j'ai montré qu'étant en paix avec la France, nous n'avions pas besoin de ses secours pour défendre nos foyers; que les Canaries, le Ferrol et Buenos-Aires en faisaient foi ; que l'Afrique est nulle, etc., etc., etc.
« Le projet du mariage est regardé comme une affaire
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décidée : il aura lieu , mais il sera l'objet d'une négo- ciation particulière , et ne se traitera point dans l'ar- rangement dont j'envoie les bases. •
(( Quant au titre d'empereur que doit prendre le Roi, notre maître, cet article n'a offert ni n'offre à présent la moindre difficulté.
« L'on m'a chargé de demander les réponses les plus promptes, afin de prévenir les fatales conséquences que pourrait occasionner le moindre retard à se mettre d'accord.
(( L'on recommande aussi d'éviter avec le plus grand soin tout acte hostile et tout mouvement qui pourrait éloigner l'heureux arrangement qui peut encore se faire.
« A la demande qui m'a été faite, si le Roi, notre maître, devait aller en Andalousie, j'ai répondu la vé- rité : que je ne savais rien. Interrogé aussi si je croyais qu'il fût parti, j'ai dit que je ne le pensais pas , vu la confiance que Leurs Majestés et Votre Altesse avaient dans les procédés de l'Empereur.
« J'ai demandé en conséquence, qu'en attendant la réponse, l'on convînt provisoirement de suspendre la marche des troupes françaises dans l'intérieur de l'Es- pagne, et que l'on fît sortir de la Castille celles qui y étaient. Je n'ai rien obtenu. Mais je présume que si les bases proposées sont acceptées , l'on peut espérer que ces troupes recevront l'ordre de s'éloigner de la rési- dence de Leurs Majestés.
« L'on a écrit que des troupes marchaient de Ta- lavera sur Madrid; que Votre Altesse m'avait expédié un courrier. J'ai satisfait à tout , en disant ce que je savais.
« L'on croit ici que Votre Altesse est partie pour Séville avec Leurs Majestés; comme je ne sais rien, j'ordonne au courrier d'aller jusqu'à ce qu'il rencontre
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Votre Altesse. Les troupes françaises le laisseront pas- ser, selon l'assurance que m'en a donné le grand ma- réchal du palais impérial.
« Paris, 24 de mars de 1808. »
Lorsque Fei'dinayid VII , ne pouvant soupçonner les desseins cachés de Napoléon, s'était déterminé à par- tir pour Buitrago , (c il avait été formellement stipulé que le Roi reviendrait avec sa suite passer la nuit à Madrid ; l'Envoyé de Napoléon obtint que l'on pour- suivît, sur l'assurance qu'il donna que l'empereur des Français viendrait dans cette ville embrasser le roi Ferdinand. Le marquis de Miisquiz et M. de La- brador firent tout ce qui dépendait d'eux pour empê- cher cette funeste résolution; mais les trois conseil- lers du Roi disaient que l'Espagne n'avait pas assez de baïonnettes pour s'opposer à la volonté de Napoléon. On partit donc pour Burgos oii Savary répétale même manège , et il fut décidé que l'on irait jusqu'à Vitoria, parce que, disait Savary, l'aspect que présentaient les affaires du Nord ne permettaient pas à Napoléon de venir jusqu'à Burgos. A Vitoria le peuple montra plus de bon sens que les conseillers du Roi, et il s'opposa au départ de Sa Majesté, en coupant les harnais des mulets attelés à la voiture. Mais on fit venir des troupes et on trompa les habitants de Vitoria en faisant pla- carder une proclamation au nom du Roi, dans laquelle on déclarait que tous les différends qui existaient étaient aplanis ; que Sa Majesté n'allait que pour em- brasser son ami l'Empereur et qu'il reviendrait tout de suite à Madrid.
« On partit donc de Vitoria pour Irun , que l'on ne devait pas dépasser. La voiture où se trouvaient MM. de
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Musquiz et de Labrador se cassa près de Vergara , et on dut passer la nuit à la réparer ; lorsque ces deux diplomates arrivèrent à Irun , le Roi était déjà à Bayonne , où devait s'accomplir l'acte de perfidie le plus révoltant que l'on ait jamais osé commettre dans l'Europe civilisée. »
Dès le jour même de l'arrivée de Ferdinand VII (20 avril), on jeta le masque. Le général Savary vint an- noncer au Prince que Napoléon était décidé à ne pas per- mettre que le trône d'Espagne fûtplus longtemps occupé par une dynastie qui n'oublierait pas qu'une de ses branches avait régné en France. Bientôt après, « Napoléon déclara de vive voix au roi Ferdinand qu'il le regardait comme rebelle envers son père et son roi, et en même temps il lui signifia qu'il eût à nommer une personne chargée de traiter avec son ministre Champagny, pour réparer les torts de l'Espagne à l'égard de l'Empe- reur. Le principal grief était la proclamation du géné- ralissime Godoy, publiée en 1 806. Pour satisfaire à cette prétention si extraordinaire, le roi Ferdinand nomma son ministre des Affaires Étrangères, M. Cevallos; mais Napoléon le refusa en disant qu'il le regardait comme traître au roi Charles IV ^ et ce fut alors qu'il désigna M. de Labrador, qui fut accepté non sans ob- jection par Napoléon. Celui-ci, occupait alors la petite maison de campagne de Marrac : M. de Labrador s'y rendit pour avoir la première conférence avec M. de Champagny. La chambre où avait lieu cette conférence n'était séparée du salon où se tenait Napoléon que par un rideau , de façon qu*il entendait ce que les pléni- potentiaires se disaient.
« M. de Champagny commença par dire à M. de Labrador qu'il le considérait comme un homme trop éclairé pour pouvoir se faire illusion sur l'état de l'Espagne : que l'Empereur, malgré son génie, sa re-
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nommée et ses armées constamment victorieuses, ne pouvait être tranquille sur son trône tant que celui d'Espagne serait occupé par un Bourbon , qui aurait toujours la pensée de venger ses parents de la branche aînée ; qu'ainsi le sort de l'Espagne était irrévocable- ment fixé; que Napoléon avait décidé de placer sur le trône d'Espagne son frère Joseph; que l'on choisirait pour ministres du nouveau roi les Espagnols les plus capables , et que ceux qui s'opposeraient aux desseins de l'Empereur devaient craindre sa toute-puissance. {( M. de Labrador répondit à M. de Champagny que ni lui ni l'Empereur son maître ne connaissaient l'Es- pagne ni les Espagnols; que lui, comme plénipoten- tiaire de Ferdinand F//, roi d'Espagne, il étendrait son bras droit sur la table et se le laisserait couper plutôt que d'apposer une signature, qui le déshonore- rait aux yeux de l'Espagne et du monde entier. Cette réponse fut connue du général Bertîuer, et ce fut à cette occasion qu'il dit que M. de Labrador était le plus féroce des Espagnols. Le général Berthier se trompait: la guerre de Napoléon contre l'Espagne a dû le per- suader que, lorsqu'il s'agit d'indépendance, tous les Espagnols partageaient l'opinion de M. de Labrador. »
Après cet aperçu de la négociation de M. de La- brador^ nous allons assister à la curieuse conférence qui eut lieu entre Napoléon et le conseiller d'État Escoiquizy et dans laquelle l'Empereur développa sa politique à l'égard de l'Espagne. Voici le compte rendu de l'an- cien gouverneur de Ferdinand VU.
« — Le 21 du mois et an susdits, environ à sept heures et demie du soir, l'Empereur fît venir dans son cabinet, au château de Marrac, ledit EscoiquiZy et eut avec lui le dialogue suivant :
« L'Empereur. Depuis longtemps , chanoine , sur
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l'idée que l'on m'a donnée de votre droiture et de votre instruction , je désirais causer avec vous sur les affaires de votre Prince : et bien plus à présent, que dans ma situation, je dois prendre part au malheur du Roi, son père, qui a demandé ma protection. Je la lui dois. Toute l'Europe a les yeux ouverts sur moi. Les circon- stances dans lesquelles, au milieu de ses gardes sou- levés et du peuple en tumulte , il fit à Aranjuez l'ab- dication de la couronne, font bien connaître qu'elle fut forcée ; et comme à cette époque mes armées étaient déjà en Espagne, et voisines du lieu de la scène, l'on pourrait croire que j'ai eu quelque part à cette vio- ïence, qui donne à toutes les Cours l'exemple d'un fils qui a conspiré contre son père et qui l'a détrôné. Je dois éviter un pareil soupçon , et faire voir au monde que je ne suis point capable d'appuyer un attentat aussi injuste que scandaleux. En conséquence, je ne me résoudrai jamais à reconnaître le prince Ferdinand comme roi légitime d'Espagne, tant que son père, qui m'a adressé une réclamation formelle contre sa prétendue abdication, n'aura pas renouvelé celle-ci en pleine liberté.
u D'un autre côté , l'intérêt de mon empire exige que la maison de Bourbon , que je dois regarder comme une ennemie implacable de la mienne , ne règne plus en Espagne. C'est aussi ce qu'il y a de plus avantageux pour votre nation, puisque, en lui ôtant une dynastie dont les derniers rois lui ont causé les maux dont elle est si irritée, elle obtiendra, sous la nouvelle que je lui proposerai de placer sur le trône, une Constitution meilleure, et par ce moyen une alliance intime avec la France, qui la garantira pour toujours du seul en- nemi qui, par son voisinage et par son pouvoir, pour- rait lui être redoutable. Le roi Charles IV lui-même, connaissant que ses fils sont incapables de tenir les
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rênes du gouvernement dansées temps difficiles, et dans l'espoir d'éviter à ses peuples les malheurs qui les me- nacent, est prêt à me céder ses droits au trône ainsi que ceux de sa famille.
« Ces motifs m'ont déterminé à ne point souffrir que la dynastie dés Bourbons règne désormais en Espagne ; mais, plein d'estime, comme je le suis, pour le prince Ferdinand qui est venu me voir avec tant de confiance à Bayonne, c'est avec lui que je veux traiter cette af- faire. J'ai l'intention de lui faire un sort qui le dédom- magera, autant que possible, tant lui que ses frères, de ce que ma politique leur fait perdre en Espagne.
(f Vous lui proposerez donc, de ma part, de renoncer à tous ses droits à la couronne d'Espagne; moyennant quoi , je lui céderai celle d'Étrurie avec le titre de roi, et une entière indépendance, pour lui et ses héritiers mâles, à perpétuité. Je lui avancerai aussi, en pur don , une année des revenus de cet État, pour y faire son établissement.
« Aussitôt après la signature, pour l'assurer encore plus de mon amitié , je lui donnerai ma nièce pour épouse. S'il accède à ce traité , il se conclura à l'instant avec toutes les formes et la solennité requises : sinon, je traiterai avec son père, qui arrivera l'un de ces jours, et dans ce cas, ni le Prince ni ses frères ne se- ront plus admis à aucune négociation , et ne devront compter sur aucune espèce d'indemnité. Quant à l'Es- pagne, si le Prince accepte mes propositions, je ga- rantirai par le même traité son intégrité et son in- dépendance sous la nouvelle dynastie, ainsi que la conservation de ses lois , de sa religion et de ses usages. Voilà à quoi se réduit mon système sur ce point : car je ne veux pour moi pas même un village d'Espagne. Si ces propositions ne conviennent point à votre Prince, et qu'il veuille retourner en Espagne , il est libre : il
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peut partir quand il voudra, toutefois après être con- venu avec moi du temps nécessaire à son retour, après lequel les hostilités commenceront entre nous.
« Escoiquiz. Sire , je suis infiniment flatté d'avoir l'honneur de pouvoir exprimer personnellement à Votre Majesté Impériale et Royale les sentiments d'admira- tion et le profond respect que depuis si longtemps je professe pour elle. Je suis, en même temps, extrême- ment reconnaissant de la bonne opinion que Votre Majesté Impériale a daigné prendre de mon caractère, et je regarde comme une obligation sacrée de la justi- fier en parlant à Votre Majesté avec la sincérité dont un homme d'honneur ne doit jamais s'écarter. Je crois aussi que je ne pourrais pas faire à Votre Majesté une injure plus cruelle que de dissimuler ou de cacher le moindre de mes sentiments sur une affaire qui inté- resse autant sa gloire que le bonheur de mon Roi et de ma patrie auxquels je dois une fidélité à toute épreuve. J'espère donc que Votre Majesté Impériale daignera me permettre de lui parler avec une franchise digne de mon caractère et de tout le respect que je lui dois.
M L'Empereur. Vous pouvez dire tout ce que vous vou- drez ; je sais que vous êtes un honnête homme, et loin de m'offenser de votre sincérité, je vous en estimerai davantage.
« Escoiquiz. Daprès cette assurance. Sire, je dois vous exprimer l'étonnement que m'a causé un projet que mon Roi et ma nation étaient si éloignés de soupçon- ner, d'après l'étroite liaison qui depuis plus d'un siècle subsiste entre les deux nations , rendue encore plus intime sous l'empire de Votre Majesté ; d'après tous les efforts que , depuis cette époque jusqu'aujourd'hui , l'Espagne a faits pour soutenir la France dans toutes ses guerres , y compris celle qu'entreprit Votre Majesté Impériale pour détrôner la branche des Bourbons qui Xi 10
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régnait à Naples : efforts qui ont coûté à l'Espagne le sacrifice de ses flottes et de ses trésors , et qui l'ont entièrement épuisée; d'après que son gouvernement a remis ses places frontières et ouvert sa capitale aux troupes de Votre Majesté avec toute la confiance que peut inspirer l'amitié la plus aveugle;... d'après les intentions publiques du roi Ferdinand , de donner sa main à une princesse de votre auguste maison, désir qui , quoique sollicité au nom de Votre Majesté par son ambassadeur M. de Beauharnais , fut regardé comme un crime et fut sur le point de coûter la vie au Prince ; . . . d'après enfin que dans le peu de jours qu'il y a qu'il est monté sur le trône, il a renouvelé le même désir, et a donné à Votre Majesté tant de preuves du même atta- chement et de la même sincérité, surtout celle de venir, avec tant de confiance , se remettre entre ses mains comme dans celles de l'amitié, malgré le refus con- stant des représentants de Votre Majesté pour le recon- naître pour Roi légitime.
« Persuadé que ce refus et le projet de priver le roi Ferdinand et sa dynastie de la couronne d'Espagne, ne peuvent provenir que des rapports mensongers par- venus aux oreilles de Votre Majesté sur les affaires de notre pays , je la supplie de me permettre d'en faire connaître l'état véritable, et de montrer que ce projet est aussi contraire aux intérêts politiques de Votre Ma- jesté qu'à ceux de l'Espagne et de mon Souverain.
« Je commencerai par un récit simple et véridique des faits qui ont précédé l'abdication du roi Charles IV , ce qui suffira, vu la notoriété de tout ce qui s'est passé alors , pour prouver que loin d'être forcée, cette abdi- cation a été au contraire libre et volontaire de sa part. Je reprendrai les choses de plus haut, c'est-à-dire depuis la trop fameuse conspiration de l'Escurial, qui, comme j'aurai l'honneur de le démontrer à Votre Ma-
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jesté Impériale, ne fut qu'une accusation calomnieuse et atroce, intentée contre le roi Ferdinand f alors prince des AsturieSf par la malignité du prince de la Paix, appuyée par les préventions de la Reine en faveur du favori , et par la simple crédulité de Charles IV. Per- sonne, mieux que moi, ne peut parler de ces événe- ments , puisque j'ai été le premier mobile de toutes les démarches qui servirent de base à cette ridicule procédure criminelle.
« Elles se bornèrent aux conférences que j'eus au nom du prince don Ferdinand, avec M. de Beauharnais, ambassadeur de Votre Majesté Impériale à Madrid, et à la lettre que je lui remis de la part de Son Altesse Royale pour Votre Majesté , par laquelle il implorait ses bons offices auprès du Roi et de la Reine, pour les amener à approuver le désir qu'il avait de s'unir avec une princesse de votre auguste maison , ce qui était pour Son Altesse Royale un moyen infaillible de dé- concerter tous les projets du prince de la Paix, en se mettant sous la puissante protection de Votre Majesté Impériale et Royale.
« V Empereur. En cette occasion mon ambassadeur a outre-passé ses pouvoirs ; car je ne lui ai jamais donné l'ordre de traiter avec le prince des Asturies, et encore bien moins de lui demander une semblable lettre qui, dans toute autre circonstance, eût été un acte formel de désobéissance au Roi son père ; je dis dans une autre circonstance, parce que je ne prétends pas vous inculper pour cela , quoique je sache très-bien que c'est par votre conseil que le Prince m'écrivit; mais il se trouvait dans une position si extraordinaire, qu'elle rend très-excusable cette démarche , tant pour lui que pour vous.
« Escoiquiz. En effet, Sire, je vois avec une grande satisfaction que Votre Majesté est persuadée que cette
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démarche fut une conséquence de la juste défiance que nous donnait l'ambition effrénée du prince de la Paix, et les trames obscures qu'il ourdissait pour opprimer le prince Ferdinand, dans le cas où son père, qui était alors dangereusement malade, viendrait à manquer, soit pour usurper le trône, soit pour conserver, malgré lui , sous quelque titre que ce fût , l'autorité absolue dont il jouissait.
« VEmpereur. Je suis parfaitement instruit de tout cela. Je sais aussi que ce que l'on a imputé à crime tant à vous qu'au duc de Vlnfantado , ainsi qu'aux au- tres personnes impliquées dans le procès de l'Escurial, ne fut que l'effet de votre loyauté, et n'eut d'autre but que d'empêcher, par les mesures d'une juste pré- caution, les projets que vous croyiez formés contre votre Prince pour l'époque de la mort de son père , mais sans avoir jamais manqué au respect et à la lidé- lité que vous lui deviez pendant sa vie.
u Escuiquiz. Je n'ai donc rien à ajouter à ce que la perspicacité de Votre Majesté lui a déjà fait pénétrer, si ce n'est que la contradiction de deux décrets succes- sifs publiés au nom du roi Charles avant l'instruction de cette cause, et la sentence unanime prononcée par les onze conseillers qui la jugèrent, par laquelle ils nous déclarèrent innocents , et nous renvoyèrent ab- sous, malgré les intrigues, les menaces et le despo- tisme du prince de la Paix , et malgré les impressions défavorables que le Roi et la Reine avaient conçues contre nous: cequisuffitpourdissiperjusqu'aumoindre doute sur la conduite du Prince et sur la nôtre dans toute cette affaire.
« VEmpereur. Je connais tous ces détails, ainsi que l'innocence du prince Ferdinand et la vôtre, dans tout ce qui s'est passé à cette époque; mais l'odieux évé- nement d'Aranjuez, cette abdication du roi Charles
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faite au milieu d'un peuple en fureur, cette défection de ses gardes, qui au lieu de le défendre servirent à l'opprimer, et le forcèrent à la faire ; cette facilité du prince Ferdinand à l'accepter, tout cela , dis-je , ne doit-il pas faire croire à l'Europe entière , comme à moi, que cette abdication n'a été ni libre ni volon- taire? Bien plus, le roi Charles, dans le premier mo- ment où il jouit d'une ombre de liberté, c'est-à-dire, deux jours après, a complété la preuve de la violence qui lui avait été faite, en m'adressant, contre sa légi- timité, une protestation en bonne forme, faite le jour même de l'abdication , et en implorant ma protection pour défendre sa vie et son autorité contre son fils et ses sujets.
i< Escoiquiz. Je ne puis exprimer. Sire, combien je m'estime heureux d'avoir à discuter cette matière de- vant un Monarque doué d'un génie aussi supérieur que celui de Votre Majesté Impériale, de connaissances aussi vastes et d'un caractère encore plus grand que sa puissance. Je suis persuadé que dans ce moment où j'ai l'honneur de lui parler, Votre Majesté lit dans mon cœur et y voit ma franchise et ma sincérité , ce qui m'inspire la plus grande confiance. Je vais donc présenter à Votre Majesté les événements d'Aranjuez sous leur véritable point de vue , et dissiper l'im- pression sinistre qu'ils ont faite sur son esprit, par le faux jour sous lequel ils lui ont été offerts.
« Il est certain que je n'étais point à Aranjuez à cette époque, puisque, par suite du procès de l'Escurial , j'étais exilé, ainsi que le duc de Vinfantado, et confiné dans un couvent au milieu d'un désert, à cent lieues de la Cour , mais depuis, j'ai pris les informations les plus exactes et les plus détaillées de tout ce qui s'y est passé dans ces circonstances. Ces événements étant de notoriété publique, je puis garantir 9. Votre Majesté la
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véracité de mon récit, sur le témoignage unanime de l'Espagne entière , et sur celui des personnes impar- tiales et témoins oculaires que j'ai consultés. Voici le fait.
(( Le mouvement du peuple à Aranjuez n'a pas eu d'autre cause que l'indignation publique portée à son comble , par la nouvelle certaine du projet de conduire le roi et toute sa famille en Andalousie, et par la crainte que de là ce Prince, à l'exemple de la cour de Portu- gal, n'allât s'établir dans quelqu'une de ses colonies d'Amérique. En effet, tout avait été tranquille, jusqu'à ce que ces préparatifs pour ce fatal voyage, l'avis offi- ciel qui en fut donné au conseil de Castille , et l'ordre envoyé à la garnison de Madrid de venir en toute dili- gence à Aranjuez, pour en assurer l'exécution, ne per- mirent plus au pul3lic d'en douter. Cette certitude ne pouvait manquer de faire la plus funeste impression sur un peuple aussi jaloux que l'Espagnol de la gloire de sa nation et aussi attaché à ses rois ; les troupes elles-mêmes devaient partager ces sentiments , voyant que l'on essayait de les faire servir d'intruments à l'exécution d'un projet si honteux et si préjudiciable à l'Espagne.
« Dans cet état d'exaspération générale des esprits, il n'y avait pas besoin, pour qu'ils se déchaînassent, ni de plans, ni de suggestions étrangères. Le soulèvement du peuple n'eut réellement d'autre mobile que l'ac- croissement rapide et simultané de la haine qu'il nour- rissait depuis si longtemps contre le prince de la Paix, causée par la certitude qu'il était encore l'auteur de ce projet désastreux.
« Le seul but du tumulte fut de punir le favori , et d'empêcher la fuite du roi et celle de sa famille; et le peuple, naturellement bon, conservant, au milieu de sa plus grande fureur, tout son respect et toute sa fidélité pour le Roi , se contenta de chercher le prince
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de la Paix dans sa maison; et ne l'y ayant pas ren- contré, de demander à Sa Majesté son juste châtiment et la révocation de l'ordre de départ, mais sans se per- mettre la moindre plainte contre Leurs Majestés, pour les personnes desquelles il montra toujours la plus pro- fonde vénération, ne cessant de répéter les cris de Vive le Roi , et manifestant son attachement par de continuelles acclamations.
« Quant aux gardes du corps et aux autres troupes qui étaient à Aranjuez, bien loin de prendre part à la sédition , ils s'empressèrent d'aller sauver la maison du prince de la Paix de la fureur du peuple , et après y avoir réussi, ils vinrent se réunir à celles qui étaient en bataille devant le palais, pour contenir, s'il était nécessaire , l'effervescence de la multitude, et bien dis- posés à défendre Leurs Majestés , si quelque malveil- lant, ce qui n'arriva point, se hasardait à leur man- quer de respect.
« A la vérité, en même temps que ces troupes rem- plissaient et auraient toujours rempli une obligation aussi sacrée, je suis persuadé qu'elles se seraient re- fusées à assassiner ce bon peuple pour défendre la ty- rannie du prince de la Paix, et pour faciliter le funeste voyage de la cour; mais enfin on ne les mit point à cette épreuve. Et si on leur eût donné de pareils or- dres, auraient-ils dû les exécuter? eût-il été juste d'exiger qu'elles contribuassent à la ruine de leur pa- trie, qui eût été une conséquence infaillible de leur obéissance? J'en appelle , pour décider cette question, au cœur magnanime de Votre Majesté Impériale.
« Je sais aussi que les chefs de ces différents corps militaires, consultés par le Roi et la Reine dans le commencement du tumulte sur les moyens de l'apai- ser, parlèrent à Leurs Majestés dans le même sens , c'est-à-dire, en leur conseillant de renoncer au projet
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de partir, d'avoir égard aux demandes du peuple, et d'éloigner de la cour le prince de la Paix^ après l'avoir dépouillé des dignités sans exemple qu'il avait arra- chées à la bonté du Roi. Je suis persuadé également que tous ces chefs eussent montré une répugnance in- vincible à employer la force pour réduire au silence un peuple, dont le seul crime était de manifester son amour pour son Roi, en lui demandant les choses les plus justes et les plus nécessaires à la félicité de Leurs Majestés et à celle de leur famille et de toute la nation.
« Et fallait-il davantage que ces sages conseils, pour que l'ennemi le plus cruel de sa patrie, le prince de la Paix, et le Roi et la Reine, séduits par ses artifices, peignissentà Votre Majesté Impériale les chefs et les trou- pes à leurs ordres, comme les rebelles les plus déclarés ?
« Les faits, après tout, même à cette époque démen- tirent bien cette imputation, ainsi que celle que Leurs Majestés n'auront pas manqué de faire devant Votre Majesté Impériale à leur fils le roi Ferdinand. En effet, le lendemain de l'émeute , le prince de la Paix ayant été trouvé caché dans un grenier de sa maison, le peuple se souleva de nouveau et commençait à le maltraiter, lorsque les gardes du corps, suivis d'au- tres troupes, accoururent à son secours et le dé- fendirent de sa fureur, jusqu'à ce que le prince des Asturies lui-même , se présentant au milieu de la foule, parvint à la calmer à force d'exhortations, et en lui promettant que l'on ferait le procès au favori , ce qui donna aux gardes du corps le moyen de le sauver en le conduisant dans leur quartier, où il arriva n'ayant encore reçu que quelques légères blessures.
« A peine y était-il enfermé que le peuple s'apaisa, et après avoir salué Leurs Majestés par des acclamations réitérées, il se dispersa entièrement. Pendant le temps que dura l'émeute, qui une fois apaisée ne se renou-
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vêla pins, Ton n'a pas entendu une seule voix s'élever contre Leurs Majestés ni contre leur gouvernement, et cela , Sire , est un fait incontestable et de notoriété publique.
« Ce fut après le rétablissement de la plus profonde tranquillité, ce jour-là même, à quatre heures de l'après-midi , que le roi Charles fit appeler don Pedro Cevallos , son secrétaire d'État, et que sans que per- sonne eût pensé à dire à Sa Majesté un seul mot pour l'engager à renoncer à la couronne, ni même qu'une telle idée fût venue à qui que ce soit, il lui répéta ce qu'il avait déjà dit souvent les années précédentes et devant plusieurs autres individus de sa cour, qu'il était fatigué de régner, et qu'il soupirait après une tranquillité que l'état de sa santé lui rendait néces- saire; il ajouta qu'il voulait profiter de ce moment pour se démettre de la couronne en faveur du Prince son fils et son héritier, et ordonna audit secrétaire d'État de rédiger à cet effet un décret dans la forme usitée en pareil cas , et de le lui apporter immédiate- ment à signer : se qui se fit dans la même soirée. Ensuite le roi Charles le communiqua au prince Fer- dinand, en présence de la famille royale et des prin- cipaux personnages de la Cour, témoignant la plus grande satisfaction de ce qu'il venait de conclure, et, entre autres choses , dit au nonce du Pape , monsei- gneur Gravina, et à l'ambassadeur de Russie, le comte de Strogonoffy qu'il n avait jamais rien fait de meil- leur cœur, ajoutant pour preuve, qu'étant depuis long- temps, à cause de ses douleurs rhumatismales, hors d'état d'écrire, la joie dans cette circonstance lui avait fait recouvrer ses forces pour signer son abdication de sa main; enfin, toutes ses actions et tous ses discours ne peuvent laisser le moindre doute à personne , sur la liberté avec laquelle cet acte a été consommé.
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« Je n'en suis pas moins persuadé que dans les pays étrangers où l'on ignore l'état dans lequel, à cette époque, étaient les choses en Espagne, l'on aura peut- être blâmé le prince Ferdinand de n'avoir point refusé, ou tout au moins différé son adhésion à une abdica- tion faite dans des circonstances si extraordinaires , soit par un effet de son respect filial, soit pour ne point compromettre sa réputation : mais cette objection n'en est pas une pour les personnes instruites de ce qui se passait alors , et elles voient clairement que les cir- constances ne permettaient point au prince Ferdinand de balancer ni de différer d'un moment à accepter l'abdication. En effet, le moindre retard entraînait la perte de l'Espagne. La Reine, qui uniquement occupée des dangers du prince de la Paix, et des moyens de le sauver, ne s'était point opposée à l'abdication, revenue peut-être à elle-même ce jour-là , eût fait changer de résolution à son époux aussi facilement qu'elle l'en- gagea , après avoir consommé cet acte , à protester contre, et à le déclarer arraché par la force. Quiconque connaît son caractère et sa prévention pour le prince de la Paix , ne peut douter qu'encouragée par cette première démarche , elle n'eût obtenu du malheureux Roi de lui rendre la liberté et de le replacer à la tête du gouvernement. Et quelles horribles conséquences n'en devait-il point résulter? La haine déjà implacable du peuple pour le favori , changée bientôt en déses- poir, et tournée à la fin contre le Roi et la Reine, les eût précipités du trône et entraînés dans le même abîme , eux, leur famille et la nation elle-même, dés- ormais détruite et anéantie. Que Votre Majesté juge à présent. Sire, si le Prince, par une délicatesse hors de saison, devait exposer son royaume à de si terribles catastrophes.
« V Empereur. De quelques couleurs que l'on veuille
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peindre la révolte d'Aranjuez et ses suites, il faut, chanoine, que vous conveniez que les apparences et nommément la protestation du roi Charles, faite le jour même de son abdication et peu d'instants après l'avoir signée, prouvent aux yeux de tous ceux qui ne connais- sent point les dispositions secrètes que vous attribuez au Roi et à la Reine son épouse, prouvent, dis-je , à toute l'Europe, à l'exception d'un petit nombre de vos compatriotes qui peuvent en être instruits, que l'abdi- cation ne fut ni libre ni volontaire, mais forcée, en ce qu'elle est le résultat d'une détermination prise par le roi Charles , au milieu de la consternation et de la crainte que lui causait une émeute aussi effrayante et en ce qu'elle a été signée ce jour-là même, quoique le calme fût rétabli en apparence. Il est inconcevable aussi, que dans un terme aussi court, il eût pu chan- ger de sentiment au point de protester contre son ab- dication, si elle eût été volontaire. Aussi chacun la ju- gera arrachée par la crainte d'un péril imminent.
« Escoiquiz. Sire, je n'ai donné aux événements d'A- ranjuez d'autres couleurs que celles de la pure vérité, notoire à tous les Espagnols, et qui sera connue avec la même certitude par tous les peuples de l'Europe , s'ils prennent la peine de la chercher exactement. Je dis la même chose des circonstances qui accompagnè- rent l'abdication du roi Charles. Par conséquent, si dans quelque pays étranger, faute des précautions nécessaires pour trouver la vérité, l'on en juge diffé- remment qu'en Espagne, ce sera une opinion fausse qui , comme beaucoup d'autres, ne doivent point servir de règle. Le Roi ni aucun membre de sa famille n'ayant, comme je l'ai déjà dit, jamais couru le moindre dan- ger, ce ne peut certainement point être la crainte qui ait dicté son abdication.
« Au reste, Sire, j'avoue que le changement subit de
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résolution que fait voir sa protestation signée le même jour (quoique j'aie eu des raisons de la croire faite deux jours plus tard, lorsqu'il l'envoya à Votre Majesté Impériale ) , étonnera sans doute tous ceux qui ne con- naissent point l'incroyable faiblesse de ce malheureux Roi ; mais elle • paraîtra naturelle aux personnes in- struites de son caractère. Esclave de la Reine, dépo- sitaire de sa confiance, il aurait signé et signerait en- core, à la moindre proposition de cette Princesse, l'acte le plus contraire à ses propres opinions, de même qu'il signa sa protestation dictée par la Reine, qui, égarée par ses préventions contre son fils et par le désir de sauver le prince de la Paix, craignait pour lui la rigueur du jugement dont il était menacé. Mais, Sire , je parle ici d'une chose qui ne peut avoir échappé à une vue aussi pénétrante que celle de Votre Majesté, non plus que la faiblesse étonnante du roi Charles , qui l'a fait tomber dans tant d'erreurs inconcevables, et qui, j'ose le dire, est connue de tout l'univers.
« V Empereur. Je n'ignore point, chanoine, ce que l'on conte de son peu de caractère ; mais il y a dans son abdication, indépendamment de celles que j'ai déjà rapportées, d'autres circonstances qui confirment sa nullité. Un acte comme celui-là, qui demande de longues réflexions, qui doit être pesé d'avance, et mû- rement par les représentants du royaume, qui doit se faire avec le calme et la solennité que demande son importance, et dans le sein de la plus grande tranquil- lité, et qui, au contraire, au mépris de ces précautions, a été résolu et exécuté si promptement au milieu d'une sédition, et révoqué par son auteur comme arraché par la violence le même jour, ou, si vous le voulez, deux jours après, ne paraîtrajamais libre et volontaire aux yeux des gens sensés. Rappelez-vous les exemples qu'offre l'histoire même d'Espagne, soit de Charles F,
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soit de Philippe V, et vous verrez avec quelle exacti- tude s'observèrent toutes les formalités que j'ai indi- quées. Quelle différence ne voit-on pas entre ces actes et celui d'Aranjuez?
« Escoiquiz. Je conviens, Sire, qu'ils diffèrent sous quelque rapport, mais non de manière à infirmer la valeur de celui de Charles IV. Pour qu'un acte de cette nature soit complet, il ne faut que la liberté de celui qui le fait, et qu'il soit revêtu des formalités exigées par ces lois : ces deux conditions ont été ob- servées dans l'abdication dont nous parlons. Je crois avoir prouvé que le Roi était libre. Pour ce qui regarde la solennité de l'acte, il a été passé devant le secrétaire d'État, signé par le Roi, communiqué suivant les formes au Conseil et à toute la Cour, sans la moindre réclamation de la part de Sa Majesté, et avec ordre de le faire connaître à tous ses sujets ; il n'y pas de loi qui exige davantage. Toute autre formalité purement accessoire ne peut iniluer d'aucune manière sur la va- lidité de l'acte , et dépend uniquement de la volonté de celui qui le fait ou des circonstances; l'omission dans le cas présent de ces formalités accessoires doit s'imputer au caprice du roi Cliarles lui-même, qui seul était le maître de les pratiquer ou de les négliger, et aux malheureuses circonstances dans lesquelles sa mauvaise administration avait mis le royaume, et qui exigeaient les remèdes les plus prompts. Je ne dis rien de sa protestation, puisque son abdication ayant été complète et valide, il n'avait pas le droit de la rétrac- ter, et celle-là, conséquemment, doit être considérée comme nulle et non avenue, et comme un pur effet de l'inconstance trop naturelle aux hommes.
« Cette explication me paraît plus que snllisanle, pour détruire toutes les difficultés élevées sur la validité de l'acte d'abdication; mais pour la compléter, je dois
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ajouter que cette résolution du roi Charles ne doit point être considérée comme prise inopinément ni au mo- ment précis de l'émeute d'Aranjuez, mais comme une suite d'une disposition très-ancienne et bien décidée du Roi , fondée sur le mauvais état de sa santé et sur l'insurmontable dégoût qu'il ressentait pour les affaires . Indépendamment des preuves de cette disposition, que pendant les années précédentes il avait données à ses ministres et à d'autres personnes de la Cour, ce fut elle qui lui dicta les décrets par lesquels il se déchargea , longtemps auparavant sur le prince de la Paix, du commandement de ses forces de terre et de mer, et par laquelle il lui donna le droit de faire par lui-même la paix et la guerre, motivant toutes ces concessions sur le mauvais état et la délicatesse de sa santé. Pour tout dire , eu un mot , l'autorité dont il revêtit ce fa- vori fut telle, qu'il ne conserva que le nom seul de Roi : ainsi la renonciation en faveur du Prince son fils ne fut qu'une répétition de celle faite auparavant entre les mains du prince de la Paix , avec cette unique différence, qu'étant au profit de son héritier légitime, il lui céda le titre avec l'autorité de Roi.
« L'Empereur. Malgré toutes vos réflexions, chanoine, je m'en tiendrai toujours à mon principe, qu'une ab- dication faite le jour d'une insurrection populaire et révoquée immédiatement après, ne peut jamais être considérée comme légitime. Mais laissant cela de côté, puis-je oublier que les intérêts démon empire et ceux de ma famille exigent que les Bourbons ne régnent plus en Espagne? (En disant ces paroles, l'Empereur, de la meilleure humeur du monde, me prit l'oreille, et me la tirant en badinant, ajouta) : Quand même vous au- riez raison, chanoine, dans tout ce que vous avez dit, je vous répéterais , mauvaise polili(jue.
M Escoiquiz, Je connais, Sire, toute la force de ce
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mot; mais je me flatte encore de pouvoir prouver qu'une politique solide, c'est-à-dire le véritable intérêt de Votre Majesté et de son empire, s'oppose à cette dé- termination. Je n'ignore pas l'énorme différence qu'il y a entre mes faibles lumières sur ces matières, et les vastes et profondes connaissances de Votre Majesté Impériale ; mais comme le caractère du roi Ferdinand, celui de la nation espagnole et ses dispositions actuelles doivent entrer pour beaucoup dans le calcul nécessaire pour se déterminer dans le cas présent, et que j'ai sur ces objets des données certaines, qui à raison de l'éloi- gnement ne seront peut-être point parvenues à Votre Majesté , il pourrait arriver que mes raisons fissent impression sur elle, et qu'elle convînt de la solidité de ma manière de penser.
« L'Empereur ( souriant avec la même bonne humeur et me tirant l'oreille assez fortement). L'on m'a beau- coup parlé de vous, chanoine, et je vois en effet que vous allez bien loin.
« Escoiquiz (souriant aussi). J'en demande pardon a Votre Majesté ; mais il me paraît qu'elle va beaucoup plus loin que moi : les faits le disent. L'avantage n'est assurément pas de mon côté.
« V Empereur ( après avoir beaucoup ri ). Mais reve- nons à notre objet. Il est impossible que vous ne voyiez pas, comme moi, que tant que les Bourbons régneront en Espagne , je ne pourrai compter sur une alliance sincère avec elle. Sans doute ils la feindront tant qu'ils seront seuls , parce que l'infériorité de leurs forces ne leur permet pas de me nuire; mais leur haine n'at- tendra pour se réunir à mes ennemis et pour m'atta- quer, que le moment où ils me verraient occupé par une guerre dans le Nord , chose à laquelle je suis ex- posé à chaque instant : et je ne veux pas d'autre preuve de ce que je vous dis, que la perfidie avec laquelle le
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même Charles /K, malgré sa prétendue fidélité à mon alliance, voulut me faire la guerre dans le moment où il me crut le plus embarrassé par celle de Prusse , peu de jours avant la bataille d'Iéna , et qu'à cette fin il répandit dans son royaume la fameuse proclamation que vous connaissez , destinée à armer tous ses sujets contre moi. Ainsi donc, tant que les Bourbons occu- peront ce trône , je ne serai jamais sans crainte de ce côté-là j car les forces d'Espagne, toujours considéra- bles , pourraient le devenir davantage sous le gouver- nement d'un homme à talents, et m'incommoder beau- coup. Ne vous étonnez donc pas si je vous répète , mauvaise politique.
« Escoiquiz. Que Votre Majesté Impériale me permette de l'assurer que la branche des Bourbons d'Espagne , dans les circonstances où elle se trouve , bien loin de donner à Votre Majesté la moindre jalousie , doit être chaque jour plus fidèle à son alliance et plus utile au système qu'elle veut établir sur le continent j et qu'au contraire rien ne peut lui être plus funeste , ainsi qu'aux intérêts de sa maison et de son empire, que de la pri- ver du trône.
« Et d'abord cette branche des Bourbons, séparée depuis longtemps des autres, ne peut avoir pour elles un grand attachement, fondé sur les liens d'une parenté déjà si éloignée. Ferdinand VI en donna une bonne preuve, par son refus de contracter la moindre alliance avec celle qui régnait en France, non-seulement il ne la soutint point dans ses guerres avec la Prusse et l'An- gleterre, mais quoiqu'il voulût paraître observer la plus exacte neutralité, il n'en témoigna pas moins tou- tefois sans y manquer ouvertement, sa préférence et sa prédilection pour les Anglais, ennemis de la France.
« Si Charles III sou successeur changea de système, et conclut avec la branche de France le fameux pacte
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de famille , chacun sait que ce ne fut point par atta- chement pour elle , mais par ressentiment contre les Anglais, qui lui avaient fait l'injure sanglante de l'obli- ger, par la présence d'une escadre, sous peine de voir bombarder Naples , où il régnait alors , à retirer les troupes qu'il avait dans l'armée de Philippe Y son père, en lui fixant insolemment le terme de deux heures pour se décider; offense qu'il ne put jamais oublier.
« Charles IV fit, il est vrai, la guerre à la France à l'époque de la mort de Louis XVI; mais l'eût-il entre- prise, si l'on se fût contenté de détrôner et d'exiler cet infortuné monarque? Il n'éclata en effet que quand il vit ses jours en danger, et même alors il consentait à reconnaître l'exclusion donnée à cette dynastie. Ce ne furent donc point des considérations de parenté, mais son indignation contre un attentat qui menaçait tous les rois, qui lui mit les armes à la main.
« Gustave, roi de Suède, qui n'avait rien de commun avec les Bourbons , fit encore davantage ; il eût fallu n'être pas roi pour ne pas prendre le même parti dans une pareille circonstance. Cependant, à peine un gou- vernement plus modéré eut-il remplacé en France la tyrannie , que Charles IV s'empressa , non-seulement de faire la paix , mais de resserrer avec ce gouverne- ment, son alliance précédente, et ces dispositions ami- cales se sont accrues encore, depuis que pour le bon- heur de la France et de l'Europe entière. Votre Majesté gouverne cet État. En effet, Sire, l'exil des princes français, la destruction de leurs espérances, la perte même du trône de Naples, enlevé à son frère, loin de faire la moindre impression sur l'esprit du roi Charles /F, n'ont fait que rendre plus intime son al- liance avec Votre Majesté Impériale.
« Quant à la proclamation publiée à l'époque de la bataille d'Iéna, sur laquelle Votre Majesté fonde ses XI 11
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soupçons d'une haine innée chez les Bourhons contre sa personne et sa maison, il est certain que par les circonstances qui raccompagnèrent, elle doit être con- sidérée comme la déclaration de guerre la plus for- melle ; mais fut-elle l'ouvrage d'un Bourbon ^ de Char- les IV? Votre Majesté sait, aussi bien que moi, qu'elle fut celui du prince de la Paix y qui eut à surmonter toute la répugnance du Roi , qui ne céda à ses sollici- tations que par une faiblesse aussi incroyable que pu- blique, et qu'ainsi elle ne peut être citée comme preuve de la haine du Roi contre Votre Majesté et contre sa famille.
(( Et que pourrai-je dire de l'amitié de son fils Ferdi- nand ^ de son attachement, de son estime et de son respect pour Votre Majesté Impériale, qu'elle ne sache déjà? N'étant encore que prince des Asturies, il en donna une preuve bien forte , lorsqu'au risque de sa vie , il exposa à Votre Majesté le désir qu'il avait de s'unir à une Princesse de sa maison. A peine a-t-il occupé le trône, qu'il s'est empressé de renouveler par écrit la même proposition j et non content de cela , malgré la proposition des représentants de Votre Ma- jesté à le reconnaître pour roi, il est venu solliciter en personne la même faveur, et s'est remis entre ses mains avec une confiance filiale. Nul soupçon , nulle crainte ne l'ont retenu ; il avait une trop grande idée de la justice et de la générosité ' d'un héros, objet de son admiration, pour concevoir la moindre défiance.
« Quelles raisons pourrait donc avoir Votre Majesté Impériale, pour craindre de sa part la moindre inimi-
« * Il faut remarquer que ce langage était indispensable pour tirer parti de cet homme vain et cruel. La vérité ne pouvait arriver jusqu'à son cœur qu'à travers la vapeur des expressions les plus flatteuses. J'é- tais à Bayonne, et je parlais à un Attila; je n'ai pas besoin d'en dire davantage. »
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tié , la plus légère aversion contre son auguste famille ou son empire , dont l'alliance est d'ailleurs , et sous tous les rapports, le premier besoin politique de l'Es- pagne? Et si l'union qu'il désire avec une Princesse impériale , vient à se réaliser, n'appartiendra-t-il pas de plus près à la maison de son épouse, et ne tien- dra-t-il pas davantage à ses intérêts qu'à des parents éloignés qu'il a toujours vus avec indifférence? Ne prendra-t-il pas alors tous les sentiments d'un fils de Votre Majesté, et d'un prince de sa famille?
« L'Empereur. Allons, chanoine, vous nous débitez dès contes. Vous êtes trop instruit pour ne pas con- naître qu'une femme est un lien bien faible pour fixer la conduite d'un Prince, et qu'il ne peut entrer en com- paraison avec les nœuds du sang et ceux d'une origine commune. Et qui peut compter sur l'influence que l'épouse de Ferdinand exercera sur son cœur ! ne dé- pend-elle pas entièrement du hasard et des circon- stances? sa mort ne rompra-t-elle pas toute harmonie entre la maison de son époux et la mienne? et quand même elle serait parvenue à endormir, pendantsa vie, leur haine mutuelle , ne se réveillera-t-elle pas avec plus d'ardeur dans cette circonstance?
« Escoiquiz. Malgré tout cela, je me flatte que Votre Majesté ne prendra point mes propositions pour des contes, si elle daigne considérer l'ascendant que dans le cas particulier qui intéresse si éminemment le bien de ses sujets , une épouse remplie de mérite et de ju- gement doit forcément exercer sur un Prince jeune , équitable et sensible, et quelle force elle puisera dans l'attachement de son époux, pour peu qu'elle ajoute à ses grâces naturelles un peu de cet art, qui ne manque jamais à son sexe, surtout pour faire valoir la raison. Je le dis, Sire, avec cette franchise, parce que je ne parle point à un Monarque ordinaire, auquel je pour-
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rais, si j'étais capable d'altérer la vérité, non-seule- ment dissimuler ma façon de penser, mais peut-être faire adopter des idées fausses ; j'ai au contraire l'hon- neur de traiter avec Votre Majesté Impériale , dont la pénétration ne peut être mise en défaut. Je serais donc bien maladroit si tous mes discours ne respiraient pas la plus grande sincérité, qui seule peut les faire valoir.
« Dans ce sens, et même dans la supposition que le mariage projeté ne se réaliserait point, la douceur et le caractère pacifique du roi Ferdinand devraient suf- fire pour convaincre Votre Majesté que jamais ce Prince ne renoncera à une alliance qui lui assure la protec- tion de la seule puissance qui peut menacer son exis- tence politique ; alliance dont ses plus chers intérêts lui prescrivent la religieuse observation. Sur ce point, la façon de penser de tous ceux qui entourent notre jeune Monarque , et dont Votre Majesté doit être in- formée, doit confirmer cette vérité.
« L'Empereur. Je sais que vous et ceux qui partagent actuellement sa confiance, connaissez trop bien ses vrais intérêts, pour lui inspirer d'autres sentiments. Mais vous figurez-vous par hasard, que jeune comme il l'est, il vous conservera pendant six mois la même confiance? Ne vous laissez pas éblouir, chanoine, vous êtes trop honnête homme. Le premier courtisan adroit le trompera, s'emparera avant peu de toute sa faveur, TOUS fera éloigner des affaires, et gagné par l'Angle- terre, lui fera adopter un système diamétralement op- posé au sien. Non, non, je ne puis m'y fier.
K Escoiquiz, Je suis assuré. Sire, que notre jeune Monarque nous connaît trop bien pour nous retirer facilement sa confiance.
« D'ailleurs , son caractère quoique pacifique , est bien éloigné d'être faible : il a du talent et de la fermeté, et il en acquerra chaque jour davantage par Texpé-
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rience; et il faudrait qu'il fût réellement le plus faible et le plus inepte des hommes, pour que, quand même il nous aurait éloignés de sa personne, il se décidât, sur les simples insinuations d'un favori, supposé qu'il en eût un, à renoncer à une alliance dont tous ses su- jets reconnaissent les avantages incalculables. Mais en admettant, ce dont je suis fort éloigné, cette supposi- tion comme possible , ce ne serait jamais dans le cas où il serait uni à une Princesse de la maison de Votre Majesté Impériale ; tous les favoris du monde ne pour- raient alors balancer un moment l'empire de son épouse.
u L'Empereur. Vous avez intérêt, chanoine, à vanter à présent la force de cet ascendant; mais moi je n'y ai pas tant de confiance.
a Escoiquiz. Sire, vous n'y croyez pas autant, per- mettez-moi de le dire à Votre Majesté , parce qu'elle juge le caractère des autres Princes d'après le sien , qui est une exception à la règle, puisqu'il ne cède ja- mais àd'autre impulsion qu'à celle de son propre génie.
« L'Empereur, Allons, chanoine, vous ne faites que bâtir des châteaux en l'air. Pourrai-je jamais être aussi sûr de l'Espagne sous le gouvernement des Bourbons^ que sous celui d'un prince de ma famille? Celui-ci pourrait peut-être avoir quelque brouillerie avec moi ou avec mes successeurs, mais ne sera jamais un ennemi de ma maison, jamais n'en désirera la ruine, comme les Bourbons, et la défendra au contraire toutes les fois que son existence sera menacée.
u Escoiquiz. En un mot, Sire, sans répéter les motifs de confiance que j'ai détaillés, tant que Votre Majesté vivra, elle n'a pas besoin d'autre garant de la fidé- lité de l'Espagne, soit qu'elle obéisse à un Bourbon , soit qu'elle soit gouvernée par un Prince de sa maison, que la seule prépondérance de ses talents et de ses forces. Quant aux successeurs de Votre Majesté, si, ce
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qui me paraît difficile, ils héritent de son génie aussi bien que de ses vastes États , ils auront les mêmes motifs de sécurité j et dans le cas contraire , le péril d'être attaqué par l'Espagne sera le même, soit qu'il y règne un Bourbon ou un Prince de la famille impé- riale; car, comme l'histoire nous le montre à chaque page , les liens du sang n'engagent à rien les souve- rains : le moindre intérêt, la plus petite ambition, le caprice d'un ministre en crédit, celui d'un favori, un engagement avec une autre famille , suffisent pour changer en ennemis irréconciliables les plus proches parents.
u Mais, laissant ces choses comme trop obscures, je demande à Votre Majesté la permission de revenir aux probabilités que nous offre le présent , les seules que les hommes doivent consulter de préférence, et que je lui expose , comme je l'ai proposé , les funestes con- séquences qu'entraînerait pour Votre Majesté et pour son empire un changement de dynastie en Espagne.
« Toute l'Europe, les yeux fixés sur Bayonne, attend l'issue du voyage du roi Ferdinand. Si Votre Majesté , dans cette circonstance, ne prend conseil que de son cœur noble et magnanime , je suis sûr que tous les peuples lui rendront justice, et applaudiront à sa gé- nérosité. Les puissances ennemies de Votre Majesté ou , envieuses de sa gloire, seront forcées d'avouer qu'elle est aussi juste avec ses alliés que terrible pour ses adversaires. Cette preuve de modération diminuera leur jalousie , refroidira leur haine , dissipera les craintes de perdre leur indépendance, craintes semées par l'Angleterre, et déjouera les intrigues de cette im- placable ennemie, dont l'unique but est de former une nouvelle coalition contre Votre Majesté.
« Quant à la nation espagnole, qui adore son jeuee monarque, qui attend son retour avec une impatience
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incalculable, qui se flatte que Votre Majesté sera son appui , et qu'elle lui tiendra lieu des parents qu'il n'a jamais connus que par leur haine injuste et contre nature, qui nourrit enfin la douce espérance de voir assurer pour toujours, par le mariage de ce Prince chéri , une étroite alliance entre les deux peuples , il est impossible de peindre la joie qu'elle éprouverait de le recevoir des mains de Votre Majesté Impériale.
« Votre nom. Sire, sera gravé dans le cœur de tous les Espagnols, comme celui du sauveur de la monar- chie; ils ne sauront que faire pour vous prouver leur vive reconnaissance. Si Votre Majesté, comme elle l'a fait espérer, honore de sa présence la capitale , en y ramenant le jeune Roi , toute la nation la recevra à genoux, la bénira et conservera un souvenir éternel de ses bienfaits; et quand même le roi Ferdinand^ attaché par tant de nœuds et surtout par ceux de la reconnaissance à Votre Majesté Impériale , voudrait jamais les rompre, l'horreur qu'un tel projet inspire- rait à tous les Espagnols le forcerait bientôt à y re- noncer; mais c'est une supposition que le caractère loyal du Roi ne permet pas d'admettre. Ferdinand et ses sujets, amis inséparables de Votre Majesté, la défen- dront à l'envide toutes leurs forces contre ses ennemis. Aussi intéressés que les Français à abattre l'orgueil des tyrans des mers, les richesses des Indes et la ma- rine respectable qu'ils pourront augmenter rapide- ment, étant désormais sûrs de l'unique puissance qui les puisse attaquer par terre, les rendront pour Votre Majesté les alliés les plus utiles, et lui donneront les moyens de mettre l'Angleterre à la raison. Quelle gloire donc et quelle utilité Votre Majesté ne trouvera-t-elle pas dans une conduite aussi conforme à la véritable pelitique qu'aux nobles inclinations de son cœur?
« Si au contraire Votre Majesté insiste sur le change-
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ment de dynastie, elle portera à son comble la jalousie et la haine des puissances même les plus indifférentes. Leur défiance et leur crainte de perdre leur propre indépendance, éveillées par un exemple aussi terrible contre l'allié le plus fidèle , donneront de nouvelles et de plus puissantes armes à l'Angleterre pour les réunir contre "Votre Majesté , et rendre la guerre intermi- nable.
(( Et que dirai-je des Espagnols?... N'en doutez pas, Sire, ils vous jureront une haine éternelle, qu'ils con- serveront pendant des siècles contre la maison de Votre Majesté et contre la France. Je parle par expé- rience, Sire; quoiqu'il se soit passé cent ans depuis la guerre de la succession sous Philippe F, le ressenti- ment des provinces d'Aragon , de Catalogne et de Va- lence, contre sa dynastie, contre la France et contre les Castillans eux-mêmes qui avaient défendu ses droits, ne s'est vraiment calmé qu'à l'époque du cou- ronnement de Ferdinand : l'horreur qu'avait récem- ment inspirée la tyrannie du prince de la Paix, et les espérances de bonheur que leur donnait le caractère du nouveau Roi, ont seules été capables de les réunir sincèrement au reste des Espagnols , et de vaincre leurs préventions contre la famille régnante ; car jus- qu'à ce moment, il ne leur a manqué qu'une occasion pour lever contre elle l'étendard de la révolte.
« Et après tout, quelle différence entre cette époque, où il s'agissait de prendre parti entre deux Princes dont les droits étaient douteux et qui partageaient tous les esprits , et le cas présent, où il ne peut y avoir le moindre doute , où ils ont un Roi qu'ils adorent , et que la force seule pourra leur en faire reconnaître un autre? Non , ce ne serait qu'après l'extermination to- tale des Espagnols que celui-ci pourrait monter sur le trône.
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(( VEmpereiir. Chanoine , vous vous appesantissez beaucoup sur les difïicultés. Je ne crains rien de la seule puissance qui pourrait me donner quelque in- quiétude. L'empereur de Russie , auquel je fis part, lors de notre entrevue de Tilsitt , de mes projets sur l'Espagne, qui datent de cette époque, les approuva, et me donna sa parole de n'en point contrarier l'exé- cution. Quant aux autres puissances, elles se garderont bien de remuer, et vos Espagnols feront peu ou point de résistance. D'abord , tous les grands ainsi que les gens riches non-seulement resteront tranquilles, dans la crainte de perdre leurs propriétés, mais encore useront de tout leur crédit sur le peuple pour le calmer. Bien plus, le clergé et les moines, que je rendrai res- ponsables du moindre désordre, emploieront leur in- fluence pour le même objet. Il ne reste donc à craindre que quelques émeutes de la populace; mais des puni- tions sévères les feront bientôt rentrer dans le devoir. Croyez qu'il est très-facile de soumettre les pays où il y a beaucoup de moines ; j'en ai déjà fait l'expérience. Les Espagnols eux-mêmes en seront un nouvel exem- ple, surtout quand ils verront que je leur garantis l'inté- grité et l'indépendance de la monarchie; que je leur donne une Constitution plus libre et plus raisonnable, et que je leur promets la conservation de leur religion et de leurs coutumes.
« Escoiquiz. Je respecte, Sire, les opinions de Votre Majesté Impériale ; je reconnais le néant de mes lu- mières et de mes connaissances politiques. Mais Votre Majesté Impériale daignera me pardonner si, instruit à fond du caractère de mes concitoyens, je me hasarde à lui dire que je crois que les grands , les riches , les ecclésiastiques et les moines donneront au peuple l'exemple des plus grands sacrifices et du plus vif en- thousiasme pour leur roi Ferdinand y et que toute la
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nation en masse se lèvera avec une ardeur et une cqn- stance invincibles pour repousser tout autre souverain que l'on voudrait lui donner.
« L'Empereur. Quand tout cela arriverait , quand je devrais sacrifier deux cent mille hommes, je n'en par- viendrai pas moins à mes fins, et je suis bien éloigné de croire que la conquête d'Espagne puisse coûter autant,
« Escoiquiz. Mon opinion ne doit être comptée pour rien à côté de celle de Votre Majesté; je conviens que dans le premier moment, vos troupes sont prêtes et maîtresses de Madrid et des places frontières, tandis que les Espagnols n'ont ni soldats, ni argent, ni pro- visions de guerre, ni même un point de réunion, ni autorité qui les dirige ; eh bien ! ils éprouveront des revers, ils seront battus, ils souffriront beaucoup; mais tout cela, loin de les subjuguer, les aigrira; la fureur leur donnera des armes, le désespoir les réunira et leur fera sentir la nécessité d'adopter un système énergique de gouvernement : le Portugal fera cause commune avec eux; l'Angleterre l'épuisera pour sou- tenir une guerre si utile à ses vues : l'aspérité du sol offrira aux Espagnols les plus fortes positions : sept cents lieues de côtes les mettront à même de recevoir, sur tous les points , toutes les provisions et tous les secours dont ils pourront avoir besoin , soit de leurs riches colonies qui leur prodigueront leurs trésors, soitde l'Angleterre : une population de quatorze millions d'âmes, y compris celle du Portugal, fournira autant d'hommes que l'on voudra. Les Français, au contraire, privés des secours de la mer, dans un pays vaste, mal- sain pour eux et peu abondant en vivres, seront réduits à faire venir, par terre, leurs provisions de leur propre patrie , à travers une contrée semée d'ennemis et de partis innombrables qui leur opposeront partout des
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obstacles presque insurmontables; et quand même ils obtiendraient sur eux des avantages partiels, ils n'en périront pas moins en détail, et seront à la fin forcés de renoncer à l'entreprise.
« Mais je veux accorder, qu'après la guerre la plus sanglante et la plus dévastatrice, ils réussissent à mettre l'Espagee à leurs pieds; jamais la nouvelle dy- nastie ne se verra tranquille sur son trône ; elle sera sur un volcan dont la force pourra seule retarder l'ex- plosion. Votre Majesté Impériale sera forcée d'entre- tenir toujours deux ou trois cent mille bommes dans les provinces pour les contenir. Le nouveau Roi ne régnera que sur un monceau de ruines et de cadavres, sur les tristes restes d'un peuple désespéré et digne d'un meilleur sort, enfin sur des esclaves furieux , prompts, à la moindre occasion, à rompre leurs chaî- nes. Et cette occasion ne peut leur manquer un peu plus tôt, un peu plus tard : les Anglais et les autres puissances, jalouses de la France, la leur offriront bientôt. Cette guerre sera une hydre toujours renais- sante, et quand même l'Espagne ne parviendrait point à secouer le joug de Votre Majesté, elle sera peut-être, par la suite et sous ses successeurs , la cause de la destruction de sa maison.
« Mais en supposant, contre ma propre conviction, que l'Espagne soit soumise et tranquille, qu'elle se résigne et qu'elle s'accoutume à une domination étran- gère , de quelle utilité serait son alliance pour Votre Majesté et pour son empire? Ruinée, dépeuplée, ré- duite à la plus grande misère , privée de ses immenses colonies , et par conséquent de ses richesses et de sa marine, elle serait pour la France une charge d'autant plus incommode que l'immense étendue de ses côtes l'expose à de fréquentes invasions de la part des Anglais.
« VEmpereur. Vous allez trop vite, chanoine; voua
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regardez comme infaillible que l'Espagne perde ses colonies, et j'ai au contraire les espérances les mieux fondées de les conserver. Ne croyez pas que je me sois endormi, je me suis ménagé des intelligences avec l'Amérique espagnole; j'ai envoyé d'avance, pour les cultiver, plusieurs frégates sur les côtes, et j'attends tout de ces mesures.
(( Escoiquiz. Je connais trop la faible portée de mes lumières. Sire, pour me hasardera contredire ces es- pérances : il est possible que le temps m'en démontre la solidité ; cependant les données que j'ai sur la dis- position des esprits dans nos colonies, ne me permet- tent pas de douter qu'elles ne se séparent de la métro- pole avant de reconnaître une nouvelle dynastie : je dis plus, sous le règne même de Ferdinand , le moindre mécontentement suffirait pour rompre une union qui ne tient plus qu'aux faibles liens de l'habitude. Est-il donc vraisemblable qu'elle subsisterait après l'entier bouleversement des idées, et, si vous le voulez, des préjugés de ses habitants ?
« Votre Majesté me pardonnera , Sire, si , fort de la liberté qu'elle a daigné m'accorder de lui parler sans déguisement, je me hasarde à dire, que je suis si sûr que l'effet infaillible du changement d^ dynastie serait la défection de nos colonies , et que je parierais tout ce que j'ai de plus précieux au monde, en faveur de ce fatal résultat.
« Et quels seront les effets de cette séparation? L'Es- pagne, qui ne fait de commerce actif qu'avec ses colo- nies, desquelles elle tire aussi presque toutes ses pro- visions navales , restera sans marine marchande ni militaire, et par conséquent celle de France, son alliée, se trouvera affaiblie d'autant contre les Anglais. La France en outre perdrait la part immense du commerce qu'elle fait avec ses colonies, à raison des privilèges
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que son amitié avec l'Espagne lui avait fait accorder, et qui pourraient être augmentés encore sous le règne de Ferdinand.
« Toute l'Europe , dont le numéraire s'est merveil- leusementaccrudepuisl'établissement de nos colonies par l'importation de leurs riches métaux, le verra, dans peu d'années, diminuer dans la même proportion; elle sera en même temps privée , comme elle l'est déjà en grande partie, des productions de l'Asie, de celles de l'Amérique dont elle ne peut pas se passer, ou sera forcée de les payer au prix que le caprice des Anglais y voudra mettre.
« Que dire de l'Angleterre? Elle regardera le chan- gement de dynastie en Espagne comme l'événement le plus heureux qui lui soit arrivé depuis son établisse- ment en corps de nation : maîtresse de la mer, elle le sera aussi de tout le commerce, et par conséquent de l'or, de l'argent et des productions de l'Amérique; sa population, ses richesses, sa marine, prendront un accroissement incalculable; ses trésors, d'autant plus considérables que le numéraire sera plus rare dans le reste de l'Europe, la mettront à même d'acheter et d'armer les autres nations contre Votre Majesté, et même de lui susciter les troubles domestiques les plus dangereux. L'argent est le mobile le plus puissant; et peut-on deviner les résultats que pourraient avoir de pareils efforts?
« V Empereur. Outre que, comme je vous l'ai déjà dit, chanoine , vous allez beaucoup trop vite dans vos cal- culs, je ne suis point d'accord avec vous sur les prin- cipes qui leur servent de base : je n'ai rien à vous dire, si ce n'est que je réfléchirai encore sur ces ma- tières , et que demain je vous ferai connaître ma dé- termination irrévocable.
« Escoiquiz. J'espère, Sire, de la générosité et de la
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profonde sagesse de Votre Majesté, que sa décision sera favorable à mon Roi et à ma patrie. »
(c Voilà, à de très-faibles différences près, dans l'or- dre de la conversation , ce qui se passa dans la pre- mière conférence.
« Le jour suivant je fus appelé de nouveau auprès de l'Empereur, qui débuta par me dire qu'il avait enfin irrévocablement pris la résolution de changer la dy- nastie en Espagne , qu'en conséquence j'en fisse part au prince Ferdinand, et que celui-ci répondît catégo- riquement et avant l'arrivée du roi Charles son père, s'il acceptait l'échange de ses droits sur l'Espagne contre la couronne de Toscane; que, dans ce cas, le traité se ferait immédiatement et avec la plus grande solennité; que si Son Altesse Royale refusait d'accéder à ces propositions , elle n'y gagnerait rien , puisque Sa Majesté Impériale obtiendrait la même cession du Roi son père; que la Toscane resterait réunie à la France, et que le Prince se trouverait sans indemnités.
i< Désespéré dé voir toute espérance évanouie, je n'en reproduisis pas moins, sous un nouveau point de vue et avec toute l'énergie dont je fus capable, les raisons les plus fortes que j'avais déjà développées, pour es- sayer de le faire changer de système ; mais voyant tous mes efforts inutiles, je lui dis :
« Sire, la résolution de Votre Majesté est d'autant plus douloureuse pour moi , qu'avec le malheur de mon Roi et de ma patrie, j'ai encore à pleurer la perte de ma réputation et de celle de tous ceux qui entouraient le roi Ferdinand lorsqu'il s'est décidé à venir ici. L'on nous en rendra responsables , et moi surtout , à qui l'on suppose plus d'empire sur son esprit; et quoique mon caractère soit trop connu pouf que le public ju- dicieux puisse m'accuser de trahison, je n'en serai pas moins regardé comme le plus aveugle et le plus impru-
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dent des hommes ; quand même l'on finirait par sa- voir qu'avant même que nous fussions décidés à lui donner un pareil conseil , le Roi , pressé par les in- stances de l'ambassadeur de Votre Majesté , lui avait donné sa parole sans nous avoir consultés, et même avait fixé le jour de son départ, l'on nous reprochera toujours, pour le moins, de ne l'avoir pas fait changer de résolution.
f( L'Empereur. Malgré cela, chanoine, vous n'avez pas de motifs de vous affliger : ni vous ni ceux qui se trou- Vent dans le même cas ne pouviez avoir le moindre soupçon de mes intentions, que personne ne connais- sait, et contre lesquelles il y avait, en apparence, les plus fortes raisons politiques et les données les plus propres à vous tranquilliser : telles sont les raisons que vous m'avez exposées.
c< Escoiquiz. Cela n'est pas douteux, Sire; mais le peuple, qui ne juge jamais d'après des données qu'il ignore, ou des maximes politiques hors de sa portée, qui suit son inclination naturelle à croire tout ce qu'il y a de pis , et qui malheureusement dans cette cir- constance a rencontré juste , ne nous pardonnera ja- mais d'avoir laissé le Roi venir à Rayonne.
(( L'Empereur. Et dans les circonstances dans les- quelles vous vous trouviez, quel autre parti pouviez- vous prendre que celui de venir à Rayonne?
« Escoiquiz. Je sais bien. Sire, que par l'inconceva- ble conduite du prince de la Paix, les places et les pro- vinces frontières étant au pouvoir de Votre Majesté Impériale, la capitale entourée de soixante mille hommes de vos troupes, qui pouvaient la détruire dans un instant, les dispositions connues du roi Charles et de la Reine de soutenir de leur nom et de leur autorité vos entreprises , tout faisait voir que le jeune Roi était à la disposition de Votre Majesté, qui pouvait le faire
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venir ici sans qu'aucune résistance fut possible. Mais qui pourra persuader cette vérité à la majorité du public, qui se compose d'ignorants, de malintentionnés et de têtes chaudes ? Qui pourra lui faire perdre l'idée, toute absurde qu'elle est , que la faible garnison qui était alors à Madrid, réunie à une populace désarmée, suffisait, non-seulement pour défendre le Roi, mais même pour exterminer l'armée française? Et ce qui est incroyable, c'est que cette ridicule confiance, cette extravagante opinion , non-seulement séduisirent alors le peuple de Madrid, mais encore la plus grande partie des membres du Conseil secret du Roi, ce qui mit un obstacle invincible à l'exécution du seul moyen (dans le cas où l'on eût voulu l'employer) qui pût mettre en liberté le roi Ferdinand. Ce projet, d'un autre côté, faisait craindre des suites si épouvanta- bles , qu'il était impossible que nous l'adoptassions , à moins d'avoir eu la certitude du projet de Votre Ma- jesté de détrôner le Roi , et malheureusement nous avions les plus fortes raisons pour croire le contraire.
'( L'Empereur. Et quel était ce moyen , chanoine ?
u Escoiquiz. Celui de faire échapper secrètement le jeune Roi.
« V Empereur. Et oii l'auriez-vous conduit?
« Escoiquiz. A Algésiras, Sire, où nous avions déjà quelques troupes, et où nous étions très- près de Gibraltar.
« L'Empereur. Ensuite, qu'auriez-vous fait?
« Escoiquiz. Toujours constants dans la maxime de conserver avec Votre Majesté une alliance étroite, mais honorable, nous vous eussions proposé de la continuer, sous la condition précise de nous rendre sans délai nos places frontières, et de retirer de l'Espagne toutes les troupes françaises ; et si Votre Majesté eût refusé ces conditions, nous lui eussions fait la guerre de tous
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nos moyens et jusqu'à la dernière extrémité. Tel eût été mon avis dans le cas où, de quelque manière, nous fussions parvenus à connaître les intentions véritables de Votre Majesté.
u L'Empereur. Vous avez raison, et c'est effectivement tout ce qu'il y avait à faire.
t( Escoiquiz. Ah! Sire, si nous avions eu quelques mois devant nous, si les événements d'Aranjuez fus- sent arrivés avant l'entrée des troupes de Votre Ma- jesté en Espagne , et avant que ce misérable prince de la Paix eût eu l'inexplicable condescendance de leur livrer nos places frontières , nous serions exempts des malheurs qui nous affligent! Votre Majesté aurait trouvé dans notre jeune Roi un allié fidèle et utile; ou, dans le cas où elle aurait voulu exécuter son plan actuel, nous avions assez de forces , sinon pour enva- hir les provinces de Votre Majesté , du moins pour défendre les nôtres; mais ce vil, ce perfide favori.... Excusez, Sire, si je lui donne les épithètes qu'il mérite....
a V Empereur (en m'interrompant).Mais vous donnez de lui une idée qui n'est pas juste; il ne s'est pas si mal conduit dans son administration.
« Escoiquiz. Ah! Sire, que je m'estimerais heureux d'avoir une conférence avec lui sous les yeux de Votre Majesté ; c'est alors qu'elle verrait la vérité confondre l'imposture ! elle connaîtrait toutes les fautes de ce malheureux; elle le verrait pâle et muet en présence d'un accusateur qu'il ne pourrait tromper.
(( Je sais bien cependant que la pénétration de Votre Majesté n'a pas besoin de pareilles preuves pour con- naître son caractère , celui du Roi père et de la Reine, de la bonté desquels il a abusé; et je n'ai jamais pu me persuader que dans le fond de son cœur >'otre Majesté pût l'estimer, ni méconnaître l'innocence du prince XI 12
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Ferdinand : supposer d'autres sentiments à Votre Majesté, ce serait lui faire injure, quoique la puissante raison d'État l'empêche de les manifester dans sa conduite.
« L'Empereur (souriant). Sans convenir précisément de tout ce que vous avancez, je sais ce que sont les femmes et les favoris ; mais enfin la loi suprême des souverains , le bien de l'État m'imposent l'obligation de faire ce que je fais.
« Escoiquiz. Après avoir épuisé tout ce que j'avais à dire à Votre Majesté sur ces affaires , il serait inutile d'y insister davantage, et je me borne à la supplier humblement de consulter encore plus l'équité et la générosité de son cœur, que la voix toujours incer- taine de la politique , avant de mettre son projet à exécution.
« L'Empereur (en souriant et me tirant l'oreille avec force). Mais, chanoine, vous ne voulez donc pas en- trer dans mes idées?
f( Escoiquiz (souriant aussi). Bien au contraire, Sire, je désirerais de tout mon cœur ramener Votre Majesté aux miennes, fût-ce aux dépens de mes oreilles; maié nos intérêts sont opposés , ce qui m'afflige d'autant plus , que mon admiration et mon attachement pour Votre Majesté, croissant à chaque instant depuis que j'ai l'honneur de parler avec elle , il me serait bien doux de lui donner une preuve de mon respect par une en- tière conformité à ses volontés; mais une obligation sa- crée m'en empêche, et Votre Majesté me rendra justice.
(( V Empereur. Oui, je vous la rends, votre conduite est celle d'un honnête homme et d'un sujet fidèle. »
(( Ce jour-là, et les suivants, l'Empereur parla des mêmes affaires avec les ducs de VInfantado et de Saint-Charles j et avec don Pedro Cevallos, ministre
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d'État du jeune Roi, soit réunis, soit séparément, quel- quefois même en ma présence , et toujours sur le même ton. Vainement ils firent valoir les mêmes raisons que j'ai déjà rapportées , chacun sous un aspect différent, avec la plus grande force et la plus noble franchise : sa résolution était prise et elle était, comme il l'avait dit, invariable.
f( J'eus quelques autres conférences particulières , également inutiles, avec Sa Majesté Impériale. Les trois personnes que je viens de citer et moi en eûmes aussi avec le général Savary et M. de Champagny, ministre des Relations Extérieures ; moi en particulier avec M. de Pradt, évêque de Poitiers, aumônier de l'Em- pereur, et quelque temps après archevêque de Malines : toutes ces conférences n'aboutirent à rien.
(( Un matin entre autres, en présence du roi Ferdi- nand et de son frère l'infant don Carlos , je fis à l'Em- pereur un discours assez long , dans lequel , après avoir touché légèrement les raisons que précédemment je lui avais développées, j'essayai de l'émouvoir, et par la considération de sa propre gloire , et par la compassion que devaient inspirer ces Princes infor- tunés, plus dignes de pitié que de véritables orphelins, puisque leurs parents , pour lesquels ils avaient tou- jours eu le plus respectueux attachement, étaient leurs ennemis les plus implacables. Comme je parlais du cœur, je le fis avec tant de force et de sensibilité , qu'un instant je le vis ému; mais sans doute s'en apercevant lui-même, et pour le dissimuler, il m'inter- rompit ; et se retournant du côté des Princes, il leur dit : Ce chanoine aime beaucoup Vos Altesses; ce qui rendit la conversation générale , et dissipa ma dernière illusion. L'après-midi du même jour, l'Empereur, après avoir conféré avec le duc de Xlnfanladoy lui dit en plaisantant : Le chanoine m'a fait ce matin une ha"
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rangue dans le goût de celles de Cicéron; mais il ne veut pas entrer dans les raisons de mon plan. — Voilà à quoi se réduisit tout le fruit de mon éloquence cicé- ronienne. »
Les explications que vient de donner Napoléon, nous ont appris qu'il offrait à Ferdinand VU, en échange de sa renonciation, le royaume d'Étrurie, et la main d'une princesse de la maison impériale ; mais le Roi, sou- tenu par des conseillers fidèles , don Pedro Cevallos , don Juan Escoiquiz, et l'inébranlable Labrador, refusa un pareil accommodement et réclama la liberté de re- tourner en Espagne.
On s'aperçut que pour fléchir Ferc^manc? VII, il fallait tenter d'autres moyens. Charles IV, la reine Marie- Louise et le prince de la Paix, que Murât avait forcé la Régence de lui livrer, arrivèrent, le 30 avril, à Rayonne. Napoléon abusa de la faiblesse du vieux Roi et des passions de la Reine, pour les entraîner l'un et l'autre à une action révoltante ; ils devinrent les ac- cusateurs de leur fils. Charles IV déclara qu'il ne voulait pas remonter sur le trône , mais qu'il deman- dait que son fils renonçât à la couronne pour qu'elle fût cédée à Napoléon, La postérité croira-t-elle qu'un père qui aimait ses enfants, ait voulu non-seulement déshériter un fils, contre lequel on pouvait lui avoir inspiré des préventions, mais encore dépouiller de son patrimoine toute sa famille, en faveur d'un étranger ?
Ferdinand VII résista d'abord; mais, intimidé, pri- sonnier, et cédant à la volonté de son père, il fit, le 1" mai, une renonciation conditionnelle de sa cou- ronne en faveur de son père, renonciation qui devait être sanctionnée en présence des Cortès. Enfin, quel-
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quos jours plus tard, on le força, par des menaces et des injures, à signer une renonciation absolue, mais qui porte tous les caractères de la violence.
Ce fut la veille même de cet acte imposé à Ferdi- nand VU , et cette circonstance est remarquable , que Charles IV avait conclu le fameux traité de Bayonne, dont voici le texte :
« Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, et Charles IV, roi desEspagnes et des Indes, animés d'un égal désir de mettre promptement un terme à l'anarchie à la- quelle est en proie l'Espagne, de sauver cette brave nation des agitations des factions, voulant lui épar- gner toutes les convulsions de la guerre civile et étrangère, et la placer sans secousse dans la seule position qui, dans la circonstance extraordinaire dans laquelle elle se trouve, puisse maintenir son inté- grité, lui garantir ses colonies et la mettre à même de réunir tous ses moyens à ceux de la France pour arriver à une paix maritime, ont résolu de réunir tous leurs efforts et de régler, dans une convention parti- culière, de si chers intérêts. A cet effet, ils ont nommé, savoir :
(( S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, pro- tecteur de la confédération du Rhin, M. le général de division Duroc, grand maréchal du palais; et S. M. le roi des Espagnes et des Indes, S. A. S. M. Manuel Godoy, prince de la Paix, comte de Evora Monti; les- quels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, sont convenus de ce qui suit :
« Art, 1 ''. S. M. le roi Charles n'ayant eu en vue toute sa vie que le bonheur de ses sujets, et constant dans le principe que tous les actes d'un souverain ne doivent être faits que pour arriver à ce but, les cir-
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constances actuelles ne pouvant être qu'une source de dissensions d'autant plus funestes, que les factions ont divisé sa propre famille, a résolu de céder, comme il cède par le présent, à S. M. l'empereur Napoléon, tous ses droits sur le trône des Espagnes et des Indes, comme le seul qui , au point où en sont arrivées les choses, peut rétablir l'ordre; entendant que ladite cession n'ait lieu qu'afin de faire jouir ses sujets des deux conditions suivantes :
«Art. 2. L'intégrité du royaume sera maintenue; le prince que S. M. l'empereur Napoléon jugera devoir placer sur le trône d'Espagne sera indépendant, et les limites de l'Espagne ne souffriront aucune altération. La religion catholique, apostolique et romaine, sera la seule en Espagne. Il ne pourra y être toléré aucune religion réformée et encore moins infidèle, suivant l'usage établi aujourd'hui.
« Art. 3. Tous actes faits contre ceux de nos fidèles sujets, depuis la révolution d'Aranjuez, sont nuls et de nulle valeur, et leurs propriétés leur seront rendues.
« Art. 4. S. M. le roi Charles ayant ainsi assuré la prospérité, l'intégrité et l'indépendance de ses sujets, S. M. l'Empereur s'engage à donner refuge dans ses États au roi Charles y à la Reine, à sa famille, au prince de la Paix y ainsi qu'à ceux de leurs serviteurs qui voudront les suivre , lesquels jouiront en France d'un rang équivalent à celui qu'ils possédaient en Espagne.
« Art. 5. Le palais impérial de Compiègne, les parcs et forêts qui en dépendent, seront à la disposition du roi Charles, sa vie durant.
« Art. 6. S. M. l'empereur donne et garantit à S. M. le roi Charles une liste civile de trente millions de réaux, que S. M. l'empereur Napoléon lui fera payer directement tous les mois par le trésor de la couronne.
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A la mort du roi Charles ^ deux millions de revenu formeront le douaire de la Reine.
M Art. 7. S. M. l'empereur Napoléon s'engage à ac- corder à tous les infants d'Espagne une rente annuelle de quatre cent mille francs pour en jouir à perpétuité eux et leurs descendants, sauf la réversibilité de la- dite rente d'une branche à l'autre, en cas de l'extinc- tion de l'une d'elles, et en suivant les lois civiles. En cas d'extinction de toutes les branches, lesdites rentes seront réversibles à la couronne de France.
« Art. 8. S. M. l'empereur Napoléon fera tel arran- gement qu'il jugera convenable avec le futur roi d'Espagne pour le payement de la liste civile et des rentes comprises dans les articles précédents; mais S. M. le roi Charles /F n'entend avoir de relation pour cet objet qu'avec le trésor de France.
« Art. 9. S. M. l'empereur Napoléon donne en échange à S. M. le roi Charles le château de Cham- bord, avec les parcs, forêts et fermes qui en dépen- dent, pour en jouir en toute propriété, et en disposer comme bon lui semblera.
(( Art. 10. En conséquence, S. M. le roi Charles re- nonce, en faveur de S. M. l'empereur Napoléon f à toutes les propriétés allodiales et particulières non appartenantes à la couronne d'Espagne, mais qu'il possède en propre. Les infants d'Espagne continue- ront à jouir du revenu des commanderies qu'ils pos- sèdent en Espagne.
« Art. 1 1 . La présente convention sera ratifiée , et les ratifications en seront échangées dans huit jours, ou le plus tôt qu'il sera possible.
« Fait à Bayonne , le 5 mai 1 808.
(( Signé Duroc. — Le prince de la Paix. »
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C'est ainsi que Charles IV échangea contre le châ- teau de Chambord dont il ne put prendre possession, et pour une pension de sept millions et demi de francs qui ne lui fut pas payée, un des plus beaux trônes du monde, la monarchie de l'Espagne et des Indes; c'est ainsi que les chefs de deux gouvernements dis- posèrent d'une nation antique, grande et estimable, comme on disposerait d'un troupeau !
La renonciation de Charles IV ne suffisait pas pour sanctionner l'usurpation ; il fallait encore celle des princes d'Espagne. Ferdinand VII avait bien déjà re- noncé en faveur de son père; mais lorsqu'il adhéra à la cession faite par celui-ci, on ne lui avait laissé le choix qu'entre V abdication ou la mort\ Voici la con- vention qui fut conclue à Bayonne, le \0 mai 1 808 :
«S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, protec- teur de la confédération du Rhin, et S. A. R. le prince des Asturies , ayant des différends à régler, ont nommé pour leurs plénipotentiaires; savoir : S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, M. le général de division Vuroc, grand maréchal du palais; et S. A. R. le prince des Asturies, don Juan Escoiquiz, conseiller d'État de Sa Majesté Catholique, chevalier grand'croix de l'Ordre de Charles III; lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, sont convenus des articles suivants :
«Art. ]" S. A. R. le prince des Asturies adhère à la cession faite, par le roi Charles, de ses droits au trône d'Espagne et des Indes en faveur de S. M. l'empe- reur des Français, roi d'Italie; renonce, autant que
* « Prince, lui dit Napoléon dans la dernière conférence, il faut opter entre la cession ou la mort. » (Cevallos.) « Bientôt l'Empereur menaça de la mort le roi Ferdinand et les infants don Carlos et don Antonio, s'ils ne renonçaient pas à leurs droits à la succession au trône, en qua- lité de prince des Asturies et d'infants. Les princes cédèrent au grand maréchal Duuoc qui leur parla dans les mêmes termes, au nom de son maître. » (Escoiquiz.)
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besoin, aux droits qui lui sont acquis comme prince des Asturies , à la couronne des Espagnes et des Indes.
uArt. 2. S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, accorde, en France, à S. A. R. le prince des Asturies le titre d'altesse royale avec tous les honneurs et pré- rogatives dont jouissent les princes de son sang. Les descendants de S. A. R. le prince des Asturies con- serveront le titre de prince, celui d'altesse sérénis- sime, et auront toujours le même rang, en France, que les princes dignitaires de l'empire.
u Art. 3. S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, cède et donne par les présentes, en toute propriété, à S. A. R. le prince des Asturies et à ses descendants les palais, parcs, fermes de Navarre, et les bois qui en dépendent, jusqu'à la concurrence de cinquante mille arpents, le tout dégrevé d'hypothèques et pour en jouir en toute propriété, à dater de la signature dm présent traité.
«Art. A. Ladite propriété passera auxenfants et hé- ritiers de S. A. R. le prince des Asturies; à leur dé- faut, aux enfants et héritiers de l'infant don Charles; à défaut de ceux-ci, aux descendants et héritiers de l'infant don Francisque; et enfin, à leur défaut, aux enfants et héritiers de l'infant don Antoine. Il sera ex- pédié des lettres patentes et particulières de ce prince à celui de ces héritiers auquel reviendra ladite propriété.
«Art. 5. S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, accorde à S. A. R. le prince des Asturies quatre cent mille francs de rente apanagère sur le trésor de France, et payables par douzième chaque mois, pour en jouir lui et ses descendants; et, venant à manquer la des- cendance directe de S. A. R. le prince des Asturies, cette rente apanagère passera à l'infant don Charles, à ses enfants et héritiers; et, à leur défaut, à l'infant don Francisque, à ses descendants et héritiers.
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« Art. 6. Indépendamment de ce qui est stipulé dans les articles précédents, S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, accorde à S. A. R. le prince des Asturies une rente de six cent mille francs également sur le trésor de France, pour en jouir sa vie durant. La moitié de ladite rente sera réversible sur la tête de la princesse son épouse, si elle lui survit.
«Art. 7. S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, accorde et garantit aux infants don Antoine j oncle de S. A. R. le prince des Asturies ^ don Charles et don Francisque, frères dudit prince :
« 1" Le titre d'altesse royale, avec tous les honneurs et prérogatives dont jouissent les princes de son sangj les descendants de Leurs Altesses Royales conserve- ront le titre de prince ;, celui d'altesse sérénissime, et auront toujours le même rang en France que les prin- tes dignitaires de l'empire j
«2'' La jouissance du revenu de toutes leurs com- manderies en Espagne, leur vie durant;
« 3° Une rente apanagère de quatre cent mille francs pour en jouir eux et leurs héritiers à perpétuité ; en- tendant Sa Majesté Impériale que les infants don An- toine , don Charles et don Francisque, venant à mou- rir sans laisser d'héritiers, ou leur postérité venant à s'éteindre , lesdites rentes apanagères appartiendront à S. A. R. le prince des Asturies, ou à ses descendants et héritiers; le tout aux conditions que LL. AA. RR. don Charles , don Antoine et don Francisque adhèrent au présent traité.
« Art. 8. Le présent traité sera ratifié, et les ratifica- tions en seront échangées dans huit jours, ou plus tôt si faire se peut.
« Rayonne, le 10 mai 1808.
« Signé l>i]Koc. — Juan de Escoiquiz. »
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En supposant que des princes puissent ainsi dis- poser de leurs couronnes en faveur d'étrangers, sans consulter la nation de laquelle ils les tiennent, et qui rentre nécessairement dans ses droits primitifs , si elle est abandonnée par la dynastie qu'elle a choisie, il manquait néanmoins à la renonciation de Charles IV et des autres princes qui avaient signé les actes de Bayonne, le consentement de deux membres de la maison d'Espagne, auxquels ces actes ne pouvaient porter aucun préjudice. L'un était Ferdinand IV , roi des Deux-Siciles , frère de Charles IV; ce monarque couvrit ses droits par une protestation du 9 juillet 1808; l'autre était don Pedro, fils de Gabriel, frère puîné de Charles IV et de Ferdinand IV. Ce jeune prince s'était trouvé à Lisbonne, lorsque la Cour de Portugal s'embarqua pour Rio-Janeiro ; il l'y accom- pagna, et échappa ainsi à la prison qui fut le sort réservé aux autres membres de sa famille*.
Peu après la signature du traité de Bayonne, Char- les IV j la reine son épouse, la reine d'Étrurie leur fille, et ce prince de la Paix, l'auteur de cette triste catastrophe, furent conduits à Compiègne; mais, comme le vieux roi trouva le climat du nord de la France trop froid, on lui permit de se rendre à Mar- seille, oii souvent il manqua du nécessaire*. Ses fils.
' L'infant don Pedro, marié à la fille aînée du Prince régent, depuis Jean VI, roi de Portugal, est mort au Brésil le 4 juin 1842, laissant un fiU, don SÉBASTIEN, né le 4 novembre i8<i, et aujourd'hui grand prieur de Saint-Jean.
* Lorsque le roi Charles IV et sa femme s'étaient rendus d'Aranjuez à Bayonne, le Roi n'avait pour son usage que quelques bijoux, consis- tant en une ganse de brillants pour le chapeau , une garniture de bou- lons d'habits , une poignée d'épée et d'autres menus objets. Tout cela fut vendu à Marseille, parce que Napoléon ne donna pas les sommes promises, tant qu'il sut que le Roi avait quelques valeurs à sa disposi- tion. Celte circonstance explique pourquoi Napoléon fut mal venu à se
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au lieu d'être installés au château de Navarre, obtin- rent pour prison le château de Valençai, dont Nopo- léon disposait ainsi sans l'agrément du propriétaire, le prince de Talleyrand,
Murai, que Charles IV, peu de jours avant son ab- dication, avait nommé son lieutenant général , gou- vernait le royaume. Le 13 mai, il prévint le Conseil royal que, tous les droits à la couronne d'Espagne ayant été cédés à Napoléon et devant passer à un de ses frères. Napoléon désirait que le Conseil fît con- naître celui à qui il donnait la préférence; bien en- tendu que, par cette désignation, le Conseil ne serait pas censé approuver ou désapprouver les précédents traités, et sans préjudice des droits de Charles IV et de ses fils. Le Conseil répondit, le même jour, qu'il lui paraissait convenable que le choix tombât sur le frère aîné de Napoléon. Le Conseil fut obligé d'en- voyer cette déclaration à Bayonne par deux de ses membres , don Josef Colon et don Manuel de hardi- zabal. Une proclamation de Napoléon au. 25 mai appela à
plaindre, en 4814, de l'inexécution, par les BouneoNS, des clauses du traité de Fontainebleau, relatives aux sommes promises.
Quant à la reine Marie-Louise , elle avait rapporté pour six millions de pierreries, et 'elle avait remis ces joyaux à M*"" Tddo qui , après la mort de la Reine, épousa Godoy. M. de Vargas Laguna, ministre d'Es- pagne à Rome, qui devait sa fortune à Godoy, mais qui était un de ces hommes ne transigeant jamais avec leur devoir, parla si fermement à Charles IV de l'obligation où il était de faire rendre à la couronne d'Espagne ce qui lui appartenait, qu'il finit par l'obtenir; les diamants furent donc envoyés à Madrid , où ils furent partagés entre les princes- ses, d'après la volonté d'une des infantes, à l'influence de laquelle per- sonne ne résistait. Les autres trésors.que la Cour possédait en pierreries, avaient été enlevés par Murât, le 2 mai 1808. Un Piémontais, ministre de Napoléon à Naples pendant le règne de Murât , assurait que les diamants avaient été estimés quarante-trois millions! Celte estimation paraît un peu élevée, mais la couronne devait être riche en joyaux dans un pays où elle disposait de tout sans contrôle, et où le Mexique et le Pérou avaient versé soixante-deux milliards.
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Bayonne une Junte, composée de cent cinquante Espa- gnols notables, pour donner à l'usurpation un air de légitimité'. Elle s'assembla le 15 juin; mais, dès le 6, Napoléon avait nommé roi d'Espagne son frère Joseph, qu'il avait fait revenir de Naples. On proposa à la Junte une Constitution, qu'elle accepta le 7 juillet, et le surlendemain le nouveau Roi partit pour occuper
' Voici qu'elle était la composition de cette Assemblée : Miguel Josef de Aza.nza, Mariano Luis de Uhquuo, Antonio Ranz RoMANiLi.os, Josef Colon , Manuel de Lardizabal, Sébastian de Tor- RES, Ignacio Martinez de Villela, Domingo Cervino, Luis Idiaqcez, Andres de Herrast/, Pedro de Porras, le prince de Castelfra.nco, le duc de DEL Parque, l'archevêque deBuRoos, Fr. Miguel de Acevedo, vi- caire général de Saint-François, Fr. Jorge Rey, vicaire général de Saint- Augustin, Fr, Augustin Perez de Valladolid, général de Saint-Jean do Dieu, F. le duc de Frias, F. le duc de Hijar, F. le comte d'ORCAz, J. le marquis de Santacrlz, V. le comte de Fernan Nu.nez, M. le comte de Santa Ck)LOMA , le marquis de Castellanos, le marquis de Bendana, Miguel EscuuERo, Luis Gainza, Juan José Maria de Lardizabal, le marquis de Monteiiermoso, comte de Treviana, Vicente del Castillo, Simon Perez de Cevallos, Luis Saiz, Damaso Castillo Larroy, Cristo- bal Cladera, Josef Joaquin del Moral, Francisco Antonio Zea , Jo- sef Ramon Mila de la ;Roca, Ignacio de Texada, Nicolas de IIerreua, Tomas la Pena, Ramon Maria de Adurriaga, D. Manuel de Pelayo, Manuel Maria de Upateguy, Fermin Ignacio Baunza, RaymundoExEN- hard y Salinas, Manuel Romero, Francisco Amoros, Zenon Alonzo, Luis Melendez, Francisco Angulo, Roque Novella, Eugenio de Sam- PELAYO, Manuel Garcia de IbPrada, Juan Soler, Gabriel Benito de Orbegozo, Pedro de Isla, Francisco Antonio de EchagCe, Pedro Ce- vallos, le duc de I'Infantado, Josef Gomez Hermosilla, Vicente ÂLCALA Galiano, Miguel Ricardo de Alava, Cristobal de Go.ngora, Pa- blo Arribas, Josef Garriga, Mariano Agustin, l'amiral marquis de Ariza y EsTEPA, le comte de Castelflorido , le comte de Noblejas, maréchal do Castille, Joaquin Xavier Uriz, Luis Marcehno Pereyra, Ignacio Musquiz, Vicente Gonzalez de Arnao, Miguel Ignacio de la Ma- drid, le marquis de Espeja, Juan Antonio Llorentb, Julian de Fuen- TEs, Mateo de Norzagaray , Josef Odoardo y Grandpe, Antonio SoTO, prémontré, Juan Nepomuceno de Rosales, le marquis de Casa- Calvo, le comte de Torre-Musquiz; le marquis de las IIormazas, Fer- nando Calixto Nunez, Clémente Antonio Pisador, D. Pedro Larriva ToRREs, Antonio Savi.non, José Maria Tineo, Juan Mauri.
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un trône que des torrents de sang répandus pour une cause si injuste ne purent affermir*.
C'est ici que nous devons rapporter le seul traité qui ait été conclu par Joseph , pendant son règne dis- puté ; il fut signé à Bayonne , le 5 juillet \ 808 , par M. de Champagny et le duc de Gallo. En voici le texte, que nous avons fait traduire de l'espagnol :
Napoléon , par la grâce de Dieu et de la Constitu- tion, empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin , ayant vu et examiné le traité conclu, et signé à Bayonne, le 5 juillet 1808, par M. de Champagny f notre ministre des Affaires Étran- gères, grand cordon de la Légion d'honneur, etc., en vertu des pleins pouvoirs que nous lui avions donnés à cet effet, avec le marquis de Gallo, ministre des Affaires Étrangères de S. M. le roi de Naples et de Sicile, chevalier de l'Ordre de la Toison-d'Or, etc., également muni de pleins pouvoirs, et dont la teneur suit :
« S. M. l'empereur des Français , roi d'Italie , pro- tecteur de la confédération du Rhin , voulant donner à son auguste frère, S. M. Joseph Bonaparte y roi de Naples et de Sicile, prince français et grand-électeur de l'Empire, une nouvelle preuve de confiance et d'af- fection fraternelle, et devant s'entendre avec lui à l'é- gard des arrangements dont dépendent la tranquillité et prospérité du midi de l'Europe , ainsi que l'intérêt
* Napoléon, dans son entretien avec le conseiller d'État Escoiquiz, disait « quand je devrais sacrifier deux cent mille hommes, je n'en par- viendrai pas moins à mes fins ; et je suis bien éloigné de croire que la conquête d'Espagne puisse coûter autant. » Dans ce froid calcul des pro- babilités, Napoléon se trompait d'un tiers : ce sont trois csnt mille Français ou alliés qui ont été immolés dans la Péninsule. Voilà ce que coûta le Midi à Napoléon; nous verrons bientôt ce que lui coûtera le Nord. — Quel holocauste à l'ambition d'un seul! 0 divin créateur! 0 sainte humanité!
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de la France , Leurs Majestés ont nommé pour leurs plénipotentiaires respectifs, savoir :
« S. M. l'empereur des Français , roi d'Italie , pro- tecteur de la confédération du Rhin , Son Excellence M. Nomphre de Champagny, grand cordon de la Légion d'honneur, commandeur de l'Ordre de la couronne de fer, grand'croix de l'Ordre de Saint-Joseph de Wurtz- bourg et de la Fidélité de Bade , son ministre des Af- faires Étrangères;
« Et S. M. le roi de Naples et de Sicile, S. E. M. Martin Mastrilli, marquis de Gallo, des ducs de MariglianOy membre de son Conseil d'Etat et son ministre des Affaires Étrangères, chevalier de l'Ordre de la Toison-d'Or, grand dignitaire de l'Ordre des Deux-Siciles et de la Couronne de fer;
« Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs , sont convenus des articles suivants :
« Art. 1". S. M. l'empereur des Français cède à S. M. le roi de Naples et de Sicile les droits à la cou- ronne d'Espagne et des Indes qu'il a acquis en vertu de la cession qui lui a été faite par le roi Charles l\\ et à laquelle ont adhéré le prince des Asturies, et les princes infants d'Espagne.
(f S. M. le roi Joseph Bonaparte en jouira perpétuel- lement lui et ses successeurs mâles par droit de pri- mogéniture, et avec exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance, conformément aux constitu- tions de l'Espagne qui seront déterminées plus tard.
« Jrt. 2. A défaut de descendance masculine , na- turelle et légitime de S. M. le roi Joseph Bonaparte, la couronne d'Espagne et des Indes retournera à S. M. l'empereur et à ses héritiers et descendants mâles , naturels et légitimes ou adoplifs.
(( A défaut de descendants mâles, naturels et légi- times ou adoplifs de S, M. l'empereur, la couronne
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d'Espagne et des Indes appartiendra aux descendants mâles, naturels et légitimes du prince Louis Bonaparte, roi de Hollande.
« A défaut de descendance masculine, naturelle et légitime ou adopti\ e de S. M. le roi de Hollande , la couronne d'Espagne et des Indes appartiendra aux descendants masculins naturels et légitimes du prince Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie;
« Et à défaut de ceux-ci, à celui qui aura été dési- gné sur le testament du dernier roi, soit parmi ses parents les plus proches, soit parmi les plus dignes de gouverner l'Espagne.
« Art. 3. La couronne d'Espagne et des Indes ne pourra jamais être réunie à une autre couronne sur une même tête.
{< Art. 4. S. M. le roi Joseph Bonaparte, après son avènement au trône d'Espagne , s'oblige à remplir toutes les charges et conditions imposées à S. M. l'Em- pereur par le traité du 5 mai 1 808, conclu avec le roi Charles IV, et par le traité du 1 0 mai , conclu avec le prince des Asturies, auquel ont adhéré les autres princes infants d'Espagne, sauf celles qui par leur nature doivent recevoir leur exécution en France.
(( En conséquence, S. M. Joseph Bonaparte devra re- mettre par douzièmes , tous les mois , dans le trésor public de France, depuis le 1 "mai dernier, les sommes annuelles ci-après , savoir :
« Sept millions et demi de francs pour être payés au roi Charles IV.
« Un million de francs pour être payés à don Fer- dinand-Marie-François-de-Paule , prince des Asturies.
« Quatre cent mille francs pour être payés à l'in- fant don Charles-Marie-Isidore.
« Quatre cent mille francs à l'infant don Francois- de-Paulc- Antoine-Marie.
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« Quatre cent mille francs à l'infant, frère de Char- les IVf don Aîitoine-Pascal-François-Jean-Népoimicene- Ramon-Silvestre.
« Art. 5. A la mort du roi Charles I\\ la rente de sept millions et demi de francs s'éteindra en faveur du trésor d'Espagne ; mais le trésor payera, à titre de douaire, à la reine Louise-Marie-Thérèse , si elle survit à son époux, une rente annuelle viagère de deux mil- lions de francs ; et cette rente s'éteindra également en faveur du trésor d'Espagne à la mort de ladite prin- cesse.
« Art. 6. Du million assigné à don Ferdinand , prince des AsturieSf quatre cent mille francs appar- tiendront à ses descendants ; et quand la descendance directe de ce prince manquera, cette rente alimen- taire passera à l'infant don Charles , à ses enfants et héritiers, et à défaut à l'infant don François et à ses descendants et héritiers.
« Les autres six cent mille francs forment une rente viagère qui s'éteindra à la mort du prince Ferdinand diW bénéfice du trésor d'Espagne, sauf la moitié de ladite rente , qui sera réversible à la princesse son épouse , si elle lui survit, et qui lui sera payée jusqu'à sa mort.
« On payera perpétuellement aux infants don Charles, don François et don Antoine, à leurs descendants et héritiers les rentes de quatre cent mille francs à eux assignées ; et dans le cas où leur postérité viendrait à s'éteindre, ces rentes seront réversibles sur le prince àon Ferdinand f ses héritiers et ses descendants : si ce prince décédait, et si sa descendance venait à s'é- teindre, lesdites rentes s'éteindront aussi en faveur du trésor d'Espagne.
« Art. 7. S. M. l'Empereur cède à S. M. Joseph Bonaparte, les biens allodiaux appartenant au roi XI 13
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Charles y abandonnés par celui-ci à S. M. l'Empe- reur par l'article 10 du traité du 5 mai.
« Art. 8. S. M. l'Empereur ayant cédé au roi Char- lei IV y le palais et terre de Chambord , et au prince des Asturies le palais, terre et forêts de Navarre, on fera une app"réciation de la valeur de ces propriétés , desquelles S. M. le roi Joseph s'oblige à rembourser la valeur à S. M. l'Empereur, et à payer jusqu'à l'époque du remboursement un intérêt égal à la rente de ces terres, tel qu'il résultera de la taxe.
« Art. 9. S. M. le roi Joseph Bonaparte accepte les ces- sions faites en sa faveur par son auguste frère sous les conditions ci-dessus; et cède à son tour à S. M. l'empereur des Français ses droits à la couronne de Naples el de Sicile, pour en jouir ou en disposer de la manière qui conviendra le mieux à S. M. l'Empereur.
« Art. 10. S. M. l'Empereur garantit l'exécution et la stabilité de la Constitution qu'elle a décrétée de con- cert avec S. M. le roi Joseph, pour le royaume de Na- ples et de Sicile.
« Art. 1 1 . Il y aura perpétuellement alliance offensive et défensive sur mer et sur terre entre S. M. l'Empe- reur et S. M. Joseph Bonaparte, roi d'Espagne et des Indes, et entre leurs successeurs respectifs.
«Art. 12. Le contingent des deux puissances, en cas de guerre continentale, soit en Afrique, soit en Europe, se réglera de la manière suivante :
« La France donnera cinquante mille hommes d'in- fanterie et dix mille hommes de cavalerie présents sous les armes, depuis le moment qu'ils traverse- ront la frontière, et un train d'artillerie proportionné à cette armée.
« L'Espagne donnera vingt-quatre mille hommes d'infanterie , et six mille de cavalerie effectifs au mo- ment de traverser la frontière, et un train d'artille-
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rie de cinquante pièces attelées et approvisionnées, ainsi qu'un nombre proportionné d'artilleurs , mi- neurs et sapeurs. Les solde et équipement des trou- pes qui forment lesdits contingents seront pour le compte de la puissance qui les présente.
« Dans les cas urgents, les deux hautes parties con- tractantes se promettent mutuellement, aux mêmes conditions, chacune pour la cause de l'autre, lé nombre de troupes que les circonstances rendraient nécessaires, et en général tout l'appui qu'elles pour- ront se prêter.
«Art. 13. Dans le cas d'une guerre maritime, les forces des deux puissances se réuniront, pour protéger et défendre réciproquement leurs États, colonies et leurs établissements respectifs dans les quatre parties du monde.
«Dans ce cas, la France donnerait quatre-vingts vaisseaux de ligne de deux ou de trois ponts, et un nombre proportionné de frégates et autres bâtiments de guerre plus petits.
M Et l'Espagne contribuerait avec cinquante vais- seaux de ligne de deux et de trois ponts, et un nombre proportionné de frégates et autres bâtiments de guerre plus petits.
uArt. 14. S. M. le roi d'Espagne s'oblige à tenir le port du Passage en état de servir de port de carénage, d'armement et d'arrivée pour les navires, soit fran- çais, soit espagnols, à creuser à cet effet la darse inté- rieure dudit port, et à faire les autres travaux qui seraient nécessaires pour cet objet.
«Art. 15. Les deux parties contractantes stipule- ront entre elles un système de douanes fixes et tno- dérées, avantageux au commerce des deux pays. Les sujets des deux puissances seront traités réciproque- ment dans les États de Tune et de l'autre, comme là
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nalion la plus favorisée, et on assurera la préférence, tant en Espagne qu'en France, aux marchandises res- pectives des deux nations sur les autres marchandises étrangères de la même qualité.
«Art. 16. Le présent traité restera secret, jusqu'à ce que les deux hautes parties contractantes conviennent de le publier. Les ratifications seront échangées à Bayonnedans le délai de huit jours.
« Fait à Bayonne, le 5 juillet 1808.
(( J. B. NoMPÈRE DE Champagny. — Lc mar- quis de Gallo. »
Article séparé.
" S. M. Joseph Bonaparte, roi d'Espagne et des Indes, s'oblige à verser par douzièmes, tous les mois, au trésor public de France, la somme annuelle de quatre cent mille francs, qu'on remettra à la reine Marie-Louise- Joséphine et à ses descendants , en compensation de tous ses droits et prétentions quelconques.
f( Au décès de cette princesse et à l'extinction de sa descendance , cette rente de quatre cent mille francs cessera en faveur du trésor d'Espagne.
« Le présent article séparé se considérera comme partie du traité conclu et signé par nous aujourd'hui, et se publiera en même temps.
(' Fait à Bayonne, le 5 juillet 1808.
« i. B. NoMPÈRE DE Champagny. — Le mar- quis DE Gallo. »
« Nous avons approuvé et approuvons le précédent traité dans tout et chacun des articles qu'il contient, déclarons qu'il est accepté, ratifié et confirmé, et nous promettons qu'il sera observé inviolablcmcnt.
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«En foi de quoi nous avons expédié les présentes signées de notre main, contre-signées et scellées de notre sceau impérial. '
u A Bayonne ; juillet 1 808.
(( Napoléon. « Par l'Empereur , « Le ministre secrétaire d'État, « IIugues-B. Maret. u Le ministre des Affaires Étrangères , « Champagny. »
Article secret.
i< Napoléon y par la grâce de Dieu et la Constitution, Empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Uhin, ayant vu et examiné l'article secret, fait, conclu et signé à Bayonne, le 5 juillet 1808, par M. Champagny, notre ministre des Affaires Etrangères, grand-cordon de la Légion d'honneur, etc., en vertu des pleins pouvoirs que nous lui avons don- nés à l'effet, avec le marquis de Galloy ministre des Affaires Étrangères de S. M. le roi de Naples et de Sicile, chevalier de l'Ordre de la Toison-d'Or, etc., pourvu également de pleins pouvoirs, duquel article secret la teneur est comme il suit :
(( Article secret. S. M. l'Empereur garantit à l'Espagne l'intégrité des colonies qu'elle possède actuellement. En échange de cette obligation, S. M. le roi d'Es- pagne s'oblige à permettre, à la paix générale, l'intro- duction dans les colonies espagnoles des deux Indes d'une quantité de marchandises françaises qui se dé- terminera à cette époque, lesquelles seront transportées sur des navires français, qui pourront sortir de Bor-
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deaux ou de Marseille, et seront autorisés à convertir le produit des marchandises qu'ils introduiraient en produits et marchandises de ces colonies, pour le transporter directement en France. Ces navires et car- gaisons ne souffriront d'autres charges, ni ne payeront d'autres droits que ceux imposés aux nationaux.
« Le présent article sera ratifié, et les ratifications seront échangées en même temps qu'on échangera celles du traité de cette date.
M Fait à Bayonne, le 5 juillet 1808.
« J. B. NoMPÈRE DE Champagny. — Lc mar- quis de Gallo. »
(( Nous avons approuvé et approuvons l'article se- cret ci-dessus. Déclarons que nous l'acceptons, rati- fions et confirmons, et nous promettons qu'il sera observé inviolablement.
« En foi de quoi nous avons expédié les présentes signées de notre main, contre-signées et scellées avec notre sceau impérial.
« A Bayonne, juillet 1808 \
u Napoléon.
« Par l'Empereur,
« Le ministre secrétaire d'État, « Hugues-B. Maret.
« Le ministre des Affaires Étrangères, « Champagny. »
Les ratifications de ce traité furent échangées à Bayonne, le 8 juillet. On conserve aux archives des
* Le traité de Bayonne du 5 juillet 1808 manque dans !e Recueil de M. de Martens.
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Affaires Étrangères , à Madrid, les ratifications ori- ginales de Napoléon; elles avaient été soustraites de ce dépôt en octobre 1812, et elles y furent réintégrées le 18 mars 1813, en vertu d'un ordre royal signé par don Antoine Cano Manuel, ministre de grâce et de justice.
Par un autre acte qualifié Statut constitutionnel , signé à Bayonne le 15 juillet, le royaume des Deux- Siciles, ou plutôt celui de Naples, auquel Joseph avait renoncé, fut donné par Napoléon à Joachim Murât et à sa descendance mâle et légitime, de manière cepen- dant que si son épouse lui survivait, elle monterait sur le trône après lui. A l'extinction des descendants de Joachim Murât et de Caroline Bonaparte, la cou-» ronne écherra aux descendants mâles, naturels et lé- times ou adoptifs de Napoléon, de Joseph, de Louis et de Jérôme Bonaparte. Enfin, conformément au système fédéral, d'après lequel les trônes érigés par Napoléon ne devaient être que des parties du grand empire, la dignité de grand amiral de France fut atta- chée à la couronne de Naples. Quant au grand-duché de Berg, on sait déjà qu'il fut rétrocédé à Napoléon\ Dès le 31 juillet, il en fit prendre possession par le conseiller d'État Beugnot; mais au mois de mars 1 809, il en donna l'investiture au fils du roi de Hollande.
La transmutation des couronnes d'Espagne et de Naples avait été précédée d'une circonstance intéres- sante. Napoléon avait en effet projeté, dans l'origine, de placer sur le trône d'Espagne son frère Louis Bona-^ parte, et dès le 27 mars 1 808, il lui avait écrit la lettre suivante :
• Voy. Confédération du Rhin, t. V de cette Histoire des Traités.
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« Mon frère,
« Le roi d'Espagne vient d'abdiquer. Le prince de la Paix a été mis en prison. Un commencement d'insurrection a éclaté à Madàd. Dans cette circon- stance, mes troupes étaient éloignées de quarante lieues de Madrid; le grand-duc de Berg a dû y entrer le 23 avec quarante mille hommes. Jusqu'à cette heure, le peuple m'appelle à grands cris. Certain que je n'aurai de paix solide avec l'Angleterre qu'en donnant un grand mouvement au Continent, j'ai résolu de mettre un prince français sur le trône d'Espagne. Le climat de la Hollande ne vous convient pas. D'ailleurs la Hollande ne saurait sortir de ses ruines. Dans le tourbillon du monde, que la paix ait lieu ou non, il n*y a pas de moyen pour qu'elle se soutienne. Dans cette situation de choses, je pense à vous pour le trône d'Espagne. Vous serez souverain d'une nation géné- reuse, de onze millions d'hommes, et de colonies im- portantes. Avec de l'économie et de l'activité, l'Espagne peut avoir soixante mille hommes sous les armes et cinquante vaisseaux dans ses ports. Répondez-moi catégoriquement quelle est votre opinion sur ce projet. Vous sentez que ce n'est encore qu'un projet, et que quoique j'aie cent mille hommes en Espagne, il est possible, par les circonstances qui peuvent survenir, ou que je marche directement et que tout soit fait dans quinze jours; ou que je marche plus lentement, et que cela soit le secret de plusieurs mois d'opérations. Répondez-moi catégoriquement : si je vous nomme roi d'Espagne, l'agréez-vous? Puis-je compter sur vous? Comme il serait possible que votre courrier ne me trouvât plus à Paris, et qu'alors il faudrait qu'il traversât l'Espagne au milieu des chances que l'on ne peut prévoir; répondez-moi seulement ces deux mots :
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j'ai reçu votre lettre du tel jour, et je réponds oui, et alors je compterai que vous ferez ce que je voudrai; ou bien Jion, ce qui voudra dire que vous n'agréez pas ma proposition. Vous pourrez ensuite écrire une lettre où vous développerez vos idées en détail sur ce que vous voulez , et vous l'adresserez sous l'enveloppe de votre femme, à Paris. Si j'y suis, elle me la remettra; sinon, elle vous la renverra.
« Ne mettez personne dans votre confidence, et ne parlez à qui que ce soit, je vous prie, de l'objet de cette lettre ; car il faut qu'une chose soit faite pour qu'on avoue d'y avoir pensé, etc., etc. »
Le roi Louis rapporte que sa surprise égala son in- dignation en recevant une proposition qu'il regardait comme impolitique j injuste et honteuse, h Je ne suis pas un gouverneur de province, disait-il à ce sujet. 11 n'y a pas d'autre promotion pour un roi que celle du ciel; ils sont tous égaux. De quel droit pourrais-je aller de- mander un serment de fidélité à un autre peuple, si je ne restais pas fidèle à celui que j'ai prêté à la Hollande en montant sur le trône? » Il répondit en conséquence, et refusa vertement.
D'ailleurs , un autre article l'avait cruellement blessé. Il lui fut prouvé de nouveau ce qu'il tâchait en vain de se dissimuler. Ces mots : c< Le climat de la Hollande ne vous convient pas; d'ailleurs elle ne saurait sortir de ses ruines , prouvaient d'une manière irrécusable qu'on l'avait poussé sur le trône pour le perdre, et pour perdre aussi le pays.
La nomination de Joseph comme roi d'Espagne n'eut donc lieu que par suite du refus de Louis Bona- parte. Mais si l'Empereur se flattait que les Espagnols accepteraient un roi de sa main, son erreur fiitpromp-
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teraent dissipée. Ce peuple, fier et valeureux, montra à l'Europe comment on secoue le joug de l'oppression !
Une insurrection qui éclata le 2 mai à Madrid , et que l'on étouffa dans le sang , fut le prélude de plus grands événements. Le 5 mai, Ferdinand avait signé deux décrets , l'un adressé à la Junte de gouverne- ment qu'il avait établie à Madrid avant son départ, et l'autre au Conseil royal, et, à son défaut, à quelque chancellerie que ce fût. Le premier autorisait la Junte à se transférer elle-même, ou en substituant ses pou- voirs à une ou plusieurs personnes , dans tel lieu qu'elle jugerait convenable, et à exercer, en son nom et à sa place, la souveraineté; lui enjoignant de com- mencer les hostilités au moment même où elle ap- prendrait que le Roi serait conduit dans l'intérieur de la France , ce qu'on n'obtiendrait de lui que par vio- lence, et de s'opposer, dans ce cas, par tous les moyens que l'on pourrait mettre en usage, à l'entrée de nouvelles troupes françaises sur le territoire de la Péninsule. Le second décret portait l'ordre de convo- quer les Corlès dans l'endroit qui paraîtrait le plus favorable à leur prompte réunion, afin qu'elles eussent à s'occuper uniquement et sans délai de rassembler les forces nécessaires pour la défense du royaume.
Ces deux décrets, qu'il avait fallu confier à un mes- sager à pied, n'arrivèrent à Madrid que lorsque la Junte avait reçu le décret du 6, qui la dissolvait. Elle ne put donc pas les publier; mais on donna la plus grande publicité à une lettre que Ferdinand avait adressée , le 8 , au commandant de l'armée des Astu- ries, et qui était conçue en ces termes :
« Nobles Asturiens ! Je suis entouré d'ennemis de tous côtés; je suis la victime de la perfidie. Vous avez sauvé l'Espagne dans des circonstances beaucoup plus diffici- les que celles où nous nous trouvons. Étant moi-même
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prisonnier, je ne réclame pas de vous ma couronne; mais je demande que , d'après un plan bien concerté avec les provinces voisines, vous conserviez votre indépendance; je demande que vous ne vous cour- biez jamais sous un joug étranger ; que vous ne vous soumettiez jamais au perfide ennemi qui a dépouillé de ses droits votre malheureux Ferdinand. M Rayonne , le 8 mai 1 808. »
Cette lettre dut causer la plus vive impression sur une nation altière, passionnée et courageuse. Elle ne fut en rien diminuée par une proclamation que l'on avait fait signer à Ferdinand VII et à ses frères, à leur arrivée à Bordeaux le 12 mai, et par laquelle ils engageaient les Espagnols à ne pas s'opposer aux vues bienfaisantes de Napoléon, Il était évident que cette signature leur avait été arrachée dans la captivité. Un cri général d'indignation s'éleva dans toute l'Es- pagne : le peuple prit les armes partout où la présence des troupes françaises n'étouffa pas l'insurrection. La ville de Valence renonça, dès le 23 mai, à l'obéis- sance du gouvernement de Madrid. Séville suivit cet exemple le 20 ; don Joseph Palafooo organisa, le 27, à Saragosse , l'insurrection de l' Aragon. Ces mouve- ments populaires furent accompagnés, dans plusieurs endroits d'excès horribles. « Le tocsin se fit entendre de toute part, et la populace effrénée commença une série d'attentats contre tous ceux que son caprice désignait comme fauteurs des projets de Napoléon. Elle s'acharna spécialement sur les chefs, militaires et civils , et sur ceux qu'elle croyait avoir joui de plus de faveur sous le règne de Charles IV. On compte au nombre des victimes de sa fureur insensée, le capi- taine général de marine don Francisco de Borja; le marquis del Socorro, capitaine général de l'Anda-
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îousie; le comte de Torrefremo, gouverneur de Bada- joz ; don Santiago de CAizinan et Villorùt, gouverneur de Tortose; le lieutenant général don Antonio Filan- gieriy' les maréchaux de camp don Miguel Cevallos y et don Pedro Truxillo; don Juan de Toda, gouverneur de Villa-Franca de Panades; le comte delAguila, à Séville, et le baron de Albanat^ à Valence. Tous fu- rent assassinés et mis en morceaux dans les soulève- ments. » Ces massacres produisirent une terreur uni- verselle , et telle devint alors l'anarchie, que ceux qui gouvernaient se trouvèrent dans la dure nécessité de plier devant la lie du peuple, et de se prêter à tous ses affreux caprices.
La partie saine de la nation s'empressa de mettre lin à ces scènes d'horreur, en formant des juntes cen- trales. La forme populaire du régime des villes d'Es- pagne fournit le moyen de les organiser. Séville en donna l'exemple le 27 mai. La junte centrale qui y fut établie, rejetant l'autorité du Conseil souverain de Madrid, parce que cette capitale était entre les mains de l'ennemi , s'arrogea un pouvoir indépendant qu'elle exerça au nom du roi Ferdinand VIL Par une procla- mation du 29 mai, elle appela la nation à la défense de la patrie, de son roi, de ses propriétés et de ses lois. Le 6 juin, elle déclara, au nom de Ferdinand VII, la guerre à Napoléon, et aussi à la France, tant qu'elle restera soumise à son joug.
On se ferait difficilement une idée des sentiments patriotiques et de l'enthousiasme qui enflammaient alors la nation espagnole , si l'on n'avait sous les yeux quelques-unes des pièces remarquables qui furent publiées à cette époque. Dans ce nombre il faut par- ticulièrement distinguer les actes précités du 29 mai et du 6 juin, ainsi que l'adresse de Palafox à Na- poléon, qui trouvent ici leur place.
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Vroclamation de la Junte suprême de Séville, du 29 mai 1808.
Espagnols j
« La ville de Séville s'est livrée aux élans de cette fidélité dont elle a dans tous les temps donné à ses souverains tant de preuves héroïques. On lui enleva son Roi , auquel elle avait prêté serment et qu'elle avait reçu avec des acclamations sans exemple. Les principes de la monarchie furent foulés aux pieds, vos propriétés, vos institutions, vos femmes; tout ce qui vous est cher est menacé. La sainte religion , notre seule espérance, sera anéantie ou réduite à de simples formalités extérieures ; elle est sans appui et sans pro- tection. Tous ces malheurs nous arrivent de la part d'une puissance étrangère, non par la force des armes mais par la ruse et par la perfidie. On s'est servi de nous-mêmes contre nous; on a rendu complices de ces abominations ceux qui se disaient les chefs de notre gouvernement , et qui , par la bassesse de leurs senti- ments ou par lâcheté, et peut-être par d'autres motifs que le temps et la justice dévoileront, n'ont pas hé- sité à trahir leur patrie. Il est donc devenu nécessaire de rompre les liens qui attachaient les Espagnols à ce gouvernement , et qui les empêchaient de se réveiller et de faire usage de ce courage par lequel ils se sont, dans tous les siècles, couverts de gloire et ont défendu l'honneur de la nation, leurs lois, leursRoiset leur foi.
« En conséquence , les habitants de Séville se sont assemblés le 27 mai , et avec le concours de tous les magistrats et de toutes les autorités établies , et des personnes les plus respectables de toutes les condi- tions, ils ont nommé une Junte suprême de gouver- nement, l'ont revêtue des pouvoirs nécessaires, et lui
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ont enjoint de défendre la religion, la patrie, les lois et le Roi. Nous avons accepté cette belle mission; nous jurons de la remplir, et nous comptons sur la force de toute la nation , après avoir de nouveau proclamé comme notre Roi, Ferdinand VII j et avoir juré de mourir pour lui. Tel fut notre vœu solennel, il sera celui de toute l'Espagne.
« Une prétendue Junte de gouvernement qui, à peine établie, viola les lois fondamentales de la monarchie; un président nommé d'une manière illégale, qui, s'il avait quelques talents pour occuper cette place , s'en est bientôt rendu indigne ; qui d'ailleurs , né hors du royaume, ne pouvait pas être élevé à ce poste; sa con- duite incertaine, qui tendait à renverser le monarque dont il tenait son pouvoir, et les lois, par lesquelles seules il pouvait avoir quelque autorité, ne peuvent ni ne doivent nous inspirer le moindre respect : rien de tout cela ne saurait comprimer notre fidélité, ni ébranler notre attachement à des devoirs que nous avions contractés comme sujets, comme chrétiens, comme hommes libres et indépendants de toute puis- sance étrangère.
« Nous pouvions encore moins être retenus par l'au- torité du premier tribunal de la nation , le Conseil de Castille. Sa faiblesse s'est manifestée dans les démar- ches incertaines et contradictoires que les membres dont il est composé firent dans cette occasion impor- tante, où ils auraient dû au contraire montrer ce cou- rage héroïque dont tant de motifs et l'honneur lui-même leur faisaient un devoir. La faiblesse de ce corps, ou peut-être son crime , fut manifeste lorsqu'il osa pro- clamer l'ordre de reconnaître et exécuter l'acte d'abdi- cation de Charles IV en faveur d'un souverain étranger; abdication évidemment nulle et non avenue, parce que (Èèlui qui Ta signée n'en avait pas le droit; parce que
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la monarchie n'est pas sa propriété, et que la nation espagnole ne se compose pas d'un vil troupeau dont on puisse disposer arbitrairement j et parce que le Prince est parvenu au trône par le droit de sa naissance et par les lois fondamentales de la monarchie, qui déter- niinent d'une manière immuable l'ordre de la succes- sion; lois sur lesquelles le Conseil de Castille n'a aucune autorité, et à la conservation desquelles il est chargé de veiller. Cette abdication est encore nulle par la violence qui l'a arrachée à Charles IV, et qui est plus grande et mieux prouvée que celle qu'on prétend avoir précédé sa première abdication. Elle est nulle, parce que les abdications prétendues de Ferdinand VU , de son oncle et de son frère, supposé même qu'elles fus- sent authentiques , ont été arrachées par la contrainte, ainsi que le disent clairement les paroles de ces actes. Toutes ces abdications sont nulles, parce que plusieurs Princes de la famille royale qui ont droit à la couronne n'y ont pas renoncé, mais l'ont au contraire conservé dans son intégrité, sans parler de la perfidie sans exemple avec laquelle on a bafoué la nation espagnole. C'est à notre alliance et aux sacrifices que nous avons faits, que la nation française doit une grande partie de ses victoires. On enleva nos braves soldats, on les conduisit dans les régions les plus éloignées, où on les fit combattre pour le gouvernement français. Ce n'est pourtant pas que ce gouvernement eût besoin de ce secours ; il ne le demanda que pour nous affaiblir. Prétextant sans cesse notre bien-être, ce gouvernement fit entrer ses troupes en Espagne, alléguant une expé- dition contre un ennemi dont il n'est plus question maintenant. Par un élan courageux le peuple empêcha le départ du Roi. Quoique le gouvernement français eût dû s'applaudir de la tournure que cet événement avait prise, non-seulement il garda à ce sujet le plus
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profond silence, mais il en prit même occasion pour nous opprimer. On accuse notre nation d'une discorde qui n'existe pas, car jamais nation ne fut plus unanime dans l'amour de son Roi. Ce gouvernement perfide attira, par des machinations infâmes, notre Roi sur son territoire : avec une générosité sans exemple le Roi se confia à des paroles trompeuses , et se jeta entre les bras de ce gouvernement qui, avec une perfidie dont l'histoire de toutes les nations et de tous les siè- cles n'offre aucune trace, le fit prisonnier, le traita avec indignité, et le força à des actes que toute l'Es- pagne a vus avec horreur. En se servant de la même hypocrisie, on conduisit les parents de Sa Majesté hors de notre pays pour les forcer à des injustices propres à déshonorer, jusqu'à la postérité la plus reculée, leurs noms illustres. De même les autres Princes de la mai- son royale furent enlevés ; on n'épargna pas même ceux dont la jeunesse aurait dû leur servir de protec- tion au milieu des peuples les plus barbares.
« Napoléon appelle à lui la nation espagnole; il nomme à son gré de prétendus députés, détermine arbitrai- rement le mode d'élection des autres qui , dans un pays étranger, doivent traiter des intérêts les plus sacrés de la nation , pendant que lui-même publie une lettre se- crète et respectueuse que le roi Ferdinand, étant en- core Prince royal, lui avait adressée; il la proclame criminelle et contraire aux droits des souverains; et peut-être lui-même avait-il provoqué cette lettre dont il veut maintenant faire un crime à son auteur ! C'est un crime en effet, et un crime de haute trahison, qu'une nation indépendante obéisse à un Prince étran- ger, qu'elle aille, sous ses yeux et sous sa direction, délibérer sur des objets qui concernent son bonheur; et ni les habitants de Séville, ni quelque Espagnol que ce soit, ne pousseront l'oubli des convenances et de la
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loyauté au point de commettre un crime dont un es- clave même ne se souillerait pas.
« Cet homme a employé mille moyens infâmes pour nous tromper; il répand des pamphlets et journaux séditieux pour corrompre l'opinion publique ; il y annonce le respect des lois et de la religion , tandis qu'il viole les unes et qu'il outrage l'autre; il ne re- jette aucun projet qui puisse servir à nous imposer un joug de fer. Il pousse le mensonge au point de dire dans un de ses libelles qu'il est d'accord avec le Chef de l'Eglise, le Vicaire de Jésus-Christ, tandis que toute l'Europe et les nations barbares elles-mêmes savent qu'il le tient sous l'oppression , qu'il a dépouillé ce Pontife de ses États , et l'a privé de la société de ses Cardinaux, et tout cela par violence et dans le but d'entraver le gouvernement de l'Église , qui appartient au Pape par la volonté de notre divin Sauveur.
« Espagnols ! tout nous oblige à nous réunir pour prévenir de pareilles atrocités. Ce n'est pas une révo- lution que nous allons faire en Espagne; nous deman- dons seulement à protéger ce que nous avons de plus sacré contre celui qui, sous le masque de l'amitié et de l'alliance , nous en a dépouillés , et qui voudrait nous priver de nos Rois et de notre religion. Sacrifions tout pour une cause si juste; et si nous devons tout perdre , que ce soit en combattant et en hommes d'honneur.
« Réunissons-nous tous ! notre peuple est prêt à pren- dre les armes; sommons les hommes de 'lettres de toutes les provinces pour qu'ils soutiennent l'opinion publique et réfutent ces infâmes libelles que notre ennemi ne cesse de publier. Que chacun combatte à sa manière ; que l'Église espagnole sollicite sans cesse le secours du Dieu des armées, dont la protection nous est assurée par la justice de notre cause. XI H
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« Et qu'aurions-nous à craindre ? L'ennemi n'a pas en Espagne une aussi grande armée qu'il l'annonce dans le dessein de nous effrayer; celle qui s'y trouve est composée d'hommes de toutes les nations enrôlés de force , et soupirant après le moment où ils pour- ront rompre leur chaîne. Les positions que ces troupes ont prises sont telles qu'il est facile de les forcer; au reste , la conscience de défendre une mauvaise cause décourage l'homme le plus vaillant.
«Toute l'Europe, applaudissant à nos efforts, accourra à notre secours. L'Italie, l'Allemagne, tout le Nord, qui gémissent sous le joug de l'oppresseur, saisiront l'occasion que nous leur offrons pour le secouer, et pour reprendre leurs lois et leurs Princes que la France leur a enlevés. La France elle-même ne voudra pas se couvrir de la honte qui rejaillirait sur elle, si elle se laissait forcer à servir d'instrument à une perfidie qui annonce le sort qu'on lui prépare à elle-même. Non, les Français ne verseront pas leur noble sang pour une cause si infâme. Ils ont souffert des maux sans fin , parce qu'on les a constamment bercés de l'espoir d'une paix et d'un bien-être qu'ils n'obtien- dront que sous l'empire de la raison , de la religion et des lois, et lorsqu'ils respecteront les droits des autres peuples.
(( Espagnols ! la patrie, nos propriétés, nos lois, votre liberté, vos Rois, votre sainte religion, et l'espoir d'une vie éternelle que cette religion vous assure, sont menacés d'un danger imminent auquel ils ne peuvent échapper que par votre courage.
«Donné à Séville , le 29 mai 1808.
w Par ordre de la Junte suprême de gouvernement,
(( Signé Don Juan Bautista Etteler. « Don Juan Pardo. »
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Dédaration de guerre de l'Espagne contre Napoléon Z*"", empe- reur des Français^ du 6 juin 1808.
« Fei^dinand VII ^ roi d'Espagne et des Indes, et en son nom, la Junte suprême des deux royaumes.
« La France , ou plutôt Napoléon P% empereur des Français , a rompu d'une manière perfide les liens qui subsistaient entre lui et l'Espagne. 11 a enlevé à ce royaume ses Princes, et les a engagés par la con- trainte à signer des actes d'abdication , que l'univers entier a reconnu nuls et non avenus. Par la violence il les a forcés de lui transférer tous leurs droits de souveraineté , cession qu'ils n'avaient pas le pouvoir de faire.
« Par une insolence sans exemple , il déclare avoir choisi un roi d'Espagne. Il a fait entrer ses troupes dans le royaume, les a distribuées dans les différentes provinces, et leur a ordonné de s'emparer des places fortes et de la capitale. Ces troupes se sont rendues coupables de rapine, de meurtres et de cruautés inouïes. Ces entreprises criminelles , Bonaparte ne les a pas exécutées par la force de ses armes; il les a couvertes du manteau de l'amitié et a prétexté sa sollicitude pour notre bonheur. Il a récompensé par l'ingratitude la plus noire les services que la nation espagnole lui avait rendus; il n'a pas rougi de payer la loyauté es- pagnole par la ruse, la fraude et la trahison : conduite qu'aucun peuple et aucun prince, quelque ambitieux et quelque barbare qu'il fût, ne s'est jamais permise envers un autre peuple ou un autre gouvernement. Enfin il a franchement déclaré que c'était son intention de ren- verser la monarchie et ses lois les plus sacrées; et il a prouvé par le fait combien peu il respecte la religion que les Espagnols professent depuis la venue au monde
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du divin Sauveur, et que, fidèles à leur serment , ils ont toujours maintenue dans sa pureté.
«Pour mettre un terme à ces atrocités, nous nous sommes vus forcés de prendre les armes , seul remède dont nous puissions espérer un succès assuré. En con- séquence, nous publions, à la face de l'Europe, que nous déclarons la guerre à Bonaparte.
« C'est au nom de notre Roi, Ferdinand V7/, et de toute la nation espagnole, que nous déclarons la guerre par terre et par mer, à l'empereur Napoléon ^ et aussi à la France, tant qu'elle restera soumise à son joug. Nous ordonnons à tous les Espagnols de commencer les hos- tilités envers les Français, et de leur faire tout le mal que les lois de la guerre autorisent. Nous ordonnons qu'un embargo soit mis sur tous les bâtiments fran- çais qui se trouvent dans nos ports , et que le séques- tre soit posé sur toute propriété appartenant au gou- vernement français ou à des individus de cette nation, dont les Espagnols pourront s'emparer.
(( Nous ordonnons en même temps qu'aucun mal ne soit fait à la nation anglaise, qu'on respecte son gou- vernement, qu'on ne mette aucun empêchement à ce que les vaisseaux appartenant à son Roi , ou à des par- ticuliers, ne continuent leur route, et que les propriétés des Anglais qui peuvent se trouver sur le sol de l'Es- pagne soient soustraites à tout séquestre ou à toute autre atteinte.
(( Nous déclarons que nous avons établi un commerce libre avec la Grande-Bretagne , et que nous le main- tiendrons intact ; que nous avons conclu avec cet Etat un armistice qui, à ce que nous espérons, sera bientôt changé en une paix solide et durable. Nous promet- tons de ne poser les armes que lorsque l'empereur Napoléon aura rendu à l'Espagne Ferdinand VU, son souverain légitime, et les autres personnes de la mai-
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son royale, ot qu'il aura pris l'engagement formel de respecter désormais les lois sacrées d'une nation qu'il a outragée, et de reconnaître la liberté , l'intégrité et l'indépendance de l'Espagne.
« Et afin que notre résolution ferme et inébranlable soit portée à la connaissance de tonte la nation espa- gnole , et obtienne son effet entier, nous ordonnons que la présente déclaration soit imprimée, proclamée, afficbée aux lieux accoutumés , répandue dans la ca pitale et dans les provinces de l'Espagne et des deux Amériques, enfin publiée en Europe, en Asie et en Afrique.
« Donné au palais royal d'Alcazar à Séville, le 6 juin 1808.
« Au nom de la Junte suprême,
f( Signé Juan Bautista Pardo, Emmanuel Maria Acuilar , secrétaires. »
Adresse à Napoléon, publiée à Valence le 7 juin 1808.
(( Napoléon , le voile qui couvrait ta perfidie est dé- chiré. Le mystère dans lequel l'hypocrisie s'envelop- pait est éclairci. Elle est dévoilée ton ambition effrénée qui ne connaît ni borne ni loi. Elle est le mobile de toutes tes machinations compliquées. Elle t'a enseigné ces paroles mielleuses et astucieuses par lesquelles tu réussis à tromper la bonne foi. Tu trompes pour sé- duire; tu séduis pour faire la guerre ; tu fais la guerre pour piller; tu pilles pour régner; tu règnes pour dé- truire.
« Que Rome etNaples nous servent de témoins. Nous en appelons à l'Allemagne et à la Prusse, à la Toscane et à toute l'Italie, à la Suisse et à la Hollande, au For-
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tugal et à notre Espagne. Toi-même, Napoléon, ré-, ponds, sois une fois maître de tes passions, qu'une parole de vérité sorte une seule fois de ta bouche. Que deviendra l'Espagne quand tu l'auras ravagée et as- servie, quand tu la gouverneras , toi ou un de tes com- plices, quand tu auras enlevé à nos ateliers les mains laborieuses qui les mettaient en mouvement, quand tu auras arraché de leurs foyers trois cent mille hom- mes pour être égorgés dans une terre lointaine, où leurs corps pourriront sans sépulture? Nos bras sont- ils réservés à t'aider dans l'exécution de ce projet que tu nourris en secret, de détruire la maison impériale d'Autriche environnée de siècles de gloire ? Lui pré- pares-tu déjà des funérailles comme à la maison des Bourbons ?
« Et parvenu à ce but, les guerriers que tu enlèveras aux champs fertiles de l'Autriche , comment les em- ploieras-tu pour être les instruments et les soutiens de ta tyrannie? Parcourront-ils l'Allemagne pour ren- verser ces trônes chancelants auxquels tu as donné une existence éphémère? Alors le titre imposant d'em- pereur d'Occident te suffira-t-il enfin ? Ou bien as-tu promis tes secours à la Russie pour renverser et la Prusse, et la Porte et la Perse? Sera-t-il permis alors à son czarde s'intituler empereur d'Orient? Napoléon, défie-toi de toi-même : jamais tu ne permettras qu'il existe auprès de toi un homme qui soit ton égal. Tu prendrais les armes pour anéantir ton meilleur ami. Ton ambition ne connaît pas de borne , mais elle n'échappera pas au châtiment qui lui est dû.
«Dis, quelle destinée prépares-tu à l'Espagne, à cette Espagne qui s'était placée comme amie et comme alliée à tes côtés, qui pour toi avait combattu la Grande- Bretagne , et dont les trésors t'ont aidé à vaincre à Marengo, à Austerlitz, à léna et à Eylau? Ta magna-
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jiimité si vantée , quelle récompense a-t-elle réservée à ces Espagnols qui par ton ordre doivent verser leur sang dans la Scandinavie, et à une nation qui jusqu'à ce jour s'est soumise à tes lois et à tes caprices ? Tu nous avais , pour tous ces sacrifices , solennellement promis ton amitié, ta foi, ta reconnaissance et ta pro- tection.
« Combien il est heureux le pays qui a obtenu un tel protecteur ! Le ciel t'a envoyé sur la terre pour répan- dre la joie parmi nous. Tes bourreaux inondent l'Es- pagne ; tu as transporté à Bayonne notre maison royale, sans doute pour inculquer à ses Princes tes maximes politiques, pendant que toi-même tu condescends à instruire nos grands dans l'art de gouverner. Napoléon, change de rôle, cesse de jouer cette comédie qui a trop duré ; il est temps que le spectacle se termine par une scène de sang et d'horreur. Tous les Espagnols doivent -ils, dans leur faiblesse, être la victime de la fourbe , comme l'ont été les Charles et les Fer- dinand? doivent-ils, comme le prince de la Paix, trahir leur patrie? L'Espagne doit-elle trembler devant le colosse de ta puissance fantastique? Doit-elle frémir des imprécations que vomissent contre elle tes adu- lateurs et tes esclaves ? Doit-elle imiter ses Princes , qui, égarés par les lueurs perfides que tu as fait briller à leurs yeux , les ont suivies jusque dans les cachots de la France, où tu les a renfermés ? L'Espa- gne doit-elle remettre entre tes mains le choix d'un souverain, ou, comme'l'Italie , placer sur ta tête une couronne de plus? Que d'autres te préconisent arbitre de la paix; qu'ils soumettent à ta décision les dissen- sions fomentées par ta perfidie; continue à punir les crimes que tu as créés! quant à nous, aucune loi ne te permet de nous juger, de nous châtier.
« Où te conduit ta démence? H est une vérité que nous
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sentions vivement depuis longtemps, c'est que, grâce à ton amitié , l'Espagne n'est plus qu'un squelette dé- charné ; nous savions qu'ils ont été gagnés par toi , ces traîtres qui t'ont juré fidélité par la tête de leur chef, le prince de la Paix. Nous savions qu'il a existé quelques Espagnols de bonne foi, qui jusqu'à présent ont cru à ta loyauté. Mais écoute ce que nous recon- naissons maintenant, ce que nous savons, ce que nous croyons, ce que nous espérons, car aujourd'hui la nation n'a plus qu'une opinion , qu'un sentiment, et nous allons te les faire connaître.
« Tes paroles ne sont que faussetés ; tes traités ne sont que trahisons ; la soif de sang qui te dévore est insatiable, tu es ce Roi des ténèbres entouré de nuées de sauterelles infernales ; c'est toi que l'Apocalypse a nommé; tu t'appelles Apollyoïif c'est-à-dire, le des- tructeur ; tu es sorti des abîmes de l'enfer pour ré- gner sur la terre ; tu veux que nous avalions à longs traits le calice amer que tu as préparé aux peuples , dont le bonheur et la liberté ne sont vantés que par toi ; tes paroles, tes sentiments et tes actions répon- dent à la bassesse de ta naissance , à la conduite que tu as toujours tenue , à ta religion , car tu n'en pro- fesses pas d'autre. Voilà ce que nous reconnaissons. Écoute maintenant ce que nous savons.
« Sous un prétexte spécieux tu as envoyé tes merce- naires pour nous asservir et nous exterminer; tes vils courtisans ont acheté des amis pour toi , des ennemis pour les Bourbons; tu as forgé des lettres et des actes d'abdication ; tu as arraché par force les signatures de Charles et de Ferdinand; tu as beau les dire volon- taires ces signatures, elles ne seront jamais légales, car elles sont les enfants de ton ambition et de ta vio- lence ; tu promets du soulagement aux cultivateurs ; tu expulses le propriétaire de son domaine, et tu
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prends pour la part le tiers des productions de la terre. Il existe en France un père auquel la nature a donné sept fils, tu ne lui en as pas laissé un seul pour sou- tien de sa vieillesse. 11 existe en France une veuve, mère de cinq fils, il n'en reste plus un seul. Si tu étais le maître de l'Espagne, nos enfants ne seraient plus à nousj jamais ils ne reverraient le sol qui les a vus naître , ou bien ils n'y reviendraient que lorsque les guerres qui se renouvellent sans cesse auraient fini , et elles ne peuvent finir qu'avec ta vie. Tu traiterais la religion dominante comme tu l'as traitée dans les autres pays ; tu chasses les prêtres de leurs demeures, tu profanes et tu renverses les temples, tu voles les vases sacrés , tu frappes de ton épée les dons de la piété, tu brises les images des saints, et, profitant des ténèbres de la nuit, tu enlèves les trésors du sanctuaire. Voilà ce que l'Espagne sait. Écoute ce qu'elle croit.
« Tu es l'ennemi de toute l'Europe; tu es le destruc- teur du commerce; des arts de la paix, de l'agricul- ture. La religion fuit devant toi aussitôt que tu t'ap- proches d'un pays. Tu veux envoyer par delà les montagnes et les mers trois cent mille enfants de l'Espagne; tu veux nous ravir notre or, afin qu'il ne nous reste rien et que nous n'ayons plus qu'à pleurer notre malheur, notre pauvreté, notre misère. N'est-ce pas là le sort même des potentats dont tu nous vantes le bonheur? Tu as invoqué , tu as fomenté la dissen- sion entre le père et le fils ; tu as répandu les semences de la désunion entre Charles et Ferdinand; tu as pro- fité de la faiblesse du premier, de la bonté du second, et de la perfidie du prince de la Paix. Ce dernier s'est engagé à te livrer comme une proie les villes royales d'Espagne, Madrid, Tolède et Séville. Tu as appelé à Bayonne la maison de Bourbon afin d'enterrer sa gran- deur. Tu es semblable au monstre épouvantable qui se
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lève pour annoncer l'approche épouvantable du der- nier jour. Voilà ce que croit l'Espagne. Écoute ce qu'elle espère.
« L'Espagne n'espère rien de toi, car tu n'as rien à lui offrir. Elle espère , par la réunion de ses peuples, te combattre et déchirer les lacs dont tu l'as envelop- pée. Elle espère que ses enfants aimeront mieux verser leur sang dans la terre de leurs ancêtres pour leurs foyers paternels et la religion de leurs aïeux , que de prodiguer ce sang, sous ta conduite, dans des contrées étrangères , où le guerrier qui succombera sera dé- voré par les vautours et les bêtes féroces. Elle espère qu'elle ne sera gouvernée par aucun homme qui ait , comme toi , à rougir de sa naissance. Elle espère vaincre dans le combat qu'elle soutiendra contre toi , afin que les États que tu as asservis et ravagés en Europe puissent de nouveau respirer librement. Elle espère que tu finiras comme ces tyrans des anciens temps, Nabuchodonosor , Sardanapale , et tous ces Princes superbes qui du haut de leurs trônes daignaient sou- rire quand la sottise et la bassesse, la flatterie et l'im- piété, prosternées à leurs pieds dans la poussière, les nommaient tout-puissants. Ces espérances de l'Espagne sont fondées, non sur sa confiance dans ses propres forces, mais sur sa confiance dans la puissance de l'Être Suprême, qui a déjà dévoilé et anéanti la trame ourdie le 19 mars. Elle espère, l'Espagne, que la divine Majesté ne t'accordera jamais le pouvoir d'ex- terminer ceux qui, pleins de foi, s'inclinent devant le signe sacré de notre rédemption. Que la croix soit notre bannière de guerre qui nous serve à nous re- connaître les uns les autres ; c'est par elle que l'Es- pagne s'était préparée à la conquête du nouveau monde; Dieu et son Saint l'avaient élue pour ce grand ouvrage. C'est pourquoi elle espère t'arracher ce que
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tu as ravi à Dieu , à l'Église, à toute l'Europe, t' abais- ser en proportion de tes forfaits, délivrer le monde de ta tyrannie et de ta doctrine perverse , afin que tu tombes comme un fils du péché, comme un parjure, comme un ennemi de Dieu , de l'Église , de l'humanité.
« Oui, c'est le ferme fondement de notre espérance. Mais dis-nous, toi, qu'espères tu ? Espères-tu que nous te proclamerons roi? Jamais , jamais. Le sort de l'Italie est présent à nos yeux. Espères-tu que nous nommerons ton frère? Jamais. Les malheurs de Naples nous remplissent d'effroi. C'est envers Ferdinand que nous avons contracté des obligations , nous lui avons juré obéissance comme héritier de son père. Espères- tu trouver des amis en Espagne? Jamais. Nous savons comment tu as récompensé Moreau, Pichegru et Ville- neuve, qui ont contribué médiatement ou immédiate- ment à la grandeur de ton trône. Espères-tu que l'Es- pagne te reconnaîtra pour son vainqueur? Espères-tu faire croire à tes bulletins, quand ils annonceront que, dans un combat décisif, vingt-cinq Français sont tombés , tandis que trois mille Espagnols ont péri ? Toute l'Espagne mentira-t-elle, parce que le mensonge t'est utile et te plaît?
(f Nous avouons que tu t'es emparé des forteresses que tu as nommées dans tes gazettes, et que ton ami le prince de la Paix t'a livrées; nous avouons qu'un soulèvement du peuple de Madrid, qui s'était armé de couteaux, t'a coûté cinq mille soldats et privé de la vie deux cents citoyens de cette ville. Cette vérité géné- ralement connue , aucun de tes journaux ne l'a an- noncée.
« Espères -tu conquérir l'Espagne à main armée ?
Sache que tu peux beaucoup perdre, et que jamais tu
ne gafjneras un cœur. Sache qu'un châtiment éclatant
peut tarder, mais atteint toujours les forfaits éclatants.
I
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Saclie que tes propres guerriers t'abandonneront un jour et tourneront l'épée contre toi. Sache que d'au- tres nations indignées se soulèveront , tandis que tu aiguises tes dents pour déchirer l'Espagne. Sache que le lion d'Esdras régnera deux fois comme roi ; que le fameux lion de Roncevaux , couché depuis si long- temps, se réveillera et se redressera. Ce lion est l'Es- pagne ; il se prépare pour commencer un combat à mort, pour porter la croix en trophée jusqu'aux confins du monde.
«Tremble, Napoléon! il s'approche le moment où tu cesseras d'être invincible. Tremble devant l'Espagne, non à cause de sa propre force , mais à cause de ta conscience. Tremble devant Dieu qui protège l'Espa- gne et en qui elle se confie. Le Tout-Puissant, qui, par le bras d'un petit nombre d'enfants d'Israël, a vaincu les armées des Philistins et exterminé les troupes innombrables de Xerxes, enverra ses anges contre toi. Comme alors ils combattront dans les rangs des Espagnols dans une guerre sainte dont la religion est l'objet; elle sera dissipée comme la paille, cette armée que le despotisme a formée pour le combat , et que le démon a remplie de désespoir.
n Napoléon, qu'ont fait nos souverains légitimes pour que , d'une manière inouïe dans les annales de l'Eu- rope, tu aies creusé pour eux l'abîme où tu les pré- cipites? Pleins de confiance, n'ont-ils pas conclu avec toi le pacte de la fidélité, et ne t'ont-ils pas ouvert les portes de la péninsule espagnole , afin que les enfants de la France corrompissent nos mœurs et détruisis- sent la foi et l'espérance de nos religieux enfants? N'ont-ils pas prodigué les trésors de leurs royaumes pour t'affermir sur le trône chancelant de la France? En récompense, tu as inondé les villes frontières
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d'Espagne des productions de la France; cela t'était permis, et c'était interdit à l'Angleterre, quoique toi seul eusses énervé notre industrie et notre commerce. N'est-ce pas ce qui a donné lieu à la guerre désastreuse qui nous a tous appauvris? Cependant, pour récom- penser notre roi, tu as précipité son frère et sa race du trône de Naples , et tu lui as extorqué à lui-même la renonciation à son trône héréditaire. Ne t'a-t-il pas donné ses flottes pour protéger les tiennes contre la puissance de l'Angleterre toujours victorieuse? En re- connaissance, n'a-t-il pas fallu que Villeneuve, par ton ordre, conduisît l'un après l'autre nos meilleurs vais- seaux au combat, afin que dans la mêlée la mer les engloutît, afin que l'illustre Gravina tombât, afin que l'élite de notre nation fût , comme ce brave , couverte de blessures et mourût?
« N'as-tu pas, de concert avec Godoy le traître, enlevé la flotte d'argent de la Vera-Cruz , avec des frégates françaises montées par des matelots hollandais , et munies du pavillon anglais, afin que les peuples déçus ne soupçonnassent pas que tu étais le moteur secret de cet attentat? Notre roi ne t'a-t-il pas donné des troupes de soldats belliqueux , suivies de tout l'appa- reil de la guerre , pour combattre pour toi et avec toi contre tes ennemis? Ne t'envoyait-il pas toutes les sommes que Godoy avait ramassées en levant de nou- veaux impôts, en pillant les fondations anciennes, en dissipant les biens communaux, en volant les monas- tères et les citoyens? Voilà ce que notre roi a fait pour toi ! Et c'est pour cela que tu as arraché de dessus la tête de sa fille la couronne d'Étrurie depuis longtemps mise en vente, payée et plus de dix fois pesée contre l'or de l'Espagne. Nos princes ne t'ont-ils pas permis de faire, à leur préjudice, traverser leur pays par ton armée, pour marcher contre le Portugal? N'onl-ils pas
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réprimé avec violence leur sentiment intime de l'équité pour t'aider dans tes actes d'iniquité ? Et c'est pour cela que la fille de notre Roi, et chaque personne de la maison royale de Portugal , eussent porté tes fers , si l'assistance vigilante de l'Angleterre ne les eût pas enlevées.
{( Cruel ! de concert avec Godoy le traître et le fourbe , tu as conjuré contre Charles, et tu as rejeté ton noir forfait sur Ferdinand innocent. L'assassinat de l'un des Rois et l'accusation de l'autre devaient livrer le trône d'Espagne à ta discrétion.
M L'innocence ayant triomphé , la tentative du crime ayant échoué , tu as feint pour nous de la sollicitude ; tu as voulu défendre les ports de l'Espagne, emporter d'assaut le rocher de Gibraltar ; tu as voulu subjuguer les côtes d'Afrique, nos voisines et nos ennemies.
« Tout cela n'était que forfanterie, mensonge et ar- tifices. Nous sommes instruits, nous savons tout! Ta puissance n'a rien pu effectuer de ce que tu as promis ; mais tes discours fallacieux , colportés par tes vils et officieux complices , ont séduit le cœur de plusieurs Espagnols honnêtes.
« C'est ainsi que tu as pu demander que l'on admît tes troupes dans l'intérieur du royaume j c'est ainsi que Godoy a pu te livrer les places fortes dans l'inté- rieur du royaume; c'est ainsi que tu as pu, au milieu de la paix , occuper hostilement la Catalogne , notre frontière.
« Alors, alors enfin tous les peuples de l'Espagne t'ont pénétré; mais nous avons obéi encore, nous avons gardé le silence, nous avons souffert patiemment.
« Le roi d'Espagne s'est tu, les peuples de l'Espagne se sont tus comme lui; mais ils veillaient.
«Tu as voulu engager toute la famille de nos souve-
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rains à une fuite honteuse , afin de saisir le royaume ainsi abandonné; mais les amis les plus fidèles de la patrie se sont pressés autour de Charles et de Ferdi- nand, pour que le vieillard affaibli cédât à son fils plus vigoureux la défense de la couronne en danger. Tu as alors voulu entrer en personne sur le territoire espagnol; persuadé par ses sujets les plus fidèles, en- touré par les hommes les plus éclairés de son peuple, le jeune monarque, plein de respect et de confiance pour toi , s'est hâté d'aller à ta rencontre jusqu'à Bayonne. Là tu as voulu, dans une réunion solennelle de la maison royale, aux yeux de toute l'Europe, dé- cider du bonheur de l'Espagne; mais là se déchira tout à coup le voile qui cachait la perfidie de ton cœur; là tu as ravi la liberté aux Rois et à leur famille ; là tu t'es, comme un brigand, emparé de la couronne d'Espagne , pour la mettre sur la tête de ton frère. C'est ainsi que tu as récompensé nos Rois ; c'est ainsi que tu nous as comblés de bonheur ; voilà où mènent les alliances que l'on conclut avec toi.
« Généreux compatriotes et frères d'armes, ressentez cet affront déloyal, pensez à la douleur du jeune mo- narque, réfléchissez à l'affliction du vieux Roi et de sa noble compagne.
« Nous les avons sans cesse devant nos âmes fières, l'humiliation d'une résignation forcée , l'opprobre d'une arrestation accompagnée de violences, l'obscu- rité d'un cachot humide que Napoléon leur prépare peut-être. Espagnols, ne vous laissez pas tromper par les mensonges, qui lui sont si familiers ! Il ressemble au prince du ténébreux abîme, qui d'abord pervertit et ensuite précipite dans une ruine totale. Songez à toutes les belles promesses qu'il a faites en Italie , et au mal qu'il y a opéré ! Les villes d'Italie, jadis floris- santes et célèbres , sont aujourd'hui désertes et igno-
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rees. Rome la sainte est par Napoléon devenue l'impie, Naples l'heureuse est dans un état pitoyable, Venise la riche est misérable. Gènes la superbe est abaissée, Milan la grande est dépeuplée , Florence la belle est flétrie , Bologne la grasse soutient à peine l'existence languis- sante de ses citoyens; Padoue la savante a perdu le savoir qui faisait sa célébrité; Ravenne V antique est obligée de se plier à de nouveaux vices et à de nou- veaux crimes.
« Quel salut, nous, habitants de l'Espagne, pouvons- nous attendre d'un homme que l'enfer a vomi pour nous pervertir? 11 est encore temps de nous garantir de ses atteintes : aux armes, aux armes ! Que le cri de guerre et de détresse retentisse de l'orient à l'occident, de la mer du midi à celle du septentrion ! Citoyens , volez aux clochers, faites entendre le son lugubre du tocsin ! Enflammez dans les cœurs irréprochables cet esprit héroïque des temps anciens qui jadis vous rendit la terreur de vos oppresseurs, et anéantit les légions romaines jusqu'alors toujours victorieuses. Nous évoquons la Catalogne, la Cantabrie et l'ancienne îSumance. Pensez, Espagnols, aux combats livrés aux Normands et aux Sarrasins ! Rappelez-vous des chaînes et des liens de fer que vous avez jadis brisés dans le port de Marseille ! Rappelez-vous que vous avez arra- ché Jean II du milieu d'une armée de trente mille Français! Souvenez -vous, généreux Espagnols, de Catalan Aldara, ce héros dont le bras amena prison- nier dans votre pays le roi de France lui-même, François /".
« Ces faits éclatants des temps qui ont précédé le nôtre doivent l'éclairer. Ne tremblez donc pas devant la foule de vos ennemis ! Vous, nobles et riches, ouvrez vos trésors , nourrissez les pauvres , afin qu'ils puis- sent d'un bras vigoureux saisir le glaive de la ven-
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geance; serrez-vous comme frères les uns contre les autres, et, rangés en ordre, volez pour faire triom- pher la patrie! Guerriers, prenez courage contre le lion rugissant de la Numidie. Prêtres, criez vengeance, vengeance contre le destructeur des autels ! Artisans, forgez des armes et fouillez la terre pour en arracher le fer! Mères, refusez pour un instant le sein à vos enfants , afin qu'ils sentent quel malheur les attend quand ils seront hommes! Enfants, remplissez l'air de vos lamentations, et accompagnez-en nos chants de combat! Vous, animaux des forêts, sortez de vos ca- vernes, de vos antres, de vos repaires; tombez avec nous sur les Français depuis les Pyrénées jusqu'à la Sierra-Morena, afin que nous en purgions la terre; que nous conquérions la paix, et que nous vengions notre Roi , notre religion et notre patrie ! »
La lecture des pièces que nous venons de reproduire sufiira désormais pour expliquer les scènes de carnage et d'horreur qui pendant six ans désolèrent la Pénin- sule; nous pouvons donc maintenant reprendre le cours de notre récit.
Lorsque la Junte résolut la démarche hardie de déclarer la guerre, elle n'avait ni armes, ni muni- lions, ni trésor, et à peine une armée. L'Espagne avait, il est vrai, à cette époque, cent mille hommes sur pied, en y comprenant les milices provinciales; mais de ces troupes, quinze mille hommes servaient en Dane- mark, en qualité d'auxiliaires de la France; trente- cinq mille se trouvaient en Portugal ou sur sa fron- tière, et, de ce nombre, vingt mille étaient sous les ordres du général français Junot; quinze mille garnis- saient les places de TAfrique, les îles Baléares et les Canaries; et quinze mille les places de l'inléricur; des XI 15
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vingt mille restants, dix mille se trouvaient en Galice, et devinrent le noyau de l'armée d'insurrection dans le nord de la Péninsule ; de même que dix mille hommes formant le camp de Saint-Roch destiné au siège de Gi- braltar, devinrent celui de l'armée d'Andalousie. Telles furent les forces que l'Espagne opposa à cent mille hommes de troupes aguerries, qui étaient maîtresses des provinces intérieures du royaume, de plusieurs places fortes et du royaume de Portugal, et à la tête desquelles se trouvaient les généraux les plus habiles et les plus expérimentés.
Si, en considérant cette disproportion de ressources, on est tenté d'accuser les Espagnols d'une grande té- mérité inspirée par un aveugle enthousiasme, on doit convenir néanmoins que différentes circonstances pa- raissaient leur présager un heureux succès , pourvu que des revers partiels et peut-être prolongés ne vinssent pas abattre leur constance. Il faut d'abord compter pour quelque chose cette confiance que leur donnaient la justice de leur cause et la persuasion que la Providence ne permettrait pas l'asservissement de leur patrie. Cette confiance était générale et absolue. L'enthousiasme des Espagnols était porté jusqu'au délire , mais il était en même temps raisonné : c'était l'entraînement d'hommes qui avaient froidement cal- culé la prépondérance de la force qui leur était oppo- sée; d'hommes préparés à supporter des privations, des défaites et des désastres; d'hommes persuadés qu'en employant avec une incessante persévérance tous les moyens qu'ils avaient pour harceler leurs en- nemis, ils parviendraient à détruire des armées qu'ils ne pouvaient pas attaquer de front.
Diverses circonstances se réunissaient pour exalter leur courage. La position géographique et l'étendue de leur pays doivent être comptées parmi les plus impor-
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tantes. Baignée de trois côtés par la mer, la Péninsule ne peut être attaquée que d'un seul côté par des forces de terre, tandis que ses côtes lui assurent une libre communication avec ses colonies, avec la Grande- Bretagne, qui allait être son alliée, et avec la Suède, la seule puissance continentale qui résistait encore à Napoléon. Les principales villes, et les nombreux ports de l'Espagne, séparés les uns des autres par des intervalles considérables, ne pouvaient pas tous être occupés par une armée ennemie, quelque nombreuse qu'elle fût. Dans l'intérieur, et surtout dans le nord, le terrain coupé et montueux présente des défilés dif- ficiles à traverser, et même des forts que l'artillerie peut à peine atteindre. Les plaines des deux Castilles et de l'Estrémadure n'offrent guère plus de facilité à une invasion, que les montagnes qui les séparent des autres provinces. L'excessive chaleur du climat et les fièvres intermittentes qu'elle produit, devaient être de puissants auxiliaires contre des étrangers. Les Fran- çais devaient y trouver peu de ressources pour les sub- sistances et les fourrages, et de grandes difficultés pour en opérer les transports. Anciennement, il avait existé, dans chaque village d'Espagne, de petits gre- niers, nommés positoSf où les laboureurs étaient obli- gés de déposer tous les ans une partie de leur récolte pour servir dans des années de disette. Dans la guerre du Portugal de 1801, le gouvernement s'était emparé de ces provisions pour entretenir l'armée; et, comme il n'avait pas tenu la promesse de les restituer, il n'y eut plus moyen d'engager les paysans à confier aux greniers publics une partie de leur moisson. Mais ce qui surtout fit espérer aux Espagnols le succès de leur entreprise, c'est la manière dont ils se proposaient de faire la guerre, par petites bandes destinées à inter- cepter les vivres de l'ennemi, à abîmer les chemins et
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les ponts sur lesquels il devait passer, à exécuter contre lui des coups de main et des surprises, aie harceler enfin de toutes les manières, en ne lui laissant pas un seul instant de repos. Cette guérilla^
' Ou plutôt guerrilla. De ce mot espagnol qui signifie petite guerre, on fit le nom des bandes ou corps francs eux-mêmes. Les bandes de guérillas les plus redoutées étaient celles de Renovales, d'Espoz y Mina et de son neveu, dans les montagnes de la Navarre et de l'Aragon ; de Juan Martin , surnomme l'Empecinado, dans les environs de Ma- drid ; de JuLiAN Sanciiez, dans le pays de Salamanque; de Rovera, en Catalogne ; de Juan Palades, entre la Sierra-Morena et Tolède ; du curé MÉRiNO, EL PRINCIPE, daus la (lastille; du frère Sapia, dans les mon- tagnes de Soria; de Juan Abril, près de Ségovie; et de Former, el Marquesito, dans les Asluries et la Biscaye.
Lorsque le peuple espagnol s'organisa en guérillas , « les forêts s'ar- mèrent, dit M. de Chateaubriand , les buissons devinrent ennemis. Les représailles n'arrêtèrent rien , parce que dans ce pays les représailles sont naturelles. Vainqueurs des meilleurs soldats de l'Europe, nous versions le sang des moines avec cette rage impie que la France tenait de la démence athée de la Terreur. Ce furent pourtant ces milices du cloître qui mirent un terme aux succès de nos vieux soldats; ils ne s'attendaient guère à rencontrercesenfroqués, à cheval comme des dra- gons de feu sur les poutres enbrasées des édifices de Saragosse, char- geant leurs escopeltes parmi les flammes, au son des mandolinei, au chant des boléros et au Requiem de la messe des morts. Les ruines de Sagonte applaudirent. » « Le peuple, ajoute un autre historien, dé- ployait un courage qui approchait de la fureur, et c'était la fureur d'un peuple fanatique. Des prêtres commandaient ; ils publiaient des miracles et prêchaient l'assassinat; leurs hommes croyaient et obéissaient. Les soldats français avaient à se défendre contre des individus qui répétaient comme articles de foi cette espèce de catéchisme : « Dis-moi, mon enfant, qui es-tu?— -E>pagnol par la grâce de Dieu, — Que veux-tu dire par là? — Homme de bien. — Quel est l'ennemi de notre félicité? — L'em- pereur des Français. — Qui est-ce? — C'est un mécréant, la source de tous les maux, le destructeur de tous les biens, le foyer de tous les vices.— Combien a-l-il de natures? — Deux; la nature humaine et la nature diabolique. — Combien y a-t-il d'empereurs des Français? — Un véritable, en trois personnes trompeuses. — Comment les nomme- t-on? — Napoléon, Murât et Manuel Godoy. — Lequel des trois est le plus méchant? — Ils le sont tous également. — De quoi dérive Napo- léon? — Du péché. — MuRAT? — De Napoléon. — Et Godoy ? — De la fornication des deux. — Quel est l'esprit du premier?— L'orgueil et le despotisme. — Du second ? — La rapine et la cruauté. — Du troi-
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si destructive pour les armées françaises , a été orga- nisée par une Instruction remarquable que la junte suprême publia, peu de temps après qu'elle eut pris la noble résolution de s'opposer à l'asservissement de la patrie. Voici cette publication qui eut un grand reten- tissement en Europe, et par laquelle on semblait dire aux peuples subjugués parla France, qu'ils n'avaient qu'à se transformer en guérillas pour expulser les op- presseurs de leur territoire et reconquérir leur liberté.
Instructions générales pour la formation des armées espagnoles et (le la levée en masse.
« Les mesures suivantes doivent être observées par les différentes provinces de l'Espagne, dans la néces- sité où les ont mises les Français de s'opposer à l'in- juste et violente prise de possession que les armées françaises sont dans l'intention d'effectuer. On ne peut un seul instant douter de l'énergie avec laquelle toutes les provinces de l'Espagne s'efforceront de déjouer et de détruire les mauvais desseins des Français , et qu'elles sacrifieront même leur vie dans cette conjonc- ture si importante et unique dans les annales de la nation, unique tant par la nature même des cboses que par l'ingratitude et la perfidie avec lesquelles les Français ont travaillé à nous asservir, et poursuivent l'exécution de cette œuvre d'iniquité.
((1" Le point le plus important est d'éviter toute ba-
sième? — La cupidité, la trahison et l'ignorance. — Que sont les Fran- çais? — D'anciens chrétiens devenus hérétiques. — Quel supplice mé- rite l'Espagnol qui manque à ses devoirs? — La mort et l'infamie des traîtres. — Comment les Espagnols doivent-ils se conduire? — D'après les maximes de Notre-Seigneur Jésus-Christ. — Qui nous délivrera de nos ennemis? — La confiance entre nous autres, et les armes. — Est-ce un péché de mettre un Français à mort? — Non, mon père; on gagne le ciel en tuant un de ces chiens d'hérétiques. »
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taille rangée, et de se convaincre qu'elle nous mettrait dans le plus grand danger, sans aucune utilité, et même sans aucune espérance. Plusieurs motifs vien- nent à l'appui de cette mesure; tout homme raison- nable les apercevra aisément.
« 2° Il nous convient donc de faire la petite guerre avec des corps isolés, de gêner, de fatiguer l'armée ennemie , en lui coupant les vivres , en rompant les ponts , en faisant des abatis sur les points convena- bles, et en usant de moyens semblables. La position géographique de l'Espagne, ses montagnes nombreuses et les défilés étroits qu'elles offrent, ses rivières et ses fleuves, la position même de ses provinces, nous in- vitent même à choisir ce mode de guerre, qui ne peut qu'être avantageux pour nous.
« 3° 11 est absolument indispensable que chaque pro- vince ait un général doué de talents reconnus, et distingué par autant d'expérience que le permet la nouveauté de notre position, qui, par une fidélité hé- roïque, inspire de la confiance à tous, et que chaque général ait sous son commandement des officiers de mérite, et surtout des artilleurs et des ingénieurs.
« 4° L'unité des plans bien combinés étant l'âme de toutes les entreprises auxquelles concourent plusieurs volontés unies, et assurant et facilitant seule une heu- reuse issue, il paraît indispensablement nécessaire que l'on ait trois généraux supérieurs qui s'entendent entre eux; à savoir un qui commande dans les quatre royaumes d'Andalousie , Murcie et l'Eslrémadure in- férieure; un autre en Galicie, dans l'Estrémadure su- périeure , dans la vieille et la nouvelle Castille et Léon; un dans Valence, Aragon et Catalogne. Ensuite il en faut nommer un de grande considération pour la Navarre, les provinces de Biscaye, Montanas, les As- turies, Rioja, et la partie septentrionale de la nouvelle
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Castille; et cela par les motifs qui seront déduits plus bas.
(( 5" Chacun de ces généraux et de ces généraux su- périeurs réunira une armée de vétérans et de paysans, et se mettra en état de tenter des entreprises et de se- courir les points les plus exposés , en entretenant constamment néanmoins une correspondance ouverte et continuelle avec ses collègues, afin qu'ils agissent tous de concert, et que l'un puisse venir au secours de l'autre.
« 6" Les localités exigent que Madrid et la Manche aient un général particulier qui conçoive et qui exécute les entreprises commandées par ces localités. Son seul objet doit être de semer des obstacles sur le chemin de l'ennemi, de lui enlever ses vivres, de le harceler tantôt sur ses flancs, tantôt sur ses derrières, enfin de ne pas lui laisser un instant de repos. Le courage des habitants de ces provinces est connu; bien dirigés, ils exécuteront des opérations de ce genre avec une ar- deur louable. Pendant la guerre de la Succession, les ennemis pénétrèrent deux fois dans le cœur du royaume et jusqu'à la capitale; cette marche fut la cause véri- table de leur défaite et de leur destruction , enfin leur fit manquer leur but.
« 7" Les généraux supérieurs du nord et de l'est fer- meront l'entrée des provinces soumises à leur com- mandement , et marcheront au secours du point par lequel l'ennemi tentera de piénétrer, afin de garantir, autant qu'il sera possible, les habitants de ces pro- vinces du pillage et de la dévastation : les montagnes et les défilés qui garnissent les confins de ces provinces leur faciliteront l'exécution de ces mesures.
« 8° Les fonctions confiées au général de la Navarre, de la Biscaye , et de toute cette partie, sont les plus importantes de toutes : en conséquence, les généraux
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du nord et de l'est l'aideront de troupes et de tous les secours qu'il leur demandera. Son principal devoir sera de fermer l'entrée de l'Espagne à de nouvelles troupes françaises, ainsi que de harceler et de détruire celles qui, de ce côté, tenteraient de retourner en France. Les montagnes sont très-favorables à cette espèce de guerre, qui doit nécessairement être heu- reuse si elle est concertée et exécutée convenablement. On peut dire la même chose des points par lesquels les troupes françaises qui sont en Portugal pourraient essayer d'entrer en Espagne, ainsi que de ceux par lesquels elles pourraient pénétrer en Catalogne en ve- nant du Roussillon. Quant à l'Aragon , il n'a pas beau- coup à craindre une invasion. On peut même croire que les Français ne pourront pas sortir du Portugal , car les proclamations que nous y avons répandues ont contribué à augmenter la haine dont les Portugais sont animés contre les Français , à cause des maux qu'ils leur ont fait, et de la dureté de leur gouvernement. t< 9" H sera très-avantageux que les généraux supé- rieurs et autres répandent fréquemment des procla- mations parmi le peuple pour entretenir son courage et sa fidélité, en lui montrant qu'il a tout à craindre de la perfidie avec laquelle les Français en ont usé envers l'Espagne et son Roi; que si jamais ils parve- naient à être nos maîtres , nous perdrions tout , nos Rois, notre monarchie, nos propriétés, la liberté, l'indépendance et la religion ; qu'il vaut mieux sacri- fier sa vie et sa fortune pour la défense du Roi et de la patrie. Les généraux diront aux Espagnols que si , ce qu'à Dieu ne plaise, nous sommes réservés à l'es- clavage, nous périrons les armes à la main et en hommes courageux , et que nous n'irons pas , comme un troupeau de bétail , tendre notre cou au joug, ainsi que le voulait notre ancien gouvernement, en ajou-
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tant la honte et l'infamie à tous les maux de l'Espagne. Jamais la France n'a régné sur nous, ni n'a mis le pied sur notre territoire ; nous , au contraire , nous avons souvent dominé sur les Français, non par la trahison, mais par la force de nos armes. Nous avons fait leur Roi prisonnier et fait trembler la nation. Nous sommes encore les mêmes Espagnols , et la France, l'Europe et l'univers verront que nous ne sommes pas moins braves que nos illustres aïeux.
'( 1 0" Tous les hommes de lettres seront invités à pu- blier des instructions pour éclairer l'opinion publique et stimuler le zèle de la nation : ils réfuteront les in- fâmes journaux de Madrid, que la condescendance de l'ancien gouvernement a tolérés, et qui, sous le nou- veau gouvernement, augmentent d'impudence. Nos écrivains dévoileront les mensonges et les contradic- tions de ces journaux, et couvriront d'ignominie leurs misérables auteurs. De temps en temps ils étendront leurs observations sur ces journaux de Paris , rédigés par de vrais charlatans. Ils démasqueront aux yeux des Espagnols et de toute l'Europe ces vils rédacteurs de mensonges, dont la plume vénale est payée pour chaque louange qu'ils donnent au tyran oppresseur de leur patrie , et qui se rendent aussi complices de ses attentats'. Que ces misérables tremblent devant l'Es- pagne! Que le gouvernement français et ses suppôts sachent que nous les avons pénétrés; qu'ils nous in- spirent de l'horreur, et que nous aimerions mieux
' Les auteurs de celte Instruction ont confondu les deux classes de rédacteurs qui travaillaient aux journaux de Paris; les uns étaient choisis parmi des hommes distingués par leurs lumières et leur attache- ment aux principes éternels de la morale et du droit ; leurs noms , bien que sous le voile des lettres de l'alphabet, étaient très-connus du public; les autres, sous les noms de censeurs ou de collaborateurs, étaient im- posés par l'autorité , et ne pouvaient être que les organes de ?a volonté.
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perdre la vie que nous soumettre à un joug aussi in- fâme que celui qu'ils supportent.
« 1 r On ne négligera pas de dire et de bien incul- quer à la nation qu'aussitôt que nous serons délivrés de cette guerre cruelle à laquelle les Français nous ont forcés , qu'aussitôt que nous aurons recouvré la tranquillité, et que notre Roi et souverain Ferdi- nand VII aura été rétabli sur le trône, les Cortès seront assemblées sous son autorité , que les abus seront ré- formés, et qu'on nous donnera des lois conformes aux lumières du siècle, et capables de faire notre bonheur. Pour nous donner ces lois , nous n'avons pas besoin des instructions des Français, qui, selon leur coutume, et sous prétexte d'amitié et de zèle pour notre bien- être, n'ont fait que nous piller, déshonorer nos femmes, nous massacrer, nous priver de notre liberté, de nos institutions et de notre Roi, et blasphémer notre sainte religion. Voilà ce qu'ils ont fait, ce qu'ils font, ce qu'ils feront aussi longtemps qu'ils seront poussés par cet esprit infernal de trahison et d'ambition qui les tyrannise eux-mêmes.
«Publié par ordre de la Junte suprême.
« Signé Juan Bautista Pardo.
A l'exemple de Séville, d'autres capitales, et notam- ment Valence, établirent des juntes provinciales; mais toutes reconnurent, quoique tacitement, cette espèce de supériorité que la Junte d'Andalousie s'était arrogée pour le bien de la nation, et qu'elle exerça jusqu'au mois de septembre, où se forma la Junte suprême cen- trale d'Aranjuez. L'importance de l'Andalousie, ren-
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fermant à elle seule plus d'un cinquième de la popula- tion de l'Espagne, possédant la seule fonderie de ca- nons du royaume, et pouvant avec un noyau d'armée, compter sur l'assistance de la flotte anglaise de lord Collingicood croisant devant Cadix, et sur celle de la garnison de Gibraltar, motivait suffisamment le pou- voir que l'on semblait déférer à la Junte de Sé\ ille.
Nous n'entrerons pas dans le détail des événements qui se passèrent dans les différentes provinces, ni des combats partiels qui furent livrés entre les Espagnols et les Français. 11 suffit, pour notre but, de consi- gner les résultats.
Depuis la bataille de Trafalgar, l'amiral français Rosiliy se trouvait dans le port de Cadix, avec cinq vais- seaux de ligne et une frégate, montés par quatre mille soldats et matelots. Don ïomas Morla, qui avait suc- cédé à Solano dans le commandement de la ville, força l'amiral Rosiliy à lui remettre ces forces, par une ca" pitulation qui fut signée le 14 juin.
Une expédition que le maréchal Moncey entreprit le 21 juin, avec quinze mille hommes, pour réduire Va- lence, échoua. Le général Caro le harcela dans sa mar- che avec tant de succès, qu'il fut obligé de se retirer à Madrid, après avoir perdu le tiers de son monde.
Un corps de trente-cinq mille Espagnols, formé dans les Asturies, en Galice, Léon et Estrémadure, et com- mandé par le général Cuesta, marcha sur Burgos. Le maréchal Bessieres le défit le 14 juillet à Médina del Rio Seco : la soumission momentanée des provinces de Léon, Palencia, Valladolid, Zamora etSalamanque fut le résultat de cette journée.
Il fut balancé par un échec considérable que les Françaiséprouvèrent d'un autre côté. LegénéralZ)w/)ow<, à la tête de dix-huit mille ou vingt mille hommes, s'était avancéjusqu'à AndujaretCordoue, oij ses troupes com-
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mirent de graves excès. CastaûoSy général en chef de l'armée d'Andalousie, s'étant porté contre lui avec des forces supérieures, Dupont se retira à Baylen pour se rapprocher d'un secours de huit mille hommes que Sa- vary^ qui , depuis le départ de Murât, commandait en chefàMadrid, lui envoyait sous le général Be//mrc?. Mais Castanos coupa la communication non-seulement entre BeUiard et Dupont, mais aussi entre celui-ci et le géné- ral/^We/^ qui commandait un détachementde son armée fort de six mille hommes. Le 20 juillet, Dupont atta- qua les Espagnols, et fut battu. Il signa, le même jour, une capitulation par laquelle il se rendit prisonnier de guerre avec huit mille hommes qui lui restaient. Le gé- néral Fedelf qui, de son côté, avait remporté un avan- tage sur le général Pena^ obtint des conditions plus fa- vorables. On convint que sa division serait renvoyée par mer à Rochefort. Napoléon n'a cessé de déplorer la capitulation de Baylen comme le principe des désas- tres qu'il éprouva en Espagne. En effet, cet événe- ment inspira une grande confiance à la nation espa- gnole, et on commença en Europe à la regarder comme une puissance. Il força Joseph Bonaparte de quitter, le 1'"^ août, Madrid, où il n'avait fait son entrée que le 20 juillet, et de se retirer à Burgos.
La capitulation de Baylen fournit à Caslafios l'occa- sion de proclamer les sentiments d'humanité qui doi- vent remplir l'âme de tout général victorieux. Nous qui comptons pour quelque chose dans l'histoire les larmes des peuples, nous recueillons avec bonheur les paroles sublimes que l'on va lire :
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Proclamation du général Castanos, du 21 juillet 1808.
« Espagnols,
« Si vous voulez être de bons soldats, apprenez avant tout à respecter le malheur. En vertu de la capitula- tion que je viens de publier, les troupes françaises, commandées par le brave Dupont, traverseront sans armes, et comme prisonnières de guerre, toute l'An- dalousie, pour être embarquées à San Lucar et con- duites à Rochefort. Pères qui avez des fils dans mon armée, donnez à ces braves tous les secours dont ils ont besoin, tous les soins qu'ils vous demanderont. Pensez que le même sort peut tomber sur vos enfants, si, ce qu'à Dieu ne plaise, la fortune nous était con- traire, et que dans ce cas vous souhaiteriez qu'ils fus- sent traités avec humanité et bienfaisance. Quiconque osera insulter un Français sera sur-le-champ conduit au quartier général, traduit devant un conseil de guerre, et fusillé dans les vingt-quatre heures. Soldats de mon armée, écrivez ou faites écrire à vos parents que les Français sont braves, qu'ils sont bons et qu'ils méritent d'être traités avec magnanimité. S'ils sont venus pour nous combattre, c'est qu'on le leur avait ordonné, ils sont innocents des offenses qui nous ont été faites, et de la honte et de l'opprobre dont leur gouvernement voulait nous couvrir aux yeux de la postérité.
« Anduxar, 21 juillet 1808.
« Signé François-Xavier de CASTA5ios. »
La campagne d'Aragon fut encore plus glorieuse
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pour les Espagnols que celles de Valence et d'Anda- lousie; elle offre un événement extraordinaire, le siège de Saragosse par Lefebvre-Desnouettes. Cette ville fut attaquée, pour la première fois, le 14 juin, et en- suite, avec des forces plus considérables, le 28. Le génie de Palafox créa une armée et tous les moyens de défense qui manquaient. Toute la population, sans ex- cepter les femmes et les enfants, prit les armes et tra- vailla aux fortifications et à la fabrication de la poudre. Quoique les Français se fussent rendus maîtres d'une partie de la ville , la persévérance et le courage in- dompté des partisans les en expulsèrent. Ils furent obligés de se retirer le 1 3 août.
Cependant, quelques jours après Lefebvre-Desnouet- tes somma Palafox de se soumettre avec son armée , C'est alors que l'Espagnol lui adressa la lettre fameuse que voici ;
« Albarracin , en Aragon , 28 août 1 808. « Monsieur,
« Les événements qui se sont passés depuis deux mois auraient dû vous faire sentir qu'en m'écrivant vous ne pouviez pas, ainsi que vous le pratiquez avec d'autres, vous dispenser do me parler le langage du bon sens, de la raison et de l'honneur. Si les autres nations de l'Europe avaient pensé et agi comme nous, vous ne seriez point ici; mais, tant qu'il plaira à Dieu de vous y laisser pour l'expiation de nos péchés, nous vous apprendrons du moins à nous respecter. Vous me conjurez de poser les armes, au nom du bonheur de l'Espagne^ et depuis quand, je vous prie, un géné- ral révolutionnaire français prend-il un si vif intérêt au sort d'une nation qui, de toutes celles de l'Europe, devrait lui être la plus étrangère par son esprit reli-
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gieux, ses mœurs, ses habitudes, par sa fidélité sur- tout envers son légitime souverain? Les Espagnols, il est vrai, voyagent peu : mais, avant même que vous fussiez venus chez eux, leur prêcher, à coups de baïonnette, vos maximes sur le bonheury ils connais- saient parfaitement l'espèce de celui que vous aviez donné à la Hollande, à la Suisse, à Tltalie, à l'Allema- gne, à la Pologne, à vos alliés surtout, et à vos mal- heureux concitoyens eux-mêmes que vous traînez en- chaînés sur nos frontières, pour y planter vos drapeaux souillés du sang de vos princes et de celui de toute l'Europe. Quel bonheur, grand Dieu î que celui qui nous est offert par un général de l'héritier universel de toute la Révolution française! Mon sang se glace dans les veines à la seule idée de la possibilité d'un pareil bonheur. Tout féroce qu'était Attilaf il avait dans l'âme plus de véritable grandeur que celui qui vous lance sur nous pour nous dévorer, car Attila annonçait hau- tement les projets de son ambition. En entrant en Ita- lie, il ne s'était point proclamé son ami, son allié; les Huns ne s'appelaient point eux-mêmes : la grande na- tion; l'Italie ne leur avait pas, comme nous, ouvert pendant douze ans ses trésors, donné ses flottes, con- fié ses armées.... Le terrible conquérant cependant, saisi de respect à la vue du pape Léoîi le Grand, baissa devant lui son épée ensanglantée, et Rome fut épar- gnée; ajoutez que le pontife n'avait point quitté son siège pour aller couronner Attila; ce dernier néan- moins, malgré ce trait qui l'honore, fut surnommé le fléau de Dieu. Quel nom, monsieur, la postérité don- nera-t-elle au vôtre ?
« Vous me conjurez de poser les armes pour assurer le repos de l'Espagne.... Et qui l'a troublé ce repos? Depuis Ferdinand le Catholique jusqu'au jour oîi vous avez mis le pied sur cette terre, notre tranquillité n'a
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été troublée qu'une seule fois : ce fut quand nous nous battîmes contre la moitié de l'Europe pour assurer le trône de toutes les Espagnes ou des Deux-Indes à un prince de voire nation; c'est pour nous récompenser sans doute de ces généreux efforts, que, pour notre repos et notre gloire, vous voulez aujourd'hui substi- tuer un Corse au petit-fils de Henri IV et de Louis XIV? Mais, si vous pouviez dire vrai, si, pendant un seul moment, le vœu de notre bonheur et de notre repos pouvait être gravé dans votre âme, je pourrais, à mon tour, vous indiquer le véritable moyen de les assurer: « Repassez les Pyrénées, vous dirais-je, et l'Espagne, dès le moment même, redeviendra tranquille ! Ce n'est point à la nation la plus signalée par la légèreté de Bon esprit, par la mobilité de son caractère et par son inquiète turbulence, qu'il appartient de prêcher le repos aux braves et paisibles Castillans. Si cependant la fureur de propager vos maximes vous tourmente, allez dans certaines contrées philosophiques, dont les savants et les raisonneurs vous prêteront sans doute une oreille complaisante, et ne manqueront pas de célébrer votre modération, votre tolérance, la perfec- tion de votre discipline, la beauté de votre tenue, le ravissement de vos hôtes en vous recevant chez eux, leur désespoir en vous perdant, vos idées libérales, l'horreur de votre empereur pour la guerre, son amour de la paix, ils endoctrineront les armées destinées à vous combattre, ils leur prouveront que c'est une sot- tise de vous résister; et il y aura par conséquent, je n'en doute pas, encore plus d'une bataille d'Iéna; et les Magdebourg, comme ci-devant, tomberont au seul son de vos trompettes. » Mais, nous autres pauvres Es- pagnols, qui, malgré l'immense foyer de lumières ré- pandues par la révolution française, continuons d'aller en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostella, nous
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sommes trop ignorants pour renverser noire antique Constitution et pour faire tomber la tête de nos Rois. Le croiriez-vous bien, mon cher monsieur, le dernier de nos bacheliers de Salamanque pense être pbis rai- sonnable' que le premier de vos présidents d'Institut; et le plus mince de nos hidalgos se croit plus vérita- blement noble qu'un duc à'Abranths ou de Dantzigl Que faire avec une pareille nation? avouez qu'il n'y a point là de point de contact pour les réformateurs du genre humain.
« Vous prétendez que le peuple espagnol est égaré par ses moines; j'avoue que ceux-ci jusqu'à présent se sont montrés très-actifs, et qu'ils n'ont pas peu con- tribué à faire chasser Junot-Ahrantes du Portugal, et don Joseph de Madrid. Mais quand tous les reproches qu'on fait aux moines depuis l'existence des Ordres religieux seraient aussi fondés qu'ils le sont peu, nous croyons que ce seul service qu'ils ont rendu à l'Espa- gne et à toute l'Europe suffirait pour les réconcilier avec tout véritable ami du bon ordre et de l'humanité. Les Hollandais, les Prussiens, les Hessois et tant d'au- tres n'avaient point de moines. Eh bien, qu'ont fait ces peuples pour vous résister? que sont-ils devenus entre vos mains? quelle énergie montrent-ils pour s'en délivrer? Le peuple espagnol d'ailleurs, malgré cette superstition qui vous embarrasse bien plus qu'elle ne le gêne, a un attachement invincible pour sa patrie et pour toutes les institutions de ses ancêtresj il sait que sa religion et ses moines ne l'ont pas empêché de bat- tre votre fameux Roland à Roncevaux, de chasser les Maures de l'Espagne, d'accueillir Christophe Colomb, partout ailleurs dédaigné, de conquérir le nouveau monde, de produire la brillante époque du règne de
' A quoi éervenl les sciences et les beaux-arts , s'il5 n'épurent et ne dirigent pas au bien les sentiments et la raison?
XI 16
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Charles-Quint f et de faire prisonnier àPavie votre bon François P% qui valait bien vos Joseph Napoléon, vos Na- poléon-Louis et vos Joachim-Napoléon. Ce peuple voit tous les jours ces pauvres récollets et capucins porter les consolations de la religion, les secours de la cha- rité dans le réduit ignoré du pauvre et dans les hôpi- taux, pendant qu'au sortir peut-être de quelque orgie, les membres de vos lycées se bornent à écrire de belles phrases sur l'humanité, et à encenser bassement celui qui la foule aux pieds. Ce peuple, pendant l'af- freuse épidémie qui ravagea, il y a trois ans, Cadix, Malaga, Alicante, a vu ces moines ne point désemparer de ces villes, que les philosophes surtout avaient alors grand soin de fuir; il les a vus ces moines braver la mort sous ses formes les plus hideuses, soigner les pestiférés, emporter les cadavres sur leurs épaules, leur donner la sépulture avec une charité et un aban- don de tout intérêt personnel, bien autrement dignes d'éloges que des discours sur l'acide muriatique oxy- géné, ou des divagations sur la crânologie.
« Après toutes ces belles sorties, il fallait bien aussi s'attendre que M. le général en ferait une contre l'In- quisition j et j'ai remarqué avec plaisir que vous vous étiez étendu sur ce sujet avec toute la complaisance d'un ancien Maure de Grenade. Cela m'a tellement réjoui, que je ne balance point à donner un nouvel aliment à votre zèle, en vous déclarant formellement que, loin d'être dégoCités du Saint-Office, nous croyons au contraire que, quoiqu'il ait perdu depuis fort longtemps tout ce qu'il y avait d'excessif dans l'exer- cice de son autorité, c'est lui qui a principalement contribué à nous prémunir contre vos maximes sédi- tieuses , antireligieuses et antisociales; que nous croyons fermement lui devoir, en grande partie, notre attachement au sol de la patrie, notre horreur des
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innovations qui vous ont perdus, et le maintien de cette énergique caractère national, presque partout ailleurs effacé, dégradé, avili; que nous nous félici- tons de voir encore parmi nous des nobles et des capi- talistes assez fiers , assez sensibles à l'honneur, pour être prêts à périr mille fois plutôt que de courber la tête sous la plus honteuse et la plus dégoûtante tyran- nie qui ait jamais affligé et déshonoré l'humanité. Et vous-même, monsieur, ne croyez-vous pas que l'Eu- rope serait bien plus tranquille et plus heureuse si, en 1789, notre Sainte-Hermandad avait pu se saisir d'une cinquantaine de vos plus chauds discoureurs , les af- fubler d'un samhenito à flammes renversées, leur ap- pliquer en place de Grève une bonne et vigoureuse flagellation , et les mettre ensuite, pendant un an, à la diète rafraîchissante et salutaire de Charenton ? Croyez- vous qu'après l'administration de ce remède nous eussions eu des Marat, des Robespierre, des Jourdan coupe-tête, des Montagnards, des Brissotins, des FeutV- lants, des sans-culottes , des fusillades, des noyades, des Marseillais, des chauffeurs, des septembriseurs, des Cayenne, un Temple, ses tortures et ses oubliettes? Non , monsieur, nous n'aurions rien de tout cela, pas même de Corses pour rois, ni une grande nation qui déchire les autres nations à belles dents, et qui, depuis dix-neuf ans, peut se vanter d'avoir massacré ou fait massacrer trois millions de créatures humaines, et de n'être pas encore rassasiée de sang.... Ah! monsieur, quel épouvantable Saint-Oflice que le vôtre I
« Vous terminez, monsieur, cette longue et singulière épître par des menaces; les plaines de l'Aragon et les quarante-deux assauts de Saragosse ont dû vous prou- ver que le cœur des Espagnols n'est pas plus accessi- ble à la crainte qu'à la corruption. Vous parlez ensuite de guerre interminable ; quant à cela il faut vojiis ren-
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dre justice : nous savons que vous avez une patience à toute épreuve; car, depuis vingt ans que durent vos convulsions il ne serait guère possible d'imaginer un mal, soit physique, soit moral, auquel vous ne vous soyez soumis avec un stoïcisme qui eût fait rougir Épictète. Votre Roi, le plus honnête homme peut-être qui fût parmi vous, a été traîné à l'échafaud après avoir été abreuvé pendant quatre ans des plus lâches et des plus infâmes outrages — Vous l'avez vu sans murmurer. Le sang de vos plus dignes citoyens a été versé à flots par une poignée de scélérats vous l'a- vez vu sans murmurer. Les crimes les plus atroces ont souillé pendant sept ans toute la surface de la France.... vous l'avez vu et entendu sans murmurer. Trois cent soixante de vos prêtres ont été égorgés, dans un seul jour, dans la grande capitale de la grande nation.... et la grande nation l'a vu sans murmurer. Vous avez pendant quinze ans changé de gouverne- ment et de joug aussi souvent qu'il a plu à vos geô- liers de vous les imposer et vous avez porté votre
muselière sans murmurer. Depuis huit ans on vous traîne des bords du Nil à ceux de la Vistule , et de la Vistule à l'Èbre et au Tage, en vous faisant faucher et en vous fauchant comme l'herbe des champs.... pas un mot , pas un mouvement pour rompre cette horri- ble et dégoûtante servitude. Oui , Français , si sédi- tieux sous le meilleur des Rois , vous êtes devenus le peuple le plus patient sous vos tyrans j et je ne doute pas que vous ne vous prêtiez à toutes les impulsions qu'on va vous donner pour ensanglanter ma malheu- reuse patrie. Mais sachez que nous sommes prêts à tout; et que la patience aussi qui nous caractérise, partant d'un principe bien autrement pur et sacré que la vôtre, vous fera sentir la différence qu'il y a entre des hommes enflammés de l'amour de la patrie, et des
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furieux qui , après avoir déshonoré la leur, se plaisent à s'entourer de ruines et de cadavres. Le sort peut tra- hir wn moment la sainte justice de notre cause, mais jamais, non jamais vous ne gagnerez nos cœurs. Sou- venez-vous qu'une petite peuplade d'Espagnols chré- tiens, réfugiés dans les montagnes des Asturies, a bravé pendant sept siècles toute la puissance des Mau- res, et que ces Maures.... ont fini par être chassés de toutes les Espagnes.
« Signé Palafox , général en chef de l'armée du royaume d'Aragon. »
Peu de jours après la levée du siège de Saragosse, les Espagnols reçurent un secours auquel ils ne de- vaient pas s'attendre ; c'était l'arrivée de sept mille hommes de troupes réglées, qui débarquèrent le 30 sep- tembre à la Corogne. Ils faisaient partie du corps que Charles IV avait été obligé de îouvmvk Napoléon et que celui-ci avait envoyé dans les îles danoises, pour for- mer l'avant-garde de l'armée de Bernadolte, destinée à envahir la Suède. Ce corps, commandé par le mar- quis de la Romana , avait d'abord prêté serment de fidélité à Joseph Bonaparte ^ mais ce général, instruit parles soins de l'amiral Keats, qui commandait la flotte anglaise dans la Baltique, de l'insurrection de ses compatriotes, conçut le projet de conserver ces troupes à son souverain légitime. 11 s'empara du port de Nyborg en Fionie , et s'embarqua, le 1 0 août 1 808, sur des bâtiments de transport que l'amiral lui four- nit. 11 ne put ainsi emmener que sept mille hommes.
Ce fut là un des premiers avantages que la nation
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espagnole tira du rétablissement de la paix avec TAn- gleterre.
En effet, dès le 4 juillet 1808 le gouvernement bri- tannique avait publié l'ordre suivant :
« Sa Majesté ayant pris en considération les glorieux efforts de la iiation espagnole pour la délivrance de sa patrie de l'usurpation de la France, et les assu- rances que Sa Majesté a reçues de diverses provinces d'Espagne, de leurs dispositions amicales envers ce royaume, Sa Majesté, de l'avis de son Conseil privé, a bien voulu ordonner, et il est conséquemment or- donné :
«1** Que toute hostilité contre l'Espagne, de la part de Sa Majesté, cessera immédiatement j
« 2° Que le blocus de tous les ports d'Espagne, excepté ceux qui peuvent être encore sous l'influence de la France, sera sur-le-champ levé ;
« 3' Que tous les vaisseaux et bâtiments apparte- nant à l'Espagne seront librement admis dans les ports de la domination de Sa Majesté, comme avant les pré- sentes hostilités;
« 4" Que tous les vaisseaux et bâtiments apparte- nant à l'Espagne qui seront rencontrés sur mer par les vaisseaux et croisières de Sa Majesté, seront traités de la même manière que ceux des États qui sont amis de Sa Majesté, et qu'il leur sera permis de faire tel commerce que Sa Majesté regarde maintenant comme fait légitimement par des vaisseaux neutres;
« 5" Que tous les vaisseaux et marchandises appar- tenant à des personnes qui résident dans les colonies espagnoles , qui seront arrêtés après cejourd'hui par quelque croisière de Sa Majesté, seront conduits dans un port et soigneusement tenus sous bonne garde pour attendre les ordres ultérieurs de Sa Majesté, jusqu'à ce qu'il soit connu si lesdites colonies ou aucune
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d'icelles dans lesquelles les propriétaires de tels vais- seaux et marchandises résident, ont fait cause com- mune avec l'Espagne contre la puissance de la France, etc. »
L'exemple de TEspagne encouragea les Portugais à briser le joug insupportable que faisait peser sur eux l'oc- cupation française Le mouvement commença à Oporto le 6 juin 1808; la Junte qui y fut établie sous la pré- sidence de l'évêque, organisa l'insurrection sur tous les points du royaume où les Français ne se trouvaient pas en forces supérieures. Une armée anglaise , com- mandée par sir Arthur Wellesley , si célèbre depuis sous le nom de Wellington, arriva devant Oporto. Cette armée, forte de dix mille hommes, s'était pré- sentée à la Corogne, le 23 juillet, peu de jours après la bataille de Médina del Rio Seco. Sir Arthur offrit ce secours à la Junte de la Galice; mais celle-ci répondit qu'elle ne demandait à la Grande-Bretagne que de l'argent, des armes et des munitions; elle ajouta que le corps anglais serait dans le cas de rendre le plus grand service aux Portugais , et par suite à la nation espagnole , s'il était employé à chasser les Fran- çais de Lisbonne. De la Corogne sir Arthur se di- rigea sur Oporto; mais l'évêque l'ayant averti que les Portugais étaient assez forts pour repousser les Fran- çais, il laissa ses troupes devant Oporto, et se rendit, de sa personne, auprès de sir Charles CottoUj, com- mandant de la flotte à l'embouchure du Tage, pour combiner avec lui l'attaque de Lisbonne. Ce fut de là qu'il transmit au général Spencer , qui se trouvait à Cadix avec six mille hommes, l'ordre de venir le join- dre. Averti qu'il allait recevoir un autre renfort de cinq mille hommes , que lui amenait le général Atis- truthery et que Junot était affaibli par l'obligation où il
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avait été d'envoyer six mille hommes dans le midi du Portugal, qui s'était insurgé, sir Arthur Wclledey dé- barqua le 31 juillet ses troupes dans la baie de Mon- dego, et prit position sur les hauteurs de Leyria. Le corps de Spencer étant arrivé, Wellesley se mit en marche, le 9 août, sur Lisbonne; il remporta, le 17, à Rorissa, une victoire sur le général Laborde. Le len- demain de cette affaire arriva le corps à'Aîistruther. Comme sir John Moore devait amener sous peu un nouveau renfort, le général Jmiot résolut de le pré- venir et de livrer bataille. Elle eut lieu , le 21 , à Vi- meiro. Le général français ayant échoué dans son en- treprise contre cette ville, fut obligé de se retirer à Lisbonne.
L'armée victorieuse avança jusqu'à Cintra où sir Hew Dalrymple prit, le 22, le commandement général de tous les corps anglais. Junot fit immédiatement demander un armistice , afin de traiter d'une conven- tion pour l'évacuation du Portugal par les Français.
L'armistice fut effectivement conclu à Cintra, le 22 août , entre sir Arthur Wellesley et le général Keller- mannK La convention définitive fut signée, le 30, à Lisbonne, par sir George Murray, au nom du général en chef, et le général de division Kellermann, au nom de Junot, duc à' Jhrantès. En voici les stipulations qui sont énoncées en 22 articles :
(( Toutes les places et forts du Portugal, occupés par les troupes françaises, seront remis à l'armée anglaise dans l'état où ils se trouvent. Art. 1 .
a Les troupes françaises évacueront le Portugal avec leurs armes et bagages; elles ne seront pas considé- rées comme prisonnières de guerre, et, à leur arrivée en France, elles auront la liberté de servir. Art, 2.
* Martens, Recueil, t. XII, p. 94.
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«Le gouvernement anglais fournira des moyens de transport à l'armée française qui sera débarquée dans un des ports de France entre Rochefort et l'Orient. Art. 3.
« Cette armée emportera toute son artillerie de cali- bre français avec les cbevaux et les caissons renfer- mant soixante charges par canon. Toute autre artil- lerie, toutes les armes et munitions, les arsenaux de mer et de terre seront remis à l'armée et à la flotte anglaise , dans l'état où ils se trouveront lors de la ratification de la convention. Art. 4.
« L'armée française emportera tous équipages et toutes propriétés de l'armée, c'est-à-dire la caisse militaire et les voitures attachées au service des hôpi- taux et commissariats. Il lui est permis de dispo- ser pour son compte de la partie des effets que le gé- néral en chef jugerait inutiles d'embarquer. Tous les individus ont également la liberté de disposer de leurs propriétés, et On garantit pleine sécurité aux ache- teurs. Art. 5.
« La cavalerie embarquera ses chevaux, ainsi que les généraux et officiers ; mais le nombre des chevaux à embarquer pour les troupes n'excédera pas six cents et celui des chevaux à embarquer pour l'état-major n'excédera pas deux cents. Dans tous les cas, l'armée française disposera de ceux de ses chevaux qui ne se- ront pas embarqués. ^4?'^. 6.
(( L'embarquement aura lieu en trois divisions, dont la dernière se composera principalement des garnisons des places, de la cavalerie, de l'artillerie, des malades et des équipages. La première division sera embar- quée dans les sept jours qui suivront la ratification. Art. 7.
« Les garnisons d'Elvas et de ses forts, de Péniche et Palméla seront embarquées à Lisbonne; celle d'Al-
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meida, à Porto ou dans le port le plus voisin. Elles seront accompagnées dans leur marche par des com- missaires anglais chargés de pourvoir à leur subsi- stance. Art. 8.
« Tous les malades et blessés qu'on ne peut pas em- barquer avec, les troupes, seront confiés à Tarmée an- glaise. Ils seront entretenus aux frais du gouvernement anglais, et, sous la condition de parfait rembourse- ment , le gouvernement anglais pourvoira à leur retour. Art. 9.
« Aussitôt que les bâtiments employés au transport de l'armée française auront effectué leur débarque- ment dans les ports français, on leur donnera les faci- lités nécessaires pour retourner en Angleterre sans délai, et des sûretés contre toute capture jusqu'à leur entrée dans un port ami. Art. 10.
«L'armée française sera concentrée à Lisbonne et à deux lieues à la ronde j l'armée anglaise avancera jusqu'à trois lieues de la capitale , et se placera de manière à laisser entre les deux armées une distance d'environ une lieue. Art. 1 1 .
«Tous arrérages de contributions, réquisitions ou réclamations quelconques du gouvernement français envers des sujets portugais sont annulés, et tout sé- questre mis sur des propriétés mobilières et immobi- lières est levé. Art. 1 5.
« Amnistie est accordée à tous les indigènes. Ai^t. 1 7.
« Il sera permis au général en chef d'envoyer un officier en France pour y porter la nouvelle de cette capitulation; le général anglais fournira un navire pour transporter cet officier à Bordeaux ou Rochefort'.»
Cette convention , si honorable qu'il n'en existe peut-être pas un exemple dans les annales de la guerre,
* Voy. Martens , Recueily t. XII , p. 96.
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excita un vif mécontentement en Angleterre, où Ton avait espéré que l'armée du duc diJhrantès, renfermée entre les forces britanniques et celles des insurgés, se- rait faite prisonnière de guerre. La conduite des géné- raux qui y avaient pris part fut examinée par un conseil de guerre, et approuvée par une majorité de quatre voix contre trois; mais le Roi fit déclarer ofliciellement à sir Hew Dalrymple qu'il- n'était pas satisfait des ar- ticles de la convention.
L'escadre russe, qui, revenue du Levant*, se trou- vait encore dans le Tage, fut obligée de se rendre à l'amiral sir Charles Cotton. Le 3 septembre, le vice- amiral Siniavine signa une convention en deux articles ainsi conçus :
(( Les vaisseaux de guerre russes qui se trouvent dans le Tage, ainsi qu'ils sont spécifiés dans la liste ci-jointe, seront remis de suite, avec toutes leurs provisions, à l'a- miralCofiow. Ils seront envoyés en Angleterre etgardés en dépôt par S. M. Britannique pour être rendus à S. M. L de Russie, dans l'espace de six mois après la conclu- sion de la paix entre S. M. Britannique et S. M. de toutes les Russies. Art. V\
« Le vice-amiral Siniavine retournera en Russie avec les officiers, matelots et soldats sous son commande- ment, sans aucune stipulation ou condition relative- ment à leur service futur. Ils y seront transportés aux frais de S. M. Britannique. Art. 2. »
Les vaisseaux remis aux Anglais en vertu de cette convention étaient au nombre de dix, portant six cent soixante-seize canons. Ils furent restitués à l'empereur Alexandre en 1814.
Napoléon n'était plus à s'apercevoir qu'il s'était
• Voy. t.X,p. 379.
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trompé, en croyant vaincre l'Ibérie, comme la Ger- manie, par violence et par séduction. Il avait fait et défait des rois; mais il ne suffisait pas de distribuer des couronnes et de livrer des peuples avec une aussi déplorable facilité : le plus inquiétant était d'obtenir le consentement de ces mêmes peuples; et déjà nous l'avons vu, les Espagnols et les Portugais, en insur- rection contre les troupes françaises, et aidés par les Anglais, avaient mis en feu toute la Péninsule. 11 fallait donc des renforts à la grande armée; c'est alors que Napoléon informa le Sénat des nouveaux développe- ments de sa politique. Ils se trouvent amplement ex- posés dans le message et les rapports que nous allons reproduire, et qui forment la contre-partie des publi- cations espagnoles.
Message de VEmpereur.
« Sénateurs, mon ministre des Relations Extérieures mettra sous vos yeux les différents traités relatifs à l'Espagne, et les constitutions acceptées par la Junte espagnole.
« Mon ministre de la Guerre vous fera connaître les besoins et la situation de mes armées dans les différentes parties du monde.
« Je suis résolu à pousser les affaires d'Espagne avec la plus grande activité, et à détruire les armées que l'Angleterre a débarquées dans ce pays.
(c La sécurité future de mes peuples , la prospérité du commerce et la paix maritime sont également attachées à ces importantes opérations.
(' Mon alliance avec l'empereur de Russie ne laisse à l'Angleterre aucun espoir dans ses projets. Je crois à la paix du Continent, mais je ne veux ni ne dois
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dépendre des faux calculs et des erreurs des autres Cours, et puisque mes voisins augmentent leurs armées, il est de mon devoir d'augmenter les miennes.
« L'empire de Constantinople est en proie aux plus afî'reux bouleversements; le sultan Sélim, le meilleur empereur qu'aient eu depuis longtemps les Ottomans, vient de mourir de la main de ses propres neveux. Cette catastrophe m'a été sensible.
« J'impose avec confiance de nouveaux sacrifices à mes peuples; ils sont nécessaires pour leur en épar- gner de plus considérables, et pour nous conduire au grand résultat de la paix générale, qui doit seule être regardée comme le moment du repos.
« Français, je n'ai dans mes projets qu'un but, votre bonheur et la sécurité de vos enfants; et, si je vous connais bien, vous vous hâterez de répondre au nouvel appel qu'exige l'intérêt de la patrie. Vous m'avez dit si souvent que vous m'aimiez! Je recon- naîtrai la vérité de vos sentiments à l'empressement que vous mettrez à seconder des projets si intimement liés à vos plus chers intérêts, à l'honneur de l'empire et à ma gloire.
« Donné en notre palais impérial de Saint-Cloud , le 4 septembre 1808.
« Signé Napoléon, m
Premier rapport fait à VEmpereurpar le ministre des Relations Extérieures.
« Bayonne,le24 avril 1808.
(( Sire, la sûreté de votre empire, l'affermissement de sa puissance, la nécessité d'employer tous les moyens pour forcer à la paix un gouvernement qui, se faisant un jeu du sang des hommes et de la viola-
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tion de tout ce qu'il y a de plus sacré parmi eux, a mis en principe la guerre perpétuelle, imposent à Votre Majesté l'obligation de mettre un terme à l'anar- chie qui menace l'Espagne et aux dissensions qui la déchirent. La circonstance est grave, le choix du parti à prendre extrêmement important : il tient à des considérations qui intéressent au plus haut degré et la France et l'Europe.
« De tous les États de l'Europe il n'en est aucun dont le sort soit plus nécessairement lié à celui de la France que l'Espagne : l'Espagne est pour la France ou une amie utile ou une ennemie dangereuse. Une alliance intime doit uiiir les deux nations, ou une ini- mitié implacable les séparer. Malheureusement la ja- lousie et la défiance qui existent entre deux nations voi- sines ont fait de cette inimitié l'état le plus habituel des choses : c'est ce qu'attestent les pages sanglantes de l'histoire. La rivalité de Charles V et de Fran- çois J""" n'était pas moins la rivalité des deux nations que celle de leurs souverains ; elle fut continuée sous leurs successeurs. Les troubles de la Ligue furent suscités et fomentés par l'Espagne; elle ne fut point étrangère aux désordres de la Fronde; et la puissance de Louis XIV ne commença à s'élever que lorsque après avoir vaincu l'Espagne il forma avec la maison alors ré- gnante dans ce royaume une alliance qui dans la suite fit passer cette couronne sur la tête de son petit-fils. Cet acte de sa prévoyante politique a valu aux deux con- trées un siècle de paix après trois siècles de guerre.
« Mais cet état de choses a cessé avec la cause qui l'avait fait naître j la Révolution française a brisé le lien permanent qui unissait les deux nations. Et lors de la troisième coalition, lorsque l'Espagne prodi- guait à la France des protestations d'amitié, elle promettait secrètement son assistance aux coalisés,
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comme l'ont fait connaître les pièces communiquées au parlement d'Angleterre. Le ministère anglais se détermina par ce motif à ne rien entreprendre contre l'Amérique espagnole, regardant déjà l'Espagne comme son alliée, et l'Espagne, ainsi que l'Angle- terre, présageant la défaite de vos armées. Les événe- ments trompèrent cette attente, et l'Espagne resta amie.
« A l'époque de la quatrième coalition l'Espagne montra plus ouvertement ses dispositions hostiles, et trahit par un acte public le secret de ses engagements avec l'Angleterre. On ne peut oublier cette fameuse proclamation qui précéda de neuf jours la bataille d'Iéna, par laquelle toute l'Espagne était appelée aux armes, lorsque aucun ennemi ne la menaçait, et qui fut suivie de mesures promptement effectuées, puis- que l'établissement militaire de ce royaume fut porté de cent dix-huit mille hommes à cent quarante mille. Alors le bruit s'était répandu que l'armée de Votre Majesté était cernée, que l'Autriche allait se déclarer contre elle; et l'Espagne crut pouvoir aussi se déclarer impunément. La victoire d'Iéna vint confondre ses projets.
« Le moment est arrivé de donner à la France, du côté des Pyrénées, une sécurité invariable; il faut que, si jamais elle se trouve exposée à de nouveaux dangers, elle puisse, loin d'avoir à craindre l'Espa- gne, attendre d'elle des secours, et qu'au besoin les armées espagnoles marchent pour la défendre.
(c Dans son état actuel l'Espagne, mal gouvernée, sert mal, ou plutôt ne sert point la cause commune contre l'Angleterre. Sa marine est négligée; à peine compte-t-on quelques vaisseaux dans ses ports, et ils sont dans le plus mauvais état; les magasins man- quent d'approvisionnements; les ouvriers et les ma-
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telots ne sont pas payés; il ne se fait dans ses ports ni radoubs ni constructions , ni armements. Il règne dans toutes les branches de l'administration le plus hor- rible désordre; toutes les ressources de la monarchie sont dilapidées; l'État, chargé d'une dette énorme, est sans crédit; les produits de la vente des biens du clergé, destinés à diminuer cette dette, ont une autre destination; enfin, dans la pénurie de ses moyens, l'Espagne, en abandonnant totalement sa marine, s'occupe cependant de l'augmentation de ses troupes de terre. De si grands maux ne peuvent être guéris que par de grands changements.
« L'objet le plus pressant des sollicitudes de Votre Majesté est la guerre contre l'Angleterre. L'Angleterre annonce ne vouloir se prêter à aucun accommodement. Toutes les ouvertures de Votre Majesté ont été repous- sées ou négligées. L'impuissance de faire la guerre déterminera seule l'Angleterre à conclure la paix. La guerre contre elle ne peut donc être poussée avec trop de vigueur. L'Espagne a des ressources mari- times qui sont perdues pour elle et pour la France; il faut qu'un bon gouvernement les fasse renaître, les améliore par une judicieuse organisation, et que Votre Majesté les dirige contre l'ennemi commun pour arriver enfin à cette paix que l'humanité réclame, dont l'Europe entière a si grand besoin. Tout ce qui conduit à ce but est légitime. L'intérêt de la France , celui de l'Europe continentale ne permettent pas à Votre Majesté de négliger les seuls moyens par les- quels la guerre contre l'Angleterre peut être pour- suivie avec succès.
« La situation actuelle de l'Espagne compromet la sûreté de la France et le sort de la guerre contre l'An- gleterre : le pays de l'Europe qui offre le plus de moyens maritimes est celui qui en a le moins.
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«Sire, l'Espagne sera pour la France une amie sincère et fidèle, et la guerre contre l'Angleterre ne pourra être continuée avec l'espérance d'arriver à la paix que lorsqu'un intérêt commun unira les deux maisons régnant sur la France et sur l'Espagne. La dynastie qui gouverne l'Espagne, par ses affections, ses souvenirs, ses craintes, sera toujours l'ennemie cachée de la France; ennemie d'autant plus perfide qu'elle se présente comme amie, cédant tout à la France victorieuse, prête à l'accabler du moment où sa destinée deviendrait incertaine.
« Il faut, pour l'intérêt de l'Espagne comme pour celui de la France, qu'une main ferme vienne réta- blir l'ordre dans son administration, dont le désordre a avili son gouvernement, et prévenir la ruine vers laquelle elle marche à grands pas. Il faut qu'un prince ami de la France par sentiment, par intérêt, n'ayant point à la craindre, et ne pouvant être un objet de défiance pour elle, consacre toutes les res- sources de l'Espagne à sa prospérité intérieure, au rétablissement de sa marine, au succès de la cause qui lie l'Espagne à la France et au continent. C'est l'ouvrage de Louis XIV qu'il faut recommencer.
« Ce que la politique conseille, la justice l'autorise. L'Espagne s'est réellement mise en guerre avec Votre Majesté : ses intelligences avec l'Angleterre étaient un acte hostile; sa proclamation du 5 octobre une véri- table déclaration de guerre, qui aurait été suivie d'une agression si Votre Majesté n'avait pas vaincu à léna. Alors les départements de la gauche de la Loire, que Votre Majesté avait laissés sans troupes, auraient été obligés d'accourir pour repousser ce nouvel ennemi.
« Les commerçants français en Espagne avaient perdu leurs anciens privilèges ; les lois de douane étaient dirigées principalement contre le commerce XI 17
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français; elles étaient remarquables par leur arbitraire et leurs perpétuelles variations. Ces variations ne pouvaient être connues; elles n'avaient aucune publi- cité; ce n'était que dans les bureaux des douanes que l'on apprenait que la loi de la veille n'était plus celle du lendemain. Les marcbandises confisquées, souvent sans prétexte, n'étaient jamais rendues; toutes les réclamations faites par des Français, ou pour des intérêts français étaient repoussées. Pendant que l'Espagne faisait ainsi la guerre en détail aux Français et à leur commerce, tous ses ports, et prin- cipalement ceux du golfe de Gascogne, étaient ouverts au commerce anglais. Les lois de blocus, proclamées en Espagne comme en France, n'étaient qu'un moyen de plus de favoriser cette contrebande des Anglais, dont les marchandises se répandaient de l'Espagne dans le reste de l'Europe.
(( Mais, indépendamment des considérations que je viens de retracer, les circonstances actuelles ne permettent pas à Votre Majesté de ne point intervenir dans les affaires de ce royaume. Le roi d'Espagne a été précipité de son trône; Votre Majesté est appelée à juger entre le père et le fils. Quel parti prendra-t-elle? Voudrait-elle sacrifier la cause des souverains, et permettre un outrage fait à la majesté du trône? Vou- drait-elle laisser sur le trône d'Espagne un prince qui ne pourra se soustraire au joug des Anglais qu'au- tant que Votre Majesté entretiendra constamment une armée puissante en Espagne? Si, au contraire, Votre Majesté se détermine à replacer Charles IV sur son trône, elle sait qu'elle ne peut le faire sans avoir à vaincre une grande résistance, et sans faire couler le sang français. Ce sang, que la nation prodigue pour la défense de ses propres intérêts, peut- il être versé pour l'intérêt d'un roi étranger dont le sort n'importe
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nullement à la France? Enûn Votre Majesté peut-elle, ne prenant aucun intérêt à ces grands différends, abandonner la nation espagnole à son sort, lorsque déjà une extrême fermentation l'agite, et que l'Angle- terre y sème le trouble et l'anarchie? Votre Majesté doit-elle laisser cette nouvelle proie à dévorer à l'An- gleterre? Non, sans doute. Ainsi Votre Majesté, obli- gée de s'occuper de la régénération de l'Espagne d'une manière utile pour ce royaume, utile pour la France , ne doit donc ni rétablir au prix de beaucoup de sang un roi détrôné , ni abandonner l'Espagne à elle-même; car dans ces deux dernières hypothèses ce serait la livrer aux Anglais, dont l'argent et les intrigues ont amené les déchirements de ce pays.
« J'ai exposé à Votre Majesté les circonstances qui l'obligent à prendre une grande détermination. La politique la conseille, la justice l'autorise, les trou- bles de l'Espagne en imposent la nécessité. Votre Ma- jesté doit pourvoir à la sûreté de son empire, et sau- ver l'Espagne de l'influence de l'Angleterre.
(' Je suis avec respect, etc.
« Signé Ghampagny. »
Second rapport fait à l'Empereur par le ministre des Relations Extérieures.
« Paris, le 1"" septembre 1808.
i< Sire, j'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté de communiquer au Sénat les deux traités qui ont mis la couronne d'Espagne entre ses mains, et la Consti- tution que sous ses auspices , et éclairée par ses lu- mières, la Junte rassemblée à Bayonne, après de mûres et libres délibérations , a adoptée pour la gloire
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du nom espagnol, et la prospérité de ce royaume et de ses colonies.
{( Si, dans les dispositions que Votre Majesté a faites, la sécurité de la France a été votre soin prin- cipal, l'intérêt de l'Espagne lui a cependant été cher, et, en unissant les deux États par l'alliance la plus intime, la prospérité et la gloire de l'un et de l'autre étaient également le but qu'elle se proposait. Les troubles qui se manifestaient alors en Espagne exci- taient particulièrement la sollicitude de Votre Majesté ; elle en craignait les progrès; elle en prévoyait les funestes conséquences ; elle espérait les prévenir par des moyens de persuasion et par des mesures d'une sage et humaine politique. Votre Majesté intervenait comme médiateur au milieu des Espagnols divisés; elle leur montrait d'un côté l'anarchie qui les menaçait, de l'autre l'Angleterre s'apprêtant à profiter de leurs di- visions pour s'approprier ce qui est à sa convenance; elle leur indiquait le port qui devait les sauver de ce double danger, une Constitution sage, prévoyante, propre à pourvoir à tous les besoins, et dans laquelle les idées libérales se conciliaient avec les institutions anciennes dont l'Espagne désire la conservation.
« L'attente de Votre Majesté a été trompée. Des in- térêts particuliers , les intrigues de l'étranger, son or corrupteur, ont prévalu. Pourquoi est-il si facile , en déchaînant leurs passions, de conduire les peuples à leur propre ruine! Dans un précédent rapport j'ai fait connaître à Votre Majesté l'influence qu'acqué- raient les Anglais en Espagne, le parti nombreux qu'ils s'étaient formé, les amis qu'ils s'étaient faits dans les ports de commerce, surtout par l'appât du rétablissement des relations commerciales ; je les avais montrés à Votre Majesté auteurs du mouvement qui avait renversé le trône de Charles IV, et fauteurs
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des désordres populaires qui prirent naissance à cette époque. Ils avaient brisé le frein salutaire qui, pour son intérêt, tient le peuple dans la soumission. La populace espagnole, ayant secoué le joug de l'auto- rité, aspirait à gouverner. L'or des Anglais, les in- trigues des agents de l'Inquisition, qui craignaient de perdre leur empire, l'influence des moines, si nombreux en Espagne, et qui redoutaient une ré- forme, ont dans ce moment de crise occasionné l'in- surrection de plusieurs provinces espagnoles, dans lesquelles la voix des hommes sages a été méconnue ou étouffée, et plusieurs d'entre eux rendus victimes de leur courageuse opposition aux désordres populai- res ; et on a vu une épouvantable anarchie se répandre dans la plus grande partie de l'Espagne. Votre Majesté permettra-t-elle que l'Angleterre puisse dire: l'Espagne est une de mes provinces; mon pavillon , chassé de la Baltique, des mers du Nord, du Levant, et même des rivages de Perse, domine aux portes de France... i
u Non, jamais, Sire ! Pour prévenir tant de honte et de malheurs, deux millions de braves sont prêts, s'il le faut, à franchir les Pyrénées, et les Anglais seront chassés de la presqu'île.
« Si les Français combattent pour la liberté des mers, il faut, pour la conquérir, commencer par ar- racher l'Espagne à l'influence des tyrans des mers.
« S'ils combattent pour la paix, ils ne peuvent l'obtenir qu'après avoir chassé de l'Espagne les en- nemis de la paix,
« Si Votre Majesté , embrassant l'avenir comme le présent, aspire au noble but de laisser après elle son empire calme, tranquille, et environné de puissances amies, elle doit commener par assurer son influence sur les Espagnes.
« Enfin, si l'honneur est le premier sentiment
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comme le premier bien des Français , il faut que Votre Majesté tire une prompte vengeance des outra- ges faits au nom français, et des atrocités dont un si grand nombre de nos compatriotes ont été victimes. Des Français établis en Espagne depuis plus de qua- rante ans , exerçant en paix leur utile industrie, et re- gardant presque l'Espagne comme leur patrie, ont été massacrés; partout les propriétés françaises ont été en- levées; les agents consulaires de Votre Majesté ont éprouvé un traitement qu'ils n'auraient pas redouté dans les pays les plus barbares. De quelle estime, de quelle considération jouirait en Europe le nom fran- çais, si, dans un pays si voisin de nous, des injures aussi atroces et aussi publiques restaient impunies? Elles doivent être réparées , mais réparées comme il convient à des Français, par la victoire !
(( Ce n'est pas un faible avantage que la probabilité de rencontrer enfin les Anglais , de les serrer corps à corps, de leur faire aussi éprouver les maux de la guerre, de cette guerre dont ils ignorent les dangers, puisqu'ils ne la font qu'avec leur or. Les jonglais se- ront battus, détruits, dispersés, à moins qu'ils ne se hâtent de fuir, comme ils ont fait à Toulon, au Helder, à Dunkerque, en Suède, et dans tous les lieux où les armées françaises ont pu les apercevoir; mais leur ex- pulsion de l'Espagne sera la ruine de leur cause. Ce dernier échec aura épuisé leurs moyens , en même temps qu'anéanti leurs dernières espérances, et la paix en deviendra plus probable.
« Cependant toute l'Europe fait dans cette lutte des vœux pour la France.
c< La France et la Russie font cause commune contre l'Angleterre.
(c Le Danemark soutient avec honneur une lutte qu'il n'a pas provoquée.
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f< La Suède, trahie et abandonnée par l'allié auquel un Cabinet insensé l'a sacrifiée , a déjà perdu ses plus importantes provinces, et marche à cette ruine, effet inévitable de l'alliance et de l'amitié de l'Angleterre.
K Tel sera le sort des insurgés de l'Espagne. Lorsque la lutte sera sérieusement engagée, les Anglais aban- donneront l'Espagne, après lui avoir fait le funeste présent de la guerre civile, de la guerre étrangère , et de l'anarchie, le plus cruel des fléaux. Ce sera à la sa- gesse et à la bienfaisance de Votre Majesté à réparer les maux qu'ils auront faits.
« La Cour de Vienne a constamment témoigné à Votre Majesté les intentions les plus amicales. Indi- gnée de la politique de l'Angleterre, elle a voulu rap- peler son ministre de Londres, renvoyer le ministre anglais qui était à Vienne, fermer ses ports à l'Angle- terre, et se mettre avec elle en état d'hostilité. Elle vient d'ajouter à ces mesures en interdisant dans ses ports l'admission des bâtiments qui, sous pavillon neutre, ne sont que les colporteurs des denrées et des marchandises anglaises. Votre Majesté a cultivé ces dispositions bienveillantes ; elle a témoigné à la Cour de Vienne amitié et confiance, et plusieurs fois elle lui a fait connaître que la France prend à sa prospé- rité un véritable intérêt. Cependant vers ces derniers temps cette puissance a porté ses armements outre mesure : ses forces militaires sont aujourd'hui hors de toute proportion avec sa population et ses finances. Vos ministres , Sire , n'ont voulu le remarquer que pour faire sentir à Votre Majesté la nécessité d'aug- menter ses forces, afin de conserver toujours la supé- riorité relative qui existe entre la puissance et la po- pulation des deux empires.
« Une nouvelle révolution a éclaté à Constantinople. Le sultan Mustapha a été déposé.
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« Les Américains, ce peuple qui mettait sa fortune, sa prospérité et presque son existence dans le com- merce, ont donné l'exemple d'un grand et courageux sacrifice ; ils se sont interdit par un embargo général tout commerce, toute navigation, plutôt que de se sou- mettre honteusement à ce tribut que les Anglais pré- tendent imposer aux navigateurs de toutes les nations.
« L'Allemagne, l'Italie , la Suisse , la Hollande sont paisibles, et n'attendent que la paix maritime pour se livrer à toute leur industrie.
« Cette paix est le vœu du monde ; mais l'Angle- terre s'y oppose , et l'Angleterre est l'ennemie du monde.
« La nation française, l'Europe entière savent tous les efforts de Votre Majesté pour la paix; elles savent que ses entreprises sont le résultat immédiat de l'inu- tilité des tentatives qu'elle a faites pour l'obtenir.
(( Le dévouement du peuple français est sans bornes, et c'est surtout dans cette circonstance , qui intéresse si essentiellement son honneur et sa sûreté, qu'il fera éclater ses sentiments , et qu'il se montrera digne de recueillir l'héritage de gloire et de bonheur que Votre Majesté lui prépare.
« Je suis avec respect, etc.
« Sig7ié Champagny. »
( Le ministre donne connaissance au Sénat des tfmtés conclus avec le roi d'Espagne^ Charles IV, et son pis le prince des Asturies.)
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Rapport fait à l'Empereur par le ministre de la Guerre. « Du r"" septembre 1808.
« Sire , j'ai l'honneur de soumettre à Votre Majesté l'état de situation de ses armées en Pologne, enPrusse et enSilésie, en Danemark, en Dalmatie, en Albanie, en Italie, àNaples, et dans lesEspagnes; j'y joins celui de ses armées de réserve à Boulogne , sur les côtes, sur le Rhin, et dans l'intérieur.
•j Votre Majesté verra que jamais la France n'a eu de plus nombreuses et de plus belles armées , et que jamais elles n'ont été mieux entretenues ni mieux approvisionnées.
« Cependant les divers événements qui ont eu lieu en Espagne ont produit une perte assez considérable; résultat de l'opération, aussi inconcevable que pénible pour l'honneur français, du corps du général Dupont. Votre Majesté a fait connaître l'intention où elle était de réunir plus de deux cent mille hommes au delà des Pyrénées, sans cependant affaiblir ni ses armées d'Allemagne ni celle de Dalmatie.
(( Pour arriver à ce but une levée de qualrc-vingt mille hommes paraît indispensable. Votre Majesté ne peut prendre ces quatre-vingt mille hommes que dans les quatre classes de la conscription des années 1806, 1807, 1808 et 1809.
« Il est constaté, par les registres tenus dans mon ministère, qu'indépendamment des hommesqui se sont mariés depuis quatre ans, la conscription de ces années pourraitencore en fournir six cent mille. En faisant sur ce nombreunelevéedequatre-vingtmillehommes. Votre Majesté aura appelé un conscrit sur sept, et les cadres de l'armée se rempliront de soldats de vingt-un , de
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vingt-deux et de vingt-trois ans, c'est-à-dire d'hommes faits et prêts à supporter les fatigues de la guerre.
(( Il n'a point échappé à la prévoyance de Votre Majesté qu'un tel accroissement de forces nécessiterait une augmentation de dépense de plusieurs millions pour le département de la Guerre. Votre Majesté ne veut pas que je l'entretienne de cet objet dans ce rap- port j son ministre des Finances s'est chargé d'y faire face sans augmenter en aucune manière les imposi- tions établies par la dernière loi.
« Il est vrai, Sire, que l'usage suivi dans ces der- nières années aurait pu jusqu'à un certain point porter une partie de vos peuples à se regarder comme libérés du devoir de la conscription, du moment où ils au- raient, sur la masse totale, fourni le contingent de- mandé pour l'année, et sous ce rapport ce que je pro- pose à Votre Majesté semblerait exiger de la part de ses sujets un sacrifice. Mais , Sire, il n'est personne qui ne sache qu'aux termes des lois. Votre Majesté se- rait autorisée à appeler sous ses drapeaux la totalité de la conscription non-seulement des quatre dernières années, mais même des années antérieures j et quand il s'agirait d'un sacrifice réel, quel est le sacrifice que Votre Majesté n'ait pas le droit d'attendre de l'amour de ses peuples ? Qui de nous ignore que Votre Majesté se sacrifie elle-même entièrement pour le bonheur de la France, et que de la prompte réussite de ses grands desseins dépend le repos du monde , sa sûreté future et le rétablissement de la paix maritime, sans laquelle il n'est pour la France ni calme ni tranquillité ?
a En proposant à Votre Majesté de déclarer que désormais aucun rappel de conscription antérieure n'aura lieu , je ne fais , Sire , que prévenir vos vues paternelles.
f( Je crois utile de proposer en même temps à Votre
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Majesté de décréter la levée de la conscription de 1 81 0, et d'en déterminer le nombre dès ce moment à quatre- vingt mille, afin de former au besoin des camps de réserve, et de garder nos cotes au printemps. Cette conscription ne serait levée que dans le cas où Votre Majesté aurait à craindre la guerre de la part d'autres puissances, et elle ne le serait pas avant le mois de janvier prochain.
« Sire , c'est un malheur attaché à la situation ac- tuelle de l'Europe que, lorsqu'une puissance sort de l'état de forces que comporte sa population, les autres puissances ne peuvent se dispenser d'augmenter le leur dans la même proportion.
« L'Angleterre , indépendamment de l'immense quantité de ses matelots, a plus de deux cent mille hommes sur pied ; elle ne s'occupe à toutes les ses- sions de sa législature que de l'accroissement de ses troupes de terre. Les forces de l'Autriche ont été con- sidérablement augmentées. La France, quoiqu'elle ait des armées plus nombreuses que toutes les autres puissances , a cependant moins d'hommes sous les armes qu'aucune d'elles relativement à sa population.
« Votre ministre des Relations Extérieures m'a assuré qu'une étroite alliance existait entre Votre Majesté et la Russie. Les armements de l'Autriche avaient sou- vent excité ma sollicitude; le ministre y a répondu en me donnant la certitude que les meilleurs rapports existaient avec l'Autriche , et qu'il fallait regarder ses levées, soit comme des précautions , soit comme le résultat des craintes que s'efforcent de faire naître dans toutes les Cours de l'Europe les nombreux agents que l'Angleterre soudoie encore sur le Continent.
« Mais s'il n'appartient pas à mon ministère d'ap- profondir les vues et les intérêts des Cours, et de pé- nétrer dans le labyrinthe de la politique , il n'en est
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pas moins de mon devoir de ne rien négliger pour que les armées de Votre Majesté conservent sur tous les points toute la supériorité qu'elles peuvent avoir. Celles d'Albanie et de Dalmatie , de Danemark et de l'Elbe ne peuvent point éprouver de diminution dans les circonstances actuelles.
« Les dispositions que je propose à Votre Majesté donnent à l'armée d'Espagne deux cent mille hommes sans affaiblir les autres armées; de sorte que, malgré l'accroissement de nos forces au delà des Pyrénées, lorsque la conscription de 1810 viendra à être levée, Votre Majesté aura accru ses armées d'Allemagne, du Nord et de l'Italie , de plus de quatre-vingt mille hommes.
« Et quand, pour éviter la crise où l'a entraîné une politique aussi fausse que passionnée , le gouverne- ment anglais , s'agitant de toutes parts, ne craint pas de réunir aux ressources qu'il tire de ses vastes finances et de ses nombreuses flottes toutes les armes de l'in- trigue , de la corruption et de l'imposture, qu'y au- rait-il d'extraordinaire que l'immense population de la France offrît le spectacle d'un million d'hommes armés, prêts à punir l'Angleterre et tous ceux qu'elle aurait séduits , et présentant partout cette masse de forces pour couvrir du même bouclier l'honneur et la sûreté de la France ?
«Quel autre résultat, Sire, devra-t-on attendre d'armées si nombreuses et d'une position si formi- dable , si ce n'est le prompt rétablissement du calme en Espagne, celui de la paix maritime , et cette tran- quillité générale, l'objet des vœux constants de Votre Majesté? Beaucoup de sang aura été épargné, parce que beaucoup d'hommes auront été prêts à en répan- dre ; un bonheur permanent , préparé par les combi- naisons de votre puissant génie, sera l'effet, Sire, des
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nouvelles preuves d'amour et de dévouement que vous donneront vos peuples , et de la noble contenance de cette nation que Votre Majesté a désignée sous le nom de grande à la postérité.
« Ministre de la Guerre, et à ce titre organe des sol- dats français, qu'il me soit permis, Sire , d'être l'in- terprète de leurs sentiments pour vous. Votre Majesté nous verra toujours prêts à sacrifier notre vie pour sa gloire, qui est inséparable de la gloire nationale, à laquelle elle a tant ajouté , et pour les grands intérêts de la patrie.
« Je suis avec respect, etc.
« Signé comte d'HuNEBOURC. »
Motifs du sénatus-consuîte qui met à la disposition du Gou- vernement cent soixante mille conscrits , savoir : vingt mille sur chacune des années 1806, 1807, 1808, 1809, et quatre- vingt mille, sur l'année 1810; exposés par M. le comte Re- GNAULT (de Saim-Jeais-d'Angely ), Conseiller d'État.
« Monseigneur, sénateurs, vous avez vu continuer avec succès et avec gloire cette lutte honorable oh la France combat , pour le droit des nations et l'indé- pendance de l'Europe, contre l'Angleterre usurpant la domination des mers et le monopole du commerce du monde.
« D'un côté l'empire français , uni à ses alliés, dé- ploie tout ce que le génie a de puissance, tout ce que la nation a d'énergie , tout ce que les armées ont de bravoure, tout ce que le peuple a de dévouement.
« Le ministère anglais épuise, d'un autre côté, tout ce que l'intrigue a d'activité, tout ce que la mauvaise foi a d'astuce, tout ce que la corruption a d'odieux, tout ce que l'inhumanité a de cruel.
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« C'est à l'aide de ces moyens que l'Angleterre re- tarde encore cette union générale du Continent, cette ligue universelle de l'Europe qui menace sa tyrannie maritime, et qui doit la détruire.
K Déjà les côtes de France , de Russie , d'Italie , d'Allemagne, de Turquie, sont interdites à la Grande- Bretagne.
« Mais elle a obtenu le honteux succès d'amener l'Espagne à la guerre civile par l'anarchie, et son uni- que objet dans ce nouvel attentat est d'ouvrir à ses marchandises un accès sur le Continent.
« 11 faut le lui fermer; il faut que les armes achè- vent d'exécuter dans les Espagnes l'arrêt d'exil pro- noncé par le Continent contre les Anglais 1
« Sans doute , messieurs , et vous venez d'en avoir l'assurance par le rapport du ministre de la Guerre , nos armées , dans leur état actuel , pourraient fournir toutes les forces nécessaires à l'accomplissement de cette résolution sans compromettre la sûreté et la gloire de l'empire.
« Toutefois, il est des règles que la sagesse ne per- met pas de violer, et en assurant la prompte pacifica- tion des Espagnes par l'action d'une force puissante, il ne faut pas laisser craindre l'affaiblissement de nos armées en Allemagne , quand une puissance voisine s'est occupée de fortifier les siennes.
« Il faut donc en même temps pourvoir à une aug- mentation actuelle et à une augmentation à venir de nos armées.
« Afin de remplir les besoins du moment, la justice et la sagesse se réunissent pour conseiller un appel sur les conscriptions précédentes.
(f Sa Majesté n'a pas jugé convenable de remonter au delà des quatre dernières années.
« Elle a pensé qu'on pouvait appeler vingt mille
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hommes sur chaque classe, ou quatre-vingt mille sur les quatre classes, dont le nombre total était d'un mil- lion cinq cent huit mille huit cent vingt-sept, et sur lesquelles on n'a levé que trois cent vingt mille deux cent soixante et dix hommes.
« Les conscrits mariés avant l'appel resteront dans leurs foyers, et une disposition positive rendra à une liberté absolue toutes les classes de conscrits des an- nées antérieures, jusques et y compris l'an xiv.
« Cette levée, messieurs, d'après le mode suivi pour les tirages pendant les années sur lesquelles elle est prise, sera effectuée avec facilité, et employée avec avantage.
« Elle sera effectuée avec facilité , puisque tous les conscrits ont leur numéro , et que le contingent de chaque canton , étant déterminé , sera rempli sans aucune des formes préalables auxquelles il a déjà été pourvu.
« Elle sera employée avec avantage , parce que les hommes qui la composeront, parvenus à la force de l'âge, seront bien plus propres à remplir les devoirs et à supporter les fatigues de la vie militaire.
« Après avoir pourvu au présent par cette levée. Sa Majesté a jugé convenable de satisfaire en même temps à la prévoyance en appelant conditionnellement quatre- vingt mille hommes sur la conscription de 1 81 0.
« Cette partie des forces dont vous êtes appelés, messieurs, à voter la disposition, ne sera levée qu'a- près le 1" janvier prochain, et destinée qu'à la défense des côtes, à moins qu'une agression nouvelle n'en né- cessite plus promptement l'emploi.
« Les armées de Sa Majesté auront ainsi , messieurs, la force positive et la force éventuelle nécessaires pour rendre la paix à l'Espagne, la maintenir dans le reste de l'Europe, en imposer si la France était menacée,
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vaincre si elle était attaquée, et déconcerter les efforts de l'intrigue par l'appareil de la puissance.
« Et ce nouveau développement donné à notre sys- tème militaire s'opérera pourtant sans augmentation dans les impositions publiques.
« Les subsides votés par la dernière loi de finances sufiisent pour pourvoir à tous les besoins.
i( Tel est donc l'avantage de notre position, que , quand on ne peut dans les États voisins combattre ou menacer la France sans excéder par des levées d'bom- mes la proportion de la population, sans épuiser les ressources des finances et employer celle du papier- monnaie, il sullit à Sa Majesté de rapprocher les ar- mées de leur proportion avec la population de son em- pire, et d'user des ressources pécuniaires que l'ordre, l'économie et la prévoyance lui ont ménagées.
« N'en doutez pas cependant, sénateurs, Sa Majesté a calculé dans sa sollicitude, et évalué, dans son amour pour ses peuples, l'étendue des sacrifices que la gloire et la sûreté nationale prescrivent à la sagesse et à !a prudence du souverain de demander.
« Mais vous le savez, messieurs, on assure le triom- phe en multipliant les moyens de l'obtenir ; on achète moins chèrement la victoire quand on la dispute moins longtemps; on évite même la nécessité de vaincre en montrant qu'on en a la puissance; et le cœur de Sa Majesté est avare du sang de ses sujets autant qu'at- tentif à leur sûreté et soigneux de leur gloire. >j
(^Le Sénat renvoie ces différentes communications ^ ainsi que le projet de sénatus-consulte, à une commission com- posée de MM» les comtes Lacépède, Saint-Vallier, G. Gar- nier, le maréchal duc de Dantzick, et le comte Colchen; et la séance est ajournée au ]0 du même mois pour en- tendre le rapport de cette commission. )
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Rapport fait au Sénat par le comte de Lacépède (séance du 10 septembre ISOS , présidée par l'archichancelier.)
« Monseigneur, sénateurs, vous avez renvoyé à votre commission spéciale le message de Sa Majesté Impé- riale et Royale, les traités relatifs à l'Espagne, les Constitutions acceptées par la Junte espagnole, les rapports des ministres des Relations Extérieures et de la Guerre sur la situation de l'Europe et sur celle des armées de Sa Majesté dans les différentes parties du monde, et le projet de sénatus-consulte qui vous a été présenté au nom de l'Empereur par les orateurs du Conseil d'État.
« Quels grands objets, sénateurs, vous avez aujour- d'hui sous les yeux, et dans quelle circonstance vous êtes appelés à délibérer !
« Vous avez admiré les plans de la sagesse du mo- narque et l'étendue de sa prévoyance.
« Vous vous êtes plu à considérer le spectacle de sa puissance en voyant ses nombreuses et si redoutables armées pleines d'ardeur et de force , et n'attendant qu'un signal pour exécuter ses ordres.
« Comme le peuple français, vous partagez tous ses sentiments.
« Vous éprouvez une vive satisfaction de l'alliance de Sa Majesté Impériale et Royale avec l'empereur de Russie, et de la constance des résolutions de ce grand monarque contre les ennemis de l'Europe et du monde.
« Vous espérez , avec l'Empereur, que la paix du continent ne sera pas troublée.
« Mais il ne veut pas que la destinée de la France dépende des faux calculs que pourraient faire des Cours étrangères qu'entraînerait ce gouvernement insu- laire qui, depuis tant d'années, cause tous les maux XI 18
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qui ont affligé le monde; et la volonté du peuple fran- çais est la même que celle de son Empereur.
f( Une puissance , malgré la confiance que doivent inspirer ses dispositions amicales et les rapports qui existent entre elle et la France , a élevé ses forces mi- litaires au-dessus de toute proportion avec sa popula- tion et ses finances.
« Des secousses terribles ne cessent d'agiter le trône sanglant de Constantinople, et ces commotions peuvent ébranler de vastes contrées.
(( L'anarchie , ce monstre aveugle et féroce dont le génie de Napoléon a délivré la France, vient d'allumer ses brandons et d'élever ses échafauds au milieu des Espagnes.
(( L'Angleterre s'est empressée d'y précipiter ses phalanges, et de mêler ses drapeaux aux enseignes hideuses des satellites de la terreur.
« Prodiguant son or corrupteur, ses récits menson- gers, et ses promesses plus mensongères encore, elle cherche à étendre le terrible incendie qu'elle a allumé.
« Ce n'est qu'en éteignant ces feux sur tous les points qu'ils dévorent, ce n'est qu'en détruisant les cohortes britanniques que l'Empereur peut garantir la sécurité de la France, et conquérir cette paix maritime, cette paix générale qui seule donnera à la France et à l'Eu- rope le repos si nécessaire à leur prospérité.
« Ce n'est qu'alors que les vœux de l'Empereur et les vôtres pourront être remplis.
K Napoléon veut hâter, par le déploiement de toute sa puissance, cette époque fortunée.
(c Grâces immortelles lui en soient rendues!
« L'Angleterre a juré que le commerce du continent serait anéanti , que l'industrie de la France périrait , qu'elle seule ferait le commerce du monde , asservi à son monopole.
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« Ses serments seront vains.
«Déjà nos véritables ennemis , aveuglés par leur orgueil insensé, viennent se livrer dans les mains du héros de la France.
« L'Océan environnait leur asile d'une barrière que leurs vaisseaux faisaient regarder comme difficile à franchir.
« Dans le délire de leurs vains projets , ils ont osé la franchir eux-mêmes, et se présenter sur les bords espagnols.
« Ah ! du moins qu'une fois ils renoncent à leur système d'alliance trompeuse et d'amitié perfide ! qu'ils n'abandonnent pas tout d'un coup les Espagnols égarés comme ils ont délaissé tous ceux qui ont compté sur leur foi ! qu'ils ne se hâtent pas de fuir comme à Toulon, à Dunkerque, à Quiberon, au Hel- der, dans le Hanovre, en Calabre, et partout où ils ont vu de loin le vol des aigles françaises? que, tous réu- nis sur la péninsule espagnole, ils attendent les sol- dats français, et que la fin de la guerre d'Espagne soit en même temps la fin de la guerre du monde!
« Et cependant quels sont dans ces provinces espa- gnoles les alliés de l'Angleterre ?
« L'ignorance, le fanatisme et la cruauté.
« Que paraît-elle vouloir y soutenir? Le règne de la superstition; elle qui, au lieu de donner aux catholi- ques d'Irlande la jouissance de leurs droits impres- criptibles, les a condamnés aux persécutions et à l'exil!
« Ou sont maintenant en Espagne les descendants de ces braves Castillans qui ont fait l'admiration du monde? Où sont ces Espagnols nobles et généreux, il-r lustres par leur naissance, respectables par leurs di- gnités , recommandables par leurs lumières , vénérés par leurs vertus bienfaisantes? Dans la tombe où les a
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précipités la hache des insurgés, aiguisée par des An- glais; ou dans les fers d'une populace effrénée, et sol- dée par l'Angleterre; ou dans cet abattement et cette stupeur qui les livrent sans résistance au torrent d'une foule insensée, et les abandonnent aujourd'hui à ses horribles caresses, et demain à ses poignards !
« C'est le bras de l'Empereur qui les délivrera !
« Et ces Français passagers, désarmés, ou corn- merçants paisibles, qui ont été lâchement massacrés, c'est le bras de l'Empereur qui vengera leur sang!
« La guerre d'Espagne pourrait-elle être plus forte- ment commandée par la politique, par la justice, par la nécessité?
(( Quels droits plus sacrés que des traités solennels librement proposés , librement consentis , librement exécutés ? qu'un pacte social librement discuté, libre- ment accepté et librement juré par une Junte natio- nale sur les autels du Dieu qui punit les parjures!
« Et d'ailleurs point de sûreté pour la France tant que l'Espagne ne sera pas son alliée fidèle , et qu'elle pourra livrer ses ports et ses rivages, si étendus, à l'en- nemi de la France et du continent.
« Louis XIV ne perdit jamais de vue cette impor- tante vérité.
(( Dès le moment où il prit les rênes du gouverne- ment , il fut dirigé par cette pensée profonde ; elle lui mérita, plus que toute autre, le surnom de grand; et sa constance à la suivre valut à la France un siècle de paix avec l'Espagne.
K Ah! combien les ombres royales ôe Louis XIV, de François P" et du grand Henri doivent être consolées par la résolution généreuse de Napoléon !
(( Mais si la puissance de Louis XIV et l'étendue de ses Etats lui avaient permis de montrer dans les Espa- gues cet appareil redoutable de forces que l'Empereur
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va y déployer, au lieu d'une guerre qui a pesé pendant dix ans sur la France et sur l'Espagne , peu de temps lui aurait sufli pour exécuter ses nobles projets, comme peu de jours suffiront au plus grand des capitaines pour faire jouir les Espagnols loyaux, fidèles, et maintenant opprimés par la terreur, de la liberté civile, du calme, de la prospérité qui leur est depuis si longtemps in- connue, de la religion qui leur est chère, et du bon- heur d'être gouvernés par l'auguste frère de Napoléon,
« Vous vous empresserez , sénateurs , d'adopter le projet de sénatus-consulte que Sa Majesté Impériale et Royale vous a fait présenter.
« Vous y reconnaîtrez d'ailleurs la sollicitude de Sa Majesté Impériale et Royale pour tous les intérêts de la nation.
« Parmi les conscrits des quatre classes appelées par le titre premier de ce sénatus-consulte,
« Ceux qui sont mariés ne se sépareront pas de la nouvelle famille qu'ils ont donnée à l'État ;
« Ceux qui ont été réformés légalement resteront dans leurs foyers.
« Aucun nouveau contingent ne sera demandé aux conscrits des années qui ont précédé 1806.
« Les quatre-vingt mille braves qui vont se rendre à la voix de la patrie ont déjà atteint l'âge où l'on n'a pas besoin d'être préparé aux fatigues de la guerre .
« Que sont à côté des ressources de la France celles de ces gouvernements qui , dépensant dans un an les revenus de plusieurs années, et consommant leurs ca- pitaux les plus précieux , ne soldent les hommes que leur pays peut à peine leur fournir qu'avec ces mon- naies fictives dont la valeur idéale, diminuant chaque jour, entraîne dans l'abîme et la fortune de l'État et la richesse des particuliers, et, ce qui est encore plus fu- neste, la bonne foi de tous !
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« L'Empereur fait entendre la voix de la patrie ou- tragée et de l'honneur blessé; de cet honneur, objet de l'enthousiasme des nations généreuses , qui avec tant de raison se regarderaient comme dénuées de tout si elles pouvaient le perdre , et croient que tout est sauvé tant qu'elles ne l'ont pas perdu.
i< Les Français vont répondre à cette voix sacrée.
<( Il réclame un nouveau gage de leur amour.
« Avec quelle ardeur ils accourront vers lui?
« Oui, rien ne peut ébranler l'Empereur dans le devoir qui lui est imposé d'assurer la prospérité de la France , la tranquillité de nos neveux, la paix de l'Eu- rope , la gloire de notre patrie ; cette gloire sans la- quelle un grand peuple ne verrait, dans un avenir as- sez rapproché, que l'insulte, l'outrage, et un déplora- ble asservissement !
« Et toujours le Sénat et le peuple seconderont l'Empereur dans ce qu'il croira devoir entreprendre pour garantir de si grands intérêts. »
(Sur ce rapport f et immédiatement , le Sénat adopte j avec .le sénatus-consulte relatif aux levées de conscrits, le projet d'adresse qui lui est proposé par le comte de Lacépède. )
Les événements de la Péninsule rendaient pres- sante, non-seulement cette nouvelle levée d'hommes, mais encore la prompte réunion de troupes déjà exer- cées; Napoléon résolut donc de diriger en toute hâte sur l'Espagne une partie des corps de la grande armée qui occupaient la Prusse et l'Allemagne ; mais avant de s'engager ainsi dans une guerre ouverte de l'autre côté des monts , il voulut assurer sa position du côté de l'Europe, en resserrant ses liens avec la Russie,
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afin d'imposer à l'Autriche, qui , à cette époque, effec- tuait des armements considérables, manifestement dirigés contre la France. En conséquence, il fit deman- der à l'empereur Alexandre une entrevue. Cette propo- sition ayant été acceptée, un mois après le retour de Napoléon à Paris , les deux Empereurs se retrouvaient aux conférences d'Erfurth.
C'est alors que l'Europe vit le spectacle extraordi- naire d'une réunion de souverains et d'hommes d'État, telle qu'il n'en avait jamais eu lieu jusqu'alors. Ces espèces d'assemblées de princes étaient fréquentes dans le moyen âge, surtout à l'époque des croisades , et à l'occasion des Diètes germaniques. Elles étaient deve- nues rares depuis que les intérêts compliqués des mo- narques ne permettaient plus que les affaires fussent traitées sans l'entremise de ministres et d'ambassa- sadeurs.
Le congrès d'Erfurth s'annonçait comme devant ame- ner de grands changements dans la politique générale; mais il ne produisit d'autre résultat que ce concert de mesures qui a été depuis observé dans les Cabinets de Saint-Pétersbourg et des Tuileries concernant la paix à faire avec l'Angleterre, les rapports entre la France et l'Autriche , les affaires de l'Espagne , de l'Italie et de la Turquie.
A l'exception des communications faites au Cabinet britannique, et que nous rapporterons tout à l'heure, rien d'authentique n'a été publié sur les négociations qui ont eu lieu entre Alexandre P^ ei Napoléon; cepen- dant il est acquis à l'histoire qu'une convention secrète a été signée le 12 octobre entre ces deux monarques. Par ce traité, dont nous insérons plus loin l'analyse, Napoléon obtint de son allié le consentement à l'élé- vation de Joseph Bonaparte au trône d'Espagne , ainsi qu'aux changements effectués en Italie, et la promesse
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de faire cause commune avec la France, dans le cas d'une déclaration de guerre de la part de l'Autriche. La question d'Espagne avait été déjà discutée à TiUitt par les deux souverains, mais à un point de vue diffé- rent, car, il faut ici le dire, cette entreprise finissait autrement qu Alexandre ne l'avait pensé. Néanmoins, dans cette nouvelle circonstance, ce monarque faisait tous les sacrifices qui lui paraissaient devoir conduire à une paix générale. « La Russie s'y livrait de bonne foi, dit un ministre de Napoléon, autant par bonne intention philanthropique, que pour voir la France dés- armer, et pouvoir elle-même bientôt reprendre des relations commerciales, de la privation desquelles elle souffrait trop , le pays ne pouvant s'en passer. »
En échange des concessions de l'empereur Alexan- dre, Napoléon s'engagea à ne pas s'opposer à la réu- nion définitive, à l'empire russe, de la Moldavie et de la Valachie. Nous avons vu que différentes circon- stances, parfaitement expliquées par l'empereur Alexandre à l'Envoyé de France Savary^, avaient fait ajourner l'évacuation de ces provinces, que les troupes russes auraient dû effectuer à la suite de l'armistice de Slobodséa, conclu avec les Turcs, en vertu du traité de Tilsitt; et Ton n'a pas oublié que l'abandon des in- térêts de la Porte , de la part de Napoléon , était motivé parle changement des dispositions du Divan à l'égard de la France. Une révolution du Sérail avait fait périr le sultan Sélim III, qui était dévoué aux intérêts de Napoléon. Le nouveau sultan, Mustapha IV, se rappro- cha au contraire des Anglais, qui réussirent à lui don- ner de l'ombrage sur l'union intime qui régnait entre les Cabinets de Pétersbourg et des Tuileries.
Pour ce qui est du projet d'agrandissement en lui-
♦ Voy. t. X, p, 245.
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même, de la part de la Russie; du propre aveu des ministres français, rien de plus légitime. Quand, à l'oc- cident de l'Europe, la France avait fondé un empire qui ne connaissait plus de limites ; quand cet empire com- prenait, non-seulement le territoire enclos entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, mais le Piémont, la Toscane, la Hollande, l'Espagne et une partie des nations germaniques; quand, d'autre part, l'Angle- terre envahissait toutes les colonies de la France et de ses alliés, il était naturel que l'empereur de Russie voulût , de son côté, donner à ses États une extension que réclament les intérêts de ses peuples; ainsi donc, l'annexion des provinces du Danube, ces deux yeux de la Turquie sur l'Europe , n'était, à vrai dire, qu'un contre-poids nécessaire à l'exagération des forces de l'Angleterre et de la France.
La question du partage de l'empire Ottoman fut de nouveau agitée entre les deux souverains; mais Napo- léon s'efforça de démontrer à l'empereur Alexandre l'inopportunité de cette grande entreprise. Depuis Til- siltt, il avait demandé à son ambassadeur à Cons- tantinople un rapport sur ce projet, et comme les conclusions du mémoire très-étendu qu'avait rédigé le général Sébastiani tendaient au rejet formel de la proposition du démembrement de l'empire turc , Na- poléon était fermement résolu à ne pas y consentir. Et cependant, circonstance importante à recueillir, il paraît certain que les deux monarques étaient conve- nus, àErfurth même, « de se constituer un jour, l'un empereur d'Orient, l'autre empereur d'Occident, et que le fleuve de l'Elbe formerait la limite entre les deux empires *. »
• Cette information, que nous avons obtenue d'un des hommes d'État le mieux initiés aux grands événements de l'époque, doit être rappro-
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Tel était l'ensemble des intérêts que les deux souve- rains avaient à régler; à moins que l'on ne doive y comprendre un projet d'alliance de famille sur lequel nous reviendrons, lorsque nous aurons à signaler les causes de la rupture entre la France et la Russie, En outre, dans le cours des conférences, l'empereur A/eiran- dre ne négligea pas l'occasion qui se présentait d'allé- ger, autant que possible, le sort de la Prusse. Nous avons dit déjà que l'intervention de ce monarque fit décider l'éloignement définitif des troupes françaises qui oc- cupaient encore le pays , et détermina Napoléon à ré- duire de vingt millions le montant de la dette de la Prusse.
Quant à l'accession du duc d'Oldenbourg à la con- fédération du Rhin, qui eut également lieu à Erfurth, nous avons fait connaître la négociation dont elle avait été l'objet.
A l'époque des conférences, la Russie était fort occupée de la guerre de Finlande, et l'Empereur était au moment de son départ lorsqu'il reçut la nou- velle d'un grave incident concernant les opérations de cette guerre. La flotte russe était alors bloquée à Bal- tisch-Port par les Anglais et les Suédois. Sir James Saumarez avait proposé à l'amiral Kanikof de laisser sortir la moitié de sa flotte, à la condition que l'autre moitié lui serait livrée. L'amiral russe ayant refusé d'adhérer à cette proposition, les Anglais avaient com- mencé le bombardement. Toutefois, comme nous le verrons plus tard, la flotte russe parvint à s'ouvHr un passage sans avoir perdu un seul bâtiment.
L'empereur Alexandre quitta Saint-Pétersbourg le 14 septembre. Napoléon avait envoyé le maréchal
chée du sens et de l'esprit de l'article onze de la convention secrète du 42 octobre, voy. ci-après p. 288.
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Latines pour le recevoir sur la limite des pays occu- pés par l'armée française, et avait nommé le général Oudinot gouverneur d'Erfurth. Napoléon arriva dans cette ville, le 27, vers les dix heures du matin. Après quelques audiences d'étiquette, il repartit, accom- pagné d'une suite nombreuse , et s'avança jusqu'à deux lieues d'Erfurth, où l'on découvrit enfin le cor- tège de l'empereur Alexandre, qui venait de Weimar, où il avait séjourné les 25 et 26. Napoléon arriva au galop , et mit pied à terre pour embrasser l'empereur de Russie, à la sortie de sa voiture. Les deux souve- rains avaient échangé les insignes de leurs Ordres. Ils remontèrent presque aussitôt à cheval, et revinrent en conversant jusqu'à Erfurth. Toute la population des campagnes bordait le grand^chemin. Le temps était ma- gnifique et paraissait sourire à cet événement. L'artille- rie de rempart les salua, les troupes bordaient la haie, et toutes les personnes de marque qui étaient venues pour prendre part à la solennité, se trouvèrent au pa- lais qui avait été préparé pour l'empereur Alexandre , au moment où il venait y mettre pied à terre, accom- pagné de l'empereur Napoléon.
Peu de jours après, on voyait réunis à Erfurth les rois de Bavure, de Saxe, de fVûrtemhergy le roi et la reine de Westphalie, le grand-duc Constantin, frère d'Alexandre I"", le prince Guillaume de Prusse, le grand-duc et la grande-duchesse de Bade, la princesse de Latonr et Taxis, sœur de la reine de Prusse, le prince Primat, le prince royal de Bavière , les princes héréditaires de Bade, de Darmstadt, de Mecklenbourg- Schicérin, et de Mecklenbourg - Strélitz ^ le duc de Saxe-H^eimar, dont le fils avait épousé la grande- duchesse Marie, sœur de l'empereur de Russie, et chez lequel, en quelque sorte avait lieu cette réunion, les ducs de Saxe-Gotha f de Saxe-Cobourg , de Saxe-Hild-
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hourghausen y de Saxe-Meiningen , le duc de Holstein- Oldenbourg, le duc de Nassau-lJsingen, le prince de NassaU'Weilhourg f les ducs d'Anhalt, les princes de Schwartzbourgj de Reuss, de Lippe, de Waldeck, de Liechtenstein, le duc d'itrenèer^', les princes de Hohen^ zollern, de Salm-Salm, de Salm-Kyrhourg , d'/sem- bourg, de la Leyen, ainsi que beaucoup d'autres prin- ces appartenant à ces maisons souveraines.
Parmi les dignitaires et les ministres d'État des premières puissances , on remarquait les comtes Rou- mantsof et Speranski , les princes Galitsyne , Gaga- rine et Troubelzkoîf les comtes Tolstoï, Chow^alofei Araktscheief, de la Russie ; le comte de Champagny, le prince de Talleyrand, M. Maret (duc de Bassano) le prince de Neufchâtel, le maréchal Soult, de la France ; le comte de Goltz, de la Prusse; le comte de Montge- las, de la Bavière; le comte de Bose, du Danemark; le comte de Furstenstein , du royaume de Westphalie , le comte de Taube, de Wurtemberg; le comte de Man- fredini, de Wiirtzbourg ; le comte de Beust, du prince Primat de la Confédération du Rhin; le baron Thum- mal, de Saxe-Gotha ; le baron de Hammerstein, d'Ol- denbourg. Le comte Tolstoï, ambassadeur de Russie , et le baron de Dalberg, ministre de Bade à Paris avaient suivi Napoléon à Erfurth ; le baron de Vincent y vint en mission spéciale, de la part de l'empereur d'Autriche; MM. de Caulaincourt , ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, et de Bourgoing, ministre à Dresde, s'y rendirent également.
Pendant le séjour que les deux empereurs firent à Erfurth, Napoléon donna constamment la droite à l'empereur Alexandre, comme faisant les honneurs et étant chez lui. Les palais qu'ils occupèrent avaient été meublés par le garde-meuble de la couronne et dé- frayés par la liste civile française.
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' Tous les jours Napoléon reçut à dîner l'empereur Alexandre f \e ^Tând-àiic Constantin son frère, et les souverains. Les principaux acteurs du Théâtre-Fran- çais donnèrent de nombreuses représentations des meilleures tragédies , Cinna , Andromaque , Britanni- cuSf Mithridate; et tout le monde se rappelle la cour- toisie de l'empereur Alexandre à saisir, dans Œdipe , une allusion gracieuse, et qui devait toucher Napoléon,
Les deux empereurs passèrent trois semaines à Erfurth dans les termes de la plus intime familiarité, et semblant chaque jour plus empressés, l'un et l'au- tre, d'accéder au moindre de leurs vœux. C'est ainsi que Napoléon ayant témoigné quelque désir de voir changer l'ambassade russe à Paris, l'empereur Alexan- dre désigna sur-le-champ pour ce poste le prince Kou- rakinCf alors ambassadeur à Vienne. Le motif énoncé de cette mutation était « que son prédécesseur, le général comte Tolstoï, plus militaire que diplomate, s'enga- geait souvent à Paris dans des discussions de guerre avec des généraux qui n'étaient pas plus diplomates que lui, mais aussi bons militaires, et qu'il pouvait en résulter des inconvénients, en ce que ces généraux rapportaient comme des paroles d'oracle ce que leur avait dit l'ambassadeur de Russie. »
A Weimar, dans les journées du 6 et du 7 octobre, il y eut des chasses, des banquets, des bals qui fu- rent donnés, avec une grande magnificence, à toute la Cour d'Erfurth par le duc de Saxe-Weimar.
De retour à Erfurth , Napoléon donna audience au baron de Vincent, chargé par l'empereur d'Autriche d'une mission spéciale que nous ferons connaître plus tard.
C'est le même jour de cette audience , que les plé- nipotentiaires de France et de Russie , le comte Rou- manisofei M. deChampagny signèrent une convention
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secrétissime, qui peut être regardée comme l'appendice de la paix de Tilsitt.
Voici l'analyse de ce traité t/w 1 2 octobre 1 808.
L'article premier confirme et au besoin renouvelle l'alliance de Tilsitt et l'engagement mutuel des deux Empereurs, aon-seulement de ne faire aucune paix sé- parée, mais encore de n'entrer avec l'ennemi dans aucune négociation et de n'écouter aucune proposition que d'un commun accord.
Par l'article deux^ les parties contractantes, unies pour la paix comme pour la guerre , conviennent de nommer des plénipotentiaires pour traiter avec l'An- gleterre, el de les envoyer, à cet effet, dans telle ville du continent que l'Angleterre désignera.
L'article trois concerne l'union qu'il importe d'éta- blir entre les deux plénipotentiaires des deux puis- sances et le mode à suivre pour maintenir cette union dans la négociation avec le gouvernement anglais.
D'après l'article quatre^ la base qui sera proposée à l'Angleterre sera Yuii possidetis.
Les articles cinq et six indiquent jusqu'où s'étend l'état de possession pour la Russie et pour la France , spécialement :
Par l'article cinq , les deux puissances s'engagent à regarder comme condition absolue de la paix avec l'Angleterre , qu'elle reconnaîtra la Finlande , la Va- lachiej la Moldavie y comme faisant partie de l'empire de Russie.
Par l'article six y elles s'engagent à regarder égale- ment comme condition absolue de la paix, que l'Angle- terre reconnaisse, indépendamment de Xuti possidetis, le nouvel ordre de choses établi par la France et l'Es- pagne.
L'article sept, qui n'est qu'un développement de l'article trois, est relatif à la franchise de communi-
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cations qui doit régner entre les plénipotentiaires respectifs.
L'article huit , implicitement contenu dans l'article cinq j a pour objet de déterminer d'une manière spé- ciale la reconnaissance, par l'empereur des Français, des provinces moldo-valaques comme possessions russes ; il est ainsi conçu : « S. M. l'empereur de toutes les Russies , d'après les révolutions et chan- gements qui agitent l'empire Ottoman, et qui ne lais- sent aucune possibilité de donner, et par conséquent aucune espérance d'obtenir des garanties suffisantes pour les personnes et les biens des habitants de la Moldavie et de la Valachie , ayant déjà porté les li- mites de son empire jusqu'au Danube, et réuni la Valachie et la Moldavie à son empire, ne pouvant qu'à cette condition reconnaître l'intégrité de l'empire Ottoman, S. M. l'empereur Napoléon reconnaît ladite réunion et les limites russes de ce côté, portées jus- qu'au Danube. »
Par l'article neuf, on stipule que l'article huit sera tenu secret, et en outre, que la Russie entamera, soit à Constantinople , soit partout ailleurs, une né- gociation afin d'obtenir à l'amiable, si cela se peut, la cession des deux provinces ; que la France renonce à sa médiation; que les plénipotentiaires des deux nations s'entendront sur le langage à tenir, afin de ne pas compromettre l'amitié existante entre la France et la Porte, ainsi que la sûreté des Français résidant dans les Echelles , et pour empêcher la Porte de se jeter dans les bras de l'Angleterre.
L'article diœ règle les obligations réciproques des deux parties; il porte textuellement : « Dans le cas où la Porte Ottomane, se refusant à la cession des deux pro- vinces , la guerre viendrait à se rallumer, l'empereur Napoléon n'y prendra aucune part et se bornera à em-
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ployer ses bons offices auprès de la Porte Ottomane ; mais s'il arrivait que l'Autriche ou quelque autre puissance fît cause commune avec l'empire Ottoman dans ladite guerre, S. M. l'empereur Napoléon fe- rait immédiatement cause commune avec la Russie, devant regarder ce cas comme un de ceux de l'alliance qui unit les deux empires.
« Dans le cas où l'Autriche se mettrait en guerre contre la France, l'empereur de Russie s'engage à se déclarer contre l'Autriche, ce cas étant également de ceux auxquels s'applique l'alliance qui unit les deux empires. »
Par l'article onze y les deux puissances s'engagent à maintenir l'intégrité des autres possessions de l'em- pire Ottoman, ne voulant ni faire elles-mêmes ni souf- frir qu'il soit fait aucune entreprise contre cet empire, « sans qu'elles en soient préalablement convenues. »
Par l'article douze ^ et en prévision d'unca.sws helli, les deux puissances conviennent de se réunir de nou- veau dans le délai d'un an , pour s'entendre sur les opérations de la guerre commune et sur les moyens de la poursuivre avec toutes les forces et toutes les res- sources des deux empires.
L'article treize est relatif au roi de Danemark. Il porte que les deux Empereurs, voulant reconnaître la loyauté et la persévérance avec lesquelles le roi de Danemark a soutenu la cause commune, s'engagent à lui procurer un dédommagement pour ses sacrifices, et à reconnaître les acquisitions qu'il aura été dans le cas de faire durant la présente guerre.
Enfin, par l'article quatorze, les deux puissances prennent l'engagement de tenir la convention secrète pendant l'espace de dix années.
Telles étaient les clauses de la convention du 1 2 oc- tobre. On voit que les questions principales entre les
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puissances y étaient réglées, et que le but réel de l'en- trevue d'Erfurth venait ainsi d'être atteint.
Il ne s'agissait plus que de donner satisfaction au vœu général touchant la paix maritime. On résolut en conséquence de faire une démarche en commun auprès de l'Angleterre pour tâcher seulement de nouer une négociation. Bien qu'au fond ce projet n'eût rien de sérieux , il fut convenu que le comte Roumantsof, ministre des Affaires Etrangères , se rendrait à Paris avec des pleins pouvoirs pour donner suite, en ce qui concernait la Russie , à la réponse que l'on devait attendre du cabinet de Londres. Nous présenterons tout à l'heure le résumé de cette négociation.
Le 14 octobre fut le jour de la séparation du con- grès. Dès la veille, les décorations, les présents avaient été échangés. A cette occasion l'empereur Alexandre^ fidèle aux nobles traditions de la grande Catherine j se montra magnifique ; les portraits , les chiffres , les diamants, toutes ces marques d'estime, de bienveil- lance auxquelles on attache tant de prix dans les Cours, furent distribuées par ce prince avec une libéralité vraiment impériale. On raconte que Napoléon j piqué de ce que les présents de l'empereur Alexandre exci- taient l'admiration par leur richesse, et effaçaient les siens, formula son mécontentement par un axiome res- trictif : Donner convenablement, disait-il, c'est hono- rer; donner beaucoup, c'est corrompre. La proposition est économique , mais nous ne voyons pas qu'elle ait jamais été à l'usage des couronnes. Louis XIV ré- pondait fièrement aux observations d'un ministre par- cimonieux : Majesté oblige.
Au moment de quitter Erfurth, l'empereur Alexan- dre vint dire adieu à Napoléon. Les deux monarques, après une longue conversation, montèrent à cheval el sortirent ensemble de la ville. Ils allèrent jusqu'à la XI 19
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distance de deux lieues où les voitures de l'empereur Alexandre attendaient. Pendant tout ce trajet les deux souverains s'entretinrent seuls ensemble ; « et quant à ce qu'ils se dirent , personne n'en sut rien , parce que l'on ne trotta même point, et que, par discrétion, les deux suites restèrent à une grande distance en ar- rière. « Ils mirent enfin pied à terre, se promenèrent encore quelques moments , puis s'embrassèrent avec les apparences de la plus grande cordialité. Ils ne devaient plus se revoir que les armes à la main.
« Napoléon revint à Erfurth au petit pas , et parais- sant rêveur et pensif. « C'est qu'en effet il subissait déjà l'ascendant de la politique à! Alexandre ^ c'est qu'il comprenait que lui, naguère encore disposant en maître de l'Europe conquise, il n'allait plus y exercer qu'un pouvoir contrôlé ; il jugeait bien qu'il lui fau- drait désormais composer avec un rival de puissance, et qu'à ce moment même obligé de réclamer le con- sentement de la Russie à ses projets sur l'Espagne, s'il ne sortait pas vainqueur de cette entreprise, c'était infailliblement l'empereur Alexandre qui deviendrait l'arbitre des destinées du monde.
Nous devons maintenant revenir au principal objet apparent des conférences d'Erfurth, c'est-à-dire la né- gociation pour la paix maritime ^
Le 12 octobre 1808, Alexandre et Napoléon adres- sèrent à George lll la lettre suivante :
« Sire,
« Les circonstances actuelles de l'Europe nous ont réunis à Erfurth. Notre première pensée est de céder
• La correspondance à laquelle les négociations avec l'Angleterre ont donné lieu , a été mise sous les yeux du parlement d'Angleterre , au mois de janvier 1809 , sous le titre de Correspondence iviih the Russian and French government, relative to the overture received from Erfurth.
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au vœu et aux besoins de tous les peuples, et de cher- cher, par une prompte pacification avec Votre Majesté, le remède le plus efficace aux malheurs qui pèsent sur toutes les nations. Nous en faisons connaître notre sincère désir à Votre Majesté par cette présente lettre.
f( La guerre longue et sanglante qui a déchiré le Con- tinent est terminée, sans qu'elle puisse se renouveler. Beaucoup de changements ont eu lieu enEurope ; beau- coup d'États ont été bouleversés. La cause en est dans l'état d'agitation et de malheur où la cessation du com- merce maritime a placé les plus grands peuples. De plus grands changements peuvent encore avoir lieu, et tout contraires à la politique de la nation anglaise. La paix est donc à la fois dans l'intérêt des peuples du Continent, comme dans l'intérêt des peuples de la Grande-Bretagne.
(( Nous nous réunissons pour prier Votre Majesté d'écouter la voix de l'humanité, en faisant taire celle des passions, de chercher, avec l'intention d'y parve- nir, à concilier tous les intérêts, et par là garantir toutes les puissances qui existent, et assurer le bon- heur de l'Europe et de cette génération à la tête de laquelle la Providence nous a placés.
c( Signé Napoléon. — Alexandre. »
Le comte Nicolas Roumantsof et M. de Champagny transmirent à M. Canning deux expéditions de cette lettre. Les deux lettres d'accompagnement sont presque conformes. Chaque ministre dit que son souverain espère que la grandeur et la sincérité de cette démarche seront appréciées, et qu'on ne peut attribuer à faiblesse *,
* Les mots en italique sont exactement reproduits d'après le Moniteur ; mais la vérité est qu'ils ne se trouvaient pas dans la lettre du comte Roumantsof; un sentiment de dignité a sûrement déterminé le ministre d'ALEXANDRE à lôs Omettre.
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ce qui est le résultat de l'intime liaison des deux plus grands monarques du Continent, unis pour la paix comme pour la guerre; chacun ajoute que son Empe- reuravait nommé des plénipotentiaires qui attendraient à Paris la réponse de Londres, et se rendraient dans la ville du Continent, où ceux de la Grande-Bretagne et de ses alliés seraient envoyés; enfin, qu'il était disposé à admettre pour base le principe de Vuti possidetis, précédemment proposé par l'Angleterre, et telle autre base fondée sur la justice, et sur la réciprocité et l'é- galité qui doivent régner entre toutes les grandes nations.
M. Canning transmit le 28 octobre, à l'ambassadeur de Russie, à Paris, une Note en réponse à la lettre d'Erfurth, avec une lettre d'accompagnement : « Quel- que disposée qu'aurait pu être Sa Majesté, dit le mi- nistre, de répondre directement à S. M. l'empereur de Russie, vous ne pourrez vous empêcher de sentir, monsieur l'ambassadeur, que, par la manière inusitée dont les lettres, signées par Sa Majesté Impériale, ont été rédigées, et qui les a privées entièrement du caractère d'une communication particulière per- sonnelle. Sa Majesté s'est trouvée dans l'impos- sibilité de se servir de cette marque de respect envers l'empereur de Russie, sans reconnaître en même temps des titres que Sa Majesté n'a pas re- connus. » Cette observation fait allusion à la circon- stance que 'Napoléon était qualifié, dans la lettre, d'em- pereur des Français, titre que le Cabinet de Londres n'avait pas reconnu. Quant à la manière que le ministre de la Grande-Bretagne déclare inusitée, nous rappel- lerons que, pour la même raison, la lettre que iVa/3o/eo?? Bonaparte avait adressée au roi d'Angleterre, le 26 dé- cembre 1799, était restée sans réponse.
Le ministre de la Grande-Bretagne dit encore dans
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sa lettre que son souverain se proposait de communi- quer au roi de Suède et au gouvernement existant de l'Espagne la proposition qui lui avait été adressée, et qu'il demandait une déclaration positive que la France reconnaissait le gouvernement d'Espagne comme par- ticipant aux négociations; convaincu, comme il était, que l'Empereur n'a pu être porté à sanctionner, par son concours ou par son approbation, des usurpations dont le principe n'était pas moins injuste que l'exem- ple n'en était dangereux pour tous les souverains lé- gitimes.
La Note officielle qui accompagnait cette lettre et dont une expédition fut aussi adressée à M. de Cliam- pagny, était de la teneur suivante :
Le Roi a constamment déclaré qu'il désirait la paix, et qu'il était prêt à entrer en négociation pour une paix générale sur des termes conformes à ce qu'exi- gent l'honneur de sa couronne , sa fidélité à ses enga- gements , le repos durable et la sécurité de l'Europe.
Si l'état du Continent est un état d'excitation et de misère, si plusieurs États ont été renversés, si d'au- tres encore sont menacés de l'être, c'est une consola- tion pour le Roi de penser qu'aucune partie de ces convulsions qu'on a déjà éprouvées ou dont on est menacé pour l'avenir ne peut en aucun point lui être imputée.
Le Roi reconnaît volontiers que d'aussi terribles changements sont en effet contraires à la politique de la Grande-Bretagne, si la cause de tant de misère se trouve dans la stagnation des relations commerciales , quoiqu'on ne dût point attendre de Sa Majesté qu'elle apprît seulement avec regret que le système imaginé pour la destruction du commerce de ses sujets est re- tombé sur ceux qui en ont été les auteurs ou les in- struments, cependant il n'est ni dans les dispositions
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de Sa Majesté ni dans le caractère du peuple sur lequel elle règne, de se réjouir des privations et des malheurs des nations même qui se sont coalisées contre elle.
Sa Majesté désire avec sollicitude la fin des souf- frances du Continent.
u En s'engageant dans la guerre actuelle, Sa Majesté a eu pour objet immédiat la sûreté nationale. Cette guerre ne s'est prolongée que parce que ses ennemis n'ont offert aucun moyen de la terminer avec sécurité et d'une manière honorable. Mais dans le cours d'une guerre continuée pour sa propre défense, de nouvelles obligations ont été imposées à Sa Majesté en faveur des puissances que les agressions d'un ennemi com- mun ont forcées de faire cause commune avec elle, ou qui ont sollicité l'assistance et l'appui de Sa Majesté pour le recouvrement de leur indépendance nationale, les intérêts des couronnes de Portugal et ceux de Sa Majesté Sicilienne, confiés à l'amitié et à la pro- tection de Sa Majesté. Sa Majesté tient au roi de Suède par l'alliance la plus étroite et par des stipulations qui unissent leurs conseils pour la paix comme pour la guerre.
« Sa Majesté n'est pas encore liée à l'Espagne par aucun acte formel; mais elle a contracté avec cette na- tion, à la face de l'univers, des engagements non moins sacrés, et qui, dans l'opinion de Sa Majesté, la lient autant que les traités les plus solennels. Sa Ma- jesté suppose donc qu'en lui proposant des négocia- tions pour la paix générale, les relations entre elle et la monarchie espagnole ont été clairement prises en considération, et que l'on a entendu que le gouverne- ment, agissant au nom de Ferdinand VU, serait par- tie des négociations dans lesquelles Sa Majesté est in- vitée à entrer. »
Comme le comte Rovmantsof, ministre des Âffei-
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res Étrangères de l'empereur de Russie, se trouvait à Paris, il répondit directement à cette Note le 1 6-28 no- vembre 1808. L'admission au congrès des rois alliés de la Grande-Bretagne, dit-il , ne peut être l'objet d'aucune difficulté; mais on ne peut étendre ce prin- cipe jusqu'à admettre des plénipotentiaires de la na- tion espagnole, ou, comme M. Roumantsof les ap- pelle, des insurgés espagnols. Il annonce que son maître a reconnu Joseph Bonaparte, et qu'il ne sé- parera pas ses intérêts de ceux de son allié Napoléon. Saisissant adroitement l'annonce qu'il n'existait pas de traité entre la Grande-Bretagne et les Espagnols , il exprime sa satisfaction qu'une diversité d'opinion sur les Espagnols ne pourra pas empêcher l'ouverture du congrès.
Cette Note est écrite avec dignité; mais celle du mi- nistre français, n'est pas une des meilleures produc- tions qui soient sorties du département des Affaires Étrangères. Son auteur semble craindre que la dé- marche de Napoléon pour la paix ne soit attribuée à faiblesse. Quoique rien dans la Note anglaise n'indique une telle opinion, M. de Champagny dit : « Les deux Empereurs s'étaient flattés qu'on ne se serait pas mé- pris à Londres sur le but de leur démarche. Le minis- tère anglais l'aurait-il attribuée à faiblesse et à besoin, lorsque tout homme d'État impartial reconnaît , dans l'esprit de paix et de modération qui l'a dictée, le ca- ractère de la puissance et de la véritable grandeur ? « Bientôt comparant une nation qui repousse un joug que l'usurpateur veut lui imposer, à des sujets révol- tés contre l'autorité légitime, il demande : «Qu'aurait dit le gouvernement anglais, si on lui avait proposé d'admettre (au congrès) les insurgés catholiques ir- landais? La France, sans avoir de traité avec eux , a eu aussi avec eux des rapports, leur a fait des pro-
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messes, et souvent leur a envoyé des secours. » Tel était alors le bouleversement des idées sur la justice, que des hommes mêmes qui s'efforçaient de faire en- visager le gouvernement de Napoléon comme légitime, retombaient sans cesse dans des erreurs que les pre- mières notions du Droit réfutent suffisamment.
Les dernières Notes de M. Canning sont du 9 dé- cembre. Dans celle qui est adressée à M. de Champagny, on remarque ce passage : « Il est spécialement ordonné au soussigné, par Sa Majesté, de s'abstenir de relever les choses et les expressions insultantes pour Sa Ma- jesté, pour ses alliés et pour la nation espagnole, dont abonde la Note officielle transmise par M. de Champa- gny Sa Majesté est déterminée à ne pas abandonner
la cause de la nation espagnole et delà royauté légitime d'Espagne; et la prétention de la France, d'exclure de la négociation le gouvernement central et suprême agissant au nom de S. M. C. Ferdinand VII y est telle, que Sa Majesté ne pourrait l'admettre sans acquiescer à une usurpation qui n'a rien de comparable dans l'histoire du monde. »
Dans la Note adressée au comte Roiunansof, M. Can- ning dit : « Sa Majesté ne peut concevoir par quelle obli- gation de devoir ou d'intérêt, ou par quel principe de politique russe \ Sa Majesté Impériale peut s'être trouvée forcée de reconnaître le droit que s'est arrogé la France, de déposer et d'emprisonner des souve- rains, ses amis, et de s'attribuer à elle-même la sou- veraineté de nations loyales et indépendantes. Si tels sont les principes auxquels l'Empereur s'est inviola- blement attaché , pour le soutien desquels il a engagé l'honneur et les ressources de son empire , et, s'il est uni à la France pour les établir par la guerre et les
• C'est ainsi qu'on lit cette phrase dans le Moniteur. Il faut sans doute la remplacer par celle-ci : Par quel principe de la politique russe, etc.
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maintenir clans la paix, Sa Majesté y voit avec un pro- fond regret une détermination d'aggraver et de pro- longer les maux de l'Europe. Mais on ne peut lui attribuer d'occasionner la continuation des calamités de la guerre , en faisant évanouir toute espérance d'une paix incompatible avec la justice et l'honneur, n Les négociations furent ainsi rompues , et le Parle- ment d'Angleterre en fut instruit par une déclaration du Roi, en date du 16 décembre 1808. On voit, par cette pièce, qu'indépendamment des raisons dévelop- pées dans les Notes de ses Ministres, le gouvernement britannique avait encore un motif secret pour ne pas faire la paix dans ce moment; c'était l'espoir que l'Au- triche se déclarerait bientôt contre Napoléon. Le mes- sage y fait allusion par ce passage ; « Comme il n'était pas possible de parvenir à la paix, l'apparence prolon- gée d'une négociation ne pouvait être utile qu'à l'en- nemi. Elle aurait donné à la France le moyen de semer laméfiance et la jalousie dans les Conseils de ceux qui se sont réunis pour résister à son oppression. Et si parmi les nations sur lesquelles pèse V alliance de la France^ ou parmi celles qui reçoivent d'elle une indépendance douteuse, précaire et incertaine, il y en avait qui pus- sent encore rester incertaines sur le choix entre une ruine certaine , résultant d'une inaction prolongée , et les dangers incertains d'un effort, pour échappera cette ruine, la trompeuse perspective d'une paix entre la Grande-Bretagne et la France ne manquerait pas d'être extrêmement funeste à ces nations. Le vain es- poir du retour de la tranquillité pourrait ralentir leurs préparatifs, ou leur résolution pourrait être ébranlée par la crainte d'être obligés à continuer seuls la lutte.
' Le Moniteur du 1l> décembre 4810 a retranché la phrase imprimée en italique.
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Sa Majesté penchait fortement à croire qu'au fond c'était là le principal but des propositions qui lui avaient été adressées d'Erfurth. »
Pendant ces négociations, de nouvelles scènes de guerre s'étaient ouvertes en Espagne. Jusqu'alors la défense de la patrie avait été dirigée par les di- verses juntes provinciales, d'accord avec celle de Séville, ou sous son autorité; mais la délivrance de la capitale de la présence du Roi intrus, comme on le désignait alors, permit de concentrer l'au- torité entre les mains d'une Junte suprême cen- trale, formée de deux députés choisis par chaque junte provinciale. Cette mesure, dont on ne pouvait présager qu'un grand bien , devint par événement très-préjudiciable à la cause des Espagnols. Les juntes provinciales , voulant retenir dans leurs mains le pou- voir qu'elles avaient acquis, ne déférèrent aux dépu- tés qu'ils envoyèrent à Madrid qu'une autorité extrê- mement bornée, et subordonnée à la leur. Ainsi la Junte centrale, au lieu d'une représentation nationale, ou d'un gouvernement indépendant, ne fut qu'une assemblée de délégués responsables envers ceux qui les avaient envoyés. Un corps, composé de pareils éléments, ne put acquérir la considération, ni agir avec l'énergie qui auraient été requises dans un temps si difficile.
La Junte suprême centrale s'assembla, pour la pre- mière fois, le 25 septembre, dans le palais du Roi, à Aranjuez, sous la présidence du comte de Florida Blanca, et son installation fut inaugurée par la procla- mation suivante :
« Depuis qu'en l'année 1795 l'Espagne eut déposé les armes qu'elle avait prises contre le parti des agi- tateurs et des régicides français, et que par le traité
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d'alliance de 1796 elle eut contracté une union intime avec cette puissance, sa ponctualité religieuse à obser- ver toutes les conditions de cette alliance n'a pas été moindre que sa patience à supporter les maux innom- brables qui en ont été le résultat. Au milieu de tous les changements de formes suivis par les gouverne- ments qui ont successivement régi la France , et qui , sous des noms différents , ont manifesté le même sys- tème d'avidité et de destruction, leur caractère essen- tiel , tant BOUS le Directoire que sous le Consulat et l'Empire , l'Espagne a reconnu et respecté chez son allié les droits d'une nation indépendante. Elle a par son alliance contribué à la gloire et à la grandeur de la France, dans la ferme espérance de vaincre, par une conduite si généreuse, l'ambition sans mesure du Ca- binet français, ou de voir enfin arriver le moment dé- siré par tous les amis de l'humanité, où un gouverne- ment moins turbulent pourrait s'établir dans ce pays. Aucun événement subséquent n'a pu ébranler la réso- lution de l'Espagne; ni les usurpations de l'empereur des Français en Europe, ni la négligence avec laquelle la France, dans ses négociations avec les autres puis- sances, soignait les intérêts de l'Espagne, ni les mor- tifications endurées par les princes parents ou alliés de la famille royale , ni enfin le ton de supériorité ou le manque d'égards réciproques par lesquels on répon- dait à la condescendance infatigable de l'Espagne. Énu- mérer particulièrement chacun des griefs dont elle a à se plaindre serait une tâche fastidieuse. Dans une période de trois années elle fut obligée de voir détrô- ner le souverain des Deux-Siciles, frère de son Roi, de voir ses intérêts négligés au congrès d'Amiens, où le Cabinet de Paris consentit à ce qu'elle perdît l'île de la Trinité, quoiqu'il eût promis le contraire, et cela pour la récompenser de son assistance loyale dans une
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guerre désastreuse qu'elle n'avait entreprise que pour la France; elle fut obligée de voir l'indépendance du Portugal menacée plus d'une fois, afin d'en prendre occasion d'exiger des subsides accablants^ parce que l'on enveloppait dans ces difficultés l'Espagne, obli- gée, pour empêcher la chute finale du Portugal, de suivre à grands frais une direction opposée aux inten- tions de son souverain; elle fut obligée de voir le gou- vernement français lui intimer l'ordre de lui céder l'importante colonie de la Louisiane, avec le projet formé, comme la suite l'a prouvé, de la vendre pour une somme d'argent à une troisième puissance, sans en prévenir l'Espagne. Comme unique récompense de ce sacrifice, ainsi que de plusieurs autres non moins chers, et de l'état de Parme ravi à un Infant d'Espa- gne, elle a vu la possession incertaine de la Toscane donnée à ce prince, avec le projet, comme la suite l'a prouvé, de lui reprendre ce pays, sous le prétexte de lui procurer une indemnité dans le nord du Portugal, promesse que la France n'a jamais pu ni voulu effec- tuer. Plus récemment enfin elle a vu comment l'avi- dité insensée d'un favori odieux qui gouvernait des- potiquement la monarchie a été flattée par des illusions décevantes pour pouvoir asservir et démembrer cette monarchie. D'un autre côté on élevait à un taux im- modéré, l'entrée des marchandises espagnoles dans les ports de France; on refusait constamment les dédom- magements dus à la couronne et aux sujets du Roi, et on laissait toutes les réclamations sans y faire aucune- ment droit. Cependant l'Espagne a, sans se plaindre, donné ses flottes à la France, a mis ses troupes ù sa disposition, lui a ouvert ses trésors ; elle a accordé des subsides pour prévenir avec l'Angleterre une rupture qu'il fut ensuite impossible d'éviter; et pendant que le gouvernement français se vantait hautement lui-même,
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de la manière la plus ridicule, qu'un de ses soins prin- cipaux était de récompenser et de couvrir de gloire ses alliés, le royaume d'Espagne, le plus ancien, le plus puissant, le plus fidèle de ses alliés, était sacrifié, ap- pauvri et traité plus mal qu'un neutre perfi.de. Des offenses si nombreuses, des pertes si considérables eussent sans doute ouvert depuis longtemps les yeux du gouvernement, s'il n'eût pas été, par malheur, dans les mains de l'infâme auteur du traité de 1796, dans les mains de don Manuel Godoy. La politique atroce, l'ambition de l'empereur iVaj9o/eo?î, destructrice, insatiable, vit avec joie l'humiliation de l'Espagne, qui était l'ouvrage de ses mains, et la conduite extra- vagante du favori despote.
« Déchirant le voile qui couvrait mal ses desseins , Napoléon résolut , sans en rougir, la ruine de la fa- mille royale, et la destruction d'une nation généreuse qui s'était sacrifiée pour la France; il avait décidé dans son intérieur que l'Espagne ne serait plus indé- pendante, et, sans même savoir quelle voie le con- duirait à son but, il mit la main à l'œuvre. Ici commencent les scènes d'iniquité, les machinations mensongères, les perfidies affreuses qu'il fallut mettre en mouvement pour fouler aux pieds les liens de la paix et de l'alliance, le respect pour le prince et pour la nation , et les apparences de témoignages de recon- naissance si souvent répétés. L'empereur des Fran- çais attisait soigneusement le feu de la discorde que l'influence perfide du favori avait réussi à allumer dans le sein même de la famille royale. Il épie le mo- ment , et, contre la teneur expresse d'une convention, il envoie dans la Péninsule des armées innombrables, sous le prétexte de les faire aller aux côtes d'Afrique voisines, pour y mettre à exécution un plan d'attaque contre un autre ennemi. Ses troupes, au mépris des
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promesses les plus sacrées, occupèrent les places frontières, sous le prétexte de simples mesures et de précautions militaires; et pendant qu'à Paris on né- gociait le démembrement de l'Espagne avec un pléni- potentiaire affidé du favori, les troupes de l'usurpa- teur s'approchèrent de la capitale pour effrayer les souverains aveuglés , et les contraindre à suivre l'exemple de la maison de Bragance. La révolution imprévue arrivée à Aranjuez le 1 7 et le 1 9 mars fit échouer ce projet désastreux. L'abdication volontaire du roi Charles IV ayant placé sur le trône son fils aîné le prince royal, si chéri par le peuple à cause de sa jeunesse et de son infortune , l'ennemi implacable de l'indépendance de l'Espagne changea de marche, et imagina de rendre la nation orpheline, afin d'en faire ensuite la proie de son avidité. Avec l'aide de ses di- gnes satellites, et des artifices de la ruse la plus basse, il attira à Bayonne le jeune Roi, objet de l'adoration de l'Espagne, sous le faux semblant de l'y embrasser comme ami , et de l'y reconnaître roi j les auteurs des jours du Roi captif, ses frères, ses parents furent at- tirés dans la même ville, et les bannissant de leur pays d'une manière non moins inouïe qu'audacieuse, il les force à signer une abdication nulle et imagi- naire, et se fait, dans sa démence, maître d'un trône qu'il profane par son nom et par celui de son frère Joseph Bonaparte. Des bandes d'assassins, de brigands inondent la malheureuse Espagne de sang et d'hor- reurs, et, avec une impudence criminelle connue d'eux seuls, ils transforment le patriotisme en dés- obéissance, l'honneur national en barbarie et en sot- tise, et l'attachement pour les souverains légitimes en révolte et en parjure. Ils pillent les habitants, dés- honorent les vierges, profanent les temples et les images des saints ; ne respectant pas même le Dieu
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qu'ils prétendent adorer, tandis qu'ils le foulent à leurs pieds sacrilèges, ils parlent aux habitants de l'Espagne de bonheur et de régénération, et cepen- dant ils ravagent leurs champs, dépouillent leurs tem- ples, dévastent leurs habitations, s'efforcent de dé- truire leurs institutions, leurs lois et leurs droits, et veulent employer la jeunesse espagnole asservie et les richesses de la nation pour faire la guerre à d'au- tres peuples avec lesquels nous vivons en paix et de bon accord.
« La nation, par sa bravoure et son patriotisme, a humilié l'orgueil de l'usurpateur, anéanti ses armées, et le front ceint de lauriers elle poursuit ses ennemis implacables. Toutes les provinces se sont armées pour la défense d'une cause si juste j même avant la créa- tion du gouvernement central, quelques provinces ont formellement déclaré la guerre à la France; toutes ont pris part à cette guerre, la continuent encore au- jourd'hui avec la plus vive ardeur, et il n'est aucun Espagnol qui n'ait juré dans son cœur de vaincre ou de mourir pour sa patrie , son roi et sa foi. ^La su- prême Junte centrale des royaumes d'Espagne et des Indes , qui gouverne au nom de notre Roi et souve- rain chéri Ferdinand V7/, et qui a été reconnue par toute la nation , déclare que depuis le 20 avril dernier, jour auquel on a à Rayonne insulté de la manière la plus ignoble à la souveraineté du roi Ferdinand VU, ainsi qu'à la dignité de la nation, et qu'on les a foulées aux pieds, tous les liens qui attachaient l'Espagne au gouvernement français sont rompus , de même que tous les traités quelconques, quelle que soit leur date, qui existaient avec la France. En conséquence, la Junte suprême regarde depuis ce jour toutes les actions que le Droit des gens permet en état de guerre, comme légi- time, de même que toutes les hostilités commises par les
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provinces et les individus dans la lutte qu'ils soutien- dront isolément jusqu'au moment heureux où la réunion nationale s'opérera; elle déclare aussi de la manière la plus solennelle que, depuis ladite époque du 20 avril , la nation espagnole est en état de guerre avec la France, et que cette guerre, la plus juste qu'au- cune nation ait jamais faite , continuera par terre et par mer contre l'empereur des Français, roi d'Italie, et contre ses États et ses sujets, aussi longtemps que ces derniers continueront, sous le joug de l'oppression, à soutenir les projets de l'oppresseur commun; parce que l'Espagne, qui s'est vue forcée à prendre les armes pour protéger la dignité de son Roi bien-aimé et l'in- dépendance de la nation, ne peut, comme elle l'eût désiré, faire une différence entre l'empereur Napoléon qui l'attaque, et la nation française qu'il gouverne, jusqu'à ce que celle-ci ouvre les yeux et obtienne de nouveau son ancienne dignité. La Junte centrale su- prême déclare en même temps que les puissances qui gémissent sous le joug pesant de l'empereur Napoléon continueront avec l'Espagne les rapports qui ne sont contraires ni à son intérêt raisonnable ni aux lois de l'équité naturelle, aussi longtemps qu'elles ne commettront, ni médiatement ni immédiatement, aucune hostilité contre l'Espagne. Elle déclare enfin qu'elle a prononcé le serment solennel de ne prêter l'oreille à aucune proposition de paix, tant que Fer- dinand yilf son souverain chéri, ne sera pas en pos- session de son trône, et que l'indivisibilité absolue de l'Espagne et de ses possessions américaines, sans con- sentir la cession du moindre village, ne sera pas posée comme la première condition. En conséquence elle ordonne qu'il soit transmis à toutes les parties de la monarchie espagnole, tant au dedans qu'au dehors de la Péninsule, les édits et les décrets qui ont pour but
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leur défense et celle de tous les citoyens espagnols, et le dommage de l'ennemi.
u Aranjuez, le 14 novembre 1808.
« Signé le comte de Florida-Blanca. »
La Junte suprême débuta par l'établissement d'un nouveau conseil de guerre , composé du général Cas- taiîoSf président, de don Tomas de Morlay des mar- quis de CastelaVy de Polacia, et de don Antonio Burro. La force armée fut divisée en trois corps : le premier, dit armée du Nord, et formant l'aile gauche, était commandée par Blake , ayant sous ses ordres le mar- quis de la Romana. On estima ses forces à cinquante- cinq mille hommes ; mais la Junte de Madrid et les gouvernements espagnols qui l'ont suivie ont con- stamment eu pour maxime d'exagérer leurs forces. Cette fausse politique, en trompant quelquefois les Anglais, a été la cause de démarches pernicieuses. H est probable que les troupes réglées de Blake ne pas- sèrent pas de beaucoup dix-sept mille hommes, com- posés de ce noyau de forces qui, à l'époque de la ré- volution, s'était trouvé en Galice, et des sept mille hommes que le marquis de la Romana avait amenés de la Fionie. Ce fut par une exagération semblable qu'on estima à soixante-cinq mille hommes l'armée du centre , dont Caslanos prit le commandement. L'aile droite, ou l'armée d'Aragon, qu'on disait de vingt mille hommes, fut confiée à don Josef Palafox, qui d'ailleurs l'avait réellement créée.
L'armée française, alors réduite à cinquante mille hommes, avait son quartier général à Vitoria. Son aile droite était commandée par Gouvion-Saint'Cyrf le centre par le maréchal Moncey, l'aile gauche par les maréchaux A>//, Bessières et Lefebvre.
M 20
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Napoléon qui était arrivé d'Erfurth à Paris le 25 oc- tobre, pour l'ouverture de la session du Corps législa- tif, était reparti immédiatement après, et, dès le 3 no- vembre, il se retrouvait à Bayonne. Il se mit aussitôt à la tête de ses armées, où sa présence allait ramener la victoire. On ^ait déjà qu'il avait été précédé par des ren- forts considérables : c'étaient les troupes qui revenaient de la Prusse, et les corps auxiliaires que son frère Jé- rome, le Prince Primat, et les grands-ducs de Bade et deDarmstadtlui avaient fournis. Ils portèrent l'armée française, en Espagne, à cent treize mille hommes, et vers la fin de l'année à cent quatre-vingt mille. Une succession d'avantages , remportés sous sa direc- tion par ses généraux , le conduisit promptement jus- qu'aux portes de Madrid. Nous nous bornerons à donner la date des principaux combats : Le 7 novembre combat de Guenezj Blake et la Romana sont battus par Lefehvre. Le 10 novembre, combat de Burgos; le maréchal Soult y délit le comte de Belvédère, qui commandait l'armée de l'Estrémadure, formant une division de l'armée de Blake. Le quartier général de Napoléon était, le 15 novembre, à Burgos. L'armée de Blake et Romana fut défaite, les 10 et 1 1 novembre, dans la bataille d'Espinosa, par Victor , celle de Cas- tanos le fut, le 23, à Tudela, par Lannes et Victor; enfin la réserve espagnole, sous les ordres du comte San Juan, fut culbutée, le 30, dans les défilés de Somo-Sierra, par Napoléon en personne.
Le 2 décembre, quatrième anniversaire de son cou- ronnement. Napoléon parut devant Madrid. Il s'établit à Chamartin, propriété du duc de VInfantado.
Dès le lendemain , l'armée française occupait toutes les positions militaires , et pouvait enlever la capitale en quelques heures; déjà les voltigeurs se répandaient dans les faubourgs et des obus atteignaient les édifices
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de la cité. Le prince de Neufchâtel somma la ville dé se rendre. Le peuple, consulté par les magistrats, re- poussa d'abord toute proposition; les dangers d'un assaut ne l'épouvantaient pas : il avait dépavé les rues, crénelé les maisons, matelassé les fenêtres, élevé des barricades , établi des batteries sur des charrettes , réuni une quantité considérable d'artillerie et de mu- nitions, et préparé tous les moyens possibles de dé- fense; enfin il se montrait déterminé à la résistance la plus opiniâtre. Les dispositions des habitants de Madrid furent transmises au prince de Neufchâtel par le général Morla et don Bernardo IriartCf qui avaient été envoyés en parlementaires. Voici les curieux dé- tails * qiïlridrte a laissés sur l'audience que lui et son collègue obtinrent de Napoléon.
«La. Junte permanente, militaire et politique, m'ayant nommé ainsi que don Tomas de Morla pour aller parlementer avec le prince de Neufchâtel à Cha- martin, sur la capitulation de la ville de Madrid, par suite du dernier délai que l'Empereur accorda jusqu'à six heures du matin du lendemain (4 novembre 1 808), nous partîmes le 3 après la nuit tombante, et montâ- mes à cheval dans l'hôtel des postes. Nous eûmes une conférence avec le prince de Neufchâtel dans sa lente, sans pouvoir obtenir qu'on nous accordât quelques heures de plus que six heures du matin du 4 ; et je lui demandai moi-même qu'il interposât sa médiation auprès de l'Empereur et Roi pour la réussite. Le prince alla de sa tente à celle de l'Empereur pour l'instruire de ce que nous venions de proposer. Un quart d'heure après, le prince revint; et nous ayant dit que Sa
• Celle relation , que nous avons fait traduire de l'espagnol, a été publiée pour la première fois par M. Martinez de la Rosa, dans son grand et beau travail intitulé : Espiritu del Sigh. 'Madrid), t. VII, p. 9.
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Majesté Impériale et Royale voulait nous recevoir dans sa tente, nous y entrâmes.
f(Sa Majesté nous reçut debout; et Morla, ayant commencé à parler, en lui demandant bien des fois, prosterné et presque à genoux , qu'elle traitât Madrid avec miséricorde, et qu'elle accordât quelque trêve, Sa Majesté s'y refusa avec des gestes continuels et violents, marchant en avant et en arrière. Ses mou- vements se multiplièrent quand Sa Majesté fit atten- tion aux prières de Morla, qui demandait miséri- corde avec les mains croisées, tout courbé, et avec la tête qui touchait presque ses pieds*. Quoique je n'aie pas vu ses larmes, il me sembla qu'elles tombaient de ses yeux et qu'il pleurait effectivement, d'après le ton de sa voix et ses gémissements. Moi, plein de honte, confus et fâché de tant d'humiliation et de l'effet que ces gémissements faisaient sur l'Empereur, je pris le parti de parler en m'exprimant en ces termes : « Sire , « frère de celui qui eut le bonheur de signer la paix « de Bâle et de renouer les nœuds des deux nations , « qui ne devraient jamais être séparées l'une de l'au- {( tre, combien je m'estimerais heureux moi-même si je « parvenais à obtenir d'un héros tel que Votre Majesté « la conservation et le bien de la ville de Madrid î » Sa Majesté m'interrompit , après m'avoir regardé lixement, sans doute frappé de la différence de style et du ton avec lesquels je m'exprimais, ainsi que par le souvenir d'avoir signé la paix à Bâle avec un frère de celui qui lui parlait, en me disant : « Ce peuple « de Madrid, ce peuple qui ose.... Je sais les moyens « qui sont préparés et dont il compte se servir; mais t< les boulets de canon, les bombes, prendront le de- (f vant, sans exposer un seul de mes soldats. J'ai as-
' L'expression de Morla, d'un ton presque larmoyant fut; «Sire, ayez « pitié de ce peuple; ayez pitié de ce peuple ! »
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(f sez de munitions; et, au surplus, j'en ai trouvé en « grande quantité dans votre Retire : si cela ne suffit « pas et si ce peuple s'obstine, je ferai pratiquer des « mines, et je réduirai en cendres et la ville et tous ses « habitants.... Ce peuple.... m J'interrompis Sa Majesté, en profitant d'une petite pause qu'elle fit, en lui disant: (( Sire, Madrid est-il comparable au peuple de Paris {( pendant la Révolution? » Sa Majesté me répliqua : « Ce peuple est bien tranquille, bien asservi.... » Et moi, en lui répondant, je lui dis : « Ce n'est que trop « vrai. )) Ici, ou un peu auparavant. Sa Majesté dit avec violence et irritée : « Et vos moines ! ces moines , je (( sais comment ils agissent. »Sans doute, Sa Majesté savait que les moines allaient ces jours-là par les rues, à pied et achevai, armés, provoquant le peuple. Je tâchai de calmer l'Empereur, en lui disant que parmi les moines il y en avait de différentes classes : quel- ques-uns imprudents et peu réfléchis, qui se laissaient entraîner par un zèle indiscret; mais que la plupart d'entre eux étaient bons, passant le temps dans leurs cellules, leur chapelet à la main. Ce à quoi l'Empereur répliqua: « Avec leurs chapelets à la main, ils vous « commandent en maîtres. » Et moi je lui dis : « Sire, (( ils commandent les dévotes et des hommes faibles « qui leur ressembleront; mais aucunement la partie (( des hommes sensés de la nation espagnole. » Alors l'Empereur se rejeta sur les Anglais, en employant les expressions en conséquence et qu'ils méritent si bien. Je me tus; car je pensais (comme j'ai toujours pensé) de la même manière que l'Empereur à l'égard du Cabinet britannique.
«Le parti est pris,» ajouta-t-il. «Pas un seul Bourbon ne doit rester sur aucun trône. » Je demandai à Sa Majesté Impériale et Royale qu'elle daignât accor- der quelques heures de plus que celle fixée à six heures
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du matin ; et puisque Sa Majesté exigeait que la Junte permanente qui était convoquée apaisât le peuple, je lui fis observer que ceci était impossible pendant la nuit; et que le peuple s'inquiéterait davantage si Ton tirait ces individus de leur lit, où ils se reposaient des fatigues de la. journée : « Point du tout; à six heures précises, » répliqua l'Empereur, sans écouter les ré- flexions que je lui fis , pour nous accorder un court délai afin d'instruire la Junte de la crise et de la né- cessité où se trouvait Madrid de capituler.
J'osai enfin lui dire la chose la plus difficile et pres- que la plus téméraire, savoir : Que nous avions une autorité déjà reconnue, et que nous devions compter sur elle. L'Empereur, à ce moment, fit un geste violent, fixant ses yeux sur moi ; et j'y répondis en lui disant : « Sire, ce n'est pas un prétexte, et encore « moins un délai pour attendre une réponse. C'est « uniquement pour remplir notre devoir en lui faisant « connaître la situation où nous nous trouvons. C'est (( un devoir que nous devons remplir; et je me flatte « que Votre Majesté Impériale et Royale aura plus de (( confiance dans des individus qui agissent de la sorte « que dans ceux qui agiraient autrement. ^)L'Empereur me demanda : « Et quelle est cette autorité ? » Je lui répondis : « Sire , c'est celle de la Junte centrale, » L'Empereur répliqua : « La Junte centrale , composée « de membres.... Cette Junte, dont le président est ce « Florida-Blanca, ce Florida-Blanca, qui a été de tout « temps l'ami dévoué des Anglais, et l'ennemi juré de « la France^ » L'Empereur, déjà apaisé après ce sou-
' Ces paroles amères de Napoléon contre Florida-Blanca, se rapportent à une circonstance intéressante et qu'il est utile de faire connaître. Un négociateur qui a légué à des fils dignes de lui un des beaux noms de la Diplomatie française, M. de Rayneval, dont le grand Frédéric avait prédit les succès dès son apparition dans le monde politique , et qui jusqu'à ses derniers jours fut consulté par les
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lagement contre le comte de Florida-Blànca , continua (l'un ton modéré , en exprimant ce qu'il offrait en substance en faveur de la ville de Madrid, si ses ha- bitants se conduisaient bien et se tranquillisaient. L'Empereur offrit donc que les propriétés , les habita-
plus illustres personnages de l'Europe, M. de Bayneval, disons-nous, à la suite d'un conseil que lui avait demandé le grand-duc de Bade, rela- tivement à un projet de Constitution, avait été l'objet d'une mesure in- juste de la part de Napoléon. » M. d'HAUiERivE, interpellé sur les torts que pouvait avoir M. de Bayneval , avait répondu à l'Empereur : a On « a arrêté violemment M. de Bayneval; cependant il n'a commis au- « cun délit réel et n'a jamais pensé à offenser l'Empereur. D'ailleurs , « en saine Diplomatie , M. de Bayneval, que je connais depuis vingt- « quatre ans, mérite la mention la plus honorée. C'est lui qui, en « 1763, osa demander à l'Angleterre la restitution de Gibraltar, pris « par eux sur les Espagnols, en 4704, et qui l'obtint. » Napoléon re- leva vivement la tète comme un Cid , et interrompit M. d'HAUiERivE : « Eh bien , qu'est-il arrivé après? — Sire, il est arrivé que Gibraltar « allait être rendu. Chaules III était un Castillan enthousiaste: ce prince « exultait; il s'apprêtait à étendre jusqu'aux extrémités de la Péninsule € ce bras lié jusqu'alors par des entraves ; mais le ministre Florida- « Blanca , tenant plus à une mauvaise possession en Amérique qu'au « bonheur de refaire, tout d'une pièce, l'Espagne manchotte, Florida- < Blanca , qui n'était pas aussi Castillan que son maître , pourtant ù\s « d'un Français, renonça à une telle réparation. — C'est beau de la part de « la France; c'est grand; je ne savais pas cela. Voilà comme on sert « ses aUiés! » s'écria Napoléon. Le lendemain M. de Gassendi , rap- porteur au Conseil d'État dans l'affaire de M. de Bayneval, voulut en entretenir l'Empereur. Mais déjà il ne se souvenait plus de Bade , ni môme de l'avis donné à son Prince de mieux garder ses frontières, et de réclamer plus vivement contre une violation sans excuse. Napoléon ne parlait à Gassendi que de Gibraltar redemandé, obtenu et lâchement rendu par Florida-Blanca. M. de Champagny, à la porte du cabinet , désirait remettre un rapport pour appuyer la révélation de M. d'HAU- TERIVE ; Napoléon défendit qu'on ouvrît à M. de Champagny, et M. de Bayneval recouvra la liberté. « Ce mouvement de Napoléon , ajoute un biographe , méritait d'être rappelé. Sans doute il pouvait se com- pliquer de quelque haine contre les Anglais ; mais on n'en doit pas moins rendre hommage à ce sentiment qui saisit rapidement les faits et les droits, et à cet applaudissement généreux, qui ne sera pas dans l'histoire des services de M. de Bayneval un de ses moindres litres de gloire. » (Voy. sur la négociation relative à Gibraltar les explications que nous avons données, t. IV, p. 328 de cette Histoire des Traités.)
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lions et la vie des individus seraient respectées, ainsi que les églises, la religion catholique, etc. , etc.
« L'Empereur ajouta que nous ne devions compter sur aucun secours, parce que le maréchal Ney avait mis en déroute une seconde fois l'armée du centre (avant lui, le prince de Neufchâtel l'avait signifié aussi à la Junte) ; et que si nous en doutions , il était prêt à délivrer un passe-port, pour s'en convaincre, à l'offi- cier espagnol qu'on voudrait désigner.
« Au moment de sortir de l'audience, et tout près de la tente impériale, MorlUf effrayé et tremblant, me dit : « Moi, mon ami Iriarte, je ne rentre pas à Ma- (f drid. » La crainte d'être mal reçu par le peuple, qui nous avait vus partir, l'intimida. Moi, d'un ton résolu, je lui répliquai : « Eh bien, si fait moi j que sommes- « nous venus faire? Je vais prendre mon cheval. » Alors nous montâmes sur les chevaux, et nous des- cendîmes à la porte même de l'hôtel des postes , d'où nous étions sortis, sans rencontrer à peine de monde. Plus tard , je regrettai de ne pas avoir dit à Morla, en approuvant sa prudence : « Oui , à la bonne heure , f( restez ici ; j'irai rendre compte à la Junte du résultat (( de notre mission. » Il eût été vraiment étrange de me voir rentrer tout seul, sans mon collèg\te, et ra- conter à la Junte notre double entrevue.
Nous mîmes en conséquence la Junte au courant du résultat, et l'on procéda à la convocation des conseils, de la municipalité, des prélats, etc. »
Les menaces de Napoléon, que venaient de rappor- ter les parlementaires, et les invitations des magistrats, les prières des notables, et par-dessus tout les mœurs d'une "grande ville déterminèrent enfin le peuple à abandonner la résolution d'une défense. Le 4 décem- bre, à dix heures du matin, la ville de Madrid fut remise aux troupes françaises.
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Le même jour, Napoléon rendit plusieurs décrets, dont voici les principales dispositions :
1° Le tribunal de l'Inquisition est aboli, comme attentatoire à la souveraineté et à l'autorité civile.
2° Le nombre des couvents actuellement existants en Espagne est réduit au tiers , et jusqu'à ce que cette réduction soit obtenue, il ne sera fait aucune admis- sion au noviciat; les ecclésiastiques réguliers pourront renoncer à la vie commune, et vivre en ecclésias- tiques séculiers.
3" Tous droits féodaux, toute redevance person- nelle, tous droits exclusifs, etc., sont supprimés , et abolis en Espagne.
4° Les barrières existantes de province à province sont supprimées, et les douanes transportées aux frontières.
Napoléon ne jouit pas d'un long repos dans sa nou- velle résidence. Le 25 septembre, Jolm Moore, qui commandait une division de l'armée anglaise en Por- tugal , eut ordre de se mettre à la tête de vingt mille hommes pour marcher au secours des Espagnols, en se réunissant à quinze mille hommes de troupes fraî- ches, commandées par Baird, qui furent envoyées à la Corogne. Ces troupes étant arrivées le 13 octobre ', Moore se mit en marche, le 27 , de Lisbonne. Il ar- riva, le 13 novembre, à Salamanque, et opéra, le 20 décembre , sa jonction complète avec Baird à Sahu- gan. On assure que le plan de cette expédition avait été combiné par lord Castlereagh et le marquis de la Romanay sur de fausses données quant à la force et à la composition des armées espagnoles, et qu'il n'avait pas été communiqué à sir /Mo Dalrymplef ni
' Elles ne purent débarqiierque le31,faufpd'unordrede la Junte cen- trale de Madrid.
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même au général Mûore, avant qu'il reçût l'ordre de l'exécuter. On avait aussi cru inutile de consulter la Junte centrale ou les juntes provinciales. Il paraît que sir John Moorey qui ne pouvait s'empêcher d'obéir à des ordres supérieurs, désapprouvait le plan de cette opération. 11 fut si mal servi par les Espagnols, qu'on lui cacha même, par une fausse politique, les événe- ments qui s'étaient passés à Madrid j et il ne les apprit que le 14 décembre. Le 20 de ce mois. Napoléon quitta cette ville avec quarante mille hommes pour marcher au secours de Soult , menacé par Moore. Ce- lui-ci se retira alors sur la Corogne ; son armée , exas- pérée contre les Espagnols, commit dans cette re- traite, d'affreux désordres. Napoléon, dans sa marche sur Astorga, serrant de près l'armée ennemie, reçut un courrier porteur de dépêches de M. de Champagny, par lesquelles ce ministre l'informait des événements qui se préparaient en Allemagne; ces nouvelles l'en- gagèrent à remettre le commandement de l'armée au maréchal Soult , et à partir pour Paris, où il arriva le 23 janvier 1809.
L'armée anglaise atteignit, le 14 janvier, la Corogne où elle devait être embarquée : arrêtée dans cette opé- ration par défaut d'embarcations, elle fut jointe par Soult qui l'attaqua, le 16 janvier, près de la Corogne. John Moore y un des capitaines les plus distingués de l'Angleterre, et auquel cette retraite fit le plus grand honneur, fut tué dans cette action. Les Anglais éprou- vèrent une perte considérable ; mais ils effectuèrent leur embarquement les 17 et 18 janvier. La Corogne se rendit le 19; le lendemain, le maréchal Soult y fit son entrée, et ayant la fin du mois, il acheva la con- quête de la Galice.
L'opération militaire dont nous venons de parler a été hautement blâmée par les hommes de guerre : on a
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reproché au ministre anglais de l'avoir ordonnée; mais on a rendu justice à la manière dont Moore l'exécuta. Elle coûta aux Anglais six mille hommes, autant de chevaux, et une quantité considérable d'effets mili- taires; mais elle fut de la plus grande utilité à l'Espa- gne. Elle força les Français d'ajourner la conquête du midi de ce royaume, ruina leurs équipages, diminua leur nombre, et les fatigua au point que, pendant plusieurs mois, ils ne purent entreprendre rien d'im- portant.
On était déjà presque sûr en Angleterre de la mal- heureuse issue de l'expédition de Moore, lorsque le ministère, pour relever le courage des Espagnols, con- clut avec eux une intime alliance. Le traité fut signé à Londres le] U janvier \S09f par M. Canning, au nom de la Grande-Bretagne, et par don Juan Ruiz de Apo- daca, pour la Junte suprême d'Espagne et des Indes, agissant au nom de Ferdinand VII. Il se compose da cinq articles.
Il y aura entre le roi du royaume-uni de la Grande- Bretagne et d'Irlande, et Ferdinand VU, ainsi qu'en- tre tous leurs royaumes et États, une paix chrétienne, durable et inaltérable, amitié éternelle et sincère, et une alliance intime pendant la guerre : il y aura oubli total de toutes les hostilités commises à la dernière guerre. Art. 1 .
Varticle 2 règle tout ce qui concerne les prises faites après la déclaration du 4 juillet 1 808.
Sa Majesté Britannique s'engage à assister de toutes ses forces la nation espagnole dans sa lutte avec la France , et promet de ne reconnaître aucun autre roi d'Espagne et des Indes, que Ferdinand VII et ses héri- tiers, ou tel autre que la nation espagnole reconnaî- trait, tandis que le gouvernement espagnol s'engage à ne céder, en aucun cas, aucune portion du terri-
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toire ou des possessions de la monarchie d'Espagne dans aucune partie du monde. Art. 3.
Les parties contractantes sont convenues de faire cause commune contre la France, et de ne conclure la paix avec cette puissance que de concert et d'un commun accord. Art. A.
Le cinquième article stipule l'époque des ratifications.
Un premier article séparé oblige le gouvernement espagnol à prendre les moyens les plus eflicaces pour empêcher que les escadres espagnoles, dans les ports d'Espagne, ainsi que l'escadre française, prise au mois de juin dans le port de Cadix, ne tombent au pouvoir de la France, et la Grande-Bretagne promet de coopérer à ce but.
Un second article séparé statue qu'il sera négocié un traité qui déterminera le montant des forces auxi- liaires à fournir par la Grande-Bretagne, en vertu de l'article 3.
Enfin un article additionnel parle des intérêts du commerce qui, suivant une coutume fort sage, ne sont jamais oubliés dans les transactions politiques de la Grande-Bretagne. On se promet de négocier un traité de commerce, aussitôt que les circonstances le permettront, et, en attendant, de procurer au com- merce des sujets respectifs toutes les facilités possi- bles pour autant qu'elles reposent sur la base de la réciprocité *.
C'est ici que se termine la première période de l'histoire du détrônement de la maison royale d'Espa- gne. On a vu qu'un mois de campagne avait suffi pour que la capitale du royaume fût conquise, en même temps que les armées étaient dispersées. Cependant
* Martens, Recueil, t. XII, p. 463.
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jamais de si grands résultats n'avaient eu si peu de portée. Dans le cercle que renfermaient les baïonnettes, on cédait à la force. Mais au delà, pas une ville n'ou- vrait ses portes. Pas un seul acte de soumission; par- tout un enthousiasme sombre, une exaltation prête à tous les sacrifices. Napoléon publiait des amnisties; on les dédaignait, et l'insurrection tirait de nouvelles forces des fautes mêmes , des défauts d'organisation qui avaient facilité les triomphes de la grande armée.
Et cependant la Junte centrale n'avait pu saisir le pouvoir dictatorial ; elle n'avait pu même songer à mettre de l'unité dans la défense, à nommer un général en chef et à amalgamer les forces fournies par les diverses provinces. Les armées se composaient donc : l'une d'Aragonnais, de Valenciens, d'Andalous; l'autre de Galiciens, d'Asturiens, de Basques; tous conservant leurs drapeaux, leurs rivalités; tous com- mandés par des généraux qui, n'étant point conte- nus par la main de fer d'un pouvoir suprême, se livraient, en présence même du danger, aux passions, aux mésintelligences qui troublaient le bon accord de leurs troupes.
De là, la promptitude des généraux français à gagner des batailles où l'on a peine à saisir quelques traits saillants. Mais, après ces batailles, les vaincus, de re- tour dans leurs provinces, formèrent l'élément d'une défense plus concentrée et plus opiniâtre. Ainsi les Aragonnais , qui n'avaient pu résister à Tudela , secondés par les Andalous et les Valenciens , se ré- fugièrent dans Saragosse% ville ouverte où ils sou-
' Il existait à Saragosse un parti qui appelait l'archiduc Charles au trône d'Espagne. On trouve à l'égard de ce parti autrichien des insinua- tions assez directes dans la correspondance de l'ambassadeur d'Espagne a Vienne, don Eusebio Bakdaxi et Azara , avec le comte de Met- TERMCH. Voyez l'ouvrage précité de AI. Marti >ez de la Rosa, Espiritu del Siglo.
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tinrent un siège qui rappelle les souvenirs de Numance et de Sagonte. Si jamais Napoléon a mesuré, avec un sentiment de doute, l'étendue de la tâche qu'il s'était imposée, ce dut être, lorsque maître de Madrid, il vit surgir sur ses pas une Vendée, aux proportions de treize millions d'âmfes et de vingt-sept mille lieues carrées. A cette heure néanmoins , la prédiction faite aux parlementaires espagnols était accomplie. « Pas un seul Bourbon ne doit rester sur aucun trône, » avait dit Napoléon; et, en effet, tous les Bourbons étaient préci- pités du trône. Jusqu'à présent on n'avait expulsé de leurs États que des rois ennemis. L'Espagne devait fournir la preuve que les souverains amis et alliés n'étaient pas plus assurés des leurs. « C'est qu'il y a une Némésis de l'histoire, a dit un brillant écrivain', qui ne manque jamais d'infliger un châtiment sévère aux faiblesses et aux iniquités ; et sans confondre la morale avec la politique , on peut affirmer que les ini- quités dont la marche des événements a été mêlée, sont toujours revenues, avec une élasticité terrible, frapper le peuple qui les avait commises. » Ainsi Charles IV, par une impardonnable faiblesse, avait contribué à chasser son frère, sa fille et son gendre : le tour de son expul- sion était maintenant venu. Remplacé par un fils que lui préfèrent ses peuples j attiré dans le piège avec toute sa famille par le ravisseur des trônes, et privé de la liberté en même temps que de la couronne, ce prince et sa maison devaient réaliser aux yeux de l'u- nivers étonné, ces fictions par lesquelles la scène tra- gique retraçait depuis longtemps les fautes et les mal- heurs des races royales de l'antiquité.
* M. Philarète Chasles.
riN.
NOTES ET DOCUMENTS\
I.
Page 96.
Extrait du traité de paix et d'alliance , entre 0. Cromwell et Jean /F, roi de Portugal^ du Id juillet 1654 *.
tbaodction.
Abt. 18.
Il est permis aux peuples et sujets de l'uue des deux parties contractantes, d'entrer et de séjourner dans les ports de l'au- tre, et d'en sortir librement, non-seulement avec des bâtiments marchands et de transport , mais même avec des vaisseaux de guerre armés, pour repousser les forces ennemies, soit qu'ils y aient été poussés par la tempête, soit qu'ils s'y présentent pour se radouber et s'y approvisionner, pourvu toutefois qu'ils n'ex- cèdent pas le nombre de six vaisseaux de guerre, et qu'ils ne séjournent pas dans les ports ou sur les côtes plus longtemps qu'il ne sera nécessaire, dans la crainte d'alarmer le commerce des autres nations alliées et amies ; et, s'il arrivait qu'un nom- bre extraordinaire de vaisseaux se présentât devant ces ports, sans avoir préalablement obtenu une permission de la puis- sance à laquelle ces ports appartiendraient, il ne leur sera per- mis d'y entrer qu'autant qu'ils y seront forcés par la violence de la tempête ou par quelque autre nécessité urgente, pour se soustraire aux périls de la mer et du naufrage : dans ce cas, ils feront connaître sur-le-champ au commandant ou au magis. trat supérieur de ce lieu , la cause de leur arrivée, et ils n'y sé- journeront que le temps que ledit commandant ou magistrat leur aura accordé , évitant, durant leur séjour, toutes les ac- tions hostiles qui pourraient porter préjudice à ladite républi- que ou audit roi.
' Le texte des pièces ci-après relatées est fsaciement conforme au texte d« l'édition de Vimprimerie impériale, ' Becueil de Dumont, vol. VI, p. 81 de la deuxième paille.
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Art. 19.
Il est stipulé que, ni ladite république, ui le roi, ne pourront permettre que les vaisseaux et marchandises appartenant à l'une des deux puissances ou à ses sujets, qui auront été cap- turés, en quelque temps que ce soit, par les ennemis de l'autre ou ses rebelles, et transférés dans les ports ou pays soumis à l'autorité de Tune d'elles , soient vendus au préjudice de leurs maîtres ou propriétaires; mais ils seront rendus à ces proprié- taires ou à leurs fondés de procuration, pourvu qu'ils justifient leur droit de propriété sur lesdils vaisseaux ou marchandises, avant qu'ils soient vendus et déchargés, et qu'ils produisent les preuves de leur propriété , dans le cours de trois mois après l'entrée desdits vaisseaux et marchandises, et que, dans le même espace de temps , ces propriétaires payent et acquittent les frais de la conservation et de la garde desdits vaisseaux et marchandises.
. 23.
Il est également stipulé que les biens et marchandises appar- tenant à ladite république et au roi, et à leurs peuples et sujets respectifs, qui auront été trouvés à bord des bâtiments ennemis de l'une ou l'autre puissance , pourront être confisqués avec ces bâtiments, et vendus publiquement ; mais que tous les biens et marchandises appartenant aux ennemis de l'une ou de l'autre puissance , et qui auront été chargés sur des vaisseaux appar- tenant à l'une ou à l'autre, ou à leurs peuples et sujets respec- tifs, resteront intacts.
II.
Page 96.
Extrait du traité de paix et de commerce conclu entre la France et l'Angleterre, le 3 novembre 1655 '.
Art. 15.
En attendant qu'on puisse établir quelque chose de certain pour empêcher les désordres qui pourraient arriver sur mer, a
' Léonard, t. V, p. 63.
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clé convenu que durant quatre ans, à compter du jour de la ra- tification du présent traité , les navires appartenant aux sujets et peuples de part et d'autre, qui trafiqueront sur la mer Médi- terranée ou du Levant, ou sur l'Océan , seront libres et rendront leur charge libre, bien qu'il y eût dedans de la marchandise, même des grains et légumes, appartenant aux ennemis de l'un ou de l'autre ; sauf et excepté toutefois les marchandises de contrebande, à savoir : poudre, mousquets et toute sorte d'ar- mes, munitions, chevaux et équipages servant à la guerre; même ne pourront transporter des hommes pour le service des ennemis; auquel cas, tant les navires que marchandises et équipages seront de bonne prise, ce qui sera aussi sévèrement exécuté contre ceux qui transporteront des hommes, blés et vivres, dans une place assiégée par l'un ou par l'autre.
Art. 22.
Les peuples et habitants de ladite république pourront sûre- ment et librement naviguer et trafiquer dans les royaumes, pays et lieux qui sont en paix, amitié ou neutralité avec elle, et il ne leur sera donné aucun trouble ni empêchement par les navires ou sujets dudit Roi, encore qu'il y eût inimitié et hosti- lités entre Sa Majesté et ces royaumes, pays et lieux, ou aucun d'iceux. Le même sera observé de la part de la république en- vers les sujets et peuples de France, pourvu que ledit trafic ne se fasse en aucun port ou ville assiégée par l'un ou par l'autre des confédérés, et pourvu que ni l'un ni l'autre, leurs sujets et peuples , ne transportent des marchandises de contrebande dans lesdits royaumes, pays et lieux qui sont en inimitié et hos- tilité avec l'un ou l'autre; à la charge aussi que l'article 15, touchant les. marchandises défendues ou de contrebande, et les villes ou places assiégées, sera observé de part et d'autre.
XI 21
— 322 —
III.
Page 96.
TRADUCTION.
Traité de commerce entre Charles II, roi d' Angleterre , et les Provinces-Unies des Pays-Bas , fait à la Haye, le 17 fé- vrier 1668 *.
Article premier.
11 sera permis aux sujets et habitants de la Grande-Bretagne de naviguer et de commercer en pleine liberté et sécurité dans tous les royaumes, pays, États avec lesquels la Grande-Breta- gne est ou sera en état de paix, d'amitié ou de neutralité; et ils ne seront troublés, dans cette liberté, par aucuns vaisseaux de guerre, galères, corvettes ou autres bâtiments appartenant aux Provinces-Unies ou à leurs sujets, quand même la guerre vien- drait à s'allumer entre lesdites Provinces-Unies, d'une part, et de l'autre, lesdits royaumes, pays , États alliés à la Grande- Bretagne, ou respectant la neutralité à son égard.
Art. 2.
Cette liberté de naviguer et de commercer s'étendra à toutes les espèces de marchandises, excepté seulement celles qui sont déclarées de contrebande.
Art. 3.
Dans ce nombre , sont comprises seulement les armes à feu de tout genre et celles qui y ont rapport , comme les canons, bombes , mortiers , pétards, grenades, saucissons, affûts, pou- dre à canon, mèches, salpêtre, balles, lances, épées, casques, cuirasses, haches, chevaux, harnais, fourreaux de pistolet, gi- bernes, baudriers, et autres ustensiles façonnés pour la guerre, et appelés généralement en français assortiments servant à l'usage de la guerre.
Art. 4.
Dans le nombre des marchandises prohibées ne seront pas compris le blé , le froment , ni les autres grains et légumes,
' Extrait du Corps universel diplomatique du Droit des gens , par Du- MONT, t. VII, p. 74.
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l'huile, le vin , le sel , ni en général les provisions et denrées ; mais tous les objets ainsi que toutes les marchandises qui ne sont pas spécifiés dans l'article précédent, seront entièrement libres, et il sera permis de les transporter dans les lieux appar- tenant aux ennemis des Provinces-Unies , excepté seulement les villes et les lieux bloqués ou investis.
Art. 5,
Mais, afin que ces stipulations soient observées convenable- ment et avec ordre , il est convenu que les vaisseaux et bâti- ments anglais qui, ayant de ces marchandises à bord, entreront dans les ports des Provinces-Unies pour se rendre ensuite dans les lieux ennemis desdites provinces, seront tenus de présenter aux officiers de ces ports, des passe-ports qui contiennent l'in- dication des marchandises qui composeront leur cargaison, et dont l'état aura été approuvé et signé du sceau ordinaire par les officiers des cours maritimes ou de l'amirauté des lieux d'oîi ils auront mis à la voile , avec la désignation du lieu de leur destination, le tout dans la forme ordinaire et accoutu- mée; et, après l'exhibition de ces passe-ports, ces vaisseaux ne pourront être détenus, gênés, empêchés, sous quelque pré- texte que ce soit, de continuer leur route.
Art. 6.
Les vaisseaux et bâtiments anglais qui se tiendraient dans les mouillages des côtes des Provinces-Unies , mais qui n'au- ront pas le dessein d'entrer dans les ports ou d'y débarquer leurs marchandises, ne seront pas tenus de rendre compte de leurs cargaisons, à moins qu'on ne les soupçonne de porter à l'ennemi des marchandises de contrebande , comme il a déjà été dit.
Art. 7.
Dans ce cas de soupçon légitime , les sujets du roi de la Grande-Bretagne seront tenus d'exhiber leurs passe-ports dans la forme qui vient d'être désignée.
Art. 8.
Que s'ils s'approchaient des côtes et étaient rencontrés au large par des bâtiments appartenant soit aux Provinces-Unies, soit à ceux de leurs sujets qui les auraient équipés à leurs
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frais, mais avec un diplôme public , afin de prévenir tout in- convénient, ces vaisseaux des Provinces-Unies ou de leurs su- jets n'approcheront pas des vaisseaux anglais; mais, se tenant hors de la portée du canon , ils pourront mettre à la mer une chaloupe , et monter, avec deux ou trois hommes seulement, à bord des vaisseaux anglais, pour se faire représenter par le commandant .ou maître du vaisseau les passe-poris ci-dessus spécifiés, ainsi que les lettres de marque constatant la pro- priété du navire , conformément à un formulaire qui sera joint à ce traité, afin de s'assurer de la cargaison, et en même temps du nom et du domicile du maître ou commandant , ainsi que du nom du navire; de vérifier, par ce double moyen, s'ils ne portent pas à l'ennemi des marchandises prohibées, et de con- naître l'état du navire et de son maître ou commandant. Ces passe-ports et lettres obtiendront une pleine confiance; mais, pour (ju'il ne reste aucun doute sur leur authenticité, on y em- ploiera de certains caractères , signes et sceaux du Roi et des Provinces-Unies.
Art. 9.
Si, dans les vaisseaux ou bâtiments anglais, qui feraient voile vers des ports ennemis des Provinces-Unies, on décou- vrait, par les moyens ci-dessus énoncés, des marchandises pro- hibées ou de contrebande, on les retirerait de ces vaisseaux, et on les mettrait en vente en présence et par l'autorité des juges maritimes ou autres compétents , sans que toutefois ni le vaisseau , ni les autres marchandises non prohibées qui s'y trouveraient puissent être vendus ou confisqués.
Art. 10.
11 est convenu en outre que toute marchandise chargée par les sujets du roi de la Grande-Bretagne sur des vaisseaux en- nemis des Provinces-Unies , quand même elle ne serait pas comprise au nombre des marchandises de contrebande, sera condamnée et confisquée avec toutes les autres marchandises qui se trouveraient dans le même vaisseau , sans exception quel- conque. Au contraire, tout ce qui sera saisi dans les vaisseaux appartenant aux sujets du roi de la Grande-Bretagne , quoique chargés en tout ou en partie par les ennemis des Provinces- Unies , sera libre et intact , à l'exception des marchandises prohibées, dont l'examen se fera conformément aux règlcb établies dans les paragraphes précédents.
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IV.
Page 97.
Extrait du traité de commerce , signé à f'frecht, te 1\ avril 1713, entre la France et V Angleterre.
Art. 17.
Il sera permis à tous les sujets du Roi Très-Ch rélien , et de la reine de la Grande-Bretagne , de naviguer avec leurs vais- seaux, en toute sûreté et liberté, et sans distinction de ceux à qui les marchandises de leur chargement appartiendront, de quelque port que ce soit, dans les lieux qui sont déjà ou qui seront ci-après en guerre avec le Roi Très-Chrétien, ou avec la reine de la Grande-Bretagne. 11 sera aussi permis auxdits su- jets de naviguer et de négocier avec leurs vaisseaux et mar- chandises, avec la même liberté et sûreté, des lieux, ports et endroits appartenant aux ennemis des deux parties ou de l'une d'elles, sans être aucunement inquiétés ni troublés, et d'aller directement, non-seulement desdits lieux ennemis à un lieu neutre, mais encore d'un lieu ennemi à un autre lieu ennemi, soit qu'ils soient sous la juridiction d'un même ou de diffé- rents princes ; et comme il a été stipulé , par rapport aux na- vires et aux marchandises , que les vaisseaux libres rendront les marchandises libres, et que l'on regardera comme libre tout ce qui sera trouvé sur les vaisseaux appartenant aux su- jets de l'un et de l'autre royaume, quoique tout le chargement ou une partie du chargement appartienne aux ennemis de Leurs Majestés, à l'exception cependant des marchandises de contre- bande, lesquelles étant interceptées, il sera procédé conformé- ment à l'esprit des articles suivants ; de même, il a été convenu que cette môme liberté doit s'étendre aussi aux personnes qui naviguent sur un vaisseau libre, de manière que, quoiqu'elles soient ennemies des deux parties ou de l'une d'elles, elles ne seront point tirées du vaisseau libre, si ce n'est que ce fussent des gens de guerre actuellement au service desdils ennemis.
Aai. 18.
Cette liberté de navigation et de commerce s'étendra à toute sorte de marchandises, à la réserve seulement de celles qui
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sont exprimées dans l'article suivant, et désignées sous le nom de marchandises de contrebande.
Art. 19.
On comprendra sous ce nom de marchandises de contre- bande ou défendues, les armes, canons, arquebuses, mortiers, pétards, bombes, grenades, saucisses, cercles poissés, affûts, fourchettes , bandoulières , poudre à canon , mèches, salpêtre, balles, piques, épées, morions, casques, cuirasses, hallebar- des, javelines, fourreaux de pistolet, baudriers, chevaux avec leurs harnais, et tous autres semblables genres d'armes et d'in- struments de guerre servant à l'usage des troupes.
Art. 20.
On ne mettra point au nombre des marchandises défendues, celles qui suivent ; savoir : toute sorte de draps et tous autres ouvrages de manufactures de laine, de lin, de soie, de coton et de toute autre matière , tout genre d'habillements avec les choses qui servent ordinairement à les faire ; or, argent mon- nayé et non monnayé, étain , fer, plomb, cuivre, laiton, char- bons à fourneau, blé, orge, et toute autre sorte de grains et de légumes; la nicotiane, vulgairement appelée tabac; toute sorte d'aromates, chairs salées et fumées, poissons salés, fromages, beurre, bière, huile, vins, sucre ; toute sorte de sels et de pro- visions servant à la nourriture et à la subsistance des hommes; tout genre de coton, cordages, câbles, voiles, toiles propres à faire des voiles ; ancres et parties d'ancres, quelles qu'elles puis- sent être ; mâts de navire, planches , madriers, poutres de toute sorte d'arbres ; et de toutes les autres choses nécessaires pour construire ou radouber les vaisseaux. On ne regardera pas non plus comme marchandises de contrebande , celles qui n'auront pas pris la forme de quelque instrument ou attirail servant à l'usage de la guerre sur terre ou sur mer, encore moins celles qui ne sont pas comprises et spécialement dési- gnées dans l'article précédent ; en sorte qu'elles pourront être librement transportées par les sujets des deux royaumes, même dans les lieux ennemis, excepté seulement dans les pla- ces assiégées, bloquées et investies.
Art. 24. Que si les vaisseaux desdils sujets ou habitants de Leurs Se-
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rénissimes Majestés, de part et d'autre, étaient rencontrés fai- sant route sur les côtes ou en pleine mer, par quelques vais- seaux de guerre de Leurs Sérénissimes Majestés , ou par quel- ques vaisseaux armés par des particuliers, lesdits vaisseaux de guerre ou armateurs particuliers, pour éviter tout désordre, demeureront hors de la portée du canon, et pourront envoyer leurs chaloupes au bord du vaisseau marchand qu'ils auront rencontré, et y entrer seulement au nombre de deux ou trois hommes , à qui seront montrées, par le maître ou capitaine de ce vaisseau ou bâtiment, les lettres de mer qui contiennent la preuve de la propriété du vaisseau , et conçues dans la forme insérée au présent traité ; et il sera libre au vaisseau qui les aura montrées, de poursuivre sa route sans qu'il soit permis de le molester et le visiter en façon quelconque, ou de lui donner la chasse, ou de l'obliger à se détourner du lieu de sa destination.
V.
Page 97.
Extrait du traité de navigation et de commerce , entre la France et les Provinces-Unies des Pays-Bas^ signé le 11 avriiniZ,à Utrecht.
Aet. 17.
Tous les sujets et habitants de France et des Provinces- Unies, pourront, en toute sûreté et liberté, naviguer avec leurs vaisseaux , et trafiquer avec leurs marchandises , sans distinc- tion de qui puissent être les propriétaires d'icelles , de leurs ports, royaumes et provinces , et aussi des ports et royaumes des autres États ou princes , vers les places de ceux qui sont déjà ennemis déclarés , tant de la France que des Provinces- Unies, ou de l'un des deux, ou qui pourraient le devenir. Comme aussi les mêmes sujets et habitants pourront , avec la même sûreté et liberté, naviguer avec leurs vaisseaux, et tra- fiquer avec leurs marchandises, sans distinction de qui puis- sent être les propriétaires d'icelles, des lieux, ports et rades do ceux qui sont ennemis de l'une et de l'autre desdites parties, ou de l'une des deux en particulier, sans contradiction ou dé- tourbier de qui que ce soit, non-seulement à droiture desdites
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places ennemies vers un lieu neutre , mais aussi d'une place ennemie à l'autre, soit qu'elles se trouvent situées sous la juridic- tion d'un même souverain, soit qu'elles le soient sous des divers.
Art. 18.
Ce transport et ce trafic s'étendront à toute sorte de mar- chandises, à l'exception de celles de contrebande.
Art. 19.
En ce genre de marchandises de contrebande, s'entend seu- lement être compris toutes sortes d'armes à feu, et autres as- sortiments d'icelles, comme canons, mousquets, mortiers, pé- tards, bombes, grenades, saucisses, cercles poissés, affûts, fourchettes, bandoulières, poudre, mèches, casques, cuirasses, hallebardes, salpêtre, balles, piques, épées, morions, javeli- nes , chevaux, selles de cheval, fourreaux de pistolet, bau- driers, et autres assortiments servant à l'usage de la guerre.
Art. 20.
Ne seront compris dans ce genre de marchandises de con- trebande, les froments, blé et autres graines, légumes, huiles, vins, sel, ni généralement tout ce qui appartient à la nourri- ture et sustentation de la vie , mais demeureront libres comme les autres marchandises et denrées non comprises en l'article précédent, et en sera le transport permis même aux lieux en- nemis desdits seigneurs États ; sauf aux villes et places assié- gées, bloquées ou investies.
Art. 24.
Que s'ils étaient dans les rades , ou étaient rencontrés en pleine mer par quelque navire desdits seigneurs États , ou d'armateurs particuliers leurs sujets, lesdits navires des Pro- vinces-Unies, pour éviter tout désordre, n'approcheront pas plus près des Français que de la portée du canon , et pourront envoyer leur petite barque ou chaloupe au bord des navires ou barques françaises, et faire entrer dedans deux ou trois hommes seulement , à qui seront montrés les passe-ports et ettres de mer, par le maître ou patron des navires français, en la manière ci-dessus spécifiée, selon le formulaire desdites lettres de mer, qui sera inséré à la fin de ce traité, par lesquels passe-ports et lettres de mer il puisse apparoir non-seulement
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de sa charge, mais aussi du lien, de la demeure et résidence tant du maître et patron que du navire même, afin que, par ces deux moyens, on puisse connaître s'ils portent des mar- chandises de contrebande , et qu'il apparaisse suffisamment tant de la qualité du navire que de son maître et patron ; aux- quels passe-ports et lettres de mer se devra donner entière foi et créance : et afin que l'on en connaisse mieux la validité, et qu'elles ne puissent, en aucune manière, être falsifiées et con- trefaites, seront donnés certaines marques et contre-seing de Sadite Majesté, et desdits seigneurs États Généraux.
VI*.
Page 99.
Extrait du registre des résolutions de LL. HH. PP. les sei- gneurs États Généraux des Provinces-Unies^ sur le Mémoire remis par M. Yorck^ dans une conférence ou, ce ministre a été appelé par LL. HH. PP.
Vendredi, le 22 décembre 1758.
M. Yorck, ministre plénipotentiaire de S. M. le roi de la Grande-Bretagne , ayant demandé d'entrer en conférence avec MM, les députés de Leurs Hautes Puissances, pour les affaires étrangères, leur a remis le pro memoria ci-dessous inséré.
" Dans la conférence que j'ai obtenue de Leurs Hautes Puis- sances le 7 de ce mois, j'ai eu l'honneur d'annoncer que le Roi mon maître m'avait autorisé et instruit par ses ordres, d'en- trer en négociation avec telles personnes que Leurs Hautes Puissances jugeraient à propos de nommer pour cet effet ; mais que, l'affaire exigeant du détail , il ne serait pas possible d'en venir à bout sans quelque éclaircissement ultérieur. C'est avec bien du plaisir que je vois ouvrir nos conférences aujourd'hui sur ce sujet important, et je me flatte que si Leurs Hautes Puissances sont animées du même désir qu'est Sa Majesté pour une réconciliation parfaite, nous la verrons bientôt arriver.
« Leurs Hautes Puissances, par deux résolutions des 12 et 25 septembre de cette année, qu'elles m'ont fait remettre le
' Par une erreur typographique , le renvoi de ceUe pi^cc a été indiqué : page 77 de ce volume, au lieu de : Notes et Documents.
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lendemain, ont jugé nécessaire de faire quelques difficultés sur l'admission de la déclaration que j'ai eu l'honneur de leur faire au nom du Roi contre le commerce que leurs sujets font aux colonies françaises en Amérique, et pour le compte des Fran- çais de ces mômes colonies. Sa Majesté en ayant été instruite, m'a ordonné de déclarer qu'elle ne saurait se départir de sa déclaration précédente. Elle ne croit pas cette prétention fon- dée dans les traités qui existent entre Sa Majesté et la répu- blique ; et si même les personnes intéressées dans ce com- merce en pouvaient assez tordre le sens pour éblouir leurs partisans et former là-dessus un grief contre l'Angleterre, le Roi est persuadé que Leurs Hautes Puissances verront avec plaisir que Sa Majesté éloigne la discussion de ce traité, qui se trouve lié avec tant d'autres qui intéressent également ce royaume, et qu'elle s'attache uniquement à rendre tous les services et faire toutes les grâces aux sujets de ses anciens aUiés , qui ne préjudicient pas notoirement au bien-être et au salut de son peuple. C'est sous ce point de vue que Sa Majesté regarde le commerce direct ou indirect avec les colonies françaises en Amé- rique. Sa Majesté étant en guerre avec le Roi Très-Chrétien, ne saurait espérer d'en sortir avec sûreté, ni obtenir une paix prompte et stable, l'unique but de Sa Majesté, si les puissances qui se sont déclarées neutres dans cette guerre , au lieu de se contenter de faire leur propre commerce avec sûreté, s'arro- gent le droit de faire en même temps celui de ses ennemis, qu'il n'est pas permis de faire en temps de paix. L'injustice d'un tel procédé est trop claire pour avoir besoin qu'on en dise davantage , et on ose en appeler à la conduite même de Leurs Hautes Puissances en pareil cas ; jamais elles ne l'ont permis, et le salus populi s'est toujours déclaré contre , dans tous les pays qui se sont trouvés dans des circonstances semblables.
« Sa Majesté voit fleurir et verrait accroître avec plaisir le commerce de ses voisins, d'abord que cette première loi ne s'y oppose pas, et elle ne peut jamais se persuader que ses an- ciens alliés soient les premiers à vouloir, pour les profits pas- sagers de quelques particuliers , que l'Angleterre soit lésée si essentiellement. Envisagé sous ce point de vue, je ne saurais douter que Leurs Hautes Puissances ne donnent au Roi la salis- faction d'apprendre qu'elles y renoncent de bonne foi pour leurs sujets, et que cette pierre d'achoppement ne soit ôtée pour toujours. En constatant ce point , Sa Majesté m'ordonne de comprendre le chargement d'un vaisseau à un autre , com-
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munément appelé overshcppen , qui se fait d'un vaisseau fran- çais à un vaisseau hollandais, quand le premier, n'osant con- tinuer sa route, cherche à se sauver sous pavillon neutre, afin d'éviter la rencontre des vaisseaux du Roi en mer. Leurs Hautes Puissances , en reconnaissant la justice de ma première demande, ne sauraient me refuser la seconde , puisque ce se- rait déclarer qu'on traite de bonne foi, tandis qu'en même temps on laisserait une porte plus dangereuse ouverte pour la fraude, laquelle l'équité de Leurs Hautes Puissances désap- prouvera en toute occasion, s'il s'agit maintenant de fermer la porte à toute dispute ultérieure , et de faire renaître entre les deux nations la bonne harmonie et le bon voisinage.
« Le dernier point de mes instructions, qui regarde les de- mandes amicales que Sa Majesté fait à Leurs Hautes Puissan- ces , exige un peu plus de détails que je ne suis à même d'en fournir ; mais je dois pourtant le déclarer, en me réservant de m'expliquer plus précisément ensuite. Le Roi mon maître , de- puis le commencement de la guerre , a vu passer, non sans peine, devant ses ports, mais sans les molester, un grand nom- bre de vaisseaux hollandais chargés de tous les matériaux pour charger, construire et réparer les flottes de ses ennemis. Sa Majesté demande que certaines munitions navales soient comprises dans la classe des contrebandes ; mais elle s'enten- dra avec Leurs Hautes Puissances , pour que le commerce in- nocent de leurs sujets (s'il m'est permis de me servir de ce terme) au nord de l'Europe , ne soit pas enveloppé dans cet article. Leurs Hautes Puissances , qui sont elles-mêmes une puissance maritime , et qui savent en disputer et en défendre les prérogatives , ne pourront jamais contester que , dans la présente guerre contre la France , il ne soit de l'intérêt et du devoir du Roi d'empêcher que la marine de son ennemi ne devienne trop formidable , et de faire son possible pour l'affai- blir. Pourra-t-on disputer que les munitions navales ne soient aussi nuisibles que les boulets , les bombes et la poudre à canon?
« Voilà jusqu'où portent mes instructions par rapport à la satisfaction que le Roi se croirait en droit d'exiger de l'amitié et de la justice de la république, quand môme il n'y aurait pas d'autres fondements sur lesquels il pût bâtir ses prétentions ; mais j'ai déjà déclaré que le désir pur de Sa Majesté de lier sa sûreté avec le commerce de Leurs Hautes Puissances, m'em- pêche de m'étendre là-dessus.
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« Je viens présentement aux articles de la résolution du 25 septembre de cette année.
« 1° Quant à la demande contenue dans les premiers arti- cles , je dois faire observer à Leurs Hautes Puissances que ce même traité qu'elles réclament avec tant de force , prescrit la manière de procéder en cas de saisie ou de détention , et qu'elles ne doivent point vouloir une coercition de pouvoir extrajudiciaire de la part de Sa Majesté, dont les mains sont liées , et par les lois vis-à-vis de ses sujets, et par les traités vis-à-vis des puissances étrangères. S'il y a eu des sentences hors des règles, ou que le juge se soit laissé séduire par les apparences au temps de l'audience, ou qu'il y ait eu des délais dont on s'est cru en droit de se plaindre, le tribunal suprême établi pour juger en dernier ressort, a toujours été prêt à revi- ser et corriger les abus , s'il y en a eu dans les cours inférieu- res. Mais Leurs Hautes Puissances me permettront de dire, sans décider la question, que jusqu'à présent aucun appel n'a été porté jusque-là, malgré les assurances que plusieurs per- sonnes en ont données à Leurs Hautes Puissances. C'est un fait dont tout le monde s'étonne en Angleterre ; et si les appe- lants avaient voulu être amis, le nombre des plaintes aurait certainement diminué considérablement. Cependant, pour aider et soulager les sujets de Leurs Hautes Puissances autant qu'il est possible, et pour ne pas confondre l'innocent avec le coupable, Sa Majesté vient d'ordonner qu'on lui remette une liste exacte de tous les vaisseaux hollandais détenus dans les ports, afin de faire entendre raison aux capteurs de vaisseaux arrêtés sous des prétextes frivoles , pour les engager à les re- lâcher, et de presser la décision des jugements de tous. S'il reste quelque chose à faire pour l'aisance ultérieure et la sû- reté future de la navigation de la république , Sa Majesté s'y prêtera volontiers.
« La nation souhaite de seconder les intentions favorables du Roi là-dessus ; mais ces choses , qui regardent l'intérieur, ne sauraient être traitées vis-à-vis de l'étranger. Je me flatte que ces assurances suffiront pour calmer les craintes mal fondées qui se sont élevées parmi un certain nombre de personnes dans ce pays.
« 11 faut, dans des affaires aussi importantes et aussi com- phquées, un peu de confiance et un éloignement pour tout ce qui peut aigrir.
2° Au second article de la susdite résolution, j'ose presque
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assurer Vos Hautes Puissances que si elles entrent cordiale- ment dans la situation de Su Majesté dans la présente guerre, et lui témoignent de la facilité dans les points qu'elle croit pouvoir exiger de leur part , elles auront toute la satisfaction et toute la siîrelé possibles, l'intention de Sa Majesté étant que les sujets de Vos Hautes Puissances puissent en plein jouir des privilèges et immunités du traité de 1674, autant que l'accom- modement présent n'y déroge point.
« 3° Sur le troisième article : lorsque Leurs Hautes Puis- sances seront d'accord avec Sa Majesté sur les points que j'ai demandés au nom du roi, il ne sera pas difficile de s'entendre sur le contenu de celui-ci.
« A" Cet article renferme des plaintes qui ne sont peut- être que trop fondées, des excès de quelques-uns des arma- teurs anglais ou soi-disant tels , et Sa Majesté est véritable- ment pcinée qu'à la honte de ses sujets, de pareilles violences aient été commises ; toute la nation s'unit pour vouloir les réprimer.
« Je prends la liberté de communiquer ici l'ordre émané de l'amirauté de la Grande-Bretagne pour cet effet , et pour l'hon- neur de la bourse de Londres , d'y ajouter un avertissement de leur part, pour aider à amener en justice les coupables. Sa Majesté demande à Leurs Hautes Puissances de l'aider à mettre ordre à ces excès , en encourageant leurs sujets de poursuivre les coupables juridiquement, dans laquelle poursuite ils auront toute la protection et tout l'encouragement possibles ; et le Roi s'étonne qu'après tant d'instances faites dans ce pays-ci pour procurer des témoins, aucun n'a voulu, malgré toutes les offres faites pour le récompenser, entreprendre le voyage. Qu'il me soit permis d'ajouter ici qu'il y a de l'injustice à souffler le feu contre une nation voisine , qui ne demande pas mieux que d'aider à punir les coupables renfermés dans son sein.
«« 5° Je prends la liberté de m'en référer au contenu de mon premier article, pour répondre au cinquième de la résolution de Leurs Hautes Puissances , en y ajoutant que le Roi verra avec plaisir tous les moyens (ju'on pourra lui proposer pour constater la vérité des papiers des vaisseaux dont il n'y a eu que trop d'abus jusqu'à présent. »
Sur quoi, ayant été délibéré, il a été trouvé bon et arrêté tjue copie du susdit pro memoria sera remise à M. Welderen et autres députés de Leurs Hautes Puissances pour les affaires étrangères, pour visiter, examiner et prendre là-dessus les
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sages considérations et l'avis de Son Altesse Royale, et de faire rapport de tout ceci à l'assemblée.
VII.
Page 101.
Extrait du traité définitif entre Sa Majesté Britannique, le Roi Très-Chrétien, et le Roi d'Espagne; signé à Paris, le 10 fé- vrier 1763.
Art. 11.
Les traités de Weslphalie de 1648; ceux de Madrid, entre les couronnes de la Grande-Bretagne et d'Espagne, de 1667 et de 1670 ; les traités de paix de Nimègue, de 1678 et de 1679 ; de Ryswyck, de 1697 ; ceux de paix et de commerce d'Utrecht, de 1713; celui de Bade, de 1714, etc., servent de base et de fondement à la paix et au présent traité; et pour cet effet ils sont tous renouvelés et confirmés dans la meilleure forme , ainsi que tous les traités en général qui subsistaient entre les hautes parties contractantes avant la guerre , et comme s'ils étaient insérés ici mot à mot, en sorte qu'ils devront être ob- servés exactement à l'avenir, dans tous leurs points, auxquels il n'est pas dérogé par le présent traité , nonobstant tout ce qui pourrait avoir été stipulé au contraire par aucune des hau- tes parties contractantes; et toutes lesdites parties déclarent qu'elles ne permettront pas qu'il subsiste aucun privilège, grâce ou indulgence, contraire aux traités ci-dessus confirmés, à l'exception de ce qui aura été accordé et stipulé par le pré- sent traité.
VIII.
Page 101.
Extrait du traité de commerce et de navigation^ signé à Saint- Pétersbourg, le 20 juin 1766^ entre l'empereur de toutes les Russies et la Grande-Bretagne.
Art. 10.
Commerce neutre en temps de guerre.
Il sera permis aux sujets des deux hautes parties contrac- tantes , d'aller, venir et commercer librement dans les États avec lesquels Tune ou l'autre de ces parties se trouvera, pré-
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sentement ou à l'avenir, en guerre, bien entendu qu'ils ne por- tent point de munitions à l'ennemi : on en excepte néanmoins les places actuellement bloquées ou assiégées, tant par terre que par mer ; mais en tout autre temps et à l'exception des munitions de guerre, les susdits sujets pourront transporter dans ces places toute autre sorte de marchandises , ainsi que des passagers, sans le moindre empêchement. Quant à la visite des vaisseaux marchands, les vaisseaux de guerre et les arma- teurs se comporteront aussi favorablement que la raison de guerre, pour lors existante, pourra jamais le permettre vis-à- vis des puissances les plus amies qui resteront neutres , en observant le plus qu'il sera possible, les principes et les règles du droit des gens généralement reconnus.
Art. 11. Contrebande de guerre.
Tous les canons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, grenades, boulets, balles, fusils, pierres à feu, mèches, pou- dre, salpêtre , soufre , cuirasses , piques , épées , ceinturons, poches à cartouches, selles et brides, au delà de la quantité qui peut être nécessaire pour l'usage du vaisseau , ou au delà de celle que doit avoir chaque homme servant sur le vaisseau et passager, seront réputés provisions ou munitions de guerre; et s'il s'en trouve , elles seront confisquées , selon les lois, comme contrebande ou effets prohibés : mais , ni les vais- seaux, ni les passagers, ni les autres marchandises qui se trou- veront en même temps, ne seront détenus ni empêchés de continuer leur voyage.
IX.
Page 101.
Extrait du traité de commerce, signé le 6 février 1778, entre la France et les États-Unis de l Amérique.
ÂBT. 23.
liberté dn commerce avec l'ennemi : droit du pavillon neutre.
Il sera permis à tous et chacun des sujets du Roi Très-Chré- tien , et aux citoyens , peuples et habitants des susdits États- Unis , de naviguer avec leurs bâtiments , avec toute liberté et
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sûreté, sans qu'il puisse être lait d'exception à cet égard , à raison des propriétaires des marchandises chargées sur lesdits bâtiments , venant de quelque port que ce soit , et destinés pour quelque place d'une puissance actuellement ennemie, ou qui pourra l'être dans la suite, de Sa Majesté Très-Chrétienne ou des États-Unis. Il sera également permis aux sujets ou habi- lanls susmenliennés, de naviguer avec leurs vaisseaux et mar- chandises, et de fréquenter avec la même liberté et sûreté les places , ports et havres des puissances ennemies des deux parties contractantes, ou d'une d'entre elles, sans opposition ni trouble, et de faire le commerce non -seulement directe- ment des ports de l'ennemi susdit à un port neutre, mais aussi d'un port ennemi à un autre port ennemi, soit qu'il se trouve sous sa juridiction ou sous celle de plusieurs ; et il est stipulé par le présent traité que les bâtiments libres assure- ront également la liberté des marchandises , et qu'on jugera libres toutes les choses qui se trouveront à bord des navires appartenant aux sujets d'une des deux parties contractantes, quand même le chargement ou partie d'icelui, appartiendrait aux ennemis de l'une des deux ; bien entendu néanmoins que la contrebande sera toujours exceptée. Il est également con- venu que cette même liberté s'étendrait aux personnes qui pourraient se trouver à bord du bâtiment libre, quand même elles seraient ennemies de l'une des deux parties contractan- tes ; et elles ne pourront être enlevées desdits navires , à moins qu'elles ne soient militaires et actuellement au service de l'ennemi.
Art. 24.
Marchandises de contrebande et marchandises libres.
Cette liberté de navigation et de commerce doit s'étendre sur toute sorte de marchandises, à l'exception seulement de celles qui sont désignées sous le nom de contrebande. Sous ce nom de contrebande ou de marchandises prohibées , doi- vent être compris les armes, canons, bombes avec leurs fusées, et autres choses y relatives ; boulets, poudre à tirer, mèches, piques, épées , lances, dards, hallebardes, mortiers, pétards, grenades , salpêtre , fusils , balles, boucliers , casques , cuiras- ses, colles de mailles et autres armes de celte espèce, propres à armer les soldats ; porte-mousquetons, baudriers , chevaux avec leurs équipages , et tous autres instruments de guerre
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quelconques. Ixs marchandises dénommées ci-après ne seront pas comprises parmi la contrebande ou choses prohibées ; sa- voir : toute sorte de draps, et toutes autres étoffes de laine, lin, soie, coton, ou d'autres matières quelconques; toute sorte de vêtements avec les étoffes dont on a coutume de les faire ; l'or et l'argent monnayé ou non, l'étain, le fer, laiton, cuivre, airain , charbon ; de même que le froment et l'orge , et toute autre sorte de blés et légumes; tabac et toute sorte d'épice- ries ; la viande salée et fumée, poisson salé, fromage, beurre, bière, huiles, vins, sucre, et toute espèce de sel, et en général toutes provisions servant pour la nourriture de l'homme et pour le soutien de la vie; de plus, toute sorte de coton, de chanvre, lin, goudron, poix, cordes, câbles, voiles, toiles à voiles, ancres, parties d'ancres, mâts , planches , madriers, bois de toute espèce ; et toutes autres choses propres à la con- struction et réparation des vaisseaux , et autres matières quel- conques qui n'ont pas la forme d'un instrument préparé pour la guerre par terre comme par mer, ne seront pas considérées comme contrebande, et encore moins celles qui sont déjà pré- parées pour quelque autre usage. Toutes les choses dénom- mées ci-dessus doivent être comprises parmi les marchandises libres, de même que toutes les autres marchandises et effets qui ne sont pas compris et particulièrement nommés dans l'énu- mération des marchandises de contrebande, de manière qu'elles pourront être transportées et conduites de la manière la plus libre, par les sujets des deux parties contractantes, dans des places ennemies, à l'exception néanmoins de celles qui se trou- veraient actuellement assiégées ou investies.
Art. 27.
Visitation par des vaisseaux de guerre.
Lorsqu'un bâtiment appartenant auxdits sujets , peuples et habitants de l'une des deux parties contractantes, sera rencon- tré naviguant le long des côtes ou en pleine mer par un vais- seau de guerre de l'autre ou par un armateur, ledit vaisseau de guerre ou armateur, aiiu d'éviter tout désordre, se tiendra hors de la portée du canon, et pourra envoyer sa chaloupe à bord du bâtiment marchand, et y faire entrer deux ou trois hommes, auxquels le maître ou commandant du bâtiment montrera son passe-port, lequel devra être conforme à la for- mule annexée au présent traité, et constatera la propriété du xt 22
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bâtiment; et après que ledit bâtiment aura exhibé un pareil passe-port, il lui sera libre de continuer son voyage ; et ne sera permis de le molester ni de chercher en aucune manière à lui donner la chasse, ou de le forcer de quitter la course qu'il s'é- tait proposée.
X.
Page 102.
Déclaration de S. M. l'impératrice de toutes les Russies aux cours de Londres, Versailles et Madrid ^ présentée dans le mois de mars 1780*.
L'impératrice de toutes les Russies a si bien manifesté les sentiments de justice, d'équité et de modération qui l'animent, et a donné des preuves si évidentes , pendant le cours de la guerre qu'elle avait à soutenir contre la Porte Ottomane , des égards qu'elle a pour les droits de la neutralité et de la liberté du commerce général , qu'elle peut s'en rapporter au témoi- gnage de toute l'Europe. Cette conduite , ainsi que les princi- pes d'impartialité qu'elle a déployés pendant la guerre actuelle, ont dû lui inspirer la juste confiance que ses sujets jouiraient paisiblement des fruits de leur industrie et des avantages ap- partenant à toute nation neutre. L'expérience a cependant prouvé le contraire : ni ces considérations-là, ni les égards dus à ce que prescrit le droit des gens universel , n'ont pu empê- cher que les sujets de Sa Majesté impériale n'aient été souvent molestés dans leur navigation et arrêtés dans leurs opérations par celles des puissances belligérantes. Ces entraves mises à la liberté du commerce général et de celui de la Russie en parti- culier, sont de nature à exciter l'attention des souverains et de toutes les nations neutres. L'Impératrice voit résulter pour elle l'obligation de l'en affranchir par tous les moyens compati- bles avec sa dignité et avec le bien-être de ses sujets; mais avant d'en venir à l'effet, et dans l'intention sincère de préve- nir de nouvelles atteintes, elle a cru être de sa justice d'exposer aux yeux de l'Europe les principes qu'elle va suivre et qui sont
' Recueil des traites, par MARTEKiJ, t. Il, p. 74.
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propres à lever tout malentendu , et ce qui pourrait y donner lieu. Elle le fait avec d'autant plus de confiance, qu'elle trouve consignés ces principes dans le droit primitif des peuples que toute nation est fondée à réclamer, et que les puissances belli- gérantes ne sauraient les invalider sans violer les lois de la neutralité et sans violer les maximes qu'elles ont adoptées, nommément dans différents traités et engagements publics. Ils se réduisent aux points qui suivent :
1» Que les vaisseaux neutres puissent naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des marchandises de contrebande ;
3° Que l'Impératrice se tient , quant à la fixation de celles-ci, à ce qui est énoncé dans les articles 10 et 11 de son traité de commerce avec la Grande-Bretagne , en étendant ces obliga- tions à toutes les puissances en guerre ;
4" Que pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a , par la disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer ;
5" Que ces principes servent de règles dans les procédures et les jugements sur la légalité des prises.
Sa Majesté Impériale, en les manifestant, ne balance pas à dé- clarer que, pour les maintenir, et afin de protéger l'honneur de son pavillon, la sûreté du commerce et de la navigation de ses sujets, contre qui que ce soit, elle fait appareiller une partie considérable de ses forces maritimes. Cette mesure n'influera cependant d'aucune manière sur la stricte et rigoureuse neu- tralité qu'elle a saintement observée , et qu'elle observera tant qu'elle ne sera provoquée et forcée de sortir des bornes de mo- dération et d'impartialité parfaite. Ce n'est que dans cette extré- mité que sa flotte aura ordre de se porter partout où l'honneur, l'intérêt et le besoin l'appelleront.
En donnant cette assurance formelle, avec la franchise pro- pre à son caractère, l'Impératrice ne peut que se promettre que les puissances belligérantes , pénétrées des sentiments de justice et d'équité dont elle est animée, contribueront à l'ac- complissement de ses vues salutaires, qui tendent si manifeste- ment à l'utilité de toutes les nations et à l'avantage même de celles en guerre; qu'en conséquence elles muniront leurs ami- rautés et officiers commandants , d'instructions analogues et
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conformes aux principes ci-dessus énoncés , puisés dans le code primitif des peuples et adoptés si souvent dans leurs con- ventions.
XI.
Page 103.
Extrait du registre des résolutions de LL. UR. PP. les États Généraux des Provinces -Unies des Pays-Bas, du lundi 24 avril 1780; en réponse au Mémoire de la Russie, présenté le 3 avril.
Ayant été délibéré par résomption sur le Mémoire que le jjrince de Gallitzin, envoyé extraordinaire de S. M. l'impéra- trice de toutes les Russies , a présenté à l'assemblée le 3 du courant, accompagné d'une déclaration faite par Sadite Majesté Impériale aux cours d'Angleterre, de France et d'Espagne , au sujet de la liberté du commerce et de la navigation de ses su- jets, et par lequel Mémoire ce ministre fait connaître à Leurs Hautes Puissances les dispositions de sa souveraine à protéger, de concert avec les puissances neutres, le commerce cl la navi- gation de leurs sujets respectifs, le tout mentionné plus au long dans les actes du 3 susdit, il a été trouvé bon et arrêté qu'il sera répondu à M. le prince de Gallitzin sur sondii Mé- moire, que Leurs Hautes Puissances ont reçu avec beaucoup de satisfaction la communication qu'il a plu à Sa Majesté Impériale de leur faire donner de ses vues, et de la déclaration qu'elle a fait faire aux cours de Londres, de Versailles et de Madrid; que Leurs Hautes Puissances envisagent cette communication comme une preuve éclatante des bonnes dispositions de Sa Ma- jesté Impériale pour la république, et qu'elles se font un honneur et un devoir d'y répondre cordialement et avec sincérité; que Leurs Hautes Puissanceslouent et considèrent comme un nouvel ctfet de la magnanimité et de la justice reconnues de Sa Majesté Impériale, aussi bien le but qu'elle s'est proposé que les moyens qu'elle a conçus pour maintenir, pendant la guerre présente, la plus exacte neutralité et pour assurer non-seulement l'hon- neur du pavillon russe et la liberté du commerce et de la na- vigation de SCS sujets, et ne pas permettre qu'aucune des puis-
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sances qui sont en guerre y porte la moindre atteinte , mais aussi pour veiller pour les libertés et le repos de l'Europe, et établir et fixer sur les fondements les plus solides de l'équité et du droit des gens et des traités qui subsistent, un système équi- table pour la navigation et le commerce des puissances neu- tres.
Que Leurs Hautes Puissances désirant entretenir ainsi que Sa Majesté Impériale une exacte neutralité durant la guerre pré- sente, n'ont que trop expérimenté les dommages que souflVent la navigation et le commerce des puissances neutres, par les idées vagues et arbitraires que se font les puissances belligé- rantes du droit des neutres , selon qu'elles y sont portées par leur intérêt particulier et les opérations de la guerre ; et que c'est pour cette raison que Leurs Hautes Puissances jugent, ainsi que Sa Majesté Impériale, qu'il est de la première nécessité que ce droit soit établi sur des fondements solides, et main- tenu de concert par les puissances maritimes neutres; que re- lativement à la détermination de ce droit, Leurs Hautes Puis- sances se conformant entièrement aux cinq points contenus dans la déclaration faite par Sa Majesté Impériale aux cours de Versailles, de Madrid et de Londres, et communiquée de sa part à Leurs Hautes Puissances, le 3 avril, par M. le prince de Gallitzin, sont, à l'exemple de Sa Majesté Impériale, toutes prêtes à faire une déclaration semblable aux puissances belligérantes : Leurs Hautes Puissances étant aussi très-disposées à entrer avec cette princesse, et les autres puissances maritimes neutres, en conférence sur les mesures par lesquelles , en observant une neutralité exacte entre les puissances qui sont en guerre, la liberté de la navigation du commerce puisse être maintenue à forces réunies, de la manière la plus efficace , tant pour l'a- venir que pour le présent.
Et sera remis extrait de la présente résolution de Leurs Hautes Puissances par l'agent Van-der-Burch de Spierings- hoech, à M. le prince de G«//?7sïn, envoyé extraordinaire de S, M, l'impératrice de toutes les Russies, lequel sera prié d'en faire part à Sa Majesté Impériale, et de lui présenter celte réponse sous l'aspect le plus favorable, l'accompagnant de ses bons offices.
-JrU .'.t-
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XII.
Page 103.
Copie de la déclarât ion de Sa Majesté Danoise, aux cours de Lon- dres, de Versailles et de Madrid, datée du S juillet 1780.
Si la neutralité la plus exacte et la plus parfaite, avec la na- vigation la plus régulière et le respect le plus inviolable pour les traités , avait pu mettre la liberté du commerce maritime des sujets du roi de Danemark et de Norvège à l'abri des mal- heurs qui devraient être inconnus à des nations qui sont en paix, et libres et indépendantes, il ne serait point nécessaire de prendre de nouvelles mesures pour leur assurer cette li- berté à laquelle elles ont le droit le plus incontestable. Le roi de Danemark a toujours fondé sa gloire et sa grandeur sur l'es- time et la confiance des autres peuples ; il s'est fait, depuis le commencement de son règne , la loi de témoigner à toutes les puissances amies les ménagements les plus convenables, de les convaincre de ses sentiments pacifiques et de son désir sincère de contribuer au bonheur général de l'Europe : ses procédés les plus uniformes, et que rien ne peut obscurcir, en font foi. 11 ne s'est jusqu'à présent adressé qu'aux puissances belligé- rantes elles-mêmes, pour obtenir le redressement de ses griefs ; et il n'a jamais manqué de modération dans ses demandes, ni de reconnaissance lorsqu'elles ont eu le succès qu'elles de- vaient avoir; mais la navigation neutre a été trop souvent mo- lestée, et le commerce de ses sujets le plus innocent, trop fré- quemment troublé , pour que le Roi ne se crût pas obligé de prendre actuellement des mesures propres à s'assurer à lui- même et à ses alliés la sûreté du commerce et de la naviga- tion, et le maintien des droits inséparables de la liberté et de l'indépendance. Si les devoirs de la neutralité sont sacrés, le droit des gens a aussi ses arrêts avoués par toutes les nations impartiales, établis par la coutume, et fondés sur l'équité et la raison. Une nation indépendante et neutre ne perd point, par la guerre d'autrui, les droits qu'elle avait avant cette guerre, puisque la paix existe pour elle avec tous les peuples belligé- rants , sans recevoir et sans avoir à suivre les lois d'aucun d'eux. Elle est autorisée à faire, dans tous les lieux (la contre-
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bande exceptée), le trafic qu'elle aurait droit de faire si la paix existait dans toute l'Europe, comme elle existe pour elle. Le Roi ne prétend rien au delà de ce que la neutralité lui attribue; celle-ci est sa règle et celle de son peuple ; et Sa Majesté ne pou- vant avouer le principe qu'une nation belligérante est en droit d'interrompre le commerce de ses États , elle a cru devoir à soi-même, à ses peuples, fidèles observateurs de ses règle- ments, et aux puissances en guerre elles-mêmes, de leur expo- ser les principes suivants, qu'elle a toujours eus, et qu'elle avouera et soutiendra toujours, de concert avec S. M. l'impé- ratrice de toutes les Russies, dont elle a reconnu les sentiments entièrement conformes aux siens :
1° Que les vaisseaux neutres peuvent naviguer librement de port en port, et sur les côtes des nations en guerre ;
2" Que les effets appartenant aux sujets des puissances en guerre, soient libres sur les vaisseaux neutres , à l'exception des marchandises de contrebande ;
3° Qu'on n'entende, sous cette dénomination de contre- bande , que ce qui est expressément désigné comme tel dans l'article 3 de son traité de commerce avec la Grande-Bretagne, de l'année 1670, et dans les articles 26 et 27 de son traité de commerce avec la France, de l'année 1742 ; et le Roi avouera également ce qui se trouve fixé dans ceci vis-à-vis de toutes les puissances avec qui il n'a point de traité ;
4° Qu'on regarde comme un port bloqué, celui dans lequel aucun bâtiment ne peut entrer sans un danger évident, à cause des vaisseaux de guerre stationnés pour en former de près le blocus effectif;
5° Que ces principes servent de règle dans les procédures, et que justice soit rendue avec promptitude , et après les docu- ments de mer, conformes aux traités et aux usages reçus.
Sa Majesté ne balance point à déclarer qu'elle maintiendra ces principes, ainsi que l'honneur de son pavillon, et la liberté et l'indépendance du commerce et de la navigation de ses su- jets, et que c'est pour cet effet qu'elle a fait armer une partie de sa flotte, quoiqu'elle désire de conserver avec toutes les puis- sances en guerre , non-seulement la bonne intelligence, mais même toute l'intimité que la neutralité peut admettre, etc.
Signé Bernstorf.
XIII.
Page 103.
Copie de la déclaration de Sa Majesté Suédoise aux puissances belligérantes; expédiée aux cours de Versailles , de Londres et de Madrid^ datée d' Aix-la-Chapelle, le 21 juillet 1780.
Depuis le commencement de la présente guerre, le Roi a eu soin de faire connaître sa façon de penser à toute l'Europe. Il s'est imposé la loi d'une parfaite neutralité.
11 en a rempli les devoirs avec une exactitude scrupuleuse; et il a cru pouvoir jouir, en conséquence, des droits attachés à la qualité d'un souverain absolument neutre. Malgré cela, ses sujets commerçants ont été obligés de réclamer sa protection, et Sa Majesté s'est trouvée dans la nécessité de la leur accor- der. Pour remplir cet objet, le Roi fit armer un certain nombre de vaisseaux de guerre dès l'année passée ; il en employa une partie sur les côtes de son royaume, et l'autre à servir de con- voi aux bâtiments marchands suédois dans les différentes mers où le commerce de ses sujets les faisait naviguer; il fit part de ces mesures aux puissances belligérantes, et il se préparait à les continuer dans le courant de cette année , lorsque d'au- tres Cours, (jui avaient également adopté la neutralité, lui firent part des dispositions oiî elles se trouvaient, conformes à celles du Roi, et tendant au môme but. L'impératrice de Russie fit remettre une déclaration aux cours de Londres , de Versailles et de Madrid , par laquelle elle les instruisait de la résolution où elle était de défendre le commerce de ses sujets et le droit universel des nations neutres. Cette déclaration portait sur des principes si justes du droit des gens et des traités subsistants, qu'il ne parut pas possible de les révoquer en doute; le Roi les a trouvés entièrement d'accord avec sa propre cause, avec le traité conclu en 1760 entre la Suède et l'Angleterre, et celui de la France et de la Suède en 1741 ; et Sa Majesté n'a pu se dispenser de reconnaître et d'adopter ces mêmes principes, non-seulement par rapport aux puissances avec lesquelles ces- dits traités sont en vigueur, mais aussi par rapport à celles qui se trouvent déjà impliquées dans la présente guerre , ou qui pourront le devenir dans la suite, et avec lesquelles le Roi est dans le cas de ne pas avoir de traités à réclamer : c'est la
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loi universelle ; et au défaut des engagoraenls particuliers, celle-là devient obligatoire pour toutes les nations. En consé- quence, le Roi déclare actuellement de nouveau qu'il observera la même neutralité et avec la même exactitude qu'il l'a fait par le passé. Il défendra à ses sujets, sous de grièves peines , do s'écarter, en manière quelconque, des devoirs que leur impose une pareille neutralité ; mais il protégera leur commerce légi- time par tous les moyens possibles, lorsqu'ils le feront confor- mément aux principes ci-dessus mentionnés.
XIV.
Page 103.
Extrait de la convention maritime entre la Russie et le Dane- mark, signée à Copenhague, le ^9 juillet 1780.
Aet. 3.
Principes à l'égard du commerce libre.
La contrebande déterminée est exclue du commerce des nations neutres en conformité des traités et stipulations expresses subsistant entre les hautes parties contractantes et les puissances en guerre , et nommément en vertu du traité de commerce conclu entre la Russie et la Grande-Bretagne le 11 juillet 1770, et de celui conclu entre le Danemark et la France le 23 août 1742. S. M. l'impératrice de toutes les Rus- sies et S. M. le roi de Danemark et de Norvège entendent et veulent que tout autre trafic soit et reste parfaitement libre. Leurs Majestés, après avoir déjà réclamé, dans leurs déclara- tions faites aux puissances belligérantes, les principes géné- raux du droit naturel, dont la liberté du commerce et de la na- vigation, de même que les droits des peuples neutres, sont une conséquence directe, ont résolu de ne les point laisser plus longtemps dépendre d'une interprétation arbitraire suggérée par les intérêts isolés et momentanés. Dans cette vue , elles sont convenues :
1' Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances
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en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des marchandises de contrebande ;
3° Que, pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a, par la dis- position de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrê- tés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer ;
4° Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur de justes causes et faits évidents ; qu'ils soient jugés sans re- tard ; que la procédure soit toujours uniforme, prompte et lé- gale ; et que chaque fois , outre les dédommagements qu'on accorde à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en faute, il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte faite au pavillon de Leurs Majestés.
XV.
Page 103.
Extrait de la convention maritime pour le maintien du com- merce et de la navigation neutre, signée le 1\ juillet ( 1" août) 1780, entre la Suède et la Russie.
Art. 3.
Frinci'pes à l'égard du commerce libre.
Là contrebande déterminée est exclue du commerce des na- tions neutres, en conformité des traités et stipulations expres- ses subsistant entre les hautes parties contractantes et les puissances en guerre , et nommément en vertu du traité de commerce conclu entre la Suède et la Grande-Bretagne le 21 octobre 1661, et du traité préliminaire de commerce entre la Suède et la France, fait en 1741, ainsi que du traité de com- merce conclu entre la Russie et la Grande-Bretagne le 20 juin 1766. S. M. le roi de Suède et S. M. l'impératrice de toutes les Russies entendent et veulent que tout autre trafic soit et reste parfaitement Ubre. Leurs Majestés, après avoir déjà réclamé, dans leurs déclarations faites aux puissances belligérantes, les principes généraux du droit naturel, dont la liberté du com- merce et de la navigation, de même que les droits des peuples neutres, sont une conséquence directe , ont résolu de ne les
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point laisser plus longtemps dépendre d'une interprétation ar- bitraire^ suggérée par des intérêts isolés et momentanés. Dans cette vue, elles sont convenues :
1° Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances en guerre, soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des marchandises de contrebande ;
3» Que , pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a, par la dis- position de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrê- tés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer ;
4* Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur de justes causes et faits évidents ; qu'ils soient jugés sans re- tard ; que la procédure soit toujours uniforme, prompte et lé- gale, et que chaque fois, outre les dédommagements qu'on ac- corde à ceux qui ont fait des perles sans avoir été en faute, il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte faite au pavillon de Leurs Majestés.
XVI.
Page 103.
Copie du Mémoire de la cour de Russie , présenté aux cours des puissances belligérantes, pour leur notifier l'accession du Danemark et de la Suède au système de la neutralité armée; année 1780.
Le soussigné, envoyé, etc., a reçu ordre de sa Cour de com- muniquer à celle de.... une convention arrêtée et signée à Saint-Pétersbourg le 28 juin (9 juillet), entre S. M. l'impéra- trice de toutes les Russies, sa souveraine, et S. M. le roi de Danemark et de Norvège, le 21 juillet (l"'' août), entre Sa Majesté Impériale et S. M. le roi de Suède , qui a pour seul et unique objet le maintien des droits, des libertés appartenant à toutes les nations neutres. Empressé de s'en acquitter, il prie le mi- nistère de Sa Majesté de vouloir bien la porter à la connais- sance du Roi. Sa Majesté retrouvera, dans tous les points et arti- cles de ce traité, l'expression des principes d'une impartialité et
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neutralité parfaites, ainsi que des sentiments de justice et d'é- quité qui guident constamment l'Impératrice sa souveraine, et qui l'ont décidée à prendre les mesures propres à mettre ses sujets à l'abri des pertes , vexations et dangers auxquels eux, leur commerce et leur navigation pourraient être exposés par les malheureuses suites de la guerre maritime qui trouble le repos de l'Europe.
L'Impératrice se flatte et se promet de l'amitié et de l'esprit de justice dont est animée Sa Majesté..., qu'elle reconnaîtra l'équité et l'intention pacifique de cette convention, et qu'elle fera tenir la main à l'exécution des ordres qu'elle a fait expé- dier à tous ses officiers et commandants de ses vaisseaux de guerre, ainsi qu'à ses armateurs, de respecter les droits et les libertés des nations neutres, tout comme Sa Majetsé Impériale a pourvu à ce que ses sujets ne fassent point de commerce illi- cite au désavantage de l'une ou l'autre des puissances en guerre.
XVII.
Page 103.
Copie de la déclaration des États Généraux des Provinces- Unies, remise par leurs ministres aux cours des puissances belligérantes , pour leur notifier leur accession aux conven- tions maritimes entre la Russie, d'un côté, et le Danemark et la Suède, de l'autre.
L'article 10 de la double convention des cours de Copen- hague et de Saint-Pétersbourg, communiqué à celle de Lon- dres (Versailles, Madrid), énonçant le consentement des hautes parties contractantes à l'accession des autres puissances égale- ment neutres ; LL. HH. PP. les seigneurs I^tals Généraux des Provinces-Unies se sont déterminées à former de concert avec S. M. l'impératrice de toutes les Russies et LL. MM. les deux Rois ses alliés, une union fondée sur un système juste et rai- sonnable de neutralité sur mer, et ayant pour but le maintien des intérêts et des droits de leurs sujets. Pour cet effet, elles ont accédé en qualité de parties principales contractantes, par un acte formel, signé à Saint-Pétersbourg le 24 décembre
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1780, aux conventions de Copenhague el de Saint-Péters- bourg, conclues, le 28 juin (9 juillet) et le 21 juillet ( 1" août) 1780, entre S. M. l'impératrice de toutes les Russies, et LL. MM. les rois de Danemark et de Suède.
Le soussigné ambassadeur (envoyé), ayant l'honneur de communiquer cet acte au ministère de Sa Majesté Britannique (Très-Chrétienne, Catholique), le prie de vouloir bien le porter à la connaissance du Roi son maître : Sa Majesté y trouvera une nouvelle expression des principes de l'impartiahté dont LL. HH. PP. ses maîtres font constamment profession , et qui répondent si bien aux sentiments de justice et d'équité qui les ont décidés à adopter le seul moyen propre à mettre leurs sujets à l'abri des pertes , vexations et dangers auxquels eux, leur commerce et leur navigation pourraient être exposés par les malheureuses suites de la guerre maritime qui trouble le repos de l'Europe.
Leui-s Hautes Puissances se flattent et se promettent de l'a- mitié et de l'esprit de justice dont est animée Sa Majesté Britan- nique Très-Chrétienne, Catholique) qu'elle reconnaîtra l'équité et l'intention pacifique d'une telle mesure, et qu'elle fera tenir la main à l'exécution des ordres qu'elle a fait expédiera tous les officiers et commandants de ses vaisseaux de guerre, ainsi qu'à ses armateurs , de respecter les droits et les libertés des nations neutres , tout comme Leurs Hautes Puissances ont pourvu à ce que les sujets de la république ne fassent point de commerce illicite au désavantage de l'une et de l'autre des puissances en guerre.
XVIII.
Page 104.
Réponse de la cour de Londres à la déclaration de l'impéra- Iricc de Russie, louchant le commerce neutre, datée du 28 fé- vrier 1780, et présentée à la cour de Londres le V avril 1780.
Pendant tout le cours de la guerre dans laquelle le roi de la (irande-Brelagne se trouve engagé par l'agression de la France et de l'Espagne , il a manilesté les sentiments de justice, d'é- quité et de modération qui gouvernent toutes ses démarches.
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Sa Majesté a réglé sa conduite envers les puissances amies et neutres, d'après la leur à son égard, la conformant aux princi- pes les plus clairs et les plus généralement reconnus du droit des gens, qui est la seule loi entre les nations qui n'ont point de traité, et à la teneur de ses différents engagements avec d'au- tres puissances, lesquels engagements ont varié cette loi pri- mitive par des stipulations mutuelles, et l'ont variée de beau- coup de manières différentes, selon la volonté et la convenance des parties contractantes.
Fortement attaché à S. M. l'impératrice de toutes les Rus- sies, par les liens d'une amitié réciproque et d'un intérêt commun, le Roi, dès le commencement de ces troubles, donna les ordres les plus précis de respecter le pavillon de Sa Majesté et le commerce de ses sujets, selon le droit des gens et la te- neur des engagements qu'il a contractés dans son traité de commerce avec elle, et qu'il remplira avec l'exactitude la plus scrupuleuse. Les ordres à ce sujet ont été renouvelés , et on veillera strictement à leur exécution. Il est à présumer qu'ils empêcheront toute irrégularité ; mais s'il arrivait qu'il y eût la moindre violation de ces ordres réitérés , les tribunaux d'ami- rauté qui , dans ce pays-ci , comme dans tous les autres, sont établis pour connaître de pareilles matières, et qui, dans tous les cas, jugent uniquement par le droit général des nations et par les stipulations 'particulières des différents traités, redres- seraient ces torts d'une manière si équitable , que Sa Majesté Impériale serait entièrement satisfaite de leurs décisions , et y reconnaîtrait cet esprit de justice qui l'anime elle-même.
XIX.
Page 104.
Extrait du traité définitif de paix et d'amitié entre le roi de la Grande-Bretagne et le Roi Très-Chrétien, signé à Versailles le 3 septembre 1783.
Art. 2.
Renowcellemenl des traités.
Les traités de Westphalie de 1648 ; les traités de paix de Ni- raègue, de 1678 et 1679; de Ryswyck, de 1697; ceux de paix
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et de commerce d'Utrech, de 1713 ; celui de Bade, de 1714, etc. , servent de base et de fondement à la paix et au présent traité ; et pour cet effet , ils sont tous renouvelés et confirmés dans la meilleure forme, ainsi que tous les traités en général qui sub- sistaient entre les hautes parties contractantes avant la guerre, et comme s'ils étaient insérés ici mot à mot , en sorte qu'ils devront être observés exactement à l'avenir, dans toute leur teneur, et religieusement exécutés de part et d'autre , dans tous les points auxquels il n'est pas dérogé par le présent traité de paix.
XX.
Page 104.
Extrait du traité de commerce entre l'empire de Russie et la Porte Ottomane, conclu à Constantinople le ^Ijuin 1783.
Art. 40.
Contrebande de guerre.
Lorsqu'une des parties contractantes se trouverait en guerre avec une puissance étrangère quelconque, il n'est pas défendu aux sujets de l'autre partie contractante de faire leur com- merce avec celle-ci, et de fréquenter ses États, pourvu qu'ils n'importent pas chez l'ennemi des munitions ou provisions de guerre. On comprendra sous la dénomination de munitions de guerre, les choses suivantes ; savoir : canons , mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, grenades, boulets, balles, fusils, pier- res à feu, mèches, poudre , salpêtre, soufre, cuirasses, piques, épées, ceinturons, poches à cartouches, selles et brides, en exceptant toutefois la quantité nécessaire pour la défense du vaisseau et de son équipage. Au reste, les effets qui ne se trou- vent point spécifiés ici , ne seront pas réputés munitions de guerre et navales.
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XXI.
Page 104.
Extrait du traité de commerce et de navigation, signé en 1784, entre l'empereur des Romains et V impératrice de Russie, et publié, en 1785, en forme d'édit, dans leurs États respectifs.
ÉDIT DE l'impératrice DE RUSSIE.
Art. 12. Maintien du système de neutralité armée.
Ayant reconnu l'utilité et le but salutaire des principes du système de la neutralité armée, que, de concert avec plusieurs autres puissances, nous avons adoptés pendant la dernière guerre maritime, nous sommes résolue, non-seulement de veil- ler à leur maintien en général, mais de les faire observer aussi et exécuter vis-à-vis des sujets de S. M. l'Empereur : en conséquence , s'il arrivait que nous fussions engagée dans une guerre avec d'autres États , nous voulons que la communica- tion et le commerce libre des sujets autrichiens avec ces mêmes États ne soieat point pour cela interrompus ; mais dans un tel cas, ils jouiront des avantages renfermés dans les quatre axiomes suivants :
1° Que tout vaisseau pourra naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets des puissances en guerre seront libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des marchandises de contrebande ;
3° Que, pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accordera cette dénomination qu'à celui où les vaisseaux de la puissance qui l'attaque , en seront suffisamment proches, et postés de façon qu'il y ait un danger évident d'y entrer ;
4" Que les vaisseaux neutres ne pourront être arrêtés que sur de justes causes et des faits évidents; qu'ils seront jugés sans retard ; que la procédure sera toujours uniforme, prompte et légale ; et que chaque Ibis, outre les dédommagements que l'on accordera à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en faute, il sera rendu une satisfaction complète pour l'insulte faite au pavillon lésé.
— 353 —
Art. 13. Visitation sur mer.
Les navires marchands des sujets de S. M. l'Empereur, na- viguant seuls, et lorsqu'ils seront rencontrés, ou sur les côtes, ou en pleine mer, par nos vaisseaux de guerre ou par des ar- mateurs particuliers , en subiront la visite ; mais tandis qu'il ne sera pas permis, en ce cas, auxdits navires marchands de rien jeter de leurs papiers en mer, nous ordonnons à nosdils vaisseaux de guerre ou armateurs de rester de leur côté con- stamment hors de la portée du canon des navires marchands autrichiens; et pour obvier entièrement à tout désordre, de ne jamais envoyer au delà de deux ou trois hommes dans leurs chaloupes, à bord des derniers, pour faire examiner les passe- ports et lettres de mer qui constateront la propriété et les char- gements de ces navires ; mais aussitôt que de tels navires mar- chands se trouveront escortés par un ou plusieurs vaisseaux de guerre, la simple déclaration de l'officier commandant l'es- corte, que ces navires ne portent pas de contrebande , doit être envisagée comme pleinement suffisante , et aucune visite n'aura plus lieu.
edit de l empereur d autriche.
Art. 14.
Jfatntten du système de neutralité.
Ayant reconnu l'utilité et le but salutaire des principes du système de la neutralité armée, que, de concert avec plusieurs autres puissances , nous avons adopté pendant la dernière guerre maritime, nous sommes résolus, non-seulement do veiller à leur maintien en général , mais de les faire observer aussi et exécuter vis-à-vis des sujets de S. M. l'impératrice do Russie. En conséquence, s'il arrivait que nous fussions engagés dans une guerre avec d'autres Etats, nous voulons que la com- munication et le commerce libre des sujets russes avec ces mêmes Étals ne soient point interrompus pour cela ; dans un tel cas, ils jouiront des avantages renfermés dans les quatre axiomes suivants :
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1° Que tout vaisseau pourra naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets des puissances en guerre, seront libres sur les vaisseaux neutres , à l'exception des marchandises de contrebande ;
3° Que pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accordera cette dénomination qu'à celui où les vaisseaux de la puissance qui l'attaque, en seront suffisamment proches, et postés de façon qu'il y ait un danger évident d'y entrer ;
4° Que les vaisseaux neutres ne pourront être arrêtés que sur de justes causes et sur des faits évidents ; qu'ils seront jugés sans retard ; que la procédure sera toujours uniforme, prompte et légale , et que chaque fois, outre les dédommagements que l'on accordera à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en faute , il sera rendu une satisfaction complète pour l'insulte faite au pavillon lésé.
Akt. 15.
Visitation sur mer.
Les navires marchands des sujets de S. M. l'impératrice de Russie, naviguant seuls, et lorsqu'ils seront rencontrés, ou sur les côtes ou en pleine mer, par nos vaisseaux de guerre ou par des armateurs particuliers , en subiront la visite ; mais tandis qu'il ne sera pas permis, en ce cas, auxdits navires marchands, de rien jeter de leurs papiers en mer, nous ordonnons à nos- dits vaisseaux de guerre ou armateurs de rester de leur côté constamment hors de la portée du canon des navires mar- chands russes, et, pour obvier entièrement à tout désordre, de ne jamais envoyer au delà de deux ou trois hommes dans leurs chaloupes, à bord des derniers, pour faire examiner les passe- ports et lettres de mer qui constateront la propriété et les char- gements de ces navires ; mais aussitôt que de tels navires marchands se trouveront escortés par un ou plusieurs vais- seaux de guerre, la simple déclaration de l'officier comman- dant l'escorte , que ces navires ne portent pas de contrebande, doit être envisagée comme pleinement suffisante, et aucune visite n'aura plus lieu.
— 355 — ;
XXII.
Page 104.
Extrait du traité d'amitié et de commerce entre S. M. le roi de Prusse et les États-Unis d'Amérique, signé à la Haye le 10 septembre 1785.
Aet. 12.
Commerce neutre.
Si l'une des parties contractantes était en guerre avec une autre puissance , la libre correspondance et le commerce des citoyens ou sujets de la partie qui demeure neutre envers les puissances belligérantes, ne seront point interrompus. Au con- traire, et dans ce cas comme en pleine paix, les vaisseaux de la partie neutre pourront naviguer en toute sûreté dans les ports et sur les côtes des puissances belligérantes , les vais- seaux libres rendant les marchandises libres; en tant qu'on re- gardera comme libre tout ce qui sera à bord d'un navire appartenant à la partie neutre, quand même ces effets appar- tiendraient à l'ennemi de l'autre. La même liberté s'étendra aux personnes qui se trouveront à bord d'un vaisseau libre, quand même elles seraient ennemies de l'autre partie, excepté que ce fussent des gens de guerre actuellement au service de l'ennemi.
Art. 13.
Contrebande.
Dans le cas où l'une des parties contractantes se trouverait en guerre avec une autre puissance, il a été convenu que, pour prévenir les difficultés et les discussions qui surviennent ordi- nairement par rapport aux marchandises ci- devant appelées de contrebande, telles qu'armes, munitions et autres provisions de toute espèce, aucun de ces articles chargés à bord des vais- seaux des citoyens ou sujets de l'une des parties et destinés pour l'ennemi de l'autre , ne sera censé de contrebande, au point d'impliquer confiscation ou condamnation, et d'entraîner la perte de la propriété des individus. Néanmoins il sera per- mis d'arrêter ces sortes de vaisseaux et eflets, et de les retenir pendant tout le temps que le preneur croira nécessaire pour prévenir les inconvénients et les dommages qui pourraient en résulter autrement j mais, dans ce cas, on accordera une eom-
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pensation raisonnable pour les pertes qui auraient été occasion- nées par la saisie : et il sera permis en outre aux preneurs d'employer à leur service, en tout ou en partie, les munitions militaires détenues , en payant aux propriétaires la pleine va- leur, à déterminer sur le prix qui aura cours à l'endroit de leur destination ; n]ais que, dans le cas énoncé d'un vaisseau arrêté pour des articles ci-devant appelés contrebande, si le maître du navire consentait à délivrer les marchandises suspectes, il aura la liberté de le faire, et le navire ne sera plus amené dans le port, ni détenu plus longtemps, mais aura toute liberté de poursuivre sa course.
Abt. 15.
Visitation sur mer. Pour prévenir entièrement tout désordre et toute violence en pareil cas, il a été stipulé que, lorsque des navires de la partie neutre, naviguant sans convoi, rencontreront quelque vaisseau de guerre public ou particulier de l'autre partie , le vaisseau de guerre n'approchera le navire neutre qu'au delà de la portée du canon , et n'enverra pas plus de deux ou trois hommes dans sa chaloupe à bord , pour examiner les lettres de mer ou passe-ports : et toutes les personnes appartenant à quelque vaisseau de guerre public ou particulier, qui moleste- ront ou insulteront , en quelque manière que ce soit , l'équi- page, les vaisseaux ou effets de l'autre partie, seront respon- sables, en leurs personnes et en leurs biens, de tous dommages et intérêts , pour lesquels il sera donné caution suffisante par tous les commandants de vaisseaux armés en course, avant qu'ils reçoivent leurs commissions.
XXIII.
Page 104.
Extrait du traité d'alliance défensive entre 5. M. le roi Très- Chrétien et les États Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas, à Fontainebleau, le 10 novembre 1785.
Art. 8.
Commerce neutre.
Lorsqu'il se déclarera une guerre maritime à laquelle les deux hautes parues contractantes ne prendront aucune part,
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elles se garantiront mutuellement la liberté des mers, confor- mément au principe qui veut qae pavilloîi ami sauve marchan- dise ennemie, sauf toutefois les exceptions énoncées dans les articles 19 et 20 du traité de commerce signé à Utreclit, le 11 avril 1713, entre la France et les Provinces-Unies, lesquels articles auront la môme force et valeur que s'ils étaient insé- rés mot à mot dans le présent traité.
XXIV.
Page 104.
Extrait du traité d'amitié et de commerce conclu entre S. M. le roi de Suède et les États-Unis de l'Amérique septentriO' nale, le 3 avril 1783.
Aut. 7.
Libre commerce en temps de guerre. Le navire couvre la cargaison.
11 sera permis à tous el à chacun des sujets et habitants du royaume de Suède, ainsi qu'à ceux des États-Unis, de navi- guer, avec leurs bâtiments, en toute sûreté et liberté, et sans distinction de ceux à qui les marchandises et leurs charge- ments appartiendront, de quelque port que ce soit. Il sera per- mis également aux sujets et habitants des deux Ktats, de na- viguer et de négocier avec leurs vaisseaux et marchandises, et de fréquenter, avec la même liberté et sûreté, les places, porls et havres des puissances ennemies des deux parties contrac- tantes, ou de l'une d'elles, sans être aucunement inquiétés ni troublés, et de faire le commerce non-seulement directement des ports de l'ennemi à un port neutre, mais encore d'un port ennemi à un autre port ennemi, soit qu'il se trouve sous la ju- ridiction d'un même ou de différents princes. Et comme il est reçu, par le présent traité, par rapport aux navires et aux mar- chandises, que les vaisseaux libres rendront les marchandises libres, et que l'on regardera comme libre tout ce qui sera ù bord des navires appartenant aux sujets de l'une ou de l'autre des parties contractantes, quand même le chargement ou par- tie d'icelui appartiendrait aux ennemis de l'un des deux, bien entendu néanmoins que les marchandises de contrebande se- ront toujours exceptées, lesquelles étant interceptées, il sera procédé conformément à l'esprit des articles suivants. Il est également convenu que cette môme liberté s'étendra aux per-
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sonnes qui naviguent sur un vaisseau libre ; de manière que, quoiqu'elles soient ennemies des deux parties ou de l'une d'el- les , elles ne seront point tirées du vaisseau libre , si ce n'est que ce fussent des gens de guerre actuellement au service des- dits ennemis.
Art. 8.
Exception.
Cette liberté de navigation et de commerce s'étendra à toute sorte de marchandises, à la réserve seulement de celles qui sont exprimées dans l'article suivant, et désignées sous le nom de marchandises de contrebande.
Abt. 9.
Contrebande,
On comprendra sous le nom de marchandises de contrebande ou défendues , les armes , canons, boulets, arquebuses, mous- quets, mortiers, bombes, pétards, grenades, saucisses, cercles poissés, affûts , fourchettes , bandoulières, poudre à canon, mè- ches, salpêtre, soufre, balles, piques, sabres, épées, morions, casques, cuirasses, hallebardes , javelines, pistolets et leurs fourreaux, baudriers, baïonnettes, chevaux avec leurs harnais, et tous autres semblables genres d'armes et d'instruments de guerre servant à l'usage des troupes.
Art. 10.
Marchandises libres.
On ne mettra point au nombre des marchandises défendues, celles qui suivent ; savoir : toute sorte de draps et tous autres ouvrages de manufactures de laine, de lin, de soie , de coton et de toute autre matière ; tout genre d'habillements, avec les choses qui servent ordinairement à les faire ; or, argent mon- nayé ou non monnayé, étain, fer, plomb, cuivre, laiton, char- bon à fourneau, blé, orge, et toute autre sorte de grains et do légumes, la nicotiane, vulgairement appelée tabac , toute sorte d'aromates, chairs salées et fumées, poissons salés, fromage et beurre, bière, huile, vins, sucre, toute sorte de sels et de pro- visions servant à la nourriture et à la subsistance des hommes ; tout genre de coton, chanvre, lin, poix tant liquide que sèche, cordages, câbles, voiles, toiles propres à faire des voiles; an- cres et parties d'ancre, quelles qu'elles puissent être, mâts de
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navire, planches, madriers, poulres de toute sorte d'arbres ; et toutes autres choses nécessaires pour construire ou pour ra- douber les vaisseaux. On ne regardera pas non plus comme marchandises de contrebande celles qui n'auront pas pris la forme de quelque instrument ou attirail servant à l'usage de la guerre sur terre ou sur mer ; encore moins celles qui sont pré- parées ou travaillées pour tout autre usage : toutes ces choses seront censées marchandises libres, de même que toutes celles qui ne sont point comprises et spécialement désignées sous aucune interprétation prétendue d'icelles , être comprises sous les effets prohibés ou de contrebande ; au contraire, elles pour- ront être librement transportées par les sujets du Roi et des États-Unis, même dans les lieux ennemis , excepté seulement dans les places assiégées, bloquées ou investies ; et pour telles seront tenues uniquement les places entourées de près par quelqu'une des puissances belligérantes.
ÂBT. 25.
Visitation sur mer.
Lorsqu'un vaisseau appartenant aux sujets et habitants de l'une des deux parties, naviguant en pleine mer, sera rencon- tré par un vaisseau de guerre ou armateur, pour éviter tout désordre, il se tiendra hors de la portée du canon ; mais pourra toutefois envoyer sa chaloupe à bord du navire marchand, et y faire entrer deux ou trois hommes , auxquels le maître ou le commandant dudit navire montrera son passe-port qui constate la propriété du navire ; et après que ledit bâtiment aura exhibé son passe-port, il lui sera libre de continuer son voyage, 'et il ne sera pas permis de le molester ni de chercher en aucune ma- nière à lui donner la chasse ou à le forcer de quitter la course qu'il s'était proposée.
XXV.
Page 105.
Extrait du traité de navigation et de commerce entre la France et la Grande-Bretagne, conclu à Versailles le 26 septem- bre 1786.
Â&TicLE PAErnsa.
Il a été convenu , etc.
— 360 —
Art. 16.
Il ne sera pas permis aux armateurs étrangers qui ne seront pas sujets de l'une où de l'autre couronne, et qui auront com- mission de quelque autre prince ou État ennemi de l'un ou de l'autre, d'armer leurs vaisseaux dans les ports de l'un ou de l'autre desdits deux royaumes, d'y vendre ce qu'ils auront pris, ou de changer "en quelque manière que ce soit ni d'acheter même d'autres vivres que ceux qui leur seront nécessaires pour parvenir au port le plus prochain du prince dont ils auront ob- tenu des commissions.
Art. 20.
Il sera permis à tous les sujets du Roi Très-Chrétien et du roi de la Grande-Bretagne , de naviguer avec leurs vaisseaux en toute sûreté et liberté , et sans distinction de ceux à qui les marchandises de leurs chargements appartiendront, de quelque port que ce soit, dans les lieux qui sont déjà ou qui seront ci- après en guerre avec le Roi Très-Chrétien ou avec le roi de la Grande-Bretagne. Il sera aussi permis auxdits sujets de navi- guer et de négocier avec leurs vaisseaux et marchandises, avec la même liberté et sûreté , des lieux, ports et endroits apparte- nant aux ennemis des deux parties ou de l'une d'elles , sans être aucunement inquiétés ni troublés , et d'aller directement, non-seulement desdits lieux ennemis à un lieu neutre, mais encore d'un lieu ennemi à un autre lieu ennemi , soit qu'ils soient sous la juridiction d'un même ou de différents princes : et comme il a été stipulé par rapport aux navires et aux mar- chandises, que l'on regardera comme libre tout ce qui sera trouvé sur les vaisseaux appartenant aux sujets de l'un et de l'autre royaume, quoique tout le chargement ou une partie de ce môme chargement appartienne aux ennemis de Leurs Ma- jestés, à l'exception cependant des marchandises de contre- bande, lesquelles étant interceptées, il sera procédé conformé- ment à l'esprit des articles suivants ; de même il a été convenu que cette même liberté doit s'étendre aussi aux personnes qui naviguent sur un vaisseau libre, de manière que quoiqu'elles soient ennemies des deux parties ou de l'une d'elles, elles ne seront point tirées du vaisseau libre, si ce n'est que ce fussent des gens de guerre actuellement au service desdits ennemis, et se transportant pour être employés comme militaires dans leurs flottes ou dans leurs armées.
— .%1 —
Art. 21.
Celle lilxjrlé de navigation de commerce s'clendra à toute sorte de marchandises, à la n'-serve seulement de celles qui seront exprimées dans l'article suivant et désignées sous le nom de marchandises de contrebande.
Art. 22.
On comprendra sous ce nom de marchandises de contre- bande ou défendues, les armes, canons, arquebuses, mortiers, pétards , bombes, grenades, saucisses, cercles poissés, affûts, fourchettes, bandoulières, poudre à canon, mèches, salpêtre, balles, piques, épées, morions, casques, cuirasses, hallebardes, javelines, fourreaux de pistolet, baudriers, chevaux avec leurs harnais, et tous autres semblables genres d'armes et d'instru- ments de guerre servant à l'usage des troupes.
Art. 23.
On ne mettra point au nombre des marchandises défendues celles qui suivent; savoir : toute sorte de draps , et tous autres ouvrages de manufactures de laine, de lin, de soie, de coton et de toute autre matière; tout genre d'habillements, avec les choses qui servent ordinairement à les faire ; or, argent mon- nayé ou non monnayé , étain, fer, plomb, cuivre, laiton, char- bon à fourneau, blé, orge, et toute autre sorte de grains et de légumes, le tabac, toute sorte d'aromates, chairs salées et fu- mées , poissons salés , fromages et beurre , bière, huiles, vins, sucre, toute sorlc de sels et de provisions servant à la nourri- ture et à la subsistance des hommes; tout genre de coton, cor- dages, câbles, voiles, toiles propres à faire des voiles, chan- vre, suif, goudron, brai et résine; ancres et parties d'ancre, quelles qu'elles puissent être; mâts de navire, planches, ma- driers, poutres de toute sorte d'arbres, et toutes les autres cho- ses nécessaires pour construire ou pour radouber des vaisseaux. On ne regardera pas non plus comme marchandises de contre- bande celles qui n'auront pas pris la forme de quelque instru- ment ou attirail servant à l'usage de la guerre sur terre ou sur mer; encore moins celles qui sont préparées ou travaillées pour tout autre usage: toutes ces choses seront censées marchan- dises non défendues, de même que toutes celles qui ne sont pas comprises et spécialement désignées dans l'article précédent ;
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en sorte qu'elles pourront être librement transportées par les sujets des deux royaumes, même dans les lieux ennemis, excepté seulement dans des places assiégées, bloquées ou in- vesties.
Aet. 24.
Mais, pour éviter et prévenir la discorde et toute sorte d'ini- mitiés de part et d'autre , il a été convenu qu'en cas que l'une des deux parties se trouvât engagée en guerre , les vaisseaux et les bâtiments appartenant aux sujets de l'autre partie de- vront être munis de lettres de mer qui contiendront le nom, la propriété et la grandeur du vaisseau , de même que le nom et le lieu de l'habitation du maître ou du capitaine de ce vaisseau ; en sorte qu'il paraisse que ce vaisseau appartient véritablement et réellement aux sujets de l'une et de l'autre partie; et ces let- tres de mer seront accordées et conçues dans la forme annexée au présent traité. Elles seront aussi renouvelées chaque année, s'il arrive que le vaisseau revienne dans le cours de l'an. Il a été aussi convenu que ces sortes de vaisseaux chargés ne de- vront pas être seulement munis des lettres de mer ci-dessus mentionnées, mais encore des certificats contenant les espèces de la charge , le lieu d'où le vaisseau est parti et celui de sa destination, afin que l'on puisse connaître s'il ne porte aucune des marchandises défendues ou de contrebande spécifiées dans l'article 22 de ce traité ; lesquels certificats seront expé- diés par les officiers du lieu d'où le vaisseau sortira, selon la coutume ; il sera libre aussi , si on le désire et si on le juge à propos , d'exprimer dans lesdites lettres à qui appartiennent lesdites marchandises.
Art. 25.
Les vaisseaux des sujets et habitants des royaumes respec- tifs arrivant sur quelque côte de l'un ou de l'autre, sans cepen- dant vouloir entrer dans le port, ou y étant entrés et ne vou- lant pas débarquer ou rompre leurs charges, ne seront obligés de rendre compte de leurs chargements , qu'au cas qu'il y eût des indices certains qui les rendissent suspects de porter aux ennemis de l'une des deux hautes parties contractantes, des marchandises défendues, appelées de contrebande.
Art. 26. Si les vaisseaux desdits sujets ou habitants des États respec-
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tifs de Leurs Sércnissimes Majestés étaient rencontrés faisant roule sur les côtes ou en pleine mer, par quelques vaisseaux de guerre de Leurs Sérénissimes Majestés, ou par quelques vais- seaux armés par des particuliers, lesdits vaisseaux de guerre ou armateurs particuliers, pour éviter tout désordre, demeure- ront hors de la portée du canon , et pourront envoyer leur chaloupe à bord du vaisseau marchand qu'ils auront rencontré, et y entrer seulement au nombre de deux ou trois hommes, à qui seront montrées, par le maître ou capitaine de ce vaisseau ou bâtiment, les lettres de mer qui contiennent la preuve de la propriété du vaisseau, et conçues dans la forme annexée au présent traité ; et il sera libre au vaisseau qui les aura mon- trées de poursuivre sa route, sans qu'il soit permis de le mo- lester et visiter en façon quelconque , ou de lui donner la chasse, ou de l'obliger à se détourner du lieu de sa destination.
Art. 27.
Le bâtiment marchand appartenant aux sujets de l'une des deux hautes parties contractantes, qui aura résolu d'aller dans un port ennemi de l'autre, et dont le voyage et l'espèce de marchandise de son chargement seront justement soupçonnés, sera tenu de produire en pleine mer, aussi bien que dans les ports et rades, non-seulement ses lettres de mer, mais aussi des certificats qui marquent que ces marchandises ne sont pas du nombre de celles qui ont été défendues et qui sont énoncées dans l'article 22 de ce traité.
Art. 28.
Si, par l'exhibition des certificats susdits contenant un état du chargement, l'autre partie y trouve quelques-unes de ces sortes de marchandises défendues et déclarées de contrebande par l'article 22 de ce traité, et qui soient destinées pour un port de l'obéissance de ses ennemis, il ne sera pas permis de rompre ni d'ouvrir les écoutilles, caisses, coffres, balles, ton- neaux, et autres vases trouvés sur ce navire, ni d'en détourner la moindre partie des marchandises, soit que ce vaisseau ap- partienne aux sujets de la France ou à ceux de la Grande- Bretagne, à moins que son chargement n'ait été mis à terre en présence des officiers de l'amirauté, et qu'il n'ait été par eux fait inventaire desdites marchandises : elles ne pourront aussi être vendues, échangées ou autrement aliénées, de quelque
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manière qiip ce puisse être, qu'après que le procès aura été lait dans les règles et selon les lois et les coutumes contre ces marchandises défendues, et que les juges de l'amirauté respec- tivement les auront confisquées par sentence, à la réserve néanmoins, tant du vaisseau même, que des autres marchan- dises qui y auront été trouvées , et qui , en vertu de ce traité, doivent être censées libres, et sans qu'elles puissent être rete- nues sous prétexte qu'elles seraient chargées avec des mar- chandises défendues, et encore moins être confisquées comme une prise légitime ; et supposé que lesdites marchandises de contrebande ne faisant qu'une partie de la charge, le patron du vaisseau agréât, consentit et offrît de les livrer au vaisseau qui les a découvertes, en ce cas celui-ci, après avoir reçu les mar- chandises de bonne prise, sera tenu de laisser aller aussitôt le bâtiment , et ne l'empêchera en aucune manière de poursuivre sa route vers le lieu de sa destination.
Art. 29.
Il a été au contraire convenu et accordé que tout ce qui se trouvera chargé par les sujets et habitants de part et d'autre, eu un navire appartenant aux ennemis de l'autre, bien que ce ne fût pas des marchandises de contrebande , sera confisqué comme s'il appartenait à l'ennemi même, excepté les marchan- dises et effets qui auront été chargés dans ce vaisseau avant la déclaration de la guerre ou l'ordre général des représailles, ou même depuis la déclaration, pourvu que c'ait été dans les ter- mes qui suivent; à savoir : de deux mois après cette déclara- tion, ou l'ordre des représailles , si elles ont été chargées dans quelque port et lieu compris dans l'espace qui est entreArchan- gcl, Saint-Pétersbourg et les Sorlingues, et entre lesSorlingues et la ville de Gibraltar ; de dix semaines dans la mer Méditerra- née, etde huit mois dans tous les autres pays ou lieux du monde, de manière que les marchandises des sujets de l'un et l'autre prince, tant celles qui sont de contrebande, que les autres qui auront été chargées, ainsi qu'il est dit, sur quelque vaisseau en- nemi, avant la guerre ou même depuis sa déclaration, dans les temps et les termes susdits, ne seront enaucune manière sujettes à confiscation , mais seront sans délai et de bonne foi rendues aux propriétaires qui les redemanderont, en sorte néanmoins qu'il ne soii nullement permis de porter ensuite ces marchan- dises dans les ports ennemis, si elles sont de contrebande.
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XXVI.
Page 105.
Instruction aux commandants des vaisseaux de guerre de Sa Majesté, et des corsaires qui ont ou qui auront des lettres de marque contre la France
Donné à notre palais de Saint-James, le 8 juin 1793.
1° Il est permis d'arrêter et de détenir tous bâtiments char- gés en lotalilé ou en partie de blé, farine ou grain destinés pour la France ou aucuns ports occupes par les armées de France, et de les envoyer dans les ports qui conviendront le mieux, afin que lesdits grains, froments ou farines soient ache- tés pour le compte du gouvernement de Sa Majesté, et que les bâtiments soient relâchés après la vente, et après avoir reçu le fret qu'il serait juste d'accorder, ou que les capitaines de ce bâtiment, en donnant une bonne caution approuvée par l'ami- rauté, aient la permission de se rendre dans les porls d'aucuns pays en amitié avec Sa Majesté , pour y disposer de leurs car- gaisons de grains , froments ou farines.
2° 11 est permis aux commandants de guerre de Sa Majesté, et des corsaires qui ont ou qui auront des lettres de marque contre la France, d'arrêter tous bâtiments, quelle que soit la cargaison, qui tenteraient d'entrer dans un port bloqué, et de les faire condamner ainsi que leurs cargaisons, excepté les bâ- timents suédois et danois , qui seront empêchés d'entrer pour la première fois; mais s'ils tentaient une seconde fois , ils se- raient condamnés aussi.
3° Dans le cas où Sa Majesté déclarerait un port en état de blocus, il est enjoint par les présentes aux commandants des vaisseaux de guerre de Sa Majesté et des corsaires, s'ils ren- contrent à la mer des bâtiments qui, par leurs expéditions, pa- raîtraient destinés pour un port bloqué, mais qui auraient mis à la voile des ports de leurs pays respectifs avant que la décla- ration du blocus y fût arrivée, de les en avertir, et de leur con- seiller d'aller dans un autre port, de ne point les molester en- suite, à moins qu'il ne leur paraisse qu'ils ont continué leur route avec l'intention d'entrer dans un port bloqué, dans lequel cas ils seront sujets à être pris et à être condamnés ainsi que
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tous bâtiments, partout où ils soient trouvés, qui paraitraient avoir fait voile de leurs ports pour un port que Sa Majesté au- rait déclaré en état de blocus, après que ladite déclaration au- rait été connue dans le pays d'où ils seraient partis , et tous ceux qui, dans le cours de leurs voyages, auraient été avertis qu'un port aurait été bloqué, et cependant auraient continué leur route pour y entrer.
Signé G. R.
XXVII.
Page 105.
Ordre du conseil d'Angleterre. 6 novembre 1 793 *.
Les commandants des vaisseaux de guerre et des corsaires, ayant lettres de marque contre la France, arrêteront et détien- dront tous bâtiments chargés de marchandises du produit de quelques colonies appartenant à la France, ou portant des pro- visions et autres articles pour l'usage desdites colonies, et les poursuivront devant nos cours d'amirauté, pour leur être ad- jugés ainsi que les cargaisons.
XXVIII.
Page 106.
Traité passé, le 27 mars 179 A, entre le roi de Suède et le roi de Danemark, pour la défense commune de la liberté et de la sûreté du commerce danois et suédois.
S. M. le roi de Danemark et de Norvège, et S. M, le roi de Suède, considérant combien il importe à leurs sujets de jouir avec sécurité , paix et tranquillité , des avantages attachés à une neutralité parfaite, s'appuyant sur des traités authentiques, et profondément pénétrés du sentiment de leurs devoirs vis-à-
. ' Examinatlou of Uie Biilisli doclrine, p. 1 05.
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vis de leurs sujets, ne pouvant d'ailleurs dissimuler l'embarras inévitable de leur situation dans la guerre qui agite la plus grande partie de l'Europe, sont convenus et conviennent d'unir les mesures qu'ils prendront pour la défense de leurs intérêts communs, et de donner aux peuples qu'ils gouvernent , à l'exemple de leurs prédécesseurs, toute la protection qu'ils ont droit d'attendre de leur sollicitude paternelle ; et désirant , en outre, de resserrer encore plus étroitement les liens de l'amitié qui subsiste si heureusement entre eux, ont nommé, à cet effet. Sa Majesté Danoise, son ministre d'État et des Affaires Étran- gères, le sieur André-Pierre, comte de Bernstorf, chevalier de l'ordre de l'Éléphant, etc., et S. M. le roi de Suède, le sieur Eric Magnus, baron Staël Holstein, chambellan de S. M. la reine douairière de Suède, et chevalier de l'ordre de TÉpée ; les- quels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs , sont conve- nus des articles suivants :
ÀBTICXE FREMIEB.
Leurs Majestés déclarent solennellement qu'elles maintien- dront la plus parfaite neutralité pendant le cours de la présente guerre; qu'elles se garderont, autant qu'il pourra dépendre d'elles , de tout ce qui pourra les brouiller avec les puissances leurs amies et alliées, et qu'elles continueront de marquer, comme elles l'ont fait constamment dans des circonstances quelquefois difficiles, tous les égards, et même toute la défé- rence amicale, compatibles avec leur propre dignité.
Art. 2.
Elles déclarent, en outre, qu'elles ne réclament aucun avan- tage qui ne serait pas clairement et incontestablement fonde sur les traités respectifs qu'elles ont avec les puissances belli- gérantes.
Art. 3.
Leurs Majestés s'engagent aussi, réciproquement, et en face de toute l'Europe, à ne pas réclamer, dans des cas non spécifiés dans les traités, aucun avantage qui ne serait pas fondé sur la loi universelle des nations jusqu'ici reconnue et respectée par toutes les puissances et par tous les souverains de l'Europe, et de laquelle elles peuvent aussi peu supposer qu'aucune puis- sance de l'Europe veuille s'écarter, qu'elles se sentent elles- mêuie» incapables de le faire.
308 —
Art. 4.
Leurs Majestés, fondant sur une base si juste la revendica- tion et le maintien de leurs droits incontestables, donneront à la navigation légitime de leurs sujets, lorsqu'elle sera circon- scrite dans les termes des traités subsistants, et conforme à ces mômes traités," toute la protection qu'elle mérite, envers tous ceux qui, au mépris de ce que Leurs Majestés attendent et es- pèrent, voudraient et tenteraient de troubler leurs sujets dans l'exercice légal de droits sanctionnés , dont la jouissance ne saurait être refusée aux nations neutres et indépendantes.
Art. 5.
Pour atteindre le but qu'elles se proposent , Leurs Majestés s'engagent à équiper chacune, aussitôt que la saison pourra le permettre, une escadre de huit vaisseaux de ligne , avec un nombre proportionné de frégates, et de les pourvoir de tout ce qu'il faudra pour leur faire tenir la mer.
Art. 6.
Ces escadres se réuniront ou se sépareront, ainsi qu'on le jugera plus convenable pour l'intérêt commun, qui sera inter- prété des deux côtés avec l'amitié qui subsiste si heureuse- ment entre les deux puissances.
Art. 7.
11 ne sera fait absolument aucune espèce de distinction que ce puisse être, entre les intérêts et les pavillons des deux na- tions, excepté celle que pourront exiger les traités subsistants avec les autres nations. Bien plus, dans tous les cas de défense de convoi ou autrement, sans aucune exception, les vaisseaux danois défendront les vaisseaux suédois et leur pavillon, comme si c'étaient ceux de leur propre nation , et réciproque- ment.
Art. 8.
Pour l'ordre et le commandement, dans tous les cas, il est convenu d'adopter la teneur des articles 6 et 17 contenus dans la convention du 12 juillet 1756.
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Art. 9.
Les États situés en Allemagne , tant du Danemark que de la Suède, sont réciproquement et entièrement exceptés de celte convention.
Art. 10.
La mer Baltique ayant toujours été regardée comme une mer fermée et inaccessible aux vaisseaux armés des puissances belligérantes éloignées , est déclarée de nouveau telle par les parties contractantes, qui sont bien résolues de maintenir cette mer dans la plus parfaite tranquillité.
Art. 11.
Leurs Majestés s'engagent à faire conjointement une commu- nication officielle de cette convention à toutes les puissances en guerre, en y ajoutant les assurances les plus solennelles de leur désir sincère de persévérer et continuer à vivre avec ces puissances dans la plus parfaite harmonie, et de la cimenter, loin d'y porter atteinte par cette mesure, qui ne tend (ju'ù assu- rer des droits maintenus et garantis par ces puissances elles- mêmes , dans tous les cas où elles étaient neutres et en paix, sans que le Danemark ni la Suède aient jamais seulement songé à les interrompre dans la possession de ces droits.
Art. 12.
Mais si, par malheur, le cas venait à se présenter que quel- que puissance, au mépris des traités et de la loi universelle des nations, ne respectât pas la base de la société et du bonheur général, et voulût inquiéter la navigation légitime des sujets de Leurs Majestés Danoise et Suédoise , alors les parties contrac- tantes, après avoir épuisé tous les moyens possibles de concilia- tion, etavoir fait en commun les remontrances les plus pressantes pour obtenir la satisfaction et les indemnités qui leur seront dues, feront usage de représailles, au plus tard quatre mois après l'inutile réclamation de leurs droits , et cela partout où elles le jugeront convenable , la mer Baltique toujours néan- moins exceptée ; et ces puissances répondront entièrement l'une pour l'autre, et se soutiendront également l'une l'autre, quelle que soit celle qui ait été attaquée et insultée relativement à la présente convention.
XI 24
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Art. 13.
Cette convention subsistera dans toute sa teneur durant la présente guerre , à moins qu'il ne soit convenu , pour l'intérêt des parties respectives, d'y faire quelque changement ou addi- tion utile ou même nécessaire.
Art. 14.
Sa ratification aura lieu quinze jours après que le présent traité aura été signé et échangé.
Siffné Bernstorf, Staël db Holstein.
XXIX.
Page 106.
Ordre du conseil d'Angleterre. 8 janvier 1794.
Instructions données aux commandants de nos vaisseaux de guerre et des corsaires qui ont des lettres de marque contre la France K
Attendu que, par une instruction du 6 novembre 1793 aux commandants de nos vaisseaux de guerre et des corsaires, nous leur avions signifié d'arrêter et de détenir tous bâtiments char- gés de marchandises du produit d'aucunes colonies apparte- nant à la France ou portant des provisions et autres articles pour l'usage desdites colonies, et de les poursuivre, ainsi que leurs cargaisons, devant nos cours d'amirauté, pour être con- damnés légalement; il nous plaît de révoquer ladite instruc- tion ; et à sa place, nous avons jugé à propos de donner les présentes instructions pour être observées par les comman- dants de nos vaisseaux de guerre et des corsaires qui ont des lettres de marque contre la France.
1° Ils arrêteront, pour être condamnés légalement, tous bâ- timents avec leurs cargaisons du produit des îles occidentales
' Examination of the British doctrine, p. 107.
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de la France, et allant directement d'un port desdites îles à un autre en Europe.
2° Ils arrêteront, pour être condamnés légalement , tous bâtiments avec leurs cargaisons du produit desdites îles, qui seraient la propriété des sujets de la France , quel que soit le port pour lequel ils seraient destinés.
3" Us arrêteront tous bâtiments cherchant à entrer dans les ports desdites colonies , qui sont ou seraient bloqués par les forces de Sa Majesté ou de ses alliés , et les feront condamner, ainsi que leurs cargaisons , conformément au deuxième article des premières instructions datées du 8 juin 1793.
4° Ils arrêteront tous bâtiments chargés , en totalité ou en partie, de munitions navales ou militaires destinées pour les ports desdites îles, et les enverront dans un port appartenant à Sa Majesté , pour y être poursuivis , avec leurs cargaisons, conformément aux règlements du droit des nations.
XXX.
Page 106.
Extrait du traité d'amitié, de commerce et de navigation, entre Sa Majesté Britannique et les États-Unis d'Amérique, conclu le 19 novembre 1794, ratifié le 28 octobre 1795.
Art. 17.
Commerce en temps de guerre.
Il est convenu que , dans tous les cas où les vaisseaux se- ront pris ou détenus sur un juste soupçon d'avoir à bord des propriétés appartenant à l'ennemi , ou de lui porter aucun des articles qui , en temps de guerre, passent pour contrebande, ledit vaisseau sera amené au port le plus voisin et le plus con- venable; et si l'on trouve, en effet, sur son bord aucune pro- priété appartenant à l'ennemi, cette partie seulement de la car- gaison sera confisquée, et le vaisseau sera remis en liberté avec le reste de son chargement , pour continuer sa route sans au- cun empêchement : et il est convenu qu'on prendra toutes les mesures propres à prévenir les relards de décision des cas de navires ou cargaisons ainsi soumis à un jugement, et de paye-
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ment ou recouvrement de l'indemnité adjugée, ou que l'on aura consenti à payer aux capitaines ou propriétaires de ces bâtiments.
Art. 18.
Liste de contrebande.
Dans l'intention de régler ce qui , à l'avenir, sera regardé comme contrebande de guerre , il est convenu que, sous cette dénomination, seront comprises toutes les armes et fournitures servant à la guerre par terre et par mer, telles que canons, fu- sils, mortiers, pétards, bombes, grenades, carcasses, saucis- sons, affûts de canon , fourchettes à soutenir les mousquets, bandoulières, poudre à canon, mèches, salpêtre, boulets, pi- (jues, épécs, armures de tôle , cuirasses, javelots, lances, jave- lines, équipement de cheval , et généralement toutes les autres fournitures servant à la guerre ; comme aussi le bois pour la construction des vaisseaux , la poix ou résine , le cuivre de doublage en feuilles, les voiles, chanvres et cordages, et géné- ralement tout ce qui peut être d'une utilité directe pour l'équi- ])ement des vaisseaux, excepté le fer en barres, et le sapin dé- bité en planches. Tous les articles ci-dessus mentionnés sont i«ù déclarés objets qui pourront être justement confisqués, tou- tes les fois qu'on essayera de les porter à l'ennemi.
XXXI.
Page 107
Conventions entre S. M. le roi de Suède, d'une part, et S. M. l'empereur de toutes les RiÈsies, de l'autre, pour le rétablis- sement d'une neutralité armée.
INous Gustave-Adolphe , par la grâce de Dieu , roi de Suède, des Goths et des Vandales, etc., savoir faisons qu'ayant, d'ac- cord avec le sérénissime et très-puissant prince Paul /"■■, par lu grâce de Dieu , empereur de toutes les Russies, etc., etc., notre très-cher frère , cousin , voisin et particulièrement bon ami, jugé bon et nécessaire de nous concerter mutuellement sur des mesures communes pour protéger le commerce et la navigation de nos sujets, et de maintenir le respect dû à nos
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pavillons respectifs, et qu'ayant , à l'effet de conclnre cet ou- vrage salutaire, de notre côté, nommé et autorisé notre amé et féal M. le baron Court-Louis-Bogislas-Christophe de Ste- ding, un des seigneurs du royaume, notre ambassadeur extraor- dinaire à la cour de Russie, lieutenant général dans nos ar- mées, colonel d'un régiment d'infanterie, etc., etc.; et S. M. l'empereur de toutes les Russies, ayant, de son côté, choisi pareillement et autorisé M. le comte Théodore de Rostopchin, son conseiller, etc., etc. ; lesdits commissaires plénipotentiai- res viennent de convenir, arrêter, signer et sceller une con- vention à Saint-Pétersbourg, le 16 décembre de la présente année, dont suit la teneur mot pour mot :
Au nom de , etc.
La liberté de la navigation et la sûreté du commerce des puissances neutres ayant été compromises, et les principes du droit des nations méconnus dans la présente guerre maritime, S. M. le roi de Suède et S. M. l'empereur de toutes les Russies, guidées par leur amour pour la justice et par une égale solli- citude pour tout ce qui peut concourir à la prospérité publique dans leurs États , ont jugé convenable de donner une nouvelle sanction aux principes de neutralité, qui, indestructibles dans leur essence, ne sollicitent que le concours des gouvernements intéressés à leur maintien, pour les faire respecter. Dans celte vue, Sa Majesté Impériale a manifesté, par sa déclaration du 1 5 août , aux cours du nord , qu'un même intérêt engage à des me- sures uniformes dans de pareilles circonstances, combien il lui tenait à cœur de rétablir dans son inviolabilité le droit commun à tous les peuples de naviguer et commercer librement, et indé- pendamment des intérêts momentanés des parties belligérantes. Sa Majesté Suédoise partageait les vœux et les sentiments de son auguste allié , et une heureuse analogie d'intérêts, en ci- mentant leur confiance réciproque, a déterminé la résolution de rétablir le système de la neutralité armée, qui avait été suivi avec tant de succès pendant la dernière guerre d'Amérique, en renouvelant ses maximes bienfaisantes dans une nouvelle con- vention adaptée aux circonstances actuelles.
Pour cet effet, S. M. le roi de Suède et S. M. l'empereur de toutes les Russies ont nommé leurs plénipotentiaires déjà nom- més, qui , après l'échange de leurs pleins pouvoirs respectifs, sonl convenus des articles suivants :
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Article premier.
S. M. le roi de Suède et S. M. l'empereur de toules lesRus- sies déclarent vouloir tenir la main à la plus rigoureuse exé- cution des défenses portées contre le commerce de contre- bande de leurs sujets avec quelle que ce soit des puissances déjà en guerre.ou qui pourraient y entrer dans la suite.
Art, 2.
Pour éviter toute équivoque et tout malentendu sur ce qui doit être qualifié de contrebande, S. M. le roi de Suède et S. M. l'empereur de toutes les Russies déclarent qu'elles ne reconnaissent pour telle que les objets suivants; savoir : ca- nons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, grenades, boulets, balles, fusils, pierres à feu, mèches, poudre, salpêtre, soufre, cuirasses, piques, épées, ceinturons, gibernes, selles et brides , en exceptant toutefois la quantité qui peut être né- cessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui en compo- sent l'équipage ; et tous les autres articles quelconques , non désignés ici , ne sont pas réputés munitions de guerre et na- vales, ni sujets à confiscation , et, par conséquent , passeront librement sans être assujettis à la moindre difficulté. Il est aussi convenu que le présent article ne portera aucun préju- dice aux stipulations particulières des traités antérieurs avec les parties belligérantes, par lesquelles des objets de pareil genre seraient réservés, prohibés ou permis.
Art. 3.
Tout ce qui peut être objet de contrebande étant ainsi dé- terminé et exclu du commerce des nations neutres , d'après le dispositif de l'article précédent, S. M. le roi de Suède et Sa Ma- jesté Impériale entendent et veulent que tout autre trafic soit et reste parfaitement libre. Leurs Majestés, pour mettre sous une sauvegarde suffisante les principes généraux du droit naturel, dont la liberté du commerce et de la navigation, de même que les droits des peuples neutres, sont une conséquence directe, ont résolu de ne les point laisser plus longtemps dépendre d'une interprétation arbitraire, suggérée par des intérêts iso- lés et momentanés. Dans cette vue, elles sont convenues :
1° Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre j
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2' Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres , à l'exception des marchandises de contrebande ;
3» Que , pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accorde celte dénomination qu'à celui où il y a, par la disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer; et que tout bâtiment naviguant vers un port bloqué ne pourra être regardé comme ayant contrevenu à la présente conven- tion , que lorsque après avoir été averti par le commandant du blocus , de l'état du port , il tâchera d'y pénétrer en employant la force ou la ruse ;
4° Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur de justes causes et faits évidents ; qu'ils soient jugés sans re- lard ; que la procédure soit toujours uniforme , prompte et lé- gale, et que, chaque fois, outre les dédommagements qu'on accorde à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en contra- vention, il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte faite au pavillon de Leurs Majestés ;
6° Que la déclaration de l'officier commandant les vaisseaux de la marine royale ou impériale qui accompagneront le con- voi d'un ou de plusieurs bâtiments marchands, que son convoi n'a à bord aucune marchandise de contrebande , doit suffire pour qu'il n'y ait lieu à aucune visite sur son bord ni à celui des bâtiments de son convoi.
Pour assurer d'autant mieux à ces principes le respect dû à des stipulations dictées par le désir désintéressé de maintenir les droits imprescriptibles des nations neutres, et donner une nouvelle preuve de leur loyauté et de leur amour pour la jus- tice, les hautes puissances contractantes prennent ici l'enga- gement le plus formel de renouveler les défenses les plus sévè- res à leurs capitaines , soit de haut bord , soit de la marine marchande, de charger, tenir ou receler à leurs bords aucun des objets qui, aux termes de la présente convention, pour- raient être réputés de contrebande, et de tenir scrupuleuse- ment la main à l'exécution des ordres qu'elles feront publier dans leurs amirautés et partout où besoin sera ; à l'effet de quoi l'ordonnance qui renouvellera cette défense sous les peines les plus graves , sera imprimée à la suite du pré- sent acte, pour qu'il n'en puisse être prétendu cause d'igno- rance.
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Art. 4.
Pour protéger le commerce commun de leurs sujets, sur le fondement des principes ci-dessus f'tablis,S. M. le roi de Suède et Sa Majesté Impériale ont jugé à propos d'équiper séparément un nombre de vaisseaux de guerre et de frégates proportionné à ce but; les escadres de chaque puissance ayant à prendre la station et devant être employées aux convois qu'exigent son commerce et sa navigation , conformément à la nature et à la qualité du trafic de chaque nation.
Art. 5.
Pour prévenir tous les inconvénients qui peuvent provenir de la mauvaise foi de ceux qui se servent du pavillon d'une nation sans lui appartenir, on convient d'établir pour règle in- violable, qu'un bâtiment quelconque, pour être regardé comme propriété d'un pays dont il porte le pavillon , doit avoir à son bord le capitaine du vaisseau et la moitié de l'équipage des gens du pays, les papiers et passe-ports en bonne et due forme ; mais tout bâtiment qui n'observera point cette règle, et qui contreviendra aux ordonnances publiées à cet effet et impri- mées à la suite de la présente convention, perdra tous les droits à la protection des puissances contractantes , et le gouvernement auquel il appartiendra supportera seul les per- tes, dommages et désagréments qui en résulteront.
Art. 6.
Si cependant il arrivait que les vaisseaux marchands de l'une des puissances se trouvassent dans un parage où les vais- seaux de guerre de la même nation ne fussent pas stationnés, et où ils ne pourraient avoir recours à leurs propres convois, alors le commandant des vaisseaux de guerre de l'autre puis- sance, s'il en est requis, doit, de bonne foi et sincèrement, leur prêter les secours dont ils pourraient avoir besoin ; et en tel cas, les vaisseaux de guerre et frégates de l'une des puis- sances serviront de soutien et d'appui aux vaisseaux mar- chands de l'autre ; bien entendu cependant que les réclamants n'auraient fait aucun commerce illicite ni contraire aux prin- cipes de la neutralité.
Art. 7.
Cette convention n'aura point d'effet rétroactif, et par con-
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séquenl on ne prendra aucune part aux différends nés avant la conclusion, à moins qu'il ne soit question d'actes de violence continués , tendant à fonder un système oppressif pour toutes les nations neutres de l'Europe en général.
Art. 8.
S'il arrivait, malgré tous les soins les plus attentifs des deux puissances, et malgré l'observation de la neutralité la plus par- faite de leur part, que les vaisseaux marchands de S. M. le roi de Suède ou de Sa Majesté Impériale fussent insultés, pillés ou pris par les vaisseaux de guerre ou armateurs de l'une ou l'autre des puissances en guerre , alors le ministre de la partie lésée auprès du gouvernement dont les vaisseaux de guerre ou ar- mateurs auront commis de tels attentats , y fera des représen- tations , réclamera le vaisseau marchand enlevé, et insistera sur les dédommagements convenables, en ne perdant jamais de vue la réparation de l'insulte faite au pavillon. Le ministre de l'autre partie contractante se joindra à lui, et appuiera ses plaintes de la manière la plus énergique et la plus efticace ; et ainsi, il sera agi d'un accord commun et parfait. Que si l'on refusait de rendre justice sur ces plaintes, ou si l'on remettait de la rendre d'un temps à l'autre, alors Leurs Majestés useront de représailles contre la puissance qui la leur refuserait, et elles se concerteraient incessamment sur la manière la plus efficace d'effectuer ces justes représailles.
Art. 9.
S'il arrivait que l'une ou l'autre des puissances, ou toutes les deux ensemble , à l'occasion ou en haine de la présente con- vention, ou pour quelque cause qui y aurait rapport, fût in- quiétée, molestée ou attaquée, il a été également convenu que les deux puissances feront cause commune pour se défendre réciproquement, et pour travailler et agir de concert à se pro- curer une pleine et entière satisfaction, tant pour l'insulte faite à leur pavillon , que pour les pertes causées à leurs sujets.
Art. 10.
Les principes et les mesures adoptés par le présent acte se- ront également applicables à toutes les guerres maritimes dont l'Europe aurait le malheur d'être troublée. Ces stipulations se- ront, en conséquence, regardées comme permanentes, etser-
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viront de règle aux puissances contractantes, en matière de commerce et de navigation, et toutes les fois qu'il s'agira d'ap- précier les droits des nations neutres.
Art. 11.
Le but et l'objet principal de cette convention étant d'assurer la liberté générale du commerce et de la navigation , S. M. le roi de Suède et Sa Majesté Impériale conviennent et s'engagent d'avance à consentir que d'autres puissances également neutres y accèdent, et qu'en adoptant les principes elles eu partagent les obligations ainsi que les avantages.
Art. 12.
Afin que les puissances en guerre ne puissent prétendre cause d'ignorance des arrangements pris entre Leurs Majestés, elles conviennent de porter à la connaissance des parties bel- ligérantes les mesures qu'elles ont prises entre elles, d'autant moins hostiles, qu'elles ne sont au détriment d'aucun autre pays, mais tendent uniquement à la sûreté du commerce et de la navigation de leurs sujets respectifs.
Art. 13.
La présente convention sera ratifiée par les deux parties contractantes, et les ratifications échangées , en bonne et due forme dans l'espace de six semaines, et plus tôt si faire se peut, à compter du jour de la signature.
En foi de quoi, nous soussignés, en vertu de nos pleins pou- voirs, l'avons signée et y avons apposé le cachet de nos armes.
Fait à Saint-Pétersbourg, le -^ décembre, l'an 1800.
Signé Court Steding. — Comte Rostopchin.
XXXIL
Page 107.
Convention de neutralité maritime armée ^ conclue entre LL. MM. l'empereur de toutes les Russies et le roi de Danemark, à Saint-Pétersbourg, le -^décembre 1800,
Nous Paul I", par la grâce de Dieu , empereur et autocrate de toutes les Russies, etc., etc., etc., savoir faisons qu'en con-
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séquence de notre désir, conforme à celui de S. M. le roi de Danemark, nos plénipotentiaires respectifs , munis d'instruc- tions et pleins pouvoirs nécessaires, ont arrêté et signé à Saint- Pétersbourg, le ^ décembre, l'an 1800, une convention de neutralité maritime armée, dont la teneur suit ici mot à mot : Au nom de la très-sainte et indivisible Trinité , la liberté de la navigation et la sûreté du commerce des puissances neutres ayant été compromises, et les principes du droit des nations méconnus dans la présente guerre maritime, S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de Danemark et de Nor- vège, guidées par leur armour pour lajuslice et par une égale sollicitude pour tout ce qui peut concourir à la prospérité pu- blique dans leurs États, ont jugé convenable de donner une nouvelle sanction aux principes de neutralité qui, indestructi- bles dans leur essence, ne sollicitent que le concours des gou- vernements intéressés à leur maintien , pour les faire respecter. Dans cette vue, Sa Majesté Impériale a manifesté, par sa décla- ration du 15 août aux cours du nord , qu'un même intérêt en- gage à des mesures uniformes dans de pareilles circonstances, combien il lui tenait à cœur de rétablir dans son inviolabilité le droit commun à tous les peuples de commercer librement et indépendamment des intérêts momentanés des parties belligé- rantes. Sa Majesté Danoise partageait les vœux et les sentiments de son auguste allié ; et une heureuse analogie d'intérêts, en cimentant leur confiance réciproque, a déterminé la résolution de -rétablir le système de la neutralité armée, qui avait été suivi avec tant de succès pendant la dernière guerre d'Amérique, en renouvelant ses maximes bienfaisantes dans une nouvelle con- vention adaptée aux circonstances actuelles.
Pour cet effet , S. M. l'empereur de toutes les Russies , et S. M. le roi de Danemark et de Norvège, ont nommé pour leurs plénipotentiaires ; savoir : Sa Majesté Impériale le sieur comte Théodore de Rostopsin, son conseiller privé actuel, membre de son conseil , principal ministre du collège des Affaires Étran- gères, directeur général des postes de l'empire, grand chance- lier et grand'croix de l'ordre souverain de Saint-Jean de Jérusa- lem, chevalier des ordres de Saint-André, de Saint-Alexandre de Newsky, et de Sainte-Anne de première classe, deceux de Saint- Lazare, de l'Annonciade, de Saint-Maurice et Lazare, de Saint- Ferdinand et de Saint-Hubert; et Sa Majesté Danoise, le sieur Niels de Rosenkrantz , son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès de S, M. l'empereur de toutes les Rus-
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sies , son chambellan et aide de camp général ; lesquels , après l'échange de leurs pleins pouvoirs respectifs , sont convenus des articles suivants :
Article premier.
Commerce de contrebande.
S. M. l'empereur de toutes les Russies, et S. M. le roi de Danemark et de Norvège, déclarent vouloir tenir la main à la plus rigoureuse exécution des défenses portées contre le com- merce de contrebande de leurs sujets avec qui que ce soit des puissances déjà en guerre ou qui pourraient y entrer dans la suite.
Art. 2.
Notion de la contrebande.
Pour éviter toute équivoque et tout malentendu sur ce qui doit être qualifié de contrebande , S. M. I. de toutes les Rus- sies, et S. M. le roi de Danemark et de Norvège, déclarent qu'elles ne reconnaissent pour telle que les objets suivants; savoir : canons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, gre- nades, boulets, balles, fusils , pierres à feu, mèches , poudre, salpêtre, soufre, cuirasses , piques, épées, ceinturons, giber- nes, selles et brides, en exceptant toutefois la quantité qui peut être nécessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui en composent l'équipage ; et tous les autres articles quelconques non désignés ici ne seront pas réputés munitions de guerre et navales, ni sujets à confiscation , et par conséquent passeront librement sans être assujettis à la moindre difficulté. Il est aussi convenu que le présent article ne portera aucun préju- dice aux stipulations particulières des traités antérieurs avec les parties belligérantes, par lesquelles des objets de pareil genre seraient réservés , prohibés ou permis.
Art. 3.
Principes de la liberté du commerce neutre.
Tout ce qui peut être objet de contrebande étant ainsi déter- miné et exclu du commerce des nations neutres, d'après le dispositif de l'article précédent, S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de Danemark et de Norvège entendent et veulent que tout autre trafic soit et reste parfaitement libre.
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Leurs Majestés, pour mellre sous une sauvegarde suffisante les principes généraux du droit naturel, dont la liberté du eom- merce et de la navigation, de même que les droits des peuples neutres, sont une conséquence directe, ont résolu de ne les point laisser plus longtemps dépendre d'une interprétation ar- bitraire, suggérée par des intérêts isolés et momentanés. Dans cette vue, elles sont convenues :
1» Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en port, et sur les côtes des nations en guerre ;
2" Que les effets appartenant aux sujets desdites puissances en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des marchandises de contrebande ;
3° Que , pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a, par la dis- position de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrê- tés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer; et que tout bâtiment naviguant vers un port bloqué , ne pourra être regardé comme ayant contrevenu à la présente conven- tion, que lorsqu'après avoir été averti par le commandant du blocus, de l'état du port, il tâchera d'y pénétrer en employant la force ou la ruse ;
4" Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur de justes causes et laits évidents ; qu'ils soient jugés sans re- lard ; que la procédure soit toujours uniforme, prompte et lé- gale, et que, chaque fois, outre le dédommagement qu'on ac- corde à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en contra- vention , il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte faite au pavillon de Leurs Majestés ;
5° Que la déclaration de l'officier commandant le vaisseau ou les vaisseaux de la marine impériale ou royale qui accom- pagneront le convoi d'un ou de plusieurs bâtiments mar- chands, que son convoi n'a à bord aucune marchandise de contrebande , doit suffire pour qu'il n'y ait lieu à aucune visite sur son bord, ni sur celui des bâtiments de son convoi.
Pour assurer d'autant mieux à ces principes le respect dû à des stipulations dictées par le désir désintéressé de maintenir les droits imprescriptibles des nations neutres, et donner une nouvelle preuve de leur loyauté et de leur amour pour la jus- tice, les hautes parties contractantes prennent ici rengage- ment le plus formel de renouveler les défenses les plus sévères à leurs capitaines, soit de haut bord , soit de la marine mar- chande, de charger, tenir ou receler à leurs bords aucun des
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objets qui, aux termes de la présente convention, pourraient être réputés de contrebande, et de tenir respectivement la main à l'exécution des ordres qu'elles feront publier dans leurs ami- rautés, et partout où besoin sera; à l'effet de quoi , l'ordon- nance qui renouvellera cette défense sous les peines les plus graves, sera imprimée à la suite du présent acte, pour qu'il n'en puisse être prétendu cause d'ignorance.
Art. 4.
Armements pour la protéger.
Pour protéger le commerce commun de leurs sujets sur le fondement des principes ci-dessus établis, S. M. l'empereur de toutes les Russies , et S. M. le roi de Danemark et de Norvège ont jugé à propos d'équiper séparément un nombre de vais- seaux de guerre et de frégates proportionné à ce but ; les esca- dres de chaque puissance ayant à prendre la station et devant être employées aux convois qu'exigent son commerce et sa na- vigation, conformément à la nature et à la qualité du trafic de chaque nation.
Art. 5.
Pavillon national.
Pour prévenir tous les inconvénients qui peuvent provenir de la mauvaise foi de ceux qui se servent du pavillon d'une nation sans lui appartenir, on convient d'établir pour règle inviola- ble, qu'un bâtiment quelconque, pour être regardé comme pro- priété du pays dont il porte le pavillon , doit avoir à son bord le capitaine du vaisseau et la moitié de l'équipage des gens du pays , les papiers et passe-ports en bonne et due forme ; mais tout bâtiment qui n'observera pas cette règle , et qui contre- viendra aux ordonnances publiées à cet effet et imprimées à la suite de la présente convention, perdra tous les droits à la pro- tection des puissances contractantes , et le gouvernement au- quel il appartiendra supportera seul les pertes , dommages et désagréments qui en résulteraient.
Art. 6.
Assistance mutuelle.
Si cependant il arrivait que les vaisseaux marchands de l'une des puissances se trouvassent dans un parage où les vaisseaux
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de guerre de la même nation ne fussent pas stationnés , et où ils ne pourraient pas avoir recours à leurs propres convois, alors le commandant des vaisseaux de guerre de l'autre puissance, s'il en est requis, doit de bonne foi et sincèrement leur prêter les secours dont ils pourraient avoir besoin ; et en tel cas , les vaisseaux de guerre et frégates de l'une des puissances servi- ront de soutien et d'appui aux vaisseaux marchands de l'autre ; bien entendu cepeodant que les réclamants n'auraient fait au- cun commerce illicite ni contraire aux principes de la neutra- lité.
Aet. 7.
Effet rétroactif.
Celte convention n'aura point d'effet rétroactif, et par con- séquent on ne prendra aucune part aux différends nés avant sa conclusion, à moins qu'il ne soit question d'actes de violence continués, tendant à fonder un système oppressif pour toutes les nations neutres de l'Europe en général.
Akt. 8. Satisfaction qu'on exigera en cas d'abus.
S'il arrivait, malgré tous les soins les plus attentifs des deux puissances, et malgré l'observation de la neutralité la plus par- faite de leur part, que les vaisseaux marchands de S. M. l'empe- reur de toutes les Kussies, ou de S. M. le roi de Danemark et de Norvège, fussent insultés, pillés ou pris par les vaisseaux de guerre ou armateurs de l'une ou l'autre des puissances en guerre, alors le ministre de la partie lésée auprès du gouver- nement dont les vaisseaux de guerre ou armateurs auront com- mis de tels attentats , y fera des représentations, réclamera le vaisseau marchand enlevé, et insistera sur les dédommage- ments convenables , en ne perdant jamais de vue la réparation de l'insulte faite au pavillon. Le minisire de l'autre partie con- tractante se joindra à lui, et appuiera ses plaintes de la manière la plus énergique et la plus efficace , et ainsi il sera agi d'un commun et parfait accord. Que si l'on refusait de rendre justice sur ces plaintes, ou si l'on remettait de la rendre d'un temps à l'autre , alors Leurs Majestés useront de représailles contre la puissance qui la leur refuserait , et elles se concerteront inces- samment sur la manière la plus efficace d'effectuer ces justes représailles.
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Art. 9.
Alliance.
S'il arrivait que l'une ou l'autre des deux puissances, ou toutes les deux ensemble, à l'occasion ou en haine de la pré- sente convention , ou pour quelque cause qui y aurait rapport, fût inquiétée, molestée ou attaquée, il a été également convenu que les deux puissances feront cause commune pour se défen- dre réciproquement , et pour travailler et agir de concert à se procurer une pleine et entière satisfaction, tant pour l'insulte faite à leur pavillon, que pour les pertes causées à leurs sujets.
Art. 10.
Guerres futures.
Les principes et les mesures adoptés par le présent acte se- ront également applicables à toutes les guerres maritimes par lesquelles l'Europe aurait le malheur d'être troublée. Ces sti- pulations seront, en conséquence, regardées comme perma- nentes, et serviront de règle aux puissances contractantes, en matière de commerce et de navigation , et toutes les fois qu'il s'agira d'apprécier les droits des nations neutres.
Art. 11.
Accessions des neutres.
Le but et l'objet principal de cette convention étant d'assu- rer la liberté générale du commerce et de la navigation, S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de Danemark et de Norvège conviennent et s'engagent d'avance à consentir que d'autres puissances également neutres y accèdent, et qu'eu adoptant les principes, elles en partagent les obligations ainsi que les avantages.
Art. 42.
Communication aux helligérants.
Afin que les puissances en guerre ne puissent prétendre cause d'ignorance des arrangements pris entre Leursdites Ma- jestés, elles conviennent de porter à la connaissance des par- ties belligérantes les mesures qu'elles ont concertées entre elles, d'autant moins hostiles, qu'elles ne sont au détriment
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d'aucun autre pays , mais tendent uniquement à la sûreté du commerce et de la navigation de leurs sujets respectifs.
Art. 13.
La présente convention sera ratifiée par les deux parties con- tractantes, et les ratifications échangées, en bonne et duc forme, dans Fespacede six semaines, ou plus tôt si faire se peut, à compter du jour de la signature. En foi de quoi, nous sous- signés, en vertu de nos pleins pouvoirs , l'avons signée et y avons apposé le cachet de nos armes.
Fait à Saint-Pétersbourg, le 4 (16) décembre 1800.
( L. S. ) Signé comte Rostops(n, (L. S. ) Signé Niels de Rosenkrantz.
Les ratifications ont été échangées le 10 février 1801.
XXXÏII.
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Convention de neu (rallié maritime armée, concilie entre LL. MM. r empereur de toutes les Kussies et le roi de Prusse, à Saint-Pétersbourg, le -^ décembre 1800, avec l'article sup' plémentaire ratifié le 6 février 1801.
Nous Paul I", par la grâce de Dieu , empereur et autocrate de toutes les Uussies, de Moscovie, Kiovie, Wladimiric, Novo- gorod; czar de Casan, czar d'Astracan, czar de Sibérie, czar de la Chersonèse-Taurique ; seigneur de Plescau, et grand-duc do Smolenske, de Lilhuanio, Wolhynie et Podolie; duc d'F^stonie, de Livonie, de Courlande et Semigalle , de Samogitie, Carélie, Twer, Ingorie, Permie, Viatka, Bulgarie, et d'autres ; seigneur et grand-duc de Novogorod inférieur, de Czernigovie, Rezau, Polock , Bestow, Saruslaw, Belooserie, Udorie, Obdorie, Con- dinie, Witepsk, Milislaw ; dominateur de tout le côté du nord ; seigneur d'Iverie, et prince héréditaire et souverain des czars de Cartalinie et Géorgie, comme aussi de Cabardiuie, des prin- ces de (Izircassie, de Gorsky, et d'autres ; successeur de Nor- vège} duc de Schlesweik-Holslcin, de Storraarie, de Dithmar- XI 25
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sen , et d'Oldenbourg ; seigneur de Jever, et grand maître de l'ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem, etc., etc.
Savoir faisons qu'en conséquence de notre désir, conforme à celui de S. M. le roi de Prusse, nos plénipotentiaires respec- tifs, munis d'instructions et pleins pouvoirs nécessaires , ont arrêté et signé à Saint-Pétersbourg, le j^ décembre, l'an 1800, une convention de neutralité maritime armée , dont la teneur suit ici mot à mot :
Au nom de la très-sainte et indivisible Trinité.
La liberté de la navigation et la sûreté du commerce des puissances neutres ayant été compromises, et les principes du droit des nations méconnus dans la présente guerre maritime, S. M, l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de Prusse, guidées par leur amour pour la justice et par une égale solli- citude pour tout ce qui peut concourir à la prospérité publique dans leurs États, ont jugé convenable de donner une nouvelle sanction aux principes de neutralité qui, indestructibles de leur essence , ne sollicitent que le concours des gouvernements in- téressés à leur maintien, pour les faire respecter. Dans cette vue, Sa Majesté impériale a manifesté, par sa déclaration du 15 août, aux cours du nord , qu'un même intérêt engage à des mesures uniformes dans de pareilles circonstances, combien il lui te- nait à cœur de rétablir dans son inviolabilité le droit commun à tous les peuples de naviguer et commercer librement et indé- pendamment des intérêts momentanés des parties belligérantes. Sa Majesté Prussienne partageait les vœux et les sentiments de son auguste allié; et une heureuse analogie d'intérêts, en ci- mentant leur confiance réciproque , a déterminé la résolution de rétablir le système de la neutralité armée, qui avait été suivi avec tant de succès pendant la dernière guerre d'Amérique, en renouvelant ses maximes bienfaisantes dans une nouvelle convention adaptée aux circonstances actuelles.
Pour cet effet, S. M. l'empereur de toutes les Russies, et S. M. le roi de Prusse, ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir : Sa Majesté Impériale, le sieur comte Théodore de Ros- topsin, son conseiller privé actuel, membre de son conseil, prin- cipal ministre du collège des Affaires Étrangères, directeur gé- néral des postes de l'empire, grand chancelier et grand'croix de l'ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem, chevalier des ordies de Saint-André, de Saint-Alexandre Newsky, et de
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Sainte-Anne de première classe, de ceux de Saint-Lazare, de l'Annonciade, de Saint-Maurice et Lazare, de Saint-Ferdinand et de Saint-Hubert ; et Sa Majesté Prussienne , le sieur comte Spiridon àeLuzi, lieutenant général d'infanterie de ses armées, son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès de S. M. l'empereur de toutes les Russies, chevalier de l'ordre de l'Aigle-Rouge et de l'ordre pour le mérite ; lesquels , après l'échange de leurs pleins pouvoirs, sont convenus des articles suivants :
Article premier.
Commpree de contrebande.
S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi de Prusse déclarent vouloir tenir la main à la plus rigoureuse exécution des défenses portées contre le commerce de contre- bande de leurs sujets avec qui que ce soit des puissances déjà en guerre ou qui pourraient y entrer dans la suite.
Art. 2.
Notion de la contrebande.
Pour éviter toute équivoque et tout malentendu sur ce qui doit être qualifié de contrebande, S. M. l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté Prussienne déclarent qu'elles ne re- connaissent pour telle que les objets suivants; savoir : canons, mortiers, armes à feu, pierres à feu , mèches , poudre , salpê- tre , soufre , cuirasses , piques , épées , ceinturons , gibernes, selles et brides, en exceptant toutefois la quantité qui peut être nécessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui en com- posent l'équipage ; et tous les autres articles quelconques, non désignés ici, ne seront pas réputés munitions de guerre et na- vales, ni sujets à confiscation, et par conséquent passeront librement, sans être assujettis à la moindre difficulté. Il est aussi convenu que le présent article ne portera aucun préjudice aux stipulations particulières des traités antérieurs avec les parties belligérantes, par lesquelles des objets de pareil genre seraient réservés, prohibés ou permis.
Art. 3.
Principes de la liberté du commerce neutre.
Tout ce qui peut être objet de contrebande étant ainsi déter- miné et exclu du commerce des nations neutres, d'après le
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dispositif de l'article précédent, S. M, l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté Prussienne entendent et veulent que tout autre trafic soit et reste parfaitement libre. Leurs Majestés, pour mettre sous une sauvegarde suffisante les principes généraux du droit naturel, dont la liberté du commerce et de la naviga- tion, de même que les droits des peuples neutres, sont une conséquence directe, ont résolu de ne les point laisser plus longtemps dépendre d'une interprétation arbitraire, suggérée par des intérêts isolés et momentanés. Dans cette vue, elles sont convenues :
1° Que tout vaisseau peut naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets appartenant aux sujets des puissances en guerre soient libres sur les vaisseaux neutres, à l'exception des marchandises de contrebande ;
3" Que, pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accorde cette dénomination qu'à celui où il y a, par la disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés et suffisamment proches, un danger évident d'entrer; «t que tout bâtiment naviguant vers un port bloqué ne pourra être regardé comme ayant contrevenu à la présente conven- tion, que lorsque après avoir été averti par le commandant du blocus, de l'état du port, il tâchera d'y pénétrer en employant la force ou la ruse ;
4° Que les vaisseaux neutres ne peuvent être arrêtés que sur de justes causes et faits évidents; qu'ils soient jugés sans relard; que la procédure soit toujours uniforme, prompte et légale, et que, chaque ibis, outre le dédommagement qu'on accorde à ceux qui ont fait des pertes sans avoir été en contra- vention, il soit rendu une satisfaction complète pour l'insulte laite au pavillon de Leurs Majestés ;
5" Que la déclaration de l'officier commandant le vaisseau ou les vaisseaux de la marine impériale ou royale qui accom- pagneront le convoi d'un ou de plusieurs bâtiments mar- chands, que son convoi n'a à bord aucune marchandise de contrebande, doit suffire pour qu'il n'y ait lieu à aucune visite sur son bord, ni sur celui des bâtiments de son convoi.
Pour assurer d'autant mieux à ces principes le respect dû à des stipulations dictées par le désir désintéressé de maintenir les droits imprescriptibles des nations neutres, et donner une nouvelle preuve de leur loyauté et de leur amour pour la jus- tice, les hautes parties contractantes prennent ici l'engagement
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le plus formel de renouveler les défenses les plus sévères à leurs capitaines, soit de haut bord, soit de la marine mar- chande, de charger, tenir ou receler à leurs bords, aucun des objets qui , aux termes de la présente convention, pourraient être réputés de contrebande, et de tenir respectivement la main à l'exécution des ordres qu'elles feront publier dans leurs amirautés, et partout où besoin sera ; à l'effet de quoi, l'ordon- nance qui renouvellera cette défense sous les peines les plus graves, sera imprimée à la suite du présent acte, pour qu'il n'en puisse être prétendu cause d'ignorance.
Art. 4. Protection pour les vaisseatix prussiens.
En réciprocité de cette accession. S. M. l'empereur de toutes les Russies fera jouir le commerce et la navigation des sujets prussiens, de la protection de ses flottes, en ordonnant à tous les chefs de ses escadres de protéger et défendre , contre toute insulte et molestalion , les navires marchands prussiens qui se trouveront sur leur route, comme ceux d'une puissance amie, alliée, et stricte observatrice de la neutralité; bien entendu cependant que les susdits navires ne seront employés à aucun commerce illicite ni contraire aux règles de la neutralité la plus exacte.
La môme protection et la même assistance seront accordées au pavillon prussien, de la part des vaisseaux de guerre danois et suédois, conformément aux principes de la neutralité ar- mée ; et S. M. l'empereur de toutes les Russies s'engage à con- courir, s'il est nécessaire, aux arrangements qui doivent être stipulés pour cet effet dans les conventions séparées à conclure ensuite du présent acte entre les cours de Berlin, de Copenha- gue et de Stockholm.
Art. 5.
Effet rétroactif.
Celte convention n'aura point d'effet rétroactif, et par con- séquent on ne prendra uucune part aux différends nés avant sa conclusion , à moins qu'il ne soit question d'actes de violence continués, tendant à former un système oppressif pour toutes les nations neutres de l'Europe en général.
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Art. 6.
Satisfaction en cas d'abus.
S'il arrivait, malgré tous les soins les plus attentifs des deux puissances, et malgré l'observation de la neutralité la plus par- faite de leur part, que les vaisseaux marchands de S. M. l'em- pereur de toutes les Russies ou deSaMajeslé Prussienne fussent insultés, pillés- ou pris par les vaisseaux de guerre ou arma- teurs de l'une ou l'autre des puissances en guerre, alors le mi- nistre de la partie lésée auprès du gouvernement dont les vais- seaux de guerre ou armateurs auront commis de tels attentats, y fera des représentations, réclamera le vaisseau marchand enlevé, et insistera sur les dédommagements convenables, en ne perdant jamais de vue la réparation de l'insulte faite au pa- villon. Le ministre de l'autre partie contractante se joindra à lui, et appuiera ses plaintes de la manière la plus énergique et la plus efficace ; et ainsi il sera agi d'un commun et parfait ac- cord. Que si l'on refusait de rendre justice sur ces plaintes, ou si l'on remettait de la rendre d'un temps à l'autre, alors Leurs Majestés useront de représailles contre la puissance qui la leur refuserait , et elles se concerteront incessamment sur la ma- nière la plus efficace d'effectuer ces justes représailles.
Art. 7.
Alliance,
S'il arrivait que l'une ou l'autre des deux puissances , ou toutes les deux ensemble, à l'occasion ou en haine de la pré- sente convention, ou pour quelque cause qui y aurait rapport, fût inquiétée, molestée ou attaquée, il a été également convenu que les deux puissances feront cause commune pour se dé- fendre réciproquement, et pour travailler et agir de concert à se procurer une pleine et entière satisfaction, tant pour l'in- sulte faite à leur pavillon que pour les pertes causées à leurs sujets.
Art. 8.
Guerres futures.
Les principes et les mesures adoptés par le présent acte se- ront également applicables à toutes les guerres maritimes par lesquelles l'Europe aurait le malheur d'être troublée. Ces sti- pulations seront, en conséquence, regardées comme perma-
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nentes, et serviront de règle aux puissances contractantes, en matière de commerce et de navigation, et toutes les fois qu'il s'agira d'apprécier les droits des nations neutres.
Abt. 9.
Accession des neutres.
Le but de l'objet principal de cette convention étant d'as- surer la liberté générale du commerce et de la navigation , S. M. l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté Prussienne conviennent et s'engagent d'avance à consentir que d'autres puissances également neutres y accèdent , et qu'en adoptant les principes, elles en partagent les obligations ainsi que les avan- tages.
Art. 10.
Communication aux belligérants.
Afin que les puissances en guerre ne puissent prétendre cause d'ignorance des arrangements pris entre Leursdites Ma- jestés, elles conviennent de porter à la connaissance des par- ties belligérantes les mesures qu'elles ont contractées entre elles, d'autant moins hostiles, qu'elles ne sont au détriment d'aucun pays, mais tendent uniquement à la sûreté du com- merce et de la navigation de leurs sujets respectifs.
Art. 11. Satification,
La présente convention sera ratifiée par les deux parties contractantes, et les ratifications échangées, en bonne et due forme, dans l'espace de six semaines , ou plus tôt si faire se peut, à compter du jour de la signature.
En foi de quoi , nous soussignés , en vertu de nos pleins pouvoirs , l'avons signée et y avons apposé le cachet de nos armes.
Fait à Saint-Pétersbourg, le ^ décembre 1800,
(US.) comte de Rostopsin (L. S.)Spiridon, comte de Luzi.
A ces causes , et après avoir suffisamment examiné ce traité de neutrahté armée , nous l'avons agréé , confirmé et ratifié,
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ainsi que nous l'agréons , confirmons et ratifions par les pré- sentes dans tous ses articles; promettant sur notre parole et foi impériale , pour nous et nos héritiers, de remplir inviola- blement tout ce qui a été stipulé par la susdite convention.
De plus, et indépendamment des stipulations contenues dans la convention ci-dessus transcrite , S. M. le roi de Prusse ayant agréé un article supplémentaire que nous lui avons pro- posé, conçu en termes suivants : « Pour prévenir tous les in- convénients qui peuvent provenir de la mauvaise foi de ceux qui se servent du pavillon d'une nation sans lui appartenir, on convient d'établir, pour règle inviolable, qu'un bâtiment quel- conque , pour être regardé comme propriété du pays dont il porte le pavillon, doit avoir à son bord le capitaine du vais- seau et la moitié de l'équipage des gens du pays, les papiers et passe- ports en bonne et due forme : mais tout bâtiment qui n'observera pas cette règle , et qui contreviendra aux ordon- nances publiées à cet effet et imprimées à la suite de la pré- sente convention , perdra tous les droits à la protection des puissances contractantes; et le gouvernement auquel il appar- tiendra, supportera seul les pertes, dommages et désagréments qui en résulteront. »
Et cet article additionnel ayant uniquement pour objet de parer, avec d'autant plus d'efficacité , aux abus de tout com- merce frauduleux et de contrebande, nous l'avons confirmé et ratifié , ainsi que nous le ratifions et confirmons par les pré- sentes ; promettant sur notre parole et foi impériale, pour nous et nos héritiers , de remplir inviolablement tout ce qui a été stipulé par le susdit article.
En foi de quoi, nous avons signé cette ratification impériale de notre propre main , et y avons fait apposer le sceau de l'em- pire.
Donné à notre château de Saint-Michel, le 6 février, l'an de grâce 1801, et de notre règne la cinquième année.
Pacl. Contresigné comte de Rostopsin.
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XXXIV.
Page 108,
Convention maritime entre la Russie et la Grande-Bretagne, signée à Saint-Pétersbourg, le -pjjuin 1801, avec deux ar- ticles séparés de la même date.
Le désir mutuel de S. M. l'empereur de toutes les Russies , et de S. M. le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, étant non-seulement de s'entendre entre elles sur les différends qui ont altéré en dernier lieu la bonne intelli- gence et les rapports d'amitié qui subsistaient entre les deux États , mais encore de prévenir à l'avance , par des explica- tions franches et précises à l'égard de la navigation de leurs sujets respectifs, le renouvellement de semblables altercations et les troubles qui pourraient en être la suite; et l'objet de la sollicitude de Leurs dites Majestés étant de parvenir le plus tôt que faire se pourra à un arrangement équitable de ces diflFé- rends , et à une fixation invariable de leurs principes sur les droits de la neutralité , dans leur application à leurs monar- chies respectives , afin de resserrer de plus en plus les liens d'amitié et de bonne correspondance dont elles reconnaissent l'utilité et les avantages , elles ont nommé et choisi pour leurs plénipotentiaires; savoir : S. M. l'empereur de toutes les Rus- sies, le ^ÀeuvNikuita, comte de Panin, etc. ; et S. M. le roi de la Grande-Bretagne, Abbin, baron de Saint-Helens, etc. ; les- quels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs, et les avoir trouvés en bonne et due forme, sont convenus des points et articles suivants :
Article premier.
11 y aura désormais , entre S. M. l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté Britannique, leurs sujets, États et pays de leur domination, bonne et inaltérable amitié et intelligence ; et subsisteront, comme par le passé, tous les rapports politiques, de commerce et autres d'une utilité commune, entre les sujets respectifs , sans qu'ils puissent être troublés ni inquiétés en manière quelconque.
Art. 2.
S. M. l'Empereur et Sa Majesté Britannique déclarent vouloir
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tenir la main à la plus rigoureuse exécution des dëfenses por- tées contre le commerce de contrebande de leurs sujets avec les ennemis de l'une ou de l'autre des hautes parties contrac- tantes.
Art. 3.
S. M. l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté Britan- nique ayant résolu de mettre sous une sauvegarde suffisante la liberté du commerce et delà navigation de leurs sujets, dans le cas où l'une d'entre elles serait en guerre , tandis que l'autre serait neutre, elles sont convenues :
1° Que les vaisseaux de la puissance neutre pourront navi- guer librement aux ports et sur les côtes des nations en guerre ;
2° Que les effets embarqués sur les vaisseaux neutres seront libres, à l'exception de la contrebande de guerre et des pro- priétés ennemies; et il est convenu de ne pas comprendre au nombre des dernières, les marchandises du produit du cru ou de la manufacture des pays en guerre qui auraient été acquises par des sujets de la puissance neutre et seraient transportées pour leur compte ; lesquelles marchandises ne peuvent être exceptées, en aucun cas, de la franchise accordée au pavillon de ladite puissance ;
3° Que, pour éviter aussi toute équivoque et tout malentendu sur ce qui doit être qualifié de contrebande de guerre, S. M. l'empereur de toutes les Russies, et Sa Majesté Britannique, dé- clarent, conformément à l'article 11 du traité de commerce con- clu entre les deux couronnes le ^ février 1797, qu'elles ne re- connaissent pour telle que les objets suivants ; savoir : canons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, grenades, boulets, balles, fusils, pierres à feu, mèches, poudre, salpêtre, soufre, cuirasses, piques, épées, ceinturons, gibernes, selles et brides ; en exceptant toutefois la quantité des susdits articles qui peut être nécessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui en composent l'équipage ; et tous les autres articles quelconques, non désignés ici , ne seront pas réputés munitions de guerre et navales , ni sujets à confiscation , et par conséquent passe- ront librement sans être assujettis à la moindre difficulté , à moins qu'ils ne puissent être réputés propriétés ennemies, dans le sens arrêté ci-dessus. 11 est aussi convenu que ce qui est stipulé dans le présent article, ne portera aucun préjudice aux stipulations particulières de l'une ou de l'autre couronne
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avec d'autres puissances , par lesquelles des objets de pareil genre seraient réservés, prohibés ou permis ;
4° Que, pour déterminer ce qui caractérise un port bloqué, on n'accorde cette dénomination qu'à celui oiî il y a , par la disposition de la puissance qui l'attaque avec des vaisseaux arrêtés ou suffisamment proches, un danger évident d'entrer;
6° Que les vaisseaux de la puissance neutre ne peuvent être arrêtés que sur de justes causes et faits évidents ; qu'ils soient jugés sans relard , et que la procédure soit toujours uniforme, prompte et légale.
Pour assurer d'autant mieux le respect dû à ces stipulations, dictées par le désir sincère de concilier tous les intérêts et donner une nouvelle preuve de leur loyauté et de leur amour pour la justice, les hautes parties contractantes prennent ici l'engagement le plus formel de renouveler les défenses les plus sévères à leurs capitaines, soit de haut bord, soit de la marine marchande, de charger, tenir ou receler à leur bord aucun des objets qui , aux termes de la présente convention , pourraient être réputés de contrebande, et de tenir respectivement la main à l'exécution des ordres qu'elles auront publiés dans leurs amirautés et partout oîi besoin sera.
Abt. 4.
Les deux hautes parties contractantes , voulant encore pré- venir tout sujet de dissension à l'avenir, en limitant le droit de visite des vaisseaux marchands allant sous convoi aux seuls cas où la puissance belligérante pourrait essuyer un préjudice réel par l'abus du pavillon neutre, sont convenues ;
1° Que le droit de visiter les navires marchands appartenant aux sujets d'une des puissances contractantes naviguant sous le convoi d'un vaisseau de guerre de ladite puissance , ne sera exercé que par les vaisseaux de guerre de la partie belligé- rante, et ne s'étendra jamais aux armateurs, corsaires et au- tres bâtiments qui n'appartiennent pas à la flotte impériale ou royale de Leurs Majestés, mais que leurs sujets auraient armés en guerre ;
2° Que les propriétaires de tous les navires marchands ap- partenant aux sujets de l'un des souverains contractants, qui seront destinés à aller sous convoi d'un vaisseau de guerre, seront tenus, avant qu'ils reçoivent leurs instructions de navi- gation, de produire au commandant du vaisseau de convoi
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leurs passe-ports et certificats ou lettres de mer, dans la forme annexée au présent traité ;
3° Que, lorsqu'un vaisseau de guerre ayant sous son convoi des navires marchands , sera rencontré par un vaisseau ou des vaisseaux de guerre de l'autre partie contractante qui se trou- vera alors en état de guerre, pour éviter tout désordre, on se tiendra hors de la portée du canon, à moins que l'état de la mer ou le lieu de la rencontre ne nécessite un plus grand rap- prochement ; et le commandant du vaisseau de la puissance belligérante enverra une chaloupe à bord du vaisseau de con- voi, où il sera procédé réciproquement à la vérification des pa- piers et certificats qui doivent constater, d'une part, que le vaisseau de guerre neutre est autorisé à prendre sous son es- corte tels ou tels vaisseaux marchands de sa nation, chargés de telles cargaisons et pour tels ports; de l'autre part, que le vais- seau de guerre de la partie belligérante appartient à la flotte impériale ou royale de Leurs Majestés ;
4° Cette vérification faite, il n'y aura lieu à aucune visite, si les papiers sont reconnus en règle et s'il n'existe aucun motif valable de suspicion. Dans le cas contraire, le commandant du vaisseau de guerre neutre ( y étant dûment requis par le com- mandant du vaisseau ou des vaisseaux de la puissance belligé- rante) doit amener et détenir son convoi pendant le temps nécessaire pour la visite des bâtiments qui le composent ; et il aura la faculté de nommer et déléguer un ou plusieurs officiers pour assister à la visite desdits bâtiments , laquelle se fera en sa présence sur chaque bâtiment marchand, conjointement avec un ou plusieurs officiers préposés par le commandant du vaisseau de la partie belligérante ;
5° S'il arrive que le commandant du vaisseau ou des vais- seaux de la puissance en guerre , ayant examiné les papiers trouvés à bord et ayant interrogé le maître et l'équipage du vaisseau, aperçoive des raisons justes et suffisantes pour déte- nir le navire marchand , afin de procéder à une recherche ul- térieure, il notifiera cette intention au comnjandant du vais- seau de convoi , qui aura le pouvoir d'ordonner à un officier de rester à bord du navire ainsi détenu, et assister à l'examen de la cause de sa détention. Le navire marchand sera amené tout de suite au port le plus proche et le plus convenable, ap- partenant à la puissance belligérante, et la recherche ulté- rieure sera conduite avec toute la diligence possible.
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Art. 5.
Il est également convenu que , si quelque navire marchand ainsi convoyé était détenu sans une cause juste et suffisante, le commandant du vaisseau ou des vaisseaux de la puissance belligérante sera non -seulement tenu, envers les propriétaires du navire et de la cargaison, à une compensation pleine et par- faite pour toutes pertes, frais, dommages et dépenses occa- sionnés par une telle détention ; mais il subira encore une punition ultérieure pour tout acte de violence ou autre fraude qu'il aurait commis, suivant ce que la nature du cas pourrait exiger. Par contre, il ne sera point permis , sous quelque pré- texte que ce soit , au vaisseau de convoi , de s'opposer par la force à la détention du navire ou des navires marchands par le vaisseau ou les vaisseaux de guerre de la puissance belligé- rante ; obligation à laquelle le commandant du vaisseau du convoi n'est point tenu envers les corsaires et armateurs.
Art. 6.
Les hautes parties contractantes donneront des ordres pré- cis et efficaces pour que les sentences sur les prises faites en mer soient conformes aux règles de la plus exacte justice et équité , qu'elles soient rendues par des juges non suspects et qui ne soient point intéressés dans l'affaire dont il sera ques- tion. Le gouvernement des États respectifs veillera à ce que les- dites sentences soient promptement et dûment exécutées selon les formes prescrites.
En cas de détention mal fondée ou autre contravention aux règles stipulées par le présent article, il sera accordé aux pro- priétaires d'un tel navire et de la cargaison , des dédommage- ments proportionnés à la perte qu'on leur aura occasionnée. Les règles à observer pour ces dédommagements , et pour le cas de détention mal fondée, de même que les principes à sui- vre pour accélérer les procédures, feront la matière d'articles additionnels, que les parties contractantes conviennent d'ar- rêter entre elles , et qui auront même force et valeur que s'ils étaient insérés dans le présent acte. Pour cet effet, Leurs Majes- tés Impériale et Britannique s'engagent mutuellement de mettre la main à l'œuvre salutaire qui doit servir de complément à ces stipulations, et de se communiquer, sans délai, les vues que
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leur suggérera leur égale sollicitude pour prévenir les moin- dres sujets de contestation à l'avenir.
Aai. 7.
Pour obvier à tous les inconvénients qui peuvent provenir de la mauvaise foi de ceux qui se servent du pavillon d'une nation sans lui appartenir, on convient d'établir pour règle in- violable qu'un bâtiment quelconque, pour être regardé comme propriété du pays dont il porte le pavillon , doit avoir à son bord le capitaine du vaisseau et la moitié de l'équipage des genS du pays, et les papiers et passe-ports en bonne et due forme. Mais tout bâtiment qui n'observera pas celte règle , et qui con- treviendra aux ordonnances publiées à cet effet , perdra tous les droits à la protection des puissances contractantes.
Art. 8.
Les principes et les mesures adoptés par le présent acte seront également applicables à toutes les guerres maritimes où l'une des deux puissances serait engagée , tandis que l'autre resterait neutre. Ces stipulations seront en conséquence re- gardées comme permanentes , et serviront de règle constante aux puissances contractantes , en matière de commerce et de navigation.
Art. 9.
S. M. le roi de Danemark et S. M. le roi de Suède seront im- médiatement invités par Sa Majesté Impériale, au nom des deux puissances contractantes , à accéder à la présente convention, et, en même temps, à renouveler et confirmer leurs traités res- pectifs de commerce avec Sa Majesté Britannique; et Sadite Majesté s'engage, moyennant les actes qui auront constaté cet accord, de rendre et restituer à l'une et l'autre de ces puissances, toutes les prises qui ont été faites sur elles, ainsi que les terres et pays de leur domination qui ont été conquis par les armes de Sa Majesté Britannique, depuis la rupture, dans l'état oîi se trou- vaient ces possessions à l'époque où les troupes de Sa Majesté Britannique y sont entrées. Les ordres de Sa Majesté , pour la restitution de ces prises et de ces conquêtes, seront expédiés immédiatement après l'échange des ratifications des actes par lesquels la Suède et le Danemark accéderont au présent traité.
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Art. 10.
La présente convention sera ratifiée par les deux parties contractantes , et les ratifications échangées à Saint-Péters- bourg, dans l'espace de deux mois pour tout délai, à compter du jour de la signature.
En foi de quoi, etc. Fait à Saint-Pétersbourg le ^ juin 1801.
Signé le comte Pànin. — Saint-Hele?<s.
Formulaire des passe-ports et lettres de mer gui doivent être délivrés, dans les amirautés respectives des Etats des deux hautes parties contractantes, aux vaisseaux et bâtiments qui en sortiront, conformément à l'article 4 du présent traité.
Faisons savoir que nous avons donné congé et permission à N..., dans la ville ou lieu de N.,,, maître ou conducteur du vaisseau de N..., appartenant à N..., du port de N... tonneaux ou environ, qui se trouve à présent au port et havre de N..., de s'en aller à N..., chargé de N..., pour le compte de N..., après que la visite de son vaisseau aura été faite avant son dé- part, selon la manière usitée , par les ofiSciers préposés à cet effet ; et ledit N.... ou tel autre fondé de pouvoirs pour le rem- placer, sera tenu de produire dans chaque port ou havre où il entrera avec ledit vaisseau, aux officiers du lieu, le présent congé, et de porterie pavillon de N.... durant son voyage. En foi de quoi, etc.
Premier article séparé de la convention entre la Russie et l'An- gleterre, signé à Saint-Pétersbourg, le -^ juin 1801.
Les intentions pures et magnanimes de S. M. l'empereur de toutes les Russies l'ayant déjà porté à restituer les navires et les biens des sujets britanniques qui avaient été séquestrés en Russie , Sadite Majesté confirme cette disposition dans toute sou étendue, et Sa Majesté Rritannique s'engage également à donner immédiatement des ordres pour faire lever tout séquestre sur les propriétés russes, danoises et suédoises détenues dans les ports de la Grande-Rretagne ; et pour constater d'autant mieux son désir sincère de terminer à l'amiable les différends surve- nus entre la Grande-Rretagne et les cours du nord, et pour qu'aucun incident ne puisse apporter des entraves à celte œu-
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vre salutaire, Sa Majesté Britannique s'engage à donner des or- dres aux commandants de ses forces de terre et de mer, pour que l'armistice actuellement subsistant avec les cours de Dane- mark et de Suède soit prolongé jusqu'au terme de trois mois à dater de ce jour ; et S. M. l'empereur de toutes les Russies, guidé par les mêmes motifs, s'engage, au nom de ses alliés, de faire maintenir également cet armistice pendant ledit terme. En foi de quoi , etc.
Second article séparé de la susdite convention, signé à Saint- Pétersbourg le ^juin 1801.
Les différends et malentendus qui subsistaient entre S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, étant ainsi terminés, et les précautions prises par la présente convention ne donnant plus lieu de craindre qu'ils puissent troubler à l'avenir l'har- monie et la bonne intelligence que les deux hautes parties con- tractantes ont à cœur de consolider, Leursdites Majestés con- firment de nouveau , par la présente convention , le traité de commerce du ^t février 1797, dont toutes les stipulations sont rappelées ici pour être maintenues dans toute leur étendue.
En foi de quoi, etc.
Articles additionnels à la convention conclue à Saint-Péters- bourg le Yîjuin 1801, entre la Russie et l'Angleterre, arrêtés à Moscou le ^ octobre 1801.
Comme , par l'article 6 de la convention conclue le ^ juin 1801, entre S. M. l'empereur de toutes les Russies et Sa Majesté Britannique, il a été stipulé que les deux hautes parties con- tractantes arrêteraient entre elles des articles additionnels qui fixeraient les règles et les principes à suivre , tant pour l'accé- lération des procédures judiciaires sur des prises faites en mer, que pour les dédommagements qui seraient dus aux proprié- taires des navires et des cargaisons neutres, dans le cas d'une détention mal fondée, Leursdites Majestés ont nommé et auto- risé, à cet effet : S. M. l'empereur de toutes les Russies, le sieur Alexandre, prince de Kmirakin, son vice-chancelier, etc., et le comte de Kotschoubey , son conseiller privé actuel, etc. ; et Sa Majesté Britannique, le lord Saint-Helens , pair du
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royaume, etc.; lesquels, en vertu de leurs pleins pouvoirs res- pectifs, sont convenus des articles suivants :
Article premier.
En cas de détention mal fondée, ou autre contravention aux règles convenues , il sera accordé aux propriétaires du navire ainsi détenu et de sa cargaison, pour chaque jour de retard, des dédommagements proportionnés à la perte qu'il en aurait soufferte, en raison du fret dudit navire et de la nature de sa cargaison.
Art. 2.
Si les ministres de l'une des hautes parties contractantes, ou autres personnes accréditées de sa part, portaient des plaintes contre les jugements qui auraient été rendus sur lesdites prises par les cours des amirautés respectives, l'affaire sera évoquée, en Russie, au sénat dirigeant ; et dans la Grande-Bretagne, au conseil du Roi.
Art. 3.
Des deux côtés , on examinera soigneusement si les règles et précautions stipulées dans la présente convention ont été observées ; ce qui devra être fait avec toute la célérité possible. Les deux hautes parties contractantes s'engagent de plus à adopter les moyens les plus efficaces , pour que les jugements de leurs différents tribunaux , sur les prises faites en mer, ne soient sujets à aucun délai inutile.
Art. 4.
Les effets en litige ne pourront être vendus ni déchargés avant le jugement définitif, sans une nécessité réelle et pres- sante, qui aura été constatée devant la cour de l'amirauté, et moyennant une commission autorisée à cet effet ; et il ne sera point permis aux capteurs de rien retirer ni enlever, de leur propre autorité, d'un vaisseau ainsi détenu.
Ces articles additionnels , faisant partie de la convention du -^ juin 1801, au nom de Leurs Majestés Impériale et Britan- nique, auront la même force et valeur que s'ils étaient insérés mot à mot dans ladite convention.
En foi de quoi, nous soussignés , munis des pleins pouvoirs XI 2f)
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de Leursdites Majestés, avons signé les présents articles addi- tionnels, et y avons apposé le cachet de nos armes. Fait à Moscou, le ^ octobre 1801.
Signé le prince de Kourakin ; le comte
KOTSCnOUBEÏ ; lord SilNI-HELENS-
XXXV.
Page 109.
Acte du parlement, du 27 juin 1805, pour confirmer et étendre les dispositions concernant les ports francs dans les îles occi- dentales.
Il sera établi des ports francs à la Jamaïque, à la Grenade, à la Dominique , à Ântigue , à la Trinité , à Tabago , à Tortole, à la Nouvelle-Providence, à Saint- Vincent et aux Bermudes.
Ces ports , distribués dans toutes les îles occidentales , dans la vue d'entretenir un commerce avantageux avec les colonies et comptoirs des ennemis de la Grande-Bretagne dans ces pa- rages , sont ouverts pour toutes leurs productions précieuses et pour les petits bâtiments n'ayant qu'un seul pont, qui ap- partiendraient et qui seraient navigues par les habitants des- dites colonies et comptoirs.
Les ennemis de la Grande-Bretagne peuvent aussi exporter, des ports ci-dessus désignés, du rhum, des nègres, et toute espèce de marchandises , excepté des munitions navales qui y auraient été importées dans des bâtiments anglais.
Il sera pourvu en même temps à la réexportation par des bâtiments anglais, des produits ou marchandises y désignées et portées des colonies et des comptoirs de ses ennemis dans les ports de la Grande-Bretagne et de ses possessions, confor- mément aux règlements prescrits par l'acte de navigation.
XXXVI.
Page 109. Résolution du conseil privé d'Angleterre, du 3 août iS05K Le commerce avec les comptoirs et îles appartenant à l'en- ' Examination of ilieBriiish doctrine.
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nemi en Amérique et dans les îles occidentales , doit se faire à l'avenir par le médium des ports francs anglais dans les îles occidentales, et non autrement.
XXXVII.
Page 110.
Message du 'président des États-Unis au sénat et à la chambre des représentants des États-Unis.
17 janvier 1806.
Dans mon message aux deux chambres du congrès, à l'ou- verture de la session actuelle , j'ai présenté à leur attention, entre autres sujets, l'oppression de notre commerce et de notre navigation par la conduite irrégulière des bâtiments armés, publics et particuliers , et par l'introduction de principes nou- veaux, dérogeant aux droits des neutres et contraires à l'usage des nations.
Les mémoires de plusieurs corps de marchands des États- Unis vous sont communiqués avec le présent, et développeront ces principes et cette conduite , qui sont très-ruineux pour notre commerce et notre navigation.
Le droit d'un neutre, d'avoir des liaisons commerciales avec toutes les parties des domaines du belligérant , permis par les lois des nations, à l'exception des ports bloqués et de la con- trebande de guerre, paraissait avoir été décidé entre la Grande- Bretagne et les États-Unis , par la sentence de leurs commis- saires nommés mutuellement pour décider sur cette question et d'autres discussions entre les deux nations , et par le paye- ment des dommages arbitrés par eux , contre la Grande- Bretagne, pour les infractions de ce droit. En conséquence, quand on s'est aperçu qu'on faisait revivre le même principe, et qu'on y en ajoutait d'autres nouveaux, ce]qui augmentait les in- jures, on a donné des instructions au ministre plénipotentiaire à la cour de Londres, et il a fait les remontrances convenables à ce sujet. Elles ont été suivies d'une suspension partielle et temporaire seulement, sans aucun désaveu du principe. Il a en conséquence été instruit de presser ce sujet de nouveau, de le présenter plus entièrement à la barre de la raison , et d'insister
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sur des droits trop évidents et trop importants pour les aban- donner. Dans le môme temps, le mal se continue par des con- damnations fondées sur le principe qui est nié.
C'est dans ces circonstances qu'on présente le sujet à la con- sidération du congrès.
Sur la presse de nos matelots, nos remontrances n'ont ja- mais discontinué. Nous avons eu un moment l'espérance d'un arrangement que nous aurions pu accepter, mais elle s'est éva- nouie aussitôt; et quoiqu'on s'en relâche de temps à autre dans les mers éloignées, elle se continue cependant dans celles du voisinage. Les bases et les principes sur lesquels les réclama- tions à ce sujet sont faites, vous sont commuiqués par l'extrait ci-joint des instructions à notre ministre de Londres.
Signé Jefferson.
XXXVIII.
• Page 110.
ISote de M. Fox à M. Munroe.
16 mai 1806.
Le soussigné, premier secrétaire d'État de Sa Majesté, chargé du département des affaires étrangères, a reçu de Sa Majesté l'ordre de prévenir M. Munroe que le Roi , considérant les me- sures extraordinaires que l'ennemi vient de prendre, dans l'in- tention de ruiner le commerce de ses sujets, a cru convenable d'ordonner que les mesures nécessaires seraient prises pour le blocus des côtes , rivières et ports depuis l'Elbe jusqu'au port de Brest inclusivement , et que lesdites côtes , rivières et ports sont et doivent être considérés comme bloqués ; mais que Sa Majesté déclare que ce blocus n'empêchera pas que les bâti- ments neutres chargés de marchandises non appartenant aux ennemis de Sa Majesté et qui ne sont pas de contrebande, d'ap- procher desdites côtes, d'entrer ou de faire voile desdites ri- vières et ports (excepté les côtes , rivières et ports depuis Os- tendc jusqu'à la Seine, depuis longtemps en état de blocus et qui y sont encore), pourvu que lesdits bâlimcnls qui appro- cheront et qui entreront ainsi (excepté comme ci-dessus),
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n'aient pris leur cargaison dans aucun port appartenant aux ennemis de Sa Majesté ou en leur possession , et que lesdits bâtiments qui feront voile desdites rivières et ports ( excepté comme ci-dessus), ne soient destinés pour aucun port appar- tenant aux ennemis de Sa Majesté ou en leur possession , et n'aient pas préalablement enfreint le droit de blocus.
M. Munroe est donc prié de prévenir les consuls et les né- gociants américains résidant en Angleterre, que les côtes, ri- vières et ports ci-dessus mentionnés, doivent être regardés comme en état de blocus , et que dès lors toutes les mesures autorisées par les lois des nations et par les traités respectifs entre Sa Majesté et ces puissances neutres, seront adoptées et exécutées envers les bâtiments qui chercheraient à enfreindre ledit droit de blocus après cette notification.
Le soussigné prie M. Munroe d'agréer les assurances de sa haute considération.
Signé Ch. J. Fox.
XXXIX.
Page 111.
Au palais de la Reine, le 7 janvier 1807.
Le Roi présent en son conseil ;
D'après certains ordres du gouvernement français qui, con- traires aux usages de la guerre, tendent à prohiber le commerce de toutes les puissances neutres avec les possessions de Sa Majesté, et à empêcher ces puissances d'importer dans aucun pays des marchandises provenant du sol, du produit ou des manufactures des possessions de Sa Majesté; et comme ce gouvernement a osé déclarer toutes les possessions de Sa Ma- jesté en état de blocus , dans le moment même où les flottes de la France et de ses alliés sont elles-mêmes renfermées dans leurs propres ports , par l'effet de la supériorité , de la valeur et de la discipline de la marine anglaise ; et comme de telles atteintes de la part de l'ennemi donneraient à Sa Majesté le droit incontestable de représailles, et que Sa Majesté, en insis- tant sur la proliibition de tout commerce avec la France, pour-
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rait se promettre d'effectuer ce que la France s'était vainement efforcée de faire contre le commerce des États de Sa Majesté, c'est-à-dire une prohibition que la supériorité des forces na- vales de Sa Majesté lui permettrait d'exécuter, en bloquant, dès à présent, les ports et les côtes de l'ennemi avec des croi- sières et des escadres nombreuses , de manière à en rendre l'approche et l'entrée également dangereuses; et comme Sa Majesté , tout en ne voulant pas suivre l'exemple de ses enne- mis , en en venant à une extrémité si funeste aux nations qui ne sont pour rien dans la guerre actuelle, puisque cette mesure détruirait leur commerce ordinaire, et désirant défendre de son mieux les droits et les intérêts de son peuple , croit ne devoir pas souffrir les mesures prises par ses ennemis, sans faire quelques efforts , de son côté , pour annuler cette violence et faire tomber sur eux les maux causés par leur propre injus- tice.
Sa Majesté, par et avec l'avis de son conseil privé, veut bien ordonner, et il est ordonné par ces présentes, qu'aucun bâti- ment ne pourra faire le commerce d'un port avec un autre, si lesdits ports appartiennent ou sont en la possession de la France ou de ses alliés , ou lui sont assez soumis pour n'avoir aucun commerce avec l'Angleterre ; et les commandants des vaisseaux de guerre ou des corsaires de Sa Majesté auront et ont l'ordre d'avertir chaque bâtiment neutre venant d'un port semblable et se rendant dans un autre, de cesser leur voyage et de ne pas se rendre à leur destination ; et tout vaisseau ainsi averti, ou tout vaisseau venant d'un port semblable, après un laps de temps suffisant pour connaître l'ordre de Sa Majesté, que l'on trouvera faisant route pour un port semblable , sera capturé, amené et déclaré , ainsi que sa cargaison , de bonne prise. Et les premiers secrétaires d'État , les lords commissai- res de l'amirauté , et les juges de la haute cour d'amirauté et des cours de vice-amiraux , prendront , chacun en ce qui le concerne, les mesures nécessaires pour assurer ces disposi- tions.
Signé Faukener.
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XL.
Page 111.
Supplément à la Gazette] de Londres, du samedi 14 novembre 1807.
Au palais de la Reine, le 11 novembre 1807. Le Roi étant présent à son conseil ;
Sa Majesté considérant que le gouvernement français a pro- clamé naguère un certain décret qui établit un système de guerre jusqu'alors sans exemple contre ce royaume, et tendant particulièrement à la destruction de son commerce et de ses ressources, d'après lequel les îles anglaises ont été déclarées en état de blocus, de manière que tous les bâtiments quelcon- ques faisant le commerce avec les États de Sa Majesté sont, ainsi que leur cargaison, sujets à la confiscation et à la con- damnation ;
Considérant que , par le même décret , tout commerce en marchandises anglaises est prohibé, et tout article de denrée appartenant à l'Angleterre ou provenant de ses colonies ou de ses manufactures est déclaré de bonne prise ; considérant que les nations qui sont alliées à la France et celles qui sont sous son influence ont été requises d'exécuter, comme en effet elles ont exécuté et exécutent de semblables ordres ;
Considérant que le décret de Sa Majesté du 7 janvier dernier n'a pas eu l'effet qu'on s'en proposait, soit de forcer l'ennemi à révoquer cette mesure , ou d'engager les nations neutres à s'interposer efficacement pour en obtenir la révocation, mais que bien au contraire, on amis récemment beaucoup plus de sévérité dans son exécution ;
Considérant enfin que, dans ces circonstances. Sa Majesté se trouve forcée à prendre de nouvelles mesures pour établir et maintenir ses justes droits et pour conserver cette puissance maritime que, par les faveurs spéciales de la Providence , elle tient de la valeur de son peuple , et dont l'existence n'est pas moins essentielle à la protection des États qui conservent en- core leur indépendance, et au bonheur ainsi qu'à l'intérêt du genre humain, qu'elle ne l'est à la sûreté et à la prospérité des États de Sa Majesté.
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Sa Majesté , ayant pris à ce sujet l'avis de son conseil privé, ordonne, par ces présentes, que tous les ports et toutes les places de France et de ses alliés , ceux de tout autre pays en guerre avec Sa Majesté, ceux des pays d'Europe dont le pavil- lon anglais est exclu, quoique ces ports ne soient pas en guerre avec Sa Majesté, qu'enfin tous les ports et places des colonies appartenant aux ennemis de Sa Majesté, seront désormais sou- mis aux mômes restrictions, relativement au commerce et à la navigation (sauf les exceptions ci-après spécifiées), que s'ils étaient actuellement bloqués de la manière la plus rigoureuse par les forces navales de Sa Majesté. En conséquence , tout commerce dans les articles provenant du sol ou des manufac- tures des pays susmentionnés, sera désormais regardé comme illégal; et tout navire quelconque sortant de ces pays ou de- vant s'y rendre, sera capturé légitimement, et cette prise ainsi que sa cargaison adjugées au capteur.
Mais quoique Sa Majesté ait bien le droit, d'après les motifs exposés ci-dessus, de prendre une semblable mesure, relative- ment à tous les pays et à toutes les colonies de ses ennemis, sans exception ni qualification , elle n'a pas voulu néanmoins entraver le commerce des neutres plus qu'il n'est nécessaire pour remplir la juste résolution qu'elle a adoptée à l'effet de combattre les projets de ses ennemis, et de les rendre eux- mêmes victimes de leur propre violence et de leur injustice; et voulant bien encore se persuader qu'il est possible (tout en remplissant le but qu'elle se propose ) de permettre aux neu- tres de s'approvisionner de denrées coloniales pour leur propre usage , et même d'autoriser, pour le présent, un certain com- merce avec les ennemis de Sa Majesté , qui pourra avoir lieu directement avec les ports des États de Sa Majesté ou de ses alliés, de la manière ci-après déterminée.
Sa Majesté déclare qu'elle n'entend pas que le présent ordre soit applicable :
1° Aux navires appartenant à des puissances qui ne sont pas comprises dans les blocus, lesquels navires auraient fait voile des ports des pays auxquels ils appartiennent, soit en Europe ou en Amérique , ou de quelque port libre dans les colonies de Sa Majesté (en se conformant aux règlements établis pour le genre de commerce qui peut se faire dans lesdits ports), pour se rendre directement dans quelque port des colonies appar- tenant aux ennemis de Sa Maiesté ou de ces mêmes colonies,
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aussi directement, dans les pays aux(iiicls ils appartiennent, ou dans quelque port libre appartenant à Sa Majesté ;
2° Aux navires appartenant à des pays non en guerre avec Sa Majesté, lesquels auront fait voile , en se soumettant à tels règlements qu'il plaira à Sa Majesté de publier, et ce pour se rendre directement, de quelque port ou place de la Grande- Bretagne, ou bien de Gibraltar ou de Malte, ou d'un port ap- partenant aux alliés de Sa Majesté , au lieu qui sera désigné dans son acquit à la douane;
3° Aux navires appartenant à des pays non en guerre avec Sa Majesté, lesquels viendraient d'un port d'Europe compris dans la présente mesure de blocus, pour se rendre directement dans quelque port ou place d'Europe appartenant à Sa Majesté; bien entendu que l'exception dont il s'agit n'est pas applicable à des navires qui entreraient dans un port actuellement bloqué par des escadres ou des vaisseaux de guerre de Sa Majesté, ou qui tenteraient de sortir desdits ports.
En conséquence , il est enjoint à tous bâtiments de guerre, corsaires et autres , naviguant en vertu d'une commission de Sa Majesté, d'informer tous les navires qui auraient commencé leur voyage avant d'avoir eu connaissance du présent ordre, et qui seraient destinés pour un port de France, ou de ses colo- nies, ou de ses alliés, ou pour tout autre pays en guerre avec Sa Majesté , ou dont le pavillon anglais est exclu , et qui se- raient en contravention avec les dispositions ci-dessus, qu'ils aient à discontinuer leur voyage , ou à se rendre dans un port quelconque d'Angleterre , ou bien à Gibraltar ou à Malte ; et tout navire qui sera pris après avoir contrevenu aux disposi- tions des présentes, sera déclaré de bonne prise, ainsi que la cargaison, et le tout adjugé aux capteurs.
Et attendu que des pays non engagés dans la guerre ont acquiescé à ces ordres de la France , en prohibant tout com- merce dans les articles provenant des États ou des manufac- tures de la Grande-Bretagne , et que les négociants de ces mêmes pays ont concouru à rendre ces prohibitions efficaces, en acceptant de certaines personnes se qualifiant du titre d'a- gents commerciaux de l'ennemi, résidant dans les ports neu- tres, certains documents appelés certificats d'origine, lesquels -constatent que les objets embarqués ne proviennent ni des pos- sessions ni des manufactures anglaises.
Et comme cet expédient a été imaginé par la France, et quo ces négociants s'y sont soumis comme faisant partie du non»
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veau système de guerre dirigé contre le commerce de ce royaume , et qu'il est par conséquent essentiellement néces- saire à l'Angleterre de résister à cette mesure , Sa Majesté, de l'avis de son conseil privé, ordonne , par ces présentes, que tout navire qui sera muni d'un semblable certificat, après avoir eu connaissance du présent ordre, sera confisqué commp de bonne prise.
Les lords commissaires de la trésorerie de Sa Majesté, les lords commissaires de l'amirauté et les cours d'amirauté, sont chargés de l'exécution du présent décret.
Signé N. Faukener.
XLI.
Page 111. Deuxième décret.
Attendu que les articles du cru ou des manufactures des pays étrangers ne peuvent être importés dans ce pays que dans des navires anglais, ou dans des bâtiments appartenant aux pays d'oiî ces articles sont tirés, à moins qu'un ordre du conseil n'autorise spécialement de nouvelles mesures à ce sujet ;
Sa Majesté prenant en considération son décret en date de ce jour, relativement au commerce qui peut se faire avec les ports de l'ennemi, et jugeant convenable que tout navire ap- partenant à une puissance amie ou alliée de Sa Majesté puisse avoir la faculté d'importer dans ce pays-ci des articles prove- nant du cru ou des manufactures des pays qui sont en guerre avec Sa Majesté.
Sa Majesté, de l'avis de son conseil privé, ordonne, par ces présentes, que toutes les denrées et marchandises spécifiées et comprises dans un acte du Parlement , passé dans la quarante- troisième année du règne de Sa Majesté , et qui a pour titre : « Acte qui révoque les droits de douanes payables dans la Grande-Bretagne, et qui en substitue de nouveaux, » pour- ront être importées des ports ennemis par des navires appar- tenant à des puissances amies ou alliées de l'Angleterre, et ce, en acquittant les droits de douanes , et en participant aux re- mises qui sont actuellement établies par la loi, en faveur de
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l'importation de certaines marchandises ; et pour ce qui est des denrées et marchandises dont l'importation est autorisée pour être mises en dépôt sans payement de droits , en vertu d'un acte passé la quarante-troisième année du règne de Sa Ma- jesté, elles pourront être importées, en se soumettant aux clauses dudit acte. Quant à tous les articles dont l'importation en Angleterre est prohibée par la loi , il est ordonné que l'im- portation en sera permise pour être réexportées dans tout pays ami ou allié de Sa Majesté.
Sa Majesté ordonne, en outre, que tout navire qui arriverait dans un port du royaume-uni, ou à Gibraltar, ou à Malte, d'a- près l'avertissement qu'il aurait reçu du présent ordre , sera autorisé à poursuivre son voyage , ou à se rendre dans un port ami -, et pour cet effet , il lui sera délivré, par le collecteur ou le contrôleur des douanes , un certificat constatant qu'il s'est conformé au présent ordre. Mais, dans le cas où des bâtiments, ainsi avertis, préféreraient d'importer leur cargaison, ils en auront la faculté aux mômes termes et aux mêmes conditions que si leur chargement avait été fait en conformité des dispo- sitions prescrites par Sa Majesté.
Il est de plus ordonné que tous les bâtiments, qui arriveront dans un port du royaume-uni , ou à Gibraltar et à Malte, et ce pour déférer au présent ordre , auront la faculté , relativement à tous les articles qui composeront leur cargaison, excepté le sucre , le café , le vin , l'eau-de-vie et le tabac , de faire voile pour tout port quelconque qui sera désigné dans l'acquit des douanes ; et quant aux articles qui viennent d'être exceptés, ils ne pourront les exporter qu'en vertu d'une licence de Sa Ma- jesté, et ce dans les places et aux conditions qui leur seront prescrites.
Les lords commissaires, etc.
XLII.
Page 112. Troisième décret.
Attendu que toute vente de bâtiment faite par un ennemi à un autre, est considérée par la France comme illégale ; Et comme une grande partie de la marine de France et de
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SOS alliés a été protégée , dans le cours des présentes hostilités , par de prétendus transferts à des neutres ;
Considérant enfin qu'on peut opposer à l'ennemi les mêmes armes dont il se sert ;
Sa Majesté ordonne que désormais tout transfert de cette nature sera regardé comme illégal, et que tout bâtiment qui aura appartenu aux ennemis , nonobstant toute vente qui au- rait pu en être faite à des neutres , sera de bonne prise , et ad- jugé aux capteurs. Le présent ordre aura son exécution aussi- tôt après qu'il se sera écoulé un temps suffisant pour que les dispositions en soient connues dans les ports et places où ces prétendues ventes ont pu avoir lieu.
Les lords commissaires, etc.
Signé N. Fackener.
XLIII.
Paae 112.
Décret impérial contenant de nouvelles mesures contre le sys- tème maritime de l'Angleterre.
Au palais royal de Milan, le 17 décembre 1807.
Napoléon , empereur des Français , roi d'Italie et protec- teur de la confédération du Rhin ;
Vu les dispositions arrêtées par le gouvernement britanni- que, en date du 1 1 novembre dernier, qui assujettissent les bâtiments des puissances neutres, amies et même alliées de l'Angleterre, non-seulement à une visite par les corsaires an- glais, mais encore à une station obligée en Angleterre, et à une imposition arbitraire de tant pour cent sur leur chargement, qui doit être réglée par la législation anglaise ;
Considérant que, par ces actes, le gouvernement anglais a dénationalisé les bâtiments de toutes les nations de l'Europe ; qu'il n'est au poiivoir d'aucun gouvernement de transiger sur son indépendance et sur ses droits, tous les souverains de l'Europe étant solidaires de la souveraineté et de l'indépen- dance de leur pavillon; que si, par une faiblesse inexcusable et qui serait une tache ineffaçable aux yeux de la postérité, on laissait passer en principe et consacrer par l'usage une pareille
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tyrannie, les Anglais en prendraient acte pour l'établir en droit, comme ils ont profite de la tolérance des gouvernements pour établir l'infâme principe que le pavillon ne couvre pas la mar- chandise, et pour donner à leur droit de blocus une extension arbitraire et attentatoire à la souveraineté des États, Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Article premier.
Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, qui aura souf- fert la visite d'un vaisseau anglais, ou se sera soumis à un voyage en Angleterre, ou aura payé une imposition quelconque au gouvernement anglais, est par cela seul déclaré dénationa- lisé, a perdu la garantie de son pavillon et est devenu pro- priété anglaise.
Art. 2.
Soit que lesdits bâtiments, ainsi dénationalisés, entrent dans nos ports ou dans ceux de nos alliés, soit qu'ils tombent au pouvoir de nos vaisseaux de guerre ou de nos corsaires, ils sont déclarés de bonne et valable prise.
Art. 3.
Les îles britanniques sont déclarées en état de blocus sur mer comme sur terre.
Tout bâtiment, de quelque nation qu'il soit, quel que soit son chargement, expédié des ports de l'Angleterre ou des colonies anglaises ou depuis occupées par les troupes anglaises, ou al- lant en Angleterre ou dans les colonies anglaises , ou dans des pays occupés par les troupes anglaises, est de bonne prise, comme contrevenant au présent décret ; il sera capturé par nos vaisseaux de guerre ou par nos corsaires, et adjugé au capteur.
Art. 4.
Ces mesures, qui ne sont qu'une juste réciprocité pour le système barbare adopté par le gouvernement anglais, qui as- simile sa législation à celle d'Alger, cesseront d'avoir leur effet pour toutes les nations qui sauraient obliger le gouvernement anglais à respecter leur pavillon.
Elles continueront d'être en vigueur pendant tout le tenjps que ce gouvernement ne reviendra point aux principes du droit
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des gens, qui règlent les relations des États civilisés dans l'é- tat de guerre. Les dispositions du présent décret seront abro- gées et nulles par le fait, dès que le gouvernement anglais sera revenu aux principes du droit des gens, qui sont aussi ceux de la justice et de l'honneur.
Art. 6.
Tous nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des lois.
Signé Napoléon.
Par l'Empereur : Le secrétaire d'État, signé Hugces B. Mabet.
FIN DU TOMB ONZISMK.
TABLE DES MATIÈRES
DU ONZIÈME VOLUME.
SUITE
QUATRIÈME PÉRIODE,
ou
HISTOIRE DES TRAITÉS DEPUIS LE COMMENCEMENT DES
GUERRES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE JUSQUAU
TRAITE DE PARIS DE 1815. — 1791-1815.
CHAPITRE XXXVII (suite).
TRAITÉS DE PAIX DE TILSITT, CONCLUS, LES 7 ET 9 JUILLET 1807 ENTRE LA FRANCE, LÀ RUSSIE ET LA PRUSSE.
Page 3.
SECTION IV.
Deuxième partie.
SYSTÈME CONTINENTAL FRANÇAIS ; SYSTÈME BRITANNIQUE DE BLOCUS MARITIME ; ET AUTRES CONSÉQUENCES IMMÉDIATES DE LA PAIX DE T]LS1TT«
Page 3.
Polémique semi-offlcielle entre les Cabiaels de Londres et de Paris 4
Le chevalier de Gent:i: le comte A'Hauterive ib.
I. Observations sur le rapport du ministre des Relations Ex- térieures, duc de Bassano, communiqué au Sénat , le
10 mars 1812 ib.
II. Observations sur les décrets de Bçrlin et de Milan, et les
ordres du Conseil britanni- que à l'occasion des notes du Moniteur, ajoutées à la dé- claration du gouvernement anglais du 21 avril, pour ser- vir de suite aux observations sur le rapport du ministre des Relations Extérieures de France, du 10 mars 39
1. Oe la prétendue autorité du traité d'Ulrechl dans les questions de Droit maritime, 'i^
416 —
§ 2. Des moUfs cl du caractère des ordres du Conseil oppo- sés par le gouvcrnemenl bri- tannique aux décrets de Ber- lin et de Milan 49
45 3. Des conditions exigées par le gouvernement anglais pour la révocation des ordres du Conseil C"2
§ 4. Delà prétend\ie révocation des décrets de Berlin et de Milan à l'égard des États- Unis d'Amérique GG
§ 6. Des conditions attachées par la France à la révocation définitive des décrets de Berlin et de Milan 7
^ 6. Des avantages que l'Angle- terre aurait à espérer de la révocation des ordres du Conseil 77
III. Mémoire sur les principes et
les lois de la neutralité ma- ritime î)4
§ 1. Droit public de l'Europe relativement à la neutralité maritime avant 1750 ib.
§ 2. Droit public de l'Europe relativement à la neutralité maritime, de 1766 à 1775. . . 98
§ 3. Droit public de l'Europe relativement à la neutra- lité maritime , de 1775 à 1802 101
§ 4. Droit public de l'Europe relativement à la neutra- lité maritime , depuis le re- nouvellement de la guerre en 1803 10!)
Résumé comparatif des deux systèmes anglais et français. 115
Une réponse du roi Louis Bona- parte au prince Dolgorouki. IIG
CHAPITRE XXXVIIl.
TRAITÉ DE PAIX DE VIENNE OU DE SCHŒNBRUNN , DU 14 OCTOBllÈ 1809, ENTRE LA FRANCE ET l'aUTRICHE.
Page 117. SECTION PREMIÈRE.
RENVERSEMENT DU TRÔNE D'eSPAGNE.
Page 118.
Aperçu de l'ancienne puis- sance de l'Espagne 121
Ses ministres veulent sauver le roi-martyr 122
Avènement de Charles IV — ib.
Don Manuel Godoy , duc de la Alcudia, premier ministre. . ib.
Portrait de ce favori 123
Caractère du roi Charles IV. . 124
Parti du Prince royal ib.
Effet produit sur le public par le mariage de Godoy avec l'infante Marie -Thérèse de Bourbon ib.
Asservissement de l'Espagne à la France 125
Le plus grand forfait polili<iue de Napoléon ib.
Son opinion erronée à l'égard des Espagnols.. < 125
Situation politique de l'Espa- gne au moment où Napoléon songe à s'en emparer 126
Le parti de l'opposition, ayant pour chefs le duc de Vlnfan- tado et le chanoine don Juan Escoiqui^, trame le renver- sement du favori 127
Le prince des Âsturies adhère à ce projet ib.
Intrigues pour désunir la fa- mille royale ib.
Le Prince royal sollicite la main d'une nièce de Napo- léon, ib.
Godoy ai)i)reod celle démarche
417 —
Iiar sou agent à Paris dou Hugenio Ysquierdo 128
Accusation qu'il porte contre le Prince, qui est arrêté ainsi que ses partisans ib.
Charles IV pardonne à son fils et les juges absolvent ses confidents 129
Refroidissement de Napoléon pour Godoy ib.
Napoléon à Milan invite la reine d'Étrurie à partir pour Madrid ih.
Circonstance curieuse qui fait soupçonner à MM. de Melcy et de Labrador les projets de Napoléon sur l'Espagne. . 130
Inauiétude de la Cour de Ma- drid ib.
Elle demande la main d'une princesse de la famille impé- riale 131
Les troupes françaises pénè- trent au cœur de l'Espagne, ib.
Ysquierdo vient rendre compte à Madrid des projets suppo- sés de Napoléon ib.
La cour d'Espagne prend la ré- solution de passer en Amé- rique ib.
Émeute qui éclate, le I9 mars, à Aranjuez 132
Ondoy est arraché des mains du peuple et sauvé par le prince des Asturies ib.
Pillage du palais de Godoy à Madrid ib.
Abdication du roi Charles IV en faveur de son fils, qui prend le nom de Ferdi- nand Vil ib.
11 fait annoncer son avène- ment à Napoléon 133
La reine d'Étrurie entre en correspondance avec Murât ib.
Charles /F proleste contre son
abdication ib.
Entrée de Ferdinand VII dans
la capitale 134
Intrigues pour éloigner le roi
de Madrid ib.
On prépare les appartements
de Napoléon au palais royal . ib.
Insinuations du général Sa- vary ib.
M
Ferdinand Vil se résout à al- ler au-devant de Napoléon.. 134
Personnages qui accompagnent le Roi à Rayonne ib.
Formalion|d'une Junte suprême de gouvernement ib.
Circonstance particulière qui détermine le départ du Roi . 135
Dépêche expédiée de Paris à Godoy, par Yfquierdo ib.
Récit du voyage du Roi 140
Déception de Ferdinand VII en arrivant à Rayonne 14 1
Napoléon le déclare rebelle et lui enjoint de désigner un fondé de pouvoir ib.
M. de Cevallos, refusé, est rem- placé par M. de Labrador. . . ib.
Négociation de M. de Labrador avec M. de Champagny.. . . ib.
Conférence entre Napoléon et le conseiller d'Étal û'Escoi- quiz 142
Conditions offertes à Ferdi- nand VII en échange de sa renonciation 180
Charles IV arrive à Rayonne. . ib.
Moyens que l'on emploie pour fléchir Ferdinand VII ib.
Double renonciation de ce prince 181
Fameux traité de Rayonne, du 5 mai 1808, entre Napoléon et Charles IV; le général Duroc : le prince de la Paix. ib.
Ferdinand VII adhère à la ces- sion du trône d'Espagne faite par son père 184
Convention du 10 mai 1808, entre Napoléon et Ferdi- nand VII; le général Duroc: don Juan Escoiquix ib.
Proteslations de Ferdinand IV, roi de Naples et de Sicile, et de l'infant don Pedro 187
Départ de la famille royale d'Espagne pour la France. . . ib.
Le roi Charles IV, que Napo- léon laisse dans la détresse à Marseille, est obligé de ven- dre ses diamants ib.
Représailles des Rourbons en 1814 188
M. de Vargas Laguna fait ren- voyer en Espagne les pierre- ries delà reine Marie-Louise, ib.
27
— 418 —
Les diamants de la couronue enlevés à Madrid , par Ifit- rat, estimés 43 millions 188
Le Conseil royal désigne Jo- seph Bonaparte comme suc- cesseur au trône d'Espagne., ib.
Convocation à Bayonne d'une Junle de cent cinquante no- tables ; 189
Celle assemblée accepte, le 7 juillet, la nouvelle Consti- tution octroyée par. Yapoie'on, ib.
Trois cent mille Français ou al- liés succomberont pendant la guerre allumée pour soute- nir le nouvel établissement. i90
Joseph part pour Madrid ib.
Traité secret de Bayonne , du 6 juillet 1808 , entre Napo- Ic'on et Joseph Bonaparte ; M. de Champagny : le duo àe Gallo ib.
Le royaume de Naples est donné à Joachim Mural 199
Statut constitutionnel du 1 5 juil- let 1808 ib.
Le grand-duché de Berg est ré- trocédé à Napoléoi ib.
La couronne d'Espagne propo- sée antérieurement au roi Loxiis Bonaparte ib.
Lettre de l'Empereur. . ib.
Insurrection du 2 mai à Madrid. 201
Décrets de Ferdinand VU rela- tifs au commencement des hostilités et à la convocation des Cortès 202
Lettre de ce prince au com- mandant de l'armée des As- turies 203
Mouvements populaires dans les principales villes ib.
Massacres et régime de la ter- reur ib.
Formation des juntes centrales. 204
La Junte suprême de Séville exerce le pouvoir souverain au nom de Ferdinand VIL. ib.
Elle déclare la guerre à Na- poléon ib.
Proclamation du 29 mai 205
Déclaration du 6 juin 211
Adresse de Palafox à Napoléon. 2 1 3 État des forces espagnoles — 22ô
Moyens de résistance à l'inva- sion 226
Instructions générales pour les guérillas 228
Principaux chefs de guérillas, ib.
Curieux catéchisme populaire, ib.
L'amiral Rosilly , retenu dans le port de Cadix, est obligé de capituler 235
Expédition du général Moncey contre Valence il.
Bataille de Médina del Rio Seco, du 14 juUlet; maré- réchal Bessières sur le géné- ral Cxiesta ib.
Combat et capitulation de Bay- len, du 20 juillet; Castanos sur Dupont ib.
Joseph Napoléon abandonne Madrid le i" août 230
Belle proclamation de Castor- nos 237
La ville de Saragosse assiégée depuis le 14 juin jusqu^au 13 août par Lefebvre-Des- nouettes, est détendue avec succès par Palafox 238
Lettre fameuse de Palafox en réponse à une demande de soumission ib.
Le marquis de la llomana dé- barque à la Corogne 245
Publication du gouvernement britannique annonçant le ré- tablissement de la paix avec l'Espagne 246
Les Portugais suivent l'exem- ple de l'Espagne 247
Commencement de l'insurrec- tion, le 6 juin , à Oporto ib.
Expédition de sir Arthur Wel- lesley {Wellington) contre Lisbonne ib.
Le général Spencer arrive de Cadix et prend part aux opé- rations 248
Combat de Rorissa, le 17 août; sir Arthur Wellesley sur le général Laborde ib.
Bataille de Vimeiro^ le 21 août ; sir Arthur Wellesley sur le duc à'Abrantès ib.
Sir Ueio Dalrymple prend le commandement de l'armée, ib-
Armislice de Cintra, le 22 août, et convention de Lisbonne, le
— 419
30; Wellesley, Murray ; KeU lermann 2'»8
Jugement porté en Angleterre sur la convention de (Cintra. 251
L'amiral Siniavine, par la con- vention du Tase , du 3 sep- tembre, remet l'escadre russe à l'amiral Cotton ih.
Elle est rendue à l'empereur Alexandre, en \^li ib.
Nouveaux développements de la politique de Napoléon .... 252
Message qu'il adresse au Sénat, le 4 septembre 1 808 ib.
Premier rapport fait à l'Empe- reur, le 24 avril, par le mi- nistre des Relations Extérieu- res, Champagmj 253
Second rapport, du 1" septem- bre 259
Rapport fait à l'Empereur par le ministre de la Guerre, comte d'Hunebourg 265
Motifs du sénatus-consulte ex- posés par le comte Regnault de Saint- Jean d'Angely 269
Rapport fait au Sénat par le comte de Lace'pède 273
Napoléon fait proposer une en- trevue à l'empereur Alexan- dre 278
Congrès d'Erfurlh, en octobre 1808 279
Principaux résultats des confé- rences des deux Empereurs, ib.
Consentement donné par l'em- pereur ^1 iejrandre aux projets de A^apoieon sur l'Espagne. . ib.
Adhésion de Napoléon à la réu- nion définitive des provinces moldo-valaques à l'empire russe 280
Motifs de cette extension de li- mites ib.
Question du partage de la Tur- quie 281
Projet de reconstituer les em- pires d'Orient et d'Occident, ib.
Intervention de l'empereur Alexandre en faveur de la Prusse , 282
Accession du duc A'Oldenbourg a la confédération du Rhin . . ib.
Au moment de son départ de Saint - Pétersbourg, l'empe- reur Alexandre apprend le bombardement de Ballisch- Port ib.
Arrivée des deux Empereurs à Erfurlh, le 27 septembre . . . 283
Les rois de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg et de West- phalie, et soixante et onze princes, se trouvent réunis à Erfurlh ib.
Dignitaires et ministres d'État des premières puissances. .. 284
Circonstances diverses du sé- jour dessouverains àErfurth. ib.
Motif du changement de l'am- bassade russe à Paris 285
Le prince Kourakine remplace le comte Tolstoï ib.
Napoléon donne audience à l'Envoyé de l'empereur d'Au- triche ib.
Convention secrète d'Erfurth, du 12 octobre 1808 , enlre la France et la Russie: le comte de Champagny : le comte Roumantsof 286
Projet de nouer une négocia- tion avec l'Angleterre 289
Les souverains distribuent les décorations et présents d'u- sage ib.
Axiome de Napoléon au sujet des présents diplomatiques, ib.
Munificence d'Alexandre ib.
Séparation du congrès, le 14 octobre ib.
Un mot de Louis XIV ib.
Impression que l'entrevue d'Er- furth laisse dans l'esprit de Napoléon 290
Négociation pour la paix mari- lime ib.
Lettres d'Alexandre et de iVa- poléon à George III, 12 oc- tobre 1803 ib.
Lettre d'accompagnement de MM. de Champagny et Rou- mantsof, à M. Canning 291
Note en réponse (28 octobre) de M. Canning , et lettre d'accompagnement au comte Roumantsof 292
Notes en réponse (26 novembre) des ministres de Russie et de France 295
Dernières Notes de M. Canning (9 décembre) 296
Rupture des négociations 297
Déclaration du roi d'Angle- terre, du. 15 novembre 1808. ib.
— /i20 —
Seconde campagne de 1808, dans la Péninsule 298
Formation de la Junte suprême centrale ib.
La grande armée envahit l'Es- pagne 305
Napoléon arrive à Bayonne, le 3 novembre 30G
Combat de Guenez, le 7 novem- bre ; les Français Sur Blake. ib.
Bataille de Burgos, le 10 no- vembre ; maréchal Soult sur le comte de Belvéder ib.
Bataille d'Espinosa, les 10 et 1 1 novembre; maréchal Victor sur Blake et la Romana ib.
Bataille deTudela, le 23 novem- bre , maréchal Lannes sur Castanos ib.
Bataille de Somo-Sierra, le 30 novembre ; Napoléon sur Son Juan ib.
Napoléon s'établit à Chamartin. 30G
Le prince de Neufchâtel somme Madrid de se rendre 307
Vigoureux préparatifs de dé- fense de la part des habitants, ib.
Don Tomas Morla et don Ber- nardo Iriarte sont envoyés en parlementaires ib.
Relation de l'audience qu'ils obtiennent de l'Empereur. . . 308
Origine des préventions de Napoléon contre le président de la Junte centrale, Flo- rida-Blanca 310
Napoléon et le célèbre diplo- mate de Rayneval 3iO
Occupation de Madrid par l'ar- mée française 312
L'Inquisition est abolie ib.
Napoléon, instruit de la mar- che de l'armée anglaise sur Valladolid, se porte à sa ren- contre 314
Retraite du général Moore sur la Corogne ib.
Napoléon apprend à Benavente les armements de l'Autriche, ib.
Le duc de Dalmatie est investi du commandement de l'ar- mée ib.
Napoléon arrive à Paris le 23 janvier 1809 ib.
Bataille de la Corogne, le 16 janvier; le maréchal Soult sur le général Moore, blessé mortellement ib.
Capitulation de la Corogne , le 19 ib.
Le maréchal 5ou2t est maître de toute la province ib.
L'Angleterre conclut une al- liance intime avec l'Espa- gne 315
Traité de Londres, du 14 jan- vier 1809 : M. Canning : don Juan Ruiz de Apodaca ib.
Considérations générales sur les événements accomplis dans la Péninsule 310
NOTES ET DOCUMENTS.
I. Extrait du traité de paix et d'alliance entre 0. Cromwell et Jean IV, roi de Portugal,
du 10 juillet 1654 319
II. Extrait du traité de paix et de commerce, conclu entre la France et l'Angleterre, le
3 novembre 1655 320
m. Traité de commerce entre Oiarles II, roi d'Angleterre, et les Provinces-Unies des Pays-Bas, fait à la Haye, le 17 février 16G8 322
IV. Extrait du traité de com- merce signé à Utrecht, le
11 avril 1713, entre la France et l'Angleterre 325
V. Extrait du traité de naviga- tion et de commerce entre la France et les Provinces-Unies des Pays-Bas, signé le 1 1 avril 1713, à Utrecht 327
Yl. Extrait du registre des ré- solutions de LL. HH. PP. les seigneurs Étals Généraux des Provinces-Unies, sur le mé- moire remis par M. Yorck, dans une conférence où ce minisire a été appelé par Leurs Hautes Puissances 329
Vil. Extrait du traité définitif
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entre Sa Majeslé Britannique, le Roi Très-Clirélien et le roi d'Espagne , signé à Paris le 10 février 1763 334
VIII. Extrait du traité de com- merce et de navigation signé à Saint-Pétersbourg le 20 juin 1*66, entre l'empereur de toutes les Russies et la Grande-Bretagne ib.
X. Extrait du traité de com- merce, signé le 6 février 1778, entre la France et les États- Unis de l'Amérique 335
X. Déclaration de S. M. l'impé- ratrice de toutes les Russies aux cours de Londres, Ver- sailles et Madrid, jirésenlée dans le mois de mars 1780. . 338
XI. Extrait du registre des ré- solutions de LL, HH. PP. les Étals Généraux des Provinces- Unies des Pays-Bas, du lundi 24 avril 1780, en réponse au mémoire de la Russie, pré- senté le 3 avril 340
XII. Copie de la déclaration de Sa Majesté Danoise aux cours de Londres , de Versailles et de Madrid, datée du 8 juillet 1780 342
XIII. Copie de la déclaration de Sa Majesté Suédoise aux puis- sances belligérantes, expé- diée aux coure de Vereailles, de Londres et de Madrid, da- tée d'Aix-la-Chapelle, le 21 juillet 1780 344
XIV. Extrait de la convention maritime entre la Russie et le Danemark, signée à Co- penhague, le 9 juillet 1780.. 345
XV. Extrait de la convention maritime pour le maintien du commerce et de la navi- gation neutre , signée le 2! juillet (l" août) 1780, en- tre la Suède et la Russie 34G
XVI. Copie du mémoire de la cour de Russie, présenté aux cours des puissances belligé- rantes , pour leur notifier l'accession du Danemark et de la Suède au système de la neutralité armée-, 1780 347
XVII. Copie du mémoire de la cour de Russie, présenté aux cours des puissances belligé- rantes , pour leur notifier
l'accession du Danemark et de la Suède au système de la neutralité armée; 1780 348
XVIII. Réponse de la cour de Londres à la déclaration de l'impératrice de Russie, tou- chant le commerce neutre, datée du 28 février 1780, et présentée à la cour de Lon- dres le 1" avril 1780 349
XIX. Extrait du traité définitif de paix et d'amitié entre le roi de la Grande-Bretagne et le Roi Très-Chrétien, signé à Versailles le 3 septemnre 1783 350
XX. Extrait du traité de com- merce entre l'empire de Rus- sie et la Porte Ottomane , conclu à Constantinople le 10-21 juin 1783 351
XXI. Extrait du traité de com- merce et de navigation , si- gné en 1784, entre l'empe- reur des Romains et l'impé- ratrice de Russie, et publié, en 1785 , en forme d'édil , dans leurs Étals respectifs . . 352
XXII. Extrait du traité d'ami- tié et de commerce entre S. M. le roi de Prusse et les États-Unis d'Amérique, signé à la Haye le 10 septembre 1785 355
XXIII. Extrait du traité d'al- liance défensive entre S. M. le Roi Très-Chrétien et les États Généraux des Provinces- Unies des Pays-Bas , à Fon- tainebleau , le 10 novembre 1785 356
XXIV. Extrait du traité d'ami- tié et de commerce conclu entre S. M. le roi de Suède et les États-Unis de l'Amé- rique septentrionale , le
3 avril 1783 357
XXV. Extrait du traité de navi- gation et de commerce en- tre la France et la Grande- Bretagne, conclu à Versailles
le 26 septembre 1786 359
XXVI. Instruction aux com- mandants des vaisseaux de guerre de Sa Majesté, et des corsaires qui ont ou qui au- ront des lettres de marque, contre la France 365
— 422 —
36C
ib.
XXVIT. Ordre du Conseil d'An- gleterre, C novembre 1T93.
XXVllI. Traité passé, le 27 mars 1794, entre le roi de Suède et le roi de Danemark, pour la défense commune de la li- berté et de la sûreté du com- merce danois et suédois
XIX. Ordre du Conseil d'An- gleterre, 8 janviec 1794 370
XXX. Extrait du traité d'amilié, de commerce et de naviga- tion, entre Sa Majesté Britan- nique et les États-Unis d'Amé- rique, conclu le 19 novembre 1794, ratifié le 28 octobre 1795 37 1
XXXI. Conventions entre S. M. le roi de Suède, d'une part, et 8, M. l'empereur de toutes les Russies, de l'autre, pour le rétablissement d'une neu- tralité armée 372
XXXII. Convention de neutra- lité maritime armée , con- clue entre LL, MM. l'empe- reur de toutes les Russies et le roi de Danemark, à Saint- Pétersbourg, le 4-16 décem- bre 1800 378
XXXIII. Convention de neutra- lité maritime armée, conclue entre LL. MM. l'empereur de toutes les Russies et le roi de Prusse, à Saint-Pétersbourg, le C-18 décembre 1800, avec
l'article supplémenlaire ra« titié le 6 février 1801 38i^
XXXIV. Convention maritime entre la Russie et la Grande- Rretagne, signée à Saint- Pétersbourg le 5-17 juin 1801, avec deux articles séparés de
la même date 393
Carte de l'Europe en 1807.
XXXV. Acte du Parlement, du 27 juin 1805, pour confirmer et étendre les dispositions concernant les ports francs dans les îles occidentales. . . 402
XXXVI. Résolution du Conseil privé d'Angleterre, du 3 août 1805 ï^.
XXXVII. Message du président des Etats-Unis au Sénat et à la Chambre des représen- tants des États-Unis 403
XXXVI II. Note de M. Fox à
M. Munroe , 404
XXXIX 405
XL. Supplément à la Gazette de Londres, du samedi 14 no- vembre 1807 407
XLI. Deuxième décret 410
XLIl. Troisième décret 411
XLIII. Décret impérial conte- nant de nouvelles mesures contre le système maritime de l'Angleterre 412
CARTE DE L'EUROPE EN 1807.
FIN I>r LA TAI'.U:.
L>E LlUPniUSr.IÏ DE CRAPELET, Rl'B DE VAVCIRARD 9
«JX Garden, Guillaume de, comte
152 Histoire générale
G35 1. 11
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